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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 18:55:27 -0700 |
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Kervin de Lettenhove </title> + <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> + <style type="text/css"> + + h1,h2 {text-align: center; + clear: both;} + + h1 {margin-top: 2em;} + + h2 {margin-top: 4em; margin-bottom: 1em;} + + .subh {text-align: center; font-weight: bold; margin-bottom: 2em;} + + div.titlepage, + div.frontmatter + { + text-align: center; + page-break-before: always; + page-break-after: always; + } + + div.titlepage p + { + text-align: center; + font-weight: bold; + line-height: 1.5em; + margin-bottom: 2em; + } + + div.frontmatter p + { + text-align: center; + margin-top: 2em; + } + + .titlepage p + { + text-align: center; + font-weight: bold; + } + + .sper {font-weight: bold; letter-spacing: .2em; padding-left: .2em;} + + .end + { + text-align: center; + font-size: small; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 4em; + } + + hr.deco {width: 5%;} + + div.header + {page-break-before: always; margin-top: 4em;} + + .poetry {font-size: 95%; margin-left: 20%; margin-right: 10%; + margin-bottom: 1em; text-align: left; } + .poetry .stanza { margin: 1em 0em 1em 0em; } + .poetry p { margin: 0; padding-left: 3em; text-indent: -3em; } + .poetry p.i1 {margin-left: 1em;} + .poetry p.i4 {margin-left: 4em;} + + table {margin-left: auto; margin-right: auto;} + .tdl {text-align: left; vertical-align: top; + padding-left: 1em; text-indent: -1em;} + .tdr {text-align: right; vertical-align: bottom;} + + .pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */ + /* visibility: hidden; */ + position: absolute; + right: 5%; + font-size: 0.6em; + font-variant: normal; + font-style: normal; + text-align: right; + background-color: #FFFACD; + padding: 0.3em; + } /* page numbers */ + + .pagenumh { display: none; } + + .tnote {margin: auto; + margin-top: 2em; + border: 1px solid; + padding: 1em; + background-color: #F0FFFF; + width: 25em;} + + sup {font-size: 0.7em; font-variant: normal;} + + .smcap {font-variant: small-caps; font-size: 90%;} + .center {text-align: center;} + .quote {font-size: 95%; margin-left: 20%; margin-right: 10%;} + + .xs {font-size: x-small;} + .small {font-size: small;} + .medium {font-size: medium;} + .large {font-size: large;} + +@media screen +{ + body + { + width: 90%; + max-width: 45em; + margin: auto; + } + + p + { + margin-top: .75em; + margin-bottom: .75em; + text-align: justify; + } +} + +@media print, handheld +{ + p + { + margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; + } + + .poetry + { + margin: 2em; + display: block; + } + + .smcap + { + text-transform: uppercase; + font-size: 90%; + } + + hr.deco + { + width: 5%; + margin-left: 47.5%; + } +} + +@media handheld +{ + body + { + margin: 0; + padding: 0; + width: 90%; + } + + .tnote + { + width: auto; + } +} + + </style> + </head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Histoire de Flandre (T. 4/4), by +Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: Histoire de Flandre (T. 4/4) + +Author: Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove + +Release Date: January 18, 2014 [EBook #44697] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE FLANDRE (T. 4/4) *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +book was produced from scanned images of public domain +material from the Google Print project.) + + + + + + +</pre> + + +<div class="tnote"> +<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. +L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. +Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p> + +<h1><span class="large">HISTOIRE</span><br /> +DE FLANDRE.</h1> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span></p> + +<div class="frontmatter"> +<p>Bruxelles.—Imprimerie <span class="smcap">Alfred</span> VROMANT.</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_III"> III</a></span></p> + +<div class="titlepage"> +<h2><span class="large">HISTOIRE</span><br /> +<span class="small">DE</span><br /> +<span class="sper">FLANDRE</span></h2> + +<p><span class="xs">PAR</span><br /> +M. KERVYN DE LETTENHOVE</p> + +<hr class="deco" /> + +<p class="small">TOME QUATRIÈME</p> + +<hr class="deco" /> + +<p class="small">1453-1500.</p> + +<p><span class="large">BRUGES</span><br /> +BEYAERT-DEFOORT, ÉDITEUR</p> + +<hr class="deco" /> +<p class="small">1874</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_IV"> IV</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p> + + +<div class="header"> +<h2>HISTOIRE DE FLANDRE<br /> +<span class="large">LIVRE DIX-HUITIÈME</span><br /> +<span class="small">1453-1467.</span></h2> + +<hr class="deco" /> +<p class="subh">Nouveaux projets de croisade.<br /> +Le Dauphin en Flandre.<br /> +Discordes du duc Philippe et du comte de Charolais.</p> +</div> + + +<p>La maison de Bourgogne était parvenue par de longs efforts à +maintenir sa puissance; mais près de trois quarts de siècle s'étaient +écoulés sans qu'elle eût pu, réalisant ses projets ambitieux, asseoir +d'une manière stable son influence en France et revendiquer dans +la patrie des Robert et des Baudouin, vaincue et humiliée, la dictature +de l'Europe armée contre les infidèles. La bataille de Gavre +permettra aux ducs de Bourgogne de s'avancer désormais d'un pas +moins incertain vers le but qu'ils se proposent; en renversant les +obstacles qui les arrêtèrent pendant longtemps, elle nous ramène à +Jean sans Peur et à Philippe le Hardi, à l'expédition de Nicopoli +de 1396, au banquet de Lille de 1383.</p> + +<p>C'est de nouveau à Lille qu'auront lieu les fêtes où le duc de +Bourgogne assemblera solennellement, comme son aïeul, les chevaliers +qui ont combattu sous sa bannière, en célébrant dans les +mêmes réjouissances les trophées du passé et ceux de l'avenir, les +revers des communes flamandes à Roosebeke et à Gavre et la croisade +que le duc Philippe espère conduire lui-même aux rives de la +Propontide pour effacer les tristes souvenirs de celle de Jean sans +Peur.</p> + +<p>Le 17 février 1453 (v. st.), tous les barons de la cour de Bourgogne +se trouvaient réunis au palais de Lille, lorsqu'au milieu des +splendides intermèdes préparés par les ministres les plus habiles +des plaisirs du duc, ils virent entrer une femme vêtue de deuil, +<span class="pagenum"><a id="Page_2"> 2</a></span> +assise sur un éléphant qu'accompagnait un More de Grenade. Elle +représentait la sainte Eglise comme elle le déclara elle-même dans +quelques vers où elle peignit ses malheurs et ses périls en réclamant +un généreux appui.</p> + +<p>Deux illustres dames parurent alors, précédées de Toison d'or, +qui portait un beau faisan, afin qu'un noble oiseau présidât, selon +l'usage, aux vœux qu'on allait faire. Le duc voua le premier aux +dames et au faisan qu'il irait en Orient combattre les infidèles. +Tous les chevaliers qui l'entouraient s'engagèrent par les mêmes +serments.</p> + +<p>Parmi ceux qui assistaient à ce banquet, le plus somptueux et le +plus fameux du quinzième siècle, se trouvait un homme sage qui +déplorait l'exagération de ce luxe et les folles dépenses qu'occasionnaient +ces fêtes. «Apprends, mon ami, lui répondit un des conseillers +de Philippe, que ces banquets et ces tournois, qui sont devenus +de plus en plus brillants, n'ont d'autre cause que la ferme +volonté et le désir secret du duc de parvenir ainsi plus aisément +à exécuter ses anciens projets. Le vœu qu'il a prononcé vient de +les révéler.»</p> + +<p>Le duc de Bourgogne avait, à diverses reprises, envoyé des chevaliers +lutter contre les flottes ottomanes dans les mers de l'Archipel +et des négociateurs préparer sur ces rivages éloignés l'apparition +d'une expédition plus considérable, destinée à arrêter les progrès +menaçants de Mahomet II. Depuis la pacification de la +Flandre, rien ne s'opposait plus à ce qu'il poursuivît les préparatifs +de la croisade si pompeusement annoncée, au banquet du Faisan, à +tous les peuples chrétiens. Le 24 mars 1453 (v. st.), il quitta Lille +pour aller visiter ses Etats de Bourgogne; de là il se rendit dans +les cantons suisses, où il reçut aussi grand accueil que s'il eût été +l'Empereur lui-même; puis il entra en Souabe par Constance et eut +successivement des entrevues avec le comte de Wurtemberg, les +ducs de Bavière et d'Autriche: enfin il arriva à Ratisbonne où +allait s'assembler la diète de l'Empire. L'empereur Frédéric III, +qui s'était fait excuser de ce qu'il ne pouvait pas aller lui-même l'y +saluer, chargea de ce soin ses ambassadeurs, et quand Philippe +rentra dans ses Etats, il avait conclu avec la plupart des princes +allemands des alliances avantageuses et conformes à ses vues.</p> + +<p>Cette vaste confédération que préparait le duc de Bourgogne, +religieuse dans le but publiquement avoué, mais essentiellement +<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span> +politique dans son principe et dans ses causes, n'embrassait pas +seulement les nombreuses principautés des rives du Rhin; elle +devait, plus près de ses Etats, renouer en un faisceau que rien ne +pourrait rompre toutes les intrigues qui depuis longtemps divisaient +la France et l'Angleterre. Le Dauphin élevait la voix vers le +pape du fond de l'apanage où depuis neuf ans il vivait isolé, pour +obtenir la permission de prendre part à la croisade comme gonfalonier +de l'Eglise. Le duc d'Alençon s'était rendu à Lille au moment +même où s'y tenait le banquet du Faisan et y avait eu une courte +conférence avec Philippe, tandis que des émissaires anglais arrivaient +à Bruges pour prendre part aux mêmes négociations. Lorsque +le duc de Bourgogne revint d'Allemagne, il conclut un autre traité +avec le duc de Bourbon: le mariage de l'une des filles de ce prince +et du comte de Charolais, déjà veuf de Catherine de France, devait +en être le gage, et aussitôt après un messager porta à Lille l'ordre +de le célébrer immédiatement, soit que l'on prévît l'opposition de +la duchesse Isabelle qui eût préféré une princesse anglaise, soit que +l'on craignît que Charles VII ne voulût maintenir le lien étroit qui +unissait à sa maison l'héritier de tant de puissantes seigneuries, en +lui faisant épouser une autre de ses filles.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne avait convoqué à Bruges les députés des +Etats, et l'un de ses conseillers les harangua en son nom. «Il siet +bien de vous réduire à mémoire, leur dit-il, que aultrefois sous +l'empire d'Alexius, ung sien prédécesseur d'immortel mémoire, +le comte Bauduin de Flandres, par sa vertu et haut emprinse, +conquist en cas semblable ceste noble cité de Constantinople sur +les mescréans: si en doit mon très redoubté seigneur avoir le +cuer plus meu et affecté envers elle pour cause d'icelui son prédécesseur, +si glorieux prince, en qui l'injure faite aujourd'hui redondde.» +Ces discours étaient accueillis avec peu d'enthousiasme: +la croisade qu'ils annonçaient ne devait retrouver ni l'austère piété +de Baudouin de Constantinople, ni la sublime éloquence de Foulques +de Neuilly.</p> + +<p>De Bruges le duc de Bourgogne se rendit en Hollande. Il y reçut +de Jean Rolin, cardinal de Saint-Etienne <i lang="la" xml:lang="la">in monte Cœlio</i> et légat +de Calixte III, l'étendard de la guerre sainte, orné d'une croix rouge, +en mémoire de la passion de Notre-Seigneur. Le pape avait confirmé +les pouvoirs spéciaux des évêques de Toul et d'Arras, investis +du droit d'appeler les prêtres eux-mêmes à s'armer du glaive, non +<span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span> +plus, comme aux anciens jours, pour défendre le temple, mais pour +le reconquérir; il avait même permis au duc de Bourgogne, qu'il +nommait le bouclier de la foi, de disposer, pour les employer aux +frais de la croisade, des revenus de tous les bénéfices vacants +dans le monde chrétien. Philippe se plaisait à étaler aux regards +surpris ses immenses richesses, sa belle vaisselle, qui valait trente +mille marcs d'argent, et son fameux trésor qui contenait deux cent +mille lions d'or; mais il avait trop compté sur l'appui de ses alliés. +Leurs complots, non moins menaçants pour la paix des royaumes +chrétiens que les progrès des infidèles, ne pouvaient rester complètement +ignorés, quelque pieux qu'en fût le prétexte, et, au mois de +mai 1456, l'on apprit tout à coup que le duc d'Alençon avait été +arrêté à Paris par l'ordre de Charles VII. On lui fit subir divers +interrogatoires, et il avoua non-seulement ses relations avec le duc +de Bourgogne, mais aussi une alliance secrète avec les Anglais qui +devaient débarquer à Calais, en Guyenne et en Normandie. Le Dauphin, +compromis par ces révélations, eut à peine le temps de gagner +les frontières de la Bourgogne, après avoir écrit à son père +«qu'il s'en alloit devers son bel oncle pour sçavoir son intention +sur son allée sur le Turc à la défense de la foi catholique.»</p> + +<p>Le Dauphin était arrivé à l'âge de trente-trois ans: toute sa vie +avait été pleine de dissimulation et d'intrigues. A seize ans, il avait +pris part à l'échauffourée de la Praguerie. A vingt ans, il avait +assisté à la prise de Dieppe, et, pour récompenser ses compagnons, +il les avait ramenés dans l'Ile-de-France, leur permettant d'y rançonner +les vignerons et les laboureurs. Aussi terrible dans ses haines +qu'habile à les cacher, impie dès sa jeunesse, mais devenu bientôt +superstitieux par je ne sais quel fol espoir de tromper la Providence +divine comme il trompait les hommes, il avait pu librement développer +ses défauts et ses vices dans la solitude de son apanage du +Dauphiné. «Il s'y contenoit, dit Chastelain, faisoit bonne chère, amoit +par amours, maintenoit gens d'armes, travailloit fort son peuple +et le duc de Savoie, son beau-père, ploioit tout à sa guise, mesmes +par armes et par haute main, et s'estoit mis en guerre à l'encontre +de tous les plus grans nobles de son pays, et les en avoit expulsez +par le conseil d'aucuns étrangers cypriens et de femmes qui le +gouvernoient.» La colère de son père était le seul frein qu'il +connût: l'habitude de se livrer à toutes ses volontés et d'employer +tous les moyens pour les exécuter, la lui faisait si vivement redouter, +<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span> +qu'il en avait, ajoute le même historien, «une peur sauvage.»</p> + +<p>Le Dauphin n'avait amené dans sa fuite qu'un petit nombre de +ses serviteurs, parmi lesquels on remarquait un valet de chambre +flamand nommé Jean Wast, qui lui servait de secrétaire. Le sire +de Blamont, si fameux par ses cruautés dans la guerre de Flandre, +conduisit le prince fugitif à Bruxelles, où il attendit quelques jours +l'arrivée du duc de Bourgogne, retenu en Hollande par les troubles +d'Utrecht; mais quand il le vit, il lui exprima vivement toute sa +joie «et l'accola si estroit, qu'à peine se pooit lessier couler +à terre.»</p> + +<p>Cependant Charles VII s'irritait vivement de cet asile accordé +à un fils rebelle, et se montrait peu disposé à écouter les explications +offertes par les sires de Croy et de Lalaing; il réunissait même +aux frontières du nord ses troupes d'archers et d'hommes d'armes +qu'il avait le premier organisées d'une manière stable et régulière, +en leur donnant une solde qui remplaçât le droit odieux du pillage, +vaillantes milices qui furent le modèle de toutes les armées modernes. +Le duc n'en persistait pas moins à alléguer le respect même +qu'il portait à la maison de France pour justifier sa conduite, et le +Dauphin déclarait que si l'hospitalité lui était refusée dans les +Etats du duc de Bourgogne, il irait réclamer celle des Anglais, +«ennemis du royaume de France, et que là il seroit soustenu et +bienvenu.»</p> + +<p>Philippe devait trouver la punition de son zèle à animer les querelles +du roi et de son fils, en voyant se développer les mêmes discordes +domestiques dans sa propre maison. Le comte de Charolais +se plaignait de la faveur illimitée dont jouissaient les sires de Croy; +il avait eu des démêlés avec eux au sujet de la succession de la +dame de Béthune: mais la haine qu'il leur portait n'éclata publiquement +qu'au mois de janvier 1456 (v. st.), peu de temps après le +retour du duc Philippe de Hollande.</p> + +<p>Pendant l'absence du sire d'Auxy, premier chambellan du comte +de Charolais, les sires d'Aymeries et de Quiévraing se disputaient +l'honneur de le remplacer. Le dernier, fils de Jean de Croy, bailli +de Hainaut, s'appuyait sur l'influence que possédait sa maison, et +un jour, après la célébration de la messe, le duc appela lui-même +le comte de Charolais dans son oratoire, pour lui ordonner de choisir +le sire de Quiévraing, mais le jeune prince refusa de lui obéir. +«Je sais bien, lui disait-il, que vous vous laissez gouverner par +<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> +les Croy, mais vous ne pouvez pas exiger qu'ils me gouvernent +aussi.» A ces mots, le vieux duc changea de visage; il saisit une +épée et en eût frappé son fils, si celui-ci n'eût trouvé un asile dans +les bras de sa mère, qui se hâta de le conduire dans l'appartement +du Dauphin. Rien ne devait irriter davantage le duc de Bourgogne; +il ne pouvait souffrir qu'un prince étranger fût le témoin de ces +dissensions intérieures, et encore moins qu'on cherchât en lui un +médiateur. Aussi, lorsque le Dauphin se présenta pour intercéder +en faveur du comte de Charolais, Philippe oublia-t-il le respect +qu'il lui avait montré jusqu'à ce moment, pour repousser ses instances. +«Assez, monseigneur, lui répliquait-il, tenez-vous en vostre +paix, je ferai bien aveuc mon fils et aveuc la mère aussi, laquelle +n'a de riens amendé sa querelle.» En disant ces dures paroles +ajoute Chastelain, «se monstra tant fier et tant animé, que nul œil +ne le regardast qui n'en eust paor, mesmes le Daulphin.» Cependant +le prince français s'était jeté à genoux, nommant le duc +«son père et son tout en ce monde,» et le conjurant de pardonner +à son fils. Philippe céda, mais en versant des larmes. «Gardez-le +bien, s'écria-t-il, mès jour que vous vivrez après, ne moy aussi, +vous ne me verrez de vos yeulz, or en soit vostre volenté faite, mès +la mienne demorra telle.» Et il sortit en courant et se cachant +la figure dans son manteau, de peur que l'on ne remarquât son émotion. +On le vit descendre dans le parc qui touchait au palais de +Bruxelles et entrer dans un pavillon où il appela son valet de +chambre, pour lui ordonner d'aller prévenir les sires de Croy qu'ils +se rendissent immédiatement à Halle; puis il se fit amener un petit +cheval, et s'éloigna en traversant les rues de Bruxelles sans que +personne le reconnût.</p> + +<p>Il était déjà tard. Un froid brouillard mêlé de pluie avait succédé +aux gelées. Les chemins étaient mauvais, tantôt coupés par le +cours rapide des ruisseaux qu'avaient enflés les inondations, tantôt +couverts de mares profondes; mais le duc n'en poursuivait pas moins +sa route vers Halle, quoique la brume s'épaissît de moment en moment. +La nuit arriva: elle était si obscure que le duc n'apercevait +rien à une distance de six pas. Il s'était engagé dans une vaste +forêt; son cheval trébuchait sans cesse et s'enfonçait tour à tour +dans la boue ou dans les glaces qui, en certains endroits, avaient +résisté aux faibles rayons d'un soleil d'hiver. Le duc n'avait pris +aucune nourriture de toute la journée, et comme il n'avait pas +<span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span> +changé de costume depuis qu'il avait quitté son oratoire, le froid et +l'humidité pénétraient tous ses membres: les ronces qui arrêtaient +son passage ensanglantaient ses mains, et c'était en vain qu'il cherchait +à trouver sur le sol quelques traces qui lui eussent annoncé +l'approche d'une habitation. Il essaya de crier, et sa voix se perdit +également dans la solitude. Enfin, après de longues heures de souffrance +et d'anxiété, il découvrit vers minuit une chaumière où il +s'adressa en flamand à un pauvre paysan qui, prenant pitié de lui, +alluma du feu pour le réchauffer et lui apporta du pain, quelques +oignons et un peu de fromage. Ce laboureur ignorait quel était son +hôte, car il l'interrogea longuement sur son état et sur les motifs +de son voyage, comparant même parfois ses richesses à celles du +duc de Bourgogne, parce qu'il avait reçu du voyageur égaré un +florin du Rhin. Philippe le chargea de le conduire à Alsemberghe, +chez un de ses anciens veneurs, où il passa la fin de la nuit et une +partie de la journée du lendemain. Il se rendit ensuite au château +de Genappe, et ce fut là qu'un jeune chevalier nommé Philippe +Pot, envoyé par le Dauphin à la recherche du duc, le retrouva; mais +Philippe se contenta de lui répondre «que de ly ne feussent en +soing, car s'en alloit en Bourgogne, dequel lieu ne bougeroit d'un +demi-an, et que si hardi que homme des sien ne le suivist s'il +n'estoit mandé, sur encourir son indignation mortelle.» Cependant +Philippe Pot parvint à, calmer peu à peu l'irritation du duc +de Bourgogne, en lui promettant que le Dauphin s'engagerait à ne +plus lui adresser aucune prière à l'avenir. Les sires de Croy joignirent +leurs instances aux siennes, et Philippe consentit à rentrer +à Bruxelles. Il conservait toutefois l'amer souvenir de ce qui s'était +passé, et son mécontentement éclatait en plaintes violentes contre +la duchesse de Bourgogne. Ce fut inutilement qu'elle le supplia de +lui pardonner son amour maternel et ses inquiétudes pour un fils +qui était son unique soutien sur une terre étrangère: elle se vit +réduite à quitter une cour somptueuse et brillante pour aller vivre +au milieu des bois, dans un couvent de sœurs grises, à Nieppe, à +l'ombre de ce château où Robert de Cassel avait trouvé, au quatorzième +siècle, un asile contre le ressentiment de Louis de Nevers. +Le comte de Charolais s'était déjà retiré à Termonde. Le duc exigea +qu'il se soumît à toutes ses volontés, et ne lui pardonna qu'à cette +condition qu'il congédierait deux officiers de sa maison soupçonnés +de l'avoir encouragé dans sa résistance: c'étaient un jeune clerc +<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> +qui s'appelait Guiot d'Ouzy et un ménestrel bourguignon nommé +Guillaume Biche. Guiot d'Ouzy se réfugia à Paris, où la haine du +duc Philippe fut jugée un titre suffisant pour le faire admettre dans +la maison de Charles VII; mais il est probable que, pour se réconcilier +avec le duc de Bourgogne, il lui servit d'espion. Guillaume +Biche s'était rendu également en France, et y remplissait le même +rôle en faveur du comte de Charolais, qui s'empressait d'instruire +le Dauphin de tout ce qu'il avait appris. Des malheurs communs +dont la source était la même n'étaient-ils pas un titre à une confiance +réciproque et à une mutuelle amitié?</p> + +<p>L'influence du Dauphin, conspirateur menaçant pour la France +en même temps que médiateur pacifique dans les Etats du duc de +Bourgogne, augmentait de jour en jour. Au mois de février 1456 +(v. st.), il tint sur les fonts de baptême la fille du comte de Charolais +à qui, en mémoire de sa mère, la reine Marie d'Anjou, il donna +le nom de Marie. Philippe n'avait point voulu paraître à cette cérémonie, +parce qu'il trouvait dans le sexe de cet enfant je ne sais +quel pressentiment de la fin prochaine de sa dynastie. Nous raconterons +plus tard comment le Dauphin, devenu le roi de France +Louis XI, protégea la jeune princesse, qu'il avait juré au pied des +autels de chérir et de défendre.</p> + +<p>Philippe avait accordé au Dauphin une pension de trente-six +mille livres avec le château de Genappe pour résidence. Il allait +souvent l'y voir et deviser joyeusement avec lui et les seigneurs de +la cour les plus célèbres par la vivacité de leur esprit et la fécondité +de leur imagination. Ce fut à Genappe que le Dauphin et le +duc se plurent à lutter avec les sires de la Roche, de Créquy, de +Villiers, de Fiennes, de Lannoy, de Mériadec, le prévôt de Watten +et l'amman de Bruxelles, à qui imiterait le mieux dans leur grâce, +et surtout dans leur licence, les tableaux du <cite>Décaméron</cite> de Boccace. +Nous ne rappellerons toutefois les <cite>Cent nouvelles nouvelles</cite> +que pour y rechercher la part qu'y occupent des données plus ou +moins sérieuses sur l'époque et sur le pays où elles furent écrites. +A ce titre, il faut citer <cite>les trois damoiselles de Malines</cite>, <cite>le beau +page de Brabant</cite>, <cite>le docte clerc de Lille</cite>, <cite>l'aubergeon de la dame du +Hainaut</cite>. La Flandre y est aussi représentée, notamment par «le +conte du chevalier, jeune bruyant jousteur, danceur et bien chantant,» +qui échoua dans ses amours à Maubeuge; celui du gentilhomme +qui revêtit sa robe sans manches pour aller recevoir le dernier +<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> +adieu de sa mère est déjà un récit plus grave; enfin il en est +un qui, tout opposé aux autres, est presque une leçon de morale et +de vertu. Parmi les chevaliers flamands qui tombèrent au pouvoir +des infidèles à la journée de Nicopoli, et qui ne périrent point sous +le glaive des bourreaux de Bajazet, la plupart payèrent rançon; +mais il y en eut toutefois plusieurs qui n'échappèrent aux douleurs +du martyre que pour être condamnés à l'esclavage. L'un de ceux-ci +fut Nicolas Uutenhove. Accablé des travaux les plus rudes, il regrettait +amèrement sa patrie et sa femme, «qui de tout son cueur +l'aymoit et prioit Dieu journellement que brief le peust revoir se +encores il estoit vif, et que s'il estoit mort, il voulsist par sa grâce +ses péchez pardonner et le mettre au nombre des glorieux martyrs +qui, pour l'exaltation de la sainte foy catholique, s'estoient +volontairement offerts à mort corporelle.» Neuf ans s'étaient +écoulés sans qu'elle eût appris quelque chose du sort de Nicolas +Uutenhove, et sa famille ne cessait de lui représenter qu'il était +temps de mettre un terme à son veuvage. Elle n'y consentit qu'à +regret et bien que combattue par de secrets remords; en effet, elle +avait à peine accepté un nouvel époux depuis six mois, lorsque le +bruit du retour de Nicolas Uutenhove, qui avait été racheté «par +le moyen d'aulcuns chrestiens gentilshommes,» se répandit «au +pays d'Artois et de Picardie, où ses vertus n'estoient pas moins congneues +que en Flandres, d'où il estoit natif.» On en fut bientôt +instruit à Gand, et dès ce moment sa femme refusa toute nourriture; +ses larmes ne cessaient de couler, et elle expira le troisième +jour, en protestant que si elle avait été trop faible à repousser des +obsessions funestes, son cœur, du moins, n'avait jamais été coupable. +L'auteur de ce récit, qui fait oublier tous les autres, tant il est +simple et touchant, était le Dauphin Louis de France: c'est le seul +titre de sa reconnaissance pour un pays qui lui accorda une généreuse +hospitalité pendant le long séjour qu'il y fit avec le duc de +Bourgogne.</p> + +<p>Ce fut vers les premiers jours de l'année 1457 que Philippe, pour +faire honneur au Dauphin, résolut de lui montrer ces fameuses +cités dont la puissance était si grande, disait le pape Pie II, qu'il +semblait qu'en elles seules résidât toute celle des ducs de Bourgogne. +Il se rendit avec lui de Bruxelles à Audenarde, d'Audenarde à +Courtray. Arrivés à une lieue de Bruges, le 4 avril vers le soir, ils +y trouvèrent les nobles et les magistrats qui les attendaient entourés +<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> +de huit cents marchands étrangers, richement vêtus de soie, de damas +et de velours. Les échevins complimentèrent d'abord le Dauphin, +qui leur répondit doucement: «Messeigneurs, je vous mercie +de l'honneur que vous me faites, et me sera bien vostre ville pour +recommandée en temps à venir.» Aux acclamations qui saluaient +le duc se mêlaient celles des marchands des <em>nations</em>; les uns +criaient: «Vive Alphonse, roi d'Aragon!» les autres répétaient: +«Vive Henri, roi de Castille!» et en même temps ils agitaient les +torches qu'ils avaient prises avec eux pour les allumer dès que la +nuit serait venue. Leurs bruyantes clameurs, leur nombre, ce mouvement +même que la chute du jour ne permettait de distinguer +qu'imparfaitement, surprirent le Dauphin, peu habitué aux grandes +démonstrations des cités flamandes. Il crut reconnaître dans ces +paisibles marchands des gens de guerre; leurs torches lui paraissaient +des lances, «et durement, ajoute Chastelain, le Dauphin en +devint perplex et plein d'effroy, et cuidoit certainement estre +trahy, si s'en perçut le duc et devint tout honteux mesmes, mès +leur fit dire que, de par le diable, ils s'en allassent tout coiement +ou il les puniroit de corps.»</p> + +<p>Le duc et le Dauphin assistèrent à Bruges aux joutes qui y avaient +lieu chaque année depuis le commencement du quatorzième siècle. +Le premier dimanche du carême, les bourgeois de Bruges se rendaient +à Lille pour prendre part aux fêtes de l'Epinette. Le second +dimanche après Pâques, ceux de Lille les suivaient à Bruges pour +assister aux joutes de la confrérie de l'Ours-Blanc. C'était sur la +place du Marché que les combattants, après s'être solennellement +réunis à l'abbaye d'Eeckhout, venaient rivaliser de force ou d'adresse. +Trois prix étaient donnés: une lance, un cor de chasse, un +ours ciselé en argent. Celui qui obtenait le premier devenait le chef +de la confrérie, sous le nom de forestier. La foule se pressait à ces +joutes, et d'illustres chevaliers ne dédaignaient pas d'y descendre +dans l'arène. Mais ce qui excita bien plus vivement l'admiration +des deux princes, ce fut l'imposante solennité de la procession du +Saint-Sang à laquelle accouraient de fort loin de nombreux pèlerins. +Les Brugeois étalaient à l'envi, dans les rues ornées de draperies +rouges et blanches, et de lanternes de mille couleurs, tout +ce qu'ils possédaient de plus précieux. Le Dauphin, en voyant une +si grande multitude de peuple se presser autour de lui, avait avoué +qu'il ne croyait pas qu'il y en eût autant dans toute la Flandre, et ses +<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> +serviteurs ne se montraient pas moins émerveillés du brillant spectacle +qui frappait leurs regards: ce qui donne lieu aux chroniqueurs +de cette époque de remarquer combien il était imprudent d'exciter +ainsi la convoitise d'un prince naturellement avide et ambitieux.</p> + +<p>Le Dauphin passa plusieurs semaines à Bruges; il cherchait à s'y +faire aimer des habitants et étudiait avec soin leurs mœurs et leurs +institutions, les ressources de leur commerce et les richesses de +leur ville. Un jour, étant monté dans un petit batelet près de +Bruges, il tomba à l'eau et faillit se noyer; un autre jour, il profita +d'une partie de chasse pour aller visiter le port de l'Ecluse, encore +si florissant alors, que parfois l'on y voyait aborder dans une seule +journée cent cinquante navires.</p> + +<p>Le Dauphin attendait à Bruges des nouvelles importantes de +France. Un complot avait été formé pour enlever le roi Charles VII +du château de Saint-Priest, en Dauphiné, au moment même où il +donnait audience aux ambassadeurs bourguignons, chargés de lui +renouveler de mensongères protestations de respect et de soumission; +mais ce complot fut découvert, et le duc de Bourgogne, prévoyant +de plus en plus une rupture complète, quitta la Flandre pour aller +exhorter les habitants de la Somme à lui rester fidèles, s'ils étaient +attaqués par les Français.</p> + +<p>L'été s'écoula sans que rien justifiât ces craintes, et, dans les +derniers jours de l'automne, le duc retourna à Bruges; il y reçut, +pendant l'hiver, une députation des bourgeois de Gand, qui venaient +l'inviter à se rendre dans leur ville. Philippe feignit d'abord de se +montrer peu disposé à oublier les longues et sanglantes discordes +qui avaient précédé la paix de Grave: il leur avait même fait dire +qu'ils eussent à s'adresser au maréchal de Bourgogne, ce fameux +sire de Blamont, «l'homme du monde que Gantois aultrefois plus +avoient hay;» mais les députés de Gand annonçaient l'intention +de réclamer la médiation du Dauphin, comme les Brugeois avaient, +à une autre époque, invoqué celle du duc d'Orléans. Philippe en fut +instruit; il n'eût pas vu plus volontiers un prince étranger intervenir +dans les soins de son gouvernement que dans les discordes +intérieures de sa maison, et il se décida à recevoir lui-même les +députés de Gand, en les faisant avertir «que point ne se traveillassent +de faire nulluy prier pour eulx, et par faire aultrement, +ils se reculleroient plus que ne s'avanceroient.»</p> + +<p>Les députés de Gand s'efforcèrent de calmer le duc par leurs +<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> +discours. Ils lui représentèrent doucement que s'ils avaient «esté +en émoi,» ils n'avaient du moins jamais, comme les Brugeois en +1325 en et 1437, persécuté en «corps» le légitime seigneur du +comté de Flandre. L'évêque de Toul prit la parole pour leur répondre: +il insista sur l'audace et la durée de leur rébellion, et sur ce +qu'il pouvait y avoir de périlleux pour le duc de Bourgogne à aller +se placer au milieu de ceux qui, naguère encore, levaient leurs bannières +contre la sienne. «Les choses passées, disait-il, sont encore +fresches, et n'y a que quatre ans que les playes en saignoient encore. +Nous espérons bien que vous aultres et les gens de bien de +la ville n'y entendez rien que léaulté; mais quelle seurté peut-on +avoir en une infinité d'aultres rudes et meschans gens, malvais +garssons, qui n'ont point d'honneur en eulx, ne d'avoir, mès +ont peut-estre esté contre monseigneur en bataille, là, où, eulx +fuians et desconfis, leurs pères, leurs frères, leurs prochains +amis et parens ont esté mors et tués, et ont perdu maisons brullées, +dont maintenant, par aventure, quant verroient cely par qui +ce leur avoit esté fait et le sauroient estre en leurs lacs et leur +fort, pensans à la vengeance de leur annuy, pourroient faire ung +assemblement par nuit et à l'heure quand lui et nous tous ses +seigneurs dormerions, porroient venir férir desus et contendre à +tuer tout, le maistre avec sa famille?... Or, est tout cler que +Gand a beaucoup de malvais garssons et de rudes et felles +cœurs de gens... Il y a nul de nous qui ne vousist bien que la +chose se peust faire à l'honneur de monseigneur et principalement +à sa seurté, et savons bien qu'il feroit bien quant il monstreroit +visage de miséricorde et de clémence à son peuple, et par +espécial en une si noble et puissante ville comme est Gand, une +des plus belles et des puissantes du monde.»</p> + +<p>Deux des députés de Gand, Matthieu de Gruutere et Jean Stoppelaere, +cherchèrent à justifier les Gantois, en démontrant qu'il +n'existait aucun sujet de crainte et d'inquiétude dans l'avenir. +Quelle que fût l'étendue de la ville de Gand, quelle que fût sa +population, les doyens, les jurés, les connétables, les centeniers et +les dizeniers en connaissaient tous les habitants, et exerçaient sur +eux une si grande influence que leurs serments garantissaient la +fidélité, la soumission et la paix de toute la cité. Pour assurer le +succès de cette démarche, ils offraient au duc vingt mille lions +d'or; Philippe avait constamment besoin de ressources considérables +<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> +pour l'exécution de ses vastes desseins. Il eût d'ailleurs +jugé imprudent de faire revivre le mécontentement des Gantois, +au moment où une invasion hostile, de Charles VII n'avait pas +cessé d'être probable; il céda aux humbles prières de leurs députés, +et promit de se rendre au milieu d'eux le 6 avril 1458.</p> + +<p>Quelques serviteurs du duc de Bourgogne l'avaient précédé à +Gand pour y étudier les dispositions des bourgeois, en même temps +qu'ils veilleraient aux préparatifs des fêtes qui devaient avoir lieu. +Ils reconnurent que tout était calme et paisible, et ne remarquèrent +dans les rues que de somptueuses tapisseries aux couleurs du +duc, qui étaient noir, gris et vermeil, ou de riches ornements d'or +et d'argent, dont quelques maisons étaient entièrement couvertes. +Leurs rapports avaient fait cesser toute inquiétude, lorsque le 27 +mars ils retournèrent précipitamment à Bruges; le même jour, un +tremblement de terre s'était fait sentir à Gand, et les moines de +Saint-Pierre, réunis dans leur église, prétendaient avoir entendu +saint Bertulf s'agiter violemment dans son tombeau, signe certain +de grands événements. Ce récit parvint jusqu'au Dauphin «et lui +bouta telle paour en la teste qu'il alla supplier le duc de renoncer +à son projet; mais Philippe consentit seulement à l'ajourner. Le +maréchal de Bourgogne, envoyé à Gand, revint bientôt annonçant +que rien ne légitimait la terreur des moines de Saint-Pierre, et +l'entrée du duc fut définitivement fixée au 23 avril. «Mès oncques +le Daulphin ne se voult changier de son opinion, dit Chastelain, +tant l'avoit peur ahers et ne l'eust sçu asseurer langue +d'homme.»</p> + +<p>Le 22 avril, le duc de Bourgogne avait passé la nuit à Eecloo; +le lendemain, il se rendit à Gand. Douze cents hommes d'armes +et deux cents archers le précédaient salade en tête, et il s'avançait +lui-même entouré d'une multitude de barons et de chevaliers +appelés de la Hollande, du Hainaut et de la Picardie; mais l'on +ne remarquait ni clercs ni prêtres à sa suite. Pour le rassurer +davantage, les portes de la ville avaient été ôtées de leurs gonds +et les barrières avaient été enlevées. Le bailli Arnould de Gouy +et quatre échevins de chaque banc, accompagnés de quatre cents +bourgeois à cheval, vêtus de noir, l'attendaient à Mariakerke. Plus +loin se tenaient les doyens des métiers et d'autres bourgeois qui +s'inclinèrent humblement à son arrivée; plus loin encore, les +abbés de Saint-Pierre, de Saint-Bavon, de Baudeloo, de Grammont, +<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> +de Ninove, de Tronchiennes, le prévôt et les chanoines de Sainte-Pharaïde, +les membres du clergé et les béguines qui chantaient +en chœur le <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum</i>.</p> + +<p>Dans toutes les rues, de vastes échafauds fermaient les issues +étroites et sombres des quartiers habités par les ouvriers d'où eût +pu s'élancer inopinément quelque troupe de conspirateurs: on +avait cherché par les emblèmes dont ils étaient chargés à faire +oublier les motifs qui les avaient fait élever. Les Gantois avaient, +comme les Brugeois, choisi l'image d'Abraham sacrifiant son fils +pour exprimer leur obéissance: <i lang="la" xml:lang="la">Omnia quæ locutus est Dominus, +faciemus</i>. Une jeune fille, placée dans un élégant préau, appliquait +au duc ces paroles de Salomon: <i lang="la" xml:lang="la">Inveni quem diligit anima mea</i>. +Tantôt on égalait sa gloire à celle de César, tantôt l'on comparait +sa clémence à celle de Pompée. Ici on avait reproduit le discours +des Israélites à Gédéon: <i lang="la" xml:lang="la">Dominare nostri tu et filius tuus et filius +filii tui</i>; ailleurs, on avait écrit: <i lang="la" xml:lang="la">Utere servitio nostro sicut placuerit +tibi</i>. On vit même un homme, vêtu d'une peau de lion, +dégradant le fier symbole de la nationalité flamande, conduire le +duc jusqu'à son hôtel en tenant la bride de son cheval. Comme +les temps étaient changés! Qu'était devenu cet intraitable orgueil +que l'on reprochait naguère à la cité de Gand qui, même après le +désastre de Gavre, était restée, au témoignage de Chastelain, la +plus puissante et la plus riche de l'Europe? «Y avoient les trois +quarts, dit Jacques Duclerq, de ceux qui le voyoient, qui plouroient; +et pareillement ceux de la compagnie du duc, pour +l'humilité qu'ils voyoient que ceux de la ville faisoient.»</p> + +<p>La foule se pressait dans les rues et sur les places publiques +pour assister à ce spectacle; les uns s'arrêtaient autour des ménestrels +qui chantaient:</p> + +<p class="quote">Vive Bourgogne! est nostre cri;</p> + +<p>les autres s'assemblaient au marché de la Poissonnerie, où l'on +voyait, dans un grand bassin, nager des tritons et des sirènes. Vers +le soir, ces divertissements continuèrent à la clarté des flambeaux; +le lendemain, il y en eut, «jusques en l'hostel de la ville,» d'autres, +non moins splendides, destinés à faire connaître au duc la sincérité +du repentir des Gantois. Ces fêtes se fussent prolongées longtemps +si le duc, remarquant que les assemblées du peuple devenaient de +<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> +jour en jour plus nombreuses, n'eût jugé prudent d'y mettre un +terme.</p> + +<p>Au milieu de ces pompes, l'arrivée d'un huissier du parlement +de Paris vint arracher le duc de Bourgogne à l'enivrement de la +puissance et de la gloire.</p> + +<p>En 1445, lors de la fameuse joute du sire de Lalaing et de Jean +de Bonifazio, un huissier du parlement avait paru dans le palais du +duc, au milieu d'un banquet solennel où siégeaient le duc d'Orléans +et tous les chevaliers de la Toison d'or, pour l'ajourner en +personne à répondre à la citation «d'un Dimence de Court, homme +de non grand estime.» Il était revenu peu après briser à coup de +marteau les portes de la tour de Lille pour délivrer un prisonnier en +la présence du duc, «qui oncques toutevoies ne se deslia en parler, +jà soit-ce que emprès lui en avoit aucuns qui volontiers l'eussent +lancé en la rivière.»</p> + +<p>Dix ans après, le parlement envoya de nouveau un huissier ordonner +au sire d'Antoing de rendre la liberté à la fille d'un bourgeois +de Lille que le duc lui avait ordonné de garder prisonnière jusqu'à +ce qu'elle consentît à épouser un archer de sa garde nommé Colinet +de la Thieuloie. Le duc se trouvait en ce moment en Hollande; le +message dont avait été chargé l'huissier du parlement l'irrita à tel +point que, sans se préoccuper des exercices religieux du carême et +de l'assemblée solennelle qu'il tenait aux grandes fêtes de l'année, il +s'embarqua secrètement à Rotterdam, malgré une tempête qui faillit +plusieurs fois engloutir sa barque; enfin, il aborda à l'Ecluse et +monta immédiatement à cheval pour se rendre dans le Hainaut, où +il annonça au sire d'Antoing que, quelque chose qui arrivât, il était +assez fort pour le protéger. Philippe s'indignait de ce que «lui qui +estoit prince de justice estoit ainssi mené par ceulx du parlement +de Paris, qui de ses subgez lui voloient oster la cognoissance et +l'auctorité, et venir par haute main exploiter en ses pays dont il +estoit souverain.» Cependant il feignit de se rendre aux prières et +aux larmes de la mère de la jeune fille, qui était venue le jour du +vendredi saint se jeter à ses pieds; mais les conseillers du parlement, +dont les ordres avaient été méconnus par le sire d'Antoing et +par le duc lui-même, adressèrent les plaintes les plus vives au roi.</p> + +<p>L'huissier du parlement, qui arriva à Grand en 1458, n'était pas +uniquement chargé d'inviter le duc de Bourgogne à siéger parmi +les juges du duc d'Alençon; il semblait que sa principale mission +<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> +fût de répéter au plus illustre et au plus indépendant des grands +vassaux: «Vecy le flayel de vostre extollacion fière que vous avez +prise, qui vous vient corrigier droit cy et pincier, et vous monstrer +qui vous estes.» Charles VII se souvenait que le duc de +Bourgogne avait repoussé sa médiation lors de la grande guerre de +Gand: en même temps qu'il lui rappelait ses devoirs et ses serments, +il se plaisait à répéter à ses sujets ce que Charles V disait +aux barons bretons: «Lequel vous vaut mieulx ou que vous souffriez +le tort de vostre pays, ou que vous souffriez le secours de +droit du nostre?»</p> + +<p>Le duc fut d'autant plus surpris de ce message, qu'en vertu du +traité d'Arras aucune citation personnelle ne pouvait lui être adressée: +peu lui importait, d'ailleurs, d'exercer les droits de pair du +royaume, s'ils devaient lui imposer l'obligation de s'associer aux +rigueurs de la justice royale contre un prince depuis longtemps son +ami et son allié secret. Il répondit à l'huissier du parlement qu'il regrettait +de ne pas avoir été prévenu plus tôt, afin de pouvoir se rendre +à l'assemblée de Montargis avec tout l'éclat qu'exigeait son rang +de doyen des pairs. «Je ne vis oncques le roy, disait-il, si voudroye +aller devers lui bien accompagné et le mieux que je pourroye.» +Puis, s'échauffant par degrés, il ajouta: «Quant est du roy, je +ne me plaings point de luy, mès de vous aultres ceulx du parlement, +je me plaings à Dieu et au monde des forfais, injures et +rudesses que vous m'avez fait et faites tous les jours, tant en +mon honneur comme en mes seigneuries, voluntairement et par +haine, dont mon intention n'est point de le souffrir plus, mès m'en +vengeray une fois si je puis, et prie à Dieu qu'il me donne tant +vivre que j'en puisse prendre vengeance à l'appétit de mon cuer. +Je ne le dis pas droit cy que je ne vueille bien qu'il leur soit rapporté, +car vous-mesmes vous en estes et à ceste cause le vous +dis.»</p> + +<p>Le héraut d'armes, Toison d'or, fut chargé par Philippe d'aller +exposer au roi de France qu'il désirait quelques délais, afin de se +présenter à Montargis «bien accompagnié pour lui faire honneur et +service,» et le duc lui avait dit, de sa propre bouche, que si l'on +demandait quelle compagnie il comptait y amener avec lui, il répondît +en son nom «qu'il y mèneroit quarante mille combattants +pour servir le roy se besoing en avoit, et jamès n'y entreroit à +moins.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> +Le duc, «qui s'estoit renforchié au double par la retraite du +Dauphin,» avait déjà mandé les hommes d'armes des fiefs et des +arrière-fiefs, ainsi que les arbalétriers des bonnes villes; il avait +fixé sa résidence à Lille, où il réunissait toute son artillerie, lorsque +Charles VII le dispensa de se rendre lui-même à Montargis. La +situation n'en restait pas moins grave; on n'ignorait pas que le +procès instruit contre le duc d'Alençon embrassait tous les complots +qui avaient succédé à celui de la Praguerie, «et tendoit le +roy, dit Chastelain, à donner fréeur au duc de Bourgogne, lequel +il maintenoit à son rebelle, et se ledit de Bourgogne eust esté +attaint coupable aveuque le duc d'Alenchon, il eust mis sus le lit +de justice pour en faire condempnation comme de l'aultre.» L'on +avait trouvé, disait-on, dans l'hôtel même du duc de Bourgogne, +des vers où l'on plaçait dans la bouche du roi de France ces menaces +adressées à Philippe:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Lyon, les bras n'a pas si au desseure,</p> +<p>Que par toy puisse un nouvel monde faire;</p> +<p>Branle où tu veux, mais pense à ton affaire:</p> +<p>Cent ans as creu, tout se paye en une heure.</p> +</div></div> + +<p>Il est plus certain que Charles VII avait résolu de convoquer, +pour résister aux préparatifs du duc de Bourgogne, le ban et l'arrière-ban +du royaume, jusque dans les villes de la Somme cédées +par le traité d'Arras. La guerre semblait imminente. Le comte de +Charolais se montrait surtout plein d'enthousiasme et de zèle pour +l'entreprendre. «Je iray, disait-il dans le conseil, à tout ce qu'il +plaira à moy donner de gens jusques devant Paris, et de là jamès +ne retourneray que je n'aye traversé premier le royaume de l'un +bout jusqu'à l'autre.» Le duc de Bourgogne sourit en écoutant +son fils: ce feu d'ardeur juvénile avait ému son cœur paternel en +lui rappelant qu'il avait été lui-même dans sa jeunesse hardi et +entreprenant. En ce moment, il oubliait toutefois ses tardifs regrets +de ne pas avoir combattu avec les Français à Azincourt, pour +applaudir aux sentiments hostiles que leur portait l'héritier de ses +Etats. Déjà le comte d'Etampes, l'évêque de Toul et le maréchal de +Bourgogne s'étaient rendus à Calais pour traiter avec le comte de +Warwick du renouvellement des trêves et «d'aulcuns aultres secrez +entendemens sur aultres grandes matières.»</p> + +<p>Cependant le roi de France, apprenant les négociations entamées +<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> +à Calais, envoya de nombreux espions en Flandre et en Angleterre, +et bien que l'un d'eux, arrêté près de Gravelines, eût été conduit au +château de Lille par l'ordre du comte d'Etampes, leurs rapports +furent assez complets pour qu'il crût ne pas devoir témérairement +commencer la guerre. Le procès du duc d'Alençon fut ajourné de +quelques mois; lorsqu'on le reprit, on eut soin d'en écarter tous les +témoignages qui accusaient le Dauphin et le duc de Bourgogne. Il +avait été établi, il est vrai, que le duc d'Alençon avait lui-même +fait un voyage à Lille, et l'on affirmait qu'il avait chargé l'un de +ses valets d'aller chercher à Bruges une herbe fort rare destinée à +empoisonner le roi de France. On avait également saisi des lettres +de créance accordées par le Dauphin pour traiter avec les Anglais, +mais l'on feignit de révoquer en doute l'exactitude de ces dépositions +et l'authenticité de ces titres, et le duc d'Alençon fut seul +frappé d'une sentence capitale bientôt commuée en une détention +perpétuelle au château d'Aigues-Mortes.</p> + +<p>Les dangers que Charles VII pouvait prévoir dans la formation +d'une ligue secrète contre lui se dissipaient peu à peu. Sa fermeté +effrayait ceux que sa clémence n'avait pu toucher.</p> + +<p>Le Dauphin lui-même semblait hésiter dans l'opposition violente +qu'il faisait depuis longtemps à son père; car il avait profité de la +grossesse de la Dauphine pour lui écrire et pour protester de sa +soumission à ses volontés. Le motif de ce changement de conduite +était le bruit généralement répandu que l'on avait proposé dans le +conseil du roi de déclarer son frère Charles, duc de Berry, légitime +héritier de la couronne.</p> + +<p>D'autres motifs éloignaient le duc de Bourgogne des complots +auxquels il avait pris si longtemps une part active. Au moment où +le roi de France décidait que si ses ordonnances et celles du parlement +continuaient à ne pas être observées en Flandre, il fallait y +contraindre par la force le duc de Bourgogne, Philippe relevait à +peine d'une longue maladie qui avait mis sa vie en péril. Le repos +était devenu nécessaire à sa santé, et les médecins qui l'avaient +suivi à Gand, où il se proposait de réclamer des Etats de Flandre +d'importants subsides, afin de commencer la guerre, l'avaient engagé +à ne songer qu'à y prolonger son séjour pour l'air «qui +lui estoit propre, car norry y avoit esté.» De plus, à mesure +qu'il sentait ses forces s'affaiblir, un secret remords le +pressait de ne pas émousser contre les chrétiens des armes +<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> +qu'il avait promis de diriger contre les nations païennes. On lui +avait rapporté qu'au concile de Mantoue le pape, comparant aux +invasions des Huns et des Goths la marche des Turcs vers la +Hongrie, dernier rempart de la chrétienté, l'avait publiquement menacé +de la vengeance céleste s'il tardait plus longtemps à exécuter +son vœu. Sa maladie et les infirmités de sa vieillesse, qui s'accroissaient +tous les jours, lui parurent un nouvel avertissement de Dieu +irrité de le voir sacrifier si longtemps à d'autres intérêts l'accomplissement +de ses desseins contre les infidèles.</p> + +<p>L'expédition du duc de Bourgogne en Orient parut bientôt invariablement +arrêtée. Au mois de mai 1460, maître Antoine Hanneron, +qui fut depuis prévôt de Bruges, reçut de nouvelles instructions +pour aller en Allemagne poursuivre les négociations entamées l'année +précédente par Simon de Lalaing et réclamer, sinon le titre de +roi de Lotharingie, au moins la dignité de vicaire impérial, inséparable, +aux yeux de Philippe, de celle de chef de la guerre sainte.</p> + +<p>Depuis longtemps, toutes les indications propres à assurer le succès +de la croisade avaient été réunies avec soin. Les sires de Wavrin +et de Lannoy, Bertrandon de la Broquière, Martin Vilain, Anselme +Adorne, s'étaient hâtés de soumettre au duc les relations de +leurs voyages en Orient, où ils décrivaient avec de longs détails +chaque pays et chaque ville qu'il leur semblait avantageux de s'efforcer +de conquérir. Pour les compléter, Jean Torzelo, chambellan +de l'empereur de Constantinople, lui avait fait remettre un exposé +de la situation des infidèles, où il évaluait leurs forces à cent mille +cavaliers, en insistant fortement sur l'appui que les chrétiens trouveraient +contre eux chez les princes de l'Albanie et de la Grèce. Un +prêtre flamand, créé évêque du Mont-Liban par le pape Calixte, y +eût joint le concours important des Maronites. L'empereur David de +Trébisonde, à qui s'était adressé le duc de Bourgogne, lui avait répondu, +tant pour lui qu'au nom du roi de Perse, du roi de Mingrélie, +du duc de Géorgie et du seigneur d'Arménie, en lui promettant de +l'aider à délivrer l'Asie et de le placer sur le trône de Jérusalem. +Enfin, dans les premiers jours de l'année suivante (14 mai 1461), +une ambassade, envoyée par ces princes de l'Orient, dont quelques-uns +n'étaient pas même chrétiens, arriva à Saint-Omer, où le duc +avait tenu un chapitre de la Toison d'or. Le discours qu'elle prononça +commençait par ces mots: «Voici que les mages sont venus de +l'Orient vers l'étoile qu'ils ont aperçue à l'Occident, c'est-à-dire +<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> +vers vous, dont la puissance brille aujourd'hui d'un si grand éclat +jusqu'aux rivages de l'Orient, qu'elle y éclaire les princes et les +nations, et les guide vers vous qui êtes la vraie image de Dieu.» +Le duc de Bourgogne reçut avec joie cette ambassade, et protesta +de son désir de se montrer bientôt digne d'aller relever au delà du +Bosphore cette vieille bannière des Robert et des Godefroi, que les +Turcs redoutaient, disait-on, plus que cent mille combattants.</p> + +<p>D'étroites et stériles querelles domestiques vinrent bientôt rappeler +Philippe aux soins qu'exigeaient son gouvernement et la tranquillité +même de son palais. C'étaient de nouveau les différends +sans cesse renaissants du comte de Charolais et des sires de Croy. +Le comte de Charolais voyait de plus en plus avec jalousie l'influence +d'Antoine de Croy s'élever si haut qu'il avait partagé avec +le duc de Bourgogne l'honneur de tenir sur les fonts du baptême le +fils aîné du Dauphin. Depuis longtemps il s'était éloigné de la cour, +où dominaient ses ennemis, et vivait retiré dans une triste solitude +au Quesnoy. Un jour, il crut la devoir quitter pour aller à Bruxelles +exposer à son père, en la présence même du sire de Croy, tous ses +griefs contre lui; mais le duc ne voulut point l'écouter, et le comte +de Charolais s'éloigna plus irrité que jamais. A quel projet s'arrêta +sa colère? Quels furent les moyens qu'il se proposa pour enlever +l'autorité au sire de Croy? Il est difficile de préciser quelque +chose à cet égard. Nous savons, toutefois, que peu après le comte +de Saint-Pol, cet illustre feudataire aux sentiments douteux et +incertains, qui avait, en 1453, été en même temps l'un des chefs de +l'armée bourguignonne et l'un des médiateurs choisis par Charles +VII, se rendit à Bourges, chargé d'un message secret du comte de +Charolais. Le jeune prince annonçait, dit-on, l'intention «de mettre +le sire de Croy hors de l'hostel de son père,» et de chercher, s'il +était réduit à fuir, un asile dans le royaume de France. Il demandait +seulement qu'on lui accordât le commandement de l'expédition +destinée à secourir la reine d'Angleterre Marguerite d'Anjou, qui +soutenait avec courage les droits de la maison de Lancastre contre +la rébellion du duc d'York. Le roi de France lui fit répondre qu'il +l'accueillerait volontiers dans ses Etats, mais il déclarait aussi que +«pour deux royaumes tels que le sien il ne consentiroit un vilain +fait,» et refusait de l'encourager dans les moyens de violence +qu'il voulait opposer aux volontés de son père.</p> + +<p>Charles VII, vieux et malade, frémissait à la pensée de tout ce +<span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span> +qui pouvait lui rappeler ses propres malheurs; ils touchaient à leur +terme. Le bruit courait que le Dauphin, las de consulter des astronomes +sur l'époque de sa mort, cherchait à la hâter, et qu'il avait +déjà corrompu son médecin, maître Adam Fumée. Selon une version +assez douteuse, Charles VII, voulant épargner ce crime à son +fils, s'abstint de toute nourriture jusqu'à ce qu'il expirât, au milieu +des gémissements de ses serviteurs et des larmes de son peuple, +le 22 juillet 1461.</p> + +<p>Les premiers actes du nouveau roi de France justifièrent cette accusation: +il combla de présents ceux qui lui annoncèrent la mort +de son père, défendit que l'on portât son deuil et fit élargir maître +Adam Fumée qui avait déjà été chargé de chaînes. Philippe s'était +hâté de le faire féliciter sur son avénement par le sire de Croy, en +lui annonçant l'intention de l'accompagner jusqu'à Reims avec l'armée +qu'il avait depuis longtemps réunie. L'occasion semblait favorable +pour rétablir en France la tutelle du duc de Bourgogne, telle +que Jean sans Peur l'avait exercée sous le règne de Charles VI. +«Mon bel oncle, objectait vivement Louis XI au sire de Croy, a-t-il +quelqu'un à redouter, puisqu'il est avec moi et moi avec lui? +Comment! ne suis-je point roi? De qui doit-il avoir peur? Mon +bel oncle ne peut-il pas se remettre entre mes mains avec la confiance +que je lui ai montrée en m'abandonnant aux siennes?»</p> + +<p>Néanmoins, quel que fût son mécontentement secret, il était réduit +à dissimuler; il venait d'emprunter au duc de Bourgogne de +fortes sommes d'argent dont il avait grand besoin, et dans son désir +de faire croire à la sincérité de sa reconnaissance pour des services +qu'il allait bientôt oublier, il affectait de nommer sans cesse le duc +Philippe son père et son sauveur. Dans toutes les villes où il s'arrêtait +avec lui en s'acheminant vers la cité de Reims, il lui faisait +offrir les clefs aussi bien qu'à lui-même et l'associait à tous les +honneurs de la royauté. A la cérémonie du sacre, Philippe s'assit à +côté du trône, au même rang que le roi de France, et ce ne fut +qu'après l'avoir armé chevalier et avoir placé la couronne fleurdelisée +sur son front qu'il lui rendit hommage, comme étant trois +fois pair du royaume, dans la forme suivante: «Mon très-redoubté +seigneur, je vous fais hommage présentement de la duché de +Bourgogne, des comtés de Flandres et d'Artois, et de tous les +pays que je tiens de la noble couronne de France, et vous tiens +à seigneur, et vous en promets obeyssance et service; et non pas +<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> +seulement de celles que je tiens de vous, mais de tous mes autres +pays que je ne tiens point de vous, et d'autant de seigneurs et +de nobles hommes, de gens de guerre, et d'autres qui y sont, que +j'en pourray traire. Je vous promets faire service avec mon propre +corps tant que je vivray, avec tout ce que je pourray finer d'or et +d'argent.» Ce fut de nouveau au milieu de l'armée bourguignonne +que Louis XI fit, peu de jours après, son entrée solennelle à Paris. +Les archers du comte d'Etampes le précédaient, et tous les nobles +dont il était entouré étaient des chevaliers étrangers. C'étaient, +entre autres, les sires de Croy, de Commines, de Hornes, de Toulongeon, +de Brimeu, de Lalaing, de la Gruuthuse, de la Hamaide, +de Borssele, de Wavrin, de Harnes, de Moerkerke, de Miraumont. +L'humble apparence du roi, qui chevauchait sur un petit cheval, la +tête couverte d'un simple chaperon noir à la mode allemande, rehaussait +davantage la pompe de Philippe, qui étalait dans cette +cérémonie tous ses diamants et tous ses joyaux: les acclamations +populaires semblaient ne s'adresser qu'à lui, et lorsque ce brillant +cortége traversa le quartier des Halles, on entendit un boucher +s'écrier: «O franc et noble duc de Bourgogne, soyez le bienvenu +dans la ville de Paris: il y a longtemps que vous n'y êtes venu, +quoique vous y fussiez fort désiré.»</p> + +<p>Louis XI eût vivement souhaité de pouvoir persuader au duc +Philippe de rompre les trêves qu'il avait conclues avec les Anglais; +c'eût été le moyen le plus sûr d'affaiblir son intervention prépondérante +dans les affaires de France. Mais Philippe n'oublia pas +combien l'alliance de la Flandre et de l'Angleterre était nécessaire +à la prospérité de ses Etats; il était d'ailleurs contraire à toute +guerre, dont le résultat infaillible eût été de retarder l'expédition +qu'il projetait depuis si longtemps contre les infidèles. «Je vois +bien comment vont les choses, disait-il, on cherche déjà à s'opposer +à mon voyage!» Il repoussa les insinuations de Louis XI, +et tenta de lui rappeler qu'en d'autres temps il avait obtenu du +pape la dignité de gonfalonier de la croisade.</p> + +<p>Un splendide banquet avait été préparé à l'hôtel d'Artois; le duc +de Bourgogne y réunit autour de lui les ducs d'Orléans, de Bourbon +et de Clèves, les comtes de Charolais, de Savoie, d'Angoulême, de +Nevers, d'Etampes, de Montpensier, de Laval, de la Marche, de +Vendôme, d'Harcourt, de Tancarville, de Saint-Pol, de Dunois, de +Luxembourg.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> +On y attendait le roi; dès qu'il y aurait paru, l'éléphant conduit +par le More de Grenade y eût porté la Religion en habits de deuil: +elle eût adressé à tous les convives un appel qu'ils n'auraient pu +repousser, afin qu'ils renouvelassent les vœux du Faisan. Le roi se +serait trouvé solennellement engagé en présence de toute la noblesse +par les mêmes serments et aurait bientôt été réduit à opter +entre la honte d'un parjure et celle de devoir accepter jusqu'en Asie +la supériorité du duc de Bourgogne, à peu près roi en France et +unique chef de la croisade en Orient. Louis XI reçut l'avis de ce +qui se préparait: il allégua un prétexte et ne se rendit point au +banquet du duc de Bourgogne.</p> + +<p>Cependant Philippe prolongeait son séjour dans la capitale du +royaume; bien qu'il parlât souvent de son départ et qu'il y songeât +quelquefois en remarquant combien s'était refroidie l'amitié de son +hôte de Genappe, il ne pouvait s'y résoudre.</p> + +<p>Louis XI ne vit qu'un moyen de l'engager à quitter Paris, ce fut +de lui en donner l'exemple; mais «comme il estoit ingénieux et +actif en plusieurs choses et que la vivité de son engien lui faisoit +fantasier maintes besognes,» il voulut imposer en même temps +silence aux bruits qui couraient sur ces divisions secrètes; il convoqua +donc les échevins et les docteurs de l'université à l'hôtel +d'Artois et s'y rendit lui-même. «Voici, leur dit-il, mon cher oncle; +c'est la personne du monde à qui je dois le plus et de qui je tiens +ma vie, ma couronne et tout ce que je possède. Mon cher oncle +partira bientôt pour ses Etats; je pars moi-même pour la Touraine. +Je vous prie de vouloir bien faire une procession générale +pour que vous priiez tous pour lui et pour moi, ainsi que pour le +salut de ce royaume qui repose en grande partie entre ses +mains.»</p> + +<p>Le lendemain, Louis XI s'éloigna de Paris. Le duc de Bourgogne +se décida bientôt à l'imiter: les troubles de Thionville réclamaient +sa présence dans le Luxembourg.</p> + +<p>Le comte de Charolais était resté seul en France. Louis XI avait +jugé utile de se l'attacher en flattant son orgueil, et en lui racontant +qu'il avait appris pendant son séjour en Brabant que les sires de +Croy avaient proposé au duc d'enfermer son fils dans une prison. +Ce qu'il avait été lui-même pour le duc de Bourgogne, le comte de +Charolais pouvait à son tour l'être pour lui. Rien n'était plus aisé +que de réveiller ces discordes intérieures dont il avait vu l'origine +<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> +et les progrès. Soit qu'elles appelassent sa médiation amiable, soit +qu'elles réclamassent un jour son intervention armée, elles devaient +dans l'un et l'autre cas favoriser l'accroissement de sa puissance. +Guillaume Biche, que nous avons vu naguère exilé par le duc +de Bourgogne pour avoir excité son fils contre lui, était l'agent de +ces intrigues entre le roi de France et le comte de Charolais. De +tous les sujets du duc il n'y en avait que trois que Louis XI eût +depuis son avénement au trône élevés à des fonctions importantes +dans le royaume: c'étaient Guillaume Biche, à qui il avait donné +le gouvernement du Soissonnais, un valet de chambre du duc, qu'il +nomma capitaine du château de Vincennes, et un riche marchand +italien de Bruges qu'il créa général des finances. Le plus puissant +était Guillaume Biche. Les huissiers et les sergents d'armes avaient +reçu l'ordre de le laisser pénétrer dans la chambre du roi à toute +heure de la nuit et du jour. Louis XI se promenait souvent avec +lui en le tenant par le bras, et l'associait même à ses plus secrètes +aventures.</p> + +<p>Le comte de Charolais écoutait volontiers les propositions du roi +de France. Au retour d'un pèlerinage qu'il avait fait à Saint-Claude, +il s'arrêta à Tours: Louis XI continuait à distinguer le +comte de Charolais parmi tous les princes du sang, et un jour qu'il +s'était égaré à la chasse il se montra tellement inquiet de sa disparition +qu'il jura de ne prendre aucune nourriture avant qu'il eût +été retrouvé: le lendemain, il lui donna le gouvernement de la +Normandie avec une pension de trente-six mille livres. C'était le +chiffre de la pension qu'il recevait lui-même à Genappe du duc de +Bourgogne.</p> + +<p>Cependant le comte de Charolais semblait peu reconnaître cette +extrême générosité d'un monarque naturellement égoïste et avare; +il était né trop ambitieux pour songer à sacrifier ses intérêts à ceux +d'un prince étranger, trop orgueilleux pour se laisser imposer le +rôle humiliant que le Dauphin avait accepté à Genappe. Au milieu +même de la cour du roi de France, il opposait ses propres intrigues +à toutes celles qui l'entouraient. Tandis que Louis XI et le duc +Philippe favorisaient le duc d'York, il s'alliait secrètement au duc +de Somerset, l'un des chefs du parti du roi Henri VI. On craignait +même qu'il ne profitât de l'arrivée du duc de Bretagne, qui avait +été mandé à Tours, pour chercher à ressusciter la grande ligue féodale +qui avait été autrefois formée contre Charles VII. Louis XI fit +<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> +si bien pour la prévenir qu'il persuada au comte de Charolais de ne +pas tarder plus longtemps à visiter les provinces septentrionales de +la France, où il lui permettait de jouir des prérogatives de la +royauté, notamment de celle de rendre la liberté aux prisonniers.</p> + +<p>A peine le comte de Charolais était-il retourné au Quesnoy qu'il +apprit que son père était gravement malade à Bruxelles; il s'y rendit +aussitôt et ne quitta plus le chevet de son lit. On avait appelé +près du vieux duc de Bourgogne les médecins les plus célèbres de +cette époque, Barthélemy Cazal, de Venise, Luc Alexandre, de Milan, +Pierre de Herlain, de Savoie, Dominique, de Genève, et un chirurgien +du royaume d'Arménie qui portait le nom assez triste de +Jean sans Pitié; mais ils conservaient peu d'espoir de le guérir, et +des processions solennelles eurent lieu pour implorer du ciel le rétablissement +de sa santé, non-seulement dans toutes les villes de +ses Etats, mais aussi à Paris et à Londres. Enfin sa situation s'améliora, +et dès qu'il se sentit un peu mieux, le comte de Charolais, +qui l'avait entouré des soins les plus assidus, recouvra quelque influence +près de lui; mais l'usage qu'il en fit prouva que son +caractère ne s'était pas modifié, car il continuait à se montrer +dur et inflexible dans ses volontés. Roland Pype, trésorier de +Flandre, avait été autrefois le receveur général de ses finances; il +avait même été privé de ses fonctions avec tant de rudesse que dans +son désespoir il aurait attenté à ses jours si sa famille n'eût constamment +veillé sur lui dans sa maison de Bruges. Ce n'était point +assez: au plus fort de la maladie du duc, le comte de Charolais lui +manda qu'il se présentât sans délai à Bruxelles pour rendre compte +des deniers qu'il avait eus en dépôt. Roland Pype obéit: on ignore +quel fut l'accueil que lui fit le comte de Charolais; mais peu de jours +après, on le trouva noyé au fonds d'un puits où il s'était précipité. Il +fallut cacher au duc, qui l'aimait beaucoup, ce triste événement.</p> + +<p>La convalescence de Philippe était pénible et lente; ses médecins +venaient de lui ordonner de couper sa chevelure, et il avait +prescrit à tous les nobles de suivre son exemple. Depuis longtemps, +le clergé s'élevait contre l'usage de porter les cheveux si longs +«qu'ils empeschoient le visage et les yeux,» usage qu'il jugeait +déshonorant parce qu'il semblait emprunté aux femmes. En 1105, le +comte de Flandre, Robert de Jérusalem, célébrait les fêtes de +Noël à Saint-Omer, lorsque l'évêque d'Amiens, saint Godefroi, +annonça qu'il ne recevrait d'offrandes que de la part des nobles +<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span> +qui portaient les cheveux courts: tous ceux qui se trouvaient présents +saisirent aussitôt, à défaut de ciseaux, leurs glaives et leurs +poignards pour faire tomber leur longue chevelure. En 1462, l'empressement +des nobles à s'en dépouiller était plus douteux, et +messire Pierre de Hagenbach fut chargé d'employer la force afin +de les y contraindre, moins pour favoriser la réforme des mœurs +que pour cacher davantage les infirmités d'un prince bientôt septuagénaire.</p> + +<p>Philippe se rendit lui-même dans les principales villes de +Flandre pour remercier les bourgeois de leurs prières et de leurs +processions, et pour leur montrer qu'il avait repris toutes ses +forces. Sa magnificence était toujours la même, car il voulait que +rien ne parût changé ni en lui ni autour de lui, et les chroniqueurs +citent notamment l'entrée solennelle qu'il fit à Bruges «comme +une chose de moult grand triomphe impossible à croire à ceux +qui ne l'ont veue.» Ardent Désir et Bon Vouloir, messagers des +Brugeois, s'étaient rendus au devant de lui: la nacelle qui le +portait sur le canal de Damme était un jardin planté d'arbustes +et de fleurs qu'escortaient une foule de bateaux richement ornés +par les marchands étrangers, où l'on entendait tour à tour les +douces et riantes harmonies des tambourins et les détonations, +aussi bruyantes que le tonnerre, des veuglaires et des canons. A +l'entrée de la ville s'élevait une tour d'où l'on vit tout à coup +s'abaisser un pont-levis. C'était la résidence de dame Vénus. Près +de là, on remarquait Pâris dont le regard téméraire jugeait la +beauté de trois déesses: allégories qui rappelaient au duc de +Bourgogne les faciles amours de ses jeunes années, sans lui en +rendre la vigueur, l'énergie, les espérances et les illusions.</p> + +<p>Au sein même de ces fêtes, les tristes préoccupations des intérêts +politiques veillaient comme un remords dans l'esprit du vieux +prince. Il commençait à peine à reprendre la direction des affaires +quand on lui annonça que Louis XI venait de défendre qu'on allât +acheter le sel en Bourgogne. «C'est ma récompense, répondit-il, +d'avoir soutenu celui qui ne cherche qu'à me détruire.» Peu +après, le roi de France lui envoya une ambassade pour lui faire +connaître son intention d'appuyer par les armes les droits de la +maison de Lancastre et le prier de permettre que le comte de +Charolais prît le commandement de son armée. Le duc refusa encore +cette fois de renoncer à ses trêves avec le duc d'York, et fit +<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span> +répondre qu'il maintiendrait ses relations avec l'Angleterre aussi +bien que ses prédécesseurs, qui, moins puissants que lui, ne les +avaient jamais abandonnées.</p> + +<p>Louis XI, en offrant au comte de Charolais un commandement +qu'il avait autrefois ambitionné, se proposait un double but: non-seulement +il voulait troubler sa réconciliation avec son père, mais +il espérait aussi qu'en l'appelant en France, il s'assurerait un précieux +otage qui garantirait la fidélité future de la maison de Bourgogne. +La récente maladie de Philippe lui avait fait comprendre +combien il était important qu'au moment de sa mort son unique +héritier se trouvât entre ses mains.</p> + +<p>Cependant, lorsqu'il vit que cette démarche restait sans succès, +il adopta une politique toute différente, et par une suite de ce +système qui le portait sans cesse à corrompre les hommes dont il +pouvait avoir besoin, il se lia tout à coup par un pacte secret aux +sires de Croy que naguère il accusait si vivement. L'influence qu'ils +conservaient sur la vieillesse du duc Philippe lui paraissait devoir +mieux servir ses projets que l'amitié inégale du comte de Charolais, +et il n'hésita pas à la sacrifier publiquement pour se faire de cette +rupture même un grief contre lui: il supprima d'abord la pension +qu'il lui avait accordée, puis il se prit à désirer de le voir mort, +puisqu'il ne devait pas le voir captif.</p> + +<p>A la cour du duc de Bourgogne vivait un ancien serf de Saint-Jean +de Losne qui était parvenu au rang de premier valet de chambre. +Son nom était Jean Coustain. Ambitieux, cupide, rude, impie, +orgueilleux, il exerçait sur l'esprit de Philippe autant d'ascendant +que ses plus célèbres conseillers: riche de dix mille florins de +rente, anobli et créé chevalier, il avait acquis la seigneurie de +Navilly; puis il avait acheté à Jean de Vos la vaste terre de Lovendeghem. +Ses armes étaient d'argent à trois molettes d'or: écu de +métaux tel qu'il convenait à un noble de fortune. Sa femme Isabeau +Mache-Foing avait paru au banquet du Faisan avec les plus illustres +dames de la cour; leur fils, déjà grand bailli de Thielt, avait +osé élever ses prétentions jusqu'à mademoiselle de Boussut, qui +avait refusé Charles de Poitiers, de la maison des comtes de Valentinois. +Un autre de leurs fils avait obtenu la main d'Anne de Baenst, +qui épousa quelques années plus tard, en secondes noces, le bâtard +Philippe de Brabant. Toute la famille de Jean Coustain jouissait +près du duc de la même faveur; son frère Humbert Coustain, sommelier +<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> +du corps, avait été anobli comme lui; sa sœur Agnès était +l'une des nombreuses maîtresses de Philippe. Les Mache-Foing +n'étaient pas moins puissants. Si Jean Coustain avait combattu à +Gavre aux côtés du duc de Bourgogne, Philippe Mache-Foing avait +été l'un des prisonniers épargnés à la bataille de Nicopoli avec Jean +sans Peur; d'abord simple valet de chambre, puis garde des joyaux +avec son frère Monnot Mache-Foing qui s'était fait nommer maire +de Dijon, il avait porté si haut son opulence et sa fortune qu'il avait +fait bâtir à ses frais dans cette ville l'église de Saint-Jean.</p> + +<p>Au commencement de l'année 1462, Jean Coustain se rendit en +Bourgogne parce que ce pays avait des relations plus fréquentes +avec les habitants de la Lombardie, fameux par leurs poisons et +leurs maléfices. Son premier soin fut de s'y adresser à une courtisane +savoyarde attachée à la secte des Vaudois, qu'entretenait un +pauvre écuyer nommé Jean de Vy: il lui demanda quelle était la +manière la plus prompte de parvenir à son but lorsqu'on voulait la +mort d'un homme; il ajouta que le prénom de celui qu'il voulait +perdre était Charles. Cette femme consentit à préparer un poison, +et Jean de Vy le remit à Jean Coustain, ne doutant point que sa +complicité ne devînt pour lui une source de richesses, comme Jean +Coustain le lui avait fait espérer. Cependant plusieurs mois s'écoulèrent +sans qu'il vît cette promesse se réaliser, et, de plus en plus +impatient d'en recueillir le fruit, il résolut de se rendre lui-même à +Bruxelles. Jean Coustain s'était déjà assuré les moyens de faire +réussir ses projets; il ne restait qu'à accomplir le crime. Il se +croyait assez puissant pour qu'il n'y eût pour lui aucun danger à +repousser avec mépris l'écuyer bourguignon. Jean de Vy, pour se +venger, alla tout révéler à Tristan de Toulongeon et à Pierre de +Hagenbach, et leur montra même des lettres de Jean Coustain; le +comte de Charolais, aussitôt instruit de ces révélations, courut au +palais raconter ce qu'il avait appris. Ce complot sembla toutefois +émouvoir peu le vieillard, qui permit à peine à son fils de faire +surveiller Coustain pendant la nuit et de le faire arrêter le lendemain; +mais il s'irrita de ce que les sires de Toulongeon et de +Hagenbach ne l'avaient pas prévenu le premier et les disgracia. Le +lendemain était un dimanche; le duc alla chasser les daims dans +le parc de Bruxelles; Jean Coustain était avec lui, et il se contenta +de lui dire qu'il se préparât à accompagner le sire d'Auxy. Jean +Coustain se retira, dîna et se rendit aussitôt après à l'oratoire où le +<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> +duc entendait la messe. Trouvant la porte fermée, il frappa si rudement +qu'on la lui ouvrit. «Me voici, dit-il insolemment au duc, +que voulez-vous que je fasse? Où irai-je?—Je vous ai dit, +répliqua Philippe, que vous alliez avec le sire d'Auxy là où il +vous mènera.—Vraiment, continua Coustain, est-ce tout? et +qu'aurai-je de mon service? Par la mort! digne beau sire, j'ai +bien employé mon temps. Il me vaudrait mieux avoir servi un +porcher.» Et il se retira tandis que Philippe répétait à voix +basse: «Jehan! Jehan! je t'ai nourri trop gras!»</p> + +<p>Ce ne fut que lorsque le sire d'Auxy, arrivé aux portes de +Bruxelles, donna l'ordre de lier Jean Coustain que celui-ci pâlit et +commença à douter de sa puissance. On le conduisit au château de +Rupelmonde, où l'on enferma également Jean de Vy, qui, bien que +moins coupable que lui, devait partager son sort. Le comte de Charolais +se rendit bientôt dans leur prison et s'empressa de donner +l'ordre que Jean Coustain fût décapité, de crainte que le duc ne se +laissât émouvoir de pitié pour un serviteur qu'il chérissait plus que +les autres. Jean Coustain se trouvait déjà dépouillé de ses vêtements +et prêt à être livré au bourreau, quand il demanda à pouvoir +parler au comte de Charolais. Ses révélations furent longues, on +ignore ce qu'elles continrent; seulement ceux qui y assistaient de +loin remarquèrent que le comte de Charolais changeait de visage +et faisait souvent le signe de la croix, comme frappé d'étonnement +et de stupeur, «pourquoy on doubtoit qu'il n'eust dict chose qui +feust pleine de mal de lui ou d'autrui.»</p> + +<p>Jean Coustain était ce valet de chambre du duc que Louis XI +avait, dès les premiers jours de son règne, créé capitaine du château +de Vincennes. Ce fut à Paris que son complice, Gilles Courbet, +chanoine d'Arras, trouva un refuge. Dès ce jour, le dissentiment +du comte de Charolais et de Louis XI devint plus profond: Philippe +se montrait seul disposé à oublier ce complot. Louis XI venait +de lui céder ses prétentions sur le Luxembourg, et l'on vit bientôt +la sœur et la femme de Coustain retrouver toute leur faveur près +de lui: il lui était toujours difficile de supporter longtemps l'esprit +altier et ambitieux de son fils; mais il n'en secouait le joug que +pour retomber sous celui des sires de Croy. Ce fut l'un d'eux, le sire +de Chimay, qu'il chargea d'aller se plaindre au roi de France d'une +ordonnance récemment publiée, qui défendait toute relation avec +le roi Edouard d'York.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> +Les questions soulevées par la lutte des deux factions qui divisaient +l'Angleterre étaient celles où le duc Philippe s'éloignait le +plus de la politique de Louis XI. Edouard IV était aimé des communes +flamandes. Il avait lui-même annoncé son couronnement à +leurs échevins par des lettres remplies de témoignages de déférence +et d'amitié, et depuis lors il n'avait pas cessé de se montrer +favorable à leurs intérêts. Les sympathies de la Flandre restaient +toujours la règle du système commercial que devait se tracer le duc +de Bourgogne. L'ambassade du sire de Chimay avait été sans résultats, +mais la fortune, presque constamment favorable à Philippe, +renversait au même moment les desseins qu'avait formés en Angleterre +la politique rivale de Louis XI. Le parti d'York triomphait, +et vers la fin du mois de juillet 1463, Marguerite d'Anjou, abordant +à l'Ecluse avec son fils, le prince de Galles, vint chercher un +refuge dans les Etats du prince qui avait été longtemps son plus +terrible ennemi. N'ayant pour se couvrir que les vêtements que +tant de fatigues avaient mis en lambeaux, obligée d'emprunter à +son sénéchal Pierre de Brezé, presque aussi pauvre qu'elle, quelques +deniers pour acheter du pain, elle était réduite, comme la +veuve de Charles I<sup>er</sup> au Louvre, à se cacher dans l'ombre et dans le +silence pour éviter les outrages publics. Le peuple, toujours cruel +pour le malheur, l'avait accueillie avec des imprécations et des +menaces. Que de tristes rapprochements se présentèrent à l'esprit +de Marguerite, si sa pensée remonta à l'époque où la dynastie dont +elle défendait les droits avait eu la Flandre pour berceau! Près de +ce même port où elle abordait plaintive et désolée pour invoquer +la générosité d'un prince dont les Lancastre avaient reçu l'aïeul +dans leur hôtel de Londres, alors qu'il partageait la captivité du +roi Jean, Edouard III avait vaincu Béhuchet, Barbavara et leurs +quarante mille soldats, et c'était aussi à l'Ecluse que, dans tout +l'éclat de ses victoires, il avait présenté un autre prince de Galles +aux députés des bonnes villes, accourus pour protester de leur zèle +et de leur fidélité.</p> + +<p>Marguerite, qui s'appuyait d'un sauf-conduit qu'elle avait autrefois +demandé, envoya sans délai au duc Philippe un chevalier +nommé messire Jean Carbonnel, pour le supplier de lui accorder +une entrevue. Philippe était allé en pèlerinage à Boulogne. Il répondit +avec douceur à l'envoyé de la reine d'Angleterre, et l'assura +que si la maladie de sa sœur la duchesse de Bourbon ne l'avait pas +<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> +retenu, il se serait empressé d'aller au devant de l'illustre princesse. +Il chargea du soin de la complimenter Philippe de la Roche, +chevalier de la Toison d'or, qui passa plus tard à la cour de Louis XI, +et fut, en 1484, l'orateur le plus populaire des états de Tours. Le +sire de la Roche trouva Pierre de Brezé à Bruges, et l'accompagna +à l'Ecluse, où il engagea Marguerite à ne pas entreprendre un +voyage pénible et plein de dangers à cause du voisinage des +Anglais.</p> + +<p>Cependant Marguerite insista, et obtint de Philippe qu'il la recevrait +dans la ville de Saint-Pol. Elle se rendit donc à Bruges, où +le comte de Charolais lui prêta cinq cents écus, revêtit le costume +qu'aurait porté en voyage une simple femme de la suite de quelque +noble dame, et s'achemina vers la cour du duc, avec son sénéchal, +sur un de ces grands chariots que les habitants du pays couvrent +d'une large toile blanche, aussi noble et aussi fière dans son malheur +que lorsqu'elle s'asseyait sur un trône. Le prince de Galles +était resté à Bruges, «partie, dit l'historiographe des ducs de +Bourgogne, par nécessité de non le povoir furnir, partie pour +non mettre le pays en adventure pour le poix de sa personne.»</p> + +<p>Les Anglais essayèrent vainement d'enlever Marguerite à Béthune. +Échappant à leurs embûches, elle arriva à Saint-Pol, où le duc +Philippe l'invita à un pompeux banquet. «Et, disoit-on, lors que +comme l'ymage du duc entre toutes autres gens se monstroit +seigneurieuse pour homme, où qu'oncques se trouvast, pareillement +l'ymage de la royne avec son maintenir se monstra pour +femme un des beaulx personnages du monde représentant dame. +Et en effect, moult estoit belle dame et entière pour lors et digne +de hault regard, nonobstant que povre et austère fortune lui +povoit estre cause assez de lui amoindrir ses manières ès quelles +toutes voies oncques ne varia; ains venue aveucques trois femmes, +aveucques un chariot passager, se comporta et monstra telle +comme quand soloit tenir le sceptre à Londres en main redoutée.» +Philippe se borna toutefois à accorder quelques secours en argent +à la reine d'Angleterre, ainsi qu'aux ducs d'Exeter et de Somerset, +qu'on avait vus, pendant plusieurs jours, errer mendiant et pieds +nus à travers la Flandre.</p> + +<p>Une escorte plus nombreuse accompagnait Marguerite lorsqu'elle +revint à Bruges. Le comte de Charolais se plut à l'entourer +d'honneurs pendant son séjour «dans cette fameuse ville de Bruges, +<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span> +dont toutes nations font mémoire.» Une joute qui devait avoir +lieu au mois d'octobre, à l'abbaye de Saint-André, avait appelé de +toutes parts un grand nombre de chevaliers, parmi lesquels on +distinguait le bâtard de Bourgogne, Philippe de Crèvecœur, Pierre +de Waes, Guillaume de Saulx, Morelet de Renty et le jeune marquis +de Ferrare. Le duc de Gueldre s'était également rendu à +Bruges pour y attendre sa fiancée, Catherine de Bourbon. De somptueux +banquets se succédèrent sans interruption, et tel était le +respect que le comte de Charolais montrait à la princesse exilée, +qu'on le vit refuser de s'approcher de l'aiguière qui était présentée +à la reine d'Angleterre, comme si son infortune n'eût rien enlevé +à son sang de son éclat et de sa dignité.</p> + +<p>Avant de quitter Bruges, Marguerite, touchée des soins du comte +de Charolais, essaya inutilement de le réconcilier avec son père. +Leurs divisions devenaient de plus en plus violentes. Le duc avait +donné l'ordre d'arrêter un secrétaire du comte de Charolais, nommé +Antoine Michel; mais son fils le fit délivrer, et se retira en Hollande +en état de rupture ouverte. «Les termes que longtemps on +m'a tenu en court et maintes choses que j'y voy non à souffrir,» +disait-il au sénéchal de Brezé, dans un langage trop vif et trop +énergique pour qu'il soit permis de l'affaiblir en le traduisant +«m'ont fait quérir eslonge d'icelle; là où si d'avanture proufit +vient, ou auculn grand bien, il chiet en la charge de deux ou trois +et de moy n'est cognoissance. Les trois mettent main et ongle +en tout; et sans que riens ne leur échappe, ne se peuvent de rien +assouvir. Monseigneur est tout bon et trop bon pour eux; mès me +doulte que sa bonté trop entière ne lui contourne en dommage à +la fin, comme j'en vois les approches et les exemples plusieurs, +là où on l'endort et enyvre en souppés en miel, dont le déboire sera +amer, et en luy pignant la teste et dodiminant de douce main, on +lui coupe les cheveux et désempare-on le chief, et tout ce faict-on +finalement pour complaire à aultry et soy avancer, et pour me +faire plus feble en hoirie quand ce viendroit à respondre contre +aultruy orgueil.»