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-Project Gutenberg's A Angora aupres de Mustafa Kemal, by Alaeddine Haidar
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
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-
-Title: A Angora aupres de Mustafa Kemal
-
-Author: Alaeddine Haidar
-
-Release Date: December 31, 2015 [EBook #50805]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL ***
-
-
-
-
-Produced by Turgut Dincer (This file was produced from
-images generously made available by The Internet Archive)
-
-
-
-
-
- --------------------------------------------
- NOTE:
- Texte entre soulignements sont en Italiques.
- --------------------------------------------
-
- Alaeddine Haidar
-
- Envoyé de Presse
-
-
-
-
- A ANGORA
-
- AUPRÈS DE
-
- MUSTAPHA KÉMAL
-
-
- Dédié à
- M. Pierre LOTI
- _de l'Académie française_
- En hommage très respectueux
- envers
- notre Grand Défenseur.
-
-
-[Illustration]
-
- ÉDITIONS "FRANCE-ORIENT"
- 5, Avenue de l'Opéra, 5
- PARIS
-
-
-
-
-AVERTISSEMENT
-
-«France-Orient» est une tribune libre, un tribunal d'enquêtes, si l'on
-veut, mais sans juges, ni accusés, à plus forte raison, où sont admis
-et écoutés tous les plaidoyers sincères, courtois et loyaux.
-
-En accueillant, au moment de la Conférence de Londres, ce Carnet de
-route d'un Correspondant de guerre turc, en présentant au public
-français averti cette charmante plaidoirie, cette séduisante
-description du pays, de l'âme, de la foi kémalistes, vus par des yeux
-francs de jeunesse et de patriotisme fervent, le Comité France-Orient,
-entend prouver à ses amis ottomans--qui le sont restés malgré toutes
-les vicissitudes, les inimitiés passagères et les emprises cruelles
-pour tous, d'un seul ennemi déloyal et irréconciliable--que la France
-est toujours la véritable Terre indépendante et libre du Droit et de la
-Justice.
-
-Alaeddine Haïdar bey élevé à Genève, dans la blancheur des cimes et
-la pureté des lacs suisses, en reflète la clarté dans le décor plus
-sévère, mais non moins agreste des Alpes Politiques. On dirait, à le
-suivre agréablement au fond de cette mystérieuse Anatolie, que nous
-nous imaginions plus rude, un peu sauvage, pour tout dire--si loin de
-Paris évidemment--on dirait que le ranz des vaches prolonge là-bas
-les sons grêles et rauques, tour à tour, des cornes et sonnailles du
-Lauberhorn, dans le silence attentif du soir...
-
-Notre Correspondant, aux souvenirs de Coppet, y découvre jusqu'à
-l'esprit, non moins aventureux, de Mme de Staël, dans le cœur des
-nouvelles _Désenchantées_ que «leur ardeur poétique et guerrière, toute
-la fougue de l'amazone kémaliste, l'éminente poétesse et romancière
-turque Halidé Edib Hanoum, a conduites à Angora, pour la lutte de
-l'Indépendance et de la Liberté».
-
-L'image vénérée du grand défenseur de l'Islam, notre Loti, auquel
-Alaeddine--j'allais écrire Aladin tant sa lampe est vraiment
-merveilleuse--a dédié ces feuilles éparses au vent de l'Ilkaz, plane
-aussi dans cette atmosphère lumineuse «qui rappelle les beautés
-d'Ispahan et les charmes d'Aziyadé». Ceci n'est pas pour nous déplaire
-et la flatterie de cette dédicace touche au plus délicat asile de l'âme
-française qui déplorait la «mort de notre chère France en Orient».
-
-Et nous voici déjà un peu loin du Mont Blanc quand tout à coup surgit
-Guillaume Tell. C'est Mustapha Kémal, l'hôte au kalpak noir, campé à
-Angora, comme sous la tente, où il concentre toute sa force de travail
-dans les veillées prolongées de ses nuits de stratège qui ont émacié
-son corps et roidi sa volonté froide. C'est le «prédestiné coranique»
-qui d'un seul mot, terrible et fort, irrésistible, propagé, dans
-un trait de poudre, jusqu'à l'Afghanistan, jusqu'à la Perse, dans
-l'Azerbaïdjan, à Bokhara, en Arabie, a précipité sur ses pas toute une
-foule hétéroclite de peuplades indisciplinées, depuis les Tartares et
-les Kirghis du Turkestan jusqu'à des nègres et des chinois enfuis de
-la Russie bolchéviste--les hordes de Djenghiz khan--vers la guerre
-sainte, vers l'indépendance sacrée.
-
-Car c'est cela que fait ressortir notre Correspondant de presse,
-cette vérité contre laquelle des erreurs plus ou moins volontaires ne
-sauraient prévaloir.
-
-C'est l'indignation et l'exaspération d'un peuple, c'est le réveil de
-la conscience turque qui ont mis l'Anatolie à feu et à sang.
-
-Celui qu'on nous a si faussement représenté comme un chef de
-bandits, le conducteur infatué de ce troupeau de chèvres d'Angora
-dont les bonds capricieux troublent les vallées profondes et les
-puits de pétrole de la Mésopotamie, est, en réalité, nous dit Haldar
-bey, un conducteur d'hommes et plus encore, un apôtre, l'apôtre de
-la Résurrection islamique. Tout autour de lui respire son souffle.
-De toutes parts, les volontaires sont accourus, les «tchétés», les
-francs-tireurs, escarmoucheurs de guérillas et de raids nocturnes, dont
-l'organisation secrète met en déroute et tient en haleine l'Europe
-entière déconcertée. Du fond des Indes, le Monde musulman a, de
-même, tressailli à sa voix contre l'ennemi qui suppute les chances
-de démembrement du vaste empire d'Osman en faveur de ses clients
-byzantins. Le pays kémaliste, c'est la Turquie tout entière et c'est
-tout l'Islam, ne l'oublions pas.
-
-Certes, des éléments disparates y foisonnent et les soviets n'en sont
-pas, apparamment, le moindre facteur, instrument d'occasion, d'ailleurs
-redouté, dont le maître se sert «comme des serpents auxquels on
-s'accroche quand on se noie» selon le mot imagé d'un vieux turc de la
-Corne d'Or. Mais l'Islam est essentiellement réfractaire, de par les
-hadith mêmes du Coran, au Bolchevisme. Le Prophète n'a-t-il pas dit:
-«Si vous êtes des séditieux, Dieu vous châtiera» et le proverbe turc
-n'ajoute-t-il pas: «Je suis Seigneur, lu et Seigneur, qui est-ce qui
-étrillera l'âne?»
-
-C'est, en deux mots, tout le respect de l'autorité et de la propriété
-si chères aux sectateurs de Mahomet.
-
-Le danger rouge et vert n'est qu'un trompe-l'œil en Turquie. Les
-soviets de Russie ne l'ignorent point. L'article premier du traité de
-Bakou stipulait en effet nettement: «La Russie des Soviets s'engage à
-cesser toute propagande communiste sur tout le territoire turc pendant
-la durée du présent engagement». Voudraient-ils continuer qu'ils
-ne le pourraient pas, ajoute fort judicieusement notre confrère M.
-Georges Labourel, en commentant cette situation dans l'Echo de Paris
-du 12 Janvier dernier, car c'est Zinovieff lui même qui déclare que
-le communisme chez les musulmans n'est qu'une «idée enfantine». Le
-Turc est avec Moscou par opportunisme, parce que Moscou peut l'aider
-dans sa lutte, propter necessitatem. Et cette nécessité répond encore
-à une loi profonde de l'Islam; c'est la méthode d'islamisation si
-fortement mise en lumière par les célèbres commentateurs du Coran. Le
-dogme fondamental, en législation musulmane, de la Contrainte, domine
-les moslems, des Résignés en Dieu, qui ne prennent les armes que pour
-défendre le Croissant, ne se soumettant à la force qu'aussi longtemps
-qu'ils ne peuvent s'y dérober. Si le musulman continue à obéir à une
-loi non islamisée, dès qu'il est en état de repousser la contrainte, il
-devient passible du feu éternel. Il ne peut, en conséquence, refuser
-d'obéir à une loi islamisée. C'est pour n'avoir pas su deviner cette
-nécessité ou pour avoir voulu pratiquer cette méthode d'islamisation
-par la force que les Allemands ont fait dévier l'organisme ottoman
-et précipité ce pays à l'abîme. C'est pour la méconnaître que la
-Grande-Bretagne, afin d'enrayer, s'il se pouvait, la colère islamique
-redressée contre son hostilité, dépêche en vain ses missi dominici
-protestants vers les Arabes que Mustapha Kemal peut rallier d'un signe,
-du signe de détresse et d'excommunication aussi, c'est pour l'oublier
-enfin que nos troupes de Cilicie s'exposaient aux pires attaques.
-
-La Conférence de Londres rectifie les positions, mais tirons en cet
-enseignement grave, si profitable à nos intérêts français, c'est
-qu'en islamisant notre progrès en Turquie, en acceptant de traiter
-avec égards l'adversaire d'hier--d'ailleurs contraint et forcé
-et loyal autant que courageux--en reconnaissant la valeur de son
-droit à la vie et à l'indépendance promise aux peuples selon leurs
-aspirations ethniques, et non selon les nôtres, nous aurons travaillé
-à la «Résurrection de la France en Orient». C'est ce que nous disait
-récemment, en suggérant cet autre titre au prochain livre de Loti,
-une Auguste Princesse Musulmane, dont les yeux de foi et de lumière,
-l'âme mystique et pure de l'Orient voilée sous la modestie royale,
-ont illuminé de son ardent patriotisme et guidé la marche à l'étoile,
-l'enchantement joyeux à travers les horreurs de la guerre d'Alaeddine
-Haïdar et le nôtre par surcroît, avec nos espérances d'un rapprochement
-d'amitiés séculaires-sur le chemin d'Angora chez Mustapha Kêmal. C'est
-l'intérêt principal de ces lignes un peu rétrospectives mais qui
-jettent, pour nous Français surtout, une projection profitable vers
-l'avenir de la France en Orient.
-
- P. ABDON-BOISSON,
-
- Secretaire général fondateur du Comité "France-Chient",
- Délégué politique à la Section "France-Turquie".
-
-
-
-
-PRÉFACE
-
- On peut tuer le Turc... On ne
- peut pas le vaincre.
-
- (NAPOLÉON I^{er}.)
-
-
-_Il y a de cela exactement sept ans, en 1913, M. Georges Rémond,
-correspondant de guerre de L'Illustration, au camp turco-arabe de
-Tripolitaine, écrivait à son retour:_
-
-_«J'avais appris qu'un peuple n'est point vaincu, quelles que soient
-les forces qui le menacent, tant qu'il ne se résigne pas lui-même:
-qu'il trouve dans sa religion son plus efficace moyen de résistance,
-et que la force et la durée de celle-ci devraient être mesurées «la
-profondeur de sa foi.»_
-
-_L'auteur citait encore dans ce même livre une phrase de Napoléon
-I^{er} sur les Turcs, une phrase vieillie, mais dont on commence à
-reconnaître en France la justesse:_
-
-_«Je serai utile à mon pays, si je puis rendre la force des Turcs plus
-redoutable à l'Europe.»_
-
-⁂
-
-_Rentré d'Angora, je viens d'écrire ces notes, ces articles, et je les
-réunis ici. Cest un amas d'impressions très disparates. Le lecteur y
-trouvera peut-être toutefois quelque lumière sur ce qu'est le mouvement
-nationaliste turc en Asie mineure, tant calomnié, si peu connu._
-
-_Arrivé à Constantinople, j'adressais ces mots à une Revue française:_
-
-_«Je rentre d'Angora, de l'Anatolie soulevée et luttant contre ceux
-qui veulent s'étouffer; je tiens à faire entendre en France--la seule
-terre de liberté à l'étranger où peut encore s'élever la voix des
-opprimés--un cri bien faible hélas, en faveur d'un peuple entier qui
-lutte pour la défense du sol natal..._
-
-_«Là-bas, tous--jeunes et vieux--ont pris les armes, en ont trouvé
-Dieu sait où, car la Turquie désarmée fut honteusement attaquée à
-Smyrne. Tous, jeunes et vieux, se sont levés pour la défense du
-territoire ottoman, pour cet idéal humain le plus impérieux: La lutte
-pour la vie!_
-
-_«Stamboul, notre cher et paisible Stamboul de jadis, le sol sacré de
-notre foi, le berceau de notre nation est sous la menace persistante
-des bouches à feu des cuirassés britanniques, prêts à vomir la mort,
-prêts à réduire en poudre nos mosquées, nos turbès, nos minarets et nos
-palais qui ne sont plus nôtres..._
-
-_«A Stamboul, où l'on chérissait la France, règne la terreur hypocrite
-des Britanniques, qui s'efforcent de saper l'ouvre française établie en
-Turquie depuis des siècles.»_
-
-_Stamboul... l'Anatolie... quels contrastes! Quels aspects!_
-
-_Tandis qu'ici l'âme turque se sent morfondue, là-bas, sur la terre
-indépendante encore, on respire la liberté, la liberté de vivre!_
-
-_En Europe, l'argent grec, l'or anglais font leur œuvre basse de
-calomnies: «une bande de brigands qui lèvent leurs yataghans sur la
-tête des malheureux chrétiens d'Orient». Des chrétiens? Etaient-ce
-des chrétiens ceux qu'on a vus à l'œuvre, au nom de la civilisation
-britannique dans les carnages de Smyrne, de Ménémen, d'Aïdine et de
-Nazeli? Les milliers d'émigrés qui logent à la belle étoile à Angora, à
-Konia, fuyant les armées de la civilisation, sont trop loin de ce monde
-civilisé pour qu'il y prête attention!_
-
-_Mais l'Angleterre même hésite aujourd'hui devant la lutte suprême des
-Turcs, car ceux-ci que l'on croyait morts ressuscitent..._
-
-_Oui, ce qu'une poignée d'hommes a réussi à faire à Angora, contre les
-volontés coalisées de l'Europe, dépeint admirablement le droit d'un
-peuple et sa volonté inébranlable..._
-
-_Il y a au monde deux Irlande... la vraie et celle des Turcs... Elles
-ont fraternisé et luttent contre un même ennemi pour un idéal commun..._
-
-_ALAEDDINE HAIDAR._
-
-
-[Illustration: MUSTAPHA KÉMAL PACHA
-
-Chef des Nationalistes Ottomans et du Gouvernement d'Angora.]
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- I.--En Mer Noire.--Des signaux mystérieux.--En vue des
- côtes kémalisles.--L'antique Inépolis.--Sur la terre
- indépendante.--Un peuple qui a pris les arms.--En route vers
- Angora.--Les haltes dans les montagnes.--La Suisse anatolienne
- on les Alpes Politiques.--Edjevid, l'auberge et relai perdu
- dans les monts.
-
- II.--A Castamouni.--La ville déserte, tous soldats.
- Le vendredi.--L'art et les paysans.--Les merveilles
- de Castambol.--Djemal bey.--Le départ et les monts de
- l'Ilkaz.--Distractions et compagnons de voyage.--Les relais à
- l'intérieur de l'Asie-Mineure.--L'hospitalité traditionnelle
- des Turcs.--La monotonie des longues routes.--Tchanghri.--
- Enfin Angora.
-
- III.--Angora, l'antique Ancyre.--Ce que l'on voit dans ses
- rues.-La crise des logements.--Où il me faut loger dans une
- armoire.--Le chef des Nationalistes.-Ce qu'est le soulèvement
- kémaliste.--Son but.--Son armée.--Kémalisles, Bolcheviks et
- Peuples de l'Asie.
-
- IV.--Comment Mustapha Kémal organise des groupes de
- francs-tireurs contre l'armée grecque.--Les «tchétés»
- volontaires.--Organisations secrétes de l'arrière-front.-Les
- guérillas eu Anatolie.--Formation des corps d'armée à
- l'intérieur.--Au Conseil asiatique de Bakou.
-
- V.--A la Sublime--Porte d'Angora.-Les ministères.
- --Aux Affaires étrangères.--Une entrevue avec Mouhktar
- bey, vékil aux Affaires étrangères.--Le 12^e point de
- Wilson.--L'offensive des Hellènes.--En Cilicie.--Les
- servitudes étrangères.--Le but des nationalistes turcs.
-
- VI.--En tête à tête avec Mustapha Kémal.--La maison du
- chef de gare.--Ce que dit le chef des nationalistes
- turcs.--L'offensive en Arménie.--Le traité de Sèvres et les
- Hellènes en Asie-Mineure.
-
- VII.--A la Chambre d'Angora.--Déclaration d'Ismaïl Fazil
- pacha.--Comment le mouvement national prit naissance.--Son
- historique.--Stamboul et Angora.--Les débats au
- Parlement.--Une discussion intéressante.--La loi supprimant
- l'alcool.--Les ravages des boissons fermentées en Anatolie.--
- L'argument religieux.--La loi est approuvée.
-
- VIII.--Ismaïl Sabry-bey.--A la Défense nationale.
- --L'occupation de Smyrne.--L'agression hellène contre
- l'Anatolie.--Les causes du soulèvement de l'Asie-Mineure.--En
- Cilicie.--Deux mots de Fevzi pacha, ministre de la
- guerre.--Quelques proclamations.
-
- IX.--Ce qui se passe en Mésopotamie.--Le gouvernement
- nationaliste arabe de Kerbellah.--Les alliés des
- kémalistes.--L'étendard de la révolte en Perse et en
- Arabie.--L'émir Ali.--L'attaque des convois anglais du
- Tigre.--Sur les rives de l'Euphrate.--Arabes et Kémalistes.--A
- la frontière persane.
-
- X.--L'exilée d'Angora.--Halidé Edib Hanoum.--Une visite à sa
- ferme.--La romancière kémaliste.--L'amazone d'Anatolie.--Les
- fusils dans la pénombre.--Désenchantée 1920.--La fuite
- de Halidé de Constantinople.--Ce qu'elle nous dit sur le
- soulèvement national.
-
- XI.--En quittant la terre kémaliste.
-
-
-
-
- A ANGORA
-
- AUPRÈS DE
-
- MUSTAPHA KÉMAL
-
- _Carnet de route
- d'un Correspondant de guerre._
-
-
-
- I
-
- EN MER NOIRE.--DES SIGNAUX MYSTÉRIEUX.--EN VUE DES CÔTES
- KÉMALISTES.--INÉBOLI, L'ANTIQUE INÉPOLIS.--SUR LA TERRE
- INDÉPENDANTE.--UN PEUPLE QUI PREND LES ARMES.--EN ROUTE
- VERS ANGORA.--LES HALTES DANS LES MONTAGNES.--LA SUISSE
- ANATOLIENNE OU LES ALPES PONTIQUES.--EDJEVID, L'AUBERGE ET
- RELAI PERDU DANS LES MONTS.
-
-
- Fin Septembre 1920.
-
-Le _Bruenn_, gros paquebot du Lloyd Triestino, lève l'ancre dans la
-Corne d'Or. Un beau soleil d'automne fait miroiter dans l'onde calme
-du port les reflets lumineux que renvoient les dômes des mosquées de
-Stamboul... ce Stamboul à la silhouette encore si belle, mais hélas
-qui a tout à fait changé depuis que l'Angleterre y a mis son pied,
-depuis que ses monstres d'acier sont ancrés dans ce paisible Bosphore,
-dirigeant les gueules de leurs canons--prêts à vomir un déluge de fer
-et de feu--vers les fins minarets.
-
-En mon for intérieur, pourtant, une joie indescriptible me réchauffe...
-c'est que je quitte un sol déjà étranger, pour une terre indépendante
-encore, où se livre la lutte désespérée d'un peuple qui veut son droit
-à la vie.
-
-Le soir est presque venu lorsque nous perdons de vue, à l'horizon du
-couchant, l'entrée du Bosphore. La mer est calme et le Bruerm a pris
-la route du large se dirigeant vers Sinope. Pour vaincre la monotonie
-d'un voyage en mer, on a tôt fait connaissance de quelques passagers du
-bord et, à peine confortablement étendu dans le « rocking-chair », les
-conversations s'engagent avec mes compagnons de traversée.
-
-Quelques-uns des voyageurs se dirigeaient, ainsi que moi, vers Inéboli,
-d'où je devais me rendre, par terre et en voiture, à Angora; parmi eux,
-M. Corpi, directeur de la Banque ottomane, et quelques Turcs, se disant
-de gros négociants de cette ville.
-
-Nous étions déjà bien au large lorsque l'un d'eux, se levant, nous
-proposa de nous faire faire connaissance avec un de ses amis. Il
-descendit dans sa cabine pour remonter bientôt, suivi d'un monsieur
-d'une cinquantaine d'années, qu'il nous présenta comme un commerçant
-en blé, Mouktalib bey. Mais, dès les premiers mots, j'eus lieu d'être
-intrigué. Ce simple négociant, qui parlait élégamment l'anglais et le
-français, connaissait tous les hommes politiques turcs. Après le dîner,
-nous nous retrouvons tous, de nouveau, sur le pont. Un clair de lune
-superbe argente les flots de la Mer Noire; vers la côte anatolienne
-une lumière brille, puis soudain s'efface; c'est le phare de Chilé
-qui finit, lui aussi, par disparaître au loin. Il est tard lorsque
-je descends dans ma cabine, car, sur le pont, tous les passagers et
-passagères ont prolongé leur veille, retenus par le ravissant spectacle
-de la Mer Noire en pleine nuit, reflétant la longue traînée des lueurs
-argentées...
-
-⁂
-
---Vous vous rendez à Angora?
-
---Oui, Mademoiselle.
-
---En qualité d'envoyé de presse?
-
---Certainement, et je compte rentrer dans un mois.
-
---Mais, comment ne craignez-vous pas ces horribles kémalistes?
-
---Mademoiselle, il n'y a rien à craindre, ce ne sont pas des
-antropophages, comme vous pourriez le croire.
-
-Ces bribes de conversation se croisaient le lendemain matin dans
-la salle à manger du _Bruenn_, où je déjeunais en face d'une jeune
-demoiselle française se rendant à Batoum avec sa mère.
-
-Je dois noter que déjà plusieurs fois depuis mon départ de
-Constantinople, j'avais entendu de pareilles exclamations, surtout
-avant de m'embarquer. Sur le quai du départ, quelques amis m'avaient
-conseillé d'abandonner mon projet de me rendre à Angora, me jurant
-que toute l'Anatolie était à feu et à sang. Je passai outre aux
-supplications de ces pessimistes mal avertis, car j'étais bien décidé à
-partir.
-
-Cette voix douce et tremblante de jeune fille va-t-elle me convaincre
-et m'inquiéter; si tout ce qu'on dit et écrit était vrai pourtant ou
-contenait seulement des parcelles de vérité? Que deviendrait, dans ces
-conditions, le malheureux correspondant de quelques journaux étrangers,
-que les Kémalistes devaient exécrer et pour cause... Mais je me repris
-aussitôt en pensant à ce qui s'écrit de fausses nouvelles parfois...
-
-Je rassurai la belle jeune fille sur le Kémalisme qui n'est pas tout à
-fait rouge, comme on l'est sur la rive d'en face.
-
-Vers midi nous sommes en vue des côtes kémalistes. De hautes montagnes
-se profilent à l'horizon et, avec leur apparition, je vois surgir des
-«Kalpaks» noirs sur la tête de certains négociants de la veille qui,
-tout aussitôt, se déclarent partisans de Mustapha Kémal. Il est près
-de quatre heures de l'après-midi lorsqu'à l'avant du paquebot la ville
-d'Inéboli se dessine sur le rivage.
-
-Ses environs sont montagneux et boisés, et le petit port où nous allons
-descendre est comme serti dans une vallée s'ouvrant sur la mer où
-s'étagent, des deux côtés, des maisons noyées dans la verdure.
-
-Tandis que nous approchions de l'antique Inépolis, nous entretenant
-avec le capitaine, un de ces pseudo-négociants, s'approchant du
-commandant, le pria de faire arborer au mât les signaux: N.K.M.
-Immédiatement, cet ordre fut donné et, à notre stupéfaction, nous vîmes
-s'avancer du rivage des voiliers tenus prêts...
-
-L'ancre jetée, les cales ouvertes, des marchandises sont débarquées,
-sur le genre desquelles je ne veux pas trop insister, mais dont je
-noterais comme fait curieux que sur certaines caisses, on lisait
-ces mots, faits pour surprendre: Made in England. C'est la première
-impression que j'eus de l'audace et du courage des kémalistes. Ce
-ravitaillement risqué, emprunté à leurs mortels ennemis, n'est-il pas
-typique? Après avoir pris congé de nos compagnons de bord et de la
-peureuse mais charmante jeune fille qui tremblait encore pour nous,
-nous quittâmes le Bruenn, ancré à deux encablures au large, pour gagner
-la côte à bord d'un calque, que les grosses vagues faisaient danser sur
-l'eau comme une plume. A peine avais-je mis pied à terre qu'un grand
-soupir de soulagement sortit de ma poitrine; enfin, je foulais un sol
-encore indépendant!
-
-C'est en me rendant à l'hôtel de l'endroit, que j'appris que le «vali»
-ou gouverneur général de Castamouni, était mon très distingué et grand
-ami Djemal bey. La première chose que je fis fut de me rendre auprès
-du caïmakam chez qui je réussis à pouvoir téléphoner avec Castamouni
-et le vali donna des ordres formels pour que je puisse partir pour
-l'intérieur sans attendre le permis de la Commission instituée ici à
-cet effet et qui se livre à une enquête minutieuse pour chaque voyageur
-arrivant de Constantinople.
-
-A Inéboli tout est tranquille, comme d'ailleurs partout à l'intérieur.
-Quand je demandai si les nouvelles lancées par la presse étaient
-vraies, on m'a simplement ri au nez.
-
-Comment réprimer alors un sursaut de révolte contre les calomnies
-répandues dans la presse constantinopolitaine et étrangère: «Les Turcs
-massacrent, les Kémalisles déportent les Chrétiens!...»
-
-Et je les vois ces Chrétiens d'Anatolie, ils vaquent tranquillement
-à leurs affaires sans que personne s'en mêle, loin des servitudes
-interalliées de Constantinople, auxquelles sont assujetties toutes les
-populations de la capitale.
-
-A Inéboli, tout va son train d'avant-guerre. Seulement toute la
-population est armée. Chaque concitoyen est prêt à la défense de sa
-maison, de son foyer, contre les hordes grecques qui mirent le feu aux
-provinces de Smyrne, d'Aïdine et de Ménémen.
-
-A la première alerte, les milices populaires formées en bataillons,
-l'arme à l'épaule et la cartouchière à la ceinture, prennent position
-aux environs. C'est pour cela qu'on y respire... on y sent le
-soulèvement d'un peuple pour son indépendance.
-
-«Quand je vois ce peuple qui a pris les armes, me disait un Suisse,
-sous-directeur de la Banque Ottomane d'Inéboli, il me vient
-involontairement à l'esprit les guerres d'indépendance de nos aïeux à
-l'époque de Guillaume Tell... On sent ici un idéal, une résolution de
-vivre qui est indescriptible et que l'on ne saurait comprendre ni à
-Constantinople--dont la population dort ou ne pense qu'à spéculer--ni
-en Europe.»
-
-C'était l'opinion d'un étranger nouvellement arrivé en Anatolie. Cette
-Anatolie n'a néanmoins rien perdu de son cachet oriental. Dans ses
-petits cafés au bord de la mer, une multitude de Turcs enturbanés
-fument le narghilé, réchauffés par un soleil de septembre. La vie,
-comparativement à celle de Constantinople, est à peu près dix fois
-meilleur marché. Une chose qui frappe immédiatement le voyageur
-arrivant en Anatolie, c'est la récente prohibition de toutes les
-boissons alcooliques, ainsi que la fermeture de tous les tripots, sous
-des peines très sévères.
-
-Après de longs marchandages, nous avons fixé un prix raisonnable pour
-une voiture, qui m'amènera jusqu'à Angora. Le cocher, un certain Ahmed
-Agha, qui vient d'arriver de cette ville après huit jours de voyage,
-m'affirme que les routes sont plus sûres que jamais et qu'en Anatolie,
-depuis l'armistice, on a oublié les brigands des temps de guerre qui
-infestaient tous les chemins.
-
-Nous partons à l'aube. Après m'être confortablement étendu dans ces
-bonnes voitures anatoliennes qui sont identiques à un lit roulant et
-bien couvert, nous commençons à gravir les montagnes. La route est
-sinueuse et traverse des sites enchanteurs, où l'on ne voit que de
-hautes montagnes couvertes de forêts, au pied desquelles des villages
-rustiques se groupent dans les vallées, et au loin, le bleu azuré de la
-mer qui, peu à peu, s'estompe et disparaît. Après six heures de montée,
-une petite halte dans un han au bord de la route où nous déjeunons sur
-le pouce et repartons aussitôt.
-
-Plus nous avançons, plus le paysage devient pittoresque.
-
-Jamais, à Constantinople, je ne m'étais douté que l'Anatolie cachait de
-si beaux sites égalant en magnificence ceux du Tyrol ou de la Suisse.
-
-Maintenant ce ne sont que des montagnes plus hautes les unes que les
-autres. La voiture gravit la chaussée qui suit les vallées où grondent
-des torrents, où jaillissent des cascades; et partout des sapins
-exhalant un parfum odorant.
-
-Vers le soir, nous traversons un grand village flanqué au bas d'une
-montagne, nommé Kuré et sis à 850 mètres d'altitude. Près de là, la
-route passe entre plusieurs couches de minerai de cuivre, dont les
-lingots sont venus rouler sur la chaussée et attendent inutilement
-qu'on les exporte. Les richesses minérales de Castamouni sont
-inappréciables, mais, jusqu'ici, l'état politique de l'Empire ottoman
-a empêché les Turcs, depuis un demi-siècle en guerre, de les mettre en
-valeur.
-
-Au coucher du soleil, nous arrivons au relai...
-
-Quelques rustiques maisons blanches aux tuiles rouges émergent de loin
-en loin dans le feuillage des arbres d'une magnifique vallée; c'est un
-spectacle merveilleux.
-
-Ce village, c'est Edjevid, juché à 1.120 mètres d'altitude, dans un
-décor magique.
-
-On se croirait bien loin de l'Anatolie qu'on s'imagine un désert plein
-de fièvre.
-
-Tandis que je m'installe dans une coquette chambrette de l'auberge, où
-règne une propreté remarquable et rare dans les hôtels d'Orient, je
-vois, par la fenêtre, déboucher au tournant de la chaussée un cavalier
-qui accourt au grand galop.
-
-C'est un gendarme qui précède une voiture pour annoncer qu'un pacha va
-être l'hôte de l'auberge pour la nuit. Mais il ne put nous dire le nom
-du personnage attendu.
-
-Soudain apparaît la voiture, escortée par deux gendarmes à cheval,
-et qui aperçois-je assis sur les coussins? Mouktalib Effendi, le
-soi-disant commerçant du Bruenn...
-
-Il se présente joyeusement sous son vrai nom: le général Mouheddine
-pacha!
-
-Quelques instants plus tard, nous faisions un tour ensemble aux
-environs du «han».
-
-C'est le soir; bien haut dans les montagnes les vaches rentrent de
-leurs pâturages et l'écho de leur carillon qui s'approche tinte comme
-dans une vallée des Alpes. Tout est silence et toujours cette odeur des
-pins qui donne au voyageur un appétit féroce.
-
-Dans ma chambre, sur les murs blanchis à la chaux, je lis plusieurs
-inscriptions; l'une écrite en français est si touchante que je la
-transcris ici...
-
- «Malheureux hôte d'une nuit, j'ai tout laissé derrière moi...
- Mais je me console, car c'est pour ma patrie que je me prive
- de ce qui est le plus cher au monde.»
-
- (Signé) Un Turc.
