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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: La victime - -Author: Fernand Vandérem - -Release Date: March 5, 2016 [EBook #51373] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME *** - - - - -Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - - - - - - - - - ┌───────────────────────────────────────────────────────────────────┐ - │ Note de transcription: │ - │ │ - │ Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été │ - │ corrigées. L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été │ - │ conservées et n'ont pas été harmonisées. │ - │ │ - │ Les mots en italiques sont indiqués comme _ceci_, les mots en │ - │ gras comme =ceci=. │ - └───────────────────────────────────────────────────────────────────┘ - - - - - FERNAND VANDÉREM - - La - - Victime - - - - -[Illustration] - - - - - LIBRAIRIE - OLLENDORFF - CHAUSSÉE D'ANTIN - PARIS - - _2e Édition_ - - - - -DU MÊME AUTEUR - - - =La Cendre= (roman), 1 vol. - - =Charlie= (roman), 1 vol. - - =Les Deux Rives= (roman), 1 vol. - - =Le Chemin de velours= (contes), 1 vol. - - =La Patronne= (roman), 1 vol. illustré. - - =Le Calice= (pièce), 1 vol. - - - - - FERNAND VANDÉREM - - - LA VICTIME - - - _Deuxième édition_ - - - - - [Illustration] - - - - - PARIS - - SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES - - _Librairie Paul Ollendorff_ - - 50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50 - - - 1907 - - - - - A - - G. LENOTRE - - EN TOUTE AFFECTION - - F. V. - - - - - IL A ÉTÉ TIRÉ A PART: - - Cinq Exemplaires sur papier du Japon. - Vingt-cinq Exemplaires sur papier de Hollande. - - Numérotés à la presse. - - - - -[Illustration] - - - - -I - - -Comme on menait «Gégé» au Nouveau-Cirque, Jacques Taillard avait dit -qu'on commençât à dîner sans lui, tandis qu'il s'habillerait. - -—Naturellement!—s'était récriée Mme Taillard, en passant à table avec -Gégé. - -Et il n'en avait pas fallu plus pour que celui-ci se sentît envahi par -les plus noirs pressentiments. - -Non pas que, d'ordinaire, Roger Taillard en fût encore à s'alarmer -d'une dispute éventuelle entre son père et sa mère. Malgré ses onze -ans et demi, depuis le temps qu'il assistait à leurs querelles presque -quotidiennes, il avait fini par n'y plus prendre garde. Il s'y était -habitué peu à peu, comme on se fait graduellement aux obligations -domestiques, aux charges de famille. Elles lui causaient toujours un -profond ennui. Elles ne lui inspiraient plus jamais ni réflexion, ni -curiosité, ni crainte. - -Mais, les soirs où on le conduisait au théâtre, ce détachement -coutumier l'abandonnait soudain. Du coup, Gégé devenait comme un loup -de mer sur le point d'embarquer. Les moindres indices d'orage le -bouleversaient. Il savait combien deux époux qui tiennent une bonne -dispute ont peine à lâcher prise. Et il redoutait sans cesse qu'au -dernier moment une scène engagée mal à propos ne vînt compromettre le -départ ou ne le fît ajourner à une date indéterminée. Cette catastrophe -s'était déjà produite l'année précédente, une fois qu'on devait le -mener au Châtelet. Crève-cœur qui marque dans une vie d'enfant et qui -ne s'oublie pas de sitôt! - -Roger n'avait donc pas noté sans appréhension le petit retard de son -père, puis l'adverbe plein d'aigreur dont sa mère avait apprécié ce -retard. - -Et la figure de Mme Taillard, qu'il surveillait à la dérobée, n'était -guère d'aspect à le rassurer. Même pour un physionomiste moins exercé -que lui, elle offrait les signes de la plus sombre préoccupation. Mais -qu'est-ce qui pouvait affecter si fort Mme Taillard? Sûrement pas une -question de coquetterie. Jamais elle n'avait été plus jolie que ce soir -avec sa robe de dentelle noire et cette minuscule capote de tulle qui -planait sur ses cheveux cannelle comme une gentille fumée bleu pâle. Le -retard de son mari peut-être? Non, puisque, sous un prétexte ou sous un -autre, Jacques s'arrangeait toujours pour ne figurer qu'aux deux tiers -du repas, soit qu'il n'arrivât qu'au second plat, soit qu'il sortît de -table, le dessert à peine servi. Il devait donc y avoir autre chose. -Quoi donc? - -Oh! un accident bien banal, que Gégé avait mille excuses pour ignorer -et d'où naît souvent tout le souci de beaucoup de femmes: Mme Taillard -n'était pas contente de son dernier rendez-vous avec Alcide Barbier. -Et il n'y avait là de sa part ni douilletterie sentimentale, ni folles -exigences. - -En cédant, six mois avant, à Alcide Barbier, Lucie Taillard ne croyait -pas plonger dans ce tourbillon de délices où vous emportent les grandes -passions. Elle obéissait plutôt à l'usage qui veut qu'une femme ne se -laisse pas tromper indéfiniment sans représailles. Et, sur une nouvelle -fredaine de Jacques, elle s'était alors décidée pour Alcide Barbier, -qui se trouvait de son entourage, et, justement, ne demandait pas mieux. - -Du reste, retenu chaque jour jusqu'à cinq heures par l'importante -raffinerie de pétroles que sa femme lui avait apportée en dot, bon -musicien, la poitrine large, un souple carré de barbe rousse sous une -figure sans âpreté, loyal, docile et très épris, Alcide constituait un -choix pratique autant qu'honorable. Mais en amour, la première flambée -morte, les qualités cessent de briller. On ne distingue plus que les -lacunes. Or si tendre, si délicat que se montrât le jeune usinier, il -manquait vraiment de fantaisie et d'esprit à un point qui n'est pas -permis. Les caresses, les attentions, la musique ne sont pas tout. Une -femme souhaite qu'on l'amuse. Et, cet après-midi, Mme Taillard s'était -tellement ennuyée que des remords lui venaient presque avec de vagues -idées de rupture. - -Elle s'imposa pourtant un effort en faveur de son fils, et, la voix -distraite, le regard ailleurs: - -—Eh bien! mon chéri,—demanda-t-elle,—tu es content d'aller là-bas? - -—Bien sûr, maman!—fit Roger. - -Puis ce fut tout. Mme Taillard était rentrée dans sa mélancolie comme -dans une cabine. Gégé commença à s'inquiéter sérieusement. Pour peu que -son père fût dans des dispositions analogues, voilà qui promettait! - -Cependant l'entrée de Jacques Taillard lui rendit quelque espoir. - -Ainsi que d'habitude, il s'était assis vis-à-vis de sa femme sans lui -adresser la parole et, à présent, il mangeait en hâte pour rattraper. A -son tour, il interrogea: - -—Eh bien! Roger! tu es content d'aller là-bas? - -—Oh! oui, papa,—fit Gégé. - -Cet échange de propos ne donna pas plus de résultat que le précédent. -Jacques, sans insister, s'était remis à manger. Mais, à l'inverse -de Mme Taillard, il y avait sur tout son visage comme un vernis de -bonne humeur. Ne venait-on pas avant dîner de le présenter à Nelly -Jelly, la petite danseuse américaine des Ambassadeurs, que depuis un -temps infini il voulait s'offrir, sans trouver l'occasion? Une veine -inespérée, quoi! Avec ça, pas l'ombre de manières: le rendez-vous dans -les vingt-quatre heures. Et, en se rappelant cet accord si facile, si -rondement conclu, Taillard ne pouvait se défendre de sourire tour à -tour à tous les objets qui couvraient la table... - -Devant tant de symptômes favorables Gégé poussa un soupir rassuré. - -Mais, par malheur, dans l'état de ses nerfs, Mme Taillard n'était -pas femme à supporter longtemps le spectacle de cette songerie -joyeuse. Tant de gaieté quand elle était si triste lui semblait de la -provocation. Sans compter qu'elle connaissait son bonhomme sur le bout -du doigt: certainement, il y avait de la femme là-dessous. Et comme -Jacques venait encore d'adresser au compotier de droite le sourire le -plus bienveillant, elle n'y tint plus. Coûte que coûte, elle avait -besoin de soulever un incident, et, se ramassant: - -—A propos!—fit-elle d'une voix acérée,—tu as bien téléphoné avenue -Marceau le numéro de la loge? - -—Totalement oublié!—avoua Jacques en levant la main dans un geste de -regret sommaire. - -—Comment! Tu savais que papa se faisait une fête d'aller au Cirque avec -cet enfant! Et tu oublies de le prévenir! Non, c'est fantastique! - -Jacques ne répondit pas. Le petit nez droit de Mme Taillard s'était -tout aminci de colère, ce qui précisait sa ressemblance avec un crayon -bien taillé. Gégé, au comble de l'angoisse, ne quittait plus du regard -les deux adversaires. - -—D'ailleurs,—poursuivit Lucie,—je m'explique que tu aies oublié... Un -homme qui a tant à faire!... - -En toute autre circonstance, cette ellipse eût déchaîné une scène -infernale, Mme Taillard sachant mieux que personne les mille -occupations qui encombrent la vie d'un désœuvré. Mais rien ne rendait -Jacques conciliant comme d'avoir de la dame sur la planche; et, au -lieu de se fâcher, au lieu même d'invoquer les deux heures qu'il allait -de temps en temps passer sur les marches de la Bourse ou à la charge de -son oncle Ernest, il observa modestement: - -—Eh bien, il n'y a qu'à faire téléphoner à ton père maintenant... - -Puis, se tournant vers le valet de chambre: - -—Joseph, posez ce plat et téléphonez tout de suite à M. Lecherrier que -nous l'attendons ce soir au Nouveau-Cirque, loge 30. - -Après trois minutes qui semblèrent à Roger en durer au moins dix, -Joseph reparut et dit: - -—M. Lecherrier était sorti... Il ne dîne pas là et on ne sait pas où il -dîne. - -Mme Taillard déclara: - -—C'était à prévoir!... Papa sera désolé! - -—Ce qui ne l'empêchera pas d'avoir passé aujourd'hui une soirée -excellente!—remarqua Jacques sans acrimonie. - -—Qu'en sais-tu? - -—Effectivement, je n'en sais rien... Mais je connais ton père... Il -n'est pas dans ses us de dîner tout seul... Alors je suis en droit de -supposer que ce soir il ne s'ennuiera pas. - -—Papa fait ce que bon lui semble et il n'a pas de comptes à te rendre. - -—Est-ce que je lui en demande? - -—Non, mais tu te permets à son sujet des insinuations du plus mauvais -goût, surtout en présence de cet enfant. Tu ferais bien mieux de -t'excuser de ton égoïsme et de ta négligence sans nom. - -—Dis-moi, en as-tu encore pour longtemps comme cela?—questionna -Jacques, chez qui la colère effaçait peu à peu l'image apaisante de -Nelly Jelly. - -—Pour aussi longtemps que je voudrai. Si cela te déplaît, je regrette. -Tu n'avais qu'à ne pas commettre cette goujaterie. - -Le terme était excessif, impropre, mais la soulageait. Elle se tut. -Jacques tirait sur sa fine moustache dorée, qu'on eût dite tracée à la -plume, puis il laissa simplement tomber ces mots: - -—C'est curieux comme une femme peut devenir bête, à fréquenter les -imbéciles! - -—Je ne comprends pas!—fit Lucie qui frémissait de comprendre. - -—Mettons «raseurs», et n'en parlons plus! - -—Si, parlons-en! De qui s'agit-il? - -—Devine! - -L'allusion crevait les yeux. Elle ne concordait que trop avec les -souvenirs de l'après-midi. Et ce n'était d'ailleurs pas la première -fois que Jacques contestait la qualité d'amuseur à Alcide Barbier, dont -les assiduités auprès de Lucie, sans l'émouvoir, l'agaçaient. - -Mme Taillard cependant cherchait une réponse venimeuse, terrible, et, -ne trouvant pas: - -—Tiens, tu avais raison... Finissons!... Il y a des gens avec qui il -vaut mieux ne pas discuter. - -Jacques, satisfait par la faiblesse de cette réplique, haussa les -épaules. Joseph rentrait portant le café. Roger profita de la -diversion pour demander si on lui permettait un canard. - -—Oui, mon chéri!—firent en même temps M. et Mme Taillard d'une voix -soudainement angélique. - -Puis, le canard pris, Lucie ajouta du même ton: - -—Maintenant Gégé, il faut aller achever ta toilette... - -—Oui, va t'habiller, mon petit!—approuva non moins suavement Taillard. - -Roger glissa à bas de sa chaise; mais cet accent si doux ne lui -laissait aucune illusion. Dès le début, il avait eu la nette impression -que son Nouveau-Cirque était dans l'eau. Et maintenant, pour un -connaisseur tel que lui, il n'y avait nulle chance que la dispute en -demeurât là. - -Ce fut donc d'une allure nonchalante qu'il regagna sa chambre, comme -quelqu'un qui va accomplir le geste inutile et la formalité superflue. -Pourtant quand il aperçut bien étalés, au travers du lit, le smoking -des galas, les gants blancs, le pardessus clair,—ce résidu d'espoir qui -survit aux pires désastres lui souffla que peut-être tout n'était pas -perdu. Qui sait, si en se dépêchant, il ne pourrait pas rejoindre ses -parents avant une reprise des hostilités, puis étouffer la querelle en -précipitant le départ? Et il commanda à la vieille femme de chambre qui -cousait sous une lampe, le menton au genou: - -—Annette! Nous sommes très en retard! Vite, mes affaires! Vite, vite! - -—«S'il vous plaît, mon chien!»—réclama protocolairement Annette, qui -tenait à achever le point commencé. - -—S'il vous plaît! concéda avec révolte Gégé. - -En un instant, il eut revêtu le smoking. Il trépignait tandis -qu'Annette lui nouait, sous le petit col carcan, sa correcte cravate -de soie noire. Puis, son paletot jeté sur le bras, il s'élança vers la -salle à manger comme un jeune pompier qui court au feu. - -Mais, dès le seuil de l'antichambre, partant de la pièce voisine, des -vociférations frénétiques l'arrêtèrent sur place. Trop tard! La scène -avait repris, faisait rage! - -Roger hésita. Peut-être qu'attendre une accalmie serait plus malin. -Baste! autant en finir tout de suite. Et, comme on ouvre la porte d'un -malade, avec de pieuses précautions, il tourna le bouton de la salle à -manger. Il n'avait risqué que la tête. Les clameurs cessèrent du coup. - -—Une minute, Gégé!—dit Taillard qui était debout, livide. - -—Oui, tout à l'heure, mon chéri!—confirma de sa place Mme Taillard avec -un geste dilatoire. - -Évidemment, on les dérangeait. Ils en voulaient encore. Roger comprit. -Il retira sa tête, referma la porte sans bruit, puis, lentement, il se -hissa sur la haute banquette Henri II qui, avec un maigre régulateur -Louis XIII, était la gloire de l'antichambre. - -Il se mit à enlever un à un les doigts de ses gants. Pendant un -moment, l'orgueil de voir ses prévisions si exactement réalisées et -aussi une sorte d'amour-propre l'avaient soutenu. Mais à présent, -il n'éprouvait plus que de l'accablement. Il se demandait ce qu'il -dirait, le lendemain, à son vieux Pierre de Ribermont, quand celui-ci -l'interrogerait sur les détails de la soirée. Il essayait de se -remémorer tous les numéros du Nouveau-Cirque, étudiés la veille -sur l'affiche illustrée: et il était contraint à d'extraordinaires -clignements pour se conserver les yeux secs. - -L'apparition de Joseph, qui allait chercher Annette toujours en retard -pour dîner, le rappela à la dignité. - -Il se retrouva la force de chantonner un petit air gaillard en -tambourinant du talon sur les précieux bas-reliefs du siège. - -Puis quand, au retour, Annette s'écria avec compassion: «Eh bien! -mon pauvre petit Gégé, pas encore parti!...» il se domina assez pour -répondre: - -—Ça m'est bien égal! - -Mais il était à bout de vaillance. Et, sitôt les domestiques dans le -couloir, ses larmes lui échappèrent et il s'en donna, à tout cœur, de -sangloter tant qu'il pouvait. - -Dans l'ombre, avec son chapeau de travers, ses jambes pendantes contre -la banquette, et cette désolation sans frein, il présentait assez -l'aspect d'un petit garçon égaré sur la voie publique. Jamais il -n'avait ressenti une détresse pareille. Ce n'était plus seulement sur -le Nouveau-Cirque qu'il pleurait, c'était aussi sur un tas de choses -qu'il évoquait confusément: la tristesse des repas toujours silencieux, -la physionomie de ses parents toujours en embuscade, l'incertitude de -ses joies toujours menacées. - -Il existait pourtant des enfants chez qui cela se passait autrement. -Chez beaucoup de ses camarades, chez les Ribermont, chez les Thomas, -chez les Bachicourt, par exemple, on ne se querellait jamais, ou pour -ainsi dire jamais. Gégé ne l'ignorait pas, les ayant questionnés -là-dessus. Alors pourquoi chez lui la dispute était-elle à demeure? Et -puis à quoi bon être mariés si c'est pour se faire tout le temps des -scènes? - -Il allait peut-être, entre deux sanglots, trouver la solution de ces -problèmes, quand la porte de la salle à manger livra passage à Mme -Taillard. Elle avait les yeux rouges, le nez dépoudré et une grimace -oblique qui s'efforçait d'être un sourire. Elle s'approcha de Roger, -et, les deux mains à ses épaules: - -—Mon cher petit,—dit-elle,—il va falloir être un homme!... - -—Bon, ça y est!—pensa Gégé, qui savait tout ce qu'il en coûte aux -enfants chaque fois qu'on fait appel à leur virilité. - -—Il va falloir être très raisonnable... Nous n'irons pas ce soir au -Nouveau-Cirque... D'abord, il serait trop tard... Ensuite, ton père et -moi nous avons encore à... - -Elle chercha son mot: - -—Nous avons encore à causer... Alors, à la place, nous irons la semaine -prochaine. Maintenant tu vas te coucher gentiment, et d'ici peu, tu -verras, je te promets une jolie compensation... Tu es content comme -cela? - -—Oui, maman!—répliqua Roger, sentant la vanité de toute dénégation. - -Mme Taillard le souleva dans ses bras avec ferveur en murmurant: - -—Tu es un bon petit Gégé! - -Puis, le remettant à terre: - -—Va dire bonsoir à ton père! - -Elle le poussa doucement vers la salle à manger. Taillard virait autour -de la table, comme occupé à établir un record. Des serviettes en boule -traînaient sur le tapis. Un verre renversé avait fait à travers la -nappe une large tache couleur d'améthyste. Roger tendit la joue à -son père qui, d'instinct, tendit aussi la sienne. Les deux joues se -heurtèrent mollement et, après ce baiser rudimentaire, Taillard déclara: - -—Allons, je vois que nous sommes un brave petit Gégé, mais avec moi, tu -sais, on ne perd rien pour attendre! - -Roger hocha la tête en signe d'assentiment et sortit sans en réclamer -plus. - -Dans sa chambre, Annette, sonnée par Mme Taillard, voulut l'aider à -se déshabiller. Il déclina froidement ses offres de service. Mais -comme, en rangeant ses vêtements, elle commençait à lui prodiguer des -consolations grossières, Gégé l'interrompit: - -—Laissez-moi donc tranquille! Je vous ai déjà dit que ça m'est bien -égal! - -—Oh! mon Dieu! ce qu'il est méchant!—se récria Annette, démontée. - -Roger, dans ses couvertures, ne daigna pas répondre. Il n'avait plus -qu'une idée: s'endormir, oublier. Il ferma les yeux. Sous le noir des -paupières il revit, durant quelques instants, des acrobates en caleçon -de satin pailleté, des chevaux galopant sur un tapis fauve, une piste -remplie d'eau. Puis tout se brouilla et bientôt il n'y eut plus dans la -chambre que le faible bruit de sa respiration, coupé, de temps à autre, -par le hoquet d'un restant de sanglot. Gégé dormait. - -Plus tard, beaucoup plus tard, il lui sembla qu'une forme qui avait -le parfum de sa mère se penchait sur lui en chuchotant des paroles de -pitié. Mais, stoïque jusque dans le sommeil, il balbutia encore: - -—Ça m'est bien égal! - -Un peu après, il crut sentir à son front le baiser léger d'une autre -ombre qui ressemblait à son père. Et quoique l'ombre n'eût rien dit, -Gégé fièrement bégaya tout de même: - -—Ça m'est bien égal! - - - - -[Illustration] - - - - -II - - -Le lendemain, vers neuf heures et demie, M. Lecherrier était en train -de recevoir la dégelée de coups de poing et de coups de savate, que, -moyennant trois cents francs par mois, un petit homme trapu venait -chaque matin lui allonger à domicile, quand une sonnerie de téléphone -interrompit brusquement ces voies de fait. - -—Vous m'excusez!—dit M. Lecherrier au professeur, en arrachant vivement -sa moufle de boxe. - -—Faites donc! - -M. Lecherrier était déjà à l'appareil: - -—Allô!... C'est toi Lucie?... Eh bien! vous m'avez joliment fait poser -hier soir? - -—Oui, il y a eu malentendu... Je t'expliquerai,—chevrota au loin la -voix de Mme Taillard.—Mais, en ce moment, il ne s'agit pas de ça... -Peux-tu me recevoir ce matin? - -—Certainement... Mais pourquoi? - -—J'ai à te parler... Des choses à ne pas dire par téléphone. - -—Rien de mauvais? - -—Non! non!—protesta tièdement Lucie. - -—Alors, je t'attends... A quelle heure seras-tu là? - -—Tout de suite... Je saute en fiacre et j'arrive. - -M. Lecherrier, qui saisissait toujours avec empressement les moindres -prétextes pour abréger sa leçon de boxe, se tourna vers le professeur: - -—C'est ma fille, Mme Taillard... Elle sera ici dans cinq minutes. Donc -aujourd'hui, si vous voulez bien, nous nous en tiendrons là... - -—A votre disposition, monsieur!—fit le petit athlète, non moins -enchanté de couper à la fin de la séance. - -Mais, le maître de chausson parti, au lieu de savourer, comme de -coutume, les douceurs de la délivrance, M. Lecherrier ne tarda pas à -s'égarer dans les conjectures les plus alarmantes. - -Que pouvait bien signifier cette visite de Lucie, d'habitude si peu -matinale? Quoi qu'elle en dît, sans doute pas grand'chose de bon. Et -rien que l'idée d'avoir une fois de plus à flétrir la conduite de son -gendre combla M. Lecherrier d'écœurement. - -D'ailleurs, depuis qu'il s'était retiré des soieries avec deux cent -mille francs de rente, il se considérait comme ayant droit à une -félicité sans mélange. Riche, veuf, libre, décoré, choyé des petites -femmes auxquelles il le rendait bien,—hormis sa moustache qui tournait -au blanc, ses favoris qui grisonnaient trop, et ce commencement de -ventre que la boxe ne bridait qu'à demi, il ne voulait pas entendre -parler de soucis. Sa crainte des tracas était même si vive, qu'à la -mort de Mme Lecherrier il s'était résigné à garder pour lui seul son -vaste hôtel de l'avenue Marceau, aimant mieux en laisser tout un étage -vide, que de subir les tribulations d'un déménagement. C'est dire -avec quelle mollesse il avait pris les mésaventures de Lucie. D'abord -révolté, puis attendri, il finissait par être blasé. Ces querelles -sans variété, pour des méfaits toujours pareils, lui paraissaient à la -longue fastidieuses. Il ne pouvait s'expliquer qu'après dix ans de ce -régime, le coupable ne montrât pas plus de bonne humeur et l'innocente -plus de philosophie. Aussi, sans Gégé dont il raffolait, ce n'eût pas -été tous les jours qu'on l'aurait vu dans ces bagarres. - -—Ah! mais non!—conclut-il amèrement, tout haut. - -Puis, ayant passé un léger costume d'intérieur en flanelle beige, il -alla s'accouder au balcon pour guetter l'arrivée de Lucie. - -En dépit de l'heure, la température était accablante. Au milieu de la -chaussée, un arroseur découragé faisait de place en place des flaques -éphémères. Les marronniers de l'avenue semblaient suffoquer sous leurs -lourds falbalas de verdure. Et quoiqu'on fût à peine au début de juin, -certaines feuilles, roussies des contours, avaient déjà très mauvais -teint. - -Du haut de son balcon, M. Lecherrier les examinait avec sympathie. Mais -le bruit d'une voiture raclant le trottoir l'arrêta sur la voie de -l'élégie. Lucie descendit du fiacre. Elle était tout en piqué blanc, -avec une souple voilette crème pleurant autour de son chapeau rose. -De la main elle fit à son père un signe d'amitié, puis, rapidement, -marcha vers la porte. - -—Eh bien, que se passe-t-il?—demanda M. Lecherrier, après avoir -embrassé sa fille. - -Lucie retroussa sa moustiquaire, et, se carrant dans un fauteuil: - -—C'est toute une histoire... Voilà, hier soir, à propos de ce -Nouveau-Cirque,—où, soit dit en passant, nous avons fini par ne pas -aller,—Jacques et moi, nous avons eu une scène effroyable... - -—Pour changer!—fit M. Lecherrier. - -—Oh! je t'en prie, papa, grâce des commentaires! Ou je n'en sortirai -jamais... Donc, scène terrible. Nous nous sommes dit, de part et -d'autre, des choses atroces, irréparables... Et, finalement, nous avons -décidé de divorcer... - -—Ce n'est pas la première fois!—objecta M. Lecherrier. - -—Peut-être, mais ce sera la bonne... Et, du reste, pour ne pas revenir -sur notre décision, il a été convenu que ça se ferait aujourd'hui -même... - -—Quoi? qu'est-ce qui se fera? - -—Mais notre rupture, l'incident qui pour les tribunaux et le public la -justifiera... Tout à l'heure, à midi, quand je rentrerai, il y aura -la chaîne de sûreté à la porte... Et Jacques me refusera, comme on -dit, l'accès du domicile conjugal... Nous avons même pris soin de nous -munir de deux témoins: le tapissier sera là dans l'antichambre, avec -un ouvrier, à réparer le store dont justement les cordons ne marchent -plus depuis trois jours... Jacques a accepté cette combinaison qui -nous dispensera, dans le procès, de nous traîner réciproquement dans la -boue... - -—Ah çà! vous devenez fous!—s'écria M. Lecherrier, qui commençait à -s'agiter.—Vous croyez que vous trouverez des juges pour donner dans ces -balivernes? - -—Parfaitement! D'abord, pourvu qu'on ait bien envie de divorcer, les -juges n'y regardent pas de si près... Et puis, devant une expulsion en -due forme, ils n'auront pas le choix... Aubineau, notre avoué, que j'ai -consulté autrefois sans avoir l'air, est formel là-dessus. - -—Admettons... Mais Gégé? - -—Pour le moment, il continuera à aller dans la journée chez son -professeur M. Beaujoint. Le reste du temps, il habitera huit jours -avec moi, huit jours avec son père, les dimanches et vacances partagés -de même par moitié... - -—Et où comptes-tu loger?... Ici? - -—Dame!—fit Lucie en courant à M. Lecherrier. - -Elle lui enlaça câlinement le bras, tandis qu'il se raidissait un peu -contre l'étreinte. - -—Mais oui, mon pauvre papa, ici! Tu ne voudrais pas que je donne à -d'autres la préférence?... Ah! évidemment, dans tout cela, c'est toi -qui vas pâtir, c'est toi qui seras la victime! - -—Non!—fit avec force M. Lecherrier.—La victime, ce ne sera pas moi... -La victime, ce sera Gégé... - -—Écoute, papa!—supplia Lucie. - -—Je n'écoute rien... Je n'ai rien à écouter... Si tu ne sens pas ces -choses-là de toi-même, tout le monde te le dira: dans le divorce, la -vraie victime, la grande victime, c'est l'enfant... Voilà la règle... -Et notre petit Gégé, hélas! n'y échappera pas... Du jour au lendemain, -pour votre commodité personnelle, vous allez faire de lui une espèce -d'orphelin, de déclassé, d'abandonné, sans famille régulière, sans -foyer fixe, sans intérieur. Vous allez bouleverser sa vie, gâcher -toutes ses joies, détruire tout son bonheur... Alors, dans ces -conditions, moi, mes aises, mes habitudes, tu t'imagines si ça pèse -lourd!... - -M. Lecherrier se tut, car des larmes lui barraient la gorge. -Probablement, malgré ses dires, dans cette affliction, il entrait -un peu le chagrin de voir pour des mois sa quiétude chavirée, son -indépendance en péril, les petites femmes à vau-l'eau. Mais la -sincérité dominait. Il adorait son petit-fils, et la pensée des mille -souffrances classiques dont ce divorce menaçait Gégé lui paraissait -intolérable. - -Lucie avait tendrement retenu sa main, puis, quand il donna des signes -d'apaisement: - -—Je t'assure, papa, que ce que tu me dis là, depuis des années je me -le répète... Sans Roger, il y a longtemps que j'aurais fui l'enfer de -mon ménage... C'est pour notre enfant que je suis restée, pour lui que -j'ai patienté... Tant qu'il n'aurait pas fait sa première communion et -renouvelé, je m'étais juré de tout subir... et j'ai tout subi... Mais -maintenant je suis à bout... Il ne faut pas m'en demander plus! - -Elle avait débité cela sans colère, sans désespoir, comme une femme -excédée qui a pris son parti. Devant cette lassitude résolue, M. -Lecherrier se sentit plus faible que devant de la violence. Il embrassa -longuement sa fille, puis, avec simplicité: - -—Alors, quand t'installes-tu chez moi? - -—Tantôt. - -—Tantôt? - -—Oui, papa, puisque c'est à midi que Jacques me refuse sa porte. Après -quoi, selon nos conventions, il me permettra de rentrer pour faire mes -malles. Je pourrai être ici vers cinq heures et demie. - -—Et le temps d'aménager les chambres? - -—C'est l'affaire d'une heure... Pour Gégé, un lit dans mon ex-petit -salon... Moi, je reprendrai ma chambre de jeune fille... - -—Très bien! Je vois que je n'ai plus qu'à exécuter tes ordres. - -—Mes conseils pratiques, tout au plus! - -—Si tu veux!... Cependant si d'ici là tu découvrais, par hasard, -quelque chose de plus pratique encore, comme, par exemple, d'épargner à -ton fils ce drame et de rester avec ton mari, ne te gêne pas. Je n'en -serais nullement froissé. - -Mme Taillard eut un hochement de tête incrédule. Mais, comme elle se -levait et rabaissait le rideau de son voile, M. Lecherrier protesta: - -—Où vas-tu donc? Tu n'es pas pressée... - -—Si, je t'assure; il me reste une ou deux courses urgentes avant -déjeuner. J'aurai tout juste le temps. - -Et, s'appuyant d'une main à l'épaule de son père: - -—C'est égal, papa! C'est effrayant ce que je te fais là... Toi qui -aimais tant ta bonne liberté! - -—Ne t'occupe pas de moi!—dit avec conviction M. Lecherrier.—Moi, je ne -suis plus intéressant... Maintenant, dans notre vie, il n'y a plus que -Gégé qui compte... tu entends, rien que Gégé!... - -Ces paroles sonnaient encore dans l'oreille de Mme Taillard quand sa -voiture l'arrêta devant le rez-de-chaussée de la rue Washington où -Alcide Barbier, mandé par télégramme, l'attendait depuis vingt minutes -déjà. - -Mis en quelques mots au courant, Alcide Barbier eut une attitude -médiocre. Opposé pour lui-même au divorce en vertu de ses principes, -dont le premier était de ne rien faire qui pût nuire à son industrie, -il n'avait pu d'abord réprimer le petit mouvement d'envie que lui -inspirait la résolution de Lucie. Quand l'intérêt vous cloue au port, -il est toujours pénible de voir les autres gagner le large. Et sa -grimace fut telle que Lucie s'en formalisa: - -—Tiens, vous avez l'air contrarié?... Moi qui croyais que vous -sauteriez de joie!... - -—Mais, ma chérie, du moment que cette solution vous plaît, vous pensez -bien que je n'ai pas à y redire. - -—Non!... Seulement, vous faites une tête!... Voyons, si vous étiez -garçon, je m'expliquerais encore... Mais, dans votre situation d'homme -marié, d'homme établi, qu'est-ce que vous redoutez?... - -Alcide Barbier, durant cette réplique, avait ramené entre ses dents la -base de sa barbe rousse, ce qui marquait chez lui le summum du souci -et donnait à sa figure ronde l'aspect d'une grosse éponge à tub. Puis, -faute de mieux, il simula un grand élan, et, saisissant Lucie dans ses -bras: - -—Méchante! méchante! méchante!—murmura-t-il sans vérité. - -—Vous aurez beau m'appelez «méchante» jusqu'à demain, mon observation -subsiste. - -Alors Alcide Barbier, rassemblant toutes ses ressources d'esprit: - -—Mais pourtant, ma chérie, vous ne vouliez pas que j'accueille en -badinant une nouvelle de cette gravité!... Et puis il y a votre -fils!... Malgré moi, je songeais à ce pauvre innocent, à cette pauvre -petite victime qui demain... - -Lucie l'interrompit: - -—Oh! je vous en prie, je sors d'en prendre... - -Et, s'asseyant au bord du divan: - -—C'est étrange comme les hommes, dans certains cas, n'ont pas -l'intuition des choses à dire... Vous, aussi bien que papa, vous savez -que dans ce divorce Gégé est mon remords, mon point douloureux... Et -c'est à qui y insistera, élargira cette plaie!... - -Elle pleurait d'énervement. Alcide Barbier s'assit près d'elle, sans -plus oser la moindre remarque. Enfin, les yeux séchés, elle se leva: - -—Quand reviendrez-vous?—demanda-t-il. - -—Je ne sais pas... Je vais être, quelque temps, beaucoup moins libre, -vous comprenez... Je vous écrirai. - -—Vous m'en voulez? - -Elle fit l'effort d'une caresse, et, lui tendant ses lèvres: - -—Pas le moins du monde... A bientôt! - -Jamais cependant la gaucherie d'Alcide ne l'avait tant indisposée. -Pourquoi un garçon doué de si belles qualités était-il tellement -dépourvu de charme?... Elle ne quitta cette méditation qu'aux approches -de l'avenue d'Antin. Deux maisons, une maison encore, elle serait -arrivée! Qu'allait-il se passer? Jacques n'aurait-il pas changé d'idée? - -Mais non! Tout se déroula selon le programme. Puis, par -l'entre-bâillement de la porte où scintillaient les ondulations de la -chaîne, Jacques déclara: - -—Soit! Je consens à ce que vous rentriez faire vos malles. - -Il détacha la chaîne. Lucie entra. Sur une échelle, près du store, -le tapissier et son aide, très amusés, simulaient, l'œil de côté, -une activité fiévreuse. A la vue de ces complices inconscients, Mme -Taillard ne put retenir un sourire. Jacques, malgré lui, riposta par un -sourire pareil. - -C'était le premier qu'ils échangeaient depuis cinq ans! - - - - -[Illustration] - - - - -III - - -Quand, vers six heures trois quarts, au sortir de l'institution -Beaujoint, Joseph annonça à son jeune patron qu'on dînait chez M. -Lecherrier, Roger ne dissimula pas son contentement: - -—Chic, alors!... Mais pourquoi? - -—J'ignore... C'est madame qui m'a dit de conduire monsieur... - -Gégé n'en demanda pas plus. L'essentiel était de ne pas dîner chez lui. -Les lendemains de scène y avaient la tristesse des lendemains de fête. -Au tumulte de la veille succédait le morne silence. On se serait cru -à un repas de deuil. Et puis, avec le théâtre et le _foot-ball_, Roger -ne connaissait pas de meilleur plaisir que d'aller chez son grand-père. -Quoiqu'on doive avant tout aimer son père et sa mère, il ne passait -guère de jour sans faire à ses parents quelque secrète infidélité de -cœur avec M. Lecherrier. Il ne l'avait avoué à personne, pas même à -son vieux Ribermont; mais c'était plus fort que lui, il ne pouvait -s'empêcher de préférer un peu ce grand-papa si brave homme, toujours de -bonne humeur, et chez qui on ne se disputait jamais. - -—Chic! chic! chic!