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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - - - -Title: Elémens de la philosophie de Neuton - Mis à la portée de tout le monde - -Author: Francois-Marie de Voltaire - -Release Date: January 18, 2016 [EBook #50340] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PHILOSOPHIE DE NEUTON *** - - - - -Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net ((This file was -produced from images generously made available by -"E-rara.ch")) - - - - - - - - - - Au lecteur - - Cette version électronique reproduit dans son intégralité, la version - originale. Nous avons utilisé une typographie plus moderne que celle - de la version papier en remplaçant les s longs par des s. - - La ponctuation n'a pas été modifiée hormis quelques corrections - mineures. - - Les corrections indiquées dans les ERRATA ont été prises en compte. - - L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. - La liste des modifications se trouve à la fin du texte. - - - - -[Illustration] - - - ELÉMENS - DE LA - PHILOSOPHIE - DE NEUTON, - - Mis à la portée de tout le monde. - - Par MONSIEUR. DE VOLTAIRE. - - [Illustration] - - A AMSTERDAM, - - Chez ETIENNE LEDET & Compagnie. - - M. DCC. XXXVIII. - - - - - ELEMENS - DE LA - PHILOSOPHIE - DE NEUTON. - - -[Illustration] - - - - - [Illustration] - - A MADAME - LA - MARQUISE DU CH.** - - - Tu m'appelles à toi vaste & puissant Génie, - Minerve de la France, immortelle Emilie, - Disciple de Neuton, & de la Vérité, - Tu pénétres mes sens des feux de ta clarté, - Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre - Chercha d'un vain plaisir mon esprit idolâtre. - De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché. - Que le jaloux Rufus à la terre attaché, - Traîne au bord du tombeau la fureur insensée, - D'enfermer dans un vers une fausse pensée, - Qu'il arme contre moi ses languissantes mains - Des traits qu'il destinoit au reste des humains. - Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle, - Eleve en fremissant une voix imbécile. - Je n'entends point leurs cris que la haine a formez. - Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez. - Le charme tout-puissant de la Philosophie - Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie. - Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis, - Il ignore en effet s'il a des Ennemis. - Je ne les connois plus. Déja de la carriere - L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barriere. - Déja ces tourbillons l'un par l'autre pressez, - Se mouvant sans espace, & sans règle entassez, - Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent. - Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent. - L'espace qui de Dieu contient l'immensité, - Voit rouler dans son sein l'Univers limité, - Cet Univers si vaste à notre faible vûe, - Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue. - - Dieu parle, & le Chaos se dissipe à sa voix; - Vers un centre commun tout gravite à la fois, - Ce ressort si puissant l'ame de la Nature, - Etoit enséveli dans une nuit obscure, - Le compas de Neuton mesurant l'Univers, - Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts. - - Il déploye à mes yeux par une main savante, - De l'Astre des Saisons la robe étincelante. - L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis, - Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits. - Chacun de ses rayons dans sa substance pure, - Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature, - Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux, - Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux. - - Confidens du Très-Haut, Substances éternelles, - Qui brûlés de ses feux, qui couvrez de vos aîles - Le Trône où votre Maître est assis parmi vous, - Parlez, du grand Neuton n'étiez-vous point jaloux? - - La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire, - S'élever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire, - Mais un pouvoir central arrête ses efforts, - La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords. - - Cometes que l'on craint à l'égal du tonnerre, - Cessez d'épouvanter les Peuples de la Terre, - Dans une ellipse immense achevez votre cours, - Remontez, descendez près de l'Astre des jours, - Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse, - Des Mondes épuisez ranimez la vieillesse. - - Et toi Sœur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux, - Des sages éblouïs trompois les faibles yeux, - Neuton de ta carriere a marqué les limites, - Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites. - - Terre change de forme, & que la pesanteur, - En abaissant le Pole, éleve l'Equateur. - Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course, - Fuyez le char glacé de sept Astres de l'Ourse, - Embrassez dans le cours de vos longs mouvements, - Deux cens siècles entiers par delà six mille ans. - - Que ces objets sont beaux! que notre ame épurée - Vole à ces vérités dont elle est éclairée! - Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel, - L'esprit semble écouter la voix de l'Eternel. - - Vous à qui cette voix se fait si bien entendre, - Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre, - Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours, - Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours, - Marcher après Neuton dans cette route obscure - Du labyrinthe immense, où se perd la Nature? - Puissai-je auprès de vous, dans ce Temple écarté, - Aux regards des Français montrer la Vérité. - Tandis[a] qu'Algaroti, sûr d'instruire & de plaire, - Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere, - Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits, - Le Compas à la main j'en tracerai les traits, - De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle. - Cherchant à l'embellir je la rendrais moins belle, - Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard, - Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon Art. - - [a] Mr. Algaroti jeune Vénitien fait imprimer actuellement à - Venise un Traité sur la lumiere dans lequel il explique l'attraction. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -A MADAME -LA -MARQUISE DU CH** - -_AVANT PROPOS._ - - -MADAME, - -Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'étude -solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles vérités & le fruit -d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre -gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilité de quiconque voudra -cultiver sa raison & jouïr sans peine de vos recherches. Il ne faut pas -s'attendre à trouver ici des agrémens. Toutes les mains ne savent pas -couvrir de fleurs les épines des Sciences; je dois me borner à tâcher -de bien concevoir quelques Vérités & à les faire voir avec ordre & -clarté. Ce seroit à vous de leur prêter des ornemens. - -Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman -nouveau, s'il n'annonçoit que les conjectures d'un Moderne, opposées -aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit établie -que sur des explications hazardées, ne mériteroit pas en rigueur le -moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver -à l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la Vérité: il y a donc -l'infini contre un à parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que -sur des Hypothèses ne dira que des chiméres. Voilà pourquoi tous les -Anciens qui ont raisonné sur la Physique sans avoir le flambeau de -l'expérience, n'ont été que des aveugles, qui expliquoient la nature -des couleurs à d'autres aveugles. - -Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il étoit tel, -il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de -plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude. - -Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire -seulement une idée nette de ces Ressorts si déliez & si puissants, de -ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a découvertes; à examiner -jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, & où il s'est arrêté. -Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les -corps qui se font sentir à nous le plus délié, le plus approchant de -l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage. -On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu à -l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui -de tous les corps dont la nature intime est le plus développée. C'est -celui qui nous approche de plus près des premiers Ressorts de la Nature. - -On tâchera de mettre ces _Elémens_, à la portée de ceux qui ne -connaissent de Neuton & de la Philosophie que le nom seul. La Science -de la Nature est un bien qui appartient à tous les hommes. Tous -voudroient avoir connaissance de leur bien, peu ont le tems ou la -patience de le calculer; Neuton a compté pour eux. Il faudra ici se -contenter quelquefois de la somme de ces calculs. Tous les jours un -homme public, un Ministre, se forme une idée juste du résultat des -opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux ont vu pour lui, -d'autres mains ont travaillé, & le mettent en état par un compte fidèle -de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près dans le cas -de ce Ministre. - -La Philosophie de Neuton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de -personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurité -des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere; -& les ténèbres de Neuton viennent de ce que sa lumiere étoit trop -loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités: mais il les a cherchées & -placées dans un abîme, il faut y descendre & les apporter au grand jour. - -On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle -proprieté de la matiere découverte par Neuton. On sera obligé de parler -de quelques singularités, qui se sont trouvées sur la route dans cette -carriere; mais on ne s'écartera point du but. - -Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes -Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons -& s'approcheront de Neuton par degrez. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE PREMIER. - -_Ce que c'est que la Lumiere & comment elle vient à nous._ - - - [Définition singuliére par les Péripatéticiens.] - -LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux -à raisonner & à se tromper, ont dit de Siècle en Siècle: «La Lumière -est un accident, & cet accident est l'acte du transparent en tant que -transparent, les couleurs sont ce qui meut les corps transparens. Les -corps lumineux & colorez ont des qualités semblables à celles qu'ils -excitent en nous par la grande raison que rien ne donne ce qu'il n'a -pas. Enfin, la lumiere & les couleurs sont un melange du chaud, du -froid, du sec, & de l'humide; car l'humide, le sec, le froid, & le -chaud, étant les Principes de tout, il faut bien que les couleurs en -soient un composé». - -C'est cet absurde galimatias que des Maîtres d'ignorance, payez par -le Public, ont fait respecter à la crédulité humaine pendant tant -d'années: c'est ainsi qu'on a raisonné presque sur-tout, jusqu'aux tems -des Galilées & des Descartes. Long-tems même après eux ce Jargon, qui -deshonore l'Entendement humain, a subsisté dans plusieurs Ecoles. J'ose -dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous -de ces connaissances si bornées, mais si sûres, que nous appellons -Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous féliciter -d'être nez dans un tems & chez un Peuple, où l'on commence à ouvrir -les yeux, & à jouïr du plus bel appanage de l'Humanité, l'usage de la -Raison. - - [L'Esprit Systématique a égaré Descartes.] - -Tous les prétendus Philosophes ayant donc deviné au hazard, à travers -le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a découvert un -coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine & -déliée, qui est répandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs -sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens -qui portent cette Matiere à nos organes. Jusques-là Descartes a eu -raison, il falloit, ou qu'il s'en tint là, ou qu'en allant plus loin, -l'expérience fût son guide. Mais il étoit possédé de l'envie d'établir -un Systême. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les -passions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs -Principes. - -Il avoit posé pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne -falloit rien croire sans évidence; & cependant au mépris de sa propre -Règle, il imagine trois Elémens formez des cubes prétendus qu'il -suppose avoir été faits par le Créateur, & s'être brisez en tournant -sur eux-mêmes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois -Elémens imaginaires sont, comme on sait: - - [Son Systême.] - -1º. La partie la plus épaisse de ces cubes, & c'est cet Elément -grossier dont se formerent selon lui les corps solides des Planetes, -les Mers, l'Air même. - -2º. La poussiere impalpable que le brisement de ces dés avoit produite, -& qui remplit à l'infini les interstices de l'Univers infini dans -lequel il ne suppose aucun vuide. - -3º. Les milieux de ces prétendus dés brisés, attenués également de -tous côtés, & enfin arondis en boules, dont il lui plaît de faire la -lumiere, & qu'il répand gratuitement dans l'Univers. - - [Faux.] - -Plus ce Systême étoit ingénieusement imaginé, plus vous sentez qu'il -étoit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est -prouvé, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide. -Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems -à combattre cette création des cubes & des trois Elémens, ou plutôt ce -Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques -dans lesquelles l'esprit Systématique a entraîné le génie sublime -de Descartes; & ne réfutons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui, -ayant l'air de la vérité, sembloient respectables, & méritoient d'être -relevées. - -Selon Descartes la lumiere ne vient point à nos yeux du Soleil, mais -c'est une matiere globuleuse répandue par-tout, que le Soleil pousse, -& qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout presse à -l'instant à l'autre bout. Cela paroissoit plausible, mais cela n'en -est pas moins faux: cependant Descartes étoit tellement persuadé de -ce Systême que dans sa dix-septième Lettre du troisième Tome, il dit -& répète positivement: _J'avoue que je ne sai rien en Philosophie si -la lumiere du Soleil n'est pas transmise à nos yeux en un instant_. -En effet, il faut avouer que, tout grand génie qu'il étoit, il savoit -encore peu de chose en vraye Philosophie; il lui manquoit l'expérience -du Siècle qui l'a suivi. Ce Siècle est autant supérieur à Descartes, -que Descartes l'étoit à l'Antiquité. - - [Du mouvement progressif de la lumiere.] - -1º. Si la lumiere étoit toujours répandue, toujours existante dans -l'air, nous verrions clair la nuit comme le jour, puisque le Soleil -sous l'Hemisphére pousseroit toujours les globules en tout sens, & que -l'impression en viendroit également à nos yeux. - -2º. Il est démontré que la lumiere émane du Soleil, & on sait que c'est -à peu près en sept ou huit minutes de tems qu'elle fait ce chemin -immense, qu'un boulet de Canon conservant sa vîtesse ne feroit pas en -vingt-cinq années. - - [Erreur du Spectacle de la Nature.] - -L'Auteur du Spectacle de la Nature, Ouvrage très-estimable, est -tombé ici dans une petite méprise qu'il corrigera sans doute à la -premiere Edition de son Livre. Il dit que la lumiere vient en _sept -minutes des Etoiles, selon Neuton_; il a pris les Etoiles pour le -Soleil. La lumiere émane des Etoiles les plus prochaines en six mois, -selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates & -très-fautives. Ce n'est point Neuton, c'est Huygens & Hartsoeker, -qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu -créa la lumiere avant le Soleil, _que la lumiere est répandue par -toute la Nature, & qu'elle se fait sentir, quand les Astres lumineux -la poussent_; mais il est démontré qu'elle arrive des Etoiles fixes -en un tems très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n'étoit donc -point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces -erreurs, que l'on répète tous les jours dans beaucoup de Livres qui -sont l'écho les uns des autres. - -Voici en peu de mots la substance de la Démonstration sensible de -Romer, que la lumiere employe sept à huit minutes dans son chemin du -Soleil à la Terre. - - [Démonstration du mouvement de la lumiere.] - -On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'éclipse -réguliérement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la -Terre étoit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois -quarante-deux heures & demie, trente émersions de ce Satellite, mais au -bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit -plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux -heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met à se -mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement considérable. Mais cet -espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est -corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le -grand Orbe que décrit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en -venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G. -H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere -vient du Soleil en 7 ou 8 minutes. - -[Illustration: _pag. 20._] - -Mr. Broadley, en dernier lieu, a observé par des expériences réïtérées -& sûres, que plusieurs Etoiles, vues en différens tems, paroissoient -tantôt un peu plus vers le Nord, tantôt un peu plus vers le Sud; il a -prouvé que cette différence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de -la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observé que si ces -Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde. - -Or cela présupposé, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui -n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois -plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil -en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de -ces Etoiles en 6. années & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces -Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixième -grandeur, étant six fois plus éloignées, ne font parvenir leur lumiere -à nous qu'en plus de 36. ans & demi. - -3º. Les rayons qu'on détourne par un Prisme, & qu'on force de prendre -un nouveau chemin, démontrent que la lumiere se meut effectivement, & -n'est pas un amas de globules simplement pressé. - -4º. Si la lumiere étoit un amas de globules existans dans l'air & en -tous lieux, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obscure -devroit l'illuminer toute entiére: car la lumiere, poussée alors en -tout sens par ce petit trou, agiroit en tout sens, comme des boules -d'yvoire rangées en rond, ou en quarré, s'écarteroient toutes, si -une seule d'elles étoit fortement pressée; mais il arrive tout le -contraire. La lumiere reçue par un petit orifice, lequel ne laisse -passer que peu de rayons, éclaire à peine un demi-pied de l'endroit -qu'elle frappe. - -5º. La lumiere entre toujours par un trou en ligne droite, en quelque -sens que l'on puisse imaginer, mais si des globules étoient simplement -pressés, il seroit impossible que cette pression se fît en ligne -droite. Il est donc démontré que Descartes s'est trompé & sur la nature -de la lumiere & sur la maniere dont elle nous est transmise. - - [Erreur du Pere Mallebranche.] - -Le Pere Mallebranche, génie plus subtil que vrai, qui consulta toujours -ses méditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les -trois Elémens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses à ce -Château enchanté. Il imagina sans autre preuve une autre explication de -la lumiere. - -Des vibrations du Corps lumineux impriment, selon lui, des secousses à -de petits tourbillons mous, capables de compression, & tout composés -de matiere subtile. Mais si on avoit demandé à Mallebranche comment -ces petits tourbillons mous auroient transmis à nos yeux la lumiere, -comment l'action du Soleil pourroit passer en un instant à travers -tant de petits corps comprimés les uns par les autres, & dont un -très-petit nombre suffiroit pour amortir cette action, comment enfin -ses tourbillons mous, ne se seroient point mêlez en tournant les uns -sur les autres, qu'auroit répondu le Pere Mallebranche? Sur quel -fondement posoit-il cet édifice imaginaire? Faut-il que des hommes qui -ne parloient que de _vérité_ n'ayent écrit que des Romans! - - [Définition de la lumiere.] - -Qu'est-ce donc enfin que la lumiere? C'est _le feu lui-même_, lequel -brûle à une petite distance, lorsque ses parties sont moins tenuës, ou -plus rapides, ou plus réunies; & qui éclaire doucement nos yeux, quand -il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines, & moins -rapides, & moins réunies. - -Ainsi une bougie allumée brûleroit l'œil qui ne seroit qu'à quelques -lignes d'elle, & éclaire l'œil qui en est à quelques pouces. Ainsi les -rayons du Soleil, épars dans l'espace de l'air, illuminent les objets, -& réunis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or. - -Ce feu est dardé en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui -fait qu'il est apperçu de tous les côtez; il faut donc toujours le -considérer comme des lignes partant d'un centre à la circonférence. -Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil -ou d'un feu quelconque, doit être considéré comme un cone, dont la base -est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde. - -Cette matiere de feu s'élance du Soleil jusqu'à nous & jusqu'à Saturne, -&c. avec une rapidité qui épouvante l'imagination. - -Le calcul apprend que, si le Soleil est à vingt-quatre mille -demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet -Astre à nous, (en nombres ronds) mille millions de pieds par seconde. -Or un boulet d'une livre de balle, poussé par une demi-livre de poudre, -ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidité d'un -rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille -six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon. - - [Voyez Mémoires de l'Académie 1728.] - -Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je -renvoye sur cela le Lecteur au Mémoire plein de sagesse & de profondeur -qu'a donné Mr. de Mairan. - -J'espére que ce Philosophe & ceux qui sont le plus opposés aux forces -vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition -suivante: - -L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins -uniformement accéléré, est le produit de sa masse par le quarré de sa -vîtesse; c'est-à-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de vîtesse, fera, -toutes choses égales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit -qu'un degré de vîtesse. - - [Extrême petitesse du corps de la lumiere.] - -Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarré de sa -vîtesse, & si cette vîtesse est environ seize cens mille par rapport à -celle du boulet, ce quarré sera 2560000000000; il sera donc vrai que, -si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards -moins gros qu'une livre, il fera encore le même effet qu'un boulet de -Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment -d'émanation de lumiere détruiroit tout ce qui vegète sur la surface -de la Terre. Concevez qu'elle doit être la petitesse d'une particule -de lumiere, qui passe si librement à-travers d'un verre; & pour avoir -quelque idée de l'infini, concevez ce que doit être une matiere un -million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or -& de l'Aimant, & qui pénétre les Rochers & les entrailles de la Terre. - -Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit -minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent -en plusieurs années, en fournissent éternellement, sans paraître -s'épuiser, à peu près comme le Musc élance sans cesse autour de lui des -corps odoriférants, sans rien perdre sensiblement de son poids. - -Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en -proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois -celle de la Terre, & avec la vîtesse dont ce Corps de feu immense roule -sur lui-même en vingt-cinq jours & demi. - - [Proportion dans laquelle toute lumiere agit.] - -La force, l'illumination, l'intensité, la densité de toute lumiere, -est calculée. Il se trouve par un calcul singulier que cette force -est précisément en même raison, que la force avec laquelle les corps -tombent, & avec laquelle Mr. Neuton fait voir que tous les Globes -célestes s'attirent. Cette proportion est ce qu'on appelle la raison -inverse du quarré des distances. Il faut se familiariser avec cette -expression. Elle signifie une chose simple & intelligible: c'est qu'un -corps qui sera exposé à quatre pieds d'un feu quelconque, sera seize -fois moins éclairé & moins échauffé, recevra seize fois moins de rayons -que le corps qui sera à un pied; seize est le quarré de quatre. Or -quatre est la distance où est le corps moins éclairé, donc la lumiere -envoye à ce corps distant de quatre pieds, non pas quatre fois moins -de rayons, mais seize fois moins de rayons. Voilà ce qu'on appelle la -raison inverse du quarré des distances, ce qu'il faut bien entendre; -car cette proportion sera un des fondemens de la Nouvelle Philosophie -que nous tâchons de rendre familiere. - - [Progression de la lumiere. Preuve de l'impossibilité du plein.] - -Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la -substance du Soleil s'échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien -le plein de Descartes est chimérique. Car 1º. comment une ligne droite -pourroit-elle parvenir à nous, à travers tant de millions de couches -de matiere mues en ligne courbe, & à travers tant de mouvemens divers? -2º. Comment un corps si délié pourroit-il en sept ou huit minutes -parcourir l'espace de trente millions de nos lieues, qui est entre -le Soleil & nous, s'il avoit à pénétrer dans cet espace une matiére -résistante? Il faudroit que chaque rayon dérangeât en un moment trente -millions de lieues de matiére subtile. Remarquez encore que cette -prétendue matiére subtile résisteroit dans le plein absolu, autant que -la matiére la plus compacte. Car une livre de poudre d'or, pressée dans -une boëte, résiste autant qu'un morceau d'or pesant une livre. Ainsi -un rayon du Soleil auroit bien plus d'effort à faire, que s'il avoit à -percer un cone d'or, dont l'axe seroit trente millions de lieues. - -Il y a plus. L'expérience, ce vrai Maître de Philosophie, nous apprend -que la lumiere en venant d'un Elément dans un autre Elément, d'un -milieu dans un autre milieu, n'y passe pas toute entiere, comme nous le -dirons: une grande partie est réflechie, l'air en fait rejaillir plus -qu'il n'en transmet; ainsi il seroit impossible qu'il nous vint aucune -lumiere des Etoiles, elle seroit toute absorbée, toute répercutée, -avant qu'un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphére. -Mais dans les Chapitres, où nous expliquerons les principes de la -gravitation, nous verrons une foule d'arguments, qui prouvent que ce -plein prétendu étoit un Roman. - -Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la Vérité s'établit -lentement chez les hommes. - -Il y a près de cinquante ans que Romer avoit démontré par les -observations sur les Eclipses des Satellites de Jupiter, que la -lumiere émane du Soleil à la Terre en sept minutes & demie ou environ, -cependant non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs -Livres de Physique; mais voici comme on parle dans un Recueil en trois -Volumes, tiré des observations de toutes les Académies de l'Europe, -imprimé en 1730. _page 35. Volume. 1_. - - «Quelques-uns ont prétendu que d'un Corps lumineux, comme le Soleil, - il se fait un écoulement continuel d'une infinité de petites parties - insensibles, qui portent la lumiere jusqu'à nos yeux; mais cette - opinion, qui se ressent encore un peu de la vieille Philosophie, - n'est pas soutenable». - -Cette opinion est pourtant démontrée de plus d'une façon: & loin de -ressentir la vieille Philosophie, elle y est directement contraire; car -quoi de plus contraire à des mots vuides de sens, que des mesures, des -calculs, & des expériences? - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE DEUX. - -_La proprieté que la lumiere a de se réflechir n'étoit pas -véritablement connue. Elle n'est point réflechie par les parties -solides des corps, comme on le croioit._ - - -AYANT su ce que c'est que la lumiere, d'où elle nous vient, comment & -en quel tems elle arrive à nous; voyons ses proprietés, & ses effets -ignorés jusqu'à nos jours. Le premier de ses effets est qu'elle semble -rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter -dans nos yeux les images. - -Tous les hommes, tous les Philosophes, & les Descartes & les -Mallebranches, & ceux qui se sont éloignez le plus des pensées -vulgaires, ont également cru qu'en effet ce sont les surfaces solides -des corps qui nous renvoyent les rayons. Plus une surface est unie & -solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumiere; plus un corps -a de pores larges & droits, plus il transmet de rayons à travers sa -substance. Ainsi le miroir poli dont le fond est couvert d'une surface -de vif argent, nous renvoye tous les rayons; ainsi ce même miroir sans -vif argent ayant des pores droits & larges & en grand nombre, laisse -passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges & -droits, plus il est diaphane: tel est, disoit-on, le diamant, telle est -l'eau elle-même; voilà les idées généralement reçues, & que personne ne -révoquoit en doute. - -Cependant toutes ces idées sont entiérement fausses, tant ce qui est -vraisemblable, est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les -Philosophes se sont jettez en cela dans l'erreur, de la même maniere -que le Vulgaire y est tout porté, quand il pense que le Soleil n'est -pas plus grand qu'il le paroît aux yeux. Voici en quoi consistoit cette -erreur des Philosophes. - - [Aucun corps uni.] - -Il n'y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la -surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies & d'un -poli parfait. Pourquoi voyons nous uni & égal ce qui ne l'est pas? -La superficie la plus égale, n'est par rapport aux petits corps -qui composent la lumiere, qu'un amas de montagnes, de cavitez & -d'intervales, de même que la pointe de l'éguille la plus fine est -hérissée en effet d'éminences & d'aspérités que le Microscope découvre. - -Tous les faisceaux des rayons de lumiere qui tomberoient sur ces -inégalités, se réflechiroient selon qu'ils y seroient tombez; donc -étant inégalement tombez ils ne se réflechiroient jamais réguliérement, -donc on ne pourroit jamais se voir dans une glace. - - [Lumiere non réflechie par les parties solides.] - -La lumiere qui nous apporte notre image de dessus un miroir, ne vient -donc point certainement des parties solides de la superficie de ce -miroir; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure -& d'étain étendues derriere cette glace. Ces parties ne sont pas -plus planes, pas plus unies, que la glace même. Les parties solides -de l'étain & du mercure sont incomparablement plus grandes, plus -larges, que les parties solides constituantes de la lumiere; donc si -les petites particules de lumiere tombent sur ces grosses parties de -mercure, elle s'éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb -tombant sur des platras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers -nous la lumiere réguliérement? Il paroît déja que ce ne sont pas les -corps qui nous la renvoyent ainsi. Ce qui sembloit le plus connu le -plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que -ne l'étoit autrefois la pesanteur de l'air. Examinons ce Problême de la -Nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s'instruire ici qu'avec -surprise. - -Prenez un morceau, un cube de cristal, par exemple; voici tout ce -qui arrive aux rayons du Soleil qui tombent sur ce corps solide & -transparent. - -[Illustration] - -1º. Une petite partie des rayons rebondissent à vos yeux de sa premiere -surface A. sans toucher même à cette surface, comme il sera plus -amplement prouvé. - -2º. Une partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps, elle -s'y joue, s'y perd & s'y éteint. - -3º. Une troisième partie parvient à l'intérieur C. de la surface B. & -d'auprès de cette surface B. elle retourne en A. & quelques rayons en -viennent à vos yeux. - -4º. Une quatrième partie passe dans l'air. - -5º. Une cinquième partie qui est la plus considérable revient d'au-delà -de la surface ultérieure B. dans le cristal, y repasse, & vient -se réflechir à vos yeux. N'examinons ici que ces derniers rayons -qui, s'échappant de la surface ultérieure B. & ayant trouvé l'air, -rejaillissent de dessus cet air vers nous en rentrant à travers le -cristal. Certainement ils n'ont pas rencontré dans cet air des parties -solides sur lesquelles ils ayent rebondi, car si au lieu d'air ils -rencontrent de l'eau à cette surface B. peu reviennent alors, ils -entrent dans cette eau, ils la pénétrent en grand nombre. Or l'eau est -environ huit cens fois plus pesante, plus solide, moins rare que l'air. -Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, & -rejaillissent de dessus cet air dans ce verre, donc ce n'est point des -parties solides des corps que la lumiere est réflechie. - -Voici une observation plus singuliere & plus décisive: Exposez dans une -chambre obscure ce cristal A. B. aux rayons du Soleil de façon, que les -traits de lumiere parvenus à sa superficie B. fassent un angle de plus -de 40. degrez avec la perpendicule. - - [Expériences décisives.] - -[Illustration] - -La plûpart de ces rayons alors ne pénétre plus dans l'air, ils -rentrent tous dans ce cristal à l'instant même qu'ils en sortent, ils -reviennent, comme vous voyez, mais cette courbure est insensible. - -Certainement ce n'est pas la surface solide de l'air qui les a -repoussés dans ce verre, plusieurs de ces rayons entroient dans l'air -auparavant, quand ils tomboient moins obliquement; pourquoi donc à une -obliquité de 40 degrez dix-neuf minutes, la plûpart de ces rayons n'y -passe-t-elle plus? trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus -de matiere dans cet air, qu'ils n'en trouvent dans ce cristal qu'ils -avoient pénétré? trouvent-ils plus de parties solides, dans l'air à -quarante degrés & un tiers qu'à 40? l'air est à peu près deux mille -quatre cens fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal, -donc ces rayons devoient passer dans l'air avec deux mille quatre cens -fois plus de facilité, qu'ils n'ont pénétré l'épaisseur du cristal. -Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont -repoussez; ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre -cens fois plus puissante que l'air, ils ne sont donc point repoussez -par l'air; les rayons encore une fois ne sont donc point réflechis à -nos yeux par les parties solides de la matiere. La lumiere rejaillit si -peu dessus les parties solides des corps, que c'est en effet du vuide -qu'elle rejaillit. - -Vous venez de voir que la lumiere tombant à un angle de 40. degrez 19. -minutes sur du cristal, rejaillit presque toute entiere de dessus l'air -qu'elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal. Que la lumiere -y tombe à un angle moindre d'une seule minute, il en passe encore moins -hors de cette surface dans l'air. Qu'on ôte l'air, il ne passera plus -de rayons du tout. C'est une chose démontrée. - -Or quand il y a de l'eau à cette surface, beaucoup de rayons entrent -dans cette eau au lieu de rejaillir. Quand il n'y a que de l'air, bien -moins de rayons entrent dans cet air. Quand il n'y a plus d'air, aucun -rayon ne passe; donc c'est du vuide en effet que la lumiere rejaillit. - -Voilà donc des preuves indubitables que ce n'est point une superficie -solide qui nous renvoye la lumiere: il y a bien d'autres preuves encore -de cette nouvelle vérité; en voici une que nous expliquerons à sa -place. Tout corps opaque réduit en lame mince, laisse passer à travers -sa substance des rayons d'une certaine espèce, & réflechit les autres -rayons: or, si la lumiere étoit renvoyée par les corps, tous les rayons -qui tomberoient sur ces lames, seroient réflechis sur ces lames. Enfin -nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n'a été prouvé en plus de -manieres. Commençons donc par nous familiariser avec ces Vérités. - -1º. Cette lumiere qu'on croit réflechie par la surface solide des -corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface. - -2º. La lumiere n'est point renvoyée de derriere un miroir par la -surface solide du vif argent; mais elle est renvoyée du sein des pores -du miroir, & des pores du vif argent même. - -3º. Il ne faut point, comme on l'a pensé jusques à présent, que les -pores de ce vif argent soient très-petits pour réflechir la lumiere, au -contraire il faut qu'ils soient larges. - - [Plus les pores sont petits plus la lumiere passe.] - -Ce sera encore un nouveau sujet de surprise pour ceux qui n'ont pas -étudié cette Philosophie, d'entendre dire que le secret de rendre un -corps opaque, est souvent d'élargir ses pores, & que le moyen de le -rendre transparent est de les étrecir. L'ordre de la Nature paraitra -tout changé: ce qui sembloit devoir faire l'opacité, est précisément -ce qui opérera la transparence; & ce qui paraissoit rendre les corps -transparens, sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n'est si -vrai, & l'expérience la plus grossiére le démontre. - -Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque, nul rayon -de lumiere ne le traverse: étrecissez ses pores en l'imbibant, ou d'eau -ou d'huile, il devient transparent; la même chose arrive au linge, au -sel, &c. - -Il y a donc des principes ignorés qui opérent ces merveilles, des -causes qui font rejaillir la lumiere, avant qu'elle ait touché une -surface, qui la renvoyent des pores du corps transparent, qui la -ramenent du milieu même du vuide; nous sommes invinciblement obligés -d'admettre ces faits, quelle qu'en puisse être la cause. - -Etudions donc les autres mystères de la lumiere, & voyons si de ces -effets surprenans, on remonte jusqu'à quelque Principe incontestable, -qu'il faille admettre aussi-bien que ces effets même. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE TROIS. - -_De la proprieté que la lumiere a de se briser en passant d'une -substance dans une autre, & de prendre un nouveau chemin._ - - -LA SECONDE proprieté des rayons de la lumiere qu'il faut bien examiner, -est celle de se détourner de leur chemin en passant du Soleil dans -l'air, de l'air dans le verre, du verre dans l'eau, &c. C'est cette -nouvelle direction dans ces différens milieux, c'est ce brisement de -la lumiere qu'on appelle réfraction, c'est par cette proprieté qu'une -rame plongée dans l'eau parait courbée au Matelot qui la manie; c'est -ce qui fait que dans une jatte nous appercevrons, en y jettant de -l'eau, l'objet que nous n'appercevions pas auparavant en nous tenant à -la même place. - -Enfin c'est par le moyen de cette réfraction que nos yeux jouïssent -de la vûe. Les secrets admirables de la réfraction étoient ignorés de -l'Antiquité, qui cependant l'avoit sous les yeux, & dont on faisoit -usage tous les jours, sans qu'il soit resté un seul Ecrit, qui puisse -faire croire qu'on en eût deviné la raison. Ainsi encore aujourd'hui -nous ignorons la cause des mouvemens même de notre corps, & des pensées -de notre ame; mais cette ignorance est différente. Nous n'avons & nous -n'aurons jamais d'Instrument assez fin pour voir les premiers ressorts -de nous-mêmes; mais l'industrie humaine s'est faite de nouveaux yeux, -qui nous ont fait appercevoir sur les effets de la lumiere, presque -tout ce qu'il est permis aux hommes d'en savoir. - - [Comment la lumiere se brise.] - -Il faut se faire ici une idée nette d'une expérience très-commune. Une -pièce d'or est dans ce bassin: votre œil est placé au bord du bassin à -telle distance, que vous ne voyez point cette pièce: - -[Illustration] - -Qu'on y verse de l'eau, vous ne l'apperceviez point d'abord où elle -étoit: maintenant vous la voyez où elle n'est pas; qu'est-il arrivé? - -L'objet A. réflechit un rayon qui vient frapper contre le bord du -bassin, & qui n'arrivera jamais à votre œil: il réflechit aussi ce -rayon A. B. qui passe par-dessus votre œil: or à présent vous recevez -ce rayon A. B. ce n'est point votre œil qui a changé de place, c'est -donc le rayon A. B.; il s'est manifestement detourné au bord de ce -bassin en passant de l'eau dans l'air, ainsi il frappe votre œil en C. - -[Illustration] - -Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez -l'objet suivant la ligne droite C. D. donc vous voyez l'objet au point -D. au-dessus du lieu où il est en effet. - -Si ce rayon se brise en un sens, quand il passe de l'eau dans l'air, -il doit se briser en un sens contraire, quand il entre de l'air dans -l'eau. - -[Illustration] - -J'élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A. qui partant -du point lumineux se brise au point B. & s'approche dans l'eau de -cette perpendiculaire en suivant le chemin B. D. & ce même rayon D. -B. en passant de l'eau dans l'air, se brise en allant vers A., & en -s'éloignant de cette même perpendiculaire; la lumiere se réfracte donc -selon les milieux qu'elle traverse. C'est sur ce Principe que la Nature -a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que -les traits de lumiere, qui passent à travers ces humeurs, se brisent -de façon qu'ils se réunissent après dans un point sur notre _rétine_: -c'est enfin sur ce Principe que nous fabriquons les Lunettes dont les -verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu'il ne s'en fait -dans nos yeux, & qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent -étendre, jusqu'à deux cens fois, la force de notre vûe; de même que -l'invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui -sont des leviers naturels. Nous allions expliquer la raison que Neuton -a trouvée de cette proprieté de la lumiere; mais vous voulez voir -auparavant comment cette réfraction agit dans nos yeux, & comment le -sens de la vûe, le plus étendu de tous nos Sens, doit son existence -à la réfraction. Quelque connue que soit cette matiere, il est bon -de fortifier par un nouvel examen les idées que vous en avez. Les -personnes qui pourront lire ce petit Ouvrage, seront bien-aises de ne -point chercher ailleurs ce qu'elles desireroient savoir touchant la vûe. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE QUATRE. - -_De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans -cet organe._ - - - [Description de l'œil.] - -POur connaitre l'œil de l'homme en physicien qui ne considere que la -vision, il faut d'abord savoir que la premiere enveloppe blanche, le -rempart & l'ornement de l'œil, ne transmet aucun rayon. Plus ce blanc -de l'œil est fort & uni, plus il réflechit de lumiere; & lorsque -quelque passion vive porte au visage de nouveaux esprits, qui viennent -encore tendre & ébranler cette tunique, alors des étincelles semblent -en sortir. - -Au milieu de cette membrane s'éleve un peu la cornée, mince, dure & -transparente, telle précisément que le verre de votre montre que vous -placeriéz en cette façon sur une boule. - -[Illustration] - -Sous cette _cornée_, est _l'iris_, autre membrane, qui, colorée par -elle-même, répand ses couleurs sur cette _cornée_ transparente qui la -couvre; c'est cette _iris_ tantôt brune, tantôt bleue, qui rend les -yeux bleus ou noirs. Elle est percée dans son milieu, qui ainsi paroît -toujours noir; & ce milieu est la prunelle de l'œil. C'est par cette -ouverture que sont introduits les rayons de la lumiere: elle s'agrandit -par un mouvement involontaire dans les endroits obscurs, pour recevoir -plus de rayons; elle se resserre ensuite, lorsqu'une grande clarté -l'offense. - -Les rayons admis par cette prunelle ont déja souffert une réfraction -assez forte en passant à travers la _cornée_ dont elle est couverte. -Imaginez cette _cornée_ comme le verre de votre montre, il est convexe -en dehors, & concave en dedans: tous les rayons obliques se sont brisés -dans l'épaisseur de ce verre; mais ensuite sa concavité rétablit ce que -sa convéxité a brisé. La même chose arrive dans notre _cornée_. Les -rayons ainsi rompus & brisés, trouvent après avoir franchi la _cornée_, -une humeur transparente dans laquelle ils passent. Cette eau est nommée -l'humeur aqueuse. Les Anatomistes ne s'accordent point encore entr'eux -sur la forme de ce petit réservoir. Mais, quelle que soit sa figure, la -Nature semble avoir placé là cette humeur claire & limpide, pour opérer -des réfractions, pour transmettre purement la lumiere, pour que le -_cristallin_, qui est derriere, puisse s'avancer sans effort, & changer -librement de figure, pour que l'humidité nécessaire s'entretienne, &c. - -Enfin, les rayons étant sortis de cette eau trouvent une espèce de -diamant liquide, taillé en lentille, & enchassé dans une membrane -déliée & diaphane elle-même. Ce diamant est le _cristallin_, c'est -lui qui rompt tous les rayons obliques, c'est un principal organe de -la réfraction & de la vûe; parfaitement semblable en cela à un Verre -lenticulaire de Lunette. Soit ce cristallin ou ce Verre lenticulaire. - -[Illustration] - -Le rayon perpendiculaire A. le pénétre, sans se détourner; mais les -rayons obliques B & C. se détournent dans l'épaisseur du Verre en -s'approchant des perpendiculaires, qu'on tireroit sur les endroits -où ils tombent. Ensuite quand ils sortent du Verre pour passer dans -l'air, ils se brisent encore en s'éloignant du perpendicule; ce nouveau -brisement est précisément ce qui les fait converger en D. foyer du -Verre lenticulaire. - -Or la _rétine_, cette membrane legére, cette expansion du nerf optique, -qui tapisse le fond de notre œil, est le foyer du cristallin: c'est -à cette _rétine_ que les rayons aboutissent: mais avant d'y parvenir, -ils rencontrent encore un nouveau milieu qu'ils traversent; ce nouveau -milieu est l'humeur vitrée, moins solide que le _cristallin_, moins -fluide que l'humeur aqueuse. - -C'est dans cette humeur vitrée que les rayons ont le tems de -s'assembler, avant de venir faire leur derniere réunion sur les -points du fond de notre œil. Figurez-vous donc sous cette lentille -du _cristallin_, cette humeur vitrée sur laquelle le _cristallin_ -s'appuye; cette humeur tient le _cristallin_ dans sa concavité, & est -arondie vers la _rétine_. - -Les rayons en s'échapant de cette derniere humeur achevent donc de -converger. Chaque faisceau de rayons parti d'un point de l'objet vient -fraper un point de notre _rétine_. - -Une figure, où chaque partie de l'œil se voit sous son propre nom, -expliquera mieux tout cet artifice, que ne pourroient faire des lignes, -des A. & des B. La structure des yeux ainsi développée, on peut -connaitre aisément pourquoi on a si souvent besoin du secours d'un -Verre, & quel est l'usage des Lunettes. - - [Oeil presbite.] - -Souvent un œil sera trop plat, soit par la conformation de sa -_cornée_, soit par son cristallin, que l'âge ou la maladie aura -desseché; alors les réfractions seront plus faibles & en moindre -quantité, les rayons ne se rassembleront plus sur la _rétine_. -Considérez cet œil trop plat que l'on nomme œil de _presbite_. - -[Illustration: _Pag. 54._] - -[Illustration: _Pag. 55._] - -Ne regardons, pour plus de facilité, que trois faisceaux, trois -cones des rayons, qui de l'objet tombent sur cet œil, ils se réuniront -aux points A. A. A. par delà la _rétine_, il verra les objets confus. - -La Nature a fourni un secours contre cet inconvénient, par la force -qu'elle a donnée aux muscles de l'œil d'allonger, ou d'aplatir -l'œil, de l'approcher ou de le reculer de la _rétine_. Ainsi dans -cet œil de Vieillard, ou dans cet œil malade, le _cristallin_ a la -faculté de s'avancer un peu, & d'aller en D. D.: alors l'espace entre -le _cristallin_ & le fond de la _rétine_ deviennent plus grands, les -rayons ont le tems de venir se réunir sur la _rétine_, au lieu d'aller -au-delà; mais lorsque cette force est perdue, l'industrie humaine y -supplée, un verre lenticulaire est mis entre l'objet & l'œil affaibli. -L'effet de ce verre est de rapprocher les rayons qu'il a reçus, l'œil -les reçoit donc & plus rassemblés & en plus grand nombre: ils viennent -aboutir à un point de la _rétine_ comme il le faut; alors la vûe est -nette & distincte. - - [Oeil myope.] - -Regardez cet autre œil, qui a une maladie contraire, il est trop -rond: les rayons se réunissent trop tôt, comme vous le voyez au point -B. ils se croisent trop vîte, ils se séparent en B. & vont faire une -tache sur la _rétine_. C'est-là ce qu'on appelle un œil _myope_. Cet -inconvénient diminue à mesure que l'âge en amene d'autres, qui sont la -sécheresse & la faiblesse: elles aplatissent insensiblement cet œil -trop rond; & voilà pourquoi on dit que les vûes courtes durent plus -long-tems. Ce n'est pas qu'en effet elles durent plus que les autres, -mais c'est qu'à un certain âge, l'œil desseché s'aplatit: alors celui -qui étoit obligé auparavant d'approcher son Livre à trois ou quatre -pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance: mais -aussi sa vûe devient bien-tôt trouble & confuse, il ne peut voir les -objets éloignés; telle est notre condition, qu'un défaut ne se répare -presque jamais que par un autre. - -[Illustration: _Pag. 56._] - -Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un Verre qui empêche -les rayons de se réunir si vîte. Ce Verre fera le contraire du premier, -au lieu d'être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des -deux côtés, & les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu'ils -convergeroient dans l'autre. Ils viendront par conséquent se réunir -plus loin, qu'ils ne faisoient auparavant dans l'œil, & alors cet œil -jouïra d'une vûe parfaite. On proportionne la convéxité & la concavité -des Verres aux défauts de nos yeux: c'est ce qui fait que les mêmes -Lunettes qui rendent la vûe nette à un Vieillard, ne seront d'aucun -secours à un autre; car il n'y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni -deux choses au monde égales. - -L'Antiquité ne connaissoit point ces Lunettes. Cependant elle -connaissoit les Miroirs ardents; une vérité découverte n'est pas -toujours une raison pour qu'on découvre les autres véritéz qui y -tiennent. L'attraction de l'Aimant étoit connue, & sa direction -échapoit aux yeux. La démonstration de la circulation du sang étoit -dans la saignée même que pratiquoient tous les Médecins Grecs, & -cependant personne ne se doutoit que le sang circulât. - -Il y a grande apparence que c'est du tems de Roger Bacon au XIII. -Siècle que l'on trouva ces lunettes appellées besicles, & les loupes -qui donnent de nouveaux yeux aux Vieillards; car il est le premier qui -en parle. - -Vous venez de voir les effets que la réfraction fait dans vos yeux, -soit que les rayons arrivent sans secours intermédiaire, soit qu'ils -ayent traversé des cristaux: vous concevez que sans cette réfraction -opérée dans nos yeux, & sans cette réflexion des rayons de dessus les -surfaces des corps vers nous, les organes de la vûe nous seroient -inutiles. Les moyens que la Nature employe pour faire cette réfraction, -les loix qu'elle suit, sont des mystères que nous allons déveloper. Il -faut auparavant achever ce que nous avons à dire touchant la vûe, il -faut satisfaire à ces questions si naturelles: Pourquoi nous voyons -les objets au-delà d'un Miroir, & non sur le Miroir même? Pourquoi un -Miroir concave rend l'objet plus grand? Pourquoi le Miroir convexe rend -l'objet plus petit? Pourquoi les Telescopes rapprochent & agrandissent -les choses? Par quel artifice la Nature nous fait connaitre les -grandeurs, les distances, les situations? Quelle est enfin la véritable -raison, qui fait que nous voyons les objets tels qu'ils sont, quoique -dans nos yeux ils se peignent renversez? Il n'y a rien là qui ne mérite -la curiosité de tout Etre pensant; mais nous ne nous étendrions pas -sur ces sujets que tant d'illustres Ecrivains ont traités, & nous -renverrions à eux, si nous n'avions pas à faire connaitre quelques -vérités assez nouvelles, & curieuses pour un petit nombre de Lecteurs. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE CINQ. - - -_Des Miroirs, des Telescopes: des Raisons que les Mathématiques donnent -des mystères de la vision; que ces raisons ne sont point du tout -suffisantes._ - - -LES RAYONS qu'une Puissance, jusqu'à nos jours inconnue, fait rejaillir -à vos yeux de dessus la surface d'un Miroir, sans toucher à cette -surface, & des pores de ce Miroir, sans toucher aux parties solides; -ces rayons, dis-je, retournent à vos yeux dans le même sens qu'ils -sont arrivés à ce Miroir. Si c'est votre visage que vous regardez, -les rayons partis de votre visage parallèlement & en perpendiculaire -sur le Miroir, y retournent de même qu'une balle qui rebondit -perpendiculairement sur le plancher. - - [Miroir plan.] - -Si vous regardez dans ce Miroir M. un objet qui est à côté de vous -comme A. il arrive aux rayons partis de cet objet la même chose qu'à -une balle, qui rebondiroit en B. où est votre œil. C'est ce qu'on -appelle l'angle d'incidence égal à l'angle de réflexion. - -[Illustration] - -La ligne A. C. est la ligne d'incidence, la ligne C. B. est la ligne -de réflexion. On sait assez, & le seul énoncé le démontre, que ces -lignes forment des angles égaux sur la surface de la glace; maintenant -pourquoi ne vois-je l'objet ni en A. où il est, ni dans C. dont -viennent à mes yeux les rayons, mais en D. derriere le Miroir même? - -La Géométrie vous dira: c'est que l'angle d'incidence est égal à -l'angle de réflexion: c'est que votre œil en B. rapporte l'objet en -D.; c'est que les objets ne peuvent agir sur vous qu'en ligne droite, -& que la ligne droite continuée dans votre œil B. jusques derriere le -miroir en D. est aussi longue que la ligne A C. & la ligne C B. prises -ensemble. - -Enfin elle vous dira encore: vous ne voyez jamais les objets que du -point où les rayons commencent à diverger. Soit ce Miroir M. I. - -[Illustration] - - [Miroir plan.] - -Les faisceaux de rayons qui partent de chaque point de l'objet A, -commencent à diverger dès l'instant qu'ils partent de l'objet; ils -arrivent sur la surface du Miroir: là chacun de ces rayons tombe, -s'écarte, & se réflechit vers l'œil. Cet œil les rapporte aux -points D. D. au bout des lignes droites, où ces mêmes rayons se -rencontreroient; mais en se rencontrant aux points D. D. ces rayons -feroient la même chose qu'aux points A. A. ils commenceroient à -diverger; donc vous voyez l'objet A. A. aux points D. D. - -Ces angles & ces lignes servent, sans doute, à vous donner une -intelligence de cet artifice de la Nature; mais il s'en faut beaucoup -qu'elles puissent vous apprendre, la raison Physique efficiente, -pourquoi votre ame rapporte sans hésiter l'objet au-delà du Miroir à la -même distance qu'il est au deçà. Ces lignes vous représentent ce qui -arrive, mais elles ne vous apprennent point pourquoi cela arrive. - -Si vous voulez savoir comment un Miroir convexe diminue les objets, & -comment un Miroir concave les augmente, ces lignes d'incidence & de -réflexion vous en rendront la même raison. - - [Miroir convexe.] - -On vous dit: Ce cone de rayons qui diverge du point A. & qui tombe -sur ce Miroir convexe, y fait des angles d'incidence égaux aux angles -de réflexion, dont les lignes vont dans notre œil. Or ces angles -sont plus petits que s'ils étoient tombés sur une surface plane, donc -s'ils sont supposés passer en B. ils y convergeront bien plutôt, donc -l'objet qui seroit en B. B. seroit plus petit. - -[Illustration] - -Or votre œil rapporte l'objet en B. B. aux points d'où les rayons -commenceroient à diverger, donc l'objet doit vous paraitre plus petit, -comme il l'est en effet dans cette figure. Par la même raison qu'il -parait plus petit, il vous parait plus près, puisqu'en effet les points -où aboutiroient les rayons B. B. sont plus près du Miroir que ne le -sont les rayons A. A. - -[Illustration] - -Par la raison des contraires, vous devez voir les objets plus grands & -plus éloignés dans un Miroir concave, en plaçant l'objet assez près du -Miroir. - -Car les cones des rayons A. A. venant à diverger sur le Miroir aux -points où ces rayons tombent, s'ils se réflechissoient à travers ce -Miroir, ils ne se réuniroient qu'en B. B. donc c'est en B. B. que vous -les voyez. Or B. B. est plus grand & plus éloigné du Miroir que n'est -A. A. donc vous verrez l'objet plus grand, & plus loin. - -Voilà en général ce qui se passe dans les rayons réflechis à vos yeux, -& ce seul Principe, que l'angle d'incidence est toujours égal à l'angle -de réflexion, est le premier fondement de tous les mystères de la -Catoptrique. - -MAINTENANT il s'agit de savoir, comment les lunettes augmentent ces -grandeurs & raprochent ces distances. Enfin pourquoi les objets se -peignant renversés dans vos yeux, vous les voyez cependant comme ils -sont. - - [Explications géométriques de la vision.] - -A l'égard des grandeurs & des distances, voici ce que les Mathématiques -vous en apprendront. Plus un objet fera dans votre œil un grand angle, -plus l'objet vous paraitra grand: rien n'est plus simple. Cette ligne -H. K. que vous voyez, à cent pas, trace un angle dans l'œil A. (figure -premiere); à deux cens pas, elle trace un angle la moitié plus petit -dans l'œil B. (figure seconde). Or l'angle qui se forme dans votre -_rétine_ & dont votre _rétine_ est la baze, est comme l'angle dont -l'objet est la baze. Ce sont des angles opposez au sommet: donc par les -premieres notions des Elémens de la Géométrie ils sont égaux; donc si -l'angle formé dans l'œil A. est double de l'angle formé dans l'œil -B., cet objet paraitra une fois plus grand à l'œil A. qu'à l'œil B. - -[Illustration: _Pag. 69._] - -Maintenant pour que l'œil étant en B. voye l'objet aussi grand, que le -voit l'œil en A., il faut faire en sorte que cet œil B. reçoive un -angle aussi grand que celui de l'œil A. qui est une fois plus près. -Les verres d'un télescope feront cet effet. - -Ne mettons ici qu'un seul verre pour plus de facilité, & faisons -abstraction des autres effets de plusieurs verres. L'objet H. K. -(troisième figure) envoye ses rayons à ce verre. Ils se réunissent à -quelque distance du verre. Concevons un verre taillé de sorte, que ces -rayons se croisent pour aller former dans l'œil en C. un angle aussi -grand que celui de l'œil en A. alors l'œil, nous dit-on, juge par cet -angle. Il voit donc alors l'objet de la même grandeur, que le voit -l'œil en A. Mais en A. il le voit à cent pas de distance: donc en C. -recevant le même angle, il le verra encore à cent pas de distance. Tout -l'effet des verres de lunettes multipliez, & des télescopes divers, & -des microscopes qui agrandissent les objets, consiste donc à faire voir -les choses sous un plus grand angle. L'objet A. B. est vu par le moyen -de ce verre sous l'angle D, C, D. qui est bien plus grand que l'angle -A, C, B. - -[Illustration] - -Vous demandez encore aux règles d'optique, pourquoi vous voyez les -objets dans leur situation, quoiqu'ils se peignent renversez sur notre -rétine? - -Le rayon qui part de la tête de cet homme A., vient au point inférieur -de votre rétine A. ses pied B. sont vus par les rayons B. B. au point -supérieur de votre rétine B. Ainsi cet homme est peint réellement la -tête en bas & les pieds en haut au fond de vos yeux. Pourquoi donc ne -voyez-vous pas cet homme renversé, mais droit, & tel qu'il est? - -[Illustration] - -Pour résoudre cette question, on se sert de la comparaison de -l'aveugle, qui tient dans ses mains deux bâtons croisez avec lesquels -il devine très-bien la position des objets. - -[Illustration] - -Car le point A., qui est à gauche, étant senti par la main droite à -l'aide du bâton, il le juge aussi-tôt à gauche; & le point B. que sa -main gauche a senti par l'entremise de l'autre bâton, il le juge à -droite sans se tromper. - -Tous les Maîtres d'optique nous disent donc, que la partie inférieure -de l'œil rapporte tout d'un coup sa sensation à la partie supérieure -A. de l'objet, & que la partie supérieure de la rétine rapporte aussi -naturellement la sensation à la partie inférieure B.; ainsi on voit -l'objet dans sa situation véritable. - - [Nul rapport immédiat entre les règles d'optique & nos sensations.] - -Quand vous aurez connu parfaitement tous ces angles, & toutes ces -lignes Mathématiques, par lesquelles on suit le chemin de la lumiere -jusqu'au fond de l'œil, ne croyez pas pour cela savoir comment vous -appercevez les grandeurs, les distances, les situations des choses. -Les proportions géométriques de ces angles & de ces lignes sont -justes, il est vrai; mais il n'y a pas plus de rapport entr'elles & -nos sensations, qu'entre le son que nous entendons & la grandeur, la -distance, la situation de la chose entendue. Par le son, mon oreille -est frappée; j'entends des tons & rien de plus. Par la vûe, mon œil -est ébranlé; je vois des couleurs & rien de plus. Non-seulement les -proportions de ces angles, & de ces lignes, ne peuvent en aucune -maniere être la cause immédiate du jugement que je forme des objets; -mais en plusieurs cas ces proportions ne s'accordent point du tout avec -la façon dont nous voyons les objets. - - [Exemple en preuve.] - -Par exemple, un homme vu à quatre pas, & à huit pas, est vu de -même grandeur. Cependant l'image de cet homme, à quatre pas, est -précisément double dans votre œil, de celle qu'il y trace à huit pas. -Les angles sont différens, & vous voyez l'objet toujours également -grand; donc il est évident par ce seul exemple, choisi entre plusieurs, -que ces angles & ces lignes ne sont point du tout la cause immédiate de -la maniere dont nous voyons. - -Avant donc de continuer les recherches que nous avons commencées sur -la lumiere, & sur les loix mécaniques de la Nature, vous m'ordonnez -de dire ici comment les idées des distances, des grandeurs, des -situations, des objets, sont reçues dans notre ame. Cet examen nous -fournira quelque chose de nouveau & de vrai, c'est la seule excuse d'un -Livre. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE SIXIE'ME. - -_Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures, -les situations._ - - - [Les angles, ni les lignes optiques, ne peuvent nous faire connaitre - les distances.] - -COMMENÇONS par la distance. Il est clair qu'elle ne peut être apperçue -immédiatement par elle-même; car la distance n'est qu'une ligne de -l'objet à nous. Cette ligne se termine à un point, nous ne sentons donc -que ce point; & soit que l'objet existe à mille lieues, ou qu'il soit à -un pied, ce point est toujours le même. - -Nous n'avons donc aucun moyen immédiat, pour appercevoir tout d'un coup -la distance, comme nous en avons, pour sentir par l'attouchement, si un -corps est dur ou mou; par le goût, s'il est doux ou amer; par l'ouïe, -si de deux sons l'un est grave & l'autre aigu. Il faut donc que l'idée -de la distance nous vienne par le moyen d'une autre idée intermédiaire: -mais il faut au moins que j'apperçoive cette intermédiaire; car une -idée que je n'aurai point, ne servira certainement pas à m'en faire -avoir une autre. Je dis qu'une telle maison est à un mille d'une -telle riviére; mais si je ne sai pas où est cette riviére, je ne -sai certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à -l'impression de ma main; je conclus immédiatement sa mollesse. Un -autre résiste, je sens immédiatement sa dureté; il faudroit donc -que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure -immédiatement les distances des objets. Mais personne ne s'avise de -songer à ces angles quand il regarde un objet. La plûpart des hommes -ne savent pas même si ces angles existent; donc il est évident que ces -angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez -les distances. - - [Exemple en preuve.] - -Celui qui, pour la premiere fois de sa vie, entendroit le bruit du -Canon, ou le son d'un Concert, ne pourroit juger si on tire ce canon, -ou si on exécute ce concert à une lieue, ou à trente pas. Il n'y a -que l'expérience qui puisse l'accoutumer à juger de la distance qui -est entre lui & l'endroit d'où part ce bruit. Les vibrations, les -ondulations de l'air, portent un son à ses oreilles, ou plutôt à son -ame; mais ce bruit n'avertit pas plus son ame de l'endroit où le bruit -commence, qu'il ne lui apprend la forme du canon ou des instrumens de -Musique. - -C'est la même chose précisément par rapport aux rayons de lumiere qui -partent d'un objet, ils ne nous apprennent point du tout où est cet -objet. - - [Ces lignes optiques ne font connaitre ni les grandeurs ni les - figures.] - -Ils ne nous font pas connaitre davantage les grandeurs ni même les -figures. - -Je vois de loin une espèce de petite Tour. J'avance, j'apperçois, & je -touche un grand Bâtiment quadrangulaire. Certainement ce que je vois & -ce que je touche, n'est pas ce que je voiois. Ce petit objet rond qui -étoit dans mes yeux, n'est point ce grand Bâtiment quarré. - - [Exemple en preuve.] - -Autre chose est donc l'objet mesurable & tangible, autre chose est -l'objet visible. J'entends de ma chambre le bruit d'un carosse: j'ouvre -la fenêtre & je le vois; je descends & j'entre dedans. Or ce carosse -que j'ai entendu, ce carosse que j'ai vu, ce carosse que j'ai touché, -sont trois objets absolument divers de trois de mes sens, qui n'ont -aucun rapport immédiat les uns avec les autres. - -Il y a bien plus: il est démontré, comme je l'ai dit, qu'il se forme -dans mon œil un angle une fois plus grand, quand je vois un homme à -quatre pieds de moi, que quand je vois le même homme à huit pieds de -moi. Cependant je vois toujours cet homme de la même grandeur: comment -mon sentiment contredit-il ainsi le mécanisme de mes organes? L'objet -est réellement une fois plus petit dans mes yeux, & je le vois une -fois plus grand. C'est en vain qu'on veut expliquer ce mystère par le -chemin, ou par la forme que prend le cristallin dans nos yeux. Quelque -supposition que l'on fasse, l'angle sous lequel je vois un homme à -quatre pieds de moi, est toujours double de l'angle sous lequel je le -vois à huit pieds; & la Géométrie ne résoudra jamais ce Problême. - - [Ni la situation des objets.] - -Ces lignes & ces angles géométriques ne sont pas plus réellement la -cause de ce que nous voyons les objets à leur place, que de ce que nous -les voyons de telles grandeurs, & à telle distance. - -L'ame ne considere pas si telle partie va se peindre au bas de l'œil, -elle ne rapporte rien à des lignes qu'elle ne voit point. L'œil se -baisse seulement, pour voir ce qui est près de la terre, & se relève -pour voir ce qui est au-dessus de la terre. - -Tout cela ne pouvoit être éclairci, & mis hors de toute contestation, -que par quelqu'aveugle-né, à qui on auroit donné le sens de la vûe. -Car si cet aveugle, au moment qu'il eût ouvert les yeux, eût jugé -des distances, des grandeurs & des situations, il eut été vrai que -les angles optiques, formez tout d'un coup dans sa rétine, eussent -été les causes immédiates de ses sentimens. Aussi le Docteur Barclay -assûroit après Mr. Loke (& allant même en cela plus loin que Loke) que -ni situation, ni grandeur, ni distance, ni figure, ne seroit aucunement -discernée par cet aveugle, dont les yeux recevroient tout d'un coup la -lumiere. - - [Preuve par l'expérience de l'aveugle-né guéri par Chiselden.] - -Mais où trouver l'aveugle, dont dépendoit la décision indubitable -de cette question? Enfin en 1729. Mr. Chiselden, un de ces fameux -Chirurgiens, qui joignent l'addresse de la main aux plus grandes -lumieres de l'esprit, ayant imaginé qu'on pouvoit donner la vûe à un -aveugle-né, en lui abbaissant ce qu'on appelle des cataractes, qu'il -soupçonnoit formées dans ses yeux, presqu'au moment de sa naissance, -il proposa l'opération. L'aveugle eut de la peine à y consentir. Il -ne concevoit pas trop, que le sens de la vûe pût beaucoup augmenter -ses plaisirs. Sans l'envie qu'on lui inspira d'apprendre à lire -& à écrire, il n'eût point desiré de voir. Il vérifioit par cette -indifférence, qu'_il est impossible d'être malheureux, par la privation -des biens dont on n'a pas d'idée_: vérité bien importante. Quoi qu'il -en soit, l'opération fut faite & réussit. Ce jeune homme d'environ -quatorze ans, vit la lumiere pour la premiere fois. Son expérience -confirma tout ce que Loke & Barclay avoient si bien prévu. Il ne -distingua de long-tems ni grandeur, ni distance, ni situation, ni même -figure. Un objet d'un pouce, mis devant son œil, & qui lui cachoit une -maison, lui paraissoit aussi grand que la maison. Tout ce qu'il voioit, -lui sembloit d'abord être sur ses yeux, & les toucher comme les objets -du tact touchent la peau. Il ne pouvoit distinguer ce qu'il avoit jugé -rond à l'aide de ses mains, d'avec ce qu'il avoit jugé angulaire, ni -discerner avec ses yeux, si ce que ses mains avoient senti être en -haut ou en bas, étoit en effet en haut ou en bas. Il étoit si loin de -connaitre les grandeurs, qu'après avoir enfin conçu par la vûe, que sa -maison étoit plus grande que sa chambre, il ne concevoit pas comment -la vûe pouvoit donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux mois -d'expérience, qu'il put appercevoir que les tableaux représentoient des -corps solides: & lorsqu'après ce long tatonnement d'un sens nouveau en -lui, il eut senti que des corps, & non des surfaces seules, étoient -peints dans les tableaux; il y porta la main, & fut étonné de ne -point trouver avec ses mains ces corps solides, dont il commençoit à -appercevoir les représentations. Il demandoit quel étoit le trompeur, -du sens du toucher, ou du sens de la vûe. - -Ce fut donc une décision irrévocable, que la maniere dont nous voyons -les choses, n'est point du tout la suite immédiate des angles formés -dans nos yeux; car ces angles Mathématiques étoient dans les yeux de -cet homme, comme dans les nôtres, & ne lui servoient de rien sans les -recours de l'expérience & des autres sens. - - [Comment nous connaissons les distances & les grandeurs.] - -Comment nous représentons-nous donc les grandeurs & les distances? De -la même façon dont nous imaginons les passions des hommes, par les -couleurs qu'elles peignent sur leurs visages, & par l'altération -qu'elles portent dans leurs traits. Il n'y a personne, qui ne lise -tout d'un coup sur le front d'un autre, la honte, ou la colére. C'est -la Langue que la Nature parle à tous les yeux; mais l'expérience seule -apprend ce langage. Aussi l'expérience seule nous apprend, que quand un -objet est trop loin, nous le voyons confusément & faiblement. Delà nous -formons des idées, qui ensuite accompagnent toujours la sensation de la -vûe. Ainsi tout homme qui, à dix pas, aura vu son cheval haut de cinq -pieds, s'il voit, quelques minutes après, ce cheval comme un mouton, -son ame, par un jugement involontaire, conclud à l'instant ce cheval -est très-loin. - -Il est bien vrai que, quand je vois mon cheval gros comme un mouton, il -se forme alors dans mon œil une peinture plus petite, un angle plus -aigu; mais c'est-là ce qui accompagne, non ce qui cause mon sentiment. -De même il se fait un autre ébranlement dans mon cerveau, quand je vois -un homme rougir de honte, que quand je le vois rougir de colére; mais -ces différentes impressions ne m'apprendroient rien de ce qui se passe -dans l'ame de cet homme, sans l'expérience dont la voix seule se fait -entendre. - -Loin que cet angle soit la cause immédiate de ce que je juge qu'un -grand cheval est très-loin, quand je vois ce cheval fort petit; il -arrive au contraire, à tous les momens, que je vois ce même cheval -également grand, à dix pas, à vingt, à trente pas, quoique l'angle à -dix pas soit double, triple, quadruple. - - [Exemple.] - -Je regarde de fort loin, par un petit trou, un homme posté sur un -toit, le lointain & le peu de rayons m'empêchent d'abord de distinguer -si c'est un homme: l'objet me parait très-petit, je crois voir une -statue de deux pieds tout au plus: l'objet se remue, je juge que c'est -un homme, & dès ce même instant cet homme me parait de la grandeur -ordinaire; d'où viennent ces deux jugemens si différens? - -Quand j'ai cru voir une statue, je l'ai imaginée de deux pieds, parce -que je la voiois sous un tel angle: nulle expérience ne plioit mon -ame à démentir les traits imprimés dans ma rétine; mais dès que j'ai -jugé que c'étoit un homme, la liaison mise par l'expérience, dans mon -cerveau, entre l'idée d'un homme & l'idée de la hauteur de cinq à -six pieds, me force, sans que j'y pense, à imaginer, par un jugement -soudain, que je vois un homme de telle hauteur, & à voir une telle -hauteur en effet. - - [Nous apprenons à voir comme à lire.] - -Il faut absolument conclure de tout ceci, que les distances, les -grandeurs, les situations, ne sont pas, à proprement parler, des choses -visibles, c'est-à-dire, ne sont pas les objets propres & immédiats de -la vûe. L'objet propre & immédiat de la vûe, n'est autre chose que la -lumiere colorée: tout le reste, nous ne le sentons qu'à la longue & par -expérience. Nous apprenons à voir, précisément comme nous apprenons à -parler & à lire. La différence est, que l'art de voir est plus facile, -& que la Nature est également à tous notre Maître. - - [La vûe ne peut faire connaitre l'étendue.] - -Les jugemens soudains, presque uniformes, que toutes nos ames, à un -certain âge, portent des distances, des grandeurs, des situations, nous -font penser, qu'il n'y a qu'à ouvrir les yeux, pour voir de la maniere -dont nous voyons. On se trompe; il y faut le secours des autres sens. -Si les hommes n'avoient que le sens de la vûe, ils n'auroient aucun -moyen pour connaitre l'étendue, en longueur, largeur, & profondeur; & -un pur Esprit ne pourroit jamais la connaitre, à moins que Dieu ne la -lui revelât. Il est très-difficile de séparer dans notre entendement -l'extension d'un objet d'avec les couleurs de cet objet. Nous ne voyons -jamais rien que d'étendu, & de-là nous sommes tout portez à croire, -que nous voyons en effet l'étendue. Nous ne pouvons guère distinguer -dans notre ame ce jaune que nous voyons dans un Louïs d'or, d'avec -ce Louïs d'or dont nous voyons le jaune. C'est comme, lorsque nous -entendons prononcer ce mot _Louïs d'or_, nous ne pouvons nous empêcher -d'attacher, malgré nous, l'idée de cette monnoye au son que nous -entendons prononcer. - -Si tous les hommes parloient la même Langue, nous serions toujours -prêts à croire, qu'il y auroit une connexion nécessaire entre les -mots & les idées. Or tous les hommes ont ici le même langage, en fait -d'imagination. La Nature leur dit à tous: Quand vous aurez vu des -couleurs pendant un certain tems, votre imagination vous représentera -à tous, de la même façon, les corps auxquels ces couleurs semblent -attachées. Ce jugement prompt & involontaire que vous formerez, vous -sera utile dans le cours de votre vie; car s'il falloit attendre pour -estimer les distances, les grandeurs, les situations, de tout ce qui -vous environne, que vous eussiez examiné des angles & des rayons -visuels; vous seriez morts avant de savoir, si les choses dont vous -avez besoin, sont à dix pas de vous, ou à cent millions des lieues, & -si elles sont de la grosseur d'un ciron, ou d'une montagne. Il vaudroit -beaucoup mieux pour vous être nés aveugles. - -Nous avons donc très-grand tort quand nous disons que nos Sens nous -trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la Nature -l'a destiné. Ils s'aident mutuellement pour envoyer à notre ame, par -les mains de l'expérience, la mesure des connaissances que notre état -comporte. Nous demandons à nos Sens, ce qu'ils ne sont point faits pour -nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaitre la -solidité, la grandeur, la distance, &c.; mais il faut que le toucher -s'accorde en cela avec la vûe, & que l'expérience les seconde. Si le -Pere Mallebranche avoit envisagé la Nature par ce côté, il eût attribué -moins d'erreurs à nos Sens qui sont les seules sources de toutes nos -idées. - -Il est tems de reprendre le fil des découvertes de Neuton, & de rentrer -dans l'examen Physique & Mathématique des choses. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE SEPT. - - -_De la cause qui fait briser les rayons de la lumiere en passant d'une -substance dans une autre; que cette cause est une loi générale de la -Nature inconnue avant Neuton; que l'inflexion de la lumiere est encore -un effet de cette cause, &c._ - - -NOUS avons déja vu l'artifice presque incompréhensible de la réflexion -de la lumiere, que l'impulsion connue ne peut causer. Celui de la -réfraction dont nous allons reprendre l'examen n'est pas moins -surprenant. - - [Ce que c'est que réfraction.] - -Commençons par nous bien affermir dans une idée nette de la chose -qu'il faut expliquer. Souvenons-nous bien, que quand la lumiere -tombe d'une substance plus rare, plus legére comme l'air, dans une -substance plus pesante, plus dense comme l'eau, & qui semble lui devoir -résister davantage, la lumiere alors quitte son chemin & se brise en -s'approchant d'une perpendicule, qu'on éleveroit sur la surface de -cette eau. - -Mr. Le Clerc, dans sa Physique, a dit tout le contraire faute -d'attention. En son Livre cinq, chapitre huit: «Plus la résistance des -corps est grande, dit-il, plus la lumiere qui tombe dans eux s'éloigne -de la perpendicule. Ainsi le rayon s'éloigne de la perpendicule en -passant de l'air dans l'eau». Ce n'est pas la seule méprise qui soit -dans le Clerc, & un homme qui auroit le malheur d'étudier la Physique -dans les Ecrits de cet Auteur, n'auroit guère que des idées fausses ou -confuses. - -Pour avoir une idée bien nette de cette vérité, regardez ce rayon qui -tombe de l'air dans ce cristal. - -[Illustration] - -Vous savez comme il se brise. Ce rayon A E. fait un angle avec cette -perpendiculaire B E. en tombant sur la surface de ce cristal. Ce même -rayon réfracté dans ce cristal, fait un autre angle avec cette même -perpendiculaire qui régle sa réfraction. Il fallut mesurer cette -incidence & ce brisement de la lumiere. Snellius trouva le premier -la proportion constante, suivant laquelle les rayons se rompent dans -ces différens milieux. On en fit l'honneur à Descartes. On attribue -toujours au Philosophe le plus accrédité les découvertes qu'il rend -publiques: il profite des travaux obscurs d'autrui, & il augmente sa -gloire de leurs recherches. La découverte de Snellius étoit alors un -Chef-d'œuvre de sagacité. Cette proportion découverte par Snellius est -très-aisée à entendre. - -[Illustration] - - [Ce que c'est que sinus de réfraction.] - -Plus la ligne A. B. que vous voyez, est grande, plus la ligne C. D. -sera grande aussi. Cette ligne A. B. est ce qu'on appelle _sinus_ -d'incidence. Cette ligne C. D. est le _sinus_ de la réfraction. Ce -n'est pas ici le lieu d'expliquer en général ce que c'est qu'un -_sinus_. Ceux qui ont étudié la Géométrie le savent assez. Les autres -pourroient être un peu embarassez de la définition. Il suffit de bien -savoir que ces deux _sinus_, de quelque grandeur qu'ils soient, sont -toujours en proportion dans un milieu donné. Or cette proportion est -différente, quand la réfraction se fait dans un milieu différent. - -La lumiere qui tombe obliquement de l'air dans du cristal, s'y brise de -façon, que le _sinus_ de réfraction C. D. est au _sinus_ d'incidence A. -B. comme 2. à 3. ce qui ne veut dire autre chose, sinon que cette ligne -A. B. est un tiers plus grande dans l'air, en ce cas, que la ligne C. -D. dans ce cristal. - -Dans l'eau cette proportion est de 3. à 4. Ainsi il est palpable que -le cristal réfracte, brise la lumiere d'un neuvième plus fortement que -l'eau. Il faut donc savoir que dans tous les cas, & dans toutes les -obliquités d'incidence possibles, le cristal sera plus refringent que -l'eau d'un neuvième. Il s'agit de savoir non-seulement la cause de la -réfraction, mais la cause de ces réfractions différentes. - - [Idée de Descartes ingénieuse, mais fausse.] - - [Le corps le plus solide n'est pas le plus réfractant.] - - [Preuve.] - -Descartes a trouvé, à son ordinaire, des raisons ingénieuses & -plausibles de cette proprieté de la lumiere; mais là, comme en tout -le reste, mettant son esprit à la place des choses, il a donné des -conjectures pour des vérités. Il a feint que la lumiere, en passant -de l'air dans un milieu nouveau, plus épais, plus compact, y passe -plus librement, y est moins retardée dans sa tendance prétendue au -mouvement, & _moins retardée_, disoit-il, _moins troublée dans un -milieu dense, comme le verre, que dans un milieu moins épais, comme -l'eau_. Nous avons déja vu combien il s'abuse en assûrant que la -lumiere n'a qu'une tendance au mouvement. Nous avons vu que les rayons -se meuvent en effet, puisqu'ils changent de place à nos yeux dans -leurs réfractions. Mais son erreur ici est encore assez importante: -il se trompe en croyant que les corps les plus solides sont toujours -ceux qui brisent le plus la lumiere, & qui lui ouvrent en la brisant -un chemin plus facile. Il n'est pas vrai que tous les corps solides -réfractent, brisent plus la lumiere absolument, que les corps fluides; -car quoiqu'en effet l'eau opére une réfraction moins forte, absolument -parlant, que le verre; cependant par rapport à sa densité, elle opére -une réfraction plus forte. Il est bien vrai que la lumiere se brise -environ un neuvième davantage dans le verre, que dans l'eau; mais si -la réfraction suivoit le rapport de la densité, elle devroit, dans le -verre, aller fort au delà d'un neuvième. Imaginez deux hommes, dont -l'un aura quatre fois plus de force, que l'autre. Si le plus fort -ne porte qu'un poids une fois plus pesant, il sera vrai de dire que -par rapport à sa force, il n'a pas, à beaucoup près, tant porté que -l'autre; car il devroit porter quatre fois davantage. - -L'ambre opére une réfraction bien plus forte que le cristal, par -rapport à sa densité. Peut-on dire cependant que l'ambre ouvrira -un chemin plus facile à la lumiere, que le cristal? C'est donc une -supposition fausse: _que la lumiere se brise vers la perpendiculaire, -quand elle trouve un corps transparent plus solide qui lui résiste -moins, parce qu'il est plus solide_. - -Remarquez que toute expérience & tout calcul ruïne presque toutes les -idées de Descartes, quand ce grand Philosophe ne les fonde que sur -des hypothèses. Ce sont des perspectives brillantes & trompeuses qui -diminuent à mesure qu'on en approche. Tous les autres Philosophes ont -cherché des solutions de ce Problême de la Nature; mais l'expérience a -renversé aussi leurs conjectures. - - [Méprise des autres grands Géométres à ce sujet.] - -Barrow enseignoit, après le Pere Deschalles, que la réfraction de -la lumiere, en approchant de la perpendicule, se faisoit _par la -résistance du milieu_; que _plus un milieu résistoit au cours de la -lumiere, plus cette réfraction devoit être forte_. - -Cette idée étoit le contraire de celle de Descartes; elle prouvoit -seulement qu'on va à l'erreur par différens chemins. Ils n'avoient qu'à -voir les expériences; ils n'avoient qu'à mesurer les réfractions qui se -font dans l'esprit de vin, beaucoup plus grandes que dans l'eau; ils -n'avoient qu'à considerer qu'assûrément l'esprit de vin ne résiste -pas plus que l'eau, & que cependant il opére une réfraction une fois -plus forte, ils auroient corrigé cette petite erreur. Aussi le Pere -Deschalles avoue qu'il doute fort de son explication. - - [Grande découverte de Neuton.] - -Enfin Neuton seul à trouvé la véritable raison qu'on cherchoit. Sa -découverte mérite assûrément l'attention de tous les Siècles. Car -il ne s'agit pas ici seulement d'une proprieté particuliere à la -lumiere, quoique ce fût déja beaucoup; nous verrons que cette proprieté -appartient à tous les corps de la Nature. - -Considerez que les rayons de la lumiere sont en mouvement, que s'ils -se détournent en changeant leur course, ce doit être par quelque loi -primitive, & qu'il ne doit arriver à la lumiere, que ce qui arriveroit -à tous les corps de même petitesse que la lumiere, toutes choses -d'ailleurs égales. - -Qu'une balle de plomb A. soit poussée obliquement de l'air dans l'eau, -il lui arrivera d'abord le contraire de ce qui est arrivé à ce rayon -de lumiere; car ce rayon délié passe dans des pores, & cette balle, -dont la superficie est large, rencontre la superficie de l'eau qui la -soutient. - -[Illustration] - - [Attraction.] - -Cette balle s'éloigne donc d'abord de la perpendiculaire B.; mais -lorsqu'elle a perdu tout ce mouvement oblique qu'on lui avoit imprimé, -elle est abandonnée à elle-même, elle tombe alors, à peu près suivant -une perpendiculaire, qu'on élèveroit du point où elle commence à -descendre. Or Neuton a découvert & a prouvé qu'il y a dans la Nature -une force, qui fait tendre tous les corps, en ligne perpendiculaire, -les uns vers les autres en proportion directe de leur masse. Donc cette -force (telle qu'elle soit) doit agir dans l'eau sur ce rayon; & la -masse du rayon étant incomparablement moindre que celle de l'eau, ce -rayon doit sensiblement être mu vers elle. - -Regardez donc ce rayon de lumiere qui descend perpendiculairement de -l'air sur la surface de ce cristal. - -[Illustration] - - [L'attraction agit en perpendicule, & accélere la chûte des rayons.] - -Comme cette ligne descend perpendiculairement, le pouvoir de -l'attraction, tel qu'il soit, agissant en ligne droite, le rayon ne se -détourne point de son chemin; mais il arrive plus promptement, qu'il -n'auroit fait en B., & c'est encore une vérité apperçue par Neuton. - -Avant lui on croioit que ce rayon de lumiere étoit retardé dans -son cours en entrant dans l'eau. Au contraire, il y entre avec -accélération. Pourquoi? Parce qu'il y est porté, & par son propre -mouvement, & par celui de l'attraction que l'eau, ou le verre, lui -imprime. Ce rayon arrive donc en B. par cette force accélératrice plus -promptement qu'il n'eût franchi l'air. - -Mais si nous considerons dans ce même bassin d'eau, ou dans cette même -masse de verre, ce rayon oblique qui tombe dessus, qu'arrive-t-il? Il -conserve son mouvement d'obliquité en ligne droite, & il en acquiert un -nouveau en ligne perpendiculaire. - -Que cette attraction, que cette tendance, que cette espèce de -gravitation existe, nous n'en pouvons douter: car nous avons vu la -lumiere attirée par le verre, y rentrer sans toucher à rien; or -cette force agit nécessairement en ligne perpendiculaire, la ligne -perpendiculaire étant le plus court chemin. - -Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties de la -matiere. Les parties de la superficie d'un corps quelconque, éprouvent -donc ce pouvoir, avant qu'il pénétre l'intérieur de la substance, avant -qu'il parvienne au centre où il est dirigé. Ainsi dès que ce rayon est -arrivé près de la superficie du cristal, ou de l'eau, il prend déja un -peu en cette maniere le chemin de la perpendicule. - -[Illustration] - - [Lumiere brisée avant d'entrer dans les corps.] - -Il se brise déja un peu en C. avant d'entrer: plus il entre, plus il -se brise; c'est que plus les corps sont proches, plus ils s'attirent, -& que celui qui a le plus de masse détermine vers lui, celui qui en a -moins. Ainsi il arrive à ce rayon de lumiere la même chose qu'à tout -corps, qui a un mouvement composé de deux directions différentes; il -n'obéït à aucune, & tient un chemin qui participe des deux. Ainsi ce -rayon ne tombe pas tout-à-fait perpendiculairement, & ne suit pas sa -premiere ligne droite oblique, en traversant cette eau, ou ce verre; -mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, & qui descend -d'autant plus vîte, que l'attraction de cette eau, ou de ce cristal, -est plus forte. Donc loin que l'eau rompe les rayons de lumiere, en -leur résistant, comme on le croioit, elle les rompt en effet, parce -qu'elle ne résiste pas, &, au contraire, parce qu'elle les attire. -Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire, -non pas quand ils passent d'un milieu plus facile dans un milieu plus -résistant, mais quand ils passent _d'un milieu moins attirant dans un -milieu plus attirant_. Observez qu'il ne faut jamais entendre par ce -mot _attirant_, que le point vers lequel se dirige une force reconnue, -une proprieté incontestable de la matiere. - -Vous savez que beaucoup de gens, autant attachés à la Philosophie, -ou plutôt au nom de Descartes, qu'ils l'étoient auparavant au nom -d'Aristote, se sont soulevés contre l'attraction. Les uns n'ont pas -voulu l'étudier, les autres l'ont méprisee, & l'ont insultée après -l'avoir à peine examinée; mais je prie le Lecteur de faire les trois -réflexions suivantes. - - [Il faut examiner l'attraction avant de se révolter contre ce mot.] - -1º. Qu'entendons-nous par attraction? Rien autre chose qu'une force par -laquelle un corps s'approche d'un autre, sans que l'on voye, sans que -l'on connaisse, aucune autre force qui le pousse. - -2º. Cette propriété de la matiere est établie par les meilleurs -Philosophes en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, & même dans -plusieurs Universitez d'Italie, où des Loix un peu rigoureuses -ferment quelquefois l'accez à la Vérité. Le consentement de tant de -savans hommes n'est pas une preuve, sans doute; mais c'est une raison -puissante pour examiner au moins si cette force existe ou non. - -3º. L'on devroit songer que l'on ne connait pas plus la cause de -l'impulsion, que de l'attraction. On n'a pas même plus d'idée de -l'une de ces forces que de l'autre; car il n'y a personne qui puisse -concevoir pourquoi un corps a le pouvoir d'en remuer un autre de sa -place. Nous ne concevons pas non plus, il est vrai, comment un corps -en attire un autre, comment les parties de la matiere gravitent -mutuellement. Aussi ne dit-on pas que Neuton se soit vanté de connaitre -la raison de cette attraction. Il a prouvé simplement qu'elle -existe: il a vu dans la matiere un phénomêne constant, une propriété -universelle. Si un homme trouvoit un nouveau métal dans la terre, -ce métal existeroit-il moins, parce que l'on ne connaitrait pas les -premiers Principes dont il seroit formé? Que le Lecteur qui jettera -les yeux sur cet Ouvrage ait recours à la discussion métaphysique sur -l'attraction, faite par Mr. de Maupertuis, dans le plus petit & dans -le meilleur Livre qu'on ait écrit peut-être en Français, en fait de -Philosophie. On y verra à travers la reserve avec laquelle l'Auteur -s'est expliqué, ce qu'il pense, & ce qu'on doit penser de cette -attraction, dont le nom a tout effarouché. - -Nous avons vu dans le second chapitre, que les rayons réflechis d'un -Miroir ne sauroient venir à nous de sa surface. Nous avons expérimenté -que les rayons transmis dans du verre à un certain angle, reviennent au -lieu de passer dans l'air; que, s'il y a du vuide derriere ce verre, -les rayons qui étoient transmis auparavant reviennent de ce vuide à -nous. Certainement il n'y a point-là d'impulsion connue. Il faut de -toute nécessité admettre un autre pouvoir; il faut bien aussi avouer, -qu'il y a dans la réfraction quelque chose qu'on n'entendoit pas -jusqu'à présent. - - [Preuves de l'attraction.] - -Or quelle sera cette puissance qui rompra ce rayon de lumiere dans -ce bassin d'eau? Il est démontré (comme nous le dirons au chapitre -suivant) que, ce qu'on avoit cru jusqu'à présent un simple rayon de -lumiere, est un faisceau de plusieurs rayons, qui se réfractent tous -différemment. Si de ces traits de lumiere contenus dans ce rayon, l'un -se réfracte, par exemple, à quatre mesures de la perpendiculaire, -l'autre se rompra à trois mesures. Il est démontré que les plus -réfrangibles, c'est-à-dire, par exemple, ceux qui en se brisant au -sortir d'un verre, & en prenant dans l'air une nouvelle direction, -s'approchent moins de la perpendiculaire de ce verre, sont aussi ceux -qui se réflechissent le plus aisément, le plus vîte. Il y a donc déja -bien de l'apparence, que ce sera la même loi qui fera réflechir la -lumiere, & qui la fera réfracter. - -Enfin, si nous trouvons encore quelque nouvelle propriété de la -lumiere, qui paraisse devoir son origine à la force de l'attraction, -ne devrons-nous pas conclure que tant d'effets appartiennent à la même -cause? - - [Inflexion de la lumiere auprès des corps qui l'attirent.] - -Voici cette nouvelle propriété qui fut découverte par le Pere -Grimaldi Jésuite vers l'an 1660. & sur laquelle Neuton a poussé -l'examen jusqu'au point de mesurer l'ombre d'un cheveu à des -distances différentes. Cette propriété est l'inflexion de la lumiere. -Non-seulement les rayons se brisent en passant dans le milieu dont la -masse les attire; mais d'autres rayons, qui passent dans l'air auprès -des bords de ce corps attirant, s'approchent sensiblement de ce corps, -& se détournent visiblement de leur chemin. Mettez dans un endroit -obscur cette lame d'acier, ou de verre aminci, qui finit en pointe: -exposez-la auprès d'un petit trou par lequel la lumiere passe; que -cette lumiere vienne raser la pointe de ce métal. - -[Illustration] - -Vous verrez les rayons se courber auprès en telle maniere, que le rayon -qui s'approchera le plus de cette pointe, se courbera davantage, & -que celui qui en sera plus éloigné, se courbera moins à proportion. -N'est-il pas de la plus grande vraisemblance, que le même pouvoir -qui brise ces rayons, quand ils sont dans ce milieu, les force à se -détourner, quand ils sont près de ce milieu? Voilà donc la réfraction, -la transparence, la réflexion, assujeties à de nouvelles loix. Voilà -une inflexion de la lumiere, qui dépend évidemment de l'attraction. -C'est un nouvel Univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent -voir. - -Nous montrerons bien-tôt qu'il y a une attraction évidente entre le -Soleil & les Planetes, une tendance mutuelle de tous les corps les -uns vers les autres. Mais nous avertissons ici d'avance, que cette -attraction, qui fait graviter les Planetes sur notre Soleil, n'agit -point du tout dans les mêmes rapports que l'attraction des petits -corps qui se touchent. Il faudra que l'on songe bien, que ces rapports -changent au point de contact. Qu'on ne croye point que la lumiere est -infléchie vers le cristal & dans le cristal, suivant le même rapport, -par exemple, que Mars est attiré par le Soleil. Tous les corps, comme -nous le verrons, sont attirez en raison inverse du quarré de leurs -distances; mais au point de contact, ils le sont en raison inverse des -cubes de leurs distances, & beaucoup plus encore. Ainsi l'attraction -est bien plus forte, & la force s'en dissipe bien plus vîte; & cette -attraction des corps qui se touchent, augmente encore à mesure que les -corps sont petits. Ainsi des particules de lumiere attirées par les -petites masses du verre, sont bien loin de suivre les loix du Systême -planétaire. Deux atomes, & deux Planetes telles que Jupiter & Saturne, -obéïssent à l'attraction, mais à différentes loix de l'attraction. -C'est ce que nous nous reservons d'expliquer dans l'avant dernier -Chapitre, & ce que nous avons cru nécessaire d'indiquer ici pour lever -toute équivoque. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE HUIT. - -_Suites des merveilles de la réfraction de la lumiere. Qu'un seul rayon -de la lumiere contient en soi toutes les couleurs possibles; ce que -c'est que la refrangibilité. Découvertes nouvelles._ - - - [Imagination de Descartes sur les couleurs.] - -SI vous demandez aux Philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes -vous répondra que _les globules de ses Elémens sont déterminez à -tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne -droite, & que ce sont les différens tournoyemens qui font les -différentes couleurs_. Mais, en vérité, ses Elémens, ses globules, -son tournoyement, ont-ils même besoin de la pierre de touche de -l'expérience pour que le faux s'en fasse sentir? Une foule de -démonstrations anéantit ces chiméres. Voici les plus simples & les plus -sensibles. - -Rangez des boules les unes contre les autres: supposez les poussées en -tout sens, & tournant toutes sur elles-mêmes en tout sens; par le seul -enoncé, il est impossible, que ces boules contigues puissent avancer -en lignes droites réguliérement. De plus, comment verriez-vous sur une -muraille ce point bleu, & ce point verd? - -[Illustration] - -Les voilà marquez sur cette muraille; il faut qu'ils se croisent en -l'air au point A. avant d'arriver à vos yeux. Puisqu'ils se croisent, -leur prétendu tournoyement doit changer au point d'intersection. Les -tournoyemens qui faisoient le bleu & le verd ne subsistent donc plus -les mêmes: il n'y auroit donc plus alors de point verd, ni de point -bleu. Un Jésuite Flamand fit cette objection à Descartes. Celui-ci en -sentit toute la force, mais que croiriez-vous qu'il répondit? Que ces -boules _ne tournoyent pas à la vérité_, mais qu'_elles ont une tendance -au tournoyement_. Voilà ce que Descartes dit dans ses Lettres. L'acte -du _transparent en tant que transparent_, est-il plus intelligible? - -Vous me direz, sans doute, que cette difficulté est égale dans tous -les Systêmes. Vous me direz que ces rayons, qui partent de ce point -bleu & de ce point verd, se croisent nécessairement, quelque opinion -qu'on embrasse touchant les couleurs; que cette intersection des -rayons devroit toujours empêcher la vision, qu'en un mot, il est -toujours incompréhensible que des rayons qui se croisent, arrivent à -nos yeux dans leur ordre; mais ce scrupule sera bien-tôt levé, si vous -considerez que toute partie de matiere a plus de pores incomparablement -que de substance. Un rayon du Soleil, qui a plus de trente millions de -lieues en longueur, n'a pas probablement un pied de matiere solide mise -bout à bout. Il seroit donc très-possible qu'un rayon passât à travers -d'un autre en cette maniere, sans rien déranger. - -[Illustration] - -Mais ce n'est pas seulement ainsi qu'ils passent, c'est l'un par-dessus -l'autre comme deux bâtons. Mais direz-vous, des rayons émanez d'un -centre n'aboutiroient pas précisément, & en rigueur Mathématique, à la -même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s'en faudra toujours un -infiniment petit. Mais deux hommes ne verroient pas les mêmes points du -même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui -regarderont une superficie, il n'y en aura pas deux qui verront les -mêmes points. - -Il faut avouer que dans le plein de Descartes, cette intersection de -rayons est impossible; mais tout est également impossible dans le -plein, & il n'y a aucun mouvement, tel qu'il soit, qui ne suppose & ne -prouve le vuide. - - [Erreur de Mallebranche.] - -Mallebranche vient à son tour & vous dit: _Il est vrai que Descartes -s'est trompé. Son tournoyement de globules, n'est pas soutenable; mais -ce ne sont pas des globules de lumiere, ce sont des petits tourbillons -tournoyans de matiere subtile, capables de compression, qui sont la -cause des couleurs; & les couleurs consistent comme les sons dans -des vibrations de pression._ Et il ajoute: _Il me parait impossible -de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations_, -c'est-à-dire, des couleurs. Vous remarquerez qu'il parloit ainsi -dans l'Académie des Sciences en 1699. & que l'on avoit déja découvert -ces proportions en 1675; non pas proportions de vibration de petits -tourbillons qui n'existent point, mais proportions de la réfrangibilité -des rayons qui font les couleurs, comme nous le dirons bien-tôt. Ce -qu'il croioit impossible étoit déja démontré, &, qui plus est, démontré -aux yeux, reconnu vrai par les sens, ce qui auroit bien déplu au Pere -Mallebranche. - -D'autres Philosophes sentant le faible de ces suppositions, vous disent -au moins avec plus de vraisemblance: _Les couleurs viennent du plus -ou du moins de rayons réflechis des corps colorez. Le blanc est celui -qui en réflechit davantage; le noir est celui qui en réflechit le -moins. Les couleurs les plus brillantes seront donc celles qui vous -apporteront plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu -la vûe, doit être composé de plus de rayons, que le verd qui la repose -davantage._ Cette Hypothèse parait d'abord plus sensée; mais elle -n'est qu'une conjecture (d'ailleurs très-incomplette & erronée), & une -conjecture n'est qu'une raison de plus pour chercher, & non pas une -raison pour croire. - - [Expérience & démonstration de Neuton.] - -Addressez-vous enfin à Neuton. Il vous dira ne m'en croyez pas: n'en -croyez que vos yeux & les Mathématiques: mettez-vous dans une chambre -tout-à-fait obscure, où le jour n'entre que par un trou extrêmement -petit; le rayon de la lumiere viendra sur du papier vous donner la -couleur de la blancheur. - -Exposez transversalement à un rayon de lumiere ce prisme de verre; -ensuite mettez à une distance d'environ seize ou dix-sept pieds une -feuille de papier P. vis-à-vis ce prisme. - -[Illustration] - -Vous savez déja que la lumiere se brise en entrant de l'air dans ce -prisme; vous savez qu'elle se brise, en sens contraire, en sortant de -ce prisme dans l'air. Si elle ne se brisoit pas ainsi, elle iroit de -ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais comme il faut que -la lumiere, en s'échappant, s'éloigne de la ligne Z. cette lumiere -ira donc frapper le papier. C'est-là que se voit tout le secret de la -lumiere & des couleurs. Ce rayon qui est tombé sur ce prisme n'est pas, -comme on croioit, un simple rayon; c'est un faisceau de sept principaux -faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive, -primordiale, qui lui est propre. Des mêlanges de ces sept rayons -naissent toutes les couleurs de la Nature; & les sept réunis ensemble, -réflechis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur. - -Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déja insinué que -les rayons de la lumiere ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous -également; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration -évidente. Ces sept rayons de lumiere échappez du corps de ce rayon, -qui s'est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun -dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant une -ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le -moins de roideur, le moins de matiere, s'écarte plus dans l'air de la -perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort, le plus dense, -le plus vigoureux, s'en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui -viennent se briser les uns au-dessus des autres? - -[Illustration] - -Chacun d'eux peint sur ce papier la couleur primitive qu'il porte en -lui-même. Le premier rayon, qui s'écarte le moins de cette perpendicule -du prisme, est couleur de feu; le second orangé; le troisième jaune; -le quatrième verd; le cinquième bleu; le sixième indigo. Enfin celui -qui s'écarte davantage de la perpendicule, & qui s'éleve le dernier -au-dessus des autres, est le violet. - - [Anatomie de la lumiere.] - -Un seul faisceau de lumiere, qui auparavant faisoit la couleur blanche, -est donc un composé de sept faisceaux qui ont chacun leur couleur. -L'assemblage de sept rayons primordiaux fait donc le blanc. - -Si vous en doutez encore, prenez un des verres lenticulaires de -lunette, qui rassemblent tous les rayons à leur foyer: exposez ce verre -au trou par lequel entre la lumiere; vous ne verrez jamais à ce foyer -qu'un rond de blancheur. Exposez ce même verre au point, où il pourra -rassembler tous les sept rayons partis du prisme: - -[Illustration] - -Il réunit, comme vous le voyez, ces sept rayons dans son foyer. La -couleur de ces sept rayons réunis est blanche; donc il est démontré -que la couleur de tous les rayons réunis est la blancheur. Le noir par -conséquent sera le corps, qui ne réflechira point de rayons. - - [Couleurs dans les rayons primitifs.] - -Car, lorsqu'à l'aide du prisme vous avez séparé un de ces rayons -primitifs, exposez-le à un miroir, à un verre ardent, à un autre -prisme, jamais il ne changera de couleur, jamais il ne se séparera en -d'autres rayons. Porter en soi une telle couleur est son essence, rien -ne peut plus l'altérer; & pour surabondance de preuve, prenez des -fils de soye de différentes couleurs; exposez un fil de soye bleue, -par exemple, au rayon rouge, cette soye deviendra rouge. Mettez-la au -rayon jaune, elle deviendra jaune: ainsi du reste. Enfin ni réfraction, -ni réflexion, ni aucun moyen imaginable, ne peut changer ce rayon -primitif, semblable à l'or que le creuset a éprouvé, & encore plus -inaltérable. - - [Vaines objections contre ces découvertes.] - -Cette propriété de la lumiere, cette inégalité dans les réfractions de -ses rayons, est appellée par Neuton réfrangibilité. On s'est d'abord -révolté contre le fait, & on l'a nié long-tems, parce que Mr. Mariote -avoit manqué en France les expériences de Neuton. On aima mieux dire -que Neuton s'étoit vanté d'avoir vu ce qu'il n'avoit point vu, que -de penser que Mariote ne s'y étoit pas bien pris pour voir, & qu'il -n'avoit pas été assez heureux dans le choix des prismes qu'il employa. -Ensuite même, lorsque ces expériences ont été bien faites, & que la -vérité s'est montrée à nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point, -que dans plusieurs Journaux & dans plusieurs Livres faits depuis -l'année 1730. on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant -on fait dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'après la découverte de -la circulation du sang, on soutenoit encore des Thèses contre cette -vérité, & qu'on vouloit même rendre ridicules ceux qui expliquoient la -découverte nouvelle en les appelant _Circulateurs_. - -Enfin, quand on a été obligé de céder à l'évidence, on ne s'est pas -rendu encore: on a vu le fait, & on a chicané sur l'expression: on -s'est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi-bien que contre -celui d'attraction, de gravitation. Eh qu'importe le terme, pourvû -qu'il indique une vérité? Quand Christofle Colomb découvrit l'isle -Hispaniola, ne pouvoit-il pas lui imposer le nom qu'il vouloit? Et -n'appartient-il pas aux Inventeurs de nommer ce qu'ils créent, ou -ce qu'ils découvrent? On s'est récrié, on a écrit, contre des mots -que Neuton employe avec la précaution la plus sage pour prévenir des -erreurs. - - [Critiques encore plus vaines.] - -Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, &c. des rayons _rubrifiques_, -_jaunifiques_, c'est-à-dire, excitant la sensation de rouge, de jaune. -Il vouloit par-là fermer la bouche à quiconque auroit l'ignorance, ou -la mauvaise foi, de lui imputer qu'il croioit comme Aristote, que les -couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes & rouges, -& non dans notre ame. Il avoit raison de craindre cette accusation. -J'ai trouvé des hommes, d'ailleurs respectables, qui m'ont assûré que -Neuton étoit Péripatéticien, qu'il pensoit que les rayons sont colorez -en effet eux-mêmes, comme on pensoit autrefois que le feu étoit chaud; -mais ces mêmes Critiques m'ont assûré aussi que Neuton étoit Athée. Il -est vrai qu'ils n'avoient pas lu son Livre, mais ils en avoient entendu -parler à des gens qui avoient écrit contre ses expériences, sans les -avoir vues. - -Ce qu'on écrivit d'abord de plus doux contre Neuton, c'est que son -Systême est une Hypothèse; mais qu'est-ce qu'une hypothèse? Une -supposition. En vérité, peut-on appeller du nom de supposition, -des faits tant de fois démontrez? Est-ce par amour propre qu'on -veut absolument avoir l'honneur d'écrire contre un grand Homme? -Mais ne devroit-on pas être plus flatté d'en être le Disciple, que -l'Adversaire? Est-ce parce qu'on est né en France qu'on rougit de -recevoir la vérité des mains d'un Anglais? Ce sentiment seroit bien -indigne d'un Philosophe. Il n'y a, pour quiconque pense, ni Français, -ni Anglais: celui qui nous instruit est notre compatriote. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE NEUV. - -_Où l'on indique la cause de la réfrangibilité, & où l'on trouve par -cette cause, qu'il y a des Corps indivisibles en Physique._ - - - [Différences entre les rayons de la lumiere.] - -CETTE réfrangibilité, que nous venons de voir, étant attachée à la -réfraction, doit avoir sa source dans le même principe. La même cause -doit présider au jeu de tous ces ressorts: c'est-là l'ordre de la -Nature. Tous les Végétaux se nourrissent par les mêmes loix; tous les -Animaux ont les mêmes principes de vie. Quelque chose qui arrive aux -corps en mouvement, les loix du mouvement sont invariables. Nous avons -déja vu que la réflection, la réfraction, l'inflexion de la lumiere, -sont les effets d'un pouvoir qui n'est point l'impulsion (au moins -connue): ce même pouvoir se fait sentir dans la réfrangibilité; ces -rayons, qui s'écartent à des distances différentes, nous avertissent -que le milieu, dans lequel ils passent, agit sur eux inégalement. Un -faisceau de rayons est attiré dans le verre, mais ce faisceau de rayons -est composé de masses inégales. Ces masses obéïssent donc inégalement à -ce pouvoir par lequel le milieu agit sur elles. Le trait de lumiere le -plus solide, le plus compact, doit résister le plus à ce pouvoir, doit -être moins détourné de sa route, doit être le moins réfrangible. C'est -ce que l'expérience confirme dans tous les milieux, & dans tous les -cas. Le rayon rouge est toujours celui qui se détourne le moins de son -chemin; le rayon violet est toujours celui qui s'en détourne le plus. -Aussi le rayon rouge a-t-il le plus de substance, est-il le plus dur, -le plus brillant, & fatigue-t-il la vûe davantage. Le violet qui de -tous les rayons colorez repose le plus la vûe est le plus réfrangible, -& par conséquent est composé de parties plus fines & moins gravitantes; -& ne croyez pas que ce soit ici une simple conjecture, & qu'on devine -au hazard, que la lumiere a de la pesanteur, & qu'un rayon pese plus -qu'un autre. - - [La lumiere est pesante.] - -Des expériences, faites par les mains les plus exercées & les plus -habiles, nous apprennent que plusieurs corps acquiérent du poids après -avoir été long-tems imbibez de lumiere. Les particules de feu qui ont -pénétré leur substance l'ont augmentée. Mais quand on révoqueroit en -doute ces expériences, le feu est une matiere; donc il pese, & la -lumiere n'est autre chose que du feu. - -Il est évident qu'un rayon blanc pese tous les rayons qui le composent. -Or supposez, un moment, que ces rayons s'écartent tous également l'un -de l'autre, alors il est évident, en ce cas, que le rayon rouge, étant -sept fois moins réfrangible que le rayon violet, doit avoir sept fois -plus de masse, & sept fois plus de poids, que le rayon violet. Ainsi -le rayon rouge pesant comme sept; l'orangé supposé ici, comme six: le -jaune supposé, comme cinq: le verd, comme quatre: le bleu, comme trois: -le pourpre indigo, comme deux, & le violet, comme un: la somme de tous -ces poids étant vingt-huit, & le blanc étant l'assemblage de tous ces -poids, il est démontré qu'un rayon blanc, dans la supposition de ce -calcul, pese vingt-huit fois autant qu'un rayon violet; &, quel que -soit le calcul, il est évident que le rayon blanc pese beaucoup plus -qu'aucun autre rayon, puisqu'il les pese tous ensemble. - -Nous avons déja vu quelle doit être la petitesse prodigieuse de ces -rayons de lumiere, contenant en eux toutes les couleurs, qui viennent -du Soleil pénétrer un pore de diamant. Une foule de rayons passe dans -ce pore, & vient se réunir près de la surface intérieure d'une facette. -De cette foule de traits de lumiere qui occupe un si petit espace, -il n'y en a aucun qui ne contienne sept traits primordiaux. Chacun -de ces traits est encore lui-même un faisceau de traits teints de sa -couleur. Le rayon rouge est un assemblage d'un très-grand nombre de -rayons rouges. Le violet est un assemblage de rayons violets. Si donc -ce faisceau violet pese vingt-huit fois moins qu'un faisceau blanc, que -sera-ce qu'un seul des traits de ce faisceau? - - [Atomes dont la lumiere est composée.] - - [Les principes des corps sont des atomes.] - -Considérons un de ces traits simples, qui différe d'un autre trait: -par exemple, le plus mince trait rouge différe en tout du plus mince -trait violet. Il faut que ses parties solides soient autant d'atomes -parfaitement durs, lesquels composent son être. En effet, si les corps -n'étoient pas composés de parties solides, dures, indivisibles, de -véritables atomes: comment les espèces des corps pourroient-elles -rester éternellement les mêmes? Qui mettroit entre elles une différence -si constante? Ne faut-il pas que les parties qui font leur essence, -soient assez dures, assez solides, assez unes, pour être toujours ce -qu'elles sont? Car comment est-ce que dans le germe d'un grain de bled -seroient contenus tant de grains de bled, & rien autre chose, si la -configuration des petites parties n'étoit pas toujours la même, si elle -n'étoit pas toujours solide, indivisible: ce qui ne veut dire autre -chose que toujours indivisée? Dans l'œuf d'une mouche se trouvent -des mouches à l'infini; mais si ces petites parties qui contiennent -tant de mouches n'étoient pas parfaitement dures, elles se briseroient -certainement l'une contre l'autre, par le mouvement rapide où tout est -dans la Nature. Elles se briseroient d'autant plus, que les petits -corps ont plus de surface par rapport à leur grosseur. Cependant cet -inconvénient n'arrive point: l'œuf d'une mouche produit toujours les -mouches qu'il contenoit; chaque semence, depuis l'Or jusques au grain -de moutarde, reste éternellement la même. Donc il est à croire que -chaque semence des choses est composée d'atomes toujours indivisés, qui -font la substance de chaque chose: mais ce n'est pas assez d'indiquer -cette grande Vérité à laquelle l'observation des rayons de la lumiere -nous a conduits: il la faut démontrer: il faut prouver en rigueur qu'il -y a nécessairement des atomes physiquement indivisibles; & c'est ce que -nous allons faire voir dans le Chapitre suivant. - - - - -[Illustration] - - -CHAPITRE DIXIE'ME. - -_Preuves qu'il y a des atomes indivisibles, & que les parties simples -de la lumiere sont de ces atomes. Suite des découvertes._ - - - [Preuve qu'il y a des atomes.] - -VOUS avez déja compris quelle est l'extrême porosité de tous les corps. -L'eau même qui n'est que dix-neuf fois moins pesante que l'or, passe -pourtant entre les pores de l'or même, le plus solide des Métaux. Il -n'y a aucun corps qui n'ait incomparablement plus de pores que de -matiere: mais supposons un cube qui même, si l'on veut, ait autant de -matiere apparente que de pores: par cette supposition il n'aura donc -réellement que la moitié de la matiere qu'il parait avoir; mais chaque -partie de ce corps étant dans le même cas, & perdant ainsi la moitié -d'elle-même, ce cube ne sera donc par cette deuxième opération que le -quart de lui-même; il n'y aura donc dans lui que le quart de la matiere -qui semble y être. Divisez ainsi chaque partie de chaque partie; -restera le huitième de matiere. Continuez toujours cette progression -jusqu'à l'infini, & faites passer votre division par tous les ordres -d'infini; la fin de la progression des pores sera donc l'infini, & la -fin de la diminution de la matiere sera _zero_. Donc si l'on pouvoit -physiquement diviser la matiere à l'infini, il se trouveroit qu'il n'y -auroit que des pores & point de matiere. Donc la matiere, telle qu'elle -est, n'est pas réellement physiquement divisible à l'infini: Donc il -est démontré qu'il y a des atomes indivisibles, c'est-à-dire, des -atomes qui ne seront jamais divisés, tant que durera la constitution -présente du Monde. - -Présentons cette démonstration d'une maniere encore plus palpable. -Je suis arrivé par ma division aux deux derniers pores: il y a entre -eux un corps, ou non: s'il n'y en a point, il n'y avoit donc point de -matiere; s'il y en a, ce corps est donc sans pores. Je dis qu'il est -sans pores; puisque je suis arrivé aux derniers pores, cette particule -de matiere est donc réellement indivisible. - -Au reste, que cette proposition ne vous paraisse point contradictoire -à la démonstration géométrique, qui vous prouve qu'une ligne est -divisible à l'infini. - - [La divisibilité de la matiere n'empêche point qu'il n'y ait des - atomes.] - -Ces deux proportions qui semblent se détruire l'une l'autre, -s'accordent très-bien ensemble. La Géométrie a pour objet les idées de -notre esprit. Une ligne géométrique est une ligne en idée, toujours -divisible en idée, comme une unité numérique est toujours réductible en -autant d'unités qu'il me plaira d'en concevoir. Je puis diviser l'unité -d'un pied, en cent milles milliasses d'autres unités; mais ensuite je -pourrai toujours considerer ce pied comme une unité[*]. - - [*] Mr. de Malesieu, dans la Géométrie de Mr. le Duc de Bourgogne, n'a - pas fait assez d'attention à cette vérité, p. 117. Il trouve de la - contradiction où il n'y en a point. Il demande, comme une question - insoluble, si un pied de matiere est une substance ou plusieurs? - C'est une substance certainement, quand on le considére comme un pied - cube. Ce sont dix-sept cens vingt-huit substances, quand on le divise - en pouces. - -Les points sans ligne, les lignes sans surfaces, les surfaces sans -solides, l'infini 1., l'infini 2., l'infini 3., sont en effet les -objets de propositions certaines de la Géométrie; mais il est également -certain que la Nature ne peut produire des surfaces, des lignes, -des points sans solides. De même il est indubitable qu'une ligne en -Géométrie est divisible à l'infini; & il est indubitable qu'il y a dans -la Nature des corps indivisibles, c'est-à-dire, des corps indivisés, -des corps qui resteront tels, tant que la constitution présente des -choses subsistera. - -Tenons donc pour certain qu'il y a des atomes. Chaque partie -constituante d'un rayon simple coloré, peut être considérée comme un -atome; chacun de ces atomes est pesant, c'est sa différente attraction -qui fait sa différente réfrangibilité. Songeons que ces atomes les plus -réfrangibles sont aussi les plus réflexibles, & qu'enfin puisqu'ils -sont réfrangibles à raison de leur attraction vers le milieu le plus -agissant, il faut bien qu'ils réflechissent aussi en raison de cette -attraction. Maintenant il est aisé de connaitre que le rayon violet, -par exemple, qui est le plus réfrangible, est toujours le premier qui -se réflechit en sortant du prisme qui a reçu tous les rayons. Mr. -Neuton a fait cette expérience à l'aide de quatre prismes avec une -sagacité & une industrie dignes de l'inventeur de tant de vérités. - -Je donnerai ici la plus simple de ces expériences. - -[Illustration] - - [Expérience importante.] - -Ce prisme a envoyé sur ce papier ces sept couleurs: tournez ce prisme -sur lui-même dans le sens A, B, C. vous aurez bien-tôt cet angle selon -lequel toute lumiere se réflechira de dedans ce prisme au dehors, au -lieu de passer sur ce papier; si-tôt que vous commencez à approcher de -cet angle, voilà tout d'un coup le rayon violet qui se détache de ce -papier, & que vous voyez se porter au Plat-fond de la chambre. Après le -violet, vient le pourpre; après le pourpre, le bleu; enfin le rouge -quitte le dernier ce papier où il est peint, pour venir à son tour -se réflechir sur le Plat-fond. Donc tout rayon est plus réflexible -à mesure qu'il est plus réfrangible; donc la même cause opére la -réflexion & la réfrangibilité. - -Or la partie solide du verre ne fait ni cette réfrangibilité, ni cette -réflexion; donc encore une fois ces proprietés ont leur naissance dans -une autre cause que dans l'impulsion connue sur la Terre. Il n'y a rien -à dire contre ces expériences, il faut s'y soumettre, quelque rebelle -que l'on soit à l'évidence. - - [Objection.] - -On pourroit tirer des expériences même de Neuton de quoi faire quelques -difficultés contre les loix qu'il établit. On pourroit lui dire, par -exemple: Vous nous avez prouvé que l'impulsion d'aucun corps connu ne -peut opérer le brisement de la lumiere, ni sa réflexion, puisqu'elle -se brise dans des pores & se réflechit dans du vuide: Vous nous avez -dit qu'il y a un pouvoir dans la Nature qui fait tendre tous les corps -les uns vers les autres, & en attendant que vous nous montriez, comme -vous nous l'avez promis, les loix de ce pouvoir, nous concevons qu'en -effet sa puissance doit agir sur toute la matiere, & que le plus petit -des corps imaginables doit être soumis à cette puissance de même que le -plus grand de tous les corps possibles: Vous nous avez dit qu'une des -loix de ce pouvoir est d'agir sur tous les corps, selon leurs masses, -& nous avouons que cela est bien vraisemblable; mais par vos propres -expériences ne démentez-vous pas ce Systême? L'eau a beaucoup plus de -masse que l'esprit de vin, que l'esprit de térébenthine: cependant -elle attire moins un rayon de lumiere, la réfraction se fait moindre -dans l'eau que dans l'esprit de vin; donc ce pouvoir de gravitation, -d'attraction, n'agit pas comme vous le dites, selon la masse. - - [Réponse. Pourquoi les fluides moins pesants que l'eau attirent plus - la lumiere.] - -Cette objection loin d'ébranler la vérité des découvertes nouvelles, la -confirme en effet. Pour la résoudre clairement, considérons que tous -les corps tendent vers le centre de la Terre, que tous tombent dans -l'air avec une force proportionnée à leur masse; mais que si outre -cette force on leur en applique encore une autre, ils iront plus -vîte qu'ils n'auroient été par leur propre poids. Tel est le cas des -rayons de la lumiere entrant dans des corps déja remplis de particules -inflammables, lesquelles ne sont que la lumiere elle-même retenue dans -leurs pores. - -Ces atomes de feu qui résident en effet dans certains corps sulphureux -& transparens, augmentent la réfraction de la lumiere vers la ligne -perpendiculaire, comme une nouvelle force qui lui est appliquée: il -arrive alors ce qui arrive à un flambeau qui vient d'être éteint, & qui -fume encore; il se rallume dès qu'il est à une certaine distance d'un -autre flambeau allumé. - -Il est tout naturel que les rayons de lumiere entrent aisément dans -l'esprit sulphureux de térébenthine, comme la flamme dans la méche -fumante d'un flambeau éteint; or une nouvelle cause jointe à la -réfraction augmente nécessairement la réfraction. - -De plus, la réaction est toujours égale à l'action: les corps -sulphureux sont ceux sur lesquels le feu, qui n'est que la lumiere, -agit davantage; donc ils doivent agir aussi plus que les autres corps -sur la lumiere, la briser, la réfracter davantage. - - [L'attraction n'entre pas dans tous les effets de la lumiere.] - -Remarquons sur-tout ici que cette attraction inhérente dans la matiere -ne s'étend pas à tout, n'opére pas tous les effets. Le mystère de la -lumiere réflechie du milieu des pores, & de dessus les surfaces, sans -toucher aux surfaces, a des profondeurs que les loix de l'attraction -ne peuvent sonder: il n'y a qu'un Charlatan, qui se vante d'avoir un -remede universel, & ce seroit être Charlatan en Philosophie que de -rapporter tout, sans preuve, à la même cause; cette même force d'esprit -qui a fait découvrir à Neuton le pouvoir de l'attraction, lui a fait -avouer que ce pouvoir est bien loin d'être l'unique Agent de la Nature. - -Il est bien vrai que le rayon le plus réfrangible étant le plus -réflexible, c'est une preuve évidente que la même puissance opére la -réflexion, la réfraction, & l'accélération de la chûte des rayons dans -ce verre, &c.; mais enfin la force de l'attraction semble n'avoir rien -de commun avec d'autres phénomênes. Il y a sur-tout des vibrations -de rayons, des jets alternatifs de la lumiere allant & venant sur -les corps, que la gravitation n'expliqueroit pas; mais ces nouvelles -difficultés, c'est Neuton lui-même qui les a créées. Non-seulement il -a découvert des mystères que la gravitation développe; mais il en a -trouvé qu'elle ne développe pas. Ces jets alternatifs de la réflexion -de la lumiere sont un de ces Secrets de la Nature, dont il est bien -étonnant que les yeux humains ayent pu s'appercevoir. - -Nous parlerons de cette singularité en son lieu dans le Chapitre -treizième; continuons à voir les effets de la réfrangibilité. -L'Arc-en-Ciel est un de ces effets, & le plus considérable, nous allons -l'expliquer dans le Chapitre qui suit. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE ONZIE'ME. - -_De l'Arc-en-Ciel; que ce Météore est une suite nécessaire des loix de -la réfrangibilité._ - - - [Mécanisme de l'Arc-en-Ciel inconnu à toute l'Antiquité.] - -L'Arc-en-Ciel, ou l'Iris, est une suite nécessaire des proprietés de la -lumiere que nous venons d'observer. Nous n'avons rien, dans les Ecrits -des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser -qu'ils connussent les raisons de ce phénomêne. Lucrèce n'en dit rien, & -par toutes les absurdités qu'il débite au nom d'Epicure sur la lumiere -& sur la vision, il parait que son Siècle, si poli d'ailleurs, étoit -plongé dans une profonde ignorance en fait de Physique. On savoit qu'il -faut qu'une nuée épaisse se résolvant en pluye, soit exposée aux rayons -du Soleil, & que nos yeux se trouvent entre l'Astre & la nuée pour voir -ce qu'on appelloit l'Iris, _mille trahit varios adverso sole colores_, -mais voilà tout ce qu'on savoit; personne n'imaginoit ni pourquoi -une nuée donne des couleurs, ni comment la nature & l'ordre de ces -couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux Arcs-en-Ciel l'un sur -l'autre, ni pourquoi on voit toujours ce phénomêne sous la figure d'un -demi-cercle. - - [Ignorance d'Albert le Grand.] - -Albert qu'on a surnommé _le Grand_, parce qu'il vivoit dans un Siècle -où les hommes étoient bien petits, imagina que les couleurs de -l'Arc-en-Ciel venoient d'une rosée qui est entre nous & la nuée, & -que ces couleurs reçues sur la nuée, nous étoient envoyées par elle. -Vous remarquerez encore que cet _Albert le Grand_, croioit avec toute -l'Ecole que la lumiere étoit un accident. - - [L'Archevêque _Antonio de Dominis_ est le premier qui ait expliqué - l'Arc-en-Ciel.] - -Enfin le célèbre _Antonio de Dominis_ Archevêque de Spalatro en -Dalmatie, chassé de son Evêché par l'Inquisition, écrivit vers l'an -1590. son petit Traité _De radiis Lucis & de Iride_, qui ne fut imprimé -à Venise que vingt ans après. Il fut le premier qui fit voir que les -rayons du Soleil réflechis de l'intérieur même des goûtes de pluye, -formoient cette peinture qui parait en Arc, & qui sembloit un miracle -inexplicable; il rendit le miracle naturel, ou plutôt il l'expliqua par -de nouveaux prodiges de la Nature. - -Sa découverte étoit d'autant plus singuliére, qu'il n'avoit d'ailleurs -que des notions très-fausses de la maniere dont se fait la vision. Il -assûre dans son Livre que les images des objets sont dans la prunelle, -& qu'il ne se fait point de réfraction dans nos yeux: chose assez -singuliére pour un bon Philosophe! Il avoit découvert les réfractions -alors inconnues dans les goûtes de l'Arc-en-Ciel, & il nioit celles qui -se font dans les humeurs de l'œil, qui commençoient à être démontrées; -mais laissons ses erreurs pour examiner la vérité qu'il a trouvée. - - [Son expérience.] - -Il vit avec une sagacité alors bien peu commune, que chaque rangée, -chaque bande de goûtes de pluye qui forme l'Arc-en-Ciel, devoit -renvoyer des rayons de lumiere sous différens angles: il vit que la -différence de ces angles devoit faire celle des couleurs: il sut -mesurer la grandeur de ces angles: il prit une boule d'un crystal bien -transparent qu'il remplit d'eau; il la suspendit à une certaine hauteur -exposée aux rayons du Soleil. - - [Imitée par Descartes.] - -Descartes qui a suivi Antonio de Dominis, qui l'a rectifié & surpassé -en quelque chose, & qui peut-être auroit du le citer, fit aussi la même -expérience. Quand cette boule est suspendue à telle hauteur que le -rayon de lumiere, qui donne du Soleil sur la boule, fait ainsi avec le -rayon allant de la boule à l'œil un angle de quarante-deux degrez deux -ou trois minutes, cette boule donne toujours une couleur rouge. - -[Illustration] - -Quand cette boule est suspendue un peu plus bas, & que ces angles -sont plus petits, les autres couleurs de l'Arc-en-Ciel paraissent -successivement de façon, que le plus grand angle, en ce cas, fait le -rouge, & que le plus petit angle de 40 degrez 17 minutes forme le -violet. C'est-là le fondement de la connaissance de l'Arc-en-Ciel; mais -ce n'en est encore que le fondement. - - [La réfrangibilité unique raison de l'Arc-en-Ciel.] - -La réfrangibilité seule rend raison de ce phénomêne si ordinaire, si -peu connu, & dont très-peu de Commençans ont une idée nette; tâchons -de rendre la chose sensible à tout le monde. Suspendons une boule de -crystal pleine d'eau, exposée au Soleil: plaçons-nous entre le Soleil -& elle; pourquoi cette boule m'envoye-t-elle des couleurs? & pourquoi -certaines couleurs? Des masses de lumiere, des millions de faisceaux, -tombent du Soleil sur cette boule: dans chacun de ces faisceaux il y a -des traits primitifs, des rayons homogênes, plusieurs rouges, plusieurs -jaunes, plusieurs verds, &c. tous se brisent à leur incidence dans la -boule, chacun d'eux se brise différemment & selon l'espèce dont il est, -& selon l'endroit dans lequel il entre. - -Vous savez déja que les rayons rouges sont les moins réfrangibles; les -rayons rouges d'un certain faisceau déterminé iront donc se réunir dans -un certain point déterminé au fond de la boule, tandis que les rayons -bleus & pourpres du même faisceau iront ailleurs. Ces rayons rouges -sortiront aussi de la boule en un endroit, & les verds, les bleus, les -pourpres en un autre endroit. Ce n'est pas assez. Il faut examiner les -points, où tombent ces rayons rouges en entrant dans cette boule & en -sortant pour venir à votre œil. - -Pour donner à ceci tout le degré de clarté nécessaire, concevons cette -boule telle qu'elle est en effet, un assemblage d'une infinité de -surfaces planes; car le cercle étant composé d'une infinité de droites -infiniment petites, la boule n'est qu'une infinité de surfaces. - -[Illustration] - -Des rayons rouges A, B, C. viennent parallèles du Soleil sur ces trois -petites surfaces. N'est-il pas vrai que chacun se brise selon son degré -d'incidence? N'est-il pas manifeste que le rayon rouge A. tombe plus -obliquement sur sa petite surface, que le rayon rouge B. ne tombe sur -la sienne? Ainsi tous deux viennent au point R. par différens chemins. - -Le rayon rouge C. tombant sur sa petite surface encore moins -obliquement se rompt bien moins, & arrive aussi au point R. en ne se -brisant que très-peu. - - [Explication de ce phénomêne.] - -J'ai donc déja trois rayons rouges, c'est-à-dire, trois faisceaux de -rayons rouges, qui aboutissent au même point R. - -A ce point R. chacun fait un angle de réflexion égal à son angle -d'incidence, chacun se brise à son émergence de la boule, en -s'éloignant de la perpendiculaire de la nouvelle petite surface -qu'il rencontre, de même que chacun s'est rompu à son incidence en -s'approchant de sa perpendicule; donc tous reviennent parallèles, donc -tous entrent dans l'œil, selon l'ouverture de l'angle propre aux -rayons rouges. - -S'il y a une quantité suffisante de ces traits homogênes rouges pour -ébranler le nerf optique, il est incontestable que vous ne devez avoir -que la sensation de rouge. - -Ce sont ces rayons A, B, C. qu'on nomme rayons visibles, rayons -efficaces de cette goûte; car chaque goûte a ses rayons visibles. - -Il y a des milliers d'autres rayons rouges, qui, venant sur d'autres -petites surfaces de la boule, plus haut & plus bas, n'aboutissent point -en R, ou qui, tombés en ces mêmes surfaces à une autre obliquité, -n'aboutissent point non plus en R.; ceux-là sont perdus pour vous, ils -viendront à un autre œil placé plus haut, ou plus bas. - -Des milliers de rayons orangés, verds, bleus, violets, sont venus à la -vérité avec les rouges visibles sur ces surfaces A, B, C.; mais vous -ne pourrez les recevoir. Vous en savez la raison, c'est qu'ils sont -tous plus réfrangibles que les rouges: c'est qu'en entrant tous au même -point, chacun prend dans la boule un chemin différent; tous rompus -davantage, ils viennent au-dessous du point R., ils se rompent aussi -plus que les rouges en sortant de la boule. Ce même pouvoir qui les -approchoit plus du perpendicule de chaque surface dans l'intérieur de -la boule, les en écarte donc davantage à leur retour dans l'air: ils -reviennent donc tous au-dessous de votre œil; mais baissez la boule, -vous rendez l'angle plus petit. Que cet angle soit de quarante degrez -environ dix-sept minutes, vous ne recevez que les objets violets. - -Il n'y a personne qui sur ce principe ne conçoive très-aisément -l'artifice de l'Arc-en-Ciel; imaginez plusieurs rangées, plusieurs -bandes de goûtes de pluye, chaque goûte fait précisément le même effet -que cette boule. - -Jettez les yeux sur cet Arc, &, pour éviter la confusion, ne considerez -que trois rangées de goûtes de pluye, trois bandes colorées. - -[Illustration] - -Il est visible que l'angle P, O, L. est plus petit que l'angle V, O, -L., & que l'angle R, O, L. est le plus grand des trois. Ce plus grand -angle des trois est donc celui des rayons primitifs rouges: cet autre -mitoyen est celui des primitifs verds; ce plus petit P, O, L. est celui -des primitifs pourpres. Donc vous devez voir l'Iris rouge dans son bord -extérieur, verte dans son milieu, pourpre & violette dans sa bande -intérieure. Remarquez seulement que la derniére couche violette est -toujours teinte de la couleur blanchâtre de la nuée dans laquelle elle -se perd. - -Vous concevez donc aisément que vous ne voyez ces goûtes que sous -les rayons efficaces parvenus à vos yeux après une réflexion & deux -réfractions, & parvenus sous des angles déterminés. Que votre œil -change de place, qu'au lieu d'être en O. il soit en T. ce ne sont plus -les mêmes rayons que vous voyez: la bande qui vous donnoit du rouge -vous donne alors de l'orangé, ou du verd, ainsi du reste; & à chaque -mouvement de tête vous voyez une Iris nouvelle. - -Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous aurez aisément l'intelligence -du second que l'on voit d'ordinaire qui embrasse ce premier, & qu'on -appelle le faux Arc-en-Ciel, parce que ses couleurs sont moins vives, & -qu'elles sont dans un ordre renversé. - - [Les deux Arcs-en-Ciel.] - -Pour que vous puissiez voir deux Arcs-en-Ciel, il suffit que la -nuée soit assez étendue & assez épaisse. Cet Arc, qui se peint sur -le premier & qui l'embrasse, est formé de même par des rayons que -le Soleil darde dans ces goûtes de pluye, qui s'y rompent, qui s'y -réflechissent de façon, que chaque rangée des goûtes vous envoye aussi -des rayons primitifs; cette goûte un rayon rouge, cette autre goûte un -rayon violet. - -Mais tout se fait dans ce grand Arc d'une maniere opposée à ce qui se -passe dans le petit; pourquoi cela? C'est que votre œil qui reçoit les -rayons efficaces du petit Arc venus du Soleil dans la partie supérieure -des goûtes, reçoit au contraire les rayons du grand Arc venus par la -partie basse des goûtes. - -[Illustration] - -Vous appercevez que les goûtes d'eau du petit Arc reçoivent les rayons -du Soleil par la partie supérieure, par le haut de chaque goûte; les -goûtes du grand Arc-en-Ciel au contraire reçoivent les rayons qui -parviennent par leur partie basse. Rien ne vous sera, je crois, plus -facile que de concevoir comment les rayons se réflechissent deux fois -dans les goûtes de ce grand Arc-en-Ciel, & comment ces rayons deux fois -réfractés, & deux fois réflechis, vous donnent une Iris dans un ordre -opposé à la premiere, & plus affaiblie de couleur. Vous venez de voir -que les rayons entrent ainsi dans la petite partie basse des goûtes -d'eau de cette Iris extérieure. - -[Illustration] - -Une masse de rayons se présente à la surface de la goûte en G. là une -partie de ces rayons se réfracte en dedans, & une autre s'éparpille en -dehors; voilà déja une perte de rayons pour l'œil. La partie réfractée -parvient en H. une moitié de cette partie s'échappe dans l'air en -sortant de la goûte, & est encore perdue pour vous. Le peu qui s'est -conservé dans la goûte, s'en va en K. là une partie s'échappe encore: -troisième diminution. Ce qui en est resté en K. s'en va en M. & à cette -émergence en M., une partie s'éparpille encore: quatrième diminution; -& ce qui en reste parvient enfin dans la ligne M, N. Voilà donc dans -cette goûte autant de réfractions que dans les goûtes du petit Arc; -mais il y a comme vous voyez deux réflexions au lieu d'une dans ce -grand Arc. Il se perd donc le double de la lumiere dans ce grand Arc où -la lumiere se réflechit deux fois, & il s'en perd la moitié moins dans -le petit Arc intérieur, où les goûtes n'éprouvent qu'une réflexion. -Il est donc démontré que l'Arc-en-Ciel extérieur doit toujours être -de moitié plus faible en couleur que le petit Arc intérieur. Il est -aussi démontré par ce double chemin que font les rayons, qu'ils doivent -parvenir à vos yeux dans un sens opposé à celui du premier Arc, car -votre œil est placé en O. - -Dans cette place O. il reçoit les rayons les moins réfrangibles de la -premiere bande extérieure du petit Arc, & il doit recevoir les plus -réfrangibles de la premiere bande extérieure de ce second Arc; ces -plus réfrangibles sont les violets. Voici donc les deux Arcs-en-Ciel -ici dans leur ordre, en ne mettant que trois couleurs pour éviter la -confusion. - -[Illustration] - - [Ce phénomêne vu toujours en demi-cercle.] - -Il ne reste plus qu'à voir pourquoi ces couleurs sont toujours -apperçues sous une figure circulaire. Considérez cette ligne O, Z. -qui passe par votre œil. Soient conçues se mouvoir ces deux boules -toujours à égale distance de votre œil, elles décriront des bases de -cones, dont la pointe sera toujours dans votre œil. - -[Illustration] - -Concevez que le rayon de cette goûte d'eau R. venant à votre œil O. -tourne autour de cette ligne O, Z. comme autour d'un axe, faisant -toujours, par exemple, un angle avec votre œil de 42 degrez deux -minutes; il est clair que cette goûte décrira un cercle qui vous -paraitra rouge. Que cette autre goûte V. soit conçue tourner de même, -faisant toujours un autre angle de quarante degrez dix-sept minutes, -elle formera un cercle violet; toutes les goûtes qui seront dans ce -plan formeront donc un cercle violet, & les goûtes qui sont dans le -plan de la goûte R. feront un cercle rouge. Vous verrez donc cette Iris -comme un cercle, mais vous ne voyez pas tout un cercle; parce que la -Terre le coupe, vous ne voyez qu'un Arc, une portion de cercle. - -La plûpart de ces vérités ne purent encore être apperçues ni par -Antonio de Dominis, ni par Descartes: ils ne pouvoient savoir pourquoi -ces différens angles donnoient différentes couleurs; mais c'étoit -beaucoup d'avoir trouvé l'Art. Les finesses de l'Art sont rarement -dues aux premiers inventeurs. Ne pouvant donc deviner que les couleurs -dépendoient de la réfrangibilité des rayons, que chaque rayon -contenoit en soi une couleur primitive, que la différente attraction -de ces rayons faisoit leur réfrangibilité, & opéroit ces écartemens -qui font les différens angles, Descartes s'abandonna à son esprit -d'invention pour expliquer les couleurs de l'Arc-en-Ciel. Il y employa -le _tournoyement_ imaginaire de ces globules & _cette tendance au -tournoyement_; preuve de génie, mais preuve d'erreur. C'est ainsi que -pour expliquer la _systole_ & la _diastole_ du cœur, il imagina un -mouvement & une conformation dans ce viscère, dont tous les Anatomistes -ont reconnu la fausseté. Descartes auroit été le plus grand Philosophe -de la Terre, s'il eût moins inventé. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE DOUZE. - -_Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs qui confirment la -doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées -par l'épaisseur des parties qui composent les corps._ - - -PAr tout ce qui a été dit jusqu'à présent il résulte donc, que toutes -les couleurs nous viennent du mêlange des sept couleurs primordiales -que l'Arc-en-Ciel & le prisme nous font voir distinctement. - -Les corps les plus propres à réflechir des rayons rouges, & dont les -parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges, -& ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps -réflechissent en effet les rayons rouges; mais qu'il y a un pouvoir, -une force jusqu'ici inconnue, qui réflechit ces rayons d'auprès des -surfaces & du sein des pores des corps. - - [Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs.] - -Les couleurs sont donc dans les rayons du Soleil, & rejaillissent à -nous d'auprès des surfaces, & des pores & du vuide. Cherchons à présent -en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réflechir -ces couleurs, ce qui fait que l'écarlate parait rouge, que les Prés -sont verds, qu'un Ciel pur est bleu; car dire que cela vient de la -différence de leurs parties, c'est dire une chose vague qui n'apprend -rien du tout. - - [Grandes vérités tirées d'une expérience commune.] - -Un divertissement d'enfant, qui semble n'avoir rien en soi que de -méprisable, donna à Mr. Neuton la premiere idée de ces nouvelles -vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un Philosophe -un sujet de méditation, & rien n'est petit à ses yeux. Il s'apperçut -que dans ces bouteilles de Savon que font les Enfants, les couleurs -changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à -mesure que l'épaisseur de cette boule diminue, jusqu'à ce qu'enfin -la pesanteur de l'eau & du savon qui tombe toujours au fond, rompe -l'équilibre de cette sphére legére, & la fasse évanouïr. Il en présuma -que les couleurs pourroient bien dépendre de l'épaisseur des parties -qui composent les surfaces des corps, & pour s'en assûrer il fit les -expériences suivantes. - - [Expérience de Neuton.] - -Que deux crystaux se touchent en un point: il n'importe qu'ils soient -tous deux convexes; il suffit que le premier le soit, & qu'il soit posé -sur l'autre en cette façon. - -[Illustration] - - [Les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties des corps, sans que - ces parties réfléchissent elles-mêmes la lumiere.] - -Qu'on mette de l'eau entre ces deux verres pour rendre plus sensible -l'expérience qui se fait aussi dans l'air: qu'on presse un peu ces -verres l'un contre l'autre, une petite tache noire transparente parait -au point du contact des deux verres: de ce point entouré d'un peu d'eau -se forment des anneaux colorés dans le même ordre & de la même maniere -que dans la bouteille de savon: enfin en mesurant le diamétre de ces -anneaux & la convéxité du verre, Neuton détermina les différentes -épaisseurs des parties d'eau qui donnoient ces différentes couleurs; -il calcula l'épaisseur nécessaire à l'eau pour réflechir les rayons -blancs: Cette épaisseur est d'environ quatre parties d'un pouce divisé -en un million, c'est-à-dire, quatre millionêmes d'un pouce; le bleu -azur & les couleurs tirant sur le violet dépendent d'une épaisseur -beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s'élevent de -la Terre, & qui colorent l'air sans nuages, étant d'une très-mince -surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vûe. - -D'autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte, -que c'est à l'épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs. - -Le même corps qui étoit verd, quand il étoit un peu épais, est devenu -bleu, quand il a été rendu assez mince pour ne réflechir que les rayons -bleus, & pour laisser passer les autres. Ces vérités d'une recherche -si délicate, & qui sembloient se dérober à la vûe humaine, méritent -bien d'être suivies de près; cette partie de la Philosophie est un -Microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment -petites. - - [Tous les corps sont transparens.] - -Tous les corps sont transparens, il n'y a qu'à les rendre assez -minces, pour que les rayons ne trouvant qu'une lame, qu'une feuille à -traverser, passent à travers cette lame. Ainsi quand l'Or en feuilles -est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoye par sa -surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa -substance, & il transmet dans la chambre obscure des rayons verds, de -sorte que l'Or produit alors une couleur verte; nouvelle confirmation -que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs. - - [Preuve que les couleurs dépendent des épaisseurs.] - -Une preuve encore plus forte, c'est que dans l'expérience de ce verre -convexe-plan, touchant en un point ce verre convexe, l'eau n'est pas le -seul élément qui dans des épaisseurs diverses donne diverses couleurs: -l'air fait le même effet, seulement les anneaux colorés qu'il produit -entre les deux verres, ont plus de diamétre que ceux de l'eau. - -Il y a donc une proportion secrete établie par la Nature entre la force -des parties constituantes de tous les corps & les rayons primitifs -qui colorent les corps; les lames les plus minces donneront les -couleurs les plus faibles, & pour donner le noir il faudra justement -la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu'en -a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on -appercevoit un petit point noir, ou bien la même ténuité qu'en a le -point de contact du verre convexe & du verre plat, lequel contact -produit aussi une tache noire. - - [Sans que les parties solides renvoyent en effet la lumiere.] - -Mais encore une fois qu'on ne croye pas que les corps renvoyent la -lumiere par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de -l'épaisseur des parties: il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur, -un pouvoir qui agit auprès de la surface; mais ce n'est point du tout -la surface solide qui repousse, qui réflechit. Cette vérité sera encore -plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant qu'elle n'a été -prouvée jusqu'ici. Il me semble que le Lecteur doit être venu au point -où rien ne doit plus le surprendre; mais ce qu'il vient de voir mene -encore plus loin qu'on ne pense, & tant de singularités ne sont, pour -ainsi dire, que les frontiéres d'un Nouveau Monde. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE TREIZE. - -_Suites de ces découvertes; Action mutuelle des Corps sur la lumiere._ - - -LA réflexion de la lumiere, son infléxion, sa réfraction, sa -réfrangibilité, étant connues, l'origine des couleurs étant découverte, -& l'épaisseur même des corps nécessaire pour occasionner certaines -couleurs étant déterminée: il nous reste encore à examiner deux -propriétés de la lumiere non moins étonnantes & non moins nouvelles. -La premiere de ces propriétés est ce pouvoir même qui agit près des -surfaces, c'est une action mutuelle de la lumiere sur les corps, & des -corps sur la lumiere. - -La seconde est un rapport qui se trouve entre les couleurs & les tons -de la Musique, entre les Objets de la vûe & ceux de l'ouïe; nous allons -rendre compte de ces deux espèces de miracles, & c'est par-là que nous -finirons cette petite introduction à l'Optique de Neuton. - - [Expérience très-singuliére.] - -Vous avez vu que ces deux crystaux se touchant en un point, produisent -des anneaux de couleurs différentes, rouges, bleus, verds, blancs, &c. -Faites cette même épreuve dans une chambre obscure, où vous avez fait -l'expérience du prisme exposé à la lumiere qui lui vient par un trou. -Vous vous souvenez que dans cette expérience du prisme vous avez vu la -décomposition de la lumiere & l'anatomie de ses rayons: vous placiez -une feuille de papier blanc vis-à-vis ce prisme: ce papier recevoit les -sept couleurs primitives, chacune dans leur ordre: maintenant exposez -vos deux verres à tel rayon coloré qu'il vous plaira, réflechi de ce -papier, vous y verrez toujours entre ces verres se former des anneaux -colorés; mais tous ces anneaux alors sont de la couleur des rayons qui -vous viennent du papier. Exposez vos verres à la lumiere des rayons -rouges, vous n'aurez entre vos verres que des anneaux rouges; - -[Illustration] - -Mais ce qui doit surprendre, c'est qu'entre chacun de ces anneaux -rouges il y a un anneau tout noir. Pour constater encore plus ce fait -& les singularités qui y sont attachées, présentez vos deux verres, -non plus au papier, mais au prisme, de façon que l'un des rayons qui -s'échappent de ce prisme, un rouge, par exemple, vienne à tomber sur -ces verres, il ne se forme encore que des anneaux rouges entre les -anneaux noirs; mettez derriére vos verres la feuille de papier blanc, -chaque anneau noir produit sur cette feuille de papier un anneau rouge, -& chaque anneau rouge, étant réflechi vers vous, produit du noir sur le -papier. - -[Illustration] - -Il résulte de cette expérience que l'air ou l'eau qui est entre vos -verres, réflechit en un endroit la lumiere & en un autre endroit la -laisse passer, la transmet. J'avoue que je ne peux assez admirer ici -cette profondeur de recherche, cette sagacité plus qu'humaine, avec -laquelle Neuton à poursuivi ces vérités si imperceptibles; il a -reconnu par les mesures & par le calcul ces étranges proportions-ci. - -Au point de contact des deux verres, il ne se réflechit à vos yeux -aucune lumiere: immédiatement après ce contact, la premiere petite lame -d'air ou d'eau, qui touche à ce point noir, vous réflechit des rayons: -la seconde lame est deux fois épaisse comme la premiere, & ne réflechit -rien: la troisième lame est triple en épaisseur de la premiere, & -réflechit: la quatrième lame est quatre fois plus épaisse, & ne -réflechit point: la cinquième est cinq fois plus épaisse, & transmet; & -la sixième six fois plus épaisse, ne transmet rien. - -De sorte que les anneaux noirs vont en cette progression 0, 2, 4, 6, 8. -& les anneaux lumineux & colorés en cette progression, 1, 3, 5, 7, 9. - - [Conséquences de ces expériences.] - -Ce qui se passe dans cette expérience arrive de même dans tous les -corps, qui tous réflechissent une partie de la lumiere & en reçoivent -dans leurs substances une autre partie. C'est donc encore une -proprieté démontrée à l'esprit & aux yeux, que les surfaces solides -ne sont point ce qui réflechit les rayons. Car si les surfaces -solides réflechissoient en effet; 1º. le point où les deux verres -se touchent réflechiroit & ne seroit point obscur. 2º. Chaque -partie solide qui vous donneroit une seule espèce de rayons devroit -aussi vous renvoyer toutes les espèces de rayons. 3º. Les parties -solides ne transmettroient point la lumiere en un endroit & ne la -réflechiroient pas en un autre endroit, car étant toutes solides toutes -réflechiroient. 4º. Si les parties solides réflechissoient la lumiere, -il seroit impossible de se voir dans un miroir, comme nous l'avons dit, -puisque le miroir étant sillonné & raboteux, il ne pourroit renvoyer la -lumiere d'une maniere réguliére. Il est donc indubitable qu'il y a un -pouvoir agissant sur les corps sans toucher aux corps, & que ce pouvoir -agit entre les corps & la lumiere. Enfin loin que la lumiere rebondisse -sur les corps mêmes & revienne à nous, il faut croire que la plus -grande partie des rayons qui va choquer des parties solides y reste, -s'y perd, s'y éteint. - -Ce pouvoir qui agit aux surfaces, agit d'une surface à l'autre: c'est -principalement de la derniere surface ultérieure du corps transparent -que les rayons rejaillissent; nous l'avons déja prouvé. C'est, par -exemple, de ce point B. plus que de ce point A. que la lumiere est -réflechie. - -[Illustration] - - [Action mutuelle des corps sur la lumiere.] - -Il faut donc admettre un pouvoir lequel agit sur les rayons de lumiere -de-dessus l'une de ces surfaces à l'autre, un pouvoir qui transmet -& qui réflechit alternativement les rayons. Ce jeu de la lumiere & -des corps n'étoit pas seulement soupçonné avant Neuton, il a compté -plusieurs milliers de ces vibrations alternatives, de ces jets transmis -& réflechis. Cette action des corps sur la lumiere, & de la lumiere -sur les corps, laisse encore bien des incertitudes dans la maniere de -l'expliquer. - - [Conjectures de Neuton.] - - [Mais il faut se défier de toute conjecture.] - -Celui qui a découvert ce mystère n'a pu, dans le cours de sa longue -vie, faire assez d'expériences pour assigner la cause certaine de ces -effets. Mais quand par ses découvertes il ne nous auroit appris que -des nouvelles proprietés de la matiere, ne seroit-ce pas déja un assez -grand service rendu à la Philosophie? Il a conjecturé que la lumiere -émane du Soleil & des Corps lumineux par accès, par vibrations; que de -ces vibrations du Corps lumineux, la premiere opére une réflexion, la -seconde une transmission, & ainsi de suite à l'infini. Il avoit aussi -préparé des expériences, qui conduisoient à faire voir en quoi ce jeu -de la Nature tient au grand principe de l'attraction; mais il n'a pas -eu le tems d'achever ses expériences. Il avoit conjecturé encore qu'il -y a dans la Nature une matiere très-élastique & très-rare, qui devient -d'autant moins rare qu'elle est plus éloignée des corps opaques: que -les traits de lumiere excitent des vibrations dans cette matiere -élastique: & il faut avouer, que cette hypothèse rendroit raison de -presque tous les mystères de la lumiere, & sur-tout de l'attraction -& de la gravitation des corps; mais une hypothèse, quand même elle -rendroit raison presque de tout, ne doit point être admise. Il ne -suffit pas qu'un Systême soit possible pour mériter d'être cru, il -faut qu'il soit prouvé: si les Tourbillons de Descartes pouvoient se -soutenir contre toutes les difficultés dont on les accable, il faudroit -encore les rejetter, parce qu'ils ne seroient que possibles; ainsi nous -ne ferons aucun fondement réel sur les conjectures de Neuton même. - -Si j'en parle, c'est plutôt pour faire connaitre l'histoire de ses -pensées, que pour tirer la moindre induction de ses idées que je -regarde comme les rêves d'un grand Homme; il ne s'y arrête en aucune -maniere, il s'est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les -causes. Passons à l'autre découverte, sur le rapport qui existe entre -les raïons de la lumiere & les tons de la Musique. - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE QUATORZE. - -_Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la -Musique._ - - -VOus savez que très-long-tems avant Descartes on s'étoit apperçu, -qu'un prisme exposé au Soleil donne les couleurs de l'Arc-en-Ciel: -on avoit vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge, ou sur un -papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même: bien-tôt on alla, -d'expérience en expérience, jusqu'à mesurer l'espace qu'occupe chacune -de ces couleurs; enfin on s'est apperçu que ces espaces sont entre eux -les mêmes que ceux des longueurs d'une corde, qui donne les sept tons -de la Musique. - - [Chose très-remarquable dans Kirker.] - -J'avois toujours entendu dire, que c'étoit dans Kirker, que Neuton -avoit puisé cette découverte de l'analogie de la lumiere & du son. -Kirker en effet dans son _Ars Magna Lucis & Umbræ_, & dans d'autres -Livres encore, appelle le _Son_ le Singe de la lumiere. Quelques -personnes en inféroient que Kirker avoit connu ces rapports; mais il -est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit -Kirker, page 146. & suivantes. «Ceux, dit-il, qui ont une voix haute & -forte tiennent de la nature de l'Ane: ils sont indiscrets & pétulans, -comme on sait que sont les Anes; & cette voix ressemble à la couleur -noire. Ceux dont la voix est grave d'abord, & ensuite aigue, tiennent -du Bœuf; ils sont, comme lui, tristes & coléres, & leur voix répond au -bleu céleste». - -Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage -d'Aristote. C'est-là tout ce que nous apprend le Pere Kirker, -d'ailleurs l'un des plus grands Mathématiciens & des plus savans hommes -de son tems; & c'est ainsi, à-peu-près, que tous ceux qui n'étoient que -Savans, raisonnoient alors. Voyons comment Neuton a raisonné. - - [Maniere de connaitre les proportions des couleurs primitives de la - lumiere.] - -Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumiere sept principaux -rayons, qui ont chacun leur réfrangibilité: chacun de ces rayons a -son sinus, chacun de ces sinus a sa proportion avec le sinus commun -d'incidence; observez ce qui se passe dans ces sept traits primordiaux, -qui s'échappent en s'écartant dans l'air. - -Il ne s'agit pas ici de considérer que dans ce verre même tous ces -traits sont écartés, & que chacun de ces traits y prend un sinus -différent: il faut regarder cet assemblage de rayons dans le verre -comme un seul rayon, qui n'a que ce sinus commun A, B.: mais à -l'émergence de ce crystal chacun de ces traits s'écartant sensiblement -prend chacun son sinus différent; celui du rouge, (rayon le moins -réfrangible,) est cette ligne C, B. celui du violet, (rayon le plus -réfrangible,) est cette ligne C, B, D. - -[Illustration] - -Ces proportions posées, voions quel est ce rapport, aussi exact que -singulier, entre les couleurs & la Musique. Que le sinus d'incidence -du faisceau blanc de rayons, soit au sinus d'émergence du rayon rouge, -comme cette ligne A, B, est à la ligne A, B, C. - -Sinus donné dans le verre - - A B - ---------- - -Sinus donné dans l'air - - A B C. - -------------- ------ - -Que ce même sinus A, B, d'incidence commune soit au sinus de réfraction -du rayon violet, comme la ligne A, B, est à la ligne A, B, C, D. - - A B - -------------- - - A B C D. - -------------- ------ ---- - -Vous voyez que le point C est le terme de la plus petite -réfrangibilité, & D le terme de la plus grande; la petite ligne C, -D, contient donc tous les degrés de réfrangibilité des sept rayons. -Doublez maintenant C, D, ci-dessus, en sorte que I, en devienne le -milieu, comme ci-dessous. - - A I C H G F E B D. - ------------------ -- -- -- -- -- -- -- - -Alors la longueur depuis A en C fait le rouge: la longueur de A en H, -fait l'orangé: de A en G, le jaune: de A en F, le verd: de A en E, le -bleu: de A en B, le pourpre; de A en D, le violet. Or ces espaces sont -tels que chaque rayon peut bien être réfracté, un peu plus ou moins, -dans chacun de ces espaces, mais jamais il ne sortira de cet espace qui -lui est prescrit: le rayon violet se jouera toujours entre B & D: le -rayon rouge entre C & I, ainsi du reste, le tout en telle proportion -que si vous divisez cette longueur depuis I jusqu'à D, en trois cens -soixante parties, chaque rayon aura pour soi les dimensions que vous -voyez dans la grande figure ci-jointe. - - [Analogie des tons de la Musique & des couleurs.] - -Ces proportions sont précisément les mêmes que celles des tons de la -Musique: la longueur de la corde qui étant pincée fera _Re_, est à la -corde, qui donnera l'octave de _Re_, comme la ligne A, I, qui donne le -rouge en I, est à la ligne A, D, qui donne le violet en D; ainsi les -espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi -les tons de la Musique. - - - _Table des couleurs & des tons de la Musique._ - - C H G F E B D - A | | | | | | | - ---+---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - | Rouge | Orange |Jaune |Verd |Bleu |Pourpre|Violet| - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - |se jouë | | | | | | | - |de ce | de C | de H |de G |de F | de E | de B | - |demi- | en H | en G |en F |en E | en B | en D | - |cercle | | | | | | | - |en C | | | | | | | - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - | 45 | 27 | 48 | 60 | 60 | 40 | 80 | = 360. - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - | | | | | | | | - 1/2 9/16 3/5 2/3 3/4 5/6 8/9 1 - | | | | | | | | - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - | | | | | | | | - re ut si la sol fa mi re - | | | | | | | | - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - |la plus |celle |celle |celle|celle|celle |celle | - |grande |de |du |du |du |du |du | - |refrangi-|l'orange|jaune |verd |bleu |pourpre|violet| - |bilité |à |à |à |à |à |à | - |du rouge | | | | | | | - |répond | | | | | | | - |à | | | | | | | - | | | | | | | | - | ut si la sol fa mi re - | | | | | | | | - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - | | | | | | | | - +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+ - -La plus grande réfrangibilité du violet répond à _Re_: la plus grande -réfrangibilité du pourpre répond à _Mi_: celle du bleu répond à _Fa_: -celle du verd à _Sol_: celle du jaune à _La_: celle de l'orangé à _Si_: -celle du rouge à l'_Ut_; & enfin la plus petite réfrangibilité du rouge -se rapporte à _Re_, qui est l'octave supérieure. Le ton le plus grave -répond ainsi au violet, & le ton le plus aigu répond au rouge. On peut -se former une idée complette de toutes ces proprietés, en jettant les -yeux sur la Table que j'ai dressée, & que vous devez trouver à côté. - -Il y a encore un autre rapport entre les sons & les couleurs, c'est que -les rayons les plus distants (les violets & les rouges) viennent à nos -yeux en même-tems, & que les sons les plus distants (les plus graves -& les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même-tems. Cela ne -veut pas dire, que nous voyons & que nous entendons en même-tems à la -même distance; car la lumiere se fait sentir six cens mille fois plus -vîte, au moins, que le son; mais cela veut dire, que les rayons bleus, -par exemple, ne viennent pas du Soleil à nos yeux, plutôt que les -rayons rouges, de même que le son de la note _Si_, ne vient pas à nos -oreilles, plutôt que le son de la note _Re_. - -Cette analogie secrete entre la lumiere & le son, donne lieu de -soupçonner, que toutes les choses de la Nature ont des rapports cachés, -que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déja certain qu'il -y a un rapport entre le _Toucher_ & la _Vûe_, puisque les couleurs -dépendent de la configuration des parties; on prétend même qu'il y a eu -des Aveugles nés, qui distinguoient au toucher la différence du noir, -du blanc, & de quelques autres couleurs. - - [Idée d'un Clavessin oculaire.] - -Un Philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des Sens & de -la lumiere peut-être plus loin qu'il ne semble permis aux hommes -d'aller. Il a imaginé un Clavessin oculaire, qui doit faire paraitre -successivement des couleurs harmoniques, comme nos Clavessins nous font -entendre des sons: il y a travaillé de ses mains, il prétend enfin -qu'on joueroit des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui -cherche à donner aux autres de nouveaux Arts & de nouveaux plaisirs. Il -y a eu des Pays, où le Public l'auroit récompensé. Il est à souhaiter -sans doute, que cette invention ne soit pas, comme tant d'autres, un -effort ingénieux & inutile: ce passage rapide de plusieurs couleurs -devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouïr, & fatiguer -la vûe; nos yeux veulent peut-être du repos, pour jouïr de l'agrément -des couleurs. Ce n'est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut -que la Nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir: c'est -à l'expérience seule à justifier cette invention. En attendant il me -parait que tout esprit équitable ne peut que louer l'effort & le génie -de celui qui cherche à agrandir la carriére des Arts & de la Nature. - - [Toute cette Théorie de la lumiere a rapport avec la Théorie de - l'Univers.] - -Nous ne pousserons pas plus loin cette Introduction sur la lumiere, -peut-être en avons nous trop dit dans de simples Elémens; mais la -plûpart de ces vérités sont nouvelles pour bien des Lecteurs. Avant -que de passer à l'autre partie de la Philosophie, souvenons-nous, que -la Théorie de la lumiere a quelque chose de commun avec la Théorie de -l'Univers dans laquelle nous allons entrer. Cette Théorie est, qu'il y -a une espèce d'attraction marquée entre les corps & la lumiere, comme -nous en allons observer une entre tous les Globes de notre Univers: -ces attractions se manifestent par différens effets; mais enfin c'est -toujours une tendance des corps, sans qu'il paraisse aucune impulsion. - - [La matiere a plus de proprietés qu'on ne pense.] - -Parmi tant de proprietés de la matiere telle que ces accès de -transmission & de réflexion des traits de lumiere, cette répulsion que -la lumiere éprouve dans le vuide, dans les pores des corps, & sur les -surfaces des corps; parmi ces proprietés, dis-je, il faut sur-tout -faire attention à ce pouvoir par lequel les rayons sont réflechis & -rompus, à cette force par laquelle les corps agissent sur la lumiere & -la lumiere sur eux, sans même les toucher. Ces découvertes doivent au -moins servir à nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions -sur la nature & l'essence des choses. Songeons que nous ne connaissons -rien du tout que par l'expérience. Sans le toucher nous n'aurions -point d'idée de l'étendue des corps: sans les yeux, nous n'aurions pu -deviner la lumiere: si nous n'avions jamais éprouvé de mouvement, -nous n'aurions jamais cru la matiere mobile; un très-petit nombre -de sens que Dieu nous a donnés, sert à nous découvrir un très-petit -nombre de proprietés de la matiere. Le raisonnement supplée aux sens -qui nous manquent, & nous apprend encore que la matiere a d'autres -attributs, comme l'attraction, la gravitation; elle en a probablement -beaucoup d'autres qui tiennent à sa nature, & dont peut-être un jour la -Philosophie donnera quelques idées aux hommes. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE QUINZE. - -_Premieres idées touchant la pesanteur & les loix de la gravitation: -Que la matiere subtile, les tourbillons & le plein doivent être -rejettés._ - - -UN Lecteur sage qui aura vu avec attention ces merveilles de la -lumiere, convaincu par l'expérience qu'aucune impulsion connue ne les -opére, sera sans doute impatient d'observer cette puissance nouvelle -dont nous avons parlé sous le nom d'attraction, qui doit agir sur -tous les autres corps plus sensiblement que sur celui de la lumiere. -Que les noms encore une fois ne nous effarouchent point; examinons -simplement les faits. - - [Attraction.] - -Je me servirai toujours indifféremment des termes d'_attraction_ & de -_gravitation_ en parlant des corps, soit qu'il tendent sensiblement -les uns vers les autres, soit qu'ils tournent dans des orbes immenses, -autour d'un contre commun, soit qu'ils tombent sur la Terre, soit -qu'ils s'unissent pour composer des corps solides, soit qu'ils -s'arondissent en goutes pour former des liquides. Entrons en matiere. - -Tous les corps connus pesent, & il y a long-tems que la legéreté -spécifique a été comptée parmi les erreurs reconnues d'Aristote & de -ses Sectateurs. - -Depuis que la fameuse Machine pneumatique fut inventée, on a été plus à -portée de connoître la pesanteur des corps, car lorsqu'ils tombent dans -l'air, les parties de l'air retardent sensiblement la chûte de ceux -qui ont beaucoup de surface & peu de volume; mais dans cette Machine -privée d'air, les corps abandonnés à la force, telle qu'elle soit, qui -les précipite sans obstacle, tombent selon tout leur poids. - - [Expérience qui démontre le vuide & les effets de la gravitation.] - -La Machine pneumatique inventée par Ottoguerike, fut bien-tôt -perfectionnée par Boyle; on fit ensuite des récipiens de verre beaucoup -plus longs, qui furent entiérement purgés d'air. Dans un de ces longs -récipiens composé de quatre tubes, le tout ensemble aïant huit pieds -de hauteur, on suspendit en haut, par un ressort, des pièces d'or, -des morceaux de papier, des plumes; il s'agissoit de savoir ce qui -arriveroit, quand on détendroit le ressort. Les bons Philosophes -prévoioient, que tout cela tomberoit en même-tems: le plus grand nombre -assûroit que les corps les plus massifs tomberoient bien plus vîte que -les autres; ce grand nombre, qui se trompe presque toujours, fut bien -étonné, quand il vit dans toutes les expériences, l'or, le plomb, le -papier & la plume tomber également vîte, & arriver au fond du récipient -en même-tems. - -Ceux qui tenoient encore pour le _Plein_ de Descartes, & pour les -prétendus effets de la matiere subtile, ne pouvoient rendre aucune -bonne raison de ce fait; car les faits étoient leurs écuëils. Si tout -étoit plein, quand on leur accorderoit qu'il pût y avoir alors du -mouvement, (ce qui est absolument impossible) au moins cette prétendue -matiere subtile rempliroit éxactement tout le récipient: elle y seroit -en aussi grande quantité que de l'eau, ou du mercure, qu'on y auroit -mis: elle s'opposeroit au moins à cette descente si rapide des corps: -elle résisteroit à ce large morceau de papier, selon la surface de ce -papier, & laisseroit tomber la balle d'or ou de plomb beaucoup plus -vîte, mais cette chûte se fait au même instant; donc il n'y a rien dans -le récipient qui résiste; donc cette prétendue matiere subtile ne peut -faire aucun effet sensible dans ce récipient; donc il y a une autre -force qui fait la pesanteur. - -En vain diroit-on qu'il est possible qu'il reste une matiere subtile -dans ce récipient, puisque la lumiere le pénétre; il y a bien de la -différence. La lumiere qui est dans ce Vase de verre, n'en occupe -certainement pas la cent-millième partie; mais selon les Cartésiens, -il faut que leur matiere imaginaire remplisse bien plus éxactement le -récipient, que si je le supposois rempli d'or, car il y a beaucoup de -vuide dans l'or, & ils n'en admettent point dans leur matiere subtile. - - [La pesanteur agit en raison des masses.] - -Or par cette expérience la pièce d'or, qui pese cent-mille fois plus -que le morceau de papier, est descendue aussi vîte que le papier; donc -la force, qui l'a fait descendre, a agi cent mille fois plus sur lui -que sur le papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à mon -bras pour remuer cent livres, que pour remuer une livre; donc cette -puissance qui opére la gravitation, agit en raison directe de la masse -des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps, -non selon les surfaces, qu'une livre d'or réduite en poudre pesera -précisément comme cette même livre en feuille. La figure des corps ne -change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc -sur la nature interne des corps, & non en raison des superficies. - - [D'où vient ce pouvoir de pesanteur.] - -Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matiere subtile, dont nous -parlerons au Chapitre 16., cette matiere seroit un fluide. Tout fluide -agit sur les solides en raison de leurs superficies; ainsi le Vaisseau -présentant moins de surface par sa proue, fend la Mer qui résisteroit -à ses flancs. Or quand la superficie d'un corps est le quarré de son -diametre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diametre: le -même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube & du quarré; -donc la pesanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De -plus, il est impossible que cette prétendue matiere subtile ait d'un -côté assez de force, pour précipiter un corps de 54000 pieds de haut -en une minute, (car telle est la chûte des corps) & que de l'autre -elle soit assez impuissante, pour ne pouvoir empêcher le pendule du -bois le plus leger de remonter de vibration en vibration dans la -Machine pneumatique, dont cette matiere imaginaire est supposée remplir -exactement tout l'espace. - -Je ne craindrai donc point d'affirmer que, si l'on découvroit jamais -une impulsion, qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un -centre, en un mot la cause de la gravitation, de l'attraction, cette -impulsion seroit d'une toute autre nature qu'est celle que nous -connoissons. - -Voilà donc une premiere vérité déja indiquée ailleurs, & prouvée ici: -il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de -leur masse. - - [Pourquoi un corps pese plus qu'un autre.] - -Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu'un -autre, on en trouvera aisément l'unique raison: on jugera que ce corps -doit avoir plus de masse, plus de matiere sous une même étendue; ainsi -l'or pese plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de -matiere & moins de vuide que dans le bois. - - [Le Systême de Descartes ne peut en rendre raison.] - -Descartes & ses Sectateurs soutiennent qu'un corps est plus pesant -qu'un autre sans avoir plus de matiere: non contents de cette idée, -ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie: ils admettent un -grand tourbillon de matiere subtile autour de notre Globe; & c'est ce -grand tourbillon, disent-ils, qui en circulant chasse tous les corps -vers le centre de la Terre, & leur fait éprouver ce que nous appellons -pesanteur. - -Il est vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette assertion: il -n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les -choses que nous connoissons un peu, qui puisse fonder une présomption -legére en faveur de ce tourbillon de matiere subtile; ainsi de cela -seul que ce Systême est une pure hipothèse, il doit être rejetté. -C'est cependant par cela seul qu'il a été accrédité. On concevoit ce -tourbillon sans effort, on donnoit une explication vague des choses en -prononçant ce mot de matiere subtile; & quand les Philosophes sentoient -les contradictions & les absurdités attachées à ce Roman Philosophique, -ils songeoient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner. - -Hugens & tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouoient -eux-mêmes l'insuffisance; mais que mettrons-nous à la place des -tourbillons & de la matiere subtile? Ce raisonnement trop ordinaire -est celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur & dans le -mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux & insoutenable, -aussi-bien quand on n'a rien à lui substituer, que quand on auroit -les démonstrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'est ni -plus ni moins erreur, soit qu'on la remplace ou non par des vérités; -devrois-je admettre l'horreur du vuide dans une pompe, parce que je ne -saurois pas encore par quel méchanisme l'eau monte dans cette pompe? - -Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les -tourbillons de matiere subtile n'existent pas: que le _Plein_ n'est pas -moins chimérique; qu'ainsi tout ce Systême, fondé sur ces imaginations, -n'est qu'un Roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c'est -que ces tourbillons imaginaires, & examinons ensuite si le _Plein_ est -possible. - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE SEIZE. - -_Que les tourbillons de Descartes & le Plein sont impossibles, & que -par conséquent il y a une autre cause de la pesanteur._ - - -DESCARTES suppose un amas immense de particules insensibles, qui -emporte la Terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, & qui d'un -Pole à l'autre se meut parallèlement à l'Equateur; ce tourbillon qui -s'étend au-delà de la Lune, & qui entraîne la Lune dans son cours, -est lui-même enchassé dans un autre tourbillon plus vaste encore, qui -touche à un autre tourbillon sans se confondre avec lui, &c. - - [Preuve de l'impossibilité des tourbillons.] - -1º. Si cela étoit, le tourbillon qui est supposé se mouvoir autour de -la Terre d'Occident en Orient, devroit chasser les corps sur la Terre -d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne, -qui étant prolongée passeroit, à-peu-près, par le centre de la Terre; -donc ce tourbillon n'existe pas. - -2º. Si les cercles de ce prétendu tourbillon se mouvoient & agissoient -parallèlement à l'Equateur, tous les corps devroient tomber chacun -perpendiculairement sous le cercle de cette matiere subtile auquel il -répond: un corps en A. près du Pole P. devroit, selon Descartes, tomber -en R. - -[Illustration] - -Mais il tombe à-peu-près selon la ligne A, B. ce qui fait une -différence d'environ 1400 lieues; car on peut compter 1400 lieues -communes de France du point R à l'Equateur de la Terre B.; donc ce -tourbillon n'éxiste pas. - -3º. Si ce tourbillon de matiere autour de la Terre, & ces autres -prétendus tourbillons autour de Jupiter & de Saturne, &c. éxistoient, -tous ces tourbillons immenses de matiere subtile, roulant si rapidement -dans des directions différentes, ne pourroient jamais laisser venir -à nous, en ligne droite, un rayon de lumiere dardé d'une Etoile. Il -est prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de tems par rapport au -chemin immense qu'ils font; donc ces tourbillons n'éxistent pas. - -4º. Si ces tourbillons emportoient les Planetes d'Occident en Orient, -les Cometes, qui traversent en tout sens ces espaces d'Orient en -Occident & du Nord au Sud, ne les pourroient jamais traverser. Et quand -on supposeroit que les Cometes n'ont point été en effet du Nord au Sud, -ni d'Orient en Occident, on ne gagneroit rien par cette évasion, car on -sait que quand une Comete se trouve dans la région de Mars, de Jupiter, -de Saturne, elle va incomparablement plus vîte que Mars, que Jupiter, -que Saturne; donc elle ne peut-être emportée, par la même couche du -fluide qui est supposé emporter ces Planetes; donc ces tourbillons -n'éxistent pas. - -5º. Ces prétendus tourbillons seroient ou aussi denses, aussi massifs -que les Planetes, ou bien ils seroient plus denses, ou enfin moins -denses. Dans le premier cas, la matiere prétendue, qui entoure la Lune -& la Terre, étant supposée dense comme un égal volume de Terre, nous -éprouverions pour lever un pied cubique de Marbre, par exemple, la -même résistance que si nous avions à lever une colomne de Marbre d'un -pied de base, qui auroit pour sa longueur la distance de la Terre à -la Lune. Dans le deuxième cas, la matiere fluide étant plus grave que -la Terre, notre Globe nageroit sur ce fluide, comme un Vaisseau nage -sur l'Eau, & ne pourroit être plongé, comme on le prétend, dans cette -matiere subtile. Dans le troisième cas, le fluide étant moins dense, -moins pesant que la Terre, ce fluide ne pourroit jamais la soutenir, -par la raison que l'Eau ne peut soutenir le fer, ni rien de ce qui pese -plus qu'elle; donc ces tourbillons n'éxistent pas. - -6º. Si ces fluides imaginaires éxistoient, tout l'ordre des Astres -seroit interverti: le Soleil qui tourne sur lui-même, perdroit bien-tôt -de son mouvement à force de rencontrer ce fluide; & aucune des Planetes -ne suivroit la route qu'elle tient, n'auroit le mouvement qu'elle a, -n'auroit bien-tôt aucun mouvement. - -7º. Les Planetes emportées dans ces tourbillons supposés ne pourroient -se mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons, à égales -distances du centre, seroient également denses; mais les Planetes se -meuvent dans des Ellipses; donc elles ne peuvent être portées par des -tourbillons; donc, &c. - -8º. La Terre a son Orbite qu'elle parcourt entre celui de Venus & -celui de Mars: tous ces Orbites sont elliptiques, & ont le Soleil -pour centre: or quand Mars, & Venus & la Terre sont plus près l'un -de l'autre, alors la matiere du torrent prétendu, qui emporte la -Terre, seroit beaucoup plus resserrée: cette matiere subtile devroit -précipiter son cours, comme un Fleuve rétreci dans ses bords, ou -coulant sous les arches d'un Pont: alors ce fluide devroit emporter la -Terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre position; mais -au contraire c'est dans ce tems-là même que le mouvement de la Terre -est plus ralenti. - -[Illustration] - -Quand Mars paroît dans le Signe des Poissons, Mars, la Terre & Venus -sont à-peu-près dans cette proximité que vous voyez: alors le Soleil -paroît retarder de quelque minutes, c'est-à-dire que c'est la Terre qui -retarde; il est donc démontré impossible qu'il y ait là un torrent de -matiere qui emporte les Planetes; donc ce tourbillon n'éxiste pas. - -9º. Parmi des démonstrations plus recherchées, qui anéantissent les -tourbillons, nous choisirons celle-ci. Par une des grandes loix de -Kepler, toute Planete décrit des aires égales en tems égaux: par une -autre loi non moins sûre, chaque Planete fait sa révolution autour -du Soleil en telle sorte, que si, par exemple, sa moyenne distance -au Soleil est 10. prenez le cube de ce nombre, ce qui fera 1000., -& le tems de la révolution de cette Planete autour du Soleil sera -proportionné à la racine quarrée de ce nombre 1000. Or s'il y avoit -des couches de matiere qui portassent des Planetes, ces couches ne -pourroient suivre ces loix; car il faudroit que les vîtesses de ces -torrents fussent à la fois proportionelles à leur distances au Soleil, -& aux racines quarrées de ces distances; ce qui est incompatible. - -Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriveroit à deux -fluides circulant l'un vis-à-vis de l'autre. Ils se confondroient -nécessairement & formeroient le Chaos au lieu de le débrouiller. Cela -seul auroit jetté sur le Systême Cartésien un ridicule qui l'eût -accablé, si le goût de la nouveauté, & le peu d'usage où l'on étoit -alors d'examiner, n'avoient prévalu. - -Il faut prouver à présent que le _Plein_, dans lequel ces tourbillons -sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons. - - [Preuve contre le _Plein_.] - -1º. Un seul rayon de lumiere, qui ne pese pas, à beaucoup près, la -cent-millième partie d'un grain, auroit à déranger tout l'Univers, -si elle avoit à s'ouvrir un chemin jusqu'à nous à travers un espace -immense, dont chaque point résisteroit par lui-même, & par toute la -ligne dont il seroit pressé. - -2º. Soient ces deux corps durs A, B: (nous avons déja prouvé qu'il faut -qu'il y ait des corps durs) ils se touchent par une surface, & sont -supposés entourés d'un fluide qui les presse de tous côtés: or, quand -on les sépare, il est clair que la prétendue matiere subtile arrive -plutôt au point A, où on les sépare, qu'au point B; - -[Illustration] - -Donc il y a un moment où B sera vuide; donc même dans le Systême de la -matiere subtile, il y a du vuide, c'est-à-dire de l'espace. - -3º. S'il n'y avoit point de vuide & d'espace, il n'y auroit point de -mouvement, même dans le Systême de Descartes. Il suppose que Dieu créa -l'Univers plein & consistant en petits cubes: soit donc un nombre donné -de cubes représentant l'Univers, sans qu'il y ait entre eux le moindre -intervalle: il est évident qu'il faut qu'un d'eux sorte de la place -qu'il occupoit, car si chacun reste dans sa place, il n'y a point de -mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer -d'un point de l'espace dans un autre point de l'espace; or qui ne voit -que l'un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vuide -à l'instant qu'il en sort, car il est clair que ce cube en tournant -sur lui-même doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que -l'angle soit brisé? donc alors il y a de l'espace entre ces deux cubes; -donc dans le Systême de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement -sans vuide. - -4º. Si tout étoit plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions -nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous -n'éprouvons que celle des fluides dans lesquelles nous sommes, par -exemple, celle de l'eau qui nous résiste 860. fois plus que celle de -l'air, celle du mercure qui résiste environ 14000. fois plus que l'air; -or les résistances des fluides sont comme les quarrés des vîtesses; -c'est-à-dire, si un homme parcourt dans une tierce un pied d'espace -du mercure qui lui résiste 14000. fois plus que l'air, si cet homme -dans la seconde tierce a le double de cette vîtesse, ce mercure lui -résistera dans la seconde tierce comme le quarré de 2. multiplié par -14000., résistance 56000. fois plus forte que celle de l'air qui -résiste alors à nos mouvemens; donc si tout étoit plein, il seroit -absolument impossible de faire un pas, de respirer, &c. - -5º. On a voulu éluder la force de cette démonstration; mais on ne -peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que -ce torrent infini de matiere subtile pénétrant tous les pores des -corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que -tout mobile, qui se meut dans un fluide, éprouve d'autant plus de -résistance, qu'il oppose plus de surface à ce fluide: or plus un corps -a de trous plus il a de surface: ainsi la prétendue matiere subtile en -choquant tout l'intérieur d'un corps, s'opposeroit bien davantage au -mouvement de ce corps, qu'en ne touchant que sa superficie extérieure; -& cela est encore démontré en rigueur. - -6º. Dans le _Plein_ tous les corps seroient également pesants; il est -impossible de concevoir qu'un corps pese sur moi, me presse, que par sa -masse une livre de poudre d'or pese autant sur ma main, qu'un morceau -d'or d'une livre. En vain les Cartésiens répondent que la matiere -subtile pénétrant les interstices des corps ne pese point, & qu'il -ne faut compter pour pesant que ce qui n'est point matiere subtile: -cette opinion de Descartes n'est chez lui qu'une pure contradiction, -car selon lui cette prétendue matiere subtile fait seule la pesanteur -des corps, en les repoussant vers la Terre; donc elle pese elle-même -sur ces corps; donc, si elle pese, il n'y a pas plus de raison pourquoi -un corps sera plus pesant qu'un autre, puisque tout étant plein, tout -aura également de masse, soit solide, soit fluide; donc le _Plein_ est -une chimére; donc il y a du _vuide_; donc rien ne se peut faire dans la -Nature sans vuide; donc la pesanteur n'est pas l'effet d'un prétendu -tourbillon imaginé dans le _Plein_. - - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE DIX-SEPT. - -_Ce que c'est que le_ Vuide, _& l_'Espace, _sans