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+ The Project Gutenberg's eBook of Histoire de Flandre, Tome Quatrième, by M. Kervin de Lettenhove </title>
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+<pre>
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+The Project Gutenberg EBook of Histoire de Flandre (T. 4/4), by
+Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: Histoire de Flandre (T. 4/4)
+
+Author: Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove
+
+Release Date: January 18, 2014 [EBook #44697]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE FLANDRE (T. 4/4) ***
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+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+book was produced from scanned images of public domain
+material from the Google Print project.)
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+</pre>
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+
+<div class="tnote">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p>
+
+<h1><span class="large">HISTOIRE</span><br />
+DE FLANDRE.</h1>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span></p>
+
+<div class="frontmatter">
+<p>Bruxelles.&mdash;Imprimerie <span class="smcap">Alfred</span> VROMANT.</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_III"> III</a></span></p>
+
+<div class="titlepage">
+<h2><span class="large">HISTOIRE</span><br />
+<span class="small">DE</span><br />
+<span class="sper">FLANDRE</span></h2>
+
+<p><span class="xs">PAR</span><br />
+M. KERVYN DE LETTENHOVE</p>
+
+<hr class="deco" />
+
+<p class="small">TOME QUATRIÈME</p>
+
+<hr class="deco" />
+
+<p class="small">1453-1500.</p>
+
+<p><span class="large">BRUGES</span><br />
+BEYAERT-DEFOORT, ÉDITEUR</p>
+
+<hr class="deco" />
+<p class="small">1874</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_IV"> IV</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
+
+
+<div class="header">
+<h2>HISTOIRE DE FLANDRE<br />
+<span class="large">LIVRE DIX-HUITIÈME</span><br />
+<span class="small">1453-1467.</span></h2>
+
+<hr class="deco" />
+<p class="subh">Nouveaux projets de croisade.<br />
+Le Dauphin en Flandre.<br />
+Discordes du duc Philippe et du comte de Charolais.</p>
+</div>
+
+
+<p>La maison de Bourgogne était parvenue par de longs efforts à
+maintenir sa puissance; mais près de trois quarts de siècle s'étaient
+écoulés sans qu'elle eût pu, réalisant ses projets ambitieux, asseoir
+d'une manière stable son influence en France et revendiquer dans
+la patrie des Robert et des Baudouin, vaincue et humiliée, la dictature
+de l'Europe armée contre les infidèles. La bataille de Gavre
+permettra aux ducs de Bourgogne de s'avancer désormais d'un pas
+moins incertain vers le but qu'ils se proposent; en renversant les
+obstacles qui les arrêtèrent pendant longtemps, elle nous ramène à
+Jean sans Peur et à Philippe le Hardi, à l'expédition de Nicopoli
+de 1396, au banquet de Lille de 1383.</p>
+
+<p>C'est de nouveau à Lille qu'auront lieu les fêtes où le duc de
+Bourgogne assemblera solennellement, comme son aïeul, les chevaliers
+qui ont combattu sous sa bannière, en célébrant dans les
+mêmes réjouissances les trophées du passé et ceux de l'avenir, les
+revers des communes flamandes à Roosebeke et à Gavre et la croisade
+que le duc Philippe espère conduire lui-même aux rives de la
+Propontide pour effacer les tristes souvenirs de celle de Jean sans
+Peur.</p>
+
+<p>Le 17 février 1453 (v. st.), tous les barons de la cour de Bourgogne
+se trouvaient réunis au palais de Lille, lorsqu'au milieu des
+splendides intermèdes préparés par les ministres les plus habiles
+des plaisirs du duc, ils virent entrer une femme vêtue de deuil,
+<span class="pagenum"><a id="Page_2"> 2</a></span>
+assise sur un éléphant qu'accompagnait un More de Grenade. Elle
+représentait la sainte Eglise comme elle le déclara elle-même dans
+quelques vers où elle peignit ses malheurs et ses périls en réclamant
+un généreux appui.</p>
+
+<p>Deux illustres dames parurent alors, précédées de Toison d'or,
+qui portait un beau faisan, afin qu'un noble oiseau présidât, selon
+l'usage, aux v&oelig;ux qu'on allait faire. Le duc voua le premier aux
+dames et au faisan qu'il irait en Orient combattre les infidèles.
+Tous les chevaliers qui l'entouraient s'engagèrent par les mêmes
+serments.</p>
+
+<p>Parmi ceux qui assistaient à ce banquet, le plus somptueux et le
+plus fameux du quinzième siècle, se trouvait un homme sage qui
+déplorait l'exagération de ce luxe et les folles dépenses qu'occasionnaient
+ces fêtes. «Apprends, mon ami, lui répondit un des conseillers
+de Philippe, que ces banquets et ces tournois, qui sont devenus
+de plus en plus brillants, n'ont d'autre cause que la ferme
+volonté et le désir secret du duc de parvenir ainsi plus aisément
+à exécuter ses anciens projets. Le v&oelig;u qu'il a prononcé vient de
+les révéler.»</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne avait, à diverses reprises, envoyé des chevaliers
+lutter contre les flottes ottomanes dans les mers de l'Archipel
+et des négociateurs préparer sur ces rivages éloignés l'apparition
+d'une expédition plus considérable, destinée à arrêter les progrès
+menaçants de Mahomet II. Depuis la pacification de la
+Flandre, rien ne s'opposait plus à ce qu'il poursuivît les préparatifs
+de la croisade si pompeusement annoncée, au banquet du Faisan, à
+tous les peuples chrétiens. Le 24 mars 1453 (v. st.), il quitta Lille
+pour aller visiter ses Etats de Bourgogne; de là il se rendit dans
+les cantons suisses, où il reçut aussi grand accueil que s'il eût été
+l'Empereur lui-même; puis il entra en Souabe par Constance et eut
+successivement des entrevues avec le comte de Wurtemberg, les
+ducs de Bavière et d'Autriche: enfin il arriva à Ratisbonne où
+allait s'assembler la diète de l'Empire. L'empereur Frédéric III,
+qui s'était fait excuser de ce qu'il ne pouvait pas aller lui-même l'y
+saluer, chargea de ce soin ses ambassadeurs, et quand Philippe
+rentra dans ses Etats, il avait conclu avec la plupart des princes
+allemands des alliances avantageuses et conformes à ses vues.</p>
+
+<p>Cette vaste confédération que préparait le duc de Bourgogne,
+religieuse dans le but publiquement avoué, mais essentiellement
+<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span>
+politique dans son principe et dans ses causes, n'embrassait pas
+seulement les nombreuses principautés des rives du Rhin; elle
+devait, plus près de ses Etats, renouer en un faisceau que rien ne
+pourrait rompre toutes les intrigues qui depuis longtemps divisaient
+la France et l'Angleterre. Le Dauphin élevait la voix vers le
+pape du fond de l'apanage où depuis neuf ans il vivait isolé, pour
+obtenir la permission de prendre part à la croisade comme gonfalonier
+de l'Eglise. Le duc d'Alençon s'était rendu à Lille au moment
+même où s'y tenait le banquet du Faisan et y avait eu une courte
+conférence avec Philippe, tandis que des émissaires anglais arrivaient
+à Bruges pour prendre part aux mêmes négociations. Lorsque
+le duc de Bourgogne revint d'Allemagne, il conclut un autre traité
+avec le duc de Bourbon: le mariage de l'une des filles de ce prince
+et du comte de Charolais, déjà veuf de Catherine de France, devait
+en être le gage, et aussitôt après un messager porta à Lille l'ordre
+de le célébrer immédiatement, soit que l'on prévît l'opposition de
+la duchesse Isabelle qui eût préféré une princesse anglaise, soit que
+l'on craignît que Charles VII ne voulût maintenir le lien étroit qui
+unissait à sa maison l'héritier de tant de puissantes seigneuries, en
+lui faisant épouser une autre de ses filles.</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne avait convoqué à Bruges les députés des
+Etats, et l'un de ses conseillers les harangua en son nom. «Il siet
+bien de vous réduire à mémoire, leur dit-il, que aultrefois sous
+l'empire d'Alexius, ung sien prédécesseur d'immortel mémoire,
+le comte Bauduin de Flandres, par sa vertu et haut emprinse,
+conquist en cas semblable ceste noble cité de Constantinople sur
+les mescréans: si en doit mon très redoubté seigneur avoir le
+cuer plus meu et affecté envers elle pour cause d'icelui son prédécesseur,
+si glorieux prince, en qui l'injure faite aujourd'hui redondde.»
+Ces discours étaient accueillis avec peu d'enthousiasme:
+la croisade qu'ils annonçaient ne devait retrouver ni l'austère piété
+de Baudouin de Constantinople, ni la sublime éloquence de Foulques
+de Neuilly.</p>
+
+<p>De Bruges le duc de Bourgogne se rendit en Hollande. Il y reçut
+de Jean Rolin, cardinal de Saint-Etienne <i lang="la" xml:lang="la">in monte C&oelig;lio</i> et légat
+de Calixte III, l'étendard de la guerre sainte, orné d'une croix rouge,
+en mémoire de la passion de Notre-Seigneur. Le pape avait confirmé
+les pouvoirs spéciaux des évêques de Toul et d'Arras, investis
+du droit d'appeler les prêtres eux-mêmes à s'armer du glaive, non
+<span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span>
+plus, comme aux anciens jours, pour défendre le temple, mais pour
+le reconquérir; il avait même permis au duc de Bourgogne, qu'il
+nommait le bouclier de la foi, de disposer, pour les employer aux
+frais de la croisade, des revenus de tous les bénéfices vacants
+dans le monde chrétien. Philippe se plaisait à étaler aux regards
+surpris ses immenses richesses, sa belle vaisselle, qui valait trente
+mille marcs d'argent, et son fameux trésor qui contenait deux cent
+mille lions d'or; mais il avait trop compté sur l'appui de ses alliés.
+Leurs complots, non moins menaçants pour la paix des royaumes
+chrétiens que les progrès des infidèles, ne pouvaient rester complètement
+ignorés, quelque pieux qu'en fût le prétexte, et, au mois de
+mai 1456, l'on apprit tout à coup que le duc d'Alençon avait été
+arrêté à Paris par l'ordre de Charles VII. On lui fit subir divers
+interrogatoires, et il avoua non-seulement ses relations avec le duc
+de Bourgogne, mais aussi une alliance secrète avec les Anglais qui
+devaient débarquer à Calais, en Guyenne et en Normandie. Le Dauphin,
+compromis par ces révélations, eut à peine le temps de gagner
+les frontières de la Bourgogne, après avoir écrit à son père
+«qu'il s'en alloit devers son bel oncle pour sçavoir son intention
+sur son allée sur le Turc à la défense de la foi catholique.»</p>
+
+<p>Le Dauphin était arrivé à l'âge de trente-trois ans: toute sa vie
+avait été pleine de dissimulation et d'intrigues. A seize ans, il avait
+pris part à l'échauffourée de la Praguerie. A vingt ans, il avait
+assisté à la prise de Dieppe, et, pour récompenser ses compagnons,
+il les avait ramenés dans l'Ile-de-France, leur permettant d'y rançonner
+les vignerons et les laboureurs. Aussi terrible dans ses haines
+qu'habile à les cacher, impie dès sa jeunesse, mais devenu bientôt
+superstitieux par je ne sais quel fol espoir de tromper la Providence
+divine comme il trompait les hommes, il avait pu librement développer
+ses défauts et ses vices dans la solitude de son apanage du
+Dauphiné. «Il s'y contenoit, dit Chastelain, faisoit bonne chère, amoit
+par amours, maintenoit gens d'armes, travailloit fort son peuple
+et le duc de Savoie, son beau-père, ploioit tout à sa guise, mesmes
+par armes et par haute main, et s'estoit mis en guerre à l'encontre
+de tous les plus grans nobles de son pays, et les en avoit expulsez
+par le conseil d'aucuns étrangers cypriens et de femmes qui le
+gouvernoient.» La colère de son père était le seul frein qu'il
+connût: l'habitude de se livrer à toutes ses volontés et d'employer
+tous les moyens pour les exécuter, la lui faisait si vivement redouter,
+<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span>
+qu'il en avait, ajoute le même historien, «une peur sauvage.»</p>
+
+<p>Le Dauphin n'avait amené dans sa fuite qu'un petit nombre de
+ses serviteurs, parmi lesquels on remarquait un valet de chambre
+flamand nommé Jean Wast, qui lui servait de secrétaire. Le sire
+de Blamont, si fameux par ses cruautés dans la guerre de Flandre,
+conduisit le prince fugitif à Bruxelles, où il attendit quelques jours
+l'arrivée du duc de Bourgogne, retenu en Hollande par les troubles
+d'Utrecht; mais quand il le vit, il lui exprima vivement toute sa
+joie «et l'accola si estroit, qu'à peine se pooit lessier couler
+à terre.»</p>
+
+<p>Cependant Charles VII s'irritait vivement de cet asile accordé
+à un fils rebelle, et se montrait peu disposé à écouter les explications
+offertes par les sires de Croy et de Lalaing; il réunissait même
+aux frontières du nord ses troupes d'archers et d'hommes d'armes
+qu'il avait le premier organisées d'une manière stable et régulière,
+en leur donnant une solde qui remplaçât le droit odieux du pillage,
+vaillantes milices qui furent le modèle de toutes les armées modernes.
+Le duc n'en persistait pas moins à alléguer le respect même
+qu'il portait à la maison de France pour justifier sa conduite, et le
+Dauphin déclarait que si l'hospitalité lui était refusée dans les
+Etats du duc de Bourgogne, il irait réclamer celle des Anglais,
+«ennemis du royaume de France, et que là il seroit soustenu et
+bienvenu.»</p>
+
+<p>Philippe devait trouver la punition de son zèle à animer les querelles
+du roi et de son fils, en voyant se développer les mêmes discordes
+domestiques dans sa propre maison. Le comte de Charolais
+se plaignait de la faveur illimitée dont jouissaient les sires de Croy;
+il avait eu des démêlés avec eux au sujet de la succession de la
+dame de Béthune: mais la haine qu'il leur portait n'éclata publiquement
+qu'au mois de janvier 1456 (v. st.), peu de temps après le
+retour du duc Philippe de Hollande.</p>
+
+<p>Pendant l'absence du sire d'Auxy, premier chambellan du comte
+de Charolais, les sires d'Aymeries et de Quiévraing se disputaient
+l'honneur de le remplacer. Le dernier, fils de Jean de Croy, bailli
+de Hainaut, s'appuyait sur l'influence que possédait sa maison, et
+un jour, après la célébration de la messe, le duc appela lui-même
+le comte de Charolais dans son oratoire, pour lui ordonner de choisir
+le sire de Quiévraing, mais le jeune prince refusa de lui obéir.
+«Je sais bien, lui disait-il, que vous vous laissez gouverner par
+<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
+les Croy, mais vous ne pouvez pas exiger qu'ils me gouvernent
+aussi.» A ces mots, le vieux duc changea de visage; il saisit une
+épée et en eût frappé son fils, si celui-ci n'eût trouvé un asile dans
+les bras de sa mère, qui se hâta de le conduire dans l'appartement
+du Dauphin. Rien ne devait irriter davantage le duc de Bourgogne;
+il ne pouvait souffrir qu'un prince étranger fût le témoin de ces
+dissensions intérieures, et encore moins qu'on cherchât en lui un
+médiateur. Aussi, lorsque le Dauphin se présenta pour intercéder
+en faveur du comte de Charolais, Philippe oublia-t-il le respect
+qu'il lui avait montré jusqu'à ce moment, pour repousser ses instances.
+«Assez, monseigneur, lui répliquait-il, tenez-vous en vostre
+paix, je ferai bien aveuc mon fils et aveuc la mère aussi, laquelle
+n'a de riens amendé sa querelle.» En disant ces dures paroles
+ajoute Chastelain, «se monstra tant fier et tant animé, que nul &oelig;il
+ne le regardast qui n'en eust paor, mesmes le Daulphin.» Cependant
+le prince français s'était jeté à genoux, nommant le duc
+«son père et son tout en ce monde,» et le conjurant de pardonner
+à son fils. Philippe céda, mais en versant des larmes. «Gardez-le
+bien, s'écria-t-il, mès jour que vous vivrez après, ne moy aussi,
+vous ne me verrez de vos yeulz, or en soit vostre volenté faite, mès
+la mienne demorra telle.» Et il sortit en courant et se cachant
+la figure dans son manteau, de peur que l'on ne remarquât son émotion.
+On le vit descendre dans le parc qui touchait au palais de
+Bruxelles et entrer dans un pavillon où il appela son valet de
+chambre, pour lui ordonner d'aller prévenir les sires de Croy qu'ils
+se rendissent immédiatement à Halle; puis il se fit amener un petit
+cheval, et s'éloigna en traversant les rues de Bruxelles sans que
+personne le reconnût.</p>
+
+<p>Il était déjà tard. Un froid brouillard mêlé de pluie avait succédé
+aux gelées. Les chemins étaient mauvais, tantôt coupés par le
+cours rapide des ruisseaux qu'avaient enflés les inondations, tantôt
+couverts de mares profondes; mais le duc n'en poursuivait pas moins
+sa route vers Halle, quoique la brume s'épaissît de moment en moment.
+La nuit arriva: elle était si obscure que le duc n'apercevait
+rien à une distance de six pas. Il s'était engagé dans une vaste
+forêt; son cheval trébuchait sans cesse et s'enfonçait tour à tour
+dans la boue ou dans les glaces qui, en certains endroits, avaient
+résisté aux faibles rayons d'un soleil d'hiver. Le duc n'avait pris
+aucune nourriture de toute la journée, et comme il n'avait pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span>
+changé de costume depuis qu'il avait quitté son oratoire, le froid et
+l'humidité pénétraient tous ses membres: les ronces qui arrêtaient
+son passage ensanglantaient ses mains, et c'était en vain qu'il cherchait
+à trouver sur le sol quelques traces qui lui eussent annoncé
+l'approche d'une habitation. Il essaya de crier, et sa voix se perdit
+également dans la solitude. Enfin, après de longues heures de souffrance
+et d'anxiété, il découvrit vers minuit une chaumière où il
+s'adressa en flamand à un pauvre paysan qui, prenant pitié de lui,
+alluma du feu pour le réchauffer et lui apporta du pain, quelques
+oignons et un peu de fromage. Ce laboureur ignorait quel était son
+hôte, car il l'interrogea longuement sur son état et sur les motifs
+de son voyage, comparant même parfois ses richesses à celles du
+duc de Bourgogne, parce qu'il avait reçu du voyageur égaré un
+florin du Rhin. Philippe le chargea de le conduire à Alsemberghe,
+chez un de ses anciens veneurs, où il passa la fin de la nuit et une
+partie de la journée du lendemain. Il se rendit ensuite au château
+de Genappe, et ce fut là qu'un jeune chevalier nommé Philippe
+Pot, envoyé par le Dauphin à la recherche du duc, le retrouva; mais
+Philippe se contenta de lui répondre «que de ly ne feussent en
+soing, car s'en alloit en Bourgogne, dequel lieu ne bougeroit d'un
+demi-an, et que si hardi que homme des sien ne le suivist s'il
+n'estoit mandé, sur encourir son indignation mortelle.» Cependant
+Philippe Pot parvint à, calmer peu à peu l'irritation du duc
+de Bourgogne, en lui promettant que le Dauphin s'engagerait à ne
+plus lui adresser aucune prière à l'avenir. Les sires de Croy joignirent
+leurs instances aux siennes, et Philippe consentit à rentrer
+à Bruxelles. Il conservait toutefois l'amer souvenir de ce qui s'était
+passé, et son mécontentement éclatait en plaintes violentes contre
+la duchesse de Bourgogne. Ce fut inutilement qu'elle le supplia de
+lui pardonner son amour maternel et ses inquiétudes pour un fils
+qui était son unique soutien sur une terre étrangère: elle se vit
+réduite à quitter une cour somptueuse et brillante pour aller vivre
+au milieu des bois, dans un couvent de s&oelig;urs grises, à Nieppe, à
+l'ombre de ce château où Robert de Cassel avait trouvé, au quatorzième
+siècle, un asile contre le ressentiment de Louis de Nevers.
+Le comte de Charolais s'était déjà retiré à Termonde. Le duc exigea
+qu'il se soumît à toutes ses volontés, et ne lui pardonna qu'à cette
+condition qu'il congédierait deux officiers de sa maison soupçonnés
+de l'avoir encouragé dans sa résistance: c'étaient un jeune clerc
+<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
+qui s'appelait Guiot d'Ouzy et un ménestrel bourguignon nommé
+Guillaume Biche. Guiot d'Ouzy se réfugia à Paris, où la haine du
+duc Philippe fut jugée un titre suffisant pour le faire admettre dans
+la maison de Charles VII; mais il est probable que, pour se réconcilier
+avec le duc de Bourgogne, il lui servit d'espion. Guillaume
+Biche s'était rendu également en France, et y remplissait le même
+rôle en faveur du comte de Charolais, qui s'empressait d'instruire
+le Dauphin de tout ce qu'il avait appris. Des malheurs communs
+dont la source était la même n'étaient-ils pas un titre à une confiance
+réciproque et à une mutuelle amitié?</p>
+
+<p>L'influence du Dauphin, conspirateur menaçant pour la France
+en même temps que médiateur pacifique dans les Etats du duc de
+Bourgogne, augmentait de jour en jour. Au mois de février 1456
+(v. st.), il tint sur les fonts de baptême la fille du comte de Charolais
+à qui, en mémoire de sa mère, la reine Marie d'Anjou, il donna
+le nom de Marie. Philippe n'avait point voulu paraître à cette cérémonie,
+parce qu'il trouvait dans le sexe de cet enfant je ne sais
+quel pressentiment de la fin prochaine de sa dynastie. Nous raconterons
+plus tard comment le Dauphin, devenu le roi de France
+Louis XI, protégea la jeune princesse, qu'il avait juré au pied des
+autels de chérir et de défendre.</p>
+
+<p>Philippe avait accordé au Dauphin une pension de trente-six
+mille livres avec le château de Genappe pour résidence. Il allait
+souvent l'y voir et deviser joyeusement avec lui et les seigneurs de
+la cour les plus célèbres par la vivacité de leur esprit et la fécondité
+de leur imagination. Ce fut à Genappe que le Dauphin et le
+duc se plurent à lutter avec les sires de la Roche, de Créquy, de
+Villiers, de Fiennes, de Lannoy, de Mériadec, le prévôt de Watten
+et l'amman de Bruxelles, à qui imiterait le mieux dans leur grâce,
+et surtout dans leur licence, les tableaux du <cite>Décaméron</cite> de Boccace.
+Nous ne rappellerons toutefois les <cite>Cent nouvelles nouvelles</cite>
+que pour y rechercher la part qu'y occupent des données plus ou
+moins sérieuses sur l'époque et sur le pays où elles furent écrites.
+A ce titre, il faut citer <cite>les trois damoiselles de Malines</cite>, <cite>le beau
+page de Brabant</cite>, <cite>le docte clerc de Lille</cite>, <cite>l'aubergeon de la dame du
+Hainaut</cite>. La Flandre y est aussi représentée, notamment par «le
+conte du chevalier, jeune bruyant jousteur, danceur et bien chantant,»
+qui échoua dans ses amours à Maubeuge; celui du gentilhomme
+qui revêtit sa robe sans manches pour aller recevoir le dernier
+<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
+adieu de sa mère est déjà un récit plus grave; enfin il en est
+un qui, tout opposé aux autres, est presque une leçon de morale et
+de vertu. Parmi les chevaliers flamands qui tombèrent au pouvoir
+des infidèles à la journée de Nicopoli, et qui ne périrent point sous
+le glaive des bourreaux de Bajazet, la plupart payèrent rançon;
+mais il y en eut toutefois plusieurs qui n'échappèrent aux douleurs
+du martyre que pour être condamnés à l'esclavage. L'un de ceux-ci
+fut Nicolas Uutenhove. Accablé des travaux les plus rudes, il regrettait
+amèrement sa patrie et sa femme, «qui de tout son cueur
+l'aymoit et prioit Dieu journellement que brief le peust revoir se
+encores il estoit vif, et que s'il estoit mort, il voulsist par sa grâce
+ses péchez pardonner et le mettre au nombre des glorieux martyrs
+qui, pour l'exaltation de la sainte foy catholique, s'estoient
+volontairement offerts à mort corporelle.» Neuf ans s'étaient
+écoulés sans qu'elle eût appris quelque chose du sort de Nicolas
+Uutenhove, et sa famille ne cessait de lui représenter qu'il était
+temps de mettre un terme à son veuvage. Elle n'y consentit qu'à
+regret et bien que combattue par de secrets remords; en effet, elle
+avait à peine accepté un nouvel époux depuis six mois, lorsque le
+bruit du retour de Nicolas Uutenhove, qui avait été racheté «par
+le moyen d'aulcuns chrestiens gentilshommes,» se répandit «au
+pays d'Artois et de Picardie, où ses vertus n'estoient pas moins congneues
+que en Flandres, d'où il estoit natif.» On en fut bientôt
+instruit à Gand, et dès ce moment sa femme refusa toute nourriture;
+ses larmes ne cessaient de couler, et elle expira le troisième
+jour, en protestant que si elle avait été trop faible à repousser des
+obsessions funestes, son c&oelig;ur, du moins, n'avait jamais été coupable.
+L'auteur de ce récit, qui fait oublier tous les autres, tant il est
+simple et touchant, était le Dauphin Louis de France: c'est le seul
+titre de sa reconnaissance pour un pays qui lui accorda une généreuse
+hospitalité pendant le long séjour qu'il y fit avec le duc de
+Bourgogne.</p>
+
+<p>Ce fut vers les premiers jours de l'année 1457 que Philippe, pour
+faire honneur au Dauphin, résolut de lui montrer ces fameuses
+cités dont la puissance était si grande, disait le pape Pie II, qu'il
+semblait qu'en elles seules résidât toute celle des ducs de Bourgogne.
+Il se rendit avec lui de Bruxelles à Audenarde, d'Audenarde à
+Courtray. Arrivés à une lieue de Bruges, le 4 avril vers le soir, ils
+y trouvèrent les nobles et les magistrats qui les attendaient entourés
+<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
+de huit cents marchands étrangers, richement vêtus de soie, de damas
+et de velours. Les échevins complimentèrent d'abord le Dauphin,
+qui leur répondit doucement: «Messeigneurs, je vous mercie
+de l'honneur que vous me faites, et me sera bien vostre ville pour
+recommandée en temps à venir.» Aux acclamations qui saluaient
+le duc se mêlaient celles des marchands des <em>nations</em>; les uns
+criaient: «Vive Alphonse, roi d'Aragon!» les autres répétaient:
+«Vive Henri, roi de Castille!» et en même temps ils agitaient les
+torches qu'ils avaient prises avec eux pour les allumer dès que la
+nuit serait venue. Leurs bruyantes clameurs, leur nombre, ce mouvement
+même que la chute du jour ne permettait de distinguer
+qu'imparfaitement, surprirent le Dauphin, peu habitué aux grandes
+démonstrations des cités flamandes. Il crut reconnaître dans ces
+paisibles marchands des gens de guerre; leurs torches lui paraissaient
+des lances, «et durement, ajoute Chastelain, le Dauphin en
+devint perplex et plein d'effroy, et cuidoit certainement estre
+trahy, si s'en perçut le duc et devint tout honteux mesmes, mès
+leur fit dire que, de par le diable, ils s'en allassent tout coiement
+ou il les puniroit de corps.»</p>
+
+<p>Le duc et le Dauphin assistèrent à Bruges aux joutes qui y avaient
+lieu chaque année depuis le commencement du quatorzième siècle.
+Le premier dimanche du carême, les bourgeois de Bruges se rendaient
+à Lille pour prendre part aux fêtes de l'Epinette. Le second
+dimanche après Pâques, ceux de Lille les suivaient à Bruges pour
+assister aux joutes de la confrérie de l'Ours-Blanc. C'était sur la
+place du Marché que les combattants, après s'être solennellement
+réunis à l'abbaye d'Eeckhout, venaient rivaliser de force ou d'adresse.
+Trois prix étaient donnés: une lance, un cor de chasse, un
+ours ciselé en argent. Celui qui obtenait le premier devenait le chef
+de la confrérie, sous le nom de forestier. La foule se pressait à ces
+joutes, et d'illustres chevaliers ne dédaignaient pas d'y descendre
+dans l'arène. Mais ce qui excita bien plus vivement l'admiration
+des deux princes, ce fut l'imposante solennité de la procession du
+Saint-Sang à laquelle accouraient de fort loin de nombreux pèlerins.
+Les Brugeois étalaient à l'envi, dans les rues ornées de draperies
+rouges et blanches, et de lanternes de mille couleurs, tout
+ce qu'ils possédaient de plus précieux. Le Dauphin, en voyant une
+si grande multitude de peuple se presser autour de lui, avait avoué
+qu'il ne croyait pas qu'il y en eût autant dans toute la Flandre, et ses
+<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
+serviteurs ne se montraient pas moins émerveillés du brillant spectacle
+qui frappait leurs regards: ce qui donne lieu aux chroniqueurs
+de cette époque de remarquer combien il était imprudent d'exciter
+ainsi la convoitise d'un prince naturellement avide et ambitieux.</p>
+
+<p>Le Dauphin passa plusieurs semaines à Bruges; il cherchait à s'y
+faire aimer des habitants et étudiait avec soin leurs m&oelig;urs et leurs
+institutions, les ressources de leur commerce et les richesses de
+leur ville. Un jour, étant monté dans un petit batelet près de
+Bruges, il tomba à l'eau et faillit se noyer; un autre jour, il profita
+d'une partie de chasse pour aller visiter le port de l'Ecluse, encore
+si florissant alors, que parfois l'on y voyait aborder dans une seule
+journée cent cinquante navires.</p>
+
+<p>Le Dauphin attendait à Bruges des nouvelles importantes de
+France. Un complot avait été formé pour enlever le roi Charles VII
+du château de Saint-Priest, en Dauphiné, au moment même où il
+donnait audience aux ambassadeurs bourguignons, chargés de lui
+renouveler de mensongères protestations de respect et de soumission;
+mais ce complot fut découvert, et le duc de Bourgogne, prévoyant
+de plus en plus une rupture complète, quitta la Flandre pour aller
+exhorter les habitants de la Somme à lui rester fidèles, s'ils étaient
+attaqués par les Français.</p>
+
+<p>L'été s'écoula sans que rien justifiât ces craintes, et, dans les
+derniers jours de l'automne, le duc retourna à Bruges; il y reçut,
+pendant l'hiver, une députation des bourgeois de Gand, qui venaient
+l'inviter à se rendre dans leur ville. Philippe feignit d'abord de se
+montrer peu disposé à oublier les longues et sanglantes discordes
+qui avaient précédé la paix de Grave: il leur avait même fait dire
+qu'ils eussent à s'adresser au maréchal de Bourgogne, ce fameux
+sire de Blamont, «l'homme du monde que Gantois aultrefois plus
+avoient hay;» mais les députés de Gand annonçaient l'intention
+de réclamer la médiation du Dauphin, comme les Brugeois avaient,
+à une autre époque, invoqué celle du duc d'Orléans. Philippe en fut
+instruit; il n'eût pas vu plus volontiers un prince étranger intervenir
+dans les soins de son gouvernement que dans les discordes
+intérieures de sa maison, et il se décida à recevoir lui-même les
+députés de Gand, en les faisant avertir «que point ne se traveillassent
+de faire nulluy prier pour eulx, et par faire aultrement,
+ils se reculleroient plus que ne s'avanceroient.»</p>
+
+<p>Les députés de Gand s'efforcèrent de calmer le duc par leurs
+<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
+discours. Ils lui représentèrent doucement que s'ils avaient «esté
+en émoi,» ils n'avaient du moins jamais, comme les Brugeois en
+1325 en et 1437, persécuté en «corps» le légitime seigneur du
+comté de Flandre. L'évêque de Toul prit la parole pour leur répondre:
+il insista sur l'audace et la durée de leur rébellion, et sur ce
+qu'il pouvait y avoir de périlleux pour le duc de Bourgogne à aller
+se placer au milieu de ceux qui, naguère encore, levaient leurs bannières
+contre la sienne. «Les choses passées, disait-il, sont encore
+fresches, et n'y a que quatre ans que les playes en saignoient encore.
+Nous espérons bien que vous aultres et les gens de bien de
+la ville n'y entendez rien que léaulté; mais quelle seurté peut-on
+avoir en une infinité d'aultres rudes et meschans gens, malvais
+garssons, qui n'ont point d'honneur en eulx, ne d'avoir, mès
+ont peut-estre esté contre monseigneur en bataille, là, où, eulx
+fuians et desconfis, leurs pères, leurs frères, leurs prochains
+amis et parens ont esté mors et tués, et ont perdu maisons brullées,
+dont maintenant, par aventure, quant verroient cely par qui
+ce leur avoit esté fait et le sauroient estre en leurs lacs et leur
+fort, pensans à la vengeance de leur annuy, pourroient faire ung
+assemblement par nuit et à l'heure quand lui et nous tous ses
+seigneurs dormerions, porroient venir férir desus et contendre à
+tuer tout, le maistre avec sa famille?... Or, est tout cler que
+Gand a beaucoup de malvais garssons et de rudes et felles
+c&oelig;urs de gens... Il y a nul de nous qui ne vousist bien que la
+chose se peust faire à l'honneur de monseigneur et principalement
+à sa seurté, et savons bien qu'il feroit bien quant il monstreroit
+visage de miséricorde et de clémence à son peuple, et par
+espécial en une si noble et puissante ville comme est Gand, une
+des plus belles et des puissantes du monde.»</p>
+
+<p>Deux des députés de Gand, Matthieu de Gruutere et Jean Stoppelaere,
+cherchèrent à justifier les Gantois, en démontrant qu'il
+n'existait aucun sujet de crainte et d'inquiétude dans l'avenir.
+Quelle que fût l'étendue de la ville de Gand, quelle que fût sa
+population, les doyens, les jurés, les connétables, les centeniers et
+les dizeniers en connaissaient tous les habitants, et exerçaient sur
+eux une si grande influence que leurs serments garantissaient la
+fidélité, la soumission et la paix de toute la cité. Pour assurer le
+succès de cette démarche, ils offraient au duc vingt mille lions
+d'or; Philippe avait constamment besoin de ressources considérables
+<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
+pour l'exécution de ses vastes desseins. Il eût d'ailleurs
+jugé imprudent de faire revivre le mécontentement des Gantois,
+au moment où une invasion hostile, de Charles VII n'avait pas
+cessé d'être probable; il céda aux humbles prières de leurs députés,
+et promit de se rendre au milieu d'eux le 6 avril 1458.</p>
+
+<p>Quelques serviteurs du duc de Bourgogne l'avaient précédé à
+Gand pour y étudier les dispositions des bourgeois, en même temps
+qu'ils veilleraient aux préparatifs des fêtes qui devaient avoir lieu.
+Ils reconnurent que tout était calme et paisible, et ne remarquèrent
+dans les rues que de somptueuses tapisseries aux couleurs du
+duc, qui étaient noir, gris et vermeil, ou de riches ornements d'or
+et d'argent, dont quelques maisons étaient entièrement couvertes.
+Leurs rapports avaient fait cesser toute inquiétude, lorsque le 27
+mars ils retournèrent précipitamment à Bruges; le même jour, un
+tremblement de terre s'était fait sentir à Gand, et les moines de
+Saint-Pierre, réunis dans leur église, prétendaient avoir entendu
+saint Bertulf s'agiter violemment dans son tombeau, signe certain
+de grands événements. Ce récit parvint jusqu'au Dauphin «et lui
+bouta telle paour en la teste qu'il alla supplier le duc de renoncer
+à son projet; mais Philippe consentit seulement à l'ajourner. Le
+maréchal de Bourgogne, envoyé à Gand, revint bientôt annonçant
+que rien ne légitimait la terreur des moines de Saint-Pierre, et
+l'entrée du duc fut définitivement fixée au 23 avril. «Mès oncques
+le Daulphin ne se voult changier de son opinion, dit Chastelain,
+tant l'avoit peur ahers et ne l'eust sçu asseurer langue
+d'homme.»</p>
+
+<p>Le 22 avril, le duc de Bourgogne avait passé la nuit à Eecloo;
+le lendemain, il se rendit à Gand. Douze cents hommes d'armes
+et deux cents archers le précédaient salade en tête, et il s'avançait
+lui-même entouré d'une multitude de barons et de chevaliers
+appelés de la Hollande, du Hainaut et de la Picardie; mais l'on
+ne remarquait ni clercs ni prêtres à sa suite. Pour le rassurer
+davantage, les portes de la ville avaient été ôtées de leurs gonds
+et les barrières avaient été enlevées. Le bailli Arnould de Gouy
+et quatre échevins de chaque banc, accompagnés de quatre cents
+bourgeois à cheval, vêtus de noir, l'attendaient à Mariakerke. Plus
+loin se tenaient les doyens des métiers et d'autres bourgeois qui
+s'inclinèrent humblement à son arrivée; plus loin encore, les
+abbés de Saint-Pierre, de Saint-Bavon, de Baudeloo, de Grammont,
+<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
+de Ninove, de Tronchiennes, le prévôt et les chanoines de Sainte-Pharaïde,
+les membres du clergé et les béguines qui chantaient
+en ch&oelig;ur le <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum</i>.</p>
+
+<p>Dans toutes les rues, de vastes échafauds fermaient les issues
+étroites et sombres des quartiers habités par les ouvriers d'où eût
+pu s'élancer inopinément quelque troupe de conspirateurs: on
+avait cherché par les emblèmes dont ils étaient chargés à faire
+oublier les motifs qui les avaient fait élever. Les Gantois avaient,
+comme les Brugeois, choisi l'image d'Abraham sacrifiant son fils
+pour exprimer leur obéissance: <i lang="la" xml:lang="la">Omnia quæ locutus est Dominus,
+faciemus</i>. Une jeune fille, placée dans un élégant préau, appliquait
+au duc ces paroles de Salomon: <i lang="la" xml:lang="la">Inveni quem diligit anima mea</i>.
+Tantôt on égalait sa gloire à celle de César, tantôt l'on comparait
+sa clémence à celle de Pompée. Ici on avait reproduit le discours
+des Israélites à Gédéon: <i lang="la" xml:lang="la">Dominare nostri tu et filius tuus et filius
+filii tui</i>; ailleurs, on avait écrit: <i lang="la" xml:lang="la">Utere servitio nostro sicut placuerit
+tibi</i>. On vit même un homme, vêtu d'une peau de lion,
+dégradant le fier symbole de la nationalité flamande, conduire le
+duc jusqu'à son hôtel en tenant la bride de son cheval. Comme
+les temps étaient changés! Qu'était devenu cet intraitable orgueil
+que l'on reprochait naguère à la cité de Gand qui, même après le
+désastre de Gavre, était restée, au témoignage de Chastelain, la
+plus puissante et la plus riche de l'Europe? «Y avoient les trois
+quarts, dit Jacques Duclerq, de ceux qui le voyoient, qui plouroient;
+et pareillement ceux de la compagnie du duc, pour
+l'humilité qu'ils voyoient que ceux de la ville faisoient.»</p>
+
+<p>La foule se pressait dans les rues et sur les places publiques
+pour assister à ce spectacle; les uns s'arrêtaient autour des ménestrels
+qui chantaient:</p>
+
+<p class="quote">Vive Bourgogne! est nostre cri;</p>
+
+<p>les autres s'assemblaient au marché de la Poissonnerie, où l'on
+voyait, dans un grand bassin, nager des tritons et des sirènes. Vers
+le soir, ces divertissements continuèrent à la clarté des flambeaux;
+le lendemain, il y en eut, «jusques en l'hostel de la ville,» d'autres,
+non moins splendides, destinés à faire connaître au duc la sincérité
+du repentir des Gantois. Ces fêtes se fussent prolongées longtemps
+si le duc, remarquant que les assemblées du peuple devenaient de
+<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
+jour en jour plus nombreuses, n'eût jugé prudent d'y mettre un
+terme.</p>
+
+<p>Au milieu de ces pompes, l'arrivée d'un huissier du parlement
+de Paris vint arracher le duc de Bourgogne à l'enivrement de la
+puissance et de la gloire.</p>
+
+<p>En 1445, lors de la fameuse joute du sire de Lalaing et de Jean
+de Bonifazio, un huissier du parlement avait paru dans le palais du
+duc, au milieu d'un banquet solennel où siégeaient le duc d'Orléans
+et tous les chevaliers de la Toison d'or, pour l'ajourner en
+personne à répondre à la citation «d'un Dimence de Court, homme
+de non grand estime.» Il était revenu peu après briser à coup de
+marteau les portes de la tour de Lille pour délivrer un prisonnier en
+la présence du duc, «qui oncques toutevoies ne se deslia en parler,
+jà soit-ce que emprès lui en avoit aucuns qui volontiers l'eussent
+lancé en la rivière.»</p>
+
+<p>Dix ans après, le parlement envoya de nouveau un huissier ordonner
+au sire d'Antoing de rendre la liberté à la fille d'un bourgeois
+de Lille que le duc lui avait ordonné de garder prisonnière jusqu'à
+ce qu'elle consentît à épouser un archer de sa garde nommé Colinet
+de la Thieuloie. Le duc se trouvait en ce moment en Hollande; le
+message dont avait été chargé l'huissier du parlement l'irrita à tel
+point que, sans se préoccuper des exercices religieux du carême et
+de l'assemblée solennelle qu'il tenait aux grandes fêtes de l'année, il
+s'embarqua secrètement à Rotterdam, malgré une tempête qui faillit
+plusieurs fois engloutir sa barque; enfin, il aborda à l'Ecluse et
+monta immédiatement à cheval pour se rendre dans le Hainaut, où
+il annonça au sire d'Antoing que, quelque chose qui arrivât, il était
+assez fort pour le protéger. Philippe s'indignait de ce que «lui qui
+estoit prince de justice estoit ainssi mené par ceulx du parlement
+de Paris, qui de ses subgez lui voloient oster la cognoissance et
+l'auctorité, et venir par haute main exploiter en ses pays dont il
+estoit souverain.» Cependant il feignit de se rendre aux prières et
+aux larmes de la mère de la jeune fille, qui était venue le jour du
+vendredi saint se jeter à ses pieds; mais les conseillers du parlement,
+dont les ordres avaient été méconnus par le sire d'Antoing et
+par le duc lui-même, adressèrent les plaintes les plus vives au roi.</p>
+
+<p>L'huissier du parlement, qui arriva à Grand en 1458, n'était pas
+uniquement chargé d'inviter le duc de Bourgogne à siéger parmi
+les juges du duc d'Alençon; il semblait que sa principale mission
+<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
+fût de répéter au plus illustre et au plus indépendant des grands
+vassaux: «Vecy le flayel de vostre extollacion fière que vous avez
+prise, qui vous vient corrigier droit cy et pincier, et vous monstrer
+qui vous estes.» Charles VII se souvenait que le duc de
+Bourgogne avait repoussé sa médiation lors de la grande guerre de
+Gand: en même temps qu'il lui rappelait ses devoirs et ses serments,
+il se plaisait à répéter à ses sujets ce que Charles V disait
+aux barons bretons: «Lequel vous vaut mieulx ou que vous souffriez
+le tort de vostre pays, ou que vous souffriez le secours de
+droit du nostre?»</p>
+
+<p>Le duc fut d'autant plus surpris de ce message, qu'en vertu du
+traité d'Arras aucune citation personnelle ne pouvait lui être adressée:
+peu lui importait, d'ailleurs, d'exercer les droits de pair du
+royaume, s'ils devaient lui imposer l'obligation de s'associer aux
+rigueurs de la justice royale contre un prince depuis longtemps son
+ami et son allié secret. Il répondit à l'huissier du parlement qu'il regrettait
+de ne pas avoir été prévenu plus tôt, afin de pouvoir se rendre
+à l'assemblée de Montargis avec tout l'éclat qu'exigeait son rang
+de doyen des pairs. «Je ne vis oncques le roy, disait-il, si voudroye
+aller devers lui bien accompagné et le mieux que je pourroye.»
+Puis, s'échauffant par degrés, il ajouta: «Quant est du roy, je
+ne me plaings point de luy, mès de vous aultres ceulx du parlement,
+je me plaings à Dieu et au monde des forfais, injures et
+rudesses que vous m'avez fait et faites tous les jours, tant en
+mon honneur comme en mes seigneuries, voluntairement et par
+haine, dont mon intention n'est point de le souffrir plus, mès m'en
+vengeray une fois si je puis, et prie à Dieu qu'il me donne tant
+vivre que j'en puisse prendre vengeance à l'appétit de mon cuer.
+Je ne le dis pas droit cy que je ne vueille bien qu'il leur soit rapporté,
+car vous-mesmes vous en estes et à ceste cause le vous
+dis.»</p>
+
+<p>Le héraut d'armes, Toison d'or, fut chargé par Philippe d'aller
+exposer au roi de France qu'il désirait quelques délais, afin de se
+présenter à Montargis «bien accompagnié pour lui faire honneur et
+service,» et le duc lui avait dit, de sa propre bouche, que si l'on
+demandait quelle compagnie il comptait y amener avec lui, il répondît
+en son nom «qu'il y mèneroit quarante mille combattants
+pour servir le roy se besoing en avoit, et jamès n'y entreroit à
+moins.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
+Le duc, «qui s'estoit renforchié au double par la retraite du
+Dauphin,» avait déjà mandé les hommes d'armes des fiefs et des
+arrière-fiefs, ainsi que les arbalétriers des bonnes villes; il avait
+fixé sa résidence à Lille, où il réunissait toute son artillerie, lorsque
+Charles VII le dispensa de se rendre lui-même à Montargis. La
+situation n'en restait pas moins grave; on n'ignorait pas que le
+procès instruit contre le duc d'Alençon embrassait tous les complots
+qui avaient succédé à celui de la Praguerie, «et tendoit le
+roy, dit Chastelain, à donner fréeur au duc de Bourgogne, lequel
+il maintenoit à son rebelle, et se ledit de Bourgogne eust esté
+attaint coupable aveuque le duc d'Alenchon, il eust mis sus le lit
+de justice pour en faire condempnation comme de l'aultre.» L'on
+avait trouvé, disait-on, dans l'hôtel même du duc de Bourgogne,
+des vers où l'on plaçait dans la bouche du roi de France ces menaces
+adressées à Philippe:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Lyon, les bras n'a pas si au desseure,</p>
+<p>Que par toy puisse un nouvel monde faire;</p>
+<p>Branle où tu veux, mais pense à ton affaire:</p>
+<p>Cent ans as creu, tout se paye en une heure.</p>
+</div></div>
+
+<p>Il est plus certain que Charles VII avait résolu de convoquer,
+pour résister aux préparatifs du duc de Bourgogne, le ban et l'arrière-ban
+du royaume, jusque dans les villes de la Somme cédées
+par le traité d'Arras. La guerre semblait imminente. Le comte de
+Charolais se montrait surtout plein d'enthousiasme et de zèle pour
+l'entreprendre. «Je iray, disait-il dans le conseil, à tout ce qu'il
+plaira à moy donner de gens jusques devant Paris, et de là jamès
+ne retourneray que je n'aye traversé premier le royaume de l'un
+bout jusqu'à l'autre.» Le duc de Bourgogne sourit en écoutant
+son fils: ce feu d'ardeur juvénile avait ému son c&oelig;ur paternel en
+lui rappelant qu'il avait été lui-même dans sa jeunesse hardi et
+entreprenant. En ce moment, il oubliait toutefois ses tardifs regrets
+de ne pas avoir combattu avec les Français à Azincourt, pour
+applaudir aux sentiments hostiles que leur portait l'héritier de ses
+Etats. Déjà le comte d'Etampes, l'évêque de Toul et le maréchal de
+Bourgogne s'étaient rendus à Calais pour traiter avec le comte de
+Warwick du renouvellement des trêves et «d'aulcuns aultres secrez
+entendemens sur aultres grandes matières.»</p>
+
+<p>Cependant le roi de France, apprenant les négociations entamées
+<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
+à Calais, envoya de nombreux espions en Flandre et en Angleterre,
+et bien que l'un d'eux, arrêté près de Gravelines, eût été conduit au
+château de Lille par l'ordre du comte d'Etampes, leurs rapports
+furent assez complets pour qu'il crût ne pas devoir témérairement
+commencer la guerre. Le procès du duc d'Alençon fut ajourné de
+quelques mois; lorsqu'on le reprit, on eut soin d'en écarter tous les
+témoignages qui accusaient le Dauphin et le duc de Bourgogne. Il
+avait été établi, il est vrai, que le duc d'Alençon avait lui-même
+fait un voyage à Lille, et l'on affirmait qu'il avait chargé l'un de
+ses valets d'aller chercher à Bruges une herbe fort rare destinée à
+empoisonner le roi de France. On avait également saisi des lettres
+de créance accordées par le Dauphin pour traiter avec les Anglais,
+mais l'on feignit de révoquer en doute l'exactitude de ces dépositions
+et l'authenticité de ces titres, et le duc d'Alençon fut seul
+frappé d'une sentence capitale bientôt commuée en une détention
+perpétuelle au château d'Aigues-Mortes.</p>
+
+<p>Les dangers que Charles VII pouvait prévoir dans la formation
+d'une ligue secrète contre lui se dissipaient peu à peu. Sa fermeté
+effrayait ceux que sa clémence n'avait pu toucher.</p>
+
+<p>Le Dauphin lui-même semblait hésiter dans l'opposition violente
+qu'il faisait depuis longtemps à son père; car il avait profité de la
+grossesse de la Dauphine pour lui écrire et pour protester de sa
+soumission à ses volontés. Le motif de ce changement de conduite
+était le bruit généralement répandu que l'on avait proposé dans le
+conseil du roi de déclarer son frère Charles, duc de Berry, légitime
+héritier de la couronne.</p>
+
+<p>D'autres motifs éloignaient le duc de Bourgogne des complots
+auxquels il avait pris si longtemps une part active. Au moment où
+le roi de France décidait que si ses ordonnances et celles du parlement
+continuaient à ne pas être observées en Flandre, il fallait y
+contraindre par la force le duc de Bourgogne, Philippe relevait à
+peine d'une longue maladie qui avait mis sa vie en péril. Le repos
+était devenu nécessaire à sa santé, et les médecins qui l'avaient
+suivi à Gand, où il se proposait de réclamer des Etats de Flandre
+d'importants subsides, afin de commencer la guerre, l'avaient engagé
+à ne songer qu'à y prolonger son séjour pour l'air «qui
+lui estoit propre, car norry y avoit esté.» De plus, à mesure
+qu'il sentait ses forces s'affaiblir, un secret remords le
+pressait de ne pas émousser contre les chrétiens des armes
+<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
+qu'il avait promis de diriger contre les nations païennes. On lui
+avait rapporté qu'au concile de Mantoue le pape, comparant aux
+invasions des Huns et des Goths la marche des Turcs vers la
+Hongrie, dernier rempart de la chrétienté, l'avait publiquement menacé
+de la vengeance céleste s'il tardait plus longtemps à exécuter
+son v&oelig;u. Sa maladie et les infirmités de sa vieillesse, qui s'accroissaient
+tous les jours, lui parurent un nouvel avertissement de Dieu
+irrité de le voir sacrifier si longtemps à d'autres intérêts l'accomplissement
+de ses desseins contre les infidèles.</p>
+
+<p>L'expédition du duc de Bourgogne en Orient parut bientôt invariablement
+arrêtée. Au mois de mai 1460, maître Antoine Hanneron,
+qui fut depuis prévôt de Bruges, reçut de nouvelles instructions
+pour aller en Allemagne poursuivre les négociations entamées l'année
+précédente par Simon de Lalaing et réclamer, sinon le titre de
+roi de Lotharingie, au moins la dignité de vicaire impérial, inséparable,
+aux yeux de Philippe, de celle de chef de la guerre sainte.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, toutes les indications propres à assurer le succès
+de la croisade avaient été réunies avec soin. Les sires de Wavrin
+et de Lannoy, Bertrandon de la Broquière, Martin Vilain, Anselme
+Adorne, s'étaient hâtés de soumettre au duc les relations de
+leurs voyages en Orient, où ils décrivaient avec de longs détails
+chaque pays et chaque ville qu'il leur semblait avantageux de s'efforcer
+de conquérir. Pour les compléter, Jean Torzelo, chambellan
+de l'empereur de Constantinople, lui avait fait remettre un exposé
+de la situation des infidèles, où il évaluait leurs forces à cent mille
+cavaliers, en insistant fortement sur l'appui que les chrétiens trouveraient
+contre eux chez les princes de l'Albanie et de la Grèce. Un
+prêtre flamand, créé évêque du Mont-Liban par le pape Calixte, y
+eût joint le concours important des Maronites. L'empereur David de
+Trébisonde, à qui s'était adressé le duc de Bourgogne, lui avait répondu,
+tant pour lui qu'au nom du roi de Perse, du roi de Mingrélie,
+du duc de Géorgie et du seigneur d'Arménie, en lui promettant de
+l'aider à délivrer l'Asie et de le placer sur le trône de Jérusalem.
+Enfin, dans les premiers jours de l'année suivante (14 mai 1461),
+une ambassade, envoyée par ces princes de l'Orient, dont quelques-uns
+n'étaient pas même chrétiens, arriva à Saint-Omer, où le duc
+avait tenu un chapitre de la Toison d'or. Le discours qu'elle prononça
+commençait par ces mots: «Voici que les mages sont venus de
+l'Orient vers l'étoile qu'ils ont aperçue à l'Occident, c'est-à-dire
+<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
+vers vous, dont la puissance brille aujourd'hui d'un si grand éclat
+jusqu'aux rivages de l'Orient, qu'elle y éclaire les princes et les
+nations, et les guide vers vous qui êtes la vraie image de Dieu.»
+Le duc de Bourgogne reçut avec joie cette ambassade, et protesta
+de son désir de se montrer bientôt digne d'aller relever au delà du
+Bosphore cette vieille bannière des Robert et des Godefroi, que les
+Turcs redoutaient, disait-on, plus que cent mille combattants.</p>
+
+<p>D'étroites et stériles querelles domestiques vinrent bientôt rappeler
+Philippe aux soins qu'exigeaient son gouvernement et la tranquillité
+même de son palais. C'étaient de nouveau les différends
+sans cesse renaissants du comte de Charolais et des sires de Croy.
+Le comte de Charolais voyait de plus en plus avec jalousie l'influence
+d'Antoine de Croy s'élever si haut qu'il avait partagé avec
+le duc de Bourgogne l'honneur de tenir sur les fonts du baptême le
+fils aîné du Dauphin. Depuis longtemps il s'était éloigné de la cour,
+où dominaient ses ennemis, et vivait retiré dans une triste solitude
+au Quesnoy. Un jour, il crut la devoir quitter pour aller à Bruxelles
+exposer à son père, en la présence même du sire de Croy, tous ses
+griefs contre lui; mais le duc ne voulut point l'écouter, et le comte
+de Charolais s'éloigna plus irrité que jamais. A quel projet s'arrêta
+sa colère? Quels furent les moyens qu'il se proposa pour enlever
+l'autorité au sire de Croy? Il est difficile de préciser quelque
+chose à cet égard. Nous savons, toutefois, que peu après le comte
+de Saint-Pol, cet illustre feudataire aux sentiments douteux et
+incertains, qui avait, en 1453, été en même temps l'un des chefs de
+l'armée bourguignonne et l'un des médiateurs choisis par Charles
+VII, se rendit à Bourges, chargé d'un message secret du comte de
+Charolais. Le jeune prince annonçait, dit-on, l'intention «de mettre
+le sire de Croy hors de l'hostel de son père,» et de chercher, s'il
+était réduit à fuir, un asile dans le royaume de France. Il demandait
+seulement qu'on lui accordât le commandement de l'expédition
+destinée à secourir la reine d'Angleterre Marguerite d'Anjou, qui
+soutenait avec courage les droits de la maison de Lancastre contre
+la rébellion du duc d'York. Le roi de France lui fit répondre qu'il
+l'accueillerait volontiers dans ses Etats, mais il déclarait aussi que
+«pour deux royaumes tels que le sien il ne consentiroit un vilain
+fait,» et refusait de l'encourager dans les moyens de violence
+qu'il voulait opposer aux volontés de son père.</p>
+
+<p>Charles VII, vieux et malade, frémissait à la pensée de tout ce
+<span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span>
+qui pouvait lui rappeler ses propres malheurs; ils touchaient à leur
+terme. Le bruit courait que le Dauphin, las de consulter des astronomes
+sur l'époque de sa mort, cherchait à la hâter, et qu'il avait
+déjà corrompu son médecin, maître Adam Fumée. Selon une version
+assez douteuse, Charles VII, voulant épargner ce crime à son
+fils, s'abstint de toute nourriture jusqu'à ce qu'il expirât, au milieu
+des gémissements de ses serviteurs et des larmes de son peuple,
+le 22 juillet 1461.</p>
+
+<p>Les premiers actes du nouveau roi de France justifièrent cette accusation:
+il combla de présents ceux qui lui annoncèrent la mort
+de son père, défendit que l'on portât son deuil et fit élargir maître
+Adam Fumée qui avait déjà été chargé de chaînes. Philippe s'était
+hâté de le faire féliciter sur son avénement par le sire de Croy, en
+lui annonçant l'intention de l'accompagner jusqu'à Reims avec l'armée
+qu'il avait depuis longtemps réunie. L'occasion semblait favorable
+pour rétablir en France la tutelle du duc de Bourgogne, telle
+que Jean sans Peur l'avait exercée sous le règne de Charles VI.
+«Mon bel oncle, objectait vivement Louis XI au sire de Croy, a-t-il
+quelqu'un à redouter, puisqu'il est avec moi et moi avec lui?
+Comment! ne suis-je point roi? De qui doit-il avoir peur? Mon
+bel oncle ne peut-il pas se remettre entre mes mains avec la confiance
+que je lui ai montrée en m'abandonnant aux siennes?»</p>
+
+<p>Néanmoins, quel que fût son mécontentement secret, il était réduit
+à dissimuler; il venait d'emprunter au duc de Bourgogne de
+fortes sommes d'argent dont il avait grand besoin, et dans son désir
+de faire croire à la sincérité de sa reconnaissance pour des services
+qu'il allait bientôt oublier, il affectait de nommer sans cesse le duc
+Philippe son père et son sauveur. Dans toutes les villes où il s'arrêtait
+avec lui en s'acheminant vers la cité de Reims, il lui faisait
+offrir les clefs aussi bien qu'à lui-même et l'associait à tous les
+honneurs de la royauté. A la cérémonie du sacre, Philippe s'assit à
+côté du trône, au même rang que le roi de France, et ce ne fut
+qu'après l'avoir armé chevalier et avoir placé la couronne fleurdelisée
+sur son front qu'il lui rendit hommage, comme étant trois
+fois pair du royaume, dans la forme suivante: «Mon très-redoubté
+seigneur, je vous fais hommage présentement de la duché de
+Bourgogne, des comtés de Flandres et d'Artois, et de tous les
+pays que je tiens de la noble couronne de France, et vous tiens
+à seigneur, et vous en promets obeyssance et service; et non pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
+seulement de celles que je tiens de vous, mais de tous mes autres
+pays que je ne tiens point de vous, et d'autant de seigneurs et
+de nobles hommes, de gens de guerre, et d'autres qui y sont, que
+j'en pourray traire. Je vous promets faire service avec mon propre
+corps tant que je vivray, avec tout ce que je pourray finer d'or et
+d'argent.» Ce fut de nouveau au milieu de l'armée bourguignonne
+que Louis XI fit, peu de jours après, son entrée solennelle à Paris.
+Les archers du comte d'Etampes le précédaient, et tous les nobles
+dont il était entouré étaient des chevaliers étrangers. C'étaient,
+entre autres, les sires de Croy, de Commines, de Hornes, de Toulongeon,
+de Brimeu, de Lalaing, de la Gruuthuse, de la Hamaide,
+de Borssele, de Wavrin, de Harnes, de Moerkerke, de Miraumont.
+L'humble apparence du roi, qui chevauchait sur un petit cheval, la
+tête couverte d'un simple chaperon noir à la mode allemande, rehaussait
+davantage la pompe de Philippe, qui étalait dans cette
+cérémonie tous ses diamants et tous ses joyaux: les acclamations
+populaires semblaient ne s'adresser qu'à lui, et lorsque ce brillant
+cortége traversa le quartier des Halles, on entendit un boucher
+s'écrier: «O franc et noble duc de Bourgogne, soyez le bienvenu
+dans la ville de Paris: il y a longtemps que vous n'y êtes venu,
+quoique vous y fussiez fort désiré.»</p>
+
+<p>Louis XI eût vivement souhaité de pouvoir persuader au duc
+Philippe de rompre les trêves qu'il avait conclues avec les Anglais;
+c'eût été le moyen le plus sûr d'affaiblir son intervention prépondérante
+dans les affaires de France. Mais Philippe n'oublia pas
+combien l'alliance de la Flandre et de l'Angleterre était nécessaire
+à la prospérité de ses Etats; il était d'ailleurs contraire à toute
+guerre, dont le résultat infaillible eût été de retarder l'expédition
+qu'il projetait depuis si longtemps contre les infidèles. «Je vois
+bien comment vont les choses, disait-il, on cherche déjà à s'opposer
+à mon voyage!» Il repoussa les insinuations de Louis XI,
+et tenta de lui rappeler qu'en d'autres temps il avait obtenu du
+pape la dignité de gonfalonier de la croisade.</p>
+
+<p>Un splendide banquet avait été préparé à l'hôtel d'Artois; le duc
+de Bourgogne y réunit autour de lui les ducs d'Orléans, de Bourbon
+et de Clèves, les comtes de Charolais, de Savoie, d'Angoulême, de
+Nevers, d'Etampes, de Montpensier, de Laval, de la Marche, de
+Vendôme, d'Harcourt, de Tancarville, de Saint-Pol, de Dunois, de
+Luxembourg.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
+On y attendait le roi; dès qu'il y aurait paru, l'éléphant conduit
+par le More de Grenade y eût porté la Religion en habits de deuil:
+elle eût adressé à tous les convives un appel qu'ils n'auraient pu
+repousser, afin qu'ils renouvelassent les v&oelig;ux du Faisan. Le roi se
+serait trouvé solennellement engagé en présence de toute la noblesse
+par les mêmes serments et aurait bientôt été réduit à opter
+entre la honte d'un parjure et celle de devoir accepter jusqu'en Asie
+la supériorité du duc de Bourgogne, à peu près roi en France et
+unique chef de la croisade en Orient. Louis XI reçut l'avis de ce
+qui se préparait: il allégua un prétexte et ne se rendit point au
+banquet du duc de Bourgogne.</p>
+
+<p>Cependant Philippe prolongeait son séjour dans la capitale du
+royaume; bien qu'il parlât souvent de son départ et qu'il y songeât
+quelquefois en remarquant combien s'était refroidie l'amitié de son
+hôte de Genappe, il ne pouvait s'y résoudre.</p>
+
+<p>Louis XI ne vit qu'un moyen de l'engager à quitter Paris, ce fut
+de lui en donner l'exemple; mais «comme il estoit ingénieux et
+actif en plusieurs choses et que la vivité de son engien lui faisoit
+fantasier maintes besognes,» il voulut imposer en même temps
+silence aux bruits qui couraient sur ces divisions secrètes; il convoqua
+donc les échevins et les docteurs de l'université à l'hôtel
+d'Artois et s'y rendit lui-même. «Voici, leur dit-il, mon cher oncle;
+c'est la personne du monde à qui je dois le plus et de qui je tiens
+ma vie, ma couronne et tout ce que je possède. Mon cher oncle
+partira bientôt pour ses Etats; je pars moi-même pour la Touraine.
+Je vous prie de vouloir bien faire une procession générale
+pour que vous priiez tous pour lui et pour moi, ainsi que pour le
+salut de ce royaume qui repose en grande partie entre ses
+mains.»</p>
+
+<p>Le lendemain, Louis XI s'éloigna de Paris. Le duc de Bourgogne
+se décida bientôt à l'imiter: les troubles de Thionville réclamaient
+sa présence dans le Luxembourg.</p>
+
+<p>Le comte de Charolais était resté seul en France. Louis XI avait
+jugé utile de se l'attacher en flattant son orgueil, et en lui racontant
+qu'il avait appris pendant son séjour en Brabant que les sires de
+Croy avaient proposé au duc d'enfermer son fils dans une prison.
+Ce qu'il avait été lui-même pour le duc de Bourgogne, le comte de
+Charolais pouvait à son tour l'être pour lui. Rien n'était plus aisé
+que de réveiller ces discordes intérieures dont il avait vu l'origine
+<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
+et les progrès. Soit qu'elles appelassent sa médiation amiable, soit
+qu'elles réclamassent un jour son intervention armée, elles devaient
+dans l'un et l'autre cas favoriser l'accroissement de sa puissance.
+Guillaume Biche, que nous avons vu naguère exilé par le duc
+de Bourgogne pour avoir excité son fils contre lui, était l'agent de
+ces intrigues entre le roi de France et le comte de Charolais. De
+tous les sujets du duc il n'y en avait que trois que Louis XI eût
+depuis son avénement au trône élevés à des fonctions importantes
+dans le royaume: c'étaient Guillaume Biche, à qui il avait donné
+le gouvernement du Soissonnais, un valet de chambre du duc, qu'il
+nomma capitaine du château de Vincennes, et un riche marchand
+italien de Bruges qu'il créa général des finances. Le plus puissant
+était Guillaume Biche. Les huissiers et les sergents d'armes avaient
+reçu l'ordre de le laisser pénétrer dans la chambre du roi à toute
+heure de la nuit et du jour. Louis XI se promenait souvent avec
+lui en le tenant par le bras, et l'associait même à ses plus secrètes
+aventures.</p>
+
+<p>Le comte de Charolais écoutait volontiers les propositions du roi
+de France. Au retour d'un pèlerinage qu'il avait fait à Saint-Claude,
+il s'arrêta à Tours: Louis XI continuait à distinguer le
+comte de Charolais parmi tous les princes du sang, et un jour qu'il
+s'était égaré à la chasse il se montra tellement inquiet de sa disparition
+qu'il jura de ne prendre aucune nourriture avant qu'il eût
+été retrouvé: le lendemain, il lui donna le gouvernement de la
+Normandie avec une pension de trente-six mille livres. C'était le
+chiffre de la pension qu'il recevait lui-même à Genappe du duc de
+Bourgogne.</p>
+
+<p>Cependant le comte de Charolais semblait peu reconnaître cette
+extrême générosité d'un monarque naturellement égoïste et avare;
+il était né trop ambitieux pour songer à sacrifier ses intérêts à ceux
+d'un prince étranger, trop orgueilleux pour se laisser imposer le
+rôle humiliant que le Dauphin avait accepté à Genappe. Au milieu
+même de la cour du roi de France, il opposait ses propres intrigues
+à toutes celles qui l'entouraient. Tandis que Louis XI et le duc
+Philippe favorisaient le duc d'York, il s'alliait secrètement au duc
+de Somerset, l'un des chefs du parti du roi Henri VI. On craignait
+même qu'il ne profitât de l'arrivée du duc de Bretagne, qui avait
+été mandé à Tours, pour chercher à ressusciter la grande ligue féodale
+qui avait été autrefois formée contre Charles VII. Louis XI fit
+<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
+si bien pour la prévenir qu'il persuada au comte de Charolais de ne
+pas tarder plus longtemps à visiter les provinces septentrionales de
+la France, où il lui permettait de jouir des prérogatives de la
+royauté, notamment de celle de rendre la liberté aux prisonniers.</p>
+
+<p>A peine le comte de Charolais était-il retourné au Quesnoy qu'il
+apprit que son père était gravement malade à Bruxelles; il s'y rendit
+aussitôt et ne quitta plus le chevet de son lit. On avait appelé
+près du vieux duc de Bourgogne les médecins les plus célèbres de
+cette époque, Barthélemy Cazal, de Venise, Luc Alexandre, de Milan,
+Pierre de Herlain, de Savoie, Dominique, de Genève, et un chirurgien
+du royaume d'Arménie qui portait le nom assez triste de
+Jean sans Pitié; mais ils conservaient peu d'espoir de le guérir, et
+des processions solennelles eurent lieu pour implorer du ciel le rétablissement
+de sa santé, non-seulement dans toutes les villes de
+ses Etats, mais aussi à Paris et à Londres. Enfin sa situation s'améliora,
+et dès qu'il se sentit un peu mieux, le comte de Charolais,
+qui l'avait entouré des soins les plus assidus, recouvra quelque influence
+près de lui; mais l'usage qu'il en fit prouva que son
+caractère ne s'était pas modifié, car il continuait à se montrer
+dur et inflexible dans ses volontés. Roland Pype, trésorier de
+Flandre, avait été autrefois le receveur général de ses finances; il
+avait même été privé de ses fonctions avec tant de rudesse que dans
+son désespoir il aurait attenté à ses jours si sa famille n'eût constamment
+veillé sur lui dans sa maison de Bruges. Ce n'était point
+assez: au plus fort de la maladie du duc, le comte de Charolais lui
+manda qu'il se présentât sans délai à Bruxelles pour rendre compte
+des deniers qu'il avait eus en dépôt. Roland Pype obéit: on ignore
+quel fut l'accueil que lui fit le comte de Charolais; mais peu de jours
+après, on le trouva noyé au fonds d'un puits où il s'était précipité. Il
+fallut cacher au duc, qui l'aimait beaucoup, ce triste événement.</p>
+
+<p>La convalescence de Philippe était pénible et lente; ses médecins
+venaient de lui ordonner de couper sa chevelure, et il avait
+prescrit à tous les nobles de suivre son exemple. Depuis longtemps,
+le clergé s'élevait contre l'usage de porter les cheveux si longs
+«qu'ils empeschoient le visage et les yeux,» usage qu'il jugeait
+déshonorant parce qu'il semblait emprunté aux femmes. En 1105, le
+comte de Flandre, Robert de Jérusalem, célébrait les fêtes de
+Noël à Saint-Omer, lorsque l'évêque d'Amiens, saint Godefroi,
+annonça qu'il ne recevrait d'offrandes que de la part des nobles
+<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span>
+qui portaient les cheveux courts: tous ceux qui se trouvaient présents
+saisirent aussitôt, à défaut de ciseaux, leurs glaives et leurs
+poignards pour faire tomber leur longue chevelure. En 1462, l'empressement
+des nobles à s'en dépouiller était plus douteux, et
+messire Pierre de Hagenbach fut chargé d'employer la force afin
+de les y contraindre, moins pour favoriser la réforme des m&oelig;urs
+que pour cacher davantage les infirmités d'un prince bientôt septuagénaire.</p>
+
+<p>Philippe se rendit lui-même dans les principales villes de
+Flandre pour remercier les bourgeois de leurs prières et de leurs
+processions, et pour leur montrer qu'il avait repris toutes ses
+forces. Sa magnificence était toujours la même, car il voulait que
+rien ne parût changé ni en lui ni autour de lui, et les chroniqueurs
+citent notamment l'entrée solennelle qu'il fit à Bruges «comme
+une chose de moult grand triomphe impossible à croire à ceux
+qui ne l'ont veue.» Ardent Désir et Bon Vouloir, messagers des
+Brugeois, s'étaient rendus au devant de lui: la nacelle qui le
+portait sur le canal de Damme était un jardin planté d'arbustes
+et de fleurs qu'escortaient une foule de bateaux richement ornés
+par les marchands étrangers, où l'on entendait tour à tour les
+douces et riantes harmonies des tambourins et les détonations,
+aussi bruyantes que le tonnerre, des veuglaires et des canons. A
+l'entrée de la ville s'élevait une tour d'où l'on vit tout à coup
+s'abaisser un pont-levis. C'était la résidence de dame Vénus. Près
+de là, on remarquait Pâris dont le regard téméraire jugeait la
+beauté de trois déesses: allégories qui rappelaient au duc de
+Bourgogne les faciles amours de ses jeunes années, sans lui en
+rendre la vigueur, l'énergie, les espérances et les illusions.</p>
+
+<p>Au sein même de ces fêtes, les tristes préoccupations des intérêts
+politiques veillaient comme un remords dans l'esprit du vieux
+prince. Il commençait à peine à reprendre la direction des affaires
+quand on lui annonça que Louis XI venait de défendre qu'on allât
+acheter le sel en Bourgogne. «C'est ma récompense, répondit-il,
+d'avoir soutenu celui qui ne cherche qu'à me détruire.» Peu
+après, le roi de France lui envoya une ambassade pour lui faire
+connaître son intention d'appuyer par les armes les droits de la
+maison de Lancastre et le prier de permettre que le comte de
+Charolais prît le commandement de son armée. Le duc refusa encore
+cette fois de renoncer à ses trêves avec le duc d'York, et fit
+<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span>
+répondre qu'il maintiendrait ses relations avec l'Angleterre aussi
+bien que ses prédécesseurs, qui, moins puissants que lui, ne les
+avaient jamais abandonnées.</p>
+
+<p>Louis XI, en offrant au comte de Charolais un commandement
+qu'il avait autrefois ambitionné, se proposait un double but: non-seulement
+il voulait troubler sa réconciliation avec son père, mais
+il espérait aussi qu'en l'appelant en France, il s'assurerait un précieux
+otage qui garantirait la fidélité future de la maison de Bourgogne.
+La récente maladie de Philippe lui avait fait comprendre
+combien il était important qu'au moment de sa mort son unique
+héritier se trouvât entre ses mains.</p>
+
+<p>Cependant, lorsqu'il vit que cette démarche restait sans succès,
+il adopta une politique toute différente, et par une suite de ce
+système qui le portait sans cesse à corrompre les hommes dont il
+pouvait avoir besoin, il se lia tout à coup par un pacte secret aux
+sires de Croy que naguère il accusait si vivement. L'influence qu'ils
+conservaient sur la vieillesse du duc Philippe lui paraissait devoir
+mieux servir ses projets que l'amitié inégale du comte de Charolais,
+et il n'hésita pas à la sacrifier publiquement pour se faire de cette
+rupture même un grief contre lui: il supprima d'abord la pension
+qu'il lui avait accordée, puis il se prit à désirer de le voir mort,
+puisqu'il ne devait pas le voir captif.</p>
+
+<p>A la cour du duc de Bourgogne vivait un ancien serf de Saint-Jean
+de Losne qui était parvenu au rang de premier valet de chambre.
+Son nom était Jean Coustain. Ambitieux, cupide, rude, impie,
+orgueilleux, il exerçait sur l'esprit de Philippe autant d'ascendant
+que ses plus célèbres conseillers: riche de dix mille florins de
+rente, anobli et créé chevalier, il avait acquis la seigneurie de
+Navilly; puis il avait acheté à Jean de Vos la vaste terre de Lovendeghem.
+Ses armes étaient d'argent à trois molettes d'or: écu de
+métaux tel qu'il convenait à un noble de fortune. Sa femme Isabeau
+Mache-Foing avait paru au banquet du Faisan avec les plus illustres
+dames de la cour; leur fils, déjà grand bailli de Thielt, avait
+osé élever ses prétentions jusqu'à mademoiselle de Boussut, qui
+avait refusé Charles de Poitiers, de la maison des comtes de Valentinois.
+Un autre de leurs fils avait obtenu la main d'Anne de Baenst,
+qui épousa quelques années plus tard, en secondes noces, le bâtard
+Philippe de Brabant. Toute la famille de Jean Coustain jouissait
+près du duc de la même faveur; son frère Humbert Coustain, sommelier
+<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
+du corps, avait été anobli comme lui; sa s&oelig;ur Agnès était
+l'une des nombreuses maîtresses de Philippe. Les Mache-Foing
+n'étaient pas moins puissants. Si Jean Coustain avait combattu à
+Gavre aux côtés du duc de Bourgogne, Philippe Mache-Foing avait
+été l'un des prisonniers épargnés à la bataille de Nicopoli avec Jean
+sans Peur; d'abord simple valet de chambre, puis garde des joyaux
+avec son frère Monnot Mache-Foing qui s'était fait nommer maire
+de Dijon, il avait porté si haut son opulence et sa fortune qu'il avait
+fait bâtir à ses frais dans cette ville l'église de Saint-Jean.</p>
+
+<p>Au commencement de l'année 1462, Jean Coustain se rendit en
+Bourgogne parce que ce pays avait des relations plus fréquentes
+avec les habitants de la Lombardie, fameux par leurs poisons et
+leurs maléfices. Son premier soin fut de s'y adresser à une courtisane
+savoyarde attachée à la secte des Vaudois, qu'entretenait un
+pauvre écuyer nommé Jean de Vy: il lui demanda quelle était la
+manière la plus prompte de parvenir à son but lorsqu'on voulait la
+mort d'un homme; il ajouta que le prénom de celui qu'il voulait
+perdre était Charles. Cette femme consentit à préparer un poison,
+et Jean de Vy le remit à Jean Coustain, ne doutant point que sa
+complicité ne devînt pour lui une source de richesses, comme Jean
+Coustain le lui avait fait espérer. Cependant plusieurs mois s'écoulèrent
+sans qu'il vît cette promesse se réaliser, et, de plus en plus
+impatient d'en recueillir le fruit, il résolut de se rendre lui-même à
+Bruxelles. Jean Coustain s'était déjà assuré les moyens de faire
+réussir ses projets; il ne restait qu'à accomplir le crime. Il se
+croyait assez puissant pour qu'il n'y eût pour lui aucun danger à
+repousser avec mépris l'écuyer bourguignon. Jean de Vy, pour se
+venger, alla tout révéler à Tristan de Toulongeon et à Pierre de
+Hagenbach, et leur montra même des lettres de Jean Coustain; le
+comte de Charolais, aussitôt instruit de ces révélations, courut au
+palais raconter ce qu'il avait appris. Ce complot sembla toutefois
+émouvoir peu le vieillard, qui permit à peine à son fils de faire
+surveiller Coustain pendant la nuit et de le faire arrêter le lendemain;
+mais il s'irrita de ce que les sires de Toulongeon et de
+Hagenbach ne l'avaient pas prévenu le premier et les disgracia. Le
+lendemain était un dimanche; le duc alla chasser les daims dans
+le parc de Bruxelles; Jean Coustain était avec lui, et il se contenta
+de lui dire qu'il se préparât à accompagner le sire d'Auxy. Jean
+Coustain se retira, dîna et se rendit aussitôt après à l'oratoire où le
+<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
+duc entendait la messe. Trouvant la porte fermée, il frappa si rudement
+qu'on la lui ouvrit. «Me voici, dit-il insolemment au duc,
+que voulez-vous que je fasse? Où irai-je?&mdash;Je vous ai dit,
+répliqua Philippe, que vous alliez avec le sire d'Auxy là où il
+vous mènera.&mdash;Vraiment, continua Coustain, est-ce tout? et
+qu'aurai-je de mon service? Par la mort! digne beau sire, j'ai
+bien employé mon temps. Il me vaudrait mieux avoir servi un
+porcher.» Et il se retira tandis que Philippe répétait à voix
+basse: «Jehan! Jehan! je t'ai nourri trop gras!»</p>
+
+<p>Ce ne fut que lorsque le sire d'Auxy, arrivé aux portes de
+Bruxelles, donna l'ordre de lier Jean Coustain que celui-ci pâlit et
+commença à douter de sa puissance. On le conduisit au château de
+Rupelmonde, où l'on enferma également Jean de Vy, qui, bien que
+moins coupable que lui, devait partager son sort. Le comte de Charolais
+se rendit bientôt dans leur prison et s'empressa de donner
+l'ordre que Jean Coustain fût décapité, de crainte que le duc ne se
+laissât émouvoir de pitié pour un serviteur qu'il chérissait plus que
+les autres. Jean Coustain se trouvait déjà dépouillé de ses vêtements
+et prêt à être livré au bourreau, quand il demanda à pouvoir
+parler au comte de Charolais. Ses révélations furent longues, on
+ignore ce qu'elles continrent; seulement ceux qui y assistaient de
+loin remarquèrent que le comte de Charolais changeait de visage
+et faisait souvent le signe de la croix, comme frappé d'étonnement
+et de stupeur, «pourquoy on doubtoit qu'il n'eust dict chose qui
+feust pleine de mal de lui ou d'autrui.»</p>
+
+<p>Jean Coustain était ce valet de chambre du duc que Louis XI
+avait, dès les premiers jours de son règne, créé capitaine du château
+de Vincennes. Ce fut à Paris que son complice, Gilles Courbet,
+chanoine d'Arras, trouva un refuge. Dès ce jour, le dissentiment
+du comte de Charolais et de Louis XI devint plus profond: Philippe
+se montrait seul disposé à oublier ce complot. Louis XI venait
+de lui céder ses prétentions sur le Luxembourg, et l'on vit bientôt
+la s&oelig;ur et la femme de Coustain retrouver toute leur faveur près
+de lui: il lui était toujours difficile de supporter longtemps l'esprit
+altier et ambitieux de son fils; mais il n'en secouait le joug que
+pour retomber sous celui des sires de Croy. Ce fut l'un d'eux, le sire
+de Chimay, qu'il chargea d'aller se plaindre au roi de France d'une
+ordonnance récemment publiée, qui défendait toute relation avec
+le roi Edouard d'York.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
+Les questions soulevées par la lutte des deux factions qui divisaient
+l'Angleterre étaient celles où le duc Philippe s'éloignait le
+plus de la politique de Louis XI. Edouard IV était aimé des communes
+flamandes. Il avait lui-même annoncé son couronnement à
+leurs échevins par des lettres remplies de témoignages de déférence
+et d'amitié, et depuis lors il n'avait pas cessé de se montrer
+favorable à leurs intérêts. Les sympathies de la Flandre restaient
+toujours la règle du système commercial que devait se tracer le duc
+de Bourgogne. L'ambassade du sire de Chimay avait été sans résultats,
+mais la fortune, presque constamment favorable à Philippe,
+renversait au même moment les desseins qu'avait formés en Angleterre
+la politique rivale de Louis XI. Le parti d'York triomphait,
+et vers la fin du mois de juillet 1463, Marguerite d'Anjou, abordant
+à l'Ecluse avec son fils, le prince de Galles, vint chercher un
+refuge dans les Etats du prince qui avait été longtemps son plus
+terrible ennemi. N'ayant pour se couvrir que les vêtements que
+tant de fatigues avaient mis en lambeaux, obligée d'emprunter à
+son sénéchal Pierre de Brezé, presque aussi pauvre qu'elle, quelques
+deniers pour acheter du pain, elle était réduite, comme la
+veuve de Charles I<sup>er</sup> au Louvre, à se cacher dans l'ombre et dans le
+silence pour éviter les outrages publics. Le peuple, toujours cruel
+pour le malheur, l'avait accueillie avec des imprécations et des
+menaces. Que de tristes rapprochements se présentèrent à l'esprit
+de Marguerite, si sa pensée remonta à l'époque où la dynastie dont
+elle défendait les droits avait eu la Flandre pour berceau! Près de
+ce même port où elle abordait plaintive et désolée pour invoquer
+la générosité d'un prince dont les Lancastre avaient reçu l'aïeul
+dans leur hôtel de Londres, alors qu'il partageait la captivité du
+roi Jean, Edouard III avait vaincu Béhuchet, Barbavara et leurs
+quarante mille soldats, et c'était aussi à l'Ecluse que, dans tout
+l'éclat de ses victoires, il avait présenté un autre prince de Galles
+aux députés des bonnes villes, accourus pour protester de leur zèle
+et de leur fidélité.</p>
+
+<p>Marguerite, qui s'appuyait d'un sauf-conduit qu'elle avait autrefois
+demandé, envoya sans délai au duc Philippe un chevalier
+nommé messire Jean Carbonnel, pour le supplier de lui accorder
+une entrevue. Philippe était allé en pèlerinage à Boulogne. Il répondit
+avec douceur à l'envoyé de la reine d'Angleterre, et l'assura
+que si la maladie de sa s&oelig;ur la duchesse de Bourbon ne l'avait pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
+retenu, il se serait empressé d'aller au devant de l'illustre princesse.
+Il chargea du soin de la complimenter Philippe de la Roche,
+chevalier de la Toison d'or, qui passa plus tard à la cour de Louis XI,
+et fut, en 1484, l'orateur le plus populaire des états de Tours. Le
+sire de la Roche trouva Pierre de Brezé à Bruges, et l'accompagna
+à l'Ecluse, où il engagea Marguerite à ne pas entreprendre un
+voyage pénible et plein de dangers à cause du voisinage des
+Anglais.</p>
+
+<p>Cependant Marguerite insista, et obtint de Philippe qu'il la recevrait
+dans la ville de Saint-Pol. Elle se rendit donc à Bruges, où
+le comte de Charolais lui prêta cinq cents écus, revêtit le costume
+qu'aurait porté en voyage une simple femme de la suite de quelque
+noble dame, et s'achemina vers la cour du duc, avec son sénéchal,
+sur un de ces grands chariots que les habitants du pays couvrent
+d'une large toile blanche, aussi noble et aussi fière dans son malheur
+que lorsqu'elle s'asseyait sur un trône. Le prince de Galles
+était resté à Bruges, «partie, dit l'historiographe des ducs de
+Bourgogne, par nécessité de non le povoir furnir, partie pour
+non mettre le pays en adventure pour le poix de sa personne.»</p>
+
+<p>Les Anglais essayèrent vainement d'enlever Marguerite à Béthune.
+Échappant à leurs embûches, elle arriva à Saint-Pol, où le duc
+Philippe l'invita à un pompeux banquet. «Et, disoit-on, lors que
+comme l'ymage du duc entre toutes autres gens se monstroit
+seigneurieuse pour homme, où qu'oncques se trouvast, pareillement
+l'ymage de la royne avec son maintenir se monstra pour
+femme un des beaulx personnages du monde représentant dame.
+Et en effect, moult estoit belle dame et entière pour lors et digne
+de hault regard, nonobstant que povre et austère fortune lui
+povoit estre cause assez de lui amoindrir ses manières ès quelles
+toutes voies oncques ne varia; ains venue aveucques trois femmes,
+aveucques un chariot passager, se comporta et monstra telle
+comme quand soloit tenir le sceptre à Londres en main redoutée.»
+Philippe se borna toutefois à accorder quelques secours en argent
+à la reine d'Angleterre, ainsi qu'aux ducs d'Exeter et de Somerset,
+qu'on avait vus, pendant plusieurs jours, errer mendiant et pieds
+nus à travers la Flandre.</p>
+
+<p>Une escorte plus nombreuse accompagnait Marguerite lorsqu'elle
+revint à Bruges. Le comte de Charolais se plut à l'entourer
+d'honneurs pendant son séjour «dans cette fameuse ville de Bruges,
+<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span>
+dont toutes nations font mémoire.» Une joute qui devait avoir
+lieu au mois d'octobre, à l'abbaye de Saint-André, avait appelé de
+toutes parts un grand nombre de chevaliers, parmi lesquels on
+distinguait le bâtard de Bourgogne, Philippe de Crèvec&oelig;ur, Pierre
+de Waes, Guillaume de Saulx, Morelet de Renty et le jeune marquis
+de Ferrare. Le duc de Gueldre s'était également rendu à
+Bruges pour y attendre sa fiancée, Catherine de Bourbon. De somptueux
+banquets se succédèrent sans interruption, et tel était le
+respect que le comte de Charolais montrait à la princesse exilée,
+qu'on le vit refuser de s'approcher de l'aiguière qui était présentée
+à la reine d'Angleterre, comme si son infortune n'eût rien enlevé
+à son sang de son éclat et de sa dignité.</p>
+
+<p>Avant de quitter Bruges, Marguerite, touchée des soins du comte
+de Charolais, essaya inutilement de le réconcilier avec son père.
+Leurs divisions devenaient de plus en plus violentes. Le duc avait
+donné l'ordre d'arrêter un secrétaire du comte de Charolais, nommé
+Antoine Michel; mais son fils le fit délivrer, et se retira en Hollande
+en état de rupture ouverte. «Les termes que longtemps on
+m'a tenu en court et maintes choses que j'y voy non à souffrir,»
+disait-il au sénéchal de Brezé, dans un langage trop vif et trop
+énergique pour qu'il soit permis de l'affaiblir en le traduisant
+«m'ont fait quérir eslonge d'icelle; là où si d'avanture proufit
+vient, ou auculn grand bien, il chiet en la charge de deux ou trois
+et de moy n'est cognoissance. Les trois mettent main et ongle
+en tout; et sans que riens ne leur échappe, ne se peuvent de rien
+assouvir. Monseigneur est tout bon et trop bon pour eux; mès me
+doulte que sa bonté trop entière ne lui contourne en dommage à
+la fin, comme j'en vois les approches et les exemples plusieurs,
+là où on l'endort et enyvre en souppés en miel, dont le déboire sera
+amer, et en luy pignant la teste et dodiminant de douce main, on
+lui coupe les cheveux et désempare-on le chief, et tout ce faict-on
+finalement pour complaire à aultry et soy avancer, et pour me
+faire plus feble en hoirie quand ce viendroit à respondre contre
+aultruy orgueil.»</p>
+
+<p>Les craintes du comte de Charolais n'étaient que trop fondées.
+La puissance des seigneurs de Croy augmentait de jour en jour.
+Dans tous les Etats du duc s'étendaient leurs seigneuries: ils possédaient
+dans les Pays-Bas Ath, Chièvres, le R&oelig;ulx, Beaumont,
+Chimay et Condé; en France, Landrecies et Avesnes. On disait que
+<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span>
+le duc allait leur donner le comté de Namur. Ils disposaient également
+des comtés de Luxembourg et de Boulogne. Le sire de Chimay
+était bailli du Hainaut; son frère était grand maître d'hôtel du
+roi de France et grand sénéchal de Normandie. Leur neveu, le sire
+de Lannoy, était gouverneur de Hollande et de Zélande. Aussi
+valait-il mieux, disait-on, servir les Croy que le duc lui-même.
+Toute cette puissance, ils l'employaient à favoriser Louis XI. C'était
+inutilement que le comte de Charolais engageait le roi de France
+à ne pas insister sur le rachat des villes de la Somme; il avait
+même chargé d'un message à ce sujet Guillaume Biche, l'ancien
+intermédiaire de ses intrigues avec Louis XI, n'osant se rendre
+lui-même auprès de lui, «attendu qu'on lui avoit dit que s'il venoit
+devers le roy, le roi le feroit prendre et le bailleroit à monsieur
+de Bourgogne.» Louis XI fit peu d'attention à cette démarche,
+car le sire de Croy venait d'arriver à Paris pour lui annoncer que,
+malgré la longue résistance du duc, il l'avait déterminé à restituer
+les cités importantes qui lui avaient été données en gage par le
+traité d'Arras pour une somme de quatre cent mille écus d'or. De
+peur que Philippe ne regrettât son imprudence, le roi de France se
+hâta de lui faire parvenir un payement de deux cent mille écus d'or,
+par des ambassadeurs chargés d'offrir en même temps au duc de
+Bourgogne «de l'ayder, secourir et favoriser de tout son pouvoir à
+l'encontre de monsieur de Charolois.» Vers la fin du mois de septembre
+1463, il alla lui-même faire effectuer le second payement,
+entre les mains du duc Philippe, à son château d'Hesdin. Il y accusa
+de nouveau le comte de Charolais. Les Croy se plaisaient à appuyer
+toutes ses plaintes, et, malgré les pleurs de la duchesse,
+leurs paroles aveuglaient si complètement le vieux prince, qu'il
+sacrifiait ses propres intérêts à ceux de Louis XI, par haine contre
+son fils.</p>
+
+<p>Louis XI mettait toute son habileté en &oelig;uvre pour flatter Philippe
+et lui faire oublier ses griefs. Plus le duc de Bourgogne était fier
+et somptueux, plus il se montrait humble et simplement vêtu, à tel
+point, dit Chastelain, «qu'il cachoit sa couronne de millions d'or
+vaillant, soubs un chappelet de six gros.»&mdash;«Si j'avais dix
+royaumes, disait-il au duc, et Dieu m'a donné plus que je ne
+vaux, je voudrais vous les remettre, comme au prince le plus
+illustre et le plus sage du monde.» Il fit si bien que le duc consentit
+sans difficulté à recevoir les monnaies d'or et d'argent apportées
+<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
+à Hesdin par le roi de France, dès que leur valeur eut été reconnue
+par deux changeurs de Bruges. Ce fut ainsi que Louis
+recouvra les villes des bords de la Somme, qui avaient été séparées
+du royaume pendant plus d'un quart de siècle. Le sire de Croy en
+reçut le gouvernement, qui valait vingt-quatre mille francs par
+an. Le sire de Lannoy fut, de plus, créé capitaine d'Amiens, d'Arras,
+de Hautbourdin et de Doulens.</p>
+
+<p>Tant de bienfaits frappèrent enfin le duc de Bourgogne. On l'entendit
+s'écrier: «Croy, Croy, il est difficile de bien servir deux
+maîtres!»</p>
+
+<p>Cependant Louis XI s'applaudissait de ses succès et se disait:
+«Il faut que j'aie le comté de Boulogne, l'Artois et toute la Picardie.