—scandait-il, en gambadant au bras de Joseph. - -Et, sitôt arrivé avenue Marceau, il grimpa d'un saut au fumoir, où M. -Lecherrier avec Lucie prenaient le frais au près du balcon. Tous deux -l'embrassèrent avec fougue. - -—Et papa? - -—Il dîne à son cercle. - -Mme Taillard avait répondu en détournant les yeux. Roger, de même qu'à -son grand-père, lui trouvait un air drôle. Elle avançait le menton, -comme sur le point de pleurer. Sans doute, du chagrin en retard, des -restes de la veille. Pourtant Gégé ne se sentait pas rassuré. - -Mais à table, peu à peu, sa mauvaise impression s'effaça. M. Lecherrier -s'était mis à conter de ces histoires roulantes dont il avait le secret -et qui faisaient pouffer aux larmes. On s'amusait fièrement. Tout le -monde jubilait, jusqu'à Firmin, le jeune valet de chambre, qui dut -soudain lâcher un plat pour aller rire dans la cuisine. - -Aussi, rentré au fumoir, Roger n'hésita pas à proposer comme de coutume -la partie de dames à son grand-père. - -—Tout à l'heure, mon petit!—fit M. Lecherrier en posant sur un guéridon -voisin de son fauteuil la tasse de café qu'il venait d'achever. - -Puis, attirant Gégé et le calant droit entre ses genoux: - -—Tout à l'heure, mon chéri... D'abord j'ai à te parler. - -Roger, dans son étau, essaya vers Mme Taillard un regard d'appel à -l'aide. Mais, d'une petite claque affectueuse, M. Lecherrier lui remit -la tête en place, et, avec une voix de vieil acteur, comme Gégé n'en -avait entendu qu'au Théâtre-Français: - -—Par ici, mon chéri! Ne t'occupe pas de ta mère. J'ai besoin de toute -ton attention... Écoute-moi bien, mon enfant... Tu vas bientôt avoir -douze ans... Tu es déjà presque un homme... - -«Encore!» pensa Gégé, plus en méfiance que jamais contre ce genre de -flagornerie. - -—Tu es presque un homme, et c'est donc comme à un homme que je vais te -parler... Mon cher enfant, il t'arrive un grand malheur... Tes parents -divorcent, tes parents vont divorcer... Sais-tu ce que c'est que de -divorcer? - -Roger riposta, en s'inspirant de remarques personnelles: - -—C'est quand une femme n'a plus de mari et que son mari n'est pas mort. - -—En effet,—approuva M. Lecherrier,—et _vice versa_. Autrement dit, -tes parents ne sont plus d'accord, ils n'ont plus les mêmes goûts. -En conséquence, ils ont décidé de renoncer à la vie commune. Et -ils habiteront désormais chacun de son côté. Pour l'instant, et -probablement aussi dans l'avenir, ta mère habitera ici avec toi... Ton -père, je présume, gardera son appartement. - -Roger s'écria, un peu pâle: - -—Alors, je ne verrai plus papa? - -—Certainement que si, tu le verras! Et pas plus tard que demain soir -vous devez dîner tous les deux ensemble. Seulement, jusqu'à nouvel -ordre, tu habiteras tantôt avec ta mère, tantôt avec ton père, huit -jours avec l'un, huit jours avec l'autre. Saisis-tu? - -—Oui! oui!—déclara Gégé, qui supputait en dedans les suites de cette -combinaison. - -—Bien entendu,—ajouta non moins onctueusement M. Lecherrier,—il faudra -continuer à aimer tes parents autant l'un que l'autre... Dans ce -malheur, il faudra même les aimer plus qu'avant... Tu me le promets, -mon petit? - -—Oui, grand-papa!—fit Roger sans discuter ce surcroît d'exigences.—Mais -aujourd'hui, où est-ce que je coucherai? - -— Ici, au second, près de l'ancienne chambre de ta mère. - -—Et maman couchera à côté de moi? - -—Oui, mon chéri. - -Passer la nuit chez son grand-père, avec sa mère comme voisine à la -place d'Annette, Gégé n'avait jamais rêvé pareille fête. Il sauta au -cou de M. Lecherrier. - -—Oh! veine!... Merci, grand-papa! Chic et veine! - -Un bruit de sanglots lui fit retourner la tête, et il vit sa mère qui -pleurait, un mouchoir plaqué aux yeux. - -Alors, sentant l'inconvenance de son enthousiasme, il s'élança vers -Mme Taillard, grimpa sur ses genoux, se blottit contre elle. Mais plus -il l'embrassait, plus elle pleurait fort. Que faire? Lui aussi, par -sympathie, aurait bien voulu pleurer. Seulement, il avait beau presser -ses paupières, se contracter le thorax, rien ne venait. Enfin, sous -une poussée plus énergique, deux petites larmes daignèrent paraître. -Gégé les égoutta sur la nuque de sa mère avec un peu d'ostentation. - -—Ne pleure pas, mon amour!—murmura Mme Taillard en l'écartant -doucement.—Tu verras, nous t'aimerons bien... Moi, si je pleure, ce -sont les nerfs. - -Et M. Lecherrier intervenant: - -—Allons, Gégé... Tu as été très sage... Maintenant, je suis à tes -ordres... Va dans le salon chercher le jeu de dames. - -—Est-ce que tu sais l'heure?—objecta Lucie. - -—Bah! il en sera quitte pour faire demain grasse matinée. Tu -l'excuseras à la pension. - -Puis, sitôt Roger dehors, M. Lecherrier ajouta plus bas: - -—Que veux-tu! le pauvre petit... nous ne pouvions pourtant pas le -laisser sur ces tristesses! - -On convint de trois parties. Roger les gagna coup sur coup. Après quoi, -M. Lecherrier monta avec Mme Taillard l'accompagner jusqu'à sa chambre. - -C'était une pièce spacieuse, avec des tentures bleu de lin encadrées -de boiseries blanches. Un petit lustre Louis XVI reflétait dans ses -cristaux la lumière discrète de trois lampes dépolies. A chaque côté -du lit de cuivre, qu'un tapissier avait loué, deux bergères en satin -pâle offraient leurs gros coussins prêts à défaillir. Sur une table -Louis XV, on avait disposé une garniture de toilette crème bordée d'or -et des flacons pleins de parfums. La porte de communication avec la -chambre de Mme Taillard était largement ouverte. - -Gégé, en entrant, faillit encore manifester sa joie. Mais l'expérience -précédente l'avait instruit: il s'abstint de tout commentaire. Puis, -une fois au lit, il rappela sa mère et M. Lecherrier, qui causaient -dans la pièce voisine. - -—Là, maintenant, il s'agit de dormir, dit Mme Taillard en achevant de -reborder le lit.—Onze heures et demie! Si ce n'est pas honteux!... - -M. Lecherrier se pencha vers son petit-fils: - -—Eh bien, comment trouves-tu ta chambre? - -—Gentille! fit prudemment Gégé, en se soulevant pour un baiser. - -Mme Taillard tourna le bouton du lustre, et sortit, suivie de son père. - -Par-dessus le haut des rideaux, la lune glissait un frêle rayon de la -couleur des tentures. Il venait aussi un peu de lumière jaune sur le -tapis par l'entrebâillement de la porte. - -Mais, même dans l'obscurité complète, Roger n'aurait pas tout de -suite cherché le sommeil. L'orgueil d'avoir gagné les trois parties -l'enfiévrait. Il se sentait le cœur gonflé de plaisir, si près de sa -mère, si près de son grand-père. Enfin, quelle chambre délicieuse! - -Par exemple, il aurait préféré avoir plus de chagrin en apprenant le -divorce. Puisque c'était un grand malheur, pourquoi n'en éprouvait-il -pas plus de peine? Il essaya encore de s'attendrir, de se désoler, de -pleurer. Il songea exprès aux choses les plus tristes, à sa soirée de -la veille, au Nouveau-Cirque manqué. - -Mais les larmes ne se laissèrent pas prendre à cette manœuvre -rétrospective et refusèrent de se déranger. - -Alors Gégé, las de les provoquer, ferma honnêtement les yeux et -s'endormit du plus doux sommeil. - - - - -[Illustration] - - - - -IV - - -Après une nuit exempte de rêves, Gégé qu'on n'avait réveillé qu'à huit -heures, procéda sans hâte aux soins de sa toilette. Et vers neuf heures -moins le quart, étant prêt, il descendit dans la salle à manger, où M. -Lecherrier et Mme Taillard, près de la fenêtre ouverte, finissaient de -déjeuner. - -Sans aucun parti pris, Roger préférait de beaucoup le chocolat qu'on -buvait chez son grand-père à celui qu'on buvait chez lui. L'arôme en -était plus délicat, la facture plus mousseuse. Il se régala. Puis il -avait cette sensation si amusante pour les enfants d'être en excursion, -en voyage, presque à l'hôtel. Et tout lui en semblait meilleur: le ciel -d'un bleu tranquille, la fraîche haleine de l'air matinal et cette fine -odeur d'été qu'on ne trouve chez aucun parfumeur. - -Jusqu'à l'institution Beaujoint, de l'avenue Marceau à la rue de -Longchamp, le long de l'avenue du Bois, par ce beau temps, la route -serait délicieuse! - -Il fit à sa mère et à M. Lecherrier des adieux sans déchirement. Mais, -la porte à peine close, il reparut pour recommander qu'on n'oubliât pas -de lui envoyer à la boîte son complet gris numéro un, sa cravate bleu -marine et ses souliers vernis. - -—Puisque c'est convenu, mon chéri!—dit Lucie.—Seulement, tu te -rappelles ce que tu m'as promis: tu seras raisonnable! Tu ne mangeras -pas trop... Et tu diras bien à ton père que je t'ai prié de ne pas -rentrer trop tard. - -—Pour sûr!—répliqua Gégé, avec l'arrière-projet de s'acquitter -loyalement de la commission, mais sans insistance superflue. - -Et il rejoignit dans le vestibule Firmin qui l'attendait pour le -conduire. - -Les trois caractéristiques de l'institution Beaujoint étaient -l'exiguïté du petit hôtel bourgeois qu'elle occupait rue de Longchamp, -le prix relativement onéreux de la pension, qui ne montait pas à moins -de quatre cent cinquante francs par mois, et le nombre restreint des -élèves, invariablement fixé à dix. M. Beaujoint, quand il s'agissait -de séduire les parents, s'attardait plus volontiers sur cette dernière -particularité, qui donnait à son établissement comme un aspect de -petite académie. Mais, à vrai dire, ces trois caractéristiques se -commandaient, la quantité des élèves étant en raison directe des -faibles dimensions du local et le chiffre de la pension en rapport avec -le nombre réduit des élèves. - -M. Beaujoint ne manquait pas non plus de signaler aux clients deux -autres spécialités de sa maison: à savoir l'éducation mondaine et la -perfection culinaire. - -Sur le reste, il concédait que, dans les autres établissements privés -ou dans les lycées de l'État, il n'y avait trop rien à dire. Mais -pour la pratique des bonnes façons et pour l'hygiène alimentaire, il -n'admettait pas de rival. Chez lui, l'enfant apprenait à «se tenir» -comme nulle part, et, en ce qui concernait la table, on n'avait qu'à -consulter les menus: viandes de premier choix et toujours rôties, lait -de provenance contrôlée, vin de propriétaire. Aussi, à chaque repas, -ne fût-ce qu'en manière de commémoration, M. Beaujoint avait bien soin -de s'extasier devant ses élèves sur l'exceptionnelle qualité des mets. -«Oh! oh!—s'écriait-il,—voilà un rôti de veau qui n'est pas précisément -exécrable!» ou bien: «Voilà un bœuf en daube dont vous me demanderez -la recette!» ou: «Voilà, si je ne m'abuse, un gigot de tout premier -ordre!»—et cette variété dans les formules ajoutait encore à l'éloge un -je ne sais quoi de plus persuasif. - -Lorsqu'il eut parcouru la lettre de Mme Taillard excusant Gégé, il -appliqua sur la nuque de celui-ci une tape bienveillante: - -—Parfait, mon petit ami! Allez rejoindre vos camarades salle B. La -leçon d'histoire vient de commencer. - -Roger monta sans précipitation à la salle B, un ancien cabinet de -toilette qui, par les jours d'été, fleurait la peau d'Espagne et l'eau -dentifrice. Le professeur était occupé à narrer devant la division -élémentaire, composée des deux Thomas—Thomas (Achille), Thomas -(Antoine)—et de Pierre de Ribermont, les fastes de l'Assyrie. - -Gégé l'écouta peu. Que lui importaient Téglath-Phalazar et -Assourbanipal? Sa pensée était toute au dîner du soir. En aucune -occasion, l'idée de revoir son père ne lui avait inspiré tant d'émoi et -d'impatience. Était-ce la brusquerie, l'imprévu de cette séparation? il -lui semblait qu'elle durait depuis des éternités. En outre, d'habitude, -quand M. Taillard revenait d'une absence, le plaisir de Roger était à -l'avance gâté par l'évocation des scènes d'intérieur dont ce retour -allait infailliblement être le signal. Tandis que, pour ce soir, -nulle crainte pareille. Ce n'est pas lui, Gégé, n'est-ce pas? qui se -disputerait avec son père! Alors on dînerait tranquillement ensemble, -sans doute au restaurant et peut-être même qu'après on irait à un -théâtre quelconque. Bref, de toutes façons, cela finirait très bien. - -Gégé continua ces pronostics optimistes durant toute la leçon -d'histoire, puis durant toute l'étude subséquente. Et, à la récréation -de dix minutes qui précédait le repas de midi, il rayonnait d'un tel -contentement que Pierre de Ribermont ne put s'empêcher de lui en faire -la remarque: - -—Tu as l'air joliment content, mon vieux! - -—Tu parles!—répliqua Gégé, qui maintenant considérait comme -définitivement réglées toutes les phases de sa soirée.—Je dîne avec -papa au restaurant, et, après, nous allons au théâtre... - -Il s'était bien proposé de confier à Ribermont la nouvelle du divorce. -A son meilleur ami doit-on rien cacher? Mais le récit de ces événements -compliqués lui parut un effort pénible, et il l'ajourna à un autre -moment. - -D'ailleurs, la cloche sonnait pour le déjeuner. On descendit à la salle -à manger où, devant un plat d'œufs brouillés, M. Beaujoint occupait -déjà sa place de président. - -Les œufs, quoique douteux, arrachèrent à M. Beaujoint des exclamations -de volupté. Par contre, il eut de sérieuses difficultés avec le rosbif -qu'on servit ensuite. Trois fois le cube de viande résista au couteau -trois fois aiguisé. Tous les élèves se regardaient en dessous. Gégé, -emporté par la belle humeur, ne sut pas se contenir, et, du ton le plus -convaincu: - -—Oh! oh!—s'écria-t-il,—voilà, si je ne m'abuse, un rosbif de tout -premier ordre! - -Un éclat de rire général répondit à cette parodie. De stupeur, M. -Beaujoint, cramoisi, avait gardé son couteau en l'air: - -—Taillard! Vous serez en retenue de dîner ce soir... Vous dînerez ici! - -Les rires tombèrent, comme foudroyés. La retenue de dîner était une des -punitions les plus redoutées à la pension Beaujoint. Comptée quatre -francs aux parents, une fois donnée, elle ne se reprenait plus. C'était -le châtiment sans rémission et sans appel. - -—Oui,— poursuivit M. Beaujoint,—vous dînerez ici, et, qui plus est, je -vous engage fortement à vous surveiller, si vous ne désirez pas aussi y -passer demain votre dimanche... A ma table, je ne veux pas de macaques! - -Quelques lâches sourires de complaisance accueillirent cette injure -facile. Mais Gégé ne les aperçut même pas. Il était abîmé de chagrin. -Toutes les tristesses des jours derniers s'amalgamaient en lui avec -cette déception suprême. Pourquoi la malchance s'acharnait-elle ainsi -contre sa quiétude, ses rêves et ses plaisirs? Les paroles de M. -Lecherrier lui revinrent à la mémoire. Il songea à son père, à sa mère, -séparés, ennemis. Il mêlait dans le même regret sa soirée perdue et -le ménage de ses parents désuni. Il se sentait abandonné, persécuté, -et, pour la première fois de sa vie, malheureux. Comment garder pour -soi tout cela? Et, sitôt levé de table, entraînant à part Pierre de -Ribermont: - -—Dis donc, mon vieux, tu sais, il m'arrive un grand -malheur—déclara-t-il, les regards à terre. - -—Bah! fit Ribermont, résigné,—tu dîneras au restaurant un autre jour! - -—Tu n'y es pas du tout... Je te dis qu'il m'arrive un grand malheur: -mes parents divorcent! - -—Ah!—fit Ribermont. - -Puis, après une brève réflexion: - -—En quoi est-ce que c'est un grand malheur pour toi? - -Roger, pris de court par cette question, expliqua tant bien que mal: - -—Comment! tu ne comprends pas?... C'est pourtant pas malin à -comprendre! Mes parents sont fâchés. Ils ne vont plus vivre ensemble... -Alors, moi, tu comprends, je vais me trouver entre eux comme ça... -tiraillé... Je serai tiraillé tout le temps. - -—Je ne dis pas,—accorda Ribermont,—je ne dis pas!... C'est très -embêtant... Mais ce n'est pas un grand malheur! - -Roger, vexé, riposta: - -—Alors qu'est-ce que tu appelles un grand malheur? - -—Je ne sais pas... Si tes parents mouraient... ou si ils étaient -ruinés... ou si tu te cassais quelque chose... - -—Eh bien, merci!—se récria Gégé, suffoqué à l'énumération de tant de -catastrophes.—Enfin, moi, je te dis que c'est un grand malheur... Du -reste, mon grand-père me l'a dit, et il s'y connaît un peu mieux que -toi!... - -Ribermont haussa les épaules et maintint: - -—Peut-être qu'il s'y connaît mieux que moi... Mais ça n'est pas un -grand malheur! - -Devant une telle obstination, toute controverse devenait impossible. -Gégé s'éloigna froidement. Quelle journée! Jusqu'à son vieux Pierre qui -le lâchait et refusait de compatir! De dégoût, après déjeuner, au Bois, -il bouda pendant toute la partie de foot-ball et resta assis sur un -banc près du maître d'études, en prétextant une crampe à la cuisse. - -Au retour, la classe de calcul n'atténua pas sa mélancolie, et quand, -sur les quatre heures et demie, l'institution Beaujoint, au complet, -s'achemina vers le gymnase Capdemas, le cœur de Gégé restait aussi -morne et désemparé. - -Non qu'en principe la gymnastique lui répugnât. Le trapèze, les -anneaux, les barres lui avaient, au contraire, valu les plus jolis -succès. Mais, avec M. Capdemas, on n'était jamais sûr que la leçon ne -commencerait pas par une séance d'assouplissements; et Gégé, tout en -enfilant son maillot bleu paon, pariait avec lui-même qu'aujourd'hui ça -ne raterait pas. - -Effectivement, les dix Beaujoint à peine alignés, M. Capdemas commanda, -de sa voix méridionale qui ne faisait tort à aucune voyelle: - -—Allons, mes petits... Aux massues! - -Les massues! Gégé ne connaissait rien de plus ennuyeux que cette façon -d'assommer en cadence et sans haine des adversaires absents. Il se -dirigea lentement vers le râtelier et empoigna deux vieilles massues -où quelques traces de vernis vert indiquaient encore la couleur de leur -jeunesse. - -—Taillard, au temps!... Taillard, gare à vous!... Taillard, ça va -barder! - -Les avertissements pleuvaient sur Gégé insensible. Comment exécuter -en mesure et arriver à point, quand vos parents divorcent? Le père -Capdemas pouvait s'époumonner tant qu'il voudrait. Avec une telle -tristesse à l'âme, pas moyen de faire mieux. - -—Taillard!—tonna enfin M. Capdemas, et si fort, cette fois, que le -chétif écho de la salle s'en émut,—Taillard! deux heures de retenue, -demain dimanche! - -A ce nouveau trait du sort Gégé n'opposa qu'un ricanement amer. La -retenue du dîner, la retenue du dimanche, le divorce, tout cela se -tenait, rentrait dans la même série noire: il n'y avait qu'à s'incliner. - -Mais comme, les yeux un peu voilés par les larmes, il prenait ces -conclusions fatalistes, le commandement de: «Halte!» arrêta brusquement -dans leurs assommades les dix petits hercules. - -En arrière, les soieries d'une robe bruissaient sur le parquet. Dans la -sèche odeur de sciure un frais parfum de white-rose passa. Roger, en -louchant un peu, reconnut sa mère, au-devant de laquelle M. Capdemas -s'avançait avec des sourires. Tous deux échangèrent quelques mots. Et -M. Capdemas ordonna: - -—Taillard, sortez des rangs... Pour les autres, repos! - -Gégé s'était approché sans fierté. Sa mère l'embrassa. Puis M. -Capdemas, lui collant à l'épaule sa main noueuse: - -—Taillard, madame votre maman est venue me dire la situation spéciale -et particulière qui existe chez vous... Elle vous recommande à mon -indulgence... Alors, vu cette situation spéciale et particulière, je -vous lève votre retenue. - -Et désignant Roger à Mme Taillard: - -—C'est que, quand il veut, le drôle, il fait comme un ange! - -Gégé baissa modestement la tête, en raclant le sol avec le bout de -son pied. Il se demandait si, par la même occasion, et sous le même -prétexte, il ne pourrait pas envoyer sa mère chez M. Beaujoint pour -obtenir la même grâce. Une espèce de pudeur le retint: si novice qu'il -fût dans la situation «spéciale et particulière», charger sa mère -d'intercéder pour qu'il dînât avec son père lui semblait peu gentil. Il -préféra se borner à de chaleureux remerciements. - -—Tu n'es donc plus fâché, serin?—lui demanda tout bas Ribermont, vers -qui, en rentrant dans le rang, il avait hasardé un sourire de paix. - -—Mais non!—chuchota Gégé. - -Ils firent côte à côte le chemin du retour. Roger conta à Ribermont -l'heureuse intervention de sa mère. Ribermont, par distraction, sans -doute, enregistra sans triompher. - -Mais, au moment où l'on arrivait, M. Beaujoint fit appeler dans son -cabinet le jeune Taillard. - -—Fermez la porte, mon ami,—dit-il avec une aménité insolite. - -Puis, se grattant familièrement le mollet sous son pantalon: - -—Vous avez vu votre père? - -—Non, monsieur!—répliqua Gégé, la voix aussi ferme qu'il pouvait. - -—Il sort d'ici et pensait vous retrouver chez M. Capdemas auquel il -voulait vous recommander. Enfin, peu importe! J'ai reçu aujourd'hui -d'abord la visite de madame votre mère; ensuite, à peu d'intervalle, -la visite de M. Taillard... Vous devinez, je suppose, la pensée -d'affection qui les avait guidés vers moi... Ils voulaient, chacun -de son côté, m'apprendre la situation particulièrement touchante et -intéressante qui vous est créée par le malheur que vous savez... Je -leur ai promis de ne vous ménager, dans la circonstance, ni mes soins, -ni mon bon vouloir... Et, pour première preuve, sur la prière de votre -père, j'ai consenti à lever votre retenue de dîner... - -—Oh! monsieur... merci bien!—balbutia Roger, étourdi par cette -succession de coups de théâtre. - -—Mais n'allez pas prendre ma bienveillance pour de la faiblesse... Et -même, dorénavant, mon jeune ami, si j'ai un conseil à vous donner, -méfiez-vous d'un certain esprit caustique auquel vous n'auriez que trop -de tendance!... - -Gégé remonta vers l'étude, au cri de plusieurs fois répété de: «Chic -et veine!... Veine et chic!...» Il avait cette allégresse puissante et -sans pensée des petits garçons sauvés par deux fois de la retenue. La -joie le poussait comme un ascenseur, et il ne songeait plus du tout au -divorce de ses parents. - -—Eh bien?—murmura Ribermont, pressé de savoir. - -—C'est papa qui est venu causer au père Beaujoint pour moi. On me lève -ma retenue de dîner. - -—T'en as une veine!—fit Ribermont, surtout frappé par la chance de son -camarade. - -—Tu parles!—confirma Gégé. - -Il était habillé, paré, ganté, depuis une demi-heure, lorsqu'on lui -annonça que son père l'attendait en automobile. Il dégringola, trois -par trois, les marches de l'escalier. Et, après qu'on se fut embrassé -tout son saoul: - -—Où dînons-nous?—questionna Taillard.—M'est avis qu'il vaudrait mieux -dîner aux environs du Nouveau-Cirque, où j'aurais l'intention d'aller -ce soir, si tu n'y vois pas d'inconvénient. - -—Oh! papa!—se récria gauchement Roger. - -—Alors, chez Voisin!—dit Taillard au chauffeur. - -Au restaurant, Roger s'assit en face de son père. Puis, tous deux, -instinctivement, s'adressèrent un long sourire, presque un sourire -d'amoureux. Taillard se sentait un peu ému en contemplant ce cher petit -être dont maintenant il n'allait plus posséder que la moitié. Et Gégé, -après tant de traverses, goûtait la molle béatitude de l'arrivée au -port. - -—Tu m'aimes bien?—interrogea tendrement Taillard. - -—Oh! oui, papa!—fit avec élan Roger. - -Le dîner lui parut un enchantement. Jamais, les soirs de théâtre, il -n'avait éprouvé cette impression de parfaite sécurité, cette certitude -solide que rien désormais ne le priverait du plaisir projeté. Au -dessert, Taillard lui permit une coupe de champagne mêlée d'eau. Roger -ne se rappelait pas l'avoir vu si jovial. Un autre homme tout à fait! -Il ne s'assombrit qu'un instant, en entendant décrire les splendeurs de -la chambre bleue. Mais, aussitôt, une étincelle malicieuse palpita au -fond de ses yeux, et il déclara doucement: - -—Cela ne m'étonne pas de la part de ton grand-père, qui est la bonté -même. Ta mère aussi est une femme pleine de qualités... Et tu vois que -ce n'est pas ce divorce qui nous empêchera de t'aimer! - -—Oui... oui!—fit vivement Gégé, qu'un si brusque rappel aux choses du -foyer avait d'abord décontenancé. - -Par bonheur, c'était le moment de partir. Sans insister sur ce sujet -épineux, qui ne le divertissait pas plus que son fils, Taillard solda -l'addition et, à petits pas, on s'achemina vers le Cirque... - -A la sortie, près du contrôle, Roger, qui s'était princièrement amusé, -réfléchit que l'instant arrivait peut-être de faire sa commission -concernant l'heure du retour. Mais, justement Taillard lui demanda: - -—Es-tu fatigué? - -—Pas du tout. - -—Veux-tu que nous allions prendre quelque chose? - -—Oh! oui! - -Gégé, sitôt ces mots prononcés, les regretta. Tant pis! Déjà -l'automobile les emportait par la nuit claire, le long des rues -silencieuses. Et puis une demi-heure de plus ou de moins, le mal ne -serait pas grand. - -Une bavaroise au chocolat et un panier de brioches eurent vite raison -de ce restant de remords. Il y avait dans la salle une foule de jolies -dames en peau, avec des colliers de perles, des rubis, des diamants, -des émeraudes et d'immenses chapeaux à panaches. Des tziganes ponceau -jouaient des valses mélancoliques à en pleurer ou des marches -américaines à vous rendre ivre de gaieté. La lumière ruisselait des -lustres sur les fleurs qui jonchaient les tables. Comme M. Beaujoint, -comme M. Capdemas, comme Mme Taillard elle-même étaient loin! De sa -vie, Gégé n'avait passé une aussi bonne soirée. - -Enfin Taillard lui fit signe de se lever. L'automobile les ramena -avenue Marceau. Tout le long de la route, Taillard tint dans sa main la -main de son fils. Sur le seuil, il dit: - -—A samedi, alors... Du reste, d'ici là, je viendrai te voir chez M. -Beaujoint. - -Ils s'embrassèrent de deux forts baisers. Puis, comme la porte se -refermait sur Gégé, Taillard regrimpa en voiture et se fit conduire -à un restaurant de la rue Royale où Nelly Jelly l'attendait dans un -cabinet. - - - - -[Illustration] - - - - -V - - -La semaine qui suivit compta pour Gégé parmi les plus douces de son -existence. - -Par un affectueux complot, malgré les premiers ennuis de la procédure -ouverte, M. Lecherrier et Mme Taillard ne cessaient de montrer au -pauvre enfant des visages immuablement souriants. Et, à la sérénité de -cette vie nouvelle, sans disputes, sans scènes, il mesurait peut-être -vaguement combien l'ancienne avait été amère et tourmentée. - -Pour Taillard, il ne passait guère d'après-midi sans rendre visite -à son fils. Au lieu de la mine soucieuse et revêche que Gégé lui -connaissait jusque-là, il avait toujours l'air d'arriver à une partie -de plaisir ou d'en revenir. - -Tantôt il surgissait à l'heure du goûter, avec un assortiment de -friandises qui faisaient les délices de la division élémentaire. Tantôt -il venait vers l'heure de la sortie pour reconduire Gégé à pied ou en -auto. - -Quelquefois il s'était rencontré avec Lucie, qu'une même sollicitude -poussait presque quotidiennement chez M. Beaujoint. Il y avait eu de -la gêne et pléthore de gâteaux. Alors, par une entente tacite, ils se -réservèrent chacun son jour. Roger ne coula donc plus un après-midi -sans voir l'un ou l'autre de ses parents. Jamais il ne les avait tant -vus ni si bien disposés. - -Quant à M. Lecherrier, il jugeait avoir assez fait pour son petit-fils -en ne découchant plus que dans la journée. Se cloîtrer en outre à -domicile, par ces belles soirées d'été, lui paraissait un sacrifice -au-dessus de ses moyens. - -Dès le lendemain de l'installation de Gégé, il organisa donc, sous -prétexte d'hygiène, une série de promenades nocturnes. - -A huit heures, le cocher avait ordre d'atteler la victoria, et tout -de suite après dîner, on partait vers le Bois au grand trot des deux -bai-brun. - -La grille franchie, l'équipage prenait le pas. Dans toutes les avenues -les voitures foisonnaient. A ne distinguer ni leurs formes ni leurs -chevaux, on eût dit une fête de lanternes. Un air rafraîchi et moite -tombait du ciel bleuâtre. Souvent des victorias avaient leur capote -baissée: sans le blanc d'une robe ou d'un chapeau se détachant sur -le fond noir, on aurait pu les croire vides. Et Gégé se demandait -quelle drôle d'idée les gens avaient de se calfeutrer ainsi par une -température pareille. - -—Respire bien, mon enfant!—disait M. Lecherrier pour détourner son -attention.—Respire! - -Et Gégé respirait de tous ses poumons comme sous l'oreille d'un -ausculteur. - -Par exemple, quant à étudier ses leçons pour le lendemain, depuis -l'institution des promenades nocturnes, force lui avait été d'y -renoncer. Il ne les savait plus que par exception et par bribes. Mais -M. Beaujoint avait tenu sa promesse. Que les leçons fussent bien ou -mal sues, une consigne générale d'indulgence, allant du plus rigoureux -des maîtres au plus débonnaire des pions, préservait Gégé de toute -atteinte. Chacun semblait connaître son malheur, le divorce de ses -parents. C'était tout juste si, pour le principe, on osait discrètement -gronder la sympathique petite victime. - -Rien ne troublait donc son infortune. A peine un scrupule de -probité l'avait-il incommodé quelques heures, quand, le même jour, -respectivement, M. Lecherrier, puis son père, lui avaient annoncé -que désormais dix francs lui seraient alloués chaque semaine pour -ses dépenses de poche. Devant un aussi fort total, Gégé, d'abord -fasciné, ne protesta pas. Mais, vers le soir, la conscience lourde, -il consulta Ribermont. Celui-ci, toujours à court avec ses vingt sous -par semaine, conseilla de laisser les choses en l'état. On donnait: -pourquoi refuser? Et le surlendemain, sans doute comme rémunération de -ses conseils, il priait Roger de lui avancer cinq francs, qu'il devait -depuis des mois à Thomas (Achille), pour des billes. - -Le jeune Taillard consentit à cet emprunt avec la bonne grâce du -capitaliste que l'on tape pour la première fois. - -Au reste, son esprit était ailleurs. Il ne voyait pas approcher sans -plaisir le jour de son départ pour l'avenue d'Antin. Si choyé qu'il -fût avenue Marceau, il s'attendait, chez son père, à des surprises -nouvelles; et, par la force des choses, le goût du changement lui -venait. - -Les surprises escomptées commencèrent dès la veille, mais avenue -Marceau. En rentrant, Roger, découvrit, au beau milieu de sa chambre, -une magnifique malle en peau de truie, avec des coins de cuivre et -les initiales R. T. imprimées en grosses lettre rouges. Et comme, -abasourdi, il en faisait le tour, M. Lecherrier apparut, la moustache -troussée par un sourire de vanité: - -—Oui, c'est pour toi,—proclama-t-il en s'avançant.—Tu vas faire -continuellement la navette entre ici et l'avenue d'Antin. J'ai voulu -que tu aies une malle à toi, comme un homme! - -Cette fois, la comparaison n'inquiéta pas Gégé. Il eut seulement un peu -de honte en se rappelant la sorte de hâte qu'il éprouvait à quitter -un grand-père si bon. Et cet embryon de remords s'accrut encore aux -adieux du lendemain matin. M. Lecherrier, les lèvres molles, avait -laissé éteindre sa pipe; Mme Taillard affectait un entrain visiblement -factice. Gégé, très ému, leur fit promettre de venir le voir tous les -jours chez M. Beaujoint; et, comme prévoyant l'objection: - -—Je n'aurai qu'à dire à papa que vous venez à l'heure du goûter. - -Devant ce gentil trait de sens pratique, M. Lecherrier et sa fille -échangèrent un regard d'admiration. - -—Tu es un ange!—déclara Mme Taillard en étreignant Roger tout fier de -son succès. - -C'était pour lui une manière d'absolution. Et il avait complètement -oublié ses torts, quand, vers sept heures du soir, il parvint avenue -d'Antin. La malle, venue par une autre voie, arrivait aussi. Mais Roger -fut le premier en haut: - -—Qu'est-ce que c'est que cette malle?—questionna dédaigneusement -Taillard, qui du balcon l'avait aperçue. - -—C'est ma nouvelle malle!—fit délibérément Gégé. - -A cette explication, Taillard s'était un peu rembruni, comme chez -Voisin, l'autre semaine, à l'occasion de la chambre bleue. Ç'avait -été dans ses yeux le même nuage d'ombre, aussitôt chassé par la même -étincelle narquoise. - -—Très bien!—dit-il.