</p> + +<p>Les craintes du comte de Charolais n'étaient que trop fondées. +La puissance des seigneurs de Croy augmentait de jour en jour. +Dans tous les Etats du duc s'étendaient leurs seigneuries: ils possédaient +dans les Pays-Bas Ath, Chièvres, le Rœulx, Beaumont, +Chimay et Condé; en France, Landrecies et Avesnes. On disait que +<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span> +le duc allait leur donner le comté de Namur. Ils disposaient également +des comtés de Luxembourg et de Boulogne. Le sire de Chimay +était bailli du Hainaut; son frère était grand maître d'hôtel du +roi de France et grand sénéchal de Normandie. Leur neveu, le sire +de Lannoy, était gouverneur de Hollande et de Zélande. Aussi +valait-il mieux, disait-on, servir les Croy que le duc lui-même. +Toute cette puissance, ils l'employaient à favoriser Louis XI. C'était +inutilement que le comte de Charolais engageait le roi de France +à ne pas insister sur le rachat des villes de la Somme; il avait +même chargé d'un message à ce sujet Guillaume Biche, l'ancien +intermédiaire de ses intrigues avec Louis XI, n'osant se rendre +lui-même auprès de lui, «attendu qu'on lui avoit dit que s'il venoit +devers le roy, le roi le feroit prendre et le bailleroit à monsieur +de Bourgogne.» Louis XI fit peu d'attention à cette démarche, +car le sire de Croy venait d'arriver à Paris pour lui annoncer que, +malgré la longue résistance du duc, il l'avait déterminé à restituer +les cités importantes qui lui avaient été données en gage par le +traité d'Arras pour une somme de quatre cent mille écus d'or. De +peur que Philippe ne regrettât son imprudence, le roi de France se +hâta de lui faire parvenir un payement de deux cent mille écus d'or, +par des ambassadeurs chargés d'offrir en même temps au duc de +Bourgogne «de l'ayder, secourir et favoriser de tout son pouvoir à +l'encontre de monsieur de Charolois.» Vers la fin du mois de septembre +1463, il alla lui-même faire effectuer le second payement, +entre les mains du duc Philippe, à son château d'Hesdin. Il y accusa +de nouveau le comte de Charolais. Les Croy se plaisaient à appuyer +toutes ses plaintes, et, malgré les pleurs de la duchesse, +leurs paroles aveuglaient si complètement le vieux prince, qu'il +sacrifiait ses propres intérêts à ceux de Louis XI, par haine contre +son fils.</p> + +<p>Louis XI mettait toute son habileté en œuvre pour flatter Philippe +et lui faire oublier ses griefs. Plus le duc de Bourgogne était fier +et somptueux, plus il se montrait humble et simplement vêtu, à tel +point, dit Chastelain, «qu'il cachoit sa couronne de millions d'or +vaillant, soubs un chappelet de six gros.»—«Si j'avais dix +royaumes, disait-il au duc, et Dieu m'a donné plus que je ne +vaux, je voudrais vous les remettre, comme au prince le plus +illustre et le plus sage du monde.» Il fit si bien que le duc consentit +sans difficulté à recevoir les monnaies d'or et d'argent apportées +<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> +à Hesdin par le roi de France, dès que leur valeur eut été reconnue +par deux changeurs de Bruges. Ce fut ainsi que Louis +recouvra les villes des bords de la Somme, qui avaient été séparées +du royaume pendant plus d'un quart de siècle. Le sire de Croy en +reçut le gouvernement, qui valait vingt-quatre mille francs par +an. Le sire de Lannoy fut, de plus, créé capitaine d'Amiens, d'Arras, +de Hautbourdin et de Doulens.</p> + +<p>Tant de bienfaits frappèrent enfin le duc de Bourgogne. On l'entendit +s'écrier: «Croy, Croy, il est difficile de bien servir deux +maîtres!»</p> + +<p>Cependant Louis XI s'applaudissait de ses succès et se disait: +«Il faut que j'aie le comté de Boulogne, l'Artois et toute la Picardie. +Mon bel oncle a reçu beaucoup d'argent, mais ce qu'il m'a +cédé vaut encore plus.» Il essaya d'abord d'obtenir le comté de +Boulogne, et chargea le sire de la Tour, qui s'en prétendait le légitime +héritier, de le réclamer en vertu des droits de sa naissance; +mais ces démarches restèrent sans résultat.</p> + +<p>Louis XI, échouant de ce côté, ne se décourageait point. Depuis +longtemps, on répandait le bruit que le duc allait déshériter son +fils; on disait aussi que son projet de croisade n'était pas abandonné. +Un jour que le roi de France chassait avec Philippe dans la +forêt de Crécy, il s'empressa de profiter de ces rumeurs pour y trouver +l'occasion de poursuivre ses desseins. «Bel oncle, lui dit-il, +vous avez entrepris une chose glorieuse et sainte: puisse Dieu +vous la laisser accomplir! Je vois avec joie à cause de vous l'honneur +qui en reviendra à votre maison, et si je l'avais entreprise +moi-même, je placerais toute ma confiance en vous et vous constituerais +le régent de mon royaume; je remettrais tout entre vos +mains; j'espère que vous ferez de même, car vous ne pourriez +mieux mettre votre confiance en personne. En ce qui touche +notre beau-frère de Charolais, par la pasque Dieu, ne doutez pas +que je ne le mène à raison; qu'il soit en Hollande ou en Frise, je +saurai bien le réduire. Qu'en dites-vous, bel oncle?—Ha! monseigneur, +répondit Philippe retrouvant l'ancienne habileté de ses +luttes avec le roi de France, je vous remercie de vos belles paroles, +mais il n'est point nécessaire que vous vous occupiez d'aussi +méchantes affaires que celles que j'ai avec mon fils; ce serait trop +vous abaisser. Avec l'aide de Dieu, j'en viendrai bien à bout sans +donner des soucis à un aussi grand prince que vous.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span> +Le roi insistait. «Monseigneur, continua Philippe, mon fils est +mon fils. Quelle que soit sa position actuelle, je sais bien que, +lorsque le moment en viendra, il fera ce que je voudrai. Et quant +à ce qui touche mes terres, je les confierai, à mon départ, à Dieu +et à bonne garde. Autre chose ne ferai!» Louis XI ne put rien +obtenir de plus satisfaisant, et prit peu après congé du duc.</p> + +<p>Il était vrai que Philippe songeait de plus en plus à la croisade. +Ni la jalousie de Louis XI, ni ses querelles avec son fils ne pouvaient +l'en éloigner. Il se rendit d'Hesdin à Bruges pour en presser +les préparatifs. Déjà on avait acheté des armes et réuni des approvisionnements. +On avait fixé le nombre d'hommes que devait fournir +chaque fief. On avait même, sans se préoccuper du tort grave +qui en résultait pour les relations commerciales, retenu tous les +navires qui se trouvaient dans le port de l'Ecluse, comme si l'expédition +eût été prête à mettre à la voile. Les nobles qui devaient en +faire partie avaient reçu l'ordre de se réunir à Bruges le 15 décembre. +L'évêque de Tournai et Simon de Lalaing, qui étaient revenus +depuis peu de l'Italie, leur annoncèrent dans un long discours que +le pape avait fort loué les projets du duc et que rien ne s'opposait +plus à leur accomplissement: le sire d'Halewyn, au nom des nobles +de Flandre, et le sire de Viefville, pour ceux de Picardie, y répondirent +en protestant de leur zèle, et le duc ajouta lui-même que sa +flotte se réunirait au port d'Aigues-Mortes, consacré par le pieux +souvenir du roi Louis IX.</p> + +<p>Cependant, au moment de s'éloigner de ses Etats, Philippe comprit +que l'exil de son fils pouvait être contraire à la stabilité de sa +puissance. Il ordonna au bâtard de Bourgogne d'aller le trouver en +Hollande, où il se consolait de sa mauvaise fortune en nouant de +secrètes intrigues avec le duc de Bourgogne, le comte de Nevers et +le comte de Saint-Pol; la duchesse se rendit elle-même à Berg-op-Zoom, +pour le supplier de ne pas réduire son père à une résolution +extrême qui pourrait lui enlever son héritage.</p> + +<p>La gravité de la situation préoccupait tous les esprits: les bonnes +villes de Hollande, prenant l'initiative d'une médiation qui pouvait +avoir ses périls, s'adressèrent les premières aux états de Flandre +pour leur exposer combien il était important d'assurer la paix de +l'avenir avant d'aborder les chances incertaines de la croisade: +elles demandaient qu'une entrevue eût lieu à Bruges entre le duc +et son fils, et les engageaient à envoyer leurs députés se jeter aux +<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span> +genoux du vieux prince pour qu'il pardonnât au comte de Charolais. +Les états de Flandre s'adressèrent à leur tour aux bonnes +villes de Brabant de Hainaut, et elles promirent de s'associer à +leur démarche.</p> + +<p>Le comte de Charolais n'avait pas quitté Berg-op-Zoom, et continuait +à réclamer des garanties dans une réconciliation que le duc +Philippe ne voulait admettre qu'accompagnée d'une soumission +complète et de l'aveu de son repentir et de ses torts. Lorsqu'il +apprit que son père avait convoqué les états de tous ses pays «de +par deçà» pour qu'ils se trouvassent le 9 janvier à Bruges, il résolut +aussitôt de s'assurer leur appui, et leur écrivit pour les inviter à +se rendre le 3 janvier à Anvers, afin qu'il eût le loisir de prendre +leurs conseils; mais Philippe ne vit dans cette lettre qu'un nouvel +outrage à l'autorité paternelle, et défendit qu'on y obéît, attendu +qu'il appartenait au prince seul de réunir les états, et qu'il était +bien résolu à ne point permettre qu'ils intervinssent dans les soins +de son gouvernement ou dans ses démêlés avec son fils. Il était +trop tard; les députés des états étaient déjà arrivés à Anvers. Le +comte de Charolais leur exposa tous les méfaits des sires de Croy, +qui l'avaient fait priver de sa pension et reléguer dans l'exil. Il +ajouta que le duc Philippe songeait à la fois à remettre le gouvernement +de tous ses Etats au sire de Chimay, notoirement vendu à +Louis XI, et à confier la garde de la Hollande et de la Zélande au +roi Edouard d'Angleterre. Il les suppliait d'intercéder en sa faveur +auprès du duc pour qu'il le reçût dans ses bonnes grâces et ne confiât +point, à son départ, des provinces si florissantes à des mains +étrangères.</p> + +<p>Sur ces entrefaites, on apprit tout à coup que Louis XI était +arrivé à Tournay: après avoir passé tout l'hiver à Abbeville pour +suivre les événements, il avait jugé utile de s'avancer jusqu'aux +frontières de Flandre, afin de soutenir l'influence des sires de Croy. +Le duc, loin de secouer leur tutelle, vanta leurs services à l'assemblée +des états qui se réunit à Bruges, et, tout en démentant les +bruits d'après lesquels on le montrait prêt à abandonner le soin de +ses nombreuses seigneuries aux rois de France et d'Angleterre, il +annonça qu'il les laisserait en bonnes mains pendant son voyage. +Il se montra, du reste, fort mécontent de ce que les états s'étaient +rendus à Anvers et les congédia.</p> + +<p>Les députés des états voyaient leurs craintes s'accroître: ils se +<span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span> +réunirent spontanément à l'hôtel de ville, le 11 janvier 1463 (v. st.), +et y résolurent d'aller s'excuser près du duc de leur déférence aux +désirs du comte de Charolais, et de recourir en même temps aux +plus humbles prières pour qu'il modérât sa colère contre son fils. +L'évêque de Tournay leur fit obtenir le lendemain une audience, et +l'abbé de Cîteaux porta la parole en leur nom devant le duc de +Bourgogne. Il loua la noblesse de sa personne et la splendeur de sa +maison; elle était telle, disait-il, que les discordes qui affligeaient +les pays étrangers respectaient l'asile de la paix et du bonheur, de +la sagesse et de la gloire, et que toutes les nations souhaitaient de +se trouver sous sa protection. Il exprimait l'espoir que puisque partout +on le citait comme le modèle des bons princes, ses sujets seraient +les premiers à éprouver sa bonté et sa clémence; et après +avoir excusé les états de leur voyage à Anvers, en alléguant leur +ignorance de la défense du duc, il le supplia d'oublier les torts du +comte de Charolais, afin qu'on retrouvât un jour sous son fils le sage +gouvernement dont ils avaient joui sous son propre règne.</p> + +<p>Philippe consentit à pardonner aux états; mais il se plaignait +vivement du comte de Charolais et jurait sur sa foi qu'il n'y avait +jamais rien eu de vrai dans les projets qu'on lui attribuait. «Ce sera, +disait-il, la dernière volonté que j'aurai jamais.» Il n'en exigeait +pas moins que son fils se soumît à ses ordres et lui donnât une première +preuve de son respect et de son obéissance en éloignant de +lui tous les conseillers qui l'entouraient.</p> + +<p>Cependant le comte de Charolais était arrivé à Gand; les députés +des états s'y rendirent avec l'évêque de Tournay, l'abbé de Cîteaux +et les sires de Goux et de Lalaing. L'abbé de Cîteaux exposa, dans +un docte discours, les volontés du duc; aussitôt après, l'évêque de +Tournay s'agenouilla devant le jeune prince en ajoutant quelques +belles remontrances. Mais le comte de Charolais, qui ne l'aimait +pas, se hâtait peu de le relever et lui témoignait publiquement son +ressentiment. «Monseigneur, dit le prélat, ce n'est point comme +serviteur de votre père, mais comme évêque, que je viens calmer +de longues discordes et rétablir la paix et l'union.»</p> + +<p>Le comte de Charolais demanda aux députés des états s'il était +vrai que l'abbé de Cîteaux eût parlé en leur nom. Leur réponse ayant +été affirmative, il les remercia de leurs bonnes intentions et leur raconta +toutes les insultes des sires de Croy. «Ils avaient cherché, +prétendait-il, à le faire périr en recourant à l'appui infâme des +<span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span> +sorciers; ils s'étaient vantés qu'ils avaient neuf cents chevaliers +ou écuyers prêts à les servir jusqu'à la mort, que tout l'Artois +leur obéissait, et que c'était en vain que le comte de Charolais +chercherait à leur opposer ses Flamands et ses Brabançons.» +Enfin, après avoir décrit aux députés des états les dangers qui le +menaceraient s'il se livrait entre les mains de ses ennemis, il termina +en leur demandant conseil.</p> + +<p>Les députés des états se retirèrent: après une demi-heure de délibération, +ils allèrent tous se jeter aux genoux du comte de Charolais, +et le pressèrent de se réconcilier avec son père afin d'écarter +les malheurs dont ses États héréditaires étaient menacés. L'on pouvait +espérer que Dieu, exerçant les prières de leurs nombreuses populations, +continuerait à le protéger, et que son père éprouverait +tant de joie de le revoir qu'il serait le premier à le défendre.</p> + +<p>Le comte de Charolais se soumit à la décision des députés des +états, les priant seulement de vouloir bien l'accompagner. A une +petite distance de Bruges, il rencontra Adolphe de Clèves, le bâtard +de Bourgogne et les échevins, qui s'étaient rendus au devant de lui, +et se dirigea avec eux vers l'hôtel du duc, où il s'agenouilla trois +fois devant son père; puis il chercha à se disculper des torts qu'on +lui imputait. «De toutes vos excuses, interrompit le duc, je sais +bien ce qui est; mais puisque vous êtes ici venu à merci, soyez-moi +bon fils, je vous serai bon père.» En disant ces mots, il le prit +par la main; peu de jours après, le duc de Bourgogne partit pour +Lille, où les états avaient reçu l'ordre de se réunir le 8 mars +1463 (v. st.).</p> + +<p>Louis XI, déjà prévenu par Antoine de Croy de ce qui s'était passé +à Bruges, avait aussi quitté Tournay pour se rendre à Lille; +autant désirait-il voir le duc se croiser lorsqu'il songeait à remettre +sa puissance aux mains des sires de Croy, autant eût-il +redouté de le voir exécuter son projet depuis que rien ne s'opposait +plus au vœu populaire qui soutenait le comte de Charolais. Par une +tactique toute nouvelle, il réussit à persuader au duc qu'il ferait bien +d'ajourner son voyage à l'année suivante, promettant de lui envoyer à +cette époque dix mille combattants qu'il entretiendrait à ses dépens +pendant quatre mois. Le roi Edouard d'Angleterre annonçait aussi +qu'il joindrait aux pèlerins qu'amènerait l'archevêque de Canterbury +un secours en archers. Toutes ces espérances flattaient l'ambition +de Philippe, à qui elles montraient les rois empressés à l'accepter +<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span> +pour chef de la grande ligue des peuples chrétiens qui étaient +appelés à délivrer l'Orient.</p> + +<p>Le duc fit part de sa résolution aux états. Il ajouta que s'il n'était +pas mort ou malade, il aurait franchi les frontières des infidèles +avant les fêtes de la Saint-Jean 1465. Du reste, pour ne point manquer +aux engagements qu'il avait pris vis-à-vis du pape, il se proposait +de charger le bâtard de Bourgogne de conduire, sans retard, +deux mille combattants dans les mers de la Propontide.</p> + +<p>L'un des hommes les plus illustres de ce siècle par sa science et +son génie, Æneas Sylvius Piccolomini, avait ceint la tiare romaine +sous le nom de Pie II. A la vue des profondes divisions qui déchiraient +l'Europe et des rapides progrès du mahométisme qui s'avançait +jusqu'au Danube et semblait du rivage de la Grèce menacer +déjà l'Italie, il avait senti renaître en lui la sublime énergie +d'Urbain II. Sa voix puissante, qui convoquait aux périls de la guerre +sainte les nobles et les bourgeois, les riches et les pauvres, retentissait +dans toute l'Europe. Il ne cessait de condamner les lenteurs +du duc de Bourgogne, qui cherchait à s'excuser sur ce qu'il ne pouvait +point, seul entre tous les princes, entreprendre la croisade, et il +déclarait qu'en même temps pontife et roi, il serait le premier à l'y +suivre. «Le pontife romain, aidé des Vénitiens et des Hongrois, +accompagné du duc de Bourgogne, aidé par le roi de France, +peut, disait-il, détruire la nation des Turcs. Les croisés n'accourront-ils +point lorsqu'on apprendra qu'il part lui-même avec le +sacré collége des cardinaux? et l'argent pourrait-il lui manquer, +quand on saura qu'il est résolu à offrir non-seulement ses trésors, +mais son propre sang pour le nom de Jésus-Christ?» Pour ranimer +le zèle de Philippe, il ajoutait que l'empereur avait résolu de +lui accorder le titre de roi avec le vicariat impérial sur la France +et sur tous les pays situés au delà du Rhin. D'autres lettres pontificales +s'adressaient aux nombreuses populations des Etats du duc +de Bourgogne. Tous les dimanches, dans tous les villages de la +Flandre, les prêtres lisaient du haut de la chaire la bulle de la croisade. +A Gand, un moine de l'ordre des Jacobins, nommé Nicolas +Bruggheman, prêcha la guerre sainte dans une procession générale +de l'église de Saint-Jacques; une multitude immense se pressait +autour de lui, sur ce marché du Vendredi, où tant de fois des voix +éloquentes avaient ému et transporté des imaginations ardentes et +passionnées. L'enthousiasme de la foi se réveillait de toutes parts. +<span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span> +Comme au onzième siècle, le peuple se réunissait par troupes de +dix, vingt ou quarante personnes, qui se dirigeaient vers les Alpes, +sans chefs, sans armes, sans argent; plus de vingt mille hommes +quittèrent ainsi les Etats du duc, et bientôt trois cent mille pèlerins +saluèrent les murailles de Rome. A mesure qu'ils arrivaient, +le pape les envoyait au port d'Ancône.</p> + +<p>Ce fut le 21 mai, deuxième jour de la Pentecôte, que le bâtard +de Bourgogne, après avoir pris la croix la veille, s'embarqua à l'Ecluse. +Le sire de Boussut, messire Simon de Lalaing et ses deux fils, +et plusieurs autres chevaliers, faisaient partie de cette expédition. +Trois cent trente croisés y représentaient la commune de Gand. Le +duc de Bourgogne s'était rendu à l'Ecluse pour voir ses vaisseaux +mettre à la voile vers ces mers éloignées, où, malgré sa vieillesse, +il espérait encore pouvoir bientôt les rejoindre. Ayant appris que le +roi de Hongrie, effrayé des désordres qui avaient signalé en 1396 la +marche des croisés, était peu disposé à les laisser passer par ses +Etats, il avait renoncé au projet de suivre la route signalée par les +revers de Jean sans Peur, et ses ambassadeurs venaient de conclure +avec Bernard Justiniani une convention par laquelle les Vénitiens +s'engageaient à transporter ses hommes d'armes en Orient, de +même que jadis ils avaient reçu sur leurs navires les chevaliers +de Baudouin de Constantinople.</p> + +<p>En ce moment, la réconciliation du duc de Bourgogne et du +comte de Charolais permettait de détourner les regards des embarras +de la situation intérieure pour les porter vers ces glorieux +pèlerinages où l'on avait vu six cent mille croisés fouler les bords +de l'Oronte ou la vallée de Rephaïm; mais ces rêves ne devaient +pas être de plus de durée que la réconciliation qui en était la base. +Les sires de Croy retrouvèrent assez d'influence pour que le duc de +Bourgogne refusât de rétablir la pension du comte de Charolais, +qui retourna en Hollande en même temps qu'ils ramenaient au +château d'Hesdin le vieux prince, que Louis XI se hâta d'aller rejoindre. +Le roi de France cherchait sans cesse à enlacer le duc dans +ses astucieux projets. Ce n'était point assez qu'il eût recouvré les +villes de la Somme, il voulait profiter de ce premier succès pour se +faire restituer également les châtellenies de Lille, de Douay, et +d'Orchies, moyennant le payement des sommes qui avaient été +stipulées dans l'éventualité du rachat de ces châtellenies: le duc +était toutefois trop sage pour retomber deux fois dans la même +<span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span> +faute. Il répondit que lorsque Philippe le Hardi avait épousé Marguerite +de Male, le roi de France avait disposé de Lille, de Douay +et d'Orchies pour lui et ses hoirs mâles, de manière à ce qu'il n'y +eût lieu à ce droit de retour que s'ils venaient à manquer. Toutes +ces tentatives du roi étaient plus favorables au comte de Charolais +que la soumission même du jeune prince, trop prompt, même lorsqu'il +cédait, à se laisser emporter par son caractère ardent et impétueux. +Philippe avait déclaré, l'année précédente, qu'il ne rendrait +jamais au comte de Charolais sa pension que du plein gré du roi de +France. Eclairé davantage sur les desseins de Louis XI, il n'hésita +pas à lui annoncer que voyant les malheurs que ces divisions pouvaient +entraîner, cédant d'ailleurs aux vœux de ses Etats et au +mouvement de son cœur paternel, il était disposé à écouter les +prières de son fils. Il ajoutait que, quoiqu'il pût bien le faire sans +sa permission, il le priait de ne pas manquer à la promesse qu'il +lui avait faite d'y consentir. Ces paroles plaisaient peu à Louis XI; +il cherchait à les combattre en se plaignant longuement du comte +de Charolais, notamment de son alliance secrète avec le duc de +Bretagne. Malgré tous ses efforts, le duc persistait dans son opinion, +et le roi prit congé de lui pour se rendre à Rouen; mais il ne fit +dans cette ville qu'un court séjour et revint presque aussitôt en +Artois. Les uns disaient que c'était afin de pouvoir entamer plus +facilement, grâce à la médiation du duc, des négociations avec le +roi Edouard d'York; d'autres prétendaient que le roi avait appris +des astrologues qu'un grand danger menacerait le duc pendant le +mois de septembre, et qu'il voulait se tenir prêt à se saisir aussitôt +du château d'Hesdin et de toutes les richesses qui y étaient déposées.</p> + +<p>Louis XI devait plus d'une fois se laisser tromper par le vain +calcul des constellations. Les dangers qu'elles annonçaient ne se +présentèrent point: la croisade seule languissait et s'éteignait sans +combats et sans gloire. Le sire de Toulongeon et le protonotaire de +Bourbon avaient été envoyés à Rome pour s'excuser des retards +qu'elle subissait sans cesse. Le pape les chargea de supplier leur +maître d'y mettre un terme, et écrivit lui-même au duc de Bourgogne: +«Le bruit s'est répandu dans l'univers que l'illustre et +puissant duc de Bourgogne a résolu, d'accord avec le pontife romain, +de faire la guerre aux Turcs; la Grèce aspire à la liberté, +et déjà la terreur s'est emparée des infidèles. Telle est la puissance +<span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span> +de votre nom. Mais que deviennent votre honneur et le +soin de votre renommée? La maison de France n'a-t-elle pas toujours +placé sa gloire avant toute autre considération? Si vous +ne venez point, nous n'en irons pas moins en Orient. Personne ne +pourra dire: Le pape Pie a pris un engagement et ne l'a pas tenu; +il a annoncé son départ et il n'est pas parti. Nous partirons, nous +nous embarquerons, nous aborderons au milieu des ennemis, nous +lutterons pour faire triompher le nom du Christ. Rien ne nous +retiendra, ni notre vieillesse, ni la roideur de nos membres affaiblis +par la goutte. Nous savons que nous devons mourir, et nous +ne croyons pas pouvoir mieux finir notre vie qu'en combattant +pour la cause du Sauveur.» Pie II n'avait que deux galères; mais +sa résolution restait inébranlable, et il quitta Rome, placé dans une +litière dont les cardinaux fermaient les rideaux, afin de lui épargner +le spectacle de la foule nombreuse des pèlerins, qui, tristes et +découragés, se préparaient à regagner leurs foyers. A peine était-il +arrivé à Castello-Phiano qu'il apprit que le duc de Bourgogne réclamait +de nouveaux délais: on lui annonça au même moment que les +Turcs avaient envahi l'Etat de Raguse. Enfin il parvint à Ancône, +se fit porter au bord de la mer, salua d'un œil mourant la flotte +vénitienne, qu'on signalait au loin, et rendit le dernier soupir. La +guerre sainte expirait avec Pie II sur la plage de l'Adriatique, entre +le port de Bari, d'où était parti Robert de Jérusalem, et le port de +Venise, où s'était embarqué Baudouin de Constantinople.</p> + +<p>La flotte du bâtard de Bourgogne s'était dirigée vers le détroit +de Gibraltar. Si elle ne s'avança pas jusqu'aux Açores, qui reçurent +vers cette époque le nom d'Iles flamandes, à cause des colons envoyés +dans ces îles par la duchesse de Bourgogne, qui les avait +reçues de son neveu, le roi Alphonse de Portugal, elle ne s'arrêta du +moins à Marseille qu'après avoir délivré, sur les côtes de l'Afrique, +la ville de Ceuta, assiégée par les Mores. La peste avait enlevé le +bailli de Dijon, les deux fils du sire de Lalaing et près de cinq cents +hommes d'armes. Il ne restait presque plus rien des cent mille +écus d'or qui avaient été puisés dans le trésor du duc, pour entretenir +cette expédition pendant une année entière. La nouvelle de la +mort du pape vint augmenter le découragement des croisés bourguignons; +ils n'espéraient plus trouver des alliés qui les soutiendraient. +Venise, naguère si zélée, ne cachait plus sa froideur; le +duc de Milan n'agissait point, et le bâtard de Bourgogne, non moins +<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span> +étranger à la pieuse ardeur des premiers croisés qui plaçaient le +martyre au-dessus de la victoire, obtint de pouvoir retourner en +Flandre. Plus fidèles à leurs serments, Frédéric de Witthem et +Pierre de Waes continuèrent leur voyage vers l'Orient, où ils acquirent, +dit Olivier de la Marche, grand honneur; car «ce n'estoit +pas peu de chose après l'armée rompue de soutenir la guerre +contre les infidèles.» Les trois cent trente croisés de Gand les +avaient accompagnés, et ils se signalèrent par le même courage: +quand, revenus dans leurs foyers, il y déposèrent, dans l'église de +Saint-Jean, leur bannière au lion d'argent, ils rapportaient avec +eux, en témoignage de l'accomplissement de leur vœu, des lettres +où le pape Paul II et le doge de Venise déclaraient qu'ils avaient +pénétré à trois cents lieues dans le pays des Sarrasins, conquis des +villes et des châteaux, livré de nombreux combats. Nommons parmi +ces héros, derniers représentants de la Flandre aux croisades: Sohier +Van den Bossche, Pierre Uutermeere, Laurent Uutenhove, +Liévin de Coppenolle, Matthieu Meussone, Pierre Vande Kerckhove, +Gilles de Vaernewyck. Quelques moines s'étaient associés à +leur expédition. Un rosaire fixé par des coquilles et un bâton de +palmier distinguaient, au milieu des hommes d'armes, ces disciples +obscurs des Adhémar de Monteil et des Pierre l'Ermite.</p> + +<p>Le bâtard de Bourgogne avait laissé son artillerie à Avignon; +mais ce fut en vain qu'il chercha à répandre le bruit que le duc +Philippe n'attendait que le printemps pour prendre lui-même les +armes contre les infidèles: personne n'y ajouta foi, et la croisade, +que le génie de Pie II ne soutenait plus, se trouva réduite aux exploits +isolés de deux chevaliers et de quelques bourgeois de Gand. +Il n'appartenait point au duc de Bourgogne de lever, pour la défense +de la chretienté, cette bannière de Godefroi de Bouillon que n'avait +jamais souillée le souffle impur des passions humaines. Il semblait +d'ailleurs que lors même que les promesses de Philippe eussent été +sincères, les intrigues du roi de France dussent sans cesse s'opposer +à ce qu'il les accomplît.</p> + +<p>Au moment où les sires de Croy obtenaient l'ordre de rappeler +en Flandre l'expédition du bâtard de Bourgogne, Olivier de la +Marche arrivait à Hesdin: il accourait de la Hollande pour révéler +au duc les perfides desseins de Louis XI qui, ne croyant pas avoir +assez fait en combattant dans les projets de croisade la transmission +immédiate de l'autorité au comte de Charolais, avait osé chercher, +<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span> +dans une odieuse tentative, les moyens de la rendre à jamais impossible. +Pendant que le comte de Charolais se tenait à Gorcum, on +apprit qu'un étranger s'était montré dans une taverne; on remarqua +qu'il interrogeait les habitants du pays sur les habitudes du +jeune prince, sur le navire avec lequel il allait en mer et sur le +nombre des serviteurs qu'il prenait avec lui lorsqu'il allait se promener, +soit le matin, soit le soir. On l'avait même vu s'approcher +du château et examiner la force des murailles. Le comte de Charolais +n'hésita pas à le faire arrêter, et on le contraignit à avouer qu'il +était le bâtard de Rubempré et qu'il était parti, sur un vaisseau +monté par cinquante hommes, du port du Crotoy, dont son frère +était gouverneur. Lorsqu'on lui demanda le but de son voyage, il +varia dans ses réponses: tantôt il prétendait qu'il allait en Ecosse +ou qu'il en revenait; d'autres fois, il disait qu'il allait voir l'une +des filles d'Antoine de Croy, qui avait épousé le vicomte de Montfort, +l'un des plus puissants seigneurs de Hollande. Enfin on obtint +des révélations plus complètes, et bien que le comte de Charolais ne +les eût point rendues publiques, on racontait tout haut que Louis XI +s'était rendu à Abbeville pour présider aux préparatifs de cette +expédition secrète, et qu'il avait chargé le bâtard de Rubempré de +se saisir du comte de Charolais ou de le mettre à mort s'il ne réussissait +à l'emmener. Peut-être convient-il de rappeler que ce gouverneur +du port du Crotoy avait épousé Jacqueline de Croy, et que +Louis XI, lors de son exil, l'avait délivré des prisons de Gand, où il +avait été conduit à la requête des sergents de Charles VII, comme +prévenu de meurtre. Il s'en était toujours montré reconnaissant, +«et à vray dire, ajoute Chastelain, il sembloit droitement l'homme +pour faire un coup périlleux.»</p> + +<p>Lorsque la nouvelle de l'arrestation du bâtard de Rubempré parvint +à Louis XI, il se montra fort mécontent. «Je ne sais quel est +ce bâtard, répondit-il à ceux qui en parlaient en sa présence, ni +ce qu'on en veut dire; il n'est pas à moi; je ne l'ai jamais vu, je +ne lui ai jamais parlé; j'ignore ce qu'il a voulu faire, qui l'a +dirigé et fait agir; on peut m'en accuser, mais j'y suis complètement +étranger.» Il manda également près de lui les députés de +Tournay et des villes de la Somme, et leur fit la même déclaration. +Cependant il fit écrire par le sire de Montauban, amiral de France, +au sire de Croy, pour qu'il cherchât à mettre un terme à tous les +bruits que propageait l'indignation publique et obtînt la liberté du +<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span> +bâtard de Rubempré. «Mon ami, répondit le sire de Croy au messager +du sire de Montauban, rapporte ces lettres à ton maître, +et dis-lui qu'il est trop tard pour que je puisse m'en mêler. Qui +l'a brassé le boive; bien lui fasse!»</p> + +<p>Louis XI avait résolu de rétablir lui-même la situation politique +qu'il avait compromise, et l'un de ses secrétaires, nommé maître +Georges Havart, arriva à Hesdin au moment où l'on venait d'envoyer +l'ordre de livrer à la justice les prisonniers de Gorcum, pour +prévenir le duc que le roi se proposait de se rendre près de lui le +surlendemain. Le duc apprit le même jour que le roi de France, +renonçant à ses usages si modestes et si humbles, comptait amener +toute sa grande garde avec lui, dans une ville où il n'y avait pas +un seul homme d'armes bourguignon; il était à table, lorsqu'il +reçut des lettres du comte de Charolais qui confirmaient ses soupçons +et l'invitaient à ne pas rester à Hesdin. Les seigneurs de sa +cour et tous les gens de son hôtel étaient livrés aux mêmes inquiétudes; +les Croy seuls semblaient confiants et joyeux. Cependant, +vers minuit, le duc fit appeler son valet de chambre et lui ordonna +de tout faire préparer dès le point du jour pour son départ. Il n'avait +prévenu de son dessein ni les seigneurs de Croy, ni le sire de +Lannoy, ni l'évêque de Tournay; leur étonnement fut grand quand +ils virent le duc quitter Hesdin, emportant avec lui ses trésors les +plus précieux. «Ha! le mauvais partement, monseigneur, que vous +avez fait aujourd'hui! disait le sire de Croy au duc; tous les +princes de France vont se réunir au roi pour vous faire la +guerre!» Le duc répondit qu'il n'en avait garde, et les sires de +Croy n'osèrent pas insister, car ils sentaient bien que leur crédit +diminuait. Le retour du comte de Charolais allait y porter les derniers +coups. Le peuple manifestait plus vivement que jamais sa +sympathie pour ses malheurs; les nobles s'empressaient autour de +lui, prévoyant qu'il allait recouvrer l'autorité à laquelle sa naissance +lui donnait des droits trop longtemps méconnus, et lorsqu'il rentra +à Lille, il était accompagné de sept à huit cents chevaliers et +écuyers, parmi lesquels on remarquait le duc de Bourbon, qui +l'avait rejoint à Gand, le comte de Marle, le comte de Brienne, le +fils du prince d'Orange, le seigneur de Fiennes, son frère Jean de +Luxembourg, et la plupart des hauts barons de Flandre et de +Hainaut.</p> + +<p>Louis XI suivait attentivement les événements, et continuait à +<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span> +dissimuler. Changeant toutefois de système, il déclara aux députés +des villes de la Somme que le bâtard de Rubempré avait agi par +ses ordres, mais que le but de son voyage était de s'emparer, non +du comte de Charolais, mais du vice-chancelier de Bretagne, qui +devait revenir d'Angleterre par la Hollande. Il était absurde, disait-il, +qu'on prétendît qu'avec si peu de gens il eût pu songer à enlever +un prince toujours entouré d'un grand nombre de serviteurs. Le +duc de Bourgogne l'avait, d'ailleurs, comblé de trop de bienfaits +pour qu'il en eût conçu la pensée.</p> + +<p>Une ambassade solennelle fut chargée d'aller reproduire, en présence +de Philippe, ces douteuses et vagues explications. Elle se +composait du comte d'Eu, du chancelier de France et de l'archevêque +de Narbonne, et fut reçue par le duc, le 6 novembre 1464, en +présence du comte de Charolais et des principaux seigneurs de la +cour. Le chancelier répéta la fable sur le vice-chancelier de Bretagne; +puis il ajouta: «Le roi sait assez que le comte de Charolais +ne l'aime point, ce dont il ignore la cause..... Il ne lui a pas suffi +d'arrêter injustement un serviteur du roi, mais il a fait répandre +dans tout le pays le bruit que le bâtard de Rubempré avait été +envoyé par le roi pour s'emparer de sa personne, même en +employant vis à-vis de lui la force et la violence. Olivier de la +Marche, qu'il avait chargé de vous instruire des mauvais desseins +qu'il imputait au roi, a semé, partout où il est passé, les mêmes +bruits. C'est pourquoi le roi, qui est innocent de ce complot et qui +n'en a jamais eu la pensée, comme il l'affirme sur sa parole de +roi, se peut bien plaindre amèrement du comte de Charolais, qui +ne se contente pas d'arrêter son serviteur, mais qui attaque aussi +sa réputation et son honneur. Bien plus, afin de diffamer la personne +du roi par tout l'univers, le comte de Charolais l'a fait +accuser dans les chaires de la ville de Bruges où se réunissent +les marchands des dix-sept royaumes chrétiens... Le roi demande +deux choses: que vous fassiez mettre le bâtard de Rubempré en +liberté et que vous lui livriez le sire de la Marche, et avec lui les +prêtres qui l'ont publiquement accusé à Bruges.» A ces mots, +le comte de Charolais interrompit l'orateur. «Ce n'est pas la volonté +du roi, s'écria-t-il, qui m'empêchera de faire alliance avec monseigneur +de Bretagne, et je veux bien que le roi sache que si +j'avais pour moi Dieu et mon père, je ne craindrais pas de le +combattre.» Le roi, reprit le chancelier, ne nous a point chargés +<span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span> +de nous adresser au comte de Charolais.» Le duc ayant ordonné +à son fils de laisser continuer maître Philippe de Morvilliers, le +comte de Charolais obéit; mais ses traits altérés révélaient à tous +les yeux le ressentiment qui l'agitait.</p> + +<p>Le duc répondit lui-même au discours du chancelier de France; +il dit en riant que si son fils était trop prompt à s'effrayer, il ne +pouvait tenir ce défaut que de sa mère, sans cesse jalouse de le +voir aimer d'autres dames. Il ajouta que le bâtard de Rubempré +avait été arrêté en Hollande, pays où il était seigneur de la terre +et de la mer sans y connaître d'autre souverain que Dieu, et promit +que, bien que ses crimes précédents fussent connus, ses juges l'épargneraient +s'il était innocent de celui qu'on lui reprochait actuellement. +Il justifia aussi la conduite d'Olivier de la Marche et allégua +que, prince séculier, il restait étranger à tout ce qui se rapportait +à l'Eglise. «Messieurs, ajouta Pierre de Goux, l'un des conseillers +du duc, comme chacun doit l'entendre, monseigneur qui est ici +ne tient pas tout du roi de France. Il est vrai qu'il tient de lui +le duché de Bourgogne, les comtés de Flandre et d'Artois, mais +il possède hors du royaume d'autres seigneuries, telles que les +duchés de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg, de Lothier, les +comtés de Bourgogne, de Hainaut, de Hollande, de Namur, et +plusieurs autres pays dont la plupart ne relèvent que de Dieu +seul.»—Cependant, interrompit le chancelier, quoiqu'il soit le +seigneur de tous ces pays, il n'est pas roi.» Philippe, entendant +ces paroles, éleva la voix: «Je veux bien que chacun sache que si +je l'avais voulu je l'eusse été.» Il faisait ainsi allusion à l'époque +du traité d'Arras, où, s'égalant en puissance et en indépendance à +Charles VII, il ne lui avait laissé que la supériorité de son titre +royal. Deux jours après, le comte de Charolais lut publiquement sa +justification, qu'il avait composée seul et sans l'aide de ses conseillers: +elle était éloquente et fière, et le duc lui-même avoua qu'il +ne croyait pas son fils si sage et si habile.</p> + +<p>Dans ces circonstances, les amis des sires de Croy les engageaient +à chercher à se réconcilier avec le jeune prince, dont le triomphe +semblait assuré; mais les Croy s'y refusèrent, disant qu'ils n'abandonneraient +pas le service du roi de France pour celui du comte de +Charolais. Une longue habitude, joug pesant que secouent rarement +les vieillards, semblait leur promettre qu'ils ne tarderaient +pas à rétablir leur influence: en effet, dès que le comte de Charolais +<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span> +eut quitté Lille, ils retrouvèrent leur autorité: le duc Philippe +voyait en eux d'anciens serviteurs qui avaient partagé tous ses efforts +et toutes ses luttes, et lors même qu'il n'ignorait pas qu'ils le +trahissaient, il le leur pardonnait en souvenir du zèle avec lequel +ils l'avaient servi autrefois.</p> + +<p>A peu près à la même époque, tandis que le bâtard de Rubempré +voyait s'instruire son procès à Gorcum, on arrêtait, près de Montreuil, +un marchand brugeois nommé Pierre Puissant, qui paraissait +être l'instrument de quelque intrigue pour chasser les Anglais +de Calais. Ses premiers aveux, en confirmant ces soupçons, accusaient +le roi de France lui-même; mais Louis XI, craignant de +voir naître, vis-à-vis des Anglais, des embarras semblables à ceux +que l'affaire du bâtard de Rubempré lui créait près du duc de +Bourgogne, se hâta de le faire chercher par le prévôt de ses maréchaux, +«qui estoit le plus diligent et le plus vif esprit et le plus +fin du royaulme, le chastie-fol du roy, ne craignant rien à servir +son maître.» Tristan l'Ermite se rendit en deux jours et demi +de Rouen à Montreuil, et conduisit Pierre Puissant devant le conseil +du roi, où fut appelé Robert Nevil, serviteur du comte de +Warwick. Comme il était aisé de le prévoir, Pierre Puissant +démentit sa première confession, «deschargeant le roy Loys et +chargeant d'autres bien grans.» Louis XI avait fait remettre le +texte de sa déclaration à Robert Nevil; il eût même voulu lui confier +le soin de ramener son prisonnier à Montreuil; mais Robert +Nevil s'en excusa en remontrant «qu'il n'y avoit homme deçà la +mer qui l'osast prendre,» et dès qu'il apprit que le roi de France +se proposait de le faire conduire par Tristan l'Ermite à Calais, il +se hâta d'adresser au lieutenant de cette ville une lettre où, après +l'avoir exhorté à ne pas laisser le prévôt des maréchaux approcher +des remparts à demi détruits par une inondation, il ajoutait: «Ne +prenez point maistre Pierre Puissant, car il est bourgeois de +Bruges, et le fauldroit rendre honteusement, car tous ceulx de +l'estape seroient arrestés.»</p> + +<p>Philippe reconnaissait que les immunités et les priviléges d'une +cité commerciale ne lui permettaient point de soumettre à l'examen +de son autorité les discours prononcés dans les chaires de +Bruges. Robert Nevil écrivait au lieutenant du roi d'Angleterre à +Calais, pour lui recommander de respecter la liberté d'un bourgeois +de la même ville. Quelle était donc la puissance de cette vieille +<span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span> +industrie flamande qui survivait aux guerres et aux révolutions, +également respectée des princes et des rois?</p> + +<p>Hors de ces cités fameuses, dont la vie calme et paisible n'a +laissé que trop peu de traces dans l'histoire de ce temps, tout restait +intrigues, luttes et discordes. Au-dessus du vieillard affaibli par +l'âge et les infirmités, et ne se réveillant qu'à l'aspect des périls +les plus menaçants, s'agitait la rivalité du roi de France et du +comte de Charolais. Le premier cherchait à amener, par l'influence +des Croy, le duc de Bourgogne à faire la guerre au duc de Bretagne, +et en même temps il laissait espérer aux Anglais la cession de +la Normandie et de la Guyenne, afin de pouvoir librement détruire, +l'une après l'autre, les maisons de Bourbon, de Bretagne, d'Orléans, +d'Anjou, et enfin la maison de Bourgogne elle-même. Le second +s'alliait à tous ceux que menaçait la politique de Louis XI, et n'attendait, +pour faire succéder en France la guerre publique aux complots +secrets, que le signal d'une première victoire obtenue à la +cour de son père sur les sires de Croy.</p> + +<p>L'occasion favorable que le comte de Charolais attendait se présenta +bientôt; le 2 mars 1464 (v. st.), le duc Philippe devint si +gravement malade que l'on crut que sa fin était proche. Le comte de +Charolais était alors à Bruxelles près de lui; il profita aussitôt de +l'absence des sires de Croy pour s'emparer de la direction des affaires, +et créa de nouveaux capitaines dans tous les châteaux soumis +à leur autorité. Le 8 mars, le duc, se trouvant un peu mieux, confirma +tout ce que son fils avait fait et lui abandonna le gouvernement +de ses Etats. Cependant les intrigues du sire de Quiévraing, +fils aîné du sire de Chimay, réussirent à renverser l'ouvrage du +comte de Charolais, et dès le lendemain, le duc révoqua ce qu'il +avait fait la veille. La colère du comte de Charolais ne connut plus +de bornes; dans un manifeste adressé aux bonnes villes, il déclara +les Croy ses ennemis et défendit de les aider. Il menaça de sa vengeance +le sire de Quiévraing s'il ne s'éloignait point: celui-ci, qui +avait été jadis la première cause des querelles du duc et de son fils, +alla se jeter aux genoux de Philippe et lui raconta ses périls. L'indignation +du vieux prince fut si vive qu'il se plaça, un épieu à la +main, à la porte de son hôtel, en disant qu'il voulait voir si son fils +oserait venir tuer ses serviteurs. A peine parvint-on à l'apaiser; le +sire de Quiévraing jugea, néanmoins, prudent de s'éloigner: une +autorité fondée sur le caprice d'un prince septuagénaire et malade, +<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span> +autorité que la mort pouvait briser chaque jour, ne lui paraissait +plus assez sûre.</p> + +<p>Dès ce moment, le comte de Charolais reprend tous les soins du +gouvernement, et, la veille de Pâques 1465 (13 avril), le duc se +réconcilie publiquement avec lui. Douze jours après, le duc de +Bourgogne fait reconnaître, dans une assemblée générale des états +de Flandre, de Brabant, d'Artois et de Hainaut, son fils pour son +héritier, en lui donnant le commandement de l'armée destinée à +envahir la France. Le comte de Charolais, n'ayant plus rien à redouter +des sires de Croy, se trouve enfin face à face avec Louis XI, +prêt à lui opposer toute la puissance des ducs de Bourgogne et +toutes les discordes qui divisent la France. La ligue qu'il a depuis +longtemps préparée s'organise rapidement: elle comprend le duc +de Berry, frère du roi, les ducs de Bretagne, de Bourbon, d'Alençon, +de Nemours, de Calabre, les comtes de Saint-Pol, de Dammartin, +d'Armagnac, de Dunois; le comte de Warwick a été chargé de se +rendre en Flandre pour y adhérer.</p> + +<p>Le 15 mai 1465, le comte de Charolais réunissait au Quesnoy les +plus nobles chevaliers de Flandre, de Hainaut, de Brabant, de Hollande; +le 4 juin, il traversait la Somme. Nesle, Roye et Montdidier +ouvrirent leurs portes: Saint-Denis n'opposa pas de résistance. +Les communes, dont les priviléges étaient étouffés; la noblesse, dont +les services étaient méconnus; le clergé, dont les favoris de +Louis XI envahissaient les dignités, considéraient le comte de Charolais +comme leur libérateur. Le 16 juillet, les Bourguignons attaquent +l'armée du roi dans une plaine qu'on nomme le champ de +Pleurs, près de la tour de Montlhéry: après avoir assisté à une +mêlée confuse où les deux partis prennent la fuite, après avoir vu +tomber autour de lui les sires d'Ongnies, de Hamme, de Lalaing, +le comte de Charolais, blessé lui-même à la gorge et à la poitrine, +campe au milieu des morts sur le champ de bataille. Enfin, dans +les premiers jours d'octobre, se conclut à Conflans ce fameux traité +qui, en anéantissant l'autorité royale au profit d'une féodalité nouvelle, +devait toutefois être plus utile au roi qu'aux princes, pour +lesquels il fut une source de divisions et de jalousies. Au-dessus +du roi se plaçait un conseil de trente-six membres choisi par les +représentants du clergé, de la noblesse et des communes, chargé +de satisfaire aux plaintes des grands et du peuple. Le comte de +Charolais recouvrait les villes de la Somme et recevait le comté de +<span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span> +Guines. Le duc de Berry obtenait pour apanage la Normandie; le +comte de Saint-Pol était créé connétable; le duc de Nemours, capitaine +de l'Ile-de-France. Toutes les confiscations prononcées par +le roi étaient annulées.</p> + +<p>Le vieux duc sentit son cœur s'ouvrir aux émotions de la joie paternelle +en revoyant son fils qui, avant de rentrer à Bruxelles, venait +d'ajouter à ses palmes de Montlhéry celles d'une expédition +contre les Liégeois; mais le comte de Charolais le quitta bientôt +pour accomplir le vœu qu'il avait fait d'aller à pied, en pèlerinage, à +Notre-Dame de Boulogne: il traversa Gand, Bruges et Saint-Omer, +accueilli partout par les acclamations populaires. De Boulogne, +il se rendit aux bords de la Somme. Pendant qu'il combattait +les Liégeois, secrètement excités par des conseils étrangers, +Louis XI avait reconquis la Normandie et entamé des négociations +avec les Anglais. Le comte de Charolais se préparait à ramener ses +bannerets en France lorsque Liége prit de nouveau les armes, et il +fallut recommencer la guerre pour étouffer cette seconde insurrection, +que termina le sac de Dinant, où une population tout entière +disparut au milieu des flammes, sous les ruines du foyer paternel +qu'elle avait été impuissante à défendre. Déjà le comte de Charolais +avait adressé au roi de France une lettre où l'on remarquait ces +paroles: «Monseigneur, il est vray qu'aucun parlement a esté tenu +entre vos gens et ceux du roi d'Angleterre, et tellement besongné +que vous estes content, dont j'ay esté adverty, de leur bailler le +pays de Caux, Rouen et les villes qui y sont comprises, leur aider +à avoir Abbeville et la conté de Ponthieu, et outre plus avoir avec +eux certaines alliances contre moy et mon pays..... Monseigneur, +de ce qui peut me toucher, il me semble que vous pourriez mieulx +vouloir le mien demourer en ma main que d'estre cause de le +mettre ès mains des Englois: pourquoy je vous supplie, monseigneur, +que ne veuillez vous y quonsentir, mais faire cesser le +tout.»</p> + +<p>Pendant que le comte de Charolais prenait de plus en plus la direction +des affaires, la santé de son père continuait à décliner, et +avec elle son intelligence, jadis si élevée et si profonde. Le duc +Philippe passait toutes ses journées dans une petite chambre où il +aiguisait des aiguilles, retrempait de vieilles lames ou réunissait +des débris de vitrages. Cet atelier le suivait partout, et là se bornaient +toutes les occupations d'un prince naguère encore l'arbitre +<span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span> +du monde chrétien. Une attaque d'apoplexie, dont il avait été +frappé l'année précédente dans un accès de colère contre les trésoriers +qui ne payaient pas la solde de ses hommes d'armes, avait surtout +contribué à épuiser ses forces, et ses médecins suivaient avec +inquiétude les rapides progrès de ses infirmités, lorsque le vendredi +12 juin 1467, il fut pris de vomissements violents. Le dimanche +suivant, tous les symptômes s'aggravèrent, et l'on fit avertir le comte +de Charolais, qui accourut aussitôt de Gand; mais il trouva, à son +arrivée, son père abandonné de ses serviteurs qui attendaient sa +mort. Déjà il ne parlait plus, et ce même jour, lundi 15 juin, entre +neuf et dix heures du soir, il rendit le dernier soupir.</p> + +<p>Philippe était âgé de soixante et onze ans; son règne avait duré +près d'un demi-siècle, et devait être le plus glorieux de la domination +bourguignonne. Non-seulement il avait réuni de nombreux +Etats à l'héritage de Jean sans Peur, mais il avait eu aussi la gloire +de vaincre la Flandre par les armes, et de cicatriser les plaies de la +guerre par le développement pacifique du commerce et des arts. Tel +avait été l'éclat de ses triomphes, telle avait été la renommée de sa +puissance, qu'il avait, disait-on, refusé trois fois l'Empire, et l'on +ajoutait que les Milanais et les Génois n'attendaient que son assentiment +pour arborer sa bannière au delà des Alpes. «Je m'ose fier +en la miséricorde de Dieu, dit Chastelain en racontant sa mort, et +n'y a qu'une seule chose qui m'en donne peur: c'est la très-extrême +et très-abondante mondaine félicité qu'il a eue et obtenue +tout son vivant, en toute acquiescence de fortune et de souhait de +cuer, plus qu'oncques homme... Il a été glorieux au monde, béat +et plein de bénédiction en terre, cler et fulgent en fortune, riche +de tout honneur, et le plus hault en renommée, qui fust en longs +ans. Tous roys de son temps l'ont préféré en tiltre devant eux; les +cieux l'ont magnifié de leurs graces, et les hommes l'ont solemnisé +en ses vertus. Orient et Occident, à la croisure du ciel, tout +souffloit en ses voiles.»</p> + +<p>De magnifiques obsèques furent célébrées dans l'église de Saint-Donat. +De chaque côté du cortége funèbre s'avançaient seize cents +hommes tenant des torches à la main et vêtus de deuil, quatre cents +pour son fils, autant pour la ville de Bruges, autant pour les corps +de métiers, autant pour le pays du Franc. Au milieu d'eux marchaient +neuf cents nobles ou riches bourgeois, seize prélats les suivaient; +puis s'avançaient les rois d'armes, le comte de Joigny, le +<span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span> +sire de Créquy, le marquis de Ferrare, les sires de Boussut, de +Borssele, de Commines, de Breda et de Grimberghe, les bâtards de +Bourgogne et de Brabant. Les comtes de Nassau et de Buchan, le +bâtard Baudouin de Bourgogne et le sire de Châlons soutenaient le +poêle sur quatre lances. Jacques de Bourbon et Adolphe de Clèves +menaient le deuil; toute l'église de Saint-Donat était tendue de +drap noir, et le nombre des cierges qui brûlaient sous les nefs était +si considérable, que la chaleur contraignit les assistants à briser +les vitraux où les pieuses images des apôtres et des saints vénérés +par le peuple semblaient s'incliner au-dessus de lui pour le bénir.</p> + +<p>Au delà de ces derniers hommages, de ces pompes sans lendemain, +l'humble niveau de la mort attendait le duc de Bourgogne pour +le réunir, aux pieds du souverain Juge, aussi bien à ses adversaires, +pour lesquels il s'était montré cruel et impitoyable, qu'à ses serviteurs +et à ses amis, qui avaient proclamé ses bienfaits en effaçant +le surnom de Philippe l'<em>Asseuré</em> pour le remplacer par celui de +Philippe le Bon.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>LIVRE DIX-NEUVIÈME.<br /> +<span class="medium">1467-1476.</span></h2> +<hr class="deco" /> + +<p class="subh">Charles le Hardi ou le Terrible.<br /> +Rivalité du duc de Bourgogne et du roi de France.<br /> +Sédition à Gand.—Résistance de l'esprit communal.<br /> +Batailles de Granson, de Morat et de Nancy.</p> +</div> + +<p>Le prévôt de Watten, fameux astrologue, avait déclaré que le fils +du duc Philippe serait exposé aux plus terribles coups du sort et +aux plus grands malheurs.</p> + +<p>L'horoscope du successeur de Charles VII était tout différent: il +annonçait qu'après avoir été en butte aux attaques jalouses de ses +vassaux, il terminerait sa vie au sein de la puissance et de la prospérité.</p> + +<p>Charles lutta contre la mauvaise fortune qu'on lui avait prédite +en la heurtant de front et en cherchant à la violenter comme Alexandre +violenta la pythie: dès sa jeunesse, la mer ne lui semblait +jamais plus belle que lorsqu'elle lui opposait les flots furieux d'une +tempête.</p> + +<p>Louis XI attendit au contraire la bonne fortune qui lui était promise +en aplanissant ses voies par tous les moyens qui étaient en son +pouvoir.</p> + +<p>Charles voulait réédifier le passé par le droit de ses victoires; +dernier représentant du principe féodal, il répétait qu'issu de Charlemagne, +il ne pouvait reconnaître la supériorité des héritiers de +Hugues Capet, et ne voyait dans les siècles qui l'avaient précédé +que les fabuleuses traditions qui retraçaient les aventures des Lancelot +et des Gauvain. Le roi de France, plus prudent, comprenait +qu'en politique un système suivi avec habileté et persévérance est +plus fort qu'une armée, et c'était à pas lents et mesurés qu'il marchait +à la conquête de l'avenir. Immolant la noblesse, depuis longtemps +de plus en plus affaiblie, aux rancunes envieuses et anarchiques +<span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span> +de la démocratie, il espérait placer plus haut la royauté en +l'élevant sur des ruines, et brisait l'épée des chevaliers qui protégeaient +au dehors la puissance de la monarchie, en même temps +qu'il confisquait les libertés communales qui au dedans la consolidaient +en la modérant: épreuve dangereuse où l'Etat entier, se +résumant en un seul homme, abdiquera, pour grandir, décliner et +mourir avec lui, cette longue vie des institutions qui devient plus +sainte et plus forte, consacrée par les siècles.</p> + +<p>Charles et Louis étaient doués tous les deux d'un esprit actif et +entreprenant, mais leurs caractères bien différents devaient sans +cesse les mettre en opposition dans leurs efforts vers le but que se +proposait leur ambition. Charles, sombre, morne, triste, véhément +dans ses longues harangues, hostile aux conseils les plus sages, +méprisait les nobles et les bourgeois de Flandre, à qui son père avait +dû son salut à la journée de Mons-en-Vimeu, pour s'entourer de +bannerets étrangers, vils condottieri qu'une insatiable cupidité +porta tour à tour à le servir et à l'abandonner. Au séjour des villes +et des châteaux il préférait celui de la tente, «à l'exemple du lion, +lequel, quand il se trouve chassé, ne quiert point les bois, mais se +boute en plein champ.» Sur ce point, il ressemblait peu à son père, +et, loin d'imiter les vices que celui-ci cherchait vainement à justifier +par cette maxime, «que par estre bien des dames il estoit force +qu'il fust bien des hommes que communément les dames gouvernent,» +il ne voulait point de femmes dans son palais. La duchesse +de Bourgogne elle-même était reléguée à Male ou à Tronchiennes +pendant qu'il habitait Bruges ou Gand, et Wielant remarque +«qu'il avoit fait du logis des dames en sa maison la chambre +du conseil et la chambre des finances, disant que le conseil et les +finances séoient mieulx estre entour et près de luy que femmes.» +On ne le vit pas non plus encourager les récits licencieux qui formèrent +le livre des <cite>Cent nouvelles nouvelles</cite>, mais il prenait plaisir +«en histoires romaines des faits de Jules-César, de Pompée, d'Hannibal +et de tels autres grands et hauts hommes lesquels il vouloit +ensuivre.» Pour abréger ce portrait, nous ajouterons que Charles +était généreux quand la colère ne l'aveuglait point, loyal bien que +sans amis, compatissant quoiqu'il fût parfois inflexible jusqu'à la +cruauté, par un sentiment profond de justice qui le portait à ne +jamais repousser la plainte légitime du pauvre. Si nous comparons +le roi de France au duc de Bourgogne, nous trouvons un prince +<span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span> +perfide et dissimulé dans la vie publique, corrompu dans la vie +privée, opposant au fer de ses ennemis le poison, le poignard et la +trahison, et ne mêlant à ses succès aucune de ces grandes qualités +qui font excuser les fautes et quelquefois même les crimes. L'un a +les défauts des premiers temps du moyen-âge dans lesquels la civilisation +n'a rien adouci, rien corrigé. L'autre a déjà tous les vices +des époques de démoralisation où l'intrigue est une arme plus redoutable +que la force. Enfin, il semble que tous les deux, par un +mutuel contraste, durent peu de chose à ceux dont ils tenaient la +vie. Louis XI fut à Genappe le disciple de Philippe l'<em>Asseuré</em>, «qui +vouloit toutes matières difficiles estre vidées par expédiens.» +Chastelain offre au duc Charles, «qui demandoit toujours la +rigueur,» le roi de France Charles VII pour modèle.</p> + +<p>Pour apprécier la politique extérieure du duc Charles, il ne faut +jamais oublier que sous l'influence des discordes domestiques, dont +il avait été le témoin et la victime, il avait appris à haïr la France, +patrie des ancêtres de son père, et à aimer l'Angleterre, où sa mère +se vantait de compter Edouard III parmi ses aïeux.</p> + +<p>Le 19 juin, quatre jours après la mort du duc Philippe, Charles, +écrivant à Louis XI, s'abstient de le nommer son souverain seigneur, +et allègue l'exemple même du roi de France, qui ne donne +pas ce titre à l'Empereur, dont relève le Dauphiné.</p> + +<p>Le 15 juillet, il renouvelle l'alliance qu'il avait conclue l'année +précédente avec le roi d'Angleterre.</p> + +<p>La situation dans laquelle se trouvait l'héritage du duc Philippe +au moment où il le recueillit légitimait les plus hautes espérances. +L'ordre régnait dans toutes les provinces et jamais prince n'avait +laissé à son successeur un trésor plus considérable: on l'évaluait, +dit Olivier de la Marche, «à deux millions d'or en meubles seulement, +savoir quatre cens mille escus comptants, soixante-douze +mille marcs d'argent en vaisselle, sans les riches tapisseries, les +riches bagues, la vaisselle d'or garnie de pierreries et sa librairie +moult grande et moult bien étoffée.» Les sires de Croy, qui +pendant longtemps avaient excité contre le duc Charles la haine de +son père, s'inclinaient humblement devant lui, et les communes +flamandes, qui l'avaient chéri «comme fils de prince,» paraissaient +disposées à saluer avec joie son avénement. En voyant descendre le +vainqueur de Gavre au tombeau, elles se flattaient d'y voir disparaître +avec lui les rigueurs qui avaient signalé son triomphe, et +<span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span> +attendaient leur liberté du jeune prince, dont elles avaient elles-mêmes +défendu la liberté, alors qu'elle était menacée et opprimée +comme la leur par des ennemis communs; elles devaient bientôt apprendre +que si le comte de Charolais s'était senti assez faible pour +rechercher leur appui, le duc de Bourgogne se croyait trop puissant +pour en avoir jamais besoin.</p> + +<p>Charles avait quitté Bruges pour se rendre à Gand, où devait avoir +lieu son inauguration solennelle. Une cour nombreuse l'accompagnait, +et il avait pris avec lui le trésor de son père. Selon l'usage, il +coucha à Zwinarde, et le lendemain il entra à Gand. Toutes les rues +étaient tendues de tapisseries, toutes les places ornées de somptueux +échafauds, où l'on représentait d'ingénieux mystères. Les bourgeois, +confiants dans l'avenir, avaient multiplié à l'envi les symboles de +leurs espérances et de leur allégresse. Non-seulement ils se souvenaient +de l'affection qu'ils avaient témoignée au duc Charles pendant +ses malheurs, mais ils croyaient aussi que la restitution complète +de leurs franchises était prochaine, qu'ils avaient le droit de +la réclamer, et que Charles, en la leur octroyant, ne remplirait qu'un +devoir. Dès la porte de la ville, le nouveau duc de Bourgogne trouva +sept cent quatre-vingt-quatre bannis auxquels il pardonna; près +d'eux se tenait un frère prêcheur, maître Nicolas Bruggheman, le +célèbre orateur de la croisade de 1464, qui l'exhorta dans son discours +à modérer les rigoureuses conditions du traité de Gavre. Lorsqu'après +avoir entendu la messe à l'abbaye de Saint-Pierre, et avoir +juré à Saint-Jean le maintien des priviléges des Gantois, il se rendit +à l'Hoog-huys, au Marché du Vendredi, pour recevoir le serment +du peuple, les doyens, les échevins et les plus notables habitants +s'agenouillèrent en le suppliant de rendre à la ville de Gand l'ancienne +autorité qu'elle exerçait sur la châtellenie et d'autres droits +qu'elle avait perdus en 1453. Le duc de Bourgogne leur fit répondre +qu'il désirait que ces demandes lui fussent remises par écrit, et +qu'il ferait connaître son intention à cet égard dans le délai de +trois jours.</p> + +<p>Avant que ces trois jours fussent écoulés, une manifestation imprudente +vint compromettre le résultat que les hommes sages espéraient +atteindre par leur respect et leur modération. Un grand nombre +de bourgeois s'étaient rendus à Houthem pour accompagner la +châsse de saint Liévin que l'on devait rapporter le 29 juin des lieux +où se consomma son martyre à ceux où l'abbé Florbert lui avait jadis +<span class="pagenum"><a id="Page_58"> 58</a></span> +offert un asile. C'étaient, la plupart, des jeunes gens appartenant +aux corps de métiers, animés de passions ardentes qu'avaient nourries +les récits de l'ancienne puissance de Gand; ils s'entretenaient +les uns les autres de leur espoir de la voir renaître bientôt pour +affermir de nouveau l'avenir de la patrie, quand l'un d'eux saisit, +dans la boutique de l'un des marchands réunis à la kermesse d'Houthem, +quelques haubergeons destinés à servir de jouet aux enfants. +«Par le sang et les plaies de Notre-Seigneur, s'écria-t-il bruyamment, +quoiqu'on nous ait défendu de porter des haubergeons, +nous en portons maintenant, le voie qui veut; ils deviendront plus +tard de plomb et d'acier. Laissez faire: tel rit aujourd'hui +fort haut qui passera la nuit prochaine moins gaiement. Gand est +dans la gueule des loups et de ces méchants larrons qui nous dévorent +les poumons et le foie et s'engraissent de nos biens pour +les mettre dans leurs sacs. On boit, on mange, on vole ce que +nous possédons: ce qui est pis, le prince n'en sait rien; mais +puisqu'il est maintenant à Gand, il ne l'ignorera plus longtemps.» +Mille voix applaudirent, et ce fut en répétant ces plaintes et ces +discours que les bourgeois de Gand reconduisirent dans leur ville +la célèbre châsse de saint Liévin. Déjà ils étaient arrivés au Marché +aux Grains où s'élevait l'aubette des commis chargés de prélever +les taxes sur le blé. Ils dirigèrent aussitôt la châsse de ce côté, et +commencèrent à démolir le bureau de la gabelle en disant que +saint Liévin ne se détournait jamais de sa route. La châsse passa +sur ses ruines, et ils voulurent tous en conserver quelques débris, +sinon comme une relique, du moins comme un souvenir de leur +audace et de leur succès. Leur enthousiasme s'accroissait d'heure en +heure, et quand ils parvinrent au Marché du Vendredi, ils saisirent +l'un des drapeaux qui ornaient la châsse du pieux apôtre du septième +siècle, et l'arborèrent comme un étendard. «Tuez, tuez, +criaient-ils avec une nouvelle énergie, tuez tous ces paillars +mangefoies (<i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i>), ces larrons desroubeurs de Dieu et du +monde, qui tant ont vescu à nostre piteux dammage.» Ils désignaient +par ces mots les magistrats et les officiers du duc qui +trouvaient dans la levée des impôts le prétexte de nombreuses +exactions, et qui étaient allés récemment à Bruges pour y presser +le duc de ne jamais consentir à ce qu'ils fussent abolis.</p> + +<p>Cependant le duc de Bourgogne tarde peu à apprendre ce qui se +passe; il réunit ses chevaliers et ses archers, demande son cheval +<span class="pagenum"><a id="Page_59"> 59</a></span> +et jure par saint George qu'il ira interroger de près les +Gantois sur ce qu'ils veulent. «Monseigneur, au nom de +Dieu, s'écria le sire de la Gruuthuse, modérez-vous; votre vie et +les nôtres dépendent de votre prudence. En un instant, selon ce +que vous ferez, nous serons sauvés ou tous perdus. Si vous conservez +votre sagesse et votre sang-froid, vous obtiendrez tout ce +que vous voudrez avec de belles paroles. Vous avez vu jadis les +terribles séditions des Gantois au temps du duc, votre père, qui +souffrit beaucoup et finit par tout pardonner. Envoyez vers eux +quelqu'un qui leur demande en votre nom ce qu'ils désirent; +faites-leur promettre que vous écouterez volontiers leurs plaintes +et que vous y ferez droit. Ne vous conduisez point autrement, je +vous en supplie; vous ferez ainsi des Gantois ce que vous voudrez.—Eh +bien, répondit Charles, allez voir le premier quelles +sont leurs intentions, je vous suivrai.»</p> + +<p>Le sire de la Gruuthuse était sage et éloquent; le peuple de Gand +l'aimait autant que celui de Bruges: il harangua avec douceur les +bourgeois et les hommes de métiers rassemblés au Marché du +Vendredi, les engageant à se retirer chez eux, et leur remontrant +qu'ils avaient un nouveau prince, bon pour les petits comme pour +les grands, et disposé à leur rendre justice. «Il n'était point honorable +pour eux, ajoutait-il, de s'insurger à sa première entrée, et de +venir ainsi, le lendemain du jour où ils l'avaient solennellement +reçu, le saluer avec des bâtons ferrés.»—«Sire de la Gruuthuse, +répondirent tous ceux qui étaient là, nous sommes prêts à mourir +et à vivre avec notre prince. Nous n'avons aucun mauvais dessein, +ni contre lui, ni contre les siens: ils sont aussi en sûreté que +l'enfant dans le sein de sa mère; nous nous dévouerions pour eux; +nous n'en voulons qu'à ces mauvais larrons qui volent monseigneur +et nous; qui trompent monseigneur par leurs mensonges +et leurs faux rapports; qui sucent notre sang et se rient de notre +misère. Ce serait grand'pitié si monseigneur ne les punissait et +ne faisait droit à nos plaintes, car, nous vous le disons, la faim +peut réduire les brebis les plus dociles à devenir des loups furieux. +Monseigneur ne peut pas souffrir que nous soyons ainsi +traités, et il sera juste vis-à-vis d'eux comme vis-à-vis de nous +qui sommes son peuple.»</p> + +<p>«Mes enfants, reprit alors le sire de la Gruuthuse, apaisez-vous +et restez en paix, par la sainte passion de Dieu! Je vais aller +<span class="pagenum"><a id="Page_60"> 60</a></span> +vers le duc intercéder en votre faveur, lui raconter vos bonnes +paroles, et lui exposer que vous n'en voulez qu'aux magistrats +dont vous vous plaignez. Je vous assure que monseigneur vous +rendra justice et vous assistera. Mais, pour l'honneur de Dieu, +restez en paix jusqu'à mon retour, et, quelque chose qui arrive, +comptez sur moi.»</p> + +<p>Le sire de la Gruuthuse se hâta de rejoindre le duc; il lui représenta +l'irritation du peuple qui se pressait, couvert d'armures de +fer, sous les bannières des métiers; il lui peignit la foule s'assemblant +dans toutes les rues et roulant comme un flot immense vers le +théâtre de l'émeute. A ce récit, Charles frémissait de colère et +souhaitait d'être loin de Gand, afin de ne pas devoir ployer devant +des vilains. «Car vous dis bien, ajoute Chastelain, que quelque +nouvel seigneur qu'il estoit, si portoit-il en couvert courage une +haulte extrême volonté de non se souffrir fouler par nulles voies, +ains de porter l'espée si roide et si ague que le monde trembleroit +devant ly s'il pooit vivre.» Sans attendre plus longtemps, il +monta à cheval en robe noire, et se dirigea vers le Marché du Vendredi, +suivi de ses archers qui s'avançaient l'arc bandé. A la vue du +peuple, sa fureur redoubla: «Mauvaises gens! s'écria-t-il, que +vous faut-il. Pourquoi vous agitez-vous?» Et d'un petit bâton +qu'il tenait à la main, il commença à frapper à droite et à gauche. +«Frappez, monseigneur! répondit le peuple sans s'écarter, nous +sommes vos enfants, nous le souffrirons volontiers, pourvu que +ce soit vous seul qui nous frappiez.» Il se trouva toutefois dans +cette multitude agitée un homme qui se souvint de la <em>mer rouge</em> de +Gavre, où Charles avait combattu à côté de son père, et le fer d'une +pique se croisa avec le bâton dont le duc venait de le toucher: le +danger était grand. «Là il n'y avoit ne archier, ne noble homme, +tant feust asseur, qui ne tremblast de peur et qui n'eust volu +estre en Inde pour sauveté de sa vie et souverainement pour le +jeune prince qu'ils réputoient estre venu là doloreusement en sa +mort.»</p> + +<p>Le sire de la Gruuthuse n'hésita plus à exercer sur le duc de +Bourgogne l'autorité que lui assuraient ses longs services et sa +haute vertu. «Qu'allez-vous faire? dit-il au duc d'une voix énergique. +Voulez-vous par votre témérité nous faire égorger tous à +notre grande honte, sans que nous puissions nous défendre? Ne +comprenez-vous pas où vous êtes? Ne voyez-vous pas que votre +<span class="pagenum"><a id="Page_61"> 61</a></span> +vie et la nôtre tiennent moins qu'à un fil de soie? Pourquoi aller +exciter par vos menaces et vos paroles une semblable multitude +qui ne fait pas plus de cas ou d'estime de vous que du moindre +d'entre nous? Par la mort de Dieu! si vous êtes content de mourir, +pour moi je n'en ai nulle envie, car il vous est facile de ramener +la paix et de sauver votre honneur. Ce n'est point ici le +moment de montrer votre courage, songez plutôt à apaiser ce +pauvre peuple égaré. Descendez de cheval, au nom de Dieu, et +haranguez-le; vous vous illustrerez par votre prudence, et tout +ira bien.»</p> + +<p>Le duc promena ses regards autour de lui; l'irritation semblait +se calmer. Les bateliers, les bouchers et les poissonniers s'avançaient +pour le protéger. «Monseigneur, lui disaient-ils, rassurez-vous +et n'ayez nulle crainte; personne n'osera vous faire le +moindre mal.» Ils le conduisirent jusqu'à l'Hoog-huys, et là, de +l'une des fenêtres, entouré du sire de la Gruuthuse, de son chancelier +et d'autres chevaliers, il s'adressa au peuple en flamand. «Mes +enfants, Dieu vous garde et vous sauve! Je suis votre prince et +naturel seigneur qui vous vient visiter pour que ma présence ramène +la paix. Je vous prie de vouloir bien vous conduire avec +modération. Tout ce que je pourrai faire pour vous sans blesser +mon honneur, je le ferai, et je vous accorderai tout ce qui sera +en mon pouvoir; mais veuillez vous retirer en paix.»—«<em>Wel +gekomen! wel gekomen!</em> répondirent les bourgeois, soyez le bienvenu, +monseigneur, nous sommes tous vos enfants, et nous vous +remercions de votre bonté envers nous.» Le silence succède à +ces paroles; ils soulèvent la châsse de saint Liévin et se préparent +à la rapporter à l'église de Saint-Bavon. Soudain de cette foule tumultueuse +s'élèvent de pieux cantiques; l'émeute s'est apaisée, et +déjà l'étendard qui en fut le signal s'incline et s'éloigne, lorsqu'un +bourgeois de Gand, nommé Hoste Bruneel, s'écrie: «Arrêtez, mes +amis, arrêtez! si nous nous séparons, on viendra nous saisir l'un +après l'autre pour nous faire mourir.»—«Arrêtez! arrêtez!» +répètent les Gantois, et leurs clameurs confuses portent au duc +leurs plaintes contre ses officiers: «Monseigneur, nous vous prions +de nous faire raison de ces <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i> qui ruinent notre ville, +nous réduisent à mendier notre pain, et sont la plupart de méchante +origine et de mauvaise extraction. Nous les avons vus +pauvres aventuriers, et maintenant, avec ce qu'ils nous dérobent, +<span class="pagenum"><a id="Page_62"> 62</a></span> +ils sont devenus des seigneurs; ils achètent terres et grands états +avec nos propres deniers, et ils cherchent à faire croire au pauvre +peuple que c'est vous qui les retenez, ce qui n'est pas vrai. Nous +vous supplions d'écouter nos plaintes.»</p> + +<p>Au même moment, Bruneel paraît à la fenêtre où se tient le duc. +Sans se laisser troubler par la présence du prince et de ses chevaliers, +il frappe de son gantelet de fer sur la fenêtre, et demande +qu'on l'écoute: «Mes frères, vous voulez que les magistrats de +cette ville qui volent le prince et vous, soient enfin punis, n'est-il +pas vrai?—Oui, oui, s'écria le peuple.—Vous voulez qu'on +abolisse les gabelles, n'est-ce pas là ce que vous demandez?—Oui, +oui, répondit le peuple.—Vous voulez qu'on ouvre les portes +qui ont été fermées et qu'on vous permette de nouveau d'avoir des +bannières comme autrefois?—Oui, oui, continua la foule.—Vous +voulez qu'on vous rende vos châtellenies, vos chaperons +blancs, vos anciens usages, n'est-il pas vrai?» Les acclamations +de la multitude redoublèrent. Bruneel se tourna alors vers le duc. +«Monseigneur, lui dit-il, voilà en peu de mots les réclamations que +tout ce peuple vous présente pour que vous y fassiez droit. C'est +en son nom que je parle, car vous l'avez entendu approuver tout +ce que j'ai dit. Veuillez donc m'excuser de ce que j'ai fait pour le +peuple et pour son bien.»</p> + +<p>Charles, dominé par le sentiment de son impuissance et d'une +cruelle nécessité, gardait le silence. Louis de la Gruuthuse, plus +calme, répondit à Bruneel qu'au lieu de monter près du prince pour +l'instruire des remontrances du peuple, il eût mieux fait de les +exposer de la place: il promit d'ailleurs que l'on y ferait droit, et +Charles put se retirer. Lorsqu'il passa devant l'hôtel de ville où +plusieurs échevins s'étaient réunis, il les regarda sans les saluer et +sans leur adresser la parole; un peu plus loin, il traversa les débris +de la maison de la cueillette, et sa colère semblait de plus en plus +violente quand il rentra dans son hôtel.</p> + +<p>Cependant la cloche de Saint-Jacques, sonnant à pleine volée, +convoquait la commune au Marché du Vendredi: tous les métiers +s'y assemblaient avec leurs bannières depuis longtemps préparées +en secret. Ils restèrent en armes pendant toute la nuit, et de vives +acclamations ne cessaient de saluer la résurrection de leurs libertés +et des glorieux symboles qui en avaient partagé les luttes et le +deuil. On attendait impatiemment d'heure en heure la réponse du +<span class="pagenum"><a id="Page_63"> 63</a></span> +duc aux demandes que lui avaient remises, au nom des Trois Membres +de la ville, Jacques de Raveschoot et Baudouin Rym. A huit +heures du matin, le sire de la Gruuthuse vint annoncer que le duc +de Bourgogne avait peu dormi, et qu'il serait impossible de connaître +sa décision avant trois heures. Ce moment arriva sans que +l'on apprît quelque chose de plus satisfaisant, et le peuple faisait +entendre de vifs murmures, lorsque Nicolas Triest parvint à le calmer +en l'assurant qu'on ne tarderait pas à recevoir de bonnes nouvelles. +En effet, quelques instants après, maître Jean Petitpas, +secrétaire du duc de Bourgogne, parut accompagné des sires de +Commines, de la Gruuthuse, de Maldeghem, et déclara que le duc +supprimait toutes les gabelles, révoquait toutes les amendes imposées +par la paix de Gavre, autorisait la restitution des bannières et +la réouverture des portes condamnées par le même traité, rendait +aux métiers le droit d'élire leurs doyens, et chargeait une commission +d'enquête d'instruire contre Pierre Huereblock et les autres <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i>>. +Le duc avait également promis d'oublier les désordres de +la veille. Aussitôt après, la châsse de saint Liévin rentra dans le +monastère de Saint-Bavon, et le peuple déposa les armes pour courir +aux portes qu'il lui était permis de démurer.</p> + +<p>Charles avait délibéré longtemps avant de céder; son premier +soin avait été de faire sortir de la ville les trésors qu'il y avait +apportés avec lui; mais il craignait qu'on ne voulût retenir comme +otage sa fille Marie, alors âgée de dix ans, et son orgueil avait +fléchi à la pensée des périls qui pouvaient menacer un enfant. Peut-être, +lorsqu'il eut réussi à se retirer avec tous les siens à Termonde, +songea-t-il à révoquer des concessions qui lui avaient en quelque +sorte été arrachées par la violence. Il trouva toutefois le Brabant +non moins agité que la Flandre; toutes les communes s'y étaient +confédérées, et le duc de Bourgogne ne crut pouvoir mieux prévenir +leur insurrection qu'en confirmant à Bruxelles, par une charte du +28 juillet 1467, les priviléges qu'il avait accordés pour apaiser celle +des Gantois.</p> + +<p>Quelques jours avaient suffi pour ébranler le vaste édifice de la +domination bourguignonne. L'habileté de Louis XI, qui présidait à +toutes les intrigues et se préparait à profiter de toutes les émeutes, +trouva bientôt dans un petit-fils de Philippe le Hardi l'instrument +propre à détruire la puissance fondée par son aïeul. Ce fut le comte +de Nevers, que nous avons vu se signaler, en 1452, sous le nom de +<span class="pagenum"><a id="Page_64"> 64</a></span> +comte d'Etampes, dans la guerre contre les Gantois, mais qui depuis, +émule de Jean Coustain, s'était déshonoré en demandant, +comme lui, aux sortiléges des inspirations non moins criminelles et +non moins ténébreuses; il n'hésita pas à se déclarer de nouveau +l'implacable ennemi de Charles, en revendiquant le duché de Brabant +et en s'alliant aux Liégeois. Le duc de Bourgogne, ayant pacifié +la grande cité de Gand et celle de Bruxelles, qui n'était pas +«de même pois,» avait déja porté toutes ses forces vers les rives +de la Meuse; mais les bourgeois de Liége se croyaient assez redoutables +pour braver sa puissance. Huy leur avait ouvert ses portes, +et ils comptaient sur l'appui du roi de France. Une malheureuse +expérience devait, à plusieurs reprises, apprendre aux Liégeois que +si Louis XI était toujours prêt à favoriser leurs insurrections de +ses intrigues, il ne devait jamais les soutenir de ses armées. Il se +borna à charger le comte de Saint-Pol, devenu l'un de ses serviteurs +les plus zélés, d'aller inviter le duc de Bourgogne à ne pas +les attaquer. Ce fut, on pouvait le prévoir, une démarche inutile. +Charles ne voulut point écouter les ambassadeurs français: «Je +morrai en l'entreprise, leur répondit-il, ou je les aray au fouet de +leur extrême perdicion et ruyne, ne jamès joye n'aray en cuer jusques +je m'en verrai vengié. N'y a ne roy, ne empereur pour qui j'en +face aultre chose.» Il ne restait à Louis XI qu'à s'assurer le prix +d'une neutralité qu'il était bien résolu à ne pas observer; il y mit +tour à tour diverses conditions, tantôt la rupture de l'alliance que +le duc de Bourgogne avait conclue avec les Anglais dès les premiers +jours de son règne, alliance à laquelle la Castille venait +d'adhérer, tantôt la restitution des villes de la Somme, tantôt l'abandon +du duc de Bretagne. Le duc s'inquiétait peu de ces messages +de Louis XI, et ce qui l'irritait le plus, c'était qu'ils avaient +été confiées à maître Jean Van den Driessche, cet huissier du conseil +condamné en 1446 à l'exil par les échevins de Gand, et chargé +en 1451 de leur signifier les menaces du duc; de nouveau banni en +1460, mais déjà rentré à Gand en 1463, où il fit arrêter, malgré les +priviléges de la ville, un fils de Daniel Sersanders. Or Jean Van +den Driessche n'avait reconnu la générosité et les bienfaits de la +maison de Bourgogne qu'en se retirant près de Louis XI qui l'avait +créé trésorier de France. Charles l'accueillit avec mépris et se contenta +de lui répondre: «Des menaces du roy je me donne peu de +soing. Pour chose qu'il me face mander, ne par vous, ne par +<span class="pagenum"><a id="Page_65"> 65</a></span> +aultre, je ne laisserai mon emprise. Si le roy s'y veut trouver, si +s'y trouve, les champs sont aux hommes.» Il était déjà à cheval, +à la tête de son armée, lorsque les envoyés du roi tentèrent inutilement +un dernier effort. Charles se borna à leur recommander de +respecter le duc de Bretagne. «Les Liégeois sont réunis, leur dit-il; +je m'attends à avoir la bataille avant trois jours: si je la perds, +vous en ferez à votre guise; mais aussi, si je la gagne, vous laisserez +en paix les Bretons.»</p> + +<p>Jean Van den Driessche était allé rejoindre les Liégeois. Sa +présence ne les empêcha point d'être défaits complètement à la bataille +de Brusthem, et elle contribua peut-être à rendre plus sévère +la sentence dictée par le vainqueur. Les Liégeois perdirent leurs +priviléges, leurs murailles, leur juridiction, et le célèbre <em>Perron</em>, +qu'ils considéraient comme leur palladium, leur fut enlevé pour +être porté à Bruges, au milieu de la Bourse, où s'assemblaient les +marchands étrangers. Une inscription qui rappelait cet événement +y fut placée. Liége devait y trouver le souvenir de ses malheurs; la +Flandre, la prophétie de ceux que lui réservait l'avenir.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i1"> Gentis et invictæ gloria nuper eram.</p> +<p class="i1"><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . </b></p> +<p>Desine sublimes vultus attollere in auras.</p> +<p class="i1"> Disce meo casu perpetuum esse nihil.</p> +</div></div> + +<p>Bien que quelques Gantois et quelques Brugeois, sous les ordres +de Pierre Metteneye et de Jean Nieulant, eussent concouru avec les +sires de Ghistelles, de Saemslacht et d'Uutkerke, à la journée de +Brusthem, les communes flamandes s'étaient généralement montrées +peu disposées à s'associer à la guerre contre les bourgeois de +Liége. Elles avaient laissé le camp du duc manquer d'approvisionnements, +et lorsqu'elles avaient été invitées à faire prendre les +armes à tous les feudataires sans distinction, l'influence des Gantois +leur avait fait refuser leur assentiment à une mesure qu'ils +jugeaient injuste et odieuse. D'autres difficultés s'étaient élevées +relativement aux monnaies. Gand persista dans sa résistance, même +après que Charles de Bourgogne, à peine rentré dans son camp de +Saint-Trond, eut adressé aux quatre membres de Flandre une lettre +où il se plaignait en termes sévères de l'inexécution de ses ordonnances, +leur prescrivant de s'y conformer dorénavant «tellement, +<span class="pagenum"><a id="Page_66"> 66</a></span> +ajoutait-il, qu'il ne nous soit jà besoing de aultrement y pourvoir, +car il nous déplairoit, se, par faulte de bonne obéissance, nous +estions contraints faire le contraire de ce que nous avons tousjours +désiré: ce que en votre défault ferions.»</p> + +<p>Cependant la gravité de la situation politique, telle qu'elle résultait +des démêlés du duc de Bourgogne et du roi de France, semblait +rendre ces menaces moins sérieuses, en les subordonnant aux conditions +incertaines d'un avenir éloigné. Charles voulait se venger +de Louis XI; il s'était uni au duc de Bretagne et au duc d'Alençon +pour le combattre; en même temps, quoiqu'il eût coutume de répéter +qu'il était le plus proche héritier de la maison de Lancastre, et +malgré l'affection particulière qu'il lui avait toujours portée, il +cherchait à former une alliance étroite avec la dynastie d'York, à +laquelle la couronne d'Angleterre semblait définitivement assurée. +Elle devait être confirmée par son mariage avec une sœur +d'Edouard IV. Il eût été imprudent de rompre avec les communes +de Flandre, au moment d'aborder la guerre contre le roi de France. +Charles avait besoin de leurs hommes d'armes; il avait besoin de +leurs trésors. Un mandement fut bientôt publié en Flandre pour que +tous les hommes astreints au service militaire s'assemblassent à +Saint-Quentin le 16 décembre, et, peu de jours après, les états de +Flandre furent convoqués à Termonde. Le chancelier leur exposa +que le duc Charles avait droit à des aides: d'abord, pour son récent +avénement; ensuite, pour son prochain mariage avec Marguerite +d'York; en dernier lieu, à cause de la guerre qu'il avait soutenue +contre les Liégeois. Ce fut ainsi qu'il demanda successivement +à la Flandre un million de ridders, au Brabant trois cent mille +lions.