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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Le baiser au lépreux - -Author: François Mauriac - -Release Date: March 5, 2016 [EBook #51372] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BAISER AU LÉPREUX *** - - - - -Produced by Winston Smith. Images from the Internet Archive. - - - - - LE BAISER AU LÉPREUX - - - - - LES CAHIERS VERTS - - PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE - - DANIEL HALÉVY - - - - LE BAISER - - AU LÉPREUX - - - PAR - - FRANÇOIS MAURIAC - - - PRÉCÉDÉ D'UNE LETTRE DE DANIEL - HALÉVY A FRANÇOIS MAURIAC ET - D'UN HOMMAGE DE J.-J. THARAUD - A HENRI GENÊT - - - - PARIS - - BERNARD GRASSET, ÉDITEUR - - 61, RUE DES SAINTS-PÈRES, PARIS, 6e - - 1922 - - - - -CE HUITIÈME CAHIER, LE PREMIER DE L'ANNÉE MIL NEUF CENT VINGT-DEUX, -A ÉTÉ TIRÉ A SIX MILLE SEPT CENT TRENTE EXEMPLAIRES DONT TRENTE -EXEMPLAIRES SUR PAPIER VERT LUMIÈRE NUMÉROTÉS DE I A XXX; CENT -EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR FIL LAFUMA, NUMÉROTÉS DE XXXI A CXXX, ET -6.600 EXEMPLAIRES SUR VERGÉ BOUFFANT NUMÉROTÉS DE 131 A 6.730. - - -1,541 - - - -_LETTRE_ A FRANÇOIS MAURIAC - -Vous m'avez demandé, mon cher Mauriac, une préface pour votre conte. -Non, vous ai-je répondu, à quoi bon? Un conte se lit, se donne à lire; -on le rejette ou l'apprécie, et cela dit tout. Si des considérations -critiques l'accompagnent, elles ne pourront qu'encombrer, qu'indisposer -le lecteur. Sur moi du moins elles feraient cet effet. - -Mais écoutez; puisque vous avez eu cette idée d'une sorte de -préliminaire à votre récit, laissez-moi vous faire une proposition: -elle est un peu sévère, je crois que vous l'agréerez pourtant. - -Nous venons de perdre un ami que nous estimions tous pour son amour -des lettres. Il n'avait jamais beaucoup écrit, il écrivait de moins -en moins. Mais il lisait de plus en plus, il lisait admirablement. Il -avait la sévérité, la bienveillance, les qualités exquises. S'il vivait -aujourd'hui, je me ferais une fête de lui porter votre conte et de lui -dire: «Lisez cela, Genet, je vous prie; et quand vous l'aurez lu vous -m'en direz votre pensée.» De cette pensée, j'ose être sûr. - -Vous ne le connaissiez pas. Il était votre aîné, et menait une vie fort -discrète. Mais je vous l'ai décrit tout entier en vous le qualifiant -d'un mot: il était un lecteur. Un lecteur: il faut sans doute être du -métier pour savoir ce que signifie pour l'homme qui écrit le comparse -invisible qui va le lire et l'écouter; un lecteur: c'est un peu notre -affaire de chercher, de rassembler ici tous ceux de cette race... -Là-dessus, et sur Henri Genet lui-même, j'en dirais long, si je ne m'en -trouvais par ailleurs dispensé. Tharaud, près de son corps, dans cette -chambre studieuse aux murs chargés de livres et décorés d'estampes d'où -on allait l'emporter devant nous, Tharaud, son ami de toujours, a dit -les meilleures paroles. Je les lui ai demandées, il me les a données. -Les voici, vous les lirez. - -Je vous demande donc, mon cher Mauriac, que vous me laissiez écrire -en tête de ce Cahier le nom d'Henri Genet, lettré parfait, lecteur -parfait, ami parfait. Je ne saurais, en vérité, vous mieux témoigner le -cas que je fais de votre jeune talent. - - -DANIEL HALÉVY. - - - -_HOMMAGE_ A HENRI GENET - -à Madame HENRI GENET. - -_C'était dimanche soir. Il était en train de lire. Le livre lui -tombe des mains. Vous, chère amie, vous accourez, et déjà il n'était -plus. Hélas! au long de ces dernières années, que d'amis nous avons -vu disparaître, et de quelle mort soudaine! Mais à la guerre, nous -étions tous entourés par la mort, quand elle prenait l'un de nous, on -s'inclinait sans colère, sans reproche, sans étonnement. Ici, après la -tempête, dans la quiétude retrouvée, quand toutes les vies se refont, -quand la sienne était si douce, si remplie d'un absolu bonheur près de -vous qu'il adorait et qui lui rendiez si bien tout l'amour qu'il avait -pour vous, cette irruption du malheur dans la paix de votre maison, -cela a quelque chose de révoltant et de sauvage que notre cœur ne -peut accepter. Et cependant, quand nous réfléchissons, notre stupeur -s'émousse et nous comprenons bien que nous devons l'ajouter, lui aussi, -à la longue liste de ces amis si chers que la guerre nous a pris. -Il s'est usé dans ces relèves de Verdun, où ses hommes le voyaient -tomber deux et trois fois, à bout de force et se relevant toujours -avec cette volonté de faire très simplement, mais fermement, ce qu'il -devait. Depuis ces mauvais jours, sa santé profondément altérée avait -pu nous faire illusion. L'an passé, en Bretagne, son organisme ranimé -par le doux air de la Rance, la tendresse et l'amitié, semblait avoir -surmonté les maléfices qui nous avaient inquiété. Une occupation de son -goût et bien adaptée à son esprit paraissait de nature à compléter sa -guérison. Il ne ressentait plus ces malaises qui, un moment, avaient -jeté leur ombre sur votre bonheur à tous les deux, et ce retour à la -vie l'enchantait. Hier encore, il vous disait, chère amie, que jamais -il n'avait pris tant de plaisir à marcher dans Paris, dans l'allégresse -de ces beaux froids d'hiver. Il n'y avait là qu'une illusion, une -tromperie de la nature pour rendre notre chagrin plus amer. L'usure -secrète était trop grande; la guerre n'était pas encore finie; les -maléfices continuaient leur travail; et l'autre soir son destin est -venu le surprendre dans sa rêverie habituelle, un volume à la main, -sous la paisible lumière de sa lampe, dans sa veste de velours, de -vieil ami des livres. Je ne sais quoi de mystérieux a posé la main sur -son cœur et n'a pas voulu lui permettre de finir la page commencée._ - -_Dans cette chambre qu'il va quitter pour toujours, il est encore au -milieu de son petit univers. Voici ses livres que depuis sa jeunesse, -depuis que nous nous connaissons, je l'ai vu rassembler, un par -un, avec un goût si parfait, et sur lesquels il s'est penché avec -une sensibilité exquise. Il a réuni là, pour en faire sa compagnie -ordinaire, tout ce que la pensée de notre race a produit de plus -délié et de plus vigoureux. Au jour le jour, il lisait les œuvres -périssables, incertaines, dont le mérite est difficile à saisir. Il -ne les conservait pas toutes; mais si vous regardiez ces rayons, vous -seriez frappé de voir avec quelle sûreté et quelle juste divination -du talent il a su retenir, dans cette immense production mouvante, ce -qu'il y avait de meilleur. Et aujourd'hui, pour lui dire un dernier mot -d'amitié, toutes les pensées de ses livres se penchent sur lui, avec -nous; nous les sentons qui nous pressent et associent à nos tristesses -leur grave musique silencieuse._ - -_Ce qui distinguait notre ami, c'était une modestie excessive. Personne -ne s'est plus méfié de lui-même. Que de fois, par exemple, je l'ai -poussé à écrire les récits qu'il me faisait de sa vie de collège--une -vie de petit pensionnaire, qui sortait rarement, et où son besoin de -tendresse ne trouvait guère son compte. C'était des récits étonnants de -sensibilité et de grâce, où il faisait surgir, d'une poussière de cour -de lycée, tant de vieilles figures, que j'avais connues moi aussi, mais -qui s'étaient effacées de mon esprit. Sa mémoire à lui les gardait avec -toute la force que donne au souvenir une tendre imagination de petit -enfant prisonnier. Sur notre chemin d'écolier, depuis les courants -d'air de la porte jusqu'aux salles silencieuses et bien aérées, où -glissaient les chaussons des bonnes sœurs, c'était tout un petit monde -un peu fêlé par le temps, portant sur lui déjà un parfum d'humanité -disparue, qu'il animait d'une verve charmante. Rien qu'en s'écoutant -lui-même il eût écrit, j'en suis sûr, quelque chose de comparable, mais -dans le registre de la tendresse, enfant de Jules Vallès, qui était un -de ses livres de prédilection._ - -_Perdu dans l'admiration des autres, il achevait de laisser tout à fait -ce très peu de confiance qu'il s'accordait à lui-même; et quelquefois, -surpris de ne sentir en lui que complaisance et générosité pour la -pensée d'autrui, il se demandait: Quelle est donc mon utilité? que -fais-je ici, et à quoi bon?... Je vais te le dire, cher ami._ - -_Tu remplissais parmi nous un rôle, qui ne peut être tenu que par de -rares esprits. Dans un monde tourmenté par le souci quotidien ou la -poursuite de très vulgaires plaisirs, tu étais celui qui maintient le -goût passionné de la lecture et de la méditation; tu étais celui qui -accueille les pensées qui se forment à tous les points de l'horizon; -le lecteur inconnu, auquel tout artiste s'adresse; le confident et -le soutien de travaux et de rêveries qui, si tu n'existais pas, se -renonceraient vite elles-mêmes. Sans le savoir, seul dans ta chambre, -ton émotion ou ton sourire ont rassuré mainte inquiétude. S'il n'y -avait pas des esprits comme le tien, il n'y aurait bientôt plus de -littérature véritable. On n'écrirait que pour la rue, et l'art n'est -fait, en vérité, que pour l'étroit espace d'une chambre fermée, où -règne un homme comme toi._ - -_Ah! comme tu avais tort, cher ami, de te désespérer parfois! Ton -rôle magnifique, tu ne le voyais pas. C'était d'entretenir, par mille -voies que nous ne pouvons discerner, des enthousiasmes qui, autrement, -finiraient par mourir dans un silence glacé._ - -_Pour nous, tes vieux amis, nous n'avons guère écrit de pages sans -avoir pensé à toi. Dans tous les endroits du monde où nous sommes -passés, l'idée de t'amuser un jour du spectacle de notre plaisir nous a -toujours accompagnés. Et quand nous songions à Paris, c'était très vite -ton visage, si loyal et si fin, qui nous apparaissait. Qu'est-ce que -Paris, de loin? Quelques esprits, quelques clous d'or sur une poussière -lumineuse. Tu étais un de ces clous d'or auxquels nous suspendions nos -rêves. Toi, le moins assuré, plus défiant des hommes pour toi-même, tu -avais le secret de nous donner confiance en nous._ - -_Ma chère Hélène, que de soirées vous avez passées dans cette pièce -à écouter Henri vous lire les livres qu'il aimait, sa belle voix et -le sentiment si juste qu'il avait de toutes les nuances d'un texte. -Lire une belle chose à voix basse, pour lui ce n'était pas assez. Un -mot n'était un mot que lorsqu'il faisait vibrer dans l'air son timbre -musical, et que vous l'enrichissiez, au passage, de votre émotion -féminine. Hélas! nous ne verrons plus les mots et les pensées se former -sur ses lèvres, qui, plus encore que ses yeux, étaient l'expression de -son visage. Il y a un triste bonheur à regarder jusqu'au fond de son -chagrin._ - -_L'heure est venue maintenant d'accompagner notre ami jusqu'à ce beau -jardin funèbre, qu'il a toujours beaucoup aimé. Bien des fois, dans -le temps où nous habitions ensemble le haut quartier de Montrouge, -nous nous sommes penchés avec lui pour regarder, à la fenêtre, le -grand espace de pierres et de verdures qui s'étendait sous nos yeux. -Au milieu des hauts immeubles qui l'enveloppent de toutes parts, nous -saisissions d'un regard sans tristesse ce grand lieu calme, blanc -et vert, qui à certains jours et sous certaines lumières prenait un -si bel air oriental. Henri l'aimait, et très souvent il en faisait -sa promenade. Romantique passant, comme on n'en voit plus guère, où -allait-il, parmi la foule des tombes inconnues, avec ce bouquet de deux -sous, acheté à la petite marchande? Il allait, suivant son humeur et -la couleur du temps, chez Baudelaire ou chez Sainte-Beuve, pour leur -offrir la fleur de poésie. Touchante offrande, geste antique qu'il -accomplissait avec un sourire des lèvres et tout le sérieux de son -cœur._ - -_Et nous aussi, mon Henri, nous t'apporterons notre petit bouquet. Les -jours où quelque grand enthousiasme, une phrase, un tableau, un beau -vers ou quelque belle action des hommes aura mis dans notre esprit ce -frémissement qui t'était familier, nous prendrons, à notre tour, le -chemin du Montparnasse et nous viendrons t'apporter en offrande le -chaud mouvement de notre cœur._ - -_Je voudrais vous parler encore pour retenir plus longtemps notre ami -parmi nous; je voudrais trouver le mot magique, qui suspende le temps. -Lui, maintenant, il le saurait peut-être. Mais nous, pour quelques -jours encore, nous ne sommes que de pauvres hommes, et qui ne savons -rien..._ - -_Du courage, ma chère Hélène! Que le sentiment du bonheur complet, -absolu, que vous avez donné à votre cher mari vous soutienne; et -appuyez fortement votre détresse sur la douleur de vos amis._ - -J.-J. THARAUD. - - - -_A LOUIS ARTUS_ - -_son admirateur et son ami_ - -F. M. - - - -I - -Jean Péloueyre, étendu sur son lit, ouvrit les yeux. Les cigales autour -de la maison crépitaient. Comme un liquide métal la lumière coulait à -travers les persiennes. Jean Péloueyre, la bouche amère, se leva. Il -était si petit que la basse glace du trumeau refléta sa pauvre mine, -ses joues creuses, un nez long, au bout pointu, rouge et comme usé, -pareil à ces sucres d'orge qu'amincissent, en les suçant, de patients -garçons. Les cheveux ras s'avançaient en angle aigu sur son front déjà -ridé: une grimace découvrit ses gencives, des dents mauvaises. Bien que -jamais il ne se fût tant haï, il s'adressa à lui-même de pitoyables -paroles: «Sors, promène-toi, pauvre Jean Péloueyre!» et il caressait de -la main une mâchoire mal rasée. Mais comment sortir sans éveiller son -père? Entre une heure et quatre heures, M. Jérôme Péloueyre exigeait -un silence solennel: ce temps sacré de son repos l'aidait à ne pas -mourir de nocturnes insomnies. Sa sieste engourdissait la maison: -pas une porte ne devait se fermer ni s'ouvrir, pas une parole ni un -éternuement troubler le prodigieux silence à quoi, après dix ans de -supplications et de plaintes, il avait dressé Jean, les domestiques, -les passants eux-mêmes accoutumés sous ses fenêtres à baisser la voix. -Les carrioles évitaient par un détour de rouler devant sa porte. En -dépit de cette complicité autour de son sommeil, à peine éveillé, M. -Jérôme en accusait un choc d'assiettes, un aboi, une toux. Etait-il -persuadé qu'un absolu silence lui eût assuré un repos sans fin relié à -la mort comme à l'Océan un fleuve? Toujours mal réveillé et grelottant -même durant la canicule, il s'asseyait avec un livre près du feu de -la cuisine; son crâne chauve reflétait la flamme; Cadette vaquait à -ses sauces sans prêter au maître plus d'attention qu'aux jambons des -solives. Lui, au contraire, observait la vieille paysanne, admirant -que, née sous Louis-Philippe, des révolutions, des guerres, de tant -d'histoire, elle n'eût rien connu, hors le cochon qu'elle nourrissait -et de qui la mort à chaque Noël, humectait de chiches larmes ses yeux -chassieux. - - -En dépit de la sieste paternelle, la fournaise extérieure attira Jean -Péloueyre; d'abord elle l'assurait d'une solitude: au long de la mince -ligne d'ombre des maisons, il glisserait sans qu'aucun rire fusât des -seuils où les filles cousent. Sa fuite misérable suscitait la moquerie -des femmes; mais elles dorment encore environ la deuxième heure après -midi, suantes et geignantes à cause des mouches. Il ouvrit, sans -qu'elle grinçât, la porte huilée, traversa le vestibule où les placards -déversent leur odeur de confitures et de moisissure, la cuisine ses -relents de graisse. Ses espadrilles, on eût dit qu'elles ajoutaient au -silence. Il décrocha sous une tête de sanglier son calibre 24 connu -de toutes les pies du canton: Jean Péloueyre était un ennemi juré -des pies. Plusieurs générations avaient laissé des cannes dans le -porte-cannes: la canne-fusil du grand-oncle Ousilanne, la canne à pêche -et la canne à épée du grand-père Lapeignine et celles dont les bouts -ferrés rappelaient des villégiatures à Bagnères-de-Bigorre. Un héron -empaillé ornait une crédence. - -Jean sortit. Comme l'eau d'une piscine, la chaleur s'ouvrit et se -referma sur lui. Il fut au moment d'aller à l'endroit où le ruisseau, -près de traverser le village, concentre sous un bois d'aulnes son -haleine glacée, l'odeur des sources. Mais des moustiques, la veille, -l'y avaient harcelé; puis son désir était d'adresser une parole à -quelque être vivant. Alors il se dirigea vers le logis du Docteur -Pieuchon de qui le fils Robert, étudiant en médecine, était revenu ce -matin même pour les vacances. - -Rien ne vivait, rien ne semblait vivre; mais à travers les volets -mi-clos, parfois le soleil allumait des besicles relevées sur un front -de vieille. Jean Péloueyre marcha entre deux murs aveugles de jardins. -Ce passage lui était cher parce qu'aucun œil ne s'y embusquait et qu'il -s'y pouvait livrer à ses méditations. Méditer, chez lui, n'allait -pas sans contractions du front, gestes, rires, vers déclamés--toute -une pantomime dont le bourg se gaussait. Ici, les arbres indulgents -se refermaient sur ses solitaires colloques. Ah! pourtant qu'il eût -préféré l'enchevêtrement des rues d'une grande ville où, sans que -se retournent les passants, on peut se parler à soi-même! Du moins, -Daniel Trasis, dans ses lettres, l'assurait à Jean Péloueyre. Ce -camarade, contre le gré de sa famille, s'était, à Paris, «lancé dans -la littérature». Jean l'imaginait, le corps ramassé, puis bondissant -dans la cohue parisienne, s'y enfonçant comme un plongeur; sans doute -y nageait-il maintenant, haletait-il vers des buts précis: fortune, -gloire, amour, tous les fruits défendus à ta bouche, Jean Péloueyre! - -A pas feutrés, il entra chez le docteur. La servante lui dit que ces -messieurs avaient déjeuné en ville; Jean résolut d'attendre le fils -Pieuchon de qui la chambre ouvrait sur le vestibule. Cette chambre -lui ressemblait au point que l'ayant vue, on ne souhaitait plus d'en -connaître l'hôte: au mur, râtelier de pipes, affiches du bal des -étudiants; sur la table, une tête de mort insultée par un brûle-gueule; -des livres achetés pour les loisirs des vacances: _Aphrodite_, l'_Orgie -Latine, Le Jardin des Supplices, Le Journal d'une Femme de Chambre_. -Les _Morceaux choisis_ de Nietzsche attirèrent Jean: il les feuilleta. -Une odeur de vêtements dont un étudiant s'est servi l'été venait de -la malle ouverte. Alors Jean Péloueyre lut ceci: «_Qu'est-ce qui -est bon?--Tout ce qui exalte en l'homme le sentiment de puissance, -la volonté de puissance, la puissance elle-même. Qu'est-ce qui est -mauvais?--Tout ce qui a sa racine dans la faiblesse. Périssent les -faibles et les ratés: et qu'on les aide encore à disparaître! Qu'est-ce -qui est plus nuisible que n'importe quel vice?--La pitié qu'éprouve -l'action pour les déclassés et les faibles: le Christianisme._» - -Jean Péloueyre posa le livre; ces paroles entraient en lui comme dans -une chambre, dont on pousse les volets, l'embrasement d'une après-midi. -D'instinct il alla en effet à la fenêtre, livra la chambre de son -camarade au feu du ciel, puis relut la phrase atroce. Il ferma les -yeux, les rouvrit, contempla son visage dans la glace: Ah! pauvre -figure de landais chafouin, de «landousquet» comme au collège on le -désignait, triste corps en qui l'adolescence n'avait su accomplir son -habituel miracle, minable gibier pour le puits sacré de Sparte! Il se -revit à cinq ans chez les sœurs: en dépit de la haute position des -Péloueyre, les premières places, les bons points allaient aux enfants -bouclés et beaux. Il se rappela cette composition de lecture où, ayant -lu mieux qu'aucun autre, il avait été tout de même classé dernier. -Jean Péloueyre parfois se demandait si sa mère, morte phtisique et -qu'il n'avait pas connue, l'eût aimé. Son père le chérissait comme un -souffrant reflet de lui-même, comme son ombre chétive dans ce monde -qu'il traversait en pantoufles ou étendu au fond d'une alcove parfumée -de valériane et d'éther. La sœur aînée de M. Jérôme, la tante de Jean, -sans doute eût-elle exécré ce garçon,--mais le culte qu'elle vouait à -son fils Fernand Cazenave, homme considérable, président du Conseil -général, et chez qui elle vivait à B...--cette adoration l'absorbait -au point que les autres s'effaçaient; elle ne les voyait pas; il -arrivait pourtant que d'un sourire, d'un mot, elle tirât Jean Péloueyre -du néant, parce que dans ses calculs, ce fils d'un père égrotant, ce -pauvre être voué au célibat et à une mort prématurée, canaliserait au -profit de Fernand Cazenave la fortune des Péloueyre. Jean mesura d'un -seul regard le désert de sa vie. Ses trois années de collège, il les -avait consumées en amitiés jalousement cachées: ni ce camarade Daniel -Trasis, ni cet abbé maître de rhétorique, ne comprirent ses regards de -chien perdu. - - -Jean Péloueyre ouvrit le livre de Nietzsche à une autre page; il dévora -l'aphorisme 260 de _Par delà le bien et le mal_,--qui a trait aux deux -morales: celle des maîtres et celle des esclaves. Il regardait sa face -que le soleil brûlait sans qu'elle en parût moins jaune, répétait les -mots de Nietzsche, se pénétrait de leur sens, les entendait gronder -en lui, comme un grand vent d'octobre. Un instant, il crut voir à ses -pieds, pareille à un chêne déraciné, sa Foi. Sa Foi n'était-elle pas -là, gisante, dans ce torride jour? Non, non: l'arbre l'étreignait -encore de ses mille racines; après cette rafale, Jean Péloueyre en -retrouvait dans son cœur l'ombre aimée, le mystère sous ces frondaisons -drues et de nouveau immobiles. Mais il découvrait soudain que la -Religion lui fut surtout un refuge. Au laideron orphelin, elle avait -ouvert une nuit consolatrice. Quelqu'un sur l'autel tenait la place -des amis qu'il n'avait pas eus et la Vierge héritait de cette dévotion -qu'il eût vouée à sa mère selon la chair. Toutes les confidences qui -l'étouffaient, se déversaient au confessionnal ou dans ses muettes -prières du crépuscule--quand le vaisseau ténébreux de l'église -recueille ce qui reste de fraîcheur au monde. Alors le vase de son -cœur se rompait à des pieds invisibles. S'il eût possédé les boucles -de Daniel Trasis, ce visage que depuis son enfance les femmes jamais -ne s'étaient interrompues de caresser, Jean Péloueyre se fût-il mêlé -au troupeau des vieilles filles et des servantes? Il était de ces -esclaves que Nietzsche dénonce; il en discernait en lui la mine basse; -il portait sur sa face une condamnation inéluctable; tout son être -était construit pour la défaite;--comme son père, d'ailleurs, comme son -père, dévot lui aussi mais mieux que Jean instruit dans la théologie, -et naguère encore lecteur patient de saint Augustin et de saint Thomas -d'Aquin. Jean, peu soucieux de doctrine, et professant une religion -d'effusions, admirait que celle de M. Jérôme fût d'abord raisonnable. -Tout de même il se rappelait cette parole que son père aimait répéter: -«Sans la Foi, que serais-je devenu?» Cette Foi n'allait pas d'ailleurs -jusqu'à braver un rhume pour entendre la messe. Aux grandes fêtes, on -installait M. Jérôme dans la sacristie surchauffée et d'où il suivait, -emmitouflé, la cérémonie. - -Jean Péloueyre sortit. De nouveau, entre les murs aveugles et sous -la muette indulgence des arbres, il marchait, gesticulait; parfois -il feignait de se croire allégé de sa croyance: ce liège qui l'avait -soutenu sur la vie lui manquait d'un coup. Plus rien! Plus rien! Il -savourait ce dénûment; des réminiscences scolaires se pressaient sur -ses lèvres: «... _Mon malheur passe mon espérance... Oui, je te loue, -ô Ciel, de ta persévérance_...» Un peu plus loin, il démontrait aux -arbres, aux tas de cailloux, aux murs qu'il existe parmi les chrétiens -des Maîtres et que les Saints, les grands Ordres, toute l'Eglise -universelle offre un sublime exemple de volonté de puissance. - -Agité de tant de pensées, il ne reprit conscience qu'au bruit de ses -pas dans le vestibule--bruit qui, au premier étage, déclencha un -gémissement; une voix pleurarde et ensommeillée appela Cadette; alors -les savates de la servante traînèrent dans la cuisine; le chien aboya; -des volets furent rabattus: le réveil de M. Jérôme désengourdissait -la maison. C'était l'heure de ses yeux gonflés, de sa bouche amère -où sa conception du monde atteignait au plus sombre. Jean Péloueyre -se réfugia donc au «salon de compagnie» aussi frais qu'une cave. Des -papiers moisis, découvraient le salpêtre des murs. Une pendule n'y -fragmentait le temps pour aucune oreille humaine. Il s'enfonça, dans -un fauteuil capitonné, regarda en lui la place où sa foi souffrait et -se pénétrait d'angoisse. Une mouche bourdonnait, se posait. Alors un -coq chantait--puis un bref trille d'oiseau--puis un coq encore ... la -pendule sonna une demie---un coq ..., des coqs... Il s'endormit jusqu'à -l'heure si douce où il avait coutume, par des ruelles détournées, -d'atteindre la plus petite porte de l'église et de se couler dans la -ténèbre odorante. N'irait-il donc plus à ce rendez-vous--le seul qui -ait jamais été assigné au cloporte Jean Péloueyre? Il n'y alla pas, -mais gagna le jardin où le soleil déclinant lui fit dire: La chaleur -va tomber. Des papillons blancs palpitaient. Le petit-fils de Cadette -arrosait les laitues--un beau drôle aux pieds nus dans ses sabots, le -bien-aimé des filles et que fuyait Jean Péloueyre honteux d'être le -maître: n'aurait-ce pas été à lui, chétif, de servir ce triomphant et -juvénile dieu potager? Même de loin, il n'osait lui sourire; avec les -paysans, sa timidité atteignait à la paralysie. Maintes fois il avait -essayé d'aider le curé au patronage, au cercle d'études, et toujours -perclus de honte, stupide, objet de risée, était rentré dans sa nuit. - -Cependant M. Jérôme suivait l'allée bordée de poiriers en quenouille, -d'héliotropes, de résédas, de géraniums, dont on ne sentait pas les -odeurs parce que l'immense bouquet rond d'un tilleul emplissait de -son haleine la terre et le ciel. M. Jérôme traînait les pieds. Le bas -de son pantalon demeurait pris entre sa cheville et sa pantoufle. -Son chapeau de paille déformé était bordé de moire. Il avait sur les -épaules une vieille pèlerine de tricot oubliée par sa sœur. Jean -reconnut, entre les mains paternelles, un Montaigne. Sans doute _Les -Essais_, comme sa religion, le fournissaient de subterfuges pour parer -du nom de sagesse son renoncement à toute conquête? Oui, oui, se -répétait Jean Péloueyre, ce pauvre homme appelait tantôt stoïcisme, -tantôt résignation chrétienne, l'immense défaite de sa vie. Ah! que -Jean se sentait donc lucide! Aimant et plaignant son père, comme à -cette heure, il le méprisait! Le malade se lamenta: des élancements -dans la nuque, des étouffements, l'envie de rendre... Un métayer avait -forcé sa porte, Duberne d'Hourtinat qui exigeait une nouvelle chambre -pour loger l'armoire de sa fille mariée! Où pourrait-il souffrir -tranquille? Où pourrait-il mourir en paix? Pour comble, le lendemain -était un jeudi, jour de marché sur la place, et aussi jour d'invasion: -sa sœur Félicité Cazenave, son neveu régneraient céans; dès cette aube -néfaste, les bestiaux sur le foirail réveilleraient le malade; l'auto -des Cazenave, grondant devant la porte, annoncerait la présence de -l'hebdomadaire fléau. Tante Félicité forcerait l'entrée de la cuisine, -bouleverserait le régime de son frère au nom du régime de son fils. Au -soir, le couple laisserait derrière lui Cadette en larmes et son maître -suffoquant. - -Rampant et faible devant l'ennemi, M. Jérôme dans le secret nourrissait -sa rancœur. Si souvent il grommelait qu'il réservait aux Cazenave -«un chien de sa chienne», que Jean Péloueyre, ce jour-là, ne prêta -nulle attention à ce que lui glissait son père: «Nous allons leur -jouer un tour, Jean, pour peu que tu veuilles t'y prêter... Mais le -voudras-tu?» Jean, à mille lieues des Cazenave, sourit. Cependant -son père l'observait et lui disait: «Tu devrais être plus coquet à -ton âge; comme tu es mal «dringué», mon pauvre drôle!» Bien que M. -Jérôme ne lui eût jamais montré qu'il se souciât de sa tenue, Jean -Péloueyre ne posa aucune question; il ne pressentit rien de ce qui -se préparait à ce tournant de son destin; il avait pris le Montaigne -des mains paternelles et lisait cette phrase: «Pour moi, je loue une -vie glissante, sombre et muette...» Ah! oui, leur vie était à souhait -glissante, sombre et muette! Les Péloueyre regardaient un souffle rider -l'eau de la citerne, agitée de têtards autour d'une taupe morte. M. -Jérôme crut sentir le serein, se dirigea vers la maison. Désœuvré, -Jean, au fond du jardin, glissa la tête dans l'entrebâillement d'une -poterne ouverte sur la ruelle. A sa vue, le petit-fils de Cadette, qui -tenait pressée contre lui une fille, la lâcha, comme on laisse tomber -un fruit. - - - -II - -Jean Péloueyre ne dormit guère cette nuit-là. Ses fenêtres étaient -ouvertes sur la laiteuse nuit--la nuit plus bruyante que le jour -à cause des coassantes mares. Mais les coqs surtout ne cessent de -chanter jusqu'à l'aube, fatigués d'avoir salué l'obscure et trompeuse -clarté des étoiles. Ceux du bourg avertissent ceux des métairies -qui, de proche en proche, répondent: «_C'est un cri répété par mille -sentinelles..._» Jean veillait, se berçant de ce vers indéfiniment -marmonné. Les fenêtres découpaient à l'emporte-pièce un azur dévoré -d'astres. Jean se levait pieds nus, regardait les mondes et les -appelait par leurs noms, agitant sans se lasser le problème posé -la veille: avait-il adhéré à une métaphysique ou à un système de -consolations ingénieuses? Sans doute des croyants parmi les Maîtres -régnaient. Mais Chateaubriand hésita-t-il jamais à jouer son éternité -contre une caresse? Barbey d'Aurevilly, que de fois trahit-il le Fils -de l'Homme pour un baiser? Ne triomphèrent-ils pas dans la mesure où -ils trahirent leur Dieu? - -Dès l'aube, les déchirantes plaintes des porcelets éveillèrent Jean. -Comme chaque jeudi, il évita de pousser les volets, afin que le -marché ne le vît pas. Sur le trottoir, tout contre la fenêtre, Madame -Bourideys, la mercière, arrêta Noémi d'Artiailh pour lui demander si -elle avait déjeuné. Goulûment Jean Péloueyre regardait cette Noémi -qui avait dix-sept ans. Sa tête brune et bouclée d'ange espagnol -n'était point faite pour un corps si ramassé; mais Jean adorait le -contraste d'un jeune corps dru, mal équarri et d'un séraphique visage -qui faisait dire aux dames que Noémi d'Artiailh était jolie comme un -tableau. Vierge de Raphaël qui eût été ragote, elle émouvait chez -Jean le meilleur et le pire, l'incitait aux hautes pensées comme aux -basses délectations. Déjà son cou, sa douce gorge luisaient de moiteur. -Des cils indéfinis ajoutaient à la chasteté des longues paupières -sombres: visage encore baigné de vague enfance, virginité des lèvres -puériles--et soudain ces fortes mains de garçon, ces mollets qu'au ras -du talon, comprimés de lacets, il fallait bien appeler chevilles! Jean -Péloueyre regardait sournoisement cet ange; le petit-fils de Cadette, -lui, la pouvait regarder en face: les beaux garçons, même du peuple, -ont le droit de regard sur toutes les filles. C'est à peine, à la -grand'messe, quand elle avait traversé la nef et frôlé la chaise de -Jean Péloueyre, s'il osait renifler l'air remué par sa robe de percale, -son odeur de savonnette et de linge propre. Jean Péloueyre soupira, -mit sa chemise de la veille qui était aussi de l'avant-veille. Son -corps ne méritait aucun soin; il usait d'un pot à eau recroquevillé -dans une minuscule cuvette pour que, sans le briser, se pût rabattre -le couvercle de la commode. Sous le tilleul du jardin, il ne récita -pas sa prière mais lut le journal de façon que le papier cachât sa -figure au petit-fils de Cadette. Il sifflotait, ce misérable! Un œillet -rouge à l'oreille, il était brillant et vernissé comme un jeune coq. -Une ceinture serrait à la taille son pantalon indigo. Jean Péloueyre -le haïssait bassement et se faisait horreur de le haïr. La pensée ne -le consolait pas que ce garçon deviendrait un paysan hideux, puisqu'un -autre garçon aussi fort, aussi bien découplé alors arroserait les -laitues--de même que palpiteraient d'autres papillons blancs pareils à -ceux de cette matinée. «O mon âme, se dit Jean Péloueyre, mon âme, dans -ce matin d'été plus laide encore que mon visage!» - -Il reconnut dans la maison la voix de flûte du curé. Que venait-il -manigancer à cette heure qui n'était pas celle de sa visite -quotidienne? Ce jour-là surtout, comment osait-il risquer une rencontre -avec Fernand Cazenave que la vue d'un ecclésiastique rendait furieux? -Dissimulé derrière le tilleul, Jean Péloueyre vit passer Fernand au pas -de course, ainsi qu'il faisait toujours cinq minutes avant ses repas. -Sa mère le suivait, soufflante. Son grand corps tout en jambes, son -buste sphérique, sa tête de vieille Junon attachée à ses seins,--toute -cette forte machine détraquée, usée, obéissait aux injonctions du -fils bien-aimé, comme s'il