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-The Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: La victime
-
-Author: Fernand Vandérem
-
-Release Date: March 5, 2016 [EBook #51373]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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- ┌───────────────────────────────────────────────────────────────────┐
- │ Note de transcription: │
- │ │
- │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été │
- │ corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été │
- │ conservées et n'ont pas été harmonisées. │
- │ │
- │ Les mots en italiques sont indiqués comme _ceci_, les mots en │
- │ gras comme =ceci=. │
- └───────────────────────────────────────────────────────────────────┘
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-
- FERNAND VANDÉREM
-
- La
-
- Victime
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
- LIBRAIRIE
- OLLENDORFF
- CHAUSSÉE D'ANTIN
- PARIS
-
- _2e Édition_
-
-
-
-
-DU MÊME AUTEUR
-
-
- =La Cendre= (roman), 1 vol.
-
- =Charlie= (roman), 1 vol.
-
- =Les Deux Rives= (roman), 1 vol.
-
- =Le Chemin de velours= (contes), 1 vol.
-
- =La Patronne= (roman), 1 vol. illustré.
-
- =Le Calice= (pièce), 1 vol.
-
-
-
-
- FERNAND VANDÉREM
-
-
- LA VICTIME
-
-
- _Deuxième édition_
-
-
-
-
- [Illustration]
-
-
-
-
- PARIS
-
- SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES
-
- _Librairie Paul Ollendorff_
-
- 50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50
-
-
- 1907
-
-
-
-
- A
-
- G. LENOTRE
-
- EN TOUTE AFFECTION
-
- F. V.
-
-
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ A PART:
-
- Cinq Exemplaires sur papier du Japon.
- Vingt-cinq Exemplaires sur papier de Hollande.
-
- Numérotés à la presse.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-I
-
-
-Comme on menait «Gégé» au Nouveau-Cirque, Jacques Taillard avait dit
-qu'on commençât à dîner sans lui, tandis qu'il s'habillerait.
-
-—Naturellement!—s'était récriée Mme Taillard, en passant à table avec
-Gégé.
-
-Et il n'en avait pas fallu plus pour que celui-ci se sentît envahi par
-les plus noirs pressentiments.
-
-Non pas que, d'ordinaire, Roger Taillard en fût encore à s'alarmer
-d'une dispute éventuelle entre son père et sa mère. Malgré ses onze
-ans et demi, depuis le temps qu'il assistait à leurs querelles presque
-quotidiennes, il avait fini par n'y plus prendre garde. Il s'y était
-habitué peu à peu, comme on se fait graduellement aux obligations
-domestiques, aux charges de famille. Elles lui causaient toujours un
-profond ennui. Elles ne lui inspiraient plus jamais ni réflexion, ni
-curiosité, ni crainte.
-
-Mais, les soirs où on le conduisait au théâtre, ce détachement
-coutumier l'abandonnait soudain. Du coup, Gégé devenait comme un loup
-de mer sur le point d'embarquer. Les moindres indices d'orage le
-bouleversaient. Il savait combien deux époux qui tiennent une bonne
-dispute ont peine à lâcher prise. Et il redoutait sans cesse qu'au
-dernier moment une scène engagée mal à propos ne vînt compromettre le
-départ ou ne le fît ajourner à une date indéterminée. Cette catastrophe
-s'était déjà produite l'année précédente, une fois qu'on devait le
-mener au Châtelet. Crève-cœur qui marque dans une vie d'enfant et qui
-ne s'oublie pas de sitôt!
-
-Roger n'avait donc pas noté sans appréhension le petit retard de son
-père, puis l'adverbe plein d'aigreur dont sa mère avait apprécié ce
-retard.
-
-Et la figure de Mme Taillard, qu'il surveillait à la dérobée, n'était
-guère d'aspect à le rassurer. Même pour un physionomiste moins exercé
-que lui, elle offrait les signes de la plus sombre préoccupation. Mais
-qu'est-ce qui pouvait affecter si fort Mme Taillard? Sûrement pas une
-question de coquetterie. Jamais elle n'avait été plus jolie que ce soir
-avec sa robe de dentelle noire et cette minuscule capote de tulle qui
-planait sur ses cheveux cannelle comme une gentille fumée bleu pâle. Le
-retard de son mari peut-être? Non, puisque, sous un prétexte ou sous un
-autre, Jacques s'arrangeait toujours pour ne figurer qu'aux deux tiers
-du repas, soit qu'il n'arrivât qu'au second plat, soit qu'il sortît de
-table, le dessert à peine servi. Il devait donc y avoir autre chose.
-Quoi donc?
-
-Oh! un accident bien banal, que Gégé avait mille excuses pour ignorer
-et d'où naît souvent tout le souci de beaucoup de femmes: Mme Taillard
-n'était pas contente de son dernier rendez-vous avec Alcide Barbier.
-Et il n'y avait là de sa part ni douilletterie sentimentale, ni folles
-exigences.
-
-En cédant, six mois avant, à Alcide Barbier, Lucie Taillard ne croyait
-pas plonger dans ce tourbillon de délices où vous emportent les grandes
-passions. Elle obéissait plutôt à l'usage qui veut qu'une femme ne se
-laisse pas tromper indéfiniment sans représailles. Et, sur une nouvelle
-fredaine de Jacques, elle s'était alors décidée pour Alcide Barbier,
-qui se trouvait de son entourage, et, justement, ne demandait pas mieux.
-
-Du reste, retenu chaque jour jusqu'à cinq heures par l'importante
-raffinerie de pétroles que sa femme lui avait apportée en dot, bon
-musicien, la poitrine large, un souple carré de barbe rousse sous une
-figure sans âpreté, loyal, docile et très épris, Alcide constituait un
-choix pratique autant qu'honorable. Mais en amour, la première flambée
-morte, les qualités cessent de briller. On ne distingue plus que les
-lacunes. Or si tendre, si délicat que se montrât le jeune usinier, il
-manquait vraiment de fantaisie et d'esprit à un point qui n'est pas
-permis. Les caresses, les attentions, la musique ne sont pas tout. Une
-femme souhaite qu'on l'amuse. Et, cet après-midi, Mme Taillard s'était
-tellement ennuyée que des remords lui venaient presque avec de vagues
-idées de rupture.
-
-Elle s'imposa pourtant un effort en faveur de son fils, et, la voix
-distraite, le regard ailleurs:
-
-—Eh bien! mon chéri,—demanda-t-elle,—tu es content d'aller là-bas?
-
-—Bien sûr, maman!—fit Roger.
-
-Puis ce fut tout. Mme Taillard était rentrée dans sa mélancolie comme
-dans une cabine. Gégé commença à s'inquiéter sérieusement. Pour peu que
-son père fût dans des dispositions analogues, voilà qui promettait!
-
-Cependant l'entrée de Jacques Taillard lui rendit quelque espoir.
-
-Ainsi que d'habitude, il s'était assis vis-à-vis de sa femme sans lui
-adresser la parole et, à présent, il mangeait en hâte pour rattraper. A
-son tour, il interrogea:
-
-—Eh bien! Roger! tu es content d'aller là-bas?
-
-—Oh! oui, papa,—fit Gégé.
-
-Cet échange de propos ne donna pas plus de résultat que le précédent.
-Jacques, sans insister, s'était remis à manger. Mais, à l'inverse
-de Mme Taillard, il y avait sur tout son visage comme un vernis de
-bonne humeur. Ne venait-on pas avant dîner de le présenter à Nelly
-Jelly, la petite danseuse américaine des Ambassadeurs, que depuis un
-temps infini il voulait s'offrir, sans trouver l'occasion? Une veine
-inespérée, quoi! Avec ça, pas l'ombre de manières: le rendez-vous dans
-les vingt-quatre heures. Et, en se rappelant cet accord si facile, si
-rondement conclu, Taillard ne pouvait se défendre de sourire tour à
-tour à tous les objets qui couvraient la table...
-
-Devant tant de symptômes favorables Gégé poussa un soupir rassuré.
-
-Mais, par malheur, dans l'état de ses nerfs, Mme Taillard n'était
-pas femme à supporter longtemps le spectacle de cette songerie
-joyeuse. Tant de gaieté quand elle était si triste lui semblait de la
-provocation. Sans compter qu'elle connaissait son bonhomme sur le bout
-du doigt: certainement, il y avait de la femme là-dessous. Et comme
-Jacques venait encore d'adresser au compotier de droite le sourire le
-plus bienveillant, elle n'y tint plus. Coûte que coûte, elle avait
-besoin de soulever un incident, et, se ramassant:
-
-—A propos!—fit-elle d'une voix acérée,—tu as bien téléphoné avenue
-Marceau le numéro de la loge?
-
-—Totalement oublié!—avoua Jacques en levant la main dans un geste de
-regret sommaire.
-
-—Comment! Tu savais que papa se faisait une fête d'aller au Cirque avec
-cet enfant! Et tu oublies de le prévenir! Non, c'est fantastique!
-
-Jacques ne répondit pas. Le petit nez droit de Mme Taillard s'était
-tout aminci de colère, ce qui précisait sa ressemblance avec un crayon
-bien taillé. Gégé, au comble de l'angoisse, ne quittait plus du regard
-les deux adversaires.
-
-—D'ailleurs,—poursuivit Lucie,—je m'explique que tu aies oublié... Un
-homme qui a tant à faire!...
-
-En toute autre circonstance, cette ellipse eût déchaîné une scène
-infernale, Mme Taillard sachant mieux que personne les mille
-occupations qui encombrent la vie d'un désœuvré. Mais rien ne rendait
-Jacques conciliant comme d'avoir de la dame sur la planche; et, au
-lieu de se fâcher, au lieu même d'invoquer les deux heures qu'il allait
-de temps en temps passer sur les marches de la Bourse ou à la charge de
-son oncle Ernest, il observa modestement:
-
-—Eh bien, il n'y a qu'à faire téléphoner à ton père maintenant...
-
-Puis, se tournant vers le valet de chambre:
-
-—Joseph, posez ce plat et téléphonez tout de suite à M. Lecherrier que
-nous l'attendons ce soir au Nouveau-Cirque, loge 30.
-
-Après trois minutes qui semblèrent à Roger en durer au moins dix,
-Joseph reparut et dit:
-
-—M. Lecherrier était sorti... Il ne dîne pas là et on ne sait pas où il
-dîne.
-
-Mme Taillard déclara:
-
-—C'était à prévoir!... Papa sera désolé!
-
-—Ce qui ne l'empêchera pas d'avoir passé aujourd'hui une soirée
-excellente!—remarqua Jacques sans acrimonie.
-
-—Qu'en sais-tu?
-
-—Effectivement, je n'en sais rien... Mais je connais ton père... Il
-n'est pas dans ses us de dîner tout seul... Alors je suis en droit de
-supposer que ce soir il ne s'ennuiera pas.
-
-—Papa fait ce que bon lui semble et il n'a pas de comptes à te rendre.
-
-—Est-ce que je lui en demande?
-
-—Non, mais tu te permets à son sujet des insinuations du plus mauvais
-goût, surtout en présence de cet enfant. Tu ferais bien mieux de
-t'excuser de ton égoïsme et de ta négligence sans nom.
-
-—Dis-moi, en as-tu encore pour longtemps comme cela?—questionna
-Jacques, chez qui la colère effaçait peu à peu l'image apaisante de
-Nelly Jelly.
-
-—Pour aussi longtemps que je voudrai. Si cela te déplaît, je regrette.
-Tu n'avais qu'à ne pas commettre cette goujaterie.
-
-Le terme était excessif, impropre, mais la soulageait. Elle se tut.
-Jacques tirait sur sa fine moustache dorée, qu'on eût dite tracée à la
-plume, puis il laissa simplement tomber ces mots:
-
-—C'est curieux comme une femme peut devenir bête, à fréquenter les
-imbéciles!
-
-—Je ne comprends pas!—fit Lucie qui frémissait de comprendre.
-
-—Mettons «raseurs», et n'en parlons plus!
-
-—Si, parlons-en! De qui s'agit-il?
-
-—Devine!
-
-L'allusion crevait les yeux. Elle ne concordait que trop avec les
-souvenirs de l'après-midi. Et ce n'était d'ailleurs pas la première
-fois que Jacques contestait la qualité d'amuseur à Alcide Barbier, dont
-les assiduités auprès de Lucie, sans l'émouvoir, l'agaçaient.
-
-Mme Taillard cependant cherchait une réponse venimeuse, terrible, et,
-ne trouvant pas:
-
-—Tiens, tu avais raison... Finissons!... Il y a des gens avec qui il
-vaut mieux ne pas discuter.
-
-Jacques, satisfait par la faiblesse de cette réplique, haussa les
-épaules. Joseph rentrait portant le café. Roger profita de la
-diversion pour demander si on lui permettait un canard.
-
-—Oui, mon chéri!—firent en même temps M. et Mme Taillard d'une voix
-soudainement angélique.
-
-Puis, le canard pris, Lucie ajouta du même ton:
-
-—Maintenant Gégé, il faut aller achever ta toilette...
-
-—Oui, va t'habiller, mon petit!—approuva non moins suavement Taillard.
-
-Roger glissa à bas de sa chaise; mais cet accent si doux ne lui
-laissait aucune illusion. Dès le début, il avait eu la nette impression
-que son Nouveau-Cirque était dans l'eau. Et maintenant, pour un
-connaisseur tel que lui, il n'y avait nulle chance que la dispute en
-demeurât là.
-
-Ce fut donc d'une allure nonchalante qu'il regagna sa chambre, comme
-quelqu'un qui va accomplir le geste inutile et la formalité superflue.
-Pourtant quand il aperçut bien étalés, au travers du lit, le smoking
-des galas, les gants blancs, le pardessus clair,—ce résidu d'espoir qui
-survit aux pires désastres lui souffla que peut-être tout n'était pas
-perdu. Qui sait, si en se dépêchant, il ne pourrait pas rejoindre ses
-parents avant une reprise des hostilités, puis étouffer la querelle en
-précipitant le départ? Et il commanda à la vieille femme de chambre qui
-cousait sous une lampe, le menton au genou:
-
-—Annette! Nous sommes très en retard! Vite, mes affaires! Vite, vite!
-
-—«S'il vous plaît, mon chien!»—réclama protocolairement Annette, qui
-tenait à achever le point commencé.
-
-—S'il vous plaît! concéda avec révolte Gégé.
-
-En un instant, il eut revêtu le smoking. Il trépignait tandis
-qu'Annette lui nouait, sous le petit col carcan, sa correcte cravate
-de soie noire. Puis, son paletot jeté sur le bras, il s'élança vers la
-salle à manger comme un jeune pompier qui court au feu.
-
-Mais, dès le seuil de l'antichambre, partant de la pièce voisine, des
-vociférations frénétiques l'arrêtèrent sur place. Trop tard! La scène
-avait repris, faisait rage!
-
-Roger hésita. Peut-être qu'attendre une accalmie serait plus malin.
-Baste! autant en finir tout de suite. Et, comme on ouvre la porte d'un
-malade, avec de pieuses précautions, il tourna le bouton de la salle à
-manger. Il n'avait risqué que la tête. Les clameurs cessèrent du coup.
-
-—Une minute, Gégé!—dit Taillard qui était debout, livide.
-
-—Oui, tout à l'heure, mon chéri!—confirma de sa place Mme Taillard avec
-un geste dilatoire.
-
-Évidemment, on les dérangeait. Ils en voulaient encore. Roger comprit.
-Il retira sa tête, referma la porte sans bruit, puis, lentement, il se
-hissa sur la haute banquette Henri II qui, avec un maigre régulateur
-Louis XIII, était la gloire de l'antichambre.
-
-Il se mit à enlever un à un les doigts de ses gants. Pendant un
-moment, l'orgueil de voir ses prévisions si exactement réalisées et
-aussi une sorte d'amour-propre l'avaient soutenu. Mais à présent,
-il n'éprouvait plus que de l'accablement. Il se demandait ce qu'il
-dirait, le lendemain, à son vieux Pierre de Ribermont, quand celui-ci
-l'interrogerait sur les détails de la soirée. Il essayait de se
-remémorer tous les numéros du Nouveau-Cirque, étudiés la veille
-sur l'affiche illustrée: et il était contraint à d'extraordinaires
-clignements pour se conserver les yeux secs.
-
-L'apparition de Joseph, qui allait chercher Annette toujours en retard
-pour dîner, le rappela à la dignité.
-
-Il se retrouva la force de chantonner un petit air gaillard en
-tambourinant du talon sur les précieux bas-reliefs du siège.
-
-Puis quand, au retour, Annette s'écria avec compassion: «Eh bien!
-mon pauvre petit Gégé, pas encore parti!...» il se domina assez pour
-répondre:
-
-—Ça m'est bien égal!
-
-Mais il était à bout de vaillance. Et, sitôt les domestiques dans le
-couloir, ses larmes lui échappèrent et il s'en donna, à tout cœur, de
-sangloter tant qu'il pouvait.
-
-Dans l'ombre, avec son chapeau de travers, ses jambes pendantes contre
-la banquette, et cette désolation sans frein, il présentait assez
-l'aspect d'un petit garçon égaré sur la voie publique. Jamais il
-n'avait ressenti une détresse pareille. Ce n'était plus seulement sur
-le Nouveau-Cirque qu'il pleurait, c'était aussi sur un tas de choses
-qu'il évoquait confusément: la tristesse des repas toujours silencieux,
-la physionomie de ses parents toujours en embuscade, l'incertitude de
-ses joies toujours menacées.
-
-Il existait pourtant des enfants chez qui cela se passait autrement.
-Chez beaucoup de ses camarades, chez les Ribermont, chez les Thomas,
-chez les Bachicourt, par exemple, on ne se querellait jamais, ou pour
-ainsi dire jamais. Gégé ne l'ignorait pas, les ayant questionnés
-là-dessus. Alors pourquoi chez lui la dispute était-elle à demeure? Et
-puis à quoi bon être mariés si c'est pour se faire tout le temps des
-scènes?
-
-Il allait peut-être, entre deux sanglots, trouver la solution de ces
-problèmes, quand la porte de la salle à manger livra passage à Mme
-Taillard. Elle avait les yeux rouges, le nez dépoudré et une grimace
-oblique qui s'efforçait d'être un sourire. Elle s'approcha de Roger,
-et, les deux mains à ses épaules:
-
-—Mon cher petit,—dit-elle,—il va falloir être un homme!...
-
-—Bon, ça y est!—pensa Gégé, qui savait tout ce qu'il en coûte aux
-enfants chaque fois qu'on fait appel à leur virilité.
-
-—Il va falloir être très raisonnable... Nous n'irons pas ce soir au
-Nouveau-Cirque... D'abord, il serait trop tard... Ensuite, ton père et
-moi nous avons encore à...
-
-Elle chercha son mot:
-
-—Nous avons encore à causer... Alors, à la place, nous irons la semaine
-prochaine. Maintenant tu vas te coucher gentiment, et d'ici peu, tu
-verras, je te promets une jolie compensation... Tu es content comme
-cela?
-
-—Oui, maman!—répliqua Roger, sentant la vanité de toute dénégation.
-
-Mme Taillard le souleva dans ses bras avec ferveur en murmurant:
-
-—Tu es un bon petit Gégé!
-
-Puis, le remettant à terre:
-
-—Va dire bonsoir à ton père!
-
-Elle le poussa doucement vers la salle à manger. Taillard virait autour
-de la table, comme occupé à établir un record. Des serviettes en boule
-traînaient sur le tapis. Un verre renversé avait fait à travers la
-nappe une large tache couleur d'améthyste. Roger tendit la joue à
-son père qui, d'instinct, tendit aussi la sienne. Les deux joues se
-heurtèrent mollement et, après ce baiser rudimentaire, Taillard déclara:
-
-—Allons, je vois que nous sommes un brave petit Gégé, mais avec moi, tu
-sais, on ne perd rien pour attendre!
-
-Roger hocha la tête en signe d'assentiment et sortit sans en réclamer
-plus.
-
-Dans sa chambre, Annette, sonnée par Mme Taillard, voulut l'aider à
-se déshabiller. Il déclina froidement ses offres de service. Mais
-comme, en rangeant ses vêtements, elle commençait à lui prodiguer des
-consolations grossières, Gégé l'interrompit:
-
-—Laissez-moi donc tranquille! Je vous ai déjà dit que ça m'est bien
-égal!
-
-—Oh! mon Dieu! ce qu'il est méchant!—se récria Annette, démontée.
-
-Roger, dans ses couvertures, ne daigna pas répondre. Il n'avait plus
-qu'une idée: s'endormir, oublier. Il ferma les yeux. Sous le noir des
-paupières il revit, durant quelques instants, des acrobates en caleçon
-de satin pailleté, des chevaux galopant sur un tapis fauve, une piste
-remplie d'eau. Puis tout se brouilla et bientôt il n'y eut plus dans la
-chambre que le faible bruit de sa respiration, coupé, de temps à autre,
-par le hoquet d'un restant de sanglot. Gégé dormait.
-
-Plus tard, beaucoup plus tard, il lui sembla qu'une forme qui avait
-le parfum de sa mère se penchait sur lui en chuchotant des paroles de
-pitié. Mais, stoïque jusque dans le sommeil, il balbutia encore:
-
-—Ça m'est bien égal!
-
-Un peu après, il crut sentir à son front le baiser léger d'une autre
-ombre qui ressemblait à son père. Et quoique l'ombre n'eût rien dit,
-Gégé fièrement bégaya tout de même:
-
-—Ça m'est bien égal!
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-II
-
-
-Le lendemain, vers neuf heures et demie, M. Lecherrier était en train
-de recevoir la dégelée de coups de poing et de coups de savate, que,
-moyennant trois cents francs par mois, un petit homme trapu venait
-chaque matin lui allonger à domicile, quand une sonnerie de téléphone
-interrompit brusquement ces voies de fait.
-
-—Vous m'excusez!—dit M. Lecherrier au professeur, en arrachant vivement
-sa moufle de boxe.
-
-—Faites donc!
-
-M. Lecherrier était déjà à l'appareil:
-
-—Allô!... C'est toi Lucie?... Eh bien! vous m'avez joliment fait poser
-hier soir?
-
-—Oui, il y a eu malentendu... Je t'expliquerai,—chevrota au loin la
-voix de Mme Taillard.—Mais, en ce moment, il ne s'agit pas de ça...
-Peux-tu me recevoir ce matin?
-
-—Certainement... Mais pourquoi?
-
-—J'ai à te parler... Des choses à ne pas dire par téléphone.
-
-—Rien de mauvais?
-
-—Non! non!—protesta tièdement Lucie.
-
-—Alors, je t'attends... A quelle heure seras-tu là?
-
-—Tout de suite... Je saute en fiacre et j'arrive.
-
-M. Lecherrier, qui saisissait toujours avec empressement les moindres
-prétextes pour abréger sa leçon de boxe, se tourna vers le professeur:
-
-—C'est ma fille, Mme Taillard... Elle sera ici dans cinq minutes. Donc
-aujourd'hui, si vous voulez bien, nous nous en tiendrons là...
-
-—A votre disposition, monsieur!—fit le petit athlète, non moins
-enchanté de couper à la fin de la séance.
-
-Mais, le maître de chausson parti, au lieu de savourer, comme de
-coutume, les douceurs de la délivrance, M. Lecherrier ne tarda pas à
-s'égarer dans les conjectures les plus alarmantes.
-
-Que pouvait bien signifier cette visite de Lucie, d'habitude si peu
-matinale? Quoi qu'elle en dît, sans doute pas grand'chose de bon. Et
-rien que l'idée d'avoir une fois de plus à flétrir la conduite de son
-gendre combla M. Lecherrier d'écœurement.
-
-D'ailleurs, depuis qu'il s'était retiré des soieries avec deux cent
-mille francs de rente, il se considérait comme ayant droit à une
-félicité sans mélange. Riche, veuf, libre, décoré, choyé des petites
-femmes auxquelles il le rendait bien,—hormis sa moustache qui tournait
-au blanc, ses favoris qui grisonnaient trop, et ce commencement de
-ventre que la boxe ne bridait qu'à demi, il ne voulait pas entendre
-parler de soucis. Sa crainte des tracas était même si vive, qu'à la
-mort de Mme Lecherrier il s'était résigné à garder pour lui seul son
-vaste hôtel de l'avenue Marceau, aimant mieux en laisser tout un étage
-vide, que de subir les tribulations d'un déménagement. C'est dire
-avec quelle mollesse il avait pris les mésaventures de Lucie. D'abord
-révolté, puis attendri, il finissait par être blasé. Ces querelles
-sans variété, pour des méfaits toujours pareils, lui paraissaient à la
-longue fastidieuses. Il ne pouvait s'expliquer qu'après dix ans de ce
-régime, le coupable ne montrât pas plus de bonne humeur et l'innocente
-plus de philosophie. Aussi, sans Gégé dont il raffolait, ce n'eût pas
-été tous les jours qu'on l'aurait vu dans ces bagarres.
-
-—Ah! mais non!—conclut-il amèrement, tout haut.
-
-Puis, ayant passé un léger costume d'intérieur en flanelle beige, il
-alla s'accouder au balcon pour guetter l'arrivée de Lucie.
-
-En dépit de l'heure, la température était accablante. Au milieu de la
-chaussée, un arroseur découragé faisait de place en place des flaques
-éphémères. Les marronniers de l'avenue semblaient suffoquer sous leurs
-lourds falbalas de verdure. Et quoiqu'on fût à peine au début de juin,
-certaines feuilles, roussies des contours, avaient déjà très mauvais
-teint.
-
-Du haut de son balcon, M. Lecherrier les examinait avec sympathie. Mais
-le bruit d'une voiture raclant le trottoir l'arrêta sur la voie de
-l'élégie. Lucie descendit du fiacre. Elle était tout en piqué blanc,
-avec une souple voilette crème pleurant autour de son chapeau rose.
-De la main elle fit à son père un signe d'amitié, puis, rapidement,
-marcha vers la porte.
-
-—Eh bien, que se passe-t-il?—demanda M. Lecherrier, après avoir
-embrassé sa fille.
-
-Lucie retroussa sa moustiquaire, et, se carrant dans un fauteuil:
-
-—C'est toute une histoire... Voilà, hier soir, à propos de ce
-Nouveau-Cirque,—où, soit dit en passant, nous avons fini par ne pas
-aller,—Jacques et moi, nous avons eu une scène effroyable...
-
-—Pour changer!—fit M. Lecherrier.
-
-—Oh! je t'en prie, papa, grâce des commentaires! Ou je n'en sortirai
-jamais... Donc, scène terrible. Nous nous sommes dit, de part et
-d'autre, des choses atroces, irréparables... Et, finalement, nous avons
-décidé de divorcer...
-
-—Ce n'est pas la première fois!—objecta M. Lecherrier.
-
-—Peut-être, mais ce sera la bonne... Et, du reste, pour ne pas revenir
-sur notre décision, il a été convenu que ça se ferait aujourd'hui
-même...
-
-—Quoi? qu'est-ce qui se fera?
-
-—Mais notre rupture, l'incident qui pour les tribunaux et le public la
-justifiera... Tout à l'heure, à midi, quand je rentrerai, il y aura
-la chaîne de sûreté à la porte... Et Jacques me refusera, comme on
-dit, l'accès du domicile conjugal... Nous avons même pris soin de nous
-munir de deux témoins: le tapissier sera là dans l'antichambre, avec
-un ouvrier, à réparer le store dont justement les cordons ne marchent
-plus depuis trois jours... Jacques a accepté cette combinaison qui
-nous dispensera, dans le procès, de nous traîner réciproquement dans la
-boue...
-
-—Ah çà! vous devenez fous!—s'écria M. Lecherrier, qui commençait à
-s'agiter.—Vous croyez que vous trouverez des juges pour donner dans ces
-balivernes?
-
-—Parfaitement! D'abord, pourvu qu'on ait bien envie de divorcer, les
-juges n'y regardent pas de si près... Et puis, devant une expulsion en
-due forme, ils n'auront pas le choix... Aubineau, notre avoué, que j'ai
-consulté autrefois sans avoir l'air, est formel là-dessus.
-
-—Admettons... Mais Gégé?
-
-—Pour le moment, il continuera à aller dans la journée chez son
-professeur M. Beaujoint. Le reste du temps, il habitera huit jours
-avec moi, huit jours avec son père, les dimanches et vacances partagés
-de même par moitié...
-
-—Et où comptes-tu loger?... Ici?
-
-—Dame!—fit Lucie en courant à M. Lecherrier.
-
-Elle lui enlaça câlinement le bras, tandis qu'il se raidissait un peu
-contre l'étreinte.
-
-—Mais oui, mon pauvre papa, ici! Tu ne voudrais pas que je donne à
-d'autres la préférence?... Ah! évidemment, dans tout cela, c'est toi
-qui vas pâtir, c'est toi qui seras la victime!
-
-—Non!—fit avec force M. Lecherrier.—La victime, ce ne sera pas moi...
-La victime, ce sera Gégé...
-
-—Écoute, papa!—supplia Lucie.
-
-—Je n'écoute rien... Je n'ai rien à écouter... Si tu ne sens pas ces
-choses-là de toi-même, tout le monde te le dira: dans le divorce, la
-vraie victime, la grande victime, c'est l'enfant... Voilà la règle...
-Et notre petit Gégé, hélas! n'y échappera pas... Du jour au lendemain,
-pour votre commodité personnelle, vous allez faire de lui une espèce
-d'orphelin, de déclassé, d'abandonné, sans famille régulière, sans
-foyer fixe, sans intérieur. Vous allez bouleverser sa vie, gâcher
-toutes ses joies, détruire tout son bonheur... Alors, dans ces
-conditions, moi, mes aises, mes habitudes, tu t'imagines si ça pèse
-lourd!...
-
-M. Lecherrier se tut, car des larmes lui barraient la gorge.
-Probablement, malgré ses dires, dans cette affliction, il entrait
-un peu le chagrin de voir pour des mois sa quiétude chavirée, son
-indépendance en péril, les petites femmes à vau-l'eau. Mais la
-sincérité dominait. Il adorait son petit-fils, et la pensée des mille
-souffrances classiques dont ce divorce menaçait Gégé lui paraissait
-intolérable.
-
-Lucie avait tendrement retenu sa main, puis, quand il donna des signes
-d'apaisement:
-
-—Je t'assure, papa, que ce que tu me dis là, depuis des années je me
-le répète... Sans Roger, il y a longtemps que j'aurais fui l'enfer de
-mon ménage... C'est pour notre enfant que je suis restée, pour lui que
-j'ai patienté... Tant qu'il n'aurait pas fait sa première communion et
-renouvelé, je m'étais juré de tout subir... et j'ai tout subi... Mais
-maintenant je suis à bout... Il ne faut pas m'en demander plus!
-
-Elle avait débité cela sans colère, sans désespoir, comme une femme
-excédée qui a pris son parti. Devant cette lassitude résolue, M.
-Lecherrier se sentit plus faible que devant de la violence. Il embrassa
-longuement sa fille, puis, avec simplicité:
-
-—Alors, quand t'installes-tu chez moi?
-
-—Tantôt.
-
-—Tantôt?
-
-—Oui, papa, puisque c'est à midi que Jacques me refuse sa porte. Après
-quoi, selon nos conventions, il me permettra de rentrer pour faire mes
-malles. Je pourrai être ici vers cinq heures et demie.
-
-—Et le temps d'aménager les chambres?
-
-—C'est l'affaire d'une heure... Pour Gégé, un lit dans mon ex-petit
-salon... Moi, je reprendrai ma chambre de jeune fille...
-
-—Très bien! Je vois que je n'ai plus qu'à exécuter tes ordres.
-
-—Mes conseils pratiques, tout au plus!
-
-—Si tu veux!... Cependant si d'ici là tu découvrais, par hasard,
-quelque chose de plus pratique encore, comme, par exemple, d'épargner à
-ton fils ce drame et de rester avec ton mari, ne te gêne pas. Je n'en
-serais nullement froissé.
-
-Mme Taillard eut un hochement de tête incrédule. Mais, comme elle se
-levait et rabaissait le rideau de son voile, M. Lecherrier protesta:
-
-—Où vas-tu donc? Tu n'es pas pressée...
-
-—Si, je t'assure; il me reste une ou deux courses urgentes avant
-déjeuner. J'aurai tout juste le temps.
-
-Et, s'appuyant d'une main à l'épaule de son père:
-
-—C'est égal, papa! C'est effrayant ce que je te fais là... Toi qui
-aimais tant ta bonne liberté!
-
-—Ne t'occupe pas de moi!—dit avec conviction M. Lecherrier.—Moi, je ne
-suis plus intéressant... Maintenant, dans notre vie, il n'y a plus que
-Gégé qui compte... tu entends, rien que Gégé!...
-
-Ces paroles sonnaient encore dans l'oreille de Mme Taillard quand sa
-voiture l'arrêta devant le rez-de-chaussée de la rue Washington où
-Alcide Barbier, mandé par télégramme, l'attendait depuis vingt minutes
-déjà.
-
-Mis en quelques mots au courant, Alcide Barbier eut une attitude
-médiocre. Opposé pour lui-même au divorce en vertu de ses principes,
-dont le premier était de ne rien faire qui pût nuire à son industrie,
-il n'avait pu d'abord réprimer le petit mouvement d'envie que lui
-inspirait la résolution de Lucie. Quand l'intérêt vous cloue au port,
-il est toujours pénible de voir les autres gagner le large. Et sa
-grimace fut telle que Lucie s'en formalisa:
-
-—Tiens, vous avez l'air contrarié?... Moi qui croyais que vous
-sauteriez de joie!...
-
-—Mais, ma chérie, du moment que cette solution vous plaît, vous pensez
-bien que je n'ai pas à y redire.
-
-—Non!... Seulement, vous faites une tête!... Voyons, si vous étiez
-garçon, je m'expliquerais encore... Mais, dans votre situation d'homme
-marié, d'homme établi, qu'est-ce que vous redoutez?...
-
-Alcide Barbier, durant cette réplique, avait ramené entre ses dents la
-base de sa barbe rousse, ce qui marquait chez lui le summum du souci
-et donnait à sa figure ronde l'aspect d'une grosse éponge à tub. Puis,
-faute de mieux, il simula un grand élan, et, saisissant Lucie dans ses
-bras:
-
-—Méchante! méchante! méchante!—murmura-t-il sans vérité.
-
-—Vous aurez beau m'appelez «méchante» jusqu'à demain, mon observation
-subsiste.
-
-Alors Alcide Barbier, rassemblant toutes ses ressources d'esprit:
-
-—Mais pourtant, ma chérie, vous ne vouliez pas que j'accueille en
-badinant une nouvelle de cette gravité!... Et puis il y a votre
-fils!... Malgré moi, je songeais à ce pauvre innocent, à cette pauvre
-petite victime qui demain...
-
-Lucie l'interrompit:
-
-—Oh! je vous en prie, je sors d'en prendre...
-
-Et, s'asseyant au bord du divan:
-
-—C'est étrange comme les hommes, dans certains cas, n'ont pas
-l'intuition des choses à dire... Vous, aussi bien que papa, vous savez
-que dans ce divorce Gégé est mon remords, mon point douloureux... Et
-c'est à qui y insistera, élargira cette plaie!...
-
-Elle pleurait d'énervement. Alcide Barbier s'assit près d'elle, sans
-plus oser la moindre remarque. Enfin, les yeux séchés, elle se leva:
-
-—Quand reviendrez-vous?—demanda-t-il.
-
-—Je ne sais pas... Je vais être, quelque temps, beaucoup moins libre,
-vous comprenez... Je vous écrirai.
-
-—Vous m'en voulez?
-
-Elle fit l'effort d'une caresse, et, lui tendant ses lèvres:
-
-—Pas le moins du monde... A bientôt!
-
-Jamais cependant la gaucherie d'Alcide ne l'avait tant indisposée.
-Pourquoi un garçon doué de si belles qualités était-il tellement
-dépourvu de charme?... Elle ne quitta cette méditation qu'aux approches
-de l'avenue d'Antin. Deux maisons, une maison encore, elle serait
-arrivée! Qu'allait-il se passer? Jacques n'aurait-il pas changé d'idée?
-
-Mais non! Tout se déroula selon le programme. Puis, par
-l'entre-bâillement de la porte où scintillaient les ondulations de la
-chaîne, Jacques déclara:
-
-—Soit! Je consens à ce que vous rentriez faire vos malles.
-
-Il détacha la chaîne. Lucie entra. Sur une échelle, près du store,
-le tapissier et son aide, très amusés, simulaient, l'œil de côté,
-une activité fiévreuse. A la vue de ces complices inconscients, Mme
-Taillard ne put retenir un sourire. Jacques, malgré lui, riposta par un
-sourire pareil.
-
-C'était le premier qu'ils échangeaient depuis cinq ans!
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-III
-
-
-Quand, vers six heures trois quarts, au sortir de l'institution
-Beaujoint, Joseph annonça à son jeune patron qu'on dînait chez M.
-Lecherrier, Roger ne dissimula pas son contentement:
-
-—Chic, alors!... Mais pourquoi?
-
-—J'ignore... C'est madame qui m'a dit de conduire monsieur...
-
-Gégé n'en demanda pas plus. L'essentiel était de ne pas dîner chez lui.
-Les lendemains de scène y avaient la tristesse des lendemains de fête.
-Au tumulte de la veille succédait le morne silence. On se serait cru
-à un repas de deuil. Et puis, avec le théâtre et le _foot-ball_, Roger
-ne connaissait pas de meilleur plaisir que d'aller chez son grand-père.
-Quoiqu'on doive avant tout aimer son père et sa mère, il ne passait
-guère de jour sans faire à ses parents quelque secrète infidélité de
-cœur avec M. Lecherrier. Il ne l'avait avoué à personne, pas même à
-son vieux Ribermont; mais c'était plus fort que lui, il ne pouvait
-s'empêcher de préférer un peu ce grand-papa si brave homme, toujours de
-bonne humeur, et chez qui on ne se disputait jamais.
-
-—Chic! chic! chic!—scandait-il, en gambadant au bras de Joseph.
-
-Et, sitôt arrivé avenue Marceau, il grimpa d'un saut au fumoir, où M.
-Lecherrier avec Lucie prenaient le frais au près du balcon. Tous deux
-l'embrassèrent avec fougue.
-
-—Et papa?
-
-—Il dîne à son cercle.
-
-Mme Taillard avait répondu en détournant les yeux. Roger, de même qu'à
-son grand-père, lui trouvait un air drôle. Elle avançait le menton,
-comme sur le point de pleurer. Sans doute, du chagrin en retard, des
-restes de la veille. Pourtant Gégé ne se sentait pas rassuré.
-
-Mais à table, peu à peu, sa mauvaise impression s'effaça. M. Lecherrier
-s'était mis à conter de ces histoires roulantes dont il avait le secret
-et qui faisaient pouffer aux larmes. On s'amusait fièrement. Tout le
-monde jubilait, jusqu'à Firmin, le jeune valet de chambre, qui dut
-soudain lâcher un plat pour aller rire dans la cuisine.
-
-Aussi, rentré au fumoir, Roger n'hésita pas à proposer comme de coutume
-la partie de dames à son grand-père.
-
-—Tout à l'heure, mon petit!—fit M. Lecherrier en posant sur un guéridon
-voisin de son fauteuil la tasse de café qu'il venait d'achever.
-
-Puis, attirant Gégé et le calant droit entre ses genoux:
-
-—Tout à l'heure, mon chéri... D'abord j'ai à te parler.
-
-Roger, dans son étau, essaya vers Mme Taillard un regard d'appel à
-l'aide. Mais, d'une petite claque affectueuse, M. Lecherrier lui remit
-la tête en place, et, avec une voix de vieil acteur, comme Gégé n'en
-avait entendu qu'au Théâtre-Français:
-
-—Par ici, mon chéri! Ne t'occupe pas de ta mère. J'ai besoin de toute
-ton attention... Écoute-moi bien, mon enfant... Tu vas bientôt avoir
-douze ans... Tu es déjà presque un homme...
-
-«Encore!» pensa Gégé, plus en méfiance que jamais contre ce genre de
-flagornerie.
-
-—Tu es presque un homme, et c'est donc comme à un homme que je vais te
-parler... Mon cher enfant, il t'arrive un grand malheur... Tes parents
-divorcent, tes parents vont divorcer... Sais-tu ce que c'est que de
-divorcer?
-
-Roger riposta, en s'inspirant de remarques personnelles:
-
-—C'est quand une femme n'a plus de mari et que son mari n'est pas mort.
-
-—En effet,—approuva M. Lecherrier,—et _vice versa_. Autrement dit,
-tes parents ne sont plus d'accord, ils n'ont plus les mêmes goûts.
-En conséquence, ils ont décidé de renoncer à la vie commune. Et
-ils habiteront désormais chacun de son côté. Pour l'instant, et
-probablement aussi dans l'avenir, ta mère habitera ici avec toi... Ton
-père, je présume, gardera son appartement.
-
-Roger s'écria, un peu pâle:
-
-—Alors, je ne verrai plus papa?
-
-—Certainement que si, tu le verras! Et pas plus tard que demain soir
-vous devez dîner tous les deux ensemble. Seulement, jusqu'à nouvel
-ordre, tu habiteras tantôt avec ta mère, tantôt avec ton père, huit
-jours avec l'un, huit jours avec l'autre. Saisis-tu?
-
-—Oui! oui!—déclara Gégé, qui supputait en dedans les suites de cette
-combinaison.
-
-—Bien entendu,—ajouta non moins onctueusement M. Lecherrier,—il faudra
-continuer à aimer tes parents autant l'un que l'autre... Dans ce
-malheur, il faudra même les aimer plus qu'avant... Tu me le promets,
-mon petit?
