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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: A Angora aupres de Mustafa Kemal - -Author: Alaeddine Haidar - -Release Date: December 31, 2015 [EBook #50805] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL *** - - - - -Produced by Turgut Dincer (This file was produced from -images generously made available by The Internet Archive) - - - - - - -------------------------------------------- - NOTE: - Texte entre soulignements sont en Italiques. - -------------------------------------------- - - Alaeddine Haidar - - Envoyé de Presse - - - - - A ANGORA - - AUPRÈS DE - - MUSTAPHA KÉMAL - - - Dédié à - M. Pierre LOTI - _de l'Académie française_ - En hommage très respectueux - envers - notre Grand Défenseur. - - -[Illustration] - - ÉDITIONS "FRANCE-ORIENT" - 5, Avenue de l'Opéra, 5 - PARIS - - - - -AVERTISSEMENT - -«France-Orient» est une tribune libre, un tribunal d'enquêtes, si l'on -veut, mais sans juges, ni accusés, à plus forte raison, où sont admis -et écoutés tous les plaidoyers sincères, courtois et loyaux. - -En accueillant, au moment de la Conférence de Londres, ce Carnet de -route d'un Correspondant de guerre turc, en présentant au public -français averti cette charmante plaidoirie, cette séduisante -description du pays, de l'âme, de la foi kémalistes, vus par des yeux -francs de jeunesse et de patriotisme fervent, le Comité France-Orient, -entend prouver à ses amis ottomans--qui le sont restés malgré toutes -les vicissitudes, les inimitiés passagères et les emprises cruelles -pour tous, d'un seul ennemi déloyal et irréconciliable--que la France -est toujours la véritable Terre indépendante et libre du Droit et de la -Justice. - -Alaeddine Haïdar bey élevé à Genève, dans la blancheur des cimes et -la pureté des lacs suisses, en reflète la clarté dans le décor plus -sévère, mais non moins agreste des Alpes Politiques. On dirait, à le -suivre agréablement au fond de cette mystérieuse Anatolie, que nous -nous imaginions plus rude, un peu sauvage, pour tout dire--si loin de -Paris évidemment--on dirait que le ranz des vaches prolonge là-bas -les sons grêles et rauques, tour à tour, des cornes et sonnailles du -Lauberhorn, dans le silence attentif du soir... - -Notre Correspondant, aux souvenirs de Coppet, y découvre jusqu'à -l'esprit, non moins aventureux, de Mme de Staël, dans le cœur des -nouvelles _Désenchantées_ que «leur ardeur poétique et guerrière, toute -la fougue de l'amazone kémaliste, l'éminente poétesse et romancière -turque Halidé Edib Hanoum, a conduites à Angora, pour la lutte de -l'Indépendance et de la Liberté». - -L'image vénérée du grand défenseur de l'Islam, notre Loti, auquel -Alaeddine--j'allais écrire Aladin tant sa lampe est vraiment -merveilleuse--a dédié ces feuilles éparses au vent de l'Ilkaz, plane -aussi dans cette atmosphère lumineuse «qui rappelle les beautés -d'Ispahan et les charmes d'Aziyadé». Ceci n'est pas pour nous déplaire -et la flatterie de cette dédicace touche au plus délicat asile de l'âme -française qui déplorait la «mort de notre chère France en Orient». - -Et nous voici déjà un peu loin du Mont Blanc quand tout à coup surgit -Guillaume Tell. C'est Mustapha Kémal, l'hôte au kalpak noir, campé à -Angora, comme sous la tente, où il concentre toute sa force de travail -dans les veillées prolongées de ses nuits de stratège qui ont émacié -son corps et roidi sa volonté froide. C'est le «prédestiné coranique» -qui d'un seul mot, terrible et fort, irrésistible, propagé, dans -un trait de poudre, jusqu'à l'Afghanistan, jusqu'à la Perse, dans -l'Azerbaïdjan, à Bokhara, en Arabie, a précipité sur ses pas toute une -foule hétéroclite de peuplades indisciplinées, depuis les Tartares et -les Kirghis du Turkestan jusqu'à des nègres et des chinois enfuis de -la Russie bolchéviste--les hordes de Djenghiz khan--vers la guerre -sainte, vers l'indépendance sacrée. - -Car c'est cela que fait ressortir notre Correspondant de presse, -cette vérité contre laquelle des erreurs plus ou moins volontaires ne -sauraient prévaloir. - -C'est l'indignation et l'exaspération d'un peuple, c'est le réveil de -la conscience turque qui ont mis l'Anatolie à feu et à sang. - -Celui qu'on nous a si faussement représenté comme un chef de -bandits, le conducteur infatué de ce troupeau de chèvres d'Angora -dont les bonds capricieux troublent les vallées profondes et les -puits de pétrole de la Mésopotamie, est, en réalité, nous dit Haldar -bey, un conducteur d'hommes et plus encore, un apôtre, l'apôtre de -la Résurrection islamique. Tout autour de lui respire son souffle. -De toutes parts, les volontaires sont accourus, les «tchétés», les -francs-tireurs, escarmoucheurs de guérillas et de raids nocturnes, dont -l'organisation secrète met en déroute et tient en haleine l'Europe -entière déconcertée. Du fond des Indes, le Monde musulman a, de -même, tressailli à sa voix contre l'ennemi qui suppute les chances -de démembrement du vaste empire d'Osman en faveur de ses clients -byzantins. Le pays kémaliste, c'est la Turquie tout entière et c'est -tout l'Islam, ne l'oublions pas. - -Certes, des éléments disparates y foisonnent et les soviets n'en sont -pas, apparamment, le moindre facteur, instrument d'occasion, d'ailleurs -redouté, dont le maître se sert «comme des serpents auxquels on -s'accroche quand on se noie» selon le mot imagé d'un vieux turc de la -Corne d'Or. Mais l'Islam est essentiellement réfractaire, de par les -hadith mêmes du Coran, au Bolchevisme. Le Prophète n'a-t-il pas dit: -«Si vous êtes des séditieux, Dieu vous châtiera» et le proverbe turc -n'ajoute-t-il pas: «Je suis Seigneur, lu et Seigneur, qui est-ce qui -étrillera l'âne?» - -C'est, en deux mots, tout le respect de l'autorité et de la propriété -si chères aux sectateurs de Mahomet. - -Le danger rouge et vert n'est qu'un trompe-l'œil en Turquie. Les -soviets de Russie ne l'ignorent point. L'article premier du traité de -Bakou stipulait en effet nettement: «La Russie des Soviets s'engage à -cesser toute propagande communiste sur tout le territoire turc pendant -la durée du présent engagement». Voudraient-ils continuer qu'ils -ne le pourraient pas, ajoute fort judicieusement notre confrère M. -Georges Labourel, en commentant cette situation dans l'Echo de Paris -du 12 Janvier dernier, car c'est Zinovieff lui même qui déclare que -le communisme chez les musulmans n'est qu'une «idée enfantine». Le -Turc est avec Moscou par opportunisme, parce que Moscou peut l'aider -dans sa lutte, propter necessitatem. Et cette nécessité répond encore -à une loi profonde de l'Islam; c'est la méthode d'islamisation si -fortement mise en lumière par les célèbres commentateurs du Coran. Le -dogme fondamental, en législation musulmane, de la Contrainte, domine -les moslems, des Résignés en Dieu, qui ne prennent les armes que pour -défendre le Croissant, ne se soumettant à la force qu'aussi longtemps -qu'ils ne peuvent s'y dérober. Si le musulman continue à obéir à une -loi non islamisée, dès qu'il est en état de repousser la contrainte, il -devient passible du feu éternel. Il ne peut, en conséquence, refuser -d'obéir à une loi islamisée. C'est pour n'avoir pas su deviner cette -nécessité ou pour avoir voulu pratiquer cette méthode d'islamisation -par la force que les Allemands ont fait dévier l'organisme ottoman -et précipité ce pays à l'abîme. C'est pour la méconnaître que la -Grande-Bretagne, afin d'enrayer, s'il se pouvait, la colère islamique -redressée contre son hostilité, dépêche en vain ses missi dominici -protestants vers les Arabes que Mustapha Kemal peut rallier d'un signe, -du signe de détresse et d'excommunication aussi, c'est pour l'oublier -enfin que nos troupes de Cilicie s'exposaient aux pires attaques. - -La Conférence de Londres rectifie les positions, mais tirons en cet -enseignement grave, si profitable à nos intérêts français, c'est -qu'en islamisant notre progrès en Turquie, en acceptant de traiter -avec égards l'adversaire d'hier--d'ailleurs contraint et forcé -et loyal autant que courageux--en reconnaissant la valeur de son -droit à la vie et à l'indépendance promise aux peuples selon leurs -aspirations ethniques, et non selon les nôtres, nous aurons travaillé -à la «Résurrection de la France en Orient». C'est ce que nous disait -récemment, en suggérant cet autre titre au prochain livre de Loti, -une Auguste Princesse Musulmane, dont les yeux de foi et de lumière, -l'âme mystique et pure de l'Orient voilée sous la modestie royale, -ont illuminé de son ardent patriotisme et guidé la marche à l'étoile, -l'enchantement joyeux à travers les horreurs de la guerre d'Alaeddine -Haïdar et le nôtre par surcroît, avec nos espérances d'un rapprochement -d'amitiés séculaires-sur le chemin d'Angora chez Mustapha Kêmal. C'est -l'intérêt principal de ces lignes un peu rétrospectives mais qui -jettent, pour nous Français surtout, une projection profitable vers -l'avenir de la France en Orient. - - P. ABDON-BOISSON, - - Secretaire général fondateur du Comité "France-Chient", - Délégué politique à la Section "France-Turquie". - - - - -PRÉFACE - - On peut tuer le Turc... On ne - peut pas le vaincre. - - (NAPOLÉON I^{er}.) - - -_Il y a de cela exactement sept ans, en 1913, M. Georges Rémond, -correspondant de guerre de L'Illustration, au camp turco-arabe de -Tripolitaine, écrivait à son retour:_ - -_«J'avais appris qu'un peuple n'est point vaincu, quelles que soient -les forces qui le menacent, tant qu'il ne se résigne pas lui-même: -qu'il trouve dans sa religion son plus efficace moyen de résistance, -et que la force et la durée de celle-ci devraient être mesurées «la -profondeur de sa foi.»_ - -_L'auteur citait encore dans ce même livre une phrase de Napoléon -I^{er} sur les Turcs, une phrase vieillie, mais dont on commence à -reconnaître en France la justesse:_ - -_«Je serai utile à mon pays, si je puis rendre la force des Turcs plus -redoutable à l'Europe.»_ - -⁂ - -_Rentré d'Angora, je viens d'écrire ces notes, ces articles, et je les -réunis ici. Cest un amas d'impressions très disparates. Le lecteur y -trouvera peut-être toutefois quelque lumière sur ce qu'est le mouvement -nationaliste turc en Asie mineure, tant calomnié, si peu connu._ - -_Arrivé à Constantinople, j'adressais ces mots à une Revue française:_ - -_«Je rentre d'Angora, de l'Anatolie soulevée et luttant contre ceux -qui veulent s'étouffer; je tiens à faire entendre en France--la seule -terre de liberté à l'étranger où peut encore s'élever la voix des -opprimés--un cri bien faible hélas, en faveur d'un peuple entier qui -lutte pour la défense du sol natal..._ - -_«Là-bas, tous--jeunes et vieux--ont pris les armes, en ont trouvé -Dieu sait où, car la Turquie désarmée fut honteusement attaquée à -Smyrne. Tous, jeunes et vieux, se sont levés pour la défense du -territoire ottoman, pour cet idéal humain le plus impérieux: La lutte -pour la vie!_ - -_«Stamboul, notre cher et paisible Stamboul de jadis, le sol sacré de -notre foi, le berceau de notre nation est sous la menace persistante -des bouches à feu des cuirassés britanniques, prêts à vomir la mort, -prêts à réduire en poudre nos mosquées, nos turbès, nos minarets et nos -palais qui ne sont plus nôtres..._ - -_«A Stamboul, où l'on chérissait la France, règne la terreur hypocrite -des Britanniques, qui s'efforcent de saper l'ouvre française établie en -Turquie depuis des siècles.»_ - -_Stamboul... l'Anatolie... quels contrastes! Quels aspects!_ - -_Tandis qu'ici l'âme turque se sent morfondue, là-bas, sur la terre -indépendante encore, on respire la liberté, la liberté de vivre!_ - -_En Europe, l'argent grec, l'or anglais font leur œuvre basse de -calomnies: «une bande de brigands qui lèvent leurs yataghans sur la -tête des malheureux chrétiens d'Orient». Des chrétiens? Etaient-ce -des chrétiens ceux qu'on a vus à l'œuvre, au nom de la civilisation -britannique dans les carnages de Smyrne, de Ménémen, d'Aïdine et de -Nazeli? Les milliers d'émigrés qui logent à la belle étoile à Angora, à -Konia, fuyant les armées de la civilisation, sont trop loin de ce monde -civilisé pour qu'il y prête attention!_ - -_Mais l'Angleterre même hésite aujourd'hui devant la lutte suprême des -Turcs, car ceux-ci que l'on croyait morts ressuscitent..._ - -_Oui, ce qu'une poignée d'hommes a réussi à faire à Angora, contre les -volontés coalisées de l'Europe, dépeint admirablement le droit d'un -peuple et sa volonté inébranlable..._ - -_Il y a au monde deux Irlande... la vraie et celle des Turcs... Elles -ont fraternisé et luttent contre un même ennemi pour un idéal commun..._ - -_ALAEDDINE HAIDAR._ - - -[Illustration: MUSTAPHA KÉMAL PACHA - -Chef des Nationalistes Ottomans et du Gouvernement d'Angora.] - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - - I.--En Mer Noire.--Des signaux mystérieux.--En vue des - côtes kémalisles.--L'antique Inépolis.--Sur la terre - indépendante.--Un peuple qui a pris les arms.--En route vers - Angora.--Les haltes dans les montagnes.--La Suisse anatolienne - on les Alpes Politiques.--Edjevid, l'auberge et relai perdu - dans les monts. - - II.--A Castamouni.--La ville déserte, tous soldats. - Le vendredi.--L'art et les paysans.--Les merveilles - de Castambol.--Djemal bey.--Le départ et les monts de - l'Ilkaz.--Distractions et compagnons de voyage.--Les relais à - l'intérieur de l'Asie-Mineure.--L'hospitalité traditionnelle - des Turcs.--La monotonie des longues routes.--Tchanghri.-- - Enfin Angora. - - III.--Angora, l'antique Ancyre.--Ce que l'on voit dans ses - rues.-La crise des logements.--Où il me faut loger dans une - armoire.--Le chef des Nationalistes.-Ce qu'est le soulèvement - kémaliste.--Son but.--Son armée.--Kémalisles, Bolcheviks et - Peuples de l'Asie. - - IV.--Comment Mustapha Kémal organise des groupes de - francs-tireurs contre l'armée grecque.--Les «tchétés» - volontaires.--Organisations secrétes de l'arrière-front.-Les - guérillas eu Anatolie.--Formation des corps d'armée à - l'intérieur.--Au Conseil asiatique de Bakou. - - V.--A la Sublime--Porte d'Angora.-Les ministères. - --Aux Affaires étrangères.--Une entrevue avec Mouhktar - bey, vékil aux Affaires étrangères.--Le 12^e point de - Wilson.--L'offensive des Hellènes.--En Cilicie.--Les - servitudes étrangères.--Le but des nationalistes turcs. - - VI.--En tête à tête avec Mustapha Kémal.--La maison du - chef de gare.--Ce que dit le chef des nationalistes - turcs.--L'offensive en Arménie.--Le traité de Sèvres et les - Hellènes en Asie-Mineure. - - VII.--A la Chambre d'Angora.--Déclaration d'Ismaïl Fazil - pacha.--Comment le mouvement national prit naissance.--Son - historique.--Stamboul et Angora.--Les débats au - Parlement.--Une discussion intéressante.--La loi supprimant - l'alcool.--Les ravages des boissons fermentées en Anatolie.-- - L'argument religieux.--La loi est approuvée. - - VIII.--Ismaïl Sabry-bey.--A la Défense nationale. - --L'occupation de Smyrne.--L'agression hellène contre - l'Anatolie.--Les causes du soulèvement de l'Asie-Mineure.--En - Cilicie.--Deux mots de Fevzi pacha, ministre de la - guerre.--Quelques proclamations. - - IX.--Ce qui se passe en Mésopotamie.--Le gouvernement - nationaliste arabe de Kerbellah.--Les alliés des - kémalistes.--L'étendard de la révolte en Perse et en - Arabie.--L'émir Ali.--L'attaque des convois anglais du - Tigre.--Sur les rives de l'Euphrate.--Arabes et Kémalistes.--A - la frontière persane. - - X.--L'exilée d'Angora.--Halidé Edib Hanoum.--Une visite à sa - ferme.--La romancière kémaliste.--L'amazone d'Anatolie.--Les - fusils dans la pénombre.--Désenchantée 1920.--La fuite - de Halidé de Constantinople.--Ce qu'elle nous dit sur le - soulèvement national. - - XI.--En quittant la terre kémaliste. - - - - - A ANGORA - - AUPRÈS DE - - MUSTAPHA KÉMAL - - _Carnet de route - d'un Correspondant de guerre._ - - - - I - - EN MER NOIRE.--DES SIGNAUX MYSTÉRIEUX.--EN VUE DES CÔTES - KÉMALISTES.--INÉBOLI, L'ANTIQUE INÉPOLIS.--SUR LA TERRE - INDÉPENDANTE.--UN PEUPLE QUI PREND LES ARMES.--EN ROUTE - VERS ANGORA.--LES HALTES DANS LES MONTAGNES.--LA SUISSE - ANATOLIENNE OU LES ALPES PONTIQUES.--EDJEVID, L'AUBERGE ET - RELAI PERDU DANS LES MONTS. - - - Fin Septembre 1920. - -Le _Bruenn_, gros paquebot du Lloyd Triestino, lève l'ancre dans la -Corne d'Or. Un beau soleil d'automne fait miroiter dans l'onde calme -du port les reflets lumineux que renvoient les dômes des mosquées de -Stamboul... ce Stamboul à la silhouette encore si belle, mais hélas -qui a tout à fait changé depuis que l'Angleterre y a mis son pied, -depuis que ses monstres d'acier sont ancrés dans ce paisible Bosphore, -dirigeant les gueules de leurs canons--prêts à vomir un déluge de fer -et de feu--vers les fins minarets. - -En mon for intérieur, pourtant, une joie indescriptible me réchauffe... -c'est que je quitte un sol déjà étranger, pour une terre indépendante -encore, où se livre la lutte désespérée d'un peuple qui veut son droit -à la vie. - -Le soir est presque venu lorsque nous perdons de vue, à l'horizon du -couchant, l'entrée du Bosphore. La mer est calme et le Bruerm a pris -la route du large se dirigeant vers Sinope. Pour vaincre la monotonie -d'un voyage en mer, on a tôt fait connaissance de quelques passagers du -bord et, à peine confortablement étendu dans le « rocking-chair », les -conversations s'engagent avec mes compagnons de traversée. - -Quelques-uns des voyageurs se dirigeaient, ainsi que moi, vers Inéboli, -d'où je devais me rendre, par terre et en voiture, à Angora; parmi eux, -M. Corpi, directeur de la Banque ottomane, et quelques Turcs, se disant -de gros négociants de cette ville. - -Nous étions déjà bien au large lorsque l'un d'eux, se levant, nous -proposa de nous faire faire connaissance avec un de ses amis. Il -descendit dans sa cabine pour remonter bientôt, suivi d'un monsieur -d'une cinquantaine d'années, qu'il nous présenta comme un commerçant -en blé, Mouktalib bey. Mais, dès les premiers mots, j'eus lieu d'être -intrigué. Ce simple négociant, qui parlait élégamment l'anglais et le -français, connaissait tous les hommes politiques turcs. Après le dîner, -nous nous retrouvons tous, de nouveau, sur le pont. Un clair de lune -superbe argente les flots de la Mer Noire; vers la côte anatolienne -une lumière brille, puis soudain s'efface; c'est le phare de Chilé -qui finit, lui aussi, par disparaître au loin. Il est tard lorsque -je descends dans ma cabine, car, sur le pont, tous les passagers et -passagères ont prolongé leur veille, retenus par le ravissant spectacle -de la Mer Noire en pleine nuit, reflétant la longue traînée des lueurs -argentées... - -⁂ - ---Vous vous rendez à Angora? - ---Oui, Mademoiselle. - ---En qualité d'envoyé de presse? - ---Certainement, et je compte rentrer dans un mois. - ---Mais, comment ne craignez-vous pas ces horribles kémalistes? - ---Mademoiselle, il n'y a rien à craindre, ce ne sont pas des -antropophages, comme vous pourriez le croire. - -Ces bribes de conversation se croisaient le lendemain matin dans -la salle à manger du _Bruenn_, où je déjeunais en face d'une jeune -demoiselle française se rendant à Batoum avec sa mère. - -Je dois noter que déjà plusieurs fois depuis mon départ de -Constantinople, j'avais entendu de pareilles exclamations, surtout -avant de m'embarquer. Sur le quai du départ, quelques amis m'avaient -conseillé d'abandonner mon projet de me rendre à Angora, me jurant -que toute l'Anatolie était à feu et à sang. Je passai outre aux -supplications de ces pessimistes mal avertis, car j'étais bien décidé à -partir. - -Cette voix douce et tremblante de jeune fille va-t-elle me convaincre -et m'inquiéter; si tout ce qu'on dit et écrit était vrai pourtant ou -contenait seulement des parcelles de vérité? Que deviendrait, dans ces -conditions, le malheureux correspondant de quelques journaux étrangers, -que les Kémalistes devaient exécrer et pour cause... Mais je me repris -aussitôt en pensant à ce qui s'écrit de fausses nouvelles parfois... - -Je rassurai la belle jeune fille sur le Kémalisme qui n'est pas tout à -fait rouge, comme on l'est sur la rive d'en face. - -Vers midi nous sommes en vue des côtes kémalistes. De hautes montagnes -se profilent à l'horizon et, avec leur apparition, je vois surgir des -«Kalpaks» noirs sur la tête de certains négociants de la veille qui, -tout aussitôt, se déclarent partisans de Mustapha Kémal. Il est près -de quatre heures de l'après-midi lorsqu'à l'avant du paquebot la ville -d'Inéboli se dessine sur le rivage. - -Ses environs sont montagneux et boisés, et le petit port où nous allons -descendre est comme serti dans une vallée s'ouvrant sur la mer où -s'étagent, des deux côtés, des maisons noyées dans la verdure. - -Tandis que nous approchions de l'antique Inépolis, nous entretenant -avec le capitaine, un de ces pseudo-négociants, s'approchant du -commandant, le pria de faire arborer au mât les signaux: N.K.M. -Immédiatement, cet ordre fut donné et, à notre stupéfaction, nous vîmes -s'avancer du rivage des voiliers tenus prêts... - -L'ancre jetée, les cales ouvertes, des marchandises sont débarquées, -sur le genre desquelles je ne veux pas trop insister, mais dont je -noterais comme fait curieux que sur certaines caisses, on lisait -ces mots, faits pour surprendre: Made in England. C'est la première -impression que j'eus de l'audace et du courage des kémalistes. Ce -ravitaillement risqué, emprunté à leurs mortels ennemis, n'est-il pas -typique? Après avoir pris congé de nos compagnons de bord et de la -peureuse mais charmante jeune fille qui tremblait encore pour nous, -nous quittâmes le Bruenn, ancré à deux encablures au large, pour gagner -la côte à bord d'un calque, que les grosses vagues faisaient danser sur -l'eau comme une plume. A peine avais-je mis pied à terre qu'un grand -soupir de soulagement sortit de ma poitrine; enfin, je foulais un sol -encore indépendant! - -C'est en me rendant à l'hôtel de l'endroit, que j'appris que le «vali» -ou gouverneur général de Castamouni, était mon très distingué et grand -ami Djemal bey. La première chose que je fis fut de me rendre auprès -du caïmakam chez qui je réussis à pouvoir téléphoner avec Castamouni -et le vali donna des ordres formels pour que je puisse partir pour -l'intérieur sans attendre le permis de la Commission instituée ici à -cet effet et qui se livre à une enquête minutieuse pour chaque voyageur -arrivant de Constantinople. - -A Inéboli tout est tranquille, comme d'ailleurs partout à l'intérieur. -Quand je demandai si les nouvelles lancées par la presse étaient -vraies, on m'a simplement ri au nez. - -Comment réprimer alors un sursaut de révolte contre les calomnies -répandues dans la presse constantinopolitaine et étrangère: «Les Turcs -massacrent, les Kémalisles déportent les Chrétiens!...» - -Et je les vois ces Chrétiens d'Anatolie, ils vaquent tranquillement -à leurs affaires sans que personne s'en mêle, loin des servitudes -interalliées de Constantinople, auxquelles sont assujetties toutes les -populations de la capitale. - -A Inéboli, tout va son train d'avant-guerre. Seulement toute la -population est armée. Chaque concitoyen est prêt à la défense de sa -maison, de son foyer, contre les hordes grecques qui mirent le feu aux -provinces de Smyrne, d'Aïdine et de Ménémen. - -A la première alerte, les milices populaires formées en bataillons, -l'arme à l'épaule et la cartouchière à la ceinture, prennent position -aux environs. C'est pour cela qu'on y respire... on y sent le -soulèvement d'un peuple pour son indépendance. - -«Quand je vois ce peuple qui a pris les armes, me disait un Suisse, -sous-directeur de la Banque Ottomane d'Inéboli, il me vient -involontairement à l'esprit les guerres d'indépendance de nos aïeux à -l'époque de Guillaume Tell... On sent ici un idéal, une résolution de -vivre qui est indescriptible et que l'on ne saurait comprendre ni à -Constantinople--dont la population dort ou ne pense qu'à spéculer--ni -en Europe.» - -C'était l'opinion d'un étranger nouvellement arrivé en Anatolie. Cette -Anatolie n'a néanmoins rien perdu de son cachet oriental. Dans ses -petits cafés au bord de la mer, une multitude de Turcs enturbanés -fument le narghilé, réchauffés par un soleil de septembre. La vie, -comparativement à celle de Constantinople, est à peu près dix fois -meilleur marché. Une chose qui frappe immédiatement le voyageur -arrivant en Anatolie, c'est la récente prohibition de toutes les -boissons alcooliques, ainsi que la fermeture de tous les tripots, sous -des peines très sévères. - -Après de longs marchandages, nous avons fixé un prix raisonnable pour -une voiture, qui m'amènera jusqu'à Angora. Le cocher, un certain Ahmed -Agha, qui vient d'arriver de cette ville après huit jours de voyage, -m'affirme que les routes sont plus sûres que jamais et qu'en Anatolie, -depuis l'armistice, on a oublié les brigands des temps de guerre qui -infestaient tous les chemins. - -Nous partons à l'aube. Après m'être confortablement étendu dans ces -bonnes voitures anatoliennes qui sont identiques à un lit roulant et -bien couvert, nous commençons à gravir les montagnes. La route est -sinueuse et traverse des sites enchanteurs, où l'on ne voit que de -hautes montagnes couvertes de forêts, au pied desquelles des villages -rustiques se groupent dans les vallées, et au loin, le bleu azuré de la -mer qui, peu à peu, s'estompe et disparaît. Après six heures de montée, -une petite halte dans un han au bord de la route où nous déjeunons sur -le pouce et repartons aussitôt. - -Plus nous avançons, plus le paysage devient pittoresque. - -Jamais, à Constantinople, je ne m'étais douté que l'Anatolie cachait de -si beaux sites égalant en magnificence ceux du Tyrol ou de la Suisse. - -Maintenant ce ne sont que des montagnes plus hautes les unes que les -autres. La voiture gravit la chaussée qui suit les vallées où grondent -des torrents, où jaillissent des cascades; et partout des sapins -exhalant un parfum odorant. - -Vers le soir, nous traversons un grand village flanqué au bas d'une -montagne, nommé Kuré et sis à 850 mètres d'altitude. Près de là, la -route passe entre plusieurs couches de minerai de cuivre, dont les -lingots sont venus rouler sur la chaussée et attendent inutilement -qu'on les exporte. Les richesses minérales de Castamouni sont -inappréciables, mais, jusqu'ici, l'état politique de l'Empire ottoman -a empêché les Turcs, depuis un demi-siècle en guerre, de les mettre en -valeur. - -Au coucher du soleil, nous arrivons au relai... - -Quelques rustiques maisons blanches aux tuiles rouges émergent de loin -en loin dans le feuillage des arbres d'une magnifique vallée; c'est un -spectacle merveilleux. - -Ce village, c'est Edjevid, juché à 1.120 mètres d'altitude, dans un -décor magique. - -On se croirait bien loin de l'Anatolie qu'on s'imagine un désert plein -de fièvre. - -Tandis que je m'installe dans une coquette chambrette de l'auberge, où -règne une propreté remarquable et rare dans les hôtels d'Orient, je -vois, par la fenêtre, déboucher au tournant de la chaussée un cavalier -qui accourt au grand galop. - -C'est un gendarme qui précède une voiture pour annoncer qu'un pacha va -être l'hôte de l'auberge pour la nuit. Mais il ne put nous dire le nom -du personnage attendu. - -Soudain apparaît la voiture, escortée par deux gendarmes à cheval, -et qui aperçois-je assis sur les coussins? Mouktalib Effendi, le -soi-disant commerçant du Bruenn... - -Il se présente joyeusement sous son vrai nom: le général Mouheddine -pacha! - -Quelques instants plus tard, nous faisions un tour ensemble aux -environs du «han». - -C'est le soir; bien haut dans les montagnes les vaches rentrent de -leurs pâturages et l'écho de leur carillon qui s'approche tinte comme -dans une vallée des Alpes. Tout est silence et toujours cette odeur des -pins qui donne au voyageur un appétit féroce. - -Dans ma chambre, sur les murs blanchis à la chaux, je lis plusieurs -inscriptions; l'une écrite en français est si touchante que je la -transcris ici... - - «Malheureux hôte d'une nuit, j'ai tout laissé derrière moi... - Mais je me console, car c'est pour ma patrie que je me prive - de ce qui est le plus cher au monde.» - - (Signé) Un Turc. - - «Le 3. IX. 1920.» - -On sent la révolte d'un cour parmi tant de milliers d'autres qui ont -fui Constantinople pour se battre désespérément en Anatolie. - -Je ne puis m'empêcher d'écrire au-dessous: - - «Envoyé de la presse en route pour Angora, où se livre une - lutte sublime contre l'injustice et l'impérialisme du plus - fort, pour la défense du droit à la vie, j'ai passé une nuit - sous ce toit hospitalier qui, à lui seul, donne une idée du - cœur turc ouvert à tous.» - -Le vieil hôtelier à barbe blanche Ismaïl Agha, qui est l'hospitalité -même, nous sert un succulent repas que le pacha et moi dévorons... - -...Tout sent ici la vraie campagne, la campagne merveilleuse, libre et -indépendante ... loin de Constantinople, loin de cet horrible Péra, de -ses douleurs et de ses hontes. Ici, au contraire, avec ces braves gens -hospitaliers, dans ces montagnes aux cimes pures dans la grande clarté -du ciel, dans la bonne odeur des champs, l'homme des cités se sent tout -à fait autre. - - - - -II - - A CASTAMOUNI.