-
- «Le 3. IX. 1920.»
-
-On sent la révolte d'un cour parmi tant de milliers d'autres qui ont
-fui Constantinople pour se battre désespérément en Anatolie.
-
-Je ne puis m'empêcher d'écrire au-dessous:
-
- «Envoyé de la presse en route pour Angora, où se livre une
- lutte sublime contre l'injustice et l'impérialisme du plus
- fort, pour la défense du droit à la vie, j'ai passé une nuit
- sous ce toit hospitalier qui, à lui seul, donne une idée du
- cœur turc ouvert à tous.»
-
-Le vieil hôtelier à barbe blanche Ismaïl Agha, qui est l'hospitalité
-même, nous sert un succulent repas que le pacha et moi dévorons...
-
-...Tout sent ici la vraie campagne, la campagne merveilleuse, libre et
-indépendante ... loin de Constantinople, loin de cet horrible Péra, de
-ses douleurs et de ses hontes. Ici, au contraire, avec ces braves gens
-hospitaliers, dans ces montagnes aux cimes pures dans la grande clarté
-du ciel, dans la bonne odeur des champs, l'homme des cités se sent tout
-à fait autre.
-
-
-
-
-II
-
- A CASTAMOUNI.--LA VILLE DÉSERTE; TOUS SOLDATS; LE
- VENDREDI.--L'ART ET LES PAYSANS.--LES MERVEILLES DE CASTAMBOL.
- --DJEMAL BEY.--DÉPART.--LES MONTS DE L'ILKAZ.--DISTRACTIONS DE
- ROUTE ET COMPAGNONS DE VOYAGE.--LES RELAIS À L'INTÉRIEUR DE
- L'ASIE MINEURE.--L'HOSPITALITÉ TRADITIONNELLE DES TURCS.--LA
- MONOTONIE DES LONGUES ROUTES.--TCHANGHRI.--KALEDJIK.--ENFIN
- ANGORA.
-
-
-La première étape du voyageur venu de Constantinople par voie de mer
-et se rendant en Anatolie est, après Inéboli, la coquette localité de
-Castambol.
-
-Grand fut mon étonnement, à mon arrivée en cette ville, de la trouver
-entièrement déserte. Dans les rues et les cafés, pas âme qui vive. Les
-boutiques étaient closes. Seules quelques femmes emmitouflées dans des
-«tcharchafs» passaient à pas pressés. Dans l'hôtel où je débarquai,
-personne.
-
-Un placide vieillard à barbe blanche qui fumait son narghilé me
-donna la clef du mystère. Nous étions un vendredi, jour fixé pour
-l'entraînement militaire de toute la population locale.
-
-Après m'être installé dans l'hôtel, car je comptais rester à Castamouni
-deux jours, je sortis et me dirigeai vers le champ de manœuvre, où je
-trouvais le gouverneur Djemal bey à la tête de sa population armée et
-répartie en bataillons dits de Défense nationale.
-
-Comme le soir venait, les exercices prirent fin et la milice populaire
-se rangea pour rentrer en ville.
-
-La file était longue. Elle était précédée d'une fanfare militaire
-et d'un groupe de jeunes gens brandissant des drapeaux rouges et
-verts. Suivait un détachement de cavalerie portant un accoutrement
-pittoresque et guerrier. Les citoyens de Castambol venaient ensuite.
-Fonctionnaires, bourgeois, paysans dans leurs habits de travail
-défilaient, n'ayant de commun que leur visage bronzé par le brûlant
-soleil de l'Anatolie. De bruyantes musiques orientales, que le
-«davoul» dominait de sa voix grave, couvraient le bruit de leurs pas.
-
-Tout cela avait un air martial dépeignant en petit le soulèvement d'un
-peuple contre ceux qui veulent l'anéantir. On y sent un enthousiasme,
-une vitalité, une volonté inébranlable et persistant malgré tant
-de souffrances endurées depuis plusieurs années de lutte pour
-l'indépendance turque.
-
-Le défilé est très long, et j'estime à huit ou neuf mille environ le
-nombre d'hommes présents.
-
-Et c'est ainsi tous les vendredis, jour saint de l'Islam, où plus d'un
-million de baïonnettes brillent encore dans l'Anatolie qu'on croyait
-complètement désarmée et prête à être déchiquetée...
-
-Tandis que nous rentrions en ville avec Djemal bey qui demandait des
-nouvelles de Stamboul, je lui débitais tout le chapelet des misères
-endurées par cette pauvre population de Constantinople depuis l'arrivée
-des Anglais exécrés de tous sauf des Grecs, leurs serviteurs dévoués.
-Et c'est de lui que j'entendis les premières paroles me décrivant vers
-quel but unique: celui de vivre, Mustapha Kémal luttait contre tant
-d'ennemis bien équipés. D'un mot, il a su soulever un peuple abattu...
-«Allez à Angora, ajouta-t-il, et, à votre retour, nous causerons...»
-
-Castamouni a plusieurs curiosités et même quelques merveilles
-dignes d'être visitées. Djemal bey me recommande à l'un des hauts
-fonctionnaires de la Préfecture qui me mène d'abord visiter la grande
-forteresse surplombant Castambol, construite du temps des Janissaires.
-De ses tours crénelées et admirablement conservées, on aperçoit
-distinctement la cime neigeuse des monts de l'Ilkaz, haute de 2.980
-mètres. C'est près du sommet que passe la route que nous devons
-franchir.
-
-Je visite ensuite l'Ecole des arts et métiers, d'une construction
-récente et d'une propreté remarquable. Cette école étonne le voyageur,
-ne fût-ce qu'en pensant que des machines énormes, dynamos, etc., ont pu
-être amenées jusqu'ici par les tortueuses routes traversant tant de
-montagnes.
-
-Et, merveille digne de figurer dans un musée, un piano entièrement
-construit par un paysan de Tache Keupru. Le tout est exécuté avec une
-adresse et une habileté consommées. Hassan agha, le constructeur,
-en vit un pour la première fois à Constantinople, il réussit à en
-faire autant au sein de l'Anatolie, dans son village. Il en fabriqua
-plusieurs qu'il vendit ensuite.
-
-Le soir, tandis que nous nous rendions chez le cadi (juge religieux),
-où était descendu Mouheddine pacha, j'y rencontrais de nouveau Djemal
-bey le vali. Là, autres merveilles. C'étaient les œuvres d'art, les
-sculptures que le cadi gravait dans du bois avec une finesse étonnante.
-Durant toute la soirée j'y admirai sa collection.
-
-Décidément il ne manque à Castamouni qu'un Musée. Et l'on dit que les
-Turcs sont insensibles aux Arts!...
-
-Le lendemain, à l'aube, me voici de nouveau en roule et durant toute la
-matinée. Notre voiture gravit lentement une mauvaise route sinueuse
-qui s'engouffre dans des ravins couverts d'arbres, au fond desquels on
-entend le bruit des cascades.
-
-C'est la montée des monts Ilkaz. On m'avait recommandé à Castamouni
-de prendre des couvertures par précaution car, dans ces régions
-montagneuses et hautes, les froids sont fort vifs.
-
-Les chevaux, fourbus, nous obligent vers midi à faire halte à
-mi-montée, à Giaour-Han, où nous déjeunons sur l'herbe. Nous y
-trouvâmes une autre voilure et cela rassura un peu mon cocher qui me
-dit que le trajet était encore long et qu'à la nuit nous serions en
-pleine forêt.
-
-Une heure après nous nous remettons en route et nous commençons à
-franchir l'Ilkaz... Notre voiture pénètre dans un océan d'arbres, de
-sapins immenses; l'impression est indescriptible. Il est déjà tard
-lorsque nous franchissons ce col élevé (2.700 mètres). Nous passons à
-côté du caracol de gendarmerie qui s'y trouve... Quelques gendarmes
-postés à la garde de la route sont groupés et se chauffent autour d'un
-grand feu.
-
-Les monts de l'Ilkaz franchis, avec toutes ses sombres et épaisses
-forêts de sapins, où pullulent des ours et autres fauves, la route
-dévale vers une belle vallée au fond de laquelle on distingue des
-villages. Leurs maisonnettes, groupées autour d'une mosquée teinte de
-chaux blanche, font l'effet de têtes d'épingles.
-
-Enfin, les montagnes s'élargissent et une nouvelle vallée profonde et
-sinueuse se déroule aux yeux du voyageur. C'est celle de Kotch-Hissar,
-très riche en pâturages et dont les habitants vivent principalement de
-l'exportation du bétail.
-
-La traversée de l'Ilkaz est assez périlleuse. Dans ces gorges
-escarpées, on risque plusieurs fois d'être précipité dans les ravins
-avec voitures et chevaux et réduit en miettes. Il fait nuit lorsque
-nos arabas parties ensemble arrivent à une hôtellerie nommée Kalé
-Han. L'endroit est très pittoresque, au bord d'une rivière aux rives
-boisées; mais le han est déplorable.
-
-Un han est d'habitude un relais où les voitures sont remisées, les
-chevaux aussi et où l'on trouve parfois une ou deux chambres pour
-dormir.
-
-Ici, je suis obligé de dresser mon lit de camp dans une horrible
-chambre au plancher à demi effondré qui laisse voir en bas des chevaux
-s'ébrouant ou se vautrant dans l'écurie.
-
-Mais le vieux handji m'apporte des œufs au plat que je dévore tellement
-la faim me tiraille l'estomac après avoir tant respiré l'air des
-montagnes et bu de l'eau des sources fraîches le long du chemin.
-
-Une de nos principales distractions de la journée avait été en effet
-d'aller puiser de l'eau minérale à une source sulfureuse jaillissant
-toute chaude de la terre au pied de l'Ilkaz...
-
-Après nous être reposés à Kalé Han, nous plions bagage à l'aube pour
-nous remettre en route.
-
-Au lever du soleil, nous traversons une grande rivière qui n'est autre
-que le Devrek, un des affluents du Kiril Irmak, et nous voilà repartis
-à gravir d'autres monts aussi hauts que ceux de l'Ilkaz, mais à peu
-près dénudés.
-
-Il est quatre heures de l'après-midi quand, après avoir retrouvé en
-route la voiture de Mouheddine pacha, nous arrivons à Tchanghri. Comme
-Castamouni, la ville de Tchanghri est surmontée d'un donjon construit
-par les janissaires. Mais les maisons sont toutes faites de boues et
-les rues pleines de poussière.
-
-Tchanghri n'est renommé que par les beaux jardins fruitiers qui
-l'entourent, et surtout par l'hospitalité de ses habitants, de vrais
-turcs, qui ont gardé leurs coutumes et leurs habits nationaux...
-
-Nous sommes retenus, la pacha et moi dans la maison d'un directeur
-d'école, qui est en même temps un des notables de l'endroit et assis
-tous trois à la turque, le soir, autour des mets préparés avec un goût
-raffiné, nous goûtons la douce paix du foyer et du bon accueil de notre
-hôte.
-
-Le lendemain, jour de repos pour nos chevaux, nous passons le temps à
-visiter les curiosités de la ville; elles ne sont pas nombreuses, mais
-méritent d'être mentionnées. A Tchanghri, tout habitant a, au bord de
-la rivière boisée, quelque jardin fruitier où l'on va se rafraîchir.
-Partis à cheval avec Mouheddine pacha, nous déjeunâmes sur l'herbe des
-près.
-
-Puis, tandis que nous rentrions en ville, je rencontrai un soldat
-blessé revenant du front, en congé. Il nous fit en quelques mots le
-tableau des batailles que livraient, au début, quelques poignées
-d'hommes contre des armées entières. Cet homme avait assisté autrefois
-à la guerre de Tripolitaine et nous déclara que la même lutte se livre
-actuellement en Anatolie. Que Dieu nous vienne en aide!
-
-Nous repartons de Tchanghri à l'aube, alors que l'éternel carillon des
-caravanes de mules se fait entendre.
-
-Ce sont d'interminables files qui s'en vont le long des routes, porter
-les riches produits de l'Asie-Mineure vers les ports de la Mer Noire.
-Tout le long du chemin nous ne rencontrons ainsi que des chameaux, qui
-avancent lentement en ruminant.
-
-Les villes de l'intérieur de l'Asie-Mineure me rappellent les
-descriptions de Chiraz et d'Ispahan par Pierre Loti... C'est à peu
-près le même cachet oriental, les mêmes échos de l'Asie, dans son
-avant-garde rapprochée de l'Europe, l'Anatolie mystérieuse.
-
-Les routes deviennent monotones après Tchanghri. Ce n'est qu'une
-infinité de plaines qui se suivent, quelques villages perdus dans la
-campagne aux masures construites en pisé et d'où l'on voit toujours
-émerger un minaret blanc.
-
-Partout les paysans font leur «harman». Le harman, c'est le partage
-du blé, qui se fait avec un traîneau tiré par des bœufs et qui tourne
-sur des épis couchés à terre. Ces travaux des champs semblent des plus
-primitifs au voyageur qui traverse pour la première fois l'Anatolie.
-
-Nos voitures avancent à présent plus vite et nous arrivons au
-crépuscule à Kuledjik, qui veut dire «la petite forteresse».
-
-Kuledjik est notre dernière étape avant Angora.
-
-Nous descendons à l'Hôtel des Postes et nous dressons nos lits dans
-l'une des chambres.
-
-Avant de quitter Tchanghri, les braves gens chez qui nous avions
-été généreusement reçus avaient garni nos voitures de provisions et
-de paniers de fruits. Cette attention qui s'appelle le «Yolouk» est
-d'usage en Anatolie.
-
-En route de nouveau et après avoir visité Rali, le champ de bataille où
-le Sultan Bayazid tomba prisonnier de Timour-Ling, nous repartons.
-
-
-
-
-III
-
- ANGORA, L'ANTIQUE ANCYRE.--CE QU'ON VOIT DANS SES RUES.--LA
- CRISE DES LOGEMENTS.--OU IL ME FAUT LOGER DANS UNE ARMOIRE.
- --LE CHEF DES NATIONALISTES.--CE QU'EST LE SOULÈVEMENT
- KÉMALISTE.--SON BUT.--SON ARMÉE.--KÉMALISTES, BOLCHEVIKS ET
- PEUPLES DE L'ASIE.
-
-
-Plusieurs heures de route encore et nous longeons un cours d'eau aux
-rives boisées et bordées de jardins. On devine sous le feuillage les
-rustiques villas où les citoyens de l'antique Ancyre viennent habiter
-durant la chaude saison. De loin en loin, on rencontre des fiacres,
-occupés par des beys ou pachas enfuis de l'enfer constantinopolitain.
-Ils sont tous coiffés de kalpacks kémalistes noirs. Ce sont des
-ministres, des sous-secrétaire d'État qui vont passer leur soirée à la
-campagne. Soudain, notre voiture contourne une colline et l'on peut
-apercevoir dans toute sa splendeur, l'horrible «trou» qu'est Angora.
-
-Le nouveau venu se trouve désillusionné. Figurez-vous un amas de
-maisons aux murs de boue, dont la moitié a été dévastée, au cours
-de la guerre, par un incendie. Seuls, vers le centre de la ville,
-quelques bâtiments de pierre ont résisté aux ravages des flammes. Bien
-lamentable est, au premier abord, la capitale des Kémalistes.
-
-Les rues sont envahies par une foule grouillante et bizarre. Voici des
-tchétés que l'on voit circuler, la poitrine couverte de cartouches,
-armés jusqu'aux dents, la tête enturbannée du bachlik large qui leur
-donne des airs guerriers et même parfois terrifiants. Plus loin
-défilent des troupes régulières revenant de quelque corvée ou de
-l'exercice. Puis ce sont les beys de Stamboul que l'on voit passer en
-voilure... et quelques petites hanems qui ont suivi leurs parents,
-maris ou Irères, préférant le voile épais qu'elles sont obligées de
-porter en Anatolie, aux «tcharchafs» plus que transparents, en usage à
-Stamboul.
-
-Les voyageurs à peine débarqués devant le «han» sont accueillis avec un
-sourire narquois par les hôteliers. Pas un mètre de disponible, car,
-à Angora, on loge au mètre carré, et le voyageur doit se considérer
-heureux de trouver une marche d'escalier inoccupée, car les dites
-marches constituent autant de couchettes dûment numérotées.
-
-Après de laborieuses recherches, j'ai obtenu une armoire pour y dormir
-moyennant une livre turque de loyer par nuit s.v.p. Angora regorge de
-monde, disons-nous, on a même de la peine à se frayer un passage dans
-les rues principales de la ville, tant la foule des plus hétéroclites
-qui s'y coudoie est nombreuse. On y rencontre des figures étranges,
-depuis les Tartares et les Kirghiz du Turkestan qui sont venus en
-Asie-Mineure, jusqu'à des Nègres et des Chinois, enfuis probablement de
-la Russie bolchévique.
-
-Après une installation sommaire, je rencontre des connaissances
-appartenant à l'entourage de Mustapha Kemal pacha.
-
-On me promet de m'introduire auprès du chef. Mais sied-il de me
-présenter à lui avec une barbe de cinq jours? Entré chez le premier
-coiffeur venu, je ressens «le frisson de la petite mort». Le cher
-figaro est armé jusqu'aux dents et tandis que je lui abandonne
-docilement ma joue, je contemple sa poitrine où brille tout un attirail
-de guerre, trois rangées de cartouches, un browning et un poignard!
-
-Mustapha Kemal habite une petite maison tout près de la station
-d'Angora, à cinq minutes de la ville. On passe, pour s'y rendre, devant
-un jardin public, où tout le monde se donne rendez-vous le soir. En
-face est la Chambre ou Assemblée nationale qui siège dans une bâtisse
-de construction récente, assez belle comparativement à celles qui
-l'entourent.
-
-A l'entrée du jardin de la gare, on me présenta à Mustapha Kémal.
-
-Haut de taille, énergique d'aspect, le chef des nationalistes turcs
-accuse environ la quarantaine. Son regard est des plus pénétrants
-quoique fatigué et sa voix est très forte. Mais des affaires urgentes
-l'appellent à son bureau, et notre première entrevue n'est pas longue.
-Il m'invite d'ailleurs aimablement à venir le voir.
-
-⁂
-
-Qu'est-ce que le mouvement national? Ce n'est qu'après être arrivé à
-Angora que je pus me rendre compte de sa portée politique. Et c'est le
-deuxième jour que je résumais ainsi son programme dans un des premiers
-articles que je reproduis ici[1]:
-
-[1] Excelsior.
-
-Angora... octobre...
-
-Il est bien rare de voir quelque journaliste franchir le mur séparant
-l'Anatolie du monde entier et d'approcher Mustafa Kémal en personne à
-Angora.
-
-Un nouvel Etat existe actuellement en Asie-Mineure; une deuxième
-Turquie pour ainsi dire y a été créée par Mustapha Kémal qui a levé
-l'étendard de la liberté et mène une guerre à outrance, refusant
-d'accepter le Traité de Sèvres qui retire Smyrne et la Thrace à la
-Turquie.
-
-Ce nouvel Etat, dont la capitale est Angora, a été constitué très
-rapidement avec ce qui restait encore de l'ancienne administration
-ottomane. Mais, aujourd'hui, tous les ministères et le Parlement
-siègent à Angora. Les ministres ont le titre de «vékil» (gérant) et ont
-les mêmes pouvoirs que dans tous les pays.
-
-Cet état anormal n'a pourtant pas provoqué de troubles locaux comme on
-l'a annoncé. La sécurité règne en Asie-Mineure et chacun vaque à ses
-affaires. Dans toutes les provinces, les impôts sont perçus par l'État
-kémaliste; le budget d'Angora couvre les frais du nouveau gouvernement,
-tandis que la Sublime-Porte de Stamboul est aux abois et ne sait
-comment couvrir son déficit.
-
-L'armée grecque, concentrant tous ses effectifs en Asie-Mineure,
-réussit tout d'abord à bousculer les armées de Mustapha Kémal, dont
-l'artillerie était incomplète. Mais depuis son avance vers l'intérieur,
-le front hellène est maintenant trois fois plus étendu qu'auparavant
-et s'est par conséquent affaibli considérablement, tandis que les
-nationalistes, reforment leurs troupes et organisent de nouveaux corps
-réguliers.
-
-Les Turcs consolident leur front en vue d'une nouvelle offensive et
-mènent, dans tous les territoires occupés par les Grecs, une guerre
-de francs-tireurs. Ils étaient tout d'abord dépourvus de matériel
-et étaient presque complètement désarmés au débarquement de l'armée
-héllène à Smyrne. Mustapha Kémal cependant a réussi peu à peu à
-réorganiser une petite armée d'environ 150.000 hommes aidés par des
-milices populaires dites de défense et des corps de volontaires.
-
-Après l'occupation de Bakou par les Bolcheviks, qui prirent en outre
-Nakhichevan, à la frontière russo-persane, les Kémalistes gagnèrent une
-route libre et purent communiquer facilement avec la Russie. C'est par
-cette voie un peu longue, qu'aujourd'hui ils se procurent des armes et
-des munitions.
-
-D'autre part, une contrebande d'armes effrénée existe sur toutes les
-côtes de l'Asie-Mineure, où l'on échange simplement un sac de farine ou
-des moutons contre des fusils ou des mitrailleuses.
-
-Ancien organisateur de la guerre en Tripolitaine, Mustapha Kémal
-adopte les mêmes méthodes en Anatolie et en Mésopotamie, où il a
-réussi à gagner la collaboration des Arabes. Sur tous les fronts, les
-nationalistes forment des bandes armées qu'ils lancent sur les arrières
-des armées d'occupation, attaquant surtout les Anglais et les Grecs. A
-l'intérieur, par exemple à Sivas et à Konia, des fabriques de munitions
-ont été établies et fonctionnent assez régulièrement. Et tandis qu'en
-Europe, tout à l'air de rentrer en paix, la guerre semble commencer
-seulement maintenant en Asie.
-
-Mustapha Kémal s'efforce de créer, en Asie, un mouvement qui
-succéderait au bolchevisme à son déclin. Il a réussi pour mener sa
-lutte à s'allier à certains peuples de l'Asie. C'est ainsi qu'à Angora
-il existe plusieurs ambassades, telles que celles de l'Afghanistan, du
-Belouchistan, de la Perse nationaliste, de l'Azerbaïdjan, du Bokhara et
-du Turkestan.
-
-Les rues sont pleines d'une foule bigarrée, représentant tous les
-peuples de l'Asie, depuis l'Hindou jusqu'au Chinois, et l'on se demande
-si, un jour, toutes ces peuplades indisciplinées, que veulent armer les
-Soviets, ne parviendront pas à troubler l'ordre mondial!...
-
-Tous ces gens se sont attablés, pour la première fois dans l'histoire,
-autour d'un tapis vert au premier Congrès asiatique de Bakou. Mustapha
-Kémal s'est attaché à déchirer le traité de paix turc en cherchant à
-mettre le feu aux colonies anglaises de l'Asie, et il travaille nuit et
-jour dans ce but.
-
-
-
-
-IV
-
- COMMENT MUSTAPHA KÉMAL ORGANISE DES GROUPES DE FRANCS-TIREURS
- CONTRE L'ARMÉE GRECQUE.--LES "TCHÉTÉS" VOLONTAIRES.--
- ORGANISATIONS SECRÈTES DE L'ARRIÈRE-FRONT.--LES GUÉRILLAS EN
- ANATOLIE.--FORMATION DES CORPS D'ARMÉE A L'INTÉRIEUR.--AU
- CONSEIL ASIATIQUE DE BAKOU.
-
-
-Angora... octobre.
-
-Après la dernière offensive grecque, les Kémalistes se sont mis à
-organiser de nouveaux corps d'armée. Un autre front de résistance a été
-établi et des groupe de francs-tireurs ont été constitués pour mener à
-bonne fin une guerre de surprise.
-
-Tout l'arrière des lignes helléniques, y compris tous les territoires
-occupés avant l'offensive grecque, est divisé en districts par
-l'Etat-Major d'Angora, districts dont les limites sont tenues secrètes
-et qui sont numérotés sur des cartes spéciales que l'on donne aux chefs
-de bandes.
-
-Les bandes kémalistes ou «tchétés» sont presque toujours montées et
-comprennent cinquante cavaliers et une mitrailleuse. Les hommes sont
-armés de toutes pièces et munis de grenades à main; ils connaissent
-admirablement le pays où ils opèrent.
-
-Les bandes sont formées à Kutahia, Biledjik, Eski-Chéir,
-Afioun-Kara-Hissar et Denizli. Leurs provisions faites, elles quittent
-de nuit leurs bases et traversent sans être découvertes, le front
-grec. Les «tchétés» passent par des voies inaccessibles aux troupes
-d'occupation. Leur équipement et leur coiffure étant de couleur sombre,
-les Kémalistes se dissimulent facilement. Arrivés dans les districts
-désignés, les «tchétés» se divisent souvent en deux ou trois escouades
-et ils communiquent entre eux par des signaux nocturnes. Ils logent
-le plus souvent, sans que l'armée grecque le sache, dans des villages
-turcs éloignés, où ils arrivent à l'aube pour n'en sortir que la nuit.
-
-L'obscurité venue, ces «tchétés» effectuent des incursions soudaines
-dans des camps isolés, postes hellènes parsemés dans le pays. Ce sont
-surtout les convois et les ponts qui sont visés. Toute attaque ne dure
-que quelques instants, à peine le temps de semer le désarroi chez
-l'adversaire surpris, ce qui abaisse le moral des troupes d'occupation.
-
-Lorsque les «tchétés» sont à bout de ressources et rencontrent des
-difficultés pour se ravitailler, ils se réunissent pour repasser le
-front et s'approvisionner dans les lignes turques.
-
-Après la dernière offensive hellénique, le front, ayant triplé de
-longueur, est plus faible et ne forme plus une ligne continue de
-tranchées. Aussi le va et vient à travers les lignes grecques est-il
-devenu relativement aisé.
-
-Actuellement 350 «tchétés» opèrent continuellement entre le front et
-Smyrne.
-
-Les nationalistes turcs travaillent à gagner du temps en menant une
-guerre de guérillas, afin de pouvoir organiser des corps d'armée
-réguliers pour une résistance plus énergique.
-
-Le premier Congrès asiatique de Bakou a été un succès pour Mustapha
-Kémal, qui a insisté auprès des délégués russes sur la nécessité de
-créer des mouvements nationalistes en Asie avec l'aide des Soviets.
-La distribution des armes et des munitions la centralisation du
-commandement et le siège permanent d'un Conseil asiatique ont été, en
-outre, décidés à ce Congrès.
-
-En un mot, l'œuvre de Mustapha Kémal se résume en ceci: organiser en
-Anatolie une guerre de francs-tireurs tout en constituant des forces
-régulières; gagner du temps et faire cause commune avec tous les Arabes
-et les peuples de l'Asie.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-V
-
- A LA SUBLIME-PORTE D'ANGORA.--LES MINISTÈRES.--AUX AFFAIRES
- ÉTRANGÈRES.--UNE ENTREVUE AVEC MOUHKTAR BEY, VÉKIL DES
- AFFAIRES ÉTRANGÈRES.--LE 12^e POINT DE WILSON.--L'OFFENSIVE
- DES HELLÈNES.--EN CILICIE.--LES SERVITUDES ÉTRANGÈRES.--LE BUT
- DES NATIONALISTES TURCS.
-
-
-Le lendemain de mon arrivée dans l'antique Aneyre, je me rendis dans
-la matinée au gouvernaurat où siège la Sublime Porte anatolienne.
-
-Après avoir franchi la porte d'entrée gardée par deux sentinelles
-harnachées de cartouchières, on gravit les marches branlantes d'un
-grand escalier de bois qui aboutit au premier étage. Là, un immense
-corridor où l'on coudoie tous les divers «types» ethniques rencontrés
-dans les rues d'Angora, qui s'y donnent rendez-vous. Au-dessus des
-grandes portes sont placés des écriteaux voyants: «Cheik-ul-Islamat»
-ou plutôt «Cheik-ul-Islam» par intérim (cheik vekaleti). A travers
-l'entrebâillement de la porte entr'ouverte je distingue, assis à son
-bureau, un uléma au large turban, à barbe imposante. C'est l'ex-mufti
-de Brousse Djemil Mollah. Puis viennent les autres ministères:
-Agriculture, Affaires étrangères, Travaux publics, Intérieur, Finances,
-Hygiène publique, etc.
-
-Quant au Ministère de la Guerre, il n'est pas installé à la
-Sublime-Porte et il est dénommé «Défense nationale»; son siège est à
-l'école Sultanié. C'est évidemment le plus important et le plus cossu.
-
-Revenons à notre visite à la Sublime-Porte. Le Ministère des Affaires
-étrangères compte tout juste deux pièces, comme d'ailleurs tous les
-ministères. D'abord, c'est le cabinet du ministre qui siège avec
-son sous-secrétaire d'Etat et son chef de bureau particulier dans
-une seule pièce. Puis c'est le bureau du ministère avec toutes ses
-sections empilées dans la seconde. Je demandai audience à S. E.
-Mouhktar bey, ministre par intérim des Affaires étrangères et je fus
-introduit aussitôt auprès de lui. Il vint à moi, me tendant la main
-tout souriant. Ex-ministre à Athènes et fin diplomate, Mouhktar bey
-est un travailleur assidu; il est à son bureau depuis l'aube jusqu'au
-crépuscule et ne peut se rendre à la Chambre malgré sa charge de député
-de Constantinople.
-
-Je reproduis ici ses déclarations:
-
-_D'abord et avant tout, nous réclamons le droit accordé à chaque
-peuple: celui de vivre. Nous avons signé, en octobre 1918, un armistice
-et déposé les armes en nous basant sur la justice dont l'Entente était
-alors l'apôtre et sur le 12^e principe de Wilson qui donnait droit à
-une souveraineté turque aux parties ottomanes de l'Empire ottoman.