-
-—Oui, grand-papa!—fit Roger sans discuter ce surcroît d'exigences.—Mais
-aujourd'hui, où est-ce que je coucherai?
-
-— Ici, au second, près de l'ancienne chambre de ta mère.
-
-—Et maman couchera à côté de moi?
-
-—Oui, mon chéri.
-
-Passer la nuit chez son grand-père, avec sa mère comme voisine à la
-place d'Annette, Gégé n'avait jamais rêvé pareille fête. Il sauta au
-cou de M. Lecherrier.
-
-—Oh! veine!... Merci, grand-papa! Chic et veine!
-
-Un bruit de sanglots lui fit retourner la tête, et il vit sa mère qui
-pleurait, un mouchoir plaqué aux yeux.
-
-Alors, sentant l'inconvenance de son enthousiasme, il s'élança vers
-Mme Taillard, grimpa sur ses genoux, se blottit contre elle. Mais plus
-il l'embrassait, plus elle pleurait fort. Que faire? Lui aussi, par
-sympathie, aurait bien voulu pleurer. Seulement, il avait beau presser
-ses paupières, se contracter le thorax, rien ne venait. Enfin, sous
-une poussée plus énergique, deux petites larmes daignèrent paraître.
-Gégé les égoutta sur la nuque de sa mère avec un peu d'ostentation.
-
-—Ne pleure pas, mon amour!—murmura Mme Taillard en l'écartant
-doucement.—Tu verras, nous t'aimerons bien... Moi, si je pleure, ce
-sont les nerfs.
-
-Et M. Lecherrier intervenant:
-
-—Allons, Gégé... Tu as été très sage... Maintenant, je suis à tes
-ordres... Va dans le salon chercher le jeu de dames.
-
-—Est-ce que tu sais l'heure?—objecta Lucie.
-
-—Bah! il en sera quitte pour faire demain grasse matinée. Tu
-l'excuseras à la pension.
-
-Puis, sitôt Roger dehors, M. Lecherrier ajouta plus bas:
-
-—Que veux-tu! le pauvre petit... nous ne pouvions pourtant pas le
-laisser sur ces tristesses!
-
-On convint de trois parties. Roger les gagna coup sur coup. Après quoi,
-M. Lecherrier monta avec Mme Taillard l'accompagner jusqu'à sa chambre.
-
-C'était une pièce spacieuse, avec des tentures bleu de lin encadrées
-de boiseries blanches. Un petit lustre Louis XVI reflétait dans ses
-cristaux la lumière discrète de trois lampes dépolies. A chaque côté
-du lit de cuivre, qu'un tapissier avait loué, deux bergères en satin
-pâle offraient leurs gros coussins prêts à défaillir. Sur une table
-Louis XV, on avait disposé une garniture de toilette crème bordée d'or
-et des flacons pleins de parfums. La porte de communication avec la
-chambre de Mme Taillard était largement ouverte.
-
-Gégé, en entrant, faillit encore manifester sa joie. Mais l'expérience
-précédente l'avait instruit: il s'abstint de tout commentaire. Puis,
-une fois au lit, il rappela sa mère et M. Lecherrier, qui causaient
-dans la pièce voisine.
-
-—Là, maintenant, il s'agit de dormir, dit Mme Taillard en achevant de
-reborder le lit.—Onze heures et demie! Si ce n'est pas honteux!...
-
-M. Lecherrier se pencha vers son petit-fils:
-
-—Eh bien, comment trouves-tu ta chambre?
-
-—Gentille! fit prudemment Gégé, en se soulevant pour un baiser.
-
-Mme Taillard tourna le bouton du lustre, et sortit, suivie de son père.
-
-Par-dessus le haut des rideaux, la lune glissait un frêle rayon de la
-couleur des tentures. Il venait aussi un peu de lumière jaune sur le
-tapis par l'entrebâillement de la porte.
-
-Mais, même dans l'obscurité complète, Roger n'aurait pas tout de
-suite cherché le sommeil. L'orgueil d'avoir gagné les trois parties
-l'enfiévrait. Il se sentait le cœur gonflé de plaisir, si près de sa
-mère, si près de son grand-père. Enfin, quelle chambre délicieuse!
-
-Par exemple, il aurait préféré avoir plus de chagrin en apprenant le
-divorce. Puisque c'était un grand malheur, pourquoi n'en éprouvait-il
-pas plus de peine? Il essaya encore de s'attendrir, de se désoler, de
-pleurer. Il songea exprès aux choses les plus tristes, à sa soirée de
-la veille, au Nouveau-Cirque manqué.
-
-Mais les larmes ne se laissèrent pas prendre à cette manœuvre
-rétrospective et refusèrent de se déranger.
-
-Alors Gégé, las de les provoquer, ferma honnêtement les yeux et
-s'endormit du plus doux sommeil.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-IV
-
-
-Après une nuit exempte de rêves, Gégé qu'on n'avait réveillé qu'à huit
-heures, procéda sans hâte aux soins de sa toilette. Et vers neuf heures
-moins le quart, étant prêt, il descendit dans la salle à manger, où M.
-Lecherrier et Mme Taillard, près de la fenêtre ouverte, finissaient de
-déjeuner.
-
-Sans aucun parti pris, Roger préférait de beaucoup le chocolat qu'on
-buvait chez son grand-père à celui qu'on buvait chez lui. L'arôme en
-était plus délicat, la facture plus mousseuse. Il se régala. Puis il
-avait cette sensation si amusante pour les enfants d'être en excursion,
-en voyage, presque à l'hôtel. Et tout lui en semblait meilleur: le ciel
-d'un bleu tranquille, la fraîche haleine de l'air matinal et cette fine
-odeur d'été qu'on ne trouve chez aucun parfumeur.
-
-Jusqu'à l'institution Beaujoint, de l'avenue Marceau à la rue de
-Longchamp, le long de l'avenue du Bois, par ce beau temps, la route
-serait délicieuse!
-
-Il fit à sa mère et à M. Lecherrier des adieux sans déchirement. Mais,
-la porte à peine close, il reparut pour recommander qu'on n'oubliât pas
-de lui envoyer à la boîte son complet gris numéro un, sa cravate bleu
-marine et ses souliers vernis.
-
-—Puisque c'est convenu, mon chéri!—dit Lucie.—Seulement, tu te
-rappelles ce que tu m'as promis: tu seras raisonnable! Tu ne mangeras
-pas trop... Et tu diras bien à ton père que je t'ai prié de ne pas
-rentrer trop tard.
-
-—Pour sûr!—répliqua Gégé, avec l'arrière-projet de s'acquitter
-loyalement de la commission, mais sans insistance superflue.
-
-Et il rejoignit dans le vestibule Firmin qui l'attendait pour le
-conduire.
-
-Les trois caractéristiques de l'institution Beaujoint étaient
-l'exiguïté du petit hôtel bourgeois qu'elle occupait rue de Longchamp,
-le prix relativement onéreux de la pension, qui ne montait pas à moins
-de quatre cent cinquante francs par mois, et le nombre restreint des
-élèves, invariablement fixé à dix. M. Beaujoint, quand il s'agissait
-de séduire les parents, s'attardait plus volontiers sur cette dernière
-particularité, qui donnait à son établissement comme un aspect de
-petite académie. Mais, à vrai dire, ces trois caractéristiques se
-commandaient, la quantité des élèves étant en raison directe des
-faibles dimensions du local et le chiffre de la pension en rapport avec
-le nombre réduit des élèves.
-
-M. Beaujoint ne manquait pas non plus de signaler aux clients deux
-autres spécialités de sa maison: à savoir l'éducation mondaine et la
-perfection culinaire.
-
-Sur le reste, il concédait que, dans les autres établissements privés
-ou dans les lycées de l'État, il n'y avait trop rien à dire. Mais
-pour la pratique des bonnes façons et pour l'hygiène alimentaire, il
-n'admettait pas de rival. Chez lui, l'enfant apprenait à «se tenir»
-comme nulle part, et, en ce qui concernait la table, on n'avait qu'à
-consulter les menus: viandes de premier choix et toujours rôties, lait
-de provenance contrôlée, vin de propriétaire. Aussi, à chaque repas,
-ne fût-ce qu'en manière de commémoration, M. Beaujoint avait bien soin
-de s'extasier devant ses élèves sur l'exceptionnelle qualité des mets.
-«Oh! oh!—s'écriait-il,—voilà un rôti de veau qui n'est pas précisément
-exécrable!» ou bien: «Voilà un bœuf en daube dont vous me demanderez
-la recette!» ou: «Voilà, si je ne m'abuse, un gigot de tout premier
-ordre!»—et cette variété dans les formules ajoutait encore à l'éloge un
-je ne sais quoi de plus persuasif.
-
-Lorsqu'il eut parcouru la lettre de Mme Taillard excusant Gégé, il
-appliqua sur la nuque de celui-ci une tape bienveillante:
-
-—Parfait, mon petit ami! Allez rejoindre vos camarades salle B. La
-leçon d'histoire vient de commencer.
-
-Roger monta sans précipitation à la salle B, un ancien cabinet de
-toilette qui, par les jours d'été, fleurait la peau d'Espagne et l'eau
-dentifrice. Le professeur était occupé à narrer devant la division
-élémentaire, composée des deux Thomas—Thomas (Achille), Thomas
-(Antoine)—et de Pierre de Ribermont, les fastes de l'Assyrie.
-
-Gégé l'écouta peu. Que lui importaient Téglath-Phalazar et
-Assourbanipal? Sa pensée était toute au dîner du soir. En aucune
-occasion, l'idée de revoir son père ne lui avait inspiré tant d'émoi et
-d'impatience. Était-ce la brusquerie, l'imprévu de cette séparation? il
-lui semblait qu'elle durait depuis des éternités. En outre, d'habitude,
-quand M. Taillard revenait d'une absence, le plaisir de Roger était à
-l'avance gâté par l'évocation des scènes d'intérieur dont ce retour
-allait infailliblement être le signal. Tandis que, pour ce soir,
-nulle crainte pareille. Ce n'est pas lui, Gégé, n'est-ce pas? qui se
-disputerait avec son père! Alors on dînerait tranquillement ensemble,
-sans doute au restaurant et peut-être même qu'après on irait à un
-théâtre quelconque. Bref, de toutes façons, cela finirait très bien.
-
-Gégé continua ces pronostics optimistes durant toute la leçon
-d'histoire, puis durant toute l'étude subséquente. Et, à la récréation
-de dix minutes qui précédait le repas de midi, il rayonnait d'un tel
-contentement que Pierre de Ribermont ne put s'empêcher de lui en faire
-la remarque:
-
-—Tu as l'air joliment content, mon vieux!
-
-—Tu parles!—répliqua Gégé, qui maintenant considérait comme
-définitivement réglées toutes les phases de sa soirée.—Je dîne avec
-papa au restaurant, et, après, nous allons au théâtre...
-
-Il s'était bien proposé de confier à Ribermont la nouvelle du divorce.
-A son meilleur ami doit-on rien cacher? Mais le récit de ces événements
-compliqués lui parut un effort pénible, et il l'ajourna à un autre
-moment.
-
-D'ailleurs, la cloche sonnait pour le déjeuner. On descendit à la salle
-à manger où, devant un plat d'œufs brouillés, M. Beaujoint occupait
-déjà sa place de président.
-
-Les œufs, quoique douteux, arrachèrent à M. Beaujoint des exclamations
-de volupté. Par contre, il eut de sérieuses difficultés avec le rosbif
-qu'on servit ensuite. Trois fois le cube de viande résista au couteau
-trois fois aiguisé. Tous les élèves se regardaient en dessous. Gégé,
-emporté par la belle humeur, ne sut pas se contenir, et, du ton le plus
-convaincu:
-
-—Oh! oh!—s'écria-t-il,—voilà, si je ne m'abuse, un rosbif de tout
-premier ordre!
-
-Un éclat de rire général répondit à cette parodie. De stupeur, M.
-Beaujoint, cramoisi, avait gardé son couteau en l'air:
-
-—Taillard! Vous serez en retenue de dîner ce soir... Vous dînerez ici!
-
-Les rires tombèrent, comme foudroyés. La retenue de dîner était une des
-punitions les plus redoutées à la pension Beaujoint. Comptée quatre
-francs aux parents, une fois donnée, elle ne se reprenait plus. C'était
-le châtiment sans rémission et sans appel.
-
-—Oui,— poursuivit M. Beaujoint,—vous dînerez ici, et, qui plus est, je
-vous engage fortement à vous surveiller, si vous ne désirez pas aussi y
-passer demain votre dimanche... A ma table, je ne veux pas de macaques!
-
-Quelques lâches sourires de complaisance accueillirent cette injure
-facile. Mais Gégé ne les aperçut même pas. Il était abîmé de chagrin.
-Toutes les tristesses des jours derniers s'amalgamaient en lui avec
-cette déception suprême. Pourquoi la malchance s'acharnait-elle ainsi
-contre sa quiétude, ses rêves et ses plaisirs? Les paroles de M.
-Lecherrier lui revinrent à la mémoire. Il songea à son père, à sa mère,
-séparés, ennemis. Il mêlait dans le même regret sa soirée perdue et
-le ménage de ses parents désuni. Il se sentait abandonné, persécuté,
-et, pour la première fois de sa vie, malheureux. Comment garder pour
-soi tout cela? Et, sitôt levé de table, entraînant à part Pierre de
-Ribermont:
-
-—Dis donc, mon vieux, tu sais, il m'arrive un grand
-malheur—déclara-t-il, les regards à terre.
-
-—Bah! fit Ribermont, résigné,—tu dîneras au restaurant un autre jour!
-
-—Tu n'y es pas du tout... Je te dis qu'il m'arrive un grand malheur:
-mes parents divorcent!
-
-—Ah!—fit Ribermont.
-
-Puis, après une brève réflexion:
-
-—En quoi est-ce que c'est un grand malheur pour toi?
-
-Roger, pris de court par cette question, expliqua tant bien que mal:
-
-—Comment! tu ne comprends pas?... C'est pourtant pas malin à
-comprendre! Mes parents sont fâchés. Ils ne vont plus vivre ensemble...
-Alors, moi, tu comprends, je vais me trouver entre eux comme ça...
-tiraillé... Je serai tiraillé tout le temps.
-
-—Je ne dis pas,—accorda Ribermont,—je ne dis pas!... C'est très
-embêtant... Mais ce n'est pas un grand malheur!
-
-Roger, vexé, riposta:
-
-—Alors qu'est-ce que tu appelles un grand malheur?
-
-—Je ne sais pas... Si tes parents mouraient... ou si ils étaient
-ruinés... ou si tu te cassais quelque chose...
-
-—Eh bien, merci!—se récria Gégé, suffoqué à l'énumération de tant de
-catastrophes.—Enfin, moi, je te dis que c'est un grand malheur... Du
-reste, mon grand-père me l'a dit, et il s'y connaît un peu mieux que
-toi!...
-
-Ribermont haussa les épaules et maintint:
-
-—Peut-être qu'il s'y connaît mieux que moi... Mais ça n'est pas un
-grand malheur!
-
-Devant une telle obstination, toute controverse devenait impossible.
-Gégé s'éloigna froidement. Quelle journée! Jusqu'à son vieux Pierre qui
-le lâchait et refusait de compatir! De dégoût, après déjeuner, au Bois,
-il bouda pendant toute la partie de foot-ball et resta assis sur un
-banc près du maître d'études, en prétextant une crampe à la cuisse.
-
-Au retour, la classe de calcul n'atténua pas sa mélancolie, et quand,
-sur les quatre heures et demie, l'institution Beaujoint, au complet,
-s'achemina vers le gymnase Capdemas, le cœur de Gégé restait aussi
-morne et désemparé.
-
-Non qu'en principe la gymnastique lui répugnât. Le trapèze, les
-anneaux, les barres lui avaient, au contraire, valu les plus jolis
-succès. Mais, avec M. Capdemas, on n'était jamais sûr que la leçon ne
-commencerait pas par une séance d'assouplissements; et Gégé, tout en
-enfilant son maillot bleu paon, pariait avec lui-même qu'aujourd'hui ça
-ne raterait pas.
-
-Effectivement, les dix Beaujoint à peine alignés, M. Capdemas commanda,
-de sa voix méridionale qui ne faisait tort à aucune voyelle:
-
-—Allons, mes petits... Aux massues!
-
-Les massues! Gégé ne connaissait rien de plus ennuyeux que cette façon
-d'assommer en cadence et sans haine des adversaires absents. Il se
-dirigea lentement vers le râtelier et empoigna deux vieilles massues
-où quelques traces de vernis vert indiquaient encore la couleur de leur
-jeunesse.
-
-—Taillard, au temps!... Taillard, gare à vous!... Taillard, ça va
-barder!
-
-Les avertissements pleuvaient sur Gégé insensible. Comment exécuter
-en mesure et arriver à point, quand vos parents divorcent? Le père
-Capdemas pouvait s'époumonner tant qu'il voudrait. Avec une telle
-tristesse à l'âme, pas moyen de faire mieux.
-
-—Taillard!—tonna enfin M. Capdemas, et si fort, cette fois, que le
-chétif écho de la salle s'en émut,—Taillard! deux heures de retenue,
-demain dimanche!
-
-A ce nouveau trait du sort Gégé n'opposa qu'un ricanement amer. La
-retenue du dîner, la retenue du dimanche, le divorce, tout cela se
-tenait, rentrait dans la même série noire: il n'y avait qu'à s'incliner.
-
-Mais comme, les yeux un peu voilés par les larmes, il prenait ces
-conclusions fatalistes, le commandement de: «Halte!» arrêta brusquement
-dans leurs assommades les dix petits hercules.
-
-En arrière, les soieries d'une robe bruissaient sur le parquet. Dans la
-sèche odeur de sciure un frais parfum de white-rose passa. Roger, en
-louchant un peu, reconnut sa mère, au-devant de laquelle M. Capdemas
-s'avançait avec des sourires. Tous deux échangèrent quelques mots. Et
-M. Capdemas ordonna:
-
-—Taillard, sortez des rangs... Pour les autres, repos!
-
-Gégé s'était approché sans fierté. Sa mère l'embrassa. Puis M.
-Capdemas, lui collant à l'épaule sa main noueuse:
-
-—Taillard, madame votre maman est venue me dire la situation spéciale
-et particulière qui existe chez vous... Elle vous recommande à mon
-indulgence... Alors, vu cette situation spéciale et particulière, je
-vous lève votre retenue.
-
-Et désignant Roger à Mme Taillard:
-
-—C'est que, quand il veut, le drôle, il fait comme un ange!
-
-Gégé baissa modestement la tête, en raclant le sol avec le bout de
-son pied. Il se demandait si, par la même occasion, et sous le même
-prétexte, il ne pourrait pas envoyer sa mère chez M. Beaujoint pour
-obtenir la même grâce. Une espèce de pudeur le retint: si novice qu'il
-fût dans la situation «spéciale et particulière», charger sa mère
-d'intercéder pour qu'il dînât avec son père lui semblait peu gentil. Il
-préféra se borner à de chaleureux remerciements.
-
-—Tu n'es donc plus fâché, serin?—lui demanda tout bas Ribermont, vers
-qui, en rentrant dans le rang, il avait hasardé un sourire de paix.
-
-—Mais non!—chuchota Gégé.
-
-Ils firent côte à côte le chemin du retour. Roger conta à Ribermont
-l'heureuse intervention de sa mère. Ribermont, par distraction, sans
-doute, enregistra sans triompher.
-
-Mais, au moment où l'on arrivait, M. Beaujoint fit appeler dans son
-cabinet le jeune Taillard.
-
-—Fermez la porte, mon ami,—dit-il avec une aménité insolite.
-
-Puis, se grattant familièrement le mollet sous son pantalon:
-
-—Vous avez vu votre père?
-
-—Non, monsieur!—répliqua Gégé, la voix aussi ferme qu'il pouvait.
-
-—Il sort d'ici et pensait vous retrouver chez M. Capdemas auquel il
-voulait vous recommander. Enfin, peu importe! J'ai reçu aujourd'hui
-d'abord la visite de madame votre mère; ensuite, à peu d'intervalle,
-la visite de M. Taillard... Vous devinez, je suppose, la pensée
-d'affection qui les avait guidés vers moi... Ils voulaient, chacun
-de son côté, m'apprendre la situation particulièrement touchante et
-intéressante qui vous est créée par le malheur que vous savez... Je
-leur ai promis de ne vous ménager, dans la circonstance, ni mes soins,
-ni mon bon vouloir... Et, pour première preuve, sur la prière de votre
-père, j'ai consenti à lever votre retenue de dîner...
-
-—Oh! monsieur... merci bien!—balbutia Roger, étourdi par cette
-succession de coups de théâtre.
-
-—Mais n'allez pas prendre ma bienveillance pour de la faiblesse... Et
-même, dorénavant, mon jeune ami, si j'ai un conseil à vous donner,
-méfiez-vous d'un certain esprit caustique auquel vous n'auriez que trop
-de tendance!...
-
-Gégé remonta vers l'étude, au cri de plusieurs fois répété de: «Chic
-et veine!... Veine et chic!...» Il avait cette allégresse puissante et
-sans pensée des petits garçons sauvés par deux fois de la retenue. La
-joie le poussait comme un ascenseur, et il ne songeait plus du tout au
-divorce de ses parents.
-
-—Eh bien?—murmura Ribermont, pressé de savoir.
-
-—C'est papa qui est venu causer au père Beaujoint pour moi. On me lève
-ma retenue de dîner.
-
-—T'en as une veine!—fit Ribermont, surtout frappé par la chance de son
-camarade.
-
-—Tu parles!—confirma Gégé.
-
-Il était habillé, paré, ganté, depuis une demi-heure, lorsqu'on lui
-annonça que son père l'attendait en automobile. Il dégringola, trois
-par trois, les marches de l'escalier. Et, après qu'on se fut embrassé
-tout son saoul:
-
-—Où dînons-nous?—questionna Taillard.—M'est avis qu'il vaudrait mieux
-dîner aux environs du Nouveau-Cirque, où j'aurais l'intention d'aller
-ce soir, si tu n'y vois pas d'inconvénient.
-
-—Oh! papa!—se récria gauchement Roger.
-
-—Alors, chez Voisin!—dit Taillard au chauffeur.
-
-Au restaurant, Roger s'assit en face de son père. Puis, tous deux,
-instinctivement, s'adressèrent un long sourire, presque un sourire
-d'amoureux. Taillard se sentait un peu ému en contemplant ce cher petit
-être dont maintenant il n'allait plus posséder que la moitié. Et Gégé,
-après tant de traverses, goûtait la molle béatitude de l'arrivée au
-port.
-
-—Tu m'aimes bien?—interrogea tendrement Taillard.
-
-—Oh! oui, papa!—fit avec élan Roger.
-
-Le dîner lui parut un enchantement. Jamais, les soirs de théâtre, il
-n'avait éprouvé cette impression de parfaite sécurité, cette certitude
-solide que rien désormais ne le priverait du plaisir projeté. Au
-dessert, Taillard lui permit une coupe de champagne mêlée d'eau. Roger
-ne se rappelait pas l'avoir vu si jovial. Un autre homme tout à fait!
-Il ne s'assombrit qu'un instant, en entendant décrire les splendeurs de
-la chambre bleue. Mais, aussitôt, une étincelle malicieuse palpita au
-fond de ses yeux, et il déclara doucement:
-
-—Cela ne m'étonne pas de la part de ton grand-père, qui est la bonté
-même. Ta mère aussi est une femme pleine de qualités... Et tu vois que
-ce n'est pas ce divorce qui nous empêchera de t'aimer!
-
-—Oui... oui!—fit vivement Gégé, qu'un si brusque rappel aux choses du
-foyer avait d'abord décontenancé.
-
-Par bonheur, c'était le moment de partir. Sans insister sur ce sujet
-épineux, qui ne le divertissait pas plus que son fils, Taillard solda
-l'addition et, à petits pas, on s'achemina vers le Cirque...
-
-A la sortie, près du contrôle, Roger, qui s'était princièrement amusé,
-réfléchit que l'instant arrivait peut-être de faire sa commission
-concernant l'heure du retour. Mais, justement Taillard lui demanda:
-
-—Es-tu fatigué?
-
-—Pas du tout.
-
-—Veux-tu que nous allions prendre quelque chose?
-
-—Oh! oui!
-
-Gégé, sitôt ces mots prononcés, les regretta. Tant pis! Déjà
-l'automobile les emportait par la nuit claire, le long des rues
-silencieuses. Et puis une demi-heure de plus ou de moins, le mal ne
-serait pas grand.
-
-Une bavaroise au chocolat et un panier de brioches eurent vite raison
-de ce restant de remords. Il y avait dans la salle une foule de jolies
-dames en peau, avec des colliers de perles, des rubis, des diamants,
-des émeraudes et d'immenses chapeaux à panaches. Des tziganes ponceau
-jouaient des valses mélancoliques à en pleurer ou des marches
-américaines à vous rendre ivre de gaieté. La lumière ruisselait des
-lustres sur les fleurs qui jonchaient les tables. Comme M. Beaujoint,
-comme M. Capdemas, comme Mme Taillard elle-même étaient loin! De sa
-vie, Gégé n'avait passé une aussi bonne soirée.
-
-Enfin Taillard lui fit signe de se lever. L'automobile les ramena
-avenue Marceau. Tout le long de la route, Taillard tint dans sa main la
-main de son fils. Sur le seuil, il dit:
-
-—A samedi, alors... Du reste, d'ici là, je viendrai te voir chez M.
-Beaujoint.
-
-Ils s'embrassèrent de deux forts baisers. Puis, comme la porte se
-refermait sur Gégé, Taillard regrimpa en voiture et se fit conduire
-à un restaurant de la rue Royale où Nelly Jelly l'attendait dans un
-cabinet.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-V
-
-
-La semaine qui suivit compta pour Gégé parmi les plus douces de son
-existence.
-
-Par un affectueux complot, malgré les premiers ennuis de la procédure
-ouverte, M. Lecherrier et Mme Taillard ne cessaient de montrer au
-pauvre enfant des visages immuablement souriants. Et, à la sérénité de
-cette vie nouvelle, sans disputes, sans scènes, il mesurait peut-être
-vaguement combien l'ancienne avait été amère et tourmentée.
-
-Pour Taillard, il ne passait guère d'après-midi sans rendre visite
-à son fils. Au lieu de la mine soucieuse et revêche que Gégé lui
-connaissait jusque-là, il avait toujours l'air d'arriver à une partie
-de plaisir ou d'en revenir.
-
-Tantôt il surgissait à l'heure du goûter, avec un assortiment de
-friandises qui faisaient les délices de la division élémentaire. Tantôt
-il venait vers l'heure de la sortie pour reconduire Gégé à pied ou en
-auto.
-
-Quelquefois il s'était rencontré avec Lucie, qu'une même sollicitude
-poussait presque quotidiennement chez M. Beaujoint. Il y avait eu de
-la gêne et pléthore de gâteaux. Alors, par une entente tacite, ils se
-réservèrent chacun son jour. Roger ne coula donc plus un après-midi
-sans voir l'un ou l'autre de ses parents. Jamais il ne les avait tant
-vus ni si bien disposés.
-
-Quant à M. Lecherrier, il jugeait avoir assez fait pour son petit-fils
-en ne découchant plus que dans la journée. Se cloîtrer en outre à
-domicile, par ces belles soirées d'été, lui paraissait un sacrifice
-au-dessus de ses moyens.
-
-Dès le lendemain de l'installation de Gégé, il organisa donc, sous
-prétexte d'hygiène, une série de promenades nocturnes.
-
-A huit heures, le cocher avait ordre d'atteler la victoria, et tout
-de suite après dîner, on partait vers le Bois au grand trot des deux
-bai-brun.
-
-La grille franchie, l'équipage prenait le pas. Dans toutes les avenues
-les voitures foisonnaient. A ne distinguer ni leurs formes ni leurs
-chevaux, on eût dit une fête de lanternes. Un air rafraîchi et moite
-tombait du ciel bleuâtre. Souvent des victorias avaient leur capote
-baissée: sans le blanc d'une robe ou d'un chapeau se détachant sur
-le fond noir, on aurait pu les croire vides. Et Gégé se demandait
-quelle drôle d'idée les gens avaient de se calfeutrer ainsi par une
-température pareille.
-
-—Respire bien, mon enfant!—disait M. Lecherrier pour détourner son
-attention.—Respire!
-
-Et Gégé respirait de tous ses poumons comme sous l'oreille d'un
-ausculteur.
-
-Par exemple, quant à étudier ses leçons pour le lendemain, depuis
-l'institution des promenades nocturnes, force lui avait été d'y
-renoncer. Il ne les savait plus que par exception et par bribes. Mais
-M. Beaujoint avait tenu sa promesse. Que les leçons fussent bien ou
-mal sues, une consigne générale d'indulgence, allant du plus rigoureux
-des maîtres au plus débonnaire des pions, préservait Gégé de toute
-atteinte. Chacun semblait connaître son malheur, le divorce de ses
-parents. C'était tout juste si, pour le principe, on osait discrètement
-gronder la sympathique petite victime.
-
-Rien ne troublait donc son infortune. A peine un scrupule de
-probité l'avait-il incommodé quelques heures, quand, le même jour,
-respectivement, M. Lecherrier, puis son père, lui avaient annoncé
-que désormais dix francs lui seraient alloués chaque semaine pour
-ses dépenses de poche. Devant un aussi fort total, Gégé, d'abord
-fasciné, ne protesta pas. Mais, vers le soir, la conscience lourde,
-il consulta Ribermont. Celui-ci, toujours à court avec ses vingt sous
-par semaine, conseilla de laisser les choses en l'état. On donnait:
-pourquoi refuser? Et le surlendemain, sans doute comme rémunération de
-ses conseils, il priait Roger de lui avancer cinq francs, qu'il devait
-depuis des mois à Thomas (Achille), pour des billes.
-
-Le jeune Taillard consentit à cet emprunt avec la bonne grâce du
-capitaliste que l'on tape pour la première fois.
-
-Au reste, son esprit était ailleurs. Il ne voyait pas approcher sans
-plaisir le jour de son départ pour l'avenue d'Antin. Si choyé qu'il
-fût avenue Marceau, il s'attendait, chez son père, à des surprises
-nouvelles; et, par la force des choses, le goût du changement lui
-venait.
-
-Les surprises escomptées commencèrent dès la veille, mais avenue
-Marceau. En rentrant, Roger, découvrit, au beau milieu de sa chambre,
-une magnifique malle en peau de truie, avec des coins de cuivre et
-les initiales R. T. imprimées en grosses lettre rouges. Et comme,
-abasourdi, il en faisait le tour, M. Lecherrier apparut, la moustache
-troussée par un sourire de vanité:
-
-—Oui, c'est pour toi,—proclama-t-il en s'avançant.—Tu vas faire
-continuellement la navette entre ici et l'avenue d'Antin. J'ai voulu
-que tu aies une malle à toi, comme un homme!
-
-Cette fois, la comparaison n'inquiéta pas Gégé. Il eut seulement un peu
-de honte en se rappelant la sorte de hâte qu'il éprouvait à quitter
-un grand-père si bon. Et cet embryon de remords s'accrut encore aux
-adieux du lendemain matin. M. Lecherrier, les lèvres molles, avait
-laissé éteindre sa pipe; Mme Taillard affectait un entrain visiblement
-factice. Gégé, très ému, leur fit promettre de venir le voir tous les
-jours chez M. Beaujoint; et, comme prévoyant l'objection:
-
-—Je n'aurai qu'à dire à papa que vous venez à l'heure du goûter.
-
-Devant ce gentil trait de sens pratique, M. Lecherrier et sa fille
-échangèrent un regard d'admiration.
-
-—Tu es un ange!—déclara Mme Taillard en étreignant Roger tout fier de
-son succès.
-
-C'était pour lui une manière d'absolution. Et il avait complètement
-oublié ses torts, quand, vers sept heures du soir, il parvint avenue
-d'Antin. La malle, venue par une autre voie, arrivait aussi. Mais Roger
-fut le premier en haut:
-
-—Qu'est-ce que c'est que cette malle?—questionna dédaigneusement
-Taillard, qui du balcon l'avait aperçue.
-
-—C'est ma nouvelle malle!—fit délibérément Gégé.
-
-A cette explication, Taillard s'était un peu rembruni, comme chez
-Voisin, l'autre semaine, à l'occasion de la chambre bleue. Ç'avait
-été dans ses yeux le même nuage d'ombre, aussitôt chassé par la même
-étincelle narquoise.
-
-—Très bien!—dit-il.—Maintenant il s'agit d aller vite t'habiller, parce
-que nous dînons au Bois.
-
-Et, Roger tournant à droite:
-
-—Non, pas par ici... Ta chambre était trop loin de la mienne; je t'ai
-installé à côté de moi, dans le fumoir..
-
-Il ouvrit la porte. Gégé exhala un «oh!» de ravissement. Ses
-pressentiments ne l'avaient pas trompé. Pour une «surprise», c'en était
-une!
-
-En huit jours, de ce fumoir maussade, le tapissier, talonné par
-Taillard, avait fait la chambre la plus pimpante, la plus confortable
-qu'ait conçue le génie anglais. Tout y était harmonieux, tout s'y
-accordait en des tons parfaits, la nuance claire des meubles en bois
-d'olivier avec le net dessin des cretonnes britanniques, le papier
-d'un rose discret avec le cuir grenat des fauteuils. Aux murs, des
-gravures de chasse, serties de pitchpin vert, rehaussaient l'ensemble
-par leurs teintes crues. Près de la fenêtre, un «Sandow» laissait
-pendre ses minces serpents bariolés. Taillard n'avait pas commis un
-oubli. Mais quelle revanche aussi! Enfoncée, la chambre bleu de lin!
-Pour s'en convaincre, il n'y avait qu'à regarder Gégé.
-
-Il ne se lassait pas de marcher à travers la pièce, d'examiner chaque
-meuble, d'inventorier son nouveau domaine. Taillard dut le bousculer
-pour qu'il se mît en tenue; et l'on ne parvint à Armenonville que sur
-le coup de huit heures et demie.
-
-Gégé y retrouva avec satisfaction les charmantes dames décolletées,
-endiamantées, empanachées, qu'il avait tant appréciées, la semaine
-précédente, au sortir du Cirque. Ou, du moins, si ce n'étaient les
-mêmes, elles leur ressemblaient tellement que le plaisir des yeux
-demeurait pareil. Des tziganes, bleus cette fois, jouaient des airs
-identiques; et des fleurs pâmaient également sur les nappes.
-
-A une table voisine, Roger remarqua une jolie jeune fille blonde à qui
-ses yeux myosotis, sa fine figure en triangle, et l'encadrement de ses
-boucles d'or, faisaient une tête de poupée anglaise. Vis-à-vis d'elle
-mangeait une sorte de vieille gouvernante bougonne et ventrue.
-
-La jeune fille, presque à chaque bouchée, ramenait son regard en coin
-vers Gégé, qui se sentait intimidé et flatté.
-
-Ces dames se retirèrent vers neuf heures et un monsieur, à côté,
-murmura pour son camarade:
-
-—C'est la petite Nelly Jelly, des Ambassadeurs, avec sa mère.
-
-Taillard prit un air détaché. Nelly Jelly intriguait depuis quelques
-jours, pour connaître, fût-ce de loin, Gégé. Mais, cette scabreuse
-faveur accordée, la plus grande correction s'imposait.
-
-Roger reconnut encore la jeune fille blonde, le lendemain, aux courses
-d'Auteuil, où son père s'était décidé à l'emmener. Avant de partir,
-Taillard lui avait même fait présent d'une ancienne lorgnette qui était
-toute neuve. L'étui jaune en bandoulière, la carte au veston, Gégé
-paradait dans le pesage, comme un sportsman de vieille date. Pendant
-les épreuves, il regrimpait dans les tribunes, et, au _rush_ final, il
-hurlait avec son père le nom du cheval qu'ils avaient joué. Il rentra
-avec deux louis de participation sur les bénéfices de Taillard et le
-ferme projet de devenir plus tard gentleman-rider ou jockey.
-
-Ce soir-là, on dîna à la maison. La vieille Annette, restée au service
-de Taillard, multipliait les prévenances envers Gégé. Elle, jadis si
-exigeante sur la politesse, semblait maintenant quêter les regards
-de son petit maître pour mieux devancer ses désirs. Roger nota avec
-étonnement cette transformation.
-
-—Vraiment, il fait trop chaud chez soi!—déclara Taillard à la fin du
-repas.
-
-Aussi, les autres soirs de la semaine, dîna-t-on dehors. Armenonville
-alternait avec Madrid, Madrid avec les Ambassadeurs. Gégé ne quittait
-plus son smoking et s'amusait prodigieusement.
-
-Il ne ressentait de malaise qu'aux visites quotidiennes de son
-grand-père et de sa mère. Il avait observé chez eux, quand il leur
-rendait compte de son existence, la même grimace de mécontentement que
-chez son père à la description de la chambre bleue ou à l'arrivée de la
-malle en truie. Alors, machinalement, il éteignit le ton enflammé de
-ses récits. Quelquefois même, par un raffinement d'égards, il feignait
-de ne pas tant s'amuser que cela et contait ses soirées d'une voix
-distraite, quasi dégoûtée.
-
-—J'espère que tu es sage, que tu ne fais pas d'excès!—disait Mme
-Taillard, les lèvres pincées.
-
-—Sois tranquille!—assurait Roger. ... J'ai pas envie de tomber malade,
-moi. Merci bien!
-
-Le soir de son retour avenue Marceau, quoiqu'il fût sincèrement joyeux
-de rejoindre sa mère et son grand-père, il exagéra à dessein. Il
-sautait sur les canapés, sur les fauteuils, en criant:
-
-—Ce que je suis content! Ce que je suis content!...
-
-Mais tout l'effet de cette manifestation croula quand Gégé narra
-l'emploi de l'après-midi.
-
-Taillard, le matin, avait informé son fils que ces emballages
-perpétuels lui semblaient oiseux, cette grosse malle encombrante et
-superflue: une double garde-robe serait bien plus pratique.
-
-Et, là-dessus, après un mot d'excuse à M. Beaujoint, on avait passé
-la journée chez les fournisseurs, chez le chemisier de Taillard, chez
-son tailleur, chez son bottier. Tout une garniture de lingerie chez le
-premier, trois costumes et deux pardessus chez le second, quatre paires
-de souliers divers chez le troisième,—jusqu'au soir, les commandes
-s'étaient accumulées sans trêve.
-
-—Il te faut un trousseau complet!—affirmait Taillard à chaque
-acquisition nouvelle.
-
-Le «trousseau complet»! Qui, dans l'enfance, n'a souhaité un instant
-d'être pensionnaire, rien que pour posséder ce que les catalogues
-appellent un «trousseau complet»? Et Gégé ne pouvait se rappeler ces
-événements sensationnels sans un regain d'exaltation.
-
-Malgré lui, il omit la réserve adoptée. Il entra dans des détails
-minutieux, vanta la forme des vestons, la couleur des étoffes, ne fit
-grâce de rien. Il n'en voyait même plus les coups d'œils sévères dont
-M. Lecherrier marquait chacune de ses phrases.
-
-—C'est bon, mon petit!—dit celui-ci glacialement, quand Roger eut
-achevé. ... Maintenant laisse-nous... Ta mère et moi nous avons à
-causer.
-
-Gégé sortit, avec la pesante impression d'avoir peut-être été trop loin.
-
-Demeurés seuls, M. Lecherrier se carra les bras croisés, devant sa
-fille:
-
-—Eh bien! qu'est-ce que je te disais? Le plan de ce monsieur est bien
-simple: il veut nous prendre le petit!
-
-—Crois-tu?... Moi, je verrais plutôt dans tout cela de l'égoïsme. Il a
-besoin de la fête... Il y emmène Gégé... Il ne regarde pas plus loin...
-
-—Et la malle?—s'écria M. Lecherrier.—Ce qu'il a dit de la malle,
-est-ce que c'est de l'égoïsme aussi?... Non, il y a là un ensemble de
-circonstances qui ne supporte pas la discussion. Ton mari n'a qu'une
-idée: débiner ce que nous faisons et persuader à Gégé qu'il fait
-mieux... Or un enfant, hélas! n'est qu'un enfant... Du jour où Roger
-pensera qu'il a plus d'avantages chez son père, c'est lui qu'il aimera,
-et pas nous... Voilà la vérité!...
-
-—Soit, mais comment nous défendre?
-
-—Je ne sais pas... La situation est très difficile... Il faudrait
-frapper un grand coup, inventer quelque chose d'équivalent au
-trousseau... Saisis-tu?
-
-—Oui... seulement, quoi?
-
-—Nous chercherons!
-
-Au bout de trois jours, il avait trouvé. La riposte était ingénieuse,
-mais terriblement compliquée.
-
-Elle consistait en une bicyclette du dernier style, avec un
-enchevêtrement de chaînes et de contre-chaînes, de freins et
-de contre-freins, trois changements de vitesse, un système de
-rétropédalage, mille perfectionnements diaboliques qui permettaient
-de marcher à reculons comme en avant, de gravir les côtes aussi
-vite qu'on allait en plaine, et dont la description seule n'avait
-pas pris au marchand moins d'une demi-heure. On appelait ce modèle
-«l'Alouette-extra».
-
-Sur un fervent cycliste tel que Roger, un pareil bijou ne pouvait
-manquer de produire un gros effet.
-
-—Mais à propos de quoi lui donner cela?—demanda judicieusement Lucie
-quand un peu avant le dîner, on apporta la machine.
