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-The Project Gutenberg EBook of Elémens de la philosophie de Neuton, by
-Francois-Marie de Voltaire
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
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-
-Title: Elémens de la philosophie de Neuton
- Mis à la portée de tout le monde
-
-Author: Francois-Marie de Voltaire
-
-Release Date: January 18, 2016 [EBook #50340]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PHILOSOPHIE DE NEUTON ***
-
-
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-
-Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net ((This file was
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- Au lecteur
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-
-[Illustration]
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-
- ELÉMENS
- DE LA
- PHILOSOPHIE
- DE NEUTON,
-
- Mis à la portée de tout le monde.
-
- Par MONSIEUR. DE VOLTAIRE.
-
- [Illustration]
-
- A AMSTERDAM,
-
- Chez ETIENNE LEDET & Compagnie.
-
- M. DCC. XXXVIII.
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-
- ELEMENS
- DE LA
- PHILOSOPHIE
- DE NEUTON.
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
- [Illustration]
-
- A MADAME
- LA
- MARQUISE DU CH.**
-
-
- Tu m'appelles à toi vaste & puissant Génie,
- Minerve de la France, immortelle Emilie,
- Disciple de Neuton, & de la Vérité,
- Tu pénétres mes sens des feux de ta clarté,
- Je renonce aux lauriers, que long-tems au Théâtre
- Chercha d'un vain plaisir mon esprit idolâtre.
- De ces triomphes vains mon cœur n'est plus touché.
- Que le jaloux Rufus à la terre attaché,
- Traîne au bord du tombeau la fureur insensée,
- D'enfermer dans un vers une fausse pensée,
- Qu'il arme contre moi ses languissantes mains
- Des traits qu'il destinoit au reste des humains.
- Que quatre fois par mois un ignorant Zoïle,
- Eleve en fremissant une voix imbécile.
- Je n'entends point leurs cris que la haine a formez.
- Je ne vois point leurs pas dans la fange imprimez.
- Le charme tout-puissant de la Philosophie
- Eleve un esprit sage au-dessus de l'envie.
- Tranquille au haut des Cieux que Neuton s'est soumis,
- Il ignore en effet s'il a des Ennemis.
- Je ne les connois plus. Déja de la carriere
- L'auguste Vérité vient m'ouvrir la barriere.
- Déja ces tourbillons l'un par l'autre pressez,
- Se mouvant sans espace, & sans règle entassez,
- Ces fantômes savants à mes yeux disparaissent.
- Un jour plus pur me luit; les mouvements renaissent.
- L'espace qui de Dieu contient l'immensité,
- Voit rouler dans son sein l'Univers limité,
- Cet Univers si vaste à notre faible vûe,
- Et qui n'est qu'un atome, un point dans l'étendue.
-
- Dieu parle, & le Chaos se dissipe à sa voix;
- Vers un centre commun tout gravite à la fois,
- Ce ressort si puissant l'ame de la Nature,
- Etoit enséveli dans une nuit obscure,
- Le compas de Neuton mesurant l'Univers,
- Leve enfin ce grand voile & les Cieux sont ouverts.
-
- Il déploye à mes yeux par une main savante,
- De l'Astre des Saisons la robe étincelante.
- L'Emeraude, l'azur, le pourpre, le rubis,
- Sont l'immortel tissu dont brillent ses habits.
- Chacun de ses rayons dans sa substance pure,
- Porte en soi les couleurs dont se peint la Nature,
- Et confondus ensemble, ils éclairent nos yeux,
- Ils animent le Monde, ils emplissent les Cieux.
-
- Confidens du Très-Haut, Substances éternelles,
- Qui brûlés de ses feux, qui couvrez de vos aîles
- Le Trône où votre Maître est assis parmi vous,
- Parlez, du grand Neuton n'étiez-vous point jaloux?
-
- La Mer entend sa voix. Je vois l'humide Empire,
- S'élever, s'avancer, vers le Ciel qui l'attire,
- Mais un pouvoir central arrête ses efforts,
- La Mer tombe, s'affaisse, & roule vers ses bords.
-
- Cometes que l'on craint à l'égal du tonnerre,
- Cessez d'épouvanter les Peuples de la Terre,
- Dans une ellipse immense achevez votre cours,
- Remontez, descendez près de l'Astre des jours,
- Lancez vos feux, volez, & revenant sans cesse,
- Des Mondes épuisez ranimez la vieillesse.
-
- Et toi Sœur du Soleil, Astre, qui dans les Cieux,
- Des sages éblouïs trompois les faibles yeux,
- Neuton de ta carriere a marqué les limites,
- Marche, éclaire les nuits; tes bornes sont prescrites.
-
- Terre change de forme, & que la pesanteur,
- En abaissant le Pole, éleve l'Equateur.
- Pole immobile aux yeux, si lent dans votre course,
- Fuyez le char glacé de sept Astres de l'Ourse,
- Embrassez dans le cours de vos longs mouvements,
- Deux cens siècles entiers par delà six mille ans.
-
- Que ces objets sont beaux! que notre ame épurée
- Vole à ces vérités dont elle est éclairée!
- Oui dans le sein de Dieu, loin de ce corps mortel,
- L'esprit semble écouter la voix de l'Eternel.
-
- Vous à qui cette voix se fait si bien entendre,
- Comment avez-vous pu, dans un âge encor tendre,
- Malgré les vains plaisirs, ces écueils des beaux jours,
- Prendre un vol si hardi, suivre un si vaste cours,
- Marcher après Neuton dans cette route obscure
- Du labyrinthe immense, où se perd la Nature?
- Puissai-je auprès de vous, dans ce Temple écarté,
- Aux regards des Français montrer la Vérité.
- Tandis[a] qu'Algaroti, sûr d'instruire & de plaire,
- Vers le Tibre étonné conduit cette Etrangere,
- Que de nouvelles fleurs il orne ses atraits,
- Le Compas à la main j'en tracerai les traits,
- De mes crayons grossiers je peindrai l'Immortelle.
- Cherchant à l'embellir je la rendrais moins belle,
- Elle est ainsi que vous, noble, simple & sans fard,
- Au-dessus de l'éloge, au-dessus de mon Art.
-
- [a] Mr. Algaroti jeune Vénitien fait imprimer actuellement à
- Venise un Traité sur la lumiere dans lequel il explique l'attraction.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-A MADAME
-LA
-MARQUISE DU CH**
-
-_AVANT PROPOS._
-
-
-MADAME,
-
-Ce n'est point ici une Marquise, ni une Philosophie imaginaire. L'étude
-solide que vous avez faite de plusieurs nouvelles vérités & le fruit
-d'un travail respectable, sont ce que j'offre au Public pour votre
-gloire, pour celle de votre Sexe, & pour l'utilité de quiconque voudra
-cultiver sa raison & jouïr sans peine de vos recherches. Il ne faut pas
-s'attendre à trouver ici des agrémens. Toutes les mains ne savent pas
-couvrir de fleurs les épines des Sciences; je dois me borner à tâcher
-de bien concevoir quelques Vérités & à les faire voir avec ordre &
-clarté. Ce seroit à vous de leur prêter des ornemens.
-
-Ce nom de Nouvelle Philosophie ne seroit que le titre d'un Roman
-nouveau, s'il n'annonçoit que les conjectures d'un Moderne, opposées
-aux fantaisies des Anciens. Une Philosophie qui ne seroit établie
-que sur des explications hazardées, ne mériteroit pas en rigueur le
-moindre examen. Car il y a un nombre innombrable de manieres d'arriver
-à l'Erreur, il n'y a qu'une seule route vers la Vérité: il y a donc
-l'infini contre un à parier, qu'un Philosophe qui ne s'appuiera que
-sur des Hypothèses ne dira que des chiméres. Voilà pourquoi tous les
-Anciens qui ont raisonné sur la Physique sans avoir le flambeau de
-l'expérience, n'ont été que des aveugles, qui expliquoient la nature
-des couleurs à d'autres aveugles.
-
-Cet Ecrit ne sera point un cours de Physique complet. S'il étoit tel,
-il seroit immense; une seule partie de la Physique occupe la vie de
-plusieurs hommes, & les laisse souvent mourir dans l'incertitude.
-
-Vous vous bornez dans cette étude, dont je rends compte, à vous faire
-seulement une idée nette de ces Ressorts si déliez & si puissants, de
-ces Loix primitives de la Nature, que Neuton a découvertes; à examiner
-jusqu'où l'on a été avant lui, d'où il est parti, & où il s'est arrêté.
-Nous commencerons, comme lui, par la lumiere: c'est de tous les
-corps qui se font sentir à nous le plus délié, le plus approchant de
-l'infini en petit, c'est pourtant celui que nous connoissons davantage.
-On l'a suivi dans ses mouvemens, dans ses effets; on est parvenu à
-l'anatomiser, à le séparer en toutes ses parties possibles. C'est celui
-de tous les corps dont la nature intime est le plus développée. C'est
-celui qui nous approche de plus près des premiers Ressorts de la Nature.
-
-On tâchera de mettre ces _Elémens_, à la portée de ceux qui ne
-connaissent de Neuton & de la Philosophie que le nom seul. La Science
-de la Nature est un bien qui appartient à tous les hommes. Tous
-voudroient avoir connaissance de leur bien, peu ont le tems ou la
-patience de le calculer; Neuton a compté pour eux. Il faudra ici se
-contenter quelquefois de la somme de ces calculs. Tous les jours un
-homme public, un Ministre, se forme une idée juste du résultat des
-opérations que lui-même n'a pu faire; d'autres yeux ont vu pour lui,
-d'autres mains ont travaillé, & le mettent en état par un compte fidèle
-de porter son jugement. Tout homme d'esprit sera à peu près dans le cas
-de ce Ministre.
-
-La Philosophie de Neuton a semblé jusqu'à présent à beaucoup de
-personnes aussi inintelligible que celle des Anciens: mais l'obscurité
-des Grecs venoit de ce qu'en effet ils n'avoient point de lumiere;
-& les ténèbres de Neuton viennent de ce que sa lumiere étoit trop
-loin de nos yeux. Il a trouvé des vérités: mais il les a cherchées &
-placées dans un abîme, il faut y descendre & les apporter au grand jour.
-
-On trouvera ici toutes celles qui conduisent à établir la nouvelle
-proprieté de la matiere découverte par Neuton. On sera obligé de parler
-de quelques singularités, qui se sont trouvées sur la route dans cette
-carriere; mais on ne s'écartera point du but.
-
-Ceux qui voudront s'instruire davantage, liront les excellentes
-Physiques des Gravesandes, des Keils, des Muschenbroeks, des Pembertons
-& s'approcheront de Neuton par degrez.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-_Ce que c'est que la Lumiere & comment elle vient à nous._
-
-
- [Définition singuliére par les Péripatéticiens.]
-
-LES GRECS & ensuite tous les Peuples Barbares, qui ont appris d'eux
-à raisonner & à se tromper, ont dit de Siècle en Siècle: «La Lumière
-est un accident, & cet accident est l'acte du transparent en tant que
-transparent, les couleurs sont ce qui meut les corps transparens. Les
-corps lumineux & colorez ont des qualités semblables à celles qu'ils
-excitent en nous par la grande raison que rien ne donne ce qu'il n'a
-pas. Enfin, la lumiere & les couleurs sont un melange du chaud, du
-froid, du sec, & de l'humide; car l'humide, le sec, le froid, & le
-chaud, étant les Principes de tout, il faut bien que les couleurs en
-soient un composé».
-
-C'est cet absurde galimatias que des Maîtres d'ignorance, payez par
-le Public, ont fait respecter à la crédulité humaine pendant tant
-d'années: c'est ainsi qu'on a raisonné presque sur-tout, jusqu'aux tems
-des Galilées & des Descartes. Long-tems même après eux ce Jargon, qui
-deshonore l'Entendement humain, a subsisté dans plusieurs Ecoles. J'ose
-dire que la Raison de l'homme, ainsi obscurcie, est bien au-dessous
-de ces connaissances si bornées, mais si sûres, que nous appellons
-Instinct dans les Brutes. Ainsi nous ne pouvons trop nous féliciter
-d'être nez dans un tems & chez un Peuple, où l'on commence à ouvrir
-les yeux, & à jouïr du plus bel appanage de l'Humanité, l'usage de la
-Raison.
-
- [L'Esprit Systématique a égaré Descartes.]
-
-Tous les prétendus Philosophes ayant donc deviné au hazard, à travers
-le voile qui couvroit la Nature, Descartes est venu qui a découvert un
-coin de ce grand voile. Il a dit: la Lumiere est une matiere fine &
-déliée, qui est répandue par-tout, & qui frappe nos yeux. Les couleurs
-sont les sensations que Dieu excite en nous, selon les divers mouvemens
-qui portent cette Matiere à nos organes. Jusques-là Descartes a eu
-raison, il falloit, ou qu'il s'en tint là, ou qu'en allant plus loin,
-l'expérience fût son guide. Mais il étoit possédé de l'envie d'établir
-un Systême. Cette passion fit dans ce grand Homme ce que font les
-passions dans tous les hommes; elles les entraînent au-delà de leurs
-Principes.
-
-Il avoit posé pour premier fondement de sa Philosophie, qu'il ne
-falloit rien croire sans évidence; & cependant au mépris de sa propre
-Règle, il imagine trois Elémens formez des cubes prétendus qu'il
-suppose avoir été faits par le Créateur, & s'être brisez en tournant
-sur eux-mêmes, lorsqu'ils sortirent des mains de Dieu. Ces trois
-Elémens imaginaires sont, comme on sait:
-
- [Son Systême.]
-
-1º. La partie la plus épaisse de ces cubes, & c'est cet Elément
-grossier dont se formerent selon lui les corps solides des Planetes,
-les Mers, l'Air même.
-
-2º. La poussiere impalpable que le brisement de ces dés avoit produite,
-& qui remplit à l'infini les interstices de l'Univers infini dans
-lequel il ne suppose aucun vuide.
-
-3º. Les milieux de ces prétendus dés brisés, attenués également de
-tous côtés, & enfin arondis en boules, dont il lui plaît de faire la
-lumiere, & qu'il répand gratuitement dans l'Univers.
-
- [Faux.]
-
-Plus ce Systême étoit ingénieusement imaginé, plus vous sentez qu'il
-étoit indigne d'un Philosophe. Car, puisque rien de tout cela n'est
-prouvé, autant valloit adopter le froid & le chaud, le sec & l'humide.
-Erreur pour erreur qu'importe laquelle domine! Ne perdons point de tems
-à combattre cette création des cubes & des trois Elémens, ou plutôt ce
-Chaos. Contentons-nous de voir ici seulement les erreurs Philosophiques
-dans lesquelles l'esprit Systématique a entraîné le génie sublime
-de Descartes; & ne réfutons sur-tout que ces sortes d'erreurs qui,
-ayant l'air de la vérité, sembloient respectables, & méritoient d'être
-relevées.
-
-Selon Descartes la lumiere ne vient point à nos yeux du Soleil, mais
-c'est une matiere globuleuse répandue par-tout, que le Soleil pousse,
-& qui presse nos yeux comme un bâton poussé par un bout presse à
-l'instant à l'autre bout. Cela paroissoit plausible, mais cela n'en
-est pas moins faux: cependant Descartes étoit tellement persuadé de
-ce Systême que dans sa dix-septième Lettre du troisième Tome, il dit
-& répète positivement: _J'avoue que je ne sai rien en Philosophie si
-la lumiere du Soleil n'est pas transmise à nos yeux en un instant_.
-En effet, il faut avouer que, tout grand génie qu'il étoit, il savoit
-encore peu de chose en vraye Philosophie; il lui manquoit l'expérience
-du Siècle qui l'a suivi. Ce Siècle est autant supérieur à Descartes,
-que Descartes l'étoit à l'Antiquité.
-
- [Du mouvement progressif de la lumiere.]
-
-1º. Si la lumiere étoit toujours répandue, toujours existante dans
-l'air, nous verrions clair la nuit comme le jour, puisque le Soleil
-sous l'Hemisphére pousseroit toujours les globules en tout sens, & que
-l'impression en viendroit également à nos yeux.
-
-2º. Il est démontré que la lumiere émane du Soleil, & on sait que c'est
-à peu près en sept ou huit minutes de tems qu'elle fait ce chemin
-immense, qu'un boulet de Canon conservant sa vîtesse ne feroit pas en
-vingt-cinq années.
-
- [Erreur du Spectacle de la Nature.]
-
-L'Auteur du Spectacle de la Nature, Ouvrage très-estimable, est
-tombé ici dans une petite méprise qu'il corrigera sans doute à la
-premiere Edition de son Livre. Il dit que la lumiere vient en _sept
-minutes des Etoiles, selon Neuton_; il a pris les Etoiles pour le
-Soleil. La lumiere émane des Etoiles les plus prochaines en six mois,
-selon un certain calcul fondé sur des expériences très-délicates &
-très-fautives. Ce n'est point Neuton, c'est Huygens & Hartsoeker,
-qui ont fait cette supposition. Il dit encore, pour prouver que Dieu
-créa la lumiere avant le Soleil, _que la lumiere est répandue par
-toute la Nature, & qu'elle se fait sentir, quand les Astres lumineux
-la poussent_; mais il est démontré qu'elle arrive des Etoiles fixes
-en un tems très-long. Or, si elle fait ce chemin, elle n'étoit donc
-point répandue auparavant. Il est bon de se précautionner contre ces
-erreurs, que l'on répète tous les jours dans beaucoup de Livres qui
-sont l'écho les uns des autres.
-
-Voici en peu de mots la substance de la Démonstration sensible de
-Romer, que la lumiere employe sept à huit minutes dans son chemin du
-Soleil à la Terre.
-
- [Démonstration du mouvement de la lumiere.]
-
-On observe de la Terre en C. ce Satellite de Jupiter, qui s'éclipse
-réguliérement une fois en quarante-deux heures & demie. Si la
-Terre étoit immobile, l'Observateur en C. verroit en trente fois
-quarante-deux heures & demie, trente émersions de ce Satellite, mais au
-bout de ce tems, la Terre se trouve en D. alors l'Observateur ne voit
-plus cette émersion précisément au bout de trente fois quarante-deux
-heures & demie, mais il faut ajouter le tems que la lumiere met à se
-mouvoir de C. en D. & ce tems est sensiblement considérable. Mais cet
-espace C. D. est encore moins grand que l'espace G. H. car C. D. est
-corde du Cercle, & G. H. est le Diametre du Cercle. Ce Cercle est le
-grand Orbe que décrit la Terre, le Soleil est au milieu; la lumiere en
-venant du Satellite de Jupiter, traverse C. D. en dix minutes, & G.
-H. en 15. ou 16. minutes. Le Soleil est entre G. & H. donc la lumiere
-vient du Soleil en 7 ou 8 minutes.
-
-[Illustration: _pag. 20._]
-
-Mr. Broadley, en dernier lieu, a observé par des expériences réïtérées
-& sûres, que plusieurs Etoiles, vues en différens tems, paroissoient
-tantôt un peu plus vers le Nord, tantôt un peu plus vers le Sud; il a
-prouvé que cette différence ne pouvoit venir que du mouvement annuel de
-la Terre, & de la progression de la lumiere. Il a observé que si ces
-Etoiles ont une parallaxe, cette parallaxe n'est que d'une seconde.
-
-Or cela présupposé, voici le raisonnement que je fais: Un Astre, qui
-n'a qu'une seconde de parallaxe annuelle, est quatre cens mille fois
-plus loin de nous que le Soleil; si la lumiere nous vient du Soleil
-en 8. minutes, comme le croit Mr. Broadley, elle nous viendra donc de
-ces Etoiles en 6. années & plus d'un mois. Mais ce n'est pas tout. Ces
-Etoiles sont de la premiere grandeur, donc les Etoiles de la sixième
-grandeur, étant six fois plus éloignées, ne font parvenir leur lumiere
-à nous qu'en plus de 36. ans & demi.
-
-3º. Les rayons qu'on détourne par un Prisme, & qu'on force de prendre
-un nouveau chemin, démontrent que la lumiere se meut effectivement, &
-n'est pas un amas de globules simplement pressé.
-
-4º. Si la lumiere étoit un amas de globules existans dans l'air & en
-tous lieux, un petit trou qu'on pratique dans une chambre obscure
-devroit l'illuminer toute entiére: car la lumiere, poussée alors en
-tout sens par ce petit trou, agiroit en tout sens, comme des boules
-d'yvoire rangées en rond, ou en quarré, s'écarteroient toutes, si
-une seule d'elles étoit fortement pressée; mais il arrive tout le
-contraire. La lumiere reçue par un petit orifice, lequel ne laisse
-passer que peu de rayons, éclaire à peine un demi-pied de l'endroit
-qu'elle frappe.
-
-5º. La lumiere entre toujours par un trou en ligne droite, en quelque
-sens que l'on puisse imaginer, mais si des globules étoient simplement
-pressés, il seroit impossible que cette pression se fît en ligne
-droite. Il est donc démontré que Descartes s'est trompé & sur la nature
-de la lumiere & sur la maniere dont elle nous est transmise.
-
- [Erreur du Pere Mallebranche.]
-
-Le Pere Mallebranche, génie plus subtil que vrai, qui consulta toujours
-ses méditations, mais non toujours la Nature, adopta sans preuve les
-trois Elémens de Descartes; mais il changea beaucoup de choses à ce
-Château enchanté. Il imagina sans autre preuve une autre explication de
-la lumiere.
-
-Des vibrations du Corps lumineux impriment, selon lui, des secousses à
-de petits tourbillons mous, capables de compression, & tout composés
-de matiere subtile. Mais si on avoit demandé à Mallebranche comment
-ces petits tourbillons mous auroient transmis à nos yeux la lumiere,
-comment l'action du Soleil pourroit passer en un instant à travers
-tant de petits corps comprimés les uns par les autres, & dont un
-très-petit nombre suffiroit pour amortir cette action, comment enfin
-ses tourbillons mous, ne se seroient point mêlez en tournant les uns
-sur les autres, qu'auroit répondu le Pere Mallebranche? Sur quel
-fondement posoit-il cet édifice imaginaire? Faut-il que des hommes qui
-ne parloient que de _vérité_ n'ayent écrit que des Romans!
-
- [Définition de la lumiere.]
-
-Qu'est-ce donc enfin que la lumiere? C'est _le feu lui-même_, lequel
-brûle à une petite distance, lorsque ses parties sont moins tenuës, ou
-plus rapides, ou plus réunies; & qui éclaire doucement nos yeux, quand
-il agit de plus loin, quand ses particules sont plus fines, & moins
-rapides, & moins réunies.
-
-Ainsi une bougie allumée brûleroit l'œil qui ne seroit qu'à quelques
-lignes d'elle, & éclaire l'œil qui en est à quelques pouces. Ainsi les
-rayons du Soleil, épars dans l'espace de l'air, illuminent les objets,
-& réunis dans un verre ardent fondent le plomb & l'or.
-
-Ce feu est dardé en tout sens du point rayonnant: c'est ce qui
-fait qu'il est apperçu de tous les côtez; il faut donc toujours le
-considérer comme des lignes partant d'un centre à la circonférence.
-Ainsi tout faisceau, tout amas, tout trait de rayons, venant du Soleil
-ou d'un feu quelconque, doit être considéré comme un cone, dont la base
-est sur notre prunelle, & dont la pointe est dans le feu qui le darde.
-
-Cette matiere de feu s'élance du Soleil jusqu'à nous & jusqu'à Saturne,
-&c. avec une rapidité qui épouvante l'imagination.
-
-Le calcul apprend que, si le Soleil est à vingt-quatre mille
-demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la lumiere parcourt de cet
-Astre à nous, (en nombres ronds) mille millions de pieds par seconde.
-Or un boulet d'une livre de balle, poussé par une demi-livre de poudre,
-ne fait en une seconde que 600. pieds; ainsi donc la rapidité d'un
-rayon du Soleil est, en nombres ronds, seize cens soixante & six mille
-six cens fois plus forte que celle d'un boulet de Canon.
-
- [Voyez Mémoires de l'Académie 1728.]
-
-Je n'entrerai point ici dans la fameuse dispute des forces vives; je
-renvoye sur cela le Lecteur au Mémoire plein de sagesse & de profondeur
-qu'a donné Mr. de Mairan.
-
-J'espére que ce Philosophe & ceux qui sont le plus opposés aux forces
-vives, permettront qu'on avance en toute rigueur cette Proposition
-suivante:
-
-L'effet que produit la force d'un corps dans un mouvement, du moins
-uniformement accéléré, est le produit de sa masse par le quarré de sa
-vîtesse; c'est-à-dire qu'un corps, s'il a dix degrez de vîtesse, fera,
-toutes choses égales, cent fois autant d'impression, que s'il n'avoit
-qu'un degré de vîtesse.
-
- [Extrême petitesse du corps de la lumiere.]
-
-Si donc une seule particule de lumiere agit en raison du quarré de sa
-vîtesse, & si cette vîtesse est environ seize cens mille par rapport à
-celle du boulet, ce quarré sera 2560000000000; il sera donc vrai que,
-si cet atome n'est que deux milliasses cinq cens soixante miliards
-moins gros qu'une livre, il fera encore le même effet qu'un boulet de
-Canon. Supposez cet atome mille miliards plus petit encore; un moment
-d'émanation de lumiere détruiroit tout ce qui vegète sur la surface
-de la Terre. Concevez qu'elle doit être la petitesse d'une particule
-de lumiere, qui passe si librement à-travers d'un verre; & pour avoir
-quelque idée de l'infini, concevez ce que doit être une matiere un
-million de fois plus subtile encore, qui passe entre les pores de l'Or
-& de l'Aimant, & qui pénétre les Rochers & les entrailles de la Terre.
-
-Le Soleil qui nous darde cette matiere lumineuse en sept ou huit
-minutes, & les Etoiles, ces autres Soleils, qui nous l'envoyent
-en plusieurs années, en fournissent éternellement, sans paraître
-s'épuiser, à peu près comme le Musc élance sans cesse autour de lui des
-corps odoriférants, sans rien perdre sensiblement de son poids.
-
-Enfin, la rapidité avec laquelle le Soleil darde ses rayons est en
-proportion avec sa grosseur, qui surpasse environ un million de fois
-celle de la Terre, & avec la vîtesse dont ce Corps de feu immense roule
-sur lui-même en vingt-cinq jours & demi.
-
- [Proportion dans laquelle toute lumiere agit.]
-
-La force, l'illumination, l'intensité, la densité de toute lumiere,
-est calculée. Il se trouve par un calcul singulier que cette force
-est précisément en même raison, que la force avec laquelle les corps
-tombent, & avec laquelle Mr. Neuton fait voir que tous les Globes
-célestes s'attirent. Cette proportion est ce qu'on appelle la raison
-inverse du quarré des distances. Il faut se familiariser avec cette
-expression. Elle signifie une chose simple & intelligible: c'est qu'un
-corps qui sera exposé à quatre pieds d'un feu quelconque, sera seize
-fois moins éclairé & moins échauffé, recevra seize fois moins de rayons
-que le corps qui sera à un pied; seize est le quarré de quatre. Or
-quatre est la distance où est le corps moins éclairé, donc la lumiere
-envoye à ce corps distant de quatre pieds, non pas quatre fois moins
-de rayons, mais seize fois moins de rayons. Voilà ce qu'on appelle la
-raison inverse du quarré des distances, ce qu'il faut bien entendre;
-car cette proportion sera un des fondemens de la Nouvelle Philosophie
-que nous tâchons de rendre familiere.
-
- [Progression de la lumiere. Preuve de l'impossibilité du plein.]
-
-Nous pouvons en passant conclure de la célérité avec laquelle la
-substance du Soleil s'échappe ainsi vers nous en ligne droite, combien
-le plein de Descartes est chimérique. Car 1º. comment une ligne droite
-pourroit-elle parvenir à nous, à travers tant de millions de couches
-de matiere mues en ligne courbe, & à travers tant de mouvemens divers?
-2º. Comment un corps si délié pourroit-il en sept ou huit minutes
-parcourir l'espace de trente millions de nos lieues, qui est entre
-le Soleil & nous, s'il avoit à pénétrer dans cet espace une matiére
-résistante? Il faudroit que chaque rayon dérangeât en un moment trente
-millions de lieues de matiére subtile. Remarquez encore que cette
-prétendue matiére subtile résisteroit dans le plein absolu, autant que
-la matiére la plus compacte. Car une livre de poudre d'or, pressée dans
-une boëte, résiste autant qu'un morceau d'or pesant une livre. Ainsi
-un rayon du Soleil auroit bien plus d'effort à faire, que s'il avoit à
-percer un cone d'or, dont l'axe seroit trente millions de lieues.
-
-Il y a plus. L'expérience, ce vrai Maître de Philosophie, nous apprend
-que la lumiere en venant d'un Elément dans un autre Elément, d'un
-milieu dans un autre milieu, n'y passe pas toute entiere, comme nous le
-dirons: une grande partie est réflechie, l'air en fait rejaillir plus
-qu'il n'en transmet; ainsi il seroit impossible qu'il nous vint aucune
-lumiere des Etoiles, elle seroit toute absorbée, toute répercutée,
-avant qu'un seul rayon pût seulement venir à moitié de notre atmosphére.
-Mais dans les Chapitres, où nous expliquerons les principes de la
-gravitation, nous verrons une foule d'arguments, qui prouvent que ce
-plein prétendu étoit un Roman.
-
-Arrêtons-nous ici un moment pour voir combien la Vérité s'établit
-lentement chez les hommes.
-
-Il y a près de cinquante ans que Romer avoit démontré par les
-observations sur les Eclipses des Satellites de Jupiter, que la
-lumiere émane du Soleil à la Terre en sept minutes & demie ou environ,
-cependant non-seulement on soutient encore le contraire dans plusieurs
-Livres de Physique; mais voici comme on parle dans un Recueil en trois
-Volumes, tiré des observations de toutes les Académies de l'Europe,
-imprimé en 1730. _page 35. Volume. 1_.
-
- «Quelques-uns ont prétendu que d'un Corps lumineux, comme le Soleil,
- il se fait un écoulement continuel d'une infinité de petites parties
- insensibles, qui portent la lumiere jusqu'à nos yeux; mais cette
- opinion, qui se ressent encore un peu de la vieille Philosophie,
- n'est pas soutenable».
-
-Cette opinion est pourtant démontrée de plus d'une façon: & loin de
-ressentir la vieille Philosophie, elle y est directement contraire; car
-quoi de plus contraire à des mots vuides de sens, que des mesures, des
-calculs, & des expériences?
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE DEUX.
-
-_La proprieté que la lumiere a de se réflechir n'étoit pas
-véritablement connue. Elle n'est point réflechie par les parties
-solides des corps, comme on le croioit._
-
-
-AYANT su ce que c'est que la lumiere, d'où elle nous vient, comment &
-en quel tems elle arrive à nous; voyons ses proprietés, & ses effets
-ignorés jusqu'à nos jours. Le premier de ses effets est qu'elle semble
-rejaillir de la surface solide de tous les objets, pour en apporter
-dans nos yeux les images.
-
-Tous les hommes, tous les Philosophes, & les Descartes & les
-Mallebranches, & ceux qui se sont éloignez le plus des pensées
-vulgaires, ont également cru qu'en effet ce sont les surfaces solides
-des corps qui nous renvoyent les rayons. Plus une surface est unie &
-solide, plus elle fait, dit-on, rejaillir de lumiere; plus un corps
-a de pores larges & droits, plus il transmet de rayons à travers sa
-substance. Ainsi le miroir poli dont le fond est couvert d'une surface
-de vif argent, nous renvoye tous les rayons; ainsi ce même miroir sans
-vif argent ayant des pores droits & larges & en grand nombre, laisse
-passer une grande partie des rayons. Plus un corps a de pores larges &
-droits, plus il est diaphane: tel est, disoit-on, le diamant, telle est
-l'eau elle-même; voilà les idées généralement reçues, & que personne ne
-révoquoit en doute.
-
-Cependant toutes ces idées sont entiérement fausses, tant ce qui est
-vraisemblable, est souvent ce qui est le plus éloigné de la vérité. Les
-Philosophes se sont jettez en cela dans l'erreur, de la même maniere
-que le Vulgaire y est tout porté, quand il pense que le Soleil n'est
-pas plus grand qu'il le paroît aux yeux. Voici en quoi consistoit cette
-erreur des Philosophes.
-
- [Aucun corps uni.]
-
-Il n'y a aucun corps dont nous puissions unir véritablement la
-surface. Cependant beaucoup de surfaces nous paraissent unies & d'un
-poli parfait. Pourquoi voyons nous uni & égal ce qui ne l'est pas?
-La superficie la plus égale, n'est par rapport aux petits corps
-qui composent la lumiere, qu'un amas de montagnes, de cavitez &
-d'intervales, de même que la pointe de l'éguille la plus fine est
-hérissée en effet d'éminences & d'aspérités que le Microscope découvre.
-
-Tous les faisceaux des rayons de lumiere qui tomberoient sur ces
-inégalités, se réflechiroient selon qu'ils y seroient tombez; donc
-étant inégalement tombez ils ne se réflechiroient jamais réguliérement,
-donc on ne pourroit jamais se voir dans une glace.
-
- [Lumiere non réflechie par les parties solides.]
-
-La lumiere qui nous apporte notre image de dessus un miroir, ne vient
-donc point certainement des parties solides de la superficie de ce
-miroir; elle ne vient point non plus des parties solides de mercure
-& d'étain étendues derriere cette glace. Ces parties ne sont pas
-plus planes, pas plus unies, que la glace même. Les parties solides
-de l'étain & du mercure sont incomparablement plus grandes, plus
-larges, que les parties solides constituantes de la lumiere; donc si
-les petites particules de lumiere tombent sur ces grosses parties de
-mercure, elle s'éparpilleront de tous côtés comme des grains de plomb
-tombant sur des platras. Quel pouvoir inconnu fait donc rejaillir vers
-nous la lumiere réguliérement? Il paroît déja que ce ne sont pas les
-corps qui nous la renvoyent ainsi. Ce qui sembloit le plus connu le
-plus incontestable chez les hommes, devient un mystère plus grand que
-ne l'étoit autrefois la pesanteur de l'air. Examinons ce Problême de la
-Nature, notre étonnement redoublera. On ne peut s'instruire ici qu'avec
-surprise.
-
-Prenez un morceau, un cube de cristal, par exemple; voici tout ce
-qui arrive aux rayons du Soleil qui tombent sur ce corps solide &
-transparent.
-
-[Illustration]
-
-1º. Une petite partie des rayons rebondissent à vos yeux de sa premiere
-surface A. sans toucher même à cette surface, comme il sera plus
-amplement prouvé.
-
-2º. Une partie des rayons est reçue dans la substance de ce corps, elle
-s'y joue, s'y perd & s'y éteint.
-
-3º. Une troisième partie parvient à l'intérieur C. de la surface B. &
-d'auprès de cette surface B. elle retourne en A. & quelques rayons en
-viennent à vos yeux.
-
-4º. Une quatrième partie passe dans l'air.
-
-5º. Une cinquième partie qui est la plus considérable revient d'au-delà
-de la surface ultérieure B. dans le cristal, y repasse, & vient
-se réflechir à vos yeux. N'examinons ici que ces derniers rayons
-qui, s'échappant de la surface ultérieure B. & ayant trouvé l'air,
-rejaillissent de dessus cet air vers nous en rentrant à travers le
-cristal. Certainement ils n'ont pas rencontré dans cet air des parties
-solides sur lesquelles ils ayent rebondi, car si au lieu d'air ils
-rencontrent de l'eau à cette surface B. peu reviennent alors, ils
-entrent dans cette eau, ils la pénétrent en grand nombre. Or l'eau est
-environ huit cens fois plus pesante, plus solide, moins rare que l'air.
-Cependant ces rayons ne rejaillissent point de dessus cette eau, &
-rejaillissent de dessus cet air dans ce verre, donc ce n'est point des
-parties solides des corps que la lumiere est réflechie.
-
-Voici une observation plus singuliere & plus décisive: Exposez dans une
-chambre obscure ce cristal A. B. aux rayons du Soleil de façon, que les
-traits de lumiere parvenus à sa superficie B. fassent un angle de plus
-de 40. degrez avec la perpendicule.
-
- [Expériences décisives.]
-
-[Illustration]
-
-La plûpart de ces rayons alors ne pénétre plus dans l'air, ils
-rentrent tous dans ce cristal à l'instant même qu'ils en sortent, ils
-reviennent, comme vous voyez, mais cette courbure est insensible.
-
-Certainement ce n'est pas la surface solide de l'air qui les a
-repoussés dans ce verre, plusieurs de ces rayons entroient dans l'air
-auparavant, quand ils tomboient moins obliquement; pourquoi donc à une
-obliquité de 40 degrez dix-neuf minutes, la plûpart de ces rayons n'y
-passe-t-elle plus? trouvent-ils à ce degré plus de résistance, plus
-de matiere dans cet air, qu'ils n'en trouvent dans ce cristal qu'ils
-avoient pénétré? trouvent-ils plus de parties solides, dans l'air à
-quarante degrés & un tiers qu'à 40? l'air est à peu près deux mille
-quatre cens fois plus rare, moins pesant, moins solide, que le cristal,
-donc ces rayons devoient passer dans l'air avec deux mille quatre cens
-fois plus de facilité, qu'ils n'ont pénétré l'épaisseur du cristal.
-Cependant, malgré cette prodigieuse apparence de facilité, ils sont
-repoussez; ils le sont donc par une force qui est ici deux mille quatre
-cens fois plus puissante que l'air, ils ne sont donc point repoussez
-par l'air; les rayons encore une fois ne sont donc point réflechis à
-nos yeux par les parties solides de la matiere. La lumiere rejaillit si
-peu dessus les parties solides des corps, que c'est en effet du vuide
-qu'elle rejaillit.
-
-Vous venez de voir que la lumiere tombant à un angle de 40. degrez 19.
-minutes sur du cristal, rejaillit presque toute entiere de dessus l'air
-qu'elle rencontre à la surface ultérieure de ce cristal. Que la lumiere
-y tombe à un angle moindre d'une seule minute, il en passe encore moins
-hors de cette surface dans l'air. Qu'on ôte l'air, il ne passera plus
-de rayons du tout. C'est une chose démontrée.
-
-Or quand il y a de l'eau à cette surface, beaucoup de rayons entrent
-dans cette eau au lieu de rejaillir. Quand il n'y a que de l'air, bien
-moins de rayons entrent dans cet air. Quand il n'y a plus d'air, aucun
-rayon ne passe; donc c'est du vuide en effet que la lumiere rejaillit.
-
-Voilà donc des preuves indubitables que ce n'est point une superficie
-solide qui nous renvoye la lumiere: il y a bien d'autres preuves encore
-de cette nouvelle vérité; en voici une que nous expliquerons à sa
-place. Tout corps opaque réduit en lame mince, laisse passer à travers
-sa substance des rayons d'une certaine espèce, & réflechit les autres
-rayons: or, si la lumiere étoit renvoyée par les corps, tous les rayons
-qui tomberoient sur ces lames, seroient réflechis sur ces lames. Enfin
-nous verrons que jamais si étonnant paradoxe n'a été prouvé en plus de
-manieres. Commençons donc par nous familiariser avec ces Vérités.
-
-1º. Cette lumiere qu'on croit réflechie par la surface solide des
-corps, rejaillit en effet sans avoir touché à cette surface.
-
-2º. La lumiere n'est point renvoyée de derriere un miroir par la
-surface solide du vif argent; mais elle est renvoyée du sein des pores
-du miroir, & des pores du vif argent même.
-
-3º. Il ne faut point, comme on l'a pensé jusques à présent, que les
-pores de ce vif argent soient très-petits pour réflechir la lumiere, au
-contraire il faut qu'ils soient larges.
-
- [Plus les pores sont petits plus la lumiere passe.]
-
-Ce sera encore un nouveau sujet de surprise pour ceux qui n'ont pas
-étudié cette Philosophie, d'entendre dire que le secret de rendre un
-corps opaque, est souvent d'élargir ses pores, & que le moyen de le
-rendre transparent est de les étrecir. L'ordre de la Nature paraitra
-tout changé: ce qui sembloit devoir faire l'opacité, est précisément
-ce qui opérera la transparence; & ce qui paraissoit rendre les corps
-transparens, sera ce qui les rendra opaques. Cependant rien n'est si
-vrai, & l'expérience la plus grossiére le démontre.
-
-Un papier sec, dont les pores sont très-larges, est opaque, nul rayon
-de lumiere ne le traverse: étrecissez ses pores en l'imbibant, ou d'eau
-ou d'huile, il devient transparent; la même chose arrive au linge, au
-sel, &c.
-
-Il y a donc des principes ignorés qui opérent ces merveilles, des
-causes qui font rejaillir la lumiere, avant qu'elle ait touché une
-surface, qui la renvoyent des pores du corps transparent, qui la
-ramenent du milieu même du vuide; nous sommes invinciblement obligés
-d'admettre ces faits, quelle qu'en puisse être la cause.
-
-Etudions donc les autres mystères de la lumiere, & voyons si de ces
-effets surprenans, on remonte jusqu'à quelque Principe incontestable,
-qu'il faille admettre aussi-bien que ces effets même.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE TROIS.
-
-_De la proprieté que la lumiere a de se briser en passant d'une
-substance dans une autre, & de prendre un nouveau chemin._
-
-
-LA SECONDE proprieté des rayons de la lumiere qu'il faut bien examiner,
-est celle de se détourner de leur chemin en passant du Soleil dans
-l'air, de l'air dans le verre, du verre dans l'eau, &c. C'est cette
-nouvelle direction dans ces différens milieux, c'est ce brisement de
-la lumiere qu'on appelle réfraction, c'est par cette proprieté qu'une
-rame plongée dans l'eau parait courbée au Matelot qui la manie; c'est
-ce qui fait que dans une jatte nous appercevrons, en y jettant de
-l'eau, l'objet que nous n'appercevions pas auparavant en nous tenant à
-la même place.
-
-Enfin c'est par le moyen de cette réfraction que nos yeux jouïssent
-de la vûe. Les secrets admirables de la réfraction étoient ignorés de
-l'Antiquité, qui cependant l'avoit sous les yeux, & dont on faisoit
-usage tous les jours, sans qu'il soit resté un seul Ecrit, qui puisse
-faire croire qu'on en eût deviné la raison. Ainsi encore aujourd'hui
-nous ignorons la cause des mouvemens même de notre corps, & des pensées
-de notre ame; mais cette ignorance est différente. Nous n'avons & nous
-n'aurons jamais d'Instrument assez fin pour voir les premiers ressorts
-de nous-mêmes; mais l'industrie humaine s'est faite de nouveaux yeux,
-qui nous ont fait appercevoir sur les effets de la lumiere, presque
-tout ce qu'il est permis aux hommes d'en savoir.
-
- [Comment la lumiere se brise.]
-
-Il faut se faire ici une idée nette d'une expérience très-commune. Une
-pièce d'or est dans ce bassin: votre œil est placé au bord du bassin à
-telle distance, que vous ne voyez point cette pièce:
-
-[Illustration]
-
-Qu'on y verse de l'eau, vous ne l'apperceviez point d'abord où elle
-étoit: maintenant vous la voyez où elle n'est pas; qu'est-il arrivé?
-
-L'objet A. réflechit un rayon qui vient frapper contre le bord du
-bassin, & qui n'arrivera jamais à votre œil: il réflechit aussi ce
-rayon A. B. qui passe par-dessus votre œil: or à présent vous recevez
-ce rayon A. B. ce n'est point votre œil qui a changé de place, c'est
-donc le rayon A. B.; il s'est manifestement detourné au bord de ce
-bassin en passant de l'eau dans l'air, ainsi il frappe votre œil en C.
-
-[Illustration]
-
-Mais vous voyez toujours les objets en ligne droite, donc vous voyez
-l'objet suivant la ligne droite C. D. donc vous voyez l'objet au point
-D. au-dessus du lieu où il est en effet.
-
-Si ce rayon se brise en un sens, quand il passe de l'eau dans l'air,
-il doit se briser en un sens contraire, quand il entre de l'air dans
-l'eau.
-
-[Illustration]
-
-J'élève sur cette eau une perpendiculaire, le rayon A. qui partant
-du point lumineux se brise au point B. & s'approche dans l'eau de
-cette perpendiculaire en suivant le chemin B. D. & ce même rayon D.
-B. en passant de l'eau dans l'air, se brise en allant vers A., & en
-s'éloignant de cette même perpendiculaire; la lumiere se réfracte donc
-selon les milieux qu'elle traverse. C'est sur ce Principe que la Nature
-a disposé les humeurs différentes qui sont dans nos yeux, afin que
-les traits de lumiere, qui passent à travers ces humeurs, se brisent
-de façon qu'ils se réunissent après dans un point sur notre _rétine_:
-c'est enfin sur ce Principe que nous fabriquons les Lunettes dont les
-verres éprouvent des réfractions encore plus grandes qu'il ne s'en fait
-dans nos yeux, & qui, apportant ainsi plus de rayons réunis, peuvent
-étendre, jusqu'à deux cens fois, la force de notre vûe; de même que
-l'invention des leviers a donné une nouvelle force à nos bras, qui
-sont des leviers naturels. Nous allions expliquer la raison que Neuton
-a trouvée de cette proprieté de la lumiere; mais vous voulez voir
-auparavant comment cette réfraction agit dans nos yeux, & comment le
-sens de la vûe, le plus étendu de tous nos Sens, doit son existence
-à la réfraction. Quelque connue que soit cette matiere, il est bon
-de fortifier par un nouvel examen les idées que vous en avez. Les
-personnes qui pourront lire ce petit Ouvrage, seront bien-aises de ne
-point chercher ailleurs ce qu'elles desireroient savoir touchant la vûe.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE QUATRE.
-
-_De la conformation de nos yeux, comment la lumiere entre & agit dans
-cet organe._
-
-
- [Description de l'œil.]
-
-POur connaitre l'œil de l'homme en physicien qui ne considere que la
-vision, il faut d'abord savoir que la premiere enveloppe blanche, le
-rempart & l'ornement de l'œil, ne transmet aucun rayon. Plus ce blanc
-de l'œil est fort & uni, plus il réflechit de lumiere; & lorsque
-quelque passion vive porte au visage de nouveaux esprits, qui viennent
-encore tendre & ébranler cette tunique, alors des étincelles semblent
-en sortir.
-
-Au milieu de cette membrane s'éleve un peu la cornée, mince, dure &
-transparente, telle précisément que le verre de votre montre que vous
-placeriéz en cette façon sur une boule.
-
-[Illustration]
-
-Sous cette _cornée_, est _l'iris_, autre membrane, qui, colorée par
-elle-même, répand ses couleurs sur cette _cornée_ transparente qui la
-couvre; c'est cette _iris_ tantôt brune, tantôt bleue, qui rend les
-yeux bleus ou noirs. Elle est percée dans son milieu, qui ainsi paroît
-toujours noir; & ce milieu est la prunelle de l'œil. C'est par cette
-ouverture que sont introduits les rayons de la lumiere: elle s'agrandit
-par un mouvement involontaire dans les endroits obscurs, pour recevoir
-plus de rayons; elle se resserre ensuite, lorsqu'une grande clarté
-l'offense.
-
-Les rayons admis par cette prunelle ont déja souffert une réfraction
-assez forte en passant à travers la _cornée_ dont elle est couverte.
-Imaginez cette _cornée_ comme le verre de votre montre, il est convexe
-en dehors, & concave en dedans: tous les rayons obliques se sont brisés
-dans l'épaisseur de ce verre; mais ensuite sa concavité rétablit ce que
-sa convéxité a brisé. La même chose arrive dans notre _cornée_. Les
-rayons ainsi rompus & brisés, trouvent après avoir franchi la _cornée_,
-une humeur transparente dans laquelle ils passent. Cette eau est nommée
-l'humeur aqueuse. Les Anatomistes ne s'accordent point encore entr'eux
-sur la forme de ce petit réservoir. Mais, quelle que soit sa figure, la
-Nature semble avoir placé là cette humeur claire & limpide, pour opérer
-des réfractions, pour transmettre purement la lumiere, pour que le
-_cristallin_, qui est derriere, puisse s'avancer sans effort, & changer
-librement de figure, pour que l'humidité nécessaire s'entretienne, &c.
-
-Enfin, les rayons étant sortis de cette eau trouvent une espèce de
-diamant liquide, taillé en lentille, & enchassé dans une membrane
-déliée & diaphane elle-même. Ce diamant est le _cristallin_, c'est
-lui qui rompt tous les rayons obliques, c'est un principal organe de
-la réfraction & de la vûe; parfaitement semblable en cela à un Verre
-lenticulaire de Lunette. Soit ce cristallin ou ce Verre lenticulaire.
-
-[Illustration]
-
-Le rayon perpendiculaire A. le pénétre, sans se détourner; mais les
-rayons obliques B & C. se détournent dans l'épaisseur du Verre en
-s'approchant des perpendiculaires, qu'on tireroit sur les endroits
-où ils tombent. Ensuite quand ils sortent du Verre pour passer dans
-l'air, ils se brisent encore en s'éloignant du perpendicule; ce nouveau
-brisement est précisément ce qui les fait converger en D. foyer du
-Verre lenticulaire.
-
-Or la _rétine_, cette membrane legére, cette expansion du nerf optique,
-qui tapisse le fond de notre œil, est le foyer du cristallin: c'est
-à cette _rétine_ que les rayons aboutissent: mais avant d'y parvenir,
-ils rencontrent encore un nouveau milieu qu'ils traversent; ce nouveau
-milieu est l'humeur vitrée, moins solide que le _cristallin_, moins
-fluide que l'humeur aqueuse.