--LA VILLE DÉSERTE; TOUS SOLDATS; LE - VENDREDI.--L'ART ET LES PAYSANS.--LES MERVEILLES DE CASTAMBOL. - --DJEMAL BEY.--DÉPART.--LES MONTS DE L'ILKAZ.--DISTRACTIONS DE - ROUTE ET COMPAGNONS DE VOYAGE.--LES RELAIS À L'INTÉRIEUR DE - L'ASIE MINEURE.--L'HOSPITALITÉ TRADITIONNELLE DES TURCS.--LA - MONOTONIE DES LONGUES ROUTES.--TCHANGHRI.--KALEDJIK.--ENFIN - ANGORA. - - -La première étape du voyageur venu de Constantinople par voie de mer -et se rendant en Anatolie est, après Inéboli, la coquette localité de -Castambol. - -Grand fut mon étonnement, à mon arrivée en cette ville, de la trouver -entièrement déserte. Dans les rues et les cafés, pas âme qui vive. Les -boutiques étaient closes. Seules quelques femmes emmitouflées dans des -«tcharchafs» passaient à pas pressés. Dans l'hôtel où je débarquai, -personne. - -Un placide vieillard à barbe blanche qui fumait son narghilé me -donna la clef du mystère. Nous étions un vendredi, jour fixé pour -l'entraînement militaire de toute la population locale. - -Après m'être installé dans l'hôtel, car je comptais rester à Castamouni -deux jours, je sortis et me dirigeai vers le champ de manœuvre, où je -trouvais le gouverneur Djemal bey à la tête de sa population armée et -répartie en bataillons dits de Défense nationale. - -Comme le soir venait, les exercices prirent fin et la milice populaire -se rangea pour rentrer en ville. - -La file était longue. Elle était précédée d'une fanfare militaire -et d'un groupe de jeunes gens brandissant des drapeaux rouges et -verts. Suivait un détachement de cavalerie portant un accoutrement -pittoresque et guerrier. Les citoyens de Castambol venaient ensuite. -Fonctionnaires, bourgeois, paysans dans leurs habits de travail -défilaient, n'ayant de commun que leur visage bronzé par le brûlant -soleil de l'Anatolie. De bruyantes musiques orientales, que le -«davoul» dominait de sa voix grave, couvraient le bruit de leurs pas. - -Tout cela avait un air martial dépeignant en petit le soulèvement d'un -peuple contre ceux qui veulent l'anéantir. On y sent un enthousiasme, -une vitalité, une volonté inébranlable et persistant malgré tant -de souffrances endurées depuis plusieurs années de lutte pour -l'indépendance turque. - -Le défilé est très long, et j'estime à huit ou neuf mille environ le -nombre d'hommes présents. - -Et c'est ainsi tous les vendredis, jour saint de l'Islam, où plus d'un -million de baïonnettes brillent encore dans l'Anatolie qu'on croyait -complètement désarmée et prête à être déchiquetée... - -Tandis que nous rentrions en ville avec Djemal bey qui demandait des -nouvelles de Stamboul, je lui débitais tout le chapelet des misères -endurées par cette pauvre population de Constantinople depuis l'arrivée -des Anglais exécrés de tous sauf des Grecs, leurs serviteurs dévoués. -Et c'est de lui que j'entendis les premières paroles me décrivant vers -quel but unique: celui de vivre, Mustapha Kémal luttait contre tant -d'ennemis bien équipés. D'un mot, il a su soulever un peuple abattu... -«Allez à Angora, ajouta-t-il, et, à votre retour, nous causerons...» - -Castamouni a plusieurs curiosités et même quelques merveilles -dignes d'être visitées. Djemal bey me recommande à l'un des hauts -fonctionnaires de la Préfecture qui me mène d'abord visiter la grande -forteresse surplombant Castambol, construite du temps des Janissaires. -De ses tours crénelées et admirablement conservées, on aperçoit -distinctement la cime neigeuse des monts de l'Ilkaz, haute de 2.980 -mètres. C'est près du sommet que passe la route que nous devons -franchir. - -Je visite ensuite l'Ecole des arts et métiers, d'une construction -récente et d'une propreté remarquable. Cette école étonne le voyageur, -ne fût-ce qu'en pensant que des machines énormes, dynamos, etc., ont pu -être amenées jusqu'ici par les tortueuses routes traversant tant de -montagnes. - -Et, merveille digne de figurer dans un musée, un piano entièrement -construit par un paysan de Tache Keupru. Le tout est exécuté avec une -adresse et une habileté consommées. Hassan agha, le constructeur, -en vit un pour la première fois à Constantinople, il réussit à en -faire autant au sein de l'Anatolie, dans son village. Il en fabriqua -plusieurs qu'il vendit ensuite. - -Le soir, tandis que nous nous rendions chez le cadi (juge religieux), -où était descendu Mouheddine pacha, j'y rencontrais de nouveau Djemal -bey le vali. Là, autres merveilles. C'étaient les œuvres d'art, les -sculptures que le cadi gravait dans du bois avec une finesse étonnante. -Durant toute la soirée j'y admirai sa collection. - -Décidément il ne manque à Castamouni qu'un Musée. Et l'on dit que les -Turcs sont insensibles aux Arts!... - -Le lendemain, à l'aube, me voici de nouveau en roule et durant toute la -matinée. Notre voiture gravit lentement une mauvaise route sinueuse -qui s'engouffre dans des ravins couverts d'arbres, au fond desquels on -entend le bruit des cascades. - -C'est la montée des monts Ilkaz. On m'avait recommandé à Castamouni -de prendre des couvertures par précaution car, dans ces régions -montagneuses et hautes, les froids sont fort vifs. - -Les chevaux, fourbus, nous obligent vers midi à faire halte à -mi-montée, à Giaour-Han, où nous déjeunons sur l'herbe. Nous y -trouvâmes une autre voilure et cela rassura un peu mon cocher qui me -dit que le trajet était encore long et qu'à la nuit nous serions en -pleine forêt. - -Une heure après nous nous remettons en route et nous commençons à -franchir l'Ilkaz... Notre voiture pénètre dans un océan d'arbres, de -sapins immenses; l'impression est indescriptible. Il est déjà tard -lorsque nous franchissons ce col élevé (2.700 mètres). Nous passons à -côté du caracol de gendarmerie qui s'y trouve... Quelques gendarmes -postés à la garde de la route sont groupés et se chauffent autour d'un -grand feu. - -Les monts de l'Ilkaz franchis, avec toutes ses sombres et épaisses -forêts de sapins, où pullulent des ours et autres fauves, la route -dévale vers une belle vallée au fond de laquelle on distingue des -villages. Leurs maisonnettes, groupées autour d'une mosquée teinte de -chaux blanche, font l'effet de têtes d'épingles. - -Enfin, les montagnes s'élargissent et une nouvelle vallée profonde et -sinueuse se déroule aux yeux du voyageur. C'est celle de Kotch-Hissar, -très riche en pâturages et dont les habitants vivent principalement de -l'exportation du bétail. - -La traversée de l'Ilkaz est assez périlleuse. Dans ces gorges -escarpées, on risque plusieurs fois d'être précipité dans les ravins -avec voitures et chevaux et réduit en miettes. Il fait nuit lorsque -nos arabas parties ensemble arrivent à une hôtellerie nommée Kalé -Han. L'endroit est très pittoresque, au bord d'une rivière aux rives -boisées; mais le han est déplorable. - -Un han est d'habitude un relais où les voitures sont remisées, les -chevaux aussi et où l'on trouve parfois une ou deux chambres pour -dormir. - -Ici, je suis obligé de dresser mon lit de camp dans une horrible -chambre au plancher à demi effondré qui laisse voir en bas des chevaux -s'ébrouant ou se vautrant dans l'écurie. - -Mais le vieux handji m'apporte des œufs au plat que je dévore tellement -la faim me tiraille l'estomac après avoir tant respiré l'air des -montagnes et bu de l'eau des sources fraîches le long du chemin. - -Une de nos principales distractions de la journée avait été en effet -d'aller puiser de l'eau minérale à une source sulfureuse jaillissant -toute chaude de la terre au pied de l'Ilkaz... - -Après nous être reposés à Kalé Han, nous plions bagage à l'aube pour -nous remettre en route. - -Au lever du soleil, nous traversons une grande rivière qui n'est autre -que le Devrek, un des affluents du Kiril Irmak, et nous voilà repartis -à gravir d'autres monts aussi hauts que ceux de l'Ilkaz, mais à peu -près dénudés. - -Il est quatre heures de l'après-midi quand, après avoir retrouvé en -route la voiture de Mouheddine pacha, nous arrivons à Tchanghri. Comme -Castamouni, la ville de Tchanghri est surmontée d'un donjon construit -par les janissaires. Mais les maisons sont toutes faites de boues et -les rues pleines de poussière. - -Tchanghri n'est renommé que par les beaux jardins fruitiers qui -l'entourent, et surtout par l'hospitalité de ses habitants, de vrais -turcs, qui ont gardé leurs coutumes et leurs habits nationaux... - -Nous sommes retenus, la pacha et moi dans la maison d'un directeur -d'école, qui est en même temps un des notables de l'endroit et assis -tous trois à la turque, le soir, autour des mets préparés avec un goût -raffiné, nous goûtons la douce paix du foyer et du bon accueil de notre -hôte. - -Le lendemain, jour de repos pour nos chevaux, nous passons le temps à -visiter les curiosités de la ville; elles ne sont pas nombreuses, mais -méritent d'être mentionnées. A Tchanghri, tout habitant a, au bord de -la rivière boisée, quelque jardin fruitier où l'on va se rafraîchir. -Partis à cheval avec Mouheddine pacha, nous déjeunâmes sur l'herbe des -près. - -Puis, tandis que nous rentrions en ville, je rencontrai un soldat -blessé revenant du front, en congé. Il nous fit en quelques mots le -tableau des batailles que livraient, au début, quelques poignées -d'hommes contre des armées entières. Cet homme avait assisté autrefois -à la guerre de Tripolitaine et nous déclara que la même lutte se livre -actuellement en Anatolie. Que Dieu nous vienne en aide! - -Nous repartons de Tchanghri à l'aube, alors que l'éternel carillon des -caravanes de mules se fait entendre. - -Ce sont d'interminables files qui s'en vont le long des routes, porter -les riches produits de l'Asie-Mineure vers les ports de la Mer Noire. -Tout le long du chemin nous ne rencontrons ainsi que des chameaux, qui -avancent lentement en ruminant. - -Les villes de l'intérieur de l'Asie-Mineure me rappellent les -descriptions de Chiraz et d'Ispahan par Pierre Loti... C'est à peu -près le même cachet oriental, les mêmes échos de l'Asie, dans son -avant-garde rapprochée de l'Europe, l'Anatolie mystérieuse. - -Les routes deviennent monotones après Tchanghri. Ce n'est qu'une -infinité de plaines qui se suivent, quelques villages perdus dans la -campagne aux masures construites en pisé et d'où l'on voit toujours -émerger un minaret blanc. - -Partout les paysans font leur «harman». Le harman, c'est le partage -du blé, qui se fait avec un traîneau tiré par des bœufs et qui tourne -sur des épis couchés à terre. Ces travaux des champs semblent des plus -primitifs au voyageur qui traverse pour la première fois l'Anatolie. - -Nos voitures avancent à présent plus vite et nous arrivons au -crépuscule à Kuledjik, qui veut dire «la petite forteresse». - -Kuledjik est notre dernière étape avant Angora. - -Nous descendons à l'Hôtel des Postes et nous dressons nos lits dans -l'une des chambres. - -Avant de quitter Tchanghri, les braves gens chez qui nous avions -été généreusement reçus avaient garni nos voitures de provisions et -de paniers de fruits. Cette attention qui s'appelle le «Yolouk» est -d'usage en Anatolie. - -En route de nouveau et après avoir visité Rali, le champ de bataille où -le Sultan Bayazid tomba prisonnier de Timour-Ling, nous repartons. - - - - -III - - ANGORA, L'ANTIQUE ANCYRE.--CE QU'ON VOIT DANS SES RUES.--LA - CRISE DES LOGEMENTS.--OU IL ME FAUT LOGER DANS UNE ARMOIRE. - --LE CHEF DES NATIONALISTES.--CE QU'EST LE SOULÈVEMENT - KÉMALISTE.--SON BUT.--SON ARMÉE.--KÉMALISTES, BOLCHEVIKS ET - PEUPLES DE L'ASIE. - - -Plusieurs heures de route encore et nous longeons un cours d'eau aux -rives boisées et bordées de jardins. On devine sous le feuillage les -rustiques villas où les citoyens de l'antique Ancyre viennent habiter -durant la chaude saison. De loin en loin, on rencontre des fiacres, -occupés par des beys ou pachas enfuis de l'enfer constantinopolitain. -Ils sont tous coiffés de kalpacks kémalistes noirs. Ce sont des -ministres, des sous-secrétaire d'État qui vont passer leur soirée à la -campagne. Soudain, notre voiture contourne une colline et l'on peut -apercevoir dans toute sa splendeur, l'horrible «trou» qu'est Angora. - -Le nouveau venu se trouve désillusionné. Figurez-vous un amas de -maisons aux murs de boue, dont la moitié a été dévastée, au cours -de la guerre, par un incendie. Seuls, vers le centre de la ville, -quelques bâtiments de pierre ont résisté aux ravages des flammes. Bien -lamentable est, au premier abord, la capitale des Kémalistes. - -Les rues sont envahies par une foule grouillante et bizarre. Voici des -tchétés que l'on voit circuler, la poitrine couverte de cartouches, -armés jusqu'aux dents, la tête enturbannée du bachlik large qui leur -donne des airs guerriers et même parfois terrifiants. Plus loin -défilent des troupes régulières revenant de quelque corvée ou de -l'exercice. Puis ce sont les beys de Stamboul que l'on voit passer en -voilure... et quelques petites hanems qui ont suivi leurs parents, -maris ou Irères, préférant le voile épais qu'elles sont obligées de -porter en Anatolie, aux «tcharchafs» plus que transparents, en usage à -Stamboul. - -Les voyageurs à peine débarqués devant le «han» sont accueillis avec un -sourire narquois par les hôteliers. Pas un mètre de disponible, car, -à Angora, on loge au mètre carré, et le voyageur doit se considérer -heureux de trouver une marche d'escalier inoccupée, car les dites -marches constituent autant de couchettes dûment numérotées. - -Après de laborieuses recherches, j'ai obtenu une armoire pour y dormir -moyennant une livre turque de loyer par nuit s.v.p. Angora regorge de -monde, disons-nous, on a même de la peine à se frayer un passage dans -les rues principales de la ville, tant la foule des plus hétéroclites -qui s'y coudoie est nombreuse. On y rencontre des figures étranges, -depuis les Tartares et les Kirghiz du Turkestan qui sont venus en -Asie-Mineure, jusqu'à des Nègres et des Chinois, enfuis probablement de -la Russie bolchévique. - -Après une installation sommaire, je rencontre des connaissances -appartenant à l'entourage de Mustapha Kemal pacha. - -On me promet de m'introduire auprès du chef. Mais sied-il de me -présenter à lui avec une barbe de cinq jours? Entré chez le premier -coiffeur venu, je ressens «le frisson de la petite mort». Le cher -figaro est armé jusqu'aux dents et tandis que je lui abandonne -docilement ma joue, je contemple sa poitrine où brille tout un attirail -de guerre, trois rangées de cartouches, un browning et un poignard! - -Mustapha Kemal habite une petite maison tout près de la station -d'Angora, à cinq minutes de la ville. On passe, pour s'y rendre, devant -un jardin public, où tout le monde se donne rendez-vous le soir. En -face est la Chambre ou Assemblée nationale qui siège dans une bâtisse -de construction récente, assez belle comparativement à celles qui -l'entourent. - -A l'entrée du jardin de la gare, on me présenta à Mustapha Kémal. - -Haut de taille, énergique d'aspect, le chef des nationalistes turcs -accuse environ la quarantaine. Son regard est des plus pénétrants -quoique fatigué et sa voix est très forte. Mais des affaires urgentes -l'appellent à son bureau, et notre première entrevue n'est pas longue. -Il m'invite d'ailleurs aimablement à venir le voir. - -⁂ - -Qu'est-ce que le mouvement national? Ce n'est qu'après être arrivé à -Angora que je pus me rendre compte de sa portée politique. Et c'est le -deuxième jour que je résumais ainsi son programme dans un des premiers -articles que je reproduis ici[1]: - -[1] Excelsior. - -Angora... octobre... - -Il est bien rare de voir quelque journaliste franchir le mur séparant -l'Anatolie du monde entier et d'approcher Mustafa Kémal en personne à -Angora. - -Un nouvel Etat existe actuellement en Asie-Mineure; une deuxième -Turquie pour ainsi dire y a été créée par Mustapha Kémal qui a levé -l'étendard de la liberté et mène une guerre à outrance, refusant -d'accepter le Traité de Sèvres qui retire Smyrne et la Thrace à la -Turquie. - -Ce nouvel Etat, dont la capitale est Angora, a été constitué très -rapidement avec ce qui restait encore de l'ancienne administration -ottomane. Mais, aujourd'hui, tous les ministères et le Parlement -siègent à Angora. Les ministres ont le titre de «vékil» (gérant) et ont -les mêmes pouvoirs que dans tous les pays. - -Cet état anormal n'a pourtant pas provoqué de troubles locaux comme on -l'a annoncé. La sécurité règne en Asie-Mineure et chacun vaque à ses -affaires. Dans toutes les provinces, les impôts sont perçus par l'État -kémaliste; le budget d'Angora couvre les frais du nouveau gouvernement, -tandis que la Sublime-Porte de Stamboul est aux abois et ne sait -comment couvrir son déficit. - -L'armée grecque, concentrant tous ses effectifs en Asie-Mineure, -réussit tout d'abord à bousculer les armées de Mustapha Kémal, dont -l'artillerie était incomplète. Mais depuis son avance vers l'intérieur, -le front hellène est maintenant trois fois plus étendu qu'auparavant -et s'est par conséquent affaibli considérablement, tandis que les -nationalistes, reforment leurs troupes et organisent de nouveaux corps -réguliers. - -Les Turcs consolident leur front en vue d'une nouvelle offensive et -mènent, dans tous les territoires occupés par les Grecs, une guerre -de francs-tireurs. Ils étaient tout d'abord dépourvus de matériel -et étaient presque complètement désarmés au débarquement de l'armée -héllène à Smyrne. Mustapha Kémal cependant a réussi peu à peu à -réorganiser une petite armée d'environ 150.000 hommes aidés par des -milices populaires dites de défense et des corps de volontaires. - -Après l'occupation de Bakou par les Bolcheviks, qui prirent en outre -Nakhichevan, à la frontière russo-persane, les Kémalistes gagnèrent une -route libre et purent communiquer facilement avec la Russie. C'est par -cette voie un peu longue, qu'aujourd'hui ils se procurent des armes et -des munitions. - -D'autre part, une contrebande d'armes effrénée existe sur toutes les -côtes de l'Asie-Mineure, où l'on échange simplement un sac de farine ou -des moutons contre des fusils ou des mitrailleuses. - -Ancien organisateur de la guerre en Tripolitaine, Mustapha Kémal -adopte les mêmes méthodes en Anatolie et en Mésopotamie, où il a -réussi à gagner la collaboration des Arabes. Sur tous les fronts, les -nationalistes forment des bandes armées qu'ils lancent sur les arrières -des armées d'occupation, attaquant surtout les Anglais et les Grecs. A -l'intérieur, par exemple à Sivas et à Konia, des fabriques de munitions -ont été établies et fonctionnent assez régulièrement. Et tandis qu'en -Europe, tout à l'air de rentrer en paix, la guerre semble commencer -seulement maintenant en Asie. - -Mustapha Kémal s'efforce de créer, en Asie, un mouvement qui -succéderait au bolchevisme à son déclin. Il a réussi pour mener sa -lutte à s'allier à certains peuples de l'Asie. C'est ainsi qu'à Angora -il existe plusieurs ambassades, telles que celles de l'Afghanistan, du -Belouchistan, de la Perse nationaliste, de l'Azerbaïdjan, du Bokhara et -du Turkestan. - -Les rues sont pleines d'une foule bigarrée, représentant tous les -peuples de l'Asie, depuis l'Hindou jusqu'au Chinois, et l'on se demande -si, un jour, toutes ces peuplades indisciplinées, que veulent armer les -Soviets, ne parviendront pas à troubler l'ordre mondial!... - -Tous ces gens se sont attablés, pour la première fois dans l'histoire, -autour d'un tapis vert au premier Congrès asiatique de Bakou. Mustapha -Kémal s'est attaché à déchirer le traité de paix turc en cherchant à -mettre le feu aux colonies anglaises de l'Asie, et il travaille nuit et -jour dans ce but. - - - - -IV - - COMMENT MUSTAPHA KÉMAL ORGANISE DES GROUPES DE FRANCS-TIREURS - CONTRE L'ARMÉE GRECQUE.--LES "TCHÉTÉS" VOLONTAIRES.-- - ORGANISATIONS SECRÈTES DE L'ARRIÈRE-FRONT.--LES GUÉRILLAS EN - ANATOLIE.--FORMATION DES CORPS D'ARMÉE A L'INTÉRIEUR.--AU - CONSEIL ASIATIQUE DE BAKOU. - - -Angora... octobre. - -Après la dernière offensive grecque, les Kémalistes se sont mis à -organiser de nouveaux corps d'armée. Un autre front de résistance a été -établi et des groupe de francs-tireurs ont été constitués pour mener à -bonne fin une guerre de surprise. - -Tout l'arrière des lignes helléniques, y compris tous les territoires -occupés avant l'offensive grecque, est divisé en districts par -l'Etat-Major d'Angora, districts dont les limites sont tenues secrètes -et qui sont numérotés sur des cartes spéciales que l'on donne aux chefs -de bandes. - -Les bandes kémalistes ou «tchétés» sont presque toujours montées et -comprennent cinquante cavaliers et une mitrailleuse. Les hommes sont -armés de toutes pièces et munis de grenades à main; ils connaissent -admirablement le pays où ils opèrent. - -Les bandes sont formées à Kutahia, Biledjik, Eski-Chéir, -Afioun-Kara-Hissar et Denizli. Leurs provisions faites, elles quittent -de nuit leurs bases et traversent sans être découvertes, le front -grec. Les «tchétés» passent par des voies inaccessibles aux troupes -d'occupation. Leur équipement et leur coiffure étant de couleur sombre, -les Kémalistes se dissimulent facilement. Arrivés dans les districts -désignés, les «tchétés» se divisent souvent en deux ou trois escouades -et ils communiquent entre eux par des signaux nocturnes. Ils logent -le plus souvent, sans que l'armée grecque le sache, dans des villages -turcs éloignés, où ils arrivent à l'aube pour n'en sortir que la nuit. - -L'obscurité venue, ces «tchétés» effectuent des incursions soudaines -dans des camps isolés, postes hellènes parsemés dans le pays. Ce sont -surtout les convois et les ponts qui sont visés. Toute attaque ne dure -que quelques instants, à peine le temps de semer le désarroi chez -l'adversaire surpris, ce qui abaisse le moral des troupes d'occupation. - -Lorsque les «tchétés» sont à bout de ressources et rencontrent des -difficultés pour se ravitailler, ils se réunissent pour repasser le -front et s'approvisionner dans les lignes turques. - -Après la dernière offensive hellénique, le front, ayant triplé de -longueur, est plus faible et ne forme plus une ligne continue de -tranchées. Aussi le va et vient à travers les lignes grecques est-il -devenu relativement aisé. - -Actuellement 350 «tchétés» opèrent continuellement entre le front et -Smyrne. - -Les nationalistes turcs travaillent à gagner du temps en menant une -guerre de guérillas, afin de pouvoir organiser des corps d'armée -réguliers pour une résistance plus énergique. - -Le premier Congrès asiatique de Bakou a été un succès pour Mustapha -Kémal, qui a insisté auprès des délégués russes sur la nécessité de -créer des mouvements nationalistes en Asie avec l'aide des Soviets. -La distribution des armes et des munitions la centralisation du -commandement et le siège permanent d'un Conseil asiatique ont été, en -outre, décidés à ce Congrès. - -En un mot, l'œuvre de Mustapha Kémal se résume en ceci: organiser en -Anatolie une guerre de francs-tireurs tout en constituant des forces -régulières; gagner du temps et faire cause commune avec tous les Arabes -et les peuples de l'Asie. - -[Illustration] - - - - -V - - A LA SUBLIME-PORTE D'ANGORA.--LES MINISTÈRES.--AUX AFFAIRES - ÉTRANGÈRES.--UNE ENTREVUE AVEC MOUHKTAR BEY, VÉKIL DES - AFFAIRES ÉTRANGÈRES.--LE 12^e POINT DE WILSON.--L'OFFENSIVE - DES HELLÈNES.--EN CILICIE.--LES SERVITUDES ÉTRANGÈRES.--LE BUT - DES NATIONALISTES TURCS. - - -Le lendemain de mon arrivée dans l'antique Aneyre, je me rendis dans -la matinée au gouvernaurat où siège la Sublime Porte anatolienne. - -Après avoir franchi la porte d'entrée gardée par deux sentinelles -harnachées de cartouchières, on gravit les marches branlantes d'un -grand escalier de bois qui aboutit au premier étage. Là, un immense -corridor où l'on coudoie tous les divers «types» ethniques rencontrés -dans les rues d'Angora, qui s'y donnent rendez-vous. Au-dessus des -grandes portes sont placés des écriteaux voyants: «Cheik-ul-Islamat» -ou plutôt «Cheik-ul-Islam» par intérim (cheik vekaleti). A travers -l'entrebâillement de la porte entr'ouverte je distingue, assis à son -bureau, un uléma au large turban, à barbe imposante. C'est l'ex-mufti -de Brousse Djemil Mollah. Puis viennent les autres ministères: -Agriculture, Affaires étrangères, Travaux publics, Intérieur, Finances, -Hygiène publique, etc. - -Quant au Ministère de la Guerre, il n'est pas installé à la -Sublime-Porte et il est dénommé «Défense nationale»; son siège est à -l'école Sultanié. C'est évidemment le plus important et le plus cossu. - -Revenons à notre visite à la Sublime-Porte. Le Ministère des Affaires -étrangères compte tout juste deux pièces, comme d'ailleurs tous les -ministères. D'abord, c'est le cabinet du ministre qui siège avec -son sous-secrétaire d'Etat et son chef de bureau particulier dans -une seule pièce. Puis c'est le bureau du ministère avec toutes ses -sections empilées dans la seconde. Je demandai audience à S. E. -Mouhktar bey, ministre par intérim des Affaires étrangères et je fus -introduit aussitôt auprès de lui. Il vint à moi, me tendant la main -tout souriant. Ex-ministre à Athènes et fin diplomate, Mouhktar bey -est un travailleur assidu; il est à son bureau depuis l'aube jusqu'au -crépuscule et ne peut se rendre à la Chambre malgré sa charge de député -de Constantinople. - -Je reproduis ici ses déclarations: - -_D'abord et avant tout, nous réclamons le droit accordé à chaque -peuple: celui de vivre. Nous avons signé, en octobre 1918, un armistice -et déposé les armes en nous basant sur la justice dont l'Entente était -alors l'apôtre et sur le 12^e principe de Wilson qui donnait droit à -une souveraineté turque aux parties ottomanes de l'Empire ottoman. -Or, aucun de ces engagements ne furent tenus, on nous a honteusement -trompés et alors que la Turquie, était désarmée on lança sur elle les -armées grecques qui occupèrent Smyrne et y déchaînèrent des horreurs -sans précédents. C'est l'indignation et l'exaspération d'un peuple qui -a été le premier facteur du soulèvement national vers la résistance à -outrance._ - -_Aujourd'hui les forces nationalistes acquièrent de jour en jour de plus -grands moyens d'action._ - ---_Et la dernière, avance hellénique vous a-t-elle dérouté?_ - ---_Elle a redoublé la résolution de la population de tenir jusqu'au -bout et notre armée a doublé ses effectifs. Le nombre de volontaires -augmente de jour en jour._ - ---_Excellence, et en Cilicie, quelle est la situation?_ - ---_A vrai dire, nous ne savons pas ce que les Français sont venus y -chercher. Depuis des mois, ils versent leur sang pour la conquête de -territoires purement turcs et qui ne leur sont même pas cédés par le -Traité de Versailles. Pour ce qu'ils ont entrepris en Syrie, je ne -saurai que dire, mais pour la Cilicie, là, nous sommes chez nous._ - -_Je comprends parfaitement que l'opinion publique en France soit contre -l'entreprise de Cilicie, car, en voulant conquérir par le sabre -quelques parcelles de terre à Adana, le fougueux esprit militaire ne -songe pas que la France perd ses sympathies séculaires en Orient._ - -_Les Italiens n'ont pas commis au moins la faute de faire couler le sang -de leurs soldats pour effectuer des conquêtes qu'ils ne pourraient -garder à aucun prix, le réveil de la conscience turque étant trop -puissant pour laisser là-dessus aucun espoir à n'importe quelle -puissance impérialiste._ - -_En Cilicie, comme ailleurs, notre dernier mot est le suivant: la -fixation des frontières est avant tout une question ethnique, et en -second lieu, une question de débouché sur la mer. Elle ne doit, dans -aucun cas, revêtir la forme d'un arrangement entre les convoitises -des capitalistes d'Occident ou d'une récompense pour les services que -peuvent rendre aux grandes Puissances les petits Etats comme la Grèce._ - -_C'est à ce titre que nous revendiquons et continuerons à revendiquer -jusqu'au triomphe de la justice, nos droits imprescriptibles sur la -Thrace, sur Smyrne et Adana. La preuve que les Turcs sont en très -grande majorité en Thrace et à Smyrne réside dans le fait que nos -ennemis n'ont pas osé ordonner un plébiscite dans la première de ces -provinces et à Smyrne la consultation populaire ne doit avoir lieu que -dans cinq ans, période jugée suffisante pour l'extermination de la -population turque de l'endroit._ - -_La population de Cilicie, laissée à la merci des bandes arméniennes, -s'est soulevée et poursuit vaillamment la lutte pour sa libération._ - -_Le même mouvement se dessine dans les provinces occupées par les Grecs -et soumises par eux à une extermination systématique, afin d'y détruire -l'élément musulman. Sous peu les Grecs se trouveront dans la même -situation que les Anglais en Mésopotamie et les Français en Cilicie, -coupés de leurs lignes de retraite et harcelés partout et à tout -instant jusqu'à ce qu'ils soient complètement repoussés à la mer._ - -_D'ailleurs, à notre époque, où tous les peuples de l'Occident ont -secoué le joug, il est tout naturel que ce soit le tour des peuples -orientaux d'être libérés des servitudes étrangères._ - -_Cette libération est inévitable. Tous les efforts contraires -n'aboutiront qu'à faire couler plus de sang sans influencer en rien le -résultat final._ - -[Illustration] - - - - -VI - - - EN TÊTE À TÊTE AVEC MUSTAPHA KÉMAL.