-
-M. Lecherrier hésita:
-
-—Je verrai... Tiens je lui dirai que c'est pour ses vacances!...
-
-Firmin avait reçu ordre de presser le service.
-
-En vingt-cinq minutes on eut dîné, et on remonta dans le salon, au
-centre duquel, sous un vaste drap blanc, la bicyclette avait l'air
-d'une statue à inaugurer.
-
-—Qu'est-ce que c'est que cela?—s'écria Roger dès le seuil.
-
-—Regarde!—dit solennellement M. Lecherrier, en tirant à lui le vélum
-avec un noble geste de vieux magicien.
-
-L'enthousiasme de Roger passa toutes les prévisions. Il obtint
-comme faveur de ne pas sortir: il voulait lier connaissance avec sa
-merveilleuse machine. On dut la lui porter dans sa chambre pour la
-nuit. Et, bien entendu, le lendemain, il eut la permission d'en user,
-escorté de Firmin sur un mauvais «clou», pour se rendre à la pension.
-
-Auprès des neuf Beaujoint, le succès de l'Alouette-extra toucha à
-l'apothéose. Bon enfant, Gégé avait autorisé tous ses petits camarades
-à l'essayer, et il attendait avec impatience le suffrage de son père,
-qui devait venir, comme presque chaque jour, vers l'heure du goûter.
-
-Taillard pourtant se montra tiède, et, après un coup d'œil sommaire à
-l'Alouette:
-
-—Ça tombe à pic!—déclara-t-il.—J'ai justement en vue, pour le moment de
-tes vacances chez moi, un assez gentil petit poney... Alors tu pourras
-varier tes sports...
-
-—Un vrai poney, pour moi seul?—s'exclama Gégé, encore incrédule.
-
-—Oui!—fit négligemment Taillard. ... Une très jolie petite bête, ma
-foi, qui manque peut-être un peu de dressage... Mais d'ici septembre,
-nous avons grandement le temps de te la mettre en main!
-
-—Oh bien! ça, c'est trop!—proclama Gégé, à bout de formules
-reconnaissantes.
-
-Et, la visite terminée, il courut incontinent à Ribermont pour
-l'informer de l'heureuse nouvelle.
-
-—J'espère!...—se contenta de répliquer Ribermont, qui commençait à être
-excédé des aubaines de son camarade.
-
-—Crois-tu, hein!...—surenchérit Roger, feignant de ne pas remarquer
-cette froideur.
-
-Cependant, elle lui inspira, du coup, une peur délicate. Si Ribermont
-prenait ainsi la chose, qu'en dirait-on avenue Marceau? Sûrement, le
-jour même de la bicyclette, ce poney leur ferait de la peine. Peut-être
-bien aussi que ça aurait l'air de leur demander un cadeau encore plus
-beau?...
-
-Mais le scrupule n'est souvent qu'une première étape dans la mauvaise
-voie. Et, sans le vouloir, Gégé se mit à chercher ce qu'on pourrait
-lui donner de plus beau que le poney et l'Alouette. Son imagination
-s'emballa. Il rêvait de jouets extraordinaires, d'inventions féeriques,
-et Aladin n'était pas son cousin.
-
-Si bien qu'il ne sut d'abord que répondre, lorsqu'au dessert M.
-Lecherrier questionna:
-
-—Eh bien, Gégé, comment ton père a-t-il trouvé ta machine?
-
-—Papa?...—fit-il, pour se ressaisir.
-
-Mais aussitôt, d'eux-mêmes, ses bons sentiments lui soufflèrent:
-
-—Papa? Il l'a trouvée épatante!
-
-Et comme, la semaine d'après, en revenant de chez son père, il
-n'annonçait nulle gâterie nouvelle, le match de présents prit fin.
-Des deux parts, on croyait s'être maté. M. Lecherrier triomphait de
-son Alouette; Taillard, de son poney. On s'en tint désormais à des
-escarmouches, aux menus projectiles de rencontre: gants, cravates, un
-petit bijou de-ci, de-là. La guerre d'argent avait cessé. Ce ne fut
-plus qu'un tournoi de tendresse.
-
-L'ardeur de la concurrence ne perdit pas au change. Rien ne développe
-le sentiment paternel comme le divorce. D'abord on se disputait
-l'enfant comme l'enjeu d'une partie dont la galerie est juge; puis
-l'amour-propre cède à l'instinct. A la pensée de se voir ravir le petit
-de son sang, on se découvre pour lui ces élans de cœur, cette ferveur
-d'affection que donne seule la crainte des départs éternels: on l'aime
-comme on ne l'a jamais aimé; on l'aime comme quelqu'un qui va peut-être
-mourir.
-
-Et bientôt même la contagion ne tarda pas à atteindre Gégé. Sans se
-l'expliquer, il éprouvait pour ses parents une espèce d'attachement ému
-qui lui paraissait tout nouveau. Leur fréquentation n'était plus le
-plaisir banal qu'a émoussé la satiété. Les quitter, ne fût-ce que du
-matin au soir, lui semblait à présent une vraie privation; les revoir,
-une vraie réjouissance. Certes il les trouvait bien gracieux d'inviter
-si fréquemment à dîner ou à des promenades Ribermont et d'autres petits
-amis. Pour peu qu'on l'en priât, il s'avouait l'enfant le plus gâté
-de Paris. Mais surtout il leur savait gré de leur tendresse toujours
-grandissante. Souvent un baiser de son père, une étreinte de sa mère,
-une caresse de M. Lecherrier lui laissaient de la joie pour toute
-la journée, comme un cadeau reçu, comme un plaisir promis. Alors, à
-l'étude, en classe, tout à coup, l'envie lui venait de leur écrire des
-gentillesses, et il ne se retenait que par peur des plaisanteries.
-
-D'ailleurs, depuis quelque temps, partout, c'était à qui se montrerait
-bon pour lui. Même au dehors, dans les relations de sa famille, chez
-les parents de ses camarades on ne l'appelait plus autrement que: «Mon
-pauvre petit Gégé!... Mon pauvre petit ami!...» Quand on l'embrassait,
-des soupirs effleuraient sa joue. Mais cette pitié ne l'attristait
-pas; elle lui faisait plutôt plaisir. Il se sentait intéressant,
-important, comme lorsqu'on est malade ou en deuil.
-
-Il y avait cependant un point sur lequel, sans savoir pourquoi, il eût
-bien voulu être fixé. Quand le divorce serait-il terminé? Là-dessus les
-réponses de sa mère et de M. Lecherrier étaient toujours de plus en
-plus évasives: on ne pouvait rien affirmer, on ignorait,—et pour cause.
-
-Tant qu'il ne s'était agi que de la division des biens, de
-l'attribution des torts, des prestations légales, l'affaire avait
-marché à grande vitesse. Mais, dès qu'on avait abordé le partage
-de l'enfant, tout s'était soudainement brouillé. Le _statu quo_ ne
-plaisait plus. Les exigences des adversaires croissaient chaque
-jour avec la recrudescence de leur tendresse. Des deux côtés on se
-prétendait lésé, on chicanait sur la part de l'autre, on réclamait pour
-soi plus de Gégé. Tellement qu'à la fin, écœurés, les avoués avaient
-suspendu leurs pourparlers.
-
-De temps en temps seulement, pour la forme, ils causaient du procès, au
-hasard d'une rencontre à l'audience ou d'une bavette aux Pas-Perdus.
-
-Gimblet, l'avoué de Jacques, en voulait principalement à Roger.
-
-—Vous verrez,—disait-il sans respect pour la situation du pauvre
-enfant,—vous verrez, c'est ce crapaud qui fera tout rater!
-
-Mais Aubineau en avait plutôt à M. Lecherrier:
-
-—Non, mon cher, pour moi, le pire, là dedans, c'est le vieux!
-
-Et le fait est que, dans ce débat, M. Lecherrier témoignait d'un
-mauvais vouloir qui n'avait d'égal que sa mauvaise foi. Maintenant
-que son existence était à base de Gégé, il n'admettait pas qu'on lui
-en retirât une parcelle. Ah! non, assez de changements comme cela!
-Il tenait son petit-fils. Il n'en lâcherait pas un pouce, pas un
-millimètre. Et, par moments, dans la fougue de la lutte, on l'eût dit
-rajeuni de vingt ans, alors qu'il discutait, des heures durant, avec
-les clients, sur le tissu d'une pièce de soie.
-
-A l'étude Aubineau, où l'on ne voyait plus que lui, pour tout le monde,
-du maître clerc au saute-ruisseau, il était devenu un objet de terreur.
-Mais on avait beau lui ménager les accueils les plus froids, le faire
-attendre, l'éconduire, il revenait le lendemain, chaque fois plus
-acharné et plus intransigeant.
-
-Enfin un matin, comme on touchait aux derniers jours de juillet,
-Aubineau, qui depuis une quinzaine lui fermait sa porte, consentit à le
-recevoir et désignant un siège:
-
-—Je suis d'autant plus heureux de vous voir, mon cher monsieur
-Lecherrier, que j'avais une communication pressante à vous faire...
-Voici... Hier, Gimblet et moi, nous sommes tombés d'accord que, nos
-pourparlers étant épuisés, il n'y avait plus qu'à plaider. Toutefois.
-comme dans deux semaines les vacances judiciaires vont s'ouvrir et
-que nous risquerions fort d'être remis à la rentrée d'octobre, nous
-avons pensé que, retard pour retard, on pourrait au besoin laisser
-tranquillement sommeiller l'affaire jusqu'à cette époque... D'ici là,
-peut-être que des concessions... peut-être qu'un peu d'apaisement se
-sera produit dans vos esprits et que nous découvrirons ensemble la
-solution satisfaisante... Voilà... Qu'en dites-vous?
-
-M. Lecherrier demanda le temps de réfléchir. Mais, au fond, il
-commençait à être las de se démener ainsi sans aboutir, dans ce
-Paris brûlant et comateux d'où fuyaient une à une toutes ses petites
-camarades. Et l'offre d'Aubineau lui avait tout de suite souri.
-
-Il n'en prit pas moins le ton le plus indifférent pour soumettre à
-Lucie le projet de l'avoué.
-
-—Cela me paraît très bien!—approuva Mme Taillard.
-
-Elle aussi ne souhaitait que de partir. La semaine d'avant, elle venait
-de rompre avec Alcide Barbier qui, décidément, ne lui procurait plus
-aucune espèce de plaisir. Elle avait hâte de quitter cette ville de
-désillusion où nul charme ne la retenait plus.
-
-Restait à choisir la plage, car le docteur ordonnait à Roger la mer.
-M. Lecherrier penchait pour Trouville, dont le tumulte cacherait, à
-l'occasion, ses frasques; mais Lucie affirmait l'endroit trop mondain,
-sans ajouter qu'il était trop près d'Houlgate, où villégiaturaient les
-Barbier.
-
-Gégé proposa Dieppe. Les Ribermont y possédaient une villa avenue
-Aguado, et ne demanderaient pas mieux que de s'entremettre pour la
-location.
-
-On se rallia à Dieppe. En trois télégrammes, un joli _cottage_, sur la
-route d'Arques, fut signalé, décrit, loué.
-
-Et, quatre jours plus tard, après de tendres adieux à son père, Gégé
-débarquait en gare de Dieppe, avec toute la maisonnée de l'avenue
-Marceau.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-VI
-
-
-Septembre approchait, et Gégé commençait à compter les jours sans
-savoir si c'était plus par joie de revoir son père ou regret de quitter
-sa mère.
-
-Comme ce mois d'août avait filé! Quelles vacances! Non, dans tous ses
-souvenirs, Gégé ne s'en rappelait pas de si paisibles chez lui, ni au
-dehors de si étourdissantes.
-
-Dès l'arrivée, d'abord, Ribermont l'avait affilié à une coterie
-ultra-fermée de petits garçons de bonne famille, qui faisaient, sur la
-plage, la pluie et le beau temps. A ceux du «groupe», comme on disait,
-tous les privilèges et toutes les faveurs. A eux les baigneurs les plus
-demandés, les premiers rangs aux bals d'enfants, la maîtrise de la
-terrasse, la suprématie sur le galet, les préférences des plus jolies
-petites filles. Mais quiconque n'appartenait pas au «groupe» était tenu
-pour nul et non avenu.
-
-Annoncé par Ribermont comme un «chic type», Roger avait rapidement
-pris dans cette élite une forte situation. Son agilité, son entrain y
-aidaient, et aussi son Alouette-extra. Fastueux avec cela, grâce à ses
-semaines doubles, payant partout à gousset ouvert, il n'y avait plus
-de partie, plus d'excursion sans lui. Et dans tous les jeux, il était
-bien rare qu'on ne l'élût pas chef de camp.
-
-Vers le milieu du mois, pourtant, les délices de cette popularité
-avaient failli être gâtées par un accident de correspondance au sujet
-d'un certain Bousingot, dont le nom revenait dans toutes les lettres
-de Taillard à son fils. «Bousingot t'envoie ses meilleures amitiés...
-Bousingot devient de plus en plus gentil...» A la troisième lettre,
-intrigué, M. Lecherrier s'était enquis du personnage. Et Gégé, comme
-une faute, avait dû confesser que le nommé Bousingot n'était autre
-qu'un petit poney alezan acheté en juillet, à son intention, par
-Taillard.
-
-Mais, M. Lecherrier, aguerri maintenant à ces manœuvres, avait paru
-trouver la chose toute naturelle.
-
-—C'est parfait. Seulement, il faut t'entraîner, mon garçon... Que
-dirais-tu, par exemple, de quelques sorties à cheval avec le maître de
-manège?...
-
-Puis, le lendemain, il rapportait à Roger un cachet de douze promenades
-«accompagnées».
-
-Le prestige du jeune chef de camp s'en accrut encore auprès de ses
-petits camarades du groupe. Quand il passait à cheval, avec l'écuyer
-en culotte mastic, c'était à qui le hélerait pour faire parade de son
-amitié ou le complimenter de sa monture. Entre temps, on avait appris
-que, pour la rentrée, son grand-père lui promettait un petit «tonneau»;
-et, dans toutes les villas du groupe, à tous les repas de famille, il
-n'était bruit que de Gégé Taillard, de son Alouette, de son poney et de
-son tonneau à venir.
-
-Parmi tant de distractions, comme on pense, ses devoirs de vacances
-avaient cruellement pâti.
-
-Un matin, saisissant le prétexte du départ prochain, Mme Taillard
-acheva de l'en libérer:
-
-—Bah! tu travailleras en septembre, chez ton père...
-
-Ce que Gégé ne se fit pas répéter deux fois.
-
-Et dès lors, chaque après-midi, le déjeuner fini, au lieu de se
-morfondre dans les froides analyses logiques ou les funestes règles de
-trois, il partait avec sa mère en promenade.
-
-Tendrement, bras dessus bras dessous, on s'en allait soit vers la
-campagne voisine, soit vers la plage, déserte à cette heure. Lucie
-s'asseyait sur un talus et tirait son ouvrage, tandis que Roger
-feuilletait auprès d'elle quelque journal illustré. Ou bien, si l'on
-avait gagné la plage, il cherchait pour Mme Taillard un pliant, et,
-accoté contre elle, le dos à ses genoux, il jetait devant lui des
-galets secs qui cabriolaient vers la mer comme dans une frénésie de
-suicide.
-
-On ne disait presque rien. On allait se quitter. On y songeait. Et,
-dans le tourbillon de ses plaisirs, Gégé aimait beaucoup ces haltes de
-mélancolie qui ne l'empêchaient pas, une heure après, de s'amuser tant
-et plus.
-
-Malheureusement pour Mme Taillard, sa tristesse durait bien au delà. En
-réalité même, depuis l'arrivée à Dieppe, cette tristesse n'avait pas
-cessé, et, chaque jour, se faisait plus obsédante.
-
-Parmi les douleurs de la jeune femme, le départ de Roger n'était qu'une
-blessure prévue. Ses vrais soucis allaient plus loin, vers la vie
-incertaine et trouble qui s'ouvrait à présent pour elle.
-
-Comment finirait ce divorce? Que lui laisserait-on de Gégé? Et
-ensuite, sans mari, sans amant, peut-être sans fils, que devenir?...
-Se remarier? Avec qui et dans quel intérêt?... Se risquer à une
-liaison nouvelle? Pour combien de temps et sur quelles garanties?...
-Ses chagrins passés la mettaient en méfiance, ses déboires récents
-en révolte. Et, pardessus tout, le mystère de tant de questions sans
-réponses l'affolait.
-
-La pire infériorité des femmes, c'est de ne pas savoir attendre.
-Au bonheur même, leur impatience ne tolère pas la plus légère
-inexactitude: s'il n'arrive pas à l'heure dite, les voilà hors d'elles,
-perdues. Ou bien, danger plus grave, elles se mettent à sa recherche.
-Dans tout monsieur qui passe elles croient le reconnaître, quittes
-à tâter d'un autre, en cas d'erreur sur la personne. Et ainsi Lucie
-en était venue à se demander si le plus simple encore ne serait pas
-d'accepter sans façon, les offres de service que lui réitérait chaque
-matin, au Casino, Germain Chavanne, un assez joli garçon à moustache
-brune, camarade de cercle de M. Lecherrier, bien élevé, plutôt
-spirituel, et présentant, comme flirt, le maximum des qualités requises.
-
-Cependant une autre solution la tentait. Mais si difficile, si
-aléatoire que rien que l'aborder lui faisait peur. Il fallut, pour l'y
-enhardir, la nécessité du dernier moment, juste la veille du jour où
-Roger s'en allait.
-
-C'était après déjeuner au jardin. M. Lecherrier était remonté faire la
-sieste. Et comme Roger se disposait à le suivre, pour finir sa malle,
-Mme Taillard, dans un élan de courage le retint:
-
-—Reste un peu, mon petit... Tu emballeras plus tard... Viens ici...
-J'ai à te dire un grand secret...
-
-Elle attira Gégé sur ses genoux, et, la tête contre sa tête:
-
-—Écoute bien, mon chéri... Ni moi ni ton grand-père nous ne t'avons
-jamais soufflé mot de ce divorce, parce que ce sont des choses qui ne
-regardent pas les enfants... Seulement de toi-même, tu as dû remarquer
-combien cette affaire s'éternisait!...
-
-—Oh! oui, maman!—fit par politesse Gégé, à qui pourtant le temps
-n'avait pas semblé long.
-
-—Et sais-tu pourquoi cela dure tellement? C'est à cause de toi... Note
-bien, je ne dis pas: «par ta faute», je dis: «à cause de toi...» Oui,
-tous les ennuis viennent de ce que ton père et moi nous ne parvenons
-pas à nous entendre à ton sujet... Nous voudrions chacun te garder
-entièrement, ou du moins t'avoir plus... Il en résulte des difficultés
-interminables... Et c'est pour cela que souvent tu me vois si triste,
-si préoccupée...
-
-Sa voix fléchissait.
-
-—Maman! Maman! tu ne vas pas pleurer!—fit Roger avec énergie.
-
-—Eh bien!—reprit Mme Taillard en se dominant,—il y aurait peut-être
-un moyen de mettre fin à cette situation désolante: ce serait que,
-pendant le mois que tu vas passer là-bas, à Courteuil, tu tâches de me
-raccommoder avec ton père...
-
-Gégé, inconsciemment, détourna les yeux.
-
-—Regarde-moi bien, mon chéri,—continua Mme Taillard.—Naturellement
-il faudra y aller avec beaucoup de prudence. Ainsi, il serait de la
-dernière maladresse de dire à ton père que c'est moi qui propose
-cette réconciliation. Cela lui donnerait une trop grande opinion de
-ses droits sur toi, de ses chances dans le procès. Et après, s'il
-refusait, je serais trop humiliée... Non, il faudrait, au contraire,
-présenter l'idée comme venant de toi: une idée que tu aurais eue, tu
-comprends?... Tu dirais, je suppose: «Moi je suis sûr que si tu voulais
-te réconcilier avec maman, elle accepterait très bien...» Et s'il te
-questionnait, tu ajouterais que je t'ai toujours parlé gentiment de
-lui, que tu t'engages à tout arranger, que ça te ferait un plaisir
-énorme... La vérité, quoi!
-
-—Oui, oui!—approuva Roger qui n'écoutait plus que d'une oreille
-bourdonnante.
-
-—Je t'explique tout cela en gros... Je ne peux pas te mâcher tous
-les mots... Mais, une fois en route, je suis persuadée que tu t'en
-acquitterais à merveille... Voyons, ça te va-t-il? Puis-je compter sur
-toi?
-
-—Oh! oui, maman!—répliqua faiblement Gégé.
-
-Mme Taillard le rassujettit, car il glissait un peu de ses genoux, puis
-le pressant plus fort contre son buste:
-
-—Seulement, dis-toi bien, mon petit, que ce que je te demande là,
-c'est pour toi, uniquement pour toi... Sans toi, crois-tu que la vie
-d'autrefois me referait envie?... Et il y aura aussi des gens qui se
-moqueront, qui prétendront que je ne sais pas ce que je veux... Mais
-moi, je le sais, et c'est l'essentiel... Je veux te garder... Je ne
-veux pas te perdre, mon cher petit, mon bon trésor...
-
-Gégé, les paupières mi-closes, le nez dans le cou de sa mère, se
-laissait bercer sans défense. Par les mille petits trous du corsage
-ajouré, une tiède odeur de white rose et de chair s'exhalait vers
-lui. Il aurait aimé rester indéfiniment dans cette pénombre parfumée,
-n'avoir plus jamais de gestes à faire, ni de paroles à prononcer. Mme
-Taillard cependant le posa à terre.
-
-—Là,—dit-elle, après un dernier baiser,—va achever ta malle,
-mon chéri... Et, je t'en supplie, pas un mot de tout cela à ton
-grand-père!... Si notre petit complot échouait, ce serait des histoires
-à n'en plus finir... Donc, tu me promets bien le secret?
-
-—Je te le promets, maman!—fit Gégé, de profil, les yeux en biais vers
-la maison.
-
-Maintenant, dans la pleine lumière, sous les regards de sa mère, il
-préférait cesser la conversation. Il gravit au galop l'étage qui
-menait à sa chambre et, la porte refermée, il commença, d'un geste
-machinal, à empiler ses livres. Mais aussitôt il dut s'arrêter pour
-essuyer une larme qui lui chatouillait l'aile du nez. Puis, c'en fut
-une autre, une autre encore. Alors, lâchant les empaquetages, il
-s'assit sur le bord du lit, les poings aux yeux pour pleurer à son aise.
-
-Quel coup! Quel écroulement!
-
-Deux ou trois fois, dans des mauvaises nuits, il avait rêvé que
-l'existence de jadis reprenait. Il se revoyait avec effroi entre
-ses parents aux prises. Il entendait les cris, les injures. Dans le
-brouillard du songe, il apercevait les verres brisés, les nappes
-souillées, les visages défigurés par la rage, les feux de la haine aux
-prunelles. Et ensuite il se retrouvait brusquement dans sa petite
-chambre, au fond du couloir, avec la rigoureuse Annette cousant en
-silence près de la lampe, tandis qu'au loin les portes battaient comme
-sous l'ouragan...
-
-Mais, au réveil, il oubliait vite ces angoisses. Les rêves, est-ce que
-ça arrive? Et voici que tout de même ça arrivait!
-
-Le cauchemar se faisait réalité. Bien pis, c'était lui, Gégé, qu'on
-chargeait de la métamorphose!
-
-Adieu les dîners calmes et les journées de paix! Finies, les gâteries,
-les cajoleries, les surprises! Plus de petits voyages entre les deux
-maisons! Plus de regains de tendresse! Plus de changements! Plus de
-joies!
-
-Et, à cette lugubre liquidation, Gégé, pour la première fois, sentait
-aussi clairement tout son bonheur depuis trois mois.
-
-Certes, la minute d'avant, il ne s'estimait pas à plaindre; mais il ne
-se serait jamais jugé si heureux. Cette catastrophe était pour lui une
-vraie révélation.
-
-Il n'y pouvait pas croire. Alors, quoi! véritablement, cela allait
-recommencer? Il faudrait replonger dans la tourmente, redevenir un
-pauvre petit diable, ballotté au gré des scènes, des querelles, et que
-personne n'aimerait plus! Car, lorsque les parents se détestent, est-ce
-qu'ils ont le temps de vous aimer? On les gêne, ils vous renvoient pour
-se disputer tranquillement: «Tout à l'heure, Gégé!»
-
-A ce souvenir amer, il eut une nouvelle crise de larmes. Oh! pour
-qu'ils continuent à l'aimer bien fort comme ils faisaient depuis le
-divorce, qu'il aurait de bon cœur donné et l'Alouette et le poney et
-tous les plus beaux cadeaux du monde!... Mais voilà, il n'avait pas le
-choix! Dans les affaires de ce genre, on ne demande pas leur avis aux
-petits garçons. Il ne leur reste qu'à se taire et à obéir. Voilà!... Si
-seulement encore, il avait été hardi, et débrouillard comme certains
-de ses camarades, comme Ribermont, par exemple, peut-être bien s'en
-serait-il tiré, eût-il découvert un remède... D'ailleurs, au fait,
-pourquoi ne pas aller le consulter, ce malin de Ribermont? Il aurait
-sûrement une idée, lui!... Et Gégé cessant incontinent de pleurer
-ne songea plus qu'à effacer les traces de ses larmes. Puis, bien
-lotionné, bien séché, les paupières normales, le sourire aux lèvres,
-il redescendit.
-
-—Où vas-tu donc?—demanda Mme Taillard, qui était restée à broder dans
-le jardin.
-
-—Chez Ribermont, maman.
-
-—Comment! ce n'est pas l'heure de son travail?
-
-Gégé, qui n'avait pas prévu la question, trouva d'emblée son premier
-mensonge:
-
-—Oh! je vais simplement chercher un livre que je lui ai prêté...
-
-En entrant chez son camarade, il dut renouveler la même justification à
-Mme de Ribermont, qui traversait le vestibule.
-
-—Très bien, mon petit ami!—fit celle-ci avec cette nuance de compassion
-qui se devait à Gégé.—Pierre est là-haut dans sa chambre. Il travaille.
-
-Un travail très confidentiel, sans doute, car, à peine Roger ouvrait-il
-la porte, Ribermont précipita dans un tiroir le livre placé sous ses
-yeux.
-
-—Eh bien! tu m'en as fait une peur!—s'écria-t-il en reconnaissant
-l'intrus.
-
-—Qu'est-ce que tu lisais donc?—interrogea le jeune Taillard, qui savait
-le talent de Ribermont pour chiper chez son père des livres défendus.
-
-—Un chouette bouquin, va!... Rudement chouette, même: _Bélisaire_, par
-Marmontel.
-
-—C'est amusant?—questionna Gégé.
-
-—Un peu!—dit avec fierté Ribermont, qui, malgré l'ennui écrasant de
-cette lecture, ne voulait pas diminuer l'importance de son larcin.
-
-Gégé, distraitement, parcourut quelques lignes, puis, posant le livre:
-
-—Dis donc, vieux, tu ne sais pas ce qui m'arrive? Voilà maintenant
-maman qui veut se raccommoder avec papa!
-
-Et, sans omettre un mot, il conta en détail toute la scène du jardin.
-
-Ribermont écoutait, partagé entre deux mauvais sentiments. Cette
-déconvenue de son ami, après une série de veine aussi prolongée, lui
-paraissait assez plaisante. Mais il en considérait avec moins de faveur
-les conséquences personnelles. En somme, jusque-là il avait largement
-bénéficié de ce qui advenait de bon à Gégé. Il était de toutes ses
-parties, de toutes ses promenades, de tous ses plaisirs. Sans parler
-des menus services pécuniaires, qui chaque mois montaient bien à
-une quarantaine de francs, Roger ayant pris l'habitude de se laisser
-taper en douceur. Ribermont se sentait donc directement menacé dans la
-débâcle de son camarade.
-
-—Et alors?—fit-il, quand Gégé se fut tu.
-
-—Alors, moi, je ne sais pas comment faire... Franchement, à ma place,
-qu'est-ce que tu ferais?
-
-Ribermont, qui ne se distinguait pas par la suite dans les idées,
-répondit à côté:
-
-—Et toi qui me disais que ce divorce était un grand malheur!
-
-Roger ne put dissimuler un geste d'impatience:
-
-—Je ne te demande pas ce que je t'ai dit. Je te demande ce qu'il faut
-faire!...
-
-—Attends alors que je réfléchisse!—fit Ribermont avec aigreur.
-
-Puis, sans réfléchir, à mesure que cela lui venait, il déclara:
-
-—Moi, voilà, je ne sais pas... Ça dépend... D'abord, tu n'as pas besoin
-de te presser pour dire la chose à ton père...
-
-—Ça, c'est vrai!—accorda Gégé.
-
-—Et puis, tiens, à ta place, moi, je ne suis pas sûr, mais peut-être
-bien que je ne dirais rien du tout...
-
-En entendant formuler tout haut l'ultime secret de ses
-arrière-tentations, Gégé eut un recul de pudeur:
-
-—Oh! non... Ce serait trop mal... Pense donc! Moi qui ai promis!...
-
-—Je ne dis pas que sûrement je ne dirais rien... Je te dis:
-«Peut-être...» Enfin, tu verras!...
-
-Gégé, sans répliquer, tournait autour de la chambre, la tête basse, les
-mains enfoncées à la faire craquer dans les poches de sa culotte.
-
-—Il faut que je m'en aille!—conclut-il. J'ai pas fini d'emballer.
-
-Ribermont, à la fenêtre, le suivit du regard, tandis qu'il remontait
-l'avenue Aguado. Il marchait lentement au bord du trottoir, avec
-l'allure de la plus déchirante perplexité.
-
-—Pauvre type!—prononça Ribermont, en repoussant la croisée.
-
-Mais le lendemain, à la gare, pendant que M. Lecherrier faisait
-enregistrer les bagages, Gégé entraîna son ami dans un coin de la salle
-d'attente, et, du ton le plus résolu:
-
-—Eh bien! tu sais... Je suis décidé... Je ne me presserai pas!
-Seulement, je le dirai... Y a vraiment pas moyen de ne pas le dire.
-
-—Comme tu voudras!—fit Ribermont avec une moue d'adhésion sceptique.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-VII
-
-
-Depuis son arrivée à Courteuil, Gégé gardait la plus complète réserve
-sur les propositions de paix dont on l'avait chargé.
-
-Non qu'il voulût éluder son mandat ou qu'il nourrît des illusions sur
-le dénouement. A ses yeux, désormais, c'était une affaire réglée, sans
-appel.
-
-Mais raison de plus pour jouir tranquillement des dernières bonnes
-heures.
-
-Et d'abord, fidèle à sa promesse de ne pas se presser, il s'était,
-d'autorité, octroyé une semaine de répit total. Puis la date des
-ouvertures venue, il avait continuellement trouvé d'autres motifs pour
-la proroger: une excursion, la présence d'étrangers, des signes de
-nerfs chez son père, tout lui servait. Et, bref, à bout de prétextes,
-il s'était rejeté sur la météorologie: pourquoi ne pas profiter
-pleinement de ces admirables journées? On aurait bien le temps, quand
-il ferait mauvais! Gégé n'attendait donc plus pour parler que le
-premier jour de pluie ou de bourrasque.
-
-Mais, au fond, rien ne permettait de prévoir cette intempérie. Jamais
-septembre n'avait étalé plus insolente splendeur. On eût dit un jeune
-mois d'été. De l'aube au couchant, le soleil flambait grossièrement
-dans une atmosphère sans brise. Les nuits étaient mauves et tièdes
-comme des nuits de juillet. Et Gégé, en se levant, avait fini par ne
-plus même consulter le ciel, toujours d'un bleu à toute épreuve.
-
-Du reste, sitôt debout, d'autres occupations le réclamaient, si
-nombreuses, si rapprochées, qu'avec l'assentiment de Taillard les
-devoirs de vacances leur avaient été, une bonne fois, sacrifiés.
-
-_Primo_, en guise d'apéritif, un tour dans le parc, fort négligé par le
-propriétaire précédent et où des jardiniers se partageaient à retracer
-les allées, à émonder les arbres, à replanter les parterres.
-
-Après quoi, le chocolat; puis, vite en selle! Et l'on partait vers
-la forêt de Chantilly, qu'on gagnait en quelques foulées. Venceslas,
-le cob rouan de Taillard, avait l'air du frère aîné de Bousingot,
-le poney alezan de Roger. Crinière rase, queue courte, toilettés,
-trapus et râblés, ils ressemblaient extraordinairement à ces petits
-chevaux grecs que Gégé avait vus dans son livre d'histoire. Bousingot,
-plus jeune, avait plus de fantaisie que Venceslas. Dès la porte, il
-décochait à la Nature deux ou trois solides saluts d'amitié avec ses
-sabots de derrière:
-
-—Il est gai!—disait Taillard à Gégé, devenu subitement grave.
-
-Car souvent la gaieté des bêtes fait la mélancolie des hommes.
-
-Mais Bousingot, à peine en forêt, reprenait tout son sérieux, et il n'y
-avait pas d'animal plus sage, malgré sa vaillance.
-
-Deux heures durant, on galopait, on voguait à travers ces larges
-canaux de terre grasse et brune qui font de la forêt de Chantilly comme
-la Venise des chevaux. On stoppait quelques instants dans un carrefour
-pour regarder les charges des pur sang à l'exercice, ou d'autres qui
-rentraient à la file en ricanant sous leur camail. On revenait au pas.
-On déjeunait. Et tout de suite, jusqu'au soir, dehors! Explorations
-aux environs en auto, visites aux châtelains d'alentour, tennis ou
-sauteries dans d'autres maisons, Gégé ne chômait pas une minute. Il
-s'était promptement créé des relations dans tout le voisinage, n'y
-comptait pas moins de trois vrais petits amis du sexe mâle, plus une
-petite fiancée très jolie, Janine de Royse. Et, le dîner achevé, il
-avait bien trop sommeil pour se reprocher l'oubli de sa mission.
-
-Parfois cependant des scrupules venaient le taquiner au beau milieu de
-ses plaisirs. Ou bien, quand il écrivait à sa mère, il sentait comme
-des gros flots de vergogne lui monter du cœur au visage. Au fond, ce
-qu'il faisait là, ce n'était pas très chic.
-
-La pluie s'obstinait à ne pas tomber. Huit jours seulement le
-séparaient de la rentrée. D'une façon ou d'une autre, il fallait en
-finir.
-
-Enfin, à force de chercher, il eut une trouvaille. Non, il ne gâcherait
-pas inutilement cette dernière semaine de vacances; il la savourerait
-jusqu'au bout. Mais, par exemple, quoi qu'il arrivât, le jour de son
-départ, en allant à la gare, il dirait tout.
-
-«Ça suffit bien!» conclut-il avec indulgence.
-
-Et, du coup, il recouvra toute sa belle humeur. Elle ne s'atténuait
-qu'aux promenades du matin, où Taillard, depuis quelque temps, ne
-cessait de maugréer contre le pays, les environs, sa propriété.
-Décidément, il ne s'y plaisait pas du tout, oh! mais pas du tout.
-Il avait loué cette sacrée bâtisse avant ces diables d'histoires.
-Et maintenant elle devenait trop grande. A quoi bon ce second étage
-inhabité, ces chambres d'amis sans amis, avec leurs fenêtres aveugles,
-leurs volets toujours clos? A rien qu'à attrister encore la façade.
-Sûrement qu'il n'allait pas moisir dans cette sinistre bicoque! Gégé
-reconduit à Paris, il rentrerait au trot. Et, ouste! les malles, les
-chevaux, les voitures, un écriteau à la grille. Ensuite sous-louerait
-qui voudrait. Parce que, lui, il en avait par-dessus la tête.
-
-Ces doléances quotidiennes assommaient Gégé, non sans l'étonner. Il
-lui semblait revoir son papa d'autrefois, avec la figure méchante,
-les bougonneries perpétuelles, le mécontentement chronique. Voyons,
-la maison, les environs, tout le reste, ne paraissaient pas si mal!
-Certainement qu'il y avait là-dessous d'autres raisons, pour se mettre
-dans un tel état.
-
-En quoi Roger ne jugeait pas trop faux: car ce dont Taillard avait
-par-dessus la tête, ce n'était ni Courteuil, ni la bicoque, ni la
-contrée avoisinante. Son aigreur venait de bien ailleurs.
-
-Au début, le retour à la vie de garçon, la noce en liberté, Nelly
-Jelly, les visites chez l'avoué, tout cela lui avait donné l'illusion
-d'une existence refaite et organisée. Pourtant les charmes de l'accent
-anglais n'ont qu'un temps, la fête à outrance lasse, les joies de la
-procédure sont limitées; et, Nelly Jelly, congédiée avec une honorable
-soulte, les plaidoiries ajournées, sitôt installé à Courteuil, Jacques
-avait soudain perdu l'assurance. Non qu'il fût de ces empruntés qui
-frémissent devant des comptes de cuisinière, et, au surplus, quant à
-la tenue de la maison, Annette y pourvoyait amplement. Mais quelque
-chose manquait à ses instincts bourgeois: une base d'attache, un
-contrepoids, ce qui vous retient sans vous lier, en un mot: le ménage.
-Il se sentait déséquilibré, dépareillé, voué fatalement au ridicule
-d'un mariage nouveau, sinon à la chute dans le collage. Sans oublier
-ce procès douteux où il risquait de laisser son fils, de se diminuer
-un peu plus!... Et, la présence de Roger aidant, graduellement, jour
-par jour, il avait pris le dégoût de son divorce. En somme, malgré un
-affreux caractère, cette Lucie était une bonne fille, une maîtresse
-de maison hors ligne, une mère exceptionnelle. Avant de se fâcher,
-elle en avait subi de toutes les couleurs. Ah! si elle voulait encore
-y mettre un peu du sien, voir les choses en face, se rendre compte de
-la situation, comme ce procès s'arrangerait vite! Et dix fois Jacques
-avait été sur le point de demander à Gégé l'auxiliaire de ses bons
-offices.
-
-Mais le 30 septembre arriva, qu'il hésitait toujours.
-
-Ce matin-là, depuis l'aube, la pluie tombait sans relâche. Le ciel
-étendait à perte de vue un désert gris de fer. Les arbres, avec des
-contorsions de désespoir, pleuraient leurs feuilles sous la rafale. Les
-vitres ruisselantes tremblaient de froid.
-
-C'était bien le temps que Gégé attendait depuis près d'un mois, tout à
-fait le temps qui convenait au dernier jour d'un condamné.
-
-—Quelle sale pluie!—murmura-t-il malgré lui, en regardant à travers la
-fenêtre le parc lamentable avec ses allées jaunies par l'averse et ses
-pelouses noircies de branches mortes.
-
-Puis, le cœur pesant, les mains sans élan, il procéda mollement à ses
-apprêts de voyage.
-
-«Plus que neuf heures!... Plus que huit!... Plus que sept!... Plus que
-six!...»—songeait-il, à chaque tintement de la pendule.
-
-Il se répétait ces chiffres avec moins de crainte que d'impatience. Il
-aurait souhaité être déjà en voiture, seul à côté de son père, et que
-tout fût dit et accompli.
-
-Mais comme, après goûter, on montait en coupé pour se rendre à la gare,
-M. de Royse, le propre père de la petite fiancée, ayant à faire dans
-Chantilly, demanda à Taillard un abri jusque-là.
-
-Gégé en éprouva une sorte de soulagement. Si pressé qu'il fût de
-parler, ce sursis imprévu ne le contrariait pas tant qu'il aurait cru.
-Il le prolongea même au delà de la Grande-Rue, où l'on avait posé M. de
-Royse, car, en wagon, pour causer, on serait beaucoup mieux avec tout
-le laps nécessaire.
-
-Mais, au sifflet de départ, bien que dans le compartiment il n'y
-eût que lui et son père, il recula encore. Il voulait, une dernière
-fois, contempler au passage les étangs de la Reine-Blanche, et, pour
-ne pas les manquer, il s'agenouilla contre la vitre. On sortait des
-bois. Le train passa au-dessus de la vallée. En bas, dans leurs
-impuissants remparts de feuillages, les étangs avaient cet air désarmé
-des pièces d'eau que l'ondée mitraille. Sous le vent, les roseaux
-du bord ne savaient plus où donner de la tête. Seule la petite
-chapelle romantique gardait son impassibilité de presse-papier. Puis,
-brusquement la vision cessa. Le moment était venu. Gégé se retourna
-avec un soupir, et, tout en balançant par contenance la sangle brodée
-de la portière:
-
-—Papa!—fit-il,—je voudrais...
-
-Mais, au même instant, Taillard, lâchant son journal, lui coupa la
-parole:
-
-—Dis-moi un peu, mon petit... Tu es un grand garçon... Je n'ai pas
-à me gêner avec toi... Eh bien! entre nous, je vais te confier une
-chose... J'en ai assez de cette existence de bohème. J'en ai assez de
-ce divorce, de tes randonnées perpétuelles entre les deux maisons,
-de ce procès qui n'en finit pas et dont personne ne sait comment il
-finira... Les juges peuvent très bien te donner complètement à ta
-mère ou complètement à moi... Et alors nous serions jolis!... Tu sais
-que je n'aime pas à faire de l'attendrissement inutile... Mais si, par
-malheur, je perdais, si c'était à moi qu'on t'enlevait, tu vois d'ici
-ma vie... Elle serait impossible, intolérable... Eh bien! pour nous
-tirer de là, il n'y a que toi... Il faut absolument que tu essayes de
-me remettre avec ta mère...