-
-C'est dans cette humeur vitrée que les rayons ont le tems de
-s'assembler, avant de venir faire leur derniere réunion sur les
-points du fond de notre œil. Figurez-vous donc sous cette lentille
-du _cristallin_, cette humeur vitrée sur laquelle le _cristallin_
-s'appuye; cette humeur tient le _cristallin_ dans sa concavité, & est
-arondie vers la _rétine_.
-
-Les rayons en s'échapant de cette derniere humeur achevent donc de
-converger. Chaque faisceau de rayons parti d'un point de l'objet vient
-fraper un point de notre _rétine_.
-
-Une figure, où chaque partie de l'œil se voit sous son propre nom,
-expliquera mieux tout cet artifice, que ne pourroient faire des lignes,
-des A. & des B. La structure des yeux ainsi développée, on peut
-connaitre aisément pourquoi on a si souvent besoin du secours d'un
-Verre, & quel est l'usage des Lunettes.
-
- [Oeil presbite.]
-
-Souvent un œil sera trop plat, soit par la conformation de sa
-_cornée_, soit par son cristallin, que l'âge ou la maladie aura
-desseché; alors les réfractions seront plus faibles & en moindre
-quantité, les rayons ne se rassembleront plus sur la _rétine_.
-Considérez cet œil trop plat que l'on nomme œil de _presbite_.
-
-[Illustration: _Pag. 54._]
-
-[Illustration: _Pag. 55._]
-
-Ne regardons, pour plus de facilité, que trois faisceaux, trois
-cones des rayons, qui de l'objet tombent sur cet œil, ils se réuniront
-aux points A. A. A. par delà la _rétine_, il verra les objets confus.
-
-La Nature a fourni un secours contre cet inconvénient, par la force
-qu'elle a donnée aux muscles de l'œil d'allonger, ou d'aplatir
-l'œil, de l'approcher ou de le reculer de la _rétine_. Ainsi dans
-cet œil de Vieillard, ou dans cet œil malade, le _cristallin_ a la
-faculté de s'avancer un peu, & d'aller en D. D.: alors l'espace entre
-le _cristallin_ & le fond de la _rétine_ deviennent plus grands, les
-rayons ont le tems de venir se réunir sur la _rétine_, au lieu d'aller
-au-delà; mais lorsque cette force est perdue, l'industrie humaine y
-supplée, un verre lenticulaire est mis entre l'objet & l'œil affaibli.
-L'effet de ce verre est de rapprocher les rayons qu'il a reçus, l'œil
-les reçoit donc & plus rassemblés & en plus grand nombre: ils viennent
-aboutir à un point de la _rétine_ comme il le faut; alors la vûe est
-nette & distincte.
-
- [Oeil myope.]
-
-Regardez cet autre œil, qui a une maladie contraire, il est trop
-rond: les rayons se réunissent trop tôt, comme vous le voyez au point
-B. ils se croisent trop vîte, ils se séparent en B. & vont faire une
-tache sur la _rétine_. C'est-là ce qu'on appelle un œil _myope_. Cet
-inconvénient diminue à mesure que l'âge en amene d'autres, qui sont la
-sécheresse & la faiblesse: elles aplatissent insensiblement cet œil
-trop rond; & voilà pourquoi on dit que les vûes courtes durent plus
-long-tems. Ce n'est pas qu'en effet elles durent plus que les autres,
-mais c'est qu'à un certain âge, l'œil desseché s'aplatit: alors celui
-qui étoit obligé auparavant d'approcher son Livre à trois ou quatre
-pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance: mais
-aussi sa vûe devient bien-tôt trouble & confuse, il ne peut voir les
-objets éloignés; telle est notre condition, qu'un défaut ne se répare
-presque jamais que par un autre.
-
-[Illustration: _Pag. 56._]
-
-Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un Verre qui empêche
-les rayons de se réunir si vîte. Ce Verre fera le contraire du premier,
-au lieu d'être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des
-deux côtés, & les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu'ils
-convergeroient dans l'autre. Ils viendront par conséquent se réunir
-plus loin, qu'ils ne faisoient auparavant dans l'œil, & alors cet œil
-jouïra d'une vûe parfaite. On proportionne la convéxité & la concavité
-des Verres aux défauts de nos yeux: c'est ce qui fait que les mêmes
-Lunettes qui rendent la vûe nette à un Vieillard, ne seront d'aucun
-secours à un autre; car il n'y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni
-deux choses au monde égales.
-
-L'Antiquité ne connaissoit point ces Lunettes. Cependant elle
-connaissoit les Miroirs ardents; une vérité découverte n'est pas
-toujours une raison pour qu'on découvre les autres véritéz qui y
-tiennent. L'attraction de l'Aimant étoit connue, & sa direction
-échapoit aux yeux. La démonstration de la circulation du sang étoit
-dans la saignée même que pratiquoient tous les Médecins Grecs, &
-cependant personne ne se doutoit que le sang circulât.
-
-Il y a grande apparence que c'est du tems de Roger Bacon au XIII.
-Siècle que l'on trouva ces lunettes appellées besicles, & les loupes
-qui donnent de nouveaux yeux aux Vieillards; car il est le premier qui
-en parle.
-
-Vous venez de voir les effets que la réfraction fait dans vos yeux,
-soit que les rayons arrivent sans secours intermédiaire, soit qu'ils
-ayent traversé des cristaux: vous concevez que sans cette réfraction
-opérée dans nos yeux, & sans cette réflexion des rayons de dessus les
-surfaces des corps vers nous, les organes de la vûe nous seroient
-inutiles. Les moyens que la Nature employe pour faire cette réfraction,
-les loix qu'elle suit, sont des mystères que nous allons déveloper. Il
-faut auparavant achever ce que nous avons à dire touchant la vûe, il
-faut satisfaire à ces questions si naturelles: Pourquoi nous voyons
-les objets au-delà d'un Miroir, & non sur le Miroir même? Pourquoi un
-Miroir concave rend l'objet plus grand? Pourquoi le Miroir convexe rend
-l'objet plus petit? Pourquoi les Telescopes rapprochent & agrandissent
-les choses? Par quel artifice la Nature nous fait connaitre les
-grandeurs, les distances, les situations? Quelle est enfin la véritable
-raison, qui fait que nous voyons les objets tels qu'ils sont, quoique
-dans nos yeux ils se peignent renversez? Il n'y a rien là qui ne mérite
-la curiosité de tout Etre pensant; mais nous ne nous étendrions pas
-sur ces sujets que tant d'illustres Ecrivains ont traités, & nous
-renverrions à eux, si nous n'avions pas à faire connaitre quelques
-vérités assez nouvelles, & curieuses pour un petit nombre de Lecteurs.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE CINQ.
-
-
-_Des Miroirs, des Telescopes: des Raisons que les Mathématiques donnent
-des mystères de la vision; que ces raisons ne sont point du tout
-suffisantes._
-
-
-LES RAYONS qu'une Puissance, jusqu'à nos jours inconnue, fait rejaillir
-à vos yeux de dessus la surface d'un Miroir, sans toucher à cette
-surface, & des pores de ce Miroir, sans toucher aux parties solides;
-ces rayons, dis-je, retournent à vos yeux dans le même sens qu'ils
-sont arrivés à ce Miroir. Si c'est votre visage que vous regardez,
-les rayons partis de votre visage parallèlement & en perpendiculaire
-sur le Miroir, y retournent de même qu'une balle qui rebondit
-perpendiculairement sur le plancher.
-
- [Miroir plan.]
-
-Si vous regardez dans ce Miroir M. un objet qui est à côté de vous
-comme A. il arrive aux rayons partis de cet objet la même chose qu'à
-une balle, qui rebondiroit en B. où est votre œil. C'est ce qu'on
-appelle l'angle d'incidence égal à l'angle de réflexion.
-
-[Illustration]
-
-La ligne A. C. est la ligne d'incidence, la ligne C. B. est la ligne
-de réflexion. On sait assez, & le seul énoncé le démontre, que ces
-lignes forment des angles égaux sur la surface de la glace; maintenant
-pourquoi ne vois-je l'objet ni en A. où il est, ni dans C. dont
-viennent à mes yeux les rayons, mais en D. derriere le Miroir même?
-
-La Géométrie vous dira: c'est que l'angle d'incidence est égal à
-l'angle de réflexion: c'est que votre œil en B. rapporte l'objet en
-D.; c'est que les objets ne peuvent agir sur vous qu'en ligne droite,
-& que la ligne droite continuée dans votre œil B. jusques derriere le
-miroir en D. est aussi longue que la ligne A C. & la ligne C B. prises
-ensemble.
-
-Enfin elle vous dira encore: vous ne voyez jamais les objets que du
-point où les rayons commencent à diverger. Soit ce Miroir M. I.
-
-[Illustration]
-
- [Miroir plan.]
-
-Les faisceaux de rayons qui partent de chaque point de l'objet A,
-commencent à diverger dès l'instant qu'ils partent de l'objet; ils
-arrivent sur la surface du Miroir: là chacun de ces rayons tombe,
-s'écarte, & se réflechit vers l'œil. Cet œil les rapporte aux
-points D. D. au bout des lignes droites, où ces mêmes rayons se
-rencontreroient; mais en se rencontrant aux points D. D. ces rayons
-feroient la même chose qu'aux points A. A. ils commenceroient à
-diverger; donc vous voyez l'objet A. A. aux points D. D.
-
-Ces angles & ces lignes servent, sans doute, à vous donner une
-intelligence de cet artifice de la Nature; mais il s'en faut beaucoup
-qu'elles puissent vous apprendre, la raison Physique efficiente,
-pourquoi votre ame rapporte sans hésiter l'objet au-delà du Miroir à la
-même distance qu'il est au deçà. Ces lignes vous représentent ce qui
-arrive, mais elles ne vous apprennent point pourquoi cela arrive.
-
-Si vous voulez savoir comment un Miroir convexe diminue les objets, &
-comment un Miroir concave les augmente, ces lignes d'incidence & de
-réflexion vous en rendront la même raison.
-
- [Miroir convexe.]
-
-On vous dit: Ce cone de rayons qui diverge du point A. & qui tombe
-sur ce Miroir convexe, y fait des angles d'incidence égaux aux angles
-de réflexion, dont les lignes vont dans notre œil. Or ces angles
-sont plus petits que s'ils étoient tombés sur une surface plane, donc
-s'ils sont supposés passer en B. ils y convergeront bien plutôt, donc
-l'objet qui seroit en B. B. seroit plus petit.
-
-[Illustration]
-
-Or votre œil rapporte l'objet en B. B. aux points d'où les rayons
-commenceroient à diverger, donc l'objet doit vous paraitre plus petit,
-comme il l'est en effet dans cette figure. Par la même raison qu'il
-parait plus petit, il vous parait plus près, puisqu'en effet les points
-où aboutiroient les rayons B. B. sont plus près du Miroir que ne le
-sont les rayons A. A.
-
-[Illustration]
-
-Par la raison des contraires, vous devez voir les objets plus grands &
-plus éloignés dans un Miroir concave, en plaçant l'objet assez près du
-Miroir.
-
-Car les cones des rayons A. A. venant à diverger sur le Miroir aux
-points où ces rayons tombent, s'ils se réflechissoient à travers ce
-Miroir, ils ne se réuniroient qu'en B. B. donc c'est en B. B. que vous
-les voyez. Or B. B. est plus grand & plus éloigné du Miroir que n'est
-A. A. donc vous verrez l'objet plus grand, & plus loin.
-
-Voilà en général ce qui se passe dans les rayons réflechis à vos yeux,
-& ce seul Principe, que l'angle d'incidence est toujours égal à l'angle
-de réflexion, est le premier fondement de tous les mystères de la
-Catoptrique.
-
-MAINTENANT il s'agit de savoir, comment les lunettes augmentent ces
-grandeurs & raprochent ces distances. Enfin pourquoi les objets se
-peignant renversés dans vos yeux, vous les voyez cependant comme ils
-sont.
-
- [Explications géométriques de la vision.]
-
-A l'égard des grandeurs & des distances, voici ce que les Mathématiques
-vous en apprendront. Plus un objet fera dans votre œil un grand angle,
-plus l'objet vous paraitra grand: rien n'est plus simple. Cette ligne
-H. K. que vous voyez, à cent pas, trace un angle dans l'œil A. (figure
-premiere); à deux cens pas, elle trace un angle la moitié plus petit
-dans l'œil B. (figure seconde). Or l'angle qui se forme dans votre
-_rétine_ & dont votre _rétine_ est la baze, est comme l'angle dont
-l'objet est la baze. Ce sont des angles opposez au sommet: donc par les
-premieres notions des Elémens de la Géométrie ils sont égaux; donc si
-l'angle formé dans l'œil A. est double de l'angle formé dans l'œil
-B., cet objet paraitra une fois plus grand à l'œil A. qu'à l'œil B.
-
-[Illustration: _Pag. 69._]
-
-Maintenant pour que l'œil étant en B. voye l'objet aussi grand, que le
-voit l'œil en A., il faut faire en sorte que cet œil B. reçoive un
-angle aussi grand que celui de l'œil A. qui est une fois plus près.
-Les verres d'un télescope feront cet effet.
-
-Ne mettons ici qu'un seul verre pour plus de facilité, & faisons
-abstraction des autres effets de plusieurs verres. L'objet H. K.
-(troisième figure) envoye ses rayons à ce verre. Ils se réunissent à
-quelque distance du verre. Concevons un verre taillé de sorte, que ces
-rayons se croisent pour aller former dans l'œil en C. un angle aussi
-grand que celui de l'œil en A. alors l'œil, nous dit-on, juge par cet
-angle. Il voit donc alors l'objet de la même grandeur, que le voit
-l'œil en A. Mais en A. il le voit à cent pas de distance: donc en C.
-recevant le même angle, il le verra encore à cent pas de distance. Tout
-l'effet des verres de lunettes multipliez, & des télescopes divers, &
-des microscopes qui agrandissent les objets, consiste donc à faire voir
-les choses sous un plus grand angle. L'objet A. B. est vu par le moyen
-de ce verre sous l'angle D, C, D. qui est bien plus grand que l'angle
-A, C, B.
-
-[Illustration]
-
-Vous demandez encore aux règles d'optique, pourquoi vous voyez les
-objets dans leur situation, quoiqu'ils se peignent renversez sur notre
-rétine?
-
-Le rayon qui part de la tête de cet homme A., vient au point inférieur
-de votre rétine A. ses pied B. sont vus par les rayons B. B. au point
-supérieur de votre rétine B. Ainsi cet homme est peint réellement la
-tête en bas & les pieds en haut au fond de vos yeux. Pourquoi donc ne
-voyez-vous pas cet homme renversé, mais droit, & tel qu'il est?
-
-[Illustration]
-
-Pour résoudre cette question, on se sert de la comparaison de
-l'aveugle, qui tient dans ses mains deux bâtons croisez avec lesquels
-il devine très-bien la position des objets.
-
-[Illustration]
-
-Car le point A., qui est à gauche, étant senti par la main droite à
-l'aide du bâton, il le juge aussi-tôt à gauche; & le point B. que sa
-main gauche a senti par l'entremise de l'autre bâton, il le juge à
-droite sans se tromper.
-
-Tous les Maîtres d'optique nous disent donc, que la partie inférieure
-de l'œil rapporte tout d'un coup sa sensation à la partie supérieure
-A. de l'objet, & que la partie supérieure de la rétine rapporte aussi
-naturellement la sensation à la partie inférieure B.; ainsi on voit
-l'objet dans sa situation véritable.
-
- [Nul rapport immédiat entre les règles d'optique & nos sensations.]
-
-Quand vous aurez connu parfaitement tous ces angles, & toutes ces
-lignes Mathématiques, par lesquelles on suit le chemin de la lumiere
-jusqu'au fond de l'œil, ne croyez pas pour cela savoir comment vous
-appercevez les grandeurs, les distances, les situations des choses.
-Les proportions géométriques de ces angles & de ces lignes sont
-justes, il est vrai; mais il n'y a pas plus de rapport entr'elles &
-nos sensations, qu'entre le son que nous entendons & la grandeur, la
-distance, la situation de la chose entendue. Par le son, mon oreille
-est frappée; j'entends des tons & rien de plus. Par la vûe, mon œil
-est ébranlé; je vois des couleurs & rien de plus. Non-seulement les
-proportions de ces angles, & de ces lignes, ne peuvent en aucune
-maniere être la cause immédiate du jugement que je forme des objets;
-mais en plusieurs cas ces proportions ne s'accordent point du tout avec
-la façon dont nous voyons les objets.
-
- [Exemple en preuve.]
-
-Par exemple, un homme vu à quatre pas, & à huit pas, est vu de
-même grandeur. Cependant l'image de cet homme, à quatre pas, est
-précisément double dans votre œil, de celle qu'il y trace à huit pas.
-Les angles sont différens, & vous voyez l'objet toujours également
-grand; donc il est évident par ce seul exemple, choisi entre plusieurs,
-que ces angles & ces lignes ne sont point du tout la cause immédiate de
-la maniere dont nous voyons.
-
-Avant donc de continuer les recherches que nous avons commencées sur
-la lumiere, & sur les loix mécaniques de la Nature, vous m'ordonnez
-de dire ici comment les idées des distances, des grandeurs, des
-situations, des objets, sont reçues dans notre ame. Cet examen nous
-fournira quelque chose de nouveau & de vrai, c'est la seule excuse d'un
-Livre.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE SIXIE'ME.
-
-_Comment nous connaissons les distances, les grandeurs, les figures,
-les situations._
-
-
- [Les angles, ni les lignes optiques, ne peuvent nous faire connaitre
- les distances.]
-
-COMMENÇONS par la distance. Il est clair qu'elle ne peut être apperçue
-immédiatement par elle-même; car la distance n'est qu'une ligne de
-l'objet à nous. Cette ligne se termine à un point, nous ne sentons donc
-que ce point; & soit que l'objet existe à mille lieues, ou qu'il soit à
-un pied, ce point est toujours le même.
-
-Nous n'avons donc aucun moyen immédiat, pour appercevoir tout d'un coup
-la distance, comme nous en avons, pour sentir par l'attouchement, si un
-corps est dur ou mou; par le goût, s'il est doux ou amer; par l'ouïe,
-si de deux sons l'un est grave & l'autre aigu. Il faut donc que l'idée
-de la distance nous vienne par le moyen d'une autre idée intermédiaire:
-mais il faut au moins que j'apperçoive cette intermédiaire; car une
-idée que je n'aurai point, ne servira certainement pas à m'en faire
-avoir une autre. Je dis qu'une telle maison est à un mille d'une
-telle riviére; mais si je ne sai pas où est cette riviére, je ne
-sai certainement pas où est cette maison. Un corps cède aisément à
-l'impression de ma main; je conclus immédiatement sa mollesse. Un
-autre résiste, je sens immédiatement sa dureté; il faudroit donc
-que je sentisse les angles formés dans mon œil, pour en conclure
-immédiatement les distances des objets. Mais personne ne s'avise de
-songer à ces angles quand il regarde un objet. La plûpart des hommes
-ne savent pas même si ces angles existent; donc il est évident que ces
-angles ne peuvent être la cause immédiate de ce que vous connaissez
-les distances.
-
- [Exemple en preuve.]
-
-Celui qui, pour la premiere fois de sa vie, entendroit le bruit du
-Canon, ou le son d'un Concert, ne pourroit juger si on tire ce canon,
-ou si on exécute ce concert à une lieue, ou à trente pas. Il n'y a
-que l'expérience qui puisse l'accoutumer à juger de la distance qui
-est entre lui & l'endroit d'où part ce bruit. Les vibrations, les
-ondulations de l'air, portent un son à ses oreilles, ou plutôt à son
-ame; mais ce bruit n'avertit pas plus son ame de l'endroit où le bruit
-commence, qu'il ne lui apprend la forme du canon ou des instrumens de
-Musique.
-
-C'est la même chose précisément par rapport aux rayons de lumiere qui
-partent d'un objet, ils ne nous apprennent point du tout où est cet
-objet.
-
- [Ces lignes optiques ne font connaitre ni les grandeurs ni les
- figures.]
-
-Ils ne nous font pas connaitre davantage les grandeurs ni même les
-figures.
-
-Je vois de loin une espèce de petite Tour. J'avance, j'apperçois, & je
-touche un grand Bâtiment quadrangulaire. Certainement ce que je vois &
-ce que je touche, n'est pas ce que je voiois. Ce petit objet rond qui
-étoit dans mes yeux, n'est point ce grand Bâtiment quarré.
-
- [Exemple en preuve.]
-
-Autre chose est donc l'objet mesurable & tangible, autre chose est
-l'objet visible. J'entends de ma chambre le bruit d'un carosse: j'ouvre
-la fenêtre & je le vois; je descends & j'entre dedans. Or ce carosse
-que j'ai entendu, ce carosse que j'ai vu, ce carosse que j'ai touché,
-sont trois objets absolument divers de trois de mes sens, qui n'ont
-aucun rapport immédiat les uns avec les autres.
-
-Il y a bien plus: il est démontré, comme je l'ai dit, qu'il se forme
-dans mon œil un angle une fois plus grand, quand je vois un homme à
-quatre pieds de moi, que quand je vois le même homme à huit pieds de
-moi. Cependant je vois toujours cet homme de la même grandeur: comment
-mon sentiment contredit-il ainsi le mécanisme de mes organes? L'objet
-est réellement une fois plus petit dans mes yeux, & je le vois une
-fois plus grand. C'est en vain qu'on veut expliquer ce mystère par le
-chemin, ou par la forme que prend le cristallin dans nos yeux. Quelque
-supposition que l'on fasse, l'angle sous lequel je vois un homme à
-quatre pieds de moi, est toujours double de l'angle sous lequel je le
-vois à huit pieds; & la Géométrie ne résoudra jamais ce Problême.
-
- [Ni la situation des objets.]
-
-Ces lignes & ces angles géométriques ne sont pas plus réellement la
-cause de ce que nous voyons les objets à leur place, que de ce que nous
-les voyons de telles grandeurs, & à telle distance.
-
-L'ame ne considere pas si telle partie va se peindre au bas de l'œil,
-elle ne rapporte rien à des lignes qu'elle ne voit point. L'œil se
-baisse seulement, pour voir ce qui est près de la terre, & se relève
-pour voir ce qui est au-dessus de la terre.
-
-Tout cela ne pouvoit être éclairci, & mis hors de toute contestation,
-que par quelqu'aveugle-né, à qui on auroit donné le sens de la vûe.
-Car si cet aveugle, au moment qu'il eût ouvert les yeux, eût jugé
-des distances, des grandeurs & des situations, il eut été vrai que
-les angles optiques, formez tout d'un coup dans sa rétine, eussent
-été les causes immédiates de ses sentimens. Aussi le Docteur Barclay
-assûroit après Mr. Loke (& allant même en cela plus loin que Loke) que
-ni situation, ni grandeur, ni distance, ni figure, ne seroit aucunement
-discernée par cet aveugle, dont les yeux recevroient tout d'un coup la
-lumiere.
-
- [Preuve par l'expérience de l'aveugle-né guéri par Chiselden.]
-
-Mais où trouver l'aveugle, dont dépendoit la décision indubitable
-de cette question? Enfin en 1729. Mr. Chiselden, un de ces fameux
-Chirurgiens, qui joignent l'addresse de la main aux plus grandes
-lumieres de l'esprit, ayant imaginé qu'on pouvoit donner la vûe à un
-aveugle-né, en lui abbaissant ce qu'on appelle des cataractes, qu'il
-soupçonnoit formées dans ses yeux, presqu'au moment de sa naissance,
-il proposa l'opération. L'aveugle eut de la peine à y consentir. Il
-ne concevoit pas trop, que le sens de la vûe pût beaucoup augmenter
-ses plaisirs. Sans l'envie qu'on lui inspira d'apprendre à lire
-& à écrire, il n'eût point desiré de voir. Il vérifioit par cette
-indifférence, qu'_il est impossible d'être malheureux, par la privation
-des biens dont on n'a pas d'idée_: vérité bien importante. Quoi qu'il
-en soit, l'opération fut faite & réussit. Ce jeune homme d'environ
-quatorze ans, vit la lumiere pour la premiere fois. Son expérience
-confirma tout ce que Loke & Barclay avoient si bien prévu. Il ne
-distingua de long-tems ni grandeur, ni distance, ni situation, ni même
-figure. Un objet d'un pouce, mis devant son œil, & qui lui cachoit une
-maison, lui paraissoit aussi grand que la maison. Tout ce qu'il voioit,
-lui sembloit d'abord être sur ses yeux, & les toucher comme les objets
-du tact touchent la peau. Il ne pouvoit distinguer ce qu'il avoit jugé
-rond à l'aide de ses mains, d'avec ce qu'il avoit jugé angulaire, ni
-discerner avec ses yeux, si ce que ses mains avoient senti être en
-haut ou en bas, étoit en effet en haut ou en bas. Il étoit si loin de
-connaitre les grandeurs, qu'après avoir enfin conçu par la vûe, que sa
-maison étoit plus grande que sa chambre, il ne concevoit pas comment
-la vûe pouvoit donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux mois
-d'expérience, qu'il put appercevoir que les tableaux représentoient des
-corps solides: & lorsqu'après ce long tatonnement d'un sens nouveau en
-lui, il eut senti que des corps, & non des surfaces seules, étoient
-peints dans les tableaux; il y porta la main, & fut étonné de ne
-point trouver avec ses mains ces corps solides, dont il commençoit à
-appercevoir les représentations. Il demandoit quel étoit le trompeur,
-du sens du toucher, ou du sens de la vûe.
-
-Ce fut donc une décision irrévocable, que la maniere dont nous voyons
-les choses, n'est point du tout la suite immédiate des angles formés
-dans nos yeux; car ces angles Mathématiques étoient dans les yeux de
-cet homme, comme dans les nôtres, & ne lui servoient de rien sans les
-recours de l'expérience & des autres sens.
-
- [Comment nous connaissons les distances & les grandeurs.]
-
-Comment nous représentons-nous donc les grandeurs & les distances? De
-la même façon dont nous imaginons les passions des hommes, par les
-couleurs qu'elles peignent sur leurs visages, & par l'altération
-qu'elles portent dans leurs traits. Il n'y a personne, qui ne lise
-tout d'un coup sur le front d'un autre, la honte, ou la colére. C'est
-la Langue que la Nature parle à tous les yeux; mais l'expérience seule
-apprend ce langage. Aussi l'expérience seule nous apprend, que quand un
-objet est trop loin, nous le voyons confusément & faiblement. Delà nous
-formons des idées, qui ensuite accompagnent toujours la sensation de la
-vûe. Ainsi tout homme qui, à dix pas, aura vu son cheval haut de cinq
-pieds, s'il voit, quelques minutes après, ce cheval comme un mouton,
-son ame, par un jugement involontaire, conclud à l'instant ce cheval
-est très-loin.
-
-Il est bien vrai que, quand je vois mon cheval gros comme un mouton, il
-se forme alors dans mon œil une peinture plus petite, un angle plus
-aigu; mais c'est-là ce qui accompagne, non ce qui cause mon sentiment.
-De même il se fait un autre ébranlement dans mon cerveau, quand je vois
-un homme rougir de honte, que quand je le vois rougir de colére; mais
-ces différentes impressions ne m'apprendroient rien de ce qui se passe
-dans l'ame de cet homme, sans l'expérience dont la voix seule se fait
-entendre.
-
-Loin que cet angle soit la cause immédiate de ce que je juge qu'un
-grand cheval est très-loin, quand je vois ce cheval fort petit; il
-arrive au contraire, à tous les momens, que je vois ce même cheval
-également grand, à dix pas, à vingt, à trente pas, quoique l'angle à
-dix pas soit double, triple, quadruple.
-
- [Exemple.]
-
-Je regarde de fort loin, par un petit trou, un homme posté sur un
-toit, le lointain & le peu de rayons m'empêchent d'abord de distinguer
-si c'est un homme: l'objet me parait très-petit, je crois voir une
-statue de deux pieds tout au plus: l'objet se remue, je juge que c'est
-un homme, & dès ce même instant cet homme me parait de la grandeur
-ordinaire; d'où viennent ces deux jugemens si différens?
-
-Quand j'ai cru voir une statue, je l'ai imaginée de deux pieds, parce
-que je la voiois sous un tel angle: nulle expérience ne plioit mon
-ame à démentir les traits imprimés dans ma rétine; mais dès que j'ai
-jugé que c'étoit un homme, la liaison mise par l'expérience, dans mon
-cerveau, entre l'idée d'un homme & l'idée de la hauteur de cinq à
-six pieds, me force, sans que j'y pense, à imaginer, par un jugement
-soudain, que je vois un homme de telle hauteur, & à voir une telle
-hauteur en effet.
-
- [Nous apprenons à voir comme à lire.]
-
-Il faut absolument conclure de tout ceci, que les distances, les
-grandeurs, les situations, ne sont pas, à proprement parler, des choses
-visibles, c'est-à-dire, ne sont pas les objets propres & immédiats de
-la vûe. L'objet propre & immédiat de la vûe, n'est autre chose que la
-lumiere colorée: tout le reste, nous ne le sentons qu'à la longue & par
-expérience. Nous apprenons à voir, précisément comme nous apprenons à
-parler & à lire. La différence est, que l'art de voir est plus facile,
-& que la Nature est également à tous notre Maître.
-
- [La vûe ne peut faire connaitre l'étendue.]
-
-Les jugemens soudains, presque uniformes, que toutes nos ames, à un
-certain âge, portent des distances, des grandeurs, des situations, nous
-font penser, qu'il n'y a qu'à ouvrir les yeux, pour voir de la maniere
-dont nous voyons. On se trompe; il y faut le secours des autres sens.
-Si les hommes n'avoient que le sens de la vûe, ils n'auroient aucun
-moyen pour connaitre l'étendue, en longueur, largeur, & profondeur; &
-un pur Esprit ne pourroit jamais la connaitre, à moins que Dieu ne la
-lui revelât. Il est très-difficile de séparer dans notre entendement
-l'extension d'un objet d'avec les couleurs de cet objet. Nous ne voyons
-jamais rien que d'étendu, & de-là nous sommes tout portez à croire,
-que nous voyons en effet l'étendue. Nous ne pouvons guère distinguer
-dans notre ame ce jaune que nous voyons dans un Louïs d'or, d'avec
-ce Louïs d'or dont nous voyons le jaune. C'est comme, lorsque nous
-entendons prononcer ce mot _Louïs d'or_, nous ne pouvons nous empêcher
-d'attacher, malgré nous, l'idée de cette monnoye au son que nous
-entendons prononcer.
-
-Si tous les hommes parloient la même Langue, nous serions toujours
-prêts à croire, qu'il y auroit une connexion nécessaire entre les
-mots & les idées. Or tous les hommes ont ici le même langage, en fait
-d'imagination. La Nature leur dit à tous: Quand vous aurez vu des
-couleurs pendant un certain tems, votre imagination vous représentera
-à tous, de la même façon, les corps auxquels ces couleurs semblent
-attachées. Ce jugement prompt & involontaire que vous formerez, vous
-sera utile dans le cours de votre vie; car s'il falloit attendre pour
-estimer les distances, les grandeurs, les situations, de tout ce qui
-vous environne, que vous eussiez examiné des angles & des rayons
-visuels; vous seriez morts avant de savoir, si les choses dont vous
-avez besoin, sont à dix pas de vous, ou à cent millions des lieues, &
-si elles sont de la grosseur d'un ciron, ou d'une montagne. Il vaudroit
-beaucoup mieux pour vous être nés aveugles.
-
-Nous avons donc très-grand tort quand nous disons que nos Sens nous
-trompent. Chacun de nos sens fait la fonction à laquelle la Nature
-l'a destiné. Ils s'aident mutuellement pour envoyer à notre ame, par
-les mains de l'expérience, la mesure des connaissances que notre état
-comporte. Nous demandons à nos Sens, ce qu'ils ne sont point faits pour
-nous donner. Nous voudrions que nos yeux nous fissent connaitre la
-solidité, la grandeur, la distance, &c.; mais il faut que le toucher
-s'accorde en cela avec la vûe, & que l'expérience les seconde. Si le
-Pere Mallebranche avoit envisagé la Nature par ce côté, il eût attribué
-moins d'erreurs à nos Sens qui sont les seules sources de toutes nos
-idées.
-
-Il est tems de reprendre le fil des découvertes de Neuton, & de rentrer
-dans l'examen Physique & Mathématique des choses.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE SEPT.
-
-
-_De la cause qui fait briser les rayons de la lumiere en passant d'une
-substance dans une autre; que cette cause est une loi générale de la
-Nature inconnue avant Neuton; que l'inflexion de la lumiere est encore
-un effet de cette cause, &c._
-
-
-NOUS avons déja vu l'artifice presque incompréhensible de la réflexion
-de la lumiere, que l'impulsion connue ne peut causer. Celui de la
-réfraction dont nous allons reprendre l'examen n'est pas moins
-surprenant.
-
- [Ce que c'est que réfraction.]
-
-Commençons par nous bien affermir dans une idée nette de la chose
-qu'il faut expliquer. Souvenons-nous bien, que quand la lumiere
-tombe d'une substance plus rare, plus legére comme l'air, dans une
-substance plus pesante, plus dense comme l'eau, & qui semble lui devoir
-résister davantage, la lumiere alors quitte son chemin & se brise en
-s'approchant d'une perpendicule, qu'on éleveroit sur la surface de
-cette eau.
-
-Mr. Le Clerc, dans sa Physique, a dit tout le contraire faute
-d'attention. En son Livre cinq, chapitre huit: «Plus la résistance des
-corps est grande, dit-il, plus la lumiere qui tombe dans eux s'éloigne
-de la perpendicule. Ainsi le rayon s'éloigne de la perpendicule en
-passant de l'air dans l'eau». Ce n'est pas la seule méprise qui soit
-dans le Clerc, & un homme qui auroit le malheur d'étudier la Physique
-dans les Ecrits de cet Auteur, n'auroit guère que des idées fausses ou
-confuses.
-
-Pour avoir une idée bien nette de cette vérité, regardez ce rayon qui
-tombe de l'air dans ce cristal.
-
-[Illustration]
-
-Vous savez comme il se brise. Ce rayon A E. fait un angle avec cette
-perpendiculaire B E. en tombant sur la surface de ce cristal. Ce même
-rayon réfracté dans ce cristal, fait un autre angle avec cette même
-perpendiculaire qui régle sa réfraction. Il fallut mesurer cette
-incidence & ce brisement de la lumiere. Snellius trouva le premier
-la proportion constante, suivant laquelle les rayons se rompent dans
-ces différens milieux. On en fit l'honneur à Descartes. On attribue
-toujours au Philosophe le plus accrédité les découvertes qu'il rend
-publiques: il profite des travaux obscurs d'autrui, & il augmente sa
-gloire de leurs recherches. La découverte de Snellius étoit alors un
-Chef-d'œuvre de sagacité. Cette proportion découverte par Snellius est
-très-aisée à entendre.
-
-[Illustration]
-
- [Ce que c'est que sinus de réfraction.]
-
-Plus la ligne A. B. que vous voyez, est grande, plus la ligne C. D.
-sera grande aussi. Cette ligne A. B. est ce qu'on appelle _sinus_
-d'incidence. Cette ligne C. D. est le _sinus_ de la réfraction. Ce
-n'est pas ici le lieu d'expliquer en général ce que c'est qu'un
-_sinus_. Ceux qui ont étudié la Géométrie le savent assez. Les autres
-pourroient être un peu embarassez de la définition. Il suffit de bien
-savoir que ces deux _sinus_, de quelque grandeur qu'ils soient, sont
-toujours en proportion dans un milieu donné. Or cette proportion est
-différente, quand la réfraction se fait dans un milieu différent.
-
-La lumiere qui tombe obliquement de l'air dans du cristal, s'y brise de
-façon, que le _sinus_ de réfraction C. D. est au _sinus_ d'incidence A.
-B. comme 2. à 3. ce qui ne veut dire autre chose, sinon que cette ligne
-A. B. est un tiers plus grande dans l'air, en ce cas, que la ligne C.
-D. dans ce cristal.
-
-Dans l'eau cette proportion est de 3. à 4. Ainsi il est palpable que
-le cristal réfracte, brise la lumiere d'un neuvième plus fortement que
-l'eau. Il faut donc savoir que dans tous les cas, & dans toutes les
-obliquités d'incidence possibles, le cristal sera plus refringent que
-l'eau d'un neuvième. Il s'agit de savoir non-seulement la cause de la
-réfraction, mais la cause de ces réfractions différentes.
-
- [Idée de Descartes ingénieuse, mais fausse.]
-
- [Le corps le plus solide n'est pas le plus réfractant.]
-
- [Preuve.]
-
-Descartes a trouvé, à son ordinaire, des raisons ingénieuses &
-plausibles de cette proprieté de la lumiere; mais là, comme en tout
-le reste, mettant son esprit à la place des choses, il a donné des
-conjectures pour des vérités. Il a feint que la lumiere, en passant
-de l'air dans un milieu nouveau, plus épais, plus compact, y passe
-plus librement, y est moins retardée dans sa tendance prétendue au
-mouvement, & _moins retardée_, disoit-il, _moins troublée dans un
-milieu dense, comme le verre, que dans un milieu moins épais, comme
-l'eau_. Nous avons déja vu combien il s'abuse en assûrant que la
-lumiere n'a qu'une tendance au mouvement. Nous avons vu que les rayons
-se meuvent en effet, puisqu'ils changent de place à nos yeux dans
-leurs réfractions. Mais son erreur ici est encore assez importante:
-il se trompe en croyant que les corps les plus solides sont toujours
-ceux qui brisent le plus la lumiere, & qui lui ouvrent en la brisant
-un chemin plus facile. Il n'est pas vrai que tous les corps solides
-réfractent, brisent plus la lumiere absolument, que les corps fluides;
-car quoiqu'en effet l'eau opére une réfraction moins forte, absolument
-parlant, que le verre; cependant par rapport à sa densité, elle opére
-une réfraction plus forte. Il est bien vrai que la lumiere se brise
-environ un neuvième davantage dans le verre, que dans l'eau; mais si
-la réfraction suivoit le rapport de la densité, elle devroit, dans le
-verre, aller fort au delà d'un neuvième. Imaginez deux hommes, dont
-l'un aura quatre fois plus de force, que l'autre. Si le plus fort
-ne porte qu'un poids une fois plus pesant, il sera vrai de dire que
-par rapport à sa force, il n'a pas, à beaucoup près, tant porté que
-l'autre; car il devroit porter quatre fois davantage.
-
-L'ambre opére une réfraction bien plus forte que le cristal, par
-rapport à sa densité. Peut-on dire cependant que l'ambre ouvrira
-un chemin plus facile à la lumiere, que le cristal? C'est donc une
-supposition fausse: _que la lumiere se brise vers la perpendiculaire,
-quand elle trouve un corps transparent plus solide qui lui résiste
-moins, parce qu'il est plus solide_.
-
-Remarquez que toute expérience & tout calcul ruïne presque toutes les
-idées de Descartes, quand ce grand Philosophe ne les fonde que sur
-des hypothèses. Ce sont des perspectives brillantes & trompeuses qui
-diminuent à mesure qu'on en approche. Tous les autres Philosophes ont
-cherché des solutions de ce Problême de la Nature; mais l'expérience a
-renversé aussi leurs conjectures.
-
- [Méprise des autres grands Géométres à ce sujet.]
-
-Barrow enseignoit, après le Pere Deschalles, que la réfraction de
-la lumiere, en approchant de la perpendicule, se faisoit _par la
-résistance du milieu_; que _plus un milieu résistoit au cours de la
-lumiere, plus cette réfraction devoit être forte_.
-
-Cette idée étoit le contraire de celle de Descartes; elle prouvoit
-seulement qu'on va à l'erreur par différens chemins. Ils n'avoient qu'à
-voir les expériences; ils n'avoient qu'à mesurer les réfractions qui se
-font dans l'esprit de vin, beaucoup plus grandes que dans l'eau; ils
-n'avoient qu'à considerer qu'assûrément l'esprit de vin ne résiste
-pas plus que l'eau, & que cependant il opére une réfraction une fois
-plus forte, ils auroient corrigé cette petite erreur. Aussi le Pere
-Deschalles avoue qu'il doute fort de son explication.
-
- [Grande découverte de Neuton.]
-
-Enfin Neuton seul à trouvé la véritable raison qu'on cherchoit. Sa
-découverte mérite assûrément l'attention de tous les Siècles. Car
-il ne s'agit pas ici seulement d'une proprieté particuliere à la
-lumiere, quoique ce fût déja beaucoup; nous verrons que cette proprieté
-appartient à tous les corps de la Nature.
-
-Considerez que les rayons de la lumiere sont en mouvement, que s'ils
-se détournent en changeant leur course, ce doit être par quelque loi
-primitive, & qu'il ne doit arriver à la lumiere, que ce qui arriveroit
-à tous les corps de même petitesse que la lumiere, toutes choses
-d'ailleurs égales.
-
-Qu'une balle de plomb A. soit poussée obliquement de l'air dans l'eau,
-il lui arrivera d'abord le contraire de ce qui est arrivé à ce rayon
-de lumiere; car ce rayon délié passe dans des pores, & cette balle,
-dont la superficie est large, rencontre la superficie de l'eau qui la
-soutient.
-
-[Illustration]
-
- [Attraction.]
-
-Cette balle s'éloigne donc d'abord de la perpendiculaire B.; mais
-lorsqu'elle a perdu tout ce mouvement oblique qu'on lui avoit imprimé,
-elle est abandonnée à elle-même, elle tombe alors, à peu près suivant
-une perpendiculaire, qu'on élèveroit du point où elle commence à
-descendre. Or Neuton a découvert & a prouvé qu'il y a dans la Nature
-une force, qui fait tendre tous les corps, en ligne perpendiculaire,
-les uns vers les autres en proportion directe de leur masse. Donc cette
-force (telle qu'elle soit) doit agir dans l'eau sur ce rayon; & la
-masse du rayon étant incomparablement moindre que celle de l'eau, ce
-rayon doit sensiblement être mu vers elle.
-
-Regardez donc ce rayon de lumiere qui descend perpendiculairement de
-l'air sur la surface de ce cristal.
-
-[Illustration]
-
- [L'attraction agit en perpendicule, & accélere la chûte des rayons.]
-
-Comme cette ligne descend perpendiculairement, le pouvoir de
-l'attraction, tel qu'il soit, agissant en ligne droite, le rayon ne se
-détourne point de son chemin; mais il arrive plus promptement, qu'il
-n'auroit fait en B., & c'est encore une vérité apperçue par Neuton.
-
-Avant lui on croioit que ce rayon de lumiere étoit retardé dans
-son cours en entrant dans l'eau. Au contraire, il y entre avec
-accélération. Pourquoi? Parce qu'il y est porté, & par son propre
-mouvement, & par celui de l'attraction que l'eau, ou le verre, lui
-imprime. Ce rayon arrive donc en B. par cette force accélératrice plus
-promptement qu'il n'eût franchi l'air.
-
-Mais si nous considerons dans ce même bassin d'eau, ou dans cette même
-masse de verre, ce rayon oblique qui tombe dessus, qu'arrive-t-il? Il
-conserve son mouvement d'obliquité en ligne droite, & il en acquiert un
-nouveau en ligne perpendiculaire.
-
-Que cette attraction, que cette tendance, que cette espèce de
-gravitation existe, nous n'en pouvons douter: car nous avons vu la
-lumiere attirée par le verre, y rentrer sans toucher à rien; or
-cette force agit nécessairement en ligne perpendiculaire, la ligne
-perpendiculaire étant le plus court chemin.
-
-Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties de la
-matiere. Les parties de la superficie d'un corps quelconque, éprouvent
-donc ce pouvoir, avant qu'il pénétre l'intérieur de la substance, avant
-qu'il parvienne au centre où il est dirigé. Ainsi dès que ce rayon est
-arrivé près de la superficie du cristal, ou de l'eau, il prend déja un
-peu en cette maniere le chemin de la perpendicule.
-
-[Illustration]
-
- [Lumiere brisée avant d'entrer dans les corps.]
-
-Il se brise déja un peu en C. avant d'entrer: plus il entre, plus il
-se brise; c'est que plus les corps sont proches, plus ils s'attirent,
-& que celui qui a le plus de masse détermine vers lui, celui qui en a
-moins. Ainsi il arrive à ce rayon de lumiere la même chose qu'à tout
-corps, qui a un mouvement composé de deux directions différentes; il
-n'obéït à aucune, & tient un chemin qui participe des deux. Ainsi ce
-rayon ne tombe pas tout-à-fait perpendiculairement, & ne suit pas sa
-premiere ligne droite oblique, en traversant cette eau, ou ce verre;
-mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, & qui descend
-d'autant plus vîte, que l'attraction de cette eau, ou de ce cristal,
-est plus forte. Donc loin que l'eau rompe les rayons de lumiere, en
-leur résistant, comme on le croioit, elle les rompt en effet, parce
-qu'elle ne résiste pas, &, au contraire, parce qu'elle les attire.
-Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire,
-non pas quand ils passent d'un milieu plus facile dans un milieu plus
-résistant, mais quand ils passent _d'un milieu moins attirant dans un
-milieu plus attirant_. Observez qu'il ne faut jamais entendre par ce
-mot _attirant_, que le point vers lequel se dirige une force reconnue,
-une proprieté incontestable de la matiere.
-
-Vous savez que beaucoup de gens, autant attachés à la Philosophie,
-ou plutôt au nom de Descartes, qu'ils l'étoient auparavant au nom
-d'Aristote, se sont soulevés contre l'attraction. Les uns n'ont pas
-voulu l'étudier, les autres l'ont méprisee, & l'ont insultée après
-l'avoir à peine examinée; mais je prie le Lecteur de faire les trois
-réflexions suivantes.
-
- [Il faut examiner l'attraction avant de se révolter contre ce mot.]
-
-1º. Qu'entendons-nous par attraction? Rien autre chose qu'une force par
-laquelle un corps s'approche d'un autre, sans que l'on voye, sans que
-l'on connaisse, aucune autre force qui le pousse.
-
-2º. Cette propriété de la matiere est établie par les meilleurs
-Philosophes en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, & même dans
-plusieurs Universitez d'Italie, où des Loix un peu rigoureuses
-ferment quelquefois l'accez à la Vérité. Le consentement de tant de
-savans hommes n'est pas une preuve, sans doute; mais c'est une raison
-puissante pour examiner au moins si cette force existe ou non.
-
-3º. L'on devroit songer que l'on ne connait pas plus la cause de
-l'impulsion, que de l'attraction. On n'a pas même plus d'idée de
-l'une de ces forces que de l'autre; car il n'y a personne qui puisse
-concevoir pourquoi un corps a le pouvoir d'en remuer un autre de sa
-place. Nous ne concevons pas non plus, il est vrai, comment un corps
-en attire un autre, comment les parties de la matiere gravitent
-mutuellement. Aussi ne dit-on pas que Neuton se soit vanté de connaitre
-la raison de cette attraction. Il a prouvé simplement qu'elle
-existe: il a vu dans la matiere un phénomêne constant, une propriété
-universelle. Si un homme trouvoit un nouveau métal dans la terre,
-ce métal existeroit-il moins, parce que l'on ne connaitrait pas les
-premiers Principes dont il seroit formé? Que le Lecteur qui jettera
-les yeux sur cet Ouvrage ait recours à la discussion métaphysique sur
-l'attraction, faite par Mr. de Maupertuis, dans le plus petit & dans
-le meilleur Livre qu'on ait écrit peut-être en Français, en fait de
-Philosophie. On y verra à travers la reserve avec laquelle l'Auteur
-s'est expliqué, ce qu'il pense, & ce qu'on doit penser de cette
-attraction, dont le nom a tout effarouché.
-
-Nous avons vu dans le second chapitre, que les rayons réflechis d'un
-Miroir ne sauroient venir à nous de sa surface. Nous avons expérimenté
-que les rayons transmis dans du verre à un certain angle, reviennent au
-lieu de passer dans l'air; que, s'il y a du vuide derriere ce verre,
-les rayons qui étoient transmis auparavant reviennent de ce vuide à
-nous. Certainement il n'y a point-là d'impulsion connue. Il faut de
-toute nécessité admettre un autre pouvoir; il faut bien aussi avouer,
-qu'il y a dans la réfraction quelque chose qu'on n'entendoit pas
-jusqu'à présent.
-
- [Preuves de l'attraction.]
-
-Or quelle sera cette puissance qui rompra ce rayon de lumiere dans
-ce bassin d'eau? Il est démontré (comme nous le dirons au chapitre
-suivant) que, ce qu'on avoit cru jusqu'à présent un simple rayon de
-lumiere, est un faisceau de plusieurs rayons, qui se réfractent tous
-différemment. Si de ces traits de lumiere contenus dans ce rayon, l'un
-se réfracte, par exemple, à quatre mesures de la perpendiculaire,
-l'autre se rompra à trois mesures. Il est démontré que les plus
-réfrangibles, c'est-à-dire, par exemple, ceux qui en se brisant au
-sortir d'un verre, & en prenant dans l'air une nouvelle direction,
-s'approchent moins de la perpendiculaire de ce verre, sont aussi ceux
-qui se réflechissent le plus aisément, le plus vîte. Il y a donc déja
-bien de l'apparence, que ce sera la même loi qui fera réflechir la
-lumiere, & qui la fera réfracter.