</p> + +<p>Les états de Flandre s'étaient ajournés au 24 janvier; après +d'assez longues délibérations, ils accordèrent au duc le subside qu'il +demandait; les villes du Brabant s'y soumirent à leur exemple. Le +Hainaut accorda également une aide considérable. Le duc s'était +rendu lui-même à Mons; mais il avait déjà été contraint, par les +retards qui contrariaient ses négociations avec ses alliés, d'accepter +de nouvelles trêves, et il jugea utile d'en profiter pour faire reconnaître +son autorité dans ses divers Etats. Il se dirigea donc de Mons +vers Lille, et, le 9 avril, veille du dimanche des Rameaux, il fit +solennellement son entrée à Bruges, après avoir pardonné à tous les +bannis qui n'avaient point pris part à des séditions. Il semblait qu'il +<span class="pagenum"><a id="Page_67"> 67</a></span> +cherchât à se concilier l'affection des Brugeois, qui avaient été toujours +plus favorables à ses intérêts que les autres membres de +Flandre, et on l'entendit répondre à leurs acclamations, en criant: +<em>Noël!</em> comme eux. L'évêque de Tournay et les chanoines de Saint-Donat +le conduisirent à la cathédrale, où, selon un ancien usage, il +tira l'épée en signe de protection pour la religion; puis il se dirigea +vers la grande salle de l'hôtel des échevins, où il reçut, en échange +de ses serments, celui des hooftmans et des doyens assemblés sur la +place du Bourg. A cette occasion, la commune de Bruges offrit au +duc deux images habilement ciselées, qui représentaient saint +George et sainte Barbe. Le 19 avril 1468, le duc jura de respecter +les priviléges du Franc. Puis, après s'être éloigné quelques jours +pour aller prêter les mêmes serments à Damme, à l'Ecluse et en +Zélande, il tint, le 8 mai, à l'église de Notre-Dame, son premier +chapitre de la Toison d'or, où il reçut, parmi les nouveaux chevaliers, +Philippe de Savoie, qui avait été longtemps le prisonnier de +Louis XI. Les mêmes motifs politiques avaient fait citer à ce chapitre +le comte de Nevers, et les sires de Lannoy et de Croy. Le +comte de Nevers refusa de comparaître, et se contenta de renvoyer +son collier. Aussi, lorsque le moment d'appeler son nom pour l'offrande +arriva, Toison d'or se leva, alla arracher son écusson, et le +jeta à ses pieds, en le remplaçant par un tableau noir où il était dit +qu'il n'avait pas répondu à la citation qui lui avait été adressée et +qu'il avait manqué aux lois de l'honneur et aux devoirs de la foi +chrétienne. Les sires de Croy et de Lannoy, plus courageux, se rendirent +à Bruges. Mais le duc ne voulut point, malgré toutes leurs +justifications, leur permettre d'assister à la réunion de l'ordre, soit +en personne, soit par procureur. Ils obtinrent seulement que leur +écusson ne serait point enlevé, et qu'à l'appel de leur nom, Toison +d'or les représenterait à l'offrande.</p> + +<p>Dans ce même chapitre où fut condamné le comte de Nevers, où +furent repoussés les sires de Croy et de Lannoy, les chevaliers, +tenus, suivant l'usage, de s'avertir mutuellement de ce qui paraissait +manquer à leur perfection morale, remontrèrent au duc de +Bourgogne:</p> + +<p>«Que mondict seigneur, saulf sa bénigne correction et révérence, +parle parfois un peu aigrement à ses serviteurs, et se +trouble aucunes fois en parlant des princes;</p> + +<p>«Qu'il prend trop grande peine, dont fait à doubter qu'il en +puist pis valoir en ses anciens jours;</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_68"> 68</a></span> +«Que quand il fait ses armées, lui pleust tellement drechier +son faict, que ses subjectz ne fuissent plus ainsi travaillez, ne +foulez, comme ils ont esté par cy-devant;</p> + +<p>«Qu'il veuille estre bénigne et attrempé, et tenir ses pays en +bonne justice;</p> + +<p>«Que les choses qu'il accorde et dit, lui plaise entretenir et estre +véritable en ces paroles;</p> + +<p>«Que le plus tard qu'il pourra, il veuille mettre son peuple en +guerre, et qu'il ne le veuille faire sans bon et meur conseil.»</p> + +<p>Derniers souvenirs des temps de la féodalité, où le prince n'était +que le premier parmi ses égaux, <i lang="la" xml:lang="la">primus inter pares</i>.</p> + +<p>Quelle que fût la splendeur de la solennité de la Toison d'or, le +duc réservait toute sa magnificence pour les fêtes de son prochain +mariage avec Marguerite d'York. Il venait d'organiser sa maison +avec un luxe si merveilleux, qu'on ne saurait chercher ailleurs un +tableau plus fidèle de la puissance de la maison de Bourgogne, peu +d'années avant sa chute. Il avait, en même temps, réglé l'administration +des affaires publiques. Le lecteur nous permettra d'entrer +dans quelques détails à cet égard.</p> + +<p>L'administration se divisait en trois branches: la justice, la +guerre et les finances.</p> + +<p>Le conseil de la justice se composait du chancelier, d'un évêque +vice-chancelier, de quatre membres, tous chevaliers, de huit maîtres +des requêtes, de quinze secrétaires. Le duc, jaloux de rendre justice +à l'homme faible comme à l'homme puissant, tenait des audiences +publiques, deux fois par semaine, le lundi et le vendredi. Assis sur +un fauteuil tapissé de drap d'or, au milieu de ses écuyers, de ses +chambellans et de ses pages, il permettait au dernier de ses sujets +de venir lui apporter ses réclamations. Deux maîtres des requêtes, +un huissier, un secrétaire, se tenaient à genoux devant lui pour les +lire et inscrire la décision qui les terminait.</p> + +<p>A l'exemple de Louis XI, il avait créé un prévôt des maréchaux +à qui il transmettait ses ordres pour les procès criminels. Ce prévôt +des maréchaux, nommé Maillotin du Bac, exerçait avec rigueur +une juridiction que les communes de Flandre n'avaient jamais confiée +qu'à leurs propres magistrats, jugeant que ce n'était point trop +qu'il fussent choisis dans leur sein pour avoir le droit de décider de +ce que l'homme a de plus précieux, de son honneur et de sa vie.</p> + +<p>Pour «la justice à main forte,» c'est-à-dire pour la guerre, quatre +<span class="pagenum"><a id="Page_69"> 69</a></span> +chevaliers étaient chargés de soumettre leurs rapports au duc.</p> + +<p>L'administration des finances était surtout digne d'éloges par +l'ordre sévère qui y régnait. «Et avoit, dit Chastelain, commission +de ce sous le duc Philippe, ce renommé et grand homme en +richesse et en sens, Piètre Bladèlin, gouverneur sur toutes les +finances des pays du duc, maistre de l'espargne et le plus haut +en crédence que l'on vît oncques, combien que celle crédence n'estoit +pas au gré de tous, car moult de nobles et non nobles s'en +doloient: il recevoit et retailloit sur uns et sur autres, et sur les +receveurs des deniers il escrivoit de si près, qu'à peine ne lui +pooient riens estordre; il estoit maistre d'ostel du duc, un des +quatre trésoriers de l'ordre de la Toison d'or, riche des biens de +fortune oultre mesure, et n'estoit que ung bourgeois de Bruges... +Ung bien y avoit qui estoit grand, car il dressa le fait du duc +merveilleusement bien, et là où il avoit plaie et deschirement +par finances, trouva manière de les radouber et de les saner. Et +touchant tous vivres que marchands livroient à cour, tous les fit +acheter à argent comptant et les marchans contenter sans criée: +en quoy il fit honneur à la maison et à son maistre salut. Si le +cognut très-bien le duc et pour ceste cause avecques aultres lui +donna-t-il celle haute autorité; car certes sages hom estoit et +de grand poix, belle personne et de belles mœurs, et le plus diligent +et de grand labeur en ce qu'avoit à faire que l'on congneust.» +Bladelin avait été chargé par le duc Philippe de la direction de +toutes les dépenses relatives à son projet de croisade; il employa +ses richesses à bâtir une ville, Middelbourg, où il fit établir, par +des ouvriers venus de Dinant, une <em>batterie</em> qui obtint des priviléges +du roi d'Angleterre, Edouard IV.</p> + +<p>Pierre Bladelin vivait encore en 1468. A cette époque, la chambre +des finances comprenait deux protonotaires ecclésiastiques et +deux chevaliers. Le duc Charles examinait avec soin leur gestion, +et se réservait le soin de compter l'or, car bien qu'il aimât le luxe, +il était extrêmement avare.</p> + +<p>Le trésorier des guerres payait les hommes d'armes. Les dépenses +montaient communément par an à neuf cent soixante mille +livres.</p> + +<p>L'argentier était chargé des dons extraordinaires, et des frais des +habillements du duc. Son budget s'élevait à deux cent mille +livres.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_70"> 70</a></span> +Le maître de la chambre aux deniers disposait des appointements +des divers serviteurs du duc. Ils dépassaient quatre cent +mille livres. C'est là que se réunissaient toutes les dépenses qui +répandaient si loin la renommée des richesses de la maison de +Bourgogne.</p> + +<p>Les grands pensionnaires étaient six ducs et douze princes, +comtes ou marquis. Quarante-quatre autres personnages de même +rang recevaient des pensions à peu près semblables.</p> + +<p>Cent trente chevaliers accompagnent tour à tour le duc comme +chambellans. Le grand maître d'hôtel, le premier maître d'hôtel, +les clercs d'office, les sommeliers, les suivent. Si le duc est entouré +de six médecins et de quatre chirurgiens, il a aussi avec lui seize +écuyers, illustres damoiseaux qui escortent le prince à cheval, et +lui tiennent compagnie dans sa chambre. «Les uns chantent, les +autres lisent romans et nouvelletés, les autres devisent d'armes +et d'amours, et font au prince passer le temps en gracieuses nouvelles.»</p> + +<p>Le duc confie à son garde de joyaux ses pierreries qui valent un +million d'or, et sa vaisselle qui vaut cinquante mille marcs. Il a +quarante valets de chambre, cinquante panetiers, cinquante échansons, +cinquante écuyers tranchants, et un si grand nombre de serviteurs +chargés de fonctions diverses, qu'on ne peut même songer +à les énumérer.</p> + +<p>Les envoyés du pape, ceux des rois d'Angleterre et d'Aragon, +ceux des ducs de Normandie, de Calabre et de Bretagne, avaient +accompagné le duc Charles à Bruges. On y vit bientôt arriver l'ambassade +du roi de France, chargée de faire un dernier effort pour +maintenir la paix. Elle était dirigée par le comte de Saint-Pol, qui +avait été autrefois l'ami et le confident du duc Charles, et Louis XI +espérait qu'à ce titre, il obtiendrait tout ce qu'il demanderait; +mais la mission même dont il était investi et la confiance de +Louis XI, qui venait de lui faire épouser une sœur de la reine, ne +lui permettaient plus d'invoquer ces souvenirs d'un dévouement +éteint et d'une amitié effacée: son orgueil et son faste devaient réveiller +plus vivement le ressentiment qu'il allait braver.</p> + +<p>Ce fut peu de jours après les fêtes de la Toison d'or que le comte +de Saint-Pol fit son entrée à Bruges. Il traversa toute la ville en +se rendant à son hôtel: six trompettes le précédaient. Il était suivi +d'un nombre semblable de pages et de plusieurs nobles attachés à +<span class="pagenum"><a id="Page_71"> 71</a></span> +sa personne. On portait devant lui une épée nue, comme s'il eût été +le duc lui-même. La foule se pressait à ce spectacle, étonnée de +l'audace du connétable qui, bien que sujet du duc de Bourgogne, +osait se présenter ainsi dans la ville même où il résidait. Charles +en fut bientôt instruit, et on l'entendit jurer par saint George qu'il +saurait punir son insolence.</p> + +<p>Le comte de Saint-Pol chercha en vain à s'excuser en alléguant, +pour sa justification, que ce qu'il avait fait, ce n'était point comme +comte de Saint-Pol, mais comme officier souverain de la couronne, +et qu'il en avait le droit, même en présence du roi, et dans toute +l'étendue du royaume de France, dont Bruges faisait partie. Le duc +continuait à s'en montrer fort mécontent, et les Brugeois eux-mêmes +en étaient si irrités, que le connétable crut devoir prendre le prétexte +d'un pèlerinage à Notre-Dame d'Ardenbourg pour quitter +Bruges, cette fois sans escorte et sans trompettes.</p> + +<p>Les fêtes des noces du duc n'étaient plus éloignées, et les Brugeois, +témoins de leurs splendides apprêts, s'abandonnaient à la joie +et à l'allégresse, quand on vit arriver dans leur ville les députés de +Gand qui accouraient, vêtus de deuil, pour saisir une occasion si +favorable de fléchir le ressentiment du duc de Bourgogne. Mais ils +n'obtinrent la confirmation de leurs lois communales qu'après des +modifications qui mutilaient les derniers débris de leurs franchises +qu'avait respectés le traité de Gavre. Une nouvelle charte municipale +du 13 juillet 1468 leur enleva le droit d'élire leurs échevins, +qui devaient désormais, comme dans les autres villes de la Flandre, +être choisis par des commissaires du prince, et celui de réunir la +collace réduite à une assemblée de deux ou trois cents bourgeois +désignés par le bailli, qui pouvait seul les convoquer: elle supprima +leur antique organisation en trois membres distincts formés des +<i lang="la" xml:lang="la">viri hæreditati</i>, des tisserands et des petits métiers. Ce n'était +même qu'en les payant fort cher qu'ils avaient obtenu ces stériles +priviléges, qui ne leur offraient que l'ombre de ceux dont ils déploraient +la perte.</p> + +<p>La main sévère du duc de Bourgogne, si redoutée des bourgeois +de Gand, s'appesantissait au même moment sur la noblesse, qui +l'aimait peu.</p> + +<p>Dans la loge des portiers de l'hôtel du duc, se trouvait enfermé +un jeune homme de vingt-quatre ans qui, à la suite d'une querelle +de jeu, avait commis un meurtre sans apaiser les parents de la +<span class="pagenum"><a id="Page_72"> 72</a></span> +victime. Le duc l'avait fait arrêter; mais l'illustre damoiseau semblait +ne rien craindre, et passait gaiement les journées dans sa +prison. Son père, Arnould de la Hamaide, seigneur de Condé, appartenait +à l'une des plus puissantes maisons des Etats du duc. Il +vint, suivi de la plupart des nobles du Hainaut, intercéder en faveur +de son fils. Ils rappelèrent sa jeunesse et le courage qu'il avait montré +à la bataille de Montlhéry. «Si à point et à l'heure, répondit +le duc, vous eussiez contenté les parents de la victime, et empêché +ses plaintes de venir jusqu'à moi, vous eussiez peut-être obtenu +sans moi ce que je ne puis plus vous accorder sans eux. Je +ne puis faire taire le sang de leur frère qui crie vers moi. C'est à +eux d'en réclamer la vengeance, à moi de la leur accorder, en +observant une justice que je ne puis leur refuser. Cependant, contentez +leur famille, je verrai ensuite ce que j'ai à faire.» Ces +paroles ranimèrent l'espoir du sire de la Hamaide. Il se hâta d'apaiser +la famille de la victime, afin qu'elle vînt elle-même demander +la grâce du meurtrier; mais Charles ne répondit que par +quelques paroles obscures, et l'on assurait qu'en annonçant que le +coupable payerait son crime de sa vie, il s'était lié par un serment +à saint George, serment auquel il ne manquait jamais.</p> + +<p>Cependant, on attendait chaque jour l'arrivée de Marguerite +d'York à l'Ecluse. La duchesse Isabelle et mademoiselle Marie de +Bourgogne s'y étaient rendues pour la recevoir. Le duc, fatigué de +son long séjour à Bruges, résolut de les y rejoindre. Avant son départ, +il manda près de lui l'écoutète. «Ecoutète, lui dit-il, je vous +ordonne d'aller cette nuit chercher, chez mon portier, le bâtard +de Condé, et de le conduire à la prison de la ville. Demain, à +onze heures, pour autant que vous me craigniez, vous le ferez +exécuter selon l'usage qu'on observe pour les criminels condamnés +à mourir, car tel est mon plaisir.»—«Monseigneur, répliqua +humblement l'écoutète troublé, j'obéirai à votre volonté et à +vos ordres, et j'atteste Dieu que vous ne me trouverez point en +faute; mais il m'est pénible de voir qu'un gentilhomme si jeune, +si beau, et de si illustre origine, n'ait pu toucher votre miséricorde.»—«Vous +avez entendu ce que je vous ai dit, interrompit +sévèrement le duc, faites ce que je vous ordonne, et ne vous +inquiétez point du reste.»</p> + +<p>Cette même nuit, l'écoutète alla chercher le bâtard de la Hamaide, +et lui annonça la cruelle sentence du duc Charles; mais, en +<span class="pagenum"><a id="Page_73"> 73</a></span> +même temps, il en prévint ses amis pour qu'ils tentassent un dernier +effort pour le sauver. Le sire de Harchies monta aussitôt à +cheval, et se dirigea à bride abattue vers l'Ecluse. Tandis que le +sire de Condé, indigné de voir le duc méconnaître ses longs services, +faisait enlever de son hôtel l'écu de ses armes, et se retirait +dans ses terres, les préparatifs du supplice s'achevaient sur la +place du Bourg. Déjà l'heure fatale était arrivée: le sire de Harchies +ne revenait point; tout annonçait qu'il avait échoué dans sa +tentative. Néanmoins l'écoutète, au péril de sa vie, dépassait +l'heure marquée par le duc, espérant encore quelque acte de clémence. +Enfin, vers les deux heures de l'après-midi, le prisonnier +monta sur un chariot qui parcourut lentement les rues de la ville. +Jamais la figure du bâtard de la Hamaide n'avait paru plus gracieuse; +à voir l'élégant et riche habillement qu'il avait revêtu, on +eût cru qu'il se préparait à des fêtes nuptiales, et ses longs cheveux +blonds ne semblaient se reposer sur ses épaules que comme un +voile destiné à cacher les pleurs amers qu'il répandait. Tous les +bourgeois prenaient pitié de lui; les magistrats eux-mêmes mêlaient +leurs larmes aux siennes, et l'on entendait les femmes s'écrier, +en le voyant passer: «Sauvez-le et donnez-le-nous pour époux!» +Il arriva enfin à la place du Bourg, et là, en simple pourpoint de +soie, il adressa au peuple quelques paroles touchantes. Il déclara +avoir pleine foi et parfaite espérance en Dieu et en la sainte vierge +Marie, et il ajouta que cette mort ignominieuse que Dieu lui envoyait +à la fleur de la jeunesse lui faisait espérer qu'il le recevrait +en sa miséricorde; puis il se mit à genoux, et se laissa bander les +yeux... Quelques instants après, l'on enleva, au milieu des sanglots +de la multitude, ses restes sanglants pour les porter au gibet de +Saint-Bavon.</p> + +<p>Ce fut seulement alors que le sire de Harchies reparut à Bruges. +Ses prières avaient touché la vieille duchesse de Bourgogne. Elle +avait promis d'intercéder auprès de son fils; mais le duc était allé +se promener en mer. Pendant longtemps, on ne put le retrouver; et, +lorsqu'on parvint à le rejoindre, il ne consentit à pardonner au bâtard +de la Hamaide, que parce qu'il savait que sa clémence ne pouvait +être que stérile. Il ne s'était pas trompé.</p> + +<p>C'était la justice de la ville, et non celle du prévôt des maréchaux, +qui avait dirigé toute cette procédure. Le duc avait voulu donner +un terrible exemple de sa justice aux nobles qui l'entouraient, en +<span class="pagenum"><a id="Page_74"> 74</a></span> +même temps qu'aux marchands des divers pays du monde résidant +à Bruges. Ce qui était un frein pour les uns était une garantie pour +les autres. Peut-être y fut-il aussi porté par des motifs secrets qui +n'ont point laissé de traces dans l'histoire de ce siècle si fécond en +sombres et mystérieuses intrigues.</p> + +<p>A ce drame lugubre succèdent les réjouissances les plus éclatantes, +et des fleurs cachent le pavé humide de sang de cette place +du Bourg, théâtre des supplices et des fêtes, qu'entourent, d'un côté, +l'hôtel des échevins, où les comtes de Flandre viennent prendre possession +de l'autorité; de l'autre, la basilique de Saint-Donat, où le +martyre place une autre couronne sur leur front.</p> + +<p>Marguerite d'York, accompagnée d'une suite nombreuse, arriva +le 25 juin 1468 à l'Écluse et elle y reçut le lendemain, à l'hôtel de +Gui de Baenst, la visite du duc de Bourgogne. «Ils avoient devisé +longuement ensemble en plusieurs gracieux devis,» lorsque le +sire de Charny s'approcha du duc, en lui disant: «Monseigneur, +puisque Dieu vous a amené cette noble dame au port de salut et +à votre désir, il me semble que vous ne devez point vous retirer +sans montrer la bonne affection que vous avez pour elle, et que +vous devez en ce moment la fiancer.» Aussitôt après eut lieu la +cérémonie des fiançailles.</p> + +<p>Le 2 juillet, Marguerite d'York se rendit en bateau à Damme, où +elle épousa, le lendemain, le duc Charles, en présence des archevêques +d'York et de Trèves, des évêques de Salisbury, de Liége, de +Metz, d'Utrecht, de Tournay, de Cambray, de Sarepte et de Térouane. +De là, la jeune duchesse de Bourgogne se dirigea vers Bruges, +vêtue d'une longue robe blanche, que fermait, au haut de la +gorge, un large collier d'or, et portant une brillante couronne sur le +front. Onze cents chevaux suivaient sa litière ornée de marguerites +et de lacs d'amour, quand elle entra par la porte de Sainte-Croix +dans la vaste enceinte de la ville, ornée d'arcs de triomphe et d'échafauds +où l'on avait figuré des allégories empruntées à la Bible. Ici +c'était l'histoire d'Adam et d'Eve: plus loin, quelques versets du +Cantique des cantiques. Des colombes voltigeaient autour de Marguerite, +tandis que de jeunes filles semaient au-dessus de sa tête des +feuilles de rose. Le duc et la duchesse assistèrent à une joute sur la +place du Marché. Elle était close de tous les côtés. Près des halles, +on voyait un arbre doré et un géant que conduisait un nain. La reine +de l'île Inconnue annonçait qu'elle promettait ses bonnes grâces à +<span class="pagenum"><a id="Page_75"> 75</a></span> +celui qui pourrait la délivrer des mains du bâtard de Bourgogne, +qui avait réglé cette fête d'après une vision que lui avait envoyée, +disait-il, la déesse Vénus, en se réservant à lui-même le nom de +chevalier de l'Arbre d'or.</p> + +<p>Lorsque quelques lances eurent été rompues, un splendide banquet +fut servi à l'hôtel du duc. Rien ne surpassa les richesses qui +y furent étalées, et plusieurs entremets y rappelèrent la joie avec +laquelle le peuple accueillait l'hymen du duc et d'une princesse +anglaise. Ce fut d'abord une licorne qui portait un léopard. Ce +léopard tenait d'une main la bannière d'Angleterre, de l'autre, une +marguerite. Un maître d'hôtel la prit, et la remit à genoux au duc, +en lui disant: «Très-excellent, très-haut et très-victorieux prince, +le fier et redouté léopard d'Angleterre vous fait présent d'une +noble marguerite.»</p> + +<p>A la licorne succéda un énorme lion aux griffes redoutables, et +tout d'or (c'était l'emblème de la Flandre puissante et riche); il +portait la naine de mademoiselle de Bourgogne, vêtue en bergère. +Sa gueule s'ouvrit par un habile ressort, et il chanta une élégante +ballade:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Bien vienne la belle bergère</p> +<p>De qui la beauté et manière</p> +<p>Nous rend soulas et espérance!</p> +<p>Bien vienne l'espoir et la fiance</p> +<p>De cette seigneurie entière!</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +<p>C'est la source, c'est la minière</p> +<p>De nostre force grande et fière;</p> +<p>C'est nostre paix et asseurance;</p> +<p>Dieu louons de telle alliance;</p> +<p>Crions, chantons à lie chère:</p> +<p class="i4"> Bien vienne!</p> +</div></div> + +<p>Le lendemain, il y eut une autre joute où brillèrent les sires de +Château-Guyon, de Visen et de Fiennes, et un second banquet, +aussi splendide que le premier, où furent représentés les douze +travaux d'Hercule, source féconde de préceptes moraux.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Hercules se trouva assailli des lyons;</p> +<p>Trois en occit en l'heure ainsi que nous trouvons.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +<p>Plus trouvons ces faits grands, plus avant les lisons.</p> +<p>Les trois lyons terribles par Hercules vaincus,</p> +<p>C'est le monde, la chair et le diable de plus.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +<p>Or soyons bataillans des glaives de vertus.</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_76"> 76</a></span> +Le mardi 5 juillet, les sires de Luxembourg, d'Argueil et d'Halewyn +descendirent dans la lice. Antoine d'Halewyn obtint le prix, +qui était une verge d'or. Mais ce qui vint donner un plus grand +intérêt à ces joutes, ce fut la présence d'un chevalier bourguignon, +qui avait pris le nom du Chevalier esclave, et qu'une demoiselle +errante menait captif à sa suite. Il fit demander aux dames la permission +de prendre part au tournoi. Sa lettre était ainsi conçue:</p> + +<p>«Très-excellente et très-redoutée dame, et vous, princesses, +dames et damoiselles, plaisir vous soit de savoir qu'un chevalier +esclave, né du royaume d'Esclavonie, est arrivé en cette noble +ville sous la conduite d'une damoiselle errante au pouvoir de +laquelle il est placé par la volonté de sa dame. Il est vrai, très-illustres +princesses, que le chevalier esclave a toute sa vie servi +et honoré une dame d'Esclavonie qui, sans l'accepter pour serviteur, +lui accordait néanmoins quelque espérance. Cependant le mal +d'amour, si longtemps nourri dans son cœur, lui a fait éprouver +plus d'angoisses et de peines qu'il n'en pouvait souffrir; et, par +une espérance désespérée, il osa, mais en vain, requérir d'elle +miséricorde, grâce et guerdon d'amour. Plein de déplaisir et de +rage, il s'était retiré au milieu des bois, des roches et des montagnes +où, pendant neuf mois, il ne vécut que de regrets, de +soupirs et de larmes, lorsque la dame, reconnaissant son +ingratitude, lui envoya une damoiselle errante, chargée de +lui dire que les biens d'amour doivent être mérités par de +longs travaux et de longues souffrances; que plus ils coûtent, +plus on s'y attache, et que de tous les péchés d'amour, le plus +grand est le désespoir. Elle lui conseillait de voyager et de chercher +à oublier sa tristesse, et lui proposait de l'accompagner +pendant un an entier, afin de pouvoir raconter à sa dame ses +diverses aventures. Le chevalier l'a crue volontiers, et bien que, +né au pays d'Esclavonie, il ignore les usages de ces contrées, il +s'est souvenu comment plusieurs païens et le preux Saladin lui-même, +étant venus au royaume de France pour acquérir louanges +et vertus, y avaient été si honorablement accueillis que leurs +successeurs infidèles révèrent encore ce royaume plus que tous +les autres Etats chrétiens. Il a entendu surtout célébrer la puissance +et les vertus de l'illustre maison de Bourgogne. C'est guidé +par cette damoiselle errante qu'il s'est rendu ici, où, pour sa +première aventure, il a trouvé la noble emprise du chevalier +<span class="pagenum"><a id="Page_77"> 77</a></span> +à l'Arbre d'or, et il vient vous supplier de lui permettre d'y prendre +part.»</p> + +<p>Cette lettre était signée: «<em>le Chevalier esclave</em>.» La joute confirma +peu ce qu'elle annonçait, car le Chevalier esclave, après avoir +fait le tour de la lice, suivi de quatre nobles hommes vêtus selon +l'usage d'Esclavonie, se retira sans combattre. Jacques de Luxembourg, +Philippe de Poitiers, Claude de Vaudrey, le remplacèrent. +Philippe de Poitiers se fit conduire sur la place du Marché par une +jeune fille qui était vêtue de satin, et qui montait un cheval dont +les mouchetures figuraient l'hermine; elle était admirablement +belle, et on la nommait <em>la Dame blanche</em>.</p> + +<p>Le jeudi joutèrent le comte de Solms, le bâtard Baudouin de +Bourgogne et le sire de Renty. On continua à représenter au banquet +les travaux d'Hercule.</p> + +<p>Le vendredi, Adolphe de Clèves jouta contre le comte de Scales, +le comte de Roussy et le sire de Rochefaye.</p> + +<p>Le samedi et le dimanche, Philippe de Poitiers garda le pas contre +le comte de Woodeville, frère de la reine d'Angleterre, le marquis +de Ferrare, et les sires de Ligne, de Harchies, de Crèvecœur, +de Ternant, de Carency et de Contay.</p> + +<p>Le lundi suivant, le duc de Bourgogne termina les joutes, en rompant +quelques lances avec Adolphe de Clèves. Aussitôt après on enleva +la loge des juges, et le tournoi commença. Tous ceux qui +avaient pris part aux joutes, et le duc lui-même aussi bien que les +autres, parurent sur des chevaux harnachés de velours violet sur lequel +était brodé un arbre d'or. Le comte de Joigny se présenta +avec vingt-cinq chevaliers pour les combattre. On remarquait parmi +ceux-ci les sires de Commines, d'Aymeries, d'Humières, les deux +bâtards d'Auxy, un Anglais du nom de Talbot, et deux bourgeois de +Bruges, Pierre Metteneye et Pierre Stalins.</p> + +<p>Là s'arrêtèrent les fêtes. La peste venait de se déclarer avec une +grande violence à Bruges. Adrien de Borssele y avait succombé, et +l'on prétendait que les gardiens des lazarets, impatients de s'enrichir +par le fléau, infectaient, par la communication des dépouilles +des pestiférés, les sources, les puits et jusqu'à l'eau bénite des +églises.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne s'était rendu en Hollande où il ne comptait +faire qu'un court séjour. Les trêves qu'il avait accordées à Louis XI +étaient près d'expirer, et leur terme devait être le signal de l'effroyable +<span class="pagenum"><a id="Page_78"> 78</a></span> +conflagration où Charles voulait précipiter la monarchie +française pour se venger de ses intrigues et de son hostilité. Il +semblait que l'on fût revenu à la triste et fatale époque du traité de +Troyes. Une convention relative aux secours mutuels que le roi +d'Angleterre et le duc de Bourgogne se promettaient envers et contre +tous, <i lang="la" xml:lang="la">super mutuis auxiliis contra et adversus omnes et singulos</i>, +avait été conclue le 24 février 1467 (v. st.), et l'évêque de +Bath, chancelier d'Angleterre, en réclamant au mois de mai d'importants +subsides du parlement, avait annoncé que les ducs de +Bourgogne et de Bretagne offraient leur appui pour dompter la rébellion +de Louis, usurpateur des droits que la victoire avait attribués +à Henri V.</p> + +<p>Cependant le roi de France opposait sa prudence et ses ruses à +l'ardente impétuosité de ses ennemis, et tandis que l'archevêque de +Lyon allait par son ordre porter au duc Charles des félicitations peu +sincères sur son mariage avec Marguerite d'York, des forces considérables +envahissaient la Bretagne; Charles l'apprit en Hollande, +et ordonna aussitôt que ses hommes d'armes s'assemblassent au +Quesnoy.</p> + +<p>Il était trop tard: les ducs de Normandie et de la Bretagne, surpris +et vaincus, avaient été réduits à demander la paix. Charles ne +pouvait compter sur eux, mais il avait juré par saint George que, +dût le roi de France venir le combattre avec toute sa puissance, il +ne reculerait jamais, et il continuait sa marche vers Péronne avec +une armée de seize ou dix-huit mille Flamands et Picards réunis à +la hâte.</p> + +<p>Si le roi de France eût attaqué en ce moment les Bourguignons, +leur position eût été précaire. Le comte de Dammartin le pressait +de profiter d'une occasion si favorable. «Maugré en ait ma vie, disait +chacun au camp français, depuis le plus petit page jusqu'aux +capitaines des compagnies, que veulent donc ces ducs de Bourgogne +qui menacent toujours le roi leur souverain? Ils ne +cessent d'agiter le royaume et d'abaisser le pouvoir royal. Maudite +soit leur race, quoiqu'elle ait son origine à l'ombre des fleurs de +lis! N'ont-ils pas introduit les Anglais en France, chassé le roi +légitime de ses Etats, assiégé ses villes et ravagé ses pays? N'ont-ils +pas outragé le roi Charles et arraché par violence les fleurons +de sa couronne? Race maudite et exécrable! Pourquoi le duc +Charles veut-il attaquer le roi et dévaster ses Etats? N'est-ce +<span class="pagenum"><a id="Page_79"> 79</a></span> +pas assez que déjà une fois il ait planté ses bannières devant +Paris? Insurrection semblable à celle qui fit précipiter Lucifer +dans l'enfer et qui, nous l'espérons, y mènera Charles, ce maudit +allié des Anglais, cet orgueilleux et perfide rebelle. Veut-il +ceindre la couronne et porter le sceptre en main? N'a-t-il pas +assez de seigneuries et de domaines? Les cités de Gand et de +Bruges ne lui suffisent-elles point? Veut-il avoir aussi Paris? +Puisse la foudre l'écraser! Plût à Dieu que le roi nous permît de +nous venger de lui, de brûler et de piller tout ce qui lui appartient, +de mettre à mort tous ceux qui lui obéissent!»</p> + +<p>Le connétable combattit presque seul l'avis du comte de Dammartin. +La situation de ses domaines, placés sur les frontières des +Etats des deux princes rivaux, lui faisait comprendre que la victoire +de l'un ou de l'autre pouvait être dangereuse pour lui, et il était +d'autant plus favorable à la paix qu'il espérait en être l'arbitre.</p> + +<p>Cependant le roi hésitait: un jour, il expédiait des émissaires à +Liége pour y préparer une révolte; le lendemain, il envoyait au duc +soixante mille écus d'or pour l'apaiser. Mécontent du mauvais succès +de ses ambassades, peu porté d'ailleurs à une guerre où la +moindre défaite eût pu rallier contre lui tous les anciens confédérés +de la ligue du Bien public, il arriva à penser qu'il ferait bien +de voir lui-même le duc de Bourgogne, car il présumait assez de +son habileté pour croire qu'il obtiendrait aisément, sans l'intervention +de ses capitaines et de ses négociateurs, les concessions que +les circonstances semblaient devoir imposer à son ennemi: la plus +importante devait être la restitution des villes de la Somme.</p> + +<p>Une entrevue eut lieu à Péronne vers le milieu du mois d'octobre +1468. Tandis que le roi cherchait à y suppléer à la lenteur de +ses ambassadeurs, ceux qu'il avait envoyés à Liége, loin de mériter +ce reproche, agissaient avec plus d'activité que le roi ne l'eût désiré. +L'insurrection se levait à leur voix, et à peine Louis XI était-il +depuis quatre jours à Péronne qu'on vint annoncer au duc que les +Liégeois s'étaient portés à Tongres, et s'étaient emparés de leur +évêque et de leur gouverneur, le sire d'Humbercourt: le bruit courait +qu'ils les avaient massacrés. Les mêmes messagers racontaient que +les ambassadeurs français guidaient les Liégeois: ils les avaient +vus, ils les nommaient. La fureur du duc fut extrême: tantôt il +voulait faire enfermer le roi dans la tour où Charles le Simple avait +été retenu par Herbert de Vermandois; tantôt il songeait à convoquer +<span class="pagenum"><a id="Page_80"> 80</a></span> +les princes et à partager avec eux, en reconstituant la féodalité +du dixième siècle, les avantages de la captivité du roi. Enfin un de +ses chambellans parvint à le calmer. Ce chambellan était Philippe +de Commines, et ce fut grâce à sa médiation que Charles consentit +à signer le traité qui confirmait les conventions autrefois arrêtées à +Arras et à Conflans.</p> + +<p>Louis XI, qui eût pu triompher les armes à la main, avait espéré +que cette entrevue de Péronne lui tiendrait lieu de victoire: elle ne +devait être un trophée que pour le prince qui, bien que seul intéressé +à la désirer, n'était pas celui qui l'avait proposée.</p> + +<p>Au point de vue politique, le traité de Péronne est une œuvre +incomplète et mutilée. Les gages que Charles réclame pour lui-même +sont insuffisants; il obtient encore moins pour ses anciens +alliés, et ne fait même rien pour l'Angleterre, qui a déjà réuni sur +ses rivages une armée placée sous les ordres du comte de Scales; +mais nous y rencontrons quelques clauses nouvelles qui ne peuvent +être omises dans un travail consacré à l'histoire de la Flandre.</p> + +<p>Toutes les conventions commerciales conclues entre la Flandre +et l'Angleterre sont ratifiées. De plus, le roi de France rappelle que +«les ambassadeurs de monseigneur de Bourgogne ont fait doléances +des appellations que l'on reçoit sur les appointements et les +jugements faits par les quatre principales lois de Flandre, contre +les lois et priviléges dudit pays, en troublant sur ce mon dit sieur +de Bourgogne, mêmement au fait de la marchandise sur laquelle +icelui pays de Flandre est principalement fondé,» et il déclare +que l'appel au parlement ne sera plus reçu.</p> + +<p>Le roi renonce également à l'appel des jugements rendus par les +autres magistratures, non-seulement en Flandre, mais aussi dans +les châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, «attendu que les +dites châtellenies, de leur première et ancienne condition, on esté +de la comté de Flandres et depuis que le roi les a tenues, en faisant +et traitant le mariage de feu le grand duc Philippe, bisayeul +de mon dit sieur de Bourgogne, elles furent réunies et rejointes +au dit comté de Flandres pour tenir par le dit comte en un seul +fief avec le dit comté.»</p> + +<p>Les conseillers du roi de France essayaient parfois de présenter +quelques remontrances; on leur répondait: «Il le faut, monseigneur +le veut.»</p> + +<p>Ce n'était point assez. Le duc de Bourgogne exigea que le roi de +<span class="pagenum"><a id="Page_81"> 81</a></span> +France l'accompagnât dans son expédition contre les Liégeois révoltés +à son instigation. On vit Louis XI prendre lui-même la croix +de Saint-André, et tandis que les Liégeois criaient: «Vive le roi +de France!» le roi de France leur répondait: «Vive Bourgogne!» +Ce ne fut qu'après avoir subi toutes ces humiliations, +et avoir été le témoin de la condamnation d'une ville si utile et si +dévouée à ses intérêts, que Louis XI recouvra la liberté, en prenant +l'engagement de rejoindre le duc l'année suivante en Bourgogne, +engagement qu'il jurait secrètement de ne pas tenir.</p> + +<p>Ces succès si éclatants et si inespérés échauffèrent l'orgueil de +Charles. Lorsque dans son triomphe il eût arboré ses bannières sur +les ruines de la cité épiscopale des bords de la Meuse, il se souvint +qu'il existait aux bords de l'Escaut une autre cité qui avait joui du +spectacle de sa faiblesse et de son humiliation, et bien qu'il l'eût +récemment amnistiée par l'octroi de nouveaux priviléges, il forma +le projet de détruire Gand comme il avait détruit Liége, afin que +le même crime reçût le même châtiment: il prit même plaisir à +entretenir de ses rêves de vengeance les députés de Gand qui allèrent +le féliciter à Bruxelles sur la défaite des Liégeois. A ce bruit, +les échevins, les doyens et mille des plus notables bourgeois de Gand +se réunirent dans la salle de la Collace. Il se communiquèrent, vivement +émus, les tristes nouvelles qu'ils venaient de recevoir, et +élurent immédiatement des députés chargés de conjurer, par la +soumission la plus complète aux volontés du duc, les malheurs +dont ils se voyaient menacés. Ils comprenaient bien que les clefs de +leur ville étaient à Liége, et ce fut à des conditions presque semblables +qu'ils traitèrent, humbles et suppliants comme il convient +à des vaincus, et prêts à abdiquer leur puissance et leur liberté +pour racheter leurs vies, leurs foyers et leurs biens.</p> + +<p>Si quelque bourgeois excite une sédition, ou s'il s'en rend complice +en ne se présentant point sous l'étendard du prince pour la +combattre, il sera banni après avoir été attaché au pilori et après +avoir eu la langue percée d'un fer rouge.</p> + +<p>Si quelque métier prend part à une sédition, il perdra ses franchises +et le droit d'exister comme métier.</p> + +<p>Les Gantois renonceront au célèbre privilége de Philippe le Bel +du mois de novembre 1301, et désormais le duc de Bourgogne +pourra faire procéder comme il le jugera convenable au renouvellement +de leur magistrature.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_82"> 82</a></span> +Ils remettront toutes leurs bannières; les portes condamnées par +le traité de Gavre seront de nouveau fermées, et les assemblées où +l'on discutera les intérêts de la ville ne comprendront plus que les +échevins, les grands doyens et les anciens magistrats.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne exigea de plus que les échevins, les doyens +et les jurés, se rendissent à pied à Bruxelles pour réitérer cet acte +de soumission en sa présence en lui restituant leurs bannières et le +privilége de 1301.</p> + +<p>Le 8 janvier 1468 (v. st.), les échevins et les cinquante-deux +doyens des métiers de la ville de Gand se réunirent à l'hôtel de ville +de Bruxelles, d'où ils se dirigèrent, vêtus de deuil et marchant +deux à deux, vers le palais de Caudemberghe. Afin que leur humiliation +fût complète, on les fit attendre pendant une heure et +demie dans la cour au milieu de la neige: l'opposition de la puissance +du prince et de l'abaissement de la commune, naguère encore +fière et redoutée, n'en fut que plus éclatante lorsqu'ils furent introduits +dans une vaste salle où Charles occupait un riche fauteuil, +entouré des officiers de sa cour, du duc de Somerset, de Philippe +de Savoie, d'Adolphe de Clèves, et des ambassadeurs de France, +d'Angleterre, de Hongrie, de Bohême, de Naples, d'Aragon, de +Chypre, de Norwége, de Pologne, de Danemark, de Russie, de +Prusse, d'Autriche et de Milan. Ils s'avancèrent en s'inclinant jusqu'à +terre à trois reprises différentes; et maître Baudouin Goethals, +pensionnaire de la keure, prononça ce discours:</p> + +<p>«Très-haut et très-excellent prince, mon très-redouté et naturel +seigneur, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs et sujets, +et tous les habitants de votre très-humble et obéissante serve et +ancelle la ville de Gand, se recommandent très-humblement à +votre très-noble grâce, et vous font exposer, par leurs députés +agenouillés devant vous, la profonde douleur qu'ils ressentent de +vous avoir offensé et d'avoir justement provoqué votre indignation. +Ils resteront livrés aux secrets remords de leurs consciences, à +moins que votre miséricorde n'étende sur eux le réseau de sa clémence. +Très-cher seigneur, vous qui n'êtes pas seulement un +homme, mais qui occupez vis-à-vis de nous la place de Dieu, et +qui avez ce double caractère en vertu de votre haute position, +vous n'ignorez point que Dieu se laisse apaiser par les larmes et +pardonne à la contrition et aux prières de la faiblesse humaine. +De quelle bonté n'usa-t-il point vis-à-vis d'Adam, lorsqu'il promit +<span class="pagenum"><a id="Page_83"> 83</a></span> +à Seth l'huile de miséricorde qu'il devait envoyer dans cinq mille +ans! Ne laissa-t-il pas vivre Caïn dix générations avant de le +frapper? Au temps d'Abraham, sa miséricorde n'aurait-elle pas +sauvé Sodome et Gomorrhe, s'il y avait trouvé dix justes? tant +est immense sa miséricorde! Dieu, à la voix de Moïse, n'épargna-t-il +pas son peuple infidèle à sa loi? La pénitence de Ninive +n'apaisa-t-elle point sa colère?... Les miséricordes de Dieu sont +infinies; elles se répandent sur ses œuvres et sur ses créatures, +sur le ciel et sur la terre. Puisque les princes chrétiens doivent, +autant qu'ils le peuvent, imiter les vertus de Dieu, et surtout +celle de clémence, qui les illustre le plus, il faut qu'ils se règlent +sur l'exemple de Dieu pour pardonner à ceux que poursuit leur +colère. O mon très-redouté seigneur! si les Gantois vous ont +offensé, ils ne vous ont toutefois point attaqué; ils n'ont point +attenté à votre noble personne; ils n'ont point cessé de vous reconnaître +pour leur maître et naturel seigneur; et c'est devant +vous qu'ils viennent encore se prosterner humblement aujourd'hui, +espérant qu'une faute expiée par tant de larmes méritera +votre pardon. Gand n'est point comme Sodome et Gomorrhe, que +Dieu eût épargnées s'il y eût aperçu dix justes. Il s'y trouve des +milliers de saintes créatures qui jouissent de communications +divines dans la pieuse solitude des cloîtres. Il n'est point, dans +tout l'Occident, de ville où reposent les reliques glorieuses d'un +plus grand nombre de saints. Gand vous représente Ninive. La +voix de votre menace lui a annoncé sa destruction. Son peuple +s'est effrayé de votre colère; il a senti son impuissance à vous +résister; il s'abandonne à son repentir. Les Ninivites ne jeûnèrent +que trois jours. Les bourgeois de Gand se sont couverts de cendre +pendant quarante jours. Ils se hâtent de placer leurs espérances +dans leur père naturel, le prince le plus noble et le plus vertueux +de la terre. Ils vous supplient très-humblement, les mains jointes +et à genoux, de daigner apaiser votre colère et de les recevoir +dans votre merci et dans votre miséricorde; ils s'écrient vers +vous: <i lang="la" xml:lang="la">Domine, non secundum peccata nostra quæ fecimus nos, +neque secundum iniquitates nostras retribuas: cito anticipent +nos misericordiæ tuæ et propter gloriam nominis tui libera nos</i>.»</p> + +<p>Le chancelier, Pierre de Goux, répondit à ce discours par quelques +paroles sévères. «Il ne suffisait point d'une seule prière, +disait-il, pour effacer tant de crimes; le repentir des Gantois +<span class="pagenum"><a id="Page_84"> 84</a></span> +n'avait pas encore été assez éprouvé. Le duc voyait toutefois avec +plaisir leurs humbles démarches; il leur laissait l'espérance +d'obtenir sa miséricorde, s'ils continuaient à la mériter.» On +vit alors les députés s'agenouiller de nouveau, et remettre au duc +leurs bannières, ainsi que les chartes originales qu'il leur avait +rendues en les affranchissant des stipulations du traité de Gavre, +et ils livrèrent en même temps les priviléges de Philippe le Bel +et du comte Robert sur le renouvellement de leur échevinage. Le +chancelier lacéra publiquement ces titres vénérables de la liberté +gantoise, et Charles ordonna que les bannières fussent portées à +Notre-Dame de Boulogne, auprès de celles que son père y avait fait +déposer. «Le bien que je voulais faire aux Gantois, ajouta le duc +lui-même, est devenu aujourd'hui, par leur faute, la cause de +leurs malheurs et de leurs désastres. Je les chérissais; je voulais +reconnaître les services qu'ils m'avaient rendus; j'en avais pris +la résolution; mais ils ont voulu m'arracher par leurs violences +et leurs menaces ce que je voulais librement leur accorder. Ils +ne se sont pas contentés de m'imposer la forme de leurs nouveaux +priviléges, ils ont mis en péril ma vie et celle des personnes de +ma maison; et par l'exemple contagieux de leur rébellion, ils +m'ont exposé à perdre tous mes Etats. Si j'en ai l'âme irritée, ni +Dieu ni les hommes ne peuvent m'en blâmer, car jamais plus +grand crime, dans une occasion aussi solennelle, ne fut commis +contre un prince. Le repentir, s'il doit l'effacer et le réparer, ne +saurait être ni trop profond ni trop amer.» Les chroniques flamandes +rapportent que le duc de Bourgogne termina son discours +par ces mots: «Sachez bien que, si je vous aime, je ne vous +crains pas.»</p> + +<p>La ville de Gand était sauvée: mais elle ne s'était rachetée +qu'aux conditions les plus dures. Hoste Bruneel et ses principaux +amis périrent dans les supplices, et le duc exigea, outre le payement +d'une amende de trente-six mille florins, qu'un acte solennel lui +fût remis, comme le monument de l'humiliation des Gantois et des +sacrifices qu'ils avaient subis. Tous les échevins et tous les doyens +de Gand y avaient apposé leurs sceaux; c'étaient, entre autres, +Roland de Wedergrate, que l'on croit avoir été le beau-frère du +chancelier Pierre de Goux, Philippe Sersanders, Olivier Degrave, +Jean de Melle, Henri Baudins, chefs du parti bourguignon, qui ne +prévoyaient point la terrible responsabilité que leur docilité aux +<span class="pagenum"><a id="Page_85"> 85</a></span> +volontés du duc devait faire peser sur eux vis-à-vis du peuple +frappé dans ses franchises les plus chères. Le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de Gand portait +la date du 2 janvier 1468 (v. st.). Plus d'un demi-siècle s'était +écoulé depuis qu'un autre <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> avait été imposé aux Brugeois par +Jean sans Peur.</p> + +<p>Le duc Charles s'abandonnait à l'enivrement de sa gloire. Lorsqu'après +avoir tour à tour humilié la puissance royale dans la personne +de Louis XI, et dompté la puissance communale dans les +deux grandes cités qui illustraient les bords de l'Escaut et de la +Meuse, il se dirigea de Bruxelles vers Saint-Omer, il trouva dans +cette ville l'archiduc Sigismond d'Autriche qui venait lui proposer +de le mettre en possession du landgraviat d'Alsace, du comté de +Ferrette et du Brisgau. Il devançait de quelques semaines l'arrivée +des ambassadeurs du roi de Bohême, qui offrait au duc de Bourgogne +de le faire élire empereur. Charles, qui ne cherchait qu'à +étendre sa puissance, accueillit avec empressement l'archiduc +d'Autriche. Thomas Portinari, riche marchand de Bruges, issu de +cette célèbre famille florentine à laquelle appartenait la muse de +la <cite>Vita nuova</cite>, la Béatrice du Dante, fut invité par le duc, qui +l'avait élevé au rang de son conseiller, à avancer sur le comté de +Ferrette 72,000 florins. Sigismond d'Autriche ne s'était rendu en +Flandre qu'après avoir pris l'avis de Louis XI, intéressé plus que +personne à diriger vers l'Allemagne une ambition trop menaçante +pour ses propres Etats, et cet or que son rival se montrait si impatient +de prodiguer ne devait servir qu'à préparer sa honte, sa +ruine et sa mort.</p> + +<p>Cette négociation était à peine terminée lorsque le duc de Bourgogne +se rendit à Gand, non plus suivi d'un petit nombre de chevaliers +et entouré de bannis rappelés de l'exil, mais accompagné des +épais bataillons de ses hommes d'armes qui s'avançaient lentement +à la clarté de neuf mille torches. C'était au milieu de cet appareil +belliqueux qu'il venait prendre possession de la première cité de +ses Etats, conquise sans combat et un instant menacée par son propre +seigneur des rigueurs qu'autorise seul le droit de la victoire.</p> + +<p>Charles, donnant un libre cours aux rêves de son ambition, était +allé en Hollande préparer la soumission des peuples encore à demi +barbares de la Frise: il ne revint en Flandre que pour recevoir les +ambassades d'Autriche, de Venise et de Milan, chargées de lui +offrir de respectueuses protestations de dévouement, et celle du roi +<span class="pagenum"><a id="Page_86"> 86</a></span> +d'Angleterre, qui venait lui remettre l'ordre de la Jarretière. Le +duc de Bourgogne cherchait de nouveau à fonder sur l'alliance anglaise +une vaste ligue contre Louis XI. Déjà, réunissant ses hommes +d'armes aux frontières de France, il s'était emparé de Saint-Valery +et d'autres domaines du comte d'Eu qui relevaient du comté de +Ponthieu, sous le prétexte que des marins flamands avaient été arrêtés +par un navire sorti du port d'Eu, et il avait déclaré qu'il ne les +restituerait que lorsque le comte d'Eu lui aurait fait acte de foi et +d'hommage envers et contre tous. Le comte d'Eu se plaignit au roi, +et un huissier du parlement se rendit à Gand pour y citer le duc +Charles, comme d'autres huissiers du parlement avaient cité le duc +Philippe. C'était un acte de témérité qu'il faillit payer de sa vie, et +ce fut à grand'peine qu'il parvint à rentrer en France: aucune réponse +n'avait été faite à son message.</p> + +<p>Louis XI n'élevait la voix que parce qu'il se sentait redoutable +et fort. Il avait profité des premiers moments de son retour de l'expédition +de Liége pour faire accepter la Guyenne en apanage à son +frère au lieu de la Champagne, pays trop voisin des Etats du duc. +Il avait vaincu le comte d'Armagnac et s'était formé un parti en +Bretagne. Il ne lui restait plus qu'à séparer l'Angleterre du duc de +Bourgogne, quand il trouva un instrument docile dans le comte de +Warwick, qui avait remis le sceptre à Edouard IV et qui espérait +le lui enlever aussi aisément. Le comte de Warwick n'était plus +satisfait des immenses richesses qu'il avait obtenues: c'était peu +que le duc de Clarence, frère du roi, fût devenu son gendre; il ne +cessait de regretter de n'avoir pas fait épouser sa fille à Edouard IV +lui-même, et voyait avec une vive jalousie la faveur dont jouissaient +à la cour les amis et les parents d'Elisabeth Woodeville, cette veuve +de John Grey qu'Edouard IV avait relevée au château de Grafton, +humblement prosternée à ses pieds, pour la placer à côté de lui sur +le trône d'Angleterre. Le mariage du duc de Bourgogne, qu'il haïssait, +avec Marguerite d'York, avait accru son mécontentement, et +il prêta bientôt l'oreille aux propositions du roi de France. Des +émeutes, des insurrections partielles, des mouvements isolés annoncèrent, +pendant quelque temps, l'existence d'une vaste conspiration; +un moment, vers le mois de juillet 1469, le comte de Warwick +se vit le maître d'Edouard IV, arrêté à la suite d'une fête par +l'archevêque d'York; mais le duc de Bourgogne se hâta d'écrire au +maire et à la commune de Londres pour les presser de s'opposer aux +complots du comte de Warwick.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_87"> 87</a></span> +Les bourgeois de Londres aimaient beaucoup le duc de Bourgogne; +ils avaient salué de leurs acclamations son union avec une +princesse anglaise comme un nouveau gage de l'activité de leurs +relations commerciales avec la Flandre, et sa lettre exerça une si +grande influence sur leurs esprits qu'ils forcèrent le comte de Warwick +à leur rendre Edouard IV. Une nouvelle tentative dirigée contre la +dynastie d'York ne fut pas plus heureuse, et cette fois le comte de +Warwick et le duc de Clarence, qui avait été entraîné dans le même +complot, se virent réduits à fuir avec trente vaisseaux vers le port +de Calais qui leur fut fermé; mais ils trouvèrent un refuge dans la +rade de Honfleur, où ils se croyaient d'autant plus assurés de la +protection du roi de France qu'ils amenaient avec eux quelques navires +flamands enlevés dans les eaux de Calais.</p> + +<p>La colère de Charles fut violente: il était en ce moment peu préparé +à résister à des attaques maritimes qu'il n'avait pas prévues, +et il en accusait surtout le roi de France, qui secourait le comte de +Warwick d'argent, de munitions et de vivres. Le 5 mai 1470, il +adressa de l'Ecluse, où il s'était rendu pour presser les armements +de ses vaisseaux, ses plaintes et ses menaces au roi Louis XI. «Mon +très-redoubté et souverain seigneur, il est vray que après que les +duc de Clarence et comte de Warwick ont esté pour leurs séditions +et maléfices expulsez hors du royaume d'Angleterre, ils se +sont mis à tenir la mer, et se sont déclairez mes ennemis en détroussant +plusieurs de mes subjets de mes pays de Hollande, Zeelande, +Brabant, Flandres et autres, avec leurs biens, marchandises +et navires en grant nombre, et en usant de grandes et oultrageuses +menaces de encore pis faire à l'encontre de mes dits +pays et subjets, sans toutefois m'en advertir par défiance, laquelle +chose ne m'a semblé tollérable... Mon très-redoubté et +souverain seigneur, je suis adverti que néanmoins en vostre dit +royaume les dits duc de Clarence et comte de Warwick et leurs +dits complices sont receuz, recueilliz et favorisez, et aussi les dits +biens et marchandises de mes dits subjets butinez, venduz et +dissipez, la quelle chose je ne pourroys croire procéder de votre +sceu, commandement, ne ordonnance, attendu la notoriété des +dites hostilités et les traitiez de paix faits entre vous et moi, lesquels +j'espère que vous voulez entretenir et observer. Je vous advertis +de rechief, mon souverain seigneur, des choses devant dites, +vous suppliant qu'il vous plaise ne soutenir ne assister les dits +<span class="pagenum"><a id="Page_88"> 88</a></span> +duc de Clarence et comte de Warwick et leurs dits complices, et +pour plus en ce déclairer votre bon vouloir et plaisir, le faire publier +et signifier par tous les lieux d'icelui royaume, et spécialement +de votre dit duché de Normandie.» La réponse de Louis XI +fut faible et vague; il ordonna au parlement d'accorder les provisions +nécessaires pour qu'il fût fait droit aux griefs du duc de Bourgogne, +et se contenta de faire publier, par les gouverneurs de Normandie, +qui eussent pu les réparer, une déclaration dont les termes +étaient fort pacifiques: il avait toutefois adressé des instructions +secrètes à l'archevêque de Narbonne et à l'amiral de France pour +qu'ils pressassent le comte de Warwick de se retirer à l'île de Jersey, +à Granville ou à Cherbourg, d'où il pourrait poursuivre plus librement +ses complots contre le roi Edouard d'York.</p> + +<p>Cependant le comte de Warwick, trop violent et trop impétueux +pour écouter les conseils dictés par une prudence qu'il ne pouvait +partager, continue ses excursions et ses pirateries dans la Manche. +C'est en vain que l'escadre de lord Scales et celles des marchands +osterlings, commandée par Hans Voetkin, cherchent à s'y opposer; +il envoie sa caravelle <em>la Brunette</em> bloquer le port de l'Ecluse, surprend +lui-même la flotte flamande qui revenait chargée de vin des +côtes de la Saintonge, et obtient un succès non moins important +sur des vaisseaux sortis des ports de Hollande et de Zélande. «Allez, +dit-il à un pilote de Ter-Vere qu'il a fait prisonnier, allez annoncer +au duc de Bourgogne que le comte de Warwick s'étonne de ce +qu'il n'ose point venir le combattre.» Pour ajouter à cette insulte, +il rentre au port de Honfleur suivi de trois grands navires qui portent +à leurs mâts la bannière de Bourgogne.</p> + +<p>A mesure que ces nouvelles parvenaient au duc Charles, ses +plaintes devenaient plus vives; il écrivit de nouveau au roi de +France, aux conseillers du parlement et aux gouverneurs de la Normandie. +Ces lettres retraçaient longuement tous ses griefs et ce que +présentait d'odieux l'appui accordé en pleine paix, par un prince +qui lui était allié, à ses ennemis déclarés. Charles avait ajouté au +bas de celle qui était adressée à l'archevêque de Narbonne et à +l'amiral de France quelques lignes où il laissait éclater toute son +indignation. «Archevesque et vous amiral, les navires que vous +dictes avoir été mis de par le roi encontre les Anglais, ont ja +exploité sur la flotte de mes sujets retournant en mes pays; mais +par saint Georges, si l'on n'y pourvoit à l'aide de Dieu, j'y pourvoiray +<span class="pagenum"><a id="Page_89"> 89</a></span> +sans vos congiez, ni vos raisons attendre, car elles sont trop +volontaires et longues.»</p> + +<p>Une grande lutte devenait imminente, et bien qu'elle dût être +pour le commerce une cause de pertes inappréciables, ce fut le +moment que la chambre des finances se hâta de saisir pour se +montrer plus exigeante et plus avide. Les députés des quatre membres +de Flandre avaient été convoqués à Lille le 21 mai, et le chancelier +de Bourgogne leur avait exposé que le duc avait besoin d'une +aide de 120,000 couronnes pendant trois années consécutives pour +suffire aux frais des armements, que l'apparence d'une guerre prochaine +avait rendus nécessaires. Néanmoins, il ne leur avait point +fait connaître quelle serait la part de la Flandre dans cette subvention, +et quels fruits elle pourrait retirer de ses sacrifices. Une vive +résistance se manifesta; les sommes accordées au duc de Bourgogne +depuis son avénement étaient si considérables que toute aide +nouvelle était devenue impopulaire. Des députés des états de +Flandre furent chargés d'aller présenter des remontrances au duc, +qui se trouvait à cette époque à Middelbourg; mais leurs observations +furent mal accueillies, et Charles répondit à Jean Sersanders, +qui avait parlé au nom des états de Flandre, avec toute la violence +que le duc Philippe avait autrefois montrée en accusant un bourgeois +de Gand qui portait le même nom. «J'ai bien entendu, lui +dit-il après un moment de réflexion, ce que vous m'avez déclaré +et remontré sur trois points; quant au premier, qui se rapporte à +la différence qui existerait d'après vous entre mes lettres et le +discours de mon chancelier, je ne la vois point. Mon chancelier +et moi, nous comprenons également que mes pays de par deçà +sont la Hollande, la Zélande, la Flandre, le Brabant, le Luxembourg, +le Limbourg, le Hainaut, la Picardie, la châtellenie de +Lille, le comté de Boulogne et le comté de Guines. Ce sont ces +pays qui sont accoutumés à me secourir d'aides et de subventions, +et non pas mon pays de Bourgogne, qui n'a point d'argent; il sent +la France; mais il s'y trouve beaucoup de braves hommes d'armes, +les meilleurs que j'aie en tous mes pays, ils m'ont bien servi, et +je puis m'en aider, car ils forment le tiers de mon armée. Quant à +ce que vous me demandez que l'on détermine dès à présent votre +cote et portion, sachez que je le ferai plus tard par l'avis de mes +conseillers quand vous m'aurez accordé ma requête: je ne dois pas +le faire plus tôt, car si vous la repoussiez, cette cote serait inutile, +<span class="pagenum"><a id="Page_90"> 90</a></span> +et il me semble que vous faites cette demande par subtilité et +malice, et que ni vous, ni ceux qui vous ont envoyés, n'avez la +volonté ni l'intention de me complaire et d'accorder ma requête; +en ceci vous agissez comme vous agissez toujours entre vous +Flamands, car jamais vous n'avez accordé quelque chose libéralement +ni à moi ni à mon père. Si vous le fîtes quelquefois, si vous +accordâtes même plus qu'on ne vous demandait, c'était à si grand +regret, et de telle sorte, que vous n'en méritez ni gré ni grâce. +Vous agirez de nouveau ainsi; avec vos têtes flamandes si grosses +et si dures, vous persévérez toujours dans vos duretés et mauvaises +opinions, et cependant vous pouvez bien penser que les +autres sont aussi sages que vous, et ont aussi leurs têtes. Pour +moi, je suis à moitié Français et à moitié Portugais. Je veux +bien que vous le sachiez. Je saurai corriger vos têtes, et je le +ferai. C'est bien peu de chose que 120,000 écus, répartis annuellement +pendant trois ans, sur tous mes pays, pour entretenir mille +lances qui ne forment que cinq mille combattants; ce n'est pas le +tiers de ce que me coûtera mon armée: je devrai payer le reste +de mon domaine, ou il faudra qu'elle jeûne huit mois. Je ne le +fais point pour moi seulement, mais aussi pour la sûreté, la protection +et la défense de mes pays, et pour les tenir en paix et +tranquillité. Il vaut mieux pourvoir à temps aux entreprises soudaines +et imprévues que mes ennemis pourraient tenter contre +moi et mes pays que de nous laisser fouler, chasser et poursuivre: +pour porter remède et pourvoir à de semblables dangers et nécessités, +je suis d'avis de réunir à temps lesdites mille lances qui, je +vous l'ai déjà dit, maître Jean Sersanders, ne forment que le tiers +de mon armée, et il est bien nécessaire que je le fasse, vu qu'il y a +grande apparence que nous aurons guerre avec un de nos voisins, +que je puis bien nommer: c'est le roi de France, qui est si muable +et si inconstant que personne ne sait quels sont ses desseins et comment +l'on doit se garder de lui, car il a toujours ses gens d'armes +prêts: c'est pourquoi je désire aussi avoir mes mille lances prêtes. +Je vous le dis bien, j'ai peu de motifs d'être satisfait, et je veux +que vous sachiez que pour rien je ne renoncerai à mes projets. Et +de tous mes pays lequel s'y oppose, si ce n'est vous, têtes flamandes? +Est-ce la Hollande ou la Zélande, provinces acquises par mon +père, qui jamais ne furent soumises à de pareils mandements, et +ne sont pas aussi riches que mon pays de Flandre? Est-ce le Brabant, +<span class="pagenum"><a id="Page_91"> 91</a></span> +le Hainaut, la Picardie et mes autres pays qui aussi bien +que vous possèdent des priviléges? Et ce qui est plus, de grands +seigneurs, tels que mon cousin de Saint-Pol et mon cousin de +Marle, mettent leurs sujets à ma disposition; et vous, vous me +voulez ôter les miens, lorsque j'en ai besoin, en alléguant des priviléges +que vous ne possédez pas, et en agissant ainsi, vous pourriez +les forfaire. Vous dites et soutenez que j'ai juré de les +respecter; c'est vrai, mais vous avez aussi juré de me servir et de +m'être de bons et obéissants sujets: et toutefois, je sais bien qu'il +y en a quelques-uns qui me haïssent. Car, vous Flamands avec +vos têtes dures, vous avez toujours méprisé ou haï vos princes: +quand ils étaient faibles, vous les méprisiez; et quand ils étaient +puissants et que vous ne pouviez rien contre eux, vous les haïssiez. +Pour moi, je préfère être haï qu'être méprisé; car ni pour +vos priviléges, ni d'aucune manière, je ne me laisserai fouler, ni +ne permettrai qu'on empiète en rien sur ma hauteur et seigneurie. +Je suis assez puissant pour vous résister, quoique quelques-uns +d'entre vous souhaitent que je puisse me trouver dans +une bataille avec cinq ou six mille combattants, et que j'y sois +vaincu, tué, voire écartelé. C'est pourquoi avant de souffrir que +vous m'ôtiez mes sujets, et que vous empiétiez sur ma hauteur et +seigneurie, je veux y pourvoir et y porter tel remède que vous +comprendrez que vous ne le pouvez ni devez faire: il en sera +alors comme du pot et du verre: dès que le verre heurte le pot, +il se brise.</p> + +<p>«Mettez-vous donc à bien faire, continua-t-il en s'apaisant et +d'un ton moins irrité; conduisez-vous sagement, de manière à ne +point perdre ma grâce, car vous ne savez point ce que vous perdriez. +Soyez bons sujets, je vous serai bon prince; et, à moins que +d'autres événements ne l'exigent, je ne vous imposerai point +d'autres charges, si vous m'accordez ma requête. Envoyez-moi +vos députés, dès que je serai arrivé à Lille ou à Saint-Omer. Là, je +vous ferai bailler cote et portion, et nous y parlerons des autres +matières touchant mon pays de Flandre.»</p> + +<p>Peu de jours s'étaient écoulés, lorsqu'on arrêta à Middelbourg un +espion français. Il déclara qu'il était chargé de remettre au sire de +la Gruuthuse une lettre où l'amiral de France l'invitait à se rendre +le 15 juin près de lui, à Abbeville, pour exécuter ce qui avait été +décidé entre eux. L'honneur du sire de la Gruuthuse était au-dessus +<span class="pagenum"><a id="Page_92"> 92</a></span> +de tout soupçon, et l'on obtint bientôt du prisonnier des +aveux plus sincères; il avait reçu l'ordre de parcourir les divers +ports où le duc réunissait ses vaisseaux, et devait, aussitôt que le +duc et ses plus illustres conseillers se seraient rendus à bord de +ceux qui se trouvaient à l'Ecluse, chercher à en couper les câbles, +pour que la flotte du comte de Warwick s'en emparât aussitôt. +Louis de la Gruuthuse avait répondu par un défi public à une accusation +qui blessait son honneur. Le duc de Bourgogne, qui connaissait +sa loyauté, se contenta d'écrire au comte de Saint-Pol: «Mon +cousin, puisque l'on ne me tient foy, serment scellez, ne vérité, +il m'est bien force en mon bon droit de le tenir à l'aide de Dieu.» +En même temps, il pressa les préparatifs de ses armements, et ordonna +à ses officiers de saisir dans toutes les villes, et notamment +à la foire de la Pentecôte à Anvers, tous les biens et toutes les marchandises +appartenant aux sujets du roi de France, comme garantie +contre les déprédations du comte de Warwick.</p> + +<p>Le 8 juin, la flotte bourguignonne quitta le port de l'Ecluse; elle +se composait de vingt-quatre gros vaisseaux et était commandée +par le seigneur de Ter-Vere, Henri de Borssele. Le 2 juillet, elle +rencontra les vaisseaux du comte de Warwick, et les ayant mis en +fuite après un combat acharné, elle les poursuivit jusqu'au port de +Honfleur, où le comte de Warwick réclama de nouveau un asile. +L'honneur des armes du duc de Bourgogne était vengé, et les marchands +étrangers allaient retrouver sur les côtes de la Flandre +quelques jours de paix et de sécurité.</p> + +<p>Cependant l'importance de cette guerre maritime, les menaçantes +tentatives de la flotte du comte de Warwick, l'attentat même dont +on accusait l'amiral de France, se réunissaient pour appeler l'attention +du duc sur le péril auquel pouvaient se trouver exposés dans +le Zwyn les navires à chaque instant échoués sur le sable. Déjà, +sous le règne du duc Philippe, des plaintes nombreuses s'étaient +élevées au sujet des atterrissements qui se formaient dans le port +de l'Ecluse, et empêchaient les caraques, les galères et les autres +grands navires d'y aborder sans danger. «Par quoy la marchandise +qui ou temps passé avoit grandement esté exercée et eu cours au +pays et comté de Flandres, estoit depuis aucun temps en ça fort +diminuée et amendrie, et de jour en jour taillée de encores plus +diminuer et amendrir, voire qui plus est, en brief temps du tout +cesser, se pourveu n'y estoit, à la totale destruction et perdition +<span class="pagenum"><a id="Page_93"> 93</a></span> +d'iceluy pays de Flandre, qui estoit fondé principalement sur le +commun cours de la marchandise.» Charles le Hardi avait cru +devoir, aussitôt après son avénement, signaler cet état de choses +aux délibérations des trois états de Flandre. Des commissaires +furent nommés: c'étaient, pour le clergé, les abbés des Dunes et +de Ter-Doest; pour la noblesse, Jean et Josse d'Halewyn et messire +Vander Gracht; pour les Quatre-Membres, Josse de Mol, Sohier +de Baenst, Paul de Dixmude et Corneille de Bonem. Leur premier +soin fut de s'enquérir des moyens les plus utiles pour rendre +au havre du Zwyn son ancienne profondeur. Quatre moyens furent +proposés: le premier était d'y introduire les eaux de la mer par un +canal qui eût traversé Coxide; le second ajoutait au premier le prolongement +du Zwyn jusqu'au havre d'Oostbourg; le troisième eût, +par une tranchée faite près de Gaternesse, réuni les eaux de l'Escaut +occidental, connu sous le nom de Hont, à celles du Zwyn; le +quatrième se bornait à rétablir l'ancienne communication du port +de l'Ecluse avec la mer par le polder de Zwartegat. C'était le plus +simple et le plus facile; et, bien que son efficacité parût douteuse +à quelques-uns, il prévalut sur les autres. Les difficultés les plus +sérieuses commencèrent quand il fallut en régler l'exécution. Les +Gantois refusaient de prendre part aux dépenses, alléguant «qu'ils +estoient fondés sur mestiers,» et que tout l'avantage de ces travaux +serait pour les Brugeois, qui possédaient l'étape des marchandises +étrangères. Les Yprois manifestaient la même résistance, et +les habitants du Franc justifiaient une semblable opposition, en exposant +«que leurs terrains estoient fondés sur labourage et sur +nourrissement de bétail.»</p> + +<p>Les députés de Bruges répliquaient toutefois qu'il était si vrai +que la prospérité de leur ville n'était pas uniquement engagée dans +cette question, que la ruine de toute la Flandre y était attachée. Ils +ajoutaient qu'il était impossible de séparer le développement de +l'industrie nationale, de celui du commerce extérieur qui lui fournissait +ses matières premières et exportait ensuite ses produits; +qu'en diverses circonstances le même principe de solidarité avait +été observé quand il touchait aux intérêts généraux du pays. La +décision du duc de Bourgogne, publiée à Saint-Omer le 27 juillet +1470, donna gain de cause aux Brugeois; mais il ne paraît point +que la destruction des digues du polder de Zwartegat ait produit +quelques résultats; car, au mois de mai 1487, les échevins de +<span class="pagenum"><a id="Page_94"> 94</a></span> +Bruges les firent rétablir, attendu que le havre du Zwyn se fermait +de plus en plus. Le port de l'Ecluse, témoin de la puissance commerciale +des communes flamandes, devait disparaître dans les +sables aussi bien que le port d'Aigues-Mortes, asile des gloires de +la féodalité et de la chevalerie, quand, le moyen-âge s'achevant, +leurs brillantes destinées se retirèrent avec le flot inconstant de +leurs grèves à jamais abandonnées.</p> + +<p>A ces questions d'un si haut intérêt pour la Flandre succédèrent +les discussions sans cesse renaissantes d'une politique toujours +fallacieuse et stérile. Louis XI, moins convaincu qu'il fallait soutenir +le comte de Warwick depuis qu'il avait appris sa défaite, avait +chargé une ambassade composée de maître Jacques Fournier, conseiller +au parlement, et de Gui Pot, bailli de Vermandois, d'aller +apaiser le duc de Bourgogne. Mais elle n'avait point réussi à obtenir +une réponse à Bruges et s'était vue réduite à suivre le duc +Charles à Saint-Omer, où il réunissait ses hommes d'armes: déjà +il avait autour de lui quatre ou cinq mille lances et un grand +nombre d'archers, et il voulait aller lui-même en Normandie demander +raison au comte de Warwick des griefs que Louis XI mettait +trop de lenteur à réparer. Il reçut les envoyés du roi de France +dans une salle où l'on avait placé, sous un dais de drap d'or, au +haut d'une estrade à laquelle on arrivait par cinq degrés couverts +de velours, un trône magnifique tel que ni roi ni empereur n'en +avait jamais eu d'aussi élevé. Les ambassadeurs français le saluèrent +humblement et se mirent à genoux devant lui, mais Charles, +sans porter la main à son chaperon, se contenta de leur indiquer +par un signe de tête, qu'ils pouvaient se lever, et leur fit donner +lecture, par son conseiller Guillaume Hugonet, d'un long mémoire +qui reproduisait toutes ses plaintes. Il ajouta lui-même quelques +paroles. «Nous autres Portugais, dit-il, faisant allusion à la patrie +de sa mère et s'échauffant de plus en plus à mesure qu'il parlait; +nous autres Portugais, nous avons coutume, lorsque ceux que +nous considérions comme nos amis se font les amis de nos ennemis, +de les envoyer aux cent mille diables d'enfer.»</p> + +<p>Un coup de vent dans le ciel dérangea toutes les prévisions du +duc de Bourgogne; ses vaisseaux s'étaient dispersés pour se dérober +à l'agitation des flots, et le comte de Warwick avait profité des +désastres mêmes de la tempête pour aborder avec les débris de son +expédition au havre de Darmouth: onze jours après, il avait renversé +<span class="pagenum"><a id="Page_95"> 95</a></span> +la dynastie d'York, et le duc de Bretagne renonçait à l'alliance +du duc de Bourgogne pour accepter celle du roi de France.</p> + +<p>Louis de la Gruuthuse avait reçu, à Alkmaar, Edouard IV qui +avait réussi à s'embarquer dans le comté de Norfolk; il le conduisit +en Flandre. Le monarque fugitif s'arrêta d'abord à Notre-Dame +d'Ardenbourg, non pas comme Edouard III pour remercier le ciel +d'une victoire, mais pour lui rendre des actions de grâce de ce +qu'il lui avait conservé la liberté et la vie. Louis de la Gruuthuse +lui donna successivement l'hospitalité dans son hôtel de Bruges et +dans son château d'Oostcamp. Le fondateur de la dynastie d'York +avait été contraint, par une fuite rapide, de laisser tous ses trésors +entre les mains de ses ennemis. On a conservé une quittance de +150 livres sterling donnée par Edouard IV hors de son royaume +dans sa grande pauvreté à Bruges, «<i lang="en" xml:lang="en">Oute of oure reame in oure grete +necessitee at Bruges</i>.» La plupart de ses compagnons d'exil +l'avaient abandonné et s'étaient rendus à Calais pour saluer la fortune +triomphante de ses ennemis: on avait même menacé les magistrats +de Bruges de quelques tentatives hostiles qui auraient pu +être dirigées contre la Flandre pour enlever Edouard IV, mais ils +ne répondirent qu'en faisant fortifier leurs murailles. La généreuse +hospitalité des communes flamandes était une gloire que n'avait +pu leur ravir la perte de leurs libertés: il appartenait à une cité, +témoin de tant de révolutions subites et imprévues, d'accueillir les +débris que lui confiaient celles des rives étrangères.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne n'avait rien osé faire en faveur d'Edouard IV; +il craignait de voir se conclure contre lui une confédération menaçante +entre le roi de France et le comte de Warwick, dont l'autorité +se cachait à peine derrière le nom de l'infortuné roi Henri VI qu'il +avait tiré de la tour de Londres après l'y avoir lui-même enfermé +dix années auparavant: le premier soin de Charles avait été de +reconnaître la restauration de la Rose rouge, et il attendait patiemment +à Hesdin que le roi de France osât se résoudre à envahir ses +Etats. La guerre qu'il prévoyait n'éclata point: il était plus conforme +au génie de Louis XI d'attaquer ses ennemis par les intrigues +et les complots, ces armes secrètes dont le succès coûte peu, +et qu'il est toujours aisé de désavouer quand elles ne réussissent +point.</p> + +<p>Parmi les nombreux enfants illégitimes du duc Philippe, le bâtard +Baudouin s'était depuis longtemps fait remarquer par sa jalousie +<span class="pagenum"><a id="Page_96"> 96</a></span> +et son ambition: la perte d'un procès qu'il soutenait contre la famille +de Baudouin de Vos, au sujet des seigneuries de Somerghem +et de Lovendeghem, vint accroître son mécontentement. Il regrettait +le règne précédent, et se plaignait de la sévérité du duc Charles. +Le sire de Crussol avait profité d'un message qu'il avait eu à remplir +à la cour du duc de Bourgogne pour le gagner aux intérêts de +Louis XI, lorsqu'il arriva par hasard qu'un écuyer du Bourbonnais, +nommé Jean d'Arson, qui était le principal confident du bâtard +Baudouin, fut envoyé par le duc de Bourgogne vers le duc de Bourbon. +Jean d'Arson saisit cette occasion pour voir le roi de France, +auquel il dépeignit vivement le zèle et le dévouement de son ami. +Louis XI l'écouta volontiers, et protesta de son désir d'employer +ses services et de l'accueillir près de lui. «Si s'en descouvry, dit +Chastelain, assez avant audit d'Arson, et lui donna assez à cognoistre +comment il désiroit bien d'en pouvoir estre quitte par ung +bout ou par ung autre, ne lui challoit comment, mès désiroit +bien à trouver personne et moyen comment on le peust expédier +et de ce qu'il en peust faire la recompense aux facteurs, +à la grandesse de la cause et là où il peut cheoir ung grand +inestimable butin et le plus grand du monde, parce que le duc +Charles n'avoit nuls enfans fors une seule fille, parquoy quand +il seroit failli par mort, ses pays iroient tous estrangement et se +dessevreroient par pièces et par morceaux en diverses mains, desquels +il voloit satisfaire et retribuer en condigne porcion ceux +qui en ce l'auroient servi.»</p> + +<p>Jean d'Arson se hâta d'aller rapporter les paroles de Louis XI au +bâtard de Baudouin; celui-ci ne recula point devant la pensée d'un +fratricide, mais il fallait trouver le moyen de fuir aisément après +avoir accompli le crime. Le séjour du duc à Hesdin, où il s'était +retiré pour éviter la peste qui régnait à Saint-Omer, paraissait favorable +à l'accomplissement de ces affreux projets; le parc d'Hesdin +était vaste, le duc Charles y chassait souvent seul avec le bâtard +Baudouin dont il ne se méfiait point. Il était facile de l'y tuer par +trahison, il ne l'était pas moins de se dérober aux recherches de ses +officiers, et de gagner les frontières voisines du royaume. Cependant +le bâtard Baudouin voulut, avant de s'engager plus avant, connaître +d'une manière précise la récompense que le roi lui destinait et en +recevoir des garanties; il chercha quelqu'un qu'il pût à cet effet +envoyer vers Louis XI, et son choix se fixa sur Jean de Chassa, +<span class="pagenum"><a id="Page_97"> 97</a></span> +gentilhomme bourguignon et l'un des chambellans du duc. Il savait +qu'il était fort disposé à prendre part à de semblables complots, +car il se trouvait chargé de dettes énormes qui lui fournirent un +prétexte pour fuir en France. Jean de Chassa s'adressa immédiatement +au sire de Crussol, qui le présenta à Louis XI dans une +partie de chasse près d'Amboise.</p> + +<p>Si le bâtard Baudouin se voyait ainsi entraîné à préparer par un +crime la ruine de toute la maison de Bourgogne, l'aîné des fils illégitimes +de Philippe, le bâtard Antoine, qu'on appelait, depuis la +mort du bâtard Corneille tué dans la guerre de Gand, le grand +bâtard de Bourgogne, conservait au duc Charles une fidélité moins +douteuse. Vers les premiers jours du mois de novembre 1470, un +paysan lui remit à Hesdin une lettre mystérieuse dont le sens caché +semblait se rapporter à quelque attentat contre la vie du duc; ce +ne fut qu'après l'avoir ouverte qu'il reconnut qu'elle était destinée +à son frère le bâtard Baudouin. Il alla aussitôt tout révéler au duc +de Bourgogne; on parvint à retrouver le paysan qu'il avait vu, et il +indiqua un tailleur, nommé Colinet, qui avait apporté la lettre de +France et n'avait osé la remettre lui-même, parce qu'il soupçonnait +la gravité du message. Colinet avoua tout; on assure même que +l'on découvrit dans la poulaine de ses souliers la désignation des récompenses +que le roi faisait espérer au meurtrier. Au premier bruit +de ce qui se passait, le bâtard Baudouin et le sire d'Arson s'étaient +réfugiés en France. Il n'était plus temps de dissimuler. Louis XI +lève le voile; il convoque le 3 décembre les grands du royaume de +France (le prévôt des maréchaux, Tristan l'Ermite, et maître Jean +Van den Driessche en font partie; les autres ne sont guère plus illustres), +et leur fait déclarer que le traité de Péronne est nul comme +obtenu par violence. Déjà il a conclu une alliance avec les Suisses; +il a même écrit aux magistrats de Gand pour réclamer leur appui; +mais apprenant qu'ils ont refusé d'ouvrir ses lettres, il fait défendre +à ses sujets de se rendre aux foires de Flandre, et forme le projet +de les ruiner en instituant d'autres foires semblables en Normandie. +Peu de jours après, Roye et Montidier ouvrent leurs portes, et Saint-Quentin +se livre au connétable; les Bourguignons surpris ne réussissent +pas mieux à défendre Amiens.</p> + +<p>Le connétable Louis de Saint-Pol, qui s'était prononcé en faveur +de la guerre dans le conseil du roi, afin d'affranchir ses domaines +du dangereux voisinage des garnisons bourguignonnes, ne cherchait, +<span class="pagenum"><a id="Page_98"> 98</a></span> +après y être parvenu, qu'à rétablir la paix pour devenir de +nouveau l'arbitre des deux plus grandes puissances de l'Occident. +Louis XI était d'ailleurs peu disposé à prolonger un système d'hostilités +dont il avait déjà atteint le but sans périls et sans combats, +et ce fut sans doute de concert avec lui que le comte de Saint-Pol +s'efforça de faire conclure, sous ses auspices, comme le gage d'une +réconciliation, le mariage du Dauphin avec Marie, unique héritière +du duc. Dans cette pensée, il essaya de persuader à Charles que la +paix était devenue pour lui une impérieuse nécessité: tantôt il lui +peignait, en termes pompeux, les ressources dont disposait le roi +de France; tantôt il soulevait des doutes sur la fidélité des seigneurs +qui l'environnaient. Le duc de Bretagne envoya même, à son instigation, +un messager au duc de Bourgogne, pour le prévenir que le +roi avait des intelligences dans plusieurs villes importantes de ses +Etats, notamment à Bruges et à Bruxelles, et était résolu à l'assiéger +partout où il le trouverait, fût-ce même à Gand. Charles reçut +fort mal ces avis; il répondit à l'envoyé breton que ceux de qui ils +venaient ne les avaient transmis à son maître que pour l'effrayer et +l'empêcher d'exécuter ses engagements, et qu'il ignorait sans +doute que Gand et les autres villes de Flandre étaient des cités trop +vastes pour que l'on pût songer à en former le siége. «Les choses +n'iront d'ailleurs pas ainsi, ajouta-t-il; mon armée est prête, je +vais passer la Somme et combattre le roi; allez prier le duc de +Bretagne de se déclarer en ma faveur et de faire pour moi ce que +je fis autrefois pour lui à Péronne.»</p> + +<p>Le duc de Bretagne hésitait à prendre un parti; le duc de Guyenne +était plus disposé à intervenir, mais il était trop éloigné. Dans +cette grave situation, le duc Charles chercha surtout à s'appuyer +sur les communes flamandes, et, le 19 décembre 1470, il leur +adressa un manifeste où il réclama vivement leur concours pour +assurer le maintien de ses droits en même temps que la défense de +leurs frontières. Abordant successivement les diverses remontrances +que les états lui avaient adressées, il s'efforçait de justifier +tout ce qui avait eu lieu par l'importance des démêlés politiques +qui s'étaient rapidement succédés, et déclarait qu'il n'avait +pas retenu à son profit un seul denier provenant de la levée des +aides, qui, bien que plus fortes que du temps de son père, n'avaient +pas été une charge trop accablante pour ses pays <em>de par deçà</em>, +«veu la grande richesse et opulence des dits pays.» Il protestait +<span class="pagenum"><a id="Page_99"> 99</a></span> +d'ailleurs de son désir de diminuer les impôts, de modérer le service +militaire des fiefs et des arrière-fiefs, et de réprimer les vexations +des baillis et des prévôts; mais il insistait surtout vivement +sur le droit du prince de réunir tout son peuple autour de lui à +l'heure du péril, et sur le devoir qui existait pour ses sujets de répondre +à son appel. «Quel est le prince, disait-il, qui n'ait le pouvoir +de contraindre ses sujets à l'accompagner à la guerre, surtout +s'il s'agit de la défense du pays? Nous ne pensons pas que +nos sujets, pour lesquels nous avons souffert tant de travaux et +tant de labeurs, veuillent nous ôter l'autorité que Dieu nous a +donnée pour leur propre salut, et qu'alors même que nous allons +exposer notre personne pour le salut du pays, ils puissent s'opposer +à ce que nous les menions avec nous pour le protéger +et à ce que nous les forcions à nous suivre pour de si justes +motifs... Il n'est pas nécessaire de nous menacer du mécontentement +du peuple; car bien que Dieu nous ait donné assez de puissance +pour guérir sa folie, de telle manière que cela pourrait à +vous, peuple, servir d'exemple, et bien que nous sachions que +nous n'avons point mérité une semblable conduite de la part de +nos sujets, nous sommes prêts, si Dieu, pour punir nos péchés, +leur inspire tant d'ingratitude, à nous soumettre sans résistance +à sa volonté: nos sujets n'ont donc pas besoin de s'émouvoir +contre nous, et de se déshonorer ainsi par la rébellion, la désobéissance +et la trahison; car toutes les fois qu'ils voudront nous +faire prier d'un commun accord de renoncer au gouvernement +de nos seigneuries, en déclarant que nous ne leur sommes plus +agréable, nous y renoncerons volontiers et avec plus de joie qu'ils +n'en éprouveront eux-mêmes; car les honneurs nous donnent +plus de charge et d'ennui qu'ils n'en ont de nous. Que nos bons +et loyaux sujets sachent toutefois que nous ne voulons rien faire +pour molester ni pour grever nos pays: nous voulons seulement +les garder, les défendre et les protéger contre la puissance et la +mauvaise volonté de nos ennemis qui sont aussi les leurs, sans +épargner pour le salut de nos pays notre propre personne, ni les +biens que nous avons en ce monde.»