-Or, aucun de ces engagements ne furent tenus, on nous a honteusement
-trompés et alors que la Turquie, était désarmée on lança sur elle les
-armées grecques qui occupèrent Smyrne et y déchaînèrent des horreurs
-sans précédents. C'est l'indignation et l'exaspération d'un peuple qui
-a été le premier facteur du soulèvement national vers la résistance à
-outrance._
-
-_Aujourd'hui les forces nationalistes acquièrent de jour en jour de plus
-grands moyens d'action._
-
---_Et la dernière, avance hellénique vous a-t-elle dérouté?_
-
---_Elle a redoublé la résolution de la population de tenir jusqu'au
-bout et notre armée a doublé ses effectifs. Le nombre de volontaires
-augmente de jour en jour._
-
---_Excellence, et en Cilicie, quelle est la situation?_
-
---_A vrai dire, nous ne savons pas ce que les Français sont venus y
-chercher. Depuis des mois, ils versent leur sang pour la conquête de
-territoires purement turcs et qui ne leur sont même pas cédés par le
-Traité de Versailles. Pour ce qu'ils ont entrepris en Syrie, je ne
-saurai que dire, mais pour la Cilicie, là, nous sommes chez nous._
-
-_Je comprends parfaitement que l'opinion publique en France soit contre
-l'entreprise de Cilicie, car, en voulant conquérir par le sabre
-quelques parcelles de terre à Adana, le fougueux esprit militaire ne
-songe pas que la France perd ses sympathies séculaires en Orient._
-
-_Les Italiens n'ont pas commis au moins la faute de faire couler le sang
-de leurs soldats pour effectuer des conquêtes qu'ils ne pourraient
-garder à aucun prix, le réveil de la conscience turque étant trop
-puissant pour laisser là-dessus aucun espoir à n'importe quelle
-puissance impérialiste._
-
-_En Cilicie, comme ailleurs, notre dernier mot est le suivant: la
-fixation des frontières est avant tout une question ethnique, et en
-second lieu, une question de débouché sur la mer. Elle ne doit, dans
-aucun cas, revêtir la forme d'un arrangement entre les convoitises
-des capitalistes d'Occident ou d'une récompense pour les services que
-peuvent rendre aux grandes Puissances les petits Etats comme la Grèce._
-
-_C'est à ce titre que nous revendiquons et continuerons à revendiquer
-jusqu'au triomphe de la justice, nos droits imprescriptibles sur la
-Thrace, sur Smyrne et Adana. La preuve que les Turcs sont en très
-grande majorité en Thrace et à Smyrne réside dans le fait que nos
-ennemis n'ont pas osé ordonner un plébiscite dans la première de ces
-provinces et à Smyrne la consultation populaire ne doit avoir lieu que
-dans cinq ans, période jugée suffisante pour l'extermination de la
-population turque de l'endroit._
-
-_La population de Cilicie, laissée à la merci des bandes arméniennes,
-s'est soulevée et poursuit vaillamment la lutte pour sa libération._
-
-_Le même mouvement se dessine dans les provinces occupées par les Grecs
-et soumises par eux à une extermination systématique, afin d'y détruire
-l'élément musulman. Sous peu les Grecs se trouveront dans la même
-situation que les Anglais en Mésopotamie et les Français en Cilicie,
-coupés de leurs lignes de retraite et harcelés partout et à tout
-instant jusqu'à ce qu'ils soient complètement repoussés à la mer._
-
-_D'ailleurs, à notre époque, où tous les peuples de l'Occident ont
-secoué le joug, il est tout naturel que ce soit le tour des peuples
-orientaux d'être libérés des servitudes étrangères._
-
-_Cette libération est inévitable. Tous les efforts contraires
-n'aboutiront qu'à faire couler plus de sang sans influencer en rien le
-résultat final._
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-VI
-
-
- EN TÊTE À TÊTE AVEC MUSTAPHA KÉMAL.--LA MAISON DU
- CHEF DE GARE.--CE QUE DIT LE CHEF DES NATIONALISTES
- TURCS.--L'OFFENSIVE EN ARMÉNIE.--LE TRAITÉ DE SÈVRES ET
- LES HELLÈNES EN ASIE-MINEURE.
-
-
-Redjeb bey, un des aides de camp du pacha que je rencontrai dans les
-couloirs de la Chambre, m'annonça que son chef m'invitait à dîner à sa
-villa. Je m'y rendis.
-
-Mustapha Kémal habile, comme je l'ai déjà dit, une petite maison
-destinée autrefois au chef de gare, aux abords de la station.
-
-De grands arbres l'entourent et on y pénètre par un coquet jardin aux
-allées soigneusement ratissées.
-
-Un escalier mène les visiteurs au premier étage, toutes les marches
-sont recouvertes de de toile cirée et partout règne une propreté
-d'autant plus appréciable que partout ailleurs, à Angora, les maisons
-sont envahies de poussières.
-
-Nous entrons dans une salle à manger très simplement meublée où le
-couvert était déjà mis. A côté, un petit salon, aux meubles recouverts
-d'étoffe rouge foncé et un minuscule cabinet de travail.
-
-Dans le cadre de la porte apparaît un homme de haute taille, à la
-moustache blonde: c'est Mustapha Kémal. Il est en civil, décoiffé, et
-fume nerveusement une cigarette.
-
-Sur un signe de lui, j'entre dans son bureau, où se trouvait déjà le
-capitaine Hayati bey, chef de son cabinet particulier. Celui-ci est
-coiffé d'un grand kalpack noir.
-
-Sur le bureau de travail du pacha, je vois une pile de télégrammes
-chiffrés et de journaux.
-
-Nous passons presque aussitôt à la salle à manger, car le dîner vient
-d'être servi. A table, se trouvent quatre aides de camp, les généraux
-Ismail Fazil et Mouheddine pacha.
-
-Mustapha Kémal aime de préférence la cuisine européenne. Les mets à
-l'huile, lourds et indigestes, qui composent le fond de la cuisine
-orientale, sont exclus de sa table.
-
-Le pacha déclare que la cuisine turque l'empêche de travailler; il est
-de fait qu'il fournit beaucoup de besogne. Il ne quitte pas son bureau
-avant deux heures du matin. Parfois même il y reste toute la nuit,
-la tête baissée sur une masse de papiers, d'ordres, de dépêches et
-de caries d'état-major. Il dort très peu, ce qui l'a fatigué et fait
-maigrir à l'excès.
-
-Après dîner, nous passons au salon pour fumer, et, assis en face de
-lui, je me mets en devoir de l'interviewer. Tout en causant, je ne
-puis m'empêcher d'admirer le regard pénétrant de Mustapha Kémal. On
-peut dire qu'il fascine et je comprends comment sa popularité est
-attribuable à la puissance de ses yeux et de sa parole. Le pacha parle
-couramment le français.
-
-_Lorsqu'en 1914,_ déclara Kémal Pacha, _l'Allemagne a violé le
-traité garantissant l'intégrité de la Belgique, l'Angleterre prît
-solennellement les armes pour défendre son honneur national outragé.
-Le Monde entier frémit d'indignation à la violation de la Belgique par
-le Kaiser. Juste cinq ans plus tard, la signature, au bas des clauses
-de l'armistice de Moudros, de l'amiral Galthrope, représentant de la
-Grande-Bretagne, était honteusement violée par l'attaque soudaine, à
-main armée, d'une nation sans défense._
-
-_L'armée hellène débarquait sans raison d Smyrne, y commettait des
-massacres et causait le soulèvement de toute l'Anatolie._
-
-_L'Angleterre, si fière de la sauvegarde de son honneur en Belgique,
-a taché son histoire en Orient par une politique impérialiste pleine,
-d'ambition et fatale pour son avenir colonial._
-
---_Croyez-vous à votre réussite finale, Excellence?_
-
---_Sans doute. Lorsqu'il y a près de 75 ans, quelques centaines de
-comitadjis serbes gagnèrent les montagnes et luttèrent contre des
-armées turques entières envoyées pour la répression des rebelles, ces
-armées ne purent en venir à bout, car les Serbes luttaient pour leur
-indépendance. La Bulgarie fit de même, la Grèce aussi._
-
-_Aujourd'hui le tour est venu pour les Turcs de gagner leurs montagnes
-natales, de prendre le fusil en main pour la lutte de guérillas et
-mener à bonne fin une guerre de francs-tireurs. Plus cette situation
-se prolonge, plus nous en profitons. Chaque jour est un pas en avant
-pour nous et vers le dénouement fatal pour les oppresseurs. D'un côté,
-nous sommes appuyés par la Russie des soviets et de l'autre par l'Asie
-entière qui suit avec intérêt notre lutte suprême pour nous imiter dans
-un avenir prochain._
-
-_Est-ce que l'armée hellène supportera toutes ces campagnes! Le soldat
-grec a laissé derrière lui son foyer, son commerce et ne pense qu'à
-sauver sa peau pour pouvoir travailler et nourrir sa famille. Tandis
-que tous les volontaires turcs viennent d'avoir leurs villages détruits
-par l'envahisseur et qu'ayant perdu leurs foyers, ils s'engagent, pour
-les recouvrer, dans une lutte vie ou à mort._
-
-_D'un côté une armée qui veut conquérir, de l'autre un peuple entier
-qui défend son foyer natal... Qui des deux remportera?_
-
-_Aujourd'hui, à l'arrière du front grec, nos bandes pullulent et le
-soldat hellène reçoit souvent des balles de face et de dos._
-
-_Et voici l'hiver... encore un allié pour nous qui approche..._
-
---_Que pensez-vous, Excellence, de l'offensive et de la dernière avance
-des Hellènes?_
-
-_--Toute l'offensive et l'avance des Hellènes étaient prévues par moi.
-Cette avance a affaibli son front qui a triplé sa largeur. Une preuve
-éclatante en a été la bataille de Dêmirdji qui, si nous avions eu un
-peu plus de cavalerie et de troupes de réserve, aurait été un véritable
-désastre pour eux. Mais j'ai voulu faire un essai de rupture, avec
-des forces beaucoup moins nombreuses que ne l'ont dit les communiqués
-hellènes, qui a réussi du reste, et fut pour le général Paraskevopoulos
-un revers cuisant. Demain, si Venizelos, obéissant à un ordre de son
-dictateur Lloyd Georges, veut sacrifier une armée de 500.000 hommes
-comme il l'a prétendu, il réussira peut-être d occuper difficilement
-Angora et même Konia. En nous retirant à Sivas, noire guerre de
-francs-tireurs redoublera et notre armée pourra plus facilement
-percer leur front qui dépasserait dans ce cas mille kilomètres._
-
-_M. Venizelos est entré en Anatolie dans un bourbier et l'armée grecque
-finira par être obligée de quitter-après y avoir enterré des milliers
-de cadavres-ce pays qui ne lui appartient pas._
-
---_La presse, ennemie vous accuse, Excellence, d'agir contre l'intérêt
-du Sultan?_
-
---_Mes soldats et un peuple entier qui lutte contre renvahisseur
-meurent pour défendre la terre sacrée léguée par nos anciens
-khalifes... _ _J'ai une confiance aveugle en la réussite finale de
-ma sainte cause, car elle représente la justice même que l'on veut
-étouffer par l'ambition.»_
-
-Complétant ces déclarations, Mustapha Kémal ajouta au sujet de
-l'offensive kémaliste à peine déclanchée, que cette offensive n'était
-qu'à sa première phase.
-
-_«Cela mettra fin, ajouta-t-il, aux agressions des bandes arméniennes en
-territoire turc, cherchant à semer des désordres à l'intérieur._
-
-_«J'ai confiance dans le plein succès de cette offensive qui nous
-ouvrira une communication plus directe avec les Soviets et l'Asie
-entière._
-
-_«L'Arménie constituera aussi demain un gage précieux en nos mains et
-ce seront les délégués arméniens eux-mêmes qui finiront par intervenir
-auprès de la Société des Nations pour la révision des clauses du Traité
-de Sèvres qui ont arraché injustement la ville de Smyrne à notre chère
-Anatolie.»_
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-VII
-
- A LA CHAMBRE D'ANGORA.--DÉCLARATIONS D'ISMAIL FAZIL
- PACHA.--COMMENT LE MOUVEMENT NATIONAL A PRIS NAISSANCE.--
- SON HISTORIQUE.--STAMBOUL ET ANGORA.--LES DÉBATS AU
- PARLEMENT.--UNE DISCUSSION INTÉRESSANTE.--LA LOI SUPPRIMANT
- L'ALCOOL.--LES RAVAGES DES BOISSONS EN ANATOLIE.--L'ARGUMENT
- RELIGIEUX.--LA LOI EST APPROUVÉE.
-
-
-On m'avait fortement conseillé d'aller suivre les débats de la Chambre
-kémaliste ou Assemblée nationale (Megliss-i-Milli) qui devait voter ce
-jour-là une loi contre l'usage des boissons spiritueuses en Anatolie.
-Le Parlement siège, comme je l'ai dit plus haut, dans une jolie bâtisse
-de construction récente. Dans ses couloirs je rencontrai Ismail Fazil
-pacha, Mouheddine pacha et Hamdoullah Soubhy bey, tous coiffés du
-kalpak de rigueur. Ayant presqu'une demi-heure jusqu'à l'ouverture des
-débats, nous échangeâmes quelques mots.
-
-Je questionnai Ismail Fazil pacha sur le soulèvement de l'Anatolie et
-nous nous retirâmes dans la salle de lecture.
-
-Ismail Fazil est le père du général Ali Fuad, commandant le corps
-d'armée sur le front de Smyrne. C'est un homme frisant--on peut le
-dire--les 65 ans, car il est d'une constitution, sans jeu de mots, et
-d'une santé parfaite.
-
-Il détient au sein du cabinet kémaliste le portefeuille des Travaux
-publics.
-
-Voici le résumé de ses déclarations:
-
-_«Lorsque les Grecs débarquèrent à Smyrne. Mustapha Kémal pacha se
-trouvait à Erzeroum comme Inspecteur général de l'armée. A cette
-nouvelle, il vit que la Turquie désarmée allait être dépecée par ses
-petits voisins et il décida de tenir à Erzeroum même un Congrès appelé
-à délibérer sur la situation et sur ce qu'il y avait à faire. Tous les
-commandants de l'armée de l'Ouest ainsi que les valis et religieux de
-toutes ces provinces y furent convoqués. _ _«C'est à ce Congrès que
-furent envoyés des délégués des provinces de l'Ouest qui demandèrent
-tous la résistance, non contre l'Entente, mais contre les petits
-Etats comme la Grèce et l'Arménie qui ne rêvaient qu'à anéantir la
-Turquie et à placer le Conseil suprême devant le fait accompli. Smyrne
-fut d'ailleurs un exemple frappant de cette prévision._
-
-_«C'est ce Congrès d'Erzeroum qui fut le noyau de la défense nationale
-à outrance. Mustapha Kémal reçut l'approbation générale et un vote
-de confiance à l'unanimité et c'est lui qui prit l'initiative de la
-tâche. Sivas déclara adhérer aussitôt au mouvement d'Erzeroum, puis
-Trébizonde, Van, Diarbekir, Samsoun, etc., etc..._
-
-_«Entre temps, du côté de Smyrne, les horreurs des Grecs à peine
-débarqués et les massacres de. Musulmans d'Aïdine et Ménémen avaient
-soulevé toute une masse de paysans qui avaient pris les armes pour
-lutter désespérément contre l'envahisseur. Ceux-ci se groupèrent peu
-à peu et leurs effectifs augmentèrent de jour en jour, opposant sans
-répit la résistance aux Hellènes. _ _«Au bout de deux mois et grâce aux
-milliers d'officiers arrivés de Constantinople, un noyau d'armée se
-formait dans l'Anatolie de l'Est._
-
-_«C'est à ce moment que je quittai Constantinople, appelé à Sivas où se
-trouvait mon fils, le général Ali Fuad. Un deuxième Congrès, où était
-représenté déjà la moitié de l'Empire, tint séance à Sivas, composé
-d'environ soixante membres influents que chacune des provinces y
-représentait._
-
-_«Le mouvement nationaliste prit son élan à Sivas et continua à se
-propager vers Smyrne._
-
-_«A ce moment, le vali d'Angora, Mouheddine pacha, très anglophile et
-sous l'influence directe du général Scotland, commandant à Eski-Chèir,
-travaillait à gagner en faveur des Anglais les derviches de. Tchoroum,
-très influents dans l'Anatolie._
-
-_«Des missionnaires y furent envoyés mais leurs tentatives échouèrent._
-
-_«La population prit soudain les armes et se dirigea, avec le
-commandant du corps d'armée Ali Fuad, sur Angora pour mettre fin à ces
-intrigues. Le général Scotland lui envoya alors un message lui disant
-que s'il osait attaquer avec ses troupes rebelles les soldats de S. M.
-Britannique, il en répondrait devant le Conseil suprême._
-
-_«Ali Fuad répondit qu'il n'était plus général, mais citoyen et que ce
-n'étaient pas des troupes qui barraient la route mais une population
-venant de prendre les armes pour lui demander ce qu'il cherchait dans
-le pays d'un autre._
-
-_«Là-dessus, pour éviter une effusion de sang, Angora fut évacuée,
-Mouheddine pacha s'enfuit à Constantinople et un gouvernement
-nationaliste fut installé._
-
-_«D'autre part, Koniah et toutes les autres provinces ainsi que les
-volontaires combattant sur le front de Smyrne, adhérèrent au mouvement
-nationaliste. Entre temps, Damad Ferid à Constantinople interceptait
-toutes les communications de Mustapha Kémal avec le Souverain._
-
-_«C'est la-dessus que le Congrès de Sivas envoya une sommation à la
-Sublime-Porte d'avoir la communication directe avec le Sultan dans le
-délai d'une demi-heure._
-
-_«Tout le Congrès et Mustapha Kémal attendirent exactement une demi-heure
-devant l'appareil télégraphique qui ne répondait pas. Ce délai passé,
-toutes les communications furent interrompues._
-
-_«A l'occupation de Constantinople (16 mars 1920), après sommation et
-pour éviter une inutile effusion de sang, le général Scotland évacua
-Eski-Chéir._
-
-_«A présent toute l'Anatolie lutte pour sa libération des servitudes
-étrangères, nous sommes tous confiants dans le succès de notre lutte
-car nous ne sommes pas seuls. Trois formidables alliés nous tendent
-la main: le Bolchevisme. l'Asie et l'Islam..._
-
-_«J'espère et crois aussi que. l'Angleterre jusqu'à présent l'alliée
-de l'Islam et qui a failli à sa ligne de conduite traditionnelle,
-reviendra à elle afin de gagner les Turcs qui luttent pour leur
-indépendance, plutôt que de compter sur un ramassis de petits Etats qui
-ont tourné en sa faveur dès que la victoire a fait pencher la balance
-de ce côté, rêvant ainsi d'avoir leur part au butin gagné par le sang
-des autres.»_
-
-On vint nous prévenir que la Chambre était réunie. A 2 h. 1/2 les 95
-députés kémalistes prenaient place autour de l'hémicycle où trônait
-tout en haut le vice-président de la Chambre, le grand Tchélébi. A ses
-côtés je remarquai la volumineuse personnalité de Djelaleddine Arif
-bey, ex-bâtonnier du barreau ottoman et second vice-président. Dans la
-salle, on percevait un sourd bourdonnement de voix. Tout à coup, la
-cloche du président retentit et le silence s'établit. J'ai pris note
-sténographiquement d'une partie des débats les plus intéressants.
-
-MAZHAR BEY (Aïdine).--Vous savez, chers camarades, que notre
-budget-d'après l'exposé que nous retraçait l'autre jour le ministre
-des finances, Ferid bey--est on ne peut plus satisfaisant. Néanmoins,
-l'Etat doit s'imposer des sacrifices énormes pour faire face à nos
-préparatifs militaires et solder nos achats en matériel de guerre. Il
-en résulte un déficit inévitable de plusieurs millions de livres, et la
-Chambre est chargée de le couvrir.
-
-«Or, une plaie affreuse ronge le pays, plus que cela n'a lieu n'importe
-où ailleurs, et paralyse toutes nos forces vives; c'est l'abus
-de l'alcool. Par contre, il ne faut pas oublier que les boissons
-spiritueuses rapportent au budget annuel de l'Etat la coquette somme
-d'environ un million et demi de livres turques. Beaucoup de nos
-paysans, à Aïdine, Smyrne et Magnésie en particulier, ne vivent que du
-produit de leurs vendanges. Il faut tenir compte dans nos décisions de
-tous ces éléments.
-
-DJEVÀD BEY (Sivas).--Ces provinces ne sont plus entre nos
-mains. (_Bruits._)
-
-MAZHAR BEY.--Oui, mais elles nous reviendront un jour
-«inchallah», de même que l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la
-France. (_Applaudissements redoublés._)
-
-«Donc, continue l'orateur, ces provinces ne vivent que des produits
-distillés du raisin et en premier lieu du «raki», Aujourd'hui, en
-interdisant l'alcool dans le pays, vous enlevez leur gagne-pain à des
-milliers de citoyens. Chers camarades, je vous préviens, statistique en
-main, que la loi proposée à la Chambre serait une folie.
-
-«Nous devons maintenir l'alcool, car il s'agit d'un bénéfice net
-d'un million de livres par an, et qu'en agissant différemment nous
-fournirions aux paysans de Chio et de Mytilène, un moyen de s'enrichir
-à nos dépens.
-
-CHUKKRY BEY (Trébizonde) le remplace.
-
-«Je ne veux pas contredire mon prédécesseur, affirme le nouveau venu.
-Mais je tiens à vous exposer, Messieurs, les ravages que cause la
-boisson au sein de notre Patrie.
-
-«Un mal interne ronge notre peuple. Aujourd'hui, notre paysan de Konia,
-après avoir vendu son beurre et ses œufs au marché, remporte dans son
-foyer des bidons de raki et s'enivre oubliant toutes les prescriptions
-de l'Islam!
-
-VELHI BEY (Konia).--Pas à Konia seulement, c'est partout
-ainsi. (_Rires._)
-
-ALI CHUKKRI BEY (Trébizonde).--Il y a de cela dix ans, à
-Trébizonde, les personnes abusant de l'alcool pouvaient se compter sur
-les doigts.
-
-«A présent, hélas! les enfants de 7 à 8 ans pratiquent le culte de la
-«dive bouteille» comme père et mère. Les maladies augmentent avec ces
-abus, et la nation entière est exposée à un péril imminent; elle se
-trouve au bord de l'abîme.
-
-«On ne veut pas faire perdre au budget un million de livres, mais on
-bride le pays. La Chambre assume une responsabilité écrasante. Tous
-les députés doivent être d'accord pour entreprendre la lutte en vue
-d'assainir la nation et d'élaborer cette loi...
-
-FARIK BEY (Denizli)--... que le Gouvernement ne pourra à
-aucun prix appliquer intégralement. (_Bruits dans la salle._)
-
-ALI CHUKKRI (Trébizonde), répliquant vivement.--Un
-gouvernement qui ne peut appliquer ses lois n'en est pas un...
-
-(_Grand bruit, protestations; on empêche le député de continuer.--Le
-président rappelle à l'ordre._)
-
-«Je ne veux pas qu'on prête à mes paroles un sens qu'elles n'ont pas et
-je me rétracte! (Le silence se fait.)
-
-«Une loi supprimant l'alcool délivrerait l'Anatolie d'un mal affreux.
-Nous devons imiter l'Amérique et la Russie. En Russie, la loi contre
-l'alcool a été appliquée en recourant, le cas échéant, à la bastonnade!
-Il faudra que nous sachions en faire autant. Pour nous autres Turcs, il
-n'y a qu'un remède radical,la bastonnade! (_Bruits, protestations._)
-
-MEHMED HODJA (Edremid). (_Il prend la parole à la tribune et d'une voix
-de stentor entonne une harangue en faveur de la loi._)
-
-«La principale cause de nos malheurs est que, nous autres Turcs, nous
-n'observons plus les lois de l'Islam.
-
-«Notre religion nous interdit l'alcool et nous nous permettons d'en
-abuser. Tous les peuples musulmans savent trop combien nous négligeons
-les lois divines. Il y a vingt ans, à Edremid, les Chrétiens n'avaient
-que vingt maisons tout au plus. L'alcool et le jeu ont ruiné les Turcs
-de l'endroit et aujourd'hui la moitié de la ville appartient aux
-étrangers!
-
-«Tant que les Turcs ne prendront pas les mesures nécessaires contre
-l'ivresse et le jeu, ils seront foulés aux pieds de leurs plus vils
-ennemis.»
-
-Cette fois les contradicteurs se sont tus. L'argument divin est sans
-réplique, dans la toujours religieuse Anatolie, et c'est au milieu d'un
-silence complet que Djelaleddinc Arif bey note le compte rendu officiel
-et lit le projet de loi suivant:
-
-1º _L'importation de tous les spiritueux est strictement interdite sur
-toute l'étendue du territoire ottoman._
-
-2º _Tout débit d'alcool sera fermé. Les scellés seront apposés par
-l'Etat sur tous les alambics, bidons et barils._
-
-3º _L'alcool ne pourra se vendre dans le commerce que dénaturé et après
-un contrôle de l'Etat_.
-
-Les contrevenants seront condamnés à une amende de 100 à 500 livres et
-à une peine corporelle variant entre 80 et 100 coups de bâton et à une
-réclusion de 2 à 6 mois de prison.
-
-Et, sans plus ample discussion, la loi est approuvée. Il y a des pays,
-n'est-ce pas, où cela ne va pas si vite.
-
-
-
-
-VIII
-
- ISMAIL SABRY BEY.--À LA DÉFENSE NATIONALE.--L'OCCUPATION DE
- SMYRNE.--L'AGRESSION HELLÈNE CONTRE L'ANATOLIE.--LES CAUSES
- DU SOULÈVEMENT DE L'ASIE-MINEURE.--EN CILICIE.--DEUX MOTS DE
- FEVZI PACHA, MINISTRE DE LA GUERRE.--QUELQUES PROCLAMATIONS.
-
-J'ai rencontré à Angora, dans l'entourage de Mustapha Kémal, un ancien
-ami: Ismail Sabry bey, ancien adjudant de la reine Marie de Roumanie.
-
-Sabry bey est originaire de la Dobroudja et il était capitaine de
-cavalerie dans l'armée roumaine. Mais les déportations et massacres
-qu'eurent à subir les Musulmans de la Dobroudja le décidèrent à passer
-dans les rangs de l'armée turque.
-
-C'est aujourd'hui un des membres les plus influents du soulèvement
-kémalisle. Comme récompense de ses précieux services et de son courage
-vis-à-vis de l'ennemi, Mustapha Kémal pacha le prît à ses côtés.
-
-Sabry bey m'amène au Ministère de la Guerre.
-
-Je suis introduit auprès du commandant Riza, de l'Etat-Major, qui nous
-reçoit fort aimablement.
-
-A peine la conversation était-elle engagée et lui avais-je demandé
-comment prit naissance le mouvement national, il me tendit un dossier.
-Je l'ouvris et y trouvai tout d'abord quelques dépêches, qu'il me
-parait intéressant de transcrire ici:
-
-
- TÉLÉGRAMME DU COMMANDANT D'AÏDINE
-
- «Le 15 mai 1919.
-
- «Notre correspondance avec Smyrne occupée par les
- Hellènes s'est trouvée interrompue. Détails parvenus
- ici annoncent massacres sur population musulmane commis
- par troupes grecques. Caractère occupation imprécis.
- Population extrêmement surexcitée.»
-
- «Commandant de la 57^e Division,
-
- «CHEFICK».
-
-
- «Panderma, le 16-5-1919.
-
- «Population Panderma extrêmement surexcitée suite occupation
- injustifiée Smyrne.»
-
- «C. div. 14^e C. Armée,
-
- «YUSSOUF IZZET».
-
-
- «Aïdine (très urgent), le 16-5-1919.
-
- «...Le 14-5-19, six transports hellènes, protégés par quelques
- torpilleurs, commencèrent à entrer dans le port de Smyrne.
- La population grecque s'assembla en masse sur le quai.
- Tout d'abord, une compagnie de 300 Efzones débarqua sur le
- quai, suivie par d'autres groupes. Les forces débarquées se
- divisèrent en deux colonnes, dont l'une prit la direction de
- la caserne et l'autre celle de Punta. La population indigène
- armée accompagnait ces troupes; aussitôt les quartiers grecs,
- sis aux environs du quai, bissèrent des drapeaux hellènes.
- Au moment où la première colonne fut près de la tour de la
- place de la caserne, un coup de feu éclata. Là-dessus un
- choc s'engagea entre nos soldats d'une part et les soldats
- hellènes et la population armée d'autre part. Des deux côtés
- aux prises sur les lieux, les pertes se montent à plus de
- 700. Le choc dura une heure. Une partie de nos officiers et
- soldats se trouvant dans la caserne, furent faits prisonniers.
- On les conduisit à bord du cuirasé Avcroff. D'autres soldats
- ottomans se sont retirés avec leurs armes hors de la ville.
- Les habitants grecs de Seydi-Keuy et des environs, accourus
- en armes durant le choc, se mirent à piller le local du
- Gouvernement, la caserne et les magasins appartenant aux
- Musulmans. Après l'occupation des établissements officiels et
- de ceux de la Sûreté publique, l'armée se joint aux bandes
- grecques pour commettre des atrocités tant dans la ville que
- dans les environs. La malheureuse population musulmane est
- assassinée et torturée. Guidés par des bandes grecques,
- les soldats hellènes se saisirent de quelques-uns de nos
- officiers et arrachèrent leurs uniformes à coups de crosse. La
- population musulmane se réunit dans le cimetière juif, dans
- l'intention de s'élever contre l'annexion et de sauvegarder
- ses droits. Elle ne voulut pas se disperser et passa la nuit
- du 15 au 16 dans le cimetière Israélite continuant ses
- manifestations nationales. Après minuit, des coups de fusils
- et de mitrailleuses se firent entendre aux environs de ce
- cimetière. Le feu continua dans ce quartier et dura environ
- quatre heures. La population musulmane, exposée à ce massacre,
- dût se disperser.
-
- «Durant toute la nuit, on entendait partout dans la ville
- des coups de fusil et de bombes. Les dépôts d'armes et de
- munitions, ainsi que les caisses des établissements officiels
- furent entièrement pillés par la population locale grecque.
- L'agression se manifesta avec une fureur telle que les
- soldats hellènes en vinrent jusqu'à faire usage de leurs
- mitrailleuses.
-
- «Les atrocités des Grecs furent portées au-delà des limites
- de la ville, des bandes grecques formées dans les villages se
- mirent à attaquer aussi les trains et les villages musulmans.
-
- «Dans plusieurs villages, des bandes helléniques et grecques
- ont commis aussi de nombreuses agressions et leurs actes de
- violence se sont étendus jusqu'aux environs de Kouche-Ada et
- de Soke.
-
- «Les violences ainsi commises par les Grecs indigènes, tant
- en groupes qu'individuellement, à l'encontre des lois de
- l'humanité, ont vivement indigné la population musulmane
- d'Aïdine et de ses dépendances. Tant que l'occupation de
- Smyrne par la Grèce durera et que les violences des bandes
- grecques continueront, l'énervement de la population musulmane
- doit fatalement croître et, par conséquent, il y aura lieu de
- s'attendre à des événements regrettables.
-
- «Donc, au nom de l'humanité, il est d'une importance extrême
- de faire les démarches nécessaires auprès des représentants de
- l'Entente afin que, dans le cas où l'occupation de la ville
- serait nécessaire pour l'Entente, des contingents ententistes
- anglais, français et américains viennent seuls effectuer cette
- occupation.
-
- «Le Commandant de la 57^e Division,
-
- «CHEFICK».
-
-
- Aïdine, 17 5-19.
-
- (SUITE TÉLÉGRAMME N° 892)
-
- «1º) Les membres de l'Etat-Major du corps d'armée et des
- divisions ont été arrêtés à Smyrne le jour de l'occupation.
-
- «2º) Les massacres et les pillages commis à Smyrne contre la
- population musulmane et contre nos soldats n'ont nullement été
- provoqués par les nôtres, mais il existe, au contraire, des
- preuves indiquant qu'ils ont été commis avec préméditation
- par les Grecs indigènes et les soldats hellènes.
-
- «CHEFICK.»
-
-
-Le passage suivant, d'un autre rapport du général Nadir pacha, sur les
-horreurs de Smyrne, vaut aussi d'être cité:
-
- «A ce moment furent commis des crimes et atrocités
- inimaginables, que réprouveraient les peuples même les moins
- civilisés.
-
- «Des Grecs, armés de revolvers, tiraient continuellement sur
- le groupe des officiers turcs, traversant la rue au milieu de
- deux rangées de soldats hellènes d'occupation.
-
- «La population grecque n'a rien épargné pour insulter,
- humilier, torturer et frapper les officiers.
-
- «Tous ceux qui étaient à bord des bateaux grecs, le long des
- quais, ainsi que tous les soldats hellènes descendus dans
- la rue et la population grecque de la ville elle-même, ont
- participé par tous les moyens à cette scène tragique. Les
- officiers turcs, mains en l'air, furent contraints de crier
- «Zito» et un grand nombre d'officiers et de soldats furent
- impitoyablement massacrés ou blessés. Une pluie battante,
- mêlée de grêle qui commença à tomber peu après, contribua
- heureusement à détourner sensiblement ce déchaînement de
- barbarie.»
-
-Si je devais transcrire, ici, la suite de dépêches annonçant la
-destruction d'Aïdine, de Ménémen, les massacres de Magnésie, etc., la
-série n'en finirait pas.
-
-Aussi Riza bey me dit que si quelqu'un lui demandait pourquoi
-l'Anatolie est rebelle et s'est ainsi soulevée, il montrerait ce
-recueil qu'il gardait précieusement.