-
-Enfin, si nous trouvons encore quelque nouvelle propriété de la
-lumiere, qui paraisse devoir son origine à la force de l'attraction,
-ne devrons-nous pas conclure que tant d'effets appartiennent à la même
-cause?
-
- [Inflexion de la lumiere auprès des corps qui l'attirent.]
-
-Voici cette nouvelle propriété qui fut découverte par le Pere
-Grimaldi Jésuite vers l'an 1660. & sur laquelle Neuton a poussé
-l'examen jusqu'au point de mesurer l'ombre d'un cheveu à des
-distances différentes. Cette propriété est l'inflexion de la lumiere.
-Non-seulement les rayons se brisent en passant dans le milieu dont la
-masse les attire; mais d'autres rayons, qui passent dans l'air auprès
-des bords de ce corps attirant, s'approchent sensiblement de ce corps,
-& se détournent visiblement de leur chemin. Mettez dans un endroit
-obscur cette lame d'acier, ou de verre aminci, qui finit en pointe:
-exposez-la auprès d'un petit trou par lequel la lumiere passe; que
-cette lumiere vienne raser la pointe de ce métal.
-
-[Illustration]
-
-Vous verrez les rayons se courber auprès en telle maniere, que le rayon
-qui s'approchera le plus de cette pointe, se courbera davantage, &
-que celui qui en sera plus éloigné, se courbera moins à proportion.
-N'est-il pas de la plus grande vraisemblance, que le même pouvoir
-qui brise ces rayons, quand ils sont dans ce milieu, les force à se
-détourner, quand ils sont près de ce milieu? Voilà donc la réfraction,
-la transparence, la réflexion, assujeties à de nouvelles loix. Voilà
-une inflexion de la lumiere, qui dépend évidemment de l'attraction.
-C'est un nouvel Univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent
-voir.
-
-Nous montrerons bien-tôt qu'il y a une attraction évidente entre le
-Soleil & les Planetes, une tendance mutuelle de tous les corps les
-uns vers les autres. Mais nous avertissons ici d'avance, que cette
-attraction, qui fait graviter les Planetes sur notre Soleil, n'agit
-point du tout dans les mêmes rapports que l'attraction des petits
-corps qui se touchent. Il faudra que l'on songe bien, que ces rapports
-changent au point de contact. Qu'on ne croye point que la lumiere est
-infléchie vers le cristal & dans le cristal, suivant le même rapport,
-par exemple, que Mars est attiré par le Soleil. Tous les corps, comme
-nous le verrons, sont attirez en raison inverse du quarré de leurs
-distances; mais au point de contact, ils le sont en raison inverse des
-cubes de leurs distances, & beaucoup plus encore. Ainsi l'attraction
-est bien plus forte, & la force s'en dissipe bien plus vîte; & cette
-attraction des corps qui se touchent, augmente encore à mesure que les
-corps sont petits. Ainsi des particules de lumiere attirées par les
-petites masses du verre, sont bien loin de suivre les loix du Systême
-planétaire. Deux atomes, & deux Planetes telles que Jupiter & Saturne,
-obéïssent à l'attraction, mais à différentes loix de l'attraction.
-C'est ce que nous nous reservons d'expliquer dans l'avant dernier
-Chapitre, & ce que nous avons cru nécessaire d'indiquer ici pour lever
-toute équivoque.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE HUIT.
-
-_Suites des merveilles de la réfraction de la lumiere. Qu'un seul rayon
-de la lumiere contient en soi toutes les couleurs possibles; ce que
-c'est que la refrangibilité. Découvertes nouvelles._
-
-
- [Imagination de Descartes sur les couleurs.]
-
-SI vous demandez aux Philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes
-vous répondra que _les globules de ses Elémens sont déterminez à
-tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne
-droite, & que ce sont les différens tournoyemens qui font les
-différentes couleurs_. Mais, en vérité, ses Elémens, ses globules,
-son tournoyement, ont-ils même besoin de la pierre de touche de
-l'expérience pour que le faux s'en fasse sentir? Une foule de
-démonstrations anéantit ces chiméres. Voici les plus simples & les plus
-sensibles.
-
-Rangez des boules les unes contre les autres: supposez les poussées en
-tout sens, & tournant toutes sur elles-mêmes en tout sens; par le seul
-enoncé, il est impossible, que ces boules contigues puissent avancer
-en lignes droites réguliérement. De plus, comment verriez-vous sur une
-muraille ce point bleu, & ce point verd?
-
-[Illustration]
-
-Les voilà marquez sur cette muraille; il faut qu'ils se croisent en
-l'air au point A. avant d'arriver à vos yeux. Puisqu'ils se croisent,
-leur prétendu tournoyement doit changer au point d'intersection. Les
-tournoyemens qui faisoient le bleu & le verd ne subsistent donc plus
-les mêmes: il n'y auroit donc plus alors de point verd, ni de point
-bleu. Un Jésuite Flamand fit cette objection à Descartes. Celui-ci en
-sentit toute la force, mais que croiriez-vous qu'il répondit? Que ces
-boules _ne tournoyent pas à la vérité_, mais qu'_elles ont une tendance
-au tournoyement_. Voilà ce que Descartes dit dans ses Lettres. L'acte
-du _transparent en tant que transparent_, est-il plus intelligible?
-
-Vous me direz, sans doute, que cette difficulté est égale dans tous
-les Systêmes. Vous me direz que ces rayons, qui partent de ce point
-bleu & de ce point verd, se croisent nécessairement, quelque opinion
-qu'on embrasse touchant les couleurs; que cette intersection des
-rayons devroit toujours empêcher la vision, qu'en un mot, il est
-toujours incompréhensible que des rayons qui se croisent, arrivent à
-nos yeux dans leur ordre; mais ce scrupule sera bien-tôt levé, si vous
-considerez que toute partie de matiere a plus de pores incomparablement
-que de substance. Un rayon du Soleil, qui a plus de trente millions de
-lieues en longueur, n'a pas probablement un pied de matiere solide mise
-bout à bout. Il seroit donc très-possible qu'un rayon passât à travers
-d'un autre en cette maniere, sans rien déranger.
-
-[Illustration]
-
-Mais ce n'est pas seulement ainsi qu'ils passent, c'est l'un par-dessus
-l'autre comme deux bâtons. Mais direz-vous, des rayons émanez d'un
-centre n'aboutiroient pas précisément, & en rigueur Mathématique, à la
-même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s'en faudra toujours un
-infiniment petit. Mais deux hommes ne verroient pas les mêmes points du
-même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui
-regarderont une superficie, il n'y en aura pas deux qui verront les
-mêmes points.
-
-Il faut avouer que dans le plein de Descartes, cette intersection de
-rayons est impossible; mais tout est également impossible dans le
-plein, & il n'y a aucun mouvement, tel qu'il soit, qui ne suppose & ne
-prouve le vuide.
-
- [Erreur de Mallebranche.]
-
-Mallebranche vient à son tour & vous dit: _Il est vrai que Descartes
-s'est trompé. Son tournoyement de globules, n'est pas soutenable; mais
-ce ne sont pas des globules de lumiere, ce sont des petits tourbillons
-tournoyans de matiere subtile, capables de compression, qui sont la
-cause des couleurs; & les couleurs consistent comme les sons dans
-des vibrations de pression._ Et il ajoute: _Il me parait impossible
-de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations_,
-c'est-à-dire, des couleurs. Vous remarquerez qu'il parloit ainsi
-dans l'Académie des Sciences en 1699. & que l'on avoit déja découvert
-ces proportions en 1675; non pas proportions de vibration de petits
-tourbillons qui n'existent point, mais proportions de la réfrangibilité
-des rayons qui font les couleurs, comme nous le dirons bien-tôt. Ce
-qu'il croioit impossible étoit déja démontré, &, qui plus est, démontré
-aux yeux, reconnu vrai par les sens, ce qui auroit bien déplu au Pere
-Mallebranche.
-
-D'autres Philosophes sentant le faible de ces suppositions, vous disent
-au moins avec plus de vraisemblance: _Les couleurs viennent du plus
-ou du moins de rayons réflechis des corps colorez. Le blanc est celui
-qui en réflechit davantage; le noir est celui qui en réflechit le
-moins. Les couleurs les plus brillantes seront donc celles qui vous
-apporteront plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu
-la vûe, doit être composé de plus de rayons, que le verd qui la repose
-davantage._ Cette Hypothèse parait d'abord plus sensée; mais elle
-n'est qu'une conjecture (d'ailleurs très-incomplette & erronée), & une
-conjecture n'est qu'une raison de plus pour chercher, & non pas une
-raison pour croire.
-
- [Expérience & démonstration de Neuton.]
-
-Addressez-vous enfin à Neuton. Il vous dira ne m'en croyez pas: n'en
-croyez que vos yeux & les Mathématiques: mettez-vous dans une chambre
-tout-à-fait obscure, où le jour n'entre que par un trou extrêmement
-petit; le rayon de la lumiere viendra sur du papier vous donner la
-couleur de la blancheur.
-
-Exposez transversalement à un rayon de lumiere ce prisme de verre;
-ensuite mettez à une distance d'environ seize ou dix-sept pieds une
-feuille de papier P. vis-à-vis ce prisme.
-
-[Illustration]
-
-Vous savez déja que la lumiere se brise en entrant de l'air dans ce
-prisme; vous savez qu'elle se brise, en sens contraire, en sortant de
-ce prisme dans l'air. Si elle ne se brisoit pas ainsi, elle iroit de
-ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais comme il faut que
-la lumiere, en s'échappant, s'éloigne de la ligne Z. cette lumiere
-ira donc frapper le papier. C'est-là que se voit tout le secret de la
-lumiere & des couleurs. Ce rayon qui est tombé sur ce prisme n'est pas,
-comme on croioit, un simple rayon; c'est un faisceau de sept principaux
-faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive,
-primordiale, qui lui est propre. Des mêlanges de ces sept rayons
-naissent toutes les couleurs de la Nature; & les sept réunis ensemble,
-réflechis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur.
-
-Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déja insinué que
-les rayons de la lumiere ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous
-également; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration
-évidente. Ces sept rayons de lumiere échappez du corps de ce rayon,
-qui s'est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun
-dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant une
-ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le
-moins de roideur, le moins de matiere, s'écarte plus dans l'air de la
-perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort, le plus dense,
-le plus vigoureux, s'en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui
-viennent se briser les uns au-dessus des autres?
-
-[Illustration]
-
-Chacun d'eux peint sur ce papier la couleur primitive qu'il porte en
-lui-même. Le premier rayon, qui s'écarte le moins de cette perpendicule
-du prisme, est couleur de feu; le second orangé; le troisième jaune;
-le quatrième verd; le cinquième bleu; le sixième indigo. Enfin celui
-qui s'écarte davantage de la perpendicule, & qui s'éleve le dernier
-au-dessus des autres, est le violet.
-
- [Anatomie de la lumiere.]
-
-Un seul faisceau de lumiere, qui auparavant faisoit la couleur blanche,
-est donc un composé de sept faisceaux qui ont chacun leur couleur.
-L'assemblage de sept rayons primordiaux fait donc le blanc.
-
-Si vous en doutez encore, prenez un des verres lenticulaires de
-lunette, qui rassemblent tous les rayons à leur foyer: exposez ce verre
-au trou par lequel entre la lumiere; vous ne verrez jamais à ce foyer
-qu'un rond de blancheur. Exposez ce même verre au point, où il pourra
-rassembler tous les sept rayons partis du prisme:
-
-[Illustration]
-
-Il réunit, comme vous le voyez, ces sept rayons dans son foyer. La
-couleur de ces sept rayons réunis est blanche; donc il est démontré
-que la couleur de tous les rayons réunis est la blancheur. Le noir par
-conséquent sera le corps, qui ne réflechira point de rayons.
-
- [Couleurs dans les rayons primitifs.]
-
-Car, lorsqu'à l'aide du prisme vous avez séparé un de ces rayons
-primitifs, exposez-le à un miroir, à un verre ardent, à un autre
-prisme, jamais il ne changera de couleur, jamais il ne se séparera en
-d'autres rayons. Porter en soi une telle couleur est son essence, rien
-ne peut plus l'altérer; & pour surabondance de preuve, prenez des
-fils de soye de différentes couleurs; exposez un fil de soye bleue,
-par exemple, au rayon rouge, cette soye deviendra rouge. Mettez-la au
-rayon jaune, elle deviendra jaune: ainsi du reste. Enfin ni réfraction,
-ni réflexion, ni aucun moyen imaginable, ne peut changer ce rayon
-primitif, semblable à l'or que le creuset a éprouvé, & encore plus
-inaltérable.
-
- [Vaines objections contre ces découvertes.]
-
-Cette propriété de la lumiere, cette inégalité dans les réfractions de
-ses rayons, est appellée par Neuton réfrangibilité. On s'est d'abord
-révolté contre le fait, & on l'a nié long-tems, parce que Mr. Mariote
-avoit manqué en France les expériences de Neuton. On aima mieux dire
-que Neuton s'étoit vanté d'avoir vu ce qu'il n'avoit point vu, que
-de penser que Mariote ne s'y étoit pas bien pris pour voir, & qu'il
-n'avoit pas été assez heureux dans le choix des prismes qu'il employa.
-Ensuite même, lorsque ces expériences ont été bien faites, & que la
-vérité s'est montrée à nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point,
-que dans plusieurs Journaux & dans plusieurs Livres faits depuis
-l'année 1730. on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant
-on fait dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'après la découverte de
-la circulation du sang, on soutenoit encore des Thèses contre cette
-vérité, & qu'on vouloit même rendre ridicules ceux qui expliquoient la
-découverte nouvelle en les appelant _Circulateurs_.
-
-Enfin, quand on a été obligé de céder à l'évidence, on ne s'est pas
-rendu encore: on a vu le fait, & on a chicané sur l'expression: on
-s'est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi-bien que contre
-celui d'attraction, de gravitation. Eh qu'importe le terme, pourvû
-qu'il indique une vérité? Quand Christofle Colomb découvrit l'isle
-Hispaniola, ne pouvoit-il pas lui imposer le nom qu'il vouloit? Et
-n'appartient-il pas aux Inventeurs de nommer ce qu'ils créent, ou
-ce qu'ils découvrent? On s'est récrié, on a écrit, contre des mots
-que Neuton employe avec la précaution la plus sage pour prévenir des
-erreurs.
-
- [Critiques encore plus vaines.]
-
-Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, &c. des rayons _rubrifiques_,
-_jaunifiques_, c'est-à-dire, excitant la sensation de rouge, de jaune.
-Il vouloit par-là fermer la bouche à quiconque auroit l'ignorance, ou
-la mauvaise foi, de lui imputer qu'il croioit comme Aristote, que les
-couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes & rouges,
-& non dans notre ame. Il avoit raison de craindre cette accusation.
-J'ai trouvé des hommes, d'ailleurs respectables, qui m'ont assûré que
-Neuton étoit Péripatéticien, qu'il pensoit que les rayons sont colorez
-en effet eux-mêmes, comme on pensoit autrefois que le feu étoit chaud;
-mais ces mêmes Critiques m'ont assûré aussi que Neuton étoit Athée. Il
-est vrai qu'ils n'avoient pas lu son Livre, mais ils en avoient entendu
-parler à des gens qui avoient écrit contre ses expériences, sans les
-avoir vues.
-
-Ce qu'on écrivit d'abord de plus doux contre Neuton, c'est que son
-Systême est une Hypothèse; mais qu'est-ce qu'une hypothèse? Une
-supposition. En vérité, peut-on appeller du nom de supposition,
-des faits tant de fois démontrez? Est-ce par amour propre qu'on
-veut absolument avoir l'honneur d'écrire contre un grand Homme?
-Mais ne devroit-on pas être plus flatté d'en être le Disciple, que
-l'Adversaire? Est-ce parce qu'on est né en France qu'on rougit de
-recevoir la vérité des mains d'un Anglais? Ce sentiment seroit bien
-indigne d'un Philosophe. Il n'y a, pour quiconque pense, ni Français,
-ni Anglais: celui qui nous instruit est notre compatriote.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE NEUV.
-
-_Où l'on indique la cause de la réfrangibilité, & où l'on trouve par
-cette cause, qu'il y a des Corps indivisibles en Physique._
-
-
- [Différences entre les rayons de la lumiere.]
-
-CETTE réfrangibilité, que nous venons de voir, étant attachée à la
-réfraction, doit avoir sa source dans le même principe. La même cause
-doit présider au jeu de tous ces ressorts: c'est-là l'ordre de la
-Nature. Tous les Végétaux se nourrissent par les mêmes loix; tous les
-Animaux ont les mêmes principes de vie. Quelque chose qui arrive aux
-corps en mouvement, les loix du mouvement sont invariables. Nous avons
-déja vu que la réflection, la réfraction, l'inflexion de la lumiere,
-sont les effets d'un pouvoir qui n'est point l'impulsion (au moins
-connue): ce même pouvoir se fait sentir dans la réfrangibilité; ces
-rayons, qui s'écartent à des distances différentes, nous avertissent
-que le milieu, dans lequel ils passent, agit sur eux inégalement. Un
-faisceau de rayons est attiré dans le verre, mais ce faisceau de rayons
-est composé de masses inégales. Ces masses obéïssent donc inégalement à
-ce pouvoir par lequel le milieu agit sur elles. Le trait de lumiere le
-plus solide, le plus compact, doit résister le plus à ce pouvoir, doit
-être moins détourné de sa route, doit être le moins réfrangible. C'est
-ce que l'expérience confirme dans tous les milieux, & dans tous les
-cas. Le rayon rouge est toujours celui qui se détourne le moins de son
-chemin; le rayon violet est toujours celui qui s'en détourne le plus.
-Aussi le rayon rouge a-t-il le plus de substance, est-il le plus dur,
-le plus brillant, & fatigue-t-il la vûe davantage. Le violet qui de
-tous les rayons colorez repose le plus la vûe est le plus réfrangible,
-& par conséquent est composé de parties plus fines & moins gravitantes;
-& ne croyez pas que ce soit ici une simple conjecture, & qu'on devine
-au hazard, que la lumiere a de la pesanteur, & qu'un rayon pese plus
-qu'un autre.
-
- [La lumiere est pesante.]
-
-Des expériences, faites par les mains les plus exercées & les plus
-habiles, nous apprennent que plusieurs corps acquiérent du poids après
-avoir été long-tems imbibez de lumiere. Les particules de feu qui ont
-pénétré leur substance l'ont augmentée. Mais quand on révoqueroit en
-doute ces expériences, le feu est une matiere; donc il pese, & la
-lumiere n'est autre chose que du feu.
-
-Il est évident qu'un rayon blanc pese tous les rayons qui le composent.
-Or supposez, un moment, que ces rayons s'écartent tous également l'un
-de l'autre, alors il est évident, en ce cas, que le rayon rouge, étant
-sept fois moins réfrangible que le rayon violet, doit avoir sept fois
-plus de masse, & sept fois plus de poids, que le rayon violet. Ainsi
-le rayon rouge pesant comme sept; l'orangé supposé ici, comme six: le
-jaune supposé, comme cinq: le verd, comme quatre: le bleu, comme trois:
-le pourpre indigo, comme deux, & le violet, comme un: la somme de tous
-ces poids étant vingt-huit, & le blanc étant l'assemblage de tous ces
-poids, il est démontré qu'un rayon blanc, dans la supposition de ce
-calcul, pese vingt-huit fois autant qu'un rayon violet; &, quel que
-soit le calcul, il est évident que le rayon blanc pese beaucoup plus
-qu'aucun autre rayon, puisqu'il les pese tous ensemble.
-
-Nous avons déja vu quelle doit être la petitesse prodigieuse de ces
-rayons de lumiere, contenant en eux toutes les couleurs, qui viennent
-du Soleil pénétrer un pore de diamant. Une foule de rayons passe dans
-ce pore, & vient se réunir près de la surface intérieure d'une facette.
-De cette foule de traits de lumiere qui occupe un si petit espace,
-il n'y en a aucun qui ne contienne sept traits primordiaux. Chacun
-de ces traits est encore lui-même un faisceau de traits teints de sa
-couleur. Le rayon rouge est un assemblage d'un très-grand nombre de
-rayons rouges. Le violet est un assemblage de rayons violets. Si donc
-ce faisceau violet pese vingt-huit fois moins qu'un faisceau blanc, que
-sera-ce qu'un seul des traits de ce faisceau?
-
- [Atomes dont la lumiere est composée.]
-
- [Les principes des corps sont des atomes.]
-
-Considérons un de ces traits simples, qui différe d'un autre trait:
-par exemple, le plus mince trait rouge différe en tout du plus mince
-trait violet. Il faut que ses parties solides soient autant d'atomes
-parfaitement durs, lesquels composent son être. En effet, si les corps
-n'étoient pas composés de parties solides, dures, indivisibles, de
-véritables atomes: comment les espèces des corps pourroient-elles
-rester éternellement les mêmes? Qui mettroit entre elles une différence
-si constante? Ne faut-il pas que les parties qui font leur essence,
-soient assez dures, assez solides, assez unes, pour être toujours ce
-qu'elles sont? Car comment est-ce que dans le germe d'un grain de bled
-seroient contenus tant de grains de bled, & rien autre chose, si la
-configuration des petites parties n'étoit pas toujours la même, si elle
-n'étoit pas toujours solide, indivisible: ce qui ne veut dire autre
-chose que toujours indivisée? Dans l'œuf d'une mouche se trouvent
-des mouches à l'infini; mais si ces petites parties qui contiennent
-tant de mouches n'étoient pas parfaitement dures, elles se briseroient
-certainement l'une contre l'autre, par le mouvement rapide où tout est
-dans la Nature. Elles se briseroient d'autant plus, que les petits
-corps ont plus de surface par rapport à leur grosseur. Cependant cet
-inconvénient n'arrive point: l'œuf d'une mouche produit toujours les
-mouches qu'il contenoit; chaque semence, depuis l'Or jusques au grain
-de moutarde, reste éternellement la même. Donc il est à croire que
-chaque semence des choses est composée d'atomes toujours indivisés, qui
-font la substance de chaque chose: mais ce n'est pas assez d'indiquer
-cette grande Vérité à laquelle l'observation des rayons de la lumiere
-nous a conduits: il la faut démontrer: il faut prouver en rigueur qu'il
-y a nécessairement des atomes physiquement indivisibles; & c'est ce que
-nous allons faire voir dans le Chapitre suivant.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-CHAPITRE DIXIE'ME.
-
-_Preuves qu'il y a des atomes indivisibles, & que les parties simples
-de la lumiere sont de ces atomes. Suite des découvertes._
-
-
- [Preuve qu'il y a des atomes.]
-
-VOUS avez déja compris quelle est l'extrême porosité de tous les corps.
-L'eau même qui n'est que dix-neuf fois moins pesante que l'or, passe
-pourtant entre les pores de l'or même, le plus solide des Métaux. Il
-n'y a aucun corps qui n'ait incomparablement plus de pores que de
-matiere: mais supposons un cube qui même, si l'on veut, ait autant de
-matiere apparente que de pores: par cette supposition il n'aura donc
-réellement que la moitié de la matiere qu'il parait avoir; mais chaque
-partie de ce corps étant dans le même cas, & perdant ainsi la moitié
-d'elle-même, ce cube ne sera donc par cette deuxième opération que le
-quart de lui-même; il n'y aura donc dans lui que le quart de la matiere
-qui semble y être. Divisez ainsi chaque partie de chaque partie;
-restera le huitième de matiere. Continuez toujours cette progression
-jusqu'à l'infini, & faites passer votre division par tous les ordres
-d'infini; la fin de la progression des pores sera donc l'infini, & la
-fin de la diminution de la matiere sera _zero_. Donc si l'on pouvoit
-physiquement diviser la matiere à l'infini, il se trouveroit qu'il n'y
-auroit que des pores & point de matiere. Donc la matiere, telle qu'elle
-est, n'est pas réellement physiquement divisible à l'infini: Donc il
-est démontré qu'il y a des atomes indivisibles, c'est-à-dire, des
-atomes qui ne seront jamais divisés, tant que durera la constitution
-présente du Monde.
-
-Présentons cette démonstration d'une maniere encore plus palpable.
-Je suis arrivé par ma division aux deux derniers pores: il y a entre
-eux un corps, ou non: s'il n'y en a point, il n'y avoit donc point de
-matiere; s'il y en a, ce corps est donc sans pores. Je dis qu'il est
-sans pores; puisque je suis arrivé aux derniers pores, cette particule
-de matiere est donc réellement indivisible.
-
-Au reste, que cette proposition ne vous paraisse point contradictoire
-à la démonstration géométrique, qui vous prouve qu'une ligne est
-divisible à l'infini.
-
- [La divisibilité de la matiere n'empêche point qu'il n'y ait des
- atomes.]
-
-Ces deux proportions qui semblent se détruire l'une l'autre,
-s'accordent très-bien ensemble. La Géométrie a pour objet les idées de
-notre esprit. Une ligne géométrique est une ligne en idée, toujours
-divisible en idée, comme une unité numérique est toujours réductible en
-autant d'unités qu'il me plaira d'en concevoir. Je puis diviser l'unité
-d'un pied, en cent milles milliasses d'autres unités; mais ensuite je
-pourrai toujours considerer ce pied comme une unité[*].
-
- [*] Mr. de Malesieu, dans la Géométrie de Mr. le Duc de Bourgogne, n'a
- pas fait assez d'attention à cette vérité, p. 117. Il trouve de la
- contradiction où il n'y en a point. Il demande, comme une question
- insoluble, si un pied de matiere est une substance ou plusieurs?
- C'est une substance certainement, quand on le considére comme un pied
- cube. Ce sont dix-sept cens vingt-huit substances, quand on le divise
- en pouces.
-
-Les points sans ligne, les lignes sans surfaces, les surfaces sans
-solides, l'infini 1., l'infini 2., l'infini 3., sont en effet les
-objets de propositions certaines de la Géométrie; mais il est également
-certain que la Nature ne peut produire des surfaces, des lignes,
-des points sans solides. De même il est indubitable qu'une ligne en
-Géométrie est divisible à l'infini; & il est indubitable qu'il y a dans
-la Nature des corps indivisibles, c'est-à-dire, des corps indivisés,
-des corps qui resteront tels, tant que la constitution présente des
-choses subsistera.
-
-Tenons donc pour certain qu'il y a des atomes. Chaque partie
-constituante d'un rayon simple coloré, peut être considérée comme un
-atome; chacun de ces atomes est pesant, c'est sa différente attraction
-qui fait sa différente réfrangibilité. Songeons que ces atomes les plus
-réfrangibles sont aussi les plus réflexibles, & qu'enfin puisqu'ils
-sont réfrangibles à raison de leur attraction vers le milieu le plus
-agissant, il faut bien qu'ils réflechissent aussi en raison de cette
-attraction. Maintenant il est aisé de connaitre que le rayon violet,
-par exemple, qui est le plus réfrangible, est toujours le premier qui
-se réflechit en sortant du prisme qui a reçu tous les rayons. Mr.
-Neuton a fait cette expérience à l'aide de quatre prismes avec une
-sagacité & une industrie dignes de l'inventeur de tant de vérités.
-
-Je donnerai ici la plus simple de ces expériences.
-
-[Illustration]
-
- [Expérience importante.]
-
-Ce prisme a envoyé sur ce papier ces sept couleurs: tournez ce prisme
-sur lui-même dans le sens A, B, C. vous aurez bien-tôt cet angle selon
-lequel toute lumiere se réflechira de dedans ce prisme au dehors, au
-lieu de passer sur ce papier; si-tôt que vous commencez à approcher de
-cet angle, voilà tout d'un coup le rayon violet qui se détache de ce
-papier, & que vous voyez se porter au Plat-fond de la chambre. Après le
-violet, vient le pourpre; après le pourpre, le bleu; enfin le rouge
-quitte le dernier ce papier où il est peint, pour venir à son tour
-se réflechir sur le Plat-fond. Donc tout rayon est plus réflexible
-à mesure qu'il est plus réfrangible; donc la même cause opére la
-réflexion & la réfrangibilité.
-
-Or la partie solide du verre ne fait ni cette réfrangibilité, ni cette
-réflexion; donc encore une fois ces proprietés ont leur naissance dans
-une autre cause que dans l'impulsion connue sur la Terre. Il n'y a rien
-à dire contre ces expériences, il faut s'y soumettre, quelque rebelle
-que l'on soit à l'évidence.
-
- [Objection.]
-
-On pourroit tirer des expériences même de Neuton de quoi faire quelques
-difficultés contre les loix qu'il établit. On pourroit lui dire, par
-exemple: Vous nous avez prouvé que l'impulsion d'aucun corps connu ne
-peut opérer le brisement de la lumiere, ni sa réflexion, puisqu'elle
-se brise dans des pores & se réflechit dans du vuide: Vous nous avez
-dit qu'il y a un pouvoir dans la Nature qui fait tendre tous les corps
-les uns vers les autres, & en attendant que vous nous montriez, comme
-vous nous l'avez promis, les loix de ce pouvoir, nous concevons qu'en
-effet sa puissance doit agir sur toute la matiere, & que le plus petit
-des corps imaginables doit être soumis à cette puissance de même que le
-plus grand de tous les corps possibles: Vous nous avez dit qu'une des
-loix de ce pouvoir est d'agir sur tous les corps, selon leurs masses,
-& nous avouons que cela est bien vraisemblable; mais par vos propres
-expériences ne démentez-vous pas ce Systême? L'eau a beaucoup plus de
-masse que l'esprit de vin, que l'esprit de térébenthine: cependant
-elle attire moins un rayon de lumiere, la réfraction se fait moindre
-dans l'eau que dans l'esprit de vin; donc ce pouvoir de gravitation,
-d'attraction, n'agit pas comme vous le dites, selon la masse.
-
- [Réponse. Pourquoi les fluides moins pesants que l'eau attirent plus
- la lumiere.]
-
-Cette objection loin d'ébranler la vérité des découvertes nouvelles, la
-confirme en effet. Pour la résoudre clairement, considérons que tous
-les corps tendent vers le centre de la Terre, que tous tombent dans
-l'air avec une force proportionnée à leur masse; mais que si outre
-cette force on leur en applique encore une autre, ils iront plus
-vîte qu'ils n'auroient été par leur propre poids. Tel est le cas des
-rayons de la lumiere entrant dans des corps déja remplis de particules
-inflammables, lesquelles ne sont que la lumiere elle-même retenue dans
-leurs pores.
-
-Ces atomes de feu qui résident en effet dans certains corps sulphureux
-& transparens, augmentent la réfraction de la lumiere vers la ligne
-perpendiculaire, comme une nouvelle force qui lui est appliquée: il
-arrive alors ce qui arrive à un flambeau qui vient d'être éteint, & qui
-fume encore; il se rallume dès qu'il est à une certaine distance d'un
-autre flambeau allumé.
-
-Il est tout naturel que les rayons de lumiere entrent aisément dans
-l'esprit sulphureux de térébenthine, comme la flamme dans la méche
-fumante d'un flambeau éteint; or une nouvelle cause jointe à la
-réfraction augmente nécessairement la réfraction.
-
-De plus, la réaction est toujours égale à l'action: les corps
-sulphureux sont ceux sur lesquels le feu, qui n'est que la lumiere,
-agit davantage; donc ils doivent agir aussi plus que les autres corps
-sur la lumiere, la briser, la réfracter davantage.
-
- [L'attraction n'entre pas dans tous les effets de la lumiere.]
-
-Remarquons sur-tout ici que cette attraction inhérente dans la matiere
-ne s'étend pas à tout, n'opére pas tous les effets. Le mystère de la
-lumiere réflechie du milieu des pores, & de dessus les surfaces, sans
-toucher aux surfaces, a des profondeurs que les loix de l'attraction
-ne peuvent sonder: il n'y a qu'un Charlatan, qui se vante d'avoir un
-remede universel, & ce seroit être Charlatan en Philosophie que de
-rapporter tout, sans preuve, à la même cause; cette même force d'esprit
-qui a fait découvrir à Neuton le pouvoir de l'attraction, lui a fait
-avouer que ce pouvoir est bien loin d'être l'unique Agent de la Nature.
-
-Il est bien vrai que le rayon le plus réfrangible étant le plus
-réflexible, c'est une preuve évidente que la même puissance opére la
-réflexion, la réfraction, & l'accélération de la chûte des rayons dans
-ce verre, &c.; mais enfin la force de l'attraction semble n'avoir rien
-de commun avec d'autres phénomênes. Il y a sur-tout des vibrations
-de rayons, des jets alternatifs de la lumiere allant & venant sur
-les corps, que la gravitation n'expliqueroit pas; mais ces nouvelles
-difficultés, c'est Neuton lui-même qui les a créées. Non-seulement il
-a découvert des mystères que la gravitation développe; mais il en a
-trouvé qu'elle ne développe pas. Ces jets alternatifs de la réflexion
-de la lumiere sont un de ces Secrets de la Nature, dont il est bien
-étonnant que les yeux humains ayent pu s'appercevoir.
-
-Nous parlerons de cette singularité en son lieu dans le Chapitre
-treizième; continuons à voir les effets de la réfrangibilité.
-L'Arc-en-Ciel est un de ces effets, & le plus considérable, nous allons
-l'expliquer dans le Chapitre qui suit.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE ONZIE'ME.
-
-_De l'Arc-en-Ciel; que ce Météore est une suite nécessaire des loix de
-la réfrangibilité._
-
-
- [Mécanisme de l'Arc-en-Ciel inconnu à toute l'Antiquité.]
-
-L'Arc-en-Ciel, ou l'Iris, est une suite nécessaire des proprietés de la
-lumiere que nous venons d'observer. Nous n'avons rien, dans les Ecrits
-des Grecs, ni des Romains, ni des Arabes, qui puisse faire penser
-qu'ils connussent les raisons de ce phénomêne. Lucrèce n'en dit rien, &
-par toutes les absurdités qu'il débite au nom d'Epicure sur la lumiere
-& sur la vision, il parait que son Siècle, si poli d'ailleurs, étoit
-plongé dans une profonde ignorance en fait de Physique. On savoit qu'il
-faut qu'une nuée épaisse se résolvant en pluye, soit exposée aux rayons
-du Soleil, & que nos yeux se trouvent entre l'Astre & la nuée pour voir
-ce qu'on appelloit l'Iris, _mille trahit varios adverso sole colores_,
-mais voilà tout ce qu'on savoit; personne n'imaginoit ni pourquoi
-une nuée donne des couleurs, ni comment la nature & l'ordre de ces
-couleurs sont déterminés, ni pourquoi il y a deux Arcs-en-Ciel l'un sur
-l'autre, ni pourquoi on voit toujours ce phénomêne sous la figure d'un
-demi-cercle.
-
- [Ignorance d'Albert le Grand.]
-
-Albert qu'on a surnommé _le Grand_, parce qu'il vivoit dans un Siècle
-où les hommes étoient bien petits, imagina que les couleurs de
-l'Arc-en-Ciel venoient d'une rosée qui est entre nous & la nuée, &
-que ces couleurs reçues sur la nuée, nous étoient envoyées par elle.
-Vous remarquerez encore que cet _Albert le Grand_, croioit avec toute
-l'Ecole que la lumiere étoit un accident.
-
- [L'Archevêque _Antonio de Dominis_ est le premier qui ait expliqué
- l'Arc-en-Ciel.]
-
-Enfin le célèbre _Antonio de Dominis_ Archevêque de Spalatro en
-Dalmatie, chassé de son Evêché par l'Inquisition, écrivit vers l'an
-1590. son petit Traité _De radiis Lucis & de Iride_, qui ne fut imprimé
-à Venise que vingt ans après. Il fut le premier qui fit voir que les
-rayons du Soleil réflechis de l'intérieur même des goûtes de pluye,
-formoient cette peinture qui parait en Arc, & qui sembloit un miracle
-inexplicable; il rendit le miracle naturel, ou plutôt il l'expliqua par
-de nouveaux prodiges de la Nature.
-
-Sa découverte étoit d'autant plus singuliére, qu'il n'avoit d'ailleurs
-que des notions très-fausses de la maniere dont se fait la vision. Il
-assûre dans son Livre que les images des objets sont dans la prunelle,
-& qu'il ne se fait point de réfraction dans nos yeux: chose assez
-singuliére pour un bon Philosophe! Il avoit découvert les réfractions
-alors inconnues dans les goûtes de l'Arc-en-Ciel, & il nioit celles qui
-se font dans les humeurs de l'œil, qui commençoient à être démontrées;
-mais laissons ses erreurs pour examiner la vérité qu'il a trouvée.
-
- [Son expérience.]
-
-Il vit avec une sagacité alors bien peu commune, que chaque rangée,
-chaque bande de goûtes de pluye qui forme l'Arc-en-Ciel, devoit
-renvoyer des rayons de lumiere sous différens angles: il vit que la
-différence de ces angles devoit faire celle des couleurs: il sut
-mesurer la grandeur de ces angles: il prit une boule d'un crystal bien
-transparent qu'il remplit d'eau; il la suspendit à une certaine hauteur
-exposée aux rayons du Soleil.
-
- [Imitée par Descartes.]
-
-Descartes qui a suivi Antonio de Dominis, qui l'a rectifié & surpassé
-en quelque chose, & qui peut-être auroit du le citer, fit aussi la même
-expérience. Quand cette boule est suspendue à telle hauteur que le
-rayon de lumiere, qui donne du Soleil sur la boule, fait ainsi avec le
-rayon allant de la boule à l'œil un angle de quarante-deux degrez deux
-ou trois minutes, cette boule donne toujours une couleur rouge.
-
-[Illustration]
-
-Quand cette boule est suspendue un peu plus bas, & que ces angles
-sont plus petits, les autres couleurs de l'Arc-en-Ciel paraissent
-successivement de façon, que le plus grand angle, en ce cas, fait le
-rouge, & que le plus petit angle de 40 degrez 17 minutes forme le
-violet. C'est-là le fondement de la connaissance de l'Arc-en-Ciel; mais
-ce n'en est encore que le fondement.
-
- [La réfrangibilité unique raison de l'Arc-en-Ciel.]
-
-La réfrangibilité seule rend raison de ce phénomêne si ordinaire, si
-peu connu, & dont très-peu de Commençans ont une idée nette; tâchons
-de rendre la chose sensible à tout le monde. Suspendons une boule de
-crystal pleine d'eau, exposée au Soleil: plaçons-nous entre le Soleil
-& elle; pourquoi cette boule m'envoye-t-elle des couleurs? & pourquoi
-certaines couleurs? Des masses de lumiere, des millions de faisceaux,
-tombent du Soleil sur cette boule: dans chacun de ces faisceaux il y a
-des traits primitifs, des rayons homogênes, plusieurs rouges, plusieurs
-jaunes, plusieurs verds, &c. tous se brisent à leur incidence dans la
-boule, chacun d'eux se brise différemment & selon l'espèce dont il est,
-& selon l'endroit dans lequel il entre.
-
-Vous savez déja que les rayons rouges sont les moins réfrangibles; les
-rayons rouges d'un certain faisceau déterminé iront donc se réunir dans
-un certain point déterminé au fond de la boule, tandis que les rayons
-bleus & pourpres du même faisceau iront ailleurs. Ces rayons rouges
-sortiront aussi de la boule en un endroit, & les verds, les bleus, les
-pourpres en un autre endroit. Ce n'est pas assez. Il faut examiner les
-points, où tombent ces rayons rouges en entrant dans cette boule & en
-sortant pour venir à votre œil.
-
-Pour donner à ceci tout le degré de clarté nécessaire, concevons cette
-boule telle qu'elle est en effet, un assemblage d'une infinité de
-surfaces planes; car le cercle étant composé d'une infinité de droites
-infiniment petites, la boule n'est qu'une infinité de surfaces.
-
-[Illustration]
-
-Des rayons rouges A, B, C. viennent parallèles du Soleil sur ces trois
-petites surfaces. N'est-il pas vrai que chacun se brise selon son degré
-d'incidence? N'est-il pas manifeste que le rayon rouge A. tombe plus
-obliquement sur sa petite surface, que le rayon rouge B. ne tombe sur
-la sienne? Ainsi tous deux viennent au point R. par différens chemins.
-
-Le rayon rouge C. tombant sur sa petite surface encore moins
-obliquement se rompt bien moins, & arrive aussi au point R. en ne se
-brisant que très-peu.
-
- [Explication de ce phénomêne.]
-
-J'ai donc déja trois rayons rouges, c'est-à-dire, trois faisceaux de
-rayons rouges, qui aboutissent au même point R.
-
-A ce point R. chacun fait un angle de réflexion égal à son angle
-d'incidence, chacun se brise à son émergence de la boule, en
-s'éloignant de la perpendiculaire de la nouvelle petite surface
-qu'il rencontre, de même que chacun s'est rompu à son incidence en
-s'approchant de sa perpendicule; donc tous reviennent parallèles, donc
-tous entrent dans l'œil, selon l'ouverture de l'angle propre aux
-rayons rouges.
-
-S'il y a une quantité suffisante de ces traits homogênes rouges pour
-ébranler le nerf optique, il est incontestable que vous ne devez avoir
-que la sensation de rouge.
-
-Ce sont ces rayons A, B, C. qu'on nomme rayons visibles, rayons
-efficaces de cette goûte; car chaque goûte a ses rayons visibles.
-
-Il y a des milliers d'autres rayons rouges, qui, venant sur d'autres
-petites surfaces de la boule, plus haut & plus bas, n'aboutissent point
-en R, ou qui, tombés en ces mêmes surfaces à une autre obliquité,
-n'aboutissent point non plus en R.; ceux-là sont perdus pour vous, ils
-viendront à un autre œil placé plus haut, ou plus bas.
-
-Des milliers de rayons orangés, verds, bleus, violets, sont venus à la
-vérité avec les rouges visibles sur ces surfaces A, B, C.; mais vous
-ne pourrez les recevoir. Vous en savez la raison, c'est qu'ils sont
-tous plus réfrangibles que les rouges: c'est qu'en entrant tous au même
-point, chacun prend dans la boule un chemin différent; tous rompus
-davantage, ils viennent au-dessous du point R., ils se rompent aussi
-plus que les rouges en sortant de la boule. Ce même pouvoir qui les
-approchoit plus du perpendicule de chaque surface dans l'intérieur de
-la boule, les en écarte donc davantage à leur retour dans l'air: ils
-reviennent donc tous au-dessous de votre œil; mais baissez la boule,
-vous rendez l'angle plus petit. Que cet angle soit de quarante degrez
-environ dix-sept minutes, vous ne recevez que les objets violets.
-
-Il n'y a personne qui sur ce principe ne conçoive très-aisément
-l'artifice de l'Arc-en-Ciel; imaginez plusieurs rangées, plusieurs
-bandes de goûtes de pluye, chaque goûte fait précisément le même effet
-que cette boule.
-
-Jettez les yeux sur cet Arc, &, pour éviter la confusion, ne considerez
-que trois rangées de goûtes de pluye, trois bandes colorées.
-
-[Illustration]
-
-Il est visible que l'angle P, O, L. est plus petit que l'angle V, O,
-L., & que l'angle R, O, L. est le plus grand des trois. Ce plus grand
-angle des trois est donc celui des rayons primitifs rouges: cet autre
-mitoyen est celui des primitifs verds; ce plus petit P, O, L. est celui
-des primitifs pourpres. Donc vous devez voir l'Iris rouge dans son bord
-extérieur, verte dans son milieu, pourpre & violette dans sa bande
-intérieure. Remarquez seulement que la derniére couche violette est
-toujours teinte de la couleur blanchâtre de la nuée dans laquelle elle
-se perd.
-
-Vous concevez donc aisément que vous ne voyez ces goûtes que sous
-les rayons efficaces parvenus à vos yeux après une réflexion & deux
-réfractions, & parvenus sous des angles déterminés. Que votre œil
-change de place, qu'au lieu d'être en O. il soit en T. ce ne sont plus
-les mêmes rayons que vous voyez: la bande qui vous donnoit du rouge
-vous donne alors de l'orangé, ou du verd, ainsi du reste; & à chaque
-mouvement de tête vous voyez une Iris nouvelle.
-
-Ce premier Arc-en-Ciel bien conçu, vous aurez aisément l'intelligence
-du second que l'on voit d'ordinaire qui embrasse ce premier, & qu'on
-appelle le faux Arc-en-Ciel, parce que ses couleurs sont moins vives, &
-qu'elles sont dans un ordre renversé.
-
- [Les deux Arcs-en-Ciel.]
-
-Pour que vous puissiez voir deux Arcs-en-Ciel, il suffit que la
-nuée soit assez étendue & assez épaisse. Cet Arc, qui se peint sur
-le premier & qui l'embrasse, est formé de même par des rayons que
-le Soleil darde dans ces goûtes de pluye, qui s'y rompent, qui s'y
-réflechissent de façon, que chaque rangée des goûtes vous envoye aussi
-des rayons primitifs; cette goûte un rayon rouge, cette autre goûte un
-rayon violet.
-
-Mais tout se fait dans ce grand Arc d'une maniere opposée à ce qui se
-passe dans le petit; pourquoi cela? C'est que votre œil qui reçoit les
-rayons efficaces du petit Arc venus du Soleil dans la partie supérieure
-des goûtes, reçoit au contraire les rayons du grand Arc venus par la
-partie basse des goûtes.
-
-[Illustration]
-
-Vous appercevez que les goûtes d'eau du petit Arc reçoivent les rayons
-du Soleil par la partie supérieure, par le haut de chaque goûte; les
-goûtes du grand Arc-en-Ciel au contraire reçoivent les rayons qui
-parviennent par leur partie basse. Rien ne vous sera, je crois, plus
-facile que de concevoir comment les rayons se réflechissent deux fois
-dans les goûtes de ce grand Arc-en-Ciel, & comment ces rayons deux fois
-réfractés, & deux fois réflechis, vous donnent une Iris dans un ordre
-opposé à la premiere, & plus affaiblie de couleur. Vous venez de voir
-que les rayons entrent ainsi dans la petite partie basse des goûtes
-d'eau de cette Iris extérieure.
-
-[Illustration]
-
-Une masse de rayons se présente à la surface de la goûte en G. là une
-partie de ces rayons se réfracte en dedans, & une autre s'éparpille en
-dehors; voilà déja une perte de rayons pour l'œil. La partie réfractée
-parvient en H. une moitié de cette partie s'échappe dans l'air en
-sortant de la goûte, & est encore perdue pour vous. Le peu qui s'est
-conservé dans la goûte, s'en va en K. là une partie s'échappe encore:
-troisième diminution. Ce qui en est resté en K. s'en va en M. & à cette
-émergence en M., une partie s'éparpille encore: quatrième diminution;
-& ce qui en reste parvient enfin dans la ligne M, N. Voilà donc dans
-cette goûte autant de réfractions que dans les goûtes du petit Arc;
-mais il y a comme vous voyez deux réflexions au lieu d'une dans ce
-grand Arc. Il se perd donc le double de la lumiere dans ce grand Arc où
-la lumiere se réflechit deux fois, & il s'en perd la moitié moins dans
-le petit Arc intérieur, où les goûtes n'éprouvent qu'une réflexion.
-Il est donc démontré que l'Arc-en-Ciel extérieur doit toujours être
-de moitié plus faible en couleur que le petit Arc intérieur. Il est
-aussi démontré par ce double chemin que font les rayons, qu'ils doivent
-parvenir à vos yeux dans un sens opposé à celui du premier Arc, car
-votre œil est placé en O.
-
-Dans cette place O. il reçoit les rayons les moins réfrangibles de la
-premiere bande extérieure du petit Arc, & il doit recevoir les plus
-réfrangibles de la premiere bande extérieure de ce second Arc; ces
-plus réfrangibles sont les violets. Voici donc les deux Arcs-en-Ciel
-ici dans leur ordre, en ne mettant que trois couleurs pour éviter la
-confusion.
-
-[Illustration]
-
- [Ce phénomêne vu toujours en demi-cercle.]
-
-Il ne reste plus qu'à voir pourquoi ces couleurs sont toujours
-apperçues sous une figure circulaire. Considérez cette ligne O, Z.
-qui passe par votre œil. Soient conçues se mouvoir ces deux boules
-toujours à égale distance de votre œil, elles décriront des bases de
-cones, dont la pointe sera toujours dans votre œil.
-
-[Illustration]
-
-Concevez que le rayon de cette goûte d'eau R. venant à votre œil O.
-tourne autour de cette ligne O, Z. comme autour d'un axe, faisant
-toujours, par exemple, un angle avec votre œil de 42 degrez deux
-minutes; il est clair que cette goûte décrira un cercle qui vous
-paraitra rouge. Que cette autre goûte V. soit conçue tourner de même,
-faisant toujours un autre angle de quarante degrez dix-sept minutes,
-elle formera un cercle violet; toutes les goûtes qui seront dans ce
-plan formeront donc un cercle violet, & les goûtes qui sont dans le
-plan de la goûte R. feront un cercle rouge. Vous verrez donc cette Iris
-comme un cercle, mais vous ne voyez pas tout un cercle; parce que la
-Terre le coupe, vous ne voyez qu'un Arc, une portion de cercle.