+Mon bel oncle a reçu beaucoup d'argent, mais ce qu'il m'a
+cédé vaut encore plus.» Il essaya d'abord d'obtenir le comté de
+Boulogne, et chargea le sire de la Tour, qui s'en prétendait le légitime
+héritier, de le réclamer en vertu des droits de sa naissance;
+mais ces démarches restèrent sans résultat.</p>
+
+<p>Louis XI, échouant de ce côté, ne se décourageait point. Depuis
+longtemps, on répandait le bruit que le duc allait déshériter son
+fils; on disait aussi que son projet de croisade n'était pas abandonné.
+Un jour que le roi de France chassait avec Philippe dans la
+forêt de Crécy, il s'empressa de profiter de ces rumeurs pour y trouver
+l'occasion de poursuivre ses desseins. «Bel oncle, lui dit-il,
+vous avez entrepris une chose glorieuse et sainte: puisse Dieu
+vous la laisser accomplir! Je vois avec joie à cause de vous l'honneur
+qui en reviendra à votre maison, et si je l'avais entreprise
+moi-même, je placerais toute ma confiance en vous et vous constituerais
+le régent de mon royaume; je remettrais tout entre vos
+mains; j'espère que vous ferez de même, car vous ne pourriez
+mieux mettre votre confiance en personne. En ce qui touche
+notre beau-frère de Charolais, par la pasque Dieu, ne doutez pas
+que je ne le mène à raison; qu'il soit en Hollande ou en Frise, je
+saurai bien le réduire. Qu'en dites-vous, bel oncle?&mdash;Ha! monseigneur,
+répondit Philippe retrouvant l'ancienne habileté de ses
+luttes avec le roi de France, je vous remercie de vos belles paroles,
+mais il n'est point nécessaire que vous vous occupiez d'aussi
+méchantes affaires que celles que j'ai avec mon fils; ce serait trop
+vous abaisser. Avec l'aide de Dieu, j'en viendrai bien à bout sans
+donner des soucis à un aussi grand prince que vous.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span>
+Le roi insistait. «Monseigneur, continua Philippe, mon fils est
+mon fils. Quelle que soit sa position actuelle, je sais bien que,
+lorsque le moment en viendra, il fera ce que je voudrai. Et quant
+à ce qui touche mes terres, je les confierai, à mon départ, à Dieu
+et à bonne garde. Autre chose ne ferai!» Louis XI ne put rien
+obtenir de plus satisfaisant, et prit peu après congé du duc.</p>
+
+<p>Il était vrai que Philippe songeait de plus en plus à la croisade.
+Ni la jalousie de Louis XI, ni ses querelles avec son fils ne pouvaient
+l'en éloigner. Il se rendit d'Hesdin à Bruges pour en presser
+les préparatifs. Déjà on avait acheté des armes et réuni des approvisionnements.
+On avait fixé le nombre d'hommes que devait fournir
+chaque fief. On avait même, sans se préoccuper du tort grave
+qui en résultait pour les relations commerciales, retenu tous les
+navires qui se trouvaient dans le port de l'Ecluse, comme si l'expédition
+eût été prête à mettre à la voile. Les nobles qui devaient en
+faire partie avaient reçu l'ordre de se réunir à Bruges le 15 décembre.
+L'évêque de Tournai et Simon de Lalaing, qui étaient revenus
+depuis peu de l'Italie, leur annoncèrent dans un long discours que
+le pape avait fort loué les projets du duc et que rien ne s'opposait
+plus à leur accomplissement: le sire d'Halewyn, au nom des nobles
+de Flandre, et le sire de Viefville, pour ceux de Picardie, y répondirent
+en protestant de leur zèle, et le duc ajouta lui-même que sa
+flotte se réunirait au port d'Aigues-Mortes, consacré par le pieux
+souvenir du roi Louis IX.</p>
+
+<p>Cependant, au moment de s'éloigner de ses Etats, Philippe comprit
+que l'exil de son fils pouvait être contraire à la stabilité de sa
+puissance. Il ordonna au bâtard de Bourgogne d'aller le trouver en
+Hollande, où il se consolait de sa mauvaise fortune en nouant de
+secrètes intrigues avec le duc de Bourgogne, le comte de Nevers et
+le comte de Saint-Pol; la duchesse se rendit elle-même à Berg-op-Zoom,
+pour le supplier de ne pas réduire son père à une résolution
+extrême qui pourrait lui enlever son héritage.</p>
+
+<p>La gravité de la situation préoccupait tous les esprits: les bonnes
+villes de Hollande, prenant l'initiative d'une médiation qui pouvait
+avoir ses périls, s'adressèrent les premières aux états de Flandre
+pour leur exposer combien il était important d'assurer la paix de
+l'avenir avant d'aborder les chances incertaines de la croisade:
+elles demandaient qu'une entrevue eût lieu à Bruges entre le duc
+et son fils, et les engageaient à envoyer leurs députés se jeter aux
+<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span>
+genoux du vieux prince pour qu'il pardonnât au comte de Charolais.
+Les états de Flandre s'adressèrent à leur tour aux bonnes
+villes de Brabant de Hainaut, et elles promirent de s'associer à
+leur démarche.</p>
+
+<p>Le comte de Charolais n'avait pas quitté Berg-op-Zoom, et continuait
+à réclamer des garanties dans une réconciliation que le duc
+Philippe ne voulait admettre qu'accompagnée d'une soumission
+complète et de l'aveu de son repentir et de ses torts. Lorsqu'il
+apprit que son père avait convoqué les états de tous ses pays «de
+par deçà» pour qu'ils se trouvassent le 9 janvier à Bruges, il résolut
+aussitôt de s'assurer leur appui, et leur écrivit pour les inviter à
+se rendre le 3 janvier à Anvers, afin qu'il eût le loisir de prendre
+leurs conseils; mais Philippe ne vit dans cette lettre qu'un nouvel
+outrage à l'autorité paternelle, et défendit qu'on y obéît, attendu
+qu'il appartenait au prince seul de réunir les états, et qu'il était
+bien résolu à ne point permettre qu'ils intervinssent dans les soins
+de son gouvernement ou dans ses démêlés avec son fils. Il était
+trop tard; les députés des états étaient déjà arrivés à Anvers. Le
+comte de Charolais leur exposa tous les méfaits des sires de Croy,
+qui l'avaient fait priver de sa pension et reléguer dans l'exil. Il
+ajouta que le duc Philippe songeait à la fois à remettre le gouvernement
+de tous ses Etats au sire de Chimay, notoirement vendu à
+Louis XI, et à confier la garde de la Hollande et de la Zélande au
+roi Edouard d'Angleterre. Il les suppliait d'intercéder en sa faveur
+auprès du duc pour qu'il le reçût dans ses bonnes grâces et ne confiât
+point, à son départ, des provinces si florissantes à des mains
+étrangères.</p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, on apprit tout à coup que Louis XI était
+arrivé à Tournay: après avoir passé tout l'hiver à Abbeville pour
+suivre les événements, il avait jugé utile de s'avancer jusqu'aux
+frontières de Flandre, afin de soutenir l'influence des sires de Croy.
+Le duc, loin de secouer leur tutelle, vanta leurs services à l'assemblée
+des états qui se réunit à Bruges, et, tout en démentant les
+bruits d'après lesquels on le montrait prêt à abandonner le soin de
+ses nombreuses seigneuries aux rois de France et d'Angleterre, il
+annonça qu'il les laisserait en bonnes mains pendant son voyage.
+Il se montra, du reste, fort mécontent de ce que les états s'étaient
+rendus à Anvers et les congédia.</p>
+
+<p>Les députés des états voyaient leurs craintes s'accroître: ils se
+<span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span>
+réunirent spontanément à l'hôtel de ville, le 11 janvier 1463 (v. st.),
+et y résolurent d'aller s'excuser près du duc de leur déférence aux
+désirs du comte de Charolais, et de recourir en même temps aux
+plus humbles prières pour qu'il modérât sa colère contre son fils.
+L'évêque de Tournay leur fit obtenir le lendemain une audience, et
+l'abbé de Cîteaux porta la parole en leur nom devant le duc de
+Bourgogne. Il loua la noblesse de sa personne et la splendeur de sa
+maison; elle était telle, disait-il, que les discordes qui affligeaient
+les pays étrangers respectaient l'asile de la paix et du bonheur, de
+la sagesse et de la gloire, et que toutes les nations souhaitaient de
+se trouver sous sa protection. Il exprimait l'espoir que puisque partout
+on le citait comme le modèle des bons princes, ses sujets seraient
+les premiers à éprouver sa bonté et sa clémence; et après
+avoir excusé les états de leur voyage à Anvers, en alléguant leur
+ignorance de la défense du duc, il le supplia d'oublier les torts du
+comte de Charolais, afin qu'on retrouvât un jour sous son fils le sage
+gouvernement dont ils avaient joui sous son propre règne.</p>
+
+<p>Philippe consentit à pardonner aux états; mais il se plaignait
+vivement du comte de Charolais et jurait sur sa foi qu'il n'y avait
+jamais rien eu de vrai dans les projets qu'on lui attribuait. «Ce sera,
+disait-il, la dernière volonté que j'aurai jamais.» Il n'en exigeait
+pas moins que son fils se soumît à ses ordres et lui donnât une première
+preuve de son respect et de son obéissance en éloignant de
+lui tous les conseillers qui l'entouraient.</p>
+
+<p>Cependant le comte de Charolais était arrivé à Gand; les députés
+des états s'y rendirent avec l'évêque de Tournay, l'abbé de Cîteaux
+et les sires de Goux et de Lalaing. L'abbé de Cîteaux exposa, dans
+un docte discours, les volontés du duc; aussitôt après, l'évêque de
+Tournay s'agenouilla devant le jeune prince en ajoutant quelques
+belles remontrances. Mais le comte de Charolais, qui ne l'aimait
+pas, se hâtait peu de le relever et lui témoignait publiquement son
+ressentiment. «Monseigneur, dit le prélat, ce n'est point comme
+serviteur de votre père, mais comme évêque, que je viens calmer
+de longues discordes et rétablir la paix et l'union.»</p>
+
+<p>Le comte de Charolais demanda aux députés des états s'il était
+vrai que l'abbé de Cîteaux eût parlé en leur nom. Leur réponse ayant
+été affirmative, il les remercia de leurs bonnes intentions et leur raconta
+toutes les insultes des sires de Croy. «Ils avaient cherché,
+prétendait-il, à le faire périr en recourant à l'appui infâme des
+<span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span>
+sorciers; ils s'étaient vantés qu'ils avaient neuf cents chevaliers
+ou écuyers prêts à les servir jusqu'à la mort, que tout l'Artois
+leur obéissait, et que c'était en vain que le comte de Charolais
+chercherait à leur opposer ses Flamands et ses Brabançons.»
+Enfin, après avoir décrit aux députés des états les dangers qui le
+menaceraient s'il se livrait entre les mains de ses ennemis, il termina
+en leur demandant conseil.</p>
+
+<p>Les députés des états se retirèrent: après une demi-heure de délibération,
+ils allèrent tous se jeter aux genoux du comte de Charolais,
+et le pressèrent de se réconcilier avec son père afin d'écarter
+les malheurs dont ses États héréditaires étaient menacés. L'on pouvait
+espérer que Dieu, exerçant les prières de leurs nombreuses populations,
+continuerait à le protéger, et que son père éprouverait
+tant de joie de le revoir qu'il serait le premier à le défendre.</p>
+
+<p>Le comte de Charolais se soumit à la décision des députés des
+états, les priant seulement de vouloir bien l'accompagner. A une
+petite distance de Bruges, il rencontra Adolphe de Clèves, le bâtard
+de Bourgogne et les échevins, qui s'étaient rendus au devant de lui,
+et se dirigea avec eux vers l'hôtel du duc, où il s'agenouilla trois
+fois devant son père; puis il chercha à se disculper des torts qu'on
+lui imputait. «De toutes vos excuses, interrompit le duc, je sais
+bien ce qui est; mais puisque vous êtes ici venu à merci, soyez-moi
+bon fils, je vous serai bon père.» En disant ces mots, il le prit
+par la main; peu de jours après, le duc de Bourgogne partit pour
+Lille, où les états avaient reçu l'ordre de se réunir le 8 mars
+1463 (v. st.).</p>
+
+<p>Louis XI, déjà prévenu par Antoine de Croy de ce qui s'était passé
+à Bruges, avait aussi quitté Tournay pour se rendre à Lille;
+autant désirait-il voir le duc se croiser lorsqu'il songeait à remettre
+sa puissance aux mains des sires de Croy, autant eût-il
+redouté de le voir exécuter son projet depuis que rien ne s'opposait
+plus au v&oelig;u populaire qui soutenait le comte de Charolais. Par une
+tactique toute nouvelle, il réussit à persuader au duc qu'il ferait bien
+d'ajourner son voyage à l'année suivante, promettant de lui envoyer à
+cette époque dix mille combattants qu'il entretiendrait à ses dépens
+pendant quatre mois. Le roi Edouard d'Angleterre annonçait aussi
+qu'il joindrait aux pèlerins qu'amènerait l'archevêque de Canterbury
+un secours en archers. Toutes ces espérances flattaient l'ambition
+de Philippe, à qui elles montraient les rois empressés à l'accepter
+<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span>
+pour chef de la grande ligue des peuples chrétiens qui étaient
+appelés à délivrer l'Orient.</p>
+
+<p>Le duc fit part de sa résolution aux états. Il ajouta que s'il n'était
+pas mort ou malade, il aurait franchi les frontières des infidèles
+avant les fêtes de la Saint-Jean 1465. Du reste, pour ne point manquer
+aux engagements qu'il avait pris vis-à-vis du pape, il se proposait
+de charger le bâtard de Bourgogne de conduire, sans retard,
+deux mille combattants dans les mers de la Propontide.</p>
+
+<p>L'un des hommes les plus illustres de ce siècle par sa science et
+son génie, Æneas Sylvius Piccolomini, avait ceint la tiare romaine
+sous le nom de Pie II. A la vue des profondes divisions qui déchiraient
+l'Europe et des rapides progrès du mahométisme qui s'avançait
+jusqu'au Danube et semblait du rivage de la Grèce menacer
+déjà l'Italie, il avait senti renaître en lui la sublime énergie
+d'Urbain II. Sa voix puissante, qui convoquait aux périls de la guerre
+sainte les nobles et les bourgeois, les riches et les pauvres, retentissait
+dans toute l'Europe. Il ne cessait de condamner les lenteurs
+du duc de Bourgogne, qui cherchait à s'excuser sur ce qu'il ne pouvait
+point, seul entre tous les princes, entreprendre la croisade, et il
+déclarait qu'en même temps pontife et roi, il serait le premier à l'y
+suivre. «Le pontife romain, aidé des Vénitiens et des Hongrois,
+accompagné du duc de Bourgogne, aidé par le roi de France,
+peut, disait-il, détruire la nation des Turcs. Les croisés n'accourront-ils
+point lorsqu'on apprendra qu'il part lui-même avec le
+sacré collége des cardinaux? et l'argent pourrait-il lui manquer,
+quand on saura qu'il est résolu à offrir non-seulement ses trésors,
+mais son propre sang pour le nom de Jésus-Christ?» Pour ranimer
+le zèle de Philippe, il ajoutait que l'empereur avait résolu de
+lui accorder le titre de roi avec le vicariat impérial sur la France
+et sur tous les pays situés au delà du Rhin. D'autres lettres pontificales
+s'adressaient aux nombreuses populations des Etats du duc
+de Bourgogne. Tous les dimanches, dans tous les villages de la
+Flandre, les prêtres lisaient du haut de la chaire la bulle de la croisade.
+A Gand, un moine de l'ordre des Jacobins, nommé Nicolas
+Bruggheman, prêcha la guerre sainte dans une procession générale
+de l'église de Saint-Jacques; une multitude immense se pressait
+autour de lui, sur ce marché du Vendredi, où tant de fois des voix
+éloquentes avaient ému et transporté des imaginations ardentes et
+passionnées. L'enthousiasme de la foi se réveillait de toutes parts.
+<span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span>
+Comme au onzième siècle, le peuple se réunissait par troupes de
+dix, vingt ou quarante personnes, qui se dirigeaient vers les Alpes,
+sans chefs, sans armes, sans argent; plus de vingt mille hommes
+quittèrent ainsi les Etats du duc, et bientôt trois cent mille pèlerins
+saluèrent les murailles de Rome. A mesure qu'ils arrivaient,
+le pape les envoyait au port d'Ancône.</p>
+
+<p>Ce fut le 21 mai, deuxième jour de la Pentecôte, que le bâtard
+de Bourgogne, après avoir pris la croix la veille, s'embarqua à l'Ecluse.
+Le sire de Boussut, messire Simon de Lalaing et ses deux fils,
+et plusieurs autres chevaliers, faisaient partie de cette expédition.
+Trois cent trente croisés y représentaient la commune de Gand. Le
+duc de Bourgogne s'était rendu à l'Ecluse pour voir ses vaisseaux
+mettre à la voile vers ces mers éloignées, où, malgré sa vieillesse,
+il espérait encore pouvoir bientôt les rejoindre. Ayant appris que le
+roi de Hongrie, effrayé des désordres qui avaient signalé en 1396 la
+marche des croisés, était peu disposé à les laisser passer par ses
+Etats, il avait renoncé au projet de suivre la route signalée par les
+revers de Jean sans Peur, et ses ambassadeurs venaient de conclure
+avec Bernard Justiniani une convention par laquelle les Vénitiens
+s'engageaient à transporter ses hommes d'armes en Orient, de
+même que jadis ils avaient reçu sur leurs navires les chevaliers
+de Baudouin de Constantinople.</p>
+
+<p>En ce moment, la réconciliation du duc de Bourgogne et du
+comte de Charolais permettait de détourner les regards des embarras
+de la situation intérieure pour les porter vers ces glorieux
+pèlerinages où l'on avait vu six cent mille croisés fouler les bords
+de l'Oronte ou la vallée de Rephaïm; mais ces rêves ne devaient
+pas être de plus de durée que la réconciliation qui en était la base.
+Les sires de Croy retrouvèrent assez d'influence pour que le duc de
+Bourgogne refusât de rétablir la pension du comte de Charolais,
+qui retourna en Hollande en même temps qu'ils ramenaient au
+château d'Hesdin le vieux prince, que Louis XI se hâta d'aller rejoindre.
+Le roi de France cherchait sans cesse à enlacer le duc dans
+ses astucieux projets. Ce n'était point assez qu'il eût recouvré les
+villes de la Somme, il voulait profiter de ce premier succès pour se
+faire restituer également les châtellenies de Lille, de Douay, et
+d'Orchies, moyennant le payement des sommes qui avaient été
+stipulées dans l'éventualité du rachat de ces châtellenies: le duc
+était toutefois trop sage pour retomber deux fois dans la même
+<span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span>
+faute. Il répondit que lorsque Philippe le Hardi avait épousé Marguerite
+de Male, le roi de France avait disposé de Lille, de Douay
+et d'Orchies pour lui et ses hoirs mâles, de manière à ce qu'il n'y
+eût lieu à ce droit de retour que s'ils venaient à manquer. Toutes
+ces tentatives du roi étaient plus favorables au comte de Charolais
+que la soumission même du jeune prince, trop prompt, même lorsqu'il
+cédait, à se laisser emporter par son caractère ardent et impétueux.
+Philippe avait déclaré, l'année précédente, qu'il ne rendrait
+jamais au comte de Charolais sa pension que du plein gré du roi de
+France. Eclairé davantage sur les desseins de Louis XI, il n'hésita
+pas à lui annoncer que voyant les malheurs que ces divisions pouvaient
+entraîner, cédant d'ailleurs aux v&oelig;ux de ses Etats et au
+mouvement de son c&oelig;ur paternel, il était disposé à écouter les
+prières de son fils. Il ajoutait que, quoiqu'il pût bien le faire sans
+sa permission, il le priait de ne pas manquer à la promesse qu'il
+lui avait faite d'y consentir. Ces paroles plaisaient peu à Louis XI;
+il cherchait à les combattre en se plaignant longuement du comte
+de Charolais, notamment de son alliance secrète avec le duc de
+Bretagne. Malgré tous ses efforts, le duc persistait dans son opinion,
+et le roi prit congé de lui pour se rendre à Rouen; mais il ne fit
+dans cette ville qu'un court séjour et revint presque aussitôt en
+Artois. Les uns disaient que c'était afin de pouvoir entamer plus
+facilement, grâce à la médiation du duc, des négociations avec le
+roi Edouard d'York; d'autres prétendaient que le roi avait appris
+des astrologues qu'un grand danger menacerait le duc pendant le
+mois de septembre, et qu'il voulait se tenir prêt à se saisir aussitôt
+du château d'Hesdin et de toutes les richesses qui y étaient déposées.</p>
+
+<p>Louis XI devait plus d'une fois se laisser tromper par le vain
+calcul des constellations. Les dangers qu'elles annonçaient ne se
+présentèrent point: la croisade seule languissait et s'éteignait sans
+combats et sans gloire. Le sire de Toulongeon et le protonotaire de
+Bourbon avaient été envoyés à Rome pour s'excuser des retards
+qu'elle subissait sans cesse. Le pape les chargea de supplier leur
+maître d'y mettre un terme, et écrivit lui-même au duc de Bourgogne:
+«Le bruit s'est répandu dans l'univers que l'illustre et
+puissant duc de Bourgogne a résolu, d'accord avec le pontife romain,
+de faire la guerre aux Turcs; la Grèce aspire à la liberté,
+et déjà la terreur s'est emparée des infidèles. Telle est la puissance
+<span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span>
+de votre nom. Mais que deviennent votre honneur et le
+soin de votre renommée? La maison de France n'a-t-elle pas toujours
+placé sa gloire avant toute autre considération? Si vous
+ne venez point, nous n'en irons pas moins en Orient. Personne ne
+pourra dire: Le pape Pie a pris un engagement et ne l'a pas tenu;
+il a annoncé son départ et il n'est pas parti. Nous partirons, nous
+nous embarquerons, nous aborderons au milieu des ennemis, nous
+lutterons pour faire triompher le nom du Christ. Rien ne nous
+retiendra, ni notre vieillesse, ni la roideur de nos membres affaiblis
+par la goutte. Nous savons que nous devons mourir, et nous
+ne croyons pas pouvoir mieux finir notre vie qu'en combattant
+pour la cause du Sauveur.» Pie II n'avait que deux galères; mais
+sa résolution restait inébranlable, et il quitta Rome, placé dans une
+litière dont les cardinaux fermaient les rideaux, afin de lui épargner
+le spectacle de la foule nombreuse des pèlerins, qui, tristes et
+découragés, se préparaient à regagner leurs foyers. A peine était-il
+arrivé à Castello-Phiano qu'il apprit que le duc de Bourgogne réclamait
+de nouveaux délais: on lui annonça au même moment que les
+Turcs avaient envahi l'Etat de Raguse. Enfin il parvint à Ancône,
+se fit porter au bord de la mer, salua d'un &oelig;il mourant la flotte
+vénitienne, qu'on signalait au loin, et rendit le dernier soupir. La
+guerre sainte expirait avec Pie II sur la plage de l'Adriatique, entre
+le port de Bari, d'où était parti Robert de Jérusalem, et le port de
+Venise, où s'était embarqué Baudouin de Constantinople.</p>
+
+<p>La flotte du bâtard de Bourgogne s'était dirigée vers le détroit
+de Gibraltar. Si elle ne s'avança pas jusqu'aux Açores, qui reçurent
+vers cette époque le nom d'Iles flamandes, à cause des colons envoyés
+dans ces îles par la duchesse de Bourgogne, qui les avait
+reçues de son neveu, le roi Alphonse de Portugal, elle ne s'arrêta du
+moins à Marseille qu'après avoir délivré, sur les côtes de l'Afrique,
+la ville de Ceuta, assiégée par les Mores. La peste avait enlevé le
+bailli de Dijon, les deux fils du sire de Lalaing et près de cinq cents
+hommes d'armes. Il ne restait presque plus rien des cent mille
+écus d'or qui avaient été puisés dans le trésor du duc, pour entretenir
+cette expédition pendant une année entière. La nouvelle de la
+mort du pape vint augmenter le découragement des croisés bourguignons;
+ils n'espéraient plus trouver des alliés qui les soutiendraient.
+Venise, naguère si zélée, ne cachait plus sa froideur; le
+duc de Milan n'agissait point, et le bâtard de Bourgogne, non moins
+<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span>
+étranger à la pieuse ardeur des premiers croisés qui plaçaient le
+martyre au-dessus de la victoire, obtint de pouvoir retourner en
+Flandre. Plus fidèles à leurs serments, Frédéric de Witthem et
+Pierre de Waes continuèrent leur voyage vers l'Orient, où ils acquirent,
+dit Olivier de la Marche, grand honneur; car «ce n'estoit
+pas peu de chose après l'armée rompue de soutenir la guerre
+contre les infidèles.» Les trois cent trente croisés de Gand les
+avaient accompagnés, et ils se signalèrent par le même courage:
+quand, revenus dans leurs foyers, il y déposèrent, dans l'église de
+Saint-Jean, leur bannière au lion d'argent, ils rapportaient avec
+eux, en témoignage de l'accomplissement de leur v&oelig;u, des lettres
+où le pape Paul II et le doge de Venise déclaraient qu'ils avaient
+pénétré à trois cents lieues dans le pays des Sarrasins, conquis des
+villes et des châteaux, livré de nombreux combats. Nommons parmi
+ces héros, derniers représentants de la Flandre aux croisades: Sohier
+Van den Bossche, Pierre Uutermeere, Laurent Uutenhove,
+Liévin de Coppenolle, Matthieu Meussone, Pierre Vande Kerckhove,
+Gilles de Vaernewyck. Quelques moines s'étaient associés à
+leur expédition. Un rosaire fixé par des coquilles et un bâton de
+palmier distinguaient, au milieu des hommes d'armes, ces disciples
+obscurs des Adhémar de Monteil et des Pierre l'Ermite.</p>
+
+<p>Le bâtard de Bourgogne avait laissé son artillerie à Avignon;
+mais ce fut en vain qu'il chercha à répandre le bruit que le duc
+Philippe n'attendait que le printemps pour prendre lui-même les
+armes contre les infidèles: personne n'y ajouta foi, et la croisade,
+que le génie de Pie II ne soutenait plus, se trouva réduite aux exploits
+isolés de deux chevaliers et de quelques bourgeois de Gand.
+Il n'appartenait point au duc de Bourgogne de lever, pour la défense
+de la chretienté, cette bannière de Godefroi de Bouillon que n'avait
+jamais souillée le souffle impur des passions humaines. Il semblait
+d'ailleurs que lors même que les promesses de Philippe eussent été
+sincères, les intrigues du roi de France dussent sans cesse s'opposer
+à ce qu'il les accomplît.</p>
+
+<p>Au moment où les sires de Croy obtenaient l'ordre de rappeler
+en Flandre l'expédition du bâtard de Bourgogne, Olivier de la
+Marche arrivait à Hesdin: il accourait de la Hollande pour révéler
+au duc les perfides desseins de Louis XI qui, ne croyant pas avoir
+assez fait en combattant dans les projets de croisade la transmission
+immédiate de l'autorité au comte de Charolais, avait osé chercher,
+<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span>
+dans une odieuse tentative, les moyens de la rendre à jamais impossible.
+Pendant que le comte de Charolais se tenait à Gorcum, on
+apprit qu'un étranger s'était montré dans une taverne; on remarqua
+qu'il interrogeait les habitants du pays sur les habitudes du
+jeune prince, sur le navire avec lequel il allait en mer et sur le
+nombre des serviteurs qu'il prenait avec lui lorsqu'il allait se promener,
+soit le matin, soit le soir. On l'avait même vu s'approcher
+du château et examiner la force des murailles. Le comte de Charolais
+n'hésita pas à le faire arrêter, et on le contraignit à avouer qu'il
+était le bâtard de Rubempré et qu'il était parti, sur un vaisseau
+monté par cinquante hommes, du port du Crotoy, dont son frère
+était gouverneur. Lorsqu'on lui demanda le but de son voyage, il
+varia dans ses réponses: tantôt il prétendait qu'il allait en Ecosse
+ou qu'il en revenait; d'autres fois, il disait qu'il allait voir l'une
+des filles d'Antoine de Croy, qui avait épousé le vicomte de Montfort,
+l'un des plus puissants seigneurs de Hollande. Enfin on obtint
+des révélations plus complètes, et bien que le comte de Charolais ne
+les eût point rendues publiques, on racontait tout haut que Louis XI
+s'était rendu à Abbeville pour présider aux préparatifs de cette
+expédition secrète, et qu'il avait chargé le bâtard de Rubempré de
+se saisir du comte de Charolais ou de le mettre à mort s'il ne réussissait
+à l'emmener. Peut-être convient-il de rappeler que ce gouverneur
+du port du Crotoy avait épousé Jacqueline de Croy, et que
+Louis XI, lors de son exil, l'avait délivré des prisons de Gand, où il
+avait été conduit à la requête des sergents de Charles VII, comme
+prévenu de meurtre. Il s'en était toujours montré reconnaissant,
+«et à vray dire, ajoute Chastelain, il sembloit droitement l'homme
+pour faire un coup périlleux.»</p>
+
+<p>Lorsque la nouvelle de l'arrestation du bâtard de Rubempré parvint
+à Louis XI, il se montra fort mécontent. «Je ne sais quel est
+ce bâtard, répondit-il à ceux qui en parlaient en sa présence, ni
+ce qu'on en veut dire; il n'est pas à moi; je ne l'ai jamais vu, je
+ne lui ai jamais parlé; j'ignore ce qu'il a voulu faire, qui l'a
+dirigé et fait agir; on peut m'en accuser, mais j'y suis complètement
+étranger.» Il manda également près de lui les députés de
+Tournay et des villes de la Somme, et leur fit la même déclaration.
+Cependant il fit écrire par le sire de Montauban, amiral de France,
+au sire de Croy, pour qu'il cherchât à mettre un terme à tous les
+bruits que propageait l'indignation publique et obtînt la liberté du
+<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span>
+bâtard de Rubempré. «Mon ami, répondit le sire de Croy au messager
+du sire de Montauban, rapporte ces lettres à ton maître,
+et dis-lui qu'il est trop tard pour que je puisse m'en mêler. Qui
+l'a brassé le boive; bien lui fasse!»</p>
+
+<p>Louis XI avait résolu de rétablir lui-même la situation politique
+qu'il avait compromise, et l'un de ses secrétaires, nommé maître
+Georges Havart, arriva à Hesdin au moment où l'on venait d'envoyer
+l'ordre de livrer à la justice les prisonniers de Gorcum, pour
+prévenir le duc que le roi se proposait de se rendre près de lui le
+surlendemain. Le duc apprit le même jour que le roi de France,
+renonçant à ses usages si modestes et si humbles, comptait amener
+toute sa grande garde avec lui, dans une ville où il n'y avait pas
+un seul homme d'armes bourguignon; il était à table, lorsqu'il
+reçut des lettres du comte de Charolais qui confirmaient ses soupçons
+et l'invitaient à ne pas rester à Hesdin. Les seigneurs de sa
+cour et tous les gens de son hôtel étaient livrés aux mêmes inquiétudes;
+les Croy seuls semblaient confiants et joyeux. Cependant,
+vers minuit, le duc fit appeler son valet de chambre et lui ordonna
+de tout faire préparer dès le point du jour pour son départ. Il n'avait
+prévenu de son dessein ni les seigneurs de Croy, ni le sire de
+Lannoy, ni l'évêque de Tournay; leur étonnement fut grand quand
+ils virent le duc quitter Hesdin, emportant avec lui ses trésors les
+plus précieux. «Ha! le mauvais partement, monseigneur, que vous
+avez fait aujourd'hui! disait le sire de Croy au duc; tous les
+princes de France vont se réunir au roi pour vous faire la
+guerre!» Le duc répondit qu'il n'en avait garde, et les sires de
+Croy n'osèrent pas insister, car ils sentaient bien que leur crédit
+diminuait. Le retour du comte de Charolais allait y porter les derniers
+coups. Le peuple manifestait plus vivement que jamais sa
+sympathie pour ses malheurs; les nobles s'empressaient autour de
+lui, prévoyant qu'il allait recouvrer l'autorité à laquelle sa naissance
+lui donnait des droits trop longtemps méconnus, et lorsqu'il rentra
+à Lille, il était accompagné de sept à huit cents chevaliers et
+écuyers, parmi lesquels on remarquait le duc de Bourbon, qui
+l'avait rejoint à Gand, le comte de Marle, le comte de Brienne, le
+fils du prince d'Orange, le seigneur de Fiennes, son frère Jean de
+Luxembourg, et la plupart des hauts barons de Flandre et de
+Hainaut.</p>
+
+<p>Louis XI suivait attentivement les événements, et continuait à
+<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span>
+dissimuler. Changeant toutefois de système, il déclara aux députés
+des villes de la Somme que le bâtard de Rubempré avait agi par
+ses ordres, mais que le but de son voyage était de s'emparer, non
+du comte de Charolais, mais du vice-chancelier de Bretagne, qui
+devait revenir d'Angleterre par la Hollande. Il était absurde, disait-il,
+qu'on prétendît qu'avec si peu de gens il eût pu songer à enlever
+un prince toujours entouré d'un grand nombre de serviteurs. Le
+duc de Bourgogne l'avait, d'ailleurs, comblé de trop de bienfaits
+pour qu'il en eût conçu la pensée.</p>
+
+<p>Une ambassade solennelle fut chargée d'aller reproduire, en présence
+de Philippe, ces douteuses et vagues explications. Elle se
+composait du comte d'Eu, du chancelier de France et de l'archevêque
+de Narbonne, et fut reçue par le duc, le 6 novembre 1464, en
+présence du comte de Charolais et des principaux seigneurs de la
+cour. Le chancelier répéta la fable sur le vice-chancelier de Bretagne;
+puis il ajouta: «Le roi sait assez que le comte de Charolais
+ne l'aime point, ce dont il ignore la cause..... Il ne lui a pas suffi
+d'arrêter injustement un serviteur du roi, mais il a fait répandre
+dans tout le pays le bruit que le bâtard de Rubempré avait été
+envoyé par le roi pour s'emparer de sa personne, même en
+employant vis à-vis de lui la force et la violence. Olivier de la
+Marche, qu'il avait chargé de vous instruire des mauvais desseins
+qu'il imputait au roi, a semé, partout où il est passé, les mêmes
+bruits. C'est pourquoi le roi, qui est innocent de ce complot et qui
+n'en a jamais eu la pensée, comme il l'affirme sur sa parole de
+roi, se peut bien plaindre amèrement du comte de Charolais, qui
+ne se contente pas d'arrêter son serviteur, mais qui attaque aussi
+sa réputation et son honneur. Bien plus, afin de diffamer la personne
+du roi par tout l'univers, le comte de Charolais l'a fait
+accuser dans les chaires de la ville de Bruges où se réunissent
+les marchands des dix-sept royaumes chrétiens... Le roi demande
+deux choses: que vous fassiez mettre le bâtard de Rubempré en
+liberté et que vous lui livriez le sire de la Marche, et avec lui les
+prêtres qui l'ont publiquement accusé à Bruges.» A ces mots,
+le comte de Charolais interrompit l'orateur. «Ce n'est pas la volonté
+du roi, s'écria-t-il, qui m'empêchera de faire alliance avec monseigneur
+de Bretagne, et je veux bien que le roi sache que si
+j'avais pour moi Dieu et mon père, je ne craindrais pas de le
+combattre.» Le roi, reprit le chancelier, ne nous a point chargés
+<span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span>
+de nous adresser au comte de Charolais.» Le duc ayant ordonné
+à son fils de laisser continuer maître Philippe de Morvilliers, le
+comte de Charolais obéit; mais ses traits altérés révélaient à tous
+les yeux le ressentiment qui l'agitait.</p>
+
+<p>Le duc répondit lui-même au discours du chancelier de France;
+il dit en riant que si son fils était trop prompt à s'effrayer, il ne
+pouvait tenir ce défaut que de sa mère, sans cesse jalouse de le
+voir aimer d'autres dames. Il ajouta que le bâtard de Rubempré
+avait été arrêté en Hollande, pays où il était seigneur de la terre
+et de la mer sans y connaître d'autre souverain que Dieu, et promit
+que, bien que ses crimes précédents fussent connus, ses juges l'épargneraient
+s'il était innocent de celui qu'on lui reprochait actuellement.
+Il justifia aussi la conduite d'Olivier de la Marche et allégua
+que, prince séculier, il restait étranger à tout ce qui se rapportait
+à l'Eglise. «Messieurs, ajouta Pierre de Goux, l'un des conseillers
+du duc, comme chacun doit l'entendre, monseigneur qui est ici
+ne tient pas tout du roi de France. Il est vrai qu'il tient de lui
+le duché de Bourgogne, les comtés de Flandre et d'Artois, mais
+il possède hors du royaume d'autres seigneuries, telles que les
+duchés de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg, de Lothier, les
+comtés de Bourgogne, de Hainaut, de Hollande, de Namur, et
+plusieurs autres pays dont la plupart ne relèvent que de Dieu
+seul.»&mdash;Cependant, interrompit le chancelier, quoiqu'il soit le
+seigneur de tous ces pays, il n'est pas roi.» Philippe, entendant
+ces paroles, éleva la voix: «Je veux bien que chacun sache que si
+je l'avais voulu je l'eusse été.» Il faisait ainsi allusion à l'époque
+du traité d'Arras, où, s'égalant en puissance et en indépendance à
+Charles VII, il ne lui avait laissé que la supériorité de son titre
+royal. Deux jours après, le comte de Charolais lut publiquement sa
+justification, qu'il avait composée seul et sans l'aide de ses conseillers:
+elle était éloquente et fière, et le duc lui-même avoua qu'il
+ne croyait pas son fils si sage et si habile.</p>
+
+<p>Dans ces circonstances, les amis des sires de Croy les engageaient
+à chercher à se réconcilier avec le jeune prince, dont le triomphe
+semblait assuré; mais les Croy s'y refusèrent, disant qu'ils n'abandonneraient
+pas le service du roi de France pour celui du comte de
+Charolais. Une longue habitude, joug pesant que secouent rarement
+les vieillards, semblait leur promettre qu'ils ne tarderaient
+pas à rétablir leur influence: en effet, dès que le comte de Charolais
+<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span>
+eut quitté Lille, ils retrouvèrent leur autorité: le duc Philippe
+voyait en eux d'anciens serviteurs qui avaient partagé tous ses efforts
+et toutes ses luttes, et lors même qu'il n'ignorait pas qu'ils le
+trahissaient, il le leur pardonnait en souvenir du zèle avec lequel
+ils l'avaient servi autrefois.</p>
+
+<p>A peu près à la même époque, tandis que le bâtard de Rubempré
+voyait s'instruire son procès à Gorcum, on arrêtait, près de Montreuil,
+un marchand brugeois nommé Pierre Puissant, qui paraissait
+être l'instrument de quelque intrigue pour chasser les Anglais
+de Calais. Ses premiers aveux, en confirmant ces soupçons, accusaient
+le roi de France lui-même; mais Louis XI, craignant de
+voir naître, vis-à-vis des Anglais, des embarras semblables à ceux
+que l'affaire du bâtard de Rubempré lui créait près du duc de
+Bourgogne, se hâta de le faire chercher par le prévôt de ses maréchaux,
+«qui estoit le plus diligent et le plus vif esprit et le plus
+fin du royaulme, le chastie-fol du roy, ne craignant rien à servir
+son maître.» Tristan l'Ermite se rendit en deux jours et demi
+de Rouen à Montreuil, et conduisit Pierre Puissant devant le conseil
+du roi, où fut appelé Robert Nevil, serviteur du comte de
+Warwick. Comme il était aisé de le prévoir, Pierre Puissant
+démentit sa première confession, «deschargeant le roy Loys et
+chargeant d'autres bien grans.» Louis XI avait fait remettre le
+texte de sa déclaration à Robert Nevil; il eût même voulu lui confier
+le soin de ramener son prisonnier à Montreuil; mais Robert
+Nevil s'en excusa en remontrant «qu'il n'y avoit homme deçà la
+mer qui l'osast prendre,» et dès qu'il apprit que le roi de France
+se proposait de le faire conduire par Tristan l'Ermite à Calais, il
+se hâta d'adresser au lieutenant de cette ville une lettre où, après
+l'avoir exhorté à ne pas laisser le prévôt des maréchaux approcher
+des remparts à demi détruits par une inondation, il ajoutait: «Ne
+prenez point maistre Pierre Puissant, car il est bourgeois de
+Bruges, et le fauldroit rendre honteusement, car tous ceulx de
+l'estape seroient arrestés.»</p>
+
+<p>Philippe reconnaissait que les immunités et les priviléges d'une
+cité commerciale ne lui permettaient point de soumettre à l'examen
+de son autorité les discours prononcés dans les chaires de
+Bruges. Robert Nevil écrivait au lieutenant du roi d'Angleterre à
+Calais, pour lui recommander de respecter la liberté d'un bourgeois
+de la même ville. Quelle était donc la puissance de cette vieille
+<span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span>
+industrie flamande qui survivait aux guerres et aux révolutions,
+également respectée des princes et des rois?</p>
+
+<p>Hors de ces cités fameuses, dont la vie calme et paisible n'a
+laissé que trop peu de traces dans l'histoire de ce temps, tout restait
+intrigues, luttes et discordes. Au-dessus du vieillard affaibli par
+l'âge et les infirmités, et ne se réveillant qu'à l'aspect des périls
+les plus menaçants, s'agitait la rivalité du roi de France et du
+comte de Charolais. Le premier cherchait à amener, par l'influence
+des Croy, le duc de Bourgogne à faire la guerre au duc de Bretagne,
+et en même temps il laissait espérer aux Anglais la cession de
+la Normandie et de la Guyenne, afin de pouvoir librement détruire,
+l'une après l'autre, les maisons de Bourbon, de Bretagne, d'Orléans,
+d'Anjou, et enfin la maison de Bourgogne elle-même. Le second
+s'alliait à tous ceux que menaçait la politique de Louis XI, et n'attendait,
+pour faire succéder en France la guerre publique aux complots
+secrets, que le signal d'une première victoire obtenue à la
+cour de son père sur les sires de Croy.</p>
+
+<p>L'occasion favorable que le comte de Charolais attendait se présenta
+bientôt; le 2 mars 1464 (v. st.), le duc Philippe devint si
+gravement malade que l'on crut que sa fin était proche. Le comte de
+Charolais était alors à Bruxelles près de lui; il profita aussitôt de
+l'absence des sires de Croy pour s'emparer de la direction des affaires,
+et créa de nouveaux capitaines dans tous les châteaux soumis
+à leur autorité. Le 8 mars, le duc, se trouvant un peu mieux, confirma
+tout ce que son fils avait fait et lui abandonna le gouvernement
+de ses Etats. Cependant les intrigues du sire de Quiévraing,
+fils aîné du sire de Chimay, réussirent à renverser l'ouvrage du
+comte de Charolais, et dès le lendemain, le duc révoqua ce qu'il
+avait fait la veille. La colère du comte de Charolais ne connut plus
+de bornes; dans un manifeste adressé aux bonnes villes, il déclara
+les Croy ses ennemis et défendit de les aider. Il menaça de sa vengeance
+le sire de Quiévraing s'il ne s'éloignait point: celui-ci, qui
+avait été jadis la première cause des querelles du duc et de son fils,
+alla se jeter aux genoux de Philippe et lui raconta ses périls. L'indignation
+du vieux prince fut si vive qu'il se plaça, un épieu à la
+main, à la porte de son hôtel, en disant qu'il voulait voir si son fils
+oserait venir tuer ses serviteurs. A peine parvint-on à l'apaiser; le
+sire de Quiévraing jugea, néanmoins, prudent de s'éloigner: une
+autorité fondée sur le caprice d'un prince septuagénaire et malade,
+<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span>
+autorité que la mort pouvait briser chaque jour, ne lui paraissait
+plus assez sûre.</p>
+
+<p>Dès ce moment, le comte de Charolais reprend tous les soins du
+gouvernement, et, la veille de Pâques 1465 (13 avril), le duc se
+réconcilie publiquement avec lui. Douze jours après, le duc de
+Bourgogne fait reconnaître, dans une assemblée générale des états
+de Flandre, de Brabant, d'Artois et de Hainaut, son fils pour son
+héritier, en lui donnant le commandement de l'armée destinée à
+envahir la France. Le comte de Charolais, n'ayant plus rien à redouter
+des sires de Croy, se trouve enfin face à face avec Louis XI,
+prêt à lui opposer toute la puissance des ducs de Bourgogne et
+toutes les discordes qui divisent la France. La ligue qu'il a depuis
+longtemps préparée s'organise rapidement: elle comprend le duc
+de Berry, frère du roi, les ducs de Bretagne, de Bourbon, d'Alençon,
+de Nemours, de Calabre, les comtes de Saint-Pol, de Dammartin,
+d'Armagnac, de Dunois; le comte de Warwick a été chargé de se
+rendre en Flandre pour y adhérer.</p>
+
+<p>Le 15 mai 1465, le comte de Charolais réunissait au Quesnoy les
+plus nobles chevaliers de Flandre, de Hainaut, de Brabant, de Hollande;
+le 4 juin, il traversait la Somme. Nesle, Roye et Montdidier
+ouvrirent leurs portes: Saint-Denis n'opposa pas de résistance.
+Les communes, dont les priviléges étaient étouffés; la noblesse, dont
+les services étaient méconnus; le clergé, dont les favoris de
+Louis XI envahissaient les dignités, considéraient le comte de Charolais
+comme leur libérateur. Le 16 juillet, les Bourguignons attaquent
+l'armée du roi dans une plaine qu'on nomme le champ de
+Pleurs, près de la tour de Montlhéry: après avoir assisté à une
+mêlée confuse où les deux partis prennent la fuite, après avoir vu
+tomber autour de lui les sires d'Ongnies, de Hamme, de Lalaing,
+le comte de Charolais, blessé lui-même à la gorge et à la poitrine,
+campe au milieu des morts sur le champ de bataille. Enfin, dans
+les premiers jours d'octobre, se conclut à Conflans ce fameux traité
+qui, en anéantissant l'autorité royale au profit d'une féodalité nouvelle,
+devait toutefois être plus utile au roi qu'aux princes, pour
+lesquels il fut une source de divisions et de jalousies. Au-dessus
+du roi se plaçait un conseil de trente-six membres choisi par les
+représentants du clergé, de la noblesse et des communes, chargé
+de satisfaire aux plaintes des grands et du peuple. Le comte de
+Charolais recouvrait les villes de la Somme et recevait le comté de
+<span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span>
+Guines. Le duc de Berry obtenait pour apanage la Normandie; le
+comte de Saint-Pol était créé connétable; le duc de Nemours, capitaine
+de l'Ile-de-France. Toutes les confiscations prononcées par
+le roi étaient annulées.</p>
+
+<p>Le vieux duc sentit son c&oelig;ur s'ouvrir aux émotions de la joie paternelle
+en revoyant son fils qui, avant de rentrer à Bruxelles, venait
+d'ajouter à ses palmes de Montlhéry celles d'une expédition
+contre les Liégeois; mais le comte de Charolais le quitta bientôt
+pour accomplir le v&oelig;u qu'il avait fait d'aller à pied, en pèlerinage, à
+Notre-Dame de Boulogne: il traversa Gand, Bruges et Saint-Omer,
+accueilli partout par les acclamations populaires. De Boulogne,
+il se rendit aux bords de la Somme. Pendant qu'il combattait
+les Liégeois, secrètement excités par des conseils étrangers,
+Louis XI avait reconquis la Normandie et entamé des négociations
+avec les Anglais. Le comte de Charolais se préparait à ramener ses
+bannerets en France lorsque Liége prit de nouveau les armes, et il
+fallut recommencer la guerre pour étouffer cette seconde insurrection,
+que termina le sac de Dinant, où une population tout entière
+disparut au milieu des flammes, sous les ruines du foyer paternel
+qu'elle avait été impuissante à défendre. Déjà le comte de Charolais
+avait adressé au roi de France une lettre où l'on remarquait ces
+paroles: «Monseigneur, il est vray qu'aucun parlement a esté tenu
+entre vos gens et ceux du roi d'Angleterre, et tellement besongné
+que vous estes content, dont j'ay esté adverty, de leur bailler le
+pays de Caux, Rouen et les villes qui y sont comprises, leur aider
+à avoir Abbeville et la conté de Ponthieu, et outre plus avoir avec
+eux certaines alliances contre moy et mon pays..... Monseigneur,
+de ce qui peut me toucher, il me semble que vous pourriez mieulx
+vouloir le mien demourer en ma main que d'estre cause de le
+mettre ès mains des Englois: pourquoy je vous supplie, monseigneur,
+que ne veuillez vous y quonsentir, mais faire cesser le
+tout.»</p>
+
+<p>Pendant que le comte de Charolais prenait de plus en plus la direction
+des affaires, la santé de son père continuait à décliner, et
+avec elle son intelligence, jadis si élevée et si profonde. Le duc
+Philippe passait toutes ses journées dans une petite chambre où il
+aiguisait des aiguilles, retrempait de vieilles lames ou réunissait
+des débris de vitrages. Cet atelier le suivait partout, et là se bornaient
+toutes les occupations d'un prince naguère encore l'arbitre
+<span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span>
+du monde chrétien. Une attaque d'apoplexie, dont il avait été
+frappé l'année précédente dans un accès de colère contre les trésoriers
+qui ne payaient pas la solde de ses hommes d'armes, avait surtout
+contribué à épuiser ses forces, et ses médecins suivaient avec
+inquiétude les rapides progrès de ses infirmités, lorsque le vendredi
+12 juin 1467, il fut pris de vomissements violents. Le dimanche
+suivant, tous les symptômes s'aggravèrent, et l'on fit avertir le comte
+de Charolais, qui accourut aussitôt de Gand; mais il trouva, à son
+arrivée, son père abandonné de ses serviteurs qui attendaient sa
+mort. Déjà il ne parlait plus, et ce même jour, lundi 15 juin, entre
+neuf et dix heures du soir, il rendit le dernier soupir.</p>
+
+<p>Philippe était âgé de soixante et onze ans; son règne avait duré
+près d'un demi-siècle, et devait être le plus glorieux de la domination
+bourguignonne. Non-seulement il avait réuni de nombreux
+Etats à l'héritage de Jean sans Peur, mais il avait eu aussi la gloire
+de vaincre la Flandre par les armes, et de cicatriser les plaies de la
+guerre par le développement pacifique du commerce et des arts. Tel
+avait été l'éclat de ses triomphes, telle avait été la renommée de sa
+puissance, qu'il avait, disait-on, refusé trois fois l'Empire, et l'on
+ajoutait que les Milanais et les Génois n'attendaient que son assentiment
+pour arborer sa bannière au delà des Alpes. «Je m'ose fier
+en la miséricorde de Dieu, dit Chastelain en racontant sa mort, et
+n'y a qu'une seule chose qui m'en donne peur: c'est la très-extrême
+et très-abondante mondaine félicité qu'il a eue et obtenue
+tout son vivant, en toute acquiescence de fortune et de souhait de
+cuer, plus qu'oncques homme... Il a été glorieux au monde, béat
+et plein de bénédiction en terre, cler et fulgent en fortune, riche
+de tout honneur, et le plus hault en renommée, qui fust en longs
+ans. Tous roys de son temps l'ont préféré en tiltre devant eux; les
+cieux l'ont magnifié de leurs graces, et les hommes l'ont solemnisé
+en ses vertus. Orient et Occident, à la croisure du ciel, tout
+souffloit en ses voiles.»</p>
+
+<p>De magnifiques obsèques furent célébrées dans l'église de Saint-Donat.
+De chaque côté du cortége funèbre s'avançaient seize cents
+hommes tenant des torches à la main et vêtus de deuil, quatre cents
+pour son fils, autant pour la ville de Bruges, autant pour les corps
+de métiers, autant pour le pays du Franc. Au milieu d'eux marchaient
+neuf cents nobles ou riches bourgeois, seize prélats les suivaient;
+puis s'avançaient les rois d'armes, le comte de Joigny, le
+<span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span>
+sire de Créquy, le marquis de Ferrare, les sires de Boussut, de
+Borssele, de Commines, de Breda et de Grimberghe, les bâtards de
+Bourgogne et de Brabant. Les comtes de Nassau et de Buchan, le
+bâtard Baudouin de Bourgogne et le sire de Châlons soutenaient le
+poêle sur quatre lances. Jacques de Bourbon et Adolphe de Clèves
+menaient le deuil; toute l'église de Saint-Donat était tendue de
+drap noir, et le nombre des cierges qui brûlaient sous les nefs était
+si considérable, que la chaleur contraignit les assistants à briser
+les vitraux où les pieuses images des apôtres et des saints vénérés
+par le peuple semblaient s'incliner au-dessus de lui pour le bénir.</p>
+
+<p>Au delà de ces derniers hommages, de ces pompes sans lendemain,
+l'humble niveau de la mort attendait le duc de Bourgogne pour
+le réunir, aux pieds du souverain Juge, aussi bien à ses adversaires,
+pour lesquels il s'était montré cruel et impitoyable, qu'à ses serviteurs
+et à ses amis, qui avaient proclamé ses bienfaits en effaçant
+le surnom de Philippe l'<em>Asseuré</em> pour le remplacer par celui de
+Philippe le Bon.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>LIVRE DIX-NEUVIÈME.<br />
+<span class="medium">1467-1476.</span></h2>
+<hr class="deco" />
+
+<p class="subh">Charles le Hardi ou le Terrible.<br />
+Rivalité du duc de Bourgogne et du roi de France.<br />
+Sédition à Gand.&mdash;Résistance de l'esprit communal.<br />
+Batailles de Granson, de Morat et de Nancy.</p>
+</div>
+
+<p>Le prévôt de Watten, fameux astrologue, avait déclaré que le fils
+du duc Philippe serait exposé aux plus terribles coups du sort et
+aux plus grands malheurs.</p>
+
+<p>L'horoscope du successeur de Charles VII était tout différent: il
+annonçait qu'après avoir été en butte aux attaques jalouses de ses
+vassaux, il terminerait sa vie au sein de la puissance et de la prospérité.</p>
+
+<p>Charles lutta contre la mauvaise fortune qu'on lui avait prédite
+en la heurtant de front et en cherchant à la violenter comme Alexandre
+violenta la pythie: dès sa jeunesse, la mer ne lui semblait
+jamais plus belle que lorsqu'elle lui opposait les flots furieux d'une
+tempête.</p>
+
+<p>Louis XI attendit au contraire la bonne fortune qui lui était promise
+en aplanissant ses voies par tous les moyens qui étaient en son
+pouvoir.</p>
+
+<p>Charles voulait réédifier le passé par le droit de ses victoires;
+dernier représentant du principe féodal, il répétait qu'issu de Charlemagne,
+il ne pouvait reconnaître la supériorité des héritiers de
+Hugues Capet, et ne voyait dans les siècles qui l'avaient précédé
+que les fabuleuses traditions qui retraçaient les aventures des Lancelot
+et des Gauvain. Le roi de France, plus prudent, comprenait
+qu'en politique un système suivi avec habileté et persévérance est
+plus fort qu'une armée, et c'était à pas lents et mesurés qu'il marchait
+à la conquête de l'avenir. Immolant la noblesse, depuis longtemps
+de plus en plus affaiblie, aux rancunes envieuses et anarchiques
+<span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span>
+de la démocratie, il espérait placer plus haut la royauté en
+l'élevant sur des ruines, et brisait l'épée des chevaliers qui protégeaient
+au dehors la puissance de la monarchie, en même temps
+qu'il confisquait les libertés communales qui au dedans la consolidaient
+en la modérant: épreuve dangereuse où l'Etat entier, se
+résumant en un seul homme, abdiquera, pour grandir, décliner et
+mourir avec lui, cette longue vie des institutions qui devient plus
+sainte et plus forte, consacrée par les siècles.</p>
+
+<p>Charles et Louis étaient doués tous les deux d'un esprit actif et
+entreprenant, mais leurs caractères bien différents devaient sans
+cesse les mettre en opposition dans leurs efforts vers le but que se
+proposait leur ambition. Charles, sombre, morne, triste, véhément
+dans ses longues harangues, hostile aux conseils les plus sages,
+méprisait les nobles et les bourgeois de Flandre, à qui son père avait
+dû son salut à la journée de Mons-en-Vimeu, pour s'entourer de
+bannerets étrangers, vils condottieri qu'une insatiable cupidité
+porta tour à tour à le servir et à l'abandonner. Au séjour des villes
+et des châteaux il préférait celui de la tente, «à l'exemple du lion,
+lequel, quand il se trouve chassé, ne quiert point les bois, mais se
+boute en plein champ.» Sur ce point, il ressemblait peu à son père,
+et, loin d'imiter les vices que celui-ci cherchait vainement à justifier
+par cette maxime, «que par estre bien des dames il estoit force
+qu'il fust bien des hommes que communément les dames gouvernent,»
+il ne voulait point de femmes dans son palais. La duchesse
+de Bourgogne elle-même était reléguée à Male ou à Tronchiennes
+pendant qu'il habitait Bruges ou Gand, et Wielant remarque
+«qu'il avoit fait du logis des dames en sa maison la chambre
+du conseil et la chambre des finances, disant que le conseil et les
+finances séoient mieulx estre entour et près de luy que femmes.»
+On ne le vit pas non plus encourager les récits licencieux qui formèrent
+le livre des <cite>Cent nouvelles nouvelles</cite>, mais il prenait plaisir
+«en histoires romaines des faits de Jules-César, de Pompée, d'Hannibal
+et de tels autres grands et hauts hommes lesquels il vouloit
+ensuivre.» Pour abréger ce portrait, nous ajouterons que Charles
+était généreux quand la colère ne l'aveuglait point, loyal bien que
+sans amis, compatissant quoiqu'il fût parfois inflexible jusqu'à la
+cruauté, par un sentiment profond de justice qui le portait à ne
+jamais repousser la plainte légitime du pauvre. Si nous comparons
+le roi de France au duc de Bourgogne, nous trouvons un prince
+<span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span>
+perfide et dissimulé dans la vie publique, corrompu dans la vie
+privée, opposant au fer de ses ennemis le poison, le poignard et la
+trahison, et ne mêlant à ses succès aucune de ces grandes qualités
+qui font excuser les fautes et quelquefois même les crimes. L'un a
+les défauts des premiers temps du moyen-âge dans lesquels la civilisation
+n'a rien adouci, rien corrigé. L'autre a déjà tous les vices
+des époques de démoralisation où l'intrigue est une arme plus redoutable
+que la force. Enfin, il semble que tous les deux, par un
+mutuel contraste, durent peu de chose à ceux dont ils tenaient la
+vie. Louis XI fut à Genappe le disciple de Philippe l'<em>Asseuré</em>, «qui
+vouloit toutes matières difficiles estre vidées par expédiens.»
+Chastelain offre au duc Charles, «qui demandoit toujours la
+rigueur,» le roi de France Charles VII pour modèle.</p>
+
+<p>Pour apprécier la politique extérieure du duc Charles, il ne faut
+jamais oublier que sous l'influence des discordes domestiques, dont
+il avait été le témoin et la victime, il avait appris à haïr la France,
+patrie des ancêtres de son père, et à aimer l'Angleterre, où sa mère
+se vantait de compter Edouard III parmi ses aïeux.</p>
+
+<p>Le 19 juin, quatre jours après la mort du duc Philippe, Charles,
+écrivant à Louis XI, s'abstient de le nommer son souverain seigneur,
+et allègue l'exemple même du roi de France, qui ne donne
+pas ce titre à l'Empereur, dont relève le Dauphiné.</p>
+
+<p>Le 15 juillet, il renouvelle l'alliance qu'il avait conclue l'année
+précédente avec le roi d'Angleterre.</p>
+
+<p>La situation dans laquelle se trouvait l'héritage du duc Philippe
+au moment où il le recueillit légitimait les plus hautes espérances.
+L'ordre régnait dans toutes les provinces et jamais prince n'avait
+laissé à son successeur un trésor plus considérable: on l'évaluait,
+dit Olivier de la Marche, «à deux millions d'or en meubles seulement,
+savoir quatre cens mille escus comptants, soixante-douze
+mille marcs d'argent en vaisselle, sans les riches tapisseries, les
+riches bagues, la vaisselle d'or garnie de pierreries et sa librairie
+moult grande et moult bien étoffée.» Les sires de Croy, qui
+pendant longtemps avaient excité contre le duc Charles la haine de
+son père, s'inclinaient humblement devant lui, et les communes
+flamandes, qui l'avaient chéri «comme fils de prince,» paraissaient
+disposées à saluer avec joie son avénement. En voyant descendre le
+vainqueur de Gavre au tombeau, elles se flattaient d'y voir disparaître
+avec lui les rigueurs qui avaient signalé son triomphe, et
+<span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span>
+attendaient leur liberté du jeune prince, dont elles avaient elles-mêmes
+défendu la liberté, alors qu'elle était menacée et opprimée
+comme la leur par des ennemis communs; elles devaient bientôt apprendre
+que si le comte de Charolais s'était senti assez faible pour
+rechercher leur appui, le duc de Bourgogne se croyait trop puissant
+pour en avoir jamais besoin.</p>
+
+<p>Charles avait quitté Bruges pour se rendre à Gand, où devait avoir
+lieu son inauguration solennelle. Une cour nombreuse l'accompagnait,
+et il avait pris avec lui le trésor de son père. Selon l'usage, il
+coucha à Zwinarde, et le lendemain il entra à Gand. Toutes les rues
+étaient tendues de tapisseries, toutes les places ornées de somptueux
+échafauds, où l'on représentait d'ingénieux mystères. Les bourgeois,
+confiants dans l'avenir, avaient multiplié à l'envi les symboles de
+leurs espérances et de leur allégresse. Non-seulement ils se souvenaient
+de l'affection qu'ils avaient témoignée au duc Charles pendant
+ses malheurs, mais ils croyaient aussi que la restitution complète
+de leurs franchises était prochaine, qu'ils avaient le droit de
+la réclamer, et que Charles, en la leur octroyant, ne remplirait qu'un
+devoir. Dès la porte de la ville, le nouveau duc de Bourgogne trouva
+sept cent quatre-vingt-quatre bannis auxquels il pardonna; près
+d'eux se tenait un frère prêcheur, maître Nicolas Bruggheman, le
+célèbre orateur de la croisade de 1464, qui l'exhorta dans son discours
+à modérer les rigoureuses conditions du traité de Gavre. Lorsqu'après
+avoir entendu la messe à l'abbaye de Saint-Pierre, et avoir
+juré à Saint-Jean le maintien des priviléges des Gantois, il se rendit
+à l'Hoog-huys, au Marché du Vendredi, pour recevoir le serment
+du peuple, les doyens, les échevins et les plus notables habitants
+s'agenouillèrent en le suppliant de rendre à la ville de Gand l'ancienne
+autorité qu'elle exerçait sur la châtellenie et d'autres droits
+qu'elle avait perdus en 1453. Le duc de Bourgogne leur fit répondre
+qu'il désirait que ces demandes lui fussent remises par écrit, et
+qu'il ferait connaître son intention à cet égard dans le délai de
+trois jours.</p>
+
+<p>Avant que ces trois jours fussent écoulés, une manifestation imprudente
+vint compromettre le résultat que les hommes sages espéraient
+atteindre par leur respect et leur modération. Un grand nombre
+de bourgeois s'étaient rendus à Houthem pour accompagner la
+châsse de saint Liévin que l'on devait rapporter le 29 juin des lieux
+où se consomma son martyre à ceux où l'abbé Florbert lui avait jadis
+<span class="pagenum"><a id="Page_58"> 58</a></span>
+offert un asile. C'étaient, la plupart, des jeunes gens appartenant
+aux corps de métiers, animés de passions ardentes qu'avaient nourries
+les récits de l'ancienne puissance de Gand; ils s'entretenaient
+les uns les autres de leur espoir de la voir renaître bientôt pour
+affermir de nouveau l'avenir de la patrie, quand l'un d'eux saisit,
+dans la boutique de l'un des marchands réunis à la kermesse d'Houthem,
+quelques haubergeons destinés à servir de jouet aux enfants.
+«Par le sang et les plaies de Notre-Seigneur, s'écria-t-il bruyamment,
+quoiqu'on nous ait défendu de porter des haubergeons,
+nous en portons maintenant, le voie qui veut; ils deviendront plus
+tard de plomb et d'acier. Laissez faire: tel rit aujourd'hui
+fort haut qui passera la nuit prochaine moins gaiement. Gand est
+dans la gueule des loups et de ces méchants larrons qui nous dévorent
+les poumons et le foie et s'engraissent de nos biens pour
+les mettre dans leurs sacs. On boit, on mange, on vole ce que
+nous possédons: ce qui est pis, le prince n'en sait rien; mais
+puisqu'il est maintenant à Gand, il ne l'ignorera plus longtemps.»
+Mille voix applaudirent, et ce fut en répétant ces plaintes et ces
+discours que les bourgeois de Gand reconduisirent dans leur ville
+la célèbre châsse de saint Liévin. Déjà ils étaient arrivés au Marché
+aux Grains où s'élevait l'aubette des commis chargés de prélever
+les taxes sur le blé. Ils dirigèrent aussitôt la châsse de ce côté, et
+commencèrent à démolir le bureau de la gabelle en disant que
+saint Liévin ne se détournait jamais de sa route. La châsse passa
+sur ses ruines, et ils voulurent tous en conserver quelques débris,
+sinon comme une relique, du moins comme un souvenir de leur
+audace et de leur succès. Leur enthousiasme s'accroissait d'heure en
+heure, et quand ils parvinrent au Marché du Vendredi, ils saisirent
+l'un des drapeaux qui ornaient la châsse du pieux apôtre du septième
+siècle, et l'arborèrent comme un étendard. «Tuez, tuez,
+criaient-ils avec une nouvelle énergie, tuez tous ces paillars
+mangefoies (<i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i>), ces larrons desroubeurs de Dieu et du
+monde, qui tant ont vescu à nostre piteux dammage.» Ils désignaient
+par ces mots les magistrats et les officiers du duc qui
+trouvaient dans la levée des impôts le prétexte de nombreuses
+exactions, et qui étaient allés récemment à Bruges pour y presser
+le duc de ne jamais consentir à ce qu'ils fussent abolis.</p>
+
+<p>Cependant le duc de Bourgogne tarde peu à apprendre ce qui se
+passe; il réunit ses chevaliers et ses archers, demande son cheval
+<span class="pagenum"><a id="Page_59"> 59</a></span>
+et jure par saint George qu'il ira interroger de près les
+Gantois sur ce qu'ils veulent. «Monseigneur, au nom de
+Dieu, s'écria le sire de la Gruuthuse, modérez-vous; votre vie et
+les nôtres dépendent de votre prudence. En un instant, selon ce
+que vous ferez, nous serons sauvés ou tous perdus. Si vous conservez
+votre sagesse et votre sang-froid, vous obtiendrez tout ce
+que vous voudrez avec de belles paroles. Vous avez vu jadis les
+terribles séditions des Gantois au temps du duc, votre père, qui
+souffrit beaucoup et finit par tout pardonner. Envoyez vers eux
+quelqu'un qui leur demande en votre nom ce qu'ils désirent;
+faites-leur promettre que vous écouterez volontiers leurs plaintes
+et que vous y ferez droit. Ne vous conduisez point autrement, je
+vous en supplie; vous ferez ainsi des Gantois ce que vous voudrez.&mdash;Eh
+bien, répondit Charles, allez voir le premier quelles
+sont leurs intentions, je vous suivrai.»</p>
+
+<p>Le sire de la Gruuthuse était sage et éloquent; le peuple de Gand
+l'aimait autant que celui de Bruges: il harangua avec douceur les
+bourgeois et les hommes de métiers rassemblés au Marché du
+Vendredi, les engageant à se retirer chez eux, et leur remontrant
+qu'ils avaient un nouveau prince, bon pour les petits comme pour
+les grands, et disposé à leur rendre justice. «Il n'était point honorable
+pour eux, ajoutait-il, de s'insurger à sa première entrée, et de
+venir ainsi, le lendemain du jour où ils l'avaient solennellement
+reçu, le saluer avec des bâtons ferrés.»&mdash;«Sire de la Gruuthuse,
+répondirent tous ceux qui étaient là, nous sommes prêts à mourir
+et à vivre avec notre prince. Nous n'avons aucun mauvais dessein,
+ni contre lui, ni contre les siens: ils sont aussi en sûreté que
+l'enfant dans le sein de sa mère; nous nous dévouerions pour eux;
+nous n'en voulons qu'à ces mauvais larrons qui volent monseigneur
+et nous; qui trompent monseigneur par leurs mensonges
+et leurs faux rapports; qui sucent notre sang et se rient de notre
+misère. Ce serait grand'pitié si monseigneur ne les punissait et
+ne faisait droit à nos plaintes, car, nous vous le disons, la faim
+peut réduire les brebis les plus dociles à devenir des loups furieux.
+Monseigneur ne peut pas souffrir que nous soyons ainsi
+traités, et il sera juste vis-à-vis d'eux comme vis-à-vis de nous
+qui sommes son peuple.»</p>
+
+<p>«Mes enfants, reprit alors le sire de la Gruuthuse, apaisez-vous
+et restez en paix, par la sainte passion de Dieu! Je vais aller
+<span class="pagenum"><a id="Page_60"> 60</a></span>
+vers le duc intercéder en votre faveur, lui raconter vos bonnes
+paroles, et lui exposer que vous n'en voulez qu'aux magistrats
+dont vous vous plaignez. Je vous assure que monseigneur vous
+rendra justice et vous assistera. Mais, pour l'honneur de Dieu,
+restez en paix jusqu'à mon retour, et, quelque chose qui arrive,
+comptez sur moi.»</p>
+
+<p>Le sire de la Gruuthuse se hâta de rejoindre le duc; il lui représenta
+l'irritation du peuple qui se pressait, couvert d'armures de
+fer, sous les bannières des métiers; il lui peignit la foule s'assemblant
+dans toutes les rues et roulant comme un flot immense vers le
+théâtre de l'émeute. A ce récit, Charles frémissait de colère et
+souhaitait d'être loin de Gand, afin de ne pas devoir ployer devant
+des vilains. «Car vous dis bien, ajoute Chastelain, que quelque
+nouvel seigneur qu'il estoit, si portoit-il en couvert courage une
+haulte extrême volonté de non se souffrir fouler par nulles voies,
+ains de porter l'espée si roide et si ague que le monde trembleroit
+devant ly s'il pooit vivre.» Sans attendre plus longtemps, il
+monta à cheval en robe noire, et se dirigea vers le Marché du Vendredi,
+suivi de ses archers qui s'avançaient l'arc bandé. A la vue du
+peuple, sa fureur redoubla: «Mauvaises gens! s'écria-t-il, que
+vous faut-il. Pourquoi vous agitez-vous?» Et d'un petit bâton
+qu'il tenait à la main, il commença à frapper à droite et à gauche.
+«Frappez, monseigneur! répondit le peuple sans s'écarter, nous
+sommes vos enfants, nous le souffrirons volontiers, pourvu que
+ce soit vous seul qui nous frappiez.» Il se trouva toutefois dans
+cette multitude agitée un homme qui se souvint de la <em>mer rouge</em> de
+Gavre, où Charles avait combattu à côté de son père, et le fer d'une
+pique se croisa avec le bâton dont le duc venait de le toucher: le
+danger était grand. «Là il n'y avoit ne archier, ne noble homme,
+tant feust asseur, qui ne tremblast de peur et qui n'eust volu
+estre en Inde pour sauveté de sa vie et souverainement pour le
+jeune prince qu'ils réputoient estre venu là doloreusement en sa
+mort.»</p>
+
+<p>Le sire de la Gruuthuse n'hésita plus à exercer sur le duc de
+Bourgogne l'autorité que lui assuraient ses longs services et sa
+haute vertu. «Qu'allez-vous faire? dit-il au duc d'une voix énergique.
+Voulez-vous par votre témérité nous faire égorger tous à
+notre grande honte, sans que nous puissions nous défendre? Ne
+comprenez-vous pas où vous êtes? Ne voyez-vous pas que votre
+<span class="pagenum"><a id="Page_61"> 61</a></span>
+vie et la nôtre tiennent moins qu'à un fil de soie? Pourquoi aller
+exciter par vos menaces et vos paroles une semblable multitude
+qui ne fait pas plus de cas ou d'estime de vous que du moindre
+d'entre nous? Par la mort de Dieu! si vous êtes content de mourir,
+pour moi je n'en ai nulle envie, car il vous est facile de ramener
+la paix et de sauver votre honneur. Ce n'est point ici le
+moment de montrer votre courage, songez plutôt à apaiser ce
+pauvre peuple égaré. Descendez de cheval, au nom de Dieu, et
+haranguez-le; vous vous illustrerez par votre prudence, et tout
+ira bien.»</p>
+
+<p>Le duc promena ses regards autour de lui; l'irritation semblait
+se calmer. Les bateliers, les bouchers et les poissonniers s'avançaient
+pour le protéger. «Monseigneur, lui disaient-ils, rassurez-vous
+et n'ayez nulle crainte; personne n'osera vous faire le
+moindre mal.» Ils le conduisirent jusqu'à l'Hoog-huys, et là, de
+l'une des fenêtres, entouré du sire de la Gruuthuse, de son chancelier
+et d'autres chevaliers, il s'adressa au peuple en flamand. «Mes
+enfants, Dieu vous garde et vous sauve! Je suis votre prince et
+naturel seigneur qui vous vient visiter pour que ma présence ramène
+la paix. Je vous prie de vouloir bien vous conduire avec
+modération. Tout ce que je pourrai faire pour vous sans blesser
+mon honneur, je le ferai, et je vous accorderai tout ce qui sera
+en mon pouvoir; mais veuillez vous retirer en paix.»&mdash;«<em>Wel
+gekomen! wel gekomen!</em> répondirent les bourgeois, soyez le bienvenu,
+monseigneur, nous sommes tous vos enfants, et nous vous
+remercions de votre bonté envers nous.» Le silence succède à
+ces paroles; ils soulèvent la châsse de saint Liévin et se préparent
+à la rapporter à l'église de Saint-Bavon. Soudain de cette foule tumultueuse
+s'élèvent de pieux cantiques; l'émeute s'est apaisée, et
+déjà l'étendard qui en fut le signal s'incline et s'éloigne, lorsqu'un
+bourgeois de Gand, nommé Hoste Bruneel, s'écrie: «Arrêtez, mes
+amis, arrêtez! si nous nous séparons, on viendra nous saisir l'un
+après l'autre pour nous faire mourir.»&mdash;«Arrêtez! arrêtez!»
+répètent les Gantois, et leurs clameurs confuses portent au duc
+leurs plaintes contre ses officiers: «Monseigneur, nous vous prions
+de nous faire raison de ces <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i> qui ruinent notre ville,
+nous réduisent à mendier notre pain, et sont la plupart de méchante
+origine et de mauvaise extraction. Nous les avons vus
+pauvres aventuriers, et maintenant, avec ce qu'ils nous dérobent,
+<span class="pagenum"><a id="Page_62"> 62</a></span>
+ils sont devenus des seigneurs; ils achètent terres et grands états
+avec nos propres deniers, et ils cherchent à faire croire au pauvre
+peuple que c'est vous qui les retenez, ce qui n'est pas vrai. Nous
+vous supplions d'écouter nos plaintes.»</p>
+
+<p>Au même moment, Bruneel paraît à la fenêtre où se tient le duc.
+Sans se laisser troubler par la présence du prince et de ses chevaliers,
+il frappe de son gantelet de fer sur la fenêtre, et demande
+qu'on l'écoute: «Mes frères, vous voulez que les magistrats de
+cette ville qui volent le prince et vous, soient enfin punis, n'est-il
+pas vrai?&mdash;Oui, oui, s'écria le peuple.&mdash;Vous voulez qu'on
+abolisse les gabelles, n'est-ce pas là ce que vous demandez?&mdash;Oui,
+oui, répondit le peuple.&mdash;Vous voulez qu'on ouvre les portes
+qui ont été fermées et qu'on vous permette de nouveau d'avoir des
+bannières comme autrefois?&mdash;Oui, oui, continua la foule.&mdash;Vous
+voulez qu'on vous rende vos châtellenies, vos chaperons
+blancs, vos anciens usages, n'est-il pas vrai?» Les acclamations
+de la multitude redoublèrent. Bruneel se tourna alors vers le duc.
+«Monseigneur, lui dit-il, voilà en peu de mots les réclamations que
+tout ce peuple vous présente pour que vous y fassiez droit. C'est
+en son nom que je parle, car vous l'avez entendu approuver tout
+ce que j'ai dit. Veuillez donc m'excuser de ce que j'ai fait pour le
+peuple et pour son bien.»</p>
+
+<p>Charles, dominé par le sentiment de son impuissance et d'une
+cruelle nécessité, gardait le silence. Louis de la Gruuthuse, plus
+calme, répondit à Bruneel qu'au lieu de monter près du prince pour
+l'instruire des remontrances du peuple, il eût mieux fait de les
+exposer de la place: il promit d'ailleurs que l'on y ferait droit, et
+Charles put se retirer. Lorsqu'il passa devant l'hôtel de ville où
+plusieurs échevins s'étaient réunis, il les regarda sans les saluer et
+sans leur adresser la parole; un peu plus loin, il traversa les débris
+de la maison de la cueillette, et sa colère semblait de plus en plus
+violente quand il rentra dans son hôtel.</p>
+
+<p>Cependant la cloche de Saint-Jacques, sonnant à pleine volée,
+convoquait la commune au Marché du Vendredi: tous les métiers
+s'y assemblaient avec leurs bannières depuis longtemps préparées
+en secret. Ils restèrent en armes pendant toute la nuit, et de vives
+acclamations ne cessaient de saluer la résurrection de leurs libertés
+et des glorieux symboles qui en avaient partagé les luttes et le
+deuil. On attendait impatiemment d'heure en heure la réponse du
+<span class="pagenum"><a id="Page_63"> 63</a></span>
+duc aux demandes que lui avaient remises, au nom des Trois Membres
+de la ville, Jacques de Raveschoot et Baudouin Rym. A huit
+heures du matin, le sire de la Gruuthuse vint annoncer que le duc
+de Bourgogne avait peu dormi, et qu'il serait impossible de connaître
+sa décision avant trois heures. Ce moment arriva sans que
+l'on apprît quelque chose de plus satisfaisant, et le peuple faisait
+entendre de vifs murmures, lorsque Nicolas Triest parvint à le calmer
+en l'assurant qu'on ne tarderait pas à recevoir de bonnes nouvelles.
+En effet, quelques instants après, maître Jean Petitpas,
+secrétaire du duc de Bourgogne, parut accompagné des sires de
+Commines, de la Gruuthuse, de Maldeghem, et déclara que le duc
+supprimait toutes les gabelles, révoquait toutes les amendes imposées
+par la paix de Gavre, autorisait la restitution des bannières et
+la réouverture des portes condamnées par le même traité, rendait
+aux métiers le droit d'élire leurs doyens, et chargeait une commission
+d'enquête d'instruire contre Pierre Huereblock et les autres <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i>>.
+Le duc avait également promis d'oublier les désordres de
+la veille. Aussitôt après, la châsse de saint Liévin rentra dans le
+monastère de Saint-Bavon, et le peuple déposa les armes pour courir
+aux portes qu'il lui était permis de démurer.</p>
+
+<p>Charles avait délibéré longtemps avant de céder; son premier
+soin avait été de faire sortir de la ville les trésors qu'il y avait
+apportés avec lui; mais il craignait qu'on ne voulût retenir comme
+otage sa fille Marie, alors âgée de dix ans, et son orgueil avait
+fléchi à la pensée des périls qui pouvaient menacer un enfant. Peut-être,
+lorsqu'il eut réussi à se retirer avec tous les siens à Termonde,
+songea-t-il à révoquer des concessions qui lui avaient en quelque
+sorte été arrachées par la violence. Il trouva toutefois le Brabant
+non moins agité que la Flandre; toutes les communes s'y étaient
+confédérées, et le duc de Bourgogne ne crut pouvoir mieux prévenir
+leur insurrection qu'en confirmant à Bruxelles, par une charte du
+28 juillet 1467, les priviléges qu'il avait accordés pour apaiser celle
+des Gantois.</p>
+
+<p>Quelques jours avaient suffi pour ébranler le vaste édifice de la
+domination bourguignonne. L'habileté de Louis XI, qui présidait à
+toutes les intrigues et se préparait à profiter de toutes les émeutes,
+trouva bientôt dans un petit-fils de Philippe le Hardi l'instrument
+propre à détruire la puissance fondée par son aïeul. Ce fut le comte
+de Nevers, que nous avons vu se signaler, en 1452, sous le nom de
+<span class="pagenum"><a id="Page_64"> 64</a></span>
+comte d'Etampes, dans la guerre contre les Gantois, mais qui depuis,
+émule de Jean Coustain, s'était déshonoré en demandant,
+comme lui, aux sortiléges des inspirations non moins criminelles et
+non moins ténébreuses; il n'hésita pas à se déclarer de nouveau
+l'implacable ennemi de Charles, en revendiquant le duché de Brabant
+et en s'alliant aux Liégeois. Le duc de Bourgogne, ayant pacifié
+la grande cité de Gand et celle de Bruxelles, qui n'était pas
+«de même pois,» avait déja porté toutes ses forces vers les rives
+de la Meuse; mais les bourgeois de Liége se croyaient assez redoutables
+pour braver sa puissance. Huy leur avait ouvert ses portes,
+et ils comptaient sur l'appui du roi de France. Une malheureuse
+expérience devait, à plusieurs reprises, apprendre aux Liégeois que
+si Louis XI était toujours prêt à favoriser leurs insurrections de
+ses intrigues, il ne devait jamais les soutenir de ses armées. Il se
+borna à charger le comte de Saint-Pol, devenu l'un de ses serviteurs
+les plus zélés, d'aller inviter le duc de Bourgogne à ne pas
+les attaquer. Ce fut, on pouvait le prévoir, une démarche inutile.
+Charles ne voulut point écouter les ambassadeurs français: «Je
+morrai en l'entreprise, leur répondit-il, ou je les aray au fouet de
+leur extrême perdicion et ruyne, ne jamès joye n'aray en cuer jusques
+je m'en verrai vengié. N'y a ne roy, ne empereur pour qui j'en
+face aultre chose.» Il ne restait à Louis XI qu'à s'assurer le prix
+d'une neutralité qu'il était bien résolu à ne pas observer; il y mit
+tour à tour diverses conditions, tantôt la rupture de l'alliance que
+le duc de Bourgogne avait conclue avec les Anglais dès les premiers
+jours de son règne, alliance à laquelle la Castille venait
+d'adhérer, tantôt la restitution des villes de la Somme, tantôt l'abandon
+du duc de Bretagne. Le duc s'inquiétait peu de ces messages
+de Louis XI, et ce qui l'irritait le plus, c'était qu'ils avaient
+été confiées à maître Jean Van den Driessche, cet huissier du conseil
+condamné en 1446 à l'exil par les échevins de Gand, et chargé
+en 1451 de leur signifier les menaces du duc; de nouveau banni en
+1460, mais déjà rentré à Gand en 1463, où il fit arrêter, malgré les
+priviléges de la ville, un fils de Daniel Sersanders. Or Jean Van
+den Driessche n'avait reconnu la générosité et les bienfaits de la
+maison de Bourgogne qu'en se retirant près de Louis XI qui l'avait
+créé trésorier de France. Charles l'accueillit avec mépris et se contenta
+de lui répondre: «Des menaces du roy je me donne peu de
+soing. Pour chose qu'il me face mander, ne par vous, ne par
+<span class="pagenum"><a id="Page_65"> 65</a></span>
+aultre, je ne laisserai mon emprise. Si le roy s'y veut trouver, si
+s'y trouve, les champs sont aux hommes.» Il était déjà à cheval,
+à la tête de son armée, lorsque les envoyés du roi tentèrent inutilement
+un dernier effort. Charles se borna à leur recommander de
+respecter le duc de Bretagne. «Les Liégeois sont réunis, leur dit-il;
+je m'attends à avoir la bataille avant trois jours: si je la perds,
+vous en ferez à votre guise; mais aussi, si je la gagne, vous laisserez
+en paix les Bretons.»</p>
+
+<p>Jean Van den Driessche était allé rejoindre les Liégeois. Sa
+présence ne les empêcha point d'être défaits complètement à la bataille
+de Brusthem, et elle contribua peut-être à rendre plus sévère
+la sentence dictée par le vainqueur. Les Liégeois perdirent leurs
+priviléges, leurs murailles, leur juridiction, et le célèbre <em>Perron</em>,
+qu'ils considéraient comme leur palladium, leur fut enlevé pour
+être porté à Bruges, au milieu de la Bourse, où s'assemblaient les
+marchands étrangers. Une inscription qui rappelait cet événement
+y fut placée. Liége devait y trouver le souvenir de ses malheurs; la
+Flandre, la prophétie de ceux que lui réservait l'avenir.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i1"> Gentis et invictæ gloria nuper eram.</p>
+<p class="i1"><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . </b></p>
+<p>Desine sublimes vultus attollere in auras.</p>
+<p class="i1"> Disce meo casu perpetuum esse nihil.</p>
+</div></div>
+
+<p>Bien que quelques Gantois et quelques Brugeois, sous les ordres
+de Pierre Metteneye et de Jean Nieulant, eussent concouru avec les
+sires de Ghistelles, de Saemslacht et d'Uutkerke, à la journée de
+Brusthem, les communes flamandes s'étaient généralement montrées
+peu disposées à s'associer à la guerre contre les bourgeois de
+Liége. Elles avaient laissé le camp du duc manquer d'approvisionnements,
+et lorsqu'elles avaient été invitées à faire prendre les
+armes à tous les feudataires sans distinction, l'influence des Gantois
+leur avait fait refuser leur assentiment à une mesure qu'ils
+jugeaient injuste et odieuse. D'autres difficultés s'étaient élevées
+relativement aux monnaies. Gand persista dans sa résistance, même
+après que Charles de Bourgogne, à peine rentré dans son camp de
+Saint-Trond, eut adressé aux quatre membres de Flandre une lettre
+où il se plaignait en termes sévères de l'inexécution de ses ordonnances,
+leur prescrivant de s'y conformer dorénavant «tellement,
+<span class="pagenum"><a id="Page_66"> 66</a></span>
+ajoutait-il, qu'il ne nous soit jà besoing de aultrement y pourvoir,
+car il nous déplairoit, se, par faulte de bonne obéissance, nous
+estions contraints faire le contraire de ce que nous avons tousjours
+désiré: ce que en votre défault ferions.»</p>
+
+<p>Cependant la gravité de la situation politique, telle qu'elle résultait
+des démêlés du duc de Bourgogne et du roi de France, semblait
+rendre ces menaces moins sérieuses, en les subordonnant aux conditions
+incertaines d'un avenir éloigné. Charles voulait se venger
+de Louis XI; il s'était uni au duc de Bretagne et au duc d'Alençon
+pour le combattre; en même temps, quoiqu'il eût coutume de répéter
+qu'il était le plus proche héritier de la maison de Lancastre, et
+malgré l'affection particulière qu'il lui avait toujours portée, il
+cherchait à former une alliance étroite avec la dynastie d'York, à
+laquelle la couronne d'Angleterre semblait définitivement assurée.
+Elle devait être confirmée par son mariage avec une s&oelig;ur
+d'Edouard IV. Il eût été imprudent de rompre avec les communes
+de Flandre, au moment d'aborder la guerre contre le roi de France.