--LA MAISON DU - CHEF DE GARE.--CE QUE DIT LE CHEF DES NATIONALISTES - TURCS.--L'OFFENSIVE EN ARMÉNIE.--LE TRAITÉ DE SÈVRES ET - LES HELLÈNES EN ASIE-MINEURE. - - -Redjeb bey, un des aides de camp du pacha que je rencontrai dans les -couloirs de la Chambre, m'annonça que son chef m'invitait à dîner à sa -villa. Je m'y rendis. - -Mustapha Kémal habile, comme je l'ai déjà dit, une petite maison -destinée autrefois au chef de gare, aux abords de la station. - -De grands arbres l'entourent et on y pénètre par un coquet jardin aux -allées soigneusement ratissées. - -Un escalier mène les visiteurs au premier étage, toutes les marches -sont recouvertes de de toile cirée et partout règne une propreté -d'autant plus appréciable que partout ailleurs, à Angora, les maisons -sont envahies de poussières. - -Nous entrons dans une salle à manger très simplement meublée où le -couvert était déjà mis. A côté, un petit salon, aux meubles recouverts -d'étoffe rouge foncé et un minuscule cabinet de travail. - -Dans le cadre de la porte apparaît un homme de haute taille, à la -moustache blonde: c'est Mustapha Kémal. Il est en civil, décoiffé, et -fume nerveusement une cigarette. - -Sur un signe de lui, j'entre dans son bureau, où se trouvait déjà le -capitaine Hayati bey, chef de son cabinet particulier. Celui-ci est -coiffé d'un grand kalpack noir. - -Sur le bureau de travail du pacha, je vois une pile de télégrammes -chiffrés et de journaux. - -Nous passons presque aussitôt à la salle à manger, car le dîner vient -d'être servi. A table, se trouvent quatre aides de camp, les généraux -Ismail Fazil et Mouheddine pacha. - -Mustapha Kémal aime de préférence la cuisine européenne. Les mets à -l'huile, lourds et indigestes, qui composent le fond de la cuisine -orientale, sont exclus de sa table. - -Le pacha déclare que la cuisine turque l'empêche de travailler; il est -de fait qu'il fournit beaucoup de besogne. Il ne quitte pas son bureau -avant deux heures du matin. Parfois même il y reste toute la nuit, -la tête baissée sur une masse de papiers, d'ordres, de dépêches et -de caries d'état-major. Il dort très peu, ce qui l'a fatigué et fait -maigrir à l'excès. - -Après dîner, nous passons au salon pour fumer, et, assis en face de -lui, je me mets en devoir de l'interviewer. Tout en causant, je ne -puis m'empêcher d'admirer le regard pénétrant de Mustapha Kémal. On -peut dire qu'il fascine et je comprends comment sa popularité est -attribuable à la puissance de ses yeux et de sa parole. Le pacha parle -couramment le français. - -_Lorsqu'en 1914,_ déclara Kémal Pacha, _l'Allemagne a violé le -traité garantissant l'intégrité de la Belgique, l'Angleterre prît -solennellement les armes pour défendre son honneur national outragé. -Le Monde entier frémit d'indignation à la violation de la Belgique par -le Kaiser. Juste cinq ans plus tard, la signature, au bas des clauses -de l'armistice de Moudros, de l'amiral Galthrope, représentant de la -Grande-Bretagne, était honteusement violée par l'attaque soudaine, à -main armée, d'une nation sans défense._ - -_L'armée hellène débarquait sans raison d Smyrne, y commettait des -massacres et causait le soulèvement de toute l'Anatolie._ - -_L'Angleterre, si fière de la sauvegarde de son honneur en Belgique, -a taché son histoire en Orient par une politique impérialiste pleine, -d'ambition et fatale pour son avenir colonial._ - ---_Croyez-vous à votre réussite finale, Excellence?_ - ---_Sans doute. Lorsqu'il y a près de 75 ans, quelques centaines de -comitadjis serbes gagnèrent les montagnes et luttèrent contre des -armées turques entières envoyées pour la répression des rebelles, ces -armées ne purent en venir à bout, car les Serbes luttaient pour leur -indépendance. La Bulgarie fit de même, la Grèce aussi._ - -_Aujourd'hui le tour est venu pour les Turcs de gagner leurs montagnes -natales, de prendre le fusil en main pour la lutte de guérillas et -mener à bonne fin une guerre de francs-tireurs. Plus cette situation -se prolonge, plus nous en profitons. Chaque jour est un pas en avant -pour nous et vers le dénouement fatal pour les oppresseurs. D'un côté, -nous sommes appuyés par la Russie des soviets et de l'autre par l'Asie -entière qui suit avec intérêt notre lutte suprême pour nous imiter dans -un avenir prochain._ - -_Est-ce que l'armée hellène supportera toutes ces campagnes! Le soldat -grec a laissé derrière lui son foyer, son commerce et ne pense qu'à -sauver sa peau pour pouvoir travailler et nourrir sa famille. Tandis -que tous les volontaires turcs viennent d'avoir leurs villages détruits -par l'envahisseur et qu'ayant perdu leurs foyers, ils s'engagent, pour -les recouvrer, dans une lutte vie ou à mort._ - -_D'un côté une armée qui veut conquérir, de l'autre un peuple entier -qui défend son foyer natal... Qui des deux remportera?_ - -_Aujourd'hui, à l'arrière du front grec, nos bandes pullulent et le -soldat hellène reçoit souvent des balles de face et de dos._ - -_Et voici l'hiver... encore un allié pour nous qui approche..._ - ---_Que pensez-vous, Excellence, de l'offensive et de la dernière avance -des Hellènes?_ - -_--Toute l'offensive et l'avance des Hellènes étaient prévues par moi. -Cette avance a affaibli son front qui a triplé sa largeur. Une preuve -éclatante en a été la bataille de Dêmirdji qui, si nous avions eu un -peu plus de cavalerie et de troupes de réserve, aurait été un véritable -désastre pour eux. Mais j'ai voulu faire un essai de rupture, avec -des forces beaucoup moins nombreuses que ne l'ont dit les communiqués -hellènes, qui a réussi du reste, et fut pour le général Paraskevopoulos -un revers cuisant. Demain, si Venizelos, obéissant à un ordre de son -dictateur Lloyd Georges, veut sacrifier une armée de 500.000 hommes -comme il l'a prétendu, il réussira peut-être d occuper difficilement -Angora et même Konia. En nous retirant à Sivas, noire guerre de -francs-tireurs redoublera et notre armée pourra plus facilement -percer leur front qui dépasserait dans ce cas mille kilomètres._ - -_M. Venizelos est entré en Anatolie dans un bourbier et l'armée grecque -finira par être obligée de quitter-après y avoir enterré des milliers -de cadavres-ce pays qui ne lui appartient pas._ - ---_La presse, ennemie vous accuse, Excellence, d'agir contre l'intérêt -du Sultan?_ - ---_Mes soldats et un peuple entier qui lutte contre renvahisseur -meurent pour défendre la terre sacrée léguée par nos anciens -khalifes... _ _J'ai une confiance aveugle en la réussite finale de -ma sainte cause, car elle représente la justice même que l'on veut -étouffer par l'ambition.»_ - -Complétant ces déclarations, Mustapha Kémal ajouta au sujet de -l'offensive kémaliste à peine déclanchée, que cette offensive n'était -qu'à sa première phase. - -_«Cela mettra fin, ajouta-t-il, aux agressions des bandes arméniennes en -territoire turc, cherchant à semer des désordres à l'intérieur._ - -_«J'ai confiance dans le plein succès de cette offensive qui nous -ouvrira une communication plus directe avec les Soviets et l'Asie -entière._ - -_«L'Arménie constituera aussi demain un gage précieux en nos mains et -ce seront les délégués arméniens eux-mêmes qui finiront par intervenir -auprès de la Société des Nations pour la révision des clauses du Traité -de Sèvres qui ont arraché injustement la ville de Smyrne à notre chère -Anatolie.»_ - -[Illustration] - - - - -VII - - A LA CHAMBRE D'ANGORA.--DÉCLARATIONS D'ISMAIL FAZIL - PACHA.--COMMENT LE MOUVEMENT NATIONAL A PRIS NAISSANCE.-- - SON HISTORIQUE.--STAMBOUL ET ANGORA.--LES DÉBATS AU - PARLEMENT.--UNE DISCUSSION INTÉRESSANTE.--LA LOI SUPPRIMANT - L'ALCOOL.--LES RAVAGES DES BOISSONS EN ANATOLIE.--L'ARGUMENT - RELIGIEUX.--LA LOI EST APPROUVÉE. - - -On m'avait fortement conseillé d'aller suivre les débats de la Chambre -kémaliste ou Assemblée nationale (Megliss-i-Milli) qui devait voter ce -jour-là une loi contre l'usage des boissons spiritueuses en Anatolie. -Le Parlement siège, comme je l'ai dit plus haut, dans une jolie bâtisse -de construction récente. Dans ses couloirs je rencontrai Ismail Fazil -pacha, Mouheddine pacha et Hamdoullah Soubhy bey, tous coiffés du -kalpak de rigueur. Ayant presqu'une demi-heure jusqu'à l'ouverture des -débats, nous échangeâmes quelques mots. - -Je questionnai Ismail Fazil pacha sur le soulèvement de l'Anatolie et -nous nous retirâmes dans la salle de lecture. - -Ismail Fazil est le père du général Ali Fuad, commandant le corps -d'armée sur le front de Smyrne. C'est un homme frisant--on peut le -dire--les 65 ans, car il est d'une constitution, sans jeu de mots, et -d'une santé parfaite. - -Il détient au sein du cabinet kémaliste le portefeuille des Travaux -publics. - -Voici le résumé de ses déclarations: - -_«Lorsque les Grecs débarquèrent à Smyrne. Mustapha Kémal pacha se -trouvait à Erzeroum comme Inspecteur général de l'armée. A cette -nouvelle, il vit que la Turquie désarmée allait être dépecée par ses -petits voisins et il décida de tenir à Erzeroum même un Congrès appelé -à délibérer sur la situation et sur ce qu'il y avait à faire. Tous les -commandants de l'armée de l'Ouest ainsi que les valis et religieux de -toutes ces provinces y furent convoqués. _ _«C'est à ce Congrès que -furent envoyés des délégués des provinces de l'Ouest qui demandèrent -tous la résistance, non contre l'Entente, mais contre les petits -Etats comme la Grèce et l'Arménie qui ne rêvaient qu'à anéantir la -Turquie et à placer le Conseil suprême devant le fait accompli. Smyrne -fut d'ailleurs un exemple frappant de cette prévision._ - -_«C'est ce Congrès d'Erzeroum qui fut le noyau de la défense nationale -à outrance. Mustapha Kémal reçut l'approbation générale et un vote -de confiance à l'unanimité et c'est lui qui prit l'initiative de la -tâche. Sivas déclara adhérer aussitôt au mouvement d'Erzeroum, puis -Trébizonde, Van, Diarbekir, Samsoun, etc., etc..._ - -_«Entre temps, du côté de Smyrne, les horreurs des Grecs à peine -débarqués et les massacres de. Musulmans d'Aïdine et Ménémen avaient -soulevé toute une masse de paysans qui avaient pris les armes pour -lutter désespérément contre l'envahisseur. Ceux-ci se groupèrent peu -à peu et leurs effectifs augmentèrent de jour en jour, opposant sans -répit la résistance aux Hellènes. _ _«Au bout de deux mois et grâce aux -milliers d'officiers arrivés de Constantinople, un noyau d'armée se -formait dans l'Anatolie de l'Est._ - -_«C'est à ce moment que je quittai Constantinople, appelé à Sivas où se -trouvait mon fils, le général Ali Fuad. Un deuxième Congrès, où était -représenté déjà la moitié de l'Empire, tint séance à Sivas, composé -d'environ soixante membres influents que chacune des provinces y -représentait._ - -_«Le mouvement nationaliste prit son élan à Sivas et continua à se -propager vers Smyrne._ - -_«A ce moment, le vali d'Angora, Mouheddine pacha, très anglophile et -sous l'influence directe du général Scotland, commandant à Eski-Chèir, -travaillait à gagner en faveur des Anglais les derviches de. Tchoroum, -très influents dans l'Anatolie._ - -_«Des missionnaires y furent envoyés mais leurs tentatives échouèrent._ - -_«La population prit soudain les armes et se dirigea, avec le -commandant du corps d'armée Ali Fuad, sur Angora pour mettre fin à ces -intrigues. Le général Scotland lui envoya alors un message lui disant -que s'il osait attaquer avec ses troupes rebelles les soldats de S. M. -Britannique, il en répondrait devant le Conseil suprême._ - -_«Ali Fuad répondit qu'il n'était plus général, mais citoyen et que ce -n'étaient pas des troupes qui barraient la route mais une population -venant de prendre les armes pour lui demander ce qu'il cherchait dans -le pays d'un autre._ - -_«Là-dessus, pour éviter une effusion de sang, Angora fut évacuée, -Mouheddine pacha s'enfuit à Constantinople et un gouvernement -nationaliste fut installé._ - -_«D'autre part, Koniah et toutes les autres provinces ainsi que les -volontaires combattant sur le front de Smyrne, adhérèrent au mouvement -nationaliste. Entre temps, Damad Ferid à Constantinople interceptait -toutes les communications de Mustapha Kémal avec le Souverain._ - -_«C'est la-dessus que le Congrès de Sivas envoya une sommation à la -Sublime-Porte d'avoir la communication directe avec le Sultan dans le -délai d'une demi-heure._ - -_«Tout le Congrès et Mustapha Kémal attendirent exactement une demi-heure -devant l'appareil télégraphique qui ne répondait pas. Ce délai passé, -toutes les communications furent interrompues._ - -_«A l'occupation de Constantinople (16 mars 1920), après sommation et -pour éviter une inutile effusion de sang, le général Scotland évacua -Eski-Chéir._ - -_«A présent toute l'Anatolie lutte pour sa libération des servitudes -étrangères, nous sommes tous confiants dans le succès de notre lutte -car nous ne sommes pas seuls. Trois formidables alliés nous tendent -la main: le Bolchevisme. l'Asie et l'Islam..._ - -_«J'espère et crois aussi que. l'Angleterre jusqu'à présent l'alliée -de l'Islam et qui a failli à sa ligne de conduite traditionnelle, -reviendra à elle afin de gagner les Turcs qui luttent pour leur -indépendance, plutôt que de compter sur un ramassis de petits Etats qui -ont tourné en sa faveur dès que la victoire a fait pencher la balance -de ce côté, rêvant ainsi d'avoir leur part au butin gagné par le sang -des autres.»_ - -On vint nous prévenir que la Chambre était réunie. A 2 h. 1/2 les 95 -députés kémalistes prenaient place autour de l'hémicycle où trônait -tout en haut le vice-président de la Chambre, le grand Tchélébi. A ses -côtés je remarquai la volumineuse personnalité de Djelaleddine Arif -bey, ex-bâtonnier du barreau ottoman et second vice-président. Dans la -salle, on percevait un sourd bourdonnement de voix. Tout à coup, la -cloche du président retentit et le silence s'établit. J'ai pris note -sténographiquement d'une partie des débats les plus intéressants. - -MAZHAR BEY (Aïdine).--Vous savez, chers camarades, que notre -budget-d'après l'exposé que nous retraçait l'autre jour le ministre -des finances, Ferid bey--est on ne peut plus satisfaisant. Néanmoins, -l'Etat doit s'imposer des sacrifices énormes pour faire face à nos -préparatifs militaires et solder nos achats en matériel de guerre. Il -en résulte un déficit inévitable de plusieurs millions de livres, et la -Chambre est chargée de le couvrir. - -«Or, une plaie affreuse ronge le pays, plus que cela n'a lieu n'importe -où ailleurs, et paralyse toutes nos forces vives; c'est l'abus -de l'alcool. Par contre, il ne faut pas oublier que les boissons -spiritueuses rapportent au budget annuel de l'Etat la coquette somme -d'environ un million et demi de livres turques. Beaucoup de nos -paysans, à Aïdine, Smyrne et Magnésie en particulier, ne vivent que du -produit de leurs vendanges. Il faut tenir compte dans nos décisions de -tous ces éléments. - -DJEVÀD BEY (Sivas).--Ces provinces ne sont plus entre nos -mains. (_Bruits._) - -MAZHAR BEY.--Oui, mais elles nous reviendront un jour -«inchallah», de même que l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la -France. (_Applaudissements redoublés._) - -«Donc, continue l'orateur, ces provinces ne vivent que des produits -distillés du raisin et en premier lieu du «raki», Aujourd'hui, en -interdisant l'alcool dans le pays, vous enlevez leur gagne-pain à des -milliers de citoyens. Chers camarades, je vous préviens, statistique en -main, que la loi proposée à la Chambre serait une folie. - -«Nous devons maintenir l'alcool, car il s'agit d'un bénéfice net -d'un million de livres par an, et qu'en agissant différemment nous -fournirions aux paysans de Chio et de Mytilène, un moyen de s'enrichir -à nos dépens. - -CHUKKRY BEY (Trébizonde) le remplace. - -«Je ne veux pas contredire mon prédécesseur, affirme le nouveau venu. -Mais je tiens à vous exposer, Messieurs, les ravages que cause la -boisson au sein de notre Patrie. - -«Un mal interne ronge notre peuple. Aujourd'hui, notre paysan de Konia, -après avoir vendu son beurre et ses œufs au marché, remporte dans son -foyer des bidons de raki et s'enivre oubliant toutes les prescriptions -de l'Islam! - -VELHI BEY (Konia).--Pas à Konia seulement, c'est partout -ainsi. (_Rires._) - -ALI CHUKKRI BEY (Trébizonde).--Il y a de cela dix ans, à -Trébizonde, les personnes abusant de l'alcool pouvaient se compter sur -les doigts. - -«A présent, hélas! les enfants de 7 à 8 ans pratiquent le culte de la -«dive bouteille» comme père et mère. Les maladies augmentent avec ces -abus, et la nation entière est exposée à un péril imminent; elle se -trouve au bord de l'abîme. - -«On ne veut pas faire perdre au budget un million de livres, mais on -bride le pays. La Chambre assume une responsabilité écrasante. Tous -les députés doivent être d'accord pour entreprendre la lutte en vue -d'assainir la nation et d'élaborer cette loi... - -FARIK BEY (Denizli)--... que le Gouvernement ne pourra à -aucun prix appliquer intégralement. (_Bruits dans la salle._) - -ALI CHUKKRI (Trébizonde), répliquant vivement.--Un -gouvernement qui ne peut appliquer ses lois n'en est pas un... - -(_Grand bruit, protestations; on empêche le député de continuer.--Le -président rappelle à l'ordre._) - -«Je ne veux pas qu'on prête à mes paroles un sens qu'elles n'ont pas et -je me rétracte! (Le silence se fait.) - -«Une loi supprimant l'alcool délivrerait l'Anatolie d'un mal affreux. -Nous devons imiter l'Amérique et la Russie. En Russie, la loi contre -l'alcool a été appliquée en recourant, le cas échéant, à la bastonnade! -Il faudra que nous sachions en faire autant. Pour nous autres Turcs, il -n'y a qu'un remède radical,la bastonnade! (_Bruits, protestations._) - -MEHMED HODJA (Edremid). (_Il prend la parole à la tribune et d'une voix -de stentor entonne une harangue en faveur de la loi._) - -«La principale cause de nos malheurs est que, nous autres Turcs, nous -n'observons plus les lois de l'Islam. - -«Notre religion nous interdit l'alcool et nous nous permettons d'en -abuser. Tous les peuples musulmans savent trop combien nous négligeons -les lois divines. Il y a vingt ans, à Edremid, les Chrétiens n'avaient -que vingt maisons tout au plus. L'alcool et le jeu ont ruiné les Turcs -de l'endroit et aujourd'hui la moitié de la ville appartient aux -étrangers! - -«Tant que les Turcs ne prendront pas les mesures nécessaires contre -l'ivresse et le jeu, ils seront foulés aux pieds de leurs plus vils -ennemis.» - -Cette fois les contradicteurs se sont tus. L'argument divin est sans -réplique, dans la toujours religieuse Anatolie, et c'est au milieu d'un -silence complet que Djelaleddinc Arif bey note le compte rendu officiel -et lit le projet de loi suivant: - -1º _L'importation de tous les spiritueux est strictement interdite sur -toute l'étendue du territoire ottoman._ - -2º _Tout débit d'alcool sera fermé. Les scellés seront apposés par -l'Etat sur tous les alambics, bidons et barils._ - -3º _L'alcool ne pourra se vendre dans le commerce que dénaturé et après -un contrôle de l'Etat_. - -Les contrevenants seront condamnés à une amende de 100 à 500 livres et -à une peine corporelle variant entre 80 et 100 coups de bâton et à une -réclusion de 2 à 6 mois de prison. - -Et, sans plus ample discussion, la loi est approuvée. Il y a des pays, -n'est-ce pas, où cela ne va pas si vite. - - - - -VIII - - ISMAIL SABRY BEY.--À LA DÉFENSE NATIONALE.--L'OCCUPATION DE - SMYRNE.--L'AGRESSION HELLÈNE CONTRE L'ANATOLIE.--LES CAUSES - DU SOULÈVEMENT DE L'ASIE-MINEURE.--EN CILICIE.--DEUX MOTS DE - FEVZI PACHA, MINISTRE DE LA GUERRE.--QUELQUES PROCLAMATIONS. - -J'ai rencontré à Angora, dans l'entourage de Mustapha Kémal, un ancien -ami: Ismail Sabry bey, ancien adjudant de la reine Marie de Roumanie. - -Sabry bey est originaire de la Dobroudja et il était capitaine de -cavalerie dans l'armée roumaine. Mais les déportations et massacres -qu'eurent à subir les Musulmans de la Dobroudja le décidèrent à passer -dans les rangs de l'armée turque. - -C'est aujourd'hui un des membres les plus influents du soulèvement -kémalisle. Comme récompense de ses précieux services et de son courage -vis-à-vis de l'ennemi, Mustapha Kémal pacha le prît à ses côtés. - -Sabry bey m'amène au Ministère de la Guerre. - -Je suis introduit auprès du commandant Riza, de l'Etat-Major, qui nous -reçoit fort aimablement. - -A peine la conversation était-elle engagée et lui avais-je demandé -comment prit naissance le mouvement national, il me tendit un dossier. -Je l'ouvris et y trouvai tout d'abord quelques dépêches, qu'il me -parait intéressant de transcrire ici: - - - TÉLÉGRAMME DU COMMANDANT D'AÏDINE - - «Le 15 mai 1919. - - «Notre correspondance avec Smyrne occupée par les - Hellènes s'est trouvée interrompue. Détails parvenus - ici annoncent massacres sur population musulmane commis - par troupes grecques. Caractère occupation imprécis. - Population extrêmement surexcitée.» - - «Commandant de la 57^e Division, - - «CHEFICK». - - - «Panderma, le 16-5-1919. - - «Population Panderma extrêmement surexcitée suite occupation - injustifiée Smyrne.» - - «C. div. 14^e C. Armée, - - «YUSSOUF IZZET». - - - «Aïdine (très urgent), le 16-5-1919. - - «...Le 14-5-19, six transports hellènes, protégés par quelques - torpilleurs, commencèrent à entrer dans le port de Smyrne. - La population grecque s'assembla en masse sur le quai. - Tout d'abord, une compagnie de 300 Efzones débarqua sur le - quai, suivie par d'autres groupes. Les forces débarquées se - divisèrent en deux colonnes, dont l'une prit la direction de - la caserne et l'autre celle de Punta. La population indigène - armée accompagnait ces troupes; aussitôt les quartiers grecs, - sis aux environs du quai, bissèrent des drapeaux hellènes. - Au moment où la première colonne fut près de la tour de la - place de la caserne, un coup de feu éclata. Là-dessus un - choc s'engagea entre nos soldats d'une part et les soldats - hellènes et la population armée d'autre part. Des deux côtés - aux prises sur les lieux, les pertes se montent à plus de - 700. Le choc dura une heure. Une partie de nos officiers et - soldats se trouvant dans la caserne, furent faits prisonniers. - On les conduisit à bord du cuirasé Avcroff. D'autres soldats - ottomans se sont retirés avec leurs armes hors de la ville. - Les habitants grecs de Seydi-Keuy et des environs, accourus - en armes durant le choc, se mirent à piller le local du - Gouvernement, la caserne et les magasins appartenant aux - Musulmans. Après l'occupation des établissements officiels et - de ceux de la Sûreté publique, l'armée se joint aux bandes - grecques pour commettre des atrocités tant dans la ville que - dans les environs. La malheureuse population musulmane est - assassinée et torturée. Guidés par des bandes grecques, - les soldats hellènes se saisirent de quelques-uns de nos - officiers et arrachèrent leurs uniformes à coups de crosse. La - population musulmane se réunit dans le cimetière juif, dans - l'intention de s'élever contre l'annexion et de sauvegarder - ses droits. Elle ne voulut pas se disperser et passa la nuit - du 15 au 16 dans le cimetière Israélite continuant ses - manifestations nationales. Après minuit, des coups de fusils - et de mitrailleuses se firent entendre aux environs de ce - cimetière. Le feu continua dans ce quartier et dura environ - quatre heures. La population musulmane, exposée à ce massacre, - dût se disperser. - - «Durant toute la nuit, on entendait partout dans la ville - des coups de fusil et de bombes. Les dépôts d'armes et de - munitions, ainsi que les caisses des établissements officiels - furent entièrement pillés par la population locale grecque. - L'agression se manifesta avec une fureur telle que les - soldats hellènes en vinrent jusqu'à faire usage de leurs - mitrailleuses. - - «Les atrocités des Grecs furent portées au-delà des limites - de la ville, des bandes grecques formées dans les villages se - mirent à attaquer aussi les trains et les villages musulmans. - - «Dans plusieurs villages, des bandes helléniques et grecques - ont commis aussi de nombreuses agressions et leurs actes de - violence se sont étendus jusqu'aux environs de Kouche-Ada et - de Soke. - - «Les violences ainsi commises par les Grecs indigènes, tant - en groupes qu'individuellement, à l'encontre des lois de - l'humanité, ont vivement indigné la population musulmane - d'Aïdine et de ses dépendances. Tant que l'occupation de - Smyrne par la Grèce durera et que les violences des bandes - grecques continueront, l'énervement de la population musulmane - doit fatalement croître et, par conséquent, il y aura lieu de - s'attendre à des événements regrettables. - - «Donc, au nom de l'humanité, il est d'une importance extrême - de faire les démarches nécessaires auprès des représentants de - l'Entente afin que, dans le cas où l'occupation de la ville - serait nécessaire pour l'Entente, des contingents ententistes - anglais, français et américains viennent seuls effectuer cette - occupation. - - «Le Commandant de la 57^e Division, - - «CHEFICK». - - - Aïdine, 17 5-19. - - (SUITE TÉLÉGRAMME N° 892) - - «1º) Les membres de l'Etat-Major du corps d'armée et des - divisions ont été arrêtés à Smyrne le jour de l'occupation. - - «2º) Les massacres et les pillages commis à Smyrne contre la - population musulmane et contre nos soldats n'ont nullement été - provoqués par les nôtres, mais il existe, au contraire, des - preuves indiquant qu'ils ont été commis avec préméditation - par les Grecs indigènes et les soldats hellènes. - - «CHEFICK.» - - -Le passage suivant, d'un autre rapport du général Nadir pacha, sur les -horreurs de Smyrne, vaut aussi d'être cité: - - «A ce moment furent commis des crimes et atrocités - inimaginables, que réprouveraient les peuples même les moins - civilisés. - - «Des Grecs, armés de revolvers, tiraient continuellement sur - le groupe des officiers turcs, traversant la rue au milieu de - deux rangées de soldats hellènes d'occupation. - - «La population grecque n'a rien épargné pour insulter, - humilier, torturer et frapper les officiers. - - «Tous ceux qui étaient à bord des bateaux grecs, le long des - quais, ainsi que tous les soldats hellènes descendus dans - la rue et la population grecque de la ville elle-même, ont - participé par tous les moyens à cette scène tragique. Les - officiers turcs, mains en l'air, furent contraints de crier - «Zito» et un grand nombre d'officiers et de soldats furent - impitoyablement massacrés ou blessés. Une pluie battante, - mêlée de grêle qui commença à tomber peu après, contribua - heureusement à détourner sensiblement ce déchaînement de - barbarie.» - -Si je devais transcrire, ici, la suite de dépêches annonçant la -destruction d'Aïdine, de Ménémen, les massacres de Magnésie, etc., la -série n'en finirait pas. - -Aussi Riza bey me dit que si quelqu'un lui demandait pourquoi -l'Anatolie est rebelle et s'est ainsi soulevée, il montrerait ce -recueil qu'il gardait précieusement. - -Nous causâmes ensuite de la Cilicie. Je remarquai avec plaisir -qu'aucune rancune envers la France n'existait chez ces officiers. -Seulement Riza bey me donna deux proclamations qui venaient d'être -rédigées pour être jetées par avion sur les troupes françaises. Je les -reproduis ici à titre documentaire et parce qu'ils font ressortir les -vœux que formaient alors les nationalistes turcs sur la Cilicie. - - -«SOLDATS DE FRANCE! - -«Combattants de la République et apôtres de la -justice, demandez à vos chefs pourquoi vous versez encore votre sang -pour la conquête inutile de la Cilicie turque qui ne vous est même pas -cédée par le traité de Versailles? - -«Poilus de France! Songez que votre patrie vient de gagner une belle -victoire en vous rendant l'Alsace et la Lorraine, mais vous tacheriez -l'œuvre de vos camarades morts au champ d'honneur, en voulant -déchiqueter le peuple turc qui ne demande qu'à vivre libre et en bonne -amitié avec vous. - - -«Soldats de France! - -«Si vous poursuivez ces projets, les Turcs sont à la veille de -s'allier aux rebelles arabes. Un exemple frappant est sous vos veux. -En Mésopotamie, les Anglais ont une armée de 100.000 hommes, qui est -harcelée de tous côtés. Leurs troupes ont leurs arrières coupés, sont -attaquées chaque jour par les Turco-Arabes et périssent par milliers. -En Cilicie, vous êtes en face d'un péril identique et imminent! - -«Aujourd'hui, l'époque des conquêtes est passée!... - -«Est-ce le moment pour la France républicaine de dévoiler son ambition, -ou celui de se mettre au travail et de chercher ses vrais intérêts là -où ils sont autrement que par la force?... Cela demandez le à vos chefs, -et s'ils ne peuvent vous répondre, consultez votre conscience; elle -vous refusera de déshonorer votre histoire en vous ruant sur un peuple -qui ne demande qu'à vivre libre et tranquille!...» - - -«POILUS DE FRANCE! - -«Vous avez laissé bien loin derrière vous vos villages, vos foyers -chéris... - -«La guerre est finie depuis longtemps, l'Alsace et la Lorraine sont -redevenues françaises, mais vous, que cherchez-vous encore ici? - -«Le moment est venu de prendre la truelle en main et de réparer les -sanglantes blessures de la Patrie. - -«Le moment est venu pour l'humanité entière de respirer, non de -conquérir, de brûler encore et de verser inutilement du sang. - -«Poilus de France égarés en Cilicie, qu'avez-vous à attaquer les Turcs -qui ne demandent qu'à vivre tranquilles et amis de la France? - -«N'oubliez pas vos traditions d honneur et de justice, ne perdez pas -ainsi vos vrais intérêts en Orient! - -«Vous combattez pour les beaux yeux de l'Angleterre, qui est pour nous -tous l'ennemi commun. - -«Poilu de France! Rentre chez toi, profite de la victoire et mets toi à -l'œuvre avant les Allemands... - -«Ne pense pas à vouloir le bien d'autrui!... - -«Rentre dans ta douce France, laissons les armes pour reprendre la -charrue et nous remettre enfin à travailler en paix! - -«Chacun chez soi! Dieu avec tous!...» - -Tandis que nous étions en train de lire ces proclamations, le général -Fevzi pacha entra dans la pièce. - -Il me dit quelques mots sur la Cilicie que je reproduis ici -textuellement. Je n'ai pas eu la possibilité de m'entretenir longuement -avec lui, car il dût me quitter précipitamment pour îles affaires -urgentes. - -Mais ces déclarations, si concises quelles soient, confirment les -précédentes. - -_Jusqu'à présent_, remarque Fevzi pacha, _nous avions négligé ce front, -car nos principaux efforts tendaient à résister par tous les moyens -à l'invasion hellène. Quelques milices de volontaires réussissent -toutefois, non sans éclat, à rendre critique, à certains moments, la -situation militaire française. Mais nous avons toujours voulu régler -les affaires de Cilicie, sans effusion de sang avec la France, car elle -a tout intérêt à le faire._ - -_L'esprit militaire l'a emporté et les Français n'ont pas hésité à armer -des bandes arméniennes pour les lancer dans nos paisibles campagnes. -Si les Français ne veulent pas conclure avec nous un accord qui leur -serait favorable, la guerre de guérillas continuera de plus belle avec -l'aide et l'appui que nous apporteront les rebelles arabes!