—Maintenant il s'agit d aller vite t'habiller, parce -que nous dînons au Bois. - -Et, Roger tournant à droite: - -—Non, pas par ici... Ta chambre était trop loin de la mienne; je t'ai -installé à côté de moi, dans le fumoir.. - -Il ouvrit la porte. Gégé exhala un «oh!» de ravissement. Ses -pressentiments ne l'avaient pas trompé. Pour une «surprise», c'en était -une! - -En huit jours, de ce fumoir maussade, le tapissier, talonné par -Taillard, avait fait la chambre la plus pimpante, la plus confortable -qu'ait conçue le génie anglais. Tout y était harmonieux, tout s'y -accordait en des tons parfaits, la nuance claire des meubles en bois -d'olivier avec le net dessin des cretonnes britanniques, le papier -d'un rose discret avec le cuir grenat des fauteuils. Aux murs, des -gravures de chasse, serties de pitchpin vert, rehaussaient l'ensemble -par leurs teintes crues. Près de la fenêtre, un «Sandow» laissait -pendre ses minces serpents bariolés. Taillard n'avait pas commis un -oubli. Mais quelle revanche aussi! Enfoncée, la chambre bleu de lin! -Pour s'en convaincre, il n'y avait qu'à regarder Gégé. - -Il ne se lassait pas de marcher à travers la pièce, d'examiner chaque -meuble, d'inventorier son nouveau domaine. Taillard dut le bousculer -pour qu'il se mît en tenue; et l'on ne parvint à Armenonville que sur -le coup de huit heures et demie. - -Gégé y retrouva avec satisfaction les charmantes dames décolletées, -endiamantées, empanachées, qu'il avait tant appréciées, la semaine -précédente, au sortir du Cirque. Ou, du moins, si ce n'étaient les -mêmes, elles leur ressemblaient tellement que le plaisir des yeux -demeurait pareil. Des tziganes, bleus cette fois, jouaient des airs -identiques; et des fleurs pâmaient également sur les nappes. - -A une table voisine, Roger remarqua une jolie jeune fille blonde à qui -ses yeux myosotis, sa fine figure en triangle, et l'encadrement de ses -boucles d'or, faisaient une tête de poupée anglaise. Vis-à-vis d'elle -mangeait une sorte de vieille gouvernante bougonne et ventrue. - -La jeune fille, presque à chaque bouchée, ramenait son regard en coin -vers Gégé, qui se sentait intimidé et flatté. - -Ces dames se retirèrent vers neuf heures et un monsieur, à côté, -murmura pour son camarade: - -—C'est la petite Nelly Jelly, des Ambassadeurs, avec sa mère. - -Taillard prit un air détaché. Nelly Jelly intriguait depuis quelques -jours, pour connaître, fût-ce de loin, Gégé. Mais, cette scabreuse -faveur accordée, la plus grande correction s'imposait. - -Roger reconnut encore la jeune fille blonde, le lendemain, aux courses -d'Auteuil, où son père s'était décidé à l'emmener. Avant de partir, -Taillard lui avait même fait présent d'une ancienne lorgnette qui était -toute neuve. L'étui jaune en bandoulière, la carte au veston, Gégé -paradait dans le pesage, comme un sportsman de vieille date. Pendant -les épreuves, il regrimpait dans les tribunes, et, au _rush_ final, il -hurlait avec son père le nom du cheval qu'ils avaient joué. Il rentra -avec deux louis de participation sur les bénéfices de Taillard et le -ferme projet de devenir plus tard gentleman-rider ou jockey. - -Ce soir-là, on dîna à la maison. La vieille Annette, restée au service -de Taillard, multipliait les prévenances envers Gégé. Elle, jadis si -exigeante sur la politesse, semblait maintenant quêter les regards -de son petit maître pour mieux devancer ses désirs. Roger nota avec -étonnement cette transformation. - -—Vraiment, il fait trop chaud chez soi!—déclara Taillard à la fin du -repas. - -Aussi, les autres soirs de la semaine, dîna-t-on dehors. Armenonville -alternait avec Madrid, Madrid avec les Ambassadeurs. Gégé ne quittait -plus son smoking et s'amusait prodigieusement. - -Il ne ressentait de malaise qu'aux visites quotidiennes de son -grand-père et de sa mère. Il avait observé chez eux, quand il leur -rendait compte de son existence, la même grimace de mécontentement que -chez son père à la description de la chambre bleue ou à l'arrivée de la -malle en truie. Alors, machinalement, il éteignit le ton enflammé de -ses récits. Quelquefois même, par un raffinement d'égards, il feignait -de ne pas tant s'amuser que cela et contait ses soirées d'une voix -distraite, quasi dégoûtée. - -—J'espère que tu es sage, que tu ne fais pas d'excès!—disait Mme -Taillard, les lèvres pincées. - -—Sois tranquille!—assurait Roger. ... J'ai pas envie de tomber malade, -moi. Merci bien! - -Le soir de son retour avenue Marceau, quoiqu'il fût sincèrement joyeux -de rejoindre sa mère et son grand-père, il exagéra à dessein. Il -sautait sur les canapés, sur les fauteuils, en criant: - -—Ce que je suis content! Ce que je suis content!... - -Mais tout l'effet de cette manifestation croula quand Gégé narra -l'emploi de l'après-midi. - -Taillard, le matin, avait informé son fils que ces emballages -perpétuels lui semblaient oiseux, cette grosse malle encombrante et -superflue: une double garde-robe serait bien plus pratique. - -Et, là-dessus, après un mot d'excuse à M. Beaujoint, on avait passé -la journée chez les fournisseurs, chez le chemisier de Taillard, chez -son tailleur, chez son bottier. Tout une garniture de lingerie chez le -premier, trois costumes et deux pardessus chez le second, quatre paires -de souliers divers chez le troisième,—jusqu'au soir, les commandes -s'étaient accumulées sans trêve. - -—Il te faut un trousseau complet!—affirmait Taillard à chaque -acquisition nouvelle. - -Le «trousseau complet»! Qui, dans l'enfance, n'a souhaité un instant -d'être pensionnaire, rien que pour posséder ce que les catalogues -appellent un «trousseau complet»? Et Gégé ne pouvait se rappeler ces -événements sensationnels sans un regain d'exaltation. - -Malgré lui, il omit la réserve adoptée. Il entra dans des détails -minutieux, vanta la forme des vestons, la couleur des étoffes, ne fit -grâce de rien. Il n'en voyait même plus les coups d'œils sévères dont -M. Lecherrier marquait chacune de ses phrases. - -—C'est bon, mon petit!—dit celui-ci glacialement, quand Roger eut -achevé. ... Maintenant laisse-nous... Ta mère et moi nous avons à -causer. - -Gégé sortit, avec la pesante impression d'avoir peut-être été trop loin. - -Demeurés seuls, M. Lecherrier se carra les bras croisés, devant sa -fille: - -—Eh bien! qu'est-ce que je te disais? Le plan de ce monsieur est bien -simple: il veut nous prendre le petit! - -—Crois-tu?... Moi, je verrais plutôt dans tout cela de l'égoïsme. Il a -besoin de la fête... Il y emmène Gégé... Il ne regarde pas plus loin... - -—Et la malle?—s'écria M. Lecherrier.—Ce qu'il a dit de la malle, -est-ce que c'est de l'égoïsme aussi?... Non, il y a là un ensemble de -circonstances qui ne supporte pas la discussion. Ton mari n'a qu'une -idée: débiner ce que nous faisons et persuader à Gégé qu'il fait -mieux... Or un enfant, hélas! n'est qu'un enfant... Du jour où Roger -pensera qu'il a plus d'avantages chez son père, c'est lui qu'il aimera, -et pas nous... Voilà la vérité!... - -—Soit, mais comment nous défendre? - -—Je ne sais pas... La situation est très difficile... Il faudrait -frapper un grand coup, inventer quelque chose d'équivalent au -trousseau... Saisis-tu? - -—Oui... seulement, quoi? - -—Nous chercherons! - -Au bout de trois jours, il avait trouvé. La riposte était ingénieuse, -mais terriblement compliquée. - -Elle consistait en une bicyclette du dernier style, avec un -enchevêtrement de chaînes et de contre-chaînes, de freins et -de contre-freins, trois changements de vitesse, un système de -rétropédalage, mille perfectionnements diaboliques qui permettaient -de marcher à reculons comme en avant, de gravir les côtes aussi -vite qu'on allait en plaine, et dont la description seule n'avait -pas pris au marchand moins d'une demi-heure. On appelait ce modèle -«l'Alouette-extra». - -Sur un fervent cycliste tel que Roger, un pareil bijou ne pouvait -manquer de produire un gros effet. - -—Mais à propos de quoi lui donner cela?—demanda judicieusement Lucie -quand un peu avant le dîner, on apporta la machine. - -M. Lecherrier hésita: - -—Je verrai... Tiens je lui dirai que c'est pour ses vacances!... - -Firmin avait reçu ordre de presser le service. - -En vingt-cinq minutes on eut dîné, et on remonta dans le salon, au -centre duquel, sous un vaste drap blanc, la bicyclette avait l'air -d'une statue à inaugurer. - -—Qu'est-ce que c'est que cela?—s'écria Roger dès le seuil. - -—Regarde!—dit solennellement M. Lecherrier, en tirant à lui le vélum -avec un noble geste de vieux magicien. - -L'enthousiasme de Roger passa toutes les prévisions. Il obtint -comme faveur de ne pas sortir: il voulait lier connaissance avec sa -merveilleuse machine. On dut la lui porter dans sa chambre pour la -nuit. Et, bien entendu, le lendemain, il eut la permission d'en user, -escorté de Firmin sur un mauvais «clou», pour se rendre à la pension. - -Auprès des neuf Beaujoint, le succès de l'Alouette-extra toucha à -l'apothéose. Bon enfant, Gégé avait autorisé tous ses petits camarades -à l'essayer, et il attendait avec impatience le suffrage de son père, -qui devait venir, comme presque chaque jour, vers l'heure du goûter. - -Taillard pourtant se montra tiède, et, après un coup d'œil sommaire à -l'Alouette: - -—Ça tombe à pic!—déclara-t-il.—J'ai justement en vue, pour le moment de -tes vacances chez moi, un assez gentil petit poney... Alors tu pourras -varier tes sports... - -—Un vrai poney, pour moi seul?—s'exclama Gégé, encore incrédule. - -—Oui!—fit négligemment Taillard. ... Une très jolie petite bête, ma -foi, qui manque peut-être un peu de dressage... Mais d'ici septembre, -nous avons grandement le temps de te la mettre en main! - -—Oh bien! ça, c'est trop!—proclama Gégé, à bout de formules -reconnaissantes. - -Et, la visite terminée, il courut incontinent à Ribermont pour -l'informer de l'heureuse nouvelle. - -—J'espère!...—se contenta de répliquer Ribermont, qui commençait à être -excédé des aubaines de son camarade. - -—Crois-tu, hein!...—surenchérit Roger, feignant de ne pas remarquer -cette froideur. - -Cependant, elle lui inspira, du coup, une peur délicate. Si Ribermont -prenait ainsi la chose, qu'en dirait-on avenue Marceau? Sûrement, le -jour même de la bicyclette, ce poney leur ferait de la peine. Peut-être -bien aussi que ça aurait l'air de leur demander un cadeau encore plus -beau?... - -Mais le scrupule n'est souvent qu'une première étape dans la mauvaise -voie. Et, sans le vouloir, Gégé se mit à chercher ce qu'on pourrait -lui donner de plus beau que le poney et l'Alouette. Son imagination -s'emballa. Il rêvait de jouets extraordinaires, d'inventions féeriques, -et Aladin n'était pas son cousin. - -Si bien qu'il ne sut d'abord que répondre, lorsqu'au dessert M. -Lecherrier questionna: - -—Eh bien, Gégé, comment ton père a-t-il trouvé ta machine? - -—Papa?...—fit-il, pour se ressaisir. - -Mais aussitôt, d'eux-mêmes, ses bons sentiments lui soufflèrent: - -—Papa? Il l'a trouvée épatante! - -Et comme, la semaine d'après, en revenant de chez son père, il -n'annonçait nulle gâterie nouvelle, le match de présents prit fin. -Des deux parts, on croyait s'être maté. M. Lecherrier triomphait de -son Alouette; Taillard, de son poney. On s'en tint désormais à des -escarmouches, aux menus projectiles de rencontre: gants, cravates, un -petit bijou de-ci, de-là. La guerre d'argent avait cessé. Ce ne fut -plus qu'un tournoi de tendresse. - -L'ardeur de la concurrence ne perdit pas au change. Rien ne développe -le sentiment paternel comme le divorce. D'abord on se disputait -l'enfant comme l'enjeu d'une partie dont la galerie est juge; puis -l'amour-propre cède à l'instinct. A la pensée de se voir ravir le petit -de son sang, on se découvre pour lui ces élans de cœur, cette ferveur -d'affection que donne seule la crainte des départs éternels: on l'aime -comme on ne l'a jamais aimé; on l'aime comme quelqu'un qui va peut-être -mourir. - -Et bientôt même la contagion ne tarda pas à atteindre Gégé. Sans se -l'expliquer, il éprouvait pour ses parents une espèce d'attachement ému -qui lui paraissait tout nouveau. Leur fréquentation n'était plus le -plaisir banal qu'a émoussé la satiété. Les quitter, ne fût-ce que du -matin au soir, lui semblait à présent une vraie privation; les revoir, -une vraie réjouissance. Certes il les trouvait bien gracieux d'inviter -si fréquemment à dîner ou à des promenades Ribermont et d'autres petits -amis. Pour peu qu'on l'en priât, il s'avouait l'enfant le plus gâté -de Paris. Mais surtout il leur savait gré de leur tendresse toujours -grandissante. Souvent un baiser de son père, une étreinte de sa mère, -une caresse de M. Lecherrier lui laissaient de la joie pour toute -la journée, comme un cadeau reçu, comme un plaisir promis. Alors, à -l'étude, en classe, tout à coup, l'envie lui venait de leur écrire des -gentillesses, et il ne se retenait que par peur des plaisanteries. - -D'ailleurs, depuis quelque temps, partout, c'était à qui se montrerait -bon pour lui. Même au dehors, dans les relations de sa famille, chez -les parents de ses camarades on ne l'appelait plus autrement que: «Mon -pauvre petit Gégé!... Mon pauvre petit ami!...» Quand on l'embrassait, -des soupirs effleuraient sa joue. Mais cette pitié ne l'attristait -pas; elle lui faisait plutôt plaisir. Il se sentait intéressant, -important, comme lorsqu'on est malade ou en deuil. - -Il y avait cependant un point sur lequel, sans savoir pourquoi, il eût -bien voulu être fixé. Quand le divorce serait-il terminé? Là-dessus les -réponses de sa mère et de M. Lecherrier étaient toujours de plus en -plus évasives: on ne pouvait rien affirmer, on ignorait,—et pour cause. - -Tant qu'il ne s'était agi que de la division des biens, de -l'attribution des torts, des prestations légales, l'affaire avait -marché à grande vitesse. Mais, dès qu'on avait abordé le partage -de l'enfant, tout s'était soudainement brouillé. Le _statu quo_ ne -plaisait plus. Les exigences des adversaires croissaient chaque -jour avec la recrudescence de leur tendresse. Des deux côtés on se -prétendait lésé, on chicanait sur la part de l'autre, on réclamait pour -soi plus de Gégé. Tellement qu'à la fin, écœurés, les avoués avaient -suspendu leurs pourparlers. - -De temps en temps seulement, pour la forme, ils causaient du procès, au -hasard d'une rencontre à l'audience ou d'une bavette aux Pas-Perdus. - -Gimblet, l'avoué de Jacques, en voulait principalement à Roger. - -—Vous verrez,—disait-il sans respect pour la situation du pauvre -enfant,—vous verrez, c'est ce crapaud qui fera tout rater! - -Mais Aubineau en avait plutôt à M. Lecherrier: - -—Non, mon cher, pour moi, le pire, là dedans, c'est le vieux! - -Et le fait est que, dans ce débat, M. Lecherrier témoignait d'un -mauvais vouloir qui n'avait d'égal que sa mauvaise foi. Maintenant -que son existence était à base de Gégé, il n'admettait pas qu'on lui -en retirât une parcelle. Ah! non, assez de changements comme cela! -Il tenait son petit-fils. Il n'en lâcherait pas un pouce, pas un -millimètre. Et, par moments, dans la fougue de la lutte, on l'eût dit -rajeuni de vingt ans, alors qu'il discutait, des heures durant, avec -les clients, sur le tissu d'une pièce de soie. - -A l'étude Aubineau, où l'on ne voyait plus que lui, pour tout le monde, -du maître clerc au saute-ruisseau, il était devenu un objet de terreur. -Mais on avait beau lui ménager les accueils les plus froids, le faire -attendre, l'éconduire, il revenait le lendemain, chaque fois plus -acharné et plus intransigeant. - -Enfin un matin, comme on touchait aux derniers jours de juillet, -Aubineau, qui depuis une quinzaine lui fermait sa porte, consentit à le -recevoir et désignant un siège: - -—Je suis d'autant plus heureux de vous voir, mon cher monsieur -Lecherrier, que j'avais une communication pressante à vous faire... -Voici... Hier, Gimblet et moi, nous sommes tombés d'accord que, nos -pourparlers étant épuisés, il n'y avait plus qu'à plaider. Toutefois. -comme dans deux semaines les vacances judiciaires vont s'ouvrir et -que nous risquerions fort d'être remis à la rentrée d'octobre, nous -avons pensé que, retard pour retard, on pourrait au besoin laisser -tranquillement sommeiller l'affaire jusqu'à cette époque... D'ici là, -peut-être que des concessions... peut-être qu'un peu d'apaisement se -sera produit dans vos esprits et que nous découvrirons ensemble la -solution satisfaisante... Voilà... Qu'en dites-vous? - -M. Lecherrier demanda le temps de réfléchir. Mais, au fond, il -commençait à être las de se démener ainsi sans aboutir, dans ce -Paris brûlant et comateux d'où fuyaient une à une toutes ses petites -camarades. Et l'offre d'Aubineau lui avait tout de suite souri. - -Il n'en prit pas moins le ton le plus indifférent pour soumettre à -Lucie le projet de l'avoué. - -—Cela me paraît très bien!—approuva Mme Taillard. - -Elle aussi ne souhaitait que de partir. La semaine d'avant, elle venait -de rompre avec Alcide Barbier qui, décidément, ne lui procurait plus -aucune espèce de plaisir. Elle avait hâte de quitter cette ville de -désillusion où nul charme ne la retenait plus. - -Restait à choisir la plage, car le docteur ordonnait à Roger la mer. -M. Lecherrier penchait pour Trouville, dont le tumulte cacherait, à -l'occasion, ses frasques; mais Lucie affirmait l'endroit trop mondain, -sans ajouter qu'il était trop près d'Houlgate, où villégiaturaient les -Barbier. - -Gégé proposa Dieppe. Les Ribermont y possédaient une villa avenue -Aguado, et ne demanderaient pas mieux que de s'entremettre pour la -location. - -On se rallia à Dieppe. En trois télégrammes, un joli _cottage_, sur la -route d'Arques, fut signalé, décrit, loué. - -Et, quatre jours plus tard, après de tendres adieux à son père, Gégé -débarquait en gare de Dieppe, avec toute la maisonnée de l'avenue -Marceau. - - - - -[Illustration] - - - - -VI - - -Septembre approchait, et Gégé commençait à compter les jours sans -savoir si c'était plus par joie de revoir son père ou regret de quitter -sa mère. - -Comme ce mois d'août avait filé! Quelles vacances! Non, dans tous ses -souvenirs, Gégé ne s'en rappelait pas de si paisibles chez lui, ni au -dehors de si étourdissantes. - -Dès l'arrivée, d'abord, Ribermont l'avait affilié à une coterie -ultra-fermée de petits garçons de bonne famille, qui faisaient, sur la -plage, la pluie et le beau temps. A ceux du «groupe», comme on disait, -tous les privilèges et toutes les faveurs. A eux les baigneurs les plus -demandés, les premiers rangs aux bals d'enfants, la maîtrise de la -terrasse, la suprématie sur le galet, les préférences des plus jolies -petites filles. Mais quiconque n'appartenait pas au «groupe» était tenu -pour nul et non avenu. - -Annoncé par Ribermont comme un «chic type», Roger avait rapidement -pris dans cette élite une forte situation. Son agilité, son entrain y -aidaient, et aussi son Alouette-extra. Fastueux avec cela, grâce à ses -semaines doubles, payant partout à gousset ouvert, il n'y avait plus -de partie, plus d'excursion sans lui. Et dans tous les jeux, il était -bien rare qu'on ne l'élût pas chef de camp. - -Vers le milieu du mois, pourtant, les délices de cette popularité -avaient failli être gâtées par un accident de correspondance au sujet -d'un certain Bousingot, dont le nom revenait dans toutes les lettres -de Taillard à son fils. «Bousingot t'envoie ses meilleures amitiés... -Bousingot devient de plus en plus gentil...» A la troisième lettre, -intrigué, M. Lecherrier s'était enquis du personnage. Et Gégé, comme -une faute, avait dû confesser que le nommé Bousingot n'était autre -qu'un petit poney alezan acheté en juillet, à son intention, par -Taillard. - -Mais, M. Lecherrier, aguerri maintenant à ces manœuvres, avait paru -trouver la chose toute naturelle. - -—C'est parfait. Seulement, il faut t'entraîner, mon garçon... Que -dirais-tu, par exemple, de quelques sorties à cheval avec le maître de -manège?... - -Puis, le lendemain, il rapportait à Roger un cachet de douze promenades -«accompagnées». - -Le prestige du jeune chef de camp s'en accrut encore auprès de ses -petits camarades du groupe. Quand il passait à cheval, avec l'écuyer -en culotte mastic, c'était à qui le hélerait pour faire parade de son -amitié ou le complimenter de sa monture. Entre temps, on avait appris -que, pour la rentrée, son grand-père lui promettait un petit «tonneau»; -et, dans toutes les villas du groupe, à tous les repas de famille, il -n'était bruit que de Gégé Taillard, de son Alouette, de son poney et de -son tonneau à venir. - -Parmi tant de distractions, comme on pense, ses devoirs de vacances -avaient cruellement pâti. - -Un matin, saisissant le prétexte du départ prochain, Mme Taillard -acheva de l'en libérer: - -—Bah! tu travailleras en septembre, chez ton père... - -Ce que Gégé ne se fit pas répéter deux fois. - -Et dès lors, chaque après-midi, le déjeuner fini, au lieu de se -morfondre dans les froides analyses logiques ou les funestes règles de -trois, il partait avec sa mère en promenade. - -Tendrement, bras dessus bras dessous, on s'en allait soit vers la -campagne voisine, soit vers la plage, déserte à cette heure. Lucie -s'asseyait sur un talus et tirait son ouvrage, tandis que Roger -feuilletait auprès d'elle quelque journal illustré. Ou bien, si l'on -avait gagné la plage, il cherchait pour Mme Taillard un pliant, et, -accoté contre elle, le dos à ses genoux, il jetait devant lui des -galets secs qui cabriolaient vers la mer comme dans une frénésie de -suicide. - -On ne disait presque rien. On allait se quitter. On y songeait. Et, -dans le tourbillon de ses plaisirs, Gégé aimait beaucoup ces haltes de -mélancolie qui ne l'empêchaient pas, une heure après, de s'amuser tant -et plus. - -Malheureusement pour Mme Taillard, sa tristesse durait bien au delà. En -réalité même, depuis l'arrivée à Dieppe, cette tristesse n'avait pas -cessé, et, chaque jour, se faisait plus obsédante. - -Parmi les douleurs de la jeune femme, le départ de Roger n'était qu'une -blessure prévue. Ses vrais soucis allaient plus loin, vers la vie -incertaine et trouble qui s'ouvrait à présent pour elle. - -Comment finirait ce divorce? Que lui laisserait-on de Gégé? Et -ensuite, sans mari, sans amant, peut-être sans fils, que devenir?... -Se remarier? Avec qui et dans quel intérêt?... Se risquer à une -liaison nouvelle? Pour combien de temps et sur quelles garanties?... -Ses chagrins passés la mettaient en méfiance, ses déboires récents -en révolte. Et, pardessus tout, le mystère de tant de questions sans -réponses l'affolait. - -La pire infériorité des femmes, c'est de ne pas savoir attendre. -Au bonheur même, leur impatience ne tolère pas la plus légère -inexactitude: s'il n'arrive pas à l'heure dite, les voilà hors d'elles, -perdues. Ou bien, danger plus grave, elles se mettent à sa recherche. -Dans tout monsieur qui passe elles croient le reconnaître, quittes -à tâter d'un autre, en cas d'erreur sur la personne. Et ainsi Lucie -en était venue à se demander si le plus simple encore ne serait pas -d'accepter sans façon, les offres de service que lui réitérait chaque -matin, au Casino, Germain Chavanne, un assez joli garçon à moustache -brune, camarade de cercle de M. Lecherrier, bien élevé, plutôt -spirituel, et présentant, comme flirt, le maximum des qualités requises. - -Cependant une autre solution la tentait. Mais si difficile, si -aléatoire que rien que l'aborder lui faisait peur. Il fallut, pour l'y -enhardir, la nécessité du dernier moment, juste la veille du jour où -Roger s'en allait. - -C'était après déjeuner au jardin. M. Lecherrier était remonté faire la -sieste. Et comme Roger se disposait à le suivre, pour finir sa malle, -Mme Taillard, dans un élan de courage le retint: - -—Reste un peu, mon petit... Tu emballeras plus tard... Viens ici... -J'ai à te dire un grand secret... - -Elle attira Gégé sur ses genoux, et, la tête contre sa tête: - -—Écoute bien, mon chéri... Ni moi ni ton grand-père nous ne t'avons -jamais soufflé mot de ce divorce, parce que ce sont des choses qui ne -regardent pas les enfants... Seulement de toi-même, tu as dû remarquer -combien cette affaire s'éternisait!... - -—Oh! oui, maman!—fit par politesse Gégé, à qui pourtant le temps -n'avait pas semblé long. - -—Et sais-tu pourquoi cela dure tellement? C'est à cause de toi... Note -bien, je ne dis pas: «par ta faute», je dis: «à cause de toi...» Oui, -tous les ennuis viennent de ce que ton père et moi nous ne parvenons -pas à nous entendre à ton sujet... Nous voudrions chacun te garder -entièrement, ou du moins t'avoir plus... Il en résulte des difficultés -interminables... Et c'est pour cela que souvent tu me vois si triste, -si préoccupée... - -Sa voix fléchissait. - -—Maman! Maman! tu ne vas pas pleurer!—fit Roger avec énergie. - -—Eh bien!—reprit Mme Taillard en se dominant,—il y aurait peut-être -un moyen de mettre fin à cette situation désolante: ce serait que, -pendant le mois que tu vas passer là-bas, à Courteuil, tu tâches de me -raccommoder avec ton père... - -Gégé, inconsciemment, détourna les yeux. - -—Regarde-moi bien, mon chéri,—continua Mme Taillard.—Naturellement -il faudra y aller avec beaucoup de prudence. Ainsi, il serait de la -dernière maladresse de dire à ton père que c'est moi qui propose -cette réconciliation. Cela lui donnerait une trop grande opinion de -ses droits sur toi, de ses chances dans le procès. Et après, s'il -refusait, je serais trop humiliée... Non, il faudrait, au contraire, -présenter l'idée comme venant de toi: une idée que tu aurais eue, tu -comprends?... Tu dirais, je suppose: «Moi je suis sûr que si tu voulais -te réconcilier avec maman, elle accepterait très bien...» Et s'il te -questionnait, tu ajouterais que je t'ai toujours parlé gentiment de -lui, que tu t'engages à tout arranger, que ça te ferait un plaisir -énorme... La vérité, quoi! - -—Oui, oui!—approuva Roger qui n'écoutait plus que d'une oreille -bourdonnante. - -—Je t'explique tout cela en gros... Je ne peux pas te mâcher tous -les mots... Mais, une fois en route, je suis persuadée que tu t'en -acquitterais à merveille... Voyons, ça te va-t-il? Puis-je compter sur -toi? - -—Oh! oui, maman!—répliqua faiblement Gégé. - -Mme Taillard le rassujettit, car il glissait un peu de ses genoux, puis -le pressant plus fort contre son buste: - -—Seulement, dis-toi bien, mon petit, que ce que je te demande là, -c'est pour toi, uniquement pour toi... Sans toi, crois-tu que la vie -d'autrefois me referait envie?... Et il y aura aussi des gens qui se -moqueront, qui prétendront que je ne sais pas ce que je veux... Mais -moi, je le sais, et c'est l'essentiel... Je veux te garder... Je ne -veux pas te perdre, mon cher petit, mon bon trésor... - -Gégé, les paupières mi-closes, le nez dans le cou de sa mère, se -laissait bercer sans défense. Par les mille petits trous du corsage -ajouré, une tiède odeur de white rose et de chair s'exhalait vers -lui. Il aurait aimé rester indéfiniment dans cette pénombre parfumée, -n'avoir plus jamais de gestes à faire, ni de paroles à prononcer. Mme -Taillard cependant le posa à terre. - -—Là,—dit-elle, après un dernier baiser,—va achever ta malle, -mon chéri... Et, je t'en supplie, pas un mot de tout cela à ton -grand-père!... Si notre petit complot échouait, ce serait des histoires -à n'en plus finir... Donc, tu me promets bien le secret? - -—Je te le promets, maman!—fit Gégé, de profil, les yeux en biais vers -la maison. - -Maintenant, dans la pleine lumière, sous les regards de sa mère, il -préférait cesser la conversation. Il gravit au galop l'étage qui -menait à sa chambre et, la porte refermée, il commença, d'un geste -machinal, à empiler ses livres. Mais aussitôt il dut s'arrêter pour -essuyer une larme qui lui chatouillait l'aile du nez. Puis, c'en fut -une autre, une autre encore. Alors, lâchant les empaquetages, il -s'assit sur le bord du lit, les poings aux yeux pour pleurer à son aise. - -Quel coup! Quel écroulement! - -Deux ou trois fois, dans des mauvaises nuits, il avait rêvé que -l'existence de jadis reprenait. Il se revoyait avec effroi entre -ses parents aux prises. Il entendait les cris, les injures. Dans le -brouillard du songe, il apercevait les verres brisés, les nappes -souillées, les visages défigurés par la rage, les feux de la haine aux -prunelles. Et ensuite il se retrouvait brusquement dans sa petite -chambre, au fond du couloir, avec la rigoureuse Annette cousant en -silence près de la lampe, tandis qu'au loin les portes battaient comme -sous l'ouragan... - -Mais, au réveil, il oubliait vite ces angoisses. Les rêves, est-ce que -ça arrive? Et voici que tout de même ça arrivait! - -Le cauchemar se faisait réalité. Bien pis, c'était lui, Gégé, qu'on -chargeait de la métamorphose! - -Adieu les dîners calmes et les journées de paix! Finies, les gâteries, -les cajoleries, les surprises! Plus de petits voyages entre les deux -maisons! Plus de regains de tendresse! Plus de changements! Plus de -joies! - -Et, à cette lugubre liquidation, Gégé, pour la première fois, sentait -aussi clairement tout son bonheur depuis trois mois. - -Certes, la minute d'avant, il ne s'estimait pas à plaindre; mais il ne -se serait jamais jugé si heureux. Cette catastrophe était pour lui une -vraie révélation. - -Il n'y pouvait pas croire. Alors, quoi! véritablement, cela allait -recommencer? Il faudrait replonger dans la tourmente, redevenir un -pauvre petit diable, ballotté au gré des scènes, des querelles, et que -personne n'aimerait plus! Car, lorsque les parents se détestent, est-ce -qu'ils ont le temps de vous aimer? On les gêne, ils vous renvoient pour -se disputer tranquillement: «Tout à l'heure, Gégé!» - -A ce souvenir amer, il eut une nouvelle crise de larmes. Oh! pour -qu'ils continuent à l'aimer bien fort comme ils faisaient depuis le -divorce, qu'il aurait de bon cœur donné et l'Alouette et le poney et -tous les plus beaux cadeaux du monde!... Mais voilà, il n'avait pas le -choix! Dans les affaires de ce genre, on ne demande pas leur avis aux -petits garçons. Il ne leur reste qu'à se taire et à obéir. Voilà!... Si -seulement encore, il avait été hardi, et débrouillard comme certains -de ses camarades, comme Ribermont, par exemple, peut-être bien s'en -serait-il tiré, eût-il découvert un remède... D'ailleurs, au fait, -pourquoi ne pas aller le consulter, ce malin de Ribermont? Il aurait -sûrement une idée, lui!... Et Gégé cessant incontinent de pleurer -ne songea plus qu'à effacer les traces de ses larmes. Puis, bien -lotionné, bien séché, les paupières normales, le sourire aux lèvres, -il redescendit. - -—Où vas-tu donc?—demanda Mme Taillard, qui était restée à broder dans -le jardin. - -—Chez Ribermont, maman. - -—Comment! ce n'est pas l'heure de son travail? - -Gégé, qui n'avait pas prévu la question, trouva d'emblée son premier -mensonge: - -—Oh! je vais simplement chercher un livre que je lui ai prêté... - -En entrant chez son camarade, il dut renouveler la même justification à -Mme de Ribermont, qui traversait le vestibule. - -—Très bien, mon petit ami!—fit celle-ci avec cette nuance de compassion -qui se devait à Gégé.—Pierre est là-haut dans sa chambre. Il travaille. - -Un travail très confidentiel, sans doute, car, à peine Roger ouvrait-il -la porte, Ribermont précipita dans un tiroir le livre placé sous ses -yeux. - -—Eh bien! tu m'en as fait une peur!—s'écria-t-il en reconnaissant -l'intrus. - -—Qu'est-ce que tu lisais donc?—interrogea le jeune Taillard, qui savait -le talent de Ribermont pour chiper chez son père des livres défendus. - -—Un chouette bouquin, va!... Rudement chouette, même: _Bélisaire_, par -Marmontel. - -—C'est amusant?—questionna Gégé. - -—Un peu!—dit avec fierté Ribermont, qui, malgré l'ennui écrasant de -cette lecture, ne voulait pas diminuer l'importance de son larcin. - -Gégé, distraitement, parcourut quelques lignes, puis, posant le livre: - -—Dis donc, vieux, tu ne sais pas ce qui m'arrive? Voilà maintenant -maman qui veut se raccommoder avec papa! - -Et, sans omettre un mot, il conta en détail toute la scène du jardin. - -Ribermont écoutait, partagé entre deux mauvais sentiments. Cette -déconvenue de son ami, après une série de veine aussi prolongée, lui -paraissait assez plaisante. Mais il en considérait avec moins de faveur -les conséquences personnelles. En somme, jusque-là il avait largement -bénéficié de ce qui advenait de bon à Gégé. Il était de toutes ses -parties, de toutes ses promenades, de tous ses plaisirs. Sans parler -des menus services pécuniaires, qui chaque mois montaient bien à -une quarantaine de francs, Roger ayant pris l'habitude de se laisser -taper en douceur. Ribermont se sentait donc directement menacé dans la -débâcle de son camarade. - -—Et alors?—fit-il, quand Gégé se fut tu. - -—Alors, moi, je ne sais pas comment faire... Franchement, à ma place, -qu'est-ce que tu ferais? - -Ribermont, qui ne se distinguait pas par la suite dans les idées, -répondit à côté: - -—Et toi qui me disais que ce divorce était un grand malheur! - -Roger ne put dissimuler un geste d'impatience: - -—Je ne te demande pas ce que je t'ai dit. Je te demande ce qu'il faut -faire!... - -—Attends alors que je réfléchisse!