-
-Nous causâmes ensuite de la Cilicie. Je remarquai avec plaisir
-qu'aucune rancune envers la France n'existait chez ces officiers.
-Seulement Riza bey me donna deux proclamations qui venaient d'être
-rédigées pour être jetées par avion sur les troupes françaises. Je les
-reproduis ici à titre documentaire et parce qu'ils font ressortir les
-vœux que formaient alors les nationalistes turcs sur la Cilicie.
-
-
-«SOLDATS DE FRANCE!
-
-«Combattants de la République et apôtres de la
-justice, demandez à vos chefs pourquoi vous versez encore votre sang
-pour la conquête inutile de la Cilicie turque qui ne vous est même pas
-cédée par le traité de Versailles?
-
-«Poilus de France! Songez que votre patrie vient de gagner une belle
-victoire en vous rendant l'Alsace et la Lorraine, mais vous tacheriez
-l'œuvre de vos camarades morts au champ d'honneur, en voulant
-déchiqueter le peuple turc qui ne demande qu'à vivre libre et en bonne
-amitié avec vous.
-
-
-«Soldats de France!
-
-«Si vous poursuivez ces projets, les Turcs sont à la veille de
-s'allier aux rebelles arabes. Un exemple frappant est sous vos veux.
-En Mésopotamie, les Anglais ont une armée de 100.000 hommes, qui est
-harcelée de tous côtés. Leurs troupes ont leurs arrières coupés, sont
-attaquées chaque jour par les Turco-Arabes et périssent par milliers.
-En Cilicie, vous êtes en face d'un péril identique et imminent!
-
-«Aujourd'hui, l'époque des conquêtes est passée!...
-
-«Est-ce le moment pour la France républicaine de dévoiler son ambition,
-ou celui de se mettre au travail et de chercher ses vrais intérêts là
-où ils sont autrement que par la force?... Cela demandez le à vos chefs,
-et s'ils ne peuvent vous répondre, consultez votre conscience; elle
-vous refusera de déshonorer votre histoire en vous ruant sur un peuple
-qui ne demande qu'à vivre libre et tranquille!...»
-
-
-«POILUS DE FRANCE!
-
-«Vous avez laissé bien loin derrière vous vos villages, vos foyers
-chéris...
-
-«La guerre est finie depuis longtemps, l'Alsace et la Lorraine sont
-redevenues françaises, mais vous, que cherchez-vous encore ici?
-
-«Le moment est venu de prendre la truelle en main et de réparer les
-sanglantes blessures de la Patrie.
-
-«Le moment est venu pour l'humanité entière de respirer, non de
-conquérir, de brûler encore et de verser inutilement du sang.
-
-«Poilus de France égarés en Cilicie, qu'avez-vous à attaquer les Turcs
-qui ne demandent qu'à vivre tranquilles et amis de la France?
-
-«N'oubliez pas vos traditions d honneur et de justice, ne perdez pas
-ainsi vos vrais intérêts en Orient!
-
-«Vous combattez pour les beaux yeux de l'Angleterre, qui est pour nous
-tous l'ennemi commun.
-
-«Poilu de France! Rentre chez toi, profite de la victoire et mets toi à
-l'œuvre avant les Allemands...
-
-«Ne pense pas à vouloir le bien d'autrui!...
-
-«Rentre dans ta douce France, laissons les armes pour reprendre la
-charrue et nous remettre enfin à travailler en paix!
-
-«Chacun chez soi! Dieu avec tous!...»
-
-Tandis que nous étions en train de lire ces proclamations, le général
-Fevzi pacha entra dans la pièce.
-
-Il me dit quelques mots sur la Cilicie que je reproduis ici
-textuellement. Je n'ai pas eu la possibilité de m'entretenir longuement
-avec lui, car il dût me quitter précipitamment pour îles affaires
-urgentes.
-
-Mais ces déclarations, si concises quelles soient, confirment les
-précédentes.
-
-_Jusqu'à présent_, remarque Fevzi pacha, _nous avions négligé ce front,
-car nos principaux efforts tendaient à résister par tous les moyens
-à l'invasion hellène. Quelques milices de volontaires réussissent
-toutefois, non sans éclat, à rendre critique, à certains moments, la
-situation militaire française. Mais nous avons toujours voulu régler
-les affaires de Cilicie, sans effusion de sang avec la France, car elle
-a tout intérêt à le faire._
-
-_L'esprit militaire l'a emporté et les Français n'ont pas hésité à armer
-des bandes arméniennes pour les lancer dans nos paisibles campagnes.
-Si les Français ne veulent pas conclure avec nous un accord qui leur
-serait favorable, la guerre de guérillas continuera de plus belle avec
-l'aide et l'appui que nous apporteront les rebelles arabes!_
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-IX
-
- CE QUI SE PASSE EN MÉSOPOTAMIE.--LE GOUVERNEMENT
- NATIONALISTE ARABE DE KERBELLAH.--LES ALLIÉS DES
- KÉMALISTES.--L'ÉTENDARD DE LA RÉVOLTE EN PERSE ET EN
- ARABIE.--L'ÉMIR ALI.--L'ATTAQUE DES CONVOIS ANGLAIS
- DU TIGRE.--SUR LES RIVES DE L'EUPHRATE.--ARABES ET
- KÉMALISTES.--A LA FRONTIÈRE PERSANE.
-
-J'ai pu voir ici un officier kémaliste blessé, de l'entourage immédiat
-de Nihad pacha, rentré dernièrement du front de Mésopotamie et qui m'a
-donné de précieuses informations sur ce qui se passe dans ces provinces
-éloignées de l'Asie.
-
-En Mésopotamie, la paix est bien loin d'être rétablie et la situation
-ne s'est guère éclaircie non plus, comme on l'annonçait dernièrement en
-Angleterre.
-
-Les Anglais, il est vrai, ont réussi à s'établir dans le delta et dans
-les provinces de Bassorah et de Kourna, où leurs troupes ont culbuté
-les rebelles arabes qui se sont retirés vers l'intérieur. Mais ceux-ci
-reviennent à l'attaque et à présent, en Mésopotamie, l'armée anglaise
-combat sur un front de plus de 600 kilomètres, c'est-à-dire de Bagdad à
-Bassorah. Elle est en outre attaquée de flanc par les révolutionnaires
-persans descendant de Kermanchah dans le Pouchti Kouh.
-
-Un émir arabe, l'émir Ali, parent de l'émir Hussein, très influent en
-Mésopotamie, leva le premier l'étendard de la révolte, il y a un an
-de cela. Ce fut le début de la révolution arabe dans l'Irak contre
-l'Angleterre.
-
-Ce chef rebelle entra à Kerbellah, d'où la petite garnison anglaise
-dût se retirer, et y installa un gouvernement provisoire à l'instar de
-Kémal pacha à Angora.
-
-Quelque temps plus tard, tandis que les Arabes du Monentefîck et du
-Djebell se soulevaient, l'émir Ali envoya une délégation en Anatolie
-pour conclure une alliance avec les Kémalistes. Ceux-ci s'empressèrent
-d'accepter et envoyèrent une mission à Kerbellah, accompagnée
-d'officiers d'Etat-Major demandés par l'Emir. C'est ainsi qu'à la fin
-de l'été 1920, les Arabes, suffisamment organisés et très nombreux,
-entreprenaient la lutte depuis Bagdad jusqu'à la mer. D'autre part,
-le 13º corps d'armée kémaliste, sous les ordres du général Nihad
-pacha-alors à Diarbékir se mit à descendre le Tigre et il investissait
-Mossoul où la garnison anglaise, coupée de Bagdad, ne put résister.
-
-Nihad pacha continua son avance et installa en octobre dernier
-son Quartier général à Mossoul, tandis que ses 2º et 5º divisions
-combattaient avec l'aide des Arabes à Samara.
-
-Les Persans à leur tour, ayant proclamé un gouvernement nationaliste
-à Tabriz, s'allièrent aux Kémalistes et ne tardèrent pas à faire
-irruption en Mésopotamie. C'est ainsi que les troupes britanniques
-virent un troisième front surgir sur le champ de bataille.
-
-Quoique très mal équipées et mal organisées, ces bandes persanes
-causent de grands dommages aux Anglais, car ils mènent sur la rive
-gauche du Tigre une guerre de guérillas qui retient de ce côté une
-quantité de troupes obligées de protéger les convois de ravitaillement
-remontant le Tigre vers Bagdad.
-
-Ces convois sont souvent attaqués par des insurgés arabes qui,
-blottis par milliers dans les roseaux et les bambous des rives et des
-marécages, ne cessent de mitrailler tous les navires qui passent.
-
-Ceux-ci sont naturellement tous armés et les Anglais ont organisé
-des escadrilles de moteurs blindés accompagnés d'hydro-avions qui
-parcourent sans cesse tout le cours du fleuve y faisant la police.
-Dans chaque village riverain sont installés des postes munis de fortes
-garnisons et entourés de fils de fer barbelés, ce qui n'empêche pas
-les Arabes de les attaquer sans trêve et tout le voyage des bateaux
-circulant de Bassorah à Bagdad s'effectue le plus souvent sous une
-pluie de balles.
-
-A l'organisation impeccable des Anglais le long du Tigre, les Arabes
-répondent par le nombre de leurs combattants, qui pullulent et sont
-bien approvisionnés en armes et munitions.
-
-L'émir Ali a réussi à se procurer quelques batteries de canons de
-campagne et de nombreuses mitrailleuses.
-
-Les insurgés arabes en Mésopotamie emploient audacieusement une
-singulière tactique pour attaquer et détruire les convois fluviaux
-britanniques quoique ceux-ci soient armés.
-
-De nuit, des centaines de soldats arabes se munissent de peaux de
-moutons qu'ils gonflent en guise de bouée et ils entrent sous cet
-accoutrement dans le fleuve se laissant ainsi entraîner par le courant
-en masses compactes pour se cramponner à l'étrave des bateaux et se
-hisser sur le pont à l'aide de bambous recourbés. Ils font alors
-irruption de tous les côtés à la fois et attaquent au poignard les
-passagers et les équipages; ceux-ci ne pouvant plus se défendre avec
-leurs armes sont massacrés de la sorte.
-
-Le bateau, après qu'ils l'ont échoué, est dévalisé par les insurgés.
-
-L'émir Ali a installé son gouvernement à Kerbellah où sont concentrés
-les principaux ministères. Percevant les impôts sur toute la population
-de l'Euphrate, ce gouvernement, dont l'existence est inconnue peut-être
-en Europe, à son budget et fonctionne presque normalement. L'émir
-lutte pour l'indépendance de la Mésopotamie et l'on m'assure qu'il a
-plusieurs fois déclaré son attachement à la France et aux Turcs. C'est
-un homme âgé d'une quarantaine d'années, très énergique et très aimé de
-tous les Arabes de l'Irak.
-
-L'Angleterre se heurte avec lui à un ennemi puissant, respecté et en
-parfaite solidarité avec les kémalistes turcs qui luttent à ses côtés.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-X
-
- L'EXILÉE D'ANGORA.--HALIDÉ EDIB HANUUM.--UNE VISITE À
- SA FERME.--LA ROMANCIÈRE KÉMALISTE.--L'AMAZON D'ANATOLIE.--
- LES FUSILS DANS LA PÉNOMBRE.--DÉSENCHANTÉE 1920.--LA FUITE
- D'HALIDE DE CONSTANTINOPLE.--CE QU'ELLE DIT DU MOUVEMENT
- NATIONAL.
-
-A la direction générale de la presse kémaliste, un ami m'avait proposé
-d'aller voir, avant de quitter Angora, Halidé Edib Hanoum, fougueuse
-propagandiste de la cause nationaliste et écrivain d'une indéniable
-valeur. Le soir même une voiture nous menait avec force cahots, à
-travers les rues mal pavées de l'antique Ancyre. Nous avancions sur
-une route poudreuse menant à la ferme modèle, dépendance de l'Ecole
-d'agriculture d'Angora sise à environ une heure de la ville.
-
-De temps en temps, nous croisions sur notre chemin quelques «tchétés»
-kémalistes armés et montés sur de beaux chevaux. Ils font partie de ces
-bandes, de formation nouvelle, qui s'exercent à la petite guerre en
-attendant d'être dirigées vers le front.
-
-Chacune des bandes de «tchétés» est munie d'une mitrailleuse et
-comprend 50 cavaliers armés jusqu'aux dents. Les grenades à main qu'ils
-suspendent à leur ceinture et que ces cavaliers trimballent avec eux,
-sont la terreur constante des habitants d'Angora.
-
-Au café où ils s'attablent, ils conservent toujours ces dangereux
-joujoux auprès d'eux, parfois ils s'amusent à les démonter et les
-explosions par accident ne sont pas rares, qui font voler en éclats
-tout le café, tables chaises et clients!
-
-Aussi le gouvernement a-t-il pris la décision d'interdire le port de
-ces bombes à l'intérieur de la ville.
-
-Tandis que notre voiture passe, je les vois esquisser une merveilleuse
-«fantasia» sur leurs fringants chevaux qu'ils montent admirablement
-bien.
-
-Au bout d'une heure de course nous arrivons à une ferme champêtre
-et gaie émergeant d'un bouquet de feuillage, le long d'une petite
-rivière aux eaux claires et très poissonneuses. Devant la ferme est un
-grand verger, puis une prairie ombragée où paissent tranquillement des
-vaches. Tout est calme et silencieux. C'est un lieu bien choisi pour
-servir de refuge à l'àme ténébreuse et mélancolique qui est venue s'y
-exiler... Tout à coup un galop pressé retentit. Nous voyons arriver de
-loin une femme montée sur un superbe pur sang. Le vent s'engouffre dans
-les plis de son «tcharchaf» noir. Elle est chaussée de bottes d'homme.
-Sa ceinture s'orne d'une cartouchière et d'un revolver à la «cow-boy».
-C'est Halidé Edib Hanoum.
-
-⁂
-
-Quelques minutes plus tard, nous étions dans une petite pièce située au
-prcmier étage et transformée en salon. Quelques meubles purement turcs
-d'une simplicité rustique.
-
-Dans un coin, luit dans la pénombre l'acier poli d'une dizaine de
-fusils, revolvers et poignards rangés avec précaution. Sur une petite
-table est un «samovar» russe et au milieu de la pièce un grand
-«mangal»[2] de cuivre.
-
-[2] Réchaud à charbon turc.]
-
-Nous nous asseyons sur des «minders»[3] à la turque adossés aux
-fenêtres donnant sur le balcon d'où la vue s'étend sur de riches
-plantations. Halidé Edib a pris place en face de nous. Elle a gardé son
-«tcharchaf», le voile relevé.
-
-[3] Divan à la turque.]
-
-Tandis qu'elle parle, je l'observe. Notre interlocutrice est une belle
-femme entre les deux âges, aux yeux noirs et au regard langoureux. Les
-péripéties de sa fuite en compagnie de son mari, le docteur Adnan bey,
-méritent d'être narrés.
-
-⁂
-
-Déguisés en villageois et ayant chargé leurs effets sur un char à bœufs
-plein de paille, des «tcharik» aux pieds, un aiguillon en main, c'est
-en cet agreste équipage que Halidé Edib s'achemina sur la route menant
-de Scutari à Alemdagh.
-
-Mari et femme errèrent ainsi quinze jours durant, le long de chemins
-isolés, logeant dans des hans affreux et peuplés de vermine... Ils ne
-furent reconnus qu'a leur arrivée à Ada-Bazar.
-
-Halidé Edib nous retient à prendre le thé. Une petite paysanne nous
-sert sur un plateau du beurre frais provenant de la ferme et des
-confitures préparées par la fermière.
-
-«Nous ne manquons de rien, me dit Halidé Edib Hanoum, la terre de nos
-aïeux, la belle et riche Anatolie, malgré toutes ses blessures béantes,
-est encore généreuse. L'Europe a beau ne rien envoyer, nous trouverons
-longtemps encore sur la terre de l'exil des tchariks pour nous chausser
-et des vêtements de bure...»
-
-Puis, tandis que je la questionnais sur le mouvement national,
-l'éminente romancière et poète turque me répondit sans hésitation:
-
-_«Vous nous voyez ici, nous avons tout laissé derrière nous, maisons,
-famille, notre Bosphore chéri aux-riantes rives... Nous avons
-abandonné tout cela pour prendre les armes et lutter à la défense de
-nos monts et de nos terres que l'on veut faire envahir par nos plus
-vils ennemis..._
-
-_«Au commencement de la guerre générale qui a déchaîné le feu dans le
-monde entier, je me trouvais à Constantinople. Lu ruée germanique sur
-la Belgique, fut douloureusement ressentie par la plupart des Turcs,
-car la Turquie elle aussi sait jusqu'où va la violence de certaines
-nations européennes que l'ambition rend aveugles..._
-
-_«Les vrais Turcs sentaient l'approche d'un malheur... ils savaient
-que l'Allemagne avait entre les mains les rênes de l'Empire, mais ils
-frémirent tous d'horreur à la destruction de Louvain, aux horreurs
-germaniques en Belgique. Il serait inutile de rappeler l'indignation
-que la violation de la Belgique par les armées du Kaiser, souleva dans
-le monde entier._
-
-_«Pourtant, cinq années plus tard, une violation plus monstrueuse
-encore était accomplie envers la Turquie qui avait déposé les armes en
-se fiant à l'armistice de Moudros et au 12^e principe de Wilson qui lui
-donnait droit à la souveraineté turque sur les territoires turcs de
-l'Empire ottoman..._
-
-_«On jeta sur un peuple désarmé, l'armée grecque qui occupa Smyrne,
-y commit des massacres sans précédent et mit à sac les plus belles
-provinces de l'Anatolie... Aujourd'hui, des villes d'Aïdine, de
-Ménémen, Nazeli, il ne reste qu'un amas de décombres..._
-
-_«A toutes ces horreurs, personne n'eut de cris d'indignation, pas
-un sursaut de révolte ne se manifesta et pourtant ces villes, ces
-populations, ces contrées dévastées, mises à feu et à sang, font partie
-de l'humanité!_
-
-_«Et l'on prétend que les nationalistes turcs sont dans leur tort I
-Mais quel peuple au monde n'en aurait pas fait autant sinon plus?_
-
-_«Les misères et les horreurs sans précédent dont la population turque
-de Constantinople est victime depuis que les Anglais y sont les maîtres
-sont indescriptibles._
-
-_«Les étrangers, parmi lesquels de rares officiers français restés à
-Stamboul, sont témoins des occupations à main armée des maisons turques
-qui ont plu à MM. les Officiers anglais._
-
-_«A tout cela d'autres témoignages viennent s'ajouter: les coups
-de crosse et de cravache administrés par des soldats australiens,
-polynésiens--apôtres de la civilisation britannique--aux malheureux
-voyageurs qui sont obligés d'attendre dix jours sur pied pour obtenir
-un visa anglais au quai de Galata. Et les familles jetées sans raison
-dans la rue, et les harems violés, les arrestations brutales pour ceux
-qui sont connus être francophiles convaincus, et l'horrible censure
-interalliée, anglaise plutôt, qui étouffe la voix de la presse turque
-laissant les feuilles grecques et arméniennes déverser des articles
-mensongers et injurieux envers la Turquie, que de tracasseries,
-odieuses et pires!_
-
-_«La Turquie n'est pas entrée de sa propre volonté dans la guerre
-générale; c'est elle, néanmoins, qui a été le plus injurieusement
-traitée, plus que l'Allemagne, plus que l'Autriche et même que la
-Bulgarie._
-
-_«Un peuple qui a le moindre sentiment de patriotisme ne devait-il pas
-prendre les armes pour soutenir une lutte désespérée... et ne sait-on
-pas que les peuples exaspérés sont souvent redoutables?_
-
-_«Mustapha Kémal, dans la lutte suprême qu'il a entreprise, a réveillé
-d'autres peuples? asiatiques opprimés._
-
-_«Le bolchevisme se changera fatalement en Asie en un soulèvement
-général, car les droits de tout peuple de disposer de lui-même que
-Wilson a proclamés, ainsi que les idées des communistes envers les
-capitalistes ont réveillé l'Asie._
-
-_«Nous sommes aujourd'hui liés étroitement aux Musulmans de la Chine et
-des Indes et nous savons exactement vers quel dénouement marchent les
-événements que quelques diplomates inconscients ont provoqués._
-
-_«Le grand Congrès asiatique de Bakou est un pas en avant. La révolte
-des peuples opprimés de l'Asie est proche. Demain, lorsque toutes les
-colonies britanniques seront mises à feu, M. Lloyd Georges réfléchira
-sur la fatalité qui pèse sur des oppresseurs nourris d'ambitions...»_
-
-Il me souvient d'avoir visité naguère, sur les rives du lac de Genève,
-à Coppet, le château où s'exila Mme de Staël. La ferme de Halidé Edib
-m'a rappelé involontairement ce pittoresque refuge de Mme de Staël.
-A l'instar de l'auteur de Corinne, l'exilée d'Angora entretient une
-active correspondance. Elle écrit environ trente lettres par jour à
-différents personnages en vue, d'Angleterre et d'Amérique. Elle compte
-publier, à ce qu'elle m'a affirmé, un recueil de «Lettres d'Anatolie»,
-qui sera évidemment du plus vif intérêt.
-
-Mais que dirait Pierre Loti de ces «Désenchantées» nouveau style!
-
-Les voilà à l'œuvre et en plein dans la vie active...
-
-
-
-
-XI
-
-EN QUITTANT LA TERRE KÉMALISTE
-
-
-Quelques jours après ce long et si curieux voyage, je m'embarquais de
-nouveau à Inéboli, sur un paquebot en partance pour Stamboul...
-
-L'impression laissée par ce que j'ai vu en Anatolie, est de celles que
-de vains commentaires affaibliraient; elle est dans la simplicité et
-la véracité des faits de nature à jeter sur le kémalisme des lueurs
-nouvelles qui éclaireront, je l'espère, les esprits impartiaux. Quant
-aux autres...
-
-Tandis que je prenais place dans un canot qui devait m'amener à
-bord, je répétai plusieurs fois à un compagnon de voyage qui devait
-repartir pour Angora: « Dites à Mustapha Kémal pacha, que le respect et
-l'admiration que j'ai pour lui, après que je l'ai vu à l'œuvre, sont
-si grands, que je l'appellerais partout avec fierté «l'Apôtre de la
-Résurrection turque!»
-
-Tandis que le canot s'éloignait du rivage, je distinguais encore sur
-le quai, quelques soldats anatoliens, leurs cartouchières fièrement
-rangées sur leur poitrine, qui contemplaient l'horizon azuré de la
-Mer Noire avec de grands yeux illuminés.
-
-Quelques heures après, notre bateau levait l'ancre. Sur la passerelle,
-je restais debout à regarder s'éloigner ces rives kémalistes, ces
-côtes de l'Anatolie indépendante, tout entière absorbée dans une lutte
-désespérée, mais si sublime, contre tant d'adversaires à la fois...
-
-La nuit couvrait déjà la mer, lorsque là-bas, derrière nous, sur la
-ligne fuyante du large, je vis disparaître ce coin de terre natale,
-resté encore si fièrement turc en ce monde !...
-
-{Illustration]
-
-
-Imp. R. Dousinelle, 3-5-7, rue St-Pierre, St-Germain-en-Laye.
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of A Angora aupres de Mustafa Kemal, by
-Alaeddine Haidar
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-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL ***
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- The Project Gutenberg eBook of A Angora auprès de Mustapha Kémal by Alaeddine Haidar.
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- </head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-Project Gutenberg's A Angora aupres de Mustafa Kemal, by Alaeddine Haidar
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: A Angora aupres de Mustafa Kemal
-
-Author: Alaeddine Haidar
-
-Release Date: December 31, 2015 [EBook #50805]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL ***
-
-
-
-
-Produced by Turgut Dincer (This file was produced from
-images generously made available by The Internet Archive)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<p class="center">Alaeddine Haidar<br />
-
-<small>Envoyé de Presse</small></p>
-
-<h1>A ANGORA<br />
-
-<small><small>AUPRÈS DE</small></small><br />
-
-<small>MUSTAPHA KÉMAL</small></h1>
-
-<hr />
-
-<table style="margin-right: 0em;" summary="dedication"><tr>
-<td class="tdc">Dédié à<br />
-<b>M. Pierre LOTI</b><br />
-<i>de l'Académie française</i><br />
-En hommage très respectueux<br />
-envers<br />
-notre Grand Défenseur.<br />
-</td></tr></table>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/croissant.jpg" width="100" height="78" alt="croissant" />
-</div>
-
-<p class="center">ÉDITIONS "FRANCE-ORIENT"<br />
-5, Avenue de l'Opéra, 5<br />
-PARIS</p>
-
-<hr />
-
-<h2>AVERTISSEMENT</h2>
-
-<p>«France-Orient» est une tribune libre, un
-tribunal d'enquêtes, si l'on veut, mais sans
-juges, ni accusés, à plus forte raison, où sont
-admis et écoutés tous les plaidoyers sincères,
-courtois et loyaux.</p>
-
-<p>En accueillant, au moment de la Conférence
-de Londres, ce Carnet de route d'un
-Correspondant de guerre turc, en présentant
-au public français averti cette charmante
-plaidoirie, cette séduisante description du
-pays, de l'âme, de la foi kémalistes, vus par
-des yeux francs de jeunesse et de patriotisme
-fervent, le Comité France-Orient, entend
-prouver à ses amis ottomans&mdash;qui le sont
-restés malgré toutes les vicissitudes, les inimitiés
-passagères et les emprises cruelles
-pour tous, d'un seul ennemi déloyal et
-irréconciliable&mdash;que la France est toujours la
-véritable Terre indépendante et libre du
-Droit et de la Justice.</p>
-
-<p>Alaeddine Haïdar bey élevé à Genève,
-dans la blancheur des cimes et la pureté des
-lacs suisses, en reflète la clarté dans le décor
-plus sévère, mais non moins agreste des<span class="pagenum">VI</span>
-Alpes Politiques. On dirait, à le suivre
-agréablement au fond de cette mystérieuse
-Anatolie, que nous nous imaginions plus
-rude, un peu sauvage, pour tout dire&mdash;si
-loin de Paris évidemment&mdash;on dirait que
-le ranz des vaches prolonge là-bas les sons
-grêles et rauques, tour à tour, des cornes et
-sonnailles du Lauberhorn, dans le silence
-attentif du soir...</p>
-
-<p>Notre Correspondant, aux souvenirs de
-Coppet, y découvre jusqu'à l'esprit, non
-moins aventureux, de Mme de Staël, dans
-le cœur des nouvelles <i>Désenchantées</i> que
-«leur ardeur poétique et guerrière, toute la
-fougue de l'amazone kémaliste, l'éminente
-poétesse et romancière turque Halidé Edib
-Hanoum, a conduites à Angora, pour la lutte
-de l'Indépendance et de la Liberté».</p>
-
-<p>L'image vénérée du grand défenseur de
-l'Islam, notre Loti, auquel Alaeddine&mdash;j'allais
-écrire Aladin tant sa lampe est vraiment
-merveilleuse&mdash;a dédié ces feuilles
-éparses au vent de l'Ilkaz, plane aussi dans
-cette atmosphère lumineuse «qui rappelle les
-beautés d'Ispahan et les charmes d'Aziyadé».
-Ceci n'est pas pour nous déplaire et la flatterie
-de cette dédicace touche au plus délicat
-asile de l'âme française qui déplorait la<span class="pagenum">VII</span>
-«mort de notre chère France en Orient».</p>
-
-<p>Et nous voici déjà un peu loin du Mont Blanc
-quand tout à coup surgit Guillaume
-Tell. C'est Mustapha Kémal, l'hôte au kalpak
-noir, campé à Angora, comme sous la tente,
-où il concentre toute sa force de travail dans
-les veillées prolongées de ses nuits de stratège
-qui ont émacié son corps et roidi sa volonté
-froide. C'est le «prédestiné coranique» qui
-d'un seul mot, terrible et fort, irrésistible,
-propagé, dans un trait de poudre, jusqu'à
-l'Afghanistan, jusqu'à la Perse, dans l'Azerbaïdjan,
-à Bokhara, en Arabie, a précipité
-sur ses pas toute une foule hétéroclite de
-peuplades indisciplinées, depuis les Tartares
-et les Kirghis du Turkestan jusqu'à des
-nègres et des chinois enfuis de la Russie
-bolchéviste&mdash;les hordes de Djenghiz khan&mdash;vers
-la guerre sainte, vers l'indépendance
-sacrée.</p>
-
-<p>Car c'est cela que fait ressortir notre
-Correspondant de presse, cette vérité contre
-laquelle des erreurs plus ou moins volontaires
-ne sauraient prévaloir.</p>
-
-<p>C'est l'indignation et l'exaspération d'un
-peuple, c'est le réveil de la conscience turque
-qui ont mis l'Anatolie à feu et à sang.</p>
-
-<p>Celui qu'on nous a si faussement représenté<span class="pagenum">VIII</span>
-comme un chef de bandits, le conducteur
-infatué de ce troupeau de chèvres d'Angora
-dont les bonds capricieux troublent les vallées
-profondes et les puits de pétrole de la Mésopotamie,
-est, en réalité, nous dit Haldar bey,
-un conducteur d'hommes et plus encore, un
-apôtre, l'apôtre de la Résurrection islamique.
-Tout autour de lui respire son souffle. De
-toutes parts, les volontaires sont accourus,
-les «tchétés», les francs-tireurs, escarmoucheurs
-de guérillas et de raids nocturnes,
-dont l'organisation secrète met en déroute et
-tient en haleine l'Europe entière déconcertée.