_ - -[Illustration] - - - - -IX - - CE QUI SE PASSE EN MÉSOPOTAMIE.--LE GOUVERNEMENT - NATIONALISTE ARABE DE KERBELLAH.--LES ALLIÉS DES - KÉMALISTES.--L'ÉTENDARD DE LA RÉVOLTE EN PERSE ET EN - ARABIE.--L'ÉMIR ALI.--L'ATTAQUE DES CONVOIS ANGLAIS - DU TIGRE.--SUR LES RIVES DE L'EUPHRATE.--ARABES ET - KÉMALISTES.--A LA FRONTIÈRE PERSANE. - -J'ai pu voir ici un officier kémaliste blessé, de l'entourage immédiat -de Nihad pacha, rentré dernièrement du front de Mésopotamie et qui m'a -donné de précieuses informations sur ce qui se passe dans ces provinces -éloignées de l'Asie. - -En Mésopotamie, la paix est bien loin d'être rétablie et la situation -ne s'est guère éclaircie non plus, comme on l'annonçait dernièrement en -Angleterre. - -Les Anglais, il est vrai, ont réussi à s'établir dans le delta et dans -les provinces de Bassorah et de Kourna, où leurs troupes ont culbuté -les rebelles arabes qui se sont retirés vers l'intérieur. Mais ceux-ci -reviennent à l'attaque et à présent, en Mésopotamie, l'armée anglaise -combat sur un front de plus de 600 kilomètres, c'est-à-dire de Bagdad à -Bassorah. Elle est en outre attaquée de flanc par les révolutionnaires -persans descendant de Kermanchah dans le Pouchti Kouh. - -Un émir arabe, l'émir Ali, parent de l'émir Hussein, très influent en -Mésopotamie, leva le premier l'étendard de la révolte, il y a un an -de cela. Ce fut le début de la révolution arabe dans l'Irak contre -l'Angleterre. - -Ce chef rebelle entra à Kerbellah, d'où la petite garnison anglaise -dût se retirer, et y installa un gouvernement provisoire à l'instar de -Kémal pacha à Angora. - -Quelque temps plus tard, tandis que les Arabes du Monentefîck et du -Djebell se soulevaient, l'émir Ali envoya une délégation en Anatolie -pour conclure une alliance avec les Kémalistes. Ceux-ci s'empressèrent -d'accepter et envoyèrent une mission à Kerbellah, accompagnée -d'officiers d'Etat-Major demandés par l'Emir. C'est ainsi qu'à la fin -de l'été 1920, les Arabes, suffisamment organisés et très nombreux, -entreprenaient la lutte depuis Bagdad jusqu'à la mer. D'autre part, -le 13º corps d'armée kémaliste, sous les ordres du général Nihad -pacha-alors à Diarbékir se mit à descendre le Tigre et il investissait -Mossoul où la garnison anglaise, coupée de Bagdad, ne put résister. - -Nihad pacha continua son avance et installa en octobre dernier -son Quartier général à Mossoul, tandis que ses 2º et 5º divisions -combattaient avec l'aide des Arabes à Samara. - -Les Persans à leur tour, ayant proclamé un gouvernement nationaliste -à Tabriz, s'allièrent aux Kémalistes et ne tardèrent pas à faire -irruption en Mésopotamie. C'est ainsi que les troupes britanniques -virent un troisième front surgir sur le champ de bataille. - -Quoique très mal équipées et mal organisées, ces bandes persanes -causent de grands dommages aux Anglais, car ils mènent sur la rive -gauche du Tigre une guerre de guérillas qui retient de ce côté une -quantité de troupes obligées de protéger les convois de ravitaillement -remontant le Tigre vers Bagdad. - -Ces convois sont souvent attaqués par des insurgés arabes qui, -blottis par milliers dans les roseaux et les bambous des rives et des -marécages, ne cessent de mitrailler tous les navires qui passent. - -Ceux-ci sont naturellement tous armés et les Anglais ont organisé -des escadrilles de moteurs blindés accompagnés d'hydro-avions qui -parcourent sans cesse tout le cours du fleuve y faisant la police. -Dans chaque village riverain sont installés des postes munis de fortes -garnisons et entourés de fils de fer barbelés, ce qui n'empêche pas -les Arabes de les attaquer sans trêve et tout le voyage des bateaux -circulant de Bassorah à Bagdad s'effectue le plus souvent sous une -pluie de balles. - -A l'organisation impeccable des Anglais le long du Tigre, les Arabes -répondent par le nombre de leurs combattants, qui pullulent et sont -bien approvisionnés en armes et munitions. - -L'émir Ali a réussi à se procurer quelques batteries de canons de -campagne et de nombreuses mitrailleuses. - -Les insurgés arabes en Mésopotamie emploient audacieusement une -singulière tactique pour attaquer et détruire les convois fluviaux -britanniques quoique ceux-ci soient armés. - -De nuit, des centaines de soldats arabes se munissent de peaux de -moutons qu'ils gonflent en guise de bouée et ils entrent sous cet -accoutrement dans le fleuve se laissant ainsi entraîner par le courant -en masses compactes pour se cramponner à l'étrave des bateaux et se -hisser sur le pont à l'aide de bambous recourbés. Ils font alors -irruption de tous les côtés à la fois et attaquent au poignard les -passagers et les équipages; ceux-ci ne pouvant plus se défendre avec -leurs armes sont massacrés de la sorte. - -Le bateau, après qu'ils l'ont échoué, est dévalisé par les insurgés. - -L'émir Ali a installé son gouvernement à Kerbellah où sont concentrés -les principaux ministères. Percevant les impôts sur toute la population -de l'Euphrate, ce gouvernement, dont l'existence est inconnue peut-être -en Europe, à son budget et fonctionne presque normalement. L'émir -lutte pour l'indépendance de la Mésopotamie et l'on m'assure qu'il a -plusieurs fois déclaré son attachement à la France et aux Turcs. C'est -un homme âgé d'une quarantaine d'années, très énergique et très aimé de -tous les Arabes de l'Irak. - -L'Angleterre se heurte avec lui à un ennemi puissant, respecté et en -parfaite solidarité avec les kémalistes turcs qui luttent à ses côtés. - -[Illustration] - - - - -X - - L'EXILÉE D'ANGORA.--HALIDÉ EDIB HANUUM.--UNE VISITE À - SA FERME.--LA ROMANCIÈRE KÉMALISTE.--L'AMAZON D'ANATOLIE.-- - LES FUSILS DANS LA PÉNOMBRE.--DÉSENCHANTÉE 1920.--LA FUITE - D'HALIDE DE CONSTANTINOPLE.--CE QU'ELLE DIT DU MOUVEMENT - NATIONAL. - -A la direction générale de la presse kémaliste, un ami m'avait proposé -d'aller voir, avant de quitter Angora, Halidé Edib Hanoum, fougueuse -propagandiste de la cause nationaliste et écrivain d'une indéniable -valeur. Le soir même une voiture nous menait avec force cahots, à -travers les rues mal pavées de l'antique Ancyre. Nous avancions sur -une route poudreuse menant à la ferme modèle, dépendance de l'Ecole -d'agriculture d'Angora sise à environ une heure de la ville. - -De temps en temps, nous croisions sur notre chemin quelques «tchétés» -kémalistes armés et montés sur de beaux chevaux. Ils font partie de ces -bandes, de formation nouvelle, qui s'exercent à la petite guerre en -attendant d'être dirigées vers le front. - -Chacune des bandes de «tchétés» est munie d'une mitrailleuse et -comprend 50 cavaliers armés jusqu'aux dents. Les grenades à main qu'ils -suspendent à leur ceinture et que ces cavaliers trimballent avec eux, -sont la terreur constante des habitants d'Angora. - -Au café où ils s'attablent, ils conservent toujours ces dangereux -joujoux auprès d'eux, parfois ils s'amusent à les démonter et les -explosions par accident ne sont pas rares, qui font voler en éclats -tout le café, tables chaises et clients! - -Aussi le gouvernement a-t-il pris la décision d'interdire le port de -ces bombes à l'intérieur de la ville. - -Tandis que notre voiture passe, je les vois esquisser une merveilleuse -«fantasia» sur leurs fringants chevaux qu'ils montent admirablement -bien. - -Au bout d'une heure de course nous arrivons à une ferme champêtre -et gaie émergeant d'un bouquet de feuillage, le long d'une petite -rivière aux eaux claires et très poissonneuses. Devant la ferme est un -grand verger, puis une prairie ombragée où paissent tranquillement des -vaches. Tout est calme et silencieux. C'est un lieu bien choisi pour -servir de refuge à l'àme ténébreuse et mélancolique qui est venue s'y -exiler... Tout à coup un galop pressé retentit. Nous voyons arriver de -loin une femme montée sur un superbe pur sang. Le vent s'engouffre dans -les plis de son «tcharchaf» noir. Elle est chaussée de bottes d'homme. -Sa ceinture s'orne d'une cartouchière et d'un revolver à la «cow-boy». -C'est Halidé Edib Hanoum. - -⁂ - -Quelques minutes plus tard, nous étions dans une petite pièce située au -prcmier étage et transformée en salon. Quelques meubles purement turcs -d'une simplicité rustique. - -Dans un coin, luit dans la pénombre l'acier poli d'une dizaine de -fusils, revolvers et poignards rangés avec précaution. Sur une petite -table est un «samovar» russe et au milieu de la pièce un grand -«mangal»[2] de cuivre. - -[2] Réchaud à charbon turc.] - -Nous nous asseyons sur des «minders»[3] à la turque adossés aux -fenêtres donnant sur le balcon d'où la vue s'étend sur de riches -plantations. Halidé Edib a pris place en face de nous. Elle a gardé son -«tcharchaf», le voile relevé. - -[3] Divan à la turque.] - -Tandis qu'elle parle, je l'observe. Notre interlocutrice est une belle -femme entre les deux âges, aux yeux noirs et au regard langoureux. Les -péripéties de sa fuite en compagnie de son mari, le docteur Adnan bey, -méritent d'être narrés. - -⁂ - -Déguisés en villageois et ayant chargé leurs effets sur un char à bœufs -plein de paille, des «tcharik» aux pieds, un aiguillon en main, c'est -en cet agreste équipage que Halidé Edib s'achemina sur la route menant -de Scutari à Alemdagh. - -Mari et femme errèrent ainsi quinze jours durant, le long de chemins -isolés, logeant dans des hans affreux et peuplés de vermine... Ils ne -furent reconnus qu'a leur arrivée à Ada-Bazar. - -Halidé Edib nous retient à prendre le thé. Une petite paysanne nous -sert sur un plateau du beurre frais provenant de la ferme et des -confitures préparées par la fermière. - -«Nous ne manquons de rien, me dit Halidé Edib Hanoum, la terre de nos -aïeux, la belle et riche Anatolie, malgré toutes ses blessures béantes, -est encore généreuse. L'Europe a beau ne rien envoyer, nous trouverons -longtemps encore sur la terre de l'exil des tchariks pour nous chausser -et des vêtements de bure...» - -Puis, tandis que je la questionnais sur le mouvement national, -l'éminente romancière et poète turque me répondit sans hésitation: - -_«Vous nous voyez ici, nous avons tout laissé derrière nous, maisons, -famille, notre Bosphore chéri aux-riantes rives... Nous avons -abandonné tout cela pour prendre les armes et lutter à la défense de -nos monts et de nos terres que l'on veut faire envahir par nos plus -vils ennemis..._ - -_«Au commencement de la guerre générale qui a déchaîné le feu dans le -monde entier, je me trouvais à Constantinople. Lu ruée germanique sur -la Belgique, fut douloureusement ressentie par la plupart des Turcs, -car la Turquie elle aussi sait jusqu'où va la violence de certaines -nations européennes que l'ambition rend aveugles..._ - -_«Les vrais Turcs sentaient l'approche d'un malheur... ils savaient -que l'Allemagne avait entre les mains les rênes de l'Empire, mais ils -frémirent tous d'horreur à la destruction de Louvain, aux horreurs -germaniques en Belgique. Il serait inutile de rappeler l'indignation -que la violation de la Belgique par les armées du Kaiser, souleva dans -le monde entier._ - -_«Pourtant, cinq années plus tard, une violation plus monstrueuse -encore était accomplie envers la Turquie qui avait déposé les armes en -se fiant à l'armistice de Moudros et au 12^e principe de Wilson qui lui -donnait droit à la souveraineté turque sur les territoires turcs de -l'Empire ottoman..._ - -_«On jeta sur un peuple désarmé, l'armée grecque qui occupa Smyrne, -y commit des massacres sans précédent et mit à sac les plus belles -provinces de l'Anatolie... Aujourd'hui, des villes d'Aïdine, de -Ménémen, Nazeli, il ne reste qu'un amas de décombres..._ - -_«A toutes ces horreurs, personne n'eut de cris d'indignation, pas -un sursaut de révolte ne se manifesta et pourtant ces villes, ces -populations, ces contrées dévastées, mises à feu et à sang, font partie -de l'humanité!_ - -_«Et l'on prétend que les nationalistes turcs sont dans leur tort I -Mais quel peuple au monde n'en aurait pas fait autant sinon plus?_ - -_«Les misères et les horreurs sans précédent dont la population turque -de Constantinople est victime depuis que les Anglais y sont les maîtres -sont indescriptibles._ - -_«Les étrangers, parmi lesquels de rares officiers français restés à -Stamboul, sont témoins des occupations à main armée des maisons turques -qui ont plu à MM. les Officiers anglais._ - -_«A tout cela d'autres témoignages viennent s'ajouter: les coups -de crosse et de cravache administrés par des soldats australiens, -polynésiens--apôtres de la civilisation britannique--aux malheureux -voyageurs qui sont obligés d'attendre dix jours sur pied pour obtenir -un visa anglais au quai de Galata. Et les familles jetées sans raison -dans la rue, et les harems violés, les arrestations brutales pour ceux -qui sont connus être francophiles convaincus, et l'horrible censure -interalliée, anglaise plutôt, qui étouffe la voix de la presse turque -laissant les feuilles grecques et arméniennes déverser des articles -mensongers et injurieux envers la Turquie, que de tracasseries, -odieuses et pires!_ - -_«La Turquie n'est pas entrée de sa propre volonté dans la guerre -générale; c'est elle, néanmoins, qui a été le plus injurieusement -traitée, plus que l'Allemagne, plus que l'Autriche et même que la -Bulgarie._ - -_«Un peuple qui a le moindre sentiment de patriotisme ne devait-il pas -prendre les armes pour soutenir une lutte désespérée... et ne sait-on -pas que les peuples exaspérés sont souvent redoutables?_ - -_«Mustapha Kémal, dans la lutte suprême qu'il a entreprise, a réveillé -d'autres peuples? asiatiques opprimés._ - -_«Le bolchevisme se changera fatalement en Asie en un soulèvement -général, car les droits de tout peuple de disposer de lui-même que -Wilson a proclamés, ainsi que les idées des communistes envers les -capitalistes ont réveillé l'Asie._ - -_«Nous sommes aujourd'hui liés étroitement aux Musulmans de la Chine et -des Indes et nous savons exactement vers quel dénouement marchent les -événements que quelques diplomates inconscients ont provoqués._ - -_«Le grand Congrès asiatique de Bakou est un pas en avant. La révolte -des peuples opprimés de l'Asie est proche. Demain, lorsque toutes les -colonies britanniques seront mises à feu, M. Lloyd Georges réfléchira -sur la fatalité qui pèse sur des oppresseurs nourris d'ambitions...»_ - -Il me souvient d'avoir visité naguère, sur les rives du lac de Genève, -à Coppet, le château où s'exila Mme de Staël. La ferme de Halidé Edib -m'a rappelé involontairement ce pittoresque refuge de Mme de Staël. -A l'instar de l'auteur de Corinne, l'exilée d'Angora entretient une -active correspondance. Elle écrit environ trente lettres par jour à -différents personnages en vue, d'Angleterre et d'Amérique. Elle compte -publier, à ce qu'elle m'a affirmé, un recueil de «Lettres d'Anatolie», -qui sera évidemment du plus vif intérêt. - -Mais que dirait Pierre Loti de ces «Désenchantées» nouveau style! - -Les voilà à l'œuvre et en plein dans la vie active... - - - - -XI - -EN QUITTANT LA TERRE KÉMALISTE - - -Quelques jours après ce long et si curieux voyage, je m'embarquais de -nouveau à Inéboli, sur un paquebot en partance pour Stamboul... - -L'impression laissée par ce que j'ai vu en Anatolie, est de celles que -de vains commentaires affaibliraient; elle est dans la simplicité et -la véracité des faits de nature à jeter sur le kémalisme des lueurs -nouvelles qui éclaireront, je l'espère, les esprits impartiaux. Quant -aux autres... - -Tandis que je prenais place dans un canot qui devait m'amener à -bord, je répétai plusieurs fois à un compagnon de voyage qui devait -repartir pour Angora: « Dites à Mustapha Kémal pacha, que le respect et -l'admiration que j'ai pour lui, après que je l'ai vu à l'œuvre, sont -si grands, que je l'appellerais partout avec fierté «l'Apôtre de la -Résurrection turque!» - -Tandis que le canot s'éloignait du rivage, je distinguais encore sur -le quai, quelques soldats anatoliens, leurs cartouchières fièrement -rangées sur leur poitrine, qui contemplaient l'horizon azuré de la -Mer Noire avec de grands yeux illuminés. - -Quelques heures après, notre bateau levait l'ancre. Sur la passerelle, -je restais debout à regarder s'éloigner ces rives kémalistes, ces -côtes de l'Anatolie indépendante, tout entière absorbée dans une lutte -désespérée, mais si sublime, contre tant d'adversaires à la fois... - -La nuit couvrait déjà la mer, lorsque là-bas, derrière nous, sur la -ligne fuyante du large, je vis disparaître ce coin de terre natale, -resté encore si fièrement turc en ce monde !... - -{Illustration] - - -Imp. R. Dousinelle, 3-5-7, rue St-Pierre, St-Germain-en-Laye. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of A Angora aupres de Mustafa Kemal, by -Alaeddine Haidar - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL *** - -***** This file should be named 50805-0.txt or 50805-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/0/8/0/50805/ - -Produced by Turgut Dincer (This file was produced from -images generously made available by The Internet Archive) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: A Angora aupres de Mustafa Kemal - -Author: Alaeddine Haidar - -Release Date: December 31, 2015 [EBook #50805] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL *** - - - - -Produced by Turgut Dincer (This file was produced from -images generously made available by The Internet Archive) - - - - - - -</pre> - - -<p class="center">Alaeddine Haidar<br /> - -<small>Envoyé de Presse</small></p> - -<h1>A ANGORA<br /> - -<small><small>AUPRÈS DE</small></small><br /> - -<small>MUSTAPHA KÉMAL</small></h1> - -<hr /> - -<table style="margin-right: 0em;" summary="dedication"><tr> -<td class="tdc">Dédié à<br /> -<b>M. Pierre LOTI</b><br /> -<i>de l'Académie française</i><br /> -En hommage très respectueux<br /> -envers<br /> -notre Grand Défenseur.<br /> -</td></tr></table> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/croissant.jpg" width="100" height="78" alt="croissant" /> -</div> - -<p class="center">ÉDITIONS "FRANCE-ORIENT"<br /> -5, Avenue de l'Opéra, 5<br /> -PARIS</p> - -<hr /> - -<h2>AVERTISSEMENT</h2> - -<p>«France-Orient» est une tribune libre, un -tribunal d'enquêtes, si l'on veut, mais sans -juges, ni accusés, à plus forte raison, où sont -admis et écoutés tous les plaidoyers sincères, -courtois et loyaux.</p> - -<p>En accueillant, au moment de la Conférence -de Londres, ce Carnet de route d'un -Correspondant de guerre turc, en présentant -au public français averti cette charmante -plaidoirie, cette séduisante description du -pays, de l'âme, de la foi kémalistes, vus par -des yeux francs de jeunesse et de patriotisme -fervent, le Comité France-Orient, entend -prouver à ses amis ottomans—qui le sont -restés malgré toutes les vicissitudes, les inimitiés -passagères et les emprises cruelles -pour tous, d'un seul ennemi déloyal et -irréconciliable—que la France est toujours la -véritable Terre indépendante et libre du -Droit et de la Justice.</p> - -<p>Alaeddine Haïdar bey élevé à Genève, -dans la blancheur des cimes et la pureté des -lacs suisses, en reflète la clarté dans le décor -plus sévère, mais non moins agreste des<span class="pagenum">VI</span> -Alpes Politiques. On dirait, à le suivre -agréablement au fond de cette mystérieuse -Anatolie, que nous nous imaginions plus -rude, un peu sauvage, pour tout dire—si -loin de Paris évidemment—on dirait que -le ranz des vaches prolonge là-bas les sons -grêles et rauques, tour à tour, des cornes et -sonnailles du Lauberhorn, dans le silence -attentif du soir...</p> - -<p>Notre Correspondant, aux souvenirs de -Coppet, y découvre jusqu'à l'esprit, non -moins aventureux, de Mme de Staël, dans -le cœur des nouvelles <i>Désenchantées</i> que -«leur ardeur poétique et guerrière, toute la -fougue de l'amazone kémaliste, l'éminente -poétesse et romancière turque Halidé Edib -Hanoum, a conduites à Angora, pour la lutte -de l'Indépendance et de la Liberté».</p> - -<p>L'image vénérée du grand défenseur de -l'Islam, notre Loti, auquel Alaeddine—j'allais -écrire Aladin tant sa lampe est vraiment -merveilleuse—a dédié ces feuilles -éparses au vent de l'Ilkaz, plane aussi dans -cette atmosphère lumineuse «qui rappelle les -beautés d'Ispahan et les charmes d'Aziyadé». -Ceci n'est pas pour nous déplaire et la flatterie -de cette dédicace touche au plus délicat -asile de l'âme française qui déplorait la<span class="pagenum">VII</span> -«mort de notre chère France en Orient».</p> - -<p>Et nous voici déjà un peu loin du Mont Blanc -quand tout à coup surgit Guillaume -Tell. C'est Mustapha Kémal, l'hôte au kalpak -noir, campé à Angora, comme sous la tente, -où il concentre toute sa force de travail dans -les veillées prolongées de ses nuits de stratège -qui ont émacié son corps et roidi sa volonté -froide. C'est le «prédestiné coranique» qui -d'un seul mot, terrible et fort, irrésistible, -propagé, dans un trait de poudre, jusqu'à -l'Afghanistan, jusqu'à la Perse, dans l'Azerbaïdjan, -à Bokhara, en Arabie, a précipité -sur ses pas toute une foule hétéroclite de -peuplades indisciplinées, depuis les Tartares -et les Kirghis du Turkestan jusqu'à des -nègres et des chinois enfuis de la Russie -bolchéviste—les hordes de Djenghiz khan—vers -la guerre sainte, vers l'indépendance -sacrée.</p> - -<p>Car c'est cela que fait ressortir notre -Correspondant de presse, cette vérité contre -laquelle des erreurs plus ou moins volontaires -ne sauraient prévaloir.</p> - -<p>C'est l'indignation et l'exaspération d'un -peuple, c'est le réveil de la conscience turque -qui ont mis l'Anatolie à feu et à sang.</p> - -<p>Celui qu'on nous a si faussement représenté<span class="pagenum">VIII</span> -comme un chef de bandits, le conducteur -infatué de ce troupeau de chèvres d'Angora -dont les bonds capricieux troublent les vallées -profondes et les puits de pétrole de la Mésopotamie, -est, en réalité, nous dit Haldar bey, -un conducteur d'hommes et plus encore, un -apôtre, l'apôtre de la Résurrection islamique. -Tout autour de lui respire son souffle. De -toutes parts, les volontaires sont accourus, -les «tchétés», les francs-tireurs, escarmoucheurs -de guérillas et de raids nocturnes, -dont l'organisation secrète met en déroute et -tient en haleine l'Europe entière déconcertée. -Du fond des Indes, le Monde musulman a, de -même, tressailli à sa voix contre l'ennemi -qui suppute les chances de démembrement -du vaste empire d'Osman en faveur de ses -clients byzantins. Le pays kémaliste, c'est la -Turquie tout entière et c'est tout l'Islam, ne -l'oublions pas.</p> - -<p>Certes, des éléments disparates y foisonnent -et les soviets n'en sont pas, apparamment, le -moindre facteur, instrument d'occasion, -d'ailleurs redouté, dont le maître se sert -«comme des serpents auxquels on s'accroche -quand on se noie» selon le mot imagé d'un -vieux turc de la Corne d'Or. Mais l'Islam est -essentiellement réfractaire, de par les hadith<span class="pagenum">IX</span> -mêmes du Coran, au Bolchevisme. Le Prophète -n'a-t-il pas dit: «Si vous êtes des séditieux, -Dieu vous châtiera» et le proverbe turc -n'ajoute-t-il pas: «Je suis Seigneur, lu et -Seigneur, qui est-ce qui étrillera l'âne?»</p> - -<p>C'est, en deux mots, tout le respect de -l'autorité et de la propriété si chères aux -sectateurs de Mahomet.</p> - -<p>Le danger rouge et vert n'est qu'un trompe-l'œil -en Turquie. Les soviets de Russie ne -l'ignorent point. L'article premier du traité -de Bakou stipulait en effet nettement: «La -Russie des Soviets s'engage à cesser toute -propagande communiste sur tout le territoire -turc pendant la durée du présent -engagement». Voudraient-ils continuer qu'ils -ne le pourraient pas, ajoute fort judicieusement -notre confrère M. Georges Labourel, -en commentant cette situation dans l'Echo -de Paris du 12 Janvier dernier, car c'est -Zinovieff lui même qui déclare que le communisme -chez les musulmans n'est qu'une -«idée enfantine». Le Turc est avec Moscou par -opportunisme, parce que Moscou peut l'aider -dans sa lutte, propter necessitatem. Et cette -nécessité répond encore à une loi profonde -de l'Islam; c'est la méthode d'islamisation si -fortement mise en lumière par les célèbres<span class="pagenum">X</span> -commentateurs du Coran. Le dogme fondamental, -en législation musulmane, de la -Contrainte, domine les moslems, des Résignés -en Dieu, qui ne prennent les armes que pour -défendre le Croissant, ne se soumettant à la -force qu'aussi longtemps qu'ils ne peuvent -s'y dérober. Si le musulman continue à obéir -à une loi non islamisée, dès qu'il est en état -de repousser la contrainte, il devient passible -du feu éternel. Il ne peut, en conséquence, -refuser d'obéir à une loi islamisée. C'est pour -n'avoir pas su deviner cette nécessité ou -pour avoir voulu pratiquer cette méthode -d'islamisation par la force que les Allemands -ont fait dévier l'organisme ottoman et précipité -ce pays à l'abîme. C'est pour la méconnaître -que la Grande-Bretagne, afin d'enrayer, -s'il se pouvait, la colère islamique redressée -contre son hostilité, dépêche en vain ses -missi dominici protestants vers les Arabes que -Mustapha Kemal peut rallier d'un signe, -du signe de détresse et d'excommunication -aussi, c'est pour l'oublier enfin que nos -troupes de Cilicie s'exposaient aux pires -attaques.