—fit Ribermont avec aigreur. - -Puis, sans réfléchir, à mesure que cela lui venait, il déclara: - -—Moi, voilà, je ne sais pas... Ça dépend... D'abord, tu n'as pas besoin -de te presser pour dire la chose à ton père... - -—Ça, c'est vrai!—accorda Gégé. - -—Et puis, tiens, à ta place, moi, je ne suis pas sûr, mais peut-être -bien que je ne dirais rien du tout... - -En entendant formuler tout haut l'ultime secret de ses -arrière-tentations, Gégé eut un recul de pudeur: - -—Oh! non... Ce serait trop mal... Pense donc! Moi qui ai promis!... - -—Je ne dis pas que sûrement je ne dirais rien... Je te dis: -«Peut-être...» Enfin, tu verras!... - -Gégé, sans répliquer, tournait autour de la chambre, la tête basse, les -mains enfoncées à la faire craquer dans les poches de sa culotte. - -—Il faut que je m'en aille!—conclut-il. J'ai pas fini d'emballer. - -Ribermont, à la fenêtre, le suivit du regard, tandis qu'il remontait -l'avenue Aguado. Il marchait lentement au bord du trottoir, avec -l'allure de la plus déchirante perplexité. - -—Pauvre type!—prononça Ribermont, en repoussant la croisée. - -Mais le lendemain, à la gare, pendant que M. Lecherrier faisait -enregistrer les bagages, Gégé entraîna son ami dans un coin de la salle -d'attente, et, du ton le plus résolu: - -—Eh bien! tu sais... Je suis décidé... Je ne me presserai pas! -Seulement, je le dirai... Y a vraiment pas moyen de ne pas le dire. - -—Comme tu voudras!—fit Ribermont avec une moue d'adhésion sceptique. - - - - -[Illustration] - - - - -VII - - -Depuis son arrivée à Courteuil, Gégé gardait la plus complète réserve -sur les propositions de paix dont on l'avait chargé. - -Non qu'il voulût éluder son mandat ou qu'il nourrît des illusions sur -le dénouement. A ses yeux, désormais, c'était une affaire réglée, sans -appel. - -Mais raison de plus pour jouir tranquillement des dernières bonnes -heures. - -Et d'abord, fidèle à sa promesse de ne pas se presser, il s'était, -d'autorité, octroyé une semaine de répit total. Puis la date des -ouvertures venue, il avait continuellement trouvé d'autres motifs pour -la proroger: une excursion, la présence d'étrangers, des signes de -nerfs chez son père, tout lui servait. Et, bref, à bout de prétextes, -il s'était rejeté sur la météorologie: pourquoi ne pas profiter -pleinement de ces admirables journées? On aurait bien le temps, quand -il ferait mauvais! Gégé n'attendait donc plus pour parler que le -premier jour de pluie ou de bourrasque. - -Mais, au fond, rien ne permettait de prévoir cette intempérie. Jamais -septembre n'avait étalé plus insolente splendeur. On eût dit un jeune -mois d'été. De l'aube au couchant, le soleil flambait grossièrement -dans une atmosphère sans brise. Les nuits étaient mauves et tièdes -comme des nuits de juillet. Et Gégé, en se levant, avait fini par ne -plus même consulter le ciel, toujours d'un bleu à toute épreuve. - -Du reste, sitôt debout, d'autres occupations le réclamaient, si -nombreuses, si rapprochées, qu'avec l'assentiment de Taillard les -devoirs de vacances leur avaient été, une bonne fois, sacrifiés. - -_Primo_, en guise d'apéritif, un tour dans le parc, fort négligé par le -propriétaire précédent et où des jardiniers se partageaient à retracer -les allées, à émonder les arbres, à replanter les parterres. - -Après quoi, le chocolat; puis, vite en selle! Et l'on partait vers -la forêt de Chantilly, qu'on gagnait en quelques foulées. Venceslas, -le cob rouan de Taillard, avait l'air du frère aîné de Bousingot, -le poney alezan de Roger. Crinière rase, queue courte, toilettés, -trapus et râblés, ils ressemblaient extraordinairement à ces petits -chevaux grecs que Gégé avait vus dans son livre d'histoire. Bousingot, -plus jeune, avait plus de fantaisie que Venceslas. Dès la porte, il -décochait à la Nature deux ou trois solides saluts d'amitié avec ses -sabots de derrière: - -—Il est gai!—disait Taillard à Gégé, devenu subitement grave. - -Car souvent la gaieté des bêtes fait la mélancolie des hommes. - -Mais Bousingot, à peine en forêt, reprenait tout son sérieux, et il n'y -avait pas d'animal plus sage, malgré sa vaillance. - -Deux heures durant, on galopait, on voguait à travers ces larges -canaux de terre grasse et brune qui font de la forêt de Chantilly comme -la Venise des chevaux. On stoppait quelques instants dans un carrefour -pour regarder les charges des pur sang à l'exercice, ou d'autres qui -rentraient à la file en ricanant sous leur camail. On revenait au pas. -On déjeunait. Et tout de suite, jusqu'au soir, dehors! Explorations -aux environs en auto, visites aux châtelains d'alentour, tennis ou -sauteries dans d'autres maisons, Gégé ne chômait pas une minute. Il -s'était promptement créé des relations dans tout le voisinage, n'y -comptait pas moins de trois vrais petits amis du sexe mâle, plus une -petite fiancée très jolie, Janine de Royse. Et, le dîner achevé, il -avait bien trop sommeil pour se reprocher l'oubli de sa mission. - -Parfois cependant des scrupules venaient le taquiner au beau milieu de -ses plaisirs. Ou bien, quand il écrivait à sa mère, il sentait comme -des gros flots de vergogne lui monter du cœur au visage. Au fond, ce -qu'il faisait là, ce n'était pas très chic. - -La pluie s'obstinait à ne pas tomber. Huit jours seulement le -séparaient de la rentrée. D'une façon ou d'une autre, il fallait en -finir. - -Enfin, à force de chercher, il eut une trouvaille. Non, il ne gâcherait -pas inutilement cette dernière semaine de vacances; il la savourerait -jusqu'au bout. Mais, par exemple, quoi qu'il arrivât, le jour de son -départ, en allant à la gare, il dirait tout. - -«Ça suffit bien!» conclut-il avec indulgence. - -Et, du coup, il recouvra toute sa belle humeur. Elle ne s'atténuait -qu'aux promenades du matin, où Taillard, depuis quelque temps, ne -cessait de maugréer contre le pays, les environs, sa propriété. -Décidément, il ne s'y plaisait pas du tout, oh! mais pas du tout. -Il avait loué cette sacrée bâtisse avant ces diables d'histoires. -Et maintenant elle devenait trop grande. A quoi bon ce second étage -inhabité, ces chambres d'amis sans amis, avec leurs fenêtres aveugles, -leurs volets toujours clos? A rien qu'à attrister encore la façade. -Sûrement qu'il n'allait pas moisir dans cette sinistre bicoque! Gégé -reconduit à Paris, il rentrerait au trot. Et, ouste! les malles, les -chevaux, les voitures, un écriteau à la grille. Ensuite sous-louerait -qui voudrait. Parce que, lui, il en avait par-dessus la tête. - -Ces doléances quotidiennes assommaient Gégé, non sans l'étonner. Il -lui semblait revoir son papa d'autrefois, avec la figure méchante, -les bougonneries perpétuelles, le mécontentement chronique. Voyons, -la maison, les environs, tout le reste, ne paraissaient pas si mal! -Certainement qu'il y avait là-dessous d'autres raisons, pour se mettre -dans un tel état. - -En quoi Roger ne jugeait pas trop faux: car ce dont Taillard avait -par-dessus la tête, ce n'était ni Courteuil, ni la bicoque, ni la -contrée avoisinante. Son aigreur venait de bien ailleurs. - -Au début, le retour à la vie de garçon, la noce en liberté, Nelly -Jelly, les visites chez l'avoué, tout cela lui avait donné l'illusion -d'une existence refaite et organisée. Pourtant les charmes de l'accent -anglais n'ont qu'un temps, la fête à outrance lasse, les joies de la -procédure sont limitées; et, Nelly Jelly, congédiée avec une honorable -soulte, les plaidoiries ajournées, sitôt installé à Courteuil, Jacques -avait soudain perdu l'assurance. Non qu'il fût de ces empruntés qui -frémissent devant des comptes de cuisinière, et, au surplus, quant à -la tenue de la maison, Annette y pourvoyait amplement. Mais quelque -chose manquait à ses instincts bourgeois: une base d'attache, un -contrepoids, ce qui vous retient sans vous lier, en un mot: le ménage. -Il se sentait déséquilibré, dépareillé, voué fatalement au ridicule -d'un mariage nouveau, sinon à la chute dans le collage. Sans oublier -ce procès douteux où il risquait de laisser son fils, de se diminuer -un peu plus!... Et, la présence de Roger aidant, graduellement, jour -par jour, il avait pris le dégoût de son divorce. En somme, malgré un -affreux caractère, cette Lucie était une bonne fille, une maîtresse -de maison hors ligne, une mère exceptionnelle. Avant de se fâcher, -elle en avait subi de toutes les couleurs. Ah! si elle voulait encore -y mettre un peu du sien, voir les choses en face, se rendre compte de -la situation, comme ce procès s'arrangerait vite! Et dix fois Jacques -avait été sur le point de demander à Gégé l'auxiliaire de ses bons -offices. - -Mais le 30 septembre arriva, qu'il hésitait toujours. - -Ce matin-là, depuis l'aube, la pluie tombait sans relâche. Le ciel -étendait à perte de vue un désert gris de fer. Les arbres, avec des -contorsions de désespoir, pleuraient leurs feuilles sous la rafale. Les -vitres ruisselantes tremblaient de froid. - -C'était bien le temps que Gégé attendait depuis près d'un mois, tout à -fait le temps qui convenait au dernier jour d'un condamné. - -—Quelle sale pluie!—murmura-t-il malgré lui, en regardant à travers la -fenêtre le parc lamentable avec ses allées jaunies par l'averse et ses -pelouses noircies de branches mortes. - -Puis, le cœur pesant, les mains sans élan, il procéda mollement à ses -apprêts de voyage. - -«Plus que neuf heures!... Plus que huit!... Plus que sept!... Plus que -six!...»—songeait-il, à chaque tintement de la pendule. - -Il se répétait ces chiffres avec moins de crainte que d'impatience. Il -aurait souhaité être déjà en voiture, seul à côté de son père, et que -tout fût dit et accompli. - -Mais comme, après goûter, on montait en coupé pour se rendre à la gare, -M. de Royse, le propre père de la petite fiancée, ayant à faire dans -Chantilly, demanda à Taillard un abri jusque-là. - -Gégé en éprouva une sorte de soulagement. Si pressé qu'il fût de -parler, ce sursis imprévu ne le contrariait pas tant qu'il aurait cru. -Il le prolongea même au delà de la Grande-Rue, où l'on avait posé M. de -Royse, car, en wagon, pour causer, on serait beaucoup mieux avec tout -le laps nécessaire. - -Mais, au sifflet de départ, bien que dans le compartiment il n'y -eût que lui et son père, il recula encore. Il voulait, une dernière -fois, contempler au passage les étangs de la Reine-Blanche, et, pour -ne pas les manquer, il s'agenouilla contre la vitre. On sortait des -bois. Le train passa au-dessus de la vallée. En bas, dans leurs -impuissants remparts de feuillages, les étangs avaient cet air désarmé -des pièces d'eau que l'ondée mitraille. Sous le vent, les roseaux -du bord ne savaient plus où donner de la tête. Seule la petite -chapelle romantique gardait son impassibilité de presse-papier. Puis, -brusquement la vision cessa. Le moment était venu. Gégé se retourna -avec un soupir, et, tout en balançant par contenance la sangle brodée -de la portière: - -—Papa!—fit-il,—je voudrais... - -Mais, au même instant, Taillard, lâchant son journal, lui coupa la -parole: - -—Dis-moi un peu, mon petit... Tu es un grand garçon... Je n'ai pas -à me gêner avec toi... Eh bien! entre nous, je vais te confier une -chose... J'en ai assez de cette existence de bohème. J'en ai assez de -ce divorce, de tes randonnées perpétuelles entre les deux maisons, -de ce procès qui n'en finit pas et dont personne ne sait comment il -finira... Les juges peuvent très bien te donner complètement à ta -mère ou complètement à moi... Et alors nous serions jolis!... Tu sais -que je n'aime pas à faire de l'attendrissement inutile... Mais si, par -malheur, je perdais, si c'était à moi qu'on t'enlevait, tu vois d'ici -ma vie... Elle serait impossible, intolérable... Eh bien! pour nous -tirer de là, il n'y a que toi... Il faut absolument que tu essayes de -me remettre avec ta mère... - -Puis, saisissant la main de Gégé, il continua, d'une voix moins -saccadée, l'exposé de son plan. C'était le même que celui de Lucie, -avec les mêmes conseils de prudence, les mêmes recommandations -d'habileté, les mêmes ruses naïves, les mêmes mots presque, et Gégé, -les cils baissés, l'écoutait pétrifié. - -D'abord, immédiatement, il avait eu l'élan d'arrêter net son père, de -lui débiter d'un jet tous les vœux de Mme Taillard, si pareils. Mais -dix questions prévues l'avaient aussitôt muselé: «Pourquoi ne l'avoir -pas dit plus tôt? Pourquoi avoir attendu tout ce mois? Pourquoi ne -s'être décidé qu'à la dernière minute?...» Voilà ce qu'infailliblement -on allait lui demander. Et qu'y répondre? - -—Naturellement, ce ne sera pas commode,—acheva Taillard.—Ta mère n'a -pas toujours eu à se louer de moi... J'ai été souvent un peu dur à son -égard... Pour commencer, elle fera peut-être des difficultés... Mais, -si tu insistes, si tu y reviens avec fermeté, je suis convaincu que tu -la persuaderas... - -Et comme Gégé, écartelé entre la honte, l'angoisse, l'indécision, se -butait dans son silence, Taillard le secoua affectueusement: - -—Voyons, mon petit, dis quelque chose... Tu restes là avec un air -ahuri... Est-ce que, par hasard, cette commission t'ennuierait? - -—Pas du tout!—parvint à prononcer Roger. - -—Alors, c'est entendu, tu essaieras? Je puis compter sur toi? - -—Mais oui, papa!—affirma Gégé presque en larmes. - -—Allons, bon! voilà que tu pleures, à présent! Il n'y a pas de quoi, -bêta: si tu ne réussissais pas, crois-tu que je t'en voudrais? Pas du -tout! - -Et il détourna la conversation sur Bousingot, qu'on ramènerait -incessamment à Paris, sur l'institution Beaujoint, qui rouvrait -le lendemain, sur certain pardessus d'hiver, qu'il se proposait de -commander à Roger. Mais celui-ci ne répondait qu'avec apathie. Ses -yeux égarés semblaient considérer à l'intérieur un défilé de rêveries -cruelles. Et, en effet, plus il y réfléchissait, plus sa situation lui -apparaissait effrayante et inextricable. - -De toutes parts il avait l'impression d'être bloqué, traqué, sans -issue ni refuge. Il ne lui restait même pas la ressource de réparer en -transmettant les offres de son père. Car, sitôt joints, en quelques -mots, ses parents se révéleraient son premier silence, sa première -faute. Et comment la leur expliquer? Comment leur dire la vérité? - -Rien qu'à imaginer de si horribles aveux, Gégé se sentait le cœur -en déroute. Après, que penseraient de lui son père, sa mère, M. -Lecherrier? Est-ce qu'ils pourraient l'aimer encore, avoir encore -confiance en lui? Non! Tout, plutôt que d'en tomber là! Même persister -à se taire, même mentir au besoin, même se charger des pires remords... - -—Allons! mon garçon,—s'écria Taillard.—Ne sois donc pas si absorbé: tu -n'as pas besoin de te créer un monde de cette commission... Tu la feras -demain, après-demain, quand ça se rencontrera!... - -Et, tirant son sac du filet, car on approchait de Paris: - -—Pourvu qu'à la fin de la semaine tu aies parlé, c'est largement... Je -ne rentrerai pas avant samedi... Ainsi, cela te fait six grands jours -devant toi... - -Hélas! ce n'était pas ce qu'il avait devant lui qui inquiétait Gégé, -c'était ce qu'il avait derrière: tout cet amas de demi-silences, de -demi-mensonges, de demi-calculs, toute cette vase de vilaines choses où -chaque effort pour se dépêtrer le faisait enfoncer davantage... - -Un farouche sifflement de la locomotive lui donna une commotion. Le -train courait dans un ravin charbonneux, bastionné de maisons jaunâtres -et tristes. Des linges de couleur terne pavoisaient les croisées. A sa -fenêtre, une grosse femme en camisole embrassait un homme en bourgeron -bleu. On arrivait. - -Sur le quai, Roger aperçut Firmin, qui l'attendait pour le conduire -avenue Marceau. Puis, les bagages délivrés, Taillard mit son fils en -fiacre: - -—Au revoir, mon petit!... A samedi prochain, chez moi, avenue d'Antin... - -Et, comme la voiture démarrait, il ajouta avec un clin d'œil -confidentiel: - -—A moins que, d'ici-là, il n'y ait eu du nouveau! - - - - -[Illustration] - - - - -VIII - - -—Comme ça, monsieur Roger s'est bien amusé! - -—Très bien! - -—Monsieur Roger a bien monté à cheval? - -—Oui! - -—Monsieur Roger a joliment profité... C'est madame qui va être contente! - -—Oui, oui... - -La conversation rendait peu. Firmin, à sec d'inventions, se retourna -vers la portière de droite, tandis que Gégé regardait par l'autre. - -Dehors, sous la pluie, les becs de gaz allumés commençaient leur -faction de nuit dans le crépuscule. A travers la rue Lafayette, -montait, descendait, pataugeait la bousculade des gens affairés, avec -leurs vêtements médiocres, leurs mines soucieuses, leurs chapeaux -hauts de forme,—toute la cohue du labeur parisien, si étrange, si -nouvelle quand on revient des champs. Les tramways fonçaient lâchement -sur les fiacres qui se garaient avec dédain et mauvais vouloir. Au -carrefour Montholon, deux grisettes, sous un parapluie, sourirent -gentiment à Gégé en lui lançant une plaisanterie. Plus loin, un -apprenti nu-tête lui tira la langue. - -Mais Gégé ne voyait pas, n'entendait pas. Il était tout à ses -préparatifs. Quoi qu'en eût dit Taillard, il n'y avait pas une -seconde à perdre. Dès l'arrivée, au saut de la voiture, on pouvait le -questionner sur sa commission, lui demander des comptes; et il fallait -savoir quoi répondre. - -Rude tâche qu'un grand mensonge pour qui n'en a pas le génie ou -l'habitude. C'est toute une œuvre à créer, à monter, à mettre en scène. -Telle version risque de faire rire, telle autre s'expose aux grosses -objections. Certaines répliques sont à couper alors qu'ailleurs des -trous fâcheux gâtent l'ensemble. Le ton de voix importe aussi, comme -le regard, le maintien, le choix des détails. Et Roger, tout neuf -dans le métier, s'affolait parmi ces combinaisons, ne sachant plus à -laquelle se vouer, jetant à bas les scénarios aussitôt que dressés, et -désespérant d'aboutir. - -Si bien que la voiture tourna dans l'avenue Marceau, sans qu'il eût -rien arrêté. Du reste, la tête congestionnée, avec une oppression -persistante qui lui courait de la gorge aux entrailles, il était à -bout d'efforts. Et lorsque le cheval du fiacre pénétra sous la voûte -de l'hôtel en faisant nonchalamment claquer ses fers, il éprouva une -sensation de délivrance. Tant pis! Trop tard pour trouver maintenant. -Il parlerait comme il pourrait, comme ça lui viendrait sur le moment. - -Cependant, après les premières effusions, le malaise le reprit avec -violence. En défaisant ses colis, en dînant, en jouant aux dames -ensuite, il sentait, à toute minute, des émotions qui lui traversaient -le cœur vivement, comme des petites aiguilles très fines: et, un -instant, son grand-père l'ayant laissé seul avec Mme Taillard, pour -chercher un cigare, il s'était cru perdu. Au jeu, il ne suivait pas, -accumulait les fautes. Les meilleures plaisanteries ne lui arrachaient -pas un sourire. A la troisième partie, M. Lecherrier finit par -s'étonner: - -—Ah çà! mais tu m'as l'air d'être devenu bigrement sérieux là-bas!... -On dirait, ma foi, que tu n'es pas content d'être revenu ici? - -—Moi!... Ah ben, vrai!—protesta Gégé.—Seulement je me suis levé tôt et -je suis un peu fatigué. - -—Ce n'est que cela? Il fallait l'avouer tout de suite, mon petit... Va -te coucher au galop; nous terminerons la partie un autre jour... - -Gégé, sans se faire prier plus, repoussa sa chaise et vint tendre -la joue à son grand-père, puis à sa mère. Mme Taillard l'embrassa -sommairement: - -—Sauve-toi, mon chéri... Je monterai tout à l'heure te redire bonsoir -dans ton lit... - -Sous la surcharge de cette bonne promesse, Gégé gravit lourdement -l'escalier. Cette fois, plus à reculer! Ce serait pour ce soir! Dans -quelques minutes il faudrait mentir, mentir tout haut, mentir pour de -bon, mentir! Il se répétait machinalement à mi-voix le mot abominable, -sans même plus chercher quels mensonges il ferait ni comment il les -accorderait: «Mentir! Mentir!» - -Il se déshabilla d'une main tâtonnante. Et, comme il grimpait dans -son lit, il entendit sur le palier des pas légers, puis des étoffes -soyeuses frôlant le tapis du couloir. - -Sa mère approchait. Elle allait entrer. Que lui dire? - -—Eh bien, mon pauvre Gégé!—soupira Mme Taillard en se penchant sur -le lit.—J'ai compris, n'est-ce pas?... Ta fatigue n'était qu'un -prétexte... La vérité, c'est que tu m'apportes des mauvaises nouvelles? - -Roger, étendu sur le dos, le regard en fuite, approuva de la tête. - -—Voyons, comment ça s'est-il passé? Quand lui as-tu parlé? - -Gégé, la voix chancelante, improvisa: - -—La semaine dernière, un matin, à cheval, dans la forêt... - -—Et qu'est-ce qu'il a répondu? - -—Rien. - -—Comment, rien? - -Gégé, au supplice, corrigea: - -—Enfin, il a dit: «C'est bon! je verrai!» - -—Pas autre chose? - -—Non maman! - -—Mais quel air avait-il en disant cela? - -—Je n'ai pas vu... Papa était plus haut que moi... Son cheval est plus -grand que le mien... - -—Mais son ton, ses gestes? Paraissait-il fâché, énervé? - -—Il me semble... - -—Et tu n'as pas renouvelé ton essai? - -—Non, j'ai pas osé... - -Mme Taillard posa au front de son fils un baiser prolongé, et, avec un -accent de grande lassitude: - -—Que veux-tu, mon pauvre enfant! Tu as fait ce que tu pouvais; nous -n'avons plus qu'à laisser aller les choses... - -Elle redressa l'oreiller, rajusta le drap sur la couverture de satin -bleu pâle: - -—Là, maintenant, dors, mon chéri... Ne te fais pas de souci. Dans tout -cela, hélas! tu n'es pour rien! - -Puis, tournant le bouton de l'électricité, elle se dirigea vers sa -chambre, dont elle repoussa la porte jusqu'au chambranle. - -Gégé, dans l'obscurité, appuyé sur les coudes, écoutait de tout son -être. Un moment, il crut percevoir des sanglots. Mais la porte presque -jointe ne laissait échapper que des bruits confus. - -Il retomba sur son traversin. Un peu de sueur lui mouillait les tempes. -Quelle torture! Quelle honte! Quelles minutes terribles!... Et, la -semaine suivante, avec son père, il faudrait encore inventer d'autres -mensonges, passer par les mêmes transes, subir les mêmes questions. -Dans ces conditions, Gégé commençait à trouver que les douceurs du -divorce se payaient bien cher. - -Jamais il n'avait éprouvé pour lui-même un pareil dégoût. A plat -ventre, la figure contre son oreiller, il chuchotait désespérément: - -—Ah! c'est du propre! Ah! c'est du beau!... - -Et, par-dessus le marché, personne à qui se confier. Pas même Ribermont -qui, dans les derniers temps, par son cynisme, avait perdu aux yeux de -Roger toute espèce de prestige moral. Personne! - -Mais soudain, dans ce noir abandon, un nom jaillit comme une lueur de -sauvetage: l'abbé Moussoir. - -C'était un vieil ecclésiastique cévenol qui remplissait chez M. -Beaujoint des fonctions analogues à celles d'aumônier. Un peu aigri par -sa carrière sans éclat, impitoyable au catéchisme, pourtant, à certains -mots, à certains regards attendris sous ses gros sourcils de laine -grise, on le devinait capable de bonté. Pourquoi ne pas s'adresser à -lui? La semonce serait sévère, mais le conseil prompt et direct. - -Gégé, seulement, se donnait jusqu'à la fin de la semaine pour essayer -de sortir sans aide de ses mensonges. Passé ce délai, l'abbé saurait -tout. - -Cette perspective d'un refuge possible dans le désastre lui rendit du -calme. A côté, la lumière s'était éteinte, rien ne bougeait plus. -Gégé, exténué, s'endormit progressivement. - -Et, le lendemain matin, quand il vint dire au revoir à sa mère, il se -sentait tout ragaillardi, tant par cette nuit de bon sommeil que par -ses vues sur l'abbé Moussoir. - -Mme Taillard, en peignoir de soie vert mousse, examinait des dentelles, -près de la fenêtre. - -—Déjà levée, maman!—s'écria Gégé. - -—Oui, mon chéri, j'ai un tas de courses à faire ce matin. - -Elle aussi paraissait reposée, le teint frais sous une couche de poudre -légère, les paupières nettes, sans cernures, et dans les yeux comme une -clarté de vaillante humeur. - -—A propos, mon enfant!—fit-elle, pendant que Roger enfilait son -paletot. ... Nous avons oublié un détail important... C'est bien -samedi prochain que tu revois ton père?... Mais où cela? A Paris ou à -Courteuil? - -—A Paris donc! Papa rentre de Courteuil samedi matin. - -—Tiens! je croyais qu'hier il était revenu avec toi? - -—Oui, mais il ne reste qu'une journée à Paris et il rentre là-bas ce -soir pour surveiller le déménagement. - -—C'est très bien... Alors à tantôt, mon chéri! - -Elle savait ce qu'elle voulait savoir. Sitôt Gégé parti, elle sonna la -femme de chambre: - -—Vite, Julie, mon costume tailleur gris... Mon grand chapeau avec des -roses... - -Et, une heure plus tard, au bureau de télégraphe de la rue -Clément-Marot, elle demandait un petit bleu. Puis, ayant libellé -l'adresse: «Monsieur Jacques Taillard, 108, avenue d'Antin», elle -écrivit ces quelques lignes: - - _Je voudrais vous parler. Je vous attendrai, ce soir, à six - heures, en voiture, avenue du Bois, côté gauche, entre le 19 et le - 21. Si, vraiment, vous ne me haïssez pas trop, venez._ - - LUCIE. - -Avant de glisser le télégramme sous la languette de cuivre, elle eut -une dernière hésitation. C'était peut-être une énorme bêtise que -cette lettre, une maladresse sans nom que cette démarche. Mais quand -l'incertitude n'est plus tenable, quand on veut à tout prix reconquérir -son fils, qu'importent les petits risques d humiliation ou de ridicule? -Est-ce que ces choses-là doivent compter pour une mère? Et, d'une -héroïque chiquenaude, elle lança dans la boîte son projectile de papier -bleu. - -Une fois rentrée, elle s'était bien promis de sortir dès le déjeuner et -de multiplier les achats, les commandes, les courses, jusqu'à la nuit, -pour se distraire. Cependant, au moment de se rhabiller, le courage lui -manqua. A quoi bon traîner de force dans les magasins ses inquiétudes -et ses espoirs dont rien ne la détournerait? Pourquoi gaspiller là -des énergies dont elle n'allait avoir que trop besoin? Elle demeura -donc toute la journée dans sa chambre, comme une malade qui se ménage -avant l'opération. Elle ne pouvait, du reste, ni lire, ni broder, ni se -mouvoir, engourdie au fond de sa bergère par dix questions, toujours -les mêmes, dont le bourdonnement ne cessait pas. Jacques viendrait-il? -S'il venait, que lui dire? S'il refusait le retour à la vie commune, -quel parti adopter? Le supplier sans orgueil? Ou renoncer avec dignité? -Et s'il ne venait pas, quelle riposte choisir? Le silence méprisant? Ou -la lettre cruelle? - -Elle s'interrogeait encore, que le jour commença à baisser. Alors, -vivement, elle s'apprêta: une toilette très simple, un vaste voile noir -formant cloche, beaucoup de son mélange au white rose. - -Puis, à peine dehors, ayant rencontré un fiacre fermé, elle se fit -mener au rendez-vous. - -Quoique en avance, elle n'eut pas à s'impatienter. De loin, au bord du -trottoir, sous un bec de gaz, elle avait immédiatement reconnu Jacques, -sa cape en feutre beige posée un peu de côté, sa svelte et vigoureuse -stature sanglée dans un complet de cheviotte marron. - -—Eh bien?—questionna-t-il gaiement, après avoir ordonné au cocher de -les conduire vers le Bois. - -—D'abord merci, mon ami... Mais savez-vous seulement pourquoi je vous -ai prié de venir? - -—En voilà une question! C'est pour nous remettre ensemble, je suppose. - -Elle murmura, d'une voix qui tremblait: - -—C'est vrai?... Vous voudriez bien?... - -—Dame! sans cela, pourquoi serais-je ici? - -—Mais ce que vous avez dit à Gégé?... - -—Gégé aura mal fait ma commission, mal répété mes paroles... Et puis à -quoi bon épiloguer sur tout cela? Grâce à ce brave enfant, nous voilà -réunis pour nous entendre, pour causer... Si tu veux, causons, ma -petite... - -Il corroborait ce tutoiement d'une tendre pression de la main. Lucie -retira pudiquement ses doigts; mais, comme il n'insistait pas, tout en -parlant, peu à peu, d'elle-même, elle ramena sa main dans la main de -Jacques. Au bout d'un instant, d'ailleurs, abdiquant toute grandeur -tragique, elle s'était remise d'instinct à le tutoyer aussi. Et l'on -s'occupa rapidement de régler l'avenir. D'abord, on n'habiterait plus -avenue d'Antin, où planaient trop de mauvais souvenirs. On louerait -autre part; et, en attendant que le logis fût prêt, on irait avec Gégé -s'installer une pièce de deux mois à Courteuil, histoire de refaire -connaissance et de se pardonner dans l'intimité ses petits méfaits -respectifs. - -Puis, alors, n'ayant plus rien à se dire ils passèrent naturellement -du silence aux baisers. Dans l'ombre du fiacre qui allait au pas, -Lucie avait la malicieuse impression qu'un amant nouveau la pressait -dans ses bras, et Jacques, partageant sans doute l'illusion, faisait -tout ce qu'il fallait pour la fortifier. Néanmoins, durant une pause, -il demanda la permission de consulter sa montre, et, grattant une -allumette: - -—Bon sang!—dit-il.—Sept heures moins le quart!... J'ai raté mon train. - -—Pauvre chou!—s'écria Lucie distraitement.—Où vas-tu dîner? - -—Dans un cabaret quelconque... - -—Viens donc plutôt dîner à la maison chez papa. - -Jacques la considéra, stupéfait: - -—Non? - -—Oh! puisque tôt ou tard, il faudra le mettre au courant, pourquoi pas -ce soir? - -—Tu crois? C'est peut-être une idée... - -Et, se penchant par la portière, il cria au cocher l'adresse de -l'avenue Marceau. - - * * * * * - -Au même moment, en compagnie de Firmin, Gégé quittait à pied -l'institution Beaujoint. Dans le brouhaha de la reprise scolaire, -son secret lui avait semblé moins lourd que la veille. Et, sans y -renoncer absolument, le recours à l'abbé Moussoir ne lui paraissait -plus si indispensable. En manière de mortification, toute la journée, -il s'était appliqué à ses devoirs et à ses leçons comme jamais il ne -l'avait fait. Il rapportait un carnet de correspondance criblé de -mentions excellentes: grammaire française, _très bien_;— histoire, -_très bien_;—conduite, _bien_;—récitation, _très bien_; le reste -à l'avenant. Alors, de tant de bonnes notes, sa culpabilité ne -devait-elle pas être un peu amoindrie? Qui sait même si, en continuant -dans cette voie, il n'arriverait pas à liquider entièrement ses comptes -de conscience? Il se voyait déjà premier dans toutes les branches, -raflant tous les prix de fin d'année, réhabilité par le travail. Et il -en oubliait tout à fait Firmin, qui cheminait tristement derrière sans -pouvoir s'expliquer cette nouvelle disgrâce. - -Il daigna cependant lui adresser la parole, en apercevant, au -porte-manteau du vestibule, près du large chapeau de M. Lecherrier, un -élégant melon de feutre beige. - -—Tiens, qui dîne ici? - -—Je ne sais pas, monsieur!—répliqua Firmin sur un ton de froide réserve. - -Gégé, très intrigué, n'en monta pas moins vers sa chambre pour y faire -le bout de toilette réglementaire. - -Mais à l'entresol, il entendit dans le fumoir une rumeur de causerie -si animée que, malgré lui, il s'arrêta. Qui pouvait bien être là? -Bah! on n'avait qu'à regarder. Et, sa casquette aux doigts, comme par -étourderie, il ouvrit d'un seul trait la porte. - -Grand Dieu! Pas possible!... Mais si!... Là-bas, au fond de la pièce, -sur le divan, la main dans la main, c'était bien son père et sa mère -qu'il voyait, et en face d'eux, dans un fauteuil, M. Lecherrier qui, le -binocle au nez, parcourait tranquillement le _Temps_. - -Au bruit de la porte, tous s'étaient retournés. - -—Ah! voilà votre petite victime!—annonça M. Lecherrier avec bonhomie. - -—Dites plutôt notre petit sauveur!—rectifia Taillard. - -Et avant que Roger, blême d'épouvante, eût pu se retourner, proférer -un mot, on l'enlevait du sol, on l'étouffait de baisers, on se -le repassait de bras en bras, avec accompagnement d'apostrophes -passionnées: «Mon bon loup, mon amour, mon ange, mon trésor!...» On -recommençait, on ne se lassait pas. Enfin Taillard arracha son fils à -ce maelstrom de caresses, et, le reposant à terre: - -—Hein, mon garçon, ça n'a pas traîné! Tu ne t'attendais pas à celle-là? - -—Oh! non!—exhala sincèrement Gégé. - -—Mais regarde-moi donc, mon chéri!—fit Lucie.—Tu es tout pâle... -Qu'est-ce que tu as? - -—Ce qu'il a?—interrompit fort à propos M. Lecherrier.