-
-Puis, saisissant la main de Gégé, il continua, d'une voix moins
-saccadée, l'exposé de son plan. C'était le même que celui de Lucie,
-avec les mêmes conseils de prudence, les mêmes recommandations
-d'habileté, les mêmes ruses naïves, les mêmes mots presque, et Gégé,
-les cils baissés, l'écoutait pétrifié.
-
-D'abord, immédiatement, il avait eu l'élan d'arrêter net son père, de
-lui débiter d'un jet tous les vœux de Mme Taillard, si pareils. Mais
-dix questions prévues l'avaient aussitôt muselé: «Pourquoi ne l'avoir
-pas dit plus tôt? Pourquoi avoir attendu tout ce mois? Pourquoi ne
-s'être décidé qu'à la dernière minute?...» Voilà ce qu'infailliblement
-on allait lui demander. Et qu'y répondre?
-
-—Naturellement, ce ne sera pas commode,—acheva Taillard.—Ta mère n'a
-pas toujours eu à se louer de moi... J'ai été souvent un peu dur à son
-égard... Pour commencer, elle fera peut-être des difficultés... Mais,
-si tu insistes, si tu y reviens avec fermeté, je suis convaincu que tu
-la persuaderas...
-
-Et comme Gégé, écartelé entre la honte, l'angoisse, l'indécision, se
-butait dans son silence, Taillard le secoua affectueusement:
-
-—Voyons, mon petit, dis quelque chose... Tu restes là avec un air
-ahuri... Est-ce que, par hasard, cette commission t'ennuierait?
-
-—Pas du tout!—parvint à prononcer Roger.
-
-—Alors, c'est entendu, tu essaieras? Je puis compter sur toi?
-
-—Mais oui, papa!—affirma Gégé presque en larmes.
-
-—Allons, bon! voilà que tu pleures, à présent! Il n'y a pas de quoi,
-bêta: si tu ne réussissais pas, crois-tu que je t'en voudrais? Pas du
-tout!
-
-Et il détourna la conversation sur Bousingot, qu'on ramènerait
-incessamment à Paris, sur l'institution Beaujoint, qui rouvrait
-le lendemain, sur certain pardessus d'hiver, qu'il se proposait de
-commander à Roger. Mais celui-ci ne répondait qu'avec apathie. Ses
-yeux égarés semblaient considérer à l'intérieur un défilé de rêveries
-cruelles. Et, en effet, plus il y réfléchissait, plus sa situation lui
-apparaissait effrayante et inextricable.
-
-De toutes parts il avait l'impression d'être bloqué, traqué, sans
-issue ni refuge. Il ne lui restait même pas la ressource de réparer en
-transmettant les offres de son père. Car, sitôt joints, en quelques
-mots, ses parents se révéleraient son premier silence, sa première
-faute. Et comment la leur expliquer? Comment leur dire la vérité?
-
-Rien qu'à imaginer de si horribles aveux, Gégé se sentait le cœur
-en déroute. Après, que penseraient de lui son père, sa mère, M.
-Lecherrier? Est-ce qu'ils pourraient l'aimer encore, avoir encore
-confiance en lui? Non! Tout, plutôt que d'en tomber là! Même persister
-à se taire, même mentir au besoin, même se charger des pires remords...
-
-—Allons! mon garçon,—s'écria Taillard.—Ne sois donc pas si absorbé: tu
-n'as pas besoin de te créer un monde de cette commission... Tu la feras
-demain, après-demain, quand ça se rencontrera!...
-
-Et, tirant son sac du filet, car on approchait de Paris:
-
-—Pourvu qu'à la fin de la semaine tu aies parlé, c'est largement... Je
-ne rentrerai pas avant samedi... Ainsi, cela te fait six grands jours
-devant toi...
-
-Hélas! ce n'était pas ce qu'il avait devant lui qui inquiétait Gégé,
-c'était ce qu'il avait derrière: tout cet amas de demi-silences, de
-demi-mensonges, de demi-calculs, toute cette vase de vilaines choses où
-chaque effort pour se dépêtrer le faisait enfoncer davantage...
-
-Un farouche sifflement de la locomotive lui donna une commotion. Le
-train courait dans un ravin charbonneux, bastionné de maisons jaunâtres
-et tristes. Des linges de couleur terne pavoisaient les croisées. A sa
-fenêtre, une grosse femme en camisole embrassait un homme en bourgeron
-bleu. On arrivait.
-
-Sur le quai, Roger aperçut Firmin, qui l'attendait pour le conduire
-avenue Marceau. Puis, les bagages délivrés, Taillard mit son fils en
-fiacre:
-
-—Au revoir, mon petit!... A samedi prochain, chez moi, avenue d'Antin...
-
-Et, comme la voiture démarrait, il ajouta avec un clin d'œil
-confidentiel:
-
-—A moins que, d'ici-là, il n'y ait eu du nouveau!
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
-VIII
-
-
-—Comme ça, monsieur Roger s'est bien amusé!
-
-—Très bien!
-
-—Monsieur Roger a bien monté à cheval?
-
-—Oui!
-
-—Monsieur Roger a joliment profité... C'est madame qui va être contente!
-
-—Oui, oui...
-
-La conversation rendait peu. Firmin, à sec d'inventions, se retourna
-vers la portière de droite, tandis que Gégé regardait par l'autre.
-
-Dehors, sous la pluie, les becs de gaz allumés commençaient leur
-faction de nuit dans le crépuscule. A travers la rue Lafayette,
-montait, descendait, pataugeait la bousculade des gens affairés, avec
-leurs vêtements médiocres, leurs mines soucieuses, leurs chapeaux
-hauts de forme,—toute la cohue du labeur parisien, si étrange, si
-nouvelle quand on revient des champs. Les tramways fonçaient lâchement
-sur les fiacres qui se garaient avec dédain et mauvais vouloir. Au
-carrefour Montholon, deux grisettes, sous un parapluie, sourirent
-gentiment à Gégé en lui lançant une plaisanterie. Plus loin, un
-apprenti nu-tête lui tira la langue.
-
-Mais Gégé ne voyait pas, n'entendait pas. Il était tout à ses
-préparatifs. Quoi qu'en eût dit Taillard, il n'y avait pas une
-seconde à perdre. Dès l'arrivée, au saut de la voiture, on pouvait le
-questionner sur sa commission, lui demander des comptes; et il fallait
-savoir quoi répondre.
-
-Rude tâche qu'un grand mensonge pour qui n'en a pas le génie ou
-l'habitude. C'est toute une œuvre à créer, à monter, à mettre en scène.
-Telle version risque de faire rire, telle autre s'expose aux grosses
-objections. Certaines répliques sont à couper alors qu'ailleurs des
-trous fâcheux gâtent l'ensemble. Le ton de voix importe aussi, comme
-le regard, le maintien, le choix des détails. Et Roger, tout neuf
-dans le métier, s'affolait parmi ces combinaisons, ne sachant plus à
-laquelle se vouer, jetant à bas les scénarios aussitôt que dressés, et
-désespérant d'aboutir.
-
-Si bien que la voiture tourna dans l'avenue Marceau, sans qu'il eût
-rien arrêté. Du reste, la tête congestionnée, avec une oppression
-persistante qui lui courait de la gorge aux entrailles, il était à
-bout d'efforts. Et lorsque le cheval du fiacre pénétra sous la voûte
-de l'hôtel en faisant nonchalamment claquer ses fers, il éprouva une
-sensation de délivrance. Tant pis! Trop tard pour trouver maintenant.
-Il parlerait comme il pourrait, comme ça lui viendrait sur le moment.
-
-Cependant, après les premières effusions, le malaise le reprit avec
-violence. En défaisant ses colis, en dînant, en jouant aux dames
-ensuite, il sentait, à toute minute, des émotions qui lui traversaient
-le cœur vivement, comme des petites aiguilles très fines: et, un
-instant, son grand-père l'ayant laissé seul avec Mme Taillard, pour
-chercher un cigare, il s'était cru perdu. Au jeu, il ne suivait pas,
-accumulait les fautes. Les meilleures plaisanteries ne lui arrachaient
-pas un sourire. A la troisième partie, M. Lecherrier finit par
-s'étonner:
-
-—Ah çà! mais tu m'as l'air d'être devenu bigrement sérieux là-bas!...
-On dirait, ma foi, que tu n'es pas content d'être revenu ici?
-
-—Moi!... Ah ben, vrai!—protesta Gégé.—Seulement je me suis levé tôt et
-je suis un peu fatigué.
-
-—Ce n'est que cela? Il fallait l'avouer tout de suite, mon petit... Va
-te coucher au galop; nous terminerons la partie un autre jour...
-
-Gégé, sans se faire prier plus, repoussa sa chaise et vint tendre
-la joue à son grand-père, puis à sa mère. Mme Taillard l'embrassa
-sommairement:
-
-—Sauve-toi, mon chéri... Je monterai tout à l'heure te redire bonsoir
-dans ton lit...
-
-Sous la surcharge de cette bonne promesse, Gégé gravit lourdement
-l'escalier. Cette fois, plus à reculer! Ce serait pour ce soir! Dans
-quelques minutes il faudrait mentir, mentir tout haut, mentir pour de
-bon, mentir! Il se répétait machinalement à mi-voix le mot abominable,
-sans même plus chercher quels mensonges il ferait ni comment il les
-accorderait: «Mentir! Mentir!»
-
-Il se déshabilla d'une main tâtonnante. Et, comme il grimpait dans
-son lit, il entendit sur le palier des pas légers, puis des étoffes
-soyeuses frôlant le tapis du couloir.
-
-Sa mère approchait. Elle allait entrer. Que lui dire?
-
-—Eh bien, mon pauvre Gégé!—soupira Mme Taillard en se penchant sur
-le lit.—J'ai compris, n'est-ce pas?... Ta fatigue n'était qu'un
-prétexte... La vérité, c'est que tu m'apportes des mauvaises nouvelles?
-
-Roger, étendu sur le dos, le regard en fuite, approuva de la tête.
-
-—Voyons, comment ça s'est-il passé? Quand lui as-tu parlé?
-
-Gégé, la voix chancelante, improvisa:
-
-—La semaine dernière, un matin, à cheval, dans la forêt...
-
-—Et qu'est-ce qu'il a répondu?
-
-—Rien.
-
-—Comment, rien?
-
-Gégé, au supplice, corrigea:
-
-—Enfin, il a dit: «C'est bon! je verrai!»
-
-—Pas autre chose?
-
-—Non maman!
-
-—Mais quel air avait-il en disant cela?
-
-—Je n'ai pas vu... Papa était plus haut que moi... Son cheval est plus
-grand que le mien...
-
-—Mais son ton, ses gestes? Paraissait-il fâché, énervé?
-
-—Il me semble...
-
-—Et tu n'as pas renouvelé ton essai?
-
-—Non, j'ai pas osé...
-
-Mme Taillard posa au front de son fils un baiser prolongé, et, avec un
-accent de grande lassitude:
-
-—Que veux-tu, mon pauvre enfant! Tu as fait ce que tu pouvais; nous
-n'avons plus qu'à laisser aller les choses...
-
-Elle redressa l'oreiller, rajusta le drap sur la couverture de satin
-bleu pâle:
-
-—Là, maintenant, dors, mon chéri... Ne te fais pas de souci. Dans tout
-cela, hélas! tu n'es pour rien!
-
-Puis, tournant le bouton de l'électricité, elle se dirigea vers sa
-chambre, dont elle repoussa la porte jusqu'au chambranle.
-
-Gégé, dans l'obscurité, appuyé sur les coudes, écoutait de tout son
-être. Un moment, il crut percevoir des sanglots. Mais la porte presque
-jointe ne laissait échapper que des bruits confus.
-
-Il retomba sur son traversin. Un peu de sueur lui mouillait les tempes.
-Quelle torture! Quelle honte! Quelles minutes terribles!... Et, la
-semaine suivante, avec son père, il faudrait encore inventer d'autres
-mensonges, passer par les mêmes transes, subir les mêmes questions.
-Dans ces conditions, Gégé commençait à trouver que les douceurs du
-divorce se payaient bien cher.
-
-Jamais il n'avait éprouvé pour lui-même un pareil dégoût. A plat
-ventre, la figure contre son oreiller, il chuchotait désespérément:
-
-—Ah! c'est du propre! Ah! c'est du beau!...
-
-Et, par-dessus le marché, personne à qui se confier. Pas même Ribermont
-qui, dans les derniers temps, par son cynisme, avait perdu aux yeux de
-Roger toute espèce de prestige moral. Personne!
-
-Mais soudain, dans ce noir abandon, un nom jaillit comme une lueur de
-sauvetage: l'abbé Moussoir.
-
-C'était un vieil ecclésiastique cévenol qui remplissait chez M.
-Beaujoint des fonctions analogues à celles d'aumônier. Un peu aigri par
-sa carrière sans éclat, impitoyable au catéchisme, pourtant, à certains
-mots, à certains regards attendris sous ses gros sourcils de laine
-grise, on le devinait capable de bonté. Pourquoi ne pas s'adresser à
-lui? La semonce serait sévère, mais le conseil prompt et direct.
-
-Gégé, seulement, se donnait jusqu'à la fin de la semaine pour essayer
-de sortir sans aide de ses mensonges. Passé ce délai, l'abbé saurait
-tout.
-
-Cette perspective d'un refuge possible dans le désastre lui rendit du
-calme. A côté, la lumière s'était éteinte, rien ne bougeait plus.
-Gégé, exténué, s'endormit progressivement.
-
-Et, le lendemain matin, quand il vint dire au revoir à sa mère, il se
-sentait tout ragaillardi, tant par cette nuit de bon sommeil que par
-ses vues sur l'abbé Moussoir.
-
-Mme Taillard, en peignoir de soie vert mousse, examinait des dentelles,
-près de la fenêtre.
-
-—Déjà levée, maman!—s'écria Gégé.
-
-—Oui, mon chéri, j'ai un tas de courses à faire ce matin.
-
-Elle aussi paraissait reposée, le teint frais sous une couche de poudre
-légère, les paupières nettes, sans cernures, et dans les yeux comme une
-clarté de vaillante humeur.
-
-—A propos, mon enfant!—fit-elle, pendant que Roger enfilait son
-paletot. ... Nous avons oublié un détail important... C'est bien
-samedi prochain que tu revois ton père?... Mais où cela? A Paris ou à
-Courteuil?
-
-—A Paris donc! Papa rentre de Courteuil samedi matin.
-
-—Tiens! je croyais qu'hier il était revenu avec toi?
-
-—Oui, mais il ne reste qu'une journée à Paris et il rentre là-bas ce
-soir pour surveiller le déménagement.
-
-—C'est très bien... Alors à tantôt, mon chéri!
-
-Elle savait ce qu'elle voulait savoir. Sitôt Gégé parti, elle sonna la
-femme de chambre:
-
-—Vite, Julie, mon costume tailleur gris... Mon grand chapeau avec des
-roses...
-
-Et, une heure plus tard, au bureau de télégraphe de la rue
-Clément-Marot, elle demandait un petit bleu. Puis, ayant libellé
-l'adresse: «Monsieur Jacques Taillard, 108, avenue d'Antin», elle
-écrivit ces quelques lignes:
-
- _Je voudrais vous parler. Je vous attendrai, ce soir, à six
- heures, en voiture, avenue du Bois, côté gauche, entre le 19 et le
- 21. Si, vraiment, vous ne me haïssez pas trop, venez._
-
- LUCIE.
-
-Avant de glisser le télégramme sous la languette de cuivre, elle eut
-une dernière hésitation. C'était peut-être une énorme bêtise que
-cette lettre, une maladresse sans nom que cette démarche. Mais quand
-l'incertitude n'est plus tenable, quand on veut à tout prix reconquérir
-son fils, qu'importent les petits risques d humiliation ou de ridicule?
-Est-ce que ces choses-là doivent compter pour une mère? Et, d'une
-héroïque chiquenaude, elle lança dans la boîte son projectile de papier
-bleu.
-
-Une fois rentrée, elle s'était bien promis de sortir dès le déjeuner et
-de multiplier les achats, les commandes, les courses, jusqu'à la nuit,
-pour se distraire. Cependant, au moment de se rhabiller, le courage lui
-manqua. A quoi bon traîner de force dans les magasins ses inquiétudes
-et ses espoirs dont rien ne la détournerait? Pourquoi gaspiller là
-des énergies dont elle n'allait avoir que trop besoin? Elle demeura
-donc toute la journée dans sa chambre, comme une malade qui se ménage
-avant l'opération. Elle ne pouvait, du reste, ni lire, ni broder, ni se
-mouvoir, engourdie au fond de sa bergère par dix questions, toujours
-les mêmes, dont le bourdonnement ne cessait pas. Jacques viendrait-il?
-S'il venait, que lui dire? S'il refusait le retour à la vie commune,
-quel parti adopter? Le supplier sans orgueil? Ou renoncer avec dignité?
-Et s'il ne venait pas, quelle riposte choisir? Le silence méprisant? Ou
-la lettre cruelle?
-
-Elle s'interrogeait encore, que le jour commença à baisser. Alors,
-vivement, elle s'apprêta: une toilette très simple, un vaste voile noir
-formant cloche, beaucoup de son mélange au white rose.
-
-Puis, à peine dehors, ayant rencontré un fiacre fermé, elle se fit
-mener au rendez-vous.
-
-Quoique en avance, elle n'eut pas à s'impatienter. De loin, au bord du
-trottoir, sous un bec de gaz, elle avait immédiatement reconnu Jacques,
-sa cape en feutre beige posée un peu de côté, sa svelte et vigoureuse
-stature sanglée dans un complet de cheviotte marron.
-
-—Eh bien?—questionna-t-il gaiement, après avoir ordonné au cocher de
-les conduire vers le Bois.
-
-—D'abord merci, mon ami... Mais savez-vous seulement pourquoi je vous
-ai prié de venir?
-
-—En voilà une question! C'est pour nous remettre ensemble, je suppose.
-
-Elle murmura, d'une voix qui tremblait:
-
-—C'est vrai?... Vous voudriez bien?...
-
-—Dame! sans cela, pourquoi serais-je ici?
-
-—Mais ce que vous avez dit à Gégé?...
-
-—Gégé aura mal fait ma commission, mal répété mes paroles... Et puis à
-quoi bon épiloguer sur tout cela? Grâce à ce brave enfant, nous voilà
-réunis pour nous entendre, pour causer... Si tu veux, causons, ma
-petite...
-
-Il corroborait ce tutoiement d'une tendre pression de la main. Lucie
-retira pudiquement ses doigts; mais, comme il n'insistait pas, tout en
-parlant, peu à peu, d'elle-même, elle ramena sa main dans la main de
-Jacques. Au bout d'un instant, d'ailleurs, abdiquant toute grandeur
-tragique, elle s'était remise d'instinct à le tutoyer aussi. Et l'on
-s'occupa rapidement de régler l'avenir. D'abord, on n'habiterait plus
-avenue d'Antin, où planaient trop de mauvais souvenirs. On louerait
-autre part; et, en attendant que le logis fût prêt, on irait avec Gégé
-s'installer une pièce de deux mois à Courteuil, histoire de refaire
-connaissance et de se pardonner dans l'intimité ses petits méfaits
-respectifs.
-
-Puis, alors, n'ayant plus rien à se dire ils passèrent naturellement
-du silence aux baisers. Dans l'ombre du fiacre qui allait au pas,
-Lucie avait la malicieuse impression qu'un amant nouveau la pressait
-dans ses bras, et Jacques, partageant sans doute l'illusion, faisait
-tout ce qu'il fallait pour la fortifier. Néanmoins, durant une pause,
-il demanda la permission de consulter sa montre, et, grattant une
-allumette:
-
-—Bon sang!—dit-il.—Sept heures moins le quart!... J'ai raté mon train.
-
-—Pauvre chou!—s'écria Lucie distraitement.—Où vas-tu dîner?
-
-—Dans un cabaret quelconque...
-
-—Viens donc plutôt dîner à la maison chez papa.
-
-Jacques la considéra, stupéfait:
-
-—Non?
-
-—Oh! puisque tôt ou tard, il faudra le mettre au courant, pourquoi pas
-ce soir?
-
-—Tu crois? C'est peut-être une idée...
-
-Et, se penchant par la portière, il cria au cocher l'adresse de
-l'avenue Marceau.
-
- * * * * *
-
-Au même moment, en compagnie de Firmin, Gégé quittait à pied
-l'institution Beaujoint. Dans le brouhaha de la reprise scolaire,
-son secret lui avait semblé moins lourd que la veille. Et, sans y
-renoncer absolument, le recours à l'abbé Moussoir ne lui paraissait
-plus si indispensable. En manière de mortification, toute la journée,
-il s'était appliqué à ses devoirs et à ses leçons comme jamais il ne
-l'avait fait. Il rapportait un carnet de correspondance criblé de
-mentions excellentes: grammaire française, _très bien_;— histoire,
-_très bien_;—conduite, _bien_;—récitation, _très bien_; le reste
-à l'avenant. Alors, de tant de bonnes notes, sa culpabilité ne
-devait-elle pas être un peu amoindrie? Qui sait même si, en continuant
-dans cette voie, il n'arriverait pas à liquider entièrement ses comptes
-de conscience? Il se voyait déjà premier dans toutes les branches,
-raflant tous les prix de fin d'année, réhabilité par le travail. Et il
-en oubliait tout à fait Firmin, qui cheminait tristement derrière sans
-pouvoir s'expliquer cette nouvelle disgrâce.
-
-Il daigna cependant lui adresser la parole, en apercevant, au
-porte-manteau du vestibule, près du large chapeau de M. Lecherrier, un
-élégant melon de feutre beige.
-
-—Tiens, qui dîne ici?
-
-—Je ne sais pas, monsieur!—répliqua Firmin sur un ton de froide réserve.
-
-Gégé, très intrigué, n'en monta pas moins vers sa chambre pour y faire
-le bout de toilette réglementaire.
-
-Mais à l'entresol, il entendit dans le fumoir une rumeur de causerie
-si animée que, malgré lui, il s'arrêta. Qui pouvait bien être là?
-Bah! on n'avait qu'à regarder. Et, sa casquette aux doigts, comme par
-étourderie, il ouvrit d'un seul trait la porte.
-
-Grand Dieu! Pas possible!... Mais si!... Là-bas, au fond de la pièce,
-sur le divan, la main dans la main, c'était bien son père et sa mère
-qu'il voyait, et en face d'eux, dans un fauteuil, M. Lecherrier qui, le
-binocle au nez, parcourait tranquillement le _Temps_.
-
-Au bruit de la porte, tous s'étaient retournés.
-
-—Ah! voilà votre petite victime!—annonça M. Lecherrier avec bonhomie.
-
-—Dites plutôt notre petit sauveur!—rectifia Taillard.
-
-Et avant que Roger, blême d'épouvante, eût pu se retourner, proférer
-un mot, on l'enlevait du sol, on l'étouffait de baisers, on se
-le repassait de bras en bras, avec accompagnement d'apostrophes
-passionnées: «Mon bon loup, mon amour, mon ange, mon trésor!...» On
-recommençait, on ne se lassait pas. Enfin Taillard arracha son fils à
-ce maelstrom de caresses, et, le reposant à terre:
-
-—Hein, mon garçon, ça n'a pas traîné! Tu ne t'attendais pas à celle-là?
-
-—Oh! non!—exhala sincèrement Gégé.
-
-—Mais regarde-moi donc, mon chéri!—fit Lucie.—Tu es tout pâle...
-Qu'est-ce que tu as?
-
-—Ce qu'il a?—interrompit fort à propos M. Lecherrier.—Tu demandes
-ce qu'il a? Il est bouleversé, ce petit... On le serait à moins...
-N'est-ce pas, Gégé, l'émotion t'a donné un coup?
-
-—Oui, grand-papa, c'est ça!
-
-—Parbleu!... Alors, va vite te passer de l'eau sur la figure pour te
-remettre... Et tu nous rejoindras en bas, parce que, moi, je commence à
-avoir une faim peu commune!
-
-Roger sortit d'un pas automatique et, pour grimper, empoigna la rampe.
-La dépression maintenant l'accablait. Des tremblements vibraient dans
-ses jambes. Il avait le cerveau brouillé et endolori, comme si on lui
-eût mis la tête à l'envers... Quelle histoire! C'était positivement à
-devenir fou! Comment! Ses parents se réconciliaient, les adversaires
-fraternisaient. Et, au lieu de reproches, d'outrages, de mépris, on
-l'embrassait, on le fêtait, il était le petit sauveur!... Plus tard,
-sans doute, l'énigme s'éclaircirait. Mais, pour le moment, il ne
-fallait pas essayer de comprendre.
-
-Par contre, peu à peu, il éprouvait une étrange sensation d'allégement.
-Il ne croyait pas à son amnistie totale, il se savait toujours sous
-le coup de sa faute. Pourtant il lui semblait que toutes ses hontes,
-toutes ses craintes, s'en allaient par une fuite cachée, tandis
-qu'un bien-être nouveau montait doucement à leur place. Il se sourit
-dans le miroir de la toilette avec sympathie. En somme, tout cela ne
-s'arrangeait pas si mal!
-
-Mais il achevait à peine cette constatation qu'un choc brutal lui
-heurta le cœur. Et, de chagrin, il lâcha sa brosse à ongles, qui coula
-à pic au fond de la cuvette...
-
-Il venait de revoir brusquement la réalité que depuis deux jours
-lui masquaient ses remords: le divorce abandonné, le divorce rompu,
-c'est-à-dire ce qu'en secret il redoutait le plus, ce qu'il avait
-d'instinct tout fait pour retarder indéfiniment!...
-
-Voilà qui devenait autrement grave que de simples problèmes de
-conscience. A présent, plus à compter sur les remises possibles, sur
-les silences, sur les hasards! La paix était signée. Le bon temps
-finissait. C'était bien le triste retour à jadis. C'était la rentrée!
-
-Gégé, avant d'éteindre, parcourut encore d'un coup d'œil d'adieu la
-petite chambre bleu de lin, où, à côté de sa mère, à deux pas de son
-grand-père, il avait dormi tant de nuits heureuses, passé tant de
-journées bienfaisantes.
-
-Puis, mélancoliquement, marche à marche, il descendit l'escalier.
-
-Dans la salle à manger, on terminait presque le potage.
-
-Roger s'assit vis-à-vis de son père, entre sa mère et M. Lecherrier.
-Tous trois lui souriaient d'un air de connivence.
-
-—Eh bien, mon petit!—demanda Taillard,—j'espère que tu es content?
-
-—Je te crois!—riposta Gégé, avec un flegme fort au-dessus de son âge.
-
-
-FIN
-
-
-
-
-ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HÉRISSEY ET FILS
-
-
-
-
-LIBRAIRIE OLLENDORFF
-
-Œuvres de Fernand Vandérem
-
-
- LA CENDRE
-
- CHARLIE
-
- LE CHEMIN DE VELOURS
-
- LES DEUX RIVES
-
- LE CALICE (Pièce)
-
- LA PATRONNE
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-
-
-
- Gautherin-Leemans, typographes.—Paris
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME ***
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- The Project Gutenberg eBook of La Victime, by Fernand Vandérem.
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-
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- </head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
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-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: La victime
-
-Author: Fernand Vandérem
-
-Release Date: March 5, 2016 [EBook #51373]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<div class="transnote p2">
-<div class="chapter">
- <h3>Note de transcription: </h3>
-</div>
- <p>Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
- L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été conservées et n'ont pas
- été harmonisées.</p>
-</div>
-
-<p class="ac p4 larger">LA VICTIME</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="ac p4">DU MÊME AUTEUR</p>
-
-<p><b>La Cendre</b> (roman), 1 vol.</p>
-
-<p><b>Charlie</b> (roman), 1 vol.</p>
-
-<p><b>Les Deux Rives</b> (roman), 1 vol.</p>
-
-<p><b>Le Chemin de velours</b> (contes), 1 vol.</p>
-
-<p><b>La Patronne</b> (roman), 1 vol. illustré.</p>
-
-<p><b>Le Calice</b> (pièce), 1 vol.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="p4">
- <div class="figcenter"><a name="title_page.jpg" id="title_page.jpg"></a>
- <img src="images/title_page.jpg"
- alt="Page de titre" />
- </div>
-</div>
-
-<p class="ac p6">
-FERNAND VANDÉREM</p>
-
-<h1 class="p2">La<br />
-Victime</h1>
-
-<p class="ac p3">
-<i>Deuxième édition</i></p>
-
-<div class="p2">
- <div class="figcenter"><a name="logo.jpg" id="logo.jpg"></a>
- <img src="images/logo.jpg"
- alt="Logo" />
- </div>
-</div>
-
-<p class="ac p3">
-<span class="larger">PARIS</span><br />
-SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES<br />
-<span class="smaller"><i>Librairie Paul Ollendorff</i><br />
-50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50</span></p>
-<p class="ac smaller">1907</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-
-<p class="ac">A<br />
-<br />
-<span class="larger">G. LENOTRE</span></p>
-
-<p class="ac p2">EN TOUTE AFFECTION</p>
-
-<p class="ml60 p2">F. V.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="ac p2">
-IL A ÉTÉ TIRÉ A PART:<br />
-<br />
-Cinq Exemplaires sur papier du Japon.<br />
-Vingt-cinq Exemplaires sur papier de Hollande.<br />
-<br />
-Numérotés à la presse.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[Pg 1]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_007.jpg" id="i_007.jpg"></a>
- <img src="images/i_007.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="I" id="I"></a>I</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Comme on menait «Gégé» au Nouveau-Cirque,
-Jacques Taillard avait dit
-qu'on commençât à dîner sans lui, tandis
-qu'il s'habillerait.</p>
-
-<p class="i1">—Naturellement!—s'était récriée
-M<sup>me</sup> Taillard, en passant à table avec
-Gégé.</p>
-
-<p class="i1">Et il n'en avait pas fallu plus pour
-que celui-ci se sentît envahi par les plus
-noirs pressentiments.</p>
-
-<p class="i1">Non pas que, d'ordinaire, Roger Taillard
-en fût encore à s'alarmer d'une dispute
-<span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[Pg 2]</a></span>
-éventuelle entre son père et sa mère.
-Malgré ses onze ans et demi, depuis le
-temps qu'il assistait à leurs querelles
-presque quotidiennes, il avait fini par
-n'y plus prendre garde. Il s'y était habitué
-peu à peu, comme on se fait graduellement
-aux obligations domestiques,
-aux charges de famille. Elles lui causaient
-toujours un profond ennui. Elles ne lui
-inspiraient plus jamais ni réflexion, ni
-curiosité, ni crainte.</p>
-
-<p class="i1">Mais, les soirs où on le conduisait
-au théâtre, ce détachement coutumier
-l'abandonnait soudain. Du coup, Gégé
-devenait comme un loup de mer sur le
-point d'embarquer. Les moindres indices
-d'orage le bouleversaient. Il savait
-combien deux époux qui tiennent une
-bonne dispute ont peine à lâcher prise.
-<span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[Pg 3]</a></span>
-Et il redoutait sans cesse qu'au dernier
-moment une scène engagée mal à propos
-ne vînt compromettre le départ ou ne le
-fît ajourner à une date indéterminée.
-Cette catastrophe s'était déjà produite
-l'année précédente, une fois qu'on devait
-le mener au Châtelet. Crève-cœur qui
-marque dans une vie d'enfant et qui ne
-s'oublie pas de sitôt!</p>
-
-<p class="i1">Roger n'avait donc pas noté sans
-appréhension le petit retard de son père,
-puis l'adverbe plein d'aigreur dont sa
-mère avait apprécié ce retard.</p>
-
-<p class="i1">Et la figure de M<sup>me</sup> Taillard, qu'il surveillait
-à la dérobée, n'était guère d'aspect
-à le rassurer. Même pour un physionomiste
-moins exercé que lui, elle
-offrait les signes de la plus sombre préoccupation.
-Mais qu'est-ce qui pouvait<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[Pg 4]</a></span>
-affecter si fort M<sup>me</sup> Taillard? Sûrement
-pas une question de coquetterie. Jamais
-elle n'avait été plus jolie que ce soir
-avec sa robe de dentelle noire et cette
-minuscule capote de tulle qui planait
-sur ses cheveux cannelle comme une
-gentille fumée bleu pâle. Le retard de
-son mari peut-être? Non, puisque, sous
-un prétexte ou sous un autre, Jacques
-s'arrangeait toujours pour ne figurer
-qu'aux deux tiers du repas, soit qu'il
-n'arrivât qu'au second plat, soit qu'il
-sortît de table, le dessert à peine servi.
-Il devait donc y avoir autre chose.
-Quoi donc?</p>
-
-<p class="i1">Oh! un accident bien banal, que Gégé
-avait mille excuses pour ignorer et d'où
-naît souvent tout le souci de beaucoup de
-<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[Pg 5]</a></span>
-femmes: M<sup>me</sup> Taillard n'était pas contente
-de son dernier rendez-vous avec
-Alcide Barbier. Et il n'y avait là de sa
-part ni douilletterie sentimentale, ni
-folles exigences.</p>
-
-<p class="i1">En cédant, six mois avant, à Alcide
-Barbier, Lucie Taillard ne croyait pas
-plonger dans ce tourbillon de délices où
-vous emportent les grandes passions.
-Elle obéissait plutôt à l'usage qui veut
-qu'une femme ne se laisse pas tromper
-indéfiniment sans représailles. Et, sur
-une nouvelle fredaine de Jacques, elle
-s'était alors décidée pour Alcide Barbier,
-qui se trouvait de son entourage, et, justement,
-ne demandait pas mieux.</p>
-
-<p class="i1">Du reste, retenu chaque jour jusqu'à
-cinq heures par l'importante raffinerie
-de pétroles que sa femme lui avait
-apportée en dot, bon musicien, la poitrine
-<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[Pg 6]</a></span>
-large, un souple carré de barbe
-rousse sous une figure sans âpreté, loyal,
-docile et très épris, Alcide constituait un
-choix pratique autant qu'honorable. Mais
-en amour, la première flambée morte,
-les qualités cessent de briller. On ne
-distingue plus que les lacunes. Or si
-tendre, si délicat que se montrât le jeune
-usinier, il manquait vraiment de fantaisie
-et d'esprit à un point qui n'est pas
-permis. Les caresses, les attentions, la
-musique ne sont pas tout. Une femme
-souhaite qu'on l'amuse. Et, cet après-midi,
-M<sup>me</sup> Taillard s'était tellement ennuyée
-que des remords lui venaient presque
-avec de vagues idées de rupture.</p>
-
-<p class="i1">Elle s'imposa pourtant un effort en
-faveur de son fils, et, la voix distraite, le
-regard ailleurs:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[Pg 7]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Eh bien! mon chéri,—demanda-t-elle,—tu
-es content d'aller là-bas?</p>
-
-<p class="i1">—Bien sûr, maman!—fit Roger.</p>
-
-<p class="i1">Puis ce fut tout. M<sup>me</sup> Taillard était rentrée
-dans sa mélancolie comme dans une
-cabine. Gégé commença à s'inquiéter
-sérieusement. Pour peu que son père fût
-dans des dispositions analogues, voilà
-qui promettait!</p>
-
-<p class="i1">Cependant l'entrée de Jacques Taillard
-lui rendit quelque espoir.</p>
-
-<p class="i1">Ainsi que d'habitude, il s'était assis
-vis-à-vis de sa femme sans lui adresser
-la parole et, à présent, il mangeait en
-hâte pour rattraper. A son tour, il interrogea:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien! Roger! tu es content
-d'aller là-bas?</p>
-
-<p class="i1">—Oh! oui, papa,—fit Gégé.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[Pg 8]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Cet échange de propos ne donna pas
-plus de résultat que le précédent. Jacques,
-sans insister, s'était remis à manger.
-Mais, à l'inverse de M<sup>me</sup> Taillard, il y
-avait sur tout son visage comme un vernis
-de bonne humeur. Ne venait-on pas
-avant dîner de le présenter à Nelly Jelly,
-la petite danseuse américaine des Ambassadeurs,
-que depuis un temps infini il
-voulait s'offrir, sans trouver l'occasion?
-Une veine inespérée, quoi! Avec ça, pas
-l'ombre de manières: le rendez-vous
-dans les vingt-quatre heures. Et, en se
-rappelant cet accord si facile, si rondement
-conclu, Taillard ne pouvait se
-défendre de sourire tour à tour à tous les
-objets qui couvraient la table...</p>
-
-<p class="i1">Devant tant de symptômes favorables
-Gégé poussa un soupir rassuré.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[Pg 9]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Mais, par malheur, dans l'état de ses
-nerfs, M<sup>me</sup> Taillard n'était pas femme à
-supporter longtemps le spectacle de cette
-songerie joyeuse. Tant de gaieté quand
-elle était si triste lui semblait de la provocation.
-Sans compter qu'elle connaissait
-son bonhomme sur le bout du doigt:
-certainement, il y avait de la femme là-dessous.
-Et comme Jacques venait encore
-d'adresser au compotier de droite le sourire
-le plus bienveillant, elle n'y tint plus.
-Coûte que coûte, elle avait besoin de
-soulever un incident, et, se ramassant:</p>
-
-<p class="i1">—A propos!—fit-elle d'une voix
-acérée,—tu as bien téléphoné avenue
-Marceau le numéro de la loge?</p>
-
-<p class="i1">—Totalement oublié!—avoua
-Jacques en levant la main dans un geste
-de regret sommaire.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[Pg 10]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Comment! Tu savais que papa se
-faisait une fête d'aller au Cirque avec
-cet enfant! Et tu oublies de le prévenir!
-Non, c'est fantastique!</p>
-
-<p class="i1">Jacques ne répondit pas. Le petit nez
-droit de M<sup>me</sup> Taillard s'était tout aminci
-de colère, ce qui précisait sa ressemblance
-avec un crayon bien taillé. Gégé,
-au comble de l'angoisse, ne quittait plus
-du regard les deux adversaires.</p>
-
-<p class="i1">—D'ailleurs,—poursuivit Lucie,—je
-m'explique que tu aies oublié... Un
-homme qui a tant à faire!...</p>
-
-<p class="i1">En toute autre circonstance, cette
-ellipse eût déchaîné une scène infernale,
-M<sup>me</sup> Taillard sachant mieux que personne
-les mille occupations qui encombrent
-la vie d'un désœuvré. Mais rien
-ne rendait Jacques conciliant comme
-<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[Pg 11]</a></span>
-d'avoir de la dame sur la planche; et, au
-lieu de se fâcher, au lieu même d'invoquer
-les deux heures qu'il allait de temps
-en temps passer sur les marches de la
-Bourse ou à la charge de son oncle
-Ernest, il observa modestement:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, il n'y a qu'à faire téléphoner
-à ton père maintenant...</p>
-
-<p class="i1">Puis, se tournant vers le valet de
-chambre:</p>
-
-<p class="i1">—Joseph, posez ce plat et téléphonez
-tout de suite à M. Lecherrier que nous
-l'attendons ce soir au Nouveau-Cirque,
-loge 30.</p>
-
-<p class="i1">Après trois minutes qui semblèrent à
-Roger en durer au moins dix, Joseph
-reparut et dit:</p>
-
-<p class="i1">—M. Lecherrier était sorti... Il ne dîne
-pas là et on ne sait pas où il dîne.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[Pg 12]</a></span></p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard déclara:</p>
-
-<p class="i1">—C'était à prévoir!... Papa sera
-désolé!</p>
-
-<p class="i1">—Ce qui ne l'empêchera pas d'avoir
-passé aujourd'hui une soirée excellente!—remarqua
-Jacques sans acrimonie.</p>
-
-<p class="i1">—Qu'en sais-tu?</p>
-
-<p class="i1">—Effectivement, je n'en sais rien...
-Mais je connais ton père... Il n'est pas
-dans ses us de dîner tout seul... Alors
-je suis en droit de supposer que ce soir
-il ne s'ennuiera pas.</p>
-
-<p class="i1">—Papa fait ce que bon lui semble et
-il n'a pas de comptes à te rendre.</p>
-
-<p class="i1">—Est-ce que je lui en demande?</p>
-
-<p class="i1">—Non, mais tu te permets à son
-sujet des insinuations du plus mauvais
-goût, surtout en présence de cet enfant.
-Tu ferais bien mieux de t'excuser de ton
-<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[Pg 13]</a></span>
-égoïsme et de ta négligence sans nom.</p>
-
-<p class="i1">—Dis-moi, en as-tu encore pour
-longtemps comme cela?—questionna
-Jacques, chez qui la colère effaçait peu
-à peu l'image apaisante de Nelly Jelly.</p>
-
-<p class="i1">—Pour aussi longtemps que je voudrai.
-Si cela te déplaît, je regrette. Tu
-n'avais qu'à ne pas commettre cette
-goujaterie.</p>
-
-<p class="i1">Le terme était excessif, impropre,
-mais la soulageait. Elle se tut. Jacques
-tirait sur sa fine moustache dorée, qu'on
-eût dite tracée à la plume, puis il laissa
-simplement tomber ces mots:</p>
-
-<p class="i1">—C'est curieux comme une femme
-peut devenir bête, à fréquenter les imbéciles!</p>
-
-<p class="i1">—Je ne comprends pas!—fit Lucie
-qui frémissait de comprendre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[Pg 14]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Mettons «raseurs», et n'en parlons
-plus!</p>
-
-<p class="i1">—Si, parlons-en! De qui s'agit-il?</p>
-
-<p class="i1">—Devine!</p>
-
-<p class="i1">L'allusion crevait les yeux. Elle ne
-concordait que trop avec les souvenirs
-de l'après-midi. Et ce n'était d'ailleurs
-pas la première fois que Jacques contestait
-la qualité d'amuseur à Alcide Barbier,
-dont les assiduités auprès de Lucie,
-sans l'émouvoir, l'agaçaient.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard cependant cherchait une
-réponse venimeuse, terrible, et, ne trouvant
-pas:</p>
-
-<p class="i1">—Tiens, tu avais raison... Finissons!...