-
-La plûpart de ces vérités ne purent encore être apperçues ni par
-Antonio de Dominis, ni par Descartes: ils ne pouvoient savoir pourquoi
-ces différens angles donnoient différentes couleurs; mais c'étoit
-beaucoup d'avoir trouvé l'Art. Les finesses de l'Art sont rarement
-dues aux premiers inventeurs. Ne pouvant donc deviner que les couleurs
-dépendoient de la réfrangibilité des rayons, que chaque rayon
-contenoit en soi une couleur primitive, que la différente attraction
-de ces rayons faisoit leur réfrangibilité, & opéroit ces écartemens
-qui font les différens angles, Descartes s'abandonna à son esprit
-d'invention pour expliquer les couleurs de l'Arc-en-Ciel. Il y employa
-le _tournoyement_ imaginaire de ces globules & _cette tendance au
-tournoyement_; preuve de génie, mais preuve d'erreur. C'est ainsi que
-pour expliquer la _systole_ & la _diastole_ du cœur, il imagina un
-mouvement & une conformation dans ce viscère, dont tous les Anatomistes
-ont reconnu la fausseté. Descartes auroit été le plus grand Philosophe
-de la Terre, s'il eût moins inventé.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE DOUZE.
-
-_Nouvelles découvertes sur la cause des couleurs qui confirment la
-doctrine précédente. Démonstration que les couleurs sont occasionnées
-par l'épaisseur des parties qui composent les corps._
-
-
-PAr tout ce qui a été dit jusqu'à présent il résulte donc, que toutes
-les couleurs nous viennent du mêlange des sept couleurs primordiales
-que l'Arc-en-Ciel & le prisme nous font voir distinctement.
-
-Les corps les plus propres à réflechir des rayons rouges, & dont les
-parties absorbent ou laissent passer les autres rayons, seront rouges,
-& ainsi du reste. Cela ne veut pas dire que les parties de ces corps
-réflechissent en effet les rayons rouges; mais qu'il y a un pouvoir,
-une force jusqu'ici inconnue, qui réflechit ces rayons d'auprès des
-surfaces & du sein des pores des corps.
-
- [Connaissance plus approfondie de la formation des couleurs.]
-
-Les couleurs sont donc dans les rayons du Soleil, & rejaillissent à
-nous d'auprès des surfaces, & des pores & du vuide. Cherchons à présent
-en quoi consiste le pouvoir apparent des corps de nous réflechir
-ces couleurs, ce qui fait que l'écarlate parait rouge, que les Prés
-sont verds, qu'un Ciel pur est bleu; car dire que cela vient de la
-différence de leurs parties, c'est dire une chose vague qui n'apprend
-rien du tout.
-
- [Grandes vérités tirées d'une expérience commune.]
-
-Un divertissement d'enfant, qui semble n'avoir rien en soi que de
-méprisable, donna à Mr. Neuton la premiere idée de ces nouvelles
-vérités que nous allons expliquer. Tout doit être pour un Philosophe
-un sujet de méditation, & rien n'est petit à ses yeux. Il s'apperçut
-que dans ces bouteilles de Savon que font les Enfants, les couleurs
-changent de moment en moment, en comptant du haut de la boule à
-mesure que l'épaisseur de cette boule diminue, jusqu'à ce qu'enfin
-la pesanteur de l'eau & du savon qui tombe toujours au fond, rompe
-l'équilibre de cette sphére legére, & la fasse évanouïr. Il en présuma
-que les couleurs pourroient bien dépendre de l'épaisseur des parties
-qui composent les surfaces des corps, & pour s'en assûrer il fit les
-expériences suivantes.
-
- [Expérience de Neuton.]
-
-Que deux crystaux se touchent en un point: il n'importe qu'ils soient
-tous deux convexes; il suffit que le premier le soit, & qu'il soit posé
-sur l'autre en cette façon.
-
-[Illustration]
-
- [Les couleurs dépendent de l'épaisseur des parties des corps, sans que
- ces parties réfléchissent elles-mêmes la lumiere.]
-
-Qu'on mette de l'eau entre ces deux verres pour rendre plus sensible
-l'expérience qui se fait aussi dans l'air: qu'on presse un peu ces
-verres l'un contre l'autre, une petite tache noire transparente parait
-au point du contact des deux verres: de ce point entouré d'un peu d'eau
-se forment des anneaux colorés dans le même ordre & de la même maniere
-que dans la bouteille de savon: enfin en mesurant le diamétre de ces
-anneaux & la convéxité du verre, Neuton détermina les différentes
-épaisseurs des parties d'eau qui donnoient ces différentes couleurs;
-il calcula l'épaisseur nécessaire à l'eau pour réflechir les rayons
-blancs: Cette épaisseur est d'environ quatre parties d'un pouce divisé
-en un million, c'est-à-dire, quatre millionêmes d'un pouce; le bleu
-azur & les couleurs tirant sur le violet dépendent d'une épaisseur
-beaucoup moindre. Ainsi les vapeurs les plus petites qui s'élevent de
-la Terre, & qui colorent l'air sans nuages, étant d'une très-mince
-surface, produisent ce bleu céleste qui charme la vûe.
-
-D'autres expériences aussi fines ont encore appuyé cette découverte,
-que c'est à l'épaisseur des surfaces que sont attachées les couleurs.
-
-Le même corps qui étoit verd, quand il étoit un peu épais, est devenu
-bleu, quand il a été rendu assez mince pour ne réflechir que les rayons
-bleus, & pour laisser passer les autres. Ces vérités d'une recherche
-si délicate, & qui sembloient se dérober à la vûe humaine, méritent
-bien d'être suivies de près; cette partie de la Philosophie est un
-Microscope avec lequel notre esprit découvre des grandeurs infiniment
-petites.
-
- [Tous les corps sont transparens.]
-
-Tous les corps sont transparens, il n'y a qu'à les rendre assez
-minces, pour que les rayons ne trouvant qu'une lame, qu'une feuille à
-traverser, passent à travers cette lame. Ainsi quand l'Or en feuilles
-est exposé à un trou dans une chambre obscure, il renvoye par sa
-surface des rayons jaunes qui ne peuvent se transmettre à travers sa
-substance, & il transmet dans la chambre obscure des rayons verds, de
-sorte que l'Or produit alors une couleur verte; nouvelle confirmation
-que les couleurs dépendent des différentes épaisseurs.
-
- [Preuve que les couleurs dépendent des épaisseurs.]
-
-Une preuve encore plus forte, c'est que dans l'expérience de ce verre
-convexe-plan, touchant en un point ce verre convexe, l'eau n'est pas le
-seul élément qui dans des épaisseurs diverses donne diverses couleurs:
-l'air fait le même effet, seulement les anneaux colorés qu'il produit
-entre les deux verres, ont plus de diamétre que ceux de l'eau.
-
-Il y a donc une proportion secrete établie par la Nature entre la force
-des parties constituantes de tous les corps & les rayons primitifs
-qui colorent les corps; les lames les plus minces donneront les
-couleurs les plus faibles, & pour donner le noir il faudra justement
-la même épaisseur, ou plutôt la même ténuité, la même mincité, qu'en
-a la petite partie supérieure de la boule de savon, dans laquelle on
-appercevoit un petit point noir, ou bien la même ténuité qu'en a le
-point de contact du verre convexe & du verre plat, lequel contact
-produit aussi une tache noire.
-
- [Sans que les parties solides renvoyent en effet la lumiere.]
-
-Mais encore une fois qu'on ne croye pas que les corps renvoyent la
-lumiere par leurs parties solides, sur ce que les couleurs dépendent de
-l'épaisseur des parties: il y a un pouvoir attaché à cette épaisseur,
-un pouvoir qui agit auprès de la surface; mais ce n'est point du tout
-la surface solide qui repousse, qui réflechit. Cette vérité sera encore
-plus visiblement démontrée dans le chapitre suivant qu'elle n'a été
-prouvée jusqu'ici. Il me semble que le Lecteur doit être venu au point
-où rien ne doit plus le surprendre; mais ce qu'il vient de voir mene
-encore plus loin qu'on ne pense, & tant de singularités ne sont, pour
-ainsi dire, que les frontiéres d'un Nouveau Monde.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE TREIZE.
-
-_Suites de ces découvertes; Action mutuelle des Corps sur la lumiere._
-
-
-LA réflexion de la lumiere, son infléxion, sa réfraction, sa
-réfrangibilité, étant connues, l'origine des couleurs étant découverte,
-& l'épaisseur même des corps nécessaire pour occasionner certaines
-couleurs étant déterminée: il nous reste encore à examiner deux
-propriétés de la lumiere non moins étonnantes & non moins nouvelles.
-La premiere de ces propriétés est ce pouvoir même qui agit près des
-surfaces, c'est une action mutuelle de la lumiere sur les corps, & des
-corps sur la lumiere.
-
-La seconde est un rapport qui se trouve entre les couleurs & les tons
-de la Musique, entre les Objets de la vûe & ceux de l'ouïe; nous allons
-rendre compte de ces deux espèces de miracles, & c'est par-là que nous
-finirons cette petite introduction à l'Optique de Neuton.
-
- [Expérience très-singuliére.]
-
-Vous avez vu que ces deux crystaux se touchant en un point, produisent
-des anneaux de couleurs différentes, rouges, bleus, verds, blancs, &c.
-Faites cette même épreuve dans une chambre obscure, où vous avez fait
-l'expérience du prisme exposé à la lumiere qui lui vient par un trou.
-Vous vous souvenez que dans cette expérience du prisme vous avez vu la
-décomposition de la lumiere & l'anatomie de ses rayons: vous placiez
-une feuille de papier blanc vis-à-vis ce prisme: ce papier recevoit les
-sept couleurs primitives, chacune dans leur ordre: maintenant exposez
-vos deux verres à tel rayon coloré qu'il vous plaira, réflechi de ce
-papier, vous y verrez toujours entre ces verres se former des anneaux
-colorés; mais tous ces anneaux alors sont de la couleur des rayons qui
-vous viennent du papier. Exposez vos verres à la lumiere des rayons
-rouges, vous n'aurez entre vos verres que des anneaux rouges;
-
-[Illustration]
-
-Mais ce qui doit surprendre, c'est qu'entre chacun de ces anneaux
-rouges il y a un anneau tout noir. Pour constater encore plus ce fait
-& les singularités qui y sont attachées, présentez vos deux verres,
-non plus au papier, mais au prisme, de façon que l'un des rayons qui
-s'échappent de ce prisme, un rouge, par exemple, vienne à tomber sur
-ces verres, il ne se forme encore que des anneaux rouges entre les
-anneaux noirs; mettez derriére vos verres la feuille de papier blanc,
-chaque anneau noir produit sur cette feuille de papier un anneau rouge,
-& chaque anneau rouge, étant réflechi vers vous, produit du noir sur le
-papier.
-
-[Illustration]
-
-Il résulte de cette expérience que l'air ou l'eau qui est entre vos
-verres, réflechit en un endroit la lumiere & en un autre endroit la
-laisse passer, la transmet. J'avoue que je ne peux assez admirer ici
-cette profondeur de recherche, cette sagacité plus qu'humaine, avec
-laquelle Neuton à poursuivi ces vérités si imperceptibles; il a
-reconnu par les mesures & par le calcul ces étranges proportions-ci.
-
-Au point de contact des deux verres, il ne se réflechit à vos yeux
-aucune lumiere: immédiatement après ce contact, la premiere petite lame
-d'air ou d'eau, qui touche à ce point noir, vous réflechit des rayons:
-la seconde lame est deux fois épaisse comme la premiere, & ne réflechit
-rien: la troisième lame est triple en épaisseur de la premiere, &
-réflechit: la quatrième lame est quatre fois plus épaisse, & ne
-réflechit point: la cinquième est cinq fois plus épaisse, & transmet; &
-la sixième six fois plus épaisse, ne transmet rien.
-
-De sorte que les anneaux noirs vont en cette progression 0, 2, 4, 6, 8.
-& les anneaux lumineux & colorés en cette progression, 1, 3, 5, 7, 9.
-
- [Conséquences de ces expériences.]
-
-Ce qui se passe dans cette expérience arrive de même dans tous les
-corps, qui tous réflechissent une partie de la lumiere & en reçoivent
-dans leurs substances une autre partie. C'est donc encore une
-proprieté démontrée à l'esprit & aux yeux, que les surfaces solides
-ne sont point ce qui réflechit les rayons. Car si les surfaces
-solides réflechissoient en effet; 1º. le point où les deux verres
-se touchent réflechiroit & ne seroit point obscur. 2º. Chaque
-partie solide qui vous donneroit une seule espèce de rayons devroit
-aussi vous renvoyer toutes les espèces de rayons. 3º. Les parties
-solides ne transmettroient point la lumiere en un endroit & ne la
-réflechiroient pas en un autre endroit, car étant toutes solides toutes
-réflechiroient. 4º. Si les parties solides réflechissoient la lumiere,
-il seroit impossible de se voir dans un miroir, comme nous l'avons dit,
-puisque le miroir étant sillonné & raboteux, il ne pourroit renvoyer la
-lumiere d'une maniere réguliére. Il est donc indubitable qu'il y a un
-pouvoir agissant sur les corps sans toucher aux corps, & que ce pouvoir
-agit entre les corps & la lumiere. Enfin loin que la lumiere rebondisse
-sur les corps mêmes & revienne à nous, il faut croire que la plus
-grande partie des rayons qui va choquer des parties solides y reste,
-s'y perd, s'y éteint.
-
-Ce pouvoir qui agit aux surfaces, agit d'une surface à l'autre: c'est
-principalement de la derniere surface ultérieure du corps transparent
-que les rayons rejaillissent; nous l'avons déja prouvé. C'est, par
-exemple, de ce point B. plus que de ce point A. que la lumiere est
-réflechie.
-
-[Illustration]
-
- [Action mutuelle des corps sur la lumiere.]
-
-Il faut donc admettre un pouvoir lequel agit sur les rayons de lumiere
-de-dessus l'une de ces surfaces à l'autre, un pouvoir qui transmet
-& qui réflechit alternativement les rayons. Ce jeu de la lumiere &
-des corps n'étoit pas seulement soupçonné avant Neuton, il a compté
-plusieurs milliers de ces vibrations alternatives, de ces jets transmis
-& réflechis. Cette action des corps sur la lumiere, & de la lumiere
-sur les corps, laisse encore bien des incertitudes dans la maniere de
-l'expliquer.
-
- [Conjectures de Neuton.]
-
- [Mais il faut se défier de toute conjecture.]
-
-Celui qui a découvert ce mystère n'a pu, dans le cours de sa longue
-vie, faire assez d'expériences pour assigner la cause certaine de ces
-effets. Mais quand par ses découvertes il ne nous auroit appris que
-des nouvelles proprietés de la matiere, ne seroit-ce pas déja un assez
-grand service rendu à la Philosophie? Il a conjecturé que la lumiere
-émane du Soleil & des Corps lumineux par accès, par vibrations; que de
-ces vibrations du Corps lumineux, la premiere opére une réflexion, la
-seconde une transmission, & ainsi de suite à l'infini. Il avoit aussi
-préparé des expériences, qui conduisoient à faire voir en quoi ce jeu
-de la Nature tient au grand principe de l'attraction; mais il n'a pas
-eu le tems d'achever ses expériences. Il avoit conjecturé encore qu'il
-y a dans la Nature une matiere très-élastique & très-rare, qui devient
-d'autant moins rare qu'elle est plus éloignée des corps opaques: que
-les traits de lumiere excitent des vibrations dans cette matiere
-élastique: & il faut avouer, que cette hypothèse rendroit raison de
-presque tous les mystères de la lumiere, & sur-tout de l'attraction
-& de la gravitation des corps; mais une hypothèse, quand même elle
-rendroit raison presque de tout, ne doit point être admise. Il ne
-suffit pas qu'un Systême soit possible pour mériter d'être cru, il
-faut qu'il soit prouvé: si les Tourbillons de Descartes pouvoient se
-soutenir contre toutes les difficultés dont on les accable, il faudroit
-encore les rejetter, parce qu'ils ne seroient que possibles; ainsi nous
-ne ferons aucun fondement réel sur les conjectures de Neuton même.
-
-Si j'en parle, c'est plutôt pour faire connaitre l'histoire de ses
-pensées, que pour tirer la moindre induction de ses idées que je
-regarde comme les rêves d'un grand Homme; il ne s'y arrête en aucune
-maniere, il s'est contenté des faits, sans rien oser déterminer sur les
-causes. Passons à l'autre découverte, sur le rapport qui existe entre
-les raïons de la lumiere & les tons de la Musique.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE QUATORZE.
-
-_Du rapport des sept couleurs primitives avec les sept tons de la
-Musique._
-
-
-VOus savez que très-long-tems avant Descartes on s'étoit apperçu,
-qu'un prisme exposé au Soleil donne les couleurs de l'Arc-en-Ciel:
-on avoit vu souvent ces couleurs se peindre sur un linge, ou sur un
-papier blanc, dans un ordre qui est toujours le même: bien-tôt on alla,
-d'expérience en expérience, jusqu'à mesurer l'espace qu'occupe chacune
-de ces couleurs; enfin on s'est apperçu que ces espaces sont entre eux
-les mêmes que ceux des longueurs d'une corde, qui donne les sept tons
-de la Musique.
-
- [Chose très-remarquable dans Kirker.]
-
-J'avois toujours entendu dire, que c'étoit dans Kirker, que Neuton
-avoit puisé cette découverte de l'analogie de la lumiere & du son.
-Kirker en effet dans son _Ars Magna Lucis & Umbræ_, & dans d'autres
-Livres encore, appelle le _Son_ le Singe de la lumiere. Quelques
-personnes en inféroient que Kirker avoit connu ces rapports; mais il
-est bon, de peur de méprise, de mettre ici sous les yeux ce que dit
-Kirker, page 146. & suivantes. «Ceux, dit-il, qui ont une voix haute &
-forte tiennent de la nature de l'Ane: ils sont indiscrets & pétulans,
-comme on sait que sont les Anes; & cette voix ressemble à la couleur
-noire. Ceux dont la voix est grave d'abord, & ensuite aigue, tiennent
-du Bœuf; ils sont, comme lui, tristes & coléres, & leur voix répond au
-bleu céleste».
-
-Il a grand soin de fortifier ces belles découvertes du témoignage
-d'Aristote. C'est-là tout ce que nous apprend le Pere Kirker,
-d'ailleurs l'un des plus grands Mathématiciens & des plus savans hommes
-de son tems; & c'est ainsi, à-peu-près, que tous ceux qui n'étoient que
-Savans, raisonnoient alors. Voyons comment Neuton a raisonné.
-
- [Maniere de connaitre les proportions des couleurs primitives de la
- lumiere.]
-
-Il y a, comme vous savez, dans un seul rayon de lumiere sept principaux
-rayons, qui ont chacun leur réfrangibilité: chacun de ces rayons a
-son sinus, chacun de ces sinus a sa proportion avec le sinus commun
-d'incidence; observez ce qui se passe dans ces sept traits primordiaux,
-qui s'échappent en s'écartant dans l'air.
-
-Il ne s'agit pas ici de considérer que dans ce verre même tous ces
-traits sont écartés, & que chacun de ces traits y prend un sinus
-différent: il faut regarder cet assemblage de rayons dans le verre
-comme un seul rayon, qui n'a que ce sinus commun A, B.: mais à
-l'émergence de ce crystal chacun de ces traits s'écartant sensiblement
-prend chacun son sinus différent; celui du rouge, (rayon le moins
-réfrangible,) est cette ligne C, B. celui du violet, (rayon le plus
-réfrangible,) est cette ligne C, B, D.
-
-[Illustration]
-
-Ces proportions posées, voions quel est ce rapport, aussi exact que
-singulier, entre les couleurs & la Musique. Que le sinus d'incidence
-du faisceau blanc de rayons, soit au sinus d'émergence du rayon rouge,
-comme cette ligne A, B, est à la ligne A, B, C.
-
-Sinus donné dans le verre
-
- A B
- ----------
-
-Sinus donné dans l'air
-
- A B C.
- -------------- ------
-
-Que ce même sinus A, B, d'incidence commune soit au sinus de réfraction
-du rayon violet, comme la ligne A, B, est à la ligne A, B, C, D.
-
- A B
- --------------
-
- A B C D.
- -------------- ------ ----
-
-Vous voyez que le point C est le terme de la plus petite
-réfrangibilité, & D le terme de la plus grande; la petite ligne C,
-D, contient donc tous les degrés de réfrangibilité des sept rayons.
-Doublez maintenant C, D, ci-dessus, en sorte que I, en devienne le
-milieu, comme ci-dessous.
-
- A I C H G F E B D.
- ------------------ -- -- -- -- -- -- --
-
-Alors la longueur depuis A en C fait le rouge: la longueur de A en H,
-fait l'orangé: de A en G, le jaune: de A en F, le verd: de A en E, le
-bleu: de A en B, le pourpre; de A en D, le violet. Or ces espaces sont
-tels que chaque rayon peut bien être réfracté, un peu plus ou moins,
-dans chacun de ces espaces, mais jamais il ne sortira de cet espace qui
-lui est prescrit: le rayon violet se jouera toujours entre B & D: le
-rayon rouge entre C & I, ainsi du reste, le tout en telle proportion
-que si vous divisez cette longueur depuis I jusqu'à D, en trois cens
-soixante parties, chaque rayon aura pour soi les dimensions que vous
-voyez dans la grande figure ci-jointe.
-
- [Analogie des tons de la Musique & des couleurs.]
-
-Ces proportions sont précisément les mêmes que celles des tons de la
-Musique: la longueur de la corde qui étant pincée fera _Re_, est à la
-corde, qui donnera l'octave de _Re_, comme la ligne A, I, qui donne le
-rouge en I, est à la ligne A, D, qui donne le violet en D; ainsi les
-espaces qui marquent les couleurs, dans cette figure, marquent aussi
-les tons de la Musique.
-
-
- _Table des couleurs & des tons de la Musique._
-
- C H G F E B D
- A | | | | | | |
- ---+---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- | Rouge | Orange |Jaune |Verd |Bleu |Pourpre|Violet|
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- |se jouë | | | | | | |
- |de ce | de C | de H |de G |de F | de E | de B |
- |demi- | en H | en G |en F |en E | en B | en D |
- |cercle | | | | | | |
- |en C | | | | | | |
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- | 45 | 27 | 48 | 60 | 60 | 40 | 80 | = 360.
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- | | | | | | | |
- 1/2 9/16 3/5 2/3 3/4 5/6 8/9 1
- | | | | | | | |
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- | | | | | | | |
- re ut si la sol fa mi re
- | | | | | | | |
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- |la plus |celle |celle |celle|celle|celle |celle |
- |grande |de |du |du |du |du |du |
- |refrangi-|l'orange|jaune |verd |bleu |pourpre|violet|
- |bilité |à |à |à |à |à |à |
- |du rouge | | | | | | |
- |répond | | | | | | |
- |à | | | | | | |
- | | | | | | | |
- | ut si la sol fa mi re
- | | | | | | | |
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
- | | | | | | | |
- +---------+--------+------+-----+-----+-------+------+
-
-La plus grande réfrangibilité du violet répond à _Re_: la plus grande
-réfrangibilité du pourpre répond à _Mi_: celle du bleu répond à _Fa_:
-celle du verd à _Sol_: celle du jaune à _La_: celle de l'orangé à _Si_:
-celle du rouge à l'_Ut_; & enfin la plus petite réfrangibilité du rouge
-se rapporte à _Re_, qui est l'octave supérieure. Le ton le plus grave
-répond ainsi au violet, & le ton le plus aigu répond au rouge. On peut
-se former une idée complette de toutes ces proprietés, en jettant les
-yeux sur la Table que j'ai dressée, & que vous devez trouver à côté.
-
-Il y a encore un autre rapport entre les sons & les couleurs, c'est que
-les rayons les plus distants (les violets & les rouges) viennent à nos
-yeux en même-tems, & que les sons les plus distants (les plus graves
-& les plus aigus) viennent aussi à nos oreilles en même-tems. Cela ne
-veut pas dire, que nous voyons & que nous entendons en même-tems à la
-même distance; car la lumiere se fait sentir six cens mille fois plus
-vîte, au moins, que le son; mais cela veut dire, que les rayons bleus,
-par exemple, ne viennent pas du Soleil à nos yeux, plutôt que les
-rayons rouges, de même que le son de la note _Si_, ne vient pas à nos
-oreilles, plutôt que le son de la note _Re_.
-
-Cette analogie secrete entre la lumiere & le son, donne lieu de
-soupçonner, que toutes les choses de la Nature ont des rapports cachés,
-que peut-être on découvrira quelque jour. Il est déja certain qu'il
-y a un rapport entre le _Toucher_ & la _Vûe_, puisque les couleurs
-dépendent de la configuration des parties; on prétend même qu'il y a eu
-des Aveugles nés, qui distinguoient au toucher la différence du noir,
-du blanc, & de quelques autres couleurs.
-
- [Idée d'un Clavessin oculaire.]
-
-Un Philosophe ingénieux a voulu pousser ce rapport des Sens & de
-la lumiere peut-être plus loin qu'il ne semble permis aux hommes
-d'aller. Il a imaginé un Clavessin oculaire, qui doit faire paraitre
-successivement des couleurs harmoniques, comme nos Clavessins nous font
-entendre des sons: il y a travaillé de ses mains, il prétend enfin
-qu'on joueroit des airs aux yeux. On ne peut que remercier un homme qui
-cherche à donner aux autres de nouveaux Arts & de nouveaux plaisirs. Il
-y a eu des Pays, où le Public l'auroit récompensé. Il est à souhaiter
-sans doute, que cette invention ne soit pas, comme tant d'autres, un
-effort ingénieux & inutile: ce passage rapide de plusieurs couleurs
-devant les yeux semble peut-être devoir étonner, éblouïr, & fatiguer
-la vûe; nos yeux veulent peut-être du repos, pour jouïr de l'agrément
-des couleurs. Ce n'est pas assez de nous proposer un plaisir, il faut
-que la Nature nous ait rendus capables de recevoir ce plaisir: c'est
-à l'expérience seule à justifier cette invention. En attendant il me
-parait que tout esprit équitable ne peut que louer l'effort & le génie
-de celui qui cherche à agrandir la carriére des Arts & de la Nature.
-
- [Toute cette Théorie de la lumiere a rapport avec la Théorie de
- l'Univers.]
-
-Nous ne pousserons pas plus loin cette Introduction sur la lumiere,
-peut-être en avons nous trop dit dans de simples Elémens; mais la
-plûpart de ces vérités sont nouvelles pour bien des Lecteurs. Avant
-que de passer à l'autre partie de la Philosophie, souvenons-nous, que
-la Théorie de la lumiere a quelque chose de commun avec la Théorie de
-l'Univers dans laquelle nous allons entrer. Cette Théorie est, qu'il y
-a une espèce d'attraction marquée entre les corps & la lumiere, comme
-nous en allons observer une entre tous les Globes de notre Univers:
-ces attractions se manifestent par différens effets; mais enfin c'est
-toujours une tendance des corps, sans qu'il paraisse aucune impulsion.
-
- [La matiere a plus de proprietés qu'on ne pense.]
-
-Parmi tant de proprietés de la matiere telle que ces accès de
-transmission & de réflexion des traits de lumiere, cette répulsion que
-la lumiere éprouve dans le vuide, dans les pores des corps, & sur les
-surfaces des corps; parmi ces proprietés, dis-je, il faut sur-tout
-faire attention à ce pouvoir par lequel les rayons sont réflechis &
-rompus, à cette force par laquelle les corps agissent sur la lumiere &
-la lumiere sur eux, sans même les toucher. Ces découvertes doivent au
-moins servir à nous rendre extrêmement circonspects dans nos décisions
-sur la nature & l'essence des choses. Songeons que nous ne connaissons
-rien du tout que par l'expérience. Sans le toucher nous n'aurions
-point d'idée de l'étendue des corps: sans les yeux, nous n'aurions pu
-deviner la lumiere: si nous n'avions jamais éprouvé de mouvement,
-nous n'aurions jamais cru la matiere mobile; un très-petit nombre
-de sens que Dieu nous a donnés, sert à nous découvrir un très-petit
-nombre de proprietés de la matiere. Le raisonnement supplée aux sens
-qui nous manquent, & nous apprend encore que la matiere a d'autres
-attributs, comme l'attraction, la gravitation; elle en a probablement
-beaucoup d'autres qui tiennent à sa nature, & dont peut-être un jour la
-Philosophie donnera quelques idées aux hommes.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE QUINZE.
-
-_Premieres idées touchant la pesanteur & les loix de la gravitation:
-Que la matiere subtile, les tourbillons & le plein doivent être
-rejettés._
-
-
-UN Lecteur sage qui aura vu avec attention ces merveilles de la
-lumiere, convaincu par l'expérience qu'aucune impulsion connue ne les
-opére, sera sans doute impatient d'observer cette puissance nouvelle
-dont nous avons parlé sous le nom d'attraction, qui doit agir sur
-tous les autres corps plus sensiblement que sur celui de la lumiere.
-Que les noms encore une fois ne nous effarouchent point; examinons
-simplement les faits.
-
- [Attraction.]
-
-Je me servirai toujours indifféremment des termes d'_attraction_ & de
-_gravitation_ en parlant des corps, soit qu'il tendent sensiblement
-les uns vers les autres, soit qu'ils tournent dans des orbes immenses,
-autour d'un contre commun, soit qu'ils tombent sur la Terre, soit
-qu'ils s'unissent pour composer des corps solides, soit qu'ils
-s'arondissent en goutes pour former des liquides. Entrons en matiere.
-
-Tous les corps connus pesent, & il y a long-tems que la legéreté
-spécifique a été comptée parmi les erreurs reconnues d'Aristote & de
-ses Sectateurs.
-
-Depuis que la fameuse Machine pneumatique fut inventée, on a été plus à
-portée de connoître la pesanteur des corps, car lorsqu'ils tombent dans
-l'air, les parties de l'air retardent sensiblement la chûte de ceux
-qui ont beaucoup de surface & peu de volume; mais dans cette Machine
-privée d'air, les corps abandonnés à la force, telle qu'elle soit, qui
-les précipite sans obstacle, tombent selon tout leur poids.
-
- [Expérience qui démontre le vuide & les effets de la gravitation.]
-
-La Machine pneumatique inventée par Ottoguerike, fut bien-tôt
-perfectionnée par Boyle; on fit ensuite des récipiens de verre beaucoup
-plus longs, qui furent entiérement purgés d'air. Dans un de ces longs
-récipiens composé de quatre tubes, le tout ensemble aïant huit pieds
-de hauteur, on suspendit en haut, par un ressort, des pièces d'or,
-des morceaux de papier, des plumes; il s'agissoit de savoir ce qui
-arriveroit, quand on détendroit le ressort. Les bons Philosophes
-prévoioient, que tout cela tomberoit en même-tems: le plus grand nombre
-assûroit que les corps les plus massifs tomberoient bien plus vîte que
-les autres; ce grand nombre, qui se trompe presque toujours, fut bien
-étonné, quand il vit dans toutes les expériences, l'or, le plomb, le
-papier & la plume tomber également vîte, & arriver au fond du récipient
-en même-tems.
-
-Ceux qui tenoient encore pour le _Plein_ de Descartes, & pour les
-prétendus effets de la matiere subtile, ne pouvoient rendre aucune
-bonne raison de ce fait; car les faits étoient leurs écuëils. Si tout
-étoit plein, quand on leur accorderoit qu'il pût y avoir alors du
-mouvement, (ce qui est absolument impossible) au moins cette prétendue
-matiere subtile rempliroit éxactement tout le récipient: elle y seroit
-en aussi grande quantité que de l'eau, ou du mercure, qu'on y auroit
-mis: elle s'opposeroit au moins à cette descente si rapide des corps:
-elle résisteroit à ce large morceau de papier, selon la surface de ce
-papier, & laisseroit tomber la balle d'or ou de plomb beaucoup plus
-vîte, mais cette chûte se fait au même instant; donc il n'y a rien dans
-le récipient qui résiste; donc cette prétendue matiere subtile ne peut
-faire aucun effet sensible dans ce récipient; donc il y a une autre
-force qui fait la pesanteur.
-
-En vain diroit-on qu'il est possible qu'il reste une matiere subtile
-dans ce récipient, puisque la lumiere le pénétre; il y a bien de la
-différence. La lumiere qui est dans ce Vase de verre, n'en occupe
-certainement pas la cent-millième partie; mais selon les Cartésiens,
-il faut que leur matiere imaginaire remplisse bien plus éxactement le
-récipient, que si je le supposois rempli d'or, car il y a beaucoup de
-vuide dans l'or, & ils n'en admettent point dans leur matiere subtile.
-
- [La pesanteur agit en raison des masses.]
-
-Or par cette expérience la pièce d'or, qui pese cent-mille fois plus
-que le morceau de papier, est descendue aussi vîte que le papier; donc
-la force, qui l'a fait descendre, a agi cent mille fois plus sur lui
-que sur le papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à mon
-bras pour remuer cent livres, que pour remuer une livre; donc cette
-puissance qui opére la gravitation, agit en raison directe de la masse
-des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps,
-non selon les surfaces, qu'une livre d'or réduite en poudre pesera
-précisément comme cette même livre en feuille. La figure des corps ne
-change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc
-sur la nature interne des corps, & non en raison des superficies.
-
- [D'où vient ce pouvoir de pesanteur.]
-
-Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matiere subtile, dont nous
-parlerons au Chapitre 16., cette matiere seroit un fluide. Tout fluide
-agit sur les solides en raison de leurs superficies; ainsi le Vaisseau
-présentant moins de surface par sa proue, fend la Mer qui résisteroit
-à ses flancs. Or quand la superficie d'un corps est le quarré de son
-diametre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diametre: le
-même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube & du quarré;
-donc la pesanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De
-plus, il est impossible que cette prétendue matiere subtile ait d'un
-côté assez de force, pour précipiter un corps de 54000 pieds de haut
-en une minute, (car telle est la chûte des corps) & que de l'autre
-elle soit assez impuissante, pour ne pouvoir empêcher le pendule du
-bois le plus leger de remonter de vibration en vibration dans la
-Machine pneumatique, dont cette matiere imaginaire est supposée remplir
-exactement tout l'espace.
-
-Je ne craindrai donc point d'affirmer que, si l'on découvroit jamais
-une impulsion, qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un
-centre, en un mot la cause de la gravitation, de l'attraction, cette
-impulsion seroit d'une toute autre nature qu'est celle que nous
-connoissons.
-
-Voilà donc une premiere vérité déja indiquée ailleurs, & prouvée ici:
-il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de
-leur masse.
-
- [Pourquoi un corps pese plus qu'un autre.]
-
-Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu'un
-autre, on en trouvera aisément l'unique raison: on jugera que ce corps
-doit avoir plus de masse, plus de matiere sous une même étendue; ainsi
-l'or pese plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de
-matiere & moins de vuide que dans le bois.
-
- [Le Systême de Descartes ne peut en rendre raison.]
-
-Descartes & ses Sectateurs soutiennent qu'un corps est plus pesant
-qu'un autre sans avoir plus de matiere: non contents de cette idée,
-ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie: ils admettent un
-grand tourbillon de matiere subtile autour de notre Globe; & c'est ce
-grand tourbillon, disent-ils, qui en circulant chasse tous les corps
-vers le centre de la Terre, & leur fait éprouver ce que nous appellons
-pesanteur.
-
-Il est vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette assertion: il
-n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les
-choses que nous connoissons un peu, qui puisse fonder une présomption
-legére en faveur de ce tourbillon de matiere subtile; ainsi de cela
-seul que ce Systême est une pure hipothèse, il doit être rejetté.
-C'est cependant par cela seul qu'il a été accrédité. On concevoit ce
-tourbillon sans effort, on donnoit une explication vague des choses en
-prononçant ce mot de matiere subtile; & quand les Philosophes sentoient
-les contradictions & les absurdités attachées à ce Roman Philosophique,
-ils songeoient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner.
-
-Hugens & tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouoient
-eux-mêmes l'insuffisance; mais que mettrons-nous à la place des
-tourbillons & de la matiere subtile? Ce raisonnement trop ordinaire
-est celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur & dans le
-mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux & insoutenable,
-aussi-bien quand on n'a rien à lui substituer, que quand on auroit
-les démonstrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'est ni
-plus ni moins erreur, soit qu'on la remplace ou non par des vérités;
-devrois-je admettre l'horreur du vuide dans une pompe, parce que je ne
-saurois pas encore par quel méchanisme l'eau monte dans cette pompe?
-
-Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les
-tourbillons de matiere subtile n'existent pas: que le _Plein_ n'est pas
-moins chimérique; qu'ainsi tout ce Systême, fondé sur ces imaginations,
-n'est qu'un Roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c'est
-que ces tourbillons imaginaires, & examinons ensuite si le _Plein_ est
-possible.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE SEIZE.
-
-_Que les tourbillons de Descartes & le Plein sont impossibles, & que
-par conséquent il y a une autre cause de la pesanteur._
-
-
-DESCARTES suppose un amas immense de particules insensibles, qui
-emporte la Terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, & qui d'un
-Pole à l'autre se meut parallèlement à l'Equateur; ce tourbillon qui
-s'étend au-delà de la Lune, & qui entraîne la Lune dans son cours,
-est lui-même enchassé dans un autre tourbillon plus vaste encore, qui
-touche à un autre tourbillon sans se confondre avec lui, &c.
-
- [Preuve de l'impossibilité des tourbillons.]
-
-1º. Si cela étoit, le tourbillon qui est supposé se mouvoir autour de
-la Terre d'Occident en Orient, devroit chasser les corps sur la Terre
-d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne,
-qui étant prolongée passeroit, à-peu-près, par le centre de la Terre;
-donc ce tourbillon n'existe pas.
-
-2º. Si les cercles de ce prétendu tourbillon se mouvoient & agissoient
-parallèlement à l'Equateur, tous les corps devroient tomber chacun
-perpendiculairement sous le cercle de cette matiere subtile auquel il
-répond: un corps en A. près du Pole P. devroit, selon Descartes, tomber
-en R.
-
-[Illustration]
-
-Mais il tombe à-peu-près selon la ligne A, B. ce qui fait une
-différence d'environ 1400 lieues; car on peut compter 1400 lieues
-communes de France du point R à l'Equateur de la Terre B.; donc ce
-tourbillon n'éxiste pas.
-
-3º. Si ce tourbillon de matiere autour de la Terre, & ces autres
-prétendus tourbillons autour de Jupiter & de Saturne, &c. éxistoient,
-tous ces tourbillons immenses de matiere subtile, roulant si rapidement
-dans des directions différentes, ne pourroient jamais laisser venir
-à nous, en ligne droite, un rayon de lumiere dardé d'une Etoile. Il
-est prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de tems par rapport au
-chemin immense qu'ils font; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
-
-4º. Si ces tourbillons emportoient les Planetes d'Occident en Orient,
-les Cometes, qui traversent en tout sens ces espaces d'Orient en
-Occident & du Nord au Sud, ne les pourroient jamais traverser. Et quand
-on supposeroit que les Cometes n'ont point été en effet du Nord au Sud,
-ni d'Orient en Occident, on ne gagneroit rien par cette évasion, car on
-sait que quand une Comete se trouve dans la région de Mars, de Jupiter,
-de Saturne, elle va incomparablement plus vîte que Mars, que Jupiter,
-que Saturne; donc elle ne peut-être emportée, par la même couche du
-fluide qui est supposé emporter ces Planetes; donc ces tourbillons
-n'éxistent pas.
-
-5º. Ces prétendus tourbillons seroient ou aussi denses, aussi massifs
-que les Planetes, ou bien ils seroient plus denses, ou enfin moins
-denses. Dans le premier cas, la matiere prétendue, qui entoure la Lune
-& la Terre, étant supposée dense comme un égal volume de Terre, nous
-éprouverions pour lever un pied cubique de Marbre, par exemple, la
-même résistance que si nous avions à lever une colomne de Marbre d'un
-pied de base, qui auroit pour sa longueur la distance de la Terre à
-la Lune. Dans le deuxième cas, la matiere fluide étant plus grave que
-la Terre, notre Globe nageroit sur ce fluide, comme un Vaisseau nage
-sur l'Eau, & ne pourroit être plongé, comme on le prétend, dans cette
-matiere subtile. Dans le troisième cas, le fluide étant moins dense,
-moins pesant que la Terre, ce fluide ne pourroit jamais la soutenir,
-par la raison que l'Eau ne peut soutenir le fer, ni rien de ce qui pese
-plus qu'elle; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
-
-6º. Si ces fluides imaginaires éxistoient, tout l'ordre des Astres
-seroit interverti: le Soleil qui tourne sur lui-même, perdroit bien-tôt
-de son mouvement à force de rencontrer ce fluide; & aucune des Planetes
-ne suivroit la route qu'elle tient, n'auroit le mouvement qu'elle a,
-n'auroit bien-tôt aucun mouvement.
-
-7º. Les Planetes emportées dans ces tourbillons supposés ne pourroient
-se mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons, à égales
-distances du centre, seroient également denses; mais les Planetes se
-meuvent dans des Ellipses; donc elles ne peuvent être portées par des
-tourbillons; donc, &c.
-
-8º. La Terre a son Orbite qu'elle parcourt entre celui de Venus &
-celui de Mars: tous ces Orbites sont elliptiques, & ont le Soleil
-pour centre: or quand Mars, & Venus & la Terre sont plus près l'un
-de l'autre, alors la matiere du torrent prétendu, qui emporte la
-Terre, seroit beaucoup plus resserrée: cette matiere subtile devroit
-précipiter son cours, comme un Fleuve rétreci dans ses bords, ou
-coulant sous les arches d'un Pont: alors ce fluide devroit emporter la
-Terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre position; mais
-au contraire c'est dans ce tems-là même que le mouvement de la Terre
-est plus ralenti.
-
-[Illustration]
-
-Quand Mars paroît dans le Signe des Poissons, Mars, la Terre & Venus
-sont à-peu-près dans cette proximité que vous voyez: alors le Soleil
-paroît retarder de quelque minutes, c'est-à-dire que c'est la Terre qui
-retarde; il est donc démontré impossible qu'il y ait là un torrent de
-matiere qui emporte les Planetes; donc ce tourbillon n'éxiste pas.
-
-9º. Parmi des démonstrations plus recherchées, qui anéantissent les
-tourbillons, nous choisirons celle-ci. Par une des grandes loix de
-Kepler, toute Planete décrit des aires égales en tems égaux: par une
-autre loi non moins sûre, chaque Planete fait sa révolution autour
-du Soleil en telle sorte, que si, par exemple, sa moyenne distance
-au Soleil est 10. prenez le cube de ce nombre, ce qui fera 1000.,
-& le tems de la révolution de cette Planete autour du Soleil sera
-proportionné à la racine quarrée de ce nombre 1000. Or s'il y avoit
-des couches de matiere qui portassent des Planetes, ces couches ne
-pourroient suivre ces loix; car il faudroit que les vîtesses de ces
-torrents fussent à la fois proportionelles à leur distances au Soleil,
-& aux racines quarrées de ces distances; ce qui est incompatible.
-
-Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriveroit à deux
-fluides circulant l'un vis-à-vis de l'autre. Ils se confondroient
-nécessairement & formeroient le Chaos au lieu de le débrouiller. Cela
-seul auroit jetté sur le Systême Cartésien un ridicule qui l'eût
-accablé, si le goût de la nouveauté, & le peu d'usage où l'on étoit
-alors d'examiner, n'avoient prévalu.
-
-Il faut prouver à présent que le _Plein_, dans lequel ces tourbillons
-sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons.
-
- [Preuve contre le _Plein_.]
-
-1º. Un seul rayon de lumiere, qui ne pese pas, à beaucoup près, la
-cent-millième partie d'un grain, auroit à déranger tout l'Univers,
-si elle avoit à s'ouvrir un chemin jusqu'à nous à travers un espace
-immense, dont chaque point résisteroit par lui-même, & par toute la
-ligne dont il seroit pressé.
-
-2º. Soient ces deux corps durs A, B: (nous avons déja prouvé qu'il faut
-qu'il y ait des corps durs) ils se touchent par une surface, & sont
-supposés entourés d'un fluide qui les presse de tous côtés: or, quand
-on les sépare, il est clair que la prétendue matiere subtile arrive
-plutôt au point A, où on les sépare, qu'au point B;
-
-[Illustration]
-
-Donc il y a un moment où B sera vuide; donc même dans le Systême de la
-matiere subtile, il y a du vuide, c'est-à-dire de l'espace.
-
-3º. S'il n'y avoit point de vuide & d'espace, il n'y auroit point de
-mouvement, même dans le Systême de Descartes. Il suppose que Dieu créa
-l'Univers plein & consistant en petits cubes: soit donc un nombre donné
-de cubes représentant l'Univers, sans qu'il y ait entre eux le moindre
-intervalle: il est évident qu'il faut qu'un d'eux sorte de la place
-qu'il occupoit, car si chacun reste dans sa place, il n'y a point de
-mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer
-d'un point de l'espace dans un autre point de l'espace; or qui ne voit
-que l'un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vuide
-à l'instant qu'il en sort, car il est clair que ce cube en tournant
-sur lui-même doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que
-l'angle soit brisé? donc alors il y a de l'espace entre ces deux cubes;
-donc dans le Systême de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement
-sans vuide.
-
-4º. Si tout étoit plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions
-nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous
-n'éprouvons que celle des fluides dans lesquelles nous sommes, par
-exemple, celle de l'eau qui nous résiste 860. fois plus que celle de
-l'air, celle du mercure qui résiste environ 14000. fois plus que l'air;
-or les résistances des fluides sont comme les quarrés des vîtesses;
-c'est-à-dire, si un homme parcourt dans une tierce un pied d'espace
-du mercure qui lui résiste 14000. fois plus que l'air, si cet homme
-dans la seconde tierce a le double de cette vîtesse, ce mercure lui
-résistera dans la seconde tierce comme le quarré de 2. multiplié par
-14000., résistance 56000. fois plus forte que celle de l'air qui
-résiste alors à nos mouvemens; donc si tout étoit plein, il seroit
-absolument impossible de faire un pas, de respirer, &c.
-
-5º. On a voulu éluder la force de cette démonstration; mais on ne
-peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que
-ce torrent infini de matiere subtile pénétrant tous les pores des
-corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que
-tout mobile, qui se meut dans un fluide, éprouve d'autant plus de
-résistance, qu'il oppose plus de surface à ce fluide: or plus un corps
-a de trous plus il a de surface: ainsi la prétendue matiere subtile en
-choquant tout l'intérieur d'un corps, s'opposeroit bien davantage au
-mouvement de ce corps, qu'en ne touchant que sa superficie extérieure;
-& cela est encore démontré en rigueur.
-
-6º. Dans le _Plein_ tous les corps seroient également pesants; il est
-impossible de concevoir qu'un corps pese sur moi, me presse, que par sa
-masse une livre de poudre d'or pese autant sur ma main, qu'un morceau
-d'or d'une livre. En vain les Cartésiens répondent que la matiere
-subtile pénétrant les interstices des corps ne pese point, & qu'il
-ne faut compter pour pesant que ce qui n'est point matiere subtile:
-cette opinion de Descartes n'est chez lui qu'une pure contradiction,
-car selon lui cette prétendue matiere subtile fait seule la pesanteur
-des corps, en les repoussant vers la Terre; donc elle pese elle-même
-sur ces corps; donc, si elle pese, il n'y a pas plus de raison pourquoi
-un corps sera plus pesant qu'un autre, puisque tout étant plein, tout
-aura également de masse, soit solide, soit fluide; donc le _Plein_ est
-une chimére; donc il y a du _vuide_; donc rien ne se peut faire dans la
-Nature sans vuide; donc la pesanteur n'est pas l'effet d'un prétendu
-tourbillon imaginé dans le _Plein_.
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE DIX-SEPT.
-
-_Ce que c'est que le_ Vuide, _& l_'Espace, _sans lequel il n'y auroit
-ni pesanteur ni mouvement_.
-
-
- [Difficulté contre le _Vuide_.]
-
-CEUX qui ne peuvent concevoir le _Vuide_, objectent que ce _Vuide_ ne
-seroit rien, que le rien ne peut avoir des proprietés, & qu'ainsi il ne
-se pourroit rien opérer dans le _Vuide_.
-
- [Réponse.]
-
-On répond qu'il n'est pas vrai que le _Vuide_ soit rien; il est le lieu
-des corps, il est l'espace, il a des proprietés, il est étendu en
-longueur, largueur & profondeur, il est pénétrable, il est inséparable,
-&c. Il est vrai que je ne peux pas me faire dans le cerveau une image
-de l'_Espace_ étendu, comme je m'en fais une du Corps étendu; mais
-je me suis démontré que cet _Espace_ éxiste. Je ne puis en Géométrie
-me représenter une infinité de cercles passant entre un cercle & une
-tangente; mais je me suis démontré cependant que la chose est vraie en
-Géométrie, & cela suffit. Je ne puis concevoir ce que c'est qui pense
-en moi, je suis cependant convaincu que quelque chose pense en moi.
-De même je me démontre l'impossibilité du _Plein_ & la nécessité du
-_Vuide_, sans avoir une image du _Vuide_; car je n'ai d'image que de ce
-qui est corporel, & l'_Espace_ n'est point corporel. Autre chose est se
-représenter une image, autre chose est concevoir une vérité; je conçois
-très-bien l'_Espace_, & les Philosophes Epicuriens, qui n'avoient guère
-raison qu'en cela, le concevoient très-bien.
-
-Il n'y avoit d'autre réponse à cet Argument que de dire que la Matiere
-est infinie; c'est ce que plusieurs Philosophes ont assûré, & ce que
-Descartes a renouvellé après eux.
-
- [La Matiére n'est pas infinie.]