+Charles avait besoin de leurs hommes d'armes; il avait besoin de
+leurs trésors. Un mandement fut bientôt publié en Flandre pour que
+tous les hommes astreints au service militaire s'assemblassent à
+Saint-Quentin le 16 décembre, et, peu de jours après, les états de
+Flandre furent convoqués à Termonde. Le chancelier leur exposa
+que le duc Charles avait droit à des aides: d'abord, pour son récent
+avénement; ensuite, pour son prochain mariage avec Marguerite
+d'York; en dernier lieu, à cause de la guerre qu'il avait soutenue
+contre les Liégeois. Ce fut ainsi qu'il demanda successivement
+à la Flandre un million de ridders, au Brabant trois cent mille
+lions.</p>
+
+<p>Les états de Flandre s'étaient ajournés au 24 janvier; après
+d'assez longues délibérations, ils accordèrent au duc le subside qu'il
+demandait; les villes du Brabant s'y soumirent à leur exemple. Le
+Hainaut accorda également une aide considérable. Le duc s'était
+rendu lui-même à Mons; mais il avait déjà été contraint, par les
+retards qui contrariaient ses négociations avec ses alliés, d'accepter
+de nouvelles trêves, et il jugea utile d'en profiter pour faire reconnaître
+son autorité dans ses divers Etats. Il se dirigea donc de Mons
+vers Lille, et, le 9 avril, veille du dimanche des Rameaux, il fit
+solennellement son entrée à Bruges, après avoir pardonné à tous les
+bannis qui n'avaient point pris part à des séditions. Il semblait qu'il
+<span class="pagenum"><a id="Page_67"> 67</a></span>
+cherchât à se concilier l'affection des Brugeois, qui avaient été toujours
+plus favorables à ses intérêts que les autres membres de
+Flandre, et on l'entendit répondre à leurs acclamations, en criant:
+<em>Noël!</em> comme eux. L'évêque de Tournay et les chanoines de Saint-Donat
+le conduisirent à la cathédrale, où, selon un ancien usage, il
+tira l'épée en signe de protection pour la religion; puis il se dirigea
+vers la grande salle de l'hôtel des échevins, où il reçut, en échange
+de ses serments, celui des hooftmans et des doyens assemblés sur la
+place du Bourg. A cette occasion, la commune de Bruges offrit au
+duc deux images habilement ciselées, qui représentaient saint
+George et sainte Barbe. Le 19 avril 1468, le duc jura de respecter
+les priviléges du Franc. Puis, après s'être éloigné quelques jours
+pour aller prêter les mêmes serments à Damme, à l'Ecluse et en
+Zélande, il tint, le 8 mai, à l'église de Notre-Dame, son premier
+chapitre de la Toison d'or, où il reçut, parmi les nouveaux chevaliers,
+Philippe de Savoie, qui avait été longtemps le prisonnier de
+Louis XI. Les mêmes motifs politiques avaient fait citer à ce chapitre
+le comte de Nevers, et les sires de Lannoy et de Croy. Le
+comte de Nevers refusa de comparaître, et se contenta de renvoyer
+son collier. Aussi, lorsque le moment d'appeler son nom pour l'offrande
+arriva, Toison d'or se leva, alla arracher son écusson, et le
+jeta à ses pieds, en le remplaçant par un tableau noir où il était dit
+qu'il n'avait pas répondu à la citation qui lui avait été adressée et
+qu'il avait manqué aux lois de l'honneur et aux devoirs de la foi
+chrétienne. Les sires de Croy et de Lannoy, plus courageux, se rendirent
+à Bruges. Mais le duc ne voulut point, malgré toutes leurs
+justifications, leur permettre d'assister à la réunion de l'ordre, soit
+en personne, soit par procureur. Ils obtinrent seulement que leur
+écusson ne serait point enlevé, et qu'à l'appel de leur nom, Toison
+d'or les représenterait à l'offrande.</p>
+
+<p>Dans ce même chapitre où fut condamné le comte de Nevers, où
+furent repoussés les sires de Croy et de Lannoy, les chevaliers,
+tenus, suivant l'usage, de s'avertir mutuellement de ce qui paraissait
+manquer à leur perfection morale, remontrèrent au duc de
+Bourgogne:</p>
+
+<p>«Que mondict seigneur, saulf sa bénigne correction et révérence,
+parle parfois un peu aigrement à ses serviteurs, et se
+trouble aucunes fois en parlant des princes;</p>
+
+<p>«Qu'il prend trop grande peine, dont fait à doubter qu'il en
+puist pis valoir en ses anciens jours;</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_68"> 68</a></span>
+«Que quand il fait ses armées, lui pleust tellement drechier
+son faict, que ses subjectz ne fuissent plus ainsi travaillez, ne
+foulez, comme ils ont esté par cy-devant;</p>
+
+<p>«Qu'il veuille estre bénigne et attrempé, et tenir ses pays en
+bonne justice;</p>
+
+<p>«Que les choses qu'il accorde et dit, lui plaise entretenir et estre
+véritable en ces paroles;</p>
+
+<p>«Que le plus tard qu'il pourra, il veuille mettre son peuple en
+guerre, et qu'il ne le veuille faire sans bon et meur conseil.»</p>
+
+<p>Derniers souvenirs des temps de la féodalité, où le prince n'était
+que le premier parmi ses égaux, <i lang="la" xml:lang="la">primus inter pares</i>.</p>
+
+<p>Quelle que fût la splendeur de la solennité de la Toison d'or, le
+duc réservait toute sa magnificence pour les fêtes de son prochain
+mariage avec Marguerite d'York. Il venait d'organiser sa maison
+avec un luxe si merveilleux, qu'on ne saurait chercher ailleurs un
+tableau plus fidèle de la puissance de la maison de Bourgogne, peu
+d'années avant sa chute. Il avait, en même temps, réglé l'administration
+des affaires publiques. Le lecteur nous permettra d'entrer
+dans quelques détails à cet égard.</p>
+
+<p>L'administration se divisait en trois branches: la justice, la
+guerre et les finances.</p>
+
+<p>Le conseil de la justice se composait du chancelier, d'un évêque
+vice-chancelier, de quatre membres, tous chevaliers, de huit maîtres
+des requêtes, de quinze secrétaires. Le duc, jaloux de rendre justice
+à l'homme faible comme à l'homme puissant, tenait des audiences
+publiques, deux fois par semaine, le lundi et le vendredi. Assis sur
+un fauteuil tapissé de drap d'or, au milieu de ses écuyers, de ses
+chambellans et de ses pages, il permettait au dernier de ses sujets
+de venir lui apporter ses réclamations. Deux maîtres des requêtes,
+un huissier, un secrétaire, se tenaient à genoux devant lui pour les
+lire et inscrire la décision qui les terminait.</p>
+
+<p>A l'exemple de Louis XI, il avait créé un prévôt des maréchaux
+à qui il transmettait ses ordres pour les procès criminels. Ce prévôt
+des maréchaux, nommé Maillotin du Bac, exerçait avec rigueur
+une juridiction que les communes de Flandre n'avaient jamais confiée
+qu'à leurs propres magistrats, jugeant que ce n'était point trop
+qu'il fussent choisis dans leur sein pour avoir le droit de décider de
+ce que l'homme a de plus précieux, de son honneur et de sa vie.</p>
+
+<p>Pour «la justice à main forte,» c'est-à-dire pour la guerre, quatre
+<span class="pagenum"><a id="Page_69"> 69</a></span>
+chevaliers étaient chargés de soumettre leurs rapports au duc.</p>
+
+<p>L'administration des finances était surtout digne d'éloges par
+l'ordre sévère qui y régnait. «Et avoit, dit Chastelain, commission
+de ce sous le duc Philippe, ce renommé et grand homme en
+richesse et en sens, Piètre Bladèlin, gouverneur sur toutes les
+finances des pays du duc, maistre de l'espargne et le plus haut
+en crédence que l'on vît oncques, combien que celle crédence n'estoit
+pas au gré de tous, car moult de nobles et non nobles s'en
+doloient: il recevoit et retailloit sur uns et sur autres, et sur les
+receveurs des deniers il escrivoit de si près, qu'à peine ne lui
+pooient riens estordre; il estoit maistre d'ostel du duc, un des
+quatre trésoriers de l'ordre de la Toison d'or, riche des biens de
+fortune oultre mesure, et n'estoit que ung bourgeois de Bruges...
+Ung bien y avoit qui estoit grand, car il dressa le fait du duc
+merveilleusement bien, et là où il avoit plaie et deschirement
+par finances, trouva manière de les radouber et de les saner. Et
+touchant tous vivres que marchands livroient à cour, tous les fit
+acheter à argent comptant et les marchans contenter sans criée:
+en quoy il fit honneur à la maison et à son maistre salut. Si le
+cognut très-bien le duc et pour ceste cause avecques aultres lui
+donna-t-il celle haute autorité; car certes sages hom estoit et
+de grand poix, belle personne et de belles m&oelig;urs, et le plus diligent
+et de grand labeur en ce qu'avoit à faire que l'on congneust.»
+Bladelin avait été chargé par le duc Philippe de la direction de
+toutes les dépenses relatives à son projet de croisade; il employa
+ses richesses à bâtir une ville, Middelbourg, où il fit établir, par
+des ouvriers venus de Dinant, une <em>batterie</em> qui obtint des priviléges
+du roi d'Angleterre, Edouard IV.</p>
+
+<p>Pierre Bladelin vivait encore en 1468. A cette époque, la chambre
+des finances comprenait deux protonotaires ecclésiastiques et
+deux chevaliers. Le duc Charles examinait avec soin leur gestion,
+et se réservait le soin de compter l'or, car bien qu'il aimât le luxe,
+il était extrêmement avare.</p>
+
+<p>Le trésorier des guerres payait les hommes d'armes. Les dépenses
+montaient communément par an à neuf cent soixante mille
+livres.</p>
+
+<p>L'argentier était chargé des dons extraordinaires, et des frais des
+habillements du duc. Son budget s'élevait à deux cent mille
+livres.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_70"> 70</a></span>
+Le maître de la chambre aux deniers disposait des appointements
+des divers serviteurs du duc. Ils dépassaient quatre cent
+mille livres. C'est là que se réunissaient toutes les dépenses qui
+répandaient si loin la renommée des richesses de la maison de
+Bourgogne.</p>
+
+<p>Les grands pensionnaires étaient six ducs et douze princes,
+comtes ou marquis. Quarante-quatre autres personnages de même
+rang recevaient des pensions à peu près semblables.</p>
+
+<p>Cent trente chevaliers accompagnent tour à tour le duc comme
+chambellans. Le grand maître d'hôtel, le premier maître d'hôtel,
+les clercs d'office, les sommeliers, les suivent. Si le duc est entouré
+de six médecins et de quatre chirurgiens, il a aussi avec lui seize
+écuyers, illustres damoiseaux qui escortent le prince à cheval, et
+lui tiennent compagnie dans sa chambre. «Les uns chantent, les
+autres lisent romans et nouvelletés, les autres devisent d'armes
+et d'amours, et font au prince passer le temps en gracieuses nouvelles.»</p>
+
+<p>Le duc confie à son garde de joyaux ses pierreries qui valent un
+million d'or, et sa vaisselle qui vaut cinquante mille marcs. Il a
+quarante valets de chambre, cinquante panetiers, cinquante échansons,
+cinquante écuyers tranchants, et un si grand nombre de serviteurs
+chargés de fonctions diverses, qu'on ne peut même songer
+à les énumérer.</p>
+
+<p>Les envoyés du pape, ceux des rois d'Angleterre et d'Aragon,
+ceux des ducs de Normandie, de Calabre et de Bretagne, avaient
+accompagné le duc Charles à Bruges. On y vit bientôt arriver l'ambassade
+du roi de France, chargée de faire un dernier effort pour
+maintenir la paix. Elle était dirigée par le comte de Saint-Pol, qui
+avait été autrefois l'ami et le confident du duc Charles, et Louis XI
+espérait qu'à ce titre, il obtiendrait tout ce qu'il demanderait;
+mais la mission même dont il était investi et la confiance de
+Louis XI, qui venait de lui faire épouser une s&oelig;ur de la reine, ne
+lui permettaient plus d'invoquer ces souvenirs d'un dévouement
+éteint et d'une amitié effacée: son orgueil et son faste devaient réveiller
+plus vivement le ressentiment qu'il allait braver.</p>
+
+<p>Ce fut peu de jours après les fêtes de la Toison d'or que le comte
+de Saint-Pol fit son entrée à Bruges. Il traversa toute la ville en
+se rendant à son hôtel: six trompettes le précédaient. Il était suivi
+d'un nombre semblable de pages et de plusieurs nobles attachés à
+<span class="pagenum"><a id="Page_71"> 71</a></span>
+sa personne. On portait devant lui une épée nue, comme s'il eût été
+le duc lui-même. La foule se pressait à ce spectacle, étonnée de
+l'audace du connétable qui, bien que sujet du duc de Bourgogne,
+osait se présenter ainsi dans la ville même où il résidait. Charles
+en fut bientôt instruit, et on l'entendit jurer par saint George qu'il
+saurait punir son insolence.</p>
+
+<p>Le comte de Saint-Pol chercha en vain à s'excuser en alléguant,
+pour sa justification, que ce qu'il avait fait, ce n'était point comme
+comte de Saint-Pol, mais comme officier souverain de la couronne,
+et qu'il en avait le droit, même en présence du roi, et dans toute
+l'étendue du royaume de France, dont Bruges faisait partie. Le duc
+continuait à s'en montrer fort mécontent, et les Brugeois eux-mêmes
+en étaient si irrités, que le connétable crut devoir prendre le prétexte
+d'un pèlerinage à Notre-Dame d'Ardenbourg pour quitter
+Bruges, cette fois sans escorte et sans trompettes.</p>
+
+<p>Les fêtes des noces du duc n'étaient plus éloignées, et les Brugeois,
+témoins de leurs splendides apprêts, s'abandonnaient à la joie
+et à l'allégresse, quand on vit arriver dans leur ville les députés de
+Gand qui accouraient, vêtus de deuil, pour saisir une occasion si
+favorable de fléchir le ressentiment du duc de Bourgogne. Mais ils
+n'obtinrent la confirmation de leurs lois communales qu'après des
+modifications qui mutilaient les derniers débris de leurs franchises
+qu'avait respectés le traité de Gavre. Une nouvelle charte municipale
+du 13 juillet 1468 leur enleva le droit d'élire leurs échevins,
+qui devaient désormais, comme dans les autres villes de la Flandre,
+être choisis par des commissaires du prince, et celui de réunir la
+collace réduite à une assemblée de deux ou trois cents bourgeois
+désignés par le bailli, qui pouvait seul les convoquer: elle supprima
+leur antique organisation en trois membres distincts formés des
+<i lang="la" xml:lang="la">viri hæreditati</i>, des tisserands et des petits métiers. Ce n'était
+même qu'en les payant fort cher qu'ils avaient obtenu ces stériles
+priviléges, qui ne leur offraient que l'ombre de ceux dont ils déploraient
+la perte.</p>
+
+<p>La main sévère du duc de Bourgogne, si redoutée des bourgeois
+de Gand, s'appesantissait au même moment sur la noblesse, qui
+l'aimait peu.</p>
+
+<p>Dans la loge des portiers de l'hôtel du duc, se trouvait enfermé
+un jeune homme de vingt-quatre ans qui, à la suite d'une querelle
+de jeu, avait commis un meurtre sans apaiser les parents de la
+<span class="pagenum"><a id="Page_72"> 72</a></span>
+victime. Le duc l'avait fait arrêter; mais l'illustre damoiseau semblait
+ne rien craindre, et passait gaiement les journées dans sa
+prison. Son père, Arnould de la Hamaide, seigneur de Condé, appartenait
+à l'une des plus puissantes maisons des Etats du duc. Il
+vint, suivi de la plupart des nobles du Hainaut, intercéder en faveur
+de son fils. Ils rappelèrent sa jeunesse et le courage qu'il avait montré
+à la bataille de Montlhéry. «Si à point et à l'heure, répondit
+le duc, vous eussiez contenté les parents de la victime, et empêché
+ses plaintes de venir jusqu'à moi, vous eussiez peut-être obtenu
+sans moi ce que je ne puis plus vous accorder sans eux. Je
+ne puis faire taire le sang de leur frère qui crie vers moi. C'est à
+eux d'en réclamer la vengeance, à moi de la leur accorder, en
+observant une justice que je ne puis leur refuser. Cependant, contentez
+leur famille, je verrai ensuite ce que j'ai à faire.» Ces
+paroles ranimèrent l'espoir du sire de la Hamaide. Il se hâta d'apaiser
+la famille de la victime, afin qu'elle vînt elle-même demander
+la grâce du meurtrier; mais Charles ne répondit que par
+quelques paroles obscures, et l'on assurait qu'en annonçant que le
+coupable payerait son crime de sa vie, il s'était lié par un serment
+à saint George, serment auquel il ne manquait jamais.</p>
+
+<p>Cependant, on attendait chaque jour l'arrivée de Marguerite
+d'York à l'Ecluse. La duchesse Isabelle et mademoiselle Marie de
+Bourgogne s'y étaient rendues pour la recevoir. Le duc, fatigué de
+son long séjour à Bruges, résolut de les y rejoindre. Avant son départ,
+il manda près de lui l'écoutète. «Ecoutète, lui dit-il, je vous
+ordonne d'aller cette nuit chercher, chez mon portier, le bâtard
+de Condé, et de le conduire à la prison de la ville. Demain, à
+onze heures, pour autant que vous me craigniez, vous le ferez
+exécuter selon l'usage qu'on observe pour les criminels condamnés
+à mourir, car tel est mon plaisir.»&mdash;«Monseigneur, répliqua
+humblement l'écoutète troublé, j'obéirai à votre volonté et à
+vos ordres, et j'atteste Dieu que vous ne me trouverez point en
+faute; mais il m'est pénible de voir qu'un gentilhomme si jeune,
+si beau, et de si illustre origine, n'ait pu toucher votre miséricorde.»&mdash;«Vous
+avez entendu ce que je vous ai dit, interrompit
+sévèrement le duc, faites ce que je vous ordonne, et ne vous
+inquiétez point du reste.»</p>
+
+<p>Cette même nuit, l'écoutète alla chercher le bâtard de la Hamaide,
+et lui annonça la cruelle sentence du duc Charles; mais, en
+<span class="pagenum"><a id="Page_73"> 73</a></span>
+même temps, il en prévint ses amis pour qu'ils tentassent un dernier
+effort pour le sauver. Le sire de Harchies monta aussitôt à
+cheval, et se dirigea à bride abattue vers l'Ecluse. Tandis que le
+sire de Condé, indigné de voir le duc méconnaître ses longs services,
+faisait enlever de son hôtel l'écu de ses armes, et se retirait
+dans ses terres, les préparatifs du supplice s'achevaient sur la
+place du Bourg. Déjà l'heure fatale était arrivée: le sire de Harchies
+ne revenait point; tout annonçait qu'il avait échoué dans sa
+tentative. Néanmoins l'écoutète, au péril de sa vie, dépassait
+l'heure marquée par le duc, espérant encore quelque acte de clémence.
+Enfin, vers les deux heures de l'après-midi, le prisonnier
+monta sur un chariot qui parcourut lentement les rues de la ville.
+Jamais la figure du bâtard de la Hamaide n'avait paru plus gracieuse;
+à voir l'élégant et riche habillement qu'il avait revêtu, on
+eût cru qu'il se préparait à des fêtes nuptiales, et ses longs cheveux
+blonds ne semblaient se reposer sur ses épaules que comme un
+voile destiné à cacher les pleurs amers qu'il répandait. Tous les
+bourgeois prenaient pitié de lui; les magistrats eux-mêmes mêlaient
+leurs larmes aux siennes, et l'on entendait les femmes s'écrier,
+en le voyant passer: «Sauvez-le et donnez-le-nous pour époux!»
+Il arriva enfin à la place du Bourg, et là, en simple pourpoint de
+soie, il adressa au peuple quelques paroles touchantes. Il déclara
+avoir pleine foi et parfaite espérance en Dieu et en la sainte vierge
+Marie, et il ajouta que cette mort ignominieuse que Dieu lui envoyait
+à la fleur de la jeunesse lui faisait espérer qu'il le recevrait
+en sa miséricorde; puis il se mit à genoux, et se laissa bander les
+yeux... Quelques instants après, l'on enleva, au milieu des sanglots
+de la multitude, ses restes sanglants pour les porter au gibet de
+Saint-Bavon.</p>
+
+<p>Ce fut seulement alors que le sire de Harchies reparut à Bruges.
+Ses prières avaient touché la vieille duchesse de Bourgogne. Elle
+avait promis d'intercéder auprès de son fils; mais le duc était allé
+se promener en mer. Pendant longtemps, on ne put le retrouver; et,
+lorsqu'on parvint à le rejoindre, il ne consentit à pardonner au bâtard
+de la Hamaide, que parce qu'il savait que sa clémence ne pouvait
+être que stérile. Il ne s'était pas trompé.</p>
+
+<p>C'était la justice de la ville, et non celle du prévôt des maréchaux,
+qui avait dirigé toute cette procédure. Le duc avait voulu donner
+un terrible exemple de sa justice aux nobles qui l'entouraient, en
+<span class="pagenum"><a id="Page_74"> 74</a></span>
+même temps qu'aux marchands des divers pays du monde résidant
+à Bruges. Ce qui était un frein pour les uns était une garantie pour
+les autres. Peut-être y fut-il aussi porté par des motifs secrets qui
+n'ont point laissé de traces dans l'histoire de ce siècle si fécond en
+sombres et mystérieuses intrigues.</p>
+
+<p>A ce drame lugubre succèdent les réjouissances les plus éclatantes,
+et des fleurs cachent le pavé humide de sang de cette place
+du Bourg, théâtre des supplices et des fêtes, qu'entourent, d'un côté,
+l'hôtel des échevins, où les comtes de Flandre viennent prendre possession
+de l'autorité; de l'autre, la basilique de Saint-Donat, où le
+martyre place une autre couronne sur leur front.</p>
+
+<p>Marguerite d'York, accompagnée d'une suite nombreuse, arriva
+le 25 juin 1468 à l'Écluse et elle y reçut le lendemain, à l'hôtel de
+Gui de Baenst, la visite du duc de Bourgogne. «Ils avoient devisé
+longuement ensemble en plusieurs gracieux devis,» lorsque le
+sire de Charny s'approcha du duc, en lui disant: «Monseigneur,
+puisque Dieu vous a amené cette noble dame au port de salut et
+à votre désir, il me semble que vous ne devez point vous retirer
+sans montrer la bonne affection que vous avez pour elle, et que
+vous devez en ce moment la fiancer.» Aussitôt après eut lieu la
+cérémonie des fiançailles.</p>
+
+<p>Le 2 juillet, Marguerite d'York se rendit en bateau à Damme, où
+elle épousa, le lendemain, le duc Charles, en présence des archevêques
+d'York et de Trèves, des évêques de Salisbury, de Liége, de
+Metz, d'Utrecht, de Tournay, de Cambray, de Sarepte et de Térouane.
+De là, la jeune duchesse de Bourgogne se dirigea vers Bruges,
+vêtue d'une longue robe blanche, que fermait, au haut de la
+gorge, un large collier d'or, et portant une brillante couronne sur le
+front. Onze cents chevaux suivaient sa litière ornée de marguerites
+et de lacs d'amour, quand elle entra par la porte de Sainte-Croix
+dans la vaste enceinte de la ville, ornée d'arcs de triomphe et d'échafauds
+où l'on avait figuré des allégories empruntées à la Bible. Ici
+c'était l'histoire d'Adam et d'Eve: plus loin, quelques versets du
+Cantique des cantiques. Des colombes voltigeaient autour de Marguerite,
+tandis que de jeunes filles semaient au-dessus de sa tête des
+feuilles de rose. Le duc et la duchesse assistèrent à une joute sur la
+place du Marché. Elle était close de tous les côtés. Près des halles,
+on voyait un arbre doré et un géant que conduisait un nain. La reine
+de l'île Inconnue annonçait qu'elle promettait ses bonnes grâces à
+<span class="pagenum"><a id="Page_75"> 75</a></span>
+celui qui pourrait la délivrer des mains du bâtard de Bourgogne,
+qui avait réglé cette fête d'après une vision que lui avait envoyée,
+disait-il, la déesse Vénus, en se réservant à lui-même le nom de
+chevalier de l'Arbre d'or.</p>
+
+<p>Lorsque quelques lances eurent été rompues, un splendide banquet
+fut servi à l'hôtel du duc. Rien ne surpassa les richesses qui
+y furent étalées, et plusieurs entremets y rappelèrent la joie avec
+laquelle le peuple accueillait l'hymen du duc et d'une princesse
+anglaise. Ce fut d'abord une licorne qui portait un léopard. Ce
+léopard tenait d'une main la bannière d'Angleterre, de l'autre, une
+marguerite. Un maître d'hôtel la prit, et la remit à genoux au duc,
+en lui disant: «Très-excellent, très-haut et très-victorieux prince,
+le fier et redouté léopard d'Angleterre vous fait présent d'une
+noble marguerite.»</p>
+
+<p>A la licorne succéda un énorme lion aux griffes redoutables, et
+tout d'or (c'était l'emblème de la Flandre puissante et riche); il
+portait la naine de mademoiselle de Bourgogne, vêtue en bergère.
+Sa gueule s'ouvrit par un habile ressort, et il chanta une élégante
+ballade:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Bien vienne la belle bergère</p>
+<p>De qui la beauté et manière</p>
+<p>Nous rend soulas et espérance!</p>
+<p>Bien vienne l'espoir et la fiance</p>
+<p>De cette seigneurie entière!</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+<p>C'est la source, c'est la minière</p>
+<p>De nostre force grande et fière;</p>
+<p>C'est nostre paix et asseurance;</p>
+<p>Dieu louons de telle alliance;</p>
+<p>Crions, chantons à lie chère:</p>
+<p class="i4"> Bien vienne!</p>
+</div></div>
+
+<p>Le lendemain, il y eut une autre joute où brillèrent les sires de
+Château-Guyon, de Visen et de Fiennes, et un second banquet,
+aussi splendide que le premier, où furent représentés les douze
+travaux d'Hercule, source féconde de préceptes moraux.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Hercules se trouva assailli des lyons;</p>
+<p>Trois en occit en l'heure ainsi que nous trouvons.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+<p>Plus trouvons ces faits grands, plus avant les lisons.</p>
+<p>Les trois lyons terribles par Hercules vaincus,</p>
+<p>C'est le monde, la chair et le diable de plus.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+<p>Or soyons bataillans des glaives de vertus.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_76"> 76</a></span>
+Le mardi 5 juillet, les sires de Luxembourg, d'Argueil et d'Halewyn
+descendirent dans la lice. Antoine d'Halewyn obtint le prix,
+qui était une verge d'or. Mais ce qui vint donner un plus grand
+intérêt à ces joutes, ce fut la présence d'un chevalier bourguignon,
+qui avait pris le nom du Chevalier esclave, et qu'une demoiselle
+errante menait captif à sa suite. Il fit demander aux dames la permission
+de prendre part au tournoi. Sa lettre était ainsi conçue:</p>
+
+<p>«Très-excellente et très-redoutée dame, et vous, princesses,
+dames et damoiselles, plaisir vous soit de savoir qu'un chevalier
+esclave, né du royaume d'Esclavonie, est arrivé en cette noble
+ville sous la conduite d'une damoiselle errante au pouvoir de
+laquelle il est placé par la volonté de sa dame. Il est vrai, très-illustres
+princesses, que le chevalier esclave a toute sa vie servi
+et honoré une dame d'Esclavonie qui, sans l'accepter pour serviteur,
+lui accordait néanmoins quelque espérance. Cependant le mal
+d'amour, si longtemps nourri dans son c&oelig;ur, lui a fait éprouver
+plus d'angoisses et de peines qu'il n'en pouvait souffrir; et, par
+une espérance désespérée, il osa, mais en vain, requérir d'elle
+miséricorde, grâce et guerdon d'amour. Plein de déplaisir et de
+rage, il s'était retiré au milieu des bois, des roches et des montagnes
+où, pendant neuf mois, il ne vécut que de regrets, de
+soupirs et de larmes, lorsque la dame, reconnaissant son
+ingratitude, lui envoya une damoiselle errante, chargée de
+lui dire que les biens d'amour doivent être mérités par de
+longs travaux et de longues souffrances; que plus ils coûtent,
+plus on s'y attache, et que de tous les péchés d'amour, le plus
+grand est le désespoir. Elle lui conseillait de voyager et de chercher
+à oublier sa tristesse, et lui proposait de l'accompagner
+pendant un an entier, afin de pouvoir raconter à sa dame ses
+diverses aventures. Le chevalier l'a crue volontiers, et bien que,
+né au pays d'Esclavonie, il ignore les usages de ces contrées, il
+s'est souvenu comment plusieurs païens et le preux Saladin lui-même,
+étant venus au royaume de France pour acquérir louanges
+et vertus, y avaient été si honorablement accueillis que leurs
+successeurs infidèles révèrent encore ce royaume plus que tous
+les autres Etats chrétiens. Il a entendu surtout célébrer la puissance
+et les vertus de l'illustre maison de Bourgogne. C'est guidé
+par cette damoiselle errante qu'il s'est rendu ici, où, pour sa
+première aventure, il a trouvé la noble emprise du chevalier
+<span class="pagenum"><a id="Page_77"> 77</a></span>
+à l'Arbre d'or, et il vient vous supplier de lui permettre d'y prendre
+part.»</p>
+
+<p>Cette lettre était signée: «<em>le Chevalier esclave</em>.» La joute confirma
+peu ce qu'elle annonçait, car le Chevalier esclave, après avoir
+fait le tour de la lice, suivi de quatre nobles hommes vêtus selon
+l'usage d'Esclavonie, se retira sans combattre. Jacques de Luxembourg,
+Philippe de Poitiers, Claude de Vaudrey, le remplacèrent.
+Philippe de Poitiers se fit conduire sur la place du Marché par une
+jeune fille qui était vêtue de satin, et qui montait un cheval dont
+les mouchetures figuraient l'hermine; elle était admirablement
+belle, et on la nommait <em>la Dame blanche</em>.</p>
+
+<p>Le jeudi joutèrent le comte de Solms, le bâtard Baudouin de
+Bourgogne et le sire de Renty. On continua à représenter au banquet
+les travaux d'Hercule.</p>
+
+<p>Le vendredi, Adolphe de Clèves jouta contre le comte de Scales,
+le comte de Roussy et le sire de Rochefaye.</p>
+
+<p>Le samedi et le dimanche, Philippe de Poitiers garda le pas contre
+le comte de Woodeville, frère de la reine d'Angleterre, le marquis
+de Ferrare, et les sires de Ligne, de Harchies, de Crèvec&oelig;ur,
+de Ternant, de Carency et de Contay.</p>
+
+<p>Le lundi suivant, le duc de Bourgogne termina les joutes, en rompant
+quelques lances avec Adolphe de Clèves. Aussitôt après on enleva
+la loge des juges, et le tournoi commença. Tous ceux qui
+avaient pris part aux joutes, et le duc lui-même aussi bien que les
+autres, parurent sur des chevaux harnachés de velours violet sur lequel
+était brodé un arbre d'or. Le comte de Joigny se présenta
+avec vingt-cinq chevaliers pour les combattre. On remarquait parmi
+ceux-ci les sires de Commines, d'Aymeries, d'Humières, les deux
+bâtards d'Auxy, un Anglais du nom de Talbot, et deux bourgeois de
+Bruges, Pierre Metteneye et Pierre Stalins.</p>
+
+<p>Là s'arrêtèrent les fêtes. La peste venait de se déclarer avec une
+grande violence à Bruges. Adrien de Borssele y avait succombé, et
+l'on prétendait que les gardiens des lazarets, impatients de s'enrichir
+par le fléau, infectaient, par la communication des dépouilles
+des pestiférés, les sources, les puits et jusqu'à l'eau bénite des
+églises.</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne s'était rendu en Hollande où il ne comptait
+faire qu'un court séjour. Les trêves qu'il avait accordées à Louis XI
+étaient près d'expirer, et leur terme devait être le signal de l'effroyable
+<span class="pagenum"><a id="Page_78"> 78</a></span>
+conflagration où Charles voulait précipiter la monarchie
+française pour se venger de ses intrigues et de son hostilité. Il
+semblait que l'on fût revenu à la triste et fatale époque du traité de
+Troyes. Une convention relative aux secours mutuels que le roi
+d'Angleterre et le duc de Bourgogne se promettaient envers et contre
+tous, <i lang="la" xml:lang="la">super mutuis auxiliis contra et adversus omnes et singulos</i>,
+avait été conclue le 24 février 1467 (v. st.), et l'évêque de
+Bath, chancelier d'Angleterre, en réclamant au mois de mai d'importants
+subsides du parlement, avait annoncé que les ducs de
+Bourgogne et de Bretagne offraient leur appui pour dompter la rébellion
+de Louis, usurpateur des droits que la victoire avait attribués
+à Henri V.</p>
+
+<p>Cependant le roi de France opposait sa prudence et ses ruses à
+l'ardente impétuosité de ses ennemis, et tandis que l'archevêque de
+Lyon allait par son ordre porter au duc Charles des félicitations peu
+sincères sur son mariage avec Marguerite d'York, des forces considérables
+envahissaient la Bretagne; Charles l'apprit en Hollande,
+et ordonna aussitôt que ses hommes d'armes s'assemblassent au
+Quesnoy.</p>
+
+<p>Il était trop tard: les ducs de Normandie et de la Bretagne, surpris
+et vaincus, avaient été réduits à demander la paix. Charles ne
+pouvait compter sur eux, mais il avait juré par saint George que,
+dût le roi de France venir le combattre avec toute sa puissance, il
+ne reculerait jamais, et il continuait sa marche vers Péronne avec
+une armée de seize ou dix-huit mille Flamands et Picards réunis à
+la hâte.</p>
+
+<p>Si le roi de France eût attaqué en ce moment les Bourguignons,
+leur position eût été précaire. Le comte de Dammartin le pressait
+de profiter d'une occasion si favorable. «Maugré en ait ma vie, disait
+chacun au camp français, depuis le plus petit page jusqu'aux
+capitaines des compagnies, que veulent donc ces ducs de Bourgogne
+qui menacent toujours le roi leur souverain? Ils ne
+cessent d'agiter le royaume et d'abaisser le pouvoir royal. Maudite
+soit leur race, quoiqu'elle ait son origine à l'ombre des fleurs de
+lis! N'ont-ils pas introduit les Anglais en France, chassé le roi
+légitime de ses Etats, assiégé ses villes et ravagé ses pays? N'ont-ils
+pas outragé le roi Charles et arraché par violence les fleurons
+de sa couronne? Race maudite et exécrable! Pourquoi le duc
+Charles veut-il attaquer le roi et dévaster ses Etats? N'est-ce
+<span class="pagenum"><a id="Page_79"> 79</a></span>
+pas assez que déjà une fois il ait planté ses bannières devant
+Paris? Insurrection semblable à celle qui fit précipiter Lucifer
+dans l'enfer et qui, nous l'espérons, y mènera Charles, ce maudit
+allié des Anglais, cet orgueilleux et perfide rebelle. Veut-il
+ceindre la couronne et porter le sceptre en main? N'a-t-il pas
+assez de seigneuries et de domaines? Les cités de Gand et de
+Bruges ne lui suffisent-elles point? Veut-il avoir aussi Paris?
+Puisse la foudre l'écraser! Plût à Dieu que le roi nous permît de
+nous venger de lui, de brûler et de piller tout ce qui lui appartient,
+de mettre à mort tous ceux qui lui obéissent!»</p>
+
+<p>Le connétable combattit presque seul l'avis du comte de Dammartin.
+La situation de ses domaines, placés sur les frontières des
+Etats des deux princes rivaux, lui faisait comprendre que la victoire
+de l'un ou de l'autre pouvait être dangereuse pour lui, et il était
+d'autant plus favorable à la paix qu'il espérait en être l'arbitre.</p>
+
+<p>Cependant le roi hésitait: un jour, il expédiait des émissaires à
+Liége pour y préparer une révolte; le lendemain, il envoyait au duc
+soixante mille écus d'or pour l'apaiser. Mécontent du mauvais succès
+de ses ambassades, peu porté d'ailleurs à une guerre où la
+moindre défaite eût pu rallier contre lui tous les anciens confédérés
+de la ligue du Bien public, il arriva à penser qu'il ferait bien
+de voir lui-même le duc de Bourgogne, car il présumait assez de
+son habileté pour croire qu'il obtiendrait aisément, sans l'intervention
+de ses capitaines et de ses négociateurs, les concessions que
+les circonstances semblaient devoir imposer à son ennemi: la plus
+importante devait être la restitution des villes de la Somme.</p>
+
+<p>Une entrevue eut lieu à Péronne vers le milieu du mois d'octobre
+1468. Tandis que le roi cherchait à y suppléer à la lenteur de
+ses ambassadeurs, ceux qu'il avait envoyés à Liége, loin de mériter
+ce reproche, agissaient avec plus d'activité que le roi ne l'eût désiré.
+L'insurrection se levait à leur voix, et à peine Louis XI était-il
+depuis quatre jours à Péronne qu'on vint annoncer au duc que les
+Liégeois s'étaient portés à Tongres, et s'étaient emparés de leur
+évêque et de leur gouverneur, le sire d'Humbercourt: le bruit courait
+qu'ils les avaient massacrés. Les mêmes messagers racontaient que
+les ambassadeurs français guidaient les Liégeois: ils les avaient
+vus, ils les nommaient. La fureur du duc fut extrême: tantôt il
+voulait faire enfermer le roi dans la tour où Charles le Simple avait
+été retenu par Herbert de Vermandois; tantôt il songeait à convoquer
+<span class="pagenum"><a id="Page_80"> 80</a></span>
+les princes et à partager avec eux, en reconstituant la féodalité
+du dixième siècle, les avantages de la captivité du roi. Enfin un de
+ses chambellans parvint à le calmer. Ce chambellan était Philippe
+de Commines, et ce fut grâce à sa médiation que Charles consentit
+à signer le traité qui confirmait les conventions autrefois arrêtées à
+Arras et à Conflans.</p>
+
+<p>Louis XI, qui eût pu triompher les armes à la main, avait espéré
+que cette entrevue de Péronne lui tiendrait lieu de victoire: elle ne
+devait être un trophée que pour le prince qui, bien que seul intéressé
+à la désirer, n'était pas celui qui l'avait proposée.</p>
+
+<p>Au point de vue politique, le traité de Péronne est une &oelig;uvre
+incomplète et mutilée. Les gages que Charles réclame pour lui-même
+sont insuffisants; il obtient encore moins pour ses anciens
+alliés, et ne fait même rien pour l'Angleterre, qui a déjà réuni sur
+ses rivages une armée placée sous les ordres du comte de Scales;
+mais nous y rencontrons quelques clauses nouvelles qui ne peuvent
+être omises dans un travail consacré à l'histoire de la Flandre.</p>
+
+<p>Toutes les conventions commerciales conclues entre la Flandre
+et l'Angleterre sont ratifiées. De plus, le roi de France rappelle que
+«les ambassadeurs de monseigneur de Bourgogne ont fait doléances
+des appellations que l'on reçoit sur les appointements et les
+jugements faits par les quatre principales lois de Flandre, contre
+les lois et priviléges dudit pays, en troublant sur ce mon dit sieur
+de Bourgogne, mêmement au fait de la marchandise sur laquelle
+icelui pays de Flandre est principalement fondé,» et il déclare
+que l'appel au parlement ne sera plus reçu.</p>
+
+<p>Le roi renonce également à l'appel des jugements rendus par les
+autres magistratures, non-seulement en Flandre, mais aussi dans
+les châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, «attendu que les
+dites châtellenies, de leur première et ancienne condition, on esté
+de la comté de Flandres et depuis que le roi les a tenues, en faisant
+et traitant le mariage de feu le grand duc Philippe, bisayeul
+de mon dit sieur de Bourgogne, elles furent réunies et rejointes
+au dit comté de Flandres pour tenir par le dit comte en un seul
+fief avec le dit comté.»</p>
+
+<p>Les conseillers du roi de France essayaient parfois de présenter
+quelques remontrances; on leur répondait: «Il le faut, monseigneur
+le veut.»</p>
+
+<p>Ce n'était point assez. Le duc de Bourgogne exigea que le roi de
+<span class="pagenum"><a id="Page_81"> 81</a></span>
+France l'accompagnât dans son expédition contre les Liégeois révoltés
+à son instigation. On vit Louis XI prendre lui-même la croix
+de Saint-André, et tandis que les Liégeois criaient: «Vive le roi
+de France!» le roi de France leur répondait: «Vive Bourgogne!»
+Ce ne fut qu'après avoir subi toutes ces humiliations,
+et avoir été le témoin de la condamnation d'une ville si utile et si
+dévouée à ses intérêts, que Louis XI recouvra la liberté, en prenant
+l'engagement de rejoindre le duc l'année suivante en Bourgogne,
+engagement qu'il jurait secrètement de ne pas tenir.</p>
+
+<p>Ces succès si éclatants et si inespérés échauffèrent l'orgueil de
+Charles. Lorsque dans son triomphe il eût arboré ses bannières sur
+les ruines de la cité épiscopale des bords de la Meuse, il se souvint
+qu'il existait aux bords de l'Escaut une autre cité qui avait joui du
+spectacle de sa faiblesse et de son humiliation, et bien qu'il l'eût
+récemment amnistiée par l'octroi de nouveaux priviléges, il forma
+le projet de détruire Gand comme il avait détruit Liége, afin que
+le même crime reçût le même châtiment: il prit même plaisir à
+entretenir de ses rêves de vengeance les députés de Gand qui allèrent
+le féliciter à Bruxelles sur la défaite des Liégeois. A ce bruit,
+les échevins, les doyens et mille des plus notables bourgeois de Gand
+se réunirent dans la salle de la Collace. Il se communiquèrent, vivement
+émus, les tristes nouvelles qu'ils venaient de recevoir, et
+élurent immédiatement des députés chargés de conjurer, par la
+soumission la plus complète aux volontés du duc, les malheurs
+dont ils se voyaient menacés. Ils comprenaient bien que les clefs de
+leur ville étaient à Liége, et ce fut à des conditions presque semblables
+qu'ils traitèrent, humbles et suppliants comme il convient
+à des vaincus, et prêts à abdiquer leur puissance et leur liberté
+pour racheter leurs vies, leurs foyers et leurs biens.</p>
+
+<p>Si quelque bourgeois excite une sédition, ou s'il s'en rend complice
+en ne se présentant point sous l'étendard du prince pour la
+combattre, il sera banni après avoir été attaché au pilori et après
+avoir eu la langue percée d'un fer rouge.</p>
+
+<p>Si quelque métier prend part à une sédition, il perdra ses franchises
+et le droit d'exister comme métier.</p>
+
+<p>Les Gantois renonceront au célèbre privilége de Philippe le Bel
+du mois de novembre 1301, et désormais le duc de Bourgogne
+pourra faire procéder comme il le jugera convenable au renouvellement
+de leur magistrature.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_82"> 82</a></span>
+Ils remettront toutes leurs bannières; les portes condamnées par
+le traité de Gavre seront de nouveau fermées, et les assemblées où
+l'on discutera les intérêts de la ville ne comprendront plus que les
+échevins, les grands doyens et les anciens magistrats.</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne exigea de plus que les échevins, les doyens
+et les jurés, se rendissent à pied à Bruxelles pour réitérer cet acte
+de soumission en sa présence en lui restituant leurs bannières et le
+privilége de 1301.</p>
+
+<p>Le 8 janvier 1468 (v. st.), les échevins et les cinquante-deux
+doyens des métiers de la ville de Gand se réunirent à l'hôtel de ville
+de Bruxelles, d'où ils se dirigèrent, vêtus de deuil et marchant
+deux à deux, vers le palais de Caudemberghe. Afin que leur humiliation
+fût complète, on les fit attendre pendant une heure et
+demie dans la cour au milieu de la neige: l'opposition de la puissance
+du prince et de l'abaissement de la commune, naguère encore
+fière et redoutée, n'en fut que plus éclatante lorsqu'ils furent introduits
+dans une vaste salle où Charles occupait un riche fauteuil,
+entouré des officiers de sa cour, du duc de Somerset, de Philippe
+de Savoie, d'Adolphe de Clèves, et des ambassadeurs de France,
+d'Angleterre, de Hongrie, de Bohême, de Naples, d'Aragon, de
+Chypre, de Norwége, de Pologne, de Danemark, de Russie, de
+Prusse, d'Autriche et de Milan. Ils s'avancèrent en s'inclinant jusqu'à
+terre à trois reprises différentes; et maître Baudouin Goethals,
+pensionnaire de la keure, prononça ce discours:</p>
+
+<p>«Très-haut et très-excellent prince, mon très-redouté et naturel
+seigneur, vos très-humbles et très-obéissants serviteurs et sujets,
+et tous les habitants de votre très-humble et obéissante serve et
+ancelle la ville de Gand, se recommandent très-humblement à
+votre très-noble grâce, et vous font exposer, par leurs députés
+agenouillés devant vous, la profonde douleur qu'ils ressentent de
+vous avoir offensé et d'avoir justement provoqué votre indignation.
+Ils resteront livrés aux secrets remords de leurs consciences, à
+moins que votre miséricorde n'étende sur eux le réseau de sa clémence.
+Très-cher seigneur, vous qui n'êtes pas seulement un
+homme, mais qui occupez vis-à-vis de nous la place de Dieu, et
+qui avez ce double caractère en vertu de votre haute position,
+vous n'ignorez point que Dieu se laisse apaiser par les larmes et
+pardonne à la contrition et aux prières de la faiblesse humaine.
+De quelle bonté n'usa-t-il point vis-à-vis d'Adam, lorsqu'il promit
+<span class="pagenum"><a id="Page_83"> 83</a></span>
+à Seth l'huile de miséricorde qu'il devait envoyer dans cinq mille
+ans! Ne laissa-t-il pas vivre Caïn dix générations avant de le
+frapper? Au temps d'Abraham, sa miséricorde n'aurait-elle pas
+sauvé Sodome et Gomorrhe, s'il y avait trouvé dix justes? tant
+est immense sa miséricorde! Dieu, à la voix de Moïse, n'épargna-t-il
+pas son peuple infidèle à sa loi? La pénitence de Ninive
+n'apaisa-t-elle point sa colère?... Les miséricordes de Dieu sont
+infinies; elles se répandent sur ses &oelig;uvres et sur ses créatures,
+sur le ciel et sur la terre. Puisque les princes chrétiens doivent,
+autant qu'ils le peuvent, imiter les vertus de Dieu, et surtout
+celle de clémence, qui les illustre le plus, il faut qu'ils se règlent
+sur l'exemple de Dieu pour pardonner à ceux que poursuit leur
+colère. O mon très-redouté seigneur! si les Gantois vous ont
+offensé, ils ne vous ont toutefois point attaqué; ils n'ont point
+attenté à votre noble personne; ils n'ont point cessé de vous reconnaître
+pour leur maître et naturel seigneur; et c'est devant
+vous qu'ils viennent encore se prosterner humblement aujourd'hui,
+espérant qu'une faute expiée par tant de larmes méritera
+votre pardon. Gand n'est point comme Sodome et Gomorrhe, que
+Dieu eût épargnées s'il y eût aperçu dix justes. Il s'y trouve des
+milliers de saintes créatures qui jouissent de communications
+divines dans la pieuse solitude des cloîtres. Il n'est point, dans
+tout l'Occident, de ville où reposent les reliques glorieuses d'un
+plus grand nombre de saints. Gand vous représente Ninive. La
+voix de votre menace lui a annoncé sa destruction. Son peuple
+s'est effrayé de votre colère; il a senti son impuissance à vous
+résister; il s'abandonne à son repentir. Les Ninivites ne jeûnèrent
+que trois jours. Les bourgeois de Gand se sont couverts de cendre
+pendant quarante jours. Ils se hâtent de placer leurs espérances
+dans leur père naturel, le prince le plus noble et le plus vertueux
+de la terre. Ils vous supplient très-humblement, les mains jointes
+et à genoux, de daigner apaiser votre colère et de les recevoir
+dans votre merci et dans votre miséricorde; ils s'écrient vers
+vous: <i lang="la" xml:lang="la">Domine, non secundum peccata nostra quæ fecimus nos,
+neque secundum iniquitates nostras retribuas: cito anticipent
+nos misericordiæ tuæ et propter gloriam nominis tui libera nos</i>.»</p>
+
+<p>Le chancelier, Pierre de Goux, répondit à ce discours par quelques
+paroles sévères. «Il ne suffisait point d'une seule prière,
+disait-il, pour effacer tant de crimes; le repentir des Gantois
+<span class="pagenum"><a id="Page_84"> 84</a></span>
+n'avait pas encore été assez éprouvé. Le duc voyait toutefois avec
+plaisir leurs humbles démarches; il leur laissait l'espérance
+d'obtenir sa miséricorde, s'ils continuaient à la mériter.» On
+vit alors les députés s'agenouiller de nouveau, et remettre au duc
+leurs bannières, ainsi que les chartes originales qu'il leur avait
+rendues en les affranchissant des stipulations du traité de Gavre,
+et ils livrèrent en même temps les priviléges de Philippe le Bel
+et du comte Robert sur le renouvellement de leur échevinage. Le
+chancelier lacéra publiquement ces titres vénérables de la liberté
+gantoise, et Charles ordonna que les bannières fussent portées à
+Notre-Dame de Boulogne, auprès de celles que son père y avait fait
+déposer. «Le bien que je voulais faire aux Gantois, ajouta le duc
+lui-même, est devenu aujourd'hui, par leur faute, la cause de
+leurs malheurs et de leurs désastres. Je les chérissais; je voulais
+reconnaître les services qu'ils m'avaient rendus; j'en avais pris
+la résolution; mais ils ont voulu m'arracher par leurs violences
+et leurs menaces ce que je voulais librement leur accorder. Ils
+ne se sont pas contentés de m'imposer la forme de leurs nouveaux
+priviléges, ils ont mis en péril ma vie et celle des personnes de
+ma maison; et par l'exemple contagieux de leur rébellion, ils
+m'ont exposé à perdre tous mes Etats. Si j'en ai l'âme irritée, ni
+Dieu ni les hommes ne peuvent m'en blâmer, car jamais plus
+grand crime, dans une occasion aussi solennelle, ne fut commis
+contre un prince. Le repentir, s'il doit l'effacer et le réparer, ne
+saurait être ni trop profond ni trop amer.» Les chroniques flamandes
+rapportent que le duc de Bourgogne termina son discours
+par ces mots: «Sachez bien que, si je vous aime, je ne vous
+crains pas.»</p>
+
+<p>La ville de Gand était sauvée: mais elle ne s'était rachetée
+qu'aux conditions les plus dures. Hoste Bruneel et ses principaux
+amis périrent dans les supplices, et le duc exigea, outre le payement
+d'une amende de trente-six mille florins, qu'un acte solennel lui
+fût remis, comme le monument de l'humiliation des Gantois et des
+sacrifices qu'ils avaient subis. Tous les échevins et tous les doyens
+de Gand y avaient apposé leurs sceaux; c'étaient, entre autres,
+Roland de Wedergrate, que l'on croit avoir été le beau-frère du
+chancelier Pierre de Goux, Philippe Sersanders, Olivier Degrave,
+Jean de Melle, Henri Baudins, chefs du parti bourguignon, qui ne
+prévoyaient point la terrible responsabilité que leur docilité aux
+<span class="pagenum"><a id="Page_85"> 85</a></span>
+volontés du duc devait faire peser sur eux vis-à-vis du peuple
+frappé dans ses franchises les plus chères. Le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de Gand portait
+la date du 2 janvier 1468 (v. st.). Plus d'un demi-siècle s'était
+écoulé depuis qu'un autre <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> avait été imposé aux Brugeois par
+Jean sans Peur.</p>
+
+<p>Le duc Charles s'abandonnait à l'enivrement de sa gloire. Lorsqu'après
+avoir tour à tour humilié la puissance royale dans la personne
+de Louis XI, et dompté la puissance communale dans les
+deux grandes cités qui illustraient les bords de l'Escaut et de la
+Meuse, il se dirigea de Bruxelles vers Saint-Omer, il trouva dans
+cette ville l'archiduc Sigismond d'Autriche qui venait lui proposer
+de le mettre en possession du landgraviat d'Alsace, du comté de
+Ferrette et du Brisgau. Il devançait de quelques semaines l'arrivée
+des ambassadeurs du roi de Bohême, qui offrait au duc de Bourgogne
+de le faire élire empereur. Charles, qui ne cherchait qu'à
+étendre sa puissance, accueillit avec empressement l'archiduc
+d'Autriche. Thomas Portinari, riche marchand de Bruges, issu de
+cette célèbre famille florentine à laquelle appartenait la muse de
+la <cite>Vita nuova</cite>, la Béatrice du Dante, fut invité par le duc, qui
+l'avait élevé au rang de son conseiller, à avancer sur le comté de
+Ferrette 72,000 florins. Sigismond d'Autriche ne s'était rendu en
+Flandre qu'après avoir pris l'avis de Louis XI, intéressé plus que
+personne à diriger vers l'Allemagne une ambition trop menaçante
+pour ses propres Etats, et cet or que son rival se montrait si impatient
+de prodiguer ne devait servir qu'à préparer sa honte, sa
+ruine et sa mort.</p>
+
+<p>Cette négociation était à peine terminée lorsque le duc de Bourgogne
+se rendit à Gand, non plus suivi d'un petit nombre de chevaliers
+et entouré de bannis rappelés de l'exil, mais accompagné des
+épais bataillons de ses hommes d'armes qui s'avançaient lentement
+à la clarté de neuf mille torches. C'était au milieu de cet appareil
+belliqueux qu'il venait prendre possession de la première cité de
+ses Etats, conquise sans combat et un instant menacée par son propre
+seigneur des rigueurs qu'autorise seul le droit de la victoire.</p>
+
+<p>Charles, donnant un libre cours aux rêves de son ambition, était
+allé en Hollande préparer la soumission des peuples encore à demi
+barbares de la Frise: il ne revint en Flandre que pour recevoir les
+ambassades d'Autriche, de Venise et de Milan, chargées de lui
+offrir de respectueuses protestations de dévouement, et celle du roi
+<span class="pagenum"><a id="Page_86"> 86</a></span>
+d'Angleterre, qui venait lui remettre l'ordre de la Jarretière. Le
+duc de Bourgogne cherchait de nouveau à fonder sur l'alliance anglaise
+une vaste ligue contre Louis XI. Déjà, réunissant ses hommes
+d'armes aux frontières de France, il s'était emparé de Saint-Valery
+et d'autres domaines du comte d'Eu qui relevaient du comté de
+Ponthieu, sous le prétexte que des marins flamands avaient été arrêtés
+par un navire sorti du port d'Eu, et il avait déclaré qu'il ne les
+restituerait que lorsque le comte d'Eu lui aurait fait acte de foi et
+d'hommage envers et contre tous. Le comte d'Eu se plaignit au roi,
+et un huissier du parlement se rendit à Gand pour y citer le duc
+Charles, comme d'autres huissiers du parlement avaient cité le duc
+Philippe. C'était un acte de témérité qu'il faillit payer de sa vie, et
+ce fut à grand'peine qu'il parvint à rentrer en France: aucune réponse
+n'avait été faite à son message.</p>
+
+<p>Louis XI n'élevait la voix que parce qu'il se sentait redoutable
+et fort. Il avait profité des premiers moments de son retour de l'expédition
+de Liége pour faire accepter la Guyenne en apanage à son
+frère au lieu de la Champagne, pays trop voisin des Etats du duc.
+Il avait vaincu le comte d'Armagnac et s'était formé un parti en
+Bretagne. Il ne lui restait plus qu'à séparer l'Angleterre du duc de
+Bourgogne, quand il trouva un instrument docile dans le comte de
+Warwick, qui avait remis le sceptre à Edouard IV et qui espérait
+le lui enlever aussi aisément. Le comte de Warwick n'était plus
+satisfait des immenses richesses qu'il avait obtenues: c'était peu
+que le duc de Clarence, frère du roi, fût devenu son gendre; il ne
+cessait de regretter de n'avoir pas fait épouser sa fille à Edouard IV
+lui-même, et voyait avec une vive jalousie la faveur dont jouissaient
+à la cour les amis et les parents d'Elisabeth Woodeville, cette veuve
+de John Grey qu'Edouard IV avait relevée au château de Grafton,
+humblement prosternée à ses pieds, pour la placer à côté de lui sur
+le trône d'Angleterre. Le mariage du duc de Bourgogne, qu'il haïssait,
+avec Marguerite d'York, avait accru son mécontentement, et
+il prêta bientôt l'oreille aux propositions du roi de France. Des
+émeutes, des insurrections partielles, des mouvements isolés annoncèrent,
+pendant quelque temps, l'existence d'une vaste conspiration;
+un moment, vers le mois de juillet 1469, le comte de Warwick
+se vit le maître d'Edouard IV, arrêté à la suite d'une fête par
+l'archevêque d'York; mais le duc de Bourgogne se hâta d'écrire au
+maire et à la commune de Londres pour les presser de s'opposer aux
+complots du comte de Warwick.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_87"> 87</a></span>
+Les bourgeois de Londres aimaient beaucoup le duc de Bourgogne;
+ils avaient salué de leurs acclamations son union avec une
+princesse anglaise comme un nouveau gage de l'activité de leurs
+relations commerciales avec la Flandre, et sa lettre exerça une si
+grande influence sur leurs esprits qu'ils forcèrent le comte de Warwick
+à leur rendre Edouard IV. Une nouvelle tentative dirigée contre la
+dynastie d'York ne fut pas plus heureuse, et cette fois le comte de
+Warwick et le duc de Clarence, qui avait été entraîné dans le même
+complot, se virent réduits à fuir avec trente vaisseaux vers le port
+de Calais qui leur fut fermé; mais ils trouvèrent un refuge dans la
+rade de Honfleur, où ils se croyaient d'autant plus assurés de la
+protection du roi de France qu'ils amenaient avec eux quelques navires
+flamands enlevés dans les eaux de Calais.</p>
+
+<p>La colère de Charles fut violente: il était en ce moment peu préparé
+à résister à des attaques maritimes qu'il n'avait pas prévues,
+et il en accusait surtout le roi de France, qui secourait le comte de
+Warwick d'argent, de munitions et de vivres. Le 5 mai 1470, il
+adressa de l'Ecluse, où il s'était rendu pour presser les armements
+de ses vaisseaux, ses plaintes et ses menaces au roi Louis XI. «Mon
+très-redoubté et souverain seigneur, il est vray que après que les
+duc de Clarence et comte de Warwick ont esté pour leurs séditions
+et maléfices expulsez hors du royaume d'Angleterre, ils se
+sont mis à tenir la mer, et se sont déclairez mes ennemis en détroussant
+plusieurs de mes subjets de mes pays de Hollande, Zeelande,
+Brabant, Flandres et autres, avec leurs biens, marchandises
+et navires en grant nombre, et en usant de grandes et oultrageuses
+menaces de encore pis faire à l'encontre de mes dits
+pays et subjets, sans toutefois m'en advertir par défiance, laquelle
+chose ne m'a semblé tollérable... Mon très-redoubté et
+souverain seigneur, je suis adverti que néanmoins en vostre dit
+royaume les dits duc de Clarence et comte de Warwick et leurs
+dits complices sont receuz, recueilliz et favorisez, et aussi les dits
+biens et marchandises de mes dits subjets butinez, venduz et
+dissipez, la quelle chose je ne pourroys croire procéder de votre
+sceu, commandement, ne ordonnance, attendu la notoriété des
+dites hostilités et les traitiez de paix faits entre vous et moi, lesquels
+j'espère que vous voulez entretenir et observer. Je vous advertis
+de rechief, mon souverain seigneur, des choses devant dites,
+vous suppliant qu'il vous plaise ne soutenir ne assister les dits
+<span class="pagenum"><a id="Page_88"> 88</a></span>
+duc de Clarence et comte de Warwick et leurs dits complices, et
+pour plus en ce déclairer votre bon vouloir et plaisir, le faire publier
+et signifier par tous les lieux d'icelui royaume, et spécialement
+de votre dit duché de Normandie.» La réponse de Louis XI
+fut faible et vague; il ordonna au parlement d'accorder les provisions
+nécessaires pour qu'il fût fait droit aux griefs du duc de Bourgogne,
+et se contenta de faire publier, par les gouverneurs de Normandie,
+qui eussent pu les réparer, une déclaration dont les termes
+étaient fort pacifiques: il avait toutefois adressé des instructions
+secrètes à l'archevêque de Narbonne et à l'amiral de France pour
+qu'ils pressassent le comte de Warwick de se retirer à l'île de Jersey,
+à Granville ou à Cherbourg, d'où il pourrait poursuivre plus librement
+ses complots contre le roi Edouard d'York.</p>
+
+<p>Cependant le comte de Warwick, trop violent et trop impétueux
+pour écouter les conseils dictés par une prudence qu'il ne pouvait
+partager, continue ses excursions et ses pirateries dans la Manche.
+C'est en vain que l'escadre de lord Scales et celles des marchands
+osterlings, commandée par Hans Voetkin, cherchent à s'y opposer;
+il envoie sa caravelle <em>la Brunette</em> bloquer le port de l'Ecluse, surprend
+lui-même la flotte flamande qui revenait chargée de vin des
+côtes de la Saintonge, et obtient un succès non moins important
+sur des vaisseaux sortis des ports de Hollande et de Zélande. «Allez,
+dit-il à un pilote de Ter-Vere qu'il a fait prisonnier, allez annoncer
+au duc de Bourgogne que le comte de Warwick s'étonne de ce
+qu'il n'ose point venir le combattre.» Pour ajouter à cette insulte,
+il rentre au port de Honfleur suivi de trois grands navires qui portent
+à leurs mâts la bannière de Bourgogne.</p>
+
+<p>A mesure que ces nouvelles parvenaient au duc Charles, ses
+plaintes devenaient plus vives; il écrivit de nouveau au roi de
+France, aux conseillers du parlement et aux gouverneurs de la Normandie.
+Ces lettres retraçaient longuement tous ses griefs et ce que
+présentait d'odieux l'appui accordé en pleine paix, par un prince
+qui lui était allié, à ses ennemis déclarés. Charles avait ajouté au
+bas de celle qui était adressée à l'archevêque de Narbonne et à
+l'amiral de France quelques lignes où il laissait éclater toute son
+indignation. «Archevesque et vous amiral, les navires que vous
+dictes avoir été mis de par le roi encontre les Anglais, ont ja
+exploité sur la flotte de mes sujets retournant en mes pays; mais
+par saint Georges, si l'on n'y pourvoit à l'aide de Dieu, j'y pourvoiray
+<span class="pagenum"><a id="Page_89"> 89</a></span>
+sans vos congiez, ni vos raisons attendre, car elles sont trop
+volontaires et longues.»</p>
+
+<p>Une grande lutte devenait imminente, et bien qu'elle dût être
+pour le commerce une cause de pertes inappréciables, ce fut le
+moment que la chambre des finances se hâta de saisir pour se
+montrer plus exigeante et plus avide. Les députés des quatre membres
+de Flandre avaient été convoqués à Lille le 21 mai, et le chancelier
+de Bourgogne leur avait exposé que le duc avait besoin d'une
+aide de 120,000 couronnes pendant trois années consécutives pour
+suffire aux frais des armements, que l'apparence d'une guerre prochaine
+avait rendus nécessaires. Néanmoins, il ne leur avait point
+fait connaître quelle serait la part de la Flandre dans cette subvention,
+et quels fruits elle pourrait retirer de ses sacrifices. Une vive
+résistance se manifesta; les sommes accordées au duc de Bourgogne
+depuis son avénement étaient si considérables que toute aide
+nouvelle était devenue impopulaire. Des députés des états de
+Flandre furent chargés d'aller présenter des remontrances au duc,
+qui se trouvait à cette époque à Middelbourg; mais leurs observations
+furent mal accueillies, et Charles répondit à Jean Sersanders,
+qui avait parlé au nom des états de Flandre, avec toute la violence
+que le duc Philippe avait autrefois montrée en accusant un bourgeois
+de Gand qui portait le même nom. «J'ai bien entendu, lui
+dit-il après un moment de réflexion, ce que vous m'avez déclaré
+et remontré sur trois points; quant au premier, qui se rapporte à
+la différence qui existerait d'après vous entre mes lettres et le
+discours de mon chancelier, je ne la vois point. Mon chancelier
+et moi, nous comprenons également que mes pays de par deçà
+sont la Hollande, la Zélande, la Flandre, le Brabant, le Luxembourg,
+le Limbourg, le Hainaut, la Picardie, la châtellenie de
+Lille, le comté de Boulogne et le comté de Guines. Ce sont ces
+pays qui sont accoutumés à me secourir d'aides et de subventions,
+et non pas mon pays de Bourgogne, qui n'a point d'argent; il sent
+la France; mais il s'y trouve beaucoup de braves hommes d'armes,
+les meilleurs que j'aie en tous mes pays, ils m'ont bien servi, et
+je puis m'en aider, car ils forment le tiers de mon armée. Quant à
+ce que vous me demandez que l'on détermine dès à présent votre
+cote et portion, sachez que je le ferai plus tard par l'avis de mes
+conseillers quand vous m'aurez accordé ma requête: je ne dois pas
+le faire plus tôt, car si vous la repoussiez, cette cote serait inutile,
+<span class="pagenum"><a id="Page_90"> 90</a></span>
+et il me semble que vous faites cette demande par subtilité et
+malice, et que ni vous, ni ceux qui vous ont envoyés, n'avez la
+volonté ni l'intention de me complaire et d'accorder ma requête;
+en ceci vous agissez comme vous agissez toujours entre vous
+Flamands, car jamais vous n'avez accordé quelque chose libéralement
+ni à moi ni à mon père. Si vous le fîtes quelquefois, si vous
+accordâtes même plus qu'on ne vous demandait, c'était à si grand
+regret, et de telle sorte, que vous n'en méritez ni gré ni grâce.
+Vous agirez de nouveau ainsi; avec vos têtes flamandes si grosses
+et si dures, vous persévérez toujours dans vos duretés et mauvaises
+opinions, et cependant vous pouvez bien penser que les
+autres sont aussi sages que vous, et ont aussi leurs têtes. Pour
+moi, je suis à moitié Français et à moitié Portugais. Je veux
+bien que vous le sachiez. Je saurai corriger vos têtes, et je le
+ferai. C'est bien peu de chose que 120,000 écus, répartis annuellement
+pendant trois ans, sur tous mes pays, pour entretenir mille
+lances qui ne forment que cinq mille combattants; ce n'est pas le
+tiers de ce que me coûtera mon armée: je devrai payer le reste
+de mon domaine, ou il faudra qu'elle jeûne huit mois. Je ne le
+fais point pour moi seulement, mais aussi pour la sûreté, la protection
+et la défense de mes pays, et pour les tenir en paix et
+tranquillité. Il vaut mieux pourvoir à temps aux entreprises soudaines
+et imprévues que mes ennemis pourraient tenter contre
+moi et mes pays que de nous laisser fouler, chasser et poursuivre:
+pour porter remède et pourvoir à de semblables dangers et nécessités,
+je suis d'avis de réunir à temps lesdites mille lances qui, je
+vous l'ai déjà dit, maître Jean Sersanders, ne forment que le tiers
+de mon armée, et il est bien nécessaire que je le fasse, vu qu'il y a
+grande apparence que nous aurons guerre avec un de nos voisins,
+que je puis bien nommer: c'est le roi de France, qui est si muable
+et si inconstant que personne ne sait quels sont ses desseins et comment
+l'on doit se garder de lui, car il a toujours ses gens d'armes
+prêts: c'est pourquoi je désire aussi avoir mes mille lances prêtes.
+Je vous le dis bien, j'ai peu de motifs d'être satisfait, et je veux
+que vous sachiez que pour rien je ne renoncerai à mes projets. Et
+de tous mes pays lequel s'y oppose, si ce n'est vous, têtes flamandes?
+Est-ce la Hollande ou la Zélande, provinces acquises par mon
+père, qui jamais ne furent soumises à de pareils mandements, et
+ne sont pas aussi riches que mon pays de Flandre? Est-ce le Brabant,
+<span class="pagenum"><a id="Page_91"> 91</a></span>
+le Hainaut, la Picardie et mes autres pays qui aussi bien
+que vous possèdent des priviléges? Et ce qui est plus, de grands
+seigneurs, tels que mon cousin de Saint-Pol et mon cousin de
+Marle, mettent leurs sujets à ma disposition; et vous, vous me
+voulez ôter les miens, lorsque j'en ai besoin, en alléguant des priviléges
+que vous ne possédez pas, et en agissant ainsi, vous pourriez
+les forfaire. Vous dites et soutenez que j'ai juré de les
+respecter; c'est vrai, mais vous avez aussi juré de me servir et de
+m'être de bons et obéissants sujets: et toutefois, je sais bien qu'il
+y en a quelques-uns qui me haïssent. Car, vous Flamands avec
+vos têtes dures, vous avez toujours méprisé ou haï vos princes:
+quand ils étaient faibles, vous les méprisiez; et quand ils étaient
+puissants et que vous ne pouviez rien contre eux, vous les haïssiez.
+Pour moi, je préfère être haï qu'être méprisé; car ni pour
+vos priviléges, ni d'aucune manière, je ne me laisserai fouler, ni
+ne permettrai qu'on empiète en rien sur ma hauteur et seigneurie.
+Je suis assez puissant pour vous résister, quoique quelques-uns
+d'entre vous souhaitent que je puisse me trouver dans
+une bataille avec cinq ou six mille combattants, et que j'y sois
+vaincu, tué, voire écartelé. C'est pourquoi avant de souffrir que
+vous m'ôtiez mes sujets, et que vous empiétiez sur ma hauteur et
+seigneurie, je veux y pourvoir et y porter tel remède que vous
+comprendrez que vous ne le pouvez ni devez faire: il en sera
+alors comme du pot et du verre: dès que le verre heurte le pot,
+il se brise.</p>
+
+<p>«Mettez-vous donc à bien faire, continua-t-il en s'apaisant et
+d'un ton moins irrité; conduisez-vous sagement, de manière à ne
+point perdre ma grâce, car vous ne savez point ce que vous perdriez.
+Soyez bons sujets, je vous serai bon prince; et, à moins que
+d'autres événements ne l'exigent, je ne vous imposerai point
+d'autres charges, si vous m'accordez ma requête. Envoyez-moi
+vos députés, dès que je serai arrivé à Lille ou à Saint-Omer. Là, je
+vous ferai bailler cote et portion, et nous y parlerons des autres
+matières touchant mon pays de Flandre.»</p>
+
+<p>Peu de jours s'étaient écoulés, lorsqu'on arrêta à Middelbourg un
+espion français. Il déclara qu'il était chargé de remettre au sire de
+la Gruuthuse une lettre où l'amiral de France l'invitait à se rendre
+le 15 juin près de lui, à Abbeville, pour exécuter ce qui avait été
+décidé entre eux. L'honneur du sire de la Gruuthuse était au-dessus
+<span class="pagenum"><a id="Page_92"> 92</a></span>
+de tout soupçon, et l'on obtint bientôt du prisonnier des
+aveux plus sincères; il avait reçu l'ordre de parcourir les divers
+ports où le duc réunissait ses vaisseaux, et devait, aussitôt que le
+duc et ses plus illustres conseillers se seraient rendus à bord de
+ceux qui se trouvaient à l'Ecluse, chercher à en couper les câbles,
+pour que la flotte du comte de Warwick s'en emparât aussitôt.
+Louis de la Gruuthuse avait répondu par un défi public à une accusation
+qui blessait son honneur. Le duc de Bourgogne, qui connaissait
+sa loyauté, se contenta d'écrire au comte de Saint-Pol: «Mon
+cousin, puisque l'on ne me tient foy, serment scellez, ne vérité,
+il m'est bien force en mon bon droit de le tenir à l'aide de Dieu.»
+En même temps, il pressa les préparatifs de ses armements, et ordonna
+à ses officiers de saisir dans toutes les villes, et notamment
+à la foire de la Pentecôte à Anvers, tous les biens et toutes les marchandises
+appartenant aux sujets du roi de France, comme garantie
+contre les déprédations du comte de Warwick.</p>
+
+<p>Le 8 juin, la flotte bourguignonne quitta le port de l'Ecluse; elle
+se composait de vingt-quatre gros vaisseaux et était commandée
+par le seigneur de Ter-Vere, Henri de Borssele. Le 2 juillet, elle
+rencontra les vaisseaux du comte de Warwick, et les ayant mis en
+fuite après un combat acharné, elle les poursuivit jusqu'au port de
+Honfleur, où le comte de Warwick réclama de nouveau un asile.
+L'honneur des armes du duc de Bourgogne était vengé, et les marchands
+étrangers allaient retrouver sur les côtes de la Flandre
+quelques jours de paix et de sécurité.</p>
+
+<p>Cependant l'importance de cette guerre maritime, les menaçantes
+tentatives de la flotte du comte de Warwick, l'attentat même dont
+on accusait l'amiral de France, se réunissaient pour appeler l'attention
+du duc sur le péril auquel pouvaient se trouver exposés dans
+le Zwyn les navires à chaque instant échoués sur le sable. Déjà,
+sous le règne du duc Philippe, des plaintes nombreuses s'étaient
+élevées au sujet des atterrissements qui se formaient dans le port
+de l'Ecluse, et empêchaient les caraques, les galères et les autres
+grands navires d'y aborder sans danger. «Par quoy la marchandise
+qui ou temps passé avoit grandement esté exercée et eu cours au
+pays et comté de Flandres, estoit depuis aucun temps en ça fort
+diminuée et amendrie, et de jour en jour taillée de encores plus
+diminuer et amendrir, voire qui plus est, en brief temps du tout
+cesser, se pourveu n'y estoit, à la totale destruction et perdition
+<span class="pagenum"><a id="Page_93"> 93</a></span>
+d'iceluy pays de Flandre, qui estoit fondé principalement sur le
+commun cours de la marchandise.» Charles le Hardi avait cru
+devoir, aussitôt après son avénement, signaler cet état de choses
+aux délibérations des trois états de Flandre. Des commissaires
+furent nommés: c'étaient, pour le clergé, les abbés des Dunes et
+de Ter-Doest; pour la noblesse, Jean et Josse d'Halewyn et messire
+Vander Gracht; pour les Quatre-Membres, Josse de Mol, Sohier
+de Baenst, Paul de Dixmude et Corneille de Bonem. Leur premier
+soin fut de s'enquérir des moyens les plus utiles pour rendre
+au havre du Zwyn son ancienne profondeur. Quatre moyens furent
+proposés: le premier était d'y introduire les eaux de la mer par un
+canal qui eût traversé Coxide; le second ajoutait au premier le prolongement
+du Zwyn jusqu'au havre d'Oostbourg; le troisième eût,
+par une tranchée faite près de Gaternesse, réuni les eaux de l'Escaut
+occidental, connu sous le nom de Hont, à celles du Zwyn; le
+quatrième se bornait à rétablir l'ancienne communication du port
+de l'Ecluse avec la mer par le polder de Zwartegat. C'était le plus
+simple et le plus facile; et, bien que son efficacité parût douteuse
+à quelques-uns, il prévalut sur les autres. Les difficultés les plus
+sérieuses commencèrent quand il fallut en régler l'exécution. Les
+Gantois refusaient de prendre part aux dépenses, alléguant «qu'ils
+estoient fondés sur mestiers,» et que tout l'avantage de ces travaux
+serait pour les Brugeois, qui possédaient l'étape des marchandises
+étrangères. Les Yprois manifestaient la même résistance, et
+les habitants du Franc justifiaient une semblable opposition, en exposant
+«que leurs terrains estoient fondés sur labourage et sur
+nourrissement de bétail.»</p>
+
+<p>Les députés de Bruges répliquaient toutefois qu'il était si vrai
+que la prospérité de leur ville n'était pas uniquement engagée dans
+cette question, que la ruine de toute la Flandre y était attachée. Ils
+ajoutaient qu'il était impossible de séparer le développement de
+l'industrie nationale, de celui du commerce extérieur qui lui fournissait
+ses matières premières et exportait ensuite ses produits;
+qu'en diverses circonstances le même principe de solidarité avait
+été observé quand il touchait aux intérêts généraux du pays. La
+décision du duc de Bourgogne, publiée à Saint-Omer le 27 juillet
+1470, donna gain de cause aux Brugeois; mais il ne paraît point
+que la destruction des digues du polder de Zwartegat ait produit
+quelques résultats; car, au mois de mai 1487, les échevins de
+<span class="pagenum"><a id="Page_94"> 94</a></span>
+Bruges les firent rétablir, attendu que le havre du Zwyn se fermait
+de plus en plus. Le port de l'Ecluse, témoin de la puissance commerciale
+des communes flamandes, devait disparaître dans les
+sables aussi bien que le port d'Aigues-Mortes, asile des gloires de
+la féodalité et de la chevalerie, quand, le moyen-âge s'achevant,
+leurs brillantes destinées se retirèrent avec le flot inconstant de
+leurs grèves à jamais abandonnées.</p>
+
+<p>A ces questions d'un si haut intérêt pour la Flandre succédèrent
+les discussions sans cesse renaissantes d'une politique toujours
+fallacieuse et stérile. Louis XI, moins convaincu qu'il fallait soutenir
+le comte de Warwick depuis qu'il avait appris sa défaite, avait
+chargé une ambassade composée de maître Jacques Fournier, conseiller
+au parlement, et de Gui Pot, bailli de Vermandois, d'aller
+apaiser le duc de Bourgogne. Mais elle n'avait point réussi à obtenir
+une réponse à Bruges et s'était vue réduite à suivre le duc
+Charles à Saint-Omer, où il réunissait ses hommes d'armes: déjà
+il avait autour de lui quatre ou cinq mille lances et un grand
+nombre d'archers, et il voulait aller lui-même en Normandie demander
+raison au comte de Warwick des griefs que Louis XI mettait
+trop de lenteur à réparer. Il reçut les envoyés du roi de France
+dans une salle où l'on avait placé, sous un dais de drap d'or, au
+haut d'une estrade à laquelle on arrivait par cinq degrés couverts
+de velours, un trône magnifique tel que ni roi ni empereur n'en
+avait jamais eu d'aussi élevé. Les ambassadeurs français le saluèrent
+humblement et se mirent à genoux devant lui, mais Charles,
+sans porter la main à son chaperon, se contenta de leur indiquer
+par un signe de tête, qu'ils pouvaient se lever, et leur fit donner
+lecture, par son conseiller Guillaume Hugonet, d'un long mémoire
+qui reproduisait toutes ses plaintes. Il ajouta lui-même quelques
+paroles. «Nous autres Portugais, dit-il, faisant allusion à la patrie
+de sa mère et s'échauffant de plus en plus à mesure qu'il parlait;
+nous autres Portugais, nous avons coutume, lorsque ceux que
+nous considérions comme nos amis se font les amis de nos ennemis,
+de les envoyer aux cent mille diables d'enfer.»</p>
+
+<p>Un coup de vent dans le ciel dérangea toutes les prévisions du
+duc de Bourgogne; ses vaisseaux s'étaient dispersés pour se dérober
+à l'agitation des flots, et le comte de Warwick avait profité des
+désastres mêmes de la tempête pour aborder avec les débris de son
+expédition au havre de Darmouth: onze jours après, il avait renversé
+<span class="pagenum"><a id="Page_95"> 95</a></span>
+la dynastie d'York, et le duc de Bretagne renonçait à l'alliance
+du duc de Bourgogne pour accepter celle du roi de France.</p>
+
+<p>Louis de la Gruuthuse avait reçu, à Alkmaar, Edouard IV qui
+avait réussi à s'embarquer dans le comté de Norfolk; il le conduisit
+en Flandre. Le monarque fugitif s'arrêta d'abord à Notre-Dame
+d'Ardenbourg, non pas comme Edouard III pour remercier le ciel
+d'une victoire, mais pour lui rendre des actions de grâce de ce
+qu'il lui avait conservé la liberté et la vie. Louis de la Gruuthuse
+lui donna successivement l'hospitalité dans son hôtel de Bruges et
+dans son château d'Oostcamp. Le fondateur de la dynastie d'York
+avait été contraint, par une fuite rapide, de laisser tous ses trésors
+entre les mains de ses ennemis. On a conservé une quittance de
+150 livres sterling donnée par Edouard IV hors de son royaume
+dans sa grande pauvreté à Bruges, «<i lang="en" xml:lang="en">Oute of oure reame in oure grete
+necessitee at Bruges</i>.» La plupart de ses compagnons d'exil
+l'avaient abandonné et s'étaient rendus à Calais pour saluer la fortune
+triomphante de ses ennemis: on avait même menacé les magistrats
+de Bruges de quelques tentatives hostiles qui auraient pu
+être dirigées contre la Flandre pour enlever Edouard IV, mais ils
+ne répondirent qu'en faisant fortifier leurs murailles. La généreuse
+hospitalité des communes flamandes était une gloire que n'avait
+pu leur ravir la perte de leurs libertés: il appartenait à une cité,
+témoin de tant de révolutions subites et imprévues, d'accueillir les
+débris que lui confiaient celles des rives étrangères.</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne n'avait rien osé faire en faveur d'Edouard IV;
+il craignait de voir se conclure contre lui une confédération menaçante
+entre le roi de France et le comte de Warwick, dont l'autorité
+se cachait à peine derrière le nom de l'infortuné roi Henri VI qu'il
+avait tiré de la tour de Londres après l'y avoir lui-même enfermé
+dix années auparavant: le premier soin de Charles avait été de
+reconnaître la restauration de la Rose rouge, et il attendait patiemment
+à Hesdin que le roi de France osât se résoudre à envahir ses
+Etats. La guerre qu'il prévoyait n'éclata point: il était plus conforme
+au génie de Louis XI d'attaquer ses ennemis par les intrigues
+et les complots, ces armes secrètes dont le succès coûte peu,
+et qu'il est toujours aisé de désavouer quand elles ne réussissent
+point.</p>
+
+<p>Parmi les nombreux enfants illégitimes du duc Philippe, le bâtard
+Baudouin s'était depuis longtemps fait remarquer par sa jalousie
+<span class="pagenum"><a id="Page_96"> 96</a></span>
+et son ambition: la perte d'un procès qu'il soutenait contre la famille
+de Baudouin de Vos, au sujet des seigneuries de Somerghem
+et de Lovendeghem, vint accroître son mécontentement. Il regrettait
+le règne précédent, et se plaignait de la sévérité du duc Charles.
+Le sire de Crussol avait profité d'un message qu'il avait eu à remplir
+à la cour du duc de Bourgogne pour le gagner aux intérêts de
+Louis XI, lorsqu'il arriva par hasard qu'un écuyer du Bourbonnais,
+nommé Jean d'Arson, qui était le principal confident du bâtard
+Baudouin, fut envoyé par le duc de Bourgogne vers le duc de Bourbon.
+Jean d'Arson saisit cette occasion pour voir le roi de France,
+auquel il dépeignit vivement le zèle et le dévouement de son ami.
+Louis XI l'écouta volontiers, et protesta de son désir d'employer
+ses services et de l'accueillir près de lui. «Si s'en descouvry, dit
+Chastelain, assez avant audit d'Arson, et lui donna assez à cognoistre
+comment il désiroit bien d'en pouvoir estre quitte par ung
+bout ou par ung autre, ne lui challoit comment, mès désiroit
+bien à trouver personne et moyen comment on le peust expédier
+et de ce qu'il en peust faire la recompense aux facteurs,
+à la grandesse de la cause et là où il peut cheoir ung grand
+inestimable butin et le plus grand du monde, parce que le duc
+Charles n'avoit nuls enfans fors une seule fille, parquoy quand
+il seroit failli par mort, ses pays iroient tous estrangement et se
+dessevreroient par pièces et par morceaux en diverses mains, desquels
+il voloit satisfaire et retribuer en condigne porcion ceux
+qui en ce l'auroient servi.»</p>
+
+<p>Jean d'Arson se hâta d'aller rapporter les paroles de Louis XI au
+bâtard de Baudouin; celui-ci ne recula point devant la pensée d'un
+fratricide, mais il fallait trouver le moyen de fuir aisément après
+avoir accompli le crime. Le séjour du duc à Hesdin, où il s'était
+retiré pour éviter la peste qui régnait à Saint-Omer, paraissait favorable
+à l'accomplissement de ces affreux projets; le parc d'Hesdin
+était vaste, le duc Charles y chassait souvent seul avec le bâtard
+Baudouin dont il ne se méfiait point. Il était facile de l'y tuer par
+trahison, il ne l'était pas moins de se dérober aux recherches de ses
+officiers, et de gagner les frontières voisines du royaume. Cependant
+le bâtard Baudouin voulut, avant de s'engager plus avant, connaître
+d'une manière précise la récompense que le roi lui destinait et en
+recevoir des garanties; il chercha quelqu'un qu'il pût à cet effet
+envoyer vers Louis XI, et son choix se fixa sur Jean de Chassa,
+<span class="pagenum"><a id="Page_97"> 97</a></span>
+gentilhomme bourguignon et l'un des chambellans du duc. Il savait
+qu'il était fort disposé à prendre part à de semblables complots,
+car il se trouvait chargé de dettes énormes qui lui fournirent un
+prétexte pour fuir en France. Jean de Chassa s'adressa immédiatement
+au sire de Crussol, qui le présenta à Louis XI dans une
+partie de chasse près d'Amboise.</p>
+
+<p>Si le bâtard Baudouin se voyait ainsi entraîné à préparer par un
+crime la ruine de toute la maison de Bourgogne, l'aîné des fils illégitimes
+de Philippe, le bâtard Antoine, qu'on appelait, depuis la
+mort du bâtard Corneille tué dans la guerre de Gand, le grand
+bâtard de Bourgogne, conservait au duc Charles une fidélité moins
+douteuse. Vers les premiers jours du mois de novembre 1470, un
+paysan lui remit à Hesdin une lettre mystérieuse dont le sens caché
+semblait se rapporter à quelque attentat contre la vie du duc; ce
+ne fut qu'après l'avoir ouverte qu'il reconnut qu'elle était destinée
+à son frère le bâtard Baudouin. Il alla aussitôt tout révéler au duc
+de Bourgogne; on parvint à retrouver le paysan qu'il avait vu, et il
+indiqua un tailleur, nommé Colinet, qui avait apporté la lettre de
+France et n'avait osé la remettre lui-même, parce qu'il soupçonnait
+la gravité du message. Colinet avoua tout; on assure même que
+l'on découvrit dans la poulaine de ses souliers la désignation des récompenses
+que le roi faisait espérer au meurtrier. Au premier bruit
+de ce qui se passait, le bâtard Baudouin et le sire d'Arson s'étaient
+réfugiés en France. Il n'était plus temps de dissimuler. Louis XI
+lève le voile; il convoque le 3 décembre les grands du royaume de
+France (le prévôt des maréchaux, Tristan l'Ermite, et maître Jean
+Van den Driessche en font partie; les autres ne sont guère plus illustres),
+et leur fait déclarer que le traité de Péronne est nul comme
+obtenu par violence. Déjà il a conclu une alliance avec les Suisses;
+il a même écrit aux magistrats de Gand pour réclamer leur appui;
+mais apprenant qu'ils ont refusé d'ouvrir ses lettres, il fait défendre
+à ses sujets de se rendre aux foires de Flandre, et forme le projet
+de les ruiner en instituant d'autres foires semblables en Normandie.
+Peu de jours après, Roye et Montidier ouvrent leurs portes, et Saint-Quentin
+se livre au connétable; les Bourguignons surpris ne réussissent
+pas mieux à défendre Amiens.</p>
+
+<p>Le connétable Louis de Saint-Pol, qui s'était prononcé en faveur
+de la guerre dans le conseil du roi, afin d'affranchir ses domaines
+du dangereux voisinage des garnisons bourguignonnes, ne cherchait,
+<span class="pagenum"><a id="Page_98"> 98</a></span>
+après y être parvenu, qu'à rétablir la paix pour devenir de
+nouveau l'arbitre des deux plus grandes puissances de l'Occident.
+Louis XI était d'ailleurs peu disposé à prolonger un système d'hostilités
+dont il avait déjà atteint le but sans périls et sans combats,
+et ce fut sans doute de concert avec lui que le comte de Saint-Pol
+s'efforça de faire conclure, sous ses auspices, comme le gage d'une
+réconciliation, le mariage du Dauphin avec Marie, unique héritière
+du duc. Dans cette pensée, il essaya de persuader à Charles que la
+paix était devenue pour lui une impérieuse nécessité: tantôt il lui
+peignait, en termes pompeux, les ressources dont disposait le roi
+de France; tantôt il soulevait des doutes sur la fidélité des seigneurs
+qui l'environnaient. Le duc de Bretagne envoya même, à son instigation,
+un messager au duc de Bourgogne, pour le prévenir que le
+roi avait des intelligences dans plusieurs villes importantes de ses
+Etats, notamment à Bruges et à Bruxelles, et était résolu à l'assiéger
+partout où il le trouverait, fût-ce même à Gand. Charles reçut
+fort mal ces avis; il répondit à l'envoyé breton que ceux de qui ils
+venaient ne les avaient transmis à son maître que pour l'effrayer et
+l'empêcher d'exécuter ses engagements, et qu'il ignorait sans
+doute que Gand et les autres villes de Flandre étaient des cités trop
+vastes pour que l'on pût songer à en former le siége. «Les choses
+n'iront d'ailleurs pas ainsi, ajouta-t-il; mon armée est prête, je
+vais passer la Somme et combattre le roi; allez prier le duc de
+Bretagne de se déclarer en ma faveur et de faire pour moi ce que
+je fis autrefois pour lui à Péronne.»</p>
+
+<p>Le duc de Bretagne hésitait à prendre un parti; le duc de Guyenne
+était plus disposé à intervenir, mais il était trop éloigné. Dans
+cette grave situation, le duc Charles chercha surtout à s'appuyer
+sur les communes flamandes, et, le 19 décembre 1470, il leur
+adressa un manifeste où il réclama vivement leur concours pour
+assurer le maintien de ses droits en même temps que la défense de
+leurs frontières. Abordant successivement les diverses remontrances
+que les états lui avaient adressées, il s'efforçait de justifier
+tout ce qui avait eu lieu par l'importance des démêlés politiques
+qui s'étaient rapidement succédés, et déclarait qu'il n'avait
+pas retenu à son profit un seul denier provenant de la levée des
+aides, qui, bien que plus fortes que du temps de son père, n'avaient
+pas été une charge trop accablante pour ses pays <em>de par deçà</em>,
+«veu la grande richesse et opulence des dits pays.» Il protestait
+<span class="pagenum"><a id="Page_99"> 99</a></span>
+d'ailleurs de son désir de diminuer les impôts, de modérer le service
+militaire des fiefs et des arrière-fiefs, et de réprimer les vexations
+des baillis et des prévôts; mais il insistait surtout vivement
+sur le droit du prince de réunir tout son peuple autour de lui à
+l'heure du péril, et sur le devoir qui existait pour ses sujets de répondre
+à son appel. «Quel est le prince, disait-il, qui n'ait le pouvoir
+de contraindre ses sujets à l'accompagner à la guerre, surtout
+s'il s'agit de la défense du pays? Nous ne pensons pas que
+nos sujets, pour lesquels nous avons souffert tant de travaux et
+tant de labeurs, veuillent nous ôter l'autorité que Dieu nous a
+donnée pour leur propre salut, et qu'alors même que nous allons
+exposer notre personne pour le salut du pays, ils puissent s'opposer
+à ce que nous les menions avec nous pour le protéger
+et à ce que nous les forcions à nous suivre pour de si justes
+motifs... Il n'est pas nécessaire de nous menacer du mécontentement
+du peuple; car bien que Dieu nous ait donné assez de puissance
+pour guérir sa folie, de telle manière que cela pourrait à
+vous, peuple, servir d'exemple, et bien que nous sachions que
+nous n'avons point mérité une semblable conduite de la part de
+nos sujets, nous sommes prêts, si Dieu, pour punir nos péchés,
+leur inspire tant d'ingratitude, à nous soumettre sans résistance
+à sa volonté: nos sujets n'ont donc pas besoin de s'émouvoir
+contre nous, et de se déshonorer ainsi par la rébellion, la désobéissance
+et la trahison; car toutes les fois qu'ils voudront nous
+faire prier d'un commun accord de renoncer au gouvernement
+de nos seigneuries, en déclarant que nous ne leur sommes plus
+agréable, nous y renoncerons volontiers et avec plus de joie qu'ils
+n'en éprouveront eux-mêmes; car les honneurs nous donnent
+plus de charge et d'ennui qu'ils n'en ont de nous. Que nos bons
+et loyaux sujets sachent toutefois que nous ne voulons rien faire
+pour molester ni pour grever nos pays: nous voulons seulement
+les garder, les défendre et les protéger contre la puissance et la
+mauvaise volonté de nos ennemis qui sont aussi les leurs, sans
+épargner pour le salut de nos pays notre propre personne, ni les
+biens que nous avons en ce monde.»</p>
+
+<p>Quelque longue que fût cette lettre dont nous n'avons reproduit
+que les passages les plus importants, Charles crut devoir y ajouter
+ces mots adressés aux échevins des bonnes villes: «Très-chers et
+bien amés, puisque vous tenez de nous l'autorité que vous avez
+<span class="pagenum"><a id="Page_100"> 100</a></span>
+dans les villes, jugez si à plus forte raison nous ne devons pas
+l'exercer sur tous nos sujets. Avec qui défendrons-nous nos pays,
+et vous qui désirez être préservés des invasions ennemies, sinon
+avec nos sujets? Avez-vous obtenu d'entourer les villes de portes
+et de murailles pour nous empêcher d'être obéi de nos sujets? A
+qui voulez-vous donc obéir, si vous ne voulez pas que nos propres
+sujets nous obéissent? Quel honneur serait-ce pour notre pays de
+Flandre, si par la faute de ses habitants nous étions honteusement
+vaincus? Y trouveraient-ils grand profit? Nul autre à coup
+sûr que de voir leurs maisons brûlées, leurs habitations détruites,
+leurs biens pillés, leurs femmes, leurs filles et leurs s&oelig;urs
+outragées, et leur commerce anéanti. Faites donc que ces malheurs
+ne frappent pas nos bons sujets; dites-leur de se préparer à
+nous suivre en cette guerre, et faites vous-mêmes comme eux
+s'il en est besoin.»</p>
+
+<p>Charles ne s'était pas vainement adressé à la fidélité des communes
+flamandes; loin de contester une autorité qu'il offrait d'abdiquer
+au milieu de leurs assemblées, comme Philippe-Auguste
+voulut déposer, dit-on, sa couronne au milieu de ses barons, à Bouvines,
+elles se hâtèrent de le soutenir contre l'invasion étrangère; et,
+dès les premiers jours de février, leurs milices, au nombre de cent
+vingt mille hommes, se dirigèrent vers Arras, pour rejoindre le duc
+de Bourgogne; Charles les conduisit aussitôt devant Amiens; mais
+il trouva dans cette ville une résistance qui déjoua tous ses projets.