</p> + +<p>Quelque longue que fût cette lettre dont nous n'avons reproduit +que les passages les plus importants, Charles crut devoir y ajouter +ces mots adressés aux échevins des bonnes villes: «Très-chers et +bien amés, puisque vous tenez de nous l'autorité que vous avez +<span class="pagenum"><a id="Page_100"> 100</a></span> +dans les villes, jugez si à plus forte raison nous ne devons pas +l'exercer sur tous nos sujets. Avec qui défendrons-nous nos pays, +et vous qui désirez être préservés des invasions ennemies, sinon +avec nos sujets? Avez-vous obtenu d'entourer les villes de portes +et de murailles pour nous empêcher d'être obéi de nos sujets? A +qui voulez-vous donc obéir, si vous ne voulez pas que nos propres +sujets nous obéissent? Quel honneur serait-ce pour notre pays de +Flandre, si par la faute de ses habitants nous étions honteusement +vaincus? Y trouveraient-ils grand profit? Nul autre à coup +sûr que de voir leurs maisons brûlées, leurs habitations détruites, +leurs biens pillés, leurs femmes, leurs filles et leurs sœurs +outragées, et leur commerce anéanti. Faites donc que ces malheurs +ne frappent pas nos bons sujets; dites-leur de se préparer à +nous suivre en cette guerre, et faites vous-mêmes comme eux +s'il en est besoin.»</p> + +<p>Charles ne s'était pas vainement adressé à la fidélité des communes +flamandes; loin de contester une autorité qu'il offrait d'abdiquer +au milieu de leurs assemblées, comme Philippe-Auguste +voulut déposer, dit-on, sa couronne au milieu de ses barons, à Bouvines, +elles se hâtèrent de le soutenir contre l'invasion étrangère; et, +dès les premiers jours de février, leurs milices, au nombre de cent +vingt mille hommes, se dirigèrent vers Arras, pour rejoindre le duc +de Bourgogne; Charles les conduisit aussitôt devant Amiens; mais +il trouva dans cette ville une résistance qui déjoua tous ses projets. +Vingt-cinq mille hommes défendaient la vaste enceinte de la cité +d'Amiens, placés sous les ordres de ses ennemis les plus acharnés, +parmi lesquels figuraient au premier rang le bâtard Baudouin et Jean +d'Arson. Plusieurs assauts échouèrent; la neige, la grêle et les +pluies, qui se succédaient sans interruption, s'opposaient à tous les +travaux des assiégeants, et le duc de Bourgogne, ayant inutilement +attendu pendant six semaines l'armée du roi de France pour la combattre, +jugea que les règles de la chevalerie lui permettaient de +conclure une suspension d'armes de trois mois, qui fut signée dans +les premiers jours d'avril 1470 (v. st.).</p> + +<p>Au début de cette guerre, au moment même où les milices flamandes +se mettaient en marche, la duchesse de Bourgogne avait +obtenu par ses prières quelques secours en faveur de son frère, le roi +Edouard d'York. Charles les avait refusés pendant longtemps; aux +liens qui l'attachaient à la dynastie de Henri VI se joignait le souvenir +<span class="pagenum"><a id="Page_101"> 101</a></span> +de ceux qui l'avaient uni autrefois à Marguerite d'Anjou, proscrite +et fugitive: il avait même adressé aux habitants de Calais une +lettre où il prenait saint Georges à témoin de son affection pour la +maison de Lancastre. Ce ne fut que lorsqu'il eut appris l'arrivée de +quatre mille Anglais dans cette même ville de Calais, et la conclusion +d'une alliance dirigée contre lui entre Louis XI et le prince de +Galles, qu'il se décida à prêter secrètement 50,000 florins à +Edouard IV en lui permettant, comme Baudouin le Pieux à Guillaume +le Conquérant, de recruter des hommes d'armes dans les +villes de Flandre. Edouard IV se rendit à pied de Bruges à Damme, +entouré d'une multitude de peuple qui le saluait de ses acclamations; +de là il continua sa route vers le port de Ter-Vere, où quelques +marchands lui frétèrent dix-huit navires. Peu de jours après, +il abordait aux bouches de l'Humber, dans la baie de Ravenspur, +aux mêmes lieux où avait débarqué Henri IV prêt à renverser Richard +II. Des succès non moins éclatants l'attendaient en Angleterre; +le 11 avril, il entra à Londres; trois jours après, Warwick +vaincu périssait à la bataille de Barnet, que suivit de près la victoire +de Tewksbury.</p> + +<p>Au milieu des flots de sang qui coulaient de toutes parts, et tandis +que le vieux roi Henri VI rentrait à la Tour de Londres, +Edouard IV se hâtait d'envoyer des messagers pour remercier les +magistrats de Bruges de leur généreuse hospitalité: ils étaient chargés +de leur remettre une lettre conçue en ces termes: «Edouard, +par la grâce de Dieu, roy d'Angleterre et de France, seigneur +d'Irlande, à nos très-chiers et espéciaux amis les nobles hommes, +escoutette, burgmaistres, eschevins et conseil de la ville de Bruges, +salut et dilection: Très-chiers et bien espéciaulx amis, nous +vous mercyons tant et si cordialement que faire povons, de la +bonne chière et grande courtoisie que vostre très benivolente +affection vous a pleu de nous faire et desmontrer gracieusement +et largement au bien et consollation de nous et de nos gens pendant +le temps que nous estions en vostre ville. Nous nous en tenons +grandement tenus à vous, ce que nous recongnoisserons par +effet se chose est que jamais puissions faire bonnement pour le +bien de vous et de ladite ville...» (29 mai 1471).</p> + +<p>Lorsque le duc de Bourgogne, aussitôt après avoir conclu la trêve, +apprit le rétablissement de la dynastie d'York, il ne dissimula pas +sa fureur de s'être ainsi réduit à ne pouvoir profiter des circonstances +<span class="pagenum"><a id="Page_102"> 102</a></span> +les plus favorables. N'ayant plus rien à craindre de l'Angleterre, +il renoua ses alliances avec les ducs de Guyenne et de Bretagne; +il offrait au premier la main de sa fille, et déjà l'évêque de +Montauban était arrivé à Rome pour obtenir des dispenses du pape +Paul II.</p> + +<p>Louis XI ne cherche qu'à temporiser, il envoie le sire du Bouchage +représenter au duc de Guyenne, d'une part l'affection et la +générosité qu'il lui a montrées; d'autre part «la grant haine que la +maison de Bourgogne a eue au feu roy Charles son père, les grands +outrages qu'elle lui a faits jusques à le faire déshériter et priver +si elle eust pu de la couronne de France.» Il doit ajouter «que +le roy ne le peut bonnement croire, veu les grands sermens et +promesses que mon dit seigneur a fait au roy touchant ceste +matière et sur la vraye croix de Saint-Lo, dont le danger de +l'enfraindre est si grand, comme de mourir mauvaisement au +dedans l'an, et toujours est infailliblement arrivé à ceux qui sont +venus contre les sermens faits sur ladite vraye croix.» Louis XI +revient à trois reprises sur ces dangers dans sa note au sire du +Bouchage; c'est à la fois une menace et une prophétie.</p> + +<p>Cependant le roi avait envoyé d'autres ambassadeurs au duc de +Bourgogne, pour lui remontrer combien il devait lui être plus +avantageux que sa fille épousât le Dauphin: ils étaient aussi chargés +de lui offrir la paix, quelles qu'en fussent les conditions. En effet, +Louis XI consentait à rendre au duc de Bourgogne toutes ses conquêtes +au bord de la Somme, et même à lui abandonner le comte +de Nevers et le connétable, contre lesquels sa haine devenait de +plus en plus vive. Charles accepta ces propositions, et conclut le +3 octobre 1471 le traité du Crotoy qui confirma ceux d'Arras, de +Conflans et de Péronne.</p> + +<p>Henri VI venait de mourir, et le duc de Bourgogne semblait +n'avoir consenti à cesser de diriger ses armes contre la France, +qu'afin de les porter en Angleterre pour renverser la royauté +d'Edouard IV, qu'il avait lui-même pris plaisir à relever: en effet, +par un acte secret passé le 3 novembre 1471 à l'abbaye de Saint-Bertin, +il avait déclaré se réserver tous les droits à la couronne +d'Angleterre qu'il prétendait avoir recueillis, comme issu de la +maison de Lancastre; mais il reconnut bientôt que les promesses +du roi de France étaient peu sincères. Louis XI ne restituait pas les +villes de la Somme, et cherchait sans cesse de nouveaux délais pour +<span class="pagenum"><a id="Page_103"> 103</a></span> +jurer le traité du Crotoy: le duc de Bourgogne ne croyait plus à la +paix, il s'alliait au duc de Calabre, au moment même où il venait de +recevoir à Bruges le sire de Craon, chargé par le roi de France de +lui renouveler des protestations pacifiques, et déjà il avait renoué +ses relations secrètes avec le duc de Guyenne, qui réunissait une +armée et lui offrait comme prix de son alliance la cession du Poitou, +de l'Angoumois, du Limousin et du Rouergue. Louis XI était +instruit de tout ce qui se passait, un espion du sire de Lescun lui +était arrivé de Flandre, il connaissait également les préparatifs du +duc de Guyenne; mais il ne les craignait point, car il écrivait au +comte de Dammartin que son frère ne vivrait plus longtemps, et +qu'il le savait par le moine qui disait ses heures avec lui, ce dont +il était si ébahi, qu'il se signait depuis la tête jusqu'aux pieds. En +effet, le 24 mai 1472, le duc de Guyenne expirait, empoisonné, +disait-on, par l'abbé de Saint-Jean d'Angely et ce sire de Lescun +qui entretenait des espions à Bruges.</p> + +<p>A cette nouvelle, Charles cessa toute négociation et rompit la +trêve: assemblant à la hâte une armée, il entra dans le Vermandois +en mettant tout à feu et sang. A Nesle, il fit pendre le capitaine et +couper le poing à tous ses compagnons. Un grand nombre d'habitants +qui s'étaient réfugiés dans les églises y furent égorgés sans +pitié, puis on mit le feu à la ville: tels sont les fruits que porte +l'arbre de la guerre, avait dit Charles, et il ne cachait point que +c'était ainsi qu'il voulait venger la mort du duc de Guyenne. Le +manifeste qu'il publia le 16 juillet pour rendre compte des motifs +de son invasion en France renfermait les accusations les plus violentes +contre Louis XI. Après avoir rappelé que le roi avait naguère +corrompu le bâtard Baudouin, Jean d'Arson et le sire de Chassa, +pour le mettre à mort, il ajoutait que c'était par la même trahison +et la même perfidie qu'il avait fait mourir le duc de Guyenne, et le +déclarait deux fois complice du crime de fratricide, hérétique, +idolâtre et convaincu, vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de l'Etat, du +crime de lèse-majesté qui faisait à tous les princes un devoir de se +réunir pour le combattre.</p> + +<p>Cependant la vaillante défense de la garnison de Beauvais et de +ses habitants opposait au duc de Bourgogne un obstacle non moins +invincible que celui qu'il avait trouvé l'année précédente dans la +résistance d'Amiens. Il semblait que le ciel, pour châtier son orgueil, +eût doué d'un courage merveilleux quelques femmes placées +<span class="pagenum"><a id="Page_104"> 104</a></span> +au premier rang sur tous les remparts: la dame de Nesle, dans son +propre château; à Roye, Paule de Penthièvre; à Beauvais, Jeanne +Fourquet, que l'histoire ne connaît que sous le nom de Jeanne Hachette. +Charles, réduit à lever le siége de Beauvais, envahit le +pays de Caux, s'empara d'Eu et de Saint-Valery, menaça Dieppe et +Rouen, et ravagea complètement les riches contrées qu'il traversa, +jusqu'à ce qu'épuisé par ses vengeances mêmes, privé de toutes +communications avec ses Etats, séparé de tous les convois qui lui +apportaient des munitions et des vivres, il mît fin à une expédition +si pompeusement annoncée, en acceptant une trève qui commença +le 3 novembre 1472.</p> + +<p>Charles, à qui ses dévastations avaient laissé, à défaut du surnom +de Charles le Victorieux, celui de Charles le Terrible, profita de +cette suspension d'armes pour aller conquérir le duché de Gueldre; +mais c'était peu qu'il se vît le souverain de tant de puissants Etats +entre le Rhin et la mer; son ambition, que les obstacles ne pouvaient +arrêter pas plus que les succès ne pouvaient la satisfaire, +se développait également par les triomphes et par les revers; +une loi fatale, qui est celle de tous les hommes de guerre +et de tous les conquérants, le poussait incessamment vers un but +plus brillant ou plus élevé qui ne cachait qu'un abîme: tel est aussi +le sort du voyageur égaré sur des mers inconnues par les phénomènes +du mirage qui lui présentent dans le ciel des temples et des +palais qu'il n'atteindra jamais. Charles se croyait appelé à revendiquer +les droits qu'il tenait des comtes de Flandre, issus de Judith, +arrière-petite-fille de Charlemagne, c'est-à-dire au moins une couronne, +et il voulait reconstituer le royaume de Bourgogne. Olivier +de la Marche en avait, sans doute à sa prière, étudié l'histoire dans +Diodore de Sicile, dans Lucain, dans Salluste, dans Orose, dans +Grégoire de Tours, depuis Alise, femme d'Hercule, jusqu'à Clotilde, +la pieuse épouse du roi Clovis qui conquit les Gaules, sans oublier +«le prince françois Vercingentorix» qui lutta contre César. Tous +ces souvenirs plaisaient au duc de Bourgogne: il lui suffisait, pour +rétablir l'ancienne monarchie des Bourguignons, de réunir à ses +Etats, par les armes ou par les négociations, la Lorraine, l'Alsace, +le nord de la Suisse et la Provence, que le roi René était prêt à +lui céder. Il ne lui semblait pas plus difficile de se faire attribuer le +titre de roi qu'avait dédaigné son père, le seul qui lui manquât pour +qu'il n'eût plus rien à envier à Louis XI. L'empereur Frédéric III le +<span class="pagenum"><a id="Page_105"> 105</a></span> +lui avait fait espérer depuis longtemps, et c'était à Trèves qu'il devait +accomplir ses engagements en plaçant le sceptre dans la main +formidable qui ne se contentait plus de porter l'épée de Philippe le +Hardi et de Jean sans Peur.</p> + +<p>Déjà la couronne était prête; les ornements destinés au sacre +s'offraient déjà à tous les regards dans la cathédrale de Trèves, et +l'évêque de Metz était choisi pour présider à cette auguste cérémonie. +Le duc Charles, impatient de montrer que sa puissance le rendait +digne de la pourpre royale, avait fait étaler dans l'abbaye de +Saint-Maximin les trésors les plus précieux de sa maison; des +images de saints habilement ciselées, en or et en argent, des coupes +entourées de saphirs et de rubis, des hanaps garnis de perles, des +drageoirs émaillés; on eût dit, remarque Meyer, la cour d'Alexandre +ou d'Assuérus. Quand Charles eut fait admirer toutes ces merveilles +dans le banquet qu'il donna à l'empereur Frédéric, il le +conduisit dans une salle magnifique, où une vaste tapisserie représentait +le couronnement du roi Saül, allusion manifeste à ses desseins +et à ses espérances. «Cher cousin Charles, dit alors l'Empereur, +que pourrai-je faire pour reconnaître la sincère affection que vous +nous montrez, le grand honneur que vous nous témoignez, et les +dons précieux que nous avons reçus de vous?—Je ne désire rien +de plus de Votre Haute Majesté, répliqua en s'inclinant le duc de +Bourgogne, que de la voir exécuter les promesses qu'elle m'a +faites.» Aussitôt après avoir prononcé ces mots, il sortit de la +salle avec toute sa cour. Frédéric III, resté seul avec les princes +de l'Empire et ses conseillers, leur fit part de son intention de créer +le duc Charles roi de Bourgogne, en recevant son serment de vassalité +de telle sorte qu'il fût tenu de servir fidèlement le saint-empire +romain «à feu et à flamme.» Ce discours souleva toutefois +une longue opposition; on remontrait à Frédéric III quel péril il y +aurait à relever la vaste monarchie des rois de Bourgogne. «Il est +vrai, lui disaient quelques-uns de ses conseillers, que cette couronne +lui a été promise il y a longtemps, mais depuis que nous +avons vu à Trèves la grande générosité de son caractère ainsi +que la puissance et la richesse de son pays, nous pensons, nous +osons même l'affirmer à Votre Majesté, que dès que le duc +Charles sera roi, il lui sera toujours facile de s'insurger contre le +conseil de l'Empire. Le duc Charles n'est-il pas supérieur, par +l'importance de ses domaines, à tous les rois de la chrétienté? +<span class="pagenum"><a id="Page_106"> 106</a></span> +Ne s'est-il pas fait redouter par ses exploits et ses victoires, et le +respect dont il est l'objet ne peut-il pas devenir la source d'exigences +que l'on ne saurait modérer après en avoir favorisé le +développement? Si le duc Charles reçoit le titre de roi, il voudra +de nouveau agrandir ses domaines, et ce pourrait être, s'il en +trouve quelque prétexte, en envahissant les seigneuries qui relèvent +de l'Empire. Nous ne pouvons oublier qu'étant encore duc +de Bourgogne, il a pris les armes contre la couronne de France, +et s'est emparé violemment de terres qui ne lui appartenaient +point; une fois investi de l'autorité royale n'agirait-il pas de +même à plus forte raison? et n'aurions-nous pas à regretter +éternellement d'avoir placé nous-mêmes dans ses mains le glaive +qu'il dirigerait contre nous? Il faut aussi remarquer qu'il a conclu +récemment de nombreuses alliances avec l'Angleterre, +l'Ecosse, le Danemark, la Suède, la Lombardie et plusieurs +princes de l'Empire, qui se sont obligés à l'aider de leurs hommes +d'armes, et nous pouvons craindre qu'il ne veuille étendre sur +nous sa domination, car il est si puissant et si vaillant que le +monde semble trop petit pour lui. Le couronner roi, ce serait +abdiquer votre autorité, ce serait descendre du trône impérial.»</p> + +<p>Frédéric III, que Jean de Champdenier nomme dans une de ses +lettres «un homme endormi, pesant, merencolieux, avaricieux, +chiche, craintif, variable, hypocrite, dissimulant, et à qui tout +mauvais adjectif appartient,» se laissa aisément ébranler par +des raisons qu'il approuvait sans doute; mais il se trouvait dans +un grand embarras, et ne savait quelle réponse donner au duc de +Bourgogne, qu'il avait lui-même appelé à Trèves pour l'y déclarer +roi. On chercha par d'autres discours à le rassurer à cet égard. «Ne +pouvait-on pas alléguer qu'il était nécessaire de consulter préalablement +les princes chrétiens, puisqu'il fallait, selon l'ancien +usage, l'intervention de l'Empereur et de trois rois pour créer un +nouveau roi? Ne pouvait-on pas aussi lui faire oublier ses prétentions +en confirmant ses droits de conquête sur le duché de +Gueldre et le comté de Zutphen? Il n'y aurait aucun inconvénient +à l'autoriser à fonder dans ses Etats un parlement semblable +à celui de Paris, dont l'autorité s'étendrait en dernier ressort +sur tous les appels. Enfin, l'Empereur pourrait lui promettre son +appui et son alliance, pourvu qu'il s'engageât à respecter les +<span class="pagenum"><a id="Page_107"> 107</a></span> +possessions de l'Empire.» Cet avis prévalut, et il ne fut plus +question du rétablissement du royaume de Bourgogne.</p> + +<p>Le duc Charles attendait avec impatience la réponse de l'Empereur +et le moment où il pourrait ceindre la couronne royale, lorsqu'on +l'invita à se rendre au sein de l'assemblée des électeurs et +des autres princes de l'Empire. Frédéric III réclama aussitôt le +silence pour exposer ce qu'il avait résolu de faire en faveur du duc +Charles; mais celui-ci était si étonné et si mécontent de se voir +trompé par les promesses qu'on lui avait si fréquemment réitérées, +qu'il répondit à peine quelques paroles. On lui annonça bientôt +après que l'Empereur avait quitté la ville de Trèves pour se rendre +à Cologne.</p> + +<p>Un autre projet fut ajourné avec le couronnement du duc de +Bourgogne: c'était celui du mariage déjà convenu de sa fille unique +Marie avec Maximilien, fils de l'Empereur, qui devait, à cette occasion, +recevoir lui-même le titre de roi des Romains. «C'est une +grande chose que de faire épouser la fille du duc de Bourgogne +au fils de l'Empereur, écrivait le cardinal François de Gonzague +au cardinal Piccolomini; c'est une grande chose que de créer +l'un roi de ses propres Etats, l'autre roi des Romains: mais, à +mon avis, de ces deux projets, autant le premier est aisé à accomplir, +autant le second présente de graves difficultés.» Malgré +ces prévisions, la couronne de roi de Bourgogne venait d'échapper +au duc Charles, et l'avenir promettait à Maximilien celle de roi des +Romains.</p> + +<p>Frédéric III n'avait oublié ses promesses, pour rompre un mariage +si favorable à ses intérêts politiques, que parce qu'il craignait d'être +entraîné dans les querelles de deux princes également redoutables, +l'un par l'habileté de ses ruses, l'autre par l'impétuosité de ses +résolutions. Il laissa le duc de Bourgogne intervenir dans les troubles +de l'archevêché de Cologne, opprimer le comté de Ferette, et +se quereller avec les ligues suisses, et, par le même esprit de neutralité, +lorsque Louis XI lui fit proposer par ses ambassadeurs de +saisir toutes les terres du duc tenues en fief de l'Empire, tandis +qu'il confisquerait lui-même celles qui relevaient du royaume, il +se borna à leur raconter, pour toute réponse, l'apologue, depuis si +populaire, de ces trois écoliers allemands qui voulaient payer leur +hôte du produit de leur chasse de la soirée, et qui reçurent de la +<span class="pagenum"><a id="Page_108"> 108</a></span> +bête sauvage ce sage conseil: qu'il ne faut jamais marchander la +peau de l'ours tant qu'il n'est pas mort.</p> + +<p>Quelles que fussent les intrigues rivales qui s'agitaient en Allemagne, +c'était surtout vers l'Angleterre que se portaient tous les +regards. Edouard d'York ne pouvait pas plus oublier les secours +que lui avait donnés le duc de Bourgogne, que ceux que le comte de +Warwick avait reçus de Louis XI. Charles le dominait et l'avait +choisi pour concourir efficacement avec lui à la destruction de la +monarchie française, qui semblait n'avoir constitué un magnifique +apanage à des princes sortis de son sein que pour en faire le gage +d'une éternelle hostilité. Jean sans Peur avait ouvert la France à +Henri V: Charles le Hardi y appela Edouard IV.</p> + +<p>Un traité signé le 25 juillet 1474 porte que le duc de Bourgogne +s'engage à aider le roi d'Angleterre à reconquérir son royaume de +France, et lui promet un secours de six milles hommes d'armes. +Le lendemain, par un second traité, le roi d'Angleterre, rappelant +l'alliance conclue la veille, et prenant en considération les anciens +services du duc Charles et l'importance de son concours, «qui +rendra facile de soumettre le royaume de France, et de le conserver +après l'avoir soumis,» lui donne, cède et transporte à +toujours, pour lui, ses héritiers et successeurs, et sans se réserver +aucun droit de suzeraineté, le duché de Bar, le comté de Champagne, +le comté de Nevers, le comté de Rethel, le comté d'Eu, le comté de +Guise, la baronnie de Donzy, la ville de Tournay avec son territoire, +son bailliage et ses dépendances, la forteresse et la ville de +Pecquigny, les villes et les domaines situés sur les deux rives de +la Somme, et de plus, toutes les terres formant le domaine propre +du comte de Saint-Pol; «de telle sorte que non-seulement pour ces +domaines, mais également pour le duché de Bourgogne, les +comtés de Flandre, d'Artois, de Charolais, de Mâcon, d'Auxerre, +et de tous les autres lieux et domaines, possédés par le duc, il +ne sera plus tenu à aucun acte de foi, de service et d'hommage.» +Il s'engage à confirmer cette donation, dès qu'il aura recouvré sa +couronne, et à la faire ratifier par les trois états du royaume de +France. Peu de jours après, le 27 juillet, le duc de Bourgogne promit +d'élever son contingent à dix ou même à vingt mille hommes +d'armes; et d'autre part, le roi d'Angleterre déclara que, bien qu'il +eût disposé du comté de Champagne, il se réservait le droit de se +faire sacrer à Reims. Qu'y eût-il eu d'étonnant à ce qu'Edouard IV +<span class="pagenum"><a id="Page_109"> 109</a></span> +réclamât l'onction royale dans une province cédée au duc Charles, +puisque Louis XI, lui-même, l'avait reçue au milieu d'une armée +bourguignonne?</p> + +<p>Le roi d'Angleterre s'était engagé à aborder en France avant le +1<sup>er</sup> juin 1475. Charles le pressait de descendre au promontoire de +la Hogue, célèbre par le débarquement d'Edouard III, d'où il aurait +pu s'appuyer à la fois sur son alliance et sur celle du duc de Bretagne; +mais, au lieu de réunir son armée en Picardie, il perdit +lui-même un temps précieux à assiéger aux bords du Rhin la petite +ville de Neuss, qui résista vaillamment à tous ses efforts. Ce fut au +siége de Neuss que le duc de Lorraine, René de Vaudemont, le fit +défier «au feu et à sang.» Le duc de Bourgogne parut si joyeux de +ce défi qu'il donna au héraut la robe qu'il portait en ce moment, en +y ajoutant une coupe d'argent et cinq cents lions d'or. René de +Vaudemont était le petit-fils de ce comte de Vaudemont, qui avait +réclamé à Gand en 1431 l'appui du duc Philippe contre René d'Anjou, +«en lui remonstrant que ses prédécesseurs avoient toujours +esté amis et alliés de la maison de Bourgogne.»</p> + +<p>Pendant que ces démêlés avec le duc de Lorraine retenaient le +duc Charles loin de ses Etats, Louis XI, profitant de l'expiration +des trêves, s'emparait de Montidier, de Roye et de Corbie, et lorsque +Edouard IV arriva à Calais, le 4 juillet, il se plaignit vivement +de ne pas voir paraître les nombreux hommes d'armes que +son allié lui avait annoncés. Autour de lui, les milices anglaises se +montraient peu favorables à une guerre qui semblait avoir été moins +entreprise dans l'intérêt de leur nation que dans celui d'un prince +étranger.</p> + +<p>Le duc de Bourgogne, laissant derrière lui les hommes d'armes +qu'il avait conduits en Allemagne, n'arriva à Bruges que le 11 juillet. +On l'y reçut avec respect; de nombreux échafauds avaient été construits +dans toutes les rues; mais, quelle que fût l'intention qui eût +présidé au choix de ces emblèmes, plusieurs renfermaient plutôt +une prophétie menaçante qu'une humble adulation. L'histoire de +Judas, représentée aux portes de son hôtel, pouvait lui rappeler +qu'à diverses reprises il avait eu des traîtres autour de lui, et cette +phrase de l'Ecriture: <em>Béni soit celui qui a brisé les efforts de +l'homme jouissant par la main de son serviteur</em>, s'appliquait aussi +bien aux populations des bords du Rhin, contre lesquelles luttait +Charles, qu'à Charles lui-même, se préparant à combattre Louis XI. +<span class="pagenum"><a id="Page_110"> 110</a></span> +Le duc de Bourgogne reparaissait d'ailleurs en Flandre, mécontent +du mauvais succès de ses efforts en Allemagne, et disposé à en +rendre responsables ceux-là mêmes qui le blâmaient le plus de les +avoir tentés.</p> + +<p>L'histoire des luttes de la Flandre contre ses princes avait jusqu'alors +embrassé exclusivement les questions relatives à ses priviléges +et à ses franchises. Il semble que sous Charles le Hardi elle +ne soit plus que le tableau des fautes politiques du duc de Bourgogne, +persistant à préparer sa ruine malgré les sages conseils de son +peuple, qu'un secret pressentiment associe d'avance aux mêmes +malheurs. Le 27 mars 1472 (v. st.), les états de Flandre lui avaient +adressé de vives représentations; le 24 avril 1474, ils lui avaient +exposé de nouveau qu'il serait impossible de suffire à des taxes si +considérables tant que la situation du commerce ne s'améliorerait +point. Déjà on avait accru tous les impôts existants ou rétabli d'anciens +impôts presque oubliés, tels que celui du vingtième denier sur +les produits de la pêche; on n'avait pas cessé de recevoir le produit +des amendes imposées par le traité de Gavre. On n'en créa pas moins +des gabelles de plus en plus accablantes; et, la même année, le duc +de Bourgogne, réduit aux derniers expédients pour trouver de l'argent, +alla jusqu'à déclarer que son intention était d'amortir à son +profit toutes les donations que le clergé avait reçues depuis +soixante ans, et de l'obliger, de plus, à en payer le bail pour les +trois années précédentes. Les religieuses de la chartreuse de Sainte-Anne, +près de Bruges, vendirent leurs biens pour payer une taxe +de dix-huit cents florins, tandis que l'on traînait en prison les +chanoines de Saint-Donat pour les contraindre à payer leur part +dans les impôts déjà votés par les états. Cependant ces exactions ne +suffisaient point; les états généraux des provinces de Flandre, de +Brabant, de Hollande, de Zélande, de Hainaut, de Gueldre, d'Artois +et de Picardie, furent convoqués à Gand dans les derniers jours du +mois d'avril 1475, et on les menaça d'un nouvel impôt, qui devait +être du sixième denier sur tous les biens sans exception. En ce moment, +Charles se trouvait en Allemagne; après une longue délibération, +les états osèrent rejeter sa demande. Au mois de juillet +1475, les états de Flandre réitèrent leurs remontrances; mais +Charles, irrité, ne veut rien écouter: l'ambition seule le guide, et +il ne s'arrête ni devant la décadence de l'industrie, ni devant les +souffrances des populations, qu'il appauvrit par l'impôt et qu'il décime +<span class="pagenum"><a id="Page_111"> 111</a></span> +par la guerre. Il répond par des plaintes aux acclamations +qui l'accueillent à son retour en Flandre, et ne se rend au sein de +l'assemblée des représentants des communes que pour leur reprocher +rudement d'avoir, en ne lui envoyant ni chariots, ni piquenaires, +ni pionniers, ni ouvriers, été la cause de la levée du siége de +Neuss. A l'entendre, ils lui ont refusé ce qu'ils eussent accordé au +plus pauvre habitant de l'Auvergne; ce n'est pas la Flandre qui +s'appauvrit; c'est son propre trésor qui s'épuise pour défendre et +protéger le pays même de Flandre qu'il a toujours particulièrement +aimé, et dont il assure le repos par la continuelle sollicitude de ses +labeurs, veillant pendant que ses sujets dorment, bravant le froid +quand ils ont chaud, jeûnant et s'exposant au vent et à la pluie, +tandis qu'ils mangent et boivent à l'aise dans leurs maisons. A +qui profitaient donc les taxes et les armements? A eux-mêmes, +plus riches que leur seigneur, puisque le revenu d'une seule ville +de Flandre s'élevait plus haut que celui de son domaine dans tous +ses Etats. «Je me souviens, leur dit-il, des belles paroles que mes +sujets de Flandre m'adressèrent à mon avénement, et ils répètent +tous les jours, aux joyeuses entrées dans les bonnes villes, +qu'ils seront bons, loyaux et obéissants sujets pour moi, je +trouve clairement le contraire, et toutes ces paroles passent en +fumée d'alchimie. Vous parlez d'obéissance, et vous n'exécutez +point mes ordres; vous parlez de loyauté, et vous abandonnez +votre prince, sans défendre ni ses pays, ni ses sujets. Vous montrez-vous +bons fils? Mais tout ce que vous faites est une conspiration +occulte et secrète pour perdre votre prince. N'est-ce pas +là un crime de lèse-majesté? Et quelle est la peine qui y est +attachée? Chacun le sait: c'est la confiscation non-seulement de +vos biens, mais aussi de ceux de vos héritiers; c'est plus que la +peine capitale, c'est l'écartèlement. Puisque vous ne voulez pas +être gouvernés comme des enfants par leur père, vous vivrez désormais +comme des sujets sous leur seigneur, avec le plaisir de +Dieu, de qui seul je tiens cette seigneurie. Je demeurerai aussi +prince tant qu'il plaira à Dieu, à la barbe de tous ceux qui en +seraient mécontents et que je crains peu, car j'ai reçu de Dieu la +puissance et l'autorité qu'ils ne braveraient pas en vain.» Puis +se radoucissant peu à peu, il déclara que si ses sujets faisaient +dorénavant leur devoir, «il avait encore bien le cœur et la volonté +de les remettre en tel degré comme ils avaient été par ci-devant, +<span class="pagenum"><a id="Page_112"> 112</a></span> +car qui bien aime, tôt oublie,» et qu'il ne voulait pas pour cette +fois «procéder aux punitions encourues.» Alors s'adressant aux +prélats et aux nobles, il leur ordonna d'obéir sous peine, pour les +uns, de perdre leur temporel, pour les autres, de forfaire leur vie et +leurs biens. «Et vous, mangeurs des bonnes villes, ajouta-t-il en +s'adressant aux députés du tiers état (<em>troisième estat</em>), faites de +même, sur vos têtes et sous peine de confiscation de tous vos biens, +ainsi que de tous vos priviléges, droits, franchises, libertés, coutumes +et usages.» Il suffit de faire connaître que l'une des demandes +présentées par le duc de Bourgogne était une prise d'armes +générale dans toute la Flandre: déjà il avait choisi comme point de +réunion la ville d'Ath, «pour de là tirer et faire ce que de par lui +serait ordonné.» Il était bien résolu, disait-il, à ne pas y renoncer, +et jurait par saint George, en plaçant la main sur son cœur, que si +l'on y faisait faute, «de son côté il n'y aurait faute d'exécuter ce +qu'il avait dit.» A ces mots, il se leva en disant: «Sur ce, je +vous salue,» et s'éloigna.</p> + +<p>Le même jour le duc de Bourgogne partit pour Calais, afin de +se rendre près d'Edouard IV, qui lui témoigna son étonnement de +le voir ainsi arriver «en petite compagnie;» mais il chercha à +s'excuser, en disant qu'il avait laissé son armée à Namur, pour la +conduire de là en Champagne et dans le duché de Lorraine, d'où il +voulait chasser René de Vaudemont; il lui annonçait en même +temps que le connétable avait embrassé ses intérêts et n'attendait +qu'un moment favorable pour lui livrer Saint-Quentin, dans l'espoir +d'obtenir le comté de Brie dans le démembrement de la +France.</p> + +<p>Immédiatement après cette entrevue, Charles retourna à Bruges, +où les membres des états lui présentèrent un long mémoire. Ils y +rappelaient que sous le règne du duc Philippe on avait toujours +considéré comme indispensable l'adhésion préalable des états pour +percevoir des taxes; qu'il était impossible de songer à une levée +en masse; que les marchands, les ouvriers, les laboureurs étaient +peu propres à porter les armes. Ils ajoutaient que ces mesures provoqueraient +l'émigration des marchands étrangers, et déclaraient +que la guerre était inconciliable «avec le fait de marchandise, ès +laquelle marchandise ses très-nobles progéniteurs, passé quatre +cents ans, à si grant soing et labeur de tous moyens possibles, se +sont parforchiez d'entretenir ledit pays.» Mais le duc de Bourgogne +<span class="pagenum"><a id="Page_113"> 113</a></span> +refusa avec colère de prendre connaissance de leur réponse. +«Si les docteurs de l'Eglise ne voient qu'un mensonge dans la conduite +de ceux qui prétendent aimer Dieu en violant ses commandements, +quel nom faut-il donner à celle des sujets qui désobéissent +au prince en protestant de leur respect? Les Flamands +traitent-ils donc le duc comme un enfant que l'on contente avec +quelques pommes et de belles paroles? Pensent-ils être ses +égaux ou se croient-ils eux-mêmes seigneurs et princes de leur +pays? Si telle est leur opinion, ils ne tarderont point à se convaincre +qu'ils se trompent. Chaque fois que le duc demande quelque +service à la Flandre, il semble qu'il lui ôte les veines du +corps. La Flandre n'est-elle pas le plus riche de tous ses pays? +Toutes les taxes que l'on perçoit ne lui appartiennent-elles pas? +La misère serait d'ailleurs une mauvaise excuse, puisque les +Français, qui sont pauvres, aident bien leur roi.» En disant ces +mots, il rendit aux députés des membres de Flandre leur mémoire +justificatif. «Il ne m'en chault de vostre escript, répéta-t-il en les +congédiant, faites-en ce que bon vous semble en respondez-y +vous-mesmes, mais faictes vostre devoir.» Enfin il les avertit +que s'il était réduit à recourir à des moyens de rigueur, sa vengeance +serait si terrible et si prompte, qu'elle ne leur laisserait pas +même le temps du repentir. Ces paroles violentes, qui pouvaient +être fécondes en malheurs, purent seules engager les états à accorder +un subside de cent mille ridders et la solde de quatre mille sergents, +payables d'avance par tiers chaque année.</p> + +<p>Charles était impatient de retourner à Namur, pour aborder, de +concert avec les Anglais, cette formidable invasion, qui semblait +devoir ramener en peu de jours la puissante monarchie de Louis XI +aux calamités des premières années de Charles VII. Cependant les +Anglais étaient arrivés aux bords de la Somme sans que le connétable +se fût déclaré en leur faveur, et les forteresses françaises étaient +gardées par de nombreuses garnisons. Bien qu'Edouard IV eût +campé pendant deux jours sur le champ de bataille d'Azincourt, +rien ne lui présageait les rapides et éclatants succès dont ces lieux +lui retraçaient la mémoire. Les députés des communes d'Angleterre +qui l'accompagnaient, «hommes gros et gras,» dit Philippe +de Commines, regrettaient déjà leur vie facile et oisive de Londres, +et faisaient entendre des murmures. Une entrevue eut lieu entre +les deux rois à Pecquigny. Si Louis XI à Péronne tremblait à l'image +<span class="pagenum"><a id="Page_114"> 114</a></span> +de Charles le Simple, retenu captif par Herbert de Vermandois, il +eût pu se rappeler qu'à Pecquigny le comte de Flandre, Arnulf le +Grand, avait fait assassiner Guillaume de Normandie. Louis XI +avait cette fois fait établir une forte et solide barrière afin qu'elle +protégeât sa liberté et sa vie. Loin de se souvenir de cette mémorable +parole de Pierre de Brezé: «D'autant que vous querrez amour +aux Anglois, vous serez hay des Franchois,» il ne songeait qu'à +profiter de l'hésitation de ses ennemis pour répandre l'or à pleines +mains; seize mille écus de pension furent répartis entre les principaux +conseillers d'Edouard IV; et bientôt il parvint à détacher +les Anglais de l'alliance du duc de Bourgogne, grâce à un traité, +où, ne conservant pas même le titre de roi de France, il remettait +soixante et douze mille écus aux Anglais et s'engageait à leur faire +payer par la banque italienne des Médicis un tribut annuel de +cinquante mille écus ou à leur abandonner la Guyenne pour la pension +de la fille aînée du roi d'Angleterre, à laquelle le Dauphin +Charles était promis: paix honteuse s'il en fut jamais, et de laquelle +dépendaient, toutefois, le maintien de la puissance du roi de France +et la ruine de celle du duc de Bourgogne.</p> + +<p>Lorsqu'on apprit en Flandre la retraite des Anglais, l'inquiétude +propagée par les rumeurs publiques y fut si vive, qu'on jugea nécessaire +de faire publier à Bruges, du haut des halles, un mandement +qui défendait, sous peine de correction rigoureuse, de causer du +départ des Anglais.</p> + +<p>Cependant le duc de Bourgogne accourut lui-même au camp +d'Edouard IV, et lui reprocha d'avoir déshonoré la patrie des vainqueurs +de Crécy et d'Azincourt en signant la paix avant d'avoir +rompu une seule lance; mais le roi d'Angleterre lui rappelait l'absence +du secours qu'il lui avait promis, et l'accusait de ne lui +avoir fait traverser la mer que pour garder ses Etats de Flandre +et d'Artois, tandis qu'il combattrait lui-même en Allemagne.</p> + +<p>Toute la colère du duc resta stérile: il était trop tard; il se vit +réduit à signer, à Soleuvre, le 13 septembre 1475, une trêve de neuf +ans. Louis XI, pour l'y engager, lui avait proposé de concourir à la +ruine du comte de Saint-Pol qui avait tour à tour manqué vis-à-vis +du roi au serment de lui rester fidèle, et à celui de le trahir +vis-à-vis du duc de Bourgogne. Bien que Louis XI se trouvât +lié à son égard par de nombreux traités, il ne les avait jamais +confirmés par le serment sur la croix de Saint-Lô, le seul qu'il jugeât +<span class="pagenum"><a id="Page_115"> 115</a></span> +sérieux. Il avait même tenté récemment de le faire assassiner.</p> + +<p>Le duc Charles avait beaucoup aimé autrefois le comte de Saint-Pol; +mais depuis longtemps il avait à se plaindre de sa conduite +toujours incertaine et vacillante. L'espoir de recevoir, pour sa part +dans ses dépouilles, tous ses meubles et ses châteaux de Saint-Quentin, +de Ham, de Bohain et de Beaurevoir, l'engagea à consentir +à sa perte: ce fut ainsi qu'en écoutant les conseils de son +avarice plutôt que ceux de la prudence, il brisa pour soixante et +dix ou quatre-vingt mille écus le seul obstacle qui pût arrêter +au sud de ses frontières l'ambition de Louis XI, «occasion bien +petite, dit Philippe de Commines, pour faire une si grande +faute.»</p> + +<p>Nous trouvons peu de jours après un nouveau traité entre Charles +et Louis XI; le premier déclare se contenter des villes de Ham, de +Bohain et de Beaurevoir, et des meubles du connétable, sans rien +réclamer de ses autres biens, à condition que le roi de France lui +permettra de punir les habitants de Nancy, alliés de ceux du comté +de Ferette, et de conserver toutes les conquêtes qu'il fera en Lorraine. +Ce document, qui reproduisait la grande faute politique du +duc de Bourgogne, en avait placé le châtiment dans le prix même +qu'il s'était proposé en la confirmant par cette nouvelle convention.</p> + +<p>Le comte de Saint-Pol, ayant à opter entre la vengeance du roi +de France et celle du duc de Bourgogne, se souvint de ses anciennes +relations avec un prince dont il avait été longtemps l'ami et le +compagnon d'armes, alors que, jeune encore, il formait avec lui le +projet de chercher un asile à la cour de Charles VII: réduit à fuir +pour se dérober à des périls non moins menaçants, il crut qu'il lui +était permis d'espérer une généreuse hospitalité et n'hésita pas à se +réfugier dans le Hainaut. En ce moment, le duc était absent, il +s'était rapproché de l'Allemagne pour traiter avec l'Empereur; le +chancelier Hugonet et le sire d'Humbercourt, à qui il avait laissé +les soins du gouvernement, firent immédiatement arrêter le connétable, +et chargèrent le comte de Chimay d'aller avec les sires +d'Aymeries et de Maingoval le remettre au roi de France. L'influence +des sires de Croy ne reparaissait que pour perdre la maison +de Bourgogne.</p> + +<p>Les Croy avaient-ils reçu un ordre formel du duc Charles? Se +hâtèrent-ils de livrer le connétable en vertu des liens secrets qui +<span class="pagenum"><a id="Page_116"> 116</a></span> +depuis longtemps les unissaient à Louis XI? En 1451, les communes +flamandes accusaient déjà les sires de Croy: le jour n'est +pas éloigné où elles reprocheront les mêmes trahisons au chancelier +Hugonet et au sire d'Humbercourt, leurs amis et leurs complices +dans l'immolation, froidement réglée et calculée d'avance, de l'infortuné +comte de Saint-Pol.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, dix jours s'étaient à peine écoulés lorsqu'on +vint tirer le connétable de la Bastille pour le conduire à la place +de Grève, où deux cent mille spectateurs, accoutumés à applaudir +à sa grâce et à son courage dans les tournois, n'avaient plus d'acclamations +que pour saluer l'adresse du bourreau qui lui trancha +la tête. Ainsi mourut ce fameux comte de Saint-Pol, issu de la maison +impériale de Luxembourg, et lui-même beau-frère du roi de +France et oncle du roi d'Angleterre. Jean de Popincourt, qui lui +signifia la dure sentence du parlement, était ce même avocat qui +avait servi de conseil sous le duc Philippe aux communes flamandes +insurgées. Les passions populaires, représentées à la cour de Louis XI +par la plupart de ses courtisans, deviennent entre ses mains la +massue qui doit écraser les derniers débris de la féodalité.</p> + +<p>A peine Charles avait-il pris possession de la Lorraine que +d'autres démêlés l'entraînèrent, les armes à la main, au milieu de +la Suisse. Louis XI, qui ne cessait de travailler secrètement à +former autour de la puissance bourguignonne une vaste ligue où +venaient d'entrer les électeurs de Mayence et de Trèves, le duc de +Saxe, le marquis de Brandebourg et l'Empereur lui-même, s'était +rendu à Lyon, impatient de connaître le résultat de cette guerre. +Il tarda peu à apprendre que l'on avait vu le duc de Bourgogne se +retirer précipitamment vers les défilés du Jura, laissant sur le +champ de bataille de Granson son armée, ses joyaux si précieux, +sa nombreuse artillerie, ses immenses approvisionnements (2 mars +1475, avant Pâques).</p> + +<p>Charles n'était point habitué au malheur, il ne put le supporter; +sa raison s'égara, et lorsque les soins de son médecin Angelo Catto +eurent quelque peu rétabli ses forces épuisées par la honte et la +douleur, il ne songea qu'à recommencer la guerre. Il enrôla trois +mille mercenaires anglais, et appela cinq mille hommes d'armes de +la Flandre, six mille des bords de la Meuse, quatre mille de l'Italie. +Il fallut en même temps pourvoir à de nouvelles ressources, à +de nouvelles gabelles. Le mécontentement populaire se manifesta +<span class="pagenum"><a id="Page_117"> 117</a></span> +dans toute la Flandre par une secrète agitation; à Bruges, des placards +séditieux furent affichés sur les maisons, et il y eut même +quelques troubles. Enfin, au mois de mai 1476, les états de Flandre +assemblés à Gand déclarèrent qu'ils ne pouvaient accorder la levée +de dix mille hommes qu'on leur demandait comme destinée à combattre +les Suisses.</p> + +<p>Déjà le duc de Bourgogne, se plaçant à la tête d'une armée réunie +à la hâte, accourait vers le lac de Morat, pour livrer d'autres +combats aux ligues helvétiques. Plus nombreuses qu'à Granson et +encouragées par leur récente victoire, elles le défirent de nouveau +le 22 juin 1476, et forcèrent son camp. Ce fut une horrible déroute: +le duc de Somerset, capitaine des Anglais, le comte de Marle, les +sires de Grimberghe, de Rosimbos, de Montaigu, de Bournonville, +et d'autres vaillants chevaliers, y trouvèrent une mort glorieuse. +Jacques Masch, écuyer flamand, qui portait la bannière du duc, se +défendit longtemps sans qu'on pût la lui arracher, et tomba en la +tenant serrée dans ses bras.</p> + +<p>Louis XI n'avait pas quitté Lyon, où il passait gaiement les loisirs +que lui laissaient ses intrigues politiques avec deux femmes +obscures, la Gigonue et la Passe-Fillon, dont il se montrait fort +épris. Dès que la nouvelle de la bataille de Morat lui parvint, il +ordonna, dans la joie qu'elle lui causa, que l'on répartît en son nom +des dons considérables entre plusieurs églises; il envoya notamment +douze cents écus à la chapelle de Notre-Dame d'Ardenbourg, +et la Flandre vit déposer les offrandes d'un roi de France triomphant +des malheurs de son propre prince sur ces mêmes autels qui avaient +reçu d'autres offrandes le lendemain de la destruction de la flotte +de Philippe de Valois.</p> + +<p>Charles s'était réfugié à Salins; il y convoqua les états du duché +de Bourgogne, et les entretint avec une aveugle obstination de ses +projets de vengeance, rappelant la constance des anciens Romains, +dont la puissance s'était relevée après les désastres de Cannes et de +Trasimène, jusqu'à les rendre les arbitres du monde: il ajoutait +qu'il saurait se montrer, par son courage, digne d'appartenir à la +race de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, et d'être lui-même +le fils du duc Philippe, que l'on citait comme le plus vaillant prince +de son temps. Il protestait d'ailleurs qu'il était faux qu'il eût épuisé +ses ressources, et dépeignait en termes pompeux les richesses de +ses provinces de Flandre et les immenses secours qu'elles pourraient +lui fournir en or et en argent.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_118"> 118</a></span> +La Bourgogne montra peu d'empressement à l'aider; si Charles +se voyait abandonné de ses Etats héréditaires, il ne faut point s'étonner +de l'opposition que les demandes réitérées du chancelier +Hugonet rencontraient dans les cités flamandes. Les états de Flandre +remontraient que le pays était accablé d'impôts, et qu'ils étaient +bien résolus à ne plus secourir le duc ni d'hommes ni d'argent dans +aucune de ses guerres; mais toutefois que s'il se trouvait menacé +de quelque péril par les Allemands ou les Suisses, ils exposeraient +leurs corps et leurs biens pour les ramener dans ses domaines de +Flandre. Charles entra dans une fureur extrême en apprenant cette +résistance; ses menaces (c'étaient les dernières qu'il dût faire entendre) +s'adressaient aux députés des communes flamandes, qu'il +appelait des traîtres et des rebelles qui apprendraient bientôt combien +sa vengeance était terrible. Il ignorait qu'en ce moment les +états de Flandre, prévoyant de plus en plus le sort réservé à sa témérité, +envoyaient vers lui des hommes d'armes avec des convois +d'argent et de vivres, non pas pour lui inspirer d'autres rêves de +conquête, mais pour protéger sa retraite vers le Brabant ou le +Hainaut: malheureusement, les neiges et les glaces les arrêtèrent +au milieu des Ardennes.</p> + +<p>On était arrivé au cœur de l'hiver; tandis que le duc de Lorraine +s'enorgueillissait d'avoir reconquis Nancy, le duc de Bourgogne +avait à peine réussi par de longs efforts à réunir quatre mille hommes, +dont douze cents seulement étaient en état de combattre, et +un grand nombre se débandèrent presque aussitôt, car il semblait +que s'associer à la fortune de Charles le Hardi, ce fût désormais se +condamner à la honte et aux revers. C'est avec ces débris de deux +armées déjà détruites que, cédant au vertige qui s'est emparé de +lui, il se prépare à livrer à une dernière épreuve sa puissance, sa +liberté ou sa vie. Mille sentiments divers partagent ceux qui l'entourent: +les uns, qu'a blessés son orgueil, voient avec joie le terme +de l'autorité sous laquelle ils ont ployé; les autres, qui l'ont connu +loyal et généreux au temps de sa prospérité, gémissent sur ses +malheurs: ceux-ci s'efforcent en vain de guérir son obstination; +ceux-là, moins dévoués à la cause de leur maître qu'aux intérêts +de Louis XI, ne cherchent qu'à en profiter. L'un de ces derniers est +le comte de Campo-Basso, gentilhomme banni du royaume de Naples. +A l'époque du siége de Neuss, il a déjà offert au roi de tuer le +duc ou de le livrer vivant entre ses mains; ces négociations ont été +<span class="pagenum"><a id="Page_119"> 119</a></span> +reprises peu de jours avant la bataille de Morat; mais ce n'est que +quelques mois plus tard que le prix de la trahison du comte de +Campo-Basso est fixé par Louis XI à soixante mille écus.</p> + +<p>Un accident imprévu faillit tout découvrir; on avait arrêté un +gentilhomme, nommé Suffren de Baschi, qui servait d'intermédiaire +entre le comte de Campo-Basso et le roi de France. Le duc avait +ordonné de le faire pendre, mais le sire de Baschi se disposait à révéler +tout ce qu'il savait pour sauver ses jours. «Allez supplier le +duc en ma faveur, répétait-il, je lui dirai une chose telle qu'il +donnerait un duché pour la savoir.» Par malheur le comte de +Campo-Basso, qui redoutait ses aveux, s'opposa à ce que l'on allât +rapporter sa prière au duc et eut soin de faire hâter son supplice. +Il n'en jugea pas moins prudent de quitter bientôt le camp du duc +de Bourgogne pour passer dans celui du duc de Lorraine, qui accourait +de Bâle avec douze mille Suisses à la défense de Nancy. Il +regrettait fort de ne pas avoir trouvé jusqu'à ce moment une occasion +favorable pour exécuter la promesse qu'il avait faite au roi de +France; mais il laissait dans l'armée bourguignonne des espions +chargés de donner le signal de la fuite dès que le combat s'engagerait +et prêts à profiter du désordre pour tuer le duc. Lorsque le +comte de Campo-Basso se présenta au milieu des compagnons de +René de Vaudemont, ils le regardèrent avec mépris et lui firent dire +qu'il se retirât, parce qu'ils ne voulaient point avoir de traîtres au +milieu d'eux.</p> + +<p>La matinée du 5 janvier 1476 (v. st.) fut froide et sombre; la +neige blanchissait la plaine et voilait la glace des ruisseaux; cependant +Charles exhortait ses archers à bien combattre et prenait +les dernières dispositions pour la bataille qui se préparait. Bien qu'il +affectât de se montrer plein d'espoir dans le succès de la journée, +un secret pressentiment semblait l'agiter: au moment où il avait +saisi son casque pour le placer sur son front, le lion doré qui en +formait le cimier s'était détaché, et on l'avait entendu s'écrier +tristement: <i lang="la" xml:lang="la">Hoc est signum Dei</i>. L'histoire attribue le même mot +à Manfred avant la bataille de Bénévent. On le vit bientôt pâlir, +lorsque le son redoutable des fameuses trompes d'Uri et d'Unterwald +lui annonça l'approche des vainqueurs de Grançon et de Morat. +Le combat s'engageait déjà, et le grand bailli de Flandre, Josse +de Lalaing, se voyait repoussé de la maladrerie de la Madeleine +jusqu'au pont de Bouxières, tandis que Jacque Galeotti tombait au +<span class="pagenum"><a id="Page_120"> 120</a></span> +milieu des Italiens. Toute l'armée bourguignonne avait été culbutée +dès le premier choc et rejetée en désordre entre la route de +Luxembourg et les bords de la Meurthe. Charles avait disparu. Les +uns rapportaient qu'on l'avait vu, déjà blessé d'un coup de hallebarde, +se défendre avec courage; d'autres ajoutaient qu'au moment +de la déroute il avait fait tourner bride à son cheval pour s'éloigner +du champ de bataille.</p> + +<p>Ce ne fut que deux jours après, le mardi 7 janvier, vers le matin, +qu'on retrouva le corps du duc de Bourgogne dans l'étang de Saint-Jean; +il portait les traces de deux blessures et était déjà à moitié +pris dans la glace; les loups et les chiens avaient même commencé +à le dévorer, de sorte que ses serviteurs eurent quelque peine à +reconnaître leur malheureux prince: triste et mémorable exemple +de la vanité de la puissance et de l'orgueil!</p> + +<p>Il ne paraît point, du reste, que les circonstances de la mort de +Charles le Hardi aient jamais été exactement connues. On sait seulement +que le comte de Campo-Basso, qui avait fait garder avec +soin le pont de Bouxières et tous les passages par lesquels il aurait +pu fuir, indiqua le page qui retrouva ses restes sanglants et mutilés, +et que ce même page alla offrir au roi Louis XI, «en manière de +présent,» le casque du duc de Bourgogne, d'où le lion de Flandre +était tombé à l'heure qui précéda sa mort, comme le symbole de +la force qui l'abandonnait.</p> + +<p>Le désastre de Nancy avait été terrible; il était irréparable; si +la victoire de René de Vaudemont était la victoire de Louis XI, +la fin de Charles le Hardi semblait devoir être celle de toute sa +dynastie. Cependant, depuis le duché de Bourgogne jusqu'au sein +des cités flamandes, une rumeur généralement accréditée rapportait +que Charles le Hardi, loin d'avoir péri, s'était caché dans une +retraite inconnue, comme Harold ou Baudouin de Constantinople, +et qu'il ne tarderait point à reparaître dans tout l'éclat de son ancienne +autorité. Les peuples qui naguère encore admiraient sa pompe +et ses richesses, et s'inclinaient sous sa main sévère, ne pouvaient +comprendre que ce prince altier, souverain de tant d'Etats, et +redouté de tout l'Occident, se fût ainsi englouti avec toute sa puissance +dans l'abîme que son imprudence lui avait préparé, au siége +d'une faible ville de Lorraine, devant une armée de grossiers +paysans des bords du Rhin, soutenus par quelques pauvres pasteurs +des Alpes.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_121"> 121</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>LIVRE VINGTIÈME<br /> +<span class="medium">1476-1481.</span></h2> + +<hr class="deco" /> +<p class="subh">Marie de Bourgogne.—Troubles en Flandre.<br /> +Guerres contre Louis XI.</p> +</div> + +<p>Quelques fuyards avaient réussi à traverser la Meurthe; il en était +d'autres qui avaient échappé à la poursuite des Suisses en se cachant +dans les bois. Ils s'accordaient à raconter qu'ils avaient vu le duc +Charles de Bourgogne se précipiter au milieu de ses ennemis et +disparaître dans la mêlée; mais l'on ne croyait pas à la vérité de +ces bruits alarmants, et le 15 janvier, la duchesse Marguerite écrivait +aux membres de la cour des comptes de Malines: «Par plusieurs +nouvelles que avons de divers costez, nous entendons et +espérons que, grâces à Dieu, il est en vie et santé.»</p> + +<p>Lorsque d'autres messagers, arrivés de Lorraine, confirmèrent la +nouvelle du désastre de Nancy et celle de la mort de Charles le +Hardi, les états de tous les pays «de par deça» se réunirent immédiatement +à Gand. Devenus tout à coup dépositaires de l'autorité +suprême que le duc de Bourgogne laissait, dénuée d'armée, de trésors +et de tout moyen de défense, à une jeune princesse de dix-neuf +ans, ils présidèrent à toutes les réformes qui furent proclamées en +son nom, dans la mémorable charte du 11 février 1476 (v. st.), dernier +écho de ces célèbres ordonnances qui avaient disparu au milieu +même des discordes civiles du moyen-âge qui leur avaient donné +naissance. Les communes étaient désormais appelées à protéger +l'héritière de cette maison de Bourgogne qui n'avait cessé de les +combattre et de les affaiblir.</p> + +<p>Les considérations sur lesquelles s'appuient ces réformes sont +les mêmes en 1476 que les siècles antérieurs; elles ont pour but de +faire cesser la misère du peuple, qui a vu fuir le commerce et l'industrie, +et de rétablir la paix dont le besoin se fait vivement sentir +<span class="pagenum"><a id="Page_122"> 122</a></span> +après de longues guerres. Les états de Flandre les ont réclamées; +l'évêque de Liége et le sire de Ravestein, que les liens du sang placent +au premier rang dans le conseil de Marie de Bourgogne, s'y +associent. Rien ne manque pour en légitimer la nécessité, pour en +rendre la forme durable et solennelle: il faut, toutefois, quelque +chose de plus pour que les institutions s'établissent ou se fortifient: +c'est la convenance des temps, assez calmes pour que les +périls du dehors ne compromettent pas l'œuvre de la paix intérieure, +c'est la disposition des mœurs qui doit tendre à entourer d'ordre +et de respect les bases encore chancelantes de l'autorité, c'est +le dessein supérieur de la Providence.</p> + +<p>Le premier article de la charte du 11 février règle la formation +d'un conseil supérieur composé par moitié de clercs et de nobles, +qui représente tous les Etats de la duchesse de Bourgogne. Ce conseil +renfermera vingt-deux membres, savoir: quatre pour la Flandre, +quatre pour le Brabant, quatre pour la Hollande et la Zélande, deux +pour l'Artois et la Picardie, deux pour le Hainaut, deux pour le +Luxembourg, deux pour le Limbourg et les pays d'outre-Meuse, +deux pour la Bourgogne, un pour le comté de Namur.</p> + +<p>A l'avenir, les membres des conseils établis dans les divers +pays jugeront d'observer les priviléges du pays auquel ils appartiendront.</p> + +<p>Toutes les dispositions contraires aux priviléges seront considérées +comme non avenues.</p> + +<p>Le grand conseil de Malines sera supprimé, et toutes les causes +qui y avaient été portées seront rendues à leurs juges naturels.</p> + +<p>La duchesse et ses successeurs ne feront la guerre qu'après avoir +pris l'avis des états; à défaut de leur consentement, leurs sujets et +leurs feudataires ne seront pas tenus de les servir, et les relations +commerciales ne seront point suspendues avec les pays étrangers +que les états refuseraient de considérer comme ennemis.</p> + +<p>Dans le cas où les états résoudraient la guerre, les marchands +appartenant aux pays ennemis obtiendront un sauf-conduit de +quarante jours pour se retirer avec tous leurs biens.</p> + +<p>Le service militaire des vassaux et feudataires cessera aux +frontières de leur pays; s'ils les dépassaient, leur solde devrait être +payée par le prince.</p> + +<p>Les états pourront se réunir sans avoir besoin d'autorisation.</p> + +<p>Tout édit du prince sera nul, s'il est contraire aux priviléges.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_123"> 123</a></span> +Les anciens priviléges qui règlent les questions de juridiction +seront dorénavant observés.</p> + +<p>La vénalité des offices de justice est abolie.</p> + +<p>Il ne pourra être apporté d'obstacle ni de restriction à la circulation +des marchandises. On n'établira point de nouveaux tonlieux, +et tous ceux qui n'auraient point été approuvés par les états +seront supprimés.</p> + +<p>Cette charte se termine par une formule conçue à peu près dans +les mêmes termes que la plupart des documents publics appartenant +à la période de la puissance communale de la Flandre. La +duchesse de Bourgogne y déclare que dans le cas où les dispositions +qu'elle a sanctionnées viendraient à être violées en tout ou en partie, +elle permet et consent, tant pour elle que pour ses successeurs, que +ses vassaux et ses sujets soient déliés de toute obligation de la +servir et de lui obéir, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu le redressement +de leurs griefs.</p> + +<p>Une autre charte de la même date appliquait les bienfaits de ces +réformes aux besoins spéciaux et aux réclamations des communes +de Flandre, plus pressantes que toutes les autres. Les députés +des Quatre-Membres de Flandre avaient exposé, en protestant de +leur zèle pour défendre l'héritage de Marie de Bourgogne, qu'il +était urgent de rétablir les bonnes villes dans l'intégrité de leurs +franchises, de leurs coutumes et de leurs usages, afin qu'elles restassent +«en bon état, en police et en droit, puisqu'il était assez +connu, ajoutaient-ils, que la Flandre n'est pas très-fertile, et que +sa prospérité repose uniquement sur son commerce et sur son +industrie, sur ses libertés et sur ses priviléges.» C'est à ce titre +qu'ils obtiennent une nouvelle charte qui se réfère également aux +anciens priviléges des bonnes villes. Nous y remarquons, outre +quelques-unes des dispositions que nous avons déjà citées, celles +qui établissent que toutes les affaires seront traitées en flamand, +que l'unanimité du vote des membres de Flandre sera nécessaire +pour la perception des impôts, que les monnaies devront être de +bon aloi, que la chambre des comptes sera rétablie en Flandre, +que les marchands étrangers circuleront librement dans le pays, +et qu'il pourra leur être permis d'y résider, lors même qu'ils appartiendraient +à une nation ennemie.</p> + +<p>D'autres chartes supprimaient les impôts créés par Charles le +Hardi, rendaient aux tisserands et aux membres des petits métiers +<span class="pagenum"><a id="Page_124"> 124</a></span> +le droit d'élire leurs doyens et rétablissaient toutes les coutumes +abolies en 1453.</p> + +<p>Enfin, le 15 février, on annula dans la salle de la Collace l'acte +par lequel Philippe avait imposé aux Gantois la paix de Gavre et +celui par lequel ils avaient accepté des mains de Charles le Hardi +le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468.</p> + +<p>Ce fut au milieu de l'enthousiasme qui saluait dans ces diverses +mesures la résurrection de la puissance des communes flamandes +que Marie de Bourgogne fit son entrée solennelle à Gand, le 16 février +1476 (v. st.). Un grand nombre de membres de métiers l'accompagnèrent +jusqu'à l'église de Saint-Jean, où la formule du serment +qu'elle devait prêter comme comtesse de Flandre lui fut +présentée: «Vous jurez d'être bonne dame et comtesse de Flandre, +de maintenir et de faire maintenir les droits de l'Eglise et de +conserver les priviléges, libertés, coutumes, usages et droits du +pays, tels que feu le duc Philippe, votre aïeul, les a jurés et que +les bourgeois de Gand en ont joui conformément à la paix de +Tournay jusqu'à l'année 1450, ainsi que les priviléges que vous +avez vous-même octroyés; vous jurez aussi de révoquer et d'annuler +toutes les charges imposées aux bourgeois de Gand depuis +l'année 1450, de protéger les veuves et les orphelins, et de faire +tout ce qu'une bonne comtesse de Flandre est tenue de faire; +ainsi Dieu et tous ses saints vous soient en aide!»—«Je +le jure,» répondit la fille de Charles le Hardi; et la cloche de +Saint-Jean, que sa main ébranla à peine en s'appuyant sur une +longue guirlande de roses qui descendait de la nef, fit entendre +à cinq reprises, un faible et douteux tintement, ce qui parut au +peuple assemblé autour d'elle le signe certain que son règne ne se +prolongerait pas plus de cinq années.</p> + +<p>L'inauguration de la comtesse de Flandre ne précéda que de +deux jours la réinstallation des échevins de Gand élus conformément +au privilége de 1301, qui avait été confisqué par son père. Il +faut citer, parmi les bourgeois que désigna l'élection municipale, +Adrien de Raveschoot, Guillaume Rym, Roland de Baenst, Philippe +Vander Zickele, Jean Vander Gracht, Simon Borluut, Simon Damman, +Liévin Zoetamys, Liévin Uutermeere. A côté de ces noms +illustres figurent ceux de Liévin Potter et de Thierri de Schoonbrouck. +Gand croyait ne pouvoir mieux assurer sa liberté qu'en +confiant le soin de la protéger à ceux qui avaient déjà versé leur +sang pour la défendre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_125"> 125</a></span> +Tandis que les Gantois s'élevaient contre le traité de Gavre de +1453, les doyens des métiers se réunissaient à Bruges pour protester +avec la même énergie contre le traité d'Arras de 1437. Louis de la +Gruuthuse, qui venait d'y être proclamé <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftman</i> avec Anselme +Adorne et Jean Breydel, se rendit immédiatement à Gand et obtint +de Marie la révocation de la sentence qui avait condamné les anciennes +rébellions des Brugeois; grâce à ses paroles conciliantes, +les métiers qui occupaient les places publiques consentirent à déposer +les armes, et, le 7 mars, il parut au balcon de l'hôtel de ville, +où il fit lire, en français et en flamand, la charte de la duchesse +de Bourgogne. Aussitôt après, la sentence du duc Philippe fut +lacérée en présence des doyens des métiers comme l'avait été à une +autre époque le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de Jean sans Peur, et l'on annonça que les +jours suivants on lirait publiquement les priviléges de la ville du +haut des Halles. De bruyantes acclamations saluaient ces vieux +parchemins conquis à Courtray, qui étaient en même temps pour +les communes les titres de leur liberté et de leur gloire; elles redoublèrent +lorsqu'on donna lecture d'un nouveau privilége octroyé +le 13 mars par Marie de Bourgogne, qui rappelait ceux de Philippe +de Thiette.</p> + +<p>Marie y déclare que les échevins et les doyens de Bruges lui ont +remontré que leur ville repose principalement sur son commerce +et ses métiers, et que depuis longtemps elle est renommée dans +tous les royaumes étrangers comme l'étape de toutes les marchandises +portées en Flandre, et elle consent, sur leur demande, à confirmer +toutes les anciennes franchises de la cité et à lui en accorder +de nouvelles.</p> + +<p>Les officiers des princes ne pourront plus siéger parmi les magistrats. +La commune choisira elle-même six receveurs qui tous +les quatre mois rendront compte de leur gestion. Le prince seul +sera désormais exempt des droits d'accises.</p> + +<p>Les Brugeois ne seront soumis à aucun tonlieu dans toute l'étendue +de la Flandre.</p> + +<p>Le Franc cessera de former un membre séparé pour redevenir +une châtellenie placée sous l'autorité de Bruges.</p> + +<p>Le port de l'Ecluse reconnaîtra la suprématie des Brugeois, qui +en occuperont les châteaux. Le bailliage des eaux sera fixé à Bruges.</p> + +<p>Les villages qui ne jouissaient pas autrefois du droit de faire +des draps n'en fabriqueront plus désormais, et les ouvriers <i lang="nl" xml:lang="nl">haghe-poorters</i> +<span class="pagenum"><a id="Page_126"> 126</a></span> +seront tenus de se faire inscrire dans les métiers de la ville, +où il ne sera plus permis d'entrer qu'après l'apprentissage prescrit +par les anciennes coutumes.</p> + +<p>Les marchands étrangers ne pourront exposer en vente à Bruges +que des marchandises étrangères. Bruges formera leur unique étape. +La foire sera réduite comme autrefois à une durée de trois jours.</p> + +<p>Les magistrats de Bruges pourront prononcer des sentences de +bannissement et d'amende.</p> + +<p>A l'avenir, quatre commissaires choisiront, au nom du prince, +quatre échevins parmi les bourgeois et un dans chacun des neuf +membres. Il en sera de même pour l'élection des conseillers. Les +échevins et les conseillers nommeront les bourgmestres.</p> + +<p>C'est ainsi qu'en peu de jours on avait vu s'effacer au sein des +communes flamandes les traces de la domination des duc de Bourgogne +pendant près d'un siècle.</p> + +<p>Cependant le soin des réformes intérieures ne pouvait faire +oublier les périls et les menaces des invasions. Le bruit s'était répandu +que Louis XI avait donné l'ordre de s'emparer de la Bourgogne, +et qu'il rassemblait en même temps une armée aux bords de +l'Oise. Dès le 18 janvier, Marie de Bourgogne et Marguerite d'York +avaient adressé au roi de France une lettre où elles le priaient, en +termes fort touchants, de ne pas rompre la trêve de neuf ans conclue +à Soleuvre, qui durait à peine depuis dix-sept mois. «Très-redoubté +et souverain seigneur, lui écrivaient-elles, tant et sy +humblement que plus povons, nous nous recommandons à vostre +bonne grâce et vous plaise savoir, nostre très-redoubté et souverain +seigneur, que après que avons entendu la dure fortune qu'il a plu +à Dieu nostre créateur permettre sur monseigneur et son armée à +la journée qui a esté entre luy et le duc Renyer de Lorreine, laquelle +nous a esté de si très-grand dueil et tristesse et angoisse +que plus ne porroit, nous avons en ferme foy et crédence que +vostre bonté et clémence est et sera telle envers nos désolées +personnes et ceste maison de Bourgogne, laquelle par espécialle +et singulière dilection vous avez tant amée et honnourée, et y +estes volu venir et vous y tenir en démonstrant la fiance et amour +que vous y aviez par-dessus toutes les maisons de la crestienté, +que sans avoir regard aux questions et différences que l'ennemy +de tous biens a semez de sa malice et mis par aucun temps entre +vous et mondit seigneur, vous garderés et deffendrez de toute +<span class="pagenum"><a id="Page_127"> 127</a></span> +oppression et nous et la dite maison, et les pays et signouries +d'icelles; par quoy jasoit ce que nous ayons entendu que aucuns +de vos gens de guerre se soient avancés de sommer la ville de +Saint-Quentin, et que autres se tyrent ès pays de Bourgogne, +nous tenons fermement que ce ne procède de vostre sceu, ordonnanche +et bon plaisir; car nous avons veu et congneu que ches +deux précédentes fortunes que mondit seigneur avait eu à Granson +et à Morat, vous qui estiez lors prochain de luy et en très-grande +puissanche, et qu'il vous estoit chose facile de luy porter +grand et irréparable dommage, le avez delaissiet de faire en +entretenant la trève estant emprinse entre vous et luy, à vostre +très-grant louenge et exaltation de vostre très-noble renommée, +ce qui doit à chacun desmontrer que en ceste tierce fortune qui +samble la plus grande, vous vouleriés tant moins souffrir par voz +gens faire chose qui fust à la diminution de si grand louenge et +renommée, meismement sur nous qui sommes désolées femmes, +desquelles, comme de voz très-humbles petites parentes vous estes +protecteur et ne nous porroit cheoir en pensée que en voulsissiez +estre le persécuteur, mesmement de moy Marie à qui vous avez +tant fait de bien et honneur que m'avez levée de saintz fontz de +baptesme; aussy, nostre très-redoubté seigneur, la trève qu'il +vous a plu prendre avecque mondit seigneur pour neuf ans a esté +faite non seullement pour la personne de mondit seigneur, mais +aussy expressément pour ses hoirs et ses successeurs, en laquelle, +je Margarite comme sa veusve et je Marie comme sa seulle fille et +héritière, sommes expressément comprinses et devons, comme il +nous semble, joïr de l'effect d'icelle en demourant en entier des +pays et signouries qu'il tenoit, combien que en ce cas nous ne +voulons, ne entendons estre ne demourer en aucune guerre ou +inimitié à l'encontre de vous, mais de tout nostre cuer et pouvoir, +en toute obéissance, amour et bonne voulenté, sans difficulté, +faire envers vous tout le devoir qu'il appartient. Et s'il y a aucunes +choses, soient signouries ou villes, dont au dit cas, je Marie, +comme vostre très-humble filleule, me dois départir et dont +vostre très-noble plaisir soyt me faire par vostre très-grande +clémence avertir, je le ferray sans aucun contredit. Et entendons +bien en la conduite de tous noz affaires et de ceste maison, vous +supplyer que puissions par vostre bonne grâce user de vostre conseil, +ayde et confort. Si vous supplions, très-redoubté et souverain +<span class="pagenum"><a id="Page_128"> 128</a></span> +seigneur, en la plus grande humilité que possible nous est, que +vostre plaisir soyt de faire cesser et depporter voz gens de guerre +de aucune chose entreprendre sur les pays, villes et signouries +de mondit seigneur, et de nous vouloir aydier et conforter comme +celles quy de tout leur cuer vous désirent de obeyr, servyr et +aimer.» Marguerite et Marie avaient signé: <em>Vos très-humbles +subjectes et povres parentes</em>.</p> + +<p>Louis XI ne se laissa pas émouvoir par des supplications qui +n'étaient à ses yeux qu'un aveu de faiblesse, et lorsque Jacques de +Tinteville et Thibaut Barradot, porteurs du message des deux duchesses +de Bourgogne, le rencontrèrent se dirigeant vers Péronne, +il se contenta de leur répondre qu'ils trouveraient à Paris les gens +de son conseil et qu'ils pourraient s'expliquer avec eux. Mais loin +de les entendre, on leur donna des gardes qui ne les quittaient +point. Quinze jours ou trois semaines se passèrent: enfin on leur +permit d'aller rejoindre le roi dans la ville de Péronne que Guillaume +Biche lui avait livrée. Ils y trouvèrent une ambassade solennelle +que Marie de Bourgogne, de plus en plus alarmée, venait d'envoyer +vers Louis XI pour le conjurer de nouveau de respecter la +trêve de Soleuvre.</p> + +<p>Cette ambassade était composée des évêques de Tournay et d'Arras, +de Guillaume de Cluny, coadjuteur de l'évêque de Térouane, de Louis +de la Gruuthuse, qu'Edouard IV avait créé comte de Winchester, +de Gui d'Humbercourt, comte de Meghem, de Wolfart de Borssele, +comte de Grandpré, et de Guillaume Hugonet, chancelier de Bourgogne, +auxquels s'étaient joints les représentants des trois bonnes +villes. Elle venait offrir au roi de lui restituer tous les territoires +cédés par les traités d'Arras, de Conflans et de Péronne, et de reconnaître +la juridiction du parlement de Paris. Louis XI ne se souvenait +plus des terreurs qui l'avaient agité dans cette même ville +de Péronne à la vue de la vieille tour où avait été enfermé Charles +le Simple. Il semblait que rien ne pût plus lui résister. Montdidier +avait capitulé; Roye ne s'était pas mieux défendue; Mareuil, Doulens, +Corbie, Vervins, Saint-Gobain, Marle, Beaurevoir, Braie, +Bapaume, Landrecies, le Crotoy, Saint-Riquier, Montreuil, Ham, +Bohain, Abbeville, lui avaient ouvert leurs portes et on avait vu se +ranger sous ses bannières, à côté de Guillaume Biche, le bâtard de +Rubempré, qu'il avait voulu autrefois exciter à un crime odieux, et +le grand bâtard de Bourgogne, qu'il venait de racheter de sa captivité +<span class="pagenum"><a id="Page_129"> 129</a></span> +de Nancy. Evidemment il ne pouvait se contenter de la restitution +des villes que la fortune de la guerre avait déjà remises entre +ses mains, et il répondit sans hésiter aux ambassadeurs de la +duchesse de Bourgogne qu'il ne consentirait à aucune trêve, «se ce +n'estoit que préalablement la cité lez Arras feust mise en ses +mains pour en joyr comme du sien propre et la conté de Boulenoys +pour la tenir en ses dites mains au profit de celui qui droit y +aura, et aussi que ouverture lui feust faite des villes et places +fortes du pays d'Artois.»</p> + +<p>Le roi de France se préoccupait toutefois encore bien plus du +comté de Flandre, dont il avait jadis admiré les richesses, que du +comté d'Artois qui n'avait ni la même industrie, ni le même commerce. +Il savait bien d'ailleurs que les états de Flandre exerceraient +une influence prépondérante dans toutes les questions relatives au +mariage de Marie de Bourgogne avec le Dauphin, mariage qu'en +ce moment il désirait à tel point qu'il disait aux envoyés flamands +que s'il pouvait se conclure, «non-seulement il leur accorderoit +et donneroit ce qu'ils requerroient, mais du sien propre eslargiroit.» +Il consentit même, pour leur plaire, à suspendre la guerre +jusqu'au 2 mars, afin qu'on eût le loisir d'accepter ses propositions. +Selon le récit des chroniqueurs contemporains, le roi de France +combla de louanges et de caresses les députés de la Flandre. Tantôt +«il buvoit à eulx et à ses bons sujés de Gand;» tantôt il +offrait à Louis de la Gruuthuse «une comté de France bien meilleure +que celle qu'il possédoit en Angleterre.» En même temps +il affectait de traiter avec des sentiments tout opposés le sire +d'Humbercourt, le chancelier Hugonet et Guillaume de Culny, qu'il +savait être fort impopulaires en Flandre, et il leur disait, comme +s'il eût partagé toutes les haines de nos communes, «qu'ils avoient +perdu du tout leur gouvernement.» Il prétendait même que le +sire d'Humbercourt était le véritable évêque de Liége, puisqu'il +avait «levé et rechut tout l'argent du pays.» Louis XI cherchait à +flatter les communes flamandes comme il flattait les bonnes villes +suisses en se faisant inscrire dans leurs bourgeoisies: il voulait +qu'elles le reconnussent pour tuteur de mademoiselle de Bourgogne +et la remissent «en sa garde et tutelle;» mais ses tentatives +restèrent sans fruit, et les envoyés flamands se bornèrent à déclarer +qu'ils rendraient compte de leur mission à l'assemblée des états +généraux qui siégeait à Gand.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_130"> 130</a></span> +Au moment même où Louis XI raillait les conseillers de Marie +de Bourgogne qui faisaient partie de l'ambassade de Péronne, ils +s'acquittaient auprès de lui d'une mission plus secrète, et il semble +que le roi de France ne les ait accueillis avec un apparent dédain +que parce qu'il n'avait plus rien à leur demander. Philippe de Commines +rapporte que Marie leur avait remis, par le conseil de sa +belle-mère, la duchesse douairière de Bourgogne, des instructions +particulières pour qu'ils soutinssent ses intérêts près du roi de +France. Marie de Bourgogne était disposée à épouser le Dauphin, +comme l'évêque de Liége, favorable aux vues de Louis XI, ne cessait +de le lui conseiller, et c'était à l'insu des états qu'elle avait remis +au sire d'Humbercourt et au chancelier Hugonet ces lettres +importantes, précieux dépôt que semblait justifier la confiance +que le duc Charles avait placée dans leur fidélité. Marie, en +suivant l'exemple de son père, se trompait comme lui. Humbercourt +et Hugonet s'occupèrent moins, à Péronne, de soutenir ses intérêts +que de confirmer le traité particulier qui depuis longtemps les unissait +à Louis XI. «Le dit chancelier et le seigneur d'Humbercourt, +qui avoient esté nourris, dit Philippe de Commines, en très-grande +et longue autorité, et qui désiroient y continuer et avoient +leurs biens aux limites du roy, prestoient l'oreille au roy et à ses +offres; et donnèrent quelque consentement de le servir et de tous +poincts se retirent soubz luy, ledit mariage accompli.»</p> + +<p>Cependant les états généraux délibéraient à Gand sur ce qu'il y +avait lieu de faire en présence des menaces et des prétentions de +Louis XI. Leur premier soin avait été d'écrire aux habitants de +Valenciennes, de Bouchain, du Quesnoy et de Saint-Ghislain, afin +de les exhorter à résister vaillamment aux Français jusqu'à ce qu'on +pût les secourir. Déjà Gui de Rochefort et Gui Perrot, envoyés en +Artois, y avaient obtenu des nobles et des communes la promesse +d'une adhésion énergique à tous les moyens adoptés pour la protection +des frontières. Les états généraux avaient même résolu de +réunir une armée de cent mille hommes sous les ordres du sire de +Ravestein, et ils avaient ordonné que chaque province se chargeât +de la solde de ses hommes d'armes et des frais relatifs aux achats +de munitions, de vivres et d'approvisionnements. Mais il était plus +que douteux que la Flandre pût terminer ses armements assez tôt +pour repousser la redoutable armée du roi de France, et il paraissait +sage, tout en s'efforçant de défendre l'Artois, de se prêter aux +<span class="pagenum"><a id="Page_131"> 131</a></span> +négociations relatives au mariage du Dauphin, dont l'accomplissement +était nécessairement éloigné, afin d'attendre des événements +quelque secours inespéré; les instructions données le 28 février +1476 (v. st.) portaient uniquement «que les estas, considérans que, +au moyen de ladite aliance de mariaige, tous différens entre le +roy et madite damoiselle seroient apaisiez et s'en ensuivroient +d'autres grands biens, se sont résoluz et concluz, du sceu et bon +plaisir de madite damoiselle, d'entendre et de vacquer au fait +de ladite aliance de mariaige;» et elles indiquaient, aussitôt +après, une trêve comme conséquence de cette importante déclaration, +que terminaient des protestations de fidélité et le désaveu de +toute participation aux guerres du duc Charles, et même aux actes +de son gouvernement, «comme bien ilz l'ont desjà desmontré en +l'abolition du parlement de Malines.»</p> + +<p>Les principaux ambassadeurs choisis par les états généraux pour +cette nouvelle mission étaient les abbés de Saint-Pierre et de Saint-Bertin, +les sires de Ligne, de Maldeghem, de Dudzeele, de Bersele, +de Welpen, maître Godefroi Hebbelinc, pensionnaire de Gand, et +maître Godefroi Roelants, pensionnaire de Bruxelles. En s'arrêtant +à Lille, ils apprirent que le sire de Crèvecœur avait livré au roi de +France la cité d'Arras, à peine séparée de la ville par une muraille +et un rempart; ils eussent pu, dès ce moment, juger leur mission +terminée, car il n'était plus permis d'espérer que Louis XI déposerait +les armes pour s'endormir dans une longue trêve. Ils crurent +toutefois devoir continuer leur voyage et se dirigèrent le 7 mars +vers Lens, où ils attendirent deux jours un sauf-conduit. Enfin, ils +arrivèrent dans la cité d'Arras, et furent immédiatement introduits +près de Louis XI, qui les reçut dans une salle tendue de velours +bleu semé de fleurs de lis d'or. Dès le commencement de l'audience +ils furent obligés de s'excuser des termes employés dans leurs +lettres de créance, que les gens du roi trouvaient trop peu respectueux, +et l'abbé de Saint-Pierre prodigua assez inutilement son +éloquence dans un discours où il exprimait le vœu que le roi fît +retirer ses hommes d'armes pour que rien ne troublât l'affection +que lui portaient ses sujets et leur désir de poursuivre les négociations.</p> + +<p>Louis XI parla beaucoup aux ambassadeurs de tout ce qui était +étranger à leur mission. Il leur raconta son long exil dans les Etats +du bon duc Philippe, ses griefs contre le duc Charles qui s'était +<span class="pagenum"><a id="Page_132"> 132</a></span> +fait rendre les villes de la Somme sans en restituer le prix, et n'avait +jamais fait hommage des seigneuries tenues en fief de la couronne +de France. Il protesta même qu'il n'aurait point réuni d'armée, s'il +n'y avait pas été réduit par la résistance qu'il avait rencontrée +dans les villes de la Somme et à Arras, où les bourgeois lui fermaient +leurs portes; il déclara qu'il préférait pour son fils la main +de mademoiselle de Bourgogne à celle de mademoiselle Elisabeth +d'Angleterre et de mademoiselle Jeanne d'Aragon, héritière de plusieurs +royaumes, et ajouta que s'il parvenait à assurer l'union de la +France et de la Flandre, il ne redouterait plus ni les Turcs, ni les +Anglais; il disait aussi qu'il aimait tant les Gantois qu'il entrerait +volontiers seul dans leur ville, et qu'il serait si joyeux de voir s'accomplir +le mariage du Dauphin et de mademoiselle de Bourgogne, +«qu'il osteroit la couronne de son chief pour la poser sur le chief +de son filz et de ma dite damoiselle, et se retraire en quelque +lieu pour vivre en déduit en privé estat.» Mais tous ces beaux +discours ne valurent pas aux envoyés des états généraux la moindre +concession; on leur refusait fort gracieusement la trêve qu'ils demandaient +à genoux.</p> + +<p>Louis XI modifia bientôt ses desseins. Depuis qu'il était entré +dans la cité d'Arras, il persistait chaque jour davantage à exiger la +remise des villes de l'Artois: mais il tenait beaucoup moins au +mariage immédiat de son fils avec mademoiselle de Bourgogne, +mariage si aisé à conclure, s'il avait consenti à modérer ses prétentions. +Il s'était souvenu que le Dauphin était fiancé à une princesse +anglaise, et jugeait d'autant plus périlleux de compromettre +une de ses alliances les plus importantes, qu'il avait récemment +appris qu'Edouard IV recherchait lui-même la main de Marie de +Bourgogne, soit pour le duc de Clarence, soit pour lord Scales, gentilhomme +d'une naissance obscure, mais frère de la reine Elisabeth. +Louis XI bornait en ce moment ses efforts à obtenir du roi d'Angleterre +qu'il renonçât à ce projet; dans ce but, il avait envoyé à +Londres des ambassadeurs animés de son esprit, «bons clercs et +bien experts, qui savoient bien tenir leur charge sans entrer en +pratique,» pour lui proposer d'entretenir à ses frais toute une +armée anglaise, s'il consentait à déclarer la guerre à sa sœur et à +sa nièce; à ce prix, Edouard IV devait réunir à ses domaines la +Flandre et le Brabant. Le roi d'Angleterre répliquait que la Flandre +et le Brabant étaient des pays difficiles à garder et qu'il préférait +<span class="pagenum"><a id="Page_133"> 133</a></span> +la Picardie et le comté de Boulogne; et les négociations se prolongeaient +sans amener de résultats. Au même moment, Louis XI +offrait les villes du Brabant aux princes des bords du Rhin, et +n'était pas plus sincère dans les espérances qu'il leur faisait concevoir: +il comptait bien ne se dessaisir en faveur de personne des +Etats héréditaires de la maison de Bourgogne, et Philippe de Commines +a soin de nous apprendre qu'il ne cherchait, en réclamant +Elisabeth d'York pour son fils, qu'à gagner un mois ou deux «en +dissimulations.» Si ce mariage s'était accompli, Henri VIII eût eu +Louis XI pour aïeul.