-
-Mais surquoi imagine-t-on que la Matiere est infinie? Sur une autre
-supposition que l'on s'est plû de faire. On dit: l'Etendue & la Matiere
-sont la même chose: on ne peut concevoir que l'Etendue soit finie; donc
-il faut admettre la Matiere infinie.
-
-Cela prouve combien on s'égare, quand on ne raisonne que sur des
-suppositions. Il est faux que l'Etendue & la Matiere soient la même
-chose: toute matiere est étendue; mais toute étendue n'est pas matiere.
-Descartes en avançant que l'Etendue ne peut-être que de la matiere,
-disoit une chose bien peu Philosophique, car nous ne savons point du
-tout ce que c'est que Matiere; nous en connoissons seulement quelques
-proprietés, & personne ne peut nier qu'il ne soit possible qu'il éxiste
-des millions d'autres substances étendues, différentes de ce que nous
-appellons Matiere; or ces substances où seront-elles, sinon dans
-l'_Espace_?
-
-Outre cette faute, Descartes se contredisoit encore, car il
-admettoit un Dieu; or où est Dieu? Il n'est pas dans un point
-mathématique, il est immense; qu'est-ce que son immensité, sinon
-l'Espace immense?
-
- [Discussion de cette Vérité.]
-
-A l'égard de l'infinité prétendue de la Matiere, cette idée est
-aussi peu fondée que les tourbillons. Nous avons vu que le _Vuide_
-est d'une nécessité absolue dans l'ordre des choses, & qu'ainsi la
-Matiere ne remplissant point tout l'Espace, elle n'est point infinie;
-mais, qu'entend-on par une Matiere infinie? car le mot _d'indéfinie_,
-dont Descartes s'est servi, ou revient au même, ou ne signifie rien.
-Entend-on que la Matiere est infinie essentiellement par sa nature? En
-ce cas elle est donc Dieu? Entend-on que Dieu l'a créée infinie? D'où
-le sauroit-on? Entend-on que l'Etendue & la Matiere sont la même chose?
-C'est un argument dont on a prouvé assez la fausseté.
-
-L'éxistence de la Matiere infinie est, au fond, une contradiction
-dans les termes. Mais dira-t-on, vous admettez un Espace immense,
-infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la Matiere? Voici la
-différence: L'Espace éxiste nécessairement, parce que Dieu éxiste
-nécessairement; il est immense, il est comme la durée, un mode, une
-proprieté infinie d'un Etre nécessaire, infini. La Matiere n'est rien
-de tout cela: elle n'éxiste point nécessairement: & si cette substance
-étoit infinie, elle seroit ou une proprieté essentielle de Dieu, ou
-Dieu même: or elle n'est ni l'un ni l'autre; elle n'est donc pas
-infinie & ne sauroit l'être.
-
- [Remarque singuliére.]
-
-Je conclurai ce Chapitre par une remarque qui me paroît mériter
-beaucoup d'attention. Descartes admettoit un Dieu Créateur & Cause de
-tout: mais il nioit la possibilité du _Vuide_: Epicure nioit qu'il y
-eût un Dieu Créateur & Cause de tout, & il admettoit le _Vuide_; or
-c'étoit Descartes qui par ses principes devoit nier un Dieu Créateur, &
-c'étoit Epicure qui devoit l'admettre. En voici la preuve évidente.
-
-Si le _Vuide_ étoit impossible, si la Matiere étoit infinie, si
-l'Etendue & la Matiere étoient la même chose, il faudroit que la
-Matiere fût nécessaire: or si la Matiere étoit nécessaire, elle
-éxisteroit par elle-même d'une nécessité absolue, inhérente dans
-sa nature primordiale, antécédente à tout; donc elle seroit Dieu;
-donc celui qui admet l'impossibilité du _Vuide_, doit, s'il raisonne
-conséquemment, ne point admettre d'autre Dieu que la Matiere.
-
-Au contraire, s'il y a du _vuide_, la Matiere n'est donc point un Etre
-nécessaire, éxistant par lui-même, &c.; donc elle a été créée; donc
-il y a un Dieu; donc c'étoit à Epicure à croire un Dieu, & c'étoit
-à Descartes à le nier. Pourquoi donc au contraire Descartes a-t-il
-toujours parlé de l'éxistence d'un Etre Créateur & Conservateur, &
-Epicure l'a-t-il rejetté? C'est que les hommes dans leurs sentimens,
-comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, & que leurs
-Systêmes ainsi que leurs vies sont des contradictions.
-
- [Conclusion.]
-
-Nous voyons de tout ce qui précéde que la Matiere est finie, qu'il y
-a du _vuide_, c'est-à-dire, de l'espace, & même incomparablement plus
-d'espace que de matiere dans notre Monde; car il y a beaucoup plus de
-pores que de solides. Nous concluons que le _Plein_ est impossible,
-que les tourbillons de matiere subtile le sont pareillement; qu'ainsi
-la cause que Descartes assignoit à la pesanteur & au mouvement est une
-chimére.
-
-Nous venons de nous appercevoir par l'expérience dans la Machine
-pneumatique qu'il faut qu'il y ait une force qui fasse descendre les
-corps vers le centre de la Terre, c'est-à-dire, qui leur donne la
-pesanteur, & que cette force doit agir en raison de la masse des corps;
-il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si
-nous en découvrons les effets, il est évident qu'elle éxiste. N'allons
-donc point d'abord imaginer des Causes & faire des Hypothèses: c'est le
-sûr moyen de s'égarer: suivons pas à pas, ce qui se passe réellement
-dans la Nature; nous sommes des Voyageurs arrivés à l'Embouchure d'un
-Fleuve, il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE DIX-HUIT.
-
-_Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que
-la Lune parcourt son Orbite par la force de cette gravitation._
-
-
- [Loix de la chûte des corps trouvées par Galilée.]
-
-GALILE'E le restaurateur de la Raison en Italie, découvrit cette
-importante proposition, que les Corps graves qui descendent sur la
-Terre (faisant abstraction de la petite résistance de l'air) ont un
-mouvement accéléré dans une proportion dont je vais tâcher de donner
-une idée nette.
-
-Un Corps abandonné à lui-même du haut d'une Tour, parcourt, dans la
-premiere seconde de tems, un espace qui s'est trouvé être de 15 pieds
-de Paris, selon les découvertes d'Hugens inventeur en Mathématiques.
-On croyoit avant Galilée que ce Corps pendant deux secondes auroit
-parcouru seulement deux fois le même espace, & qu'ainsi il feroit 150
-pieds en dix secondes, & neuf cens pieds en une minute: c'étoit-là
-l'opinion générale, & même fort vraisemblable à qui n'examine pas de
-près; cependant il est vrai qu'en une minute ce corps auroit fait un
-chemin de cinquante-quatre mille pieds, & deux cens seize mille pieds
-en deux minutes.
-
-Voici comment ce progrès, qui étonne d'abord l'imagination, s'opére
-nécessairement & avec simplicité. Un Corps est précipité par son
-propre poids: cette force quelconque qui l'anime à descendre de quinze
-pieds dans la premiere seconde, agit également à tous les instans, car
-rien n'ayant changé, il faut qu'elle soit toujours la même; ainsi à
-la deuxième seconde le Corps aura la force qu'il a acquise à chaque
-instant de la premiere seconde, & la force qu'il éprouve chaque instant
-de la deuxième. Or par la force qui l'animoit à la premiere seconde il
-parcouroit quinze pieds, il a donc encore cette force quand il descend
-la deuxième seconde. Il a outre cela la force de quinze autres pieds
-qu'il acquéroit à mesure qu'il descendoit dans cette premiere seconde,
-cela fait trente: il faut (rien n'ayant changé) que dans le tems de
-cette deuxième seconde, il ait encore la force de parcourir quinze
-pieds, cela fait quarante-cinq; par la même raison le Corps parcourra
-soixante-quinze pieds dans la troisième seconde, & ainsi du reste.
-
-De là il suit 1º. que le mobile acquiert en tems égaux infiniment
-petits des degrés infiniment petits de vîtesse, lesquels accélérent
-son mouvement vers le centre de la Terre, tant qu'il ne trouve pas de
-résistance.
-
-2º. Que les vîtesses qu'il acquiert sont comme les tems qu'il employe à
-descendre.
-
-3º. Que les espaces qu'il parcourt sont comme les quarrés de ces tems
-où de ces vîtesses.
-
-4º. Que la progression des espaces parcourus par ce mobile sont comme
-les nombres impairs 1, 3, 5, 7. Cette connoissance nécessaire de ce
-Phénomêne qui arrive autour de nous à tous les instans, va être rendue
-sensible à ceux même qui seroient d'abord un peu embarrassés de tous
-ces rapports; il ne faut qu'un peu d'attention en jettant les yeux sur
-cette petite table que chaque Lecteur peut augmenter à son gré.
-
- +-----------+----------+---------------------+-------------------+
- | Tems | Espaces | Espaces parcourus | Nombres impairs, |
- | dans | qu'il | sont comme les | qui marquent |
- | les | parcourt | quarrés des tems. | la progression du |
- | quels le | en | | mouvement, |
- | mobile | chaque | | & les espaces |
- | tombe. | tems. | | parcourus. |
- +-----------+----------+---------------------+-------------------+
- | 1re. | Le Corps | Le quarré d'un est | Une fois |
- | Seconde, | descend | un, le corps | quinze, |
- | une | de 15 | parcourt | |
- | vîtesse: | pieds: | 15. pieds. | |
- | | | | |
- +-----------+----------+---------------------+-------------------+
- | | | Le quarré de deux | |
- | | | secondes, ou de | |
- | 2me. | Le | deux vîtesses est | Trois fois |
- | Seconde, | Corps | quatre: quatre fois | quinze; |
- | deux | parcourt | quinze font 60; | ainsi la |
- | vîtesses: | 45. | donc le corps a | progression |
- | | pieds: | parcouru 60. pieds | est |
- | | | c'est-à-dire, 15. | d'un à 3. |
- | | | dans la premiere | dans cette |
- | | | seconde, & 45. dans | seconde. |
- | | | la deuxième. | |
- +-----------+----------+---------------------+-------------------+
- | | | | Cinq fois |
- | | | Le quarré de 3. | 15. pieds; |
- | | | secondes est neuf: | ainsi la |
- | 3me. | Le | or neuf fois 15. | progression |
- | Seconde | Corps | font 135; donc le | est visiblement |
- | trois | parcourt | corps a parcouru | selon |
- | vîtesses. | 75. | dans les trois | les nombres |
- | | pieds. | secondes | impairs |
- | | | 135. pieds. | 1. 3. 5. &c. |
- +-----------+----------+---------------------+-------------------+
-
-Il est clair d'abord qu'à chaque instant infiniment petit, le mobile
-reçoit un mouvement accéléré, puisque, par l'énoncé même de la
-proposition & par l'expérience, ce mouvement augmente continuellement.
-Par cette petite Table un coup d'œil démontrera, qu'au bout d'une
-minute le mobile aura parcouru cinquante-quatre mille pieds, car 54000.
-pieds font le quarré de soixante secondes, multiplié par quinze;
-or quinze multiplié par le quarré de soixante, qui est 3600. donne
-cinquante-quatre mille.
-
-De ces Expériences il naissoit une nouvelle conjecture, à la
-vérité bien fondée, mais qui requéroit pourtant une démonstration
-particuliére. Car, voyant qu'un corps, par une pesanteur toujours
-égale, faisoit soixante fois autant de chemin au bout de 60 minutes,
-qu'il en faisoit pendant la premiére minute, on présuma que la
-pesanteur elle-même devoit varier en raison quelconque des distances du
-centre de la Terre.
-
-Cela fit aussi soupçonner deslors à quelques grands Génies, qui
-cherchoient une route nouvelle, & entr'autres au fameux Bacon
-Chancelier d'Angleterre, qu'il y avoit une gravitation, une attraction
-des Corps au centre de la Terre, & de ce centre aux Corps. Il proposoit
-dans son excellent Livre _Novum Scientiarum Organum_, qu'on fît
-des expériences avec des Pendules sur les plus hautes Tours & aux
-profondeurs les plus grandes; car, disoit-il, si les mêmes Pendules
-font de plus rapides vibrations au fond d'un Puits que sur une Tour, il
-faut conclure que la pesanteur, qui est le principe de ces vibrations,
-sera beaucoup plus forte au centre de la Terre, dont ce Puits est plus
-proche. Il essaya aussi de faire descendre des mobiles de différentes
-élévations, & d'observer s'ils descendroient de moins de quinze pieds
-dans la premiére seconde; mais il ne parut jamais de variation dans ces
-expériences, les hauteurs & les profondeurs où on les faisoit étant
-trop petites.
-
-On restoit donc dans l'incertitude, & l'idée de cette force agissant du
-centre de la Terre demeuroit un soupçon vague.
-
-Descartes en eut connoissance: il en parle même en traitant de la
-pesanteur; mais les expériences qui devoient éclaircir cette grande
-question manquoient encore. Le Systême des tourbillons entraînoit ce
-Génie sublime & vaste: il vouloit en créant son Univers, donner la
-direction de tout à sa Matiere subtile: il en fit la dispensatrice de
-tout mouvement & de toute pesanteur; petit à petit l'Europe adopta son
-Systême faute de mieux.
-
- [Expérience faite par des Académiciens, laquelle conduit à cette
- découverte.]
-
-Enfin en 1672. Mr. Richer dans un Voyage à la Cayenne près de la Ligne,
-entrepris par ordre de Louïs XIV. sous les auspices de Colbert le Pere
-de tous les Arts: Richer, dis-je, parmi beaucoup d'observations, trouva
-que le Pendule de son Horloge ne faisoit plus ses oscillations, ses
-vibrations aussi fréquentes que dans la Latitude de Paris, & qu'il
-falloit absolument racourcir le Pendule d'une ligne & de plus d'un
-quart.
-
-La Physique & la Géométrie n'étoient pas alors, à beaucoup près, si
-cultivées qu'elles le sont aujourd'hui. Quel homme eût pu croire que
-de cette remarque si petite en apparence, & que d'une ligne de plus ou
-de moins, pussent sortir les plus grandes vérités Physiques? On trouva
-d'abord, qu'il falloit nécessairement que la pesanteur fût moindre sous
-l'Equateur, que dans notre Latitude, puisque la seule pesanteur fait
-l'oscillation d'un pendule.
-
- [La Terre plus haute à proportion à l'Equateur qu'au Pole.]
-
-On vit par conséquent que, puisque la pesanteur des Corps étoit
-d'autant moins forte, que ces Corps sont plus éloignés du centre de la
-Terre, il falloit absolument que la Région de l'Equateur fût beaucoup
-plus élevée que la nôtre, plus éloignée du centre, & qu'ainsi la
-Terre ne pouvoit être une Sphére. Beaucoup de Philosophes firent à
-propos de ces découvertes ce que font tous les hommes, à qui il faut
-changer d'opinion; ils combattirent la Vérité nouvelle. Une partie des
-Docteurs jusqu'au XV. Siècle avoit cru la Terre plate, plus longue
-d'Orient en Occident que du Midi au Septentrion, & couverte du Ciel
-comme d'une Tente en demi-voute. Leur opinion leur paroissoit d'autant
-plus sûre qu'ils la croyoient fondée sur la Bible. Peu de tems avant
-la découverte de l'Amérique, un Evêque d'Avila traitoit l'opinion de
-la rondeur de la Terre, d'impieté, & d'absurdité. Enfin la Raison
-& le Voyage de Christophe Colomb rendirent à la Terre son ancienne
-forme sphérique, que les Chaldéens & les Egyptiens lui avoient donnée.
-Alors on passa d'une extrémité à l'autre; on crut la Terre une Sphére
-parfaite, comme on croyoit que les Etoiles faisoient leur révolution
-dans un vrai cercle.
-
-Cependant du moment que l'on commença à bien savoir que notre Globe
-tourne sur lui-même en vingt-quatre heures, on auroit du juger de cela
-seul, qu'une forme entiérement ronde ne peut lui appartenir. On n'avoit
-qu'à considerer que le mouvement de rotation en vingt-quatre heures
-doit élever les Eaux de la Mer: que ces Eaux élevées plus que le reste
-du Globe devroient à tout moment retomber sur _les Terres_ de la Région
-de l'Equateur & les inonder: or elles n'y retombent pas; donc la Terre
-solide y doit être élevée comme les Eaux. Ce raisonnement si simple,
-si naturel, étoit échapé aux plus grands Génies; preuve certaine
-du préjugé qui n'avoit pas même permis ce leger examen. On contesta
-encore l'expérience même de Richer: on prétendit que nos Pendules ne
-faisoient leurs vibrations si promptes vers l'Equateur, que parce que
-la chaleur allongeoit ce métal: on vit que la chaleur du plus brûlant
-Eté l'allonge d'une ligne sur trente pieds de longueur; & il s'agissoit
-ici d'une ligne & un quart, d'une ligne & demie, ou même de deux lignes
-sur une verge de fer longue de 3 pieds 8 lignes.
-
-Quelques années après, Mrs. Deshayes, Varin, Feuillée, Couplet,
-repétérent vers l'Equateur la même expérience du Pendule; il le
-fallut toujours racourcir, quoique la chaleur fût très-souvent moins
-grande sous la Ligne même, qu'à quinze ou vingt degrès de la Ligne
-Equinoxiale. Cette expérience vient d'être confirmée de nouveau par les
-Académiciens qui sont à présent au Pérou; & on apprend dans le moment
-que vers Quito, dans un tems où il geloit, il a fallu racourcir le
-Pendule à secondes d'environ deux lignes.
-
-Tandis qu'on trouvoit ainsi de nouvelles vérités sous la Ligne, Mr.
-Picart par les mêmes ordres avoit donné en 1669 une mesure de la Terre,
-en traçant une petite partie de la Méridienne de la France. Elle ne
-donnoit pas à la vérité une mesure aussi exacte de notre Globe qu'on
-l'auroit eue, si l'on en avoit mesuré des degrés en France, & vers
-l'Equateur & vers le Cercle Polaire; mais cette différence sera trop
-petite pour être comptée dans les choses dont nous allons parler.
-
-Ces découvertes étoient nécessaires pour fonder la Théorie de Neuton.
-On se croit obligé ici de rapporter sur ces découvertes & sur cette
-Théorie une Anecdote qui ne sera pas sans utilité dans l'Histoire de
-l'Esprit humain, & qui servira à faire connoître combien l'exactitude
-est nécessaire dans les Sciences & combien Neuton cherchoit sincérement
-la Vérité.
-
- [Anecdote sur ces découvertes.]
-
-Il avoit jetté dès l'année 1666 les fondemens de son admirable Systême
-de la gravitation; mais il falloit pour que ce Systême se trouvât
-vrai dans toutes ses parties, & sur-tout pour tirer du mouvement de la
-Lune les conclusions que nous allons voir; il falloit, dis-je, que les
-degrés de Latitude fussent chacun environ de vingt-cinq lieues communes
-de France, & de près de soixante & dix milles d'Angleterre.
-
-Dès l'année 1636: Norwood Mathématicien Anglais avoit fait, par pure
-curiosité, depuis Londres jusqu'à Yorck, vers le Nord d'Angleterre,
-les mêmes opérations que les bienfaits du Ministère de France firent
-entreprendre depuis par Picart en 1669, vers le Nord de Paris, dans un
-moindre espace de terrain.
-
-Les degrés de Norwood se trouvoient, à très-peu de chose près, de
-70 milles d'Angleterre, & de 25 lieues communes de France; c'étoit
-précisément la mesure que Neuton avoit devinée par sa Théorie, & qui
-pouvoit seule la justifier.
-
-Mais ce qui paroîtra étonnant, c'est qu'en 1666, & même plusieurs
-années après, Neuton ne savoit rien des mesures de Norwood, prises
-plus de 30 ans auparavant. Les malheurs qui avoient affligé l'Angleterre,
-avoient été aussi funestes aux Sciences qu'à l'Etat. La découverte
-de Norwood étoit ensévelie dans l'oubli; on s'en tenoit à la mesure
-fautive des Pilotes, qui par leur estime vague comptoient 60 milles
-seulement pour un degré de Latitude. Neuton retiré à la Campagne
-pendant la peste de 1666, n'étant point à portée d'être instruit des
-mesures de Norwood, s'en tenoit à cette fausse mesure des 60 milles.
-
-Ce fut par cette fausse mesure qu'il rechercha, comme nous l'allons
-dire, si le même pouvoir qui fait graviter ici les corps vers le centre
-de la Terre, retient la Lune dans son Orbite. Il se trouva assez loin
-des conclusions, où il seroit parvenu avec une mesure plus exacte de la
-Terre, & il eut la bonne foi d'abandonner sa recherche.
-
-Il la reprit quelques années après, sur les mesures de Picart, & il
-s'y confirma encore davantage en 1683. par les mesures plus exactes
-de Cassini, la Hire, Chazelles & Varin, qui encouragés par Colbert
-embrassérent un plus grand terrain que Picart.
-
-Ces Académiciens poussérent la Méridienne jusqu'en Auvergne; mais
-Colbert étant mort, Louvois, qui lui succéda dans le Département de
-l'Académie, & non dans son goût pour les Sciences, interrompit un peu
-ce grand travail.
-
-Ce ne fut guère que vers ce tems-là que Neuton eut connoissance des
-opérations de Norwood; il vit avec étonnement que ces mesures étoient
-les mêmes que celles de Picart & de Cassini, à cela près, que le
-degré mesuré par Norwood surpassoit celui de Picart de 240 toises,
-& ne surpassoit celui de Cassini que de huit. Neuton attribuoit ce
-petit excédant de huit toises par degré à la figure de la Terre,
-qu'il croyoit être celle d'un Sphéroïde applati vers les Poles; & il
-jugeoit que Norwood en tirant sa Méridienne dans des Régions plus
-Septentrionales que la nôtre, avoit du trouver ses degrés plus grands
-que ceux de Cassini, puisqu'il supposoit la courbe du terrain mesurée
-par Norwood plus longue. Quoi qu'il en soit, voici la sublime Théorie
-qu'il tira de ces mesures, & des découvertes du grand Galilée.
-
- [Théorie tirée de ces découvertes.]
-
-La pesanteur sur notre Globe est en raison réciproque des quarrés des
-distances des corps pesants du centre de la Terre; ainsi plus ces
-distances augmentent, plus la pesanteur diminue.
-
-La force qui fait la pesanteur ne dépend point des tourbillons de
-Matiere subtile, dont l'existence est démontrée fausse.
-
-Cette force, telle qu'elle soit, agit sur tous les corps, non selon
-leurs surfaces; mais selon leurs masses. Si elle agit à une distance,
-elle doit agir à toutes les distances; si elle agit en raison inverse
-du quarré de ces distances, elle doit toujours agir suivant cette
-proportion sur les corps connus, quand ils ne sont pas au point de
-contact, je veux dire, le plus près qu'il est possible d'être, sans
-être unis.
-
-Si, suivant cette proportion, cette force fait parcourir sur notre
-Globe 54000 pieds en 60 secondes, un corps qui sera environ à soixante
-rayons du centre de la Terre, devra en 60 secondes tomber seulement de
-quinze pieds de Paris ou environ.
-
- [La même cause qui fait tomber les corps sur la Terre, dirige la Lune
- autour de la Terre.]
-
-La Lune dans son moyen mouvement est éloignée du centre de la Terre
-d'environ soixante rayons du Globe de la Terre: or par les mesures
-prises en France on connoît combien de pieds contient l'Orbite que
-décrit la Lune; on sait par-là que dans son moyen mouvement elle décrit
-187961 pieds de Paris en une minute.
-
-[Illustration]
-
-La Lune dans son moyen mouvement, est tombée de A, en B, elle a donc
-obéï à la force de projectile, qui la pousse dans la tangente A, C, &
-à la force, qui la feroit descendre suivant la ligne A, D. égale à B,
-C: ôtez la force qui la dirige de A, en C, restera une force qui pourra
-être évaluée par la ligne C, B: cette ligne C, B. est égale à la ligne
-A, D; mais il est démontré que la courbe A, B. valant 187961. pieds, la
-ligne A, D. ou C, B. en vaudra seulement quinze; donc que la Lune soit
-tombée en B, ou en D, c'est ici la même chose, elle auroit parcouru 15.
-pieds en une minute de C, en B; donc elle auroit parcouru 15. pieds
-aussi de A, en D. en une minute. Mais en parcourant cet espace en une
-minute, elle fait précisément 3600 fois moins de chemin qu'un mobile
-n'en feroit ici sur la Terre: 3600. est juste le quarré de sa distance;
-donc la gravitation qui agit ici sur tous les corps, agit aussi entre
-la Terre & la Lune précisément dans ce rapport de la raison inverse du
-quarré des distances.
-
-Mais si cette puissance qui anime les corps, dirige la Lune dans son
-Orbite, elle doit aussi diriger la Terre dans le sien, & l'effet
-qu'elle opére sur la Planete de la Lune, elle doit l'opérer sur la
-Planete de la Terre. Car ce pouvoir est par-tout le même: toutes
-les autres Planetes doivent lui être soumises, le Soleil doit aussi
-éprouver sa loi: & s'il n'y a aucun mouvement des Planetes les unes à
-l'égard des autres, qui ne soit l'effet nécessaire de cette puissance,
-il faut avouer alors que toute la Nature la démontre; c'est ce que nous
-allons observer plus amplement.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE DIX-NEUF.
-
-_Que la gravitation & l'attraction dirigent toutes les Planetes dans
-leurs Cours._
-
-
- [Comment on doit entendre, la Théorie de la pesanteur chez Descartes.]
-
-PResque toute la Théorie de la pesanteur chez Descartes est fondée sur
-cette loi de la Nature, que tout corps qui se meut en ligne courbe,
-tend à s'éloigner de son centre en une ligne droite, qui toucheroit la
-courbe en un point. Telle est la fronde qui en s'échapant de la main au
-point B, suivroit cette ligne B, C.
-
-[Illustration]
-
-Tous les corps en tournant avec la Terre font ainsi un effort pour
-s'éloigner du centre; mais la Matiere subtile faisant un bien plus
-grand effort repousse, disoit-on, tous les autres corps.
-
-Il est aisé de voir que ce n'étoit point à la Matiere subtile à faire
-ce plus grand effort, & à s'éloigner du centre du tourbillon prétendu,
-plutôt que les autres corps; au contraire c'étoit sa nature (supposé
-qu'elle éxistât) d'aller au centre de son mouvement, & de laisser aller
-à la circonférence tous les corps qui auroient eu plus de masse.
-C'est en effet ce qui arrive sur une table qui tourne en rond, lorsque
-dans un tube pratiqué dans cette table, on a mêlé plusieurs poudres &
-plusieurs liqueurs de pesanteurs spécifiques différentes; tout ce qui
-a plus de masse s'éloigne du centre, tout ce qui a moins de masse s'en
-approche. Telle est la loi de la Nature; & lorsque Descartes a fait
-circuler à la circonférence sa prétendue Matiere subtile, il a commencé
-par violer cette loi des forces centrifuges, qu'il posoit pour son
-premier principe. Il a eu beau imaginer que Dieu avoit créé des dés
-tournans les uns sur les autres: que la raclure de ces dés qui faisoit
-sa Matiere subtile, s'échapant de tous les côtés, acquéroit par-là plus
-de vîtesse: que le centre d'un tourbillon s'encroutoit, &c.; il s'en
-falloit bien que ces imaginations rectifiassent cette erreur.
-
-Sans perdre plus de tems à combattre ces Etres de raison, suivons les
-loix de la Mécanique qui opére dans la Nature. Un corps qui se meut
-circulairement, prend en cette maniere, à chaque point de la courbe
-qu'il décrit, une direction qui l'éloigneroit du Cercle, en lui faisant
-suivre une ligne droite.
-
-[Illustration]
-
-Cela est vrai. Mais il faut prendre garde que ce corps ne s'éloigneroit
-ainsi du centre, que par cet autre grand Principe: que tout corps étant
-indifférent de lui-même au repos & au mouvement, & ayant cette inertie
-qui est un attribut de la Matiere, suit nécessairement la ligne dans
-laquelle il est mu. Or tout corps qui tourne autour d'un centre, suit
-à chaque instant une ligne droite infiniment petite, qui deviendroit
-une droite infiniment longue, s'il ne rencontroit point d'obstacle.
-Le résultat de ce principe, réduit à sa juste valeur, n'est donc autre
-chose, sinon qu'un corps qui suit une ligne droite, suivra toujours une
-ligne droite; donc il faut une autre force pour lui faire décrire une
-courbe; donc cette autre force, par laquelle il décrit la courbe le
-feroit tomber au centre à chaque instant, en cas que ce mouvement de
-projectile en ligne droite cessât. A la vérité de moment en moment ce
-corps iroit en A, en B, en C. s'il s'échapoit;
-
-[Illustration]
-
- [Ce que c'est que la force centrifuge, & la force centripète.]
-
-Mais aussi de moment en moment il retomberoit de A, de B, de C.
-au centre; parce que son mouvement est composé de deux sortes de
-mouvemens, du mouvement de projectile en ligne droite, & du mouvement
-imprimé aussi en ligne droite par la force centripète, force par
-laquelle il iroit au centre. Ainsi de cela même que le corps décriroit
-ces tangentes A, B, C. il est démontré qu'il y a un pouvoir qui le
-retire de ces tangentes à l'instant même qu'il les commence. Il faut
-donc absolument considerer tout corps se mouvant dans une courbe, comme
-mu par deux puissances, dont l'une est celle qui lui feroit parcourir
-des tangentes, & qu'on nomme la force centrifuge, ou plutôt la force
-d'inertie, d'inactivité, par laquelle un corps suit toujours une droite
-s'il n'en est empêché; & l'autre force qui retire le corps vers le
-centre, laquelle on nomme la force contripète, & qui est la véritable
-force.
-
-C'est ainsi qu'un corps mu selon la ligne horisontale G, E. & selon
-la ligne perpendiculaire G, F. obéït à chaque instant à ces deux
-puissances en parcourant la diagonale G, H.
-
-[Illustration]
-
-De l'établissement de cette force centripète, il résulte d'abord cette
-démonstration, que tout mobile qui se meut dans un cercle, ou dans une
-ellipse, ou dans une courbe quelconque, se meut autour d'un centre
-auquel il tend.
-
-Il suit encore que ce mobile, quelques portions de courbe qu'il
-parcoure, décrira dans ses plus grands arcs & dans ses plus petits
-arcs, des aires égales en tems égaux. Si, par exemple, un mobile en
-une minute borde l'espace A, C, B. qui contiendra cent milles d'aire,
-il doit border en deux minutes un autre espace B, C, D. de deux cens
-milles.
-
-[Illustration]
-
-Cette Loi inviolablement observée par toutes les Planetes, & inconnue à
-toute l'Antiquité, fut découverte il y a près de 150. ans par Kepler,
-qui a mérité le nom de _Législateur_ en Astronomie, malgré ses erreurs
-Philosophiques. Il ne pouvoit savoir encore la raison de cette règle
-à laquelle les corps célestes sont assujettis. L'extrême sagacité de
-Kepler trouva l'effet dont le génie de Neuton a trouvé la cause.
-
-Je vais donner ici la substance de la Démonstration de Neuton: elle
-sera aisément comprise par tout Lecteur attentif; car les hommes
-ont une Géométrie naturelle dans l'esprit, qui leur fait saisir les
-rapports, quand ils ne sont pas trop compliqués. On trouvera la
-Démonstration plus étendue en Notes[1] [2].
-
- [1] DÉMONSTRATION.
-
- _Que tout mobile attiré par une force centripète décrit dans une ligne
- courbe des aires égales en tems égaux_.
-
- [Illustration]
-
- Tout corps se meut d'un mouvement uniforme, quand il n'y a point de
- force accélératrice; donc le corps A. mu en ligne droite dans le
- premier tems de A, en B. ira en pareil tems de B, en C. de C, en Z.
- Ces espaces conçus égaux, la force centripète dans le second tems
- donne à ce corps en B. un mouvement quelconque, & le corps au lieu
- d'aller en C. va en H.; quelle direction a-t-il eue différente de B,
- C.? Tirez les 4. lignes C, H. G, B. C, B. G, H. le mobile a suivi la
- diagonale B, H. de ce parallélogramme.
-
- Or les 2. côtés B, C. B, G. du parallélogramme sont dans le même plan
- que le triangle A, B, S. donc les forces sont dirigées vers G, S. &
- vers la droite A, B, C, Z.
-
- Les triangles S, H, B. S, C, B. sont égaux, puisqu'ils sont sur la
- même base S, B. & entre les parallelles H, C. G, B; mais S, B, A. S,
- C, B. sont égaux, ayant même base & même hauteur; donc S, B, A. S, H,
- B. sont aussi égaux.
-
- Il faut en dire autant des triangles S, T, H. S, D, H; donc tous ces
- triangles sont égaux. Diminuez la hauteur à l'infini, le corps à
- chaque moment infiniment petit décrira la courbe, de laquelle toutes
- les lignes tendent au point S.; donc dans tous les cas les aires de
- ces triangles sont proportionelles aux tems.
-
- [2] DÉMONSTRATION.
-
- _Que tout corps dans une courbe décrivant des triangles égaux autour
- d'un point, est mu par la force contripète autour de ce point_.
-
- [Illustration]
-
- Que cette courbe soit divisée en parties égales A, B. B, H. H, F.
- infiniment petites, décrites en tems égaux; soit conçue la force agir
- aux points B, H, F. soit A, B. prolongée en C. soit B, H. prolongée
- en T. le triangle S, A, B. sera égal au triangle S, B, H. car A, B.
- est égal à B, C; donc S, B, H. est égal à S, B, C; donc la force en
- B, G. est parallelle à C, H; mais cette ligne B, G. parallelle à
- C, H. est la ligne B, G, S. tendante au centre. Le corps en H. est
- dirigé par la force centripète selon une ligne parallelle à F, T. de
- même qu'au point B. il étoit dirigé par cette même force dans une
- ligne parallelle à C, H. Or la ligne parallelle à C, H. tend en S.;
- donc la ligne parallelle à F, T. tendra aussi en S.; donc toutes les
- lignes ainsi tirées tendront au point S.
-
- Concevez maintenant en S. des triangles semblables à ceux ci-dessus;
- plus ces triangles ci-dessus seront petits, plus les triangles en S.
- approcheront d'un point Physique, lequel point S. sera le centre des
- forces.
-
-[Illustration]
-
-Que le corps A. soit mu en B. en un espace de tems très-petit: au
-bout d'un pareil espace, un mouvement également continué (car il n'y
-a ici nulle accélération) le feroit venir en C; mais en B. il trouve
-une force qui le pousse dans la ligne B, H, S.; il ne suit donc ni ce
-chemin B, H, S. ni ce chemin A, B, C; tirez ce parallélogramme C, D.
-B, H. alors le mobile étant mu par la force B, C. & par la force B, H.
-s'en va selon la diagonale B, D. Or cette ligne B, D. & cette ligne B,
-A. conçues infiniment petites sont les naissances d'une courbe, &c.;
-donc ce corps se doit mouvoir dans une courbe.
-
- [Cette démonstration prouve que le Soleil est le centre de l'Univers &
- non la Terre.]
-
-Il doit border des espaces égaux en tems égaux, car l'espace du
-triangle S, B, A. est égal à l'espace du triangle S, B, D.: ces
-triangles sont égaux; donc ces aires sont égales; donc tout corps
-qui parcourt des aires égales en tems égaux dans une courbe, fait
-sa révolution autour du centre des forces auquel il tend; donc les
-Planetes tendent vers le Soleil, tournent autour du Soleil, & non
-autour de la Terre. Car en prenant la Terre pour centre, leurs aires
-sont inégales par rapport aux tems, & en prenant le Soleil pour centre,
-ces aires se trouvent toujours proportionnelles aux tems; si vous en
-exceptez les petits dérangemens causés par la gravitation même des
-Planétes.
-
-Pour bien entendre encore ce que c'est que ces aires proportionnelles
-aux tems, & pour voir d'un coup d'œil l'avantage que vous tirez de
-cette connoissance, regardez la Terre emportée dans son ellipse autour
-du Soleil S. son centre. Quand elle va de B, en D. elle ballaye un
-aussi grand espace que quand elle parcourt ce grand arc H. K: le
-Secteur H, K. regagne en largeur ce que le Secteur B, S, D. a en
-longueur. Pour faire l'aire de ces Secteurs égale en tems égaux, il
-faut que le corps vers H, K. aille plus vîte que vers B, D. Ainsi la
-Terre & toute Planéte se meut plus vîte dans son périhélie, qui est la
-courbe la plus voisine du Soleil S, que dans son aphélie, qui est la
-courbe la plus éloignée de ce même foyer S.
-
-[Illustration]
-
- [C'est pour les raisons précédentes que nous avons plus d'Eté que
- d'Hyver.]
-
-On connoît donc quel est le centre d'une Planéte, & quelle figure elle
-décrit dans son orbite par les aires qu'elle parcourt; on connoît
-que toute Planéte, lorsqu'elle est plus éloignée du centre de son
-mouvement, gravite moins vers ce centre. Ainsi la Terre étant plus
-près du Soleil d'un trentième, c'est-à-dire, d'un million de lieues,
-pendant notre Hyver que pendant notre Eté, est plus attirée aussi en
-Hyver; ainsi elle va plus vîte alors par la raison de sa courbe; ainsi
-nous avons huit jours & demi d'Eté plus que d'Hyver, & le Soleil paroît
-dans les Signes Septentrionaux huit jours & demi de plus que dans les
-Méridionaux. Puis donc que toute Planéte suit, par rapport au Soleil,
-son centre, cette Loi de gravitation que la Lune éprouve par rapport
-à la Terre, & à laquelle tous les corps sont soumis en tombant sur la
-Terre, il est démontré que cette gravitation, cette attraction, agit
-sur tous les corps que nous connoissons.
-
-Mais une autre puissante Démonstration de cette Vérité, est la Loi que
-suivent respectivement toutes les Planétes dans leurs cours & dans
-leurs distances; c'est ce qu'il faut bien examiner.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE VINGT.
-
-_Démonstration des loix de la gravitation, tirée des règles de Kepler;
-qu'une de ces loix de Kepler démontre le mouvement de la Terre._
-
-
- [Grande règle de Kepler.]
-
-KEPLER trouva encore cette admirable règle, dont je vais donner un
-exemple avant que de donner la définition, pour rendre la chose plus
-sensible & plus aisée.
-
-Jupiter a 4. Satellites qui tournent autour de lui: le plus proche est
-éloigné de 2. Diamétres de Jupiter & 5. sixièmes, & il fait son tour en
-42. heures: le dernier tourne autour de Jupiter en 402. heures; je veux
-savoir à quelle distance ce dernier Satellite est du centre de Jupiter.
-Pour y parvenir, je fais cette règle. Comme le quarré de 42. heures,
-révolution du 1er. Satellite, est au quarré de 402. heures, révolution
-du dernier; ainsi le cube de deux Diamétres & 5/6 est à un 4e. terme.
-Ce 4e. terme étant trouvé, j'en extrais la racine cube, cette racine
-cube se trouve 12. 2/3.; ainsi je dis que le 4e. Satellite est éloigné
-du centre de Jupiter de 12. Diamétres de Jupiter & 2/3.
-
-Je fais la même règle pour toutes les Planétes qui tournent autour du
-Soleil. Je dis: Venus tourne en 224. jours, & la Terre en 365; la Terre
-est à 30000000. de lieues du Soleil, à combien de lieues sera Venus? Je
-dis: comme le quarré de l'année de la Terre est au quarré de l'année de
-Venus, ainsi le cube de la distance moyenne de la Terre est à un 4e.
-terme dont la racine cubique sera environ 21700000. de lieues, qui font
-la distance moyenne de Venus au Soleil; j'en dis autant de la Terre &
-de Saturne, &c.
-
-Cette loi est donc, que le quarré d'une révolution d'une Planete est
-toujours au quarré des révolutions des autres Planetes, comme le cube
-de sa distance est aux cubes des distances des autres, au centre commun.
-
- [Raisons indignes d'un Philosophe données par Kepler de cette loi
- admirable.]
-
-Kepler qui trouva cette proportion, étoit bien loin d'en trouver
-la raison. Moins bon Philosophe qu'Astronome admirable, il dit (au
-4e. Liv. de son Epitome) que le Soleil a une ame, non pas une ame
-intelligente _animum_, mais une ame végétante, agissante, _animam_:
-qu'en tournant sur lui-même il attire à soi les Planetes; mais que les
-Planetes ne tombent pas dans le Soleil, parce qu'elles font aussi une
-révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles
-présentent au Soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi: le côté
-ami est attiré, & le côté ennemi est repoussé; ce qui produit le cours
-annuel des Planetes dans des Ellipses.
-
-Il faut avouer pour l'humiliation de la Philosophie, que c'est de ce
-raisonnement si peu Philosophique, qu'il avoit conclu que le Soleil
-devoit tourner sur son axe: l'erreur le conduisit par hazard à la
-vérité; il devina la rotation du Soleil sur lui-même plus de 15. ans
-avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l'aide des Telescopes.
-
-Kepler ajoute dans son même Epitome p. 495. que la masse du Soleil, la
-masse de tout l'Ether, & la masse des Sphéres des Etoiles fixes sont
-parfaitement égales; & que ce sont les 3. Symboles de la Très-Sainte
-Trinité.
-
-Le Lecteur qui en lisant ces Elémens, aura vu de si grandes rêveries,
-à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler,
-dans un aussi profond Mathématicien que Kirker, ne doit point en être
-surpris: on peut être un Génie en fait de calcul & d'observations, & se
-servir mal quelquefois de sa raison pour le reste; il y a tels Esprits
-qui ont besoin de s'appuyer sur la Géométrie, & qui tombent quand
-ils veulent marcher seuls. Il n'est donc pas étonnant que Kepler, en
-découvrant ces loix de l'Astronomie, n'ait pas connu la raison de ces
-loix.
-
- [Raison véritable de cette loi trouvée par Neuton.]
-
-Cette raison est, que la force centripète est précisément en proportion
-inverse du quarré de la distance du centre de mouvement, vers lequel
-ces forces sont dirigées; c'est ce qu'il faut suivre attentivement.
-Il faut bien entendre, qu'en un mot cette loi de la gravitation est
-telle, que tout corps qui approche 3. fois plus du centre de son
-mouvement, gravite 9. fois davantage: que s'il s'éloigne 3. fois plus,
-il gravitera 9. fois moins; & que s'il s'éloigne 100. fois plus, il
-gravitera 10000. fois moins.
-
-Un corps se mouvant circulairement autour d'un centre, pese donc en
-raison inverse du quarré de sa distance actuelle au centre, comme
-aussi en raison directe de sa masse; or il est démontré que c'est la
-gravitation qui le fait tourner autour de ce centre, puisque sans cette
-gravitation, il s'en éloigneroit en décrivant une tangente. Cette
-gravitation agira donc plus fortement sur un mobile, qui tournera
-plus vîte autour de ce centre; & plus ce mobile sera éloigné, plus il
-tournera lentement, car alors il pesera bien moins.
-
-C'est par cette raison que la Terre, quoique 1170. fois plus petite que
-Jupiter, ne pese pourtant sur le Soleil que 8. fois moins que Jupiter;
-& cela en raison directe des masses, & en raison inverse des quarrés
-des distances de ces Planetes au Soleil.
-
- [Récapitulation des preuves de la gravitation.]
-
-Voilà donc cette loi de la gravitation en raison du quarré des
-distances, démontrée
-
-1º. Par l'Orbite que décrit la Lune, & par son éloignement de la Terre,
-son centre;
-
-2º. Par le chemin de chaque Planete autour du Soleil dans une Ellipse;
-
-3º. Par la comparaison des distances & des révolutions de toutes les
-Planetes autour de leur centre commun.
-
- [Ces découvertes de Kepler & de Neuton servent à démontrer que c'est la
- Terre qui tourne autour du Soleil.]
-
-Il ne sera pas inutile de remarquer que cette même règle de Kepler,
-qui sert à confirmer la découverte de Neuton touchant la gravitation,
-confirme aussi le Systême de Copernic sur le mouvement de la Terre.
-On peut dire que Kepler par cette seule règle a démontré ce qu'on
-avoit trouvé avant lui, & a ouvert le chemin aux vérités qu'on devoit
-découvrir un jour. Car d'un côté il est démontré que si la loi des
-forces centripètes n'avoit pas lieu, la règle de Kepler seroit
-impossible; de l'autre il est démontré que suivant cette même règle,
-si le Soleil tournoit autour de la Terre, il faudroit dire: Comme
-la révolution de la Lune autour de la Terre en un mois, est à la
-révolution prétendue du Soleil autour de la Terre en un an, ainsi la
-racine quarrée du cube de la distance de la Lune à la Terre, est à la
-racine quarrée du cube de la distance du Soleil à la Terre. Par ce
-calcul on trouveroit que le Soleil n'est qu'à 510000. lieues de nous;
-mais il est prouvé qu'il en est au moins à environ 30. millions de
-lieues; ainsi donc le mouvement de la Terre a été démontré en rigueur
-par Kepler. Voici encore une démonstration bien simple tirée des mêmes
-théorêmes.
-
- [Démonstration du mouvement de la Terre tirée des mêmes loix.]
-
-Si la Terre étoit le centre du mouvement du Soleil, comme elle l'est du
-mouvement de la Lune, la révolution du Soleil seroit de 475. ans, au
-lieu d'une année; car l'éloignement moyen où le Soleil est de la Terre,
-est à l'éloignement moyen où la Lune est de la Terre, comme 337. est à
-un: or le cube de la distance de la Lune est 1., le cube de la distance
-du Soleil 38272753: achevez la règle, & dites: Comme le cube 1. est à
-ce nombre cubé 38272753. ainsi le quarré de 28. qui est la révolution
-périodique de la Lune est à un 4e. nombre: vous trouverez que le Soleil
-mettroit 475. ans au lieu d'une année à tourner autour de la Terre; il
-est donc démontré que c'est la Terre qui tourne.
-
-Il semble d'autant plus à propos de placer ici ces Démonstrations,
-qu'il y a encore des hommes destinez à instruire les autres en Italie,
-en Espagne, & même en France, qui doutent, ou qui affectent de douter
-du mouvement de la Terre.
-
-Il est donc prouvé par la loi de Kepler & par celle de Neuton, que
-chaque Planete gravite vers le Soleil, centre de l'Orbite qu'elles
-décrivent: ces loix s'accomplissent dans les Satellites de Jupiter par
-rapport à Jupiter, leur centre: dans les Lunes de Saturne par rapport
-à Saturne, dans la nôtre par rapport à nous: toutes ces Planetes
-secondaires qui roulent autour de leur Planete centrale gravitent aussi
-avec leur Planete centrale vers le Soleil; ainsi la Lune entraînée
-autour de la Terre par la force centripète, est en même tems attirée
-par le Soleil autour duquel elle fait aussi sa révolution. Il n'y a
-aucune varieté dans le cours de la Lune, dans ses distances de la
-Terre, dans la figure de son Orbite, tantôt aprochante de l'ellipse,
-tantôt du cercle, &c. qui ne soit une suite de la gravitation en raison
-des changemens de sa distance à la Terre, & de sa distance au Soleil.
-
-Si elle ne parcourt pas exactement dans son Orbite des aires égales
-en tems égaux; Mr. Neuton a calculé tous les cas où cette inégalité
-se trouve: tous dépendent de l'attraction du Soleil; il attire ces 2.
-Globes en raison directe de leurs masses, & en raison inverse du quarré
-de leurs distances. Nous allons voir que la moindre variation de la
-Lune est un effet nécessaire de ces pouvoirs combinez.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE VINGT-UN.
-
-_Nouvelles preuves de l'attraction. Que les inégalités du mouvement &
-de l'Orbite de la Lune sont nécessairement les effets de l'attraction._
-
-
-LA Lune n'a qu'un seul mouvement égal, c'est sa rotation autour
-d'elle-même sur son axe, & c'est le seul dont nous ne nous appercevons
-pas: c'est ce mouvement qui nous présente toujours à-peu-près le même
-disque de la Lune; de sorte qu'en tournant réellement sur elle-même,
-elle paroît ne point tourner du tout, & avoir seulement un petit
-mouvement de balancement, de libration, qu'elle n'a point, & que toute
-l'Antiquité lui attribuoit.
-
-Tous ses autres mouvemens autour de la Terre sont inégaux, & doivent
-l'être si la règle de la gravitation est vraye. La Lune dans son cours
-d'un mois est nécessairement plus près du Soleil dans un certain
-point, & dans un certain tems de son cours: or dans ce point & dans ce
-tems sa masse demeure la même: sa distance étant seulement changée,
-l'attraction du Soleil doit changer en raison renversée du quarré de
-cette distance: le cours de la Lune doit donc changer, elle doit donc
-aller plus vîte en certains tems que l'attraction seule de la Terre ne
-la feroit aller; or par l'attraction de la Terre elle doit parcourir
-des aires égales en tems égaux, comme vous l'avez déja observé au
-Chapitre 19.
-
-On ne peut s'empêcher d'admirer avec quelle sagacité Neuton a démêlé
-toutes ces inégalités, réglé la marche de cette Planete, qui s'étoit
-dérobée à toutes les recherches des Astronomes; c'est-là sur-tout qu'on
-peut dire:
-
- _Nec propius fas est mortali attingere Divos._
-
- [Exemple en preuve.]
-
-Entre les exemples qu'on peut choisir, prenons celui-ci: Soit A. la
-Lune: A, B, N, Q. l'Orbite de la Lune: S. le Soleil; B. l'endroit où la
-Lune se trouve dans son dernier quartier[*].