-Il y a des gens avec qui il vaut
-mieux ne pas discuter.</p>
-
-<p class="i1">Jacques, satisfait par la faiblesse de
-cette réplique, haussa les épaules. Joseph
-<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[Pg 15]</a></span>
-rentrait portant le café. Roger profita de
-la diversion pour demander si on lui
-permettait un canard.</p>
-
-<p class="i1">—Oui, mon chéri!—firent en
-même temps M. et M<sup>me</sup> Taillard d'une
-voix soudainement angélique.</p>
-
-<p class="i1">Puis, le canard pris, Lucie ajouta du
-même ton:</p>
-
-<p class="i1">—Maintenant Gégé, il faut aller achever
-ta toilette...</p>
-
-<p class="i1">—Oui, va t'habiller, mon petit!—approuva
-non moins suavement Taillard.</p>
-
-<p class="i1">Roger glissa à bas de sa chaise; mais
-cet accent si doux ne lui laissait aucune
-illusion. Dès le début, il avait eu la
-nette impression que son Nouveau-Cirque
-était dans l'eau. Et maintenant,
-pour un connaisseur tel que lui, il n'y
-<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[Pg 16]</a></span>
-avait nulle chance que la dispute en
-demeurât là.</p>
-
-<p class="i1">Ce fut donc d'une allure nonchalante
-qu'il regagna sa chambre, comme quelqu'un
-qui va accomplir le geste inutile
-et la formalité superflue. Pourtant quand
-il aperçut bien étalés, au travers du lit,
-le smoking des galas, les gants blancs,
-le pardessus clair,—ce résidu d'espoir
-qui survit aux pires désastres lui souffla
-que peut-être tout n'était pas perdu.
-Qui sait, si en se dépêchant, il ne pourrait
-pas rejoindre ses parents avant une
-reprise des hostilités, puis étouffer la
-querelle en précipitant le départ? Et
-il commanda à la vieille femme de
-chambre qui cousait sous une lampe, le
-menton au genou:</p>
-
-<p class="i1">—Annette! Nous sommes très en
-<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[Pg 17]</a></span>
-retard! Vite, mes affaires! Vite, vite!</p>
-
-<p class="i1">—«S'il vous plaît, mon chien!»—réclama
-protocolairement Annette, qui
-tenait à achever le point commencé.</p>
-
-<p class="i1">—S'il vous plaît! concéda avec
-révolte Gégé.</p>
-
-<p class="i1">En un instant, il eut revêtu le smoking.
-Il trépignait tandis qu'Annette lui
-nouait, sous le petit col carcan, sa correcte
-cravate de soie noire. Puis, son
-paletot jeté sur le bras, il s'élança vers
-la salle à manger comme un jeune pompier
-qui court au feu.</p>
-
-<p class="i1">Mais, dès le seuil de l'antichambre,
-partant de la pièce voisine, des vociférations
-frénétiques l'arrêtèrent sur place.
-Trop tard! La scène avait repris, faisait
-rage!</p>
-
-<p class="i1">Roger hésita. Peut-être qu'attendre
-<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[Pg 18]</a></span>
-une accalmie serait plus malin. Baste!
-autant en finir tout de suite. Et, comme
-on ouvre la porte d'un malade, avec de
-pieuses précautions, il tourna le bouton
-de la salle à manger. Il n'avait risqué
-que la tête. Les clameurs cessèrent du
-coup.</p>
-
-<p class="i1">—Une minute, Gégé!—dit Taillard
-qui était debout, livide.</p>
-
-<p class="i1">—Oui, tout à l'heure, mon chéri!—confirma
-de sa place M<sup>me</sup> Taillard
-avec un geste dilatoire.</p>
-
-<p class="i1">Évidemment, on les dérangeait. Ils
-en voulaient encore. Roger comprit. Il
-retira sa tête, referma la porte sans bruit,
-puis, lentement, il se hissa sur la haute
-banquette Henri II qui, avec un maigre
-régulateur Louis XIII, était la gloire de
-l'antichambre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[Pg 19]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Il se mit à enlever un à un les doigts
-de ses gants. Pendant un moment,
-l'orgueil de voir ses prévisions si exactement
-réalisées et aussi une sorte
-d'amour-propre l'avaient soutenu. Mais
-à présent, il n'éprouvait plus que de
-l'accablement. Il se demandait ce qu'il
-dirait, le lendemain, à son vieux Pierre
-de Ribermont, quand celui-ci l'interrogerait
-sur les détails de la soirée. Il
-essayait de se remémorer tous les numéros
-du Nouveau-Cirque, étudiés la veille
-sur l'affiche illustrée: et il était contraint
-à d'extraordinaires clignements
-pour se conserver les yeux secs.</p>
-
-<p class="i1">L'apparition de Joseph, qui allait
-chercher Annette toujours en retard
-pour dîner, le rappela à la dignité.</p>
-
-<p class="i1">Il se retrouva la force de chantonner
-<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[Pg 20]</a></span>
-un petit air gaillard en tambourinant du
-talon sur les précieux bas-reliefs du
-siège.</p>
-
-<p class="i1">Puis quand, au retour, Annette s'écria
-avec compassion: «Eh bien! mon
-pauvre petit Gégé, pas encore parti!...»
-il se domina assez pour répondre:</p>
-
-<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p>
-
-<p class="i1">Mais il était à bout de vaillance. Et,
-sitôt les domestiques dans le couloir, ses
-larmes lui échappèrent et il s'en donna,
-à tout cœur, de sangloter tant qu'il pouvait.</p>
-
-<p class="i1">Dans l'ombre, avec son chapeau de
-travers, ses jambes pendantes contre la
-banquette, et cette désolation sans frein,
-il présentait assez l'aspect d'un petit
-garçon égaré sur la voie publique.
-Jamais il n'avait ressenti une détresse
-<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[Pg 21]</a></span>
-pareille. Ce n'était plus seulement sur
-le Nouveau-Cirque qu'il pleurait, c'était
-aussi sur un tas de choses qu'il évoquait
-confusément: la tristesse des
-repas toujours silencieux, la physionomie
-de ses parents toujours en embuscade,
-l'incertitude de ses joies toujours
-menacées.</p>
-
-<p class="i1">Il existait pourtant des enfants chez
-qui cela se passait autrement. Chez
-beaucoup de ses camarades, chez les
-Ribermont, chez les Thomas, chez les
-Bachicourt, par exemple, on ne se querellait
-jamais, ou pour ainsi dire jamais.
-Gégé ne l'ignorait pas, les ayant
-questionnés là-dessus. Alors pourquoi
-chez lui la dispute était-elle à demeure?
-Et puis à quoi bon être mariés si c'est
-pour se faire tout le temps des scènes?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[Pg 22]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Il allait peut-être, entre deux sanglots,
-trouver la solution de ces problèmes,
-quand la porte de la salle à manger
-livra passage à M<sup>me</sup> Taillard. Elle avait
-les yeux rouges, le nez dépoudré et une
-grimace oblique qui s'efforçait d'être un
-sourire. Elle s'approcha de Roger, et,
-les deux mains à ses épaules:</p>
-
-<p class="i1">—Mon cher petit,—dit-elle,—il va
-falloir être un homme!...</p>
-
-<p class="i1">—Bon, ça y est!—pensa Gégé, qui
-savait tout ce qu'il en coûte aux enfants
-chaque fois qu'on fait appel à leur
-virilité.</p>
-
-<p class="i1">—Il va falloir être très raisonnable...
-Nous n'irons pas ce soir au Nouveau-Cirque...
-D'abord, il serait trop tard...
-Ensuite, ton père et moi nous avons
-encore à...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[Pg 23]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Elle chercha son mot:</p>
-
-<p class="i1">—Nous avons encore à causer...
-Alors, à la place, nous irons la semaine
-prochaine. Maintenant tu vas te coucher
-gentiment, et d'ici peu, tu verras, je te
-promets une jolie compensation... Tu
-es content comme cela?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, maman!—répliqua Roger,
-sentant la vanité de toute dénégation.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard le souleva dans ses bras
-avec ferveur en murmurant:</p>
-
-<p class="i1">—Tu es un bon petit Gégé!</p>
-
-<p class="i1">Puis, le remettant à terre:</p>
-
-<p class="i1">—Va dire bonsoir à ton père!</p>
-
-<p class="i1">Elle le poussa doucement vers la salle
-à manger. Taillard virait autour de la
-table, comme occupé à établir un record.
-Des serviettes en boule traînaient sur le
-tapis. Un verre renversé avait fait à
-<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[Pg 24]</a></span>
-travers la nappe une large tache couleur
-d'améthyste. Roger tendit la joue à son
-père qui, d'instinct, tendit aussi la
-sienne. Les deux joues se heurtèrent
-mollement et, après ce baiser rudimentaire,
-Taillard déclara:</p>
-
-<p class="i1">—Allons, je vois que nous sommes
-un brave petit Gégé, mais avec moi, tu
-sais, on ne perd rien pour attendre!</p>
-
-<p class="i1">Roger hocha la tête en signe d'assentiment
-et sortit sans en réclamer plus.</p>
-
-<p class="i1">Dans sa chambre, Annette, sonnée par
-M<sup>me</sup> Taillard, voulut l'aider à se déshabiller.
-Il déclina froidement ses offres de
-service. Mais comme, en rangeant ses
-vêtements, elle commençait à lui prodiguer
-des consolations grossières, Gégé
-l'interrompit:</p>
-
-<p class="i1">—Laissez-moi donc tranquille! Je
-<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[Pg 25]</a></span>
-vous ai déjà dit que ça m'est bien égal!</p>
-
-<p class="i1">—Oh! mon Dieu! ce qu'il est méchant!—se
-récria Annette, démontée.</p>
-
-<p class="i1">Roger, dans ses couvertures, ne daigna
-pas répondre. Il n'avait plus qu'une
-idée: s'endormir, oublier. Il ferma les
-yeux. Sous le noir des paupières il revit,
-durant quelques instants, des acrobates
-en caleçon de satin pailleté, des chevaux
-galopant sur un tapis fauve, une piste
-remplie d'eau. Puis tout se brouilla et
-bientôt il n'y eut plus dans la chambre
-que le faible bruit de sa respiration,
-coupé, de temps à autre, par le hoquet
-d'un restant de sanglot. Gégé dormait.</p>
-
-<p class="i1">Plus tard, beaucoup plus tard, il lui
-sembla qu'une forme qui avait le parfum
-de sa mère se penchait sur lui en chuchotant
-des paroles de pitié. Mais, stoïque
-<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[Pg 26]</a></span>
-jusque dans le sommeil, il balbutia
-encore:</p>
-
-<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p>
-
-<p class="i1">Un peu après, il crut sentir à son front
-le baiser léger d'une autre ombre qui
-ressemblait à son père. Et quoique l'ombre
-n'eût rien dit, Gégé fièrement bégaya
-tout de même:</p>
-
-<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[Pg 27]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_033.jpg" id="i_033.jpg"></a>
- <img src="images/i_033.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="II" id="II"></a>II</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Le lendemain, vers neuf heures et
-demie, M. Lecherrier était en train de
-recevoir la dégelée de coups de poing et
-de coups de savate, que, moyennant trois
-cents francs par mois, un petit homme
-trapu venait chaque matin lui allonger à
-domicile, quand une sonnerie de téléphone
-interrompit brusquement ces voies
-de fait.</p>
-
-<p class="i1">—Vous m'excusez!—dit M. Lecherrier
-au professeur, en arrachant vivement
-sa moufle de boxe.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[Pg 28]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Faites donc!</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier était déjà à l'appareil:</p>
-
-<p class="i1">—Allô!... C'est toi Lucie?... Eh bien!
-vous m'avez joliment fait poser hier
-soir?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, il y a eu malentendu... Je t'expliquerai,—chevrota
-au loin la voix de
-M<sup>me</sup> Taillard.—Mais, en ce moment, il
-ne s'agit pas de ça... Peux-tu me recevoir
-ce matin?</p>
-
-<p class="i1">—Certainement... Mais pourquoi?</p>
-
-<p class="i1">—J'ai à te parler... Des choses à ne
-pas dire par téléphone.</p>
-
-<p class="i1">—Rien de mauvais?</p>
-
-<p class="i1">—Non! non!—protesta tièdement
-Lucie.</p>
-
-<p class="i1">—Alors, je t'attends... A quelle heure
-seras-tu là?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[Pg 29]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Tout de suite... Je saute en fiacre
-et j'arrive.</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier, qui saisissait toujours
-avec empressement les moindres prétextes
-pour abréger sa leçon de boxe, se
-tourna vers le professeur:</p>
-
-<p class="i1">—C'est ma fille, M<sup>me</sup> Taillard... Elle
-sera ici dans cinq minutes. Donc aujourd'hui,
-si vous voulez bien, nous nous en
-tiendrons là...</p>
-
-<p class="i1">—A votre disposition, monsieur!—fit
-le petit athlète, non moins enchanté
-de couper à la fin de la séance.</p>
-
-<p class="i1">Mais, le maître de chausson parti, au
-lieu de savourer, comme de coutume, les
-douceurs de la délivrance, M. Lecherrier
-ne tarda pas à s'égarer dans les conjectures
-les plus alarmantes.</p>
-
-<p class="i1">Que pouvait bien signifier cette visite
-<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[Pg 30]</a></span>
-de Lucie, d'habitude si peu matinale?
-Quoi qu'elle en dît, sans doute pas grand'chose
-de bon. Et rien que l'idée d'avoir
-une fois de plus à flétrir la conduite de
-son gendre combla M. Lecherrier d'écœurement.</p>
-
-<p class="i1">D'ailleurs, depuis qu'il s'était retiré
-des soieries avec deux cent mille francs
-de rente, il se considérait comme ayant
-droit à une félicité sans mélange. Riche,
-veuf, libre, décoré, choyé des petites
-femmes auxquelles il le rendait bien,—hormis
-sa moustache qui tournait au
-blanc, ses favoris qui grisonnaient trop,
-et ce commencement de ventre que la
-boxe ne bridait qu'à demi, il ne voulait
-pas entendre parler de soucis. Sa crainte
-des tracas était même si vive, qu'à la
-<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[Pg 31]</a></span>
-mort de M<sup>me</sup> Lecherrier il s'était résigné
-à garder pour lui seul son vaste hôtel de
-l'avenue Marceau, aimant mieux en laisser
-tout un étage vide, que de subir les
-tribulations d'un déménagement. C'est
-dire avec quelle mollesse il avait pris les
-mésaventures de Lucie. D'abord révolté,
-puis attendri, il finissait par être blasé.
-Ces querelles sans variété, pour des méfaits
-toujours pareils, lui paraissaient à
-la longue fastidieuses. Il ne pouvait s'expliquer
-qu'après dix ans de ce régime,
-le coupable ne montrât pas plus de
-bonne humeur et l'innocente plus de philosophie.
-Aussi, sans Gégé dont il raffolait,
-ce n'eût pas été tous les jours qu'on
-l'aurait vu dans ces bagarres.</p>
-
-<p class="i1">—Ah! mais non!—conclut-il amèrement,
-tout haut.</p>
-
-<p class="i1">Puis, ayant passé un léger costume
-<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[Pg 32]</a></span>
-d'intérieur en flanelle beige, il alla s'accouder
-au balcon pour guetter l'arrivée
-de Lucie.</p>
-
-<p class="i1">En dépit de l'heure, la température
-était accablante. Au milieu de la chaussée,
-un arroseur découragé faisait de place en
-place des flaques éphémères. Les marronniers
-de l'avenue semblaient suffoquer
-sous leurs lourds falbalas de verdure. Et
-quoiqu'on fût à peine au début de juin,
-certaines feuilles, roussies des contours,
-avaient déjà très mauvais teint.</p>
-
-<p class="i1">Du haut de son balcon, M. Lecherrier
-les examinait avec sympathie. Mais le
-bruit d'une voiture raclant le trottoir
-l'arrêta sur la voie de l'élégie. Lucie descendit
-du fiacre. Elle était tout en piqué
-blanc, avec une souple voilette crème
-pleurant autour de son chapeau rose. De la
-<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[Pg 33]</a></span>
-main elle fit à son père un signe d'amitié,
-puis, rapidement, marcha vers la porte.</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, que se passe-t-il?—demanda
-M. Lecherrier, après avoir embrassé
-sa fille.</p>
-
-<p class="i1">Lucie retroussa sa moustiquaire, et,
-se carrant dans un fauteuil:</p>
-
-<p class="i1">—C'est toute une histoire... Voilà,
-hier soir, à propos de ce Nouveau-Cirque,—où,
-soit dit en passant, nous avons
-fini par ne pas aller,—Jacques et moi,
-nous avons eu une scène effroyable...</p>
-
-<p class="i1">—Pour changer!—fit M. Lecherrier.</p>
-
-<p class="i1">—Oh! je t'en prie, papa, grâce des
-commentaires! Ou je n'en sortirai jamais...
-Donc, scène terrible. Nous nous
-sommes dit, de part et d'autre, des
-choses atroces, irréparables... Et, finalement,
-nous avons décidé de divorcer...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[Pg 34]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Ce n'est pas la première fois!—objecta
-M. Lecherrier.</p>
-
-<p class="i1">—Peut-être, mais ce sera la bonne...
-Et, du reste, pour ne pas revenir sur
-notre décision, il a été convenu que ça
-se ferait aujourd'hui même...</p>
-
-<p class="i1">—Quoi? qu'est-ce qui se fera?</p>
-
-<p class="i1">—Mais notre rupture, l'incident qui
-pour les tribunaux et le public la justifiera...
-Tout à l'heure, à midi, quand je
-rentrerai, il y aura la chaîne de sûreté à
-la porte... Et Jacques me refusera, comme
-on dit, l'accès du domicile conjugal...
-Nous avons même pris soin de nous
-munir de deux témoins: le tapissier sera
-là dans l'antichambre, avec un ouvrier,
-à réparer le store dont justement les cordons
-ne marchent plus depuis trois
-jours... Jacques a accepté cette combinaison
-<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[Pg 35]</a></span>
-qui nous dispensera, dans le procès,
-de nous traîner réciproquement dans
-la boue...</p>
-
-<p class="i1">—Ah çà! vous devenez fous!—s'écria
-M. Lecherrier, qui commençait à
-s'agiter.—Vous croyez que vous trouverez
-des juges pour donner dans ces
-balivernes?</p>
-
-<p class="i1">—Parfaitement! D'abord, pourvu
-qu'on ait bien envie de divorcer, les
-juges n'y regardent pas de si près... Et
-puis, devant une expulsion en due forme,
-ils n'auront pas le choix... Aubineau,
-notre avoué, que j'ai consulté autrefois
-sans avoir l'air, est formel là-dessus.</p>
-
-<p class="i1">—Admettons... Mais Gégé?</p>
-
-<p class="i1">—Pour le moment, il continuera à
-aller dans la journée chez son professeur
-M. Beaujoint. Le reste du temps, il habitera
-<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[Pg 36]</a></span>
-huit jours avec moi, huit jours
-avec son père, les dimanches et vacances
-partagés de même par moitié...</p>
-
-<p class="i1">—Et où comptes-tu loger?... Ici?</p>
-
-<p class="i1">—Dame!—fit Lucie en courant à
-M. Lecherrier.</p>
-
-<p class="i1">Elle lui enlaça câlinement le bras, tandis
-qu'il se raidissait un peu contre
-l'étreinte.</p>
-
-<p class="i1">—Mais oui, mon pauvre papa, ici!
-Tu ne voudrais pas que je donne à
-d'autres la préférence?... Ah! évidemment,
-dans tout cela, c'est toi qui vas
-pâtir, c'est toi qui seras la victime!</p>
-
-<p class="i1">—Non!—fit avec force M. Lecherrier.—La
-victime, ce ne sera pas moi...
-La victime, ce sera Gégé...</p>
-
-<p class="i1">—Écoute, papa!—supplia Lucie.</p>
-
-<p class="i1">—Je n'écoute rien... Je n'ai rien à
-<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[Pg 37]</a></span>
-écouter... Si tu ne sens pas ces choses-là
-de toi-même, tout le monde te le dira:
-dans le divorce, la vraie victime, la
-grande victime, c'est l'enfant... Voilà la
-règle... Et notre petit Gégé, hélas! n'y
-échappera pas... Du jour au lendemain,
-pour votre commodité personnelle, vous
-allez faire de lui une espèce d'orphelin,
-de déclassé, d'abandonné, sans famille
-régulière, sans foyer fixe, sans intérieur.
-Vous allez bouleverser sa vie, gâcher
-toutes ses joies, détruire tout son bonheur...
-Alors, dans ces conditions, moi,
-mes aises, mes habitudes, tu t'imagines
-si ça pèse lourd!...</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier se tut, car des larmes
-lui barraient la gorge. Probablement,
-malgré ses dires, dans cette affliction, il
-entrait un peu le chagrin de voir pour des
-<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[Pg 38]</a></span>
-mois sa quiétude chavirée, son indépendance
-en péril, les petites femmes à vau-l'eau.
-Mais la sincérité dominait. Il adorait
-son petit-fils, et la pensée des mille
-souffrances classiques dont ce divorce
-menaçait Gégé lui paraissait intolérable.</p>
-
-<p class="i1">Lucie avait tendrement retenu sa main,
-puis, quand il donna des signes d'apaisement:</p>
-
-<p class="i1">—Je t'assure, papa, que ce que tu me
-dis là, depuis des années je me le répète...
-Sans Roger, il y a longtemps que j'aurais
-fui l'enfer de mon ménage... C'est pour
-notre enfant que je suis restée, pour lui
-que j'ai patienté... Tant qu'il n'aurait pas
-fait sa première communion et renouvelé,
-je m'étais juré de tout subir... et j'ai tout
-subi... Mais maintenant je suis à bout...
-Il ne faut pas m'en demander plus!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[Pg 39]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Elle avait débité cela sans colère, sans
-désespoir, comme une femme excédée
-qui a pris son parti. Devant cette lassitude
-résolue, M. Lecherrier se sentit plus
-faible que devant de la violence. Il
-embrassa longuement sa fille, puis, avec
-simplicité:</p>
-
-<p class="i1">—Alors, quand t'installes-tu chez moi?</p>
-
-<p class="i1">—Tantôt.</p>
-
-<p class="i1">—Tantôt?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, papa, puisque c'est à midi que
-Jacques me refuse sa porte. Après quoi,
-selon nos conventions, il me permettra
-de rentrer pour faire mes malles. Je
-pourrai être ici vers cinq heures et demie.</p>
-
-<p class="i1">—Et le temps d'aménager les
-chambres?</p>
-
-<p class="i1">—C'est l'affaire d'une heure... Pour
-Gégé, un lit dans mon ex-petit salon...
-<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[Pg 40]</a></span>
-Moi, je reprendrai ma chambre de jeune
-fille...</p>
-
-<p class="i1">—Très bien! Je vois que je n'ai plus
-qu'à exécuter tes ordres.</p>
-
-<p class="i1">—Mes conseils pratiques, tout au
-plus!</p>
-
-<p class="i1">—Si tu veux!... Cependant si d'ici là
-tu découvrais, par hasard, quelque chose
-de plus pratique encore, comme, par
-exemple, d'épargner à ton fils ce drame
-et de rester avec ton mari, ne te gêne
-pas. Je n'en serais nullement froissé.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard eut un hochement de tête
-incrédule. Mais, comme elle se levait et
-rabaissait le rideau de son voile, M. Lecherrier
-protesta:</p>
-
-<p class="i1">—Où vas-tu donc? Tu n'es pas pressée...</p>
-
-<p class="i1">—Si, je t'assure; il me reste une ou
-<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[Pg 41]</a></span>
-deux courses urgentes avant déjeuner.
-J'aurai tout juste le temps.</p>
-
-<p class="i1">Et, s'appuyant d'une main à l'épaule
-de son père:</p>
-
-<p class="i1">—C'est égal, papa! C'est effrayant ce
-que je te fais là... Toi qui aimais tant ta
-bonne liberté!</p>
-
-<p class="i1">—Ne t'occupe pas de moi!—dit avec
-conviction M. Lecherrier.—Moi, je ne
-suis plus intéressant... Maintenant, dans
-notre vie, il n'y a plus que Gégé qui
-compte... tu entends, rien que Gégé!...</p>
-
-<p class="i1">Ces paroles sonnaient encore dans
-l'oreille de M<sup>me</sup> Taillard quand sa voiture
-l'arrêta devant le rez-de-chaussée de
-la rue Washington où Alcide Barbier,
-mandé par télégramme, l'attendait depuis
-vingt minutes déjà.</p>
-
-<p class="i1">Mis en quelques mots au courant,
-<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[Pg 42]</a></span>
-Alcide Barbier eut une attitude médiocre.
-Opposé pour lui-même au divorce
-en vertu de ses principes, dont le
-premier était de ne rien faire qui pût
-nuire à son industrie, il n'avait pu d'abord
-réprimer le petit mouvement d'envie
-que lui inspirait la résolution de
-Lucie. Quand l'intérêt vous cloue au
-port, il est toujours pénible de voir les
-autres gagner le large. Et sa grimace fut
-telle que Lucie s'en formalisa:</p>
-
-<p class="i1">—Tiens, vous avez l'air contrarié?...
-Moi qui croyais que vous sauteriez de
-joie!...</p>
-
-<p class="i1">—Mais, ma chérie, du moment que
-cette solution vous plaît, vous pensez
-bien que je n'ai pas à y redire.</p>
-
-<p class="i1">—Non!... Seulement, vous faites
-une tête!... Voyons, si vous étiez garçon,
-<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[Pg 43]</a></span>
-je m'expliquerais encore... Mais,
-dans votre situation d'homme marié,
-d'homme établi, qu'est-ce que vous redoutez?...</p>
-
-<p class="i1">Alcide Barbier, durant cette réplique,
-avait ramené entre ses dents la base de
-sa barbe rousse, ce qui marquait chez
-lui le summum du souci et donnait à sa
-figure ronde l'aspect d'une grosse éponge
-à tub. Puis, faute de mieux, il simula un
-grand élan, et, saisissant Lucie dans ses
-bras:</p>
-
-<p class="i1">—Méchante! méchante! méchante!—murmura-t-il
-sans vérité.</p>
-
-<p class="i1">—Vous aurez beau m'appelez «méchante»
-jusqu'à demain, mon observation
-subsiste.</p>
-
-<p class="i1">Alors Alcide Barbier, rassemblant
-toutes ses ressources d'esprit:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[Pg 44]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Mais pourtant, ma chérie, vous ne
-vouliez pas que j'accueille en badinant
-une nouvelle de cette gravité!... Et puis
-il y a votre fils!... Malgré moi, je songeais
-à ce pauvre innocent, à cette pauvre
-petite victime qui demain...</p>
-
-<p class="i1">Lucie l'interrompit:</p>
-
-<p class="i1">—Oh! je vous en prie, je sors d'en
-prendre...</p>
-
-<p class="i1">Et, s'asseyant au bord du divan:</p>
-
-<p class="i1">—C'est étrange comme les hommes,
-dans certains cas, n'ont pas l'intuition
-des choses à dire... Vous, aussi bien que
-papa, vous savez que dans ce divorce
-Gégé est mon remords, mon point douloureux...
-Et c'est à qui y insistera, élargira
-cette plaie!...</p>
-
-<p class="i1">Elle pleurait d'énervement. Alcide
-Barbier s'assit près d'elle, sans plus oser
-<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[Pg 45]</a></span>
-la moindre remarque. Enfin, les yeux
-séchés, elle se leva:</p>
-
-<p class="i1">—Quand reviendrez-vous?—demanda-t-il.</p>
-
-<p class="i1">—Je ne sais pas... Je vais être, quelque
-temps, beaucoup moins libre, vous
-comprenez... Je vous écrirai.</p>
-
-<p class="i1">—Vous m'en voulez?</p>
-
-<p class="i1">Elle fit l'effort d'une caresse, et, lui
-tendant ses lèvres:</p>
-
-<p class="i1">—Pas le moins du monde... A bientôt!</p>
-
-<p class="i1">Jamais cependant la gaucherie d'Alcide
-ne l'avait tant indisposée. Pourquoi
-un garçon doué de si belles qualités
-était-il tellement dépourvu de charme?...
-Elle ne quitta cette méditation qu'aux
-approches de l'avenue d'Antin. Deux
-maisons, une maison encore, elle serait
-<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[Pg 46]</a></span>
-arrivée! Qu'allait-il se passer? Jacques
-n'aurait-il pas changé d'idée?</p>
-
-<p class="i1">Mais non! Tout se déroula selon le
-programme. Puis, par l'entre-bâillement
-de la porte où scintillaient les ondulations
-de la chaîne, Jacques déclara:</p>
-
-<p class="i1">—Soit! Je consens à ce que vous rentriez
-faire vos malles.</p>
-
-<p class="i1">Il détacha la chaîne. Lucie entra. Sur
-une échelle, près du store, le tapissier et
-son aide, très amusés, simulaient, l'œil
-de côté, une activité fiévreuse. A la vue
-de ces complices inconscients, M<sup>me</sup> Taillard
-ne put retenir un sourire. Jacques,
-malgré lui, riposta par un sourire pareil.</p>
-
-<p class="i1">C'était le premier qu'ils échangeaient
-depuis cinq ans!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[Pg 47]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_053.jpg" id="i_053.jpg"></a>
- <img src="images/i_053.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="III" id="III"></a>III</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Quand, vers six heures trois quarts,
-au sortir de l'institution Beaujoint, Joseph
-annonça à son jeune patron qu'on
-dînait chez M. Lecherrier, Roger ne dissimula
-pas son contentement:</p>
-
-<p class="i1">—Chic, alors!... Mais pourquoi?</p>
-
-<p class="i1">—J'ignore... C'est madame qui m'a
-dit de conduire monsieur...</p>
-
-<p class="i1">Gégé n'en demanda pas plus. L'essentiel
-était de ne pas dîner chez lui. Les
-lendemains de scène y avaient la tristesse
-des lendemains de fête. Au tumulte
-<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[Pg 48]</a></span>
-de la veille succédait le morne silence.
-On se serait cru à un repas de deuil. Et
-puis, avec le théâtre et le <i>foot-ball</i>, Roger
-ne connaissait pas de meilleur plaisir
-que d'aller chez son grand-père. Quoiqu'on
-doive avant tout aimer son père et
-sa mère, il ne passait guère de jour sans
-faire à ses parents quelque secrète infidélité
-de cœur avec M. Lecherrier. Il ne
-l'avait avoué à personne, pas même à
-son vieux Ribermont; mais c'était plus
-fort que lui, il ne pouvait s'empêcher de
-préférer un peu ce grand-papa si brave
-homme, toujours de bonne humeur, et
-chez qui on ne se disputait jamais.</p>
-
-<p class="i1">—Chic! chic! chic!—scandait-il,
-en gambadant au bras de Joseph.</p>
-
-<p class="i1">Et, sitôt arrivé avenue Marceau, il
-grimpa d'un saut au fumoir, où M. Lecherrier
-<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[Pg 49]</a></span>
-avec Lucie prenaient le frais au
-près du balcon. Tous deux l'embrassèrent
-avec fougue.</p>
-
-<p class="i1">—Et papa?</p>
-
-<p class="i1">—Il dîne à son cercle.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard avait répondu en détournant
-les yeux. Roger, de même qu'à son
-grand-père, lui trouvait un air drôle.
-Elle avançait le menton, comme sur le
-point de pleurer. Sans doute, du chagrin
-en retard, des restes de la veille.
-Pourtant Gégé ne se sentait pas rassuré.</p>
-
-<p class="i1">Mais à table, peu à peu, sa mauvaise
-impression s'effaça. M. Lecherrier s'était
-mis à conter de ces histoires roulantes
-dont il avait le secret et qui faisaient
-pouffer aux larmes. On s'amusait fièrement.
-Tout le monde jubilait, jusqu'à
-Firmin, le jeune valet de chambre, qui
-<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[Pg 50]</a></span>
-dut soudain lâcher un plat pour aller
-rire dans la cuisine.</p>
-
-<p class="i1">Aussi, rentré au fumoir, Roger n'hésita
-pas à proposer comme de coutume
-la partie de dames à son grand-père.</p>
-
-<p class="i1">—Tout à l'heure, mon petit!—fit
-M. Lecherrier en posant sur un guéridon
-voisin de son fauteuil la tasse de café
-qu'il venait d'achever.</p>
-
-<p class="i1">Puis, attirant Gégé et le calant droit
-entre ses genoux:</p>
-
-<p class="i1">—Tout à l'heure, mon chéri... D'abord
-j'ai à te parler.</p>
-
-<p class="i1">Roger, dans son étau, essaya vers
-M<sup>me</sup> Taillard un regard d'appel à l'aide.
-Mais, d'une petite claque affectueuse,
-M. Lecherrier lui remit la tête en place,
-et, avec une voix de vieil acteur, comme
-<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[Pg 51]</a></span>
-Gégé n'en avait entendu qu'au Théâtre-Français:</p>
-
-<p class="i1">—Par ici, mon chéri! Ne t'occupe
-pas de ta mère. J'ai besoin de toute ton
-attention... Écoute-moi bien, mon enfant...
-Tu vas bientôt avoir douze ans...
-Tu es déjà presque un homme...</p>
-
-<p class="i1">«Encore!» pensa Gégé, plus en méfiance
-que jamais contre ce genre de flagornerie.</p>
-
-<p class="i1">—Tu es presque un homme, et c'est
-donc comme à un homme que je vais te
-parler... Mon cher enfant, il t'arrive un
-grand malheur... Tes parents divorcent,
-tes parents vont divorcer... Sais-tu ce
-que c'est que de divorcer?</p>
-
-<p class="i1">Roger riposta, en s'inspirant de remarques
-personnelles:</p>
-
-<p class="i1">—C'est quand une femme n'a plus de
-<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[Pg 52]</a></span>
-mari et que son mari n'est pas mort.</p>
-
-<p class="i1">—En effet,—approuva M. Lecherrier,—et
-<i>vice versa</i>. Autrement dit, tes
-parents ne sont plus d'accord, ils n'ont
-plus les mêmes goûts. En conséquence,
-ils ont décidé de renoncer à la vie
-commune. Et ils habiteront désormais
-chacun de son côté. Pour l'instant,
-et probablement aussi dans l'avenir,
-ta mère habitera ici avec toi... Ton
-père, je présume, gardera son appartement.</p>
-
-<p class="i1">Roger s'écria, un peu pâle:</p>
-
-<p class="i1">—Alors, je ne verrai plus papa?</p>
-
-<p class="i1">—Certainement que si, tu le verras!
-Et pas plus tard que demain soir vous
-devez dîner tous les deux ensemble. Seulement,
-jusqu'à nouvel ordre, tu habiteras
-tantôt avec ta mère, tantôt avec ton
-<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[Pg 53]</a></span>
-père, huit jours avec l'un, huit jours avec
-l'autre. Saisis-tu?</p>
-
-<p class="i1">—Oui! oui!—déclara Gégé, qui supputait
-en dedans les suites de cette combinaison.</p>
-
-<p class="i1">—Bien entendu,—ajouta non moins
-onctueusement M. Lecherrier,—il faudra
-continuer à aimer tes parents autant
-l'un que l'autre... Dans ce malheur, il
-faudra même les aimer plus qu'avant...
-Tu me le promets, mon petit?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, grand-papa!—fit Roger
-sans discuter ce surcroît d'exigences.—Mais
-aujourd'hui, où est-ce que je coucherai?</p>
-
-<p class="i1">— Ici, au second, près de l'ancienne
-chambre de ta mère.</p>
-
-<p class="i1">—Et maman couchera à côté de
-moi?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[Pg 54]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Oui, mon chéri.</p>
-
-<p class="i1">Passer la nuit chez son grand-père,
-avec sa mère comme voisine à la place
-d'Annette, Gégé n'avait jamais rêvé
-pareille fête. Il sauta au cou de M. Lecherrier.</p>
-
-<p class="i1">—Oh! veine!... Merci, grand-papa!
-Chic et veine!</p>
-
-<p class="i1">Un bruit de sanglots lui fit retourner
-la tête, et il vit sa mère qui pleurait, un
-mouchoir plaqué aux yeux.</p>
-
-<p class="i1">Alors, sentant l'inconvenance de son
-enthousiasme, il s'élança vers M<sup>me</sup> Taillard,
-grimpa sur ses genoux, se blottit
-contre elle. Mais plus il l'embrassait,
-plus elle pleurait fort. Que faire? Lui
-aussi, par sympathie, aurait bien voulu
-pleurer. Seulement, il avait beau presser
-ses paupières, se contracter le thorax,
-<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[Pg 55]</a></span>
-rien ne venait. Enfin, sous une poussée
-plus énergique, deux petites larmes daignèrent
-paraître. Gégé les égoutta sur
-la nuque de sa mère avec un peu d'ostentation.</p>
-
-<p class="i1">—Ne pleure pas, mon amour!—murmura
-M<sup>me</sup> Taillard en l'écartant
-doucement.—Tu verras, nous t'aimerons
-bien... Moi, si je pleure, ce sont
-les nerfs.</p>
-
-<p class="i1">Et M. Lecherrier intervenant:</p>
-
-<p class="i1">—Allons, Gégé... Tu as été très
-sage... Maintenant, je suis à tes ordres...
-Va dans le salon chercher le jeu de dames.</p>
-
-<p class="i1">—Est-ce que tu sais l'heure?—objecta
-Lucie.</p>
-
-<p class="i1">—Bah! il en sera quitte pour faire
-demain grasse matinée. Tu l'excuseras à
-la pension.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[Pg 56]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Puis, sitôt Roger dehors, M. Lecherrier
-ajouta plus bas:</p>
-
-<p class="i1">—Que veux-tu! le pauvre petit...
-nous ne pouvions pourtant pas le laisser
-sur ces tristesses!</p>
-
-<p class="i1">On convint de trois parties. Roger les
-gagna coup sur coup. Après quoi,
-M. Lecherrier monta avec M<sup>me</sup> Taillard
-l'accompagner jusqu'à sa chambre.</p>
-
-<p class="i1">C'était une pièce spacieuse, avec des
-tentures bleu de lin encadrées de boiseries
-blanches. Un petit lustre Louis XVI
-reflétait dans ses cristaux la lumière
-discrète de trois lampes dépolies. A
-chaque côté du lit de cuivre, qu'un tapissier
-avait loué, deux bergères en satin
-pâle offraient leurs gros coussins prêts à
-défaillir. Sur une table Louis XV, on
-avait disposé une garniture de toilette
-<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[Pg 57]</a></span>
-crème bordée d'or et des flacons pleins
-de parfums. La porte de communication
-avec la chambre de M<sup>me</sup> Taillard était
-largement ouverte.</p>
-
-<p class="i1">Gégé, en entrant, faillit encore manifester
-sa joie. Mais l'expérience précédente
-l'avait instruit: il s'abstint
-de tout commentaire. Puis, une fois
-au lit, il rappela sa mère et M. Lecherrier,
-qui causaient dans la pièce
-voisine.</p>
-
-<p class="i1">—Là, maintenant, il s'agit de dormir,
-dit M<sup>me</sup> Taillard en achevant de
-reborder le lit.—Onze heures et demie!
-Si ce n'est pas honteux!...</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier se pencha vers son
-petit-fils:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, comment trouves-tu ta
-chambre?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[Pg 58]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Gentille! fit prudemment Gégé, en
-se soulevant pour un baiser.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard tourna le bouton du
-lustre, et sortit, suivie de son père.</p>
-
-<p class="i1">Par-dessus le haut des rideaux, la
-lune glissait un frêle rayon de la couleur
-des tentures. Il venait aussi un peu de
-lumière jaune sur le tapis par l'entrebâillement
-de la porte.</p>
-
-<p class="i1">Mais, même dans l'obscurité complète,
-Roger n'aurait pas tout de suite cherché
-le sommeil. L'orgueil d'avoir gagné les
-trois parties l'enfiévrait. Il se sentait le
-cœur gonflé de plaisir, si près de sa
-mère, si près de son grand-père. Enfin,
-quelle chambre délicieuse!</p>
-
-<p class="i1">Par exemple, il aurait préféré avoir
-plus de chagrin en apprenant le divorce.
-Puisque c'était un grand malheur, pourquoi
-<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[Pg 59]</a></span>
-n'en éprouvait-il pas plus de peine?
-Il essaya encore de s'attendrir, de se
-désoler, de pleurer. Il songea exprès aux
-choses les plus tristes, à sa soirée de la
-veille, au Nouveau-Cirque manqué.</p>
-
-<p class="i1">Mais les larmes ne se laissèrent pas
-prendre à cette manœuvre rétrospective
-et refusèrent de se déranger.</p>
-
-<p class="i1">Alors Gégé, las de les provoquer,
-ferma honnêtement les yeux et s'endormit
-du plus doux sommeil.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[Pg 61]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_067.jpg" id="i_067.jpg"></a>
- <img src="images/i_067.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="IV" id="IV"></a>IV</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Après une nuit exempte de rêves, Gégé
-qu'on n'avait réveillé qu'à huit heures,
-procéda sans hâte aux soins de sa toilette.
-Et vers neuf heures moins le quart,
-étant prêt, il descendit dans la salle à
-manger, où M. Lecherrier et M<sup>me</sup> Taillard,
-près de la fenêtre ouverte, finissaient
-de déjeuner.</p>
-
-<p class="i1">Sans aucun parti pris, Roger préférait
-de beaucoup le chocolat qu'on buvait
-chez son grand-père à celui qu'on buvait
-chez lui. L'arôme en était plus délicat,
-<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[Pg 62]</a></span>
-la facture plus mousseuse. Il se régala.