</p> - -<p>La Conférence de Londres rectifie les positions, -mais tirons en cet enseignement grave, -si profitable à nos intérêts français, c'est<span class="pagenum">XI</span> -qu'en islamisant notre progrès en Turquie, -en acceptant de traiter avec égards l'adversaire -d'hier—d'ailleurs contraint et forcé -et loyal autant que courageux—en reconnaissant -la valeur de son droit à la vie et à -l'indépendance promise aux peuples selon -leurs aspirations ethniques, et non selon les -nôtres, nous aurons travaillé à la «Résurrection -de la France en Orient». C'est ce -que nous disait récemment, en suggérant cet -autre titre au prochain livre de Loti, une -Auguste Princesse Musulmane, dont les yeux -de foi et de lumière, l'âme mystique et pure -de l'Orient voilée sous la modestie royale, ont -illuminé de son ardent patriotisme et guidé -la marche à l'étoile, l'enchantement joyeux -à travers les horreurs de la guerre d'Alaeddine -Haïdar et le nôtre par surcroît, avec nos -espérances d'un rapprochement d'amitiés -séculaires-sur le chemin d'Angora chez -Mustapha Kêmal. C'est l'intérêt principal de -ces lignes un peu rétrospectives mais qui -jettent, pour nous Français surtout, une projection -profitable vers l'avenir de la France -en Orient.</p> - -<p class="center"> -P. ABDON-BOISSON,<br /> -<br /> -Secretaire général fondateur du Comité "France-Chient",<br /> -Délégué politique à la Section "France-Turquie".</p> - -<hr /> - -<p><span class="pagenum">XIII</span></p> - -<h2>PRÉFACE</h2> - -<table class="table_right" summary="Napoléon"><tr> -<td class="tdl"><small> On peut tuer le Turc...<br /> -On ne peut pas le vaincre.</small></td></tr><tr> -<td class="tdr"><span class="smcap">(Napoléon I<sup>er</sup>.)</span></td></tr></table> - -<p><i>Il y a de cela exactement sept ans, en 1913, -M. Georges Rémond, correspondant de guerre -de L'Illustration, au camp turco-arabe de -Tripolitaine, écrivait à son retour:</i></p> - -<p><i>«J'avais appris qu'un peuple n'est point -vaincu, quelles que soient les forces qui le -menacent, tant qu'il ne se résigne pas lui-même: -qu'il trouve dans sa religion son plus -efficace moyen de résistance, et que la force et -la durée de celle-ci devraient être mesurées -«la profondeur de sa foi.»</i></p> - -<p><i>L'auteur citait encore dans ce même livre -une phrase de Napoléon I<sup>er</sup> sur les Turcs, une -phrase vieillie, mais dont on commence à -reconnaître en France la justesse:</i></p> - -<p><span class="pagenum">XIV</span></p> - -<p><i>«Je serai utile à mon pays, si je puis rendre -la force des Turcs plus redoutable à l'Europe.»</i></p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p><i>Rentré d'Angora, je viens d'écrire ces notes, -ces articles, et je les réunis ici. Cest un amas -d'impressions très disparates. Le lecteur y -trouvera peut-être toutefois quelque lumière -sur ce qu'est le mouvement nationaliste turc -en Asie mineure, tant calomnié, si peu connu.</i></p> - -<p><i>Arrivé à Constantinople, j'adressais ces -mots à une Revue française:</i></p> - -<p><i>«Je rentre d'Angora, de l'Anatolie soulevée -et luttant contre ceux qui veulent s'étouffer; -je tiens à faire entendre en France—la seule -terre de liberté à l'étranger où peut encore -s'élever la voix des opprimés—un cri bien -faible hélas, en faveur d'un peuple entier qui -lutte pour la défense du sol natal...</i></p> - -<p><i>«Là-bas, tous—jeunes et vieux—ont pris -les armes, en ont trouvé Dieu sait où, car la -Turquie désarmée fut honteusement attaquée -à Smyrne. Tous, jeunes et vieux, se sont levés -<span class="pagenum">XV</span> -pour la défense du territoire ottoman, pour -cet idéal humain le plus impérieux: La lutte -pour la vie!</i></p> - -<p><i>«Stamboul, notre cher et paisible Stamboul -de jadis, le sol sacré de notre foi, le berceau -de notre nation est sous la menace persistante -des bouches à feu des cuirassés britanniques, -prêts à vomir la mort, prêts à réduire en -poudre nos mosquées, nos turbès, nos minarets -et nos palais qui ne sont plus nôtres...</i></p> - -<p><i>«A Stamboul, où l'on chérissait la France, -règne la terreur hypocrite des Britanniques, -qui s'efforcent de saper l'œuvre française -établie en Turquie depuis des siècles.»</i></p> - -<p><i>Stamboul... l'Anatolie... quels contrastes! -Quels aspects!</i></p> - -<p><i>Tandis qu'ici l'âme turque se sent morfondue, -là-bas, sur la terre indépendante -encore, on respire la liberté, la liberté de -vivre!</i></p> - -<p><i>En Europe, l'argent grec, l'or anglais font -leur œuvre basse de calomnies: «une bande -de brigands qui lèvent leurs yataghans sur -la tête des malheureux chrétiens d'Orient». -<span class="pagenum">XVI</span> -Des chrétiens? Etaient-ce des chrétiens ceux -qu'on a vus à l'œuvre, au nom de la civilisation -britannique dans les carnages de -Smyrne, de Ménémen, d'Aïdine et de Nazeli? -Les milliers d'émigrés qui logent à la belle -étoile à Angora, à Konia, fuyant les armées -de la civilisation, sont trop loin de ce monde -civilisé pour qu'il y prête attention!</i></p> - -<p><i>Mais l'Angleterre même hésite aujourd'hui -devant la lutte suprême des Turcs, car ceux-ci -que l'on croyait morts ressuscitent...</i></p> - -<p><i>Oui, ce qu'une poignée d'hommes a réussi à -faire à Angora, contre les volontés coalisées -de l'Europe, dépeint admirablement le droit -d'un peuple et sa volonté inébranlable...</i></p> - -<p><i>Il y a au monde deux Irlande... la vraie et -celle des Turcs... Elles ont fraternisé et luttent -contre un même ennemi pour un idéal -commun...</i></p> - -<p class="right padr2"><i>ALAEDDINE HAIDAR.</i></p> - -<hr /> - -<div class="figcenter" style="width: 400px;"> -<img src="images/kemal.jpg" width="400" height="546" alt="MUSTAPHA KÉMAL PACHA" /> -<div class="caption"><br /><b>MUSTAPHA KÉMAL PACHA</b><br /> -Chef des Nationalistes Ottomans<br /> -et du Gouvernement d'Angora.</div></div> - -<hr /> - -<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2> - -<p class="indent"><a href="#p1">I.</a>—En Mer Noire.—Des signaux mystérieux.—En -vue des côtes kémalisles.—L'antique Inépolis.—Sur -la terre indépendante.—Un peuple qui a pris -les arms.—En route vers Angora.—Les haltes -dans les montagnes.—La Suisse anatolienne on -les Alpes Politiques.—Edjevid, l'auberge et relai -perdu dans les monts.</p> - -<p class="indent"><a href="#p16">II.</a>—A Castamouni.—La ville déserte, tous soldats. -Le vendredi.—L'art et les paysans.—Les merveilles -de Castambol.—Djemal bey.—Le départ et les -monts de l'Ilkaz.—Distractions et compagnons de -voyage.—Les relais à l'intérieur de -l'Asie-Mineure.—L'hospitalité traditionnelle des Turcs.—La -monotonie des longues routes.—Tchanghri.—Enfin -Angora.</p> - -<p class="indent"><a href="#p28">III.</a>—Angora, l'antique Ancyre.—Ce que l'on voit -dans ses rues.-La crise des logements.—Où il -me faut loger dans une armoire.—Le chef des -Nationalistes.-Ce qu'est le soulèvement -kémaliste.—Son but.—Son armée.—Kémalisles, Bolcheviks -et Peuples de l'Asie.</p> - -<p class="indent"><a href="#p37">IV.</a>—Comment Mustapha Kémal organise des groupes -de francs-tireurs contre l'armée grecque.—Les -«tchétés» volontaires.—Organisations secrétes de -l'arrière-front.-Les guérillas eu Anatolie.—Formation -des corps d'armée à l'intérieur.—Au -Conseil asiatique de Bakou.</p> - -<p class="indent"><a href="#p41">V.</a>—A la Sublime—Porte d'Angora.-Les ministères. --Aux Affaires étrangères.—Une entrevue avec -Mouhktar bey, vékil aux Affaires étrangères.—Le -12<sup>e</sup> point de Wilson.—L'offensive des Hellènes.—En -Cilicie.—Les servitudes étrangères.—Le but -des nationalistes turcs.</p> - -<p class="indent"><a href="#p48">VI.</a>—En tête à tête avec Mustapha Kémal.—La -maison du chef de gare.—Ce que dit le chef des -nationalistes turcs.—L'offensive en Arménie.—Le -traité de Sèvres et les Hellènes en Asie-Mineure.</p> - -<p class="indent"><a href="#p56">VII.</a>—A la Chambre d'Angora.—Déclaration d'Ismaïl -Fazil pacha.—Comment le mouvement national -prit naissance.—Son historique.—Stamboul et -Angora.—Les débats au Parlement.—Une discussion -intéressante.—La loi supprimant l'alcool.—Les -ravages des boissons fermentées en Anatolie.—L'argument -religieux.—La loi est approuvée.</p> - -<p class="indent"><a href="#p69">VIII.</a>—Ismaïl Sabry-bey.—A -la Défense nationale.—L'occupation de Smyrne.—L'agression hellène -contre l'Anatolie.—Les causes du soulèvement de -l'Asie-Mineure.—En Cilicie.—Deux mots de -Fevzi pacha, ministre de la guerre.—Quelques -proclamations.</p> - -<p class="indent"><a href="#p84">IX.</a>—Ce qui se passe en Mésopotamie.—Le gouvernement -nationaliste arabe de Kerbellah.—Les -alliés des kémalistes.—L'étendard de la révolte en -Perse et en Arabie.—L'émir Ali.—L'attaque des -convois anglais du Tigre.—Sur les rives de -l'Euphrate.—Arabes et Kémalistes.—A la frontière -persane.</p> - -<p class="indent"><a href="#p90">X.</a>—L'exilée d'Angora.—Halidé Edib Hanoum.—Une -visite à sa ferme.—La romancière kémaliste.—L'amazone -d'Anatolie.—Les fusils dans la -pénombre.—Désenchantée 1920.—La fuite de Halidé de -Constantinople.—Ce qu'elle nous dit sur le soulèvement -national.</p> - -<p class="indent"><a href="#p100">XI.</a>—En quittant la terre kémaliste.</p> - -<hr /> - -<p><span class="pagenum"><a name="p1" id="p1"> </a></span></p> - -<p class="center"><big><big>A ANGORA</big></big><br /><br /> - -AUPRÈS DE<br /> - -<big>MUSTAPHA KÉMAL</big><br /><br /> - -<i>Carnet de route<br /> - -d'un Correspondant de guerre.</i><br /></p> - -<h2>I</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">En Mer noire.—Des signaux -mystérieux.—En vue des côtes kémalistes.—Inéboli, -l'antique Inépolis.—Sur la -Terre indépendante.—un peuple qui -prend les armes.—En route vers -Angora.—Les haltes dans les montagnes.—La Suisse -anatolienne ou -les Alpes pontiques.—Edjevid, -l'auberge et relai perdu dans les -monts.</span></p> - -<p class="right"><small>Fin Septembre 1920. </small></p> - -<p>Le <i>Bruenn</i>, gros paquebot du Lloyd -Triestino, lève l'ancre dans la Corne d'Or. -Un beau soleil d'automne fait miroiter dans -l'onde calme du port les reflets lumineux -<span class="pagenum">2</span> -que renvoient les dômes des mosquées de -Stamboul... ce Stamboul à la silhouette -encore si belle, mais hélas qui a tout à -fait changé depuis que l'Angleterre y a mis -son pied, depuis que ses monstres d'acier -sont ancrés dans ce paisible Bosphore, -dirigeant les gueules de leurs canons--prêts -à vomir un déluge de fer et de feu--vers -les fins minarets.</p> - -<p>En mon for intérieur, pourtant, une joie -indescriptible me réchauffe... c'est que je -quitte un sol déjà étranger, pour une terre -indépendante encore, où se livre la lutte -désespérée d'un peuple qui veut son droit -à la vie.</p> - -<p>Le soir est presque venu lorsque nous -perdons de vue, à l'horizon du couchant, -l'entrée du Bosphore. La mer est calme -et le Bruerm a pris la route du large se -dirigeant vers Sinope. Pour vaincre la -monotonie d'un voyage en mer, on a tôt -fait connaissance de quelques passagers du -bord et, à peine confortablement étendu -dans le «rocking-chair», les conversations -<span class="pagenum">3</span> -s'engagent avec mes compagnons de traversée.</p> - -<p>Quelques-uns des voyageurs se dirigeaient, -ainsi que moi, vers Inéboli, d'où je devais -me rendre, par terre et en voiture, à Angora; -parmi eux, M. Corpi, directeur de la Banque -ottomane, et quelques Turcs, se disant de -gros négociants de cette ville.</p> - -<p>Nous étions déjà bien au large lorsque -l'un d'eux, se levant, nous proposa de nous -faire faire connaissance avec un de ses -amis. Il descendit dans sa cabine pour -remonter bientôt, suivi d'un monsieur d'une -cinquantaine d'années, qu'il nous présenta -comme un commerçant en blé, Mouktalib -bey. Mais, dès les premiers mots, j'eus lieu -d'être intrigué. Ce simple négociant, qui -parlait élégamment l'anglais et le français, -connaissait tous les hommes politiques turcs. -Après le dîner, nous nous retrouvons tous, -de nouveau, sur le pont. Un clair de lune -superbe argente les flots de la Mer Noire; -vers la côte anatolienne une lumière brille, -puis soudain s'efface; c'est le phare de Chilé -<span class="pagenum">4</span> -qui finit, lui aussi, par disparaître au loin. -Il est tard lorsque je descends dans ma -cabine, car, sur le pont, tous les passagers -et passagères ont prolongé leur veille, retenus -par le ravissant spectacle de la Mer -Noire en pleine nuit, reflétant la longue -traînée des lueurs argentées...</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p>—Vous vous rendez à Angora?</p> - -<p>—Oui, Mademoiselle.</p> - -<p>—En qualité d'envoyé de presse?</p> - -<p>—Certainement, et je compte rentrer -dans un mois.</p> - -<p>—Mais, comment ne craignez-vous pas -ces horribles kémalistes?</p> - -<p>—Mademoiselle, il n'y a rien à craindre, -ce ne sont pas des antropophages, comme -vous pourriez le croire.</p> - -<p>Ces bribes de conversation se croisaient -le lendemain matin dans la salle à manger -du <i>Bruenn</i>, où je déjeunais en face d'une -jeune demoiselle française se rendant à -Batoum avec sa mère.</p> - -<p><span class="pagenum">5</span></p> - -<p>Je dois noter que déjà plusieurs fois -depuis mon départ de Constantinople, j'avais -entendu de pareilles exclamations, surtout -avant de m'embarquer. Sur le quai du -départ, quelques amis m'avaient conseillé -d'abandonner mon projet de me rendre à -Angora, me jurant que toute l'Anatolie était -à feu et à sang. Je passai outre aux supplications -de ces pessimistes mal avertis, car -j'étais bien décidé à partir.</p> - -<p>Cette voix douce et tremblante de jeune -fille va-t-elle me convaincre et m'inquiéter; -si tout ce qu'on dit et écrit était vrai pourtant -ou contenait seulement des parcelles -de vérité? Que deviendrait, dans ces conditions, -le malheureux correspondant de quelques -journaux étrangers, que les Kémalistes -devaient exécrer et pour cause... Mais je -me repris aussitôt en pensant à ce qui s'écrit -de fausses nouvelles parfois...</p> - -<p>Je rassurai la belle jeune fille sur le -Kémalisme qui n'est pas tout à fait rouge, -comme on l'est sur la rive d'en face.</p> - -<p><span class="pagenum">6</span></p> - -<p>Vers midi nous sommes en vue des côtes -kémalistes. De hautes montagnes se profilent -à l'horizon et, avec leur apparition, je vois -surgir des «Kalpaks» noirs sur la tête de -certains négociants de la veille qui, tout -aussitôt, se déclarent partisans de Mustapha -Kémal. Il est près de quatre heures de -l'après-midi lorsqu'à l'avant du paquebot -la ville d'Inéboli se dessine sur le rivage.</p> - -<p>Ses environs sont montagneux et boisés, -et le petit port où nous allons descendre est -comme serti dans une vallée s'ouvrant sur -la mer où s'étagent, des deux côtés, des -maisons noyées dans la verdure.</p> - -<p>Tandis que nous approchions de l'antique -Inépolis, nous entretenant avec le capitaine, -un de ces pseudo-négociants, s'approchant -du commandant, le pria de faire arborer au -mât les signaux: N.K.M. Immédiatement, -cet ordre fut donné et, à notre stupéfaction, -nous vîmes s'avancer du rivage des voiliers -tenus prêts...</p> - -<p>L'ancre jetée, les cales ouvertes, des marchandises -sont débarquées, sur le genre -<span class="pagenum">7</span> -desquelles je ne veux pas trop insister, -mais dont je noterais comme fait curieux -que sur certaines caisses, on lisait ces -mots, faits pour surprendre: Made in -England. C'est la première impression que -j'eus de l'audace et du courage des kémalistes. -Ce ravitaillement risqué, emprunté à leurs -mortels ennemis, n'est-il pas typique? Après -avoir pris congé de nos compagnons de bord -et de la peureuse mais charmante jeune fille -qui tremblait encore pour nous, nous quittâmes -le Bruenn, ancré à deux encablures -au large, pour gagner la côte à bord d'un -calque, que les grosses vagues faisaient -danser sur l'eau comme une plume. A peine -avais-je mis pied à terre qu'un grand soupir -de soulagement sortit de ma poitrine; enfin, -je foulais un sol encore indépendant!</p> - -<p>C'est en me rendant à l'hôtel de l'endroit, -que j'appris que le «vali» ou gouverneur -général de Castamouni, était mon très -distingué et grand ami Djemal bey. La -première chose que je fis fut de me rendre -auprès du caïmakam chez qui je réussis à -<span class="pagenum">8</span> -pouvoir téléphoner avec Castamouni et le -vali donna des ordres formels pour que je -puisse partir pour l'intérieur sans attendre -le permis de la Commission instituée ici à -cet effet et qui se livre à une enquête minutieuse -pour chaque voyageur arrivant de -Constantinople.</p> - -<p>A Inéboli tout est tranquille, comme -d'ailleurs partout à l'intérieur. Quand je -demandai si les nouvelles lancées par la -presse étaient vraies, on m'a simplement -ri au nez.</p> - -<p>Comment réprimer alors un sursaut de -révolte contre les calomnies répandues dans -la presse constantinopolitaine et étrangère: -«Les Turcs massacrent, les Kémalisles -déportent les Chrétiens!...»</p> - -<p>Et je les vois ces Chrétiens d'Anatolie, ils -vaquent tranquillement à leurs affaires sans -que personne s'en mêle, loin des servitudes -interalliées de Constantinople, auxquelles -sont assujetties toutes les populations de la -capitale.</p> - -<p>A Inéboli, tout va son train d'avant-guerre. -<span class="pagenum">9</span> -Seulement toute la population est armée. -Chaque concitoyen est prêt à la défense de -sa maison, de son foyer, contre les hordes -grecques qui mirent le feu aux provinces de -Smyrne, d'Aïdine et de Ménémen.</p> - -<p>A la première alerte, les milices populaires -formées en bataillons, l'arme à l'épaule -et la cartouchière à la ceinture, prennent -position aux environs. C'est pour cela qu'on -y respire... on y sent le soulèvement d'un -peuple pour son indépendance.</p> - -<p>«Quand je vois ce peuple qui a pris les -armes, me disait un Suisse, sous-directeur -de la Banque Ottomane d'Inéboli, il me -vient involontairement à l'esprit les guerres -d'indépendance de nos aïeux à l'époque de -Guillaume Tell... On sent ici un idéal, une -résolution de vivre qui est indescriptible et -que l'on ne saurait comprendre ni à Constantinople --dont la population dort ou ne -pense qu'à spéculer—ni en Europe.»</p> - -<p>C'était l'opinion d'un étranger nouvellement -arrivé en Anatolie. Cette Anatolie n'a -néanmoins rien perdu de son cachet oriental. -<span class="pagenum">10</span> -Dans ses petits cafés au bord de la mer, -une multitude de Turcs enturbanés fument -le narghilé, réchauffés par un soleil de septembre. -La vie, comparativement à celle de -Constantinople, est à peu près dix fois meilleur -marché. Une chose qui frappe immédiatement -le voyageur arrivant en Anatolie, -c'est la récente prohibition de toutes les -boissons alcooliques, ainsi que la fermeture -de tous les tripots, sous des peines très -sévères.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>Après de longs marchandages, nous avons -fixé un prix raisonnable pour une voiture, -qui m'amènera jusqu'à Angora. Le cocher, -un certain Ahmed Agha, qui vient d'arriver -de cette ville après huit jours de voyage, -m'affirme que les routes sont plus sûres que -jamais et qu'en Anatolie, depuis l'armistice, -on a oublié les brigands des temps de -guerre qui infestaient tous les chemins.</p> - -<p>Nous partons à l'aube. Après m'être confortablement -étendu dans ces bonnes voitures -anatoliennes qui sont identiques à un lit -<span class="pagenum">11</span> -roulant et bien couvert, nous commençons -à gravir les montagnes. La route est sinueuse -et traverse des sites enchanteurs, où l'on ne -voit que de hautes montagnes couvertes de -forêts, au pied desquelles des villages rustiques -se groupent dans les vallées, et au -loin, le bleu azuré de la mer qui, peu à peu, -s'estompe et disparaît. Après six heures de -montée, une petite halte dans un han au bord -de la route où nous déjeunons sur le pouce -et repartons aussitôt.</p> - -<p>Plus nous avançons, plus le paysage -devient pittoresque.</p> - -<p>Jamais, à Constantinople, je ne m'étais -douté que l'Anatolie cachait de si beaux sites -égalant en magnificence ceux du Tyrol ou de -la Suisse.</p> - -<p>Maintenant ce ne sont que des montagnes -plus hautes les unes que les autres. La voiture -gravit la chaussée qui suit les vallées où -grondent des torrents, où jaillissent des cascades; -et partout des sapins exhalant un -parfum odorant.</p> - -<p>Vers le soir, nous traversons un grand -<span class="pagenum">12</span> -village flanqué au bas d'une montagne, -nommé Kuré et sis à 850 mètres d'altitude. -Près de là, la route passe entre plusieurs -couches de minerai de cuivre, dont les lingots -sont venus rouler sur la chaussée et -attendent inutilement qu'on les exporte. Les -richesses minérales de Castamouni sont -inappréciables, mais, jusqu'ici, l'état politique -de l'Empire ottoman a empêché les -Turcs, depuis un demi-siècle en guerre, de -les mettre en valeur.</p> - -<p>Au coucher du soleil, nous arrivons au -relai...</p> - -<p>Quelques rustiques maisons blanches aux -tuiles rouges émergent de loin en loin dans -le feuillage des arbres d'une magnifique -vallée; c'est un spectacle merveilleux.</p> - -<p>Ce village, c'est Edjevid, juché à 1.120 -mètres d'altitude, dans un décor magique.</p> - -<p>On se croirait bien loin de l'Anatolie -qu'on s'imagine un désert plein de fièvre.</p> - -<p>Tandis que je m'installe dans une coquette -chambrette de l'auberge, où règne une propreté -remarquable et rare dans les hôtels -<span class="pagenum">13</span> -d'Orient, je vois, par la fenêtre, déboucher -au tournant de la chaussée un cavalier qui -accourt au grand galop.</p> - -<p>C'est un gendarme qui précède une voiture -pour annoncer qu'un pacha va être -l'hôte de l'auberge pour la nuit. Mais il ne -put nous dire le nom du personnage attendu.</p> - -<p>Soudain apparaît la voiture, escortée par -deux gendarmes à cheval, et qui aperçois-je -assis sur les coussins? Mouktalib Effendi, le -soi-disant commerçant du Bruenn...</p> - -<p>Il se présente joyeusement sous son vrai -nom: le général Mouheddine pacha!</p> - -<p>Quelques instants plus tard, nous faisions -un tour ensemble aux environs du «han».</p> - -<p>C'est le soir; bien haut dans les montagnes -les vaches rentrent de leurs pâturages et -l'écho de leur carillon qui s'approche tinte -comme dans une vallée des Alpes. Tout est -silence et toujours cette odeur des pins qui -donne au voyageur un appétit féroce.</p> - -<p>Dans ma chambre, sur les murs blanchis -à la chaux, je lis plusieurs inscriptions; l'une -<span class="pagenum">14</span> -écrite en français est si touchante que je la -transcris ici...</p> - -<blockquote> - -<p>«Malheureux hôte d'une nuit, j'ai tout -laissé derrière moi... Mais je me console, -car c'est pour ma patrie que je me -prive de ce qui est le plus cher au -monde.»</p> - -<p class="right">(Signé) <span class="smcap">Un Turc.</span></p> - -<p>«Le 3. IX. 1920.»</p></blockquote> - -<p>On sent la révolte d'un cœur parmi tant -de milliers d'autres qui ont fui Constantinople -pour se battre désespérément en Anatolie.</p> - -<p>Je ne puis m'empêcher d'écrire au-dessous:</p> - -<blockquote> - -<p>«Envoyé de la presse en route pour -Angora, où se livre une lutte sublime -contre l'injustice et l'impérialisme du -plus fort, pour la défense du droit à la -vie, j'ai passé une nuit sous ce toit hospitalier -qui, à lui seul, donne une idée -du cœur turc ouvert à tous.»</p></blockquote> - -<p>Le vieil hôtelier à barbe blanche Ismaïl -Agha, qui est l'hospitalité même, nous sert -<span class="pagenum">15</span> -un succulent repas que le pacha et moi -dévorons...</p> - -<p>...Tout sent ici la vraie campagne, la campagne -merveilleuse, libre et indépendante ... -loin de Constantinople, loin de cet horrible -Péra, de ses douleurs et de ses hontes. Ici, -au contraire, avec ces braves gens hospitaliers, -dans ces montagnes aux cimes pures -dans la grande clarté du ciel, dans la bonne -odeur des champs, l'homme des cités se sent -tout à fait autre.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg015.jpg" width="100" height="62" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p16" id="p16">16</a></span></p> - -<h2>II</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">A Castamouni.—La ville déserte; tous -soldats; le vendredi.—L'art et les -paysans.—Les merveilles de -Castambol.—Djemal bey.—Départ.—Les -monts de l'Ilkaz.—Distractions de -route et compagnons de voyage.—Les -relais à l'intérieur de l'Asie -mineure.—L'hospitalité traditionnelle des -Turcs.—La monotonie des longues -routes.—Tchanghri.—Kaledjik.—Enfin -Angora.</span></p> - -<p>La première étape du voyageur venu de -Constantinople par voie de mer et se rendant -en Anatolie est, après Inéboli, la -coquette localité de Castambol.</p> - -<p>Grand fut mon étonnement, à mon arrivée -en cette ville, de la trouver entièrement -déserte. Dans les rues et les cafés, pas âme -qui vive. Les boutiques étaient closes. Seules -quelques femmes emmitouflées dans des -«tcharchafs» passaient à pas pressés. Dans -l'hôtel où je débarquai, personne.</p> - -<p>Un placide vieillard à barbe blanche qui -<span class="pagenum">17</span> -fumait son narghilé me donna la clef du -mystère. Nous étions un vendredi, jour fixé -pour l'entraînement militaire de toute la -population locale.</p> - -<p>Après m'être installé dans l'hôtel, car je -comptais rester à Castamouni deux jours, je -sortis et me dirigeai vers le champ de manœuvre, -où je trouvais le gouverneur Djemal -bey à la tête de sa population armée et -répartie en bataillons dits de Défense nationale.</p> - -<p>Comme le soir venait, les exercices prirent -fin et la milice populaire se rangea pour -rentrer en ville.</p> - -<p>La file était longue. Elle était précédée -d'une fanfare militaire et d'un groupe de -jeunes gens brandissant des drapeaux rouges -et verts. Suivait un détachement de cavalerie -portant un accoutrement pittoresque et guerrier. -Les citoyens de Castambol venaient -ensuite. Fonctionnaires, bourgeois, paysans -dans leurs habits de travail défilaient, n'ayant -de commun que leur visage bronzé par le -brûlant soleil de l'Anatolie. De bruyantes -<span class="pagenum">18</span> -musiques orientales, que le «davoul» dominait -de sa voix grave, couvraient le bruit de -leurs pas.</p> - -<p>Tout cela avait un air martial dépeignant -en petit le soulèvement d'un peuple contre -ceux qui veulent l'anéantir. On y sent un -enthousiasme, une vitalité, une volonté inébranlable -et persistant malgré tant de souffrances -endurées depuis plusieurs années de -lutte pour l'indépendance turque.</p> - -<p>Le défilé est très long, et j'estime à huit -ou neuf mille environ le nombre d'hommes -présents.</p> - -<p>Et c'est ainsi tous les vendredis, jour saint -de l'Islam, où plus d'un million de baïonnettes -brillent encore dans l'Anatolie qu'on -croyait complètement désarmée et prête à -être déchiquetée...</p> - -<p>Tandis que nous rentrions en ville avec -Djemal bey qui demandait des nouvelles de -Stamboul, je lui débitais tout le chapelet des -misères endurées par cette pauvre population -de Constantinople depuis l'arrivée des -Anglais exécrés de tous sauf des Grecs, leurs -<span class="pagenum">19</span> -serviteurs dévoués. Et c'est de lui que j'entendis -les premières paroles me décrivant -vers quel but unique: celui de vivre, Mustapha -Kémal luttait contre tant d'ennemis -bien équipés. D'un mot, il a su soulever un -peuple abattu... «Allez à Angora, ajouta-t-il, -et, à votre retour, nous causerons...»</p> - -<p>Castamouni a plusieurs curiosités et même -quelques merveilles dignes d'être visitées. -Djemal bey me recommande à l'un des hauts -fonctionnaires de la Préfecture qui me mène -d'abord visiter la grande forteresse surplombant -Castambol, construite du temps des -Janissaires. De ses tours crénelées et admirablement -conservées, on aperçoit distinctement -la cime neigeuse des monts de l'Ilkaz, -haute de 2.980 mètres. C'est près du sommet -que passe la route que nous devons -franchir.</p> - -<p>Je visite ensuite l'Ecole des arts et métiers, -d'une construction récente et d'une propreté -remarquable. Cette école étonne le voyageur, -ne fût-ce qu'en pensant que des machines -énormes, dynamos, etc., ont pu être amenées -<span class="pagenum">20</span> -jusqu'ici par les tortueuses routes traversant -tant de montagnes.