eût, en pressant un bouton, mis en branle -un mécanisme. Le conseiller voulut bien s'arrêter pour l'attendre; il -essuya avec son mouchoir un front ruisselant et le cuir intérieur de -son canotier. Divinité renfrognée, il suait sous l'alpaga. Derrière le -binocle, ses métalliques yeux ne reflétaient rien du monde. Sa mère lui -frayait la route, brisant les êtres comme des branches. On racontait -qu'elle avait dit un jour: «Si Fernand se marie, ma bru mourra.» Nulle -bru ne s'y était risquée et quelle jeune fille eût consenti à étriller, -à nourrir cet homme en place, accoutumé, la cinquantaine franchie, -aux soins du premier âge? L'angelus se défit dans la chaleur. Jean -Péloueyre entendit le conseiller gronder: «Salopes de cloches». - -Il ne se glissa à table que lorsque déjà y trônaient sa tante et -Fernand cravatés de serviettes. M. Jérôme en retard s'assit, le dos -rond et peureux, mais l'œil vif et il osa avouer que le curé l'avait -retenu. La tête dans les épaules, les Péloueyre attendirent l'orage qui -n'éclata qu'au gigot. Servi le premier, Fernand Cazenave, sa fourchette -en l'air, interrogeait le visage maternel. Félicité flaira le morceau, -le retourna, puis laissa tomber cette sentence: «Trop cuit!» Alors -le couple repoussa de concert ses assiettes. Cadette comparut avec -des yeux de volaille pourchassée, défendit son gigot en un patois -gémissant,--inutile vacarme puisque le conseiller finit tout de même -par assouvir sur la viande trop cuite sa fringale. Repu, il s'excusa -de n'être pas allé d'abord saluer son oncle Péloueyre; mais il avait -vu dans le vestibule un chapeau ecclésiastique: Les Péloueyre savaient -qu'un prêtre lui faisait physiquement horreur. Sans lever les yeux, de -sa voix monotone, M. Jérôme prononça: «C'était pour me parler de toi, -Jean, qu'est venu M. le curé. Crois-tu qu'il veut te marier?» Fernand -ricana et dit que ce n'était pas sérieux: «Pourquoi? Jean va sur ses -vingt-trois ans.» Alors Fernand Cazenave éclata: de quoi se mêlait -cet ensoutané? de quel droit mettait-il le nez dans les affaires de -la famille? Perdant toute mesure, il osa demander à mi-voix si Jean -était seulement «mariable». D'un clin d'œil, sa mère rappela à l'ordre -le malotru. «Ce serait très heureux que Jean se mariât, disait-elle: -il manquait à cette maison une ménagère. Ah! sans doute les jeunes -femmes ont d'étranges humeurs et le régime de Jérôme subirait quelque -bouleversement.» Fernand, calmé, l'approuva: Jean, certes, pouvait -fonder une famille. Mais ne ferait-il pas son malheur? Le cher enfant -avait déjà des habitudes, des manies, comme un vieux garçon. Tante -Félicité insinua que son frère aurait raison, le cas échéant, de ne pas -habiter avec le jeune ménage... Evidemment, le coup lui serait dur. -Et elle rappela les faux départs de Jean Péloueyre pour le collège, -lorsque la place retenue, le trousseau préparé, la voiture devant la -porte, son père, à la dernière seconde, le retenait. - -Inquiet, mais ne voulant point douter que toute cette histoire de -mariage fût une invention sournoise de M. Jérôme, Jean, isolé en -esprit, se souvint, en effet, de ces soirs du 2 octobre, lorsque -attendait sous la pluie l'antique landau qui devait le conduire à -travers le Bazadais, jusqu'à la pieuse maison où les enfants de la -Lande rêvent de chasse sur leurs lexiques. Des lambeaux d'un papier -à fleurs étaient collés encore à sa malle qui avait été celle d'un -grand-oncle. M. Jérôme sanglotait, feignait une attaque, tant il -était lâche devant la minute d'angoisse d'une séparation! Sans doute, -dès cette époque, le pauvre homme exigeait-il du silence, mais un -silence un peu troublé par cette petite vie souffrante de Jean à ses -côtés. Ainsi Jean Péloueyre avait travaillé avec le curé jusqu'à -quinze ans et ne fut au collège que pour le baccalauréat... Quelle -était cette soudaine fantaisie de le marier? Jean se souvint des -paroles étranges de son père, la veille, dans le jardin ... mais -de quoi se troublait-il? Il se répétait qu'un Jean Péloueyre n'est -pas «mariable»... Les Cazenave étaient fous de prendre au tragique -cette farce. Ils insistaient maintenant pour connaître le nom de la -jeune fille élue; l'heure de la sieste permit à M. Jérôme d'éluder -toute question. Le couple, en dépit de la chaleur, erra au jardin et, -angoissé, Jean, du corridor, épiait leurs colloques. - -Au bruit du démarrage qui signalait leur départ, le malade s'éveilla, -et dès que Jean eut reconnu le traînement des pantoufles paternelles, -il entra dans l'odeur de remèdes qui saturait la chambre. En cette -méphitique officine, il lui fut révélé que l'on songeait sans rire -à lui donner une femme, une femme qui était Noémi d'Artiailh. La -psyché reflète le corps de Jean, plus sec que les brandes des landes -incendiées. Il balbutie: «Elle ne voudra pas de moi»,--et frémit -d'entendre ces paroles inouïes: «Elle a été pressentie et ne montre -aucune répugnance...» Les d'Artiailh font un beau rêve, ne peuvent -croire à leur bonheur. Mais Jean secoue la tête et semble, de ses -mains tendues, se défendre contre le mirage. Une jeune fille dans ses -bras, consentante? Noémi de la grand'messe, Noémi dont jamais il ne -put regarder en face les yeux pareils à des fleurs noires? L'air agité -par son corps mystérieux quand elle traversait la nef, Jean Péloueyre -l'accueillait sur sa chair comme le seul baiser qu'il ait jamais connu. -Cependant son père lui découvre ses vues qui sont celles du curé: il -importe que les Péloueyre fassent souche et que rien d'eux ne risque -de passer à tante Félicité ni à Fernand Cazenave. M. Jérôme ajoute: -«Tu sais, ce que le curé veut, il le veut bien.» Jean sourit, grimace; -le coin de sa lèvre frémit et il dit: «Je lui ferai horreur.» Le père -ne songe pas à protester; comme il ne fut jamais aimé, il n'imagine -pas que son fils puisse connaître ce bonheur. Mais complaisamment il -rappelle les vertus de Noémi que M. le curé a choisie entre toutes et -qui édifie la paroisse. Elle appartient à cette race qui ne cherche -dans le mariage aucune joie charnelle; femme de devoir, soumise à Dieu -et à son époux, ce sera une de ces mères comme on en rencontre encore -et de qui rien, en dépit de multiples grossesses, n'entame la candide -ignorance. M. Jérôme toussote, s'attendrit un peu: «Te sachant bien -marié et à l'abri des Cazenave, je mourrais en paix...» Le curé voulait -brûler les étapes: Jean pourrait dès le lendemain voir Noémi; elle -l'attendrait après le déjeuner, au presbytère où Madame d'Artiailh -trouverait un prétexte pour les laisser en tête à tête. M. Jérôme -parlait vite, énervé à cause de la discussion inévitable, du refus de -Jean qu'il faudrait vaincre, et ses doigts tremblaient. Jean, affolé, -ne trouvait pas ses mots. Quelle honte d'éprouver une telle terreur! -N'était-ce pas enfin l'instant de s'échapper du troupeau des esclaves -et d'agir en maître? Cette minute unique lui était donnée pour rompre -sa chaîne, devenir un homme. Comme on le pressait de répondre, il fit -un vague signe d'assentiment. Plus tard, songeant à cette seconde où se -noua son destin, il s'avoua que dix pages de Nietzsche mal comprises le -décidèrent. Il s'évada, laissant M. Jérôme stupéfait d'une si facile -victoire et impatient de l'annoncer à la cure. - -Le temps de descendre l'escalier et Jean Péloueyre déjà s'accoutumait -au prodige, se sentait imperceptiblement moins chaste. Vierge, il lui -était révélé que sa virginité ne serait peut-être pas éternelle. En -lui, il osa éveiller une image, il en fixait avec hardiesse les yeux -sombres; ah! c'était assez pour défaillir! Jean Péloueyre éprouva le -désir de se baigner. Comme il arrive à beaucoup de baignoires du pays -girondin, celle des Péloueyre était pleine de pommes de terre, et il -fallut que Cadette la débarrassât. - -Après le dîner, Jean Péloueyre traversa le village. Il s'observait pour -ne faire aucun geste et ne pas se parler à lui-même. Raide, officiel, -il saluait chaque groupe devant les portes, soudain silencieux à son -approche, comme les grenouilles d'une mare; mais aucun rire ne fusa. -Enfin, les dernières maisons dépassées, sur la route blême encore, -entre deux noires armées de pins qui soufflaient sur lui une haleine -d'étuve et dont les milliers de pots emplis de gemme parfumaient -comme des encensoirs la cathédrale sylvestre, il put rire, secouer -les épaules, faire craquer ses doigts, crier: «Je suis un Maître, un -Maître, un Maître!» et répéter en marquant la césure ce distique: -«_Par quels secrets ressorts--par quel enchaînement--le ciel a-t-il -conduit--ce grand événement?_» - - - -III - -Jean Péloueyre redoute que la conversation tombe: la peur du silence -incite le curé et Madame d'Artiailh à effleurer tous les sujets, à les -dissiper follement; ils ne trouveront bientôt plus rien à dire. Comme -dilatée hors du vase une fleur de magnolia, la robe de Noémi déborde -sa chaise. Ce parloir pauvre où Dieu est partout, sur tous les murs -et sur la cheminée, elle l'imprègne de son odeur de jeune fille, un -jour fauve de juillet--pareille à ces trop capiteuses fleurs qu'on ne -saurait prudemment laisser dans sa chambre, la nuit. Jean tourne non la -tête mais les yeux; il inspecte Noémi descendue de sa colonne et qui, -vue d'aussi près, lui apparaît telle que sous une loupe. Il cherche -avidement les défauts, les «pailles» de ce vivant et frémissant métal: -aux ailes du nez, des points noirs; à la naissance de la gorge, la peau -dut être brûlée par une trop vieille teinture d'iode. Un mot du curé la -fait rire brièvement mais assez pour que de la haie pure de ses dents, -Jean Péloueyre isole une canine un peu mate--douteuse. Son examen -empêche les larges et sombres yeux de se lever vers lui; peut-être -regarde-t-il Noémi afin de n'être pas regardé par elle. Dieu merci! le -curé sait parler seul et prêcher à bâtons rompus. En dépit de sa ronde -petitesse, rien en lui n'est jovial. Malgré la corpulence, l'austérité -intérieure transparaît. Peu compris des métairies, il est aimé du bourg -où, sous sa direction, plusieurs âmes avancent haut et loin dans la vie -spirituelle. Comme il arrive, ce doux possède la terre. Il n'est que -suavité, que componction, mais son vouloir flexible jamais ne rompt. Il -détourne du bal dominical les plus belles filles, et tient benoîtement -tête aux entreprises amoureuses des garçons; nul ne sait qu'il a retenu -la receveuse des postes à l'extrême bord de l'adultère. Or il a décidé -qu'il n'était pas bon que Jean Péloueyre demeurât seul; et il lui -importe surtout, à ce pasteur, que la maison Péloueyre ne devienne un -jour la maison Cazenave; que le loup ne se recèle pas dans la bergerie. - -Jamais Jean n'avait remarqué comme les femmes respirent haut: en se -gonflant, la gorge de Noémi touchait presque son menton. Sans plus -essayer de feindre, le curé se leva, disant que ces chers enfants -voulaient peut-être échanger des confidences; et il invita Madame -d'Artiailh à admirer au jardin des promesses de Reines-Claude. - -Il n'y a plus maintenant dans la pièce obscure, comme pour une -expérience d'entomologie, que ce petit mâle noir et apeuré devant la -femelle merveilleuse. Jean Péloueyre ne bouge plus, ne lève plus les -yeux: c'est inutile désormais; le voilà prisonnier des regards arrêtés -sur lui. La vierge mesure de l'œil cette larve qui est son destin. Le -beau jeune homme aux interchangeables visages, le compagnon du rêve -de toutes les jeunes filles,--celui qui offre à leurs insomnies sa -dure poitrine et la courroie serrée de deux bras,--il se dilue dans -le crépuscule de cette cure, il se fond jusqu'à n'être plus, au coin -le plus obscur du parloir, que ce grillon éperdu. Elle regarde son -destin, le sachant inéluctable: on ne refuse pas le fils Péloueyre. Les -parents de Noémi, s'ils vivent dans l'angoisse que le jeune homme se -dérobe, n'imaginent même pas qu'aucune objection vienne de leur fille; -elle n'y songe pas non plus. Depuis un quart d'heure, tout ce que doit -lui donner la vie est là, se rongeant les ongles, se tortillant sur -une chaise. Il se lève, il est encore plus petit levé qu'assis, et il -parle, balbutie une phrase qu'elle n'entend pas et qu'il répète: «Je -sais que je ne suis pas digne...» Elle proteste: «Oh! Monsieur!...» -Il s'abandonne à une crise folle d'humilité, reconnaît qu'on ne peut -l'aimer et ne demande que la permission d'aimer. Les mots lui viennent, -ses phrases s'organisent. Il a attendu jusqu'à vingt-trois ans pour -expliquer son cœur à une femme. Il gesticule comme s'il était seul pour -dépeindre sa belle âme, et en effet il est bien seul. - -Noémi regardait la porte et ne s'étonnait pas; toujours elle avait -ouï dire de Jean Péloueyre: «C'est un type, il est un peu timbré.» Il -parlait, et la porte demeurait close; rien ne vivait dans ce presbytère -que ce bonhomme et ses gestes. Noémi se troubla; un désir de larmes -l'étouffait. Jean se tut enfin et elle eut peur comme dans une chambre -où l'on sait qu'une chauve-souris est entrée et se cache. Lorsque le -curé et Madame d'Artiailh revinrent, elle se jeta au cou de sa mère -sans imaginer que cette effusion pût être un acquiescement. Mais déjà -le curé frottait sa joue contre celle de Jean. Ces dames s'en allèrent -seules pour ne pas éveiller la curiosité des voisines. Entre les volets -rapprochés, Jean Péloueyre vit-il,--près de Madame d'Artiailh, aiguë et -grêle et qui filait l'arrière-train de côté, comme les chiens,--cette -robe de Noémi, cette robe un peu fripée qui ne s'épanouirait plus, -cette nuque fléchie, fleur moins vivante, fleur déjà coupée? - - -Ce garçon sauvage, accoutumé à se tapir loin du monde et de qui c'était -l'unique souci de n'être pas vu, demeura plusieurs jours ahuri et -stupide à cause de cette rumeur autour de lui. Le destin le tirait -de ses ténèbres; comme une formule de magie, les mots de Nietzsche -avaient renversé les murs de sa cellule; le cou dans les épaules et les -yeux clignotants, on eût dit d'un oiseau nocturne lâché dans le grand -jour. Les gens, à son entour, changeaient aussi: M. Jérôme négligeait -ses régimes, prenait sur le temps de sa sieste pour relancer le curé -jusqu'à la sacristie; les Cazenave ne parurent plus le jeudi, et ne -manifestèrent leur existence que par mille bruits infâmes touchant -le tempérament de Jean Péloueyre et certaines particularités qui le -rendaient, disait-on, impropre à l'état de mariage. - -Du fond de son humilité, Jean Péloueyre admirait que les d'Artiailh -pussent être, à cause de lui, enviés. On répétait partout que certes, -Noémi méritait bien son bonheur. Cette très ancienne famille était -à la côte. Le laborieux M. d'Artiailh avait laissé des plumes dans -diverses entreprises et ne rougissait pas de tenir un emploi à la -mairie; ce n'était plus un secret qu'à Pâques, les d'Artiailh avaient -dû congédier leur bonne à tout faire. Jean Péloueyre se regardait dans -la glace et ne se trouvait plus si hideux. M. le curé allait partout -répétant que le fils Péloueyre, s'il manquait un peu d'apparence, était -un esprit des plus distingués. Le respectueux silence de Noémi, chaque -soir, tandis que sur un canapé du salon, Jean Péloueyre s'écoutait -parler, inclinait ce garçon à croire que, comme le disait M. le curé, -une jeune fille sérieuse prise surtout chez son fiancé les avantages -de l'esprit. Il s'abandonnait devant elle comme autrefois dans ses -soliloques, grimaçait, gesticulait, citait, sans les annoncer, des -vers,--et cette belle fille blottie au coin du canapé lui parut aussi -indulgente à ses discours que naguère les arbres sur la route vide. Il -alla loin dans les confidences, et jusqu'à l'entretenir de ce Nietzsche -qui peut-être l'obligerait à réviser les bases de sa vie morale; Noémi -essuyait ses mains moites avec un petit mouchoir en boule et regardait -la porte derrière laquelle ses parents chuchotaient sans que, Dieu -merci! elle pût saisir le sens de leurs paroles: les ragots touchant -son futur gendre troublaient le père d'Artiailh qui, roulé et volé à -tous les tournants de sa vie, ne doutait point que cet apparent retour -de fortune cachât un désastre. Mais, selon Madame d'Artiailh, on ne -connaissait d'autre fondement à ces calomnies que la malveillance -des Cazenave et l'éloignement des femmes où--soit religion, soit -timidité--s'était tenu Jean Péloueyre. Onze heures sonnaient dans le -clair de lune; Madame d'Artiailh ouvrait la porte, sans tousser ni -frapper, et désespérait de surprendre les jeunes gens dans une attitude -qui donnât à penser. Elle s'excusait de déranger «les tourtereaux»; -c'était l'heure, disait-elle, «du couvre-feu». Jean touchait de ses -lèvres les cheveux de Noémi, puis s'en allait en compagnie de son -ombre le long des maisons. Son pas vainqueur éveillait les chiens de -garde que la lune empêchait de se rendormir; ainsi, même la nuit, il -emplissait de bruit le village! L'étrange était qu'il n'éprouvait plus -rien de son émoi du temps qu'à la grand'messe Noémi fendait l'air de sa -robe repassée. Il secouait la tête, pour ne pas penser à cette nuit de -septembre où elle lui serait livrée. Cette nuit jamais n'arrivera: une -guerre éclatera, quelqu'un mourra; la terre tremblera... - - -Noémi d'Artiailh, en sa longue chemise, récitait sa prière devant les -étoiles. Ses pieds nus aimaient le froid carrelage; elle offrait sa -douce gorge à l'apitoiement de la nuit. Elle n'essuyait pas cette larme -qui roulait à portée de sa langue mais la buvait. Le frémissement du -tilleul et son odeur rejoignaient la voie lactée. Sur cette route du -ciel, ses rêves un peu fous ne vagabonderaient plus. Les grillons, -qui crépitaient au bord de leur trou, lui rappelaient son maître. Un -soir, étendue sur ses draps et toute livrée à la nuit chaude, elle -sanglota d'abord à petit bruit, puis gémit longuement et regarda avec -pitié son chaste corps intact, brûlant de vie mais d'une végétale -fraîcheur. Qu'en ferait le grillon? Elle savait qu'il aurait droit à -toute caresse, et à celle-là, mystérieuse et terrible, après quoi un -enfant naîtrait, un petit Péloueyre tout noir et chétif... Le grillon, -elle l'aurait toute sa vie et jusque dans ses draps. Comme elle -sanglotait, sa mère survint (ô camisole festonnée! maigre tresse!). La -petite inventa qu'elle avait horreur du mariage et souhaitait d'entrer -au Carmel. Madame d'Artiailh, sans protester, la prit dans ses bras -jusqu'à ce que se fussent espacés les sanglots. Puis elle l'assura -qu'en ces matières, il fallait s'en rapporter à son directeur; or, M. -le curé n'avait-il pas choisi lui-même pour elle la voie du mariage? -Petite âme ménagère, toute tendresse et piété, Noémi était bien -incapable de rien répondre. Elle ne lisait pas de romans; elle servait -chez ses parents, elle obéissait; on lui assurait qu'un homme n'a pas -besoin d'être beau; que le mariage produit l'amour comme un pêcher, une -pêche... Mais il eût suffi, pour la convaincre, de répéter l'axiome: -_On ne refuse pas le fils Péloueyre!_ On ne refuse pas le fils -Péloueyre; on ne refuse pas des métairies, des fermes, des troupeaux -de moutons, des pièces d'argenterie, le linge de dix générations bien -rangé dans des armoires larges, hautes et parfumées,--des alliances -avec ce qu'il y a de mieux dans la Lande. On ne refuse pas le fils -Péloueyre. - - - -IV - -La terre ne trembla pas; il n'y eut pas de signes dans le ciel et -l'aube de ce mardi de septembre éclaira doucement le monde. On dut -réveiller Jean Péloueyre qui avait dormi d'un sommeil profond. Les -dalles du vestibule et la pierre du seuil disparurent sous le buis, le -laurier et les feuilles de magnolia. Toutes les odeurs de la maison -cédèrent à celle de cette jonchée piétinée. Les demoiselles d'honneur -chuchotaient et, à cause de leurs robes, ne s'asseyaient pas. La salle -du _Cheval-Rouge_ s'orna de guirlandes en papier. Le repas arriverait -tout préparé de B... par le train de dix heures. Sur toutes les routes, -des victorias amenèrent des familles gantées de blanc. Le soleil se -jouait dans les hauts-de-forme hérissés des messieurs de qui les -paysans admiraient la «queue de morue». - -M. Jérôme démasqua ses batteries: il resterait au lit. C'était sa -manière d'ignorer les obsèques et les noces de son entourage. En ces -conjonctures solennelles, il avalait un cachet de chloral et tirait ses -rideaux. On rappelait que durant l'agonie de sa femme, il se coucha au -plus haut étage de la maison et, le nez au mur, ne consentit à ouvrir -un œil que lorsqu'il fut assuré que la dernière pelletée de terre avait -recouvert le cercueil; que le train emportait le dernier invité. Le -jour du mariage de son fils, il ne voulut pas que Cadette rabattît les -volets lorsque Jean Péloueyre, vert et réduit à rien dans son habit, -lui demanda de le bénir. - -Jour terrible! Toute la honte de Jean Péloueyre lui était revenue -d'un coup. Bien que le cortège défilât dans le vacarme des cloches, -sa fine oreille de chasseur ne perdit rien des apitoiements de la -foule. Il entendit un jeune homme murmurer: Quel dommage! Des jeunes -filles, grimpées sur les chaises, pouffaient. Entre l'autel incendié -et la foule en rumeur, il vacillait, accrochait ses mains au velours -du prie-Dieu. Il ne regardait pas, mais sentait frémir à ses côtés -le corps mystérieux d'une femme... Le curé lisait, lisait. Ah! si -son discours avait pu ne jamais finir! Mais le soleil, criblant de -confettis les vieilles dalles, déclinerait,--puis s'ouvrirait le règne -de la nuit révélatrice. - -La chaleur avait gâté le repas; l'une des langoustes sentait fort. -La bombe glacée se mua en une crème jaune. Plutôt que de fuir, les -mouches se seraient laissées écraser sur les petits fours, et les -femmes fortes souffraient d'être harnachées: d'actives sudations -brûlèrent sans recours les corsages. Seule la table des enfants criait -de joie. Du fond de son abîme, Jean Péloueyre épiait les visages: que -chuchotait Fernand Cazenave à un oncle de Noémi? Comme un sourd-muet, -Jean devinait la phrase aux mouvements des lèvres: «Si l'on nous avait -écoutés, on aurait évité ce malheur, mais dans notre position, c'était -bien délicat d'intervenir...» - - - -V - -La chambre de cette maison de famille d'Arcachon était meublée de faux -bambou. Nulle étoffe ne dissimulait les ustensiles sous la toilette, -et des moustiques écrasés souillaient le papier de tenture. Par la -fenêtre ouverte, l'haleine du bassin sentait le poisson, le varech et -le sel. Le ronronnement d'un moteur s'éloignait vers les passes. Dans -les rideaux de cretonne, deux anges gardiens voilaient leurs faces -honteuses. Jean Péloueyre dut se battre longtemps, d'abord contre sa -propre glace, puis contre une morte. A l'aube un gémissement faible -marqua la fin d'une lutte qui avait duré six heures. Trempé de sueur, -Jean Péloueyre n'osait bouger,--plus hideux qu'un ver auprès de ce -cadavre enfin abandonné. - -Elle était pareille à une martyre endormie. Les cheveux collés au -front, comme dans l'agonie, rendaient plus mince son visage d'enfant -battu. Les mains en croix contre sa gorge innocente, serraient le -scapulaire un peu déteint et les médailles bénites. Il aurait fallu -baiser ses pieds, saisir ce tendre corps, sans l'éveiller, courir, le -tenant ainsi, vers la haute mer, le livrer à la chaste écume. - - - -VI - -Bien qu'un billet circulaire obligeât le couple à demeurer absent -trois semaines, dix jours après la noce, il revint s'abattre dans -la maison Péloueyre. Le bourg fut en rumeur et les Cazenave, sans -attendre le jeudi, accoururent et scrutèrent le visage de Noémi. -Mais la jeune femme ne livra rien de son cœur. Les d'Artiailh et le -curé arrêtèrent d'ailleurs les commérages: les tourtereaux avaient -préféré--disaient-ils--le calme du foyer au tumulte des hôtels et des -gares. A la sortie de la grand'messe, Noémi, très parée, serra les -mains, en souriant: elle riait, elle était donc heureuse. Son assiduité -à la messe quotidienne pourtant ne laissa pas d'étonner. Des dames -notèrent que ses mains, bien après la communion, ne s'écartaient pas -d'une figure amincie et dolente. On inféra de cette mine abattue que -Noémi était grosse. Tante Félicité parut un jour pour mesurer d'un œil -furtif la ceinture de la jeune femme. Mais un secret colloque avec -Cadette,--vieille augure qui présidait aux lessives,--la rassura. -Dès lors elle crut politique de se tenir à l'écart, ne voulant, -disait-elle, feindre d'approuver par sa présence une union monstrueuse, -manigancée par les prêtres. Elle ménageait sa rentrée aux premiers -éclats d'un inévitable drame. - -Cependant M. Jérôme s'étonnait que sa bru le soignât avec la passion -d'une Sœur de Saint-Vincent-de-Paul. A l'heure prescrite, elle portait -chaque remède, ordonnait le repas selon un rigoureux régime et, avec -une douce autorité, imposait à tous le silence durant la sieste. -Comme autrefois, Jean Péloueyre s'évadait de la maison partenelle, -longeait les murs des ruelles détournées. A l'affût derrière un pin, -en lisière d'un champ de millade, il guettait les pies. Il eût voulu -retenir chaque minute et que le soir ne vînt jamais. Mais déjà plus -vite naissait l'ombre. Les pins, en proie aux vents d'équinoxe, -reprenaient en sourdine la plainte que leur enseigne l'Atlantique dans -les sables de Mimizan et de Biscarosse. De l'épaisseur des fougères, -s'élevèrent les cabanes de brande où les Landais, en octobre, chassent -les palombes. L'odeur du pain de seigle parfumait le crépuscule autour -des métairies. Au soleil couchant, Jean Péloueyre tirait les dernières -alouettes. A mesure qu'il se rapprochait du bourg son pas devenait -plus lent. Un peu de temps encore! encore un peu de temps, avant que -Noémi souffre de le sentir dans la maison! Il traversait le vestibule -à pas de loup; elle le guettait, la lampe haute et venait à lui avec -un sourire d'accueil, lui tendait son front, soupesait la carnassière, -faisait enfin les gestes de l'épouse, heureuse parce que le bien-aimé -est revenu. Mais elle ne soutenait son rôle que quelques minutes et -pas une seconde ne put se flatter de faire illusion. Pendant le repas, -M. Jérôme les délivrait du silence: depuis qu'une jeune garde-malade -s'inquiétait de lui, il ne se lassait de décrire ses sensations. Comme -elle se chargeait de recevoir les métayers, Noémi devait l'entretenir -du domaine. M. Jérôme admirait que cette petite fille fût la seule dans -la maison à savoir vérifier les comptes du régisseur, et surveiller la -vente des poteaux de mines. Il lui attribuait aussi le mérite des deux -kilos qu'il avait gagnés depuis le mariage de son fils. - -Le repas achevé et M. Jérôme sommeillant, les pieds aux chenêts, les -deux époux, sans recours possible, se trouvaient face à face. Jean -Péloueyre s'asseyait loin de la lampe, respirait à peine, s'effaçait -dans l'ombre. Mais rien ne pouvait empêcher qu'il fût là et que -Cadette à dix heures apportât les bougeoirs. O dure montée vers les -chambres! Le pluvieux automne chuchotait sur les tuiles. Un contrevent -claquait; le cahotement d'une charrette s'éloignait. A genoux contre -le lit redoutable, Noémi détachait à mi-voix les mots de sa prière: -«_Prosternée devant Vous, ô mon Dieu, je Vous rends grâce de ce -que Vous m'avez donné un cœur capable de Vous connaître et de Vous -aimer..._» Jean Péloueyre, dans les ténèbres, devinait la rétraction -du corps adoré et s'en éloignait le plus possible. Quelquefois, Noémi -avançant une main vers ce visage moins odieux puisqu'elle ne le voyait -plus, y sentait de chaudes larmes. Alors, pleine de remords et de -pitié, comme dans l'amphithéâtre une vierge chrétienne d'un seul élan -se jetait vers la bête, les yeux fermés, les lèvres serrées, elle -étreignait ce malheureux. - - - -VII - -La chasse à la palombe servit à Jean Péloueyre de prétexte pour passer -les journées loin de celle que, par sa seule présence, il assassinait. -Il se levait avec tant de silence que Noémi ne s'éveillait pas. Quand -elle ouvrait les yeux, il était loin déjà: une carriole l'emportait -sur les routes boueuses. Il dételait dans une métairie et aux abords -de la cabane se cachait et sifflait de peur qu'un vol de palombes fût -en vue. Le petit-fils de Cadette criait qu'il pouvait approcher, et -l'affût commençait: longues heures de brume et de songe bercées de -cloches de troupeaux, d'appels de bergers, de croassements. Dès quatre -heures, il devait quitter la chasse; mais pour ne rentrer que le plus -tard possible, Jean se glissait dans l'église; il n'y récitait aucune -prière; il saignait devant quelqu'un. Souvent les larmes venaient; il -lui semblait que sa tête reposait sur des genoux. Puis Jean Péloueyre -jetait sur la table de la cuisine des palombes ardoisées, au cou encore -gonflé de glands. Ses souliers fumaient devant le feu; il sentait sur -sa main la langue tiède d'une chienne. Cadette trempait la soupe; -derrière elle, Jean pénétrait dans la salle. Noémi lui disait: «Je ne -savais pas que vous fussiez de retour déjà...» Et encore: «Ne vous -laverez-vous pas les mains?» Alors il allait à sa chambre dont les -volets n'étaient pas encore clos: une lanterne éclairait les ornières -pleines de pluie... Jean Péloueyre se lavait les mains sans atteindre -à rendre ses ongles nets, et il les cachait sous la table pour que -Noémi ne les vît pas. Il l'observait en dessous: que ses oreilles -étaient blanches! Elle n'avait pas d'appétit. Il insistait avec -maladresse pour qu'elle reprît du gigot: «Mais puisque je vous dis que -je n'ai plus faim!» Un sourire soumis, parfois la moue d'un baiser -corrigeaient ces brèves impatiences. Elle regardait son époux en face -comme une agonisante qui croit au ciel regarde la mort. Elle retenait -le sourire à sa bouche comme on fait pour donner le change à quelqu'un -qui va mourir. C'était lui, lui, Jean Péloueyre, qui meurtrissait ces -yeux,--qui décolorait ces oreilles, ces lèvres, ces joues: rien qu'en -étant là, il épuisait cette jeune vie. Ainsi défaite, elle lui était -plus chère. Quelle victime fût jamais plus aimée de son bourreau? - - -Seul M. Jérôme s'épanouissait. A ce doux, toute souffrance était -invisible qui n'était pas la sienne. On eut la stupeur de l'entendre -se réjouir d'une sérieuse amélioration dans son état. L'asthme lui -laissait du répit. Il sommeillait jusqu'au petit jour sans le secours -d'aucun narcotique. Cela lui avait porté bonheur, disait-il, de -défendre sa porte au docteur Pieuchon de qui le fils avait eu un -crachement de sang et demeurait en traitement chez son père. M. Jérôme, -par peur de la contagion, avait rompu avec son vieux camarade. Il -jurait que sa bru suffisait à tout et qu'elle avait plus d'expérience -que les médecins. Rien ne la rebutait: pas même ce qui touche à la -garde-robe. Elle avait su rendre délicieux le plus fade régime. Des jus -de citron et d'orange, parfois un doigt de vieil armagnac, remplaçaient -les condiments défendus, excitaient l'appétit que M. Jérôme assurait -avoir perdu depuis quinze ans. Après de timides essais, Noémi voulut -bien aider à la digestion de son beau-père par une lecture à haute -voix. Elle était inlassable, ne s'arrêtait plus, faisait semblant de -ne pas s'apercevoir que M. Jérôme préludait au sommeil par un petit -souffle régulier. Une heure sonnait--une heure de moins à trembler de -dégoût dans la ténèbre de la chambre nuptiale, à épier les mouvements -de l'affreux corps étendu contre le sien et qui, par pitié pour elle, -feindrait de dormir. Parfois le contact d'une jambe la réveillait; -alors elle se coulait tout entière entre le mur et le lit; ou un léger -attouchement la faisait tressaillir: l'autre, la croyant endormie, -osait une caresse furtive. C'était au tour de Noémi de prendre l'aspect -du sommeil, de peur que Jean Péloueyre fût tenté d'aller plus avant. - - - -VIII - -Jamais entre eux de ces disputes qui séparent les amants. Ils se -savaient trop blessés pour se porter des coups; la moindre offense se -fût envenimée, eût été inguérissable. Chacun veillait à ne pas toucher -la blessure de l'autre. Leurs gestes furent mesurés pour se faire -moins souffrir: quand Noémi se déshabillait, il regardait ailleurs et -n'entrait jamais dans le cabinet de toilette quand elle s'y lavait. Il -prit des habitudes de propreté, fit venir de l'eau de Lubin dont il -s'inondait, et, grelottant, inaugura un tub. Jean se croyait l'unique -coupable; elle se haïssait de n'être pas une épouse selon Dieu. -Jamais ils n'échangèrent un reproche même muet, mais d'un regard se -demandaient l'un à l'autre pardon. Ils décidèrent de réciter ensemble -leur prière: ennemis dans la chair, ils s'unissaient dans cette -imploration du soir; leurs voix au moins pouvaient se confondre; côte à -côte et séparés, ils se rejoignaient à l'infini. Un matin, comme sans -s'être donnés le mot, ils s'étaient rencontrés au chevet d'un vieillard -infirme, avidement ils usèrent de ce nouveau lien et désormais, une -fois dans la semaine, firent leur tournée de malades, en attribuant -l'un à l'autre le mérite. Hors ces courses, Noémi fuyait Jean, ou -plutôt le corps de Noémi fuyait le corps de Jean,--et Jean fuyait le -dégoût de Noémi. En vain voulut-elle réagir contre cette répulsion de -sa chair: un jour morne de novembre, elle qui haïssait la marche, se -força à suivre Jean Péloueyre dans la lande et jusqu'aux confins de -ces marais déserts où le silence est tel qu'aux veilles de tempête, -on y entend les coups sourds de l'Atlantique dans les sables. Les -gentianes, d'un bleu de regard, ne les fleurissaient plus. Elle allait -devant, comme on s'échappe, et il la suivait de loin. Les pasteurs du -Béarn dont était issu Jean Péloueyre, et qui dans ce désert jouirent -du droit de pacage, y avaient, bien des siècles auparavant, creusé -pour leurs troupeaux un puits; au bord de sa bouche fangeuse, les deux -époux se rejoignirent. Et Jean pensait à ces vieux bergers atteints du -mal mystérieux de la lande, la pelagre, et qu'on retrouve toujours au -fond d'un puits ou la tête enfoncée dans la vase d'une lagune. Ah! lui -aussi, lui aussi, aurait voulu étreindre cette terre avare qui l'avait -pétri à sa ressemblance et finir étouffé par ce baiser. - - - -IX - -Souvent la visite du curé interrompait la lecture. Il appelait Noémi: -mon enfant, acceptait un verre d'eau de noix; mais il semblait qu'il -ne sût plus comme naguère soutenir avec M. Jérôme des colloques -théologiques ni le divertir d'anecdotes cléricales. Chacun, devant -ce juge, rattachait son masque. Les yeux n'exprimaient plus rien; -les âmes se sentaient épiées. Le curé ne se délassait plus en une -conversation à bâtons rompus: tout ce qu'il disait semblait tendre à -un but non encore découvert. Il allongeait vers la flamme des jambes -courtes et enflées, et soudain assénait de vifs regards vite voilés -sur le couple silencieux. Moins péremptoire, moins sûr de soi, depuis -longtemps il n'avait raconté, comme il aimait faire, ses débats avec -tel rationaliste, où revenait souvent cette formule: «Je lui répondis, -_victorieusement d'ailleurs..._» M. Jérôme assurait qu'il n'avait vu le -curé si soucieux qu'à l'époque où l'ancien maire prétendit faire sonner -les cloches pour les enterrements civils et mobiliser le char funèbre -de la fabrique. Le curé aurait voulu que Jean Péloueyre se remît à un -travail d'histoire locale, entrepris avec passion mais depuis une année -interrompu. Le jeune homme prétendait manquer des documents essentiels. -Au vrai, de souffle court, il n'allait jamais jusqu'au bout d'aucune -étude. Les premières pages de ses livres, il les zébrait de notes, et -les dernières, il ne les coupait pas. Un perpétuel besoin de marcher -pour ratiociner à son aise, l'éloignait de sa table. Un soir, comme M. -Jérôme s'était retiré, le curé revint avec obstination sur ce sujet. -Jean Péloueyre se déclara incapable d'aller plus avant, sans consulter -des ouvrages spéciaux à la Bibliothèque Nationale: il ne pouvait tout -de même pas faire le voyage de Paris... «Et pourquoi, mon cher enfant, -ne le feriez-vous pas?» Le curé posa à mi-voix cette question; il -jouait avec la frange de sa ceinture, et ne détournait pas ses yeux -du feu. Une faible voix murmura: «Je ne veux pas que Jean me quitte.» -Mais le curé insista: c'est un péché que de ne pas faire fructifier le -talent. Incapable de diriger un cercle d'études ni aucune œuvre, Jean -ne devait pas tenir plus longtemps l'emploi de l'ouvrier inutile... Le -saint homme développait ce thème. La triste voix, en un grand effort, -dit encore: «Si Jean s'en va, je partirai avec lui...» Le curé secoua -la tête: Noémi s'était rendue indispensable auprès du cher malade. Au -reste il ne s'agissait que d'une courte séparation--quelques semaines, -quelques mois... Noémi ne trouva plus la force de protester. Aucune -autre parole ne fut prononcée jusqu'à ce que le curé eût remis sa -douillette et chaussé des sabots. Jean Péloueyre s'enveloppa d'une -pélerine, alluma la lanterne et précéda son hôte. - - -Le pluvieux décembre et ses brèves journées ne permirent plus aux époux -de se fuir--sauf lorsque Jean Péloueyre chassait la bécasse; mais même -alors il fallait rentrer dès quatre heures avec le crépuscule. Un seul -feu, une lampe unique rapprochaient ces corps ennemis. Autour de la -maison, la pluie endormante chuchotait. M. Jérôme avait ses douleurs -de chaque hiver dans l'épaule gauche et geignait. Mais Noémi allait -mieux. Elle s'obligeait à un effort quotidien pour détourner Jean de -ses projets de voyage; elle avait promis au ciel de tenter l'impossible -pour qu'il demeurât près d'elle. Cette supplication empêchait le -malheureux de rester indécis sans se résoudre à rien et, en ayant -l'air de le retenir, le forçait à prendre parti. Il levait vers la -jeune femme ses yeux de chien battu: «Il faut que je m'en aille, -Noémi». Elle protestait, mais s'il faisait semblant de fléchir, loin de -poursuivre son avantage elle n'insistait plus. M. Jérôme, bien qu'il -citât volontiers le vers des _Deux pigeons: L'absence est le plus grand -des maux_, envisageait avec une secrète joie de vivre seul près de sa -bru. Enfin le curé, en toutes rencontres, harcelait Jean Péloueyre. -Que pouvait le triste garçon contre cette complicité? D'ailleurs il -approuvait dans son cœur ce verdict de bannissement. Hors un pèlerinage -à Lourdes et ses nuits d'amour à Arcachon, il n'avait jamais quitté -son trou. S'enfoncer tout seul dans la cohue de Paris! C'était pour -lui sombrer à jamais au fond d'un océan humain plus redoutable que -l'Atlantique. Mais trop de cœurs le poussaient vers le gouffre. Le -départ fut enfin fixé à la deuxième semaine de février. Longtemps en -avance, Noémi s'inquiéta de la malle et du trousseau. Jean Péloueyre -était là encore qu'elle avait déjà retrouvé quelque appétit. Ses joues -se colorèrent. Un après-midi de neige, elle en fit des pelotes et les -jeta à la figure du petit-fils de Cadette, et Jean Péloueyre, derrière -une vitre du premier étage, les regardait. Lucide, il assistait à cette -résurrection. Comme la campagne se délivre de l'hiver, cette femme se -délivrait de lui: il la fuyait pour qu'elle refleurît. - - -Jean Péloueyre, ayant baissé la glace souillée du wagon, regarda -le plus longtemps possible s'agiter le mouchoir de Noémi. Comme il -flottait, ce signal d'adieu et de joie! Pendant cette dernière semaine, -elle avait saoûlé le voyageur d'une feinte tendresse, et ardente -l'avait provoqué jusqu'à lui faire murmurer, une nuit où il avait cru -la sentir vivre sous son souffle: «Et si je ne partais pas, Noémi?» Ah! -bien que ce fût dans les ténèbres et qu'elle n'eût répondu que par une -exclamation étouffée, il devina cette terreur, cette horreur, et ne put -se défendre d'ajouter: «Rassure-toi, je m'en irai.» Ce fut le seul mot -par quoi il manifesta qu'il n'était pas dupe. Elle se tourna vers le -mur et il l'entendit pleurer. - -Jean Péloueyre regarda défiler les pins familiers que traversait le -petit train; il reconnut ce fourré où il avait manqué une bécasse. La -voie longeait la route qu'il avait si souvent parcourue en carriole. -Cette métairie couchée dans la fumée et dans la brume, au bord d'un -champ vide, serrant contre elle le four à pain, l'étable, le puits, -il la salua par son nom, il en connaissait le propriétaire. Puis un -nouveau train l'emporta à travers des landes où il n'avait jamais -chassé. A Langon, il dit adieu aux derniers pins comme à des amis qui -l'eussent accompagné le plus loin possible et s'arrêtaient enfin, et de -leurs branches étendues le bénissaient. - - - -X - -Il se logea dans le premier hôtel qu'il rencontra quai Voltaire. Le -matin, il regardait pleuvoir sur la Seine qu'il n'avait encore osé -franchir, puis, à midi, se glissait jusqu'au café de la gare d'Orléans -où il somnolait, dans le grondement des trains qui emportaient vers -le Sud-Ouest des voyageurs bienheureux. N'osant s'attarder, son repas -fini, sans consommer, il buvait après sa bouteille de vin blanc, deux -verres de liqueur, et son agile esprit se mouvait dans l'absolu. Ses -tics, des mots entrecoupés, parfois faisaient sourire les voisins et -les garçons; mais tapi entre le tambour de la porte et une colonne, il -demeurait le plus souvent inaperçu. Jusqu'aux réclames, il lisait les -journaux: meurtres, suicides, drames de la jalousie et de la folie, -tout était bon à Jean Péloueyre qui se repaissait du mal universel. -Après le dîner, un ticket de deux sous lui donnait accès aux quais: -il cherchait le wagon où était écrit le nom d'Irun et dont les larges -vitres, le lendemain matin, refléteraient les landes monotones. Il -avait calculé que ce train passait à moins de quatre-vingts kilomètres -à vol d'oiseau de la maison Péloueyre. Il posait sa main sur la paroi -du wagon et lorsque le convoi s'ébranlait, on eut dit un homme qui voit -disparaître à jamais la moitié de son âme. Dans le café, où de nouveau -il s'attablait, c'était l'heure d'un orchestre et Jean Péloueyre -subissait jusqu'au désespoir la toute-puissance de la musique sur son -cœur. Elle le livrait sans recours au fantôme de Noémi. Il voyageait -par la pensée sur ce corps que jamais il n'avait contemplé qu'endormi. -Dans le sommeil, au long des nuits de septembre et quand le clair de -lune coulait sur le lit, le triste faune avait mieux appris à connaître -ce corps que si, amant heureux, il l'eût possédé dans un mutuel délire. -Il n'avait jamais tenu entre ses bras qu'un cadavre mais il l'avait -réellement pénétré avec ses yeux. Peut-être connaissons-nous mieux -qu'aucune autre, la femme qui ne nous a pas aimés. A cette heure, -Noémi dormait dans la vaste chambre froide, elle dormait bienheureuse, -délivrée d'une repoussante présence, toute à la volupté du lit désert. -A travers l'espace, il sentait la joie de sa bien-aimée, sa joie parce -qu'il n'était plus contre elle couché. La tête entre les mains, Jean -Péloueyre s'excitait à la colère: il reviendrait au pays, s'imposerait -à cette femme, jouirait d'elle, dût-elle en crever! Il en ferait un -objet à son usage... Alors, en lui, elle surgissait muette, soumise, -avec cette douce gorge lourde, comme un arbre qui tend son fruit. Il se -rappelait ses consentements à mourir d'horreur et sans un cri... Jean -Péloueyre payait les consommations, suivait le quai jusqu'à l'hôtel, se -déshabillait à tâtons pour ne pas se voir dans la glace. - - -Tous les trois jours, on lui portait avec son chocolat une enveloppe -qu'il n'ouvrait quelquefois que le soir. Ah! que lui importaient ces -hypocrites vœux pour son retour! Le seul plaisir de Jean Péloueyre -était de penser que la main de Noémi à ce papier s'appuya,--que l'ongle -de son petit doigt avait creusé cette ligne sous chaque mot. Vers la -fin de mars, il crut sentir quelque sincérité dans l'appel de Noémi: -«... Je suis sûre que vous ne croyez pas à mon désir de vous revoir. -C'est mal connaître votre femme...» Elle écrivait encore: «Je m'ennuie -de toi.» Jean Péloueyre froissait la lettre et relisait celle que -son père lui avait adressée par le même courrier: «... Tu trouveras -Noémi changée à son avantage: elle a repris de l'embonpoint, elle est -superbe; elle me soigne et me dorlotte avec tant de bonne humeur que -j'oublie de la remercier. Les Cazenave ne paraissent plus céans, mais -je sais qu'ils imaginent de la brouille entre vous: laissons-les dire. -Je reprends du poil de la bête; ce n'est pas comme le fils Pieuchon qui -ne sort plus qu'en voiture et qu'on croit perdu, bien qu'un médecin de -B... prétende le guérir avec de la teinture d'iode diluée dans l'eau: -les jeunes s'en vont avant les vieux...» - -Quand vinrent les premiers beaux jours, Jean Péloueyre osa enfin passer -les ponts. Dans un crépuscule d'or, il regarda la Seine et ses mains -touchaient le parapet tiède, le caressaient comme un être vivant. -Alors une voix derrière lui chuchota; elle l'appelait: chéri; elle -lui disait: viens. Tout près du sien, un jeune visage était exsangue -sous le fard. Une main gonflée et sans ongles cherchait sa main. -Il prit la fuite, ne s'arrêta qu'aux guichets du Louvre, soufflant -un peu. Même de telles créatures, aurait-il jamais osé attendre un -appel? Une autre femme que Noémi?... Il voulut, pour la première fois, -se délecter en pensée d'une complice, sinon bienheureuse, du moins -indifférente et sans dégoût; mais un si pauvre bonheur lui demeurait -inconcevable; il reçut l'âcre connaissance de ce comble d'infortune, en -éprouva un retour de colère. Ah! pourquoi ne pas consentir, ce soir, -à l'anéantissement dans des bras indulgents et soumis? Sont-elles au -monde pour d'autres que les Péloueyre, ces dispensatrices de caresses? -Il vit trembler le ciel de huit heures dans le bassin des Tuileries; -des enfants s'attroupaient à cause de ses gestes. Il fila, le dos rond, -contourna la place, atteignit la rue Royale et, comme c'était l'heure -de dîner, osa franchir le seuil d'un cabaret fameux. - -Tapi contre la porte, face au bar où, comme à une mangeoire d'acajou, -des perruches à aigrettes s'accrochent, il éprouvait avec délices que -son aspect ici n'étonnait ni les femelles, ni les maîtres d'hôtel, -noirs et gras--rats d'égouts de restaurants chers. Ce boyau étincelant -attire trop de sauvages des Amériques, trop de fermiers et de notaires -provinciaux pour qu'y fasse rire un Jean Péloueyre. Le Vouvray colorait -ses pommettes et il souriait au bétail qu'attirait l'auge d'acajou. -Une blonde charnue glissa de son tabouret, lui demanda du feu, but -dans son verre, à mi-voix lui promit pour cinq louis de bonheur, puis -de nouveau, se percha, expectante. Bien que le vieux monsieur d'une -table voisine lui conseillât d'attendre la fermeture de l'établissement -«parce qu'alors celles qui restent vous font des prix avantageux», Jean -Péloueyre paya l'addition et sur le trottoir fut rejoint par la dame. -Elle héla un taxi et fit descendre le client derrière la Madeleine. -L'escalier de l'hôtel sans vestibule s'amorçait au ras du trottoir -comme pour en aspirer les immondices. - -Le bruit des épingles à cheveux sur du marbre, éveilla Jean de sa -léthargie. Il vit des bras démesurément larges à l'endroit où ils -s'attachent aux épaules. Des faveurs roses enjolivaient cette chair -tremblante. Elle l'appela son loup tandis qu'avec un soin infini, -elle enlevait des bas de soie végétale. Cette hâte de se donner, ce -consentement, cette soumission sans dégoût, Jean Péloueyre en éprouvait -une pire douleur que lorsque, de toute sa chair, Noémi lui criait: Non! -Stupide, la fille le vit jeter un billet sur la table, et avant qu'elle -ait pu faire un geste, il était déjà dehors, enfilait une rue comme -un voleur. Il goûta, dans la cohue des boulevards, cette béatitude -après un grand péril conjuré. Les marronniers nus des Champs-Elysées -l'attirèrent. Un banc était libre; il s'y reposa, essoufflé toussant -un peu. Cette lune tronquée qu'éclipsaient les lampes à arc, il songea -qu'elle épandait sa lueur calme sur le troupeau des sombres cimes entre -les Pyrénées et l'Océan. Il ne souffrait plus, tout était pur en lui. -Il se délectait de sa misère sans souillure. Noémi et Jean s'aimeraient -dans un jour d'été sans déclin. D'avance il goûta l'accord de leur -chair glorifiée. O lumière où s'appelleront leurs corps immortels, -leurs corps incorruptibles! Jean Péloueyre dit à haute voix: «Il -n'est pas de Maîtres; nous naissons tous esclaves et nous devenons -vos affranchis, Seigneur.» Un sergent de ville s'étant approché, le -considéra un instant, puis, les épaules soulevées, s'éloigna. - - -Jean s'installa, chaque après-midi, à la terrasse du café de la Paix, -au bord d'un triste fleuve de visages. Les maladies secrètes, l'alcool, -les stupéfiants, avaient repétri à il ne savait quelle immonde -ressemblance ces milliers de figures qui toutes furent des figures -d'enfants. Jean Péloueyre s'intéressait à la quête des prostituées, -dénombrait ce troupeau de maigres louves. Il jouait à deviner pour -le compte de quel vice, ce monsieur à monocle et la lèvre pendante, -chassait. Avidement Jean Péloueyre cherchait une seule face qui portât -le signe des dominateurs et des maîtres, une seule et il eût suivi cet -être élu; mais les yeux étaient égarés, les mains tremblaient; des -convoitises hors nature salissaient des figures qui ne se savaient -pas épiées. D'ailleurs, ce Maître, s'il avait existé, eût-il été -immortel? Jean Péloueyre, gesticulant à cette table des boulevards -comme entre les murs d'une route de son village, se citait à soi-même -le mot de Pascal sur la fin de la plus belle vie du monde. On perd -toujours la partie! On perd toujours la partie, ô cerveau ramolli de -Nietzsche!... Des jeunes gens, près de lui, se poussaient du coude. -Une femme assise avec eux interpella Jean Péloueyre. Il tressaillit, -jeta de la monnaie sur la table et prit le large. Il entendit la femme -crier: «On n'est pas plus dingo...» Et maintenant il se glissait -dans la cohue, trottait comme un rat le long des vitrines, élaborait -le plan d'une étude péremptoire qu'il intitulerait: _Volonté de -Puissance et Sainteté._ Parfois, une glace de magasin le reflétait et -il ne se reconnaissait pas. La mauvaise nourriture l'avait maigri et -réduit encore. La poussière de Paris irritait sa gorge. Il aurait dû -renoncer aux cigarettes et n'avait jamais tant fumé; aussi allait-il -toujours crachant et toussant. Des vertiges l'obligeaient à s'appuyer -aux réverbères. Il aimait mieux se priver de manger que souffrir -ensuite de brûlures à l'estomac. Le ramasserait-on un jour dans le -ruisseau comme un chat mort? Alors Noémi serait délivrée... Ainsi -rêvait-il au cinéma où il échouait, moins attiré par l'écran que par -la musique ininterrompue. Souvent le fiévreux, mourant de fatigue, -entrait dans un établissement de bains. Un rideau de calicot voile -la lumière, les cols de cygne gouttent, on ne sent plus vivre son -corps. Jean Péloueyre ne cherchait de si médiocres refuges que parce -que longtemps il ne connut à Paris d'autre église que la Madeleine, -la seule qu'il rencontrât entre son hôtel et le café de la Paix. Mais -un jour, un autre itinéraire lui fit connaître Saint-Roch dont la -ténébreuse chapelle devint son hâvre quotidien. Odeur retrouvée de -l'église natale,--présence, la même à ce carrefour de l'immense ville -que dans le bourg inconnu. Pas une fois il ne franchit le seuil d'une -bibliothèque. - -Peut-être eût-il ainsi vécu jusqu'à la mort, si un matin une lettre du -curé ne l'avait rappelé au bercail. Les termes en étaient pressants, -bien qu'elle donnât de M. Jérôme et de Noémi les meilleures nouvelles. -Avec une grande angoisse, Jean Péloueyre monta dans cet express dont si -souvent il avait senti se détacher de lui, glisser doucement, puis plus -vite vers le Sud-Ouest, le wagon qui porte le nom d'Irun. - - - -XI - -Cette lettre d'appel, nul événement n'avait décidé M. le curé à -l'écrire: il s'y était résolu après une confession où Noémi n'avait -accusé que ses vénielles fautes de chaque samedi. Mais elle avait -requis l'aide spirituelle de son directeur contre des tentations, des -troubles dont elle ne précisa pas la nature. - -A l'éloignement de Jean Péloueyre, elle avait dû d'abord un peu de -cette lassitude heureuse des convalescences. La solitude lui était -une volupté continue; alanguie, elle se complaisait en soi-même. Bien -qu'elle fût incapable d'aucune analyse, elle se sentait autre et, -rendue à la vie de jeune fille, connaissait dans sa chair qu'elle -n'était plus une jeune fille. Le dégoût l'avait détournée d'assister -à l'éclosion en elle d'une femme; mais cette étrangère exigeait -d'elle une satisfaction mystérieuse. Inquiète de n'éprouver plus la -paix d'avant que cet homme la possédât, comment eût-elle discerné ce -désaccord entre son cœur toujours endormi et sa chair à demi éveillée? -Elle avait ressenti le déchirement de son être, avec horreur, certes, -mais la chair est fidèle à ne rien oublier de ce qu'elle subit. Comme -la jeune femme n'ouvrait d'autre livre que son paroissien et que son -état de jeune fille bien née et pauvre l'avait tenue à l'écart de toute -intime compagnie, aucune fiction, nulle confidence ne l'aurait éclairée -sur cette secrète exigence en elle. Alors le destin lui fournit un -visage. - - -Le soleil de mars faisait luire les flaques sur la place. La sieste -de Jérôme Péloueyre enchantait la maison au point que pas un meuble -n'y craquait. Comme toutes les femmes du bourg, Noémi cousait au -rez-de-chaussée, dans l'embrasure d'une fenêtre dont les volets -demeuraient mi-clos. De la table à ouvrage, le linge à repriser -coulait. Elle entendit un bruit de roues, vit s'arrêter à quelques pas -de la fenêtre une charrette anglaise. Un jeune homme tenait les rênes -et regardait autour de lui en quête d'un renseignement, mais la place -était déserte. Comme Noémi, curieuse, poussait les volets, l'étranger -tourna la tête, se découvrit et demanda où habitait le docteur -Pieuchon. Après que Noémi lui eût indiqué la route, il salua, toucha du -fouet la croupe de son cheval et disparut. Noémi recommença de coudre -et tout le jour tira l'aiguille, la pensée vague, inconsciente de ce -visage dont elle avait reçu l'empreinte. Le lendemain, à la même heure, -l'inconnu passa encore mais ne s'arrêta pas. Pourtant, devant la maison -Péloueyre, il retint un peu son cheval et ses regards cherchaient la -jeune femme entre les volets rapprochés. A tout hasard, il salua. Au -repas du soir, M. Jérôme prétendit tenir du curé que le fils Pieuchon -allait de mal en pis et que son père avait fait appel à un jeune -médecin de la sous-préfecture dont on vantait la méthode: il traitait -la tuberculose par la teinture d'iode à «dose massive»; il fallait -que le malade ingurgitât des centaines de gouttes diluées dans l'eau. -M. Jérôme doutait que l'estomac du fils Pieuchon pût tolérer cette -mixture. Chaque jour passa le tilbury et chaque jour il ralentit devant -la maison Péloueyre, sans que jamais Noémi poussât les volets. Le jeune -docteur saluait cette raie d'ombre où respirait une jeunesse invisible. -Le bourg s'intéressait à la cure par l'iode; tous les tuberculeux du -canton en usèrent. On assurait que le fils Pieuchon allait mieux. Le -printemps fut précoce; une tiède fin de mars désengourdissait le monde. -Un soir, Noémi put se déshabiller la fenêtre ouverte. Elle s'y accouda, -heureuse et triste, et sans désir de sommeil. Elle était devant la -nuit qui, par un travail secret, «révélait» ce visage d'homme dont -elle avait subi l'impression. Pour la première fois, elle y arrêta, de -propos délibéré, sa pensée: puisque l'étranger la saluait chaque jour -sans même l'apercevoir, ne serait-il plus convenable, le lendemain, de -pousser les volets et de rendre le salut? Ayant décidé d'agir ainsi, -elle en éprouva une émotion si douce qu'elle retarda l'instant de -s'étendre sur son lit. En elle, des traits un à un se détachèrent: Les -cheveux frisés et noirs entrevus dans la seconde où le jeune inconnu -soulevait son chapeau,--le rouge épais des lèvres sous une moustache -courte,--le costume de sport où luisait l'agrafe d'un stylo,--pas de -cravate, mais une molle chemise de tussor ouverte. - -Noémi, toute instinct, mais dressée à l'examen de conscience, fut vite -mise en alerte: sa première alarme vint, pendant sa prière, de ce -qu'il fallut recommencer chaque oraison: entre Dieu et elle, souriait -une figure brune. Au lit, elle en fut obsédée et au réveil, encore -toute brouillée de rêves, elle pensa d'abord qu'elle allait le revoir. -Durant la messe de ce matin-là, les mains de Noémi ne quittèrent -pas son visage. A l'heure de la sieste, lorsque le tilbury ralentit -devant la maison Péloueyre, tous les volets du rez-de-chaussée étaient -hermétiquement clos. - -Ce fut alors que l'exilé reçut à Paris des lettres qui l'étonnèrent, -celles où Noémi lui disait: «Je m'ennuie de toi...» En ce temps-là, -elle attendait dans la pièce noire que le tilbury fût passé pour -entr'ouvrir les volets et se mettre à l'ouvrage. Une après-midi, elle -se répéta que le scrupule aussi est un péché: «Je me monte la tête», -songeait-elle. Une fois pour toutes, elle se pencherait à la fenêtre, -répondrait au salut de l'étranger. Elle crut entendre un bruit de roues -et déjà sa main hésitait sur l'espagnolette, mais pour la première fois -depuis deux semaines, le tilbury ne passa pas. A l'heure où M. Jérôme -prenait sa valériane, Noémi monta chez lui et ne put se défendre de -l'avertir que le nouveau docteur n'était pas allé chez les Pieuchon. M. -Jérôme le savait: le fils Pieuchon avait eu la veille une rechute et ne -supportait plus l'iode. Il vomissait le sang à pleine cuvette, disait -le curé. Le printemps est une saison dangereuse aux poitrinaires. On -rapportait que le docteur Pieuchon avait eu des paroles très dures pour -son confrère qui, sans doute, n'oserait plus reparaître dans le bourg. -Noémi reçut un métayer, aida Cadette à plier la lessive. A six heures, -elle alla faire son adoration; puis, comme chaque jour, s'arrêta chez -ses parents. Mais après le dîner, elle se plaignit de migraine et gagna -sa chambre. - -Elle mena une vie plus active; ses couvées réussirent. Endimanchée, -elle fit les visites annuelles que les dames du bourg échangent avec -solennité. Enfin elle entreprit la tournée des métairies. Elle aimait -les courses en carriole dans les chemins forestiers que défoncent -les charrois. Aux côtés de la jeune femme, le petit-fils de Cadette -conduisait le cheval. Les ajoncs tachaient de jaune les fourrés -de fougères sèches. Aux chênes, les feuilles mortes frémissaient, -résistaient encore à un souffle chaud du Sud. L'exact miroir rond -d'une lagune reflétait les fûts allongés des pins, et leurs cimes et -l'azur. Aux troncs innombrables, de fraîches blessures saignaient et, -brûlantes, embaumaient cette journée. Le chant du coucou rappelait -d'autres printemps. Des cahots rejetaient le petit-fils de Cadette -contre Noémi et ces deux enfants riaient. Le lendemain la jeune femme -se plaignit de courbatures et le régisseur fut prié d'achever la -tournée des métairies. Hors la messe, on ne la vit plus jusqu'à ce -matin où revint Jean Péloueyre. - - - -XII - -Elle l'attendit à la gare: sa robe d'organdi s'épanouissait au soleil. -Elle portait des mitaines de fil et, à son cou nu, un médaillon où -étaient peints deux amours luttant avec un bouc. Des enfants jouaient -à marcher sur un rail. Le petit train siffla bien avant de paraître. -Noémi voulait que son émotion fût de la joie. L'absence ayant adouci -dans son souvenir les traits de Jean Péloueyre, elle avait comme recréé -son époux afin qu'il ne fût plus repoussant et ne gardait de lui qu'une -image insidieuse et retouchée. Tel était son désir de l'aimer, qu'elle -se crut impatiente d'embrasser ce Jean Péloueyre irréel. Si autour -de son doux corps épanoui, le désir avait flotté, caressant en dépit -d'elle d'autres visages, Dieu savait que pas une fois elle n'avait -consenti même à une pensée trouble. En revanche, elle ne doutait pas -que cette grâce lui dût être accordée de voir descendre du train un -époux différent de celui dont, le cœur délivré, elle avait salué le -départ. - -Sur le marchepied d'un wagon de deuxième classe, Jean Péloueyre parut. -Non, non, il n'était plus le même. Ses mains affaiblies soutenaient à -peine une valise dont le petit-fils de Cadette lestement le débarrassa. -Au bras de Noémi, il titubait un peu: «Mais tu es malade, pauvre -Jean!» Lui non plus, ne reconnaissait pas cette femme, tant elle avait -bénéficié de son absence,--éclatante et fleurissante et, plus encore -que naguère dans le parloir du curé, femelle merveilleuse en face du -mâle rabougri. Autour du couple, on chuchotait. Jean Péloueyre avait -honte à cause de la marchande de journaux, du chef de gare et du -facteur: «J'aurais dû t'envoyer la voiture. Pourquoi ne m'as-tu pas -écrit que tu étais malade?» Noémi prépara le lit, lava le visage et -les mains de Jean Péloueyre, étendit sur la table de chevet une nappe -blanche, y disposa les revues qui s'étaient accumulées et qu'elle -n'avait pas ouvertes. Jean, comme un enfant pauvre qu'on dorlote, -l'épiait de ses vifs petits yeux. M. Jérôme ne voulut pas qu'on appelât -le docteur Pieuchon: qu'un autre que lui dans la maison fût malade, -c'était ce qui pouvait jeter ce doux hors des gonds. A peine son fils -au lit, il se coucha lui aussi, prétendant souffrir de partout, et -refusa avec de gros mots les soins de Cadette. Noémi vint le voir, non -pour s'informer de sa santé, mais pour obtenir qu'il consentît à la -visite du docteur. Il refusa net: Pieuchon ne quittait pas le chevet de -son fils infesté de microbes. Si elle tenait à voir un carabin, elle -ferait venir le «jeune homme à la teinture d'iode!» Noémi détourna -la tête, et dit que ce garçon ne lui inspirait aucune confiance; ne -soignait-il pas d'ailleurs tous les tuberculeux de l'arrondissement? -M. Jérôme la coupa d'un ton rogue, criant que c'était son dernier mot, -et qu'il entendait qu'on ne l'importunât plus. Comme aux plus mauvais -jours, il se coucha le nez au mur, poussa à intervalles réguliers -d'effrayants soupirs et ces: Ah! Dieu! Dieu!