+Vingt-cinq mille hommes défendaient la vaste enceinte de la cité
+d'Amiens, placés sous les ordres de ses ennemis les plus acharnés,
+parmi lesquels figuraient au premier rang le bâtard Baudouin et Jean
+d'Arson. Plusieurs assauts échouèrent; la neige, la grêle et les
+pluies, qui se succédaient sans interruption, s'opposaient à tous les
+travaux des assiégeants, et le duc de Bourgogne, ayant inutilement
+attendu pendant six semaines l'armée du roi de France pour la combattre,
+jugea que les règles de la chevalerie lui permettaient de
+conclure une suspension d'armes de trois mois, qui fut signée dans
+les premiers jours d'avril 1470 (v. st.).</p>
+
+<p>Au début de cette guerre, au moment même où les milices flamandes
+se mettaient en marche, la duchesse de Bourgogne avait
+obtenu par ses prières quelques secours en faveur de son frère, le roi
+Edouard d'York. Charles les avait refusés pendant longtemps; aux
+liens qui l'attachaient à la dynastie de Henri VI se joignait le souvenir
+<span class="pagenum"><a id="Page_101"> 101</a></span>
+de ceux qui l'avaient uni autrefois à Marguerite d'Anjou, proscrite
+et fugitive: il avait même adressé aux habitants de Calais une
+lettre où il prenait saint Georges à témoin de son affection pour la
+maison de Lancastre. Ce ne fut que lorsqu'il eut appris l'arrivée de
+quatre mille Anglais dans cette même ville de Calais, et la conclusion
+d'une alliance dirigée contre lui entre Louis XI et le prince de
+Galles, qu'il se décida à prêter secrètement 50,000 florins à
+Edouard IV en lui permettant, comme Baudouin le Pieux à Guillaume
+le Conquérant, de recruter des hommes d'armes dans les
+villes de Flandre. Edouard IV se rendit à pied de Bruges à Damme,
+entouré d'une multitude de peuple qui le saluait de ses acclamations;
+de là il continua sa route vers le port de Ter-Vere, où quelques
+marchands lui frétèrent dix-huit navires. Peu de jours après,
+il abordait aux bouches de l'Humber, dans la baie de Ravenspur,
+aux mêmes lieux où avait débarqué Henri IV prêt à renverser Richard
+II. Des succès non moins éclatants l'attendaient en Angleterre;
+le 11 avril, il entra à Londres; trois jours après, Warwick
+vaincu périssait à la bataille de Barnet, que suivit de près la victoire
+de Tewksbury.</p>
+
+<p>Au milieu des flots de sang qui coulaient de toutes parts, et tandis
+que le vieux roi Henri VI rentrait à la Tour de Londres,
+Edouard IV se hâtait d'envoyer des messagers pour remercier les
+magistrats de Bruges de leur généreuse hospitalité: ils étaient chargés
+de leur remettre une lettre conçue en ces termes: «Edouard,
+par la grâce de Dieu, roy d'Angleterre et de France, seigneur
+d'Irlande, à nos très-chiers et espéciaux amis les nobles hommes,
+escoutette, burgmaistres, eschevins et conseil de la ville de Bruges,
+salut et dilection: Très-chiers et bien espéciaulx amis, nous
+vous mercyons tant et si cordialement que faire povons, de la
+bonne chière et grande courtoisie que vostre très benivolente
+affection vous a pleu de nous faire et desmontrer gracieusement
+et largement au bien et consollation de nous et de nos gens pendant
+le temps que nous estions en vostre ville. Nous nous en tenons
+grandement tenus à vous, ce que nous recongnoisserons par
+effet se chose est que jamais puissions faire bonnement pour le
+bien de vous et de ladite ville...» (29 mai 1471).</p>
+
+<p>Lorsque le duc de Bourgogne, aussitôt après avoir conclu la trêve,
+apprit le rétablissement de la dynastie d'York, il ne dissimula pas
+sa fureur de s'être ainsi réduit à ne pouvoir profiter des circonstances
+<span class="pagenum"><a id="Page_102"> 102</a></span>
+les plus favorables. N'ayant plus rien à craindre de l'Angleterre,
+il renoua ses alliances avec les ducs de Guyenne et de Bretagne;
+il offrait au premier la main de sa fille, et déjà l'évêque de
+Montauban était arrivé à Rome pour obtenir des dispenses du pape
+Paul II.</p>
+
+<p>Louis XI ne cherche qu'à temporiser, il envoie le sire du Bouchage
+représenter au duc de Guyenne, d'une part l'affection et la
+générosité qu'il lui a montrées; d'autre part «la grant haine que la
+maison de Bourgogne a eue au feu roy Charles son père, les grands
+outrages qu'elle lui a faits jusques à le faire déshériter et priver
+si elle eust pu de la couronne de France.» Il doit ajouter «que
+le roy ne le peut bonnement croire, veu les grands sermens et
+promesses que mon dit seigneur a fait au roy touchant ceste
+matière et sur la vraye croix de Saint-Lo, dont le danger de
+l'enfraindre est si grand, comme de mourir mauvaisement au
+dedans l'an, et toujours est infailliblement arrivé à ceux qui sont
+venus contre les sermens faits sur ladite vraye croix.» Louis XI
+revient à trois reprises sur ces dangers dans sa note au sire du
+Bouchage; c'est à la fois une menace et une prophétie.</p>
+
+<p>Cependant le roi avait envoyé d'autres ambassadeurs au duc de
+Bourgogne, pour lui remontrer combien il devait lui être plus
+avantageux que sa fille épousât le Dauphin: ils étaient aussi chargés
+de lui offrir la paix, quelles qu'en fussent les conditions. En effet,
+Louis XI consentait à rendre au duc de Bourgogne toutes ses conquêtes
+au bord de la Somme, et même à lui abandonner le comte
+de Nevers et le connétable, contre lesquels sa haine devenait de
+plus en plus vive. Charles accepta ces propositions, et conclut le
+3 octobre 1471 le traité du Crotoy qui confirma ceux d'Arras, de
+Conflans et de Péronne.</p>
+
+<p>Henri VI venait de mourir, et le duc de Bourgogne semblait
+n'avoir consenti à cesser de diriger ses armes contre la France,
+qu'afin de les porter en Angleterre pour renverser la royauté
+d'Edouard IV, qu'il avait lui-même pris plaisir à relever: en effet,
+par un acte secret passé le 3 novembre 1471 à l'abbaye de Saint-Bertin,
+il avait déclaré se réserver tous les droits à la couronne
+d'Angleterre qu'il prétendait avoir recueillis, comme issu de la
+maison de Lancastre; mais il reconnut bientôt que les promesses
+du roi de France étaient peu sincères. Louis XI ne restituait pas les
+villes de la Somme, et cherchait sans cesse de nouveaux délais pour
+<span class="pagenum"><a id="Page_103"> 103</a></span>
+jurer le traité du Crotoy: le duc de Bourgogne ne croyait plus à la
+paix, il s'alliait au duc de Calabre, au moment même où il venait de
+recevoir à Bruges le sire de Craon, chargé par le roi de France de
+lui renouveler des protestations pacifiques, et déjà il avait renoué
+ses relations secrètes avec le duc de Guyenne, qui réunissait une
+armée et lui offrait comme prix de son alliance la cession du Poitou,
+de l'Angoumois, du Limousin et du Rouergue. Louis XI était
+instruit de tout ce qui se passait, un espion du sire de Lescun lui
+était arrivé de Flandre, il connaissait également les préparatifs du
+duc de Guyenne; mais il ne les craignait point, car il écrivait au
+comte de Dammartin que son frère ne vivrait plus longtemps, et
+qu'il le savait par le moine qui disait ses heures avec lui, ce dont
+il était si ébahi, qu'il se signait depuis la tête jusqu'aux pieds. En
+effet, le 24 mai 1472, le duc de Guyenne expirait, empoisonné,
+disait-on, par l'abbé de Saint-Jean d'Angely et ce sire de Lescun
+qui entretenait des espions à Bruges.</p>
+
+<p>A cette nouvelle, Charles cessa toute négociation et rompit la
+trêve: assemblant à la hâte une armée, il entra dans le Vermandois
+en mettant tout à feu et sang. A Nesle, il fit pendre le capitaine et
+couper le poing à tous ses compagnons. Un grand nombre d'habitants
+qui s'étaient réfugiés dans les églises y furent égorgés sans
+pitié, puis on mit le feu à la ville: tels sont les fruits que porte
+l'arbre de la guerre, avait dit Charles, et il ne cachait point que
+c'était ainsi qu'il voulait venger la mort du duc de Guyenne. Le
+manifeste qu'il publia le 16 juillet pour rendre compte des motifs
+de son invasion en France renfermait les accusations les plus violentes
+contre Louis XI. Après avoir rappelé que le roi avait naguère
+corrompu le bâtard Baudouin, Jean d'Arson et le sire de Chassa,
+pour le mettre à mort, il ajoutait que c'était par la même trahison
+et la même perfidie qu'il avait fait mourir le duc de Guyenne, et le
+déclarait deux fois complice du crime de fratricide, hérétique,
+idolâtre et convaincu, vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis de l'Etat, du
+crime de lèse-majesté qui faisait à tous les princes un devoir de se
+réunir pour le combattre.</p>
+
+<p>Cependant la vaillante défense de la garnison de Beauvais et de
+ses habitants opposait au duc de Bourgogne un obstacle non moins
+invincible que celui qu'il avait trouvé l'année précédente dans la
+résistance d'Amiens. Il semblait que le ciel, pour châtier son orgueil,
+eût doué d'un courage merveilleux quelques femmes placées
+<span class="pagenum"><a id="Page_104"> 104</a></span>
+au premier rang sur tous les remparts: la dame de Nesle, dans son
+propre château; à Roye, Paule de Penthièvre; à Beauvais, Jeanne
+Fourquet, que l'histoire ne connaît que sous le nom de Jeanne Hachette.
+Charles, réduit à lever le siége de Beauvais, envahit le
+pays de Caux, s'empara d'Eu et de Saint-Valery, menaça Dieppe et
+Rouen, et ravagea complètement les riches contrées qu'il traversa,
+jusqu'à ce qu'épuisé par ses vengeances mêmes, privé de toutes
+communications avec ses Etats, séparé de tous les convois qui lui
+apportaient des munitions et des vivres, il mît fin à une expédition
+si pompeusement annoncée, en acceptant une trève qui commença
+le 3 novembre 1472.</p>
+
+<p>Charles, à qui ses dévastations avaient laissé, à défaut du surnom
+de Charles le Victorieux, celui de Charles le Terrible, profita de
+cette suspension d'armes pour aller conquérir le duché de Gueldre;
+mais c'était peu qu'il se vît le souverain de tant de puissants Etats
+entre le Rhin et la mer; son ambition, que les obstacles ne pouvaient
+arrêter pas plus que les succès ne pouvaient la satisfaire,
+se développait également par les triomphes et par les revers;
+une loi fatale, qui est celle de tous les hommes de guerre
+et de tous les conquérants, le poussait incessamment vers un but
+plus brillant ou plus élevé qui ne cachait qu'un abîme: tel est aussi
+le sort du voyageur égaré sur des mers inconnues par les phénomènes
+du mirage qui lui présentent dans le ciel des temples et des
+palais qu'il n'atteindra jamais. Charles se croyait appelé à revendiquer
+les droits qu'il tenait des comtes de Flandre, issus de Judith,
+arrière-petite-fille de Charlemagne, c'est-à-dire au moins une couronne,
+et il voulait reconstituer le royaume de Bourgogne. Olivier
+de la Marche en avait, sans doute à sa prière, étudié l'histoire dans
+Diodore de Sicile, dans Lucain, dans Salluste, dans Orose, dans
+Grégoire de Tours, depuis Alise, femme d'Hercule, jusqu'à Clotilde,
+la pieuse épouse du roi Clovis qui conquit les Gaules, sans oublier
+«le prince françois Vercingentorix» qui lutta contre César. Tous
+ces souvenirs plaisaient au duc de Bourgogne: il lui suffisait, pour
+rétablir l'ancienne monarchie des Bourguignons, de réunir à ses
+Etats, par les armes ou par les négociations, la Lorraine, l'Alsace,
+le nord de la Suisse et la Provence, que le roi René était prêt à
+lui céder. Il ne lui semblait pas plus difficile de se faire attribuer le
+titre de roi qu'avait dédaigné son père, le seul qui lui manquât pour
+qu'il n'eût plus rien à envier à Louis XI. L'empereur Frédéric III le
+<span class="pagenum"><a id="Page_105"> 105</a></span>
+lui avait fait espérer depuis longtemps, et c'était à Trèves qu'il devait
+accomplir ses engagements en plaçant le sceptre dans la main
+formidable qui ne se contentait plus de porter l'épée de Philippe le
+Hardi et de Jean sans Peur.</p>
+
+<p>Déjà la couronne était prête; les ornements destinés au sacre
+s'offraient déjà à tous les regards dans la cathédrale de Trèves, et
+l'évêque de Metz était choisi pour présider à cette auguste cérémonie.
+Le duc Charles, impatient de montrer que sa puissance le rendait
+digne de la pourpre royale, avait fait étaler dans l'abbaye de
+Saint-Maximin les trésors les plus précieux de sa maison; des
+images de saints habilement ciselées, en or et en argent, des coupes
+entourées de saphirs et de rubis, des hanaps garnis de perles, des
+drageoirs émaillés; on eût dit, remarque Meyer, la cour d'Alexandre
+ou d'Assuérus. Quand Charles eut fait admirer toutes ces merveilles
+dans le banquet qu'il donna à l'empereur Frédéric, il le
+conduisit dans une salle magnifique, où une vaste tapisserie représentait
+le couronnement du roi Saül, allusion manifeste à ses desseins
+et à ses espérances. «Cher cousin Charles, dit alors l'Empereur,
+que pourrai-je faire pour reconnaître la sincère affection que vous
+nous montrez, le grand honneur que vous nous témoignez, et les
+dons précieux que nous avons reçus de vous?&mdash;Je ne désire rien
+de plus de Votre Haute Majesté, répliqua en s'inclinant le duc de
+Bourgogne, que de la voir exécuter les promesses qu'elle m'a
+faites.» Aussitôt après avoir prononcé ces mots, il sortit de la
+salle avec toute sa cour. Frédéric III, resté seul avec les princes
+de l'Empire et ses conseillers, leur fit part de son intention de créer
+le duc Charles roi de Bourgogne, en recevant son serment de vassalité
+de telle sorte qu'il fût tenu de servir fidèlement le saint-empire
+romain «à feu et à flamme.» Ce discours souleva toutefois
+une longue opposition; on remontrait à Frédéric III quel péril il y
+aurait à relever la vaste monarchie des rois de Bourgogne. «Il est
+vrai, lui disaient quelques-uns de ses conseillers, que cette couronne
+lui a été promise il y a longtemps, mais depuis que nous
+avons vu à Trèves la grande générosité de son caractère ainsi
+que la puissance et la richesse de son pays, nous pensons, nous
+osons même l'affirmer à Votre Majesté, que dès que le duc
+Charles sera roi, il lui sera toujours facile de s'insurger contre le
+conseil de l'Empire. Le duc Charles n'est-il pas supérieur, par
+l'importance de ses domaines, à tous les rois de la chrétienté?
+<span class="pagenum"><a id="Page_106"> 106</a></span>
+Ne s'est-il pas fait redouter par ses exploits et ses victoires, et le
+respect dont il est l'objet ne peut-il pas devenir la source d'exigences
+que l'on ne saurait modérer après en avoir favorisé le
+développement? Si le duc Charles reçoit le titre de roi, il voudra
+de nouveau agrandir ses domaines, et ce pourrait être, s'il en
+trouve quelque prétexte, en envahissant les seigneuries qui relèvent
+de l'Empire. Nous ne pouvons oublier qu'étant encore duc
+de Bourgogne, il a pris les armes contre la couronne de France,
+et s'est emparé violemment de terres qui ne lui appartenaient
+point; une fois investi de l'autorité royale n'agirait-il pas de
+même à plus forte raison? et n'aurions-nous pas à regretter
+éternellement d'avoir placé nous-mêmes dans ses mains le glaive
+qu'il dirigerait contre nous? Il faut aussi remarquer qu'il a conclu
+récemment de nombreuses alliances avec l'Angleterre,
+l'Ecosse, le Danemark, la Suède, la Lombardie et plusieurs
+princes de l'Empire, qui se sont obligés à l'aider de leurs hommes
+d'armes, et nous pouvons craindre qu'il ne veuille étendre sur
+nous sa domination, car il est si puissant et si vaillant que le
+monde semble trop petit pour lui. Le couronner roi, ce serait
+abdiquer votre autorité, ce serait descendre du trône impérial.»</p>
+
+<p>Frédéric III, que Jean de Champdenier nomme dans une de ses
+lettres «un homme endormi, pesant, merencolieux, avaricieux,
+chiche, craintif, variable, hypocrite, dissimulant, et à qui tout
+mauvais adjectif appartient,» se laissa aisément ébranler par
+des raisons qu'il approuvait sans doute; mais il se trouvait dans
+un grand embarras, et ne savait quelle réponse donner au duc de
+Bourgogne, qu'il avait lui-même appelé à Trèves pour l'y déclarer
+roi. On chercha par d'autres discours à le rassurer à cet égard. «Ne
+pouvait-on pas alléguer qu'il était nécessaire de consulter préalablement
+les princes chrétiens, puisqu'il fallait, selon l'ancien
+usage, l'intervention de l'Empereur et de trois rois pour créer un
+nouveau roi? Ne pouvait-on pas aussi lui faire oublier ses prétentions
+en confirmant ses droits de conquête sur le duché de
+Gueldre et le comté de Zutphen? Il n'y aurait aucun inconvénient
+à l'autoriser à fonder dans ses Etats un parlement semblable
+à celui de Paris, dont l'autorité s'étendrait en dernier ressort
+sur tous les appels. Enfin, l'Empereur pourrait lui promettre son
+appui et son alliance, pourvu qu'il s'engageât à respecter les
+<span class="pagenum"><a id="Page_107"> 107</a></span>
+possessions de l'Empire.» Cet avis prévalut, et il ne fut plus
+question du rétablissement du royaume de Bourgogne.</p>
+
+<p>Le duc Charles attendait avec impatience la réponse de l'Empereur
+et le moment où il pourrait ceindre la couronne royale, lorsqu'on
+l'invita à se rendre au sein de l'assemblée des électeurs et
+des autres princes de l'Empire. Frédéric III réclama aussitôt le
+silence pour exposer ce qu'il avait résolu de faire en faveur du duc
+Charles; mais celui-ci était si étonné et si mécontent de se voir
+trompé par les promesses qu'on lui avait si fréquemment réitérées,
+qu'il répondit à peine quelques paroles. On lui annonça bientôt
+après que l'Empereur avait quitté la ville de Trèves pour se rendre
+à Cologne.</p>
+
+<p>Un autre projet fut ajourné avec le couronnement du duc de
+Bourgogne: c'était celui du mariage déjà convenu de sa fille unique
+Marie avec Maximilien, fils de l'Empereur, qui devait, à cette occasion,
+recevoir lui-même le titre de roi des Romains. «C'est une
+grande chose que de faire épouser la fille du duc de Bourgogne
+au fils de l'Empereur, écrivait le cardinal François de Gonzague
+au cardinal Piccolomini; c'est une grande chose que de créer
+l'un roi de ses propres Etats, l'autre roi des Romains: mais, à
+mon avis, de ces deux projets, autant le premier est aisé à accomplir,
+autant le second présente de graves difficultés.» Malgré
+ces prévisions, la couronne de roi de Bourgogne venait d'échapper
+au duc Charles, et l'avenir promettait à Maximilien celle de roi des
+Romains.</p>
+
+<p>Frédéric III n'avait oublié ses promesses, pour rompre un mariage
+si favorable à ses intérêts politiques, que parce qu'il craignait d'être
+entraîné dans les querelles de deux princes également redoutables,
+l'un par l'habileté de ses ruses, l'autre par l'impétuosité de ses
+résolutions. Il laissa le duc de Bourgogne intervenir dans les troubles
+de l'archevêché de Cologne, opprimer le comté de Ferette, et
+se quereller avec les ligues suisses, et, par le même esprit de neutralité,
+lorsque Louis XI lui fit proposer par ses ambassadeurs de
+saisir toutes les terres du duc tenues en fief de l'Empire, tandis
+qu'il confisquerait lui-même celles qui relevaient du royaume, il
+se borna à leur raconter, pour toute réponse, l'apologue, depuis si
+populaire, de ces trois écoliers allemands qui voulaient payer leur
+hôte du produit de leur chasse de la soirée, et qui reçurent de la
+<span class="pagenum"><a id="Page_108"> 108</a></span>
+bête sauvage ce sage conseil: qu'il ne faut jamais marchander la
+peau de l'ours tant qu'il n'est pas mort.</p>
+
+<p>Quelles que fussent les intrigues rivales qui s'agitaient en Allemagne,
+c'était surtout vers l'Angleterre que se portaient tous les
+regards. Edouard d'York ne pouvait pas plus oublier les secours
+que lui avait donnés le duc de Bourgogne, que ceux que le comte de
+Warwick avait reçus de Louis XI. Charles le dominait et l'avait
+choisi pour concourir efficacement avec lui à la destruction de la
+monarchie française, qui semblait n'avoir constitué un magnifique
+apanage à des princes sortis de son sein que pour en faire le gage
+d'une éternelle hostilité. Jean sans Peur avait ouvert la France à
+Henri V: Charles le Hardi y appela Edouard IV.</p>
+
+<p>Un traité signé le 25 juillet 1474 porte que le duc de Bourgogne
+s'engage à aider le roi d'Angleterre à reconquérir son royaume de
+France, et lui promet un secours de six milles hommes d'armes.
+Le lendemain, par un second traité, le roi d'Angleterre, rappelant
+l'alliance conclue la veille, et prenant en considération les anciens
+services du duc Charles et l'importance de son concours, «qui
+rendra facile de soumettre le royaume de France, et de le conserver
+après l'avoir soumis,» lui donne, cède et transporte à
+toujours, pour lui, ses héritiers et successeurs, et sans se réserver
+aucun droit de suzeraineté, le duché de Bar, le comté de Champagne,
+le comté de Nevers, le comté de Rethel, le comté d'Eu, le comté de
+Guise, la baronnie de Donzy, la ville de Tournay avec son territoire,
+son bailliage et ses dépendances, la forteresse et la ville de
+Pecquigny, les villes et les domaines situés sur les deux rives de
+la Somme, et de plus, toutes les terres formant le domaine propre
+du comte de Saint-Pol; «de telle sorte que non-seulement pour ces
+domaines, mais également pour le duché de Bourgogne, les
+comtés de Flandre, d'Artois, de Charolais, de Mâcon, d'Auxerre,
+et de tous les autres lieux et domaines, possédés par le duc, il
+ne sera plus tenu à aucun acte de foi, de service et d'hommage.»
+Il s'engage à confirmer cette donation, dès qu'il aura recouvré sa
+couronne, et à la faire ratifier par les trois états du royaume de
+France. Peu de jours après, le 27 juillet, le duc de Bourgogne promit
+d'élever son contingent à dix ou même à vingt mille hommes
+d'armes; et d'autre part, le roi d'Angleterre déclara que, bien qu'il
+eût disposé du comté de Champagne, il se réservait le droit de se
+faire sacrer à Reims. Qu'y eût-il eu d'étonnant à ce qu'Edouard IV
+<span class="pagenum"><a id="Page_109"> 109</a></span>
+réclamât l'onction royale dans une province cédée au duc Charles,
+puisque Louis XI, lui-même, l'avait reçue au milieu d'une armée
+bourguignonne?</p>
+
+<p>Le roi d'Angleterre s'était engagé à aborder en France avant le
+1<sup>er</sup> juin 1475. Charles le pressait de descendre au promontoire de
+la Hogue, célèbre par le débarquement d'Edouard III, d'où il aurait
+pu s'appuyer à la fois sur son alliance et sur celle du duc de Bretagne;
+mais, au lieu de réunir son armée en Picardie, il perdit
+lui-même un temps précieux à assiéger aux bords du Rhin la petite
+ville de Neuss, qui résista vaillamment à tous ses efforts. Ce fut au
+siége de Neuss que le duc de Lorraine, René de Vaudemont, le fit
+défier «au feu et à sang.» Le duc de Bourgogne parut si joyeux de
+ce défi qu'il donna au héraut la robe qu'il portait en ce moment, en
+y ajoutant une coupe d'argent et cinq cents lions d'or. René de
+Vaudemont était le petit-fils de ce comte de Vaudemont, qui avait
+réclamé à Gand en 1431 l'appui du duc Philippe contre René d'Anjou,
+«en lui remonstrant que ses prédécesseurs avoient toujours
+esté amis et alliés de la maison de Bourgogne.»</p>
+
+<p>Pendant que ces démêlés avec le duc de Lorraine retenaient le
+duc Charles loin de ses Etats, Louis XI, profitant de l'expiration
+des trêves, s'emparait de Montidier, de Roye et de Corbie, et lorsque
+Edouard IV arriva à Calais, le 4 juillet, il se plaignit vivement
+de ne pas voir paraître les nombreux hommes d'armes que
+son allié lui avait annoncés. Autour de lui, les milices anglaises se
+montraient peu favorables à une guerre qui semblait avoir été moins
+entreprise dans l'intérêt de leur nation que dans celui d'un prince
+étranger.</p>
+
+<p>Le duc de Bourgogne, laissant derrière lui les hommes d'armes
+qu'il avait conduits en Allemagne, n'arriva à Bruges que le 11 juillet.
+On l'y reçut avec respect; de nombreux échafauds avaient été construits
+dans toutes les rues; mais, quelle que fût l'intention qui eût
+présidé au choix de ces emblèmes, plusieurs renfermaient plutôt
+une prophétie menaçante qu'une humble adulation. L'histoire de
+Judas, représentée aux portes de son hôtel, pouvait lui rappeler
+qu'à diverses reprises il avait eu des traîtres autour de lui, et cette
+phrase de l'Ecriture: <em>Béni soit celui qui a brisé les efforts de
+l'homme jouissant par la main de son serviteur</em>, s'appliquait aussi
+bien aux populations des bords du Rhin, contre lesquelles luttait
+Charles, qu'à Charles lui-même, se préparant à combattre Louis XI.
+<span class="pagenum"><a id="Page_110"> 110</a></span>
+Le duc de Bourgogne reparaissait d'ailleurs en Flandre, mécontent
+du mauvais succès de ses efforts en Allemagne, et disposé à en
+rendre responsables ceux-là mêmes qui le blâmaient le plus de les
+avoir tentés.</p>
+
+<p>L'histoire des luttes de la Flandre contre ses princes avait jusqu'alors
+embrassé exclusivement les questions relatives à ses priviléges
+et à ses franchises. Il semble que sous Charles le Hardi elle
+ne soit plus que le tableau des fautes politiques du duc de Bourgogne,
+persistant à préparer sa ruine malgré les sages conseils de son
+peuple, qu'un secret pressentiment associe d'avance aux mêmes
+malheurs. Le 27 mars 1472 (v. st.), les états de Flandre lui avaient
+adressé de vives représentations; le 24 avril 1474, ils lui avaient
+exposé de nouveau qu'il serait impossible de suffire à des taxes si
+considérables tant que la situation du commerce ne s'améliorerait
+point. Déjà on avait accru tous les impôts existants ou rétabli d'anciens
+impôts presque oubliés, tels que celui du vingtième denier sur
+les produits de la pêche; on n'avait pas cessé de recevoir le produit
+des amendes imposées par le traité de Gavre. On n'en créa pas moins
+des gabelles de plus en plus accablantes; et, la même année, le duc
+de Bourgogne, réduit aux derniers expédients pour trouver de l'argent,
+alla jusqu'à déclarer que son intention était d'amortir à son
+profit toutes les donations que le clergé avait reçues depuis
+soixante ans, et de l'obliger, de plus, à en payer le bail pour les
+trois années précédentes. Les religieuses de la chartreuse de Sainte-Anne,
+près de Bruges, vendirent leurs biens pour payer une taxe
+de dix-huit cents florins, tandis que l'on traînait en prison les
+chanoines de Saint-Donat pour les contraindre à payer leur part
+dans les impôts déjà votés par les états. Cependant ces exactions ne
+suffisaient point; les états généraux des provinces de Flandre, de
+Brabant, de Hollande, de Zélande, de Hainaut, de Gueldre, d'Artois
+et de Picardie, furent convoqués à Gand dans les derniers jours du
+mois d'avril 1475, et on les menaça d'un nouvel impôt, qui devait
+être du sixième denier sur tous les biens sans exception. En ce moment,
+Charles se trouvait en Allemagne; après une longue délibération,
+les états osèrent rejeter sa demande. Au mois de juillet
+1475, les états de Flandre réitèrent leurs remontrances; mais
+Charles, irrité, ne veut rien écouter: l'ambition seule le guide, et
+il ne s'arrête ni devant la décadence de l'industrie, ni devant les
+souffrances des populations, qu'il appauvrit par l'impôt et qu'il décime
+<span class="pagenum"><a id="Page_111"> 111</a></span>
+par la guerre. Il répond par des plaintes aux acclamations
+qui l'accueillent à son retour en Flandre, et ne se rend au sein de
+l'assemblée des représentants des communes que pour leur reprocher
+rudement d'avoir, en ne lui envoyant ni chariots, ni piquenaires,
+ni pionniers, ni ouvriers, été la cause de la levée du siége de
+Neuss. A l'entendre, ils lui ont refusé ce qu'ils eussent accordé au
+plus pauvre habitant de l'Auvergne; ce n'est pas la Flandre qui
+s'appauvrit; c'est son propre trésor qui s'épuise pour défendre et
+protéger le pays même de Flandre qu'il a toujours particulièrement
+aimé, et dont il assure le repos par la continuelle sollicitude de ses
+labeurs, veillant pendant que ses sujets dorment, bravant le froid
+quand ils ont chaud, jeûnant et s'exposant au vent et à la pluie,
+tandis qu'ils mangent et boivent à l'aise dans leurs maisons. A
+qui profitaient donc les taxes et les armements? A eux-mêmes,
+plus riches que leur seigneur, puisque le revenu d'une seule ville
+de Flandre s'élevait plus haut que celui de son domaine dans tous
+ses Etats. «Je me souviens, leur dit-il, des belles paroles que mes
+sujets de Flandre m'adressèrent à mon avénement, et ils répètent
+tous les jours, aux joyeuses entrées dans les bonnes villes,
+qu'ils seront bons, loyaux et obéissants sujets pour moi, je
+trouve clairement le contraire, et toutes ces paroles passent en
+fumée d'alchimie. Vous parlez d'obéissance, et vous n'exécutez
+point mes ordres; vous parlez de loyauté, et vous abandonnez
+votre prince, sans défendre ni ses pays, ni ses sujets. Vous montrez-vous
+bons fils? Mais tout ce que vous faites est une conspiration
+occulte et secrète pour perdre votre prince. N'est-ce pas
+là un crime de lèse-majesté? Et quelle est la peine qui y est
+attachée? Chacun le sait: c'est la confiscation non-seulement de
+vos biens, mais aussi de ceux de vos héritiers; c'est plus que la
+peine capitale, c'est l'écartèlement. Puisque vous ne voulez pas
+être gouvernés comme des enfants par leur père, vous vivrez désormais
+comme des sujets sous leur seigneur, avec le plaisir de
+Dieu, de qui seul je tiens cette seigneurie. Je demeurerai aussi
+prince tant qu'il plaira à Dieu, à la barbe de tous ceux qui en
+seraient mécontents et que je crains peu, car j'ai reçu de Dieu la
+puissance et l'autorité qu'ils ne braveraient pas en vain.» Puis
+se radoucissant peu à peu, il déclara que si ses sujets faisaient
+dorénavant leur devoir, «il avait encore bien le c&oelig;ur et la volonté
+de les remettre en tel degré comme ils avaient été par ci-devant,
+<span class="pagenum"><a id="Page_112"> 112</a></span>
+car qui bien aime, tôt oublie,» et qu'il ne voulait pas pour cette
+fois «procéder aux punitions encourues.» Alors s'adressant aux
+prélats et aux nobles, il leur ordonna d'obéir sous peine, pour les
+uns, de perdre leur temporel, pour les autres, de forfaire leur vie et
+leurs biens. «Et vous, mangeurs des bonnes villes, ajouta-t-il en
+s'adressant aux députés du tiers état (<em>troisième estat</em>), faites de
+même, sur vos têtes et sous peine de confiscation de tous vos biens,
+ainsi que de tous vos priviléges, droits, franchises, libertés, coutumes
+et usages.» Il suffit de faire connaître que l'une des demandes
+présentées par le duc de Bourgogne était une prise d'armes
+générale dans toute la Flandre: déjà il avait choisi comme point de
+réunion la ville d'Ath, «pour de là tirer et faire ce que de par lui
+serait ordonné.» Il était bien résolu, disait-il, à ne pas y renoncer,
+et jurait par saint George, en plaçant la main sur son c&oelig;ur, que si
+l'on y faisait faute, «de son côté il n'y aurait faute d'exécuter ce
+qu'il avait dit.» A ces mots, il se leva en disant: «Sur ce, je
+vous salue,» et s'éloigna.</p>
+
+<p>Le même jour le duc de Bourgogne partit pour Calais, afin de
+se rendre près d'Edouard IV, qui lui témoigna son étonnement de
+le voir ainsi arriver «en petite compagnie;» mais il chercha à
+s'excuser, en disant qu'il avait laissé son armée à Namur, pour la
+conduire de là en Champagne et dans le duché de Lorraine, d'où il
+voulait chasser René de Vaudemont; il lui annonçait en même
+temps que le connétable avait embrassé ses intérêts et n'attendait
+qu'un moment favorable pour lui livrer Saint-Quentin, dans l'espoir
+d'obtenir le comté de Brie dans le démembrement de la
+France.</p>
+
+<p>Immédiatement après cette entrevue, Charles retourna à Bruges,
+où les membres des états lui présentèrent un long mémoire. Ils y
+rappelaient que sous le règne du duc Philippe on avait toujours
+considéré comme indispensable l'adhésion préalable des états pour
+percevoir des taxes; qu'il était impossible de songer à une levée
+en masse; que les marchands, les ouvriers, les laboureurs étaient
+peu propres à porter les armes. Ils ajoutaient que ces mesures provoqueraient
+l'émigration des marchands étrangers, et déclaraient
+que la guerre était inconciliable «avec le fait de marchandise, ès
+laquelle marchandise ses très-nobles progéniteurs, passé quatre
+cents ans, à si grant soing et labeur de tous moyens possibles, se
+sont parforchiez d'entretenir ledit pays.» Mais le duc de Bourgogne
+<span class="pagenum"><a id="Page_113"> 113</a></span>
+refusa avec colère de prendre connaissance de leur réponse.
+«Si les docteurs de l'Eglise ne voient qu'un mensonge dans la conduite
+de ceux qui prétendent aimer Dieu en violant ses commandements,
+quel nom faut-il donner à celle des sujets qui désobéissent
+au prince en protestant de leur respect? Les Flamands
+traitent-ils donc le duc comme un enfant que l'on contente avec
+quelques pommes et de belles paroles? Pensent-ils être ses
+égaux ou se croient-ils eux-mêmes seigneurs et princes de leur
+pays? Si telle est leur opinion, ils ne tarderont point à se convaincre
+qu'ils se trompent. Chaque fois que le duc demande quelque
+service à la Flandre, il semble qu'il lui ôte les veines du
+corps. La Flandre n'est-elle pas le plus riche de tous ses pays?
+Toutes les taxes que l'on perçoit ne lui appartiennent-elles pas?
+La misère serait d'ailleurs une mauvaise excuse, puisque les
+Français, qui sont pauvres, aident bien leur roi.» En disant ces
+mots, il rendit aux députés des membres de Flandre leur mémoire
+justificatif. «Il ne m'en chault de vostre escript, répéta-t-il en les
+congédiant, faites-en ce que bon vous semble en respondez-y
+vous-mesmes, mais faictes vostre devoir.» Enfin il les avertit
+que s'il était réduit à recourir à des moyens de rigueur, sa vengeance
+serait si terrible et si prompte, qu'elle ne leur laisserait pas
+même le temps du repentir. Ces paroles violentes, qui pouvaient
+être fécondes en malheurs, purent seules engager les états à accorder
+un subside de cent mille ridders et la solde de quatre mille sergents,
+payables d'avance par tiers chaque année.</p>
+
+<p>Charles était impatient de retourner à Namur, pour aborder, de
+concert avec les Anglais, cette formidable invasion, qui semblait
+devoir ramener en peu de jours la puissante monarchie de Louis XI
+aux calamités des premières années de Charles VII. Cependant les
+Anglais étaient arrivés aux bords de la Somme sans que le connétable
+se fût déclaré en leur faveur, et les forteresses françaises étaient
+gardées par de nombreuses garnisons. Bien qu'Edouard IV eût
+campé pendant deux jours sur le champ de bataille d'Azincourt,
+rien ne lui présageait les rapides et éclatants succès dont ces lieux
+lui retraçaient la mémoire. Les députés des communes d'Angleterre
+qui l'accompagnaient, «hommes gros et gras,» dit Philippe
+de Commines, regrettaient déjà leur vie facile et oisive de Londres,
+et faisaient entendre des murmures. Une entrevue eut lieu entre
+les deux rois à Pecquigny. Si Louis XI à Péronne tremblait à l'image
+<span class="pagenum"><a id="Page_114"> 114</a></span>
+de Charles le Simple, retenu captif par Herbert de Vermandois, il
+eût pu se rappeler qu'à Pecquigny le comte de Flandre, Arnulf le
+Grand, avait fait assassiner Guillaume de Normandie. Louis XI
+avait cette fois fait établir une forte et solide barrière afin qu'elle
+protégeât sa liberté et sa vie. Loin de se souvenir de cette mémorable
+parole de Pierre de Brezé: «D'autant que vous querrez amour
+aux Anglois, vous serez hay des Franchois,» il ne songeait qu'à
+profiter de l'hésitation de ses ennemis pour répandre l'or à pleines
+mains; seize mille écus de pension furent répartis entre les principaux
+conseillers d'Edouard IV; et bientôt il parvint à détacher
+les Anglais de l'alliance du duc de Bourgogne, grâce à un traité,
+où, ne conservant pas même le titre de roi de France, il remettait
+soixante et douze mille écus aux Anglais et s'engageait à leur faire
+payer par la banque italienne des Médicis un tribut annuel de
+cinquante mille écus ou à leur abandonner la Guyenne pour la pension
+de la fille aînée du roi d'Angleterre, à laquelle le Dauphin
+Charles était promis: paix honteuse s'il en fut jamais, et de laquelle
+dépendaient, toutefois, le maintien de la puissance du roi de France
+et la ruine de celle du duc de Bourgogne.</p>
+
+<p>Lorsqu'on apprit en Flandre la retraite des Anglais, l'inquiétude
+propagée par les rumeurs publiques y fut si vive, qu'on jugea nécessaire
+de faire publier à Bruges, du haut des halles, un mandement
+qui défendait, sous peine de correction rigoureuse, de causer du
+départ des Anglais.</p>
+
+<p>Cependant le duc de Bourgogne accourut lui-même au camp
+d'Edouard IV, et lui reprocha d'avoir déshonoré la patrie des vainqueurs
+de Crécy et d'Azincourt en signant la paix avant d'avoir
+rompu une seule lance; mais le roi d'Angleterre lui rappelait l'absence
+du secours qu'il lui avait promis, et l'accusait de ne lui
+avoir fait traverser la mer que pour garder ses Etats de Flandre
+et d'Artois, tandis qu'il combattrait lui-même en Allemagne.</p>
+
+<p>Toute la colère du duc resta stérile: il était trop tard; il se vit
+réduit à signer, à Soleuvre, le 13 septembre 1475, une trêve de neuf
+ans. Louis XI, pour l'y engager, lui avait proposé de concourir à la
+ruine du comte de Saint-Pol qui avait tour à tour manqué vis-à-vis
+du roi au serment de lui rester fidèle, et à celui de le trahir
+vis-à-vis du duc de Bourgogne. Bien que Louis XI se trouvât
+lié à son égard par de nombreux traités, il ne les avait jamais
+confirmés par le serment sur la croix de Saint-Lô, le seul qu'il jugeât
+<span class="pagenum"><a id="Page_115"> 115</a></span>
+sérieux. Il avait même tenté récemment de le faire assassiner.</p>
+
+<p>Le duc Charles avait beaucoup aimé autrefois le comte de Saint-Pol;
+mais depuis longtemps il avait à se plaindre de sa conduite
+toujours incertaine et vacillante. L'espoir de recevoir, pour sa part
+dans ses dépouilles, tous ses meubles et ses châteaux de Saint-Quentin,
+de Ham, de Bohain et de Beaurevoir, l'engagea à consentir
+à sa perte: ce fut ainsi qu'en écoutant les conseils de son
+avarice plutôt que ceux de la prudence, il brisa pour soixante et
+dix ou quatre-vingt mille écus le seul obstacle qui pût arrêter
+au sud de ses frontières l'ambition de Louis XI, «occasion bien
+petite, dit Philippe de Commines, pour faire une si grande
+faute.»</p>
+
+<p>Nous trouvons peu de jours après un nouveau traité entre Charles
+et Louis XI; le premier déclare se contenter des villes de Ham, de
+Bohain et de Beaurevoir, et des meubles du connétable, sans rien
+réclamer de ses autres biens, à condition que le roi de France lui
+permettra de punir les habitants de Nancy, alliés de ceux du comté
+de Ferette, et de conserver toutes les conquêtes qu'il fera en Lorraine.
+Ce document, qui reproduisait la grande faute politique du
+duc de Bourgogne, en avait placé le châtiment dans le prix même
+qu'il s'était proposé en la confirmant par cette nouvelle convention.</p>
+
+<p>Le comte de Saint-Pol, ayant à opter entre la vengeance du roi
+de France et celle du duc de Bourgogne, se souvint de ses anciennes
+relations avec un prince dont il avait été longtemps l'ami et le
+compagnon d'armes, alors que, jeune encore, il formait avec lui le
+projet de chercher un asile à la cour de Charles VII: réduit à fuir
+pour se dérober à des périls non moins menaçants, il crut qu'il lui
+était permis d'espérer une généreuse hospitalité et n'hésita pas à se
+réfugier dans le Hainaut. En ce moment, le duc était absent, il
+s'était rapproché de l'Allemagne pour traiter avec l'Empereur; le
+chancelier Hugonet et le sire d'Humbercourt, à qui il avait laissé
+les soins du gouvernement, firent immédiatement arrêter le connétable,
+et chargèrent le comte de Chimay d'aller avec les sires
+d'Aymeries et de Maingoval le remettre au roi de France. L'influence
+des sires de Croy ne reparaissait que pour perdre la maison
+de Bourgogne.</p>
+
+<p>Les Croy avaient-ils reçu un ordre formel du duc Charles? Se
+hâtèrent-ils de livrer le connétable en vertu des liens secrets qui
+<span class="pagenum"><a id="Page_116"> 116</a></span>
+depuis longtemps les unissaient à Louis XI? En 1451, les communes
+flamandes accusaient déjà les sires de Croy: le jour n'est
+pas éloigné où elles reprocheront les mêmes trahisons au chancelier
+Hugonet et au sire d'Humbercourt, leurs amis et leurs complices
+dans l'immolation, froidement réglée et calculée d'avance, de l'infortuné
+comte de Saint-Pol.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, dix jours s'étaient à peine écoulés lorsqu'on
+vint tirer le connétable de la Bastille pour le conduire à la place
+de Grève, où deux cent mille spectateurs, accoutumés à applaudir
+à sa grâce et à son courage dans les tournois, n'avaient plus d'acclamations
+que pour saluer l'adresse du bourreau qui lui trancha
+la tête. Ainsi mourut ce fameux comte de Saint-Pol, issu de la maison
+impériale de Luxembourg, et lui-même beau-frère du roi de
+France et oncle du roi d'Angleterre. Jean de Popincourt, qui lui
+signifia la dure sentence du parlement, était ce même avocat qui
+avait servi de conseil sous le duc Philippe aux communes flamandes
+insurgées. Les passions populaires, représentées à la cour de Louis XI
+par la plupart de ses courtisans, deviennent entre ses mains la
+massue qui doit écraser les derniers débris de la féodalité.</p>
+
+<p>A peine Charles avait-il pris possession de la Lorraine que
+d'autres démêlés l'entraînèrent, les armes à la main, au milieu de
+la Suisse. Louis XI, qui ne cessait de travailler secrètement à
+former autour de la puissance bourguignonne une vaste ligue où
+venaient d'entrer les électeurs de Mayence et de Trèves, le duc de
+Saxe, le marquis de Brandebourg et l'Empereur lui-même, s'était
+rendu à Lyon, impatient de connaître le résultat de cette guerre.
+Il tarda peu à apprendre que l'on avait vu le duc de Bourgogne se
+retirer précipitamment vers les défilés du Jura, laissant sur le
+champ de bataille de Granson son armée, ses joyaux si précieux,
+sa nombreuse artillerie, ses immenses approvisionnements (2 mars
+1475, avant Pâques).</p>
+
+<p>Charles n'était point habitué au malheur, il ne put le supporter;
+sa raison s'égara, et lorsque les soins de son médecin Angelo Catto
+eurent quelque peu rétabli ses forces épuisées par la honte et la
+douleur, il ne songea qu'à recommencer la guerre. Il enrôla trois
+mille mercenaires anglais, et appela cinq mille hommes d'armes de
+la Flandre, six mille des bords de la Meuse, quatre mille de l'Italie.
+Il fallut en même temps pourvoir à de nouvelles ressources, à
+de nouvelles gabelles. Le mécontentement populaire se manifesta
+<span class="pagenum"><a id="Page_117"> 117</a></span>
+dans toute la Flandre par une secrète agitation; à Bruges, des placards
+séditieux furent affichés sur les maisons, et il y eut même
+quelques troubles. Enfin, au mois de mai 1476, les états de Flandre
+assemblés à Gand déclarèrent qu'ils ne pouvaient accorder la levée
+de dix mille hommes qu'on leur demandait comme destinée à combattre
+les Suisses.</p>
+
+<p>Déjà le duc de Bourgogne, se plaçant à la tête d'une armée réunie
+à la hâte, accourait vers le lac de Morat, pour livrer d'autres
+combats aux ligues helvétiques. Plus nombreuses qu'à Granson et
+encouragées par leur récente victoire, elles le défirent de nouveau
+le 22 juin 1476, et forcèrent son camp. Ce fut une horrible déroute:
+le duc de Somerset, capitaine des Anglais, le comte de Marle, les
+sires de Grimberghe, de Rosimbos, de Montaigu, de Bournonville,
+et d'autres vaillants chevaliers, y trouvèrent une mort glorieuse.
+Jacques Masch, écuyer flamand, qui portait la bannière du duc, se
+défendit longtemps sans qu'on pût la lui arracher, et tomba en la
+tenant serrée dans ses bras.</p>
+
+<p>Louis XI n'avait pas quitté Lyon, où il passait gaiement les loisirs
+que lui laissaient ses intrigues politiques avec deux femmes
+obscures, la Gigonue et la Passe-Fillon, dont il se montrait fort
+épris. Dès que la nouvelle de la bataille de Morat lui parvint, il
+ordonna, dans la joie qu'elle lui causa, que l'on répartît en son nom
+des dons considérables entre plusieurs églises; il envoya notamment
+douze cents écus à la chapelle de Notre-Dame d'Ardenbourg,
+et la Flandre vit déposer les offrandes d'un roi de France triomphant
+des malheurs de son propre prince sur ces mêmes autels qui avaient
+reçu d'autres offrandes le lendemain de la destruction de la flotte
+de Philippe de Valois.</p>
+
+<p>Charles s'était réfugié à Salins; il y convoqua les états du duché
+de Bourgogne, et les entretint avec une aveugle obstination de ses
+projets de vengeance, rappelant la constance des anciens Romains,
+dont la puissance s'était relevée après les désastres de Cannes et de
+Trasimène, jusqu'à les rendre les arbitres du monde: il ajoutait
+qu'il saurait se montrer, par son courage, digne d'appartenir à la
+race de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, et d'être lui-même
+le fils du duc Philippe, que l'on citait comme le plus vaillant prince
+de son temps. Il protestait d'ailleurs qu'il était faux qu'il eût épuisé
+ses ressources, et dépeignait en termes pompeux les richesses de
+ses provinces de Flandre et les immenses secours qu'elles pourraient
+lui fournir en or et en argent.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_118"> 118</a></span>
+La Bourgogne montra peu d'empressement à l'aider; si Charles
+se voyait abandonné de ses Etats héréditaires, il ne faut point s'étonner
+de l'opposition que les demandes réitérées du chancelier
+Hugonet rencontraient dans les cités flamandes. Les états de Flandre
+remontraient que le pays était accablé d'impôts, et qu'ils étaient
+bien résolus à ne plus secourir le duc ni d'hommes ni d'argent dans
+aucune de ses guerres; mais toutefois que s'il se trouvait menacé
+de quelque péril par les Allemands ou les Suisses, ils exposeraient
+leurs corps et leurs biens pour les ramener dans ses domaines de
+Flandre. Charles entra dans une fureur extrême en apprenant cette
+résistance; ses menaces (c'étaient les dernières qu'il dût faire entendre)
+s'adressaient aux députés des communes flamandes, qu'il
+appelait des traîtres et des rebelles qui apprendraient bientôt combien
+sa vengeance était terrible. Il ignorait qu'en ce moment les
+états de Flandre, prévoyant de plus en plus le sort réservé à sa témérité,
+envoyaient vers lui des hommes d'armes avec des convois
+d'argent et de vivres, non pas pour lui inspirer d'autres rêves de
+conquête, mais pour protéger sa retraite vers le Brabant ou le
+Hainaut: malheureusement, les neiges et les glaces les arrêtèrent
+au milieu des Ardennes.</p>
+
+<p>On était arrivé au c&oelig;ur de l'hiver; tandis que le duc de Lorraine
+s'enorgueillissait d'avoir reconquis Nancy, le duc de Bourgogne
+avait à peine réussi par de longs efforts à réunir quatre mille hommes,
+dont douze cents seulement étaient en état de combattre, et
+un grand nombre se débandèrent presque aussitôt, car il semblait
+que s'associer à la fortune de Charles le Hardi, ce fût désormais se
+condamner à la honte et aux revers. C'est avec ces débris de deux
+armées déjà détruites que, cédant au vertige qui s'est emparé de
+lui, il se prépare à livrer à une dernière épreuve sa puissance, sa
+liberté ou sa vie. Mille sentiments divers partagent ceux qui l'entourent:
+les uns, qu'a blessés son orgueil, voient avec joie le terme
+de l'autorité sous laquelle ils ont ployé; les autres, qui l'ont connu
+loyal et généreux au temps de sa prospérité, gémissent sur ses
+malheurs: ceux-ci s'efforcent en vain de guérir son obstination;
+ceux-là, moins dévoués à la cause de leur maître qu'aux intérêts
+de Louis XI, ne cherchent qu'à en profiter. L'un de ces derniers est
+le comte de Campo-Basso, gentilhomme banni du royaume de Naples.
+A l'époque du siége de Neuss, il a déjà offert au roi de tuer le
+duc ou de le livrer vivant entre ses mains; ces négociations ont été
+<span class="pagenum"><a id="Page_119"> 119</a></span>
+reprises peu de jours avant la bataille de Morat; mais ce n'est que
+quelques mois plus tard que le prix de la trahison du comte de
+Campo-Basso est fixé par Louis XI à soixante mille écus.</p>
+
+<p>Un accident imprévu faillit tout découvrir; on avait arrêté un
+gentilhomme, nommé Suffren de Baschi, qui servait d'intermédiaire
+entre le comte de Campo-Basso et le roi de France. Le duc avait
+ordonné de le faire pendre, mais le sire de Baschi se disposait à révéler
+tout ce qu'il savait pour sauver ses jours. «Allez supplier le
+duc en ma faveur, répétait-il, je lui dirai une chose telle qu'il
+donnerait un duché pour la savoir.» Par malheur le comte de
+Campo-Basso, qui redoutait ses aveux, s'opposa à ce que l'on allât
+rapporter sa prière au duc et eut soin de faire hâter son supplice.
+Il n'en jugea pas moins prudent de quitter bientôt le camp du duc
+de Bourgogne pour passer dans celui du duc de Lorraine, qui accourait
+de Bâle avec douze mille Suisses à la défense de Nancy. Il
+regrettait fort de ne pas avoir trouvé jusqu'à ce moment une occasion
+favorable pour exécuter la promesse qu'il avait faite au roi de
+France; mais il laissait dans l'armée bourguignonne des espions
+chargés de donner le signal de la fuite dès que le combat s'engagerait
+et prêts à profiter du désordre pour tuer le duc. Lorsque le
+comte de Campo-Basso se présenta au milieu des compagnons de
+René de Vaudemont, ils le regardèrent avec mépris et lui firent dire
+qu'il se retirât, parce qu'ils ne voulaient point avoir de traîtres au
+milieu d'eux.</p>
+
+<p>La matinée du 5 janvier 1476 (v. st.) fut froide et sombre; la
+neige blanchissait la plaine et voilait la glace des ruisseaux; cependant
+Charles exhortait ses archers à bien combattre et prenait
+les dernières dispositions pour la bataille qui se préparait. Bien qu'il
+affectât de se montrer plein d'espoir dans le succès de la journée,
+un secret pressentiment semblait l'agiter: au moment où il avait
+saisi son casque pour le placer sur son front, le lion doré qui en
+formait le cimier s'était détaché, et on l'avait entendu s'écrier
+tristement: <i lang="la" xml:lang="la">Hoc est signum Dei</i>. L'histoire attribue le même mot
+à Manfred avant la bataille de Bénévent. On le vit bientôt pâlir,
+lorsque le son redoutable des fameuses trompes d'Uri et d'Unterwald
+lui annonça l'approche des vainqueurs de Grançon et de Morat.
+Le combat s'engageait déjà, et le grand bailli de Flandre, Josse
+de Lalaing, se voyait repoussé de la maladrerie de la Madeleine
+jusqu'au pont de Bouxières, tandis que Jacque Galeotti tombait au
+<span class="pagenum"><a id="Page_120"> 120</a></span>
+milieu des Italiens. Toute l'armée bourguignonne avait été culbutée
+dès le premier choc et rejetée en désordre entre la route de
+Luxembourg et les bords de la Meurthe. Charles avait disparu. Les
+uns rapportaient qu'on l'avait vu, déjà blessé d'un coup de hallebarde,
+se défendre avec courage; d'autres ajoutaient qu'au moment
+de la déroute il avait fait tourner bride à son cheval pour s'éloigner
+du champ de bataille.</p>
+
+<p>Ce ne fut que deux jours après, le mardi 7 janvier, vers le matin,
+qu'on retrouva le corps du duc de Bourgogne dans l'étang de Saint-Jean;
+il portait les traces de deux blessures et était déjà à moitié
+pris dans la glace; les loups et les chiens avaient même commencé
+à le dévorer, de sorte que ses serviteurs eurent quelque peine à
+reconnaître leur malheureux prince: triste et mémorable exemple
+de la vanité de la puissance et de l'orgueil!</p>
+
+<p>Il ne paraît point, du reste, que les circonstances de la mort de
+Charles le Hardi aient jamais été exactement connues. On sait seulement
+que le comte de Campo-Basso, qui avait fait garder avec
+soin le pont de Bouxières et tous les passages par lesquels il aurait
+pu fuir, indiqua le page qui retrouva ses restes sanglants et mutilés,
+et que ce même page alla offrir au roi Louis XI, «en manière de
+présent,» le casque du duc de Bourgogne, d'où le lion de Flandre
+était tombé à l'heure qui précéda sa mort, comme le symbole de
+la force qui l'abandonnait.</p>
+
+<p>Le désastre de Nancy avait été terrible; il était irréparable; si
+la victoire de René de Vaudemont était la victoire de Louis XI,
+la fin de Charles le Hardi semblait devoir être celle de toute sa
+dynastie. Cependant, depuis le duché de Bourgogne jusqu'au sein
+des cités flamandes, une rumeur généralement accréditée rapportait
+que Charles le Hardi, loin d'avoir péri, s'était caché dans une
+retraite inconnue, comme Harold ou Baudouin de Constantinople,
+et qu'il ne tarderait point à reparaître dans tout l'éclat de son ancienne
+autorité. Les peuples qui naguère encore admiraient sa pompe
+et ses richesses, et s'inclinaient sous sa main sévère, ne pouvaient
+comprendre que ce prince altier, souverain de tant d'Etats, et
+redouté de tout l'Occident, se fût ainsi englouti avec toute sa puissance
+dans l'abîme que son imprudence lui avait préparé, au siége
+d'une faible ville de Lorraine, devant une armée de grossiers
+paysans des bords du Rhin, soutenus par quelques pauvres pasteurs
+des Alpes.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_121"> 121</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>LIVRE VINGTIÈME<br />
+<span class="medium">1476-1481.</span></h2>
+
+<hr class="deco" />
+<p class="subh">Marie de Bourgogne.&mdash;Troubles en Flandre.<br />
+Guerres contre Louis XI.</p>
+</div>
+
+<p>Quelques fuyards avaient réussi à traverser la Meurthe; il en était
+d'autres qui avaient échappé à la poursuite des Suisses en se cachant
+dans les bois. Ils s'accordaient à raconter qu'ils avaient vu le duc
+Charles de Bourgogne se précipiter au milieu de ses ennemis et
+disparaître dans la mêlée; mais l'on ne croyait pas à la vérité de
+ces bruits alarmants, et le 15 janvier, la duchesse Marguerite écrivait
+aux membres de la cour des comptes de Malines: «Par plusieurs
+nouvelles que avons de divers costez, nous entendons et
+espérons que, grâces à Dieu, il est en vie et santé.»</p>
+
+<p>Lorsque d'autres messagers, arrivés de Lorraine, confirmèrent la
+nouvelle du désastre de Nancy et celle de la mort de Charles le
+Hardi, les états de tous les pays «de par deça» se réunirent immédiatement
+à Gand. Devenus tout à coup dépositaires de l'autorité
+suprême que le duc de Bourgogne laissait, dénuée d'armée, de trésors
+et de tout moyen de défense, à une jeune princesse de dix-neuf
+ans, ils présidèrent à toutes les réformes qui furent proclamées en
+son nom, dans la mémorable charte du 11 février 1476 (v. st.), dernier
+écho de ces célèbres ordonnances qui avaient disparu au milieu
+même des discordes civiles du moyen-âge qui leur avaient donné
+naissance. Les communes étaient désormais appelées à protéger
+l'héritière de cette maison de Bourgogne qui n'avait cessé de les
+combattre et de les affaiblir.</p>
+
+<p>Les considérations sur lesquelles s'appuient ces réformes sont
+les mêmes en 1476 que les siècles antérieurs; elles ont pour but de
+faire cesser la misère du peuple, qui a vu fuir le commerce et l'industrie,
+et de rétablir la paix dont le besoin se fait vivement sentir
+<span class="pagenum"><a id="Page_122"> 122</a></span>
+après de longues guerres. Les états de Flandre les ont réclamées;
+l'évêque de Liége et le sire de Ravestein, que les liens du sang placent
+au premier rang dans le conseil de Marie de Bourgogne, s'y
+associent. Rien ne manque pour en légitimer la nécessité, pour en
+rendre la forme durable et solennelle: il faut, toutefois, quelque
+chose de plus pour que les institutions s'établissent ou se fortifient:
+c'est la convenance des temps, assez calmes pour que les
+périls du dehors ne compromettent pas l'&oelig;uvre de la paix intérieure,
+c'est la disposition des m&oelig;urs qui doit tendre à entourer d'ordre
+et de respect les bases encore chancelantes de l'autorité, c'est
+le dessein supérieur de la Providence.</p>
+
+<p>Le premier article de la charte du 11 février règle la formation
+d'un conseil supérieur composé par moitié de clercs et de nobles,
+qui représente tous les Etats de la duchesse de Bourgogne. Ce conseil
+renfermera vingt-deux membres, savoir: quatre pour la Flandre,
+quatre pour le Brabant, quatre pour la Hollande et la Zélande, deux
+pour l'Artois et la Picardie, deux pour le Hainaut, deux pour le
+Luxembourg, deux pour le Limbourg et les pays d'outre-Meuse,
+deux pour la Bourgogne, un pour le comté de Namur.</p>
+
+<p>A l'avenir, les membres des conseils établis dans les divers
+pays jugeront d'observer les priviléges du pays auquel ils appartiendront.</p>
+
+<p>Toutes les dispositions contraires aux priviléges seront considérées
+comme non avenues.</p>
+
+<p>Le grand conseil de Malines sera supprimé, et toutes les causes
+qui y avaient été portées seront rendues à leurs juges naturels.</p>
+
+<p>La duchesse et ses successeurs ne feront la guerre qu'après avoir
+pris l'avis des états; à défaut de leur consentement, leurs sujets et
+leurs feudataires ne seront pas tenus de les servir, et les relations
+commerciales ne seront point suspendues avec les pays étrangers
+que les états refuseraient de considérer comme ennemis.</p>
+
+<p>Dans le cas où les états résoudraient la guerre, les marchands
+appartenant aux pays ennemis obtiendront un sauf-conduit de
+quarante jours pour se retirer avec tous leurs biens.</p>
+
+<p>Le service militaire des vassaux et feudataires cessera aux
+frontières de leur pays; s'ils les dépassaient, leur solde devrait être
+payée par le prince.</p>
+
+<p>Les états pourront se réunir sans avoir besoin d'autorisation.</p>
+
+<p>Tout édit du prince sera nul, s'il est contraire aux priviléges.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_123"> 123</a></span>
+Les anciens priviléges qui règlent les questions de juridiction
+seront dorénavant observés.</p>
+
+<p>La vénalité des offices de justice est abolie.</p>
+
+<p>Il ne pourra être apporté d'obstacle ni de restriction à la circulation
+des marchandises. On n'établira point de nouveaux tonlieux,
+et tous ceux qui n'auraient point été approuvés par les états
+seront supprimés.</p>
+
+<p>Cette charte se termine par une formule conçue à peu près dans
+les mêmes termes que la plupart des documents publics appartenant
+à la période de la puissance communale de la Flandre. La
+duchesse de Bourgogne y déclare que dans le cas où les dispositions
+qu'elle a sanctionnées viendraient à être violées en tout ou en partie,
+elle permet et consent, tant pour elle que pour ses successeurs, que
+ses vassaux et ses sujets soient déliés de toute obligation de la
+servir et de lui obéir, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu le redressement
+de leurs griefs.</p>
+
+<p>Une autre charte de la même date appliquait les bienfaits de ces
+réformes aux besoins spéciaux et aux réclamations des communes
+de Flandre, plus pressantes que toutes les autres. Les députés
+des Quatre-Membres de Flandre avaient exposé, en protestant de
+leur zèle pour défendre l'héritage de Marie de Bourgogne, qu'il
+était urgent de rétablir les bonnes villes dans l'intégrité de leurs
+franchises, de leurs coutumes et de leurs usages, afin qu'elles restassent
+«en bon état, en police et en droit, puisqu'il était assez
+connu, ajoutaient-ils, que la Flandre n'est pas très-fertile, et que
+sa prospérité repose uniquement sur son commerce et sur son
+industrie, sur ses libertés et sur ses priviléges.» C'est à ce titre
+qu'ils obtiennent une nouvelle charte qui se réfère également aux
+anciens priviléges des bonnes villes. Nous y remarquons, outre
+quelques-unes des dispositions que nous avons déjà citées, celles
+qui établissent que toutes les affaires seront traitées en flamand,
+que l'unanimité du vote des membres de Flandre sera nécessaire
+pour la perception des impôts, que les monnaies devront être de
+bon aloi, que la chambre des comptes sera rétablie en Flandre,
+que les marchands étrangers circuleront librement dans le pays,
+et qu'il pourra leur être permis d'y résider, lors même qu'ils appartiendraient
+à une nation ennemie.</p>
+
+<p>D'autres chartes supprimaient les impôts créés par Charles le
+Hardi, rendaient aux tisserands et aux membres des petits métiers
+<span class="pagenum"><a id="Page_124"> 124</a></span>
+le droit d'élire leurs doyens et rétablissaient toutes les coutumes
+abolies en 1453.</p>
+
+<p>Enfin, le 15 février, on annula dans la salle de la Collace l'acte
+par lequel Philippe avait imposé aux Gantois la paix de Gavre et
+celui par lequel ils avaient accepté des mains de Charles le Hardi
+le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468.</p>
+
+<p>Ce fut au milieu de l'enthousiasme qui saluait dans ces diverses
+mesures la résurrection de la puissance des communes flamandes
+que Marie de Bourgogne fit son entrée solennelle à Gand, le 16 février
+1476 (v. st.). Un grand nombre de membres de métiers l'accompagnèrent
+jusqu'à l'église de Saint-Jean, où la formule du serment
+qu'elle devait prêter comme comtesse de Flandre lui fut
+présentée: «Vous jurez d'être bonne dame et comtesse de Flandre,
+de maintenir et de faire maintenir les droits de l'Eglise et de
+conserver les priviléges, libertés, coutumes, usages et droits du
+pays, tels que feu le duc Philippe, votre aïeul, les a jurés et que
+les bourgeois de Gand en ont joui conformément à la paix de
+Tournay jusqu'à l'année 1450, ainsi que les priviléges que vous
+avez vous-même octroyés; vous jurez aussi de révoquer et d'annuler
+toutes les charges imposées aux bourgeois de Gand depuis
+l'année 1450, de protéger les veuves et les orphelins, et de faire
+tout ce qu'une bonne comtesse de Flandre est tenue de faire;
+ainsi Dieu et tous ses saints vous soient en aide!»&mdash;«Je
+le jure,» répondit la fille de Charles le Hardi; et la cloche de
+Saint-Jean, que sa main ébranla à peine en s'appuyant sur une
+longue guirlande de roses qui descendait de la nef, fit entendre
+à cinq reprises, un faible et douteux tintement, ce qui parut au
+peuple assemblé autour d'elle le signe certain que son règne ne se
+prolongerait pas plus de cinq années.</p>
+
+<p>L'inauguration de la comtesse de Flandre ne précéda que de
+deux jours la réinstallation des échevins de Gand élus conformément
+au privilége de 1301, qui avait été confisqué par son père. Il
+faut citer, parmi les bourgeois que désigna l'élection municipale,
+Adrien de Raveschoot, Guillaume Rym, Roland de Baenst, Philippe
+Vander Zickele, Jean Vander Gracht, Simon Borluut, Simon Damman,
+Liévin Zoetamys, Liévin Uutermeere. A côté de ces noms
+illustres figurent ceux de Liévin Potter et de Thierri de Schoonbrouck.
+Gand croyait ne pouvoir mieux assurer sa liberté qu'en
+confiant le soin de la protéger à ceux qui avaient déjà versé leur
+sang pour la défendre.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_125"> 125</a></span>
+Tandis que les Gantois s'élevaient contre le traité de Gavre de
+1453, les doyens des métiers se réunissaient à Bruges pour protester
+avec la même énergie contre le traité d'Arras de 1437. Louis de la
+Gruuthuse, qui venait d'y être proclamé <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftman</i> avec Anselme
+Adorne et Jean Breydel, se rendit immédiatement à Gand et obtint
+de Marie la révocation de la sentence qui avait condamné les anciennes
+rébellions des Brugeois; grâce à ses paroles conciliantes,
+les métiers qui occupaient les places publiques consentirent à déposer
+les armes, et, le 7 mars, il parut au balcon de l'hôtel de ville,
+où il fit lire, en français et en flamand, la charte de la duchesse
+de Bourgogne. Aussitôt après, la sentence du duc Philippe fut
+lacérée en présence des doyens des métiers comme l'avait été à une
+autre époque le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de Jean sans Peur, et l'on annonça que les
+jours suivants on lirait publiquement les priviléges de la ville du
+haut des Halles. De bruyantes acclamations saluaient ces vieux
+parchemins conquis à Courtray, qui étaient en même temps pour
+les communes les titres de leur liberté et de leur gloire; elles redoublèrent
+lorsqu'on donna lecture d'un nouveau privilége octroyé
+le 13 mars par Marie de Bourgogne, qui rappelait ceux de Philippe
+de Thiette.</p>
+
+<p>Marie y déclare que les échevins et les doyens de Bruges lui ont
+remontré que leur ville repose principalement sur son commerce
+et ses métiers, et que depuis longtemps elle est renommée dans
+tous les royaumes étrangers comme l'étape de toutes les marchandises
+portées en Flandre, et elle consent, sur leur demande, à confirmer
+toutes les anciennes franchises de la cité et à lui en accorder
+de nouvelles.</p>
+
+<p>Les officiers des princes ne pourront plus siéger parmi les magistrats.
+La commune choisira elle-même six receveurs qui tous
+les quatre mois rendront compte de leur gestion. Le prince seul
+sera désormais exempt des droits d'accises.</p>
+
+<p>Les Brugeois ne seront soumis à aucun tonlieu dans toute l'étendue
+de la Flandre.</p>
+
+<p>Le Franc cessera de former un membre séparé pour redevenir
+une châtellenie placée sous l'autorité de Bruges.</p>
+
+<p>Le port de l'Ecluse reconnaîtra la suprématie des Brugeois, qui
+en occuperont les châteaux. Le bailliage des eaux sera fixé à Bruges.</p>
+
+<p>Les villages qui ne jouissaient pas autrefois du droit de faire
+des draps n'en fabriqueront plus désormais, et les ouvriers <i lang="nl" xml:lang="nl">haghe-poorters</i>
+<span class="pagenum"><a id="Page_126"> 126</a></span>
+seront tenus de se faire inscrire dans les métiers de la ville,
+où il ne sera plus permis d'entrer qu'après l'apprentissage prescrit
+par les anciennes coutumes.</p>
+
+<p>Les marchands étrangers ne pourront exposer en vente à Bruges
+que des marchandises étrangères. Bruges formera leur unique étape.
+La foire sera réduite comme autrefois à une durée de trois jours.</p>
+
+<p>Les magistrats de Bruges pourront prononcer des sentences de
+bannissement et d'amende.</p>
+
+<p>A l'avenir, quatre commissaires choisiront, au nom du prince,
+quatre échevins parmi les bourgeois et un dans chacun des neuf
+membres. Il en sera de même pour l'élection des conseillers. Les
+échevins et les conseillers nommeront les bourgmestres.</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'en peu de jours on avait vu s'effacer au sein des
+communes flamandes les traces de la domination des duc de Bourgogne
+pendant près d'un siècle.</p>
+
+<p>Cependant le soin des réformes intérieures ne pouvait faire
+oublier les périls et les menaces des invasions. Le bruit s'était répandu
+que Louis XI avait donné l'ordre de s'emparer de la Bourgogne,
+et qu'il rassemblait en même temps une armée aux bords de
+l'Oise. Dès le 18 janvier, Marie de Bourgogne et Marguerite d'York
+avaient adressé au roi de France une lettre où elles le priaient, en
+termes fort touchants, de ne pas rompre la trêve de neuf ans conclue
+à Soleuvre, qui durait à peine depuis dix-sept mois. «Très-redoubté
+et souverain seigneur, lui écrivaient-elles, tant et sy
+humblement que plus povons, nous nous recommandons à vostre
+bonne grâce et vous plaise savoir, nostre très-redoubté et souverain
+seigneur, que après que avons entendu la dure fortune qu'il a plu
+à Dieu nostre créateur permettre sur monseigneur et son armée à
+la journée qui a esté entre luy et le duc Renyer de Lorreine, laquelle
+nous a esté de si très-grand dueil et tristesse et angoisse
+que plus ne porroit, nous avons en ferme foy et crédence que
+vostre bonté et clémence est et sera telle envers nos désolées
+personnes et ceste maison de Bourgogne, laquelle par espécialle
+et singulière dilection vous avez tant amée et honnourée, et y
+estes volu venir et vous y tenir en démonstrant la fiance et amour
+que vous y aviez par-dessus toutes les maisons de la crestienté,
+que sans avoir regard aux questions et différences que l'ennemy
+de tous biens a semez de sa malice et mis par aucun temps entre
+vous et mondit seigneur, vous garderés et deffendrez de toute
+<span class="pagenum"><a id="Page_127"> 127</a></span>
+oppression et nous et la dite maison, et les pays et signouries
+d'icelles; par quoy jasoit ce que nous ayons entendu que aucuns
+de vos gens de guerre se soient avancés de sommer la ville de
+Saint-Quentin, et que autres se tyrent ès pays de Bourgogne,
+nous tenons fermement que ce ne procède de vostre sceu, ordonnanche
+et bon plaisir; car nous avons veu et congneu que ches
+deux précédentes fortunes que mondit seigneur avait eu à Granson
+et à Morat, vous qui estiez lors prochain de luy et en très-grande
+puissanche, et qu'il vous estoit chose facile de luy porter
+grand et irréparable dommage, le avez delaissiet de faire en
+entretenant la trève estant emprinse entre vous et luy, à vostre
+très-grant louenge et exaltation de vostre très-noble renommée,
+ce qui doit à chacun desmontrer que en ceste tierce fortune qui
+samble la plus grande, vous vouleriés tant moins souffrir par voz
+gens faire chose qui fust à la diminution de si grand louenge et
+renommée, meismement sur nous qui sommes désolées femmes,
+desquelles, comme de voz très-humbles petites parentes vous estes
+protecteur et ne nous porroit cheoir en pensée que en voulsissiez
+estre le persécuteur, mesmement de moy Marie à qui vous avez
+tant fait de bien et honneur que m'avez levée de saintz fontz de
+baptesme; aussy, nostre très-redoubté seigneur, la trève qu'il
+vous a plu prendre avecque mondit seigneur pour neuf ans a esté
+faite non seullement pour la personne de mondit seigneur, mais
+aussy expressément pour ses hoirs et ses successeurs, en laquelle,
+je Margarite comme sa veusve et je Marie comme sa seulle fille et
+héritière, sommes expressément comprinses et devons, comme il
+nous semble, joïr de l'effect d'icelle en demourant en entier des
+pays et signouries qu'il tenoit, combien que en ce cas nous ne
+voulons, ne entendons estre ne demourer en aucune guerre ou
+inimitié à l'encontre de vous, mais de tout nostre cuer et pouvoir,
+en toute obéissance, amour et bonne voulenté, sans difficulté,
+faire envers vous tout le devoir qu'il appartient. Et s'il y a aucunes
+choses, soient signouries ou villes, dont au dit cas, je Marie,
+comme vostre très-humble filleule, me dois départir et dont
+vostre très-noble plaisir soyt me faire par vostre très-grande
+clémence avertir, je le ferray sans aucun contredit. Et entendons
+bien en la conduite de tous noz affaires et de ceste maison, vous
+supplyer que puissions par vostre bonne grâce user de vostre conseil,
+ayde et confort. Si vous supplions, très-redoubté et souverain
+<span class="pagenum"><a id="Page_128"> 128</a></span>
+seigneur, en la plus grande humilité que possible nous est, que
+vostre plaisir soyt de faire cesser et depporter voz gens de guerre
+de aucune chose entreprendre sur les pays, villes et signouries
+de mondit seigneur, et de nous vouloir aydier et conforter comme
+celles quy de tout leur cuer vous désirent de obeyr, servyr et
+aimer.» Marguerite et Marie avaient signé: <em>Vos très-humbles
+subjectes et povres parentes</em>.</p>
+
+<p>Louis XI ne se laissa pas émouvoir par des supplications qui
+n'étaient à ses yeux qu'un aveu de faiblesse, et lorsque Jacques de
+Tinteville et Thibaut Barradot, porteurs du message des deux duchesses
+de Bourgogne, le rencontrèrent se dirigeant vers Péronne,
+il se contenta de leur répondre qu'ils trouveraient à Paris les gens
+de son conseil et qu'ils pourraient s'expliquer avec eux. Mais loin
+de les entendre, on leur donna des gardes qui ne les quittaient
+point. Quinze jours ou trois semaines se passèrent: enfin on leur
+permit d'aller rejoindre le roi dans la ville de Péronne que Guillaume
+Biche lui avait livrée. Ils y trouvèrent une ambassade solennelle
+que Marie de Bourgogne, de plus en plus alarmée, venait d'envoyer
+vers Louis XI pour le conjurer de nouveau de respecter la
+trêve de Soleuvre.</p>
+
+<p>Cette ambassade était composée des évêques de Tournay et d'Arras,
+de Guillaume de Cluny, coadjuteur de l'évêque de Térouane, de Louis
+de la Gruuthuse, qu'Edouard IV avait créé comte de Winchester,
+de Gui d'Humbercourt, comte de Meghem, de Wolfart de Borssele,
+comte de Grandpré, et de Guillaume Hugonet, chancelier de Bourgogne,
+auxquels s'étaient joints les représentants des trois bonnes
+villes. Elle venait offrir au roi de lui restituer tous les territoires
+cédés par les traités d'Arras, de Conflans et de Péronne, et de reconnaître
+la juridiction du parlement de Paris. Louis XI ne se souvenait
+plus des terreurs qui l'avaient agité dans cette même ville
+de Péronne à la vue de la vieille tour où avait été enfermé Charles
+le Simple. Il semblait que rien ne pût plus lui résister. Montdidier
+avait capitulé; Roye ne s'était pas mieux défendue; Mareuil, Doulens,
+Corbie, Vervins, Saint-Gobain, Marle, Beaurevoir, Braie,
+Bapaume, Landrecies, le Crotoy, Saint-Riquier, Montreuil, Ham,
+Bohain, Abbeville, lui avaient ouvert leurs portes et on avait vu se
+ranger sous ses bannières, à côté de Guillaume Biche, le bâtard de
+Rubempré, qu'il avait voulu autrefois exciter à un crime odieux, et
+le grand bâtard de Bourgogne, qu'il venait de racheter de sa captivité
+<span class="pagenum"><a id="Page_129"> 129</a></span>
+de Nancy. Evidemment il ne pouvait se contenter de la restitution
+des villes que la fortune de la guerre avait déjà remises entre
+ses mains, et il répondit sans hésiter aux ambassadeurs de la
+duchesse de Bourgogne qu'il ne consentirait à aucune trêve, «se ce
+n'estoit que préalablement la cité lez Arras feust mise en ses
+mains pour en joyr comme du sien propre et la conté de Boulenoys
+pour la tenir en ses dites mains au profit de celui qui droit y
+aura, et aussi que ouverture lui feust faite des villes et places
+fortes du pays d'Artois.»</p>
+
+<p>Le roi de France se préoccupait toutefois encore bien plus du
+comté de Flandre, dont il avait jadis admiré les richesses, que du
+comté d'Artois qui n'avait ni la même industrie, ni le même commerce.
+Il savait bien d'ailleurs que les états de Flandre exerceraient
+une influence prépondérante dans toutes les questions relatives au
+mariage de Marie de Bourgogne avec le Dauphin, mariage qu'en
+ce moment il désirait à tel point qu'il disait aux envoyés flamands
+que s'il pouvait se conclure, «non-seulement il leur accorderoit
+et donneroit ce qu'ils requerroient, mais du sien propre eslargiroit.»
+Il consentit même, pour leur plaire, à suspendre la guerre
+jusqu'au 2 mars, afin qu'on eût le loisir d'accepter ses propositions.
+Selon le récit des chroniqueurs contemporains, le roi de France
+combla de louanges et de caresses les députés de la Flandre. Tantôt
+«il buvoit à eulx et à ses bons sujés de Gand;» tantôt il
+offrait à Louis de la Gruuthuse «une comté de France bien meilleure
+que celle qu'il possédoit en Angleterre.» En même temps
+il affectait de traiter avec des sentiments tout opposés le sire
+d'Humbercourt, le chancelier Hugonet et Guillaume de Culny, qu'il
+savait être fort impopulaires en Flandre, et il leur disait, comme
+s'il eût partagé toutes les haines de nos communes, «qu'ils avoient
+perdu du tout leur gouvernement.» Il prétendait même que le
+sire d'Humbercourt était le véritable évêque de Liége, puisqu'il
+avait «levé et rechut tout l'argent du pays.» Louis XI cherchait à
+flatter les communes flamandes comme il flattait les bonnes villes
+suisses en se faisant inscrire dans leurs bourgeoisies: il voulait
+qu'elles le reconnussent pour tuteur de mademoiselle de Bourgogne
+et la remissent «en sa garde et tutelle;» mais ses tentatives
+restèrent sans fruit, et les envoyés flamands se bornèrent à déclarer
+qu'ils rendraient compte de leur mission à l'assemblée des états
+généraux qui siégeait à Gand.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_130"> 130</a></span>
+Au moment même où Louis XI raillait les conseillers de Marie
+de Bourgogne qui faisaient partie de l'ambassade de Péronne, ils
+s'acquittaient auprès de lui d'une mission plus secrète, et il semble
+que le roi de France ne les ait accueillis avec un apparent dédain
+que parce qu'il n'avait plus rien à leur demander. Philippe de Commines
+rapporte que Marie leur avait remis, par le conseil de sa
+belle-mère, la duchesse douairière de Bourgogne, des instructions
+particulières pour qu'ils soutinssent ses intérêts près du roi de
+France. Marie de Bourgogne était disposée à épouser le Dauphin,
+comme l'évêque de Liége, favorable aux vues de Louis XI, ne cessait
+de le lui conseiller, et c'était à l'insu des états qu'elle avait remis
+au sire d'Humbercourt et au chancelier Hugonet ces lettres
+importantes, précieux dépôt que semblait justifier la confiance
+que le duc Charles avait placée dans leur fidélité. Marie, en
+suivant l'exemple de son père, se trompait comme lui. Humbercourt
+et Hugonet s'occupèrent moins, à Péronne, de soutenir ses intérêts
+que de confirmer le traité particulier qui depuis longtemps les unissait
+à Louis XI. «Le dit chancelier et le seigneur d'Humbercourt,
+qui avoient esté nourris, dit Philippe de Commines, en très-grande
+et longue autorité, et qui désiroient y continuer et avoient
+leurs biens aux limites du roy, prestoient l'oreille au roy et à ses
+offres; et donnèrent quelque consentement de le servir et de tous
+poincts se retirent soubz luy, ledit mariage accompli.»</p>
+
+<p>Cependant les états généraux délibéraient à Gand sur ce qu'il y
+avait lieu de faire en présence des menaces et des prétentions de
+Louis XI. Leur premier soin avait été d'écrire aux habitants de
+Valenciennes, de Bouchain, du Quesnoy et de Saint-Ghislain, afin
+de les exhorter à résister vaillamment aux Français jusqu'à ce qu'on
+pût les secourir. Déjà Gui de Rochefort et Gui Perrot, envoyés en
+Artois, y avaient obtenu des nobles et des communes la promesse
+d'une adhésion énergique à tous les moyens adoptés pour la protection
+des frontières. Les états généraux avaient même résolu de
+réunir une armée de cent mille hommes sous les ordres du sire de
+Ravestein, et ils avaient ordonné que chaque province se chargeât
+de la solde de ses hommes d'armes et des frais relatifs aux achats
+de munitions, de vivres et d'approvisionnements. Mais il était plus
+que douteux que la Flandre pût terminer ses armements assez tôt
+pour repousser la redoutable armée du roi de France, et il paraissait
+sage, tout en s'efforçant de défendre l'Artois, de se prêter aux
+<span class="pagenum"><a id="Page_131"> 131</a></span>
+négociations relatives au mariage du Dauphin, dont l'accomplissement
+était nécessairement éloigné, afin d'attendre des événements
+quelque secours inespéré; les instructions données le 28 février
+1476 (v. st.) portaient uniquement «que les estas, considérans que,
+au moyen de ladite aliance de mariaige, tous différens entre le
+roy et madite damoiselle seroient apaisiez et s'en ensuivroient
+d'autres grands biens, se sont résoluz et concluz, du sceu et bon
+plaisir de madite damoiselle, d'entendre et de vacquer au fait
+de ladite aliance de mariaige;» et elles indiquaient, aussitôt
+après, une trêve comme conséquence de cette importante déclaration,
+que terminaient des protestations de fidélité et le désaveu de
+toute participation aux guerres du duc Charles, et même aux actes
+de son gouvernement, «comme bien ilz l'ont desjà desmontré en
+l'abolition du parlement de Malines.»</p>
+
+<p>Les principaux ambassadeurs choisis par les états généraux pour
+cette nouvelle mission étaient les abbés de Saint-Pierre et de Saint-Bertin,
+les sires de Ligne, de Maldeghem, de Dudzeele, de Bersele,
+de Welpen, maître Godefroi Hebbelinc, pensionnaire de Gand, et
+maître Godefroi Roelants, pensionnaire de Bruxelles. En s'arrêtant
+à Lille, ils apprirent que le sire de Crèvec&oelig;ur avait livré au roi de
+France la cité d'Arras, à peine séparée de la ville par une muraille
+et un rempart; ils eussent pu, dès ce moment, juger leur mission
+terminée, car il n'était plus permis d'espérer que Louis XI déposerait
+les armes pour s'endormir dans une longue trêve. Ils crurent
+toutefois devoir continuer leur voyage et se dirigèrent le 7 mars
+vers Lens, où ils attendirent deux jours un sauf-conduit. Enfin, ils
+arrivèrent dans la cité d'Arras, et furent immédiatement introduits
+près de Louis XI, qui les reçut dans une salle tendue de velours
+bleu semé de fleurs de lis d'or. Dès le commencement de l'audience
+ils furent obligés de s'excuser des termes employés dans leurs
+lettres de créance, que les gens du roi trouvaient trop peu respectueux,
+et l'abbé de Saint-Pierre prodigua assez inutilement son
+éloquence dans un discours où il exprimait le v&oelig;u que le roi fît
+retirer ses hommes d'armes pour que rien ne troublât l'affection
+que lui portaient ses sujets et leur désir de poursuivre les négociations.</p>
+
+<p>Louis XI parla beaucoup aux ambassadeurs de tout ce qui était
+étranger à leur mission. Il leur raconta son long exil dans les Etats
+du bon duc Philippe, ses griefs contre le duc Charles qui s'était
+<span class="pagenum"><a id="Page_132"> 132</a></span>
+fait rendre les villes de la Somme sans en restituer le prix, et n'avait
+jamais fait hommage des seigneuries tenues en fief de la couronne
+de France. Il protesta même qu'il n'aurait point réuni d'armée, s'il
+n'y avait pas été réduit par la résistance qu'il avait rencontrée
+dans les villes de la Somme et à Arras, où les bourgeois lui fermaient
+leurs portes; il déclara qu'il préférait pour son fils la main
+de mademoiselle de Bourgogne à celle de mademoiselle Elisabeth
+d'Angleterre et de mademoiselle Jeanne d'Aragon, héritière de plusieurs
+royaumes, et ajouta que s'il parvenait à assurer l'union de la
+France et de la Flandre, il ne redouterait plus ni les Turcs, ni les
+Anglais; il disait aussi qu'il aimait tant les Gantois qu'il entrerait
+volontiers seul dans leur ville, et qu'il serait si joyeux de voir s'accomplir
+le mariage du Dauphin et de mademoiselle de Bourgogne,
+«qu'il osteroit la couronne de son chief pour la poser sur le chief
+de son filz et de ma dite damoiselle, et se retraire en quelque
+lieu pour vivre en déduit en privé estat.» Mais tous ces beaux
+discours ne valurent pas aux envoyés des états généraux la moindre
+concession; on leur refusait fort gracieusement la trêve qu'ils demandaient
+à genoux.</p>
+
+<p>Louis XI modifia bientôt ses desseins. Depuis qu'il était entré
+dans la cité d'Arras, il persistait chaque jour davantage à exiger la
+remise des villes de l'Artois: mais il tenait beaucoup moins au
+mariage immédiat de son fils avec mademoiselle de Bourgogne,
+mariage si aisé à conclure, s'il avait consenti à modérer ses prétentions.
+Il s'était souvenu que le Dauphin était fiancé à une princesse
+anglaise, et jugeait d'autant plus périlleux de compromettre
+une de ses alliances les plus importantes, qu'il avait récemment
+appris qu'Edouard IV recherchait lui-même la main de Marie de
+Bourgogne, soit pour le duc de Clarence, soit pour lord Scales, gentilhomme
+d'une naissance obscure, mais frère de la reine Elisabeth.
+Louis XI bornait en ce moment ses efforts à obtenir du roi d'Angleterre
+qu'il renonçât à ce projet; dans ce but, il avait envoyé à
+Londres des ambassadeurs animés de son esprit, «bons clercs et
+bien experts, qui savoient bien tenir leur charge sans entrer en
+pratique,» pour lui proposer d'entretenir à ses frais toute une
+armée anglaise, s'il consentait à déclarer la guerre à sa s&oelig;ur et à
+sa nièce; à ce prix, Edouard IV devait réunir à ses domaines la
+Flandre et le Brabant. Le roi d'Angleterre répliquait que la Flandre
+et le Brabant étaient des pays difficiles à garder et qu'il préférait
+<span class="pagenum"><a id="Page_133"> 133</a></span>
+la Picardie et le comté de Boulogne; et les négociations se prolongeaient
+sans amener de résultats. Au même moment, Louis XI
+offrait les villes du Brabant aux princes des bords du Rhin, et
+n'était pas plus sincère dans les espérances qu'il leur faisait concevoir:
+il comptait bien ne se dessaisir en faveur de personne des
+Etats héréditaires de la maison de Bourgogne, et Philippe de Commines
+a soin de nous apprendre qu'il ne cherchait, en réclamant
+Elisabeth d'York pour son fils, qu'à gagner un mois ou deux «en
+dissimulations.» Si ce mariage s'était accompli, Henri VIII eût eu
+Louis XI pour aïeul.</p>
+
+<p>Au mois de mars 1476 (v. st.), le roi de France se considérait
+déjà comme le maître des riches provinces que convoitait son ambition,
+et il voyait dans les seigneuries et dans les fonctions qu'il
+voulait y donner à ses serviteurs un moyen de récompenser leur
+zèle. «Je compte,» disait Jean Daillon, que Louis XI avait surnommé
+maître Jean des habiletés, «être gouverneur de Flandre et
+m'y faire tout d'or.» En vain le duc de Bourbon osa-t-il dire à
+Louis XI qu'il ne pouvait l'aider dans son entreprise, «ne dissimulant
+point qu'il devoit donner un meilleur titre à ses armes que
+le simple désir de joindre le Pays-Bas à sa couronne;» en vain
+Philippe de Commines et plusieurs de ses conseillers, plus timides
+ou plus prudents, lui représentaient-ils, en gardant le silence sur
+le but de ses projets, que les moyens de l'atteindre étaient difficiles
+et douteux; il ne voulait rien entendre. Un homme lui avait dit que
+la Flandre ne pouvait lui échapper, et Louis XI ajoutait une foi
+entière à ses paroles, non-seulement parce qu'il prétendait bien
+connaître la Flandre, où il était né, mais aussi parce qu'il avait su,
+par certaines affinités de vices et de m&oelig;urs, se placer au premier
+rang dans son intimité.</p>
+
+<p>Cet homme était de Thielt et s'appelait Olivier Necker; mais ce
+nom, emprunté aux mythologies septentrionales, qui l'emploient
+pour désigner les génies malfaisants des eaux, avait été traduit par
+le nom d'Olivier le Diable ou d'Olivier le Mauvais, lorsqu'il devint,
+soit à Bruges, soit à Genappe, le collègue de Jean Wast, comme
+valet de chambre de Louis XI. A ces fonctions il joignait celle de
+barbier et assez souvent celle de collègue du prévôt Tristan l'Ermite
+dans l'exécution des sentences secrètes. En 1474, il avait reçu
+des lettres de noblesse et un nom de moins sinistre augure que le
+sien, celui d'Olivier le Dain, «afin qu'il ne fût plus loisible à aucun
+<span class="pagenum"><a id="Page_134"> 134</a></span>
+de plus le surnommer dudit surnom de Mauvais.» Enfin il
+avait été créé successivement gentilhomme de la chambre, capitaine
+de Loches, gouverneur de Saint-Quentin et comte de Meulan:
+si sa vanité n'avait plus rien à désirer, il manquait à sa gloire de
+livrer à l'autorité d'un prince absolu et violent ces grandes communes
+de Flandre, toujours si jalouses de leurs franchises et si
+hostiles au joug étranger. Ses espions s'étaient répandus de tous
+côtés, dans les villes, dans les bourgs, dans les campagnes; il s'était
+réservé à lui-même la mission la plus difficile: le soin d'engager
+par la persuasion la jeune duchesse de Bourgogne à se retirer en
+France, ou celui de réveiller les vieilles émeutes populaires qui, à
+tant de reprises, avaient agité les Gantois, afin que la nécessité la
+conduisît également à chercher un refuge dans la tour grillée du
+Plessis-lez-Tours. Cette menaçante alternative, qui devait, en laissant
+au Dauphin Elisabeth d'York pour fiancée, livrer Marie de
+Bourgogne comme prisonnière au roi de France, était en ce moment
+le secret de sa politique. Il avait jugé ce moyen habile, non-seulement
+pour conserver l'alliance des Anglais, plus utile que jamais,
+mais aussi pour arriver à l'exercice complet d'un droit de conquête
+bien préférable, à son avis, à des négociations où les communes
+flamandes eussent introduit mille réserves pour leur nationalité,
+leur indépendance et leurs libertés, en refusant sans doute de remettre
+la princesse Marie en des mains étrangères tant que le
+Dauphin, qui n'avait encore que six ans, n'aurait point atteint l'âge
+nubile. Peu de jours avaient suffi pour que Louis XI abandonnât
+toute pensée «de joindre à sa couronne toutes ces grandes seigneuries,
+où il ne pouvoit prétendre nul bon droit, par quelque traité
+de mariage, ou les attraire à soy par vraie bonne amitié; quoi
+faisant il eust bien enforcié son royaume.»</p>
+
+<p>Olivier le Dain, arrivé à Gand avec une suite de vingt-quatre
+chevaux, remit solennellement les lettres du roi de France à mademoiselle
+de Bourgogne, en présence du duc de Clèves, de l'évêque
+de Liége et de «plusieurs autres grands personnages.» Néanmoins,
+lorsqu'on l'invita à exposer le but de son ambassade, il répondit
+qu'il «n'avoit charge sinon de parler à elle à part.» On
+jugea cette demande peu convenable, puisqu'il était contraire à
+tous les usages de laisser ainsi une jeune princesse seule avec un
+homme aussi grossier. Olivier le Dain s'obstinait à ne pas vouloir
+s'expliquer; mais il ne put rien obtenir: on le menaça même de le
+<span class="pagenum"><a id="Page_135"> 135</a></span>
+contraindre à parler malgré lui. Il ne se voyait pas mieux accueilli
+près des bourgeois, qui avaient déjà recouvré tous leurs priviléges:
+il n'avait rien de plus à leur offrir. Après un séjour de peu de
+durée, pendant lequel toutes ses tentatives échouèrent, le barbier
+de Louis XI s'effraya du mépris qui s'attachait à sa mission et des
+huées qui flétrissaient son orgueil et son luxe, si différents de l'état
+d'abjection et de misère où on l'avait autrefois connu, et il ne
+tarda pas à s'enfuir à Tournay, de peur qu'on ne le noyât dans
+l'Escaut.</p>
+
+<p>La Flandre, qui, depuis tant de siècles, avait appris à redouter
+le joug étranger, était peu disposée à se soumettre à l'autorité de
+Louis XI. Elle avait assez souffert de la domination absolue des
+ducs de Bourgogne, pour ne pas rechercher celle d'un roi non moins
+puissant et habitué à disposer à son gré des impôts et des priviléges,
+sachant bien que ses m&oelig;urs perfides et soupçonneuses n'eussent
+jamais pu comprendre la fière et tumultueuse indépendance
+des communes flamandes.</p>
+
+<p>La mission d'Olivier le Dain se prolongeait encore au moment
+où Louis XI recevait dans la cité d'Arras les envoyés des états
+généraux. Le roi de France voulut agir sur eux comme il avait
+chargé son barbier d'agir sur les Gantois, en excitant entre la jeune
+duchesse et les communes des divisions favorables au but qu'il se
+proposait. Comme ils déclaraient que la princesse ne faisait rien
+sans le conseil des états, il s'empressa de les interrompre. «Vous
+connaissez mal ses intentions, leur dit-il; elle s'inquiète peu de
+vous, et ce sont d'autres avis qu'elle suit dans ses négociations.»