</p> + +<p>Au mois de mars 1476 (v. st.), le roi de France se considérait +déjà comme le maître des riches provinces que convoitait son ambition, +et il voyait dans les seigneuries et dans les fonctions qu'il +voulait y donner à ses serviteurs un moyen de récompenser leur +zèle. «Je compte,» disait Jean Daillon, que Louis XI avait surnommé +maître Jean des habiletés, «être gouverneur de Flandre et +m'y faire tout d'or.» En vain le duc de Bourbon osa-t-il dire à +Louis XI qu'il ne pouvait l'aider dans son entreprise, «ne dissimulant +point qu'il devoit donner un meilleur titre à ses armes que +le simple désir de joindre le Pays-Bas à sa couronne;» en vain +Philippe de Commines et plusieurs de ses conseillers, plus timides +ou plus prudents, lui représentaient-ils, en gardant le silence sur +le but de ses projets, que les moyens de l'atteindre étaient difficiles +et douteux; il ne voulait rien entendre. Un homme lui avait dit que +la Flandre ne pouvait lui échapper, et Louis XI ajoutait une foi +entière à ses paroles, non-seulement parce qu'il prétendait bien +connaître la Flandre, où il était né, mais aussi parce qu'il avait su, +par certaines affinités de vices et de mœurs, se placer au premier +rang dans son intimité.</p> + +<p>Cet homme était de Thielt et s'appelait Olivier Necker; mais ce +nom, emprunté aux mythologies septentrionales, qui l'emploient +pour désigner les génies malfaisants des eaux, avait été traduit par +le nom d'Olivier le Diable ou d'Olivier le Mauvais, lorsqu'il devint, +soit à Bruges, soit à Genappe, le collègue de Jean Wast, comme +valet de chambre de Louis XI. A ces fonctions il joignait celle de +barbier et assez souvent celle de collègue du prévôt Tristan l'Ermite +dans l'exécution des sentences secrètes. En 1474, il avait reçu +des lettres de noblesse et un nom de moins sinistre augure que le +sien, celui d'Olivier le Dain, «afin qu'il ne fût plus loisible à aucun +<span class="pagenum"><a id="Page_134"> 134</a></span> +de plus le surnommer dudit surnom de Mauvais.» Enfin il +avait été créé successivement gentilhomme de la chambre, capitaine +de Loches, gouverneur de Saint-Quentin et comte de Meulan: +si sa vanité n'avait plus rien à désirer, il manquait à sa gloire de +livrer à l'autorité d'un prince absolu et violent ces grandes communes +de Flandre, toujours si jalouses de leurs franchises et si +hostiles au joug étranger. Ses espions s'étaient répandus de tous +côtés, dans les villes, dans les bourgs, dans les campagnes; il s'était +réservé à lui-même la mission la plus difficile: le soin d'engager +par la persuasion la jeune duchesse de Bourgogne à se retirer en +France, ou celui de réveiller les vieilles émeutes populaires qui, à +tant de reprises, avaient agité les Gantois, afin que la nécessité la +conduisît également à chercher un refuge dans la tour grillée du +Plessis-lez-Tours. Cette menaçante alternative, qui devait, en laissant +au Dauphin Elisabeth d'York pour fiancée, livrer Marie de +Bourgogne comme prisonnière au roi de France, était en ce moment +le secret de sa politique. Il avait jugé ce moyen habile, non-seulement +pour conserver l'alliance des Anglais, plus utile que jamais, +mais aussi pour arriver à l'exercice complet d'un droit de conquête +bien préférable, à son avis, à des négociations où les communes +flamandes eussent introduit mille réserves pour leur nationalité, +leur indépendance et leurs libertés, en refusant sans doute de remettre +la princesse Marie en des mains étrangères tant que le +Dauphin, qui n'avait encore que six ans, n'aurait point atteint l'âge +nubile. Peu de jours avaient suffi pour que Louis XI abandonnât +toute pensée «de joindre à sa couronne toutes ces grandes seigneuries, +où il ne pouvoit prétendre nul bon droit, par quelque traité +de mariage, ou les attraire à soy par vraie bonne amitié; quoi +faisant il eust bien enforcié son royaume.»</p> + +<p>Olivier le Dain, arrivé à Gand avec une suite de vingt-quatre +chevaux, remit solennellement les lettres du roi de France à mademoiselle +de Bourgogne, en présence du duc de Clèves, de l'évêque +de Liége et de «plusieurs autres grands personnages.» Néanmoins, +lorsqu'on l'invita à exposer le but de son ambassade, il répondit +qu'il «n'avoit charge sinon de parler à elle à part.» On +jugea cette demande peu convenable, puisqu'il était contraire à +tous les usages de laisser ainsi une jeune princesse seule avec un +homme aussi grossier. Olivier le Dain s'obstinait à ne pas vouloir +s'expliquer; mais il ne put rien obtenir: on le menaça même de le +<span class="pagenum"><a id="Page_135"> 135</a></span> +contraindre à parler malgré lui. Il ne se voyait pas mieux accueilli +près des bourgeois, qui avaient déjà recouvré tous leurs priviléges: +il n'avait rien de plus à leur offrir. Après un séjour de peu de +durée, pendant lequel toutes ses tentatives échouèrent, le barbier +de Louis XI s'effraya du mépris qui s'attachait à sa mission et des +huées qui flétrissaient son orgueil et son luxe, si différents de l'état +d'abjection et de misère où on l'avait autrefois connu, et il ne +tarda pas à s'enfuir à Tournay, de peur qu'on ne le noyât dans +l'Escaut.</p> + +<p>La Flandre, qui, depuis tant de siècles, avait appris à redouter +le joug étranger, était peu disposée à se soumettre à l'autorité de +Louis XI. Elle avait assez souffert de la domination absolue des +ducs de Bourgogne, pour ne pas rechercher celle d'un roi non moins +puissant et habitué à disposer à son gré des impôts et des priviléges, +sachant bien que ses mœurs perfides et soupçonneuses n'eussent +jamais pu comprendre la fière et tumultueuse indépendance +des communes flamandes.</p> + +<p>La mission d'Olivier le Dain se prolongeait encore au moment +où Louis XI recevait dans la cité d'Arras les envoyés des états +généraux. Le roi de France voulut agir sur eux comme il avait +chargé son barbier d'agir sur les Gantois, en excitant entre la jeune +duchesse et les communes des divisions favorables au but qu'il se +proposait. Comme ils déclaraient que la princesse ne faisait rien +sans le conseil des états, il s'empressa de les interrompre. «Vous +connaissez mal ses intentions, leur dit-il; elle s'inquiète peu de +vous, et ce sont d'autres avis qu'elle suit dans ses négociations.» +Les ambassadeurs flamands protestaient que cela n'était point; +mais Louis XI leur répondit qu'au-dessus des états il existait un +conseil secret composé de quatre personnes, savoir: de la duchesse +douairière, d'Adolphe de Clèves, sire de Ravestein, du sire d'Humbercourt +et du chancelier Hugonet, et qu'il pouvait leur en donner +la preuve écrite d'une main qu'ils ne sauraient méconnaître. Pour +les en convaincre, il leur lut, à leur grand étonnement, les lettres +que Marie de Bourgogne lui avait adressées à Péronne, et les leur +remit pour qu'ils pussent les faire voir à leurs concitoyens. Il leur +communiqua en même temps les lettres de décharge que le sire +d'Humbercourt et le chancelier Hugonet avaient données au sire +de Crèvecœur pour hâter la capitulation de la cité d'Arras, et leur +montra d'autres lettres émanant probablement de la même source, +<span class="pagenum"><a id="Page_136"> 136</a></span> +où on l'avertissait que le seul but de l'ambassade des états était +de gagner du temps. Les députés furent de nouveau, comme ils +l'avouent eux-mêmes, «fort perplex et esbahis et au vray ne scavoient +que dire.» Ils quittèrent Arras le même jour (11 mars).</p> + +<p>Si nous avons déjà fait assez connaître le système politique de +Louis XI dans les affaires de Flandre, système qui tendait à conduire +par l'émeute la jeune princesse à l'exil et les communes à +leur affaiblissement et à leur ruine, nous devons aussi chercher à +expliquer comment il révélait lui-même aux députés des états de +Flandre ce qu'il lui importait le plus, ce semble, de leur cacher +avec soin. Il faut remarquer d'abord que la duchesse douairière +désirait obtenir la main de Marie de Bourgogne pour un prince de +sa maison, et que déjà des ambassadeurs anglais étaient arrivés à +Gand pour prier mademoiselle de Bourgogne «qu'elle ne voulsist +point prendre d'aliance de mariage avec les François, ses anchiens +ennemis.» Adolphe de Clèves pouvait également chercher à +favoriser son fils. En livrant leurs noms à l'indignation populaire, +il écartait deux compétiteurs dont les prétentions étaient d'autant +plus menaçantes qu'elles avaient leur siége plus près de l'héritière +de Charles le Hardi. De semblables motifs n'existaient point à l'égard +du chancelier de Bourgogne et de son ami; car ils ne cessaient +de lui rendre d'importants services, notamment en lui faisant livrer +la cité d'Arras. Néanmoins, Louis XI eût préféré qu'ils donnassent +publiquement l'exemple de la trahison en quittant la Flandre pour +aller rejoindre dans sa tente Guillaume Biche et le bâtard de +Rubempré: tout ce qu'il avait dit à deux reprises aux ambassadeurs +des états était un moyen de les y contraindre.</p> + +<p>Les députés des états généraux étaient rentrés à Gand le 13 +mars; mais les chansons et les concerts des ménestrels qui célébraient +à l'hôtel de ville la joyeuse solennité de la mi-carême ne +purent les empêcher d'entendre gronder autour du palais des magistrats +les sombres murmures de la tempête populaire. Toute la +ville était émue par la récente ambassade du barbier Olivier le +Dain. Les rumeurs de trahison qu'elle avait fait naître s'étaient +ranimées à son départ, en s'adressant, comme s'ils eussent été ses +complices, aux hommes que l'on accusait d'avoir été les flatteurs de +la domination bourguignonne. On voulait savoir, disait-on, quels +étaient ceux qui, au mépris des priviléges de la ville, avaient signé +le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468, et qui s'étaient rendus coupables de concussions +<span class="pagenum"><a id="Page_137"> 137</a></span> +pendant leur administration. Une enquête ouverte dans ce double +but amena l'arrestation de plusieurs anciens magistrats: il faut +nommer Roland de Wedergrate, Philippe Sersanders, Olivier +Degrave, Pierre Baudins et Pierre Huereblock.</p> + +<p>Pierre Baudins, infirme et aveugle, avait contribué plus que +personne à exciter contre les bourgeois de Gand la longue guerre +qu'avait terminée le désastre de Gavre; Pierre Huereblock était le +chef des <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i> de 1467. Philippe Sersanders et Olivier +Degrave avaient, en 1468, pris part à l'annulation des anciens priviléges +de la ville et à l'humiliante démarche du Caudenberg, que +Molinet place parmi les triomphes de Charles le Hardi; Roland de +Wedergrate s'était, à cette époque, associé comme échevin aux +mêmes actes, et avait été de plus le collègue du chancelier Hugonet +et du sire d'Humbercourt dans l'ambassade de Péronne.</p> + +<p>Le même mouvement s'était reproduit à Ypres, à Mons, à Louvain, +à Malines, à Bruxelles, et, dès ce moment, le douloureux spectacle +des sentences criminelles et des supplices vint attrister les +regards. A Gand, Pierre Huereblock fut décapité le 13 mars, c'est-à-dire +le jour même du retour des ambassadeurs des états. Pierre +Baudins monta le lendemain sur l'échafaud où la hache avait +frappé autrefois Pierre Tincke et Louis Dhamere. Le 17 mars, périrent +Roland de Wedergrate, Philippe Sersanders et Olivier Degrave. +Leurs aveux avaient, selon le récit des chroniques flamandes, +accru l'irritation populaire. D'un côté, le gouvernement de Charles +le Hardi se révélait tel qu'il avait été dans ses dernières années, +lorsque la destruction de ses armées et l'épuisement de ses trésors +l'avaient précipité dans les voies de la violence et de l'oppression; +d'un autre côté, il était aisé de reconnaître que la faiblesse à laquelle +l'autorité avait été réduite tout à coup entre les mains de sa +fille n'avait été qu'une source nouvelle d'intrigues et de trahisons.</p> + +<p>A cette date, la plus importante de la période si dramatique et si +agitée qui suivit la mort de Charles le Hardi, se place une lettre +des députés de Bruges qui siégeaient parmi les membres des états +généraux. «Veuillez savoir, écrivaient-ils aux échevins qui étaient +restés à Bruges, que depuis notre dernière lettre, les ambassadeurs +récemment envoyés vers le roi se sont rendus en présence +de mademoiselle de Bourgogne, des principaux de son sang et de +quelques-uns de ses conseillers, et que l'on a aussitôt après discuté, +en l'absence de mademoiselle, les questions suivantes: Mademoiselle +<span class="pagenum"><a id="Page_138"> 138</a></span> +de Bourgogne se trouve-t-elle liée par les lettres relatives +à son mariage avec le fils de l'Empereur qui ont été montrées +aux états, de telle sorte qu'elle ne puisse conclure aucune +autre alliance? On a décidé que mademoiselle ne se trouve pas +liée, attendu qu'elle s'est contentée de répondre qu'elle se conformerait +à la volonté de son père, et qu'il est bien connu que diverses +grandes matières devaient être réglées entre l'Empereur +et le duc Charles avant que ce mariage s'accomplît. Le second +point était celui-ci: Si mademoiselle de Bourgogne est libre de +conclure une autre alliance, quelle est celle qui serait la plus +utile à ses pays et à ses sujets? On remarqua que les possessions +du fils de l'Empereur étaient bien éloignées des siennes, et par là +d'un faible secours. On parla de l'alliance de l'Angleterre et du +duc de Clarence, mais l'on répliqua que cette alliance serait fort +mal prise par le roi de France, à cause des divisions qui existaient +entre les Anglais et lui, et qu'il en résulterait pour les +Etats de mademoiselle, qui relèvent de la couronne de France, +une guerre perpétuelle; enfin l'on observa qu'aucune alliance +n'était plus convenable que celle du Dauphin, que mademoiselle +la désirait et qu'elle assurerait la paix et le repos de ses pays, vu +que le roi était prêt, en cas de refus, à causer de grands dommages +à ses pays, qui ne sont point, ce qui est fort lamentable, +en état de faire quelque résistance. Quant au troisième point, qui +se rapportait à l'ouverture des villes et forteresses d'Artois, il fut +résolu que l'on prêterait serment de fidélité au roi jusqu'au moment +de l'hommage de mademoiselle de Bourgogne, et que ladite +ouverture s'effectuerait verbalement, sans que le roi pût introduire +en Artois ses hommes d'armes. Le quatrième point était +d'examiner, dans le cas où la question de l'ouverture des villes +de l'Artois empêcherait le mariage, quels moyens l'on adopterait +pour résister au roi de France. En effet, mademoiselle de Bourgogne +a reçu hier, de divers lieux et par plusieurs députés de Béthune, +les nouvelles les plus graves sur les entreprises que le roi +fait chaque jour en Artois; elle a supplié, les mains jointes et les +yeux remplis de larmes, le sire de Rumbeke et maître Jean de +la Bouverie de se rendre près des membres des états pour réclamer +des secours, offrant d'y employer sa propre personne et ses +biens, et se plaignant fort de ce que ses sujets s'abandonnaient à +leurs inimitiés mutuelles, au lieu de songer à protéger leurs +<span class="pagenum"><a id="Page_139"> 139</a></span> +biens, ce dont il résulterait évidemment qu'elle perdrait tout son +héritage et serait elle-même livrée au roi, tandis qu'elle possède +tant de beaux pays, couverts d'une nombreuse population qui y +pourrait aisément porter remède. Elle ajoutait qu'elle ne voulait +pas, pour ce motif, renoncer contre l'avis des états à l'alliance du +Dauphin, mais qu'il ne convenait point que l'on eût recours à de +semblables moyens pour la contraindre, et qu'il était nécessaire +d'envoyer des secours à ceux qui les réclamaient. On délibérera à +ce sujet aujourd'hui, et cette matière est si grande et si importante +qu'elle ne saurait l'être davantage. Beaucoup de députés +sont toutefois d'opinion que jamais l'on n'obtiendra du roi un +traité favorable, à moins qu'on ne lève la main et que l'on ne présente +le visage...»</p> + +<p>La séance des états était attendue avec une anxiété profonde: +Marie de Bourgogne s'y était rendue, et l'on y remarquait les +échevins de Gand et les doyens des métiers. Les ambassadeurs qui +revenaient d'Arras y présentèrent la relation «de leur besoingné.» +Ils y indiquaient vaguement ce qu'ils avaient appris sur la reddition +de la cité d'Arras, sur certaines alliances et sur quelques +lettres écrites par de grands personnages, se référant d'ailleurs +«à ce qui est rapporté plus avant aux estats,» ou «à ce que est en +la mémoire du reportant.» La discussion nécessita bientôt des +explications plus complètes. La jeune duchesse de Bourgogne les +écouta quelque temps en silence; mais, lorsqu'ils reproduisirent le +récit de l'entretien qu'ils avaient eu avec le roi de France, elle +s'écria vivement que tout était faux, et qu'ils ne prouveraient +jamais que les lettres dont ils parlaient eussent été écrites. Cependant, +l'un des ambassadeurs (c'était un pensionnaire de Gand, +Godefroi Hebbelinc) montra les lettres mêmes qui avaient été +adressées à Péronne, et les exposa à tous les regards; puis ils poursuivirent +en citant les noms de la duchesse douairière de Bourgogne +et du sire de Ravestein. Quand ils prononcèrent ceux d'Humbercourt +et d'Hugonet, ces chefs du parti français, l'indignation publique, +encore toute surexcitée par les supplices de la veille, éclata en +sinistres murmures. La Flandre n'avait-elle pas été sans cesse +menacée par les intrigues que des étrangers formaient pour sa +perte? Humbercourt n'était-il pas Picard? Hugonet n'était-il pas +Bourguignon? Quels étaient donc les services qui pouvaient justifier +la fortune de la maison de Brimeu, à laquelle appartenait le +<span class="pagenum"><a id="Page_140"> 140</a></span> +sire d'Humbercourt? Son aïeul, Atis de Brimeu, avait été gouverneur +du duc Philippe, et l'avait élevé dans la haine des franchises +communales. On accusait son père, Jean de Brimeu, d'avoir trahi +les Flamands au siége de Calais. Gui d'Humbercourt avait marché +sur leurs traces; il avait été armé chevalier en luttant contre les +Gantois à la sanglante journée d'Overmaire, en 1452; puis il avait +présidé à l'exécution rigoureuse de la capitulation de Liége, qu'il +avait préparée par ses fallacieux discours; et, afin de rendre plus +cruelle aux Liégeois la perte de leurs priviléges, il les avait orgueilleusement +contraints à les lui remettre dans une de leurs maisons, +dont il s'était emparé par droit de confiscation, dans la maison +même de leur héros, Rasse de Lintre. Enfin, il avait gouverné la +Flandre au nom du duc Charles à l'époque des exactions les plus +violentes, muni, dit-on, d'un blanc seing qui légitimait toutes ces +sentences, vendant tantôt la justice aux bourgeois obscurs, +l'invoquant tantôt pour perdre, sans égard pour son rang, +le connétable Louis de Saint-Pol, aussi humble vis-à-vis du roi de +France, qui l'avait gagné à ses intérêts, qu'il était altier à l'égard +des communes, lorsqu'il venait réclamer de nouveaux impôts. +Hugonet n'avait-il pas eu part à la même autorité, et ne s'était-il +pas associé aux-mêmes actes? Sorti pauvre et obscur de la Bourgogne, +et devenu tour à tour chancelier, vicomte d'Ypres, seigneur +de Saillant, d'Epoisses, de Lys, de Middelbourg, pouvait-il justifier +la possession de tant de riches domaines? Guillaume de Cluny, +leur confident et leur ami, n'avait-il pas exercé sur l'esprit du duc +Charles une si funeste influence que le duc Philippe en avait lui-même +compris les dangers, lors de la retraite de son fils en Hollande? +C'étaient toutefois ces mêmes hommes, comblés des bienfaits +de la maison de Bourgogne, qui avaient livré la ville d'Arras, +ce boulevard des frontières flamandes, où le duc Philippe avait +jadis imposé ses volontés à Charles VII, et le bruit s'était répandu +qu'ils n'étaient rentrés à Gand qu'afin d'enlever la jeune duchesse +Marie pour la remettre au roi de France.</p> + +<p>Il ne restait aux membres des états généraux qu'à se séparer des +traîtres pour combattre Louis XI. La guerre était moins périlleuse +que leur influence; elle était devenue une nécessité, et la commune +de Gand prit aussitôt l'initiative de la résistance, en se hâtant de +réunir du salpêtre, des serpentines, des veuglaires, des arbalètes, +des glaives, des maillets, des tentes et des étendards de soie ornés +de franges d'or.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_141"> 141</a></span> +Hugonet et Humbercourt n'assistaient point à cette assemblée. +Seule au milieu des membres des états qu'elle avait trompés et de +la foule tumultueuse des bourgeois qui abhorraient le nom de son +père, Marie de Bourgogne invoquait pour sa justification sa jeunesse +et son malheur: elle protestait qu'elle n'avait jamais voulu se séparer +de la commune; elle offrait aux métiers de leur rendre leurs +bannières; elle invoquait le témoignage de ceux à qui elle déclarait, +deux jours auparavant, le visage baigné de larmes, que si l'alliance +du Dauphin était utile, il ne fallait point l'acheter au prix +de la honte de la Flandre. Sa voix faisait tressaillir des cœurs que la +vue du sang ne touchait plus. La commune déclara tout d'une voix +qu'elle oubliait les torts de la jeune princesse, et celle-ci pardonna +également aux trois membres de Gand toutes les offenses dont ils +avaient pu se rendre coupables vis-à-vis d'elle. En vertu de cette +réconciliation solennelle, les bourgeois quittèrent immédiatement +la place publique et les métiers reprirent leurs travaux au son de la +cloche, qui avait, depuis longtemps, cessé d'en donner le signal.</p> + +<p>Dans la nuit suivante, le premier échevin de la keure, Adrien de +Raveschoot, qui avait réclamé, en 1467, pour les trois membres de +Gand la restitution de leurs franchises, alla arrêter, au nom des +états généraux, ceux qui, dès ce moment peut-être, avaient conseillé +à Charles le Hardi de les anéantir. Le chancelier Hugonet fut saisi +dans son hôtel: on découvrit dans la chartreuse de Royghem le +sire d'Humbercourt et le protonotaire de Cluny, qui avaient réussi +à sortir de la ville. Bien que Gui d'Humbercourt revendiquât le +privilége des chevaliers de la Toison d'or de n'être jugés que par +des membres de l'ordre, et que les deux autres invoquassent le respect +que méritaient leur hautes dignités dans l'Eglise et dans la +magistrature, ils furent immédiatement conduits au Gravesteen.</p> + +<p>L'inquiétude s'était un peu calmée depuis que l'on avait appris +que Louis XI avait dirigé son armée vers le comté de Boulogne, +dont il voulait faire hommage à Notre-Dame, en la priant de le +choisir pour son avoué; mais cette tranquillité ne fut pas longue: +des messagers accourus en toute hâte annoncèrent bientôt que l'armée +française se préparait à envahir la Flandre. Lens avait été enlevé +d'assaut; le sire de Chimay se disposait à livrer Béthune aux +ennemis; Raoul de Lannoy parlementait aussi pour leur remettre ce +fameux château d'Hesdin, que le duc Philippe avait orné avec un +si grand luxe, et l'on avait, disait-on, entendu Louis XI jurer, par +<span class="pagenum"><a id="Page_142"> 142</a></span> +la Pasque-Dieu, qu'il mènerait son armée en Flandre aussi loin que +le duc Charles avait mené la sienne en France. Une lettre adressée +aux états de Flandre par les échevins de Tournay sur les dangers +qui menaçaient cette ville ne semblait pas plus rassurante.</p> + +<p>A ces tristes nouvelles, toutes les corporations courent aux armes +(27 mars); elles se pressent de nouveau sur la place publique et +déclarent qu'elles ne se retireront point tant que l'on n'aura pas +jugé le chancelier Hugonet et le sire d'Humbercourt, qui ont donné +l'exemple et le conseil de la trahison; et avec eux, Guillaume de +Cluny, qui a été leur complice, et Jean de Melle, ancien trésorier de +la ville, dont le procès n'a pu être instruit avant le 18 mars, parce +qu'il s'est caché pendant quelque temps dans le pays d'Alost. Les +bruyantes clameurs de la multitude irritée, réunie en <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i> +selon le vieux droit communal, retentirent pendant toute la nuit; +le lendemain, Marie de Bourgogne céda au mouvement populaire +qu'elle ne pouvait plus apaiser. Par une charte scellée, à la demande +des trois états de tous les pays de par-deçà, assemblés à Gand, elle +chargea huit commissaires, choisis parmi les mandataires des diverses +provinces, d'instruire le procès des prisonniers du Gravesteen +avec le concours des délégués des magistrats de Gand. Les +huit commissaires nommés par la duchesse de Bourgogne étaient +Everard de la Marck, sire d'Aremberg, Pierre de Roubaix, Philippe +de Maldeghem, Henri de Witthem, seigneur de Bersele, Jacques +de Mastaing, Jacques Uuterlymmingen, Jean d'Auffay, maître des +requêtes, et Arnould Beuckelare.</p> + +<p>Déjà les clercs des échevins parcouraient les rues, en invitant, à +son de trompe, quiconque aurait quelque grief à produire contre le +sire d'Humbercourt, le chancelier Hugonet et Jean de Melle, à se +présenter devant les commissaires des états. De nombreux chefs +d'accusation furent proposés et discutés: les principaux étaient, +outre la trahison qu'on leur reprochait, l'abus des blancs seings que +le duc Charles leur avait confiés, les exactions qui leur avaient +permis de réunir, en même temps que le trésor s'épuisait, plus de +richesses que n'en possédaient la plupart des princes; les conseils +par lesquels ils n'avaient cessé, disait-on, d'exciter le duc à de nouvelles +guerres, afin que la prolongation de son absence éternisât +l'autorité dont il les avait investis à son départ, tandis qu'en retenant +à leur profit une partie des taxes extraordinaires levées en +Flandre, ils contribuaient à préparer le désastre de Nancy.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_143"> 143</a></span> +Trois jours s'étaient écoulés, lorsque les rumeurs qui s'étaient +répandues sur la marche du procès du Gravesteen apprirent à la +jeune duchesse de Bourgogne la condamnation prochaine de ces +hommes en qui elle ne voyait que les anciens serviteurs de son père. +Bien qu'elle n'eût en ce moment autour d'elle que leurs ennemis, +parmi lesquels il faut citer le comte de Saint-Pol, dont ils avaient +livré le père aux bourreaux de Louis XI, elle résolut de tenter un +dernier effort pour les sauver; et, ne prenant conseil que d'elle-même, +elle courut d'abord à l'hôtel de ville, près des échevins, puis +au Marché du Vendredi, au milieu des métiers réunis sous leurs +bannières. Lorsque, après avoir traversé la foule, vêtue de deuil et +ne portant sur son front pâle d'angoisse et de douleur qu'un simple +voile, d'où se déroulaient ses cheveux épars, elle monta à l'<i lang="nl" xml:lang="nl">Hooghuys</i> +et parut à cette même fenêtre où Hoste Bruneel avait, dix années +auparavant, pris place à côté de Charles le Hardi, un mouvement +de pitié se manifesta à sa vue; il redoubla quand elle s'adressa à la +commune et aux métiers assemblés, les conjurant par les larmes et +les plus humbles prières de renoncer au jugement des prisonniers +du Gravesteen. «N'oubliez pas, leur disait-elle, que je vous ai pardonné +tout ce dont vous aviez pu vous rendre coupables vis-à-vis +de moi; pardonnez également à ceux qui peuvent s'être rendus +coupables de quelque délit contre vous.» Déjà quelques voix se +mêlaient à la sienne; déjà deux partis se formaient sur la place publique. +Les uns étaient résolus à punir, les autres espéraient pouvoir +pardonner; et l'on voyait les piques se croiser pour maintenir +la rigueur des lois ou pour lui faire succéder la clémence, quand +une clameur plus forte et plus énergique rappela à Marie de Bourgogne +que son premier devoir était de punir le riche comme le +pauvre, l'homme puissant comme l'homme faible et obscur. «Et +lors s'en retourna, dit Philippe de Commines, ceste pauvre demoiselle +bien dolente et desconfortée (lundi 31 mars).»</p> + +<p>Le procès du sire d'Humbercourt et du chancelier Hugonet +continua: on leur demanda pourquoi ils avaient engagé le sire de +Crèvecœur à livrer la cité d'Arras. On les interrogea sur un don +considérable d'argent qu'ils avaient reçu dans un procès entre un +bourgeois et les anciens magistrats de la ville; on leur reprochait +enfin de fréquentes violations des priviléges de Gand, crime irrémissible +que la mort pouvait seule expier. Les accusés ne répondirent +rien sur le premier chef, alléguèrent sur le second que, s'ils +<span class="pagenum"><a id="Page_144"> 144</a></span> +avaient reçu de l'argent, ils ne l'avaient point demandé, et se justifièrent +sur le troisième en remontrant que c'était le duc Charles +qui avait enlevé aux Gantois un grand nombre de leurs franchises, +et que cette accusation ne pouvait les atteindre, puisqu'ils n'étaient +point bourgeois de la ville de Gand. Dans ce siècle où régnait +Louis XI, où écrivait Philippe de Commines qui plaçait la vertu +dans l'habileté et dans le succès d'une haute fortune, Humbercourt +et Hugonet avaient cru pouvoir servir à la fois le roi de France et +le duc de Bourgogne: ils ne voyaient dans les communes de Flandre +que des ennemis, et dans ce procès qu'un acte de violence.</p> + +<p>La mission des juges touchait à son terme; le 3 avril 1476 (v. st.), +jour de la solennité du jeudi saint, les trois prisonniers du Gravesteen +saluèrent, à travers les grilles de leur prison, les pâles rayons +d'une aurore qui pour eux devait être la dernière. Gui d'Humbercourt +était resté fier et courageux comme s'il eût attendu la mort, +non sur un échafaud, mais sur un champ de bataille. Il se souvenait +des héros de ces romans de chevalerie que le duc Charles +aimait à lui entendre lire à haute voix, et ne songeait qu'à imiter +leur noble fermeté dans le malheur. Guillaume Hugonet, plus +calme, plus résigné, cherchait des consolations dans les préceptes +des théologiens et des philosophes, et dans les souvenirs de sa +longue expérience. Si sa conscience lui reprochait quelque faiblesse, +il était soutenu par la conviction profonde que la haine aveugle du +peuple avait présidé plus que la justice à sa condamnation, et ce fut +avec une noble et touchante sérénité qu'il employa ses derniers +moments à consoler sa femme et ses enfants, retenus eux-mêmes +prisonniers par la commune de Malines. «Ma sœur, ma loyale amie, +je vous recommande mon âme de tout mon cœur. Ma fortune est +telle que j'attends de aujourd'hui mourir, comme l'on dit, pour +satisfaire au peuple. Dieu, par sa bonté et clémence, leur veuille +pardonner et à tous ceux qui en sont cause, et de bon cœur je +leur pardonne. Mais, ma sœur, ma loyale amie, pour ce que je +sens la douleur que vous prendrez pour ma mort, tant à cause +de la séparation de notre cordiale compagnie, comme pour la +honteuse mort que j'aurai souffert, je vous prie que vous veuilliez +conforter sur deux choses: la première, que la mort est commune +à toutes gens, et plusieurs l'ont passée en plus jeune âge; +la seconde, que la mort que je soutiendrai est sans cause et sans +que j'aie fait chose pour laquelle j'ay desservy la mort: par quoi +<span class="pagenum"><a id="Page_145"> 145</a></span> +je loue mon Créateur qu'il me donne grâce de mourir en ce glorieux +jour qu'il fut livré aux Juifs pour souffrir sa passion tant +injuste... Escript ce jeudi sainct, que je croy estre mon dernier +jour.»</p> + +<p>Le chancelier de Bourgogne avait à peine terminé cette lettre +d'adieux à sa femme, qu'au moment de quitter la terre il n'appelait +plus que sa sœur, lorsqu'on vint le réclamer pour le conduire avec +Gui d'Humbercourt et Jean de Melle dans la salle où l'on soumettait +à la torture les accusés qui refusaient de reconnaître leur crime, +usage qui reposait sur ce principe du droit criminel du moyen-âge, +que l'aveu du coupable était nécessaire pour qu'il pût être condamné. +L'acte des aveux des trois accusés fut dressé: quelle qu'en eût été +la valeur pour ceux qui les obtinrent, ils furent aussitôt après conduits +à la <i lang="nl" xml:lang="nl">vierschaere</i>, où leur sentence fut proclamée. En vain +déclarèrent-ils interjeter appel au parlement de Paris; en vain le +sire d'Humbercourt invoqua-t-il de nouveau les immunités particulières +des chevaliers de la Toison d'or: on ne leur accorda que +quelques moments pour régler les derniers soins de cette vie et se +préparer à une vie nouvelle; et, peu après, le chancelier et son ami +quittèrent successivement le Gravesteen pour se rendre au Marché +du Vendredi. Là s'élevait l'échafaud où il n'y avait aucune tenture +de deuil, mais rien qu'un peu de paille, comme si les condamnés +eussent été les coupables les plus obscurs. Un fauteuil y avait été +toutefois placé pour Gui d'Humbercourt, qui ne pouvait plus se +tenir debout, tant son corps avait été brisé par les rigueurs de la +torture qu'il avait fallu épuiser avant d'affaiblir son courage. Le +bourreau, maître Guillaume Hurtecam, n'avait jamais touché de sa +hache des têtes aussi illustres; la vengeance populaire croyait, en +les frappant, condamner toute la domination bourguignonne.</p> + +<p>Jean de Melle avait péri sur le même échafaud: Guillaume de +Cluny fut plus heureux; son jugement avait été remis aux fêtes de +Pâques; il réclama les priviléges de ses fonctions ecclésiastiques, +et ne fut condamné qu'à un emprisonnement, dont il s'affranchit +quatre mois plus tard en payant une amende.</p> + +<p>Il faut ajouter que, par une déclaration du 4 avril, semblable à +celle qu'elle avait signée le 18 mars, après le supplice d'Huereblock +et de Baudins, Marie pardonna aux Gantois toutes les offenses commises +contre sa hauteur et seigneurie dans le procès dont elle avait +<span class="pagenum"><a id="Page_146"> 146</a></span> +elle-même, disait-elle, abandonné aux échevins le soin et la direction.</p> + +<p>Le lendemain, la jeune princesse s'éloigna des murs de Gand, +encore pleine des tristes images des tortures et des supplices, pour +se rendre à Bruges, où elle était attendue impatiemment: on l'avait +toutefois entendu répondre aux députés de cette ville: «Si vous +voulez me conduire de <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i> en <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i>, j'aime mieux +rester à Gand;» et il avait fallu, pour la rassurer, de vaines +protestations, que rien ne devait confirmer. A Bruges comme à +Gand, mille rumeurs de trahison troublaient tous les esprits, et +elles venaient de se réveiller au bruit que Marie de Bourgogne avait +confirmé par de nouveaux priviléges ceux que les habitants du +Franc possédaient déjà comme quatrième membre du pays. C'étaient +de tristes auspices pour son arrivée dans ce palais de Bruges qui +conservait encore les traces de la puissance de ses ancêtres. Lorsqu'elle +se rendit à l'église de Saint-Donat pour recevoir les serments +des bourgeois en échange des siens, de bruyantes clameurs interrompirent +les hymnes sacrées. «Il faut que nous sachions d'abord, +s'écriait-on de toutes parts, si l'on a supprimé le quatrième +membre et si l'on a replacé les populations du Franc sous l'autorité +de Bruges.» Le tumulte était si grand que la cérémonie ne +put s'achever; mais Marie de Bourgogne fit publier le même jour une +ordonnance où elle déclarait que, prenant en considération la nécessité +de rétablir l'ancienne organisation communale de la Flandre et +de détruire les funestes résultats des modifications qui y avaient +été apportées, elle abolissait, pour satisfaire aux griefs des Brugeois +et sur l'instante prière des habitants du Franc eux-mêmes, le quatrième +membre créé par son aïeul le duc Philippe.</p> + +<p>Les métiers s'étaient déjà réunis en armes sur la place du Marché, +malgré les sages exhortations de messire Louis de la Gruuthuse. +On avait répandu le bruit que dans plusieurs districts du +Franc on refusait d'accepter le rétablissement de la suprématie de +Bruges. Les sires de Moerkerke et de Ghistelles étaient les chefs +de cette résistance. Le bailli reçut l'ordre d'arrêter le premier, mais +il eut le temps de fuir: le second fut livré par les habitants d'Oudenbourg. +Le 13 avril 1477, les communes du Franc vinrent renouveler +à Bruges leur acte d'adhésion de 1436, et, deux jours après, +les échevins se rendirent à Gand pour recevoir des mains du grand +bailli Jean de Dadizeele les chartes qui avaient réglé la constitution +<span class="pagenum"><a id="Page_147"> 147</a></span> +du quatrième membre de Flandre. L'agitation n'avait pas cessé, +lorsqu'une ambassade, envoyée par l'empereur Frédéric III, entra +à Bruges le 16 avril, vers le soir. Elle était composée de l'archevêque +de Trèves, de l'évêque de Metz, du duc de Bavière et du +chancelier de l'Empire. Louis de la Gruuthuse et Philippe de Hornes +la reçurent solennellement à la clarté des torches et la conduisirent +au palais. Là les envoyés allemands demandèrent, au nom de l'empereur +Frédéric, qu'on donnât suite aux projets de mariage entre son +fils Maximilien et la duchesse Marie, que le duc Charles avait lui-même +approuvés.</p> + +<p>L'ambassade de Péronne avait, par son sanglant dénoûment, renversé +l'influence de Marguerite d'York, qui avait fait espérer à des +princes anglais la main de «la plus grande héritière qui fust en son +temps.» Elle avait surtout à jamais ruiné les prétentions des +partisans de l'alliance française. Tous les Bourguignons qui avaient +été attachés au service de Charles le Hardi avaient reçu l'ordre de +quitter la Flandre, et l'on avait retenu comme otage l'évêque de Liége, +Louis de Bourbon, qui, avant de ceindre, à dix-huit ans, la mitre +que porta Henri de Gueldre, avait été, à peine âgé de quatorze ans, +doyen de Saint-Donat de Bruges. Louis de Bourbon avait été autrefois +le prisonnier des Liégeois excités par Louis XI: c'était au contraire +un zèle aveugle pour les intérêts du roi de France que lui +reprochaient les communes flamandes.</p> + +<p>Les intrigues des partisans de Louis XI semblaient si complètement +étouffées que madame d'Halewyn, bien que parente du sire +de Commines, disait tout haut que le Dauphin était trop jeune +pour que l'on pût songer à lui. Marie elle-même ne cachait point +qu'elle était bien résolue à ne pas devenir la fille d'un prince indigne +de la confiance qu'elle avait placée, infortunée orpheline, +dans le lien spirituel qui le lui désignait pour protecteur: «J'entends, +avait-elle dit, que monsieur mon père régla mon mariage +avec le fils de l'Empereur; je n'en veux point d'autre.» Les +ambassadeurs allemands reçurent une réponse favorable. Leur présence, +l'importance de leur mission, la gravité des intérêts qui +devaient dépendre de son succès, calmèrent le peuple. Marie se +montra sur la place du Marché au milieu des métiers en armes, +entourée des députés de la ville de Gand, qui étaient venu jurer +l'alliance des deux grandes cités flamandes. A sa voix, les bourgeois +rentrèrent paisiblement dans leurs foyers, et l'on sonna toutes les +cloches pour célébrer le rétablissement de la paix.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_148"> 148</a></span> +Marie en profita pour se rendre, le 18 avril, à l'hôtel des échevins, +où elle promit de respecter les priviléges de la ville tels qu'elle +venait de les renouveler. Aussitôt après, eut lieu l'élection des +magistrats, conformément aux anciennes coutumes de la Flandre, +pendant si longtemps abolies. Les quatre commissaires de la duchesse +choisirent les treize échevins, cinq parmi les bourgeois et les +huit autres parmi les membres des métiers et des corporations. Les +échevins élurent ensuite entre eux le bourgmestre. Il se nommait +Jean de Keyt. Ces usages remontaient, selon la tradition populaire, +à l'époque de Baudouin le Barbu. Après avoir fécondé le berceau +des communes de Flandre, ils reparaissaient pour jeter un dernier +rayon sur leur déclin et leur décadence.</p> + +<p>Trois jours après, le duc de Bavière fiança la duchesse Marie au +nom du duc Maximilien d'Autriche. Selon la coutume suivie dans +ces cérémonies, il se reposa un instant sur un lit d'apparat à côté +de la princesse, qui n'avait pas quitté sa robe de fiancée: une épée +nue l'en séparait, et quatre archers veillaient à ce qu'elle ne fût +point déplacée.</p> + +<p>Le même jour (21 avril 1477) on publia, à l'occasion de ces +fiançailles, une nouvelle charte où les franchises des Brugeois étaient +confirmées et augmentées. Leurs libertés devaient désormais être +confiées à la garde des <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmannen</i> et des doyens; une milice municipale +de chaperons rouges était établie pour veiller à la paix +intérieure; le siége de la châtellenie du Franc était fixé à Bruges, +et aucun privilége ne pouvait lui être accordé sans le consentement +des échevins de cette ville. On y lisait aussi que les mandements +du comte, de ses conseillers ou du parlement de Paris, seraient +dorénavant communiqués aux corps de métiers par les échevins le +lendemain du jour où ils les auraient reçus, et que les possesseurs +du tonlieu de Bruges seraient tenus, ainsi que l'amiral de Flandre, +d'équiper des navires pour protéger le commerce maritime, en chargeant +des échevins qui résideraient dans les ports de réprimer +sévèrement tous les délits qui en troubleraient la sécurité.</p> + +<p>La Flandre, attaquée par la France, menacée par l'Angleterre, +croyait ses franchises assurées parce qu'une jeune orpheline, +faible héritière de tant de princes redoutés, lui avait rendu quelques +chartes qui remontaient à la journée de Courtray. Elle avait foi +dans son courage, parce qu'elle combattait sous ses vieilles bannières, +qu'elle s'était hâtée de faire chercher à Notre-Dame de +<span class="pagenum"><a id="Page_149"> 149</a></span> +Boulogne et à Notre-Dame de Halle. De toutes parts un vif enthousiasme +se manifestait sans entraves. Les milices communales se +mettaient en marche au son des cloches. A Gand, six échevins se +placèrent à la tête des connétablies appelées à prendre part à la +guerre: elles avaient pour chef le bâtard d'Herzeele, héritier d'un +nom illustre dans les fastes militaires des communes flamandes.</p> + +<p>Le même zèle s'était répandu de l'atelier des corps de métiers à +l'opulente demeure du bourgeois, du château crénelé du noble à +l'humble chaumière du laboureur. Ici l'on chantait:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Galans de Picardie,</p> +<p>De Flandres et d'Artois,</p> +<p>De Haynau la jolie,</p> +<p>Et vous de Boulenois,</p> +<p>Cueilliez trestous corage</p> +<p>A léaument servir</p> +<p>La dame et l'iretage</p> +<p>Qui lui doit partenir.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Chelle jone princhesse,</p> +<p>Que Dieu vueille garder!</p> +<p>Tous cœurs de gentillesse</p> +<p>Se doivent préparer</p> +<p>A servir la pucelle,</p> +<p>Princhesse du pays,</p> +<p>Et tenir sa querelle</p> +<p>Contre ses ennemys.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Ne soiez en doutance,</p> +<p>Car Dieu qui est là sus</p> +<p>Nous baillera vengange...</p> +<p>Che seroit vitupère</p> +<p>Et grant mal à porter,</p> +<p>Qui n'a père, ne mère</p> +<p>Volloir deshireter.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Notre querelle est bonne</p> +<p>Se le roy a Péronne</p> +<p>Et ses gens sur les champs.</p> +<p>Il n'y a rien pris par force,</p> +<p>Pour quoy doïons douter...</p> +<p>Se le roy a des lanches</p> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_150"> 150</a></span></div> +<p>Bien quatre mil ou plus,</p> +<p>Nous avons des balanses</p> +<p>Pour les peser tous sus;</p> +<p>Mailles et piquenaires</p> +<p>Si ne nous fauront point</p> +<p>Pour les ferre retraire.</p> +</div></div> + + +<p>Ailleurs on répétait en chœur cette prière:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Saint Donat, saint Boniface, saint Eloy,</p> +<p>Impétrez-nous victoire contre le roy</p> +<p>Qui riens ne tient, ne sçel, ne foy.</p> +</div></div> + +<p>Il semblait que personne ne désespérât du salut de la patrie, +parce que chacun était prêt à y concourir de ses efforts et de son +sang.</p> + +<p>En vain la plupart des capitaines des châteaux et des forteresses +se vendaient-ils successivement à Louis XI; en vain l'araignée +venimeuse cachée dans les fleurs de lis multipliait-elle ses invisibles +réseaux: les vers que Chastelain avait écrits sous le duc Philippe +étaient devenus une prophétie:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Lyon rampant en croppe de montaigne</p> +<p>A combattu l'universal araigne.</p> +</div></div> + +<p>Les populations se signalaient dans les plus petits bourgs et jusque +dans les villages par une résistance énergique. Les paysans +interceptaient les convois ou s'assemblaient dans les bois; on vit +même des femmes, tombées au pouvoir des Français, déclarer +qu'elles mourraient plutôt que de crier: «Vive le roi!» La moitié +de la ville d'Arras se défendit deux mois après que l'autre moitié +eût été livrée par le sire de Crèvecœur: les bourgeois avaient +repoussé toutes les propositions qui leur avaient été adressées, en +déclarant qu'ils ne se soumettraient que sur l'ordre exprès de la +duchesse de Bourgogne. Un sauf-conduit leur avait même été +accordé pour qu'ils envoyassent des députés vers elle; mais Louis XI +les fit arrêter à Lens et conduire à Hesdin, où Tristan l'Ermite fut +chargé de surveiller leur supplice. Parmi ceux-ci se trouvait un +notable bourgeois d'Arras, nommé Oudart de Bussy, auquel le roi +avait inutilement offert, peu de temps avant, afin de le gagner, une +charge de conseiller au parlement de Paris: sa mort réjouit fort le +<span class="pagenum"><a id="Page_151"> 151</a></span> +roi de France. «Ceux dudit Arras, écrit-il à l'un de ses conseillers, +s'étaient assemblés bien vingt-deux ou vingt-trois, pour aller en +ambassade devers mademoiselle de Bourgogne; ils ont été pris +et les instructions qu'ils portoient, et ont eu les testes tranchées, +car ils m'avoient faict une fois le serment. Il y en avoit un entre +les autres, maistre Oudart de Bussy, à qui j'avois donné une +seigneurie en parlement. Et afin qu'on cogneut bien sa teste, +je l'ay faict atourner d'un beau chaperon fourré et est sur le +marché d'Hesdin, là où il préside.» Le supplice d'Oudart de Bussy +n'empêcha point le sire d'Arcy et Salazar de s'enfermer à Arras; et +la ville se défendit si vaillamment contre l'armée française qui vint +l'assiéger et la garnison qui occupait la cité, que Louis XI se hâta, +dès qu'il s'en fut rendu maître, d'en chasser tous les habitants, sans +en excepter les moines de l'abbaye de Saint-Vaast. Leurs maisons +et leurs biens furent confisqués au profit d'une population nouvelle +appelée de la Normandie, et le nom de la ville d'Arras fit place à +celui de Franchise, que Marie de Bourgogne eût eu le droit de lui +donner comme le prix de son courage, mais qui n'était qu'une dérision +amère imposée par Louis XI pour compléter une œuvre de spoliation +et de ruine.</p> + +<p>Le roi de France avait espéré qu'il s'emparerait aisément des +importantes châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, que gardaient +des hommes d'armes peu nombreux, débris mutilés de la +malheureuse armée de Nancy; mais le triomphe même des Suisses, +qui avaient vaincu le duc de Bourgogne aussi bien que les ducs +d'Autriche, était une leçon dont avaient profité les populations +flamandes: la défense d'Arras éclaira Louis XI sur la résistance +qu'il allait rencontrer comme tant d'autres rois de France qui, longtemps +avant lui, avaient attaqué la Flandre, et aussitôt après, à +leur exemple, il ordonna la convocation de l'arrière-ban dans tout +le royaume.</p> + +<p>Cependant Louis XI ne cessait de joindre aux avantages que lui +promettait la supériorité de ses forces ceux que son habileté lui +assurait tantôt par la corruption secrète, tantôt par la persuasion +et les perfides ambages d'un langage insinuant. «Mes amis, disait-il +aux habitants du Quesnoy, si je viens en ce pays, ce n'est que +pour votre plus grand profit et dans l'intérêt de mademoiselle de +Bourgogne, ma bien-aimée cousine et filleule. Personne ne lui +veut plus de bien que moi, et elle s'abuse grandement en ne +<span class="pagenum"><a id="Page_152"> 152</a></span> +mettant point en moi sa confiance. De ses méchants conseillers, +les uns veulent lui faire épouser le fils du duc de Clèves: c'est +un prince trop faible et trop peu illustre pour une si glorieuse +princesse. Je sais d'ailleurs qu'il a à la jambe un mauvais ulcère: +il est de plus ivrogne comme tous les Allemands, et, après avoir +bu, il lui brisera son verre sur la tête et la battra. D'autres veulent +l'allier aux Anglais, ces anciens ennemis du royaume qui +sont tous de mauvaise vie. Enfin il en est qui veulent lui donner +pour mari le fils de l'Empereur. Ces princes de la maison impériale +sont les plus avares du monde. Ils emmèneront mademoiselle +de Bourgogne en Allemagne, terre étrangère et grossière +où elle ne connaîtra aucune consolation, tandis que votre terre +de Hainaut demeurera sans seigneur pour la gouverner et la défendre. +Si ma cousine était bien conseillée, ajoutait-il, elle épouserait +le Dauphin; ce serait un grand bien pour votre pays; vous +autres Wallons, vous parlez la langue française; il vous faut un +prince de France et non pas un Allemand. Pour moi, j'estime les +gens du Hainaut plus que toutes les nations du monde. Il n'y en +a pas de plus nobles, et, selon moi, un berger du Hainaut vaut +mieux qu'un grand gentilhomme d'un autre pays.» Il les entretenait +aussi de ses bonnes intentions à leur égard, et leur rappelait +le sage gouvernement du duc Philippe, leur vantant son affection +et sa reconnaissance pour lui, et se découvrant même chaque fois +qu'il prononçait son nom.</p> + +<p>Toutes ces belles paroles semblaient peu dignes de foi: lorsque, +peu après la mort de Charles le Hardi, le sire de Commines s'était +entremis pour exciter une rébellion en Hainaut, Louis XI avait +obstinément refusé de confirmer les priviléges de ce pays. Un événement +récent témoignait également du peu de respect que le roi de +France portait aux franchises les plus anciennes et les moins contestables. +Tournay avait, en payant un impôt annuel, obtenu des +rois de France un droit de neutralité qui lui permettait en temps de +guerre de faire librement le commerce et de fermer ses portes à +toute garnison. Olivier le Diable, honteux du mauvais succès de sa +mission à Gand, avait profité de sa présence à Tournay pour corrompre +quelques bourgeois. Le 23 mai, une porte fut livrée au sire +de Mouy, capitaine de Saint-Quentin; la ville perdit ses libertés, et +ses magistrats furent conduits à Paris, où ils restèrent captifs tant +que le roi vécut.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_153"> 153</a></span> +Louis XI, réduit à recourir à ces intrigues, parce que les succès +qu'il devait à la force des armes lui semblaient trop lents, regrettait +déjà, comme nous l'avons vu par son discours aux habitants du +Quesnoy, d'avoir négligé le mariage du Dauphin et de Marie, ce +moyen qu'il eût dû préférer à tous les autres pour réunir à ses Etats +ceux de la duchesse de Bourgogne, parce qu'en politique les plus +aisés et les plus simples sont toujours les meilleurs. Ce fut pour +apaiser le ressentiment de Marie, si indignement trompée dans la +confiance qu'elle avait placée en lui, qu'il exprima le 16 mai, dans +des lettres patentes de réhabilitation, toute l'indignation qu'il +éprouvait du supplice d'Hugonet et d'Humbercourt dont il était la +première cause: il engageait en même temps le sire de Lannoy, +oncle du capitaine d'Hesdin, à tenter un dernier effort dans le conseil +de la duchesse pour faire rompre son mariage avec le duc +d'Autriche.</p> + +<p>Les partisans de l'alliance française étaient devenus de plus en +plus rares dans les Etats de Marie de Bourgogne. La Flandre la repoussait +en vertu de toutes les traditions de son histoire; le Hainaut +et les autres provinces où l'on parlait français ne lui étaient pas plus +favorables, parce que leur situation plus voisine des frontières du +royaume leur permettait de mieux connaître l'oppression et la misère +qui y régnaient. Ce qui éloignait surtout les esprits d'un traité +avec la France, qu'aurait sanctionné l'union de Marie et d'un prince +français, c'était la triste expérience des malheurs qui avaient été +la suite du mariage de Marguerite de Male et de Philippe le Hardi. +Le faste, l'orgueil, l'ambition du duc Charles étaient encore des +souvenirs trop récents pour que la Flandre pût songer à se choisir +pour maître le Dauphin de France, ou même à reconstituer une +autre dynastie des ducs de Bourgogne.</p> + +<p>On se méfiait d'ailleurs si profondément de la sincérité du roi +de France que plus ses promesses étaient magnifiques, plus elles +semblaient illusoires et perfides. Quelle que fût la solennité des +serments par lesquels il s'engageât, on savait bien avec quelle facilité +il était porté à les violer, et tout traité conclu avec lui ne pouvait +être considéré que comme un piége destiné à perdre ceux qui +s'y laisseraient imprudemment entraîner.</p> + +<p>Les émissaires de Louis XI purent aisément se convaincre que +des partis rivaux qui tendaient à empêcher le mariage de Marie de +Bourgogne avec Maximilien, il n'en était que deux qui possédassent +<span class="pagenum"><a id="Page_154"> 154</a></span> +quelques chances de succès; l'un soutenait les titres de Philippe +de Ravestein, de la maison de Clèves; l'autre favorisait le duc de +Gueldre, Adolphe d'Egmont, que les communes avaient délivré de +sa prison au château de Courtray.</p> + +<p>Philippe de Ravestein était arrière-petit-fils de Jean sans Peur +par son aïeule, et du roi Jean de Portugal par sa mère. Il avait été +élevé avec sa cousine à la cour de Bourgogne; on ajoutait qu'elle +l'aimait; mais il était sans puissance, et l'on était loin des temps +où l'on avait vu un de ses ancêtres arriver seul, dans une barque +traînée par un cygne, pour délivrer une jeune orpheline menacée +par ses ennemis.</p> + +<p>Adolphe d'Egmont était beau et plein de courage; quelques voix +lui reprochaient ses longs démêlés avec son père; d'autres cherchaient +à le justifier en blâmant le vieux duc de Gueldre qui, après +l'avoir dépouillé, malgré les pleurs de sa mère, de son légitime +héritage, l'avait livré captif au prince qui l'usurpait. Adolphe +d'Egmont était veuf de Catherine de Bourbon, sœur d'Isabelle de +Bourbon, mère de Marie de Bourgogne.</p> + +<p>Dans les premiers jours de mai 1477, le sire de Ravestein résolut +de mettre à profit l'influence qu'il exerçait à la cour et le temps qui +devait s'écouler avant l'arrivée de Maximilien. Son premier soin +fut d'écarter le duc de Gueldre, rival plus dangereux, parce qu'il +n'avait pas quitté la Flandre, et il réussit à obtenir l'ordre de le +faire reconduire dans sa prison de Courtray; mais le duc de Gueldre +se fit inscrire au nombre des bourgeois de Gand, et les communes, +à qui il devait la liberté, la lui conservèrent en invoquant leurs +priviléges.</p> + +<p>Tandis qu'Adolphe de Clèves, déçu dans ses espérances, se voyait +réduit à se retirer en Allemagne, le duc de Gueldre devenait de +plus en plus populaire. Loin de profiter de l'affection des communes +pour vendre plus cher sa trahison à Louis XI, il ne songeait qu'à +la mériter, en se plaçant à leur tête pour combattre les Français.</p> + +<p>Lorsque, dans les premiers jours de juin, les milices communales +se réunirent à Menin, le duc de Gueldre se plaça à leur tête. Les +Gantois obéissaient à Jean de Dadizeele; les capitaines des Brugeois +étaient Louis de la Gruuthuse, Jacques de Ghistelles et Pierre +Metteneye. Déjà le château de Chin avait été enlevé, lorsqu'un +désastre imprévu vint ruiner toutes les espérances qui reposaient +sur cette expédition. Les Flamands, après avoir brûlé le village de +<span class="pagenum"><a id="Page_155"> 155</a></span> +Maire et le faubourg de Sept-Fontaines se préparaient à former le +siége de Tournay, grande entreprise dans laquelle Jacques d'Artevelde +lui-même avait échoué. Le duc de Gueldre ayant appris que +les capitaines français Colard de Mouy, François de la Sauvagière +et Jean de Beauvoisis étaient sortis de Tournay pour l'attaquer, se +porta au devant des hommes d'armes ennemis et se plaça presque +seul au delà du pont de Chin, avant que les siens eussent pu le +suivre. Jean Van der Gracht l'engageait à se retirer, mais il ne +voulut point l'écouter: «A Dieu ne plaise, disait-il, que jamais +l'on me voie fuir ou rendre mon épée; je combattrai jusqu'à ce +que je triomphe, ou je mourrai.» François de la Sauvagière remarqua +l'imprudence du duc de Gueldre; il s'élança vers lui avec +quarante lances, et, l'arrachant tout couvert de sang des bras de +Jean Van der Gracht, frappé mortellement à ses côtés, il l'emporta +sur son cheval, en présence des hommes d'armes flamands, trop +éloignés pour s'y opposer. Le duc de Gueldre rendit bientôt le +dernier soupir, et on l'inhuma dans l'église de Notre-Dame, où son +cercueil fut déposé dans un caveau construit au treizième siècle +pour Jean de Vassoigne, évêque de Tournay sous Philippe le Bel.</p> + +<p>On avait appris le même jour à Tournay les triomphes de Louis XI +dans le duché de Bourgogne, et maître Simon de Pressy, qui devait +prononcer à ce sujet un discours dans la cathédrale, ne manqua +point de parler aussi «de ce que le roy avoit eu victoire du chief +de l'armée des plus rebelles et désobéissans de tous les pays, +c'est à sçavoir du chief des Flamands.»</p> + +<p>Les habitants de Courtray avaient salué par des murmures dictés +par la préoccupation de leur propre péril les milices de Bruges qui +étaient venues leur demander un asile; ils leur reprochaient tantôt +leur indiscipline qui avait, disait-on, été la première cause de la +mort du duc de Gueldre, tantôt leur pusillanimité, qui abandonnait +l'entrée de la Flandre à la garnison de Tournay. Ces reproches +émurent les chaperons rouges de Bruges, et, bien qu'ils se vissent +abandonnés des Gantois, qu'une éternelle rivalité avait éloignés +d'eux, aussi bien que des hommes d'armes de Gueldre indignés de +la triste fin d'Adolphe d'Egmont, ils retournèrent, quatre jours +après le combat de Chin, occuper les retranchements qu'ils avaient +élevés près d'Espierres. De nouveaux revers les y attendaient; dès +le lendemain, le sire de Mouy vint les attaquer avec François de la +Sauvagière et Jean de Beauvoisis. Les Brugeois se défendirent un +<span class="pagenum"><a id="Page_156"> 156</a></span> +moment vigoureusement, mais ils cédèrent bientôt à un sentiment +subit de terreur, déplorable souvenir de celui qu'ils avaient éprouvé +au pont de Chin. Dans leur fuite rapide, ils abandonnèrent aux +Français leur camp rempli de vins et d'épices précieuses. Ils laissaient +aussi en leur pouvoir leur grand étendard, quarante bannières +et quatorze cents prisonniers, parmi lesquels se trouvaient +Jacques d'Halewyn, bailli de Bruges, et Gérard de la Hovarderie, +qui commandait les bourgeois d'Audenarde. La plupart des prisonniers +furent mis aux enchères comme faisant partie du butin, et le +sire de la Hovarderie fut vendu, dit-on, deux mille écus d'or sur +l'une des places publiques de cette ville où sa femme Anne de Mortagne +comptait pour aïeux une longue suite de châtelains.</p> + +<p>Ainsi avaient reparu, avec les menaces des invasions étrangères, +les malheurs des discordes intestines. Si la guerre dévastait les +campagnes, les troubles civils effrayaient, dans les villes, le commerce +et l'industrie. Les dissensions de 1452 avaient déjà engagé +quelques marchands à quitter la Flandre pour s'établir à Anvers. En +1477, la même émigration se renouvelle, et c'est en vain qu'on publie +à Bruges, le 25 mai, une ordonnance qui menace d'une amende +de six cents livres parisis les marchands étrangers qui ne rentreront +pas dans la ville dans le délai de trois jours: ils ne trouvaient +plus, au sein des populations dont ils étaient les hôtes depuis six +siècles, ni les vertus qui garantissent la paix, ni le courage qui éloigne +la guerre, et l'un d'eux, le Vénitien Antoine Gratia-Dei, s'exprimait +en ces termes dans un éloquent discours qui nous a été +conservé: «Personne ne doit s'étonner, disait-il, si, habitant la +contrée la plus illustre et la plus riche du monde, je forme des +vœux pour la durée de sa prospérité, et si je considère comme un +devoir de vous exposer ce que je juge le plus utile dans ce but. +Les progrès des infidèles n'exigent-ils pas qu'on se hâte de réunir +contre eux toutes les nations chrétiennes? Ne voyez-vous pas +de quels malheurs ils menacent les pays les plus riches et les +plus puissants, et quelles en seraient les funestes conséquences +pour la Flandre, le Hainaut, la Zélande, mais surtout pour la +Flandre, où les marchands des pays étrangers se pressent de +toutes parts, et qui mérite d'être appelée la source la plus féconde +de secours et de biens de toute sorte pour les hommes. Ceci est +assez connu pour que nous arrivions au fond même de la question. +Vous avez à soutenir contre les Français une guerre d'autant plus +<span class="pagenum"><a id="Page_157"> 157</a></span> +dangereuse que vous la faites mal. La lenteur avec laquelle on +la poursuit ne peut être qu'une cause de honte et de dépenses +considérables. Combattez donc, ô Flamands! puisque vous avez +vos ennemis devant vous. Suivez l'exemple des Bourguignons, +qui ont su se protéger eux-mêmes. C'est ainsi que vous préserverez +vos campagnes du fer et de la flamme, et que vous éloignerez +la fureur des Français de vos frontières. Je ne dois vous rappeler +ni la prise d'Arras, ni la trahison qui livra Péronne, ni les complots +qui vous ont fait trouver dans vos amis vos ennemis les plus +cruels. Vous ne pouvez espérer la paix qu'en l'obtenant le fer à la +main. Si Dieu est avec vous, qu'avez-vous à craindre? N'avez-vous +pas pour vous la justice et le bon droit? Hâtez-vous d'étouffer +ces discordes et ces haines, qui ont pénétré dans les plus +belles villes et dans les cœurs les plus généreux. Il ne faut pas +que vous laissiez arriver des jours semblables à ceux où Scipion, +à la vue de la ruine de Carthage, se souvenait de la ruine d'Ilion. +Imitez Silurus, qui remettait à ses fils, comme un symbole d'union, +le faisceau qu'ils ne pouvaient rompre. Les discordes civiles +ne causèrent-elles pas la perte de toutes les grandes cités qui +existèrent jamais, d'Athènes comme de Lacédémone, de Carthage +comme de Rome? Veillez à ce que le succès ne vous aveugle +point, et que le revers, par un sentiment contraire, ne vous livre +point au désespoir et à la colère. Souvenez-vous que si vous avez +perdu la Picardie et le Hainaut, vous le devez à vos divisions. +Que la puissance de la multitude est dangereuse, puisqu'elle +écoute bien moins les froids conseils de la prudence que les impressions +inconstantes qui la passionnent! Vos métiers, en s'agitant +dans les villes, n'empêchaient-ils pas la noblesse d'aller aux +frontières combattre pour vous? Vous demandiez des priviléges +pour modérer la puissance de vos princes, au moment même où +leur puissance était près de disparaître; vous occupiez en armes +vos places publiques et vous faisiez couler le sang de vos concitoyens, +pendant que celui de vos frères, répandu par les ennemis, +restait sans vengeance, et, en même temps, les nobles augmentaient +les divisions, en se montrant pleins de doute et d'incertitude +depuis la mort du grand duc Charles. Oubliez réciproquement +toutes vos discordes. Unissez-vous, si vous voulez conserver la liberté +que vous avez reçue de vos ancêtres. Prodiguez, pour assurer +la défaite de vos ennemis, vos trésors, vos biens, vos pierres +<span class="pagenum"><a id="Page_158"> 158</a></span> +précieuses, que vous conserveriez inutilement si l'invasion étrangère +doit en faire sa proie. N'attendez pas que les Français soient +au pied de vos murailles. Nobles et grands, et vous puissantes +communes, hâtez-vous de pourvoir au salut de la Flandre, auquel +est lié celui de tous les peuples chrétiens.» La Flandre, livrée +sans défense, par ses discordes intérieures, aux tentatives de ses +ennemis, se trouvait exposée à un péril si imminent qu'Adrien +d'Haveskerke et Daniel de Praet se fortifièrent à Wardamme pour +couvrir les remparts de Bruges. Gand partageait les mêmes périls; +mais Louis XI, dont la prudence descendait quelquefois jusqu'à une +hésitation funeste à ses intérêts, ne sut pas profiter de ce moment. +Les garnisons de Saint-Omer, d'Aire, de Lille, de Douay et de Valenciennes +continrent les Français, et bientôt une armée flamande, +forte de vingt mille hommes, fut prête à défendre le passage du +Neuf-Fossé.</p> + +<p>Il est triste de raconter à quels projets s'arrêta le roi de France: +si la gloire des armes ne devait pas illustrer son règne, ses vengeances +et ses haines le rendaient plus redoutable que d'éclatantes +victoires. Louis XI, dit Molinet, «pensa d'avoir par horreur ce qu'il +ne povoit avoir par honneur.» Dix mille faucheurs appelés du +Soissonnais et du Vermandois furent placés sous les ordres du +comte de Dammartin, grand maître de France, afin de détruire ce +qu'on désespérait de conquérir, et d'enlever à des familles déjà +poursuivies par la flamme et le fer les dons que la clémence de +Dieu avait destinés à les nourrir. «Monsieur le grand maître, écrivait +le roi au comte de Dammartin, je vous envoie des faucheurs +pour faire le gât que vous sçavez; je vous prie, mettez-les en besogne +et n'épargnez pas quelques pièces de vin à les faire bien +boire et à les enivrer... Monsieur le grand maître, mon ami, je +vous prie qu'il n'y faille retourner une autre fois faire le gât, car +vous êtes aussi bien officier de la couronne comme je suis, et si +je suis roi, vous êtes grand maître.» Louis XI comme roi, Dammartin +comme grand maître, comptaient comme prédécesseurs l'un +Louis IX et Charles V, l'autre Robert de Dreux et Jean de Châtillon, +qui comprenaient autrement l'honneur de porter ou de défendre +le sceptre des monarques très-chrétiens.</p> + +<p>En 1477, l'œuvre de la dévastation, poursuivie régulièrement et +systématiquement, s'étendit dans toutes les campagnes au milieu +des joies de la saison où les épis semblaient, en se dorant au soleil, +<span class="pagenum"><a id="Page_159"> 159</a></span> +promettre une moisson abondante. Il n'y resta rien pour l'homme, +rien pour l'oiseau qui glane là où l'homme a passé. «O vous, petits +oiselets du ciel, s'écrie le chroniqueur, vous qui avez coutume de +visiter nos champs en vos saisons et nous réjouir les cœurs de vos +amoureuses voix, cherchez aultres contrées maintenant, départez-vous +de nos labouraiges, car le roi des faulcheurs de France +nous a faict pis que les oraiges.» La main qui semait ainsi la +désolation dans d'obscurs et paisibles foyers allait faire couler le +sang d'un père sur les jeunes enfants du duc de Nemours agenouillés +au pied de l'échafaud.</p> + +<p>En même temps les envoyés de Louis XI parcouraient l'Europe +afin que la Flandre n'y trouvât point de secours et disparût sous +les ruines mêmes de la maison de Bourgogne. L'archevêque de +Vienne avait renouvelé les trêves avec les Anglais; un traité avait +été conclu avec le duc de Bretagne et avec les Vénitiens, ces constants +alliés de Charles le Hardi. D'autres ambassadeurs avaient +été chargés de se rendre en Allemagne pour rompre l'alliance que +sa fille saluait comme son unique et dernier espoir.</p> + +<p>Il était trop tard: les princes allemands avaient adhéré aux projets +de l'empereur Frédéric III, et Maximilien avait quitté Cologne +où l'abbé du Parc, mandataire des trois membres de Brabant, +l'avait exhorté à maintenir les priviléges des provinces dont il +allait partager le gouvernement. Les électeurs de Mayence et de +Trèves, les margraves de Brandebourg et de Bade, les ducs de +Saxe et de Bavière l'accompagnaient, et il amenait de plus avec lui +quelques cavaliers allemands sous les ordres du landgrave de +Hesse. Maximilien avait toutefois si peu d'argent que la Flandre +dut pourvoir aux frais de son voyage. A défaut de trésors, il portait +à ses communes menacées par le roi de France l'auguste appui du +sang impérial et les traditions contestées de la suzeraineté des +Césars germaniques.</p> + +<p>Le 18 août 1477, vers onze heures du soir, le jeune duc d'Autriche +arriva à Gand, et il se rendit aussitôt à l'hôtel de Ten Walle, +où un pompeux banquet avait été préparé. Lorsqu'il aperçut sa +fiancée, disent les chroniques flamandes, «ils s'inclinèrent tous les +deux jusqu'à terre et devinrent aussi pâles que s'ils eussent été +morts.» Les chroniqueurs y trouvèrent un signe de leur cordial +amour, d'autres peut-être y virent un présage de malheur: sur la +place publique comme à la cour de la duchesse de Bourgogne, tous +<span class="pagenum"><a id="Page_160"> 160</a></span> +les esprits s'abandonnaient à de sinistres préoccupations: si Marie +gémissait sur les désastres qui l'avaient rendue orpheline, la Flandre +isolée au milieu de ses ennemis partageait ses périls, et ce fut en +présence des serviteurs et des officiers de la maison de Bourgogne, +qui portaient encore le deuil de Charles le Hardi, que l'on donna +lecture d'une déclaration où Marie annonçait, sans doute à la +prière des états de Flandre, qu'il était bien entendu que ce mariage +ne pourrait, dans l'hypothèse de son prédécès, conférer aucun +droit, quel qu'il fût, sur ses seigneuries et ses domaines, ou même +sur les joyaux formant son héritage, déclaration importante qui +reposait tout entière sur la crainte de voir un prince étranger chercher +à semer des divisions dans le pays qu'il était appelé à protéger +et à défendre.</p> + +<p>Le lendemain, le mariage fut célébré fort simplement, à six +heures du matin, dans la chapelle de l'hôtel de Ten Walle. Louis +de la Gruuthuse y assistait, et les deux enfants du duc de Gueldre +y portaient des cierges. Maximilien jura à Gand de respecter les +priviléges. Il prêta peu de jours après le même serment à Bruges, +où les bourgeois avaient cherché à reproduire, en son honneur, +quelques-uns des ornements et des intermèdes qu'avait admirés le +duc Philippe: ce n'étaient toutefois plus les mêmes devises si vaines +et si fastueuses; on y lisait seulement: <i lang="la" xml:lang="la">Gloriosissime princeps, +defende nos ne pereamus</i>.</p> + +<p>Le duc d'Autriche n'avait que dix-huit ans: il avait été élevé +dans une complète ignorance, et ses facultés s'étaient révélées si +lentement qu'à douze ans l'on ignorait encore si elles étaient susceptibles +de quelque développement. Fils d'un prince avare, il était +généreux jusqu'à la prodigalité; d'autre part, il était aussi sobre et +aussi frugal que son père l'était peu. On le disait bon, doux, et si +clément qu'il avait coutume de dire que pardonner à des ingrats +c'était s'assurer le plaisir de pardonner deux fois. Mais sa +bonté même n'était souvent que de la faiblesse, et on le voyait +tantôt hésiter lorsqu'il fallait agir avec persévérance et avec énergie, +tantôt subir aveuglément les conseils les plus violents et les plus +odieux. De là cette tendance funeste à la dissimulation qui éloigna +bientôt de lui toutes les sympathies, lorsqu'on reconnut qu'on +ne pouvait compter ni sur ses promesses, ni sur ses serments.</p> + +<p>Maximilien avait déjà adressé au roi de France un manifeste où +<span class="pagenum"><a id="Page_161"> 161</a></span> +il se plaignait de la violation des trêves et où il l'accusait d'avoir +envahi, contre tout droit et toute justice, les Etats de Marie de +Bourgogne. Louis XI se trouvait en ce moment devant Saint-Omer: +il avait fait menacer le sire de Beveren, qui défendait vaillamment +cette importante forteresse, de mettre à mort son père le grand +bâtard de Bourgogne s'il ne lui en ouvrait les portes. «Certes, j'ai +grand amour pour monsieur mon père, avait répondu le sire de +Beveren, mais j'aime encore mieux mon honneur.» Louis XI eut +alors recours à un traître, qui lui promit de mettre le feu dans trois +quartiers de la ville, sans parvenir à exécuter son projet. Les succès +de ses armes semblaient toucher à leur terme: sa flotte avait été +dispersée par les navires de Ter Vere et de l'Ecluse, qui avaient +précipité dans les flots tous les transfuges qu'ils y avaient découverts. +Un autre traître, le sire de Chimay, Philippe de Croy, qui +avait précédemment livré Béthune aux Français, avait été fait prisonnier +près de Douay et conduit à Bruges, quoiqu'il offrît une rançon +de trente mille couronnes. Au même moment, le landgrave de +Hesse rejoignait, avec ses reîtres allemands, l'armée réunie au +Neuf-Fossé, qui avait vu toutes les populations voisines se rallier +sous ses bannières. Les Flamands, irrités des dévastations commises +par les chevaucheurs français, dont les excursions s'étendaient +jusqu'aux portes d'Ypres, se préparaient à aller chercher les ennemis +pour les forcer à livrer bataille dans ces plaines où reposaient +sous le gazon tant de vaillants compagnons d'armes de Robert le +Frison, de Guillaume de Juliers et de Nicolas Zannequin. Louis XI +l'apprit: il n'avait jamais été disposé, depuis la journée de Montlhéry, +à compromettre dans un combat de quelques heures le résultat +des intrigues de plusieurs années, et après avoir vainement +cherché à incendier quelques moissons échappées au zèle de ses +faucheurs, il donna l'ordre à tous les siens de rétrograder jusqu'à +Térouane, et se retira lui-même dans cette abbaye de Notre-Dame +de la Victoire, que l'un de ses ancêtres avait fondée en mémoire de +la bataille de Cassel. Il paraît que Louis XI avait songé un moment +à imiter l'exemple de Philippe-Auguste, sinon dans ses victoires, +du moins en frappant, comme lui, la Flandre d'une sentence d'excommunication; +car on lit dans une lettre de Guillaume Cousinot, +du 12 août 1477: «Quant il plaira au roy, ceulx de Flandres ne +lui peuvent eschapper que leurs corps et leurs biens ne soient +quonfisquez envers luy et leurs âmes en danger par les censures +<span class="pagenum"><a id="Page_162"> 162</a></span> +de l'Eglise.» En 1473, Louis XI avait inutilement fait excommunier +Charles le Hardi par l'évêque de Viterbe.</p> + +<p>Cependant le roi de France n'avait pas tardé à reconnaître que +le moment de recourir à ces mesures violentes était déjà passé. +Abandonné par les Suisses, menacé par le roi d'Aragon d'une invasion +en Languedoc, inquiété par les intrigues du duc de Clarence, +qui accusait Edouard IV d'avoir trahi Charles le Hardi et recrutait +en Angleterre des hommes d'armes pour soutenir les intérêts de sa +fille, peu rassuré sur les dispositions mêmes de la noblesse de son +royaume, qui lui reprochait la mort du duc de Nemours, décapité, +comme le comte de Saint-Pol, en place de Grève, il s'effrayait de +rencontrer sur les frontières du nord une guerre de plus en plus +redoutable. La crainte de donner un prétexte à l'Empereur d'intervenir +dans des querelles qui n'étaient plus étrangères à sa maison +l'engagea successivement à faire parvenir une réponse conçue en +termes pacifiques à Maximilien, et à évacuer toutes les villes du +Hainaut et du Cambrésis qui relevaient de l'Empire. Des conférences +s'ouvrirent à Lens. Une trêve y fut conclue (18 septembre +1477), et quoique les capitaines français renouvelassent parfois hors +de leurs châteaux des excursions qui semaient l'effroi dans les campagnes, +elle permit au duc d'Autriche de consacrer quelques courts +loisirs à l'administration de ses nombreux Etats. Il visita tour à +tour l'Ecluse, Damme, Lille, Courtray, Audenarde, Alost, Ath, +Mons, Bruxelles et les principales villes de la Hollande, de la +Gueldre et du Luxembourg. Partout il jurait les priviléges, comprimait +les complots excités par Louis XI et s'efforçait de calmer +l'inquiétude qu'ils semaient chez les populations.</p> + +<p>Louis XI employa l'hiver à recouvrer par de nouvelles intrigues +le terrain qu'un instant il avait semblé perdre. Il conclut des traités +avec le duc de Lorraine, et gagna à son parti les comtes de Wurtemberg +et de Montbéliard, afin qu'ils suscitassent dans l'Empire +des divisions dont il devait profiter. Enfin, en Angleterre, lord Hastings, +longtemps favorable à la maison de Bourgogne, accepta une +pension du roi de France, et son influence s'était si complètement +rétablie à Londres qu'il avait obtenu que l'on conduisît à la Tour +et que l'on y mît secrètement à mort le duc de Clarence lui-même; +Louis XI, complice de l'empoisonnement du duc de Guyenne, +n'hésitait pas à conseiller un fratricide à Edouard IV.</p> + +<p class="quote">Tolle moras: semper nocuit differre paratum.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_163"> 163</a></span> +Si nous portons nos regards sur ce qui se passait en France, +nous y retrouvons d'autres traces de cette merveilleuse habileté +qui tint lieu de toute vertu au successeur de Charles VII. Les préparatifs +de la guerre avaient été conduits avec une grande activité. +D'énormes impôts avaient été établis; on avait réuni des armes et +fondu un grand nombre de bombardes et de canons; et, en même +temps, les milices des provinces les plus éloignées avaient été mandées. +A mesure qu'elles s'avançaient vers les frontières, la guerre +d'escarmouches, que la trêve avait faiblement interrompue, devenait +plus vive.</p> + +<p>L'histoire rétrograde d'un quart de siècle. Les incendiaires et +les pillards de 1478 sont les Picards de 1452, et nous voyons reparaître +pour les combattre les compagnons de <em>la Verte Tente</em>. Jean +de Gheest a succédé au bâtard de Blanc-Estrain. Il ne parvint +point à empêcher les Français d'obtenir un important succès sur le +sire de Fiennes près d'Audenarde; mais, peu de jours après, il les +attaqua lorsqu'ils revenaient chargés de butin du sac de Renaix, les +défit et les mit en déroute. Maurice de Neufchâtel, capitaine de +Tournay, jugea aussitôt qu'il fallait détruire les compagnons de la +Verte Tente, et on l'entendit jurer que si leur chef tombait entre +ses mains, il le ferait rôtir vif au milieu de son camp; mais il ne +parvint ni à le surprendre, ni à l'atteindre.</p> + +<p>Une lettre écrite par les trois états de Flandre pour réclamer la +présence de Maximilien lui avait été remise à Dordrecht; il rentra +le 24 avril à Bruges. Bien que les taxes qui avaient été levées pour +les dépenses de cette guerre fussent aussi considérables que celles +que le duc Charles le Hardi avait obtenues par ses menaces, on +avait fondu à Bruges un grand nombre de joyaux précieux, afin +d'égaler l'énergie de la défense à la puissance de l'agression. On +avait recruté des hommes d'armes en Brabant et en Hainaut; le +bourgmestre de Bruges, Martin Lem, avait déclaré qu'il entretiendrait +à ses frais un corps de mercenaires espagnols et l'on avait +même songé à faire venir de la Suisse, pour servir la cause de Marie +de Bourgogne, quelques-uns de ces redoutables montagnards d'Uri +et d'Unterwald, dont le courage avait été si funeste à celle de son +père.</p> + +<p>Mais ce qui semblait aux bourgeois de Flandre l'élément indispensable +de leur résistance et de leur succès, c'était la présence +d'un corps d'archers anglais, intrépides combattants, qui soutinrent +<span class="pagenum"><a id="Page_164"> 164</a></span> +peut-être Pierre Coning à Courtray, et qui manquèrent à Roosebeke +à la fortune de Philippe d'Artevelde. En 1384, Ackerman avait réclamé +leur appui, et en 1452, les échevins de Gand y avaient également +eu recours. La duchesse douairière de Bourgogne s'adressa +à son frère dans les termes les plus pressants pour qu'il fût de nouveau +permis à la Flandre de recruter quelques archers en Angleterre. +«Sire, lui écrivait-elle, je me recommande, en la plus humble +manière qu'il m'est possible, à vostre bonne grace, à laquelle +plaise savoir que maintenant, en ma plus grande nécessité, j'envoye +devers vostre bonne grace pour avoir secours et ayde, comme +à celuy en qui est tout mon confort, et qu'il vous plaise avoir +pitié de moy, vostre pouvre sœur et servante, qui toujours ay +esté preste de accomplir vos commandemens à mon possible, et +là où vous m'avez faicte une des grandes dames du monde, je suis +maintenant une pouvre vesfve esloignée de tout lignage et amys, +espécialement de vous, qui estes mon seul seigneur, père, mary +et frère, confiant que ne me voudrez pas laisser ainsy misérablement +détruire, comme je suis journellement, par le roy Louis de +France, le quel fait son possible de me totalement détruire et +d'estre mendiante le demourant de mes jours. Hélas! sire, je vous +requiers que de vostre grace ayez pitié de moy en vous remontrant +que par vostre commandement je suis icy pouvre et désolée, +et que du moins je puisse incontinent avoir à mes despens +quinze cens ou mil archers anglois, et se j'avoye la puissance +plus grande, Dieu scet que je vous requeroye de plus largement +en avoir.» En effet, quelques archers anglais, dont Thomas +d'Euvringham était le chef, traversèrent la mer pour se rendre en +Flandre.</p> + +<p>Cependant Maximilien avait résolu de profiter du court séjour que +les préparatifs mêmes de la guerre le contraignaient de faire à +Bruges, pour relever le célèbre ordre de la Toison d'or, de peur que +Louis XI ne le considérât comme dévolu à sa couronne au même +titre que le duché de Bourgogne. La cérémonie eut lieu dans +l'église de Saint-Sauveur, où de riches tapisseries représentaient +non plus la fabuleuse toison que Médée déroba au roi Éétès, mais +la toison de Gédéon baignée par la rosée du ciel en signe du choix +que Dieu avait fait de lui pour conduire son peuple. Le cortége qui +s'y rendit était précédé de quatre officiers de la Toison d'or et des +autres rois d'armes. Ils conduisaient une haquenée blanche caparaçonnée +<span class="pagenum"><a id="Page_165"> 165</a></span> +de noir, qui portait sur un coussin de velours le collier de +la Toison d'or. Les chevaliers de l'ordre s'avançaient deux à deux; +dès qu'ils eurent pris place aux siéges qui leur étaient destinés, +l'évêque de Tournay prit la parole pour prononcer une docte harangue, +où, après avoir raconté l'origine et le but de l'ordre de la +Toison, il engagea le duc d'Autriche à ne pas le laisser s'éteindre. +Jean de la Bouverie répondit en son nom qu'il était prêt à poursuivre +l'œuvre de ses prédécesseurs pour l'honneur de Dieu, la protection +de la foi catholique et la gloire de la noblesse. Aussitôt après, +Maximilien présenta son épée au sire de Ravestein et en reçut l'ordre +de chevalerie; puis il revêtit le manteau de velours écarlate et +les autres insignes de la grande maîtrise de l'ordre. Le sire de +Lannoy lui mit le collier en disant: «Très-hault et très-puissant +prince, pour le sens, preud'hommie, vaillance, vertus et bonnes +mœurs, que nous espérons estre en votre personne, l'ordre vous +reçoit en son amyable compagnie; en signe de ce, je vous donne +le collier d'or. Dieu doint que vous le puissiez porter à la louange +et augmentation de vos mérites!» Maximilien baisa ensuite fraternellement +les chevaliers, et, lorsque la messe eut été célébrée, +ils se réunirent de nouveau. Plusieurs chevaliers étaient morts +depuis le dernier chapitre; c'étaient Antoine et Jean de Croy, +Baudouin de Lannoy, Simon de Lalaing, Regnier de Brederode, +Henri de Borssele, Jean d'Auxy, Adolphe de Gueldre, Jean de Rubempré, +Jean de Luxembourg, Louis de Château-Guyon et Gui +d'Humbercourt; les uns avaient péri les armes à la main, d'autres +avaient couronné une vie pleine de faste et d'éclat par une fin paisible; +un seul avait été frappé par le glaive du bourreau. Les chevaliers +élus pour les remplacer furent: le roi de Hongrie, le duc de +Bavière, le margrave de Brandebourg, Pierre de Luxembourg, fils +de l'infortuné comte de Saint-Pol, Jacques de Savoie, comte de +Romont, Wolfart de Borssele, Philippe de Beveren, Jacques de +Luxembourg, Pierre de Hennin, Guillaume d'Egmont, Josse de Lalaing +et Barthélemy de Lichtenstein.</p> + +<p>Les fêtes dont le rétablissement de l'ordre de la Toison d'or avait +été l'occasion duraient depuis deux jours, lorsqu'on vint annoncer +que l'armée française venait de former le siége de Condé: on prétendait +même, à Bruges, avoir entendu, à certains intervalles, le +bruit des décharges de l'artillerie. Louis XI s'était placé lui-même +à la tête de ses forces, qui s'élevaient à vingt mille hommes. Il avait +<span class="pagenum"><a id="Page_166"> 166</a></span> +amené avec lui un grand nombre de serpentines et de gros canons, +parmi lesquels il en était un fort célèbre que l'on appelait <em>le chien +d'Orléans</em>; mais les assiégés, bien qu'ils fussent à peine trois cents, +résistaient avec courage à toutes les attaques. Ils espéraient du secours +de la garnison de Valenciennes, qui les abandonna, et ne se +rendirent que lorsqu'ils eurent vu leurs murailles s'écrouler dans les +fossés. Une femme, la dame de Condé, avait donné l'exemple de la +fermeté et du courage: il est des noms que la gloire ne désavoue +jamais.</p> + +<p>Maximilien avait quitté précipitamment Bruges dans la soirée +du 2 mai 1478 pour se rendre à Mons. La plupart des nouveaux +chevaliers de la Toison d'or l'accompagnaient. La guerre allait leur +permettre de s'acquitter des serments qu'ils avaient prêtés dans +l'église de Saint-Sauveur de Bruges.</p> + +<p>S'il n'est plus temps de sauver les assiégés de Condé, Maximilien +doit du moins protéger les frontières du Hainaut qu'attaquent de +toutes parts les hommes d'armes français déjà maîtres de Trélon et +de Boussut.