--qui autrefois éveillaient -Jean dans le silence de la nuit. - - -Quand Noémi revint à sa chambre, la bonne y déployait un lit-cage. -Jean Péloueyre dont on ne voyait, au centre du traversin, que les yeux -brillants de rongeur, les pommettes trop rouges, le nez aigu, balbutia -qu'il avait froid dans le grand lit, que toujours il avait préféré -dormir à l'étroit, enfin qu'avant qu'un médecin l'ait ausculté, il -jugeait imprudent de partager la couche de Noémi. Elle aurait voulu -protester, feindre d'être déçue. Elle ne trouva aucun mot, et posa -ses lèvres sur le front mouillé de Jean Péloueyre; mais il détourna -la tête, ne pouvant supporter la gratitude horrible de ce baiser. La -journée ainsi passa calme et triste. Etendu dans sa muette province, il -somnolait, ne s'éveillait qu'au tintement d'une petite cuiller contre -une soucoupe. Bien qu'il ne fût pas très malade, Noémi le soutenait -pendant qu'il buvait et il buvait à lentes gorgées pour sentir plus -longtemps ce bras tiède contre son cou. Vint le crépuscule; la cloche -de l'église tinta. Ils entendirent dans la cour les hue! dia! du -petit-fils de Cadette qui attelait. La porte fut entrebâillée par M. -Jérôme, les pieds nus dans des pantoufles, vêtu d'une robe de chambre -souillée de remèdes. Honteux de sa colère, il venait se faire pardonner -et, affectant de l'inquiétude, prétendit ne pouvoir attendre plus -longtemps pour être rassuré: sur son ordre, le petit-fils de Cadette -allait quérir le jeune «médecin à la teinture d'iode». Jean Péloueyre -protesta; il n'éprouvait rien qu'un peu de fatigue; quelques jours de -repos et il n'y paraîtrait plus; le docteur ne comprendrait pas qu'on -ait osé le déranger d'urgence... - -Assise dans l'ombre, Noémi ne prononçait aucune parole, écoutait -le bruit des roues décroître et, sans un tressaillement, sans un -sanglot, pleurait. Une giboulée fouetta les vitres, hâta la venue de -la nuit et aucun des époux ne demandait la lampe. Cadette vint enfin -avec de la lumière et mit le couvert près du lit de Jean. Pendant -qu'ils mangeaient, Noémi lui demanda si son travail d'histoire était -achevé; il secoua la tête et elle ne lui posa plus de questions. La -carriole roula de nouveau dans la cour. Jean Péloueyre dit: «Voilà -le docteur.» Noémi se leva et se tint debout loin de la lampe. Elle -écoutait comme un orage, s'approcher le grondement d'une voix, -des pas dans l'escalier. Cadette ouvrit la porte; il entra. Plus -corpulent qu'il n'avait paru à Noémi, c'était ce que dans le pays -des Péloueyre, on appelle un beau drôle. Noir de poil, mais le teint -couleur de grenade, de ses longs yeux de mule andalouse, sans vergogne -déjà il guettait ceux de Noémi, suivant la ligne de son corps avec -une méthode lente. Lui aussi avait pensé à elle, lui aussi! N'osant -quitter la zone d'ombre, elle frémissait. Cependant il examinait le -malade: «Voulez-vous déboutonner votre chemise? Un mouchoir suffira, -madame... Comptez trente et un, trente-deux, trente-trois...» La lampe -éclairait ces clavicules, ces omoplates, ces côtes,--cette pitoyable -misère... Non, l'état de M. Péloueyre n'offrait rien d'alarmant, mais -il faudrait surveiller «ses sommets». Il ordonna des fortifiants, des -piqûres de cacodylate. Parfois il regardait Noémi. N'allait-il pas -croire qu'elle avait cherché à l'introduire dans la maison? C'était -si étrange d'obliger un médecin à faire six kilomètres en carriole, -le soir, pour ausculter un affaibli! Il ne s'en allait pas et de son -accent lourd, se défendait d'avoir jamais prétendu guérir, avec son -traitement d'iode, un tuberculeux aussi avancé que le fils Pieuchon. Sa -voix traînante, sa voix campagnarde rendait un son mâle et grave. Noémi -se sentait épiée par des regards coulés sous des paupières couleur de -safran; mais lui ne voyait d'elle qu'un fantôme silencieux. Il en vint -à dire que mieux valait prévenir la maladie, que M. Péloueyre était un -terrain tout préparé et favorable aux bacilles: «Un terrain, dirais-je, -tuberculisable. Feu madame Péloueyre mourut phtisique, n'est-ce pas?» -Ce jargon allait mal à cette bouche fraîche, créée pour ne dispenser -aucune autre science que des baisers. Il jugeait nécessaire qu'on -suivît le malade. Ce disant, il quêtait une invitation à revenir. -Comme Noémi demeurait muette, il se leva et demanda avec rondeur si M. -Péloueyre souhaitait qu'il renouvelât ses visites,--ne serait-ce que -pour lui administrer ses piqûres. «Qu'en penses-tu, Noémi?» Comme elle -ne répondait pas, Jean crut qu'elle ne l'avait pas entendu et répéta: -«Dis, Noémi, faut-il que monsieur revienne?» Elle prononça enfin: -«C'est tout à fait inutile.» Le ton de ce refus était tel que Jean -Péloueyre eut peur qu'elle ait froissé le médecin, et il protesta que -«le docteur demeurait seul juge». Le gros garçon, sans nul embarras, -promit d'accourir au premier appel. Noémi alors prit la lampe et le -précéda. Elle descendait vite, sentant ce souffle chaud sur sa nuque. -La carriole attendait devant la porte. Le jeune homme y monta sans -avoir obtenu un regard. Le petit-fils de Cadette fit claquer sa langue. -Une lanterne éclairait la croupe du cheval. Le vent nocturne éteignit -la lampe que tenait haut la jeune femme et elle demeura ainsi dans la -nuit, au seuil de cette maison morte, écoutant décroître un roulement -de carriole. Elle ne dormit pas. Jean Péloueyre, dans le lit de fer, -s'agitait, prononçait des paroles confuses. Noémi se releva pour le -border, posa sa main sur son front sans l'éveiller, comme elle eût fait -à l'enfant qui ne naîtrait jamais. - - - -XIII - -Jean Péloueyre, dès le surlendemain, reprit ses habitudes. Il sortait -à pas de loup, pendant la sieste de son père, guettait les pies, et, -après une station à l'église, rentrait le plus tard possible au gîte. -Noémi déjà perdait de son éclat. Jean Péloueyre mesurait ce cerne -autour des yeux si tristes et qui ne le regardaient qu'avec une humble -douceur. Il avait espéré que son exil du lit nuptial suffirait pour -que Noémi pût s'acclimater auprès de lui. Mais l'épouse luttait en -désespérée contre son dégoût et cette lutte l'exténuait. Plusieurs -fois elle appela Jean Péloueyre la nuit afin qu'il vînt près d'elle, -et comme il faisait semblant de dormir, elle se levait, lui donnait -des baisers--ces baisers qu'autrefois des lèvres de saints imposaient -aux lépreux. Nul ne sait s'ils se réjouirent de sentir sur leurs -ulcères ce souffle des bienheureux. Mais Jean Péloueyre, lui, en vint à -s'arracher de ces embrassements et c'était lui qui avec horreur criait: -«Laissez-moi.» - - -Les hauts murs des jardins s'échevelèrent de lilas sombres. Les -crépuscules eurent l'odeur des seringuas. Dans la lumière déclinante, -les hannetons bourdonnaient. Au mois de Marie, le soir, après le chant -des litanies, le curé disait: «On recommande à vos prières la réussite -à des examens de plusieurs jeunes gens, le mariage de plusieurs jeunes -filles, la conversion d'un père de famille, la santé d'un jeune homme -en danger de mort...» Tous savaient qu'il s'agissait du fils Pieuchon -au plus mal. Les lis de juin fleurirent. Noémi s'étonna de ce que Jean -n'emportait plus de fusil dans ses promenades; il dit que les pies le -connaissaient trop et que les malignes ne se laissaient plus approcher. -Elle craignait que ces courses fussent excessives car il n'en revenait -plus, comme autrefois, la figure animée,--mais au contraire abattu et -blême. Il prétendit alors que la chaleur le pâlissait. Une nuit, Noémi -l'entendit à plusieurs reprises tousser. Elle l'appela à voix basse: -«Tu dors, Jean?» Il l'assura qu'il souffrait un peu de la gorge et que -ce n'était rien; mais elle devinait son effort pour retenir la toux -qui, malgré lui, éclatait. Ayant allumé une bougie, elle vit qu'il -était trempé de sueur. Elle le regardait avec angoisse. Les yeux clos, -il paraissait attentif à un travail mystérieux en lui. Il sourit à sa -femme, et Noémi fut bouleversée par ce sourire si tendre, si calme. Et -il dit à mi-voix: «J'ai soif.» - - -Le lendemain matin, il n'avait pas de fièvre; sa température était -même trop basse. Noémi se rassura; elle aurait voulu qu'il ne sortît -pas après le déjeuner mais ne put le retenir. L'insistance de Noémi -parut déplaire à Jean qui regardait sa montre comme s'il redoutait -d'être en retard. M. Jérôme plaisanta: «Elle va croire que tu cours à -un rendez-vous!» Il ne répondit rien; son pas hâtif retentit dans le -vestibule. Un orage ternissait le ciel. On eut dit que le silence des -oiseaux immobilisait les feuillages. Tout ce jour-là, dans l'embrasure -de la fenêtre, au rez-de-chaussée, Noémi eut peur. A quatre heures -la cloche de l'église tinta à petits coups espacés et la jeune femme -se signa parce que quelqu'un entrait en agonie. Elle entendit sur la -place une voix qui disait: «C'est pour le fils Pieuchon. Ce matin déjà -il a failli passer.» De larges gouttes creusaient la poussière, lui -arrachaient son odeur des soirs d'orage. Son beau-père dormant encore, -Noémi alla à la cuisine pour parler de Robert Pieuchon avec Cadette. La -vieille qui était sourde n'avait pas entendu le glas. Elle dit qu'on -aurait des renseignements par «Moussu Jean». Et comme Noémi s'étonnait, -Cadette soupira, larmoya: «Elle pensait bien que «la mistresse» ne le -savait pas: sans quoi elle aurait empêché «lou praou moussu», faible -comme il était, de passer tous ses après-midis avec le fils Pieuchon; -et depuis plus d'un mois déjà! Il avait défendu à sa vieille Cadette -d'en rien dire à personne. Noémi feignit de n'être pas surprise. Elle -sortit; il ne pleuvait plus; un vent poussiéreux bousculait de lourdes -nues. Elle alla vers la maison du docteur dont la mort avait déjà -clos tous les volets. Jean Péloueyre parut sur le seuil: il clignait -ses yeux éblouis, bien que le jour fût comme terni, et n'aperçut pas -sa femme. La face terreuse, hors du monde, il allait d'instinct vers -l'église où il entra. Noémi le suivait de loin. L'humide fraîcheur de -la nef la saisit,--ce froid de terre, ce froid de fosse fraîchement -ouverte qui étreint les corps vivants dans les églises que le temps -enfonce peu à peu et où l'on accède en descendant des marches. Cette -toux dont le bruit l'avait éveillée la nuit précédente, de nouveau -Noémi l'entendit, mais, cette fois, répercutée à l'infini par les -voûtes. - - - -XIV - -Jean Péloueyre avait demandé qu'on descendît son lit dans une chambre -du rez-de-chaussée qui ouvrait sur le jardin. Quand il étouffait, -on poussait sous la véranda le lit de fer et il regardait le vent -rétrécir ou dilater le bleu entre les feuilles. On avait fait venir -une sorbetière parce qu'il n'avalait guère, hors le lait cru et froid, -qu'un peu de glace parfumée. Son père venait le voir, lui souriait, -mais de loin. Peut-être Jean eût-il préféré les ténèbres de la chambre -pour y cacher son agonie, mais il avait choisi de mourir au jardin afin -que Noémi fût moins exposée à la contagion. Des piqûres de morphine -l'assoupissaient. Repos! Repos après ces horribles après-midi au chevet -du fils Pieuchon criant de désespoir à cause de ce qu'il quittait à -jamais: des soir de noce à Bordeaux, les danses dans des cabarets de -banlieue autour d'un orgue mécanique, les randonnées en bicyclette, -lorsque la poussière se colle à de maigres cuisses velues et qu'on se -crève, et surtout les caresses des filles. Les Cazenave répandirent -partout le bruit que l'avarice de M. Jérôme interdisait à son fils le -bienfait des climats plus doux et les cures d'altitude. Mais, outre -que Jean n'était pas homme à mourir hors du gîte, le docteur Pieuchon -professait que contre la tuberculose, rien ne vaut la forêt landaise: -il tapissa même de jeunes pins la chambre du malade comme pour une -Fête-Dieu et entoura le lit de pots débordants de résine. A bout de -science enfin, il fit appeler son jeune confrère, bien qu'il fut -dès lors avéré que Jean Péloueyre ne tolérerait plus l'iode «à dose -massive». Noémi accueillit le beau garçon avec une indifférence qui -n'alla pas jusqu'à ignorer qu'il pâlissait sous son regard ou lorsque -leurs mains se touchaient. A chaque rencontre elle savourait cette -certitude que rien ne lui était plus au monde que ce gisant--son époux. -Mais il se peut aussi qu'au plus obscur de son cœur, elle sentît le -jeune mâle solidement harponné et qu'elle ne fût si tranquille que -parce qu'elle était assurée de le tirer sur la berge, un jour, vivant -et palpitant... Jean Péloueyre défendait à Noémi de l'embrasser, mais -il acceptait l'imposition de sa main fraîche sur son front. Croyait-il -maintenant qu'elle l'aimait? Il le croyait et disait: «Soyez béni à -jamais, mon Dieu, qui, avant que je meure, m'avez donné l'amour d'une -femme...» Et comme autrefois dans ses courses solitaires il ruminait -indéfiniment le même vers, aujourd'hui, quand il se sentait las de -son chapelet et pendant que Noémi tenait son poignet, comptant les -pulsations, il répétait à mi-voix le cri de Pauline: _Mon Polyeucte -touche à son heure dernière_, et souriait. Non qu'il se crût un martyr. -Toujours on avait dit de lui: «C'est un pauvre être.» Et jamais il -n'avait douté qu'il en fût un. Le regard en arrière sur l'eau grise de -sa vie l'entretenait dans le mépris de soi. Quelle stagnation! Mais -sous ces eaux dormantes avait frémi un secret courant d'eau vive, et -voici qu'ayant vécu comme un mort, il mourait comme s'il renaissait. - - -Un soir, le curé et le docteur Pieuchon s'étant attardés dans le -vestibule, Noémi les rejoignit et amèrement leur demanda compte de -leur silence: pourquoi ne l'avaient-ils pas avertie des stations -quotidiennes de Jean au chevet d'un phtisique? Le docteur baissait la -tête, s'excusait sur ce qu'il ne connaissait pas l'état de M. Jean. -D'une charité sans borne, comment se serait-il étonné d'un dévouement -qu'il pratiquait lui-même et dont son fils était le bénéficiaire? Le -curé se défendit plus vivement: Jean Péloueyre avait exigé le silence; -envers ses dirigés, un directeur doit pousser la discrétion jusqu'au -scrupule: «Mais c'est vous, monsieur le curé, c'est vous qui avez -voulu ce fatal voyage à Paris.--... Moi seul, Noémi?» Elle s'appuya -contre le mur, élargissant du doigt une éraflure dans le plâtre peint -en faux-marbre. On entendait tousser dans la chambre. Les savates de -Cadette traînèrent. Le Curé dit encore: «J'ai agi après avoir prié, -Noémi. Il faut adorer les voies de Dieu.» Il enfila sa douillette. -Mais, dans le secret, il était la proie de sentiments contraires, -et, au long de ses insomnies, pleurait sur Jean Péloueyre; en vain -se répétait-il que le malade avait testé en faveur de Noémi, et que -c'était l'intention de M. Jérôme, après la mort du pauvre enfant, de -donner la maison et le plus possible de son bien à la jeune femme,--à -condition qu'elle ne se remariât pas. Le curé, homme scrupuleux mais -trop enclin à entrer dans le destin des autres, interrogeait son cœur. -Il n'avait pas douté que ce mariage dut être heureux,--et _sub specie -æterni_, n'en fallait-il admirer la réussite? Quel était son gain en -cette affaire? Bon pasteur, il n'avait eu souci que de son troupeau. -Le curé, chaque fois qu'il se jugeait, se renvoyait absous, mais ne -se lassait pas de rouvrir son procès. Il redoutait d'avoir perdu le -discernement de l'injuste et du juste, et n'en revenait pas d'hésiter -sur la valeur de ses actes. Humilié, il pontifia moins: pour célébrer -sa messe quotidienne, il ne défit plus la queue de sa soutane et -renonça au chapeau tricorne qui le distinguait de ses confrères. Toutes -ses petitesses, une à une, se détachaient de lui. Il reçut sans joie la -nouvelle que, bien qu'il ne fût pas curé-doyen, l'évêché lui octroyait -le droit de porter le camail sur son surplis. Comment avait-il pu -tenir à ces misères, lui, le gardien des âmes? Rien ne lui était plus, -à cette heure, que de démêler sa part dans ce drame: avait-il été -l'instrument docile de Dieu? ou le, pauvre curé de campagne s'était-il -substitué à l'Etre infini? - -Cependant, chaque soir, sur la route gelée, une carriole emportait le -jeune docteur. A travers les cimes serrées des pins, le clair de lune -filtrait, mal retenu par les branches jointes. Les têtes rondes et -sombres planaient dans le ciel comme un vol immobile. Plusieurs fois, -à quelques cents mètres du cheval, de courtes ombres de sangliers, -d'un talus à l'autre, traversèrent. Les pins s'écartaient autour d'un -nuage au ras du sol qui recélait une prairie. La route fléchissait et -l'on entrait dans l'haleine glacée d'un ruisseau. Le jeune homme, sous -sa peau de bique, isolé dans l'odeur du brouillard et de sa pipe, ne -savait pas qu'il y eût, au-dessus des pins, les astres. Son nez ne se -levait pas plus de la croûte terrestre que le museau d'un chien. Et -quand il ne songeait pas au feu de la cuisine où tout à l'heure il -se sécherait, et à la soupe dans quoi il verserait du vin, sa pensée -s'attachait à cette Noémi si proche de sa main et qu'il n'avait jamais -touchée. «Pourtant, se disait ce chasseur, je ne l'ai pas ratée; elle -est blessée...» Son instinct l'avertissait quand le gibier féminin -était forcé, demandait grâce. Il avait entendu le cri de ce jeune -corps. Combien en avait-il possédé de femmes, défendues, mariées à des -hommes et non à un débris comme ce Péloueyre! Atteinte et plus qu'une -autre démunie, cette Noémi serait-elle seule inaccessible? Tant que -durerait l'agonie du mari, sans doute obéissait-elle à une pudeur; -mais avant que son époux fût très malade, qui donc avait retenu cette -perdrix à demi fascinée? Quel aimant plus fort l'attirait dans l'ombre, -loin de la lampe? Un autre amour? Il ne croyait pas qu'elle fût dévote; -cette espèce-là, le jeune docteur pensait la bien connaître: il avait -dû déjà se mesurer avec le curé pour la conquête d'une ouaille. La -dévote joue, se passe un péché véniel, tourne autour du feu, se brûle -un pied, et à la dernière seconde glisse entre les doigts, comme -ramenée, par un fil invisible, au confessionnal. Il fit des plans pour -quand Jean Péloueyre aurait «clampsé». Il se disait: «Je l'aurai.» Et -il riait, possédant la patience du Landais qui chasse à l'affût. - -Vers ce temps-là, les personnes pieuses du bourg qui, au milieu du -jour, entraient à l'église et s'y croyaient seules, tressaillaient au -bruit d'un soupir dans le chœur: presque tous ses instants de liberté, -le curé les vivait dans cette ombre, devant son juge. Là seulement il -goûtait la paix, non pas celle que donne le silence des églises de -campagne ténébreuses et comme immergées, mais cette paix que rien au -monde ne donne. Le prêtre concevait qu'il y avait loin du petit être -chétif, de ce Jean Péloueyre à peine capable, aux veilles de grandes -fêtes, de frotter les cristaux des lustres et de ramasser les longues -mousses dont les dames faisaient des guirlandes,--qu'il y avait loin -du tueur de pies à ce mourant qui donnait sa vie pour le salut de -plusieurs. Le curé s'abîmait devant Celui dont le secret est de rendre -semblables à Dieu, des esclaves. - - - -XV - -Pour Jean Péloueyre suffoquant, l'été s'était adouci. En septembre, -de fréquents orages roussirent les feuilles. Le petit-fils de Cadette -portait au malade les premiers cèpes et leur odeur de terre sylvestre, -le distrayait avec les ortolans capturés au petit jour: il les -engraisserait dans le noir et les servirait à moussu Jean après les -avoir étouffés dans un vieil armagnac. Des vols de ramiers présageaient -un hiver précoce: bientôt on monterait les appeaux à la palombière... -Toujours Jean Péloueyre avait aimé l'approche de l'arrière-saison, -cet accord secret avec son cœur des champs de millade moissonnés, -des landes fauves connues des seules palombes, des troupeaux et du -vent. Il reconnaissait quand, à l'aube, on ouvrait la fenêtre pour -qu'il respirât mieux, le parfum de ses tristes retours de chasse aux -crépuscules d'octobre. Mais il ne lui fut pas donné d'attendre en paix -le passage: Noémi ne savait pas que l'on doit le silence aux mourants; -et de même qu'autrefois elle n'avait pu lui céler son dégoût, elle ne -savait aujourd'hui lui faire grâce de ses remords. Elle mouillait de -larmes sa main, insatiable de pardon. Vainement lui disait-il: «C'est -moi seul qui t'ai choisie, Noémi ... moi seul qui n'ai pas eu souci -de toi...» Elle secouait la tête, ne voyait rien, hors ceci que Jean -mourait pour elle: qu'il était noble et grand! qu'elle l'aimerait s'il -guérissait! Elle lui rendrait au centuple cette tendresse dont elle -fut si avare. Comment Noémi aurait-elle su que d'un Jean Péloueyre à -peine convalescent, elle eût déjà commencé de se déprendre, et qu'il -fallait qu'il touchât à son heure dernière pour qu'enfin elle le pût -aimer? C'était une très jeune femme ignorante et charnelle et qui ne -connaissait pas son cœur. Mais ce cœur de désir était sans ruse et -soumis à Dieu. Gauchement, elle exigeait du moribond le mot qui l'eût -délivrée de son remords. Après de tels débats, il perdait cœur, et -souhaitait de ne pas demeurer seul avec elle; il l'eut été souvent -(car M. Jérôme était cloué au lit par tous ses maux conjurés); mais -que le jeune docteur montrait donc de dévouement! Jean Péloueyre -s'étonnait de l'étrange fidélité d'un inconnu. Incapable de soutenir -une conversation, du moins il jouissait de cette présence. - -Une après-midi, à la fin de septembre, il s'éveilla d'une longue -somnolence et aperçut, dans un fauteuil, près de la fenêtre, Noémi, -la tête renversée par le sommeil, écouta ce souffle d'enfant calme, -referma les yeux. Au bruit de la porte, il les rouvrit: le docteur -entrait doucement; Jean fut lâche devant l'effort d'une seule parole -d'accueil et feignit de dormir. Les souliers de chasse du jeune homme -craquèrent. Puis plus rien: un silence qui incita Jean Péloueyre à -voir. L'ami inconnu, près de la jeune femme assoupie, se tenait debout. -Non pas d'abord incliné vers elle, imperceptiblement il se pencha, -et sa forte main velue tremblait... Jean Péloueyre ferma les yeux, -entendit la voix basse de Noémi: «Ah! pardonnez-moi... Vous m'avez -surprise, docteur; je dormais un peu, je crois... Notre malade est -abattu aujourd'hui... Le temps est si accablant! Voyez: les feuilles -ne remuent pas...» Le docteur répondit que pourtant le vent soufflait -du sud-ouest; et Noémi: «Le vent d'Espagne nous portera l'orage...» -L'orage, c'était ce garçon pâle et furieux de désir et de qui les yeux -paraissaient «chargés» comme le ciel. Noémi se leva, vint vers Jean, -et mit ce lit de fer entre elle et l'homme qui la couvait du regard. -Il balbutia: «Il faudrait vous ménager, madame, dans son intérêt -même.--Oh! Moi, je résiste à tout; je trouve la force de manger et de -dormir comme une bête... Comment font ceux qui meurent de chagrin?» Ils -s'assirent loin l'un de l'autre. Jean Péloueyre semblait sommeiller -toujours et sans remuer les lèvres, se chantait à lui-même, en marquant -la césure: _Mon Péloueyre touche à son heure dernière..._ - - -Comme si l'arrière-saison l'eût retenu dans un embrassement, dans ses -voiles et dans son odeur de larmes, il étouffa moins, se nourrit un -peu: ce furent pourtant ses jours de plus grande souffrance. Au bord -de la mort, mais vivant, s'il ne doutait pas de Noémi,--lorsqu'il -entrerait dans la ténèbre, avec quoi se défendrait-il contre ce jeune -homme qui était beau? L'ombre misérable d'un mort ne sépare pas ceux -qui furent prédestinés à s'aimer. Rien ne parut de ses affres; il -serrait la main du docteur, lui souriait. Ah! qu'il aurait voulu -vivre pourtant afin de le vaincre et d'être préféré! Quelle sombre -folie lui avait donc inspiré le désir de la mort? Même sans Noémi, -même sans femme, il fait si bon boire l'air et la caresse du vent de -l'aube l'emporte sur toutes caresses... Trempé de sueur, et dans le -dégoût de son odeur de malade, il regardait le petit-fils de Cadette -qui, par la fenêtre ouverte, lui tendait la première bécasse de la -saison... O matinées de chasse! Béatitude des pins aux cimes ternes et -grises dans l'azur, pareils aux humbles qui seront glorifiés! Alors, -au plus épais de la forêt, une coulée verte d'herbages, d'aulnes et de -brume dénonçait l'eau vive que l'alios colore d'ocre. Les pins de Jean -Péloueyre forment le front de l'immense armée qui saigne entre l'Océan -et les Pyrénées; ils dominent Sauternes et la vallée brûlante où le -soleil est réellement présent dans chaque graine de chaque grappe... -Avec le temps, Jean Péloueyre eut été moins soucieux de son cœur parce -que toute laideur comme toute beauté se perd dans la vieillesse; et il -aurait eu cela, du moins, les retours de la chasse, les champignons -ramassés. Les étés d'autrefois brûlent dans les bouteilles d'Yquem et -les couchants des années finies rougissent le Gruau-Larose. On lit -devant le grand feu de la cuisine, entouré de landes pluvieuses... -Cependant Noémi disait au docteur: «Ce n'est pas la peine que vous -reveniez demain...» Il répondait: «Si! Si! Je reviendrai...» Noémi -comprenait-elle? Se pouvait-il qu'elle ne comprît pas? S'était-il -jamais déclaré? Jean Péloueyre mourrait-il sans voir l'issue de cette -lutte à son chevet? On eût dit que quelqu'un ayant connu que le pauvre -enfant se détachait du monde sans souffrir assez, à la hâte tressait -des liens tels qu'il ne les pût briser qu'en un immense effort. -Pourtant, un à un, tous se rompirent jusqu'à sa rechute dernière: ses -passions s'éteignirent avant lui et vint le jour où il put donner à -tous le même sourire, la même gratitude sans nuance. Ce n'étaient plus -des vers qu'il répétait, mais des paroles comme celles-ci: «C'est Moi. -Ne craignez point...» - -Les pluies de l'hiver finissant enserrèrent la chambre ténébreuse. -Pourquoi se demandait-on si Jean Péloueyre souffrait, puisque sa -souffrance était une joie? De la vie, il ne percevait plus que les -chants des coqs, des cahots de charrette, des appels de cloche, ce -ruissellement indéfini sur les tuiles, et, la nuit, des sanglots de -rapaces oiseaux, des cris de bêtes assassinées. Sa dernière aube toucha -les vitres. Cadette alluma un feu dont la fumée résineuse emplit la -chambre. Cette haleine des pins incendiés que si souvent, dans les -étés torrides, la lande natale lui souffla au visage, Jean Péloueyre -la reçut sur son corps expirant. Les d'Artiailh prétendaient savoir -qu'il entendait encore mais qu'il ne voyait plus. M. Jérôme, en sa -robe souillée de remèdes, était debout contre la porte, un mouchoir -sur la bouche. Il pleurait. Cadette et son petit-fils s'agenouillèrent -dans l'ombre. La voix du prêtre, avec des paroles propitiatoires, -semblait forcer des vantaux invisibles: _Partez de ce monde, âme -chrétienne, au nom de Dieu le Père tout-puissant, qui vous a créée; -au nom de Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant qui a souffert pour vous; -au nom de l'Esprit Saint qui est descendu sur vous; au nom des Anges -et des Archanges; au nom des Trônes et des Dominations; au nom des -Principautés et des Puissances..._ Noémi le contemplait ardemment, se -disant en elle-même: «Il était beau...» Les gens du bourg confondirent -le glas de son agonie avec l'Angelus du matin. - - - - -XVI - -M. Jérôme se coucha. Les miroirs où si souvent Jean Péloueyre avait -contemplé sa pauvre mine, furent voilés de linge. On habilla son -corps comme pour la grand'messe: Cadette le coiffa même d'un feutre -et lui mit un paroissien entre les mains. La cuisine se remplit d'une -rumeur de fête parce qu'il y aurait quarante personnes à la salle à -manger. Des métayères hurlèrent autour du char, pareilles aux antiques -pleureuses. C'était la première fois que le curé faisait une seconde -classe. On distribua une paire de gants et un sou enveloppé de papier à -tous les invités. Il plut pendant le service, mais une éclaircie dura -jusqu'au retour du cimetière. Jean Péloueyre attendit dans la terre la -résurrection des morts, dans ce sable sec et qui momifie et embaume les -cadavres; Noémi Péloueyre s'ensevelit dans le crêpe pour trois ans. -Son grand deuil la rendit, à la lettre, invisible. Elle ne sortait -qu'à l'heure de la messe et s'assurait, avant de traverser la place, -qu'il n'y eût personne. Même quand vinrent les premières chaleurs, un -col liseré de blanc serra son cou. Certaines critiques l'obligèrent à -refuser une robe d'un noir trop soyeux, trop brillant. Vers ce temps-là -le bruit se répandit de la conversion du jeune docteur: on le signala -à la messe, dans la semaine. Il y paraissait entre deux visites. Le -curé, si on sollicitait son avis sur un événement si consolant pour -un pasteur, souriait de sa bouche sans lèvres et comme cousue, mais -ne disait mot. Peut-être avait-il perdu de son autorité et de sa -force de persuasion, car il ne put obtenir de M. Jérôme que la clause -fût effacée de ses dernières volontés qui obligeait Noémi à ne pas -se remarier. Il échoua de même lorsqu'il insista pour adoucir les -rigueurs d'un deuil dont il blâmait l'excès. M. Jérôme se glorifiait -d'appartenir à une famille où les veuves ne quittaient jamais le noir -et les d'Artiailh montrèrent beaucoup de zèle à maintenir Noémi dans -cet ensevelissement. C'est pourquoi, en ces aubes d'hiver où l'église -est si sombre, le jeune docteur ne discernait pas plus la veuve dans -son ténébreux nuage qu'elle-même ne voyait son époux à travers la dalle -scellée que touchaient chaque jour ses genoux. A peine entrevit-il, -parfois, la clarté d'un visage brillant de jeunesse en dépit du jeûne -des matins de communion et d'une vie cloîtrée. Au lendemain de la -messe d'anniversaire, lorsqu'il fut connu de tout le bourg que Noémi -Péloueyre ne rejetterait pas son voile, les sentiments chrétiens du -docteur fléchirent. Il ne négligea pas que l'église, mais aussi ses -malades. Le vieux Pieuchon avait entendu dire de son jeune confrère -qu'il buvait, et même qu'il se levait la nuit pour boire. M. Jérôme -ne s'était jamais si bien porté et sa bru connut des loisirs; elle -s'occupait du domaine, mais les pins n'exigent guère de surveillance. -Sa piété solide, régulière, était courte et peu soutenue de lectures. -A peine capable de méditation, elle s'attachait surtout aux formules. -Comme il n'est guère de pauvres au pays de la résine, et qu'on a tôt -fait de grouper, une fois dans la semaine, autour d'un harmonium, -le troupeau bêlant des enfants de Marie, que restait-il à Noémi, -sinon, selon l'usage des Landaises, de se divertir sans excès avec la -nourriture? Dès la troisième année de son deuil, Noémi épaissit et le -docteur Pieuchon dut lui ordonner de marcher une heure chaque jour. - - -Une après-midi à l'époque des premières chaleurs, elle alla jusqu'à -la métairie nommée Tartehume, et, accablée, se laissa choir sur le -talus. Autour d'elle, les genêts bourdonnaient d'abeilles et des taons, -des mouches plates, sorties des brandes, piquaient ses chevilles. -Noémi sentait battre son cœur comprimé de personne forte, et ne -pensait à rien qu'à cette poussiéreuse route qu'une récente coupe de -pins livrait tout entière au feu du ciel et où, pour le retour, elle -devrait parcourir encore trois kilomètres. Elle éprouvait que les pins -innombrables, aux entailles rouges et gluantes, que les sables et les -landes incendiées la garderaient à jamais prisonnière. En cette femme -inculte et sans intelligence s'éveillait confusément le débat qui -avait déchiré Jean Péloueyre: N'était-ce pas cette terre de cendre, -cette vie érémitique qui obligeait une malheureuse mourant de soif à -hausser la tête, à se tendre toute vers le rafraîchissement éternel? -Elle essuyait avec son mouchoir bordé de noir ses mains moites et ne -regardait rien que ses souliers poudreux et le fossé où des fougères -naissantes s'ouvraient comme des doigts. Pourtant elle leva les yeux, -reçut au visage cette odeur de pain de seigle qui était l'haleine de -la métairie, et brusquement fut debout, tremblante: un tilbury qu'elle -reconnut était arrêté devant la maison. Que de fois, entre les volets -rapprochés d'une fenêtre, avait-elle regardé luire ces essieux avec -plus d'amour que des étoiles! Elle secoua sa robe pleine de sable;--des -charrois cahotaient; un geai cria; Noémi, dans un nuage de mouches -plates, demeurait immobile les yeux sur cette porte qu'un jeune homme -allait ouvrir. Bouche bée et la gorge gonflée, elle attendait, elle -attendait--humble bête soumise. Lorsque s'entrebailla la porte de la -métairie, ses regards fouillèrent l'ombre où se mouvait un corps; -une voix familière ordonnait en patois d'énormes doses de teinture -d'iode... Il parut: le soleil alluma chaque bouton de sa veste de -chasse; le métayer tint le cheval par la bride; il disait qu'on était -à la saison la plus dangereuse pour les incendies: tout est encore -sec, rien ne verdit sous bois et les landes ne sont plus inondées... -Le jeune homme rassembla les rênes. Pourquoi Noémi reculait-elle? -Une force suspendait son élan vers celui qui s'avançait, la tirait -en arrière. Elle s'enfonça dans les brandes plus hautes qu'elle; les -ronces écorchaient ses mains. Un instant elle s'arrêta, attentive à un -roulement de voiture sur la route qu'elle ne voyait plus. Sans doute, -fuyant ainsi, songeait-elle que le bourg n'accepterait pas sans cris -qu'elle déchût de son rang de veuve admirable, et qu'une clause du -testament de M. Jérôme empêcherait toujours les d'Artiailh de consentir -à ce que Madame d'Artiailh appelait «un bête de mariage». Mais de tels -obstacles, l'instinct de Noémi ne les eût-il balayés, si ne l'avait pas -jugulée une autre loi plus haute que son instinct? Petite, elle était -condamnée à la grandeur; esclave, il fallait qu'elle régnât. Cette -bourgeoise un peu épaisse ne pouvait pas ne se pas dépasser elle-même: -toute route lui était fermée, hors le renoncement. Dès cette minute-là, -dans la pignada pleine de mouches, elle connut que sa fidélité au -mort serait son humble gloire et qu'il ne lui appartenait plus de -s'y soustraire. Ainsi courut Noémi à travers les brandes, jusqu'à ce -qu'épuisée, les souliers lourds de sable, elle dût enserrer un chêne -rabougri sous la bure de ses feuilles mortes mais toutes frémissantes -d'un souffle de feu,--un chêne noir qui ressemblait à Jean Péloueyre. - - -_La Motte, Vémars_, juillet; - -_Johannet, Saint-Symphorien_, septembre 1921. - - - - - -End of Project Gutenberg's Le baiser au lépreux, by François Mauriac - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BAISER AU LÉPREUX *** - -***** This file should be named 51372-0.txt or 51372-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/3/7/51372/ - -Produced by Winston Smith. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Le baiser au lépreux - -Author: François Mauriac - -Release Date: March 5, 2016 [EBook #51372] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BAISER AU LÉPREUX *** - - - - -Produced by Winston Smith. Images from the Internet Archive. - - - - - -</pre> - -<div class="cover"> -<img src="images/cover.jpg" alt="" /> -</div> - -<h1>LE BAISER AU LÉPREUX</h1> - -<hr class="r35" /> - -<p class="edition">«LES CAHIERS VERTS»<br /><br /> -PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE DANIEL HALÉVY</p> - - -<p class="title">LE -BAISER AU LÉPREUX</p> - -<p class="author"><span style="font-size: smaller;">PAR</span><br /> -FRANÇOIS MAURIAC</p> - - -<p class="edition"><span class="smcap">précédé d'une lettre de</span> DANIEL -HALÉVY <span class="smcap">a</span> FRANÇOIS MAURIAC -<span class="smcap">et d'un hommage de </span> J.-J. THARAUD -<span class="smcap">à</span> HENRI GENET.</p> - - -<p class="editor">PARIS<br /><br /> - -BERNARD GRASSET, ÉDITEUR<br /><br /> - -61, RUE DES SAINTS-PÈRES, PARIS, 6<sup>e</sup><br /><br /> - -1922</p> - -<hr class="full" /> - -<p>CE HUITIÈME CAHIER, LE PREMIER DE -L'ANNÉE MIL NEUF CENT VINGT-DEUX, A -ÉTÉ TIRÉ A SIX MILLE SEPT CENT TRENTE -EXEMPLAIRES DONT TRENTE EXEMPLAIRES -SUR PAPIER VERT LUMIÈRE NUMÉROTÉS DE -I A XXX; CENT EXEMPLAIRES SUR VÉLIN -PUR FIL LAFUMA, NUMÉROTÉS DE XXXI A -CXXX, ET 6.600 EXEMPLAIRES SUR VERGÉ -BOUFFANT NUMÉROTÉS DE 131 A 6.730.