-Du fond des Indes, le Monde musulman a, de
-même, tressailli à sa voix contre l'ennemi
-qui suppute les chances de démembrement
-du vaste empire d'Osman en faveur de ses
-clients byzantins. Le pays kémaliste, c'est la
-Turquie tout entière et c'est tout l'Islam, ne
-l'oublions pas.</p>
-
-<p>Certes, des éléments disparates y foisonnent
-et les soviets n'en sont pas, apparamment, le
-moindre facteur, instrument d'occasion,
-d'ailleurs redouté, dont le maître se sert
-«comme des serpents auxquels on s'accroche
-quand on se noie» selon le mot imagé d'un
-vieux turc de la Corne d'Or. Mais l'Islam est
-essentiellement réfractaire, de par les hadith<span class="pagenum">IX</span>
-mêmes du Coran, au Bolchevisme. Le Prophète
-n'a-t-il pas dit: «Si vous êtes des séditieux,
-Dieu vous châtiera» et le proverbe turc
-n'ajoute-t-il pas: «Je suis Seigneur, lu et
-Seigneur, qui est-ce qui étrillera l'âne?»</p>
-
-<p>C'est, en deux mots, tout le respect de
-l'autorité et de la propriété si chères aux
-sectateurs de Mahomet.</p>
-
-<p>Le danger rouge et vert n'est qu'un trompe-l'&#339;il
-en Turquie. Les soviets de Russie ne
-l'ignorent point. L'article premier du traité
-de Bakou stipulait en effet nettement: «La
-Russie des Soviets s'engage à cesser toute
-propagande communiste sur tout le territoire
-turc pendant la durée du présent
-engagement». Voudraient-ils continuer qu'ils
-ne le pourraient pas, ajoute fort judicieusement
-notre confrère M. Georges Labourel,
-en commentant cette situation dans l'Echo
-de Paris du 12 Janvier dernier, car c'est
-Zinovieff lui même qui déclare que le communisme
-chez les musulmans n'est qu'une
-«idée enfantine». Le Turc est avec Moscou par
-opportunisme, parce que Moscou peut l'aider
-dans sa lutte, propter necessitatem. Et cette
-nécessité répond encore à une loi profonde
-de l'Islam; c'est la méthode d'islamisation si
-fortement mise en lumière par les célèbres<span class="pagenum">X</span>
-commentateurs du Coran. Le dogme fondamental,
-en législation musulmane, de la
-Contrainte, domine les moslems, des Résignés
-en Dieu, qui ne prennent les armes que pour
-défendre le Croissant, ne se soumettant à la
-force qu'aussi longtemps qu'ils ne peuvent
-s'y dérober. Si le musulman continue à obéir
-à une loi non islamisée, dès qu'il est en état
-de repousser la contrainte, il devient passible
-du feu éternel. Il ne peut, en conséquence,
-refuser d'obéir à une loi islamisée. C'est pour
-n'avoir pas su deviner cette nécessité ou
-pour avoir voulu pratiquer cette méthode
-d'islamisation par la force que les Allemands
-ont fait dévier l'organisme ottoman et précipité
-ce pays à l'abîme. C'est pour la méconnaître
-que la Grande-Bretagne, afin d'enrayer,
-s'il se pouvait, la colère islamique redressée
-contre son hostilité, dépêche en vain ses
-missi dominici protestants vers les Arabes que
-Mustapha Kemal peut rallier d'un signe,
-du signe de détresse et d'excommunication
-aussi, c'est pour l'oublier enfin que nos
-troupes de Cilicie s'exposaient aux pires
-attaques.</p>
-
-<p>La Conférence de Londres rectifie les positions,
-mais tirons en cet enseignement grave,
-si profitable à nos intérêts français, c'est<span class="pagenum">XI</span>
-qu'en islamisant notre progrès en Turquie,
-en acceptant de traiter avec égards l'adversaire
-d'hier&mdash;d'ailleurs contraint et forcé
-et loyal autant que courageux&mdash;en reconnaissant
-la valeur de son droit à la vie et à
-l'indépendance promise aux peuples selon
-leurs aspirations ethniques, et non selon les
-nôtres, nous aurons travaillé à la «Résurrection
-de la France en Orient». C'est ce
-que nous disait récemment, en suggérant cet
-autre titre au prochain livre de Loti, une
-Auguste Princesse Musulmane, dont les yeux
-de foi et de lumière, l'âme mystique et pure
-de l'Orient voilée sous la modestie royale, ont
-illuminé de son ardent patriotisme et guidé
-la marche à l'étoile, l'enchantement joyeux
-à travers les horreurs de la guerre d'Alaeddine
-Haïdar et le nôtre par surcroît, avec nos
-espérances d'un rapprochement d'amitiés
-séculaires-sur le chemin d'Angora chez
-Mustapha Kêmal. C'est l'intérêt principal de
-ces lignes un peu rétrospectives mais qui
-jettent, pour nous Français surtout, une projection
-profitable vers l'avenir de la France
-en Orient.</p>
-
-<p class="center">
-P. ABDON-BOISSON,<br />
-<br />
-Secretaire général fondateur du Comité "France-Chient",<br />
-Délégué politique à la Section "France-Turquie".</p>
-
-<hr />
-
-<p><span class="pagenum">XIII</span></p>
-
-<h2>PRÉFACE</h2>
-
-<table class="table_right" summary="Napoléon"><tr>
-<td class="tdl"><small>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;On peut tuer le Turc...<br />
-On ne peut pas le vaincre.</small></td></tr><tr>
-<td class="tdr"><span class="smcap">(Napoléon I<sup>er</sup>.)</span></td></tr></table>
-
-<p><i>Il y a de cela exactement sept ans, en 1913,
-M. Georges Rémond, correspondant de guerre
-de L'Illustration, au camp turco-arabe de
-Tripolitaine, écrivait à son retour:</i></p>
-
-<p><i>«J'avais appris qu'un peuple n'est point
-vaincu, quelles que soient les forces qui le
-menacent, tant qu'il ne se résigne pas lui-même:
-qu'il trouve dans sa religion son plus
-efficace moyen de résistance, et que la force et
-la durée de celle-ci devraient être mesurées
-«la profondeur de sa foi.»</i></p>
-
-<p><i>L'auteur citait encore dans ce même livre
-une phrase de Napoléon I<sup>er</sup> sur les Turcs, une
-phrase vieillie, mais dont on commence à
-reconnaître en France la justesse:</i></p>
-
-<p><span class="pagenum">XIV</span></p>
-
-<p><i>«Je serai utile à mon pays, si je puis rendre
-la force des Turcs plus redoutable à l'Europe.»</i></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p><i>Rentré d'Angora, je viens d'écrire ces notes,
-ces articles, et je les réunis ici. Cest un amas
-d'impressions très disparates. Le lecteur y
-trouvera peut-être toutefois quelque lumière
-sur ce qu'est le mouvement nationaliste turc
-en Asie mineure, tant calomnié, si peu connu.</i></p>
-
-<p><i>Arrivé à Constantinople, j'adressais ces
-mots à une Revue française:</i></p>
-
-<p><i>«Je rentre d'Angora, de l'Anatolie soulevée
-et luttant contre ceux qui veulent s'étouffer;
-je tiens à faire entendre en France&mdash;la seule
-terre de liberté à l'étranger où peut encore
-s'élever la voix des opprimés&mdash;un cri bien
-faible hélas, en faveur d'un peuple entier qui
-lutte pour la défense du sol natal...</i></p>
-
-<p><i>«Là-bas, tous&mdash;jeunes et vieux&mdash;ont pris
-les armes, en ont trouvé Dieu sait où, car la
-Turquie désarmée fut honteusement attaquée
-à Smyrne. Tous, jeunes et vieux, se sont levés
-<span class="pagenum">XV</span>
-pour la défense du territoire ottoman, pour
-cet idéal humain le plus impérieux: La lutte
-pour la vie!</i></p>
-
-<p><i>«Stamboul, notre cher et paisible Stamboul
-de jadis, le sol sacré de notre foi, le berceau
-de notre nation est sous la menace persistante
-des bouches à feu des cuirassés britanniques,
-prêts à vomir la mort, prêts à réduire en
-poudre nos mosquées, nos turbès, nos minarets
-et nos palais qui ne sont plus nôtres...</i></p>
-
-<p><i>«A Stamboul, où l'on chérissait la France,
-règne la terreur hypocrite des Britanniques,
-qui s'efforcent de saper l'œuvre française
-établie en Turquie depuis des siècles.»</i></p>
-
-<p><i>Stamboul... l'Anatolie... quels contrastes!
-Quels aspects!</i></p>
-
-<p><i>Tandis qu'ici l'âme turque se sent morfondue,
-là-bas, sur la terre indépendante
-encore, on respire la liberté, la liberté de
-vivre!</i></p>
-
-<p><i>En Europe, l'argent grec, l'or anglais font
-leur &#339;uvre basse de calomnies: «une bande
-de brigands qui lèvent leurs yataghans sur
-la tête des malheureux chrétiens d'Orient».
-<span class="pagenum">XVI</span>
-Des chrétiens? Etaient-ce des chrétiens ceux
-qu'on a vus à l'&#339;uvre, au nom de la civilisation
-britannique dans les carnages de
-Smyrne, de Ménémen, d'Aïdine et de Nazeli?
-Les milliers d'émigrés qui logent à la belle
-étoile à Angora, à Konia, fuyant les armées
-de la civilisation, sont trop loin de ce monde
-civilisé pour qu'il y prête attention!</i></p>
-
-<p><i>Mais l'Angleterre même hésite aujourd'hui
-devant la lutte suprême des Turcs, car ceux-ci
-que l'on croyait morts ressuscitent...</i></p>
-
-<p><i>Oui, ce qu'une poignée d'hommes a réussi à
-faire à Angora, contre les volontés coalisées
-de l'Europe, dépeint admirablement le droit
-d'un peuple et sa volonté inébranlable...</i></p>
-
-<p><i>Il y a au monde deux Irlande... la vraie et
-celle des Turcs... Elles ont fraternisé et luttent
-contre un même ennemi pour un idéal
-commun...</i></p>
-
-<p class="right padr2"><i>ALAEDDINE HAIDAR.</i></p>
-
-<hr />
-
-<div class="figcenter" style="width: 400px;">
-<img src="images/kemal.jpg" width="400" height="546" alt="MUSTAPHA KÉMAL PACHA" />
-<div class="caption"><br /><b>MUSTAPHA KÉMAL PACHA</b><br />
-Chef des Nationalistes Ottomans<br />
-et du Gouvernement d'Angora.</div></div>
-
-<hr />
-
-<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-<p class="indent"><a href="#p1">I.</a>&mdash;En Mer Noire.&mdash;Des signaux mystérieux.&mdash;En
-vue des côtes kémalisles.&mdash;L'antique Inépolis.&mdash;Sur
-la terre indépendante.&mdash;Un peuple qui a pris
-les arms.&mdash;En route vers Angora.&mdash;Les haltes
-dans les montagnes.&mdash;La Suisse anatolienne on
-les Alpes Politiques.&mdash;Edjevid, l'auberge et relai
-perdu dans les monts.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p16">II.</a>&mdash;A Castamouni.&mdash;La ville déserte, tous soldats.
-Le vendredi.&mdash;L'art et les paysans.&mdash;Les merveilles
-de Castambol.&mdash;Djemal bey.&mdash;Le départ et les
-monts de l'Ilkaz.&mdash;Distractions et compagnons de
-voyage.&mdash;Les relais à l'intérieur de
-l'Asie-Mineure.&mdash;L'hospitalité traditionnelle des Turcs.&mdash;La
-monotonie des longues routes.&mdash;Tchanghri.&mdash;Enfin
-Angora.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p28">III.</a>&mdash;Angora, l'antique Ancyre.&mdash;Ce que l'on voit
-dans ses rues.-La crise des logements.&mdash;Où il
-me faut loger dans une armoire.&mdash;Le chef des
-Nationalistes.-Ce qu'est le soulèvement
-kémaliste.&mdash;Son but.&mdash;Son armée.&mdash;Kémalisles, Bolcheviks
-et Peuples de l'Asie.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p37">IV.</a>&mdash;Comment Mustapha Kémal organise des groupes
-de francs-tireurs contre l'armée grecque.&mdash;Les
-«tchétés» volontaires.&mdash;Organisations secrétes de
-l'arrière-front.-Les guérillas eu Anatolie.&mdash;Formation
-des corps d'armée à l'intérieur.&mdash;Au
-Conseil asiatique de Bakou.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p41">V.</a>&mdash;A la Sublime&mdash;Porte d'Angora.-Les ministères.
--Aux Affaires étrangères.&mdash;Une entrevue avec
-Mouhktar bey, vékil aux Affaires étrangères.&mdash;Le
-12<sup>e</sup> point de Wilson.&mdash;L'offensive des Hellènes.&mdash;En
-Cilicie.&mdash;Les servitudes étrangères.&mdash;Le but
-des nationalistes turcs.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p48">VI.</a>&mdash;En tête à tête avec Mustapha Kémal.&mdash;La
-maison du chef de gare.&mdash;Ce que dit le chef des
-nationalistes turcs.&mdash;L'offensive en Arménie.&mdash;Le
-traité de Sèvres et les Hellènes en Asie-Mineure.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p56">VII.</a>&mdash;A la Chambre d'Angora.&mdash;Déclaration d'Ismaïl
-Fazil pacha.&mdash;Comment le mouvement national
-prit naissance.&mdash;Son historique.&mdash;Stamboul et
-Angora.&mdash;Les débats au Parlement.&mdash;Une discussion
-intéressante.&mdash;La loi supprimant l'alcool.&mdash;Les
-ravages des boissons fermentées en Anatolie.&mdash;L'argument
-religieux.&mdash;La loi est approuvée.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p69">VIII.</a>&mdash;Ismaïl Sabry-bey.&mdash;A
-la Défense nationale.&mdash;L'occupation de Smyrne.&mdash;L'agression hellène
-contre l'Anatolie.&mdash;Les causes du soulèvement de
-l'Asie-Mineure.&mdash;En Cilicie.&mdash;Deux mots de
-Fevzi pacha, ministre de la guerre.&mdash;Quelques
-proclamations.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p84">IX.</a>&mdash;Ce qui se passe en Mésopotamie.&mdash;Le gouvernement
-nationaliste arabe de Kerbellah.&mdash;Les
-alliés des kémalistes.&mdash;L'étendard de la révolte en
-Perse et en Arabie.&mdash;L'émir Ali.&mdash;L'attaque des
-convois anglais du Tigre.&mdash;Sur les rives de
-l'Euphrate.&mdash;Arabes et Kémalistes.&mdash;A la frontière
-persane.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p90">X.</a>&mdash;L'exilée d'Angora.&mdash;Halidé Edib Hanoum.&mdash;Une
-visite à sa ferme.&mdash;La romancière kémaliste.&mdash;L'amazone
-d'Anatolie.&mdash;Les fusils dans la
-pénombre.&mdash;Désenchantée 1920.&mdash;La fuite de Halidé de
-Constantinople.&mdash;Ce qu'elle nous dit sur le soulèvement
-national.</p>
-
-<p class="indent"><a href="#p100">XI.</a>&mdash;En quittant la terre kémaliste.</p>
-
-<hr />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p1" id="p1">&nbsp;</a></span></p>
-
-<p class="center"><big><big>A&nbsp;&nbsp;ANGORA</big></big><br /><br />
-
-AUPRÈS DE<br />
-
-<big>MUSTAPHA KÉMAL</big><br /><br />
-
-<i>Carnet de route<br />
-
-d'un Correspondant de guerre.</i><br /></p>
-
-<h2>I</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">En Mer noire.&mdash;Des signaux
-mystérieux.&mdash;En vue des côtes kémalistes.&mdash;Inéboli,
-l'antique Inépolis.&mdash;Sur la
-Terre indépendante.&mdash;un peuple qui
-prend les armes.&mdash;En route vers
-Angora.&mdash;Les haltes dans les montagnes.&mdash;La Suisse
-anatolienne ou
-les Alpes pontiques.&mdash;Edjevid,
-l'auberge et relai perdu dans les
-monts.</span></p>
-
-<p class="right"><small>Fin Septembre 1920.&nbsp;&nbsp;</small></p>
-
-<p>Le <i>Bruenn</i>, gros paquebot du Lloyd
-Triestino, lève l'ancre dans la Corne d'Or.
-Un beau soleil d'automne fait miroiter dans
-l'onde calme du port les reflets lumineux
-<span class="pagenum">2</span>
-que renvoient les dômes des mosquées de
-Stamboul... ce Stamboul à la silhouette
-encore si belle, mais hélas qui a tout à
-fait changé depuis que l'Angleterre y a mis
-son pied, depuis que ses monstres d'acier
-sont ancrés dans ce paisible Bosphore,
-dirigeant les gueules de leurs canons--prêts
-à vomir un déluge de fer et de feu--vers
-les fins minarets.</p>
-
-<p>En mon for intérieur, pourtant, une joie
-indescriptible me réchauffe... c'est que je
-quitte un sol déjà étranger, pour une terre
-indépendante encore, où se livre la lutte
-désespérée d'un peuple qui veut son droit
-à la vie.</p>
-
-<p>Le soir est presque venu lorsque nous
-perdons de vue, à l'horizon du couchant,
-l'entrée du Bosphore. La mer est calme
-et le Bruerm a pris la route du large se
-dirigeant vers Sinope. Pour vaincre la
-monotonie d'un voyage en mer, on a tôt
-fait connaissance de quelques passagers du
-bord et, à peine confortablement étendu
-dans le «rocking-chair», les conversations
-<span class="pagenum">3</span>
-s'engagent avec mes compagnons de traversée.</p>
-
-<p>Quelques-uns des voyageurs se dirigeaient,
-ainsi que moi, vers Inéboli, d'où je devais
-me rendre, par terre et en voiture, à Angora;
-parmi eux, M. Corpi, directeur de la Banque
-ottomane, et quelques Turcs, se disant de
-gros négociants de cette ville.</p>
-
-<p>Nous étions déjà bien au large lorsque
-l'un d'eux, se levant, nous proposa de nous
-faire faire connaissance avec un de ses
-amis. Il descendit dans sa cabine pour
-remonter bientôt, suivi d'un monsieur d'une
-cinquantaine d'années, qu'il nous présenta
-comme un commerçant en blé, Mouktalib
-bey. Mais, dès les premiers mots, j'eus lieu
-d'être intrigué. Ce simple négociant, qui
-parlait élégamment l'anglais et le français,
-connaissait tous les hommes politiques turcs.
-Après le dîner, nous nous retrouvons tous,
-de nouveau, sur le pont. Un clair de lune
-superbe argente les flots de la Mer Noire;
-vers la côte anatolienne une lumière brille,
-puis soudain s'efface; c'est le phare de Chilé
-<span class="pagenum">4</span>
-qui finit, lui aussi, par disparaître au loin.
-Il est tard lorsque je descends dans ma
-cabine, car, sur le pont, tous les passagers
-et passagères ont prolongé leur veille, retenus
-par le ravissant spectacle de la Mer
-Noire en pleine nuit, reflétant la longue
-traînée des lueurs argentées...</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p>&mdash;Vous vous rendez à Angora?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, Mademoiselle.</p>
-
-<p>&mdash;En qualité d'envoyé de presse?</p>
-
-<p>&mdash;Certainement, et je compte rentrer
-dans un mois.</p>
-
-<p>&mdash;Mais, comment ne craignez-vous pas
-ces horribles kémalistes?</p>
-
-<p>&mdash;Mademoiselle, il n'y a rien à craindre,
-ce ne sont pas des antropophages, comme
-vous pourriez le croire.</p>
-
-<p>Ces bribes de conversation se croisaient
-le lendemain matin dans la salle à manger
-du <i>Bruenn</i>, où je déjeunais en face d'une
-jeune demoiselle française se rendant à
-Batoum avec sa mère.</p>
-
-<p><span class="pagenum">5</span></p>
-
-<p>Je dois noter que déjà plusieurs fois
-depuis mon départ de Constantinople, j'avais
-entendu de pareilles exclamations, surtout
-avant de m'embarquer. Sur le quai du
-départ, quelques amis m'avaient conseillé
-d'abandonner mon projet de me rendre à
-Angora, me jurant que toute l'Anatolie était
-à feu et à sang. Je passai outre aux supplications
-de ces pessimistes mal avertis, car
-j'étais bien décidé à partir.</p>
-
-<p>Cette voix douce et tremblante de jeune
-fille va-t-elle me convaincre et m'inquiéter;
-si tout ce qu'on dit et écrit était vrai pourtant
-ou contenait seulement des parcelles
-de vérité? Que deviendrait, dans ces conditions,
-le malheureux correspondant de quelques
-journaux étrangers, que les Kémalistes
-devaient exécrer et pour cause... Mais je
-me repris aussitôt en pensant à ce qui s'écrit
-de fausses nouvelles parfois...</p>
-
-<p>Je rassurai la belle jeune fille sur le
-Kémalisme qui n'est pas tout à fait rouge,
-comme on l'est sur la rive d'en face.</p>
-
-<p><span class="pagenum">6</span></p>
-
-<p>Vers midi nous sommes en vue des côtes
-kémalistes. De hautes montagnes se profilent
-à l'horizon et, avec leur apparition, je vois
-surgir des «Kalpaks» noirs sur la tête de
-certains négociants de la veille qui, tout
-aussitôt, se déclarent partisans de Mustapha
-Kémal. Il est près de quatre heures de
-l'après-midi lorsqu'à l'avant du paquebot
-la ville d'Inéboli se dessine sur le rivage.</p>
-
-<p>Ses environs sont montagneux et boisés,
-et le petit port où nous allons descendre est
-comme serti dans une vallée s'ouvrant sur
-la mer où s'étagent, des deux côtés, des
-maisons noyées dans la verdure.</p>
-
-<p>Tandis que nous approchions de l'antique
-Inépolis, nous entretenant avec le capitaine,
-un de ces pseudo-négociants, s'approchant
-du commandant, le pria de faire arborer au
-mât les signaux: N.K.M. Immédiatement,
-cet ordre fut donné et, à notre stupéfaction,
-nous vîmes s'avancer du rivage des voiliers
-tenus prêts...</p>
-
-<p>L'ancre jetée, les cales ouvertes, des marchandises
-sont débarquées, sur le genre
-<span class="pagenum">7</span>
-desquelles je ne veux pas trop insister,
-mais dont je noterais comme fait curieux
-que sur certaines caisses, on lisait ces
-mots, faits pour surprendre: Made in
-England. C'est la première impression que
-j'eus de l'audace et du courage des kémalistes.
-Ce ravitaillement risqué, emprunté à leurs
-mortels ennemis, n'est-il pas typique? Après
-avoir pris congé de nos compagnons de bord
-et de la peureuse mais charmante jeune fille
-qui tremblait encore pour nous, nous quittâmes
-le Bruenn, ancré à deux encablures
-au large, pour gagner la côte à bord d'un
-calque, que les grosses vagues faisaient
-danser sur l'eau comme une plume. A peine
-avais-je mis pied à terre qu'un grand soupir
-de soulagement sortit de ma poitrine; enfin,
-je foulais un sol encore indépendant!</p>
-
-<p>C'est en me rendant à l'hôtel de l'endroit,
-que j'appris que le «vali» ou gouverneur
-général de Castamouni, était mon très
-distingué et grand ami Djemal bey. La
-première chose que je fis fut de me rendre
-auprès du caïmakam chez qui je réussis à
-<span class="pagenum">8</span>
-pouvoir téléphoner avec Castamouni et le
-vali donna des ordres formels pour que je
-puisse partir pour l'intérieur sans attendre
-le permis de la Commission instituée ici à
-cet effet et qui se livre à une enquête minutieuse
-pour chaque voyageur arrivant de
-Constantinople.</p>
-
-<p>A Inéboli tout est tranquille, comme
-d'ailleurs partout à l'intérieur. Quand je
-demandai si les nouvelles lancées par la
-presse étaient vraies, on m'a simplement
-ri au nez.</p>
-
-<p>Comment réprimer alors un sursaut de
-révolte contre les calomnies répandues dans
-la presse constantinopolitaine et étrangère:
-«Les Turcs massacrent, les Kémalisles
-déportent les Chrétiens!...»</p>
-
-<p>Et je les vois ces Chrétiens d'Anatolie, ils
-vaquent tranquillement à leurs affaires sans
-que personne s'en mêle, loin des servitudes
-interalliées de Constantinople, auxquelles
-sont assujetties toutes les populations de la
-capitale.</p>
-
-<p>A Inéboli, tout va son train d'avant-guerre.
-<span class="pagenum">9</span>
-Seulement toute la population est armée.
-Chaque concitoyen est prêt à la défense de
-sa maison, de son foyer, contre les hordes
-grecques qui mirent le feu aux provinces de
-Smyrne, d'Aïdine et de Ménémen.</p>
-
-<p>A la première alerte, les milices populaires
-formées en bataillons, l'arme à l'épaule
-et la cartouchière à la ceinture, prennent
-position aux environs. C'est pour cela qu'on
-y respire... on y sent le soulèvement d'un
-peuple pour son indépendance.</p>
-
-<p>«Quand je vois ce peuple qui a pris les
-armes, me disait un Suisse, sous-directeur
-de la Banque Ottomane d'Inéboli, il me
-vient involontairement à l'esprit les guerres
-d'indépendance de nos aïeux à l'époque de
-Guillaume Tell... On sent ici un idéal, une
-résolution de vivre qui est indescriptible et
-que l'on ne saurait comprendre ni à Constantinople
--dont la population dort ou ne
-pense qu'à spéculer&mdash;ni en Europe.»</p>
-
-<p>C'était l'opinion d'un étranger nouvellement
-arrivé en Anatolie. Cette Anatolie n'a
-néanmoins rien perdu de son cachet oriental.
-<span class="pagenum">10</span>
-Dans ses petits cafés au bord de la mer,
-une multitude de Turcs enturbanés fument
-le narghilé, réchauffés par un soleil de septembre.
-La vie, comparativement à celle de
-Constantinople, est à peu près dix fois meilleur
-marché. Une chose qui frappe immédiatement
-le voyageur arrivant en Anatolie,
-c'est la récente prohibition de toutes les
-boissons alcooliques, ainsi que la fermeture
-de tous les tripots, sous des peines très
-sévères.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>Après de longs marchandages, nous avons
-fixé un prix raisonnable pour une voiture,
-qui m'amènera jusqu'à Angora. Le cocher,
-un certain Ahmed Agha, qui vient d'arriver
-de cette ville après huit jours de voyage,
-m'affirme que les routes sont plus sûres que
-jamais et qu'en Anatolie, depuis l'armistice,
-on a oublié les brigands des temps de
-guerre qui infestaient tous les chemins.</p>
-
-<p>Nous partons à l'aube. Après m'être confortablement
-étendu dans ces bonnes voitures
-anatoliennes qui sont identiques à un lit
-<span class="pagenum">11</span>
-roulant et bien couvert, nous commençons
-à gravir les montagnes. La route est sinueuse
-et traverse des sites enchanteurs, où l'on ne
-voit que de hautes montagnes couvertes de
-forêts, au pied desquelles des villages rustiques
-se groupent dans les vallées, et au
-loin, le bleu azuré de la mer qui, peu à peu,
-s'estompe et disparaît. Après six heures de
-montée, une petite halte dans un han au bord
-de la route où nous déjeunons sur le pouce
-et repartons aussitôt.</p>
-
-<p>Plus nous avançons, plus le paysage
-devient pittoresque.</p>
-
-<p>Jamais, à Constantinople, je ne m'étais
-douté que l'Anatolie cachait de si beaux sites
-égalant en magnificence ceux du Tyrol ou de
-la Suisse.</p>
-
-<p>Maintenant ce ne sont que des montagnes
-plus hautes les unes que les autres. La voiture
-gravit la chaussée qui suit les vallées où
-grondent des torrents, où jaillissent des cascades;
-et partout des sapins exhalant un
-parfum odorant.</p>
-
-<p>Vers le soir, nous traversons un grand
-<span class="pagenum">12</span>
-village flanqué au bas d'une montagne,
-nommé Kuré et sis à 850 mètres d'altitude.
-Près de là, la route passe entre plusieurs
-couches de minerai de cuivre, dont les lingots
-sont venus rouler sur la chaussée et
-attendent inutilement qu'on les exporte. Les
-richesses minérales de Castamouni sont
-inappréciables, mais, jusqu'ici, l'état politique
-de l'Empire ottoman a empêché les
-Turcs, depuis un demi-siècle en guerre, de
-les mettre en valeur.</p>
-
-<p>Au coucher du soleil, nous arrivons au
-relai...</p>
-
-<p>Quelques rustiques maisons blanches aux
-tuiles rouges émergent de loin en loin dans
-le feuillage des arbres d'une magnifique
-vallée; c'est un spectacle merveilleux.</p>
-
-<p>Ce village, c'est Edjevid, juché à 1.120
-mètres d'altitude, dans un décor magique.</p>
-
-<p>On se croirait bien loin de l'Anatolie
-qu'on s'imagine un désert plein de fièvre.</p>
-
-<p>Tandis que je m'installe dans une coquette
-chambrette de l'auberge, où règne une propreté
-remarquable et rare dans les hôtels
-<span class="pagenum">13</span>
-d'Orient, je vois, par la fenêtre, déboucher
-au tournant de la chaussée un cavalier qui
-accourt au grand galop.</p>
-
-<p>C'est un gendarme qui précède une voiture
-pour annoncer qu'un pacha va être
-l'hôte de l'auberge pour la nuit. Mais il ne
-put nous dire le nom du personnage attendu.</p>
-
-<p>Soudain apparaît la voiture, escortée par
-deux gendarmes à cheval, et qui aperçois-je
-assis sur les coussins? Mouktalib Effendi, le
-soi-disant commerçant du Bruenn...</p>
-
-<p>Il se présente joyeusement sous son vrai
-nom: le général Mouheddine pacha!</p>
-
-<p>Quelques instants plus tard, nous faisions
-un tour ensemble aux environs du «han».</p>
-
-<p>C'est le soir; bien haut dans les montagnes
-les vaches rentrent de leurs pâturages et
-l'écho de leur carillon qui s'approche tinte
-comme dans une vallée des Alpes. Tout est
-silence et toujours cette odeur des pins qui
-donne au voyageur un appétit féroce.</p>
-
-<p>Dans ma chambre, sur les murs blanchis
-à la chaux, je lis plusieurs inscriptions; l'une
-<span class="pagenum">14</span>
-écrite en français est si touchante que je la
-transcris ici...</p>
-
-<blockquote>
-
-<p>«Malheureux hôte d'une nuit, j'ai tout
-laissé derrière moi... Mais je me console,
-car c'est pour ma patrie que je me
-prive de ce qui est le plus cher au
-monde.»</p>
-
-<p class="right">(Signé) <span class="smcap">Un Turc.</span></p>
-
-<p>«Le 3. IX. 1920.»</p></blockquote>
-
-<p>On sent la révolte d'un cœur parmi tant
-de milliers d'autres qui ont fui Constantinople
-pour se battre désespérément en Anatolie.</p>
-
-<p>Je ne puis m'empêcher d'écrire au-dessous:</p>
-
-<blockquote>
-
-<p>«Envoyé de la presse en route pour
-Angora, où se livre une lutte sublime
-contre l'injustice et l'impérialisme du
-plus fort, pour la défense du droit à la
-vie, j'ai passé une nuit sous ce toit hospitalier
-qui, à lui seul, donne une idée
-du cœur turc ouvert à tous.»</p></blockquote>
-
-<p>Le vieil hôtelier à barbe blanche Ismaïl
-Agha, qui est l'hospitalité même, nous sert
-<span class="pagenum">15</span>
-un succulent repas que le pacha et moi
-dévorons...</p>
-
-<p>...Tout sent ici la vraie campagne, la campagne
-merveilleuse, libre et indépendante ...
-loin de Constantinople, loin de cet horrible
-Péra, de ses douleurs et de ses hontes. Ici,
-au contraire, avec ces braves gens hospitaliers,
-dans ces montagnes aux cimes pures
-dans la grande clarté du ciel, dans la bonne
-odeur des champs, l'homme des cités se sent
-tout à fait autre.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg015.jpg" width="100" height="62" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p16" id="p16">16</a></span></p>
-
-<h2>II</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">A Castamouni.&mdash;La ville déserte; tous
-soldats; le vendredi.&mdash;L'art et les
-paysans.&mdash;Les merveilles de
-Castambol.&mdash;Djemal bey.&mdash;Départ.&mdash;Les
-monts de l'Ilkaz.&mdash;Distractions de
-route et compagnons de voyage.&mdash;Les
-relais à l'intérieur de l'Asie
-mineure.&mdash;L'hospitalité traditionnelle des
-Turcs.&mdash;La monotonie des longues
-routes.&mdash;Tchanghri.&mdash;Kaledjik.&mdash;Enfin
-Angora.</span></p>
-
-<p>La première étape du voyageur venu de
-Constantinople par voie de mer et se rendant
-en Anatolie est, après Inéboli, la
-coquette localité de Castambol.</p>
-
-<p>Grand fut mon étonnement, à mon arrivée
-en cette ville, de la trouver entièrement
-déserte. Dans les rues et les cafés, pas âme
-qui vive. Les boutiques étaient closes. Seules
-quelques femmes emmitouflées dans des
-«tcharchafs» passaient à pas pressés. Dans
-l'hôtel où je débarquai, personne.</p>
-
-<p>Un placide vieillard à barbe blanche qui
-<span class="pagenum">17</span>
-fumait son narghilé me donna la clef du
-mystère. Nous étions un vendredi, jour fixé
-pour l'entraînement militaire de toute la
-population locale.</p>
-
-<p>Après m'être installé dans l'hôtel, car je
-comptais rester à Castamouni deux jours, je
-sortis et me dirigeai vers le champ de man&#339;uvre,
-où je trouvais le gouverneur Djemal
-bey à la tête de sa population armée et
-répartie en bataillons dits de Défense nationale.</p>
-
-<p>Comme le soir venait, les exercices prirent
-fin et la milice populaire se rangea pour
-rentrer en ville.</p>
-
-<p>La file était longue. Elle était précédée
-d'une fanfare militaire et d'un groupe de
-jeunes gens brandissant des drapeaux rouges
-et verts. Suivait un détachement de cavalerie
-portant un accoutrement pittoresque et guerrier.