-
- [*] On a laissé ce blanc, & renvoyé la suite du Texte avec la
- Figure aux pages suivantes, pour la commodité du Lecteur.
-
-Elle est alors manifestement à la même distance du Soleil qu'est la
-Terre. La différence de l'obliquité de la ligne de direction de la Lune
-au Soleil étant comptée pour rien, la gravitation de la Terre & de la
-Lune vers le Soleil est donc la même. Cependant la Terre avance dans sa
-route annuelle de T. en V. & la Lune dans son cours d'un mois avance en
-Z.: or en Z. il est manifeste qu'elle est plus attirée par le Soleil
-S. dont elle se trouve plus proche que la Terre; son mouvement sera
-donc accéléré de Z. vers N.; l'Orbite qu'elle décrit sera donc changée,
-mais comment sera-t-elle changée? En s'aplatissant un peu, en devenant
-plus approchante d'une droite depuis Z. vers N.; ainsi donc de moment
-en moment la gravitation change le cours & la forme de l'Ellipse, dans
-laquelle se meut cette Planete.
-
-[Illustration: _Pag. 264._]
-
-Par la même raison la Lune doit retarder son cours, & changer encore
-la figure de l'Orbite qu'elle décrit, lorsqu'elle repasse de la
-conjonction N. à son premier quartier Q; car puisque de son dernier
-quartier elle accéléroit son cours en aplatissant sa courbe vers sa
-conjonction N. elle doit retarder ce même cours en remontant de la
-conjonction vers son premier quartier.
-
-Mais lorsque la Lune remonte de ce premier quartier vers son plein A.
-elle est alors plus loin du Soleil qui l'attire d'autant moins, elle
-gravite plus vers la Terre. Alors la Lune accélérant son mouvement,
-la courbe qu'elle décrit s'applatit encore un peu comme dans la
-conjonction; & c'est-là l'unique raison pour laquelle la Lune est plus
-loin de nous dans ses quartiers, que dans sa conjonction & dans son
-opposition. La courbe qu'elle décrit est une espèce d'ovale approchant
-du cercle à-peu-près en cette maniere.
-
-[Illustration]
-
-Ainsi donc le Soleil, dont elle s'approche, ou s'éloigne à chaque
-instant, doit à chaque instant varier le cours de cette Planete.
-
- [Inégalités du cours de la Lune, toutes causées par l'attraction.]
-
-Elle a son apogée & son périgée, sa plus grande & sa plus petite
-distance de la Terre; mais les points, les places de cet apogée & de ce
-périgée, doivent changer.
-
-Elle a ses nœuds, c'est-à-dire, les points où l'Orbite qu'elle
-parcourt, rencontre précisément l'Orbite de la Terre; mais ces nœuds,
-ces points d'intersection, doivent toujours changer aussi.
-
-Elle a son Equateur incliné à l'Equateur de la Terre; mais cet
-Equateur, tantôt plus tantôt moins attiré, doit changer son inclinaison.
-
-Elle suit la Terre malgré toutes ces variétés: elle l'accompagne
-dans sa course annuelle; mais la Terre dans cette course se trouve
-d'un million de lieues plus voisine du Soleil en Hyver qu'en Eté.
-Qu'arrive-t-il alors indépendemment de toutes ces autres variations?
-L'attraction de la Terre agit plus pleinement sur la Lune en Eté: alors
-la Lune acheve son cours d'un mois un peu plus vîte; mais en Hyver au
-contraire, la Terre elle-même plus attirée par le Soleil, & allant
-plus rapidement qu'en Eté, laisse ralentir le cours de la Lune, & les
-mois d'Hyver de la Lune sont un peu plus longs que ses mois d'Eté. Ce
-peu que nous en disons suffira pour donner une idée générale de ces
-changemens.
-
-Si quelqu'un faisoit ici la difficulté que j'ai entendu proposer
-quelquefois, comment la Lune étant plus attirée par le Soleil, ne tombe
-pas alors dans cet Astre? Il n'a d'abord qu'à considerer que la force
-de gravitation qui dirige la Lune autour de la Terre est seulement
-diminuée ici par l'action du Soleil; nous verrons de plus à l'article
-des Cometes, pourquoi un corps qui se meut en une Ellipse & qui
-s'approche de son foyer ne tombe point cependant dans ce foyer.
-
- [Déduction de ces vérités.]
-
-De ces inégalités du cours de la Lune, causées par l'attraction, vous
-conclurez avec raison, que deux Planetes quelconques, assez voisines,
-assez grosses pour agir l'une sur l'autre sensiblement, ne pourront
-jamais tourner dans des cercles autour du Soleil, ni même dans des
-Ellipses absolument réguliéres. Ainsi les courbes que décrivent Jupiter
-& Saturne, éprouvent, par exemple, des variations sensibles, quand ces
-Astres sont en conjonction: quand, étant le plus près l'un de l'autre
-qu'il est possible, & le plus loin du Soleil, leur action mutuelle
-augmente, & celle du Soleil sur eux diminue.
-
- [La gravitation n'est point l'effet du cours des Astres, mais leur
- cours est l'effet de la gravitation.]
-
-Cette gravitation augmentée & affoiblie selon les distances, assignoit
-donc nécessairement une figure elliptique irréguliére au chemin de
-la plûpart des Planetes; ainsi la loi de la gravitation n'est point
-l'effet du cours des Astres, mais l'orbite qu'ils décrivent est l'effet
-de la gravitation. Si cette gravitation n'étoit pas comme elle est
-en raison inverse des quarrés des distances, l'Univers ne pourroit
-subsister dans l'ordre où il est.
-
-Si les Satellites de Jupiter & de Saturne font leur révolution dans
-des courbes qui sont plus approchantes du cercle, c'est qu'étant
-très-proches des grosses Planetes qui sont leur centre, & très-loin du
-Soleil, l'action du Soleil ne peut changer le cours de ces Satellites,
-comme elle change le cours de notre Lune; il est donc prouvé que la
-gravitation, dont le nom seul sembloit un si étrange paradoxe, est
-une loi nécessaire dans la constitution du Monde; tant ce qui est peu
-vraisemblable est vrai quelquefois.
-
-Souvenons-nous ici combien il sembloit absurde autrefois que la figure
-de la Terre ne fût pas sphérique, & cependant il est prouvé, comme
-nous l'avons vu, que la Terre ne peut avoir une forme entiérement
-sphérique; il en est ainsi de la gravitation.
-
-Il n'y a pas à présent de bon Physicien qui ne reconnoisse & la
-règle de Kepler, & la nécessité d'admettre une gravitation telle que
-Neuton l'a prouvée; mais il y a encore des Philosophes attachés à
-leurs tourbillons de Matiere subtile, qui voudroient concilier ces
-tourbillons imaginaires avec ces Vérités démontrées.
-
- [Cette gravitation, cette attraction, peut être un premier Principe
- établi dans la Nature.]
-
-Nous avons déja vu combien ces tourbillons sont inadmissibles; mais
-cette gravitation même ne fournit-elle pas une nouvelle démonstration
-contr'eux? Car supposé que ces tourbillons existassent, ils ne
-pourroient tourner autour d'un centre que par les loix de cette
-gravitation même; il faudroit donc recourir à cette gravitation, comme
-à la cause de ces tourbillons, & non pas aux tourbillons prétendus,
-comme à la cause de la gravitation.
-
-Si étant forcé enfin d'abandonner ces tourbillons imaginaires, on se
-réduit à dire, que cette gravitation, cette attraction, dépend de
-quelqu'autre cause connue, de quelqu'autre proprieté secrette de la
-Matiere: ou cette autre proprieté sera elle-même l'effet d'une autre
-proprieté, ou bien sera une cause primordiale, un premier principe
-établi par l'Auteur de la Nature; or pourquoi l'attraction de la
-Matiere ne sera-t-elle pas elle-même ce premier principe?
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE VINGT-DEUX.
-
-_Nouvelles preuves & nouveaux effets de la gravitation: que ce pouvoir
-est dans chaque partie de la Matiere; Découvertes dépendantes de ce
-principe._
-
-
-REcueillons de toutes ces notions que la force centripète,
-l'attraction, la gravitation, est le Principe indubitable & du cours
-des Planetes, & de la chûte de tous les corps, & de cette pesanteur
-que nous éprouvons dans les corps. Cette force centripète, cette
-attraction, n'est & ne peut être le simple pouvoir d'un corps d'en
-appeller un autre à lui: nous la considérons ici comme une force dont
-résulte le mouvement autour d'un centre; cette force fait graviter le
-Soleil vers le centre des Planetes, comme les Planetes gravitent vers
-le Soleil, & attire la Terre vers la Lune, comme la Lune vers la Terre.
-
-Une des loix primitives du mouvement est encore une nouvelle
-Démonstration de cette Vérité: cette loi est que la réaction est égale
-à l'action; ainsi si le Soleil gravite sur les Planetes, les Planetes
-gravitent sur lui, & nous verrons au commencement du Chapitre suivant
-en quelle maniere cette grande loi s'opére.
-
-Or cette gravitation agissant nécessairement _en raison directe de la
-masse_, & le Soleil étant environ 760 fois plus gros que toutes les
-Planetes mises ensemble, (sans compter les Satellites de Jupiter, &
-l'anneau & les Lunes de Saturne) il faut que le Soleil soit leur centre
-de gravitation; ainsi il faut qu'elles tournent toutes autour du
-Soleil.
-
- [Remarque générale & importante sur le principe de l'attraction.]
-
-Remarquons soigneusement que, quand nous disons que le pouvoir de
-gravitation agit _en raison directe des masses_, nous entendons
-toujours que ce pouvoir de la gravitation agit d'autant plus sur un
-corps, que ce corps a plus de parties, & nous l'avons démontré en
-faisant voir qu'un brin de paille descend aussi vîte dans la Machine
-purgée d'air, qu'une livre d'or. Nous avons dit (en faisant abstraction
-de la petite résistance de l'air) qu'une balle de plomb, par exemple,
-tombe de 15. pieds sur la Terre en une seconde: nous avons démontré
-que cette même balle tomberoit de 15. pieds en une minute, si elle
-étoit à 60. rayons de la Terre comme est la Lune; donc le pouvoir de
-la Terre sur la Lune est au pouvoir qu'elle auroit sur une balle de
-plomb transportée à l'élévation de la Lune, comme le corps solide de
-la Lune seroit avec le corps solide de cette petite balle. C'est en
-cette proportion que le Soleil agit sur toutes les Planetes; il attire
-Jupiter & Saturne, & les Satellites de Jupiter & de Saturne, en raison
-directe de la matiere solide, qui est dans les Satellites de Jupiter &
-de Saturne, & de celle qui est dans Saturne & dans Jupiter.
-
-De-là il découle une Vérité incontestable, que cette gravitation n'est
-pas seulement dans la masse totale de chaque Planete, mais dans chaque
-partie de cette masse; & qu'ainsi il n'y a pas un atome de matiere dans
-l'Univers, qui ne soit revêtu de cette proprieté.
-
- [La gravitation, l'attraction, est dans toutes les parties de la
- matiere également.]
-
-Nous choisirons ici la maniere la plus simple dont Neuton a démontré
-que cette gravitation est également dans chaque atome. Si toutes les
-parties d'un Globe n'avoient pas également cette proprieté: s'il y
-en avoit de plus foibles & de plus fortes, la Planete en tournant
-sur elle-même présenteroit nécessairement des côtés plus foibles, &
-ensuite des côtés plus forts à pareille distance; ainsi les mêmes
-corps dans toutes les occasions possibles éprouvent tantôt un degré de
-gravitation, tantôt un autre à pareille distance; la loi de la raison
-inverse des quarrés des distances & la loi de Kepler seroient toujours
-interverties; or elles ne le sont pas; donc il n'y a dans toutes les
-Planetes aucune partie moins gravitante qu'une autre.
-
-En voici encore une Démonstration. S'il y avoit des corps en qui cette
-proprieté fût différente, il y auroit des corps qui tomberoient plus
-lentement & d'autres plus vîte dans la Machine du vuide: or tous les
-corps tombent dans le même-tems, tous les pendules mêmes font dans
-l'air de pareilles vibrations à égale longueur: les pendules d'or,
-d'argent, de fer, de bois d'Erable, de verre, font leurs vibrations en
-tems égaux; donc tous les corps ont cette proprieté de la gravitation
-précisément dans le même degré, c'est-à-dire, précisément comme leurs
-masses; de sorte que la gravitation agit comme 100. sur 100. atomes, &
-comme 10. sur 10. atomes.
-
-De Vérité en Vérité on s'éleve insensiblement à des connoissances qui
-sembloient être hors de la sphére de l'Esprit humain.
-
- [Calcul hardi & admirable de Neuton.]
-
-Neuton a osé calculer à l'aide des seules loix de la gravitation,
-quelle doit être la pesanteur des corps dans d'autres Globes que le
-nôtre: ce que doit peser dans la Lune, dans Saturne, dans le Soleil, le
-même corps que nous appellons ici une livre; & comme ces différentes
-pesanteurs dépendent directement de la masse des Globes, il a fallu
-calculer quelle doit être la masse de ces Astres. Qu'on dise après cela
-que la gravitation, l'attraction, est une qualité occulte: qu'on ose
-appeller de ce nom une loi universelle, qui conduit à de si étonnantes
-découvertes.
-
-Il n'est rien de plus aisé que de connoître la grosseur d'un Astre
-quelconque, dès qu'on connoît son diametre; car le produit de la
-circonférence du grand Cercle par le diametre donne la surface de
-l'Astre, & le tiers du produit de cette surface par le rayon fait la
-grosseur.
-
-Mais en connoissant cette grosseur, on ne connoît point du tout la
-masse, c'est-à-dire, la quantité de la matiere que l'Astre contient;
-on ne le peut savoir que par cette admirable découverte des loix de la
-gravitation.
-
- [Comment on peut connoître la quantité de matiere d'un Astre, & ce que
- les mêmes corps pesent sur les divers Astres.]
-
-1º. _Quand on dit_ densité, quantité de matiere, _dans un Globe
-quelconque, on entend que la matiere de ce Globe est homogène; par
-exemple, que tout pied cubique de cette matiere est également pesant._
-
-2º. _Tout Globe attire en raison directe de sa masse; ainsi toutes
-choses égales, un Globe qui aura 10. fois plus de masse, attirera 10.
-fois davantage qu'un corps 10. fois moins massif n'attirera à pareille
-distance._
-
-3º. _Il faut absolument considerer la grosseur, la circonférence de
-ce Globe quelconque; car plus la circonférence est grande, plus la
-distance au centre augmente, & il attire en raison renversée du quarré
-de cette distance. Exemple, si le diametre de la Planete A. est 4.
-fois plus grand que celui de la Planete B. toutes deux ayant également
-de matiere, la Planete A. attirera les corps à sa superficie 16. fois
-moins que la Planete B. & ce qui pesera une livre sur la Planete A.
-pesera 16. livres sur la Planete B._
-
-4º. _Il faut savoir sur-tout en combien de tems les mobiles attirés
-par ce Globe duquel on cherche la densité, font leur révolution autour
-de ce Globe; car, comme nous l'avons vu au Chapitre 19. tout corps
-circulant autour d'un autre, gravite d'autant plus qu'il tourne plus
-vîte; or il ne gravite davantage que par l'une de ces deux raisons,
-ou parce qu'il s'approche plus du centre qui l'attire, ou parce que
-ce centre attirant contient plus de matiere. Si donc je veux savoir
-la densité du Soleil par rapport à la densité de notre Terre, je dois
-comparer le tems de la révolution d'une Planete comme Venus autour du
-Soleil, avec le cours de la Lune autour de notre Terre, & la distance
-de Venus au Soleil avec la distance de la Lune à la Terre._
-
-5º. _Voici comme je procéde. La quantité de matiere du Soleil, par
-rapport à celle de la Terre, est comme le cube de la distance de Venus
-au centre du Soleil est au cube de la distance de la Lune au centre de
-la Terre (prenant la distance de Venus au Soleil 257. fois plus grande
-que celle de la Lune à la Terre), & aussi en raison réciproque du
-quarré du tems périodique de Venus autour du Soleil, au quarré du tems
-périodique de la Lune autour de la Terre._
-
-_Cette opération faite, en supposant toujours que le Soleil est à la
-Terre en grosseur comme un million à l'unité, & en comptant rondement,
-vous trouverez que le Soleil, plus gros que la Terre un million de
-fois, n'a que 250000. fois ou environ plus de matiere._
-
-_Cela supposé, je veux savoir quelle proportion se trouve entre la
-force de la gravitation à la surface du Soleil, & cette même force à
-la surface de la Terre; je veux savoir en un mot combien pese sur le
-Soleil ce qui pese ici une livre._
-
-_Pour y parvenir, je dis: La force de cette gravitation dépend
-directement de la densité des Globes attirants, & de la distance du
-centre de ces Globes aux corps pesants sur ces Globes: or les corps
-pesants se trouvants à la superficie du Globe, leur distance est
-précisément le rayon du Globe; mais le rayon du Globe de la Terre est à
-celui du Soleil comme 1. est à 100. & la densité respective de la Terre
-est à celle du Soleil comme 4. est à 1. Dites donc: comme 100, rayon du
-Soleil multiplié par un, est à 4, densité de la Terre multipliée par
-1. ainsi est la pesanteur des corps sur la surface du Soleil à la
-pesanteur des même corps sur la surface de la Terre: ce rapport de 100.
-à 4. réduit aux plus petits termes, est comme 25. à 1.; donc une livre
-pese 25. livres sur la surface du Soleil, ce que je cherchois._
-
-_J'ai supposé ici les densités respectives de la Terre & du Soleil
-comme 4. & 1., mais ce n'est pas tout-à-fait 4; aussi la pesanteur
-des corps sur la surface du Soleil est à celle des corps sur la Terre
-environ comme 24., & non pas comme 25. à 1._
-
-On ne peut avoir les mêmes notions de toutes les Planetes, car celles
-qui n'ont point de Lunes, point de Satellites, manquant de Planetes de
-comparaison, ne peuvent être soumises à nos recherches; ainsi nous ne
-savons point le rapport de gravitation qui est entre Mercure, Mars,
-Venus & nous, mais nous savons celui des autres Planetes.
-
-Je vais donner une petite Théorie de tout notre Monde Planétaire, tel
-que les découvertes de Neuton servent à le faire connoître; ceux qui
-voudront se rendre une raison plus approfondie de ces calculs, liront
-Neuton lui-même, ou Grégory, ou Mr. de Gravesande. Il faut seulement
-avertir qu'en suivant les proportions découvertes par Neuton, nous nous
-sommes attachés au calcul Astronomique de l'Observatoire de Paris. Quel
-que soit le calcul, les proportions & les preuves sont les mêmes.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE VINGT-TROIS.
-
-_Théorie de notre Monde Planétaire._
-
-
-LE SOLEIL.
-
-LE Soleil est au centre de notre Monde Planétaire & doit y être
-nécessairement. Ce n'est pas que le point du milieu du Soleil soit
-précisément le centre de l'Univers; mais ce point central vers lequel
-notre Univers gravite, est nécessairement dans le corps de cet Astre, &
-toutes les Planetes, ayant reçu une fois le mouvement de projectile,
-doivent toutes tourner autour de ce point, qui est dans le Soleil. En
-voici la preuve.
-
-Soient ces deux Globes A. & B. le plus grand représentant le Soleil, le
-plus petit représentant une Planete quelquonque. S'ils sont abandonnés
-l'un & l'autre à la loi de la gravitation, & libres de tout autre
-mouvement, ils seront attirés en raison directe de leurs masses: ils
-seront déterminés en ligne perpendiculaire l'un vers l'autre; & A.
-plus gros un million de fois que B. forcera B. à se jetter vers lui un
-million de fois plus vîte que le Globe A. n'ira vers B.
-
-[Illustration]
-
- [Démonstration du mouvement de la Terre autour du Soleil tirée de la
- gravitation.]
-
-Mais qu'ils ayent l'un & l'autre un mouvement de projectile en raison
-de leurs masses, la Planete en B, C. le Soleil en A, D.: alors la
-Planete obéït à 2. mouvemens: elle suit la ligne B, C. & gravite en
-même-tems vers le Soleil suivant la ligne B, A; elle parcourera donc la
-ligne courbe B, F. le Soleil de même suivra la ligne A, E; & gravitant
-l'un vers l'autre, ils tourneront autour d'un centre commun. Mais le
-Soleil surpassant un million de fois la Terre en grosseur, & la courbe
-A, E. qu'il décrira étant un million de fois plus petite que celle que
-décrit la Terre, ce centre commun est nécessairement presqu'au milieu
-du Soleil.
-
-Il est démontré encore par-là que la Terre & les Planetes tournent
-autour de cet Astre; & cette démonstration est d'autant plus belle &
-plus puissante, qu'elle est indépendante de toute observation, & fondée
-sur la Mécanique primordiale du Monde.
-
- [Grosseur du Soleil.]
-
-Si l'on fait le Diametre du Soleil égal à cent Diametres de la Terre, &
-si par conséquent il surpasse un million de fois la Terre en grosseur,
-il est 760. fois plus gros que toutes les Planetes ensemble, en ne
-comptant ni les Satellites de Jupiter ni l'Anneau de Saturne. Il
-gravite vers les Planetes & les fait graviter toutes vers lui; c'est
-cette gravitation qui les fait circuler en les retirant de la tangente,
-& l'attraction que le Soleil exerce sur elles, surpasse celles qu'elles
-exercent sur lui, autant qu'il les surpasse en quantité de matiere. Ne
-perdez jamais de vûe que cette attraction réciproque n'est autre chose
-que la loi des mobiles gravitants tous & tournants tous vers un centre
-commun.
-
- [Il tourne sur lui-même autour du centre commun du Monde planétaire.]
-
-Le Soleil tourne donc sur ce centre commun, c'est-à-dire sur lui-même
-en 25. jours & 1/2. son point de milieu est toujours un peu éloigné
-de ce centre commun de gravité, & le corps du Soleil s'en éloigne à
-proportion que plusieurs Planetes en conjonction l'attirent vers elles;
-mais quand toutes les Planetes se trouveroient d'un côté & le Soleil
-d'un autre, le centre commun de gravité du Monde Planétaire sortiroit à
-peine du Soleil, & leurs forces réunies pourroient à peine déranger &
-remuer le Soleil d'un Diametre entier.
-
- [Il change toujours de place.]
-
-Il change donc réellement de place à tout moment, à mesure qu'il est
-plus ou moins attiré par les Planetes: & ce petit approchement du
-Soleil rétablit le dérangement que les Planetes opérent les unes sur
-les autres; ainsi le dérangement continuel de cet Astre entretient
-l'ordre de la Nature.
-
-Quoiqu'il surpasse un million de fois la Terre en grosseur, il n'a pas
-un million plus de matiere, comme on l'a déja dit.
-
-S'il étoit en effet un million de fois plus solide, plus plein que
-la Terre, l'ordre du Monde ne seroit pas tel qu'il est; car les
-révolutions des Planetes & leurs distances à leur centre dépendent
-de leur gravitation, & leur gravitation dépend en raison directe de
-la quantité de la matiere du Globe où est leur centre; donc si le
-Soleil surpassoit à un tel excès notre Terre & notre Lune en matiere
-solide, ces Planetes seroient beaucoup plus attirées, & leurs Ellipses
-très-dérangées.
-
- [Sa densité.]
-
-En second lieu la matiere du Soleil ne peut-être comme sa grosseur;
-car ce Globe étant tout en feu, la rarefaction est nécessairement fort
-grande, & la matiere est d'autant moindre que la rarefaction est plus
-forte.
-
-Par les loix de la gravitation il paroît que le Soleil n'a que 250000.
-fois plus de matiere que la Terre; or le Soleil un million plus gros
-n'étant que le quart d'un million plus matériel, la Terre un million de
-fois plus petite aura donc à proportion 4. fois plus de matiere que le
-Soleil, & sera quatre fois plus dense.
-
-Le même corps en ce cas, qui pese fur la surface de la Terre comme une
-livre, peseroit sur la surface du Soleil comme 25. livres; mais cette
-proportion est de 24. à l'unité, parce que la Terre n'est pas en effet
-4. fois plus dense, & que le diametre du Soleil surpasse seulement 97
-fois & demi celui de la Terre.
-
- [En quelle proportion les corps tombent sur le Soleil.]
-
-Le même corps qui tombe ici de 15. pieds dans la 1ere. seconde, tombera
-d'environ 350. pieds sur la surface du Soleil, toutes choses d'ailleurs
-égales.
-
-Le Soleil perd toujours, selon Neuton, un peu de sa substance, & seroit
-dans la suite des siècles réduit à rien, si les Cometes, qui tombent
-de tems en tems dans sa Sphére, ne servoient à réparer ses pertes; car
-tout s'altére & tout se répare dans l'Univers.
-
-
-MERCURE.
-
-Depuis le Soleil jusqu'à onze à douze millions de nos lieues ou
-environ, il ne paroît aucun Globe.
-
-A 11. ou 12. millions de nos lieues du Soleil est Mercure dans sa
-moyenne distance. C'est la plus excentrique de toutes les Planetes:
-elle tourne dans une Ellipse qui la met dans son périhélie près d'un
-tiers plus près que dans son aphélie; telle est à-peu-près la courbe
-qu'elle décrit.
-
-[Illustration]
-
-Mercure est à-peu-près 27. fois plus petit que la Terre; il tourne
-autour du Soleil en 88. jours, ce qui fait son année.
-
- [Idée de Neuton sur la densité du corps de Mercure.]
-
-Sa révolution sur lui-même qui fait son jour est inconnue; on ne
-peut assigner ni sa pesanteur, ni sa densité. On sait seulement que
-si Mercure est précisément une Terre comme la nôtre, il faut que la
-matiere de ce Globe soit environ 8. fois plus dense que la nôtre, pour
-que tout n'y soit pas dans un degré d'effervescence qui tueroit en
-un instant des Animaux de notre espèce, & qui feroit évaporer toute
-matiere de la consistence de eaux de notre Globe.
-
-Voici la preuve de cette assertion. Mercure reçoit environ 7. fois plus
-de lumiere que nous, à raison du quarré des distances, parce qu'il est
-environ 2. fois 2/3 plus près du centre de la lumiere & de la chaleur;
-donc il est 7. fois plus étouffé, toutes choses égales. Or sur notre
-Terre la grande chaleur de l'Eté étant augmentée environ 7. à 8. fois,
-fait incontinent bouillir l'eau à gros bouillons; donc il faudroit que
-tout fût environ 7. fois plus dense qu'il n'est, pour résister à 7. ou
-8. fois plus de chaleur que le plus brûlant Eté n'en donne dans nos
-Climats; donc Mercure doit être au moins 7. fois plus dense que notre
-Terre, pour que les mêmes choses qui sont dans notre Terre puissent
-subsister dans le Globe de Mercure, toutes choses égales. Au reste, si
-Mercure reçoit environ 7. fois plus de rayons que notre Globe, parce
-qu'il est environ 2. fois 2/3 plus près du Soleil, par la même raison
-le Soleil paroît, de Mercure, environ 7. fois plus grand, que de notre
-Terre.
-
-
-VENUS.
-
-Après Mercure est Venus à 21. ou 22. millions de lieues du Soleil
-dans sa distance moyenne; elle est grosse comme la Terre, son année
-est de 224. jours. On ne sait pas encore ce que c'est que son jour,
-c'est-à-dire, sa révolution sur elle-même. De très-grands Astronomes
-croyent ce jour de 23. heures, d'autres le croyent de 25. de nos
-jours. On n'a pas pu encore faire des observations assez sûres pour
-savoir de quel côté est l'erreur; mais cette erreur, en tout cas, ne
-peut-être qu'une méprise des yeux, une erreur d'observation, & non de
-raisonnement.
-
-L'Ellipse que Venus parcourt dans son année est moins excentrique que
-celle de Mercure; on peut se former quelqu'idée du chemin de ces 2.
-Planetes autour du Soleil par cette figure.
-
-[Illustration]
-
- [Prédiction de Copernic sur les Phases de Venus.]
-
-Il n'est pas hors de propos de remarquer ici que Venus & Mercure
-ont par rapport à nous des Phases différentes ainsi que la Lune. On
-reprochoit autrefois à Copernic, que dans son Systême ces Phases
-devoient paroître, & on concluoit que son Systême étoit faux, parce
-qu'on ne les appercevoit pas. Si Venus & Mercure, lui disoit-on,
-tournent autour du Soleil, & que nous tournions dans un plus grand
-cercle, nous devons voir Mercure & Venus, tantôt pleins tantôt en
-croissant, &c.; mais c'est ce que nous ne voyons jamais. C'est pourtant
-ce qui arrive, leur disoit Copernic, & c'est-ce que vous verrez, si
-vous trouvez jamais un moyen de perfectionner votre vûe. L'invention
-des Telescopes & les observations de Galilée servirent bien-tôt à
-accomplir la prédiction de Copernic. Au reste, on ne peut rien
-assigner sur la masse de Venus & sur la pesanteur des corps dans cette
-Planete.
-
-
-LA TERRE.
-
-Après Venus est notre Terre placée à 30. millions de lieues du Soleil,
-ou environ, au moins dans sa moyenne distance.
-
-Elle est à-peu-près un million de fois plus petite que le Soleil: elle
-gravite vers lui, & tourne autour de lui dans une Ellipse en 365.
-jours, 5. heures & 48. minutes; & fait au moins 180. millions de lieues
-par an. L'Ellipse qu'elle parcourt est très-dérangée par l'action de la
-Lune sur elle, & tandis que le centre commun de la Terre & de la Lune
-décrit une Ellipse véritable, la Terre décrit en effet cette courbe à
-chaque Lunaison.
-
-[Illustration]
-
- [Quelle est la cause de la rotation journaliére de la Terre.]
-
-Son mouvement de rotation sur son axe d'Occident en Orient constitue
-son jour de 23. heures, 56. minutes. Ce mouvement n'est point l'effet
-de la gravitation. Il paroît sur-tout impossible de recourir ici à
-cette raison suffisante dont parle le grand Philosophe Leibnitz.
-Il faut absolument avouer que les Planetes & le Soleil pouvoient
-tourner d'Orient en Occident; donc il faut convenir que cette rotation
-d'Occident en Orient est l'effet de la volonté libre du Créateur, & que
-cette volonté libre est l'unique raison suffisante de cette rotation.
-
-La Terre a un autre mouvement que ses Poles achevent en 25920. années:
-c'est la gravitation vers le Soleil & vers la Lune qui cause évidemment
-ce mouvement; ce que nous prouverons dans le Chapitre XXV.
-
-La Terre éprouve encore une révolution beaucoup plus étrange, dont
-la cause est plus cachée, dont la longueur étonne l'imagination, &
-qui sembleroit promettre au Genre Humain une durée que l'on n'oseroit
-concevoir. Cette période est selon toutes les apparences d'un million
-neuf cens quarante-quatre mille ans. C'est ici le lieu d'insérer ce
-qu'on fait de cette étonnante découverte avant que de finir le Chapitre
-de la Terre.
-
-
-DIGRESSION
-
-_Sur la Période de 1944000. ans nouvellement découverte._
-
-L'Egypte & une partie de l'Asie, d'où nous sont venues toutes les
-Sciences qui semblent circuler dans l'Univers, conservoient autrefois
-une Tradition immémoriale, vague, incertaine, mais qui ne pouvoit être
-sans fondement. On disoit qu'il s'étoit fait des changemens prodigieux
-dans notre Globe, & dans le Ciel par rapport à notre Globe. La seule
-inspection de la Terre donnoit un grand poids à cette opinion.
-
-On voit que les Eaux ont successivement couvert & abandonné les lits
-qui les contiennent; des Végétaux, des Poissons des Indes, trouvés dans
-les pétrifications de notre Europe, des Coquillages entassés sur des
-Montagnes, rendent assez témoignage à cette ancienne Vérité.
-
-Ovide en exposant la Philosophie de Pithagore, & en faisant parler ce
-Philosophe instruit par les Sages de l'Asie, parloit au nom de tous les
-Philosophes d'Orient, lorsqu'il disoit:
-
- _Nil equidem durare diu sub imagine eâdem
- Crediderim; sic ad ferrum venistis ab auro
- Sæcula, sic toties versa est fortuna locorum.
- Vidi ego quod fuerat quondam solidissima Tellus
- Esse Fretum: vidi factas ex Æquore Terras:
- Et procul à pelago Conchæ jacuere marinæ:
- Quodque fuit Campus Vallem decursus aquarum
- Fecit; & eluvie Mons est deductus in Æquor,
- Eque paludosa siccis humus aret arenis._
-
-On peut rendre ainsi le sens de ces Vers.
-
- Le Tems qui donne à tout le mouvement & l'être,
- Produit, acroît, détruit, fait mourir, fait renaître,
- Change tout dans les Cieux, sur la Terre & dans l'Air;
- L'Age d'Or à son tour suivra l'Age de Fer:
- Flore embellit des Champs l'aridité sauvage:
- La Mer change son lit, son flux & son rivage:
- Le limon qui nous porte est né du sein des Eaux:
- Le Caucase est semé du débris des Vaisseaux:
- Bien-tôt la main du Tems applanit les Montagnes,
- Il creuse les Vallons, il étend les Campagnes;
- Tandis que l'Eternel, le Souverain des tems,
- Est seul inébranlable en ces grands changemens.
-
-Voilà quelle étoit l'opinion de l'Orient, & ce n'est pas lui faire tort
-de la rapporter en vers, ancien langage de la Philosophie.
-
-A ces témoignages que la Nature donne de tant de révolutions qui
-ont changé la face de la Terre, se joignoit cette idée des anciens
-Egyptiens, Peuple autrefois Géometre & Astronome, avant que la
-Superstition & la Mollesse en eussent fait un Peuple méprisable.
-Cette idée étoit que le Soleil s'étoit levé pendant des Siècles à
-l'Occident; il est vrai que c'étoit une Tradition aussi obscure que
-les Hiéroglyphes. Hérodote, qu'on peut regarder comme un Auteur trop
-récent, & par conséquent de trop peu de poids à l'égard de telles
-Antiquités, rapporte au Livre d'Euterpe que, selon les Prêtres
-Egyptiens, le Soleil dans l'espace de onze mille trois cens quarante
-ans, (& les années des Egyptiens étoient de 365. jours) s'étoit levé
-deux fois où il se couche, & s'étoit couché deux fois où il se leve,
-sans qu'il y eût eu le moindre changement en Egypte, malgré cette
-variation du cours du Soleil.
-
-Ou les Prêtres qui avoient raconté cet Evénement à Hérodote, s'étoient
-bien mal expliqués, ou Hérodote les avoit bien mal entendus. Car que
-le Soleil eût changé son cours, c'étoit une Tradition qui pouvoit être
-probable pour des Philosophes; mais qu'en onze mille & quelques années,
-les Points cardinaux eussent changé deux fois, cela étoit impossible.
-Ces deux révolutions, comme nous l'allons voir, ne pourroient s'opérer
-qu'en près de quatre millions d'années. La révolution entiére des Poles
-de l'Ecliptique ou de l'Equateur s'acheve en près de 1944000. années, &
-cette révolution de l'Ecliptique & de l'Equateur peut seule, à l'aide
-du mouvement journalier de la Terre, tourner notre Globe successivement
-à l'Orient, au Midi, à l'Occident, au Septentrion. Ainsi ce n'est que
-dans une Période de deux fois 1944000. années que notre Globe peut voir
-deux fois le Soleil se coucher à l'Occident, & non pas en 110. Siècles
-seulement, selon le rapport vague des Prêtres de Thèbes, & d'Hérodote,
-le Pere de l'Histoire & du mensonge.
-
-Il est encore impossible que ce changement se fût fait sans que
-l'Egypte s'en fût ressentie; car si la Terre en tournant journellement
-sur elle-même eût successivement fourni son année d'Occident en
-Orient, puis du Nord au Sud, d'Orient en Occident, du Sud au Nord en
-se relevant sur son axe, on voit clairement que l'Egypte eût changé de
-position comme tous les Climats de la Terre. Les pluyes qui tombent
-aujourd'hui depuis si long-tems du Tropique du Capricorne, & qui
-fertilisent l'Egypte en grossissant le Nil, auroient cessé. Le terrain
-de l'Egypte se fût trouvé dans une Zone glaciale, le Nil & l'Egypte
-auroient disparu.
-
-Platon, Diogène de Laërce & Plutarque ne parlent pas plus
-intelligiblement de cette révolution; mais enfin ils en parlent, ils
-sont des témoins qui restent encore d'une Tradition presque perdue.
-
-Voici quelque chose de plus frappant & de plus circonstancié. Les
-Philosophes de Babylone comptoient, au tems de l'entrée d'Aléxandre
-dans leur Ville, quatre cens trente mille ans depuis leurs premiéres
-Observations Astronomiques, l'Année Babylonienne n'étant que de 360.
-jours; mais cette Epoque de 403000. ans a été regardée comme un
-Monument de la vanité d'une Nation vaincue, qui vouloit, selon la
-coutume de tous les Peuples & de tous les Particuliers, regagner par
-son antiquité la gloire qu'elle perdoit par sa foiblesse.
-
-Enfin les Sciences ayant été apportées parmi nous, & s'étant peu-à-peu
-cultivées, le Chevalier de Louville, distingué parmi la foule de ceux
-qui ont fait honneur au Siècle de Louïs XIV. alla exprès à Marseille
-en 1714. pour voir si l'obliquité de l'Ecliptique y paroissoit la même
-qu'elle avoit été observée & fixée par Pitheas, il y avoit plus de
-2000. ans. Il trouva cette obliquité de l'Ecliptique, c'est-à-dire,
-l'angle formé par l'axe de l'Equateur & par l'axe de l'Ecliptique,
-moindre de 20. minutes que Pitheas ne l'avoit trouvé. Quel rapport de
-cet angle diminué de 20. minutes avec l'opinion de l'ancienne Egypte?
-avec les 403000. ans dont se vantoit Babylone? avec une Période du
-Monde de près de deux millions d'années, & même, selon l'Observation du
-Chevalier de Louville, de plus de deux millions? Il faut voir l'usage
-qu'il en fit, & comment il en doit résulter un jour une Astronomie
-toute nouvelle.
-
-Si l'angle que l'axe de l'Equateur fait avec l'axe de l'Ecliptique est
-plus petit aujourd'hui de 20. minutes, qu'il ne l'étoit il y a 2000.
-ans, l'axe de la Terre en se relevant sur le Plan de l'Ecliptique, s'en
-approche d'un degré entier en 6000. ans.
-
-Que cet angle, P. E. soit, par exemple, d'environ 23. degrés & 1/2.
-aujourd'hui, & qu'il décroisse toujours jusqu'à ce qu'il devienne
-nul, & qu'il recommence ensuite pour accroître & décroître encore,
-il arrivera certainement que dans 23. fois & 1/2. six mille ans,
-c'est-à-dire, dans 141000. années, notre Ecliptique & notre Equateur
-coïncideront dans tous leurs points: le Soleil sera dans l'Equateur,
-ou du-moins s'en éloignera très-peu pendant plusieurs Siècles; les
-Jours, les Nuits, les Saisons seront égaux sur toute la Terre. Il se
-trouve selon le calcul de l'Astronome Français, calcul un peu réformé
-depuis, que l'axe de l'Ecliptique avoit été perpendiculaire à celui
-de l'Equateur, il y a environ 399000. de nos années, supposé que le
-Monde eût existé alors. Otez de ce nombre le tems qui s'est écoulé
-depuis l'entrée triomphante d'Aléxandre dans Babylone, on verra avec
-étonnement que ce calcul se rapporte assez juste avec les 403000.
-années de 360. jours que comptoient les Babyloniens: on verra qu'ils
-commençoient ce compte précisément au point où le Pole de la Terre
-avoit regardé le Bélier, & où la Terre dans sa course annuelle avoit
-été du Midi au Nord; enfin où le Soleil se levoit & se couchoit aux
-Régions du Ciel où sont aujourd'hui les Poles.
-
-Il y a quelque apparence que les Astronomes Chaldéens avoient fait la
-même opération, & par conséquent le même raisonnement que le Philosophe
-Français: ils avoient mesuré l'obliquité de l'Ecliptique, ils l'avoient
-trouvée décroissante: & remontant par leurs calculs jusqu'à un Point
-Cardinal, ils avoient compté du point où l'Ecliptique & l'Equateur
-avoient fait un angle de 90. degrés; point qu'on pourroit considérer
-comme le commencement, ou la fin, ou la moitié, ou le quart de cette
-Période énorme.
-
-Par-là l'Enigme des Egyptiens étoit débrouillée, le compte des
-Chaldéens justifié, le rapport d'Hérodote éclairci, & l'Univers flatté
-d'un long avenir, dont la durée plaît à l'imagination des hommes;
-quoique cette comparaison fasse encore paroître notre vie plus courte.
-
-On s'opposa beaucoup à cette découverte du Chevalier de Louville, &
-parce qu'elle étoit bien étrange, & parce qu'elle ne sembloit pas
-encore assez constatée. Un Académicien avoit, dans un Voyage en Egypte,
-mesuré une Pyramide: il en avoit trouvé les 4. faces exposées aux 4.
-Points Cardinaux; donc les Méridiens, disoit-on, n'avoient pas changé
-depuis tant de Siècles; donc l'obliquité de l'Ecliptique, qui par sa
-diminution eût du changer tous les Méridiens, n'avoit pas en effet
-diminué. Mais ces Pyramides n'étoient point une Barriére invincible à
-ces découvertes nouvelles; car étoit-on bien sûr que les Architectes
-de la Pyramide ne se fussent pas trompés de quelques minutes? La plus
-insensible aberration, en posant une pierre, eût suffi seule pour
-opérer cette erreur. D'ailleurs, l'Académicien n'avoit-il pas négligé
-cette petite différence, qui peut se trouver entre les Points où le
-Soleil doit marquer les Equinoxes & les Solstices sur cette Pyramide,
-supposé que rien n'ait changé, & les Points où il les marque en effet?
-N'auroit-il pas pu se tromper dans les fables de l'Egypte où il opéroit
-par pure curiosité, puisque Ticho-Brahé lui-même s'étoit trompé de 18.
-minutes dans la position de la Méridienne d'_Uranibourg_, de sa Ville
-du Ciel, où il rapportoit toutes ses Observations; mais Ticho-Brahé
-s'étoit-il en effet trompé de 18. minutes, comme on le prétend? Ne se
-pouvoit-il pas encore, que cette différence trouvée entre la vraye
-Méridienne d'_Uranibourg_ & celle de Ticho-Brahé, vint en partie du
-changement même du Ciel, & en partie des erreurs presqu'inévitables,
-commises & par Ticho-Brahé & par ceux qui l'ont corrigé?
-
-Mais aussi le Chevalier de Louville s'étoit pu tromper lui-même, &
-avoir vu un décroissement d'obliquité qui n'existe point. Pitheas
-sur-tout étoit vraisemblablement la source de toutes ces erreurs: il
-avoit observé comme la plûpart des Anciens avec peu d'exactitude: il
-étoit donc de la prudence, avec laquelle on procéde aujourd'hui en
-Physique, d'attendre de nouveaux éclaircissemens; ainsi le petit nombre
-qui peut juger de ce grand différend demeura dans le silence.
-
-Enfin, en 1734. M. Godin (l'un des Philosophes que l'amour de la Vérité
-vient de conduire au Pérou) reprit le fil de ces découvertes: il ne
-s'agit plus ici de l'examen d'une Pyramide sur laquelle il restera
-toujours des difficultés; il faut partir de la fameuse Méridienne
-tracée en 1655. par Dominique Cassini dans l'Eglise de St. Pétrone,
-avec une précision dont on est plus sûr que de celle des Architectes
-des Pyramides. L'obliquité de l'Ecliptique qui en résultoit est de
-23. d. 29´. 15´´. mais on ne peut plus douter par les dernieres
-Observations, que cet angle de l'Ecliptique & de l'Equateur ne soit à
-présent de 23. d. 28´. 20´´. à-peu-près, à moins que les réfractions,
-qui entrent dans la détermination de la hauteur du Pole faite par
-l'Etoile Polaire, & par conséquent aussi dans celle de l'élévation
-de l'Equateur & de l'obliquité de l'Ecliptique, ne soient un peu
-changées depuis ce tems: changement qu'on commence à soupçonner
-par la différence des élévations du Pole, trouvées dans les mêmes
-Villes après quelque espace de tems, comme dans celles de Londres,
-d'Amsterdam & de Coppenhague; quoique ces Observations ne suffisent
-pas encore pour nous assûrer entiérement, que de siècle en siècle
-l'air se trouve tantôt plus, tantôt moins transparent. Il est vrai
-qu'on a découvert depuis peu, & démontré infailliblement, que les
-réfractions de deux endroits, même à très-peu de distance l'un de
-l'autre, peuvent différer quelquefois au delà de l'opinion; ce qui
-oblige à présent un Observateur exact de bien déterminer, avant toutes
-choses, les réfractions de son Horizon, s'il veut que ses observations
-soient accréditées; mais l'on sait aussi que, selon l'expérience de
-Mr. Huygens, en laissant une Lunette dans une situation constante,
-& dirigée vers la pointe de quelque Clocher élevé, depuis midi
-jusqu'au soir, l'on y verra cette pointe toujours plus élevée sur le
-déclin du jour, qu'à midi, & que par conséquent l'air peut changer
-de transparence. Cependant comme tout cela ne contribue rien à un
-changement, tel que celui qu'on pourroit soupçonner de se mêler au
-Phénomêne de cette question, on auroit tort d'admettre un fait aussi
-douteux, vû qu'on n'en a point encore de preuves convaincantes, ni de
-raisons Physiques.
-
-A l'égard des Pyramides d'Egypte, & de la constance des Méridiens,
-qui semble contraire à cette mobilité des Poles de l'Equateur, il
-est à propos de remarquer encore, qu'en supposant la figure de la
-Terre, non pas sphéroïde, comme elle l'est véritablement, mais
-exactement sphérique, ce mouvement du Plan de l'Equateur & de ses
-Poles, se peut concevoir de deux manieres. Car, ou la plûpart des
-Places, situées à présent sous l'Equateur, auront après quelques
-siècles une Latitude Méridionale ou Septentrionale, l'Equateur les
-ayant quittées pour s'approcher de l'Ecliptique, (auquel cas tous
-les Méridiens seront dérangés, & deux Villes quelconques, sans avoir
-changé de place, de distance, ni de leur premiére situation sur la
-Terre, auront pourtant changé de _Rumb_, l'une à l'égard de l'autre);
-ou l'Equateur n'abandonnera jamais les Places, qui ont été de tout
-tems situées sous lui, mais son Plan tournera avec elles autour de
-l'Ecliptique, sans qu'il se fasse jamais aucun changement dans les
-Méridiens, leur constance ne prouvant pas la même chose contre le
-mouvement de l'Equateur que dans la premiére supposition. Au contraire
-reprenant la figure sphéroïde de la Terre, qui est la véritable, il
-est clair que ses parties solides se soutenant & ne se pouvant pas
-quitter les unes les autres, les plus éloignées du Centre de la Terre
-demeureront toujours dans le même éloignement, & que par conséquent
-la circonférence de l'Equateur, qui les a une fois environnées,
-ne les quittera jamais; de sorte que le Plan de l'Equateur, tant
-mobile qu'immobile, ne sauroit jamais apporter aucun dérangement aux
-Méridiens. On voit par là que, quoique les Architectes Egyptiens ayent
-eu ordre d'asseoir les Pyramides parallèlement aux quatre Points
-Cardinaux du Monde, & qu'ils ayent exécuté cet ordre avec la derniere
-exactitude, cela n'empêche pas que l'angle de l'intersection de
-l'Equateur & de l'Ecliptique ne puisse toujours varier autant que l'on
-voudra.
-
-Rien ne fait plus de plaisir que de voir rétablir le crédit des Vérités
-les plus respectables par leur ancienneté, après avoir été mises en
-contestation dans des Siècles aussi circonspects & aussi peu crédules
-qu'est le nôtre; mais il faut avouer néanmoins, que si les Egyptiens
-& les Babyloniens ont été les premiers à découvrir le décroissement
-de cette obliquité, ils l'ont découvert par des raisonnemens bien
-moins fondés, que ne sont ceux par lesquels nous leur attribuons
-cette découverte. Hérodote publia son Histoire environ cent ans après
-qu'Anaximandre de Milet eut trouvé, le premier, le moyen de mesurer
-l'obliquité de l'Ecliptique: & cette invention ayant passé peu après
-en Egypte par les Voyages de Cléostrate, d'Harpale & d'Eudoxe, les
-Egyptiens, qui ne manquérent pas de trouver cette obliquité plus
-petite que ne l'avoit trouvée Anaximandre, s'en prévalurent pour en
-faire honneur à leur Nation; comme si la diminution & par conséquent
-la mesure de l'obliquité de l'Ecliptique avoient été connues chez eux
-pendant des milliers d'années, dans le tems que cette derniére venoit
-seulement d'être découverte parmi les Grecs. Nous avons dit ci-dessus
-à-peu-près la même chose des Babyloniens, qui également jaloux des
-Egyptiens & des Grecs, ont remonté, par un pareil calcul, jusqu'à une
-antiquité incomparablement plus absurde que n'est celle des Egyptiens.
-
-Mais, soit que ce mouvement de l'Equateur existe, soit qu'il n'existe
-pas, il est toujours certain, qu'il ne peut-être produit par aucun
-méchanisme de ceux qui sont tombés dans la pensée du savant Newton.