-Puis il avait cette sensation si amusante
-pour les enfants d'être en excursion, en
-voyage, presque à l'hôtel. Et tout lui en
-semblait meilleur: le ciel d'un bleu tranquille,
-la fraîche haleine de l'air matinal
-et cette fine odeur d'été qu'on ne trouve
-chez aucun parfumeur.</p>
-
-<p class="i1">Jusqu'à l'institution Beaujoint, de l'avenue
-Marceau à la rue de Longchamp,
-le long de l'avenue du Bois, par ce beau
-temps, la route serait délicieuse!</p>
-
-<p class="i1">Il fit à sa mère et à M. Lecherrier des
-adieux sans déchirement. Mais, la porte
-à peine close, il reparut pour recommander
-qu'on n'oubliât pas de lui
-envoyer à la boîte son complet gris
-numéro un, sa cravate bleu marine et
-ses souliers vernis.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[Pg 63]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Puisque c'est convenu, mon chéri!—dit
-Lucie.—Seulement, tu te rappelles
-ce que tu m'as promis: tu seras raisonnable!
-Tu ne mangeras pas trop...
-Et tu diras bien à ton père que je t'ai
-prié de ne pas rentrer trop tard.</p>
-
-<p class="i1">—Pour sûr!—répliqua Gégé, avec
-l'arrière-projet de s'acquitter loyalement
-de la commission, mais sans insistance
-superflue.</p>
-
-<p class="i1">Et il rejoignit dans le vestibule Firmin
-qui l'attendait pour le conduire.</p>
-
-<p class="i1">Les trois caractéristiques de l'institution
-Beaujoint étaient l'exiguïté du petit
-hôtel bourgeois qu'elle occupait rue de
-Longchamp, le prix relativement onéreux
-de la pension, qui ne montait pas à
-moins de quatre cent cinquante francs par
-mois, et le nombre restreint des élèves,
-<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[Pg 64]</a></span>
-invariablement fixé à dix. M. Beaujoint,
-quand il s'agissait de séduire les
-parents, s'attardait plus volontiers sur
-cette dernière particularité, qui donnait
-à son établissement comme un aspect
-de petite académie. Mais, à vrai dire, ces
-trois caractéristiques se commandaient,
-la quantité des élèves étant en raison
-directe des faibles dimensions du local
-et le chiffre de la pension en rapport avec
-le nombre réduit des élèves.</p>
-
-<p class="i1">M. Beaujoint ne manquait pas non plus
-de signaler aux clients deux autres spécialités
-de sa maison: à savoir l'éducation
-mondaine et la perfection culinaire.</p>
-
-<p class="i1">Sur le reste, il concédait que, dans
-les autres établissements privés ou dans
-les lycées de l'État, il n'y avait trop rien
-à dire. Mais pour la pratique des bonnes
-<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[Pg 65]</a></span>
-façons et pour l'hygiène alimentaire, il
-n'admettait pas de rival. Chez lui, l'enfant
-apprenait à «se tenir» comme nulle
-part, et, en ce qui concernait la table, on
-n'avait qu'à consulter les menus: viandes
-de premier choix et toujours rôties, lait de
-provenance contrôlée, vin de propriétaire.
-Aussi, à chaque repas, ne fût-ce qu'en
-manière de commémoration, M. Beaujoint
-avait bien soin de s'extasier devant
-ses élèves sur l'exceptionnelle qualité des
-mets. «Oh! oh!—s'écriait-il,—voilà
-un rôti de veau qui n'est pas précisément
-exécrable!» ou bien: «Voilà un bœuf
-en daube dont vous me demanderez la
-recette!» ou: «Voilà, si je ne m'abuse, un
-gigot de tout premier ordre!»—et cette
-variété dans les formules ajoutait encore à
-l'éloge un je ne sais quoi de plus persuasif.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[Pg 66]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Lorsqu'il eut parcouru la lettre de
-M<sup>me</sup> Taillard excusant Gégé, il appliqua
-sur la nuque de celui-ci une tape bienveillante:</p>
-
-<p class="i1">—Parfait, mon petit ami! Allez
-rejoindre vos camarades salle B. La
-leçon d'histoire vient de commencer.</p>
-
-<p class="i1">Roger monta sans précipitation à la salle
-B, un ancien cabinet de toilette qui, par
-les jours d'été, fleurait la peau d'Espagne
-et l'eau dentifrice. Le professeur
-était occupé à narrer devant la division
-élémentaire, composée des deux Thomas—Thomas
-(Achille), Thomas
-(Antoine)—et de Pierre de Ribermont,
-les fastes de l'Assyrie.</p>
-
-<p class="i1">Gégé l'écouta peu. Que lui importaient
-Téglath-Phalazar et Assourbanipal?
-Sa pensée était toute au dîner du
-<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[Pg 67]</a></span>
-soir. En aucune occasion, l'idée de
-revoir son père ne lui avait inspiré tant
-d'émoi et d'impatience. Était-ce la brusquerie,
-l'imprévu de cette séparation?
-il lui semblait qu'elle durait depuis
-des éternités. En outre, d'habitude, quand
-M. Taillard revenait d'une absence, le
-plaisir de Roger était à l'avance gâté par
-l'évocation des scènes d'intérieur dont
-ce retour allait infailliblement être le
-signal. Tandis que, pour ce soir, nulle
-crainte pareille. Ce n'est pas lui, Gégé,
-n'est-ce pas? qui se disputerait avec son
-père! Alors on dînerait tranquillement
-ensemble, sans doute au restaurant et
-peut-être même qu'après on irait à un
-théâtre quelconque. Bref, de toutes
-façons, cela finirait très bien.</p>
-
-<p class="i1">Gégé continua ces pronostics optimistes
-<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[Pg 68]</a></span>
-durant toute la leçon d'histoire,
-puis durant toute l'étude subséquente.
-Et, à la récréation de dix minutes qui
-précédait le repas de midi, il rayonnait
-d'un tel contentement que Pierre de Ribermont
-ne put s'empêcher de lui en faire
-la remarque:</p>
-
-<p class="i1">—Tu as l'air joliment content, mon
-vieux!</p>
-
-<p class="i1">—Tu parles!—répliqua Gégé, qui
-maintenant considérait comme définitivement
-réglées toutes les phases de
-sa soirée.—Je dîne avec papa au restaurant,
-et, après, nous allons au
-théâtre...</p>
-
-<p class="i1">Il s'était bien proposé de confier à Ribermont
-la nouvelle du divorce. A son
-meilleur ami doit-on rien cacher? Mais
-le récit de ces événements compliqués
-<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[Pg 69]</a></span>
-lui parut un effort pénible, et il l'ajourna
-à un autre moment.</p>
-
-<p class="i1">D'ailleurs, la cloche sonnait pour le
-déjeuner. On descendit à la salle à
-manger où, devant un plat d'œufs brouillés,
-M. Beaujoint occupait déjà sa place
-de président.</p>
-
-<p class="i1">Les œufs, quoique douteux, arrachèrent
-à M. Beaujoint des exclamations de
-volupté. Par contre, il eut de sérieuses
-difficultés avec le rosbif qu'on servit ensuite.
-Trois fois le cube de viande résista
-au couteau trois fois aiguisé. Tous les
-élèves se regardaient en dessous. Gégé,
-emporté par la belle humeur, ne sut pas
-se contenir, et, du ton le plus convaincu:</p>
-
-<p class="i1">—Oh! oh!—s'écria-t-il,—voilà, si
-je ne m'abuse, un rosbif de tout premier
-ordre!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[Pg 70]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Un éclat de rire général répondit à
-cette parodie. De stupeur, M. Beaujoint,
-cramoisi, avait gardé son couteau en
-l'air:</p>
-
-<p class="i1">—Taillard! Vous serez en retenue de
-dîner ce soir... Vous dînerez ici!</p>
-
-<p class="i1">Les rires tombèrent, comme foudroyés.
-La retenue de dîner était une des punitions
-les plus redoutées à la pension
-Beaujoint. Comptée quatre francs aux
-parents, une fois donnée, elle ne se reprenait
-plus. C'était le châtiment sans
-rémission et sans appel.</p>
-
-<p class="i1">—Oui,— poursuivit M. Beaujoint,—vous
-dînerez ici, et, qui plus est, je
-vous engage fortement à vous surveiller,
-si vous ne désirez pas aussi y passer demain
-votre dimanche... A ma table, je
-ne veux pas de macaques!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[Pg 71]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Quelques lâches sourires de complaisance
-accueillirent cette injure facile.
-Mais Gégé ne les aperçut même pas. Il
-était abîmé de chagrin. Toutes les tristesses
-des jours derniers s'amalgamaient
-en lui avec cette déception suprême.
-Pourquoi la malchance s'acharnait-elle
-ainsi contre sa quiétude, ses rêves et ses
-plaisirs? Les paroles de M. Lecherrier
-lui revinrent à la mémoire. Il songea à
-son père, à sa mère, séparés, ennemis.
-Il mêlait dans le même regret sa soirée
-perdue et le ménage de ses parents désuni.
-Il se sentait abandonné, persécuté,
-et, pour la première fois de sa
-vie, malheureux. Comment garder pour
-soi tout cela? Et, sitôt levé de table,
-entraînant à part Pierre de Ribermont:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[Pg 72]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Dis donc, mon vieux, tu sais, il
-m'arrive un grand malheur—déclara-t-il,
-les regards à terre.</p>
-
-<p class="i1">—Bah! fit Ribermont, résigné,—tu
-dîneras au restaurant un autre jour!</p>
-
-<p class="i1">—Tu n'y es pas du tout... Je te dis
-qu'il m'arrive un grand malheur: mes
-parents divorcent!</p>
-
-<p class="i1">—Ah!—fit Ribermont.</p>
-
-<p class="i1">Puis, après une brève réflexion:</p>
-
-<p class="i1">—En quoi est-ce que c'est un grand
-malheur pour toi?</p>
-
-<p class="i1">Roger, pris de court par cette question,
-expliqua tant bien que mal:</p>
-
-<p class="i1">—Comment! tu ne comprends pas?...
-C'est pourtant pas malin à comprendre!
-Mes parents sont fâchés. Ils ne vont plus
-vivre ensemble... Alors, moi, tu comprends,
-je vais me trouver entre eux
-<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[Pg 73]</a></span>
-comme ça... tiraillé... Je serai tiraillé
-tout le temps.</p>
-
-<p class="i1">—Je ne dis pas,—accorda Ribermont,—je
-ne dis pas!... C'est très embêtant...
-Mais ce n'est pas un grand malheur!</p>
-
-<p class="i1">Roger, vexé, riposta:</p>
-
-<p class="i1">—Alors qu'est-ce que tu appelles un
-grand malheur?</p>
-
-<p class="i1">—Je ne sais pas... Si tes parents
-mouraient... ou si ils étaient ruinés... ou
-si tu te cassais quelque chose...</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, merci!—se récria Gégé,
-suffoqué à l'énumération de tant de catastrophes.—Enfin,
-moi, je te dis que
-c'est un grand malheur... Du reste, mon
-grand-père me l'a dit, et il s'y connaît
-un peu mieux que toi!...</p>
-
-<p class="i1">Ribermont haussa les épaules et maintint:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[Pg 74]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Peut-être qu'il s'y connaît mieux
-que moi... Mais ça n'est pas un grand
-malheur!</p>
-
-<p class="i1">Devant une telle obstination, toute
-controverse devenait impossible. Gégé
-s'éloigna froidement. Quelle journée!
-Jusqu'à son vieux Pierre qui le lâchait
-et refusait de compatir! De dégoût,
-après déjeuner, au Bois, il bouda pendant
-toute la partie de foot-ball et resta
-assis sur un banc près du maître d'études,
-en prétextant une crampe à la
-cuisse.</p>
-
-<p class="i1">Au retour, la classe de calcul n'atténua
-pas sa mélancolie, et quand, sur les
-quatre heures et demie, l'institution
-Beaujoint, au complet, s'achemina vers
-le gymnase Capdemas, le cœur de Gégé
-restait aussi morne et désemparé.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[Pg 75]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Non qu'en principe la gymnastique lui
-répugnât. Le trapèze, les anneaux, les
-barres lui avaient, au contraire, valu les
-plus jolis succès. Mais, avec M. Capdemas,
-on n'était jamais sûr que la leçon
-ne commencerait pas par une séance
-d'assouplissements; et Gégé, tout en
-enfilant son maillot bleu paon, pariait
-avec lui-même qu'aujourd'hui ça ne raterait
-pas.</p>
-
-<p class="i1">Effectivement, les dix Beaujoint à
-peine alignés, M. Capdemas commanda,
-de sa voix méridionale qui ne faisait
-tort à aucune voyelle:</p>
-
-<p class="i1">—Allons, mes petits... Aux massues!</p>
-
-<p class="i1">Les massues! Gégé ne connaissait
-rien de plus ennuyeux que cette façon
-d'assommer en cadence et sans haine
-des adversaires absents. Il se dirigea
-<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[Pg 76]</a></span>
-lentement vers le râtelier et empoigna
-deux vieilles massues où quelques traces
-de vernis vert indiquaient encore la couleur
-de leur jeunesse.</p>
-
-<p class="i1">—Taillard, au temps!... Taillard,
-gare à vous!... Taillard, ça va barder!</p>
-
-<p class="i1">Les avertissements pleuvaient sur
-Gégé insensible. Comment exécuter en
-mesure et arriver à point, quand vos
-parents divorcent? Le père Capdemas
-pouvait s'époumonner tant qu'il voudrait.
-Avec une telle tristesse à l'âme,
-pas moyen de faire mieux.</p>
-
-<p class="i1">—Taillard!—tonna enfin M. Capdemas,
-et si fort, cette fois, que le chétif
-écho de la salle s'en émut,—Taillard!
-deux heures de retenue, demain dimanche!</p>
-
-<p class="i1">A ce nouveau trait du sort Gégé n'opposa
-<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[Pg 77]</a></span>
-qu'un ricanement amer. La retenue
-du dîner, la retenue du dimanche,
-le divorce, tout cela se tenait, rentrait
-dans la même série noire: il n'y avait
-qu'à s'incliner.</p>
-
-<p class="i1">Mais comme, les yeux un peu voilés
-par les larmes, il prenait ces conclusions
-fatalistes, le commandement de:
-«Halte!» arrêta brusquement dans leurs
-assommades les dix petits hercules.</p>
-
-<p class="i1">En arrière, les soieries d'une robe
-bruissaient sur le parquet. Dans la
-sèche odeur de sciure un frais parfum
-de white-rose passa. Roger, en louchant
-un peu, reconnut sa mère, au-devant de
-laquelle M. Capdemas s'avançait avec
-des sourires. Tous deux échangèrent
-quelques mots. Et M. Capdemas ordonna:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[Pg 78]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Taillard, sortez des rangs... Pour
-les autres, repos!</p>
-
-<p class="i1">Gégé s'était approché sans fierté. Sa
-mère l'embrassa. Puis M. Capdemas, lui
-collant à l'épaule sa main noueuse:</p>
-
-<p class="i1">—Taillard, madame votre maman
-est venue me dire la situation spéciale
-et particulière qui existe chez vous...
-Elle vous recommande à mon indulgence...
-Alors, vu cette situation spéciale
-et particulière, je vous lève votre retenue.</p>
-
-<p class="i1">Et désignant Roger à M<sup>me</sup> Taillard:</p>
-
-<p class="i1">—C'est que, quand il veut, le drôle,
-il fait comme un ange!</p>
-
-<p class="i1">Gégé baissa modestement la tête, en
-raclant le sol avec le bout de son pied.
-Il se demandait si, par la même occasion,
-et sous le même prétexte, il ne
-<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[Pg 79]</a></span>
-pourrait pas envoyer sa mère chez
-M. Beaujoint pour obtenir la même
-grâce. Une espèce de pudeur le retint:
-si novice qu'il fût dans la situation «spéciale
-et particulière», charger sa mère
-d'intercéder pour qu'il dînât avec son
-père lui semblait peu gentil. Il préféra
-se borner à de chaleureux remerciements.</p>
-
-<p class="i1">—Tu n'es donc plus fâché, serin?—lui
-demanda tout bas Ribermont, vers
-qui, en rentrant dans le rang, il avait
-hasardé un sourire de paix.</p>
-
-<p class="i1">—Mais non!—chuchota Gégé.</p>
-
-<p class="i1">Ils firent côte à côte le chemin du retour.
-Roger conta à Ribermont l'heureuse
-intervention de sa mère. Ribermont,
-par distraction, sans doute, enregistra
-sans triompher.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[Pg 80]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Mais, au moment où l'on arrivait,
-M. Beaujoint fit appeler dans son cabinet
-le jeune Taillard.</p>
-
-<p class="i1">—Fermez la porte, mon ami,—dit-il
-avec une aménité insolite.</p>
-
-<p class="i1">Puis, se grattant familièrement le mollet
-sous son pantalon:</p>
-
-<p class="i1">—Vous avez vu votre père?</p>
-
-<p class="i1">—Non, monsieur!—répliqua Gégé,
-la voix aussi ferme qu'il pouvait.</p>
-
-<p class="i1">—Il sort d'ici et pensait vous retrouver
-chez M. Capdemas auquel il voulait
-vous recommander. Enfin, peu importe!
-J'ai reçu aujourd'hui d'abord la visite
-de madame votre mère; ensuite, à peu
-d'intervalle, la visite de M. Taillard...
-Vous devinez, je suppose, la pensée
-d'affection qui les avait guidés vers moi...
-Ils voulaient, chacun de son côté, m'apprendre
-<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[Pg 81]</a></span>
-la situation particulièrement
-touchante et intéressante qui vous est
-créée par le malheur que vous savez...
-Je leur ai promis de ne vous ménager,
-dans la circonstance, ni mes soins, ni
-mon bon vouloir... Et, pour première
-preuve, sur la prière de votre père, j'ai
-consenti à lever votre retenue de dîner...</p>
-
-<p class="i1">—Oh! monsieur... merci bien!—balbutia
-Roger, étourdi par cette succession
-de coups de théâtre.</p>
-
-<p class="i1">—Mais n'allez pas prendre ma bienveillance
-pour de la faiblesse... Et même,
-dorénavant, mon jeune ami, si j'ai un
-conseil à vous donner, méfiez-vous d'un
-certain esprit caustique auquel vous
-n'auriez que trop de tendance!...</p>
-
-<p class="i1">Gégé remonta vers l'étude, au cri de
-plusieurs fois répété de: «Chic et
-<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[Pg 82]</a></span>
-veine!... Veine et chic!...» Il avait
-cette allégresse puissante et sans pensée
-des petits garçons sauvés par deux fois
-de la retenue. La joie le poussait comme
-un ascenseur, et il ne songeait plus du
-tout au divorce de ses parents.</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien?—murmura Ribermont,
-pressé de savoir.</p>
-
-<p class="i1">—C'est papa qui est venu causer au
-père Beaujoint pour moi. On me lève
-ma retenue de dîner.</p>
-
-<p class="i1">—T'en as une veine!—fit Ribermont,
-surtout frappé par la chance de
-son camarade.</p>
-
-<p class="i1">—Tu parles!—confirma Gégé.</p>
-
-<p class="i1">Il était habillé, paré, ganté, depuis
-une demi-heure, lorsqu'on lui annonça
-que son père l'attendait en automobile.
-Il dégringola, trois par trois, les marches
-<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[Pg 83]</a></span>
-de l'escalier. Et, après qu'on se fut embrassé
-tout son saoul:</p>
-
-<p class="i1">—Où dînons-nous?—questionna
-Taillard.—M'est avis qu'il vaudrait
-mieux dîner aux environs du Nouveau-Cirque,
-où j'aurais l'intention d'aller ce
-soir, si tu n'y vois pas d'inconvénient.</p>
-
-<p class="i1">—Oh! papa!—se récria gauchement
-Roger.</p>
-
-<p class="i1">—Alors, chez Voisin!—dit Taillard
-au chauffeur.</p>
-
-<p class="i1">Au restaurant, Roger s'assit en face
-de son père. Puis, tous deux, instinctivement,
-s'adressèrent un long sourire,
-presque un sourire d'amoureux. Taillard
-se sentait un peu ému en contemplant
-ce cher petit être dont maintenant il
-n'allait plus posséder que la moitié. Et
-Gégé, après tant de traverses, goûtait la
-<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[Pg 84]</a></span>
-molle béatitude de l'arrivée au port.</p>
-
-<p class="i1">—Tu m'aimes bien?—interrogea
-tendrement Taillard.</p>
-
-<p class="i1">—Oh! oui, papa!—fit avec élan
-Roger.</p>
-
-<p class="i1">Le dîner lui parut un enchantement.
-Jamais, les soirs de théâtre, il n'avait
-éprouvé cette impression de parfaite sécurité,
-cette certitude solide que rien désormais
-ne le priverait du plaisir projeté.
-Au dessert, Taillard lui permit une coupe
-de champagne mêlée d'eau. Roger ne se
-rappelait pas l'avoir vu si jovial. Un
-autre homme tout à fait! Il ne s'assombrit
-qu'un instant, en entendant décrire
-les splendeurs de la chambre bleue.
-Mais, aussitôt, une étincelle malicieuse
-palpita au fond de ses yeux, et il déclara
-doucement:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[Pg 85]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Cela ne m'étonne pas de la part de
-ton grand-père, qui est la bonté même.
-Ta mère aussi est une femme pleine de
-qualités... Et tu vois que ce n'est pas ce
-divorce qui nous empêchera de t'aimer!</p>
-
-<p class="i1">—Oui... oui!—fit vivement Gégé,
-qu'un si brusque rappel aux choses du
-foyer avait d'abord décontenancé.</p>
-
-<p class="i1">Par bonheur, c'était le moment de
-partir. Sans insister sur ce sujet épineux,
-qui ne le divertissait pas plus que
-son fils, Taillard solda l'addition et, à
-petits pas, on s'achemina vers le Cirque...</p>
-
-<p class="i1">A la sortie, près du contrôle, Roger,
-qui s'était princièrement amusé, réfléchit
-que l'instant arrivait peut-être de
-faire sa commission concernant l'heure
-du retour. Mais, justement Taillard lui
-demanda:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[Pg 86]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Es-tu fatigué?</p>
-
-<p class="i1">—Pas du tout.</p>
-
-<p class="i1">—Veux-tu que nous allions prendre
-quelque chose?</p>
-
-<p class="i1">—Oh! oui!</p>
-
-<p class="i1">Gégé, sitôt ces mots prononcés, les
-regretta. Tant pis! Déjà l'automobile les
-emportait par la nuit claire, le long des
-rues silencieuses. Et puis une demi-heure
-de plus ou de moins, le mal ne
-serait pas grand.</p>
-
-<p class="i1">Une bavaroise au chocolat et un panier
-de brioches eurent vite raison de ce
-restant de remords. Il y avait dans la
-salle une foule de jolies dames en peau,
-avec des colliers de perles, des rubis,
-des diamants, des émeraudes et d'immenses
-chapeaux à panaches. Des tziganes
-ponceau jouaient des valses mélancoliques
-<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[Pg 87]</a></span>
-à en pleurer ou des marches
-américaines à vous rendre ivre de gaieté.
-La lumière ruisselait des lustres sur les
-fleurs qui jonchaient les tables. Comme
-M. Beaujoint, comme M. Capdemas,
-comme M<sup>me</sup> Taillard elle-même étaient
-loin! De sa vie, Gégé n'avait passé une
-aussi bonne soirée.</p>
-
-<p class="i1">Enfin Taillard lui fit signe de se lever.
-L'automobile les ramena avenue Marceau.
-Tout le long de la route, Taillard
-tint dans sa main la main de son fils.
-Sur le seuil, il dit:</p>
-
-<p class="i1">—A samedi, alors... Du reste, d'ici
-là, je viendrai te voir chez M. Beaujoint.</p>
-
-<p class="i1">Ils s'embrassèrent de deux forts baisers.
-Puis, comme la porte se refermait sur
-Gégé, Taillard regrimpa en voiture et se
-<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[Pg 88]</a></span>
-fit conduire à un restaurant de la rue
-Royale où Nelly Jelly l'attendait dans un
-cabinet.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[Pg 89]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_095.jpg" id="i_095.jpg"></a>
- <img src="images/i_095.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="V" id="V"></a>V</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">La semaine qui suivit compta pour
-Gégé parmi les plus douces de son existence.</p>
-
-<p class="i1">Par un affectueux complot, malgré les
-premiers ennuis de la procédure ouverte,
-M. Lecherrier et M<sup>me</sup> Taillard ne cessaient
-de montrer au pauvre enfant des
-visages immuablement souriants. Et, à
-la sérénité de cette vie nouvelle, sans
-disputes, sans scènes, il mesurait peut-être
-vaguement combien l'ancienne avait
-été amère et tourmentée.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[Pg 90]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Pour Taillard, il ne passait guère
-d'après-midi sans rendre visite à son
-fils. Au lieu de la mine soucieuse et
-revêche que Gégé lui connaissait jusque-là,
-il avait toujours l'air d'arriver
-à une partie de plaisir ou d'en revenir.</p>
-
-<p class="i1">Tantôt il surgissait à l'heure du goûter,
-avec un assortiment de friandises qui
-faisaient les délices de la division élémentaire.
-Tantôt il venait vers l'heure
-de la sortie pour reconduire Gégé à pied
-ou en auto.</p>
-
-<p class="i1">Quelquefois il s'était rencontré avec
-Lucie, qu'une même sollicitude poussait
-presque quotidiennement chez M. Beaujoint.
-Il y avait eu de la gêne et pléthore de
-gâteaux. Alors, par une entente tacite, ils
-se réservèrent chacun son jour. Roger ne
-coula donc plus un après-midi sans voir
-<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[Pg 91]</a></span>
-l'un ou l'autre de ses parents. Jamais il
-ne les avait tant vus ni si bien disposés.</p>
-
-<p class="i1">Quant à M. Lecherrier, il jugeait avoir
-assez fait pour son petit-fils en ne découchant
-plus que dans la journée. Se
-cloîtrer en outre à domicile, par ces
-belles soirées d'été, lui paraissait un
-sacrifice au-dessus de ses moyens.</p>
-
-<p class="i1">Dès le lendemain de l'installation de
-Gégé, il organisa donc, sous prétexte
-d'hygiène, une série de promenades nocturnes.</p>
-
-<p class="i1">A huit heures, le cocher avait ordre
-d'atteler la victoria, et tout de suite
-après dîner, on partait vers le Bois au
-grand trot des deux bai-brun.</p>
-
-<p class="i1">La grille franchie, l'équipage prenait
-le pas. Dans toutes les avenues les voitures
-foisonnaient. A ne distinguer ni
-<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[Pg 92]</a></span>
-leurs formes ni leurs chevaux, on eût
-dit une fête de lanternes. Un air rafraîchi
-et moite tombait du ciel bleuâtre. Souvent
-des victorias avaient leur capote
-baissée: sans le blanc d'une robe ou
-d'un chapeau se détachant sur le fond
-noir, on aurait pu les croire vides. Et
-Gégé se demandait quelle drôle d'idée
-les gens avaient de se calfeutrer ainsi
-par une température pareille.</p>
-
-<p class="i1">—Respire bien, mon enfant!—disait
-M. Lecherrier pour détourner son
-attention.—Respire!</p>
-
-<p class="i1">Et Gégé respirait de tous ses poumons
-comme sous l'oreille d'un ausculteur.</p>
-
-<p class="i1">Par exemple, quant à étudier ses
-leçons pour le lendemain, depuis l'institution
-des promenades nocturnes, force
-<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[Pg 93]</a></span>
-lui avait été d'y renoncer. Il ne les
-savait plus que par exception et par
-bribes. Mais M. Beaujoint avait tenu sa
-promesse. Que les leçons fussent bien
-ou mal sues, une consigne générale
-d'indulgence, allant du plus rigoureux
-des maîtres au plus débonnaire des pions,
-préservait Gégé de toute atteinte. Chacun
-semblait connaître son malheur, le
-divorce de ses parents. C'était tout juste
-si, pour le principe, on osait discrètement
-gronder la sympathique petite victime.</p>
-
-<p class="i1">Rien ne troublait donc son infortune.
-A peine un scrupule de probité l'avait-il
-incommodé quelques heures, quand, le
-même jour, respectivement, M. Lecherrier,
-puis son père, lui avaient annoncé
-que désormais dix francs lui seraient
-<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[Pg 94]</a></span>
-alloués chaque semaine pour ses dépenses
-de poche. Devant un aussi fort total,
-Gégé, d'abord fasciné, ne protesta pas.
-Mais, vers le soir, la conscience lourde,
-il consulta Ribermont. Celui-ci, toujours
-à court avec ses vingt sous par semaine,
-conseilla de laisser les choses en l'état.
-On donnait: pourquoi refuser? Et le surlendemain,
-sans doute comme rémunération
-de ses conseils, il priait Roger de
-lui avancer cinq francs, qu'il devait
-depuis des mois à Thomas (Achille),
-pour des billes.</p>
-
-<p class="i1">Le jeune Taillard consentit à cet
-emprunt avec la bonne grâce du capitaliste
-que l'on tape pour la première fois.</p>
-
-<p class="i1">Au reste, son esprit était ailleurs. Il
-ne voyait pas approcher sans plaisir le
-jour de son départ pour l'avenue d'Antin.
-<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[Pg 95]</a></span>
-Si choyé qu'il fût avenue Marceau,
-il s'attendait, chez son père, à des surprises
-nouvelles; et, par la force des
-choses, le goût du changement lui venait.</p>
-
-<p class="i1">Les surprises escomptées commencèrent
-dès la veille, mais avenue Marceau.
-En rentrant, Roger, découvrit, au
-beau milieu de sa chambre, une magnifique
-malle en peau de truie, avec des
-coins de cuivre et les initiales R. T.
-imprimées en grosses lettre rouges. Et
-comme, abasourdi, il en faisait le tour,
-M. Lecherrier apparut, la moustache
-troussée par un sourire de vanité:</p>
-
-<p class="i1">—Oui, c'est pour toi,—proclama-t-il
-en s'avançant.—Tu vas faire continuellement
-la navette entre ici et l'avenue
-d'Antin. J'ai voulu que tu aies une malle
-à toi, comme un homme!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[Pg 96]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Cette fois, la comparaison n'inquiéta
-pas Gégé. Il eut seulement un peu de
-honte en se rappelant la sorte de hâte
-qu'il éprouvait à quitter un grand-père
-si bon. Et cet embryon de remords
-s'accrut encore aux adieux du lendemain
-matin. M. Lecherrier, les lèvres
-molles, avait laissé éteindre sa pipe;
-M<sup>me</sup> Taillard affectait un entrain visiblement
-factice. Gégé, très ému, leur fit
-promettre de venir le voir tous les jours
-chez M. Beaujoint; et, comme prévoyant
-l'objection:</p>
-
-<p class="i1">—Je n'aurai qu'à dire à papa que vous
-venez à l'heure du goûter.</p>
-
-<p class="i1">Devant ce gentil trait de sens pratique,
-M. Lecherrier et sa fille échangèrent un
-regard d'admiration.</p>
-
-<p class="i1">—Tu es un ange!—déclara
-<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[Pg 97]</a></span>
-M<sup>me</sup> Taillard en étreignant Roger tout
-fier de son succès.</p>
-
-<p class="i1">C'était pour lui une manière d'absolution.
-Et il avait complètement oublié ses
-torts, quand, vers sept heures du soir,
-il parvint avenue d'Antin. La malle,
-venue par une autre voie, arrivait aussi.
-Mais Roger fut le premier en haut:</p>
-
-<p class="i1">—Qu'est-ce que c'est que cette malle?—questionna
-dédaigneusement Taillard,
-qui du balcon l'avait aperçue.</p>
-
-<p class="i1">—C'est ma nouvelle malle!—fit
-délibérément Gégé.</p>
-
-<p class="i1">A cette explication, Taillard s'était
-un peu rembruni, comme chez Voisin,
-l'autre semaine, à l'occasion de la
-chambre bleue. Ç'avait été dans ses
-yeux le même nuage d'ombre, aussitôt
-chassé par la même étincelle narquoise.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[Pg 98]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Très bien!—dit-il.—Maintenant
-il s'agit d aller vite t'habiller, parce que
-nous dînons au Bois.</p>
-
-<p class="i1">Et, Roger tournant à droite:</p>
-
-<p class="i1">—Non, pas par ici... Ta chambre
-était trop loin de la mienne; je t'ai installé
-à côté de moi, dans le fumoir..</p>
-
-<p class="i1">Il ouvrit la porte. Gégé exhala un
-«oh!» de ravissement. Ses pressentiments
-ne l'avaient pas trompé. Pour une
-«surprise», c'en était une!</p>
-
-<p class="i1">En huit jours, de ce fumoir maussade,
-le tapissier, talonné par Taillard, avait
-fait la chambre la plus pimpante, la plus
-confortable qu'ait conçue le génie anglais.
-Tout y était harmonieux, tout s'y accordait
-en des tons parfaits, la nuance claire
-des meubles en bois d'olivier avec le net
-dessin des cretonnes britanniques, le
-<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[Pg 99]</a></span>
-papier d'un rose discret avec le cuir grenat
-des fauteuils. Aux murs, des gravures
-de chasse, serties de pitchpin vert,
-rehaussaient l'ensemble par leurs teintes
-crues. Près de la fenêtre, un «Sandow»
-laissait pendre ses minces serpents bariolés.
-Taillard n'avait pas commis un
-oubli. Mais quelle revanche aussi! Enfoncée,
-la chambre bleu de lin! Pour
-s'en convaincre, il n'y avait qu'à regarder
-Gégé.</p>
-
-<p class="i1">Il ne se lassait pas de marcher à travers
-la pièce, d'examiner chaque meuble,
-d'inventorier son nouveau domaine. Taillard
-dut le bousculer pour qu'il se mît
-en tenue; et l'on ne parvint à Armenonville
-que sur le coup de huit heures et
-demie.</p>
-
-<p class="i1">Gégé y retrouva avec satisfaction les
-<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[Pg 100]</a></span>
-charmantes dames décolletées, endiamantées,
-empanachées, qu'il avait tant
-appréciées, la semaine précédente, au
-sortir du Cirque. Ou, du moins, si ce
-n'étaient les mêmes, elles leur ressemblaient
-tellement que le plaisir des yeux
-demeurait pareil. Des tziganes, bleus
-cette fois, jouaient des airs identiques;
-et des fleurs pâmaient également sur les
-nappes.</p>
-
-<p class="i1">A une table voisine, Roger remarqua
-une jolie jeune fille blonde à qui ses
-yeux myosotis, sa fine figure en triangle,
-et l'encadrement de ses boucles d'or, faisaient
-une tête de poupée anglaise. Vis-à-vis
-d'elle mangeait une sorte de vieille
-gouvernante bougonne et ventrue.</p>
-
-<p class="i1">La jeune fille, presque à chaque bouchée,
-ramenait son regard en coin vers
-<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[Pg 101]</a></span>
-Gégé, qui se sentait intimidé et flatté.</p>
-
-<p class="i1">Ces dames se retirèrent vers neuf
-heures et un monsieur, à côté, murmura
-pour son camarade:</p>
-
-<p class="i1">—C'est la petite Nelly Jelly, des Ambassadeurs,
-avec sa mère.</p>
-
-<p class="i1">Taillard prit un air détaché. Nelly
-Jelly intriguait depuis quelques jours,
-pour connaître, fût-ce de loin, Gégé. Mais,
-cette scabreuse faveur accordée, la plus
-grande correction s'imposait.</p>
-
-<p class="i1">Roger reconnut encore la jeune fille
-blonde, le lendemain, aux courses d'Auteuil,
-où son père s'était décidé à l'emmener.
-Avant de partir, Taillard lui
-avait même fait présent d'une ancienne
-lorgnette qui était toute neuve. L'étui
-jaune en bandoulière, la carte au veston,
-Gégé paradait dans le pesage, comme un
-<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[Pg 102]</a></span>
-sportsman de vieille date. Pendant les
-épreuves, il regrimpait dans les tribunes,
-et, au <i>rush</i> final, il hurlait avec son père
-le nom du cheval qu'ils avaient joué. Il
-rentra avec deux louis de participation
-sur les bénéfices de Taillard et le ferme
-projet de devenir plus tard gentleman-rider
-ou jockey.</p>
-
-<p class="i1">Ce soir-là, on dîna à la maison. La
-vieille Annette, restée au service de Taillard,
-multipliait les prévenances envers
-Gégé. Elle, jadis si exigeante sur la politesse,
-semblait maintenant quêter les regards
-de son petit maître pour mieux
-devancer ses désirs. Roger nota avec
-étonnement cette transformation.</p>
-
-<p class="i1">—Vraiment, il fait trop chaud chez
-soi!—déclara Taillard à la fin du repas.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[Pg 103]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Aussi, les autres soirs de la semaine,
-dîna-t-on dehors. Armenonville alternait
-avec Madrid, Madrid avec les Ambassadeurs.
-Gégé ne quittait plus son smoking
-et s'amusait prodigieusement.</p>
-
-<p class="i1">Il ne ressentait de malaise qu'aux
-visites quotidiennes de son grand-père
-et de sa mère. Il avait observé chez eux,
-quand il leur rendait compte de son existence,
-la même grimace de mécontentement
-que chez son père à la description
-de la chambre bleue ou à l'arrivée de la
-malle en truie. Alors, machinalement, il
-éteignit le ton enflammé de ses récits.
-Quelquefois même, par un raffinement
-d'égards, il feignait de ne pas tant s'amuser
-que cela et contait ses soirées d'une
-voix distraite, quasi dégoûtée.</p>
-
-<p class="i1">—J'espère que tu es sage, que tu ne
-<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[Pg 104]</a></span>
-fais pas d'excès!—disait M<sup>me</sup> Taillard,
-les lèvres pincées.</p>
-
-<p class="i1">—Sois tranquille!—assurait Roger.
-... J'ai pas envie de tomber malade, moi.
-Merci bien!</p>
-
-<p class="i1">Le soir de son retour avenue Marceau,
-quoiqu'il fût sincèrement joyeux de rejoindre
-sa mère et son grand-père, il exagéra
-à dessein. Il sautait sur les canapés,
-sur les fauteuils, en criant:</p>
-
-<p class="i1">—Ce que je suis content! Ce que je
-suis content!...</p>
-
-<p class="i1">Mais tout l'effet de cette manifestation
-croula quand Gégé narra l'emploi de l'après-midi.</p>
-
-<p class="i1">Taillard, le matin, avait informé son
-fils que ces emballages perpétuels lui
-semblaient oiseux, cette grosse malle encombrante
-et superflue: une double
-<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[Pg 105]</a></span>
-garde-robe serait bien plus pratique.</p>
-
-<p class="i1">Et, là-dessus, après un mot d'excuse
-à M. Beaujoint, on avait passé la journée
-chez les fournisseurs, chez le chemisier
-de Taillard, chez son tailleur, chez son
-bottier. Tout une garniture de lingerie
-chez le premier, trois costumes et deux
-pardessus chez le second, quatre paires
-de souliers divers chez le troisième,—jusqu'au
-soir, les commandes s'étaient
-accumulées sans trêve.</p>
-
-<p class="i1">—Il te faut un trousseau complet!—affirmait
-Taillard à chaque acquisition
-nouvelle.</p>
-
-<p class="i1">Le «trousseau complet»! Qui, dans
-l'enfance, n'a souhaité un instant d'être
-pensionnaire, rien que pour posséder ce
-que les catalogues appellent un «trousseau
-complet»? Et Gégé ne pouvait se
-<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[Pg 106]</a></span>
-rappeler ces événements sensationnels
-sans un regain d'exaltation.</p>
-
-<p class="i1">Malgré lui, il omit la réserve adoptée.
-Il entra dans des détails minutieux, vanta
-la forme des vestons, la couleur des étoffes,
-ne fit grâce de rien. Il n'en voyait même
-plus les coups d'œils sévères dont M. Lecherrier
-marquait chacune de ses phrases.</p>
-
-<p class="i1">—C'est bon, mon petit!—dit celui-ci
-glacialement, quand Roger eut achevé.
-... Maintenant laisse-nous... Ta mère et
-moi nous avons à causer.</p>
-
-<p class="i1">Gégé sortit, avec la pesante impression
-d'avoir peut-être été trop loin.</p>
-
-<p class="i1">Demeurés seuls, M. Lecherrier se carra
-les bras croisés, devant sa fille:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien! qu'est-ce que je te disais?
-Le plan de ce monsieur est bien simple:
-il veut nous prendre le petit!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[Pg 107]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Crois-tu?... Moi, je verrais plutôt
-dans tout cela de l'égoïsme. Il a besoin
-de la fête... Il y emmène Gégé... Il ne regarde
-pas plus loin...</p>
-
-<p class="i1">—Et la malle?—s'écria M. Lecherrier.—Ce
-qu'il a dit de la malle, est-ce
-que c'est de l'égoïsme aussi?... Non, il y a
-là un ensemble de circonstances qui ne
-supporte pas la discussion. Ton mari
-n'a qu'une idée: débiner ce que nous
-faisons et persuader à Gégé qu'il fait
-mieux... Or un enfant, hélas! n'est qu'un
-enfant... Du jour où Roger pensera qu'il
-a plus d'avantages chez son père, c'est
-lui qu'il aimera, et pas nous... Voilà la
-vérité!...</p>
-
-<p class="i1">—Soit, mais comment nous défendre?</p>
-
-<p class="i1">—Je ne sais pas... La situation est
-<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[Pg 108]</a></span>
-très difficile... Il faudrait frapper un
-grand coup, inventer quelque chose d'équivalent
-au trousseau... Saisis-tu?</p>
-
-<p class="i1">—Oui... seulement, quoi?</p>
-
-<p class="i1">—Nous chercherons!</p>
-
-<p class="i1">Au bout de trois jours, il avait trouvé.