—Tu demandes -ce qu'il a? Il est bouleversé, ce petit... On le serait à moins... -N'est-ce pas, Gégé, l'émotion t'a donné un coup? - -—Oui, grand-papa, c'est ça! - -—Parbleu!... Alors, va vite te passer de l'eau sur la figure pour te -remettre... Et tu nous rejoindras en bas, parce que, moi, je commence à -avoir une faim peu commune! - -Roger sortit d'un pas automatique et, pour grimper, empoigna la rampe. -La dépression maintenant l'accablait. Des tremblements vibraient dans -ses jambes. Il avait le cerveau brouillé et endolori, comme si on lui -eût mis la tête à l'envers... Quelle histoire! C'était positivement à -devenir fou! Comment! Ses parents se réconciliaient, les adversaires -fraternisaient. Et, au lieu de reproches, d'outrages, de mépris, on -l'embrassait, on le fêtait, il était le petit sauveur!... Plus tard, -sans doute, l'énigme s'éclaircirait. Mais, pour le moment, il ne -fallait pas essayer de comprendre. - -Par contre, peu à peu, il éprouvait une étrange sensation d'allégement. -Il ne croyait pas à son amnistie totale, il se savait toujours sous -le coup de sa faute. Pourtant il lui semblait que toutes ses hontes, -toutes ses craintes, s'en allaient par une fuite cachée, tandis -qu'un bien-être nouveau montait doucement à leur place. Il se sourit -dans le miroir de la toilette avec sympathie. En somme, tout cela ne -s'arrangeait pas si mal! - -Mais il achevait à peine cette constatation qu'un choc brutal lui -heurta le cœur. Et, de chagrin, il lâcha sa brosse à ongles, qui coula -à pic au fond de la cuvette... - -Il venait de revoir brusquement la réalité que depuis deux jours -lui masquaient ses remords: le divorce abandonné, le divorce rompu, -c'est-à-dire ce qu'en secret il redoutait le plus, ce qu'il avait -d'instinct tout fait pour retarder indéfiniment!... - -Voilà qui devenait autrement grave que de simples problèmes de -conscience. A présent, plus à compter sur les remises possibles, sur -les silences, sur les hasards! La paix était signée. Le bon temps -finissait. C'était bien le triste retour à jadis. C'était la rentrée! - -Gégé, avant d'éteindre, parcourut encore d'un coup d'œil d'adieu la -petite chambre bleu de lin, où, à côté de sa mère, à deux pas de son -grand-père, il avait dormi tant de nuits heureuses, passé tant de -journées bienfaisantes. - -Puis, mélancoliquement, marche à marche, il descendit l'escalier. - -Dans la salle à manger, on terminait presque le potage. - -Roger s'assit vis-à-vis de son père, entre sa mère et M. Lecherrier. -Tous trois lui souriaient d'un air de connivence. - -—Eh bien, mon petit!—demanda Taillard,—j'espère que tu es content? - -—Je te crois!—riposta Gégé, avec un flegme fort au-dessus de son âge. - - -FIN - - - - -ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HÉRISSEY ET FILS - - - - -LIBRAIRIE OLLENDORFF - -Œuvres de Fernand Vandérem - - - LA CENDRE - - CHARLIE - - LE CHEMIN DE VELOURS - - LES DEUX RIVES - - LE CALICE (Pièce) - - LA PATRONNE - - - - -[Illustration] - - - - - Gautherin-Leemans, typographes.—Paris - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME *** - -***** This file should be named 51373-0.txt or 51373-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/3/7/51373/ - -Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: La victime - -Author: Fernand Vandérem - -Release Date: March 5, 2016 [EBook #51373] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME *** - - - - -Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - - - - - - -</pre> - - -<div class="transnote p2"> -<div class="chapter"> - <h3>Note de transcription: </h3> -</div> - <p>Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. - L'orthographe et la ponctuation d'origine ont été conservées et n'ont pas - été harmonisées.</p> -</div> - -<p class="ac p4 larger">LA VICTIME</p> - -<hr class="chap" /> - -<p class="ac p4">DU MÊME AUTEUR</p> - -<p><b>La Cendre</b> (roman), 1 vol.</p> - -<p><b>Charlie</b> (roman), 1 vol.</p> - -<p><b>Les Deux Rives</b> (roman), 1 vol.</p> - -<p><b>Le Chemin de velours</b> (contes), 1 vol.</p> - -<p><b>La Patronne</b> (roman), 1 vol. illustré.</p> - -<p><b>Le Calice</b> (pièce), 1 vol.</p> - -<hr class="chap" /> - -<div class="p4"> - <div class="figcenter"><a name="title_page.jpg" id="title_page.jpg"></a> - <img src="images/title_page.jpg" - alt="Page de titre" /> - </div> -</div> - -<p class="ac p6"> -FERNAND VANDÉREM</p> - -<h1 class="p2">La<br /> -Victime</h1> - -<p class="ac p3"> -<i>Deuxième édition</i></p> - -<div class="p2"> - <div class="figcenter"><a name="logo.jpg" id="logo.jpg"></a> - <img src="images/logo.jpg" - alt="Logo" /> - </div> -</div> - -<p class="ac p3"> -<span class="larger">PARIS</span><br /> -SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES<br /> -<span class="smaller"><i>Librairie Paul Ollendorff</i><br /> -50, CHAUSSÉE D'ANTIN, 50</span></p> -<p class="ac smaller">1907</p> - -<hr class="chap" /> - - -<p class="ac">A<br /> -<br /> -<span class="larger">G. LENOTRE</span></p> - -<p class="ac p2">EN TOUTE AFFECTION</p> - -<p class="ml60 p2">F. V.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p class="ac p2"> -IL A ÉTÉ TIRÉ A PART:<br /> -<br /> -Cinq Exemplaires sur papier du Japon.<br /> -Vingt-cinq Exemplaires sur papier de Hollande.<br /> -<br /> -Numérotés à la presse.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[Pg 1]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_007.jpg" id="i_007.jpg"></a> - <img src="images/i_007.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="I" id="I"></a>I</h2> -</div> - -<p class="i1">Comme on menait «Gégé» au Nouveau-Cirque, -Jacques Taillard avait dit -qu'on commençât à dîner sans lui, tandis -qu'il s'habillerait.</p> - -<p class="i1">—Naturellement!—s'était récriée -M<sup>me</sup> Taillard, en passant à table avec -Gégé.</p> - -<p class="i1">Et il n'en avait pas fallu plus pour -que celui-ci se sentît envahi par les plus -noirs pressentiments.</p> - -<p class="i1">Non pas que, d'ordinaire, Roger Taillard -en fût encore à s'alarmer d'une dispute -<span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[Pg 2]</a></span> -éventuelle entre son père et sa mère. -Malgré ses onze ans et demi, depuis le -temps qu'il assistait à leurs querelles -presque quotidiennes, il avait fini par -n'y plus prendre garde. Il s'y était habitué -peu à peu, comme on se fait graduellement -aux obligations domestiques, -aux charges de famille. Elles lui causaient -toujours un profond ennui. Elles ne lui -inspiraient plus jamais ni réflexion, ni -curiosité, ni crainte.</p> - -<p class="i1">Mais, les soirs où on le conduisait -au théâtre, ce détachement coutumier -l'abandonnait soudain. Du coup, Gégé -devenait comme un loup de mer sur le -point d'embarquer. Les moindres indices -d'orage le bouleversaient. Il savait -combien deux époux qui tiennent une -bonne dispute ont peine à lâcher prise. -<span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[Pg 3]</a></span> -Et il redoutait sans cesse qu'au dernier -moment une scène engagée mal à propos -ne vînt compromettre le départ ou ne le -fît ajourner à une date indéterminée. -Cette catastrophe s'était déjà produite -l'année précédente, une fois qu'on devait -le mener au Châtelet. Crève-cœur qui -marque dans une vie d'enfant et qui ne -s'oublie pas de sitôt!</p> - -<p class="i1">Roger n'avait donc pas noté sans -appréhension le petit retard de son père, -puis l'adverbe plein d'aigreur dont sa -mère avait apprécié ce retard.</p> - -<p class="i1">Et la figure de M<sup>me</sup> Taillard, qu'il surveillait -à la dérobée, n'était guère d'aspect -à le rassurer. Même pour un physionomiste -moins exercé que lui, elle -offrait les signes de la plus sombre préoccupation. -Mais qu'est-ce qui pouvait<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[Pg 4]</a></span> -affecter si fort M<sup>me</sup> Taillard? Sûrement -pas une question de coquetterie. Jamais -elle n'avait été plus jolie que ce soir -avec sa robe de dentelle noire et cette -minuscule capote de tulle qui planait -sur ses cheveux cannelle comme une -gentille fumée bleu pâle. Le retard de -son mari peut-être? Non, puisque, sous -un prétexte ou sous un autre, Jacques -s'arrangeait toujours pour ne figurer -qu'aux deux tiers du repas, soit qu'il -n'arrivât qu'au second plat, soit qu'il -sortît de table, le dessert à peine servi. -Il devait donc y avoir autre chose. -Quoi donc?</p> - -<p class="i1">Oh! un accident bien banal, que Gégé -avait mille excuses pour ignorer et d'où -naît souvent tout le souci de beaucoup de -<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[Pg 5]</a></span> -femmes: M<sup>me</sup> Taillard n'était pas contente -de son dernier rendez-vous avec -Alcide Barbier. Et il n'y avait là de sa -part ni douilletterie sentimentale, ni -folles exigences.</p> - -<p class="i1">En cédant, six mois avant, à Alcide -Barbier, Lucie Taillard ne croyait pas -plonger dans ce tourbillon de délices où -vous emportent les grandes passions. -Elle obéissait plutôt à l'usage qui veut -qu'une femme ne se laisse pas tromper -indéfiniment sans représailles. Et, sur -une nouvelle fredaine de Jacques, elle -s'était alors décidée pour Alcide Barbier, -qui se trouvait de son entourage, et, justement, -ne demandait pas mieux.</p> - -<p class="i1">Du reste, retenu chaque jour jusqu'à -cinq heures par l'importante raffinerie -de pétroles que sa femme lui avait -apportée en dot, bon musicien, la poitrine -<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[Pg 6]</a></span> -large, un souple carré de barbe -rousse sous une figure sans âpreté, loyal, -docile et très épris, Alcide constituait un -choix pratique autant qu'honorable. Mais -en amour, la première flambée morte, -les qualités cessent de briller. On ne -distingue plus que les lacunes. Or si -tendre, si délicat que se montrât le jeune -usinier, il manquait vraiment de fantaisie -et d'esprit à un point qui n'est pas -permis. Les caresses, les attentions, la -musique ne sont pas tout. Une femme -souhaite qu'on l'amuse. Et, cet après-midi, -M<sup>me</sup> Taillard s'était tellement ennuyée -que des remords lui venaient presque -avec de vagues idées de rupture.</p> - -<p class="i1">Elle s'imposa pourtant un effort en -faveur de son fils, et, la voix distraite, le -regard ailleurs:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[Pg 7]</a></span></p> - -<p class="i1">—Eh bien! mon chéri,—demanda-t-elle,—tu -es content d'aller là-bas?</p> - -<p class="i1">—Bien sûr, maman!—fit Roger.</p> - -<p class="i1">Puis ce fut tout. M<sup>me</sup> Taillard était rentrée -dans sa mélancolie comme dans une -cabine. Gégé commença à s'inquiéter -sérieusement. Pour peu que son père fût -dans des dispositions analogues, voilà -qui promettait!</p> - -<p class="i1">Cependant l'entrée de Jacques Taillard -lui rendit quelque espoir.</p> - -<p class="i1">Ainsi que d'habitude, il s'était assis -vis-à-vis de sa femme sans lui adresser -la parole et, à présent, il mangeait en -hâte pour rattraper. A son tour, il interrogea:</p> - -<p class="i1">—Eh bien! Roger! tu es content -d'aller là-bas?</p> - -<p class="i1">—Oh! oui, papa,—fit Gégé.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[Pg 8]</a></span></p> - -<p class="i1">Cet échange de propos ne donna pas -plus de résultat que le précédent. Jacques, -sans insister, s'était remis à manger. -Mais, à l'inverse de M<sup>me</sup> Taillard, il y -avait sur tout son visage comme un vernis -de bonne humeur. Ne venait-on pas -avant dîner de le présenter à Nelly Jelly, -la petite danseuse américaine des Ambassadeurs, -que depuis un temps infini il -voulait s'offrir, sans trouver l'occasion? -Une veine inespérée, quoi! Avec ça, pas -l'ombre de manières: le rendez-vous -dans les vingt-quatre heures. Et, en se -rappelant cet accord si facile, si rondement -conclu, Taillard ne pouvait se -défendre de sourire tour à tour à tous les -objets qui couvraient la table...</p> - -<p class="i1">Devant tant de symptômes favorables -Gégé poussa un soupir rassuré.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[Pg 9]</a></span></p> - -<p class="i1">Mais, par malheur, dans l'état de ses -nerfs, M<sup>me</sup> Taillard n'était pas femme à -supporter longtemps le spectacle de cette -songerie joyeuse. Tant de gaieté quand -elle était si triste lui semblait de la provocation. -Sans compter qu'elle connaissait -son bonhomme sur le bout du doigt: -certainement, il y avait de la femme là-dessous. -Et comme Jacques venait encore -d'adresser au compotier de droite le sourire -le plus bienveillant, elle n'y tint plus. -Coûte que coûte, elle avait besoin de -soulever un incident, et, se ramassant:</p> - -<p class="i1">—A propos!—fit-elle d'une voix -acérée,—tu as bien téléphoné avenue -Marceau le numéro de la loge?</p> - -<p class="i1">—Totalement oublié!—avoua -Jacques en levant la main dans un geste -de regret sommaire.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[Pg 10]</a></span></p> - -<p class="i1">—Comment! Tu savais que papa se -faisait une fête d'aller au Cirque avec -cet enfant! Et tu oublies de le prévenir! -Non, c'est fantastique!</p> - -<p class="i1">Jacques ne répondit pas. Le petit nez -droit de M<sup>me</sup> Taillard s'était tout aminci -de colère, ce qui précisait sa ressemblance -avec un crayon bien taillé. Gégé, -au comble de l'angoisse, ne quittait plus -du regard les deux adversaires.</p> - -<p class="i1">—D'ailleurs,—poursuivit Lucie,—je -m'explique que tu aies oublié... Un -homme qui a tant à faire!...</p> - -<p class="i1">En toute autre circonstance, cette -ellipse eût déchaîné une scène infernale, -M<sup>me</sup> Taillard sachant mieux que personne -les mille occupations qui encombrent -la vie d'un désœuvré. Mais rien -ne rendait Jacques conciliant comme -<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[Pg 11]</a></span> -d'avoir de la dame sur la planche; et, au -lieu de se fâcher, au lieu même d'invoquer -les deux heures qu'il allait de temps -en temps passer sur les marches de la -Bourse ou à la charge de son oncle -Ernest, il observa modestement:</p> - -<p class="i1">—Eh bien, il n'y a qu'à faire téléphoner -à ton père maintenant...</p> - -<p class="i1">Puis, se tournant vers le valet de -chambre:</p> - -<p class="i1">—Joseph, posez ce plat et téléphonez -tout de suite à M. Lecherrier que nous -l'attendons ce soir au Nouveau-Cirque, -loge 30.</p> - -<p class="i1">Après trois minutes qui semblèrent à -Roger en durer au moins dix, Joseph -reparut et dit:</p> - -<p class="i1">—M. Lecherrier était sorti... Il ne dîne -pas là et on ne sait pas où il dîne.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[Pg 12]</a></span></p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard déclara:</p> - -<p class="i1">—C'était à prévoir!... Papa sera -désolé!</p> - -<p class="i1">—Ce qui ne l'empêchera pas d'avoir -passé aujourd'hui une soirée excellente!—remarqua -Jacques sans acrimonie.</p> - -<p class="i1">—Qu'en sais-tu?</p> - -<p class="i1">—Effectivement, je n'en sais rien... -Mais je connais ton père... Il n'est pas -dans ses us de dîner tout seul... Alors -je suis en droit de supposer que ce soir -il ne s'ennuiera pas.</p> - -<p class="i1">—Papa fait ce que bon lui semble et -il n'a pas de comptes à te rendre.</p> - -<p class="i1">—Est-ce que je lui en demande?</p> - -<p class="i1">—Non, mais tu te permets à son -sujet des insinuations du plus mauvais -goût, surtout en présence de cet enfant. -Tu ferais bien mieux de t'excuser de ton -<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[Pg 13]</a></span> -égoïsme et de ta négligence sans nom.</p> - -<p class="i1">—Dis-moi, en as-tu encore pour -longtemps comme cela?—questionna -Jacques, chez qui la colère effaçait peu -à peu l'image apaisante de Nelly Jelly.</p> - -<p class="i1">—Pour aussi longtemps que je voudrai. -Si cela te déplaît, je regrette. Tu -n'avais qu'à ne pas commettre cette -goujaterie.</p> - -<p class="i1">Le terme était excessif, impropre, -mais la soulageait. Elle se tut. Jacques -tirait sur sa fine moustache dorée, qu'on -eût dite tracée à la plume, puis il laissa -simplement tomber ces mots:</p> - -<p class="i1">—C'est curieux comme une femme -peut devenir bête, à fréquenter les imbéciles!</p> - -<p class="i1">—Je ne comprends pas!—fit Lucie -qui frémissait de comprendre.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[Pg 14]</a></span></p> - -<p class="i1">—Mettons «raseurs», et n'en parlons -plus!</p> - -<p class="i1">—Si, parlons-en! De qui s'agit-il?</p> - -<p class="i1">—Devine!</p> - -<p class="i1">L'allusion crevait les yeux. Elle ne -concordait que trop avec les souvenirs -de l'après-midi. Et ce n'était d'ailleurs -pas la première fois que Jacques contestait -la qualité d'amuseur à Alcide Barbier, -dont les assiduités auprès de Lucie, -sans l'émouvoir, l'agaçaient.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard cependant cherchait une -réponse venimeuse, terrible, et, ne trouvant -pas:</p> - -<p class="i1">—Tiens, tu avais raison... Finissons!... -Il y a des gens avec qui il vaut -mieux ne pas discuter.</p> - -<p class="i1">Jacques, satisfait par la faiblesse de -cette réplique, haussa les épaules. Joseph -<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[Pg 15]</a></span> -rentrait portant le café. Roger profita de -la diversion pour demander si on lui -permettait un canard.</p> - -<p class="i1">—Oui, mon chéri!—firent en -même temps M. et M<sup>me</sup> Taillard d'une -voix soudainement angélique.</p> - -<p class="i1">Puis, le canard pris, Lucie ajouta du -même ton:</p> - -<p class="i1">—Maintenant Gégé, il faut aller achever -ta toilette...</p> - -<p class="i1">—Oui, va t'habiller, mon petit!—approuva -non moins suavement Taillard.</p> - -<p class="i1">Roger glissa à bas de sa chaise; mais -cet accent si doux ne lui laissait aucune -illusion. Dès le début, il avait eu la -nette impression que son Nouveau-Cirque -était dans l'eau. Et maintenant, -pour un connaisseur tel que lui, il n'y -<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[Pg 16]</a></span> -avait nulle chance que la dispute en -demeurât là.</p> - -<p class="i1">Ce fut donc d'une allure nonchalante -qu'il regagna sa chambre, comme quelqu'un -qui va accomplir le geste inutile -et la formalité superflue. Pourtant quand -il aperçut bien étalés, au travers du lit, -le smoking des galas, les gants blancs, -le pardessus clair,—ce résidu d'espoir -qui survit aux pires désastres lui souffla -que peut-être tout n'était pas perdu. -Qui sait, si en se dépêchant, il ne pourrait -pas rejoindre ses parents avant une -reprise des hostilités, puis étouffer la -querelle en précipitant le départ? Et -il commanda à la vieille femme de -chambre qui cousait sous une lampe, le -menton au genou:</p> - -<p class="i1">—Annette! Nous sommes très en -<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[Pg 17]</a></span> -retard! Vite, mes affaires! Vite, vite!</p> - -<p class="i1">—«S'il vous plaît, mon chien!»—réclama -protocolairement Annette, qui -tenait à achever le point commencé.</p> - -<p class="i1">—S'il vous plaît! concéda avec -révolte Gégé.</p> - -<p class="i1">En un instant, il eut revêtu le smoking. -Il trépignait tandis qu'Annette lui -nouait, sous le petit col carcan, sa correcte -cravate de soie noire. Puis, son -paletot jeté sur le bras, il s'élança vers -la salle à manger comme un jeune pompier -qui court au feu.</p> - -<p class="i1">Mais, dès le seuil de l'antichambre, -partant de la pièce voisine, des vociférations -frénétiques l'arrêtèrent sur place. -Trop tard! La scène avait repris, faisait -rage!</p> - -<p class="i1">Roger hésita. Peut-être qu'attendre -<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[Pg 18]</a></span> -une accalmie serait plus malin. Baste! -autant en finir tout de suite. Et, comme -on ouvre la porte d'un malade, avec de -pieuses précautions, il tourna le bouton -de la salle à manger. Il n'avait risqué -que la tête. Les clameurs cessèrent du -coup.</p> - -<p class="i1">—Une minute, Gégé!—dit Taillard -qui était debout, livide.</p> - -<p class="i1">—Oui, tout à l'heure, mon chéri!—confirma -de sa place M<sup>me</sup> Taillard -avec un geste dilatoire.</p> - -<p class="i1">Évidemment, on les dérangeait. Ils -en voulaient encore. Roger comprit. Il -retira sa tête, referma la porte sans bruit, -puis, lentement, il se hissa sur la haute -banquette Henri II qui, avec un maigre -régulateur Louis XIII, était la gloire de -l'antichambre.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[Pg 19]</a></span></p> - -<p class="i1">Il se mit à enlever un à un les doigts -de ses gants. Pendant un moment, -l'orgueil de voir ses prévisions si exactement -réalisées et aussi une sorte -d'amour-propre l'avaient soutenu. Mais -à présent, il n'éprouvait plus que de -l'accablement. Il se demandait ce qu'il -dirait, le lendemain, à son vieux Pierre -de Ribermont, quand celui-ci l'interrogerait -sur les détails de la soirée. Il -essayait de se remémorer tous les numéros -du Nouveau-Cirque, étudiés la veille -sur l'affiche illustrée: et il était contraint -à d'extraordinaires clignements -pour se conserver les yeux secs.</p> - -<p class="i1">L'apparition de Joseph, qui allait -chercher Annette toujours en retard -pour dîner, le rappela à la dignité.</p> - -<p class="i1">Il se retrouva la force de chantonner -<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[Pg 20]</a></span> -un petit air gaillard en tambourinant du -talon sur les précieux bas-reliefs du -siège.</p> - -<p class="i1">Puis quand, au retour, Annette s'écria -avec compassion: «Eh bien! mon -pauvre petit Gégé, pas encore parti!...» -il se domina assez pour répondre:</p> - -<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p> - -<p class="i1">Mais il était à bout de vaillance. Et, -sitôt les domestiques dans le couloir, ses -larmes lui échappèrent et il s'en donna, -à tout cœur, de sangloter tant qu'il pouvait.</p> - -<p class="i1">Dans l'ombre, avec son chapeau de -travers, ses jambes pendantes contre la -banquette, et cette désolation sans frein, -il présentait assez l'aspect d'un petit -garçon égaré sur la voie publique. -Jamais il n'avait ressenti une détresse -<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[Pg 21]</a></span> -pareille. Ce n'était plus seulement sur -le Nouveau-Cirque qu'il pleurait, c'était -aussi sur un tas de choses qu'il évoquait -confusément: la tristesse des -repas toujours silencieux, la physionomie -de ses parents toujours en embuscade, -l'incertitude de ses joies toujours -menacées.</p> - -<p class="i1">Il existait pourtant des enfants chez -qui cela se passait autrement. Chez -beaucoup de ses camarades, chez les -Ribermont, chez les Thomas, chez les -Bachicourt, par exemple, on ne se querellait -jamais, ou pour ainsi dire jamais. -Gégé ne l'ignorait pas, les ayant -questionnés là-dessus. Alors pourquoi -chez lui la dispute était-elle à demeure? -Et puis à quoi bon être mariés si c'est -pour se faire tout le temps des scènes?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[Pg 22]</a></span></p> - -<p class="i1">Il allait peut-être, entre deux sanglots, -trouver la solution de ces problèmes, -quand la porte de la salle à manger -livra passage à M<sup>me</sup> Taillard. Elle avait -les yeux rouges, le nez dépoudré et une -grimace oblique qui s'efforçait d'être un -sourire. Elle s'approcha de Roger, et, -les deux mains à ses épaules:</p> - -<p class="i1">—Mon cher petit,—dit-elle,—il va -falloir être un homme!...</p> - -<p class="i1">—Bon, ça y est!—pensa Gégé, qui -savait tout ce qu'il en coûte aux enfants -chaque fois qu'on fait appel à leur -virilité.</p> - -<p class="i1">—Il va falloir être très raisonnable... -Nous n'irons pas ce soir au Nouveau-Cirque... -D'abord, il serait trop tard... -Ensuite, ton père et moi nous avons -encore à...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[Pg 23]</a></span></p> - -<p class="i1">Elle chercha son mot:</p> - -<p class="i1">—Nous avons encore à causer... -Alors, à la place, nous irons la semaine -prochaine. Maintenant tu vas te coucher -gentiment, et d'ici peu, tu verras, je te -promets une jolie compensation... Tu -es content comme cela?</p> - -<p class="i1">—Oui, maman!—répliqua Roger, -sentant la vanité de toute dénégation.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard le souleva dans ses bras -avec ferveur en murmurant:</p> - -<p class="i1">—Tu es un bon petit Gégé!</p> - -<p class="i1">Puis, le remettant à terre:</p> - -<p class="i1">—Va dire bonsoir à ton père!</p> - -<p class="i1">Elle le poussa doucement vers la salle -à manger. Taillard virait autour de la -table, comme occupé à établir un record. -Des serviettes en boule traînaient sur le -tapis. Un verre renversé avait fait à -<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[Pg 24]</a></span> -travers la nappe une large tache couleur -d'améthyste. Roger tendit la joue à son -père qui, d'instinct, tendit aussi la -sienne. Les deux joues se heurtèrent -mollement et, après ce baiser rudimentaire, -Taillard déclara:</p> - -<p class="i1">—Allons, je vois que nous sommes -un brave petit Gégé, mais avec moi, tu -sais, on ne perd rien pour attendre!</p> - -<p class="i1">Roger hocha la tête en signe d'assentiment -et sortit sans en réclamer plus.</p> - -<p class="i1">Dans sa chambre, Annette, sonnée par -M<sup>me</sup> Taillard, voulut l'aider à se déshabiller. -Il déclina froidement ses offres de -service. Mais comme, en rangeant ses -vêtements, elle commençait à lui prodiguer -des consolations grossières, Gégé -l'interrompit:</p> - -<p class="i1">—Laissez-moi donc tranquille! Je -<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[Pg 25]</a></span> -vous ai déjà dit que ça m'est bien égal!</p> - -<p class="i1">—Oh! mon Dieu! ce qu'il est méchant!—se -récria Annette, démontée.</p> - -<p class="i1">Roger, dans ses couvertures, ne daigna -pas répondre. Il n'avait plus qu'une -idée: s'endormir, oublier. Il ferma les -yeux. Sous le noir des paupières il revit, -durant quelques instants, des acrobates -en caleçon de satin pailleté, des chevaux -galopant sur un tapis fauve, une piste -remplie d'eau. Puis tout se brouilla et -bientôt il n'y eut plus dans la chambre -que le faible bruit de sa respiration, -coupé, de temps à autre, par le hoquet -d'un restant de sanglot. Gégé dormait.</p> - -<p class="i1">Plus tard, beaucoup plus tard, il lui -sembla qu'une forme qui avait le parfum -de sa mère se penchait sur lui en chuchotant -des paroles de pitié. Mais, stoïque -<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[Pg 26]</a></span> -jusque dans le sommeil, il balbutia -encore:</p> - -<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p> - -<p class="i1">Un peu après, il crut sentir à son front -le baiser léger d'une autre ombre qui -ressemblait à son père. Et quoique l'ombre -n'eût rien dit, Gégé fièrement bégaya -tout de même:</p> - -<p class="i1">—Ça m'est bien égal!</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[Pg 27]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_033.jpg" id="i_033.jpg"></a> - <img src="images/i_033.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="II" id="II"></a>II</h2> -</div> - -<p class="i1">Le lendemain, vers neuf heures et -demie, M. Lecherrier était en train de -recevoir la dégelée de coups de poing et -de coups de savate, que, moyennant trois -cents francs par mois, un petit homme -trapu venait chaque matin lui allonger à -domicile, quand une sonnerie de téléphone -interrompit brusquement ces voies -de fait.</p> - -<p class="i1">—Vous m'excusez!—dit M. Lecherrier -au professeur, en arrachant vivement -sa moufle de boxe.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[Pg 28]</a></span></p> - -<p class="i1">—Faites donc!</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier était déjà à l'appareil:</p> - -<p class="i1">—Allô!... C'est toi Lucie?... Eh bien! -vous m'avez joliment fait poser hier -soir?</p> - -<p class="i1">—Oui, il y a eu malentendu... Je t'expliquerai,—chevrota -au loin la voix de -M<sup>me</sup> Taillard.—Mais, en ce moment, il -ne s'agit pas de ça... Peux-tu me recevoir -ce matin?</p> - -<p class="i1">—Certainement... Mais pourquoi?</p> - -<p class="i1">—J'ai à te parler... Des choses à ne -pas dire par téléphone.</p> - -<p class="i1">—Rien de mauvais?</p> - -<p class="i1">—Non! non!—protesta tièdement -Lucie.</p> - -<p class="i1">—Alors, je t'attends... A quelle heure -seras-tu là?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[Pg 29]</a></span></p> - -<p class="i1">—Tout de suite... Je saute en fiacre -et j'arrive.</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier, qui saisissait toujours -avec empressement les moindres prétextes -pour abréger sa leçon de boxe, se -tourna vers le professeur:</p> - -<p class="i1">—C'est ma fille, M<sup>me</sup> Taillard... Elle -sera ici dans cinq minutes. Donc aujourd'hui, -si vous voulez bien, nous nous en -tiendrons là...</p> - -<p class="i1">—A votre disposition, monsieur!—fit -le petit athlète, non moins enchanté -de couper à la fin de la séance.</p> - -<p class="i1">Mais, le maître de chausson parti, au -lieu de savourer, comme de coutume, les -douceurs de la délivrance, M. Lecherrier -ne tarda pas à s'égarer dans les conjectures -les plus alarmantes.</p> - -<p class="i1">Que pouvait bien signifier cette visite -<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[Pg 30]</a></span> -de Lucie, d'habitude si peu matinale? -Quoi qu'elle en dît, sans doute pas grand'chose -de bon. Et rien que l'idée d'avoir -une fois de plus à flétrir la conduite de -son gendre combla M. Lecherrier d'écœurement.</p> - -<p class="i1">D'ailleurs, depuis qu'il s'était retiré -des soieries avec deux cent mille francs -de rente, il se considérait comme ayant -droit à une félicité sans mélange. Riche, -veuf, libre, décoré, choyé des petites -femmes auxquelles il le rendait bien,—hormis -sa moustache qui tournait au -blanc, ses favoris qui grisonnaient trop, -et ce commencement de ventre que la -boxe ne bridait qu'à demi, il ne voulait -pas entendre parler de soucis. Sa crainte -des tracas était même si vive, qu'à la -<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[Pg 31]</a></span> -mort de M<sup>me</sup> Lecherrier il s'était résigné -à garder pour lui seul son vaste hôtel de -l'avenue Marceau, aimant mieux en laisser -tout un étage vide, que de subir les -tribulations d'un déménagement. C'est -dire avec quelle mollesse il avait pris les -mésaventures de Lucie. D'abord révolté, -puis attendri, il finissait par être blasé. -Ces querelles sans variété, pour des méfaits -toujours pareils, lui paraissaient à -la longue fastidieuses. Il ne pouvait s'expliquer -qu'après dix ans de ce régime, -le coupable ne montrât pas plus de -bonne humeur et l'innocente plus de philosophie. -Aussi, sans Gégé dont il raffolait, -ce n'eût pas été tous les jours qu'on -l'aurait vu dans ces bagarres.</p> - -<p class="i1">—Ah! mais non!—conclut-il amèrement, -tout haut.</p> - -<p class="i1">Puis, ayant passé un léger costume -<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[Pg 32]</a></span> -d'intérieur en flanelle beige, il alla s'accouder -au balcon pour guetter l'arrivée -de Lucie.</p> - -<p class="i1">En dépit de l'heure, la température -était accablante. Au milieu de la chaussée, -un arroseur découragé faisait de place en -place des flaques éphémères. Les marronniers -de l'avenue semblaient suffoquer -sous leurs lourds falbalas de verdure. Et -quoiqu'on fût à peine au début de juin, -certaines feuilles, roussies des contours, -avaient déjà très mauvais teint.</p> - -<p class="i1">Du haut de son balcon, M. Lecherrier -les examinait avec sympathie. Mais le -bruit d'une voiture raclant le trottoir -l'arrêta sur la voie de l'élégie. Lucie descendit -du fiacre. Elle était tout en piqué -blanc, avec une souple voilette crème -pleurant autour de son chapeau rose. De la -<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[Pg 33]</a></span> -main elle fit à son père un signe d'amitié, -puis, rapidement, marcha vers la porte.</p> - -<p class="i1">—Eh bien, que se passe-t-il?—demanda -M. Lecherrier, après avoir embrassé -sa fille.</p> - -<p class="i1">Lucie retroussa sa moustiquaire, et, -se carrant dans un fauteuil:</p> - -<p class="i1">—C'est toute une histoire... Voilà, -hier soir, à propos de ce Nouveau-Cirque,—où, -soit dit en passant, nous avons -fini par ne pas aller,—Jacques et moi, -nous avons eu une scène effroyable...</p> - -<p class="i1">—Pour changer!—fit M. Lecherrier.</p> - -<p class="i1">—Oh! je t'en prie, papa, grâce des -commentaires! Ou je n'en sortirai jamais... -Donc, scène terrible. Nous nous -sommes dit, de part et d'autre, des -choses atroces, irréparables... Et, finalement, -nous avons décidé de divorcer...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[Pg 34]</a></span></p> - -<p class="i1">—Ce n'est pas la première fois!—objecta -M. Lecherrier.</p> - -<p class="i1">—Peut-être, mais ce sera la bonne... -Et, du reste, pour ne pas revenir sur -notre décision, il a été convenu que ça -se ferait aujourd'hui même...</p> - -<p class="i1">—Quoi? qu'est-ce qui se fera?