lequel il n'y auroit -ni pesanteur ni mouvement_. - - - [Difficulté contre le _Vuide_.] - -CEUX qui ne peuvent concevoir le _Vuide_, objectent que ce _Vuide_ ne -seroit rien, que le rien ne peut avoir des proprietés, & qu'ainsi il ne -se pourroit rien opérer dans le _Vuide_. - - [Réponse.] - -On répond qu'il n'est pas vrai que le _Vuide_ soit rien; il est le lieu -des corps, il est l'espace, il a des proprietés, il est étendu en -longueur, largueur & profondeur, il est pénétrable, il est inséparable, -&c. Il est vrai que je ne peux pas me faire dans le cerveau une image -de l'_Espace_ étendu, comme je m'en fais une du Corps étendu; mais -je me suis démontré que cet _Espace_ éxiste. Je ne puis en Géométrie -me représenter une infinité de cercles passant entre un cercle & une -tangente; mais je me suis démontré cependant que la chose est vraie en -Géométrie, & cela suffit. Je ne puis concevoir ce que c'est qui pense -en moi, je suis cependant convaincu que quelque chose pense en moi. -De même je me démontre l'impossibilité du _Plein_ & la nécessité du -_Vuide_, sans avoir une image du _Vuide_; car je n'ai d'image que de ce -qui est corporel, & l'_Espace_ n'est point corporel. Autre chose est se -représenter une image, autre chose est concevoir une vérité; je conçois -très-bien l'_Espace_, & les Philosophes Epicuriens, qui n'avoient guère -raison qu'en cela, le concevoient très-bien. - -Il n'y avoit d'autre réponse à cet Argument que de dire que la Matiere -est infinie; c'est ce que plusieurs Philosophes ont assûré, & ce que -Descartes a renouvellé après eux. - - [La Matiére n'est pas infinie.] - -Mais surquoi imagine-t-on que la Matiere est infinie? Sur une autre -supposition que l'on s'est plû de faire. On dit: l'Etendue & la Matiere -sont la même chose: on ne peut concevoir que l'Etendue soit finie; donc -il faut admettre la Matiere infinie. - -Cela prouve combien on s'égare, quand on ne raisonne que sur des -suppositions. Il est faux que l'Etendue & la Matiere soient la même -chose: toute matiere est étendue; mais toute étendue n'est pas matiere. -Descartes en avançant que l'Etendue ne peut-être que de la matiere, -disoit une chose bien peu Philosophique, car nous ne savons point du -tout ce que c'est que Matiere; nous en connoissons seulement quelques -proprietés, & personne ne peut nier qu'il ne soit possible qu'il éxiste -des millions d'autres substances étendues, différentes de ce que nous -appellons Matiere; or ces substances où seront-elles, sinon dans -l'_Espace_? - -Outre cette faute, Descartes se contredisoit encore, car il -admettoit un Dieu; or où est Dieu? Il n'est pas dans un point -mathématique, il est immense; qu'est-ce que son immensité, sinon -l'Espace immense? - - [Discussion de cette Vérité.] - -A l'égard de l'infinité prétendue de la Matiere, cette idée est -aussi peu fondée que les tourbillons. Nous avons vu que le _Vuide_ -est d'une nécessité absolue dans l'ordre des choses, & qu'ainsi la -Matiere ne remplissant point tout l'Espace, elle n'est point infinie; -mais, qu'entend-on par une Matiere infinie? car le mot _d'indéfinie_, -dont Descartes s'est servi, ou revient au même, ou ne signifie rien. -Entend-on que la Matiere est infinie essentiellement par sa nature? En -ce cas elle est donc Dieu? Entend-on que Dieu l'a créée infinie? D'où -le sauroit-on? Entend-on que l'Etendue & la Matiere sont la même chose? -C'est un argument dont on a prouvé assez la fausseté. - -L'éxistence de la Matiere infinie est, au fond, une contradiction -dans les termes. Mais dira-t-on, vous admettez un Espace immense, -infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la Matiere? Voici la -différence: L'Espace éxiste nécessairement, parce que Dieu éxiste -nécessairement; il est immense, il est comme la durée, un mode, une -proprieté infinie d'un Etre nécessaire, infini. La Matiere n'est rien -de tout cela: elle n'éxiste point nécessairement: & si cette substance -étoit infinie, elle seroit ou une proprieté essentielle de Dieu, ou -Dieu même: or elle n'est ni l'un ni l'autre; elle n'est donc pas -infinie & ne sauroit l'être. - - [Remarque singuliére.] - -Je conclurai ce Chapitre par une remarque qui me paroît mériter -beaucoup d'attention. Descartes admettoit un Dieu Créateur & Cause de -tout: mais il nioit la possibilité du _Vuide_: Epicure nioit qu'il y -eût un Dieu Créateur & Cause de tout, & il admettoit le _Vuide_; or -c'étoit Descartes qui par ses principes devoit nier un Dieu Créateur, & -c'étoit Epicure qui devoit l'admettre. En voici la preuve évidente. - -Si le _Vuide_ étoit impossible, si la Matiere étoit infinie, si -l'Etendue & la Matiere étoient la même chose, il faudroit que la -Matiere fût nécessaire: or si la Matiere étoit nécessaire, elle -éxisteroit par elle-même d'une nécessité absolue, inhérente dans -sa nature primordiale, antécédente à tout; donc elle seroit Dieu; -donc celui qui admet l'impossibilité du _Vuide_, doit, s'il raisonne -conséquemment, ne point admettre d'autre Dieu que la Matiere. - -Au contraire, s'il y a du _vuide_, la Matiere n'est donc point un Etre -nécessaire, éxistant par lui-même, &c.; donc elle a été créée; donc -il y a un Dieu; donc c'étoit à Epicure à croire un Dieu, & c'étoit -à Descartes à le nier. Pourquoi donc au contraire Descartes a-t-il -toujours parlé de l'éxistence d'un Etre Créateur & Conservateur, & -Epicure l'a-t-il rejetté? C'est que les hommes dans leurs sentimens, -comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, & que leurs -Systêmes ainsi que leurs vies sont des contradictions. - - [Conclusion.] - -Nous voyons de tout ce qui précéde que la Matiere est finie, qu'il y -a du _vuide_, c'est-à-dire, de l'espace, & même incomparablement plus -d'espace que de matiere dans notre Monde; car il y a beaucoup plus de -pores que de solides. Nous concluons que le _Plein_ est impossible, -que les tourbillons de matiere subtile le sont pareillement; qu'ainsi -la cause que Descartes assignoit à la pesanteur & au mouvement est une -chimére. - -Nous venons de nous appercevoir par l'expérience dans la Machine -pneumatique qu'il faut qu'il y ait une force qui fasse descendre les -corps vers le centre de la Terre, c'est-à-dire, qui leur donne la -pesanteur, & que cette force doit agir en raison de la masse des corps; -il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si -nous en découvrons les effets, il est évident qu'elle éxiste. N'allons -donc point d'abord imaginer des Causes & faire des Hypothèses: c'est le -sûr moyen de s'égarer: suivons pas à pas, ce qui se passe réellement -dans la Nature; nous sommes des Voyageurs arrivés à l'Embouchure d'un -Fleuve, il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source. - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE DIX-HUIT. - -_Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que -la Lune parcourt son Orbite par la force de cette gravitation._ - - - [Loix de la chûte des corps trouvées par Galilée.] - -GALILE'E le restaurateur de la Raison en Italie, découvrit cette -importante proposition, que les Corps graves qui descendent sur la -Terre (faisant abstraction de la petite résistance de l'air) ont un -mouvement accéléré dans une proportion dont je vais tâcher de donner -une idée nette. - -Un Corps abandonné à lui-même du haut d'une Tour, parcourt, dans la -premiere seconde de tems, un espace qui s'est trouvé être de 15 pieds -de Paris, selon les découvertes d'Hugens inventeur en Mathématiques. -On croyoit avant Galilée que ce Corps pendant deux secondes auroit -parcouru seulement deux fois le même espace, & qu'ainsi il feroit 150 -pieds en dix secondes, & neuf cens pieds en une minute: c'étoit-là -l'opinion générale, & même fort vraisemblable à qui n'examine pas de -près; cependant il est vrai qu'en une minute ce corps auroit fait un -chemin de cinquante-quatre mille pieds, & deux cens seize mille pieds -en deux minutes. - -Voici comment ce progrès, qui étonne d'abord l'imagination, s'opére -nécessairement & avec simplicité. Un Corps est précipité par son -propre poids: cette force quelconque qui l'anime à descendre de quinze -pieds dans la premiere seconde, agit également à tous les instans, car -rien n'ayant changé, il faut qu'elle soit toujours la même; ainsi à -la deuxième seconde le Corps aura la force qu'il a acquise à chaque -instant de la premiere seconde, & la force qu'il éprouve chaque instant -de la deuxième. Or par la force qui l'animoit à la premiere seconde il -parcouroit quinze pieds, il a donc encore cette force quand il descend -la deuxième seconde. Il a outre cela la force de quinze autres pieds -qu'il acquéroit à mesure qu'il descendoit dans cette premiere seconde, -cela fait trente: il faut (rien n'ayant changé) que dans le tems de -cette deuxième seconde, il ait encore la force de parcourir quinze -pieds, cela fait quarante-cinq; par la même raison le Corps parcourra -soixante-quinze pieds dans la troisième seconde, & ainsi du reste. - -De là il suit 1º. que le mobile acquiert en tems égaux infiniment -petits des degrés infiniment petits de vîtesse, lesquels accélérent -son mouvement vers le centre de la Terre, tant qu'il ne trouve pas de -résistance. - -2º. Que les vîtesses qu'il acquiert sont comme les tems qu'il employe à -descendre. - -3º. Que les espaces qu'il parcourt sont comme les quarrés de ces tems -où de ces vîtesses. - -4º. Que la progression des espaces parcourus par ce mobile sont comme -les nombres impairs 1, 3, 5, 7. Cette connoissance nécessaire de ce -Phénomêne qui arrive autour de nous à tous les instans, va être rendue -sensible à ceux même qui seroient d'abord un peu embarrassés de tous -ces rapports; il ne faut qu'un peu d'attention en jettant les yeux sur -cette petite table que chaque Lecteur peut augmenter à son gré. - - +-----------+----------+---------------------+-------------------+ - | Tems | Espaces | Espaces parcourus | Nombres impairs, | - | dans | qu'il | sont comme les | qui marquent | - | les | parcourt | quarrés des tems. | la progression du | - | quels le | en | | mouvement, | - | mobile | chaque | | & les espaces | - | tombe. | tems. | | parcourus. | - +-----------+----------+---------------------+-------------------+ - | 1re. | Le Corps | Le quarré d'un est | Une fois | - | Seconde, | descend | un, le corps | quinze, | - | une | de 15 | parcourt | | - | vîtesse: | pieds: | 15. pieds. | | - | | | | | - +-----------+----------+---------------------+-------------------+ - | | | Le quarré de deux | | - | | | secondes, ou de | | - | 2me. | Le | deux vîtesses est | Trois fois | - | Seconde, | Corps | quatre: quatre fois | quinze; | - | deux | parcourt | quinze font 60; | ainsi la | - | vîtesses: | 45. | donc le corps a | progression | - | | pieds: | parcouru 60. pieds | est | - | | | c'est-à-dire, 15. | d'un à 3. | - | | | dans la premiere | dans cette | - | | | seconde, & 45. dans | seconde. | - | | | la deuxième. | | - +-----------+----------+---------------------+-------------------+ - | | | | Cinq fois | - | | | Le quarré de 3. | 15. pieds; | - | | | secondes est neuf: | ainsi la | - | 3me. | Le | or neuf fois 15. | progression | - | Seconde | Corps | font 135; donc le | est visiblement | - | trois | parcourt | corps a parcouru | selon | - | vîtesses. | 75. | dans les trois | les nombres | - | | pieds. | secondes | impairs | - | | | 135. pieds. | 1. 3. 5. &c. | - +-----------+----------+---------------------+-------------------+ - -Il est clair d'abord qu'à chaque instant infiniment petit, le mobile -reçoit un mouvement accéléré, puisque, par l'énoncé même de la -proposition & par l'expérience, ce mouvement augmente continuellement. -Par cette petite Table un coup d'œil démontrera, qu'au bout d'une -minute le mobile aura parcouru cinquante-quatre mille pieds, car 54000. -pieds font le quarré de soixante secondes, multiplié par quinze; -or quinze multiplié par le quarré de soixante, qui est 3600. donne -cinquante-quatre mille. - -De ces Expériences il naissoit une nouvelle conjecture, à la -vérité bien fondée, mais qui requéroit pourtant une démonstration -particuliére. Car, voyant qu'un corps, par une pesanteur toujours -égale, faisoit soixante fois autant de chemin au bout de 60 minutes, -qu'il en faisoit pendant la premiére minute, on présuma que la -pesanteur elle-même devoit varier en raison quelconque des distances du -centre de la Terre. - -Cela fit aussi soupçonner deslors à quelques grands Génies, qui -cherchoient une route nouvelle, & entr'autres au fameux Bacon -Chancelier d'Angleterre, qu'il y avoit une gravitation, une attraction -des Corps au centre de la Terre, & de ce centre aux Corps. Il proposoit -dans son excellent Livre _Novum Scientiarum Organum_, qu'on fît -des expériences avec des Pendules sur les plus hautes Tours & aux -profondeurs les plus grandes; car, disoit-il, si les mêmes Pendules -font de plus rapides vibrations au fond d'un Puits que sur une Tour, il -faut conclure que la pesanteur, qui est le principe de ces vibrations, -sera beaucoup plus forte au centre de la Terre, dont ce Puits est plus -proche. Il essaya aussi de faire descendre des mobiles de différentes -élévations, & d'observer s'ils descendroient de moins de quinze pieds -dans la premiére seconde; mais il ne parut jamais de variation dans ces -expériences, les hauteurs & les profondeurs où on les faisoit étant -trop petites. - -On restoit donc dans l'incertitude, & l'idée de cette force agissant du -centre de la Terre demeuroit un soupçon vague. - -Descartes en eut connoissance: il en parle même en traitant de la -pesanteur; mais les expériences qui devoient éclaircir cette grande -question manquoient encore. Le Systême des tourbillons entraînoit ce -Génie sublime & vaste: il vouloit en créant son Univers, donner la -direction de tout à sa Matiere subtile: il en fit la dispensatrice de -tout mouvement & de toute pesanteur; petit à petit l'Europe adopta son -Systême faute de mieux. - - [Expérience faite par des Académiciens, laquelle conduit à cette - découverte.] - -Enfin en 1672. Mr. Richer dans un Voyage à la Cayenne près de la Ligne, -entrepris par ordre de Louïs XIV. sous les auspices de Colbert le Pere -de tous les Arts: Richer, dis-je, parmi beaucoup d'observations, trouva -que le Pendule de son Horloge ne faisoit plus ses oscillations, ses -vibrations aussi fréquentes que dans la Latitude de Paris, & qu'il -falloit absolument racourcir le Pendule d'une ligne & de plus d'un -quart. - -La Physique & la Géométrie n'étoient pas alors, à beaucoup près, si -cultivées qu'elles le sont aujourd'hui. Quel homme eût pu croire que -de cette remarque si petite en apparence, & que d'une ligne de plus ou -de moins, pussent sortir les plus grandes vérités Physiques? On trouva -d'abord, qu'il falloit nécessairement que la pesanteur fût moindre sous -l'Equateur, que dans notre Latitude, puisque la seule pesanteur fait -l'oscillation d'un pendule. - - [La Terre plus haute à proportion à l'Equateur qu'au Pole.] - -On vit par conséquent que, puisque la pesanteur des Corps étoit -d'autant moins forte, que ces Corps sont plus éloignés du centre de la -Terre, il falloit absolument que la Région de l'Equateur fût beaucoup -plus élevée que la nôtre, plus éloignée du centre, & qu'ainsi la -Terre ne pouvoit être une Sphére. Beaucoup de Philosophes firent à -propos de ces découvertes ce que font tous les hommes, à qui il faut -changer d'opinion; ils combattirent la Vérité nouvelle. Une partie des -Docteurs jusqu'au XV. Siècle avoit cru la Terre plate, plus longue -d'Orient en Occident que du Midi au Septentrion, & couverte du Ciel -comme d'une Tente en demi-voute. Leur opinion leur paroissoit d'autant -plus sûre qu'ils la croyoient fondée sur la Bible. Peu de tems avant -la découverte de l'Amérique, un Evêque d'Avila traitoit l'opinion de -la rondeur de la Terre, d'impieté, & d'absurdité. Enfin la Raison -& le Voyage de Christophe Colomb rendirent à la Terre son ancienne -forme sphérique, que les Chaldéens & les Egyptiens lui avoient donnée. -Alors on passa d'une extrémité à l'autre; on crut la Terre une Sphére -parfaite, comme on croyoit que les Etoiles faisoient leur révolution -dans un vrai cercle. - -Cependant du moment que l'on commença à bien savoir que notre Globe -tourne sur lui-même en vingt-quatre heures, on auroit du juger de cela -seul, qu'une forme entiérement ronde ne peut lui appartenir. On n'avoit -qu'à considerer que le mouvement de rotation en vingt-quatre heures -doit élever les Eaux de la Mer: que ces Eaux élevées plus que le reste -du Globe devroient à tout moment retomber sur _les Terres_ de la Région -de l'Equateur & les inonder: or elles n'y retombent pas; donc la Terre -solide y doit être élevée comme les Eaux. Ce raisonnement si simple, -si naturel, étoit échapé aux plus grands Génies; preuve certaine -du préjugé qui n'avoit pas même permis ce leger examen. On contesta -encore l'expérience même de Richer: on prétendit que nos Pendules ne -faisoient leurs vibrations si promptes vers l'Equateur, que parce que -la chaleur allongeoit ce métal: on vit que la chaleur du plus brûlant -Eté l'allonge d'une ligne sur trente pieds de longueur; & il s'agissoit -ici d'une ligne & un quart, d'une ligne & demie, ou même de deux lignes -sur une verge de fer longue de 3 pieds 8 lignes. - -Quelques années après, Mrs. Deshayes, Varin, Feuillée, Couplet, -repétérent vers l'Equateur la même expérience du Pendule; il le -fallut toujours racourcir, quoique la chaleur fût très-souvent moins -grande sous la Ligne même, qu'à quinze ou vingt degrès de la Ligne -Equinoxiale. Cette expérience vient d'être confirmée de nouveau par les -Académiciens qui sont à présent au Pérou; & on apprend dans le moment -que vers Quito, dans un tems où il geloit, il a fallu racourcir le -Pendule à secondes d'environ deux lignes. - -Tandis qu'on trouvoit ainsi de nouvelles vérités sous la Ligne, Mr. -Picart par les mêmes ordres avoit donné en 1669 une mesure de la Terre, -en traçant une petite partie de la Méridienne de la France. Elle ne -donnoit pas à la vérité une mesure aussi exacte de notre Globe qu'on -l'auroit eue, si l'on en avoit mesuré des degrés en France, & vers -l'Equateur & vers le Cercle Polaire; mais cette différence sera trop -petite pour être comptée dans les choses dont nous allons parler. - -Ces découvertes étoient nécessaires pour fonder la Théorie de Neuton. -On se croit obligé ici de rapporter sur ces découvertes & sur cette -Théorie une Anecdote qui ne sera pas sans utilité dans l'Histoire de -l'Esprit humain, & qui servira à faire connoître combien l'exactitude -est nécessaire dans les Sciences & combien Neuton cherchoit sincérement -la Vérité. - - [Anecdote sur ces découvertes.] - -Il avoit jetté dès l'année 1666 les fondemens de son admirable Systême -de la gravitation; mais il falloit pour que ce Systême se trouvât -vrai dans toutes ses parties, & sur-tout pour tirer du mouvement de la -Lune les conclusions que nous allons voir; il falloit, dis-je, que les -degrés de Latitude fussent chacun environ de vingt-cinq lieues communes -de France, & de près de soixante & dix milles d'Angleterre. - -Dès l'année 1636: Norwood Mathématicien Anglais avoit fait, par pure -curiosité, depuis Londres jusqu'à Yorck, vers le Nord d'Angleterre, -les mêmes opérations que les bienfaits du Ministère de France firent -entreprendre depuis par Picart en 1669, vers le Nord de Paris, dans un -moindre espace de terrain. - -Les degrés de Norwood se trouvoient, à très-peu de chose près, de -70 milles d'Angleterre, & de 25 lieues communes de France; c'étoit -précisément la mesure que Neuton avoit devinée par sa Théorie, & qui -pouvoit seule la justifier. - -Mais ce qui paroîtra étonnant, c'est qu'en 1666, & même plusieurs -années après, Neuton ne savoit rien des mesures de Norwood, prises -plus de 30 ans auparavant. Les malheurs qui avoient affligé l'Angleterre, -avoient été aussi funestes aux Sciences qu'à l'Etat. La découverte -de Norwood étoit ensévelie dans l'oubli; on s'en tenoit à la mesure -fautive des Pilotes, qui par leur estime vague comptoient 60 milles -seulement pour un degré de Latitude. Neuton retiré à la Campagne -pendant la peste de 1666, n'étant point à portée d'être instruit des -mesures de Norwood, s'en tenoit à cette fausse mesure des 60 milles. - -Ce fut par cette fausse mesure qu'il rechercha, comme nous l'allons -dire, si le même pouvoir qui fait graviter ici les corps vers le centre -de la Terre, retient la Lune dans son Orbite. Il se trouva assez loin -des conclusions, où il seroit parvenu avec une mesure plus exacte de la -Terre, & il eut la bonne foi d'abandonner sa recherche. - -Il la reprit quelques années après, sur les mesures de Picart, & il -s'y confirma encore davantage en 1683. par les mesures plus exactes -de Cassini, la Hire, Chazelles & Varin, qui encouragés par Colbert -embrassérent un plus grand terrain que Picart. - -Ces Académiciens poussérent la Méridienne jusqu'en Auvergne; mais -Colbert étant mort, Louvois, qui lui succéda dans le Département de -l'Académie, & non dans son goût pour les Sciences, interrompit un peu -ce grand travail. - -Ce ne fut guère que vers ce tems-là que Neuton eut connoissance des -opérations de Norwood; il vit avec étonnement que ces mesures étoient -les mêmes que celles de Picart & de Cassini, à cela près, que le -degré mesuré par Norwood surpassoit celui de Picart de 240 toises, -& ne surpassoit celui de Cassini que de huit. Neuton attribuoit ce -petit excédant de huit toises par degré à la figure de la Terre, -qu'il croyoit être celle d'un Sphéroïde applati vers les Poles; & il -jugeoit que Norwood en tirant sa Méridienne dans des Régions plus -Septentrionales que la nôtre, avoit du trouver ses degrés plus grands -que ceux de Cassini, puisqu'il supposoit la courbe du terrain mesurée -par Norwood plus longue. Quoi qu'il en soit, voici la sublime Théorie -qu'il tira de ces mesures, & des découvertes du grand Galilée. - - [Théorie tirée de ces découvertes.] - -La pesanteur sur notre Globe est en raison réciproque des quarrés des -distances des corps pesants du centre de la Terre; ainsi plus ces -distances augmentent, plus la pesanteur diminue. - -La force qui fait la pesanteur ne dépend point des tourbillons de -Matiere subtile, dont l'existence est démontrée fausse. - -Cette force, telle qu'elle soit, agit sur tous les corps, non selon -leurs surfaces; mais selon leurs masses. Si elle agit à une distance, -elle doit agir à toutes les distances; si elle agit en raison inverse -du quarré de ces distances, elle doit toujours agir suivant cette -proportion sur les corps connus, quand ils ne sont pas au point de -contact, je veux dire, le plus près qu'il est possible d'être, sans -être unis. - -Si, suivant cette proportion, cette force fait parcourir sur notre -Globe 54000 pieds en 60 secondes, un corps qui sera environ à soixante -rayons du centre de la Terre, devra en 60 secondes tomber seulement de -quinze pieds de Paris ou environ. - - [La même cause qui fait tomber les corps sur la Terre, dirige la Lune - autour de la Terre.] - -La Lune dans son moyen mouvement est éloignée du centre de la Terre -d'environ soixante rayons du Globe de la Terre: or par les mesures -prises en France on connoît combien de pieds contient l'Orbite que -décrit la Lune; on sait par-là que dans son moyen mouvement elle décrit -187961 pieds de Paris en une minute. - -[Illustration] - -La Lune dans son moyen mouvement, est tombée de A, en B, elle a donc -obéï à la force de projectile, qui la pousse dans la tangente A, C, & -à la force, qui la feroit descendre suivant la ligne A, D. égale à B, -C: ôtez la force qui la dirige de A, en C, restera une force qui pourra -être évaluée par la ligne C, B: cette ligne C, B. est égale à la ligne -A, D; mais il est démontré que la courbe A, B. valant 187961. pieds, la -ligne A, D. ou C, B. en vaudra seulement quinze; donc que la Lune soit -tombée en B, ou en D, c'est ici la même chose, elle auroit parcouru 15. -pieds en une minute de C, en B; donc elle auroit parcouru 15. pieds -aussi de A, en D. en une minute. Mais en parcourant cet espace en une -minute, elle fait précisément 3600 fois moins de chemin qu'un mobile -n'en feroit ici sur la Terre: 3600. est juste le quarré de sa distance; -donc la gravitation qui agit ici sur tous les corps, agit aussi entre -la Terre & la Lune précisément dans ce rapport de la raison inverse du -quarré des distances. - -Mais si cette puissance qui anime les corps, dirige la Lune dans son -Orbite, elle doit aussi diriger la Terre dans le sien, & l'effet -qu'elle opére sur la Planete de la Lune, elle doit l'opérer sur la -Planete de la Terre. Car ce pouvoir est par-tout le même: toutes -les autres Planetes doivent lui être soumises, le Soleil doit aussi -éprouver sa loi: & s'il n'y a aucun mouvement des Planetes les unes à -l'égard des autres, qui ne soit l'effet nécessaire de cette puissance, -il faut avouer alors que toute la Nature la démontre; c'est ce que nous -allons observer plus amplement. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE DIX-NEUF. - -_Que la gravitation & l'attraction dirigent toutes les Planetes dans -leurs Cours._ - - - [Comment on doit entendre, la Théorie de la pesanteur chez Descartes.] - -PResque toute la Théorie de la pesanteur chez Descartes est fondée sur -cette loi de la Nature, que tout corps qui se meut en ligne courbe, -tend à s'éloigner de son centre en une ligne droite, qui toucheroit la -courbe en un point. Telle est la fronde qui en s'échapant de la main au -point B, suivroit cette ligne B, C. - -[Illustration] - -Tous les corps en tournant avec la Terre font ainsi un effort pour -s'éloigner du centre; mais la Matiere subtile faisant un bien plus -grand effort repousse, disoit-on, tous les autres corps. - -Il est aisé de voir que ce n'étoit point à la Matiere subtile à faire -ce plus grand effort, & à s'éloigner du centre du tourbillon prétendu, -plutôt que les autres corps; au contraire c'étoit sa nature (supposé -qu'elle éxistât) d'aller au centre de son mouvement, & de laisser aller -à la circonférence tous les corps qui auroient eu plus de masse. -C'est en effet ce qui arrive sur une table qui tourne en rond, lorsque -dans un tube pratiqué dans cette table, on a mêlé plusieurs poudres & -plusieurs liqueurs de pesanteurs spécifiques différentes; tout ce qui -a plus de masse s'éloigne du centre, tout ce qui a moins de masse s'en -approche. Telle est la loi de la Nature; & lorsque Descartes a fait -circuler à la circonférence sa prétendue Matiere subtile, il a commencé -par violer cette loi des forces centrifuges, qu'il posoit pour son -premier principe. Il a eu beau imaginer que Dieu avoit créé des dés -tournans les uns sur les autres: que la raclure de ces dés qui faisoit -sa Matiere subtile, s'échapant de tous les côtés, acquéroit par-là plus -de vîtesse: que le centre d'un tourbillon s'encroutoit, &c.; il s'en -falloit bien que ces imaginations rectifiassent cette erreur. - -Sans perdre plus de tems à combattre ces Etres de raison, suivons les -loix de la Mécanique qui opére dans la Nature. Un corps qui se meut -circulairement, prend en cette maniere, à chaque point de la courbe -qu'il décrit, une direction qui l'éloigneroit du Cercle, en lui faisant -suivre une ligne droite. - -[Illustration] - -Cela est vrai. Mais il faut prendre garde que ce corps ne s'éloigneroit -ainsi du centre, que par cet autre grand Principe: que tout corps étant -indifférent de lui-même au repos & au mouvement, & ayant cette inertie -qui est un attribut de la Matiere, suit nécessairement la ligne dans -laquelle il est mu. Or tout corps qui tourne autour d'un centre, suit -à chaque instant une ligne droite infiniment petite, qui deviendroit -une droite infiniment longue, s'il ne rencontroit point d'obstacle. -Le résultat de ce principe, réduit à sa juste valeur, n'est donc autre -chose, sinon qu'un corps qui suit une ligne droite, suivra toujours une -ligne droite; donc il faut une autre force pour lui faire décrire une -courbe; donc cette autre force, par laquelle il décrit la courbe le -feroit tomber au centre à chaque instant, en cas que ce mouvement de -projectile en ligne droite cessât. A la vérité de moment en moment ce -corps iroit en A, en B, en C. s'il s'échapoit; - -[Illustration] - - [Ce que c'est que la force centrifuge, & la force centripète.] - -Mais aussi de moment en moment il retomberoit de A, de B, de C. -au centre; parce que son mouvement est composé de deux sortes de -mouvemens, du mouvement de projectile en ligne droite, & du mouvement -imprimé aussi en ligne droite par la force centripète, force par -laquelle il iroit au centre. Ainsi de cela même que le corps décriroit -ces tangentes A, B, C. il est démontré qu'il y a un pouvoir qui le -retire de ces tangentes à l'instant même qu'il les commence. Il faut -donc absolument considerer tout corps se mouvant dans une courbe, comme -mu par deux puissances, dont l'une est celle qui lui feroit parcourir -des tangentes, & qu'on nomme la force centrifuge, ou plutôt la force -d'inertie, d'inactivité, par laquelle un corps suit toujours une droite -s'il n'en est empêché; & l'autre force qui retire le corps vers le -centre, laquelle on nomme la force contripète, & qui est la véritable -force. - -C'est ainsi qu'un corps mu selon la ligne horisontale G, E. & selon -la ligne perpendiculaire G, F. obéït à chaque instant à ces deux -puissances en parcourant la diagonale G, H. - -[Illustration] - -De l'établissement de cette force centripète, il résulte d'abord cette -démonstration, que tout mobile qui se meut dans un cercle, ou dans une -ellipse, ou dans une courbe quelconque, se meut autour d'un centre -auquel il tend. - -Il suit encore que ce mobile, quelques portions de courbe qu'il -parcoure, décrira dans ses plus grands arcs & dans ses plus petits -arcs, des aires égales en tems égaux. Si, par exemple, un mobile en -une minute borde l'espace A, C, B. qui contiendra cent milles d'aire, -il doit border en deux minutes un autre espace B, C, D. de deux cens -milles. - -[Illustration] - -Cette Loi inviolablement observée par toutes les Planetes, & inconnue à -toute l'Antiquité, fut découverte il y a près de 150. ans par Kepler, -qui a mérité le nom de _Législateur_ en Astronomie, malgré ses erreurs -Philosophiques. Il ne pouvoit savoir encore la raison de cette règle -à laquelle les corps célestes sont assujettis. L'extrême sagacité de -Kepler trouva l'effet dont le génie de Neuton a trouvé la cause. - -Je vais donner ici la substance de la Démonstration de Neuton: elle -sera aisément comprise par tout Lecteur attentif; car les hommes -ont une Géométrie naturelle dans l'esprit, qui leur fait saisir les -rapports, quand ils ne sont pas trop compliqués. On trouvera la -Démonstration plus étendue en Notes[1] [2]. - - [1] DÉMONSTRATION. - - _Que tout mobile attiré par une force centripète décrit dans une ligne - courbe des aires égales en tems égaux_. - - [Illustration] - - Tout corps se meut d'un mouvement uniforme, quand il n'y a point de - force accélératrice; donc le corps A. mu en ligne droite dans le - premier tems de A, en B. ira en pareil tems de B, en C. de C, en Z. - Ces espaces conçus égaux, la force centripète dans le second tems - donne à ce corps en B. un mouvement quelconque, & le corps au lieu - d'aller en C. va en H.; quelle direction a-t-il eue différente de B, - C.? Tirez les 4. lignes C, H. G, B. C, B. G, H. le mobile a suivi la - diagonale B, H. de ce parallélogramme. - - Or les 2. côtés B, C. B, G. du parallélogramme sont dans le même plan - que le triangle A, B, S. donc les forces sont dirigées vers G, S. & - vers la droite A, B, C, Z. - - Les triangles S, H, B. S, C, B. sont égaux, puisqu'ils sont sur la - même base S, B. & entre les parallelles H, C. G, B; mais S, B, A. S, - C, B. sont égaux, ayant même base & même hauteur; donc S, B, A. S, H, - B. sont aussi égaux. - - Il faut en dire autant des triangles S, T, H. S, D, H; donc tous ces - triangles sont égaux. Diminuez la hauteur à l'infini, le corps à - chaque moment infiniment petit décrira la courbe, de laquelle toutes - les lignes tendent au point S.; donc dans tous les cas les aires de - ces triangles sont proportionelles aux tems. - - [2] DÉMONSTRATION. - - _Que tout corps dans une courbe décrivant des triangles égaux autour - d'un point, est mu par la force contripète autour de ce point_. - - [Illustration] - - Que cette courbe soit divisée en parties égales A, B. B, H. H, F. - infiniment petites, décrites en tems égaux; soit conçue la force agir - aux points B, H, F. soit A, B. prolongée en C. soit B, H. prolongée - en T. le triangle S, A, B. sera égal au triangle S, B, H. car A, B. - est égal à B, C; donc S, B, H. est égal à S, B, C; donc la force en - B, G. est parallelle à C, H; mais cette ligne B, G. parallelle à - C, H. est la ligne B, G, S. tendante au centre. Le corps en H. est - dirigé par la force centripète selon une ligne parallelle à F, T. de - même qu'au point B. il étoit dirigé par cette même force dans une - ligne parallelle à C, H. Or la ligne parallelle à C, H. tend en S.; - donc la ligne parallelle à F, T. tendra aussi en S.; donc toutes les - lignes ainsi tirées tendront au point S. - - Concevez maintenant en S. des triangles semblables à ceux ci-dessus; - plus ces triangles ci-dessus seront petits, plus les triangles en S. - approcheront d'un point Physique, lequel point S. sera le centre des - forces. - -[Illustration] - -Que le corps A. soit mu en B. en un espace de tems très-petit: au -bout d'un pareil espace, un mouvement également continué (car il n'y -a ici nulle accélération) le feroit venir en C; mais en B. il trouve -une force qui le pousse dans la ligne B, H, S.; il ne suit donc ni ce -chemin B, H, S. ni ce chemin A, B, C; tirez ce parallélogramme C, D. -B, H. alors le mobile étant mu par la force B, C. & par la force B, H. -s'en va selon la diagonale B, D. Or cette ligne B, D. & cette ligne B, -A. conçues infiniment petites sont les naissances d'une courbe, &c.; -donc ce corps se doit mouvoir dans une courbe. - - [Cette démonstration prouve que le Soleil est le centre de l'Univers & - non la Terre.] - -Il doit border des espaces égaux en tems égaux, car l'espace du -triangle S, B, A. est égal à l'espace du triangle S, B, D.: ces -triangles sont égaux; donc ces aires sont égales; donc tout corps -qui parcourt des aires égales en tems égaux dans une courbe, fait -sa révolution autour du centre des forces auquel il tend; donc les -Planetes tendent vers le Soleil, tournent autour du Soleil, & non -autour de la Terre. Car en prenant la Terre pour centre, leurs aires -sont inégales par rapport aux tems, & en prenant le Soleil pour centre, -ces aires se trouvent toujours proportionnelles aux tems; si vous en -exceptez les petits dérangemens causés par la gravitation même des -Planétes. - -Pour bien entendre encore ce que c'est que ces aires proportionnelles -aux tems, & pour voir d'un coup d'œil l'avantage que vous tirez de -cette connoissance, regardez la Terre emportée dans son ellipse autour -du Soleil S. son centre. Quand elle va de B, en D. elle ballaye un -aussi grand espace que quand elle parcourt ce grand arc H. K: le -Secteur H, K. regagne en largeur ce que le Secteur B, S, D. a en -longueur. Pour faire l'aire de ces Secteurs égale en tems égaux, il -faut que le corps vers H, K. aille plus vîte que vers B, D. Ainsi la -Terre & toute Planéte se meut plus vîte dans son périhélie, qui est la -courbe la plus voisine du Soleil S, que dans son aphélie, qui est la -courbe la plus éloignée de ce même foyer S. - -[Illustration] - - [C'est pour les raisons précédentes que nous avons plus d'Eté que - d'Hyver.] - -On connoît donc quel est le centre d'une Planéte, & quelle figure elle -décrit dans son orbite par les aires qu'elle parcourt; on connoît -que toute Planéte, lorsqu'elle est plus éloignée du centre de son -mouvement, gravite moins vers ce centre. Ainsi la Terre étant plus -près du Soleil d'un trentième, c'est-à-dire, d'un million de lieues, -pendant notre Hyver que pendant notre Eté, est plus attirée aussi en -Hyver; ainsi elle va plus vîte alors par la raison de sa courbe; ainsi -nous avons huit jours & demi d'Eté plus que d'Hyver, & le Soleil paroît -dans les Signes Septentrionaux huit jours & demi de plus que dans les -Méridionaux. Puis donc que toute Planéte suit, par rapport au Soleil, -son centre, cette Loi de gravitation que la Lune éprouve par rapport -à la Terre, & à laquelle tous les corps sont soumis en tombant sur la -Terre, il est démontré que cette gravitation, cette attraction, agit -sur tous les corps que nous connoissons. - -Mais une autre puissante Démonstration de cette Vérité, est la Loi que -suivent respectivement toutes les Planétes dans leurs cours & dans -leurs distances; c'est ce qu'il faut bien examiner. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE VINGT. - -_Démonstration des loix de la gravitation, tirée des règles de Kepler; -qu'une de ces loix de Kepler démontre le mouvement de la Terre._ - - - [Grande règle de Kepler.] - -KEPLER trouva encore cette admirable règle, dont je vais donner un -exemple avant que de donner la définition, pour rendre la chose plus -sensible & plus aisée. - -Jupiter a 4. Satellites qui tournent autour de lui: le plus proche est -éloigné de 2. Diamétres de Jupiter & 5. sixièmes, & il fait son tour en -42. heures: le dernier tourne autour de Jupiter en 402. heures; je veux -savoir à quelle distance ce dernier Satellite est du centre de Jupiter. -Pour y parvenir, je fais cette règle. Comme le quarré de 42. heures, -révolution du 1er. Satellite, est au quarré de 402. heures, révolution -du dernier; ainsi le cube de deux Diamétres & 5/6 est à un 4e. terme. -Ce 4e. terme étant trouvé, j'en extrais la racine cube, cette racine -cube se trouve 12. 2/3.; ainsi je dis que le 4e. Satellite est éloigné -du centre de Jupiter de 12. Diamétres de Jupiter & 2/3. - -Je fais la même règle pour toutes les Planétes qui tournent autour du -Soleil. Je dis: Venus tourne en 224. jours, & la Terre en 365; la Terre -est à 30000000. de lieues du Soleil, à combien de lieues sera Venus? Je -dis: comme le quarré de l'année de la Terre est au quarré de l'année de -Venus, ainsi le cube de la distance moyenne de la Terre est à un 4e. -terme dont la racine cubique sera environ 21700000. de lieues, qui font -la distance moyenne de Venus au Soleil; j'en dis autant de la Terre & -de Saturne, &c. - -Cette loi est donc, que le quarré d'une révolution d'une Planete est -toujours au quarré des révolutions des autres Planetes, comme le cube -de sa distance est aux cubes des distances des autres, au centre commun. - - [Raisons indignes d'un Philosophe données par Kepler de cette loi - admirable.] - -Kepler qui trouva cette proportion, étoit bien loin d'en trouver -la raison. Moins bon Philosophe qu'Astronome admirable, il dit (au -4e. Liv. de son Epitome) que le Soleil a une ame, non pas une ame -intelligente _animum_, mais une ame végétante, agissante, _animam_: -qu'en tournant sur lui-même il attire à soi les Planetes; mais que les -Planetes ne tombent pas dans le Soleil, parce qu'elles font aussi une -révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles -présentent au Soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi: le côté -ami est attiré, & le côté ennemi est repoussé; ce qui produit le cours -annuel des Planetes dans des Ellipses. - -Il faut avouer pour l'humiliation de la Philosophie, que c'est de ce -raisonnement si peu Philosophique, qu'il avoit conclu que le Soleil -devoit tourner sur son axe: l'erreur le conduisit par hazard à la -vérité; il devina la rotation du Soleil sur lui-même plus de 15. ans -avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l'aide des Telescopes. - -Kepler ajoute dans son même Epitome p. 495. que la masse du Soleil, la -masse de tout l'Ether, & la masse des Sphéres des Etoiles fixes sont -parfaitement égales; & que ce sont les 3. Symboles de la Très-Sainte -Trinité. - -Le Lecteur qui en lisant ces Elémens, aura vu de si grandes rêveries, -à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler, -dans un aussi profond Mathématicien que Kirker, ne doit point en être -surpris: on peut être un Génie en fait de calcul & d'observations, & se -servir mal quelquefois de sa raison pour le reste; il y a tels Esprits -qui ont besoin de s'appuyer sur la Géométrie, & qui tombent quand -ils veulent marcher seuls. Il n'est donc pas étonnant que Kepler, en -découvrant ces loix de l'Astronomie, n'ait pas connu la raison de ces -loix. - - [Raison véritable de cette loi trouvée par Neuton.] - -Cette raison est, que la force centripète est précisément en proportion -inverse du quarré de la distance du centre de mouvement, vers lequel -ces forces sont dirigées; c'est ce qu'il faut suivre attentivement. -Il faut bien entendre, qu'en un mot cette loi de la gravitation est -telle, que tout corps qui approche 3. fois plus du centre de son -mouvement, gravite 9. fois davantage: que s'il s'éloigne 3. fois plus, -il gravitera 9. fois moins; & que s'il s'éloigne 100. fois plus, il -gravitera 10000. fois moins. - -Un corps se mouvant circulairement autour d'un centre, pese donc en -raison inverse du quarré de sa distance actuelle au centre, comme -aussi en raison directe de sa masse; or il est démontré que c'est la -gravitation qui le fait tourner autour de ce centre, puisque sans cette -gravitation, il s'en éloigneroit en décrivant une tangente. Cette -gravitation agira donc plus fortement sur un mobile, qui tournera -plus vîte autour de ce centre; & plus ce mobile sera éloigné, plus il -tournera lentement, car alors il pesera bien moins. - -C'est par cette raison que la Terre, quoique 1170. fois plus petite que -Jupiter, ne pese pourtant sur le Soleil que 8. fois moins que Jupiter; -& cela en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés -des distances de ces Planetes au Soleil. - - [Récapitulation des preuves de la gravitation.] - -Voilà donc cette loi de la gravitation en raison du quarré des -distances, démontrée - -1º. Par l'Orbite que décrit la Lune, & par son éloignement de la Terre, -son centre; - -2º. Par le chemin de chaque Planete autour du Soleil dans une Ellipse; - -3º. Par la comparaison des distances & des révolutions de toutes les -Planetes autour de leur centre commun. - - [Ces découvertes de Kepler & de Neuton servent à démontrer que c'est la - Terre qui tourne autour du Soleil.] - -Il ne sera pas inutile de remarquer que cette même règle de Kepler, -qui sert à confirmer la découverte de Neuton touchant la gravitation, -confirme aussi le Systême de Copernic sur le mouvement de la Terre. -On peut dire que Kepler par cette seule règle a démontré ce qu'on -avoit trouvé avant lui, & a ouvert le chemin aux vérités qu'on devoit -découvrir un jour. Car d'un côté il est démontré que si la loi des -forces centripètes n'avoit pas lieu, la règle de Kepler seroit -impossible; de l'autre il est démontré que suivant cette même règle, -si le Soleil tournoit autour de la Terre, il faudroit dire: Comme -la révolution de la Lune autour de la Terre en un mois, est à la -révolution prétendue du Soleil autour de la Terre en un an, ainsi la -racine quarrée du cube de la distance de la Lune à la Terre, est à la -racine quarrée du cube de la distance du Soleil à la Terre. Par ce -calcul on trouveroit que le Soleil n'est qu'à 510000. lieues de nous; -mais il est prouvé qu'il en est au moins à environ 30. millions de -lieues; ainsi donc le mouvement de la Terre a été démontré en rigueur -par Kepler. Voici encore une démonstration bien simple tirée des mêmes -théorêmes. - - [Démonstration du mouvement de la Terre tirée des mêmes loix.] - -Si la Terre étoit le centre du mouvement du Soleil, comme elle l'est du -mouvement de la Lune, la révolution du Soleil seroit de 475. ans, au -lieu d'une année; car l'éloignement moyen où le Soleil est de la Terre, -est à l'éloignement moyen où la Lune est de la Terre, comme 337. est à -un: or le cube de la distance de la Lune est 1., le cube de la distance -du Soleil 38272753: achevez la règle, & dites: Comme le cube 1. est à -ce nombre cubé 38272753. ainsi le quarré de 28. qui est la révolution -périodique de la Lune est à un 4e. nombre: vous trouverez que le Soleil -mettroit 475. ans au lieu d'une année à tourner autour de la Terre; il -est donc démontré que c'est la Terre qui tourne. - -Il semble d'autant plus à propos de placer ici ces Démonstrations, -qu'il y a encore des hommes destinez à instruire les autres en Italie, -en Espagne, & même en France, qui doutent, ou qui affectent de douter -du mouvement de la Terre. - -Il est donc prouvé par la loi de Kepler & par celle de Neuton, que -chaque Planete gravite vers le Soleil, centre de l'Orbite qu'elles -décrivent: ces loix s'accomplissent dans les Satellites de Jupiter par -rapport à Jupiter, leur centre: dans les Lunes de Saturne par rapport -à Saturne, dans la nôtre par rapport à nous: toutes ces Planetes -secondaires qui roulent autour de leur Planete centrale gravitent aussi -avec leur Planete centrale vers le Soleil; ainsi la Lune entraînée -autour de la Terre par la force centripète, est en même tems attirée -par le Soleil autour duquel elle fait aussi sa révolution. Il n'y a -aucune varieté dans le cours de la Lune, dans ses distances de la -Terre, dans la figure de son Orbite, tantôt aprochante de l'ellipse, -tantôt du cercle, &c. qui ne soit une suite de la gravitation en raison -des changemens de sa distance à la Terre, & de sa distance au Soleil. - -Si elle ne parcourt pas exactement dans son Orbite des aires égales -en tems égaux; Mr. Neuton a calculé tous les cas où cette inégalité -se trouve: tous dépendent de l'attraction du Soleil; il attire ces 2. -Globes en raison directe de leurs masses, & en raison inverse du quarré -de leurs distances. Nous allons voir que la moindre variation de la -Lune est un effet nécessaire de ces pouvoirs combinez. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE VINGT-UN. - -_Nouvelles preuves de l'attraction. Que les inégalités du mouvement & -de l'Orbite de la Lune sont nécessairement les effets de l'attraction._ - - -LA Lune n'a qu'un seul mouvement égal, c'est sa rotation autour -d'elle-même sur son axe, & c'est le seul dont nous ne nous appercevons -pas: c'est ce mouvement qui nous présente toujours à-peu-près le même -disque de la Lune; de sorte qu'en tournant réellement sur elle-même, -elle paroît ne point tourner du tout, & avoir seulement un petit -mouvement de balancement, de libration, qu'elle n'a point, & que toute -l'Antiquité lui attribuoit. - -Tous ses autres mouvemens autour de la Terre sont inégaux, & doivent -l'être si la règle de la gravitation est vraye. La Lune dans son cours -d'un mois est nécessairement plus près du Soleil dans un certain -point, & dans un certain tems de son cours: or dans ce point & dans ce -tems sa masse demeure la même: sa distance étant seulement changée, -l'attraction du Soleil doit changer en raison renversée du quarré de -cette distance: le cours de la Lune doit donc changer, elle doit donc -aller plus vîte en certains tems que l'attraction seule de la Terre ne -la feroit aller; or par l'attraction de la Terre elle doit parcourir -des aires égales en tems égaux, comme vous l'avez déja observé au -Chapitre 19. - -On ne peut s'empêcher d'admirer avec quelle sagacité Neuton a démêlé -toutes ces inégalités, réglé la marche de cette Planete, qui s'étoit -dérobée à toutes les recherches des Astronomes; c'est-là sur-tout qu'on -peut dire: - - _Nec propius fas est mortali attingere Divos._ - - [Exemple en preuve.] - -Entre les exemples qu'on peut choisir, prenons celui-ci: Soit A. la -Lune: A, B, N, Q. l'Orbite de la Lune: S. le Soleil; B. l'endroit où la -Lune se trouve dans son dernier quartier[*]. - - [*] On a laissé ce blanc, & renvoyé la suite du Texte avec la - Figure aux pages suivantes, pour la commodité du Lecteur. - -Elle est alors manifestement à la même distance du Soleil qu'est la -Terre. La différence de l'obliquité de la ligne de direction de la Lune -au Soleil étant comptée pour rien, la gravitation de la Terre & de la -Lune vers le Soleil est donc la même. Cependant la Terre avance dans sa -route annuelle de T. en V. & la Lune dans son cours d'un mois avance en -Z.: or en Z. il est manifeste qu'elle est plus attirée par le Soleil -S. dont elle se trouve plus proche que la Terre; son mouvement sera -donc accéléré de Z. vers N.; l'Orbite qu'elle décrit sera donc changée, -mais comment sera-t-elle changée? En s'aplatissant un peu, en devenant -plus approchante d'une droite depuis Z. vers N.; ainsi donc de moment -en moment la gravitation change le cours & la forme de l'Ellipse, dans -laquelle se meut cette Planete. - -[Illustration: _Pag. 264._] - -Par la même raison la Lune doit retarder son cours, & changer encore -la figure de l'Orbite qu'elle décrit, lorsqu'elle repasse de la -conjonction N. à son premier quartier Q; car puisque de son dernier -quartier elle accéléroit son cours en aplatissant sa courbe vers sa -conjonction N. elle doit retarder ce même cours en remontant de la -conjonction vers son premier quartier. - -Mais lorsque la Lune remonte de ce premier quartier vers son plein A. -elle est alors plus loin du Soleil qui l'attire d'autant moins, elle -gravite plus vers la Terre. Alors la Lune accélérant son mouvement, -la courbe qu'elle décrit s'applatit encore un peu comme dans la -conjonction; & c'est-là l'unique raison pour laquelle la Lune est plus -loin de nous dans ses quartiers, que dans sa conjonction & dans son -opposition. La courbe qu'elle décrit est une espèce d'ovale approchant -du cercle à-peu-près en cette maniere. - -[Illustration] - -Ainsi donc le Soleil, dont elle s'approche, ou s'éloigne à chaque -instant, doit à chaque instant varier le cours de cette Planete. - - [Inégalités du cours de la Lune, toutes causées par l'attraction.] - -Elle a son apogée & son périgée, sa plus grande & sa plus petite -distance de la Terre; mais les points, les places de cet apogée & de ce -périgée, doivent changer. - -Elle a ses nœuds, c'est-à-dire, les points où l'Orbite qu'elle -parcourt, rencontre précisément l'Orbite de la Terre; mais ces nœuds, -ces points d'intersection, doivent toujours changer aussi. - -Elle a son Equateur incliné à l'Equateur de la Terre; mais cet -Equateur, tantôt plus tantôt moins attiré, doit changer son inclinaison. - -Elle suit la Terre malgré toutes ces variétés: elle l'accompagne -dans sa course annuelle; mais la Terre dans cette course se trouve -d'un million de lieues plus voisine du Soleil en Hyver qu'en Eté. -Qu'arrive-t-il alors indépendemment de toutes ces autres variations? -L'attraction de la Terre agit plus pleinement sur la Lune en Eté: alors -la Lune acheve son cours d'un mois un peu plus vîte; mais en Hyver au -contraire, la Terre elle-même plus attirée par le Soleil, & allant -plus rapidement qu'en Eté, laisse ralentir le cours de la Lune, & les -mois d'Hyver de la Lune sont un peu plus longs que ses mois d'Eté. Ce -peu que nous en disons suffira pour donner une idée générale de ces -changemens. - -Si quelqu'un faisoit ici la difficulté que j'ai entendu proposer -quelquefois, comment la Lune étant plus attirée par le Soleil, ne tombe -pas alors dans cet Astre? Il n'a d'abord qu'à considerer que la force -de gravitation qui dirige la Lune autour de la Terre est seulement -diminuée ici par l'action du Soleil; nous verrons de plus à l'article -des Cometes, pourquoi un corps qui se meut en une Ellipse & qui -s'approche de son foyer ne tombe point cependant dans ce foyer. - - [Déduction de ces vérités.] - -De ces inégalités du cours de la Lune, causées par l'attraction, vous -conclurez avec raison, que deux Planetes quelconques, assez voisines, -assez grosses pour agir l'une sur l'autre sensiblement, ne pourront -jamais tourner dans des cercles autour du Soleil, ni même dans des -Ellipses absolument réguliéres. Ainsi les courbes que décrivent Jupiter -& Saturne, éprouvent, par exemple, des variations sensibles, quand ces -Astres sont en conjonction: quand, étant le plus près l'un de l'autre -qu'il est possible, & le plus loin du Soleil, leur action mutuelle -augmente, & celle du Soleil sur eux diminue. - - [La gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais leur - cours est l'effet de la gravitation.] - -Cette gravitation augmentée & affoiblie selon les distances, assignoit -donc nécessairement une figure elliptique irréguliére au chemin de -la plûpart des Planetes; ainsi la loi de la gravitation n'est point -l'effet du cours des Astres, mais l'orbite qu'ils décrivent est l'effet -de la gravitation. Si cette gravitation n'étoit pas comme elle est -en raison inverse des quarrés des distances, l'Univers ne pourroit -subsister dans l'ordre où il est. - -Si les Satellites de Jupiter & de Saturne font leur révolution dans -des courbes qui sont plus approchantes du cercle, c'est qu'étant -très-proches des grosses Planetes qui sont leur centre, & très-loin du -Soleil, l'action du Soleil ne peut changer le cours de ces Satellites, -comme elle change le cours de notre Lune; il est donc prouvé que la -gravitation, dont le nom seul sembloit un si étrange paradoxe, est -une loi nécessaire dans la constitution du Monde; tant ce qui est peu -vraisemblable est vrai quelquefois. - -Souvenons-nous ici combien il sembloit absurde autrefois que la figure -de la Terre ne fût pas sphérique, & cependant il est prouvé, comme -nous l'avons vu, que la Terre ne peut avoir une forme entiérement -sphérique; il en est ainsi de la gravitation. - -Il n'y a pas à présent de bon Physicien qui ne reconnoisse & la -règle de Kepler, & la nécessité d'admettre une gravitation telle que -Neuton l'a prouvée; mais il y a encore des Philosophes attachés à -leurs tourbillons de Matiere subtile, qui voudroient concilier ces -tourbillons imaginaires avec ces Vérités démontrées. - - [Cette gravitation, cette attraction, peut être un premier Principe - établi dans la Nature.] - -Nous avons déja vu combien ces tourbillons sont inadmissibles; mais -cette gravitation même ne fournit-elle pas une nouvelle démonstration -contr'eux? Car supposé que ces tourbillons existassent, ils ne -pourroient tourner autour d'un centre que par les loix de cette -gravitation même; il faudroit donc recourir à cette gravitation, comme -à la cause de ces tourbillons, & non pas aux tourbillons prétendus, -comme à la cause de la gravitation. - -Si étant forcé enfin d'abandonner ces tourbillons imaginaires, on se -réduit à dire, que cette gravitation, cette attraction, dépend de -quelqu'autre cause connue, de quelqu'autre proprieté secrette de la -Matiere: ou cette autre proprieté sera elle-même l'effet d'une autre -proprieté, ou bien sera une cause primordiale, un premier principe -établi par l'Auteur de la Nature; or pourquoi l'attraction de la -Matiere ne sera-t-elle pas elle-même ce premier principe? - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE VINGT-DEUX. - -_Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gravitation: que ce pouvoir -est dans chaque partie de la Matiere; Découvertes dépendantes de ce -principe._ - - -REcueillons de toutes ces notions que la force centripète, -l'attraction, la gravitation, est le Principe indubitable & du cours -des Planetes, & de la chûte de tous les corps, & de cette pesanteur -que nous éprouvons dans les corps. Cette force centripète, cette -attraction, n'est & ne peut être le simple pouvoir d'un corps d'en -appeller un autre à lui: nous la considérons ici comme une force dont -résulte le mouvement autour d'un centre; cette force fait graviter le -Soleil vers le centre des Planetes, comme les Planetes gravitent vers -le Soleil, & attire la Terre vers la Lune, comme la Lune vers la Terre. - -Une des loix primitives du mouvement est encore une nouvelle -Démonstration de cette Vérité: cette loi est que la réaction est égale -à l'action; ainsi si le Soleil gravite sur les Planetes, les Planetes -gravitent sur lui, & nous verrons au commencement du Chapitre suivant -en quelle maniere cette grande loi s'opére. - -Or cette gravitation agissant nécessairement _en raison directe de la -masse_, & le Soleil étant environ 760 fois plus gros que toutes les -Planetes mises ensemble, (sans compter les Satellites de Jupiter, & -l'anneau & les Lunes de Saturne) il faut que le Soleil soit leur centre -de gravitation; ainsi il faut qu'elles tournent toutes autour du -Soleil. - - [Remarque générale & importante sur le principe de l'attraction.] - -Remarquons soigneusement que, quand nous disons que le pouvoir de -gravitation agit _en raison directe des masses_, nous entendons -toujours que ce pouvoir de la gravitation agit d'autant plus sur un -corps, que ce corps a plus de parties, & nous l'avons démontré en -faisant voir qu'un brin de paille descend aussi vîte dans la Machine -purgée d'air, qu'une livre d'or. Nous avons dit (en faisant abstraction -de la petite résistance de l'air) qu'une balle de plomb, par exemple, -tombe de 15. pieds sur la Terre en une seconde: nous avons démontré -que cette même balle tomberoit de 15. pieds en une minute, si elle -étoit à 60. rayons de la Terre comme est la Lune; donc le pouvoir de -la Terre sur la Lune est au pouvoir qu'elle auroit sur une balle de -plomb transportée à l'élévation de la Lune, comme le corps solide de -la Lune seroit avec le corps solide de cette petite balle. C'est en -cette proportion que le Soleil agit sur toutes les Planetes; il attire -Jupiter & Saturne, & les Satellites de Jupiter & de Saturne, en raison -directe de la matiere solide, qui est dans les Satellites de Jupiter & -de Saturne, & de celle qui est dans Saturne & dans Jupiter. - -De-là il découle une Vérité incontestable, que cette gravitation n'est -pas seulement dans la masse totale de chaque Planete, mais dans chaque -partie de cette masse; & qu'ainsi il n'y a pas un atome de matiere dans -l'Univers, qui ne soit revêtu de cette proprieté. - - [La gravitation, l'attraction, est dans toutes les parties de la - matiere également.] - -Nous choisirons ici la maniere la plus simple dont Neuton a démontré -que cette gravitation est également dans chaque atome. Si toutes les -parties d'un Globe n'avoient pas également cette proprieté: s'il y -en avoit de plus foibles & de plus fortes, la Planete en tournant -sur elle-même présenteroit nécessairement des côtés plus foibles, & -ensuite des côtés plus forts à pareille distance; ainsi les mêmes -corps dans toutes les occasions possibles éprouvent tantôt un degré de -gravitation, tantôt un autre à pareille distance; la loi de la raison -inverse des quarrés des distances & la loi de Kepler seroient toujours -interverties; or elles ne le sont pas; donc il n'y a dans toutes les -Planetes aucune partie moins gravitante qu'une autre. - -En voici encore une Démonstration. S'il y avoit des corps en qui cette -proprieté fût différente, il y auroit des corps qui tomberoient plus -lentement & d'autres plus vîte dans la Machine du vuide: or tous les -corps tombent dans le même-tems, tous les pendules mêmes font dans -l'air de pareilles vibrations à égale longueur: les pendules d'or, -d'argent, de fer, de bois d'Erable, de verre, font leurs vibrations en -tems égaux; donc tous les corps ont cette proprieté de la gravitation -précisément dans le même degré, c'est-à-dire, précisément comme leurs -masses; de sorte que la gravitation agit comme 100. sur 100. atomes, & -comme 10. sur 10. atomes. - -De Vérité en Vérité on s'éleve insensiblement à des connoissances qui -sembloient être hors de la sphére de l'Esprit humain. - - [Calcul hardi & admirable de Neuton.] - -Neuton a osé calculer à l'aide des seules loix de la gravitation, -quelle doit être la pesanteur des corps dans d'autres Globes que le -nôtre: ce que doit peser dans la Lune, dans Saturne, dans le Soleil, le -même corps que nous appellons ici une livre; & comme ces différentes -pesanteurs dépendent directement de la masse des Globes, il a fallu -calculer quelle doit être la masse de ces Astres. Qu'on dise après cela -que la gravitation, l'attraction, est une qualité occulte: qu'on ose -appeller de ce nom une loi universelle, qui conduit à de si étonnantes -découvertes. - -Il n'est rien de plus aisé que de connoître la grosseur d'un Astre -quelconque, dès qu'on connoît son diametre; car le produit de la -circonférence du grand Cercle par le diametre donne la surface de -l'Astre, & le tiers du produit de cette surface par le rayon fait la -grosseur. - -Mais en connoissant cette grosseur, on ne connoît point du tout la -masse, c'est-à-dire, la quantité de la matiere que l'Astre contient; -on ne le peut savoir que par cette admirable découverte des loix de la -gravitation. - - [Comment on peut connoître la quantité de matiere d'un Astre, & ce que - les mêmes corps pesent sur les divers Astres.] - -1º. _Quand on dit_ densité, quantité de matiere, _dans un Globe -quelconque, on entend que la matiere de ce Globe est homogène; par -exemple, que tout pied cubique de cette matiere est également pesant._ - -2º. _Tout Globe attire en raison directe de sa masse; ainsi toutes -choses égales, un Globe qui aura 10. fois plus de masse, attirera 10. -fois davantage qu'un corps 10. fois moins massif n'attirera à pareille -distance._ - -3º. _Il faut absolument considerer la grosseur, la circonférence de -ce Globe quelconque; car plus la circonférence est grande, plus la -distance au centre augmente, & il attire en raison renversée du quarré -de cette distance. Exemple, si le diametre de la Planete A. est 4. -fois plus grand que celui de la Planete B. toutes deux ayant également -de matiere, la Planete A. attirera les corps à sa superficie 16. fois -moins que la Planete B. & ce qui pesera une livre sur la Planete A. -pesera 16. livres sur la Planete B._ - -4º. _Il faut savoir sur-tout en combien de tems les mobiles attirés -par ce Globe duquel on cherche la densité, font leur révolution autour -de ce Globe; car, comme nous l'avons vu au Chapitre 19. tout corps -circulant autour d'un autre, gravite d'autant plus qu'il tourne plus -vîte; or il ne gravite davantage que par l'une de ces deux raisons, -ou parce qu'il s'approche plus du centre qui l'attire, ou parce que -ce centre attirant contient plus de matiere. Si donc je veux savoir -la densité du Soleil par rapport à la densité de notre Terre, je dois -comparer le tems de la révolution d'une Planete comme Venus autour du -Soleil, avec le cours de la Lune autour de notre Terre, & la distance -de Venus au Soleil avec la distance de la Lune à la Terre._ - -5º. _Voici comme je procéde. La quantité de matiere du Soleil, par -rapport à celle de la Terre, est comme le cube de la distance de Venus -au centre du Soleil est au cube de la distance de la Lune au centre de -la Terre (prenant la distance de Venus au Soleil 257. fois plus grande -que celle de la Lune à la Terre), & aussi en raison réciproque du -quarré du tems périodique de Venus autour du Soleil, au quarré du tems -périodique de la Lune autour de la Terre._ - -_Cette opération faite, en supposant toujours que le Soleil est à la -Terre en grosseur comme un million à l'unité, & en comptant rondement, -vous trouverez que le Soleil, plus gros que la Terre un million de -fois, n'a que 250000. fois ou environ plus de matiere._ - -_Cela supposé, je veux savoir quelle proportion se trouve entre la -force de la gravitation à la surface du Soleil, & cette même force à -la surface de la Terre; je veux savoir en un mot combien pese sur le -Soleil ce qui pese ici une livre._ - -_Pour y parvenir, je dis: La force de cette gravitation dépend -directement de la densité des Globes attirants, & de la distance du -centre de ces Globes aux corps pesants sur ces Globes: or les corps -pesants se trouvants à la superficie du Globe, leur distance est -précisément le rayon du Globe; mais le rayon du Globe de la Terre est à -celui du Soleil comme 1. est à 100. & la densité respective de la Terre -est à celle du Soleil comme 4. est à 1. Dites donc: comme 100, rayon du -Soleil multiplié par un, est à 4, densité de la Terre multipliée par -1. ainsi est la pesanteur des corps sur la surface du Soleil à la -pesanteur des même corps sur la surface de la Terre: ce rapport de 100. -à 4. réduit aux plus petits termes, est comme 25. à 1.; donc une livre -pese 25. livres sur la surface du Soleil, ce que je cherchois._ - -_J'ai supposé ici les densités respectives de la Terre & du Soleil -comme 4. & 1., mais ce n'est pas tout-à-fait 4; aussi la pesanteur -des corps sur la surface du Soleil est à celle des corps sur la Terre -environ comme 24., & non pas comme 25. à 1._ - -On ne peut avoir les mêmes notions de toutes les Planetes, car celles -qui n'ont point de Lunes, point de Satellites, manquant de Planetes de -comparaison, ne peuvent être soumises à nos recherches; ainsi nous ne -savons point le rapport de gravitation qui est entre Mercure, Mars, -Venus & nous, mais nous savons celui des autres Planetes. - -Je vais donner une petite Théorie de tout notre Monde Planétaire, tel -que les découvertes de Neuton servent à le faire connoître; ceux qui -voudront se rendre une raison plus approfondie de ces calculs, liront -Neuton lui-même, ou Grégory, ou Mr. de Gravesande. Il faut seulement -avertir qu'en suivant les proportions découvertes par Neuton, nous nous -sommes attachés au calcul Astronomique de l'Observatoire de Paris. Quel -que soit le calcul, les proportions & les preuves sont les mêmes. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE VINGT-TROIS. - -_Théorie de notre Monde Planétaire._ - - -LE SOLEIL. - -LE Soleil est au centre de notre Monde Planétaire & doit y être -nécessairement. Ce n'est pas que le point du milieu du Soleil soit -précisément le centre de l'Univers; mais ce point central vers lequel -notre Univers gravite, est nécessairement dans le corps de cet Astre, & -toutes les Planetes, ayant reçu une fois le mouvement de projectile, -doivent toutes tourner autour de ce point, qui est dans le Soleil. En -voici la preuve. - -Soient ces deux Globes A. & B. le plus grand représentant le Soleil, le -plus petit représentant une Planete quelquonque. S'ils sont abandonnés -l'un & l'autre à la loi de la gravitation, & libres de tout autre -mouvement, ils seront attirés en raison directe de leurs masses: ils -seront déterminés en ligne perpendiculaire l'un vers l'autre; & A. -plus gros un million de fois que B. forcera B. à se jetter vers lui un -million de fois plus vîte que le Globe A. n'ira vers B. - -[Illustration] - - [Démonstration du mouvement de la Terre autour du Soleil tirée de la - gravitation.] - -Mais qu'ils ayent l'un & l'autre un mouvement de projectile en raison -de leurs masses, la Planete en B, C. le Soleil en A, D.: alors la -Planete obéït à 2. mouvemens: elle suit la ligne B, C. & gravite en -même-tems vers le Soleil suivant la ligne B, A; elle parcourera donc la -ligne courbe B, F. le Soleil de même suivra la ligne A, E; & gravitant -l'un vers l'autre, ils tourneront autour d'un centre commun. Mais le -Soleil surpassant un million de fois la Terre en grosseur, & la courbe -A, E. qu'il décrira étant un million de fois plus petite que celle que -décrit la Terre, ce centre commun est nécessairement presqu'au milieu -du Soleil. - -Il est démontré encore par-là que la Terre & les Planetes tournent -autour de cet Astre; & cette démonstration est d'autant plus belle & -plus puissante, qu'elle est indépendante de toute observation, & fondée -sur la Mécanique primordiale du Monde. - - [Grosseur du Soleil.] - -Si l'on fait le Diametre du Soleil égal à cent Diametres de la Terre, & -si par conséquent il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, -il est 760. fois plus gros que toutes les Planetes ensemble, en ne -comptant ni les Satellites de Jupiter ni l'Anneau de Saturne. Il -gravite vers les Planetes & les fait graviter toutes vers lui; c'est -cette gravitation qui les fait circuler en les retirant de la tangente, -& l'attraction que le Soleil exerce sur elles, surpasse celles qu'elles -exercent sur lui, autant qu'il les surpasse en quantité de matiere. Ne -perdez jamais de vûe que cette attraction réciproque n'est autre chose -que la loi des mobiles gravitants tous & tournants tous vers un centre -commun. - - [Il tourne sur lui-même autour du centre commun du Monde planétaire.] - -Le Soleil tourne donc sur ce centre commun, c'est-à-dire sur lui-même -en 25. jours & 1/2. son point de milieu est toujours un peu éloigné -de ce centre commun de gravité, & le corps du Soleil s'en éloigne à -proportion que plusieurs Planetes en conjonction l'attirent vers elles; -mais quand toutes les Planetes se trouveroient d'un côté & le Soleil -d'un autre, le centre commun de gravité du Monde Planétaire sortiroit à -peine du Soleil, & leurs forces réunies pourroient à peine déranger & -remuer le Soleil d'un Diametre entier. - - [Il change toujours de place.] - -Il change donc réellement de place à tout moment, à mesure qu'il est -plus ou moins attiré par les Planetes: & ce petit approchement du -Soleil rétablit le dérangement que les Planetes opérent les unes sur -les autres; ainsi le dérangement continuel de cet Astre entretient -l'ordre de la Nature. - -Quoiqu'il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il n'a pas -un million plus de matiere, comme on l'a déja dit. - -S'il étoit en effet un million de fois plus solide, plus plein que -la Terre, l'ordre du Monde ne seroit pas tel qu'il est; car les -révolutions des Planetes & leurs distances à leur centre dépendent -de leur gravitation, & leur gravitation dépend en raison directe de -la quantité de la matiere du Globe où est leur centre; donc si le -Soleil surpassoit à un tel excès notre Terre & notre Lune en matiere -solide, ces Planetes seroient beaucoup plus attirées, & leurs Ellipses -très-dérangées. - - [Sa densité.] - -En second lieu la matiere du Soleil ne peut-être comme sa grosseur; -car ce Globe étant tout en feu, la rarefaction est nécessairement fort -grande, & la matiere est d'autant moindre que la rarefaction est plus -forte. - -Par les loix de la gravitation il paroît que le Soleil n'a que 250000. -fois plus de matiere que la Terre; or le Soleil un million plus gros -n'étant que le quart d'un million plus matériel, la Terre un million de -fois plus petite aura donc à proportion 4. fois plus de matiere que le -Soleil, & sera quatre fois plus dense. - -Le même corps en ce cas, qui pese fur la surface de la Terre comme une -livre, peseroit sur la surface du Soleil comme 25. livres; mais cette -proportion est de 24. à l'unité, parce que la Terre n'est pas en effet -4. fois plus dense, & que le diametre du Soleil surpasse seulement 97 -fois & demi celui de la Terre. - - [En quelle proportion les corps tombent sur le Soleil.] - -Le même corps qui tombe ici de 15. pieds dans la 1ere. seconde, tombera -d'environ 350. pieds sur la surface du Soleil, toutes choses d'ailleurs -égales. - -Le Soleil perd toujours, selon Neuton, un peu de sa substance, & seroit -dans la suite des siècles réduit à rien, si les Cometes, qui tombent -de tems en tems dans sa Sphére, ne servoient à réparer ses pertes; car -tout s'altére & tout se répare dans l'Univers. - - -MERCURE. - -Depuis le Soleil jusqu'à onze à douze millions de nos lieues ou -environ, il ne paroît aucun Globe. - -A 11. ou 12. millions de nos lieues du Soleil est Mercure dans sa -moyenne distance. C'est la plus excentrique de toutes les Planetes: -elle tourne dans une Ellipse qui la met dans son périhélie près d'un -tiers plus près que dans son aphélie; telle est à-peu-près la courbe -qu'elle décrit. - -[Illustration] - -Mercure est à-peu-près 27. fois plus petit que la Terre; il tourne -autour du Soleil en 88. jours, ce qui fait son année. - - [Idée de Neuton sur la densité du corps de Mercure.] - -Sa révolution sur lui-même qui fait son jour est inconnue; on ne -peut assigner ni sa pesanteur, ni sa densité. On sait seulement que -si Mercure est précisément une Terre comme la nôtre, il faut que la -matiere de ce Globe soit environ 8. fois plus dense que la nôtre, pour -que tout n'y soit pas dans un degré d'effervescence qui tueroit en -un instant des Animaux de notre espèce, & qui feroit évaporer toute -matiere de la consistence de eaux de notre Globe. - -Voici la preuve de cette assertion. Mercure reçoit environ 7. fois plus -de lumiere que nous, à raison du quarré des distances, parce qu'il est -environ 2. fois 2/3 plus près du centre de la lumiere & de la chaleur; -donc il est 7. fois plus étouffé, toutes choses égales. Or sur notre -Terre la grande chaleur de l'Eté étant augmentée environ 7. à 8. fois, -fait incontinent bouillir l'eau à gros bouillons; donc il faudroit que -tout fût environ 7. fois plus dense qu'il n'est, pour résister à 7. ou -8. fois plus de chaleur que le plus brûlant Eté n'en donne dans nos -Climats; donc Mercure doit être au moins 7. fois plus dense que notre -Terre, pour que les mêmes choses qui sont dans notre Terre puissent -subsister dans le Globe de Mercure, toutes choses égales. Au reste, si -Mercure reçoit environ 7. fois plus de rayons que notre Globe, parce -qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du Soleil, par la même raison -le Soleil paroît, de Mercure, environ 7. fois plus grand, que de notre -Terre. - - -VENUS. - -Après Mercure est Venus à 21. ou 22. millions de lieues du Soleil -dans sa distance moyenne; elle est grosse comme la Terre, son année -est de 224. jours. On ne sait pas encore ce que c'est que son jour, -c'est-à-dire, sa révolution sur elle-même. De très-grands Astronomes -croyent ce jour de 23. heures, d'autres le croyent de 25. de nos -jours. On n'a pas pu encore faire des observations assez sûres pour -savoir de quel côté est l'erreur; mais cette erreur, en tout cas, ne -peut-être qu'une méprise des yeux, une erreur d'observation, & non de -raisonnement. - -L'Ellipse que Venus parcourt dans son année est moins excentrique que -celle de Mercure; on peut se former quelqu'idée du chemin de ces 2. -Planetes autour du Soleil par cette figure. - -[Illustration] - - [Prédiction de Copernic sur les Phases de Venus.] - -Il n'est pas hors de propos de remarquer ici que Venus & Mercure -ont par rapport à nous des Phases différentes ainsi que la Lune. On -reprochoit autrefois à Copernic, que dans son Systême ces Phases -devoient paroître, & on concluoit que son Systême étoit faux, parce -qu'on ne les appercevoit pas. Si Venus & Mercure, lui disoit-on, -tournent autour du Soleil, & que nous tournions dans un plus grand -cercle, nous devons voir Mercure & Venus, tantôt pleins tantôt en -croissant, &c.; mais c'est ce que nous ne voyons jamais. C'est pourtant -ce qui arrive, leur disoit Copernic, & c'est-ce que vous verrez, si -vous trouvez jamais un moyen de perfectionner votre vûe. L'invention -des Telescopes & les observations de Galilée servirent bien-tôt à -accomplir la prédiction de Copernic. Au reste, on ne peut rien -assigner sur la masse de Venus & sur la pesanteur des corps dans cette -Planete. - - -LA TERRE. - -Après Venus est notre Terre placée à 30. millions de lieues du Soleil, -ou environ, au moins dans sa moyenne distance. - -Elle est à-peu-près un million de fois plus petite que le Soleil: elle -gravite vers lui, & tourne autour de lui dans une Ellipse en 365. -jours, 5. heures & 48. minutes; & fait au moins 180. millions de lieues -par an. L'Ellipse qu'elle parcourt est très-dérangée par l'action de la -Lune sur elle, & tandis que le centre commun de la Terre & de la Lune -décrit une Ellipse véritable, la Terre décrit en effet cette courbe à -chaque Lunaison. - -[Illustration] - - [Quelle est la cause de la rotation journaliére de la Terre.] - -Son mouvement de rotation sur son axe d'Occident en Orient constitue -son jour de 23. heures, 56. minutes. Ce mouvement n'est point l'effet -de la gravitation. Il paroît sur-tout impossible de recourir ici à -cette raison suffisante dont parle le grand Philosophe Leibnitz. -Il faut absolument avouer que les Planetes & le Soleil pouvoient -tourner d'Orient en Occident; donc il faut convenir que cette rotation -d'Occident en Orient est l'effet de la volonté libre du Créateur, & que -cette volonté libre est l'unique raison suffisante de cette rotation. - -La Terre a un autre mouvement que ses Poles achevent en 25920. années: -c'est la gravitation vers le Soleil & vers la Lune qui cause évidemment -ce mouvement; ce que nous prouverons dans le Chapitre XXV. - -La Terre éprouve encore une révolution beaucoup plus étrange, dont -la cause est plus cachée, dont la longueur étonne l'imagination, & -qui sembleroit promettre au Genre Humain une durée que l'on n'oseroit -concevoir. Cette période est selon toutes les apparences d'un million -neuf cens quarante-quatre mille ans. C'est ici le lieu d'insérer ce -qu'on fait de cette étonnante découverte avant que de finir le Chapitre -de la Terre. - - -DIGRESSION - -_Sur la Période de 1944000. ans nouvellement découverte._ - -L'Egypte & une partie de l'Asie, d'où nous sont venues toutes les -Sciences qui semblent circuler dans l'Univers, conservoient autrefois -une Tradition immémoriale, vague, incertaine, mais qui ne pouvoit être -sans fondement. On disoit qu'il s'étoit fait des changemens prodigieux -dans notre Globe, & dans le Ciel par rapport à notre Globe. La seule -inspection de la Terre donnoit un grand poids à cette opinion. - -On voit que les Eaux ont successivement couvert & abandonné les lits -qui les contiennent; des Végétaux, des Poissons des Indes, trouvés dans -les pétrifications de notre Europe, des Coquillages entassés sur des -Montagnes, rendent assez témoignage à cette ancienne Vérité. - -Ovide en exposant la Philosophie de Pithagore, & en faisant parler ce -Philosophe instruit par les Sages de l'Asie, parloit au nom de tous les -Philosophes d'Orient, lorsqu'il disoit: - - _Nil equidem durare diu sub imagine eâdem - Crediderim; sic ad ferrum venistis ab auro - Sæcula, sic toties versa est fortuna locorum. - Vidi ego quod fuerat quondam solidissima Tellus - Esse Fretum: vidi factas ex Æquore Terras: - Et procul à pelago Conchæ jacuere marinæ: - Quodque fuit Campus Vallem decursus aquarum - Fecit; & eluvie Mons est deductus in Æquor, - Eque paludosa siccis humus aret arenis._ - -On peut rendre ainsi le sens de ces Vers. - - Le Tems qui donne à tout le mouvement & l'être, - Produit, acroît, détruit, fait mourir, fait renaître, - Change tout dans les Cieux, sur la Terre & dans l'Air; - L'Age d'Or à son tour suivra l'Age de Fer: - Flore embellit des Champs l'aridité sauvage: - La Mer change son lit, son flux & son rivage: - Le limon qui nous porte est né du sein des Eaux: - Le Caucase est semé du débris des Vaisseaux: - Bien-tôt la main du Tems applanit les Montagnes, - Il creuse les Vallons, il étend les Campagnes; - Tandis que l'Eternel, le Souverain des tems, - Est seul inébranlable en ces grands changemens. - -Voilà quelle étoit l'opinion de l'Orient, & ce n'est pas lui faire tort -de la rapporter en vers, ancien langage de la Philosophie. - -A ces témoignages que la Nature donne de tant de révolutions qui -ont changé la face de la Terre, se joignoit cette idée des anciens -Egyptiens, Peuple autrefois Géometre & Astronome, avant que la -Superstition & la Mollesse en eussent fait un Peuple méprisable. -Cette idée étoit que le Soleil s'étoit levé pendant des Siècles à -l'Occident; il est vrai que c'étoit une Tradition aussi obscure que -les Hiéroglyphes. Hérodote, qu'on peut regarder comme un Auteur trop -récent, & par conséquent de trop peu de poids à l'égard de telles -Antiquités, rapporte au Livre d'Euterpe que, selon les Prêtres -Egyptiens, le Soleil dans l'espace de onze mille trois cens quarante -ans, (& les années des Egyptiens étoient de 365. jours) s'étoit levé -deux fois où il se couche, & s'étoit couché deux fois où il se leve, -sans qu'il y eût eu le moindre changement en Egypte, malgré cette -variation du cours du Soleil. - -Ou les Prêtres qui avoient raconté cet Evénement à Hérodote, s'étoient -bien mal expliqués, ou Hérodote les avoit bien mal entendus. Car que -le Soleil eût changé son cours, c'étoit une Tradition qui pouvoit être -probable pour des Philosophes; mais qu'en onze mille & quelques années, -les Points cardinaux eussent changé deux fois, cela étoit impossible. -Ces deux révolutions, comme nous l'allons voir, ne pourroient s'opérer -qu'en près de quatre millions d'années. La révolution entiére des Poles -de l'Ecliptique ou de l'Equateur s'acheve en près de 1944000. années, & -cette révolution de l'Ecliptique & de l'Equateur peut seule, à l'aide -du mouvement journalier de la Terre, tourner notre Globe successivement -à l'Orient, au Midi, à l'Occident, au Septentrion. Ainsi ce n'est que -dans une Période de deux fois 1944000. années que notre Globe peut voir -deux fois le Soleil se coucher à l'Occident, & non pas en 110. Siècles -seulement, selon le rapport vague des Prêtres de Thèbes, & d'Hérodote, -le Pere de l'Histoire & du mensonge. - -Il est encore impossible que ce changement se fût fait sans que -l'Egypte s'en fût ressentie; car si la Terre en tournant journellement -sur elle-même eût successivement fourni son année d'Occident en -Orient, puis du Nord au Sud, d'Orient en Occident, du Sud au Nord en -se relevant sur son axe, on voit clairement que l'Egypte eût changé de -position comme tous les Climats de la Terre. Les pluyes qui tombent -aujourd'hui depuis si long-tems du Tropique du Capricorne, & qui -fertilisent l'Egypte en grossissant le Nil, auroient cessé. Le terrain -de l'Egypte se fût trouvé dans une Zone glaciale, le Nil & l'Egypte -auroient disparu. - -Platon, Diogène de Laërce & Plutarque ne parlent pas plus -intelligiblement de cette révolution; mais enfin ils en parlent, ils -sont des témoins qui restent encore d'une Tradition presque perdue. - -Voici quelque chose de plus frappant & de plus circonstancié. Les -Philosophes de Babylone comptoient, au tems de l'entrée d'Aléxandre -dans leur Ville, quatre cens trente mille ans depuis leurs premiéres -Observations Astronomiques, l'Année Babylonienne n'étant que de 360. -jours; mais cette Epoque de 403000. ans a été regardée comme un -Monument de la vanité d'une Nation vaincue, qui vouloit, selon la -coutume de tous les Peuples & de tous les Particuliers, regagner par -son antiquité la gloire qu'elle perdoit par sa foiblesse. - -Enfin les Sciences ayant été apportées parmi nous, & s'étant peu-à-peu -cultivées, le Chevalier de Louville, distingué parmi la foule de ceux -qui ont fait honneur au Siècle de Louïs XIV. alla exprès à Marseille -en 1714. pour voir si l'obliquité de l'Ecliptique y paroissoit la même -qu'elle avoit été observée & fixée par Pitheas, il y avoit plus de -2000. ans. Il trouva cette obliquité de l'Ecliptique, c'est-à-dire, -l'angle formé par l'axe de l'Equateur & par l'axe de l'Ecliptique, -moindre de 20. minutes que Pitheas ne l'avoit trouvé. Quel rapport de -cet angle diminué de 20. minutes avec l'opinion de l'ancienne Egypte? -avec les 403000. ans dont se vantoit Babylone? avec une Période du -Monde de près de deux millions d'années, & même, selon l'Observation du -Chevalier de Louville, de plus de deux millions? Il faut voir l'usage -qu'il en fit, & comment il en doit résulter un jour une Astronomie -toute nouvelle. - -Si l'angle que l'axe de l'Equateur fait avec l'axe de l'Ecliptique est -plus petit aujourd'hui de 20. minutes, qu'il ne l'étoit il y a 2000. -ans, l'axe de la Terre en se relevant sur le Plan de l'Ecliptique, s'en -approche d'un degré entier en 6000. ans. - -Que cet angle, P. E. soit, par exemple, d'environ 23. degrés & 1/2. -aujourd'hui, & qu'il décroisse toujours jusqu'à ce qu'il devienne -nul, & qu'il recommence ensuite pour accroître & décroître encore, -il arrivera certainement que dans 23. fois & 1/2. six mille ans, -c'est-à-dire, dans 141000. années, notre Ecliptique & notre Equateur -coïncideront dans tous leurs points: le Soleil sera dans l'Equateur, -ou du-moins s'en éloignera très-peu pendant plusieurs Siècles; les -Jours, les Nuits, les Saisons seront égaux sur toute la Terre. Il se -trouve selon le calcul de l'Astronome Français, calcul un peu réformé -depuis, que l'axe de l'Ecliptique avoit été perpendiculaire à celui -de l'Equateur, il y a environ 399000. de nos années, supposé que le -Monde eût existé alors. Otez de ce nombre le tems qui s'est écoulé -depuis l'entrée triomphante d'Aléxandre dans Babylone, on verra avec -étonnement que ce calcul se rapporte assez juste avec les 403000. -années de 360. jours que comptoient les Babyloniens: on verra qu'ils -commençoient ce compte précisément au point où le Pole de la Terre -avoit regardé le Bélier, & où la Terre dans sa course annuelle avoit -été du Midi au Nord; enfin où le Soleil se levoit & se couchoit aux -Régions du Ciel où sont aujourd'hui les Poles. - -Il y a quelque apparence que les Astronomes Chaldéens avoient fait la -même opération, & par conséquent le même raisonnement que le Philosophe -Français: ils avoient mesuré l'obliquité de l'Ecliptique, ils l'avoient -trouvée décroissante: & remontant par leurs calculs jusqu'à un Point -Cardinal, ils avoient compté du point où l'Ecliptique & l'Equateur -avoient fait un angle de 90. degrés; point qu'on pourroit considérer -comme le commencement, ou la fin, ou la moitié, ou le quart de cette -Période énorme. - -Par-là l'Enigme des Egyptiens étoit débrouillée, le compte des -Chaldéens justifié, le rapport d'Hérodote éclairci, & l'Univers flatté -d'un long avenir, dont la durée plaît à l'imagination des hommes; -quoique cette comparaison fasse encore paroître notre vie plus courte. - -On s'opposa beaucoup à cette découverte du Chevalier de Louville, & -parce qu'elle étoit bien étrange, & parce qu'elle ne sembloit pas -encore assez constatée. Un Académicien avoit, dans un Voyage en Egypte, -mesuré une Pyramide: il en avoit trouvé les 4. faces exposées aux 4. -Points Cardinaux; donc les Méridiens, disoit-on, n'avoient pas changé -depuis tant de Siècles; donc l'obliquité de l'Ecliptique, qui par sa -diminution eût du changer tous les Méridiens, n'avoit pas en effet -diminué. Mais ces Pyramides n'étoient point une Barriére invincible à -ces découvertes nouvelles; car étoit-on bien sûr que les Architectes -de la Pyramide ne se fussent pas trompés de quelques minutes? La plus -insensible aberration, en posant une pierre, eût suffi seule pour -opérer cette erreur. D'ailleurs, l'Académicien n'avoit-il pas négligé -cette petite différence, qui peut se trouver entre les Points où le -Soleil doit marquer les Equinoxes & les Solstices sur cette Pyramide, -supposé que rien n'ait changé, & les Points où il les marque en effet? -N'auroit-il pas pu se tromper dans les fables de l'Egypte où il opéroit -par pure curiosité, puisque Ticho-Brahé lui-même s'étoit trompé de 18. -minutes dans la position de la Méridienne d'_Uranibourg_, de sa Ville -du Ciel, où il rapportoit toutes ses Observations; mais Ticho-Brahé -s'étoit-il en effet trompé de 18. minutes, comme on le prétend? Ne se -pouvoit-il pas encore, que cette différence trouvée entre la vraye -Méridienne d'_Uranibourg_ & celle de Ticho-Brahé, vint en partie du -changement même du Ciel, & en partie des erreurs presqu'inévitables, -commises & par Ticho-Brahé & par ceux qui l'ont corrigé? - -Mais aussi le Chevalier de Louville s'étoit pu tromper lui-même, & -avoir vu un décroissement d'obliquité qui n'existe point. Pitheas -sur-tout étoit vraisemblablement la source de toutes ces erreurs: il -avoit observé comme la plûpart des Anciens avec peu d'exactitude: il -étoit donc de la prudence, avec laquelle on procéde aujourd'hui en -Physique, d'attendre de nouveaux éclaircissemens; ainsi le petit nombre -qui peut juger de ce grand différend demeura dans le silence. - -Enfin, en 1734. M. Godin (l'un des Philosophes que l'amour de la Vérité -vient de conduire au Pérou) reprit le fil de ces découvertes: il ne -s'agit plus ici de l'examen d'une Pyramide sur laquelle il restera -toujours des difficultés; il faut partir de la fameuse Méridienne -tracée en 1655. par Dominique Cassini dans l'Eglise de St. Pétrone, -avec une précision dont on est plus sûr que de celle des Architectes -des Pyramides. L'obliquité de l'Ecliptique qui en résultoit est de -23. d. 29´. 15´´. mais on ne peut plus douter par les dernieres -Observations, que cet angle de l'Ecliptique & de l'Equateur ne soit à -présent de 23. d. 28´. 