-La riposte était ingénieuse, mais terriblement
-compliquée.</p>
-
-<p class="i1">Elle consistait en une bicyclette du
-dernier style, avec un enchevêtrement
-de chaînes et de contre-chaînes, de freins
-et de contre-freins, trois changements de
-vitesse, un système de rétropédalage,
-mille perfectionnements diaboliques qui
-permettaient de marcher à reculons
-comme en avant, de gravir les côtes
-aussi vite qu'on allait en plaine, et dont
-la description seule n'avait pas pris au
-marchand moins d'une demi-heure. On
-<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[Pg 109]</a></span>
-appelait ce modèle «l'Alouette-extra».</p>
-
-<p class="i1">Sur un fervent cycliste tel que Roger,
-un pareil bijou ne pouvait manquer de
-produire un gros effet.</p>
-
-<p class="i1">—Mais à propos de quoi lui donner
-cela?—demanda judicieusement Lucie
-quand un peu avant le dîner, on apporta
-la machine.</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier hésita:</p>
-
-<p class="i1">—Je verrai... Tiens je lui dirai que
-c'est pour ses vacances!...</p>
-
-<p class="i1">Firmin avait reçu ordre de presser le
-service.</p>
-
-<p class="i1">En vingt-cinq minutes on eut dîné, et
-on remonta dans le salon, au centre duquel,
-sous un vaste drap blanc, la bicyclette
-avait l'air d'une statue à inaugurer.</p>
-
-<p class="i1">—Qu'est-ce que c'est que cela?—s'écria
-Roger dès le seuil.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[Pg 110]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Regarde!—dit solennellement
-M. Lecherrier, en tirant à lui le vélum
-avec un noble geste de vieux magicien.</p>
-
-<p class="i1">L'enthousiasme de Roger passa toutes
-les prévisions. Il obtint comme faveur
-de ne pas sortir: il voulait lier connaissance
-avec sa merveilleuse machine. On
-dut la lui porter dans sa chambre pour
-la nuit. Et, bien entendu, le lendemain,
-il eut la permission d'en user, escorté
-de Firmin sur un mauvais «clou»,
-pour se rendre à la pension.</p>
-
-<p class="i1">Auprès des neuf Beaujoint, le succès
-de l'Alouette-extra toucha à l'apothéose.
-Bon enfant, Gégé avait autorisé tous ses
-petits camarades à l'essayer, et il attendait
-avec impatience le suffrage de son
-père, qui devait venir, comme presque
-chaque jour, vers l'heure du goûter.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[Pg 111]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Taillard pourtant se montra tiède,
-et, après un coup d'œil sommaire à
-l'Alouette:</p>
-
-<p class="i1">—Ça tombe à pic!—déclara-t-il.—J'ai
-justement en vue, pour le moment
-de tes vacances chez moi, un assez
-gentil petit poney... Alors tu pourras
-varier tes sports...</p>
-
-<p class="i1">—Un vrai poney, pour moi seul?—s'exclama
-Gégé, encore incrédule.</p>
-
-<p class="i1">—Oui!—fit négligemment Taillard.
-... Une très jolie petite bête, ma foi, qui
-manque peut-être un peu de dressage...
-Mais d'ici septembre, nous avons grandement
-le temps de te la mettre en
-main!</p>
-
-<p class="i1">—Oh bien! ça, c'est trop!—proclama
-Gégé, à bout de formules reconnaissantes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[Pg 112]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Et, la visite terminée, il courut incontinent
-à Ribermont pour l'informer de
-l'heureuse nouvelle.</p>
-
-<p class="i1">—J'espère!...—se contenta de répliquer
-Ribermont, qui commençait à
-être excédé des aubaines de son camarade.</p>
-
-<p class="i1">—Crois-tu, hein!...—surenchérit
-Roger, feignant de ne pas remarquer cette
-froideur.</p>
-
-<p class="i1">Cependant, elle lui inspira, du coup,
-une peur délicate. Si Ribermont prenait
-ainsi la chose, qu'en dirait-on avenue
-Marceau? Sûrement, le jour même de la
-bicyclette, ce poney leur ferait de la
-peine. Peut-être bien aussi que ça aurait
-l'air de leur demander un cadeau encore
-plus beau?...</p>
-
-<p class="i1">Mais le scrupule n'est souvent qu'une
-<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[Pg 113]</a></span>
-première étape dans la mauvaise voie.
-Et, sans le vouloir, Gégé se mit à chercher
-ce qu'on pourrait lui donner de
-plus beau que le poney et l'Alouette. Son
-imagination s'emballa. Il rêvait de jouets
-extraordinaires, d'inventions féeriques,
-et Aladin n'était pas son cousin.</p>
-
-<p class="i1">Si bien qu'il ne sut d'abord que
-répondre, lorsqu'au dessert M. Lecherrier
-questionna:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, Gégé, comment ton père
-a-t-il trouvé ta machine?</p>
-
-<p class="i1">—Papa?...—fit-il, pour se ressaisir.</p>
-
-<p class="i1">Mais aussitôt, d'eux-mêmes, ses bons
-sentiments lui soufflèrent:</p>
-
-<p class="i1">—Papa? Il l'a trouvée épatante!</p>
-
-<p class="i1">Et comme, la semaine d'après, en
-revenant de chez son père, il n'annonçait
-<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[Pg 114]</a></span>
-nulle gâterie nouvelle, le match de présents
-prit fin. Des deux parts, on
-croyait s'être maté. M. Lecherrier triomphait
-de son Alouette; Taillard, de son
-poney. On s'en tint désormais à des
-escarmouches, aux menus projectiles de
-rencontre: gants, cravates, un petit
-bijou de-ci, de-là. La guerre d'argent
-avait cessé. Ce ne fut plus qu'un tournoi
-de tendresse.</p>
-
-<p class="i1">L'ardeur de la concurrence ne perdit
-pas au change. Rien ne développe le
-sentiment paternel comme le divorce.
-D'abord on se disputait l'enfant comme
-l'enjeu d'une partie dont la galerie est
-juge; puis l'amour-propre cède à l'instinct.
-A la pensée de se voir ravir le
-petit de son sang, on se découvre pour
-lui ces élans de cœur, cette ferveur
-<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[Pg 115]</a></span>
-d'affection que donne seule la crainte
-des départs éternels: on l'aime comme
-on ne l'a jamais aimé; on l'aime comme
-quelqu'un qui va peut-être mourir.</p>
-
-<p class="i1">Et bientôt même la contagion ne tarda
-pas à atteindre Gégé. Sans se l'expliquer,
-il éprouvait pour ses parents une espèce
-d'attachement ému qui lui paraissait
-tout nouveau. Leur fréquentation n'était
-plus le plaisir banal qu'a émoussé la
-satiété. Les quitter, ne fût-ce que du
-matin au soir, lui semblait à présent
-une vraie privation; les revoir, une
-vraie réjouissance. Certes il les trouvait
-bien gracieux d'inviter si fréquemment
-à dîner ou à des promenades Ribermont
-et d'autres petits amis. Pour peu qu'on
-l'en priât, il s'avouait l'enfant le plus
-gâté de Paris. Mais surtout il leur savait
-<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[Pg 116]</a></span>
-gré de leur tendresse toujours grandissante.
-Souvent un baiser de son père,
-une étreinte de sa mère, une caresse de
-M. Lecherrier lui laissaient de la joie
-pour toute la journée, comme un cadeau
-reçu, comme un plaisir promis. Alors,
-à l'étude, en classe, tout à coup, l'envie
-lui venait de leur écrire des gentillesses,
-et il ne se retenait que par peur des
-plaisanteries.</p>
-
-<p class="i1">D'ailleurs, depuis quelque temps,
-partout, c'était à qui se montrerait bon
-pour lui. Même au dehors, dans les relations
-de sa famille, chez les parents de
-ses camarades on ne l'appelait plus
-autrement que: «Mon pauvre petit
-Gégé!... Mon pauvre petit ami!...»
-Quand on l'embrassait, des soupirs
-effleuraient sa joue. Mais cette pitié ne
-<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[Pg 117]</a></span>
-l'attristait pas; elle lui faisait plutôt
-plaisir. Il se sentait intéressant, important,
-comme lorsqu'on est malade ou en
-deuil.</p>
-
-<p class="i1">Il y avait cependant un point sur lequel,
-sans savoir pourquoi, il eût bien
-voulu être fixé. Quand le divorce serait-il
-terminé? Là-dessus les réponses de sa
-mère et de M. Lecherrier étaient toujours
-de plus en plus évasives: on ne
-pouvait rien affirmer, on ignorait,—et
-pour cause.</p>
-
-<p class="i1">Tant qu'il ne s'était agi que de la division
-des biens, de l'attribution des torts,
-des prestations légales, l'affaire avait
-marché à grande vitesse. Mais, dès qu'on
-avait abordé le partage de l'enfant, tout
-s'était soudainement brouillé. Le <i>statu
-quo</i> ne plaisait plus. Les exigences des
-<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[Pg 118]</a></span>
-adversaires croissaient chaque jour avec
-la recrudescence de leur tendresse. Des
-deux côtés on se prétendait lésé, on chicanait
-sur la part de l'autre, on réclamait
-pour soi plus de Gégé. Tellement qu'à la
-fin, écœurés, les avoués avaient suspendu
-leurs pourparlers.</p>
-
-<p class="i1">De temps en temps seulement, pour
-la forme, ils causaient du procès, au hasard
-d'une rencontre à l'audience ou
-d'une bavette aux Pas-Perdus.</p>
-
-<p class="i1">Gimblet, l'avoué de Jacques, en voulait
-principalement à Roger.</p>
-
-<p class="i1">—Vous verrez,—disait-il sans respect
-pour la situation du pauvre enfant,—vous
-verrez, c'est ce crapaud qui fera
-tout rater!</p>
-
-<p class="i1">Mais Aubineau en avait plutôt à M. Lecherrier:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[Pg 119]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Non, mon cher, pour moi, le pire,
-là dedans, c'est le vieux!</p>
-
-<p class="i1">Et le fait est que, dans ce débat,
-M. Lecherrier témoignait d'un mauvais
-vouloir qui n'avait d'égal que sa mauvaise
-foi. Maintenant que son existence
-était à base de Gégé, il n'admettait pas
-qu'on lui en retirât une parcelle. Ah!
-non, assez de changements comme cela!
-Il tenait son petit-fils. Il n'en lâcherait
-pas un pouce, pas un millimètre. Et, par
-moments, dans la fougue de la lutte, on
-l'eût dit rajeuni de vingt ans, alors qu'il
-discutait, des heures durant, avec les
-clients, sur le tissu d'une pièce de soie.</p>
-
-<p class="i1">A l'étude Aubineau, où l'on ne voyait
-plus que lui, pour tout le monde, du
-maître clerc au saute-ruisseau, il était
-devenu un objet de terreur. Mais on
-<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[Pg 120]</a></span>
-avait beau lui ménager les accueils les
-plus froids, le faire attendre, l'éconduire,
-il revenait le lendemain, chaque fois
-plus acharné et plus intransigeant.</p>
-
-<p class="i1">Enfin un matin, comme on touchait
-aux derniers jours de juillet, Aubineau,
-qui depuis une quinzaine lui fermait sa
-porte, consentit à le recevoir et désignant
-un siège:</p>
-
-<p class="i1">—Je suis d'autant plus heureux de
-vous voir, mon cher monsieur Lecherrier,
-que j'avais une communication
-pressante à vous faire... Voici... Hier,
-Gimblet et moi, nous sommes tombés
-d'accord que, nos pourparlers étant épuisés,
-il n'y avait plus qu'à plaider. Toutefois.
-comme dans deux semaines les
-vacances judiciaires vont s'ouvrir et que
-nous risquerions fort d'être remis à la
-<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[Pg 121]</a></span>
-rentrée d'octobre, nous avons pensé
-que, retard pour retard, on pourrait au
-besoin laisser tranquillement sommeiller
-l'affaire jusqu'à cette époque... D'ici là,
-peut-être que des concessions... peut-être
-qu'un peu d'apaisement se sera produit
-dans vos esprits et que nous découvrirons
-ensemble la solution satisfaisante...
-Voilà... Qu'en dites-vous?</p>
-
-<p class="i1">M. Lecherrier demanda le temps de
-réfléchir. Mais, au fond, il commençait
-à être las de se démener ainsi sans
-aboutir, dans ce Paris brûlant et
-comateux d'où fuyaient une à une toutes
-ses petites camarades. Et l'offre d'Aubineau
-lui avait tout de suite souri.</p>
-
-<p class="i1">Il n'en prit pas moins le ton le plus
-indifférent pour soumettre à Lucie le
-projet de l'avoué.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[Pg 122]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Cela me paraît très bien!—approuva
-M<sup>me</sup> Taillard.</p>
-
-<p class="i1">Elle aussi ne souhaitait que de partir.
-La semaine d'avant, elle venait de
-rompre avec Alcide Barbier qui, décidément,
-ne lui procurait plus aucune espèce
-de plaisir. Elle avait hâte de quitter cette
-ville de désillusion où nul charme ne la
-retenait plus.</p>
-
-<p class="i1">Restait à choisir la plage, car le docteur
-ordonnait à Roger la mer. M. Lecherrier
-penchait pour Trouville, dont
-le tumulte cacherait, à l'occasion, ses
-frasques; mais Lucie affirmait l'endroit
-trop mondain, sans ajouter qu'il était
-trop près d'Houlgate, où villégiaturaient
-les Barbier.</p>
-
-<p class="i1">Gégé proposa Dieppe. Les Ribermont
-y possédaient une villa avenue Aguado,
-<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[Pg 123]</a></span>
-et ne demanderaient pas mieux que de
-s'entremettre pour la location.</p>
-
-<p class="i1">On se rallia à Dieppe. En trois télégrammes,
-un joli <i>cottage</i>, sur la route
-d'Arques, fut signalé, décrit, loué.</p>
-
-<p class="i1">Et, quatre jours plus tard, après de
-tendres adieux à son père, Gégé débarquait
-en gare de Dieppe, avec toute la
-maisonnée de l'avenue Marceau.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[Pg 125]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_131.jpg" id="i_131.jpg"></a>
- <img src="images/i_131.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="VI" id="VI"></a>VI</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Septembre approchait, et Gégé commençait
-à compter les jours sans savoir
-si c'était plus par joie de revoir son père
-ou regret de quitter sa mère.</p>
-
-<p class="i1">Comme ce mois d'août avait filé!
-Quelles vacances! Non, dans tous ses
-souvenirs, Gégé ne s'en rappelait pas de
-si paisibles chez lui, ni au dehors de si
-étourdissantes.</p>
-
-<p class="i1">Dès l'arrivée, d'abord, Ribermont
-l'avait affilié à une coterie ultra-fermée
-de petits garçons de bonne famille, qui
-<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[Pg 126]</a></span>
-faisaient, sur la plage, la pluie et le beau
-temps. A ceux du «groupe», comme on
-disait, tous les privilèges et toutes les
-faveurs. A eux les baigneurs les plus
-demandés, les premiers rangs aux bals
-d'enfants, la maîtrise de la terrasse, la
-suprématie sur le galet, les préférences
-des plus jolies petites filles. Mais quiconque
-n'appartenait pas au «groupe»
-était tenu pour nul et non avenu.</p>
-
-<p class="i1">Annoncé par Ribermont comme un
-«chic type», Roger avait rapidement
-pris dans cette élite une forte situation.
-Son agilité, son entrain y aidaient, et
-aussi son Alouette-extra. Fastueux avec
-cela, grâce à ses semaines doubles,
-payant partout à gousset ouvert, il n'y
-avait plus de partie, plus d'excursion
-sans lui. Et dans tous les jeux, il était
-<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[Pg 127]</a></span>
-bien rare qu'on ne l'élût pas chef de camp.</p>
-
-<p class="i1">Vers le milieu du mois, pourtant, les
-délices de cette popularité avaient failli
-être gâtées par un accident de correspondance
-au sujet d'un certain Bousingot,
-dont le nom revenait dans toutes
-les lettres de Taillard à son fils. «Bousingot
-t'envoie ses meilleures amitiés...
-Bousingot devient de plus en plus gentil...»
-A la troisième lettre, intrigué,
-M. Lecherrier s'était enquis du personnage.
-Et Gégé, comme une faute, avait dû
-confesser que le nommé Bousingot n'était
-autre qu'un petit poney alezan acheté
-en juillet, à son intention, par Taillard.</p>
-
-<p class="i1">Mais, M. Lecherrier, aguerri maintenant
-à ces manœuvres, avait paru trouver
-la chose toute naturelle.</p>
-
-<p class="i1">—C'est parfait. Seulement, il faut
-<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[Pg 128]</a></span>
-t'entraîner, mon garçon... Que dirais-tu,
-par exemple, de quelques sorties à cheval
-avec le maître de manège?...</p>
-
-<p class="i1">Puis, le lendemain, il rapportait à Roger
-un cachet de douze promenades
-«accompagnées».</p>
-
-<p class="i1">Le prestige du jeune chef de camp s'en
-accrut encore auprès de ses petits camarades
-du groupe. Quand il passait à cheval,
-avec l'écuyer en culotte mastic,
-c'était à qui le hélerait pour faire parade
-de son amitié ou le complimenter de sa
-monture. Entre temps, on avait appris
-que, pour la rentrée, son grand-père lui
-promettait un petit «tonneau»; et, dans
-toutes les villas du groupe, à tous les repas
-de famille, il n'était bruit que de
-Gégé Taillard, de son Alouette, de son
-poney et de son tonneau à venir.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[Pg 129]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Parmi tant de distractions, comme on
-pense, ses devoirs de vacances avaient
-cruellement pâti.</p>
-
-<p class="i1">Un matin, saisissant le prétexte du
-départ prochain, M<sup>me</sup> Taillard acheva de
-l'en libérer:</p>
-
-<p class="i1">—Bah! tu travailleras en septembre,
-chez ton père...</p>
-
-<p class="i1">Ce que Gégé ne se fit pas répéter deux
-fois.</p>
-
-<p class="i1">Et dès lors, chaque après-midi, le
-déjeuner fini, au lieu de se morfondre
-dans les froides analyses logiques ou les
-funestes règles de trois, il partait avec sa
-mère en promenade.</p>
-
-<p class="i1">Tendrement, bras dessus bras dessous,
-on s'en allait soit vers la campagne voisine,
-soit vers la plage, déserte à cette
-heure. Lucie s'asseyait sur un talus et
-<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[Pg 130]</a></span>
-tirait son ouvrage, tandis que Roger
-feuilletait auprès d'elle quelque journal
-illustré. Ou bien, si l'on avait gagné la
-plage, il cherchait pour M<sup>me</sup> Taillard un
-pliant, et, accoté contre elle, le dos à ses
-genoux, il jetait devant lui des galets secs
-qui cabriolaient vers la mer comme
-dans une frénésie de suicide.</p>
-
-<p class="i1">On ne disait presque rien. On allait se
-quitter. On y songeait. Et, dans le
-tourbillon de ses plaisirs, Gégé aimait
-beaucoup ces haltes de mélancolie qui
-ne l'empêchaient pas, une heure après,
-de s'amuser tant et plus.</p>
-
-<p class="i1">Malheureusement pour M<sup>me</sup> Taillard,
-sa tristesse durait bien au delà. En réalité
-même, depuis l'arrivée à Dieppe, cette
-tristesse n'avait pas cessé, et, chaque
-jour, se faisait plus obsédante.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[Pg 131]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Parmi les douleurs de la jeune femme,
-le départ de Roger n'était qu'une blessure
-prévue. Ses vrais soucis allaient
-plus loin, vers la vie incertaine et trouble
-qui s'ouvrait à présent pour elle.</p>
-
-<p class="i1">Comment finirait ce divorce? Que lui
-laisserait-on de Gégé? Et ensuite, sans
-mari, sans amant, peut-être sans fils,
-que devenir?... Se remarier? Avec qui
-et dans quel intérêt?... Se risquer à une
-liaison nouvelle? Pour combien de
-temps et sur quelles garanties?... Ses
-chagrins passés la mettaient en méfiance,
-ses déboires récents en révolte. Et, pardessus
-tout, le mystère de tant de questions
-sans réponses l'affolait.</p>
-
-<p class="i1">La pire infériorité des femmes, c'est
-de ne pas savoir attendre. Au bonheur
-même, leur impatience ne tolère pas la
-<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[Pg 132]</a></span>
-plus légère inexactitude: s'il n'arrive pas
-à l'heure dite, les voilà hors d'elles, perdues.
-Ou bien, danger plus grave,
-elles se mettent à sa recherche. Dans tout
-monsieur qui passe elles croient le
-reconnaître, quittes à tâter d'un autre,
-en cas d'erreur sur la personne. Et ainsi
-Lucie en était venue à se demander si le
-plus simple encore ne serait pas d'accepter
-sans façon, les offres de service
-que lui réitérait chaque matin, au Casino,
-Germain Chavanne, un assez joli
-garçon à moustache brune, camarade de
-cercle de M. Lecherrier, bien élevé,
-plutôt spirituel, et présentant, comme
-flirt, le maximum des qualités requises.</p>
-
-<p class="i1">Cependant une autre solution la tentait.
-Mais si difficile, si aléatoire que
-rien que l'aborder lui faisait peur. Il
-<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[Pg 133]</a></span>
-fallut, pour l'y enhardir, la nécessité du
-dernier moment, juste la veille du jour
-où Roger s'en allait.</p>
-
-<p class="i1">C'était après déjeuner au jardin.
-M. Lecherrier était remonté faire la
-sieste. Et comme Roger se disposait à
-le suivre, pour finir sa malle, M<sup>me</sup> Taillard,
-dans un élan de courage le retint:</p>
-
-<p class="i1">—Reste un peu, mon petit... Tu
-emballeras plus tard... Viens ici... J'ai à
-te dire un grand secret...</p>
-
-<p class="i1">Elle attira Gégé sur ses genoux, et, la
-tête contre sa tête:</p>
-
-<p class="i1">—Écoute bien, mon chéri... Ni moi
-ni ton grand-père nous ne t'avons jamais
-soufflé mot de ce divorce, parce que ce
-sont des choses qui ne regardent pas les
-enfants... Seulement de toi-même, tu as
-<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[Pg 134]</a></span>
-dû remarquer combien cette affaire s'éternisait!...</p>
-
-<p class="i1">—Oh! oui, maman!—fit par politesse
-Gégé, à qui pourtant le temps
-n'avait pas semblé long.</p>
-
-<p class="i1">—Et sais-tu pourquoi cela dure tellement?
-C'est à cause de toi... Note bien,
-je ne dis pas: «par ta faute», je dis:
-«à cause de toi...» Oui, tous les ennuis
-viennent de ce que ton père et moi
-nous ne parvenons pas à nous entendre
-à ton sujet... Nous voudrions chacun te
-garder entièrement, ou du moins t'avoir
-plus... Il en résulte des difficultés interminables...
-Et c'est pour cela que souvent
-tu me vois si triste, si préoccupée...</p>
-
-<p class="i1">Sa voix fléchissait.</p>
-
-<p class="i1">—Maman! Maman! tu ne vas pas
-pleurer!—fit Roger avec énergie.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[Pg 135]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Eh bien!—reprit M<sup>me</sup> Taillard en
-se dominant,—il y aurait peut-être un
-moyen de mettre fin à cette situation
-désolante: ce serait que, pendant le mois
-que tu vas passer là-bas, à Courteuil, tu
-tâches de me raccommoder avec ton
-père...</p>
-
-<p class="i1">Gégé, inconsciemment, détourna les
-yeux.</p>
-
-<p class="i1">—Regarde-moi bien, mon chéri,—continua
-M<sup>me</sup> Taillard.—Naturellement
-il faudra y aller avec beaucoup de prudence.
-Ainsi, il serait de la dernière maladresse
-de dire à ton père que c'est moi
-qui propose cette réconciliation. Cela lui
-donnerait une trop grande opinion de
-ses droits sur toi, de ses chances dans
-le procès. Et après, s'il refusait, je serais
-trop humiliée... Non, il faudrait, au contraire,
-<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[Pg 136]</a></span>
-présenter l'idée comme venant de
-toi: une idée que tu aurais eue, tu comprends?...
-Tu dirais, je suppose: «Moi
-je suis sûr que si tu voulais te réconcilier
-avec maman, elle accepterait très
-bien...» Et s'il te questionnait, tu ajouterais
-que je t'ai toujours parlé gentiment
-de lui, que tu t'engages à tout arranger,
-que ça te ferait un plaisir énorme...
-La vérité, quoi!</p>
-
-<p class="i1">—Oui, oui!—approuva Roger qui
-n'écoutait plus que d'une oreille bourdonnante.</p>
-
-<p class="i1">—Je t'explique tout cela en gros... Je
-ne peux pas te mâcher tous les mots...
-Mais, une fois en route, je suis persuadée
-que tu t'en acquitterais à merveille...
-Voyons, ça te va-t-il? Puis-je compter
-sur toi?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[Pg 137]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Oh! oui, maman!—répliqua faiblement
-Gégé.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard le rassujettit, car il glissait
-un peu de ses genoux, puis le pressant
-plus fort contre son buste:</p>
-
-<p class="i1">—Seulement, dis-toi bien, mon petit,
-que ce que je te demande là, c'est pour
-toi, uniquement pour toi... Sans toi,
-crois-tu que la vie d'autrefois me referait
-envie?... Et il y aura aussi des gens qui
-se moqueront, qui prétendront que je ne
-sais pas ce que je veux... Mais moi, je le
-sais, et c'est l'essentiel... Je veux te garder...
-Je ne veux pas te perdre, mon cher
-petit, mon bon trésor...</p>
-
-<p class="i1">Gégé, les paupières mi-closes, le nez
-dans le cou de sa mère, se laissait bercer
-sans défense. Par les mille petits
-trous du corsage ajouré, une tiède odeur
-<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[Pg 138]</a></span>
-de white rose et de chair s'exhalait vers
-lui. Il aurait aimé rester indéfiniment
-dans cette pénombre parfumée, n'avoir
-plus jamais de gestes à faire, ni de paroles
-à prononcer. M<sup>me</sup> Taillard cependant le
-posa à terre.</p>
-
-<p class="i1">—Là,—dit-elle, après un dernier
-baiser,—va achever ta malle, mon
-chéri... Et, je t'en supplie, pas un mot
-de tout cela à ton grand-père!... Si notre
-petit complot échouait, ce serait des histoires
-à n'en plus finir... Donc, tu me
-promets bien le secret?</p>
-
-<p class="i1">—Je te le promets, maman!—fit
-Gégé, de profil, les yeux en biais vers la
-maison.</p>
-
-<p class="i1">Maintenant, dans la pleine lumière,
-sous les regards de sa mère, il préférait
-cesser la conversation. Il gravit au galop
-<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[Pg 139]</a></span>
-l'étage qui menait à sa chambre et, la
-porte refermée, il commença, d'un geste
-machinal, à empiler ses livres. Mais aussitôt
-il dut s'arrêter pour essuyer une
-larme qui lui chatouillait l'aile du nez.
-Puis, c'en fut une autre, une autre encore.
-Alors, lâchant les empaquetages, il s'assit
-sur le bord du lit, les poings aux yeux
-pour pleurer à son aise.</p>
-
-<p class="i1">Quel coup! Quel écroulement!</p>
-
-<p class="i1">Deux ou trois fois, dans des mauvaises
-nuits, il avait rêvé que l'existence de
-jadis reprenait. Il se revoyait avec effroi
-entre ses parents aux prises. Il entendait
-les cris, les injures. Dans le brouillard
-du songe, il apercevait les verres brisés,
-les nappes souillées, les visages défigurés
-par la rage, les feux de la haine aux prunelles.
-Et ensuite il se retrouvait brusquement
-<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[Pg 140]</a></span>
-dans sa petite chambre, au fond
-du couloir, avec la rigoureuse Annette
-cousant en silence près de la lampe, tandis
-qu'au loin les portes battaient comme
-sous l'ouragan...</p>
-
-<p class="i1">Mais, au réveil, il oubliait vite ces angoisses.
-Les rêves, est-ce que ça arrive?
-Et voici que tout de même ça arrivait!</p>
-
-<p class="i1">Le cauchemar se faisait réalité. Bien
-pis, c'était lui, Gégé, qu'on chargeait de
-la métamorphose!</p>
-
-<p class="i1">Adieu les dîners calmes et les journées
-de paix! Finies, les gâteries, les cajoleries,
-les surprises! Plus de petits
-voyages entre les deux maisons! Plus de
-regains de tendresse! Plus de changements!
-Plus de joies!</p>
-
-<p class="i1">Et, à cette lugubre liquidation, Gégé,
-pour la première fois, sentait aussi clairement
-<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[Pg 141]</a></span>
-tout son bonheur depuis trois
-mois.</p>
-
-<p class="i1">Certes, la minute d'avant, il ne s'estimait
-pas à plaindre; mais il ne se serait
-jamais jugé si heureux. Cette catastrophe
-était pour lui une vraie révélation.</p>
-
-<p class="i1">Il n'y pouvait pas croire. Alors, quoi!
-véritablement, cela allait recommencer?
-Il faudrait replonger dans la tourmente,
-redevenir un pauvre petit diable, ballotté
-au gré des scènes, des querelles, et que
-personne n'aimerait plus! Car, lorsque
-les parents se détestent, est-ce qu'ils
-ont le temps de vous aimer? On les
-gêne, ils vous renvoient pour se disputer
-tranquillement: «Tout à l'heure,
-Gégé!»</p>
-
-<p class="i1">A ce souvenir amer, il eut une nouvelle
-crise de larmes. Oh! pour qu'ils
-<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[Pg 142]</a></span>
-continuent à l'aimer bien fort comme ils
-faisaient depuis le divorce, qu'il aurait
-de bon cœur donné et l'Alouette et le
-poney et tous les plus beaux cadeaux du
-monde!... Mais voilà, il n'avait pas le
-choix! Dans les affaires de ce genre, on
-ne demande pas leur avis aux petits garçons.
-Il ne leur reste qu'à se taire et à
-obéir. Voilà!... Si seulement encore, il
-avait été hardi, et débrouillard comme
-certains de ses camarades, comme Ribermont,
-par exemple, peut-être bien s'en
-serait-il tiré, eût-il découvert un remède...
-D'ailleurs, au fait, pourquoi ne pas aller
-le consulter, ce malin de Ribermont? Il
-aurait sûrement une idée, lui!... Et Gégé
-cessant incontinent de pleurer ne songea
-plus qu'à effacer les traces de ses larmes.
-Puis, bien lotionné, bien séché, les paupières
-<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[Pg 143]</a></span>
-normales, le sourire aux lèvres,
-il redescendit.</p>
-
-<p class="i1">—Où vas-tu donc?—demanda
-M<sup>me</sup> Taillard, qui était restée à broder
-dans le jardin.</p>
-
-<p class="i1">—Chez Ribermont, maman.</p>
-
-<p class="i1">—Comment! ce n'est pas l'heure de
-son travail?</p>
-
-<p class="i1">Gégé, qui n'avait pas prévu la question,
-trouva d'emblée son premier mensonge:</p>
-
-<p class="i1">—Oh! je vais simplement chercher
-un livre que je lui ai prêté...</p>
-
-<p class="i1">En entrant chez son camarade, il dut
-renouveler la même justification à M<sup>me</sup> de
-Ribermont, qui traversait le vestibule.</p>
-
-<p class="i1">—Très bien, mon petit ami!—fit
-celle-ci avec cette nuance de compassion
-qui se devait à Gégé.—Pierre est là-haut
-<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[Pg 144]</a></span>
-dans sa chambre. Il travaille.</p>
-
-<p class="i1">Un travail très confidentiel, sans doute,
-car, à peine Roger ouvrait-il la porte,
-Ribermont précipita dans un tiroir le
-livre placé sous ses yeux.</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien! tu m'en as fait une peur!—s'écria-t-il
-en reconnaissant l'intrus.</p>
-
-<p class="i1">—Qu'est-ce que tu lisais donc?—interrogea
-le jeune Taillard, qui savait le
-talent de Ribermont pour chiper chez
-son père des livres défendus.</p>
-
-<p class="i1">—Un chouette bouquin, va!... Rudement
-chouette, même: <i>Bélisaire</i>, par Marmontel.</p>
-
-<p class="i1">—C'est amusant?—questionna Gégé.</p>
-
-<p class="i1">—Un peu!—dit avec fierté Ribermont,
-qui, malgré l'ennui écrasant de
-cette lecture, ne voulait pas diminuer
-l'importance de son larcin.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[Pg 145]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Gégé, distraitement, parcourut quelques
-lignes, puis, posant le livre:</p>
-
-<p class="i1">—Dis donc, vieux, tu ne sais pas ce
-qui m'arrive? Voilà maintenant maman
-qui veut se raccommoder avec papa!</p>
-
-<p class="i1">Et, sans omettre un mot, il conta en
-détail toute la scène du jardin.</p>
-
-<p class="i1">Ribermont écoutait, partagé entre deux
-mauvais sentiments. Cette déconvenue
-de son ami, après une série de veine
-aussi prolongée, lui paraissait assez plaisante.
-Mais il en considérait avec moins
-de faveur les conséquences personnelles.
-En somme, jusque-là il avait largement
-bénéficié de ce qui advenait de bon à
-Gégé. Il était de toutes ses parties, de
-toutes ses promenades, de tous ses plaisirs.
-Sans parler des menus services pécuniaires,
-qui chaque mois montaient bien
-<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[Pg 146]</a></span>
-à une quarantaine de francs, Roger ayant
-pris l'habitude de se laisser taper en douceur.
-Ribermont se sentait donc directement
-menacé dans la débâcle de son
-camarade.</p>
-
-<p class="i1">—Et alors?—fit-il, quand Gégé se
-fut tu.</p>
-
-<p class="i1">—Alors, moi, je ne sais pas comment
-faire... Franchement, à ma place, qu'est-ce
-que tu ferais?</p>
-
-<p class="i1">Ribermont, qui ne se distinguait pas
-par la suite dans les idées, répondit à
-côté:</p>
-
-<p class="i1">—Et toi qui me disais que ce divorce
-était un grand malheur!</p>
-
-<p class="i1">Roger ne put dissimuler un geste
-d'impatience:</p>
-
-<p class="i1">—Je ne te demande pas ce que je t'ai
-dit. Je te demande ce qu'il faut faire!...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[Pg 147]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Attends alors que je réfléchisse!—fit
-Ribermont avec aigreur.</p>
-
-<p class="i1">Puis, sans réfléchir, à mesure que cela
-lui venait, il déclara:</p>
-
-<p class="i1">—Moi, voilà, je ne sais pas... Ça
-dépend... D'abord, tu n'as pas besoin de
-te presser pour dire la chose à ton père...</p>
-
-<p class="i1">—Ça, c'est vrai!—accorda Gégé.</p>
-
-<p class="i1">—Et puis, tiens, à ta place, moi, je
-ne suis pas sûr, mais peut-être bien que
-je ne dirais rien du tout...</p>
-
-<p class="i1">En entendant formuler tout haut l'ultime
-secret de ses arrière-tentations,
-Gégé eut un recul de pudeur:</p>
-
-<p class="i1">—Oh! non... Ce serait trop mal...
-Pense donc! Moi qui ai promis!...</p>
-
-<p class="i1">—Je ne dis pas que sûrement je ne
-dirais rien... Je te dis: «Peut-être...»
-Enfin, tu verras!...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[Pg 148]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Gégé, sans répliquer, tournait autour
-de la chambre, la tête basse, les mains
-enfoncées à la faire craquer dans les
-poches de sa culotte.</p>
-
-<p class="i1">—Il faut que je m'en aille!—conclut-il.
-J'ai pas fini d'emballer.</p>
-
-<p class="i1">Ribermont, à la fenêtre, le suivit du
-regard, tandis qu'il remontait l'avenue
-Aguado. Il marchait lentement au bord
-du trottoir, avec l'allure de la plus déchirante
-perplexité.</p>
-
-<p class="i1">—Pauvre type!—prononça Ribermont,
-en repoussant la croisée.</p>
-
-<p class="i1">Mais le lendemain, à la gare, pendant
-que M. Lecherrier faisait enregistrer les
-bagages, Gégé entraîna son ami dans un
-coin de la salle d'attente, et, du ton le
-plus résolu:</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien! tu sais... Je suis décidé...
-<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[Pg 149]</a></span>
-Je ne me presserai pas! Seulement, je
-le dirai... Y a vraiment pas moyen de ne
-pas le dire.</p>
-
-<p class="i1">—Comme tu voudras!—fit Ribermont
-avec une moue d'adhésion sceptique.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[Pg 151]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_157.jpg" id="i_157.jpg"></a>
- <img src="images/i_157.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="VII" id="VII"></a>VII</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">Depuis son arrivée à Courteuil, Gégé
-gardait la plus complète réserve sur les
-propositions de paix dont on l'avait
-chargé.</p>
-
-<p class="i1">Non qu'il voulût éluder son mandat
-ou qu'il nourrît des illusions sur le
-dénouement. A ses yeux, désormais,
-c'était une affaire réglée, sans appel.</p>
-
-<p class="i1">Mais raison de plus pour jouir tranquillement
-des dernières bonnes heures.</p>
-
-<p class="i1">Et d'abord, fidèle à sa promesse de ne
-pas se presser, il s'était, d'autorité,
-<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[Pg 152]</a></span>
-octroyé une semaine de répit total. Puis
-la date des ouvertures venue, il avait
-continuellement trouvé d'autres motifs
-pour la proroger: une excursion, la présence
-d'étrangers, des signes de nerfs
-chez son père, tout lui servait. Et, bref,
-à bout de prétextes, il s'était rejeté sur
-la météorologie: pourquoi ne pas profiter
-pleinement de ces admirables journées?
-On aurait bien le temps, quand il
-ferait mauvais! Gégé n'attendait donc
-plus pour parler que le premier jour de
-pluie ou de bourrasque.</p>
-
-<p class="i1">Mais, au fond, rien ne permettait de
-prévoir cette intempérie. Jamais septembre
-n'avait étalé plus insolente splendeur.
-On eût dit un jeune mois d'été.
-De l'aube au couchant, le soleil flambait
-grossièrement dans une atmosphère
-<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[Pg 153]</a></span>
-sans brise. Les nuits étaient mauves et
-tièdes comme des nuits de juillet. Et
-Gégé, en se levant, avait fini par ne
-plus même consulter le ciel, toujours
-d'un bleu à toute épreuve.</p>
-
-<p class="i1">Du reste, sitôt debout, d'autres occupations
-le réclamaient, si nombreuses,
-si rapprochées, qu'avec l'assentiment de
-Taillard les devoirs de vacances leur
-avaient été, une bonne fois, sacrifiés.</p>
-
-<p class="i1"><i>Primo</i>, en guise d'apéritif, un tour
-dans le parc, fort négligé par le propriétaire
-précédent et où des jardiniers se
-partageaient à retracer les allées, à émonder
-les arbres, à replanter les parterres.</p>
-
-<p class="i1">Après quoi, le chocolat; puis, vite en
-selle! Et l'on partait vers la forêt de
-Chantilly, qu'on gagnait en quelques
-foulées. Venceslas, le cob rouan de
-<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[Pg 154]</a></span>
-Taillard, avait l'air du frère aîné de
-Bousingot, le poney alezan de Roger.
-Crinière rase, queue courte, toilettés,
-trapus et râblés, ils ressemblaient extraordinairement
-à ces petits chevaux grecs
-que Gégé avait vus dans son livre d'histoire.
-Bousingot, plus jeune, avait plus
-de fantaisie que Venceslas. Dès la porte,
-il décochait à la Nature deux ou trois
-solides saluts d'amitié avec ses sabots
-de derrière:</p>
-
-<p class="i1">—Il est gai!—disait Taillard à
-Gégé, devenu subitement grave.</p>
-
-<p class="i1">Car souvent la gaieté des bêtes fait la
-mélancolie des hommes.</p>
-
-<p class="i1">Mais Bousingot, à peine en forêt, reprenait
-tout son sérieux, et il n'y avait pas
-d'animal plus sage, malgré sa vaillance.</p>
-
-<p class="i1">Deux heures durant, on galopait, on
-<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[Pg 155]</a></span>
-voguait à travers ces larges canaux de
-terre grasse et brune qui font de la forêt
-de Chantilly comme la Venise des chevaux.
-On stoppait quelques instants dans
-un carrefour pour regarder les charges
-des pur sang à l'exercice, ou d'autres
-qui rentraient à la file en ricanant sous
-leur camail. On revenait au pas. On
-déjeunait. Et tout de suite, jusqu'au
-soir, dehors! Explorations aux environs
-en auto, visites aux châtelains d'alentour,
-tennis ou sauteries dans d'autres
-maisons, Gégé ne chômait pas une
-minute. Il s'était promptement créé des
-relations dans tout le voisinage, n'y
-comptait pas moins de trois vrais petits
-amis du sexe mâle, plus une petite fiancée
-très jolie, Janine de Royse. Et, le dîner
-achevé, il avait bien trop sommeil
-<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[Pg 156]</a></span>
-pour se reprocher l'oubli de sa mission.</p>
-
-<p class="i1">Parfois cependant des scrupules venaient
-le taquiner au beau milieu de ses
-plaisirs. Ou bien, quand il écrivait à sa
-mère, il sentait comme des gros flots
-de vergogne lui monter du cœur au
-visage. Au fond, ce qu'il faisait là, ce
-n'était pas très chic.</p>
-
-<p class="i1">La pluie s'obstinait à ne pas tomber.