</p> - - -<p>1,541</p> - -<hr class="r65" /> - -<h2><i>LETTRE</i> -A FRANÇOIS MAURIAC</h2> - -<div class="letter"> - -<p>Vous m'avez demandé, mon cher Mauriac, -une préface pour votre conte. Non, -vous ai-je répondu, à quoi bon? Un conte -se lit, se donne à lire; on le rejette ou l'apprécie, -et cela dit tout. Si des considérations -critiques l'accompagnent, elles ne -pourront qu'encombrer, qu'indisposer le -lecteur. Sur moi du moins elles feraient -cet effet.</p> - -<p>Mais écoutez; puisque vous avez eu -cette idée d'une sorte de préliminaire -à votre récit, laissez-moi vous faire une -proposition: elle est un peu sévère, -je crois que vous l'agréerez pourtant.</p> - -<p>Nous venons de perdre un ami que nous -estimions tous pour son amour des lettres. -Il n'avait jamais beaucoup écrit, il écrivait -de moins en moins. Mais il lisait -de plus en plus, il lisait admirablement. -Il avait la sévérité, la bienveillance, les -qualités exquises. S'il vivait aujourd'hui, -je me ferais une fête de lui porter votre -conte et de lui dire: «Lisez cela, Genet, -je vous prie; et quand vous l'aurez lu -vous m'en direz votre pensée.» De cette -pensée, j'ose être sûr.</p> - -<p>Vous ne le connaissiez pas. Il était -votre aîné, et menait une vie fort discrète. -Mais je vous l'ai décrit tout entier en vous -le qualifiant d'un mot: il était un lecteur. -Un lecteur: il faut sans doute être du -métier pour savoir ce que signifie pour -l'homme qui écrit le comparse invisible -qui va le lire et l'écouter; un lecteur: -c'est un peu notre affaire de chercher, -de rassembler ici tous ceux de cette race... -Là-dessus, et sur Henri Genet lui-même, -j'en dirais long, si je ne m'en trouvais -par ailleurs dispensé. Tharaud, près de -son corps, dans cette chambre studieuse -aux murs chargés de livres et décorés -d'estampes d'où on allait l'emporter devant -nous, Tharaud, son ami de toujours, -a dit les meilleures paroles. Je les lui ai -demandées, il me les a données. Les -voici, vous les lirez.</p> - -<p>Je vous demande donc, mon cher Mauriac, -que vous me laissiez écrire en tête -de ce Cahier le nom d'Henri Genet, -lettré parfait, lecteur parfait, ami parfait. -Je ne saurais, en vérité, vous mieux -témoigner le cas que je fais de votre jeune -talent.</p> - - -<p class="signature">DANIEL HALÉVY.</p> - -</div> - -<hr class="r35" /> - -<h2><i>HOMMAGE</i> -A HENRI GENET</h2> - -<div class="letter"> -<p class="dest">à Madame HENRI GENET.</p> - -<p><i>C'était dimanche soir. Il était en train -de lire. Le livre lui tombe des mains. Vous, -chère amie, vous accourez, et déjà il n'était -plus. Hélas! au long de ces dernières années, -que d'amis nous avons vu disparaître, -et de quelle mort soudaine! Mais à la -guerre, nous étions tous entourés par la -mort, quand elle prenait l'un de nous, -on s'inclinait sans colère, sans reproche, -sans étonnement. Ici, après la tempête, -dans la quiétude retrouvée, quand toutes -les vies se refont, quand la sienne était -si douce, si remplie d'un absolu bonheur près -de vous qu'il adorait et qui lui rendiez si -bien tout l'amour qu'il avait pour vous, -cette irruption du malheur dans la paix -de votre maison, cela a quelque chose de -révoltant et de sauvage que notre cœur -ne peut accepter. Et cependant, quand nous -réfléchissons, notre stupeur s'émousse et nous -comprenons bien que nous devons l'ajouter, -lui aussi, à la longue liste de ces amis si -chers que la guerre nous a pris. Il s'est usé -dans ces relèves de Verdun, où ses hommes -le voyaient tomber deux et trois fois, à -bout de force et se relevant toujours avec -cette volonté de faire très simplement, mais -fermement, ce qu'il devait. Depuis ces mauvais -jours, sa santé profondément altérée -avait pu nous faire illusion. L'an passé, -en Bretagne, son organisme ranimé par -le doux air de la Rance, la tendresse et -l'amitié, semblait avoir surmonté les maléfices -qui nous avaient inquiété. Une occupation -de son goût et bien adaptée à son -esprit paraissait de nature à compléter sa -guérison. Il ne ressentait plus ces malaises -qui, un moment, avaient jeté leur ombre -sur votre bonheur à tous les deux, et ce -retour à la vie l'enchantait. Hier encore, -il vous disait, chère amie, que jamais il -n'avait pris tant de plaisir à marcher dans -Paris, dans l'allégresse de ces beaux froids -d'hiver. Il n'y avait là qu'une illusion, une -tromperie de la nature pour rendre notre -chagrin plus amer. L'usure secrète était -trop grande; la guerre n'était pas encore -finie; les maléfices continuaient leur travail; -et l'autre soir son destin est venu -le surprendre dans sa rêverie habituelle, -un volume à la main, sous la paisible lumière -de sa lampe, dans sa veste de velours, -de vieil ami des livres. Je ne sais quoi de -mystérieux a posé la main sur son cœur -et n'a pas voulu lui permettre de finir la -page commencée.</i></p> - -<p><i>Dans cette chambre qu'il va quitter pour -toujours, il est encore au milieu de son -petit univers. Voici ses livres que depuis -sa jeunesse, depuis que nous nous connaissons, -je l'ai vu rassembler, un par un, -avec un goût si parfait, et sur lesquels il -s'est penché avec une sensibilité exquise. -Il a réuni là, pour en faire sa compagnie -ordinaire, tout ce que la pensée de notre -race a produit de plus délié et de plus vigoureux. -Au jour le jour, il lisait les œuvres -périssables, incertaines, dont le mérite est -difficile à saisir. Il ne les conservait pas -toutes; mais si vous regardiez ces rayons, -vous seriez frappé de voir avec quelle -sûreté et quelle juste divination du talent -il a su retenir, dans cette immense production -mouvante, ce qu'il y avait de meilleur. -Et aujourd'hui, pour lui dire un dernier -mot d'amitié, toutes les pensées de ses livres -se penchent sur lui, avec nous; nous les -sentons qui nous pressent et associent à -nos tristesses leur grave musique silencieuse.</i></p> - -<p><i>Ce qui distinguait notre ami, c'était une -modestie excessive. Personne ne s'est plus -méfié de lui-même. Que de fois, par exemple, -je l'ai poussé à écrire les récits qu'il me -faisait de sa vie de collège—une vie de -petit pensionnaire, qui sortait rarement, -et où son besoin de tendresse ne trouvait -guère son compte. C'était des récits étonnants -de sensibilité et de grâce, où il faisait -surgir, d'une poussière de cour de lycée, -tant de vieilles figures, que j'avais connues -moi aussi, mais qui s'étaient effacées de -mon esprit. Sa mémoire à lui les gardait -avec toute la force que donne au souvenir -une tendre imagination de petit enfant prisonnier. -Sur notre chemin d'écolier, depuis -les courants d'air de la porte jusqu'aux -salles silencieuses et bien aérées, où glissaient -les chaussons des bonnes sœurs, c'était tout -un petit monde un peu fêlé par le temps, -portant sur lui déjà un parfum d'humanité -disparue, qu'il animait d'une verve charmante. -Rien qu'en s'écoutant lui-même il -eût écrit, j'en suis sûr, quelque chose de -comparable, mais dans le registre de la -tendresse, enfant de Jules Vallès, -qui était un de ses livres de prédilection.</i></p> - -<p><i>Perdu dans l'admiration des autres, il -achevait de laisser tout à fait ce très peu -de confiance qu'il s'accordait à lui-même; -et quelquefois, surpris de ne sentir en lui -que complaisance et générosité pour la pensée -d'autrui, il se demandait: Quelle est -donc mon utilité? que fais-je ici, et à quoi -bon?... Je vais te le dire, cher ami.</i></p> - -<p><i>Tu remplissais parmi nous un rôle, qui -ne peut être tenu que par de rares esprits. -Dans un monde tourmenté par le souci -quotidien ou la poursuite de très vulgaires -plaisirs, tu étais celui qui maintient le -goût passionné de la lecture et de la méditation; -tu étais celui qui accueille les pensées -qui se forment à tous les points de l'horizon; -le lecteur inconnu, auquel tout artiste -s'adresse; le confident et le soutien de travaux -et de rêveries qui, si tu n'existais pas, -se renonceraient vite elles-mêmes. Sans le -savoir, seul dans ta chambre, ton émotion -ou ton sourire ont rassuré mainte inquiétude. -S'il n'y avait pas des esprits comme le -tien, il n'y aurait bientôt plus de littérature -véritable. On n'écrirait que pour la rue, -et l'art n'est fait, en vérité, que pour -l'étroit espace d'une chambre fermée, où -règne un homme comme toi.</i></p> - -<p><i>Ah! comme tu avais tort, cher ami, -de te désespérer parfois! Ton rôle magnifique, -tu ne le voyais pas. C'était d'entretenir, -par mille voies que nous ne pouvons -discerner, des enthousiasmes qui, autrement, -finiraient par mourir dans un silence glacé.</i></p> - -<p><i>Pour nous, tes vieux amis, nous n'avons -guère écrit de pages sans avoir pensé à toi. -Dans tous les endroits du monde où nous -sommes passés, l'idée de t'amuser un jour -du spectacle de notre plaisir nous a toujours -accompagnés. Et quand nous songions à -Paris, c'était très vite ton visage, si loyal -et si fin, qui nous apparaissait. Qu'est-ce -que Paris, de loin? Quelques esprits, quelques -clous d'or sur une poussière lumineuse. -Tu étais un de ces clous d'or auxquels nous -suspendions nos rêves. Toi, le moins assuré, -plus défiant des hommes pour toi-même, -tu avais le secret de nous donner confiance -en nous.</i></p> - -<p><i>Ma chère Hélène, que de soirées vous avez -passées dans cette pièce à écouter Henri -vous lire les livres qu'il aimait, sa belle -voix et le sentiment si juste qu'il avait de -toutes les nuances d'un texte. Lire une belle -chose à voix basse, pour lui ce n'était pas -assez. Un mot n'était un mot que lorsqu'il -faisait vibrer dans l'air son timbre musical, -et que vous l'enrichissiez, au passage, de -votre émotion féminine. Hélas! nous ne -verrons plus les mots et les pensées se former -sur ses lèvres, qui, plus encore que ses yeux, -étaient l'expression de son visage. Il y a -un triste bonheur à regarder jusqu'au fond -de son chagrin.</i></p> - -<p><i>L'heure est venue maintenant d'accompagner -notre ami jusqu'à ce beau jardin -funèbre, qu'il a toujours beaucoup aimé. -Bien des fois, dans le temps où nous habitions -ensemble le haut quartier de Montrouge, -nous nous sommes penchés avec lui -pour regarder, à la fenêtre, le grand espace -de pierres et de verdures qui s'étendait -sous nos yeux. Au milieu des hauts immeubles -qui l'enveloppent de toutes parts, nous saisissions -d'un regard sans tristesse ce grand -lieu calme, blanc et vert, qui à certains -jours et sous certaines lumières prenait un -si bel air oriental. Henri l'aimait, et très -souvent il en faisait sa promenade. Romantique -passant, comme on n'en voit plus -guère, où allait-il, parmi la foule des tombes -inconnues, avec ce bouquet de deux sous, -acheté à la petite marchande? Il allait, -suivant son humeur et la couleur du temps, -chez Baudelaire ou chez Sainte-Beuve, -pour leur offrir la fleur de poésie. Touchante -offrande, geste antique qu'il accomplissait -avec un sourire des lèvres et tout le sérieux -de son cœur.</i></p> - -<p><i>Et nous aussi, mon Henri, nous -t'apporterons notre petit bouquet. Les jours -où quelque grand enthousiasme, une phrase, -un tableau, un beau vers ou quelque belle -action des hommes aura mis dans notre -esprit ce frémissement qui t'était familier, -nous prendrons, à notre tour, le chemin -du Montparnasse et nous viendrons t'apporter -en offrande le chaud mouvement de -notre cœur.</i></p> - -<p><i>Je voudrais vous parler encore pour retenir -plus longtemps notre ami parmi nous; -je voudrais trouver le mot magique, qui -suspende le temps. Lui, maintenant, il le -saurait peut-être. Mais nous, pour quelques -jours encore, nous ne sommes que de pauvres -hommes, et qui ne savons rien...</i></p> - -<p><i>Du courage, ma chère Hélène! Que le -sentiment du bonheur complet, absolu, que -vous avez donné à votre cher mari vous -soutienne; et appuyez fortement votre détresse -sur la douleur de vos amis.</i></p> - -<p class="signature">J.-J. THARAUD.</p> -</div> - -<hr class="r35" /> - -<div class="quotc"> -<p class="center"><i>A LOUIS ARTUS</i></p> - -<p class="center"><i>son admirateur et son ami</i></p> - -<p class="signature">F. M.</p> -</div> - -<hr class="r35" /> - -<h2>I</h2> - -<p>Jean Péloueyre, étendu sur son lit, -ouvrit les yeux. Les cigales autour de la -maison crépitaient. Comme un liquide métal -la lumière coulait à travers les persiennes. -Jean Péloueyre, la bouche amère, se leva. -Il était si petit que la basse glace du trumeau -refléta sa pauvre mine, ses joues -creuses, un nez long, au bout pointu, -rouge et comme usé, pareil à ces sucres -d'orge qu'amincissent, en les suçant, de -patients garçons. Les cheveux ras s'avançaient -en angle aigu sur son front déjà -ridé: une grimace découvrit ses gencives, -des dents mauvaises. Bien que jamais -il ne se fût tant haï, il s'adressa à -lui-même de pitoyables paroles: «Sors, -promène-toi, pauvre Jean Péloueyre!» -et il caressait de la main une mâchoire -mal rasée. Mais comment sortir sans -éveiller son père? Entre une heure et -quatre heures, M. Jérôme Péloueyre exigeait -un silence solennel: ce temps sacré -de son repos l'aidait à ne pas mourir de -nocturnes insomnies. Sa sieste engourdissait -la maison: pas une porte ne devait -se fermer ni s'ouvrir, pas une parole ni -un éternuement troubler le prodigieux -silence à quoi, après dix ans de supplications -et de plaintes, il avait dressé -Jean, les domestiques, les passants eux-mêmes -accoutumés sous ses fenêtres à -baisser la voix. Les carrioles évitaient -par un détour de rouler devant sa porte. -En dépit de cette complicité autour de son -sommeil, à peine éveillé, M. Jérôme en -accusait un choc d'assiettes, un aboi, une -toux. Etait-il persuadé qu'un absolu silence -lui eût assuré un repos sans fin -relié à la mort comme à l'Océan un -fleuve? Toujours mal réveillé et grelottant -même durant la canicule, il s'asseyait -avec un livre près du feu de la cuisine; -son crâne chauve reflétait la flamme; -Cadette vaquait à ses sauces sans prêter -au maître plus d'attention qu'aux jambons -des solives. Lui, au contraire, observait -la vieille paysanne, admirant que, -née sous Louis-Philippe, des révolutions, -des guerres, de tant d'histoire, elle n'eût -rien connu, hors le cochon qu'elle nourrissait -et de qui la mort à chaque Noël, -humectait de chiches larmes ses yeux -chassieux.</p> - -<p class="p2">En dépit de la sieste paternelle, la fournaise -extérieure attira Jean Péloueyre; -d'abord elle l'assurait d'une solitude: -au long de la mince ligne d'ombre des -maisons, il glisserait sans qu'aucun rire -fusât des seuils où les filles cousent. -Sa fuite misérable suscitait la moquerie -des femmes; mais elles dorment encore -environ la deuxième heure après midi, -suantes et geignantes à cause des mouches. -Il ouvrit, sans qu'elle grinçât, la porte -huilée, traversa le vestibule où les placards -déversent leur odeur de confitures et de -moisissure, la cuisine ses relents de graisse. -Ses espadrilles, on eût dit qu'elles ajoutaient -au silence. Il décrocha sous une -tête de sanglier son calibre 24 connu de -toutes les pies du canton: Jean Péloueyre -était un ennemi juré des pies. Plusieurs -générations avaient laissé des cannes dans -le porte-cannes: la canne-fusil du grand-oncle -Ousilanne, la canne à pêche et la -canne à épée du grand-père Lapeignine -et celles dont les bouts ferrés rappelaient -des villégiatures à Bagnères-de-Bigorre. -Un héron empaillé ornait une crédence.</p> - -<p>Jean sortit. Comme l'eau d'une piscine, -la chaleur s'ouvrit et se referma -sur lui. Il fut au moment d'aller à l'endroit -où le ruisseau, près de traverser le -village, concentre sous un bois d'aulnes -son haleine glacée, l'odeur des sources. -Mais des moustiques, la veille, l'y avaient -harcelé; puis son désir était d'adresser -une parole à quelque être vivant. Alors il -se dirigea vers le logis du Docteur Pieuchon -de qui le fils Robert, étudiant en -médecine, était revenu ce matin même -pour les vacances.</p> - -<p>Rien ne vivait, rien ne semblait vivre; -mais à travers les volets mi-clos, parfois le -soleil allumait des besicles relevées sur un -front de vieille. Jean Péloueyre marcha -entre deux murs aveugles de jardins. Ce -passage lui était cher parce qu'aucun œil -ne s'y embusquait et qu'il s'y pouvait -livrer à ses méditations. Méditer, chez -lui, n'allait pas sans contractions du front, -gestes, rires, vers déclamés—toute une -pantomime dont le bourg se gaussait. -Ici, les arbres indulgents se refermaient -sur ses solitaires colloques. Ah! pourtant -qu'il eût préféré l'enchevêtrement des -rues d'une grande ville où, sans que se -retournent les passants, on peut se parler -à soi-même! Du moins, Daniel Trasis, -dans ses lettres, l'assurait à Jean Péloueyre. -Ce camarade, contre le gré de -sa famille, s'était, à Paris, «lancé dans la -littérature». Jean l'imaginait, le corps -ramassé, puis bondissant dans la cohue -parisienne, s'y enfonçant comme un plongeur; -sans doute y nageait-il maintenant, -haletait-il vers des buts précis: fortune, -gloire, amour, tous les fruits défendus -à ta bouche, Jean Péloueyre!</p> - -<p>A pas feutrés, il entra chez le docteur. -La servante lui dit que ces messieurs -avaient déjeuné en ville; Jean résolut -d'attendre le fils Pieuchon de qui la -chambre ouvrait sur le vestibule. Cette -chambre lui ressemblait au point que -l'ayant vue, on ne souhaitait plus d'en -connaître l'hôte: au mur, râtelier de -pipes, affiches du bal des étudiants; sur -la table, une tête de mort insultée par -un brûle-gueule; des livres achetés pour -les loisirs des vacances: <i>Aphrodite</i>, l'<i>Orgie -Latine, Le Jardin des Supplices, Le Journal -d'une Femme de Chambre</i>. Les <i>Morceaux -choisis</i> de Nietzsche attirèrent Jean: -il les feuilleta. Une odeur de vêtements -dont un étudiant s'est servi l'été venait de -la malle ouverte. Alors Jean Péloueyre lut -ceci: «<i>Qu'est-ce qui est bon?—Tout ce qui -exalte en l'homme le sentiment de puissance, -la volonté de puissance, la puissance -elle-même. Qu'est-ce qui est mauvais?—Tout -ce qui a sa racine dans la -faiblesse. Périssent les faibles et les ratés: -et qu'on les aide encore à disparaître! -Qu'est-ce qui est plus nuisible que n'importe -quel vice?—La pitié qu'éprouve -l'action pour les déclassés et les faibles: -le Christianisme.</i>»</p> - -<p>Jean Péloueyre posa le livre; ces paroles -entraient en lui comme dans une -chambre, dont on pousse les volets, l'embrasement -d'une après-midi. D'instinct -il alla en effet à la fenêtre, livra la chambre -de son camarade au feu du ciel, puis relut -la phrase atroce. Il ferma les yeux, les -rouvrit, contempla son visage dans la -glace: Ah! pauvre figure de landais -chafouin, de «landousquet» comme au -collège on le désignait, triste corps en -qui l'adolescence n'avait su accomplir -son habituel miracle, minable gibier -pour le puits sacré de Sparte! Il se revit -à cinq ans chez les sœurs: en dépit de la -haute position des Péloueyre, les premières -places, les bons points allaient aux -enfants bouclés et beaux. Il se rappela -cette composition de lecture où, ayant -lu mieux qu'aucun autre, il avait été tout -de même classé dernier. Jean Péloueyre -parfois se demandait si sa mère, morte -phtisique et qu'il n'avait pas connue, l'eût -aimé. Son père le chérissait comme un -souffrant reflet de lui-même, comme son -ombre chétive dans ce monde qu'il traversait -en pantoufles ou étendu au fond d'une -alcove parfumée de valériane et d'éther. -La sœur aînée de M. Jérôme, la tante de -Jean, sans doute eût-elle exécré ce garçon,—mais -le culte qu'elle vouait à son -fils Fernand Cazenave, homme considérable, -président du Conseil général, et -chez qui elle vivait à B...—cette adoration -l'absorbait au point que les autres s'effaçaient; -elle ne les voyait pas; il arrivait -pourtant que d'un sourire, d'un mot, elle -tirât Jean Péloueyre du néant, parce que -dans ses calculs, ce fils d'un père égrotant, -ce pauvre être voué au célibat et à une -mort prématurée, canaliserait au profit -de Fernand Cazenave la fortune des Péloueyre. -Jean mesura d'un seul regard le -désert de sa vie. Ses trois années de collège, -il les avait consumées en amitiés -jalousement cachées: ni ce camarade -Daniel Trasis, ni cet abbé maître de rhétorique, -ne comprirent ses regards de chien -perdu.</p> - -<p class="p2">Jean Péloueyre ouvrit le livre de -Nietzsche à une autre page; il dévora -l'aphorisme 260 de <i>Par delà le bien et -le mal</i>,—qui a trait aux deux morales: -celle des maîtres et celle des esclaves. -Il regardait sa face que le soleil -brûlait sans qu'elle en parût moins jaune, -répétait les mots de Nietzsche, se pénétrait -de leur sens, les entendait gronder -en lui, comme un grand vent d'octobre. -Un instant, il crut voir à ses pieds, pareille -à un chêne déraciné, sa Foi. Sa Foi -n'était-elle pas là, gisante, dans ce torride -jour? Non, non: l'arbre l'étreignait encore -de ses mille racines; après cette rafale, -Jean Péloueyre en retrouvait dans son -cœur l'ombre aimée, le mystère sous ces -frondaisons drues et de nouveau immobiles. -Mais il découvrait soudain que la -Religion lui fut surtout un refuge. Au -laideron orphelin, elle avait ouvert une -nuit consolatrice. Quelqu'un sur l'autel -tenait la place des amis qu'il n'avait pas -eus et la Vierge héritait de cette dévotion -qu'il eût vouée à sa mère selon la chair. -Toutes les confidences qui l'étouffaient, se -déversaient au confessionnal ou dans ses -muettes prières du crépuscule—quand -le vaisseau ténébreux de l'église recueille -ce qui reste de fraîcheur au monde. Alors -le vase de son cœur se rompait à des -pieds invisibles. S'il eût possédé les boucles -de Daniel Trasis, ce visage que depuis son -enfance les femmes jamais ne s'étaient -interrompues de caresser, Jean Péloueyre -se fût-il mêlé au troupeau des vieilles -filles et des servantes? Il était de ces -esclaves que Nietzsche dénonce; il en -discernait en lui la mine basse; il portait -sur sa face une condamnation inéluctable; -tout son être était construit pour -la défaite;—comme son père, d'ailleurs, -comme son père, dévot lui aussi -mais mieux que Jean instruit dans la -théologie, et naguère encore lecteur patient -de saint Augustin et de saint Thomas -d'Aquin. Jean, peu soucieux de doctrine, -et professant une religion d'effusions, admirait -que celle de M. Jérôme fût d'abord -raisonnable. Tout de même il se rappelait -cette parole que son père aimait répéter: -«Sans la Foi, que serais-je devenu?» -Cette Foi n'allait pas d'ailleurs jusqu'à -braver un rhume pour entendre la messe. -Aux grandes fêtes, on installait M. Jérôme -dans la sacristie surchauffée et d'où -il suivait, emmitouflé, la cérémonie.</p> - -<p>Jean Péloueyre sortit. De nouveau, entre -les murs aveugles et sous la muette indulgence -des arbres, il marchait, gesticulait; -parfois il feignait de se croire allégé -de sa croyance: ce liège qui l'avait soutenu -sur la vie lui manquait d'un coup. -Plus rien! Plus rien! Il savourait ce -dénûment; des réminiscences scolaires -se pressaient sur ses lèvres: «... <i>Mon -malheur passe mon espérance... Oui, je -te loue, ô Ciel, de ta persévérance</i>...» Un -peu plus loin, il démontrait aux arbres, -aux tas de cailloux, aux murs qu'il existe -parmi les chrétiens des Maîtres et que -les Saints, les grands Ordres, toute l'Eglise -universelle offre un sublime exemple de -volonté de puissance.</p> - -<p>Agité de tant de pensées, il ne reprit -conscience qu'au bruit de ses pas dans le -vestibule—bruit qui, au premier étage, -déclencha un gémissement; une voix pleurarde -et ensommeillée appela Cadette; -alors les savates de la servante traînèrent -dans la cuisine; le chien aboya; des -volets furent rabattus: le réveil de M. Jérôme -désengourdissait la maison. C'était -l'heure de ses yeux gonflés, de sa bouche -amère où sa conception du monde atteignait -au plus sombre. Jean Péloueyre se -réfugia donc au «salon de compagnie» aussi -frais qu'une cave. Des papiers moisis, -découvraient le salpêtre des murs. Une -pendule n'y fragmentait le temps pour -aucune oreille humaine. Il s'enfonça, dans -un fauteuil capitonné, regarda en lui -la place où sa foi souffrait et se pénétrait -d'angoisse. Une mouche bourdonnait, se -posait. Alors un coq chantait—puis un -bref trille d'oiseau—puis un coq encore ... -la pendule sonna une demie—-un coq ..., -des coqs... Il s'endormit jusqu'à l'heure -si douce où il avait coutume, par des -ruelles détournées, d'atteindre la plus -petite porte de l'église et de se couler dans -la ténèbre odorante. N'irait-il donc plus -à ce rendez-vous—le seul qui ait jamais -été assigné au cloporte Jean Péloueyre? -Il n'y alla pas, mais gagna le jardin où le soleil -déclinant lui fit dire: La chaleur va tomber. -Des papillons blancs palpitaient. Le -petit-fils de Cadette arrosait les laitues—un -beau drôle aux pieds nus dans ses sabots, -le bien-aimé des filles et que fuyait Jean -Péloueyre honteux d'être le maître: n'aurait-ce -pas été à lui, chétif, de servir ce -triomphant et juvénile dieu potager? -Même de loin, il n'osait lui sourire; avec -les paysans, sa timidité atteignait à la -paralysie. Maintes fois il avait essayé d'aider -le curé au patronage, au cercle d'études, -et toujours perclus de honte, stupide, -objet de risée, était rentré dans sa nuit.</p> - -<p>Cependant M. Jérôme suivait l'allée bordée -de poiriers en quenouille, d'héliotropes, -de résédas, de géraniums, dont on ne sentait -pas les odeurs parce que l'immense bouquet -rond d'un tilleul emplissait de son -haleine la terre et le ciel. M. Jérôme traînait -les pieds. Le bas de son pantalon -demeurait pris entre sa cheville et sa -pantoufle. Son chapeau de paille déformé -était bordé de moire. Il avait sur les épaules -une vieille pèlerine de tricot oubliée par -sa sœur. Jean reconnut, entre les mains -paternelles, un Montaigne. Sans doute -<i>Les Essais</i>, comme sa religion, le fournissaient -de subterfuges pour parer du nom -de sagesse son renoncement à toute conquête? -Oui, oui, se répétait Jean Péloueyre, -ce pauvre homme appelait tantôt -stoïcisme, tantôt résignation chrétienne, -l'immense défaite de sa vie. Ah! -que Jean se sentait donc lucide! Aimant -et plaignant son père, comme à cette -heure, il le méprisait! Le malade se -lamenta: des élancements dans la nuque, -des étouffements, l'envie de rendre... Un -métayer avait forcé sa porte, Duberne -d'Hourtinat qui exigeait une nouvelle -chambre pour loger l'armoire de sa fille -mariée! Où pourrait-il souffrir tranquille? -Où pourrait-il mourir en paix? Pour -comble, le lendemain était un jeudi, jour -de marché sur la place, et aussi jour d'invasion: -sa sœur Félicité Cazenave, son -neveu régneraient céans; dès cette aube -néfaste, les bestiaux sur le foirail réveilleraient -le malade; l'auto des Cazenave, -grondant devant la porte, annoncerait -la présence de l'hebdomadaire fléau. Tante -Félicité forcerait l'entrée de la cuisine, -bouleverserait le régime de son frère -au nom du régime de son fils. Au soir, -le couple laisserait derrière lui Cadette -en larmes et son maître suffoquant.</p> - -<p>Rampant et faible devant l'ennemi, -M. Jérôme dans le secret nourrissait sa -rancœur. Si souvent il grommelait qu'il -réservait aux Cazenave «un chien de sa -chienne», que Jean Péloueyre, ce jour-là, -ne prêta nulle attention à ce que lui glissait -son père: «Nous allons leur jouer -un tour, Jean, pour peu que tu veuilles -t'y prêter... Mais le voudras-tu?» Jean, -à mille lieues des Cazenave, sourit. Cependant -son père l'observait et lui disait: -«Tu devrais être plus coquet à ton âge; -comme tu es mal «dringué», mon pauvre -drôle!» Bien que M. Jérôme ne lui eût -jamais montré qu'il se souciât de sa tenue, -Jean Péloueyre ne posa aucune question; -il ne pressentit rien de ce qui se préparait -à ce tournant de son destin; il avait -pris le Montaigne des mains paternelles -et lisait cette phrase: «Pour moi, je loue -une vie glissante, sombre et muette...» -Ah! oui, leur vie était à souhait glissante, -sombre et muette! Les Péloueyre regardaient -un souffle rider l'eau de la citerne, -agitée de têtards autour d'une taupe morte. -M. Jérôme crut sentir le serein, se dirigea -vers la maison. Désœuvré, Jean, au fond -du jardin, glissa la tête dans l'entrebâillement -d'une poterne ouverte sur la ruelle. -A sa vue, le petit-fils de Cadette, qui tenait -pressée contre lui une fille, la lâcha, -comme on laisse tomber un fruit.</p> - - -<h2>II</h2> - -<p>Jean Péloueyre ne dormit guère cette -nuit-là. Ses fenêtres étaient ouvertes sur -la laiteuse nuit—la nuit plus bruyante -que le jour à cause des coassantes mares. -Mais les coqs surtout ne cessent de -chanter jusqu'à l'aube, fatigués d'avoir -salué l'obscure et trompeuse clarté des -étoiles. Ceux du bourg avertissent ceux -des métairies qui, de proche en proche, -répondent: «<i>C'est un cri répété par mille -sentinelles...</i>» Jean veillait, se berçant -de ce vers indéfiniment marmonné. Les -fenêtres découpaient à l'emporte-pièce un -azur dévoré d'astres. Jean se levait pieds -nus, regardait les mondes et les appelait -par leurs noms, agitant sans se lasser le -problème posé la veille: avait-il adhéré -à une métaphysique ou à un système de -consolations ingénieuses? Sans doute des -croyants parmi les Maîtres régnaient. Mais -Chateaubriand hésita-t-il jamais à jouer -son éternité contre une caresse? Barbey -d'Aurevilly, que de fois trahit-il le Fils de -l'Homme pour un baiser? Ne triomphèrent-ils -pas dans la mesure où ils -trahirent leur Dieu?</p> - -<p>Dès l'aube, les déchirantes plaintes des -porcelets éveillèrent Jean. Comme chaque -jeudi, il évita de pousser les volets, afin que -le marché ne le vît pas. Sur le trottoir, tout -contre la fenêtre, Madame Bourideys, la -mercière, arrêta Noémi d'Artiailh pour -lui demander si elle avait déjeuné. Goulûment -Jean Péloueyre regardait cette -Noémi qui avait dix-sept ans. Sa tête -brune et bouclée d'ange espagnol n'était -point faite pour un corps si ramassé; mais -Jean adorait le contraste d'un jeune corps -dru, mal équarri et d'un séraphique visage -qui faisait dire aux dames que Noémi -d'Artiailh était jolie comme un tableau. -Vierge de Raphaël qui eût été ragote, elle -émouvait chez Jean le meilleur et le pire, -l'incitait aux hautes pensées comme aux -basses délectations. Déjà son cou, sa douce -gorge luisaient de moiteur. Des cils indéfinis -ajoutaient à la chasteté des longues -paupières sombres: visage encore baigné -de vague enfance, virginité des -lèvres puériles—et soudain ces fortes -mains de garçon, ces mollets qu'au ras -du talon, comprimés de lacets, il fallait -bien appeler chevilles! Jean Péloueyre -regardait sournoisement cet ange; le petit-fils -de Cadette, lui, la pouvait regarder en -face: les beaux garçons, même du peuple, -ont le droit de regard sur toutes les filles. -C'est à peine, à la grand'messe, quand elle -avait traversé la nef et frôlé la chaise de -Jean Péloueyre, s'il osait renifler l'air -remué par sa robe de percale, son odeur -de savonnette et de linge propre. Jean -Péloueyre soupira, mit sa chemise de la -veille qui était aussi de l'avant-veille. -Son corps ne méritait aucun soin; il -usait d'un pot à eau recroquevillé dans -une minuscule cuvette pour que, sans le -briser, se pût rabattre le couvercle de la -commode. Sous le tilleul du jardin, il ne -récita pas sa prière mais lut le journal -de façon que le papier cachât sa figure -au petit-fils de Cadette. Il sifflotait, ce -misérable! Un œillet rouge à l'oreille, -il était brillant et vernissé comme un -jeune coq. Une ceinture serrait à la taille -son pantalon indigo. Jean Péloueyre le -haïssait bassement et se faisait horreur -de le haïr. La pensée ne le consolait pas -que ce garçon deviendrait un paysan -hideux, puisqu'un autre garçon aussi fort, -aussi bien découplé alors arroserait les -laitues—de même que palpiteraient -d'autres papillons blancs pareils à ceux -de cette matinée. «O mon âme, se dit -Jean Péloueyre, mon âme, dans ce matin -d'été plus laide encore que mon visage!»</p> - -<p>Il reconnut dans la maison la voix de -flûte du curé. Que venait-il manigancer à -cette heure qui n'était pas celle de sa -visite quotidienne? Ce jour-là surtout, -comment osait-il risquer une rencontre -avec Fernand Cazenave que la vue d'un -ecclésiastique rendait furieux? Dissimulé -derrière le tilleul, Jean Péloueyre vit passer -Fernand au pas de course, ainsi qu'il -faisait toujours cinq minutes avant ses -repas. Sa mère le suivait, soufflante. Son -grand corps tout en jambes, son buste -sphérique, sa tête de vieille Junon attachée -à ses seins,—toute cette forte machine -détraquée, usée, obéissait aux injonctions -du fils bien-aimé, comme s'il -eût, en pressant un bouton, mis en branle -un mécanisme. Le conseiller voulut bien -s'arrêter pour l'attendre; il essuya avec -son mouchoir un front ruisselant et le -cuir intérieur de son canotier. Divinité -renfrognée, il suait sous l'alpaga. Derrière -le binocle, ses métalliques yeux ne reflétaient -rien du monde. Sa mère lui -frayait la route, brisant les êtres comme -des branches. On racontait qu'elle avait -dit un jour: «Si Fernand se marie, ma -bru mourra.» Nulle bru ne s'y était risquée -et quelle jeune fille eût consenti -à étriller, à nourrir cet homme en place, -accoutumé, la cinquantaine franchie, aux -soins du premier âge? L'angelus se défit -dans la chaleur. Jean Péloueyre entendit -le conseiller gronder: «Salopes de -cloches».