-Le mouvement qui ressemble plus naturellement à celui de l'axe de
-la Terre, est la variation de l'inclinaison de l'Orbe de la Lune,
-qui est de 5. deg. 18. ou 19. min. quand les Nœuds de la Lune se
-trouvent en conjonction, ou en opposition avec le Soleil, & de 5. deg.
-seulement, quand ces mêmes Nœuds sont dans les Quadratures. Il est
-vrai que, par une analogie naturelle, ce grand Philosophe attribue à
-l'axe de la Terre un petit mouvement alternatif, par lequel l'angle de
-l'intersection de l'Ecliptique & de l'Equinoxiale se trouvant dans les
-Equinoxes, par exemple, de 23. deg. 29. min. s'étrecit en approchant
-des Solstices, & s'élargit derechef depuis les Solstices jusqu'aux
-Equinoxes; de sorte qu'aux Solstices, cet angle, dans sa plus petite
-dimension, est de 23. deg. 29. min. moins quelques secondes.
-
-Mais ces alternatives de diminution & d'accroissement ne produisent
-point de mouvement circulaire du Plan de l'Equinoxiale, d'un Pole de
-l'Ecliptique à l'autre. Il faut donc, que cette circulation dépende
-de quelqu'autre raison inconnue jusqu'à présent, qu'il faut tâcher de
-découvrir, au cas que ce Phénomêne soit réel.
-
-Pour que la diminution de cet angle égale toujours son accroissement,
-il faut que le centre absolu de pesanteur de toute la masse de la
-Terre soit le même que le centre géométrique de sa figure sphéroïde;
-mais il se peut bien faire que cela ne soit pas. Car, si la Terre est
-tant soit peu plus matérielle du côté Boréal de l'Equateur, que du
-côté Méridional, & qu'il arrive au dedans de cette Planete, ou à sa
-surface, quelque changement, qui diminue la quantité de matiére dans un
-endroit & qui l'augmente dans un autre, il est évident, que la surface
-extérieure de la Terre & le centre commun de la pesanteur de toute sa
-masse changeront de position, l'un à l'égard de l'autre; & comme le
-centre géométrique de sa surface sphéroïde extérieure demeure toujours
-le même, il est nécessaire que ce centre change aussi de position, à
-l'égard de celui de pesanteur, dès que quelque raison constante, ou non
-constante, ôte quelque peu de matiere en quelqu'endroit, pour le porter
-ailleurs. Or les deux centres, savoir le géométrique de la figure ovale
-de la Terre & celui de sa pesanteur générale, doivent nécessairement
-être dans le même axe de son tournoyement, si ce tournoyement doit être
-égal & uniforme pendant 24. heures, sans s'accélérer & se retarder par
-reprises; ce qui seroit contraire à l'expérience.
-
-Pour effectuer donc ce mouvement du Plan de l'Equateur, il suffit
-qu'il y ait, au-dedans de la Terre, une matiere, qui en circulant
-continuellement, mais lentement, déplace toujours le centre commun de
-pesanteur, par rapport à la surface de la Terre, parce que l'axe du
-tournoyement suivra toujours le même chemin de ce centre.
-
-Si cette matiere ne circule pas, mais qu'elle ait un mouvement
-irrégulier & très-petit, le Plan de l'Equateur changera aussi de
-position avec l'Ecliptique, mais sans règle certaine, & pourra être
-tantôt plus près, tantôt plus loin d'elle; ce qui seroit peut-être plus
-vraisemblable qu'une circulation parfaite. Mais tout ce raisonnement
-n'aura lieu que lorsqu'il sera démontré d'une maniere tout-à-fait
-incontestable, que l'approchement de l'Equateur & de l'Ecliptique, dont
-les plus habiles Observateurs prétendent s'appercevoir aujourd'hui, est
-réel: & qu'il n'y a point d'illusion, ni de la part des réfractions,
-ni des Instrumens, dans une affaire qui est encore si delicate, & si
-peu sensible dans les observations modernes, où il ne s'agit encore que
-de quelques secondes de diminution; de sorte que ce ne sera qu'après
-plusieurs Siècles d'observations continuées, que l'on pourra dire, avec
-une pleine certitude, si l'obliquité est variable, ou comment elle
-l'est.
-
-Le moyen le plus court & le plus sûr de terminer cette question, seroit
-de mesurer exactement l'élévation du Pole des ruïnes de l'ancienne
-Ville de Syène en Egypte. L'on sait, au rapport de Strabon dans
-le dernier Livre de sa Géographie, que cette Ville étoit située
-précisément sous le Tropique du Cancer, & qu'il y avoit un Puits
-très-profond, dans lequel on ne voyoit jamais l'image du Soleil, qu'au
-point de Midi, aux Solstices d'Eté, le Soleil donnant verticalement sur
-la surface Horizontale de l'eau, au bas du Puits. Strabon ajoute au
-même endroit, qu'en partant de la Gréce, cette Ville étoit la premiére
-que l'on rencontroit, où les _Gnomons_, ou des Colomnes érigées
-verticalement n'eussent point d'ombre Méridienne une fois dans l'année,
-savoir au Solstice d'Eté; de sorte que voilà deux preuves différentes,
-qui nous assûrent que du tems de Strabon, ou quelque tems avant lui, le
-Tropique du Cancer a passé par le point vertical de cette Ville.
-
-Or si en mesurant à présent la Latitude de l'endroit, où a été
-autrefois cette Place, on y trouvoit le Pole Septentrional élevé de 23.
-deg. 49. min. ou davantage, ce seroit une preuve indubitable que Mr.
-le Chevalier de Louville avoit trouvé la vérité, & que l'obliquité de
-l'Ecliptique étoit diminuée de 20. min. pendant près de 18. siècles. Je
-dis de 23. deg. 49. min. ou davantage, car la Tour de Syène étant déja
-renommée, à cause de la propriété dont nous venons de parler, du tems
-du Prophête Ezéchiel, qui en fait mention au Chap. 29. de sa Prophétie,
-il est apparent que si l'obliquité de l'Ecliptique étoit variable, elle
-auroit encore diminué de 5. à 6. minutes, dans la même proportion,
-depuis le tems de ce Prophête jusqu'à celui de Strabon, pendant plus
-de cinq Siècles, sans compter ce qu'il pourroit y avoir de diminution
-depuis la fondation de cette Tour jusqu'au tems de ce Prophête.
-
-Mais si au contraire on n'y trouvoit le Pole élevé que de 23. deg. &
-demi, ou environ, il faudroit conclure, sans hésiter, que, pendant
-toute cette suite de Siècles, l'obliquité en question a été constamment
-la même, ou que sa diminution n'a rien eu de considérable; & que
-l'espace compris entre l'Equinoxiale & l'Ecliptique ne s'est que
-peu, ou point rétreci. Toute la difficulté ne consisteroit qu'à bien
-découvrir la situation de cette ancienne Ville au voisinage du Nil &
-de l'Isle Eléphantine. Ce seroit le moyen de prévenir les soins de la
-Postérité, & de se faire un mérite auprès d'elle, en lui présentant
-des Démonstrations achevées d'une vérité, dont l'éclaircissement pourra
-lui coûter plusieurs siècles.
-
-Le dénombrement que nous avons entrepris de faire ici des principales
-particularités qui regardent la Terre, par rapport au rang qu'elle
-tient parmi les Planetes, nous engage à examiner les preuves de sa
-figure sphéroïde que nous avons supposée véritable, & de faire voir
-l'impossibilité du changement des Méridiens. Nous en avons déja
-donné une idée générale au Chapitre XVIII. lorsque, par rapport à
-l'étendue & aux divers degrés de la pesanteur, nous avons fait mention
-de l'inondation des Eaux vers les Régions de l'Equateur, qui devoit
-résulter nécessairement du tournoyement de la Terre autour de son axe,
-si elle étoit exactement sphérique. Mais comme ce n'étoit pas là le
-lieu de prouver que cette différence étoit assez sensible pour pouvoir
-être mesurée, nous allons faire voir ici ce qui en est.
-
-Les preuves, dont nous nous servirons, sont tirées en partie des
-raisonnemens de Physique, & en partie de l'Expérience même. Les
-raisonnemens de Physique, qui nous prouvent la nécessité de cette
-figure, ne supposent pour tout Principe, que le mouvement journalier
-de la Terre, de 23. heures 56. minutes. Si la Terre est exactement
-sphérique, la vîtesse du tournoyement de tous les Corps pesants sous
-l'Equateur diminuera leur pesanteur, ou la vîtesse de leur chûte, à
-mesure qu'elle différera moins de celle qu'il faudroit pour faire
-circuler tous les corps pesants sous l'Equateur, sans pouvoir jamais
-tomber, ou s'approcher du centre de la Terre; ou pour faire que tout
-ce qu'il y a de corps sous l'Equateur, fussent autant de Satellites,
-qui tournassent par leur mouvement journalier dans la circonférence
-de l'Equateur, comme fait la Lune dans son Orbite. Or en disant
-par une Règle de _Trois_: Comme le cube de la distance de la Lune,
-de 60. sémi-diametres de la Terre, est au cube d'un seul de ces
-sémi-diametres, de même le quarré de 39343 minutes, qui font un mois
-périodique de la Lune, est au quarré des minutes de la révolution des
-Satellites, ou des corps pesants, dans la circonférence de l'Equateur
-terrestre, si l'on vouloit que la force centrifuge contrebalançât
-exactement la pesanteur. On trouve pour le résultat de ce calcul
-84. 2/5 de minutes de révolution; de sorte que si le jour des Etoiles
-étoit de 84 2/5 de minutes, au lieu qu'il est de 23. heures 56. min.
-qui est 17. fois plus grand, il n'y auroit sous l'Equateur, ni chûte,
-ni poids des corps.
-
-On trouve le même nombre de 84 2/5 de minutes, sans se servir de la
-Lune, en suivant le Théorême de Mr. Huygens, par lequel il a trouvé
-qu'un corps, pour tourner circulairement, d'une force centrifuge
-égale à son propre poids, doit faire tout le tour du Cercle en autant
-de tems, qu'un Pendule, de la longueur du rayon du même Cercle,
-employeroit à faire deux vibrations. Or pour faire l'application de ce
-Théorême au Cercle de l'Equateur, & au sémi-diametre de la Terre, il
-faut seulement dire: Comme 3. pieds, & 17/288 d'un pied, longueur du
-Pendule d'une seconde, sont au quarré d'une seconde, ainsi 19615800
-pieds du sémi-diametre de la Terre, selon la mesure de Mr. Picart,
-sont à 6412430, qui est le quarré de 2532. secondes, ou de 42. min.
-12. secondes. Un Pendule de la longueur du sémi-diametre de la Terre,
-feroit donc chaque vibration en 42. min. 12. secondes; & par conséquent
-pour égaler la pesanteur à la force centrifuge de la rotation
-journalière sous l'Equateur, il faudroit que cette rotation s'achevât
-en 84. min. 24. secondes.
-
-Mais, comme elle se trouve 17. fois plus lente, il est évident qu'en
-supposant la surface de la Terre exactement sphérique, la pesanteur
-sous l'Equateur excéde sa diminution, ou la force centrifuge, 17. fois
-17 fois, c'est-à-dire 289. fois, & par-là la vîtesse de la chûte des
-corps, sous l'Equateur, seroit à celle de leur chûte sous les Poles,
-comme 288 sont à 289; & un Pendule d'une seconde, qui feroit sous
-le Pole 86400. vibrations pendant un jour Solaire, n'en feroit sous
-l'Equateur qu'environ 86250. tout de même que le Pendule d'une seconde
-de Paris, étant transporté sous l'Equateur, & y faisant ses chûtes
-curvilignes, ou ses vibrations un peu plus lentes qu'ici, retarderoit
-par jour de 2. min. 5. secondes, ou environ.
-
-L'expérience de Mr. _Richer_ faite dans l'Isle de Caïenne, celle de Mr.
-Halley dans l'Isle de _Ste. Hélène_, & celles de ceux dont on peut voir
-les noms à la page 227. de cette Edition, ayant vérifié, à quelques
-circonstances près, cette diminution de la pesanteur sous l'Equateur,
-qui est une conséquence nécessaire & indubitable du mouvement
-journalier de la Terre; il nous reste à voir le dérangement que
-causeroient sur sa surface les forces centrifuges de ce même mouvement
-sous les Cercles parallèles de l'Equateur, si la Terre étoit exactement
-sphérique.
-
-Tout le monde sait qu'une Balance exacte étant suspendue par son
-milieu, & demeurant en repos, les Bassins, ou des Poids égaux suspendus
-par des cordelettes à ses deux extrémités, font prendre à ces
-cordelettes, ou plutôt à leurs milieux, des situations perpendiculaires
-à leurs Horizons, & qui tendent directement au centre de la Terre.
-Mais si l'on donne à cette Balance un mouvement circulaire, dont le
-centre soit le point de suspension de la Balance, on verra d'abord
-que les Bassins, ou les poids, s'éloigneront de la perpendiculaire,
-à proportion de la vîtesse du mouvement circulaire; de sorte que les
-cordelettes ne suivront plus la direction ordinaire de la pesanteur
-vers le centre de la Terre.
-
-Figurons-nous à présent une grande Balance curviligne, dont le milieu
-soit suspendu à l'un des Poles de la Terre, & dont les deux extrémités
-s'étendent jusqu'à égale élévation du même Pole, de part & d'autre;
-il est évident que si la figure sphérique de la Terre (qui est-ce que
-nous examinons) tourne autour de son axe, & qu'elle emporte en même
-tems cette Balance curviligne, par un mouvement circulaire autour du
-même axe, les poids qui étant en repos devroient converger vers le
-centre de la Terre, s'éloigneront un peu de cette convergence & des
-perpendiculaires, de part & d'autre. Ainsi le Sinus du petit angle de
-déviation, compris entre la perpendiculaire & la nouvelle direction du
-poids, sera bien près de 1/289 du produit du Sinus, & du Co-Sinus de
-l'élévation du Pole, divisé par le rayon.
-
-On voit clairement que sans imaginer cette Balance curviligne, ce
-raisonnement peut également s'appliquer à toutes les lignes à plomb,
-qui se trouvent sur la surface de la Terre. C'est de cette maniére
-qu'on trouve qu'à Paris, & en cent autres endroits de même Latitude,
-qu'un Pendule en repos ne tendroit pas perpendiculairement à l'Horizon,
-mais feroit avec la perpendiculaire un angle de près de six minutes,
-ce qui seroit assez sensible, si la Terre étoit exactement sphérique;
-cependant comme en nul endroit du Monde on ne trouve aucune déviation,
-c'est une preuve suffisante que la face de la Terre est telle,
-qu'il faut qu'elle soit, pour que la direction de la pesanteur soit
-perpendiculaire, ce qui ne se peut que dans une figure sphéroïde.
-
-Cette figure sphéroïde produit encore un autre changement à l'égard
-de la pesanteur, mais de peu de conséquence. L'on sait que, sans
-considérer la diminution de la pesanteur, dont nous venons de parler,
-la pesanteur elle-même varie encore selon la diversité des distances du
-centre de la Terre, quand même il n'y auroit point de rotation. C'est
-ce qui fait que les expériences des Pendules transportés en différens
-Climats, ne répondent pas dans la derniére précision au calcul que nous
-avons donné ci-dessus, quoiqu'elles prouvent toutes en général que la
-pesanteur différe sensiblement, & qu'elle est toujours moins forte
-vers l'Equateur, que vers les Poles. C'est aussi ce qui partage les
-sentimens des plus grands Géométres sur la proportion de l'axe de la
-rotation de la Terre au diametre de son Equateur. Mr. Huygens & après
-lui Jaques Herman dans son excellent Ouvrage de la _Phoronomie_, ont
-déterminé cette proportion, comme de 577. à 578.; mais Neuton nous la
-donne de 229. à 230, environ triple de la précédente. La différence
-de ces mesures ne provient que de ce que Mr. Huygens n'a considéré la
-pesanteur que comme une force qui pousse les corps vers un seul centre;
-au lieu que Neuton l'a considérée comme une force par laquelle tous les
-corps & toutes les particules de la Terre, jusqu'aux plus petites, sont
-tirées les unes vers les autres.
-
-
-MARS.
-
-La quatrième Planete de notre Systême est Mars. Sa moyenne distance
-du Soleil est de 46. millions de lieues. De toutes les Planetes
-supérieures, c'est celle qui a la plus grande excentricité, aussi
-n'en connoît-on point parmi tous les Corps célestes, dont la grandeur
-apparente soit plus variable; de sorte que sa plus grande Phase excéde
-jusqu'à 7. fois la plus petite. Au mois d'Août 1719. Mars étant opposé
-au Soleil, à 2 ou 3 degrés seulement de distance de son périhélie,
-l'on se souvient encore que plusieurs personnes, qui n'avoient aucune
-teinture d'Astronomie, furent étonnées de le voir, & le prirent pour
-une Comete, ou un nouvel Astre, qui venoit de naître dans le Ciel,
-comme on a fait de Vénus l'année derniere, lorsqu'au mois de Mai ayant
-atteint sa plus grande hauteur Méridienne au commencement du Cancer, &
-étant encore assez loin du Soleil pour n'être point éclipsée par son
-éclat, elle lança ses rayons par le chemin le plus court de la partie
-Boréale de l'Atmosphére.
-
-Comme la grande excentricité de Mars rend son mouvement apparent fort
-inégal, c'est de lui principalement que _Kepler_ s'est servi, pour
-examiner & vérifier la découverte qu'il avoit faite de l'égalité des
-aires parcourues par chaque Planete en particulier, en tems égaux;
-& c'est aussi par lui, qu'il a reconnu & prouvé la nécessité qu'il
-y avoit de n'admettre par tout le Ciel que des excentricités plus
-petites, environ de la moitié de celles qui avoient été établies par
-les Anciens.
-
-De toutes les Planetes, Mars est encore celle qui a la plus grande
-Atmosphére, à proportion de son noyau, du moins à ce qu'on en connoît
-jusqu'à présent; ce qui se prouve par le changement de couleur d'une
-Fixe observée par Mr. Römer, en approchant & en quittant le disque de
-Mars, laquelle pâlit sensiblement à l'approche de ce disque, étant
-encore éloignée de lui des deux tiers du diametre du même disque, &
-qui étant sortie de derriére le corps opaque de Mars, ne recouvra la
-vivacité naturelle & ordinaire de sa lumiére qu'à la distance des deux
-tiers du même diametre.
-
-Sans l'Etoile de Mars nous ignorerions tout-à-fait l'éloignement & la
-véritable grandeur des Corps célestes; & c'est le célèbre Mr. Cassini
-le Pere, qui s'est avisé le premier, de se servir des distances
-apparentes de cette Planete d'avec les Fixes prochaines, lorsqu'elle
-est opposée au Soleil, pour trouver la véritable dimension de notre
-Systême. Sa parallaxe horizontale, qui dans cette situation est assez
-grande pour être observée & calculée sans qu'il y ait à craindre aucune
-erreur trop sensible, savoir de 26 à 27. secondes dans son périhélie,
-nous donne le moyen de calculer les parallaxes horizontales du Soleil &
-des autres Planetes, qui ne peuvent être observées par elles-mêmes, à
-cause de leur petitesse. Par les taches de Mars, que nous représentons
-ici de la maniere, dont elles ont apparu en 1719. l'on a découvert &
-l'on s'est convaincu, qu'il tourne autour d'un axe toujours parallèle à
-lui-même, (comme celui de la Terre) en 24 heures, 40 minutes;
-
-[Illustration]
-
-Ou que 36 révolutions de Mars autour de son axe égalent 37 révolutions
-de la Terre autour du sien.
-
- [Remarques sur les taches de Mars.]
-
-Les taches de cette Planete semblent être plus variables que celles
-de toutes les autres. Les bandes obscures qu'on a observées en 1704.
-1717. & 1719. ne conviennent point entr'elles, ni par rapport à leur
-situation, ni par rapport à leur figure. En 1704. & 1717. on a vu
-une bande obscure occupant plus d'un hémisphére de Mars, avec cette
-différence qu'en 1704. elle avoit au milieu une pointe, qui ne s'y
-trouvoit point en 1717. & qu'en 1717. elle étoit plus éloignée de
-l'équateur de Mars, & plus près de son pole Méridional qu'en 1704. En
-1719. on a trouvé une bande coudée, formée seulement après le mois de
-Juillet, dont la partie la plus Méridionale, par rapport à nos yeux,
-s'étendoit obliquement sur la moitié de l'hémisphére de Mars, & égaloit
-environ un quart de Cercle, prenant son commencement entre le pole
-Méridional & l'équateur de Mars, & finissant entre son équateur & son
-pole Septentrional, où les deux parties de cette bande, en se joignant,
-faisoient un angle, comme cela se voit Figure 2. Le 13. de Juillet
-d'auparavant on n'avoit observé qu'une seule bande obscure rectiligne,
-telle qu'on la voit Figure 1.
-
-Outre ces bandes obscures, on avoit découvert des taches confuses de
-figure fort irréguliére, comme dans les Fig. 3. & 4. qui n'étoient
-aussi que temporaires, & qui n'avoient presque rien de commun avec
-celles qu'on avoit observées auparavant, que leur inconstance.
-
-Mais les taches les plus considérables de cette Planete sont celles,
-qui s'observent proche de ses deux poles, dont cependant on n'en
-voit jamais qu'une à la fois, & qui sont ordinairement plus claires
-que le reste du corps. Il y a près de 70 ans, que ces taches-là sont
-connues, & qu'on en voit presque toujours l'une ou l'autre, ce qui
-prouve qu'elles sont permanentes, & que les vicissitudes d'apparition
-& d'occultation qu'elles subissent, procédent seulement de quelque
-changement de l'atmosphére de Mars, semblable à celui de la nôtre,
-causé en partie par la différente constitution de l'air en Eté & en
-Hyver, & en partie par la différente quantité de pluye, & de beau tems
-en différens endroits du même Climat. C'est ainsi que depuis le 17.
-Mai jusqu'au mois de Novembre 1719. le Pole, qui est à notre égard le
-Méridional, se trouvant éclairé par le Soleil, & par conséquent l'Eté y
-régnant, & l'Atmosphére y étant rarefiée autant qu'elle l'a pu être, la
-lumiere éclatante de cette Zone déliée a pu frapper notre vûe, dans le
-tems que celle du Pole opposé, qui avoit paru aux Observateurs en 1704
-& 1717. avec le même éclat que la derniére, se déroboit alors à nos
-yeux à la faveur des nuages & des vapeurs congelées, qui y changeoient
-l'Atmosphére, & la rendoient moins transparente. La différence de la
-clarté de cette Zone, dont une moitié conserva constamment le même
-degré de lumiére, & dont l'autre au contraire diminua, disparut, puis
-reparut, ne ressemble pas mal à la différence du tems qu'il fait aux
-Andes du Pérou, où il ne pleut jamais, & à Borneo où il pleut presque
-tous les jours. Il se peut qu'il y ait encore d'autres raisons qui
-puissent produire cet effet; mais il est toujours constant que cette
-diversité d'apparences vient de la diverse constitution de l'Atmosphére.
-
-
-JUPITER.
-
-Jupiter la plus grande de toutes les Planetes de notre Systême,
-parcourt en 4331 jours, ou 12 ans, en comptant rondement, une Orbite,
-dont le demi-diametre, en sa moyenne quantité, ou la distance moyenne
-du Soleil, est de 156. millions de lieues. Son diametre est dix fois
-plus grand que celui de la Terre. La pesanteur des corps qui tendent
-vers le centre de cette Planete, ou l'espace qu'ils parcourent en
-tombant directement sur elle, se peut calculer.
-
- [Maniére de calculer la pesanteur des corps qui tombent sur la surface
- de Jupiter.]
-
-Pour cet effet, l'on cherche premiérement le tems périodique d'un
-Satellite qui raseroit la surface de Jupiter, ce qui se trouve par
-cette règle: Comme le cube de 25 1/3 de demi-diametres de Jupiter,
-(qui font la distance du quatrième Satellite), est au quarré de son
-tems périodique, qui est de 16 2/3 de jours; ainsi le cube d'un seul
-sémi-diametre de Jupiter est au quarré du tems périodique qu'on
-cherche. On trouve par-là qu'un tel Satellite acheveroit sa période
-autour de Jupiter, près de sa surface, en 193 à 194 minutes.
-
-Comme toutes sortes de pesanteurs sont en raison directe des rayons
-des cercles que décrivent les corps pesants, sans tomber, & en raison
-inverse des quarrés des tems périodiques, on détermine la quantité
-de la pesanteur de ces corps sur Jupiter de cette maniére: Comme 1
-sémi-diametre de la Terre est à 10 1/2 des mêmes sémi-diametres, qui
-sont la mesure de celui de Jupiter; ainsi 15 1/12 de pieds de chûte
-sur la Terre, pendant la premiére seconde, sont à 158 3/8 de pieds de
-chûte sur Jupiter pendant la premiére seconde, si les tems périodiques
-des Satellites aux surfaces de Jupiter & de la Terre sont égaux. Mais
-ayant trouvé ci-dessus que le tems périodique d'un Satellite de la
-Terre, auprès de sa surface, est de 84 2/5 de minutes, il en faut venir
-à cette derniére règle: Comme le quarré de 193 1/2 de minutes est au
-quarré de 84 2/5 de minutes; ainsi 158 3/8 de pieds de chûte, (si les
-deux périodes sont égales) sont à 30 pieds de chûte véritable sur
-Jupiter. Le pendule à secondes sera donc en Jupiter de 7 pieds & 1/2.
-
-Ces mêmes considérations nous font aussi voir que le diametre polaire,
-ou l'axe de rotation de Jupiter, est plus petit que celui de son
-équateur, & que cette différence doit être bien plus sensible sur
-la surface de Jupiter, que sur celle de la Terre. La révolution
-journaliére de Jupiter est de 9 heures 56 minutes; & la révolution
-du plus bas Satellite, qui pourroit être autour de lui, ayant été
-trouvée de 194 minutes, qui n'est quasi que le tiers de sa révolution
-journaliére, sa pesanteur restante, c'est-à-dire, diminuée par les
-forces centrifuges sous l'équinoxiale de Jupiter, sera à la pesanteur
-primitive (en supposant la figure de Jupiter exactement sphérique)
-comme 8 sont à 9. C'est ce qui donne la proportion du petit axe au
-grand, à peu de chose près, comme 17 sont à 18, en dressant le calcul
-selon les principes de Mrs. Huygens & Herman, & comme 7 à 8, en suivant
-ceux de Neuton, fondés sur la gravitation mutuelle de toutes les
-parties intérieures de la Planete. Le sentiment de Neuton semble être
-appuyé par les Observations de Mr. Cassini, le Pere, rapportées à la
-fin de la XIX. Proposition du III. Livre de sa Philosophie, où il est
-dit, que le diametre de Jupiter d'Orient en Occident est visiblement
-plus grand que celui du Sud au Nord.
-
-Les bandes obscures de Jupiter, couchées le long de son disque, &
-toujours parallèles, à-peu-près, à son équateur, sont représentées par
-les deux Figures suivantes.
-
-[Illustration]
-
-Cet équateur ne fait avec l'orbite de Jupiter qu'une obliquité de 2.
-deg. 55. min. au lieu que la nôtre est de 23. deg. & demi. Ces bandes
-semblent n'être que des exhalaisons, qui, en s'élevant & se joignant
-ensemble, prennent une figure circulaire. Il est vrai qu'elles ne se
-produisent jamais toutes entiéres à la fois, témoin surtout cette
-bande Méridionale, qui renaît quasi de six en six ans, & qui nous
-ramene toujours une tache noire, située à son bord Septentrional, comme
-cela est arrivé aux années 1665. 1677. 1713. au mois de Septembre, &
-aux années 1672. & 1708. au mois d'Avril. En comparant les anciennes
-Observations avec celles qui ont été faites en dernier lieu, on
-remarque que ces bandes, qui avoient d'abord paru subir des changemens
-tout-à-fait bizarres, & ne suivre aucune règle, ne laissent pas d'avoir
-des retours assez réguliers, qui nous mettront peut-être un jour en
-état de prédire leurs apparences avec la même certitude qu'on peut
-calculer les Eclipses.
-
- [Remarque sur la tache noire de Jupiter.]
-
-La bande dont nous venons de parler, accompagnée de la tache noire,
-se présente ordinairement, quand Jupiter est aux derniers degrés de
-la Vierge & des Poissons, vers le tems qu'il a été en opposition avec
-cet Astre. Ce qu'il y a de plus particulier, c'est que ces apparences
-suivent plutôt le vrai mouvement de Jupiter que le moyen; car on voit
-bien que depuis l'opposition de cette Planete avec le Soleil au Signe
-des Poissons jusqu'à celle qui se fait au Signe de la Vierge, il se
-passe 6 ans & demi, & 5 seulement & demi de celle-ci au retour de
-la premiére, le tout faisant ensemble 12 années, pendant lesquelles
-s'acheve la révolution de Jupiter. Ceci fait voir que, si l'on pouvoit
-marquer tous les changemens qui surviennent à ces bandes, & qui sont
-sans doute affectés à certains Signes du Zodiaque, aussi-bien que le
-Phénomêne de la tache noire, on auroit lieu d'espérer, que l'ordre de
-leur retour se pourroit prédire, comme celui de cette tache.
-
-C'est principalement à cette même tache que nous sommes redevables
-de la connoissance que nous avons de la révolution journaliére de
-Jupiter, dont la vîtesse nous surprendroit, sans doute, par rapport à
-la grandeur de son corps, si Mr. de Mairan n'en avoit pas démontré la
-possibilité, dans un savant Mémoire inséré dans ceux de l'Académie de
-l'Année 1729. où il démontre que la différence qu'il y a entre le poids
-de la partie inférieure d'une Planete, qui est tournée vers le Soleil,
-& celui de la supérieure qui ne l'est pas, est capable de produire sa
-rotation d'Occident en Orient.
-
-Cette tache est aussi connue aux Astronomes, que la situation d'une
-célèbre Ville aux Géographes; & on en a déterminé la Latitude
-Méridionale sur la surface de Jupiter d'environ 16. degrés, comme l'on
-détermine celle de quelque Place remarquable sur la Terre. Il est vrai
-qu'en observant ses révolutions au milieu de son parallèle exposé
-vers nous, on a trouvé qu'elles n'étoient pas tout-à-fait les mêmes, &
-qu'elles différoient de quelques secondes, quoiqu'il soit très-naturel
-de les supposer toujours égales entr'elles, comme sont celles de la
-Terre; mais cela n'est pas de conséquence, & dans une recherche de
-cette nature, bien loin de blâmer les Astronomes, on doit admirer leur
-sagacité, & leur savoir bon gré de ne différer entr'eux qu'en secondes.
-
- [Pourquoi les Satellites de Jupiter semblent quelquefois moins grands.]
-
-Les Satellites de Jupiter, & sur-tout le quatrième, étant tournés vers
-nous, ont des taches obscures, qui les font paroître quelquefois bien
-plus petits qu'ils ne sont ordinairement; ce qui fait que le quatrième
-disparoît quelquefois entiérement, lorsqu'il est bien éloigné du
-corps & de l'ombre de Jupiter. Mais on n'a point encore déterminé,
-si ces taches naissent subitement, ou si c'est le tournoyement des
-Satellites autour d'eux-mêmes, qui nous montre ces taches dans un tems,
-& nous les cache dans un autre; quoiqu'il y ait bien à parier pour ce
-tournoyement, à cause des circonstances périodiques qu'on prétend avoir
-observées dans le quatrième Satellite. Il se pourroit aussi, que les
-ombres mêmes des Satellites fissent entr'eux de petites Eclipses, dont
-on ne pourroit s'appercevoir que par la diminution de leur éclat; mais
-c'est ce qui n'a point encore été examiné.
-
-
-SATURNE.
-
-Saturne parcourt son orbe autour du Soleil en 29 ans & demi. Si, en
-comptant rondement, la distance moyenne de la Terre au Soleil est,
-comme nous l'avons dit par-tout ailleurs, de trente millions de nos
-lieues, il s'ensuit par la même raison, que la distance médiocre de
-Saturne à cet Astre est de 285. à 286. millions des mêmes lieues. C'est
-la derniére Planete, & la plus éloignée du Soleil qui nous soit connue;
-du moins n'a-t-on point encore découvert au-delà aucun corps dans
-de Ciel, qui ait une orbite constante, & qui tourne circulairement.
-Il est vrai que les Cometes font leurs cours dans des Régions bien
-plus éloignées que ne fait Saturne; mais comme leur excentricité est
-beaucoup plus grande que celles des Planetes ordinaires, elles ne
-font point partie du Systême planétaire que nous considérons dans
-ce Chapitre. Car quand même on en supposeroit quelqu'une qui feroit
-réguliérement sa révolution autour du Soleil, par exemple, à 600.
-millions de lieues de distance du Centre universel de notre Systême,
-de quoi lui serviroit la lumiére & la chaleur de cet Astre, dans une
-distance où il ne paroîtroit pas plus grand que ne nous paroissent
-Jupiter & Venus? J'ai supposé 600. millions de lieues de distance
-moyenne de ce prétendu corps au Soleil, parce que si cette distance
-étoit moindre, les Planetes se tireroient & s'embarrasseroient trop par
-leurs gravitations réciproques.
-
- [Calcul de la pesanteur des corps qui tombent sur la surface de
- Saturne.]
-
-Le diametre de Saturne est près de 10. fois plus grand que celui de
-la Terre. Par ce moyen on peut calculer la proportion de la pesanteur
-sur Saturne à celle que nous éprouvons sur notre Terre. Son dernier
-Satellite étant éloigné de lui de 53 à 54. de ses sémi-diametres,
-c'est-à-dire, le rayon de son orbite étant 53 ou 54. fois plus grand
-que le sémi-diametre de Saturne, sa révolution doit se faire en 79.
-jours 22. heures, qui font 1918. heures. Je dis donc que comme 157464,
-cube de 54 sémi-diametres de Saturne, est à l'unité, ou au cube d'un
-seul sémi-diametre du même Saturne, ainsi 3678724, quarré de 1918.
-heures, est à 23 2/5, à-peu-près; d'où tirant la racine quarrée, l'on
-trouve pour le tems périodique de cette révolution 4 heures & 5/6, ou
-4 heures 50 minutes. Donc un corps qui feroit le tour de la surface de
-Saturne, sans baisser jamais par sa pesanteur, le feroit, comme nous
-venons de voir, en 4 heures 50 minutes.
-
-Pour trouver, à-présent, de combien de pieds les corps pesants tombent
-sur Saturne pendant la premiére seconde de tems, je dis que, comme 1.
-sémi-diametre de la Terre, divisé par le quarré de 84. min. & 2/5, que
-nous avons trouvées page 320, est à 9 1/2 sémi-diametres de la Terre,
-ou à un seul sémi-diametre de Saturne, divisé par le quarré de 290.
-minutes, que nous venons de trouver; ainsi 15. pieds parcourus par la
-chûte d'une seconde de tems vers la Terre, sont à 12. pieds de chûte
-vers Saturne pendant la premiére seconde, & quelque peu davantage.
-Mais cette pesanteur des corps vers le centre de Saturne souffre une
-diminution considérable par leur gravitation, en sens contraire, vers
-la cavité de son anneau, comme nous l'allons montrer dans la suite.
-
-Les Figures suivantes nous représentent les différentes configurations
-de Saturne: 1. Sa phase ronde avec une seule bande obscure au milieu,
-causée par l'ombre de l'anneau, & par sa partie obscure, qui ne reçoit
-point de rayons du Soleil: 2. Cette même phase ronde avec d'autres
-bandes encore, telles qu'on les a vues en 1715: 3. La phase de son
-anneau, qui se perd de vûe, & qui reparoît après avoir été quelque tems
-invisible; & 4. Cet anneau dans sa plus grande largeur, avec des bandes
-qui environnent le disque de Saturne, comme cela s'est vu en 1696.
-
-[Illustration]
-
-Le diametre extérieur de l'anneau de Saturne, pris d'un bout à l'autre,
-est au diametre de cette Planete, comme 9 sont à 4, selon la mesure
-de Mr. Huygens, ou comme 11 sont à 5, selon celle de Mr. Cassini. Le
-diametre intérieur, compris entre les deux cavités opposées, est à
-celui de Saturne comme 6 1/2 sont à 4; car depuis le corps de Saturne
-jusqu'à la cavité de son anneau, il y a autant d'espace, que depuis
-cette cavité jusqu'à sa circonférence extérieure. Si Saturne lui-même
-a 30000 lieues de diametre, il y aura depuis sa surface, jusqu'à la
-cavité en question, 9375 lieues, & delà jusqu'au bout, aussi 9375, au
-lieu desquelles on en compte ordinairement 8000. de largeur.
-
-La quatrième Figure nous représente cet anneau dans sa plus grande
-ouverture, lorsque sa largeur de B, en C, ou de D en F, nous paroît la
-moitié de sa longueur A, E. C'est par cette proportion de longueur & de
-largeur que l'on a calculé l'angle que fait cet anneau avec l'orbite
-de sa Planete, savoir de 30 à 31 degrés. Il est à remarquer qu'au
-milieu de sa largeur apparente, on observe une ligne obscure, telle
-qu'on la voit marquée par la ligne pointillée. La couleur de sa partie
-intérieure, qui est plus près du corps de la Planete, paroît plus vive
-& plus lumineuse, que celle de sa partie extérieure, & la ligne noire,
-dont nous venons de parler, en fait la séparation. Ainsi toutes les
-fois que cet anneau disparoît, c'est sa partie extérieure qui se perd
-la premiére; car l'autre ne disparoît que quelques jours après.
-
-Dans les années 1714 & 1715, où l'on a vu cet anneau disparoître &
-reparoître deux fois, on a observé que sa partie Orientale se perdoit
-de vûe un jour ou deux plutôt que sa partie Occidentale, & que cette
-même partie Occidentale se découvroit au contraire un jour ou deux
-plutôt que sa partie Orientale. En 1671. Mr. Cassini, le Pere, avoit
-déja observé quelque chose de semblable; ce qui lui fit juger avec
-raison que les parties de cet anneau, qui sont du même côté, par
-exemple, A, B, & D, E, de la troisième Figure, ne sont pas dans le même
-plan, & que par conséquent il est plus mince ou plus pointu par ses
-extrémités A & E, que vers la cavité intérieure B, C, ou D, F.
-
- [Raisons de la disparition de l'anneau de Saturne.]
-
-Il y a deux causes différentes, qui nous font perdre cet anneau de vûe.
-La premiére est que son plan venant à passer par le centre du Soleil,
-ses deux côtés ne reçoivent ses rayons que fort obliquement de part &
-d'autre; ce qui fait que sa lumiére devient trop foible pour frapper
-nos yeux. Cela arrive lorsque Saturne, à l'égard du Soleil, est au
-19 degré 45 min. des Poissons ou de la Vierge. Quand il n'y a point
-d'autre cause qui produit la phase ronde de Saturne, que celle-là,
-elle ne dure guères au-delà d'un mois, comme on le prouve par les
-Observations des années 1685 & 1701. Vers la fin de cette phase, on
-s'apperçoit plus clairement de l'ombre de l'anneau sur le corps de
-Saturne, qui paroît un peu au-dessus ou au-dessus du milieu de son
-disque, comme cela se voit Fig. 1.
-
-La seconde cause qui nous rend l'anneau invisible, est la coïncidence
-de sa partie éclairée avec le rayon visuel, qui passe du côté de celle
-qui ne l'est pas. Cette apparence a des termes moins limités que celle
-dont il a été parlé ci-devant; cependant on est toujours assûré de la
-voir deux fois, quand Saturne, apperçu du Soleil au 19 degré 45 min.
-des Poissons ou de la Vierge, est retrograde par rapport à nous. Sa
-Latitude étant observée de la Terre, ne peut différer chaque fois que
-de fort peu de chose; mais ce peu de chose ne laisse pas d'être assez
-sensible, pour avancer ou proroger ces termes. En 1671, il y eut plus
-de six mois entre les deux disparitions des anses, à compter depuis la
-fin du mois de Mai jusqu'au 8 de Décembre. Le lieu de Saturne, étant
-vu du Soleil, se trouvoit la premiére fois au 13 degré des Poissons,
-& la seconde au commencement du vingtième. En 1714. le 12 Octobre,
-jour auquel les anses disparurent, Saturne se voyoit du Soleil au
-commencement du 17e. degré de la Vierge, & le 22e. de Mars. En 1715.
-jour moyen de la seconde disparition, il étoit déja à 21 degrés & demi
-du même Signe à l'égard du Soleil; mais le tems qui s'écoula entre ces
-deux disparitions, n'est que de 5 mois & quelques jours. Ainsi les
-phases rondes vers le commencement de Juillet 1744, & au mois de Mars
-1760. ne se redoubleront point; & il faudra par conséquent laisser à la
-Postérité l'observation du retour de ce Phénomêne.
-
-Bien des gens sont curieux de savoir si cet anneau est un corps continu
-ou solide, ou si ce ne sont que des Satellites, qui sont si près les
-uns des autres, que notre vûe ne peut les distinguer. La derniére
-de ces deux conjectures me paroît plus vraisemblable. Car si l'on
-m'objecte que le mouvement de tous ces Satellites, dans une orbite
-commune, ne pourroit se faire, sans qu'ils se choquassent les uns les
-autres, s'il y avoit tant soit peu d'excentricité; il me suffira de
-répondre que ce mouvement n'est point du tout excentrique. Si l'on dit
-aussi que les Satellites supérieurs ne pourroient pas achever leurs
-périodes en même tems que les inférieurs, parce que la pesanteur, ou
-la force centripète de leur mouvement circulaire, diminue en raison
-quarrée de leur éloignement du centre de Saturne: je réponds encore,
-qu'à la vérité cette différence de leurs périodes est telle que l'on
-prétend; mais que la ressemblance exacte de tous les Satellites d'un
-même ordre nous fait regarder cet assemblage de Satellites séparez
-comme un corps continu.
-
-Il reste pourtant encore une petite difficulté à lever. Cette orbite,
-dira-t-on, loin de pouvoir être exactement circulaire, est elliptique,
-son grand axe étant toujours perpendiculaire à une ligne tirée du
-centre du Soleil à celui de Saturne; parce que tous les Satellites ne
-sont que des Lunes, qui pour cette raison doivent obéïr aux mêmes loix
-de la gravitation que la nôtre. Or comme l'orbite de la Lune doit un
-peu s'applatir dans les conjonctions, de même que dans les oppositions,
-& avoir plus de courbure aux quadratures, ainsi que nous l'avons
-prouvé au Chapitre XXII. il s'ensuit nécessairement que le même
-changement arrivera dans celle des autres Satellites. La chose dépend
-donc uniquement de la différence de la gravitation de Saturne sur le
-Soleil, & de celle de ses Satellites sur lui-même; & c'est de cette
-différence que nous donnerons la mesure au Chap. XXV.
-
-Les bandes de Saturne, dont le parallèlisme avec son anneau fait voir,
-que ce qui les cause est élevé au-dessus de la surface de cette Planete
-à une assez grande distance, pour que leur courbure ne soit que peu ou
-point sensible, prouvent indubitablement, que Saturne est environné
-d'une Atmosphére beaucoup plus vaste que la nôtre. Mais en supposant,
-comme ci-dessus, que cet anneau n'est composé, que d'une infinité
-de Satellites, il ne sera pas nécessaire de l'étendre jusque-là.
-Cependant quelque vaste que soit cette Atmosphére, il faut qu'elle soit
-incomparablement plus transparente que la nôtre, puisque les Fixes
-que l'on voit quelquefois entre les anses & le corps de Saturne, n'y
-souffrent jamais ni réfraction, ni changement de figure, comme dans
-les autres Atmosphéres.
-
-C'est une chose fort remarquable, que parmi les 5 Satellites de
-Saturne, il y en a quatre, qui font leurs révolutions dans le plan
-même de son anneau, & que le cinquième est le seul, qui suive une
-route particuliére. Ce dernier n'a que 15 à 16 degrés d'inclinaison
-de son orbite à celle de Saturne, au lieu que les 4 autres circulent
-dans un plan incliné à celui de leur Planete principale de 30 deg.
-ou davantage. Aussi ses nœuds sont-ils un peu différens de ceux des
-autres. Ceux-ci ont les mêmes nœuds, que l'anneau, savoir au 19 degré
-45 min. des Poissons & de la Vierge; mais le dernier coupe l'orbite
-de Saturne environ quinze degrés plutôt, savoir au quatrième, ou au
-cinquième degré des mêmes Signes.
-
- [Ralentissement du mouvement de Saturne.]
-
-Avant que de quitter Saturne, il faut remarquer une autre particularité
-de son mouvement qu'on n'a point encore observée à l'égard des autres
-Planetes. Toutes les plus anciennes Observations étant comparées
-entr'elles, ainsi qu'avec les modernes, nous donnent son moyen
-mouvement annuel de 12 degrés 13 minutes, & 33 à 36 secondes, au plus.
-Mais les modernes seules, comparées les unes avec les autres, donnent
-ce même mouvement diminué de quelques secondes, savoir de 12 degrés 13
-min. & 20 à 29 secondes par an. On a encore observé d'autres petites
-inégalitez dans le mouvement de Saturne depuis Tycho-Brahé; mais qui
-ne laissent pas de s'accorder toutes à nous faire voir, que son moyen
-mouvement est moins prompt à présent, que du tems des Chaldéens & des
-Egyptiens. Mr. Cassini a prouvé cela incontestablement, en comparant
-les observations modernes, ainsi que celles de Ptolomée, avec une
-observation fort ancienne faite le 1. Mars de l'année 4485 de la
-Période Julienne, dans un Mémoire présenté à l'Académie le 10. Janvier
-1728.
-
-Quoique Neuton ait prouvé que, lorsque Jupiter est le plus près de
-Saturne qu'il est possible, il dérange sensiblement le mouvement de
-cette Planete, néanmoins le ralentissement du mouvement de celui-ci
-est trop sensible, & d'une nature trop différente de ce qu'elle devroit
-être, pour en accuser seulement Jupiter. En effet, s'il n'y avoit pas
-d'autres corps qui y contribuassent, comment se pourroit-il faire que,
-dans les plus grandes proximités de ces Planetes, le mouvement de
-Saturne fût tantôt accéléré, & tantôt retardé, comme le démontrent les
-observations rapportées par Mr. Cassini?
-
-Je crois donc que le ralentissement du mouvement qu'éprouve Saturne
-beaucoup plus sensiblement que toutes les autres Planetes, est causé
-par l'attraction de plusieurs Cometes, qui font leurs traverses dans
-les immenses Régions de l'Univers au-delà de lui. Leur nombre & leur
-grandeur sont assez considérables pour pouvoir être sensible à l'égard
-de la pesanteur de Saturne sur le Soleil, qui n'est que la 90me.
-partie de l'attraction de la Terre vers le centre de notre Systême.
-Aussi les inégalités de ce ralentissement s'expliquent-elles bien plus
-commodément par les différentes proximités des Cometes, que par toute
-autre cause; & si les Planetes inférieures se sentent moins que Saturne
-de leur approchement, c'est parce que la force attractive du Soleil est
-bien plus forte que celle des Cometes dans les Régions inférieures, que
-dans celle de Saturne, comme nous l'avons déja dit.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAP. VINGT-QUATRE.
-
-_De la Lumiére Zodiacale, des Cometes, & des Fixes._
-
-
-_De la Lumiére Zodiacale._
-
-LA principale raison qui nous engage à faire ici mention de la Lumiére
-Zodiacale, est que certaines Hypothèses, par lesquelles on explique
-ce Phénomêne, semblent contraires aux Démonstrations de Neuton sur le
-mouvement des corps dans des milieux résistans; & c'est ce qu'il faut
-tâcher d'éclaircir.
-
-La lumiére zodiacale est une clarté semblable à celle de la _Voye
-Lactée_, & quelquefois meme plus claire, qui s'étend presque le long du
-Zodiaque à 50, 60, 70, 80, 90, & quelquefois à 100 degrés & davantage
-du lieu du Soleil, de part & d'autre. Ainsi ses pointes & une grande
-partie de son arc lumineux, quand elle n'est pas enveloppée, ou mêlée
-de notre crépuscule, paroissent avoir un mouvement annuel & journalier
-autour de la Terre, pareil à celui que le Vulgaire attribue au Soleil.
-Selon les savantes remarques de Mr. de Mairan, tirées des Observation
-de Mrs. Cassini, Eimmart, Kirch & d'autres, c'est sur la fin de
-l'Hyver, & au commencement du Printems, que le soir est plus propre
-dans nos Climats pour bien observer cette Lumiére; & le matin vers la
-fin de l'Eté & le commencement de l'Automne. Cette différence est un
-effet de la différente position de l'Ecliptique sur l'Horizon, qui fait
-tomber la pointe de la lumiére en question, quelquefois plus haut,
-quelquefois plus bas.
-
-L'angle de sa pointe, où les deux côtés se réunissent, est fort inégal.
-On l'a vu quelquefois de 20 degrés, & quelquefois de huit seulement.
-Mr. de Mairan rapporte encore des observations de Mr. Cassini, qui
-l'avoit trouvée d'une figure irréguliére, & courbée comme une faucille;
-il en rapporte aussi de Mr. Fatio de Duilliers, où les deux côtés ont
-eu des points qu'on appelle en Géométrie points de rebroussement, ou
-d'inflexion contraire, semblables à ceux de deux conchoïdes sur une
-même asymptote.