20´´. à-peu-près, à moins que les réfractions, -qui entrent dans la détermination de la hauteur du Pole faite par -l'Etoile Polaire, & par conséquent aussi dans celle de l'élévation -de l'Equateur & de l'obliquité de l'Ecliptique, ne soient un peu -changées depuis ce tems: changement qu'on commence à soupçonner -par la différence des élévations du Pole, trouvées dans les mêmes -Villes après quelque espace de tems, comme dans celles de Londres, -d'Amsterdam & de Coppenhague; quoique ces Observations ne suffisent -pas encore pour nous assûrer entiérement, que de siècle en siècle -l'air se trouve tantôt plus, tantôt moins transparent. Il est vrai -qu'on a découvert depuis peu, & démontré infailliblement, que les -réfractions de deux endroits, même à très-peu de distance l'un de -l'autre, peuvent différer quelquefois au delà de l'opinion; ce qui -oblige à présent un Observateur exact de bien déterminer, avant toutes -choses, les réfractions de son Horizon, s'il veut que ses observations -soient accréditées; mais l'on sait aussi que, selon l'expérience de -Mr. Huygens, en laissant une Lunette dans une situation constante, -& dirigée vers la pointe de quelque Clocher élevé, depuis midi -jusqu'au soir, l'on y verra cette pointe toujours plus élevée sur le -déclin du jour, qu'à midi, & que par conséquent l'air peut changer -de transparence. Cependant comme tout cela ne contribue rien à un -changement, tel que celui qu'on pourroit soupçonner de se mêler au -Phénomêne de cette question, on auroit tort d'admettre un fait aussi -douteux, vû qu'on n'en a point encore de preuves convaincantes, ni de -raisons Physiques. - -A l'égard des Pyramides d'Egypte, & de la constance des Méridiens, -qui semble contraire à cette mobilité des Poles de l'Equateur, il -est à propos de remarquer encore, qu'en supposant la figure de la -Terre, non pas sphéroïde, comme elle l'est véritablement, mais -exactement sphérique, ce mouvement du Plan de l'Equateur & de ses -Poles, se peut concevoir de deux manieres. Car, ou la plûpart des -Places, situées à présent sous l'Equateur, auront après quelques -siècles une Latitude Méridionale ou Septentrionale, l'Equateur les -ayant quittées pour s'approcher de l'Ecliptique, (auquel cas tous -les Méridiens seront dérangés, & deux Villes quelconques, sans avoir -changé de place, de distance, ni de leur premiére situation sur la -Terre, auront pourtant changé de _Rumb_, l'une à l'égard de l'autre); -ou l'Equateur n'abandonnera jamais les Places, qui ont été de tout -tems situées sous lui, mais son Plan tournera avec elles autour de -l'Ecliptique, sans qu'il se fasse jamais aucun changement dans les -Méridiens, leur constance ne prouvant pas la même chose contre le -mouvement de l'Equateur que dans la premiére supposition. Au contraire -reprenant la figure sphéroïde de la Terre, qui est la véritable, il -est clair que ses parties solides se soutenant & ne se pouvant pas -quitter les unes les autres, les plus éloignées du Centre de la Terre -demeureront toujours dans le même éloignement, & que par conséquent -la circonférence de l'Equateur, qui les a une fois environnées, -ne les quittera jamais; de sorte que le Plan de l'Equateur, tant -mobile qu'immobile, ne sauroit jamais apporter aucun dérangement aux -Méridiens. On voit par là que, quoique les Architectes Egyptiens ayent -eu ordre d'asseoir les Pyramides parallèlement aux quatre Points -Cardinaux du Monde, & qu'ils ayent exécuté cet ordre avec la derniere -exactitude, cela n'empêche pas que l'angle de l'intersection de -l'Equateur & de l'Ecliptique ne puisse toujours varier autant que l'on -voudra. - -Rien ne fait plus de plaisir que de voir rétablir le crédit des Vérités -les plus respectables par leur ancienneté, après avoir été mises en -contestation dans des Siècles aussi circonspects & aussi peu crédules -qu'est le nôtre; mais il faut avouer néanmoins, que si les Egyptiens -& les Babyloniens ont été les premiers à découvrir le décroissement -de cette obliquité, ils l'ont découvert par des raisonnemens bien -moins fondés, que ne sont ceux par lesquels nous leur attribuons -cette découverte. Hérodote publia son Histoire environ cent ans après -qu'Anaximandre de Milet eut trouvé, le premier, le moyen de mesurer -l'obliquité de l'Ecliptique: & cette invention ayant passé peu après -en Egypte par les Voyages de Cléostrate, d'Harpale & d'Eudoxe, les -Egyptiens, qui ne manquérent pas de trouver cette obliquité plus -petite que ne l'avoit trouvée Anaximandre, s'en prévalurent pour en -faire honneur à leur Nation; comme si la diminution & par conséquent -la mesure de l'obliquité de l'Ecliptique avoient été connues chez eux -pendant des milliers d'années, dans le tems que cette derniére venoit -seulement d'être découverte parmi les Grecs. Nous avons dit ci-dessus -à-peu-près la même chose des Babyloniens, qui également jaloux des -Egyptiens & des Grecs, ont remonté, par un pareil calcul, jusqu'à une -antiquité incomparablement plus absurde que n'est celle des Egyptiens. - -Mais, soit que ce mouvement de l'Equateur existe, soit qu'il n'existe -pas, il est toujours certain, qu'il ne peut-être produit par aucun -méchanisme de ceux qui sont tombés dans la pensée du savant Newton. -Le mouvement qui ressemble plus naturellement à celui de l'axe de -la Terre, est la variation de l'inclinaison de l'Orbe de la Lune, -qui est de 5. deg. 18. ou 19. min. quand les Nœuds de la Lune se -trouvent en conjonction, ou en opposition avec le Soleil, & de 5. deg. -seulement, quand ces mêmes Nœuds sont dans les Quadratures. Il est -vrai que, par une analogie naturelle, ce grand Philosophe attribue à -l'axe de la Terre un petit mouvement alternatif, par lequel l'angle de -l'intersection de l'Ecliptique & de l'Equinoxiale se trouvant dans les -Equinoxes, par exemple, de 23. deg. 29. min. s'étrecit en approchant -des Solstices, & s'élargit derechef depuis les Solstices jusqu'aux -Equinoxes; de sorte qu'aux Solstices, cet angle, dans sa plus petite -dimension, est de 23. deg. 29. min. moins quelques secondes. - -Mais ces alternatives de diminution & d'accroissement ne produisent -point de mouvement circulaire du Plan de l'Equinoxiale, d'un Pole de -l'Ecliptique à l'autre. Il faut donc, que cette circulation dépende -de quelqu'autre raison inconnue jusqu'à présent, qu'il faut tâcher de -découvrir, au cas que ce Phénomêne soit réel. - -Pour que la diminution de cet angle égale toujours son accroissement, -il faut que le centre absolu de pesanteur de toute la masse de la -Terre soit le même que le centre géométrique de sa figure sphéroïde; -mais il se peut bien faire que cela ne soit pas. Car, si la Terre est -tant soit peu plus matérielle du côté Boréal de l'Equateur, que du -côté Méridional, & qu'il arrive au dedans de cette Planete, ou à sa -surface, quelque changement, qui diminue la quantité de matiére dans un -endroit & qui l'augmente dans un autre, il est évident, que la surface -extérieure de la Terre & le centre commun de la pesanteur de toute sa -masse changeront de position, l'un à l'égard de l'autre; & comme le -centre géométrique de sa surface sphéroïde extérieure demeure toujours -le même, il est nécessaire que ce centre change aussi de position, à -l'égard de celui de pesanteur, dès que quelque raison constante, ou non -constante, ôte quelque peu de matiere en quelqu'endroit, pour le porter -ailleurs. Or les deux centres, savoir le géométrique de la figure ovale -de la Terre & celui de sa pesanteur générale, doivent nécessairement -être dans le même axe de son tournoyement, si ce tournoyement doit être -égal & uniforme pendant 24. heures, sans s'accélérer & se retarder par -reprises; ce qui seroit contraire à l'expérience. - -Pour effectuer donc ce mouvement du Plan de l'Equateur, il suffit -qu'il y ait, au-dedans de la Terre, une matiere, qui en circulant -continuellement, mais lentement, déplace toujours le centre commun de -pesanteur, par rapport à la surface de la Terre, parce que l'axe du -tournoyement suivra toujours le même chemin de ce centre. - -Si cette matiere ne circule pas, mais qu'elle ait un mouvement -irrégulier & très-petit, le Plan de l'Equateur changera aussi de -position avec l'Ecliptique, mais sans règle certaine, & pourra être -tantôt plus près, tantôt plus loin d'elle; ce qui seroit peut-être plus -vraisemblable qu'une circulation parfaite. Mais tout ce raisonnement -n'aura lieu que lorsqu'il sera démontré d'une maniere tout-à-fait -incontestable, que l'approchement de l'Equateur & de l'Ecliptique, dont -les plus habiles Observateurs prétendent s'appercevoir aujourd'hui, est -réel: & qu'il n'y a point d'illusion, ni de la part des réfractions, -ni des Instrumens, dans une affaire qui est encore si delicate, & si -peu sensible dans les observations modernes, où il ne s'agit encore que -de quelques secondes de diminution; de sorte que ce ne sera qu'après -plusieurs Siècles d'observations continuées, que l'on pourra dire, avec -une pleine certitude, si l'obliquité est variable, ou comment elle -l'est. - -Le moyen le plus court & le plus sûr de terminer cette question, seroit -de mesurer exactement l'élévation du Pole des ruïnes de l'ancienne -Ville de Syène en Egypte. L'on sait, au rapport de Strabon dans -le dernier Livre de sa Géographie, que cette Ville étoit située -précisément sous le Tropique du Cancer, & qu'il y avoit un Puits -très-profond, dans lequel on ne voyoit jamais l'image du Soleil, qu'au -point de Midi, aux Solstices d'Eté, le Soleil donnant verticalement sur -la surface Horizontale de l'eau, au bas du Puits. Strabon ajoute au -même endroit, qu'en partant de la Gréce, cette Ville étoit la premiére -que l'on rencontroit, où les _Gnomons_, ou des Colomnes érigées -verticalement n'eussent point d'ombre Méridienne une fois dans l'année, -savoir au Solstice d'Eté; de sorte que voilà deux preuves différentes, -qui nous assûrent que du tems de Strabon, ou quelque tems avant lui, le -Tropique du Cancer a passé par le point vertical de cette Ville. - -Or si en mesurant à présent la Latitude de l'endroit, où a été -autrefois cette Place, on y trouvoit le Pole Septentrional élevé de 23. -deg. 49. min. ou davantage, ce seroit une preuve indubitable que Mr. -le Chevalier de Louville avoit trouvé la vérité, & que l'obliquité de -l'Ecliptique étoit diminuée de 20. min. pendant près de 18. siècles. Je -dis de 23. deg. 49. min. ou davantage, car la Tour de Syène étant déja -renommée, à cause de la propriété dont nous venons de parler, du tems -du Prophête Ezéchiel, qui en fait mention au Chap. 29. de sa Prophétie, -il est apparent que si l'obliquité de l'Ecliptique étoit variable, elle -auroit encore diminué de 5. à 6. minutes, dans la même proportion, -depuis le tems de ce Prophête jusqu'à celui de Strabon, pendant plus -de cinq Siècles, sans compter ce qu'il pourroit y avoir de diminution -depuis la fondation de cette Tour jusqu'au tems de ce Prophête. - -Mais si au contraire on n'y trouvoit le Pole élevé que de 23. deg. & -demi, ou environ, il faudroit conclure, sans hésiter, que, pendant -toute cette suite de Siècles, l'obliquité en question a été constamment -la même, ou que sa diminution n'a rien eu de considérable; & que -l'espace compris entre l'Equinoxiale & l'Ecliptique ne s'est que -peu, ou point rétreci. Toute la difficulté ne consisteroit qu'à bien -découvrir la situation de cette ancienne Ville au voisinage du Nil & -de l'Isle Eléphantine. Ce seroit le moyen de prévenir les soins de la -Postérité, & de se faire un mérite auprès d'elle, en lui présentant -des Démonstrations achevées d'une vérité, dont l'éclaircissement pourra -lui coûter plusieurs siècles. - -Le dénombrement que nous avons entrepris de faire ici des principales -particularités qui regardent la Terre, par rapport au rang qu'elle -tient parmi les Planetes, nous engage à examiner les preuves de sa -figure sphéroïde que nous avons supposée véritable, & de faire voir -l'impossibilité du changement des Méridiens. Nous en avons déja -donné une idée générale au Chapitre XVIII. lorsque, par rapport à -l'étendue & aux divers degrés de la pesanteur, nous avons fait mention -de l'inondation des Eaux vers les Régions de l'Equateur, qui devoit -résulter nécessairement du tournoyement de la Terre autour de son axe, -si elle étoit exactement sphérique. Mais comme ce n'étoit pas là le -lieu de prouver que cette différence étoit assez sensible pour pouvoir -être mesurée, nous allons faire voir ici ce qui en est. - -Les preuves, dont nous nous servirons, sont tirées en partie des -raisonnemens de Physique, & en partie de l'Expérience même. Les -raisonnemens de Physique, qui nous prouvent la nécessité de cette -figure, ne supposent pour tout Principe, que le mouvement journalier -de la Terre, de 23. heures 56. minutes. Si la Terre est exactement -sphérique, la vîtesse du tournoyement de tous les Corps pesants sous -l'Equateur diminuera leur pesanteur, ou la vîtesse de leur chûte, à -mesure qu'elle différera moins de celle qu'il faudroit pour faire -circuler tous les corps pesants sous l'Equateur, sans pouvoir jamais -tomber, ou s'approcher du centre de la Terre; ou pour faire que tout -ce qu'il y a de corps sous l'Equateur, fussent autant de Satellites, -qui tournassent par leur mouvement journalier dans la circonférence -de l'Equateur, comme fait la Lune dans son Orbite. Or en disant -par une Règle de _Trois_: Comme le cube de la distance de la Lune, -de 60. sémi-diametres de la Terre, est au cube d'un seul de ces -sémi-diametres, de même le quarré de 39343 minutes, qui font un mois -périodique de la Lune, est au quarré des minutes de la révolution des -Satellites, ou des corps pesants, dans la circonférence de l'Equateur -terrestre, si l'on vouloit que la force centrifuge contrebalançât -exactement la pesanteur. On trouve pour le résultat de ce calcul -84. 2/5 de minutes de révolution; de sorte que si le jour des Etoiles -étoit de 84 2/5 de minutes, au lieu qu'il est de 23. heures 56. min. -qui est 17. fois plus grand, il n'y auroit sous l'Equateur, ni chûte, -ni poids des corps. - -On trouve le même nombre de 84 2/5 de minutes, sans se servir de la -Lune, en suivant le Théorême de Mr. Huygens, par lequel il a trouvé -qu'un corps, pour tourner circulairement, d'une force centrifuge -égale à son propre poids, doit faire tout le tour du Cercle en autant -de tems, qu'un Pendule, de la longueur du rayon du même Cercle, -employeroit à faire deux vibrations. Or pour faire l'application de ce -Théorême au Cercle de l'Equateur, & au sémi-diametre de la Terre, il -faut seulement dire: Comme 3. pieds, & 17/288 d'un pied, longueur du -Pendule d'une seconde, sont au quarré d'une seconde, ainsi 19615800 -pieds du sémi-diametre de la Terre, selon la mesure de Mr. Picart, -sont à 6412430, qui est le quarré de 2532. secondes, ou de 42. min. -12. secondes. Un Pendule de la longueur du sémi-diametre de la Terre, -feroit donc chaque vibration en 42. min. 12. secondes; & par conséquent -pour égaler la pesanteur à la force centrifuge de la rotation -journalière sous l'Equateur, il faudroit que cette rotation s'achevât -en 84. min. 24. secondes. - -Mais, comme elle se trouve 17. fois plus lente, il est évident qu'en -supposant la surface de la Terre exactement sphérique, la pesanteur -sous l'Equateur excéde sa diminution, ou la force centrifuge, 17. fois -17 fois, c'est-à-dire 289. fois, & par-là la vîtesse de la chûte des -corps, sous l'Equateur, seroit à celle de leur chûte sous les Poles, -comme 288 sont à 289; & un Pendule d'une seconde, qui feroit sous -le Pole 86400. vibrations pendant un jour Solaire, n'en feroit sous -l'Equateur qu'environ 86250. tout de même que le Pendule d'une seconde -de Paris, étant transporté sous l'Equateur, & y faisant ses chûtes -curvilignes, ou ses vibrations un peu plus lentes qu'ici, retarderoit -par jour de 2. min. 5. secondes, ou environ. - -L'expérience de Mr. _Richer_ faite dans l'Isle de Caïenne, celle de Mr. -Halley dans l'Isle de _Ste. Hélène_, & celles de ceux dont on peut voir -les noms à la page 227. de cette Edition, ayant vérifié, à quelques -circonstances près, cette diminution de la pesanteur sous l'Equateur, -qui est une conséquence nécessaire & indubitable du mouvement -journalier de la Terre; il nous reste à voir le dérangement que -causeroient sur sa surface les forces centrifuges de ce même mouvement -sous les Cercles parallèles de l'Equateur, si la Terre étoit exactement -sphérique. - -Tout le monde sait qu'une Balance exacte étant suspendue par son -milieu, & demeurant en repos, les Bassins, ou des Poids égaux suspendus -par des cordelettes à ses deux extrémités, font prendre à ces -cordelettes, ou plutôt à leurs milieux, des situations perpendiculaires -à leurs Horizons, & qui tendent directement au centre de la Terre. -Mais si l'on donne à cette Balance un mouvement circulaire, dont le -centre soit le point de suspension de la Balance, on verra d'abord -que les Bassins, ou les poids, s'éloigneront de la perpendiculaire, -à proportion de la vîtesse du mouvement circulaire; de sorte que les -cordelettes ne suivront plus la direction ordinaire de la pesanteur -vers le centre de la Terre. - -Figurons-nous à présent une grande Balance curviligne, dont le milieu -soit suspendu à l'un des Poles de la Terre, & dont les deux extrémités -s'étendent jusqu'à égale élévation du même Pole, de part & d'autre; -il est évident que si la figure sphérique de la Terre (qui est-ce que -nous examinons) tourne autour de son axe, & qu'elle emporte en même -tems cette Balance curviligne, par un mouvement circulaire autour du -même axe, les poids qui étant en repos devroient converger vers le -centre de la Terre, s'éloigneront un peu de cette convergence & des -perpendiculaires, de part & d'autre. Ainsi le Sinus du petit angle de -déviation, compris entre la perpendiculaire & la nouvelle direction du -poids, sera bien près de 1/289 du produit du Sinus, & du Co-Sinus de -l'élévation du Pole, divisé par le rayon. - -On voit clairement que sans imaginer cette Balance curviligne, ce -raisonnement peut également s'appliquer à toutes les lignes à plomb, -qui se trouvent sur la surface de la Terre. C'est de cette maniére -qu'on trouve qu'à Paris, & en cent autres endroits de même Latitude, -qu'un Pendule en repos ne tendroit pas perpendiculairement à l'Horizon, -mais feroit avec la perpendiculaire un angle de près de six minutes, -ce qui seroit assez sensible, si la Terre étoit exactement sphérique; -cependant comme en nul endroit du Monde on ne trouve aucune déviation, -c'est une preuve suffisante que la face de la Terre est telle, -qu'il faut qu'elle soit, pour que la direction de la pesanteur soit -perpendiculaire, ce qui ne se peut que dans une figure sphéroïde. - -Cette figure sphéroïde produit encore un autre changement à l'égard -de la pesanteur, mais de peu de conséquence. L'on sait que, sans -considérer la diminution de la pesanteur, dont nous venons de parler, -la pesanteur elle-même varie encore selon la diversité des distances du -centre de la Terre, quand même il n'y auroit point de rotation. C'est -ce qui fait que les expériences des Pendules transportés en différens -Climats, ne répondent pas dans la derniére précision au calcul que nous -avons donné ci-dessus, quoiqu'elles prouvent toutes en général que la -pesanteur différe sensiblement, & qu'elle est toujours moins forte -vers l'Equateur, que vers les Poles. C'est aussi ce qui partage les -sentimens des plus grands Géométres sur la proportion de l'axe de la -rotation de la Terre au diametre de son Equateur. Mr. Huygens & après -lui Jaques Herman dans son excellent Ouvrage de la _Phoronomie_, ont -déterminé cette proportion, comme de 577. à 578.; mais Neuton nous la -donne de 229. à 230, environ triple de la précédente. La différence -de ces mesures ne provient que de ce que Mr. Huygens n'a considéré la -pesanteur que comme une force qui pousse les corps vers un seul centre; -au lieu que Neuton l'a considérée comme une force par laquelle tous les -corps & toutes les particules de la Terre, jusqu'aux plus petites, sont -tirées les unes vers les autres. - - -MARS. - -La quatrième Planete de notre Systême est Mars. Sa moyenne distance -du Soleil est de 46. millions de lieues. De toutes les Planetes -supérieures, c'est celle qui a la plus grande excentricité, aussi -n'en connoît-on point parmi tous les Corps célestes, dont la grandeur -apparente soit plus variable; de sorte que sa plus grande Phase excéde -jusqu'à 7. fois la plus petite. Au mois d'Août 1719. Mars étant opposé -au Soleil, à 2 ou 3 degrés seulement de distance de son périhélie, -l'on se souvient encore que plusieurs personnes, qui n'avoient aucune -teinture d'Astronomie, furent étonnées de le voir, & le prirent pour -une Comete, ou un nouvel Astre, qui venoit de naître dans le Ciel, -comme on a fait de Vénus l'année derniere, lorsqu'au mois de Mai ayant -atteint sa plus grande hauteur Méridienne au commencement du Cancer, & -étant encore assez loin du Soleil pour n'être point éclipsée par son -éclat, elle lança ses rayons par le chemin le plus court de la partie -Boréale de l'Atmosphére. - -Comme la grande excentricité de Mars rend son mouvement apparent fort -inégal, c'est de lui principalement que _Kepler_ s'est servi, pour -examiner & vérifier la découverte qu'il avoit faite de l'égalité des -aires parcourues par chaque Planete en particulier, en tems égaux; -& c'est aussi par lui, qu'il a reconnu & prouvé la nécessité qu'il -y avoit de n'admettre par tout le Ciel que des excentricités plus -petites, environ de la moitié de celles qui avoient été établies par -les Anciens. - -De toutes les Planetes, Mars est encore celle qui a la plus grande -Atmosphére, à proportion de son noyau, du moins à ce qu'on en connoît -jusqu'à présent; ce qui se prouve par le changement de couleur d'une -Fixe observée par Mr. Römer, en approchant & en quittant le disque de -Mars, laquelle pâlit sensiblement à l'approche de ce disque, étant -encore éloignée de lui des deux tiers du diametre du même disque, & -qui étant sortie de derriére le corps opaque de Mars, ne recouvra la -vivacité naturelle & ordinaire de sa lumiére qu'à la distance des deux -tiers du même diametre. - -Sans l'Etoile de Mars nous ignorerions tout-à-fait l'éloignement & la -véritable grandeur des Corps célestes; & c'est le célèbre Mr. Cassini -le Pere, qui s'est avisé le premier, de se servir des distances -apparentes de cette Planete d'avec les Fixes prochaines, lorsqu'elle -est opposée au Soleil, pour trouver la véritable dimension de notre -Systême. Sa parallaxe horizontale, qui dans cette situation est assez -grande pour être observée & calculée sans qu'il y ait à craindre aucune -erreur trop sensible, savoir de 26 à 27. secondes dans son périhélie, -nous donne le moyen de calculer les parallaxes horizontales du Soleil & -des autres Planetes, qui ne peuvent être observées par elles-mêmes, à -cause de leur petitesse. Par les taches de Mars, que nous représentons -ici de la maniere, dont elles ont apparu en 1719. l'on a découvert & -l'on s'est convaincu, qu'il tourne autour d'un axe toujours parallèle à -lui-même, (comme celui de la Terre) en 24 heures, 40 minutes; - -[Illustration] - -Ou que 36 révolutions de Mars autour de son axe égalent 37 révolutions -de la Terre autour du sien. - - [Remarques sur les taches de Mars.] - -Les taches de cette Planete semblent être plus variables que celles -de toutes les autres. Les bandes obscures qu'on a observées en 1704. -1717. & 1719. ne conviennent point entr'elles, ni par rapport à leur -situation, ni par rapport à leur figure. En 1704. & 1717. on a vu -une bande obscure occupant plus d'un hémisphére de Mars, avec cette -différence qu'en 1704. elle avoit au milieu une pointe, qui ne s'y -trouvoit point en 1717. & qu'en 1717. elle étoit plus éloignée de -l'équateur de Mars, & plus près de son pole Méridional qu'en 1704. En -1719. on a trouvé une bande coudée, formée seulement après le mois de -Juillet, dont la partie la plus Méridionale, par rapport à nos yeux, -s'étendoit obliquement sur la moitié de l'hémisphére de Mars, & égaloit -environ un quart de Cercle, prenant son commencement entre le pole -Méridional & l'équateur de Mars, & finissant entre son équateur & son -pole Septentrional, où les deux parties de cette bande, en se joignant, -faisoient un angle, comme cela se voit Figure 2. Le 13. de Juillet -d'auparavant on n'avoit observé qu'une seule bande obscure rectiligne, -telle qu'on la voit Figure 1. - -Outre ces bandes obscures, on avoit découvert des taches confuses de -figure fort irréguliére, comme dans les Fig. 3. & 4. qui n'étoient -aussi que temporaires, & qui n'avoient presque rien de commun avec -celles qu'on avoit observées auparavant, que leur inconstance. - -Mais les taches les plus considérables de cette Planete sont celles, -qui s'observent proche de ses deux poles, dont cependant on n'en -voit jamais qu'une à la fois, & qui sont ordinairement plus claires -que le reste du corps. Il y a près de 70 ans, que ces taches-là sont -connues, & qu'on en voit presque toujours l'une ou l'autre, ce qui -prouve qu'elles sont permanentes, & que les vicissitudes d'apparition -& d'occultation qu'elles subissent, procédent seulement de quelque -changement de l'atmosphére de Mars, semblable à celui de la nôtre, -causé en partie par la différente constitution de l'air en Eté & en -Hyver, & en partie par la différente quantité de pluye, & de beau tems -en différens endroits du même Climat. C'est ainsi que depuis le 17. -Mai jusqu'au mois de Novembre 1719. le Pole, qui est à notre égard le -Méridional, se trouvant éclairé par le Soleil, & par conséquent l'Eté y -régnant, & l'Atmosphére y étant rarefiée autant qu'elle l'a pu être, la -lumiere éclatante de cette Zone déliée a pu frapper notre vûe, dans le -tems que celle du Pole opposé, qui avoit paru aux Observateurs en 1704 -& 1717. avec le même éclat que la derniére, se déroboit alors à nos -yeux à la faveur des nuages & des vapeurs congelées, qui y changeoient -l'Atmosphére, & la rendoient moins transparente. La différence de la -clarté de cette Zone, dont une moitié conserva constamment le même -degré de lumiére, & dont l'autre au contraire diminua, disparut, puis -reparut, ne ressemble pas mal à la différence du tems qu'il fait aux -Andes du Pérou, où il ne pleut jamais, & à Borneo où il pleut presque -tous les jours. Il se peut qu'il y ait encore d'autres raisons qui -puissent produire cet effet; mais il est toujours constant que cette -diversité d'apparences vient de la diverse constitution de l'Atmosphére. - - -JUPITER. - -Jupiter la plus grande de toutes les Planetes de notre Systême, -parcourt en 4331 jours, ou 12 ans, en comptant rondement, une Orbite, -dont le demi-diametre, en sa moyenne quantité, ou la distance moyenne -du Soleil, est de 156. millions de lieues. Son diametre est dix fois -plus grand que celui de la Terre. La pesanteur des corps qui tendent -vers le centre de cette Planete, ou l'espace qu'ils parcourent en -tombant directement sur elle, se peut calculer. - - [Maniére de calculer la pesanteur des corps qui tombent sur la surface - de Jupiter.] - -Pour cet effet, l'on cherche premiérement le tems périodique d'un -Satellite qui raseroit la surface de Jupiter, ce qui se trouve par -cette règle: Comme le cube de 25 1/3 de demi-diametres de Jupiter, -(qui font la distance du quatrième Satellite), est au quarré de son -tems périodique, qui est de 16 2/3 de jours; ainsi le cube d'un seul -sémi-diametre de Jupiter est au quarré du tems périodique qu'on -cherche. On trouve par-là qu'un tel Satellite acheveroit sa période -autour de Jupiter, près de sa surface, en 193 à 194 minutes. - -Comme toutes sortes de pesanteurs sont en raison directe des rayons -des cercles que décrivent les corps pesants, sans tomber, & en raison -inverse des quarrés des tems périodiques, on détermine la quantité -de la pesanteur de ces corps sur Jupiter de cette maniére: Comme 1 -sémi-diametre de la Terre est à 10 1/2 des mêmes sémi-diametres, qui -sont la mesure de celui de Jupiter; ainsi 15 1/12 de pieds de chûte -sur la Terre, pendant la premiére seconde, sont à 158 3/8 de pieds de -chûte sur Jupiter pendant la premiére seconde, si les tems périodiques -des Satellites aux surfaces de Jupiter & de la Terre sont égaux. Mais -ayant trouvé ci-dessus que le tems périodique d'un Satellite de la -Terre, auprès de sa surface, est de 84 2/5 de minutes, il en faut venir -à cette derniére règle: Comme le quarré de 193 1/2 de minutes est au -quarré de 84 2/5 de minutes; ainsi 158 3/8 de pieds de chûte, (si les -deux périodes sont égales) sont à 30 pieds de chûte véritable sur -Jupiter. Le pendule à secondes sera donc en Jupiter de 7 pieds & 1/2. - -Ces mêmes considérations nous font aussi voir que le diametre polaire, -ou l'axe de rotation de Jupiter, est plus petit que celui de son -équateur, & que cette différence doit être bien plus sensible sur -la surface de Jupiter, que sur celle de la Terre. La révolution -journaliére de Jupiter est de 9 heures 56 minutes; & la révolution -du plus bas Satellite, qui pourroit être autour de lui, ayant été -trouvée de 194 minutes, qui n'est quasi que le tiers de sa révolution -journaliére, sa pesanteur restante, c'est-à-dire, diminuée par les -forces centrifuges sous l'équinoxiale de Jupiter, sera à la pesanteur -primitive (en supposant la figure de Jupiter exactement sphérique) -comme 8 sont à 9. C'est ce qui donne la proportion du petit axe au -grand, à peu de chose près, comme 17 sont à 18, en dressant le calcul -selon les principes de Mrs. Huygens & Herman, & comme 7 à 8, en suivant -ceux de Neuton, fondés sur la gravitation mutuelle de toutes les -parties intérieures de la Planete. Le sentiment de Neuton semble être -appuyé par les Observations de Mr. Cassini, le Pere, rapportées à la -fin de la XIX. Proposition du III. Livre de sa Philosophie, où il est -dit, que le diametre de Jupiter d'Orient en Occident est visiblement -plus grand que celui du Sud au Nord. - -Les bandes obscures de Jupiter, couchées le long de son disque, & -toujours parallèles, à-peu-près, à son équateur, sont représentées par -les deux Figures suivantes. - -[Illustration] - -Cet équateur ne fait avec l'orbite de Jupiter qu'une obliquité de 2. -deg. 55. min. au lieu que la nôtre est de 23. deg. & demi. Ces bandes -semblent n'être que des exhalaisons, qui, en s'élevant & se joignant -ensemble, prennent une figure circulaire. Il est vrai qu'elles ne se -produisent jamais toutes entiéres à la fois, témoin surtout cette -bande Méridionale, qui renaît quasi de six en six ans, & qui nous -ramene toujours une tache noire, située à son bord Septentrional, comme -cela est arrivé aux années 1665. 1677. 1713. au mois de Septembre, & -aux années 1672. & 1708. au mois d'Avril. En comparant les anciennes -Observations avec celles qui ont été faites en dernier lieu, on -remarque que ces bandes, qui avoient d'abord paru subir des changemens -tout-à-fait bizarres, & ne suivre aucune règle, ne laissent pas d'avoir -des retours assez réguliers, qui nous mettront peut-être un jour en -état de prédire leurs apparences avec la même certitude qu'on peut -calculer les Eclipses. - - [Remarque sur la tache noire de Jupiter.] - -La bande dont nous venons de parler, accompagnée de la tache noire, -se présente ordinairement, quand Jupiter est aux derniers degrés de -la Vierge & des Poissons, vers le tems qu'il a été en opposition avec -cet Astre. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que ces apparences -suivent plutôt le vrai mouvement de Jupiter que le moyen; car on voit -bien que depuis l'opposition de cette Planete avec le Soleil au Signe -des Poissons jusqu'à celle qui se fait au Signe de la Vierge, il se -passe 6 ans & demi, & 5 seulement & demi de celle-ci au retour de -la premiére, le tout faisant ensemble 12 années, pendant lesquelles -s'acheve la révolution de Jupiter. Ceci fait voir que, si l'on pouvoit -marquer tous les changemens qui surviennent à ces bandes, & qui sont -sans doute affectés à certains Signes du Zodiaque, aussi-bien que le -Phénomêne de la tache noire, on auroit lieu d'espérer, que l'ordre de -leur retour se pourroit prédire, comme celui de cette tache. - -C'est principalement à cette même tache que nous sommes redevables -de la connoissance que nous avons de la révolution journaliére de -Jupiter, dont la vîtesse nous surprendroit, sans doute, par rapport à -la grandeur de son corps, si Mr. de Mairan n'en avoit pas démontré la -possibilité, dans un savant Mémoire inséré dans ceux de l'Académie de -l'Année 1729. où il démontre que la différence qu'il y a entre le poids -de la partie inférieure d'une Planete, qui est tournée vers le Soleil, -& celui de la supérieure qui ne l'est pas, est capable de produire sa -rotation d'Occident en Orient. - -Cette tache est aussi connue aux Astronomes, que la situation d'une -célèbre Ville aux Géographes; & on en a déterminé la Latitude -Méridionale sur la surface de Jupiter d'environ 16. degrés, comme l'on -détermine celle de quelque Place remarquable sur la Terre. Il est vrai -qu'en observant ses révolutions au milieu de son parallèle exposé -vers nous, on a trouvé qu'elles n'étoient pas tout-à-fait les mêmes, & -qu'elles différoient de quelques secondes, quoiqu'il soit très-naturel -de les supposer toujours égales entr'elles, comme sont celles de la -Terre; mais cela n'est pas de conséquence, & dans une recherche de -cette nature, bien loin de blâmer les Astronomes, on doit admirer leur -sagacité, & leur savoir bon gré de ne différer entr'eux qu'en secondes. - - [Pourquoi les Satellites de Jupiter semblent quelquefois moins grands.] - -Les Satellites de Jupiter, & sur-tout le quatrième, étant tournés vers -nous, ont des taches obscures, qui les font paroître quelquefois bien -plus petits qu'ils ne sont ordinairement; ce qui fait que le quatrième -disparoît quelquefois entiérement, lorsqu'il est bien éloigné du -corps & de l'ombre de Jupiter. Mais on n'a point encore déterminé, -si ces taches naissent subitement, ou si c'est le tournoyement des -Satellites autour d'eux-mêmes, qui nous montre ces taches dans un tems, -& nous les cache dans un autre; quoiqu'il y ait bien à parier pour ce -tournoyement, à cause des circonstances périodiques qu'on prétend avoir -observées dans le quatrième Satellite. Il se pourroit aussi, que les -ombres mêmes des Satellites fissent entr'eux de petites Eclipses, dont -on ne pourroit s'appercevoir que par la diminution de leur éclat; mais -c'est ce qui n'a point encore été examiné. - - -SATURNE. - -Saturne parcourt son orbe autour du Soleil en 29 ans & demi. Si, en -comptant rondement, la distance moyenne de la Terre au Soleil est, -comme nous l'avons dit par-tout ailleurs, de trente millions de nos -lieues, il s'ensuit par la même raison, que la distance médiocre de -Saturne à cet Astre est de 285. à 286. millions des mêmes lieues. C'est -la derniére Planete, & la plus éloignée du Soleil qui nous soit connue; -du moins n'a-t-on point encore découvert au-delà aucun corps dans -de Ciel, qui ait une orbite constante, & qui tourne circulairement. -Il est vrai que les Cometes font leurs cours dans des Régions bien -plus éloignées que ne fait Saturne; mais comme leur excentricité est -beaucoup plus grande que celles des Planetes ordinaires, elles ne -font point partie du Systême planétaire que nous considérons dans -ce Chapitre. Car quand même on en supposeroit quelqu'une qui feroit -réguliérement sa révolution autour du Soleil, par exemple, à 600. -millions de lieues de distance du Centre universel de notre Systême, -de quoi lui serviroit la lumiére & la chaleur de cet Astre, dans une -distance où il ne paroîtroit pas plus grand que ne nous paroissent -Jupiter & Venus? J'ai supposé 600. millions de lieues de distance -moyenne de ce prétendu corps au Soleil, parce que si cette distance -étoit moindre, les Planetes se tireroient & s'embarrasseroient trop par -leurs gravitations réciproques. - - [Calcul de la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de - Saturne.] - -Le diametre de Saturne est près de 10. fois plus grand que celui de -la Terre. Par ce moyen on peut calculer la proportion de la pesanteur -sur Saturne à celle que nous éprouvons sur notre Terre. Son dernier -Satellite étant éloigné de lui de 53 à 54. de ses sémi-diametres, -c'est-à-dire, le rayon de son orbite étant 53 ou 54. fois plus grand -que le sémi-diametre de Saturne, sa révolution doit se faire en 79. -jours 22. heures, qui font 1918. heures. Je dis donc que comme 157464, -cube de 54 sémi-diametres de Saturne, est à l'unité, ou au cube d'un -seul sémi-diametre du même Saturne, ainsi 3678724, quarré de 1918. -heures, est à 23 2/5, à-peu-près; d'où tirant la racine quarrée, l'on -trouve pour le tems périodique de cette révolution 4 heures & 5/6, ou -4 heures 50 minutes. Donc un corps qui feroit le tour de la surface de -Saturne, sans baisser jamais par sa pesanteur, le feroit, comme nous -venons de voir, en 4 heures 50 minutes. - -Pour trouver, à-présent, de combien de pieds les corps pesants tombent -sur Saturne pendant la premiére seconde de tems, je dis que, comme 1. -sémi-diametre de la Terre, divisé par le quarré de 84. min. & 2/5, que -nous avons trouvées page 320, est à 9 1/2 sémi-diametres de la Terre, -ou à un seul sémi-diametre de Saturne, divisé par le quarré de 290. -minutes, que nous venons de trouver; ainsi 15. pieds parcourus par la -chûte d'une seconde de tems vers la Terre, sont à 12. pieds de chûte -vers Saturne pendant la premiére seconde, & quelque peu davantage. -Mais cette pesanteur des corps vers le centre de Saturne souffre une -diminution considérable par leur gravitation, en sens contraire, vers -la cavité de son anneau, comme nous l'allons montrer dans la suite. - -Les Figures suivantes nous représentent les différentes configurations -de Saturne: 1. Sa phase ronde avec une seule bande obscure au milieu, -causée par l'ombre de l'anneau, & par sa partie obscure, qui ne reçoit -point de rayons du Soleil: 2. Cette même phase ronde avec d'autres -bandes encore, telles qu'on les a vues en 1715: 3. La phase de son -anneau, qui se perd de vûe, & qui reparoît après avoir été quelque tems -invisible; & 4. Cet anneau dans sa plus grande largeur, avec des bandes -qui environnent le disque de Saturne, comme cela s'est vu en 1696. - -[Illustration] - -Le diametre extérieur de l'anneau de Saturne, pris d'un bout à l'autre, -est au diametre de cette Planete, comme 9 sont à 4, selon la mesure -de Mr. Huygens, ou comme 11 sont à 5, selon celle de Mr. Cassini. Le -diametre intérieur, compris entre les deux cavités opposées, est à -celui de Saturne comme 6 1/2 sont à 4; car depuis le corps de Saturne -jusqu'à la cavité de son anneau, il y a autant d'espace, que depuis -cette cavité jusqu'à sa circonférence extérieure. Si Saturne lui-même -a 30000 lieues de diametre, il y aura depuis sa surface, jusqu'à la -cavité en question, 9375 lieues, & delà jusqu'au bout, aussi 9375, au -lieu desquelles on en compte ordinairement 8000. de largeur. - -La quatrième Figure nous représente cet anneau dans sa plus grande -ouverture, lorsque sa largeur de B, en C, ou de D en F, nous paroît la -moitié de sa longueur A, E. C'est par cette proportion de longueur & de -largeur que l'on a calculé l'angle que fait cet anneau avec l'orbite -de sa Planete, savoir de 30 à 31 degrés. Il est à remarquer qu'au -milieu de sa largeur apparente, on observe une ligne obscure, telle -qu'on la voit marquée par la ligne pointillée. La couleur de sa partie -intérieure, qui est plus près du corps de la Planete, paroît plus vive -& plus lumineuse, que celle de sa partie extérieure, & la ligne noire, -dont nous venons de parler, en fait la séparation. Ainsi toutes les -fois que cet anneau disparoît, c'est sa partie extérieure qui se perd -la premiére; car l'autre ne disparoît que quelques jours après. - -Dans les années 1714 & 1715, où l'on a vu cet anneau disparoître & -reparoître deux fois, on a observé que sa partie Orientale se perdoit -de vûe un jour ou deux plutôt que sa partie Occidentale, & que cette -même partie Occidentale se découvroit au contraire un jour ou deux -plutôt que sa partie Orientale. En 1671. Mr. Cassini, le Pere, avoit -déja observé quelque chose de semblable; ce qui lui fit juger avec -raison que les parties de cet anneau, qui sont du même côté, par -exemple, A, B, & D, E, de la troisième Figure, ne sont pas dans le même -plan, & que par conséquent il est plus mince ou plus pointu par ses -extrémités A & E, que vers la cavité intérieure B, C, ou D, F. - - [Raisons de la disparition de l'anneau de Saturne.] - -Il y a deux causes différentes, qui nous font perdre cet anneau de vûe. -La premiére est que son plan venant à passer par le centre du Soleil, -ses deux côtés ne reçoivent ses rayons que fort obliquement de part & -d'autre; ce qui fait que sa lumiére devient trop foible pour frapper -nos yeux. Cela arrive lorsque Saturne, à l'égard du Soleil, est au -19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge. Quand il n'y a point -d'autre cause qui produit la phase ronde de Saturne, que celle-là, -elle ne dure guères au-delà d'un mois, comme on le prouve par les -Observations des années 1685 & 1701. Vers la fin de cette phase, on -s'apperçoit plus clairement de l'ombre de l'anneau sur le corps de -Saturne, qui paroît un peu au-dessus ou au-dessus du milieu de son -disque, comme cela se voit Fig. 1. - -La seconde cause qui nous rend l'anneau invisible, est la coïncidence -de sa partie éclairée avec le rayon visuel, qui passe du côté de celle -qui ne l'est pas. Cette apparence a des termes moins limités que celle -dont il a été parlé ci-devant; cependant on est toujours assûré de la -voir deux fois, quand Saturne, apperçu du Soleil au 19 degré 45 min. -des Poissons ou de la Vierge, est retrograde par rapport à nous. Sa -Latitude étant observée de la Terre, ne peut différer chaque fois que -de fort peu de chose; mais ce peu de chose ne laisse pas d'être assez -sensible, pour avancer ou proroger ces termes. En 1671, il y eut plus -de six mois entre les deux disparitions des anses, à compter depuis la -fin du mois de Mai jusqu'au 8 de Décembre. Le lieu de Saturne, étant -vu du Soleil, se trouvoit la premiére fois au 13 degré des Poissons, -& la seconde au commencement du vingtième. En 1714. le 12 Octobre, -jour auquel les anses disparurent, Saturne se voyoit du Soleil au -commencement du 17e. degré de la Vierge, & le 22e. de Mars. En 1715. -jour moyen de la seconde disparition, il étoit déja à 21 degrés & demi -du même Signe à l'égard du Soleil; mais le tems qui s'écoula entre ces -deux disparitions, n'est que de 5 mois & quelques jours. Ainsi les -phases rondes vers le commencement de Juillet 1744, & au mois de Mars -1760. ne se redoubleront point; & il faudra par conséquent laisser à la -Postérité l'observation du retour de ce Phénomêne. - -Bien des gens sont curieux de savoir si cet anneau est un corps continu -ou solide, ou si ce ne sont que des Satellites, qui sont si près les -uns des autres, que notre vûe ne peut les distinguer. La derniére -de ces deux conjectures me paroît plus vraisemblable. Car si l'on -m'objecte que le mouvement de tous ces Satellites, dans une orbite -commune, ne pourroit se faire, sans qu'ils se choquassent les uns les -autres, s'il y avoit tant soit peu d'excentricité; il me suffira de -répondre que ce mouvement n'est point du tout excentrique. Si l'on dit -aussi que les Satellites supérieurs ne pourroient pas achever leurs -périodes en même tems que les inférieurs, parce que la pesanteur, ou -la force centripète de leur mouvement circulaire, diminue en raison -quarrée de leur éloignement du centre de Saturne: je réponds encore, -qu'à la vérité cette différence de leurs périodes est telle que l'on -prétend; mais que la ressemblance exacte de tous les Satellites d'un -même ordre nous fait regarder cet assemblage de Satellites séparez -comme un corps continu. - -Il reste pourtant encore une petite difficulté à lever. Cette orbite, -dira-t-on, loin de pouvoir être exactement circulaire, est elliptique, -son grand axe étant toujours perpendiculaire à une ligne tirée du -centre du Soleil à celui de Saturne; parce que tous les Satellites ne -sont que des Lunes, qui pour cette raison doivent obéïr aux mêmes loix -de la gravitation que la nôtre. Or comme l'orbite de la Lune doit un -peu s'applatir dans les conjonctions, de même que dans les oppositions, -& avoir plus de courbure aux quadratures, ainsi que nous l'avons -prouvé au Chapitre XXII. il s'ensuit nécessairement que le même -changement arrivera dans celle des autres Satellites. La chose dépend -donc uniquement de la différence de la gravitation de Saturne sur le -Soleil, & de celle de ses Satellites sur lui-même; & c'est de cette -différence que nous donnerons la mesure au Chap. XXV. - -Les bandes de Saturne, dont le parallèlisme avec son anneau fait voir, -que ce qui les cause est élevé au-dessus de la surface de cette Planete -à une assez grande distance, pour que leur courbure ne soit que peu ou -point sensible, prouvent indubitablement, que Saturne est environné -d'une Atmosphére beaucoup plus vaste que la nôtre. Mais en supposant, -comme ci-dessus, que cet anneau n'est composé, que d'une infinité -de Satellites, il ne sera pas nécessaire de l'étendre jusque-là. -Cependant quelque vaste que soit cette Atmosphére, il faut qu'elle soit -incomparablement plus transparente que la nôtre, puisque les Fixes -que l'on voit quelquefois entre les anses & le corps de Saturne, n'y -souffrent jamais ni réfraction, ni changement de figure, comme dans -les autres Atmosphéres. - -C'est une chose fort remarquable, que parmi les 5 Satellites de -Saturne, il y en a quatre, qui font leurs révolutions dans le plan -même de son anneau, & que le cinquième est le seul, qui suive une -route particuliére. Ce dernier n'a que 15 à 16 degrés d'inclinaison -de son orbite à celle de Saturne, au lieu que les 4 autres circulent -dans un plan incliné à celui de leur Planete principale de 30 deg. -ou davantage. Aussi ses nœuds sont-ils un peu différens de ceux des -autres. Ceux-ci ont les mêmes nœuds, que l'anneau, savoir au 19 degré -45 min. des Poissons & de la Vierge; mais le dernier coupe l'orbite -de Saturne environ quinze degrés plutôt, savoir au quatrième, ou au -cinquième degré des mêmes Signes. - - [Ralentissement du mouvement de Saturne.] - -Avant que de quitter Saturne, il faut remarquer une autre particularité -de son mouvement qu'on n'a point encore observée à l'égard des autres -Planetes. Toutes les plus anciennes Observations étant comparées -entr'elles, ainsi qu'avec les modernes, nous donnent son moyen -mouvement annuel de 12 degrés 13 minutes, & 33 à 36 secondes, au plus. -Mais les modernes seules, comparées les unes avec les autres, donnent -ce même mouvement diminué de quelques secondes, savoir de 12 degrés 13 -min. & 20 à 29 secondes par an. On a encore observé d'autres petites -inégalitez dans le mouvement de Saturne depuis Tycho-Brahé; mais qui -ne laissent pas de s'accorder toutes à nous faire voir, que son moyen -mouvement est moins prompt à présent, que du tems des Chaldéens & des -Egyptiens. Mr. Cassini a prouvé cela incontestablement, en comparant -les observations modernes, ainsi que celles de Ptolomée, avec une -observation fort ancienne faite le 1. Mars de l'année 4485 de la -Période Julienne, dans un Mémoire présenté à l'Académie le 10. Janvier -1728. - -Quoique Neuton ait prouvé que, lorsque Jupiter est le plus près de -Saturne qu'il est possible, il dérange sensiblement le mouvement de -cette Planete, néanmoins le ralentissement du mouvement de celui-ci -est trop sensible, & d'une nature trop différente de ce qu'elle devroit -être, pour en accuser seulement Jupiter. En effet, s'il n'y avoit pas -d'autres corps qui y contribuassent, comment se pourroit-il faire que, -dans les plus grandes proximités de ces Planetes, le mouvement de -Saturne fût tantôt accéléré, & tantôt retardé, comme le démontrent les -observations rapportées par Mr. Cassini? - -Je crois donc que le ralentissement du mouvement qu'éprouve Saturne -beaucoup plus sensiblement que toutes les autres Planetes, est causé -par l'attraction de plusieurs Cometes, qui font leurs traverses dans -les immenses Régions de l'Univers au-delà de lui. Leur nombre & leur -grandeur sont assez considérables pour pouvoir être sensible à l'égard -de la pesanteur de Saturne sur le Soleil, qui n'est que la 90me. -partie de l'attraction de la Terre vers le centre de notre Systême. -Aussi les inégalités de ce ralentissement s'expliquent-elles bien plus -commodément par les différentes proximités des Cometes, que par toute -autre cause; & si les Planetes inférieures se sentent moins que Saturne -de leur approchement, c'est parce que la force attractive du Soleil est -bien plus forte que celle des Cometes dans les Régions inférieures, que -dans celle de Saturne, comme nous l'avons déja dit. - -[Illustration] - - - - -[Illustration] - -CHAP. VINGT-QUATRE. - -_De la Lumiére Zodiacale, des Cometes, & des Fixes._ - - -_De la Lumiére Zodiacale._ - -LA principale raison qui nous engage à faire ici mention de la Lumiére -Zodiacale, est que certaines Hypothèses, par lesquelles on explique -ce Phénomêne, semblent contraires aux Démonstrations de Neuton sur le -mouvement des corps dans des milieux résistans; & c'est ce qu'il faut -tâcher d'éclaircir. - -La lumiére zodiacale est une clarté semblable à celle de la _Voye -Lactée_, & quelquefois meme plus claire, qui s'étend presque le long du -Zodiaque à 50, 60, 70, 80, 90, & quelquefois à 100 degrés & davantage -du lieu du Soleil, de part & d'autre. Ainsi ses pointes & une grande -partie de son arc lumineux, quand elle n'est pas enveloppée, ou mêlée -de notre crépuscule, paroissent avoir un mouvement annuel & journalier -autour de la Terre, pareil à celui que le Vulgaire attribue au Soleil. -Selon les savantes remarques de Mr. de Mairan, tirées des Observation -de Mrs. Cassini, Eimmart, Kirch & d'autres, c'est sur la fin de -l'Hyver, & au commencement du Printems, que le soir est plus propre -dans nos Climats pour bien observer cette Lumiére; & le matin vers la -fin de l'Eté & le commencement de l'Automne. Cette différence est un -effet de la différente position de l'Ecliptique sur l'Horizon, qui fait -tomber la pointe de la lumiére en question, quelquefois plus haut, -quelquefois plus bas. - -L'angle de sa pointe, où les deux côtés se réunissent, est fort inégal. -On l'a vu quelquefois de 20 degrés, & quelquefois de huit seulement. -Mr. de Mairan rapporte encore des observations de Mr. Cassini, qui -l'avoit trouvée d'une figure irréguliére, & courbée comme