-Les citoyens de Castambol venaient
-ensuite. Fonctionnaires, bourgeois, paysans
-dans leurs habits de travail défilaient, n'ayant
-de commun que leur visage bronzé par le
-brûlant soleil de l'Anatolie. De bruyantes
-<span class="pagenum">18</span>
-musiques orientales, que le «davoul» dominait
-de sa voix grave, couvraient le bruit de
-leurs pas.</p>
-
-<p>Tout cela avait un air martial dépeignant
-en petit le soulèvement d'un peuple contre
-ceux qui veulent l'anéantir. On y sent un
-enthousiasme, une vitalité, une volonté inébranlable
-et persistant malgré tant de souffrances
-endurées depuis plusieurs années de
-lutte pour l'indépendance turque.</p>
-
-<p>Le défilé est très long, et j'estime à huit
-ou neuf mille environ le nombre d'hommes
-présents.</p>
-
-<p>Et c'est ainsi tous les vendredis, jour saint
-de l'Islam, où plus d'un million de baïonnettes
-brillent encore dans l'Anatolie qu'on
-croyait complètement désarmée et prête à
-être déchiquetée...</p>
-
-<p>Tandis que nous rentrions en ville avec
-Djemal bey qui demandait des nouvelles de
-Stamboul, je lui débitais tout le chapelet des
-misères endurées par cette pauvre population
-de Constantinople depuis l'arrivée des
-Anglais exécrés de tous sauf des Grecs, leurs
-<span class="pagenum">19</span>
-serviteurs dévoués. Et c'est de lui que j'entendis
-les premières paroles me décrivant
-vers quel but unique: celui de vivre, Mustapha
-Kémal luttait contre tant d'ennemis
-bien équipés. D'un mot, il a su soulever un
-peuple abattu... «Allez à Angora, ajouta-t-il,
-et, à votre retour, nous causerons...»</p>
-
-<p>Castamouni a plusieurs curiosités et même
-quelques merveilles dignes d'être visitées.
-Djemal bey me recommande à l'un des hauts
-fonctionnaires de la Préfecture qui me mène
-d'abord visiter la grande forteresse surplombant
-Castambol, construite du temps des
-Janissaires. De ses tours crénelées et admirablement
-conservées, on aperçoit distinctement
-la cime neigeuse des monts de l'Ilkaz,
-haute de 2.980 mètres. C'est près du sommet
-que passe la route que nous devons
-franchir.</p>
-
-<p>Je visite ensuite l'Ecole des arts et métiers,
-d'une construction récente et d'une propreté
-remarquable. Cette école étonne le voyageur,
-ne fût-ce qu'en pensant que des machines
-énormes, dynamos, etc., ont pu être amenées
-<span class="pagenum">20</span>
-jusqu'ici par les tortueuses routes traversant
-tant de montagnes.</p>
-
-<p>Et, merveille digne de figurer dans un
-musée, un piano entièrement construit par
-un paysan de Tache Keupru. Le tout est
-exécuté avec une adresse et une habileté
-consommées. Hassan agha, le constructeur,
-en vit un pour la première fois à Constantinople,
-il réussit à en faire autant au sein de
-l'Anatolie, dans son village. Il en fabriqua
-plusieurs qu'il vendit ensuite.</p>
-
-<p>Le soir, tandis que nous nous rendions
-chez le cadi (juge religieux), où était descendu
-Mouheddine pacha, j'y rencontrais de
-nouveau Djemal bey le vali. Là, autres merveilles.
-C'étaient les œuvres d'art, les sculptures
-que le cadi gravait dans du bois avec
-une finesse étonnante. Durant toute la soirée
-j'y admirai sa collection.</p>
-
-<p>Décidément il ne manque à Castamouni
-qu'un Musée. Et l'on dit que les Turcs sont
-insensibles aux Arts!...</p>
-
-<p>Le lendemain, à l'aube, me voici de nouveau
-en roule et durant toute la matinée.
-<span class="pagenum">21</span>
-Notre voiture gravit lentement une mauvaise
-route sinueuse qui s'engouffre dans des
-ravins couverts d'arbres, au fond desquels
-on entend le bruit des cascades.</p>
-
-<p>C'est la montée des monts Ilkaz. On
-m'avait recommandé à Castamouni de prendre
-des couvertures par précaution car, dans
-ces régions montagneuses et hautes, les
-froids sont fort vifs.</p>
-
-<p>Les chevaux, fourbus, nous obligent vers
-midi à faire halte à mi-montée, à Giaour-Han,
-où nous déjeunons sur l'herbe. Nous y
-trouvâmes une autre voilure et cela rassura
-un peu mon cocher qui me dit que le trajet
-était encore long et qu'à la nuit nous serions
-en pleine forêt.</p>
-
-<p>Une heure après nous nous remettons en
-route et nous commençons à franchir
-l'Ilkaz... Notre voiture pénètre dans un
-océan d'arbres, de sapins immenses; l'impression
-est indescriptible. Il est déjà tard
-lorsque nous franchissons ce col élevé
-(2.700 mètres). Nous passons à côté du caracol
-de gendarmerie qui s'y trouve... Quelques
-<span class="pagenum">22</span>
-gendarmes postés à la garde de la
-route sont groupés et se chauffent autour
-d'un grand feu.</p>
-
-<p>Les monts de l'Ilkaz franchis, avec toutes
-ses sombres et épaisses forêts de sapins,
-où pullulent des ours et autres fauves, la
-route dévale vers une belle vallée au fond
-de laquelle on distingue des villages. Leurs
-maisonnettes, groupées autour d'une mosquée
-teinte de chaux blanche, font l'effet
-de têtes d'épingles.</p>
-
-<p>Enfin, les montagnes s'élargissent et une
-nouvelle vallée profonde et sinueuse se
-déroule aux yeux du voyageur. C'est celle de
-Kotch-Hissar, très riche en pâturages et dont
-les habitants vivent principalement de l'exportation
-du bétail.</p>
-
-<p>La traversée de l'Ilkaz est assez périlleuse.
-Dans ces gorges escarpées, on risque plusieurs
-fois d'être précipité dans les ravins
-avec voitures et chevaux et réduit en miettes.
-Il fait nuit lorsque nos arabas parties ensemble
-arrivent à une hôtellerie nommée Kalé
-Han. L'endroit est très pittoresque, au bord
-<span class="pagenum">23</span>
-d'une rivière aux rives boisées; mais le han
-est déplorable.</p>
-
-<p>Un han est d'habitude un relais où les voitures
-sont remisées, les chevaux aussi et où
-l'on trouve parfois une ou deux chambres
-pour dormir.</p>
-
-<p>Ici, je suis obligé de dresser mon lit de
-camp dans une horrible chambre au plancher
-à demi effondré qui laisse voir en
-bas des chevaux s'ébrouant ou se vautrant
-dans l'écurie.</p>
-
-<p>Mais le vieux handji m'apporte des &#339;ufs
-au plat que je dévore tellement la faim me
-tiraille l'estomac après avoir tant respiré l'air
-des montagnes et bu de l'eau des sources
-fraîches le long du chemin.</p>
-
-<p>Une de nos principales distractions de la
-journée avait été en effet d'aller puiser de
-l'eau minérale à une source sulfureuse jaillissant
-toute chaude de la terre au pied de
-l'Ilkaz...</p>
-
-<p>Après nous être reposés à Kalé Han, nous
-plions bagage à l'aube pour nous remettre
-en route.</p>
-
-<p><span class="pagenum">24</span></p>
-
-<p>Au lever du soleil, nous traversons une
-grande rivière qui n'est autre que le Devrek,
-un des affluents du Kiril Irmak, et nous
-voilà repartis à gravir d'autres monts aussi
-hauts que ceux de l'Ilkaz, mais à peu près
-dénudés.</p>
-
-<p>Il est quatre heures de l'après-midi quand,
-après avoir retrouvé en route la voiture de
-Mouheddine pacha, nous arrivons à Tchanghri.
-Comme Castamouni, la ville de Tchanghri
-est surmontée d'un donjon construit
-par les janissaires. Mais les maisons sont
-toutes faites de boues et les rues pleines de
-poussière.</p>
-
-<p>Tchanghri n'est renommé que par les
-beaux jardins fruitiers qui l'entourent, et
-surtout par l'hospitalité de ses habitants, de
-vrais turcs, qui ont gardé leurs coutumes et
-leurs habits nationaux...</p>
-
-<p>Nous sommes retenus, la pacha et moi
-dans la maison d'un directeur d'école, qui
-est en même temps un des notables de
-l'endroit et assis tous trois à la turque, le
-soir, autour des mets préparés avec un
-<span class="pagenum">25</span>
-goût raffiné, nous goûtons la douce paix du
-foyer et du bon accueil de notre hôte.</p>
-
-<p>Le lendemain, jour de repos pour nos
-chevaux, nous passons le temps à visiter
-les curiosités de la ville; elles ne sont pas
-nombreuses, mais méritent d'être mentionnées.
-A Tchanghri, tout habitant a, au bord
-de la rivière boisée, quelque jardin fruitier
-où l'on va se rafraîchir. Partis à cheval
-avec Mouheddine pacha, nous déjeunâmes
-sur l'herbe des près.</p>
-
-<p>Puis, tandis que nous rentrions en ville,
-je rencontrai un soldat blessé revenant du
-front, en congé. Il nous fit en quelques mots
-le tableau des batailles que livraient, au
-début, quelques poignées d'hommes contre
-des armées entières. Cet homme avait
-assisté autrefois à la guerre de Tripolitaine
-et nous déclara que la même lutte se livre
-actuellement en Anatolie. Que Dieu nous
-vienne en aide!</p>
-
-<p>Nous repartons de Tchanghri à l'aube,
-alors que l'éternel carillon des caravanes de
-mules se fait entendre.</p>
-
-<p><span class="pagenum">26</span></p>
-
-<p>Ce sont d'interminables files qui s'en vont
-le long des routes, porter les riches produits
-de l'Asie-Mineure vers les ports de la Mer
-Noire. Tout le long du chemin nous ne
-rencontrons ainsi que des chameaux,
-qui avancent lentement en ruminant.</p>
-
-<p>Les villes de l'intérieur de l'Asie-Mineure
-me rappellent les descriptions de Chiraz et
-d'Ispahan par Pierre Loti... C'est à peu près
-le même cachet oriental, les mêmes échos
-de l'Asie, dans son avant-garde rapprochée
-de l'Europe, l'Anatolie mystérieuse.</p>
-
-<p>Les routes deviennent monotones après
-Tchanghri. Ce n'est qu'une infinité de plaines
-qui se suivent, quelques villages perdus
-dans la campagne aux masures construites
-en pisé et d'où l'on voit toujours émerger un
-minaret blanc.</p>
-
-<p>Partout les paysans font leur «harman».
-Le harman, c'est le partage du blé, qui se
-fait avec un traîneau tiré par des b&#339;ufs et
-qui tourne sur des épis couchés à terre. Ces
-travaux des champs semblent des plus primitifs
-<span class="pagenum">27</span>
-au voyageur qui traverse pour la première
-fois l'Anatolie.</p>
-
-<p>Nos voitures avancent à présent plus
-vite et nous arrivons au crépuscule à
-Kuledjik, qui veut dire «la petite forteresse».</p>
-
-<p>Kuledjik est notre dernière étape avant
-Angora.</p>
-
-<p>Nous descendons à l'Hôtel des Postes et
-nous dressons nos lits dans l'une des
-chambres.</p>
-
-<p>Avant de quitter Tchanghri, les braves
-gens chez qui nous avions été généreusement
-reçus avaient garni nos voitures de
-provisions et de paniers de fruits. Cette
-attention qui s'appelle le «Yolouk» est
-d'usage en Anatolie.</p>
-
-<p>En route de nouveau et après avoir visité
-Rali, le champ de bataille où le Sultan Bayazid
-tomba prisonnier de Timour-Ling, nous
-repartons.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_102.jpg" width="100" height="20" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p28" id="p28">28</a></span></p>
-
-<h2>III</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">Angora, l'antique Ancyre.&mdash;Ce qu'on voit
-Dans ses rues.&mdash;La Crise des
-logements.&mdash;ou il me faut loger dans une
-armoire.&mdash;Le chef des nationalistes.&mdash;Ce
-qu'est le soulèvement kémaliste.&mdash;Son
-but.&mdash;Son armée.&mdash;Kémalistes, Bolcheviks
-et Peuples de l'Asie.</span></p>
-
-<p>Plusieurs heures de route encore et nous
-longeons un cours d'eau aux rives boisées
-et bordées de jardins. On devine sous le
-feuillage les rustiques villas où les citoyens
-de l'antique Ancyre viennent habiter durant
-la chaude saison. De loin en loin, on
-rencontre des fiacres, occupés par des beys
-ou pachas enfuis de l'enfer constantinopolitain.
-Ils sont tous coiffés de kalpacks
-kémalistes noirs. Ce sont des ministres, des
-sous-secrétaire d'État qui vont passer leur
-soirée à la campagne. Soudain, notre voiture
-contourne une colline et l'on peut apercevoir
-dans toute sa splendeur, l'horrible «trou»
-qu'est Angora.</p>
-
-<p>Le nouveau venu se trouve désillusionné.
-<span class="pagenum">29</span>
-Figurez-vous un amas de maisons aux murs
-de boue, dont la moitié a été dévastée, au
-cours de la guerre, par un incendie. Seuls,
-vers le centre de la ville, quelques bâtiments
-de pierre ont résisté aux ravages des flammes.
-Bien lamentable est, au premier abord, la
-capitale des Kémalistes.</p>
-
-<p>Les rues sont envahies par une foule
-grouillante et bizarre. Voici des tchétés que
-l'on voit circuler, la poitrine couverte de
-cartouches, armés jusqu'aux dents, la tête
-enturbannée du bachlik large qui leur donne
-des airs guerriers et même parfois terrifiants.
-Plus loin défilent des troupes régulières
-revenant de quelque corvée ou de l'exercice.
-Puis ce sont les beys de Stamboul que l'on
-voit passer en voilure... et quelques petites
-hanems qui ont suivi leurs parents, maris ou
-Irères, préférant le voile épais qu'elles sont
-obligées de porter en Anatolie, aux «tcharchafs»
-plus que transparents, en usage à
-Stamboul.</p>
-
-<p>Les voyageurs à peine débarqués devant
-le «han» sont accueillis avec un sourire
-<span class="pagenum">30</span>
-narquois par les hôteliers. Pas un mètre de
-disponible, car, à Angora, on loge au mètre
-carré, et le voyageur doit se considérer
-heureux de trouver une marche d'escalier
-inoccupée, car les dites marches constituent
-autant de couchettes dûment numérotées.</p>
-
-<p>Après de laborieuses recherches, j'ai obtenu
-une armoire pour y dormir moyennant une
-livre turque de loyer par nuit s.v.p. Angora
-regorge de monde, disons-nous, on a même
-de la peine à se frayer un passage dans les
-rues principales de la ville, tant la foule des
-plus hétéroclites qui s'y coudoie est nombreuse.
-On y rencontre des figures étranges,
-depuis les Tartares et les Kirghiz du Turkestan
-qui sont venus en Asie-Mineure, jusqu'à
-des Nègres et des Chinois, enfuis probablement
-de la Russie bolchévique.</p>
-
-<p>Après une installation sommaire, je rencontre
-des connaissances appartenant à
-l'entourage de Mustapha Kemal pacha.</p>
-
-<p>On me promet de m'introduire auprès du
-chef. Mais sied-il de me présenter à lui avec
-une barbe de cinq jours? Entré chez le
-<span class="pagenum">31</span>
-premier coiffeur venu, je ressens «le frisson
-de la petite mort». Le cher figaro est armé
-jusqu'aux dents et tandis que je lui abandonne
-docilement ma joue, je contemple sa poitrine
-où brille tout un attirail de guerre, trois
-rangées de cartouches, un browning et un
-poignard!</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>Mustapha Kemal habite une petite maison
-tout près de la station d'Angora, à cinq
-minutes de la ville. On passe, pour s'y
-rendre, devant un jardin public, où tout le
-monde se donne rendez-vous le soir. En
-face est la Chambre ou Assemblée nationale
-qui siège dans une bâtisse de construction
-récente, assez belle comparativement à celles
-qui l'entourent.</p>
-
-<p>A l'entrée du jardin de la gare, on me
-présenta à Mustapha Kémal.</p>
-
-<p>Haut de taille, énergique d'aspect, le chef
-des nationalistes turcs accuse environ la
-quarantaine. Son regard est des plus pénétrants
-quoique fatigué et sa voix est très
-forte. Mais des affaires urgentes l'appellent à
-<span class="pagenum">32</span>
-son bureau, et notre première entrevue n'est
-pas longue. Il m'invite d'ailleurs aimablement
-à venir le voir.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>Qu'est-ce que le mouvement national? Ce
-n'est qu'après être arrivé à Angora que je
-pus me rendre compte de sa portée politique.
-Et c'est le deuxième jour que je résumais
-ainsi son programme dans un des premiers
-articles que je reproduis ici<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a>:</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a><a href="#FNanchor_1"><span class="label">1</span></a> Excelsior.</p></div>
-
-<p>Angora... octobre...</p>
-
-<p>Il est bien rare de voir quelque journaliste
-franchir le mur séparant l'Anatolie du
-monde entier et d'approcher Mustafa Kémal
-en personne à Angora.</p>
-
-<p>Un nouvel Etat existe actuellement en
-Asie-Mineure; une deuxième Turquie pour
-ainsi dire y a été créée par Mustapha Kémal
-qui a levé l'étendard de la liberté et mène
-une guerre à outrance, refusant d'accepter le
-Traité de Sèvres qui retire Smyrne et la
-Thrace à la Turquie.</p>
-
-<p><span class="pagenum">33</span></p>
-
-<p>Ce nouvel Etat, dont la capitale est Angora,
-a été constitué très rapidement avec ce
-qui restait encore de l'ancienne administration
-ottomane. Mais, aujourd'hui, tous les
-ministères et le Parlement siègent à Angora.
-Les ministres ont le titre de «vékil» (gérant)
-et ont les mêmes pouvoirs que dans tous les
-pays.</p>
-
-<p>Cet état anormal n'a pourtant pas provoqué
-de troubles locaux comme on l'a annoncé.
-La sécurité règne en Asie-Mineure et
-chacun vaque à ses affaires. Dans toutes les
-provinces, les impôts sont perçus par l'État
-kémaliste; le budget d'Angora couvre les
-frais du nouveau gouvernement, tandis que
-la Sublime-Porte de Stamboul est aux abois
-et ne sait comment couvrir son déficit.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>L'armée grecque, concentrant tous ses
-effectifs en Asie-Mineure, réussit tout d'abord
-à bousculer les armées de Mustapha Kémal,
-dont l'artillerie était incomplète. Mais depuis
-son avance vers l'intérieur, le front hellène
-<span class="pagenum">34</span>
-est maintenant trois fois plus étendu qu'auparavant
-et s'est par conséquent affaibli considérablement,
-tandis que les nationalistes,
-reforment leurs troupes et organisent de
-nouveaux corps réguliers.</p>
-
-<p>Les Turcs consolident leur front en vue
-d'une nouvelle offensive et mènent, dans
-tous les territoires occupés par les Grecs,
-une guerre de francs-tireurs. Ils étaient tout
-d'abord dépourvus de matériel et étaient
-presque complètement désarmés au débarquement
-de l'armée héllène à Smyrne. Mustapha
-Kémal cependant a réussi peu à peu
-à réorganiser une petite armée d'environ
-150.000 hommes aidés par des milices populaires
-dites de défense et des corps de volontaires.</p>
-
-<p>Après l'occupation de Bakou par les Bolcheviks,
-qui prirent en outre Nakhichevan,
-à la frontière russo-persane, les Kémalistes
-gagnèrent une route libre et purent communiquer
-facilement avec la Russie. C'est par
-cette voie un peu longue, qu'aujourd'hui ils
-se procurent des armes et des munitions.
-<span class="pagenum">35</span>
-D'autre part, une contrebande d'armes effrénée
-existe sur toutes les côtes de l'Asie-Mineure,
-où l'on échange simplement un sac
-de farine ou des moutons contre des fusils
-ou des mitrailleuses.</p>
-
-<p>Ancien organisateur de la guerre en Tripolitaine,
-Mustapha Kémal adopte les mêmes
-méthodes en Anatolie et en Mésopotamie,
-où il a réussi à gagner la collaboration des
-Arabes. Sur tous les fronts, les nationalistes
-forment des bandes armées qu'ils lancent sur
-les arrières des armées d'occupation, attaquant
-surtout les Anglais et les Grecs. A
-l'intérieur, par exemple à Sivas et à Konia,
-des fabriques de munitions ont été établies
-et fonctionnent assez régulièrement. Et tandis
-qu'en Europe, tout à l'air de rentrer en
-paix, la guerre semble commencer seulement
-maintenant en Asie.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>Mustapha Kémal s'efforce de créer, en Asie,
-un mouvement qui succéderait au bolchevisme
-à son déclin. Il a réussi pour mener
-<span class="pagenum">36</span>
-sa lutte à s'allier à certains peuples de l'Asie.
-C'est ainsi qu'à Angora il existe plusieurs
-ambassades, telles que celles de l'Afghanistan,
-du Belouchistan, de la Perse nationaliste,
-de l'Azerbaïdjan, du Bokhara et du
-Turkestan.</p>
-
-<p>Les rues sont pleines d'une foule bigarrée,
-représentant tous les peuples de l'Asie,
-depuis l'Hindou jusqu'au Chinois, et l'on se
-demande si, un jour, toutes ces peuplades
-indisciplinées, que veulent armer les Soviets,
-ne parviendront pas à troubler l'ordre mondial!...</p>
-
-<p>Tous ces gens se sont attablés, pour la
-première fois dans l'histoire, autour d'un
-tapis vert au premier Congrès asiatique de
-Bakou. Mustapha Kémal s'est attaché à déchirer
-le traité de paix turc en cherchant à
-mettre le feu aux colonies anglaises de l'Asie,
-et il travaille nuit et jour dans ce but.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg036.jpg" width="100" height="27" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p37" id="p37">37</a></span></p>
-
-<h2>IV</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">Comment Mustapha Kémal organise des
-groupes de francs-tireurs contre l'armée
-grecque.&mdash;les "tchétés" volontaires.&mdash;Organisations
-secrètes de
-l'arrière-front.&mdash;Les guérillas en
-Anatolie.&mdash;Formation des corps d'armée
-A l'intérieur.&mdash;Au Conseil asiatique
-de Bakou.</span></p>
-
-<p>Angora... octobre.</p>
-
-<p>Après la dernière offensive grecque, les
-Kémalistes se sont mis à organiser de nouveaux
-corps d'armée. Un autre front de
-résistance a été établi et des groupe de francs-tireurs
-ont été constitués pour mener à
-bonne fin une guerre de surprise.</p>
-
-<p>Tout l'arrière des lignes helléniques, y
-compris tous les territoires occupés avant
-l'offensive grecque, est divisé en districts par
-l'Etat-Major d'Angora, districts dont les limites
-sont tenues secrètes et qui sont numérotés
-sur des cartes spéciales que l'on donne
-aux chefs de bandes.</p>
-
-<p>Les bandes kémalistes ou «tchétés» sont
-<span class="pagenum">38</span>
-presque toujours montées et comprennent
-cinquante cavaliers et une mitrailleuse. Les
-hommes sont armés de toutes pièces et
-munis de grenades à main; ils connaissent
-admirablement le pays où ils opèrent.</p>
-
-<p>Les bandes sont formées à Kutahia, Biledjik,
-Eski-Chéir, Afioun-Kara-Hissar et Denizli.
-Leurs provisions faites, elles quittent
-de nuit leurs bases et traversent sans être
-découvertes, le front grec. Les «tchétés»
-passent par des voies inaccessibles aux
-troupes d'occupation. Leur équipement et
-leur coiffure étant de couleur sombre, les
-Kémalistes se dissimulent facilement. Arrivés
-dans les districts désignés, les «tchétés» se
-divisent souvent en deux ou trois escouades
-et ils communiquent entre eux par des
-signaux nocturnes. Ils logent le plus souvent,
-sans que l'armée grecque le sache, dans des
-villages turcs éloignés, où ils arrivent à l'aube
-pour n'en sortir que la nuit.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>L'obscurité venue, ces «tchétés» effectuent
-des incursions soudaines dans des
-<span class="pagenum">39</span>
-camps isolés, postes hellènes parsemés dans
-le pays. Ce sont surtout les convois et les
-ponts qui sont visés. Toute attaque ne dure
-que quelques instants, à peine le temps de
-semer le désarroi chez l'adversaire surpris,
-ce qui abaisse le moral des troupes d'occupation.</p>
-
-<p>Lorsque les «tchétés» sont à bout de ressources
-et rencontrent des difficultés pour se
-ravitailler, ils se réunissent pour repasser le
-front et s'approvisionner dans les lignes
-turques.</p>
-
-<p>Après la dernière offensive hellénique, le
-front, ayant triplé de longueur, est plus faible
-et ne forme plus une ligne continue de tranchées.
-Aussi le va et vient à travers les lignes
-grecques est-il devenu relativement aisé.</p>
-
-<p>Actuellement 350 «tchétés» opèrent continuellement
-entre le front et Smyrne.</p>
-
-<p>Les nationalistes turcs travaillent à gagner
-du temps en menant une guerre de guérillas,
-afin de pouvoir organiser des corps
-d'armée réguliers pour une résistance plus
-énergique.</p>
-
-<p><span class="pagenum">40</span></p>
-
-<p>Le premier Congrès asiatique de Bakou a
-été un succès pour Mustapha Kémal, qui a
-insisté auprès des délégués russes sur la
-nécessité de créer des mouvements nationalistes
-en Asie avec l'aide des Soviets. La
-distribution des armes et des munitions la
-centralisation du commandement et le siège
-permanent d'un Conseil asiatique ont été,
-en outre, décidés à ce Congrès.</p>
-
-<p>En un mot, l'&#339;uvre de Mustapha Kémal se
-résume en ceci: organiser en Anatolie une
-guerre de francs-tireurs tout en constituant
-des forces régulières; gagner du temps et
-faire cause commune avec tous les Arabes et
-les peuples de l'Asie.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg040.jpg" width="100" height="54" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p41" id="p41">41</a></span></p>
-
-<h2>V</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">A la Sublime-Porte d'Angora.&mdash;Les
-Ministères.&mdash;Aux Affaires
-étrangères.&mdash;Une entrevue avec Mouhktar bey,
-Vékil des Affaires étrangères.&mdash;Le
-12<sup>e</sup> point de Wilson.&mdash;L'Offensive des
-Hellènes.&mdash;En Cilicie.&mdash;Les servitudes
-étrangères.&mdash;Le but des nationalistes
-turcs.</span></p>
-
-<p>Le lendemain de mon arrivée dans
-l'antique Aneyre, je me rendis dans la
-matinée au gouvernaurat où siège la Sublime Porte
-anatolienne.</p>
-
-<p>Après avoir franchi la porte d'entrée gardée
-par deux sentinelles harnachées de cartouchières,
-on gravit les marches branlantes
-d'un grand escalier de bois qui aboutit au
-premier étage. Là, un immense corridor où
-l'on coudoie tous les divers «types» ethniques
-rencontrés dans les rues d'Angora, qui s'y
-donnent rendez-vous. Au-dessus des grandes
-portes sont placés des écriteaux voyants:
-«Cheik-ul-Islamat» ou plutôt «Cheik-ul-Islam»
-par intérim (cheik vekaleti). A
-<span class="pagenum">42</span>
-travers l'entrebâillement de la porte entr'ouverte
-je distingue, assis à son bureau, un
-uléma au large turban, à barbe imposante.
-C'est l'ex-mufti de Brousse Djemil Mollah.
-Puis viennent les autres ministères: Agriculture,
-Affaires étrangères, Travaux publics,
-Intérieur, Finances, Hygiène publique, etc.</p>
-
-<p>Quant au Ministère de la Guerre, il n'est
-pas installé à la Sublime-Porte et il est
-dénommé «Défense nationale»; son siège
-est à l'école Sultanié. C'est évidemment le
-plus important et le plus cossu.</p>
-
-<p>Revenons à notre visite à la Sublime-Porte.