+Les ambassadeurs flamands protestaient que cela n'était point;
+mais Louis XI leur répondit qu'au-dessus des états il existait un
+conseil secret composé de quatre personnes, savoir: de la duchesse
+douairière, d'Adolphe de Clèves, sire de Ravestein, du sire d'Humbercourt
+et du chancelier Hugonet, et qu'il pouvait leur en donner
+la preuve écrite d'une main qu'ils ne sauraient méconnaître. Pour
+les en convaincre, il leur lut, à leur grand étonnement, les lettres
+que Marie de Bourgogne lui avait adressées à Péronne, et les leur
+remit pour qu'ils pussent les faire voir à leurs concitoyens. Il leur
+communiqua en même temps les lettres de décharge que le sire
+d'Humbercourt et le chancelier Hugonet avaient données au sire
+de Crèvec&oelig;ur pour hâter la capitulation de la cité d'Arras, et leur
+montra d'autres lettres émanant probablement de la même source,
+<span class="pagenum"><a id="Page_136"> 136</a></span>
+où on l'avertissait que le seul but de l'ambassade des états était
+de gagner du temps. Les députés furent de nouveau, comme ils
+l'avouent eux-mêmes, «fort perplex et esbahis et au vray ne scavoient
+que dire.» Ils quittèrent Arras le même jour (11 mars).</p>
+
+<p>Si nous avons déjà fait assez connaître le système politique de
+Louis XI dans les affaires de Flandre, système qui tendait à conduire
+par l'émeute la jeune princesse à l'exil et les communes à
+leur affaiblissement et à leur ruine, nous devons aussi chercher à
+expliquer comment il révélait lui-même aux députés des états de
+Flandre ce qu'il lui importait le plus, ce semble, de leur cacher
+avec soin. Il faut remarquer d'abord que la duchesse douairière
+désirait obtenir la main de Marie de Bourgogne pour un prince de
+sa maison, et que déjà des ambassadeurs anglais étaient arrivés à
+Gand pour prier mademoiselle de Bourgogne «qu'elle ne voulsist
+point prendre d'aliance de mariage avec les François, ses anchiens
+ennemis.» Adolphe de Clèves pouvait également chercher à
+favoriser son fils. En livrant leurs noms à l'indignation populaire,
+il écartait deux compétiteurs dont les prétentions étaient d'autant
+plus menaçantes qu'elles avaient leur siége plus près de l'héritière
+de Charles le Hardi. De semblables motifs n'existaient point à l'égard
+du chancelier de Bourgogne et de son ami; car ils ne cessaient
+de lui rendre d'importants services, notamment en lui faisant livrer
+la cité d'Arras. Néanmoins, Louis XI eût préféré qu'ils donnassent
+publiquement l'exemple de la trahison en quittant la Flandre pour
+aller rejoindre dans sa tente Guillaume Biche et le bâtard de
+Rubempré: tout ce qu'il avait dit à deux reprises aux ambassadeurs
+des états était un moyen de les y contraindre.</p>
+
+<p>Les députés des états généraux étaient rentrés à Gand le 13
+mars; mais les chansons et les concerts des ménestrels qui célébraient
+à l'hôtel de ville la joyeuse solennité de la mi-carême ne
+purent les empêcher d'entendre gronder autour du palais des magistrats
+les sombres murmures de la tempête populaire. Toute la
+ville était émue par la récente ambassade du barbier Olivier le
+Dain. Les rumeurs de trahison qu'elle avait fait naître s'étaient
+ranimées à son départ, en s'adressant, comme s'ils eussent été ses
+complices, aux hommes que l'on accusait d'avoir été les flatteurs de
+la domination bourguignonne. On voulait savoir, disait-on, quels
+étaient ceux qui, au mépris des priviléges de la ville, avaient signé
+le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468, et qui s'étaient rendus coupables de concussions
+<span class="pagenum"><a id="Page_137"> 137</a></span>
+pendant leur administration. Une enquête ouverte dans ce double
+but amena l'arrestation de plusieurs anciens magistrats: il faut
+nommer Roland de Wedergrate, Philippe Sersanders, Olivier
+Degrave, Pierre Baudins et Pierre Huereblock.</p>
+
+<p>Pierre Baudins, infirme et aveugle, avait contribué plus que
+personne à exciter contre les bourgeois de Gand la longue guerre
+qu'avait terminée le désastre de Gavre; Pierre Huereblock était le
+chef des <i lang="nl" xml:lang="nl">leverheeters</i> de 1467. Philippe Sersanders et Olivier
+Degrave avaient, en 1468, pris part à l'annulation des anciens priviléges
+de la ville et à l'humiliante démarche du Caudenberg, que
+Molinet place parmi les triomphes de Charles le Hardi; Roland de
+Wedergrate s'était, à cette époque, associé comme échevin aux
+mêmes actes, et avait été de plus le collègue du chancelier Hugonet
+et du sire d'Humbercourt dans l'ambassade de Péronne.</p>
+
+<p>Le même mouvement s'était reproduit à Ypres, à Mons, à Louvain,
+à Malines, à Bruxelles, et, dès ce moment, le douloureux spectacle
+des sentences criminelles et des supplices vint attrister les
+regards. A Gand, Pierre Huereblock fut décapité le 13 mars, c'est-à-dire
+le jour même du retour des ambassadeurs des états. Pierre
+Baudins monta le lendemain sur l'échafaud où la hache avait
+frappé autrefois Pierre Tincke et Louis Dhamere. Le 17 mars, périrent
+Roland de Wedergrate, Philippe Sersanders et Olivier Degrave.
+Leurs aveux avaient, selon le récit des chroniques flamandes,
+accru l'irritation populaire. D'un côté, le gouvernement de Charles
+le Hardi se révélait tel qu'il avait été dans ses dernières années,
+lorsque la destruction de ses armées et l'épuisement de ses trésors
+l'avaient précipité dans les voies de la violence et de l'oppression;
+d'un autre côté, il était aisé de reconnaître que la faiblesse à laquelle
+l'autorité avait été réduite tout à coup entre les mains de sa
+fille n'avait été qu'une source nouvelle d'intrigues et de trahisons.</p>
+
+<p>A cette date, la plus importante de la période si dramatique et si
+agitée qui suivit la mort de Charles le Hardi, se place une lettre
+des députés de Bruges qui siégeaient parmi les membres des états
+généraux. «Veuillez savoir, écrivaient-ils aux échevins qui étaient
+restés à Bruges, que depuis notre dernière lettre, les ambassadeurs
+récemment envoyés vers le roi se sont rendus en présence
+de mademoiselle de Bourgogne, des principaux de son sang et de
+quelques-uns de ses conseillers, et que l'on a aussitôt après discuté,
+en l'absence de mademoiselle, les questions suivantes: Mademoiselle
+<span class="pagenum"><a id="Page_138"> 138</a></span>
+de Bourgogne se trouve-t-elle liée par les lettres relatives
+à son mariage avec le fils de l'Empereur qui ont été montrées
+aux états, de telle sorte qu'elle ne puisse conclure aucune
+autre alliance? On a décidé que mademoiselle ne se trouve pas
+liée, attendu qu'elle s'est contentée de répondre qu'elle se conformerait
+à la volonté de son père, et qu'il est bien connu que diverses
+grandes matières devaient être réglées entre l'Empereur
+et le duc Charles avant que ce mariage s'accomplît. Le second
+point était celui-ci: Si mademoiselle de Bourgogne est libre de
+conclure une autre alliance, quelle est celle qui serait la plus
+utile à ses pays et à ses sujets? On remarqua que les possessions
+du fils de l'Empereur étaient bien éloignées des siennes, et par là
+d'un faible secours. On parla de l'alliance de l'Angleterre et du
+duc de Clarence, mais l'on répliqua que cette alliance serait fort
+mal prise par le roi de France, à cause des divisions qui existaient
+entre les Anglais et lui, et qu'il en résulterait pour les
+Etats de mademoiselle, qui relèvent de la couronne de France,
+une guerre perpétuelle; enfin l'on observa qu'aucune alliance
+n'était plus convenable que celle du Dauphin, que mademoiselle
+la désirait et qu'elle assurerait la paix et le repos de ses pays, vu
+que le roi était prêt, en cas de refus, à causer de grands dommages
+à ses pays, qui ne sont point, ce qui est fort lamentable,
+en état de faire quelque résistance. Quant au troisième point, qui
+se rapportait à l'ouverture des villes et forteresses d'Artois, il fut
+résolu que l'on prêterait serment de fidélité au roi jusqu'au moment
+de l'hommage de mademoiselle de Bourgogne, et que ladite
+ouverture s'effectuerait verbalement, sans que le roi pût introduire
+en Artois ses hommes d'armes. Le quatrième point était
+d'examiner, dans le cas où la question de l'ouverture des villes
+de l'Artois empêcherait le mariage, quels moyens l'on adopterait
+pour résister au roi de France. En effet, mademoiselle de Bourgogne
+a reçu hier, de divers lieux et par plusieurs députés de Béthune,
+les nouvelles les plus graves sur les entreprises que le roi
+fait chaque jour en Artois; elle a supplié, les mains jointes et les
+yeux remplis de larmes, le sire de Rumbeke et maître Jean de
+la Bouverie de se rendre près des membres des états pour réclamer
+des secours, offrant d'y employer sa propre personne et ses
+biens, et se plaignant fort de ce que ses sujets s'abandonnaient à
+leurs inimitiés mutuelles, au lieu de songer à protéger leurs
+<span class="pagenum"><a id="Page_139"> 139</a></span>
+biens, ce dont il résulterait évidemment qu'elle perdrait tout son
+héritage et serait elle-même livrée au roi, tandis qu'elle possède
+tant de beaux pays, couverts d'une nombreuse population qui y
+pourrait aisément porter remède. Elle ajoutait qu'elle ne voulait
+pas, pour ce motif, renoncer contre l'avis des états à l'alliance du
+Dauphin, mais qu'il ne convenait point que l'on eût recours à de
+semblables moyens pour la contraindre, et qu'il était nécessaire
+d'envoyer des secours à ceux qui les réclamaient. On délibérera à
+ce sujet aujourd'hui, et cette matière est si grande et si importante
+qu'elle ne saurait l'être davantage. Beaucoup de députés
+sont toutefois d'opinion que jamais l'on n'obtiendra du roi un
+traité favorable, à moins qu'on ne lève la main et que l'on ne présente
+le visage...»</p>
+
+<p>La séance des états était attendue avec une anxiété profonde:
+Marie de Bourgogne s'y était rendue, et l'on y remarquait les
+échevins de Gand et les doyens des métiers. Les ambassadeurs qui
+revenaient d'Arras y présentèrent la relation «de leur besoingné.»
+Ils y indiquaient vaguement ce qu'ils avaient appris sur la reddition
+de la cité d'Arras, sur certaines alliances et sur quelques
+lettres écrites par de grands personnages, se référant d'ailleurs
+«à ce qui est rapporté plus avant aux estats,» ou «à ce que est en
+la mémoire du reportant.» La discussion nécessita bientôt des
+explications plus complètes. La jeune duchesse de Bourgogne les
+écouta quelque temps en silence; mais, lorsqu'ils reproduisirent le
+récit de l'entretien qu'ils avaient eu avec le roi de France, elle
+s'écria vivement que tout était faux, et qu'ils ne prouveraient
+jamais que les lettres dont ils parlaient eussent été écrites. Cependant,
+l'un des ambassadeurs (c'était un pensionnaire de Gand,
+Godefroi Hebbelinc) montra les lettres mêmes qui avaient été
+adressées à Péronne, et les exposa à tous les regards; puis ils poursuivirent
+en citant les noms de la duchesse douairière de Bourgogne
+et du sire de Ravestein. Quand ils prononcèrent ceux d'Humbercourt
+et d'Hugonet, ces chefs du parti français, l'indignation publique,
+encore toute surexcitée par les supplices de la veille, éclata en
+sinistres murmures. La Flandre n'avait-elle pas été sans cesse
+menacée par les intrigues que des étrangers formaient pour sa
+perte? Humbercourt n'était-il pas Picard? Hugonet n'était-il pas
+Bourguignon? Quels étaient donc les services qui pouvaient justifier
+la fortune de la maison de Brimeu, à laquelle appartenait le
+<span class="pagenum"><a id="Page_140"> 140</a></span>
+sire d'Humbercourt? Son aïeul, Atis de Brimeu, avait été gouverneur
+du duc Philippe, et l'avait élevé dans la haine des franchises
+communales. On accusait son père, Jean de Brimeu, d'avoir trahi
+les Flamands au siége de Calais. Gui d'Humbercourt avait marché
+sur leurs traces; il avait été armé chevalier en luttant contre les
+Gantois à la sanglante journée d'Overmaire, en 1452; puis il avait
+présidé à l'exécution rigoureuse de la capitulation de Liége, qu'il
+avait préparée par ses fallacieux discours; et, afin de rendre plus
+cruelle aux Liégeois la perte de leurs priviléges, il les avait orgueilleusement
+contraints à les lui remettre dans une de leurs maisons,
+dont il s'était emparé par droit de confiscation, dans la maison
+même de leur héros, Rasse de Lintre. Enfin, il avait gouverné la
+Flandre au nom du duc Charles à l'époque des exactions les plus
+violentes, muni, dit-on, d'un blanc seing qui légitimait toutes ces
+sentences, vendant tantôt la justice aux bourgeois obscurs,
+l'invoquant tantôt pour perdre, sans égard pour son rang,
+le connétable Louis de Saint-Pol, aussi humble vis-à-vis du roi de
+France, qui l'avait gagné à ses intérêts, qu'il était altier à l'égard
+des communes, lorsqu'il venait réclamer de nouveaux impôts.
+Hugonet n'avait-il pas eu part à la même autorité, et ne s'était-il
+pas associé aux-mêmes actes? Sorti pauvre et obscur de la Bourgogne,
+et devenu tour à tour chancelier, vicomte d'Ypres, seigneur
+de Saillant, d'Epoisses, de Lys, de Middelbourg, pouvait-il justifier
+la possession de tant de riches domaines? Guillaume de Cluny,
+leur confident et leur ami, n'avait-il pas exercé sur l'esprit du duc
+Charles une si funeste influence que le duc Philippe en avait lui-même
+compris les dangers, lors de la retraite de son fils en Hollande?
+C'étaient toutefois ces mêmes hommes, comblés des bienfaits
+de la maison de Bourgogne, qui avaient livré la ville d'Arras,
+ce boulevard des frontières flamandes, où le duc Philippe avait
+jadis imposé ses volontés à Charles VII, et le bruit s'était répandu
+qu'ils n'étaient rentrés à Gand qu'afin d'enlever la jeune duchesse
+Marie pour la remettre au roi de France.</p>
+
+<p>Il ne restait aux membres des états généraux qu'à se séparer des
+traîtres pour combattre Louis XI. La guerre était moins périlleuse
+que leur influence; elle était devenue une nécessité, et la commune
+de Gand prit aussitôt l'initiative de la résistance, en se hâtant de
+réunir du salpêtre, des serpentines, des veuglaires, des arbalètes,
+des glaives, des maillets, des tentes et des étendards de soie ornés
+de franges d'or.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_141"> 141</a></span>
+Hugonet et Humbercourt n'assistaient point à cette assemblée.
+Seule au milieu des membres des états qu'elle avait trompés et de
+la foule tumultueuse des bourgeois qui abhorraient le nom de son
+père, Marie de Bourgogne invoquait pour sa justification sa jeunesse
+et son malheur: elle protestait qu'elle n'avait jamais voulu se séparer
+de la commune; elle offrait aux métiers de leur rendre leurs
+bannières; elle invoquait le témoignage de ceux à qui elle déclarait,
+deux jours auparavant, le visage baigné de larmes, que si l'alliance
+du Dauphin était utile, il ne fallait point l'acheter au prix
+de la honte de la Flandre. Sa voix faisait tressaillir des c&oelig;urs que la
+vue du sang ne touchait plus. La commune déclara tout d'une voix
+qu'elle oubliait les torts de la jeune princesse, et celle-ci pardonna
+également aux trois membres de Gand toutes les offenses dont ils
+avaient pu se rendre coupables vis-à-vis d'elle. En vertu de cette
+réconciliation solennelle, les bourgeois quittèrent immédiatement
+la place publique et les métiers reprirent leurs travaux au son de la
+cloche, qui avait, depuis longtemps, cessé d'en donner le signal.</p>
+
+<p>Dans la nuit suivante, le premier échevin de la keure, Adrien de
+Raveschoot, qui avait réclamé, en 1467, pour les trois membres de
+Gand la restitution de leurs franchises, alla arrêter, au nom des
+états généraux, ceux qui, dès ce moment peut-être, avaient conseillé
+à Charles le Hardi de les anéantir. Le chancelier Hugonet fut saisi
+dans son hôtel: on découvrit dans la chartreuse de Royghem le
+sire d'Humbercourt et le protonotaire de Cluny, qui avaient réussi
+à sortir de la ville. Bien que Gui d'Humbercourt revendiquât le
+privilége des chevaliers de la Toison d'or de n'être jugés que par
+des membres de l'ordre, et que les deux autres invoquassent le respect
+que méritaient leur hautes dignités dans l'Eglise et dans la
+magistrature, ils furent immédiatement conduits au Gravesteen.</p>
+
+<p>L'inquiétude s'était un peu calmée depuis que l'on avait appris
+que Louis XI avait dirigé son armée vers le comté de Boulogne,
+dont il voulait faire hommage à Notre-Dame, en la priant de le
+choisir pour son avoué; mais cette tranquillité ne fut pas longue:
+des messagers accourus en toute hâte annoncèrent bientôt que l'armée
+française se préparait à envahir la Flandre. Lens avait été enlevé
+d'assaut; le sire de Chimay se disposait à livrer Béthune aux
+ennemis; Raoul de Lannoy parlementait aussi pour leur remettre ce
+fameux château d'Hesdin, que le duc Philippe avait orné avec un
+si grand luxe, et l'on avait, disait-on, entendu Louis XI jurer, par
+<span class="pagenum"><a id="Page_142"> 142</a></span>
+la Pasque-Dieu, qu'il mènerait son armée en Flandre aussi loin que
+le duc Charles avait mené la sienne en France. Une lettre adressée
+aux états de Flandre par les échevins de Tournay sur les dangers
+qui menaçaient cette ville ne semblait pas plus rassurante.</p>
+
+<p>A ces tristes nouvelles, toutes les corporations courent aux armes
+(27 mars); elles se pressent de nouveau sur la place publique et
+déclarent qu'elles ne se retireront point tant que l'on n'aura pas
+jugé le chancelier Hugonet et le sire d'Humbercourt, qui ont donné
+l'exemple et le conseil de la trahison; et avec eux, Guillaume de
+Cluny, qui a été leur complice, et Jean de Melle, ancien trésorier de
+la ville, dont le procès n'a pu être instruit avant le 18 mars, parce
+qu'il s'est caché pendant quelque temps dans le pays d'Alost. Les
+bruyantes clameurs de la multitude irritée, réunie en <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i>
+selon le vieux droit communal, retentirent pendant toute la nuit;
+le lendemain, Marie de Bourgogne céda au mouvement populaire
+qu'elle ne pouvait plus apaiser. Par une charte scellée, à la demande
+des trois états de tous les pays de par-deçà, assemblés à Gand, elle
+chargea huit commissaires, choisis parmi les mandataires des diverses
+provinces, d'instruire le procès des prisonniers du Gravesteen
+avec le concours des délégués des magistrats de Gand. Les
+huit commissaires nommés par la duchesse de Bourgogne étaient
+Everard de la Marck, sire d'Aremberg, Pierre de Roubaix, Philippe
+de Maldeghem, Henri de Witthem, seigneur de Bersele, Jacques
+de Mastaing, Jacques Uuterlymmingen, Jean d'Auffay, maître des
+requêtes, et Arnould Beuckelare.</p>
+
+<p>Déjà les clercs des échevins parcouraient les rues, en invitant, à
+son de trompe, quiconque aurait quelque grief à produire contre le
+sire d'Humbercourt, le chancelier Hugonet et Jean de Melle, à se
+présenter devant les commissaires des états. De nombreux chefs
+d'accusation furent proposés et discutés: les principaux étaient,
+outre la trahison qu'on leur reprochait, l'abus des blancs seings que
+le duc Charles leur avait confiés, les exactions qui leur avaient
+permis de réunir, en même temps que le trésor s'épuisait, plus de
+richesses que n'en possédaient la plupart des princes; les conseils
+par lesquels ils n'avaient cessé, disait-on, d'exciter le duc à de nouvelles
+guerres, afin que la prolongation de son absence éternisât
+l'autorité dont il les avait investis à son départ, tandis qu'en retenant
+à leur profit une partie des taxes extraordinaires levées en
+Flandre, ils contribuaient à préparer le désastre de Nancy.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_143"> 143</a></span>
+Trois jours s'étaient écoulés, lorsque les rumeurs qui s'étaient
+répandues sur la marche du procès du Gravesteen apprirent à la
+jeune duchesse de Bourgogne la condamnation prochaine de ces
+hommes en qui elle ne voyait que les anciens serviteurs de son père.
+Bien qu'elle n'eût en ce moment autour d'elle que leurs ennemis,
+parmi lesquels il faut citer le comte de Saint-Pol, dont ils avaient
+livré le père aux bourreaux de Louis XI, elle résolut de tenter un
+dernier effort pour les sauver; et, ne prenant conseil que d'elle-même,
+elle courut d'abord à l'hôtel de ville, près des échevins, puis
+au Marché du Vendredi, au milieu des métiers réunis sous leurs
+bannières. Lorsque, après avoir traversé la foule, vêtue de deuil et
+ne portant sur son front pâle d'angoisse et de douleur qu'un simple
+voile, d'où se déroulaient ses cheveux épars, elle monta à l'<i lang="nl" xml:lang="nl">Hooghuys</i>
+et parut à cette même fenêtre où Hoste Bruneel avait, dix années
+auparavant, pris place à côté de Charles le Hardi, un mouvement
+de pitié se manifesta à sa vue; il redoubla quand elle s'adressa à la
+commune et aux métiers assemblés, les conjurant par les larmes et
+les plus humbles prières de renoncer au jugement des prisonniers
+du Gravesteen. «N'oubliez pas, leur disait-elle, que je vous ai pardonné
+tout ce dont vous aviez pu vous rendre coupables vis-à-vis
+de moi; pardonnez également à ceux qui peuvent s'être rendus
+coupables de quelque délit contre vous.» Déjà quelques voix se
+mêlaient à la sienne; déjà deux partis se formaient sur la place publique.
+Les uns étaient résolus à punir, les autres espéraient pouvoir
+pardonner; et l'on voyait les piques se croiser pour maintenir
+la rigueur des lois ou pour lui faire succéder la clémence, quand
+une clameur plus forte et plus énergique rappela à Marie de Bourgogne
+que son premier devoir était de punir le riche comme le
+pauvre, l'homme puissant comme l'homme faible et obscur. «Et
+lors s'en retourna, dit Philippe de Commines, ceste pauvre demoiselle
+bien dolente et desconfortée (lundi 31 mars).»</p>
+
+<p>Le procès du sire d'Humbercourt et du chancelier Hugonet
+continua: on leur demanda pourquoi ils avaient engagé le sire de
+Crèvec&oelig;ur à livrer la cité d'Arras. On les interrogea sur un don
+considérable d'argent qu'ils avaient reçu dans un procès entre un
+bourgeois et les anciens magistrats de la ville; on leur reprochait
+enfin de fréquentes violations des priviléges de Gand, crime irrémissible
+que la mort pouvait seule expier. Les accusés ne répondirent
+rien sur le premier chef, alléguèrent sur le second que, s'ils
+<span class="pagenum"><a id="Page_144"> 144</a></span>
+avaient reçu de l'argent, ils ne l'avaient point demandé, et se justifièrent
+sur le troisième en remontrant que c'était le duc Charles
+qui avait enlevé aux Gantois un grand nombre de leurs franchises,
+et que cette accusation ne pouvait les atteindre, puisqu'ils n'étaient
+point bourgeois de la ville de Gand. Dans ce siècle où régnait
+Louis XI, où écrivait Philippe de Commines qui plaçait la vertu
+dans l'habileté et dans le succès d'une haute fortune, Humbercourt
+et Hugonet avaient cru pouvoir servir à la fois le roi de France et
+le duc de Bourgogne: ils ne voyaient dans les communes de Flandre
+que des ennemis, et dans ce procès qu'un acte de violence.</p>
+
+<p>La mission des juges touchait à son terme; le 3 avril 1476 (v. st.),
+jour de la solennité du jeudi saint, les trois prisonniers du Gravesteen
+saluèrent, à travers les grilles de leur prison, les pâles rayons
+d'une aurore qui pour eux devait être la dernière. Gui d'Humbercourt
+était resté fier et courageux comme s'il eût attendu la mort,
+non sur un échafaud, mais sur un champ de bataille. Il se souvenait
+des héros de ces romans de chevalerie que le duc Charles
+aimait à lui entendre lire à haute voix, et ne songeait qu'à imiter
+leur noble fermeté dans le malheur. Guillaume Hugonet, plus
+calme, plus résigné, cherchait des consolations dans les préceptes
+des théologiens et des philosophes, et dans les souvenirs de sa
+longue expérience. Si sa conscience lui reprochait quelque faiblesse,
+il était soutenu par la conviction profonde que la haine aveugle du
+peuple avait présidé plus que la justice à sa condamnation, et ce fut
+avec une noble et touchante sérénité qu'il employa ses derniers
+moments à consoler sa femme et ses enfants, retenus eux-mêmes
+prisonniers par la commune de Malines. «Ma s&oelig;ur, ma loyale amie,
+je vous recommande mon âme de tout mon c&oelig;ur. Ma fortune est
+telle que j'attends de aujourd'hui mourir, comme l'on dit, pour
+satisfaire au peuple. Dieu, par sa bonté et clémence, leur veuille
+pardonner et à tous ceux qui en sont cause, et de bon c&oelig;ur je
+leur pardonne. Mais, ma s&oelig;ur, ma loyale amie, pour ce que je
+sens la douleur que vous prendrez pour ma mort, tant à cause
+de la séparation de notre cordiale compagnie, comme pour la
+honteuse mort que j'aurai souffert, je vous prie que vous veuilliez
+conforter sur deux choses: la première, que la mort est commune
+à toutes gens, et plusieurs l'ont passée en plus jeune âge;
+la seconde, que la mort que je soutiendrai est sans cause et sans
+que j'aie fait chose pour laquelle j'ay desservy la mort: par quoi
+<span class="pagenum"><a id="Page_145"> 145</a></span>
+je loue mon Créateur qu'il me donne grâce de mourir en ce glorieux
+jour qu'il fut livré aux Juifs pour souffrir sa passion tant
+injuste... Escript ce jeudi sainct, que je croy estre mon dernier
+jour.»</p>
+
+<p>Le chancelier de Bourgogne avait à peine terminé cette lettre
+d'adieux à sa femme, qu'au moment de quitter la terre il n'appelait
+plus que sa s&oelig;ur, lorsqu'on vint le réclamer pour le conduire avec
+Gui d'Humbercourt et Jean de Melle dans la salle où l'on soumettait
+à la torture les accusés qui refusaient de reconnaître leur crime,
+usage qui reposait sur ce principe du droit criminel du moyen-âge,
+que l'aveu du coupable était nécessaire pour qu'il pût être condamné.
+L'acte des aveux des trois accusés fut dressé: quelle qu'en eût été
+la valeur pour ceux qui les obtinrent, ils furent aussitôt après conduits
+à la <i lang="nl" xml:lang="nl">vierschaere</i>, où leur sentence fut proclamée. En vain
+déclarèrent-ils interjeter appel au parlement de Paris; en vain le
+sire d'Humbercourt invoqua-t-il de nouveau les immunités particulières
+des chevaliers de la Toison d'or: on ne leur accorda que
+quelques moments pour régler les derniers soins de cette vie et se
+préparer à une vie nouvelle; et, peu après, le chancelier et son ami
+quittèrent successivement le Gravesteen pour se rendre au Marché
+du Vendredi. Là s'élevait l'échafaud où il n'y avait aucune tenture
+de deuil, mais rien qu'un peu de paille, comme si les condamnés
+eussent été les coupables les plus obscurs. Un fauteuil y avait été
+toutefois placé pour Gui d'Humbercourt, qui ne pouvait plus se
+tenir debout, tant son corps avait été brisé par les rigueurs de la
+torture qu'il avait fallu épuiser avant d'affaiblir son courage. Le
+bourreau, maître Guillaume Hurtecam, n'avait jamais touché de sa
+hache des têtes aussi illustres; la vengeance populaire croyait, en
+les frappant, condamner toute la domination bourguignonne.</p>
+
+<p>Jean de Melle avait péri sur le même échafaud: Guillaume de
+Cluny fut plus heureux; son jugement avait été remis aux fêtes de
+Pâques; il réclama les priviléges de ses fonctions ecclésiastiques,
+et ne fut condamné qu'à un emprisonnement, dont il s'affranchit
+quatre mois plus tard en payant une amende.</p>
+
+<p>Il faut ajouter que, par une déclaration du 4 avril, semblable à
+celle qu'elle avait signée le 18 mars, après le supplice d'Huereblock
+et de Baudins, Marie pardonna aux Gantois toutes les offenses commises
+contre sa hauteur et seigneurie dans le procès dont elle avait
+<span class="pagenum"><a id="Page_146"> 146</a></span>
+elle-même, disait-elle, abandonné aux échevins le soin et la direction.</p>
+
+<p>Le lendemain, la jeune princesse s'éloigna des murs de Gand,
+encore pleine des tristes images des tortures et des supplices, pour
+se rendre à Bruges, où elle était attendue impatiemment: on l'avait
+toutefois entendu répondre aux députés de cette ville: «Si vous
+voulez me conduire de <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i> en <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghe</i>, j'aime mieux
+rester à Gand;» et il avait fallu, pour la rassurer, de vaines
+protestations, que rien ne devait confirmer. A Bruges comme à
+Gand, mille rumeurs de trahison troublaient tous les esprits, et
+elles venaient de se réveiller au bruit que Marie de Bourgogne avait
+confirmé par de nouveaux priviléges ceux que les habitants du
+Franc possédaient déjà comme quatrième membre du pays. C'étaient
+de tristes auspices pour son arrivée dans ce palais de Bruges qui
+conservait encore les traces de la puissance de ses ancêtres. Lorsqu'elle
+se rendit à l'église de Saint-Donat pour recevoir les serments
+des bourgeois en échange des siens, de bruyantes clameurs interrompirent
+les hymnes sacrées. «Il faut que nous sachions d'abord,
+s'écriait-on de toutes parts, si l'on a supprimé le quatrième
+membre et si l'on a replacé les populations du Franc sous l'autorité
+de Bruges.» Le tumulte était si grand que la cérémonie ne
+put s'achever; mais Marie de Bourgogne fit publier le même jour une
+ordonnance où elle déclarait que, prenant en considération la nécessité
+de rétablir l'ancienne organisation communale de la Flandre et
+de détruire les funestes résultats des modifications qui y avaient
+été apportées, elle abolissait, pour satisfaire aux griefs des Brugeois
+et sur l'instante prière des habitants du Franc eux-mêmes, le quatrième
+membre créé par son aïeul le duc Philippe.</p>
+
+<p>Les métiers s'étaient déjà réunis en armes sur la place du Marché,
+malgré les sages exhortations de messire Louis de la Gruuthuse.
+On avait répandu le bruit que dans plusieurs districts du
+Franc on refusait d'accepter le rétablissement de la suprématie de
+Bruges. Les sires de Moerkerke et de Ghistelles étaient les chefs
+de cette résistance. Le bailli reçut l'ordre d'arrêter le premier, mais
+il eut le temps de fuir: le second fut livré par les habitants d'Oudenbourg.
+Le 13 avril 1477, les communes du Franc vinrent renouveler
+à Bruges leur acte d'adhésion de 1436, et, deux jours après,
+les échevins se rendirent à Gand pour recevoir des mains du grand
+bailli Jean de Dadizeele les chartes qui avaient réglé la constitution
+<span class="pagenum"><a id="Page_147"> 147</a></span>
+du quatrième membre de Flandre. L'agitation n'avait pas cessé,
+lorsqu'une ambassade, envoyée par l'empereur Frédéric III, entra
+à Bruges le 16 avril, vers le soir. Elle était composée de l'archevêque
+de Trèves, de l'évêque de Metz, du duc de Bavière et du
+chancelier de l'Empire. Louis de la Gruuthuse et Philippe de Hornes
+la reçurent solennellement à la clarté des torches et la conduisirent
+au palais. Là les envoyés allemands demandèrent, au nom de l'empereur
+Frédéric, qu'on donnât suite aux projets de mariage entre son
+fils Maximilien et la duchesse Marie, que le duc Charles avait lui-même
+approuvés.</p>
+
+<p>L'ambassade de Péronne avait, par son sanglant dénoûment, renversé
+l'influence de Marguerite d'York, qui avait fait espérer à des
+princes anglais la main de «la plus grande héritière qui fust en son
+temps.» Elle avait surtout à jamais ruiné les prétentions des
+partisans de l'alliance française. Tous les Bourguignons qui avaient
+été attachés au service de Charles le Hardi avaient reçu l'ordre de
+quitter la Flandre, et l'on avait retenu comme otage l'évêque de Liége,
+Louis de Bourbon, qui, avant de ceindre, à dix-huit ans, la mitre
+que porta Henri de Gueldre, avait été, à peine âgé de quatorze ans,
+doyen de Saint-Donat de Bruges. Louis de Bourbon avait été autrefois
+le prisonnier des Liégeois excités par Louis XI: c'était au contraire
+un zèle aveugle pour les intérêts du roi de France que lui
+reprochaient les communes flamandes.</p>
+
+<p>Les intrigues des partisans de Louis XI semblaient si complètement
+étouffées que madame d'Halewyn, bien que parente du sire
+de Commines, disait tout haut que le Dauphin était trop jeune
+pour que l'on pût songer à lui. Marie elle-même ne cachait point
+qu'elle était bien résolue à ne pas devenir la fille d'un prince indigne
+de la confiance qu'elle avait placée, infortunée orpheline,
+dans le lien spirituel qui le lui désignait pour protecteur: «J'entends,
+avait-elle dit, que monsieur mon père régla mon mariage
+avec le fils de l'Empereur; je n'en veux point d'autre.» Les
+ambassadeurs allemands reçurent une réponse favorable. Leur présence,
+l'importance de leur mission, la gravité des intérêts qui
+devaient dépendre de son succès, calmèrent le peuple. Marie se
+montra sur la place du Marché au milieu des métiers en armes,
+entourée des députés de la ville de Gand, qui étaient venu jurer
+l'alliance des deux grandes cités flamandes. A sa voix, les bourgeois
+rentrèrent paisiblement dans leurs foyers, et l'on sonna toutes les
+cloches pour célébrer le rétablissement de la paix.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_148"> 148</a></span>
+Marie en profita pour se rendre, le 18 avril, à l'hôtel des échevins,
+où elle promit de respecter les priviléges de la ville tels qu'elle
+venait de les renouveler. Aussitôt après, eut lieu l'élection des
+magistrats, conformément aux anciennes coutumes de la Flandre,
+pendant si longtemps abolies. Les quatre commissaires de la duchesse
+choisirent les treize échevins, cinq parmi les bourgeois et les
+huit autres parmi les membres des métiers et des corporations. Les
+échevins élurent ensuite entre eux le bourgmestre. Il se nommait
+Jean de Keyt. Ces usages remontaient, selon la tradition populaire,
+à l'époque de Baudouin le Barbu. Après avoir fécondé le berceau
+des communes de Flandre, ils reparaissaient pour jeter un dernier
+rayon sur leur déclin et leur décadence.</p>
+
+<p>Trois jours après, le duc de Bavière fiança la duchesse Marie au
+nom du duc Maximilien d'Autriche. Selon la coutume suivie dans
+ces cérémonies, il se reposa un instant sur un lit d'apparat à côté
+de la princesse, qui n'avait pas quitté sa robe de fiancée: une épée
+nue l'en séparait, et quatre archers veillaient à ce qu'elle ne fût
+point déplacée.</p>
+
+<p>Le même jour (21 avril 1477) on publia, à l'occasion de ces
+fiançailles, une nouvelle charte où les franchises des Brugeois étaient
+confirmées et augmentées. Leurs libertés devaient désormais être
+confiées à la garde des <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmannen</i> et des doyens; une milice municipale
+de chaperons rouges était établie pour veiller à la paix
+intérieure; le siége de la châtellenie du Franc était fixé à Bruges,
+et aucun privilége ne pouvait lui être accordé sans le consentement
+des échevins de cette ville. On y lisait aussi que les mandements
+du comte, de ses conseillers ou du parlement de Paris, seraient
+dorénavant communiqués aux corps de métiers par les échevins le
+lendemain du jour où ils les auraient reçus, et que les possesseurs
+du tonlieu de Bruges seraient tenus, ainsi que l'amiral de Flandre,
+d'équiper des navires pour protéger le commerce maritime, en chargeant
+des échevins qui résideraient dans les ports de réprimer
+sévèrement tous les délits qui en troubleraient la sécurité.</p>
+
+<p>La Flandre, attaquée par la France, menacée par l'Angleterre,
+croyait ses franchises assurées parce qu'une jeune orpheline,
+faible héritière de tant de princes redoutés, lui avait rendu quelques
+chartes qui remontaient à la journée de Courtray. Elle avait foi
+dans son courage, parce qu'elle combattait sous ses vieilles bannières,
+qu'elle s'était hâtée de faire chercher à Notre-Dame de
+<span class="pagenum"><a id="Page_149"> 149</a></span>
+Boulogne et à Notre-Dame de Halle. De toutes parts un vif enthousiasme
+se manifestait sans entraves. Les milices communales se
+mettaient en marche au son des cloches. A Gand, six échevins se
+placèrent à la tête des connétablies appelées à prendre part à la
+guerre: elles avaient pour chef le bâtard d'Herzeele, héritier d'un
+nom illustre dans les fastes militaires des communes flamandes.</p>
+
+<p>Le même zèle s'était répandu de l'atelier des corps de métiers à
+l'opulente demeure du bourgeois, du château crénelé du noble à
+l'humble chaumière du laboureur. Ici l'on chantait:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Galans de Picardie,</p>
+<p>De Flandres et d'Artois,</p>
+<p>De Haynau la jolie,</p>
+<p>Et vous de Boulenois,</p>
+<p>Cueilliez trestous corage</p>
+<p>A léaument servir</p>
+<p>La dame et l'iretage</p>
+<p>Qui lui doit partenir.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Chelle jone princhesse,</p>
+<p>Que Dieu vueille garder!</p>
+<p>Tous c&oelig;urs de gentillesse</p>
+<p>Se doivent préparer</p>
+<p>A servir la pucelle,</p>
+<p>Princhesse du pays,</p>
+<p>Et tenir sa querelle</p>
+<p>Contre ses ennemys.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Ne soiez en doutance,</p>
+<p>Car Dieu qui est là sus</p>
+<p>Nous baillera vengange...</p>
+<p>Che seroit vitupère</p>
+<p>Et grant mal à porter,</p>
+<p>Qui n'a père, ne mère</p>
+<p>Volloir deshireter.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Notre querelle est bonne</p>
+<p>Se le roy a Péronne</p>
+<p>Et ses gens sur les champs.</p>
+<p>Il n'y a rien pris par force,</p>
+<p>Pour quoy doïons douter...</p>
+<p>Se le roy a des lanches</p>
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_150"> 150</a></span></div>
+<p>Bien quatre mil ou plus,</p>
+<p>Nous avons des balanses</p>
+<p>Pour les peser tous sus;</p>
+<p>Mailles et piquenaires</p>
+<p>Si ne nous fauront point</p>
+<p>Pour les ferre retraire.</p>
+</div></div>
+
+
+<p>Ailleurs on répétait en ch&oelig;ur cette prière:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Saint Donat, saint Boniface, saint Eloy,</p>
+<p>Impétrez-nous victoire contre le roy</p>
+<p>Qui riens ne tient, ne sçel, ne foy.</p>
+</div></div>
+
+<p>Il semblait que personne ne désespérât du salut de la patrie,
+parce que chacun était prêt à y concourir de ses efforts et de son
+sang.</p>
+
+<p>En vain la plupart des capitaines des châteaux et des forteresses
+se vendaient-ils successivement à Louis XI; en vain l'araignée
+venimeuse cachée dans les fleurs de lis multipliait-elle ses invisibles
+réseaux: les vers que Chastelain avait écrits sous le duc Philippe
+étaient devenus une prophétie:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Lyon rampant en croppe de montaigne</p>
+<p>A combattu l'universal araigne.</p>
+</div></div>
+
+<p>Les populations se signalaient dans les plus petits bourgs et jusque
+dans les villages par une résistance énergique. Les paysans
+interceptaient les convois ou s'assemblaient dans les bois; on vit
+même des femmes, tombées au pouvoir des Français, déclarer
+qu'elles mourraient plutôt que de crier: «Vive le roi!» La moitié
+de la ville d'Arras se défendit deux mois après que l'autre moitié
+eût été livrée par le sire de Crèvec&oelig;ur: les bourgeois avaient
+repoussé toutes les propositions qui leur avaient été adressées, en
+déclarant qu'ils ne se soumettraient que sur l'ordre exprès de la
+duchesse de Bourgogne. Un sauf-conduit leur avait même été
+accordé pour qu'ils envoyassent des députés vers elle; mais Louis XI
+les fit arrêter à Lens et conduire à Hesdin, où Tristan l'Ermite fut
+chargé de surveiller leur supplice. Parmi ceux-ci se trouvait un
+notable bourgeois d'Arras, nommé Oudart de Bussy, auquel le roi
+avait inutilement offert, peu de temps avant, afin de le gagner, une
+charge de conseiller au parlement de Paris: sa mort réjouit fort le
+<span class="pagenum"><a id="Page_151"> 151</a></span>
+roi de France. «Ceux dudit Arras, écrit-il à l'un de ses conseillers,
+s'étaient assemblés bien vingt-deux ou vingt-trois, pour aller en
+ambassade devers mademoiselle de Bourgogne; ils ont été pris
+et les instructions qu'ils portoient, et ont eu les testes tranchées,
+car ils m'avoient faict une fois le serment. Il y en avoit un entre
+les autres, maistre Oudart de Bussy, à qui j'avois donné une
+seigneurie en parlement. Et afin qu'on cogneut bien sa teste,
+je l'ay faict atourner d'un beau chaperon fourré et est sur le
+marché d'Hesdin, là où il préside.» Le supplice d'Oudart de Bussy
+n'empêcha point le sire d'Arcy et Salazar de s'enfermer à Arras; et
+la ville se défendit si vaillamment contre l'armée française qui vint
+l'assiéger et la garnison qui occupait la cité, que Louis XI se hâta,
+dès qu'il s'en fut rendu maître, d'en chasser tous les habitants, sans
+en excepter les moines de l'abbaye de Saint-Vaast. Leurs maisons
+et leurs biens furent confisqués au profit d'une population nouvelle
+appelée de la Normandie, et le nom de la ville d'Arras fit place à
+celui de Franchise, que Marie de Bourgogne eût eu le droit de lui
+donner comme le prix de son courage, mais qui n'était qu'une dérision
+amère imposée par Louis XI pour compléter une &oelig;uvre de spoliation
+et de ruine.</p>
+
+<p>Le roi de France avait espéré qu'il s'emparerait aisément des
+importantes châtellenies de Lille, de Douay et d'Orchies, que gardaient
+des hommes d'armes peu nombreux, débris mutilés de la
+malheureuse armée de Nancy; mais le triomphe même des Suisses,
+qui avaient vaincu le duc de Bourgogne aussi bien que les ducs
+d'Autriche, était une leçon dont avaient profité les populations
+flamandes: la défense d'Arras éclaira Louis XI sur la résistance
+qu'il allait rencontrer comme tant d'autres rois de France qui, longtemps
+avant lui, avaient attaqué la Flandre, et aussitôt après, à
+leur exemple, il ordonna la convocation de l'arrière-ban dans tout
+le royaume.</p>
+
+<p>Cependant Louis XI ne cessait de joindre aux avantages que lui
+promettait la supériorité de ses forces ceux que son habileté lui
+assurait tantôt par la corruption secrète, tantôt par la persuasion
+et les perfides ambages d'un langage insinuant. «Mes amis, disait-il
+aux habitants du Quesnoy, si je viens en ce pays, ce n'est que
+pour votre plus grand profit et dans l'intérêt de mademoiselle de
+Bourgogne, ma bien-aimée cousine et filleule. Personne ne lui
+veut plus de bien que moi, et elle s'abuse grandement en ne
+<span class="pagenum"><a id="Page_152"> 152</a></span>
+mettant point en moi sa confiance. De ses méchants conseillers,
+les uns veulent lui faire épouser le fils du duc de Clèves: c'est
+un prince trop faible et trop peu illustre pour une si glorieuse
+princesse. Je sais d'ailleurs qu'il a à la jambe un mauvais ulcère:
+il est de plus ivrogne comme tous les Allemands, et, après avoir
+bu, il lui brisera son verre sur la tête et la battra. D'autres veulent
+l'allier aux Anglais, ces anciens ennemis du royaume qui
+sont tous de mauvaise vie. Enfin il en est qui veulent lui donner
+pour mari le fils de l'Empereur. Ces princes de la maison impériale
+sont les plus avares du monde. Ils emmèneront mademoiselle
+de Bourgogne en Allemagne, terre étrangère et grossière
+où elle ne connaîtra aucune consolation, tandis que votre terre
+de Hainaut demeurera sans seigneur pour la gouverner et la défendre.
+Si ma cousine était bien conseillée, ajoutait-il, elle épouserait
+le Dauphin; ce serait un grand bien pour votre pays; vous
+autres Wallons, vous parlez la langue française; il vous faut un
+prince de France et non pas un Allemand. Pour moi, j'estime les
+gens du Hainaut plus que toutes les nations du monde. Il n'y en
+a pas de plus nobles, et, selon moi, un berger du Hainaut vaut
+mieux qu'un grand gentilhomme d'un autre pays.» Il les entretenait
+aussi de ses bonnes intentions à leur égard, et leur rappelait
+le sage gouvernement du duc Philippe, leur vantant son affection
+et sa reconnaissance pour lui, et se découvrant même chaque fois
+qu'il prononçait son nom.</p>
+
+<p>Toutes ces belles paroles semblaient peu dignes de foi: lorsque,
+peu après la mort de Charles le Hardi, le sire de Commines s'était
+entremis pour exciter une rébellion en Hainaut, Louis XI avait
+obstinément refusé de confirmer les priviléges de ce pays. Un événement
+récent témoignait également du peu de respect que le roi de
+France portait aux franchises les plus anciennes et les moins contestables.
+Tournay avait, en payant un impôt annuel, obtenu des
+rois de France un droit de neutralité qui lui permettait en temps de
+guerre de faire librement le commerce et de fermer ses portes à
+toute garnison. Olivier le Diable, honteux du mauvais succès de sa
+mission à Gand, avait profité de sa présence à Tournay pour corrompre
+quelques bourgeois. Le 23 mai, une porte fut livrée au sire
+de Mouy, capitaine de Saint-Quentin; la ville perdit ses libertés, et
+ses magistrats furent conduits à Paris, où ils restèrent captifs tant
+que le roi vécut.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_153"> 153</a></span>
+Louis XI, réduit à recourir à ces intrigues, parce que les succès
+qu'il devait à la force des armes lui semblaient trop lents, regrettait
+déjà, comme nous l'avons vu par son discours aux habitants du
+Quesnoy, d'avoir négligé le mariage du Dauphin et de Marie, ce
+moyen qu'il eût dû préférer à tous les autres pour réunir à ses Etats
+ceux de la duchesse de Bourgogne, parce qu'en politique les plus
+aisés et les plus simples sont toujours les meilleurs. Ce fut pour
+apaiser le ressentiment de Marie, si indignement trompée dans la
+confiance qu'elle avait placée en lui, qu'il exprima le 16 mai, dans
+des lettres patentes de réhabilitation, toute l'indignation qu'il
+éprouvait du supplice d'Hugonet et d'Humbercourt dont il était la
+première cause: il engageait en même temps le sire de Lannoy,
+oncle du capitaine d'Hesdin, à tenter un dernier effort dans le conseil
+de la duchesse pour faire rompre son mariage avec le duc
+d'Autriche.</p>
+
+<p>Les partisans de l'alliance française étaient devenus de plus en
+plus rares dans les Etats de Marie de Bourgogne. La Flandre la repoussait
+en vertu de toutes les traditions de son histoire; le Hainaut
+et les autres provinces où l'on parlait français ne lui étaient pas plus
+favorables, parce que leur situation plus voisine des frontières du
+royaume leur permettait de mieux connaître l'oppression et la misère
+qui y régnaient. Ce qui éloignait surtout les esprits d'un traité
+avec la France, qu'aurait sanctionné l'union de Marie et d'un prince
+français, c'était la triste expérience des malheurs qui avaient été
+la suite du mariage de Marguerite de Male et de Philippe le Hardi.
+Le faste, l'orgueil, l'ambition du duc Charles étaient encore des
+souvenirs trop récents pour que la Flandre pût songer à se choisir
+pour maître le Dauphin de France, ou même à reconstituer une
+autre dynastie des ducs de Bourgogne.</p>
+
+<p>On se méfiait d'ailleurs si profondément de la sincérité du roi
+de France que plus ses promesses étaient magnifiques, plus elles
+semblaient illusoires et perfides. Quelle que fût la solennité des
+serments par lesquels il s'engageât, on savait bien avec quelle facilité
+il était porté à les violer, et tout traité conclu avec lui ne pouvait
+être considéré que comme un piége destiné à perdre ceux qui
+s'y laisseraient imprudemment entraîner.</p>
+
+<p>Les émissaires de Louis XI purent aisément se convaincre que
+des partis rivaux qui tendaient à empêcher le mariage de Marie de
+Bourgogne avec Maximilien, il n'en était que deux qui possédassent
+<span class="pagenum"><a id="Page_154"> 154</a></span>
+quelques chances de succès; l'un soutenait les titres de Philippe
+de Ravestein, de la maison de Clèves; l'autre favorisait le duc de
+Gueldre, Adolphe d'Egmont, que les communes avaient délivré de
+sa prison au château de Courtray.</p>
+
+<p>Philippe de Ravestein était arrière-petit-fils de Jean sans Peur
+par son aïeule, et du roi Jean de Portugal par sa mère. Il avait été
+élevé avec sa cousine à la cour de Bourgogne; on ajoutait qu'elle
+l'aimait; mais il était sans puissance, et l'on était loin des temps
+où l'on avait vu un de ses ancêtres arriver seul, dans une barque
+traînée par un cygne, pour délivrer une jeune orpheline menacée
+par ses ennemis.</p>
+
+<p>Adolphe d'Egmont était beau et plein de courage; quelques voix
+lui reprochaient ses longs démêlés avec son père; d'autres cherchaient
+à le justifier en blâmant le vieux duc de Gueldre qui, après
+l'avoir dépouillé, malgré les pleurs de sa mère, de son légitime
+héritage, l'avait livré captif au prince qui l'usurpait. Adolphe
+d'Egmont était veuf de Catherine de Bourbon, s&oelig;ur d'Isabelle de
+Bourbon, mère de Marie de Bourgogne.</p>
+
+<p>Dans les premiers jours de mai 1477, le sire de Ravestein résolut
+de mettre à profit l'influence qu'il exerçait à la cour et le temps qui
+devait s'écouler avant l'arrivée de Maximilien. Son premier soin
+fut d'écarter le duc de Gueldre, rival plus dangereux, parce qu'il
+n'avait pas quitté la Flandre, et il réussit à obtenir l'ordre de le
+faire reconduire dans sa prison de Courtray; mais le duc de Gueldre
+se fit inscrire au nombre des bourgeois de Gand, et les communes,
+à qui il devait la liberté, la lui conservèrent en invoquant leurs
+priviléges.</p>
+
+<p>Tandis qu'Adolphe de Clèves, déçu dans ses espérances, se voyait
+réduit à se retirer en Allemagne, le duc de Gueldre devenait de
+plus en plus populaire. Loin de profiter de l'affection des communes
+pour vendre plus cher sa trahison à Louis XI, il ne songeait qu'à
+la mériter, en se plaçant à leur tête pour combattre les Français.</p>
+
+<p>Lorsque, dans les premiers jours de juin, les milices communales
+se réunirent à Menin, le duc de Gueldre se plaça à leur tête. Les
+Gantois obéissaient à Jean de Dadizeele; les capitaines des Brugeois
+étaient Louis de la Gruuthuse, Jacques de Ghistelles et Pierre
+Metteneye. Déjà le château de Chin avait été enlevé, lorsqu'un
+désastre imprévu vint ruiner toutes les espérances qui reposaient
+sur cette expédition. Les Flamands, après avoir brûlé le village de
+<span class="pagenum"><a id="Page_155"> 155</a></span>
+Maire et le faubourg de Sept-Fontaines se préparaient à former le
+siége de Tournay, grande entreprise dans laquelle Jacques d'Artevelde
+lui-même avait échoué. Le duc de Gueldre ayant appris que
+les capitaines français Colard de Mouy, François de la Sauvagière
+et Jean de Beauvoisis étaient sortis de Tournay pour l'attaquer, se
+porta au devant des hommes d'armes ennemis et se plaça presque
+seul au delà du pont de Chin, avant que les siens eussent pu le
+suivre. Jean Van der Gracht l'engageait à se retirer, mais il ne
+voulut point l'écouter: «A Dieu ne plaise, disait-il, que jamais
+l'on me voie fuir ou rendre mon épée; je combattrai jusqu'à ce
+que je triomphe, ou je mourrai.» François de la Sauvagière remarqua
+l'imprudence du duc de Gueldre; il s'élança vers lui avec
+quarante lances, et, l'arrachant tout couvert de sang des bras de
+Jean Van der Gracht, frappé mortellement à ses côtés, il l'emporta
+sur son cheval, en présence des hommes d'armes flamands, trop
+éloignés pour s'y opposer. Le duc de Gueldre rendit bientôt le
+dernier soupir, et on l'inhuma dans l'église de Notre-Dame, où son
+cercueil fut déposé dans un caveau construit au treizième siècle
+pour Jean de Vassoigne, évêque de Tournay sous Philippe le Bel.</p>
+
+<p>On avait appris le même jour à Tournay les triomphes de Louis XI
+dans le duché de Bourgogne, et maître Simon de Pressy, qui devait
+prononcer à ce sujet un discours dans la cathédrale, ne manqua
+point de parler aussi «de ce que le roy avoit eu victoire du chief
+de l'armée des plus rebelles et désobéissans de tous les pays,
+c'est à sçavoir du chief des Flamands.»</p>
+
+<p>Les habitants de Courtray avaient salué par des murmures dictés
+par la préoccupation de leur propre péril les milices de Bruges qui
+étaient venues leur demander un asile; ils leur reprochaient tantôt
+leur indiscipline qui avait, disait-on, été la première cause de la
+mort du duc de Gueldre, tantôt leur pusillanimité, qui abandonnait
+l'entrée de la Flandre à la garnison de Tournay. Ces reproches
+émurent les chaperons rouges de Bruges, et, bien qu'ils se vissent
+abandonnés des Gantois, qu'une éternelle rivalité avait éloignés
+d'eux, aussi bien que des hommes d'armes de Gueldre indignés de
+la triste fin d'Adolphe d'Egmont, ils retournèrent, quatre jours
+après le combat de Chin, occuper les retranchements qu'ils avaient
+élevés près d'Espierres. De nouveaux revers les y attendaient; dès
+le lendemain, le sire de Mouy vint les attaquer avec François de la
+Sauvagière et Jean de Beauvoisis. Les Brugeois se défendirent un
+<span class="pagenum"><a id="Page_156"> 156</a></span>
+moment vigoureusement, mais ils cédèrent bientôt à un sentiment
+subit de terreur, déplorable souvenir de celui qu'ils avaient éprouvé
+au pont de Chin. Dans leur fuite rapide, ils abandonnèrent aux
+Français leur camp rempli de vins et d'épices précieuses. Ils laissaient
+aussi en leur pouvoir leur grand étendard, quarante bannières
+et quatorze cents prisonniers, parmi lesquels se trouvaient
+Jacques d'Halewyn, bailli de Bruges, et Gérard de la Hovarderie,
+qui commandait les bourgeois d'Audenarde. La plupart des prisonniers
+furent mis aux enchères comme faisant partie du butin, et le
+sire de la Hovarderie fut vendu, dit-on, deux mille écus d'or sur
+l'une des places publiques de cette ville où sa femme Anne de Mortagne
+comptait pour aïeux une longue suite de châtelains.</p>
+
+<p>Ainsi avaient reparu, avec les menaces des invasions étrangères,
+les malheurs des discordes intestines. Si la guerre dévastait les
+campagnes, les troubles civils effrayaient, dans les villes, le commerce
+et l'industrie. Les dissensions de 1452 avaient déjà engagé
+quelques marchands à quitter la Flandre pour s'établir à Anvers. En
+1477, la même émigration se renouvelle, et c'est en vain qu'on publie
+à Bruges, le 25 mai, une ordonnance qui menace d'une amende
+de six cents livres parisis les marchands étrangers qui ne rentreront
+pas dans la ville dans le délai de trois jours: ils ne trouvaient
+plus, au sein des populations dont ils étaient les hôtes depuis six
+siècles, ni les vertus qui garantissent la paix, ni le courage qui éloigne
+la guerre, et l'un d'eux, le Vénitien Antoine Gratia-Dei, s'exprimait
+en ces termes dans un éloquent discours qui nous a été
+conservé: «Personne ne doit s'étonner, disait-il, si, habitant la
+contrée la plus illustre et la plus riche du monde, je forme des
+v&oelig;ux pour la durée de sa prospérité, et si je considère comme un
+devoir de vous exposer ce que je juge le plus utile dans ce but.
+Les progrès des infidèles n'exigent-ils pas qu'on se hâte de réunir
+contre eux toutes les nations chrétiennes? Ne voyez-vous pas
+de quels malheurs ils menacent les pays les plus riches et les
+plus puissants, et quelles en seraient les funestes conséquences
+pour la Flandre, le Hainaut, la Zélande, mais surtout pour la
+Flandre, où les marchands des pays étrangers se pressent de
+toutes parts, et qui mérite d'être appelée la source la plus féconde
+de secours et de biens de toute sorte pour les hommes. Ceci est
+assez connu pour que nous arrivions au fond même de la question.
+Vous avez à soutenir contre les Français une guerre d'autant plus
+<span class="pagenum"><a id="Page_157"> 157</a></span>
+dangereuse que vous la faites mal. La lenteur avec laquelle on
+la poursuit ne peut être qu'une cause de honte et de dépenses
+considérables. Combattez donc, ô Flamands! puisque vous avez
+vos ennemis devant vous. Suivez l'exemple des Bourguignons,
+qui ont su se protéger eux-mêmes. C'est ainsi que vous préserverez
+vos campagnes du fer et de la flamme, et que vous éloignerez
+la fureur des Français de vos frontières. Je ne dois vous rappeler
+ni la prise d'Arras, ni la trahison qui livra Péronne, ni les complots
+qui vous ont fait trouver dans vos amis vos ennemis les plus
+cruels. Vous ne pouvez espérer la paix qu'en l'obtenant le fer à la
+main. Si Dieu est avec vous, qu'avez-vous à craindre? N'avez-vous
+pas pour vous la justice et le bon droit? Hâtez-vous d'étouffer
+ces discordes et ces haines, qui ont pénétré dans les plus
+belles villes et dans les c&oelig;urs les plus généreux. Il ne faut pas
+que vous laissiez arriver des jours semblables à ceux où Scipion,
+à la vue de la ruine de Carthage, se souvenait de la ruine d'Ilion.
+Imitez Silurus, qui remettait à ses fils, comme un symbole d'union,
+le faisceau qu'ils ne pouvaient rompre. Les discordes civiles
+ne causèrent-elles pas la perte de toutes les grandes cités qui
+existèrent jamais, d'Athènes comme de Lacédémone, de Carthage
+comme de Rome? Veillez à ce que le succès ne vous aveugle
+point, et que le revers, par un sentiment contraire, ne vous livre
+point au désespoir et à la colère. Souvenez-vous que si vous avez
+perdu la Picardie et le Hainaut, vous le devez à vos divisions.
+Que la puissance de la multitude est dangereuse, puisqu'elle
+écoute bien moins les froids conseils de la prudence que les impressions
+inconstantes qui la passionnent! Vos métiers, en s'agitant
+dans les villes, n'empêchaient-ils pas la noblesse d'aller aux
+frontières combattre pour vous? Vous demandiez des priviléges
+pour modérer la puissance de vos princes, au moment même où
+leur puissance était près de disparaître; vous occupiez en armes
+vos places publiques et vous faisiez couler le sang de vos concitoyens,
+pendant que celui de vos frères, répandu par les ennemis,
+restait sans vengeance, et, en même temps, les nobles augmentaient
+les divisions, en se montrant pleins de doute et d'incertitude
+depuis la mort du grand duc Charles. Oubliez réciproquement
+toutes vos discordes. Unissez-vous, si vous voulez conserver la liberté
+que vous avez reçue de vos ancêtres. Prodiguez, pour assurer
+la défaite de vos ennemis, vos trésors, vos biens, vos pierres
+<span class="pagenum"><a id="Page_158"> 158</a></span>
+précieuses, que vous conserveriez inutilement si l'invasion étrangère
+doit en faire sa proie. N'attendez pas que les Français soient
+au pied de vos murailles. Nobles et grands, et vous puissantes
+communes, hâtez-vous de pourvoir au salut de la Flandre, auquel
+est lié celui de tous les peuples chrétiens.» La Flandre, livrée
+sans défense, par ses discordes intérieures, aux tentatives de ses
+ennemis, se trouvait exposée à un péril si imminent qu'Adrien
+d'Haveskerke et Daniel de Praet se fortifièrent à Wardamme pour
+couvrir les remparts de Bruges. Gand partageait les mêmes périls;
+mais Louis XI, dont la prudence descendait quelquefois jusqu'à une
+hésitation funeste à ses intérêts, ne sut pas profiter de ce moment.
+Les garnisons de Saint-Omer, d'Aire, de Lille, de Douay et de Valenciennes
+continrent les Français, et bientôt une armée flamande,
+forte de vingt mille hommes, fut prête à défendre le passage du
+Neuf-Fossé.</p>
+
+<p>Il est triste de raconter à quels projets s'arrêta le roi de France:
+si la gloire des armes ne devait pas illustrer son règne, ses vengeances
+et ses haines le rendaient plus redoutable que d'éclatantes
+victoires. Louis XI, dit Molinet, «pensa d'avoir par horreur ce qu'il
+ne povoit avoir par honneur.» Dix mille faucheurs appelés du
+Soissonnais et du Vermandois furent placés sous les ordres du
+comte de Dammartin, grand maître de France, afin de détruire ce
+qu'on désespérait de conquérir, et d'enlever à des familles déjà
+poursuivies par la flamme et le fer les dons que la clémence de
+Dieu avait destinés à les nourrir. «Monsieur le grand maître, écrivait
+le roi au comte de Dammartin, je vous envoie des faucheurs
+pour faire le gât que vous sçavez; je vous prie, mettez-les en besogne
+et n'épargnez pas quelques pièces de vin à les faire bien
+boire et à les enivrer... Monsieur le grand maître, mon ami, je
+vous prie qu'il n'y faille retourner une autre fois faire le gât, car
+vous êtes aussi bien officier de la couronne comme je suis, et si
+je suis roi, vous êtes grand maître.» Louis XI comme roi, Dammartin
+comme grand maître, comptaient comme prédécesseurs l'un
+Louis IX et Charles V, l'autre Robert de Dreux et Jean de Châtillon,
+qui comprenaient autrement l'honneur de porter ou de défendre
+le sceptre des monarques très-chrétiens.</p>
+
+<p>En 1477, l'&oelig;uvre de la dévastation, poursuivie régulièrement et
+systématiquement, s'étendit dans toutes les campagnes au milieu
+des joies de la saison où les épis semblaient, en se dorant au soleil,
+<span class="pagenum"><a id="Page_159"> 159</a></span>
+promettre une moisson abondante. Il n'y resta rien pour l'homme,
+rien pour l'oiseau qui glane là où l'homme a passé. «O vous, petits
+oiselets du ciel, s'écrie le chroniqueur, vous qui avez coutume de
+visiter nos champs en vos saisons et nous réjouir les c&oelig;urs de vos
+amoureuses voix, cherchez aultres contrées maintenant, départez-vous
+de nos labouraiges, car le roi des faulcheurs de France
+nous a faict pis que les oraiges.» La main qui semait ainsi la
+désolation dans d'obscurs et paisibles foyers allait faire couler le
+sang d'un père sur les jeunes enfants du duc de Nemours agenouillés
+au pied de l'échafaud.</p>
+
+<p>En même temps les envoyés de Louis XI parcouraient l'Europe
+afin que la Flandre n'y trouvât point de secours et disparût sous
+les ruines mêmes de la maison de Bourgogne. L'archevêque de
+Vienne avait renouvelé les trêves avec les Anglais; un traité avait
+été conclu avec le duc de Bretagne et avec les Vénitiens, ces constants
+alliés de Charles le Hardi. D'autres ambassadeurs avaient
+été chargés de se rendre en Allemagne pour rompre l'alliance que
+sa fille saluait comme son unique et dernier espoir.</p>
+
+<p>Il était trop tard: les princes allemands avaient adhéré aux projets
+de l'empereur Frédéric III, et Maximilien avait quitté Cologne
+où l'abbé du Parc, mandataire des trois membres de Brabant,
+l'avait exhorté à maintenir les priviléges des provinces dont il
+allait partager le gouvernement. Les électeurs de Mayence et de
+Trèves, les margraves de Brandebourg et de Bade, les ducs de
+Saxe et de Bavière l'accompagnaient, et il amenait de plus avec lui
+quelques cavaliers allemands sous les ordres du landgrave de
+Hesse. Maximilien avait toutefois si peu d'argent que la Flandre
+dut pourvoir aux frais de son voyage. A défaut de trésors, il portait
+à ses communes menacées par le roi de France l'auguste appui du
+sang impérial et les traditions contestées de la suzeraineté des
+Césars germaniques.</p>
+
+<p>Le 18 août 1477, vers onze heures du soir, le jeune duc d'Autriche
+arriva à Gand, et il se rendit aussitôt à l'hôtel de Ten Walle,
+où un pompeux banquet avait été préparé. Lorsqu'il aperçut sa
+fiancée, disent les chroniques flamandes, «ils s'inclinèrent tous les
+deux jusqu'à terre et devinrent aussi pâles que s'ils eussent été
+morts.» Les chroniqueurs y trouvèrent un signe de leur cordial
+amour, d'autres peut-être y virent un présage de malheur: sur la
+place publique comme à la cour de la duchesse de Bourgogne, tous
+<span class="pagenum"><a id="Page_160"> 160</a></span>
+les esprits s'abandonnaient à de sinistres préoccupations: si Marie
+gémissait sur les désastres qui l'avaient rendue orpheline, la Flandre
+isolée au milieu de ses ennemis partageait ses périls, et ce fut en
+présence des serviteurs et des officiers de la maison de Bourgogne,
+qui portaient encore le deuil de Charles le Hardi, que l'on donna
+lecture d'une déclaration où Marie annonçait, sans doute à la
+prière des états de Flandre, qu'il était bien entendu que ce mariage
+ne pourrait, dans l'hypothèse de son prédécès, conférer aucun
+droit, quel qu'il fût, sur ses seigneuries et ses domaines, ou même
+sur les joyaux formant son héritage, déclaration importante qui
+reposait tout entière sur la crainte de voir un prince étranger chercher
+à semer des divisions dans le pays qu'il était appelé à protéger
+et à défendre.</p>
+
+<p>Le lendemain, le mariage fut célébré fort simplement, à six
+heures du matin, dans la chapelle de l'hôtel de Ten Walle. Louis
+de la Gruuthuse y assistait, et les deux enfants du duc de Gueldre
+y portaient des cierges. Maximilien jura à Gand de respecter les
+priviléges. Il prêta peu de jours après le même serment à Bruges,
+où les bourgeois avaient cherché à reproduire, en son honneur,
+quelques-uns des ornements et des intermèdes qu'avait admirés le
+duc Philippe: ce n'étaient toutefois plus les mêmes devises si vaines
+et si fastueuses; on y lisait seulement: <i lang="la" xml:lang="la">Gloriosissime princeps,
+defende nos ne pereamus</i>.</p>
+
+<p>Le duc d'Autriche n'avait que dix-huit ans: il avait été élevé
+dans une complète ignorance, et ses facultés s'étaient révélées si
+lentement qu'à douze ans l'on ignorait encore si elles étaient susceptibles
+de quelque développement. Fils d'un prince avare, il était
+généreux jusqu'à la prodigalité; d'autre part, il était aussi sobre et
+aussi frugal que son père l'était peu. On le disait bon, doux, et si
+clément qu'il avait coutume de dire que pardonner à des ingrats
+c'était s'assurer le plaisir de pardonner deux fois. Mais sa
+bonté même n'était souvent que de la faiblesse, et on le voyait
+tantôt hésiter lorsqu'il fallait agir avec persévérance et avec énergie,
+tantôt subir aveuglément les conseils les plus violents et les plus
+odieux. De là cette tendance funeste à la dissimulation qui éloigna
+bientôt de lui toutes les sympathies, lorsqu'on reconnut qu'on
+ne pouvait compter ni sur ses promesses, ni sur ses serments.</p>
+
+<p>Maximilien avait déjà adressé au roi de France un manifeste où
+<span class="pagenum"><a id="Page_161"> 161</a></span>
+il se plaignait de la violation des trêves et où il l'accusait d'avoir
+envahi, contre tout droit et toute justice, les Etats de Marie de
+Bourgogne. Louis XI se trouvait en ce moment devant Saint-Omer:
+il avait fait menacer le sire de Beveren, qui défendait vaillamment
+cette importante forteresse, de mettre à mort son père le grand
+bâtard de Bourgogne s'il ne lui en ouvrait les portes. «Certes, j'ai
+grand amour pour monsieur mon père, avait répondu le sire de
+Beveren, mais j'aime encore mieux mon honneur.» Louis XI eut
+alors recours à un traître, qui lui promit de mettre le feu dans trois
+quartiers de la ville, sans parvenir à exécuter son projet. Les succès
+de ses armes semblaient toucher à leur terme: sa flotte avait été
+dispersée par les navires de Ter Vere et de l'Ecluse, qui avaient
+précipité dans les flots tous les transfuges qu'ils y avaient découverts.
+Un autre traître, le sire de Chimay, Philippe de Croy, qui
+avait précédemment livré Béthune aux Français, avait été fait prisonnier
+près de Douay et conduit à Bruges, quoiqu'il offrît une rançon
+de trente mille couronnes. Au même moment, le landgrave de
+Hesse rejoignait, avec ses reîtres allemands, l'armée réunie au
+Neuf-Fossé, qui avait vu toutes les populations voisines se rallier
+sous ses bannières. Les Flamands, irrités des dévastations commises
+par les chevaucheurs français, dont les excursions s'étendaient
+jusqu'aux portes d'Ypres, se préparaient à aller chercher les ennemis
+pour les forcer à livrer bataille dans ces plaines où reposaient
+sous le gazon tant de vaillants compagnons d'armes de Robert le
+Frison, de Guillaume de Juliers et de Nicolas Zannequin. Louis XI
+l'apprit: il n'avait jamais été disposé, depuis la journée de Montlhéry,
+à compromettre dans un combat de quelques heures le résultat
+des intrigues de plusieurs années, et après avoir vainement
+cherché à incendier quelques moissons échappées au zèle de ses
+faucheurs, il donna l'ordre à tous les siens de rétrograder jusqu'à
+Térouane, et se retira lui-même dans cette abbaye de Notre-Dame
+de la Victoire, que l'un de ses ancêtres avait fondée en mémoire de
+la bataille de Cassel. Il paraît que Louis XI avait songé un moment
+à imiter l'exemple de Philippe-Auguste, sinon dans ses victoires,
+du moins en frappant, comme lui, la Flandre d'une sentence d'excommunication;
+car on lit dans une lettre de Guillaume Cousinot,
+du 12 août 1477: «Quant il plaira au roy, ceulx de Flandres ne
+lui peuvent eschapper que leurs corps et leurs biens ne soient
+quonfisquez envers luy et leurs âmes en danger par les censures
+<span class="pagenum"><a id="Page_162"> 162</a></span>
+de l'Eglise.» En 1473, Louis XI avait inutilement fait excommunier
+Charles le Hardi par l'évêque de Viterbe.</p>
+
+<p>Cependant le roi de France n'avait pas tardé à reconnaître que
+le moment de recourir à ces mesures violentes était déjà passé.
+Abandonné par les Suisses, menacé par le roi d'Aragon d'une invasion
+en Languedoc, inquiété par les intrigues du duc de Clarence,
+qui accusait Edouard IV d'avoir trahi Charles le Hardi et recrutait
+en Angleterre des hommes d'armes pour soutenir les intérêts de sa
+fille, peu rassuré sur les dispositions mêmes de la noblesse de son
+royaume, qui lui reprochait la mort du duc de Nemours, décapité,
+comme le comte de Saint-Pol, en place de Grève, il s'effrayait de
+rencontrer sur les frontières du nord une guerre de plus en plus
+redoutable. La crainte de donner un prétexte à l'Empereur d'intervenir
+dans des querelles qui n'étaient plus étrangères à sa maison
+l'engagea successivement à faire parvenir une réponse conçue en
+termes pacifiques à Maximilien, et à évacuer toutes les villes du
+Hainaut et du Cambrésis qui relevaient de l'Empire. Des conférences
+s'ouvrirent à Lens. Une trêve y fut conclue (18 septembre
+1477), et quoique les capitaines français renouvelassent parfois hors
+de leurs châteaux des excursions qui semaient l'effroi dans les campagnes,
+elle permit au duc d'Autriche de consacrer quelques courts
+loisirs à l'administration de ses nombreux Etats. Il visita tour à
+tour l'Ecluse, Damme, Lille, Courtray, Audenarde, Alost, Ath,
+Mons, Bruxelles et les principales villes de la Hollande, de la
+Gueldre et du Luxembourg. Partout il jurait les priviléges, comprimait
+les complots excités par Louis XI et s'efforçait de calmer
+l'inquiétude qu'ils semaient chez les populations.</p>
+
+<p>Louis XI employa l'hiver à recouvrer par de nouvelles intrigues
+le terrain qu'un instant il avait semblé perdre. Il conclut des traités
+avec le duc de Lorraine, et gagna à son parti les comtes de Wurtemberg
+et de Montbéliard, afin qu'ils suscitassent dans l'Empire
+des divisions dont il devait profiter. Enfin, en Angleterre, lord Hastings,
+longtemps favorable à la maison de Bourgogne, accepta une
+pension du roi de France, et son influence s'était si complètement
+rétablie à Londres qu'il avait obtenu que l'on conduisît à la Tour
+et que l'on y mît secrètement à mort le duc de Clarence lui-même;
+Louis XI, complice de l'empoisonnement du duc de Guyenne,
+n'hésitait pas à conseiller un fratricide à Edouard IV.</p>
+
+<p class="quote">Tolle moras: semper nocuit differre paratum.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_163"> 163</a></span>
+Si nous portons nos regards sur ce qui se passait en France,
+nous y retrouvons d'autres traces de cette merveilleuse habileté
+qui tint lieu de toute vertu au successeur de Charles VII. Les préparatifs
+de la guerre avaient été conduits avec une grande activité.
+D'énormes impôts avaient été établis; on avait réuni des armes et
+fondu un grand nombre de bombardes et de canons; et, en même
+temps, les milices des provinces les plus éloignées avaient été mandées.
+A mesure qu'elles s'avançaient vers les frontières, la guerre
+d'escarmouches, que la trêve avait faiblement interrompue, devenait
+plus vive.</p>
+
+<p>L'histoire rétrograde d'un quart de siècle. Les incendiaires et
+les pillards de 1478 sont les Picards de 1452, et nous voyons reparaître
+pour les combattre les compagnons de <em>la Verte Tente</em>. Jean
+de Gheest a succédé au bâtard de Blanc-Estrain. Il ne parvint
+point à empêcher les Français d'obtenir un important succès sur le
+sire de Fiennes près d'Audenarde; mais, peu de jours après, il les
+attaqua lorsqu'ils revenaient chargés de butin du sac de Renaix, les
+défit et les mit en déroute. Maurice de Neufchâtel, capitaine de
+Tournay, jugea aussitôt qu'il fallait détruire les compagnons de la
+Verte Tente, et on l'entendit jurer que si leur chef tombait entre
+ses mains, il le ferait rôtir vif au milieu de son camp; mais il ne
+parvint ni à le surprendre, ni à l'atteindre.</p>
+
+<p>Une lettre écrite par les trois états de Flandre pour réclamer la
+présence de Maximilien lui avait été remise à Dordrecht; il rentra
+le 24 avril à Bruges. Bien que les taxes qui avaient été levées pour
+les dépenses de cette guerre fussent aussi considérables que celles
+que le duc Charles le Hardi avait obtenues par ses menaces, on
+avait fondu à Bruges un grand nombre de joyaux précieux, afin
+d'égaler l'énergie de la défense à la puissance de l'agression. On
+avait recruté des hommes d'armes en Brabant et en Hainaut; le
+bourgmestre de Bruges, Martin Lem, avait déclaré qu'il entretiendrait
+à ses frais un corps de mercenaires espagnols et l'on avait
+même songé à faire venir de la Suisse, pour servir la cause de Marie
+de Bourgogne, quelques-uns de ces redoutables montagnards d'Uri
+et d'Unterwald, dont le courage avait été si funeste à celle de son
+père.</p>
+
+<p>Mais ce qui semblait aux bourgeois de Flandre l'élément indispensable
+de leur résistance et de leur succès, c'était la présence
+d'un corps d'archers anglais, intrépides combattants, qui soutinrent
+<span class="pagenum"><a id="Page_164"> 164</a></span>
+peut-être Pierre Coning à Courtray, et qui manquèrent à Roosebeke
+à la fortune de Philippe d'Artevelde. En 1384, Ackerman avait réclamé
+leur appui, et en 1452, les échevins de Gand y avaient également
+eu recours. La duchesse douairière de Bourgogne s'adressa
+à son frère dans les termes les plus pressants pour qu'il fût de nouveau
+permis à la Flandre de recruter quelques archers en Angleterre.
+«Sire, lui écrivait-elle, je me recommande, en la plus humble
+manière qu'il m'est possible, à vostre bonne grace, à laquelle
+plaise savoir que maintenant, en ma plus grande nécessité, j'envoye
+devers vostre bonne grace pour avoir secours et ayde, comme
+à celuy en qui est tout mon confort, et qu'il vous plaise avoir
+pitié de moy, vostre pouvre s&oelig;ur et servante, qui toujours ay
+esté preste de accomplir vos commandemens à mon possible, et
+là où vous m'avez faicte une des grandes dames du monde, je suis
+maintenant une pouvre vesfve esloignée de tout lignage et amys,
+espécialement de vous, qui estes mon seul seigneur, père, mary
+et frère, confiant que ne me voudrez pas laisser ainsy misérablement
+détruire, comme je suis journellement, par le roy Louis de
+France, le quel fait son possible de me totalement détruire et
+d'estre mendiante le demourant de mes jours. Hélas! sire, je vous
+requiers que de vostre grace ayez pitié de moy en vous remontrant
+que par vostre commandement je suis icy pouvre et désolée,
+et que du moins je puisse incontinent avoir à mes despens
+quinze cens ou mil archers anglois, et se j'avoye la puissance
+plus grande, Dieu scet que je vous requeroye de plus largement
+en avoir.» En effet, quelques archers anglais, dont Thomas
+d'Euvringham était le chef, traversèrent la mer pour se rendre en
+Flandre.</p>
+
+<p>Cependant Maximilien avait résolu de profiter du court séjour que
+les préparatifs mêmes de la guerre le contraignaient de faire à
+Bruges, pour relever le célèbre ordre de la Toison d'or, de peur que
+Louis XI ne le considérât comme dévolu à sa couronne au même
+titre que le duché de Bourgogne. La cérémonie eut lieu dans
+l'église de Saint-Sauveur, où de riches tapisseries représentaient
+non plus la fabuleuse toison que Médée déroba au roi Éétès, mais
+la toison de Gédéon baignée par la rosée du ciel en signe du choix
+que Dieu avait fait de lui pour conduire son peuple. Le cortége qui
+s'y rendit était précédé de quatre officiers de la Toison d'or et des
+autres rois d'armes. Ils conduisaient une haquenée blanche caparaçonnée
+<span class="pagenum"><a id="Page_165"> 165</a></span>
+de noir, qui portait sur un coussin de velours le collier de
+la Toison d'or. Les chevaliers de l'ordre s'avançaient deux à deux;
+dès qu'ils eurent pris place aux siéges qui leur étaient destinés,
+l'évêque de Tournay prit la parole pour prononcer une docte harangue,
+où, après avoir raconté l'origine et le but de l'ordre de la
+Toison, il engagea le duc d'Autriche à ne pas le laisser s'éteindre.
+Jean de la Bouverie répondit en son nom qu'il était prêt à poursuivre
+l'&oelig;uvre de ses prédécesseurs pour l'honneur de Dieu, la protection
+de la foi catholique et la gloire de la noblesse. Aussitôt après,
+Maximilien présenta son épée au sire de Ravestein et en reçut l'ordre
+de chevalerie; puis il revêtit le manteau de velours écarlate et
+les autres insignes de la grande maîtrise de l'ordre. Le sire de
+Lannoy lui mit le collier en disant: «Très-hault et très-puissant
+prince, pour le sens, preud'hommie, vaillance, vertus et bonnes
+m&oelig;urs, que nous espérons estre en votre personne, l'ordre vous
+reçoit en son amyable compagnie; en signe de ce, je vous donne
+le collier d'or. Dieu doint que vous le puissiez porter à la louange
+et augmentation de vos mérites!» Maximilien baisa ensuite fraternellement
+les chevaliers, et, lorsque la messe eut été célébrée,
+ils se réunirent de nouveau. Plusieurs chevaliers étaient morts
+depuis le dernier chapitre; c'étaient Antoine et Jean de Croy,
+Baudouin de Lannoy, Simon de Lalaing, Regnier de Brederode,
+Henri de Borssele, Jean d'Auxy, Adolphe de Gueldre, Jean de Rubempré,
+Jean de Luxembourg, Louis de Château-Guyon et Gui
+d'Humbercourt; les uns avaient péri les armes à la main, d'autres
+avaient couronné une vie pleine de faste et d'éclat par une fin paisible;
+un seul avait été frappé par le glaive du bourreau. Les chevaliers
+élus pour les remplacer furent: le roi de Hongrie, le duc de
+Bavière, le margrave de Brandebourg, Pierre de Luxembourg, fils
+de l'infortuné comte de Saint-Pol, Jacques de Savoie, comte de
+Romont, Wolfart de Borssele, Philippe de Beveren, Jacques de
+Luxembourg, Pierre de Hennin, Guillaume d'Egmont, Josse de Lalaing
+et Barthélemy de Lichtenstein.</p>
+
+<p>Les fêtes dont le rétablissement de l'ordre de la Toison d'or avait
+été l'occasion duraient depuis deux jours, lorsqu'on vint annoncer
+que l'armée française venait de former le siége de Condé: on prétendait
+même, à Bruges, avoir entendu, à certains intervalles, le
+bruit des décharges de l'artillerie. Louis XI s'était placé lui-même
+à la tête de ses forces, qui s'élevaient à vingt mille hommes. Il avait
+<span class="pagenum"><a id="Page_166"> 166</a></span>
+amené avec lui un grand nombre de serpentines et de gros canons,
+parmi lesquels il en était un fort célèbre que l'on appelait <em>le chien
+d'Orléans</em>; mais les assiégés, bien qu'ils fussent à peine trois cents,
+résistaient avec courage à toutes les attaques. Ils espéraient du secours
+de la garnison de Valenciennes, qui les abandonna, et ne se
+rendirent que lorsqu'ils eurent vu leurs murailles s'écrouler dans les
+fossés. Une femme, la dame de Condé, avait donné l'exemple de la
+fermeté et du courage: il est des noms que la gloire ne désavoue
+jamais.</p>
+
+<p>Maximilien avait quitté précipitamment Bruges dans la soirée
+du 2 mai 1478 pour se rendre à Mons. La plupart des nouveaux
+chevaliers de la Toison d'or l'accompagnaient. La guerre allait leur
+permettre de s'acquitter des serments qu'ils avaient prêtés dans
+l'église de Saint-Sauveur de Bruges.</p>
+
+<p>S'il n'est plus temps de sauver les assiégés de Condé, Maximilien
+doit du moins protéger les frontières du Hainaut qu'attaquent de
+toutes parts les hommes d'armes français déjà maîtres de Trélon et
+de Boussut.</p>
+
+<p>Louis XI s'est éloigné avec son armée, moins toutefois pour interrompre
+la guerre que pour la porter sur un terrain plus favorable.
+Le 11 mai, il ordonne au parlement de Paris de commencer, sur les
+crimes de lèse-majesté attribués au duc Charles de Bourgogne, une
+enquête qui fasse remonter à l'époque où ils s'accomplirent la confiscation
+de ses domaines. En même temps il s'avance vers Merville
+et vers Steenvoorde, et s'empare, le 19 mai, de Bailleul, qu'il
+fait livrer aux flammes. Poperinghe et les autres bourgs environnants
+subissent les mêmes dévastations. Un héraut a déjà sommé les
+bourgeois d'Ypres d'ouvrir leurs portes au roi de France.</p>
+
+<p>La route que suivait Louis XI était celle que Philippe-Auguste
+lui avait tracée à la fin du douzième siècle. En 1478, la résistance
+ne fut pas moins intrépide. Les bourgeois d'Ypres répondirent par
+un laconique refus aux sommations du héraut français; ils avaient
+vu accourir, pour défendre leurs murailles, le comte Romont, Jean
+de la Gruuthuse, Jean de Nieuwenhove et Jean Breydel, dont le
+nom ne pouvait manquer à la défense de la Flandre lorsqu'elle se
+voyait menacée par l'invasion étrangère.</p>
+
+<p>C'était en vain que Louis XI, sachant que Maximilien réunissait
+ses hommes d'armes dans le Hainaut, espérait diviser les milices
+communales qui protégeaient les frontières de Flandre. Au premier
+<span class="pagenum"><a id="Page_167"> 167</a></span>
+bruit de l'entrée de Louis XI à Bailleul, les Gantois, guidés par le
+sire de Dadizeele et les compagnons de <em>la Verte Tente</em>, se joignirent
+à trois cents archers anglais, commandés par Thomas d'Euvringham,
+pour attaquer, entre Berchem et Anseghem, la garnison
+de Tournay, qui avait été chargée d'observer les mouvements. Le
+combat fut sanglant, mais l'avantage resta aux communes flamandes.
+Quatre cents Français demeurèrent sur le terrain. Leur
+capitaine, Maurice de Neufchâtel, fuyait, poursuivi par l'un de ses
+plus intrépides adversaires, dans lequel il reconnut bientôt Jean de
+Gheest. «Sauvez-moi, s'écria-t-il lorsqu'il se vit près d'être atteint,
+ma rançon sera de dix mille couronnes d'or.&mdash;Je sais trop le supplice
+que vous me réserviez,» répondit le chef de <em>la Verte Tente</em>
+et il le tua de sa main (18 mai 1478).</p>
+
+<p>Peu de jours après, Jean de Dadizeele et Jean de Gheest se
+réunissaient aux milices communales qui occupaient Ypres, pour
+aller combattre les Français. Ils obtinrent de nouveaux succès.