</p> - -<p class="i1">—Mais notre rupture, l'incident qui -pour les tribunaux et le public la justifiera... -Tout à l'heure, à midi, quand je -rentrerai, il y aura la chaîne de sûreté à -la porte... Et Jacques me refusera, comme -on dit, l'accès du domicile conjugal... -Nous avons même pris soin de nous -munir de deux témoins: le tapissier sera -là dans l'antichambre, avec un ouvrier, -à réparer le store dont justement les cordons -ne marchent plus depuis trois -jours... Jacques a accepté cette combinaison -<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[Pg 35]</a></span> -qui nous dispensera, dans le procès, -de nous traîner réciproquement dans -la boue...</p> - -<p class="i1">—Ah çà! vous devenez fous!—s'écria -M. Lecherrier, qui commençait à -s'agiter.—Vous croyez que vous trouverez -des juges pour donner dans ces -balivernes?</p> - -<p class="i1">—Parfaitement! D'abord, pourvu -qu'on ait bien envie de divorcer, les -juges n'y regardent pas de si près... Et -puis, devant une expulsion en due forme, -ils n'auront pas le choix... Aubineau, -notre avoué, que j'ai consulté autrefois -sans avoir l'air, est formel là-dessus.</p> - -<p class="i1">—Admettons... Mais Gégé?</p> - -<p class="i1">—Pour le moment, il continuera à -aller dans la journée chez son professeur -M. Beaujoint. Le reste du temps, il habitera -<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[Pg 36]</a></span> -huit jours avec moi, huit jours -avec son père, les dimanches et vacances -partagés de même par moitié...</p> - -<p class="i1">—Et où comptes-tu loger?... Ici?</p> - -<p class="i1">—Dame!—fit Lucie en courant à -M. Lecherrier.</p> - -<p class="i1">Elle lui enlaça câlinement le bras, tandis -qu'il se raidissait un peu contre -l'étreinte.</p> - -<p class="i1">—Mais oui, mon pauvre papa, ici! -Tu ne voudrais pas que je donne à -d'autres la préférence?... Ah! évidemment, -dans tout cela, c'est toi qui vas -pâtir, c'est toi qui seras la victime!</p> - -<p class="i1">—Non!—fit avec force M. Lecherrier.—La -victime, ce ne sera pas moi... -La victime, ce sera Gégé...</p> - -<p class="i1">—Écoute, papa!—supplia Lucie.</p> - -<p class="i1">—Je n'écoute rien... Je n'ai rien à -<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[Pg 37]</a></span> -écouter... Si tu ne sens pas ces choses-là -de toi-même, tout le monde te le dira: -dans le divorce, la vraie victime, la -grande victime, c'est l'enfant... Voilà la -règle... Et notre petit Gégé, hélas! n'y -échappera pas... Du jour au lendemain, -pour votre commodité personnelle, vous -allez faire de lui une espèce d'orphelin, -de déclassé, d'abandonné, sans famille -régulière, sans foyer fixe, sans intérieur. -Vous allez bouleverser sa vie, gâcher -toutes ses joies, détruire tout son bonheur... -Alors, dans ces conditions, moi, -mes aises, mes habitudes, tu t'imagines -si ça pèse lourd!...</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier se tut, car des larmes -lui barraient la gorge. Probablement, -malgré ses dires, dans cette affliction, il -entrait un peu le chagrin de voir pour des -<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[Pg 38]</a></span> -mois sa quiétude chavirée, son indépendance -en péril, les petites femmes à vau-l'eau. -Mais la sincérité dominait. Il adorait -son petit-fils, et la pensée des mille -souffrances classiques dont ce divorce -menaçait Gégé lui paraissait intolérable.</p> - -<p class="i1">Lucie avait tendrement retenu sa main, -puis, quand il donna des signes d'apaisement:</p> - -<p class="i1">—Je t'assure, papa, que ce que tu me -dis là, depuis des années je me le répète... -Sans Roger, il y a longtemps que j'aurais -fui l'enfer de mon ménage... C'est pour -notre enfant que je suis restée, pour lui -que j'ai patienté... Tant qu'il n'aurait pas -fait sa première communion et renouvelé, -je m'étais juré de tout subir... et j'ai tout -subi... Mais maintenant je suis à bout... -Il ne faut pas m'en demander plus!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[Pg 39]</a></span></p> - -<p class="i1">Elle avait débité cela sans colère, sans -désespoir, comme une femme excédée -qui a pris son parti. Devant cette lassitude -résolue, M. Lecherrier se sentit plus -faible que devant de la violence. Il -embrassa longuement sa fille, puis, avec -simplicité:</p> - -<p class="i1">—Alors, quand t'installes-tu chez moi?</p> - -<p class="i1">—Tantôt.</p> - -<p class="i1">—Tantôt?</p> - -<p class="i1">—Oui, papa, puisque c'est à midi que -Jacques me refuse sa porte. Après quoi, -selon nos conventions, il me permettra -de rentrer pour faire mes malles. Je -pourrai être ici vers cinq heures et demie.</p> - -<p class="i1">—Et le temps d'aménager les -chambres?</p> - -<p class="i1">—C'est l'affaire d'une heure... Pour -Gégé, un lit dans mon ex-petit salon... -<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[Pg 40]</a></span> -Moi, je reprendrai ma chambre de jeune -fille...</p> - -<p class="i1">—Très bien! Je vois que je n'ai plus -qu'à exécuter tes ordres.</p> - -<p class="i1">—Mes conseils pratiques, tout au -plus!</p> - -<p class="i1">—Si tu veux!... Cependant si d'ici là -tu découvrais, par hasard, quelque chose -de plus pratique encore, comme, par -exemple, d'épargner à ton fils ce drame -et de rester avec ton mari, ne te gêne -pas. Je n'en serais nullement froissé.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard eut un hochement de tête -incrédule. Mais, comme elle se levait et -rabaissait le rideau de son voile, M. Lecherrier -protesta:</p> - -<p class="i1">—Où vas-tu donc? Tu n'es pas pressée...</p> - -<p class="i1">—Si, je t'assure; il me reste une ou -<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[Pg 41]</a></span> -deux courses urgentes avant déjeuner. -J'aurai tout juste le temps.</p> - -<p class="i1">Et, s'appuyant d'une main à l'épaule -de son père:</p> - -<p class="i1">—C'est égal, papa! C'est effrayant ce -que je te fais là... Toi qui aimais tant ta -bonne liberté!</p> - -<p class="i1">—Ne t'occupe pas de moi!—dit avec -conviction M. Lecherrier.—Moi, je ne -suis plus intéressant... Maintenant, dans -notre vie, il n'y a plus que Gégé qui -compte... tu entends, rien que Gégé!...</p> - -<p class="i1">Ces paroles sonnaient encore dans -l'oreille de M<sup>me</sup> Taillard quand sa voiture -l'arrêta devant le rez-de-chaussée de -la rue Washington où Alcide Barbier, -mandé par télégramme, l'attendait depuis -vingt minutes déjà.</p> - -<p class="i1">Mis en quelques mots au courant, -<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[Pg 42]</a></span> -Alcide Barbier eut une attitude médiocre. -Opposé pour lui-même au divorce -en vertu de ses principes, dont le -premier était de ne rien faire qui pût -nuire à son industrie, il n'avait pu d'abord -réprimer le petit mouvement d'envie -que lui inspirait la résolution de -Lucie. Quand l'intérêt vous cloue au -port, il est toujours pénible de voir les -autres gagner le large. Et sa grimace fut -telle que Lucie s'en formalisa:</p> - -<p class="i1">—Tiens, vous avez l'air contrarié?... -Moi qui croyais que vous sauteriez de -joie!...</p> - -<p class="i1">—Mais, ma chérie, du moment que -cette solution vous plaît, vous pensez -bien que je n'ai pas à y redire.</p> - -<p class="i1">—Non!... Seulement, vous faites -une tête!... Voyons, si vous étiez garçon, -<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[Pg 43]</a></span> -je m'expliquerais encore... Mais, -dans votre situation d'homme marié, -d'homme établi, qu'est-ce que vous redoutez?...</p> - -<p class="i1">Alcide Barbier, durant cette réplique, -avait ramené entre ses dents la base de -sa barbe rousse, ce qui marquait chez -lui le summum du souci et donnait à sa -figure ronde l'aspect d'une grosse éponge -à tub. Puis, faute de mieux, il simula un -grand élan, et, saisissant Lucie dans ses -bras:</p> - -<p class="i1">—Méchante! méchante! méchante!—murmura-t-il -sans vérité.</p> - -<p class="i1">—Vous aurez beau m'appelez «méchante» -jusqu'à demain, mon observation -subsiste.</p> - -<p class="i1">Alors Alcide Barbier, rassemblant -toutes ses ressources d'esprit:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[Pg 44]</a></span></p> - -<p class="i1">—Mais pourtant, ma chérie, vous ne -vouliez pas que j'accueille en badinant -une nouvelle de cette gravité!... Et puis -il y a votre fils!... Malgré moi, je songeais -à ce pauvre innocent, à cette pauvre -petite victime qui demain...</p> - -<p class="i1">Lucie l'interrompit:</p> - -<p class="i1">—Oh! je vous en prie, je sors d'en -prendre...</p> - -<p class="i1">Et, s'asseyant au bord du divan:</p> - -<p class="i1">—C'est étrange comme les hommes, -dans certains cas, n'ont pas l'intuition -des choses à dire... Vous, aussi bien que -papa, vous savez que dans ce divorce -Gégé est mon remords, mon point douloureux... -Et c'est à qui y insistera, élargira -cette plaie!...</p> - -<p class="i1">Elle pleurait d'énervement. Alcide -Barbier s'assit près d'elle, sans plus oser -<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[Pg 45]</a></span> -la moindre remarque. Enfin, les yeux -séchés, elle se leva:</p> - -<p class="i1">—Quand reviendrez-vous?—demanda-t-il.</p> - -<p class="i1">—Je ne sais pas... Je vais être, quelque -temps, beaucoup moins libre, vous -comprenez... Je vous écrirai.</p> - -<p class="i1">—Vous m'en voulez?</p> - -<p class="i1">Elle fit l'effort d'une caresse, et, lui -tendant ses lèvres:</p> - -<p class="i1">—Pas le moins du monde... A bientôt!</p> - -<p class="i1">Jamais cependant la gaucherie d'Alcide -ne l'avait tant indisposée. Pourquoi -un garçon doué de si belles qualités -était-il tellement dépourvu de charme?... -Elle ne quitta cette méditation qu'aux -approches de l'avenue d'Antin. Deux -maisons, une maison encore, elle serait -<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[Pg 46]</a></span> -arrivée! Qu'allait-il se passer? Jacques -n'aurait-il pas changé d'idée?</p> - -<p class="i1">Mais non! Tout se déroula selon le -programme. Puis, par l'entre-bâillement -de la porte où scintillaient les ondulations -de la chaîne, Jacques déclara:</p> - -<p class="i1">—Soit! Je consens à ce que vous rentriez -faire vos malles.</p> - -<p class="i1">Il détacha la chaîne. Lucie entra. Sur -une échelle, près du store, le tapissier et -son aide, très amusés, simulaient, l'œil -de côté, une activité fiévreuse. A la vue -de ces complices inconscients, M<sup>me</sup> Taillard -ne put retenir un sourire. Jacques, -malgré lui, riposta par un sourire pareil.</p> - -<p class="i1">C'était le premier qu'ils échangeaient -depuis cinq ans!</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[Pg 47]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_053.jpg" id="i_053.jpg"></a> - <img src="images/i_053.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="III" id="III"></a>III</h2> -</div> - -<p class="i1">Quand, vers six heures trois quarts, -au sortir de l'institution Beaujoint, Joseph -annonça à son jeune patron qu'on -dînait chez M. Lecherrier, Roger ne dissimula -pas son contentement:</p> - -<p class="i1">—Chic, alors!... Mais pourquoi?</p> - -<p class="i1">—J'ignore... C'est madame qui m'a -dit de conduire monsieur...</p> - -<p class="i1">Gégé n'en demanda pas plus. L'essentiel -était de ne pas dîner chez lui. Les -lendemains de scène y avaient la tristesse -des lendemains de fête. Au tumulte -<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[Pg 48]</a></span> -de la veille succédait le morne silence. -On se serait cru à un repas de deuil. Et -puis, avec le théâtre et le <i>foot-ball</i>, Roger -ne connaissait pas de meilleur plaisir -que d'aller chez son grand-père. Quoiqu'on -doive avant tout aimer son père et -sa mère, il ne passait guère de jour sans -faire à ses parents quelque secrète infidélité -de cœur avec M. Lecherrier. Il ne -l'avait avoué à personne, pas même à -son vieux Ribermont; mais c'était plus -fort que lui, il ne pouvait s'empêcher de -préférer un peu ce grand-papa si brave -homme, toujours de bonne humeur, et -chez qui on ne se disputait jamais.</p> - -<p class="i1">—Chic! chic! chic!—scandait-il, -en gambadant au bras de Joseph.</p> - -<p class="i1">Et, sitôt arrivé avenue Marceau, il -grimpa d'un saut au fumoir, où M. Lecherrier -<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[Pg 49]</a></span> -avec Lucie prenaient le frais au -près du balcon. Tous deux l'embrassèrent -avec fougue.</p> - -<p class="i1">—Et papa?</p> - -<p class="i1">—Il dîne à son cercle.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard avait répondu en détournant -les yeux. Roger, de même qu'à son -grand-père, lui trouvait un air drôle. -Elle avançait le menton, comme sur le -point de pleurer. Sans doute, du chagrin -en retard, des restes de la veille. -Pourtant Gégé ne se sentait pas rassuré.</p> - -<p class="i1">Mais à table, peu à peu, sa mauvaise -impression s'effaça. M. Lecherrier s'était -mis à conter de ces histoires roulantes -dont il avait le secret et qui faisaient -pouffer aux larmes. On s'amusait fièrement. -Tout le monde jubilait, jusqu'à -Firmin, le jeune valet de chambre, qui -<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[Pg 50]</a></span> -dut soudain lâcher un plat pour aller -rire dans la cuisine.</p> - -<p class="i1">Aussi, rentré au fumoir, Roger n'hésita -pas à proposer comme de coutume -la partie de dames à son grand-père.</p> - -<p class="i1">—Tout à l'heure, mon petit!—fit -M. Lecherrier en posant sur un guéridon -voisin de son fauteuil la tasse de café -qu'il venait d'achever.</p> - -<p class="i1">Puis, attirant Gégé et le calant droit -entre ses genoux:</p> - -<p class="i1">—Tout à l'heure, mon chéri... D'abord -j'ai à te parler.</p> - -<p class="i1">Roger, dans son étau, essaya vers -M<sup>me</sup> Taillard un regard d'appel à l'aide. -Mais, d'une petite claque affectueuse, -M. Lecherrier lui remit la tête en place, -et, avec une voix de vieil acteur, comme -<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[Pg 51]</a></span> -Gégé n'en avait entendu qu'au Théâtre-Français:</p> - -<p class="i1">—Par ici, mon chéri! Ne t'occupe -pas de ta mère. J'ai besoin de toute ton -attention... Écoute-moi bien, mon enfant... -Tu vas bientôt avoir douze ans... -Tu es déjà presque un homme...</p> - -<p class="i1">«Encore!» pensa Gégé, plus en méfiance -que jamais contre ce genre de flagornerie.</p> - -<p class="i1">—Tu es presque un homme, et c'est -donc comme à un homme que je vais te -parler... Mon cher enfant, il t'arrive un -grand malheur... Tes parents divorcent, -tes parents vont divorcer... Sais-tu ce -que c'est que de divorcer?</p> - -<p class="i1">Roger riposta, en s'inspirant de remarques -personnelles:</p> - -<p class="i1">—C'est quand une femme n'a plus de -<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[Pg 52]</a></span> -mari et que son mari n'est pas mort.</p> - -<p class="i1">—En effet,—approuva M. Lecherrier,—et -<i>vice versa</i>. Autrement dit, tes -parents ne sont plus d'accord, ils n'ont -plus les mêmes goûts. En conséquence, -ils ont décidé de renoncer à la vie -commune. Et ils habiteront désormais -chacun de son côté. Pour l'instant, -et probablement aussi dans l'avenir, -ta mère habitera ici avec toi... Ton -père, je présume, gardera son appartement.</p> - -<p class="i1">Roger s'écria, un peu pâle:</p> - -<p class="i1">—Alors, je ne verrai plus papa?</p> - -<p class="i1">—Certainement que si, tu le verras! -Et pas plus tard que demain soir vous -devez dîner tous les deux ensemble. Seulement, -jusqu'à nouvel ordre, tu habiteras -tantôt avec ta mère, tantôt avec ton -<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[Pg 53]</a></span> -père, huit jours avec l'un, huit jours avec -l'autre. Saisis-tu?</p> - -<p class="i1">—Oui! oui!—déclara Gégé, qui supputait -en dedans les suites de cette combinaison.</p> - -<p class="i1">—Bien entendu,—ajouta non moins -onctueusement M. Lecherrier,—il faudra -continuer à aimer tes parents autant -l'un que l'autre... Dans ce malheur, il -faudra même les aimer plus qu'avant... -Tu me le promets, mon petit?</p> - -<p class="i1">—Oui, grand-papa!—fit Roger -sans discuter ce surcroît d'exigences.—Mais -aujourd'hui, où est-ce que je coucherai?</p> - -<p class="i1">— Ici, au second, près de l'ancienne -chambre de ta mère.</p> - -<p class="i1">—Et maman couchera à côté de -moi?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[Pg 54]</a></span></p> - -<p class="i1">—Oui, mon chéri.</p> - -<p class="i1">Passer la nuit chez son grand-père, -avec sa mère comme voisine à la place -d'Annette, Gégé n'avait jamais rêvé -pareille fête. Il sauta au cou de M. Lecherrier.</p> - -<p class="i1">—Oh! veine!... Merci, grand-papa! -Chic et veine!</p> - -<p class="i1">Un bruit de sanglots lui fit retourner -la tête, et il vit sa mère qui pleurait, un -mouchoir plaqué aux yeux.</p> - -<p class="i1">Alors, sentant l'inconvenance de son -enthousiasme, il s'élança vers M<sup>me</sup> Taillard, -grimpa sur ses genoux, se blottit -contre elle. Mais plus il l'embrassait, -plus elle pleurait fort. Que faire? Lui -aussi, par sympathie, aurait bien voulu -pleurer. Seulement, il avait beau presser -ses paupières, se contracter le thorax, -<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[Pg 55]</a></span> -rien ne venait. Enfin, sous une poussée -plus énergique, deux petites larmes daignèrent -paraître. Gégé les égoutta sur -la nuque de sa mère avec un peu d'ostentation.</p> - -<p class="i1">—Ne pleure pas, mon amour!—murmura -M<sup>me</sup> Taillard en l'écartant -doucement.—Tu verras, nous t'aimerons -bien... Moi, si je pleure, ce sont -les nerfs.</p> - -<p class="i1">Et M. Lecherrier intervenant:</p> - -<p class="i1">—Allons, Gégé... Tu as été très -sage... Maintenant, je suis à tes ordres... -Va dans le salon chercher le jeu de dames.</p> - -<p class="i1">—Est-ce que tu sais l'heure?—objecta -Lucie.</p> - -<p class="i1">—Bah! il en sera quitte pour faire -demain grasse matinée. Tu l'excuseras à -la pension.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[Pg 56]</a></span></p> - -<p class="i1">Puis, sitôt Roger dehors, M. Lecherrier -ajouta plus bas:</p> - -<p class="i1">—Que veux-tu! le pauvre petit... -nous ne pouvions pourtant pas le laisser -sur ces tristesses!</p> - -<p class="i1">On convint de trois parties. Roger les -gagna coup sur coup. Après quoi, -M. Lecherrier monta avec M<sup>me</sup> Taillard -l'accompagner jusqu'à sa chambre.</p> - -<p class="i1">C'était une pièce spacieuse, avec des -tentures bleu de lin encadrées de boiseries -blanches. Un petit lustre Louis XVI -reflétait dans ses cristaux la lumière -discrète de trois lampes dépolies. A -chaque côté du lit de cuivre, qu'un tapissier -avait loué, deux bergères en satin -pâle offraient leurs gros coussins prêts à -défaillir. Sur une table Louis XV, on -avait disposé une garniture de toilette -<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[Pg 57]</a></span> -crème bordée d'or et des flacons pleins -de parfums. La porte de communication -avec la chambre de M<sup>me</sup> Taillard était -largement ouverte.</p> - -<p class="i1">Gégé, en entrant, faillit encore manifester -sa joie. Mais l'expérience précédente -l'avait instruit: il s'abstint -de tout commentaire. Puis, une fois -au lit, il rappela sa mère et M. Lecherrier, -qui causaient dans la pièce -voisine.</p> - -<p class="i1">—Là, maintenant, il s'agit de dormir, -dit M<sup>me</sup> Taillard en achevant de -reborder le lit.—Onze heures et demie! -Si ce n'est pas honteux!...</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier se pencha vers son -petit-fils:</p> - -<p class="i1">—Eh bien, comment trouves-tu ta -chambre?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[Pg 58]</a></span></p> - -<p class="i1">—Gentille! fit prudemment Gégé, en -se soulevant pour un baiser.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard tourna le bouton du -lustre, et sortit, suivie de son père.</p> - -<p class="i1">Par-dessus le haut des rideaux, la -lune glissait un frêle rayon de la couleur -des tentures. Il venait aussi un peu de -lumière jaune sur le tapis par l'entrebâillement -de la porte.</p> - -<p class="i1">Mais, même dans l'obscurité complète, -Roger n'aurait pas tout de suite cherché -le sommeil. L'orgueil d'avoir gagné les -trois parties l'enfiévrait. Il se sentait le -cœur gonflé de plaisir, si près de sa -mère, si près de son grand-père. Enfin, -quelle chambre délicieuse!</p> - -<p class="i1">Par exemple, il aurait préféré avoir -plus de chagrin en apprenant le divorce. -Puisque c'était un grand malheur, pourquoi -<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[Pg 59]</a></span> -n'en éprouvait-il pas plus de peine? -Il essaya encore de s'attendrir, de se -désoler, de pleurer. Il songea exprès aux -choses les plus tristes, à sa soirée de la -veille, au Nouveau-Cirque manqué.</p> - -<p class="i1">Mais les larmes ne se laissèrent pas -prendre à cette manœuvre rétrospective -et refusèrent de se déranger.</p> - -<p class="i1">Alors Gégé, las de les provoquer, -ferma honnêtement les yeux et s'endormit -du plus doux sommeil.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[Pg 61]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_067.jpg" id="i_067.jpg"></a> - <img src="images/i_067.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="IV" id="IV"></a>IV</h2> -</div> - -<p class="i1">Après une nuit exempte de rêves, Gégé -qu'on n'avait réveillé qu'à huit heures, -procéda sans hâte aux soins de sa toilette. -Et vers neuf heures moins le quart, -étant prêt, il descendit dans la salle à -manger, où M. Lecherrier et M<sup>me</sup> Taillard, -près de la fenêtre ouverte, finissaient -de déjeuner.</p> - -<p class="i1">Sans aucun parti pris, Roger préférait -de beaucoup le chocolat qu'on buvait -chez son grand-père à celui qu'on buvait -chez lui. L'arôme en était plus délicat, -<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[Pg 62]</a></span> -la facture plus mousseuse. Il se régala. -Puis il avait cette sensation si amusante -pour les enfants d'être en excursion, en -voyage, presque à l'hôtel. Et tout lui en -semblait meilleur: le ciel d'un bleu tranquille, -la fraîche haleine de l'air matinal -et cette fine odeur d'été qu'on ne trouve -chez aucun parfumeur.</p> - -<p class="i1">Jusqu'à l'institution Beaujoint, de l'avenue -Marceau à la rue de Longchamp, -le long de l'avenue du Bois, par ce beau -temps, la route serait délicieuse!</p> - -<p class="i1">Il fit à sa mère et à M. Lecherrier des -adieux sans déchirement. Mais, la porte -à peine close, il reparut pour recommander -qu'on n'oubliât pas de lui -envoyer à la boîte son complet gris -numéro un, sa cravate bleu marine et -ses souliers vernis.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[Pg 63]</a></span></p> - -<p class="i1">—Puisque c'est convenu, mon chéri!—dit -Lucie.—Seulement, tu te rappelles -ce que tu m'as promis: tu seras raisonnable! -Tu ne mangeras pas trop... -Et tu diras bien à ton père que je t'ai -prié de ne pas rentrer trop tard.</p> - -<p class="i1">—Pour sûr!—répliqua Gégé, avec -l'arrière-projet de s'acquitter loyalement -de la commission, mais sans insistance -superflue.</p> - -<p class="i1">Et il rejoignit dans le vestibule Firmin -qui l'attendait pour le conduire.</p> - -<p class="i1">Les trois caractéristiques de l'institution -Beaujoint étaient l'exiguïté du petit -hôtel bourgeois qu'elle occupait rue de -Longchamp, le prix relativement onéreux -de la pension, qui ne montait pas à -moins de quatre cent cinquante francs par -mois, et le nombre restreint des élèves, -<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[Pg 64]</a></span> -invariablement fixé à dix. M. Beaujoint, -quand il s'agissait de séduire les -parents, s'attardait plus volontiers sur -cette dernière particularité, qui donnait -à son établissement comme un aspect -de petite académie. Mais, à vrai dire, ces -trois caractéristiques se commandaient, -la quantité des élèves étant en raison -directe des faibles dimensions du local -et le chiffre de la pension en rapport avec -le nombre réduit des élèves.</p> - -<p class="i1">M. Beaujoint ne manquait pas non plus -de signaler aux clients deux autres spécialités -de sa maison: à savoir l'éducation -mondaine et la perfection culinaire.</p> - -<p class="i1">Sur le reste, il concédait que, dans -les autres établissements privés ou dans -les lycées de l'État, il n'y avait trop rien -à dire. Mais pour la pratique des bonnes -<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[Pg 65]</a></span> -façons et pour l'hygiène alimentaire, il -n'admettait pas de rival. Chez lui, l'enfant -apprenait à «se tenir» comme nulle -part, et, en ce qui concernait la table, on -n'avait qu'à consulter les menus: viandes -de premier choix et toujours rôties, lait de -provenance contrôlée, vin de propriétaire. -Aussi, à chaque repas, ne fût-ce qu'en -manière de commémoration, M. Beaujoint -avait bien soin de s'extasier devant -ses élèves sur l'exceptionnelle qualité des -mets. «Oh! oh!—s'écriait-il,—voilà -un rôti de veau qui n'est pas précisément -exécrable!» ou bien: «Voilà un bœuf -en daube dont vous me demanderez la -recette!» ou: «Voilà, si je ne m'abuse, un -gigot de tout premier ordre!»—et cette -variété dans les formules ajoutait encore à -l'éloge un je ne sais quoi de plus persuasif.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[Pg 66]</a></span></p> - -<p class="i1">Lorsqu'il eut parcouru la lettre de -M<sup>me</sup> Taillard excusant Gégé, il appliqua -sur la nuque de celui-ci une tape bienveillante:</p> - -<p class="i1">—Parfait, mon petit ami! Allez -rejoindre vos camarades salle B. La -leçon d'histoire vient de commencer.</p> - -<p class="i1">Roger monta sans précipitation à la salle -B, un ancien cabinet de toilette qui, par -les jours d'été, fleurait la peau d'Espagne -et l'eau dentifrice. Le professeur -était occupé à narrer devant la division -élémentaire, composée des deux Thomas—Thomas -(Achille), Thomas -(Antoine)—et de Pierre de Ribermont, -les fastes de l'Assyrie.</p> - -<p class="i1">Gégé l'écouta peu. Que lui importaient -Téglath-Phalazar et Assourbanipal? -Sa pensée était toute au dîner du -<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[Pg 67]</a></span> -soir. En aucune occasion, l'idée de -revoir son père ne lui avait inspiré tant -d'émoi et d'impatience. Était-ce la brusquerie, -l'imprévu de cette séparation? -il lui semblait qu'elle durait depuis -des éternités. En outre, d'habitude, quand -M. Taillard revenait d'une absence, le -plaisir de Roger était à l'avance gâté par -l'évocation des scènes d'intérieur dont -ce retour allait infailliblement être le -signal. Tandis que, pour ce soir, nulle -crainte pareille. Ce n'est pas lui, Gégé, -n'est-ce pas? qui se disputerait avec son -père! Alors on dînerait tranquillement -ensemble, sans doute au restaurant et -peut-être même qu'après on irait à un -théâtre quelconque. Bref, de toutes -façons, cela finirait très bien.</p> - -<p class="i1">Gégé continua ces pronostics optimistes -<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[Pg 68]</a></span> -durant toute la leçon d'histoire, -puis durant toute l'étude subséquente. -Et, à la récréation de dix minutes qui -précédait le repas de midi, il rayonnait -d'un tel contentement que Pierre de Ribermont -ne put s'empêcher de lui en faire -la remarque:</p> - -<p class="i1">—Tu as l'air joliment content, mon -vieux!</p> - -<p class="i1">—Tu parles!—répliqua Gégé, qui -maintenant considérait comme définitivement -réglées toutes les phases de -sa soirée.—Je dîne avec papa au restaurant, -et, après, nous allons au -théâtre...</p> - -<p class="i1">Il s'était bien proposé de confier à Ribermont -la nouvelle du divorce. A son -meilleur ami doit-on rien cacher? Mais -le récit de ces événements compliqués -<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[Pg 69]</a></span> -lui parut un effort pénible, et il l'ajourna -à un autre moment.</p> - -<p class="i1">D'ailleurs, la cloche sonnait pour le -déjeuner. On descendit à la salle à -manger où, devant un plat d'œufs brouillés, -M. Beaujoint occupait déjà sa place -de président.</p> - -<p class="i1">Les œufs, quoique douteux, arrachèrent -à M. Beaujoint des exclamations de -volupté. Par contre, il eut de sérieuses -difficultés avec le rosbif qu'on servit ensuite. -Trois fois le cube de viande résista -au couteau trois fois aiguisé. Tous les -élèves se regardaient en dessous. Gégé, -emporté par la belle humeur, ne sut pas -se contenir, et, du ton le plus convaincu:</p> - -<p class="i1">—Oh! oh!—s'écria-t-il,—voilà, si -je ne m'abuse, un rosbif de tout premier -ordre!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[Pg 70]</a></span></p> - -<p class="i1">Un éclat de rire général répondit à -cette parodie. De stupeur, M. Beaujoint, -cramoisi, avait gardé son couteau en -l'air:</p> - -<p class="i1">—Taillard! Vous serez en retenue de -dîner ce soir... Vous dînerez ici!</p> - -<p class="i1">Les rires tombèrent, comme foudroyés. -La retenue de dîner était une des punitions -les plus redoutées à la pension -Beaujoint. Comptée quatre francs aux -parents, une fois donnée, elle ne se reprenait -plus. C'était le châtiment sans -rémission et sans appel.</p> - -<p class="i1">—Oui,— poursuivit M. Beaujoint,—vous -dînerez ici, et, qui plus est, je -vous engage fortement à vous surveiller, -si vous ne désirez pas aussi y passer demain -votre dimanche... A ma table, je -ne veux pas de macaques!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[Pg 71]</a></span></p> - -<p class="i1">Quelques lâches sourires de complaisance -accueillirent cette injure facile. -Mais Gégé ne les aperçut même pas. Il -était abîmé de chagrin. Toutes les tristesses -des jours derniers s'amalgamaient -en lui avec cette déception suprême. -Pourquoi la malchance s'acharnait-elle -ainsi contre sa quiétude, ses rêves et ses -plaisirs? Les paroles de M. Lecherrier -lui revinrent à la mémoire. Il songea à -son père, à sa mère, séparés, ennemis. -Il mêlait dans le même regret sa soirée -perdue et le ménage de ses parents désuni. -Il se sentait abandonné, persécuté, -et, pour la première fois de sa -vie, malheureux. Comment garder pour -soi tout cela? Et, sitôt levé de table, -entraînant à part Pierre de Ribermont:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[Pg 72]</a></span></p> - -<p class="i1">—Dis donc, mon vieux, tu sais, il -m'arrive un grand malheur—déclara-t-il, -les regards à terre.</p> - -<p class="i1">—Bah! fit Ribermont, résigné,—tu -dîneras au restaurant un autre jour!</p> - -<p class="i1">—Tu n'y es pas du tout... Je te dis -qu'il m'arrive un grand malheur: mes -parents divorcent!</p> - -<p class="i1">—Ah!—fit Ribermont.</p> - -<p class="i1">Puis, après une brève réflexion:</p> - -<p class="i1">—En quoi est-ce que c'est un grand -malheur pour toi?</p> - -<p class="i1">Roger, pris de court par cette question, -expliqua tant bien que mal:</p> - -<p class="i1">—Comment! tu ne comprends pas?... -C'est pourtant pas malin à comprendre! -Mes parents sont fâchés. Ils ne vont plus -vivre ensemble... Alors, moi, tu comprends, -je vais me trouver entre eux -<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[Pg 73]</a></span> -comme ça... tiraillé... Je serai tiraillé -tout le temps.</p> - -<p class="i1">—Je ne dis pas,—accorda Ribermont,—je -ne dis pas!... C'est très embêtant... -Mais ce n'est pas un grand malheur!</p> - -<p class="i1">Roger, vexé, riposta:</p> - -<p class="i1">—Alors qu'est-ce que tu appelles un -grand malheur?</p> - -<p class="i1">—Je ne sais pas... Si tes parents -mouraient... ou si ils étaient ruinés... ou -si tu te cassais quelque chose...</p> - -<p class="i1">—Eh bien, merci!—se récria Gégé, -suffoqué à l'énumération de tant de catastrophes.—Enfin, -moi, je te dis que -c'est un grand malheur... Du reste, mon -grand-père me l'a dit, et il s'y connaît -un peu mieux que toi!...</p> - -<p class="i1">Ribermont haussa les épaules et maintint:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[Pg 74]</a></span></p> - -<p class="i1">—Peut-être qu'il s'y connaît mieux -que moi... Mais ça n'est pas un grand -malheur!</p> - -<p class="i1">Devant une telle obstination, toute -controverse devenait impossible. Gégé -s'éloigna froidement. Quelle journée! -Jusqu'à son vieux Pierre qui le lâchait -et refusait de compatir! De dégoût, -après déjeuner, au Bois, il bouda pendant -toute la partie de foot-ball et resta -assis sur un banc près du maître d'études, -en prétextant une crampe à la -cuisse.</p> - -<p class="i1">Au retour, la classe de calcul n'atténua -pas sa mélancolie, et quand, sur les -quatre heures et demie, l'institution -Beaujoint, au complet, s'achemina vers -le gymnase Capdemas, le cœur de Gégé -restait aussi morne et désemparé.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[Pg 75]</a></span></p> - -<p class="i1">Non qu'en principe la gymnastique lui -répugnât. Le trapèze, les anneaux, les -barres lui avaient, au contraire, valu les -plus jolis succès. Mais, avec M. Capdemas, -on n'était jamais sûr que la leçon -ne commencerait pas par une séance -d'assouplissements; et Gégé, tout en -enfilant son maillot bleu paon, pariait -avec lui-même qu'aujourd'hui ça ne raterait -pas.