</p> - -<p>Et, merveille digne de figurer dans un -musée, un piano entièrement construit par -un paysan de Tache Keupru. Le tout est -exécuté avec une adresse et une habileté -consommées. Hassan agha, le constructeur, -en vit un pour la première fois à Constantinople, -il réussit à en faire autant au sein de -l'Anatolie, dans son village. Il en fabriqua -plusieurs qu'il vendit ensuite.</p> - -<p>Le soir, tandis que nous nous rendions -chez le cadi (juge religieux), où était descendu -Mouheddine pacha, j'y rencontrais de -nouveau Djemal bey le vali. Là, autres merveilles. -C'étaient les œuvres d'art, les sculptures -que le cadi gravait dans du bois avec -une finesse étonnante. Durant toute la soirée -j'y admirai sa collection.</p> - -<p>Décidément il ne manque à Castamouni -qu'un Musée. Et l'on dit que les Turcs sont -insensibles aux Arts!...</p> - -<p>Le lendemain, à l'aube, me voici de nouveau -en roule et durant toute la matinée. -<span class="pagenum">21</span> -Notre voiture gravit lentement une mauvaise -route sinueuse qui s'engouffre dans des -ravins couverts d'arbres, au fond desquels -on entend le bruit des cascades.</p> - -<p>C'est la montée des monts Ilkaz. On -m'avait recommandé à Castamouni de prendre -des couvertures par précaution car, dans -ces régions montagneuses et hautes, les -froids sont fort vifs.</p> - -<p>Les chevaux, fourbus, nous obligent vers -midi à faire halte à mi-montée, à Giaour-Han, -où nous déjeunons sur l'herbe. Nous y -trouvâmes une autre voilure et cela rassura -un peu mon cocher qui me dit que le trajet -était encore long et qu'à la nuit nous serions -en pleine forêt.</p> - -<p>Une heure après nous nous remettons en -route et nous commençons à franchir -l'Ilkaz... Notre voiture pénètre dans un -océan d'arbres, de sapins immenses; l'impression -est indescriptible. Il est déjà tard -lorsque nous franchissons ce col élevé -(2.700 mètres). Nous passons à côté du caracol -de gendarmerie qui s'y trouve... Quelques -<span class="pagenum">22</span> -gendarmes postés à la garde de la -route sont groupés et se chauffent autour -d'un grand feu.</p> - -<p>Les monts de l'Ilkaz franchis, avec toutes -ses sombres et épaisses forêts de sapins, -où pullulent des ours et autres fauves, la -route dévale vers une belle vallée au fond -de laquelle on distingue des villages. Leurs -maisonnettes, groupées autour d'une mosquée -teinte de chaux blanche, font l'effet -de têtes d'épingles.</p> - -<p>Enfin, les montagnes s'élargissent et une -nouvelle vallée profonde et sinueuse se -déroule aux yeux du voyageur. C'est celle de -Kotch-Hissar, très riche en pâturages et dont -les habitants vivent principalement de l'exportation -du bétail.</p> - -<p>La traversée de l'Ilkaz est assez périlleuse. -Dans ces gorges escarpées, on risque plusieurs -fois d'être précipité dans les ravins -avec voitures et chevaux et réduit en miettes. -Il fait nuit lorsque nos arabas parties ensemble -arrivent à une hôtellerie nommée Kalé -Han. L'endroit est très pittoresque, au bord -<span class="pagenum">23</span> -d'une rivière aux rives boisées; mais le han -est déplorable.</p> - -<p>Un han est d'habitude un relais où les voitures -sont remisées, les chevaux aussi et où -l'on trouve parfois une ou deux chambres -pour dormir.</p> - -<p>Ici, je suis obligé de dresser mon lit de -camp dans une horrible chambre au plancher -à demi effondré qui laisse voir en -bas des chevaux s'ébrouant ou se vautrant -dans l'écurie.</p> - -<p>Mais le vieux handji m'apporte des œufs -au plat que je dévore tellement la faim me -tiraille l'estomac après avoir tant respiré l'air -des montagnes et bu de l'eau des sources -fraîches le long du chemin.</p> - -<p>Une de nos principales distractions de la -journée avait été en effet d'aller puiser de -l'eau minérale à une source sulfureuse jaillissant -toute chaude de la terre au pied de -l'Ilkaz...</p> - -<p>Après nous être reposés à Kalé Han, nous -plions bagage à l'aube pour nous remettre -en route.</p> - -<p><span class="pagenum">24</span></p> - -<p>Au lever du soleil, nous traversons une -grande rivière qui n'est autre que le Devrek, -un des affluents du Kiril Irmak, et nous -voilà repartis à gravir d'autres monts aussi -hauts que ceux de l'Ilkaz, mais à peu près -dénudés.</p> - -<p>Il est quatre heures de l'après-midi quand, -après avoir retrouvé en route la voiture de -Mouheddine pacha, nous arrivons à Tchanghri. -Comme Castamouni, la ville de Tchanghri -est surmontée d'un donjon construit -par les janissaires. Mais les maisons sont -toutes faites de boues et les rues pleines de -poussière.</p> - -<p>Tchanghri n'est renommé que par les -beaux jardins fruitiers qui l'entourent, et -surtout par l'hospitalité de ses habitants, de -vrais turcs, qui ont gardé leurs coutumes et -leurs habits nationaux...</p> - -<p>Nous sommes retenus, la pacha et moi -dans la maison d'un directeur d'école, qui -est en même temps un des notables de -l'endroit et assis tous trois à la turque, le -soir, autour des mets préparés avec un -<span class="pagenum">25</span> -goût raffiné, nous goûtons la douce paix du -foyer et du bon accueil de notre hôte.</p> - -<p>Le lendemain, jour de repos pour nos -chevaux, nous passons le temps à visiter -les curiosités de la ville; elles ne sont pas -nombreuses, mais méritent d'être mentionnées. -A Tchanghri, tout habitant a, au bord -de la rivière boisée, quelque jardin fruitier -où l'on va se rafraîchir. Partis à cheval -avec Mouheddine pacha, nous déjeunâmes -sur l'herbe des près.</p> - -<p>Puis, tandis que nous rentrions en ville, -je rencontrai un soldat blessé revenant du -front, en congé. Il nous fit en quelques mots -le tableau des batailles que livraient, au -début, quelques poignées d'hommes contre -des armées entières. Cet homme avait -assisté autrefois à la guerre de Tripolitaine -et nous déclara que la même lutte se livre -actuellement en Anatolie. Que Dieu nous -vienne en aide!</p> - -<p>Nous repartons de Tchanghri à l'aube, -alors que l'éternel carillon des caravanes de -mules se fait entendre.</p> - -<p><span class="pagenum">26</span></p> - -<p>Ce sont d'interminables files qui s'en vont -le long des routes, porter les riches produits -de l'Asie-Mineure vers les ports de la Mer -Noire. Tout le long du chemin nous ne -rencontrons ainsi que des chameaux, -qui avancent lentement en ruminant.</p> - -<p>Les villes de l'intérieur de l'Asie-Mineure -me rappellent les descriptions de Chiraz et -d'Ispahan par Pierre Loti... C'est à peu près -le même cachet oriental, les mêmes échos -de l'Asie, dans son avant-garde rapprochée -de l'Europe, l'Anatolie mystérieuse.</p> - -<p>Les routes deviennent monotones après -Tchanghri. Ce n'est qu'une infinité de plaines -qui se suivent, quelques villages perdus -dans la campagne aux masures construites -en pisé et d'où l'on voit toujours émerger un -minaret blanc.</p> - -<p>Partout les paysans font leur «harman». -Le harman, c'est le partage du blé, qui se -fait avec un traîneau tiré par des bœufs et -qui tourne sur des épis couchés à terre. Ces -travaux des champs semblent des plus primitifs -<span class="pagenum">27</span> -au voyageur qui traverse pour la première -fois l'Anatolie.</p> - -<p>Nos voitures avancent à présent plus -vite et nous arrivons au crépuscule à -Kuledjik, qui veut dire «la petite forteresse».</p> - -<p>Kuledjik est notre dernière étape avant -Angora.</p> - -<p>Nous descendons à l'Hôtel des Postes et -nous dressons nos lits dans l'une des -chambres.</p> - -<p>Avant de quitter Tchanghri, les braves -gens chez qui nous avions été généreusement -reçus avaient garni nos voitures de -provisions et de paniers de fruits. Cette -attention qui s'appelle le «Yolouk» est -d'usage en Anatolie.</p> - -<p>En route de nouveau et après avoir visité -Rali, le champ de bataille où le Sultan Bayazid -tomba prisonnier de Timour-Ling, nous -repartons.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_102.jpg" width="100" height="20" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p28" id="p28">28</a></span></p> - -<h2>III</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">Angora, l'antique Ancyre.—Ce qu'on voit -Dans ses rues.—La Crise des -logements.—ou il me faut loger dans une -armoire.—Le chef des nationalistes.—Ce -qu'est le soulèvement kémaliste.—Son -but.—Son armée.—Kémalistes, Bolcheviks -et Peuples de l'Asie.</span></p> - -<p>Plusieurs heures de route encore et nous -longeons un cours d'eau aux rives boisées -et bordées de jardins. On devine sous le -feuillage les rustiques villas où les citoyens -de l'antique Ancyre viennent habiter durant -la chaude saison. De loin en loin, on -rencontre des fiacres, occupés par des beys -ou pachas enfuis de l'enfer constantinopolitain. -Ils sont tous coiffés de kalpacks -kémalistes noirs. Ce sont des ministres, des -sous-secrétaire d'État qui vont passer leur -soirée à la campagne. Soudain, notre voiture -contourne une colline et l'on peut apercevoir -dans toute sa splendeur, l'horrible «trou» -qu'est Angora.</p> - -<p>Le nouveau venu se trouve désillusionné. -<span class="pagenum">29</span> -Figurez-vous un amas de maisons aux murs -de boue, dont la moitié a été dévastée, au -cours de la guerre, par un incendie. Seuls, -vers le centre de la ville, quelques bâtiments -de pierre ont résisté aux ravages des flammes. -Bien lamentable est, au premier abord, la -capitale des Kémalistes.</p> - -<p>Les rues sont envahies par une foule -grouillante et bizarre. Voici des tchétés que -l'on voit circuler, la poitrine couverte de -cartouches, armés jusqu'aux dents, la tête -enturbannée du bachlik large qui leur donne -des airs guerriers et même parfois terrifiants. -Plus loin défilent des troupes régulières -revenant de quelque corvée ou de l'exercice. -Puis ce sont les beys de Stamboul que l'on -voit passer en voilure... et quelques petites -hanems qui ont suivi leurs parents, maris ou -Irères, préférant le voile épais qu'elles sont -obligées de porter en Anatolie, aux «tcharchafs» -plus que transparents, en usage à -Stamboul.</p> - -<p>Les voyageurs à peine débarqués devant -le «han» sont accueillis avec un sourire -<span class="pagenum">30</span> -narquois par les hôteliers. Pas un mètre de -disponible, car, à Angora, on loge au mètre -carré, et le voyageur doit se considérer -heureux de trouver une marche d'escalier -inoccupée, car les dites marches constituent -autant de couchettes dûment numérotées.</p> - -<p>Après de laborieuses recherches, j'ai obtenu -une armoire pour y dormir moyennant une -livre turque de loyer par nuit s.v.p. Angora -regorge de monde, disons-nous, on a même -de la peine à se frayer un passage dans les -rues principales de la ville, tant la foule des -plus hétéroclites qui s'y coudoie est nombreuse. -On y rencontre des figures étranges, -depuis les Tartares et les Kirghiz du Turkestan -qui sont venus en Asie-Mineure, jusqu'à -des Nègres et des Chinois, enfuis probablement -de la Russie bolchévique.</p> - -<p>Après une installation sommaire, je rencontre -des connaissances appartenant à -l'entourage de Mustapha Kemal pacha.</p> - -<p>On me promet de m'introduire auprès du -chef. Mais sied-il de me présenter à lui avec -une barbe de cinq jours? Entré chez le -<span class="pagenum">31</span> -premier coiffeur venu, je ressens «le frisson -de la petite mort». Le cher figaro est armé -jusqu'aux dents et tandis que je lui abandonne -docilement ma joue, je contemple sa poitrine -où brille tout un attirail de guerre, trois -rangées de cartouches, un browning et un -poignard!</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>Mustapha Kemal habite une petite maison -tout près de la station d'Angora, à cinq -minutes de la ville. On passe, pour s'y -rendre, devant un jardin public, où tout le -monde se donne rendez-vous le soir. En -face est la Chambre ou Assemblée nationale -qui siège dans une bâtisse de construction -récente, assez belle comparativement à celles -qui l'entourent.</p> - -<p>A l'entrée du jardin de la gare, on me -présenta à Mustapha Kémal.</p> - -<p>Haut de taille, énergique d'aspect, le chef -des nationalistes turcs accuse environ la -quarantaine. Son regard est des plus pénétrants -quoique fatigué et sa voix est très -forte. Mais des affaires urgentes l'appellent à -<span class="pagenum">32</span> -son bureau, et notre première entrevue n'est -pas longue. Il m'invite d'ailleurs aimablement -à venir le voir.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>Qu'est-ce que le mouvement national? Ce -n'est qu'après être arrivé à Angora que je -pus me rendre compte de sa portée politique. -Et c'est le deuxième jour que je résumais -ainsi son programme dans un des premiers -articles que je reproduis ici<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a>:</p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a><a href="#FNanchor_1"><span class="label">1</span></a> Excelsior.</p></div> - -<p>Angora... octobre...</p> - -<p>Il est bien rare de voir quelque journaliste -franchir le mur séparant l'Anatolie du -monde entier et d'approcher Mustafa Kémal -en personne à Angora.</p> - -<p>Un nouvel Etat existe actuellement en -Asie-Mineure; une deuxième Turquie pour -ainsi dire y a été créée par Mustapha Kémal -qui a levé l'étendard de la liberté et mène -une guerre à outrance, refusant d'accepter le -Traité de Sèvres qui retire Smyrne et la -Thrace à la Turquie.</p> - -<p><span class="pagenum">33</span></p> - -<p>Ce nouvel Etat, dont la capitale est Angora, -a été constitué très rapidement avec ce -qui restait encore de l'ancienne administration -ottomane. Mais, aujourd'hui, tous les -ministères et le Parlement siègent à Angora. -Les ministres ont le titre de «vékil» (gérant) -et ont les mêmes pouvoirs que dans tous les -pays.</p> - -<p>Cet état anormal n'a pourtant pas provoqué -de troubles locaux comme on l'a annoncé. -La sécurité règne en Asie-Mineure et -chacun vaque à ses affaires. Dans toutes les -provinces, les impôts sont perçus par l'État -kémaliste; le budget d'Angora couvre les -frais du nouveau gouvernement, tandis que -la Sublime-Porte de Stamboul est aux abois -et ne sait comment couvrir son déficit.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>L'armée grecque, concentrant tous ses -effectifs en Asie-Mineure, réussit tout d'abord -à bousculer les armées de Mustapha Kémal, -dont l'artillerie était incomplète. Mais depuis -son avance vers l'intérieur, le front hellène -<span class="pagenum">34</span> -est maintenant trois fois plus étendu qu'auparavant -et s'est par conséquent affaibli considérablement, -tandis que les nationalistes, -reforment leurs troupes et organisent de -nouveaux corps réguliers.</p> - -<p>Les Turcs consolident leur front en vue -d'une nouvelle offensive et mènent, dans -tous les territoires occupés par les Grecs, -une guerre de francs-tireurs. Ils étaient tout -d'abord dépourvus de matériel et étaient -presque complètement désarmés au débarquement -de l'armée héllène à Smyrne. Mustapha -Kémal cependant a réussi peu à peu -à réorganiser une petite armée d'environ -150.000 hommes aidés par des milices populaires -dites de défense et des corps de volontaires.</p> - -<p>Après l'occupation de Bakou par les Bolcheviks, -qui prirent en outre Nakhichevan, -à la frontière russo-persane, les Kémalistes -gagnèrent une route libre et purent communiquer -facilement avec la Russie. C'est par -cette voie un peu longue, qu'aujourd'hui ils -se procurent des armes et des munitions. -<span class="pagenum">35</span> -D'autre part, une contrebande d'armes effrénée -existe sur toutes les côtes de l'Asie-Mineure, -où l'on échange simplement un sac -de farine ou des moutons contre des fusils -ou des mitrailleuses.</p> - -<p>Ancien organisateur de la guerre en Tripolitaine, -Mustapha Kémal adopte les mêmes -méthodes en Anatolie et en Mésopotamie, -où il a réussi à gagner la collaboration des -Arabes. Sur tous les fronts, les nationalistes -forment des bandes armées qu'ils lancent sur -les arrières des armées d'occupation, attaquant -surtout les Anglais et les Grecs. A -l'intérieur, par exemple à Sivas et à Konia, -des fabriques de munitions ont été établies -et fonctionnent assez régulièrement. Et tandis -qu'en Europe, tout à l'air de rentrer en -paix, la guerre semble commencer seulement -maintenant en Asie.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>Mustapha Kémal s'efforce de créer, en Asie, -un mouvement qui succéderait au bolchevisme -à son déclin. Il a réussi pour mener -<span class="pagenum">36</span> -sa lutte à s'allier à certains peuples de l'Asie. -C'est ainsi qu'à Angora il existe plusieurs -ambassades, telles que celles de l'Afghanistan, -du Belouchistan, de la Perse nationaliste, -de l'Azerbaïdjan, du Bokhara et du -Turkestan.</p> - -<p>Les rues sont pleines d'une foule bigarrée, -représentant tous les peuples de l'Asie, -depuis l'Hindou jusqu'au Chinois, et l'on se -demande si, un jour, toutes ces peuplades -indisciplinées, que veulent armer les Soviets, -ne parviendront pas à troubler l'ordre mondial!...</p> - -<p>Tous ces gens se sont attablés, pour la -première fois dans l'histoire, autour d'un -tapis vert au premier Congrès asiatique de -Bakou. Mustapha Kémal s'est attaché à déchirer -le traité de paix turc en cherchant à -mettre le feu aux colonies anglaises de l'Asie, -et il travaille nuit et jour dans ce but.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg036.jpg" width="100" height="27" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p37" id="p37">37</a></span></p> - -<h2>IV</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">Comment Mustapha Kémal organise des -groupes de francs-tireurs contre l'armée -grecque.—les "tchétés" volontaires.—Organisations -secrètes de -l'arrière-front.—Les guérillas en -Anatolie.—Formation des corps d'armée -A l'intérieur.—Au Conseil asiatique -de Bakou.</span></p> - -<p>Angora... octobre.</p> - -<p>Après la dernière offensive grecque, les -Kémalistes se sont mis à organiser de nouveaux -corps d'armée. Un autre front de -résistance a été établi et des groupe de francs-tireurs -ont été constitués pour mener à -bonne fin une guerre de surprise.</p> - -<p>Tout l'arrière des lignes helléniques, y -compris tous les territoires occupés avant -l'offensive grecque, est divisé en districts par -l'Etat-Major d'Angora, districts dont les limites -sont tenues secrètes et qui sont numérotés -sur des cartes spéciales que l'on donne -aux chefs de bandes.</p> - -<p>Les bandes kémalistes ou «tchétés» sont -<span class="pagenum">38</span> -presque toujours montées et comprennent -cinquante cavaliers et une mitrailleuse. Les -hommes sont armés de toutes pièces et -munis de grenades à main; ils connaissent -admirablement le pays où ils opèrent.</p> - -<p>Les bandes sont formées à Kutahia, Biledjik, -Eski-Chéir, Afioun-Kara-Hissar et Denizli. -Leurs provisions faites, elles quittent -de nuit leurs bases et traversent sans être -découvertes, le front grec. Les «tchétés» -passent par des voies inaccessibles aux -troupes d'occupation. Leur équipement et -leur coiffure étant de couleur sombre, les -Kémalistes se dissimulent facilement. Arrivés -dans les districts désignés, les «tchétés» se -divisent souvent en deux ou trois escouades -et ils communiquent entre eux par des -signaux nocturnes. Ils logent le plus souvent, -sans que l'armée grecque le sache, dans des -villages turcs éloignés, où ils arrivent à l'aube -pour n'en sortir que la nuit.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>L'obscurité venue, ces «tchétés» effectuent -des incursions soudaines dans des -<span class="pagenum">39</span> -camps isolés, postes hellènes parsemés dans -le pays. Ce sont surtout les convois et les -ponts qui sont visés. Toute attaque ne dure -que quelques instants, à peine le temps de -semer le désarroi chez l'adversaire surpris, -ce qui abaisse le moral des troupes d'occupation.</p> - -<p>Lorsque les «tchétés» sont à bout de ressources -et rencontrent des difficultés pour se -ravitailler, ils se réunissent pour repasser le -front et s'approvisionner dans les lignes -turques.</p> - -<p>Après la dernière offensive hellénique, le -front, ayant triplé de longueur, est plus faible -et ne forme plus une ligne continue de tranchées. -Aussi le va et vient à travers les lignes -grecques est-il devenu relativement aisé.</p> - -<p>Actuellement 350 «tchétés» opèrent continuellement -entre le front et Smyrne.</p> - -<p>Les nationalistes turcs travaillent à gagner -du temps en menant une guerre de guérillas, -afin de pouvoir organiser des corps -d'armée réguliers pour une résistance plus -énergique.</p> - -<p><span class="pagenum">40</span></p> - -<p>Le premier Congrès asiatique de Bakou a -été un succès pour Mustapha Kémal, qui a -insisté auprès des délégués russes sur la -nécessité de créer des mouvements nationalistes -en Asie avec l'aide des Soviets. La -distribution des armes et des munitions la -centralisation du commandement et le siège -permanent d'un Conseil asiatique ont été, -en outre, décidés à ce Congrès.</p> - -<p>En un mot, l'œuvre de Mustapha Kémal se -résume en ceci: organiser en Anatolie une -guerre de francs-tireurs tout en constituant -des forces régulières; gagner du temps et -faire cause commune avec tous les Arabes et -les peuples de l'Asie.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg040.jpg" width="100" height="54" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p41" id="p41">41</a></span></p> - -<h2>V</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">A la Sublime-Porte d'Angora.—Les -Ministères.—Aux Affaires -étrangères.—Une entrevue avec Mouhktar bey, -Vékil des Affaires étrangères.—Le -12<sup>e</sup> point de Wilson.—L'Offensive des -Hellènes.—En Cilicie.—Les servitudes -étrangères.—Le but des nationalistes -turcs.</span></p> - -<p>Le lendemain de mon arrivée dans -l'antique Aneyre, je me rendis dans la -matinée au gouvernaurat où siège la Sublime Porte -anatolienne.</p> - -<p>Après avoir franchi la porte d'entrée gardée -par deux sentinelles harnachées de cartouchières, -on gravit les marches branlantes -d'un grand escalier de bois qui aboutit au -premier étage. Là, un immense corridor où -l'on coudoie tous les divers «types» ethniques -rencontrés dans les rues d'Angora, qui s'y -donnent rendez-vous. Au-dessus des grandes -portes sont placés des écriteaux voyants: -«Cheik-ul-Islamat» ou plutôt «Cheik-ul-Islam» -par intérim (cheik vekaleti). A -<span class="pagenum">42</span> -travers l'entrebâillement de la porte entr'ouverte -je distingue, assis à son bureau, un -uléma au large turban, à barbe imposante. -C'est l'ex-mufti de Brousse Djemil Mollah. -Puis viennent les autres ministères: Agriculture, -Affaires étrangères, Travaux publics, -Intérieur, Finances, Hygiène publique, etc.</p> - -<p>Quant au Ministère de la Guerre, il n'est -pas installé à la Sublime-Porte et il est -dénommé «Défense nationale»; son siège -est à l'école Sultanié. C'est évidemment le -plus important et le plus cossu.</p> - -<p>Revenons à notre visite à la Sublime-Porte. -Le Ministère des Affaires étrangères compte -tout juste deux pièces, comme d'ailleurs tous -les ministères. D'abord, c'est le cabinet du -ministre qui siège avec son sous-secrétaire -d'Etat et son chef de bureau particulier dans -une seule pièce. Puis c'est le bureau du -ministère avec toutes ses sections empilées -dans la seconde. Je demandai audience à -S. E. Mouhktar bey, ministre par intérim des -Affaires étrangères et je fus introduit aussitôt -auprès de lui. Il vint à moi, me tendant la -<span class="pagenum">43</span> -main tout souriant. Ex-ministre à Athènes -et fin diplomate, Mouhktar bey est un travailleur -assidu; il est à son bureau depuis l'aube -jusqu'au crépuscule et ne peut se rendre à -la Chambre malgré sa charge de député de -Constantinople.</p> - -<p>Je reproduis ici ses déclarations:</p> - -<p class="tb"><i>D'abord et avant tout, nous réclamons -le droit accordé à chaque peuple: celui de -vivre. Nous avons signé, en octobre 1918, un -armistice et déposé les armes en nous basant -sur la justice dont l'Entente était alors l'apôtre -et sur le 12<sup>e</sup> principe de Wilson qui donnait -droit à une souveraineté turque aux parties -ottomanes de l'Empire ottoman. Or, aucun de -ces engagements ne furent tenus, on nous a -honteusement trompés et alors que la Turquie, -était désarmée on lança sur elle les armées -grecques qui occupèrent Smyrne et y déchaînèrent -des horreurs sans précédents. C'est -l'indignation et l'exaspération d'un peuple -qui a été le premier facteur du soulèvement -national vers la résistance à outrance.</i></p> - -<p><span class="pagenum">44</span></p> - -<p><i>Aujourd'hui les forces nationalistes acquièrent -de jour en jour de plus grands moyens -d'action.</i></p> - -<p>—<i>Et la dernière, avance hellénique vous -a-t-elle dérouté?</i></p> - -<p>—<i>Elle a redoublé la résolution de la population -de tenir jusqu'au bout et notre armée a -doublé ses effectifs. Le nombre de volontaires -augmente de jour en jour.</i></p> - -<p>—<i>Excellence, et en Cilicie, quelle est la -situation?</i></p> - -<p>—<i>A vrai dire, nous ne savons pas ce que -les Français sont venus y chercher. Depuis -des mois, ils versent leur sang pour la -conquête de territoires purement turcs et qui -ne leur sont même pas cédés par le Traité de -Versailles. Pour ce qu'ils ont entrepris en -Syrie, je ne saurai que dire, mais pour la -Cilicie, là, nous sommes chez nous.</i></p> - -<p><i>Je comprends parfaitement que l'opinion -publique en France soit contre l'entreprise de -Cilicie, car, en voulant conquérir par le -sabre quelques parcelles de terre à Adana, le -<span class="pagenum">45</span> -fougueux esprit militaire ne songe pas que la -France perd ses sympathies séculaires en -Orient.</i></p> - -<p><i>Les Italiens n'ont pas commis au moins la -faute de faire couler le sang de leurs soldats -pour effectuer des conquêtes qu'ils ne pourraient -garder à aucun prix, le réveil de la -conscience turque étant trop puissant pour -laisser là-dessus aucun espoir à n'importe -quelle puissance impérialiste.</i></p> - -<p><i>En Cilicie, comme ailleurs, notre dernier -mot est le suivant: la fixation des frontières -est avant tout une question ethnique, et en -second lieu, une question de débouché sur la -mer. Elle ne doit, dans aucun cas, revêtir la -forme d'un arrangement entre les convoitises -des capitalistes d'Occident ou d'une récompense -pour les services que peuvent rendre aux -grandes Puissances les petits Etats comme la -Grèce.</i></p> - -<p><i>C'est à ce titre que nous revendiquons et -continuerons à revendiquer jusqu'au triomphe -de la justice, nos droits imprescriptibles -sur la Thrace, sur Smyrne et Adana. La -<span class="pagenum">46</span> -preuve que les Turcs sont en très grande -majorité en Thrace et à Smyrne réside dans -le fait que nos ennemis n'ont pas osé ordonner -un plébiscite dans la première de ces provinces -et à Smyrne la consultation populaire ne doit -avoir lieu que dans cinq ans, période jugée -suffisante pour l'extermination de la population -turque de l'endroit.</i></p> - -<p><i>La population de Cilicie, laissée à la merci -des bandes arméniennes, s'est soulevée et -poursuit vaillamment la lutte pour sa libération.</i></p> - -<p><i>Le même mouvement se dessine dans les -provinces occupées par les Grecs et soumises -par eux à une extermination systématique, -afin d'y détruire l'élément musulman. Sous -peu les Grecs se trouveront dans la même -situation que les Anglais en Mésopotamie et -les Français en Cilicie, coupés de leurs lignes -de retraite et harcelés partout et à tout instant -jusqu'à ce qu'ils soient complètement repoussés -à la mer.</i></p> - -<p><i>D'ailleurs, à notre époque, où tous les -peuples de l'Occident ont secoué le joug, il est -<span class="pagenum">47</span> -tout naturel que ce soit le tour des peuples -orientaux d'être libérés des servitudes étrangères.</i></p> - -<p><i>Cette libération est inévitable. Tous les -efforts contraires n'aboutiront qu'à faire couler -plus de sang sans influencer en rien le résultat -final.</i><br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg047.jpg" width="100" height="55" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p48" id="p48">48</a></span></p> - -<h2>VI</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">En tête à tête avec Mustapha Kémal.—La -Maison du chef de gare.—Ce que dit le -chef des nationalistes turcs.—L'offensive -en Arménie.—Le traité de Sèvres -et les Hellènes en Asie-Mineure.</span></p> - -<p>Redjeb bey, un des aides de camp du -pacha que je rencontrai dans les couloirs de -la Chambre, m'annonça que son chef m'invitait -à dîner à sa villa. Je m'y rendis.