</p> - -<p>Il ne se glissa à table que lorsque déjà -y trônaient sa tante et Fernand cravatés -de serviettes. M. Jérôme en retard s'assit, -le dos rond et peureux, mais l'œil -vif et il osa avouer que le curé l'avait -retenu. La tête dans les épaules, les Péloueyre -attendirent l'orage qui n'éclata -qu'au gigot. Servi le premier, Fernand -Cazenave, sa fourchette en l'air, interrogeait -le visage maternel. Félicité flaira -le morceau, le retourna, puis laissa tomber -cette sentence: «Trop cuit!» Alors -le couple repoussa de concert ses assiettes. -Cadette comparut avec des yeux -de volaille pourchassée, défendit son gigot -en un patois gémissant,—inutile -vacarme puisque le conseiller finit tout -de même par assouvir sur la viande trop -cuite sa fringale. Repu, il s'excusa de -n'être pas allé d'abord saluer son oncle -Péloueyre; mais il avait vu dans le vestibule -un chapeau ecclésiastique: Les Péloueyre -savaient qu'un prêtre lui faisait -physiquement horreur. Sans lever les -yeux, de sa voix monotone, M. Jérôme -prononça: «C'était pour me parler -de toi, Jean, qu'est venu M. le curé. -Crois-tu qu'il veut te marier?» Fernand -ricana et dit que ce n'était pas sérieux: -«Pourquoi? Jean va sur ses vingt-trois -ans.» Alors Fernand Cazenave éclata: -de quoi se mêlait cet ensoutané? de quel -droit mettait-il le nez dans les affaires -de la famille? Perdant toute mesure, il -osa demander à mi-voix si Jean était seulement -«mariable». D'un clin d'œil, sa mère -rappela à l'ordre le malotru. «Ce serait très -heureux que Jean se mariât, disait-elle: -il manquait à cette maison une ménagère. -Ah! sans doute les jeunes femmes ont -d'étranges humeurs et le régime de Jérôme -subirait quelque bouleversement.» -Fernand, calmé, l'approuva: Jean, certes, -pouvait fonder une famille. Mais ne ferait-il -pas son malheur? Le cher enfant avait -déjà des habitudes, des manies, comme -un vieux garçon. Tante Félicité insinua -que son frère aurait raison, le cas échéant, -de ne pas habiter avec le jeune ménage... -Evidemment, le coup lui serait dur. Et -elle rappela les faux départs de Jean Péloueyre -pour le collège, lorsque la place -retenue, le trousseau préparé, la voiture -devant la porte, son père, à la dernière -seconde, le retenait.</p> - -<p>Inquiet, mais ne voulant point douter -que toute cette histoire de mariage fût -une invention sournoise de M. Jérôme, -Jean, isolé en esprit, se souvint, en effet, -de ces soirs du 2 octobre, lorsque attendait -sous la pluie l'antique landau qui -devait le conduire à travers le Bazadais, -jusqu'à la pieuse maison où les enfants -de la Lande rêvent de chasse sur leurs -lexiques. Des lambeaux d'un papier à -fleurs étaient collés encore à sa malle qui -avait été celle d'un grand-oncle. M. Jérôme -sanglotait, feignait une attaque, -tant il était lâche devant la minute d'angoisse -d'une séparation! Sans doute, -dès cette époque, le pauvre homme -exigeait-il du silence, mais un silence -un peu troublé par cette petite vie souffrante -de Jean à ses côtés. Ainsi Jean -Péloueyre avait travaillé avec le curé jusqu'à -quinze ans et ne fut au collège que pour -le baccalauréat... Quelle était cette soudaine -fantaisie de le marier? Jean se -souvint des paroles étranges de son père, -la veille, dans le jardin ... mais de quoi se -troublait-il? Il se répétait qu'un Jean Péloueyre -n'est pas «mariable»... Les Cazenave -étaient fous de prendre au tragique -cette farce. Ils insistaient maintenant pour -connaître le nom de la jeune fille élue; -l'heure de la sieste permit à M. Jérôme -d'éluder toute question. Le couple, en dépit -de la chaleur, erra au jardin et, angoissé, -Jean, du corridor, épiait leurs colloques.</p> - -<p>Au bruit du démarrage qui signalait leur -départ, le malade s'éveilla, et dès que Jean -eut reconnu le traînement des pantoufles -paternelles, il entra dans l'odeur de remèdes -qui saturait la chambre. En cette -méphitique officine, il lui fut révélé que -l'on songeait sans rire à lui donner une -femme, une femme qui était Noémi -d'Artiailh. La psyché reflète le corps de -Jean, plus sec que les brandes des landes incendiées. -Il balbutie: «Elle ne voudra -pas de moi»,—et frémit d'entendre ces -paroles inouïes: «Elle a été pressentie et -ne montre aucune répugnance...» Les -d'Artiailh font un beau rêve, ne peuvent -croire à leur bonheur. Mais Jean secoue -la tête et semble, de ses mains tendues, se -défendre contre le mirage. Une jeune fille -dans ses bras, consentante? Noémi de -la grand'messe, Noémi dont jamais il -ne put regarder en face les yeux pareils -à des fleurs noires? L'air agité par son -corps mystérieux quand elle traversait -la nef, Jean Péloueyre l'accueillait sur sa -chair comme le seul baiser qu'il ait jamais -connu. Cependant son père lui découvre -ses vues qui sont celles du curé: il importe -que les Péloueyre fassent souche -et que rien d'eux ne risque de passer à -tante Félicité ni à Fernand Cazenave. -M. Jérôme ajoute: «Tu sais, ce que -le curé veut, il le veut bien.» Jean sourit, -grimace; le coin de sa lèvre frémit -et il dit: «Je lui ferai horreur.» Le père -ne songe pas à protester; comme il ne -fut jamais aimé, il n'imagine pas que son -fils puisse connaître ce bonheur. Mais -complaisamment il rappelle les vertus de -Noémi que M. le curé a choisie entre -toutes et qui édifie la paroisse. Elle appartient -à cette race qui ne cherche dans le -mariage aucune joie charnelle; femme de -devoir, soumise à Dieu et à son époux, ce -sera une de ces mères comme on en rencontre -encore et de qui rien, en dépit de -multiples grossesses, n'entame la candide -ignorance. M. Jérôme toussote, s'attendrit -un peu: «Te sachant bien marié et -à l'abri des Cazenave, je mourrais en -paix...» Le curé voulait brûler les étapes: -Jean pourrait dès le lendemain voir Noémi; -elle l'attendrait après le déjeuner, au -presbytère où Madame d'Artiailh trouverait -un prétexte pour les laisser en -tête à tête. M. Jérôme parlait vite, énervé -à cause de la discussion inévitable, du -refus de Jean qu'il faudrait vaincre, -et ses doigts tremblaient. Jean, affolé, -ne trouvait pas ses mots. Quelle honte -d'éprouver une telle terreur! N'était-ce -pas enfin l'instant de s'échapper du troupeau -des esclaves et d'agir en maître? -Cette minute unique lui était donnée pour -rompre sa chaîne, devenir un homme. -Comme on le pressait de répondre, il fit -un vague signe d'assentiment. Plus tard, -songeant à cette seconde où se noua -son destin, il s'avoua que dix pages de -Nietzsche mal comprises le décidèrent. -Il s'évada, laissant M. Jérôme stupéfait -d'une si facile victoire et impatient de -l'annoncer à la cure.</p> - -<p>Le temps de descendre l'escalier et -Jean Péloueyre déjà s'accoutumait au prodige, -se sentait imperceptiblement moins -chaste. Vierge, il lui était révélé que sa -virginité ne serait peut-être pas éternelle. -En lui, il osa éveiller une image, il en -fixait avec hardiesse les yeux sombres; -ah! c'était assez pour défaillir! Jean Péloueyre -éprouva le désir de se baigner. -Comme il arrive à beaucoup de baignoires -du pays girondin, celle des Péloueyre était -pleine de pommes de terre, et il fallut -que Cadette la débarrassât.</p> - -<p>Après le dîner, Jean Péloueyre traversa -le village. Il s'observait pour ne faire aucun -geste et ne pas se parler à lui-même. -Raide, officiel, il saluait chaque groupe -devant les portes, soudain silencieux à son -approche, comme les grenouilles d'une -mare; mais aucun rire ne fusa. Enfin, -les dernières maisons dépassées, sur la -route blême encore, entre deux noires -armées de pins qui soufflaient sur lui -une haleine d'étuve et dont les milliers -de pots emplis de gemme parfumaient -comme des encensoirs la cathédrale sylvestre, -il put rire, secouer les épaules, -faire craquer ses doigts, crier: «Je suis -un Maître, un Maître, un Maître!» -et répéter en marquant la césure ce distique: -«<i>Par quels secrets ressorts—par -quel enchaînement—le ciel a-t-il conduit—ce -grand événement?</i>»</p> - - -<h2>III</h2> - -<p>Jean Péloueyre redoute que la conversation -tombe: la peur du silence incite -le curé et Madame d'Artiailh à effleurer -tous les sujets, à les dissiper follement; -ils ne trouveront bientôt plus rien à dire. -Comme dilatée hors du vase une fleur -de magnolia, la robe de Noémi déborde -sa chaise. Ce parloir pauvre où Dieu -est partout, sur tous les murs et sur la -cheminée, elle l'imprègne de son odeur -de jeune fille, un jour fauve de juillet—pareille -à ces trop capiteuses fleurs qu'on -ne saurait prudemment laisser dans sa -chambre, la nuit. Jean tourne non la -tête mais les yeux; il inspecte Noémi -descendue de sa colonne et qui, vue -d'aussi près, lui apparaît telle que sous -une loupe. Il cherche avidement les défauts, -les «pailles» de ce vivant et frémissant -métal: aux ailes du nez, des points -noirs; à la naissance de la gorge, la peau -dut être brûlée par une trop vieille teinture -d'iode. Un mot du curé la fait rire -brièvement mais assez pour que de la -haie pure de ses dents, Jean Péloueyre -isole une canine un peu mate—douteuse. -Son examen empêche les larges et sombres -yeux de se lever vers lui; peut-être -regarde-t-il Noémi afin de n'être pas -regardé par elle. Dieu merci! le curé -sait parler seul et prêcher à bâtons rompus. -En dépit de sa ronde petitesse, rien -en lui n'est jovial. Malgré la corpulence, -l'austérité intérieure transparaît. Peu compris -des métairies, il est aimé du bourg -où, sous sa direction, plusieurs âmes -avancent haut et loin dans la vie spirituelle. -Comme il arrive, ce doux possède -la terre. Il n'est que suavité, que componction, -mais son vouloir flexible jamais -ne rompt. Il détourne du bal dominical -les plus belles filles, et tient benoîtement -tête aux entreprises amoureuses des -garçons; nul ne sait qu'il a retenu la -receveuse des postes à l'extrême bord de -l'adultère. Or il a décidé qu'il n'était pas -bon que Jean Péloueyre demeurât seul; -et il lui importe surtout, à ce pasteur, que -la maison Péloueyre ne devienne un jour -la maison Cazenave; que le loup ne se -recèle pas dans la bergerie.</p> - -<p>Jamais Jean n'avait remarqué comme -les femmes respirent haut: en se gonflant, -la gorge de Noémi touchait presque son -menton. Sans plus essayer de feindre, le -curé se leva, disant que ces chers enfants -voulaient peut-être échanger des confidences; -et il invita Madame d'Artiailh à -admirer au jardin des promesses de Reines-Claude.</p> - -<p>Il n'y a plus maintenant dans la pièce -obscure, comme pour une expérience d'entomologie, -que ce petit mâle noir et -apeuré devant la femelle merveilleuse. -Jean Péloueyre ne bouge plus, ne lève -plus les yeux: c'est inutile désormais; le -voilà prisonnier des regards arrêtés sur -lui. La vierge mesure de l'œil cette larve -qui est son destin. Le beau jeune homme -aux interchangeables visages, le compagnon -du rêve de toutes les jeunes filles,—celui -qui offre à leurs insomnies sa -dure poitrine et la courroie serrée de deux -bras,—il se dilue dans le crépuscule de -cette cure, il se fond jusqu'à n'être plus, -au coin le plus obscur du parloir, que ce -grillon éperdu. Elle regarde son destin, le -sachant inéluctable: on ne refuse pas le -fils Péloueyre. Les parents de Noémi, -s'ils vivent dans l'angoisse que le jeune -homme se dérobe, n'imaginent même -pas qu'aucune objection vienne de leur -fille; elle n'y songe pas non plus. Depuis -un quart d'heure, tout ce que doit lui -donner la vie est là, se rongeant les ongles, -se tortillant sur une chaise. Il se lève, il -est encore plus petit levé qu'assis, et il -parle, balbutie une phrase qu'elle n'entend -pas et qu'il répète: «Je sais que je -ne suis pas digne...» Elle proteste: -«Oh! Monsieur!...» Il s'abandonne à une -crise folle d'humilité, reconnaît qu'on ne -peut l'aimer et ne demande que la permission -d'aimer. Les mots lui viennent, -ses phrases s'organisent. Il a attendu -jusqu'à vingt-trois ans pour expliquer -son cœur à une femme. Il gesticule comme -s'il était seul pour dépeindre sa belle -âme, et en effet il est bien seul.</p> - -<p>Noémi regardait la porte et ne s'étonnait -pas; toujours elle avait ouï dire de -Jean Péloueyre: «C'est un type, il est -un peu timbré.» Il parlait, et la porte -demeurait close; rien ne vivait dans ce -presbytère que ce bonhomme et ses gestes. -Noémi se troubla; un désir de larmes -l'étouffait. Jean se tut enfin et elle eut -peur comme dans une chambre où l'on -sait qu'une chauve-souris est entrée et -se cache. Lorsque le curé et Madame d'Artiailh -revinrent, elle se jeta au cou de sa -mère sans imaginer que cette effusion -pût être un acquiescement. Mais déjà le -curé frottait sa joue contre celle de Jean. -Ces dames s'en allèrent seules pour ne pas -éveiller la curiosité des voisines. Entre -les volets rapprochés, Jean Péloueyre vit-il,—près -de Madame d'Artiailh, aiguë et -grêle et qui filait l'arrière-train de côté, -comme les chiens,—cette robe de Noémi, -cette robe un peu fripée qui ne s'épanouirait -plus, cette nuque fléchie, fleur -moins vivante, fleur déjà coupée?</p> - -<p class="p2">Ce garçon sauvage, accoutumé à se -tapir loin du monde et de qui c'était -l'unique souci de n'être pas vu, demeura -plusieurs jours ahuri et stupide à cause -de cette rumeur autour de lui. Le destin -le tirait de ses ténèbres; comme une formule -de magie, les mots de Nietzsche -avaient renversé les murs de sa cellule; -le cou dans les épaules et les yeux clignotants, -on eût dit d'un oiseau nocturne -lâché dans le grand jour. Les gens, à son -entour, changeaient aussi: M. Jérôme -négligeait ses régimes, prenait sur le temps -de sa sieste pour relancer le curé jusqu'à -la sacristie; les Cazenave ne parurent -plus le jeudi, et ne manifestèrent leur -existence que par mille bruits infâmes -touchant le tempérament de Jean Péloueyre -et certaines particularités qui le -rendaient, disait-on, impropre à l'état de -mariage.</p> - -<p>Du fond de son humilité, Jean Péloueyre -admirait que les d'Artiailh pussent -être, à cause de lui, enviés. On répétait -partout que certes, Noémi méritait bien -son bonheur. Cette très ancienne famille -était à la côte. Le laborieux M. d'Artiailh -avait laissé des plumes dans diverses -entreprises et ne rougissait pas -de tenir un emploi à la mairie; ce -n'était plus un secret qu'à Pâques, les -d'Artiailh avaient dû congédier leur bonne -à tout faire. Jean Péloueyre se regardait -dans la glace et ne se trouvait plus si hideux. -M. le curé allait partout répétant -que le fils Péloueyre, s'il manquait un peu -d'apparence, était un esprit des plus distingués. -Le respectueux silence de Noémi, -chaque soir, tandis que sur un canapé -du salon, Jean Péloueyre s'écoutait parler, -inclinait ce garçon à croire que, comme -le disait M. le curé, une jeune fille sérieuse -prise surtout chez son fiancé les avantages -de l'esprit. Il s'abandonnait devant elle -comme autrefois dans ses soliloques, grimaçait, -gesticulait, citait, sans les annoncer, -des vers,—et cette belle fille blottie -au coin du canapé lui parut aussi -indulgente à ses discours que naguère les -arbres sur la route vide. Il alla loin dans -les confidences, et jusqu'à l'entretenir de -ce Nietzsche qui peut-être l'obligerait à -réviser les bases de sa vie morale; Noémi -essuyait ses mains moites avec un petit -mouchoir en boule et regardait la porte -derrière laquelle ses parents chuchotaient -sans que, Dieu merci! elle pût saisir le -sens de leurs paroles: les ragots touchant -son futur gendre troublaient le père d'Artiailh -qui, roulé et volé à tous les tournants -de sa vie, ne doutait point que cet apparent -retour de fortune cachât un désastre. -Mais, selon Madame d'Artiailh, on ne -connaissait d'autre fondement à ces calomnies -que la malveillance des Cazenave -et l'éloignement des femmes où—soit -religion, soit timidité—s'était tenu -Jean Péloueyre. Onze heures sonnaient -dans le clair de lune; Madame d'Artiailh -ouvrait la porte, sans tousser ni frapper, et -désespérait de surprendre les jeunes gens -dans une attitude qui donnât à penser. -Elle s'excusait de déranger «les tourtereaux»; -c'était l'heure, disait-elle, «du -couvre-feu». Jean touchait de ses lèvres -les cheveux de Noémi, puis s'en allait -en compagnie de son ombre le long des -maisons. Son pas vainqueur éveillait les -chiens de garde que la lune empêchait -de se rendormir; ainsi, même la nuit, il -emplissait de bruit le village! L'étrange -était qu'il n'éprouvait plus rien de son -émoi du temps qu'à la grand'messe Noémi -fendait l'air de sa robe repassée. Il -secouait la tête, pour ne pas penser à -cette nuit de septembre où elle lui serait -livrée. Cette nuit jamais n'arrivera: une -guerre éclatera, quelqu'un mourra; la -terre tremblera...</p> - -<p class="p2">Noémi d'Artiailh, en sa longue chemise, -récitait sa prière devant les étoiles. Ses -pieds nus aimaient le froid carrelage; -elle offrait sa douce gorge à l'apitoiement -de la nuit. Elle n'essuyait pas cette larme -qui roulait à portée de sa langue mais -la buvait. Le frémissement du tilleul et -son odeur rejoignaient la voie lactée. Sur -cette route du ciel, ses rêves un peu fous -ne vagabonderaient plus. Les grillons, qui -crépitaient au bord de leur trou, lui rappelaient -son maître. Un soir, étendue sur -ses draps et toute livrée à la nuit chaude, -elle sanglota d'abord à petit bruit, puis -gémit longuement et regarda avec pitié -son chaste corps intact, brûlant de vie -mais d'une végétale fraîcheur. Qu'en ferait -le grillon? Elle savait qu'il aurait droit -à toute caresse, et à celle-là, mystérieuse -et terrible, après quoi un enfant naîtrait, -un petit Péloueyre tout noir et chétif... Le -grillon, elle l'aurait toute sa vie et jusque -dans ses draps. Comme elle sanglotait, -sa mère survint (ô camisole festonnée! -maigre tresse!). La petite inventa qu'elle -avait horreur du mariage et souhaitait -d'entrer au Carmel. Madame d'Artiailh, -sans protester, la prit dans ses bras jusqu'à -ce que se fussent espacés les sanglots. -Puis elle l'assura qu'en ces matières, il -fallait s'en rapporter à son directeur; or, -M. le curé n'avait-il pas choisi lui-même -pour elle la voie du mariage? Petite âme -ménagère, toute tendresse et piété, Noémi -était bien incapable de rien répondre. Elle -ne lisait pas de romans; elle servait chez -ses parents, elle obéissait; on lui assurait -qu'un homme n'a pas besoin d'être -beau; que le mariage produit l'amour -comme un pêcher, une pêche... Mais il -eût suffi, pour la convaincre, de répéter -l'axiome: <i>On ne refuse pas le fils Péloueyre!</i> -On ne refuse pas le fils Péloueyre; -on ne refuse pas des métairies, -des fermes, des troupeaux de moutons, -des pièces d'argenterie, le linge de dix -générations bien rangé dans des armoires -larges, hautes et parfumées,—des alliances -avec ce qu'il y a de mieux dans -la Lande. On ne refuse pas le fils Péloueyre.</p> - - -<h2>IV</h2> - -<p>La terre ne trembla pas; il n'y eut pas -de signes dans le ciel et l'aube de ce mardi -de septembre éclaira doucement le monde. -On dut réveiller Jean Péloueyre qui avait -dormi d'un sommeil profond. Les dalles -du vestibule et la pierre du seuil disparurent -sous le buis, le laurier et les feuilles -de magnolia. Toutes les odeurs de la -maison cédèrent à celle de cette jonchée -piétinée. Les demoiselles d'honneur chuchotaient -et, à cause de leurs robes, ne -s'asseyaient pas. La salle du <i>Cheval-Rouge</i> -s'orna de guirlandes en papier. Le repas -arriverait tout préparé de B... par le train -de dix heures. Sur toutes les routes, des -victorias amenèrent des familles gantées -de blanc. Le soleil se jouait dans les hauts-de-forme -hérissés des messieurs de qui -les paysans admiraient la «queue de -morue».</p> - -<p>M. Jérôme démasqua ses batteries: -il resterait au lit. C'était sa manière d'ignorer -les obsèques et les noces de son entourage. -En ces conjonctures solennelles, -il avalait un cachet de chloral et tirait ses -rideaux. On rappelait que durant l'agonie -de sa femme, il se coucha au plus haut -étage de la maison et, le nez au mur, ne -consentit à ouvrir un œil que lorsqu'il -fut assuré que la dernière pelletée de -terre avait recouvert le cercueil; que -le train emportait le dernier invité. Le -jour du mariage de son fils, il ne voulut pas -que Cadette rabattît les volets lorsque -Jean Péloueyre, vert et réduit à rien -dans son habit, lui demanda de le bénir.</p> - -<p>Jour terrible! Toute la honte de Jean -Péloueyre lui était revenue d'un coup. -Bien que le cortège défilât dans le vacarme -des cloches, sa fine oreille de chasseur -ne perdit rien des apitoiements de -la foule. Il entendit un jeune homme -murmurer: Quel dommage! Des jeunes -filles, grimpées sur les chaises, pouffaient. -Entre l'autel incendié et la foule en rumeur, -il vacillait, accrochait ses mains -au velours du prie-Dieu. Il ne regardait -pas, mais sentait frémir à ses côtés le -corps mystérieux d'une femme... Le curé -lisait, lisait. Ah! si son discours avait -pu ne jamais finir! Mais le soleil, criblant -de confettis les vieilles dalles, déclinerait,—puis -s'ouvrirait le règne de -la nuit révélatrice.</p> - -<p>La chaleur avait gâté le repas; l'une -des langoustes sentait fort. La bombe glacée -se mua en une crème jaune. Plutôt -que de fuir, les mouches se seraient laissées -écraser sur les petits fours, et les -femmes fortes souffraient d'être harnachées: -d'actives sudations brûlèrent sans -recours les corsages. Seule la table des -enfants criait de joie. Du fond de son -abîme, Jean Péloueyre épiait les visages: -que chuchotait Fernand Cazenave à un -oncle de Noémi? Comme un sourd-muet, -Jean devinait la phrase aux mouvements -des lèvres: «Si l'on nous avait -écoutés, on aurait évité ce malheur, mais -dans notre position, c'était bien délicat -d'intervenir...»</p> - - -<h2>V</h2> - -<p>La chambre de cette maison de famille -d'Arcachon était meublée de faux bambou. -Nulle étoffe ne dissimulait les ustensiles -sous la toilette, et des moustiques -écrasés souillaient le papier de tenture. -Par la fenêtre ouverte, l'haleine du bassin -sentait le poisson, le varech et le sel. -Le ronronnement d'un moteur s'éloignait -vers les passes. Dans les rideaux de cretonne, -deux anges gardiens voilaient leurs -faces honteuses. Jean Péloueyre dut se -battre longtemps, d'abord contre sa propre -glace, puis contre une morte. A l'aube -un gémissement faible marqua la fin d'une -lutte qui avait duré six heures. Trempé -de sueur, Jean Péloueyre n'osait bouger,—plus -hideux qu'un ver auprès de ce -cadavre enfin abandonné.</p> - -<p>Elle était pareille à une martyre endormie. -Les cheveux collés au front, comme -dans l'agonie, rendaient plus mince son -visage d'enfant battu. Les mains en croix -contre sa gorge innocente, serraient le -scapulaire un peu déteint et les médailles -bénites. Il aurait fallu baiser ses pieds, -saisir ce tendre corps, sans l'éveiller, -courir, le tenant ainsi, vers la haute mer, -le livrer à la chaste écume.</p> - - -<h2>VI</h2> - -<p>Bien qu'un billet circulaire obligeât -le couple à demeurer absent trois semaines, -dix jours après la noce, il revint -s'abattre dans la maison Péloueyre. Le -bourg fut en rumeur et les Cazenave, sans -attendre le jeudi, accoururent et scrutèrent -le visage de Noémi. Mais la jeune -femme ne livra rien de son cœur. Les -d'Artiailh et le curé arrêtèrent d'ailleurs -les commérages: les tourtereaux avaient -préféré—disaient-ils—le calme du -foyer au tumulte des hôtels et des gares. -A la sortie de la grand'messe, Noémi, -très parée, serra les mains, en souriant: -elle riait, elle était donc heureuse. Son -assiduité à la messe quotidienne pourtant -ne laissa pas d'étonner. Des dames notèrent -que ses mains, bien après la communion, -ne s'écartaient pas d'une figure -amincie et dolente. On inféra de cette -mine abattue que Noémi était grosse. -Tante Félicité parut un jour pour mesurer -d'un œil furtif la ceinture de la jeune -femme. Mais un secret colloque avec -Cadette,—vieille augure qui présidait -aux lessives,—la rassura. Dès lors elle -crut politique de se tenir à l'écart, ne -voulant, disait-elle, feindre d'approuver -par sa présence une union monstrueuse, -manigancée par les prêtres. Elle ménageait -sa rentrée aux premiers éclats d'un -inévitable drame.</p> - -<p>Cependant M. Jérôme s'étonnait que -sa bru le soignât avec la passion d'une -Sœur de Saint-Vincent-de-Paul. A l'heure -prescrite, elle portait chaque remède, ordonnait -le repas selon un rigoureux régime -et, avec une douce autorité, imposait à -tous le silence durant la sieste. Comme -autrefois, Jean Péloueyre s'évadait de la -maison partenelle, longeait les murs des -ruelles détournées. A l'affût derrière un -pin, en lisière d'un champ de millade, -il guettait les pies. Il eût voulu retenir -chaque minute et que le soir ne vînt jamais. -Mais déjà plus vite naissait l'ombre. -Les pins, en proie aux vents d'équinoxe, -reprenaient en sourdine la plainte que -leur enseigne l'Atlantique dans les sables -de Mimizan et de Biscarosse. De l'épaisseur -des fougères, s'élevèrent les cabanes -de brande où les Landais, en octobre, -chassent les palombes. L'odeur du pain -de seigle parfumait le crépuscule autour -des métairies. Au soleil couchant, Jean -Péloueyre tirait les dernières alouettes. -A mesure qu'il se rapprochait du bourg -son pas devenait plus lent. Un peu de -temps encore! encore un peu de temps, -avant que Noémi souffre de le sentir dans -la maison! Il traversait le vestibule à pas -de loup; elle le guettait, la lampe haute et -venait à lui avec un sourire d'accueil, lui -tendait son front, soupesait la carnassière, -faisait enfin les gestes de l'épouse, heureuse -parce que le bien-aimé est revenu. -Mais elle ne soutenait son rôle que quelques -minutes et pas une seconde ne put -se flatter de faire illusion. Pendant le -repas, M. Jérôme les délivrait du silence: -depuis qu'une jeune garde-malade s'inquiétait -de lui, il ne se lassait de décrire -ses sensations. Comme elle se chargeait -de recevoir les métayers, Noémi -devait l'entretenir du domaine. M. Jérôme -admirait que cette petite fille fût -la seule dans la maison à savoir vérifier -les comptes du régisseur, et surveiller -la vente des poteaux de mines. Il lui -attribuait aussi le mérite des deux kilos -qu'il avait gagnés depuis le mariage de -son fils.</p> - -<p>Le repas achevé et M. Jérôme sommeillant, -les pieds aux chenêts, les deux -époux, sans recours possible, se trouvaient -face à face. Jean Péloueyre s'asseyait loin -de la lampe, respirait à peine, s'effaçait -dans l'ombre. Mais rien ne pouvait empêcher -qu'il fût là et que Cadette à dix -heures apportât les bougeoirs. O dure -montée vers les chambres! Le pluvieux -automne chuchotait sur les tuiles. Un -contrevent claquait; le cahotement d'une -charrette s'éloignait. A genoux contre le -lit redoutable, Noémi détachait à mi-voix -les mots de sa prière: «<i>Prosternée -devant Vous, ô mon Dieu, je Vous rends -grâce de ce que Vous m'avez donné un -cœur capable de Vous connaître et de Vous -aimer...</i>» Jean Péloueyre, dans les ténèbres, -devinait la rétraction du corps adoré et -s'en éloignait le plus possible. Quelquefois, -Noémi avançant une main vers ce -visage moins odieux puisqu'elle ne le -voyait plus, y sentait de chaudes larmes. -Alors, pleine de remords et de pitié, -comme dans l'amphithéâtre une vierge -chrétienne d'un seul élan se jetait vers -la bête, les yeux fermés, les lèvres serrées, -elle étreignait ce malheureux.</p> - - -<h2>VII</h2> - -<p>La chasse à la palombe servit à Jean -Péloueyre de prétexte pour passer les -journées loin de celle que, par sa seule -présence, il assassinait. Il se levait avec -tant de silence que Noémi ne s'éveillait -pas. Quand elle ouvrait les yeux, il était -loin déjà: une carriole l'emportait sur -les routes boueuses. Il dételait dans une -métairie et aux abords de la cabane se -cachait et sifflait de peur qu'un vol de -palombes fût en vue. Le petit-fils de -Cadette criait qu'il pouvait approcher, -et l'affût commençait: longues heures de -brume et de songe bercées de cloches de -troupeaux, d'appels de bergers, de croassements. -Dès quatre heures, il devait quitter -la chasse; mais pour ne rentrer que -le plus tard possible, Jean se glissait dans -l'église; il n'y récitait aucune prière; il saignait -devant quelqu'un. Souvent les larmes -venaient; il lui semblait que sa tête reposait -sur des genoux. Puis Jean Péloueyre -jetait sur la table de la cuisine des palombes -ardoisées, au cou encore gonflé de -glands. Ses souliers fumaient devant le -feu; il sentait sur sa main la langue tiède -d'une chienne. Cadette trempait la soupe; -derrière elle, Jean pénétrait dans la salle. -Noémi lui disait: «Je ne savais pas que -vous fussiez de retour déjà...» Et encore: -«Ne vous laverez-vous pas les mains?» -Alors il allait à sa chambre dont les volets -n'étaient pas encore clos: une lanterne -éclairait les ornières pleines de pluie... -Jean Péloueyre se lavait les mains sans -atteindre à rendre ses ongles nets, et il les -cachait sous la table pour que Noémi -ne les vît pas. Il l'observait en dessous: -que ses oreilles étaient blanches! Elle -n'avait pas d'appétit. Il insistait avec -maladresse pour qu'elle reprît du gigot: -«Mais puisque je vous dis que je n'ai -plus faim!» Un sourire soumis, parfois -la moue d'un baiser corrigeaient ces brèves -impatiences. Elle regardait son époux en -face comme une agonisante qui croit au -ciel regarde la mort. Elle retenait le -sourire à sa bouche comme on fait pour -donner le change à quelqu'un qui va -mourir. C'était lui, lui, Jean Péloueyre, -qui meurtrissait ces yeux,—qui décolorait -ces oreilles, ces lèvres, ces joues: -rien qu'en étant là, il épuisait cette jeune -vie. Ainsi défaite, elle lui était plus chère. -Quelle victime fût jamais plus aimée de -son bourreau?</p> - -<p class="p2">Seul M. Jérôme s'épanouissait. A ce -doux, toute souffrance était invisible qui -n'était pas la sienne. On eut la stupeur -de l'entendre se réjouir d'une sérieuse -amélioration dans son état. L'asthme lui -laissait du répit. Il sommeillait jusqu'au -petit jour sans le secours d'aucun narcotique. -Cela lui avait porté bonheur, -disait-il, de défendre sa porte au docteur -Pieuchon de qui le fils avait eu un crachement -de sang et demeurait en traitement -chez son père. M. Jérôme, par peur -de la contagion, avait rompu avec son -vieux camarade. Il jurait que sa bru -suffisait à tout et qu'elle avait plus d'expérience -que les médecins. Rien ne la rebutait: -pas même ce qui touche à la -garde-robe. Elle avait su rendre délicieux -le plus fade régime. Des jus de citron et -d'orange, parfois un doigt de vieil armagnac, -remplaçaient les condiments défendus, -excitaient l'appétit que M. Jérôme -assurait avoir perdu depuis quinze -ans. Après de timides essais, Noémi -voulut bien aider à la digestion de son -beau-père par une lecture à haute voix. -Elle était inlassable, ne s'arrêtait plus, faisait -semblant de ne pas s'apercevoir que -M. Jérôme préludait au sommeil par un -petit souffle régulier. Une heure sonnait—une -heure de moins à trembler de -dégoût dans la ténèbre de la chambre -nuptiale, à épier les mouvements de l'affreux -corps étendu contre le sien et qui, -par pitié pour elle, feindrait de dormir. -Parfois le contact d'une jambe la réveillait; -alors elle se coulait tout entière entre le -mur et le lit; ou un léger attouchement -la faisait tressaillir: l'autre, la croyant -endormie, osait une caresse furtive. C'était -au tour de Noémi de prendre l'aspect -du sommeil, de peur que Jean Péloueyre -fût tenté d'aller plus avant.