-Huit jours seulement le séparaient de la
-rentrée. D'une façon ou d'une autre, il
-fallait en finir.</p>
-
-<p class="i1">Enfin, à force de chercher, il eut
-une trouvaille. Non, il ne gâcherait pas
-inutilement cette dernière semaine de
-vacances; il la savourerait jusqu'au bout.
-Mais, par exemple, quoi qu'il arrivât, le
-jour de son départ, en allant à la gare, il
-dirait tout.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[Pg 157]</a></span></p>
-
-<p class="i1">«Ça suffit bien!» conclut-il avec
-indulgence.</p>
-
-<p class="i1">Et, du coup, il recouvra toute sa
-belle humeur. Elle ne s'atténuait qu'aux
-promenades du matin, où Taillard,
-depuis quelque temps, ne cessait de
-maugréer contre le pays, les environs,
-sa propriété. Décidément, il ne s'y
-plaisait pas du tout, oh! mais pas du
-tout. Il avait loué cette sacrée bâtisse
-avant ces diables d'histoires. Et maintenant
-elle devenait trop grande. A
-quoi bon ce second étage inhabité, ces
-chambres d'amis sans amis, avec leurs
-fenêtres aveugles, leurs volets toujours
-clos? A rien qu'à attrister encore la
-façade. Sûrement qu'il n'allait pas moisir
-dans cette sinistre bicoque! Gégé
-reconduit à Paris, il rentrerait au trot.
-<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[Pg 158]</a></span>
-Et, ouste! les malles, les chevaux, les
-voitures, un écriteau à la grille. Ensuite
-sous-louerait qui voudrait. Parce que,
-lui, il en avait par-dessus la tête.</p>
-
-<p class="i1">Ces doléances quotidiennes assommaient
-Gégé, non sans l'étonner. Il lui
-semblait revoir son papa d'autrefois,
-avec la figure méchante, les bougonneries
-perpétuelles, le mécontentement
-chronique. Voyons, la maison, les environs,
-tout le reste, ne paraissaient pas si
-mal! Certainement qu'il y avait là-dessous
-d'autres raisons, pour se mettre
-dans un tel état.</p>
-
-<p class="i1">En quoi Roger ne jugeait pas trop
-faux: car ce dont Taillard avait par-dessus
-la tête, ce n'était ni Courteuil, ni
-la bicoque, ni la contrée avoisinante.
-Son aigreur venait de bien ailleurs.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[Pg 159]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Au début, le retour à la vie de garçon,
-la noce en liberté, Nelly Jelly, les visites
-chez l'avoué, tout cela lui avait donné
-l'illusion d'une existence refaite et organisée.
-Pourtant les charmes de l'accent
-anglais n'ont qu'un temps, la fête à
-outrance lasse, les joies de la procédure
-sont limitées; et, Nelly Jelly, congédiée
-avec une honorable soulte, les plaidoiries
-ajournées, sitôt installé à Courteuil,
-Jacques avait soudain perdu l'assurance.
-Non qu'il fût de ces empruntés qui frémissent
-devant des comptes de cuisinière,
-et, au surplus, quant à la tenue
-de la maison, Annette y pourvoyait
-amplement. Mais quelque chose manquait
-à ses instincts bourgeois: une
-base d'attache, un contrepoids, ce qui
-vous retient sans vous lier, en un mot:
-<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[Pg 160]</a></span>
-le ménage. Il se sentait déséquilibré,
-dépareillé, voué fatalement au ridicule
-d'un mariage nouveau, sinon à la chute
-dans le collage. Sans oublier ce procès
-douteux où il risquait de laisser son
-fils, de se diminuer un peu plus!... Et,
-la présence de Roger aidant, graduellement,
-jour par jour, il avait pris le
-dégoût de son divorce. En somme,
-malgré un affreux caractère, cette Lucie
-était une bonne fille, une maîtresse de
-maison hors ligne, une mère exceptionnelle.
-Avant de se fâcher, elle en avait
-subi de toutes les couleurs. Ah! si elle
-voulait encore y mettre un peu du sien,
-voir les choses en face, se rendre compte
-de la situation, comme ce procès s'arrangerait
-vite! Et dix fois Jacques
-avait été sur le point de demander à
-<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[Pg 161]</a></span>
-Gégé l'auxiliaire de ses bons offices.</p>
-
-<p class="i1">Mais le 30 septembre arriva, qu'il
-hésitait toujours.</p>
-
-<p class="i1">Ce matin-là, depuis l'aube, la pluie
-tombait sans relâche. Le ciel étendait à
-perte de vue un désert gris de fer. Les
-arbres, avec des contorsions de désespoir,
-pleuraient leurs feuilles sous la
-rafale. Les vitres ruisselantes tremblaient
-de froid.</p>
-
-<p class="i1">C'était bien le temps que Gégé attendait
-depuis près d'un mois, tout à fait le
-temps qui convenait au dernier jour d'un
-condamné.</p>
-
-<p class="i1">—Quelle sale pluie!—murmura-t-il
-malgré lui, en regardant à travers la
-fenêtre le parc lamentable avec ses allées
-jaunies par l'averse et ses pelouses noircies
-de branches mortes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[Pg 162]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Puis, le cœur pesant, les mains sans
-élan, il procéda mollement à ses apprêts
-de voyage.</p>
-
-<p class="i1">«Plus que neuf heures!... Plus que
-huit!... Plus que sept!... Plus que
-six!...»—songeait-il, à chaque tintement
-de la pendule.</p>
-
-<p class="i1">Il se répétait ces chiffres avec moins
-de crainte que d'impatience. Il aurait
-souhaité être déjà en voiture, seul à
-côté de son père, et que tout fût dit et
-accompli.</p>
-
-<p class="i1">Mais comme, après goûter, on montait
-en coupé pour se rendre à la gare,
-M. de Royse, le propre père de la petite
-fiancée, ayant à faire dans Chantilly,
-demanda à Taillard un abri jusque-là.</p>
-
-<p class="i1">Gégé en éprouva une sorte de soulagement.
-Si pressé qu'il fût de parler, ce
-<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[Pg 163]</a></span>
-sursis imprévu ne le contrariait pas tant
-qu'il aurait cru. Il le prolongea même
-au delà de la Grande-Rue, où l'on avait
-posé M. de Royse, car, en wagon, pour
-causer, on serait beaucoup mieux avec
-tout le laps nécessaire.</p>
-
-<p class="i1">Mais, au sifflet de départ, bien que
-dans le compartiment il n'y eût que lui
-et son père, il recula encore. Il voulait,
-une dernière fois, contempler au passage
-les étangs de la Reine-Blanche, et,
-pour ne pas les manquer, il s'agenouilla
-contre la vitre. On sortait des bois. Le
-train passa au-dessus de la vallée. En
-bas, dans leurs impuissants remparts de
-feuillages, les étangs avaient cet air
-désarmé des pièces d'eau que l'ondée
-mitraille. Sous le vent, les roseaux du
-bord ne savaient plus où donner de la
-<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[Pg 164]</a></span>
-tête. Seule la petite chapelle romantique
-gardait son impassibilité de presse-papier.
-Puis, brusquement la vision
-cessa. Le moment était venu. Gégé se
-retourna avec un soupir, et, tout en
-balançant par contenance la sangle brodée
-de la portière:</p>
-
-<p class="i1">—Papa!—fit-il,—je voudrais...</p>
-
-<p class="i1">Mais, au même instant, Taillard,
-lâchant son journal, lui coupa la parole:</p>
-
-<p class="i1">—Dis-moi un peu, mon petit... Tu
-es un grand garçon... Je n'ai pas à me
-gêner avec toi... Eh bien! entre nous,
-je vais te confier une chose... J'en ai
-assez de cette existence de bohème. J'en
-ai assez de ce divorce, de tes randonnées
-perpétuelles entre les deux maisons, de
-ce procès qui n'en finit pas et dont personne
-ne sait comment il finira... Les
-<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[Pg 165]</a></span>
-juges peuvent très bien te donner complètement
-à ta mère ou complètement
-à moi... Et alors nous serions jolis!...
-Tu sais que je n'aime pas à faire de
-l'attendrissement inutile... Mais si, par
-malheur, je perdais, si c'était à moi qu'on
-t'enlevait, tu vois d'ici ma vie... Elle
-serait impossible, intolérable... Eh bien!
-pour nous tirer de là, il n'y a que toi...
-Il faut absolument que tu essayes de me
-remettre avec ta mère...</p>
-
-<p class="i1">Puis, saisissant la main de Gégé, il
-continua, d'une voix moins saccadée,
-l'exposé de son plan. C'était le même que
-celui de Lucie, avec les mêmes conseils de
-prudence, les mêmes recommandations
-d'habileté, les mêmes ruses naïves, les
-mêmes mots presque, et Gégé, les cils
-baissés, l'écoutait pétrifié.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[Pg 166]</a></span></p>
-
-<p class="i1">D'abord, immédiatement, il avait eu
-l'élan d'arrêter net son père, de lui débiter
-d'un jet tous les vœux de M<sup>me</sup> Taillard,
-si pareils. Mais dix questions prévues
-l'avaient aussitôt muselé: «Pourquoi ne
-l'avoir pas dit plus tôt? Pourquoi avoir
-attendu tout ce mois? Pourquoi ne s'être
-décidé qu'à la dernière minute?...»
-Voilà ce qu'infailliblement on allait lui
-demander. Et qu'y répondre?</p>
-
-<p class="i1">—Naturellement, ce ne sera pas commode,—acheva
-Taillard.—Ta mère
-n'a pas toujours eu à se louer de moi...
-J'ai été souvent un peu dur à son égard...
-Pour commencer, elle fera peut-être des
-difficultés... Mais, si tu insistes, si tu
-y reviens avec fermeté, je suis convaincu
-que tu la persuaderas...</p>
-
-<p class="i1">Et comme Gégé, écartelé entre la honte,
-<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[Pg 167]</a></span>
-l'angoisse, l'indécision, se butait dans
-son silence, Taillard le secoua affectueusement:</p>
-
-<p class="i1">—Voyons, mon petit, dis quelque
-chose... Tu restes là avec un air ahuri...
-Est-ce que, par hasard, cette commission
-t'ennuierait?</p>
-
-<p class="i1">—Pas du tout!—parvint à prononcer
-Roger.</p>
-
-<p class="i1">—Alors, c'est entendu, tu essaieras?
-Je puis compter sur toi?</p>
-
-<p class="i1">—Mais oui, papa!—affirma Gégé
-presque en larmes.</p>
-
-<p class="i1">—Allons, bon! voilà que tu pleures, à
-présent! Il n'y a pas de quoi, bêta: si
-tu ne réussissais pas, crois-tu que je t'en
-voudrais? Pas du tout!</p>
-
-<p class="i1">Et il détourna la conversation sur
-Bousingot, qu'on ramènerait incessamment
-<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[Pg 168]</a></span>
-à Paris, sur l'institution Beaujoint,
-qui rouvrait le lendemain, sur certain
-pardessus d'hiver, qu'il se proposait de
-commander à Roger. Mais celui-ci ne
-répondait qu'avec apathie. Ses yeux
-égarés semblaient considérer à l'intérieur
-un défilé de rêveries cruelles. Et,
-en effet, plus il y réfléchissait, plus sa
-situation lui apparaissait effrayante et
-inextricable.</p>
-
-<p class="i1">De toutes parts il avait l'impression
-d'être bloqué, traqué, sans issue ni
-refuge. Il ne lui restait même pas la ressource
-de réparer en transmettant les
-offres de son père. Car, sitôt joints, en
-quelques mots, ses parents se révéleraient
-son premier silence, sa première faute.
-Et comment la leur expliquer? Comment
-leur dire la vérité?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[Pg 169]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Rien qu'à imaginer de si horribles
-aveux, Gégé se sentait le cœur en déroute.
-Après, que penseraient de lui son père,
-sa mère, M. Lecherrier? Est-ce qu'ils
-pourraient l'aimer encore, avoir encore
-confiance en lui? Non! Tout, plutôt que
-d'en tomber là! Même persister à se taire,
-même mentir au besoin, même se charger
-des pires remords...</p>
-
-<p class="i1">—Allons! mon garçon,—s'écria
-Taillard.—Ne sois donc pas si absorbé:
-tu n'as pas besoin de te créer un monde
-de cette commission... Tu la feras demain,
-après-demain, quand ça se rencontrera!...</p>
-
-<p class="i1">Et, tirant son sac du filet, car on approchait
-de Paris:</p>
-
-<p class="i1">—Pourvu qu'à la fin de la semaine tu
-aies parlé, c'est largement... Je ne rentrerai
-<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[Pg 170]</a></span>
-pas avant samedi... Ainsi, cela te
-fait six grands jours devant toi...</p>
-
-<p class="i1">Hélas! ce n'était pas ce qu'il avait
-devant lui qui inquiétait Gégé, c'était ce
-qu'il avait derrière: tout cet amas de
-demi-silences, de demi-mensonges, de
-demi-calculs, toute cette vase de vilaines
-choses où chaque effort pour se dépêtrer
-le faisait enfoncer davantage...</p>
-
-<p class="i1">Un farouche sifflement de la locomotive
-lui donna une commotion. Le train
-courait dans un ravin charbonneux, bastionné
-de maisons jaunâtres et tristes. Des
-linges de couleur terne pavoisaient les
-croisées. A sa fenêtre, une grosse femme
-en camisole embrassait un homme en
-bourgeron bleu. On arrivait.</p>
-
-<p class="i1">Sur le quai, Roger aperçut Firmin,
-qui l'attendait pour le conduire avenue
-<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[Pg 171]</a></span>
-Marceau. Puis, les bagages délivrés,
-Taillard mit son fils en fiacre:</p>
-
-<p class="i1">—Au revoir, mon petit!... A samedi
-prochain, chez moi, avenue d'Antin...</p>
-
-<p class="i1">Et, comme la voiture démarrait, il
-ajouta avec un clin d'œil confidentiel:</p>
-
-<p class="i1">—A moins que, d'ici-là, il n'y ait eu
-du nouveau!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[Pg 173]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
- <div class="figcenter"><a name="i_179.jpg" id="i_179.jpg"></a>
- <img src="images/i_179.jpg"
- alt="Décoration" />
- </div>
-
- <h2 class="nobreak"><a name="VIII" id="VIII"></a>VIII</h2>
-</div>
-
-<p class="i1">—Comme ça, monsieur Roger s'est
-bien amusé!</p>
-
-<p class="i1">—Très bien!</p>
-
-<p class="i1">—Monsieur Roger a bien monté à
-cheval?</p>
-
-<p class="i1">—Oui!</p>
-
-<p class="i1">—Monsieur Roger a joliment profité...
-C'est madame qui va être contente!</p>
-
-<p class="i1">—Oui, oui...</p>
-
-<p class="i1">La conversation rendait peu. Firmin,
-à sec d'inventions, se retourna vers la
-<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[Pg 174]</a></span>
-portière de droite, tandis que Gégé regardait
-par l'autre.</p>
-
-<p class="i1">Dehors, sous la pluie, les becs de gaz
-allumés commençaient leur faction de
-nuit dans le crépuscule. A travers la rue
-Lafayette, montait, descendait, pataugeait
-la bousculade des gens affairés, avec
-leurs vêtements médiocres, leurs mines
-soucieuses, leurs chapeaux hauts de
-forme,—toute la cohue du labeur parisien,
-si étrange, si nouvelle quand on revient
-des champs. Les tramways fonçaient
-lâchement sur les fiacres qui se
-garaient avec dédain et mauvais vouloir.
-Au carrefour Montholon, deux grisettes,
-sous un parapluie, sourirent gentiment à
-Gégé en lui lançant une plaisanterie. Plus
-loin, un apprenti nu-tête lui tira la langue.</p>
-
-<p class="i1">Mais Gégé ne voyait pas, n'entendait
-<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[Pg 175]</a></span>
-pas. Il était tout à ses préparatifs. Quoi
-qu'en eût dit Taillard, il n'y avait pas une
-seconde à perdre. Dès l'arrivée, au saut
-de la voiture, on pouvait le questionner
-sur sa commission, lui demander des
-comptes; et il fallait savoir quoi répondre.</p>
-
-<p class="i1">Rude tâche qu'un grand mensonge
-pour qui n'en a pas le génie ou l'habitude.
-C'est toute une œuvre à créer, à
-monter, à mettre en scène. Telle version
-risque de faire rire, telle autre s'expose aux
-grosses objections. Certaines répliques
-sont à couper alors qu'ailleurs des trous
-fâcheux gâtent l'ensemble. Le ton de voix
-importe aussi, comme le regard, le maintien,
-le choix des détails. Et Roger, tout
-neuf dans le métier, s'affolait parmi ces
-combinaisons, ne sachant plus à laquelle
-se vouer, jetant à bas les scénarios aussitôt
-<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[Pg 176]</a></span>
-que dressés, et désespérant d'aboutir.</p>
-
-<p class="i1">Si bien que la voiture tourna dans l'avenue
-Marceau, sans qu'il eût rien arrêté.
-Du reste, la tête congestionnée, avec une
-oppression persistante qui lui courait de
-la gorge aux entrailles, il était à bout
-d'efforts. Et lorsque le cheval du fiacre
-pénétra sous la voûte de l'hôtel en faisant
-nonchalamment claquer ses fers, il
-éprouva une sensation de délivrance.
-Tant pis! Trop tard pour trouver maintenant.
-Il parlerait comme il pourrait,
-comme ça lui viendrait sur le moment.</p>
-
-<p class="i1">Cependant, après les premières effusions,
-le malaise le reprit avec violence.
-En défaisant ses colis, en dînant, en
-jouant aux dames ensuite, il sentait, à
-toute minute, des émotions qui lui traversaient
-le cœur vivement, comme des
-<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[Pg 177]</a></span>
-petites aiguilles très fines: et, un instant,
-son grand-père l'ayant laissé seul avec
-M<sup>me</sup> Taillard, pour chercher un cigare, il
-s'était cru perdu. Au jeu, il ne suivait
-pas, accumulait les fautes. Les meilleures
-plaisanteries ne lui arrachaient pas un
-sourire. A la troisième partie, M. Lecherrier
-finit par s'étonner:</p>
-
-<p class="i1">—Ah çà! mais tu m'as l'air d'être devenu
-bigrement sérieux là-bas!... On
-dirait, ma foi, que tu n'es pas content
-d'être revenu ici?</p>
-
-<p class="i1">—Moi!... Ah ben, vrai!—protesta
-Gégé.—Seulement je me suis levé tôt
-et je suis un peu fatigué.</p>
-
-<p class="i1">—Ce n'est que cela? Il fallait l'avouer
-tout de suite, mon petit... Va te coucher
-au galop; nous terminerons la partie un
-autre jour...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[Pg 178]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Gégé, sans se faire prier plus, repoussa
-sa chaise et vint tendre la joue à son
-grand-père, puis à sa mère. M<sup>me</sup> Taillard
-l'embrassa sommairement:</p>
-
-<p class="i1">—Sauve-toi, mon chéri... Je monterai
-tout à l'heure te redire bonsoir dans ton
-lit...</p>
-
-<p class="i1">Sous la surcharge de cette bonne promesse,
-Gégé gravit lourdement l'escalier.
-Cette fois, plus à reculer! Ce serait pour
-ce soir! Dans quelques minutes il faudrait
-mentir, mentir tout haut, mentir
-pour de bon, mentir! Il se répétait machinalement
-à mi-voix le mot abominable,
-sans même plus chercher quels mensonges
-il ferait ni comment il les accorderait:
-«Mentir! Mentir!»</p>
-
-<p class="i1">Il se déshabilla d'une main tâtonnante.
-Et, comme il grimpait dans son lit, il entendit
-<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[Pg 179]</a></span>
-sur le palier des pas légers, puis des
-étoffes soyeuses frôlant le tapis du couloir.</p>
-
-<p class="i1">Sa mère approchait. Elle allait entrer.
-Que lui dire?</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, mon pauvre Gégé!—soupira
-M<sup>me</sup> Taillard en se penchant sur le
-lit.—J'ai compris, n'est-ce pas?... Ta
-fatigue n'était qu'un prétexte... La vérité,
-c'est que tu m'apportes des mauvaises
-nouvelles?</p>
-
-<p class="i1">Roger, étendu sur le dos, le regard en
-fuite, approuva de la tête.</p>
-
-<p class="i1">—Voyons, comment ça s'est-il passé?
-Quand lui as-tu parlé?</p>
-
-<p class="i1">Gégé, la voix chancelante, improvisa:</p>
-
-<p class="i1">—La semaine dernière, un matin, à
-cheval, dans la forêt...</p>
-
-<p class="i1">—Et qu'est-ce qu'il a répondu?</p>
-
-<p class="i1">—Rien.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[Pg 180]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Comment, rien?</p>
-
-<p class="i1">Gégé, au supplice, corrigea:</p>
-
-<p class="i1">—Enfin, il a dit: «C'est bon! je verrai!»</p>
-
-<p class="i1">—Pas autre chose?</p>
-
-<p class="i1">—Non maman!</p>
-
-<p class="i1">—Mais quel air avait-il en disant
-cela?</p>
-
-<p class="i1">—Je n'ai pas vu... Papa était plus
-haut que moi... Son cheval est plus grand
-que le mien...</p>
-
-<p class="i1">—Mais son ton, ses gestes? Paraissait-il
-fâché, énervé?</p>
-
-<p class="i1">—Il me semble...</p>
-
-<p class="i1">—Et tu n'as pas renouvelé ton essai?</p>
-
-<p class="i1">—Non, j'ai pas osé...</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard posa au front de son fils
-un baiser prolongé, et, avec un accent
-de grande lassitude:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[Pg 181]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—Que veux-tu, mon pauvre enfant!
-Tu as fait ce que tu pouvais; nous n'avons
-plus qu'à laisser aller les choses...</p>
-
-<p class="i1">Elle redressa l'oreiller, rajusta le drap
-sur la couverture de satin bleu pâle:</p>
-
-<p class="i1">—Là, maintenant, dors, mon chéri...
-Ne te fais pas de souci. Dans tout cela,
-hélas! tu n'es pour rien!</p>
-
-<p class="i1">Puis, tournant le bouton de l'électricité,
-elle se dirigea vers sa chambre, dont
-elle repoussa la porte jusqu'au chambranle.</p>
-
-<p class="i1">Gégé, dans l'obscurité, appuyé sur les
-coudes, écoutait de tout son être. Un moment,
-il crut percevoir des sanglots. Mais
-la porte presque jointe ne laissait échapper
-que des bruits confus.</p>
-
-<p class="i1">Il retomba sur son traversin. Un peu
-de sueur lui mouillait les tempes. Quelle
-<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[Pg 182]</a></span>
-torture! Quelle honte! Quelles minutes
-terribles!... Et, la semaine suivante,
-avec son père, il faudrait encore inventer
-d'autres mensonges, passer par
-les mêmes transes, subir les mêmes questions.
-Dans ces conditions, Gégé commençait
-à trouver que les douceurs du
-divorce se payaient bien cher.</p>
-
-<p class="i1">Jamais il n'avait éprouvé pour lui-même
-un pareil dégoût. A plat ventre, la
-figure contre son oreiller, il chuchotait
-désespérément:</p>
-
-<p class="i1">—Ah! c'est du propre! Ah! c'est du
-beau!...</p>
-
-<p class="i1">Et, par-dessus le marché, personne à
-qui se confier. Pas même Ribermont qui,
-dans les derniers temps, par son cynisme,
-avait perdu aux yeux de Roger toute
-espèce de prestige moral. Personne!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[Pg 183]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Mais soudain, dans ce noir abandon,
-un nom jaillit comme une lueur de sauvetage:
-l'abbé Moussoir.</p>
-
-<p class="i1">C'était un vieil ecclésiastique cévenol
-qui remplissait chez M. Beaujoint des
-fonctions analogues à celles d'aumônier.
-Un peu aigri par sa carrière sans éclat,
-impitoyable au catéchisme, pourtant, à
-certains mots, à certains regards attendris
-sous ses gros sourcils de laine grise, on
-le devinait capable de bonté. Pourquoi ne
-pas s'adresser à lui? La semonce serait
-sévère, mais le conseil prompt et direct.</p>
-
-<p class="i1">Gégé, seulement, se donnait jusqu'à la
-fin de la semaine pour essayer de sortir
-sans aide de ses mensonges. Passé ce
-délai, l'abbé saurait tout.</p>
-
-<p class="i1">Cette perspective d'un refuge possible
-dans le désastre lui rendit du calme. A
-<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[Pg 184]</a></span>
-côté, la lumière s'était éteinte, rien ne
-bougeait plus. Gégé, exténué, s'endormit
-progressivement.</p>
-
-<p class="i1">Et, le lendemain matin, quand il vint
-dire au revoir à sa mère, il se sentait
-tout ragaillardi, tant par cette nuit de
-bon sommeil que par ses vues sur l'abbé
-Moussoir.</p>
-
-<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard, en peignoir de soie vert
-mousse, examinait des dentelles, près de
-la fenêtre.</p>
-
-<p class="i1">—Déjà levée, maman!—s'écria Gégé.</p>
-
-<p class="i1">—Oui, mon chéri, j'ai un tas de
-courses à faire ce matin.</p>
-
-<p class="i1">Elle aussi paraissait reposée, le teint
-frais sous une couche de poudre légère,
-les paupières nettes, sans cernures, et
-dans les yeux comme une clarté de vaillante
-humeur.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[Pg 185]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—A propos, mon enfant!—fit-elle,
-pendant que Roger enfilait son paletot.
-... Nous avons oublié un détail important...
-C'est bien samedi prochain que
-tu revois ton père?... Mais où cela? A
-Paris ou à Courteuil?</p>
-
-<p class="i1">—A Paris donc! Papa rentre de Courteuil
-samedi matin.</p>
-
-<p class="i1">—Tiens! je croyais qu'hier il était revenu
-avec toi?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, mais il ne reste qu'une journée
-à Paris et il rentre là-bas ce soir
-pour surveiller le déménagement.</p>
-
-<p class="i1">—C'est très bien... Alors à tantôt,
-mon chéri!</p>
-
-<p class="i1">Elle savait ce qu'elle voulait savoir.
-Sitôt Gégé parti, elle sonna la femme de
-chambre:</p>
-
-<p class="i1">—Vite, Julie, mon costume tailleur
-<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[Pg 186]</a></span>
-gris... Mon grand chapeau avec des
-roses...</p>
-
-<p class="i1">Et, une heure plus tard, au bureau de
-télégraphe de la rue Clément-Marot, elle
-demandait un petit bleu. Puis, ayant
-libellé l'adresse: «Monsieur Jacques
-Taillard, 108, avenue d'Antin», elle
-écrivit ces quelques lignes:</p>
-
-<div class="bq">
-
-<p class="i1"><i>Je voudrais vous parler. Je vous attendrai,
-ce soir, à six heures, en voiture, avenue du
-Bois, côté gauche, entre le 19 et le 21. Si,
-vraiment, vous ne me haïssez pas trop, venez.</i></p>
-
-<p class="ml60">
-LUCIE.</p>
-</div>
-
-<p class="i1">Avant de glisser le télégramme sous
-la languette de cuivre, elle eut une dernière
-hésitation. C'était peut-être une
-énorme bêtise que cette lettre, une maladresse
-sans nom que cette démarche.
-<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[Pg 187]</a></span>
-Mais quand l'incertitude n'est plus tenable,
-quand on veut à tout prix reconquérir
-son fils, qu'importent les petits
-risques d humiliation ou de ridicule?
-Est-ce que ces choses-là doivent compter
-pour une mère? Et, d'une héroïque
-chiquenaude, elle lança dans la boîte
-son projectile de papier bleu.</p>
-
-<p class="i1">Une fois rentrée, elle s'était bien promis
-de sortir dès le déjeuner et de multiplier
-les achats, les commandes, les
-courses, jusqu'à la nuit, pour se distraire.
-Cependant, au moment de se rhabiller,
-le courage lui manqua. A quoi bon traîner
-de force dans les magasins ses inquiétudes
-et ses espoirs dont rien ne la
-détournerait? Pourquoi gaspiller là des
-énergies dont elle n'allait avoir que trop
-besoin? Elle demeura donc toute la journée
-<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[Pg 188]</a></span>
-dans sa chambre, comme une malade
-qui se ménage avant l'opération.
-Elle ne pouvait, du reste, ni lire, ni broder,
-ni se mouvoir, engourdie au fond
-de sa bergère par dix questions, toujours
-les mêmes, dont le bourdonnement ne
-cessait pas. Jacques viendrait-il? S'il
-venait, que lui dire? S'il refusait le retour
-à la vie commune, quel parti adopter?
-Le supplier sans orgueil? Ou renoncer
-avec dignité? Et s'il ne venait pas,
-quelle riposte choisir? Le silence méprisant?
-Ou la lettre cruelle?</p>
-
-<p class="i1">Elle s'interrogeait encore, que le jour
-commença à baisser. Alors, vivement,
-elle s'apprêta: une toilette très simple,
-un vaste voile noir formant cloche, beaucoup
-de son mélange au white rose.</p>
-
-<p class="i1">Puis, à peine dehors, ayant rencontré
-<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[Pg 189]</a></span>
-un fiacre fermé, elle se fit mener au rendez-vous.</p>
-
-<p class="i1">Quoique en avance, elle n'eut pas à
-s'impatienter. De loin, au bord du trottoir,
-sous un bec de gaz, elle avait immédiatement
-reconnu Jacques, sa cape
-en feutre beige posée un peu de côté, sa
-svelte et vigoureuse stature sanglée dans
-un complet de cheviotte marron.</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien?—questionna-t-il gaiement,
-après avoir ordonné au cocher de
-les conduire vers le Bois.</p>
-
-<p class="i1">—D'abord merci, mon ami... Mais
-savez-vous seulement pourquoi je vous
-ai prié de venir?</p>
-
-<p class="i1">—En voilà une question! C'est pour
-nous remettre ensemble, je suppose.</p>
-
-<p class="i1">Elle murmura, d'une voix qui tremblait:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[Pg 190]</a></span></p>
-
-<p class="i1">—C'est vrai?... Vous voudriez bien?...</p>
-
-<p class="i1">—Dame! sans cela, pourquoi serais-je
-ici?</p>
-
-<p class="i1">—Mais ce que vous avez dit à
-Gégé?...</p>
-
-<p class="i1">—Gégé aura mal fait ma commission,
-mal répété mes paroles... Et puis à quoi
-bon épiloguer sur tout cela? Grâce à ce
-brave enfant, nous voilà réunis pour nous
-entendre, pour causer... Si tu veux, causons,
-ma petite...</p>
-
-<p class="i1">Il corroborait ce tutoiement d'une tendre
-pression de la main. Lucie retira
-pudiquement ses doigts; mais, comme il
-n'insistait pas, tout en parlant, peu à
-peu, d'elle-même, elle ramena sa main
-dans la main de Jacques. Au bout d'un
-instant, d'ailleurs, abdiquant toute grandeur
-tragique, elle s'était remise d'instinct
-<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[Pg 191]</a></span>
-à le tutoyer aussi. Et l'on s'occupa
-rapidement de régler l'avenir. D'abord,
-on n'habiterait plus avenue d'Antin, où
-planaient trop de mauvais souvenirs. On
-louerait autre part; et, en attendant que
-le logis fût prêt, on irait avec Gégé s'installer
-une pièce de deux mois à Courteuil,
-histoire de refaire connaissance et
-de se pardonner dans l'intimité ses petits
-méfaits respectifs.</p>
-
-<p class="i1">Puis, alors, n'ayant plus rien à se dire
-ils passèrent naturellement du silence
-aux baisers. Dans l'ombre du fiacre qui
-allait au pas, Lucie avait la malicieuse
-impression qu'un amant nouveau la pressait
-dans ses bras, et Jacques, partageant
-sans doute l'illusion, faisait tout ce qu'il
-fallait pour la fortifier. Néanmoins, durant
-une pause, il demanda la permission
-<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[Pg 192]</a></span>
-de consulter sa montre, et, grattant
-une allumette:</p>
-
-<p class="i1">—Bon sang!—dit-il.—Sept heures
-moins le quart!... J'ai raté mon train.</p>
-
-<p class="i1">—Pauvre chou!—s'écria Lucie distraitement.—Où
-vas-tu dîner?</p>
-
-<p class="i1">—Dans un cabaret quelconque...</p>
-
-<p class="i1">—Viens donc plutôt dîner à la maison
-chez papa.</p>
-
-<p class="i1">Jacques la considéra, stupéfait:</p>
-
-<p class="i1">—Non?</p>
-
-<p class="i1">—Oh! puisque tôt ou tard, il faudra le
-mettre au courant, pourquoi pas ce soir?</p>
-
-<p class="i1">—Tu crois? C'est peut-être une idée...</p>
-
-<p class="i1">Et, se penchant par la portière, il cria
-au cocher l'adresse de l'avenue Marceau.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="i1">Au même moment, en compagnie de
-<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[Pg 193]</a></span>
-Firmin, Gégé quittait à pied l'institution
-Beaujoint. Dans le brouhaha de la reprise
-scolaire, son secret lui avait semblé
-moins lourd que la veille. Et, sans y renoncer
-absolument, le recours à l'abbé
-Moussoir ne lui paraissait plus si indispensable.
-En manière de mortification,
-toute la journée, il s'était appliqué à ses
-devoirs et à ses leçons comme jamais il
-ne l'avait fait. Il rapportait un carnet de
-correspondance criblé de mentions excellentes:
-grammaire française, <i>très bien</i>;— histoire,
-<i>très bien</i>;—conduite, <i>bien</i>;—récitation,
-<i>très bien</i>; le reste à l'avenant.
-Alors, de tant de bonnes notes, sa
-culpabilité ne devait-elle pas être un peu
-amoindrie? Qui sait même si, en continuant
-dans cette voie, il n'arriverait pas
-à liquider entièrement ses comptes de
-<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[Pg 194]</a></span>
-conscience? Il se voyait déjà premier
-dans toutes les branches, raflant tous
-les prix de fin d'année, réhabilité par le
-travail. Et il en oubliait tout à fait Firmin,
-qui cheminait tristement derrière
-sans pouvoir s'expliquer cette nouvelle
-disgrâce.</p>
-
-<p class="i1">Il daigna cependant lui adresser la
-parole, en apercevant, au porte-manteau
-du vestibule, près du large chapeau de
-M. Lecherrier, un élégant melon de feutre
-beige.</p>
-
-<p class="i1">—Tiens, qui dîne ici?</p>
-
-<p class="i1">—Je ne sais pas, monsieur!—répliqua
-Firmin sur un ton de froide réserve.</p>
-
-<p class="i1">Gégé, très intrigué, n'en monta pas
-moins vers sa chambre pour y faire le
-bout de toilette réglementaire.</p>
-
-<p class="i1">Mais à l'entresol, il entendit dans le
-<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[Pg 195]</a></span>
-fumoir une rumeur de causerie si animée
-que, malgré lui, il s'arrêta. Qui
-pouvait bien être là? Bah! on n'avait
-qu'à regarder. Et, sa casquette aux
-doigts, comme par étourderie, il ouvrit
-d'un seul trait la porte.</p>
-
-<p class="i1">Grand Dieu! Pas possible!... Mais
-si!... Là-bas, au fond de la pièce, sur le
-divan, la main dans la main, c'était bien
-son père et sa mère qu'il voyait, et en
-face d'eux, dans un fauteuil, M. Lecherrier
-qui, le binocle au nez, parcourait
-tranquillement le <i>Temps</i>.</p>
-
-<p class="i1">Au bruit de la porte, tous s'étaient retournés.</p>
-
-<p class="i1">—Ah! voilà votre petite victime!—annonça
-M. Lecherrier avec bonhomie.</p>
-
-<p class="i1">—Dites plutôt notre petit sauveur!—rectifia
-Taillard.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[Pg 196]</a></span></p>
-
-<p class="i1">Et avant que Roger, blême d'épouvante,
-eût pu se retourner, proférer un
-mot, on l'enlevait du sol, on l'étouffait
-de baisers, on se le repassait de bras en
-bras, avec accompagnement d'apostrophes
-passionnées: «Mon bon loup, mon
-amour, mon ange, mon trésor!...» On
-recommençait, on ne se lassait pas. Enfin
-Taillard arracha son fils à ce maelstrom
-de caresses, et, le reposant à terre:</p>
-
-<p class="i1">—Hein, mon garçon, ça n'a pas
-traîné! Tu ne t'attendais pas à celle-là?</p>
-
-<p class="i1">—Oh! non!—exhala sincèrement
-Gégé.</p>
-
-<p class="i1">—Mais regarde-moi donc, mon chéri!—fit
-Lucie.—Tu es tout pâle... Qu'est-ce
-que tu as?</p>
-
-<p class="i1">—Ce qu'il a?—interrompit fort à
-propos M. Lecherrier.—Tu demandes
-<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[Pg 197]</a></span>
-ce qu'il a? Il est bouleversé, ce petit...
-On le serait à moins... N'est-ce pas,
-Gégé, l'émotion t'a donné un coup?</p>
-
-<p class="i1">—Oui, grand-papa, c'est ça!</p>
-
-<p class="i1">—Parbleu!... Alors, va vite te passer
-de l'eau sur la figure pour te remettre...
-Et tu nous rejoindras en bas,
-parce que, moi, je commence à avoir une
-faim peu commune!</p>
-
-<p class="i1">Roger sortit d'un pas automatique et,
-pour grimper, empoigna la rampe. La
-dépression maintenant l'accablait. Des
-tremblements vibraient dans ses jambes.
-Il avait le cerveau brouillé et endolori,
-comme si on lui eût mis la tête à l'envers...
-Quelle histoire! C'était positivement
-à devenir fou! Comment! Ses parents
-se réconciliaient, les adversaires
-fraternisaient. Et, au lieu de reproches,
-<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[Pg 198]</a></span>
-d'outrages, de mépris, on l'embrassait,
-on le fêtait, il était le petit sauveur!...
-Plus tard, sans doute, l'énigme s'éclaircirait.
-Mais, pour le moment, il ne fallait
-pas essayer de comprendre.</p>
-
-<p class="i1">Par contre, peu à peu, il éprouvait
-une étrange sensation d'allégement. Il
-ne croyait pas à son amnistie totale, il se
-savait toujours sous le coup de sa faute.
-Pourtant il lui semblait que toutes ses
-hontes, toutes ses craintes, s'en allaient
-par une fuite cachée, tandis qu'un bien-être
-nouveau montait doucement à leur
-place. Il se sourit dans le miroir de la toilette
-avec sympathie. En somme, tout
-cela ne s'arrangeait pas si mal!</p>
-
-<p class="i1">Mais il achevait à peine cette constatation
-qu'un choc brutal lui heurta le
-cœur. Et, de chagrin, il lâcha sa brosse à
-<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[Pg 199]</a></span>
-ongles, qui coula à pic au fond de la
-cuvette...</p>
-
-<p class="i1">Il venait de revoir brusquement la réalité
-que depuis deux jours lui masquaient
-ses remords: le divorce abandonné, le
-divorce rompu, c'est-à-dire ce qu'en secret
-il redoutait le plus, ce qu'il avait
-d'instinct tout fait pour retarder indéfiniment!...</p>
-
-<p class="i1">Voilà qui devenait autrement grave que
-de simples problèmes de conscience. A
-présent, plus à compter sur les remises
-possibles, sur les silences, sur les hasards!
-La paix était signée. Le bon
-temps finissait. C'était bien le triste retour
-à jadis. C'était la rentrée!</p>
-
-<p class="i1">Gégé, avant d'éteindre, parcourut encore
-d'un coup d'œil d'adieu la petite
-chambre bleu de lin, où, à côté de sa
-<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[Pg 200]</a></span>
-mère, à deux pas de son grand-père, il
-avait dormi tant de nuits heureuses,
-passé tant de journées bienfaisantes.</p>
-
-<p class="i1">Puis, mélancoliquement, marche à
-marche, il descendit l'escalier.</p>
-
-<p class="i1">Dans la salle à manger, on terminait
-presque le potage.</p>
-
-<p class="i1">Roger s'assit vis-à-vis de son père,
-entre sa mère et M. Lecherrier. Tous trois
-lui souriaient d'un air de connivence.</p>
-
-<p class="i1">—Eh bien, mon petit!—demanda
-Taillard,—j'espère que tu es content?</p>
-
-<p class="i1">—Je te crois!—riposta Gégé, avec
-un flegme fort au-dessus de son âge.</p>
-
-
-<p class="ac p4">FIN</p>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="ac smaller">ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HÉRISSEY ET FILS</p>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-
-<p class="ac">LIBRAIRIE OLLENDORFF</p>
-
-<p class="p2 ac">Œuvres de Fernand Vandérem</p>
-
-
-<p class="ac">
-LA CENDRE<br />
-<br />
-CHARLIE<br />
-<br />
-LE CHEMIN DE VELOURS<br />
-<br />
-LES DEUX RIVES<br />
-<br />
-LE CALICE (Pièce)<br />
-<br />
-LA PATRONNE<br />
-</p>
-
-
-<p class="p2 ar smaller">
-Gautherin-Leemans, typographes.—Paris</p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME ***
-
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
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-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
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-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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-
-
-</pre>
-
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-</html>
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