</p> + +<p>Louis XI s'est éloigné avec son armée, moins toutefois pour interrompre +la guerre que pour la porter sur un terrain plus favorable. +Le 11 mai, il ordonne au parlement de Paris de commencer, sur les +crimes de lèse-majesté attribués au duc Charles de Bourgogne, une +enquête qui fasse remonter à l'époque où ils s'accomplirent la confiscation +de ses domaines. En même temps il s'avance vers Merville +et vers Steenvoorde, et s'empare, le 19 mai, de Bailleul, qu'il +fait livrer aux flammes. Poperinghe et les autres bourgs environnants +subissent les mêmes dévastations. Un héraut a déjà sommé les +bourgeois d'Ypres d'ouvrir leurs portes au roi de France.</p> + +<p>La route que suivait Louis XI était celle que Philippe-Auguste +lui avait tracée à la fin du douzième siècle. En 1478, la résistance +ne fut pas moins intrépide. Les bourgeois d'Ypres répondirent par +un laconique refus aux sommations du héraut français; ils avaient +vu accourir, pour défendre leurs murailles, le comte Romont, Jean +de la Gruuthuse, Jean de Nieuwenhove et Jean Breydel, dont le +nom ne pouvait manquer à la défense de la Flandre lorsqu'elle se +voyait menacée par l'invasion étrangère.</p> + +<p>C'était en vain que Louis XI, sachant que Maximilien réunissait +ses hommes d'armes dans le Hainaut, espérait diviser les milices +communales qui protégeaient les frontières de Flandre. Au premier +<span class="pagenum"><a id="Page_167"> 167</a></span> +bruit de l'entrée de Louis XI à Bailleul, les Gantois, guidés par le +sire de Dadizeele et les compagnons de <em>la Verte Tente</em>, se joignirent +à trois cents archers anglais, commandés par Thomas d'Euvringham, +pour attaquer, entre Berchem et Anseghem, la garnison +de Tournay, qui avait été chargée d'observer les mouvements. Le +combat fut sanglant, mais l'avantage resta aux communes flamandes. +Quatre cents Français demeurèrent sur le terrain. Leur +capitaine, Maurice de Neufchâtel, fuyait, poursuivi par l'un de ses +plus intrépides adversaires, dans lequel il reconnut bientôt Jean de +Gheest. «Sauvez-moi, s'écria-t-il lorsqu'il se vit près d'être atteint, +ma rançon sera de dix mille couronnes d'or.—Je sais trop le supplice +que vous me réserviez,» répondit le chef de <em>la Verte Tente</em> +et il le tua de sa main (18 mai 1478).</p> + +<p>Peu de jours après, Jean de Dadizeele et Jean de Gheest se +réunissaient aux milices communales qui occupaient Ypres, pour +aller combattre les Français. Ils obtinrent de nouveaux succès. +Tandis que tous les hommes, depuis le premier âge jusqu'à la vieillesse +la plus avancée, quittaient les villages, les fermes et les +chaumières pour prendre les armes, les femmes détruisaient le pont +construit par les ennemis sur la Lys. Si Louis XI n'eût point ordonné +la retraite vers Arras, quelques jours de plus eussent suffi pour lui +enlever tout moyen de l'exécuter dans un pays où les routes, naturellement +mauvaises, allaient devenir impraticables par le travail +des habitants qui y coupaient les arbres, y creusaient des fossés ou +y élevaient des barrières. C'eût été un mémorable spectacle que +Louis XI, fondateur de la royauté absolue, réduit, comme Philippe-Auguste +à Bailleul, à s'incliner devant la puissance des communes +flamandes.</p> + +<p>Sur ces entrefaites, Maximilien se hâtait de reconquérir toutes +les places dont les Français s'étaient emparés vers les frontières du +Hainaut. En quittant Mons, il alla placer son camp sous les chênes +de Hornu, où les plaids pacifiques des comtes de Hainaut avaient +depuis longtemps effacé les traces du passage des légions conquérantes +de Jules César. De là, il s'avança vers Crépy. Louis XI avait +remis huit mille francs à Olivier le Diable pour ravitailler la forteresse +de Condé; néanmoins, lorsqu'il apprit quelles étaient les +forces dont disposait Maximilien, il changea d'avis et résolut de +l'évacuer après y avoir fait mettre le feu. Conformément à ses ordres, +le sire de Mouy, qui commandait la garnison de Condé, fit sonner +<span class="pagenum"><a id="Page_168"> 168</a></span> +toutes les cloches le 2 juin, et annonça à tous les habitants qu'ils +eussent à se réunir de suite à l'église pour rendre grâces au ciel +d'une grande victoire obtenue par le roi. «Et lors, dit Molinet, les +bonnes gens innocents comme brebisettes, au commandement de +ces loups, se mirent en dévotion.» On ferma aussitôt les portes +de l'église, et les hommes d'armes français chargèrent sur leurs +chariots le butin qu'ils avaient enlevé «à ce dévot peuple qui prioit +pour le roi de France;» puis ils s'éloignèrent après avoir mis le +feu «aux six coins de la ville.» La flamme consuma plus de quatorze +cents maisons.</p> + +<p>Les Français incendièrent Mortagne à leur départ comme ils +avaient brûlé Condé. Le Quesnoy eût subi le même sort si Louis XI +n'eût proposé une trêve toute favorable à la Flandre. Selon les uns, +la crainte de la guerre l'y avait engagé; selon d'autres, il était +effrayé d'un miracle arrivé, disait-on, le jour anniversaire de son +sacre dans la ville de Cambray, dont il s'était emparé par trahison. +Non-seulement il remit le Quesnoy, mais il retira aussi sa garnison +de Cambray, après avoir fait un don de douze cents écus d'or à +l'église de Notre-Dame, où avait eu lieu le miracle qui lui avait +été rapporté. Il permit lui-même aux bourgeois d'ôter de leurs +portes les fleurs de lis pour les remplacer par l'aigle impériale. +«Nous voulons, leur dit-il, que vous soyez neutres... Au regard de +nos armes, vous les osterez quelque soir, et y logerez vostre +oiseau, et direz qu'il sera allé jouer une espace de temps et sera +retourné en son lieu ainsi que font les arondelles qui reviennent +sur le printemps.»</p> + +<p>Immédiatement après l'expiration de la trêve, les milices communales +qui avaient repoussé les Français près de Bailleul rejoignirent +les hommes d'armes de Maximilien à quelques lieues de +Douay. La bannière de Flandre flottait dans toutes les campagnes +environnantes, depuis la tour de Vitry, qui vit en 1302 la fuite +honteuse de Philippe le Bel, jusqu'à la plaine de Mons-en-Pevèle, +qu'ensanglanta deux ans après sa douteuse victoire. C'est la plus +belle époque de cette courte résurrection de la nationalité flamande, +qui allait retomber bientôt dans les luttes de l'ambition et de +l'anarchie. L'enthousiasme était spontané et universel. La Flandre, +qui avait résisté à Philippe le Bel, triomphait de Louis XI: succès +à jamais dignes de mémoire, puisqu'ils coïncidaient avec les plus +vastes accroissements de puissance territoriale qu'eût reçus pendant +<span class="pagenum"><a id="Page_169"> 169</a></span> +une suite de dix siècles la monarchie française. En 1478, on vit s'y +joindre un autre triomphe que la Flandre avait vainement appelé +de ses vœux, lors de la grande alliance de Jacques d'Artevelde et +d'Edouard III. Tournay, la cité royale des rois merowigs, la cité +privilégiée de Philippe-Auguste, la cité restée fidèle à la royauté +de Charles VII à cent lieues de ses frontières rejetées au delà de la +Loire, chassa la garnison française pour échapper au joug de +Louis XI, qui avait méconnu ses franchises et emprisonné ses +magistrats. Selon quelques historiens, elle chargea des députés +d'offrir les clefs de ses portes à Maximilien: il est plus certain +qu'elle restitua aux communes flamandes les bannières que François +de la Sauvagière avait déposées dans l'église de Notre-Dame.</p> + +<p>L'armée flamande était déjà arrivée aux portes d'Arras, où +Louis XI campait avec ses hommes d'armes, à l'ombre de ces +murailles dont tous les échos semblaient le maudire. Maximilien +d'Autriche ne sut point profiter d'un moment si favorable pour +obtenir un triomphe complet. Son esprit faible et irrésolu se révéla, +alors que sa fermeté et sa persévérance dans ses desseins eussent +dû être pour lui un rempart contre les ruses d'un monarque plus +prudent et plus habile; il accueillit les envoyés du roi de France, +qui venaient lui proposer une trêve d'un an et quarante jours, en +s'engageant à restituer toutes les villes et forteresses que les Français +occupaient encore, tant en Hainaut que dans le comté de +Bourgogne. Cette trêve fut conclue le 11 juillet: le comte de +Romont, Jean de Luxembourg, Philippe de Beveren et le sire de +Chantraine l'avaient vainement repoussée de leurs conseils et de +leurs protestations: il ne leur resta plus qu'à déclarer qu'ils +ne voulaient point y être compris. Dès ce moment, la popularité +de Maximilien s'effaça aux yeux de tous ceux qui avaient espéré +de trouver en lui un chef et un protecteur.</p> + +<p>L'armée flamande s'était séparée; mais à peine Maximilien était-il +arrivé à Lille qu'il apprit que le roi de France, délivré des périls +qui l'avaient menacé, semblait peu disposé à abandonner les villes +dont il avait offert lui-même la restitution. On remarquait les +traces d'une profonde tristesse sur le front du duc d'Autriche. Elle +ne s'effaça que, lorsqu'à son retour à Bruges, il assista aux réjouissances +et aux fêtes du baptême de son fils, né le 22 juin 1478, que +l'on avait nommé Philippe, afin que ce nom, en rappelant son +bisaïeul, annonçât la même puissance et la même grandeur.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_170"> 170</a></span> +Cependant il avait été convenu, par un article de la trêve, que +des conférences auraient lieu pour la conclusion d'une paix définitive +entre la Flandre et la France. Le roi avait demandé qu'elles +s'ouvrissent à Saint-Omer, espérant profiter de cette occasion pour +y former quelques complots; mais Maximilien s'y opposa, et elles +eurent lieu à Boulogne. Les commissaires du roi (l'un d'eux était +Jean de Saint-Romain) avaient, avant de quitter Paris, déposé +entre les mains du greffier du parlement une protestation contre +toutes les conventions par lesquelles ils auraient dérogé au droit +de confiscation qui appartenait au roi: précaution assez inutile, +car des deux côtés il fut impossible de s'entendre, et les conférences +s'écoulèrent en stériles discussions sur la loi salique, que le roi +voulait appliquer à tous les Etats dépendant du royaume.</p> + +<p>On espérait du moins que cette trêve permettrait aux laboureurs +de se livrer aux travaux des semailles, et empêcherait le fléau de +la famine de se joindre au fléau de la guerre; mais il en fut autrement. +«Quand le roi de France, dit Olivier de la Marche, vit que +les laboureurs et séyeurs de blé estoient au plus grand nombre, +nonobstant la trêve, il envoya ses gens d'armes et fit prendre +iceux laboureurs et séyeurs, et en tirèrent les gens d'armes françois +grans deniers et avoir, et oncques depuis, le roi de France +ne voulut ouïr parler de cette trêve.» En moins de deux années, +ces dévastations s'étaient reproduites trois fois; il ne faut plus +s'étonner de voir les campagnes devenir désertes, et le déclin de +l'agriculture amener à sa suite la détresse et la misère.</p> + +<p>La guerre était près de se renouveler. Depuis le mois de février +1478 (v. st.), les états de Flandre, assemblés à Termonde, avaient +voté des subsides pour la reprendre avec vigueur. Ils se réunirent +bientôt après à Anvers, pour adopter d'autres mesures dans le même +but, et pourvoir à la défense des frontières maritimes, où l'on redoutait +quelque tentative hostile. Le sire de Dadizeele cherchait +au même moment, avec l'aide d'Adrien de Rasseghem et celle de +Jean de Coppenolle, député des échevins de Gand, à organiser les +milices communales des campagnes, comme d'autres présidaient à +l'armement des milices communales des villes. Voici comment il +s'exprime lui-même dans ses <cite>Mémoires</cite>: «Le sire de Dadizeele, +considérant la triste situation dans laquelle se trouvaient la +plupart des habitants de la Flandre, surtout un grand nombre +de laboureurs, à cause de la crainte des Français, et encore plus +<span class="pagenum"><a id="Page_171"> 171</a></span> +à cause des excès auxquels se livraient les hommes d'armes, amis +funestes qui tuaient, blessaient et dépouillaient de leurs biens +ceux qu'ils auraient dû défendre, s'occupa d'y trouver un remède. +Il commença par armer ses vassaux de Dadizeele, puis les habitants +de Menin, de Gheluwe, de Becelaere, de Moorslede, de Ledeghem, +de Moorseele et de vingt-neuf autres villages. Le 28 +mars 1478 (v. st.), une revue, qui comprenait cinq mille six cents +hommes, eut lieu en présence de plusieurs chevaliers et des +échevins de Gand, et tous y jurèrent et promirent de s'aider mutuellement, +tant contre les ennemis que contre les excès des +hommes d'armes. Cette réunion et ce serment firent tant de +bruit et produisirent un résultat si utile, que cet exemple fut +suivi de toutes parts dans toute la Flandre; et, depuis ce moment, +les Français et les hommes d'armes ne firent guère plus +de dégâts... Le duc Maximilien évaluait à cent cinquante mille +hommes le nombre de ceux à qui le sire de Dadizeele avait fait +prendre les armes dans les quartiers d'Ypres et de Gand.» Les +désordres des hommes d'armes allemands et bourguignons avaient +pris un tel développement que les états de Flandre avaient permis +de sonner le tocsin pour s'opposer à leurs déprédations.</p> + +<p>L'accroissement des impôts donnait lieu à d'autres sujets de +plainte dans la plupart des villes. A Gand, quelques membres des +métiers se soulevèrent; ils mirent à mort des magistrats qui voulaient +s'opposer à leur mouvement, et se retranchèrent dans une +chapelle. Il fallut amener des coulevrines pour les contraindre à se +rendre. Le doyen des maréchaux fut décapité; d'autres furent bannis. +On prêtait à quelques-uns des insurgés les plus coupables desseins, +des rêves de meurtre et des pensées de pillage; ils se proposaient +même, disait-on, de saccager les églises. Ces hommes appartenaient +à la lie des passions populaires, qui ne s'élève que lorsque le niveau +de l'ordre et de la justice s'abaisse; d'eux sortiront les iconoclastes +de 1566.</p> + +<p>Des processions solennelles succédèrent à ces émeutes; elles demandaient +au ciel non-seulement la paix intérieure, mais aussi des +victoires sur les étrangers. La guerre contre les Français recommençait +avec une nouvelle vigueur. Par une résolution qui respirait à +la fois le blâme de la conduite passée de Maximilien et un sentiment +de méfiance vis-à-vis de lui dans l'avenir, les états de Flandre +avaient désigné comme capitaine général de l'armée flamande le +<span class="pagenum"><a id="Page_172"> 172</a></span> +comte de Romont, qui n'avait jamais adhéré à la suspension d'armes. +Il avait reconquis les châteaux de Bouchain et de Crèvecœur. Cambray +avait abdiqué comme Tournay les priviléges d'une douteuse +neutralité pour se prononcer en faveur de la Flandre. Arras aurait +suivi cet exemple, si les officiers de Louis XI n'en eussent chassé +tous les bourgeois qui y possédaient encore un foyer, en retenant +comme otages leurs femmes et leurs enfants. Le roi de France se +contentait d'ourdir quelques intrigues qui ne réussissaient point. +Un chanoine les dirigeait à Lille; à Douay, des soldats déguisés +en paysannes cherchèrent à s'emparer des portes, en s'introduisant +dans la ville avec des épées cachées dans des corbeilles qu'ils avaient +remplies de fromages. D'autres bandes françaises avaient songé à +traverser la Lys pour conquérir du butin.</p> + +<p>Maximilien attendait à Saint-Omer le moment où il pourrait +prendre part à la guerre. Le terme de la trêve étant arrivé, il alla, +le 26 juillet 1479, à la tête de l'armée flamande, forte de vingt-deux +mille hommes, mettre le siége devant Térouane, que le sire +de Saint-André défendait avec quatre cents lances et quinze cents +arbalétriers. Toutes les milices communales se montraient pleines +d'ardeur, et parmi les chevaliers qui entouraient le duc d'Autriche, +il en était plusieurs qui, à l'exemple du comte de Nassau, portaient +le bras nu, afin de répondre à une bravade des Français, qui les +avaient fait menacer de leur couper le poing s'ils tombaient en leur +pouvoir. On tarda peu à apprendre qu'une armée ennemie s'avançait +pour secourir Térouane. Elle était commandée par ce sire de Crèvecœur +qui, comblé autrefois des bienfaits du duc Charles, s'était +empressé de trahir sa fille, et n'avait cessé d'exciter Louis XI à la +dépouiller de son héritage, en lui remontrant que la grandeur et le +repos de la France dépendaient de la conquête de la Flandre. On en +évaluait la force à vingt-huit mille hommes, la plupart francs archers, +et bien que l'on y remarquât quelques pusillanimes courtisans, +tels que Jean Daillon, seigneur du Lude, et le valet de chambre +Jean Wast, devenu le sire de Montespedon, elle comptait +plusieurs chefs fameux par leur courage, «vrais routiers de guerre, +dit Molinet, disciples de Mars, ennemis de paix, flagelleurs de +peuples, durs comme métal, légiers comme daims, et usités de +respandre le sang humain.»</p> + +<p>A cette nouvelle, l'armée flamande leva le siége de Térouane pour +occuper une forte position d'où la vue s'étendait jusqu'aux tourelles +<span class="pagenum"><a id="Page_173"> 173</a></span> +du château de Bomy. L'un des plus braves capitaines des armées +de Charles le Hardi, Salazar, reçut la mission d'aller reconnaître +l'avant-garde de l'ennemi. Il fut assez heureux pour la surprendre +près de Blangy, lui tua trois cents hommes et ramena cinquante +ou soixante prisonniers.</p> + +<p>Cette escarmouche décida une action générale. Les milices flamandes, +bien qu'elles fussent réunies à la hâte et presque dépourvues +de cavalerie, réclamaient à grands cris le combat, comme elles +l'avaient demandé l'année précédente devant Arras. Le sire de +Crèvecœur ne le jugeait pas moins nécessaire pour rétablir l'honneur +des armes françaises. Impatient de profiter de la supériorité +du nombre qui semblait lui assurer le succès, il envoya un héraut +défier le duc d'Autriche.</p> + +<p>Une vaste plaine s'étendait entre les deux armées, depuis les +hauteurs de Dohem jusqu'aux ravins où l'on montre, au bord d'une +fontaine, les ruines de l'ermitage de sainte Fredeswide. Au centre +s'élevait une colline, dont le nom, que les habitants du pays prononcent +Enquingate, est devenu celui de Guinegate dans tous les +récits historiques. Ce fut là que la bataille s'engagea, le 7 août 1479, +vers huit heures du matin, entre l'avant-garde de Maximilien, commandée +par le sire de Baudricourt, et les Français, qui se portaient +en avant divisés en trois corps principaux.</p> + +<p>Les milices flamandes, armées de longues piques, présentaient +une masse étroitement serrée sur une seule ligne. Un peu en avant +se trouvaient cinq cents archers anglais que soutenaient trois mille +arquebusiers allemands. Quelques hommes d'armes, en petit nombre, +se tenaient sur les flancs. Le duc d'Autriche harangua les siens. +«Réjouissez-vous, leur disait-il, voici la journée que nous avons +longtemps désirée. Nous avons enfin devant nous ces ennemis, +qui tant de fois ont dévasté nos champs, pillé nos biens, brûlé +nos maisons. L'heure est arrivée de vous conduire vaillamment. +Notre querelle est bonne et juste. Implorez le secours de Dieu, +de qui dépend toute victoire.» A ces mots, il descendit de cheval +pour s'agenouiller, et tous les défenseurs de la Flandre se +prosternèrent avec lui pour réclamer la protection du Dieu que +leurs pères avaient invoqué sur le champ de bataille de Groeninghe.</p> + +<p>L'armée française s'approchait. Elle avait culbuté l'avant-garde +du sire de Baudricourt et sa redoutable cavalerie, se déployant vers +la droite pour éviter les traits des archers anglais, se précipitait +<span class="pagenum"><a id="Page_174"> 174</a></span> +avec une force irrésistible au milieu des bataillons allemands et +flamands qui s'entr'ouvraient en désordre. La mêlée devint sanglante, +et bientôt à une vive résistance succéda le désastre d'une +déroute complète. Jacques et Antoine d'Halewyn tombèrent parmi +les morts. Les sires de Condé, de la Gruuthuse, d'Elverdinghe, de +Polheim furent faits prisonniers. Une partie des fuyards, entraînant +Philippe de Clèves, cherchait à gagner Aire; les autres se dirigeaient +vers Saint-Omer, abandonnant aux Français leurs armes +et leur artillerie. Le sire de Crèvecœur, se plaçant à la tête de toute +sa cavalerie, s'élança aussitôt à leur poursuite, tandis qu'un long +cri de victoire retentissait sous les bannières fleurdelisées.</p> + +<p>Au même moment, le sire de Saint-André, sortant de Térouane, +envahit le camp flamand, où ses hommes d'armes égorgèrent les +prêtres, les vieillards, les femmes et les enfants, afin que rien ne +les empêchât de piller librement les tentes du duc d'Autriche et de +ses chevaliers, les bagages, les joyaux et les approvisionnements +qui abondaient, «aussi estoffément comme en Bruges ou en Gand.»</p> + +<p>Cependant les gémissements et les clameurs lamentables qui +s'élevaient vers le ciel inspirèrent à quelques corps de milices flamandes +qui n'avaient point été ébranlés un de ces efforts énergiques +qui modifient parfois les coups de la fortune. Par une résolution +qui semble imitée de celle du comte de Thiette dans des +circonstances semblables, à la journée de Mons-en-Pevèle, le comte +de Romont et Jean de Dadizeele descendirent de cheval avec les +chevaliers qui les entouraient et le duc d'Autriche lui-même, pour +les conduire au combat. Les hommes d'armes et les francs archers +de Louis XI reculèrent, surpris par cette attaque imprévue; l'artillerie +fut reconquise, et les milices de Flandre poursuivirent leurs +succès en repoussant les ennemis jusqu'à leur propre camp, +qui fut aussitôt assailli et forcé. Lorsque le sire de Crèvecœur +reparut dans la plaine, il était trop tard pour qu'il pût espérer de +réparer les résultats de son imprudence; il ne réussit qu'à couvrir +la retraite des débris de son armée vers Hesdin et vers Blangy.</p> + +<p>Les pertes qu'avaient éprouvées les Français à la fin de la journée +vengèrent celles qu'ils avaient fait subir aux milices flamandes +au commencement de l'action. Non-seulement elles avaient recouvré +toute leur artillerie, mais elles s'étaient emparées aussi de +trente-cinq serpentines; enfin, si elles comptaient quelques nobles +chevaliers, quelques intrépides bourgeois parmi les morts, les Français +<span class="pagenum"><a id="Page_175"> 175</a></span> +qui avaient succombé étaient bien plus nombreux, et l'on +remarquait parmi ceux-ci l'amiral de France, le sénéchal de Normandie, +le comte du Maine, les sires de Clermont, de Créquy, de +Vaudemont, de Torcy, et un célèbre capitaine dont nous avons +déjà cité souvent le nom, Jean de Beauvoisis. Antoine de Crèvecœur, +frappé à côté d'eux, avait expié la trahison du sire d'Esquerdes, +et le valet de chambre Jean Wast, autre transfuge, y avait +terminé, au milieu des gens de guerre, une vie que n'avaient pu +illustrer ni les intrigues du château de Genappe ni celles du Plessis-lez-Tours.</p> + +<p>Maximilien passa la nuit dans le camp français «au lit d'honneur, +tendu de glorieuse renommée.» Il avait montré du courage +dans cette journée; mais la faiblesse et l'incertitude qui formaient +l'un des traits principaux de son caractère se reproduisirent +presque aussitôt, trop promptes à étouffer les inspirations d'une +énergie momentanée. Si, au lieu de licencier son armée, il se fût +présenté immédiatement devant Térouane ou même devant Arras, +la terreur panique qu'avait répandue le bruit de la bataille de Guinegate +lui en eût sans doute fait ouvrir les portes.</p> + +<p>Le mécontentement de Louis XI fut extrême quand il sut qu'on +avait combattu contrairement à ses volontés; il disgracia le sire +d'Esquerdes et le sire de Saint-André, et résolut de remplacer les +francs archers par des gentilshommes, parce qu'il avait plus de +confiance dans le courage de la noblesse, toujours fidèle à cette tradition +de l'honneur qui lui avait appris à mourir plutôt que de reculer; +mais loin de les chercher dans ses Etats, il alla les recruter +vers les marches de l'Allemagne et de la Suisse, sans se préoccuper +des conséquences d'une politique méticuleuse qui allait compromettre +pendant un demi-siècle la fortune militaire de la France, +en plaçant en des mains étrangères le soin de la défendre.</p> + +<p>Lorsque la guerre se ralluma, au mois de septembre 1479, les +Français envahirent le pays de Bourbourg, sans rencontrer d'armée +qui mît obstacle à leurs progrès, et la Flandre eût été perdue, si +Jean de Dadizeele, faisant en toute hâte sonner le tocsin dans les +campagnes, n'eût réussi à les arrêter près de Cassel, en leur opposant +les milices communales, illustrées par la victoire de Guinegate.</p> + +<p>Cependant, les revers ne lassaient point les ambitieuses espérances +d'un prince habitué à trouver dans sa persévérance le gage +<span class="pagenum"><a id="Page_176"> 176</a></span> +de ses succès. Louis XI, cherchant dans les négociations des triomphes +moins incertains que ceux des armes, traitait avec la Castille, +forçait le roi René à lui céder une partie de ses Etats, s'emparait +de la tutelle du jeune duc de Savoie, concluait de nouvelles alliances +avec les Suisses et les Génois, et menaçait le duc de Bretagne de +lui opposer, s'il ne soutenait pas ses intérêts, des prétentions rivales +qui remontaient à Jeanne de Blois. Il envoyait en même temps le +sire de Blancfossé et Pierre Framberg s'aboucher à Metz avec les +députés des villes de Gueldre, pour qu'elles prissent les armes +contre le duc d'Autriche.</p> + +<p>En présence de ces immenses préparatifs, la Flandre se demandait +si elle pouvait compter sur la protection d'un prince qui n'avait +été victorieux que malgré lui et qui, même après sa victoire, avait +abandonné aux Français le pays de Bourbourg. Les communes s'agitaient +et le sire de Lalaing écrivait lui-même au sire de Dadizeele: +«Je meurs de ce que je voy que les Franchois gastent ainsy nostre +pays et que nous n'y pourvéons autrement.» Maximilien s'était +rendu à Gand au mois de novembre pour y réclamer de nouveaux +impôts, quand le doyen des métiers lui déclara, au nom des bourgeois, +qu'il était nécessaire que d'abord il rendît compte de tous +les deniers employés. «Voulez-vous donc la perte de la Flandre? +s'écria Maximilien.—Nous l'aimons trop, répliquèrent les bourgeois, +pour laisser à d'autres le soin de sa défense.» En effet, +une assemblée générale fut convoquée à Termonde, et toutes les mesures +y furent prises pour organiser la résistance sur la base la plus +large et la plus nationale; les milices communales prêtes à s'armer +au printemps s'élevaient à cent cinquante mille hommes.</p> + +<p>Dans ces graves circonstances, où Maximilien se voyait condamné +au mépris et à l'isolement aussi bien vis-à-vis de ses sujets +que vis-à-vis des princes étrangers, une femme conçut le projet de +rétablir l'influence qui lui échappait. Cette femme était la duchesse +douairière de Bourgogne, Marguerite d'York. Veuve de Charles le +Hardi, elle aspirait à se venger des communes flamandes, qui +l'avaient bannie en 1477. Elle se souvenait aussi de l'asile offert à +Edouard IV et de cette glorieuse intervention dans les troubles de +l'Angleterre qui avait jadis resserré l'alliance des maisons d'York +et de Bourgogne. Sur ces deux bases reposaient les desseins ambitieux +qu'elle fit aisément accepter à un prince qu'elle dominait autant +par la fermeté que par la supériorité de son esprit.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_177"> 177</a></span> +Depuis longtemps les agents de Marguerite d'York multipliaient +leurs démarches pour combattre l'influence des conseillers anglais +que pensionnait secrètement Louis XI, lorsqu'au mois de juin 1479, +quelques semaines avant la bataille de Guinegate, des navires flamands +conduisirent au port de l'Ecluse trois vaisseaux français où +l'on saisit des présents adressés à lord Howard et des lettres de +Louis XI qui l'exhortaient à faire en sorte que dix mille Anglais se +joignissent à son armée pour envahir la Flandre. Lord Howard fut +arrêté avec onze de ses amis, et des plénipotentiaires se rendirent à +Saint-Omer, où ils conclurent, le 18 juillet, une convention relative +au mariage de Philippe, fils de Maximilien, avec Anne d'Angleterre, +troisième fille d'Edouard IV.</p> + +<p>Marguerite d'York, encouragée par ce succès, allait aborder la +lutte contre les communes flamandes, lutte périlleuse et difficile, +dans laquelle elle espérait être plus heureuse ou plus habile que les +rois les plus redoutables. En 1453, Gand avait représenté les communes +flamandes dans sa longue guerre contre le duc Philippe de +Bourgogne. En 1479, la question est posée sur le même terrain, sur +le terrain où elle a été décidée vingt-six ans auparavant par la bataille +de Gavre. Des nobles de la cour répétaient tout haut que la +ville de Gand était mal gouvernée. Les officiers du prince tenaient +le même langage.</p> + +<p>Voici en quels termes mystérieux le comte de Saint-Pol avertissait +le sire de Dadizeele de la situation des choses au mois de décembre +1479: «Pour vous bien advertir, tant de secrets entendements +courent aujourd'huy que l'en ne s'y scet cognoistre: ce +scet le Tout-Puissant!»</p> + +<p>Quels étaient ces secrets entendements? Le document suivant les +fera connaître: «A messire Jean de Dadizeele, haut bailli de Gand, +notre très-cher seigneur. Noble et digne seigneur, les échevins +des deux bancs de Gand et les deux doyens de la ville de Gand, +salut et amitié: qu'il vous plaise savoir que nous avons appris +aujourd'hui par Jean de Coppenolle, notre secrétaire, qu'il se fait +quelque machination par le moyen et à la poursuite de certaines +personnes qui nous sont hostiles, comme on peut le supposer, +pour que l'on vous enlève votre dignité de haut bailli de Gand, ce +qui nous paraît fort étrange, et nous ne pouvons soupçonner +quels sont les griefs que l'on produit contre vous et nous avec +une intention coupable, ce qui serait triste à voir et à entendre. +<span class="pagenum"><a id="Page_178"> 178</a></span> +Hâtez-vous donc de vous rendre à Gand afin de savoir si vous +n'avez plus d'autorité et d'examiner ce qu'il nous reste à faire +pour vous la conserver.»</p> + +<p>Marguerite d'York croyait désarmer les communes flamandes en +les privant des sages conseils du sire de Dadizeele, mais elle comprit +bientôt que c'était une trop vaste tâche que de vouloir régner à +Londres par les négociations et à Gand par la force et la violence. +Au mois de mai 1480, Maximilien charge l'abbé de Saint-Pierre +de déclarer aux échevins et aux doyens de Gand que jamais il ne +songea à leur enlever leurs priviléges, et qu'il espère qu'ils le soutiendront +avec les bonnes villes dans ses démarches, «pour acquérir +l'ayde des Anglois contre le roy de France, qui contendoit +destruire la comté de Flandre pour distraire d'icy la marchandise +et la attraire en France.» Les Gantois répondent fièrement +qu'ils sont résolus à maintenir les priviléges que leurs ancêtres +payèrent de leur sang, et que, d'après ces priviléges, tant que toutes +les infractions qu'ils ont subies n'auront point été réparées, ils +doivent s'abstenir de toute relation avec les autres membres de +Flandre. Ils ajoutent qu'ils désirent être instruits des négociations +commencées avec l'Angleterre.</p> + +<p>Les nouvelles arrivées de Londres étaient peu favorables. Lord +Howard était parvenu à se disculper, et il venait d'être chargé d'aller +conclure un nouveau traité avec le roi de France (12 mai 1480). +Marguerite n'hésita pas toutefois à tenter un dernier effort, et elle +se rendit elle-même en Angleterre. Edouard IV aimait peu les +Français, mais il écoutait son avarice en acceptant leurs dons. Il +raconta, le 27 juillet, à sa sœur, que lord Howard, arrivé la veille +de France avec le dernier semestre du <em>tribut</em> établi par le traité +d'Amiens, lui avait appris que Louis XI consentirait volontiers à +lui payer, chaque année, cinquante mille écus s'il pouvait conclure +le mariage du Dauphin et de madame Elisabeth, ainsi qu'une trêve +dont seraient formellement exclus le duc d'Autriche et le duc de +Bretagne, et que pour parvenir à ce but «son intention estoit de +non espagner la moitié de la revenue de son royaume d'un an +en dons et autrement.» Lord Howard avait aussi déclaré que le +roi de France, s'il ne réussissait point à Londres, s'adresserait à +Maximilien lui-même, «afin de pratiquer par tous moyens possibles, +et mesmement par force d'argent et plusieurs autres fainctes et +dissimulées offres, aucun traité au moyen duquel il le pust séparer +<span class="pagenum"><a id="Page_179"> 179</a></span> +des maisons d'Angleterre et de Bretagne.» L'un de ces +moyens, le plus opposé à la politique habituelle de Louis XI, puisqu'il +se fondait sur l'intimidation, était la réunion d'une armée +destinée à former le siége d'Aire et de Saint-Omer.</p> + +<p>La duchesse de Bourgogne avait aussi été avertie que des +envoyés français ne tarderaient point à traverser la mer: elle +prévint leurs efforts. Par des traités successifs du 1<sup>er</sup>, du 5 et du +14 août 1480, le roi d'Angleterre s'allia à Maximilien et lui accorda +pour son fils la main de sa fille Anne. Six mille archers anglais +devaient secourir la Flandre contre le roi de France, et Maximilien +promettait à Edouard IV une rente annuelle semblable à celle que +lui payait Louis XI. Marguerite s'était même efforcée d'engager +Edouard IV à envahir l'Aquitaine et la Normandie, et à +réunir à sa couronne les conquêtes qui avaient illustré le règne +d'Edouard III, ancêtre commun des deux grandes dynasties d'York +et de Lancastre. Peut-être même Maximilien proposa-t-il de rendre +hommage du comté de Flandre à Edouard IV, <em>roi de France et +d'Angleterre</em>, dès qu'il aurait traversé la mer avec ses armées. +Michel de Berghes avait déjà reçu des instructions relatives à la +part que le duc d'Autriche prendrait à cet armement, et il avait +été convenu que quinze cents archers anglais iraient immédiatement +rejoindre ceux qui se trouvaient en Flandre sous les ordres +de Thomas d'Euvringham. Pour que cette confédération fût +complète, on attendait à Londres les envoyés de la Bretagne chargés +d'offrir au prince de Galles la main de l'unique héritière de +leur duché.</p> + +<p>L'imprudence et l'incapacité de Maximilien devaient renverser +tous ces projets si habilement préparés en dépit de mille obstacles. +Il ne s'était laissé ébranler ni par l'invasion des Français dans le +Luxembourg, ni par les préparatifs des garnisons françaises de +l'Artois aisément contenues par Jean de Dadizeele: il avait cédé +à quelques lignes d'une lettre où l'un de ses espions en France lui +annonçait que Louis XI avait comblé d'honneurs et de présents +le cardinal de la Rovère, légat du pape Sixte IV, non-seulement +pour qu'il excommuniât les Flamands, mais aussi pour qu'il persuadât +à la duchesse douairière de Bourgogne de soutenir ses intérêts, +«en lui faisant offres de par le roy de la marier grandement.» +Quelque invraisemblable que fût cette allégation, Maximilien y +ajouta une foi aveugle: il refusa de recevoir dans ses Etats le cardinal +<span class="pagenum"><a id="Page_180"> 180</a></span> +de la Rovère et traita avec Louis XI, non-seulement sans le +conseil, mais même à l'insu de la duchesse Marguerite.</p> + +<p>Quelques-uns des ministres anglais se montrèrent fort irrités de +la conduite de Maximilien: Edouard IV toutefois partageait peu +leurs sentiments. Il approuva aisément ce qu'avait fait le duc d'Autriche, +et se hâta d'envoyer en France des ambassadeurs continuer +les négociations relatives au mariage de madame Elisabeth avec le +Dauphin pour conserver le <em>tribut</em> de cinquante mille écus. Peu de +jours après, Marguerite s'embarqua à Douvres, et les envoyés du +duc de Bretagne ne trouvèrent à leur arrivée en Angleterre que +le souvenir de la vaste confédération à laquelle ils se croyaient +appelés à prendre part.</p> + +<p>Cependant Marguerite n'abandonna point ses desseins: son +retour en Flandre lui avait rendu son influence, et elle présida sans +doute aux instructions qui furent données le 29 janvier 1480 (v. st.) +au prince d'Orange, au comte de Chimay, à l'abbé de Saint-Bertin +et au doyen de Saint-Donat, chargés d'aller remontrer à Edouard IV +que le moment n'avait jamais été plus favorable pour porter la +guerre en France, et que Maximilien était prêt à lui céder ses +droits sur Boulogne, Montreuil, le Ponthieu et les villes de la +Somme, et à l'aider à reconquérir la Normandie et la Champagne, +où il pourrait se faire couronner à Reims. L'appui de Maximilien +n'est-il pas important? La Flandre n'est-elle pas la patrie de +Jacques d'Artevelde? Le prince d'Orange et le comte de Chimay +auront soin de le rappeler au roi d'Angleterre, en exposant «comme +l'ayde et assistance des dits pays est moult à estimer; car pour +l'avoir le roy Edouard d'Angleterre, qui premier mist avant la +querelle des roys d'Angleterre en France, vint par deçà en sa +personne, pratiqua l'ayde des dits pays et tint à bien grande +chose l'avoir d'aucuns d'iceux, et aussi il luy servit et prouffita +moult à sa conqueste, comme chacun sçait.» Edouard IV ressemblait +peu à l'illustre monarque dont il portait le nom: on le +pressa vainement de prendre les armes; il répondait toujours: +«Attendez la mort du roi de France.»</p> + +<p>Louis XI était déjà vieux, et sa santé s'affaiblissait; selon une +rumeur populaire qui arriva jusqu'en Flandre, il avait été atteint +de la lèpre vers la fin de l'année 1479. Enfin, au mois de mars 1480 +(v. st.), pendant qu'il se trouvait à table, aux Forges près de Chinon, +il avait été frappé d'une attaque d'apoplexie qui lui fit perdre +<span class="pagenum"><a id="Page_181"> 181</a></span> +un moment la parole, et qui lui sembla, aussi bien qu'à ses ennemis, +le signe de sa fin prochaine. Agité par ses remords, il s'attachait +de plus en plus à cette vie de la terre où le crime, assis au +faîte des grandeurs, se promet vainement une éternelle impunité. +Il faisait chercher aux Cordeliers de Troyes les reliques de Jean +de Gand, pauvre ermite de Saint-Claude, qui avait partagé avec +Jeanne d'Arc la gloire de faire accepter à Charles VII des prophéties +libératrices. Il appelait saint François de Paule du fond de +l'Italie, pour lui demander à genoux quelques jours de plus, et, en +même temps, craignant de voir ses terreurs se révéler et affaiblir +sa puissance, il présidait son conseil, passait ses Suisses en revue, +et faisait acheter à grands frais dans toute l'Europe les instruments +de ces plaisirs qui ne conviennent qu'à la santé et à la jeunesse: +des rennes de Suède, des chevaux de Naples, des mules de Sicile, +des épagneuls de Valence, des levrettes de Bretagne, bientôt oubliées +pour celles qu'il choisit dans la meute du sire de Boussut, de préférence +aux barbets de Flandre à jambes droites et aux chiens noirs +de Saint-Hubert, comme la seule rançon qu'il voulût accepter de +Wolfgang de Polheim: frivoles délassements qui formaient un +contraste étrange avec les sombres préoccupations de sa politique.</p> + +<p>Le 25 octobre 1480, Louis XI avait écrit au cardinal de la Rovère +que si l'entrée des Etats de Maximilien lui était définitivement refusée, +il ferait bien d'annoncer que sa mission était d'assurer aux +peuples le rétablissement de la paix, si nécessaire à leur prospérité, +et d'adresser cette déclaration aux Gantois, afin d'exciter chez eux +quelque sédition violente. Le légat du pape avait déjà fait publier +dans toutes les villes de Flandre la bulle pontificale du 16 septembre, +qui avait inutilement engagé Maximilien à le recevoir; il +répondit à Louis XI qu'il allait remontrer, par une nouvelle lettre, +aux bonnes villes de Flandre tous les maux que leur désobéissance +au saint-siége devait entraîner, et combien Maximilien était coupable +en rejetant la médiation du pape pour n'écouter que les conseils +de l'évêque de Tournay. Or, l'évêque de Tournay était Ferri +de Cluny, frère de l'ancien protonotaire de Térouane, qui, après +avoir été le complice d'Hugonet et d'Humbercourt et l'instrument +de l'usurpation de la Bourgogne par le roi de France, était resté +haï des Flamands en quittant Louis XI pour s'attacher exclusivement +au duc d'Autriche.</p> + +<p>L'impopularité de Maximilien s'accroissait de jour en jour; sa +<span class="pagenum"><a id="Page_182"> 182</a></span> +prodigalité, qui ne cessait d'enrichir les Allemands et les Bourguignons, +multipliait les sacrifices que s'imposait un pays réduit +à la détresse et à la misère: sa faiblesse concourait à les +rendre stériles. Au moment même où Louis XI l'accusait publiquement +de falsifier le sceau royal, Maximilien ne songeait qu'à +remplir ses trésors pour les épuiser aussitôt. Dès le mois de septembre +1477, on le voit écrire au sire de Ravestein pour qu'il remette +à son valet de chambre, Gauthier de Heusden, cent mille +florins de joyaux, et, de plus, «une bague garnie de pierres, de la +valeur de trois quarats ou chinc mille florins, pour les engager ou +faire fondre.» En 1479, il laisse vendre par la maison des Médicis, +qui apprit à aimer les arts en acceptant des chefs-d'œuvre +comme gage de ses prêts usuraires, une partie des images ciselées +et de la riche vaisselle des ducs de Bourgogne. De précieux joyaux +se trouvaient entre les mains de Foulques Portinari, qui menaçait +de les faire fondre si on ne lui remboursait pas ses avances; d'autres +étaient entrés dans les coffres de quelques marchands espagnols qui +prêtaient à trente et quarante pour cent d'intérêt; d'autres encore +avaient été remis à Jacques de Witte, à Jean de Boodt, à Henri +Nieulant, à Jacques Despars, à Jacques Metteneye et à trente-cinq +de leurs amis, qui s'étaient constitués cautions pour une somme de +quatre mille livres de gros. Faut-il ajouter que la bibliothèque des +ducs de Bourgogne, «la plus riche et noble librairie du monde,» +avait été en grande partie aliénée et dispersée; les monuments de +la protection que les ducs de Bourgogne avaient accordée aux lettres +disparaissaient dans le même gouffre que ceux qui retraçaient +leur puissance.</p> + +<p>Il ne faut plus s'étonner de voir le mécontentement éclater de +toutes parts. Les députés des communes s'assemblèrent pour délibérer +sur la situation des affaires publiques: Gand avait pris l'initiative +de ce mouvement. Comme aux plus mauvais jours du quatorzième +siècle, la lutte se dessinait énergique et vive entre les courtisans +qui entouraient le prince à ses joutes et à ses fêtes, et les +bourgeois des villes qui lui avaient fait un rempart de leurs corps +sur le champ de bataille.</p> + +<p>Le chef du parti des communes était Jean de Dadizeele. Issu +d'une antique maison, il avait fréquenté pendant sa jeunesse les +écoles de Lille et d'Arras, puis il s'était attaché comme servant +d'armes à Simon de Lalaing dès l'époque où celui-ci défendit si vaillamment +<span class="pagenum"><a id="Page_183"> 183</a></span> +Audenarde contre les Gantois, et il était resté près de lui +jusqu'à sa mort. En 1465 il avait épousé Catherine Breydel et était +retourné dans le château de ses ancêtres, où il reçut tour à tour les +nombreux pèlerins qui allaient prier à l'autel de Notre Dame de +Dadizeele, notamment les duc Philippe et Charles de Bourgogne, +Marie et Maximilien, Adolphe de Clèves, le comte de Scales et +d'autres hôtes non moins illustres. Dès ce moment, ses années furent +partagées entre l'administration paternelle de ses domaines et les +guerres où il était tenu, à raison de son fief, de servir le prince. +Tantôt il établissait une foire et faisait bâtir de nombreuses maisons +à Dadizeele, de telle sorte qu'on parle dans les documents contemporains +de la ville de Dadizeele, comme Bladelin parlait quelques +années plus tôt de sa ville de Middelbourg. Tantôt il passait +la revue annuelle de ses braves vassaux qui le suivirent à Guinegate, +les fermiers étant montés sur leurs chevaux de trait, les ouvriers +tous armés d'une fourche; d'autres fois il courait défendre la +Bourgogne, au premier bruit des résultats douteux de la bataille +de Montlhéry. En 1467, il accompagnait le sire de la Gruuthuse, +lorsqu'il parvint à calmer à Gand l'émeute de la Saint-Liévin. A la +mort de Charles le Hardi, il était devenu le conseiller et le défenseur +de Marie de Bourgogne. Allant recevoir Maximilien aux frontières +de Flandre, puis présidant à son mariage, également prompt à réprimer +les séditions des métiers de Gand et à faire respecter la suprématie +de la ville par les habitants de la châtellenie qui lui était +soumise, appelé bientôt par ses victoires au commandement de l'armée +flamande, avec laquelle il déjoua tous les projets de Louis XI, +créé tour à tour grand bailli de Gand, bailli souverain de Flandre, +capitaine général et ambassadeur en Angleterre, il était le seul +homme capable de sauver la Flandre menacée à la fois par la trahison +et l'anarchie, par l'intrigue et la conquête.</p> + +<p>Le 7 octobre 1481, Jean de Dadizeele se trouvait à Anvers, lorsqu'il +fut assailli le soir par quatre ou cinq meurtriers inconnus. +Peu de jours après, il rendit le dernier soupir. Sa vie, jusque-là +destinée à accomplir à travers mille périls une œuvre de conciliation, +eût pu modérer les passions inquiètes de ses amis, et protéger +ceux-là mêmes qui le haïssaient: sa mort allait briser le dernier +obstacle qui s'opposât aux discordes civiles, car elle devait être également +funeste aux hommes qui l'avaient préparée et aux bourgeois, +qui lui firent des funérailles aussi pompeuses que celles d'un prince: +<span class="pagenum"><a id="Page_184"> 184</a></span> +c'était le deuil de la Flandre entière, condamnée à voir s'éteindre +avec la paix intérieure les dernières illusions de la puissance et de +la liberté.</p> + +<p>Maximilien se trouvait à Anvers lors de l'attentat dirigé contre +le sire de Dadizeele. Il était même allé le voir et avait fait fermer +les portes de la ville, afin que les auteurs du crime ne pussent +s'échapper. On ne les découvrit point: cependant la rumeur publique +accusait le sire de Montigny et le bâtard de Gaesbeke. Le premier +était le beau-père, et le second le fils illégitime de messire +Philippe de Hornes, seigneur de Gaesbeke et de Baucignies, connu +lui-même comme l'un des principaux ennemis de la victime. Maximilien +feignit de l'ignorer et ne se souvint plus de l'assassinat de +Jean de Dadizeele que pour en profiter. On arrêta à Bruges par son +ordre les magistrats et les bourgeois les plus respectés, Jean de +Riebeke, Jean de Keyt, Jean de Boodt, Martin Lem, si fameux par +le zèle qu'il avait montré à prodiguer ses biens pour résister à l'invasion +française, Jean de Nieuwenhove, l'un des héros de Guinegate. +Il fallut quatre jours aux officiers de Maximilien pour étayer +sur les griefs les plus vagues leur acte d'accusation. Il nous suffira +de rappeler que l'un de ceux que l'on reprochait à Jean de Nieuwenhove +était de s'être approprié à Guinegate le trésor de l'armée, +trésor qui avait été pillé, on le savait bien, par les hommes d'armes du +sire de Saint-André. La conclusion était du reste telle que l'avarice +de Maximilien permettait de le prévoir: le payement d'une amende +qui pour chacun des accusés se serait élevée à quarante mille lions +d'or. Tous les conseillers de Maximilien s'étaient empressés d'offrir +leur témoignage hostile: c'étaient, entre autres, Roland d'Halewyn, +allié à la maison de Hornes, Jacques de Ghistelles, Charles +d'Uutkerke, et en même temps le duc d'Autriche décidait que cette +affaire serait portée devant la juridiction de son conseil, juridiction +évidemment dénuée de toute garantie d'impartialité; mais les accusés +réclamèrent si vivement les priviléges attachés au droit de +bourgeoisie qu'il fallut ajourner leur jugement.</p> + +<p>Peu de jours après, les états se réunirent à Bruges. Les échevins +de cette ville et ceux du Franc, effrayés par l'arrestation de leurs +anciens collègues, accordèrent les subsides qui furent demandés; +mais les échevins de Gand refusèrent d'envoyer des députés à cette +assemblée. Ils avaient protesté contre l'arrestation de Jean de Nieuwenhove +et de ses amis en prononçant immédiatement une sentence +<span class="pagenum"><a id="Page_185"> 185</a></span> +de cinquante années d'exil contre le sire de Hornes. Celui-ci ne répondit +à leurs menaces qu'en les traitant de chiens et en portant par +moquerie un collier de fer garni de clous pour se défendre contre +eux. Le sire de Hornes ne quittait plus Bruges, où il s'abritait sous +le manteau de Marie de Bourgogne, non pas parce que c'était un +manteau de pourpre, mais parce que la princesse qui le portait était +bonne, douce, aimable, pieuse, respectée de tous. La transmission +de la souveraineté par les femmes annonça toujours pour la Flandre +un avenir prochain de désastres et de malheurs, aussi bien depuis +Jeanne de Constantinople jusqu'à Marie de Bourgogne que depuis +Marguerite d'Autriche jusqu'à Marie-Thérèse, et toutefois la Flandre, +indocile à l'autorité des monarques les plus redoutables et des +capitaines les plus illustres, se prit toujours à aimer celle qui résidait +en de plus faibles mains: elle chérissait l'héritière orpheline de +Charles le Hardi autant qu'elle avait chéri autrefois les héritières +orphelines de Baudouin de Constantinople, comme si les traditions +de la gloire des dynasties qui s'éteignent empruntaient un nouveau +prestige et un dernier éclat en se reposant au sein de l'innocence et +de la chasteté de la vierge et de la femme.</p> + +<p>Voyez Marie de Bourgogne au milieu des bourgeois de Bruges +qui osèrent lutter contre la puissance de son aïeul: ils l'admirent +et la vénèrent tandis qu'elle se mêle, pieds nus et un cierge à la +main, aux processions qui demandent à Dieu la victoire de Guinegate. +Ils applaudissent également à sa grâce et à son adresse lorsque, +entourée de dames, elle effleure de ses patins légers la glace qui +conserve à peine sa trace, prophétique image d'une existence fugitive +et trop tôt éclipsée; ils la saluent de leurs acclamations quand +elle se prépare, le faucon au poing, à parcourir les bois et les marais: +un jour, toutefois, au lieu de reparaître aux portes de Bruges +au son des fanfares et du joyeux hallali, on la rapporta pâle, sans +mouvement, le corps à demi brisé, à la suite d'un bond de son coursier, +qui s'était renversé sur elle. L'affection dont elle était l'objet +ne se manifesta jamais plus vivement; elle fit bientôt place à un +sentiment profond d'inquiétude. Une procession solennelle parcourut +toute la ville: elle rentrait à Saint-Donat lorsque le dernier soupir +de la jeune duchesse de Bourgogne monta vers le ciel avec les derniers +chants du clergé, au milieu des prières et des larmes du +peuple (27 mars 1481, v. st.).</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_186"> 186</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>LIVRE VINGT-UNIÈME.<br /> +<span class="medium">1481-1500.</span></h2> + +<p class="subh">Discussions relatives à la mainbournie.<br /> +Intervention de Charles VIII.<br /> +Décadence et fin des communes flamandes.</p> +</div> + +<p>Dès que l'on avait pu prévoir la mort de la duchesse de Bourgogne, +le sire de Gaesbeke, voyant que la protection sur laquelle +il se reposait allait lui manquer, s'était hâté de fuir de Bruges.</p> + +<p>Les Gantois avaient confirmé le 18 mars la sentence qu'ils avaient +prononcée le 11 décembre contre lui. Les sires de Beveren et de la +Gruuthuse se rendirent au milieu d'eux pour les calmer, et revinrent +avec leurs députés, qui furent reçus avec honneur: deux jours +après, Jean de Nieuwenhove et les bourgeois qui avaient été emprisonnés +avec lui furent solennellement absous de toutes les accusations +portées contre eux.</p> + +<p>Selon les clauses de l'acte du 18 août 1477, l'autorité du duc +d'Autriche devait se terminer par la dissolution du mariage qui en +était la base, et le 8 avril, les états de Flandre s'assemblèrent à +Bruges pour s'occuper des affaires publiques et renouveler l'ancienne +alliance des trois bonnes villes. Maximilien promit +d'éloigner désormais de lui Philippe de Hornes, Roland d'Halewyn, +Jacques de Ghistelles et leurs amis: il offrit de plus de prêter un +nouveau serment de respecter les franchises et les priviléges du +pays. Il espérait ainsi obtenir la tutelle de son fils et le maintien +de son autorité; mais les états demandèrent quelque délai pour +délibérer; et s'ils consentirent, dans une nouvelle réunion, tenue à +Gand le 3 mai 1482, à lui reconnaître le titre de <em>bail</em> et de <em>mainbourg</em>, +ce fut avec cette réserve importante que la Flandre «seroit +gouvernée soubz le nom de monseigneur Phelippe par l'advis de +ceulx de son sang et de son conseil estans et ordonnez lez luy.»</p> + +<p>Maximilien ne négligeait aucun moyen pour se rendre les états +<span class="pagenum"><a id="Page_187"> 187</a></span> +favorables. Il consentit à nommer à leur demande des ambassadeurs +chargés de traiter de la paix avec Louis XI, et choisit pour cette +importante mission les sires de Rasseghem et de la Gruuthuse, qui +jouissaient à Gand et à Bruges d'une grande popularité. Les abbés +des Dunes et de Saint-Pierre, le prévôt de Saint-Donat, et trois +échevins de Gand, de Bruges et d'Ypres, devaient les accompagner +en France.</p> + +<p>Un traité qui rétablît les relations commerciales, suspendues depuis +cinq années, paraissait depuis longtemps utile et désirable aux +esprits les plus sages: il semblait qu'il fût devenu urgent d'en hâter +la conclusion au moment où la Flandre, encore inquiète sur les +desseins secrets de Maximilien, n'était plus assurée de pouvoir opposer +aux forces supérieures de la France celles qu'elle puisait dans +la concorde intérieure et dans son union.</p> + +<p>On souhaitait également la paix au château du Plesis-lez-Tours. +Par une étrange préoccupation, remords politique qui se mêlait à +bien d'autres remords, le roi de France ne songeait qu'à réparer la +faute qu'il avait commise en dédaignant l'alliance de Marie de Bourgogne; +il espérait y parvenir en recherchant pour le Dauphin la +main de Marguerite, qui ne possédait pas le vaste héritage de sa +mère et que la même inégalité d'âge eût séparée de son époux. Depuis +longtemps, il présentait ce mariage comme le meilleur moyen +de faire cesser la guerre. Il saisit avec empressement, après la mort +de Marie de Bourgogne, cette occasion si favorable pour faire réussir +ses projets, et dès qu'il apprit que les communes de Flandre se +proposaient de lui envoyer des députés, il se hâta de leur exprimer la +joie qu'il en éprouvait.</p> + +<p>Les députés des communes flamandes trouvèrent Louis XI à +Cléry, où il était venu passer les fêtes de l'Assomption: ils lui exposèrent +leur mission et obtinrent une réponse favorable. Le sire +de Saint-Pierre les reconduisit jusqu'à Paris, où le prévôt des marchands +et les échevins leur firent également grand honneur. Le roi +avait même voulu qu'à leur retour ils vissent l'armée du sire de +Crèvecœur qui venait de s'emparer de la ville d'Aire (28 juillet +1482). Elle était en effet fort belle: on y comptait quatorze cents +lances, six mille Suisses et huit mille hommes armés de piques.</p> + +<p>Le récit des ambassadeurs flamands fit désirer de plus en plus la +paix. Les états se réunirent d'abord à Ypres, puis à Alost, et ils ne +se montrèrent point éloignés de consentir au mariage de mademoiselle +Marguerite avec le Dauphin.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_188"> 188</a></span> +Les négociations se continuaient à Arras. Le roi de France y +avait envoyé deux hommes qui, à des titres bien différents, n'étaient +étrangers ni l'un ni l'autre à ceux avec lesquels ils étaient appelés à +traiter. Le premier était ce sire de Crèvecœur qui, inquiété par +Louis XI au sujet de l'emploi des trésors remis entre ses mains, +répondait qu'il les rendrait volontiers si le roi lui rendait aussi +Aire, Arras, Saint-Omer, Béthune, Bergues, Dunkerque, Gravelines, +que ces trésors avaient mis en son pouvoir. Le second était Jean de +la Vacquerie, bourgeois d'Arras, devenu premier président du parlement +de Paris, qui ne craignit jamais de résister à des ordres injustes, +et de placer le soin de son honneur au-dessus de celui de +sa vie, plus digne de louanges dans sa pauvreté, remarque Michel +de l'Hospital, que ne l'avait été Nicolas Rolin au milieu de ses richesses. +Parmi les députés nommés par le duc d'Autriche et les états +de Flandre, on remarquait Jean de Lannoy, chancelier de la Toison +d'or et abbé de Saint-Bertin, les abbés de Saint-Pierre de Gand et +d'Afflighem, le sire de Gouy, haut bailli de Gand, Jean d'Auffay, +maître des requêtes, Jacques de Savoie, comte de Romont, les sires +de Lannoy, de Berghes et de Boussut. La ville de Gand avait choisi +pour ses mandataires Guillaume Rym et Jacques Steenwerper; +celle de Bruges était représentée par le bourgmestre Jean de Witte, +le conseiller George Ghyselin et Jean de Nieuwenhove; celle d'Ypres, +par son pensionnaire Jacques Craye; Louvain, Anvers, Bruxelles, +Mons, Lille, Douay, Valenciennes, Saint-Omer, y avaient aussi leurs +députés.</p> + +<p>Le traité de paix fut signé le 23 décembre 1482: il portait que +le Dauphin épouserait mademoiselle Marguerite de Flandre et +qu'elle recevrait pour dot les comtés d'Artois et de Bourgogne et les +seigneuries de Mâcon, d'Auxerre, de Salins, de Bar-sur-Seine et de +Noyers, que Louis XI occupait déjà. La ville de Saint-Omer devait +y être jointe; mais elle ne devait être remise aux Français qu'à l'époque +de la consommation du mariage. Un article spécial reconnaissait +au roi la souveraineté du comté de Flandre, dont le jeune duc +Philippe était tenu de rendre hommage. D'un autre côté, le roi de +France abandonnait ses prétentions sur les châtellenies de Lille, de +Douay et d'Orchies, confirmait tous les priviléges de la Flandre, +tels que Marie de Bourgogne les avait renouvelés, et rétablissait la +liberté du commerce comme elle existait avant l'avénement du duc +Charles. Les envoyés des villes flamandes avaient également obtenu +<span class="pagenum"><a id="Page_189"> 189</a></span> +que ces conventions fussent ratifiées par les états de toutes les provinces +et par toutes les bonnes villes de France: c'est ainsi que, +vers les premiers temps du moyen-âge, les rois, chefs de la féodalité, +réclamaient dans les traités l'adhésion des barons, représentants +du même ordre politique et non moins intéressés à le soutenir.</p> + +<p>L'allégresse la plus vive régnait en Flandre: à Gand, les réjouissances +se prolongèrent plusieurs jours; à Bruges, on célébra dans +l'église de Saint-Donat les jeux quelquefois trop libres de la fête du +Pape des ânes. En France, la joie n'était pas moins générale; et +l'on chantait en chœur les vers élégants d'une ballade composée +tout exprès par Guillaume Coquillart, official du diocèse de +Reims:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Bons esperitz et vertueulx courages</p> +<p>... regardez les œuvres déifiques</p> +<p>Dont Dieu nous a si grandement douez...</p> +<p>Vouloir divin a produit ces ouvrages...</p> +<p>Du ciel sont cheues ces plaisantes images...</p> +<p>... Ces trois dames lesquelles cy voyez:</p> +<p>C'est France et Flandre et la paix entre deux.</p> +</div></div> + +<p>Une ambassade solennelle composée des abbés de Saint-Bertin +et de Saint-Pierre, de Jean de Berghes et de Baudouin de Lannoy, +était allée en France recevoir la ratification du roi. Un pompeux +accueil fut fait à Paris aux députés des communes flamandes; il y +eut en leur honneur <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum</i>, processions, feux de joie et fêtes à +l'hôtel de ville. Maître Scourale, l'un des plus célèbres docteurs +de l'université, leur adressa un discours, après quoi ils assistèrent +à la représentation d'une moralité, avec sotie et farce, qui eut lieu +dans l'hôtel du cardinal de Bourbon. De là ils se rendirent au château +du Plessis: c'était la résidence ordinaire de Louis XI, qui +l'avait fortifiée à grands frais. Une forte grille l'entourait et les murs +en étaient hérissés de piques, afin que l'on ne pût essayer de traverser +les fossés. Aux quatre angles du château s'élevaient quatre +guérites de fer, où veillaient quarante arbalétriers sans cesse prêts +à repousser toute attaque; quatre cents archers occupaient l'intérieur; +mais les regards se détournaient avec joie de ce sombre donjon +pour se reposer sur les riants ombrages du parc, où l'on avait +construit des cellules pour saint François de Paule et d'autres +ermites; l'on y apercevait aussi de nombreuses troupes de bergers +<span class="pagenum"><a id="Page_190"> 190</a></span> +du Poitou, qui cherchaient à distraire l'esprit du roi au son de leurs +musettes, lorsque la parole sévère des pieux anachorètes avait +effrayé sa conscience troublée.</p> + +<p>Ce fut le soir qu'on introduisit les ambassadeurs flamands au +château du Plessis; ils trouvèrent le roi assis dans le coin obscur +d'une chambre mal éclairée où l'on ne pouvait distinguer ses traits +décomposés. Ils s'excusa d'une voix faible, mais qui avait conservé +un accent faux et railleur, de ce qu'il ne se levait point pour les +recevoir. Après avoir causé peu d'instants avec «messeigneurs de +Flandre» (c'était le nom qu'il donnait aux ambassadeurs), il +ordonna qu'on apportât le livre des saints Evangiles. Sa main droite +était complètement paralysée; il souleva avec peine son bras enveloppé +dans une écharpe et toucha le livre du coude en jurant d'observer +la paix; c'est ainsi que les derniers jours d'un prince si +longtemps redouté s'achevaient dans une prison aussi triste que +celle où il avait retenu ses ennemis.</p> + +<p>Maître Guillaume Picard, bailli de Rouen, accompagna les ambassadeurs +à Paris, où ils furent de nouveau accueillis avec de +grandes démonstrations de respect et d'affection. Bien que les bruits +les plus alarmants se répandissent sur l'état de la santé du roi, et +qu'il y eût eu une procession solennelle à Saint-Denis pour que le +ciel fît cesser le vent de bise, toujours funeste aux malades, +Louis XI encourageait lui-même les réjouissances populaires, qui +détournaient l'attention de sa lente agonie. Pour rendre plus d'honneur +aux députés flamands, le parlement les invita à assister à ses +séances, où ils s'assirent les uns sur le banc des prélats et les autres +à coté du greffier. Ils ignoraient que pendant leur absence, au moment +même où Louis XI jurait d'observer les conditions de la paix, +il avait fait remettre par son procureur général au parlement une +protestation qui tendait à attribuer à la couronne de France tous +les pays constitués en dot à madame Marguerite, lors même qu'elle +n'épouserait pas le Dauphin: rien ne put leur faire soupçonner ces +réserves secrètes, lorsqu'on les invita à assister à l'enregistrement +public du traité d'Arras dans cette même cour du parlement.</p> + +<p>Tandis que l'ambassade flamande s'éloignait de Paris, des événements +importants s'accomplissaient en Flandre. Le 10 janvier 1482 +(v. st.), Philippe, fils de Maximilien, avait été inauguré à Gand et +avait prêté le même serment que les comtes de Flandre ses prédécesseurs, +et, aussitôt après, les députés des états avaient constitué +<span class="pagenum"><a id="Page_191"> 191</a></span> +le gouvernement par le choix de quatre conseillers qui devaient le +diriger au nom du jeune prince, tant que durerait sa minorité. +C'étaient Adolphe de Clèves, seigneur de Ravestein; Philippe de +Bourgogne, seigneur de Beveren; Louis de Bruges, sire de la +Gruuthuse, et Adrien Vilain, sire de Rasseghem.</p> + +<p>Maximilien n'avait point osé s'y opposer. Il reçut à Gand l'archevêque +de Rouen et l'évêque de Caen, chargés par le roi de France +de réclamer l'adhésion solennelle de la Flandre au traité d'Arras, +et se rendit avec eux à l'église de Saint-Jean, où il jura de l'observer. +Il n'osa pas davantage se plaindre des Gantois qui, ayant obtenu +des ambassadeurs français la confirmation de leur célèbre +privilége de 1301, leur en témoignaient leur reconnaissance en les +invitant à assister à la revue de leurs connétablies et de leurs corporations. +Enfin, quand les progrès de la faction des Hoeks en Hollande +l'appelèrent au siége d'Utrecht, il ne prit congé des députés +de la Flandre à Hoogstraeten qu'après avoir conclu avec les sires +de Beveren et de la Gruuthuse et Jean de Witte, bourgmestre de +Bruges, un accord par lequel il confirmait, moyennant une pension +annuelle de vingt-quatre mille écus, l'autorité déférée par les états +aux conseillers qu'ils avaient donnés au jeune duc Philippe +(5 juin 1483).</p> + +<p>Madame de Beaujeu, fille du roi de France, s'était rendue à Hesdin +pour recevoir mademoiselle Marguerite de Flandre alors âgée +de trois ans, et d'une santé si délicate, que les médecins avaient +ordonné d'attendre le printemps pour son voyage: elle la conduisit +à Paris, où elle fit son entrée le 2 juin. On avait dressé trois vastes +échafauds à la porte Saint-Denis: sur le premier, on avait représenté +le roi; sur le second, le Dauphin et mademoiselle de Flandre; +sur le troisième paraissaient le seigneur et la dame de Beaujeu. +Quatre personnages qui figuraient la noblesse, le clergé, l'agriculture +et le commerce, souhaitèrent la bienvenue à la jeune princesse. +Partout où elle passa, les rues étaient richement ornées de tentures, +et tous les prisonniers furent délivrés en son honneur. Le Dauphin +attendait Marguerite à Amboise. La cérémonie des fiançailles y fut +célébrée avec pompe en présence d'un grand nombre de députés des +bonnes villes de France et de Flandre.</p> + +<p>Les ambassadeurs flamands ne virent plus le roi; il s'affaiblissait +de plus en plus. Néanmoins, se trouvant dans la galerie qui +dominait la cour du château du Plessis lorsque le sire de Beaujeu, et +<span class="pagenum"><a id="Page_192"> 192</a></span> +le comte de Dunois y rentrèrent d'Amboise avec une suite assez +nombreuse, il sentit sa méfiance se ranimer, et, appelant un des +capitaines de ses gardes, «il lui commanda, dit Philippe de Commines, +aller taster aux gens des seigneurs dessus dits, voir s'ils n'avoient +point des brigandines sous leurs robbes, et qu'il le fist comme en +devisant à eux, sans trop en faire de semblant.» Louis XI redoutait +jusqu'à son fils: il se souvenait de la triste fin de Charles VII!</p> + +<p>Enfin le jour arriva où les médecins reconnurent que tous les remèdes +étaient désormais inutiles. Le roi de France avait défendu +que l'on prononçât jamais devant lui «<em>le cruel mot de la mort</em>.» +On devait se contenter, pour lui annoncer sa fin, de lui dire: +«Parlez peu:» mais Olivier le Dain, ce grossier barbier de Thielt, +choisi pour signifier au prince qui tant de fois l'avait chargé de ses +arrêts, son propre arrêt, non moins terrible et non moins inévitable, +lui jeta rudement ces paroles comme au dernier des condamnés: +«C'est fait de vous; pensez à votre conscience!» Quelques heures plus +tard, Louis XI expirait, après avoir recommandé Olivier le Dain à +son fils. Fondateur d'un ordre politique nouveau, qu'il n'avait établi +qu'en rompant violemment avec toutes les traditions du passé, il +s'était lui-même exilé des royales sépultures de Saint-Denis où +reposaient ses ancêtres, pour se faire ensevelir à Cléry, près d'un +de ses favoris tué au siége de Bouchain; et déjà son système, si péniblement +inauguré par les trahisons, les empoisonnements et les +supplices, voyait s'évanouir la force et l'unité, qui en étaient le prétexte, +en tombant aux mains d'un enfant pour flotter entre la régence +d'Anne de Beaujeu et les états généraux de Tours.</p> + +<p>La mort de Louis XI fut annoncée à Maximilien au moment où il +venait de trouver, dans une guerre facile contre la faction des +Hoeks, des succès qui avaient relevé son orgueil et ses espérances. +Utrecht avait capitulé, et Amersfort avait, peu après, été enlevé +d'assaut. Il consentit à croire, peut-être par le conseil du comte de +Chimay, de la maison de Croy, que la fortune elle-même déchirait +les engagements qu'il avait pris à Hoogstraeten, et s'empressa de +déclarer qu'il révoquait tous les pouvoirs précédemment accordés +relativement au gouvernement de la Flandre: c'était le signal d'une +guerre qui devait remplir toute la fin du quinzième siècle de sang +et de deuil.</p> + +<p>La protestation des conseillers du duc Philippe ne se fit pas longtemps +attendre. Le 15 octobre, les sires de Ravestein, de Beveren, +<span class="pagenum"><a id="Page_193"> 193</a></span> +de Rasseghem et de la Gruuthuse adressèrent à Maximilien un +long mémoire, où ils lui déniaient, en vertu des stipulations matrimoniales +de 1477, tout droit de <em>mainbournie</em>, et l'accusaient d'avoir +pris illégalement le titre et les armes de comte de Flandre, d'avoir +chargé la Flandre de taxes énormes, d'avoir engagé le domaine, +d'avoir vendu les joyaux de Marie de Bourgogne, et d'écouter les +conseils perfides que lui donnaient des étrangers. Ils terminaient +en l'invitant, au nom de la Flandre, à se soumettre à l'arbitrage du +roi de France.</p> + +<p>Maximilien réplique par un manifeste daté de Bois-le-Duc le 23 +octobre 1483. L'archiduc d'Autriche (tel est le titre qu'il s'attribue +comme fils de l'Empereur) ne reconnaît pas aux mandataires des états +de Flandre le droit de parler au nom du pays; «car sçavons certainement, +dit-il, que ce procéde de aulcuns de petite autorité, +gens légiers et arrogans, nos malveillans en bien petit nombre, +qui plus désirent leur profit particulier que le bien de nostre fils +et du pays, si comme vous Adrien Villain, chevalier, Guillaume +Rym, Jehan de Coppenolle, Daniel Onredene, Jehan de Nieuwenhove, +Jehan de Keyt, qui mettez ces choses en avant, usant +de plusieurs malvaises et deshonnêtes parolles.» C'est vous, +ajoute-t-il, qui m'accusez d'avoir touché à des joyaux qui ne m'appartenaient +point: «en ce ne estes pas mes juges;» car vous +levâtes vous-mêmes, après la mort de la duchesse Marie, huit cent +mille écus dont vous n'avez rendu compte, «et ont été les exécuteurs +les blans capprons de Gand.» Vous qui blâmez mes serviteurs, +vous valez moins qu'eux, «puisqu'il ne faict à doubter que se pouviez +parvenir à vos fins et intentions, vous tenriez nostre fils en +perpétuele servitude et sujétion.» Puis Maximilien demande, +avec quelque éloquence, pourquoi on ne lui contestait pas «la +baillie» du comté de Flandre quand il soutenait «le dangier et +fortune des anemis et de la bataille, tandis que ses adversaires +estoient en sûreté en leurs maisons.»</p> + +<p>La réponse qui fut adressée à Maximilien ne fut ni moins vive +ni moins violente. «Adrien Villain, Guillaume Rym, Jean de Coppenolle, +Daniel Onredene, Jean de Nieuwenhove et Jean de Keyt +sont de aussi grande auctorité que la plupart de ceulx estans à +l'entour de vous, aulcuns des quels on a depuis ne a gaires d'années +congneus bien petis... Regardez bien toute la compaignie, +et vous faictes informer quels biens la plus grande partie de eulx +<span class="pagenum"><a id="Page_194"> 194</a></span> +avoient quand ils vinrent par decha, aussi bien Allemans que +Bourguignons. Nos gens ne sont point telz.... Nous tenons que +nous ne avons point usurpé le dit gouvernement aultrement que +de droit debvons faire; car prince ne fut oncques reçeu ou dit +pays, sinon par le consentement des trois membres, les quelz en +son absence ou par sa minorité poeent pourveoir le dit pays à son +profit, et l'imposition a esté faicte, ainssi qu'il appartient, par le +consentement général du peuple.... Sachez aussi que la justice a +esté ichi mieulx administrée que par delà, veu que vous avez +tenu à l'entour de vous ceulx qui ont murdri l'évesque de Liége, +oncle de nostre prince, et messire Jehan de Dadizeele.... Mais, +hélas! ceulx qui voullentiers euissent entretenu la concorde des +pays de Braibant et de Flandres en ont injustement, sans raison +et contre les priviléges des pays, eubt à souffrir, que Dieu vengera +une fois!...»</p> + +<p>A cette réplique succède une déclaration de Maximilien, où, sans +reconnaître à des hommes «qui ne sont à comparer qu'à bourgeois, +marchands et moindres,» le droit de se mettre en parallèle avec +les princes, comtes et écuyers qui l'entourent, il persiste à nier la +validité des conventions matrimoniales du mois d'août 1477. Marie +de Bourgogne, affirme-t-il, les avait elle-même signées sans en +prendre connaissance. En même temps, Maximilien faisait sommer +les sires de Ravestein, de la Gruuthuse, de Borssele et de Beveren +de se rendre, en leur qualité de membres de l'ordre de la Toison +d'or, aux fêtes de la Saint-André à Bruxelles; mais ils répondirent +que, bien que la présence de tous les chevaliers fût indispensable +pour régler les questions importantes qui se présentaient, ils s'empresseraient +d'obéir, pourvu qu'on leur accordât des lettres de sauf-conduit. +Ils justifiaient ce sentiment de défiance en rappelant que +Maximilien avait, au mépris même des statuts de l'ordre, diffamé +leur honneur en faisant publier à son de trompe, au milieu de la +foire d'Anvers, la révocation de l'autorité qu'il leur avait reconnue.</p> + +<p>Un nouvel incident vint aggraver la situation des choses. Les +députés des états de Flandre qui étaient allés féliciter sur son +avénement le jeune roi Charles VIII (c'étaient Philippe Wielant, +Jacques Heyman et Jacques Steenwerper) furent, à leur retour, +arrêtés par les hommes d'armes de Lancelot de Berlaimont, et on +leur enleva toutes les lettres qui concernaient leur mission. Si +Maximilien ne prit pas de part à cet attentat contraire à tous les +<span class="pagenum"><a id="Page_195"> 195</a></span> +préceptes du droit des gens, il en profita du moins, car il déclara à +Pierre Bogaert, doyen de Saint-Donat de Bruges, que, bien que le +sire de Berlaimont eût agi sans ses ordres, il était juste qu'il lui +permît «d'ester en droit par devers luy pour soutenir la dite prinse +avoir été bien faite.» Guyot de Lonzière et Eustache Luillier, +chargés en ce moment d'une mission de Charles VIII près de l'archiduc +d'Autriche, n'obtinrent pas une réponse plus favorable.</p> + +<p>Le comte de Romont, le sire de Beveren et l'abbé de Saint-Pierre +allèrent porter les plaintes des états de Flandre au roi de +France, en lui représentant qu'elles le touchaient à double titre, +comme souverain seigneur de la Flandre et comme époux de l'héritière +apparente de ce comté. Ils ne comprenaient point, disaient-ils, +que les ambassadeurs français n'eussent pas insisté davantage en +ce qui touchait une mission donnée également par le roi, et qu'ils +n'eussent pas au moins exigé que l'affaire fût soumise aux officiers +d'Artois. Il importait d'autant plus au roi de France d'intervenir +dans les différends des trois états avec Maximilien, que celui-ci +était l'allié des Anglais, «anciens ennemis de la France;» les +états de Flandre l'acceptaient d'ailleurs pour juge; ils étaient prêts +à se défendre devant les pairs et devant le parlement, et leur +unique désir était de voir la voie de justice succéder à la voie de +fait, tandis que des mesures prises dans le même but affranchiraient +des entraves fiscales «le bien et entrecours de la marchandise +tant au royaume que ès pays de monseigneur le +duc Phelippe.»</p> + +<p>Des instructions secrètes portaient que les ambassadeurs flamands +s'adresseraient particulièrement au duc de Bourbon. Ils devaient +lui présenter l'exposé des griefs de la Flandre contre Maximilien, +en l'accusant d'avoir juré le traité d'Arras et de l'avoir violé presque +aussitôt par haine contre le roi Charles VIII, qu'il nommait +«le plus grand adversaire qu'il eult,» de s'être montré constamment +hostile à la paix, d'être guidé par des conseillers allemands +qui voulaient priver le duc Philippe de son héritage, d'avoir choisi +pour confident le sire d'Aremberg, coupable du meurtre de l'évêque +de Liége. Ils devaient rappeler au duc de Bourbon «comment il +estoit obligié à aydier le droit et l'heritage de monseigneur le +duc Phelippe, car il estoit le plus prouchain du sang en tel façon +que se mondit seigneur et la royne sa sœur alloient de vie à trespas, +leurs pays et seigneuries succéderoient, après monseigneur +<span class="pagenum"><a id="Page_196"> 196</a></span> +de Ravestein, à l'aisné de la maison de Bourbon.» Ils étaient +aussi chargés de communiquer aux princes du sang la copie des +lettres échangées entre Maximilien et les conseillers du duc Philippe, +et, de plus, une consultation signée par douze docteurs de +l'université de Paris, qui portait que Maximilien n'avait aucun droit +au gouvernement des Etats de son fils, et que lors même que les +conventions matrimoniales ne l'en eussent point formellement +exclu, il s'était rendu indigne de toute tutelle et de toute mainbournie.</p> + +<p>Tandis que le comte de Romont s'acquittait de sa mission, l'archiduc +d'Autriche se rendait dans le Hainaut pour se faire remettre +les députés des états de Flandre, qui avaient été conduits au château +de Berlaimont. Il était arrivé à Cambray et logeait à l'abbaye +de Saint-Aubert, quand une vive querelle s'éleva entre Lancelot de +Berlaimont et Philippe de Clèves, fils du sire de Ravestein; peut-être +se rapportait-elle à l'arrestation des ambassadeurs flamands, +peut-être n'avait-elle d'autre source que la faveur accordée à +Guillaume d'Aremberg, dont le sire de Berlaimont avait épousé +la fille. Quoi qu'il en soit, des reproches l'on passa aux défis: aux +défis succéda un combat à mort, et quelques archers, accourant au +secours de Philippe de Clèves, tuèrent Lancelot de Berlaimont à +coups de piques et de hallebardes.</p> + +<p>Il ne paraît point que Maximilien ait cherché à punir les auteurs +de ce meurtre: bien qu'il aimât beaucoup le sire de Berlaimont, +il craignait de réveiller de nouvelles divisions parmi ses partisans +au moment où il se préparait à commencer la guerre afin de prévenir +par des victoires la médiation de Charles VIII. Dans les +premiers jours de février 1483 (v. st.), il quitta le Hainaut avec +l'armée qu'il avait ramenée de la Hollande, passa devant Lille, qui +lui ferma ses portes, et s'avança jusqu'à Bruges: son premier soin +fut de ranger immédiatement ses hommes d'armes en ordre de +bataille devant la porte de la Bouverie et devant celle des Maréchaux, +en faisant sonner toutes ses trompettes. Déjà il avait envoyé +un héraut vers les magistrats; mais l'échevin François de Bassevelde +ne lui permit pas de pénétrer dans la ville. «Allez dire à +votre maître, lui avait-il répondu, que s'il a quelque chose à +demander aux magistrats, ils lui donneront audience dans la +salle des délibérations, où ils sont réunis, pourvu qu'il n'amène +pas plus de dix ou de douze personnes avec lui.» Maximilien +<span class="pagenum"><a id="Page_197"> 197</a></span> +avait compté inutilement sur un complot qui s'était formé à Bruges +en sa faveur. On le soupçonnait aussi de nourrir des projets contre +le port de l'Ecluse; mais il était bien gardé, et l'archiduc d'Autriche +se vit réduit à se retirer vers Oudenbourg.</p> + +<p>Les amis de Maximilien n'avaient rien fait pour le soutenir +lorsqu'il était devant Bruges. En s'éloignant, il les abandonnait à +son tour au ressentiment de ses ennemis. On se livra à d'actives +recherches sur le complot qui devait ouvrir la ville aux Allemands, +et l'on découvrit qu'il était dirigé par les sires de Ghistelles et de +Praet, et qu'il comptait parmi les bourgeois de nombreux adhérents. +Le 28 février, l'échafaud s'éleva sur la place publique. Les +premiers suppliciés sont des hommes obscurs: c'est un serviteur +de l'ancien écoutète, Jean Vander Vicht; c'est un clerc nommé +maître Urbain; mais bientôt la hache du bourreau n'épargne plus +les têtes les plus illustres. Le 5 mars, messire Jean Breydel, ancien +bourgmestre de Bruges, et le sire d'Aveluys, ancien maître +d'hôtel de la duchesse Marie partagent le sort de plusieurs membres +des métiers atteints par les mêmes accusations. Roland +Lefebvre, receveur général de Flandre, est traîné au Steen: une +sentence d'exil frappe Pierre Lanchals, Georges Ghyselin, Jacques +de Heere, Jacques de Vooght, le bâtard de Baenst; Corneille Metteneye +est condamné à six mois de captivité dans une prison où la +lumière ne pénètre point.</p> + +<p>A Gand, de semblables rumeurs de trahison avaient troublé la +paix publique. On y alla même, si l'on peut ajouter foi au récit +très-douteux de Pontus Heuterus, jusqu'à retenir un moment prisonnier +le comte de Romont.</p> + +<p>Il est plus certain que le 17 avril 1483 (v. st.), les trois membres +de Flandre, réunis à Gand, présentèrent au jeune duc Philippe un +long mémoire par lequel ils déclaraient contester à Maximilien le +droit de présider les assemblées de l'ordre de la Toison d'or, aussi +bien que celui de porter les titres et les insignes des nombreux +Etats de la maison de Bourgogne. L'irritation qui régnait parmi les +communes devenait de plus en plus vive, lorsque le grand bâtard +de Bourgogne arriva à Bruges, où on le reçut avec de grands honneurs +(19 mai 1484). Il venait, au nom du roi Charles VIII, tenter +un dernier effort pour le rétablissement de la paix.</p> + +<p>Dès le 5 décembre 1483, Charles VIII, en promettant aux villes +de Flandre qu'il serait sursis pendant dix ans aux droits de ressort +<span class="pagenum"><a id="Page_198"> 198</a></span> +et d'appel revendiqués en matière criminelle par le parlement de +Paris, avait annoncé l'intention de respecter les priviléges du pays +de Flandre, «<em>hanté et fréquenté de marchands étrangers plus que +nul pays qui soit deçà la mer Océane</em>.» Cette déclaration importante +n'était que le préliminaire d'une alliance plus étroite +entre la France et la Flandre. Les états généraux devaient se réunir +à Tours, et, quel que fût le peu de durée de leur session, ils allaient +former une véritable assemblée nationale, investie d'une puissance +incontestée. Les états de Flandre et de Brabant s'adressèrent aux +états généraux de Tours pour réclamer leur appui et le maintien +du traité d'Arras. D'états à états, les négociations étaient aisées à +mener à bonne fin: leur premier résultat était l'intervention du +roi de France. Il était douteux toutefois que Maximilien consentît +à l'accepter, même après avoir échoué dans son expédition en +Flandre. Le grand bâtard de Bourgogne, qui s'était rendu à +Bruxelles pour la lui offrir, obtint à grand'peine que les chevaliers +de la Toison d'or transféreraient le siége de leurs délibérations à +Termonde.</p> + +<p>Le 12 juin 1484, douze chevaliers de la Toison d'or, investis d'un +droit souverain d'arbitrage par les statuts de l'ordre, en tout ce qui +touchait à l'honneur et aux devoirs de ses membres, se réunirent +aux bords de l'Escaut, dans cette même ville qui fut, en 1566, le +berceau de la confédération des nobles contre Philippe II: c'étaient +Jean de Lannoy, Adolphe de Ravestein, Louis de la Gruuthuse, +Engelbert de Nassau, Wolfart de Borssele, Jacques de Romont, +Jean de Ligne, Pierre de Boussut, Baudouin de Molembais, Martin +de Polheim, Claude de Toulongeon et Philippe de Beveren. Ils déclarèrent +que toutes les discordes qui avaient séparé les chevaliers +devaient être oubliées, que Maximilien avait cessé d'être chef de +l'ordre, mais qu'il continuerait à le présider pendant la minorité de +son fils; qu'ils étaient d'ailleurs d'avis qu'il devait renoncer, tant +dans l'ordre qu'autrement, aux titres et aux armoiries qu'il portait +sans y avoir droit. Là s'arrêtait la juridiction des chevaliers: les +difficultés commencèrent quand ils voulurent aborder, en présence +des députés de Maximilien et de ceux des états de Flandre, la discussion +des autres questions litigieuses: d'un côté le contrat de +mariage de Marie de Bourgogne était sans cesse allégué comme un +titre imprescriptible; de l'autre, on invoquait le droit naturel, le +droit civil, le droit politique, la volonté même de Marie manifestée, +<span class="pagenum"><a id="Page_199"> 199</a></span> +disait-on, dans l'acte qui en avait été la dernière expression. Il fut +impossible de s'entendre, et les conférences se terminèrent sans +qu'on pût espérer de les voir reprises; car Guillaume Rym, l'un des +députés des Gantois, «qui estoit, dit Olivier de la Marche, leur +idole et leur dieu,» avait déclaré «qu'ils n'avoient point d'ordre +d'accepter une aultre fourme.» Maximilien répétait aussi qu'il +saurait bien, malgré les rebelles de Gand, recouvrer la tutelle de +son fils, et il ne resta aux communes flamandes qu'à s'assurer +l'alliance du roi de France par un traité qui fut signé le 25 octobre +1484.</p> + +<p>Maximilien ne se croyait plus lié par la paix d'Arras. Il lui semblait +que la mort de Louis XI et ses propres victoires en Hollande +l'avaient affranchi des serments qu'il n'avait prêté que par contrainte, +aussi bien à Gand qu'à Hoogstraeten. La minorité de +Charles VIII favorisait ses desseins, et ce fut afin de susciter de +nouveaux obstacles à la régence d'Anne de Beaujeu qu'il adressa +ses réclamations aux princes du sang, déjà prêts à former une autre +ligue du Bien public. Il cherchait aussi à conclure d'étroites alliances +avec le roi de Castille, les ducs de Bretagne et de Lorraine, excitait +les habitants de la Bourgogne à le soutenir et traitait avec le sire +de Neufchâtel pour qu'il se déclarât en sa faveur.</p> + +<p>En même temps, Maximilien réunissait à Malines une armée +destinée à porter la guerre en Flandre. Sa première entreprise fut +dirigée contre Termonde: Jacques de Fouquesolles et d'autres +hommes d'armes, déguisés les uns en marchands, les autres en +moines, se présentèrent devant cette ville le 26 novembre, au point +du jour; mais dès qu'on les eut laissés entrer, ils tirèrent leurs +armes et s'emparèrent de la porte. Maximilien, qui s'était placé en +embuscade avec huit cents hommes à cheval, se hâta d'accourir. Ce +fut en vain que les bourgeois tentèrent les chances défavorables +d'un combat, où l'un des fils du comte de Zollern fut tué; on les +poursuivit jusqu'à la place du Marché. Maximilien, qui connaissait +toute l'importance de la ville de Termonde, s'efforça toutefois de +se les attacher en défendant de piller leurs biens, et leur laissa pour +gouverneur le sire de Melun.