-Le Ministère des Affaires étrangères compte
-tout juste deux pièces, comme d'ailleurs tous
-les ministères. D'abord, c'est le cabinet du
-ministre qui siège avec son sous-secrétaire
-d'Etat et son chef de bureau particulier dans
-une seule pièce. Puis c'est le bureau du
-ministère avec toutes ses sections empilées
-dans la seconde. Je demandai audience à
-S. E. Mouhktar bey, ministre par intérim des
-Affaires étrangères et je fus introduit aussitôt
-auprès de lui. Il vint à moi, me tendant la
-<span class="pagenum">43</span>
-main tout souriant. Ex-ministre à Athènes
-et fin diplomate, Mouhktar bey est un travailleur
-assidu; il est à son bureau depuis l'aube
-jusqu'au crépuscule et ne peut se rendre à
-la Chambre malgré sa charge de député de
-Constantinople.</p>
-
-<p>Je reproduis ici ses déclarations:</p>
-
-<p class="tb"><i>D'abord et avant tout, nous réclamons
-le droit accordé à chaque peuple: celui de
-vivre. Nous avons signé, en octobre 1918, un
-armistice et déposé les armes en nous basant
-sur la justice dont l'Entente était alors l'apôtre
-et sur le 12<sup>e</sup> principe de Wilson qui donnait
-droit à une souveraineté turque aux parties
-ottomanes de l'Empire ottoman. Or, aucun de
-ces engagements ne furent tenus, on nous a
-honteusement trompés et alors que la Turquie,
-était désarmée on lança sur elle les armées
-grecques qui occupèrent Smyrne et y déchaînèrent
-des horreurs sans précédents. C'est
-l'indignation et l'exaspération d'un peuple
-qui a été le premier facteur du soulèvement
-national vers la résistance à outrance.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum">44</span></p>
-
-<p><i>Aujourd'hui les forces nationalistes acquièrent
-de jour en jour de plus grands moyens
-d'action.</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>Et la dernière, avance hellénique vous
-a-t-elle dérouté?</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>Elle a redoublé la résolution de la population
-de tenir jusqu'au bout et notre armée a
-doublé ses effectifs. Le nombre de volontaires
-augmente de jour en jour.</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>Excellence, et en Cilicie, quelle est la
-situation?</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>A vrai dire, nous ne savons pas ce que
-les Français sont venus y chercher. Depuis
-des mois, ils versent leur sang pour la
-conquête de territoires purement turcs et qui
-ne leur sont même pas cédés par le Traité de
-Versailles. Pour ce qu'ils ont entrepris en
-Syrie, je ne saurai que dire, mais pour la
-Cilicie, là, nous sommes chez nous.</i></p>
-
-<p><i>Je comprends parfaitement que l'opinion
-publique en France soit contre l'entreprise de
-Cilicie, car, en voulant conquérir par le
-sabre quelques parcelles de terre à Adana, le
-<span class="pagenum">45</span>
-fougueux esprit militaire ne songe pas que la
-France perd ses sympathies séculaires en
-Orient.</i></p>
-
-<p><i>Les Italiens n'ont pas commis au moins la
-faute de faire couler le sang de leurs soldats
-pour effectuer des conquêtes qu'ils ne pourraient
-garder à aucun prix, le réveil de la
-conscience turque étant trop puissant pour
-laisser là-dessus aucun espoir à n'importe
-quelle puissance impérialiste.</i></p>
-
-<p><i>En Cilicie, comme ailleurs, notre dernier
-mot est le suivant: la fixation des frontières
-est avant tout une question ethnique, et en
-second lieu, une question de débouché sur la
-mer. Elle ne doit, dans aucun cas, revêtir la
-forme d'un arrangement entre les convoitises
-des capitalistes d'Occident ou d'une récompense
-pour les services que peuvent rendre aux
-grandes Puissances les petits Etats comme la
-Grèce.</i></p>
-
-<p><i>C'est à ce titre que nous revendiquons et
-continuerons à revendiquer jusqu'au triomphe
-de la justice, nos droits imprescriptibles
-sur la Thrace, sur Smyrne et Adana. La
-<span class="pagenum">46</span>
-preuve que les Turcs sont en très grande
-majorité en Thrace et à Smyrne réside dans
-le fait que nos ennemis n'ont pas osé ordonner
-un plébiscite dans la première de ces provinces
-et à Smyrne la consultation populaire ne doit
-avoir lieu que dans cinq ans, période jugée
-suffisante pour l'extermination de la population
-turque de l'endroit.</i></p>
-
-<p><i>La population de Cilicie, laissée à la merci
-des bandes arméniennes, s'est soulevée et
-poursuit vaillamment la lutte pour sa libération.</i></p>
-
-<p><i>Le même mouvement se dessine dans les
-provinces occupées par les Grecs et soumises
-par eux à une extermination systématique,
-afin d'y détruire l'élément musulman. Sous
-peu les Grecs se trouveront dans la même
-situation que les Anglais en Mésopotamie et
-les Français en Cilicie, coupés de leurs lignes
-de retraite et harcelés partout et à tout instant
-jusqu'à ce qu'ils soient complètement repoussés
-à la mer.</i></p>
-
-<p><i>D'ailleurs, à notre époque, où tous les
-peuples de l'Occident ont secoué le joug, il est
-<span class="pagenum">47</span>
-tout naturel que ce soit le tour des peuples
-orientaux d'être libérés des servitudes étrangères.</i></p>
-
-<p><i>Cette libération est inévitable. Tous les
-efforts contraires n'aboutiront qu'à faire couler
-plus de sang sans influencer en rien le résultat
-final.</i><br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg047.jpg" width="100" height="55" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p48" id="p48">48</a></span></p>
-
-<h2>VI</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">En tête à tête avec Mustapha Kémal.&mdash;La
-Maison du chef de gare.&mdash;Ce que dit le
-chef des nationalistes turcs.&mdash;L'offensive
-en Arménie.&mdash;Le traité de Sèvres
-et les Hellènes en Asie-Mineure.</span></p>
-
-<p>Redjeb bey, un des aides de camp du
-pacha que je rencontrai dans les couloirs de
-la Chambre, m'annonça que son chef m'invitait
-à dîner à sa villa. Je m'y rendis.</p>
-
-<p>Mustapha Kémal habile, comme je l'ai déjà
-dit, une petite maison destinée autrefois au
-chef de gare, aux abords de la station.</p>
-
-<p>De grands arbres l'entourent et on y pénètre
-par un coquet jardin aux allées soigneusement
-ratissées.</p>
-
-<p>Un escalier mène les visiteurs au premier
-étage, toutes les marches sont recouvertes de
-de toile cirée et partout règne une propreté
-d'autant plus appréciable que partout ailleurs,
-à Angora, les maisons sont envahies de poussières.</p>
-
-<p>Nous entrons dans une salle à manger
-<span class="pagenum">49</span>
-très simplement meublée où le couvert était
-déjà mis. A côté, un petit salon, aux meubles
-recouverts d'étoffe rouge foncé et un minuscule
-cabinet de travail.</p>
-
-<p>Dans le cadre de la porte apparaît un
-homme de haute taille, à la moustache
-blonde: c'est Mustapha Kémal. Il est en civil,
-décoiffé, et fume nerveusement une cigarette.</p>
-
-<p>Sur un signe de lui, j'entre dans son bureau,
-où se trouvait déjà le capitaine Hayati
-bey, chef de son cabinet particulier. Celui-ci
-est coiffé d'un grand kalpack noir.</p>
-
-<p>Sur le bureau de travail du pacha, je vois
-une pile de télégrammes chiffrés et de journaux.</p>
-
-<p>Nous passons presque aussitôt à la salle à
-manger, car le dîner vient d'être servi. A
-table, se trouvent quatre aides de camp, les
-généraux Ismail Fazil et Mouheddine pacha.</p>
-
-<p>Mustapha Kémal aime de préférence la cuisine
-européenne. Les mets à l'huile, lourds
-et indigestes, qui composent le fond de la
-cuisine orientale, sont exclus de sa table.</p>
-
-<p><span class="pagenum">50</span></p>
-
-<p>Le pacha déclare que la cuisine turque
-l'empêche de travailler; il est de fait qu'il
-fournit beaucoup de besogne. Il ne quitte pas
-son bureau avant deux heures du matin.
-Parfois même il y reste toute la nuit, la tête
-baissée sur une masse de papiers, d'ordres,
-de dépêches et de caries d'état-major. Il dort
-très peu, ce qui l'a fatigué et fait maigrir à
-l'excès.</p>
-
-<p>Après dîner, nous passons au salon pour
-fumer, et, assis en face de lui, je me mets en
-devoir de l'interviewer. Tout en causant, je
-ne puis m'empêcher d'admirer le regard pénétrant
-de Mustapha Kémal. On peut dire
-qu'il fascine et je comprends comment sa
-popularité est attribuable à la puissance de
-ses yeux et de sa parole. Le pacha parle
-couramment le français.</p>
-
-<p class="tb"><i>Lorsqu'en 1914,</i> déclara Kémal Pacha,
-<i>l'Allemagne a violé le traité garantissant l'intégrité
-de la Belgique, l'Angleterre prît solennellement
-les armes pour défendre son honneur
-national outragé. Le Monde entier frémit
-<span class="pagenum">51</span>
-d'indignation à la violation de la Belgique
-par le Kaiser. Juste cinq ans plus tard, la
-signature, au bas des clauses de l'armistice de
-Moudros, de l'amiral Galthrope, représentant
-de la Grande-Bretagne, était honteusement
-violée par l'attaque soudaine, à main armée,
-d'une nation sans défense.</i></p>
-
-<p><i>L'armée hellène débarquait sans raison d
-Smyrne, y commettait des massacres et causait
-le soulèvement de toute l'Anatolie.</i></p>
-
-<p><i>L'Angleterre, si fière de la sauvegarde de
-son honneur en Belgique, a taché son histoire
-en Orient par une politique impérialiste pleine,
-d'ambition et fatale pour son avenir colonial.</i></p>
-
-<p><i>&mdash;Croyez-vous à votre réussite finale,
-Excellence?</i></p>
-
-<p><i>&mdash;Sans doute. Lorsqu'il y a près de 75 ans,
-quelques centaines de comitadjis serbes gagnèrent
-les montagnes et luttèrent contre des
-armées turques entières envoyées pour la
-répression des rebelles, ces armées ne purent
-en venir à bout, car les Serbes luttaient pour
-leur indépendance. La Bulgarie fit de même,
-la Grèce aussi.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum">52</span></p>
-
-<p><i>Aujourd'hui le tour est venu pour les Turcs
-de gagner leurs montagnes natales, de prendre
-le fusil en main pour la lutte de guérillas et
-mener à bonne fin une guerre de francs-tireurs.
-Plus cette situation se prolonge, plus
-nous en profitons. Chaque jour est un pas en
-avant pour nous et vers le dénouement fatal
-pour les oppresseurs. D'un côté, nous sommes
-appuyés par la Russie des soviets et de
-l'autre par l'Asie entière qui suit avec intérêt
-notre lutte suprême pour nous imiter dans
-un avenir prochain.</i></p>
-
-<p><i>Est-ce que l'armée hellène supportera toutes
-ces campagnes! Le soldat grec a laissé derrière
-lui son foyer, son commerce et ne pense qu'à
-sauver sa peau pour pouvoir travailler et
-nourrir sa famille. Tandis que tous les volontaires
-turcs viennent d'avoir leurs villages
-détruits par l'envahisseur et qu'ayant perdu
-leurs foyers, ils s'engagent, pour les recouvrer,
-dans une lutte vie ou à mort.</i></p>
-
-<p><i>D'un côté une armée qui veut conquérir, de
-l'autre un peuple entier qui défend son foyer
-natal... Qui des deux remportera?</i></p>
-
-<p><span class="pagenum">53</span></p>
-
-<p><i>Aujourd'hui, à l'arrière du front grec, nos
-bandes pullulent et le soldat hellène reçoit
-souvent des balles de face et de dos.</i></p>
-
-<p><i>Et voici l'hiver... encore un allié pour nous
-qui approche...</i></p>
-
-<p><i>&mdash;Que pensez-vous, Excellence, de l'offensive
-et de la dernière avance des Hellènes?</i></p>
-
-<p><i>&mdash;Toute l'offensive et l'avance des Hellènes
-étaient prévues par moi. Cette avance a
-affaibli son front qui a triplé sa largeur. Une
-preuve éclatante en a été la bataille de
-Dêmirdji qui, si nous avions eu un peu plus
-de cavalerie et de troupes de réserve, aurait
-été un véritable désastre pour eux. Mais j'ai
-voulu faire un essai de rupture, avec des
-forces beaucoup moins nombreuses que ne
-l'ont dit les communiqués hellènes, qui a
-réussi du reste, et fut pour le général Paraskevopoulos
-un revers cuisant. Demain, si
-Venizelos, obéissant à un ordre de son dictateur
-Lloyd Georges, veut sacrifier une armée
-de 500.000 hommes comme il l'a prétendu, il
-réussira peut-être d occuper difficilement
-Angora et même Konia. En nous retirant à
-<span class="pagenum">54</span>
-Sivas, noire guerre de francs-tireurs redoublera
-et notre armée pourra plus facilement
-percer leur front qui dépasserait dans ce cas
-mille kilomètres.</i></p>
-
-<p><i>M. Venizelos est entré en Anatolie dans un
-bourbier et l'armée grecque finira par être
-obligée de quitter-après y avoir enterré des
-milliers de cadavres-ce pays qui ne lui
-appartient pas.</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>La presse, ennemie vous accuse, Excellence,
-d'agir contre l'intérêt du Sultan?</i></p>
-
-<p>&mdash;<i>Mes soldats et un peuple entier qui lutte
-contre renvahisseur meurent pour défendre
-la terre sacrée léguée par nos anciens khalifes...</i></p>
-
-<p><i>J'ai une confiance aveugle en la réussite
-finale de ma sainte cause, car elle représente
-la justice même que l'on veut étouffer par
-l'ambition.»</i></p>
-
-<p>Complétant ces déclarations, Mustapha
-Kémal ajouta au sujet de l'offensive kémaliste
-à peine déclanchée, que cette offensive
-n'était qu'à sa première phase.</p>
-
-<p><span class="pagenum">55</span></p>
-
-<p><i>«Cela mettra fin, ajouta-t-il, aux agressions
-des bandes arméniennes en territoire
-turc, cherchant à semer des désordres à l'intérieur.</i></p>
-
-<p><i>«J'ai confiance dans le plein succès de cette
-offensive qui nous ouvrira une communication
-plus directe avec les Soviets et l'Asie entière.</i></p>
-
-<p><i>«L'Arménie constituera aussi demain un
-gage précieux en nos mains et ce seront les
-délégués arméniens eux-mêmes qui finiront
-par intervenir auprès de la Société des Nations
-pour la révision des clauses du Traité de
-Sèvres qui ont arraché injustement la ville de
-Smyrne à notre chère Anatolie.»</i><br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 60px;">
-<img src="images/i_pg055.jpg" width="60" height="44" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p56" id="p56">56</a></span></p>
-
-<h2>VII</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">A la Chambre d'Angora.&mdash;Déclarations
-d'Ismail Fazil pacha.&mdash;Comment le mouvement
-National a pris naissance.&mdash;Son
-historique.&mdash;Stamboul et
-Angora.&mdash;Les débats au Parlement.&mdash;Une
-discussion intéressante.&mdash;La loi supprimant
-l'alcool.&mdash;Les ravages des
-boissons en Anatolie.&mdash;L'argument
-religieux.&mdash;La loi est approuvée.</span></p>
-
-<p>On m'avait fortement conseillé d'aller
-suivre les débats de la Chambre kémaliste
-ou Assemblée nationale (Megliss-i-Milli) qui
-devait voter ce jour-là une loi contre l'usage
-des boissons spiritueuses en Anatolie. Le
-Parlement siège, comme je l'ai dit plus haut,
-dans une jolie bâtisse de construction
-récente. Dans ses couloirs je rencontrai
-Ismail Fazil pacha, Mouheddine pacha et
-Hamdoullah Soubhy bey, tous coiffés du
-kalpak de rigueur. Ayant presqu'une demi-heure
-jusqu'à l'ouverture des débats, nous
-échangeâmes quelques mots.</p>
-
-<p>Je questionnai Ismail Fazil pacha sur le
-<span class="pagenum">57</span>
-soulèvement de l'Anatolie et nous nous retirâmes
-dans la salle de lecture.</p>
-
-<p>Ismail Fazil est le père du général Ali
-Fuad, commandant le corps d'armée sur le
-front de Smyrne. C'est un homme frisant&mdash;on
-peut le dire&mdash;les 65 ans, car il est d'une
-constitution, sans jeu de mots, et d'une
-santé parfaite.</p>
-
-<p>Il détient au sein du cabinet kémaliste le
-portefeuille des Travaux publics.</p>
-
-<p>Voici le résumé de ses déclarations:</p>
-
-<p><i>«Lorsque les Grecs débarquèrent à Smyrne.
-Mustapha Kémal pacha se trouvait à Erzeroum
-comme Inspecteur général de l'armée.
-A cette nouvelle, il vit que la Turquie désarmée
-allait être dépecée par ses petits voisins et
-il décida de tenir à Erzeroum même un Congrès
-appelé à délibérer sur la situation et sur
-ce qu'il y avait à faire. Tous les commandants
-de l'armée de l'Ouest ainsi que les valis et
-religieux de toutes ces provinces y furent
-convoqués.</i></p>
-
-<p><i>«C'est à ce Congrès que furent envoyés des
-<span class="pagenum">58</span>
-délégués des provinces de l'Ouest qui demandèrent
-tous la résistance, non contre l'Entente,
-mais contre les petits Etats comme la Grèce et
-l'Arménie qui ne rêvaient qu'à anéantir la
-Turquie et à placer le Conseil suprême devant
-le fait accompli. Smyrne fut d'ailleurs un
-exemple frappant de cette prévision.</i></p>
-
-<p><i>«C'est ce Congrès d'Erzeroum qui fut le
-noyau de la défense nationale à outrance.
-Mustapha Kémal reçut l'approbation générale
-et un vote de confiance à l'unanimité et c'est lui
-qui prit l'initiative de la tâche. Sivas déclara
-adhérer aussitôt au mouvement d'Erzeroum,
-puis Trébizonde, Van, Diarbekir, Samsoun,etc., etc...</i></p>
-
-<p><i>«Entre temps, du côté de Smyrne, les horreurs
-des Grecs à peine débarqués et les massacres
-de. Musulmans d'Aïdine et Ménémen
-avaient soulevé toute une masse de paysans
-qui avaient pris les armes pour lutter désespérément
-contre l'envahisseur. Ceux-ci se groupèrent
-peu à peu et leurs effectifs augmentèrent
-de jour en jour, opposant sans répit la résistance
-aux Hellènes.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum">59</span></p>
-
-<p><i>«Au bout de deux mois et grâce aux milliers
-d'officiers arrivés de Constantinople, un
-noyau d'armée se formait dans l'Anatolie de
-l'Est.</i></p>
-
-<p><i>«C'est à ce moment que je quittai Constantinople,
-appelé à Sivas où se trouvait mon
-fils, le général Ali Fuad. Un deuxième Congrès,
-où était représenté déjà la moitié de l'Empire,
-tint séance à Sivas, composé d'environ soixante
-membres influents que chacune des provinces
-y représentait.</i></p>
-
-<p><i>«Le mouvement nationaliste prit son élan
-à Sivas et continua à se propager vers
-Smyrne.</i></p>
-
-<p><i>«A ce moment, le vali d'Angora, Mouheddine
-pacha, très anglophile et sous l'influence
-directe du général Scotland, commandant à
-Eski-Chèir, travaillait à gagner en faveur des
-Anglais les derviches de. Tchoroum, très
-influents dans l'Anatolie.</i></p>
-
-<p><i>«Des missionnaires y furent envoyés mais
-leurs tentatives échouèrent.</i></p>
-
-<p><i>«La population prit soudain les armes et se
-dirigea, avec le commandant du corps d'armée
-<span class="pagenum">60</span>
-Ali Fuad, sur Angora pour mettre fin à ces
-intrigues. Le général Scotland lui envoya
-alors un message lui disant que s'il osait attaquer
-avec ses troupes rebelles les soldats de
-S. M. Britannique, il en répondrait devant le
-Conseil suprême.</i></p>
-
-<p><i>«Ali Fuad répondit qu'il n'était plus général,
-mais citoyen et que ce n'étaient pas des
-troupes qui barraient la route mais une
-population venant de prendre les armes pour
-lui demander ce qu'il cherchait dans le pays
-d'un autre.</i></p>
-
-<p><i>«Là-dessus, pour éviter une effusion de
-sang, Angora fut évacuée, Mouheddine pacha
-s'enfuit à Constantinople et un gouvernement
-nationaliste fut installé.</i></p>
-
-<p><i>«D'autre part, Koniah et toutes les autres
-provinces ainsi que les volontaires combattant
-sur le front de Smyrne, adhérèrent au mouvement
-nationaliste. Entre temps, Damad Ferid
-à Constantinople interceptait toutes les communications
-de Mustapha Kémal avec le Souverain.</i></p>
-
-<p><i>«C'est la-dessus que le Congrès de Sivas
-<span class="pagenum">61</span>
-envoya une sommation à la Sublime-Porte
-d'avoir la communication directe avec le
-Sultan dans le délai d'une demi-heure.</i></p>
-
-<p><i>«Tout le Congrès et Mustapha Kémal attendirent
-exactement une demi-heure devant
-l'appareil télégraphique qui ne répondait pas.
-Ce délai passé, toutes les communications
-furent interrompues.</i></p>
-
-<p><i>«A l'occupation de Constantinople (16 mars
-1920), après sommation et pour éviter une
-inutile effusion de sang, le général Scotland
-évacua Eski-Chéir.</i></p>
-
-<p><i>«A présent toute l'Anatolie lutte pour sa
-libération des servitudes étrangères, nous
-sommes tous confiants dans le succès de notre
-lutte car nous ne sommes pas seuls. Trois
-formidables alliés nous tendent la main: le
-Bolchevisme. l'Asie et l'Islam...</i></p>
-
-<p><i>«J'espère et crois aussi que. l'Angleterre
-jusqu'à présent l'alliée de l'Islam et qui a failli
-à sa ligne de conduite traditionnelle, reviendra
-à elle afin de gagner les Turcs qui luttent
-pour leur indépendance, plutôt que de compter
-sur un ramassis de petits Etats qui ont
-<span class="pagenum">62</span>
-tourné en sa faveur dès que la victoire a fait
-pencher la balance de ce côté, rêvant ainsi
-d'avoir leur part au butin gagné par le sang
-des autres.»</i><br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p>On vint nous prévenir que la Chambre
-était réunie. A 2 h. 1/2 les 95 députés kémalistes
-prenaient place autour de l'hémicycle
-où trônait tout en haut le vice-président de
-la Chambre, le grand Tchélébi. A ses côtés
-je remarquai la volumineuse personnalité
-de Djelaleddine Arif bey, ex-bâtonnier
-du barreau ottoman et second vice-président.
-Dans la salle, on percevait un sourd bourdonnement
-de voix. Tout à coup, la cloche
-du président retentit et le silence s'établit.
-J'ai pris note sténographiquement d'une partie
-des débats les plus intéressants.</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Mazhar bey</span> (Aïdine).&mdash;Vous savez, chers
-camarades, que notre budget-d'après
-l'exposé que nous retraçait l'autre jour le
-ministre des finances, Ferid bey&mdash;est on ne
-peut plus satisfaisant. Néanmoins, l'Etat doit
-<span class="pagenum">63</span>
-s'imposer des sacrifices énormes pour faire
-face à nos préparatifs militaires et solder nos
-achats en matériel de guerre. Il en résulte
-un déficit inévitable de plusieurs millions de
-livres, et la Chambre est chargée de le couvrir.</p>
-
-<p class="tb">«Or, une plaie affreuse ronge le pays, plus
-que cela n'a lieu n'importe où ailleurs, et
-paralyse toutes nos forces vives; c'est l'abus
-de l'alcool. Par contre, il ne faut pas oublier
-que les boissons spiritueuses rapportent au
-budget annuel de l'Etat la coquette somme
-d'environ un million et demi de livres turques.
-Beaucoup de nos paysans, à Aïdine,
-Smyrne et Magnésie en particulier, ne vivent
-que du produit de leurs vendanges. Il faut
-tenir compte dans nos décisions de tous ces
-éléments.</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Djevàd bey</span> (Sivas).&mdash;Ces provinces ne
-sont plus entre nos mains. (<i>Bruits.</i>)</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Mazhar bey.</span>&mdash;Oui, mais elles nous reviendront
-un jour «inchallah», de même que
-<span class="pagenum">64</span>
-l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la
-France. (<i>Applaudissements redoublés.</i>)</p>
-
-<p>«Donc, continue l'orateur, ces provinces
-ne vivent que des produits distillés du raisin
-et en premier lieu du «raki», Aujourd'hui,
-en interdisant l'alcool dans le pays, vous
-enlevez leur gagne-pain à des milliers de
-citoyens. Chers camarades, je vous préviens,
-statistique en main, que la loi proposée à la
-Chambre serait une folie.</p>
-
-<p>«Nous devons maintenir l'alcool, car il
-s'agit d'un bénéfice net d'un million de livres
-par an, et qu'en agissant différemment nous
-fournirions aux paysans de Chio et de Mytilène,
-un moyen de s'enrichir à nos dépens.</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Chukkry bey</span> (Trébizonde) le remplace.</p>
-
-<p>«Je ne veux pas contredire mon prédécesseur,
-affirme le nouveau venu. Mais je
-tiens à vous exposer, Messieurs, les ravages
-que cause la boisson au sein de notre Patrie.</p>
-
-<p>«Un mal interne ronge notre peuple. Aujourd'hui,
-notre paysan de Konia, après avoir
-vendu son beurre et ses &#339;ufs au marché,
-<span class="pagenum">65</span>
-remporte dans son foyer des bidons de raki
-et s'enivre oubliant toutes les prescriptions
-de l'Islam!</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Velhi bey</span> (Konia).&mdash;Pas à Konia seulement,
-c'est partout ainsi. (<i>Rires.</i>)</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Ali Chukkri bey</span> (Trébizonde).&mdash;Il y a de
-cela dix ans, à Trébizonde, les personnes
-abusant de l'alcool pouvaient se compter sur
-les doigts.</p>
-
-<p>«A présent, hélas! les enfants de 7 à 8 ans
-pratiquent le culte de la «dive bouteille»
-comme père et mère. Les maladies augmentent
-avec ces abus, et la nation entière est
-exposée à un péril imminent; elle se trouve
-au bord de l'abîme.</p>
-
-<p>«On ne veut pas faire perdre au budget un
-million de livres, mais on bride le pays. La
-Chambre assume une responsabilité écrasante.
-Tous les députés doivent être d'accord
-pour entreprendre la lutte en vue d'assainir
-la nation et d'élaborer cette loi...</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Farik bey</span> (Denizli)&mdash;... que le Gouvernement
-<span class="pagenum">66</span>
-ne pourra à aucun prix appliquer
-intégralement. (<i>Bruits dans la salle.</i>)</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Ali Chukkri</span> (Trébizonde), répliquant vivement.&mdash;Un
-gouvernement qui ne peut
-appliquer ses lois n'en est pas un...</p>
-
-<p>(<i>Grand bruit, protestations; on empêche
-le député de continuer.&mdash;Le président rappelle
-à l'ordre.</i>)</p>
-
-<p>«Je ne veux pas qu'on prête à mes paroles
-un sens qu'elles n'ont pas et je me rétracte!
-(Le silence se fait.)</p>
-
-<p>«Une loi supprimant l'alcool délivrerait
-l'Anatolie d'un mal affreux. Nous devons
-imiter l'Amérique et la Russie. En Russie, la
-loi contre l'alcool a été appliquée en recourant,
-le cas échéant, à la bastonnade! Il faudra
-que nous sachions en faire autant. Pour
-nous autres Turcs, il n'y a qu'un remède
-radical,la bastonnade! (<i>Bruits, protestations.</i>)</p>
-
-<p class="tb"><span class="smcap">Mehmed Hodja</span> (Edremid). (<i>Il prend la
-parole à la tribune et d'une voix de stentor
-entonne une harangue en faveur de la loi.</i>)</p>
-
-<p>«La principale cause de nos malheurs est
-<span class="pagenum">67</span>
-que, nous autres Turcs, nous n'observons
-plus les lois de l'Islam.</p>
-
-<p>«Notre religion nous interdit l'alcool et
-nous nous permettons d'en abuser. Tous les
-peuples musulmans savent trop combien
-nous négligeons les lois divines. Il y a vingt
-ans, à Edremid, les Chrétiens n'avaient
-que vingt maisons tout au plus. L'alcool et
-le jeu ont ruiné les Turcs de l'endroit et
-aujourd'hui la moitié de la ville appartient
-aux étrangers!</p>
-
-<p>«Tant que les Turcs ne prendront pas les
-mesures nécessaires contre l'ivresse et le
-jeu, ils seront foulés aux pieds de leurs plus
-vils ennemis.»</p>
-
-<p class="tb">Cette fois les contradicteurs se sont tus.
-L'argument divin est sans réplique, dans la
-toujours religieuse Anatolie, et c'est au
-milieu d'un silence complet que Djelaleddinc
-Arif bey note le compte rendu officiel et lit
-le projet de loi suivant:</p>
-
-<p>1º <i>L'importation de tous les spiritueux est
-<span class="pagenum">68</span>
-strictement interdite sur toute l'étendue du
-territoire ottoman.</i></p>
-
-<p>2º <i>Tout débit d'alcool sera fermé. Les scellés
-seront apposés par l'Etat sur tous les alambics,
-bidons et barils.</i></p>
-
-<p>3º <i>L'alcool ne pourra se vendre dans le
-commerce que dénaturé et après un contrôle
-de l'Etat</i>.</p>
-
-<p>Les contrevenants seront condamnés à une
-amende de 100 à 500 livres et à une peine
-corporelle variant entre 80 et 100 coups de
-bâton et à une réclusion de 2 à 6 mois de
-prison.</p>
-
-<p>Et, sans plus ample discussion, la loi est
-approuvée. Il y a des pays, n'est-ce pas, où
-cela ne va pas si vite.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg068.jpg" width="100" height="44" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p69" id="p69">69</a></span></p>
-
-<h2>VIII</h2>
-
-<p class="indent">
-<span class="smcap">Ismail sabry bey.&mdash;à la défense
-nationale.&mdash;l'occupation
-de Smyrne.&mdash;L'agression hellène contre
-l'Anatolie.&mdash;Les causes du soulèvement de
-l'Asie-Mineure.&mdash;En Cilicie.&mdash;Deux mots de
-Fevzi pacha, ministre de la guerre.&mdash;Quelques
-proclamations.</span></p>
-
-<p>J'ai rencontré à Angora, dans l'entourage
-de Mustapha Kémal, un ancien ami: Ismail
-Sabry bey, ancien adjudant de la reine Marie
-de Roumanie.</p>
-
-<p>Sabry bey est originaire de la Dobroudja
-et il était capitaine de cavalerie dans l'armée
-roumaine. Mais les déportations et massacres
-qu'eurent à subir les Musulmans de la Dobroudja
-le décidèrent à passer dans les
-rangs de l'armée turque.</p>
-
-<p>C'est aujourd'hui un des membres les plus
-influents du soulèvement kémalisle. Comme
-récompense de ses précieux services et de
-son courage vis-à-vis de l'ennemi, Mustapha
-Kémal pacha le prît à ses côtés.</p>
-
-<p><span class="pagenum">70</span></p>
-
-<p>Sabry bey m'amène au Ministère de la
-Guerre.</p>
-
-<p>Je suis introduit auprès du commandant
-Riza, de l'Etat-Major, qui nous reçoit fort
-aimablement.</p>
-
-<p>A peine la conversation était-elle engagée
-et lui avais-je demandé comment prit naissance
-le mouvement national, il me tendit
-un dossier. Je l'ouvris et y trouvai tout
-d'abord quelques dépêches, qu'il me parait
-intéressant de transcrire ici:</p>
-
-<blockquote>
-
-<p><span class="smcap">Télégramme du commandant d'Aïdine</span></p>
-
-<p class="right padr2">«Le 15 mai 1919.</p>
-
-<p>«Notre correspondance avec Smyrne
-occupée par les Hellènes s'est trouvée
-interrompue. Détails parvenus ici annoncent
-massacres sur population musulmane
-commis par troupes grecques.
-Caractère occupation imprécis. Population
-extrêmement surexcitée.»</p>
-
-<p class="right">«Commandant de la 57<sup>e</sup> Division,</p>
-
-<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick».</span></p>
-
-<p><span class="pagenum">71</span><br /></p>
-
-<p class="right padr2">«Panderma, le 16-5-1919.</p>
-
-<p>«Population Panderma extrêmement
-surexcitée suite occupation injustifiée
-Smyrne.»</p>
-
-<p class="right">«C. div. 14<sup>e</sup> C. Armée,</p>
-
-<p class="right padr2"><span class="smcap">«Yussouf Izzet».</span></p>
-
-<p>«Aïdine (très urgent), le 16-5-1919.</p>
-
-<p>«...Le 14-5-19, six transports hellènes,
-protégés par quelques torpilleurs, commencèrent
-à entrer dans le port de
-Smyrne. La population grecque s'assembla
-en masse sur le quai. Tout d'abord,
-une compagnie de 300 Efzones débarqua
-sur le quai, suivie par d'autres groupes.
-Les forces débarquées se divisèrent en
-deux colonnes, dont l'une prit la direction
-de la caserne et l'autre celle de
-Punta. La population indigène armée
-accompagnait ces troupes; aussitôt les
-quartiers grecs, sis aux environs du
-quai, bissèrent des drapeaux hellènes.
-Au moment où la première colonne fut
-près de la tour de la place de la caserne,
-<span class="pagenum">72</span>
-un coup de feu éclata. Là-dessus un
-choc s'engagea entre nos soldats d'une
-part et les soldats hellènes et la population
-armée d'autre part. Des deux
-côtés aux prises sur les lieux, les pertes
-se montent à plus de 700. Le choc dura
-une heure. Une partie de nos officiers
-et soldats se trouvant dans la caserne,
-furent faits prisonniers. On les conduisit
-à bord du cuirasé Avcroff. D'autres soldats
-ottomans se sont retirés avec leurs
-armes hors de la ville. Les habitants
-grecs de Seydi-Keuy et des environs,
-accourus en armes durant le choc, se
-mirent à piller le local du Gouvernement,
-la caserne et les magasins appartenant
-aux Musulmans. Après l'occupation
-des établissements officiels et de
-ceux de la Sûreté publique, l'armée se
-joint aux bandes grecques pour commettre
-des atrocités tant dans la ville
-que dans les environs. La malheureuse
-population musulmane est assassinée et
-torturée. Guidés par des bandes grecques,
-les soldats hellènes se saisirent de
-<span class="pagenum">73</span>
-quelques-uns de nos officiers et arrachèrent
-leurs uniformes à coups de crosse.