-
-Une connoissance des plus essentielles de ce Phénomêne, dont nous
-sommes redevables à la grande sagacité de Mr. de Mairan, est que la
-section du milieu de cette lumiére, ou de la matiére qui la réfléchit
-vers nous, est la même que le plan de l'équateur du Soleil, ayant tous
-deux les mêmes nœuds avec notre Ecliptique, & faisant avec elle un
-angle de 7 degrés & demi. Cela prouve fort vraisemblablement, que cette
-matiére appartient naturellement au Soleil; aussi n'est-ce pas sans
-raison, qu'on lui a donné le nom d'Atmosphére Solaire, quoiqu'il ne
-faille pas la confondre avec celle qui l'environne de plus près, & dans
-laquelle nagent les taches Solaires, qui font avec elle leur révolution
-périodique en 25 jours & demi.
-
-La Figure de cette Atmosphére extérieure est une Sphéroïde fort platte,
-dont le grand diametre est souvent 5, ou 8 à 9 fois plus grand, que
-celui qu'on imagine d'un Pole à l'autre. Son étendue est en différens
-tems si inégale, que sa pointe supérieure est quelquefois bien
-au-dessous de l'orbite de la Terre, & va quelquefois bien au-delà.
-C'est ce qui a porté, Mr. de Mairan à croire, que cette Sphéroïde étoit
-fort excentrique, & que ses apsides avoient un mouvement bien plus
-prompt, & peut-être moins régulier, que celles des orbites planétaires.
-Il faudroit donc que l'aphélie de cette Sphéroïde s'étendît jusqu'entre
-les orbites de Mars & de la Terre, & que son périhélie se terminât
-au-dessus de l'orbite de Vénus, sans atteindre celle de la Terre.
-
-Sur cela on auroit raison de demander comment il se peut faire, que la
-Terre & la Lune, qui entrent toutes deux dans cette Atmosphére Solaire,
-ne sentent pas la résistance d'une matiére, qui doit nécessairement
-avoir quelque densité? Pourquoi la vîtesse de leur mouvement ne se
-ralentit point? Et pourquoi enfin l'orbite de la Terre ne devient
-pas plus petite de siècle en siècle, comme cela devroit arriver
-infailliblement, si ce mouvement se faisoit dans un milieu résistant?
-
-C'est une vérité incontestable, & démontrée par Neuton dans la IV.
-Section du Livre II. de sa Philosophie, que la densité du milieu étant
-posée en raison inverse des distances du centre du mouvement, & la
-pesanteur en double raison inverse de ces mêmes distances, le mouvement
-circulaire doit se changer en celui de spirale; & que cette spirale
-est précisément celle que Descartes & le R. P. Mersène ont connue
-les premiers; je veux dire, celle qui coupe tous les rayons partans
-d'un seul centre, sous un angle toujours égal. Donc, si l'Atmosphére
-Solaire enveloppe la Terre & la Lune, les années doivent toujours
-devenir plus courtes, parce que l'Orbite devient plus étroite: la
-vîtesse de mouvement annuel & journalier diminuera toujours: le
-diametre apparent du Soleil nous paroîtra toujours plus grand; & la
-chaleur augmentera à la fin jusqu'à faire périr tout ce qu'il y a de
-vivant sur la Terre.
-
-Voici la maniére, dont je crois pouvoir résoudre cette difficulté.
-Toutes les parties les plus petites de cette Atmosphére sont autant de
-petites Planetes, qui tournent autour du Soleil, à peu près de la même
-maniére & dans le même sens, que les grandes qu'on a connues jusqu'ici
-sous ce nom. Cela fait qu'elles ont elles-mêmes par-tout des vîtesses
-fort peu différentes de celles de la Terre dans les mêmes distances du
-Soleil.
-
-On voit bien qu'un amas de particules, qui tournent avec la même
-rapidité qu'un corps d'une grandeur considérable, qui en est environné,
-ne peut faire aucune résistance au mouvement que ce corps fait dans le
-même sens. On voit aussi que, si les vîtesses de cet assemblage de
-petites Planetes résistent quelquefois un peu à une plus grande qui
-se trouve parmi elles, les vîtesses du côté opposé, qui doivent être
-plus grandes, lui font bien-tôt regagner, ce qu'elle en avoit perdu
-auparavant.
-
-C'est particuliérement au célèbre Fatio de Duilliers que nous avons
-l'obligation de cette idée. Quoique ce grand Géométre n'ait pas prévu
-l'inconvénient, qui naîtroit de la résistance de cette matiére par
-rapport au mouvement de la Terre, de la Lune, de Vénus & de Mercure;
-il est cependant le premier, qui nous ait averti, que cette lumiére
-pourroit bien être un amas sphéroïde de petites Planetes, comme la
-_Voye Lactée_ n'est qu'un nombre infini de Fixes si petites, qu'on ne
-peut les appercevoir.
-
- [Premiére Objection contre le sentiment de Mr. de Duilliers.]
-
-Mais, quoi, dira-t-on, vous avez détruit au Chapitre XVI. les
-Tourbillons de Descartes, & maintenant vous en établissez un autre
-entiérement contraire à vos principes? Cette Atmosphére, qui, selon
-vous, doit tourner incessamment autour du Soleil, & dont le mouvement
-s'étend jusqu'au-delà de l'orbite de la Terre, n'est-elle pas un
-nouveau Tourbillon, par lequel vous prétendez remplacer celui que
-vous vous êtes tant efforcé d'anéantir en faveur de la Philosophie de
-Neuton? Et, tourbillon pour tourbillon, pourquoi ne pas adopter plutôt
-celui de Descartes?
-
-A cela je réponds, que les Tourbillons de Descartes sont bien différens
-du mouvement circulaire ou elliptique des petites Planetes de cette
-Atmosphére, auquel je consens qu'on donne, si l'on veut, le nom de
-Tourbillon, pourvû que l'on m'accorde que celui-ci ne ressemble
-point à ceux de Descartes. Il n'est pas nécessaire de répéter tous
-les inconvéniens des Tourbillons que nous avons examinés dans les
-Chapitres précédens; nous nous contenterons de parler d'une seule chose
-en quoi ils différent de celui dont il s'agit. En effet, pour que
-les Tourbillons de Descartes ayent assez de force pour emporter les
-Planetes, qui y nagent, il est nécessaire qu'elles n'ayent jamais ni
-plus, ni moins de matiére, que la partie du Tourbillon qui les met en
-mouvement, ce qui est contraire à l'expérience. Car leur mouvement dans
-leurs aphélies est plus lent, que dans leurs périhélies, & cependant la
-quantité de matiére, qu'elles contiennent, est toujours égale. Ce qui
-les fait tourner, n'est donc point une force qui leur est imprimée par
-une matiére étrangere, autrement cette même matiére étant plus vaste
-dans leurs aphélies, & plus resserrée dans leurs périhélies, produiroit
-un effet tout-à-fait contraire. Mais notre Tourbillon ne doit pas se
-prendre pour un premier ressort du mouvement planétaire, puisque nous
-considérons la pesanteur ou l'attraction vers le Soleil, comme sa cause
-véritable & primitive. En effet, nous ne le posons que pour ne pas
-retarder le mouvement de la Terre & des Planetes inférieures, ce qui
-est bien différent de leur imprimer du mouvement, comme devroient faire
-ceux de Descartes.
-
- [Seconde Objection.]
-
-On pourroit faire une objection bien plus réelle sur la nature du
-mouvement circulaire ou curviligne, causé par quelque corps central
-vers lequel tous les autres sont attirés. On ne doute point que le
-centre des forces ne doive toujours être dans le même plan où se fait
-le mouvement; car c'est une suite nécessaire des Démonstrations,
-par lesquelles nous avons prouvé au Chap. XIX. l'égalité des aires
-décrites en tems égaux. Comment donc, dira-t-on, se peut-il faire que
-deux corps ou plusieurs, dont la circulation se commence dans des
-plans différens, mais à égale distance du Soleil, ne se choquent pas
-quelque part, avant que d'achever seulement leur premiére révolution;
-puisqu'il est impossible que deux plans circulaires différens & qui
-ont pourtant le même centre, ne se coupent pas en deux points de leurs
-périphéries? Néanmoins nous ne voyons pas que cela arrive à la matiére
-qui produit la lumiére zodiacale, puisqu'un choc comme celui-là,
-la réduiroit bien-tôt en une seule masse, & en feroit une nouvelle
-Planete, selon les théorêmes du mouvement causé par la percussion,
-démontré si clairement par Mrs. Mariotte, Huygens & Herman. Quoique
-certains petillements de cette lumiére, observés par Mrs. Cassini &
-de Duilliers, prouvent assez visiblement que le choc des corpuscules
-qui composent cette matiére, est quelque chose de fort commun, cela
-ne l'empêche pas de subsister toujours, & d'avoir ses vicissitudes de
-diminution & d'accroissement. Mais un choc dans l'intersection de deux,
-ou de plusieurs Plans, tel que celui dont nous venons de parler ligne
-7 & suiv. p. 364, n'a jamais été remarqué, & ne le sera certainement
-jamais.
-
-Pour résoudre cette difficulté, il faut voir ce qui arriveroit, s'il
-y avoit une seconde Terre de la même figure & de la même grandeur que
-la nôtre, & si ces deux Terres se touchoient tellement aux deux Poles
-de leur orbite commune, que le Pole Méridional de l'une fût appliqué
-immédiatement au Pole Septentrional de l'autre. Il est clair que le
-centre de l'une ou de l'autre décriroit une orbite particuliére, dont
-le plan non-seulement ne passeroit pas par le centre du Soleil; mais en
-seroit même éloigné du demi-diametre de chacune des deux.
-
-Je dis plus. Si au lieu de ces deux Terres j'en suppose quatre, six,
-huit, ou davantage, il en faudra nécessairement revenir au même
-raisonnement; & la multiplication de ces corps de part & d'autre ne
-produira que la multiplication des centres particuliers des orbites
-particuliéres. Mais le centre commun de gravité de toutes ces Terres
-jointes ensemble, situé au point du contact des deux Poles du milieu,
-décrira pareillement une orbite qui tiendra le milieu de toutes les
-autres, & passera immanquablement par le centre du Soleil.
-
-Pour revenir aux petits corpuscules qui composent cette Atmosphére,
-figurons-nous que tous ceux qui sont à la même distance du Soleil
-se touchent; il n'y a pas de doute qu'ils ne s'accompagnassent
-éternellement, comme feroit une rangée de plusieurs Terres, qui
-auroient toutes des révolutions égales autour du Soleil. Il est vrai
-qu'un autre ordre supérieur ou inférieur de ces corpuscules feroit une
-révolution particuliére dans un tems périodique différent de celui de
-la précédente; mais ce seroit toujours de compagnie, & sans que les
-corpuscules d'une même rangée se quittassent jamais. Il importe peu que
-des rangées différentes supérieures & inférieures se touchent, ou ne
-se touchent pas, pourvû qu'il n'y ait ni inégalité, ni friction, qui
-puisse en retarder le mouvement.
-
- [Troisième Objection.]
-
-Voici encore une objection qu'on pourroit faire contre le mouvement de
-l'Atmosphére Solaire, tel que nous l'imaginons. Le tems périodique des
-taches du Soleil & par conséquent de la partie la plus basse de cette
-Atmosphére, avec laquelle ces taches font visiblement leur révolution,
-est de 25 jours & demi, que l'on compte depuis qu'une partie de cette
-Atmosphére a été sous une Fixe quelconque, jusqu'à son retour sous la
-même Fixe.
-
-Comparons maintenant le tems périodique du sédiment de l'Atmosphére
-Solaire avec celui qu'employent ses parties situées à une élévation
-égale à celle de la Terre. Pour cet effet nous commencerons par
-établir que toutes les Planetes, tant grandes que petites, font leurs
-révolutions dans la même Région du Ciel en tems égaux; car il n'y
-a personne qui puisse le nier, sans contredire l'expérience même,
-qui prouve que la disproportion des masses de Jupiter, de Mars & de
-Mercure, ne dérange rien à la proportion de leurs tems périodiques.
-
-Les corpuscules planétaires de cette Atmosphére étant à une distance
-égale à celle de notre Terre feront donc leur révolution en une année;
-mais pour bien expliquer la chose il faut avoir recours à cette Règle
-de _Kepler_: Comme le cube de 213 sémi-diametres du Soleil, qui font
-la distance moyenne de la Terre à cet Astre, est au quarré de 525949
-minutes, ou d'une année, de même le cube d'un seul sémi-diametre du
-Soleil est au quarré de 169 à 170 minutes. Le fond ou le sédiment de
-l'Atmosphére Solaire devroit donc tourner en 169 ou 170 minutes; mais
-l'expérience nous apprend qu'il fait sa révolution en 25 jours & demi,
-comme on l'a vu ci-dessus, ce qui fait une disproportion trop sensible.
-
-Pour faire voir que cette objection a plus de brillant que de solide,
-il nous suffira de dire que l'Atmosphére Solaire est séparée en deux
-parties différentes par un vuide assez grand, pour que la partie
-supérieure n'ait aucune communication avec l'inférieure. Or comme cette
-séparation fait que l'Atmosphére inférieure peut suivre le mouvement
-du Soleil autour de son axe, & avoir le même tems périodique, elle
-nous met en droit de soutenir que la partie supérieure, pour ne pas
-tomber sur l'inférieure, a besoin d'un mouvement planétaire, dont les
-forces centrifuges contrebalancent les centripètes. On ne peut donc
-s'empêcher de nous accorder que cette Atmosphére supérieure doit avoir
-différens degrés de vîtesse dans ses différentes parties, autrement
-les plus basses tomberoient toujours vers le Soleil, & les plus hautes
-pourroient s'élever même au-delà de Saturne.
-
-
-DES COMETES.
-
-Neuton est le premier qui nous ait donné la véritable idée du mouvement
-des Cometes. Cependant Mr. Cassini, le Pere, avoit déja trouvé avant
-lui le moyen de prédire leur situation apparente, lorsqu'elles ne
-sont pas trop près du Soleil. Car, quoiqu'il sût très-bien que leur
-mouvement est curviligne, il ne laissa pas d'en supposer la courbure
-si peu sensible, qu'on pouvoit la regarder comme une ligne droite; & à
-l'aide de cette supposition il parvint à un calcul qui ne différe que
-peu ou point de celui de Neuton, puisque plus des segmens égaux d'une
-Parabole s'éloignent de son sommet, plus ils approchent d'une ligne
-droite.
-
-Quand Neuton a inventé l'Hypothèse du mouvement parabolique
-des Cometes, pour en rendre le calcul plus Géométrique & moins
-embarrassant, il n'a pas cru pour cela que les courbes de leurs
-trajets soient de véritables Paraboles. Au contraire, dans la XLII.
-Proposition du III. Livre de sa Philosophie il nous enseigne le
-moyen de trouver par approximation les grands axes de leurs orbites
-elliptiques, avec cette restriction néanmoins que ces orbites sont
-d'une figure si oblongue que nous ne saurions les voir toutes entiéres.
-Nous ne voyons donc les Cometes que lorsqu'elles sont près de leurs
-périhélies, parce que tout le reste de leur cours se fait dans des
-Régions si éloignées, que notre vûe ne peut porter jusque-là. Ce que
-nous voyons d'une orbite Cométique n'est souvent pas la centième partie
-de ce que nous n'en voyons point. Car comme les Cometes ne commencent
-à paroître ordinairement que quand elles sont à une distance du
-Soleil plus petite que celle de Jupiter, & plus grande que celle de
-Mars; lorsqu'elles passent dans les Régions supérieures & qu'elles
-se trouvent à une distance du Soleil égale à celle de Jupiter, leur
-lumiére est si foible qu'à peine peut-elle être apperçue.
-
-Comme la Parabole n'est qu'une Ellipse, dont le centre est infiniment
-éloigné de son foyer, on s'en sert, suivant les règles de Neuton, au
-lieu de l'Ellipse, quand on ne sait pas précisément la mesure des
-deux axes, pourvû que le grand axe excéde du moins 20 fois le petit.
-Autrement ce seroit non-seulement une faute considérable de prolonger
-le mouvement parabolique au-delà des distances où les Cometes sont
-visibles; mais l'on se priveroit encore par-là de l'espérance de les
-revoir jamais.
-
- [Pourquoi les Cometes & les Planetes ne tombent point sur le Soleil
- dans leurs périhélies.]
-
-Ainsi le mouvement des Cometes autour du Soleil ressemble tellement à
-celui des Planetes ordinaires, que quoique les premiéres approchent
-beaucoup plus près de cet Astre que les autres, elles ne sont pas
-exposées à tomber sur lui, lorsque la courbe de leur mouvement devient
-perpendiculaire à sa distance. Car la force centripète étant plus
-petite que la troisième proportionnelle à la distance du Soleil & à la
-vîtesse du périhélie, la Planete ou la Comete n'est pas plutôt parvenue
-à sa plus grande proximité du Soleil, qu'elle commence à s'en éloigner.
-
-L'Atmosphére, la durée, la queue & le retour d'une Comete est ce qu'il
-y a de plus remarquable.
-
-L'Atmosphére d'une Comete différe de celle d'une Planete ordinaire en
-ce que son noyau est beaucoup plus petit. Il y en a qui ont 15 fois
-plus de diametre que les corps des Cometes. Aussi une même Atmosphére
-n'est-elle pas toujours d'une égale extension, vû qu'elle diminue &
-s'aggrandit par reprises.
-
-On ne sait pas bien encore si ces diminutions & ces accroissemens
-se font réguliérement aux mêmes distances du Soleil & du périhélie.
-Car selon les Observations d'Hevelius, alleguées par Neuton, ces
-Atmosphéres diminuent à mesure qu'elles approchent du Soleil, &
-augmentent à mesure qu'elles s'en éloignent. Au contraire Mr. de Mairan
-assûre, qu'elles grossissent à l'approche du Soleil par les parties de
-l'Atmosphére Solaire qu'elles emportent avec elles en passant. L'un &
-l'autre de ces sentimens paroissent fondés sur ce que les Atmosphéres
-des Cometes peuvent diminuer jusqu'à la rencontre de celle du Soleil,
-dans laquelle elles puisent de nouvelles matiéres. De plus ces
-Atmosphéres contenant un air semblable au nôtre, elles doivent toujours
-occuper plus d'espace en descendant vers le Soleil qu'en remontant;
-parce que cet air se rarefie extrêmement lorsqu'elles descendent, & se
-condense de même, lorsqu'elles remontent.
-
-La durée des Cometes se prouve, selon le raisonnement de Neuton,
-par les degrés de chaleur excessifs qu'elles subissent dans leurs
-périhélies. Ce Philosophe a calculé que la Comete de l'année 1680,
-qui passa au-dessus de la surface du Soleil jusqu'à un sixième de son
-diametre, dut sentir une chaleur 2000 fois plus grande que celle d'un
-fer rouge. D'où il a conclu que ce corps devoit être bien compacte
-& aussi ancien que le monde, puisqu'il fut si près du Soleil & qu'il
-résista si long-tems à ses rayons, sans s'évaporer.
-
-Comme le sentiment de Neuton est une espèce de Paradoxe pour ceux qui
-ne sont pas bien au fait de ces matiéres, il est bon de voir surquoi
-il est appuyé. La ligne comprise entre le centre du Soleil & la Comete
-en question dans son périhélie, étoit au rayon de l'orbite de la Terre
-comme 600 sont à 100000. La chaleur qui se fait sentir à la Terre fut
-donc alors à celle de la Comete comme 360000 sont à 10000000000, ou
-comme 1 est à 28000. Or comme la plus grande chaleur de l'Eté n'est à
-celle de l'eau bouillante que comme 1 est à 3 1/2; & que cette derniére
-est encore quatre fois moindre que celle d'un fer rouge, il a trouvé
-que cette chaleur est à celle de la Comete comme 14 sont à 28000, ou
-comme 1 est à 2000.
-
-Si une balle de fer rougie au feu perd sa chaleur en une heure, & que
-le tems qu'il faut pour refroidir des Sphéres échauffées soit comme
-leurs diametres & leurs degrés de chaleur, il faudra 108 millions
-d'années pour refroidir le corps de cette Comete, s'il est égal à notre
-Terre.
-
- [Pourquoi les Orbites des Cometes sont si excentriques.]
-
-Cette réflexion nous découvre & nous fait également admirer la
-sagesse du Créateur. Rien ne pourroit subsister dans les Cometes,
-si elles n'avoient pas une chaleur suffisante pour la conservation
-de leur matiére. La Nature, afin de leur en donner autant qu'elles
-en avoient besoin, même dans les Régions les plus reculées, où un
-mouvement circulaire, ou peu excentrique, les auroit privés de la
-chaleur du Soleil, a augmenté si considérablement leurs excentricités,
-que l'embrasement qu'elles souffrent pendant très-peu de tems, fait
-qu'elles jouïssent d'une chaleur tempérée pendant le reste de leur
-révolution. Mais si d'un autre côté il y a des Créatures animées dans
-les Cometes, comme Mr. Huygens a prouvé qu'il y en a dans les Planetes,
-il faut absolument qu'elles se retirent dans les cavités intérieures
-de ces Cometes, pour se garantir de cet incendie général qui se fait à
-leurs surfaces extérieures.
-
-A considérer la figure irréguliére de quelques Cometes, on juge
-qu'elles ne tournent point autour de leur axe; parce qu'elles ne
-sauroient avoir cette rotation sans avoir en même tems une figure
-sphérique, ou sphéroïde, & un seul noyau enfermé dans leur atmosphére.
-Mais on en a vu quelques-unes, qui n'étoient ni exactement sphériques,
-ni sphéroïdes: d'autres qui paroissoient un amas de plusieurs noyaux
-de figures & de grandeurs différentes; ce qui ne convient nullement à
-un mouvement journalier, & rend la position de leur axe extrêmement
-variable. Outre cela leurs queues, qui sont très-inégales, & qui
-changent presqu'à tous momens, devoient ou retarder sensiblement, ou
-arrêter tout-à-fait le tournoyement dont est question, ce qu'on n'a
-point encore remarqué.
-
-Mais si les Cometes ne tournent point autour d'elles-mêmes, il faut
-qu'avant & après leur embrasement la même partie soit presque toujours
-exposée au Soleil; & qu'il n'y ait par conséquent qu'une moitié de
-leurs Sphéres qui soit habitable, puisqu'elle voit toujours le Soleil,
-& que l'autre est ensévelie dans une nuit de plusieurs années, ou de
-plusieurs siècles; ce qui n'empêche pourtant pas que cet hémisphére
-n'ait autant de chaleur que celui qui est éclairé. Pour expliquer cette
-espèce de Paradoxe nous ajouterons à ce qui a été dit page 375, que la
-chaleur qu'elles peuvent recevoir du Soleil dans leurs aphélies n'est
-pas la 10000me. partie de celle qui se sent aux Poles de la Terre, &
-que celle qui reste après qu'elles ont passé leurs périhélies doit être
-égale par toute leur surface.
-
-La fumée qui sort des Cometes, & qui se disperse dans les Régions du
-Ciel qu'elles traversent, compose leurs queues. Elles commencent à se
-former un peu avant que les Cometes arrivent à leurs périhélies, & dès
-que la chaleur du Soleil est assez forte pour enflammer les matiéres
-combustibles de leurs surfaces, & pour que la fumée fasse brêche à
-leurs atmosphéres. Il est pourtant vrai que cet incendie commence un
-peu avant qu'on en voye la fumée; mais nous ne considérons ici que le
-moment où nous commençons à appercevoir leurs queues.
-
-Elles ne sont jamais plus longues que quand les Cometes sortent de
-leurs périhélies, après quoi elles diminuent toujours, lors même
-qu'elles s'approchent de la Terre. C'est par ces degrés d'augmentation
-& de diminution que le savant Neuton a connu que les queues des Cometes
-n'étoient que des fumées. Cela se confirme encore par leur direction
-qui s'étend toujours vers les parties opposées au Soleil. On ne
-sauroit donner une comparaison plus sensible de la chose, que celle
-qu'en a donné ce Philosophe, quoiqu'elle ait besoin d'être un peu plus
-circonstanciée.
-
-Figurons-nous donc une torche allumée dont le lumignon soit renversé,
-& qui par un mouvement projectile tourne autour de la Terre; toute sa
-fumée montera en haut, & tendra à s'éloigner du centre de la Terre
-malgré ce renversement. De plus cette fumée se courbera tellement vers
-les Régions contraires à la direction du mouvement de la torche, que la
-partie supérieure semblera se mouvoir moins vîte que l'inférieure. Et
-ce qu'il y a encore de plus remarquable, c'est que la fumée paroîtra
-plus large en haut qu'en bas, comme on le voit par celle qui au sortir
-des cheminées occupe toujours plus d'espace qu'elle n'en occupoit
-auparavant. Tout cela quadre parfaitement avec les Phénomênes de ces
-queues. La partie embrasée d'une Comete, qui est tournée vers le
-Soleil, pousse sa fumée à l'opposite de cet Astre.
-
-Cette fumée a toujours quelque courbure à son extrémité, qui est
-d'autant plus reclinée, c'est-à-dire, panchée en arriére, que la queue
-est plus longue; & la même extrémité se trouve aussi plus large que
-celle qui adhére au corps de la Comete. Cette comparaison est si juste
-qu'elle ne laisse aucun lieu de douter que la queue des Cometes ne soit
-une véritable fumée que cause leur embrasement à l'approche du Soleil.
-
-Voici une autre cause que Mr. de Mairan assigne fort ingénieusement à
-la queue des Cometes, & que nous allons tâcher de concilier, autant
-qu'il est possible, avec celle que Neuton vient de nous fournir.
-Il remarque que les Cometes en passant par l'Atmosphére Solaire en
-ramassent non-seulement des parties qui font corps avec elles, comme il
-a été dit page 373; mais encore d'autres qui ne peuvent d'abord suivre
-la Comete, & s'en détachent pour former derriére elle une espèce de
-Cone. Cette figure, selon ce grand Philosophe, poussée par la matiére
-céleste, prend une route contraire à celle de la Comete, comme la
-chevelure d'une tête, que l'on porteroit contre le vent, prendroit une
-direction contraire à cette tête.
-
-Cette comparaison n'est bonne que pour les queues naissantes des
-Cometes, qui n'ont pas encore atteint leurs périhélies. Car les amas
-coniques de l'Atmosphére Solaire que les Cometes traînent après elles
-& le commencement de leurs fumées étant deux causes différentes,
-qui ne laissent pas de produire les mêmes apparences, les uns & les
-autres doivent faire les mêmes effets sur notre vûe. Mais au-delà de
-leurs périhélies la matiére céleste dirige vers le Soleil celle qui
-s'accroche aux Cometes. Ainsi l'on ne doit pas s'étonner si leurs
-fumées s'observent beaucoup plus facilement que ce petit amas de
-matiére qu'elles emportent avec elles.
-
-La révolution périodique des Cometes fait aujourd'hui le principal
-objet de l'attention de plusieurs Philosophes. Le retour de celle qui
-parut en 1682 pourroit se prédire, selon Neuton, pour l'année 1757, ou
-1758. Il y a tout lieu de croire que c'est la même qui fut vue en 1607;
-car il se trouve si peu de différence entre la vîtesse, les nœuds &
-l'inclinaison de l'une & de l'autre, qu'on peut la regarder comme un
-pur effet de l'attraction des Planetes & des autres Cometes.
-
-Mr. Cassini a trouvé que presque tous ces Corps passagers ont une
-route différente de celle des Planetes. On a ignoré jusqu'ici de
-quelle conséquence sont ce nouveau Zodiaque & ce retour périodique
-des Cometes, pour la conservation du Genre Humain. Imaginez-vous, par
-exemple, que ce sont des Corps fortuits, qui se trouvent par hazard
-dans notre Ecliptique; quel desastre ne seroit-ce pas pour notre Terre,
-si malheureusement elle venoit à se trouver au même point? L'idée de
-deux bombes qui créveroient en se choquant en l'air, est infiniment
-au-dessous de celle qu'on en doit avoir. Heureusement pour nous, on a
-découvert que la plûpart des Cometes dans les nœuds de leurs orbites
-sont bien moins éloignées du Soleil, que ne sont notre Terre, Venus
-& Mercure. C'est ce qui fait toute notre sûreté, & qui nous fait
-connoître combien nous avons de graces à rendre à Dieu pour un si grand
-bienfait.
-
-Les Cometes par leurs retours inopinés produisent quelquefois des
-Phénomênes tout-à-fait surprenans, quand on en ignore la cause. Telle
-est, selon Whiston, l'éclipse extraordinaire de Soleil dont parle
-Hérodote, & qui arriva au Printems de l'année 4334 de la Période
-Julienne, lorsque Xerxès partit de Sardes, Capitale de la Lydie, où il
-avoit passé l'Hyver. Telle est aussi selon Wolff, celle de Lune, qui
-arriva dans le XVme. Siècle, puisque ce célèbre Mathématicien dans ses
-Elémens de Physique dit, après George Phranza, que ce Phénomêne n'a pu
-arriver naturellement, la Lune étant alors dans une de ses quadratures.
-Enfin, il en est de même de celui dont Grégoire Abulpharache, Auteur
-Arabe, fait mention dans son Histoire des Dynasties Orientales, où
-il marque, que sous l'Empereur Héraclius le Soleil parut par tout le
-Monde, pendant trois jours, rouge comme du sang; ce qui toutefois a pu
-arriver par l'interposition de la queue d'une Comete.
-
-
-DES FIXES.
-
- [Contradiction apparente du Systême de Neuton à l'égard des Fixes.]
-
-Comme le Systême de Neuton paroît se contredire à l'égard des Fixes,
-qui, selon lui, se tirent les unes les autres, & demeurent pourtant
-immobiles, il faut commencer par éclaircir son sentiment, & faire voir
-qu'il n'implique aucune contradiction.
-
-La distance qu'il y a d'une Fixe à l'autre est si immense, que leur
-chûte ne feroit pas seulement une lieue en un an. C'est ce qu'on va
-voir par le calcul suivant. 1º. Selon nos supputations pages 280 & 281.
-les corps pesants, en comptant rondement, tombent sur la surface du
-Soleil de 1260000 pieds, tout au moins, pendant la premiére minute. 2º.
-Selon Huygens les Fixes les plus proches du Soleil en sont éloignées de
-28000 sémi-diametres de l'orbite de la Terre, ou environ, c'est-à-dire,
-de plus de 5600000 sémi-diametres Solaires, dont le quarré est
-313600,0000,0000. Donc la Fixe la plus proche de cet Astre s'avance
-vers lui de 1260000/31360000000000 d'un pied, pendant la premiére
-minute. Mais si au lieu de cette fraction l'on compte 1/25000000 d'un
-pied, l'on trouvera pour la premiére année 11000 pieds, à peu de chose
-près, eu égard à la somme totale.
-
-Neuton a démontré dans la XII. Proposition du III. Livre de sa
-Philosophie, que le centre commun de gravité de notre Systême
-Planétaire seroit eloigné de celui du Soleil même, d'un de ses
-sémi-diametres, c'est-à-dire, de 4000,000,000 pieds, ou à peu près, si
-toutes les Planetes étoient d'un côté & cet astre de l'autre. Quelle
-disproportion donc entre le dérangement du Soleil, causé par les
-Planetes qui l'environnent, & celui qui vient de l'attraction de la
-Fixe qui en est plus près; j'entends, entre 11000 & 4000000000 pieds?
-
-Or comme le Soleil se trouve tantôt d'un côté du centre universel de
-son propre Systême, tantôt de l'autre, & que la même chose arrive à
-chaque Fixe à l'égard des Planetes inconnues qui l'environnent, l'on
-voit clairement que ces corps lumineux s'attirent réciproquement
-par des forces beaucoup plus foibles que celles qui les éloignent
-quelquefois les uns des autres. Ces vicissitudes d'approchement &
-d'éloignement sont donc ce qui retient toujours les Fixes dans leur
-assiette naturelle, sans qu'elles puissent jamais tomber les unes sur
-les autres.
-
-Comme quelques Fixes, qui, selon les observations de Montanaro,
-ont disparu depuis quelques années, n'ont pas empêché celles qui
-sont restées, d'être stables, il faut voir quelles peuvent être les
-causes de leur disparition. Le célèbre Wolff en spécifie trois dans
-sa Physique. 1º. Elles peuvent, selon lui, acquérir du mouvement &
-par-là se dérober à nôtre vûe: 2º. En retombant dans le Chaos elles
-peuvent créver & s'évaporer entiérement; Et 3º. elles peuvent ou perdre
-tout-à-fait leur lumiére, ou en perdre du moins assez pour nous devenir
-invisibles.
-
-La premiére de ces causes paroît d'autant moins vraisemblable,
-que l'attraction de la Fixe, qui disparoîtroit, deviendroit plus
-forte & précipiteroit, les unes sur les autres, toutes celles qui
-l'environneroient. La seconde n'est pas plus recevable, vû que cette
-prétendue dissolution changeroit la gravitation réciproque des Etoiles
-les plus voisines de celle qui s'évanouïroit, & qu'elles n'auroient
-plus rien qui les tiendroit en équilibre. Ainsi nous adopterons la
-troisième, parce qu'en supposant la stabilité de la Fixe, elle conserve
-toute sa force attractive.
-
-Il faut faire le même jugement des retours périodiques d'apparition &
-de disparition des Etoiles, qu'on a observées dans les Constellations
-de la Baleine, du Cigne & de l'Hydre. Car quoique la partie qui
-nous regarde soit plus ou moins lumineuse, & que nous les perdions
-quelquefois tout-à-fait de vûe, elles ne quittent pas pour cela leurs
-places, & leur attraction ne laisse pas de tenir l'Univers en équilibre.
-
-Il s'ensuit de tout ce raisonnement, que la gravitation réciproque de
-deux Fixes ne diminue pas précisément en raison inverse des quarrés des
-distances, sur-tout aux environs du centre commun de leur pesanteur. Il
-s'ensuit aussi que la loi de la gravitation peut varier, comme on le
-peut voir sur la fin du Chapitre VII. où il est parlé des différentes
-sortes d'attraction. L'action de l'Aiman sur le Fer en raison inverse
-des cubes de ses distances, & celle des corps transparens sur les
-rayons, ou les atomes de la lumiére, nous prouvent la réalité
-aussi-bien que la possibilité de la chose.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-CHAPITRE VINGT-CINQ
-
-_Des secondes inégalités du mouvement des Satellites, & des Phénomênes
-qui en dépendent._
-
-
-APrès avoir rapporté au Chapitre XXI. diverses particularités du
-mouvement de la Lune, pour établir la nécessité de l'attraction, il
-nous reste à faire voir dans celui-ci que la Théorie de ces inégalités,
-causées par ce méchanisme, est entiérement conforme aux Observations.
-
-Neuton assigne trois causes à ces sortes d'irrégularités. Il prétend:
-1º. Que la force qui tire la Lune vers la Terre, est moindre que celle
-qui tire ces deux Planetes vers le Soleil: 2º. Qu'en considérant les
-orbites comme exactement circulaires, la force qui tire la Terre vers
-le Soleil est toujours égale, au lieu que celle qui tire la Lune vers
-cet Astre est plus grande dans sa Conjonction que dans son Opposition;
-Et 3º. Que les lignes d'attraction, qui tendent vers le Soleil se
-resserrent à mesure qu'elles en approchent, & augmentent toujours la
-gravitation de la Lune vers la Terre, surtout lorsque cette Planete est
-dans ses Quadratures.
-
-Si l'on suppose, par exemple, que la Lune soit en Conjonction avec le
-Soleil, on verra que, par sa seule gravitation vers la Terre, elle
-décrira en 10 heures 20 min. un petit arc de 100 parties, dont 1000
-composent le rayon de son orbite, & 336000 font sa distance du Soleil.
-Or si pendant ce tems-là la Lune parcourt 100 parties de son rayon, il
-faut que (suivant la règle du mouvement circulaire dont nous avons fait
-mention page 372 lignes 3 & 4) comme 1000 parties de ce dit rayon sont
-à 100 (corde qui différe très-peu de l'arc en question,) de même le
-nombre de 100 soit à 10, chûte (_uniforme_) de la Lune vers la Terre.
-Mais si l'on veut déterminer les chûtes de la Terre & de la Lune vers
-le Soleil, il faut se conformer aux règles données pages 268 & 269,
-en disant par cette opération abregée: 1º. Comme 1. (distance de la
-Lune à la Terre) divisé par le quarré d'un mois périodique, est à 337
-divisés par le quarré d'une année, ainsi 10 (chûte de la Lune vers la
-Terre) sont à 19, chûte de la Terre vers le Soleil; 2º. Comme le quarré
-de 336000 est au quarré de 337000, ainsi 19 (chûte de la Terre vers le
-Soleil) sont à 19 19/168, chûte de la Lune vers cet Astre. Il y a donc
-19/168 d'une seule partie du rayon de la Lune, qu'il faut ôter de 10
-parties du même rayon, pour trouver sa véritable chûte vers la Terre,
-qui sera seulement de 9 149/168, au lieu qu'elle seroit de 10, sans
-l'action particuliére du Soleil sur ce Satellite. Par la même raison,
-la distance de la Lune à la Terre, qui étoit de 1000 parties, se
-trouvera de 1000 19/168; ce qui contribuera encore plus à la diminution
-de sa pesanteur.
-
-Tandis que la Lune est encore si peu éloignée de sa Conjonction,
-la force qui la pousse vers la ligne des Syzygies n'a rien de
-considérable; mais elle augmente à mesure que cette Planete approche de
-son Quartier. Lorsqu'au contraire elle y est parvenue, cette seconde
-force, qui agit en même sens que sa pesanteur vers la Terre, la pousse
-toujours vers notre Globe, jusqu'à ce qu'étant dans son Opposition elle
-ne s'en trouve plus éloignée que de 1000 parties.
-
-Par le mêlange de ces deux forces, l'éloignement de la Lune à la Terre,
-dans ses Quadratures, sera de 1023 à 1024 parties, en continuant
-le calcul que nous avons ébauché ci-dessus, & en se souvenant de
-l'obliquité naissante de la configuration de ce Satellite avec le
-Soleil. Au reste nous n'admettons point encore ici d'excentricité,
-autrement l'orbite seroit toujours ovale, quoique de largeur & de
-figure différentes, selon la capacité de l'angle compris entre les
-deux lignes des apsides & des conjonctions. Car en supposant cet angle
-_Zero_, l'excentricité devient plus grande que s'il étoit de 90
-degrés, puisque le grand axe au premier cas est de 2000 & au second
-de 2047. Il est vrai que nos dimensions ne sont pas les mêmes que
-celles de Neuton; mais comme ce grand Homme reconnoît, sur la fin de
-sa Préface, que sa Théorie Lunaire a ses imperfections, nous avons cru
-qu'il suffisoit de nous attacher à ses Principes, sans nous assujettir
-à ses mesures.
-
-Quant aux Satellites qui composent l'anneau de Saturne, on trouvera,
-par un pareil calcul, que le grand axe de leur Orbite est au petit
-comme 1000 sont à 1000 1/94, & que par conséquent cette même Orbite est
-2250 fois moins ovale que celle de la Lune.
-
-Mais pour rassûrer ceux qui pourroient douter que notre calcul soit
-conforme aux Observations, revenons aux excentricités, que nous
-n'avons fait qu'indiquer ci-devant, & faisons voir, par une nouvelle
-supputation, qu'elles s'accordent avec les diametres apparens & les
-mouvemens horaires de la Lune.
-
-Lorsque les Apsides tombent dans les Syzygies, la plus grande
-excentricité de l'Orbite étant, selon les plus fameux Astronomes, à la
-distance médiocre de la Lune comme 67 sont à 1000, on conçoit bien que
-l'Apogée est éloigné de 1067 de la Terre, & le Périgée de 933. Par la
-même raison, quand les apsides sont aux quadratures, l'excentricité en
-question n'étant que de 44, & la distance médiocre de 1024, celle de
-l'Apogée à la Terre doit être de 1068, & celle du Périgée de 980.
-
-Or le diametre apparent de la Lune dans son Apogée est, (à compter
-rondement) de 29 min. 40 sec. & ne varie jamais qu'entre 1067 & 1068.
-Au contraire il varie toujours dans son Périgée depuis 34 min. jusqu'à
-32 1/2, c'est à-dire en raison inverse de 933 à 980. Donc les distances
-de l'Apogée & du Périgée sont précisément, suivant notre calcul, en
-raison inverse des diametres apparens, qu'on a trouvés jusqu'ici par
-les Observations.
-
-Le mouvement horaire ne prouve pas moins l'exactitude de ces rapports.
-Car tant que les aires décrites sont égales, ces mouvemens sont
-par-tout en raison inverse des quarrés des distances. Ainsi comme le
-quarré de 933 est à 29 min. 20 sec. (horaire de l'Apogée) de même le
-quarré de 1067 est, selon les Observations, à 38 minutes, horaire du
-Périgée dans les Syzygies. Et si le quarré de 980 donne 29 min. 20
-sec., celui de 1067 en donnera, conformément aux Observations, 35
-d'horaire du Périgée dans les Quadratures.
-
-On voit aussi que, par les mêmes loix de la gravitation vers le Soleil,
-la Lune qui n'est pas dans l'Ecliptique, s'en doit approcher jusqu'aux
-Syzygies; parce que, selon l'angle de son orbite avec la nôtre, sa
-Latitude devient toujours moindre qu'elle ne devroit être. Cet angle
-diminue donc à chaque instant, & au lieu que dans les Quadratures, près
-des nœuds, il étoit de 5 degrés 18 min. il n'est que de 5 degrés dans
-les Conjonctions comme dans les Oppositions; ce qui rend la surface
-de l'orbite curviligne. Si au contraire les nœuds se trouvent dans
-les Syzygies, l'action du Soleil ne diminue point les Latitudes,
-l'angle en question demeure toujours le même, & l'orbite devient une
-surface plane. Quant à leur mouvement, il est alors d'une extrême
-lenteur, parce que l'action du Soleil, qui est, pendant un tems assez
-considérable, presque parallèle à la distance de la Lune & de la Terre,
-ne se ralentit guère; mais il n'en est pas de même des Quadratures, où
-ils rétrogradent considérablement. Car la Lune les rencontre chaque
-mois environ trois heures plutôt, sur-tout au milieu de son Croissant
-aussi-bien que de son Decours, où la différence de sa gravitation &
-de celle de la Terre vers le Soleil augmente & diminue plus vîte que
-par-tout ailleurs.
-
- [Mouvement des Poles de la Terre, p. 295.]
-
-La précession des Equinoxes est encore aussi-bien que la rétrogradation
-des nœuds un effet de ces inégalités, quoique beaucoup plus lente,
-parce que la quantité de la matiére terrestre, qui est sous l'Equateur,
-différe très-peu de celle des Méridiens, & que ce petit excédant, sous
-l'Equinoxiale, tient la place d'un Satellite, ou d'un anneau tel que
-celui de Saturne.
-
-Il y a quelques autres causes qui rendent le mouvement des Satellites
-un peu irrégulier, mais dont l'effet n'est guére considérable que par
-rapport à eux. On a remarqué que l'Apogée du premier & du quatrième
-Satellites de Jupiter est constamment le même que celui de cette
-Planete, & que ce n'est qu'après plusieurs révolutions de celle-ci que
-l'orbite du troisième se retrouve à la même inclinaison. Aussi les
-nœuds de ces quatre petites Etoiles n'ont-ils point varié, du moins
-depuis plus de cent ans qu'il y a qu'on les observe. En un mot, toutes
-ces inégalités n'approchent pas de celles de la Lune, sans parler de sa
-rotation, qui différe considérablement de celle qu'on a cru appercevoir
-dans les autres Satellites.
-
-Après avoir parcouru tous ces différens mouvemens, nous ne pouvons
-guère nous dispenser d'en indiquer la cause. Elle n'est pas si obscure
-que bien des gens pourroient se l'imaginer. La voici en peu de mots:
-le nombre & la proximité des Satellites font que leur attraction
-réciproque l'emporte beaucoup sur l'action du Soleil. Par là il est
-aisé de juger que l'anneau de Saturne doit extrêmement déranger les
-Satellites qui font leurs revolutions autour de lui, sur-tout les
-plus petits & les plus excentriques. On conçoit pareillement que
-l'attraction de cet anneau doit retarder considérablement la chûte des
-corps sur la surface de Saturne. Enfin, l'exemple du flux & du reflux
-de la Mer ne nous permet pas de douter de cette vérité. Car il s'ensuit
-de tout ce qui a été dit au Chapitre XVIII., que la pesanteur du centre
-de la Terre vers la Lune est toujours la même; au lieu que les eaux qui
-se trouvent entre ce centre & cette Planete, y sont attirées avec plus
-de vîtesse, que lorsque le tournoyement journalier de la Terre les a
-fait passer au point diamétralement opposé.
-
-Voilà ce que nous avions à dire des principaux effets de l'Attraction
-Neutonienne, telle que ce fameux Mathématicien l'a imaginée, en la
-regardant comme la cause unique de la réfraction de la Lumiére, &
-comme le premier ressort du Méchanisme de l'Univers. Il est vrai qu'en
-qualité de Philosophe, il lui assigne un empire bien plus vaste dans
-la Nature, en réduisant sous ses loix toutes les opérations de la
-chaleur, le mêlange des Mixtes, leur décomposition, & l'électricité
-qu'on remarque dans l'ambre, le diamant, la cire d'Espagne & autres
-corps de cette nature; mais nous n'entrerons point dans ce détail,
-parce qu'il nous meneroit trop loin, & qu'il n'a aucun rapport à la
-Géométrie, que nous n'avons point perdu de vûe dans tout cet Ouvrage.
-Nous le finirons donc sans parler de la double réfraction du Crystal
-d'Islande, de la diminution de la densité & de l'élasticité de l'air,
-de la ténacité des milieux visqueux, dans lesquels peut se mouvoir un
-corps quelconque, ni de plusieurs autres matiéres semblables. C'est
-par la même raison, que nous n'avons touché que legérement certaines
-choses, comme la précession des Equinoxes & le retour périodique des
-Marées; Phénomênes où il faut qu'il y ait encore quelqu'autre cause
-mixte, qui a été inconnue jusqu'ici. Car si l'on ignore ce qui fait
-l'égalité du mouvement des points Equinoxiaux de Jupiter & des nœuds
-de ses Satellites, l'on ne sait pas plus pourquoi le flux & le reflux
-de la Mer suivent plutôt le moyen que le vrai mouvement de la Lune.
-Du moins faut-il convenir, que la concurrence des actions du Soleil &
-d'un Satellite sur la Planete principale dans les Syzygies, ou leur
-différence dans les Quadratures, ne sauroit rendre raison de ces deux
-expériences.
-
-
-FIN.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-ERRATA.
-
-
-Le Lecteur est prié de corriger les endroits marqués ci-dessous, sans
-quoi il ne pourroit pas quelquefois trouver le sens de l'Auteur.
-
- Page. Ligne. Faute. Correction.
-
- 4 6 un fausse une fausse
- 23 5 le Nature, la Nature,
- 29 6 yon, point de virgule.
- 46 2 A, B, C. A, B.
- 53 1 B, A, C. B & C.
- 73 dern. huit quatre
- 74 2 quatre huit
- 78 20 à deux à huit
- 79 8 deux pieds huit pieds;
- 105 15 Or qu'elle Or quelle
- 128 dern. La rayon Le rayon
- 148 3 de courbes de droites infiniment
- petites
- 182 Dans la Planche
- au-dessus de Si, 1/4 3/5
- & au-dessus de La, 1/3 2/3
- 192 4 récipent récipient
- 198 15 se meuvent & agissent se mouvoient & agissoient
- 237 10 qu'el qu'elle
- 246 4 S, B, A. S, H, B. S, B, A. S, C, B.
- 259 5 dans Jupiter dans les Satellites de
- Jupiter
- 267 23 la Soleil le Soleil
- 269 1 elliplique elliptique
- 281 11 27 24
- 289 1 27 24
- 289 3 plus dense Après dense ajoutez une
- virgule & ces mots: &
- que le diametre du
- Soleil surpasse seulement
- 97 fois & demi
- celui de la Terre.
- 289 6 413 350
- 295 dern. Chap. suivant. Chap. XXV.
-
-
- * * * * *
-
-
-Liste des modifications:
-
- Page 13: «ils» remplacé par «il» (mais il les a cherchées)
- Page 21: «présuposé» par «présupposé» (Or cela présupposé,
- voici le raisonnement)
- Page 25: «bale» par «balle» (Or un boulet d'une livre de balle)
- Page 26: «miliasses» par «milliasses» (deux milliasses cinq cens
- soixante miliards)
- Page 45: «l'apperperceviez» remplacé par «l'apperceviez» (vous ne
- l'apperceviez point)
- Page 214: «Matiree» par «Matiere» (si l'Etendue & la Matiere étoient
- la même chose)
- Page 254: «couduisit» par «couduisit» (l'erreur le conduisit par
- hazard)
- Page 297: «nonotre» par «notre» (dans les pétrifications de notre
- Europe)
- Page 346: «elelle» par «elle» (elle ne dure guères)
- Page 347: supprimé «la» (Vers la fin de cette phase)
- Page 390: «dimunition» par «diminution» (la diminution de sa
- pesanteur)
- Page 396: «Li» par «Il» (Il y a quelques autres causes qui rendent)
- Page 399: «Sizygies» par «Syzygies» (dans les Syzygies)
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Elémens de la philosophie de Neuton, by
-Francois-Marie de Voltaire
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PHILOSOPHIE DE NEUTON ***
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