une faucille; -il en rapporte aussi de Mr. Fatio de Duilliers, où les deux côtés ont -eu des points qu'on appelle en Géométrie points de rebroussement, ou -d'inflexion contraire, semblables à ceux de deux conchoïdes sur une -même asymptote. - -Une connoissance des plus essentielles de ce Phénomêne, dont nous -sommes redevables à la grande sagacité de Mr. de Mairan, est que la -section du milieu de cette lumiére, ou de la matiére qui la réfléchit -vers nous, est la même que le plan de l'équateur du Soleil, ayant tous -deux les mêmes nœuds avec notre Ecliptique, & faisant avec elle un -angle de 7 degrés & demi. Cela prouve fort vraisemblablement, que cette -matiére appartient naturellement au Soleil; aussi n'est-ce pas sans -raison, qu'on lui a donné le nom d'Atmosphére Solaire, quoiqu'il ne -faille pas la confondre avec celle qui l'environne de plus près, & dans -laquelle nagent les taches Solaires, qui font avec elle leur révolution -périodique en 25 jours & demi. - -La Figure de cette Atmosphére extérieure est une Sphéroïde fort platte, -dont le grand diametre est souvent 5, ou 8 à 9 fois plus grand, que -celui qu'on imagine d'un Pole à l'autre. Son étendue est en différens -tems si inégale, que sa pointe supérieure est quelquefois bien -au-dessous de l'orbite de la Terre, & va quelquefois bien au-delà. -C'est ce qui a porté, Mr. de Mairan à croire, que cette Sphéroïde étoit -fort excentrique, & que ses apsides avoient un mouvement bien plus -prompt, & peut-être moins régulier, que celles des orbites planétaires. -Il faudroit donc que l'aphélie de cette Sphéroïde s'étendît jusqu'entre -les orbites de Mars & de la Terre, & que son périhélie se terminât -au-dessus de l'orbite de Vénus, sans atteindre celle de la Terre. - -Sur cela on auroit raison de demander comment il se peut faire, que la -Terre & la Lune, qui entrent toutes deux dans cette Atmosphére Solaire, -ne sentent pas la résistance d'une matiére, qui doit nécessairement -avoir quelque densité? Pourquoi la vîtesse de leur mouvement ne se -ralentit point? Et pourquoi enfin l'orbite de la Terre ne devient -pas plus petite de siècle en siècle, comme cela devroit arriver -infailliblement, si ce mouvement se faisoit dans un milieu résistant? - -C'est une vérité incontestable, & démontrée par Neuton dans la IV. -Section du Livre II. de sa Philosophie, que la densité du milieu étant -posée en raison inverse des distances du centre du mouvement, & la -pesanteur en double raison inverse de ces mêmes distances, le mouvement -circulaire doit se changer en celui de spirale; & que cette spirale -est précisément celle que Descartes & le R. P. Mersène ont connue -les premiers; je veux dire, celle qui coupe tous les rayons partans -d'un seul centre, sous un angle toujours égal. Donc, si l'Atmosphére -Solaire enveloppe la Terre & la Lune, les années doivent toujours -devenir plus courtes, parce que l'Orbite devient plus étroite: la -vîtesse de mouvement annuel & journalier diminuera toujours: le -diametre apparent du Soleil nous paroîtra toujours plus grand; & la -chaleur augmentera à la fin jusqu'à faire périr tout ce qu'il y a de -vivant sur la Terre. - -Voici la maniére, dont je crois pouvoir résoudre cette difficulté. -Toutes les parties les plus petites de cette Atmosphére sont autant de -petites Planetes, qui tournent autour du Soleil, à peu près de la même -maniére & dans le même sens, que les grandes qu'on a connues jusqu'ici -sous ce nom. Cela fait qu'elles ont elles-mêmes par-tout des vîtesses -fort peu différentes de celles de la Terre dans les mêmes distances du -Soleil. - -On voit bien qu'un amas de particules, qui tournent avec la même -rapidité qu'un corps d'une grandeur considérable, qui en est environné, -ne peut faire aucune résistance au mouvement que ce corps fait dans le -même sens. On voit aussi que, si les vîtesses de cet assemblage de -petites Planetes résistent quelquefois un peu à une plus grande qui -se trouve parmi elles, les vîtesses du côté opposé, qui doivent être -plus grandes, lui font bien-tôt regagner, ce qu'elle en avoit perdu -auparavant. - -C'est particuliérement au célèbre Fatio de Duilliers que nous avons -l'obligation de cette idée. Quoique ce grand Géométre n'ait pas prévu -l'inconvénient, qui naîtroit de la résistance de cette matiére par -rapport au mouvement de la Terre, de la Lune, de Vénus & de Mercure; -il est cependant le premier, qui nous ait averti, que cette lumiére -pourroit bien être un amas sphéroïde de petites Planetes, comme la -_Voye Lactée_ n'est qu'un nombre infini de Fixes si petites, qu'on ne -peut les appercevoir. - - [Premiére Objection contre le sentiment de Mr. de Duilliers.] - -Mais, quoi, dira-t-on, vous avez détruit au Chapitre XVI. les -Tourbillons de Descartes, & maintenant vous en établissez un autre -entiérement contraire à vos principes? Cette Atmosphére, qui, selon -vous, doit tourner incessamment autour du Soleil, & dont le mouvement -s'étend jusqu'au-delà de l'orbite de la Terre, n'est-elle pas un -nouveau Tourbillon, par lequel vous prétendez remplacer celui que -vous vous êtes tant efforcé d'anéantir en faveur de la Philosophie de -Neuton? Et, tourbillon pour tourbillon, pourquoi ne pas adopter plutôt -celui de Descartes? - -A cela je réponds, que les Tourbillons de Descartes sont bien différens -du mouvement circulaire ou elliptique des petites Planetes de cette -Atmosphére, auquel je consens qu'on donne, si l'on veut, le nom de -Tourbillon, pourvû que l'on m'accorde que celui-ci ne ressemble -point à ceux de Descartes. Il n'est pas nécessaire de répéter tous -les inconvéniens des Tourbillons que nous avons examinés dans les -Chapitres précédens; nous nous contenterons de parler d'une seule chose -en quoi ils différent de celui dont il s'agit. En effet, pour que -les Tourbillons de Descartes ayent assez de force pour emporter les -Planetes, qui y nagent, il est nécessaire qu'elles n'ayent jamais ni -plus, ni moins de matiére, que la partie du Tourbillon qui les met en -mouvement, ce qui est contraire à l'expérience. Car leur mouvement dans -leurs aphélies est plus lent, que dans leurs périhélies, & cependant la -quantité de matiére, qu'elles contiennent, est toujours égale. Ce qui -les fait tourner, n'est donc point une force qui leur est imprimée par -une matiére étrangere, autrement cette même matiére étant plus vaste -dans leurs aphélies, & plus resserrée dans leurs périhélies, produiroit -un effet tout-à-fait contraire. Mais notre Tourbillon ne doit pas se -prendre pour un premier ressort du mouvement planétaire, puisque nous -considérons la pesanteur ou l'attraction vers le Soleil, comme sa cause -véritable & primitive. En effet, nous ne le posons que pour ne pas -retarder le mouvement de la Terre & des Planetes inférieures, ce qui -est bien différent de leur imprimer du mouvement, comme devroient faire -ceux de Descartes. - - [Seconde Objection.] - -On pourroit faire une objection bien plus réelle sur la nature du -mouvement circulaire ou curviligne, causé par quelque corps central -vers lequel tous les autres sont attirés. On ne doute point que le -centre des forces ne doive toujours être dans le même plan où se fait -le mouvement; car c'est une suite nécessaire des Démonstrations, -par lesquelles nous avons prouvé au Chap. XIX. l'égalité des aires -décrites en tems égaux. Comment donc, dira-t-on, se peut-il faire que -deux corps ou plusieurs, dont la circulation se commence dans des -plans différens, mais à égale distance du Soleil, ne se choquent pas -quelque part, avant que d'achever seulement leur premiére révolution; -puisqu'il est impossible que deux plans circulaires différens & qui -ont pourtant le même centre, ne se coupent pas en deux points de leurs -périphéries? Néanmoins nous ne voyons pas que cela arrive à la matiére -qui produit la lumiére zodiacale, puisqu'un choc comme celui-là, -la réduiroit bien-tôt en une seule masse, & en feroit une nouvelle -Planete, selon les théorêmes du mouvement causé par la percussion, -démontré si clairement par Mrs. Mariotte, Huygens & Herman. Quoique -certains petillements de cette lumiére, observés par Mrs. Cassini & -de Duilliers, prouvent assez visiblement que le choc des corpuscules -qui composent cette matiére, est quelque chose de fort commun, cela -ne l'empêche pas de subsister toujours, & d'avoir ses vicissitudes de -diminution & d'accroissement. Mais un choc dans l'intersection de deux, -ou de plusieurs Plans, tel que celui dont nous venons de parler ligne -7 & suiv. p. 364, n'a jamais été remarqué, & ne le sera certainement -jamais. - -Pour résoudre cette difficulté, il faut voir ce qui arriveroit, s'il -y avoit une seconde Terre de la même figure & de la même grandeur que -la nôtre, & si ces deux Terres se touchoient tellement aux deux Poles -de leur orbite commune, que le Pole Méridional de l'une fût appliqué -immédiatement au Pole Septentrional de l'autre. Il est clair que le -centre de l'une ou de l'autre décriroit une orbite particuliére, dont -le plan non-seulement ne passeroit pas par le centre du Soleil; mais en -seroit même éloigné du demi-diametre de chacune des deux. - -Je dis plus. Si au lieu de ces deux Terres j'en suppose quatre, six, -huit, ou davantage, il en faudra nécessairement revenir au même -raisonnement; & la multiplication de ces corps de part & d'autre ne -produira que la multiplication des centres particuliers des orbites -particuliéres. Mais le centre commun de gravité de toutes ces Terres -jointes ensemble, situé au point du contact des deux Poles du milieu, -décrira pareillement une orbite qui tiendra le milieu de toutes les -autres, & passera immanquablement par le centre du Soleil. - -Pour revenir aux petits corpuscules qui composent cette Atmosphére, -figurons-nous que tous ceux qui sont à la même distance du Soleil -se touchent; il n'y a pas de doute qu'ils ne s'accompagnassent -éternellement, comme feroit une rangée de plusieurs Terres, qui -auroient toutes des révolutions égales autour du Soleil. Il est vrai -qu'un autre ordre supérieur ou inférieur de ces corpuscules feroit une -révolution particuliére dans un tems périodique différent de celui de -la précédente; mais ce seroit toujours de compagnie, & sans que les -corpuscules d'une même rangée se quittassent jamais. Il importe peu que -des rangées différentes supérieures & inférieures se touchent, ou ne -se touchent pas, pourvû qu'il n'y ait ni inégalité, ni friction, qui -puisse en retarder le mouvement. - - [Troisième Objection.] - -Voici encore une objection qu'on pourroit faire contre le mouvement de -l'Atmosphére Solaire, tel que nous l'imaginons. Le tems périodique des -taches du Soleil & par conséquent de la partie la plus basse de cette -Atmosphére, avec laquelle ces taches font visiblement leur révolution, -est de 25 jours & demi, que l'on compte depuis qu'une partie de cette -Atmosphére a été sous une Fixe quelconque, jusqu'à son retour sous la -même Fixe. - -Comparons maintenant le tems périodique du sédiment de l'Atmosphére -Solaire avec celui qu'employent ses parties situées à une élévation -égale à celle de la Terre. Pour cet effet nous commencerons par -établir que toutes les Planetes, tant grandes que petites, font leurs -révolutions dans la même Région du Ciel en tems égaux; car il n'y -a personne qui puisse le nier, sans contredire l'expérience même, -qui prouve que la disproportion des masses de Jupiter, de Mars & de -Mercure, ne dérange rien à la proportion de leurs tems périodiques. - -Les corpuscules planétaires de cette Atmosphére étant à une distance -égale à celle de notre Terre feront donc leur révolution en une année; -mais pour bien expliquer la chose il faut avoir recours à cette Règle -de _Kepler_: Comme le cube de 213 sémi-diametres du Soleil, qui font -la distance moyenne de la Terre à cet Astre, est au quarré de 525949 -minutes, ou d'une année, de même le cube d'un seul sémi-diametre du -Soleil est au quarré de 169 à 170 minutes. Le fond ou le sédiment de -l'Atmosphére Solaire devroit donc tourner en 169 ou 170 minutes; mais -l'expérience nous apprend qu'il fait sa révolution en 25 jours & demi, -comme on l'a vu ci-dessus, ce qui fait une disproportion trop sensible. - -Pour faire voir que cette objection a plus de brillant que de solide, -il nous suffira de dire que l'Atmosphére Solaire est séparée en deux -parties différentes par un vuide assez grand, pour que la partie -supérieure n'ait aucune communication avec l'inférieure. Or comme cette -séparation fait que l'Atmosphére inférieure peut suivre le mouvement -du Soleil autour de son axe, & avoir le même tems périodique, elle -nous met en droit de soutenir que la partie supérieure, pour ne pas -tomber sur l'inférieure, a besoin d'un mouvement planétaire, dont les -forces centrifuges contrebalancent les centripètes. On ne peut donc -s'empêcher de nous accorder que cette Atmosphére supérieure doit avoir -différens degrés de vîtesse dans ses différentes parties, autrement -les plus basses tomberoient toujours vers le Soleil, & les plus hautes -pourroient s'élever même au-delà de Saturne. - - -DES COMETES. - -Neuton est le premier qui nous ait donné la véritable idée du mouvement -des Cometes. Cependant Mr. Cassini, le Pere, avoit déja trouvé avant -lui le moyen de prédire leur situation apparente, lorsqu'elles ne -sont pas trop près du Soleil. Car, quoiqu'il sût très-bien que leur -mouvement est curviligne, il ne laissa pas d'en supposer la courbure -si peu sensible, qu'on pouvoit la regarder comme une ligne droite; & à -l'aide de cette supposition il parvint à un calcul qui ne différe que -peu ou point de celui de Neuton, puisque plus des segmens égaux d'une -Parabole s'éloignent de son sommet, plus ils approchent d'une ligne -droite. - -Quand Neuton a inventé l'Hypothèse du mouvement parabolique -des Cometes, pour en rendre le calcul plus Géométrique & moins -embarrassant, il n'a pas cru pour cela que les courbes de leurs -trajets soient de véritables Paraboles. Au contraire, dans la XLII. -Proposition du III. Livre de sa Philosophie il nous enseigne le -moyen de trouver par approximation les grands axes de leurs orbites -elliptiques, avec cette restriction néanmoins que ces orbites sont -d'une figure si oblongue que nous ne saurions les voir toutes entiéres. -Nous ne voyons donc les Cometes que lorsqu'elles sont près de leurs -périhélies, parce que tout le reste de leur cours se fait dans des -Régions si éloignées, que notre vûe ne peut porter jusque-là. Ce que -nous voyons d'une orbite Cométique n'est souvent pas la centième partie -de ce que nous n'en voyons point. Car comme les Cometes ne commencent -à paroître ordinairement que quand elles sont à une distance du -Soleil plus petite que celle de Jupiter, & plus grande que celle de -Mars; lorsqu'elles passent dans les Régions supérieures & qu'elles -se trouvent à une distance du Soleil égale à celle de Jupiter, leur -lumiére est si foible qu'à peine peut-elle être apperçue. - -Comme la Parabole n'est qu'une Ellipse, dont le centre est infiniment -éloigné de son foyer, on s'en sert, suivant les règles de Neuton, au -lieu de l'Ellipse, quand on ne sait pas précisément la mesure des -deux axes, pourvû que le grand axe excéde du moins 20 fois le petit. -Autrement ce seroit non-seulement une faute considérable de prolonger -le mouvement parabolique au-delà des distances où les Cometes sont -visibles; mais l'on se priveroit encore par-là de l'espérance de les -revoir jamais. - - [Pourquoi les Cometes & les Planetes ne tombent point sur le Soleil - dans leurs périhélies.] - -Ainsi le mouvement des Cometes autour du Soleil ressemble tellement à -celui des Planetes ordinaires, que quoique les premiéres approchent -beaucoup plus près de cet Astre que les autres, elles ne sont pas -exposées à tomber sur lui, lorsque la courbe de leur mouvement devient -perpendiculaire à sa distance. Car la force centripète étant plus -petite que la troisième proportionnelle à la distance du Soleil & à la -vîtesse du périhélie, la Planete ou la Comete n'est pas plutôt parvenue -à sa plus grande proximité du Soleil, qu'elle commence à s'en éloigner. - -L'Atmosphére, la durée, la queue & le retour d'une Comete est ce qu'il -y a de plus remarquable. - -L'Atmosphére d'une Comete différe de celle d'une Planete ordinaire en -ce que son noyau est beaucoup plus petit. Il y en a qui ont 15 fois -plus de diametre que les corps des Cometes. Aussi une même Atmosphére -n'est-elle pas toujours d'une égale extension, vû qu'elle diminue & -s'aggrandit par reprises. - -On ne sait pas bien encore si ces diminutions & ces accroissemens -se font réguliérement aux mêmes distances du Soleil & du périhélie. -Car selon les Observations d'Hevelius, alleguées par Neuton, ces -Atmosphéres diminuent à mesure qu'elles approchent du Soleil, & -augmentent à mesure qu'elles s'en éloignent. Au contraire Mr. de Mairan -assûre, qu'elles grossissent à l'approche du Soleil par les parties de -l'Atmosphére Solaire qu'elles emportent avec elles en passant. L'un & -l'autre de ces sentimens paroissent fondés sur ce que les Atmosphéres -des Cometes peuvent diminuer jusqu'à la rencontre de celle du Soleil, -dans laquelle elles puisent de nouvelles matiéres. De plus ces -Atmosphéres contenant un air semblable au nôtre, elles doivent toujours -occuper plus d'espace en descendant vers le Soleil qu'en remontant; -parce que cet air se rarefie extrêmement lorsqu'elles descendent, & se -condense de même, lorsqu'elles remontent. - -La durée des Cometes se prouve, selon le raisonnement de Neuton, -par les degrés de chaleur excessifs qu'elles subissent dans leurs -périhélies. Ce Philosophe a calculé que la Comete de l'année 1680, -qui passa au-dessus de la surface du Soleil jusqu'à un sixième de son -diametre, dut sentir une chaleur 2000 fois plus grande que celle d'un -fer rouge. D'où il a conclu que ce corps devoit être bien compacte -& aussi ancien que le monde, puisqu'il fut si près du Soleil & qu'il -résista si long-tems à ses rayons, sans s'évaporer. - -Comme le sentiment de Neuton est une espèce de Paradoxe pour ceux qui -ne sont pas bien au fait de ces matiéres, il est bon de voir surquoi -il est appuyé. La ligne comprise entre le centre du Soleil & la Comete -en question dans son périhélie, étoit au rayon de l'orbite de la Terre -comme 600 sont à 100000. La chaleur qui se fait sentir à la Terre fut -donc alors à celle de la Comete comme 360000 sont à 10000000000, ou -comme 1 est à 28000. Or comme la plus grande chaleur de l'Eté n'est à -celle de l'eau bouillante que comme 1 est à 3 1/2; & que cette derniére -est encore quatre fois moindre que celle d'un fer rouge, il a trouvé -que cette chaleur est à celle de la Comete comme 14 sont à 28000, ou -comme 1 est à 2000. - -Si une balle de fer rougie au feu perd sa chaleur en une heure, & que -le tems qu'il faut pour refroidir des Sphéres échauffées soit comme -leurs diametres & leurs degrés de chaleur, il faudra 108 millions -d'années pour refroidir le corps de cette Comete, s'il est égal à notre -Terre. - - [Pourquoi les Orbites des Cometes sont si excentriques.] - -Cette réflexion nous découvre & nous fait également admirer la -sagesse du Créateur. Rien ne pourroit subsister dans les Cometes, -si elles n'avoient pas une chaleur suffisante pour la conservation -de leur matiére. La Nature, afin de leur en donner autant qu'elles -en avoient besoin, même dans les Régions les plus reculées, où un -mouvement circulaire, ou peu excentrique, les auroit privés de la -chaleur du Soleil, a augmenté si considérablement leurs excentricités, -que l'embrasement qu'elles souffrent pendant très-peu de tems, fait -qu'elles jouïssent d'une chaleur tempérée pendant le reste de leur -révolution. Mais si d'un autre côté il y a des Créatures animées dans -les Cometes, comme Mr. Huygens a prouvé qu'il y en a dans les Planetes, -il faut absolument qu'elles se retirent dans les cavités intérieures -de ces Cometes, pour se garantir de cet incendie général qui se fait à -leurs surfaces extérieures. - -A considérer la figure irréguliére de quelques Cometes, on juge -qu'elles ne tournent point autour de leur axe; parce qu'elles ne -sauroient avoir cette rotation sans avoir en même tems une figure -sphérique, ou sphéroïde, & un seul noyau enfermé dans leur atmosphére. -Mais on en a vu quelques-unes, qui n'étoient ni exactement sphériques, -ni sphéroïdes: d'autres qui paroissoient un amas de plusieurs noyaux -de figures & de grandeurs différentes; ce qui ne convient nullement à -un mouvement journalier, & rend la position de leur axe extrêmement -variable. Outre cela leurs queues, qui sont très-inégales, & qui -changent presqu'à tous momens, devoient ou retarder sensiblement, ou -arrêter tout-à-fait le tournoyement dont est question, ce qu'on n'a -point encore remarqué. - -Mais si les Cometes ne tournent point autour d'elles-mêmes, il faut -qu'avant & après leur embrasement la même partie soit presque toujours -exposée au Soleil; & qu'il n'y ait par conséquent qu'une moitié de -leurs Sphéres qui soit habitable, puisqu'elle voit toujours le Soleil, -& que l'autre est ensévelie dans une nuit de plusieurs années, ou de -plusieurs siècles; ce qui n'empêche pourtant pas que cet hémisphére -n'ait autant de chaleur que celui qui est éclairé. Pour expliquer cette -espèce de Paradoxe nous ajouterons à ce qui a été dit page 375, que la -chaleur qu'elles peuvent recevoir du Soleil dans leurs aphélies n'est -pas la 10000me. partie de celle qui se sent aux Poles de la Terre, & -que celle qui reste après qu'elles ont passé leurs périhélies doit être -égale par toute leur surface. - -La fumée qui sort des Cometes, & qui se disperse dans les Régions du -Ciel qu'elles traversent, compose leurs queues. Elles commencent à se -former un peu avant que les Cometes arrivent à leurs périhélies, & dès -que la chaleur du Soleil est assez forte pour enflammer les matiéres -combustibles de leurs surfaces, & pour que la fumée fasse brêche à -leurs atmosphéres. Il est pourtant vrai que cet incendie commence un -peu avant qu'on en voye la fumée; mais nous ne considérons ici que le -moment où nous commençons à appercevoir leurs queues. - -Elles ne sont jamais plus longues que quand les Cometes sortent de -leurs périhélies, après quoi elles diminuent toujours, lors même -qu'elles s'approchent de la Terre. C'est par ces degrés d'augmentation -& de diminution que le savant Neuton a connu que les queues des Cometes -n'étoient que des fumées. Cela se confirme encore par leur direction -qui s'étend toujours vers les parties opposées au Soleil. On ne -sauroit donner une comparaison plus sensible de la chose, que celle -qu'en a donné ce Philosophe, quoiqu'elle ait besoin d'être un peu plus -circonstanciée. - -Figurons-nous donc une torche allumée dont le lumignon soit renversé, -& qui par un mouvement projectile tourne autour de la Terre; toute sa -fumée montera en haut, & tendra à s'éloigner du centre de la Terre -malgré ce renversement. De plus cette fumée se courbera tellement vers -les Régions contraires à la direction du mouvement de la torche, que la -partie supérieure semblera se mouvoir moins vîte que l'inférieure. Et -ce qu'il y a encore de plus remarquable, c'est que la fumée paroîtra -plus large en haut qu'en bas, comme on le voit par celle qui au sortir -des cheminées occupe toujours plus d'espace qu'elle n'en occupoit -auparavant. Tout cela quadre parfaitement avec les Phénomênes de ces -queues. La partie embrasée d'une Comete, qui est tournée vers le -Soleil, pousse sa fumée à l'opposite de cet Astre. - -Cette fumée a toujours quelque courbure à son extrémité, qui est -d'autant plus reclinée, c'est-à-dire, panchée en arriére, que la queue -est plus longue; & la même extrémité se trouve aussi plus large que -celle qui adhére au corps de la Comete. Cette comparaison est si juste -qu'elle ne laisse aucun lieu de douter que la queue des Cometes ne soit -une véritable fumée que cause leur embrasement à l'approche du Soleil. - -Voici une autre cause que Mr. de Mairan assigne fort ingénieusement à -la queue des Cometes, & que nous allons tâcher de concilier, autant -qu'il est possible, avec celle que Neuton vient de nous fournir. -Il remarque que les Cometes en passant par l'Atmosphére Solaire en -ramassent non-seulement des parties qui font corps avec elles, comme il -a été dit page 373; mais encore d'autres qui ne peuvent d'abord suivre -la Comete, & s'en détachent pour former derriére elle une espèce de -Cone. Cette figure, selon ce grand Philosophe, poussée par la matiére -céleste, prend une route contraire à celle de la Comete, comme la -chevelure d'une tête, que l'on porteroit contre le vent, prendroit une -direction contraire à cette tête. - -Cette comparaison n'est bonne que pour les queues naissantes des -Cometes, qui n'ont pas encore atteint leurs périhélies. Car les amas -coniques de l'Atmosphére Solaire que les Cometes traînent après elles -& le commencement de leurs fumées étant deux causes différentes, -qui ne laissent pas de produire les mêmes apparences, les uns & les -autres doivent faire les mêmes effets sur notre vûe. Mais au-delà de -leurs périhélies la matiére céleste dirige vers le Soleil celle qui -s'accroche aux Cometes. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si leurs -fumées s'observent beaucoup plus facilement que ce petit amas de -matiére qu'elles emportent avec elles. - -La révolution périodique des Cometes fait aujourd'hui le principal -objet de l'attention de plusieurs Philosophes. Le retour de celle qui -parut en 1682 pourroit se prédire, selon Neuton, pour l'année 1757, ou -1758. Il y a tout lieu de croire que c'est la même qui fut vue en 1607; -car il se trouve si peu de différence entre la vîtesse, les nœuds & -l'inclinaison de l'une & de l'autre, qu'on peut la regarder comme un -pur effet de l'attraction des Planetes & des autres Cometes. - -Mr. Cassini a trouvé que presque tous ces Corps passagers ont une -route différente de celle des Planetes. On a ignoré jusqu'ici de -quelle conséquence sont ce nouveau Zodiaque & ce retour périodique -des Cometes, pour la conservation du Genre Humain. Imaginez-vous, par -exemple, que ce sont des Corps fortuits, qui se trouvent par hazard -dans notre Ecliptique; quel desastre ne seroit-ce pas pour notre Terre, -si malheureusement elle venoit à se trouver au même point? L'idée de -deux bombes qui créveroient en se choquant en l'air, est infiniment -au-dessous de celle qu'on en doit avoir. Heureusement pour nous, on a -découvert que la plûpart des Cometes dans les nœuds de leurs orbites -sont bien moins éloignées du Soleil, que ne sont notre Terre, Venus -& Mercure. C'est ce qui fait toute notre sûreté, & qui nous fait -connoître combien nous avons de graces à rendre à Dieu pour un si grand -bienfait. - -Les Cometes par leurs retours inopinés produisent quelquefois des -Phénomênes tout-à-fait surprenans, quand on en ignore la cause. Telle -est, selon Whiston, l'éclipse extraordinaire de Soleil dont parle -Hérodote, & qui arriva au Printems de l'année 4334 de la Période -Julienne, lorsque Xerxès partit de Sardes, Capitale de la Lydie, où il -avoit passé l'Hyver. Telle est aussi selon Wolff, celle de Lune, qui -arriva dans le XVme. Siècle, puisque ce célèbre Mathématicien dans ses -Elémens de Physique dit, après George Phranza, que ce Phénomêne n'a pu -arriver naturellement, la Lune étant alors dans une de ses quadratures. -Enfin, il en est de même de celui dont Grégoire Abulpharache, Auteur -Arabe, fait mention dans son Histoire des Dynasties Orientales, où -il marque, que sous l'Empereur Héraclius le Soleil parut par tout le -Monde, pendant trois jours, rouge comme du sang; ce qui toutefois a pu -arriver par l'interposition de la queue d'une Comete. - - -DES FIXES. - - [Contradiction apparente du Systême de Neuton à l'égard des Fixes.] - -Comme le Systême de Neuton paroît se contredire à l'égard des Fixes, -qui, selon lui, se tirent les unes les autres, & demeurent pourtant -immobiles, il faut commencer par éclaircir son sentiment, & faire voir -qu'il n'implique aucune contradiction. - -La distance qu'il y a d'une Fixe à l'autre est si immense, que leur -chûte ne feroit pas seulement une lieue en un an. C'est ce qu'on va -voir par le calcul suivant. 1º. Selon nos supputations pages 280 & 281. -les corps pesants, en comptant rondement, tombent sur la surface du -Soleil de 1260000 pieds, tout au moins, pendant la premiére minute. 2º. -Selon Huygens les Fixes les plus proches du Soleil en sont éloignées de -28000 sémi-diametres de l'orbite de la Terre, ou environ, c'est-à-dire, -de plus de 5600000 sémi-diametres Solaires, dont le quarré est -313600,0000,0000. Donc la Fixe la plus proche de cet Astre s'avance -vers lui de 1260000/31360000000000 d'un pied, pendant la premiére -minute. Mais si au lieu de cette fraction l'on compte 1/25000000 d'un -pied, l'on trouvera pour la premiére année 11000 pieds, à peu de chose -près, eu égard à la somme totale. - -Neuton a démontré dans la XII. Proposition du III. Livre de sa -Philosophie, que le centre commun de gravité de notre Systême -Planétaire seroit eloigné de celui du Soleil même, d'un de ses -sémi-diametres, c'est-à-dire, de 4000,000,000 pieds, ou à peu près, si -toutes les Planetes étoient d'un côté & cet astre de l'autre. Quelle -disproportion donc entre le dérangement du Soleil, causé par les -Planetes qui l'environnent, & celui qui vient de l'attraction de la -Fixe qui en est plus près; j'entends, entre 11000 & 4000000000 pieds? - -Or comme le Soleil se trouve tantôt d'un côté du centre universel de -son propre Systême, tantôt de l'autre, & que la même chose arrive à -chaque Fixe à l'égard des Planetes inconnues qui l'environnent, l'on -voit clairement que ces corps lumineux s'attirent réciproquement -par des forces beaucoup plus foibles que celles qui les éloignent -quelquefois les uns des autres. Ces vicissitudes d'approchement & -d'éloignement sont donc ce qui retient toujours les Fixes dans leur -assiette naturelle, sans qu'elles puissent jamais tomber les unes sur -les autres. - -Comme quelques Fixes, qui, selon les observations de Montanaro, -ont disparu depuis quelques années, n'ont pas empêché celles qui -sont restées, d'être stables, il faut voir quelles peuvent être les -causes de leur disparition. Le célèbre Wolff en spécifie trois dans -sa Physique. 1º. Elles peuvent, selon lui, acquérir du mouvement & -par-là se dérober à nôtre vûe: 2º. En retombant dans le Chaos elles -peuvent créver & s'évaporer entiérement; Et 3º. elles peuvent ou perdre -tout-à-fait leur lumiére, ou en perdre du moins assez pour nous devenir -invisibles. - -La premiére de ces causes paroît d'autant moins vraisemblable, -que l'attraction de la Fixe, qui disparoîtroit, deviendroit plus -forte & précipiteroit, les unes sur les autres, toutes celles qui -l'environneroient. La seconde n'est pas plus recevable, vû que cette -prétendue dissolution changeroit la gravitation réciproque des Etoiles -les plus voisines de celle qui s'évanouïroit, & qu'elles n'auroient -plus rien qui les tiendroit en équilibre. Ainsi nous adopterons la -troisième, parce qu'en supposant la stabilité de la Fixe, elle conserve -toute sa force attractive. - -Il faut faire le même jugement des retours périodiques d'apparition & -de disparition des Etoiles, qu'on a observées dans les Constellations -de la Baleine, du Cigne & de l'Hydre. Car quoique la partie qui -nous regarde soit plus ou moins lumineuse, & que nous les perdions -quelquefois tout-à-fait de vûe, elles ne quittent pas pour cela leurs -places, & leur attraction ne laisse pas de tenir l'Univers en équilibre. - -Il s'ensuit de tout ce raisonnement, que la gravitation réciproque de -deux Fixes ne diminue pas précisément en raison inverse des quarrés des -distances, sur-tout aux environs du centre commun de leur pesanteur. Il -s'ensuit aussi que la loi de la gravitation peut varier, comme on le -peut voir sur la fin du Chapitre VII. où il est parlé des différentes -sortes d'attraction. L'action de l'Aiman sur le Fer en raison inverse -des cubes de ses distances, & celle des corps transparens sur les -rayons, ou les atomes de la lumiére, nous prouvent la réalité -aussi-bien que la possibilité de la chose. - - - - -[Illustration] - -CHAPITRE VINGT-CINQ - -_Des secondes inégalités du mouvement des Satellites, & des Phénomênes -qui en dépendent._ - - -APrès avoir rapporté au Chapitre XXI. diverses particularités du -mouvement de la Lune, pour établir la nécessité de l'attraction, il -nous reste à faire voir dans celui-ci que la Théorie de ces inégalités, -causées par ce méchanisme, est entiérement conforme aux Observations. - -Neuton assigne trois causes à ces sortes d'irrégularités. Il prétend: -1º. Que la force qui tire la Lune vers la Terre, est moindre que celle -qui tire ces deux Planetes vers le Soleil: 2º. Qu'en considérant les -orbites comme exactement circulaires, la force qui tire la Terre vers -le Soleil est toujours égale, au lieu que celle qui tire la Lune vers -cet Astre est plus grande dans sa Conjonction que dans son Opposition; -Et 3º. Que les lignes d'attraction, qui tendent vers le Soleil se -resserrent à mesure qu'elles en approchent, & augmentent toujours la -gravitation de la Lune vers la Terre, surtout lorsque cette Planete est -dans ses Quadratures. - -Si l'on suppose, par exemple, que la Lune soit en Conjonction avec le -Soleil, on verra que, par sa seule gravitation vers la Terre, elle -décrira en 10 heures 20 min. un petit arc de 100 parties, dont 1000 -composent le rayon de son orbite, & 336000 font sa distance du Soleil. -Or si pendant ce tems-là la Lune parcourt 100 parties de son rayon, il -faut que (suivant la règle du mouvement circulaire dont nous avons fait -mention page 372 lignes 3 & 4) comme 1000 parties de ce dit rayon sont -à 100 (corde qui différe très-peu de l'arc en question,) de même le -nombre de 100 soit à 10, chûte (_uniforme_) de la Lune vers la Terre. -Mais si l'on veut déterminer les chûtes de la Terre & de la Lune vers -le Soleil, il faut se conformer aux règles données pages 268 & 269, -en disant par cette opération abregée: 1º. Comme 1. (distance de la -Lune à la Terre) divisé par le quarré d'un mois périodique, est à 337 -divisés par le quarré d'une année, ainsi 10 (chûte de la Lune vers la -Terre) sont à 19, chûte de la Terre vers le Soleil; 2º. Comme le quarré -de 336000 est au quarré de 337000, ainsi 19 (chûte de la Terre vers le -Soleil) sont à 19 19/168, chûte de la Lune vers cet Astre. Il y a donc -19/168 d'une seule partie du rayon de la Lune, qu'il faut ôter de 10 -parties du même rayon, pour trouver sa véritable chûte vers la Terre, -qui sera seulement de 9 149/168, au lieu qu'elle seroit de 10, sans -l'action particuliére du Soleil sur ce Satellite. Par la même raison, -la distance de la Lune à la Terre, qui étoit de 1000 parties, se -trouvera de 1000 19/168; ce qui contribuera encore plus à la diminution -de sa pesanteur. - -Tandis que la Lune est encore si peu éloignée de sa Conjonction, -la force qui la pousse vers la ligne des Syzygies n'a rien de -considérable; mais elle augmente à mesure que cette Planete approche de -son Quartier. Lorsqu'au contraire elle y est parvenue, cette seconde -force, qui agit en même sens que sa pesanteur vers la Terre, la pousse -toujours vers notre Globe, jusqu'à ce qu'étant dans son Opposition elle -ne s'en trouve plus éloignée que de 1000 parties. - -Par le mêlange de ces deux forces, l'éloignement de la Lune à la Terre, -dans ses Quadratures, sera de 1023 à 1024 parties, en continuant -le calcul que nous avons ébauché ci-dessus, & en se souvenant de -l'obliquité naissante de la configuration de ce Satellite avec le -Soleil. Au reste nous n'admettons point encore ici d'excentricité, -autrement l'orbite seroit toujours ovale, quoique de largeur & de -figure différentes, selon la capacité de l'angle compris entre les -deux lignes des apsides & des conjonctions. Car en supposant cet angle -_Zero_, l'excentricité devient plus grande que s'il étoit de 90 -degrés, puisque le grand axe au premier cas est de 2000 & au second -de 2047. Il est vrai que nos dimensions ne sont pas les mêmes que -celles de Neuton; mais comme ce grand Homme reconnoît, sur la fin de -sa Préface, que sa Théorie Lunaire a ses imperfections, nous avons cru -qu'il suffisoit de nous attacher à ses Principes, sans nous assujettir -à ses mesures. - -Quant aux Satellites qui composent l'anneau de Saturne, on trouvera, -par un pareil calcul, que le grand axe de leur Orbite est au petit -comme 1000 sont à 1000 1/94, & que par conséquent cette même Orbite est -2250 fois moins ovale que celle de la Lune. - -Mais pour rassûrer ceux qui pourroient douter que notre calcul soit -conforme aux Observations, revenons aux excentricités, que nous -n'avons fait qu'indiquer ci-devant, & faisons voir, par une nouvelle -supputation, qu'elles s'accordent avec les diametres apparens & les -mouvemens horaires de la Lune. - -Lorsque les Apsides tombent dans les Syzygies, la plus grande -excentricité de l'Orbite étant, selon les plus fameux Astronomes, à la -distance médiocre de la Lune comme 67 sont à 1000, on conçoit bien que -l'Apogée est éloigné de 1067 de la Terre, & le Périgée de 933. Par la -même raison, quand les apsides sont aux quadratures, l'excentricité en -question n'étant que de 44, & la distance médiocre de 1024, celle de -l'Apogée à la Terre doit être de 1068, & celle du Périgée de 980. - -Or le diametre apparent de la Lune dans son Apogée est, (à compter -rondement) de 29 min. 40 sec. & ne varie jamais qu'entre 1067 & 1068. -Au contraire il varie toujours dans son Périgée depuis 34 min. jusqu'à -32 1/2, c'est à-dire en raison inverse de 933 à 980. Donc les distances -de l'Apogée & du Périgée sont précisément, suivant notre calcul, en -raison inverse des diametres apparens, qu'on a trouvés jusqu'ici par -les Observations. - -Le mouvement horaire ne prouve pas moins l'exactitude de ces rapports. -Car tant que les aires décrites sont égales, ces mouvemens sont -par-tout en raison inverse des quarrés des distances. Ainsi comme le -quarré de 933 est à 29 min. 20 sec. (horaire de l'Apogée) de même le -quarré de 1067 est, selon les Observations, à 38 minutes, horaire du -Périgée dans les Syzygies. Et si le quarré de 980 donne 29 min. 20 -sec., celui de 1067 en donnera, conformément aux Observations, 35 -d'horaire du Périgée dans les Quadratures. - -On voit aussi que, par les mêmes loix de la gravitation vers le Soleil, -la Lune qui n'est pas dans l'Ecliptique, s'en doit approcher jusqu'aux -Syzygies; parce que, selon l'angle de son orbite avec la nôtre, sa -Latitude devient toujours moindre qu'elle ne devroit être. Cet angle -diminue donc à chaque instant, & au lieu que dans les Quadratures, près -des nœuds, il étoit de 5 degrés 18 min. il n'est que de 5 degrés dans -les Conjonctions comme dans les Oppositions; ce qui rend la surface -de l'orbite curviligne. Si au contraire les nœuds se trouvent dans -les Syzygies, l'action du Soleil ne diminue point les Latitudes, -l'angle en question demeure toujours le même, & l'orbite devient une -surface plane. Quant à leur mouvement, il est alors d'une extrême -lenteur, parce que l'action du Soleil, qui est, pendant un tems assez -considérable, presque parallèle à la distance de la Lune & de la Terre, -ne se ralentit guère; mais il n'en est pas de même des Quadratures, où -ils rétrogradent considérablement. Car la Lune les rencontre chaque -mois environ trois heures plutôt, sur-tout au milieu de son Croissant -aussi-bien que de son Decours, où la différence de sa gravitation & -de celle de la Terre vers le Soleil augmente & diminue plus vîte que -par-tout ailleurs. - - [Mouvement des Poles de la Terre, p. 295.] - -La précession des Equinoxes est encore aussi-bien que la rétrogradation -des nœuds un effet de ces inégalités, quoique beaucoup plus lente, -parce que la quantité de la matiére terrestre, qui est sous l'Equateur, -différe très-peu de celle des Méridiens, & que ce petit excédant, sous -l'Equinoxiale, tient la place d'un Satellite, ou d'un anneau tel que -celui de Saturne. - -Il y a quelques autres causes qui rendent le mouvement des Satellites -un peu irrégulier, mais dont l'effet n'est guére considérable que par -rapport à eux. On a remarqué que l'Apogée du premier & du quatrième -Satellites de Jupiter est constamment le même que celui de cette -Planete, & que ce n'est qu'après plusieurs révolutions de celle-ci que -l'orbite du troisième se retrouve à la même inclinaison. Aussi les -nœuds de ces quatre petites Etoiles n'ont-ils point varié, du moins -depuis plus de cent ans qu'il y a qu'on les observe. En un mot, toutes -ces inégalités n'approchent pas de celles de la Lune, sans parler de sa -rotation, qui différe considérablement de celle qu'on a cru appercevoir -dans les autres Satellites. - -Après avoir parcouru tous ces différens mouvemens, nous ne pouvons -guère nous dispenser d'en indiquer la cause. Elle n'est pas si obscure -que bien des gens pourroient se l'imaginer. La voici en peu de mots: -le nombre & la proximité des Satellites font que leur attraction -réciproque l'emporte beaucoup sur l'action du Soleil. Par là il est -aisé de juger que l'anneau de Saturne doit extrêmement déranger les -Satellites qui font leurs revolutions autour de lui, sur-tout les -plus petits & les plus excentriques. On conçoit pareillement que -l'attraction de cet anneau doit retarder considérablement la chûte des -corps sur la surface de Saturne. Enfin, l'exemple du flux & du reflux -de la Mer ne nous permet pas de douter de cette vérité. Car il s'ensuit -de tout ce qui a été dit au Chapitre XVIII., que la pesanteur du centre -de la Terre vers la Lune est toujours la même; au lieu que les eaux qui -se trouvent entre ce centre & cette Planete, y sont attirées avec plus -de vîtesse, que lorsque le tournoyement journalier de la Terre les a -fait passer au point diamétralement opposé. - -Voilà ce que nous avions à dire des principaux effets de l'Attraction -Neutonienne, telle que ce fameux Mathématicien l'a imaginée, en la -regardant comme la cause unique de la réfraction de la Lumiére, & -comme le premier ressort du Méchanisme de l'Univers. Il est vrai qu'en -qualité de Philosophe, il lui assigne un empire bien plus vaste dans -la Nature, en réduisant sous ses loix toutes les opérations de la -chaleur, le mêlange des Mixtes, leur décomposition, & l'électricité -qu'on remarque dans l'ambre, le diamant, la cire d'Espagne & autres -corps de cette nature; mais nous n'entrerons point dans ce détail, -parce qu'il nous meneroit trop loin, & qu'il n'a aucun rapport à la -Géométrie, que nous n'avons point perdu de vûe dans tout cet Ouvrage. -Nous le finirons donc sans parler de la double réfraction du Crystal -d'Islande, de la diminution de la densité & de l'élasticité de l'air, -de la ténacité des milieux visqueux, dans lesquels peut se mouvoir un -corps quelconque, ni de plusieurs autres matiéres semblables. C'est -par la même raison, que nous n'avons touché que legérement certaines -choses, comme la précession des Equinoxes & le retour périodique des -Marées; Phénomênes où il faut qu'il y ait encore quelqu'autre cause -mixte, qui a été inconnue jusqu'ici. Car si l'on ignore ce qui fait -l'égalité du mouvement des points Equinoxiaux de Jupiter & des nœuds -de ses Satellites, l'on ne sait pas plus pourquoi le flux & le reflux -de la Mer suivent plutôt le moyen que le vrai mouvement de la Lune. -Du moins faut-il convenir, que la concurrence des actions du Soleil & -d'un Satellite sur la Planete principale dans les Syzygies, ou leur -différence dans les Quadratures, ne sauroit rendre raison de ces deux -expériences. - - -FIN. - -[Illustration] - - - - -ERRATA. - - -Le Lecteur est prié de corriger les endroits marqués ci-dessous, sans -quoi il ne pourroit pas quelquefois trouver le sens de l'Auteur. - - Page. Ligne. Faute. Correction. - - 4 6 un fausse une fausse - 23 5 le Nature, la Nature, - 29 6 yon, point de virgule. - 46 2 A, B, C. A, B. - 53 1 B, A, C. B & C. - 73 dern. huit quatre - 74 2 quatre huit - 78 20 à deux à huit - 79 8 deux pieds huit pieds; - 105 15 Or qu'elle Or quelle - 128 dern. La rayon Le rayon - 148 3 de courbes de droites infiniment - petites - 182 Dans la Planche - au-dessus de Si, 1/4 3/5 - & au-dessus de La, 1/3 2/3 - 192 4 récipent récipient - 198 15 se meuvent & agissent se mouvoient & agissoient - 237 10 qu'el qu'elle - 246 4 S, B, A. S, H, B. S, B, A. S, C, B. - 259 5 dans Jupiter dans les Satellites de - Jupiter - 267 23 la Soleil le Soleil - 269 1 elliplique elliptique - 281 11 27 24 - 289 1 27 24 - 289 3 plus dense Après dense ajoutez une - virgule & ces mots: & - que le diametre du - Soleil surpasse seulement - 97 fois & demi - celui de la Terre. - 289 6 413 350 - 295 dern. Chap. suivant. Chap. XXV. - - - * * * * * - - -Liste des modifications: - - Page 13: «ils» remplacé par «il» (mais il les a cherchées) - Page 21: «présuposé» par «présupposé» (Or cela présupposé, - voici le raisonnement) - Page 25: «bale» par «balle» (Or un boulet d'une livre de balle) - Page 26: «miliasses» par «milliasses» (deux milliasses cinq cens - soixante miliards) - Page 45: «l'apperperceviez» remplacé par «l'apperceviez» (vous ne - l'apperceviez point) - Page 214: «Matiree» par «Matiere» (si l'Etendue & la Matiere étoient - la même chose) - Page 254: «couduisit» par «couduisit» (l'erreur le conduisit par - hazard) - Page 297: «nonotre» par «notre» (dans les pétrifications de notre - Europe) - Page 346: «elelle» par «elle» (elle ne dure guères) - Page 347: supprimé «la» (Vers la fin de cette phase) - Page 390: «dimunition» par «diminution» (la diminution de sa - pesanteur) - Page 396: «Li» par «Il» (Il y a quelques autres causes qui rendent) - Page 399: «Sizygies» par «Syzygies» (dans les Syzygies) - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Elémens de la philosophie de Neuton, by -Francois-Marie de Voltaire - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PHILOSOPHIE DE NEUTON *** - -***** This file should be named 50340-0.txt or 50340-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/0/3/4/50340/ - -Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net ((This file was -produced from images generously made available by -"E-rara.ch")) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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