</p> - -<p>Mustapha Kémal habile, comme je l'ai déjà -dit, une petite maison destinée autrefois au -chef de gare, aux abords de la station.</p> - -<p>De grands arbres l'entourent et on y pénètre -par un coquet jardin aux allées soigneusement -ratissées.</p> - -<p>Un escalier mène les visiteurs au premier -étage, toutes les marches sont recouvertes de -de toile cirée et partout règne une propreté -d'autant plus appréciable que partout ailleurs, -à Angora, les maisons sont envahies de poussières.</p> - -<p>Nous entrons dans une salle à manger -<span class="pagenum">49</span> -très simplement meublée où le couvert était -déjà mis. A côté, un petit salon, aux meubles -recouverts d'étoffe rouge foncé et un minuscule -cabinet de travail.</p> - -<p>Dans le cadre de la porte apparaît un -homme de haute taille, à la moustache -blonde: c'est Mustapha Kémal. Il est en civil, -décoiffé, et fume nerveusement une cigarette.</p> - -<p>Sur un signe de lui, j'entre dans son bureau, -où se trouvait déjà le capitaine Hayati -bey, chef de son cabinet particulier. Celui-ci -est coiffé d'un grand kalpack noir.</p> - -<p>Sur le bureau de travail du pacha, je vois -une pile de télégrammes chiffrés et de journaux.</p> - -<p>Nous passons presque aussitôt à la salle à -manger, car le dîner vient d'être servi. A -table, se trouvent quatre aides de camp, les -généraux Ismail Fazil et Mouheddine pacha.</p> - -<p>Mustapha Kémal aime de préférence la cuisine -européenne. Les mets à l'huile, lourds -et indigestes, qui composent le fond de la -cuisine orientale, sont exclus de sa table.</p> - -<p><span class="pagenum">50</span></p> - -<p>Le pacha déclare que la cuisine turque -l'empêche de travailler; il est de fait qu'il -fournit beaucoup de besogne. Il ne quitte pas -son bureau avant deux heures du matin. -Parfois même il y reste toute la nuit, la tête -baissée sur une masse de papiers, d'ordres, -de dépêches et de caries d'état-major. Il dort -très peu, ce qui l'a fatigué et fait maigrir à -l'excès.</p> - -<p>Après dîner, nous passons au salon pour -fumer, et, assis en face de lui, je me mets en -devoir de l'interviewer. Tout en causant, je -ne puis m'empêcher d'admirer le regard pénétrant -de Mustapha Kémal. On peut dire -qu'il fascine et je comprends comment sa -popularité est attribuable à la puissance de -ses yeux et de sa parole. Le pacha parle -couramment le français.</p> - -<p class="tb"><i>Lorsqu'en 1914,</i> déclara Kémal Pacha, -<i>l'Allemagne a violé le traité garantissant l'intégrité -de la Belgique, l'Angleterre prît solennellement -les armes pour défendre son honneur -national outragé. Le Monde entier frémit -<span class="pagenum">51</span> -d'indignation à la violation de la Belgique -par le Kaiser. Juste cinq ans plus tard, la -signature, au bas des clauses de l'armistice de -Moudros, de l'amiral Galthrope, représentant -de la Grande-Bretagne, était honteusement -violée par l'attaque soudaine, à main armée, -d'une nation sans défense.</i></p> - -<p><i>L'armée hellène débarquait sans raison d -Smyrne, y commettait des massacres et causait -le soulèvement de toute l'Anatolie.</i></p> - -<p><i>L'Angleterre, si fière de la sauvegarde de -son honneur en Belgique, a taché son histoire -en Orient par une politique impérialiste pleine, -d'ambition et fatale pour son avenir colonial.</i></p> - -<p><i>—Croyez-vous à votre réussite finale, -Excellence?</i></p> - -<p><i>—Sans doute. Lorsqu'il y a près de 75 ans, -quelques centaines de comitadjis serbes gagnèrent -les montagnes et luttèrent contre des -armées turques entières envoyées pour la -répression des rebelles, ces armées ne purent -en venir à bout, car les Serbes luttaient pour -leur indépendance. La Bulgarie fit de même, -la Grèce aussi.</i></p> - -<p><span class="pagenum">52</span></p> - -<p><i>Aujourd'hui le tour est venu pour les Turcs -de gagner leurs montagnes natales, de prendre -le fusil en main pour la lutte de guérillas et -mener à bonne fin une guerre de francs-tireurs. -Plus cette situation se prolonge, plus -nous en profitons. Chaque jour est un pas en -avant pour nous et vers le dénouement fatal -pour les oppresseurs. D'un côté, nous sommes -appuyés par la Russie des soviets et de -l'autre par l'Asie entière qui suit avec intérêt -notre lutte suprême pour nous imiter dans -un avenir prochain.</i></p> - -<p><i>Est-ce que l'armée hellène supportera toutes -ces campagnes! Le soldat grec a laissé derrière -lui son foyer, son commerce et ne pense qu'à -sauver sa peau pour pouvoir travailler et -nourrir sa famille. Tandis que tous les volontaires -turcs viennent d'avoir leurs villages -détruits par l'envahisseur et qu'ayant perdu -leurs foyers, ils s'engagent, pour les recouvrer, -dans une lutte vie ou à mort.</i></p> - -<p><i>D'un côté une armée qui veut conquérir, de -l'autre un peuple entier qui défend son foyer -natal... Qui des deux remportera?</i></p> - -<p><span class="pagenum">53</span></p> - -<p><i>Aujourd'hui, à l'arrière du front grec, nos -bandes pullulent et le soldat hellène reçoit -souvent des balles de face et de dos.</i></p> - -<p><i>Et voici l'hiver... encore un allié pour nous -qui approche...</i></p> - -<p><i>—Que pensez-vous, Excellence, de l'offensive -et de la dernière avance des Hellènes?</i></p> - -<p><i>—Toute l'offensive et l'avance des Hellènes -étaient prévues par moi. Cette avance a -affaibli son front qui a triplé sa largeur. Une -preuve éclatante en a été la bataille de -Dêmirdji qui, si nous avions eu un peu plus -de cavalerie et de troupes de réserve, aurait -été un véritable désastre pour eux. Mais j'ai -voulu faire un essai de rupture, avec des -forces beaucoup moins nombreuses que ne -l'ont dit les communiqués hellènes, qui a -réussi du reste, et fut pour le général Paraskevopoulos -un revers cuisant. Demain, si -Venizelos, obéissant à un ordre de son dictateur -Lloyd Georges, veut sacrifier une armée -de 500.000 hommes comme il l'a prétendu, il -réussira peut-être d occuper difficilement -Angora et même Konia. En nous retirant à -<span class="pagenum">54</span> -Sivas, noire guerre de francs-tireurs redoublera -et notre armée pourra plus facilement -percer leur front qui dépasserait dans ce cas -mille kilomètres.</i></p> - -<p><i>M. Venizelos est entré en Anatolie dans un -bourbier et l'armée grecque finira par être -obligée de quitter-après y avoir enterré des -milliers de cadavres-ce pays qui ne lui -appartient pas.</i></p> - -<p>—<i>La presse, ennemie vous accuse, Excellence, -d'agir contre l'intérêt du Sultan?</i></p> - -<p>—<i>Mes soldats et un peuple entier qui lutte -contre renvahisseur meurent pour défendre -la terre sacrée léguée par nos anciens khalifes...</i></p> - -<p><i>J'ai une confiance aveugle en la réussite -finale de ma sainte cause, car elle représente -la justice même que l'on veut étouffer par -l'ambition.»</i></p> - -<p>Complétant ces déclarations, Mustapha -Kémal ajouta au sujet de l'offensive kémaliste -à peine déclanchée, que cette offensive -n'était qu'à sa première phase.</p> - -<p><span class="pagenum">55</span></p> - -<p><i>«Cela mettra fin, ajouta-t-il, aux agressions -des bandes arméniennes en territoire -turc, cherchant à semer des désordres à l'intérieur.</i></p> - -<p><i>«J'ai confiance dans le plein succès de cette -offensive qui nous ouvrira une communication -plus directe avec les Soviets et l'Asie entière.</i></p> - -<p><i>«L'Arménie constituera aussi demain un -gage précieux en nos mains et ce seront les -délégués arméniens eux-mêmes qui finiront -par intervenir auprès de la Société des Nations -pour la révision des clauses du Traité de -Sèvres qui ont arraché injustement la ville de -Smyrne à notre chère Anatolie.»</i><br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 60px;"> -<img src="images/i_pg055.jpg" width="60" height="44" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p56" id="p56">56</a></span></p> - -<h2>VII</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">A la Chambre d'Angora.—Déclarations -d'Ismail Fazil pacha.—Comment le mouvement -National a pris naissance.—Son -historique.—Stamboul et -Angora.—Les débats au Parlement.—Une -discussion intéressante.—La loi supprimant -l'alcool.—Les ravages des -boissons en Anatolie.—L'argument -religieux.—La loi est approuvée.</span></p> - -<p>On m'avait fortement conseillé d'aller -suivre les débats de la Chambre kémaliste -ou Assemblée nationale (Megliss-i-Milli) qui -devait voter ce jour-là une loi contre l'usage -des boissons spiritueuses en Anatolie. Le -Parlement siège, comme je l'ai dit plus haut, -dans une jolie bâtisse de construction -récente. Dans ses couloirs je rencontrai -Ismail Fazil pacha, Mouheddine pacha et -Hamdoullah Soubhy bey, tous coiffés du -kalpak de rigueur. Ayant presqu'une demi-heure -jusqu'à l'ouverture des débats, nous -échangeâmes quelques mots.</p> - -<p>Je questionnai Ismail Fazil pacha sur le -<span class="pagenum">57</span> -soulèvement de l'Anatolie et nous nous retirâmes -dans la salle de lecture.</p> - -<p>Ismail Fazil est le père du général Ali -Fuad, commandant le corps d'armée sur le -front de Smyrne. C'est un homme frisant—on -peut le dire—les 65 ans, car il est d'une -constitution, sans jeu de mots, et d'une -santé parfaite.</p> - -<p>Il détient au sein du cabinet kémaliste le -portefeuille des Travaux publics.</p> - -<p>Voici le résumé de ses déclarations:</p> - -<p><i>«Lorsque les Grecs débarquèrent à Smyrne. -Mustapha Kémal pacha se trouvait à Erzeroum -comme Inspecteur général de l'armée. -A cette nouvelle, il vit que la Turquie désarmée -allait être dépecée par ses petits voisins et -il décida de tenir à Erzeroum même un Congrès -appelé à délibérer sur la situation et sur -ce qu'il y avait à faire. Tous les commandants -de l'armée de l'Ouest ainsi que les valis et -religieux de toutes ces provinces y furent -convoqués.</i></p> - -<p><i>«C'est à ce Congrès que furent envoyés des -<span class="pagenum">58</span> -délégués des provinces de l'Ouest qui demandèrent -tous la résistance, non contre l'Entente, -mais contre les petits Etats comme la Grèce et -l'Arménie qui ne rêvaient qu'à anéantir la -Turquie et à placer le Conseil suprême devant -le fait accompli. Smyrne fut d'ailleurs un -exemple frappant de cette prévision.</i></p> - -<p><i>«C'est ce Congrès d'Erzeroum qui fut le -noyau de la défense nationale à outrance. -Mustapha Kémal reçut l'approbation générale -et un vote de confiance à l'unanimité et c'est lui -qui prit l'initiative de la tâche. Sivas déclara -adhérer aussitôt au mouvement d'Erzeroum, -puis Trébizonde, Van, Diarbekir, Samsoun,etc., etc...</i></p> - -<p><i>«Entre temps, du côté de Smyrne, les horreurs -des Grecs à peine débarqués et les massacres -de. Musulmans d'Aïdine et Ménémen -avaient soulevé toute une masse de paysans -qui avaient pris les armes pour lutter désespérément -contre l'envahisseur. Ceux-ci se groupèrent -peu à peu et leurs effectifs augmentèrent -de jour en jour, opposant sans répit la résistance -aux Hellènes.</i></p> - -<p><span class="pagenum">59</span></p> - -<p><i>«Au bout de deux mois et grâce aux milliers -d'officiers arrivés de Constantinople, un -noyau d'armée se formait dans l'Anatolie de -l'Est.</i></p> - -<p><i>«C'est à ce moment que je quittai Constantinople, -appelé à Sivas où se trouvait mon -fils, le général Ali Fuad. Un deuxième Congrès, -où était représenté déjà la moitié de l'Empire, -tint séance à Sivas, composé d'environ soixante -membres influents que chacune des provinces -y représentait.</i></p> - -<p><i>«Le mouvement nationaliste prit son élan -à Sivas et continua à se propager vers -Smyrne.</i></p> - -<p><i>«A ce moment, le vali d'Angora, Mouheddine -pacha, très anglophile et sous l'influence -directe du général Scotland, commandant à -Eski-Chèir, travaillait à gagner en faveur des -Anglais les derviches de. Tchoroum, très -influents dans l'Anatolie.</i></p> - -<p><i>«Des missionnaires y furent envoyés mais -leurs tentatives échouèrent.</i></p> - -<p><i>«La population prit soudain les armes et se -dirigea, avec le commandant du corps d'armée -<span class="pagenum">60</span> -Ali Fuad, sur Angora pour mettre fin à ces -intrigues. Le général Scotland lui envoya -alors un message lui disant que s'il osait attaquer -avec ses troupes rebelles les soldats de -S. M. Britannique, il en répondrait devant le -Conseil suprême.</i></p> - -<p><i>«Ali Fuad répondit qu'il n'était plus général, -mais citoyen et que ce n'étaient pas des -troupes qui barraient la route mais une -population venant de prendre les armes pour -lui demander ce qu'il cherchait dans le pays -d'un autre.</i></p> - -<p><i>«Là-dessus, pour éviter une effusion de -sang, Angora fut évacuée, Mouheddine pacha -s'enfuit à Constantinople et un gouvernement -nationaliste fut installé.</i></p> - -<p><i>«D'autre part, Koniah et toutes les autres -provinces ainsi que les volontaires combattant -sur le front de Smyrne, adhérèrent au mouvement -nationaliste. Entre temps, Damad Ferid -à Constantinople interceptait toutes les communications -de Mustapha Kémal avec le Souverain.</i></p> - -<p><i>«C'est la-dessus que le Congrès de Sivas -<span class="pagenum">61</span> -envoya une sommation à la Sublime-Porte -d'avoir la communication directe avec le -Sultan dans le délai d'une demi-heure.</i></p> - -<p><i>«Tout le Congrès et Mustapha Kémal attendirent -exactement une demi-heure devant -l'appareil télégraphique qui ne répondait pas. -Ce délai passé, toutes les communications -furent interrompues.</i></p> - -<p><i>«A l'occupation de Constantinople (16 mars -1920), après sommation et pour éviter une -inutile effusion de sang, le général Scotland -évacua Eski-Chéir.</i></p> - -<p><i>«A présent toute l'Anatolie lutte pour sa -libération des servitudes étrangères, nous -sommes tous confiants dans le succès de notre -lutte car nous ne sommes pas seuls. Trois -formidables alliés nous tendent la main: le -Bolchevisme. l'Asie et l'Islam...</i></p> - -<p><i>«J'espère et crois aussi que. l'Angleterre -jusqu'à présent l'alliée de l'Islam et qui a failli -à sa ligne de conduite traditionnelle, reviendra -à elle afin de gagner les Turcs qui luttent -pour leur indépendance, plutôt que de compter -sur un ramassis de petits Etats qui ont -<span class="pagenum">62</span> -tourné en sa faveur dès que la victoire a fait -pencher la balance de ce côté, rêvant ainsi -d'avoir leur part au butin gagné par le sang -des autres.»</i><br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="ornament" /> -</div> - -<p>On vint nous prévenir que la Chambre -était réunie. A 2 h. 1/2 les 95 députés kémalistes -prenaient place autour de l'hémicycle -où trônait tout en haut le vice-président de -la Chambre, le grand Tchélébi. A ses côtés -je remarquai la volumineuse personnalité -de Djelaleddine Arif bey, ex-bâtonnier -du barreau ottoman et second vice-président. -Dans la salle, on percevait un sourd bourdonnement -de voix. Tout à coup, la cloche -du président retentit et le silence s'établit. -J'ai pris note sténographiquement d'une partie -des débats les plus intéressants.</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Mazhar bey</span> (Aïdine).—Vous savez, chers -camarades, que notre budget-d'après -l'exposé que nous retraçait l'autre jour le -ministre des finances, Ferid bey—est on ne -peut plus satisfaisant. Néanmoins, l'Etat doit -<span class="pagenum">63</span> -s'imposer des sacrifices énormes pour faire -face à nos préparatifs militaires et solder nos -achats en matériel de guerre. Il en résulte -un déficit inévitable de plusieurs millions de -livres, et la Chambre est chargée de le couvrir.</p> - -<p class="tb">«Or, une plaie affreuse ronge le pays, plus -que cela n'a lieu n'importe où ailleurs, et -paralyse toutes nos forces vives; c'est l'abus -de l'alcool. Par contre, il ne faut pas oublier -que les boissons spiritueuses rapportent au -budget annuel de l'Etat la coquette somme -d'environ un million et demi de livres turques. -Beaucoup de nos paysans, à Aïdine, -Smyrne et Magnésie en particulier, ne vivent -que du produit de leurs vendanges. Il faut -tenir compte dans nos décisions de tous ces -éléments.</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Djevàd bey</span> (Sivas).—Ces provinces ne -sont plus entre nos mains. (<i>Bruits.</i>)</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Mazhar bey.</span>—Oui, mais elles nous reviendront -un jour «inchallah», de même que -<span class="pagenum">64</span> -l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la -France. (<i>Applaudissements redoublés.</i>)</p> - -<p>«Donc, continue l'orateur, ces provinces -ne vivent que des produits distillés du raisin -et en premier lieu du «raki», Aujourd'hui, -en interdisant l'alcool dans le pays, vous -enlevez leur gagne-pain à des milliers de -citoyens. Chers camarades, je vous préviens, -statistique en main, que la loi proposée à la -Chambre serait une folie.</p> - -<p>«Nous devons maintenir l'alcool, car il -s'agit d'un bénéfice net d'un million de livres -par an, et qu'en agissant différemment nous -fournirions aux paysans de Chio et de Mytilène, -un moyen de s'enrichir à nos dépens.</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Chukkry bey</span> (Trébizonde) le remplace.</p> - -<p>«Je ne veux pas contredire mon prédécesseur, -affirme le nouveau venu. Mais je -tiens à vous exposer, Messieurs, les ravages -que cause la boisson au sein de notre Patrie.</p> - -<p>«Un mal interne ronge notre peuple. Aujourd'hui, -notre paysan de Konia, après avoir -vendu son beurre et ses œufs au marché, -<span class="pagenum">65</span> -remporte dans son foyer des bidons de raki -et s'enivre oubliant toutes les prescriptions -de l'Islam!</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Velhi bey</span> (Konia).—Pas à Konia seulement, -c'est partout ainsi. (<i>Rires.</i>)</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Ali Chukkri bey</span> (Trébizonde).—Il y a de -cela dix ans, à Trébizonde, les personnes -abusant de l'alcool pouvaient se compter sur -les doigts.</p> - -<p>«A présent, hélas! les enfants de 7 à 8 ans -pratiquent le culte de la «dive bouteille» -comme père et mère. Les maladies augmentent -avec ces abus, et la nation entière est -exposée à un péril imminent; elle se trouve -au bord de l'abîme.</p> - -<p>«On ne veut pas faire perdre au budget un -million de livres, mais on bride le pays. La -Chambre assume une responsabilité écrasante. -Tous les députés doivent être d'accord -pour entreprendre la lutte en vue d'assainir -la nation et d'élaborer cette loi...</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Farik bey</span> (Denizli)—... que le Gouvernement -<span class="pagenum">66</span> -ne pourra à aucun prix appliquer -intégralement. (<i>Bruits dans la salle.</i>)</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Ali Chukkri</span> (Trébizonde), répliquant vivement.—Un -gouvernement qui ne peut -appliquer ses lois n'en est pas un...</p> - -<p>(<i>Grand bruit, protestations; on empêche -le député de continuer.—Le président rappelle -à l'ordre.</i>)</p> - -<p>«Je ne veux pas qu'on prête à mes paroles -un sens qu'elles n'ont pas et je me rétracte! -(Le silence se fait.)</p> - -<p>«Une loi supprimant l'alcool délivrerait -l'Anatolie d'un mal affreux. Nous devons -imiter l'Amérique et la Russie. En Russie, la -loi contre l'alcool a été appliquée en recourant, -le cas échéant, à la bastonnade! Il faudra -que nous sachions en faire autant. Pour -nous autres Turcs, il n'y a qu'un remède -radical,la bastonnade! (<i>Bruits, protestations.</i>)</p> - -<p class="tb"><span class="smcap">Mehmed Hodja</span> (Edremid). (<i>Il prend la -parole à la tribune et d'une voix de stentor -entonne une harangue en faveur de la loi.</i>)</p> - -<p>«La principale cause de nos malheurs est -<span class="pagenum">67</span> -que, nous autres Turcs, nous n'observons -plus les lois de l'Islam.</p> - -<p>«Notre religion nous interdit l'alcool et -nous nous permettons d'en abuser. Tous les -peuples musulmans savent trop combien -nous négligeons les lois divines. Il y a vingt -ans, à Edremid, les Chrétiens n'avaient -que vingt maisons tout au plus. L'alcool et -le jeu ont ruiné les Turcs de l'endroit et -aujourd'hui la moitié de la ville appartient -aux étrangers!</p> - -<p>«Tant que les Turcs ne prendront pas les -mesures nécessaires contre l'ivresse et le -jeu, ils seront foulés aux pieds de leurs plus -vils ennemis.»</p> - -<p class="tb">Cette fois les contradicteurs se sont tus. -L'argument divin est sans réplique, dans la -toujours religieuse Anatolie, et c'est au -milieu d'un silence complet que Djelaleddinc -Arif bey note le compte rendu officiel et lit -le projet de loi suivant:</p> - -<p>1º <i>L'importation de tous les spiritueux est -<span class="pagenum">68</span> -strictement interdite sur toute l'étendue du -territoire ottoman.</i></p> - -<p>2º <i>Tout débit d'alcool sera fermé. Les scellés -seront apposés par l'Etat sur tous les alambics, -bidons et barils.</i></p> - -<p>3º <i>L'alcool ne pourra se vendre dans le -commerce que dénaturé et après un contrôle -de l'Etat</i>.</p> - -<p>Les contrevenants seront condamnés à une -amende de 100 à 500 livres et à une peine -corporelle variant entre 80 et 100 coups de -bâton et à une réclusion de 2 à 6 mois de -prison.</p> - -<p>Et, sans plus ample discussion, la loi est -approuvée. Il y a des pays, n'est-ce pas, où -cela ne va pas si vite.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg068.jpg" width="100" height="44" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p69" id="p69">69</a></span></p> - -<h2>VIII</h2> - -<p class="indent"> -<span class="smcap">Ismail sabry bey.—à la défense -nationale.—l'occupation -de Smyrne.—L'agression hellène contre -l'Anatolie.—Les causes du soulèvement de -l'Asie-Mineure.—En Cilicie.—Deux mots de -Fevzi pacha, ministre de la guerre.—Quelques -proclamations.</span></p> - -<p>J'ai rencontré à Angora, dans l'entourage -de Mustapha Kémal, un ancien ami: Ismail -Sabry bey, ancien adjudant de la reine Marie -de Roumanie.</p> - -<p>Sabry bey est originaire de la Dobroudja -et il était capitaine de cavalerie dans l'armée -roumaine. Mais les déportations et massacres -qu'eurent à subir les Musulmans de la Dobroudja -le décidèrent à passer dans les -rangs de l'armée turque.</p> - -<p>C'est aujourd'hui un des membres les plus -influents du soulèvement kémalisle. Comme -récompense de ses précieux services et de -son courage vis-à-vis de l'ennemi, Mustapha -Kémal pacha le prît à ses côtés.</p> - -<p><span class="pagenum">70</span></p> - -<p>Sabry bey m'amène au Ministère de la -Guerre.</p> - -<p>Je suis introduit auprès du commandant -Riza, de l'Etat-Major, qui nous reçoit fort -aimablement.</p> - -<p>A peine la conversation était-elle engagée -et lui avais-je demandé comment prit naissance -le mouvement national, il me tendit -un dossier. Je l'ouvris et y trouvai tout -d'abord quelques dépêches, qu'il me parait -intéressant de transcrire ici:</p> - -<blockquote> - -<p><span class="smcap">Télégramme du commandant d'Aïdine</span></p> - -<p class="right padr2">«Le 15 mai 1919.</p> - -<p>«Notre correspondance avec Smyrne -occupée par les Hellènes s'est trouvée -interrompue. Détails parvenus ici annoncent -massacres sur population musulmane -commis par troupes grecques. -Caractère occupation imprécis. Population -extrêmement surexcitée.»</p> - -<p class="right">«Commandant de la 57<sup>e</sup> Division,</p> - -<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick».</span></p> - -<p><span class="pagenum">71</span><br /></p> - -<p class="right padr2">«Panderma, le 16-5-1919.</p> - -<p>«Population Panderma extrêmement -surexcitée suite occupation injustifiée -Smyrne.»</p> - -<p class="right">«C. div. 14<sup>e</sup> C. Armée,</p> - -<p class="right padr2"><span class="smcap">«Yussouf Izzet».</span></p> - -<p>«Aïdine (très urgent), le 16-5-1919.</p> - -<p>«...Le 14-5-19, six transports hellènes, -protégés par quelques torpilleurs, commencèrent -à entrer dans le port de -Smyrne. La population grecque s'assembla -en masse sur le quai. Tout d'abord, -une compagnie de 300 Efzones débarqua -sur le quai, suivie par d'autres groupes. -Les forces débarquées se divisèrent en -deux colonnes, dont l'une prit la direction -de la caserne et l'autre celle de -Punta. La population indigène armée -accompagnait ces troupes; aussitôt les -quartiers grecs, sis aux environs du -quai, bissèrent des drapeaux hellènes. -Au moment où la première colonne fut -près de la tour de la place de la caserne, -<span class="pagenum">72</span> -un coup de feu éclata. Là-dessus un -choc s'engagea entre nos soldats d'une -part et les soldats hellènes et la population -armée d'autre part. Des deux -côtés aux prises sur les lieux, les pertes -se montent à plus de 700. Le choc dura -une heure. Une partie de nos officiers -et soldats se trouvant dans la caserne, -furent faits prisonniers. On les conduisit -à bord du cuirasé Avcroff. D'autres soldats -ottomans se sont retirés avec leurs -armes hors de la ville. Les habitants -grecs de Seydi-Keuy et des environs, -accourus en armes durant le choc, se -mirent à piller le local du Gouvernement, -la caserne et les magasins appartenant -aux Musulmans. Après l'occupation -des établissements officiels et de -ceux de la Sûreté publique, l'armée se -joint aux bandes grecques pour commettre -des atrocités tant dans la ville -que dans les environs. La malheureuse -population musulmane est assassinée et -torturée. Guidés par des bandes grecques, -les soldats hellènes se saisirent de -<span class="pagenum">73</span> -quelques-uns de nos officiers et arrachèrent -leurs uniformes à coups de crosse. -La population musulmane se réunit -dans le cimetière juif, dans l'intention -de s'élever contre l'annexion et de sauvegarder -ses droits. Elle ne voulut pas -se disperser et passa la nuit du 15 au -16 dans le cimetière Israélite continuant -ses manifestations nationales. -Après minuit, des coups de fusils et -de mitrailleuses se firent entendre -aux environs de ce cimetière. Le feu -continua dans ce quartier et dura environ -quatre heures. La population musulmane, -exposée à ce massacre, dût se -disperser.</p> - -<p>«Durant toute la nuit, on entendait -partout dans la ville des coups de fusil -et de bombes. Les dépôts d'armes et de -munitions, ainsi que les caisses des établissements -officiels furent entièrement -pillés par la population locale grecque. -L'agression se manifesta avec une fureur -<span class="pagenum">74</span> -telle que les soldats hellènes en vinrent -jusqu'à faire usage de leurs mitrailleuses.</p> - -<p>«Les atrocités des Grecs furent portées -au-delà des limites de la ville, des bandes -grecques formées dans les villages -se mirent à attaquer aussi les trains et -les villages musulmans.</p> - -<p>«Dans plusieurs villages, des bandes -helléniques et grecques ont commis aussi -de nombreuses agressions et leurs actes -de violence se sont étendus jusqu'aux -environs de Kouche-Ada et de Soke.</p> - -<p>«Les violences ainsi commises par les -Grecs indigènes, tant en groupes qu'individuellement, -à l'encontre des lois de -l'humanité, ont vivement indigné la population -musulmane d'Aïdine et de ses -dépendances. Tant que l'occupation de -Smyrne par la Grèce durera et que les -violences des bandes grecques continueront, -l'énervement de la population musulmane -doit fatalement croître et, par -conséquent, il y aura lieu de s'attendre -à des événements regrettables.</p> - -<p><span class="pagenum">75</span></p> - -<p>«Donc, au nom de l'humanité, il est -d'une importance extrême de faire les -démarches nécessaires auprès des représentants -de l'Entente afin que, dans le -cas où l'occupation de la ville serait -nécessaire pour l'Entente, des contingents -ententistes anglais, français et -américains viennent seuls effectuer cette -occupation.</p> - -<p class="right">«Le Commandant de la 57<sup>e</sup> Division,</p> - -<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick».</span></p> - -<p class="right padr2">Aïdine, 17 5-19.</p> - -<p><span class="smcap">(Suite télégramme nº 892)</span></p> - -<p>«1º) Les membres de l'Etat-Major du -corps d'armée et des divisions ont été -arrêtés à Smyrne le jour de l'occupation.</p> - -<p>«2º) Les massacres et les pillages commis -à Smyrne contre la population -musulmane et contre nos soldats n'ont -nullement été provoqués par les nôtres, -mais il existe, au contraire, des preuves -<span class="pagenum">76</span> -indiquant qu'ils ont été commis avec -préméditation par les Grecs indigènes et -les soldats hellènes.</p> - -<p class="right padr2"><span class="smcap">«Chefick.»