</p> - - -<h2>VIII</h2> - -<p>Jamais entre eux de ces disputes qui -séparent les amants. Ils se savaient trop -blessés pour se porter des coups; la -moindre offense se fût envenimée, eût -été inguérissable. Chacun veillait à ne -pas toucher la blessure de l'autre. Leurs -gestes furent mesurés pour se faire moins -souffrir: quand Noémi se déshabillait, -il regardait ailleurs et n'entrait jamais dans -le cabinet de toilette quand elle s'y lavait. -Il prit des habitudes de propreté, -fit venir de l'eau de Lubin dont il s'inondait, -et, grelottant, inaugura un tub. Jean -se croyait l'unique coupable; elle se haïssait -de n'être pas une épouse selon Dieu. -Jamais ils n'échangèrent un reproche -même muet, mais d'un regard se demandaient -l'un à l'autre pardon. Ils décidèrent -de réciter ensemble leur prière: -ennemis dans la chair, ils s'unissaient -dans cette imploration du soir; leurs -voix au moins pouvaient se confondre; -côte à côte et séparés, ils se rejoignaient -à l'infini. Un matin, comme sans s'être -donnés le mot, ils s'étaient rencontrés -au chevet d'un vieillard infirme, avidement -ils usèrent de ce nouveau lien et -désormais, une fois dans la semaine, firent -leur tournée de malades, en attribuant -l'un à l'autre le mérite. Hors ces courses, -Noémi fuyait Jean, ou plutôt le corps -de Noémi fuyait le corps de Jean,—et -Jean fuyait le dégoût de Noémi. -En vain voulut-elle réagir contre cette -répulsion de sa chair: un jour morne de -novembre, elle qui haïssait la marche, se -força à suivre Jean Péloueyre dans la -lande et jusqu'aux confins de ces marais -déserts où le silence est tel qu'aux veilles -de tempête, on y entend les coups sourds -de l'Atlantique dans les sables. Les gentianes, -d'un bleu de regard, ne les fleurissaient -plus. Elle allait devant, comme on -s'échappe, et il la suivait de loin. Les pasteurs -du Béarn dont était issu Jean Péloueyre, -et qui dans ce désert jouirent du -droit de pacage, y avaient, bien des siècles -auparavant, creusé pour leurs troupeaux -un puits; au bord de sa bouche fangeuse, -les deux époux se rejoignirent. Et Jean -pensait à ces vieux bergers atteints du -mal mystérieux de la lande, la pelagre, -et qu'on retrouve toujours au fond d'un -puits ou la tête enfoncée dans la vase -d'une lagune. Ah! lui aussi, lui aussi, -aurait voulu étreindre cette terre avare -qui l'avait pétri à sa ressemblance et -finir étouffé par ce baiser.</p> - - -<h2>IX</h2> - -<p>Souvent la visite du curé interrompait -la lecture. Il appelait Noémi: mon enfant, -acceptait un verre d'eau de noix; mais -il semblait qu'il ne sût plus comme naguère -soutenir avec M. Jérôme des colloques -théologiques ni le divertir d'anecdotes -cléricales. Chacun, devant ce juge, -rattachait son masque. Les yeux n'exprimaient -plus rien; les âmes se sentaient -épiées. Le curé ne se délassait plus en -une conversation à bâtons rompus: tout -ce qu'il disait semblait tendre à un but -non encore découvert. Il allongeait vers -la flamme des jambes courtes et enflées, -et soudain assénait de vifs regards vite -voilés sur le couple silencieux. Moins -péremptoire, moins sûr de soi, depuis -longtemps il n'avait raconté, comme il -aimait faire, ses débats avec tel rationaliste, -où revenait souvent cette formule: -«Je lui répondis, <i>victorieusement d'ailleurs...</i>» -M. Jérôme assurait qu'il n'avait -vu le curé si soucieux qu'à l'époque où -l'ancien maire prétendit faire sonner les -cloches pour les enterrements civils et -mobiliser le char funèbre de la fabrique. -Le curé aurait voulu que Jean Péloueyre -se remît à un travail d'histoire locale, -entrepris avec passion mais depuis une -année interrompu. Le jeune homme prétendait -manquer des documents essentiels. -Au vrai, de souffle court, il n'allait -jamais jusqu'au bout d'aucune étude. Les -premières pages de ses livres, il les zébrait -de notes, et les dernières, il ne les coupait -pas. Un perpétuel besoin de marcher -pour ratiociner à son aise, l'éloignait de -sa table. Un soir, comme M. Jérôme s'était -retiré, le curé revint avec obstination sur -ce sujet. Jean Péloueyre se déclara incapable -d'aller plus avant, sans consulter -des ouvrages spéciaux à la Bibliothèque -Nationale: il ne pouvait tout de même -pas faire le voyage de Paris... «Et pourquoi, -mon cher enfant, ne le feriez-vous -pas?» Le curé posa à mi-voix cette -question; il jouait avec la frange de sa -ceinture, et ne détournait pas ses yeux du -feu. Une faible voix murmura: «Je ne -veux pas que Jean me quitte.» Mais le -curé insista: c'est un péché que de ne -pas faire fructifier le talent. Incapable de -diriger un cercle d'études ni aucune œuvre, -Jean ne devait pas tenir plus longtemps -l'emploi de l'ouvrier inutile... Le saint -homme développait ce thème. La triste -voix, en un grand effort, dit encore: -«Si Jean s'en va, je partirai avec lui...» -Le curé secoua la tête: Noémi s'était -rendue indispensable auprès du cher malade. -Au reste il ne s'agissait que d'une -courte séparation—quelques semaines, -quelques mois... Noémi ne trouva plus la -force de protester. Aucune autre parole ne -fut prononcée jusqu'à ce que le curé eût -remis sa douillette et chaussé des sabots. -Jean Péloueyre s'enveloppa d'une pélerine, -alluma la lanterne et précéda son -hôte.</p> - -<p class="p2">Le pluvieux décembre et ses brèves -journées ne permirent plus aux époux -de se fuir—sauf lorsque Jean Péloueyre -chassait la bécasse; mais même alors il -fallait rentrer dès quatre heures avec le -crépuscule. Un seul feu, une lampe unique -rapprochaient ces corps ennemis. Autour -de la maison, la pluie endormante chuchotait. -M. Jérôme avait ses douleurs de -chaque hiver dans l'épaule gauche et -geignait. Mais Noémi allait mieux. Elle -s'obligeait à un effort quotidien pour détourner -Jean de ses projets de voyage; -elle avait promis au ciel de tenter l'impossible -pour qu'il demeurât près d'elle. -Cette supplication empêchait le malheureux -de rester indécis sans se résoudre à -rien et, en ayant l'air de le retenir, le -forçait à prendre parti. Il levait vers la -jeune femme ses yeux de chien battu: -«Il faut que je m'en aille, Noémi». -Elle protestait, mais s'il faisait semblant -de fléchir, loin de poursuivre son avantage -elle n'insistait plus. M. Jérôme, -bien qu'il citât volontiers le vers des -<i>Deux pigeons: L'absence est le plus grand -des maux</i>, envisageait avec une secrète -joie de vivre seul près de sa bru. Enfin le -curé, en toutes rencontres, harcelait Jean -Péloueyre. Que pouvait le triste garçon -contre cette complicité? D'ailleurs il approuvait -dans son cœur ce verdict de -bannissement. Hors un pèlerinage à -Lourdes et ses nuits d'amour à Arcachon, -il n'avait jamais quitté son trou. S'enfoncer -tout seul dans la cohue de Paris! -C'était pour lui sombrer à jamais au fond -d'un océan humain plus redoutable que -l'Atlantique. Mais trop de cœurs le poussaient -vers le gouffre. Le départ fut enfin -fixé à la deuxième semaine de février. -Longtemps en avance, Noémi s'inquiéta -de la malle et du trousseau. Jean Péloueyre -était là encore qu'elle avait déjà retrouvé -quelque appétit. Ses joues se colorèrent. -Un après-midi de neige, elle en fit des -pelotes et les jeta à la figure du petit-fils -de Cadette, et Jean Péloueyre, derrière -une vitre du premier étage, les regardait. -Lucide, il assistait à cette résurrection. -Comme la campagne se délivre de l'hiver, -cette femme se délivrait de lui: il la fuyait -pour qu'elle refleurît.</p> - -<p class="p2">Jean Péloueyre, ayant baissé la glace -souillée du wagon, regarda le plus longtemps -possible s'agiter le mouchoir de -Noémi. Comme il flottait, ce signal -d'adieu et de joie! Pendant cette dernière -semaine, elle avait saoûlé le voyageur -d'une feinte tendresse, et ardente l'avait -provoqué jusqu'à lui faire murmurer, une -nuit où il avait cru la sentir vivre sous -son souffle: «Et si je ne partais pas, -Noémi?» Ah! bien que ce fût dans les -ténèbres et qu'elle n'eût répondu que -par une exclamation étouffée, il devina -cette terreur, cette horreur, et ne put se -défendre d'ajouter: «Rassure-toi, je m'en -irai.» Ce fut le seul mot par quoi il manifesta -qu'il n'était pas dupe. Elle se -tourna vers le mur et il l'entendit pleurer.</p> - -<p>Jean Péloueyre regarda défiler les pins -familiers que traversait le petit train; -il reconnut ce fourré où il avait manqué -une bécasse. La voie longeait la route -qu'il avait si souvent parcourue en carriole. -Cette métairie couchée dans la fumée -et dans la brume, au bord d'un champ -vide, serrant contre elle le four à pain, -l'étable, le puits, il la salua par son nom, -il en connaissait le propriétaire. Puis un -nouveau train l'emporta à travers des -landes où il n'avait jamais chassé. A Langon, -il dit adieu aux derniers pins comme -à des amis qui l'eussent accompagné le -plus loin possible et s'arrêtaient enfin, -et de leurs branches étendues le bénissaient.</p> - - -<h2>X</h2> - -<p>Il se logea dans le premier hôtel qu'il -rencontra quai Voltaire. Le matin, il -regardait pleuvoir sur la Seine qu'il n'avait -encore osé franchir, puis, à midi, se glissait -jusqu'au café de la gare d'Orléans -où il somnolait, dans le grondement des -trains qui emportaient vers le Sud-Ouest -des voyageurs bienheureux. N'osant s'attarder, -son repas fini, sans consommer, -il buvait après sa bouteille de vin blanc, -deux verres de liqueur, et son agile -esprit se mouvait dans l'absolu. Ses tics, -des mots entrecoupés, parfois faisaient -sourire les voisins et les garçons; mais -tapi entre le tambour de la porte et une -colonne, il demeurait le plus souvent -inaperçu. Jusqu'aux réclames, il lisait les -journaux: meurtres, suicides, drames de -la jalousie et de la folie, tout était bon à -Jean Péloueyre qui se repaissait du mal -universel. Après le dîner, un ticket de -deux sous lui donnait accès aux quais: -il cherchait le wagon où était écrit le nom -d'Irun et dont les larges vitres, le lendemain -matin, refléteraient les landes monotones. -Il avait calculé que ce train passait -à moins de quatre-vingts kilomètres -à vol d'oiseau de la maison Péloueyre. -Il posait sa main sur la paroi du wagon et -lorsque le convoi s'ébranlait, on eut dit -un homme qui voit disparaître à jamais la -moitié de son âme. Dans le café, où de -nouveau il s'attablait, c'était l'heure d'un -orchestre et Jean Péloueyre subissait jusqu'au -désespoir la toute-puissance de la -musique sur son cœur. Elle le livrait sans -recours au fantôme de Noémi. Il voyageait -par la pensée sur ce corps que jamais -il n'avait contemplé qu'endormi. -Dans le sommeil, au long des nuits de -septembre et quand le clair de lune coulait -sur le lit, le triste faune avait mieux -appris à connaître ce corps que si, amant -heureux, il l'eût possédé dans un mutuel -délire. Il n'avait jamais tenu entre -ses bras qu'un cadavre mais il l'avait -réellement pénétré avec ses yeux. Peut-être -connaissons-nous mieux qu'aucune -autre, la femme qui ne nous a pas aimés. -A cette heure, Noémi dormait dans la -vaste chambre froide, elle dormait bienheureuse, -délivrée d'une repoussante présence, -toute à la volupté du lit désert. -A travers l'espace, il sentait la joie de sa -bien-aimée, sa joie parce qu'il n'était -plus contre elle couché. La tête entre -les mains, Jean Péloueyre s'excitait à la -colère: il reviendrait au pays, s'imposerait -à cette femme, jouirait d'elle, dût-elle -en crever! Il en ferait un objet à -son usage... Alors, en lui, elle surgissait -muette, soumise, avec cette douce gorge -lourde, comme un arbre qui tend son -fruit. Il se rappelait ses consentements à -mourir d'horreur et sans un cri... Jean -Péloueyre payait les consommations, suivait -le quai jusqu'à l'hôtel, se déshabillait -à tâtons pour ne pas se voir dans la -glace.</p> - -<p class="p2">Tous les trois jours, on lui portait avec -son chocolat une enveloppe qu'il n'ouvrait -quelquefois que le soir. Ah! que -lui importaient ces hypocrites vœux pour -son retour! Le seul plaisir de Jean Péloueyre -était de penser que la main de -Noémi à ce papier s'appuya,—que -l'ongle de son petit doigt avait creusé -cette ligne sous chaque mot. Vers la fin -de mars, il crut sentir quelque sincérité -dans l'appel de Noémi: «... Je suis -sûre que vous ne croyez pas à mon désir -de vous revoir. C'est mal connaître votre -femme...» Elle écrivait encore: «Je m'ennuie -de toi.» Jean Péloueyre froissait -la lettre et relisait celle que son père lui -avait adressée par le même courrier: -«... Tu trouveras Noémi changée à son -avantage: elle a repris de l'embonpoint, -elle est superbe; elle me soigne et me -dorlotte avec tant de bonne humeur que -j'oublie de la remercier. Les Cazenave ne -paraissent plus céans, mais je sais qu'ils -imaginent de la brouille entre vous: -laissons-les dire. Je reprends du poil de -la bête; ce n'est pas comme le fils Pieuchon -qui ne sort plus qu'en voiture et -qu'on croit perdu, bien qu'un médecin de -B... prétende le guérir avec de la teinture -d'iode diluée dans l'eau: les jeunes -s'en vont avant les vieux...»</p> - -<p>Quand vinrent les premiers beaux jours, -Jean Péloueyre osa enfin passer les ponts. -Dans un crépuscule d'or, il regarda la -Seine et ses mains touchaient le parapet -tiède, le caressaient comme un être vivant. -Alors une voix derrière lui chuchota; -elle l'appelait: chéri; elle lui disait: -viens. Tout près du sien, un jeune visage -était exsangue sous le fard. Une main -gonflée et sans ongles cherchait sa main. -Il prit la fuite, ne s'arrêta qu'aux guichets -du Louvre, soufflant un peu. Même de -telles créatures, aurait-il jamais osé attendre -un appel? Une autre femme que -Noémi?... Il voulut, pour la première -fois, se délecter en pensée d'une complice, -sinon bienheureuse, du moins indifférente -et sans dégoût; mais un si pauvre -bonheur lui demeurait inconcevable; il -reçut l'âcre connaissance de ce comble -d'infortune, en éprouva un retour de -colère. Ah! pourquoi ne pas consentir, -ce soir, à l'anéantissement dans des bras -indulgents et soumis? Sont-elles au monde -pour d'autres que les Péloueyre, ces dispensatrices -de caresses? Il vit trembler le -ciel de huit heures dans le bassin des -Tuileries; des enfants s'attroupaient à -cause de ses gestes. Il fila, le dos rond, -contourna la place, atteignit la rue Royale -et, comme c'était l'heure de dîner, osa -franchir le seuil d'un cabaret fameux.</p> - -<p>Tapi contre la porte, face au bar où, -comme à une mangeoire d'acajou, des perruches -à aigrettes s'accrochent, il éprouvait -avec délices que son aspect ici n'étonnait -ni les femelles, ni les maîtres d'hôtel, -noirs et gras—rats d'égouts de restaurants -chers. Ce boyau étincelant attire -trop de sauvages des Amériques, trop de -fermiers et de notaires provinciaux pour -qu'y fasse rire un Jean Péloueyre. Le -Vouvray colorait ses pommettes et il -souriait au bétail qu'attirait l'auge d'acajou. -Une blonde charnue glissa de son -tabouret, lui demanda du feu, but dans -son verre, à mi-voix lui promit pour cinq -louis de bonheur, puis de nouveau, se -percha, expectante. Bien que le vieux -monsieur d'une table voisine lui conseillât -d'attendre la fermeture de l'établissement -«parce qu'alors celles qui restent vous -font des prix avantageux», Jean Péloueyre -paya l'addition et sur le trottoir -fut rejoint par la dame. Elle héla un taxi -et fit descendre le client derrière la Madeleine. -L'escalier de l'hôtel sans vestibule -s'amorçait au ras du trottoir comme pour -en aspirer les immondices.</p> - -<p>Le bruit des épingles à cheveux sur -du marbre, éveilla Jean de sa léthargie. -Il vit des bras démesurément larges à -l'endroit où ils s'attachent aux épaules. -Des faveurs roses enjolivaient cette chair -tremblante. Elle l'appela son loup tandis -qu'avec un soin infini, elle enlevait des -bas de soie végétale. Cette hâte de se -donner, ce consentement, cette soumission -sans dégoût, Jean Péloueyre en éprouvait -une pire douleur que lorsque, de -toute sa chair, Noémi lui criait: Non! -Stupide, la fille le vit jeter un billet sur -la table, et avant qu'elle ait pu faire un -geste, il était déjà dehors, enfilait une -rue comme un voleur. Il goûta, dans la -cohue des boulevards, cette béatitude après -un grand péril conjuré. Les marronniers -nus des Champs-Elysées l'attirèrent. Un -banc était libre; il s'y reposa, essoufflé -toussant un peu. Cette lune tronquée -qu'éclipsaient les lampes à arc, il songea -qu'elle épandait sa lueur calme sur le -troupeau des sombres cimes entre les -Pyrénées et l'Océan. Il ne souffrait plus, -tout était pur en lui. Il se délectait de sa -misère sans souillure. Noémi et Jean -s'aimeraient dans un jour d'été sans déclin. -D'avance il goûta l'accord de leur chair -glorifiée. O lumière où s'appelleront leurs -corps immortels, leurs corps incorruptibles! -Jean Péloueyre dit à haute voix: -«Il n'est pas de Maîtres; nous naissons -tous esclaves et nous devenons vos affranchis, -Seigneur.» Un sergent de ville -s'étant approché, le considéra un instant, -puis, les épaules soulevées, s'éloigna.</p> - -<p class="p2">Jean s'installa, chaque après-midi, à -la terrasse du café de la Paix, au bord -d'un triste fleuve de visages. Les maladies -secrètes, l'alcool, les stupéfiants, avaient -repétri à il ne savait quelle immonde ressemblance -ces milliers de figures qui -toutes furent des figures d'enfants. Jean -Péloueyre s'intéressait à la quête des prostituées, -dénombrait ce troupeau de maigres -louves. Il jouait à deviner pour le compte -de quel vice, ce monsieur à monocle -et la lèvre pendante, chassait. Avidement -Jean Péloueyre cherchait une seule face -qui portât le signe des dominateurs et -des maîtres, une seule et il eût suivi cet -être élu; mais les yeux étaient égarés, -les mains tremblaient; des convoitises -hors nature salissaient des figures qui -ne se savaient pas épiées. D'ailleurs, ce -Maître, s'il avait existé, eût-il été immortel? -Jean Péloueyre, gesticulant à cette -table des boulevards comme entre les -murs d'une route de son village, se citait -à soi-même le mot de Pascal sur la fin -de la plus belle vie du monde. On perd -toujours la partie! On perd toujours la -partie, ô cerveau ramolli de Nietzsche!... -Des jeunes gens, près de lui, se poussaient -du coude. Une femme assise avec eux -interpella Jean Péloueyre. Il tressaillit, -jeta de la monnaie sur la table et prit le -large. Il entendit la femme crier: «On -n'est pas plus dingo...» Et maintenant il -se glissait dans la cohue, trottait comme -un rat le long des vitrines, élaborait le -plan d'une étude péremptoire qu'il intitulerait: -<i>Volonté de Puissance et Sainteté.</i> -Parfois, une glace de magasin le reflétait -et il ne se reconnaissait pas. La mauvaise -nourriture l'avait maigri et réduit -encore. La poussière de Paris irritait sa -gorge. Il aurait dû renoncer aux cigarettes -et n'avait jamais tant fumé; aussi -allait-il toujours crachant et toussant. Des -vertiges l'obligeaient à s'appuyer aux réverbères. -Il aimait mieux se priver de -manger que souffrir ensuite de brûlures -à l'estomac. Le ramasserait-on un jour -dans le ruisseau comme un chat mort? -Alors Noémi serait délivrée... Ainsi rêvait-il -au cinéma où il échouait, moins attiré -par l'écran que par la musique ininterrompue. -Souvent le fiévreux, mourant de -fatigue, entrait dans un établissement de -bains. Un rideau de calicot voile la lumière, -les cols de cygne gouttent, on ne -sent plus vivre son corps. Jean Péloueyre -ne cherchait de si médiocres refuges que -parce que longtemps il ne connut à -Paris d'autre église que la Madeleine, -la seule qu'il rencontrât entre son hôtel -et le café de la Paix. Mais un jour, un -autre itinéraire lui fit connaître Saint-Roch -dont la ténébreuse chapelle devint -son hâvre quotidien. Odeur retrouvée -de l'église natale,—présence, la même à ce -carrefour de l'immense ville que dans le -bourg inconnu. Pas une fois il ne franchit -le seuil d'une bibliothèque.</p> - -<p>Peut-être eût-il ainsi vécu jusqu'à la -mort, si un matin une lettre du curé ne -l'avait rappelé au bercail. Les termes -en étaient pressants, bien qu'elle donnât -de M. Jérôme et de Noémi les meilleures -nouvelles. Avec une grande angoisse, Jean -Péloueyre monta dans cet express dont -si souvent il avait senti se détacher de -lui, glisser doucement, puis plus vite vers le -Sud-Ouest, le wagon qui porte le nom -d'Irun.</p> - - -<h2>XI</h2> - -<p>Cette lettre d'appel, nul événement -n'avait décidé M. le curé à l'écrire: il -s'y était résolu après une confession où -Noémi n'avait accusé que ses vénielles -fautes de chaque samedi. Mais elle avait -requis l'aide spirituelle de son directeur -contre des tentations, des troubles dont -elle ne précisa pas la nature.</p> - -<p>A l'éloignement de Jean Péloueyre, elle -avait dû d'abord un peu de cette lassitude -heureuse des convalescences. La solitude -lui était une volupté continue; alanguie, -elle se complaisait en soi-même. Bien -qu'elle fût incapable d'aucune analyse, -elle se sentait autre et, rendue à la vie de -jeune fille, connaissait dans sa chair qu'elle -n'était plus une jeune fille. Le dégoût -l'avait détournée d'assister à l'éclosion en -elle d'une femme; mais cette étrangère -exigeait d'elle une satisfaction mystérieuse. -Inquiète de n'éprouver plus la -paix d'avant que cet homme la possédât, -comment eût-elle discerné ce désaccord -entre son cœur toujours endormi et sa -chair à demi éveillée? Elle avait ressenti -le déchirement de son être, avec horreur, -certes, mais la chair est fidèle à -ne rien oublier de ce qu'elle subit. -Comme la jeune femme n'ouvrait d'autre -livre que son paroissien et que son état -de jeune fille bien née et pauvre l'avait -tenue à l'écart de toute intime compagnie, -aucune fiction, nulle confidence ne -l'aurait éclairée sur cette secrète exigence -en elle. Alors le destin lui fournit un visage.</p> - -<p class="p2">Le soleil de mars faisait luire les flaques -sur la place. La sieste de Jérôme Péloueyre -enchantait la maison au point que pas -un meuble n'y craquait. Comme toutes -les femmes du bourg, Noémi cousait au -rez-de-chaussée, dans l'embrasure d'une -fenêtre dont les volets demeuraient mi-clos. -De la table à ouvrage, le linge à -repriser coulait. Elle entendit un bruit de -roues, vit s'arrêter à quelques pas de la -fenêtre une charrette anglaise. Un jeune -homme tenait les rênes et regardait autour -de lui en quête d'un renseignement, -mais la place était déserte. Comme Noémi, -curieuse, poussait les volets, l'étranger -tourna la tête, se découvrit et demanda -où habitait le docteur Pieuchon. Après que -Noémi lui eût indiqué la route, il salua, -toucha du fouet la croupe de son cheval -et disparut. Noémi recommença de -coudre et tout le jour tira l'aiguille, la -pensée vague, inconsciente de ce visage -dont elle avait reçu l'empreinte. Le lendemain, -à la même heure, l'inconnu passa -encore mais ne s'arrêta pas. Pourtant, devant -la maison Péloueyre, il retint un peu -son cheval et ses regards cherchaient la -jeune femme entre les volets rapprochés. -A tout hasard, il salua. Au repas du soir, -M. Jérôme prétendit tenir du curé que -le fils Pieuchon allait de mal en pis et -que son père avait fait appel à un jeune -médecin de la sous-préfecture dont on -vantait la méthode: il traitait la tuberculose -par la teinture d'iode à «dose massive»; -il fallait que le malade ingurgitât -des centaines de gouttes diluées dans -l'eau. M. Jérôme doutait que l'estomac -du fils Pieuchon pût tolérer cette mixture. -Chaque jour passa le tilbury et chaque -jour il ralentit devant la maison Péloueyre, -sans que jamais Noémi poussât -les volets. Le jeune docteur saluait cette -raie d'ombre où respirait une jeunesse -invisible. Le bourg s'intéressait à la cure -par l'iode; tous les tuberculeux du canton -en usèrent. On assurait que le fils -Pieuchon allait mieux. Le printemps fut -précoce; une tiède fin de mars désengourdissait -le monde. Un soir, Noémi put -se déshabiller la fenêtre ouverte. Elle s'y -accouda, heureuse et triste, et sans désir -de sommeil. Elle était devant la nuit -qui, par un travail secret, «révélait» ce -visage d'homme dont elle avait subi l'impression. -Pour la première fois, elle y -arrêta, de propos délibéré, sa pensée: -puisque l'étranger la saluait chaque jour -sans même l'apercevoir, ne serait-il plus -convenable, le lendemain, de pousser les -volets et de rendre le salut? Ayant décidé -d'agir ainsi, elle en éprouva une émotion -si douce qu'elle retarda l'instant de -s'étendre sur son lit. En elle, des traits -un à un se détachèrent: Les cheveux -frisés et noirs entrevus dans la seconde -où le jeune inconnu soulevait son chapeau,—le -rouge épais des lèvres sous -une moustache courte,—le costume de -sport où luisait l'agrafe d'un stylo,—pas -de cravate, mais une molle chemise de -tussor ouverte.</p> - -<p>Noémi, toute instinct, mais dressée -à l'examen de conscience, fut vite mise -en alerte: sa première alarme vint, pendant -sa prière, de ce qu'il fallut recommencer -chaque oraison: entre Dieu et elle, -souriait une figure brune. Au lit, elle en -fut obsédée et au réveil, encore toute -brouillée de rêves, elle pensa d'abord -qu'elle allait le revoir. Durant la messe -de ce matin-là, les mains de Noémi ne -quittèrent pas son visage. A l'heure de la -sieste, lorsque le tilbury ralentit devant -la maison Péloueyre, tous les volets du -rez-de-chaussée étaient hermétiquement -clos.</p> - -<p>Ce fut alors que l'exilé reçut à Paris des -lettres qui l'étonnèrent, celles où Noémi -lui disait: «Je m'ennuie de toi...» -En ce temps-là, elle attendait dans la -pièce noire que le tilbury fût passé pour -entr'ouvrir les volets et se mettre à l'ouvrage. -Une après-midi, elle se répéta que -le scrupule aussi est un péché: «Je me -monte la tête», songeait-elle. Une fois -pour toutes, elle se pencherait à la fenêtre, -répondrait au salut de l'étranger. Elle -crut entendre un bruit de roues et déjà -sa main hésitait sur l'espagnolette, mais -pour la première fois depuis deux semaines, -le tilbury ne passa pas. A l'heure -où M. Jérôme prenait sa valériane, Noémi -monta chez lui et ne put se défendre -de l'avertir que le nouveau docteur n'était -pas allé chez les Pieuchon. M. Jérôme -le savait: le fils Pieuchon avait eu la -veille une rechute et ne supportait plus -l'iode. Il vomissait le sang à pleine cuvette, -disait le curé. Le printemps est une saison -dangereuse aux poitrinaires. On rapportait -que le docteur Pieuchon avait eu des -paroles très dures pour son confrère qui, -sans doute, n'oserait plus reparaître dans -le bourg. Noémi reçut un métayer, aida -Cadette à plier la lessive. A six heures, -elle alla faire son adoration; puis, comme -chaque jour, s'arrêta chez ses parents. -Mais après le dîner, elle se plaignit de -migraine et gagna sa chambre.</p> - -<p>Elle mena une vie plus active; ses -couvées réussirent. Endimanchée, elle fit -les visites annuelles que les dames du -bourg échangent avec solennité. Enfin -elle entreprit la tournée des métairies. -Elle aimait les courses en carriole dans -les chemins forestiers que défoncent les -charrois. Aux côtés de la jeune femme, le -petit-fils de Cadette conduisait le cheval. -Les ajoncs tachaient de jaune les fourrés -de fougères sèches. Aux chênes, les feuilles -mortes frémissaient, résistaient encore à -un souffle chaud du Sud. L'exact miroir -rond d'une lagune reflétait les fûts allongés -des pins, et leurs cimes et l'azur. -Aux troncs innombrables, de fraîches blessures -saignaient et, brûlantes, embaumaient -cette journée. Le chant du coucou -rappelait d'autres printemps. Des cahots -rejetaient le petit-fils de Cadette contre -Noémi et ces deux enfants riaient. Le -lendemain la jeune femme se plaignit de -courbatures et le régisseur fut prié d'achever -la tournée des métairies. Hors la -messe, on ne la vit plus jusqu'à ce matin -où revint Jean Péloueyre.</p> - - -<h2>XII</h2> - -<p>Elle l'attendit à la gare: sa robe -d'organdi s'épanouissait au soleil. Elle -portait des mitaines de fil et, à son cou -nu, un médaillon où étaient peints deux -amours luttant avec un bouc. Des enfants -jouaient à marcher sur un rail. Le petit -train siffla bien avant de paraître. Noémi -voulait que son émotion fût de la joie. -L'absence ayant adouci dans son souvenir -les traits de Jean Péloueyre, elle avait -comme recréé son époux afin qu'il ne -fût plus repoussant et ne gardait de lui -qu'une image insidieuse et retouchée. -Tel était son désir de l'aimer, qu'elle se -crut impatiente d'embrasser ce Jean Péloueyre -irréel. Si autour de son doux corps -épanoui, le désir avait flotté, caressant -en dépit d'elle d'autres visages, Dieu -savait que pas une fois elle n'avait consenti -même à une pensée trouble. En -revanche, elle ne doutait pas que cette -grâce lui dût être accordée de voir descendre -du train un époux différent de -celui dont, le cœur délivré, elle avait -salué le départ.</p> - -<p>Sur le marchepied d'un wagon de -deuxième classe, Jean Péloueyre parut. -Non, non, il n'était plus le même. Ses -mains affaiblies soutenaient à peine une -valise dont le petit-fils de Cadette lestement -le débarrassa. Au bras de Noémi, -il titubait un peu: «Mais tu es malade, -pauvre Jean!» Lui non plus, ne reconnaissait -pas cette femme, tant elle avait -bénéficié de son absence,—éclatante et -fleurissante et, plus encore que naguère -dans le parloir du curé, femelle merveilleuse -en face du mâle rabougri. Autour -du couple, on chuchotait. Jean Péloueyre -avait honte à cause de la marchande de -journaux, du chef de gare et du facteur: -«J'aurais dû t'envoyer la voiture. Pourquoi -ne m'as-tu pas écrit que tu étais -malade?» Noémi prépara le lit, lava le -visage et les mains de Jean Péloueyre, -étendit sur la table de chevet une nappe -blanche, y disposa les revues qui s'étaient -accumulées et qu'elle n'avait pas ouvertes. -Jean, comme un enfant pauvre qu'on dorlote, -l'épiait de ses vifs petits yeux. M. Jérôme -ne voulut pas qu'on appelât le -docteur Pieuchon: qu'un autre que lui -dans la maison fût malade, c'était ce -qui pouvait jeter ce doux hors des gonds. -A peine son fils au lit, il se coucha lui -aussi, prétendant souffrir de partout, et -refusa avec de gros mots les soins de -Cadette. Noémi vint le voir, non pour -s'informer de sa santé, mais pour obtenir -qu'il consentît à la visite du docteur. -Il refusa net: Pieuchon ne quittait pas -le chevet de son fils infesté de microbes. -Si elle tenait à voir un carabin, elle ferait -venir le «jeune homme à la teinture -d'iode!» Noémi détourna la tête, et dit -que ce garçon ne lui inspirait aucune -confiance; ne soignait-il pas d'ailleurs -tous les tuberculeux de l'arrondissement? -M. Jérôme la coupa d'un ton rogue, -criant que c'était son dernier mot, et -qu'il entendait qu'on ne l'importunât plus. -Comme aux plus mauvais jours, il se -coucha le nez au mur, poussa à intervalles -réguliers d'effrayants soupirs et ces: Ah! -Dieu! Dieu!—qui autrefois éveillaient -Jean dans le silence de la nuit.</p> - -<p class="p2">Quand Noémi revint à sa chambre, -la bonne y déployait un lit-cage. Jean -Péloueyre dont on ne voyait, au centre du -traversin, que les yeux brillants de rongeur, -les pommettes trop rouges, le nez -aigu, balbutia qu'il avait froid dans le -grand lit, que toujours il avait préféré -dormir à l'étroit, enfin qu'avant qu'un -médecin l'ait ausculté, il jugeait imprudent -de partager la couche de Noémi. Elle -aurait voulu protester, feindre d'être déçue. -Elle ne trouva aucun mot, et posa -ses lèvres sur le front mouillé de Jean -Péloueyre; mais il détourna la tête, ne -pouvant supporter la gratitude horrible -de ce baiser. La journée ainsi passa calme -et triste. Etendu dans sa muette province, -il somnolait, ne s'éveillait qu'au tintement -d'une petite cuiller contre une soucoupe. -Bien qu'il ne fût pas très malade, Noémi le -soutenait pendant qu'il buvait et il buvait -à lentes gorgées pour sentir plus longtemps -ce bras tiède contre son cou. Vint -le crépuscule; la cloche de l'église tinta. -Ils entendirent dans la cour les hue! dia! -du petit-fils de Cadette qui attelait. La -porte fut entrebâillée par M. Jérôme, -les pieds nus dans des pantoufles, vêtu -d'une robe de chambre souillée de remèdes. -Honteux de sa colère, il venait se -faire pardonner et, affectant de l'inquiétude, -prétendit ne pouvoir attendre plus -longtemps pour être rassuré: sur son -ordre, le petit-fils de Cadette allait quérir -le jeune «médecin à la teinture d'iode». -Jean Péloueyre protesta; il n'éprouvait -rien qu'un peu de fatigue; quelques jours -de repos et il n'y paraîtrait plus; le docteur -ne comprendrait pas qu'on ait osé -le déranger d'urgence...