+Tandis que tous les hommes, depuis le premier âge jusqu'à la vieillesse
+la plus avancée, quittaient les villages, les fermes et les
+chaumières pour prendre les armes, les femmes détruisaient le pont
+construit par les ennemis sur la Lys. Si Louis XI n'eût point ordonné
+la retraite vers Arras, quelques jours de plus eussent suffi pour lui
+enlever tout moyen de l'exécuter dans un pays où les routes, naturellement
+mauvaises, allaient devenir impraticables par le travail
+des habitants qui y coupaient les arbres, y creusaient des fossés ou
+y élevaient des barrières. C'eût été un mémorable spectacle que
+Louis XI, fondateur de la royauté absolue, réduit, comme Philippe-Auguste
+à Bailleul, à s'incliner devant la puissance des communes
+flamandes.</p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, Maximilien se hâtait de reconquérir toutes
+les places dont les Français s'étaient emparés vers les frontières du
+Hainaut. En quittant Mons, il alla placer son camp sous les chênes
+de Hornu, où les plaids pacifiques des comtes de Hainaut avaient
+depuis longtemps effacé les traces du passage des légions conquérantes
+de Jules César. De là, il s'avança vers Crépy. Louis XI avait
+remis huit mille francs à Olivier le Diable pour ravitailler la forteresse
+de Condé; néanmoins, lorsqu'il apprit quelles étaient les
+forces dont disposait Maximilien, il changea d'avis et résolut de
+l'évacuer après y avoir fait mettre le feu. Conformément à ses ordres,
+le sire de Mouy, qui commandait la garnison de Condé, fit sonner
+<span class="pagenum"><a id="Page_168"> 168</a></span>
+toutes les cloches le 2 juin, et annonça à tous les habitants qu'ils
+eussent à se réunir de suite à l'église pour rendre grâces au ciel
+d'une grande victoire obtenue par le roi. «Et lors, dit Molinet, les
+bonnes gens innocents comme brebisettes, au commandement de
+ces loups, se mirent en dévotion.» On ferma aussitôt les portes
+de l'église, et les hommes d'armes français chargèrent sur leurs
+chariots le butin qu'ils avaient enlevé «à ce dévot peuple qui prioit
+pour le roi de France;» puis ils s'éloignèrent après avoir mis le
+feu «aux six coins de la ville.» La flamme consuma plus de quatorze
+cents maisons.</p>
+
+<p>Les Français incendièrent Mortagne à leur départ comme ils
+avaient brûlé Condé. Le Quesnoy eût subi le même sort si Louis XI
+n'eût proposé une trêve toute favorable à la Flandre. Selon les uns,
+la crainte de la guerre l'y avait engagé; selon d'autres, il était
+effrayé d'un miracle arrivé, disait-on, le jour anniversaire de son
+sacre dans la ville de Cambray, dont il s'était emparé par trahison.
+Non-seulement il remit le Quesnoy, mais il retira aussi sa garnison
+de Cambray, après avoir fait un don de douze cents écus d'or à
+l'église de Notre-Dame, où avait eu lieu le miracle qui lui avait
+été rapporté. Il permit lui-même aux bourgeois d'ôter de leurs
+portes les fleurs de lis pour les remplacer par l'aigle impériale.
+«Nous voulons, leur dit-il, que vous soyez neutres... Au regard de
+nos armes, vous les osterez quelque soir, et y logerez vostre
+oiseau, et direz qu'il sera allé jouer une espace de temps et sera
+retourné en son lieu ainsi que font les arondelles qui reviennent
+sur le printemps.»</p>
+
+<p>Immédiatement après l'expiration de la trêve, les milices communales
+qui avaient repoussé les Français près de Bailleul rejoignirent
+les hommes d'armes de Maximilien à quelques lieues de
+Douay. La bannière de Flandre flottait dans toutes les campagnes
+environnantes, depuis la tour de Vitry, qui vit en 1302 la fuite
+honteuse de Philippe le Bel, jusqu'à la plaine de Mons-en-Pevèle,
+qu'ensanglanta deux ans après sa douteuse victoire. C'est la plus
+belle époque de cette courte résurrection de la nationalité flamande,
+qui allait retomber bientôt dans les luttes de l'ambition et de
+l'anarchie. L'enthousiasme était spontané et universel. La Flandre,
+qui avait résisté à Philippe le Bel, triomphait de Louis XI: succès
+à jamais dignes de mémoire, puisqu'ils coïncidaient avec les plus
+vastes accroissements de puissance territoriale qu'eût reçus pendant
+<span class="pagenum"><a id="Page_169"> 169</a></span>
+une suite de dix siècles la monarchie française. En 1478, on vit s'y
+joindre un autre triomphe que la Flandre avait vainement appelé
+de ses v&oelig;ux, lors de la grande alliance de Jacques d'Artevelde et
+d'Edouard III. Tournay, la cité royale des rois merowigs, la cité
+privilégiée de Philippe-Auguste, la cité restée fidèle à la royauté
+de Charles VII à cent lieues de ses frontières rejetées au delà de la
+Loire, chassa la garnison française pour échapper au joug de
+Louis XI, qui avait méconnu ses franchises et emprisonné ses
+magistrats. Selon quelques historiens, elle chargea des députés
+d'offrir les clefs de ses portes à Maximilien: il est plus certain
+qu'elle restitua aux communes flamandes les bannières que François
+de la Sauvagière avait déposées dans l'église de Notre-Dame.</p>
+
+<p>L'armée flamande était déjà arrivée aux portes d'Arras, où
+Louis XI campait avec ses hommes d'armes, à l'ombre de ces
+murailles dont tous les échos semblaient le maudire. Maximilien
+d'Autriche ne sut point profiter d'un moment si favorable pour
+obtenir un triomphe complet. Son esprit faible et irrésolu se révéla,
+alors que sa fermeté et sa persévérance dans ses desseins eussent
+dû être pour lui un rempart contre les ruses d'un monarque plus
+prudent et plus habile; il accueillit les envoyés du roi de France,
+qui venaient lui proposer une trêve d'un an et quarante jours, en
+s'engageant à restituer toutes les villes et forteresses que les Français
+occupaient encore, tant en Hainaut que dans le comté de
+Bourgogne. Cette trêve fut conclue le 11 juillet: le comte de
+Romont, Jean de Luxembourg, Philippe de Beveren et le sire de
+Chantraine l'avaient vainement repoussée de leurs conseils et de
+leurs protestations: il ne leur resta plus qu'à déclarer qu'ils
+ne voulaient point y être compris. Dès ce moment, la popularité
+de Maximilien s'effaça aux yeux de tous ceux qui avaient espéré
+de trouver en lui un chef et un protecteur.</p>
+
+<p>L'armée flamande s'était séparée; mais à peine Maximilien était-il
+arrivé à Lille qu'il apprit que le roi de France, délivré des périls
+qui l'avaient menacé, semblait peu disposé à abandonner les villes
+dont il avait offert lui-même la restitution. On remarquait les
+traces d'une profonde tristesse sur le front du duc d'Autriche. Elle
+ne s'effaça que, lorsqu'à son retour à Bruges, il assista aux réjouissances
+et aux fêtes du baptême de son fils, né le 22 juin 1478, que
+l'on avait nommé Philippe, afin que ce nom, en rappelant son
+bisaïeul, annonçât la même puissance et la même grandeur.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_170"> 170</a></span>
+Cependant il avait été convenu, par un article de la trêve, que
+des conférences auraient lieu pour la conclusion d'une paix définitive
+entre la Flandre et la France. Le roi avait demandé qu'elles
+s'ouvrissent à Saint-Omer, espérant profiter de cette occasion pour
+y former quelques complots; mais Maximilien s'y opposa, et elles
+eurent lieu à Boulogne. Les commissaires du roi (l'un d'eux était
+Jean de Saint-Romain) avaient, avant de quitter Paris, déposé
+entre les mains du greffier du parlement une protestation contre
+toutes les conventions par lesquelles ils auraient dérogé au droit
+de confiscation qui appartenait au roi: précaution assez inutile,
+car des deux côtés il fut impossible de s'entendre, et les conférences
+s'écoulèrent en stériles discussions sur la loi salique, que le roi
+voulait appliquer à tous les Etats dépendant du royaume.</p>
+
+<p>On espérait du moins que cette trêve permettrait aux laboureurs
+de se livrer aux travaux des semailles, et empêcherait le fléau de
+la famine de se joindre au fléau de la guerre; mais il en fut autrement.
+«Quand le roi de France, dit Olivier de la Marche, vit que
+les laboureurs et séyeurs de blé estoient au plus grand nombre,
+nonobstant la trêve, il envoya ses gens d'armes et fit prendre
+iceux laboureurs et séyeurs, et en tirèrent les gens d'armes françois
+grans deniers et avoir, et oncques depuis, le roi de France
+ne voulut ouïr parler de cette trêve.» En moins de deux années,
+ces dévastations s'étaient reproduites trois fois; il ne faut plus
+s'étonner de voir les campagnes devenir désertes, et le déclin de
+l'agriculture amener à sa suite la détresse et la misère.</p>
+
+<p>La guerre était près de se renouveler. Depuis le mois de février
+1478 (v. st.), les états de Flandre, assemblés à Termonde, avaient
+voté des subsides pour la reprendre avec vigueur. Ils se réunirent
+bientôt après à Anvers, pour adopter d'autres mesures dans le même
+but, et pourvoir à la défense des frontières maritimes, où l'on redoutait
+quelque tentative hostile. Le sire de Dadizeele cherchait
+au même moment, avec l'aide d'Adrien de Rasseghem et celle de
+Jean de Coppenolle, député des échevins de Gand, à organiser les
+milices communales des campagnes, comme d'autres présidaient à
+l'armement des milices communales des villes. Voici comment il
+s'exprime lui-même dans ses <cite>Mémoires</cite>: «Le sire de Dadizeele,
+considérant la triste situation dans laquelle se trouvaient la
+plupart des habitants de la Flandre, surtout un grand nombre
+de laboureurs, à cause de la crainte des Français, et encore plus
+<span class="pagenum"><a id="Page_171"> 171</a></span>
+à cause des excès auxquels se livraient les hommes d'armes, amis
+funestes qui tuaient, blessaient et dépouillaient de leurs biens
+ceux qu'ils auraient dû défendre, s'occupa d'y trouver un remède.
+Il commença par armer ses vassaux de Dadizeele, puis les habitants
+de Menin, de Gheluwe, de Becelaere, de Moorslede, de Ledeghem,
+de Moorseele et de vingt-neuf autres villages. Le 28
+mars 1478 (v. st.), une revue, qui comprenait cinq mille six cents
+hommes, eut lieu en présence de plusieurs chevaliers et des
+échevins de Gand, et tous y jurèrent et promirent de s'aider mutuellement,
+tant contre les ennemis que contre les excès des
+hommes d'armes. Cette réunion et ce serment firent tant de
+bruit et produisirent un résultat si utile, que cet exemple fut
+suivi de toutes parts dans toute la Flandre; et, depuis ce moment,
+les Français et les hommes d'armes ne firent guère plus
+de dégâts... Le duc Maximilien évaluait à cent cinquante mille
+hommes le nombre de ceux à qui le sire de Dadizeele avait fait
+prendre les armes dans les quartiers d'Ypres et de Gand.» Les
+désordres des hommes d'armes allemands et bourguignons avaient
+pris un tel développement que les états de Flandre avaient permis
+de sonner le tocsin pour s'opposer à leurs déprédations.</p>
+
+<p>L'accroissement des impôts donnait lieu à d'autres sujets de
+plainte dans la plupart des villes. A Gand, quelques membres des
+métiers se soulevèrent; ils mirent à mort des magistrats qui voulaient
+s'opposer à leur mouvement, et se retranchèrent dans une
+chapelle. Il fallut amener des coulevrines pour les contraindre à se
+rendre. Le doyen des maréchaux fut décapité; d'autres furent bannis.
+On prêtait à quelques-uns des insurgés les plus coupables desseins,
+des rêves de meurtre et des pensées de pillage; ils se proposaient
+même, disait-on, de saccager les églises. Ces hommes appartenaient
+à la lie des passions populaires, qui ne s'élève que lorsque le niveau
+de l'ordre et de la justice s'abaisse; d'eux sortiront les iconoclastes
+de 1566.</p>
+
+<p>Des processions solennelles succédèrent à ces émeutes; elles demandaient
+au ciel non-seulement la paix intérieure, mais aussi des
+victoires sur les étrangers. La guerre contre les Français recommençait
+avec une nouvelle vigueur. Par une résolution qui respirait à
+la fois le blâme de la conduite passée de Maximilien et un sentiment
+de méfiance vis-à-vis de lui dans l'avenir, les états de Flandre
+avaient désigné comme capitaine général de l'armée flamande le
+<span class="pagenum"><a id="Page_172"> 172</a></span>
+comte de Romont, qui n'avait jamais adhéré à la suspension d'armes.
+Il avait reconquis les châteaux de Bouchain et de Crèvec&oelig;ur. Cambray
+avait abdiqué comme Tournay les priviléges d'une douteuse
+neutralité pour se prononcer en faveur de la Flandre. Arras aurait
+suivi cet exemple, si les officiers de Louis XI n'en eussent chassé
+tous les bourgeois qui y possédaient encore un foyer, en retenant
+comme otages leurs femmes et leurs enfants. Le roi de France se
+contentait d'ourdir quelques intrigues qui ne réussissaient point.
+Un chanoine les dirigeait à Lille; à Douay, des soldats déguisés
+en paysannes cherchèrent à s'emparer des portes, en s'introduisant
+dans la ville avec des épées cachées dans des corbeilles qu'ils avaient
+remplies de fromages. D'autres bandes françaises avaient songé à
+traverser la Lys pour conquérir du butin.</p>
+
+<p>Maximilien attendait à Saint-Omer le moment où il pourrait
+prendre part à la guerre. Le terme de la trêve étant arrivé, il alla,
+le 26 juillet 1479, à la tête de l'armée flamande, forte de vingt-deux
+mille hommes, mettre le siége devant Térouane, que le sire
+de Saint-André défendait avec quatre cents lances et quinze cents
+arbalétriers. Toutes les milices communales se montraient pleines
+d'ardeur, et parmi les chevaliers qui entouraient le duc d'Autriche,
+il en était plusieurs qui, à l'exemple du comte de Nassau, portaient
+le bras nu, afin de répondre à une bravade des Français, qui les
+avaient fait menacer de leur couper le poing s'ils tombaient en leur
+pouvoir. On tarda peu à apprendre qu'une armée ennemie s'avançait
+pour secourir Térouane. Elle était commandée par ce sire de Crèvec&oelig;ur
+qui, comblé autrefois des bienfaits du duc Charles, s'était
+empressé de trahir sa fille, et n'avait cessé d'exciter Louis XI à la
+dépouiller de son héritage, en lui remontrant que la grandeur et le
+repos de la France dépendaient de la conquête de la Flandre. On en
+évaluait la force à vingt-huit mille hommes, la plupart francs archers,
+et bien que l'on y remarquât quelques pusillanimes courtisans,
+tels que Jean Daillon, seigneur du Lude, et le valet de chambre
+Jean Wast, devenu le sire de Montespedon, elle comptait
+plusieurs chefs fameux par leur courage, «vrais routiers de guerre,
+dit Molinet, disciples de Mars, ennemis de paix, flagelleurs de
+peuples, durs comme métal, légiers comme daims, et usités de
+respandre le sang humain.»</p>
+
+<p>A cette nouvelle, l'armée flamande leva le siége de Térouane pour
+occuper une forte position d'où la vue s'étendait jusqu'aux tourelles
+<span class="pagenum"><a id="Page_173"> 173</a></span>
+du château de Bomy. L'un des plus braves capitaines des armées
+de Charles le Hardi, Salazar, reçut la mission d'aller reconnaître
+l'avant-garde de l'ennemi. Il fut assez heureux pour la surprendre
+près de Blangy, lui tua trois cents hommes et ramena cinquante
+ou soixante prisonniers.</p>
+
+<p>Cette escarmouche décida une action générale. Les milices flamandes,
+bien qu'elles fussent réunies à la hâte et presque dépourvues
+de cavalerie, réclamaient à grands cris le combat, comme elles
+l'avaient demandé l'année précédente devant Arras. Le sire de
+Crèvec&oelig;ur ne le jugeait pas moins nécessaire pour rétablir l'honneur
+des armes françaises. Impatient de profiter de la supériorité
+du nombre qui semblait lui assurer le succès, il envoya un héraut
+défier le duc d'Autriche.</p>
+
+<p>Une vaste plaine s'étendait entre les deux armées, depuis les
+hauteurs de Dohem jusqu'aux ravins où l'on montre, au bord d'une
+fontaine, les ruines de l'ermitage de sainte Fredeswide. Au centre
+s'élevait une colline, dont le nom, que les habitants du pays prononcent
+Enquingate, est devenu celui de Guinegate dans tous les
+récits historiques. Ce fut là que la bataille s'engagea, le 7 août 1479,
+vers huit heures du matin, entre l'avant-garde de Maximilien, commandée
+par le sire de Baudricourt, et les Français, qui se portaient
+en avant divisés en trois corps principaux.</p>
+
+<p>Les milices flamandes, armées de longues piques, présentaient
+une masse étroitement serrée sur une seule ligne. Un peu en avant
+se trouvaient cinq cents archers anglais que soutenaient trois mille
+arquebusiers allemands. Quelques hommes d'armes, en petit nombre,
+se tenaient sur les flancs. Le duc d'Autriche harangua les siens.
+«Réjouissez-vous, leur disait-il, voici la journée que nous avons
+longtemps désirée. Nous avons enfin devant nous ces ennemis,
+qui tant de fois ont dévasté nos champs, pillé nos biens, brûlé
+nos maisons. L'heure est arrivée de vous conduire vaillamment.
+Notre querelle est bonne et juste. Implorez le secours de Dieu,
+de qui dépend toute victoire.» A ces mots, il descendit de cheval
+pour s'agenouiller, et tous les défenseurs de la Flandre se
+prosternèrent avec lui pour réclamer la protection du Dieu que
+leurs pères avaient invoqué sur le champ de bataille de Groeninghe.</p>
+
+<p>L'armée française s'approchait. Elle avait culbuté l'avant-garde
+du sire de Baudricourt et sa redoutable cavalerie, se déployant vers
+la droite pour éviter les traits des archers anglais, se précipitait
+<span class="pagenum"><a id="Page_174"> 174</a></span>
+avec une force irrésistible au milieu des bataillons allemands et
+flamands qui s'entr'ouvraient en désordre. La mêlée devint sanglante,
+et bientôt à une vive résistance succéda le désastre d'une
+déroute complète. Jacques et Antoine d'Halewyn tombèrent parmi
+les morts. Les sires de Condé, de la Gruuthuse, d'Elverdinghe, de
+Polheim furent faits prisonniers. Une partie des fuyards, entraînant
+Philippe de Clèves, cherchait à gagner Aire; les autres se dirigeaient
+vers Saint-Omer, abandonnant aux Français leurs armes
+et leur artillerie. Le sire de Crèvec&oelig;ur, se plaçant à la tête de toute
+sa cavalerie, s'élança aussitôt à leur poursuite, tandis qu'un long
+cri de victoire retentissait sous les bannières fleurdelisées.</p>
+
+<p>Au même moment, le sire de Saint-André, sortant de Térouane,
+envahit le camp flamand, où ses hommes d'armes égorgèrent les
+prêtres, les vieillards, les femmes et les enfants, afin que rien ne
+les empêchât de piller librement les tentes du duc d'Autriche et de
+ses chevaliers, les bagages, les joyaux et les approvisionnements
+qui abondaient, «aussi estoffément comme en Bruges ou en Gand.»</p>
+
+<p>Cependant les gémissements et les clameurs lamentables qui
+s'élevaient vers le ciel inspirèrent à quelques corps de milices flamandes
+qui n'avaient point été ébranlés un de ces efforts énergiques
+qui modifient parfois les coups de la fortune. Par une résolution
+qui semble imitée de celle du comte de Thiette dans des
+circonstances semblables, à la journée de Mons-en-Pevèle, le comte
+de Romont et Jean de Dadizeele descendirent de cheval avec les
+chevaliers qui les entouraient et le duc d'Autriche lui-même, pour
+les conduire au combat. Les hommes d'armes et les francs archers
+de Louis XI reculèrent, surpris par cette attaque imprévue; l'artillerie
+fut reconquise, et les milices de Flandre poursuivirent leurs
+succès en repoussant les ennemis jusqu'à leur propre camp,
+qui fut aussitôt assailli et forcé. Lorsque le sire de Crèvec&oelig;ur
+reparut dans la plaine, il était trop tard pour qu'il pût espérer de
+réparer les résultats de son imprudence; il ne réussit qu'à couvrir
+la retraite des débris de son armée vers Hesdin et vers Blangy.</p>
+
+<p>Les pertes qu'avaient éprouvées les Français à la fin de la journée
+vengèrent celles qu'ils avaient fait subir aux milices flamandes
+au commencement de l'action. Non-seulement elles avaient recouvré
+toute leur artillerie, mais elles s'étaient emparées aussi de
+trente-cinq serpentines; enfin, si elles comptaient quelques nobles
+chevaliers, quelques intrépides bourgeois parmi les morts, les Français
+<span class="pagenum"><a id="Page_175"> 175</a></span>
+qui avaient succombé étaient bien plus nombreux, et l'on
+remarquait parmi ceux-ci l'amiral de France, le sénéchal de Normandie,
+le comte du Maine, les sires de Clermont, de Créquy, de
+Vaudemont, de Torcy, et un célèbre capitaine dont nous avons
+déjà cité souvent le nom, Jean de Beauvoisis. Antoine de Crèvec&oelig;ur,
+frappé à côté d'eux, avait expié la trahison du sire d'Esquerdes,
+et le valet de chambre Jean Wast, autre transfuge, y avait
+terminé, au milieu des gens de guerre, une vie que n'avaient pu
+illustrer ni les intrigues du château de Genappe ni celles du Plessis-lez-Tours.</p>
+
+<p>Maximilien passa la nuit dans le camp français «au lit d'honneur,
+tendu de glorieuse renommée.» Il avait montré du courage
+dans cette journée; mais la faiblesse et l'incertitude qui formaient
+l'un des traits principaux de son caractère se reproduisirent
+presque aussitôt, trop promptes à étouffer les inspirations d'une
+énergie momentanée. Si, au lieu de licencier son armée, il se fût
+présenté immédiatement devant Térouane ou même devant Arras,
+la terreur panique qu'avait répandue le bruit de la bataille de Guinegate
+lui en eût sans doute fait ouvrir les portes.</p>
+
+<p>Le mécontentement de Louis XI fut extrême quand il sut qu'on
+avait combattu contrairement à ses volontés; il disgracia le sire
+d'Esquerdes et le sire de Saint-André, et résolut de remplacer les
+francs archers par des gentilshommes, parce qu'il avait plus de
+confiance dans le courage de la noblesse, toujours fidèle à cette tradition
+de l'honneur qui lui avait appris à mourir plutôt que de reculer;
+mais loin de les chercher dans ses Etats, il alla les recruter
+vers les marches de l'Allemagne et de la Suisse, sans se préoccuper
+des conséquences d'une politique méticuleuse qui allait compromettre
+pendant un demi-siècle la fortune militaire de la France,
+en plaçant en des mains étrangères le soin de la défendre.</p>
+
+<p>Lorsque la guerre se ralluma, au mois de septembre 1479, les
+Français envahirent le pays de Bourbourg, sans rencontrer d'armée
+qui mît obstacle à leurs progrès, et la Flandre eût été perdue, si
+Jean de Dadizeele, faisant en toute hâte sonner le tocsin dans les
+campagnes, n'eût réussi à les arrêter près de Cassel, en leur opposant
+les milices communales, illustrées par la victoire de Guinegate.</p>
+
+<p>Cependant, les revers ne lassaient point les ambitieuses espérances
+d'un prince habitué à trouver dans sa persévérance le gage
+<span class="pagenum"><a id="Page_176"> 176</a></span>
+de ses succès. Louis XI, cherchant dans les négociations des triomphes
+moins incertains que ceux des armes, traitait avec la Castille,
+forçait le roi René à lui céder une partie de ses Etats, s'emparait
+de la tutelle du jeune duc de Savoie, concluait de nouvelles alliances
+avec les Suisses et les Génois, et menaçait le duc de Bretagne de
+lui opposer, s'il ne soutenait pas ses intérêts, des prétentions rivales
+qui remontaient à Jeanne de Blois. Il envoyait en même temps le
+sire de Blancfossé et Pierre Framberg s'aboucher à Metz avec les
+députés des villes de Gueldre, pour qu'elles prissent les armes
+contre le duc d'Autriche.</p>
+
+<p>En présence de ces immenses préparatifs, la Flandre se demandait
+si elle pouvait compter sur la protection d'un prince qui n'avait
+été victorieux que malgré lui et qui, même après sa victoire, avait
+abandonné aux Français le pays de Bourbourg. Les communes s'agitaient
+et le sire de Lalaing écrivait lui-même au sire de Dadizeele:
+«Je meurs de ce que je voy que les Franchois gastent ainsy nostre
+pays et que nous n'y pourvéons autrement.» Maximilien s'était
+rendu à Gand au mois de novembre pour y réclamer de nouveaux
+impôts, quand le doyen des métiers lui déclara, au nom des bourgeois,
+qu'il était nécessaire que d'abord il rendît compte de tous
+les deniers employés. «Voulez-vous donc la perte de la Flandre?
+s'écria Maximilien.&mdash;Nous l'aimons trop, répliquèrent les bourgeois,
+pour laisser à d'autres le soin de sa défense.» En effet,
+une assemblée générale fut convoquée à Termonde, et toutes les mesures
+y furent prises pour organiser la résistance sur la base la plus
+large et la plus nationale; les milices communales prêtes à s'armer
+au printemps s'élevaient à cent cinquante mille hommes.</p>
+
+<p>Dans ces graves circonstances, où Maximilien se voyait condamné
+au mépris et à l'isolement aussi bien vis-à-vis de ses sujets
+que vis-à-vis des princes étrangers, une femme conçut le projet de
+rétablir l'influence qui lui échappait. Cette femme était la duchesse
+douairière de Bourgogne, Marguerite d'York. Veuve de Charles le
+Hardi, elle aspirait à se venger des communes flamandes, qui
+l'avaient bannie en 1477. Elle se souvenait aussi de l'asile offert à
+Edouard IV et de cette glorieuse intervention dans les troubles de
+l'Angleterre qui avait jadis resserré l'alliance des maisons d'York
+et de Bourgogne. Sur ces deux bases reposaient les desseins ambitieux
+qu'elle fit aisément accepter à un prince qu'elle dominait autant
+par la fermeté que par la supériorité de son esprit.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_177"> 177</a></span>
+Depuis longtemps les agents de Marguerite d'York multipliaient
+leurs démarches pour combattre l'influence des conseillers anglais
+que pensionnait secrètement Louis XI, lorsqu'au mois de juin 1479,
+quelques semaines avant la bataille de Guinegate, des navires flamands
+conduisirent au port de l'Ecluse trois vaisseaux français où
+l'on saisit des présents adressés à lord Howard et des lettres de
+Louis XI qui l'exhortaient à faire en sorte que dix mille Anglais se
+joignissent à son armée pour envahir la Flandre. Lord Howard fut
+arrêté avec onze de ses amis, et des plénipotentiaires se rendirent à
+Saint-Omer, où ils conclurent, le 18 juillet, une convention relative
+au mariage de Philippe, fils de Maximilien, avec Anne d'Angleterre,
+troisième fille d'Edouard IV.</p>
+
+<p>Marguerite d'York, encouragée par ce succès, allait aborder la
+lutte contre les communes flamandes, lutte périlleuse et difficile,
+dans laquelle elle espérait être plus heureuse ou plus habile que les
+rois les plus redoutables. En 1453, Gand avait représenté les communes
+flamandes dans sa longue guerre contre le duc Philippe de
+Bourgogne. En 1479, la question est posée sur le même terrain, sur
+le terrain où elle a été décidée vingt-six ans auparavant par la bataille
+de Gavre. Des nobles de la cour répétaient tout haut que la
+ville de Gand était mal gouvernée. Les officiers du prince tenaient
+le même langage.</p>
+
+<p>Voici en quels termes mystérieux le comte de Saint-Pol avertissait
+le sire de Dadizeele de la situation des choses au mois de décembre
+1479: «Pour vous bien advertir, tant de secrets entendements
+courent aujourd'huy que l'en ne s'y scet cognoistre: ce
+scet le Tout-Puissant!»</p>
+
+<p>Quels étaient ces secrets entendements? Le document suivant les
+fera connaître: «A messire Jean de Dadizeele, haut bailli de Gand,
+notre très-cher seigneur. Noble et digne seigneur, les échevins
+des deux bancs de Gand et les deux doyens de la ville de Gand,
+salut et amitié: qu'il vous plaise savoir que nous avons appris
+aujourd'hui par Jean de Coppenolle, notre secrétaire, qu'il se fait
+quelque machination par le moyen et à la poursuite de certaines
+personnes qui nous sont hostiles, comme on peut le supposer,
+pour que l'on vous enlève votre dignité de haut bailli de Gand, ce
+qui nous paraît fort étrange, et nous ne pouvons soupçonner
+quels sont les griefs que l'on produit contre vous et nous avec
+une intention coupable, ce qui serait triste à voir et à entendre.
+<span class="pagenum"><a id="Page_178"> 178</a></span>
+Hâtez-vous donc de vous rendre à Gand afin de savoir si vous
+n'avez plus d'autorité et d'examiner ce qu'il nous reste à faire
+pour vous la conserver.»</p>
+
+<p>Marguerite d'York croyait désarmer les communes flamandes en
+les privant des sages conseils du sire de Dadizeele, mais elle comprit
+bientôt que c'était une trop vaste tâche que de vouloir régner à
+Londres par les négociations et à Gand par la force et la violence.
+Au mois de mai 1480, Maximilien charge l'abbé de Saint-Pierre
+de déclarer aux échevins et aux doyens de Gand que jamais il ne
+songea à leur enlever leurs priviléges, et qu'il espère qu'ils le soutiendront
+avec les bonnes villes dans ses démarches, «pour acquérir
+l'ayde des Anglois contre le roy de France, qui contendoit
+destruire la comté de Flandre pour distraire d'icy la marchandise
+et la attraire en France.» Les Gantois répondent fièrement
+qu'ils sont résolus à maintenir les priviléges que leurs ancêtres
+payèrent de leur sang, et que, d'après ces priviléges, tant que toutes
+les infractions qu'ils ont subies n'auront point été réparées, ils
+doivent s'abstenir de toute relation avec les autres membres de
+Flandre. Ils ajoutent qu'ils désirent être instruits des négociations
+commencées avec l'Angleterre.</p>
+
+<p>Les nouvelles arrivées de Londres étaient peu favorables. Lord
+Howard était parvenu à se disculper, et il venait d'être chargé d'aller
+conclure un nouveau traité avec le roi de France (12 mai 1480).
+Marguerite n'hésita pas toutefois à tenter un dernier effort, et elle
+se rendit elle-même en Angleterre. Edouard IV aimait peu les
+Français, mais il écoutait son avarice en acceptant leurs dons. Il
+raconta, le 27 juillet, à sa s&oelig;ur, que lord Howard, arrivé la veille
+de France avec le dernier semestre du <em>tribut</em> établi par le traité
+d'Amiens, lui avait appris que Louis XI consentirait volontiers à
+lui payer, chaque année, cinquante mille écus s'il pouvait conclure
+le mariage du Dauphin et de madame Elisabeth, ainsi qu'une trêve
+dont seraient formellement exclus le duc d'Autriche et le duc de
+Bretagne, et que pour parvenir à ce but «son intention estoit de
+non espagner la moitié de la revenue de son royaume d'un an
+en dons et autrement.» Lord Howard avait aussi déclaré que le
+roi de France, s'il ne réussissait point à Londres, s'adresserait à
+Maximilien lui-même, «afin de pratiquer par tous moyens possibles,
+et mesmement par force d'argent et plusieurs autres fainctes et
+dissimulées offres, aucun traité au moyen duquel il le pust séparer
+<span class="pagenum"><a id="Page_179"> 179</a></span>
+des maisons d'Angleterre et de Bretagne.» L'un de ces
+moyens, le plus opposé à la politique habituelle de Louis XI, puisqu'il
+se fondait sur l'intimidation, était la réunion d'une armée
+destinée à former le siége d'Aire et de Saint-Omer.</p>
+
+<p>La duchesse de Bourgogne avait aussi été avertie que des
+envoyés français ne tarderaient point à traverser la mer: elle
+prévint leurs efforts. Par des traités successifs du 1<sup>er</sup>, du 5 et du
+14 août 1480, le roi d'Angleterre s'allia à Maximilien et lui accorda
+pour son fils la main de sa fille Anne. Six mille archers anglais
+devaient secourir la Flandre contre le roi de France, et Maximilien
+promettait à Edouard IV une rente annuelle semblable à celle que
+lui payait Louis XI. Marguerite s'était même efforcée d'engager
+Edouard IV à envahir l'Aquitaine et la Normandie, et à
+réunir à sa couronne les conquêtes qui avaient illustré le règne
+d'Edouard III, ancêtre commun des deux grandes dynasties d'York
+et de Lancastre. Peut-être même Maximilien proposa-t-il de rendre
+hommage du comté de Flandre à Edouard IV, <em>roi de France et
+d'Angleterre</em>, dès qu'il aurait traversé la mer avec ses armées.
+Michel de Berghes avait déjà reçu des instructions relatives à la
+part que le duc d'Autriche prendrait à cet armement, et il avait
+été convenu que quinze cents archers anglais iraient immédiatement
+rejoindre ceux qui se trouvaient en Flandre sous les ordres
+de Thomas d'Euvringham. Pour que cette confédération fût
+complète, on attendait à Londres les envoyés de la Bretagne chargés
+d'offrir au prince de Galles la main de l'unique héritière de
+leur duché.</p>
+
+<p>L'imprudence et l'incapacité de Maximilien devaient renverser
+tous ces projets si habilement préparés en dépit de mille obstacles.
+Il ne s'était laissé ébranler ni par l'invasion des Français dans le
+Luxembourg, ni par les préparatifs des garnisons françaises de
+l'Artois aisément contenues par Jean de Dadizeele: il avait cédé
+à quelques lignes d'une lettre où l'un de ses espions en France lui
+annonçait que Louis XI avait comblé d'honneurs et de présents
+le cardinal de la Rovère, légat du pape Sixte IV, non-seulement
+pour qu'il excommuniât les Flamands, mais aussi pour qu'il persuadât
+à la duchesse douairière de Bourgogne de soutenir ses intérêts,
+«en lui faisant offres de par le roy de la marier grandement.»
+Quelque invraisemblable que fût cette allégation, Maximilien y
+ajouta une foi aveugle: il refusa de recevoir dans ses Etats le cardinal
+<span class="pagenum"><a id="Page_180"> 180</a></span>
+de la Rovère et traita avec Louis XI, non-seulement sans le
+conseil, mais même à l'insu de la duchesse Marguerite.</p>
+
+<p>Quelques-uns des ministres anglais se montrèrent fort irrités de
+la conduite de Maximilien: Edouard IV toutefois partageait peu
+leurs sentiments. Il approuva aisément ce qu'avait fait le duc d'Autriche,
+et se hâta d'envoyer en France des ambassadeurs continuer
+les négociations relatives au mariage de madame Elisabeth avec le
+Dauphin pour conserver le <em>tribut</em> de cinquante mille écus. Peu de
+jours après, Marguerite s'embarqua à Douvres, et les envoyés du
+duc de Bretagne ne trouvèrent à leur arrivée en Angleterre que
+le souvenir de la vaste confédération à laquelle ils se croyaient
+appelés à prendre part.</p>
+
+<p>Cependant Marguerite n'abandonna point ses desseins: son
+retour en Flandre lui avait rendu son influence, et elle présida sans
+doute aux instructions qui furent données le 29 janvier 1480 (v. st.)
+au prince d'Orange, au comte de Chimay, à l'abbé de Saint-Bertin
+et au doyen de Saint-Donat, chargés d'aller remontrer à Edouard IV
+que le moment n'avait jamais été plus favorable pour porter la
+guerre en France, et que Maximilien était prêt à lui céder ses
+droits sur Boulogne, Montreuil, le Ponthieu et les villes de la
+Somme, et à l'aider à reconquérir la Normandie et la Champagne,
+où il pourrait se faire couronner à Reims. L'appui de Maximilien
+n'est-il pas important? La Flandre n'est-elle pas la patrie de
+Jacques d'Artevelde? Le prince d'Orange et le comte de Chimay
+auront soin de le rappeler au roi d'Angleterre, en exposant «comme
+l'ayde et assistance des dits pays est moult à estimer; car pour
+l'avoir le roy Edouard d'Angleterre, qui premier mist avant la
+querelle des roys d'Angleterre en France, vint par deçà en sa
+personne, pratiqua l'ayde des dits pays et tint à bien grande
+chose l'avoir d'aucuns d'iceux, et aussi il luy servit et prouffita
+moult à sa conqueste, comme chacun sçait.» Edouard IV ressemblait
+peu à l'illustre monarque dont il portait le nom: on le
+pressa vainement de prendre les armes; il répondait toujours:
+«Attendez la mort du roi de France.»</p>
+
+<p>Louis XI était déjà vieux, et sa santé s'affaiblissait; selon une
+rumeur populaire qui arriva jusqu'en Flandre, il avait été atteint
+de la lèpre vers la fin de l'année 1479. Enfin, au mois de mars 1480
+(v. st.), pendant qu'il se trouvait à table, aux Forges près de Chinon,
+il avait été frappé d'une attaque d'apoplexie qui lui fit perdre
+<span class="pagenum"><a id="Page_181"> 181</a></span>
+un moment la parole, et qui lui sembla, aussi bien qu'à ses ennemis,
+le signe de sa fin prochaine. Agité par ses remords, il s'attachait
+de plus en plus à cette vie de la terre où le crime, assis au
+faîte des grandeurs, se promet vainement une éternelle impunité.
+Il faisait chercher aux Cordeliers de Troyes les reliques de Jean
+de Gand, pauvre ermite de Saint-Claude, qui avait partagé avec
+Jeanne d'Arc la gloire de faire accepter à Charles VII des prophéties
+libératrices. Il appelait saint François de Paule du fond de
+l'Italie, pour lui demander à genoux quelques jours de plus, et, en
+même temps, craignant de voir ses terreurs se révéler et affaiblir
+sa puissance, il présidait son conseil, passait ses Suisses en revue,
+et faisait acheter à grands frais dans toute l'Europe les instruments
+de ces plaisirs qui ne conviennent qu'à la santé et à la jeunesse:
+des rennes de Suède, des chevaux de Naples, des mules de Sicile,
+des épagneuls de Valence, des levrettes de Bretagne, bientôt oubliées
+pour celles qu'il choisit dans la meute du sire de Boussut, de préférence
+aux barbets de Flandre à jambes droites et aux chiens noirs
+de Saint-Hubert, comme la seule rançon qu'il voulût accepter de
+Wolfgang de Polheim: frivoles délassements qui formaient un
+contraste étrange avec les sombres préoccupations de sa politique.</p>
+
+<p>Le 25 octobre 1480, Louis XI avait écrit au cardinal de la Rovère
+que si l'entrée des Etats de Maximilien lui était définitivement refusée,
+il ferait bien d'annoncer que sa mission était d'assurer aux
+peuples le rétablissement de la paix, si nécessaire à leur prospérité,
+et d'adresser cette déclaration aux Gantois, afin d'exciter chez eux
+quelque sédition violente. Le légat du pape avait déjà fait publier
+dans toutes les villes de Flandre la bulle pontificale du 16 septembre,
+qui avait inutilement engagé Maximilien à le recevoir; il
+répondit à Louis XI qu'il allait remontrer, par une nouvelle lettre,
+aux bonnes villes de Flandre tous les maux que leur désobéissance
+au saint-siége devait entraîner, et combien Maximilien était coupable
+en rejetant la médiation du pape pour n'écouter que les conseils
+de l'évêque de Tournay. Or, l'évêque de Tournay était Ferri
+de Cluny, frère de l'ancien protonotaire de Térouane, qui, après
+avoir été le complice d'Hugonet et d'Humbercourt et l'instrument
+de l'usurpation de la Bourgogne par le roi de France, était resté
+haï des Flamands en quittant Louis XI pour s'attacher exclusivement
+au duc d'Autriche.</p>
+
+<p>L'impopularité de Maximilien s'accroissait de jour en jour; sa
+<span class="pagenum"><a id="Page_182"> 182</a></span>
+prodigalité, qui ne cessait d'enrichir les Allemands et les Bourguignons,
+multipliait les sacrifices que s'imposait un pays réduit
+à la détresse et à la misère: sa faiblesse concourait à les
+rendre stériles. Au moment même où Louis XI l'accusait publiquement
+de falsifier le sceau royal, Maximilien ne songeait qu'à
+remplir ses trésors pour les épuiser aussitôt. Dès le mois de septembre
+1477, on le voit écrire au sire de Ravestein pour qu'il remette
+à son valet de chambre, Gauthier de Heusden, cent mille
+florins de joyaux, et, de plus, «une bague garnie de pierres, de la
+valeur de trois quarats ou chinc mille florins, pour les engager ou
+faire fondre.» En 1479, il laisse vendre par la maison des Médicis,
+qui apprit à aimer les arts en acceptant des chefs-d'&oelig;uvre
+comme gage de ses prêts usuraires, une partie des images ciselées
+et de la riche vaisselle des ducs de Bourgogne. De précieux joyaux
+se trouvaient entre les mains de Foulques Portinari, qui menaçait
+de les faire fondre si on ne lui remboursait pas ses avances; d'autres
+étaient entrés dans les coffres de quelques marchands espagnols qui
+prêtaient à trente et quarante pour cent d'intérêt; d'autres encore
+avaient été remis à Jacques de Witte, à Jean de Boodt, à Henri
+Nieulant, à Jacques Despars, à Jacques Metteneye et à trente-cinq
+de leurs amis, qui s'étaient constitués cautions pour une somme de
+quatre mille livres de gros. Faut-il ajouter que la bibliothèque des
+ducs de Bourgogne, «la plus riche et noble librairie du monde,»
+avait été en grande partie aliénée et dispersée; les monuments de
+la protection que les ducs de Bourgogne avaient accordée aux lettres
+disparaissaient dans le même gouffre que ceux qui retraçaient
+leur puissance.</p>
+
+<p>Il ne faut plus s'étonner de voir le mécontentement éclater de
+toutes parts. Les députés des communes s'assemblèrent pour délibérer
+sur la situation des affaires publiques: Gand avait pris l'initiative
+de ce mouvement. Comme aux plus mauvais jours du quatorzième
+siècle, la lutte se dessinait énergique et vive entre les courtisans
+qui entouraient le prince à ses joutes et à ses fêtes, et les
+bourgeois des villes qui lui avaient fait un rempart de leurs corps
+sur le champ de bataille.</p>
+
+<p>Le chef du parti des communes était Jean de Dadizeele. Issu
+d'une antique maison, il avait fréquenté pendant sa jeunesse les
+écoles de Lille et d'Arras, puis il s'était attaché comme servant
+d'armes à Simon de Lalaing dès l'époque où celui-ci défendit si vaillamment
+<span class="pagenum"><a id="Page_183"> 183</a></span>
+Audenarde contre les Gantois, et il était resté près de lui
+jusqu'à sa mort. En 1465 il avait épousé Catherine Breydel et était
+retourné dans le château de ses ancêtres, où il reçut tour à tour les
+nombreux pèlerins qui allaient prier à l'autel de Notre Dame de
+Dadizeele, notamment les duc Philippe et Charles de Bourgogne,
+Marie et Maximilien, Adolphe de Clèves, le comte de Scales et
+d'autres hôtes non moins illustres. Dès ce moment, ses années furent
+partagées entre l'administration paternelle de ses domaines et les
+guerres où il était tenu, à raison de son fief, de servir le prince.
+Tantôt il établissait une foire et faisait bâtir de nombreuses maisons
+à Dadizeele, de telle sorte qu'on parle dans les documents contemporains
+de la ville de Dadizeele, comme Bladelin parlait quelques
+années plus tôt de sa ville de Middelbourg. Tantôt il passait
+la revue annuelle de ses braves vassaux qui le suivirent à Guinegate,
+les fermiers étant montés sur leurs chevaux de trait, les ouvriers
+tous armés d'une fourche; d'autres fois il courait défendre la
+Bourgogne, au premier bruit des résultats douteux de la bataille
+de Montlhéry. En 1467, il accompagnait le sire de la Gruuthuse,
+lorsqu'il parvint à calmer à Gand l'émeute de la Saint-Liévin. A la
+mort de Charles le Hardi, il était devenu le conseiller et le défenseur
+de Marie de Bourgogne. Allant recevoir Maximilien aux frontières
+de Flandre, puis présidant à son mariage, également prompt à réprimer
+les séditions des métiers de Gand et à faire respecter la suprématie
+de la ville par les habitants de la châtellenie qui lui était
+soumise, appelé bientôt par ses victoires au commandement de l'armée
+flamande, avec laquelle il déjoua tous les projets de Louis XI,
+créé tour à tour grand bailli de Gand, bailli souverain de Flandre,
+capitaine général et ambassadeur en Angleterre, il était le seul
+homme capable de sauver la Flandre menacée à la fois par la trahison
+et l'anarchie, par l'intrigue et la conquête.</p>
+
+<p>Le 7 octobre 1481, Jean de Dadizeele se trouvait à Anvers, lorsqu'il
+fut assailli le soir par quatre ou cinq meurtriers inconnus.
+Peu de jours après, il rendit le dernier soupir. Sa vie, jusque-là
+destinée à accomplir à travers mille périls une &oelig;uvre de conciliation,
+eût pu modérer les passions inquiètes de ses amis, et protéger
+ceux-là mêmes qui le haïssaient: sa mort allait briser le dernier
+obstacle qui s'opposât aux discordes civiles, car elle devait être également
+funeste aux hommes qui l'avaient préparée et aux bourgeois,
+qui lui firent des funérailles aussi pompeuses que celles d'un prince:
+<span class="pagenum"><a id="Page_184"> 184</a></span>
+c'était le deuil de la Flandre entière, condamnée à voir s'éteindre
+avec la paix intérieure les dernières illusions de la puissance et de
+la liberté.</p>
+
+<p>Maximilien se trouvait à Anvers lors de l'attentat dirigé contre
+le sire de Dadizeele. Il était même allé le voir et avait fait fermer
+les portes de la ville, afin que les auteurs du crime ne pussent
+s'échapper. On ne les découvrit point: cependant la rumeur publique
+accusait le sire de Montigny et le bâtard de Gaesbeke. Le premier
+était le beau-père, et le second le fils illégitime de messire
+Philippe de Hornes, seigneur de Gaesbeke et de Baucignies, connu
+lui-même comme l'un des principaux ennemis de la victime. Maximilien
+feignit de l'ignorer et ne se souvint plus de l'assassinat de
+Jean de Dadizeele que pour en profiter. On arrêta à Bruges par son
+ordre les magistrats et les bourgeois les plus respectés, Jean de
+Riebeke, Jean de Keyt, Jean de Boodt, Martin Lem, si fameux par
+le zèle qu'il avait montré à prodiguer ses biens pour résister à l'invasion
+française, Jean de Nieuwenhove, l'un des héros de Guinegate.
+Il fallut quatre jours aux officiers de Maximilien pour étayer
+sur les griefs les plus vagues leur acte d'accusation. Il nous suffira
+de rappeler que l'un de ceux que l'on reprochait à Jean de Nieuwenhove
+était de s'être approprié à Guinegate le trésor de l'armée,
+trésor qui avait été pillé, on le savait bien, par les hommes d'armes du
+sire de Saint-André. La conclusion était du reste telle que l'avarice
+de Maximilien permettait de le prévoir: le payement d'une amende
+qui pour chacun des accusés se serait élevée à quarante mille lions
+d'or. Tous les conseillers de Maximilien s'étaient empressés d'offrir
+leur témoignage hostile: c'étaient, entre autres, Roland d'Halewyn,
+allié à la maison de Hornes, Jacques de Ghistelles, Charles
+d'Uutkerke, et en même temps le duc d'Autriche décidait que cette
+affaire serait portée devant la juridiction de son conseil, juridiction
+évidemment dénuée de toute garantie d'impartialité; mais les accusés
+réclamèrent si vivement les priviléges attachés au droit de
+bourgeoisie qu'il fallut ajourner leur jugement.</p>
+
+<p>Peu de jours après, les états se réunirent à Bruges. Les échevins
+de cette ville et ceux du Franc, effrayés par l'arrestation de leurs
+anciens collègues, accordèrent les subsides qui furent demandés;
+mais les échevins de Gand refusèrent d'envoyer des députés à cette
+assemblée. Ils avaient protesté contre l'arrestation de Jean de Nieuwenhove
+et de ses amis en prononçant immédiatement une sentence
+<span class="pagenum"><a id="Page_185"> 185</a></span>
+de cinquante années d'exil contre le sire de Hornes. Celui-ci ne répondit
+à leurs menaces qu'en les traitant de chiens et en portant par
+moquerie un collier de fer garni de clous pour se défendre contre
+eux. Le sire de Hornes ne quittait plus Bruges, où il s'abritait sous
+le manteau de Marie de Bourgogne, non pas parce que c'était un
+manteau de pourpre, mais parce que la princesse qui le portait était
+bonne, douce, aimable, pieuse, respectée de tous. La transmission
+de la souveraineté par les femmes annonça toujours pour la Flandre
+un avenir prochain de désastres et de malheurs, aussi bien depuis
+Jeanne de Constantinople jusqu'à Marie de Bourgogne que depuis
+Marguerite d'Autriche jusqu'à Marie-Thérèse, et toutefois la Flandre,
+indocile à l'autorité des monarques les plus redoutables et des
+capitaines les plus illustres, se prit toujours à aimer celle qui résidait
+en de plus faibles mains: elle chérissait l'héritière orpheline de
+Charles le Hardi autant qu'elle avait chéri autrefois les héritières
+orphelines de Baudouin de Constantinople, comme si les traditions
+de la gloire des dynasties qui s'éteignent empruntaient un nouveau
+prestige et un dernier éclat en se reposant au sein de l'innocence et
+de la chasteté de la vierge et de la femme.</p>
+
+<p>Voyez Marie de Bourgogne au milieu des bourgeois de Bruges
+qui osèrent lutter contre la puissance de son aïeul: ils l'admirent
+et la vénèrent tandis qu'elle se mêle, pieds nus et un cierge à la
+main, aux processions qui demandent à Dieu la victoire de Guinegate.
+Ils applaudissent également à sa grâce et à son adresse lorsque,
+entourée de dames, elle effleure de ses patins légers la glace qui
+conserve à peine sa trace, prophétique image d'une existence fugitive
+et trop tôt éclipsée; ils la saluent de leurs acclamations quand
+elle se prépare, le faucon au poing, à parcourir les bois et les marais:
+un jour, toutefois, au lieu de reparaître aux portes de Bruges
+au son des fanfares et du joyeux hallali, on la rapporta pâle, sans
+mouvement, le corps à demi brisé, à la suite d'un bond de son coursier,
+qui s'était renversé sur elle. L'affection dont elle était l'objet
+ne se manifesta jamais plus vivement; elle fit bientôt place à un
+sentiment profond d'inquiétude. Une procession solennelle parcourut
+toute la ville: elle rentrait à Saint-Donat lorsque le dernier soupir
+de la jeune duchesse de Bourgogne monta vers le ciel avec les derniers
+chants du clergé, au milieu des prières et des larmes du
+peuple (27 mars 1481, v. st.).</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_186"> 186</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>LIVRE VINGT-UNIÈME.<br />
+<span class="medium">1481-1500.</span></h2>
+
+<p class="subh">Discussions relatives à la mainbournie.<br />
+Intervention de Charles VIII.<br />
+Décadence et fin des communes flamandes.</p>
+</div>
+
+<p>Dès que l'on avait pu prévoir la mort de la duchesse de Bourgogne,
+le sire de Gaesbeke, voyant que la protection sur laquelle
+il se reposait allait lui manquer, s'était hâté de fuir de Bruges.</p>
+
+<p>Les Gantois avaient confirmé le 18 mars la sentence qu'ils avaient
+prononcée le 11 décembre contre lui. Les sires de Beveren et de la
+Gruuthuse se rendirent au milieu d'eux pour les calmer, et revinrent
+avec leurs députés, qui furent reçus avec honneur: deux jours
+après, Jean de Nieuwenhove et les bourgeois qui avaient été emprisonnés
+avec lui furent solennellement absous de toutes les accusations
+portées contre eux.</p>
+
+<p>Selon les clauses de l'acte du 18 août 1477, l'autorité du duc
+d'Autriche devait se terminer par la dissolution du mariage qui en
+était la base, et le 8 avril, les états de Flandre s'assemblèrent à
+Bruges pour s'occuper des affaires publiques et renouveler l'ancienne
+alliance des trois bonnes villes. Maximilien promit
+d'éloigner désormais de lui Philippe de Hornes, Roland d'Halewyn,
+Jacques de Ghistelles et leurs amis: il offrit de plus de prêter un
+nouveau serment de respecter les franchises et les priviléges du
+pays. Il espérait ainsi obtenir la tutelle de son fils et le maintien
+de son autorité; mais les états demandèrent quelque délai pour
+délibérer; et s'ils consentirent, dans une nouvelle réunion, tenue à
+Gand le 3 mai 1482, à lui reconnaître le titre de <em>bail</em> et de <em>mainbourg</em>,
+ce fut avec cette réserve importante que la Flandre «seroit
+gouvernée soubz le nom de monseigneur Phelippe par l'advis de
+ceulx de son sang et de son conseil estans et ordonnez lez luy.»</p>
+
+<p>Maximilien ne négligeait aucun moyen pour se rendre les états
+<span class="pagenum"><a id="Page_187"> 187</a></span>
+favorables. Il consentit à nommer à leur demande des ambassadeurs
+chargés de traiter de la paix avec Louis XI, et choisit pour cette
+importante mission les sires de Rasseghem et de la Gruuthuse, qui
+jouissaient à Gand et à Bruges d'une grande popularité. Les abbés
+des Dunes et de Saint-Pierre, le prévôt de Saint-Donat, et trois
+échevins de Gand, de Bruges et d'Ypres, devaient les accompagner
+en France.</p>
+
+<p>Un traité qui rétablît les relations commerciales, suspendues depuis
+cinq années, paraissait depuis longtemps utile et désirable aux
+esprits les plus sages: il semblait qu'il fût devenu urgent d'en hâter
+la conclusion au moment où la Flandre, encore inquiète sur les
+desseins secrets de Maximilien, n'était plus assurée de pouvoir opposer
+aux forces supérieures de la France celles qu'elle puisait dans
+la concorde intérieure et dans son union.</p>
+
+<p>On souhaitait également la paix au château du Plesis-lez-Tours.
+Par une étrange préoccupation, remords politique qui se mêlait à
+bien d'autres remords, le roi de France ne songeait qu'à réparer la
+faute qu'il avait commise en dédaignant l'alliance de Marie de Bourgogne;
+il espérait y parvenir en recherchant pour le Dauphin la
+main de Marguerite, qui ne possédait pas le vaste héritage de sa
+mère et que la même inégalité d'âge eût séparée de son époux. Depuis
+longtemps, il présentait ce mariage comme le meilleur moyen
+de faire cesser la guerre. Il saisit avec empressement, après la mort
+de Marie de Bourgogne, cette occasion si favorable pour faire réussir
+ses projets, et dès qu'il apprit que les communes de Flandre se
+proposaient de lui envoyer des députés, il se hâta de leur exprimer la
+joie qu'il en éprouvait.</p>
+
+<p>Les députés des communes flamandes trouvèrent Louis XI à
+Cléry, où il était venu passer les fêtes de l'Assomption: ils lui exposèrent
+leur mission et obtinrent une réponse favorable. Le sire
+de Saint-Pierre les reconduisit jusqu'à Paris, où le prévôt des marchands
+et les échevins leur firent également grand honneur. Le roi
+avait même voulu qu'à leur retour ils vissent l'armée du sire de
+Crèvec&oelig;ur qui venait de s'emparer de la ville d'Aire (28 juillet
+1482). Elle était en effet fort belle: on y comptait quatorze cents
+lances, six mille Suisses et huit mille hommes armés de piques.</p>
+
+<p>Le récit des ambassadeurs flamands fit désirer de plus en plus la
+paix. Les états se réunirent d'abord à Ypres, puis à Alost, et ils ne
+se montrèrent point éloignés de consentir au mariage de mademoiselle
+Marguerite avec le Dauphin.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_188"> 188</a></span>
+Les négociations se continuaient à Arras. Le roi de France y
+avait envoyé deux hommes qui, à des titres bien différents, n'étaient
+étrangers ni l'un ni l'autre à ceux avec lesquels ils étaient appelés à
+traiter. Le premier était ce sire de Crèvec&oelig;ur qui, inquiété par
+Louis XI au sujet de l'emploi des trésors remis entre ses mains,
+répondait qu'il les rendrait volontiers si le roi lui rendait aussi
+Aire, Arras, Saint-Omer, Béthune, Bergues, Dunkerque, Gravelines,
+que ces trésors avaient mis en son pouvoir. Le second était Jean de
+la Vacquerie, bourgeois d'Arras, devenu premier président du parlement
+de Paris, qui ne craignit jamais de résister à des ordres injustes,
+et de placer le soin de son honneur au-dessus de celui de
+sa vie, plus digne de louanges dans sa pauvreté, remarque Michel
+de l'Hospital, que ne l'avait été Nicolas Rolin au milieu de ses richesses.
+Parmi les députés nommés par le duc d'Autriche et les états
+de Flandre, on remarquait Jean de Lannoy, chancelier de la Toison
+d'or et abbé de Saint-Bertin, les abbés de Saint-Pierre de Gand et
+d'Afflighem, le sire de Gouy, haut bailli de Gand, Jean d'Auffay,
+maître des requêtes, Jacques de Savoie, comte de Romont, les sires
+de Lannoy, de Berghes et de Boussut. La ville de Gand avait choisi
+pour ses mandataires Guillaume Rym et Jacques Steenwerper;
+celle de Bruges était représentée par le bourgmestre Jean de Witte,
+le conseiller George Ghyselin et Jean de Nieuwenhove; celle d'Ypres,
+par son pensionnaire Jacques Craye; Louvain, Anvers, Bruxelles,
+Mons, Lille, Douay, Valenciennes, Saint-Omer, y avaient aussi leurs
+députés.</p>
+
+<p>Le traité de paix fut signé le 23 décembre 1482: il portait que
+le Dauphin épouserait mademoiselle Marguerite de Flandre et
+qu'elle recevrait pour dot les comtés d'Artois et de Bourgogne et les
+seigneuries de Mâcon, d'Auxerre, de Salins, de Bar-sur-Seine et de
+Noyers, que Louis XI occupait déjà. La ville de Saint-Omer devait
+y être jointe; mais elle ne devait être remise aux Français qu'à l'époque
+de la consommation du mariage. Un article spécial reconnaissait
+au roi la souveraineté du comté de Flandre, dont le jeune duc
+Philippe était tenu de rendre hommage. D'un autre côté, le roi de
+France abandonnait ses prétentions sur les châtellenies de Lille, de
+Douay et d'Orchies, confirmait tous les priviléges de la Flandre,
+tels que Marie de Bourgogne les avait renouvelés, et rétablissait la
+liberté du commerce comme elle existait avant l'avénement du duc
+Charles. Les envoyés des villes flamandes avaient également obtenu
+<span class="pagenum"><a id="Page_189"> 189</a></span>
+que ces conventions fussent ratifiées par les états de toutes les provinces
+et par toutes les bonnes villes de France: c'est ainsi que,
+vers les premiers temps du moyen-âge, les rois, chefs de la féodalité,
+réclamaient dans les traités l'adhésion des barons, représentants
+du même ordre politique et non moins intéressés à le soutenir.</p>
+
+<p>L'allégresse la plus vive régnait en Flandre: à Gand, les réjouissances
+se prolongèrent plusieurs jours; à Bruges, on célébra dans
+l'église de Saint-Donat les jeux quelquefois trop libres de la fête du
+Pape des ânes. En France, la joie n'était pas moins générale; et
+l'on chantait en ch&oelig;ur les vers élégants d'une ballade composée
+tout exprès par Guillaume Coquillart, official du diocèse de
+Reims:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Bons esperitz et vertueulx courages</p>
+<p>... regardez les &oelig;uvres déifiques</p>
+<p>Dont Dieu nous a si grandement douez...</p>
+<p>Vouloir divin a produit ces ouvrages...</p>
+<p>Du ciel sont cheues ces plaisantes images...</p>
+<p>... Ces trois dames lesquelles cy voyez:</p>
+<p>C'est France et Flandre et la paix entre deux.</p>
+</div></div>
+
+<p>Une ambassade solennelle composée des abbés de Saint-Bertin
+et de Saint-Pierre, de Jean de Berghes et de Baudouin de Lannoy,
+était allée en France recevoir la ratification du roi. Un pompeux
+accueil fut fait à Paris aux députés des communes flamandes; il y
+eut en leur honneur <i lang="la" xml:lang="la">Te Deum</i>, processions, feux de joie et fêtes à
+l'hôtel de ville. Maître Scourale, l'un des plus célèbres docteurs
+de l'université, leur adressa un discours, après quoi ils assistèrent
+à la représentation d'une moralité, avec sotie et farce, qui eut lieu
+dans l'hôtel du cardinal de Bourbon. De là ils se rendirent au château
+du Plessis: c'était la résidence ordinaire de Louis XI, qui
+l'avait fortifiée à grands frais. Une forte grille l'entourait et les murs
+en étaient hérissés de piques, afin que l'on ne pût essayer de traverser
+les fossés. Aux quatre angles du château s'élevaient quatre
+guérites de fer, où veillaient quarante arbalétriers sans cesse prêts
+à repousser toute attaque; quatre cents archers occupaient l'intérieur;
+mais les regards se détournaient avec joie de ce sombre donjon
+pour se reposer sur les riants ombrages du parc, où l'on avait
+construit des cellules pour saint François de Paule et d'autres
+ermites; l'on y apercevait aussi de nombreuses troupes de bergers
+<span class="pagenum"><a id="Page_190"> 190</a></span>
+du Poitou, qui cherchaient à distraire l'esprit du roi au son de leurs
+musettes, lorsque la parole sévère des pieux anachorètes avait
+effrayé sa conscience troublée.</p>
+
+<p>Ce fut le soir qu'on introduisit les ambassadeurs flamands au
+château du Plessis; ils trouvèrent le roi assis dans le coin obscur
+d'une chambre mal éclairée où l'on ne pouvait distinguer ses traits
+décomposés. Ils s'excusa d'une voix faible, mais qui avait conservé
+un accent faux et railleur, de ce qu'il ne se levait point pour les
+recevoir. Après avoir causé peu d'instants avec «messeigneurs de
+Flandre» (c'était le nom qu'il donnait aux ambassadeurs), il
+ordonna qu'on apportât le livre des saints Evangiles. Sa main droite
+était complètement paralysée; il souleva avec peine son bras enveloppé
+dans une écharpe et toucha le livre du coude en jurant d'observer
+la paix; c'est ainsi que les derniers jours d'un prince si
+longtemps redouté s'achevaient dans une prison aussi triste que
+celle où il avait retenu ses ennemis.</p>
+
+<p>Maître Guillaume Picard, bailli de Rouen, accompagna les ambassadeurs
+à Paris, où ils furent de nouveau accueillis avec de
+grandes démonstrations de respect et d'affection. Bien que les bruits
+les plus alarmants se répandissent sur l'état de la santé du roi, et
+qu'il y eût eu une procession solennelle à Saint-Denis pour que le
+ciel fît cesser le vent de bise, toujours funeste aux malades,
+Louis XI encourageait lui-même les réjouissances populaires, qui
+détournaient l'attention de sa lente agonie. Pour rendre plus d'honneur
+aux députés flamands, le parlement les invita à assister à ses
+séances, où ils s'assirent les uns sur le banc des prélats et les autres
+à coté du greffier. Ils ignoraient que pendant leur absence, au moment
+même où Louis XI jurait d'observer les conditions de la paix,
+il avait fait remettre par son procureur général au parlement une
+protestation qui tendait à attribuer à la couronne de France tous
+les pays constitués en dot à madame Marguerite, lors même qu'elle
+n'épouserait pas le Dauphin: rien ne put leur faire soupçonner ces
+réserves secrètes, lorsqu'on les invita à assister à l'enregistrement
+public du traité d'Arras dans cette même cour du parlement.</p>
+
+<p>Tandis que l'ambassade flamande s'éloignait de Paris, des événements
+importants s'accomplissaient en Flandre. Le 10 janvier 1482
+(v. st.), Philippe, fils de Maximilien, avait été inauguré à Gand et
+avait prêté le même serment que les comtes de Flandre ses prédécesseurs,
+et, aussitôt après, les députés des états avaient constitué
+<span class="pagenum"><a id="Page_191"> 191</a></span>
+le gouvernement par le choix de quatre conseillers qui devaient le
+diriger au nom du jeune prince, tant que durerait sa minorité.
+C'étaient Adolphe de Clèves, seigneur de Ravestein; Philippe de
+Bourgogne, seigneur de Beveren; Louis de Bruges, sire de la
+Gruuthuse, et Adrien Vilain, sire de Rasseghem.</p>
+
+<p>Maximilien n'avait point osé s'y opposer. Il reçut à Gand l'archevêque
+de Rouen et l'évêque de Caen, chargés par le roi de France
+de réclamer l'adhésion solennelle de la Flandre au traité d'Arras,
+et se rendit avec eux à l'église de Saint-Jean, où il jura de l'observer.
+Il n'osa pas davantage se plaindre des Gantois qui, ayant obtenu
+des ambassadeurs français la confirmation de leur célèbre
+privilége de 1301, leur en témoignaient leur reconnaissance en les
+invitant à assister à la revue de leurs connétablies et de leurs corporations.
+Enfin, quand les progrès de la faction des Hoeks en Hollande
+l'appelèrent au siége d'Utrecht, il ne prit congé des députés
+de la Flandre à Hoogstraeten qu'après avoir conclu avec les sires
+de Beveren et de la Gruuthuse et Jean de Witte, bourgmestre de
+Bruges, un accord par lequel il confirmait, moyennant une pension
+annuelle de vingt-quatre mille écus, l'autorité déférée par les états
+aux conseillers qu'ils avaient donnés au jeune duc Philippe
+(5 juin 1483).</p>
+
+<p>Madame de Beaujeu, fille du roi de France, s'était rendue à Hesdin
+pour recevoir mademoiselle Marguerite de Flandre alors âgée
+de trois ans, et d'une santé si délicate, que les médecins avaient
+ordonné d'attendre le printemps pour son voyage: elle la conduisit
+à Paris, où elle fit son entrée le 2 juin. On avait dressé trois vastes
+échafauds à la porte Saint-Denis: sur le premier, on avait représenté
+le roi; sur le second, le Dauphin et mademoiselle de Flandre;
+sur le troisième paraissaient le seigneur et la dame de Beaujeu.
+Quatre personnages qui figuraient la noblesse, le clergé, l'agriculture
+et le commerce, souhaitèrent la bienvenue à la jeune princesse.
+Partout où elle passa, les rues étaient richement ornées de tentures,
+et tous les prisonniers furent délivrés en son honneur. Le Dauphin
+attendait Marguerite à Amboise. La cérémonie des fiançailles y fut
+célébrée avec pompe en présence d'un grand nombre de députés des
+bonnes villes de France et de Flandre.</p>
+
+<p>Les ambassadeurs flamands ne virent plus le roi; il s'affaiblissait
+de plus en plus. Néanmoins, se trouvant dans la galerie qui
+dominait la cour du château du Plessis lorsque le sire de Beaujeu, et
+<span class="pagenum"><a id="Page_192"> 192</a></span>
+le comte de Dunois y rentrèrent d'Amboise avec une suite assez
+nombreuse, il sentit sa méfiance se ranimer, et, appelant un des
+capitaines de ses gardes, «il lui commanda, dit Philippe de Commines,
+aller taster aux gens des seigneurs dessus dits, voir s'ils n'avoient
+point des brigandines sous leurs robbes, et qu'il le fist comme en
+devisant à eux, sans trop en faire de semblant.» Louis XI redoutait
+jusqu'à son fils: il se souvenait de la triste fin de Charles VII!</p>
+
+<p>Enfin le jour arriva où les médecins reconnurent que tous les remèdes
+étaient désormais inutiles. Le roi de France avait défendu
+que l'on prononçât jamais devant lui «<em>le cruel mot de la mort</em>.»
+On devait se contenter, pour lui annoncer sa fin, de lui dire:
+«Parlez peu:» mais Olivier le Dain, ce grossier barbier de Thielt,
+choisi pour signifier au prince qui tant de fois l'avait chargé de ses
+arrêts, son propre arrêt, non moins terrible et non moins inévitable,
+lui jeta rudement ces paroles comme au dernier des condamnés:
+«C'est fait de vous; pensez à votre conscience!» Quelques heures plus
+tard, Louis XI expirait, après avoir recommandé Olivier le Dain à
+son fils. Fondateur d'un ordre politique nouveau, qu'il n'avait établi
+qu'en rompant violemment avec toutes les traditions du passé, il
+s'était lui-même exilé des royales sépultures de Saint-Denis où
+reposaient ses ancêtres, pour se faire ensevelir à Cléry, près d'un
+de ses favoris tué au siége de Bouchain; et déjà son système, si péniblement
+inauguré par les trahisons, les empoisonnements et les
+supplices, voyait s'évanouir la force et l'unité, qui en étaient le prétexte,
+en tombant aux mains d'un enfant pour flotter entre la régence
+d'Anne de Beaujeu et les états généraux de Tours.</p>
+
+<p>La mort de Louis XI fut annoncée à Maximilien au moment où il
+venait de trouver, dans une guerre facile contre la faction des
+Hoeks, des succès qui avaient relevé son orgueil et ses espérances.
+Utrecht avait capitulé, et Amersfort avait, peu après, été enlevé
+d'assaut. Il consentit à croire, peut-être par le conseil du comte de
+Chimay, de la maison de Croy, que la fortune elle-même déchirait
+les engagements qu'il avait pris à Hoogstraeten, et s'empressa de
+déclarer qu'il révoquait tous les pouvoirs précédemment accordés
+relativement au gouvernement de la Flandre: c'était le signal d'une
+guerre qui devait remplir toute la fin du quinzième siècle de sang
+et de deuil.</p>
+
+<p>La protestation des conseillers du duc Philippe ne se fit pas longtemps
+attendre. Le 15 octobre, les sires de Ravestein, de Beveren,
+<span class="pagenum"><a id="Page_193"> 193</a></span>
+de Rasseghem et de la Gruuthuse adressèrent à Maximilien un
+long mémoire, où ils lui déniaient, en vertu des stipulations matrimoniales
+de 1477, tout droit de <em>mainbournie</em>, et l'accusaient d'avoir
+pris illégalement le titre et les armes de comte de Flandre, d'avoir
+chargé la Flandre de taxes énormes, d'avoir engagé le domaine,
+d'avoir vendu les joyaux de Marie de Bourgogne, et d'écouter les
+conseils perfides que lui donnaient des étrangers. Ils terminaient
+en l'invitant, au nom de la Flandre, à se soumettre à l'arbitrage du
+roi de France.</p>
+
+<p>Maximilien réplique par un manifeste daté de Bois-le-Duc le 23
+octobre 1483. L'archiduc d'Autriche (tel est le titre qu'il s'attribue
+comme fils de l'Empereur) ne reconnaît pas aux mandataires des états
+de Flandre le droit de parler au nom du pays; «car sçavons certainement,
+dit-il, que ce procéde de aulcuns de petite autorité,
+gens légiers et arrogans, nos malveillans en bien petit nombre,
+qui plus désirent leur profit particulier que le bien de nostre fils
+et du pays, si comme vous Adrien Villain, chevalier, Guillaume
+Rym, Jehan de Coppenolle, Daniel Onredene, Jehan de Nieuwenhove,
+Jehan de Keyt, qui mettez ces choses en avant, usant
+de plusieurs malvaises et deshonnêtes parolles.» C'est vous,
+ajoute-t-il, qui m'accusez d'avoir touché à des joyaux qui ne m'appartenaient
+point: «en ce ne estes pas mes juges;» car vous
+levâtes vous-mêmes, après la mort de la duchesse Marie, huit cent
+mille écus dont vous n'avez rendu compte, «et ont été les exécuteurs
+les blans capprons de Gand.» Vous qui blâmez mes serviteurs,
+vous valez moins qu'eux, «puisqu'il ne faict à doubter que se pouviez
+parvenir à vos fins et intentions, vous tenriez nostre fils en
+perpétuele servitude et sujétion.» Puis Maximilien demande,
+avec quelque éloquence, pourquoi on ne lui contestait pas «la
+baillie» du comté de Flandre quand il soutenait «le dangier et
+fortune des anemis et de la bataille, tandis que ses adversaires
+estoient en sûreté en leurs maisons.»</p>
+
+<p>La réponse qui fut adressée à Maximilien ne fut ni moins vive
+ni moins violente. «Adrien Villain, Guillaume Rym, Jean de Coppenolle,
+Daniel Onredene, Jean de Nieuwenhove et Jean de Keyt
+sont de aussi grande auctorité que la plupart de ceulx estans à
+l'entour de vous, aulcuns des quels on a depuis ne a gaires d'années
+congneus bien petis... Regardez bien toute la compaignie,
+et vous faictes informer quels biens la plus grande partie de eulx
+<span class="pagenum"><a id="Page_194"> 194</a></span>
+avoient quand ils vinrent par decha, aussi bien Allemans que
+Bourguignons. Nos gens ne sont point telz.... Nous tenons que
+nous ne avons point usurpé le dit gouvernement aultrement que
+de droit debvons faire; car prince ne fut oncques reçeu ou dit
+pays, sinon par le consentement des trois membres, les quelz en
+son absence ou par sa minorité poeent pourveoir le dit pays à son
+profit, et l'imposition a esté faicte, ainssi qu'il appartient, par le
+consentement général du peuple.... Sachez aussi que la justice a
+esté ichi mieulx administrée que par delà, veu que vous avez
+tenu à l'entour de vous ceulx qui ont murdri l'évesque de Liége,
+oncle de nostre prince, et messire Jehan de Dadizeele.... Mais,
+hélas! ceulx qui voullentiers euissent entretenu la concorde des
+pays de Braibant et de Flandres en ont injustement, sans raison
+et contre les priviléges des pays, eubt à souffrir, que Dieu vengera
+une fois!...»</p>
+
+<p>A cette réplique succède une déclaration de Maximilien, où, sans
+reconnaître à des hommes «qui ne sont à comparer qu'à bourgeois,
+marchands et moindres,» le droit de se mettre en parallèle avec
+les princes, comtes et écuyers qui l'entourent, il persiste à nier la
+validité des conventions matrimoniales du mois d'août 1477. Marie
+de Bourgogne, affirme-t-il, les avait elle-même signées sans en
+prendre connaissance. En même temps, Maximilien faisait sommer
+les sires de Ravestein, de la Gruuthuse, de Borssele et de Beveren
+de se rendre, en leur qualité de membres de l'ordre de la Toison
+d'or, aux fêtes de la Saint-André à Bruxelles; mais ils répondirent
+que, bien que la présence de tous les chevaliers fût indispensable
+pour régler les questions importantes qui se présentaient, ils s'empresseraient
+d'obéir, pourvu qu'on leur accordât des lettres de sauf-conduit.
+Ils justifiaient ce sentiment de défiance en rappelant que
+Maximilien avait, au mépris même des statuts de l'ordre, diffamé
+leur honneur en faisant publier à son de trompe, au milieu de la
+foire d'Anvers, la révocation de l'autorité qu'il leur avait reconnue.</p>
+
+<p>Un nouvel incident vint aggraver la situation des choses. Les
+députés des états de Flandre qui étaient allés féliciter sur son
+avénement le jeune roi Charles VIII (c'étaient Philippe Wielant,
+Jacques Heyman et Jacques Steenwerper) furent, à leur retour,
+arrêtés par les hommes d'armes de Lancelot de Berlaimont, et on
+leur enleva toutes les lettres qui concernaient leur mission. Si
+Maximilien ne prit pas de part à cet attentat contraire à tous les
+<span class="pagenum"><a id="Page_195"> 195</a></span>
+préceptes du droit des gens, il en profita du moins, car il déclara à
+Pierre Bogaert, doyen de Saint-Donat de Bruges, que, bien que le
+sire de Berlaimont eût agi sans ses ordres, il était juste qu'il lui
+permît «d'ester en droit par devers luy pour soutenir la dite prinse
+avoir été bien faite.» Guyot de Lonzière et Eustache Luillier,
+chargés en ce moment d'une mission de Charles VIII près de l'archiduc
+d'Autriche, n'obtinrent pas une réponse plus favorable.</p>
+
+<p>Le comte de Romont, le sire de Beveren et l'abbé de Saint-Pierre
+allèrent porter les plaintes des états de Flandre au roi de
+France, en lui représentant qu'elles le touchaient à double titre,
+comme souverain seigneur de la Flandre et comme époux de l'héritière
+apparente de ce comté. Ils ne comprenaient point, disaient-ils,
+que les ambassadeurs français n'eussent pas insisté davantage en
+ce qui touchait une mission donnée également par le roi, et qu'ils
+n'eussent pas au moins exigé que l'affaire fût soumise aux officiers
+d'Artois. Il importait d'autant plus au roi de France d'intervenir
+dans les différends des trois états avec Maximilien, que celui-ci
+était l'allié des Anglais, «anciens ennemis de la France;» les
+états de Flandre l'acceptaient d'ailleurs pour juge; ils étaient prêts
+à se défendre devant les pairs et devant le parlement, et leur
+unique désir était de voir la voie de justice succéder à la voie de
+fait, tandis que des mesures prises dans le même but affranchiraient
+des entraves fiscales «le bien et entrecours de la marchandise
+tant au royaume que ès pays de monseigneur le
+duc Phelippe.»</p>
+
+<p>Des instructions secrètes portaient que les ambassadeurs flamands
+s'adresseraient particulièrement au duc de Bourbon. Ils devaient
+lui présenter l'exposé des griefs de la Flandre contre Maximilien,
+en l'accusant d'avoir juré le traité d'Arras et de l'avoir violé presque
+aussitôt par haine contre le roi Charles VIII, qu'il nommait
+«le plus grand adversaire qu'il eult,» de s'être montré constamment
+hostile à la paix, d'être guidé par des conseillers allemands
+qui voulaient priver le duc Philippe de son héritage, d'avoir choisi
+pour confident le sire d'Aremberg, coupable du meurtre de l'évêque
+de Liége. Ils devaient rappeler au duc de Bourbon «comment il
+estoit obligié à aydier le droit et l'heritage de monseigneur le
+duc Phelippe, car il estoit le plus prouchain du sang en tel façon
+que se mondit seigneur et la royne sa s&oelig;ur alloient de vie à trespas,
+leurs pays et seigneuries succéderoient, après monseigneur
+<span class="pagenum"><a id="Page_196"> 196</a></span>
+de Ravestein, à l'aisné de la maison de Bourbon.» Ils étaient
+aussi chargés de communiquer aux princes du sang la copie des
+lettres échangées entre Maximilien et les conseillers du duc Philippe,
+et, de plus, une consultation signée par douze docteurs de
+l'université de Paris, qui portait que Maximilien n'avait aucun droit
+au gouvernement des Etats de son fils, et que lors même que les
+conventions matrimoniales ne l'en eussent point formellement
+exclu, il s'était rendu indigne de toute tutelle et de toute mainbournie.</p>
+
+<p>Tandis que le comte de Romont s'acquittait de sa mission, l'archiduc
+d'Autriche se rendait dans le Hainaut pour se faire remettre
+les députés des états de Flandre, qui avaient été conduits au château
+de Berlaimont. Il était arrivé à Cambray et logeait à l'abbaye
+de Saint-Aubert, quand une vive querelle s'éleva entre Lancelot de
+Berlaimont et Philippe de Clèves, fils du sire de Ravestein; peut-être
+se rapportait-elle à l'arrestation des ambassadeurs flamands,
+peut-être n'avait-elle d'autre source que la faveur accordée à
+Guillaume d'Aremberg, dont le sire de Berlaimont avait épousé
+la fille. Quoi qu'il en soit, des reproches l'on passa aux défis: aux
+défis succéda un combat à mort, et quelques archers, accourant au
+secours de Philippe de Clèves, tuèrent Lancelot de Berlaimont à
+coups de piques et de hallebardes.</p>
+
+<p>Il ne paraît point que Maximilien ait cherché à punir les auteurs
+de ce meurtre: bien qu'il aimât beaucoup le sire de Berlaimont,
+il craignait de réveiller de nouvelles divisions parmi ses partisans
+au moment où il se préparait à commencer la guerre afin de prévenir
+par des victoires la médiation de Charles VIII. Dans les
+premiers jours de février 1483 (v. st.), il quitta le Hainaut avec
+l'armée qu'il avait ramenée de la Hollande, passa devant Lille, qui
+lui ferma ses portes, et s'avança jusqu'à Bruges: son premier soin
+fut de ranger immédiatement ses hommes d'armes en ordre de
+bataille devant la porte de la Bouverie et devant celle des Maréchaux,
+en faisant sonner toutes ses trompettes. Déjà il avait envoyé
+un héraut vers les magistrats; mais l'échevin François de Bassevelde
+ne lui permit pas de pénétrer dans la ville. «Allez dire à
+votre maître, lui avait-il répondu, que s'il a quelque chose à
+demander aux magistrats, ils lui donneront audience dans la
+salle des délibérations, où ils sont réunis, pourvu qu'il n'amène
+pas plus de dix ou de douze personnes avec lui.» Maximilien
+<span class="pagenum"><a id="Page_197"> 197</a></span>
+avait compté inutilement sur un complot qui s'était formé à Bruges
+en sa faveur. On le soupçonnait aussi de nourrir des projets contre
+le port de l'Ecluse; mais il était bien gardé, et l'archiduc d'Autriche
+se vit réduit à se retirer vers Oudenbourg.</p>
+
+<p>Les amis de Maximilien n'avaient rien fait pour le soutenir
+lorsqu'il était devant Bruges. En s'éloignant, il les abandonnait à
+son tour au ressentiment de ses ennemis. On se livra à d'actives
+recherches sur le complot qui devait ouvrir la ville aux Allemands,
+et l'on découvrit qu'il était dirigé par les sires de Ghistelles et de
+Praet, et qu'il comptait parmi les bourgeois de nombreux adhérents.
+Le 28 février, l'échafaud s'éleva sur la place publique. Les
+premiers suppliciés sont des hommes obscurs: c'est un serviteur
+de l'ancien écoutète, Jean Vander Vicht; c'est un clerc nommé
+maître Urbain; mais bientôt la hache du bourreau n'épargne plus
+les têtes les plus illustres. Le 5 mars, messire Jean Breydel, ancien
+bourgmestre de Bruges, et le sire d'Aveluys, ancien maître
+d'hôtel de la duchesse Marie partagent le sort de plusieurs membres
+des métiers atteints par les mêmes accusations. Roland
+Lefebvre, receveur général de Flandre, est traîné au Steen: une
+sentence d'exil frappe Pierre Lanchals, Georges Ghyselin, Jacques
+de Heere, Jacques de Vooght, le bâtard de Baenst; Corneille Metteneye
+est condamné à six mois de captivité dans une prison où la
+lumière ne pénètre point.</p>
+
+<p>A Gand, de semblables rumeurs de trahison avaient troublé la
+paix publique. On y alla même, si l'on peut ajouter foi au récit
+très-douteux de Pontus Heuterus, jusqu'à retenir un moment prisonnier
+le comte de Romont.</p>
+
+<p>Il est plus certain que le 17 avril 1483 (v. st.), les trois membres
+de Flandre, réunis à Gand, présentèrent au jeune duc Philippe un
+long mémoire par lequel ils déclaraient contester à Maximilien le
+droit de présider les assemblées de l'ordre de la Toison d'or, aussi
+bien que celui de porter les titres et les insignes des nombreux
+Etats de la maison de Bourgogne. L'irritation qui régnait parmi les
+communes devenait de plus en plus vive, lorsque le grand bâtard
+de Bourgogne arriva à Bruges, où on le reçut avec de grands honneurs
+(19 mai 1484). Il venait, au nom du roi Charles VIII, tenter
+un dernier effort pour le rétablissement de la paix.</p>
+
+<p>Dès le 5 décembre 1483, Charles VIII, en promettant aux villes
+de Flandre qu'il serait sursis pendant dix ans aux droits de ressort
+<span class="pagenum"><a id="Page_198"> 198</a></span>
+et d'appel revendiqués en matière criminelle par le parlement de
+Paris, avait annoncé l'intention de respecter les priviléges du pays
+de Flandre, «<em>hanté et fréquenté de marchands étrangers plus que
+nul pays qui soit deçà la mer Océane</em>.» Cette déclaration importante
+n'était que le préliminaire d'une alliance plus étroite
+entre la France et la Flandre. Les états généraux devaient se réunir
+à Tours, et, quel que fût le peu de durée de leur session, ils allaient
+former une véritable assemblée nationale, investie d'une puissance
+incontestée. Les états de Flandre et de Brabant s'adressèrent aux
+états généraux de Tours pour réclamer leur appui et le maintien
+du traité d'Arras. D'états à états, les négociations étaient aisées à
+mener à bonne fin: leur premier résultat était l'intervention du
+roi de France. Il était douteux toutefois que Maximilien consentît
+à l'accepter, même après avoir échoué dans son expédition en
+Flandre. Le grand bâtard de Bourgogne, qui s'était rendu à
+Bruxelles pour la lui offrir, obtint à grand'peine que les chevaliers
+de la Toison d'or transféreraient le siége de leurs délibérations à
+Termonde.</p>
+
+<p>Le 12 juin 1484, douze chevaliers de la Toison d'or, investis d'un
+droit souverain d'arbitrage par les statuts de l'ordre, en tout ce qui
+touchait à l'honneur et aux devoirs de ses membres, se réunirent
+aux bords de l'Escaut, dans cette même ville qui fut, en 1566, le
+berceau de la confédération des nobles contre Philippe II: c'étaient
+Jean de Lannoy, Adolphe de Ravestein, Louis de la Gruuthuse,
+Engelbert de Nassau, Wolfart de Borssele, Jacques de Romont,
+Jean de Ligne, Pierre de Boussut, Baudouin de Molembais, Martin
+de Polheim, Claude de Toulongeon et Philippe de Beveren. Ils déclarèrent
+que toutes les discordes qui avaient séparé les chevaliers
+devaient être oubliées, que Maximilien avait cessé d'être chef de
+l'ordre, mais qu'il continuerait à le présider pendant la minorité de
+son fils; qu'ils étaient d'ailleurs d'avis qu'il devait renoncer, tant
+dans l'ordre qu'autrement, aux titres et aux armoiries qu'il portait
+sans y avoir droit. Là s'arrêtait la juridiction des chevaliers: les
+difficultés commencèrent quand ils voulurent aborder, en présence
+des députés de Maximilien et de ceux des états de Flandre, la discussion
+des autres questions litigieuses: d'un côté le contrat de
+mariage de Marie de Bourgogne était sans cesse allégué comme un
+titre imprescriptible; de l'autre, on invoquait le droit naturel, le
+droit civil, le droit politique, la volonté même de Marie manifestée,
+<span class="pagenum"><a id="Page_199"> 199</a></span>
+disait-on, dans l'acte qui en avait été la dernière expression. Il fut
+impossible de s'entendre, et les conférences se terminèrent sans
+qu'on pût espérer de les voir reprises; car Guillaume Rym, l'un des
+députés des Gantois, «qui estoit, dit Olivier de la Marche, leur
+idole et leur dieu,» avait déclaré «qu'ils n'avoient point d'ordre
+d'accepter une aultre fourme.» Maximilien répétait aussi qu'il
+saurait bien, malgré les rebelles de Gand, recouvrer la tutelle de
+son fils, et il ne resta aux communes flamandes qu'à s'assurer
+l'alliance du roi de France par un traité qui fut signé le 25 octobre
+1484.</p>
+
+<p>Maximilien ne se croyait plus lié par la paix d'Arras. Il lui semblait
+que la mort de Louis XI et ses propres victoires en Hollande
+l'avaient affranchi des serments qu'il n'avait prêté que par contrainte,
+aussi bien à Gand qu'à Hoogstraeten. La minorité de
+Charles VIII favorisait ses desseins, et ce fut afin de susciter de
+nouveaux obstacles à la régence d'Anne de Beaujeu qu'il adressa
+ses réclamations aux princes du sang, déjà prêts à former une autre
+ligue du Bien public. Il cherchait aussi à conclure d'étroites alliances
+avec le roi de Castille, les ducs de Bretagne et de Lorraine, excitait
+les habitants de la Bourgogne à le soutenir et traitait avec le sire
+de Neufchâtel pour qu'il se déclarât en sa faveur.</p>
+
+<p>En même temps, Maximilien réunissait à Malines une armée
+destinée à porter la guerre en Flandre. Sa première entreprise fut
+dirigée contre Termonde: Jacques de Fouquesolles et d'autres
+hommes d'armes, déguisés les uns en marchands, les autres en
+moines, se présentèrent devant cette ville le 26 novembre, au point
+du jour; mais dès qu'on les eut laissés entrer, ils tirèrent leurs
+armes et s'emparèrent de la porte. Maximilien, qui s'était placé en
+embuscade avec huit cents hommes à cheval, se hâta d'accourir. Ce
+fut en vain que les bourgeois tentèrent les chances défavorables
+d'un combat, où l'un des fils du comte de Zollern fut tué; on les
+poursuivit jusqu'à la place du Marché. Maximilien, qui connaissait
+toute l'importance de la ville de Termonde, s'efforça toutefois de
+se les attacher en défendant de piller leurs biens, et leur laissa pour
+gouverneur le sire de Melun.</p>
+
+<p>Le même jour, Jean de Coppenolle avait été chargé d'aller conduire
+des renforts à la garnison de Termonde. Il apprit bientôt
+qu'il était trop tard, et retourna à Gand annoncer que l'archiduc
+commençait la guerre.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_200"> 200</a></span>
+Les communes de Flandre répondent à ce défi: celle de Gand court
+la première aux armes. Elle se souvient de ces longues luttes dans
+lesquelles elle a représenté la résistance du principe communal
+contre les usurpations des ducs de Bourgogne, et si elle choisit, en
+1484, un vieillard pour partager avec Jacques de Savoie, investi
+des fonctions de lieutenant général, le commandement de son
+armée, il ne faut point s'en étonner, puisque ce vieillard est Thierri
+de Schoonbrouck, qui, trente et une années auparavant, était le chef
+des Gantois à la bataille de Gavre.</p>
+
+<p>Seize mille Flamands avaient envahi le Brabant et parcouraient
+librement tout le pays situé entre Alost et Halle. Les échevins de
+Bruxelles avaient reçu l'ordre d'armer les bourgeois pour les repousser.
+Ils déclarèrent que rien ne pourrait rompre l'amitié qui
+existait entre leur ville et celle de Gand. Maximilien, mécontent
+des magistrats, crut mieux réussir en s'adressant à l'assemblée du
+peuple; mais il n'en obtint qu'avec peine quelques acclamations
+douteuses, achetées par la corruption.</p>
+
+<p>Cependant Maximilien se préparait à se rendre en Hainaut pour
+y ranimer quelque zèle en sa faveur, lorsque, arrivé à Ath, il vit
+se présenter à lui une occasion d'augmenter sa puissance, non
+moins favorable que celle qu'il avait trouvée le 26 novembre dans
+la négligence des habitants de Termonde. La ville d'Audenarde
+avait été à toutes les époques de notre histoire le point le plus important
+de notre topographie stratégique. Si Termonde dominait
+l'Escaut au nord de Gand et défendait la frontière du Brabant,
+Audenarde commandait le fleuve du côté où il était le plus facile
+d'attaquer les Gantois: c'était d'ailleurs une position à laquelle
+les communes flamandes ajoutaient un grand prix, parce qu'elle
+leur était nécessaire pour assurer leurs communications avec la
+France.</p>
+
+<p>Audenarde possède deux citadelles: la plus redoutable, celle de
+Bourgogne, a pour capitaine Pierre Metteneye; l'autre, qu'on
+nomme le château de Pamele, obéit à Gauthier de Rechem. Celui-ci
+a fait offrir à Maximilien de lui livrer la ville. Dans les premiers
+jours de janvier, l'archiduc quitte Ath avec quatre cents chevaux
+et seize cents fantassins. Laissant à quelque distance son arrière-garde
+avec Philippe de Clèves, il met pied à terre et attend patiemment
+l'heure où il doit se montrer. Elle arrive bientôt: le château
+de Pamele lui est ouvert; au même moment, Philippe de Clèves,
+<span class="pagenum"><a id="Page_201"> 201</a></span>
+qui s'égare dans les ténèbres, se présente devant la porte de Tournay.