</p> + +<p>Le même jour, Jean de Coppenolle avait été chargé d'aller conduire +des renforts à la garnison de Termonde. Il apprit bientôt +qu'il était trop tard, et retourna à Gand annoncer que l'archiduc +commençait la guerre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_200"> 200</a></span> +Les communes de Flandre répondent à ce défi: celle de Gand court +la première aux armes. Elle se souvient de ces longues luttes dans +lesquelles elle a représenté la résistance du principe communal +contre les usurpations des ducs de Bourgogne, et si elle choisit, en +1484, un vieillard pour partager avec Jacques de Savoie, investi +des fonctions de lieutenant général, le commandement de son +armée, il ne faut point s'en étonner, puisque ce vieillard est Thierri +de Schoonbrouck, qui, trente et une années auparavant, était le chef +des Gantois à la bataille de Gavre.</p> + +<p>Seize mille Flamands avaient envahi le Brabant et parcouraient +librement tout le pays situé entre Alost et Halle. Les échevins de +Bruxelles avaient reçu l'ordre d'armer les bourgeois pour les repousser. +Ils déclarèrent que rien ne pourrait rompre l'amitié qui +existait entre leur ville et celle de Gand. Maximilien, mécontent +des magistrats, crut mieux réussir en s'adressant à l'assemblée du +peuple; mais il n'en obtint qu'avec peine quelques acclamations +douteuses, achetées par la corruption.</p> + +<p>Cependant Maximilien se préparait à se rendre en Hainaut pour +y ranimer quelque zèle en sa faveur, lorsque, arrivé à Ath, il vit +se présenter à lui une occasion d'augmenter sa puissance, non +moins favorable que celle qu'il avait trouvée le 26 novembre dans +la négligence des habitants de Termonde. La ville d'Audenarde +avait été à toutes les époques de notre histoire le point le plus important +de notre topographie stratégique. Si Termonde dominait +l'Escaut au nord de Gand et défendait la frontière du Brabant, +Audenarde commandait le fleuve du côté où il était le plus facile +d'attaquer les Gantois: c'était d'ailleurs une position à laquelle +les communes flamandes ajoutaient un grand prix, parce qu'elle +leur était nécessaire pour assurer leurs communications avec la +France.</p> + +<p>Audenarde possède deux citadelles: la plus redoutable, celle de +Bourgogne, a pour capitaine Pierre Metteneye; l'autre, qu'on +nomme le château de Pamele, obéit à Gauthier de Rechem. Celui-ci +a fait offrir à Maximilien de lui livrer la ville. Dans les premiers +jours de janvier, l'archiduc quitte Ath avec quatre cents chevaux +et seize cents fantassins. Laissant à quelque distance son arrière-garde +avec Philippe de Clèves, il met pied à terre et attend patiemment +l'heure où il doit se montrer. Elle arrive bientôt: le château +de Pamele lui est ouvert; au même moment, Philippe de Clèves, +<span class="pagenum"><a id="Page_201"> 201</a></span> +qui s'égare dans les ténèbres, se présente devant la porte de Tournay. +Ses trompettes répondent à celles de Maximilien, et le château +de Bourgogne, enlevé par une surprise que Pierre Metteneye +n'a point prévue, partage le sort du château de Pamele.</p> + +<p>Maximilien s'applaudissait de ses succès, lorsqu'il reçut des +lettres où Charles VIII lui reprochait vivement de ne pas avoir voulu +soumettre ses différends avec les communes de Flandre au jugement +des pairs ou à celui du parlement, et d'avoir préféré «la voye de +fait à la voye de justice.» Le roi de France ajoutait qu'il n'ignorait +pas que son intention était de s'allier aux Anglais pour recouvrer +les pays cédés par le traité d'Arras comme dot de sa fille Marguerite, +et qu'il était bien résolu à prendre la défense des communes +de Flandre si les attentats dirigés contre elles ne recevaient une +réparation immédiate.</p> + +<p>La réponse de Maximilien fut un refus; ce n'était pas à Audenarde +qu'il pouvait signer la restitution de Termonde.</p> + +<p>Charles VIII avait renouvelé, le 5 février 1484 (v. st.), sa promesse +d'aider les Flamands contre tous. Le 26 du même mois, un +nouveau traité d'alliance la confirma, et peu après Jean de la +Gruuthuse se rendit à Paris pour y obtenir l'appui d'une armée dont +le commandement devait être confié au sire de Crèvecœur.</p> + +<p>Pendant ces négociations, le comte de Romont s'était retranché +avec les milices flamandes entre Eenhaem et Audenarde, afin de +protéger la ville de Gand contre Maximilien, qui avait employé +l'hiver à mander de toutes parts des hommes d'armes. Il était aisé +de prévoir qu'il se hâterait d'ouvrir la campagne avant que l'intervention +de Charles VIII vînt neutraliser ses forces et ses ressources. +Le 5 avril 1485, troisième jour de Pâques, Jean de Ligny saccagea +Grammont. Deux jours après, le comte de Nassau s'empara du +bourg de Ninove, qui fut également dévasté. Ce fut sous ces auspices +favorables que Maximilien se dirigea vers l'armée du comte +de Romont; mais elle occupait une forte position, et il jugea peu +prudent de l'attaquer dans son camp. Après quelques escarmouches +sans résultats, il se retira vers Alost en incendiant le pays. La retraite +de Maximilien enhardit les Gantois. L'un de leurs chefs, +Adrien Vilain, sire de Rasseghem, quitte le camp d'Eenhaem avec +trois mille Gantois et s'approche d'Audenarde, espérant attirer la +garnison dans les embûches qu'il lui a préparées. Cependant le sire +de Maingoval, que Maximilien a laissé dans cette forteresse, a deviné +<span class="pagenum"><a id="Page_202"> 202</a></span> +sa ruse: il en profite, sort des murailles comme s'il l'ignorait, +et par une fuite simulée amène lui-même les Gantois jusqu'aux +portes d'Audenarde. Ils se croyaient vainqueurs quand une décharge +générale de l'artillerie de la forteresse foudroya leurs rangs épais: +toute la garnison saisit ce moment de désordre pour les assaillir. +Il ne se rallièrent qu'avec peine en abandonnant trois cents morts +et deux cent vingt prisonniers. Adrien Vilain avait reçu un trait +qui lui traversa le visage; mais ce qui semait parmi les Gantois le +plus de honte et de désespoir, c'était la perte de leur grande bannière +tombée au pouvoir des ennemis. Ils quittèrent précipitamment +leur camp d'Eenhaem et rentrèrent à Gand.</p> + +<p>Dès que Maximilien apprit ce succès, il envahit le pays de Waes +avec son armée. Le château de Tamise fut emporté d'assaut et toute +la garnison flamande mise à mort. Enfin, il poursuivit sa marche +vers Gand et arriva devant la porte de Saint-Bavon, tandis que +Daniel de Praet accourait d'Audenarde pour le seconder avec deux +cents chevaux et huit cents hommes d'armes.</p> + +<p>Le péril des Gantois devenait imminent. Le sire de Crèvecœur +avait perdu un temps précieux à parlementer avec les magistrats +de Tournay, qui refusaient de le recevoir afin de conserver leur +neutralité: il n'hésita plus à s'avançer vers Deinze, en ordonnant +aux autres capitaines français de se hâter de l'y rejoindre. Néanmoins, +l'archiduc espérait devancer l'armée de Charles VIII et +remporter un avantage décisif avant son arrivée. Il ne s'était pas +trompé. Les Gantois préféraient à la honte de voir insulter leurs +murailles un combat que la prudence leur commandait d'éviter, +puisqu'ils gagnaient tout à attendre; et aussitôt que de leurs remparts +ils aperçurent les bannières allemandes qui flottaient dans la +plaine, ils prirent les armes et se firent ouvrir les portes.</p> + +<p>La première sortie des Gantois est repoussée; la seconde ne sera +pas plus heureuse. Le sire de Hornes, remarquant leur audace et +leur témérité, ne réussit que trop aisément à les entraîner de nouveau +dans une embuscade. Les Gantois, surpris de tous côtés, perdent +quatre cents des leurs et se replient en désordre, tandis que le +comte de Nassau et les sires de Berghes et de Ligny se précipitent +avec leurs hommes d'armes à leur poursuite. En vain Jean de Coppenolle +cherche-t-il, en renouvelant la lutte par un effort désespéré, à +favoriser la retraite de ses concitoyens. L'armée de Maximilien +arrive auprès des remparts de Gand avec les fuyards, et elle y aurait +<span class="pagenum"><a id="Page_203"> 203</a></span> +pénétré avec eux, si le grand doyen Eustache Schietcatte n'eût fait +fermer les portes et baisser les herses.</p> + +<p>Un grand nombre de Gantois avaient péri sous les yeux de leurs +frères sans qu'on pût les secourir; mais la ville de Gand était sauvée. +Maximilien s'éloigna: à peine avait-il atteint Termonde, qu'il +apprit que Philippe de Crèvecœur était entré à Gand avec huit mille +fantassins, six cent cinquante lances et trente-six canons. Au même +moment, le duc de Lorraine et Guillaume de La Marck se préparaient +à soutenir la rébellion de plus en plus prochaine des communes +de la Meuse. Maximilien ne conservait, entre le Rhin et la mer, +que le Brabant et le Hainaut, et déjà Charles VIII annonçait, dans +des lettres adressées aux états de ces pays, son intention de l'y +poursuivre. «Nous vous prions et requérons, leur écrivait-il le +27 mai 1485, que veuilliez départir de favoriser nostre père et +cousin l'archiduc d'Autriche au préjudice de nostre frère et de +nos subjects du pays de Flandre; autrement nous y pourvoyerons +comme il appartiendra.»</p> + +<p>Nous ne connaissons point la réponse des états de Brabant et de +Hainaut. Celle de Maximilien fut fière. «Je ne me sçay, mandait-il +au roi de France, trop esmerveiller de semblables lettres et crois +qu'elles procèdent de mauvais conseil. Chacun sçait bien le tort +que ceux de Flandres m'ont faict jusqu'à cette heure, d'avoir +détenu mon fils par force; toutefois, j'espère briefment le mettre +hors de la captivité en laquelle il a esté détenu. Au regard des +requestes que faites à mes sujets, elles vous peuvent plus tourner +à honte que à moy à dommage; elles ne me donneront crainte +pour me abstenir de faire ce que je dois.» (25 juin 1485.)</p> + +<p>Un court espace de temps, celui qui s'est écoulé entre ces deux +lettres, a changé la situation des choses. L'armée de Charles VIII +occupe les murs de Gand; mais les Français, que la Flandre a appelés +comme des alliés, maltraitent les bourgeois comme s'ils eussent +été non leurs hôtes, mais leurs ennemis. Des haines séculaires se +réveillent, et le sire de Crèvecœur cherche enfin à les apaiser. On +oublie qu'il est l'un des plus grands capitaines du quinzième siècle, +celui qui contribua plus que personne à rétablir la discipline dans +les armées, et qui régla le premier les manœuvres stratégiques de +l'infanterie, cet élément de la puissance militaire trop longtemps +méconnu; on se souvient uniquement avec quelle déloyauté, ami et +complice d'Hugonet et d'Humbercourt, il a trahi Marie de Bourgogne +<span class="pagenum"><a id="Page_204"> 204</a></span> +pour embrasser le parti de Louis XI et diriger contre la +Flandre l'armée qui fut vaincue à Guinegate. Le hasard met le +comble à l'agitation des esprits. Le sire de Crèvecœur ayant engagé +le duc Philippe à monter à cheval et se montrer au peuple, le bruit +se répand aussitôt que les Français se préparent à enlever le jeune +prince et à l'emmener en France. Le peuple y ajoute foi. Telle est +l'irritation qui l'anime, que le sire de Crèvecœur juge prudent de +quitter la Flandre et de se retirer sous les remparts de Tournay, +abandonnant toute son artillerie entre les mains des bourgeois de +Gand (11 juin 1485).</p> + +<p>Les partisans de Maximilien se hâtèrent de mettre à profit ces +querelles et ces divisions. Le 1<sup>er</sup> juin 1485, tout le peuple de Bruges +était réuni sur la place du Bourg, pour suivre pieusement une procession +destinée à appeler la protection du ciel sur la Flandre, lorsqu'on +apprit que les portes de la ville avaient été livrées aux +mercenaires de Maximilien. Au même moment on vit arriver, au +grand trot de leurs chevaux, le comte de Nassau, les sires de Montfort, +de Tinteville et d'autres chevaliers accompagnés d'une troupe +nombreuse de reîtres allemands, et, au milieu d'eux, messire Jean +de Houthem, chancelier de Brabant. Un héraut les précédait. +«Ecoutez, écoutez!» cria-t-il à la multitude, surprise et saisie de +terreur. Le chancelier de Brabant prit aussitôt la parole, et expliqua +à haute voix, en rappelant les longues guerres et les discordes qui +avaient attristé la Flandre depuis la mort de Charles le Hardi, combien +il était juste que Maximilien possédât plutôt que tout autre la +tutelle complète et entière de son fils. «Que voulez-vous? dit-il +en terminant, la paix ou la guerre?» Il ne fallait pas songer à +délibérer librement. Tous répondirent: «La paix.»—«Reconnaissez-vous +Maximilien pour mainbourg?» ajouta le chancelier.—«Oui! +oui!» répliqua le peuple. Messire Jean de Houthem +exposa ensuite les conditions auxquelles l'archiduc consentait à +confirmer les priviléges de la ville: les unes se rapportaient à des +amendes pécuniaires, d'autres à une amnistie dont étaient exclus +dix bourgeois, qui furent immédiatement conduits au Steen, comme +prévenus d'avoir favorisé la rébellion. Il faut nommer parmi eux +Louis de la Gruuthuse, qui avait servi fidèlement le duc Philippe, +en protestant contre les cruautés du sire de Blamont, et qui, après +avoir sauvé la liberté ou la vie à Charles le Hardi, avait contribué +plus que personne à affermir l'autorité chancelante de Marie de +Bourgogne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_205"> 205</a></span> +Dès que Maximilien apprit ce qui s'était passé, il aborda dans le +Zwyn. L'Ecluse lui ouvrit ses portes, et il se rendit sans délai à Bruges, +où son entrée eut lieu avec une grande pompe le 21 juin.</p> + +<p>Le même complot s'ourdissait à Gand. Il y était dirigé par un +signataire du <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468, le grand doyen Matthieu Peyaert, qui +comptait de nombreux amis parmi les bouchers et les poissonniers. +Sept jours après la surprise de Bruges, le mouvement qu'il avait +préparé éclata à Gand aux cris de: «Paix! paix! Autriche et notre +jeune prince!» On arrêta aussitôt Guillaume Rym, Daniel Onredene, +Adrien Vilain et Jean de Coppenolle. Les deux premiers +furent conduits au supplice le 13 juin. «Or pouvez à ce connoître, +observe Olivier de la Marche, quelle seureté on a à servir le peuple; +car Guillaume Rym avoit plus grande voix à Gand et plus +grand crédit que n'avoit le prince du païs, ne les plus grands de +Flandres; et soudainement changèrent de propos et tous en généralité +consentirent à sa mort: et sur le hourt on luy laissa faire +ses remontrances; mais oncques personne ne répondit, et dict +ledict Guillaume sur ses derniers mots: Ou vous ne me répondez +point, ou je suis devenu sourd.»</p> + +<p>Quoi qu'en ait écrit Olivier de la Marche, le peuple répondit aux +dernières paroles de Guillaume Rym, mais ce ne fut que lorsque le +bourreau eut achevé son office. La vue du sang l'émut plus puissamment +que l'appel du vieillard, qui aimait mieux se croire sourd +que de reconnaître l'ingratitude populaire: il fallut, pour calmer les +bourgeois, qu'on ouvrît les portes des prisons. Adrien Vilain se retira +à Tournay et Jean de Coppenolle en France, où Charles VIII le +créa son maître d'hôtel avec six cents francs de pension.</p> + +<p>Ce fut dans ces circonstances que les états de Flandre chargèrent +l'abbé de Saint-Pierre, Philippe de Beveren, Paul de Baenst, Richard +Uutenhove et Adrien de Raveschoot, de se rendre à Bruges +pour arrêter avec Maximilien les conditions de la paix. Elle fut +conclue le 28 juin 1485.</p> + +<p>L'archiduc y était reconnu pour mainbourg de la personne de son +fils et du comté de Flandre. Il s'engageait à confirmer tous les priviléges +généraux et particuliers.</p> + +<p>Il était convenu que lorsqu'il se rendrait à Gand il n'y pourrait +pas amener plus d'hommes d'armes avec lui qu'il n'en avait à Bruges +pour la garde de sa personne.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_206"> 206</a></span> +On devait lui remettre son fils; mais il promettait de ne point le +conduire hors de Flandre.</p> + +<p>Toutes les sentences de bannissement prononcées contre les partisans +de l'archiduc étaient annulées.</p> + +<p>On lui accordait, comme indemnité pour les frais de la guerre, +une somme payable en trois années, dont le chiffre n'était pas déterminé.</p> + +<p>La pension de la duchesse douairière de Bourgogne était rétablie.</p> + +<p>A ces conditions, l'archiduc octroyait une amnistie dont il exceptait +ses principaux adversaires et tous ceux qui avaient fui hors de +Flandre.</p> + +<p>Le produit de la confiscation de leurs biens devait être employé à +effacer les tristes résultats des désastres de la guerre.</p> + +<p>Sur un tableau joint au traité se trouvaient désignés ceux que +l'archiduc ne voulait point comprendre dans la paix. Les principaux +étaient Jacques de Savoie, Wolfart de Borssele, Louis de la Gruuthuse, +Léon de Masmines, Jean de Coppenolle, le grand doyen +Eustache Schietcatte, Guillaume Moreel, Jean de Keyt, Jean de +Riebeke et François de Bassevelde, tous les quatre anciens magistrats +de Bruges.</p> + +<p>Les temps étaient bien changés depuis que Baudouin le Bon parcourait +la Flandre en rendant la justice une baguette blanche à la +main: c'est d'une verge rouge, symbole de rigueurs et de vengeances, +que Maximilien arme le bras du bâtard de Baenst, créé +prévôt de Bruges, en lui donnant l'ordre de mettre à mort les prisonniers +du Steen. Ainsi périrent successivement Jean de Keyt, qui +avait été à diverses reprises bourgmestre de la ville, François de +Bassevelde, fameux par la réponse énergique qu'il avait opposée en +1483 aux menaces de l'archiduc, et d'autres bourgeois accusés des +mêmes délits de rébellion: leurs têtes sanglantes furent placées sur +la pointe des tourelles inférieures des Halles.</p> + +<p>Ce fut au milieu des tristes préoccupations de ces supplices que +l'on demanda au sire de la Gruuthuse s'il désirait être interrogé par +ses collègues de l'ordre de la Toison d'or; mais il répondit qu'il +était bourgeois de la ville de Bruges, et qu'il ne voulait d'autres +juges que ses magistrats. Louis de la Gruuthuse n'avait cessé +d'exercer à Bruges, par ses vertus, son courage et la généreuse protection +qu'il accordait aux lettres, la légitime influence à laquelle +<span class="pagenum"><a id="Page_207"> 207</a></span> +le duc Philippe lui-même avait rendu hommage pendant la guerre de +Gavre: tel était le respect, telle était l'affection dont il était entouré, +que Maximilien n'osa pas instruire publiquement son procès; +il se contenta d'exiger une amende de trois cent mille écus, dont le +comte de Nassau reçut le tiers, et chargea Olivier de la Marche +de conduire le sire de la Gruuthuse au château de Vilvorde.</p> + +<p>Cependant Maximilien avait quitté Bruges le 6 juillet 1485 pour +se rendre à Gand. Le sire de Ravestein vint au devant de lui et lui +amena son fils à Mariakerke. L'entrevue remplit les spectateurs +d'émotion: l'enfant, qui depuis longtemps n'avait pas vu son père, +ne le reconnut pas et fondit en larmes en recevant les baisers paternels.</p> + +<p>L'archiduc d'Autriche avait fait annoncer aux Gantois par Matthieu +Peyaert qu'il ne prendrait avec lui que six cents hommes, +conformément au traité du 28 juin; mais loin de rester fidèle à sa +promesse, il traversa la ville en se dirigeant vers le château de +Ten Walle, déjà plus connu sous le nom de Princen-Hof, suivi d'une +armée de cinq mille hommes d'armes commandés par Martin +Dezwarte, fameux capitaine de Maestricht. Matthieu Peyaert, dont +les discours avaient trompé les Gantois, fut récompensé de cette +trahison comme d'une victoire; car l'archiduc l'arma chevalier. +Les bourgeois n'en poursuivaient pas moins de leurs murmures et +de leurs risées ce rude et grossier personnage qui s'en allait dans +les rues sans oser toucher à la riche chaîne d'or qu'il avait reçue du +prince, et ils prétendaient même que Maximilien, à défaut d'épée, +lui avait donné l'ordre de chevalerie en le frappant de sa botte.</p> + +<p>Les Gantois voyaient d'ailleurs avec anxiété les hommes d'armes +étrangers que l'archiduc avait conduits avec lui, la plupart insolents, +orgueilleux et avides. Trois d'entre eux avaient été arrêtés +pour avoir outragé une femme: leurs compagnons les délivrèrent, +et à ce bruit le mécontentement du peuple ne connut plus de bornes. +Il courut aux armes et alla planter ses bannières sur le marché du +Vendredi.</p> + +<p>C'est en vain que Maximilien envoie ses conseillers pour essayer +de calmer les bourgeois. Philippe de Clèves, malgré sa popularité, +et l'évêque de Cambray, quoique protégé par la dignité de ses fonctions +ecclésiastiques, ne peuvent plus se faire écouter. Le comte de +Chimay soulève une opposition plus violente et ses jours sont en +péril; Matthieu Peyaert, qui s'est joint à ses efforts, fuit avec lui. +<span class="pagenum"><a id="Page_208"> 208</a></span> +La colère des bourgeois a redoublé à la vue de la chaîne d'or qui +leur rappelle sa trahison. «Délivrez-nous, criaient les Gantois, de +ces Allemands que vous nous avez amenés, ou nous nous en délivrerons +nous-mêmes.» Bien que la nuit fût venue, ils ne se séparaient +point. Une vive inquiétude régnait à l'hôtel de Ten Walle. +Maximilien chargea le comte de Nassau de veiller à la garde «du +pont, là où on coupe les testes, qui estoit la droite venue des Gantois +pour venir contre l'hostel du prince» (l'<i lang="nl" xml:lang="nl">Hooftbrugge</i>), et il se +rendit dans l'appartement du sire de la Marche, son premier maître +d'hôtel, afin d'être plus près des hommes d'armes allemands qu'il +s'était hâté de réunir autour de lui.</p> + +<p>Ainsi se passa la nuit: le lendemain, Maximilien se dirigea à la +tête des Allemands vers l'hôtel de ville. Il était au marché de la +Poissonnerie, lorsque les magistrats vinrent le prier de ne pas employer +la violence, moyen qui eût entraîné l'effusion du sang et qui +n'eût pas été sans danger pour l'archiduc lui-même. Deux notables +bourgeois se rendirent à l'hôtel de ville et engagèrent le peuple à se +retirer, mais il exigeait avant tout que Maximilien s'éloignât avec les +siens. L'archiduc y consentit: les Gantois n'en restaient pas moins +assemblés en grand nombre. «Il leur faut courir sus et les défaire, +s'écria le comte de Nassau; par ce moyen, le prince sera perpétuellement +seigneur et maître de toute la Flandre.» Philippe de +Clèves combattait cet avis. «Lorsque vous aurez détruit Gand, +disait-il à l'archiduc, vous aurez détruit la fleur et la perle de +tous vos pays.» Et le soir arriva sans qu'aucune résolution eût +été prise.</p> + +<p>Cependant les Gantois s'approchaient et occupaient la place du +Petit-Marché, située entre le Gravesteen et l'église Sainte-Pharaïlde. +Ce mouvement agressif devait mettre un terme à l'indécision +des conseillers de Maximilien; l'avis du comte de Nassau prévalut, +et il fut décidé, à la grande joie des Allemands, que le +lendemain, dès les premières heures du jour, l'on chercherait à +tourner, par la Coupure, la position des Gantois, afin de pouvoir les +attaquer plus avantageusement.</p> + +<p>La lutte eût été terrible: elle fut prévenue par la retraite des +corps de métiers, las d'avoir passé quarante-huit heures sous leurs +bannières. Les échevins se hâtèrent de l'annoncer à l'archiduc en +implorant sa clémence; ils devaient toutefois payer cette émeute +plus cher qu'une longue insurrection. Une amende de cent vingt-sept +<span class="pagenum"><a id="Page_209"> 209</a></span> +mille écus d'or les frappa. Cent bourgeois furent exilés, trente-trois +ne sortirent du Châtelet que pour être conduits au supplice. +Maximilien avait de plus exigé une réparation solennelle: placé sur +un trône et entouré des ambassadeurs des princes étrangers, il +reçut, le 22 juillet 1485, les protestations d'obéissance et de fidélité +des échevins «tous habillés de noires robes deschaintes,» puis il +chargea le chancelier de Brabant de prendre la parole en son nom. +Sa harangue fut une longue énumération des griefs du prince contre +les Gantois, et il termina en déclarant que l'archiduc d'Autriche +«avoit bien pensé mettre la ville à totale ruine par feu et espée, +ne fust la pitié qu'il avoit des églises et des bonnes personnes qui +sont illecq habitans.»</p> + +<p>Le pensionnaire de Gand, qui répondit à ce discours, n'eut point +d'éloges assez pompeux pour célébrer une si admirable clémence. +Il avoua «qu'il n'avoit tenu qu'à rien que de la bonne ville de Gand +l'on disist présentement: Cy fut Gand!» Ensuite les Gantois +«crièrent merci et remirent à l'archiduc neuf chartes de priviléges +qu'ils avaient reçues de Marie de Bourgogne, de Maximilien, de +Philippe, de Louis XI et de Charles VIII.» Lesquels priviléges +«furent brisés et coppés par maistre Nicolas de Rutre, audiencier.» +Molinet ajoute: «Monseigneur demanda quelque chose du traité +de Gavre,» triste souvenir qui, à Gand, s'associait toujours à la +mutilation des libertés publiques.</p> + +<p>Maximilien avait rétabli son autorité en Flandre: son titre de +mainbourg avait été reconnu dans toutes les provinces de la domination +bourguignonne. Ne craignant plus ni les communes de Flandre, +ni celles de la Meuse, il n'hésitait pas à violer ouvertement le +traité du 28 juin en envoyant son fils à Malines, et chargeait en +même temps Frédéric de Montigny, l'un des meurtriers du sire de +Dadizeele, d'aller enlever à Mézières le sire de La Marck et de lui +faire trancher la tête. Son double succès de Bruges et de Gand +avait étrangement développé son orgueil. Il s'était fait élire roi des +Romains à Francfort, le 16 février 1485 (v. st.), et c'était du centre +de l'Allemagne qu'il avait signé une charte pour reconstituer le +Franc comme quatrième membre de Flandre.</p> + +<p>Maximilien, ébloui du titre pompeux qui l'associait à l'autorité +impériale et lui en assurait la transmission, s'abandonnait de plus +en plus, avec une confiance sans limites, aux rêves de son ambition. +Les flatteries de ses courtisans, les prophéties de ses astrologues +<span class="pagenum"><a id="Page_210"> 210</a></span> +et de ses devins lui présentaient sans cesse l'image éclatante +des triomphes qui lui étaient réservés; il n'était point de projet qui +ne le séduisît par quelque illusion, point d'illusion qui ne dominât +sa faible raison, en y gravant d'altières espérances. Tantôt il voyait +le roi de Hongrie, Mathias Corvin, l'illustre fils de Jean Huniade, +réduit à lui céder son royaume, en fuyant chez les Turcs. Tantôt il +songeait à se placer à la tête des Suisses pour chasser du duché de +Milan la dynastie fondée par le bâtard d'un paysan de Cottignole, +dont il devait plus tard épouser la petite-fille: de Milan il eût +marché à la conquête du royaume de Naples; mais son premier +dessein, le plus considérable de tous, était d'envahir la France, pour +aller réclamer les armes à la main sa fille, appelée malgré lui à +devenir reine de France. Ce n'était point, du reste, son unique grief +contre Charles VIII, car il l'accusait d'avoir excité des troubles à +Liége et d'avoir équipé quatorze grands navires pour soutenir la +faction des <i lang="nl" xml:lang="nl">Hoeks</i> en Hollande. Pour réussir dans cette difficile +entreprise, Maximilien comptait sur trente-deux mille chevaux qui +devaient lui être envoyés par les princes allemands, indépendamment +des hallebardiers, arquebusiers et autres combattants à pied, +accourus de l'Empire, de la Lorraine et des ligues suisses. C'était +dans les Pays-Bas qu'il devait commencer la guerre, et il espérait +bien s'emparer en passant du temporel de l'évêché de Liége et du +fief de l'abbé de Stavelot, sauf à continuer son œuvre en confisquant +plus tard les priviléges de toutes les communes de Flandre +qui lui avaient été hostiles.</p> + +<p>Le roi de France avait retiré ses hommes d'armes des frontières: +sa confiance dans la paix en abrégea la durée. Le sire de Montigny +surprit Mortagne. Honnecourt et l'Ecluse partagèrent le même +sort. Térouane fut escaladée par Salazar, et ce fait d'armes fut +suivi de près d'une tentative dirigée contre Saint-Quentin. Maximilien +avait attendu ces succès pour sommer le roi de France de +l'aider et de le soutenir, conformément au traité d'Arras, si fréquemment +invoqué dans des tendances tout opposées, en déclarant +que le seul moyen de maintenir la paix était l'éloignement immédiat +d'Anne de Beaujeu et de Philippe de Crèvecœur, qui avaient +profité de sa minorité pour exciter par des lettres séditieuses les +communes de Flandre, de Brabant et de Hainaut à s'associer à +leurs «conspirations et machinations.»</p> + +<p>Charles VIII justifia dans une réponse non moins altière la conduite +<span class="pagenum"><a id="Page_211"> 211</a></span> +de ceux que Maximilien accusait: «Ne avez cause de les +chargier du faict de Flandres, car ce qui faict y a esté ce a esté +par bon conseil... Le comté de Flandre est une des anchiennes +pairies de France, et se avons voullu le tenir en paix comme +prince et seigneur souverain, nous avons faict ce que debvions +faire, et vous le contraire. Et quand ladite conté vous appartiendroit, +ce que non, vous l'auriez confisquée par les desraisonnables +termes que avez tenus.» Puis il rappelait que Maximilien +avait chargé son échanson Philippe d'Allers de se rendre à Melun +pour promettre en son nom de ne pas enfreindre la paix, et qu'il +avait profité de la bonne foi du roi de France, qui avait retiré ses +garnisons des frontières, pour surprendre Térouane et Mortagne et +attaquer Saint-Quentin. Il lui demandait comment, après avoir +violé le premier traité, il osait proposer d'en conclure un second, et +repoussait énergiquement toutes les allusions qui s'adressaient à sa +minorité et à sa jeunesse. «Sachez bien, disait-il, que ne sommes +pas en si bas eage et ne avons pas si petite expérience que ne +congnoissons véritablement ceulx qui nous font bien ou mal et +que ne soyons bien délibérez de leur rénumérer et rendre quand +le oportunité s'i pourra tourner, ainsi que bon prince poet et doibt +faire en sa juste querelle.» Le roi de France annonçait de plus +l'intention de ne pas rompre son alliance avec les Flamands, alors +même qu'il se trouverait obligé de pénétrer sur leur territoire pour +combattre les hommes d'armes de Maximilien.</p> + +<p>Le roi des Romains répondit en ces termes au roi de France: +«Très-cher et très-amé frère, nous avons reçeu certaines lettres de +par vous, faites et forgées, comme croyons, par ceux qui à tort et +sans cause nous ont en haine et malveillance. Ainsi n'avons point +trouvé estre convenable d'y respondre, et sommes délibérés de +non plus vous escrire <em>ou faire nommer comme il appartient à +vostre royale dignité</em>, au cas que perséveriez en telles dérisions +et insolences envers nous...» A cette lettre était joint un long +mémoire des conseillers de Maximilien, qui attribuaient à leur +maître le titre fort douteux de chef des rois chrétiens et qui reprochaient +vivement aux conseillers de Charles VIII «la deshonneste +forme et manière d'escrire à un tel roy qu'est le roy des Romains.» +Ils reproduisaient, du reste, tous les griefs élevés contre Anne de +Beaujeu, en l'accusant «d'avoir prins argent» de «ceulx de Gand,» +menaçaient le roi de France de le déclarer déchu de tout droit de +<span class="pagenum"><a id="Page_212"> 212</a></span> +suzeraineté sur la Flandre, et justifiaient l'escalade de Térouane et +de Mortagne, par l'appui que les Français donnaient aux Liégeois.</p> + +<p>Maximilien, fidèle à sa politique, avait adressé aux princes du +sang et à la ville de Paris son manifeste contre la régence d'Anne +de Beaujeu. Il les y pressait de renverser son autorité et de former +un conseil supérieur des princes du sang et des députés des états +qui pourraient aviser au rétablissement de la paix, de concert avec +les députés de l'Empereur: étrange hallucination, qui le portait à +proposer à la France ce qu'en ce moment même il combattait en +Flandre.</p> + +<p>La réponse des échevins de Paris est du 2 septembre 1486. Ils y +repoussent hautement les plaintes du roi des Romains, et le rendent +seul responsable de la violation du traité d'Arras. En effet, il avait +commencé la guerre «contre droit et raison en entrant par surprise +en armes au royaume,» et il ne pouvait la continuer, ajoutaient-ils, +«sans faire le grand dommage du pays de Flandre.» Il y a une +connexion évidente entre cette déclaration et la réponse des ministres +de Charles VIII, qui en avaient pris connaissance avant +qu'elle fût remise au héraut d'armes Toison d'or. La commune de +Paris ne pouvait être hostile à un système de gouvernement qui +soutenait les communes flamandes.</p> + +<p>Au conseil du roi, d'autres considérations rendaient les inimitiés +plus vives. On ne pouvait souffrir qu'un prince étranger se prétendît +supérieur à Charles VIII et lui refusât même le titre de roi; et +à ce sujet le sire de Graville disait tout haut que si l'histoire se +taisait sur les exploits des Allemands en France, elle avait conservé +le souvenir de ceux de Charlemagne, qui avait conquis et soumis +toute l'Allemagne.</p> + +<p>Ce n'était que dans la faction des princes du sang que Maximilien +pouvait espérer un appui. Le duc d'Orléans lui était favorable, +et le duc de Bourbon, bien que frère du sire de Beaujeu, déclarait, +en présence de Charles VIII, que le sire de Graville et ses amis +«estoient cause de la guerre que faisoit le duc d'Austriche et du +mescontentement qu'avoient les autres seigneurs du sang, et alléguoit +qu'il estoit connestable et qu'à luy appartenoit l'exécution +de la guerre, et qu'il s'en vouloit aller en Picardie pour résister +à l'entreprise du duc d'Austriche et y trouver quelque +bon appointement.» En effet, malgré tous les efforts que l'on +tenta pour l'en dissuader, malgré ceux du roi lui-même, il se +<span class="pagenum"><a id="Page_213"> 213</a></span> +rendit en Picardie. Le duc de Bourbon était guidé par les conseils +de quelques-uns de ses serviteurs, «fort grands mutins.» Le principal, +le plus capable, le plus influent, était l'ancien ami de Charles +le Hardi, devenu, en 1472, l'un des conseillers de Louis XI, Philippe +de Commines, qui avait épousé en France la fille d'un maître +d'hôtel du roi, beau-frère de la dame de Montsoreau, si fréquemment +nommée dans les enquêtes relatives à l'empoisonnement du +duc de Guyenne. Soit qu'il eût été inquiété au sujet de la révision +des donations faites aux dépens du domaine royal, soit qu'il subît +avec peine la haine et le mépris qui poursuivaient les anciens ministres +de Louis XI, il conspirait, et la jeune royauté de Charles VIII +allait rouvrir pour lui une de ces cages de fer, sombres monuments +d'un règne dont il avait été à la fois le Séjan et le Tacite.</p> + +<p>Enfin le moment arriva où Maximilien espérait envahir la France +avec le secours des Français eux-mêmes, et se placer, par de mémorables +succès, parmi les héros et les vainqueurs les plus glorieux. +Dans son orgueil, il datait ses mandements de Lens, «<em>première ville +de nostre conqueste</em>;» il avait, disait-on, été le premier qui eût +songé à former la milice, depuis si célèbre, des lansquenets ou +<i lang="nl" xml:lang="nl">landsknechten</i>, ce qui l'égalait à Jules César; et l'on ajoutait qu'il +était au monde le seul prince qui connût à la fois toutes les ressources +de l'art si difficile de la guerre. L'empereur Frédéric III +s'était rendu lui-même en Flandre, afin que l'éclat du sceptre impérial +ajoutât quelque chose à celui de cette grande expédition. +Mais jamais projets plus audacieux n'aboutirent à un résultat plus +déplorable. La faction des princes du sang rougit de s'armer pour +livrer la France à ses ennemis, et l'on vit bientôt les Allemands et +les Suisses que Maximilien avait recrutés abandonner ses drapeaux +à défaut de solde. Les uns allèrent rejoindre les Français; d'autres +cherchèrent à s'indemniser de leurs pertes en pillant le pays. Il ne +resta à l'Empereur qu'à regagner l'Allemagne, et Maximilien, qui +espérait, comme les confédérés de Bouvines, aller arborer l'aigle +germanique sur le pont de la Calandre, non moins humilié quoiqu'il +n'eût point combattu, fut réduit à implorer l'appui de ses +propres sujets de Flandre et d'Artois qu'il méprisait naguère encore; +mais les bourgeois de Saint-Omer lui répondirent qu'ils +étaient résolus à conserver une stricte neutralité, et leur exemple +fut suivi par les habitants de Lille et de Douay. Cette neutralité +fut toutefois de peu de durée pour la ville de Saint-Omer, puisque +<span class="pagenum"><a id="Page_214"> 214</a></span> +les Français y entrèrent dès le 27 mai 1487. Deux mois après, le +sire de Crèvecœur reconquit l'importante forteresse de Térouane +(26 juillet), et ce premier revers fut suivi d'un second échec plus +important et plus grave.</p> + +<p>Les hommes d'armes allemands et bourguignons qui se trouvaient +sous les ordres du comte de Nassau avaient voulu réparer +la perte de Térouane en enlevant la ville de Béthune; mais ils se +laissèrent surprendre et furent mis en déroute; près de neuf cents +d'entre eux restèrent sur le champ du combat. Le comte de Nassau +fut fait prisonnier, et avec lui Charles de Gueldre, Pierre de Hennin, +Gérard de Boussut, Georges Vander Gracht, Charles et Philippe +de Moerkerke, Jean de Commines, Jean de Praet, Jean d'Overschelde, +bailli d'Ypres, Jacques de Heere, bourgmestre du Franc, et +tous les principaux chevaliers du parti de l'archiduc.</p> + +<p>Au moment où la défaite de Béthune couronnait la malheureuse +tentative de Maximilien contre la France, on recevait en Flandre +la nouvelle des désastres qui avaient terminé en Angleterre +une autre expédition à laquelle le roi des Romains n'était point +étranger.</p> + +<p>L'Angleterre avait appris avec une extrême jalousie la conclusion +du traité d'Arras, et l'on racontait même qu'Edouard IV était +mort de douleur en voyant le Dauphin renoncer à sa fille pour +épouser mademoiselle Marguerite de Flandre; mais les affreuses +discordes du règne de Richard III ne s'effacèrent que pour élever +sur une trône ensanglanté Henri de Richemont, qui devait tout à +l'appui du roi de France.</p> + +<p>Cependant la duchesse Marguerite de Bourgogne ne pouvait se +consoler de la chute de la dynastie d'York; et elle se proposait de +servir à la fois les intérêts de Maximilien et ceux de sa propre +maison, en renversant la dynastie de Lancastre élevée par l'appui +de Charles VIII. Une expédition considérable avait été réunie pour +envahir l'Angleterre: elle devait comprendre deux mille hommes +d'armes allemands, flamands et hennuyers, sous le commandement +de Martin Dezwarte. Le comte de Lincoln et lord Lovel s'étaient +rendus en Flandre pour arrêter avec la duchesse douairière de +Bourgogne le plan de cet armement; et il avait été décidé que l'on +profiterait d'une rumeur populaire relative à l'évasion de l'unique +fils du duc de Clarence pour présenter d'abord aux Irlandais, puis +aux Anglais, un imposteur qui n'emprunterait son nom que pour +<span class="pagenum"><a id="Page_215"> 215</a></span> +remettre la couronne, après la victoire, au comte de Lincoln, neveu +par sa mère du roi Edouard IV et de la duchesse de Bourgogne, et +déjà désigné par Richard III comme l'héritier présomptif du trône +d'Angleterre. Le boulanger Lambert Simnel, proclamé roi à Dublin +par une multitude égarée qui croyait retrouver dans ses traits ceux +de l'infortuné duc de Clarence, aborda à Foudrey avec les hommes +d'armes venus de Flandre, occupa le comté d'York, et rencontra les +troupes de Henri VII à Stoke, aux bords de la Trent, où Martin +Dezwarte périt avec le comte de Lincoln, après avoir vaillamment +lutté pendant trois heures contre des forces de beaucoup supérieures +aux siennes. Des armements non moins considérables avaient eu +lieu en Angleterre pour repousser toute agression que Marguerite +eût pu diriger vers les côtes de Kent ou de Suffolk; et il ne +resta aux Allemands, réunis sur les rivages de la Flandre, qu'à +s'embarquer pour la Bretagne, afin de prendre part à d'autres +combats.</p> + +<p>Maximilien, qui avait épuisé son trésor pour faire triompher Simnel, +s'était retiré en Brabant. Non content d'altérer les monnaies, il +écrivit aux états de Flandre pour réclamer des subsides, afin de +faire face aux frais de la guerre; mais les états de Flandre, réunis +à Termonde, et délibérant sans la participation des députés du +Franc qu'ils refusaient de considérer comme quatrième membre, +déclarèrent qu'ils désapprouvaient la guerre contre la France et +désiraient maintenir le traité d'Arras de 1482. Les députés de +Gand avaient même annoncé qu'ils voulaient que le soin de remettre +le produit des subsides aux hommes d'armes fût désormais +confié aux états, afin que Maximilien n'en fît point usage contre +les intérêts mêmes de la Flandre. Ces représentations irritèrent de +plus en plus le roi des Romains. Il répondit que si les états ne lui +accordaient pas un nouvel impôt, il le ferait lever par ses commissaires; +mais ses menaces n'émurent personne: la Flandre ne +croyait plus rien avoir à redouter des hommes d'armes allemands +depuis la défaite du comte de Nassau. Jean de Coppenolle se hâta +de revenir à Gand. Adrien Vilain, qui avait été arrêté par les +archers allemands à Lille, où il résidait de l'aveu de Maximilien, +et qui se trouvait depuis lors prisonnier à Vilvorde, fut délivré par +le sire de Liedekerke et rejoignit bientôt après Jean de Coppenolle, +en protestant que, si l'on avait quelque chose à lui reprocher, il +était prêt à répondre à toutes les accusations. Les magistrats, indécis +<span class="pagenum"><a id="Page_216"> 216</a></span> +sur ce qu'il y avait lieu de faire, envoyèrent au roi des Romains +une députation composée de l'abbé de Saint-Pierre, de Josse +de Ghistelles, de Paul de Baenst et d'Adrien de Raveschoot. Maximilien, +bien moins puissant en ce moment qu'il ne voulait le +paraître, confia le soin d'évoquer cette affaire au grand bâtard de +Bourgogne et aux sires de Clèves et de Beveren; ils invitèrent les +sires de Rasseghem et de Liedekerke à comparaître à Termonde, et +trois gentilhommes vinrent à Gand se remettre comme otages, afin +de répondre de la sûreté des accusés. Mais les doyens des métiers +décidèrent unanimement que les sires de Rasseghem et de Liedekerke +ne devaient pas se rendre à Termonde, puisqu'ils n'étaient +justiciables que des magistrats de Gand, et ils saisirent cette +occasion pour énumérer les griefs de la commune contre le roi des +Romains.</p> + +<p>«Nous voulons, disaient-ils dans leur déclaration, le maintien +du traité conclu à Arras, le 23 décembre 1482, et nous ne consentirons +point à la continuation de la guerre contre la France, source +constante d'impôts toujours détournés de leur but.</p> + +<p>«Nous voulons aussi le maintien du traité de Tournay du +13 décembre 1385, et il faut que les magistrats des villes conservent +le droit de sonner les cloches, afin de chasser et de mettre à +mort, s'il y a lieu, les ennemis du pays.</p> + +<p>«Nous réclamons les priviléges que Maximilien nous a enlevés.</p> + +<p>«Nous voulons soumettre à un sérieux examen les dépenses +faites par la ville de Gand depuis la mort de Guillaume Rym.</p> + +<p>«Nous voulons que l'on démolisse le pont qui se trouve à côté de +l'hôtel de Ten Walle.»</p> + +<p>C'était par ce pont que le comte de Nassau avait songé à s'avancer +avec ses Allemands, lorsqu'il conseillait de détruire Gand en +1485.</p> + +<p>Le peuple accueillit cette déclaration avec de vifs transports +d'enthousiasme. Les partisans du roi des Romains sortirent de la +ville, et tout l'argent qu'on trouva dans leurs maisons fut employé +à réorganiser ces confréries des chaperons blancs et des compagnons +de la Verte Tente, si célèbres autrefois, afin de chasser les Allemands +qui erraient aux environs de Gand, en semant partout l'effroi +et la désolation.</p> + +<p>Les métiers, réunis en armes sous leurs bannières, envoyèrent +des députés à Maximilien pour qu'il fît choisir, par ses commissaires, +<span class="pagenum"><a id="Page_217"> 217</a></span> +de nouveaux magistrats qui jurassent au duc Philippe et à +la ville de Gand d'observer les traités de 1385 et de 1482, déclarant +que s'il ne le faisait point, ils procéderaient eux-mêmes au +renouvellement de l'échevinage, conformément au privilége de 1301; +en effet ils désignèrent, peu de jours après, des commissaires qui +élurent Adrien de Rasseghem, premier échevin de la keure.</p> + +<p>Dans des circonstances à peu près semblables à celles de 1485, +le roi des Romains ouvrit la guerre en essayant de nouveau de surprendre +la ville de Termonde. Mais cette fois Philippe de Hornes, +moins heureux que Jacques de Foucquesolles, fut repoussé par les +bourgeois. Le sire de Liedekerke fut aussitôt créé capitaine de Gand, +et toutes les villes de Flandre furent instruites de la rupture de la +paix par de longues lettres où on les consultait sur ce qu'il y avait +lieu de faire, en réclamant leur secours. Les Gantois n'avaient pris +les armes, disaient-ils, que pour défendre leurs priviléges et maintenir +la paix publique compromise par des mercenaires étrangers.</p> + +<p>Maximilien s'était hâté de retourner en Flandre dès qu'il avait +appris que les Gantois s'étaient avancés jusqu'aux portes d'Anvers, +de Bruxelles et de Courtray; il était important qu'il maintînt dans +l'obéissance les villes qui reconnaissaient encore son autorité. Ce +fut dans ce but qu'il se rendit à Courtray et de là à Bruges, où il +arriva le 16 décembre 1487.</p> + +<p>Dans toute la Flandre, on regrettait vivement d'avoir vu s'évanouir +les espérances qui reposaient sur la paix d'Arras. On se +plaignait de ce que les charges publiques étaient devenues plus +accablantes qu'elles ne l'avaient jamais été, et de ce que le cours +de la justice était en quelque sorte suspendu par les soins de la +guerre; mais ce qui excitait le plus de murmures, c'étaient les +désordres commis par les hommes d'armes allemands qui ne recevaient +pas de paye et qui, non contents de piller les bourgeois et les +laboureurs, se plaisaient à répéter «que le temps estoit venu qu'ils +baigneroient leurs bras au sang des Flamands.» Aussi l'alarme +fut-elle grande à Bruges lorsqu'on y vit arriver la garde de Maximilien. +On prétendait que le roi des Romains ne l'avait amenée avec +lui que pour contraindre les habitants les plus opulents à lui livrer +leurs richesses, et aussitôt après, assurait-on, la ville, privée de ses +franchises, devait être abandonnée au pillage. Ces rumeurs semblaient +d'autant plus menaçantes qu'il y avait à Bruges un grand +nombre de vieillards qui se souvenaient du 22 mai 1437, et l'on vit +<span class="pagenum"><a id="Page_218"> 218</a></span> +la plupart des marchands étrangers se hâter d'émigrer et se retirer +à Anvers. Un secret pressentiment annonçait aux bourgeois, raconte +Nicolas Despars, que s'ils quittaient les foyers qui, après une résidence +de quatre siècles, étaient devenus pour leurs familles une +seconde patrie, c'était pour s'en éloigner à jamais.</p> + +<p>Maximilien lui-même s'effrayait parfois de la résistance dont il +voyait éclater de toutes parts les symptômes autour de lui. Un jour, +il consentit à convoquer les états des diverses provinces, «de par +decha,» et il entretint de son désir de rétablir la paix les députés +d'Ypres, de Valenciennes, de Lille, de Douay, d'Orchies, de Bois-le-Duc, +de Middelbourg, les seuls qui eussent répondu à son appel; +un autre jour, il assura les doyens des métiers de Bruges qu'il partageait +leur vœu de voir cesser la guerre et qu'il avait déjà obtenu +un sauf-conduit, «afin d'aller vers le roi de France pour pratiquer +la paix.» Telle est la situation des choses, lorsque, le 9 janvier +1487 (v. st.), le sire de Liedekerke, à la tête de six mille Gantois, +parvient à s'emparer de Courtray. Trois jours après, Maximilien +assemble de nouveau à l'hôtel de ville les doyens et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> +de la commune de Bruges. Il leur fait connaître qu'il a envoyé à +Gand quelques-uns de ses conseillers, mais que les Gantois ne +veulent traiter qu'avec des mandataires appartenant par leur naissance +à la Flandre. Il les prie de désigner les députés afin de chercher +à rétablir la paix. Les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> et les doyens y consentent; +leur opposition ne se manifeste que lorsque le roi des Romains réclame +un contingent de deux mille hommes et, de plus, un subside +considérable pour défendre les frontières contre les attaques menaçantes +des Français. Les représentants de la commune, craignant +que ces préparatifs ne soient dirigés contre les Gantois, n'hésitent +pas à rejeter ces demandes; ils répondent qu'ils n'ont aucun pouvoir +à ce sujet, et que d'ailleurs ils veulent se tenir au traité d'Arras, +protestant que si Maximilien s'y conforme lui-même, il trouvera +toujours en eux de fidèles sujets. Ils insistent surtout pour qu'il +congédie tous ses reîtres allemands, qui traitent une cité commerciale +comme une ville prise d'assaut, et annoncent qu'afin de ne +plus leur permettre de circuler librement avec leur butin, ils garderont +eux-mêmes dorénavant les portes de la ville, se croyant assez +puissants pour les défendre.</p> + +<p>Le roi des Romains se préoccupait assez peu des plaintes des +bourgeois, insultés par ses hommes d'armes; mais le moment n'était +<span class="pagenum"><a id="Page_219"> 219</a></span> +pas encore venu où l'arrivée des renforts, que le sire de Gaesbeke +était chargé de réunir, devait lui permettre d'y renverser par la +violence et la force toute autorité autre que la sienne. Il comprit +aisément que la prétention de lui enlever la garde de la ville était +destinée à mettre obstacle à ses projets, et il n'y eut rien qu'il ne +fît pour obtenir qu'elle fût abandonnée. Les remontrances du président +de Flandre, Paul de Baenst, et de l'écoutète Pierre Lanchals, +ayant été inutiles, il se rendit lui-même à l'hôtel des échevins, accompagné +d'une suite de cinquante chevaux; mais son insistance +même accrut les soupçons; les doyens et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> persistaient +dans leur résolution et exigeaient de plus en plus qu'à l'avenir +chaque porte fût gardée par trois bourgeois et douze hommes des +métiers.</p> + +<p>Au milieu de ces discussions, les échevins de Gand recevaient en +audience solennelle les députés de Bruges et d'Ypres; mais ceux du +Franc, investis aux yeux des Gantois d'une autorité illégale, +n'avaient pu obtenir de sauf-conduit. Le pensionnaire de Bruges, +Jean Roegiers, porta la parole et rappela comment, dans les troubles +de la Flandre, les différentes villes s'étaient mutuellement prêté le +secours de leur médiation. Mais les magistrats de Gand répliquèrent +qu'ils avaient déjà interjeté appel devant le roi de France, +leur souverain seigneur, et que Maximilien, loin d'y répondre, avait +violé le traité d'Arras, en faisant la guerre à Charles VIII. Ils +ajoutaient que l'intervention des Brugeois et des Yprois était trop +tardive puisque déjà plusieurs de leurs chaperons blancs avaient +été mis à mort, et qu'ils ne leur reconnaissaient pas le droit d'intervenir +comme médiateurs puisqu'ils avaient eux-mêmes violé le +traité d'Arras. Ils leur remirent toutefois, en les priant de le communiquer +aux communes de Bruges et d'Ypres, un long mémoire +où ils exposaient énergiquement leurs griefs: la levée de taxes +énormes dont on n'avait jamais rendu compte, l'appauvrissement +de toutes les villes, l'appel d'une armée de mercenaires étrangers, +le voyage du duc Philippe en Brabant au mépris d'une promesse +formelle, la reconstitution du quatrième membre contre le vœu +général du pays.</p> + +<p>Ce fut le 24 janvier que les députés qui avaient été envoyés à +Gand rentrèrent à Bruges. Ils se réunirent immédiatement à l'hôtel +du roi des Romains et lui rapportèrent la réponse des Gantois. +Maximilien s'en montra fort mécontent. Il les supplia de ne rendre +<span class="pagenum"><a id="Page_220"> 220</a></span> +public que le premier point des griefs allégués par les Gantois, qui +renfermait une protestation assez vague en faveur des traités de +1385 et de 1482, et il fit même si bien que les magistrats consentirent +à ajourner l'assemblée qu'ils avaient convoquée afin de délibérer +sur la réponse qu'il convenait d'adresser aux bourgeois de +Gand.</p> + +<p>Il était toutefois impossible que le mémoire des Gantois restât +longtemps inconnu, et Maximilien ne vit lui-même dans cette courte +trêve, qu'il devait à la condescendance de quelques échevins de +Bruges, qu'un motif de profiter du temps qui lui restait pour hâter +l'exécution de ses desseins. Il se souvenait des conseils du comte +de Nassau, et regrettait peut-être de ne pas avoir, selon l'expression +du pensionnaire de Gand, détruit cette ville par le fer ou par +le feu, de telle sorte que le voyageur eût inutilement cherché ses +ruines au niveau de l'herbe. Les mêmes rêves de conquête, de domination +par la force, par l'extermination et l'incendie, s'il était +nécessaire, le tentaient à Bruges, et il avait écrit au sire de Gaesbeke +qu'il se plaçât à la tête de ses cavaliers hennuyers et accélérât +sa marche. Tous ses efforts tendaient depuis longtemps à rendre +inutiles les mesures prises par les Brugeois pour leur défense, et +on le voyait multiplier les prétextes de se faire ouvrir les portes de +la ville, afin qu'il lui fût plus aisé de s'en emparer lorsque le moment +serait venu. Le 10 janvier, le sire d'Ysselstein était passé par +la porte de la Bouverie, avec six chariots et quatre cents piquenaires, +et les Brugeois avaient conçu ce jour-là des soupçons de +trahison que rien ne vint justifier. Maximilien semble toutefois +renoncer à ces tentatives si inquiétantes, lorsqu'il invoque la médiation +des Brugeois et en espère d'heureux résultats; mais aussitôt +que leurs députés sont revenus de Gand, le soir même où ils lui +ont rendu compte d'un message inutile, il reprend ses anciens projets +et quitte inopinément le banquet qui lui est offert à l'hôtel de +Richebourg, chez la veuve de Martin Lem, pour faire à cheval, à +sept heures du soir, le tour des remparts, examinant avec soin le +nombre des gardes qui veillent aux portes, s'arrêtant même parfois +pour leur distribuer de l'argent. Le 27 janvier, il sort de Bruges +avec ses fauconniers; le 28, autre chasse au vol. Enfin le 31 janvier, +il reçoit en même temps la nouvelle que le sire de Gaesbeke est +arrivé près de Bruges et l'avis que d'autres députés de Bruges, +envoyés à Gand, ont échoué une seconde fois dans leurs démarches. +<span class="pagenum"><a id="Page_221"> 221</a></span> +Il n'y avait plus à hésiter. Maximilien rangea immédiatement ses +Allemands en ordre de bataille avec leur artillerie dans la cour de +son hôtel, et envoya des messagers, avec une escorte de trente fantassins, +remettre au sire de Gaesbeke ses dernières instructions. +Elles portaient qu'il devait se présenter immédiatement à la porte +des Maréchaux.</p> + +<p>Le même soir, le roi des Romains, accompagné du bourgmestre +Jean de Nieuwenhove et d'un petit nombre de serviteurs, se rend +à la porte qu'il a désignée au sire de Gaesbeke, et demande qu'on +la lui ouvre: mais le bourgmestre donne en vain l'ordre qu'on lui +obéisse. Les gardiens de la porte redoutent quelque trahison et s'y +opposent sans qu'on puisse ébranler leur résolution. Les moments +étaient précieux; il fallait agir avant que les bourgeois fussent +instruits de ce qui se passait. Maximilien se hâta de se diriger vers +la porte de Sainte-Croix, où l'attendaient Jacques de Ghistelles, +Jacques de Heere et Corneille Metteneye, et de là vers la porte de +Gand: il y éprouve le même refus. Il est plus heureux à la porte de +Sainte-Catherine; elle lui est ouverte, et dès qu'il est sorti de la +ville, il fait avertir le sire de Gaesbeke que c'est de ce côté qu'il +doit se porter. Puis lorsqu'il juge qu'il a reçu l'avis qu'il lui a +adressé, il rentre à Bruges et s'empare aussitôt du guichet; mais +le cri des gardiens: «Trahison! trahison!» a été entendu; leurs +concitoyens des rues les plus voisines accourent à leur secours et +les aident à abaisser la herse avant l'arrivée du sire de Gaesbeke. +Maximilien tente inutilement un dernier effort à la porte de la +Bouverie: les barrières qui s'étaient fermées en 1437 devant le duc +Philippe de Bourgogne ne devaient pas s'ouvrir devant le roi des +Romains. Il ne lui reste qu'à fuir dans son hôtel; il y mande aussitôt +Pierre Lanchals et les principaux bourgeois de son parti, et +les presse de trouver le moyen de se rendre maîtres des portes de +la ville.</p> + +<p>Cependant le bruit de ce qui s'était passé à la porte de Sainte-Catherine +s'était répandu de toutes parts, et les métiers courant aux +armes occupaient déjà toutes les portes sous les ordres de leurs +doyens. Le roi des Romains résolut alors, selon un récit contemporain, +de faire mettre le feu aux quatre coins de la ville, espérant +que le sire de Gaesbeke pourrait s'y introduire à la faveur de ce +désordre; mais on arrêta facilement l'incendie et cette dernière +tentative n'eut d'autre résultat que de rendre plus vive la haine du +peuple.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_222"> 222</a></span> +Dès ce moment, la question devenait de plus en plus grave pour +le roi des Romains; en cherchant une victoire qui devait le rendre +l'arbitre de la vie et des biens des bourgeois de Bruges, il s'était +exposé à une défaite qui devait nécessairement faire de lui leur prisonnier. +Le sentiment de ce péril ne le quittait point, et la nuit durait +encore quand il résolut de faire un dernier effort. Il avait appris +que la porte de Gand était confiée à Matthieu Denys, doyen des +charpentiers, qu'il croyait lui être plus favorable que tous les autres +doyens, et se dirigea sans tarder de ce côté avec quelques-uns de +ses partisans et quelques cavaliers allemands. Cependant toutes ses +espérances furent déçues: Matthieu Denys rejeta avec de rudes et +violentes paroles toutes les prières qui lui furent adressées. «Livrez-moi +votre doyen,» s'écria alors le roi des Romains furieux, +en s'adressant aux hommes des métiers qui entouraient Matthieu +Denys, «livrez-moi votre doyen, et je vous comblerai de mes bienfaits.»—«Et +nous, tant qu'il y aura une goutte de sang dans +nos veines,» lui répondit énergiquement le porte étendard Adrien +Demuer, «nous jurons de ne point l'abandonner.» Le roi des Romains +insistait pour qu'on le laissât au moins sortir de la ville avec +ses cavaliers allemands. On ne le lui permit point davantage; on +craignait que son intention ne fût de rallier les garnisons de Damme +et de l'Ecluse pour aller rejoindre la petite armée de ce sire de +Gaesbeke en qui les Brugeois n'avaient pas cessé de redouter le +vainqueur de Montenac et l'ennemi de Jean de Dadizeele, impatient +de venger sur eux la mort de son père Jean de Hornes.</p> + +<p>Maximilien espérait encore en ce moment que le peuple s'apaiserait; +mais lorsqu'il apprit que l'irritation s'accroissait sans relâche, +il tint conseil sur ce qu'il y avait lieu de faire. «Il faut, dit +Salazar, que nous nous armions les premiers avant que ces vilains +aient eu le temps de se réunir sur la place du Marché.» Cet avis +fut adopté, et tandis que Pierre Lanchals faisait prévenir les bourgeois +de son parti qu'ils se préparassent à le seconder, le roi des +Romains se rendait à la place du Bourg, où il rangea tous les siens +en ordre de bataille. Quelques heures s'écoulèrent; les bourgeois +favorables à Maximilien ne se dirigeaient qu'en petit nombre vers +la place du Bourg, où leur présence devait devenir un titre de proscription; +ils n'amenaient point avec eux, comme ils l'avaient promis, +le métier des brasseurs. La foule qui les suivait, inquiète et +curieuse, observait avec anxiété les mouvements des Allemands, +<span class="pagenum"><a id="Page_223"> 223</a></span> +qui cherchaient à l'empêcher de se mêler à leurs rangs en simulant +des évolutions de combat. Cependant elle augmentait de moment +en moment, et les Allemands, se voyant serrés de plus près, baissèrent +leurs lances pour la tenir éloignée, en criant: «<i lang="nl" xml:lang="nl">Staet! staet!</i> +Arrêtez! arrêtez!» Le peuple comprit: «<i lang="nl" xml:lang="nl">Slaet! slaet!</i> Frappez! +frappez!» Et se précipitant en désordre par toutes les +issues du Bourg, il alla répandre dans tous les quartiers la nouvelle +des projets menaçants des Allemands, tandis que les chanoines +de Saint-Donat, partageant sa terreur, se hâtaient de cacher leurs +joyaux dans le sanctuaire et d'appeler les clercs à préserver l'église +du pillage. Les doyens des métiers et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> s'assemblent +aussitôt aux sons du tocsin: ils chargent des messagers d'aller +réclamer l'appui des habitants de Gand et d'Ypres, et pourvoyant +en même temps eux-mêmes à la défense de la ville, ils se portent +aux Halles avec quarante-neuf canons et cinquante-deux bannières. +Une agitation extrême régnait sur la place publique, et rien ne contribua +plus à l'accroître que l'arrestation de deux Mores attachés +au service du comte de Zollern, que l'on accusait d'avoir été les instruments +de la tentative d'incendie ordonnée par Maximilien. Mille +voix répétaient qu'il ne fallait plus déposer les armes. Le roi des +Romains, effrayé par ces démonstrations, s'était retiré dans son +hôtel, en ayant soin de ne pas traverser la place du Marché. Mais +il n'était personne qui ne crût que s'il avait reçu les secours que +Lanchals et ses amis lui avaient promis, il n'eût tiré une vengeance +terrible de son échec de la veille.</p> + +<p>Le peuple cherchait Pierre Lanchals pour assouvir sa fureur; les +armes que l'on découvrit dans sa maison parurent une nouvelle +preuve des projets qu'on lui attribuait, mais Lanchals avait disparu, +et son absence évita l'horreur d'un crime à la fin de cette journée +si agitée. Le peuple s'était dirigé vers les Halles, pour y enlever +les têtes sanglantes de Jean de Keyt et de François de Bassevelde +des tourelles où elles se trouvaient, depuis près de trois années, +exposées sur des piques, lorsque des conseillers du roi des Romains +se présentèrent pour lui annoncer que Maximilien l'invitait à s'apaiser +et lui pardonnait ses séditions. «Il est mille fois plus coupable +que nous,» répliquaient les bourgeois en montrant les restes +mutilés des défenseurs de leurs franchises.</p> + +<p>Cependant on vit paraître sur la place du Marché le président +de Flandre, Paul de Baenst. Il interrogea sur leurs intentions les +<span class="pagenum"><a id="Page_224"> 224</a></span> +bourgeois qui venaient de découvrir une nouvelle tentative du roi +des Romains pour introduire à Bruges le sire de Gaesbeke: «Nous +voulons, répondirent-ils tout d'une voix, que vous nous montriez +le mémoire des Gantois sur les griefs du pays, mémoire qui vous +avait été confié pour qu'il nous fût soumis, ce que vous n'avez +point fait. Nous voulons qu'on nous donne un nouveau bourgmestre +et un autre écoutète, au lieu de Jean de Nieuwenhove et +de Pierre Lanchals, qui ont mérité d'être livrés à la justice.» Le +roi des Romains accorda Josse de Decker pour bourgmestre et +Pierre Metteneye pour écoutète, mais il ne consentit à leur remettre +le mémoire des Gantois qu'après avoir essayé de les tromper en +leur montrant le fragment qui avait été communiqué aux +magistrats.</p> + +<p>Le même jour, on annonça du balcon des Halles qu'une récompense +de 50 livres de gros serait donnée à quiconque livrerait Pierre +Lanchals et Jean de Nieuwenhove. Plus heureux que ceux ci, +Salazar, que les communes accusaient d'avoir rompu la paix avec +la France par l'escalade de Térouane et d'avoir conseillé l'armement +de la place du Bourg, avait réussi à sortir des remparts de +Bruges.</p> + +<p>Le 4 février, Maximilien se décide à se rendre lui-même au +milieu de l'assemblée du peuple. Il traverse la place du Marché en +saluant courtoisement les bourgeois qui l'entourent, et monte avec +Pierre Metteneye au balcon des Halles pour tenter quelque nouveau +moyen de conciliation; mais il n'obtint que cette réponse: «Nous +attendons les députés d'Ypres et de Gand.» Dès ce moment, le +roi des Romains ne fut plus que le témoin muet, obscur, presque +inaperçu de l'irritation profonde qui se manifestait contre ses conseillers. +Il entendit lire une lettre des échevins de Gand, qui, en +promettant leur appui aux Brugeois, leur annonçaient un succès +important: la défaite et la mort du sire de Gaesbeke, qui s'était +éloigné de Bruges pour surprendre Courtray et qui s'était lui-même +laissé surprendre par le sire de Liedekerke. Ce ne fut qu'après avoir +assisté à un long récit où les Gantois félicitaient les Brugeois de +ce qu'ils pouvaient désormais se juger à l'abri de tout péril, ce ne +fut qu'après avoir vu renouveler l'ordre de poursuivre des recherches +actives pour découvrir ses partisans cachés à Bruges, que +Maximilien descendit du balcon des Halles et passa au milieu des +rangs serrés des bourgeois dont les acclamations n'avaient pas +cessé de retentir.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_225"> 225</a></span> +Le lendemain, de nouvelles lettres arrivèrent de Gand, où Adrien +de Rasseghem venait de déchirer, dans une assemblée générale de +la commune, le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> du 22 juillet 1485. On y engageait les +bourgeois de Bruges à ne pas se séparer et à ne pas se laisser tromper +par les belles paroles du roi des Romains, mais à le bien garder +jusqu'à ce que les députés des trois membres fussent réunis. On +les invitait aussi à s'assurer de la personne des principaux conseillers +de Maximilien et de ses partisans les plus connus, parmi +lesquels se trouvaient cités les abbés de Saint-Bertin et de Saint-Benigne +de Dijon, Jacques de Ghistelles, Jean de Nieuwenhove, +Pierre Lanchals, George Ghyselin, Roland Lefebvre, Jacques de +Heere, Thibaut Barradot, Paul de Baenst. A ces noms était joint +celui de Matthieu Peyaert, qui s'était enfui de Gand.</p> + +<p>Ces lettres furent reçues avec enthousiasme: l'on dressa aussitôt +sur la place du Marché des tentes et des pavillons pour préserver +du froid les bourgeois qui ne devaient plus la quitter, et comme le +bruit s'était répandu que Maximilien s'était enfui de Bruges, on +l'invita à se rendre aux Halles pour mettre fin à ces rumeurs. Il fit +le tour de la place du Marché à cheval et vêtu de drap d'or, et +chacun des métiers tira un coup de canon pour lui rendre honneur. +Cependant lorsqu'il déclara qu'il ne songeait pas à s'éloigner, et que +si l'on en doutait on pouvait placer dans son hôtel autant de gardes +qu'on le jugerait utile, on lui répondit qu'on allait examiner sa +proposition; cette délibération dura une demi-heure, pendant +laquelle on ne vit pas un seul bourgeois s'approcher du roi des +Romains. Enfin on vint lui annoncer la décision qui avait été prise: +on le priait de vouloir bien résider au Craenenburg aussi longtemps +que se prolongerait l'assemblée des bourgeois (5 février 1487, v. st.).</p> + +<p>Le Craenenburg formait la plus belle habitation qui s'élevât sur +la place du Marché: c'était là que les princes avaient coutume de +se placer pour assister aux fêtes et aux tournois. En 1488, le Craenenburg +appartenait à un riche marchand nommé Henri Nieulant, +l'un de ceux qui, à une autre époque, s'étaient constitués les cautions +du roi des Romains pour des sommes considérables. Les +Brugeois se souvenaient-ils de ces lois primitives d'Athènes et de +Rome qui livraient au créancier le débiteur infidèle à ses engagements.</p> + +<p>Maximilien, enfant, avait été réduit, par une insurrection des +habitants de Vienne, à s'enfermer dans une citadelle. Une autre +<span class="pagenum"><a id="Page_226"> 226</a></span> +insurrection réalisait pour lui les terreurs et les périls que lui avait +laissé entrevoir sa mauvaise fortune. Ses regards se portèrent-ils +vers la prison où avait langui Louis de Nevers? Plus près du Craenenburg +se trouvait la chapelle de Saint-Amand qui vit les aventures +de Louis de Male, autre victime du courroux populaire.</p> + +<p>Les députés de Gand ne tardèrent point à arriver à Bruges; les +principaux étaient Philippe Vander Zickele, Jean de la Kéthulle, +Josse Vander Brughe, Jean Uutenhove, Gerolf Van der Haghe. Ils +amenaient avec eux un corps de deux mille hommes, mais ils consentirent +à le laisser hors de la ville, sur les instances des marchands +étrangers restés à Bruges, qui redoutaient une autre journée +du 3 mai 1382. Tous les métiers s'étaient réunis sur la place +du Marché pour les recevoir, et dès qu'ils y parurent, on les salua +par une décharge générale de l'artillerie. Les mêmes honneurs furent +rendus aux députés d'Ypres, et les délibérations des trois +membres du pays commencèrent aussitôt. Quelques-uns espéraient +qu'elles ramèneraient promptement la concorde et l'union. Pendant +trois jours la châsse de Saint-Donat fut solennellement exposée au +milieu du chœur de la cathédrale, et le peuple fut invité à venir +se joindre aux prières du clergé pour que la paix fût rétablie entre +Maximilien et les états; mais rien n'était plus difficile que d'y parvenir, +tant les griefs étaient nombreux.</p> + +<p>Le mandat des représentants de la commune de Gand renfermait +quatre demandes principales: la première, que le duc Philippe fût +conduit en Flandre; la seconde, que le Franc cessât de former le +quatrième membre; la troisième, que le renouvellement des échevinages +eût lieu au nom du duc Philippe et des trois membres de +Flandre; la quatrième, que les bourgs fussent de rechef soumis à +l'autorité des trois bonnes villes. Le lendemain ils ajoutèrent qu'on +pouvait, en renouvelant les échevinages, joindre au nom du duc +Philippe celui du roi de France, souverain seigneur de Flandre, et +insistèrent pour que l'on déclarât que le roi des Romains n'avait +aucun droit à la tutelle de son fils et qu'il s'en était montré indigne, +ce qu'ils établissaient par une énumération de quarante +griefs; quelques bourgeois de Bruges craignaient de se montrer +trop hostiles à un prince illustre, qui de plus était le père du légitime +héritier des comtes de Flandre; mais leur hésitation céda à +des remontrances plus pressantes.</p> + +<p>Les députés des communes, qui accusaient le roi des Romains et +<span class="pagenum"><a id="Page_227"> 227</a></span> +le retenaient prisonnier, invoquaient en leur faveur le droit féodal. +En effet, si Charles VII était intervenu en 1452 aux conférences de +Lille, comme seigneur souverain et comme légitime arbitre des +discordes du prince et de ses sujets, Charles VIII ne s'appuyait pas +sur d'autres bases pour faire reconnaître sa médiation; mais il +l'avait manifestée sous une forme plus active et plus énergique. +Charles VII, en abandonnant les communes flamandes, avait élevé +si haut la puissance des ducs de Bourgogne qu'il avait fallu, pour +les empêcher d'absorber la monarchie française, d'un côté l'habileté +perfide de Louis XI, de l'autre la folle témérité de Charles le +Hardi. Charles VIII protégeait la Flandre en présence d'un autre +péril dont la réalisation n'était pas éloignée: la réunion des Pays-Bas +à l'Allemagne. Pour fortifier son autorité, il soutenait parmi +nous les libertés communales; ce n'était qu'à ce titre que les états +de Flandre acceptaient une intervention qui les constituait les juges +légitimes de leur seigneur, seul coupable du délit de rébellion, +puisqu'il résistait à son suzerain.</p> + +<p>Le 17 janvier 1487 (v. st.), Charles VIII, rappelant l'influence +que Gand exerçait sur toute la Flandre, avait autorisé les échevins +de cette ville à battre de la monnaie d'or et d'argent, et à désigner +les magistrats et les officiers qui devaient rendre la justice au nom +de Philippe, mineur et prisonnier des ennemis du roi, et ce fut en +vertu de cette déclaration que les députés de Gand créèrent à +Bruges de nouveaux échevins, parmi lesquels il faut citer Jean de +Riebeke et Jacques Despars.</p> + +<p>Le 18 janvier, Charles VIII écrivit aux autres membres pour les +engager à suivre l'exemple de Gand.</p> + +<p>Par une autre charte, il confirma tous les priviléges des Gantois.</p> + +<p>Enfin le 27 janvier, il ordonna à ses baillis de citer tous les +officiers qui continueraient à gérer leurs offices au nom de Maximilien, +qui avait usurpé la mainbournie, violé les traités qu'il +avait jurés et fait frapper de la mauvaise monnaie en son propre +nom.</p> + +<p>Toutes ces chartes furent publiées le 13 février, à Bruges, en même +temps que le texte du traité d'Arras, et le même jour, après la lecture +d'une enquête sur les tentatives d'incendie dont on accusait +Maximilien, le peuple, mandataire trop zélé de la justice royale, +brisa les portes du <i lang="nl" xml:lang="nl">Princen-hof</i>. On y trouva, dit-on, quatre cents +barils de poudre, des tonneaux remplis de cordes, des échelles de +<span class="pagenum"><a id="Page_228"> 228</a></span> +cuir, et de là naquirent de nouvelles rumeurs qui, en rappelant +celles qu'avaient excitées les Mores du comte de Zollern, attribuèrent +avec plus de force au roi des Romains les desseins les plus +affreux, ceux-là mêmes que Jacques de Châtillon avait formés avant +les matines de Bruges.</p> + +<p>Il ne faut pas s'étonner si le lendemain le grand bailli Charles +d'Halewyn et l'écoutète Pierre Metteneye se présentèrent au +Craenenburg, pour y arrêter, au nom des trois membres de Flandre, +les amis de Maximilien, qui se croyaient protégés par le rang du +prince dont ils partageaient la résidence; les uns ses conseillers, +les autres chevaliers et capitaines de son armée, ceux-ci Flamands, +ceux-là Allemands ou Bourguignons: c'étaient le comte Wolfgang +de Zollern, l'abbé de Saint-Bertin, le sire de Ghistelles, le sire de +Maingoval, Martin et Wolfart de Polheim, Jean Carondelet, +chancelier de Bourgogne, George et Wolfart de Falckenstein, Jean +de Jaucourt, sire de Villarnoul, Régnier de May, capitaine de Gavre, +le bâtard de Nassau et Philippe Louvette, maître d'hôtel du roi des +Romains. Quatre d'entre eux, Wolfart de Polheim, le sire de Maingoval, +le sire de Villarnoul et le comte de Zollern, avaient été saisis +dans la chambre même de Maximilien, qui ne pouvait rien pour les +défendre; mais les députés de Gand et les bourgeois les plus notables +de Bruges cherchèrent à atténuer l'effet de ces violences en +se rendant le même soir près du roi des Romains, pour le consoler +et lui porter des paroles affectueuses.</p> + +<p>Ces protestations ne pouvaient rassurer complètement Maximilien. +On allait aborder, sous les plus tristes auspices, le procès de +Jean de Nieuwenhove, de George Ghyselin et de quelques autres +bourgeois qui avaient été arrêtés et conduits au Steen: Jean de +Nieuwenhove et George Ghyselin comparurent les premiers. Leur +interrogatoire dura deux jours entiers; les juges, en le prolongeant, +cherchaient peut-être à les sauver. Cependant la multitude, qui se +pressait autour du Bourg, se lassa d'attendre un arrêt que sa colère +avait dicté d'avance. On la vit se précipiter au tribunal des échevins, +qu'elle accusait de sommeiller trop longtemps, s'emparer du chevalet +et entraîner les accusés vers la place du Marché. Le droit de +rendre la justice et de disposer souverainement de la vie et de la liberté +de l'homme est trop sérieux et trop grave pour qu'on puisse +impunément le faire fléchir devant les passions: le livrer aux impressions +flottantes et à l'irritation fébrile de la place publique, +c'était le violer et l'anéantir.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_229"> 229</a></span> +Un seul moment, la cité parut oublier son agitation et son inquiétude. +Les joyeusetés du carnaval, les folies du <i lang="nl" xml:lang="nl">papenvastenavond</i> +traversèrent les lieux mêmes que le sang devait bientôt rougir. +De bruyantes chansons s'élevaient dans les airs autour du +chevalet; le vin coulait à longs flots dans cette arène vouée à la +mort et au deuil, et l'orgie fut si complète que les fruitiers, les +ceinturiers et les aiguilletiers mirent le feu à leurs tentes (17 février).</p> + +<p>Le lendemain, sur cette même place du Marché, l'on publiait +une proclamation où l'on promettait une récompense de plus en +plus considérable à quiconque livrerait Pierre Lanchals, en menaçant +de la destruction le toit qui l'avait reçu, lors même que ce refuge +aurait été quelque monastère, ou l'un de ces pieux autels +investis du droit d'asile, qui, en protégeant la faiblesse du malheur, +semblaient, selon un touchant usage, abriter encore l'innocence.</p> + +<p>Dès ce moment, les condamnations se succèdent: elles atteignent +tour à tour Jean de Nieuwenhove, Victor Huyghens, bailli de Male, +Gilbert du Homme, ancien bourgmestre du Franc, quoique Normand +de naissance, George Ghyselin et deux serviteurs de Pierre +Lanchals.</p> + +<p>Avant que l'on eût vu s'accomplir ces actes de vengeance, qui +n'empruntèrent pas même aux formes consacrées par les lois et les +usages l'apparence d'un acte de justice, on avait décidé qu'on donnerait +au roi des Romains une autre résidence que la maison de +Henri Nieulant. Les Gantois avaient fortement insisté pour que +Maximilien fût éloigné avant leur arrivée, afin qu'il n'assistât pas +aux délibérations auxquelles ils prendraient part. Ils craignaient +que la violence de leurs discours et de leurs conseils ne devînt tôt +ou tard un légitime prétexte de représailles. Bien qu'on eût eu soin +de fermer les volets du Craenenburg, Maximilien pouvait reconnaître +les voix les plus hostiles. D'autres bourgeois, guidés par une pensée +plus généreuse, demandaient qu'on lui épargnât le triste spectacle +du supplice de ses amis. Il faut ajouter que cette maison était +une prison peu sûre; Maximilien avait essayé de s'évader sous +divers déguisements. On lui choisit donc dans un autre quartier de +la ville une habitation plus vaste et plus convenable à son rang: ce +fut l'hôtel de maître Jean Gros, chancelier de l'ordre de la Toison +d'or, situé entre l'église Saint-Jacques et le pont aux Anes. Le roi +des Romains, en ayant été instruit par le sire d'Halewyn et l'écoutète +<span class="pagenum"><a id="Page_230"> 230</a></span> +Pierre Metteneye, se borna à exprimer aux <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> le désir +qu'avant de s'y rendre il lui fût permis de haranguer le peuple +assemblé sur la place du Marché. Vêtu de noir et le front incliné, +il parcourut avec eux les rangs des bourgeois et des hommes de +métier en les suppliant dans les termes les plus pressants de lui +octroyer trois demandes: la première était qu'on lui accordât dix +ou douze personnes de sa maison qu'il désignait; la seconde, qu'on +ne le livrât ni aux Français ni au Gantois, car il préférait, disait-il, +de vivre et de mourir avec les Brugeois; la troisième, qu'on ne se +portât à aucun attentat contre lui. On lui promit tout ce qu'il +demandait. Le roi des Romains remercia les bourgeois des honneurs +qu'on lui avait rendus et des bons soins qu'on avait eus de sa personne, +puis il quitta la place du Marché: en passant devant la +chapelle de Saint-Christophe pour entrer dans la rue des Tonneliers, +il put entendre les acclamations du peuple auquel les magistrats +faisaient faire, en signe d'allégresse, une distribution de la nouvelle +monnaie d'argent qui portait les mots: <i lang="la" xml:lang="la">Æqua libertas</i>. Jean de +Coppenolle venait d'annoncer que trente ambassadeurs français +étaient arrivés à Gand avec une escorte de deux cent quatre-vingts +chevaux pour faire maintenir la paix d'Arras, et il était monté aux +Halles pour donner lecture d'une nouvelle déclaration de Charles VIII, +qui portait que dès ce moment tous les marchands flamands pouvaient +librement circuler en France, et que des conférences s'ouvriraient +le 12 mars pour régler les bases du rétablissement de +l'ordre et de la paix.</p> + +<p>On a rendu au roi des Romains, comme il l'a demandé, ses panetiers, +ses échansons, ses écuyers tranchants; on veille à ce que sa +table soit somptueusement servie, et on lui a restitué sa vaisselle +d'argent qu'il avait mise en gage. Quelquefois les métiers défilent +en armes sous ses fenêtres, «afin d'occuper ses loisirs et de calmer +sa mélancolie;» tantôt ils établissent un tir à l'oiseau dans la +cour de sa prison et engagent le roi des Romains, qui y consent +volontiers, à y prendre part, mêlé aux archers chargés de l'égayer +par leurs jeux et leur adresse. L'écoutète Pierre Metteneye se tient +humblement à ses côtés, car sa charge lui fait un devoir de l'accompagner +constamment. Mais si Pierre Metteneye ne le quitte point, +afin qu'il ne recouvre pas la liberté: les serviteurs de l'écoutète +sont cette fois trente-six geôliers dont seize ont été désignés par les +métiers de Gand. De riches tentures couvrent les murailles; aux +<span class="pagenum"><a id="Page_231"> 231</a></span> +fenêtres flottent d'épais rideaux de soie et de velours, vaines apparences +d'une pompe passée, qui ne pouvaient consoler le prisonnier. +Pourquoi ne pas laisser arriver jusqu'à lui, comme une vision d'espérance, +les atomes capricieux qui se jouent dans un rayon du soleil +au printemps? Il faut bien le dire, c'est parce que ce rayon n'aurait +pu se reposer sur son front qu'en glissant sur des barreaux +de fer.</p> + +<p>Maximilien avait, en s'éloignant du Craenenburg, levé le dernier +obstacle qui pouvait suspendre ou retarder la perte de ses amis prisonniers +comme lui. Dès le lendemain du jour où il avait quitté la +place du Marché, le bourreau y parut sur l'échafaud tendu de deuil. +Gilbert du Homme périt le premier; Jean de Nieuwenhove le suivit. +Affaibli par les tortures et les infirmités, il attendit sur un fauteuil +la mort qui ne calma sa longue agonie qu'au troisième coup de +hache; après lui périrent George Ghyselin, le bailli de Male et un +serviteur de Pierre Lanchals.</p> + +<p>Un prisonnier plus illustre attendait au Steen un arrêt dicté +d'avance par d'implacables ennemis: c'était Jacques de Dudzeele, +seigneur de Ghistelles, ancien bourgmestre de Bruges, qui avait été +arraché du Craenenburg sous les yeux de Maximilien. Le sire de +Ghistelles protestait avec courage et avec noblesse contre les accusations +dont il était l'objet. «Je n'ai jamais été un traître, disait-il, +et jamais ce reproche ne s'adressa à mes ancêtres; il y a cinquante-cinq +ans que je sers les princes qui se sont succédé dans ce pays, +et s'il est quelqu'un qui m'accuse de trahison, je suis prêt à le +combattre, quelque grand qu'il soit, en présence du duc Philippe, +et de faire tout ce qu'est tenu de faire un bon et loyal chevalier, +noble homme et bourgeois de cette ville, puisqu'il s'agit +d'une accusation telle que tout homme noble doit exposer sa vie +pour la repousser.» Personne ne répondit au défi du sire de +Ghistelles. L'assemblée de la place du Marché ne ressemblait guère +à ces tournois où le chevalier entrait la lance haute; l'influence des +députés de Gand y faisait sans cesse prévaloir les résolutions les +plus violentes, et un libre cours y semblait ouvert aux mauvaises +passions d'une multitude furieuse. En vain la dame de Ghistelles +accourut-elle avec ses enfants supplier les corps de métiers de +prendre pitié de l'ancien bourgmestre de Bruges; en vain le doyen +de Saint-Donat, le prévôt de Notre-Dame et les principaux marchands +osterlings et espagnols joignirent-ils leurs prières aux +<span class="pagenum"><a id="Page_232"> 232</a></span> +siennes: tout fut inutile, et la tête du sire de Ghistelles roula sur +l'échafaud.</p> + +<p>Le lendemain, le cercueil de Jacques de Ghistelles, orné des pennonceaux +et des écus qui rappelaient la puissance de l'une des plus +nobles maisons de Flandre, fut déposé dans les caveaux de l'église +de Dudzeele; mais ses enfants, en qui les Brugeois voyaient des +otages, ne purent l'accompagner que jusqu'aux portes de la ville; +et, par une de ces rigueurs dont l'opprobre n'appartient qu'aux discordes +civiles, on souleva à leurs yeux le linceul de leur père, afin +de s'assurer que quelque fugitif n'avait pas cherché la vie dans le +sein même de la mort.</p> + +<p>Les supplices ne devaient plus s'interrompre: ils recommencèrent +le 14 mars. Jacques de Heere, arrêté la veille au point du jour, +fut livré le premier au bourreau. Il avait, comme capitaine de Hulst, +soutenu courageusement contre les Gantois le parti de Maximilien, +et s'était rendu près de lui le 1<sup>er</sup> février; son plus grand crime était +toutefois d'avoir été le représentant des prétentions rivales des magistrats +du Franc. Nicolas Van Delft parut le second; mais lorsqu'il +se trouva devant le billot, il tomba à genoux et s'adressa au peuple +en termes si touchants qu'un cri de grâce se fit entendre, et Nicolas +Van Delft, étonné de conserver la vie autant qu'il avait craint de la +perdre, descendit de l'échafaud pour remercier ceux qui s'étaient +laissé toucher par ses larmes.</p> + +<p>Pierre Lanchals était parvenu à se dérober jusqu'à, ce moment +aux recherches les plus actives. La récompense promise à celui qui +le livrerait avait été élevée à 100 livres de gros, et l'on venait de +renouveler l'ordonnance qui portait que tout bourgeois qui le recevrait +serait puni de mort et que l'asile, quel qu'il fût, où il se serait +réfugié serait démoli, lorsque le 15 mars un de ses amis le trahit et +révéla sa retraite. Le bourgmestre, Jean d'Hamere, alla aussitôt +l'arrêter et l'amena au Steen (15 mars). La joie du peuple était +extrême; on dansait dans les rues; aux détonations des canons et +des veuglaires se mêlaient les fanfares des clairons et des trompettes, +la mélodie argentine des fifres, les bruyants roulements des +tambours. On entendait de toutes parts s'élever le cri: «Pierre +Lanchals, l'ancien écoutète, est notre prisonnier!» et les clameurs +insultantes qui l'avaient accueilli à son passage ne cessèrent point +de retentir pendant toute la nuit.