-La population musulmane se réunit
-dans le cimetière juif, dans l'intention
-de s'élever contre l'annexion et de sauvegarder
-ses droits. Elle ne voulut pas
-se disperser et passa la nuit du 15 au
-16 dans le cimetière Israélite continuant
-ses manifestations nationales.
-Après minuit, des coups de fusils et
-de mitrailleuses se firent entendre
-aux environs de ce cimetière. Le feu
-continua dans ce quartier et dura environ
-quatre heures. La population musulmane,
-exposée à ce massacre, dût se
-disperser.</p>
-
-<p>«Durant toute la nuit, on entendait
-partout dans la ville des coups de fusil
-et de bombes. Les dépôts d'armes et de
-munitions, ainsi que les caisses des établissements
-officiels furent entièrement
-pillés par la population locale grecque.
-L'agression se manifesta avec une fureur
-<span class="pagenum">74</span>
-telle que les soldats hellènes en vinrent
-jusqu'à faire usage de leurs mitrailleuses.</p>
-
-<p>«Les atrocités des Grecs furent portées
-au-delà des limites de la ville, des bandes
-grecques formées dans les villages
-se mirent à attaquer aussi les trains et
-les villages musulmans.</p>
-
-<p>«Dans plusieurs villages, des bandes
-helléniques et grecques ont commis aussi
-de nombreuses agressions et leurs actes
-de violence se sont étendus jusqu'aux
-environs de Kouche-Ada et de Soke.</p>
-
-<p>«Les violences ainsi commises par les
-Grecs indigènes, tant en groupes qu'individuellement,
-à l'encontre des lois de
-l'humanité, ont vivement indigné la population
-musulmane d'Aïdine et de ses
-dépendances. Tant que l'occupation de
-Smyrne par la Grèce durera et que les
-violences des bandes grecques continueront,
-l'énervement de la population musulmane
-doit fatalement croître et, par
-conséquent, il y aura lieu de s'attendre
-à des événements regrettables.</p>
-
-<p><span class="pagenum">75</span></p>
-
-<p>«Donc, au nom de l'humanité, il est
-d'une importance extrême de faire les
-démarches nécessaires auprès des représentants
-de l'Entente afin que, dans le
-cas où l'occupation de la ville serait
-nécessaire pour l'Entente, des contingents
-ententistes anglais, français et
-américains viennent seuls effectuer cette
-occupation.</p>
-
-<p class="right">«Le Commandant de la 57<sup>e</sup> Division,</p>
-
-<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick».</span></p>
-
-<p class="right padr2">Aïdine, 17 5-19.</p>
-
-<p><span class="smcap">(Suite télégramme nº 892)</span></p>
-
-<p>«1º) Les membres de l'Etat-Major du
-corps d'armée et des divisions ont été
-arrêtés à Smyrne le jour de l'occupation.</p>
-
-<p>«2º) Les massacres et les pillages commis
-à Smyrne contre la population
-musulmane et contre nos soldats n'ont
-nullement été provoqués par les nôtres,
-mais il existe, au contraire, des preuves
-<span class="pagenum">76</span>
-indiquant qu'ils ont été commis avec
-préméditation par les Grecs indigènes et
-les soldats hellènes.</p>
-
-<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick.»</span></p></blockquote>
-
-<p>Le passage suivant, d'un autre rapport du
-général Nadir pacha, sur les horreurs de
-Smyrne, vaut aussi d'être cité:</p>
-
-<p>«A ce moment furent commis des
-crimes et atrocités inimaginables, que
-réprouveraient les peuples même les
-moins civilisés.</p>
-
-<blockquote>
-
-<p>«Des Grecs, armés de revolvers,
-tiraient continuellement sur le groupe
-des officiers turcs, traversant la rue au
-milieu de deux rangées de soldats hellènes
-d'occupation.</p>
-
-<p>«La population grecque n'a rien
-épargné pour insulter, humilier, torturer
-et frapper les officiers.</p>
-
-<p>«Tous ceux qui étaient à bord des
-bateaux grecs, le long des quais, ainsi
-que tous les soldats hellènes descendus
-dans la rue et la population grecque de
-<span class="pagenum">77</span>
-la ville elle-même, ont participé par
-tous les moyens à cette scène tragique.
-Les officiers turcs, mains en l'air, furent
-contraints de crier «Zito» et un grand
-nombre d'officiers et de soldats furent
-impitoyablement massacrés ou blessés.
-Une pluie battante, mêlée de grêle qui
-commença à tomber peu après, contribua
-heureusement à détourner sensiblement
-ce déchaînement de barbarie.»</p></blockquote>
-
-<p>Si je devais transcrire, ici, la suite de
-dépêches annonçant la destruction d'Aïdine,
-de Ménémen, les massacres de Magnésie,
-etc., la série n'en finirait pas.</p>
-
-<p>Aussi Riza bey me dit que si quelqu'un
-lui demandait pourquoi l'Anatolie est rebelle
-et s'est ainsi soulevée, il montrerait ce recueil
-qu'il gardait précieusement.</p>
-
-<p>Nous causâmes ensuite de la Cilicie. Je
-remarquai avec plaisir qu'aucune rancune
-envers la France n'existait chez ces officiers.
-Seulement Riza bey me donna deux proclamations
-<span class="pagenum">78</span>
-qui venaient d'être rédigées pour
-être jetées par avion sur les troupes françaises.
-Je les reproduis ici à titre documentaire
-et parce qu'ils font ressortir les v&#339;ux
-que formaient alors les nationalistes turcs
-sur la Cilicie.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p class="center">«SOLDATS DE FRANCE!</p>
-
-<p>«Combattants de la République et
-apôtres de la justice, demandez à vos
-chefs pourquoi vous versez encore votre
-sang pour la conquête inutile de la Cilicie
-turque qui ne vous est même pas cédée
-par le traité de Versailles?</p>
-
-<p>«Poilus de France! Songez que votre
-patrie vient de gagner une belle victoire
-en vous rendant l'Alsace et la Lorraine,
-mais vous tacheriez l'œuvre de vos camarades
-morts au champ d'honneur, en voulant
-déchiqueter le peuple turc qui ne
-<span class="pagenum">79</span>
-demande qu'à vivre libre et en bonne
-amitié avec vous.</p>
-
-<p class="tb">«Soldats de France!</p>
-
-<p class="tb">«Si vous poursuivez ces projets, les
-Turcs sont à la veille de s'allier aux rebelles
-arabes. Un exemple frappant est sous
-vos veux. En Mésopotamie, les Anglais
-ont une armée de 100.000 hommes, qui
-est harcelée de tous côtés. Leurs troupes
-ont leurs arrières coupés, sont attaquées
-chaque jour par les Turco-Arabes et périssent
-par milliers. En Cilicie, vous êtes
-en face d'un péril identique et imminent!</p>
-
-<p>«Aujourd'hui, l'époque des conquêtes
-est passée!...</p>
-
-<p>«Est-ce le moment pour la France
-républicaine de dévoiler son ambition, ou
-celui de se mettre au travail et de chercher
-ses vrais intérêts là où ils sont autrement
-que par la force?... Cela demandez le
-<span class="pagenum">80</span>
-à vos chefs, et s'ils ne peuvent vous
-répondre, consultez votre conscience;
-elle vous refusera de déshonorer votre
-histoire en vous ruant sur un peuple qui
-ne demande qu'à vivre libre et tranquille!...»</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="" />
-</div>
-
-<p class="center">«POILUS DE FRANCE!</p>
-
-<p>«Vous avez laissé bien loin derrière
-vous vos villages, vos foyers chéris...</p>
-
-<p>«La guerre est finie depuis longtemps,
-l'Alsace et la Lorraine sont redevenues
-françaises, mais vous, que cherchez-vous
-encore ici?</p>
-
-<p>«Le moment est venu de prendre la
-truelle en main et de réparer les sanglantes
-blessures de la Patrie.</p>
-
-<p>«Le moment est venu pour l'humanité
-entière de respirer, non de conquérir,
-<span class="pagenum">81</span>
-de brûler encore et de verser inutilement
-du sang.</p>
-
-<p>«Poilus de France égarés en Cilicie,
-qu'avez-vous à attaquer les Turcs qui ne
-demandent qu'à vivre tranquilles et amis
-de la France?</p>
-
-<p>«N'oubliez pas vos traditions d honneur
-et de justice, ne perdez pas ainsi
-vos vrais intérêts en Orient!</p>
-
-<p>«Vous combattez pour les beaux yeux
-de l'Angleterre, qui est pour nous tous
-l'ennemi commun.</p>
-
-<p>«Poilu de France! Rentre chez toi,
-profite de la victoire et mets toi à l'œuvre
-avant les Allemands...</p>
-
-<p>«Ne pense pas à vouloir le bien d'autrui!...</p>
-
-<p>«Rentre dans ta douce France, laissons
-les armes pour reprendre la charrue
-et nous remettre enfin à travailler en paix!</p>
-
-<p>«Chacun chez soi! Dieu avec tous!...»</p>
-
-<p><span class="pagenum">82</span></p>
-
-<p>Tandis que nous étions en train de lire
-ces proclamations, le général Fevzi pacha
-entra dans la pièce.</p>
-
-<p>Il me dit quelques mots sur la Cilicie que
-je reproduis ici textuellement. Je n'ai pas eu
-la possibilité de m'entretenir longuement
-avec lui, car il dût me quitter précipitamment
-pour îles affaires urgentes.</p>
-
-<p>Mais ces déclarations, si concises quelles
-soient, confirment les précédentes.</p>
-
-<p><i>Jusqu'à présent</i>, remarque Fevzi pacha,
-<i>nous avions négligé ce front, car nos principaux
-efforts tendaient à résister par tous les
-moyens à l'invasion hellène. Quelques milices
-de volontaires réussissent toutefois, non sans
-éclat, à rendre critique, à certains moments,
-la situation militaire française. Mais nous
-avons toujours voulu régler les affaires de
-Cilicie, sans effusion de sang avec la France,
-car elle a tout intérêt à le faire.</i></p>
-
-<p><i>L'esprit militaire l'a emporté et les Français
-n'ont pas hésité à armer des bandes arméniennes
-pour les lancer dans nos paisibles
-<span class="pagenum">83</span>
-campagnes. Si les Français ne veulent pas
-conclure avec nous un accord qui leur serait
-favorable, la guerre de guérillas continuera
-de plus belle avec l'aide et l'appui que nous
-apporteront les rebelles arabes!</i><br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_pg083.jpg" width="100" height="63" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p84" id="p84">84</a></span></p>
-
-<h2>IX</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">Ce qui se passe en Mésopotamie.&mdash;Le Gouvernement
-Nationaliste arabe de kerbellah.&mdash;Les
-alliés des Kémalistes.&mdash;L'étendard de la révolte en Perse
-et en Arabie.&mdash;L'émir Ali.&mdash;L'attaque
-des convois anglais du Tigre.&mdash;Sur
-les rives de l'Euphrate.&mdash;Arabes et
-Kémalistes.&mdash;A la frontière persane.</span></p>
-
-<p>J'ai pu voir ici un officier kémaliste blessé,
-de l'entourage immédiat de Nihad pacha,
-rentré dernièrement du front de Mésopotamie
-et qui m'a donné de précieuses informations
-sur ce qui se passe dans ces provinces
-éloignées de l'Asie.</p>
-
-<p>En Mésopotamie, la paix est bien loin
-d'être rétablie et la situation ne s'est guère
-éclaircie non plus, comme on l'annonçait
-dernièrement en Angleterre.</p>
-
-<p>Les Anglais, il est vrai, ont réussi à s'établir
-dans le delta et dans les provinces de Bassorah
-et de Kourna, où leurs troupes ont culbuté
-les rebelles arabes qui se sont retirés
-<span class="pagenum">85</span>
-vers l'intérieur. Mais ceux-ci reviennent à
-l'attaque et à présent, en Mésopotamie, l'armée
-anglaise combat sur un front de plus
-de 600 kilomètres, c'est-à-dire de Bagdad
-à Bassorah. Elle est en outre attaquée de
-flanc par les révolutionnaires persans descendant
-de Kermanchah dans le Pouchti
-Kouh.</p>
-
-<p>Un émir arabe, l'émir Ali, parent de l'émir
-Hussein, très influent en Mésopotamie, leva
-le premier l'étendard de la révolte, il y a un
-an de cela. Ce fut le début de la révolution
-arabe dans l'Irak contre l'Angleterre.</p>
-
-<p>Ce chef rebelle entra à Kerbellah, d'où
-la petite garnison anglaise dût se retirer, et
-y installa un gouvernement provisoire à
-l'instar de Kémal pacha à Angora.</p>
-
-<p>Quelque temps plus tard, tandis que les
-Arabes du Monentefîck et du Djebell se soulevaient,
-l'émir Ali envoya une délégation en
-Anatolie pour conclure une alliance avec les
-Kémalistes. Ceux-ci s'empressèrent d'accepter
-et envoyèrent une mission à Kerbellah,
-accompagnée d'officiers d'Etat-Major demandés
-<span class="pagenum">86</span>
-par l'Emir. C'est ainsi qu'à la fin de l'été
-1920, les Arabes, suffisamment organisés et
-très nombreux, entreprenaient la lutte depuis
-Bagdad jusqu'à la mer. D'autre part, le
-13º corps d'armée kémaliste, sous les ordres
-du général Nihad pacha-alors à Diarbékir
--se mit à descendre le Tigre et il investissait
-Mossoul où la garnison anglaise, coupée
-de Bagdad, ne put résister.</p>
-
-<p>Nihad pacha continua son avance et installa
-en octobre dernier son Quartier général
-à Mossoul, tandis que ses 2º et 5º divisions
-combattaient avec l'aide des Arabes à
-Samara.</p>
-
-<p class="tb">Les Persans à leur tour, ayant proclamé
-un gouvernement nationaliste à Tabriz,
-s'allièrent aux Kémalistes et ne tardèrent
-pas à faire irruption en Mésopotamie. C'est
-ainsi que les troupes britanniques virent un
-troisième front surgir sur le champ de bataille.</p>
-
-<p>Quoique très mal équipées et mal organisées,
-ces bandes persanes causent de grands
-<span class="pagenum">87</span>
-dommages aux Anglais, car ils mènent sur la
-rive gauche du Tigre une guerre de guérillas
-qui retient de ce côté une quantité de troupes
-obligées de protéger les convois de ravitaillement
-remontant le Tigre vers Bagdad.</p>
-
-<p>Ces convois sont souvent attaqués par des
-insurgés arabes qui, blottis par milliers dans
-les roseaux et les bambous des rives et des
-marécages, ne cessent de mitrailler tous les
-navires qui passent.</p>
-
-<p>Ceux-ci sont naturellement tous armés et
-les Anglais ont organisé des escadrilles de
-moteurs blindés accompagnés d'hydro-avions
-qui parcourent sans cesse tout le cours du
-fleuve y faisant la police. Dans chaque village
-riverain sont installés des postes munis
-de fortes garnisons et entourés de fils de
-fer barbelés, ce qui n'empêche pas les Arabes
-de les attaquer sans trêve et tout le voyage
-des bateaux circulant de Bassorah à Bagdad
-s'effectue le plus souvent sous une pluie de
-balles.</p>
-
-<p>A l'organisation impeccable des Anglais le
-long du Tigre, les Arabes répondent par le
-<span class="pagenum">88</span>
-nombre de leurs combattants, qui pullulent
-et sont bien approvisionnés en armes et
-munitions.</p>
-
-<p>L'émir Ali a réussi à se procurer quelques
-batteries de canons de campagne et de nombreuses
-mitrailleuses.</p>
-
-<p>Les insurgés arabes en Mésopotamie emploient
-audacieusement une singulière tactique
-pour attaquer et détruire les convois
-fluviaux britanniques quoique ceux-ci soient
-armés.</p>
-
-<p>De nuit, des centaines de soldats arabes se
-munissent de peaux de moutons qu'ils gonflent
-en guise de bouée et ils entrent sous
-cet accoutrement dans le fleuve se laissant
-ainsi entraîner par le courant en masses
-compactes pour se cramponner à l'étrave
-des bateaux et se hisser sur le pont à l'aide
-de bambous recourbés. Ils font alors irruption
-de tous les côtés à la fois et attaquent
-au poignard les passagers et les équipages;
-ceux-ci ne pouvant plus se défendre avec
-leurs armes sont massacrés de la sorte.</p>
-
-<p><span class="pagenum">89</span></p>
-
-<p>Le bateau, après qu'ils l'ont échoué, est
-dévalisé par les insurgés.</p>
-
-<p>L'émir Ali a installé son gouvernement à
-Kerbellah où sont concentrés les principaux
-ministères. Percevant les impôts sur toute la
-population de l'Euphrate, ce gouvernement,
-dont l'existence est inconnue peut-être en
-Europe, à son budget et fonctionne presque
-normalement. L'émir lutte pour l'indépendance
-de la Mésopotamie et l'on m'assure
-qu'il a plusieurs fois déclaré son attachement
-à la France et aux Turcs. C'est un homme
-âgé d'une quarantaine d'années, très énergique
-et très aimé de tous les Arabes de
-l'Irak.</p>
-
-<p>L'Angleterre se heurte avec lui à un ennemi
-puissant, respecté et en parfaite solidarité
-avec les kémalistes turcs qui luttent à ses
-côtés.<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 100px;">
-<img src="images/i_102.jpg" width="100" height="20" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p90" id="p90">90</a></span></p>
-
-<h2>X</h2>
-
-<p class="indent"><span class="smcap">L'exilée d'Angora.&mdash;Halidé Edib Hanuum.&mdash;Une
-visite à sa ferme.&mdash;La romancière
-Kémaliste.&mdash;L'amazon d'Anatolie.&mdash;Les
-fusils dans la pénombre.&mdash;Désenchantée
-1920.&mdash;La fuite d'Halide de
-Constantinople.&mdash;Ce qu'elle dit du
-Mouvement national.</span></p>
-
-<p>A la direction générale de la presse kémaliste,
-un ami m'avait proposé d'aller voir, avant
-de quitter Angora, Halidé Edib Hanoum,
-fougueuse propagandiste de la cause nationaliste
-et écrivain d'une indéniable valeur.
-Le soir même une voiture nous menait avec
-force cahots, à travers les rues mal pavées
-de l'antique Ancyre. Nous avancions sur une
-route poudreuse menant à la ferme modèle,
-dépendance de l'Ecole d'agriculture d'Angora
-sise à environ une heure de la ville.</p>
-
-<p>De temps en temps, nous croisions sur
-notre chemin quelques «tchétés» kémalistes
-armés et montés sur de beaux chevaux. Ils
-font partie de ces bandes, de formation
-<span class="pagenum">91</span>
-nouvelle, qui s'exercent à la petite guerre en
-attendant d'être dirigées vers le front.</p>
-
-<p>Chacune des bandes de «tchétés» est
-munie d'une mitrailleuse et comprend 50 cavaliers
-armés jusqu'aux dents. Les grenades à
-main qu'ils suspendent à leur ceinture et
-que ces cavaliers trimballent avec eux, sont
-la terreur constante des habitants d'Angora.</p>
-
-<p>Au café où ils s'attablent, ils conservent
-toujours ces dangereux joujoux auprès d'eux,
-parfois ils s'amusent à les démonter et les
-explosions par accident ne sont pas rares,
-qui font voler en éclats tout le café, tables
-chaises et clients!</p>
-
-<p>Aussi le gouvernement a-t-il pris la décision
-d'interdire le port de ces bombes à
-l'intérieur de la ville.</p>
-
-<p>Tandis que notre voiture passe, je les vois
-esquisser une merveilleuse «fantasia» sur
-leurs fringants chevaux qu'ils montent admirablement
-bien.</p>
-
-<p>Au bout d'une heure de course nous arrivons
-à une ferme champêtre et gaie émergeant
-d'un bouquet de feuillage, le long d'une
-<span class="pagenum">92</span>
-petite rivière aux eaux claires et très poissonneuses.
-Devant la ferme est un grand verger,
-puis une prairie ombragée où paissent tranquillement
-des vaches. Tout est calme et
-silencieux. C'est un lieu bien choisi pour
-servir de refuge à l'àme ténébreuse et mélancolique
-qui est venue s'y exiler... Tout à
-coup un galop pressé retentit. Nous voyons
-arriver de loin une femme montée sur un
-superbe pur sang. Le vent s'engouffre dans
-les plis de son «tcharchaf» noir. Elle est
-chaussée de bottes d'homme. Sa ceinture
-s'orne d'une cartouchière et d'un revolver à
-la «cow-boy». C'est Halidé Edib Hanoum.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p>Quelques minutes plus tard, nous étions
-dans une petite pièce située au prcmier étage
-et transformée en salon. Quelques meubles
-purement turcs d'une simplicité rustique.</p>
-
-<p>Dans un coin, luit dans la pénombre l'acier
-poli d'une dizaine de fusils, revolvers et
-poignards rangés avec précaution. Sur une
-petite table est un «samovar» russe et au
-<span class="pagenum">93</span>
-milieu de la pièce un grand «mangal»<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class="fnanchor">2</a> de
-cuivre.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2"></a><a href="#FNanchor_2"><span class="label">2</span></a> Réchaud à charbon turc.</p></div>
-
-<p>Nous nous asseyons sur des «minders»<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">3</a>
-à la turque adossés aux fenêtres donnant sur
-le balcon d'où la vue s'étend sur de riches
-plantations. Halidé Edib a pris place en face
-de nous. Elle a gardé son «tcharchaf»,
-le voile relevé.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3"></a><a href="#FNanchor_3"><span class="label">3</span></a> Divan à la turque.</p></div>
-
-<p>Tandis qu'elle parle, je l'observe. Notre
-interlocutrice est une belle femme entre les
-deux âges, aux yeux noirs et au regard langoureux.
-Les péripéties de sa fuite en compagnie
-de son mari, le docteur Adnan bey,
-méritent d'être narrés.</p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p>Déguisés en villageois et ayant chargé
-leurs effets sur un char à b&#339;ufs plein de
-paille, des «tcharik» aux pieds, un aiguillon
-en main, c'est en cet agreste équipage que
-Halidé Edib s'achemina sur la route menant
-de Scutari à Alemdagh.</p>
-
-<p><span class="pagenum">94</span></p>
-
-<p>Mari et femme errèrent ainsi quinze jours
-durant, le long de chemins isolés, logeant
-dans des hans affreux et peuplés de vermine...
-Ils ne furent reconnus qu'a leur arrivée à
-Ada-Bazar.</p>
-
-<p>Halidé Edib nous retient à prendre le thé.
-Une petite paysanne nous sert sur un plateau
-du beurre frais provenant de la ferme et des
-confitures préparées par la fermière.</p>
-
-<p>«Nous ne manquons de rien, me dit Halidé
-Edib Hanoum, la terre de nos aïeux, la belle
-et riche Anatolie, malgré toutes ses blessures
-béantes, est encore généreuse. L'Europe a
-beau ne rien envoyer, nous trouverons
-longtemps encore sur la terre de l'exil des
-tchariks pour nous chausser et des vêtements
-de bure...»</p>
-
-<p>Puis, tandis que je la questionnais sur le
-mouvement national, l'éminente romancière
-et poète turque me répondit sans hésitation:</p>
-
-<p><i>«Vous nous voyez ici, nous avons tout laissé
-derrière nous, maisons, famille, notre Bosphore
-chéri aux-riantes rives... Nous avons abandonné
-<span class="pagenum">95</span>
-tout cela pour prendre les armes et
-lutter à la défense de nos monts et de nos
-terres que l'on veut faire envahir par nos
-plus vils ennemis...</i></p>
-
-<p><i>«Au commencement de la guerre générale
-qui a déchaîné le feu dans le monde entier, je
-me trouvais à Constantinople. Lu ruée germanique
-sur la Belgique, fut douloureusement
-ressentie par la plupart des Turcs, car la
-Turquie elle aussi sait jusqu'où va la violence
-de certaines nations européennes que l'ambition
-rend aveugles...</i></p>
-
-<p><i>«Les vrais Turcs sentaient l'approche d'un
-malheur... ils savaient que l'Allemagne avait
-entre les mains les rênes de l'Empire, mais ils
-frémirent tous d'horreur à la destruction de
-Louvain, aux horreurs germaniques en Belgique.
-Il serait inutile de rappeler l'indignation
-que la violation de la Belgique par les armées
-du Kaiser, souleva dans le monde entier.</i></p>
-
-<p><i>«Pourtant, cinq années plus tard, une
-violation plus monstrueuse encore était accomplie
-envers la Turquie qui avait déposé les
-<span class="pagenum">96</span>
-armes en se fiant à l'armistice de Moudros et
-au 12<sup>e</sup> principe de Wilson qui lui donnait
-droit à la souveraineté turque sur les territoires
-turcs de l'Empire ottoman...</i></p>
-
-<p><i>«On jeta sur un peuple désarmé, l'armée
-grecque qui occupa Smyrne, y commit des
-massacres sans précédent et mit à sac les plus
-belles provinces de l'Anatolie... Aujourd'hui,
-des villes d'Aïdine, de Ménémen, Nazeli, il ne
-reste qu'un amas de décombres...</i></p>
-
-<p><i>«A toutes ces horreurs, personne n'eut de
-cris d'indignation, pas un sursaut de révolte
-ne se manifesta et pourtant ces villes, ces
-populations, ces contrées dévastées, mises à
-feu et à sang, font partie de l'humanité!</i></p>
-
-<p><i>«Et l'on prétend que les nationalistes turcs
-sont dans leur tort I Mais quel peuple au
-monde n'en aurait pas fait autant sinon plus?</i></p>
-
-<p><i>«Les misères et les horreurs sans précédent
-dont la population turque de Constantinople
-est victime depuis que les Anglais y sont les
-maîtres sont indescriptibles.</i></p>
-
-<p><i>«Les étrangers, parmi lesquels de rares
-<span class="pagenum">97</span>
-officiers français restés à Stamboul, sont
-témoins des occupations à main armée des
-maisons turques qui ont plu à MM. les
-Officiers anglais.</i></p>
-
-<p><i>«A tout cela d'autres témoignages viennent
-s'ajouter: les coups de crosse et de cravache
-administrés par des soldats australiens, polynésiens
--apôtres de la civilisation britannique
--aux malheureux voyageurs qui sont
-obligés d'attendre dix jours sur pied pour
-obtenir un visa anglais au quai de Galata.
-Et les familles jetées sans raison dans la rue,
-et les harems violés, les arrestations brutales
-pour ceux qui sont connus être francophiles
-convaincus, et l'horrible censure interalliée,
-anglaise plutôt, qui étouffe la voix de la
-presse turque laissant les feuilles grecques et
-arméniennes déverser des articles mensongers
-et injurieux envers la Turquie, que de tracasseries,
-odieuses et pires!</i></p>
-
-<p><i>«La Turquie n'est pas entrée de sa propre
-volonté dans la guerre générale; c'est elle,
-néanmoins, qui a été le plus injurieusement
-<span class="pagenum">98</span>
-traitée, plus que l'Allemagne, plus que l'Autriche
-et même que la Bulgarie.</i></p>
-
-<p><i>«Un peuple qui a le moindre sentiment de
-patriotisme ne devait-il pas prendre les armes
-pour soutenir une lutte désespérée... et ne sait-on
-pas que les peuples exaspérés sont souvent
-redoutables?</i></p>
-
-<p><i>«Mustapha Kémal, dans la lutte suprême
-qu'il a entreprise, a réveillé d'autres peuples?
-asiatiques opprimés.</i></p>
-
-<p><i>«Le bolchevisme se changera fatalement en
-Asie en un soulèvement général, car les droits
-de tout peuple de disposer de lui-même que
-Wilson a proclamés, ainsi que les idées des
-communistes envers les capitalistes ont réveillé
-l'Asie.</i></p>
-
-<p><i>«Nous sommes aujourd'hui liés étroitement
-aux Musulmans de la Chine et des Indes et
-nous savons exactement vers quel dénouement
-marchent les événements que quelques diplomates
-inconscients ont provoqués.</i></p>
-
-<p><i>«Le grand Congrès asiatique de Bakou est
-un pas en avant. La révolte des peuples opprimés
-<span class="pagenum">99</span>
-de l'Asie est proche. Demain, lorsque
-toutes les colonies britanniques seront mises à
-feu, M. Lloyd Georges réfléchira sur la
-fatalité qui pèse sur des oppresseurs nourris
-d'ambitions...»</i></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 30px;">
-<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" />
-</div>
-
-<p>Il me souvient d'avoir visité naguère, sur
-les rives du lac de Genève, à Coppet, le
-château où s'exila Mme de Staël. La ferme de
-Halidé Edib m'a rappelé involontairement
-ce pittoresque refuge de Mme de Staël. A
-l'instar de l'auteur de Corinne, l'exilée
-d'Angora entretient une active correspondance.
-Elle écrit environ trente lettres par
-jour à différents personnages en vue, d'Angleterre
-et d'Amérique. Elle compte publier, à
-ce qu'elle m'a affirmé, un recueil de «Lettres
-d'Anatolie», qui sera évidemment du plus
-vif intérêt.</p>
-
-<p>Mais que dirait Pierre Loti de ces «Désenchantées»
-nouveau style!</p>
-
-<p>Les voilà à l'œuvre et en plein dans la
-vie active...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="p100" id="p100">100</a></span></p>
-
-<h2>XI</h2>
-
-<p class="center smcap">En quittant la terre kémaliste</p>
-
-<p>Quelques jours après ce long et si curieux
-voyage, je m'embarquais de nouveau à Inéboli,
-sur un paquebot en partance pour
-Stamboul...</p>
-
-<p>L'impression laissée par ce que j'ai vu en
-Anatolie, est de celles que de vains commentaires
-affaibliraient; elle est dans la simplicité
-et la véracité des faits de nature à jeter sur
-le kémalisme des lueurs nouvelles qui
-éclaireront, je l'espère, les esprits impartiaux.
-Quant aux autres...</p>
-
-<p>Tandis que je prenais place dans un
-canot qui devait m'amener à bord, je répétai
-plusieurs fois à un compagnon de voyage
-qui devait repartir pour Angora:
-« Dites à Mustapha Kémal pacha, que le
-respect et l'admiration que j'ai pour lui,
-après que je l'ai vu à l'œuvre, sont si grands,
-que je l'appellerais partout avec fierté
-«l'Apôtre de la Résurrection turque!»</p>
-
-<p><span class="pagenum">101</span></p>
-
-<p>Tandis que le canot s'éloignait du rivage,
-je distinguais encore sur le quai, quelques
-soldats anatoliens, leurs cartouchières fièrement
-rangées sur leur poitrine, qui contemplaient
-l'horizon azuré de la Mer Noire avec
-de grands yeux illuminés.</p>
-
-<p>Quelques heures après, notre bateau levait
-l'ancre. Sur la passerelle, je restais debout
-à regarder s'éloigner ces rives kémalistes,
-ces côtes de l'Anatolie indépendante, tout
-entière absorbée dans une lutte désespérée,
-mais si sublime, contre tant d'adversaires à
-la fois...</p>
-
-<p>La nuit couvrait déjà la mer, lorsque là-bas,
-derrière nous, sur la ligne fuyante du
-large, je vis disparaître ce coin de terre
-natale, resté encore si fièrement turc en ce
-monde !...<br /><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 70px;">
-<img src="images/i_101.jpg" width="70" height="39" alt="ornament" />
-</div>
-
-<p class="center">______________________________________<br />
-<small>Imp. R. Dousinelle, 3-5-7, rue St-Pierre, St-Germain-en-Laye.</small></p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of A Angora aupres de Mustafa Kemal, by
-Alaeddine Haidar
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL ***
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