</p> - -<p class="i1">Effectivement, les dix Beaujoint à -peine alignés, M. Capdemas commanda, -de sa voix méridionale qui ne faisait -tort à aucune voyelle:</p> - -<p class="i1">—Allons, mes petits... Aux massues!</p> - -<p class="i1">Les massues! Gégé ne connaissait -rien de plus ennuyeux que cette façon -d'assommer en cadence et sans haine -des adversaires absents. Il se dirigea -<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[Pg 76]</a></span> -lentement vers le râtelier et empoigna -deux vieilles massues où quelques traces -de vernis vert indiquaient encore la couleur -de leur jeunesse.</p> - -<p class="i1">—Taillard, au temps!... Taillard, -gare à vous!... Taillard, ça va barder!</p> - -<p class="i1">Les avertissements pleuvaient sur -Gégé insensible. Comment exécuter en -mesure et arriver à point, quand vos -parents divorcent? Le père Capdemas -pouvait s'époumonner tant qu'il voudrait. -Avec une telle tristesse à l'âme, -pas moyen de faire mieux.</p> - -<p class="i1">—Taillard!—tonna enfin M. Capdemas, -et si fort, cette fois, que le chétif -écho de la salle s'en émut,—Taillard! -deux heures de retenue, demain dimanche!</p> - -<p class="i1">A ce nouveau trait du sort Gégé n'opposa -<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[Pg 77]</a></span> -qu'un ricanement amer. La retenue -du dîner, la retenue du dimanche, -le divorce, tout cela se tenait, rentrait -dans la même série noire: il n'y avait -qu'à s'incliner.</p> - -<p class="i1">Mais comme, les yeux un peu voilés -par les larmes, il prenait ces conclusions -fatalistes, le commandement de: -«Halte!» arrêta brusquement dans leurs -assommades les dix petits hercules.</p> - -<p class="i1">En arrière, les soieries d'une robe -bruissaient sur le parquet. Dans la -sèche odeur de sciure un frais parfum -de white-rose passa. Roger, en louchant -un peu, reconnut sa mère, au-devant de -laquelle M. Capdemas s'avançait avec -des sourires. Tous deux échangèrent -quelques mots. Et M. Capdemas ordonna:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[Pg 78]</a></span></p> - -<p class="i1">—Taillard, sortez des rangs... Pour -les autres, repos!</p> - -<p class="i1">Gégé s'était approché sans fierté. Sa -mère l'embrassa. Puis M. Capdemas, lui -collant à l'épaule sa main noueuse:</p> - -<p class="i1">—Taillard, madame votre maman -est venue me dire la situation spéciale -et particulière qui existe chez vous... -Elle vous recommande à mon indulgence... -Alors, vu cette situation spéciale -et particulière, je vous lève votre retenue.</p> - -<p class="i1">Et désignant Roger à M<sup>me</sup> Taillard:</p> - -<p class="i1">—C'est que, quand il veut, le drôle, -il fait comme un ange!</p> - -<p class="i1">Gégé baissa modestement la tête, en -raclant le sol avec le bout de son pied. -Il se demandait si, par la même occasion, -et sous le même prétexte, il ne -<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[Pg 79]</a></span> -pourrait pas envoyer sa mère chez -M. Beaujoint pour obtenir la même -grâce. Une espèce de pudeur le retint: -si novice qu'il fût dans la situation «spéciale -et particulière», charger sa mère -d'intercéder pour qu'il dînât avec son -père lui semblait peu gentil. Il préféra -se borner à de chaleureux remerciements.</p> - -<p class="i1">—Tu n'es donc plus fâché, serin?—lui -demanda tout bas Ribermont, vers -qui, en rentrant dans le rang, il avait -hasardé un sourire de paix.</p> - -<p class="i1">—Mais non!—chuchota Gégé.</p> - -<p class="i1">Ils firent côte à côte le chemin du retour. -Roger conta à Ribermont l'heureuse -intervention de sa mère. Ribermont, -par distraction, sans doute, enregistra -sans triompher.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[Pg 80]</a></span></p> - -<p class="i1">Mais, au moment où l'on arrivait, -M. Beaujoint fit appeler dans son cabinet -le jeune Taillard.</p> - -<p class="i1">—Fermez la porte, mon ami,—dit-il -avec une aménité insolite.</p> - -<p class="i1">Puis, se grattant familièrement le mollet -sous son pantalon:</p> - -<p class="i1">—Vous avez vu votre père?</p> - -<p class="i1">—Non, monsieur!—répliqua Gégé, -la voix aussi ferme qu'il pouvait.</p> - -<p class="i1">—Il sort d'ici et pensait vous retrouver -chez M. Capdemas auquel il voulait -vous recommander. Enfin, peu importe! -J'ai reçu aujourd'hui d'abord la visite -de madame votre mère; ensuite, à peu -d'intervalle, la visite de M. Taillard... -Vous devinez, je suppose, la pensée -d'affection qui les avait guidés vers moi... -Ils voulaient, chacun de son côté, m'apprendre -<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[Pg 81]</a></span> -la situation particulièrement -touchante et intéressante qui vous est -créée par le malheur que vous savez... -Je leur ai promis de ne vous ménager, -dans la circonstance, ni mes soins, ni -mon bon vouloir... Et, pour première -preuve, sur la prière de votre père, j'ai -consenti à lever votre retenue de dîner...</p> - -<p class="i1">—Oh! monsieur... merci bien!—balbutia -Roger, étourdi par cette succession -de coups de théâtre.</p> - -<p class="i1">—Mais n'allez pas prendre ma bienveillance -pour de la faiblesse... Et même, -dorénavant, mon jeune ami, si j'ai un -conseil à vous donner, méfiez-vous d'un -certain esprit caustique auquel vous -n'auriez que trop de tendance!...</p> - -<p class="i1">Gégé remonta vers l'étude, au cri de -plusieurs fois répété de: «Chic et -<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[Pg 82]</a></span> -veine!... Veine et chic!...» Il avait -cette allégresse puissante et sans pensée -des petits garçons sauvés par deux fois -de la retenue. La joie le poussait comme -un ascenseur, et il ne songeait plus du -tout au divorce de ses parents.</p> - -<p class="i1">—Eh bien?—murmura Ribermont, -pressé de savoir.</p> - -<p class="i1">—C'est papa qui est venu causer au -père Beaujoint pour moi. On me lève -ma retenue de dîner.</p> - -<p class="i1">—T'en as une veine!—fit Ribermont, -surtout frappé par la chance de -son camarade.</p> - -<p class="i1">—Tu parles!—confirma Gégé.</p> - -<p class="i1">Il était habillé, paré, ganté, depuis -une demi-heure, lorsqu'on lui annonça -que son père l'attendait en automobile. -Il dégringola, trois par trois, les marches -<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[Pg 83]</a></span> -de l'escalier. Et, après qu'on se fut embrassé -tout son saoul:</p> - -<p class="i1">—Où dînons-nous?—questionna -Taillard.—M'est avis qu'il vaudrait -mieux dîner aux environs du Nouveau-Cirque, -où j'aurais l'intention d'aller ce -soir, si tu n'y vois pas d'inconvénient.</p> - -<p class="i1">—Oh! papa!—se récria gauchement -Roger.</p> - -<p class="i1">—Alors, chez Voisin!—dit Taillard -au chauffeur.</p> - -<p class="i1">Au restaurant, Roger s'assit en face -de son père. Puis, tous deux, instinctivement, -s'adressèrent un long sourire, -presque un sourire d'amoureux. Taillard -se sentait un peu ému en contemplant -ce cher petit être dont maintenant il -n'allait plus posséder que la moitié. Et -Gégé, après tant de traverses, goûtait la -<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[Pg 84]</a></span> -molle béatitude de l'arrivée au port.</p> - -<p class="i1">—Tu m'aimes bien?—interrogea -tendrement Taillard.</p> - -<p class="i1">—Oh! oui, papa!—fit avec élan -Roger.</p> - -<p class="i1">Le dîner lui parut un enchantement. -Jamais, les soirs de théâtre, il n'avait -éprouvé cette impression de parfaite sécurité, -cette certitude solide que rien désormais -ne le priverait du plaisir projeté. -Au dessert, Taillard lui permit une coupe -de champagne mêlée d'eau. Roger ne se -rappelait pas l'avoir vu si jovial. Un -autre homme tout à fait! Il ne s'assombrit -qu'un instant, en entendant décrire -les splendeurs de la chambre bleue. -Mais, aussitôt, une étincelle malicieuse -palpita au fond de ses yeux, et il déclara -doucement:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[Pg 85]</a></span></p> - -<p class="i1">—Cela ne m'étonne pas de la part de -ton grand-père, qui est la bonté même. -Ta mère aussi est une femme pleine de -qualités... Et tu vois que ce n'est pas ce -divorce qui nous empêchera de t'aimer!</p> - -<p class="i1">—Oui... oui!—fit vivement Gégé, -qu'un si brusque rappel aux choses du -foyer avait d'abord décontenancé.</p> - -<p class="i1">Par bonheur, c'était le moment de -partir. Sans insister sur ce sujet épineux, -qui ne le divertissait pas plus que -son fils, Taillard solda l'addition et, à -petits pas, on s'achemina vers le Cirque...</p> - -<p class="i1">A la sortie, près du contrôle, Roger, -qui s'était princièrement amusé, réfléchit -que l'instant arrivait peut-être de -faire sa commission concernant l'heure -du retour. Mais, justement Taillard lui -demanda:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[Pg 86]</a></span></p> - -<p class="i1">—Es-tu fatigué?</p> - -<p class="i1">—Pas du tout.</p> - -<p class="i1">—Veux-tu que nous allions prendre -quelque chose?</p> - -<p class="i1">—Oh! oui!</p> - -<p class="i1">Gégé, sitôt ces mots prononcés, les -regretta. Tant pis! Déjà l'automobile les -emportait par la nuit claire, le long des -rues silencieuses. Et puis une demi-heure -de plus ou de moins, le mal ne -serait pas grand.</p> - -<p class="i1">Une bavaroise au chocolat et un panier -de brioches eurent vite raison de ce -restant de remords. Il y avait dans la -salle une foule de jolies dames en peau, -avec des colliers de perles, des rubis, -des diamants, des émeraudes et d'immenses -chapeaux à panaches. Des tziganes -ponceau jouaient des valses mélancoliques -<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[Pg 87]</a></span> -à en pleurer ou des marches -américaines à vous rendre ivre de gaieté. -La lumière ruisselait des lustres sur les -fleurs qui jonchaient les tables. Comme -M. Beaujoint, comme M. Capdemas, -comme M<sup>me</sup> Taillard elle-même étaient -loin! De sa vie, Gégé n'avait passé une -aussi bonne soirée.</p> - -<p class="i1">Enfin Taillard lui fit signe de se lever. -L'automobile les ramena avenue Marceau. -Tout le long de la route, Taillard -tint dans sa main la main de son fils. -Sur le seuil, il dit:</p> - -<p class="i1">—A samedi, alors... Du reste, d'ici -là, je viendrai te voir chez M. Beaujoint.</p> - -<p class="i1">Ils s'embrassèrent de deux forts baisers. -Puis, comme la porte se refermait sur -Gégé, Taillard regrimpa en voiture et se -<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[Pg 88]</a></span> -fit conduire à un restaurant de la rue -Royale où Nelly Jelly l'attendait dans un -cabinet.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[Pg 89]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_095.jpg" id="i_095.jpg"></a> - <img src="images/i_095.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="V" id="V"></a>V</h2> -</div> - -<p class="i1">La semaine qui suivit compta pour -Gégé parmi les plus douces de son existence.</p> - -<p class="i1">Par un affectueux complot, malgré les -premiers ennuis de la procédure ouverte, -M. Lecherrier et M<sup>me</sup> Taillard ne cessaient -de montrer au pauvre enfant des -visages immuablement souriants. Et, à -la sérénité de cette vie nouvelle, sans -disputes, sans scènes, il mesurait peut-être -vaguement combien l'ancienne avait -été amère et tourmentée.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[Pg 90]</a></span></p> - -<p class="i1">Pour Taillard, il ne passait guère -d'après-midi sans rendre visite à son -fils. Au lieu de la mine soucieuse et -revêche que Gégé lui connaissait jusque-là, -il avait toujours l'air d'arriver -à une partie de plaisir ou d'en revenir.</p> - -<p class="i1">Tantôt il surgissait à l'heure du goûter, -avec un assortiment de friandises qui -faisaient les délices de la division élémentaire. -Tantôt il venait vers l'heure -de la sortie pour reconduire Gégé à pied -ou en auto.</p> - -<p class="i1">Quelquefois il s'était rencontré avec -Lucie, qu'une même sollicitude poussait -presque quotidiennement chez M. Beaujoint. -Il y avait eu de la gêne et pléthore de -gâteaux. Alors, par une entente tacite, ils -se réservèrent chacun son jour. Roger ne -coula donc plus un après-midi sans voir -<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[Pg 91]</a></span> -l'un ou l'autre de ses parents. Jamais il -ne les avait tant vus ni si bien disposés.</p> - -<p class="i1">Quant à M. Lecherrier, il jugeait avoir -assez fait pour son petit-fils en ne découchant -plus que dans la journée. Se -cloîtrer en outre à domicile, par ces -belles soirées d'été, lui paraissait un -sacrifice au-dessus de ses moyens.</p> - -<p class="i1">Dès le lendemain de l'installation de -Gégé, il organisa donc, sous prétexte -d'hygiène, une série de promenades nocturnes.</p> - -<p class="i1">A huit heures, le cocher avait ordre -d'atteler la victoria, et tout de suite -après dîner, on partait vers le Bois au -grand trot des deux bai-brun.</p> - -<p class="i1">La grille franchie, l'équipage prenait -le pas. Dans toutes les avenues les voitures -foisonnaient. A ne distinguer ni -<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[Pg 92]</a></span> -leurs formes ni leurs chevaux, on eût -dit une fête de lanternes. Un air rafraîchi -et moite tombait du ciel bleuâtre. Souvent -des victorias avaient leur capote -baissée: sans le blanc d'une robe ou -d'un chapeau se détachant sur le fond -noir, on aurait pu les croire vides. Et -Gégé se demandait quelle drôle d'idée -les gens avaient de se calfeutrer ainsi -par une température pareille.</p> - -<p class="i1">—Respire bien, mon enfant!—disait -M. Lecherrier pour détourner son -attention.—Respire!</p> - -<p class="i1">Et Gégé respirait de tous ses poumons -comme sous l'oreille d'un ausculteur.</p> - -<p class="i1">Par exemple, quant à étudier ses -leçons pour le lendemain, depuis l'institution -des promenades nocturnes, force -<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[Pg 93]</a></span> -lui avait été d'y renoncer. Il ne les -savait plus que par exception et par -bribes. Mais M. Beaujoint avait tenu sa -promesse. Que les leçons fussent bien -ou mal sues, une consigne générale -d'indulgence, allant du plus rigoureux -des maîtres au plus débonnaire des pions, -préservait Gégé de toute atteinte. Chacun -semblait connaître son malheur, le -divorce de ses parents. C'était tout juste -si, pour le principe, on osait discrètement -gronder la sympathique petite victime.</p> - -<p class="i1">Rien ne troublait donc son infortune. -A peine un scrupule de probité l'avait-il -incommodé quelques heures, quand, le -même jour, respectivement, M. Lecherrier, -puis son père, lui avaient annoncé -que désormais dix francs lui seraient -<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[Pg 94]</a></span> -alloués chaque semaine pour ses dépenses -de poche. Devant un aussi fort total, -Gégé, d'abord fasciné, ne protesta pas. -Mais, vers le soir, la conscience lourde, -il consulta Ribermont. Celui-ci, toujours -à court avec ses vingt sous par semaine, -conseilla de laisser les choses en l'état. -On donnait: pourquoi refuser? Et le surlendemain, -sans doute comme rémunération -de ses conseils, il priait Roger de -lui avancer cinq francs, qu'il devait -depuis des mois à Thomas (Achille), -pour des billes.</p> - -<p class="i1">Le jeune Taillard consentit à cet -emprunt avec la bonne grâce du capitaliste -que l'on tape pour la première fois.</p> - -<p class="i1">Au reste, son esprit était ailleurs. Il -ne voyait pas approcher sans plaisir le -jour de son départ pour l'avenue d'Antin. -<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[Pg 95]</a></span> -Si choyé qu'il fût avenue Marceau, -il s'attendait, chez son père, à des surprises -nouvelles; et, par la force des -choses, le goût du changement lui venait.</p> - -<p class="i1">Les surprises escomptées commencèrent -dès la veille, mais avenue Marceau. -En rentrant, Roger, découvrit, au -beau milieu de sa chambre, une magnifique -malle en peau de truie, avec des -coins de cuivre et les initiales R. T. -imprimées en grosses lettre rouges. Et -comme, abasourdi, il en faisait le tour, -M. Lecherrier apparut, la moustache -troussée par un sourire de vanité:</p> - -<p class="i1">—Oui, c'est pour toi,—proclama-t-il -en s'avançant.—Tu vas faire continuellement -la navette entre ici et l'avenue -d'Antin. J'ai voulu que tu aies une malle -à toi, comme un homme!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[Pg 96]</a></span></p> - -<p class="i1">Cette fois, la comparaison n'inquiéta -pas Gégé. Il eut seulement un peu de -honte en se rappelant la sorte de hâte -qu'il éprouvait à quitter un grand-père -si bon. Et cet embryon de remords -s'accrut encore aux adieux du lendemain -matin. M. Lecherrier, les lèvres -molles, avait laissé éteindre sa pipe; -M<sup>me</sup> Taillard affectait un entrain visiblement -factice. Gégé, très ému, leur fit -promettre de venir le voir tous les jours -chez M. Beaujoint; et, comme prévoyant -l'objection:</p> - -<p class="i1">—Je n'aurai qu'à dire à papa que vous -venez à l'heure du goûter.</p> - -<p class="i1">Devant ce gentil trait de sens pratique, -M. Lecherrier et sa fille échangèrent un -regard d'admiration.</p> - -<p class="i1">—Tu es un ange!—déclara -<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[Pg 97]</a></span> -M<sup>me</sup> Taillard en étreignant Roger tout -fier de son succès.</p> - -<p class="i1">C'était pour lui une manière d'absolution. -Et il avait complètement oublié ses -torts, quand, vers sept heures du soir, -il parvint avenue d'Antin. La malle, -venue par une autre voie, arrivait aussi. -Mais Roger fut le premier en haut:</p> - -<p class="i1">—Qu'est-ce que c'est que cette malle?—questionna -dédaigneusement Taillard, -qui du balcon l'avait aperçue.</p> - -<p class="i1">—C'est ma nouvelle malle!—fit -délibérément Gégé.</p> - -<p class="i1">A cette explication, Taillard s'était -un peu rembruni, comme chez Voisin, -l'autre semaine, à l'occasion de la -chambre bleue. Ç'avait été dans ses -yeux le même nuage d'ombre, aussitôt -chassé par la même étincelle narquoise.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[Pg 98]</a></span></p> - -<p class="i1">—Très bien!—dit-il.—Maintenant -il s'agit d aller vite t'habiller, parce que -nous dînons au Bois.</p> - -<p class="i1">Et, Roger tournant à droite:</p> - -<p class="i1">—Non, pas par ici... Ta chambre -était trop loin de la mienne; je t'ai installé -à côté de moi, dans le fumoir..</p> - -<p class="i1">Il ouvrit la porte. Gégé exhala un -«oh!» de ravissement. Ses pressentiments -ne l'avaient pas trompé. Pour une -«surprise», c'en était une!</p> - -<p class="i1">En huit jours, de ce fumoir maussade, -le tapissier, talonné par Taillard, avait -fait la chambre la plus pimpante, la plus -confortable qu'ait conçue le génie anglais. -Tout y était harmonieux, tout s'y accordait -en des tons parfaits, la nuance claire -des meubles en bois d'olivier avec le net -dessin des cretonnes britanniques, le -<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[Pg 99]</a></span> -papier d'un rose discret avec le cuir grenat -des fauteuils. Aux murs, des gravures -de chasse, serties de pitchpin vert, -rehaussaient l'ensemble par leurs teintes -crues. Près de la fenêtre, un «Sandow» -laissait pendre ses minces serpents bariolés. -Taillard n'avait pas commis un -oubli. Mais quelle revanche aussi! Enfoncée, -la chambre bleu de lin! Pour -s'en convaincre, il n'y avait qu'à regarder -Gégé.</p> - -<p class="i1">Il ne se lassait pas de marcher à travers -la pièce, d'examiner chaque meuble, -d'inventorier son nouveau domaine. Taillard -dut le bousculer pour qu'il se mît -en tenue; et l'on ne parvint à Armenonville -que sur le coup de huit heures et -demie.</p> - -<p class="i1">Gégé y retrouva avec satisfaction les -<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[Pg 100]</a></span> -charmantes dames décolletées, endiamantées, -empanachées, qu'il avait tant -appréciées, la semaine précédente, au -sortir du Cirque. Ou, du moins, si ce -n'étaient les mêmes, elles leur ressemblaient -tellement que le plaisir des yeux -demeurait pareil. Des tziganes, bleus -cette fois, jouaient des airs identiques; -et des fleurs pâmaient également sur les -nappes.</p> - -<p class="i1">A une table voisine, Roger remarqua -une jolie jeune fille blonde à qui ses -yeux myosotis, sa fine figure en triangle, -et l'encadrement de ses boucles d'or, faisaient -une tête de poupée anglaise. Vis-à-vis -d'elle mangeait une sorte de vieille -gouvernante bougonne et ventrue.</p> - -<p class="i1">La jeune fille, presque à chaque bouchée, -ramenait son regard en coin vers -<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[Pg 101]</a></span> -Gégé, qui se sentait intimidé et flatté.</p> - -<p class="i1">Ces dames se retirèrent vers neuf -heures et un monsieur, à côté, murmura -pour son camarade:</p> - -<p class="i1">—C'est la petite Nelly Jelly, des Ambassadeurs, -avec sa mère.</p> - -<p class="i1">Taillard prit un air détaché. Nelly -Jelly intriguait depuis quelques jours, -pour connaître, fût-ce de loin, Gégé. Mais, -cette scabreuse faveur accordée, la plus -grande correction s'imposait.</p> - -<p class="i1">Roger reconnut encore la jeune fille -blonde, le lendemain, aux courses d'Auteuil, -où son père s'était décidé à l'emmener. -Avant de partir, Taillard lui -avait même fait présent d'une ancienne -lorgnette qui était toute neuve. L'étui -jaune en bandoulière, la carte au veston, -Gégé paradait dans le pesage, comme un -<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[Pg 102]</a></span> -sportsman de vieille date. Pendant les -épreuves, il regrimpait dans les tribunes, -et, au <i>rush</i> final, il hurlait avec son père -le nom du cheval qu'ils avaient joué. Il -rentra avec deux louis de participation -sur les bénéfices de Taillard et le ferme -projet de devenir plus tard gentleman-rider -ou jockey.</p> - -<p class="i1">Ce soir-là, on dîna à la maison. La -vieille Annette, restée au service de Taillard, -multipliait les prévenances envers -Gégé. Elle, jadis si exigeante sur la politesse, -semblait maintenant quêter les regards -de son petit maître pour mieux -devancer ses désirs. Roger nota avec -étonnement cette transformation.</p> - -<p class="i1">—Vraiment, il fait trop chaud chez -soi!—déclara Taillard à la fin du repas.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[Pg 103]</a></span></p> - -<p class="i1">Aussi, les autres soirs de la semaine, -dîna-t-on dehors. Armenonville alternait -avec Madrid, Madrid avec les Ambassadeurs. -Gégé ne quittait plus son smoking -et s'amusait prodigieusement.</p> - -<p class="i1">Il ne ressentait de malaise qu'aux -visites quotidiennes de son grand-père -et de sa mère. Il avait observé chez eux, -quand il leur rendait compte de son existence, -la même grimace de mécontentement -que chez son père à la description -de la chambre bleue ou à l'arrivée de la -malle en truie. Alors, machinalement, il -éteignit le ton enflammé de ses récits. -Quelquefois même, par un raffinement -d'égards, il feignait de ne pas tant s'amuser -que cela et contait ses soirées d'une -voix distraite, quasi dégoûtée.</p> - -<p class="i1">—J'espère que tu es sage, que tu ne -<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[Pg 104]</a></span> -fais pas d'excès!—disait M<sup>me</sup> Taillard, -les lèvres pincées.</p> - -<p class="i1">—Sois tranquille!—assurait Roger. -... J'ai pas envie de tomber malade, moi. -Merci bien!</p> - -<p class="i1">Le soir de son retour avenue Marceau, -quoiqu'il fût sincèrement joyeux de rejoindre -sa mère et son grand-père, il exagéra -à dessein. Il sautait sur les canapés, -sur les fauteuils, en criant:</p> - -<p class="i1">—Ce que je suis content! Ce que je -suis content!...</p> - -<p class="i1">Mais tout l'effet de cette manifestation -croula quand Gégé narra l'emploi de l'après-midi.</p> - -<p class="i1">Taillard, le matin, avait informé son -fils que ces emballages perpétuels lui -semblaient oiseux, cette grosse malle encombrante -et superflue: une double -<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[Pg 105]</a></span> -garde-robe serait bien plus pratique.</p> - -<p class="i1">Et, là-dessus, après un mot d'excuse -à M. Beaujoint, on avait passé la journée -chez les fournisseurs, chez le chemisier -de Taillard, chez son tailleur, chez son -bottier. Tout une garniture de lingerie -chez le premier, trois costumes et deux -pardessus chez le second, quatre paires -de souliers divers chez le troisième,—jusqu'au -soir, les commandes s'étaient -accumulées sans trêve.</p> - -<p class="i1">—Il te faut un trousseau complet!—affirmait -Taillard à chaque acquisition -nouvelle.</p> - -<p class="i1">Le «trousseau complet»! Qui, dans -l'enfance, n'a souhaité un instant d'être -pensionnaire, rien que pour posséder ce -que les catalogues appellent un «trousseau -complet»? Et Gégé ne pouvait se -<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[Pg 106]</a></span> -rappeler ces événements sensationnels -sans un regain d'exaltation.</p> - -<p class="i1">Malgré lui, il omit la réserve adoptée. -Il entra dans des détails minutieux, vanta -la forme des vestons, la couleur des étoffes, -ne fit grâce de rien. Il n'en voyait même -plus les coups d'œils sévères dont M. Lecherrier -marquait chacune de ses phrases.</p> - -<p class="i1">—C'est bon, mon petit!—dit celui-ci -glacialement, quand Roger eut achevé. -... Maintenant laisse-nous... Ta mère et -moi nous avons à causer.</p> - -<p class="i1">Gégé sortit, avec la pesante impression -d'avoir peut-être été trop loin.</p> - -<p class="i1">Demeurés seuls, M. Lecherrier se carra -les bras croisés, devant sa fille:</p> - -<p class="i1">—Eh bien! qu'est-ce que je te disais? -Le plan de ce monsieur est bien simple: -il veut nous prendre le petit!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[Pg 107]</a></span></p> - -<p class="i1">—Crois-tu?... Moi, je verrais plutôt -dans tout cela de l'égoïsme. Il a besoin -de la fête... Il y emmène Gégé... Il ne regarde -pas plus loin...</p> - -<p class="i1">—Et la malle?—s'écria M. Lecherrier.—Ce -qu'il a dit de la malle, est-ce -que c'est de l'égoïsme aussi?... Non, il y a -là un ensemble de circonstances qui ne -supporte pas la discussion. Ton mari -n'a qu'une idée: débiner ce que nous -faisons et persuader à Gégé qu'il fait -mieux... Or un enfant, hélas! n'est qu'un -enfant... Du jour où Roger pensera qu'il -a plus d'avantages chez son père, c'est -lui qu'il aimera, et pas nous... Voilà la -vérité!...</p> - -<p class="i1">—Soit, mais comment nous défendre?</p> - -<p class="i1">—Je ne sais pas... La situation est -<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[Pg 108]</a></span> -très difficile... Il faudrait frapper un -grand coup, inventer quelque chose d'équivalent -au trousseau... Saisis-tu?</p> - -<p class="i1">—Oui... seulement, quoi?</p> - -<p class="i1">—Nous chercherons!</p> - -<p class="i1">Au bout de trois jours, il avait trouvé. -La riposte était ingénieuse, mais terriblement -compliquée.</p> - -<p class="i1">Elle consistait en une bicyclette du -dernier style, avec un enchevêtrement -de chaînes et de contre-chaînes, de freins -et de contre-freins, trois changements de -vitesse, un système de rétropédalage, -mille perfectionnements diaboliques qui -permettaient de marcher à reculons -comme en avant, de gravir les côtes -aussi vite qu'on allait en plaine, et dont -la description seule n'avait pas pris au -marchand moins d'une demi-heure. On -<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[Pg 109]</a></span> -appelait ce modèle «l'Alouette-extra».</p> - -<p class="i1">Sur un fervent cycliste tel que Roger, -un pareil bijou ne pouvait manquer de -produire un gros effet.</p> - -<p class="i1">—Mais à propos de quoi lui donner -cela?—demanda judicieusement Lucie -quand un peu avant le dîner, on apporta -la machine.</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier hésita:</p> - -<p class="i1">—Je verrai... Tiens je lui dirai que -c'est pour ses vacances!...</p> - -<p class="i1">Firmin avait reçu ordre de presser le -service.</p> - -<p class="i1">En vingt-cinq minutes on eut dîné, et -on remonta dans le salon, au centre duquel, -sous un vaste drap blanc, la bicyclette -avait l'air d'une statue à inaugurer.</p> - -<p class="i1">—Qu'est-ce que c'est que cela?—s'écria -Roger dès le seuil.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[Pg 110]</a></span></p> - -<p class="i1">—Regarde!—dit solennellement -M. Lecherrier, en tirant à lui le vélum -avec un noble geste de vieux magicien.</p> - -<p class="i1">L'enthousiasme de Roger passa toutes -les prévisions. Il obtint comme faveur -de ne pas sortir: il voulait lier connaissance -avec sa merveilleuse machine. On -dut la lui porter dans sa chambre pour -la nuit. Et, bien entendu, le lendemain, -il eut la permission d'en user, escorté -de Firmin sur un mauvais «clou», -pour se rendre à la pension.</p> - -<p class="i1">Auprès des neuf Beaujoint, le succès -de l'Alouette-extra toucha à l'apothéose. -Bon enfant, Gégé avait autorisé tous ses -petits camarades à l'essayer, et il attendait -avec impatience le suffrage de son -père, qui devait venir, comme presque -chaque jour, vers l'heure du goûter.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[Pg 111]</a></span></p> - -<p class="i1">Taillard pourtant se montra tiède, -et, après un coup d'œil sommaire à -l'Alouette:</p> - -<p class="i1">—Ça tombe à pic!—déclara-t-il.—J'ai -justement en vue, pour le moment -de tes vacances chez moi, un assez -gentil petit poney... Alors tu pourras -varier tes sports...</p> - -<p class="i1">—Un vrai poney, pour moi seul?—s'exclama -Gégé, encore incrédule.</p> - -<p class="i1">—Oui!—fit négligemment Taillard. -... Une très jolie petite bête, ma foi, qui -manque peut-être un peu de dressage... -Mais d'ici septembre, nous avons grandement -le temps de te la mettre en -main!</p> - -<p class="i1">—Oh bien! ça, c'est trop!—proclama -Gégé, à bout de formules reconnaissantes.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[Pg 112]</a></span></p> - -<p class="i1">Et, la visite terminée, il courut incontinent -à Ribermont pour l'informer de -l'heureuse nouvelle.</p> - -<p class="i1">—J'espère!...—se contenta de répliquer -Ribermont, qui commençait à -être excédé des aubaines de son camarade.</p> - -<p class="i1">—Crois-tu, hein!...—surenchérit -Roger, feignant de ne pas remarquer cette -froideur.</p> - -<p class="i1">Cependant, elle lui inspira, du coup, -une peur délicate. Si Ribermont prenait -ainsi la chose, qu'en dirait-on avenue -Marceau? Sûrement, le jour même de la -bicyclette, ce poney leur ferait de la -peine. Peut-être bien aussi que ça aurait -l'air de leur demander un cadeau encore -plus beau?...</p> - -<p class="i1">Mais le scrupule n'est souvent qu'une -<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[Pg 113]</a></span> -première étape dans la mauvaise voie. -Et, sans le vouloir, Gégé se mit à chercher -ce qu'on pourrait lui donner de -plus beau que le poney et l'Alouette. Son -imagination s'emballa. Il rêvait de jouets -extraordinaires, d'inventions féeriques, -et Aladin n'était pas son cousin.</p> - -<p class="i1">Si bien qu'il ne sut d'abord que -répondre, lorsqu'au dessert M. Lecherrier -questionna:</p> - -<p class="i1">—Eh bien, Gégé, comment ton père -a-t-il trouvé ta machine?</p> - -<p class="i1">—Papa?...—fit-il, pour se ressaisir.</p> - -<p class="i1">Mais aussitôt, d'eux-mêmes, ses bons -sentiments lui soufflèrent:</p> - -<p class="i1">—Papa? Il l'a trouvée épatante!</p> - -<p class="i1">Et comme, la semaine d'après, en -revenant de chez son père, il n'annonçait -<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[Pg 114]</a></span> -nulle gâterie nouvelle, le match de présents -prit fin. Des deux parts, on -croyait s'être maté. M. Lecherrier triomphait -de son Alouette; Taillard, de son -poney. On s'en tint désormais à des -escarmouches, aux menus projectiles de -rencontre: gants, cravates, un petit -bijou de-ci, de-là. La guerre d'argent -avait cessé. Ce ne fut plus qu'un tournoi -de tendresse.</p> - -<p class="i1">L'ardeur de la concurrence ne perdit -pas au change. Rien ne développe le -sentiment paternel comme le divorce. -D'abord on se disputait l'enfant comme -l'enjeu d'une partie dont la galerie est -juge; puis l'amour-propre cède à l'instinct. -A la pensée de se voir ravir le -petit de son sang, on se découvre pour -lui ces élans de cœur, cette ferveur -<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[Pg 115]</a></span> -d'affection que donne seule la crainte -des départs éternels: on l'aime comme -on ne l'a jamais aimé; on l'aime comme -quelqu'un qui va peut-être mourir.