</p> + +<p>Pendant que Pierre Lanchals était écoutète, il avait fait construire +<span class="pagenum"><a id="Page_233"> 233</a></span> +un instrument de torture plus terrible et plus cruel que tous +ceux que l'on connaissait en Flandre; il n'avait jamais été employé. +On le porta sur la place du Marché, et Pierre Lanchals en éprouva +le premier la puissance, jusqu'à ce qu'il avouât, pour éviter une nouvelle +épreuve, qu'il était vrai qu'il avait voulu introduire dans la +ville les Allemands qui devaient la piller, et qu'il avait pris la plus +grande part au célèbre complot du Bourg.</p> + +<p>Pierre Lanchals essaya inutilement les mêmes prières que Nicolas +Van Delft, en demandant humblement qu'on l'enfermât dans quelque +cachot ténébreux jusqu'à sa mort. Voyant que le peuple ne +voulait point prendre pitié de lui, il se laissa déshabiller par le +bourreau; l'un des doyens touchait à sa chaîne d'or. «Sire doyen, +lui dit-il, vous savez bien qu'un bourgeois de Bruges ne peut à +la fois forfaire corps et biens.» Et il la donna à son confesseur +afin qu'il la portât à sa femme. Puis il adressa quelques dernières +paroles au peuple pour que son corps ne fût pas écartelé et qu'il reçut +une honorable sépulture. «Aussitôt après, dit Nicolas Despars, +il remit son âme aux mains de Dieu.»</p> + +<p>A Gand, le sang coulait également sur les places publiques. Les +capitaines de la ville avaient été changés, et d'honorables bourgeois, +dont le seul crime était leur dévouement au roi des Romains, tels +que messire Jean Uutenhove et messire Jean Van der Gracht, +avaient partagé le supplice de l'hôtelier Matthieu Peyaert.</p> + +<p>Des trois grandes communes de Flandre, une seule, celles d'Ypres, +était restée fidèle aux traditions généreuses du passé, en maintenant +ses franchises aussi bien contre les complots de l'anarchie que contre +les menaces de Louis XI. Ses députés, poursuivant avec un +admirable dévouement leur rôle de médiateurs, tel qu'il était tracé +par l'histoire de trois siècles, s'étaient vus à Gand menacés et entourés +de gardiens qui ne les quittaient ni la nuit ni le jour. A +Bruges, ils avaient retrouvé les mêmes dangers et ils avaient été +réduits à chercher un refuge dans l'église de Saint-Gilles. <i lang="la" xml:lang="la">Da pacem +Domine</i>, écrivaient-ils au bas de leurs lettres, et lorsque les +députés de Gand les invitèrent à se montrer autour de l'échafaud, +ils se contentèrent de répondre: «Qu'on nous y porte donc, car +nous n'y irons jamais;» et en effet, lors du supplice de Lanchals, +des hommes armés les portèrent sur la place du Marché. Spectacle +digne de cette triste et sanglante période! Les députés d'une des +grandes communes de Flandre se voyaient contraints au péril de +<span class="pagenum"><a id="Page_234"> 234</a></span> +leurs vies à assister à l'exécution d'un magistrat condamné sans jugement. +Les principes du droit communal étaient méconnus et +rejetés avec mépris: un mot nouveau justifiait, disait-on, ces violences +sans exemple: c'était la justice du peuple.</p> + +<p>Cependant le récit des supplices faisait trembler le roi des Romains +dans le silence de sa captivité. Le jeune duc Philippe demandait +instamment qu'on lui rendît la liberté, et il avait réuni, +pour réclamer leur appui et leurs conseils, les députés des états +de Brabant et de Hainaut, qui avaient quitté Bruges dès les premiers +temps de la captivité de Maximilien. Guillaume de Houthem +et Jean Marinier leur exposèrent tour à tour, en langue thioise et +en langue wallonne, que les Brugeois retenaient le roi des Romains +prisonnier et l'accusaient à tort d'être contraire à la paix, puisque +les trêves avaient été bien moins enfreintes par ses hommes d'armes +que par les Gantois qui avaient appelé dans leur ville l'armée +du sire de Crèvecœur. Les états consentirent à inviter les communes +de Gand et de Bruges à envoyer des députés à Malines pour +conférer sur les moyens propres à rétablir la paix. Le sire de la +Gruuthuse, rendu à la liberté, s'était joint à eux; mais les Gantois +ne se montraient pas disposés à prendre part à d'autres conférences +qu'à celles que Charles VIII avait fixées dans leur ville, et leur résolution +semblait si invariablement arrêtée qu'il fallut bien s'y +soumettre en convoquant à Gand, le mercredi de Pâques 1488 +(9 avril), l'assemblée générale des états des diverses provinces.</p> + +<p>A mesure que l'on se rapprochait du moment où l'ordre légal devait +être rétabli par les mandataires du pays légitimement investis +d'une autorité médiatrice, on voyait se multiplier les efforts pour +ramener l'union et la paix. C'est ainsi que les magistrats de Bruges +se rendent sur la place publique et engagent tour à tour les bourgeois +et les hommes de métiers à déposer les armes. Ils cherchent +à les calmer en leur remettant les lettres qui ont reconstitué le +Franc comme quatrième membre du pays, et en leur promettant +qu'on s'efforcera de rappeler les marchands étrangers en leur rendant +leurs anciens priviléges, que personne ne sera jamais inquiété +au sujet des sanglantes <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghen</i> de 1487 et que par précaution +l'on gardera Damme avec soin, en sommant le sire de Chantraine +de livrer l'Ecluse. A ces discours se joignaient les pieuses exhortations +des prêtres. Le 4 avril 1487 (v. st.), jour du vendredi saint, +une chaire fut construite sur la place du Marché, à l'endroit même +<span class="pagenum"><a id="Page_235"> 235</a></span> +où s'était élevé l'échafaud, et un frère carme, nommé Laurent +Christians, y prêcha la Passion. A midi, on y récita les hymnes que +l'Eglise consacre aux douleurs de la Vierge-Mère, tandis que le +peuple s'agenouillait, ici sous ses pavillons, là à l'ombre de ses bannières. +Toutes ces prières, qui montaient vers le ciel, semblaient +une expiation du sang qui avait été versé. Enfin la veille de Pâques, +les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i>, les doyens et les bourgeois déposèrent les armes; +ils jurèrent, toutefois, avant de se séparer, de s'entr'aider jusqu'à la +mort, et quittèrent la place du Marché en chantant l'<i lang="la" xml:lang="la">Ave regina +cœlorum</i> et le <i lang="la" xml:lang="la">Salve regina</i>, après avoir livré aux flammes l'échafaud +et le chevalet de Pierre Lanchals, tristes monuments de la cruauté +des discordes civiles.</p> + +<p>Le lendemain, la solennité de Pâques, qu'un cycle de onze années +ramenait au 6 avril, comme en 1477, fut célébrée avec une grande +pompe.</p> + +<p>Il semblait que toutes les passions dussent se calmer devant la +convocation de l'assemblée des états généraux qui allait se réunir +à Gand le 9 avril 1488. Elle était attendue avec une anxiété qui +s'accroissait de jour en jour.</p> + +<p>L'empereur Frédéric III avait écrit aux magistrats de Bruges +pour les rendre responsables de toutes les conséquences de la captivité +du roi des Romains, à son petit-fils pour lui promettre l'appui +de tous les électeurs de l'Empire, aux états de Hainaut pour les +assurer également «qu'il ne cesseroit, tant qu'il vivroit, de venger +l'innocence de son sang, quand tout l'Empire se debvroit mouvoir, +jusqu'à condigne correction des Brughelins qui espèrent, +par une impétuosité, livrer et mettre tous leurs princes avec +tous leurs gens à perpétuelle servitude.» On racontait déjà que +les princes allemands avaient reçu l'ordre de prendre les armes: +on ajoutait que l'évêque de Worms s'était rendu à Malines afin de +veiller à ce que le jeune duc Philippe ne fût point conduit en Flandre, +et que les préparatifs de la guerre se multipliaient en Brabant +et en Hainaut. Des ambassadeurs espagnols avaient été chargés par +Ferdinand et par Isabelle de seconder les efforts de l'empereur +d'Allemagne avec une flotte armée dans les ports de la Biscaye: +ils espéraient que leur zèle préparerait l'union de la jeune héritière +des royaumes de Castille et d'Aragon avec le petit-fils de Charles +le Hardi.</p> + +<p>Le pape Innocent VIII intervenait lui-même: il avait investi l'archevêque +<span class="pagenum"><a id="Page_236"> 236</a></span> +de Cologne des fonctions de légat et, dans les lettres monitores +qu'il lui avait adressées, il menaçait les communes de Flandre +d'une sentence générale d'interdit, en leur montrant le glaive +de la céleste colère suspendu sur leurs têtes et prêt à rouvrir sous +leurs pas l'abîme où disparut Abiron.</p> + +<p>Tandis que l'on cherchait en Flandre à retarder pendant quelques +jours la publication des lettres pontificales, Charles VIII, héritier +de ces rois de France qui tant de fois avaient appelé sur les communes +de Flandre l'excommunication et l'interdit, se hâtait de +prendre leur défense, et ce fut dans une assemblée solennelle tenue +dans l'église de Saint-Martin de Tours, que le procureur-général, +maître Pierre Coutard interjeta en leur nom appel au pape.</p> + +<p>De nombreux obstacles avaient retardé l'assemblée des états généraux. +Les députés du Brabant et du Hainaut s'étaient vus réduits, +pour ne pas traverser un pays parcouru par des bandes allemandes, +à s'embarquer à Anvers pour l'Ecluse; mais à peine y étaient-ils +arrivés que d'autres préoccupations les engagèrent à suspendre +leur voyage. Le parti de la guerre, il serait plus exact de dire le +parti de l'anarchie, dominait complètement à Gand: il était vraisemblable +qu'il s'opposerait à toute tentative de rapprochement, et +l'on pouvait redouter ses menaces et même ses violences. Toutes +ces craintes se découvrent dans un mémoire où les députés du +Brabant demandent, de concert avec les sires de Ravestein et de +Beveren, que l'assemblée des états soit transférée à Bruges, attendu +que le bruit court que les Allemands se préparent à assiéger Gand. +Maximilien lui-même écrit aux Gantois dans le même but une lettre +très-douce et très-affectueuse qu'il date non plus de sa ville de +Bruges, mais tout simplement de la ville de Bruges. Les Gantois +repoussent ces représentations: ils défendent même aux députés du +Brabant de traverser Bruges pour y voir le roi des Romains, et +c'est sous l'empire de cet esprit de domination et de terreur que +s'ouvre à Gand l'assemblée solennelle des députés de toutes les +provinces.</p> + +<p>Un député zélandais, le pensionnaire de Rommerswale, prit le +premier la parole pour réclamer la délivrance de Maximilien; mais +un pensionnaire de Gand nommé Guillaume Zoete lui répondit par +une longue apologie du droit d'insurrection, qui n'était qu'une servile +imitation de l'apologie du tyrannicide rédigée par Jean Petit +pour justifier le crime de Jean sans Peur. Guillaume Zoete ne +<span class="pagenum"><a id="Page_237"> 237</a></span> +néglige aucune autorité, pas même Aristote: il n'omet aucun +exemple depuis Jéroboam, depuis Néron, ni Childéric en France, ni +Frédéric II en Allemagne, ni Guillaume de Normandie en Flandre: +il oublie seulement que si les communes flamandes ont fondé leur +liberté en luttant loyalement contre les usurpations de Guillaume +de Normandie, elles en ont marqué la fin le jour où l'arène est devenue +un échafaud sur lequel, à défaut de juges, règne seul le +bourreau.</p> + +<p>Cependant ces déclamations violentes réveillaient moins d'échos. +D'une part, les lettres du pape qu'il avait été difficile de cacher +longtemps excitaient une vive émotion; d'autre part, l'on annonçait +que la grande armée réunie par l'empereur Frédéric III +s'approchait; elle se composait de trente mille hommes, et l'on +comptait parmi ses chefs les ducs de Brunswick, de Juliers, de +Saxe, de Bavière, l'archevêque de Cologne, le landgrave de Hesse, +les margraves de Bade et de Brandebourg. On vit le parti de la +paix s'élever et dominer tout à coup à Gand comme il dominait +dans les autres villes de Flandre. Ce parti, formé par les bourgeois +les plus honorables, s'était proposé une double tâche, car il voulait, +en rétablissant la concorde et l'union, défendre la Flandre à la fois +contre l'invasion étrangère qui menaçait ses frontières et contre +l'anarchie qui se déchaînait dans ses cités: c'était le seul qui fût +resté fidèle aux souvenirs du passé, et les dernières pages de notre +histoire, où l'on voit revivre avec quelque éclat et quelque force +nos traditions nationales, sont celles qui ont conservé la trace de +ses efforts.</p> + +<p>Deux grandes mesures résument cette situation: la première, +c'est la confédération de toutes les provinces pour défendre leurs +priviléges et repousser les étrangers; la seconde, c'est la réconciliation +avec Maximilien et l'abandon de ce système honteux de +supplices et de représailles, de menaces et d'outrages, source de +divisions mille fois plus funestes que la guerre.</p> + +<p>Le traité qui fut conclu à Gand par les députés de la Flandre, +du Brabant, du Hainaut, de la Zélande, du Limbourg, du Luxembourg, +de la Frise, de Namur, de Valenciennes, d'Anvers, de Malines, +était conçu en ces termes: «Pour ce que, pour la garde et +conservation de toute police, gouvernement et bien public, n'est +rien plus utile, ne chose plus nécessaire que paix, amitié et bonne +union qui sont mères de tous biens et vertus et cause que le +<span class="pagenum"><a id="Page_238"> 238</a></span> +service divin est augmenté, l'estat des nobles honoré, marchandises +haulte et le pays cultivé en grant repos et seureté, et pour +ce qu'au contraire n'y a rien plus dommageable, ne préjudiciable +au bien public, que dissension et confusion des règles, qui sont +nourrice et mère de tous maulx, commenchement et occasion de +toutes divisions, guerres et différends: au moyen de quoi les +pays, villes, provinces et royaumes eschéent en grandes confusions, +désolations et ruynes, et souventefois sont transférés de +gens en aultre, et qu'il soit ainsi que lesdicts pays de par-deçà, +ont pris naguaires chemin de grandes charges et dissensions; en +telle sorte que justice, paix, amitié, union et marchandise en ont +été deschassez et estrangez au grand desplaisir, destriment et +dommaige du povre commun peuple... nous avons pour mettre +et réduire en paix et bonne police lesdicts pays, lesquels sont +contigus les uns aux aultres et appartenant à ung seigneur, fait, +conclu et juré paix, union, amitié, alliance et bonne et constante +intelligence entre nous à l'honneur de Dieu et prouffit de nostre +très-redouté seigneur et de ses pays: ladite union, en tant qu'il +touche la police, durera à perpétuité et demoureront chascun desdits +pays et villes en leurs loix, priviléges, usaiges et coustumes, +libertés et franchises.»</p> + +<p>Divers articles du traité concernent l'oubli complet des anciennes +discordes, le départ des garnisons allemandes, l'engagement réciproque +de ne pas livrer passage aux hommes d'armes qui menaceraient +l'une des provinces confédérées, et de se protéger contre tous +ceux qui seraient hostiles à cette alliance, l'incapacité des étrangers +à remplir des fonctions publiques, l'abolition des droits de +tonlieu contraires au développement des relations commerciales, +l'unité d'une monnaie qui ne pourra être modifiée «sans le consentement +de tous les pays.» A l'avenir aucune guerre ne pourra +être entreprise sans l'avis «de tous les estats,» et leur assentiment +sera également nécessaire pour la faire cesser. Chaque année, les +états généraux se réuniront le 1<sup>er</sup> octobre à Bruxelles, à Gand, à +Mons, ou dans toute autre ville de Brabant, de Flandre ou de +Hainaut.</p> + +<p>Ce traité devait être ratifié par le roi de France, l'évêque +d'Utrecht, les ducs de Bourbon et de Clèves, les sires de Beveren +et de la Gruuthuse, «comme parents et amis de nostre très-redoubté +seigneur, promettant de se joindre en ceste bonne paix qui est +grande et utile.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_239"> 239</a></span> +On ne peut oublier qu'une autre confédération presque semblable +avait été fondée par Jacques d'Artevelde. Le traité de 1339 porte +les noms de Jean de la Gruuthuse, de Gérard de Rasseghem, d'Arnould +de Gavre, d'Arnould de Baronaige, de Jean d'Herzeele. Le +traité de 1488 fut signé par Louis de la Gruuthuse, par Adrien de +Rasseghem, par Jean de Gavre, par Jean de Baronaige, par Daniel +d'Herzeele. Nommons aussi Jean de la Vacquerie, Jean de Claerhout, +Pierre d'Herbaix, Gauthier Vander Gracht, Jean de Stavele, +Nicolas d'Halewyn, André de la Woestyne, Louis de Praet, Arnould +d'Escornay, les abbés d'Afflighem, de Saint-Bernard, de Grimberghe, +de Saint-Bavon, de Saint-Pierre, d'Eenhaem, de Hautmont, +de Bonne-Espérance, de Tronchiennes, de Baudeloo.</p> + +<p>Presque au même moment un traité était conclu avec Maximilien. +Les communes y promettent de rendre immédiatement la liberté +au roi des Romains. Celui-ci s'engage de son côté à congédier, dans +le délai de quatre jours, toutes les garnisons étrangères, sans qu'elles +emmènent de prisonniers, et «s'il advient, ajoute Maximilien, +qu'elles fassent au contraire, l'on recouvrera l'intérest de ce et +le dommage sur la pension que ceux de Flandre nous ont consenty +ou nous consentiront.» Afin de faciliter le départ de ces +garnisons, les trois membre de Flandre payeront dans le délai d'un +mois, «la somme de vingt-cinq mille livres de quarante gros, monnoye +de Flandre, la livre, à condition que si iceux gens de guerre +et garnisons ne sont partis dehors de tous les pays dedans ledict +temps, que en ce cas lesdicts vingt-cinq mille livres seront employez +au payement d'autres gens de guerre pour par la force les +expulser et déchasser.» Maximilien déclare «quitter, abolir et +pardonner à tousjours la prise et détention de sa personne, ensemble +tout ce qui est advenu devant ou aprez, par qui, quand, +comment, ne en quelque manière que ce soit.» Et les trois états +comprennent dans une semblable amnistie tous ceux qu'ils ont accusés +d'actes illégaux ou de participation aux hostilités dirigées +contre la Flandre.</p> + +<p>Maximilien renonce à être mainbourg de Flandre et consent +«à ce que celui pays et comté de Flandre, durant la minorité de +son fils, soit régi et gouverné sous son nom par l'advis et consentement +des trois états du pays, ensuyvant le contenu de +l'union faicte par tout le pays.» Il renonce également à porter +les armes et le titre de comte de Flandre, et, en considération de +<span class="pagenum"><a id="Page_240"> 240</a></span> +cet abandon, reçoit une pension de mille livres de gros. Il adhère +au traité d'Arras, promet de ramener son fils en Flandre et de +protéger les marchands flamands en quelque pays qu'ils se trouvent.</p> + +<p>Quelques difficultés s'étaient élevées lorsqu'on avait appris que +le duc de Bavière et le marquis de Bade, que Maximilien avait +désignés comme otages, hésitaient à garantir sa fidélité à remplir +ses engagements, parce qu'elle leur semblait trop douteuse, et qu'ils +cherchaient à se faire remplacer par le comte de Hanau et le sire +de Falckenstein. Mais Philippe de Clèves, qui avait, par la popularité +dont il jouissait, contribué plus que personne à faire rendre la +liberté au roi des Romains, s'était hâté de lui écrire «que, par le +grand désir qu'il avoit à sa délivrance, si plus il povoit employer +que corps et biens, il le feroit de très-bon cœur.» Et c'était ainsi +que son nom figurait au premier rang parmi ceux des otages dans +le traité du 16 mai 1488. «Pour plus grande sûreté, y disait le roi +des Romains, nous avons prié et requis ledict messire Philippe +que en cas que nous fussions aucunement en faute de non accomplir +iceux poincts, il ne nous veuille aider, et en ce cas, iceluy +messire Philippe avons deschargé et deschargeons de tous sermens +de fidélité et autres qu'il nous peut avoir faict, et assistera +ceux de Flandres à l'encontre de nous de tout son pouvoir et de +toute sa puissance, et de ce fera ledict messire Philippe serment.»</p> + +<p>Les états de Flandre demandaient de plus que Maximilien fît +ratifier ce traité par le pape, l'Empereur et les électeurs de l'Empire, +et que les évêques de Liége et d'Utrecht et les ducs de Clèves +et de Juliers s'engageassent à refuser passage à ses troupes s'il +cherchait à le violer.</p> + +<p>Le même jour, une procession solennelle parcourut les rues de +Bruges: on y portait la châsse de saint Donat et la relique du bois +de la vraie croix de l'église Notre-Dame. Les corps de métiers +l'accompagnaient à la clarté des torches, et elle se dirigeait lentement +vers l'hôtel de Jean Gros, où le roi des Romains était prisonnier +depuis onze semaines: elle venait l'y chercher pour le +conduire à la place du Marché.</p> + +<p>Maximilien se montrait plein de joie: il levait les mains vers le +ciel pour la manifester plus vivement. Cependant, c'était au Craenenburg +qu'il devait monter pour adhérer à la paix et pardonner à +ceux qui l'avaient retenu prisonnier: c'était au milieu du marché, +au lieu même où la hache du bourreau avait frappé ses serviteurs +<span class="pagenum"><a id="Page_241"> 241</a></span> +et ses amis, qu'on avait construit pour lui un trône surmonté d'un +dais magnifique. Devant le trône s'élevait un autel, et le roi des +Romains, «agenouillé en grande révérence et crainte comme il +sembloit,» y prêta le serment suivant:</p> + +<p>«Nous promettons de nostre franche volonté et jurons en bonne +foi sur le saint-sacrement cy-présent, sur la sainte vraie croix, +sur les Evangiles de Nostre Seigneur, sur le précieux corps de +saint Donat, patron de paix, et sur le canon de la messe, de tenir, +entretenir et accomplir par effect la paix et l'alliance conclues +entre nous et nos bien-amés les estats et trois membres de +Flandre et leurs adhérents, ensemble la concordance, union et +alliance de tous les estats et pays, conclue par nostre consentement, +et promettons en parole de prince et comme roy, sur nostre +foy et honneur, que jamais ne viendrons au contraire en quelque +manière que ce soit, deschargeant lesdits de Flandre du serment +qu'ils nous ont faict comme mainbourg de nostre chier et amé +fils.»</p> + +<p>Pour rendre cet engagement plus solennel, l'évêque de Tournay +bénit tous ceux qui l'observeraient et maudit quiconque oserait +l'enfreindre.</p> + +<p>Dès ce moment, Maximilien était libre. Après un pompeux banquet +dans la maison de Jean Canneel, il se rendit à l'église de +Saint-Donat pour y assister au chant des actions de grâces. Philippe +de Clèves, qui venait d'entrer à Bruges, l'accompagnait et y +prêta serment comme otage «de aider et de faire assistance à ceux +de Flandre contre les infracteurs de ladite paix, union et alliance.»</p> + +<p>Maximilien sortit de Bruges par la porte de Sainte-Croix. Les +députés des états le reconduisirent à quelque distance de la ville et +reçurent de nouveau la promesse qu'il serait fidèle à la paix. +«Monseigneur, disait Philippe de Clèves au roi des Romains, vous +estes maintenant vostre francq homme et hors de tout emprisonnement. +Veuillez me dire franchement vostre intention. Est-ce +vostre volonté de tenir la paix que nous avons jurée?» Maximilien +le rassura en lui disant: «Beau cousin de Clèves, le traité +de la paix, tel que je l'ay promis et juré, je le vueil entretenir +sans infraction.»</p> + +<p>L'enthousiasme qui accueillait le terme de ces longues discordes +était sincère. On chantait et on dansait dans toutes les rues, quand +les musiciens placés au haut de la tour des Halles s'interrompirent +<span class="pagenum"><a id="Page_242"> 242</a></span> +tout à coup. Ils voyaient s'élever des tourbillons de flamme et de +fumée autour de Male. C'étaient les Allemands du duc de Saxe, +accourus au devant du roi des Romains, qui saluaient son arrivée en +incendiant les chaumières des laboureurs.</p> + +<p>Le sire de Beveren se dirigea vers Male pour aller reconnaître +ce qui s'y passait. Il revint avec une lettre fort douce où le roi des +Romains déclarait qu'il était étranger aux fureurs des Allemands, +et ajoutait que si l'on envoyait cinquante mille florins au duc de +Saxe, il s'éloignerait immédiatement. On accéda à cette prière, et +dès le lendemain on reçut une nouvelle lettre de Maximilien qui +demandait qu'on délivrât deux de ses otages. On y consentit; mais +ces concessions ne devaient qu'encourager de plus en plus la mauvaise +foi du roi des Romains. Des Allemands enlevèrent le sire de +la Gruuthuse et le conduisirent au château de Rupelmonde, au +moment même où les Brugeois rendaient la liberté au comte de +Hanau et au sire de Falckenstein.</p> + +<p>L'armée de l'Empereur approchait de Gand, et le duc de Saxe +avait déjà été rejoint au camp de Male par quelques capitaines allemands +qui se vantaient d'effacer dans le sang des Brugeois les traces +encore toutes récentes de la captivité du roi des Romains; Maximilien +s'était lui-même retiré dans la forteresse de Hulst, centre +des excursions de toutes les bandes armées qui pillaient le pays +depuis la Lys jusqu'à la mer. Il n'avait jamais eu l'intention de se +montrer fidèle à son serment, jugeant qu'il suffisait qu'il lui eût été +imposé par la nécessité pour qu'il eût le droit de le violer. Au +moment même où il chargeait son chancelier de négocier les conditions +de la paix, le sire d'Ysselstein pressait en son nom les princes +allemands d'assembler leurs hommes d'armes, et dès qu'il se vit +hors de tout péril, il se hâta de publier un manifeste où il déclarait +que s'il avait eu le projet de s'emparer de Bruges, rien n'eût pu l'en +empêcher, mais que les communes flamandes ne l'en avaient accusé, +en oubliant tous les services qu'il leur avait rendus, qu'afin de +pouvoir remettre son fils au roi de France aussi aisément qu'ils lui +avaient livré sa fille.</p> + +<p>Trois jours seulement s'étaient écoulés depuis que la paix du +16 mai avait été publiée dans toutes les villes, lorsque Maximilien +adressa à leurs habitants un message pour leur annoncer qu'il était +résolu à ne point l'observer, et en même temps il les invitait à +envoyer des vivres au camp des Allemands à Ninove. «La main qui +<span class="pagenum"><a id="Page_243"> 243</a></span> +naguère encore portait des chaînes, dit un poète apologiste du roi +des Romains, avait ressaisi l'épée.»</p> + +<p>Le repos de la Flandre avait à peine duré quelques heures. Le +tocsin résonnait de nouveau dans les cités, dans les bourgs, dans +les villages. Les bourgeois, témoins du parjure du roi des Romains, +soupçonnaient partout des trahisons.</p> + +<p>Cependant Philippe de Clèves, otage de Maximilien, protesta par +sa loyauté contre la mauvaise foi qui était devenue le vice de ce +temps. «Monseigneur, écrit-il le 9 juin au roi des Romains, en +l'acquit de mon serment par doubte d'offenser Dieu, nostre créateur, +j'ay promis aux trois membres de Flandre de les aider et +assister: ce que je vous signifie à très-grand regret de cœur et +très-dolent: car en tant qu'il touche vostre noble personne, comme +vostre très-humble parent, je vouldroye vous faire tout service et +honneur; mais en tant qu'il touche l'observation de mon serment, +je me suis obligé à Dieu, souverain roy des roys.» Le sire de +Clèves devint capitaine général de l'armée flamande. Philippe de +Bourgogne, sire de Beveren, qui avait comme lui juré le traité du +16 mai, et le sire de Chantraine lui-même, qui, des remparts de +l'Ecluse, avait menacé les Brugeois de représailles s'ils retenaient +Maximilien, se hâtèrent de suivre son exemple. Sous Philippe de +Clèves, le parti des communes se réveille et se reconstitue. D'une +part, il dompte la faction anarchique qui voulait relever l'échafaud +d'Hugonet et d'Humbercourt pour y faire monter le chancelier de +Maximilien et les nobles allemands prisonniers au Gravesteen; +d'autre part, on le voit entouré des sires de la Gruuthuse, d'Halewyn, +de Stavele, de Lichtervelde, réprimer les fureurs des Allemands +qui se répandent dans tout le pays, ravageant tout ce qui est +abandonné, reculant devant tout ce qui résiste. Le 8 juin, ils +ont surpris Deynze pendant la nuit et y ont tout mis à feu et à +sang; Roulers a éprouvé le même sort. Les habitants, réfugiés +dans l'église avec leurs femmes et leurs enfants, ont péri dans +les flammes qui consument les autels. Mais ils se voient arrêtés +devant les remparts d'Ypres, où les bourgeois se tiennent en armes +près de leurs canons, et bientôt ils se trouvent réduits à demander +une trêve. «Nous ne voulons pas de trêve avec les Allemands!» +répondent les magistrats de Bruges; et en même temps, les doyens +des métiers de Gand écrivent au marquis de Bade: «Vous nous parlez +de paix et de traités: quel est le Dieu que le roi des Romains +peut désormais prendre à témoin de ses serments?»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_244"> 244</a></span> +Si les Brugeois sont arrêtés devant quelques châteaux, si leur +capitaine, Antoine de Fletre, est fait prisonnier dans un combat près +de Coxide, Jean de la Gruuthuse répare ces revers en enlevant +près de Termonde un convoi qu'attendait Maximilien. Un avantage +plus important est le mouvement des bourgeois de l'Ecluse, qui, à +la voix de Philippe de Clèves, s'associent à la cause des trois membres +de Flandre. Les Allemands s'efforcent inutilement de reconquérir +cette forteresse, vraie citadelle de Bruges, malgré la distance +qui l'en sépare; Maximilien n'est pas plus heureux au siége +du bourg de Damme, encore dépositaire, à cette époque, d'immenses +richesses qui allaient se retirer de ses entrepôts comme le commerce +se retirait de Bruges. Il a promis le pillage à ses hommes +d'armes, à défaut d'argent pour payer leur solde; mais ils sont repoussés +après un sanglant assaut, et le roi des Romains se voit réduit +à s'éloigner précipitamment, abandonnant son camp et ses approvisionnements. +Le frère du marquis de Bade est resté parmi les +morts, et la garnison flamande conserve comme de glorieux +trophées les étendards des archevêques de Cologne et de Mayence.</p> + +<p>C'est en vain que Maximilien s'est allié au duc de Bretagne et +cherche à ce prix à obtenir la main de la jeune héritière de ce duché, +comme jadis il obtint celle de la jeune héritière du duché de Bourgogne; +c'est en vain que le duc de Bretagne attend sur le rivage +qu'illustra Jeanne de Montfort des hommes d'armes venus de +Flandre pour soutenir la rébellion du duc d'Orléans; Maximilien +est trop faible pour lui faire parvenir les secours qu'il lui a promis, +et tandis qu'il échoue devant Damme, Charles VIII, fortifié par la +victoire de Saint-Aubin du Cormier, se prépare à protéger les communes +flamandes contre les efforts de l'armée impériale en envoyant +douze cents chevaux aux Gantois et à peu près le même nombre aux +bourgeois de Bruges. Le sire de Crèvecœur, qui les a suivis à Ypres +avec de nouvelles forces, met en déroute, avec le secours des habitants +de Courtray, les Allemands et la garnison de Lille, qui cherche +à s'opposer à son passage. Dixmude et Nieuport appelent Philippe +de Clèves; les Allemands ont évacué Bergues; ceux qui occupent +la forteresse d'Audenarde sont enfermés dans ses murailles. +On apprend enfin, le 31 juillet, que l'Empereur a quitté la Flandre. +Il se retire à Anvers, où il fait publier deux déclarations: l'une, +«pour dégrader monseigneur Philippe de Clèves de son honneur +par ban impérial;» l'autre, pour justifier son expédition; cependant +<span class="pagenum"><a id="Page_245"> 245</a></span> +les états généraux assemblés à Anvers élèvent la voix au milieu +même des bannerets allemands de Frédéric III, pour exprimer de +nouvelles plaintes sur l'inexécution du traité d'Arras.</p> + +<p>Maximilien s'était retiré en Zélande, où il réunissait de nombreux +vaisseaux, frétés dans les ports de la Baltique. Il eût voulu y joindre +des navires zélandais, mais les bourgeois de Middelbourg lui +avaient répondu: «Nous nous inquiétons peu du roi des Romains; +c'est avec ceux de Gand, d'Ypres et de Bruges que nous voulons +vivre et mourir.» La flotte allemande, repoussée à Biervliet, +réussit à surprendre Nieuport. De là, les Allemands allèrent reconquérir +Dunkerque et Saint-Omer, et incendier une foule de bourgs +et de villages jusqu'aux portes d'Ypres et de Thourout. Pendant que +ceci se passait en Flandre, Maximilien cherchait à envahir le Brabant; +mais Philippe de Clèves le défit complètement, et ce fut à +grand'peine qu'il parvint à regagner Anvers avec cinquante hommes. +Bruxelles, Louvain, Nivelles, Vilvorde ouvraient leurs portes +aux milices flamandes; Liége les appuyait; Lille, Douay et Orchies +se liaient de nouveau par un traité de neutralité qui ne leur était +pas moins favorable. Enfin le sire de Brederode entrait en Hollande, +suivi de deux mille Brugeois, et y faisait reconnaître, de concert +avec l'ancienne faction des Hoeks, le conseil des princes du sang +mainbourgs pendant la minorité du duc Philippe, tel que le traité +du 16 mai l'avait constitué.</p> + +<p>Des conférences pour la paix s'étaient ouvertes à Bruxelles. Bien +qu'un ambassadeur portugais, Edouard de Qualéon, eût interposé +sa médiation en invoquant les anciennes relations de la Flandre et +du Portugal, elles n'eurent d'autre résultat qu'une courte trêve. +Les états de Flandre et de Brabant avaient déclaré «que jusques +au derrenier homme de leur pays ne souffriroient le roy (Maximilien) +avoir gouvernement; mais se retirast en la ville de +Coulongne et qu'ils lui feroient don de cent mille florins du +Rhin.»</p> + +<p>Les dernières traces des moyens d'intimidation religieuse auxquels +Maximilien avait eu recours s'effaçaient au même moment. +Le 22 octobre, le roi de France avait adressé au pape Innocent VIII +une lettre où, après avoir dépeint les dévastations des Allemands, il +le suppliait, dans les termes les plus pressants, de révoquer les +lettres monitoires publiées par l'archevêque de Cologne. Il y rappelait +aussi les griefs de la Flandre contre le roi des Romains, et +<span class="pagenum"><a id="Page_246"> 246</a></span> +l'appel qu'elle avait interjeté devant le parlement de Paris. Lorsque +cette lettre du roi de France parvint à Rome, le pape avait déjà accueilli +l'acte d'appel des communes flamandes en déclarant, par +une bulle du 3 novembre, que l'archevêque de Cologne avait dépassé +ses pouvoirs en faisant fulminer l'excommunication alors que +le roi des Romains avait déjà été rendu à la liberté. La question +n'était toutefois pas complètement résolue au point de vue de la +suprématie royale. Le 10 décembre 1488, un huissier du parlement +de Paris lut aux halles de Bruges un mandement de +Charles VIII qui citait, sur la plainte des états de Flandre, le duc +d'Autriche, l'archevêque de Cologne et leurs adhérents, à comparaître +à Paris le 4 février, sous peine d'une amende de cent marcs d'or.</p> + +<p>Maximilien ne répondit pas à cette sommation; il trouvait dans +d'autres événements les forces et les espérances que ses revers +semblaient devoir abattre. L'expédition de Charles VIII en Bretagne +avait réveillé la jalousie de l'Angleterre. Henri VII se souvint +qu'il avait visité lui-même la Bretagne. Il avait vu Tréguier, +où Charles VI réunit la flotte qui fit trembler Richard II, et les +ports, moins célèbres à cette époque, de Brest, de Lorient, de Saint-Malo, +et avait compris qu'il importait à la tranquillité de l'Angleterre +que la Bretagne ne devînt pas française.</p> + +<p>Au commencement de l'année 1488, Jean d'Egremont, chef des +insurgés de l'Yorkshire, avait cherché à la cour de la duchesse +douairière de Bourgogne le refuge qu'y avaient trouvé naguère le +comte de Lincoln et lord Lovel; quelques mois plus tard, la défaite +du duc d'Orléans change complètement la situation des choses. Des +rapports s'établissent entre Henri VII et Maximilien. Jean Ryseley +et Jean Balteswell traversent la mer pour conférer avec le roi des +Romains <i lang="la" xml:lang="la">super ligis, amicitiis, intelligentiis, alligantiis et confœderationibus +quibuscumque</i>, et le 14 février 1488 (v. st.), un +traité de fédération est signé à Dordrecht. Désormais l'Angleterre +fera tous ses efforts pour que Maximilien épouse la fille du duc +François II; elle pressent que Charles VIII pourrait répudier la +fille de Maximilien, pour épouser lui-même l'héritière du duché +de Bretagne.</p> + +<p>Le roi des Romains ne tarda pas à suivre l'empereur Frédéric III +en Allemagne, afin d'y réunir des renforts qui lui permissent de +prendre une part active à la lutte qui se préparait. Il laissait en +Flandre pour ses lieutenants le duc de Saxe et le comte de Nassau.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_247"> 247</a></span> +Les états de Flandre n'ignoraient point le péril qui les menaçait. +Ils envoyèrent Philippe de Clèves en France réclamer de nouveau +l'appui de Charles VIII; une réponse favorable leur fut adressée, et +le sire de Ravestein annonça, dans une assemblée des états qui se +tint à Gand au mois de mars, que la Flandre pouvait espérer d'importants +secours en hommes d'armes et en artillerie. Déjà le sire +de Crèvecœur avait proposé de chasser les garnisons allemandes, +pourvu qu'on lui payât 12,000 couronnes et qu'on lui remît quelques +nobles allemands captifs à Gand; mais il attendait pour commencer +la guerre les Bretons de la garde du roi de France. Les communes de +Flandre se plaignaient de ces retards, et dans leur imprudent enthousiasme +elles résolurent bientôt de se charger elles-mêmes du +soin d'expulser les Allemands. Ce furent les Brugeois qui sortirent +les premiers de leur ville au nombre de quatre mille, sous les ordres +d'Antoine de Nieuwenhove et de Georges Picavet, bourgeois de +Lille, dont ils avaient fait leur écoutète. Ils campaient avec les +Yprois près du pont de Beerst, en attendant l'arrivée des Gantois, +et croyaient n'avoir rien à craindre, lorsqu'en vertu des traités de +Henri VII et de Maximilien, deux ou trois mille Anglais de Calais +et de Guines, sous les ordres de lord Daubeny et de lord Morley, +les attaquèrent inopinément avec l'appui de Daniel de Praet et de +la garnison allemande de Nieuport; après un combat acharné, où +périt lord Morley, le camp flamand fut conquis. Plus de mille hommes +restèrent sur le champ de bataille, entre autres Antoine de +Nieuwenhove. L'écoutète Georges Picavet avait été pris et ne fut +relâché qu'en payant une rançon de 800 livres de gros.</p> + +<p>Lorsqu'on annonça au sire de Crèvecœur la défaite des Brugeois, +sa colère fut extrême et on l'entendit s'écrier que si jamais il pouvait +venger cet échec en chassant lord Daubeny de Calais, il passerait +volontiers sept ans dans les flammes de l'enfer. Sans hésiter +plus longtemps, il quitta Ypres avec vingt mille hommes et une +nombreuse artillerie pour réparer la défaite des Brugeois. Ostende +lui ouvrit ses portes le 19 juin, et aussitôt après le siége de Nieuport +commença. L'artillerie battit les remparts en brèche: de nombreux +assauts furent tentés; mais le sire de Praet les repoussa +vaillamment. La mer lui portait chaque jour quelques renforts, et +le sire de Crèvecœur se retira après avoir vainement essayé de combler +le havre par le sable des digues voisines qu'il avait fait rompre: +déplorable tentative qui n'eut pour résultat que de submerger une +grande partie du pays.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_248"> 248</a></span> +Pendant quelques jours, le sire de Crèvecœur feignit de vouloir +recommencer le siége de Nieuport. On travaillait nuit et jour à +Bruges à préparer les ustensiles nécessaires aux pionniers et aux +mineurs; mais le zèle des Brugeois se refroidit lorsqu'on exigea +que tous ceux qui prendraient part aux travaux du siége portassent +la croix blanche. Les Français ne devaient plus combattre le sire de +Praet. Arrivés près de Couckelaere, ils renoncèrent à leur projet et se +dirigèrent vers la France, emmenant avec eux les chevaux que les laboureurs +leur avaient prêtés pour traîner leurs canons. En vain le sire +de la Gruuthuse, Jean de Nieuwenhove, Guillaume Moreel, Jean de +Riebeke et d'autres députés de Bruges se rendirent-ils à Ypres; toutes +leurs remontrances furent inutiles, et l'expédition du sire de Crèvecœur +s'acheva aussi honteusement que celle qu'il avait conduite +jusqu'à Gand en 1485.</p> + +<p>La misère du pays avait atteint ses dernières limites. L'industrie +avait émigré vers des rivages plus tranquilles et plus heureux, et +la mer se retirait chaque jour davantage du havre de l'Ecluse, +comme si elle ne permettait point que le commerce vînt jamais +ranimer son port jadis si fameux: le doigt de Dieu avait, disaient +les amis de Maximilien, vengé sa captivité, en éloignant de Bruges +le flot qui lui portait ses richesses. L'agriculture n'était pas +plus florissante. Les campagnes, abandonnées par leurs habitants, +restaient désertes, et les loups s'étaient multipliés à un tel point +que pendant longtemps le laboureur n'osa point ramener dans les +prairies les débris de son troupeau. Les champs les plus fertiles se +couvraient de broussailles et d'épines où se cachaient les sangliers +et les cerfs: il semblait que la Flandre, autrefois si riche et si +peuplée, rentrât dans les ténèbres des siècles voisins de l'invasion +des barbares, où les seuls monuments de l'état de l'agriculture +étaient quelques chartes de monastères auxquels on accordait +de vastes terrains à prendre sur le désert, <i lang="la" xml:lang="la">ex eremo</i>; le seul +bruit que l'on entendît dans la solitude était celui des vents et des +tempêtes, qui ouvraient aux irruptions de l'Océan les digues qu'une +main active et habile avait cessé de réparer et d'entretenir avec +soin. Bientôt aux malheurs de la famine vinrent se joindre ceux de +la peste, qui, à Bruxelles, enleva, dit-on, trente-trois mille personnes. +Tout contribuait à rendre plus accablante et plus terrible +une guerre dont rien ne faisait prévoir le terme, lorsqu'on annonça +que la Flandre avait été comprise dans les négociations entamées +<span class="pagenum"><a id="Page_249"> 249</a></span> +entre Charles VIII et le roi des Romains, qui se préparait à envahir +la Champagne. Le roi de France, évidemment las d'entretenir si longtemps +aux frontières de Flandre une armée qui n'est utile ni à son +influence, ni à sa puissance, renonce à une intervention active pour +se contenter d'une médiation pacifique, médiation presque hostile +à la Flandre, car il déclare dans le traité de Francfort du 19 juillet +1489 «qu'il entend, en cette matière et en toutes autres, garder +l'honneur et le profit du roi des Romains, son beau-père, et +n'y avoir point d'autre regard comme par expérience il le montrera; +car il sait bien qu'en gardant l'amitié de son dit beau-père, +il la doit préférer à toutes autres amitiés; ce qu'il promet +en bonne foi et parole de roi de France.» Il se contente de stipuler +que Philippe de Clèves ne sera point inquiété dans sa personne +ni dans ses biens.</p> + +<p>A la nouvelle du traité de Francfort, toutes les villes du Brabant +s'étaient soumises à Maximilien, et Philippe de Clèves, réduit à +quitter Bruxelles, s'était retiré à Gand. Il voulait, disait-il, rester +fidèle aux communes flamandes et n'accepter aucun traité où elles +ne fussent comprises. On ne tarda point à voir s'ouvrir les conférences +où les conditions d'une paix définitive entre la Flandre et le +roi des Romains devaient être discutées avec la médiation de +Charles VIII par des arbitres choisis dans les deux partis. Ceux que +Maximilien désigna furent le comte de Nassau, Philippe de Borssele, +Paul de Baenst et Philippe de Contay. Les communes flamandes +avaient choisi l'abbé de Saint-Bavon, Louis de la Gruuthuse, +Adrien Vilain, Jean de Nieuwenhove, Jean de Coppenolle, Gauthier +Vander Gracht, Corneille d'Halewyn, Jean de Stavele, Jean de +Baenst, Jean de Beer, Jean de Keyt. Ces conférences eurent lieu au +château de Montils, près de Tours.</p> + +<p>Les désastres d'une longue guerre, les nécessités de la famine, +l'espérance de voir le commerce se relever, le péril même qui résultait +de l'abandon de la France, peuvent seuls expliquer la conclusion +du traité du 30 octobre 1489.</p> + +<p>Maximilien sera réintégré comme mainbourg de Flandre; les +magistrats des trois bonnes villes de Gand, de Bruges et d'Ypres +iront au devant de lui sans ceinture, nu pieds et vêtus de noir, +pour lui demander à genoux pardon des offenses commises contre +lui.</p> + +<p>Moyennant une somme de cinq cent mille livres tournois, dont +<span class="pagenum"><a id="Page_250"> 250</a></span> +les deux tiers devront être payés aux fêtes de Noël, le roi des +Romains s'engage à congédier immédiatement les garnisons allemandes. +Il accorde une amnistie sans réserves, confirme tous les +actes de l'administration de Philippe de Clèves et de son conseil, +et jure d'observer tous les anciens priviléges du pays.</p> + +<p>Quant aux priviléges qui sont postérieurs à la mort de Charles +le Hardi, toute décision est ajournée jusqu'à l'entrevue qui doit +avoir lieu entre Maximilien et Charles VIII; il en est de même de +la demande formée par le roi des Romains, que le Craenenburg +soit converti en chapelle expiatoire.</p> + +<p>Dans les premiers moments, la Flandre vit avec joie la conclusion +de la paix, si nécessaire à ses cités épuisées par la disette. Les +difficultés les plus graves commencèrent lorsqu'il fallut payer les +deux tiers de l'amende imposée aux grandes villes plus qu'au reste +du pays, puisque, selon un article du traité, elle n'atteignait que +les communes qui avaient donné l'exemple de l'insurrection. Dès ce +jour, la résistance devint aussi vive à Bruges, qu'elle l'était déjà +à Gand. Les bourgeois, mécontents, chassèrent successivement +deux écoutètes; enfin ils envoyèrent des députés réclamer l'appui +de Philippe de Clèves, et déclarèrent qu'ils n'obéiraient qu'aux +décisions qui seraient prises dans l'assemblée générale des mandataires +des pays de Flandre, de Brabant, de Hainaut, de Hollande et +de Zélande.</p> + +<p>Philippe de Clèves avait jugé prudemment que l'opposition du +pays à l'autorité de Maximilien ne touchait pas à son terme. Il s'était +retiré dans le château de l'Ecluse pour y attendre les résultats +qu'amènerait la marche des événements. Cependant, quelles que +fussent les réserves faites en sa faveur par le traité de Francfort, +il cachait peu l'hostilité de ses sentiments, sachant bien que les +Allemands n'étaient assez forts ni pour l'assiéger, ni pour l'empêcher +d'arrêter les navires qui se rendaient à Bruges. Les états +de Flandre eux-mêmes conservaient leurs hommes d'armes et +alléguaient pour prétexte que le duc de Saxe, loin de congédier les +siens, augmentait les garnisons de Courtray, de Damme et de +Biervliet.</p> + +<p>Cependant le duc de Saxe avait obtenu l'adhésion de la ville +d'Ypres à l'amende imposée par le traité de Tours, et les bourgeois +de Gand furent bientôt entraînés à imiter la soumission des Yprois. +L'un des plus illustres défenseurs de Gand, Adrien de Rasseghem, +<span class="pagenum"><a id="Page_251"> 251</a></span> +qui avait été successivement l'ami de Jean de Dadizeele et celui de +Philippe de Clèves, se laissa corrompre et livra les portes aux Allemands. +Au bruit de cette trahison, le sire de Ravestein le fit défier +en lui rappelant ses serments et en le menaçant de son ressentiment; +en effet, quelques jours s'étaient à peine écoulés lorsque le +sire de Rasseghem fut attaqué, un soir qu'il se rendait à son château, +près du moulin de Merlebeke, par des hommes d'armes qui +le frappèrent en criant: «A mort! à mort!» Le lendemain, +Philippe de Clèves adressa aux échevins de Gand une lettre où il +se déclarait seul responsable de la mort d'Adrien Vilain; les mœurs +du moyen-âge semblaient excuser ces vengeances, et l'on en +avait vu au quatorzième siècle un mémorable exemple, lorsque +Geoffroi de Charny fit périr le capitaine de Calais, Aimery de Pavie.</p> + +<p>Le duc Philippe répondit à l'attentat du sire de Ravestein en défendant +toute alliance avec lui. A ce manifeste succédèrent des +lettres du comte de Nassau, qui menaçaient la commune de Bruges +de l'extermination, du pillage et de l'incendie, si elle ne se soumettait +sans retard; bien qu'un grand nombre d'habitants eussent pris +la fuite, les vivres y devenaient de plus en plus rares, et l'on jugea +bientôt utile de reprendre les négociations en envoyant à Alost, +vers le comte de Nassau, Jacques Despars et d'autres députés. Le +comte de Nassau promit une réponse dans le délai de dix jours; +avant qu'il se fût écoulé, il était entré à Damme avec de nombreux +renforts arrivés de Brabant, et ce fut de là qu'il fit connaître qu'aucune +modification ne pouvait être apportée au traité de Tours. +Les Brugeois s'indignèrent, et, dans leur premier mouvement, ils +jurèrent de mourir plutôt que de céder: vain serment prononcé en +présence de la famine.</p> + +<p>C'était peu que les dépenses qu'occasionnait aux bourgeois de +Bruges la continuation de la guerre se fussent élevées, du 1<sup>er</sup> août +au 27 octobre, à dix mille six cents livres de gros; la détresse qui +résultait des mesures prises par le comte de Nassau pour intercepter +toutes les communications des Brugeois et tous les convois +de vivres qu'ils attendaient s'accroissait avec une rapidité effrayante. +Les garnisons de Damme et d'Oudenbourg, composées d'aventuriers +allemands, anglais et espagnols, dévastaient tout le pays. +Dans leur ardeur de pillage, ils avaient même mis le feu au célèbre +château de Male, et chaque jour les sinistres lueurs de quelque incendie +s'élevaient vers le ciel. Toutes les rues de Bruges étaient +<span class="pagenum"><a id="Page_252"> 252</a></span> +remplies d'enfants à qui la faim arrachait des cris poignants, et +parmi les pauvres qui assiégeaient les portes des boulangeries, il en +était plusieurs qui étaient tombés sur le pavé pour ne plus se relever. +Il fallut bien se résoudre à envoyer d'autres députés au comte +de Nassau; mais celui-ci exigeait avant tout que les Brugeois renonçassent +à l'alliance de Philippe de Clèves, que les Allemands haïssaient +d'autant plus qu'il avait constamment refusé d'abandonner le +parti de la Flandre. Cependant, quelles que fussent les souffrances +des Brugeois, ils jugèrent ces conditions inacceptables. Ils ne pouvaient +oublier combien Philippe de Clèves avait montré à leur +égard de générosité et de dévouement.</p> + +<p>Philippe de Clèves était digne de ce témoignage de zèle et de +gratitude. Dès qu'il apprit qu'il était le seul obstacle au rétablissement +de la paix, il écrivit aux Brugeois qu'il les dégageait de son +alliance et les autorisait à traiter sans lui. Le 16 novembre 1490, +les Brugeois élisent de nouveaux députés, notamment le sire de +Lembeke et les prieurs des carmes et des frères prêcheurs. Ils se +rendent près du comte de Nassau et déclarent se soumettre au +traité de Tours, sauf à déférer au parlement de Paris toutes les difficultés +auxquelles il donnerait lieu; mais le comte de Nassau repousse +cette réserve et ajoute: «Il faut de plus que vous payiez +trois cent mille couronnes d'or et que vous me remettiez trois +cents personnes pour que j'en puisse disposer à ma volonté.»</p> + +<p>Cette réponse paraît si dure aux Brugeois que toutes les négociations +sont rompues. Le 21 octobre, le comte de Nassau, suivi de +deux mille fantassins et de douze cents reîtres, incendie Shipsdale +et menace Bruges d'un assaut; mais la résistance des Brugeois le +force à s'éloigner.</p> + +<p>Au bruit de ce succès, Philippe de Clèves fait percer les digues +d'Houcke afin de rétablir les communications de l'Ecluse et de +Bruges par l'ancien canal. Georges Picavet, qui s'est rendu aussitôt +près de lui, se prépare à ramener à Bruges des approvisionnements +considérables, lorsque arrivé près du pont d'Oostkerke, il se voit +entouré des Allemands du comte de Nassau et tombe en leur pouvoir. +Ce désastre sème la désolation à Bruges; les capitaines qui y +ont été élus se préparent à tenter de nouvelles négociations. Un +complot les rend inutiles; Lambert Taye et quelques autres bourgeois +en sont les chefs. Ils parcourent la ville en criant: «Que tous +ceux qui veulent la paix et le bien de la ville de Bruges nous +<span class="pagenum"><a id="Page_253"> 253</a></span> +suivent!» Le peuple, fatigué de guerres civiles, se range sous +leurs bannières et envoie des députés à Damme, afin d'accepter tout +ce que le comte de Nassau exigera.</p> + +<p>En effet, un traité fut signé à Damme le 29 novembre. Il portait: +que ceux de Bruges payeraient, dans l'amende fixée par le +traité de Tours, une part de quatre-vingt mille couronnes d'or; +qu'ils feraient amende honorable au comte de Nassau; qu'ils lui +remettraient soixante personnes dont il pourrait disposer à son bon +plaisir. Mais cette convention ne suffit pas pour préserver les Brugeois +des horreurs de la guerre. Tandis que le bâtard de Baenst, +le fameux prévôt à la verge rouge, présidait au supplice de Georges +Picavet et de ses amis, les Allemands se répandaient de rue en rue, +de maison en maison, pour arracher des mains des bourgeois consternés +leur or, leur argent et tout ce qu'ils possédaient d'objets +précieux. Toute la ville fut livrée au pillage sous les yeux du comte +de Nassau qui s'en réserva une part importante, et ce fut dans ces +scènes de désordres et de dévastations que disparurent, selon une +rumeur répétée dans la plupart des pays de l'Europe, les derniers +débris de ces richesses et de cette opulence qui avaient rendu la +ville de Bruges si célèbre pendant plusieurs siècles.</p> + +<p>Les bourgeois de Gand, que d'éternelles rivalités rendaient insensibles +à des malheurs dont la cause leur était commune, apprirent +à regretter leur coupable inertie quand le comte de Nassau +conduisit son armée à Ardenbourg. On était arrivé aux fêtes de la +Saint-Liévin; des enfants parcouraient la ville en chantant: «Saint-Liévin +a dormi trop longtemps! Saint-Liévin s'éveille!» Les +bourgeois s'assemblaient sur les places et dans les rues, et malgré +le grand doyen Liévin Gooris, qui périt en cherchant à arrêter ce +mouvement, ils portèrent la châsse du martyr au marché du Vendredi, +en déclarant qu'elle y resterait déposée tant que Gand serait +en péril; ils se souvenaient qu'elle avait reçu, vingt-quatre années +auparavant, lors de l'entrée de Charles le Hardi à Gand, leur serment +de se montrer fidèles jusqu'à la mort à leurs priviléges et à +leurs franchises.</p> + +<p>Cependant les succès du comte de Nassau contre les Brugeois +avaient donné lieu à de nouvelles tentatives pour renouer à Londres +cette vaste confédération que les mouvements des communes +flamandes avaient déjà si fréquemment fait abandonner. Au mois +de septembre 1490, un nouveau traité d'alliance, expressément +<span class="pagenum"><a id="Page_254"> 254</a></span> +dirigé contre Charles VIII, est conclu, et Maximilien imite Charles +le Hardi en acceptant l'ordre de la Jarretière, afin de rendre, comme +lui, un témoignage public de son dévouement aux Anglais.</p> + +<p>Charles VIII tente un dernier effort pour maintenir la paix. +«L'intervention du roi en Flandre n'était, disent les ambassadeurs +qu'il envoie à Londres, qu'un effet de sa justice. Le peuple était +resté fidèle à Maximilien tant que celui-ci le traita équitablement; +il n'avait eu recours à la justice du roi que lorsqu'il s'était +vu opprimé.» Bacon, chancelier d'Angleterre sous Jacques I<sup>er</sup>, +nous a conservé la réponse du chancelier de Henri VII: «Si les +Flamands s'étaient adressés à votre roi comme à leur souverain +seigneur, par voie de remontrance, il y eût eu en ceci quelque +forme de justice; mais c'est quelque chose d'étrange et de nouveau +de voir des sujets accuser leur prince, après l'avoir retenu +prisonnier et avoir mis à mort ses officiers. En d'autres temps, à +propos de l'insurrection de l'Ecosse, notre roi et le roi de France +lui-même avaient proclamé hautement l'horreur que leur inspiraient +les attentats populaires dirigés contre la personne et l'autorité +des rois.» Cent soixante années s'écouleront avant que +l'Angleterre, qui s'indigne de la captivité de Maximilien à Bruges, +donne à Charles I<sup>er</sup> pour prison le sombre cercueil que Cromwell +entr'ouvrit, dit-on, afin d'y contempler son crime.</p> + +<p>Le 17 février 1490 (v. st.), l'évêque d'Oxford et le comte d'Ormond +reçurent l'ordre d'aller porter à Charles VIII la réponse de +Henri VII. Ils ne passèrent que peu de jours en France; car d'après +tout ce qu'ils avaient entendu, ils ne doutaient point que +Charles VIII n'eût résolu de répudier Marguerite, qui lui était +fiancée depuis huit ans, et d'épouser lui-même Anne de Bretagne. +A cette nouvelle, Martin de Polheim accourut à Rennes comme +plénipotentiaire de Maximilien. Le mariage du roi des Romains +avec la duchesse de Bretagne fut immédiatement célébré, et le +sire de Polheim, s'acquittant jusqu'au bout du mandat qui lui était +confié, toucha du pied le lit nuptial. La même cérémonie avait eu +lieu à Bruges lors du mariage de Marie de Bourgogne; elle devait, +en représentant la consommation du mariage, le rendre indissoluble.</p> + +<p>Charles VIII avait protesté: une vaine cérémonie ne pouvait +valider une union à laquelle manquait l'approbation du prince +suzerain. Des hommes d'armes français s'assemblaient de toutes +<span class="pagenum"><a id="Page_255"> 255</a></span> +parts, les uns vers les marches de la Bretagne, les autres vers les +frontières de l'Artois; et en même temps, afin de relever en Flandre +la barrière qui avait pendant neuf ans arrêté l'ambition de Maximilien, +une flotte française cinglait vers les eaux du Zwyn, sous les +ordres du sire de Maraffin, avec cent cinquante mousquetaires gascons +et des sommes d'argent considérables. Philippe de Clèves, que +le roi des Romains venait de déclarer déchu, ainsi que le comte de +Romont, du droit de siéger parmi les chevaliers de la Toison d'or, +se préparait à recommencer la guerre contre les Allemands. Il +essaya d'abord de les chasser de Bruges, puis il se rendit à Gand +au mois d'août pour présider au renouvellement de l'échevinage. +Jean et François de Coppenolle continuaient à occuper le premier +rang parmi les capitaines de la ville, mais le sire de Poucke, de la +maison de Baronaige, avait succédé comme grand bailli au sire de +Morbeke, qui était allé rejoindre le comte de Nassau.</p> + +<p>Biervliet avait déjà appelé les Gantois; le sire de Lichtervelde +leur avait remis son château; Hulst était tombé en leur pouvoir; +Terneuse, fortifiée, assurait leurs communications avec le port de +l'Ecluse, et un avantage important obtenu sur les Allemands avait +contraint le comte de Nassau à se réfugier dans les remparts de +Courtray.</p> + +<p>Cependant les chances de la guerre changent tout à coup; le +comte de Nassau s'empare du château de Lichtervelde. Hugues de +Melun repousse les Gantois près de Termonde et les met peu de +jours après en déroute dans un combat où le sire de Poucke est fait +prisonnier; enfin une surprise livre aux Allemands la forteresse si +importante de Hulst.</p> + +<p>Le découragement s'accroissait parce qu'on ne voyait pas arriver +les secours qu'on attendait de France. Charles VIII venait de porter +de nouveau ses armes en Bretagne, où des Allemands et des Anglais +avaient débarqué pour défendre Rennes. Anne de Bretagne protestait +«qu'elle estoit mariée au roy des Romains, qu'elle le tenoit +à mary et jamais n'auroit aultre;» elle songeait même à fuir loin +de son duché, vers les côtes de Flandre et de Zélande. Cependant +la guerre s'interrompit: le roi de France fit un pèlerinage près de +Rennes; trois jours après, Charles VIII était fiancé à Anne de Bretagne +en présence de Martin de Polheim, qui ne la quittait point et +qui ne pouvait cacher son étonnement. Cette fois c'était le prince +suzerain lui-même qui disposait de la main de la duchesse de Bretagne, +<span class="pagenum"><a id="Page_256"> 256</a></span> +et rien ne manquait pour la validité du mariage qui fut +célébré à Langey le 6 décembre 1491.</p> + +<p>Des conférences avaient lieu en ce moment à Malines pour examiner +les moyens de rétablir la paix en obtenant du sire de Ravestein +qu'il n'entravât plus la liberté de la navigation à l'Ecluse, et du +duc de Saxe qu'il modérât ses prétentions pécuniaires. Au premier +bruit du mariage de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, les conseillers +de Maximilien proposèrent de réunir contre le roi de France +toutes les milices des Pays-Bas pour punir l'injure faite à sa fille; +les capitaines allemands déclaraient que c'était les armes à la main +qu'ils iraient réclamer Marguerite, et ils annonçaient que tous les +princes de l'Europe se confédéreraient pour les soutenir. On publia +même une lettre du roi de Castille conçue en ces termes: «Grâce +à l'appui du Seigneur, nous sommes entrés victorieux à Grenade +le 20 janvier 1491; nous nous préparions déjà à reprendre le +glaive pour conquérir le royaume de Tunis, mais le rapt inouï et +exécrable (<i lang="la" xml:lang="la">excessivus et nephandissimus</i>) de l'épouse du roi +des Romains et la captivité de son illustre fille nous forcent à +renoncer à nos desseins pour venger cet outrage, en nous alliant +à nos frères les rois d'Angleterre et de Portugal.» Les vents qui +soulèvent les vagues de l'Océan emportèrent ces altières menaces, +descendues des jardins de l'Alhambra: il était réservé à un petit-fils +de Maximilien, qui devait être aussi le petit-fils du roi de Castille, +de porter tour à tour la guerre dans les provinces françaises +et sur les rivages de l'Afrique.</p> + +<p>Ce n'était qu'en Flandre que des succès importants devaient consoler +le roi des Romains.</p> + +<p>A mesure que l'on voyait à la fois s'éloigner l'espoir de l'appui +des Français et se rapprocher les désastres menaçants des discordes +intérieures, le parti de la paix se ranimait à Gand. De vives discussions +s'élevèrent dans les assemblées publiques. «Mieux vaut +payer de nos richesses une paix défavorable, avait dit le doyen des +tisserands, Hubert Luerbrouek, que de les consacrer à l'entretien +perpétuel de la guerre.» La discussion s'échauffa; un parent des +Coppenolle tue le doyen des tisserands d'un coup de poignard et +tout projet de négociation est écarté. Jean de Schoonhove remplace +le sire de Poucke, qui avait saisi l'occasion d'une procession extraordinaire +en l'honneur de saint Bertulf pour s'écrier: «Que ceux qui +veulent la paix me suivent!» Les Gantois, conduits par le sire +<span class="pagenum"><a id="Page_257"> 257</a></span> +de Schoonhove, parviennent à reconquérir Hulst et à s'emparer de +Dixmude et de Grammont.</p> + +<p>Cependant les amis d'Hubert Luerbrouck se préparent à venger +sa mort: ils conspirent silencieusement en faveur du comte de Nassau. +Une porte lui a été livrée, et quinze cents reîtres ont déjà pénétré +dans la ville lorsque les bourgeois se réveillent au son du +tocsin et repoussent les Allemands.</p> + +<p>Un des capitaines de Gand avait pris part à ce complot. Il s'appelait +Arnould Declercq, mais on le nommait habituellement <i lang="nl" xml:lang="nl">capiteyn +Ploughenare</i>, c'est-à-dire le <em>capitaine Laboureur</em>, parce qu'il +appartenait à une famille de paysans. Un jour qu'il avait reçu +l'ordre d'aller attaquer les Allemands qui se tenaient à Deynze, il +remontra à ses compagnons que l'on cherchait sans doute leur destruction, +puisqu'on les chargeait de combattre des ennemis supérieurs +en nombre. «Retournons plutôt à Gand, ajoutait-il, et mettons +à mort ceux qui voulaient nous envoyer à Deynze.» A peine +étaient-ils rentrés à Gand que Jean de Coppenolle accourut pour +leur reprocher leur pusillanimité. Arnould Declercq et les siens +lui répondent par des injures; on en vient aux mains, «Clèves et +Gand!» répètent les amis des Coppenolle, en appelant les bourgeois +à leur secours. Ceux de Declercq crient seulement: «Gand +Gand!» Ils profitent de l'impuissance de leurs adversaires surpris +et la trahison triomphe. L'un des capitaines de la ville, nommé +Remy Hubert, tombe percé de coups; les autres, Jean et François +de Coppenolle, Gilles Van den Broucke et leurs principaux partisans +sont chargés de chaînes et périssent par le glaive du bourreau +après d'horribles tortures. Jean et François de Coppenolle étaient +nés le même jour; ils mouraient ensemble à la même heure: ils +avaient concouru tous les deux à la puissance de Gand, ni l'un ni +l'autre ne devait survivre à sa décadence (16 juin 1492).</p> + +<p>A Courtray, Jacques Rym fut victime d'un semblable complot.</p> + +<p>La désorganisation suivit de près ces désordres; quatre semaines +ne s'étaient point écoulées lorsque les bourgeois de Gand se virent +réduits à envoyer au duc de Saxe Adrien de Raveschoot et Jean de +la Kethulle, pour obtenir la paix. Les conditions qu'ils reçurent +étaient moins sévères que celles que l'on avait naguère dictées aux +Brugeois. On imposait, il est vrai, aux anciens magistrats l'humiliation +d'une amende honorable; on modifiait le droit d'élection des +<span class="pagenum"><a id="Page_258"> 258</a></span> +métiers, mais l'amnistie y était du moins complète (traité de Cadzand, +29 juillet 1492).</p> + +<p>Philippe de Clèves seul ne se soumettait point. «Je n'ai rien à +me reprocher, répondait-il aux envoyés du duc de Saxe; j'ai +loyalement observé le serment que j'avais fait au roi des Romains, +jusqu'à ce qu'il m'appelât à Bruges pour lui servir d'otage et +pour l'arracher aux périls auxquels je me livrai moi-même. Il +me dégagea de mes serments et m'obligea à jurer que, s'il violait +la paix, je soutiendrais contre lui les communes de Flandre: +serment que je crois avoir rempli à mon honneur vis-à-vis de +Dieu et vis-à-vis des hommes.» Toutes les négociations furent +inutiles, et le duc de Saxe résolut de profiter de la pacification de la +Flandre pour réunir toutes ses forces contre le sire de Ravestein. +«Comme jadis, dit Molinet, les Grégeois se mirent sus à grande +puissance pour avironner la noble cité de Troye, gendarmerie se +adoubba de tous costés pour subjuguer l'Escluse.» En même +temps une flotte anglaise, commandée par sir Edward Poynings, +bloquait le port; mais les fortifications de l'Ecluse, exécutées à +grands frais par les princes de la maison de Bourgogne pour dominer +les communes flamandes, offraient à leurs derniers défenseurs +un inexpugnable asile. La garnison, que venaient de renforcer quelques +mercenaires danois, repoussait les assiégeants dans toutes les +sorties; plusieurs vaisseaux anglais, échoués sur le sable, avaient +été livrés aux flammes; dix canons avaient été enlevés dans une +attaque dirigée contre le camp de Lapscheure, et les Allemands +allaient être réduits à se retirer, quand un accident, semblable à +celui qui amena le désastre de Gavre, déjoua toutes les prévisions. +Le feu prit aux poudres des assiégés et leur artillerie cessa de répondre +au feu des bombardes ennemies. Cependant telle était la +haute renommée du sire de Clèves que, privé de tout moyen de défendre +les murailles démantelées par l'explosion, il obtint la paix la +plus honorable. S'il promettait désormais fidélité à Maximilien et +s'il lui remettait la ville de l'Ecluse avec le petit château, il conservait +du moins le grand château jusqu'à l'époque où le roi des +Romains lui payerait une somme de 40,000 florins qui lui était due. +On lui assurait, de plus, une pension de 6,000 florins, et tous ses +biens précédemment confisqués lui étaient restitués.</p> + +<p>Ainsi s'acheva cette longue guerre civile qui, pendant douze ans, +avait rempli la Flandre de deuil, et où l'on ne retrouve plus qu'affaiblie +<span class="pagenum"><a id="Page_259"> 259</a></span> +et chancelante l'ancienne énergie des communes flamandes. +Maximilien témoigna au duc de Saxe, qui avait contribué plus +que personne à y mettre un terme, combien il appréciait l'étendue +de ce service, en lui accordant la souveraineté héréditaire de +la Frise.</p> + +<p>Que devint, après la pacification de la Flandre, la ligue de Maximilien +et de Henri VII contre Charles VIII? Quelques lignes +suffiront pour en retracer la décadence et la fin.</p> + +<p>Le roi d'Angleterre avait envoyé son aumônier Christophe +Urswick, doyen de la cathédrale d'York, presser Maximilien de +prendre part à la guerre. En même temps, il traversait lui-même +la mer pour former le siége de Boulogne, où sir Edward Poynings +vint le rejoindre de l'Ecluse. Son armée était nombreuse, et il ne +cessait de rappeler dans ses discours les souvenirs de Crécy, de +Poitiers et d'Azincourt, lorsqu'il signa tout à coup à Etaples un +traité qui laissait, en échange de quelques marcs d'argent, la possession +du duché de Bretagne à Charles VIII.</p> + +<p>Maximilien, qui venait de reconquérir Arras, avait refusé d'adhérer +à ce traité; mais il était bien évident que ni le nombre de ses +hommes d'armes, ni la situation de son trésor, depuis longtemps +épuisé, ne pouvaient lui permettre de poursuivre seul la guerre, et +le 23 mai 1493, ses plénipotentiaires conclurent le traité de Senlis, +où Charles VIII renonça à la main de Marguerite et restitua à son +père les comtés de Bourgogne, d'Artois, de Charolais, de Noyon, +en ne retenant Hesdin, Aire et Béthune que jusqu'à l'époque où +Philippe, devenu majeur, lui rendrait hommage. Peu de jours après, +la fille de Maximilien fut remise, près de Cambray, au marquis de +Bade et au comte de Nassau, après avoir donné au roi de France +des lettres de décharge «d'elle et de sa personne.»</p> + +<p>Marguerite d'York subissait seule avec indignation des revers +si complets et une humiliation si profonde. Fidèle aux desseins +qu'elle avait conçus à une autre époque, elle n'avait cessé de croire +que le seul moyen de lutter contre la France, c'était de triompher +en Angleterre. Les historiens contemporains la comparent à l'implacable +Junon de l'<cite>Enéide</cite>, et Bacon, pour peindre la haine qu'elle +portait à Henri VII, lui a appliqué le célèbre vers de Virgile:</p> + +<p class="quote">Flectere si nequeo superos, Acheronta movebo;</p> + +<p>mais il semble que rien ne justifie un portrait aussi sombre. +<span class="pagenum"><a id="Page_260"> 260</a></span> +Marguerite d'York n'eut jamais recours au crime pour triompher, +et ses ruses ne retracent que celles de Cythérée appelant le faux +Ascagne:</p> + +<p class="quote">Pueri puer indue vultus.</p> + +<p>Ses intrigues avaient guidé Lambert Simnel; elles produisirent un +nouveau prétendant plus redoutable, Peterkin Werbecque.</p> + +<p>A Tournay vivait un batelier, Jean Werbecque, fils de Thierri +Werbecque, juif converti, selon quelques récits. Il avait épousé +Catherine Faron, fille du guichetier de la porte Saint-Jean, et, +dans un registre de condamnations de l'année 1475, il est fait +mention d'une rixe de bateliers dans laquelle figurent Jean Werbecque +et Piérard Flan, son aïeul maternel. Des inimitiés personnelles +réduisirent-elles Jean Werbecque à quitter Tournay pour aller +habiter pendant quelque temps l'Angleterre? Rien ne rend cette +supposition invraisemblable, et la tradition ajoute qu'Edouard IV, +ayant vu la jeune batelière de Tournay, en devint épris. Peterkin +Werbecque eut pour parrain son bisaïeul Piérard Flan, doyen des +navieurs. Un lien plus étroit existait-il entre cet enfant ignoré et le +roi d'Angleterre?</p> + +<p>Peterkin Werbecque, venu à Tournay, y fut élevé avec quelque +soin. On lui enseigna la grammaire; un chantre de Notre-Dame +lui apprit même à jouer du <em>manicordium</em>. Enfin, il alla habiter à +Audenarde chez un de ses parents nommé Jean Steenberg. Ce fut +là que, vers l'époque de l'alliance de Maximilien, de Henri VII, du +roi d'Aragon et du duc de Bretagne contre Charles VIII, les espions +de la duchesse Marguerite, qui cherchaient de toutes parts un +nouveau Lambert Simnel, réussirent à le découvrir. Sa grâce, son +air de noblesse, la ressemblance merveilleuse qu'il présentait avec +Edouard IV, tout le désignait à leur choix, et ils s'empressèrent de +le mener à Anvers, où on le logea chez un pelletier qui demeurait +«auprès de la maison des Englois.» Anvers n'est pas loin de Malines. +Peterkin, secrètement conduit chez Marguerite, put recevoir +d'elle-même ses instructions secrètes sur le rôle qu'il était appelé +à remplir, et quand il les eut bien gravées dans sa mémoire, elle +l'envoya, sous la conduite de la femme de sir Edward Brixton, à +Lisbonne, chez messire Petro Vas de Rona, afin que l'on ne pût pas +dévoiler son origine en remontant d'Anvers à Audenarde, d'Audenarde +à Tournay. Un serviteur du duc de Bretagne reçut bientôt +<span class="pagenum"><a id="Page_261"> 261</a></span> +la mission de l'accompagner en Irlande, et sa carrière royale commença +à Dublin. Les nobles et les bourgeois s'accordaient à reconnaître +en lui le jeune duc d'York, échappé miraculeusement au +poignard de James Tyrrell. Des ambassadeurs français ne tardèrent +pas à venir le féliciter et à l'engager à se rendre en France, et le +jeune Peterkin Werbecque fut reçu avec les honneurs de la royauté +au château d'Amboise, aussi bien que dans les murs de Dublin. +Tantôt on l'appelait <em>la Rose blanche d'York</em>; tantôt on le saluait +du nom de Plantagenet. Rien ne manquait à l'éclat de sa vanité et +de ses espérances, quand le traité d'Etaples fut conclu. Charles VIII +faillit livrer Peterkin à Henri VII, et le jeune représentant des +droits de la maison d'York eut à peine le temps de se retirer près +de la duchesse douairière de Bourgogne; mais il parut tout à coup +que ce revers même allait favoriser sa fortune. Marguerite ajouta +une nouvelle force a ses prétentions en reconnaissant publiquement +la légitimité, et le traité même d'Etaples, qui excitait en +Angleterre un vif mécontentement contre la politique de Henri VII, +donna de nombreux partisans à son compétiteur. Robert Clifford et +Guillaume Barley se rendirent en Flandre et écrivirent à leurs amis +qu'ils avaient reconnu les traits de Richard d'York, <i lang="la" xml:lang="la">de facie novisse +hominem</i>. Ce merveilleux bruit se répandit dans toute l'Angleterre, +et Henri VII, craignant pour la stabilité de son trône, envoya en +ambassade vers l'archiduc Philippe sir Edward Poynings, qui avait +concouru naguère à la prise de l'Ecluse. Maître Guillaume Warham, +qui l'accompagnait, insista dans un éloquent discours pour que les +conseillers de Philippe imitassent l'exemple de Charles VIII en +chassant de ses Etats un audacieux imposteur. Il attaquait vivement +l'influence de Marguerite d'York et se moquait de sa merveilleuse +fécondité qui, malgré le déclin de ses années, avait mis +tout à coup au jour deux princes âgés de cent quatre-vingts mois; +mais les conseillers de Philippe représentaient que Marguerite +était souveraine dans les villes qui formaient son douaire, et il ne +resta à Henri VII, de plus en plus irrité, qu'à recourir aux mesures +les plus énergiques pour dissiper la faction croissante de ses ennemis. +La hache du bourreau frappa les plus illustres, entre lesquels il +faut nommer Simon de Montfort et le grand chambellan Guillaume +Stanley, qui avait placé à Bosworth la couronne de Richard III +sur le front de Henri VII. En même temps, toutes les communications +étaient interceptées entre l'Angleterre et les Pays-Bas. +<span class="pagenum"><a id="Page_262"> 262</a></span> +L'étape de Bruges fut transférée à Calais; il fut défendu de porter +en Flandre des laines anglaises, et tous les marchands flamands +qui résidaient en Angleterre reçurent l'ordre de s'éloigner, tandis +que les marchands anglais qui se trouvaient en Flandre, subissaient +le même exil comme une loi de représailles.</p> + +<p>Le commerce et l'industrie commençaient à peine à renaître en +Flandre quand ces malheureux démêlés éloignèrent de nouveau +l'espoir de les voir se ranimer. Cette situation se prolongea pendant +deux années; enfin, au mois de décembre 1495, Paul de Baenst, +Jean de Courtewille, Thomas Portinari, Florent Hauweel et d'autres +ambassadeurs se rendirent à Londres et y conclurent, le 24 février, +une alliance commerciale, «<em>attendu que la paix est le don le plus +précieux que les hommes puissent recevoir du ciel</em>.» (<i lang="la" xml:lang="la">Cum potiora +mortalibus dona a superis tradi nequeant quam bona pacis.</i>) +Grotius a étudié ce traité au point de vue si important de la liberté +des mers: sous le rapport politique, la clause fondamentale est celle +où les plénipotentiaires flamands promettent de ne recevoir, dans +aucune de leurs villes, pas même dans celles qui forment le douaire +de Marguerite, les ennemis du roi d'Angleterre.</p> + +<p>Peterkin Werbecque avait quitté la Flandre pour aborder en +Ecosse, où le roi Jacques lui avait accordé la main d'une de ses +parentes, fille du comte de Huntley, en l'accueillant comme un +autre Joas échappé au fer des bourreaux; mais les illusions de la +fortune ne devaient plus éblouir longtemps le fils de la batelière de +Tournay. Débarqué dans le Cornwall, il menaça Exeter et s'avançait +vers Taunton, quand, saisi d'une terreur subite, il alla réclamer +le droit d'asile au monastère de Beaulieu; puis il se livra, +avoua tout, et écrivit à sa mère pour qu'elle rendît témoignage de +l'obscurité de son origine: quelque temps après, nous le voyons +chercher à s'évader de la Tour de Londres avec le comte de Warwick, +fils du duc de Clarence, et terminer sa vie, obscur imposteur, +sur le même échafaud que le dernier héritier de la dynastie des +Plantagenets.</p> + +<p>Marguerite d'York avait passé de longues nuits dans les veilles +et dans l'inquiétude: lorsqu'elle apprit les revers de Peterkin Werbecque, +elle pleura plus amèrement le malheur du jeune homme, +dont son ambition s'était fait un instrument docile, que s'il eût été +son neveu, le dernier des fils d'Edouard IV. Que lui restait-il à espérer +du jugement de la postérité? Les titres qu'elle y possédait +<span class="pagenum"><a id="Page_263"> 263</a></span> +étaient sans doute ceux qu'elle estimait le moins: elle avait donné +à l'Angleterre Guillaume Caxton: la Flandre dut aussi à son +amour des lettres la fondation de la riche bibliothèque des Frères +prêcheurs à Gand.</p> + +<p>Un dernier mot sur un personnage non moins célèbre par l'influence +qu'il exerça dans les troubles de la fin du quinzième siècle. +Philippe de Clèves s'était rendu, en 1496, avec le duc Philippe, à +l'assemblée de Ratisbonne, où une croisade fut proposée par Maximilien, +afin de chasser les Turcs de l'Europe; mais l'Empereur oublia +promptement son vaste dessein pour s'occuper de ses nombreux +démêlés dans les Pays-Bas, et même, assure-t-on, pour s'allier aux +Turcs contre les Vénitiens. Lorsque Louis XII annonça qu'il avait +résolu de poursuivre les projets de Charles VIII, qui voulait marcher +par la conquête de l'Italie à la délivrance de l'Orient, Philippe +de Clèves fut l'un des premiers qui répondirent à son appel. +Il obtint bientôt le gouvernement de Gênes, que Charles VI avait +autrefois confié à Boucicault, et ne le quitta que pour recevoir la +capitulation de Naples. Cependant Bajazet II réunissait dans le +vaste empire qui formait l'héritage de son père une immense armée +prête à envahir la Hongrie, et il n'attendait pour lui en donner le +signal qu'un premier succès qui lui eût livré les dernières possessions +des chrétiens dans les mers de la Grèce. Venise, alarmée, +équipa une flotte; mais cette flotte fut vaincue près des îles Sporades, +et bientôt Bajazet parut avec cent cinquante navires devant +Modon, qui était à cette époque la capitale du Péloponèse. La fortune +des infidèles triomphait. Les horreurs du sac de Modon rappelèrent +celles de la prise de Constantinople. Crissa, autrefois si +fière de ses oracles, Coronée, fondée par Epaminondas, Pylos, où +régna Nestor, partagèrent le sort de l'antique Méthone. Dans ce +péril imminent, deux héros se dévouèrent pour la chrétienté. L'un +était Gonzalve de Cordoue, déjà fameux par ses exploits contre les +Mores d'Espagne; l'autre, le sire de Ravestein. Gonzalve reconquit +Céphalonie et s'empara de Leucade, malgré toute une armée assemblée +sur les promontoires de l'Etolie. Philippe de Clèves, pénétrant +plus avant dans l'Archipel, s'était dirigé, avec Antoine de +Lalaing et un grand nombre de jeunes nobles de Flandre, vers l'île +de Mételin. Il espérait rétablir sur les rivages de Lesbos la dynastie +de ces barons franks qui accueillirent Jean sans Peur après la +croisade de Nicopoli; mais les Vénitiens, saisis d'une terreur inopinée, +<span class="pagenum"><a id="Page_264"> 264</a></span> +l'abandonnèrent, et une épouvantable tempête dispersa ses +vaisseaux. A peine parvint-il à regagner Tarente. Son courage n'avait +toutefois pas été stérile: Bajazet II avait senti s'affaiblir son +présomptueux orgueil, et lorsque le sire de Ravestein entra à +Rome, le pape Alexandre VI égala sa gloire à celle de Gonzalve, +puisque, malgré ses revers, il avait partagé avec lui l'honneur de +repousser loin de l'Italie les fureurs sacriléges des infidèles. Philippe +de Clèves, revenu dans les Pays-Bas, acheva sa vie sous les +solitaires ombrages d'Enghien et de Winendale. Soit qu'il éprouvât +de secrets remords du meurtre de Lancelot de Berlaimont et +d'Adrien de Rasseghem, soit qu'il cherchât, comme les légionnaires +de la Rome païenne devenus chrétiens, à oublier dans la pénitence +les agitations et les passions brûlantes de sa vie, il s'y revêtit du +cilice et de la haire.</p> + +<p>Que resta-t-il à Maximilien lui-même de ces rêves d'ambition +qui lui montraient le monde soumis à sa couronne d'empereur ou +à la tiare de pontife qu'il songea un instant à y réunir? Rien qu'un +cercueil qu'il avait soin de prendre avec lui dans tous ses voyages, +afin qu'à défaut des pompes de la vie, il pût compter du moins sur +celles de la mort.</p> + +<p>Le 26 décembre 1494, Philippe, alors âgé de seize ans, avait été +inauguré comme comte de Flandre. Il épousa Jeanne d'Aragon, le +18 octobre 1496.</p> + +<p>De cette union naît à Gand, le 24 février 1500 (n. st.), ce jeune +prince, depuis si célèbre sous le nom de Charles-Quint, qui doit +faire revivre, en combattant François I<sup>er</sup>, l'ancienne querelle des +ducs de Bourgogne et des ducs d'Orléans: dernier terme de ces rivalités +qui, en se développant de plus en plus, sont devenues une +lutte européenne.</p> + +<p>Les communes flamandes entraînées par leur isolement et leur décadence, +restent étrangères à ces vastes démêlés, mais elles conservent +fidèlement les orageuses traditions de leur passé. Elles oublient que +Charles-Quint est né au milieu d'elles, pour placer plus haut que +la part qu'elles peuvent revendiquer dans sa gloire, le zèle qu'elles +portent à leurs antiques franchises. Si elles s'inclinent un jour sous +la main victorieuse d'un prince qui, même en combattant sa patrie, +n'a jamais cessé de l'aimer, un siècle entier pendant lequel s'appesantit +sur elles le joug espagnol ne peut les asservir, et Jean +d'Hembyze, au milieu des passions anarchiques qui l'assiégent, devra +<span class="pagenum"><a id="Page_265"> 265</a></span> +à Jacques d'Artevelde tout ce qu'il y a de grand et de digne de +mémoire dans sa vie et dans sa mort. Telle est la puissance des +souvenirs d'une ère héroïque et prospère qu'à la fin du dix-huitième +siècle, dans les assemblées populaires convoquées par les +commissaires de la république française, on voit encore les bourgeois +de Gand et de Bruges repousser les innovations qu'on leur +propose pour réclamer les priviléges de leurs ancêtres.</p> + +<p>La vie communale, en devenant étrangère à l'autorité politique, +s'était maintenue dans les lois et dans les usages. Une longue +expérience en avait fait apprécier les bienfaits, et le respect dont +elle était entourée était d'autant plus profond que son origine était +plus éloignée; mais rien ne retraçait l'éclat dont ces institutions +avaient joui autrefois, la puissance qui y avait été attachée, l'influence +qu'elles avaient exercée. En vain s'était-on efforcé à plusieurs reprises +de rappeler le commerce dans ces villes mornes et désertes qui lui +avaient dû leurs richesses et leur célébrité; en vain avaient-elles +demandé aux arts et aux lettres quelques-uns de ces pâles rayons +qui se mêlent si bien aux ombres des ruines: la Flandre n'offrait +plus que le tombeau de sa grandeur passée, <i lang="la" xml:lang="la">famosum antiquitatis +sepulcrum</i>, dit un historiographe du dix-septième siècle, et l'avenir +ne lui réservait d'autre couronne que celle que le laboureur tresse +encore aujourd'hui des riches épis de ses moissons.</p> + + +<p class="end">FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_266"> 266</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_267"> 267</a></span></p> + + + +<div class="header"> +<h2>TABLE.</h2> +</div> + +<table id="toc" summary="contents"> +<tr> + <td> </td> + <td class="tdr">Pages.</td> +</tr> +<tr> + <td class="tdl"><span class="smcap">Livre dix-huitième.</span>—Nouveaux projets de croisade.—Le + Dauphin en Flandre.—Discordes du duc Philippe et du comte de + Charolais.</td> +<td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td> +</tr> +<tr> + <td class="tdl"><span class="smcap">Livre dix-neuvième.</span>—Charles le Hardi ou le + Terrible.—Rivalité du duc de Bourgogne et du roi de + France.—Sédition à Gand.—Résistance de l'esprit + communal.—Batailles de Granson, de Morat et de Nancy</td> + <td class="tdr"><a href="#Page_54">54</a></td> +</tr> +<tr> + <td class="tdl"><span class="smcap">Livre vingtième.</span>—Marie de Bourgogne.—Troubles en + Flandre.—Guerres contre Louis XI</td> + <td class="tdr"><a href="#Page_121">121</a></td> +</tr> +<tr> + <td class="tdl"><span class="smcap">Livre vingt-unième.</span>—Discussions relatives à la + mainbournie.—Intervention de Charles VIII.—Captivité de + Maximilien.—Décadence et fin des communes flamandes</td> + <td class="tdr"><a href="#Page_186">186</a></td> +</tr> +</table> + +<p class="end">FIN DE LA TABLE DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.</p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Histoire de Flandre (T. 4/4), by +Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE FLANDRE (T. 4/4) *** + +***** This file should be named 44697-h.htm or 44697-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/6/9/44697/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +book was produced from scanned images of public domain +material from the Google Print project.) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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