+Ses trompettes répondent à celles de Maximilien, et le château
+de Bourgogne, enlevé par une surprise que Pierre Metteneye
+n'a point prévue, partage le sort du château de Pamele.</p>
+
+<p>Maximilien s'applaudissait de ses succès, lorsqu'il reçut des
+lettres où Charles VIII lui reprochait vivement de ne pas avoir voulu
+soumettre ses différends avec les communes de Flandre au jugement
+des pairs ou à celui du parlement, et d'avoir préféré «la voye de
+fait à la voye de justice.» Le roi de France ajoutait qu'il n'ignorait
+pas que son intention était de s'allier aux Anglais pour recouvrer
+les pays cédés par le traité d'Arras comme dot de sa fille Marguerite,
+et qu'il était bien résolu à prendre la défense des communes
+de Flandre si les attentats dirigés contre elles ne recevaient une
+réparation immédiate.</p>
+
+<p>La réponse de Maximilien fut un refus; ce n'était pas à Audenarde
+qu'il pouvait signer la restitution de Termonde.</p>
+
+<p>Charles VIII avait renouvelé, le 5 février 1484 (v. st.), sa promesse
+d'aider les Flamands contre tous. Le 26 du même mois, un
+nouveau traité d'alliance la confirma, et peu après Jean de la
+Gruuthuse se rendit à Paris pour y obtenir l'appui d'une armée dont
+le commandement devait être confié au sire de Crèvec&oelig;ur.</p>
+
+<p>Pendant ces négociations, le comte de Romont s'était retranché
+avec les milices flamandes entre Eenhaem et Audenarde, afin de
+protéger la ville de Gand contre Maximilien, qui avait employé
+l'hiver à mander de toutes parts des hommes d'armes. Il était aisé
+de prévoir qu'il se hâterait d'ouvrir la campagne avant que l'intervention
+de Charles VIII vînt neutraliser ses forces et ses ressources.
+Le 5 avril 1485, troisième jour de Pâques, Jean de Ligny saccagea
+Grammont. Deux jours après, le comte de Nassau s'empara du
+bourg de Ninove, qui fut également dévasté. Ce fut sous ces auspices
+favorables que Maximilien se dirigea vers l'armée du comte
+de Romont; mais elle occupait une forte position, et il jugea peu
+prudent de l'attaquer dans son camp. Après quelques escarmouches
+sans résultats, il se retira vers Alost en incendiant le pays. La retraite
+de Maximilien enhardit les Gantois. L'un de leurs chefs,
+Adrien Vilain, sire de Rasseghem, quitte le camp d'Eenhaem avec
+trois mille Gantois et s'approche d'Audenarde, espérant attirer la
+garnison dans les embûches qu'il lui a préparées. Cependant le sire
+de Maingoval, que Maximilien a laissé dans cette forteresse, a deviné
+<span class="pagenum"><a id="Page_202"> 202</a></span>
+sa ruse: il en profite, sort des murailles comme s'il l'ignorait,
+et par une fuite simulée amène lui-même les Gantois jusqu'aux
+portes d'Audenarde. Ils se croyaient vainqueurs quand une décharge
+générale de l'artillerie de la forteresse foudroya leurs rangs épais:
+toute la garnison saisit ce moment de désordre pour les assaillir.
+Il ne se rallièrent qu'avec peine en abandonnant trois cents morts
+et deux cent vingt prisonniers. Adrien Vilain avait reçu un trait
+qui lui traversa le visage; mais ce qui semait parmi les Gantois le
+plus de honte et de désespoir, c'était la perte de leur grande bannière
+tombée au pouvoir des ennemis. Ils quittèrent précipitamment
+leur camp d'Eenhaem et rentrèrent à Gand.</p>
+
+<p>Dès que Maximilien apprit ce succès, il envahit le pays de Waes
+avec son armée. Le château de Tamise fut emporté d'assaut et toute
+la garnison flamande mise à mort. Enfin, il poursuivit sa marche
+vers Gand et arriva devant la porte de Saint-Bavon, tandis que
+Daniel de Praet accourait d'Audenarde pour le seconder avec deux
+cents chevaux et huit cents hommes d'armes.</p>
+
+<p>Le péril des Gantois devenait imminent. Le sire de Crèvec&oelig;ur
+avait perdu un temps précieux à parlementer avec les magistrats
+de Tournay, qui refusaient de le recevoir afin de conserver leur
+neutralité: il n'hésita plus à s'avançer vers Deinze, en ordonnant
+aux autres capitaines français de se hâter de l'y rejoindre. Néanmoins,
+l'archiduc espérait devancer l'armée de Charles VIII et
+remporter un avantage décisif avant son arrivée. Il ne s'était pas
+trompé. Les Gantois préféraient à la honte de voir insulter leurs
+murailles un combat que la prudence leur commandait d'éviter,
+puisqu'ils gagnaient tout à attendre; et aussitôt que de leurs remparts
+ils aperçurent les bannières allemandes qui flottaient dans la
+plaine, ils prirent les armes et se firent ouvrir les portes.</p>
+
+<p>La première sortie des Gantois est repoussée; la seconde ne sera
+pas plus heureuse. Le sire de Hornes, remarquant leur audace et
+leur témérité, ne réussit que trop aisément à les entraîner de nouveau
+dans une embuscade. Les Gantois, surpris de tous côtés, perdent
+quatre cents des leurs et se replient en désordre, tandis que le
+comte de Nassau et les sires de Berghes et de Ligny se précipitent
+avec leurs hommes d'armes à leur poursuite. En vain Jean de Coppenolle
+cherche-t-il, en renouvelant la lutte par un effort désespéré, à
+favoriser la retraite de ses concitoyens. L'armée de Maximilien
+arrive auprès des remparts de Gand avec les fuyards, et elle y aurait
+<span class="pagenum"><a id="Page_203"> 203</a></span>
+pénétré avec eux, si le grand doyen Eustache Schietcatte n'eût fait
+fermer les portes et baisser les herses.</p>
+
+<p>Un grand nombre de Gantois avaient péri sous les yeux de leurs
+frères sans qu'on pût les secourir; mais la ville de Gand était sauvée.
+Maximilien s'éloigna: à peine avait-il atteint Termonde, qu'il
+apprit que Philippe de Crèvec&oelig;ur était entré à Gand avec huit mille
+fantassins, six cent cinquante lances et trente-six canons. Au même
+moment, le duc de Lorraine et Guillaume de La Marck se préparaient
+à soutenir la rébellion de plus en plus prochaine des communes
+de la Meuse. Maximilien ne conservait, entre le Rhin et la mer,
+que le Brabant et le Hainaut, et déjà Charles VIII annonçait, dans
+des lettres adressées aux états de ces pays, son intention de l'y
+poursuivre. «Nous vous prions et requérons, leur écrivait-il le
+27 mai 1485, que veuilliez départir de favoriser nostre père et
+cousin l'archiduc d'Autriche au préjudice de nostre frère et de
+nos subjects du pays de Flandre; autrement nous y pourvoyerons
+comme il appartiendra.»</p>
+
+<p>Nous ne connaissons point la réponse des états de Brabant et de
+Hainaut. Celle de Maximilien fut fière. «Je ne me sçay, mandait-il
+au roi de France, trop esmerveiller de semblables lettres et crois
+qu'elles procèdent de mauvais conseil. Chacun sçait bien le tort
+que ceux de Flandres m'ont faict jusqu'à cette heure, d'avoir
+détenu mon fils par force; toutefois, j'espère briefment le mettre
+hors de la captivité en laquelle il a esté détenu. Au regard des
+requestes que faites à mes sujets, elles vous peuvent plus tourner
+à honte que à moy à dommage; elles ne me donneront crainte
+pour me abstenir de faire ce que je dois.» (25 juin 1485.)</p>
+
+<p>Un court espace de temps, celui qui s'est écoulé entre ces deux
+lettres, a changé la situation des choses. L'armée de Charles VIII
+occupe les murs de Gand; mais les Français, que la Flandre a appelés
+comme des alliés, maltraitent les bourgeois comme s'ils eussent
+été non leurs hôtes, mais leurs ennemis. Des haines séculaires se
+réveillent, et le sire de Crèvec&oelig;ur cherche enfin à les apaiser. On
+oublie qu'il est l'un des plus grands capitaines du quinzième siècle,
+celui qui contribua plus que personne à rétablir la discipline dans
+les armées, et qui régla le premier les man&oelig;uvres stratégiques de
+l'infanterie, cet élément de la puissance militaire trop longtemps
+méconnu; on se souvient uniquement avec quelle déloyauté, ami et
+complice d'Hugonet et d'Humbercourt, il a trahi Marie de Bourgogne
+<span class="pagenum"><a id="Page_204"> 204</a></span>
+pour embrasser le parti de Louis XI et diriger contre la
+Flandre l'armée qui fut vaincue à Guinegate. Le hasard met le
+comble à l'agitation des esprits. Le sire de Crèvec&oelig;ur ayant engagé
+le duc Philippe à monter à cheval et se montrer au peuple, le bruit
+se répand aussitôt que les Français se préparent à enlever le jeune
+prince et à l'emmener en France. Le peuple y ajoute foi. Telle est
+l'irritation qui l'anime, que le sire de Crèvec&oelig;ur juge prudent de
+quitter la Flandre et de se retirer sous les remparts de Tournay,
+abandonnant toute son artillerie entre les mains des bourgeois de
+Gand (11 juin 1485).</p>
+
+<p>Les partisans de Maximilien se hâtèrent de mettre à profit ces
+querelles et ces divisions. Le 1<sup>er</sup> juin 1485, tout le peuple de Bruges
+était réuni sur la place du Bourg, pour suivre pieusement une procession
+destinée à appeler la protection du ciel sur la Flandre, lorsqu'on
+apprit que les portes de la ville avaient été livrées aux
+mercenaires de Maximilien. Au même moment on vit arriver, au
+grand trot de leurs chevaux, le comte de Nassau, les sires de Montfort,
+de Tinteville et d'autres chevaliers accompagnés d'une troupe
+nombreuse de reîtres allemands, et, au milieu d'eux, messire Jean
+de Houthem, chancelier de Brabant. Un héraut les précédait.
+«Ecoutez, écoutez!» cria-t-il à la multitude, surprise et saisie de
+terreur. Le chancelier de Brabant prit aussitôt la parole, et expliqua
+à haute voix, en rappelant les longues guerres et les discordes qui
+avaient attristé la Flandre depuis la mort de Charles le Hardi, combien
+il était juste que Maximilien possédât plutôt que tout autre la
+tutelle complète et entière de son fils. «Que voulez-vous? dit-il
+en terminant, la paix ou la guerre?» Il ne fallait pas songer à
+délibérer librement. Tous répondirent: «La paix.»&mdash;«Reconnaissez-vous
+Maximilien pour mainbourg?» ajouta le chancelier.&mdash;«Oui!
+oui!» répliqua le peuple. Messire Jean de Houthem
+exposa ensuite les conditions auxquelles l'archiduc consentait à
+confirmer les priviléges de la ville: les unes se rapportaient à des
+amendes pécuniaires, d'autres à une amnistie dont étaient exclus
+dix bourgeois, qui furent immédiatement conduits au Steen, comme
+prévenus d'avoir favorisé la rébellion. Il faut nommer parmi eux
+Louis de la Gruuthuse, qui avait servi fidèlement le duc Philippe,
+en protestant contre les cruautés du sire de Blamont, et qui, après
+avoir sauvé la liberté ou la vie à Charles le Hardi, avait contribué
+plus que personne à affermir l'autorité chancelante de Marie de
+Bourgogne.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_205"> 205</a></span>
+Dès que Maximilien apprit ce qui s'était passé, il aborda dans le
+Zwyn. L'Ecluse lui ouvrit ses portes, et il se rendit sans délai à Bruges,
+où son entrée eut lieu avec une grande pompe le 21 juin.</p>
+
+<p>Le même complot s'ourdissait à Gand. Il y était dirigé par un
+signataire du <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> de 1468, le grand doyen Matthieu Peyaert, qui
+comptait de nombreux amis parmi les bouchers et les poissonniers.
+Sept jours après la surprise de Bruges, le mouvement qu'il avait
+préparé éclata à Gand aux cris de: «Paix! paix! Autriche et notre
+jeune prince!» On arrêta aussitôt Guillaume Rym, Daniel Onredene,
+Adrien Vilain et Jean de Coppenolle. Les deux premiers
+furent conduits au supplice le 13 juin. «Or pouvez à ce connoître,
+observe Olivier de la Marche, quelle seureté on a à servir le peuple;
+car Guillaume Rym avoit plus grande voix à Gand et plus
+grand crédit que n'avoit le prince du païs, ne les plus grands de
+Flandres; et soudainement changèrent de propos et tous en généralité
+consentirent à sa mort: et sur le hourt on luy laissa faire
+ses remontrances; mais oncques personne ne répondit, et dict
+ledict Guillaume sur ses derniers mots: Ou vous ne me répondez
+point, ou je suis devenu sourd.»</p>
+
+<p>Quoi qu'en ait écrit Olivier de la Marche, le peuple répondit aux
+dernières paroles de Guillaume Rym, mais ce ne fut que lorsque le
+bourreau eut achevé son office. La vue du sang l'émut plus puissamment
+que l'appel du vieillard, qui aimait mieux se croire sourd
+que de reconnaître l'ingratitude populaire: il fallut, pour calmer les
+bourgeois, qu'on ouvrît les portes des prisons. Adrien Vilain se retira
+à Tournay et Jean de Coppenolle en France, où Charles VIII le
+créa son maître d'hôtel avec six cents francs de pension.</p>
+
+<p>Ce fut dans ces circonstances que les états de Flandre chargèrent
+l'abbé de Saint-Pierre, Philippe de Beveren, Paul de Baenst, Richard
+Uutenhove et Adrien de Raveschoot, de se rendre à Bruges
+pour arrêter avec Maximilien les conditions de la paix. Elle fut
+conclue le 28 juin 1485.</p>
+
+<p>L'archiduc y était reconnu pour mainbourg de la personne de son
+fils et du comté de Flandre. Il s'engageait à confirmer tous les priviléges
+généraux et particuliers.</p>
+
+<p>Il était convenu que lorsqu'il se rendrait à Gand il n'y pourrait
+pas amener plus d'hommes d'armes avec lui qu'il n'en avait à Bruges
+pour la garde de sa personne.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_206"> 206</a></span>
+On devait lui remettre son fils; mais il promettait de ne point le
+conduire hors de Flandre.</p>
+
+<p>Toutes les sentences de bannissement prononcées contre les partisans
+de l'archiduc étaient annulées.</p>
+
+<p>On lui accordait, comme indemnité pour les frais de la guerre,
+une somme payable en trois années, dont le chiffre n'était pas déterminé.</p>
+
+<p>La pension de la duchesse douairière de Bourgogne était rétablie.</p>
+
+<p>A ces conditions, l'archiduc octroyait une amnistie dont il exceptait
+ses principaux adversaires et tous ceux qui avaient fui hors de
+Flandre.</p>
+
+<p>Le produit de la confiscation de leurs biens devait être employé à
+effacer les tristes résultats des désastres de la guerre.</p>
+
+<p>Sur un tableau joint au traité se trouvaient désignés ceux que
+l'archiduc ne voulait point comprendre dans la paix. Les principaux
+étaient Jacques de Savoie, Wolfart de Borssele, Louis de la Gruuthuse,
+Léon de Masmines, Jean de Coppenolle, le grand doyen
+Eustache Schietcatte, Guillaume Moreel, Jean de Keyt, Jean de
+Riebeke et François de Bassevelde, tous les quatre anciens magistrats
+de Bruges.</p>
+
+<p>Les temps étaient bien changés depuis que Baudouin le Bon parcourait
+la Flandre en rendant la justice une baguette blanche à la
+main: c'est d'une verge rouge, symbole de rigueurs et de vengeances,
+que Maximilien arme le bras du bâtard de Baenst, créé
+prévôt de Bruges, en lui donnant l'ordre de mettre à mort les prisonniers
+du Steen. Ainsi périrent successivement Jean de Keyt, qui
+avait été à diverses reprises bourgmestre de la ville, François de
+Bassevelde, fameux par la réponse énergique qu'il avait opposée en
+1483 aux menaces de l'archiduc, et d'autres bourgeois accusés des
+mêmes délits de rébellion: leurs têtes sanglantes furent placées sur
+la pointe des tourelles inférieures des Halles.</p>
+
+<p>Ce fut au milieu des tristes préoccupations de ces supplices que
+l'on demanda au sire de la Gruuthuse s'il désirait être interrogé par
+ses collègues de l'ordre de la Toison d'or; mais il répondit qu'il
+était bourgeois de la ville de Bruges, et qu'il ne voulait d'autres
+juges que ses magistrats. Louis de la Gruuthuse n'avait cessé
+d'exercer à Bruges, par ses vertus, son courage et la généreuse protection
+qu'il accordait aux lettres, la légitime influence à laquelle
+<span class="pagenum"><a id="Page_207"> 207</a></span>
+le duc Philippe lui-même avait rendu hommage pendant la guerre de
+Gavre: tel était le respect, telle était l'affection dont il était entouré,
+que Maximilien n'osa pas instruire publiquement son procès;
+il se contenta d'exiger une amende de trois cent mille écus, dont le
+comte de Nassau reçut le tiers, et chargea Olivier de la Marche
+de conduire le sire de la Gruuthuse au château de Vilvorde.</p>
+
+<p>Cependant Maximilien avait quitté Bruges le 6 juillet 1485 pour
+se rendre à Gand. Le sire de Ravestein vint au devant de lui et lui
+amena son fils à Mariakerke. L'entrevue remplit les spectateurs
+d'émotion: l'enfant, qui depuis longtemps n'avait pas vu son père,
+ne le reconnut pas et fondit en larmes en recevant les baisers paternels.</p>
+
+<p>L'archiduc d'Autriche avait fait annoncer aux Gantois par Matthieu
+Peyaert qu'il ne prendrait avec lui que six cents hommes,
+conformément au traité du 28 juin; mais loin de rester fidèle à sa
+promesse, il traversa la ville en se dirigeant vers le château de
+Ten Walle, déjà plus connu sous le nom de Princen-Hof, suivi d'une
+armée de cinq mille hommes d'armes commandés par Martin
+Dezwarte, fameux capitaine de Maestricht. Matthieu Peyaert, dont
+les discours avaient trompé les Gantois, fut récompensé de cette
+trahison comme d'une victoire; car l'archiduc l'arma chevalier.
+Les bourgeois n'en poursuivaient pas moins de leurs murmures et
+de leurs risées ce rude et grossier personnage qui s'en allait dans
+les rues sans oser toucher à la riche chaîne d'or qu'il avait reçue du
+prince, et ils prétendaient même que Maximilien, à défaut d'épée,
+lui avait donné l'ordre de chevalerie en le frappant de sa botte.</p>
+
+<p>Les Gantois voyaient d'ailleurs avec anxiété les hommes d'armes
+étrangers que l'archiduc avait conduits avec lui, la plupart insolents,
+orgueilleux et avides. Trois d'entre eux avaient été arrêtés
+pour avoir outragé une femme: leurs compagnons les délivrèrent,
+et à ce bruit le mécontentement du peuple ne connut plus de bornes.
+Il courut aux armes et alla planter ses bannières sur le marché du
+Vendredi.</p>
+
+<p>C'est en vain que Maximilien envoie ses conseillers pour essayer
+de calmer les bourgeois. Philippe de Clèves, malgré sa popularité,
+et l'évêque de Cambray, quoique protégé par la dignité de ses fonctions
+ecclésiastiques, ne peuvent plus se faire écouter. Le comte de
+Chimay soulève une opposition plus violente et ses jours sont en
+péril; Matthieu Peyaert, qui s'est joint à ses efforts, fuit avec lui.
+<span class="pagenum"><a id="Page_208"> 208</a></span>
+La colère des bourgeois a redoublé à la vue de la chaîne d'or qui
+leur rappelle sa trahison. «Délivrez-nous, criaient les Gantois, de
+ces Allemands que vous nous avez amenés, ou nous nous en délivrerons
+nous-mêmes.» Bien que la nuit fût venue, ils ne se séparaient
+point. Une vive inquiétude régnait à l'hôtel de Ten Walle.
+Maximilien chargea le comte de Nassau de veiller à la garde «du
+pont, là où on coupe les testes, qui estoit la droite venue des Gantois
+pour venir contre l'hostel du prince» (l'<i lang="nl" xml:lang="nl">Hooftbrugge</i>), et il se
+rendit dans l'appartement du sire de la Marche, son premier maître
+d'hôtel, afin d'être plus près des hommes d'armes allemands qu'il
+s'était hâté de réunir autour de lui.</p>
+
+<p>Ainsi se passa la nuit: le lendemain, Maximilien se dirigea à la
+tête des Allemands vers l'hôtel de ville. Il était au marché de la
+Poissonnerie, lorsque les magistrats vinrent le prier de ne pas employer
+la violence, moyen qui eût entraîné l'effusion du sang et qui
+n'eût pas été sans danger pour l'archiduc lui-même. Deux notables
+bourgeois se rendirent à l'hôtel de ville et engagèrent le peuple à se
+retirer, mais il exigeait avant tout que Maximilien s'éloignât avec les
+siens. L'archiduc y consentit: les Gantois n'en restaient pas moins
+assemblés en grand nombre. «Il leur faut courir sus et les défaire,
+s'écria le comte de Nassau; par ce moyen, le prince sera perpétuellement
+seigneur et maître de toute la Flandre.» Philippe de
+Clèves combattait cet avis. «Lorsque vous aurez détruit Gand,
+disait-il à l'archiduc, vous aurez détruit la fleur et la perle de
+tous vos pays.» Et le soir arriva sans qu'aucune résolution eût
+été prise.</p>
+
+<p>Cependant les Gantois s'approchaient et occupaient la place du
+Petit-Marché, située entre le Gravesteen et l'église Sainte-Pharaïlde.
+Ce mouvement agressif devait mettre un terme à l'indécision
+des conseillers de Maximilien; l'avis du comte de Nassau prévalut,
+et il fut décidé, à la grande joie des Allemands, que le
+lendemain, dès les premières heures du jour, l'on chercherait à
+tourner, par la Coupure, la position des Gantois, afin de pouvoir les
+attaquer plus avantageusement.</p>
+
+<p>La lutte eût été terrible: elle fut prévenue par la retraite des
+corps de métiers, las d'avoir passé quarante-huit heures sous leurs
+bannières. Les échevins se hâtèrent de l'annoncer à l'archiduc en
+implorant sa clémence; ils devaient toutefois payer cette émeute
+plus cher qu'une longue insurrection. Une amende de cent vingt-sept
+<span class="pagenum"><a id="Page_209"> 209</a></span>
+mille écus d'or les frappa. Cent bourgeois furent exilés, trente-trois
+ne sortirent du Châtelet que pour être conduits au supplice.
+Maximilien avait de plus exigé une réparation solennelle: placé sur
+un trône et entouré des ambassadeurs des princes étrangers, il
+reçut, le 22 juillet 1485, les protestations d'obéissance et de fidélité
+des échevins «tous habillés de noires robes deschaintes,» puis il
+chargea le chancelier de Brabant de prendre la parole en son nom.
+Sa harangue fut une longue énumération des griefs du prince contre
+les Gantois, et il termina en déclarant que l'archiduc d'Autriche
+«avoit bien pensé mettre la ville à totale ruine par feu et espée,
+ne fust la pitié qu'il avoit des églises et des bonnes personnes qui
+sont illecq habitans.»</p>
+
+<p>Le pensionnaire de Gand, qui répondit à ce discours, n'eut point
+d'éloges assez pompeux pour célébrer une si admirable clémence.
+Il avoua «qu'il n'avoit tenu qu'à rien que de la bonne ville de Gand
+l'on disist présentement: Cy fut Gand!» Ensuite les Gantois
+«crièrent merci et remirent à l'archiduc neuf chartes de priviléges
+qu'ils avaient reçues de Marie de Bourgogne, de Maximilien, de
+Philippe, de Louis XI et de Charles VIII.» Lesquels priviléges
+«furent brisés et coppés par maistre Nicolas de Rutre, audiencier.»
+Molinet ajoute: «Monseigneur demanda quelque chose du traité
+de Gavre,» triste souvenir qui, à Gand, s'associait toujours à la
+mutilation des libertés publiques.</p>
+
+<p>Maximilien avait rétabli son autorité en Flandre: son titre de
+mainbourg avait été reconnu dans toutes les provinces de la domination
+bourguignonne. Ne craignant plus ni les communes de Flandre,
+ni celles de la Meuse, il n'hésitait pas à violer ouvertement le
+traité du 28 juin en envoyant son fils à Malines, et chargeait en
+même temps Frédéric de Montigny, l'un des meurtriers du sire de
+Dadizeele, d'aller enlever à Mézières le sire de La Marck et de lui
+faire trancher la tête. Son double succès de Bruges et de Gand
+avait étrangement développé son orgueil. Il s'était fait élire roi des
+Romains à Francfort, le 16 février 1485 (v. st.), et c'était du centre
+de l'Allemagne qu'il avait signé une charte pour reconstituer le
+Franc comme quatrième membre de Flandre.</p>
+
+<p>Maximilien, ébloui du titre pompeux qui l'associait à l'autorité
+impériale et lui en assurait la transmission, s'abandonnait de plus
+en plus, avec une confiance sans limites, aux rêves de son ambition.
+Les flatteries de ses courtisans, les prophéties de ses astrologues
+<span class="pagenum"><a id="Page_210"> 210</a></span>
+et de ses devins lui présentaient sans cesse l'image éclatante
+des triomphes qui lui étaient réservés; il n'était point de projet qui
+ne le séduisît par quelque illusion, point d'illusion qui ne dominât
+sa faible raison, en y gravant d'altières espérances. Tantôt il voyait
+le roi de Hongrie, Mathias Corvin, l'illustre fils de Jean Huniade,
+réduit à lui céder son royaume, en fuyant chez les Turcs. Tantôt il
+songeait à se placer à la tête des Suisses pour chasser du duché de
+Milan la dynastie fondée par le bâtard d'un paysan de Cottignole,
+dont il devait plus tard épouser la petite-fille: de Milan il eût
+marché à la conquête du royaume de Naples; mais son premier
+dessein, le plus considérable de tous, était d'envahir la France, pour
+aller réclamer les armes à la main sa fille, appelée malgré lui à
+devenir reine de France. Ce n'était point, du reste, son unique grief
+contre Charles VIII, car il l'accusait d'avoir excité des troubles à
+Liége et d'avoir équipé quatorze grands navires pour soutenir la
+faction des <i lang="nl" xml:lang="nl">Hoeks</i> en Hollande. Pour réussir dans cette difficile
+entreprise, Maximilien comptait sur trente-deux mille chevaux qui
+devaient lui être envoyés par les princes allemands, indépendamment
+des hallebardiers, arquebusiers et autres combattants à pied,
+accourus de l'Empire, de la Lorraine et des ligues suisses. C'était
+dans les Pays-Bas qu'il devait commencer la guerre, et il espérait
+bien s'emparer en passant du temporel de l'évêché de Liége et du
+fief de l'abbé de Stavelot, sauf à continuer son &oelig;uvre en confisquant
+plus tard les priviléges de toutes les communes de Flandre
+qui lui avaient été hostiles.</p>
+
+<p>Le roi de France avait retiré ses hommes d'armes des frontières:
+sa confiance dans la paix en abrégea la durée. Le sire de Montigny
+surprit Mortagne. Honnecourt et l'Ecluse partagèrent le même
+sort. Térouane fut escaladée par Salazar, et ce fait d'armes fut
+suivi de près d'une tentative dirigée contre Saint-Quentin. Maximilien
+avait attendu ces succès pour sommer le roi de France de
+l'aider et de le soutenir, conformément au traité d'Arras, si fréquemment
+invoqué dans des tendances tout opposées, en déclarant
+que le seul moyen de maintenir la paix était l'éloignement immédiat
+d'Anne de Beaujeu et de Philippe de Crèvec&oelig;ur, qui avaient
+profité de sa minorité pour exciter par des lettres séditieuses les
+communes de Flandre, de Brabant et de Hainaut à s'associer à
+leurs «conspirations et machinations.»</p>
+
+<p>Charles VIII justifia dans une réponse non moins altière la conduite
+<span class="pagenum"><a id="Page_211"> 211</a></span>
+de ceux que Maximilien accusait: «Ne avez cause de les
+chargier du faict de Flandres, car ce qui faict y a esté ce a esté
+par bon conseil... Le comté de Flandre est une des anchiennes
+pairies de France, et se avons voullu le tenir en paix comme
+prince et seigneur souverain, nous avons faict ce que debvions
+faire, et vous le contraire. Et quand ladite conté vous appartiendroit,
+ce que non, vous l'auriez confisquée par les desraisonnables
+termes que avez tenus.» Puis il rappelait que Maximilien
+avait chargé son échanson Philippe d'Allers de se rendre à Melun
+pour promettre en son nom de ne pas enfreindre la paix, et qu'il
+avait profité de la bonne foi du roi de France, qui avait retiré ses
+garnisons des frontières, pour surprendre Térouane et Mortagne et
+attaquer Saint-Quentin. Il lui demandait comment, après avoir
+violé le premier traité, il osait proposer d'en conclure un second, et
+repoussait énergiquement toutes les allusions qui s'adressaient à sa
+minorité et à sa jeunesse. «Sachez bien, disait-il, que ne sommes
+pas en si bas eage et ne avons pas si petite expérience que ne
+congnoissons véritablement ceulx qui nous font bien ou mal et
+que ne soyons bien délibérez de leur rénumérer et rendre quand
+le oportunité s'i pourra tourner, ainsi que bon prince poet et doibt
+faire en sa juste querelle.» Le roi de France annonçait de plus
+l'intention de ne pas rompre son alliance avec les Flamands, alors
+même qu'il se trouverait obligé de pénétrer sur leur territoire pour
+combattre les hommes d'armes de Maximilien.</p>
+
+<p>Le roi des Romains répondit en ces termes au roi de France:
+«Très-cher et très-amé frère, nous avons reçeu certaines lettres de
+par vous, faites et forgées, comme croyons, par ceux qui à tort et
+sans cause nous ont en haine et malveillance. Ainsi n'avons point
+trouvé estre convenable d'y respondre, et sommes délibérés de
+non plus vous escrire <em>ou faire nommer comme il appartient à
+vostre royale dignité</em>, au cas que perséveriez en telles dérisions
+et insolences envers nous...» A cette lettre était joint un long
+mémoire des conseillers de Maximilien, qui attribuaient à leur
+maître le titre fort douteux de chef des rois chrétiens et qui reprochaient
+vivement aux conseillers de Charles VIII «la deshonneste
+forme et manière d'escrire à un tel roy qu'est le roy des Romains.»
+Ils reproduisaient, du reste, tous les griefs élevés contre Anne de
+Beaujeu, en l'accusant «d'avoir prins argent» de «ceulx de Gand,»
+menaçaient le roi de France de le déclarer déchu de tout droit de
+<span class="pagenum"><a id="Page_212"> 212</a></span>
+suzeraineté sur la Flandre, et justifiaient l'escalade de Térouane et
+de Mortagne, par l'appui que les Français donnaient aux Liégeois.</p>
+
+<p>Maximilien, fidèle à sa politique, avait adressé aux princes du
+sang et à la ville de Paris son manifeste contre la régence d'Anne
+de Beaujeu. Il les y pressait de renverser son autorité et de former
+un conseil supérieur des princes du sang et des députés des états
+qui pourraient aviser au rétablissement de la paix, de concert avec
+les députés de l'Empereur: étrange hallucination, qui le portait à
+proposer à la France ce qu'en ce moment même il combattait en
+Flandre.</p>
+
+<p>La réponse des échevins de Paris est du 2 septembre 1486. Ils y
+repoussent hautement les plaintes du roi des Romains, et le rendent
+seul responsable de la violation du traité d'Arras. En effet, il avait
+commencé la guerre «contre droit et raison en entrant par surprise
+en armes au royaume,» et il ne pouvait la continuer, ajoutaient-ils,
+«sans faire le grand dommage du pays de Flandre.» Il y a une
+connexion évidente entre cette déclaration et la réponse des ministres
+de Charles VIII, qui en avaient pris connaissance avant
+qu'elle fût remise au héraut d'armes Toison d'or. La commune de
+Paris ne pouvait être hostile à un système de gouvernement qui
+soutenait les communes flamandes.</p>
+
+<p>Au conseil du roi, d'autres considérations rendaient les inimitiés
+plus vives. On ne pouvait souffrir qu'un prince étranger se prétendît
+supérieur à Charles VIII et lui refusât même le titre de roi; et
+à ce sujet le sire de Graville disait tout haut que si l'histoire se
+taisait sur les exploits des Allemands en France, elle avait conservé
+le souvenir de ceux de Charlemagne, qui avait conquis et soumis
+toute l'Allemagne.</p>
+
+<p>Ce n'était que dans la faction des princes du sang que Maximilien
+pouvait espérer un appui. Le duc d'Orléans lui était favorable,
+et le duc de Bourbon, bien que frère du sire de Beaujeu, déclarait,
+en présence de Charles VIII, que le sire de Graville et ses amis
+«estoient cause de la guerre que faisoit le duc d'Austriche et du
+mescontentement qu'avoient les autres seigneurs du sang, et alléguoit
+qu'il estoit connestable et qu'à luy appartenoit l'exécution
+de la guerre, et qu'il s'en vouloit aller en Picardie pour résister
+à l'entreprise du duc d'Austriche et y trouver quelque
+bon appointement.» En effet, malgré tous les efforts que l'on
+tenta pour l'en dissuader, malgré ceux du roi lui-même, il se
+<span class="pagenum"><a id="Page_213"> 213</a></span>
+rendit en Picardie. Le duc de Bourbon était guidé par les conseils
+de quelques-uns de ses serviteurs, «fort grands mutins.» Le principal,
+le plus capable, le plus influent, était l'ancien ami de Charles
+le Hardi, devenu, en 1472, l'un des conseillers de Louis XI, Philippe
+de Commines, qui avait épousé en France la fille d'un maître
+d'hôtel du roi, beau-frère de la dame de Montsoreau, si fréquemment
+nommée dans les enquêtes relatives à l'empoisonnement du
+duc de Guyenne. Soit qu'il eût été inquiété au sujet de la révision
+des donations faites aux dépens du domaine royal, soit qu'il subît
+avec peine la haine et le mépris qui poursuivaient les anciens ministres
+de Louis XI, il conspirait, et la jeune royauté de Charles VIII
+allait rouvrir pour lui une de ces cages de fer, sombres monuments
+d'un règne dont il avait été à la fois le Séjan et le Tacite.</p>
+
+<p>Enfin le moment arriva où Maximilien espérait envahir la France
+avec le secours des Français eux-mêmes, et se placer, par de mémorables
+succès, parmi les héros et les vainqueurs les plus glorieux.
+Dans son orgueil, il datait ses mandements de Lens, «<em>première ville
+de nostre conqueste</em>;» il avait, disait-on, été le premier qui eût
+songé à former la milice, depuis si célèbre, des lansquenets ou
+<i lang="nl" xml:lang="nl">landsknechten</i>, ce qui l'égalait à Jules César; et l'on ajoutait qu'il
+était au monde le seul prince qui connût à la fois toutes les ressources
+de l'art si difficile de la guerre. L'empereur Frédéric III
+s'était rendu lui-même en Flandre, afin que l'éclat du sceptre impérial
+ajoutât quelque chose à celui de cette grande expédition.
+Mais jamais projets plus audacieux n'aboutirent à un résultat plus
+déplorable. La faction des princes du sang rougit de s'armer pour
+livrer la France à ses ennemis, et l'on vit bientôt les Allemands et
+les Suisses que Maximilien avait recrutés abandonner ses drapeaux
+à défaut de solde. Les uns allèrent rejoindre les Français; d'autres
+cherchèrent à s'indemniser de leurs pertes en pillant le pays. Il ne
+resta à l'Empereur qu'à regagner l'Allemagne, et Maximilien, qui
+espérait, comme les confédérés de Bouvines, aller arborer l'aigle
+germanique sur le pont de la Calandre, non moins humilié quoiqu'il
+n'eût point combattu, fut réduit à implorer l'appui de ses
+propres sujets de Flandre et d'Artois qu'il méprisait naguère encore;
+mais les bourgeois de Saint-Omer lui répondirent qu'ils
+étaient résolus à conserver une stricte neutralité, et leur exemple
+fut suivi par les habitants de Lille et de Douay. Cette neutralité
+fut toutefois de peu de durée pour la ville de Saint-Omer, puisque
+<span class="pagenum"><a id="Page_214"> 214</a></span>
+les Français y entrèrent dès le 27 mai 1487. Deux mois après, le
+sire de Crèvec&oelig;ur reconquit l'importante forteresse de Térouane
+(26 juillet), et ce premier revers fut suivi d'un second échec plus
+important et plus grave.</p>
+
+<p>Les hommes d'armes allemands et bourguignons qui se trouvaient
+sous les ordres du comte de Nassau avaient voulu réparer
+la perte de Térouane en enlevant la ville de Béthune; mais ils se
+laissèrent surprendre et furent mis en déroute; près de neuf cents
+d'entre eux restèrent sur le champ du combat. Le comte de Nassau
+fut fait prisonnier, et avec lui Charles de Gueldre, Pierre de Hennin,
+Gérard de Boussut, Georges Vander Gracht, Charles et Philippe
+de Moerkerke, Jean de Commines, Jean de Praet, Jean d'Overschelde,
+bailli d'Ypres, Jacques de Heere, bourgmestre du Franc, et
+tous les principaux chevaliers du parti de l'archiduc.</p>
+
+<p>Au moment où la défaite de Béthune couronnait la malheureuse
+tentative de Maximilien contre la France, on recevait en Flandre
+la nouvelle des désastres qui avaient terminé en Angleterre
+une autre expédition à laquelle le roi des Romains n'était point
+étranger.</p>
+
+<p>L'Angleterre avait appris avec une extrême jalousie la conclusion
+du traité d'Arras, et l'on racontait même qu'Edouard IV était
+mort de douleur en voyant le Dauphin renoncer à sa fille pour
+épouser mademoiselle Marguerite de Flandre; mais les affreuses
+discordes du règne de Richard III ne s'effacèrent que pour élever
+sur une trône ensanglanté Henri de Richemont, qui devait tout à
+l'appui du roi de France.</p>
+
+<p>Cependant la duchesse Marguerite de Bourgogne ne pouvait se
+consoler de la chute de la dynastie d'York; et elle se proposait de
+servir à la fois les intérêts de Maximilien et ceux de sa propre
+maison, en renversant la dynastie de Lancastre élevée par l'appui
+de Charles VIII. Une expédition considérable avait été réunie pour
+envahir l'Angleterre: elle devait comprendre deux mille hommes
+d'armes allemands, flamands et hennuyers, sous le commandement
+de Martin Dezwarte. Le comte de Lincoln et lord Lovel s'étaient
+rendus en Flandre pour arrêter avec la duchesse douairière de
+Bourgogne le plan de cet armement; et il avait été décidé que l'on
+profiterait d'une rumeur populaire relative à l'évasion de l'unique
+fils du duc de Clarence pour présenter d'abord aux Irlandais, puis
+aux Anglais, un imposteur qui n'emprunterait son nom que pour
+<span class="pagenum"><a id="Page_215"> 215</a></span>
+remettre la couronne, après la victoire, au comte de Lincoln, neveu
+par sa mère du roi Edouard IV et de la duchesse de Bourgogne, et
+déjà désigné par Richard III comme l'héritier présomptif du trône
+d'Angleterre. Le boulanger Lambert Simnel, proclamé roi à Dublin
+par une multitude égarée qui croyait retrouver dans ses traits ceux
+de l'infortuné duc de Clarence, aborda à Foudrey avec les hommes
+d'armes venus de Flandre, occupa le comté d'York, et rencontra les
+troupes de Henri VII à Stoke, aux bords de la Trent, où Martin
+Dezwarte périt avec le comte de Lincoln, après avoir vaillamment
+lutté pendant trois heures contre des forces de beaucoup supérieures
+aux siennes. Des armements non moins considérables avaient eu
+lieu en Angleterre pour repousser toute agression que Marguerite
+eût pu diriger vers les côtes de Kent ou de Suffolk; et il ne
+resta aux Allemands, réunis sur les rivages de la Flandre, qu'à
+s'embarquer pour la Bretagne, afin de prendre part à d'autres
+combats.</p>
+
+<p>Maximilien, qui avait épuisé son trésor pour faire triompher Simnel,
+s'était retiré en Brabant. Non content d'altérer les monnaies, il
+écrivit aux états de Flandre pour réclamer des subsides, afin de
+faire face aux frais de la guerre; mais les états de Flandre, réunis
+à Termonde, et délibérant sans la participation des députés du
+Franc qu'ils refusaient de considérer comme quatrième membre,
+déclarèrent qu'ils désapprouvaient la guerre contre la France et
+désiraient maintenir le traité d'Arras de 1482. Les députés de
+Gand avaient même annoncé qu'ils voulaient que le soin de remettre
+le produit des subsides aux hommes d'armes fût désormais
+confié aux états, afin que Maximilien n'en fît point usage contre
+les intérêts mêmes de la Flandre. Ces représentations irritèrent de
+plus en plus le roi des Romains. Il répondit que si les états ne lui
+accordaient pas un nouvel impôt, il le ferait lever par ses commissaires;
+mais ses menaces n'émurent personne: la Flandre ne
+croyait plus rien avoir à redouter des hommes d'armes allemands
+depuis la défaite du comte de Nassau. Jean de Coppenolle se hâta
+de revenir à Gand. Adrien Vilain, qui avait été arrêté par les
+archers allemands à Lille, où il résidait de l'aveu de Maximilien,
+et qui se trouvait depuis lors prisonnier à Vilvorde, fut délivré par
+le sire de Liedekerke et rejoignit bientôt après Jean de Coppenolle,
+en protestant que, si l'on avait quelque chose à lui reprocher, il
+était prêt à répondre à toutes les accusations. Les magistrats, indécis
+<span class="pagenum"><a id="Page_216"> 216</a></span>
+sur ce qu'il y avait lieu de faire, envoyèrent au roi des Romains
+une députation composée de l'abbé de Saint-Pierre, de Josse
+de Ghistelles, de Paul de Baenst et d'Adrien de Raveschoot. Maximilien,
+bien moins puissant en ce moment qu'il ne voulait le
+paraître, confia le soin d'évoquer cette affaire au grand bâtard de
+Bourgogne et aux sires de Clèves et de Beveren; ils invitèrent les
+sires de Rasseghem et de Liedekerke à comparaître à Termonde, et
+trois gentilhommes vinrent à Gand se remettre comme otages, afin
+de répondre de la sûreté des accusés. Mais les doyens des métiers
+décidèrent unanimement que les sires de Rasseghem et de Liedekerke
+ne devaient pas se rendre à Termonde, puisqu'ils n'étaient
+justiciables que des magistrats de Gand, et ils saisirent cette
+occasion pour énumérer les griefs de la commune contre le roi des
+Romains.</p>
+
+<p>«Nous voulons, disaient-ils dans leur déclaration, le maintien
+du traité conclu à Arras, le 23 décembre 1482, et nous ne consentirons
+point à la continuation de la guerre contre la France, source
+constante d'impôts toujours détournés de leur but.</p>
+
+<p>«Nous voulons aussi le maintien du traité de Tournay du
+13 décembre 1385, et il faut que les magistrats des villes conservent
+le droit de sonner les cloches, afin de chasser et de mettre à
+mort, s'il y a lieu, les ennemis du pays.</p>
+
+<p>«Nous réclamons les priviléges que Maximilien nous a enlevés.</p>
+
+<p>«Nous voulons soumettre à un sérieux examen les dépenses
+faites par la ville de Gand depuis la mort de Guillaume Rym.</p>
+
+<p>«Nous voulons que l'on démolisse le pont qui se trouve à côté de
+l'hôtel de Ten Walle.»</p>
+
+<p>C'était par ce pont que le comte de Nassau avait songé à s'avancer
+avec ses Allemands, lorsqu'il conseillait de détruire Gand en
+1485.</p>
+
+<p>Le peuple accueillit cette déclaration avec de vifs transports
+d'enthousiasme. Les partisans du roi des Romains sortirent de la
+ville, et tout l'argent qu'on trouva dans leurs maisons fut employé
+à réorganiser ces confréries des chaperons blancs et des compagnons
+de la Verte Tente, si célèbres autrefois, afin de chasser les Allemands
+qui erraient aux environs de Gand, en semant partout l'effroi
+et la désolation.</p>
+
+<p>Les métiers, réunis en armes sous leurs bannières, envoyèrent
+des députés à Maximilien pour qu'il fît choisir, par ses commissaires,
+<span class="pagenum"><a id="Page_217"> 217</a></span>
+de nouveaux magistrats qui jurassent au duc Philippe et à
+la ville de Gand d'observer les traités de 1385 et de 1482, déclarant
+que s'il ne le faisait point, ils procéderaient eux-mêmes au
+renouvellement de l'échevinage, conformément au privilége de 1301;
+en effet ils désignèrent, peu de jours après, des commissaires qui
+élurent Adrien de Rasseghem, premier échevin de la keure.</p>
+
+<p>Dans des circonstances à peu près semblables à celles de 1485,
+le roi des Romains ouvrit la guerre en essayant de nouveau de surprendre
+la ville de Termonde. Mais cette fois Philippe de Hornes,
+moins heureux que Jacques de Foucquesolles, fut repoussé par les
+bourgeois. Le sire de Liedekerke fut aussitôt créé capitaine de Gand,
+et toutes les villes de Flandre furent instruites de la rupture de la
+paix par de longues lettres où on les consultait sur ce qu'il y avait
+lieu de faire, en réclamant leur secours. Les Gantois n'avaient pris
+les armes, disaient-ils, que pour défendre leurs priviléges et maintenir
+la paix publique compromise par des mercenaires étrangers.</p>
+
+<p>Maximilien s'était hâté de retourner en Flandre dès qu'il avait
+appris que les Gantois s'étaient avancés jusqu'aux portes d'Anvers,
+de Bruxelles et de Courtray; il était important qu'il maintînt dans
+l'obéissance les villes qui reconnaissaient encore son autorité. Ce
+fut dans ce but qu'il se rendit à Courtray et de là à Bruges, où il
+arriva le 16 décembre 1487.</p>
+
+<p>Dans toute la Flandre, on regrettait vivement d'avoir vu s'évanouir
+les espérances qui reposaient sur la paix d'Arras. On se
+plaignait de ce que les charges publiques étaient devenues plus
+accablantes qu'elles ne l'avaient jamais été, et de ce que le cours
+de la justice était en quelque sorte suspendu par les soins de la
+guerre; mais ce qui excitait le plus de murmures, c'étaient les
+désordres commis par les hommes d'armes allemands qui ne recevaient
+pas de paye et qui, non contents de piller les bourgeois et les
+laboureurs, se plaisaient à répéter «que le temps estoit venu qu'ils
+baigneroient leurs bras au sang des Flamands.» Aussi l'alarme
+fut-elle grande à Bruges lorsqu'on y vit arriver la garde de Maximilien.
+On prétendait que le roi des Romains ne l'avait amenée avec
+lui que pour contraindre les habitants les plus opulents à lui livrer
+leurs richesses, et aussitôt après, assurait-on, la ville, privée de ses
+franchises, devait être abandonnée au pillage. Ces rumeurs semblaient
+d'autant plus menaçantes qu'il y avait à Bruges un grand
+nombre de vieillards qui se souvenaient du 22 mai 1437, et l'on vit
+<span class="pagenum"><a id="Page_218"> 218</a></span>
+la plupart des marchands étrangers se hâter d'émigrer et se retirer
+à Anvers. Un secret pressentiment annonçait aux bourgeois, raconte
+Nicolas Despars, que s'ils quittaient les foyers qui, après une résidence
+de quatre siècles, étaient devenus pour leurs familles une
+seconde patrie, c'était pour s'en éloigner à jamais.</p>
+
+<p>Maximilien lui-même s'effrayait parfois de la résistance dont il
+voyait éclater de toutes parts les symptômes autour de lui. Un jour,
+il consentit à convoquer les états des diverses provinces, «de par
+decha,» et il entretint de son désir de rétablir la paix les députés
+d'Ypres, de Valenciennes, de Lille, de Douay, d'Orchies, de Bois-le-Duc,
+de Middelbourg, les seuls qui eussent répondu à son appel;
+un autre jour, il assura les doyens des métiers de Bruges qu'il partageait
+leur v&oelig;u de voir cesser la guerre et qu'il avait déjà obtenu
+un sauf-conduit, «afin d'aller vers le roi de France pour pratiquer
+la paix.» Telle est la situation des choses, lorsque, le 9 janvier
+1487 (v. st.), le sire de Liedekerke, à la tête de six mille Gantois,
+parvient à s'emparer de Courtray. Trois jours après, Maximilien
+assemble de nouveau à l'hôtel de ville les doyens et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i>
+de la commune de Bruges. Il leur fait connaître qu'il a envoyé à
+Gand quelques-uns de ses conseillers, mais que les Gantois ne
+veulent traiter qu'avec des mandataires appartenant par leur naissance
+à la Flandre. Il les prie de désigner les députés afin de chercher
+à rétablir la paix. Les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> et les doyens y consentent;
+leur opposition ne se manifeste que lorsque le roi des Romains réclame
+un contingent de deux mille hommes et, de plus, un subside
+considérable pour défendre les frontières contre les attaques menaçantes
+des Français. Les représentants de la commune, craignant
+que ces préparatifs ne soient dirigés contre les Gantois, n'hésitent
+pas à rejeter ces demandes; ils répondent qu'ils n'ont aucun pouvoir
+à ce sujet, et que d'ailleurs ils veulent se tenir au traité d'Arras,
+protestant que si Maximilien s'y conforme lui-même, il trouvera
+toujours en eux de fidèles sujets. Ils insistent surtout pour qu'il
+congédie tous ses reîtres allemands, qui traitent une cité commerciale
+comme une ville prise d'assaut, et annoncent qu'afin de ne
+plus leur permettre de circuler librement avec leur butin, ils garderont
+eux-mêmes dorénavant les portes de la ville, se croyant assez
+puissants pour les défendre.</p>
+
+<p>Le roi des Romains se préoccupait assez peu des plaintes des
+bourgeois, insultés par ses hommes d'armes; mais le moment n'était
+<span class="pagenum"><a id="Page_219"> 219</a></span>
+pas encore venu où l'arrivée des renforts, que le sire de Gaesbeke
+était chargé de réunir, devait lui permettre d'y renverser par la
+violence et la force toute autorité autre que la sienne. Il comprit
+aisément que la prétention de lui enlever la garde de la ville était
+destinée à mettre obstacle à ses projets, et il n'y eut rien qu'il ne
+fît pour obtenir qu'elle fût abandonnée. Les remontrances du président
+de Flandre, Paul de Baenst, et de l'écoutète Pierre Lanchals,
+ayant été inutiles, il se rendit lui-même à l'hôtel des échevins, accompagné
+d'une suite de cinquante chevaux; mais son insistance
+même accrut les soupçons; les doyens et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> persistaient
+dans leur résolution et exigeaient de plus en plus qu'à l'avenir
+chaque porte fût gardée par trois bourgeois et douze hommes des
+métiers.</p>
+
+<p>Au milieu de ces discussions, les échevins de Gand recevaient en
+audience solennelle les députés de Bruges et d'Ypres; mais ceux du
+Franc, investis aux yeux des Gantois d'une autorité illégale,
+n'avaient pu obtenir de sauf-conduit. Le pensionnaire de Bruges,
+Jean Roegiers, porta la parole et rappela comment, dans les troubles
+de la Flandre, les différentes villes s'étaient mutuellement prêté le
+secours de leur médiation. Mais les magistrats de Gand répliquèrent
+qu'ils avaient déjà interjeté appel devant le roi de France,
+leur souverain seigneur, et que Maximilien, loin d'y répondre, avait
+violé le traité d'Arras, en faisant la guerre à Charles VIII. Ils
+ajoutaient que l'intervention des Brugeois et des Yprois était trop
+tardive puisque déjà plusieurs de leurs chaperons blancs avaient
+été mis à mort, et qu'ils ne leur reconnaissaient pas le droit d'intervenir
+comme médiateurs puisqu'ils avaient eux-mêmes violé le
+traité d'Arras. Ils leur remirent toutefois, en les priant de le communiquer
+aux communes de Bruges et d'Ypres, un long mémoire
+où ils exposaient énergiquement leurs griefs: la levée de taxes
+énormes dont on n'avait jamais rendu compte, l'appauvrissement
+de toutes les villes, l'appel d'une armée de mercenaires étrangers,
+le voyage du duc Philippe en Brabant au mépris d'une promesse
+formelle, la reconstitution du quatrième membre contre le v&oelig;u
+général du pays.</p>
+
+<p>Ce fut le 24 janvier que les députés qui avaient été envoyés à
+Gand rentrèrent à Bruges. Ils se réunirent immédiatement à l'hôtel
+du roi des Romains et lui rapportèrent la réponse des Gantois.
+Maximilien s'en montra fort mécontent. Il les supplia de ne rendre
+<span class="pagenum"><a id="Page_220"> 220</a></span>
+public que le premier point des griefs allégués par les Gantois, qui
+renfermait une protestation assez vague en faveur des traités de
+1385 et de 1482, et il fit même si bien que les magistrats consentirent
+à ajourner l'assemblée qu'ils avaient convoquée afin de délibérer
+sur la réponse qu'il convenait d'adresser aux bourgeois de
+Gand.</p>
+
+<p>Il était toutefois impossible que le mémoire des Gantois restât
+longtemps inconnu, et Maximilien ne vit lui-même dans cette courte
+trêve, qu'il devait à la condescendance de quelques échevins de
+Bruges, qu'un motif de profiter du temps qui lui restait pour hâter
+l'exécution de ses desseins. Il se souvenait des conseils du comte
+de Nassau, et regrettait peut-être de ne pas avoir, selon l'expression
+du pensionnaire de Gand, détruit cette ville par le fer ou par
+le feu, de telle sorte que le voyageur eût inutilement cherché ses
+ruines au niveau de l'herbe. Les mêmes rêves de conquête, de domination
+par la force, par l'extermination et l'incendie, s'il était
+nécessaire, le tentaient à Bruges, et il avait écrit au sire de Gaesbeke
+qu'il se plaçât à la tête de ses cavaliers hennuyers et accélérât
+sa marche. Tous ses efforts tendaient depuis longtemps à rendre
+inutiles les mesures prises par les Brugeois pour leur défense, et
+on le voyait multiplier les prétextes de se faire ouvrir les portes de
+la ville, afin qu'il lui fût plus aisé de s'en emparer lorsque le moment
+serait venu. Le 10 janvier, le sire d'Ysselstein était passé par
+la porte de la Bouverie, avec six chariots et quatre cents piquenaires,
+et les Brugeois avaient conçu ce jour-là des soupçons de
+trahison que rien ne vint justifier. Maximilien semble toutefois
+renoncer à ces tentatives si inquiétantes, lorsqu'il invoque la médiation
+des Brugeois et en espère d'heureux résultats; mais aussitôt
+que leurs députés sont revenus de Gand, le soir même où ils lui
+ont rendu compte d'un message inutile, il reprend ses anciens projets
+et quitte inopinément le banquet qui lui est offert à l'hôtel de
+Richebourg, chez la veuve de Martin Lem, pour faire à cheval, à
+sept heures du soir, le tour des remparts, examinant avec soin le
+nombre des gardes qui veillent aux portes, s'arrêtant même parfois
+pour leur distribuer de l'argent. Le 27 janvier, il sort de Bruges
+avec ses fauconniers; le 28, autre chasse au vol. Enfin le 31 janvier,
+il reçoit en même temps la nouvelle que le sire de Gaesbeke est
+arrivé près de Bruges et l'avis que d'autres députés de Bruges,
+envoyés à Gand, ont échoué une seconde fois dans leurs démarches.
+<span class="pagenum"><a id="Page_221"> 221</a></span>
+Il n'y avait plus à hésiter. Maximilien rangea immédiatement ses
+Allemands en ordre de bataille avec leur artillerie dans la cour de
+son hôtel, et envoya des messagers, avec une escorte de trente fantassins,
+remettre au sire de Gaesbeke ses dernières instructions.
+Elles portaient qu'il devait se présenter immédiatement à la porte
+des Maréchaux.</p>
+
+<p>Le même soir, le roi des Romains, accompagné du bourgmestre
+Jean de Nieuwenhove et d'un petit nombre de serviteurs, se rend
+à la porte qu'il a désignée au sire de Gaesbeke, et demande qu'on
+la lui ouvre: mais le bourgmestre donne en vain l'ordre qu'on lui
+obéisse. Les gardiens de la porte redoutent quelque trahison et s'y
+opposent sans qu'on puisse ébranler leur résolution. Les moments
+étaient précieux; il fallait agir avant que les bourgeois fussent
+instruits de ce qui se passait. Maximilien se hâta de se diriger vers
+la porte de Sainte-Croix, où l'attendaient Jacques de Ghistelles,
+Jacques de Heere et Corneille Metteneye, et de là vers la porte de
+Gand: il y éprouve le même refus. Il est plus heureux à la porte de
+Sainte-Catherine; elle lui est ouverte, et dès qu'il est sorti de la
+ville, il fait avertir le sire de Gaesbeke que c'est de ce côté qu'il
+doit se porter. Puis lorsqu'il juge qu'il a reçu l'avis qu'il lui a
+adressé, il rentre à Bruges et s'empare aussitôt du guichet; mais
+le cri des gardiens: «Trahison! trahison!» a été entendu; leurs
+concitoyens des rues les plus voisines accourent à leur secours et
+les aident à abaisser la herse avant l'arrivée du sire de Gaesbeke.
+Maximilien tente inutilement un dernier effort à la porte de la
+Bouverie: les barrières qui s'étaient fermées en 1437 devant le duc
+Philippe de Bourgogne ne devaient pas s'ouvrir devant le roi des
+Romains. Il ne lui reste qu'à fuir dans son hôtel; il y mande aussitôt
+Pierre Lanchals et les principaux bourgeois de son parti, et
+les presse de trouver le moyen de se rendre maîtres des portes de
+la ville.</p>
+
+<p>Cependant le bruit de ce qui s'était passé à la porte de Sainte-Catherine
+s'était répandu de toutes parts, et les métiers courant aux
+armes occupaient déjà toutes les portes sous les ordres de leurs
+doyens. Le roi des Romains résolut alors, selon un récit contemporain,
+de faire mettre le feu aux quatre coins de la ville, espérant
+que le sire de Gaesbeke pourrait s'y introduire à la faveur de ce
+désordre; mais on arrêta facilement l'incendie et cette dernière
+tentative n'eut d'autre résultat que de rendre plus vive la haine du
+peuple.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_222"> 222</a></span>
+Dès ce moment, la question devenait de plus en plus grave pour
+le roi des Romains; en cherchant une victoire qui devait le rendre
+l'arbitre de la vie et des biens des bourgeois de Bruges, il s'était
+exposé à une défaite qui devait nécessairement faire de lui leur prisonnier.
+Le sentiment de ce péril ne le quittait point, et la nuit durait
+encore quand il résolut de faire un dernier effort. Il avait appris
+que la porte de Gand était confiée à Matthieu Denys, doyen des
+charpentiers, qu'il croyait lui être plus favorable que tous les autres
+doyens, et se dirigea sans tarder de ce côté avec quelques-uns de
+ses partisans et quelques cavaliers allemands. Cependant toutes ses
+espérances furent déçues: Matthieu Denys rejeta avec de rudes et
+violentes paroles toutes les prières qui lui furent adressées. «Livrez-moi
+votre doyen,» s'écria alors le roi des Romains furieux,
+en s'adressant aux hommes des métiers qui entouraient Matthieu
+Denys, «livrez-moi votre doyen, et je vous comblerai de mes bienfaits.»&mdash;«Et
+nous, tant qu'il y aura une goutte de sang dans
+nos veines,» lui répondit énergiquement le porte étendard Adrien
+Demuer, «nous jurons de ne point l'abandonner.» Le roi des Romains
+insistait pour qu'on le laissât au moins sortir de la ville avec
+ses cavaliers allemands. On ne le lui permit point davantage; on
+craignait que son intention ne fût de rallier les garnisons de Damme
+et de l'Ecluse pour aller rejoindre la petite armée de ce sire de
+Gaesbeke en qui les Brugeois n'avaient pas cessé de redouter le
+vainqueur de Montenac et l'ennemi de Jean de Dadizeele, impatient
+de venger sur eux la mort de son père Jean de Hornes.</p>
+
+<p>Maximilien espérait encore en ce moment que le peuple s'apaiserait;
+mais lorsqu'il apprit que l'irritation s'accroissait sans relâche,
+il tint conseil sur ce qu'il y avait lieu de faire. «Il faut, dit
+Salazar, que nous nous armions les premiers avant que ces vilains
+aient eu le temps de se réunir sur la place du Marché.» Cet avis
+fut adopté, et tandis que Pierre Lanchals faisait prévenir les bourgeois
+de son parti qu'ils se préparassent à le seconder, le roi des
+Romains se rendait à la place du Bourg, où il rangea tous les siens
+en ordre de bataille. Quelques heures s'écoulèrent; les bourgeois
+favorables à Maximilien ne se dirigeaient qu'en petit nombre vers
+la place du Bourg, où leur présence devait devenir un titre de proscription;
+ils n'amenaient point avec eux, comme ils l'avaient promis,
+le métier des brasseurs. La foule qui les suivait, inquiète et
+curieuse, observait avec anxiété les mouvements des Allemands,
+<span class="pagenum"><a id="Page_223"> 223</a></span>
+qui cherchaient à l'empêcher de se mêler à leurs rangs en simulant
+des évolutions de combat. Cependant elle augmentait de moment
+en moment, et les Allemands, se voyant serrés de plus près, baissèrent
+leurs lances pour la tenir éloignée, en criant: «<i lang="nl" xml:lang="nl">Staet! staet!</i>
+Arrêtez! arrêtez!» Le peuple comprit: «<i lang="nl" xml:lang="nl">Slaet! slaet!</i> Frappez!
+frappez!» Et se précipitant en désordre par toutes les
+issues du Bourg, il alla répandre dans tous les quartiers la nouvelle
+des projets menaçants des Allemands, tandis que les chanoines
+de Saint-Donat, partageant sa terreur, se hâtaient de cacher leurs
+joyaux dans le sanctuaire et d'appeler les clercs à préserver l'église
+du pillage. Les doyens des métiers et les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> s'assemblent
+aussitôt aux sons du tocsin: ils chargent des messagers d'aller
+réclamer l'appui des habitants de Gand et d'Ypres, et pourvoyant
+en même temps eux-mêmes à la défense de la ville, ils se portent
+aux Halles avec quarante-neuf canons et cinquante-deux bannières.
+Une agitation extrême régnait sur la place publique, et rien ne contribua
+plus à l'accroître que l'arrestation de deux Mores attachés
+au service du comte de Zollern, que l'on accusait d'avoir été les instruments
+de la tentative d'incendie ordonnée par Maximilien. Mille
+voix répétaient qu'il ne fallait plus déposer les armes. Le roi des
+Romains, effrayé par ces démonstrations, s'était retiré dans son
+hôtel, en ayant soin de ne pas traverser la place du Marché. Mais
+il n'était personne qui ne crût que s'il avait reçu les secours que
+Lanchals et ses amis lui avaient promis, il n'eût tiré une vengeance
+terrible de son échec de la veille.</p>
+
+<p>Le peuple cherchait Pierre Lanchals pour assouvir sa fureur; les
+armes que l'on découvrit dans sa maison parurent une nouvelle
+preuve des projets qu'on lui attribuait, mais Lanchals avait disparu,
+et son absence évita l'horreur d'un crime à la fin de cette journée
+si agitée. Le peuple s'était dirigé vers les Halles, pour y enlever
+les têtes sanglantes de Jean de Keyt et de François de Bassevelde
+des tourelles où elles se trouvaient, depuis près de trois années,
+exposées sur des piques, lorsque des conseillers du roi des Romains
+se présentèrent pour lui annoncer que Maximilien l'invitait à s'apaiser
+et lui pardonnait ses séditions. «Il est mille fois plus coupable
+que nous,» répliquaient les bourgeois en montrant les restes
+mutilés des défenseurs de leurs franchises.</p>
+
+<p>Cependant on vit paraître sur la place du Marché le président
+de Flandre, Paul de Baenst. Il interrogea sur leurs intentions les
+<span class="pagenum"><a id="Page_224"> 224</a></span>
+bourgeois qui venaient de découvrir une nouvelle tentative du roi
+des Romains pour introduire à Bruges le sire de Gaesbeke: «Nous
+voulons, répondirent-ils tout d'une voix, que vous nous montriez
+le mémoire des Gantois sur les griefs du pays, mémoire qui vous
+avait été confié pour qu'il nous fût soumis, ce que vous n'avez
+point fait. Nous voulons qu'on nous donne un nouveau bourgmestre
+et un autre écoutète, au lieu de Jean de Nieuwenhove et
+de Pierre Lanchals, qui ont mérité d'être livrés à la justice.» Le
+roi des Romains accorda Josse de Decker pour bourgmestre et
+Pierre Metteneye pour écoutète, mais il ne consentit à leur remettre
+le mémoire des Gantois qu'après avoir essayé de les tromper en
+leur montrant le fragment qui avait été communiqué aux
+magistrats.</p>
+
+<p>Le même jour, on annonça du balcon des Halles qu'une récompense
+de 50 livres de gros serait donnée à quiconque livrerait Pierre
+Lanchals et Jean de Nieuwenhove. Plus heureux que ceux ci,
+Salazar, que les communes accusaient d'avoir rompu la paix avec
+la France par l'escalade de Térouane et d'avoir conseillé l'armement
+de la place du Bourg, avait réussi à sortir des remparts de
+Bruges.</p>
+
+<p>Le 4 février, Maximilien se décide à se rendre lui-même au
+milieu de l'assemblée du peuple. Il traverse la place du Marché en
+saluant courtoisement les bourgeois qui l'entourent, et monte avec
+Pierre Metteneye au balcon des Halles pour tenter quelque nouveau
+moyen de conciliation; mais il n'obtint que cette réponse: «Nous
+attendons les députés d'Ypres et de Gand.» Dès ce moment, le
+roi des Romains ne fut plus que le témoin muet, obscur, presque
+inaperçu de l'irritation profonde qui se manifestait contre ses conseillers.
+Il entendit lire une lettre des échevins de Gand, qui, en
+promettant leur appui aux Brugeois, leur annonçaient un succès
+important: la défaite et la mort du sire de Gaesbeke, qui s'était
+éloigné de Bruges pour surprendre Courtray et qui s'était lui-même
+laissé surprendre par le sire de Liedekerke. Ce ne fut qu'après avoir
+assisté à un long récit où les Gantois félicitaient les Brugeois de
+ce qu'ils pouvaient désormais se juger à l'abri de tout péril, ce ne
+fut qu'après avoir vu renouveler l'ordre de poursuivre des recherches
+actives pour découvrir ses partisans cachés à Bruges, que
+Maximilien descendit du balcon des Halles et passa au milieu des
+rangs serrés des bourgeois dont les acclamations n'avaient pas
+cessé de retentir.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_225"> 225</a></span>
+Le lendemain, de nouvelles lettres arrivèrent de Gand, où Adrien
+de Rasseghem venait de déchirer, dans une assemblée générale de
+la commune, le <i lang="nl" xml:lang="nl">calfvel</i> du 22 juillet 1485. On y engageait les
+bourgeois de Bruges à ne pas se séparer et à ne pas se laisser tromper
+par les belles paroles du roi des Romains, mais à le bien garder
+jusqu'à ce que les députés des trois membres fussent réunis. On
+les invitait aussi à s'assurer de la personne des principaux conseillers
+de Maximilien et de ses partisans les plus connus, parmi
+lesquels se trouvaient cités les abbés de Saint-Bertin et de Saint-Benigne
+de Dijon, Jacques de Ghistelles, Jean de Nieuwenhove,
+Pierre Lanchals, George Ghyselin, Roland Lefebvre, Jacques de
+Heere, Thibaut Barradot, Paul de Baenst. A ces noms était joint
+celui de Matthieu Peyaert, qui s'était enfui de Gand.</p>
+
+<p>Ces lettres furent reçues avec enthousiasme: l'on dressa aussitôt
+sur la place du Marché des tentes et des pavillons pour préserver
+du froid les bourgeois qui ne devaient plus la quitter, et comme le
+bruit s'était répandu que Maximilien s'était enfui de Bruges, on
+l'invita à se rendre aux Halles pour mettre fin à ces rumeurs. Il fit
+le tour de la place du Marché à cheval et vêtu de drap d'or, et
+chacun des métiers tira un coup de canon pour lui rendre honneur.
+Cependant lorsqu'il déclara qu'il ne songeait pas à s'éloigner, et que
+si l'on en doutait on pouvait placer dans son hôtel autant de gardes
+qu'on le jugerait utile, on lui répondit qu'on allait examiner sa
+proposition; cette délibération dura une demi-heure, pendant
+laquelle on ne vit pas un seul bourgeois s'approcher du roi des
+Romains. Enfin on vint lui annoncer la décision qui avait été prise:
+on le priait de vouloir bien résider au Craenenburg aussi longtemps
+que se prolongerait l'assemblée des bourgeois (5 février 1487, v. st.).</p>
+
+<p>Le Craenenburg formait la plus belle habitation qui s'élevât sur
+la place du Marché: c'était là que les princes avaient coutume de
+se placer pour assister aux fêtes et aux tournois. En 1488, le Craenenburg
+appartenait à un riche marchand nommé Henri Nieulant,
+l'un de ceux qui, à une autre époque, s'étaient constitués les cautions
+du roi des Romains pour des sommes considérables. Les
+Brugeois se souvenaient-ils de ces lois primitives d'Athènes et de
+Rome qui livraient au créancier le débiteur infidèle à ses engagements.</p>
+
+<p>Maximilien, enfant, avait été réduit, par une insurrection des
+habitants de Vienne, à s'enfermer dans une citadelle. Une autre
+<span class="pagenum"><a id="Page_226"> 226</a></span>
+insurrection réalisait pour lui les terreurs et les périls que lui avait
+laissé entrevoir sa mauvaise fortune. Ses regards se portèrent-ils
+vers la prison où avait langui Louis de Nevers? Plus près du Craenenburg
+se trouvait la chapelle de Saint-Amand qui vit les aventures
+de Louis de Male, autre victime du courroux populaire.</p>
+
+<p>Les députés de Gand ne tardèrent point à arriver à Bruges; les
+principaux étaient Philippe Vander Zickele, Jean de la Kéthulle,
+Josse Vander Brughe, Jean Uutenhove, Gerolf Van der Haghe. Ils
+amenaient avec eux un corps de deux mille hommes, mais ils consentirent
+à le laisser hors de la ville, sur les instances des marchands
+étrangers restés à Bruges, qui redoutaient une autre journée
+du 3 mai 1382. Tous les métiers s'étaient réunis sur la place
+du Marché pour les recevoir, et dès qu'ils y parurent, on les salua
+par une décharge générale de l'artillerie. Les mêmes honneurs furent
+rendus aux députés d'Ypres, et les délibérations des trois
+membres du pays commencèrent aussitôt. Quelques-uns espéraient
+qu'elles ramèneraient promptement la concorde et l'union. Pendant
+trois jours la châsse de Saint-Donat fut solennellement exposée au
+milieu du ch&oelig;ur de la cathédrale, et le peuple fut invité à venir
+se joindre aux prières du clergé pour que la paix fût rétablie entre
+Maximilien et les états; mais rien n'était plus difficile que d'y parvenir,
+tant les griefs étaient nombreux.</p>
+
+<p>Le mandat des représentants de la commune de Gand renfermait
+quatre demandes principales: la première, que le duc Philippe fût
+conduit en Flandre; la seconde, que le Franc cessât de former le
+quatrième membre; la troisième, que le renouvellement des échevinages
+eût lieu au nom du duc Philippe et des trois membres de
+Flandre; la quatrième, que les bourgs fussent de rechef soumis à
+l'autorité des trois bonnes villes. Le lendemain ils ajoutèrent qu'on
+pouvait, en renouvelant les échevinages, joindre au nom du duc
+Philippe celui du roi de France, souverain seigneur de Flandre, et
+insistèrent pour que l'on déclarât que le roi des Romains n'avait
+aucun droit à la tutelle de son fils et qu'il s'en était montré indigne,
+ce qu'ils établissaient par une énumération de quarante
+griefs; quelques bourgeois de Bruges craignaient de se montrer
+trop hostiles à un prince illustre, qui de plus était le père du légitime
+héritier des comtes de Flandre; mais leur hésitation céda à
+des remontrances plus pressantes.</p>
+
+<p>Les députés des communes, qui accusaient le roi des Romains et
+<span class="pagenum"><a id="Page_227"> 227</a></span>
+le retenaient prisonnier, invoquaient en leur faveur le droit féodal.
+En effet, si Charles VII était intervenu en 1452 aux conférences de
+Lille, comme seigneur souverain et comme légitime arbitre des
+discordes du prince et de ses sujets, Charles VIII ne s'appuyait pas
+sur d'autres bases pour faire reconnaître sa médiation; mais il
+l'avait manifestée sous une forme plus active et plus énergique.
+Charles VII, en abandonnant les communes flamandes, avait élevé
+si haut la puissance des ducs de Bourgogne qu'il avait fallu, pour
+les empêcher d'absorber la monarchie française, d'un côté l'habileté
+perfide de Louis XI, de l'autre la folle témérité de Charles le
+Hardi. Charles VIII protégeait la Flandre en présence d'un autre
+péril dont la réalisation n'était pas éloignée: la réunion des Pays-Bas
+à l'Allemagne. Pour fortifier son autorité, il soutenait parmi
+nous les libertés communales; ce n'était qu'à ce titre que les états
+de Flandre acceptaient une intervention qui les constituait les juges
+légitimes de leur seigneur, seul coupable du délit de rébellion,
+puisqu'il résistait à son suzerain.</p>
+
+<p>Le 17 janvier 1487 (v. st.), Charles VIII, rappelant l'influence
+que Gand exerçait sur toute la Flandre, avait autorisé les échevins
+de cette ville à battre de la monnaie d'or et d'argent, et à désigner
+les magistrats et les officiers qui devaient rendre la justice au nom
+de Philippe, mineur et prisonnier des ennemis du roi, et ce fut en
+vertu de cette déclaration que les députés de Gand créèrent à
+Bruges de nouveaux échevins, parmi lesquels il faut citer Jean de
+Riebeke et Jacques Despars.</p>
+
+<p>Le 18 janvier, Charles VIII écrivit aux autres membres pour les
+engager à suivre l'exemple de Gand.</p>
+
+<p>Par une autre charte, il confirma tous les priviléges des Gantois.</p>
+
+<p>Enfin le 27 janvier, il ordonna à ses baillis de citer tous les
+officiers qui continueraient à gérer leurs offices au nom de Maximilien,
+qui avait usurpé la mainbournie, violé les traités qu'il
+avait jurés et fait frapper de la mauvaise monnaie en son propre
+nom.</p>
+
+<p>Toutes ces chartes furent publiées le 13 février, à Bruges, en même
+temps que le texte du traité d'Arras, et le même jour, après la lecture
+d'une enquête sur les tentatives d'incendie dont on accusait
+Maximilien, le peuple, mandataire trop zélé de la justice royale,
+brisa les portes du <i lang="nl" xml:lang="nl">Princen-hof</i>. On y trouva, dit-on, quatre cents
+barils de poudre, des tonneaux remplis de cordes, des échelles de
+<span class="pagenum"><a id="Page_228"> 228</a></span>
+cuir, et de là naquirent de nouvelles rumeurs qui, en rappelant
+celles qu'avaient excitées les Mores du comte de Zollern, attribuèrent
+avec plus de force au roi des Romains les desseins les plus
+affreux, ceux-là mêmes que Jacques de Châtillon avait formés avant
+les matines de Bruges.</p>
+
+<p>Il ne faut pas s'étonner si le lendemain le grand bailli Charles
+d'Halewyn et l'écoutète Pierre Metteneye se présentèrent au
+Craenenburg, pour y arrêter, au nom des trois membres de Flandre,
+les amis de Maximilien, qui se croyaient protégés par le rang du
+prince dont ils partageaient la résidence; les uns ses conseillers,
+les autres chevaliers et capitaines de son armée, ceux-ci Flamands,
+ceux-là Allemands ou Bourguignons: c'étaient le comte Wolfgang
+de Zollern, l'abbé de Saint-Bertin, le sire de Ghistelles, le sire de
+Maingoval, Martin et Wolfart de Polheim, Jean Carondelet,
+chancelier de Bourgogne, George et Wolfart de Falckenstein, Jean
+de Jaucourt, sire de Villarnoul, Régnier de May, capitaine de Gavre,
+le bâtard de Nassau et Philippe Louvette, maître d'hôtel du roi des
+Romains. Quatre d'entre eux, Wolfart de Polheim, le sire de Maingoval,
+le sire de Villarnoul et le comte de Zollern, avaient été saisis
+dans la chambre même de Maximilien, qui ne pouvait rien pour les
+défendre; mais les députés de Gand et les bourgeois les plus notables
+de Bruges cherchèrent à atténuer l'effet de ces violences en
+se rendant le même soir près du roi des Romains, pour le consoler
+et lui porter des paroles affectueuses.</p>
+
+<p>Ces protestations ne pouvaient rassurer complètement Maximilien.
+On allait aborder, sous les plus tristes auspices, le procès de
+Jean de Nieuwenhove, de George Ghyselin et de quelques autres
+bourgeois qui avaient été arrêtés et conduits au Steen: Jean de
+Nieuwenhove et George Ghyselin comparurent les premiers. Leur
+interrogatoire dura deux jours entiers; les juges, en le prolongeant,
+cherchaient peut-être à les sauver. Cependant la multitude, qui se
+pressait autour du Bourg, se lassa d'attendre un arrêt que sa colère
+avait dicté d'avance. On la vit se précipiter au tribunal des échevins,
+qu'elle accusait de sommeiller trop longtemps, s'emparer du chevalet
+et entraîner les accusés vers la place du Marché. Le droit de
+rendre la justice et de disposer souverainement de la vie et de la liberté
+de l'homme est trop sérieux et trop grave pour qu'on puisse
+impunément le faire fléchir devant les passions: le livrer aux impressions
+flottantes et à l'irritation fébrile de la place publique,
+c'était le violer et l'anéantir.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_229"> 229</a></span>
+Un seul moment, la cité parut oublier son agitation et son inquiétude.
+Les joyeusetés du carnaval, les folies du <i lang="nl" xml:lang="nl">papenvastenavond</i>
+traversèrent les lieux mêmes que le sang devait bientôt rougir.
+De bruyantes chansons s'élevaient dans les airs autour du
+chevalet; le vin coulait à longs flots dans cette arène vouée à la
+mort et au deuil, et l'orgie fut si complète que les fruitiers, les
+ceinturiers et les aiguilletiers mirent le feu à leurs tentes (17 février).</p>
+
+<p>Le lendemain, sur cette même place du Marché, l'on publiait
+une proclamation où l'on promettait une récompense de plus en
+plus considérable à quiconque livrerait Pierre Lanchals, en menaçant
+de la destruction le toit qui l'avait reçu, lors même que ce refuge
+aurait été quelque monastère, ou l'un de ces pieux autels
+investis du droit d'asile, qui, en protégeant la faiblesse du malheur,
+semblaient, selon un touchant usage, abriter encore l'innocence.</p>
+
+<p>Dès ce moment, les condamnations se succèdent: elles atteignent
+tour à tour Jean de Nieuwenhove, Victor Huyghens, bailli de Male,
+Gilbert du Homme, ancien bourgmestre du Franc, quoique Normand
+de naissance, George Ghyselin et deux serviteurs de Pierre
+Lanchals.</p>
+
+<p>Avant que l'on eût vu s'accomplir ces actes de vengeance, qui
+n'empruntèrent pas même aux formes consacrées par les lois et les
+usages l'apparence d'un acte de justice, on avait décidé qu'on donnerait
+au roi des Romains une autre résidence que la maison de
+Henri Nieulant. Les Gantois avaient fortement insisté pour que
+Maximilien fût éloigné avant leur arrivée, afin qu'il n'assistât pas
+aux délibérations auxquelles ils prendraient part. Ils craignaient
+que la violence de leurs discours et de leurs conseils ne devînt tôt
+ou tard un légitime prétexte de représailles. Bien qu'on eût eu soin
+de fermer les volets du Craenenburg, Maximilien pouvait reconnaître
+les voix les plus hostiles. D'autres bourgeois, guidés par une pensée
+plus généreuse, demandaient qu'on lui épargnât le triste spectacle
+du supplice de ses amis. Il faut ajouter que cette maison était
+une prison peu sûre; Maximilien avait essayé de s'évader sous
+divers déguisements. On lui choisit donc dans un autre quartier de
+la ville une habitation plus vaste et plus convenable à son rang: ce
+fut l'hôtel de maître Jean Gros, chancelier de l'ordre de la Toison
+d'or, situé entre l'église Saint-Jacques et le pont aux Anes. Le roi
+des Romains, en ayant été instruit par le sire d'Halewyn et l'écoutète
+<span class="pagenum"><a id="Page_230"> 230</a></span>
+Pierre Metteneye, se borna à exprimer aux <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i> le désir
+qu'avant de s'y rendre il lui fût permis de haranguer le peuple
+assemblé sur la place du Marché. Vêtu de noir et le front incliné,
+il parcourut avec eux les rangs des bourgeois et des hommes de
+métier en les suppliant dans les termes les plus pressants de lui
+octroyer trois demandes: la première était qu'on lui accordât dix
+ou douze personnes de sa maison qu'il désignait; la seconde, qu'on
+ne le livrât ni aux Français ni au Gantois, car il préférait, disait-il,
+de vivre et de mourir avec les Brugeois; la troisième, qu'on ne se
+portât à aucun attentat contre lui. On lui promit tout ce qu'il
+demandait. Le roi des Romains remercia les bourgeois des honneurs
+qu'on lui avait rendus et des bons soins qu'on avait eus de sa personne,
+puis il quitta la place du Marché: en passant devant la
+chapelle de Saint-Christophe pour entrer dans la rue des Tonneliers,
+il put entendre les acclamations du peuple auquel les magistrats
+faisaient faire, en signe d'allégresse, une distribution de la nouvelle
+monnaie d'argent qui portait les mots: <i lang="la" xml:lang="la">Æqua libertas</i>. Jean de
+Coppenolle venait d'annoncer que trente ambassadeurs français
+étaient arrivés à Gand avec une escorte de deux cent quatre-vingts
+chevaux pour faire maintenir la paix d'Arras, et il était monté aux
+Halles pour donner lecture d'une nouvelle déclaration de Charles VIII,
+qui portait que dès ce moment tous les marchands flamands pouvaient
+librement circuler en France, et que des conférences s'ouvriraient
+le 12 mars pour régler les bases du rétablissement de
+l'ordre et de la paix.</p>
+
+<p>On a rendu au roi des Romains, comme il l'a demandé, ses panetiers,
+ses échansons, ses écuyers tranchants; on veille à ce que sa
+table soit somptueusement servie, et on lui a restitué sa vaisselle
+d'argent qu'il avait mise en gage. Quelquefois les métiers défilent
+en armes sous ses fenêtres, «afin d'occuper ses loisirs et de calmer
+sa mélancolie;» tantôt ils établissent un tir à l'oiseau dans la
+cour de sa prison et engagent le roi des Romains, qui y consent
+volontiers, à y prendre part, mêlé aux archers chargés de l'égayer
+par leurs jeux et leur adresse. L'écoutète Pierre Metteneye se tient
+humblement à ses côtés, car sa charge lui fait un devoir de l'accompagner
+constamment. Mais si Pierre Metteneye ne le quitte point,
+afin qu'il ne recouvre pas la liberté: les serviteurs de l'écoutète
+sont cette fois trente-six geôliers dont seize ont été désignés par les
+métiers de Gand. De riches tentures couvrent les murailles; aux
+<span class="pagenum"><a id="Page_231"> 231</a></span>
+fenêtres flottent d'épais rideaux de soie et de velours, vaines apparences
+d'une pompe passée, qui ne pouvaient consoler le prisonnier.
+Pourquoi ne pas laisser arriver jusqu'à lui, comme une vision d'espérance,
+les atomes capricieux qui se jouent dans un rayon du soleil
+au printemps? Il faut bien le dire, c'est parce que ce rayon n'aurait
+pu se reposer sur son front qu'en glissant sur des barreaux
+de fer.</p>
+
+<p>Maximilien avait, en s'éloignant du Craenenburg, levé le dernier
+obstacle qui pouvait suspendre ou retarder la perte de ses amis prisonniers
+comme lui. Dès le lendemain du jour où il avait quitté la
+place du Marché, le bourreau y parut sur l'échafaud tendu de deuil.
+Gilbert du Homme périt le premier; Jean de Nieuwenhove le suivit.
+Affaibli par les tortures et les infirmités, il attendit sur un fauteuil
+la mort qui ne calma sa longue agonie qu'au troisième coup de
+hache; après lui périrent George Ghyselin, le bailli de Male et un
+serviteur de Pierre Lanchals.</p>
+
+<p>Un prisonnier plus illustre attendait au Steen un arrêt dicté
+d'avance par d'implacables ennemis: c'était Jacques de Dudzeele,
+seigneur de Ghistelles, ancien bourgmestre de Bruges, qui avait été
+arraché du Craenenburg sous les yeux de Maximilien. Le sire de
+Ghistelles protestait avec courage et avec noblesse contre les accusations
+dont il était l'objet. «Je n'ai jamais été un traître, disait-il,
+et jamais ce reproche ne s'adressa à mes ancêtres; il y a cinquante-cinq
+ans que je sers les princes qui se sont succédé dans ce pays,
+et s'il est quelqu'un qui m'accuse de trahison, je suis prêt à le
+combattre, quelque grand qu'il soit, en présence du duc Philippe,
+et de faire tout ce qu'est tenu de faire un bon et loyal chevalier,
+noble homme et bourgeois de cette ville, puisqu'il s'agit
+d'une accusation telle que tout homme noble doit exposer sa vie
+pour la repousser.» Personne ne répondit au défi du sire de
+Ghistelles. L'assemblée de la place du Marché ne ressemblait guère
+à ces tournois où le chevalier entrait la lance haute; l'influence des
+députés de Gand y faisait sans cesse prévaloir les résolutions les
+plus violentes, et un libre cours y semblait ouvert aux mauvaises
+passions d'une multitude furieuse. En vain la dame de Ghistelles
+accourut-elle avec ses enfants supplier les corps de métiers de
+prendre pitié de l'ancien bourgmestre de Bruges; en vain le doyen
+de Saint-Donat, le prévôt de Notre-Dame et les principaux marchands
+osterlings et espagnols joignirent-ils leurs prières aux
+<span class="pagenum"><a id="Page_232"> 232</a></span>
+siennes: tout fut inutile, et la tête du sire de Ghistelles roula sur
+l'échafaud.</p>
+
+<p>Le lendemain, le cercueil de Jacques de Ghistelles, orné des pennonceaux
+et des écus qui rappelaient la puissance de l'une des plus
+nobles maisons de Flandre, fut déposé dans les caveaux de l'église
+de Dudzeele; mais ses enfants, en qui les Brugeois voyaient des
+otages, ne purent l'accompagner que jusqu'aux portes de la ville;
+et, par une de ces rigueurs dont l'opprobre n'appartient qu'aux discordes
+civiles, on souleva à leurs yeux le linceul de leur père, afin
+de s'assurer que quelque fugitif n'avait pas cherché la vie dans le
+sein même de la mort.</p>
+
+<p>Les supplices ne devaient plus s'interrompre: ils recommencèrent
+le 14 mars. Jacques de Heere, arrêté la veille au point du jour,
+fut livré le premier au bourreau. Il avait, comme capitaine de Hulst,
+soutenu courageusement contre les Gantois le parti de Maximilien,
+et s'était rendu près de lui le 1<sup>er</sup> février; son plus grand crime était
+toutefois d'avoir été le représentant des prétentions rivales des magistrats
+du Franc. Nicolas Van Delft parut le second; mais lorsqu'il
+se trouva devant le billot, il tomba à genoux et s'adressa au peuple
+en termes si touchants qu'un cri de grâce se fit entendre, et Nicolas
+Van Delft, étonné de conserver la vie autant qu'il avait craint de la
+perdre, descendit de l'échafaud pour remercier ceux qui s'étaient
+laissé toucher par ses larmes.</p>
+
+<p>Pierre Lanchals était parvenu à se dérober jusqu'à, ce moment
+aux recherches les plus actives. La récompense promise à celui qui
+le livrerait avait été élevée à 100 livres de gros, et l'on venait de
+renouveler l'ordonnance qui portait que tout bourgeois qui le recevrait
+serait puni de mort et que l'asile, quel qu'il fût, où il se serait
+réfugié serait démoli, lorsque le 15 mars un de ses amis le trahit et
+révéla sa retraite. Le bourgmestre, Jean d'Hamere, alla aussitôt
+l'arrêter et l'amena au Steen (15 mars). La joie du peuple était
+extrême; on dansait dans les rues; aux détonations des canons et
+des veuglaires se mêlaient les fanfares des clairons et des trompettes,
+la mélodie argentine des fifres, les bruyants roulements des
+tambours. On entendait de toutes parts s'élever le cri: «Pierre
+Lanchals, l'ancien écoutète, est notre prisonnier!» et les clameurs
+insultantes qui l'avaient accueilli à son passage ne cessèrent point
+de retentir pendant toute la nuit.</p>
+
+<p>Pendant que Pierre Lanchals était écoutète, il avait fait construire
+<span class="pagenum"><a id="Page_233"> 233</a></span>
+un instrument de torture plus terrible et plus cruel que tous
+ceux que l'on connaissait en Flandre; il n'avait jamais été employé.