</span></p></blockquote> - -<p>Le passage suivant, d'un autre rapport du -général Nadir pacha, sur les horreurs de -Smyrne, vaut aussi d'être cité:</p> - -<p>«A ce moment furent commis des -crimes et atrocités inimaginables, que -réprouveraient les peuples même les -moins civilisés.</p> - -<blockquote> - -<p>«Des Grecs, armés de revolvers, -tiraient continuellement sur le groupe -des officiers turcs, traversant la rue au -milieu de deux rangées de soldats hellènes -d'occupation.</p> - -<p>«La population grecque n'a rien -épargné pour insulter, humilier, torturer -et frapper les officiers.</p> - -<p>«Tous ceux qui étaient à bord des -bateaux grecs, le long des quais, ainsi -que tous les soldats hellènes descendus -dans la rue et la population grecque de -<span class="pagenum">77</span> -la ville elle-même, ont participé par -tous les moyens à cette scène tragique. -Les officiers turcs, mains en l'air, furent -contraints de crier «Zito» et un grand -nombre d'officiers et de soldats furent -impitoyablement massacrés ou blessés. -Une pluie battante, mêlée de grêle qui -commença à tomber peu après, contribua -heureusement à détourner sensiblement -ce déchaînement de barbarie.»</p></blockquote> - -<p>Si je devais transcrire, ici, la suite de -dépêches annonçant la destruction d'Aïdine, -de Ménémen, les massacres de Magnésie, -etc., la série n'en finirait pas.</p> - -<p>Aussi Riza bey me dit que si quelqu'un -lui demandait pourquoi l'Anatolie est rebelle -et s'est ainsi soulevée, il montrerait ce recueil -qu'il gardait précieusement.</p> - -<p>Nous causâmes ensuite de la Cilicie. Je -remarquai avec plaisir qu'aucune rancune -envers la France n'existait chez ces officiers. -Seulement Riza bey me donna deux proclamations -<span class="pagenum">78</span> -qui venaient d'être rédigées pour -être jetées par avion sur les troupes françaises. -Je les reproduis ici à titre documentaire -et parce qu'ils font ressortir les vœux -que formaient alors les nationalistes turcs -sur la Cilicie.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p class="center">«SOLDATS DE FRANCE!</p> - -<p>«Combattants de la République et -apôtres de la justice, demandez à vos -chefs pourquoi vous versez encore votre -sang pour la conquête inutile de la Cilicie -turque qui ne vous est même pas cédée -par le traité de Versailles?</p> - -<p>«Poilus de France! Songez que votre -patrie vient de gagner une belle victoire -en vous rendant l'Alsace et la Lorraine, -mais vous tacheriez l'œuvre de vos camarades -morts au champ d'honneur, en voulant -déchiqueter le peuple turc qui ne -<span class="pagenum">79</span> -demande qu'à vivre libre et en bonne -amitié avec vous.</p> - -<p class="tb">«Soldats de France!</p> - -<p class="tb">«Si vous poursuivez ces projets, les -Turcs sont à la veille de s'allier aux rebelles -arabes. Un exemple frappant est sous -vos veux. En Mésopotamie, les Anglais -ont une armée de 100.000 hommes, qui -est harcelée de tous côtés. Leurs troupes -ont leurs arrières coupés, sont attaquées -chaque jour par les Turco-Arabes et périssent -par milliers. En Cilicie, vous êtes -en face d'un péril identique et imminent!</p> - -<p>«Aujourd'hui, l'époque des conquêtes -est passée!...</p> - -<p>«Est-ce le moment pour la France -républicaine de dévoiler son ambition, ou -celui de se mettre au travail et de chercher -ses vrais intérêts là où ils sont autrement -que par la force?... Cela demandez le -<span class="pagenum">80</span> -à vos chefs, et s'ils ne peuvent vous -répondre, consultez votre conscience; -elle vous refusera de déshonorer votre -histoire en vous ruant sur un peuple qui -ne demande qu'à vivre libre et tranquille!...»</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="" /> -</div> - -<p class="center">«POILUS DE FRANCE!</p> - -<p>«Vous avez laissé bien loin derrière -vous vos villages, vos foyers chéris...</p> - -<p>«La guerre est finie depuis longtemps, -l'Alsace et la Lorraine sont redevenues -françaises, mais vous, que cherchez-vous -encore ici?</p> - -<p>«Le moment est venu de prendre la -truelle en main et de réparer les sanglantes -blessures de la Patrie.</p> - -<p>«Le moment est venu pour l'humanité -entière de respirer, non de conquérir, -<span class="pagenum">81</span> -de brûler encore et de verser inutilement -du sang.</p> - -<p>«Poilus de France égarés en Cilicie, -qu'avez-vous à attaquer les Turcs qui ne -demandent qu'à vivre tranquilles et amis -de la France?</p> - -<p>«N'oubliez pas vos traditions d honneur -et de justice, ne perdez pas ainsi -vos vrais intérêts en Orient!</p> - -<p>«Vous combattez pour les beaux yeux -de l'Angleterre, qui est pour nous tous -l'ennemi commun.</p> - -<p>«Poilu de France! Rentre chez toi, -profite de la victoire et mets toi à l'œuvre -avant les Allemands...</p> - -<p>«Ne pense pas à vouloir le bien d'autrui!...</p> - -<p>«Rentre dans ta douce France, laissons -les armes pour reprendre la charrue -et nous remettre enfin à travailler en paix!</p> - -<p>«Chacun chez soi! Dieu avec tous!...»</p> - -<p><span class="pagenum">82</span></p> - -<p>Tandis que nous étions en train de lire -ces proclamations, le général Fevzi pacha -entra dans la pièce.</p> - -<p>Il me dit quelques mots sur la Cilicie que -je reproduis ici textuellement. Je n'ai pas eu -la possibilité de m'entretenir longuement -avec lui, car il dût me quitter précipitamment -pour îles affaires urgentes.</p> - -<p>Mais ces déclarations, si concises quelles -soient, confirment les précédentes.</p> - -<p><i>Jusqu'à présent</i>, remarque Fevzi pacha, -<i>nous avions négligé ce front, car nos principaux -efforts tendaient à résister par tous les -moyens à l'invasion hellène. Quelques milices -de volontaires réussissent toutefois, non sans -éclat, à rendre critique, à certains moments, -la situation militaire française. Mais nous -avons toujours voulu régler les affaires de -Cilicie, sans effusion de sang avec la France, -car elle a tout intérêt à le faire.</i></p> - -<p><i>L'esprit militaire l'a emporté et les Français -n'ont pas hésité à armer des bandes arméniennes -pour les lancer dans nos paisibles -<span class="pagenum">83</span> -campagnes. Si les Français ne veulent pas -conclure avec nous un accord qui leur serait -favorable, la guerre de guérillas continuera -de plus belle avec l'aide et l'appui que nous -apporteront les rebelles arabes!</i><br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_pg083.jpg" width="100" height="63" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p84" id="p84">84</a></span></p> - -<h2>IX</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">Ce qui se passe en Mésopotamie.—Le Gouvernement -Nationaliste arabe de kerbellah.—Les -alliés des Kémalistes.—L'étendard de la révolte en Perse -et en Arabie.—L'émir Ali.—L'attaque -des convois anglais du Tigre.—Sur -les rives de l'Euphrate.—Arabes et -Kémalistes.—A la frontière persane.</span></p> - -<p>J'ai pu voir ici un officier kémaliste blessé, -de l'entourage immédiat de Nihad pacha, -rentré dernièrement du front de Mésopotamie -et qui m'a donné de précieuses informations -sur ce qui se passe dans ces provinces -éloignées de l'Asie.</p> - -<p>En Mésopotamie, la paix est bien loin -d'être rétablie et la situation ne s'est guère -éclaircie non plus, comme on l'annonçait -dernièrement en Angleterre.</p> - -<p>Les Anglais, il est vrai, ont réussi à s'établir -dans le delta et dans les provinces de Bassorah -et de Kourna, où leurs troupes ont culbuté -les rebelles arabes qui se sont retirés -<span class="pagenum">85</span> -vers l'intérieur. Mais ceux-ci reviennent à -l'attaque et à présent, en Mésopotamie, l'armée -anglaise combat sur un front de plus -de 600 kilomètres, c'est-à-dire de Bagdad -à Bassorah. Elle est en outre attaquée de -flanc par les révolutionnaires persans descendant -de Kermanchah dans le Pouchti -Kouh.</p> - -<p>Un émir arabe, l'émir Ali, parent de l'émir -Hussein, très influent en Mésopotamie, leva -le premier l'étendard de la révolte, il y a un -an de cela. Ce fut le début de la révolution -arabe dans l'Irak contre l'Angleterre.</p> - -<p>Ce chef rebelle entra à Kerbellah, d'où -la petite garnison anglaise dût se retirer, et -y installa un gouvernement provisoire à -l'instar de Kémal pacha à Angora.</p> - -<p>Quelque temps plus tard, tandis que les -Arabes du Monentefîck et du Djebell se soulevaient, -l'émir Ali envoya une délégation en -Anatolie pour conclure une alliance avec les -Kémalistes. Ceux-ci s'empressèrent d'accepter -et envoyèrent une mission à Kerbellah, -accompagnée d'officiers d'Etat-Major demandés -<span class="pagenum">86</span> -par l'Emir. C'est ainsi qu'à la fin de l'été -1920, les Arabes, suffisamment organisés et -très nombreux, entreprenaient la lutte depuis -Bagdad jusqu'à la mer. D'autre part, le -13º corps d'armée kémaliste, sous les ordres -du général Nihad pacha-alors à Diarbékir --se mit à descendre le Tigre et il investissait -Mossoul où la garnison anglaise, coupée -de Bagdad, ne put résister.</p> - -<p>Nihad pacha continua son avance et installa -en octobre dernier son Quartier général -à Mossoul, tandis que ses 2º et 5º divisions -combattaient avec l'aide des Arabes à -Samara.</p> - -<p class="tb">Les Persans à leur tour, ayant proclamé -un gouvernement nationaliste à Tabriz, -s'allièrent aux Kémalistes et ne tardèrent -pas à faire irruption en Mésopotamie. C'est -ainsi que les troupes britanniques virent un -troisième front surgir sur le champ de bataille.</p> - -<p>Quoique très mal équipées et mal organisées, -ces bandes persanes causent de grands -<span class="pagenum">87</span> -dommages aux Anglais, car ils mènent sur la -rive gauche du Tigre une guerre de guérillas -qui retient de ce côté une quantité de troupes -obligées de protéger les convois de ravitaillement -remontant le Tigre vers Bagdad.</p> - -<p>Ces convois sont souvent attaqués par des -insurgés arabes qui, blottis par milliers dans -les roseaux et les bambous des rives et des -marécages, ne cessent de mitrailler tous les -navires qui passent.</p> - -<p>Ceux-ci sont naturellement tous armés et -les Anglais ont organisé des escadrilles de -moteurs blindés accompagnés d'hydro-avions -qui parcourent sans cesse tout le cours du -fleuve y faisant la police. Dans chaque village -riverain sont installés des postes munis -de fortes garnisons et entourés de fils de -fer barbelés, ce qui n'empêche pas les Arabes -de les attaquer sans trêve et tout le voyage -des bateaux circulant de Bassorah à Bagdad -s'effectue le plus souvent sous une pluie de -balles.</p> - -<p>A l'organisation impeccable des Anglais le -long du Tigre, les Arabes répondent par le -<span class="pagenum">88</span> -nombre de leurs combattants, qui pullulent -et sont bien approvisionnés en armes et -munitions.</p> - -<p>L'émir Ali a réussi à se procurer quelques -batteries de canons de campagne et de nombreuses -mitrailleuses.</p> - -<p>Les insurgés arabes en Mésopotamie emploient -audacieusement une singulière tactique -pour attaquer et détruire les convois -fluviaux britanniques quoique ceux-ci soient -armés.</p> - -<p>De nuit, des centaines de soldats arabes se -munissent de peaux de moutons qu'ils gonflent -en guise de bouée et ils entrent sous -cet accoutrement dans le fleuve se laissant -ainsi entraîner par le courant en masses -compactes pour se cramponner à l'étrave -des bateaux et se hisser sur le pont à l'aide -de bambous recourbés. Ils font alors irruption -de tous les côtés à la fois et attaquent -au poignard les passagers et les équipages; -ceux-ci ne pouvant plus se défendre avec -leurs armes sont massacrés de la sorte.</p> - -<p><span class="pagenum">89</span></p> - -<p>Le bateau, après qu'ils l'ont échoué, est -dévalisé par les insurgés.</p> - -<p>L'émir Ali a installé son gouvernement à -Kerbellah où sont concentrés les principaux -ministères. Percevant les impôts sur toute la -population de l'Euphrate, ce gouvernement, -dont l'existence est inconnue peut-être en -Europe, à son budget et fonctionne presque -normalement. L'émir lutte pour l'indépendance -de la Mésopotamie et l'on m'assure -qu'il a plusieurs fois déclaré son attachement -à la France et aux Turcs. C'est un homme -âgé d'une quarantaine d'années, très énergique -et très aimé de tous les Arabes de -l'Irak.</p> - -<p>L'Angleterre se heurte avec lui à un ennemi -puissant, respecté et en parfaite solidarité -avec les kémalistes turcs qui luttent à ses -côtés.<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 100px;"> -<img src="images/i_102.jpg" width="100" height="20" alt="ornament" /> -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="p90" id="p90">90</a></span></p> - -<h2>X</h2> - -<p class="indent"><span class="smcap">L'exilée d'Angora.—Halidé Edib Hanuum.—Une -visite à sa ferme.—La romancière -Kémaliste.—L'amazon d'Anatolie.—Les -fusils dans la pénombre.—Désenchantée -1920.—La fuite d'Halide de -Constantinople.—Ce qu'elle dit du -Mouvement national.</span></p> - -<p>A la direction générale de la presse kémaliste, -un ami m'avait proposé d'aller voir, avant -de quitter Angora, Halidé Edib Hanoum, -fougueuse propagandiste de la cause nationaliste -et écrivain d'une indéniable valeur. -Le soir même une voiture nous menait avec -force cahots, à travers les rues mal pavées -de l'antique Ancyre. Nous avancions sur une -route poudreuse menant à la ferme modèle, -dépendance de l'Ecole d'agriculture d'Angora -sise à environ une heure de la ville.</p> - -<p>De temps en temps, nous croisions sur -notre chemin quelques «tchétés» kémalistes -armés et montés sur de beaux chevaux. Ils -font partie de ces bandes, de formation -<span class="pagenum">91</span> -nouvelle, qui s'exercent à la petite guerre en -attendant d'être dirigées vers le front.</p> - -<p>Chacune des bandes de «tchétés» est -munie d'une mitrailleuse et comprend 50 cavaliers -armés jusqu'aux dents. Les grenades à -main qu'ils suspendent à leur ceinture et -que ces cavaliers trimballent avec eux, sont -la terreur constante des habitants d'Angora.</p> - -<p>Au café où ils s'attablent, ils conservent -toujours ces dangereux joujoux auprès d'eux, -parfois ils s'amusent à les démonter et les -explosions par accident ne sont pas rares, -qui font voler en éclats tout le café, tables -chaises et clients!</p> - -<p>Aussi le gouvernement a-t-il pris la décision -d'interdire le port de ces bombes à -l'intérieur de la ville.</p> - -<p>Tandis que notre voiture passe, je les vois -esquisser une merveilleuse «fantasia» sur -leurs fringants chevaux qu'ils montent admirablement -bien.</p> - -<p>Au bout d'une heure de course nous arrivons -à une ferme champêtre et gaie émergeant -d'un bouquet de feuillage, le long d'une -<span class="pagenum">92</span> -petite rivière aux eaux claires et très poissonneuses. -Devant la ferme est un grand verger, -puis une prairie ombragée où paissent tranquillement -des vaches. Tout est calme et -silencieux. C'est un lieu bien choisi pour -servir de refuge à l'àme ténébreuse et mélancolique -qui est venue s'y exiler... Tout à -coup un galop pressé retentit. Nous voyons -arriver de loin une femme montée sur un -superbe pur sang. Le vent s'engouffre dans -les plis de son «tcharchaf» noir. Elle est -chaussée de bottes d'homme. Sa ceinture -s'orne d'une cartouchière et d'un revolver à -la «cow-boy». C'est Halidé Edib Hanoum.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p>Quelques minutes plus tard, nous étions -dans une petite pièce située au prcmier étage -et transformée en salon. Quelques meubles -purement turcs d'une simplicité rustique.</p> - -<p>Dans un coin, luit dans la pénombre l'acier -poli d'une dizaine de fusils, revolvers et -poignards rangés avec précaution. Sur une -petite table est un «samovar» russe et au -<span class="pagenum">93</span> -milieu de la pièce un grand «mangal»<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class="fnanchor">2</a> de -cuivre.</p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2"></a><a href="#FNanchor_2"><span class="label">2</span></a> Réchaud à charbon turc.</p></div> - -<p>Nous nous asseyons sur des «minders»<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">3</a> -à la turque adossés aux fenêtres donnant sur -le balcon d'où la vue s'étend sur de riches -plantations. Halidé Edib a pris place en face -de nous. Elle a gardé son «tcharchaf», -le voile relevé.</p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3"></a><a href="#FNanchor_3"><span class="label">3</span></a> Divan à la turque.</p></div> - -<p>Tandis qu'elle parle, je l'observe. Notre -interlocutrice est une belle femme entre les -deux âges, aux yeux noirs et au regard langoureux. -Les péripéties de sa fuite en compagnie -de son mari, le docteur Adnan bey, -méritent d'être narrés.</p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p>Déguisés en villageois et ayant chargé -leurs effets sur un char à bœufs plein de -paille, des «tcharik» aux pieds, un aiguillon -en main, c'est en cet agreste équipage que -Halidé Edib s'achemina sur la route menant -de Scutari à Alemdagh.</p> - -<p><span class="pagenum">94</span></p> - -<p>Mari et femme errèrent ainsi quinze jours -durant, le long de chemins isolés, logeant -dans des hans affreux et peuplés de vermine... -Ils ne furent reconnus qu'a leur arrivée à -Ada-Bazar.</p> - -<p>Halidé Edib nous retient à prendre le thé. -Une petite paysanne nous sert sur un plateau -du beurre frais provenant de la ferme et des -confitures préparées par la fermière.</p> - -<p>«Nous ne manquons de rien, me dit Halidé -Edib Hanoum, la terre de nos aïeux, la belle -et riche Anatolie, malgré toutes ses blessures -béantes, est encore généreuse. L'Europe a -beau ne rien envoyer, nous trouverons -longtemps encore sur la terre de l'exil des -tchariks pour nous chausser et des vêtements -de bure...»</p> - -<p>Puis, tandis que je la questionnais sur le -mouvement national, l'éminente romancière -et poète turque me répondit sans hésitation:</p> - -<p><i>«Vous nous voyez ici, nous avons tout laissé -derrière nous, maisons, famille, notre Bosphore -chéri aux-riantes rives... Nous avons abandonné -<span class="pagenum">95</span> -tout cela pour prendre les armes et -lutter à la défense de nos monts et de nos -terres que l'on veut faire envahir par nos -plus vils ennemis...</i></p> - -<p><i>«Au commencement de la guerre générale -qui a déchaîné le feu dans le monde entier, je -me trouvais à Constantinople. Lu ruée germanique -sur la Belgique, fut douloureusement -ressentie par la plupart des Turcs, car la -Turquie elle aussi sait jusqu'où va la violence -de certaines nations européennes que l'ambition -rend aveugles...</i></p> - -<p><i>«Les vrais Turcs sentaient l'approche d'un -malheur... ils savaient que l'Allemagne avait -entre les mains les rênes de l'Empire, mais ils -frémirent tous d'horreur à la destruction de -Louvain, aux horreurs germaniques en Belgique. -Il serait inutile de rappeler l'indignation -que la violation de la Belgique par les armées -du Kaiser, souleva dans le monde entier.</i></p> - -<p><i>«Pourtant, cinq années plus tard, une -violation plus monstrueuse encore était accomplie -envers la Turquie qui avait déposé les -<span class="pagenum">96</span> -armes en se fiant à l'armistice de Moudros et -au 12<sup>e</sup> principe de Wilson qui lui donnait -droit à la souveraineté turque sur les territoires -turcs de l'Empire ottoman...</i></p> - -<p><i>«On jeta sur un peuple désarmé, l'armée -grecque qui occupa Smyrne, y commit des -massacres sans précédent et mit à sac les plus -belles provinces de l'Anatolie... Aujourd'hui, -des villes d'Aïdine, de Ménémen, Nazeli, il ne -reste qu'un amas de décombres...</i></p> - -<p><i>«A toutes ces horreurs, personne n'eut de -cris d'indignation, pas un sursaut de révolte -ne se manifesta et pourtant ces villes, ces -populations, ces contrées dévastées, mises à -feu et à sang, font partie de l'humanité!</i></p> - -<p><i>«Et l'on prétend que les nationalistes turcs -sont dans leur tort I Mais quel peuple au -monde n'en aurait pas fait autant sinon plus?</i></p> - -<p><i>«Les misères et les horreurs sans précédent -dont la population turque de Constantinople -est victime depuis que les Anglais y sont les -maîtres sont indescriptibles.</i></p> - -<p><i>«Les étrangers, parmi lesquels de rares -<span class="pagenum">97</span> -officiers français restés à Stamboul, sont -témoins des occupations à main armée des -maisons turques qui ont plu à MM. les -Officiers anglais.</i></p> - -<p><i>«A tout cela d'autres témoignages viennent -s'ajouter: les coups de crosse et de cravache -administrés par des soldats australiens, polynésiens --apôtres de la civilisation britannique --aux malheureux voyageurs qui sont -obligés d'attendre dix jours sur pied pour -obtenir un visa anglais au quai de Galata. -Et les familles jetées sans raison dans la rue, -et les harems violés, les arrestations brutales -pour ceux qui sont connus être francophiles -convaincus, et l'horrible censure interalliée, -anglaise plutôt, qui étouffe la voix de la -presse turque laissant les feuilles grecques et -arméniennes déverser des articles mensongers -et injurieux envers la Turquie, que de tracasseries, -odieuses et pires!</i></p> - -<p><i>«La Turquie n'est pas entrée de sa propre -volonté dans la guerre générale; c'est elle, -néanmoins, qui a été le plus injurieusement -<span class="pagenum">98</span> -traitée, plus que l'Allemagne, plus que l'Autriche -et même que la Bulgarie.</i></p> - -<p><i>«Un peuple qui a le moindre sentiment de -patriotisme ne devait-il pas prendre les armes -pour soutenir une lutte désespérée... et ne sait-on -pas que les peuples exaspérés sont souvent -redoutables?</i></p> - -<p><i>«Mustapha Kémal, dans la lutte suprême -qu'il a entreprise, a réveillé d'autres peuples? -asiatiques opprimés.</i></p> - -<p><i>«Le bolchevisme se changera fatalement en -Asie en un soulèvement général, car les droits -de tout peuple de disposer de lui-même que -Wilson a proclamés, ainsi que les idées des -communistes envers les capitalistes ont réveillé -l'Asie.</i></p> - -<p><i>«Nous sommes aujourd'hui liés étroitement -aux Musulmans de la Chine et des Indes et -nous savons exactement vers quel dénouement -marchent les événements que quelques diplomates -inconscients ont provoqués.</i></p> - -<p><i>«Le grand Congrès asiatique de Bakou est -un pas en avant. La révolte des peuples opprimés -<span class="pagenum">99</span> -de l'Asie est proche. Demain, lorsque -toutes les colonies britanniques seront mises à -feu, M. Lloyd Georges réfléchira sur la -fatalité qui pèse sur des oppresseurs nourris -d'ambitions...»</i></p> - -<div class="figcenter" style="width: 30px;"> -<img src="images/asterism.jpg" width="30" height="23" alt="asterism" /> -</div> - -<p>Il me souvient d'avoir visité naguère, sur -les rives du lac de Genève, à Coppet, le -château où s'exila Mme de Staël. La ferme de -Halidé Edib m'a rappelé involontairement -ce pittoresque refuge de Mme de Staël. A -l'instar de l'auteur de Corinne, l'exilée -d'Angora entretient une active correspondance. -Elle écrit environ trente lettres par -jour à différents personnages en vue, d'Angleterre -et d'Amérique. Elle compte publier, à -ce qu'elle m'a affirmé, un recueil de «Lettres -d'Anatolie», qui sera évidemment du plus -vif intérêt.</p> - -<p>Mais que dirait Pierre Loti de ces «Désenchantées» -nouveau style!</p> - -<p>Les voilà à l'œuvre et en plein dans la -vie active...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="p100" id="p100">100</a></span></p> - -<h2>XI</h2> - -<p class="center smcap">En quittant la terre kémaliste</p> - -<p>Quelques jours après ce long et si curieux -voyage, je m'embarquais de nouveau à Inéboli, -sur un paquebot en partance pour -Stamboul...</p> - -<p>L'impression laissée par ce que j'ai vu en -Anatolie, est de celles que de vains commentaires -affaibliraient; elle est dans la simplicité -et la véracité des faits de nature à jeter sur -le kémalisme des lueurs nouvelles qui -éclaireront, je l'espère, les esprits impartiaux. -Quant aux autres...</p> - -<p>Tandis que je prenais place dans un -canot qui devait m'amener à bord, je répétai -plusieurs fois à un compagnon de voyage -qui devait repartir pour Angora: -« Dites à Mustapha Kémal pacha, que le -respect et l'admiration que j'ai pour lui, -après que je l'ai vu à l'œuvre, sont si grands, -que je l'appellerais partout avec fierté -«l'Apôtre de la Résurrection turque!»</p> - -<p><span class="pagenum">101</span></p> - -<p>Tandis que le canot s'éloignait du rivage, -je distinguais encore sur le quai, quelques -soldats anatoliens, leurs cartouchières fièrement -rangées sur leur poitrine, qui contemplaient -l'horizon azuré de la Mer Noire avec -de grands yeux illuminés.</p> - -<p>Quelques heures après, notre bateau levait -l'ancre. Sur la passerelle, je restais debout -à regarder s'éloigner ces rives kémalistes, -ces côtes de l'Anatolie indépendante, tout -entière absorbée dans une lutte désespérée, -mais si sublime, contre tant d'adversaires à -la fois...</p> - -<p>La nuit couvrait déjà la mer, lorsque là-bas, -derrière nous, sur la ligne fuyante du -large, je vis disparaître ce coin de terre -natale, resté encore si fièrement turc en ce -monde !...<br /><br /></p> - -<div class="figcenter" style="width: 70px;"> -<img src="images/i_101.jpg" width="70" height="39" alt="ornament" /> -</div> - -<p class="center">______________________________________<br /> -<small>Imp. R. Dousinelle, 3-5-7, rue St-Pierre, St-Germain-en-Laye.</small></p> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of A Angora aupres de Mustafa Kemal, by -Alaeddine Haidar - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK A ANGORA AUPRES DE MUSTAFA KEMAL *** - -***** This file should be named 50805-h.htm or 50805-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/0/8/0/50805/ - -Produced by Turgut Dincer (This file was produced from -images generously made available by The Internet Archive) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - - -</pre> - -</body> -</html> diff --git a/old/50805-h/images/asterism.jpg b/old/50805-h/images/asterism.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 4257af6..0000000 --- a/old/50805-h/images/asterism.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/cover.jpg b/old/50805-h/images/cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 9a1c4a5..0000000 --- a/old/50805-h/images/cover.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/croissant.jpg b/old/50805-h/images/croissant.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 93f5857..0000000 --- a/old/50805-h/images/croissant.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_101.jpg b/old/50805-h/images/i_101.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 6a386da..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_101.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_102.jpg b/old/50805-h/images/i_102.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index cf4b18a..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_102.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg015.jpg b/old/50805-h/images/i_pg015.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 544ca8a..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg015.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg036.jpg b/old/50805-h/images/i_pg036.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 4dd3d5c..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg036.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg040.jpg b/old/50805-h/images/i_pg040.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 3fa4a74..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg040.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg047.jpg b/old/50805-h/images/i_pg047.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 9aecca3..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg047.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg055.jpg b/old/50805-h/images/i_pg055.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 2de2ac3..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg055.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg068.jpg b/old/50805-h/images/i_pg068.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index f449a7e..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg068.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/i_pg083.jpg b/old/50805-h/images/i_pg083.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 0389a3b..0000000 --- a/old/50805-h/images/i_pg083.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/50805-h/images/kemal.jpg b/old/50805-h/images/kemal.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index f6574a4..0000000 --- a/old/50805-h/images/kemal.jpg +++ /dev/null |