</p> - -<p>Assise dans l'ombre, Noémi ne prononçait -aucune parole, écoutait le bruit des -roues décroître et, sans un tressaillement, -sans un sanglot, pleurait. Une giboulée -fouetta les vitres, hâta la venue de la nuit -et aucun des époux ne demandait la -lampe. Cadette vint enfin avec de la -lumière et mit le couvert près du lit de -Jean. Pendant qu'ils mangeaient, Noémi -lui demanda si son travail d'histoire était -achevé; il secoua la tête et elle ne lui -posa plus de questions. La carriole roula -de nouveau dans la cour. Jean Péloueyre -dit: «Voilà le docteur.» Noémi se leva -et se tint debout loin de la lampe. Elle -écoutait comme un orage, s'approcher le -grondement d'une voix, des pas dans -l'escalier. Cadette ouvrit la porte; il entra. -Plus corpulent qu'il n'avait paru à -Noémi, c'était ce que dans le pays des -Péloueyre, on appelle un beau drôle. -Noir de poil, mais le teint couleur de -grenade, de ses longs yeux de mule andalouse, -sans vergogne déjà il guettait ceux -de Noémi, suivant la ligne de son corps -avec une méthode lente. Lui aussi avait -pensé à elle, lui aussi! N'osant quitter -la zone d'ombre, elle frémissait. Cependant -il examinait le malade: «Voulez-vous -déboutonner votre chemise? Un -mouchoir suffira, madame... Comptez -trente et un, trente-deux, trente-trois...» -La lampe éclairait ces clavicules, ces omoplates, -ces côtes,—cette pitoyable misère... -Non, l'état de M. Péloueyre n'offrait -rien d'alarmant, mais il faudrait -surveiller «ses sommets». Il ordonna des -fortifiants, des piqûres de cacodylate. Parfois -il regardait Noémi. N'allait-il pas -croire qu'elle avait cherché à l'introduire -dans la maison? C'était si étrange d'obliger -un médecin à faire six kilomètres en -carriole, le soir, pour ausculter un affaibli! -Il ne s'en allait pas et de son accent lourd, -se défendait d'avoir jamais prétendu guérir, -avec son traitement d'iode, un tuberculeux -aussi avancé que le fils Pieuchon. -Sa voix traînante, sa voix campagnarde -rendait un son mâle et grave. Noémi se -sentait épiée par des regards coulés sous -des paupières couleur de safran; mais lui -ne voyait d'elle qu'un fantôme silencieux. -Il en vint à dire que mieux valait prévenir -la maladie, que M. Péloueyre était un -terrain tout préparé et favorable aux bacilles: -«Un terrain, dirais-je, tuberculisable. -Feu madame Péloueyre mourut -phtisique, n'est-ce pas?» Ce jargon allait -mal à cette bouche fraîche, créée pour -ne dispenser aucune autre science que -des baisers. Il jugeait nécessaire qu'on -suivît le malade. Ce disant, il quêtait -une invitation à revenir. Comme Noémi -demeurait muette, il se leva et demanda -avec rondeur si M. Péloueyre souhaitait -qu'il renouvelât ses visites,—ne serait-ce -que pour lui administrer ses piqûres. -«Qu'en penses-tu, Noémi?» Comme elle -ne répondait pas, Jean crut qu'elle ne -l'avait pas entendu et répéta: «Dis, -Noémi, faut-il que monsieur revienne?» -Elle prononça enfin: «C'est tout à fait -inutile.» Le ton de ce refus était tel -que Jean Péloueyre eut peur qu'elle ait -froissé le médecin, et il protesta que «le -docteur demeurait seul juge». Le gros -garçon, sans nul embarras, promit d'accourir -au premier appel. Noémi alors -prit la lampe et le précéda. Elle descendait -vite, sentant ce souffle chaud sur -sa nuque. La carriole attendait devant -la porte. Le jeune homme y monta sans -avoir obtenu un regard. Le petit-fils de -Cadette fit claquer sa langue. Une lanterne -éclairait la croupe du cheval. Le -vent nocturne éteignit la lampe que tenait -haut la jeune femme et elle demeura -ainsi dans la nuit, au seuil de cette maison -morte, écoutant décroître un roulement -de carriole. Elle ne dormit pas. -Jean Péloueyre, dans le lit de fer, s'agitait, -prononçait des paroles confuses. Noémi -se releva pour le border, posa sa main -sur son front sans l'éveiller, comme elle -eût fait à l'enfant qui ne naîtrait jamais.</p> - - -<h2>XIII</h2> - -<p>Jean Péloueyre, dès le surlendemain, -reprit ses habitudes. Il sortait à pas de -loup, pendant la sieste de son père, guettait -les pies, et, après une station à l'église, -rentrait le plus tard possible au gîte. -Noémi déjà perdait de son éclat. Jean -Péloueyre mesurait ce cerne autour des -yeux si tristes et qui ne le regardaient -qu'avec une humble douceur. Il avait -espéré que son exil du lit nuptial suffirait -pour que Noémi pût s'acclimater -auprès de lui. Mais l'épouse luttait en -désespérée contre son dégoût et cette -lutte l'exténuait. Plusieurs fois elle appela -Jean Péloueyre la nuit afin qu'il vînt -près d'elle, et comme il faisait semblant -de dormir, elle se levait, lui donnait des -baisers—ces baisers qu'autrefois des -lèvres de saints imposaient aux lépreux. -Nul ne sait s'ils se réjouirent de sentir -sur leurs ulcères ce souffle des bienheureux. -Mais Jean Péloueyre, lui, en vint -à s'arracher de ces embrassements et -c'était lui qui avec horreur criait: «Laissez-moi.»</p> - -<p class="p2">Les hauts murs des jardins s'échevelèrent -de lilas sombres. Les crépuscules -eurent l'odeur des seringuas. Dans la -lumière déclinante, les hannetons bourdonnaient. -Au mois de Marie, le soir, -après le chant des litanies, le curé disait: -«On recommande à vos prières la réussite -à des examens de plusieurs jeunes -gens, le mariage de plusieurs jeunes filles, -la conversion d'un père de famille, la -santé d'un jeune homme en danger de -mort...» Tous savaient qu'il s'agissait du -fils Pieuchon au plus mal. Les lis de juin -fleurirent. Noémi s'étonna de ce que -Jean n'emportait plus de fusil dans ses -promenades; il dit que les pies le connaissaient -trop et que les malignes ne se -laissaient plus approcher. Elle craignait -que ces courses fussent excessives car -il n'en revenait plus, comme autrefois, -la figure animée,—mais au contraire -abattu et blême. Il prétendit alors que la -chaleur le pâlissait. Une nuit, Noémi -l'entendit à plusieurs reprises tousser. -Elle l'appela à voix basse: «Tu dors, -Jean?» Il l'assura qu'il souffrait un peu -de la gorge et que ce n'était rien; mais -elle devinait son effort pour retenir la -toux qui, malgré lui, éclatait. Ayant allumé -une bougie, elle vit qu'il était trempé -de sueur. Elle le regardait avec angoisse. -Les yeux clos, il paraissait attentif à -un travail mystérieux en lui. Il sourit à sa -femme, et Noémi fut bouleversée par -ce sourire si tendre, si calme. Et il dit à -mi-voix: «J'ai soif.»</p> - -<p class="p2">Le lendemain matin, il n'avait pas de -fièvre; sa température était même trop -basse. Noémi se rassura; elle aurait -voulu qu'il ne sortît pas après le déjeuner -mais ne put le retenir. L'insistance de -Noémi parut déplaire à Jean qui regardait -sa montre comme s'il redoutait d'être -en retard. M. Jérôme plaisanta: «Elle -va croire que tu cours à un rendez-vous!» -Il ne répondit rien; son pas hâtif retentit -dans le vestibule. Un orage ternissait -le ciel. On eut dit que le silence des oiseaux -immobilisait les feuillages. Tout -ce jour-là, dans l'embrasure de la fenêtre, -au rez-de-chaussée, Noémi eut peur. -A quatre heures la cloche de l'église tinta -à petits coups espacés et la jeune femme -se signa parce que quelqu'un entrait en -agonie. Elle entendit sur la place une voix -qui disait: «C'est pour le fils Pieuchon. -Ce matin déjà il a failli passer.» De larges -gouttes creusaient la poussière, lui arrachaient -son odeur des soirs d'orage. Son -beau-père dormant encore, Noémi alla -à la cuisine pour parler de Robert Pieuchon -avec Cadette. La vieille qui était -sourde n'avait pas entendu le glas. Elle -dit qu'on aurait des renseignements par -«Moussu Jean». Et comme Noémi -s'étonnait, Cadette soupira, larmoya: «Elle -pensait bien que «la mistresse» ne le -savait pas: sans quoi elle aurait empêché -«lou praou moussu», faible comme il -était, de passer tous ses après-midis avec -le fils Pieuchon; et depuis plus d'un -mois déjà! Il avait défendu à sa vieille -Cadette d'en rien dire à personne. Noémi -feignit de n'être pas surprise. Elle -sortit; il ne pleuvait plus; un vent -poussiéreux bousculait de lourdes nues. -Elle alla vers la maison du docteur dont -la mort avait déjà clos tous les volets. -Jean Péloueyre parut sur le seuil: il -clignait ses yeux éblouis, bien que le -jour fût comme terni, et n'aperçut pas -sa femme. La face terreuse, hors du -monde, il allait d'instinct vers l'église -où il entra. Noémi le suivait de loin. -L'humide fraîcheur de la nef la saisit,—ce -froid de terre, ce froid de fosse -fraîchement ouverte qui étreint les corps -vivants dans les églises que le temps -enfonce peu à peu et où l'on accède -en descendant des marches. Cette toux -dont le bruit l'avait éveillée la nuit précédente, -de nouveau Noémi l'entendit, -mais, cette fois, répercutée à l'infini par -les voûtes.</p> - - -<h2>XIV</h2> - -<p>Jean Péloueyre avait demandé qu'on -descendît son lit dans une chambre du -rez-de-chaussée qui ouvrait sur le jardin. -Quand il étouffait, on poussait sous la -véranda le lit de fer et il regardait le -vent rétrécir ou dilater le bleu entre les -feuilles. On avait fait venir une sorbetière -parce qu'il n'avalait guère, hors le lait -cru et froid, qu'un peu de glace parfumée. -Son père venait le voir, lui souriait, mais -de loin. Peut-être Jean eût-il préféré -les ténèbres de la chambre pour y cacher -son agonie, mais il avait choisi de mourir -au jardin afin que Noémi fût moins -exposée à la contagion. Des piqûres de -morphine l'assoupissaient. Repos! Repos -après ces horribles après-midi au chevet -du fils Pieuchon criant de désespoir à -cause de ce qu'il quittait à jamais: des -soir de noce à Bordeaux, les danses dans -des cabarets de banlieue autour d'un -orgue mécanique, les randonnées en bicyclette, -lorsque la poussière se colle à de -maigres cuisses velues et qu'on se crève, -et surtout les caresses des filles. Les -Cazenave répandirent partout le bruit -que l'avarice de M. Jérôme interdisait -à son fils le bienfait des climats plus doux -et les cures d'altitude. Mais, outre que -Jean n'était pas homme à mourir hors du -gîte, le docteur Pieuchon professait que -contre la tuberculose, rien ne vaut la -forêt landaise: il tapissa même de jeunes -pins la chambre du malade comme pour -une Fête-Dieu et entoura le lit de pots -débordants de résine. A bout de science -enfin, il fit appeler son jeune confrère, -bien qu'il fut dès lors avéré que Jean -Péloueyre ne tolérerait plus l'iode «à -dose massive». Noémi accueillit le beau -garçon avec une indifférence qui n'alla -pas jusqu'à ignorer qu'il pâlissait sous son -regard ou lorsque leurs mains se touchaient. -A chaque rencontre elle savourait -cette certitude que rien ne lui était -plus au monde que ce gisant—son -époux. Mais il se peut aussi qu'au plus -obscur de son cœur, elle sentît le jeune -mâle solidement harponné et qu'elle ne -fût si tranquille que parce qu'elle était -assurée de le tirer sur la berge, un jour, -vivant et palpitant... Jean Péloueyre défendait -à Noémi de l'embrasser, mais il -acceptait l'imposition de sa main fraîche -sur son front. Croyait-il maintenant qu'elle -l'aimait? Il le croyait et disait: «Soyez -béni à jamais, mon Dieu, qui, avant que -je meure, m'avez donné l'amour d'une -femme...» Et comme autrefois dans ses -courses solitaires il ruminait indéfiniment -le même vers, aujourd'hui, quand il se -sentait las de son chapelet et pendant -que Noémi tenait son poignet, comptant -les pulsations, il répétait à mi-voix le -cri de Pauline: <i>Mon Polyeucte touche à -son heure dernière</i>, et souriait. Non qu'il -se crût un martyr. Toujours on avait dit -de lui: «C'est un pauvre être.» Et jamais -il n'avait douté qu'il en fût un. Le -regard en arrière sur l'eau grise de sa vie -l'entretenait dans le mépris de soi. Quelle -stagnation! Mais sous ces eaux dormantes -avait frémi un secret courant d'eau vive, -et voici qu'ayant vécu comme un mort, -il mourait comme s'il renaissait.</p> - -<p class="p2">Un soir, le curé et le docteur Pieuchon -s'étant attardés dans le vestibule, Noémi -les rejoignit et amèrement leur demanda -compte de leur silence: pourquoi ne -l'avaient-ils pas avertie des stations quotidiennes -de Jean au chevet d'un phtisique? -Le docteur baissait la tête, -s'excusait sur ce qu'il ne connaissait pas -l'état de M. Jean. D'une charité sans -borne, comment se serait-il étonné d'un -dévouement qu'il pratiquait lui-même et -dont son fils était le bénéficiaire? Le curé -se défendit plus vivement: Jean Péloueyre -avait exigé le silence; envers ses dirigés, -un directeur doit pousser la discrétion -jusqu'au scrupule: «Mais c'est vous, -monsieur le curé, c'est vous qui avez -voulu ce fatal voyage à Paris.—... Moi -seul, Noémi?» Elle s'appuya contre le -mur, élargissant du doigt une éraflure -dans le plâtre peint en faux-marbre. On -entendait tousser dans la chambre. Les -savates de Cadette traînèrent. Le Curé -dit encore: «J'ai agi après avoir prié, -Noémi. Il faut adorer les voies de Dieu.» -Il enfila sa douillette. Mais, dans le secret, -il était la proie de sentiments contraires, -et, au long de ses insomnies, pleurait -sur Jean Péloueyre; en vain se répétait-il -que le malade avait testé en faveur de -Noémi, et que c'était l'intention de M. Jérôme, -après la mort du pauvre enfant, -de donner la maison et le plus possible -de son bien à la jeune femme,—à condition -qu'elle ne se remariât pas. Le curé, -homme scrupuleux mais trop enclin à -entrer dans le destin des autres, interrogeait -son cœur. Il n'avait pas douté que -ce mariage dut être heureux,—et <i>sub -specie æterni</i>, n'en fallait-il admirer la -réussite? Quel était son gain en cette -affaire? Bon pasteur, il n'avait eu souci -que de son troupeau. Le curé, chaque -fois qu'il se jugeait, se renvoyait absous, -mais ne se lassait pas de rouvrir son -procès. Il redoutait d'avoir perdu le discernement -de l'injuste et du juste, et -n'en revenait pas d'hésiter sur la valeur -de ses actes. Humilié, il pontifia moins: -pour célébrer sa messe quotidienne, il ne -défit plus la queue de sa soutane et renonça -au chapeau tricorne qui le distinguait -de ses confrères. Toutes ses petitesses, -une à une, se détachaient de lui. Il reçut -sans joie la nouvelle que, bien qu'il ne -fût pas curé-doyen, l'évêché lui octroyait -le droit de porter le camail sur son surplis. -Comment avait-il pu tenir à ces -misères, lui, le gardien des âmes? Rien -ne lui était plus, à cette heure, que de -démêler sa part dans ce drame: avait-il -été l'instrument docile de Dieu? ou le, -pauvre curé de campagne s'était-il substitué -à l'Etre infini?</p> - -<p>Cependant, chaque soir, sur la route -gelée, une carriole emportait le jeune docteur. -A travers les cimes serrées des pins, -le clair de lune filtrait, mal retenu par les -branches jointes. Les têtes rondes et -sombres planaient dans le ciel comme un -vol immobile. Plusieurs fois, à quelques -cents mètres du cheval, de courtes ombres -de sangliers, d'un talus à l'autre, traversèrent. -Les pins s'écartaient autour d'un -nuage au ras du sol qui recélait une -prairie. La route fléchissait et l'on entrait -dans l'haleine glacée d'un ruisseau. Le -jeune homme, sous sa peau de bique, -isolé dans l'odeur du brouillard et de sa -pipe, ne savait pas qu'il y eût, au-dessus -des pins, les astres. Son nez ne se levait -pas plus de la croûte terrestre que le -museau d'un chien. Et quand il ne songeait -pas au feu de la cuisine où tout à -l'heure il se sécherait, et à la soupe dans -quoi il verserait du vin, sa pensée s'attachait -à cette Noémi si proche de sa -main et qu'il n'avait jamais touchée. -«Pourtant, se disait ce chasseur, je ne l'ai -pas ratée; elle est blessée...» Son instinct -l'avertissait quand le gibier féminin était -forcé, demandait grâce. Il avait entendu -le cri de ce jeune corps. Combien en -avait-il possédé de femmes, défendues, -mariées à des hommes et non à un débris -comme ce Péloueyre! Atteinte et plus -qu'une autre démunie, cette Noémi serait-elle -seule inaccessible? Tant que durerait -l'agonie du mari, sans doute obéissait-elle -à une pudeur; mais avant que son -époux fût très malade, qui donc avait -retenu cette perdrix à demi fascinée? -Quel aimant plus fort l'attirait dans l'ombre, -loin de la lampe? Un autre amour? -Il ne croyait pas qu'elle fût dévote; -cette espèce-là, le jeune docteur pensait -la bien connaître: il avait dû déjà se -mesurer avec le curé pour la conquête -d'une ouaille. La dévote joue, se passe -un péché véniel, tourne autour du feu, -se brûle un pied, et à la dernière seconde -glisse entre les doigts, comme ramenée, -par un fil invisible, au confessionnal. -Il fit des plans pour quand Jean Péloueyre -aurait «clampsé». Il se disait: «Je -l'aurai.» Et il riait, possédant la patience -du Landais qui chasse à l'affût.</p> - -<p>Vers ce temps-là, les personnes pieuses -du bourg qui, au milieu du jour, entraient -à l'église et s'y croyaient seules, tressaillaient -au bruit d'un soupir dans le chœur: -presque tous ses instants de liberté, le -curé les vivait dans cette ombre, devant -son juge. Là seulement il goûtait la -paix, non pas celle que donne le silence -des églises de campagne ténébreuses et -comme immergées, mais cette paix que -rien au monde ne donne. Le prêtre -concevait qu'il y avait loin du petit être -chétif, de ce Jean Péloueyre à peine -capable, aux veilles de grandes fêtes, de -frotter les cristaux des lustres et de ramasser -les longues mousses dont les dames -faisaient des guirlandes,—qu'il y avait -loin du tueur de pies à ce mourant qui -donnait sa vie pour le salut de plusieurs. -Le curé s'abîmait devant Celui dont le -secret est de rendre semblables à Dieu, -des esclaves.</p> - - -<h2>XV</h2> - -<p>Pour Jean Péloueyre suffoquant, l'été -s'était adouci. En septembre, de fréquents -orages roussirent les feuilles. Le petit-fils -de Cadette portait au malade les premiers -cèpes et leur odeur de terre sylvestre, -le distrayait avec les ortolans capturés -au petit jour: il les engraisserait -dans le noir et les servirait à moussu Jean -après les avoir étouffés dans un vieil -armagnac. Des vols de ramiers présageaient -un hiver précoce: bientôt on -monterait les appeaux à la palombière... -Toujours Jean Péloueyre avait aimé l'approche -de l'arrière-saison, cet accord secret -avec son cœur des champs de millade -moissonnés, des landes fauves connues -des seules palombes, des troupeaux -et du vent. Il reconnaissait quand, à -l'aube, on ouvrait la fenêtre pour qu'il -respirât mieux, le parfum de ses tristes -retours de chasse aux crépuscules d'octobre. -Mais il ne lui fut pas donné d'attendre -en paix le passage: Noémi ne -savait pas que l'on doit le silence aux -mourants; et de même qu'autrefois elle -n'avait pu lui céler son dégoût, elle ne -savait aujourd'hui lui faire grâce de ses -remords. Elle mouillait de larmes sa main, -insatiable de pardon. Vainement lui disait-il: -«C'est moi seul qui t'ai choisie, Noémi ... -moi seul qui n'ai pas eu souci de -toi...» Elle secouait la tête, ne voyait rien, -hors ceci que Jean mourait pour elle: -qu'il était noble et grand! qu'elle l'aimerait -s'il guérissait! Elle lui rendrait -au centuple cette tendresse dont elle fut -si avare. Comment Noémi aurait-elle su -que d'un Jean Péloueyre à peine convalescent, -elle eût déjà commencé de se -déprendre, et qu'il fallait qu'il touchât -à son heure dernière pour qu'enfin elle -le pût aimer? C'était une très jeune femme -ignorante et charnelle et qui ne connaissait -pas son cœur. Mais ce cœur de désir -était sans ruse et soumis à Dieu. Gauchement, -elle exigeait du moribond le mot -qui l'eût délivrée de son remords. Après -de tels débats, il perdait cœur, et souhaitait -de ne pas demeurer seul avec -elle; il l'eut été souvent (car M. Jérôme -était cloué au lit par tous ses maux conjurés); -mais que le jeune docteur montrait -donc de dévouement! Jean Péloueyre -s'étonnait de l'étrange fidélité d'un inconnu. -Incapable de soutenir une conversation, -du moins il jouissait de cette -présence.</p> - -<p>Une après-midi, à la fin de septembre, -il s'éveilla d'une longue somnolence et -aperçut, dans un fauteuil, près de la -fenêtre, Noémi, la tête renversée par -le sommeil, écouta ce souffle d'enfant -calme, referma les yeux. Au bruit de la -porte, il les rouvrit: le docteur entrait -doucement; Jean fut lâche devant l'effort -d'une seule parole d'accueil et feignit -de dormir. Les souliers de chasse -du jeune homme craquèrent. Puis plus -rien: un silence qui incita Jean Péloueyre -à voir. L'ami inconnu, près de la jeune -femme assoupie, se tenait debout. Non -pas d'abord incliné vers elle, imperceptiblement -il se pencha, et sa forte main velue -tremblait... Jean Péloueyre ferma les -yeux, entendit la voix basse de Noémi: -«Ah! pardonnez-moi... Vous m'avez surprise, -docteur; je dormais un peu, je -crois... Notre malade est abattu aujourd'hui... -Le temps est si accablant! Voyez: -les feuilles ne remuent pas...» Le docteur -répondit que pourtant le vent soufflait -du sud-ouest; et Noémi: «Le vent d'Espagne -nous portera l'orage...» L'orage, -c'était ce garçon pâle et furieux de désir -et de qui les yeux paraissaient «chargés» -comme le ciel. Noémi se leva, vint vers -Jean, et mit ce lit de fer entre elle et -l'homme qui la couvait du regard. Il -balbutia: «Il faudrait vous ménager, -madame, dans son intérêt même.—Oh! -Moi, je résiste à tout; je trouve la force -de manger et de dormir comme une bête... -Comment font ceux qui meurent de chagrin?» -Ils s'assirent loin l'un de l'autre. -Jean Péloueyre semblait sommeiller toujours -et sans remuer les lèvres, se chantait -à lui-même, en marquant la césure: -<i>Mon Péloueyre touche à son heure dernière...</i></p> - -<p class="p2">Comme si l'arrière-saison l'eût retenu -dans un embrassement, dans ses voiles -et dans son odeur de larmes, il étouffa -moins, se nourrit un peu: ce furent pourtant -ses jours de plus grande souffrance. -Au bord de la mort, mais vivant, s'il ne -doutait pas de Noémi,—lorsqu'il entrerait -dans la ténèbre, avec quoi se défendrait-il -contre ce jeune homme qui -était beau? L'ombre misérable d'un mort -ne sépare pas ceux qui furent prédestinés -à s'aimer. Rien ne parut de ses affres; -il serrait la main du docteur, lui souriait. -Ah! qu'il aurait voulu vivre pourtant -afin de le vaincre et d'être préféré! -Quelle sombre folie lui avait donc inspiré -le désir de la mort? Même sans Noémi, -même sans femme, il fait si bon boire -l'air et la caresse du vent de l'aube l'emporte -sur toutes caresses... Trempé de -sueur, et dans le dégoût de son odeur de -malade, il regardait le petit-fils de Cadette -qui, par la fenêtre ouverte, lui tendait la -première bécasse de la saison... O matinées -de chasse! Béatitude des pins aux -cimes ternes et grises dans l'azur, pareils -aux humbles qui seront glorifiés! Alors, -au plus épais de la forêt, une coulée verte -d'herbages, d'aulnes et de brume dénonçait -l'eau vive que l'alios colore d'ocre. -Les pins de Jean Péloueyre forment le -front de l'immense armée qui saigne entre -l'Océan et les Pyrénées; ils dominent -Sauternes et la vallée brûlante où le soleil -est réellement présent dans chaque graine -de chaque grappe... Avec le temps, Jean -Péloueyre eut été moins soucieux de son -cœur parce que toute laideur comme toute -beauté se perd dans la vieillesse; et il -aurait eu cela, du moins, les retours de la -chasse, les champignons ramassés. Les -étés d'autrefois brûlent dans les bouteilles -d'Yquem et les couchants des années -finies rougissent le Gruau-Larose. On lit -devant le grand feu de la cuisine, entouré -de landes pluvieuses... Cependant Noémi -disait au docteur: «Ce n'est pas la -peine que vous reveniez demain...» Il -répondait: «Si! Si! Je reviendrai...» -Noémi comprenait-elle? Se pouvait-il -qu'elle ne comprît pas? S'était-il jamais -déclaré? Jean Péloueyre mourrait-il sans -voir l'issue de cette lutte à son chevet? -On eût dit que quelqu'un ayant connu -que le pauvre enfant se détachait du -monde sans souffrir assez, à la hâte tressait -des liens tels qu'il ne les pût briser -qu'en un immense effort. Pourtant, un -à un, tous se rompirent jusqu'à sa rechute -dernière: ses passions s'éteignirent avant -lui et vint le jour où il put donner à tous -le même sourire, la même gratitude sans -nuance. Ce n'étaient plus des vers qu'il -répétait, mais des paroles comme celles-ci: -«C'est Moi. Ne craignez point...»</p> - -<p>Les pluies de l'hiver finissant enserrèrent -la chambre ténébreuse. Pourquoi se -demandait-on si Jean Péloueyre souffrait, -puisque sa souffrance était une joie? De -la vie, il ne percevait plus que les chants -des coqs, des cahots de charrette, des -appels de cloche, ce ruissellement indéfini -sur les tuiles, et, la nuit, des sanglots -de rapaces oiseaux, des cris de bêtes -assassinées. Sa dernière aube toucha les -vitres. Cadette alluma un feu dont la -fumée résineuse emplit la chambre. Cette -haleine des pins incendiés que si souvent, -dans les étés torrides, la lande natale lui -souffla au visage, Jean Péloueyre la reçut -sur son corps expirant. Les d'Artiailh -prétendaient savoir qu'il entendait encore -mais qu'il ne voyait plus. M. Jérôme, -en sa robe souillée de remèdes, était debout -contre la porte, un mouchoir sur -la bouche. Il pleurait. Cadette et son -petit-fils s'agenouillèrent dans l'ombre. -La voix du prêtre, avec des paroles propitiatoires, -semblait forcer des vantaux -invisibles: <i>Partez de ce monde, âme chrétienne, -au nom de Dieu le Père tout-puissant, -qui vous a créée; au nom de Jésus-Christ, -Fils du Dieu vivant qui a souffert pour -vous; au nom de l'Esprit Saint qui est -descendu sur vous; au nom des Anges et des -Archanges; au nom des Trônes et des Dominations; -au nom des Principautés et des -Puissances...</i> Noémi le contemplait ardemment, -se disant en elle-même: «Il -était beau...» Les gens du bourg confondirent -le glas de son agonie avec l'Angelus -du matin.</p> - - -<h2>XVI</h2> - -<p>M. Jérôme se coucha. Les miroirs -où si souvent Jean Péloueyre avait contemplé -sa pauvre mine, furent voilés de -linge. On habilla son corps comme pour -la grand'messe: Cadette le coiffa même -d'un feutre et lui mit un paroissien entre -les mains. La cuisine se remplit d'une -rumeur de fête parce qu'il y aurait quarante -personnes à la salle à manger. Des -métayères hurlèrent autour du char, pareilles -aux antiques pleureuses. C'était -la première fois que le curé faisait une -seconde classe. On distribua une paire de -gants et un sou enveloppé de papier à tous -les invités. Il plut pendant le service, -mais une éclaircie dura jusqu'au retour -du cimetière. Jean Péloueyre attendit dans -la terre la résurrection des morts, dans -ce sable sec et qui momifie et embaume -les cadavres; Noémi Péloueyre s'ensevelit -dans le crêpe pour trois ans. Son -grand deuil la rendit, à la lettre, invisible. -Elle ne sortait qu'à l'heure de la messe -et s'assurait, avant de traverser la place, -qu'il n'y eût personne. Même quand -vinrent les premières chaleurs, un col -liseré de blanc serra son cou. Certaines -critiques l'obligèrent à refuser une robe -d'un noir trop soyeux, trop brillant. Vers -ce temps-là le bruit se répandit de la -conversion du jeune docteur: on le signala -à la messe, dans la semaine. Il y -paraissait entre deux visites. Le curé, -si on sollicitait son avis sur un événement -si consolant pour un pasteur, souriait de -sa bouche sans lèvres et comme cousue, -mais ne disait mot. Peut-être avait-il -perdu de son autorité et de sa force -de persuasion, car il ne put obtenir de -M. Jérôme que la clause fût effacée de -ses dernières volontés qui obligeait Noémi -à ne pas se remarier. Il échoua de -même lorsqu'il insista pour adoucir les -rigueurs d'un deuil dont il blâmait l'excès. -M. Jérôme se glorifiait d'appartenir à -une famille où les veuves ne quittaient -jamais le noir et les d'Artiailh montrèrent -beaucoup de zèle à maintenir Noémi -dans cet ensevelissement. C'est pourquoi, -en ces aubes d'hiver où l'église est si -sombre, le jeune docteur ne discernait -pas plus la veuve dans son ténébreux -nuage qu'elle-même ne voyait son époux -à travers la dalle scellée que touchaient -chaque jour ses genoux. A peine entrevit-il, -parfois, la clarté d'un visage brillant -de jeunesse en dépit du jeûne des matins -de communion et d'une vie cloîtrée. Au -lendemain de la messe d'anniversaire, -lorsqu'il fut connu de tout le bourg que -Noémi Péloueyre ne rejetterait pas son -voile, les sentiments chrétiens du docteur -fléchirent. Il ne négligea pas que -l'église, mais aussi ses malades. Le vieux -Pieuchon avait entendu dire de son jeune -confrère qu'il buvait, et même qu'il se -levait la nuit pour boire. M. Jérôme ne -s'était jamais si bien porté et sa bru -connut des loisirs; elle s'occupait du -domaine, mais les pins n'exigent guère de -surveillance. Sa piété solide, régulière, était -courte et peu soutenue de lectures. A peine -capable de méditation, elle s'attachait surtout -aux formules. Comme il n'est guère -de pauvres au pays de la résine, et qu'on -a tôt fait de grouper, une fois dans la -semaine, autour d'un harmonium, le troupeau -bêlant des enfants de Marie, que -restait-il à Noémi, sinon, selon l'usage -des Landaises, de se divertir sans excès -avec la nourriture? Dès la troisième année -de son deuil, Noémi épaissit et le docteur -Pieuchon dut lui ordonner de marcher -une heure chaque jour.</p> - -<p class="p2">Une après-midi à l'époque des premières -chaleurs, elle alla jusqu'à la métairie nommée -Tartehume, et, accablée, se laissa -choir sur le talus. Autour d'elle, les genêts -bourdonnaient d'abeilles et des taons, -des mouches plates, sorties des brandes, -piquaient ses chevilles. Noémi sentait -battre son cœur comprimé de personne -forte, et ne pensait à rien qu'à cette poussiéreuse -route qu'une récente coupe de -pins livrait tout entière au feu du ciel -et où, pour le retour, elle devrait parcourir -encore trois kilomètres. Elle éprouvait -que les pins innombrables, aux entailles -rouges et gluantes, que les sables et les -landes incendiées la garderaient à jamais -prisonnière. En cette femme inculte et -sans intelligence s'éveillait confusément -le débat qui avait déchiré Jean Péloueyre: -N'était-ce pas cette terre de cendre, cette -vie érémitique qui obligeait une malheureuse -mourant de soif à hausser la tête, -à se tendre toute vers le rafraîchissement -éternel? Elle essuyait avec son mouchoir -bordé de noir ses mains moites et ne regardait -rien que ses souliers poudreux -et le fossé où des fougères naissantes -s'ouvraient comme des doigts. Pourtant -elle leva les yeux, reçut au visage cette -odeur de pain de seigle qui était l'haleine -de la métairie, et brusquement fut debout, -tremblante: un tilbury qu'elle reconnut -était arrêté devant la maison. Que de fois, -entre les volets rapprochés d'une fenêtre, -avait-elle regardé luire ces essieux avec -plus d'amour que des étoiles! Elle secoua -sa robe pleine de sable;—des charrois -cahotaient; un geai cria; Noémi, dans -un nuage de mouches plates, demeurait -immobile les yeux sur cette porte qu'un -jeune homme allait ouvrir. Bouche bée -et la gorge gonflée, elle attendait, elle -attendait—humble bête soumise. Lorsque -s'entrebailla la porte de la métairie, ses -regards fouillèrent l'ombre où se mouvait -un corps; une voix familière ordonnait -en patois d'énormes doses de teinture -d'iode... Il parut: le soleil alluma chaque -bouton de sa veste de chasse; le métayer -tint le cheval par la bride; il disait qu'on -était à la saison la plus dangereuse pour -les incendies: tout est encore sec, rien -ne verdit sous bois et les landes ne sont -plus inondées... Le jeune homme rassembla -les rênes. Pourquoi Noémi reculait-elle? -Une force suspendait son élan vers -celui qui s'avançait, la tirait en arrière. -Elle s'enfonça dans les brandes plus hautes -qu'elle; les ronces écorchaient ses mains. -Un instant elle s'arrêta, attentive à un -roulement de voiture sur la route qu'elle -ne voyait plus. Sans doute, fuyant ainsi, -songeait-elle que le bourg n'accepterait -pas sans cris qu'elle déchût de son rang -de veuve admirable, et qu'une clause du -testament de M. Jérôme empêcherait toujours -les d'Artiailh de consentir à ce que -Madame d'Artiailh appelait «un bête de -mariage». Mais de tels obstacles, l'instinct -de Noémi ne les eût-il balayés, -si ne l'avait pas jugulée une autre loi -plus haute que son instinct? Petite, elle -était condamnée à la grandeur; esclave, -il fallait qu'elle régnât. Cette bourgeoise -un peu épaisse ne pouvait pas ne se pas -dépasser elle-même: toute route lui était -fermée, hors le renoncement. Dès cette -minute-là, dans la pignada pleine de -mouches, elle connut que sa fidélité au -mort serait son humble gloire et qu'il ne -lui appartenait plus de s'y soustraire. -Ainsi courut Noémi à travers les brandes, -jusqu'à ce qu'épuisée, les souliers lourds -de sable, elle dût enserrer un chêne rabougri -sous la bure de ses feuilles mortes -mais toutes frémissantes d'un souffle de -feu,—un chêne noir qui ressemblait à -Jean Péloueyre.</p> - -<p class="p4"><i>La Motte, Vémars</i>, juillet;</p> - -<p><i>Johannet, Saint-Symphorien</i>, septembre 1921.</p> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of Project Gutenberg's Le baiser au lépreux, by François Mauriac - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE BAISER AU LÉPREUX *** - -***** This file should be named 51372-h.htm or 51372-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/3/7/51372/ - -Produced by Winston Smith. 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