+On le porta sur la place du Marché, et Pierre Lanchals en éprouva
+le premier la puissance, jusqu'à ce qu'il avouât, pour éviter une nouvelle
+épreuve, qu'il était vrai qu'il avait voulu introduire dans la
+ville les Allemands qui devaient la piller, et qu'il avait pris la plus
+grande part au célèbre complot du Bourg.</p>
+
+<p>Pierre Lanchals essaya inutilement les mêmes prières que Nicolas
+Van Delft, en demandant humblement qu'on l'enfermât dans quelque
+cachot ténébreux jusqu'à sa mort. Voyant que le peuple ne
+voulait point prendre pitié de lui, il se laissa déshabiller par le
+bourreau; l'un des doyens touchait à sa chaîne d'or. «Sire doyen,
+lui dit-il, vous savez bien qu'un bourgeois de Bruges ne peut à
+la fois forfaire corps et biens.» Et il la donna à son confesseur
+afin qu'il la portât à sa femme. Puis il adressa quelques dernières
+paroles au peuple pour que son corps ne fût pas écartelé et qu'il reçut
+une honorable sépulture. «Aussitôt après, dit Nicolas Despars,
+il remit son âme aux mains de Dieu.»</p>
+
+<p>A Gand, le sang coulait également sur les places publiques. Les
+capitaines de la ville avaient été changés, et d'honorables bourgeois,
+dont le seul crime était leur dévouement au roi des Romains, tels
+que messire Jean Uutenhove et messire Jean Van der Gracht,
+avaient partagé le supplice de l'hôtelier Matthieu Peyaert.</p>
+
+<p>Des trois grandes communes de Flandre, une seule, celles d'Ypres,
+était restée fidèle aux traditions généreuses du passé, en maintenant
+ses franchises aussi bien contre les complots de l'anarchie que contre
+les menaces de Louis XI. Ses députés, poursuivant avec un
+admirable dévouement leur rôle de médiateurs, tel qu'il était tracé
+par l'histoire de trois siècles, s'étaient vus à Gand menacés et entourés
+de gardiens qui ne les quittaient ni la nuit ni le jour. A
+Bruges, ils avaient retrouvé les mêmes dangers et ils avaient été
+réduits à chercher un refuge dans l'église de Saint-Gilles. <i lang="la" xml:lang="la">Da pacem
+Domine</i>, écrivaient-ils au bas de leurs lettres, et lorsque les
+députés de Gand les invitèrent à se montrer autour de l'échafaud,
+ils se contentèrent de répondre: «Qu'on nous y porte donc, car
+nous n'y irons jamais;» et en effet, lors du supplice de Lanchals,
+des hommes armés les portèrent sur la place du Marché. Spectacle
+digne de cette triste et sanglante période! Les députés d'une des
+grandes communes de Flandre se voyaient contraints au péril de
+<span class="pagenum"><a id="Page_234"> 234</a></span>
+leurs vies à assister à l'exécution d'un magistrat condamné sans jugement.
+Les principes du droit communal étaient méconnus et
+rejetés avec mépris: un mot nouveau justifiait, disait-on, ces violences
+sans exemple: c'était la justice du peuple.</p>
+
+<p>Cependant le récit des supplices faisait trembler le roi des Romains
+dans le silence de sa captivité. Le jeune duc Philippe demandait
+instamment qu'on lui rendît la liberté, et il avait réuni,
+pour réclamer leur appui et leurs conseils, les députés des états
+de Brabant et de Hainaut, qui avaient quitté Bruges dès les premiers
+temps de la captivité de Maximilien. Guillaume de Houthem
+et Jean Marinier leur exposèrent tour à tour, en langue thioise et
+en langue wallonne, que les Brugeois retenaient le roi des Romains
+prisonnier et l'accusaient à tort d'être contraire à la paix, puisque
+les trêves avaient été bien moins enfreintes par ses hommes d'armes
+que par les Gantois qui avaient appelé dans leur ville l'armée
+du sire de Crèvec&oelig;ur. Les états consentirent à inviter les communes
+de Gand et de Bruges à envoyer des députés à Malines pour
+conférer sur les moyens propres à rétablir la paix. Le sire de la
+Gruuthuse, rendu à la liberté, s'était joint à eux; mais les Gantois
+ne se montraient pas disposés à prendre part à d'autres conférences
+qu'à celles que Charles VIII avait fixées dans leur ville, et leur résolution
+semblait si invariablement arrêtée qu'il fallut bien s'y
+soumettre en convoquant à Gand, le mercredi de Pâques 1488
+(9 avril), l'assemblée générale des états des diverses provinces.</p>
+
+<p>A mesure que l'on se rapprochait du moment où l'ordre légal devait
+être rétabli par les mandataires du pays légitimement investis
+d'une autorité médiatrice, on voyait se multiplier les efforts pour
+ramener l'union et la paix. C'est ainsi que les magistrats de Bruges
+se rendent sur la place publique et engagent tour à tour les bourgeois
+et les hommes de métiers à déposer les armes. Ils cherchent
+à les calmer en leur remettant les lettres qui ont reconstitué le
+Franc comme quatrième membre du pays, et en leur promettant
+qu'on s'efforcera de rappeler les marchands étrangers en leur rendant
+leurs anciens priviléges, que personne ne sera jamais inquiété
+au sujet des sanglantes <i lang="nl" xml:lang="nl">wapeninghen</i> de 1487 et que par précaution
+l'on gardera Damme avec soin, en sommant le sire de Chantraine
+de livrer l'Ecluse. A ces discours se joignaient les pieuses exhortations
+des prêtres. Le 4 avril 1487 (v. st.), jour du vendredi saint,
+une chaire fut construite sur la place du Marché, à l'endroit même
+<span class="pagenum"><a id="Page_235"> 235</a></span>
+où s'était élevé l'échafaud, et un frère carme, nommé Laurent
+Christians, y prêcha la Passion. A midi, on y récita les hymnes que
+l'Eglise consacre aux douleurs de la Vierge-Mère, tandis que le
+peuple s'agenouillait, ici sous ses pavillons, là à l'ombre de ses bannières.
+Toutes ces prières, qui montaient vers le ciel, semblaient
+une expiation du sang qui avait été versé. Enfin la veille de Pâques,
+les <i lang="nl" xml:lang="nl">hooftmans</i>, les doyens et les bourgeois déposèrent les armes;
+ils jurèrent, toutefois, avant de se séparer, de s'entr'aider jusqu'à la
+mort, et quittèrent la place du Marché en chantant l'<i lang="la" xml:lang="la">Ave regina
+c&oelig;lorum</i> et le <i lang="la" xml:lang="la">Salve regina</i>, après avoir livré aux flammes l'échafaud
+et le chevalet de Pierre Lanchals, tristes monuments de la cruauté
+des discordes civiles.</p>
+
+<p>Le lendemain, la solennité de Pâques, qu'un cycle de onze années
+ramenait au 6 avril, comme en 1477, fut célébrée avec une grande
+pompe.</p>
+
+<p>Il semblait que toutes les passions dussent se calmer devant la
+convocation de l'assemblée des états généraux qui allait se réunir
+à Gand le 9 avril 1488. Elle était attendue avec une anxiété qui
+s'accroissait de jour en jour.</p>
+
+<p>L'empereur Frédéric III avait écrit aux magistrats de Bruges
+pour les rendre responsables de toutes les conséquences de la captivité
+du roi des Romains, à son petit-fils pour lui promettre l'appui
+de tous les électeurs de l'Empire, aux états de Hainaut pour les
+assurer également «qu'il ne cesseroit, tant qu'il vivroit, de venger
+l'innocence de son sang, quand tout l'Empire se debvroit mouvoir,
+jusqu'à condigne correction des Brughelins qui espèrent,
+par une impétuosité, livrer et mettre tous leurs princes avec
+tous leurs gens à perpétuelle servitude.» On racontait déjà que
+les princes allemands avaient reçu l'ordre de prendre les armes:
+on ajoutait que l'évêque de Worms s'était rendu à Malines afin de
+veiller à ce que le jeune duc Philippe ne fût point conduit en Flandre,
+et que les préparatifs de la guerre se multipliaient en Brabant
+et en Hainaut. Des ambassadeurs espagnols avaient été chargés par
+Ferdinand et par Isabelle de seconder les efforts de l'empereur
+d'Allemagne avec une flotte armée dans les ports de la Biscaye:
+ils espéraient que leur zèle préparerait l'union de la jeune héritière
+des royaumes de Castille et d'Aragon avec le petit-fils de Charles
+le Hardi.</p>
+
+<p>Le pape Innocent VIII intervenait lui-même: il avait investi l'archevêque
+<span class="pagenum"><a id="Page_236"> 236</a></span>
+de Cologne des fonctions de légat et, dans les lettres monitores
+qu'il lui avait adressées, il menaçait les communes de Flandre
+d'une sentence générale d'interdit, en leur montrant le glaive
+de la céleste colère suspendu sur leurs têtes et prêt à rouvrir sous
+leurs pas l'abîme où disparut Abiron.</p>
+
+<p>Tandis que l'on cherchait en Flandre à retarder pendant quelques
+jours la publication des lettres pontificales, Charles VIII, héritier
+de ces rois de France qui tant de fois avaient appelé sur les communes
+de Flandre l'excommunication et l'interdit, se hâtait de
+prendre leur défense, et ce fut dans une assemblée solennelle tenue
+dans l'église de Saint-Martin de Tours, que le procureur-général,
+maître Pierre Coutard interjeta en leur nom appel au pape.</p>
+
+<p>De nombreux obstacles avaient retardé l'assemblée des états généraux.
+Les députés du Brabant et du Hainaut s'étaient vus réduits,
+pour ne pas traverser un pays parcouru par des bandes allemandes,
+à s'embarquer à Anvers pour l'Ecluse; mais à peine y étaient-ils
+arrivés que d'autres préoccupations les engagèrent à suspendre
+leur voyage. Le parti de la guerre, il serait plus exact de dire le
+parti de l'anarchie, dominait complètement à Gand: il était vraisemblable
+qu'il s'opposerait à toute tentative de rapprochement, et
+l'on pouvait redouter ses menaces et même ses violences. Toutes
+ces craintes se découvrent dans un mémoire où les députés du
+Brabant demandent, de concert avec les sires de Ravestein et de
+Beveren, que l'assemblée des états soit transférée à Bruges, attendu
+que le bruit court que les Allemands se préparent à assiéger Gand.
+Maximilien lui-même écrit aux Gantois dans le même but une lettre
+très-douce et très-affectueuse qu'il date non plus de sa ville de
+Bruges, mais tout simplement de la ville de Bruges. Les Gantois
+repoussent ces représentations: ils défendent même aux députés du
+Brabant de traverser Bruges pour y voir le roi des Romains, et
+c'est sous l'empire de cet esprit de domination et de terreur que
+s'ouvre à Gand l'assemblée solennelle des députés de toutes les
+provinces.</p>
+
+<p>Un député zélandais, le pensionnaire de Rommerswale, prit le
+premier la parole pour réclamer la délivrance de Maximilien; mais
+un pensionnaire de Gand nommé Guillaume Zoete lui répondit par
+une longue apologie du droit d'insurrection, qui n'était qu'une servile
+imitation de l'apologie du tyrannicide rédigée par Jean Petit
+pour justifier le crime de Jean sans Peur. Guillaume Zoete ne
+<span class="pagenum"><a id="Page_237"> 237</a></span>
+néglige aucune autorité, pas même Aristote: il n'omet aucun
+exemple depuis Jéroboam, depuis Néron, ni Childéric en France, ni
+Frédéric II en Allemagne, ni Guillaume de Normandie en Flandre:
+il oublie seulement que si les communes flamandes ont fondé leur
+liberté en luttant loyalement contre les usurpations de Guillaume
+de Normandie, elles en ont marqué la fin le jour où l'arène est devenue
+un échafaud sur lequel, à défaut de juges, règne seul le
+bourreau.</p>
+
+<p>Cependant ces déclamations violentes réveillaient moins d'échos.
+D'une part, les lettres du pape qu'il avait été difficile de cacher
+longtemps excitaient une vive émotion; d'autre part, l'on annonçait
+que la grande armée réunie par l'empereur Frédéric III
+s'approchait; elle se composait de trente mille hommes, et l'on
+comptait parmi ses chefs les ducs de Brunswick, de Juliers, de
+Saxe, de Bavière, l'archevêque de Cologne, le landgrave de Hesse,
+les margraves de Bade et de Brandebourg. On vit le parti de la
+paix s'élever et dominer tout à coup à Gand comme il dominait
+dans les autres villes de Flandre. Ce parti, formé par les bourgeois
+les plus honorables, s'était proposé une double tâche, car il voulait,
+en rétablissant la concorde et l'union, défendre la Flandre à la fois
+contre l'invasion étrangère qui menaçait ses frontières et contre
+l'anarchie qui se déchaînait dans ses cités: c'était le seul qui fût
+resté fidèle aux souvenirs du passé, et les dernières pages de notre
+histoire, où l'on voit revivre avec quelque éclat et quelque force
+nos traditions nationales, sont celles qui ont conservé la trace de
+ses efforts.</p>
+
+<p>Deux grandes mesures résument cette situation: la première,
+c'est la confédération de toutes les provinces pour défendre leurs
+priviléges et repousser les étrangers; la seconde, c'est la réconciliation
+avec Maximilien et l'abandon de ce système honteux de
+supplices et de représailles, de menaces et d'outrages, source de
+divisions mille fois plus funestes que la guerre.</p>
+
+<p>Le traité qui fut conclu à Gand par les députés de la Flandre,
+du Brabant, du Hainaut, de la Zélande, du Limbourg, du Luxembourg,
+de la Frise, de Namur, de Valenciennes, d'Anvers, de Malines,
+était conçu en ces termes: «Pour ce que, pour la garde et
+conservation de toute police, gouvernement et bien public, n'est
+rien plus utile, ne chose plus nécessaire que paix, amitié et bonne
+union qui sont mères de tous biens et vertus et cause que le
+<span class="pagenum"><a id="Page_238"> 238</a></span>
+service divin est augmenté, l'estat des nobles honoré, marchandises
+haulte et le pays cultivé en grant repos et seureté, et pour
+ce qu'au contraire n'y a rien plus dommageable, ne préjudiciable
+au bien public, que dissension et confusion des règles, qui sont
+nourrice et mère de tous maulx, commenchement et occasion de
+toutes divisions, guerres et différends: au moyen de quoi les
+pays, villes, provinces et royaumes eschéent en grandes confusions,
+désolations et ruynes, et souventefois sont transférés de
+gens en aultre, et qu'il soit ainsi que lesdicts pays de par-deçà,
+ont pris naguaires chemin de grandes charges et dissensions; en
+telle sorte que justice, paix, amitié, union et marchandise en ont
+été deschassez et estrangez au grand desplaisir, destriment et
+dommaige du povre commun peuple... nous avons pour mettre
+et réduire en paix et bonne police lesdicts pays, lesquels sont
+contigus les uns aux aultres et appartenant à ung seigneur, fait,
+conclu et juré paix, union, amitié, alliance et bonne et constante
+intelligence entre nous à l'honneur de Dieu et prouffit de nostre
+très-redouté seigneur et de ses pays: ladite union, en tant qu'il
+touche la police, durera à perpétuité et demoureront chascun desdits
+pays et villes en leurs loix, priviléges, usaiges et coustumes,
+libertés et franchises.»</p>
+
+<p>Divers articles du traité concernent l'oubli complet des anciennes
+discordes, le départ des garnisons allemandes, l'engagement réciproque
+de ne pas livrer passage aux hommes d'armes qui menaceraient
+l'une des provinces confédérées, et de se protéger contre tous
+ceux qui seraient hostiles à cette alliance, l'incapacité des étrangers
+à remplir des fonctions publiques, l'abolition des droits de
+tonlieu contraires au développement des relations commerciales,
+l'unité d'une monnaie qui ne pourra être modifiée «sans le consentement
+de tous les pays.» A l'avenir aucune guerre ne pourra
+être entreprise sans l'avis «de tous les estats,» et leur assentiment
+sera également nécessaire pour la faire cesser. Chaque année, les
+états généraux se réuniront le 1<sup>er</sup> octobre à Bruxelles, à Gand, à
+Mons, ou dans toute autre ville de Brabant, de Flandre ou de
+Hainaut.</p>
+
+<p>Ce traité devait être ratifié par le roi de France, l'évêque
+d'Utrecht, les ducs de Bourbon et de Clèves, les sires de Beveren
+et de la Gruuthuse, «comme parents et amis de nostre très-redoubté
+seigneur, promettant de se joindre en ceste bonne paix qui est
+grande et utile.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_239"> 239</a></span>
+On ne peut oublier qu'une autre confédération presque semblable
+avait été fondée par Jacques d'Artevelde. Le traité de 1339 porte
+les noms de Jean de la Gruuthuse, de Gérard de Rasseghem, d'Arnould
+de Gavre, d'Arnould de Baronaige, de Jean d'Herzeele. Le
+traité de 1488 fut signé par Louis de la Gruuthuse, par Adrien de
+Rasseghem, par Jean de Gavre, par Jean de Baronaige, par Daniel
+d'Herzeele. Nommons aussi Jean de la Vacquerie, Jean de Claerhout,
+Pierre d'Herbaix, Gauthier Vander Gracht, Jean de Stavele,
+Nicolas d'Halewyn, André de la Woestyne, Louis de Praet, Arnould
+d'Escornay, les abbés d'Afflighem, de Saint-Bernard, de Grimberghe,
+de Saint-Bavon, de Saint-Pierre, d'Eenhaem, de Hautmont,
+de Bonne-Espérance, de Tronchiennes, de Baudeloo.</p>
+
+<p>Presque au même moment un traité était conclu avec Maximilien.
+Les communes y promettent de rendre immédiatement la liberté
+au roi des Romains. Celui-ci s'engage de son côté à congédier, dans
+le délai de quatre jours, toutes les garnisons étrangères, sans qu'elles
+emmènent de prisonniers, et «s'il advient, ajoute Maximilien,
+qu'elles fassent au contraire, l'on recouvrera l'intérest de ce et
+le dommage sur la pension que ceux de Flandre nous ont consenty
+ou nous consentiront.» Afin de faciliter le départ de ces
+garnisons, les trois membre de Flandre payeront dans le délai d'un
+mois, «la somme de vingt-cinq mille livres de quarante gros, monnoye
+de Flandre, la livre, à condition que si iceux gens de guerre
+et garnisons ne sont partis dehors de tous les pays dedans ledict
+temps, que en ce cas lesdicts vingt-cinq mille livres seront employez
+au payement d'autres gens de guerre pour par la force les
+expulser et déchasser.» Maximilien déclare «quitter, abolir et
+pardonner à tousjours la prise et détention de sa personne, ensemble
+tout ce qui est advenu devant ou aprez, par qui, quand,
+comment, ne en quelque manière que ce soit.» Et les trois états
+comprennent dans une semblable amnistie tous ceux qu'ils ont accusés
+d'actes illégaux ou de participation aux hostilités dirigées
+contre la Flandre.</p>
+
+<p>Maximilien renonce à être mainbourg de Flandre et consent
+«à ce que celui pays et comté de Flandre, durant la minorité de
+son fils, soit régi et gouverné sous son nom par l'advis et consentement
+des trois états du pays, ensuyvant le contenu de
+l'union faicte par tout le pays.» Il renonce également à porter
+les armes et le titre de comte de Flandre, et, en considération de
+<span class="pagenum"><a id="Page_240"> 240</a></span>
+cet abandon, reçoit une pension de mille livres de gros. Il adhère
+au traité d'Arras, promet de ramener son fils en Flandre et de
+protéger les marchands flamands en quelque pays qu'ils se trouvent.</p>
+
+<p>Quelques difficultés s'étaient élevées lorsqu'on avait appris que
+le duc de Bavière et le marquis de Bade, que Maximilien avait
+désignés comme otages, hésitaient à garantir sa fidélité à remplir
+ses engagements, parce qu'elle leur semblait trop douteuse, et qu'ils
+cherchaient à se faire remplacer par le comte de Hanau et le sire
+de Falckenstein. Mais Philippe de Clèves, qui avait, par la popularité
+dont il jouissait, contribué plus que personne à faire rendre la
+liberté au roi des Romains, s'était hâté de lui écrire «que, par le
+grand désir qu'il avoit à sa délivrance, si plus il povoit employer
+que corps et biens, il le feroit de très-bon c&oelig;ur.» Et c'était ainsi
+que son nom figurait au premier rang parmi ceux des otages dans
+le traité du 16 mai 1488. «Pour plus grande sûreté, y disait le roi
+des Romains, nous avons prié et requis ledict messire Philippe
+que en cas que nous fussions aucunement en faute de non accomplir
+iceux poincts, il ne nous veuille aider, et en ce cas, iceluy
+messire Philippe avons deschargé et deschargeons de tous sermens
+de fidélité et autres qu'il nous peut avoir faict, et assistera
+ceux de Flandres à l'encontre de nous de tout son pouvoir et de
+toute sa puissance, et de ce fera ledict messire Philippe serment.»</p>
+
+<p>Les états de Flandre demandaient de plus que Maximilien fît
+ratifier ce traité par le pape, l'Empereur et les électeurs de l'Empire,
+et que les évêques de Liége et d'Utrecht et les ducs de Clèves
+et de Juliers s'engageassent à refuser passage à ses troupes s'il
+cherchait à le violer.</p>
+
+<p>Le même jour, une procession solennelle parcourut les rues de
+Bruges: on y portait la châsse de saint Donat et la relique du bois
+de la vraie croix de l'église Notre-Dame. Les corps de métiers
+l'accompagnaient à la clarté des torches, et elle se dirigeait lentement
+vers l'hôtel de Jean Gros, où le roi des Romains était prisonnier
+depuis onze semaines: elle venait l'y chercher pour le
+conduire à la place du Marché.</p>
+
+<p>Maximilien se montrait plein de joie: il levait les mains vers le
+ciel pour la manifester plus vivement. Cependant, c'était au Craenenburg
+qu'il devait monter pour adhérer à la paix et pardonner à
+ceux qui l'avaient retenu prisonnier: c'était au milieu du marché,
+au lieu même où la hache du bourreau avait frappé ses serviteurs
+<span class="pagenum"><a id="Page_241"> 241</a></span>
+et ses amis, qu'on avait construit pour lui un trône surmonté d'un
+dais magnifique. Devant le trône s'élevait un autel, et le roi des
+Romains, «agenouillé en grande révérence et crainte comme il
+sembloit,» y prêta le serment suivant:</p>
+
+<p>«Nous promettons de nostre franche volonté et jurons en bonne
+foi sur le saint-sacrement cy-présent, sur la sainte vraie croix,
+sur les Evangiles de Nostre Seigneur, sur le précieux corps de
+saint Donat, patron de paix, et sur le canon de la messe, de tenir,
+entretenir et accomplir par effect la paix et l'alliance conclues
+entre nous et nos bien-amés les estats et trois membres de
+Flandre et leurs adhérents, ensemble la concordance, union et
+alliance de tous les estats et pays, conclue par nostre consentement,
+et promettons en parole de prince et comme roy, sur nostre
+foy et honneur, que jamais ne viendrons au contraire en quelque
+manière que ce soit, deschargeant lesdits de Flandre du serment
+qu'ils nous ont faict comme mainbourg de nostre chier et amé
+fils.»</p>
+
+<p>Pour rendre cet engagement plus solennel, l'évêque de Tournay
+bénit tous ceux qui l'observeraient et maudit quiconque oserait
+l'enfreindre.</p>
+
+<p>Dès ce moment, Maximilien était libre. Après un pompeux banquet
+dans la maison de Jean Canneel, il se rendit à l'église de
+Saint-Donat pour y assister au chant des actions de grâces. Philippe
+de Clèves, qui venait d'entrer à Bruges, l'accompagnait et y
+prêta serment comme otage «de aider et de faire assistance à ceux
+de Flandre contre les infracteurs de ladite paix, union et alliance.»</p>
+
+<p>Maximilien sortit de Bruges par la porte de Sainte-Croix. Les
+députés des états le reconduisirent à quelque distance de la ville et
+reçurent de nouveau la promesse qu'il serait fidèle à la paix.
+«Monseigneur, disait Philippe de Clèves au roi des Romains, vous
+estes maintenant vostre francq homme et hors de tout emprisonnement.
+Veuillez me dire franchement vostre intention. Est-ce
+vostre volonté de tenir la paix que nous avons jurée?» Maximilien
+le rassura en lui disant: «Beau cousin de Clèves, le traité
+de la paix, tel que je l'ay promis et juré, je le vueil entretenir
+sans infraction.»</p>
+
+<p>L'enthousiasme qui accueillait le terme de ces longues discordes
+était sincère. On chantait et on dansait dans toutes les rues, quand
+les musiciens placés au haut de la tour des Halles s'interrompirent
+<span class="pagenum"><a id="Page_242"> 242</a></span>
+tout à coup. Ils voyaient s'élever des tourbillons de flamme et de
+fumée autour de Male. C'étaient les Allemands du duc de Saxe,
+accourus au devant du roi des Romains, qui saluaient son arrivée en
+incendiant les chaumières des laboureurs.</p>
+
+<p>Le sire de Beveren se dirigea vers Male pour aller reconnaître
+ce qui s'y passait. Il revint avec une lettre fort douce où le roi des
+Romains déclarait qu'il était étranger aux fureurs des Allemands,
+et ajoutait que si l'on envoyait cinquante mille florins au duc de
+Saxe, il s'éloignerait immédiatement. On accéda à cette prière, et
+dès le lendemain on reçut une nouvelle lettre de Maximilien qui
+demandait qu'on délivrât deux de ses otages. On y consentit; mais
+ces concessions ne devaient qu'encourager de plus en plus la mauvaise
+foi du roi des Romains. Des Allemands enlevèrent le sire de
+la Gruuthuse et le conduisirent au château de Rupelmonde, au
+moment même où les Brugeois rendaient la liberté au comte de
+Hanau et au sire de Falckenstein.</p>
+
+<p>L'armée de l'Empereur approchait de Gand, et le duc de Saxe
+avait déjà été rejoint au camp de Male par quelques capitaines allemands
+qui se vantaient d'effacer dans le sang des Brugeois les traces
+encore toutes récentes de la captivité du roi des Romains; Maximilien
+s'était lui-même retiré dans la forteresse de Hulst, centre
+des excursions de toutes les bandes armées qui pillaient le pays
+depuis la Lys jusqu'à la mer. Il n'avait jamais eu l'intention de se
+montrer fidèle à son serment, jugeant qu'il suffisait qu'il lui eût été
+imposé par la nécessité pour qu'il eût le droit de le violer. Au
+moment même où il chargeait son chancelier de négocier les conditions
+de la paix, le sire d'Ysselstein pressait en son nom les princes
+allemands d'assembler leurs hommes d'armes, et dès qu'il se vit
+hors de tout péril, il se hâta de publier un manifeste où il déclarait
+que s'il avait eu le projet de s'emparer de Bruges, rien n'eût pu l'en
+empêcher, mais que les communes flamandes ne l'en avaient accusé,
+en oubliant tous les services qu'il leur avait rendus, qu'afin de
+pouvoir remettre son fils au roi de France aussi aisément qu'ils lui
+avaient livré sa fille.</p>
+
+<p>Trois jours seulement s'étaient écoulés depuis que la paix du
+16 mai avait été publiée dans toutes les villes, lorsque Maximilien
+adressa à leurs habitants un message pour leur annoncer qu'il était
+résolu à ne point l'observer, et en même temps il les invitait à
+envoyer des vivres au camp des Allemands à Ninove. «La main qui
+<span class="pagenum"><a id="Page_243"> 243</a></span>
+naguère encore portait des chaînes, dit un poète apologiste du roi
+des Romains, avait ressaisi l'épée.»</p>
+
+<p>Le repos de la Flandre avait à peine duré quelques heures. Le
+tocsin résonnait de nouveau dans les cités, dans les bourgs, dans
+les villages. Les bourgeois, témoins du parjure du roi des Romains,
+soupçonnaient partout des trahisons.</p>
+
+<p>Cependant Philippe de Clèves, otage de Maximilien, protesta par
+sa loyauté contre la mauvaise foi qui était devenue le vice de ce
+temps. «Monseigneur, écrit-il le 9 juin au roi des Romains, en
+l'acquit de mon serment par doubte d'offenser Dieu, nostre créateur,
+j'ay promis aux trois membres de Flandre de les aider et
+assister: ce que je vous signifie à très-grand regret de c&oelig;ur et
+très-dolent: car en tant qu'il touche vostre noble personne, comme
+vostre très-humble parent, je vouldroye vous faire tout service et
+honneur; mais en tant qu'il touche l'observation de mon serment,
+je me suis obligé à Dieu, souverain roy des roys.» Le sire de
+Clèves devint capitaine général de l'armée flamande. Philippe de
+Bourgogne, sire de Beveren, qui avait comme lui juré le traité du
+16 mai, et le sire de Chantraine lui-même, qui, des remparts de
+l'Ecluse, avait menacé les Brugeois de représailles s'ils retenaient
+Maximilien, se hâtèrent de suivre son exemple. Sous Philippe de
+Clèves, le parti des communes se réveille et se reconstitue. D'une
+part, il dompte la faction anarchique qui voulait relever l'échafaud
+d'Hugonet et d'Humbercourt pour y faire monter le chancelier de
+Maximilien et les nobles allemands prisonniers au Gravesteen;
+d'autre part, on le voit entouré des sires de la Gruuthuse, d'Halewyn,
+de Stavele, de Lichtervelde, réprimer les fureurs des Allemands
+qui se répandent dans tout le pays, ravageant tout ce qui est
+abandonné, reculant devant tout ce qui résiste. Le 8 juin, ils
+ont surpris Deynze pendant la nuit et y ont tout mis à feu et à
+sang; Roulers a éprouvé le même sort. Les habitants, réfugiés
+dans l'église avec leurs femmes et leurs enfants, ont péri dans
+les flammes qui consument les autels. Mais ils se voient arrêtés
+devant les remparts d'Ypres, où les bourgeois se tiennent en armes
+près de leurs canons, et bientôt ils se trouvent réduits à demander
+une trêve. «Nous ne voulons pas de trêve avec les Allemands!»
+répondent les magistrats de Bruges; et en même temps, les doyens
+des métiers de Gand écrivent au marquis de Bade: «Vous nous parlez
+de paix et de traités: quel est le Dieu que le roi des Romains
+peut désormais prendre à témoin de ses serments?»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_244"> 244</a></span>
+Si les Brugeois sont arrêtés devant quelques châteaux, si leur
+capitaine, Antoine de Fletre, est fait prisonnier dans un combat près
+de Coxide, Jean de la Gruuthuse répare ces revers en enlevant
+près de Termonde un convoi qu'attendait Maximilien. Un avantage
+plus important est le mouvement des bourgeois de l'Ecluse, qui, à
+la voix de Philippe de Clèves, s'associent à la cause des trois membres
+de Flandre. Les Allemands s'efforcent inutilement de reconquérir
+cette forteresse, vraie citadelle de Bruges, malgré la distance
+qui l'en sépare; Maximilien n'est pas plus heureux au siége
+du bourg de Damme, encore dépositaire, à cette époque, d'immenses
+richesses qui allaient se retirer de ses entrepôts comme le commerce
+se retirait de Bruges. Il a promis le pillage à ses hommes
+d'armes, à défaut d'argent pour payer leur solde; mais ils sont repoussés
+après un sanglant assaut, et le roi des Romains se voit réduit
+à s'éloigner précipitamment, abandonnant son camp et ses approvisionnements.
+Le frère du marquis de Bade est resté parmi les
+morts, et la garnison flamande conserve comme de glorieux
+trophées les étendards des archevêques de Cologne et de Mayence.</p>
+
+<p>C'est en vain que Maximilien s'est allié au duc de Bretagne et
+cherche à ce prix à obtenir la main de la jeune héritière de ce duché,
+comme jadis il obtint celle de la jeune héritière du duché de Bourgogne;
+c'est en vain que le duc de Bretagne attend sur le rivage
+qu'illustra Jeanne de Montfort des hommes d'armes venus de
+Flandre pour soutenir la rébellion du duc d'Orléans; Maximilien
+est trop faible pour lui faire parvenir les secours qu'il lui a promis,
+et tandis qu'il échoue devant Damme, Charles VIII, fortifié par la
+victoire de Saint-Aubin du Cormier, se prépare à protéger les communes
+flamandes contre les efforts de l'armée impériale en envoyant
+douze cents chevaux aux Gantois et à peu près le même nombre aux
+bourgeois de Bruges. Le sire de Crèvec&oelig;ur, qui les a suivis à Ypres
+avec de nouvelles forces, met en déroute, avec le secours des habitants
+de Courtray, les Allemands et la garnison de Lille, qui cherche
+à s'opposer à son passage. Dixmude et Nieuport appelent Philippe
+de Clèves; les Allemands ont évacué Bergues; ceux qui occupent
+la forteresse d'Audenarde sont enfermés dans ses murailles.
+On apprend enfin, le 31 juillet, que l'Empereur a quitté la Flandre.
+Il se retire à Anvers, où il fait publier deux déclarations: l'une,
+«pour dégrader monseigneur Philippe de Clèves de son honneur
+par ban impérial;» l'autre, pour justifier son expédition; cependant
+<span class="pagenum"><a id="Page_245"> 245</a></span>
+les états généraux assemblés à Anvers élèvent la voix au milieu
+même des bannerets allemands de Frédéric III, pour exprimer de
+nouvelles plaintes sur l'inexécution du traité d'Arras.</p>
+
+<p>Maximilien s'était retiré en Zélande, où il réunissait de nombreux
+vaisseaux, frétés dans les ports de la Baltique. Il eût voulu y joindre
+des navires zélandais, mais les bourgeois de Middelbourg lui
+avaient répondu: «Nous nous inquiétons peu du roi des Romains;
+c'est avec ceux de Gand, d'Ypres et de Bruges que nous voulons
+vivre et mourir.» La flotte allemande, repoussée à Biervliet,
+réussit à surprendre Nieuport. De là, les Allemands allèrent reconquérir
+Dunkerque et Saint-Omer, et incendier une foule de bourgs
+et de villages jusqu'aux portes d'Ypres et de Thourout. Pendant que
+ceci se passait en Flandre, Maximilien cherchait à envahir le Brabant;
+mais Philippe de Clèves le défit complètement, et ce fut à
+grand'peine qu'il parvint à regagner Anvers avec cinquante hommes.
+Bruxelles, Louvain, Nivelles, Vilvorde ouvraient leurs portes
+aux milices flamandes; Liége les appuyait; Lille, Douay et Orchies
+se liaient de nouveau par un traité de neutralité qui ne leur était
+pas moins favorable. Enfin le sire de Brederode entrait en Hollande,
+suivi de deux mille Brugeois, et y faisait reconnaître, de concert
+avec l'ancienne faction des Hoeks, le conseil des princes du sang
+mainbourgs pendant la minorité du duc Philippe, tel que le traité
+du 16 mai l'avait constitué.</p>
+
+<p>Des conférences pour la paix s'étaient ouvertes à Bruxelles. Bien
+qu'un ambassadeur portugais, Edouard de Qualéon, eût interposé
+sa médiation en invoquant les anciennes relations de la Flandre et
+du Portugal, elles n'eurent d'autre résultat qu'une courte trêve.
+Les états de Flandre et de Brabant avaient déclaré «que jusques
+au derrenier homme de leur pays ne souffriroient le roy (Maximilien)
+avoir gouvernement; mais se retirast en la ville de
+Coulongne et qu'ils lui feroient don de cent mille florins du
+Rhin.»</p>
+
+<p>Les dernières traces des moyens d'intimidation religieuse auxquels
+Maximilien avait eu recours s'effaçaient au même moment.
+Le 22 octobre, le roi de France avait adressé au pape Innocent VIII
+une lettre où, après avoir dépeint les dévastations des Allemands, il
+le suppliait, dans les termes les plus pressants, de révoquer les
+lettres monitoires publiées par l'archevêque de Cologne. Il y rappelait
+aussi les griefs de la Flandre contre le roi des Romains, et
+<span class="pagenum"><a id="Page_246"> 246</a></span>
+l'appel qu'elle avait interjeté devant le parlement de Paris. Lorsque
+cette lettre du roi de France parvint à Rome, le pape avait déjà accueilli
+l'acte d'appel des communes flamandes en déclarant, par
+une bulle du 3 novembre, que l'archevêque de Cologne avait dépassé
+ses pouvoirs en faisant fulminer l'excommunication alors que
+le roi des Romains avait déjà été rendu à la liberté. La question
+n'était toutefois pas complètement résolue au point de vue de la
+suprématie royale. Le 10 décembre 1488, un huissier du parlement
+de Paris lut aux halles de Bruges un mandement de
+Charles VIII qui citait, sur la plainte des états de Flandre, le duc
+d'Autriche, l'archevêque de Cologne et leurs adhérents, à comparaître
+à Paris le 4 février, sous peine d'une amende de cent marcs d'or.</p>
+
+<p>Maximilien ne répondit pas à cette sommation; il trouvait dans
+d'autres événements les forces et les espérances que ses revers
+semblaient devoir abattre. L'expédition de Charles VIII en Bretagne
+avait réveillé la jalousie de l'Angleterre. Henri VII se souvint
+qu'il avait visité lui-même la Bretagne. Il avait vu Tréguier,
+où Charles VI réunit la flotte qui fit trembler Richard II, et les
+ports, moins célèbres à cette époque, de Brest, de Lorient, de Saint-Malo,
+et avait compris qu'il importait à la tranquillité de l'Angleterre
+que la Bretagne ne devînt pas française.</p>
+
+<p>Au commencement de l'année 1488, Jean d'Egremont, chef des
+insurgés de l'Yorkshire, avait cherché à la cour de la duchesse
+douairière de Bourgogne le refuge qu'y avaient trouvé naguère le
+comte de Lincoln et lord Lovel; quelques mois plus tard, la défaite
+du duc d'Orléans change complètement la situation des choses. Des
+rapports s'établissent entre Henri VII et Maximilien. Jean Ryseley
+et Jean Balteswell traversent la mer pour conférer avec le roi des
+Romains <i lang="la" xml:lang="la">super ligis, amicitiis, intelligentiis, alligantiis et conf&oelig;derationibus
+quibuscumque</i>, et le 14 février 1488 (v. st.), un
+traité de fédération est signé à Dordrecht. Désormais l'Angleterre
+fera tous ses efforts pour que Maximilien épouse la fille du duc
+François II; elle pressent que Charles VIII pourrait répudier la
+fille de Maximilien, pour épouser lui-même l'héritière du duché
+de Bretagne.</p>
+
+<p>Le roi des Romains ne tarda pas à suivre l'empereur Frédéric III
+en Allemagne, afin d'y réunir des renforts qui lui permissent de
+prendre une part active à la lutte qui se préparait. Il laissait en
+Flandre pour ses lieutenants le duc de Saxe et le comte de Nassau.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_247"> 247</a></span>
+Les états de Flandre n'ignoraient point le péril qui les menaçait.
+Ils envoyèrent Philippe de Clèves en France réclamer de nouveau
+l'appui de Charles VIII; une réponse favorable leur fut adressée, et
+le sire de Ravestein annonça, dans une assemblée des états qui se
+tint à Gand au mois de mars, que la Flandre pouvait espérer d'importants
+secours en hommes d'armes et en artillerie. Déjà le sire
+de Crèvec&oelig;ur avait proposé de chasser les garnisons allemandes,
+pourvu qu'on lui payât 12,000 couronnes et qu'on lui remît quelques
+nobles allemands captifs à Gand; mais il attendait pour commencer
+la guerre les Bretons de la garde du roi de France. Les communes de
+Flandre se plaignaient de ces retards, et dans leur imprudent enthousiasme
+elles résolurent bientôt de se charger elles-mêmes du
+soin d'expulser les Allemands. Ce furent les Brugeois qui sortirent
+les premiers de leur ville au nombre de quatre mille, sous les ordres
+d'Antoine de Nieuwenhove et de Georges Picavet, bourgeois de
+Lille, dont ils avaient fait leur écoutète. Ils campaient avec les
+Yprois près du pont de Beerst, en attendant l'arrivée des Gantois,
+et croyaient n'avoir rien à craindre, lorsqu'en vertu des traités de
+Henri VII et de Maximilien, deux ou trois mille Anglais de Calais
+et de Guines, sous les ordres de lord Daubeny et de lord Morley,
+les attaquèrent inopinément avec l'appui de Daniel de Praet et de
+la garnison allemande de Nieuport; après un combat acharné, où
+périt lord Morley, le camp flamand fut conquis. Plus de mille hommes
+restèrent sur le champ de bataille, entre autres Antoine de
+Nieuwenhove. L'écoutète Georges Picavet avait été pris et ne fut
+relâché qu'en payant une rançon de 800 livres de gros.</p>
+
+<p>Lorsqu'on annonça au sire de Crèvec&oelig;ur la défaite des Brugeois,
+sa colère fut extrême et on l'entendit s'écrier que si jamais il pouvait
+venger cet échec en chassant lord Daubeny de Calais, il passerait
+volontiers sept ans dans les flammes de l'enfer. Sans hésiter
+plus longtemps, il quitta Ypres avec vingt mille hommes et une
+nombreuse artillerie pour réparer la défaite des Brugeois. Ostende
+lui ouvrit ses portes le 19 juin, et aussitôt après le siége de Nieuport
+commença. L'artillerie battit les remparts en brèche: de nombreux
+assauts furent tentés; mais le sire de Praet les repoussa
+vaillamment. La mer lui portait chaque jour quelques renforts, et
+le sire de Crèvec&oelig;ur se retira après avoir vainement essayé de combler
+le havre par le sable des digues voisines qu'il avait fait rompre:
+déplorable tentative qui n'eut pour résultat que de submerger une
+grande partie du pays.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_248"> 248</a></span>
+Pendant quelques jours, le sire de Crèvec&oelig;ur feignit de vouloir
+recommencer le siége de Nieuport. On travaillait nuit et jour à
+Bruges à préparer les ustensiles nécessaires aux pionniers et aux
+mineurs; mais le zèle des Brugeois se refroidit lorsqu'on exigea
+que tous ceux qui prendraient part aux travaux du siége portassent
+la croix blanche. Les Français ne devaient plus combattre le sire de
+Praet. Arrivés près de Couckelaere, ils renoncèrent à leur projet et se
+dirigèrent vers la France, emmenant avec eux les chevaux que les laboureurs
+leur avaient prêtés pour traîner leurs canons. En vain le sire
+de la Gruuthuse, Jean de Nieuwenhove, Guillaume Moreel, Jean de
+Riebeke et d'autres députés de Bruges se rendirent-ils à Ypres; toutes
+leurs remontrances furent inutiles, et l'expédition du sire de Crèvec&oelig;ur
+s'acheva aussi honteusement que celle qu'il avait conduite
+jusqu'à Gand en 1485.</p>
+
+<p>La misère du pays avait atteint ses dernières limites. L'industrie
+avait émigré vers des rivages plus tranquilles et plus heureux, et
+la mer se retirait chaque jour davantage du havre de l'Ecluse,
+comme si elle ne permettait point que le commerce vînt jamais
+ranimer son port jadis si fameux: le doigt de Dieu avait, disaient
+les amis de Maximilien, vengé sa captivité, en éloignant de Bruges
+le flot qui lui portait ses richesses. L'agriculture n'était pas
+plus florissante. Les campagnes, abandonnées par leurs habitants,
+restaient désertes, et les loups s'étaient multipliés à un tel point
+que pendant longtemps le laboureur n'osa point ramener dans les
+prairies les débris de son troupeau. Les champs les plus fertiles se
+couvraient de broussailles et d'épines où se cachaient les sangliers
+et les cerfs: il semblait que la Flandre, autrefois si riche et si
+peuplée, rentrât dans les ténèbres des siècles voisins de l'invasion
+des barbares, où les seuls monuments de l'état de l'agriculture
+étaient quelques chartes de monastères auxquels on accordait
+de vastes terrains à prendre sur le désert, <i lang="la" xml:lang="la">ex eremo</i>; le seul
+bruit que l'on entendît dans la solitude était celui des vents et des
+tempêtes, qui ouvraient aux irruptions de l'Océan les digues qu'une
+main active et habile avait cessé de réparer et d'entretenir avec
+soin. Bientôt aux malheurs de la famine vinrent se joindre ceux de
+la peste, qui, à Bruxelles, enleva, dit-on, trente-trois mille personnes.
+Tout contribuait à rendre plus accablante et plus terrible
+une guerre dont rien ne faisait prévoir le terme, lorsqu'on annonça
+que la Flandre avait été comprise dans les négociations entamées
+<span class="pagenum"><a id="Page_249"> 249</a></span>
+entre Charles VIII et le roi des Romains, qui se préparait à envahir
+la Champagne. Le roi de France, évidemment las d'entretenir si longtemps
+aux frontières de Flandre une armée qui n'est utile ni à son
+influence, ni à sa puissance, renonce à une intervention active pour
+se contenter d'une médiation pacifique, médiation presque hostile
+à la Flandre, car il déclare dans le traité de Francfort du 19 juillet
+1489 «qu'il entend, en cette matière et en toutes autres, garder
+l'honneur et le profit du roi des Romains, son beau-père, et
+n'y avoir point d'autre regard comme par expérience il le montrera;
+car il sait bien qu'en gardant l'amitié de son dit beau-père,
+il la doit préférer à toutes autres amitiés; ce qu'il promet
+en bonne foi et parole de roi de France.» Il se contente de stipuler
+que Philippe de Clèves ne sera point inquiété dans sa personne
+ni dans ses biens.</p>
+
+<p>A la nouvelle du traité de Francfort, toutes les villes du Brabant
+s'étaient soumises à Maximilien, et Philippe de Clèves, réduit à
+quitter Bruxelles, s'était retiré à Gand. Il voulait, disait-il, rester
+fidèle aux communes flamandes et n'accepter aucun traité où elles
+ne fussent comprises. On ne tarda point à voir s'ouvrir les conférences
+où les conditions d'une paix définitive entre la Flandre et le
+roi des Romains devaient être discutées avec la médiation de
+Charles VIII par des arbitres choisis dans les deux partis. Ceux que
+Maximilien désigna furent le comte de Nassau, Philippe de Borssele,
+Paul de Baenst et Philippe de Contay. Les communes flamandes
+avaient choisi l'abbé de Saint-Bavon, Louis de la Gruuthuse,
+Adrien Vilain, Jean de Nieuwenhove, Jean de Coppenolle, Gauthier
+Vander Gracht, Corneille d'Halewyn, Jean de Stavele, Jean de
+Baenst, Jean de Beer, Jean de Keyt. Ces conférences eurent lieu au
+château de Montils, près de Tours.</p>
+
+<p>Les désastres d'une longue guerre, les nécessités de la famine,
+l'espérance de voir le commerce se relever, le péril même qui résultait
+de l'abandon de la France, peuvent seuls expliquer la conclusion
+du traité du 30 octobre 1489.</p>
+
+<p>Maximilien sera réintégré comme mainbourg de Flandre; les
+magistrats des trois bonnes villes de Gand, de Bruges et d'Ypres
+iront au devant de lui sans ceinture, nu pieds et vêtus de noir,
+pour lui demander à genoux pardon des offenses commises contre
+lui.</p>
+
+<p>Moyennant une somme de cinq cent mille livres tournois, dont
+<span class="pagenum"><a id="Page_250"> 250</a></span>
+les deux tiers devront être payés aux fêtes de Noël, le roi des
+Romains s'engage à congédier immédiatement les garnisons allemandes.
+Il accorde une amnistie sans réserves, confirme tous les
+actes de l'administration de Philippe de Clèves et de son conseil,
+et jure d'observer tous les anciens priviléges du pays.</p>
+
+<p>Quant aux priviléges qui sont postérieurs à la mort de Charles
+le Hardi, toute décision est ajournée jusqu'à l'entrevue qui doit
+avoir lieu entre Maximilien et Charles VIII; il en est de même de
+la demande formée par le roi des Romains, que le Craenenburg
+soit converti en chapelle expiatoire.</p>
+
+<p>Dans les premiers moments, la Flandre vit avec joie la conclusion
+de la paix, si nécessaire à ses cités épuisées par la disette. Les
+difficultés les plus graves commencèrent lorsqu'il fallut payer les
+deux tiers de l'amende imposée aux grandes villes plus qu'au reste
+du pays, puisque, selon un article du traité, elle n'atteignait que
+les communes qui avaient donné l'exemple de l'insurrection. Dès ce
+jour, la résistance devint aussi vive à Bruges, qu'elle l'était déjà
+à Gand. Les bourgeois, mécontents, chassèrent successivement
+deux écoutètes; enfin ils envoyèrent des députés réclamer l'appui
+de Philippe de Clèves, et déclarèrent qu'ils n'obéiraient qu'aux
+décisions qui seraient prises dans l'assemblée générale des mandataires
+des pays de Flandre, de Brabant, de Hainaut, de Hollande et
+de Zélande.</p>
+
+<p>Philippe de Clèves avait jugé prudemment que l'opposition du
+pays à l'autorité de Maximilien ne touchait pas à son terme. Il s'était
+retiré dans le château de l'Ecluse pour y attendre les résultats
+qu'amènerait la marche des événements. Cependant, quelles que
+fussent les réserves faites en sa faveur par le traité de Francfort,
+il cachait peu l'hostilité de ses sentiments, sachant bien que les
+Allemands n'étaient assez forts ni pour l'assiéger, ni pour l'empêcher
+d'arrêter les navires qui se rendaient à Bruges. Les états
+de Flandre eux-mêmes conservaient leurs hommes d'armes et
+alléguaient pour prétexte que le duc de Saxe, loin de congédier les
+siens, augmentait les garnisons de Courtray, de Damme et de
+Biervliet.</p>
+
+<p>Cependant le duc de Saxe avait obtenu l'adhésion de la ville
+d'Ypres à l'amende imposée par le traité de Tours, et les bourgeois
+de Gand furent bientôt entraînés à imiter la soumission des Yprois.
+L'un des plus illustres défenseurs de Gand, Adrien de Rasseghem,
+<span class="pagenum"><a id="Page_251"> 251</a></span>
+qui avait été successivement l'ami de Jean de Dadizeele et celui de
+Philippe de Clèves, se laissa corrompre et livra les portes aux Allemands.
+Au bruit de cette trahison, le sire de Ravestein le fit défier
+en lui rappelant ses serments et en le menaçant de son ressentiment;
+en effet, quelques jours s'étaient à peine écoulés lorsque le
+sire de Rasseghem fut attaqué, un soir qu'il se rendait à son château,
+près du moulin de Merlebeke, par des hommes d'armes qui
+le frappèrent en criant: «A mort! à mort!» Le lendemain,
+Philippe de Clèves adressa aux échevins de Gand une lettre où il
+se déclarait seul responsable de la mort d'Adrien Vilain; les m&oelig;urs
+du moyen-âge semblaient excuser ces vengeances, et l'on en
+avait vu au quatorzième siècle un mémorable exemple, lorsque
+Geoffroi de Charny fit périr le capitaine de Calais, Aimery de Pavie.</p>
+
+<p>Le duc Philippe répondit à l'attentat du sire de Ravestein en défendant
+toute alliance avec lui. A ce manifeste succédèrent des
+lettres du comte de Nassau, qui menaçaient la commune de Bruges
+de l'extermination, du pillage et de l'incendie, si elle ne se soumettait
+sans retard; bien qu'un grand nombre d'habitants eussent pris
+la fuite, les vivres y devenaient de plus en plus rares, et l'on jugea
+bientôt utile de reprendre les négociations en envoyant à Alost,
+vers le comte de Nassau, Jacques Despars et d'autres députés. Le
+comte de Nassau promit une réponse dans le délai de dix jours;
+avant qu'il se fût écoulé, il était entré à Damme avec de nombreux
+renforts arrivés de Brabant, et ce fut de là qu'il fit connaître qu'aucune
+modification ne pouvait être apportée au traité de Tours.
+Les Brugeois s'indignèrent, et, dans leur premier mouvement, ils
+jurèrent de mourir plutôt que de céder: vain serment prononcé en
+présence de la famine.</p>
+
+<p>C'était peu que les dépenses qu'occasionnait aux bourgeois de
+Bruges la continuation de la guerre se fussent élevées, du 1<sup>er</sup> août
+au 27 octobre, à dix mille six cents livres de gros; la détresse qui
+résultait des mesures prises par le comte de Nassau pour intercepter
+toutes les communications des Brugeois et tous les convois
+de vivres qu'ils attendaient s'accroissait avec une rapidité effrayante.
+Les garnisons de Damme et d'Oudenbourg, composées d'aventuriers
+allemands, anglais et espagnols, dévastaient tout le pays.
+Dans leur ardeur de pillage, ils avaient même mis le feu au célèbre
+château de Male, et chaque jour les sinistres lueurs de quelque incendie
+s'élevaient vers le ciel. Toutes les rues de Bruges étaient
+<span class="pagenum"><a id="Page_252"> 252</a></span>
+remplies d'enfants à qui la faim arrachait des cris poignants, et
+parmi les pauvres qui assiégeaient les portes des boulangeries, il en
+était plusieurs qui étaient tombés sur le pavé pour ne plus se relever.
+Il fallut bien se résoudre à envoyer d'autres députés au comte
+de Nassau; mais celui-ci exigeait avant tout que les Brugeois renonçassent
+à l'alliance de Philippe de Clèves, que les Allemands haïssaient
+d'autant plus qu'il avait constamment refusé d'abandonner le
+parti de la Flandre. Cependant, quelles que fussent les souffrances
+des Brugeois, ils jugèrent ces conditions inacceptables. Ils ne pouvaient
+oublier combien Philippe de Clèves avait montré à leur
+égard de générosité et de dévouement.</p>
+
+<p>Philippe de Clèves était digne de ce témoignage de zèle et de
+gratitude. Dès qu'il apprit qu'il était le seul obstacle au rétablissement
+de la paix, il écrivit aux Brugeois qu'il les dégageait de son
+alliance et les autorisait à traiter sans lui. Le 16 novembre 1490,
+les Brugeois élisent de nouveaux députés, notamment le sire de
+Lembeke et les prieurs des carmes et des frères prêcheurs. Ils se
+rendent près du comte de Nassau et déclarent se soumettre au
+traité de Tours, sauf à déférer au parlement de Paris toutes les difficultés
+auxquelles il donnerait lieu; mais le comte de Nassau repousse
+cette réserve et ajoute: «Il faut de plus que vous payiez
+trois cent mille couronnes d'or et que vous me remettiez trois
+cents personnes pour que j'en puisse disposer à ma volonté.»</p>
+
+<p>Cette réponse paraît si dure aux Brugeois que toutes les négociations
+sont rompues. Le 21 octobre, le comte de Nassau, suivi de
+deux mille fantassins et de douze cents reîtres, incendie Shipsdale
+et menace Bruges d'un assaut; mais la résistance des Brugeois le
+force à s'éloigner.</p>
+
+<p>Au bruit de ce succès, Philippe de Clèves fait percer les digues
+d'Houcke afin de rétablir les communications de l'Ecluse et de
+Bruges par l'ancien canal. Georges Picavet, qui s'est rendu aussitôt
+près de lui, se prépare à ramener à Bruges des approvisionnements
+considérables, lorsque arrivé près du pont d'Oostkerke, il se voit
+entouré des Allemands du comte de Nassau et tombe en leur pouvoir.
+Ce désastre sème la désolation à Bruges; les capitaines qui y
+ont été élus se préparent à tenter de nouvelles négociations. Un
+complot les rend inutiles; Lambert Taye et quelques autres bourgeois
+en sont les chefs. Ils parcourent la ville en criant: «Que tous
+ceux qui veulent la paix et le bien de la ville de Bruges nous
+<span class="pagenum"><a id="Page_253"> 253</a></span>
+suivent!» Le peuple, fatigué de guerres civiles, se range sous
+leurs bannières et envoie des députés à Damme, afin d'accepter tout
+ce que le comte de Nassau exigera.</p>
+
+<p>En effet, un traité fut signé à Damme le 29 novembre. Il portait:
+que ceux de Bruges payeraient, dans l'amende fixée par le
+traité de Tours, une part de quatre-vingt mille couronnes d'or;
+qu'ils feraient amende honorable au comte de Nassau; qu'ils lui
+remettraient soixante personnes dont il pourrait disposer à son bon
+plaisir. Mais cette convention ne suffit pas pour préserver les Brugeois
+des horreurs de la guerre. Tandis que le bâtard de Baenst,
+le fameux prévôt à la verge rouge, présidait au supplice de Georges
+Picavet et de ses amis, les Allemands se répandaient de rue en rue,
+de maison en maison, pour arracher des mains des bourgeois consternés
+leur or, leur argent et tout ce qu'ils possédaient d'objets
+précieux. Toute la ville fut livrée au pillage sous les yeux du comte
+de Nassau qui s'en réserva une part importante, et ce fut dans ces
+scènes de désordres et de dévastations que disparurent, selon une
+rumeur répétée dans la plupart des pays de l'Europe, les derniers
+débris de ces richesses et de cette opulence qui avaient rendu la
+ville de Bruges si célèbre pendant plusieurs siècles.</p>
+
+<p>Les bourgeois de Gand, que d'éternelles rivalités rendaient insensibles
+à des malheurs dont la cause leur était commune, apprirent
+à regretter leur coupable inertie quand le comte de Nassau
+conduisit son armée à Ardenbourg. On était arrivé aux fêtes de la
+Saint-Liévin; des enfants parcouraient la ville en chantant: «Saint-Liévin
+a dormi trop longtemps! Saint-Liévin s'éveille!» Les
+bourgeois s'assemblaient sur les places et dans les rues, et malgré
+le grand doyen Liévin Gooris, qui périt en cherchant à arrêter ce
+mouvement, ils portèrent la châsse du martyr au marché du Vendredi,
+en déclarant qu'elle y resterait déposée tant que Gand serait
+en péril; ils se souvenaient qu'elle avait reçu, vingt-quatre années
+auparavant, lors de l'entrée de Charles le Hardi à Gand, leur serment
+de se montrer fidèles jusqu'à la mort à leurs priviléges et à
+leurs franchises.</p>
+
+<p>Cependant les succès du comte de Nassau contre les Brugeois
+avaient donné lieu à de nouvelles tentatives pour renouer à Londres
+cette vaste confédération que les mouvements des communes
+flamandes avaient déjà si fréquemment fait abandonner. Au mois
+de septembre 1490, un nouveau traité d'alliance, expressément
+<span class="pagenum"><a id="Page_254"> 254</a></span>
+dirigé contre Charles VIII, est conclu, et Maximilien imite Charles
+le Hardi en acceptant l'ordre de la Jarretière, afin de rendre, comme
+lui, un témoignage public de son dévouement aux Anglais.</p>
+
+<p>Charles VIII tente un dernier effort pour maintenir la paix.
+«L'intervention du roi en Flandre n'était, disent les ambassadeurs
+qu'il envoie à Londres, qu'un effet de sa justice. Le peuple était
+resté fidèle à Maximilien tant que celui-ci le traita équitablement;
+il n'avait eu recours à la justice du roi que lorsqu'il s'était
+vu opprimé.» Bacon, chancelier d'Angleterre sous Jacques I<sup>er</sup>,
+nous a conservé la réponse du chancelier de Henri VII: «Si les
+Flamands s'étaient adressés à votre roi comme à leur souverain
+seigneur, par voie de remontrance, il y eût eu en ceci quelque
+forme de justice; mais c'est quelque chose d'étrange et de nouveau
+de voir des sujets accuser leur prince, après l'avoir retenu
+prisonnier et avoir mis à mort ses officiers. En d'autres temps, à
+propos de l'insurrection de l'Ecosse, notre roi et le roi de France
+lui-même avaient proclamé hautement l'horreur que leur inspiraient
+les attentats populaires dirigés contre la personne et l'autorité
+des rois.» Cent soixante années s'écouleront avant que
+l'Angleterre, qui s'indigne de la captivité de Maximilien à Bruges,
+donne à Charles I<sup>er</sup> pour prison le sombre cercueil que Cromwell
+entr'ouvrit, dit-on, afin d'y contempler son crime.</p>
+
+<p>Le 17 février 1490 (v. st.), l'évêque d'Oxford et le comte d'Ormond
+reçurent l'ordre d'aller porter à Charles VIII la réponse de
+Henri VII. Ils ne passèrent que peu de jours en France; car d'après
+tout ce qu'ils avaient entendu, ils ne doutaient point que
+Charles VIII n'eût résolu de répudier Marguerite, qui lui était
+fiancée depuis huit ans, et d'épouser lui-même Anne de Bretagne.
+A cette nouvelle, Martin de Polheim accourut à Rennes comme
+plénipotentiaire de Maximilien. Le mariage du roi des Romains
+avec la duchesse de Bretagne fut immédiatement célébré, et le
+sire de Polheim, s'acquittant jusqu'au bout du mandat qui lui était
+confié, toucha du pied le lit nuptial. La même cérémonie avait eu
+lieu à Bruges lors du mariage de Marie de Bourgogne; elle devait,
+en représentant la consommation du mariage, le rendre indissoluble.</p>
+
+<p>Charles VIII avait protesté: une vaine cérémonie ne pouvait
+valider une union à laquelle manquait l'approbation du prince
+suzerain. Des hommes d'armes français s'assemblaient de toutes
+<span class="pagenum"><a id="Page_255"> 255</a></span>
+parts, les uns vers les marches de la Bretagne, les autres vers les
+frontières de l'Artois; et en même temps, afin de relever en Flandre
+la barrière qui avait pendant neuf ans arrêté l'ambition de Maximilien,
+une flotte française cinglait vers les eaux du Zwyn, sous les
+ordres du sire de Maraffin, avec cent cinquante mousquetaires gascons
+et des sommes d'argent considérables. Philippe de Clèves, que
+le roi des Romains venait de déclarer déchu, ainsi que le comte de
+Romont, du droit de siéger parmi les chevaliers de la Toison d'or,
+se préparait à recommencer la guerre contre les Allemands. Il
+essaya d'abord de les chasser de Bruges, puis il se rendit à Gand
+au mois d'août pour présider au renouvellement de l'échevinage.
+Jean et François de Coppenolle continuaient à occuper le premier
+rang parmi les capitaines de la ville, mais le sire de Poucke, de la
+maison de Baronaige, avait succédé comme grand bailli au sire de
+Morbeke, qui était allé rejoindre le comte de Nassau.</p>
+
+<p>Biervliet avait déjà appelé les Gantois; le sire de Lichtervelde
+leur avait remis son château; Hulst était tombé en leur pouvoir;
+Terneuse, fortifiée, assurait leurs communications avec le port de
+l'Ecluse, et un avantage important obtenu sur les Allemands avait
+contraint le comte de Nassau à se réfugier dans les remparts de
+Courtray.</p>
+
+<p>Cependant les chances de la guerre changent tout à coup; le
+comte de Nassau s'empare du château de Lichtervelde. Hugues de
+Melun repousse les Gantois près de Termonde et les met peu de
+jours après en déroute dans un combat où le sire de Poucke est fait
+prisonnier; enfin une surprise livre aux Allemands la forteresse si
+importante de Hulst.</p>
+
+<p>Le découragement s'accroissait parce qu'on ne voyait pas arriver
+les secours qu'on attendait de France. Charles VIII venait de porter
+de nouveau ses armes en Bretagne, où des Allemands et des Anglais
+avaient débarqué pour défendre Rennes. Anne de Bretagne protestait
+«qu'elle estoit mariée au roy des Romains, qu'elle le tenoit
+à mary et jamais n'auroit aultre;» elle songeait même à fuir loin
+de son duché, vers les côtes de Flandre et de Zélande. Cependant
+la guerre s'interrompit: le roi de France fit un pèlerinage près de
+Rennes; trois jours après, Charles VIII était fiancé à Anne de Bretagne
+en présence de Martin de Polheim, qui ne la quittait point et
+qui ne pouvait cacher son étonnement. Cette fois c'était le prince
+suzerain lui-même qui disposait de la main de la duchesse de Bretagne,
+<span class="pagenum"><a id="Page_256"> 256</a></span>
+et rien ne manquait pour la validité du mariage qui fut
+célébré à Langey le 6 décembre 1491.</p>
+
+<p>Des conférences avaient lieu en ce moment à Malines pour examiner
+les moyens de rétablir la paix en obtenant du sire de Ravestein
+qu'il n'entravât plus la liberté de la navigation à l'Ecluse, et du
+duc de Saxe qu'il modérât ses prétentions pécuniaires. Au premier
+bruit du mariage de Charles VIII et d'Anne de Bretagne, les conseillers
+de Maximilien proposèrent de réunir contre le roi de France
+toutes les milices des Pays-Bas pour punir l'injure faite à sa fille;
+les capitaines allemands déclaraient que c'était les armes à la main
+qu'ils iraient réclamer Marguerite, et ils annonçaient que tous les
+princes de l'Europe se confédéreraient pour les soutenir. On publia
+même une lettre du roi de Castille conçue en ces termes: «Grâce
+à l'appui du Seigneur, nous sommes entrés victorieux à Grenade
+le 20 janvier 1491; nous nous préparions déjà à reprendre le
+glaive pour conquérir le royaume de Tunis, mais le rapt inouï et
+exécrable (<i lang="la" xml:lang="la">excessivus et nephandissimus</i>) de l'épouse du roi
+des Romains et la captivité de son illustre fille nous forcent à
+renoncer à nos desseins pour venger cet outrage, en nous alliant
+à nos frères les rois d'Angleterre et de Portugal.» Les vents qui
+soulèvent les vagues de l'Océan emportèrent ces altières menaces,
+descendues des jardins de l'Alhambra: il était réservé à un petit-fils
+de Maximilien, qui devait être aussi le petit-fils du roi de Castille,
+de porter tour à tour la guerre dans les provinces françaises
+et sur les rivages de l'Afrique.</p>
+
+<p>Ce n'était qu'en Flandre que des succès importants devaient consoler
+le roi des Romains.</p>
+
+<p>A mesure que l'on voyait à la fois s'éloigner l'espoir de l'appui
+des Français et se rapprocher les désastres menaçants des discordes
+intérieures, le parti de la paix se ranimait à Gand. De vives discussions
+s'élevèrent dans les assemblées publiques. «Mieux vaut
+payer de nos richesses une paix défavorable, avait dit le doyen des
+tisserands, Hubert Luerbrouek, que de les consacrer à l'entretien
+perpétuel de la guerre.» La discussion s'échauffa; un parent des
+Coppenolle tue le doyen des tisserands d'un coup de poignard et
+tout projet de négociation est écarté. Jean de Schoonhove remplace
+le sire de Poucke, qui avait saisi l'occasion d'une procession extraordinaire
+en l'honneur de saint Bertulf pour s'écrier: «Que ceux qui
+veulent la paix me suivent!» Les Gantois, conduits par le sire
+<span class="pagenum"><a id="Page_257"> 257</a></span>
+de Schoonhove, parviennent à reconquérir Hulst et à s'emparer de
+Dixmude et de Grammont.</p>
+
+<p>Cependant les amis d'Hubert Luerbrouck se préparent à venger
+sa mort: ils conspirent silencieusement en faveur du comte de Nassau.
+Une porte lui a été livrée, et quinze cents reîtres ont déjà pénétré
+dans la ville lorsque les bourgeois se réveillent au son du
+tocsin et repoussent les Allemands.</p>
+
+<p>Un des capitaines de Gand avait pris part à ce complot. Il s'appelait
+Arnould Declercq, mais on le nommait habituellement <i lang="nl" xml:lang="nl">capiteyn
+Ploughenare</i>, c'est-à-dire le <em>capitaine Laboureur</em>, parce qu'il
+appartenait à une famille de paysans. Un jour qu'il avait reçu
+l'ordre d'aller attaquer les Allemands qui se tenaient à Deynze, il
+remontra à ses compagnons que l'on cherchait sans doute leur destruction,
+puisqu'on les chargeait de combattre des ennemis supérieurs
+en nombre. «Retournons plutôt à Gand, ajoutait-il, et mettons
+à mort ceux qui voulaient nous envoyer à Deynze.» A peine
+étaient-ils rentrés à Gand que Jean de Coppenolle accourut pour
+leur reprocher leur pusillanimité. Arnould Declercq et les siens
+lui répondent par des injures; on en vient aux mains, «Clèves et
+Gand!» répètent les amis des Coppenolle, en appelant les bourgeois
+à leur secours. Ceux de Declercq crient seulement: «Gand
+Gand!» Ils profitent de l'impuissance de leurs adversaires surpris
+et la trahison triomphe. L'un des capitaines de la ville, nommé
+Remy Hubert, tombe percé de coups; les autres, Jean et François
+de Coppenolle, Gilles Van den Broucke et leurs principaux partisans
+sont chargés de chaînes et périssent par le glaive du bourreau
+après d'horribles tortures. Jean et François de Coppenolle étaient
+nés le même jour; ils mouraient ensemble à la même heure: ils
+avaient concouru tous les deux à la puissance de Gand, ni l'un ni
+l'autre ne devait survivre à sa décadence (16 juin 1492).</p>
+
+<p>A Courtray, Jacques Rym fut victime d'un semblable complot.</p>
+
+<p>La désorganisation suivit de près ces désordres; quatre semaines
+ne s'étaient point écoulées lorsque les bourgeois de Gand se virent
+réduits à envoyer au duc de Saxe Adrien de Raveschoot et Jean de
+la Kethulle, pour obtenir la paix. Les conditions qu'ils reçurent
+étaient moins sévères que celles que l'on avait naguère dictées aux
+Brugeois. On imposait, il est vrai, aux anciens magistrats l'humiliation
+d'une amende honorable; on modifiait le droit d'élection des
+<span class="pagenum"><a id="Page_258"> 258</a></span>
+métiers, mais l'amnistie y était du moins complète (traité de Cadzand,
+29 juillet 1492).</p>
+
+<p>Philippe de Clèves seul ne se soumettait point. «Je n'ai rien à
+me reprocher, répondait-il aux envoyés du duc de Saxe; j'ai
+loyalement observé le serment que j'avais fait au roi des Romains,
+jusqu'à ce qu'il m'appelât à Bruges pour lui servir d'otage et
+pour l'arracher aux périls auxquels je me livrai moi-même. Il
+me dégagea de mes serments et m'obligea à jurer que, s'il violait
+la paix, je soutiendrais contre lui les communes de Flandre:
+serment que je crois avoir rempli à mon honneur vis-à-vis de
+Dieu et vis-à-vis des hommes.» Toutes les négociations furent
+inutiles, et le duc de Saxe résolut de profiter de la pacification de la
+Flandre pour réunir toutes ses forces contre le sire de Ravestein.
+«Comme jadis, dit Molinet, les Grégeois se mirent sus à grande
+puissance pour avironner la noble cité de Troye, gendarmerie se
+adoubba de tous costés pour subjuguer l'Escluse.» En même
+temps une flotte anglaise, commandée par sir Edward Poynings,
+bloquait le port; mais les fortifications de l'Ecluse, exécutées à
+grands frais par les princes de la maison de Bourgogne pour dominer
+les communes flamandes, offraient à leurs derniers défenseurs
+un inexpugnable asile. La garnison, que venaient de renforcer quelques
+mercenaires danois, repoussait les assiégeants dans toutes les
+sorties; plusieurs vaisseaux anglais, échoués sur le sable, avaient
+été livrés aux flammes; dix canons avaient été enlevés dans une
+attaque dirigée contre le camp de Lapscheure, et les Allemands
+allaient être réduits à se retirer, quand un accident, semblable à
+celui qui amena le désastre de Gavre, déjoua toutes les prévisions.
+Le feu prit aux poudres des assiégés et leur artillerie cessa de répondre
+au feu des bombardes ennemies. Cependant telle était la
+haute renommée du sire de Clèves que, privé de tout moyen de défendre
+les murailles démantelées par l'explosion, il obtint la paix la
+plus honorable. S'il promettait désormais fidélité à Maximilien et
+s'il lui remettait la ville de l'Ecluse avec le petit château, il conservait
+du moins le grand château jusqu'à l'époque où le roi des
+Romains lui payerait une somme de 40,000 florins qui lui était due.
+On lui assurait, de plus, une pension de 6,000 florins, et tous ses
+biens précédemment confisqués lui étaient restitués.</p>
+
+<p>Ainsi s'acheva cette longue guerre civile qui, pendant douze ans,
+avait rempli la Flandre de deuil, et où l'on ne retrouve plus qu'affaiblie
+<span class="pagenum"><a id="Page_259"> 259</a></span>
+et chancelante l'ancienne énergie des communes flamandes.
+Maximilien témoigna au duc de Saxe, qui avait contribué plus
+que personne à y mettre un terme, combien il appréciait l'étendue
+de ce service, en lui accordant la souveraineté héréditaire de
+la Frise.</p>
+
+<p>Que devint, après la pacification de la Flandre, la ligue de Maximilien
+et de Henri VII contre Charles VIII? Quelques lignes
+suffiront pour en retracer la décadence et la fin.</p>
+
+<p>Le roi d'Angleterre avait envoyé son aumônier Christophe
+Urswick, doyen de la cathédrale d'York, presser Maximilien de
+prendre part à la guerre. En même temps, il traversait lui-même
+la mer pour former le siége de Boulogne, où sir Edward Poynings
+vint le rejoindre de l'Ecluse. Son armée était nombreuse, et il ne
+cessait de rappeler dans ses discours les souvenirs de Crécy, de
+Poitiers et d'Azincourt, lorsqu'il signa tout à coup à Etaples un
+traité qui laissait, en échange de quelques marcs d'argent, la possession
+du duché de Bretagne à Charles VIII.</p>
+
+<p>Maximilien, qui venait de reconquérir Arras, avait refusé d'adhérer
+à ce traité; mais il était bien évident que ni le nombre de ses
+hommes d'armes, ni la situation de son trésor, depuis longtemps
+épuisé, ne pouvaient lui permettre de poursuivre seul la guerre, et
+le 23 mai 1493, ses plénipotentiaires conclurent le traité de Senlis,
+où Charles VIII renonça à la main de Marguerite et restitua à son
+père les comtés de Bourgogne, d'Artois, de Charolais, de Noyon,
+en ne retenant Hesdin, Aire et Béthune que jusqu'à l'époque où
+Philippe, devenu majeur, lui rendrait hommage. Peu de jours après,
+la fille de Maximilien fut remise, près de Cambray, au marquis de
+Bade et au comte de Nassau, après avoir donné au roi de France
+des lettres de décharge «d'elle et de sa personne.»</p>
+
+<p>Marguerite d'York subissait seule avec indignation des revers
+si complets et une humiliation si profonde. Fidèle aux desseins
+qu'elle avait conçus à une autre époque, elle n'avait cessé de croire
+que le seul moyen de lutter contre la France, c'était de triompher
+en Angleterre. Les historiens contemporains la comparent à l'implacable
+Junon de l'<cite>Enéide</cite>, et Bacon, pour peindre la haine qu'elle
+portait à Henri VII, lui a appliqué le célèbre vers de Virgile:</p>
+
+<p class="quote">Flectere si nequeo superos, Acheronta movebo;</p>
+
+<p>mais il semble que rien ne justifie un portrait aussi sombre.
+<span class="pagenum"><a id="Page_260"> 260</a></span>
+Marguerite d'York n'eut jamais recours au crime pour triompher,
+et ses ruses ne retracent que celles de Cythérée appelant le faux
+Ascagne:</p>
+
+<p class="quote">Pueri puer indue vultus.</p>
+
+<p>Ses intrigues avaient guidé Lambert Simnel; elles produisirent un
+nouveau prétendant plus redoutable, Peterkin Werbecque.</p>
+
+<p>A Tournay vivait un batelier, Jean Werbecque, fils de Thierri
+Werbecque, juif converti, selon quelques récits. Il avait épousé
+Catherine Faron, fille du guichetier de la porte Saint-Jean, et,
+dans un registre de condamnations de l'année 1475, il est fait
+mention d'une rixe de bateliers dans laquelle figurent Jean Werbecque
+et Piérard Flan, son aïeul maternel. Des inimitiés personnelles
+réduisirent-elles Jean Werbecque à quitter Tournay pour aller
+habiter pendant quelque temps l'Angleterre? Rien ne rend cette
+supposition invraisemblable, et la tradition ajoute qu'Edouard IV,
+ayant vu la jeune batelière de Tournay, en devint épris. Peterkin
+Werbecque eut pour parrain son bisaïeul Piérard Flan, doyen des
+navieurs. Un lien plus étroit existait-il entre cet enfant ignoré et le
+roi d'Angleterre?</p>
+
+<p>Peterkin Werbecque, venu à Tournay, y fut élevé avec quelque
+soin. On lui enseigna la grammaire; un chantre de Notre-Dame
+lui apprit même à jouer du <em>manicordium</em>. Enfin, il alla habiter à
+Audenarde chez un de ses parents nommé Jean Steenberg. Ce fut
+là que, vers l'époque de l'alliance de Maximilien, de Henri VII, du
+roi d'Aragon et du duc de Bretagne contre Charles VIII, les espions
+de la duchesse Marguerite, qui cherchaient de toutes parts un
+nouveau Lambert Simnel, réussirent à le découvrir. Sa grâce, son
+air de noblesse, la ressemblance merveilleuse qu'il présentait avec
+Edouard IV, tout le désignait à leur choix, et ils s'empressèrent de
+le mener à Anvers, où on le logea chez un pelletier qui demeurait
+«auprès de la maison des Englois.» Anvers n'est pas loin de Malines.
+Peterkin, secrètement conduit chez Marguerite, put recevoir
+d'elle-même ses instructions secrètes sur le rôle qu'il était appelé
+à remplir, et quand il les eut bien gravées dans sa mémoire, elle
+l'envoya, sous la conduite de la femme de sir Edward Brixton, à
+Lisbonne, chez messire Petro Vas de Rona, afin que l'on ne pût pas
+dévoiler son origine en remontant d'Anvers à Audenarde, d'Audenarde
+à Tournay. Un serviteur du duc de Bretagne reçut bientôt
+<span class="pagenum"><a id="Page_261"> 261</a></span>
+la mission de l'accompagner en Irlande, et sa carrière royale commença
+à Dublin. Les nobles et les bourgeois s'accordaient à reconnaître
+en lui le jeune duc d'York, échappé miraculeusement au
+poignard de James Tyrrell. Des ambassadeurs français ne tardèrent
+pas à venir le féliciter et à l'engager à se rendre en France, et le
+jeune Peterkin Werbecque fut reçu avec les honneurs de la royauté
+au château d'Amboise, aussi bien que dans les murs de Dublin.
+Tantôt on l'appelait <em>la Rose blanche d'York</em>; tantôt on le saluait
+du nom de Plantagenet. Rien ne manquait à l'éclat de sa vanité et
+de ses espérances, quand le traité d'Etaples fut conclu. Charles VIII
+faillit livrer Peterkin à Henri VII, et le jeune représentant des
+droits de la maison d'York eut à peine le temps de se retirer près
+de la duchesse douairière de Bourgogne; mais il parut tout à coup
+que ce revers même allait favoriser sa fortune. Marguerite ajouta
+une nouvelle force a ses prétentions en reconnaissant publiquement
+la légitimité, et le traité même d'Etaples, qui excitait en
+Angleterre un vif mécontentement contre la politique de Henri VII,
+donna de nombreux partisans à son compétiteur. Robert Clifford et
+Guillaume Barley se rendirent en Flandre et écrivirent à leurs amis
+qu'ils avaient reconnu les traits de Richard d'York, <i lang="la" xml:lang="la">de facie novisse
+hominem</i>. Ce merveilleux bruit se répandit dans toute l'Angleterre,
+et Henri VII, craignant pour la stabilité de son trône, envoya en
+ambassade vers l'archiduc Philippe sir Edward Poynings, qui avait
+concouru naguère à la prise de l'Ecluse. Maître Guillaume Warham,
+qui l'accompagnait, insista dans un éloquent discours pour que les
+conseillers de Philippe imitassent l'exemple de Charles VIII en
+chassant de ses Etats un audacieux imposteur. Il attaquait vivement
+l'influence de Marguerite d'York et se moquait de sa merveilleuse
+fécondité qui, malgré le déclin de ses années, avait mis
+tout à coup au jour deux princes âgés de cent quatre-vingts mois;
+mais les conseillers de Philippe représentaient que Marguerite
+était souveraine dans les villes qui formaient son douaire, et il ne
+resta à Henri VII, de plus en plus irrité, qu'à recourir aux mesures
+les plus énergiques pour dissiper la faction croissante de ses ennemis.
+La hache du bourreau frappa les plus illustres, entre lesquels il
+faut nommer Simon de Montfort et le grand chambellan Guillaume
+Stanley, qui avait placé à Bosworth la couronne de Richard III
+sur le front de Henri VII. En même temps, toutes les communications
+étaient interceptées entre l'Angleterre et les Pays-Bas.
+<span class="pagenum"><a id="Page_262"> 262</a></span>
+L'étape de Bruges fut transférée à Calais; il fut défendu de porter
+en Flandre des laines anglaises, et tous les marchands flamands
+qui résidaient en Angleterre reçurent l'ordre de s'éloigner, tandis
+que les marchands anglais qui se trouvaient en Flandre, subissaient
+le même exil comme une loi de représailles.</p>
+
+<p>Le commerce et l'industrie commençaient à peine à renaître en
+Flandre quand ces malheureux démêlés éloignèrent de nouveau
+l'espoir de les voir se ranimer. Cette situation se prolongea pendant
+deux années; enfin, au mois de décembre 1495, Paul de Baenst,
+Jean de Courtewille, Thomas Portinari, Florent Hauweel et d'autres
+ambassadeurs se rendirent à Londres et y conclurent, le 24 février,
+une alliance commerciale, «<em>attendu que la paix est le don le plus
+précieux que les hommes puissent recevoir du ciel</em>.» (<i lang="la" xml:lang="la">Cum potiora
+mortalibus dona a superis tradi nequeant quam bona pacis.</i>)
+Grotius a étudié ce traité au point de vue si important de la liberté
+des mers: sous le rapport politique, la clause fondamentale est celle
+où les plénipotentiaires flamands promettent de ne recevoir, dans
+aucune de leurs villes, pas même dans celles qui forment le douaire
+de Marguerite, les ennemis du roi d'Angleterre.</p>
+
+<p>Peterkin Werbecque avait quitté la Flandre pour aborder en
+Ecosse, où le roi Jacques lui avait accordé la main d'une de ses
+parentes, fille du comte de Huntley, en l'accueillant comme un
+autre Joas échappé au fer des bourreaux; mais les illusions de la
+fortune ne devaient plus éblouir longtemps le fils de la batelière de
+Tournay. Débarqué dans le Cornwall, il menaça Exeter et s'avançait
+vers Taunton, quand, saisi d'une terreur subite, il alla réclamer
+le droit d'asile au monastère de Beaulieu; puis il se livra,
+avoua tout, et écrivit à sa mère pour qu'elle rendît témoignage de
+l'obscurité de son origine: quelque temps après, nous le voyons
+chercher à s'évader de la Tour de Londres avec le comte de Warwick,
+fils du duc de Clarence, et terminer sa vie, obscur imposteur,
+sur le même échafaud que le dernier héritier de la dynastie des
+Plantagenets.</p>
+
+<p>Marguerite d'York avait passé de longues nuits dans les veilles
+et dans l'inquiétude: lorsqu'elle apprit les revers de Peterkin Werbecque,
+elle pleura plus amèrement le malheur du jeune homme,
+dont son ambition s'était fait un instrument docile, que s'il eût été
+son neveu, le dernier des fils d'Edouard IV. Que lui restait-il à espérer
+du jugement de la postérité? Les titres qu'elle y possédait
+<span class="pagenum"><a id="Page_263"> 263</a></span>
+étaient sans doute ceux qu'elle estimait le moins: elle avait donné
+à l'Angleterre Guillaume Caxton: la Flandre dut aussi à son
+amour des lettres la fondation de la riche bibliothèque des Frères
+prêcheurs à Gand.</p>
+
+<p>Un dernier mot sur un personnage non moins célèbre par l'influence
+qu'il exerça dans les troubles de la fin du quinzième siècle.
+Philippe de Clèves s'était rendu, en 1496, avec le duc Philippe, à
+l'assemblée de Ratisbonne, où une croisade fut proposée par Maximilien,
+afin de chasser les Turcs de l'Europe; mais l'Empereur oublia
+promptement son vaste dessein pour s'occuper de ses nombreux
+démêlés dans les Pays-Bas, et même, assure-t-on, pour s'allier aux
+Turcs contre les Vénitiens. Lorsque Louis XII annonça qu'il avait
+résolu de poursuivre les projets de Charles VIII, qui voulait marcher
+par la conquête de l'Italie à la délivrance de l'Orient, Philippe
+de Clèves fut l'un des premiers qui répondirent à son appel.
+Il obtint bientôt le gouvernement de Gênes, que Charles VI avait
+autrefois confié à Boucicault, et ne le quitta que pour recevoir la
+capitulation de Naples. Cependant Bajazet II réunissait dans le
+vaste empire qui formait l'héritage de son père une immense armée
+prête à envahir la Hongrie, et il n'attendait pour lui en donner le
+signal qu'un premier succès qui lui eût livré les dernières possessions
+des chrétiens dans les mers de la Grèce. Venise, alarmée,
+équipa une flotte; mais cette flotte fut vaincue près des îles Sporades,
+et bientôt Bajazet parut avec cent cinquante navires devant
+Modon, qui était à cette époque la capitale du Péloponèse. La fortune
+des infidèles triomphait. Les horreurs du sac de Modon rappelèrent
+celles de la prise de Constantinople. Crissa, autrefois si
+fière de ses oracles, Coronée, fondée par Epaminondas, Pylos, où
+régna Nestor, partagèrent le sort de l'antique Méthone. Dans ce
+péril imminent, deux héros se dévouèrent pour la chrétienté. L'un
+était Gonzalve de Cordoue, déjà fameux par ses exploits contre les
+Mores d'Espagne; l'autre, le sire de Ravestein. Gonzalve reconquit
+Céphalonie et s'empara de Leucade, malgré toute une armée assemblée
+sur les promontoires de l'Etolie. Philippe de Clèves, pénétrant
+plus avant dans l'Archipel, s'était dirigé, avec Antoine de
+Lalaing et un grand nombre de jeunes nobles de Flandre, vers l'île
+de Mételin. Il espérait rétablir sur les rivages de Lesbos la dynastie
+de ces barons franks qui accueillirent Jean sans Peur après la
+croisade de Nicopoli; mais les Vénitiens, saisis d'une terreur inopinée,
+<span class="pagenum"><a id="Page_264"> 264</a></span>
+l'abandonnèrent, et une épouvantable tempête dispersa ses
+vaisseaux. A peine parvint-il à regagner Tarente. Son courage n'avait
+toutefois pas été stérile: Bajazet II avait senti s'affaiblir son
+présomptueux orgueil, et lorsque le sire de Ravestein entra à
+Rome, le pape Alexandre VI égala sa gloire à celle de Gonzalve,
+puisque, malgré ses revers, il avait partagé avec lui l'honneur de
+repousser loin de l'Italie les fureurs sacriléges des infidèles. Philippe
+de Clèves, revenu dans les Pays-Bas, acheva sa vie sous les
+solitaires ombrages d'Enghien et de Winendale. Soit qu'il éprouvât
+de secrets remords du meurtre de Lancelot de Berlaimont et
+d'Adrien de Rasseghem, soit qu'il cherchât, comme les légionnaires
+de la Rome païenne devenus chrétiens, à oublier dans la pénitence
+les agitations et les passions brûlantes de sa vie, il s'y revêtit du
+cilice et de la haire.</p>
+
+<p>Que resta-t-il à Maximilien lui-même de ces rêves d'ambition
+qui lui montraient le monde soumis à sa couronne d'empereur ou
+à la tiare de pontife qu'il songea un instant à y réunir? Rien qu'un
+cercueil qu'il avait soin de prendre avec lui dans tous ses voyages,
+afin qu'à défaut des pompes de la vie, il pût compter du moins sur
+celles de la mort.</p>
+
+<p>Le 26 décembre 1494, Philippe, alors âgé de seize ans, avait été
+inauguré comme comte de Flandre. Il épousa Jeanne d'Aragon, le
+18 octobre 1496.</p>
+
+<p>De cette union naît à Gand, le 24 février 1500 (n. st.), ce jeune
+prince, depuis si célèbre sous le nom de Charles-Quint, qui doit
+faire revivre, en combattant François I<sup>er</sup>, l'ancienne querelle des
+ducs de Bourgogne et des ducs d'Orléans: dernier terme de ces rivalités
+qui, en se développant de plus en plus, sont devenues une
+lutte européenne.</p>
+
+<p>Les communes flamandes entraînées par leur isolement et leur décadence,
+restent étrangères à ces vastes démêlés, mais elles conservent
+fidèlement les orageuses traditions de leur passé. Elles oublient que
+Charles-Quint est né au milieu d'elles, pour placer plus haut que
+la part qu'elles peuvent revendiquer dans sa gloire, le zèle qu'elles
+portent à leurs antiques franchises. Si elles s'inclinent un jour sous
+la main victorieuse d'un prince qui, même en combattant sa patrie,
+n'a jamais cessé de l'aimer, un siècle entier pendant lequel s'appesantit
+sur elles le joug espagnol ne peut les asservir, et Jean
+d'Hembyze, au milieu des passions anarchiques qui l'assiégent, devra
+<span class="pagenum"><a id="Page_265"> 265</a></span>
+à Jacques d'Artevelde tout ce qu'il y a de grand et de digne de
+mémoire dans sa vie et dans sa mort. Telle est la puissance des
+souvenirs d'une ère héroïque et prospère qu'à la fin du dix-huitième
+siècle, dans les assemblées populaires convoquées par les
+commissaires de la république française, on voit encore les bourgeois
+de Gand et de Bruges repousser les innovations qu'on leur
+propose pour réclamer les priviléges de leurs ancêtres.</p>
+
+<p>La vie communale, en devenant étrangère à l'autorité politique,
+s'était maintenue dans les lois et dans les usages. Une longue
+expérience en avait fait apprécier les bienfaits, et le respect dont
+elle était entourée était d'autant plus profond que son origine était
+plus éloignée; mais rien ne retraçait l'éclat dont ces institutions
+avaient joui autrefois, la puissance qui y avait été attachée, l'influence
+qu'elles avaient exercée. En vain s'était-on efforcé à plusieurs reprises
+de rappeler le commerce dans ces villes mornes et désertes qui lui
+avaient dû leurs richesses et leur célébrité; en vain avaient-elles
+demandé aux arts et aux lettres quelques-uns de ces pâles rayons
+qui se mêlent si bien aux ombres des ruines: la Flandre n'offrait
+plus que le tombeau de sa grandeur passée, <i lang="la" xml:lang="la">famosum antiquitatis
+sepulcrum</i>, dit un historiographe du dix-septième siècle, et l'avenir
+ne lui réservait d'autre couronne que celle que le laboureur tresse
+encore aujourd'hui des riches épis de ses moissons.</p>
+
+
+<p class="end">FIN DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_266"> 266</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_267"> 267</a></span></p>
+
+
+
+<div class="header">
+<h2>TABLE.</h2>
+</div>
+
+<table id="toc" summary="contents">
+<tr>
+ <td>&nbsp;</td>
+ <td class="tdr">Pages.</td>
+</tr>
+<tr>
+ <td class="tdl"><span class="smcap">Livre dix-huitième.</span>&mdash;Nouveaux projets de croisade.&mdash;Le
+ Dauphin en Flandre.&mdash;Discordes du duc Philippe et du comte de
+ Charolais.</td>
+<td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td>
+</tr>
+<tr>
+ <td class="tdl"><span class="smcap">Livre dix-neuvième.</span>&mdash;Charles le Hardi ou le
+ Terrible.&mdash;Rivalité du duc de Bourgogne et du roi de
+ France.&mdash;Sédition à Gand.&mdash;Résistance de l'esprit
+ communal.&mdash;Batailles de Granson, de Morat et de Nancy</td>
+ <td class="tdr"><a href="#Page_54">54</a></td>
+</tr>
+<tr>
+ <td class="tdl"><span class="smcap">Livre vingtième.</span>&mdash;Marie de Bourgogne.&mdash;Troubles en
+ Flandre.&mdash;Guerres contre Louis XI</td>
+ <td class="tdr"><a href="#Page_121">121</a></td>
+</tr>
+<tr>
+ <td class="tdl"><span class="smcap">Livre vingt-unième.</span>&mdash;Discussions relatives à la
+ mainbournie.&mdash;Intervention de Charles VIII.&mdash;Captivité de
+ Maximilien.&mdash;Décadence et fin des communes flamandes</td>
+ <td class="tdr"><a href="#Page_186">186</a></td>
+</tr>
+</table>
+
+<p class="end">FIN DE LA TABLE DU TOME QUATRIÈME ET DERNIER.</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Histoire de Flandre (T. 4/4), by
+Joseph Bruno Constantin Marie Kervyn de Lettenhove
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE FLANDRE (T. 4/4) ***
+
+***** This file should be named 44697-h.htm or 44697-h.zip *****
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+
+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+book was produced from scanned images of public domain
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+
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+will be renamed.
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
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+works. See paragraph 1.E below.
+
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+
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
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+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
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+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
+
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+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
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