</p> - -<p class="i1">Et bientôt même la contagion ne tarda -pas à atteindre Gégé. Sans se l'expliquer, -il éprouvait pour ses parents une espèce -d'attachement ému qui lui paraissait -tout nouveau. Leur fréquentation n'était -plus le plaisir banal qu'a émoussé la -satiété. Les quitter, ne fût-ce que du -matin au soir, lui semblait à présent -une vraie privation; les revoir, une -vraie réjouissance. Certes il les trouvait -bien gracieux d'inviter si fréquemment -à dîner ou à des promenades Ribermont -et d'autres petits amis. Pour peu qu'on -l'en priât, il s'avouait l'enfant le plus -gâté de Paris. Mais surtout il leur savait -<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[Pg 116]</a></span> -gré de leur tendresse toujours grandissante. -Souvent un baiser de son père, -une étreinte de sa mère, une caresse de -M. Lecherrier lui laissaient de la joie -pour toute la journée, comme un cadeau -reçu, comme un plaisir promis. Alors, -à l'étude, en classe, tout à coup, l'envie -lui venait de leur écrire des gentillesses, -et il ne se retenait que par peur des -plaisanteries.</p> - -<p class="i1">D'ailleurs, depuis quelque temps, -partout, c'était à qui se montrerait bon -pour lui. Même au dehors, dans les relations -de sa famille, chez les parents de -ses camarades on ne l'appelait plus -autrement que: «Mon pauvre petit -Gégé!... Mon pauvre petit ami!...» -Quand on l'embrassait, des soupirs -effleuraient sa joue. Mais cette pitié ne -<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[Pg 117]</a></span> -l'attristait pas; elle lui faisait plutôt -plaisir. Il se sentait intéressant, important, -comme lorsqu'on est malade ou en -deuil.</p> - -<p class="i1">Il y avait cependant un point sur lequel, -sans savoir pourquoi, il eût bien -voulu être fixé. Quand le divorce serait-il -terminé? Là-dessus les réponses de sa -mère et de M. Lecherrier étaient toujours -de plus en plus évasives: on ne -pouvait rien affirmer, on ignorait,—et -pour cause.</p> - -<p class="i1">Tant qu'il ne s'était agi que de la division -des biens, de l'attribution des torts, -des prestations légales, l'affaire avait -marché à grande vitesse. Mais, dès qu'on -avait abordé le partage de l'enfant, tout -s'était soudainement brouillé. Le <i>statu -quo</i> ne plaisait plus. Les exigences des -<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[Pg 118]</a></span> -adversaires croissaient chaque jour avec -la recrudescence de leur tendresse. Des -deux côtés on se prétendait lésé, on chicanait -sur la part de l'autre, on réclamait -pour soi plus de Gégé. Tellement qu'à la -fin, écœurés, les avoués avaient suspendu -leurs pourparlers.</p> - -<p class="i1">De temps en temps seulement, pour -la forme, ils causaient du procès, au hasard -d'une rencontre à l'audience ou -d'une bavette aux Pas-Perdus.</p> - -<p class="i1">Gimblet, l'avoué de Jacques, en voulait -principalement à Roger.</p> - -<p class="i1">—Vous verrez,—disait-il sans respect -pour la situation du pauvre enfant,—vous -verrez, c'est ce crapaud qui fera -tout rater!</p> - -<p class="i1">Mais Aubineau en avait plutôt à M. Lecherrier:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[Pg 119]</a></span></p> - -<p class="i1">—Non, mon cher, pour moi, le pire, -là dedans, c'est le vieux!</p> - -<p class="i1">Et le fait est que, dans ce débat, -M. Lecherrier témoignait d'un mauvais -vouloir qui n'avait d'égal que sa mauvaise -foi. Maintenant que son existence -était à base de Gégé, il n'admettait pas -qu'on lui en retirât une parcelle. Ah! -non, assez de changements comme cela! -Il tenait son petit-fils. Il n'en lâcherait -pas un pouce, pas un millimètre. Et, par -moments, dans la fougue de la lutte, on -l'eût dit rajeuni de vingt ans, alors qu'il -discutait, des heures durant, avec les -clients, sur le tissu d'une pièce de soie.</p> - -<p class="i1">A l'étude Aubineau, où l'on ne voyait -plus que lui, pour tout le monde, du -maître clerc au saute-ruisseau, il était -devenu un objet de terreur. Mais on -<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[Pg 120]</a></span> -avait beau lui ménager les accueils les -plus froids, le faire attendre, l'éconduire, -il revenait le lendemain, chaque fois -plus acharné et plus intransigeant.</p> - -<p class="i1">Enfin un matin, comme on touchait -aux derniers jours de juillet, Aubineau, -qui depuis une quinzaine lui fermait sa -porte, consentit à le recevoir et désignant -un siège:</p> - -<p class="i1">—Je suis d'autant plus heureux de -vous voir, mon cher monsieur Lecherrier, -que j'avais une communication -pressante à vous faire... Voici... Hier, -Gimblet et moi, nous sommes tombés -d'accord que, nos pourparlers étant épuisés, -il n'y avait plus qu'à plaider. Toutefois. -comme dans deux semaines les -vacances judiciaires vont s'ouvrir et que -nous risquerions fort d'être remis à la -<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[Pg 121]</a></span> -rentrée d'octobre, nous avons pensé -que, retard pour retard, on pourrait au -besoin laisser tranquillement sommeiller -l'affaire jusqu'à cette époque... D'ici là, -peut-être que des concessions... peut-être -qu'un peu d'apaisement se sera produit -dans vos esprits et que nous découvrirons -ensemble la solution satisfaisante... -Voilà... Qu'en dites-vous?</p> - -<p class="i1">M. Lecherrier demanda le temps de -réfléchir. Mais, au fond, il commençait -à être las de se démener ainsi sans -aboutir, dans ce Paris brûlant et -comateux d'où fuyaient une à une toutes -ses petites camarades. Et l'offre d'Aubineau -lui avait tout de suite souri.</p> - -<p class="i1">Il n'en prit pas moins le ton le plus -indifférent pour soumettre à Lucie le -projet de l'avoué.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[Pg 122]</a></span></p> - -<p class="i1">—Cela me paraît très bien!—approuva -M<sup>me</sup> Taillard.</p> - -<p class="i1">Elle aussi ne souhaitait que de partir. -La semaine d'avant, elle venait de -rompre avec Alcide Barbier qui, décidément, -ne lui procurait plus aucune espèce -de plaisir. Elle avait hâte de quitter cette -ville de désillusion où nul charme ne la -retenait plus.</p> - -<p class="i1">Restait à choisir la plage, car le docteur -ordonnait à Roger la mer. M. Lecherrier -penchait pour Trouville, dont -le tumulte cacherait, à l'occasion, ses -frasques; mais Lucie affirmait l'endroit -trop mondain, sans ajouter qu'il était -trop près d'Houlgate, où villégiaturaient -les Barbier.</p> - -<p class="i1">Gégé proposa Dieppe. Les Ribermont -y possédaient une villa avenue Aguado, -<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[Pg 123]</a></span> -et ne demanderaient pas mieux que de -s'entremettre pour la location.</p> - -<p class="i1">On se rallia à Dieppe. En trois télégrammes, -un joli <i>cottage</i>, sur la route -d'Arques, fut signalé, décrit, loué.</p> - -<p class="i1">Et, quatre jours plus tard, après de -tendres adieux à son père, Gégé débarquait -en gare de Dieppe, avec toute la -maisonnée de l'avenue Marceau.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[Pg 125]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_131.jpg" id="i_131.jpg"></a> - <img src="images/i_131.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="VI" id="VI"></a>VI</h2> -</div> - -<p class="i1">Septembre approchait, et Gégé commençait -à compter les jours sans savoir -si c'était plus par joie de revoir son père -ou regret de quitter sa mère.</p> - -<p class="i1">Comme ce mois d'août avait filé! -Quelles vacances! Non, dans tous ses -souvenirs, Gégé ne s'en rappelait pas de -si paisibles chez lui, ni au dehors de si -étourdissantes.</p> - -<p class="i1">Dès l'arrivée, d'abord, Ribermont -l'avait affilié à une coterie ultra-fermée -de petits garçons de bonne famille, qui -<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[Pg 126]</a></span> -faisaient, sur la plage, la pluie et le beau -temps. A ceux du «groupe», comme on -disait, tous les privilèges et toutes les -faveurs. A eux les baigneurs les plus -demandés, les premiers rangs aux bals -d'enfants, la maîtrise de la terrasse, la -suprématie sur le galet, les préférences -des plus jolies petites filles. Mais quiconque -n'appartenait pas au «groupe» -était tenu pour nul et non avenu.</p> - -<p class="i1">Annoncé par Ribermont comme un -«chic type», Roger avait rapidement -pris dans cette élite une forte situation. -Son agilité, son entrain y aidaient, et -aussi son Alouette-extra. Fastueux avec -cela, grâce à ses semaines doubles, -payant partout à gousset ouvert, il n'y -avait plus de partie, plus d'excursion -sans lui. Et dans tous les jeux, il était -<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[Pg 127]</a></span> -bien rare qu'on ne l'élût pas chef de camp.</p> - -<p class="i1">Vers le milieu du mois, pourtant, les -délices de cette popularité avaient failli -être gâtées par un accident de correspondance -au sujet d'un certain Bousingot, -dont le nom revenait dans toutes -les lettres de Taillard à son fils. «Bousingot -t'envoie ses meilleures amitiés... -Bousingot devient de plus en plus gentil...» -A la troisième lettre, intrigué, -M. Lecherrier s'était enquis du personnage. -Et Gégé, comme une faute, avait dû -confesser que le nommé Bousingot n'était -autre qu'un petit poney alezan acheté -en juillet, à son intention, par Taillard.</p> - -<p class="i1">Mais, M. Lecherrier, aguerri maintenant -à ces manœuvres, avait paru trouver -la chose toute naturelle.</p> - -<p class="i1">—C'est parfait. Seulement, il faut -<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[Pg 128]</a></span> -t'entraîner, mon garçon... Que dirais-tu, -par exemple, de quelques sorties à cheval -avec le maître de manège?...</p> - -<p class="i1">Puis, le lendemain, il rapportait à Roger -un cachet de douze promenades -«accompagnées».</p> - -<p class="i1">Le prestige du jeune chef de camp s'en -accrut encore auprès de ses petits camarades -du groupe. Quand il passait à cheval, -avec l'écuyer en culotte mastic, -c'était à qui le hélerait pour faire parade -de son amitié ou le complimenter de sa -monture. Entre temps, on avait appris -que, pour la rentrée, son grand-père lui -promettait un petit «tonneau»; et, dans -toutes les villas du groupe, à tous les repas -de famille, il n'était bruit que de -Gégé Taillard, de son Alouette, de son -poney et de son tonneau à venir.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[Pg 129]</a></span></p> - -<p class="i1">Parmi tant de distractions, comme on -pense, ses devoirs de vacances avaient -cruellement pâti.</p> - -<p class="i1">Un matin, saisissant le prétexte du -départ prochain, M<sup>me</sup> Taillard acheva de -l'en libérer:</p> - -<p class="i1">—Bah! tu travailleras en septembre, -chez ton père...</p> - -<p class="i1">Ce que Gégé ne se fit pas répéter deux -fois.</p> - -<p class="i1">Et dès lors, chaque après-midi, le -déjeuner fini, au lieu de se morfondre -dans les froides analyses logiques ou les -funestes règles de trois, il partait avec sa -mère en promenade.</p> - -<p class="i1">Tendrement, bras dessus bras dessous, -on s'en allait soit vers la campagne voisine, -soit vers la plage, déserte à cette -heure. Lucie s'asseyait sur un talus et -<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[Pg 130]</a></span> -tirait son ouvrage, tandis que Roger -feuilletait auprès d'elle quelque journal -illustré. Ou bien, si l'on avait gagné la -plage, il cherchait pour M<sup>me</sup> Taillard un -pliant, et, accoté contre elle, le dos à ses -genoux, il jetait devant lui des galets secs -qui cabriolaient vers la mer comme -dans une frénésie de suicide.</p> - -<p class="i1">On ne disait presque rien. On allait se -quitter. On y songeait. Et, dans le -tourbillon de ses plaisirs, Gégé aimait -beaucoup ces haltes de mélancolie qui -ne l'empêchaient pas, une heure après, -de s'amuser tant et plus.</p> - -<p class="i1">Malheureusement pour M<sup>me</sup> Taillard, -sa tristesse durait bien au delà. En réalité -même, depuis l'arrivée à Dieppe, cette -tristesse n'avait pas cessé, et, chaque -jour, se faisait plus obsédante.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[Pg 131]</a></span></p> - -<p class="i1">Parmi les douleurs de la jeune femme, -le départ de Roger n'était qu'une blessure -prévue. Ses vrais soucis allaient -plus loin, vers la vie incertaine et trouble -qui s'ouvrait à présent pour elle.</p> - -<p class="i1">Comment finirait ce divorce? Que lui -laisserait-on de Gégé? Et ensuite, sans -mari, sans amant, peut-être sans fils, -que devenir?... Se remarier? Avec qui -et dans quel intérêt?... Se risquer à une -liaison nouvelle? Pour combien de -temps et sur quelles garanties?... Ses -chagrins passés la mettaient en méfiance, -ses déboires récents en révolte. Et, pardessus -tout, le mystère de tant de questions -sans réponses l'affolait.</p> - -<p class="i1">La pire infériorité des femmes, c'est -de ne pas savoir attendre. Au bonheur -même, leur impatience ne tolère pas la -<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[Pg 132]</a></span> -plus légère inexactitude: s'il n'arrive pas -à l'heure dite, les voilà hors d'elles, perdues. -Ou bien, danger plus grave, -elles se mettent à sa recherche. Dans tout -monsieur qui passe elles croient le -reconnaître, quittes à tâter d'un autre, -en cas d'erreur sur la personne. Et ainsi -Lucie en était venue à se demander si le -plus simple encore ne serait pas d'accepter -sans façon, les offres de service -que lui réitérait chaque matin, au Casino, -Germain Chavanne, un assez joli -garçon à moustache brune, camarade de -cercle de M. Lecherrier, bien élevé, -plutôt spirituel, et présentant, comme -flirt, le maximum des qualités requises.</p> - -<p class="i1">Cependant une autre solution la tentait. -Mais si difficile, si aléatoire que -rien que l'aborder lui faisait peur. Il -<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[Pg 133]</a></span> -fallut, pour l'y enhardir, la nécessité du -dernier moment, juste la veille du jour -où Roger s'en allait.</p> - -<p class="i1">C'était après déjeuner au jardin. -M. Lecherrier était remonté faire la -sieste. Et comme Roger se disposait à -le suivre, pour finir sa malle, M<sup>me</sup> Taillard, -dans un élan de courage le retint:</p> - -<p class="i1">—Reste un peu, mon petit... Tu -emballeras plus tard... Viens ici... J'ai à -te dire un grand secret...</p> - -<p class="i1">Elle attira Gégé sur ses genoux, et, la -tête contre sa tête:</p> - -<p class="i1">—Écoute bien, mon chéri... Ni moi -ni ton grand-père nous ne t'avons jamais -soufflé mot de ce divorce, parce que ce -sont des choses qui ne regardent pas les -enfants... Seulement de toi-même, tu as -<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[Pg 134]</a></span> -dû remarquer combien cette affaire s'éternisait!...</p> - -<p class="i1">—Oh! oui, maman!—fit par politesse -Gégé, à qui pourtant le temps -n'avait pas semblé long.</p> - -<p class="i1">—Et sais-tu pourquoi cela dure tellement? -C'est à cause de toi... Note bien, -je ne dis pas: «par ta faute», je dis: -«à cause de toi...» Oui, tous les ennuis -viennent de ce que ton père et moi -nous ne parvenons pas à nous entendre -à ton sujet... Nous voudrions chacun te -garder entièrement, ou du moins t'avoir -plus... Il en résulte des difficultés interminables... -Et c'est pour cela que souvent -tu me vois si triste, si préoccupée...</p> - -<p class="i1">Sa voix fléchissait.</p> - -<p class="i1">—Maman! Maman! tu ne vas pas -pleurer!—fit Roger avec énergie.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[Pg 135]</a></span></p> - -<p class="i1">—Eh bien!—reprit M<sup>me</sup> Taillard en -se dominant,—il y aurait peut-être un -moyen de mettre fin à cette situation -désolante: ce serait que, pendant le mois -que tu vas passer là-bas, à Courteuil, tu -tâches de me raccommoder avec ton -père...</p> - -<p class="i1">Gégé, inconsciemment, détourna les -yeux.</p> - -<p class="i1">—Regarde-moi bien, mon chéri,—continua -M<sup>me</sup> Taillard.—Naturellement -il faudra y aller avec beaucoup de prudence. -Ainsi, il serait de la dernière maladresse -de dire à ton père que c'est moi -qui propose cette réconciliation. Cela lui -donnerait une trop grande opinion de -ses droits sur toi, de ses chances dans -le procès. Et après, s'il refusait, je serais -trop humiliée... Non, il faudrait, au contraire, -<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[Pg 136]</a></span> -présenter l'idée comme venant de -toi: une idée que tu aurais eue, tu comprends?... -Tu dirais, je suppose: «Moi -je suis sûr que si tu voulais te réconcilier -avec maman, elle accepterait très -bien...» Et s'il te questionnait, tu ajouterais -que je t'ai toujours parlé gentiment -de lui, que tu t'engages à tout arranger, -que ça te ferait un plaisir énorme... -La vérité, quoi!</p> - -<p class="i1">—Oui, oui!—approuva Roger qui -n'écoutait plus que d'une oreille bourdonnante.</p> - -<p class="i1">—Je t'explique tout cela en gros... Je -ne peux pas te mâcher tous les mots... -Mais, une fois en route, je suis persuadée -que tu t'en acquitterais à merveille... -Voyons, ça te va-t-il? Puis-je compter -sur toi?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[Pg 137]</a></span></p> - -<p class="i1">—Oh! oui, maman!—répliqua faiblement -Gégé.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard le rassujettit, car il glissait -un peu de ses genoux, puis le pressant -plus fort contre son buste:</p> - -<p class="i1">—Seulement, dis-toi bien, mon petit, -que ce que je te demande là, c'est pour -toi, uniquement pour toi... Sans toi, -crois-tu que la vie d'autrefois me referait -envie?... Et il y aura aussi des gens qui -se moqueront, qui prétendront que je ne -sais pas ce que je veux... Mais moi, je le -sais, et c'est l'essentiel... Je veux te garder... -Je ne veux pas te perdre, mon cher -petit, mon bon trésor...</p> - -<p class="i1">Gégé, les paupières mi-closes, le nez -dans le cou de sa mère, se laissait bercer -sans défense. Par les mille petits -trous du corsage ajouré, une tiède odeur -<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[Pg 138]</a></span> -de white rose et de chair s'exhalait vers -lui. Il aurait aimé rester indéfiniment -dans cette pénombre parfumée, n'avoir -plus jamais de gestes à faire, ni de paroles -à prononcer. M<sup>me</sup> Taillard cependant le -posa à terre.</p> - -<p class="i1">—Là,—dit-elle, après un dernier -baiser,—va achever ta malle, mon -chéri... Et, je t'en supplie, pas un mot -de tout cela à ton grand-père!... Si notre -petit complot échouait, ce serait des histoires -à n'en plus finir... Donc, tu me -promets bien le secret?</p> - -<p class="i1">—Je te le promets, maman!—fit -Gégé, de profil, les yeux en biais vers la -maison.</p> - -<p class="i1">Maintenant, dans la pleine lumière, -sous les regards de sa mère, il préférait -cesser la conversation. Il gravit au galop -<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[Pg 139]</a></span> -l'étage qui menait à sa chambre et, la -porte refermée, il commença, d'un geste -machinal, à empiler ses livres. Mais aussitôt -il dut s'arrêter pour essuyer une -larme qui lui chatouillait l'aile du nez. -Puis, c'en fut une autre, une autre encore. -Alors, lâchant les empaquetages, il s'assit -sur le bord du lit, les poings aux yeux -pour pleurer à son aise.</p> - -<p class="i1">Quel coup! Quel écroulement!</p> - -<p class="i1">Deux ou trois fois, dans des mauvaises -nuits, il avait rêvé que l'existence de -jadis reprenait. Il se revoyait avec effroi -entre ses parents aux prises. Il entendait -les cris, les injures. Dans le brouillard -du songe, il apercevait les verres brisés, -les nappes souillées, les visages défigurés -par la rage, les feux de la haine aux prunelles. -Et ensuite il se retrouvait brusquement -<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[Pg 140]</a></span> -dans sa petite chambre, au fond -du couloir, avec la rigoureuse Annette -cousant en silence près de la lampe, tandis -qu'au loin les portes battaient comme -sous l'ouragan...</p> - -<p class="i1">Mais, au réveil, il oubliait vite ces angoisses. -Les rêves, est-ce que ça arrive? -Et voici que tout de même ça arrivait!</p> - -<p class="i1">Le cauchemar se faisait réalité. Bien -pis, c'était lui, Gégé, qu'on chargeait de -la métamorphose!</p> - -<p class="i1">Adieu les dîners calmes et les journées -de paix! Finies, les gâteries, les cajoleries, -les surprises! Plus de petits -voyages entre les deux maisons! Plus de -regains de tendresse! Plus de changements! -Plus de joies!</p> - -<p class="i1">Et, à cette lugubre liquidation, Gégé, -pour la première fois, sentait aussi clairement -<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[Pg 141]</a></span> -tout son bonheur depuis trois -mois.</p> - -<p class="i1">Certes, la minute d'avant, il ne s'estimait -pas à plaindre; mais il ne se serait -jamais jugé si heureux. Cette catastrophe -était pour lui une vraie révélation.</p> - -<p class="i1">Il n'y pouvait pas croire. Alors, quoi! -véritablement, cela allait recommencer? -Il faudrait replonger dans la tourmente, -redevenir un pauvre petit diable, ballotté -au gré des scènes, des querelles, et que -personne n'aimerait plus! Car, lorsque -les parents se détestent, est-ce qu'ils -ont le temps de vous aimer? On les -gêne, ils vous renvoient pour se disputer -tranquillement: «Tout à l'heure, -Gégé!»</p> - -<p class="i1">A ce souvenir amer, il eut une nouvelle -crise de larmes. Oh! pour qu'ils -<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[Pg 142]</a></span> -continuent à l'aimer bien fort comme ils -faisaient depuis le divorce, qu'il aurait -de bon cœur donné et l'Alouette et le -poney et tous les plus beaux cadeaux du -monde!... Mais voilà, il n'avait pas le -choix! Dans les affaires de ce genre, on -ne demande pas leur avis aux petits garçons. -Il ne leur reste qu'à se taire et à -obéir. Voilà!... Si seulement encore, il -avait été hardi, et débrouillard comme -certains de ses camarades, comme Ribermont, -par exemple, peut-être bien s'en -serait-il tiré, eût-il découvert un remède... -D'ailleurs, au fait, pourquoi ne pas aller -le consulter, ce malin de Ribermont? Il -aurait sûrement une idée, lui!... Et Gégé -cessant incontinent de pleurer ne songea -plus qu'à effacer les traces de ses larmes. -Puis, bien lotionné, bien séché, les paupières -<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[Pg 143]</a></span> -normales, le sourire aux lèvres, -il redescendit.</p> - -<p class="i1">—Où vas-tu donc?—demanda -M<sup>me</sup> Taillard, qui était restée à broder -dans le jardin.</p> - -<p class="i1">—Chez Ribermont, maman.</p> - -<p class="i1">—Comment! ce n'est pas l'heure de -son travail?</p> - -<p class="i1">Gégé, qui n'avait pas prévu la question, -trouva d'emblée son premier mensonge:</p> - -<p class="i1">—Oh! je vais simplement chercher -un livre que je lui ai prêté...</p> - -<p class="i1">En entrant chez son camarade, il dut -renouveler la même justification à M<sup>me</sup> de -Ribermont, qui traversait le vestibule.</p> - -<p class="i1">—Très bien, mon petit ami!—fit -celle-ci avec cette nuance de compassion -qui se devait à Gégé.—Pierre est là-haut -<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[Pg 144]</a></span> -dans sa chambre. Il travaille.</p> - -<p class="i1">Un travail très confidentiel, sans doute, -car, à peine Roger ouvrait-il la porte, -Ribermont précipita dans un tiroir le -livre placé sous ses yeux.</p> - -<p class="i1">—Eh bien! tu m'en as fait une peur!—s'écria-t-il -en reconnaissant l'intrus.</p> - -<p class="i1">—Qu'est-ce que tu lisais donc?—interrogea -le jeune Taillard, qui savait le -talent de Ribermont pour chiper chez -son père des livres défendus.</p> - -<p class="i1">—Un chouette bouquin, va!... Rudement -chouette, même: <i>Bélisaire</i>, par Marmontel.</p> - -<p class="i1">—C'est amusant?—questionna Gégé.</p> - -<p class="i1">—Un peu!—dit avec fierté Ribermont, -qui, malgré l'ennui écrasant de -cette lecture, ne voulait pas diminuer -l'importance de son larcin.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[Pg 145]</a></span></p> - -<p class="i1">Gégé, distraitement, parcourut quelques -lignes, puis, posant le livre:</p> - -<p class="i1">—Dis donc, vieux, tu ne sais pas ce -qui m'arrive? Voilà maintenant maman -qui veut se raccommoder avec papa!</p> - -<p class="i1">Et, sans omettre un mot, il conta en -détail toute la scène du jardin.</p> - -<p class="i1">Ribermont écoutait, partagé entre deux -mauvais sentiments. Cette déconvenue -de son ami, après une série de veine -aussi prolongée, lui paraissait assez plaisante. -Mais il en considérait avec moins -de faveur les conséquences personnelles. -En somme, jusque-là il avait largement -bénéficié de ce qui advenait de bon à -Gégé. Il était de toutes ses parties, de -toutes ses promenades, de tous ses plaisirs. -Sans parler des menus services pécuniaires, -qui chaque mois montaient bien -<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[Pg 146]</a></span> -à une quarantaine de francs, Roger ayant -pris l'habitude de se laisser taper en douceur. -Ribermont se sentait donc directement -menacé dans la débâcle de son -camarade.</p> - -<p class="i1">—Et alors?—fit-il, quand Gégé se -fut tu.</p> - -<p class="i1">—Alors, moi, je ne sais pas comment -faire... Franchement, à ma place, qu'est-ce -que tu ferais?</p> - -<p class="i1">Ribermont, qui ne se distinguait pas -par la suite dans les idées, répondit à -côté:</p> - -<p class="i1">—Et toi qui me disais que ce divorce -était un grand malheur!</p> - -<p class="i1">Roger ne put dissimuler un geste -d'impatience:</p> - -<p class="i1">—Je ne te demande pas ce que je t'ai -dit. Je te demande ce qu'il faut faire!...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[Pg 147]</a></span></p> - -<p class="i1">—Attends alors que je réfléchisse!—fit -Ribermont avec aigreur.</p> - -<p class="i1">Puis, sans réfléchir, à mesure que cela -lui venait, il déclara:</p> - -<p class="i1">—Moi, voilà, je ne sais pas... Ça -dépend... D'abord, tu n'as pas besoin de -te presser pour dire la chose à ton père...</p> - -<p class="i1">—Ça, c'est vrai!—accorda Gégé.</p> - -<p class="i1">—Et puis, tiens, à ta place, moi, je -ne suis pas sûr, mais peut-être bien que -je ne dirais rien du tout...</p> - -<p class="i1">En entendant formuler tout haut l'ultime -secret de ses arrière-tentations, -Gégé eut un recul de pudeur:</p> - -<p class="i1">—Oh! non... Ce serait trop mal... -Pense donc! Moi qui ai promis!...</p> - -<p class="i1">—Je ne dis pas que sûrement je ne -dirais rien... Je te dis: «Peut-être...» -Enfin, tu verras!...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[Pg 148]</a></span></p> - -<p class="i1">Gégé, sans répliquer, tournait autour -de la chambre, la tête basse, les mains -enfoncées à la faire craquer dans les -poches de sa culotte.</p> - -<p class="i1">—Il faut que je m'en aille!—conclut-il. -J'ai pas fini d'emballer.</p> - -<p class="i1">Ribermont, à la fenêtre, le suivit du -regard, tandis qu'il remontait l'avenue -Aguado. Il marchait lentement au bord -du trottoir, avec l'allure de la plus déchirante -perplexité.</p> - -<p class="i1">—Pauvre type!—prononça Ribermont, -en repoussant la croisée.</p> - -<p class="i1">Mais le lendemain, à la gare, pendant -que M. Lecherrier faisait enregistrer les -bagages, Gégé entraîna son ami dans un -coin de la salle d'attente, et, du ton le -plus résolu:</p> - -<p class="i1">—Eh bien! tu sais... Je suis décidé... -<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[Pg 149]</a></span> -Je ne me presserai pas! Seulement, je -le dirai... Y a vraiment pas moyen de ne -pas le dire.</p> - -<p class="i1">—Comme tu voudras!—fit Ribermont -avec une moue d'adhésion sceptique.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[Pg 151]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_157.jpg" id="i_157.jpg"></a> - <img src="images/i_157.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="VII" id="VII"></a>VII</h2> -</div> - -<p class="i1">Depuis son arrivée à Courteuil, Gégé -gardait la plus complète réserve sur les -propositions de paix dont on l'avait -chargé.</p> - -<p class="i1">Non qu'il voulût éluder son mandat -ou qu'il nourrît des illusions sur le -dénouement. A ses yeux, désormais, -c'était une affaire réglée, sans appel.</p> - -<p class="i1">Mais raison de plus pour jouir tranquillement -des dernières bonnes heures.</p> - -<p class="i1">Et d'abord, fidèle à sa promesse de ne -pas se presser, il s'était, d'autorité, -<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[Pg 152]</a></span> -octroyé une semaine de répit total. Puis -la date des ouvertures venue, il avait -continuellement trouvé d'autres motifs -pour la proroger: une excursion, la présence -d'étrangers, des signes de nerfs -chez son père, tout lui servait. Et, bref, -à bout de prétextes, il s'était rejeté sur -la météorologie: pourquoi ne pas profiter -pleinement de ces admirables journées? -On aurait bien le temps, quand il -ferait mauvais! Gégé n'attendait donc -plus pour parler que le premier jour de -pluie ou de bourrasque.</p> - -<p class="i1">Mais, au fond, rien ne permettait de -prévoir cette intempérie. Jamais septembre -n'avait étalé plus insolente splendeur. -On eût dit un jeune mois d'été. -De l'aube au couchant, le soleil flambait -grossièrement dans une atmosphère -<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[Pg 153]</a></span> -sans brise. Les nuits étaient mauves et -tièdes comme des nuits de juillet. Et -Gégé, en se levant, avait fini par ne -plus même consulter le ciel, toujours -d'un bleu à toute épreuve.</p> - -<p class="i1">Du reste, sitôt debout, d'autres occupations -le réclamaient, si nombreuses, -si rapprochées, qu'avec l'assentiment de -Taillard les devoirs de vacances leur -avaient été, une bonne fois, sacrifiés.</p> - -<p class="i1"><i>Primo</i>, en guise d'apéritif, un tour -dans le parc, fort négligé par le propriétaire -précédent et où des jardiniers se -partageaient à retracer les allées, à émonder -les arbres, à replanter les parterres.</p> - -<p class="i1">Après quoi, le chocolat; puis, vite en -selle! Et l'on partait vers la forêt de -Chantilly, qu'on gagnait en quelques -foulées. Venceslas, le cob rouan de -<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[Pg 154]</a></span> -Taillard, avait l'air du frère aîné de -Bousingot, le poney alezan de Roger. -Crinière rase, queue courte, toilettés, -trapus et râblés, ils ressemblaient extraordinairement -à ces petits chevaux grecs -que Gégé avait vus dans son livre d'histoire. -Bousingot, plus jeune, avait plus -de fantaisie que Venceslas. Dès la porte, -il décochait à la Nature deux ou trois -solides saluts d'amitié avec ses sabots -de derrière:</p> - -<p class="i1">—Il est gai!—disait Taillard à -Gégé, devenu subitement grave.</p> - -<p class="i1">Car souvent la gaieté des bêtes fait la -mélancolie des hommes.</p> - -<p class="i1">Mais Bousingot, à peine en forêt, reprenait -tout son sérieux, et il n'y avait pas -d'animal plus sage, malgré sa vaillance.</p> - -<p class="i1">Deux heures durant, on galopait, on -<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[Pg 155]</a></span> -voguait à travers ces larges canaux de -terre grasse et brune qui font de la forêt -de Chantilly comme la Venise des chevaux. -On stoppait quelques instants dans -un carrefour pour regarder les charges -des pur sang à l'exercice, ou d'autres -qui rentraient à la file en ricanant sous -leur camail. On revenait au pas. On -déjeunait. Et tout de suite, jusqu'au -soir, dehors! Explorations aux environs -en auto, visites aux châtelains d'alentour, -tennis ou sauteries dans d'autres -maisons, Gégé ne chômait pas une -minute. Il s'était promptement créé des -relations dans tout le voisinage, n'y -comptait pas moins de trois vrais petits -amis du sexe mâle, plus une petite fiancée -très jolie, Janine de Royse. Et, le dîner -achevé, il avait bien trop sommeil -<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[Pg 156]</a></span> -pour se reprocher l'oubli de sa mission.</p> - -<p class="i1">Parfois cependant des scrupules venaient -le taquiner au beau milieu de ses -plaisirs. Ou bien, quand il écrivait à sa -mère, il sentait comme des gros flots -de vergogne lui monter du cœur au -visage. Au fond, ce qu'il faisait là, ce -n'était pas très chic.</p> - -<p class="i1">La pluie s'obstinait à ne pas tomber. -Huit jours seulement le séparaient de la -rentrée. D'une façon ou d'une autre, il -fallait en finir.</p> - -<p class="i1">Enfin, à force de chercher, il eut -une trouvaille. Non, il ne gâcherait pas -inutilement cette dernière semaine de -vacances; il la savourerait jusqu'au bout. -Mais, par exemple, quoi qu'il arrivât, le -jour de son départ, en allant à la gare, il -dirait tout.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[Pg 157]</a></span></p> - -<p class="i1">«Ça suffit bien!» conclut-il avec -indulgence.</p> - -<p class="i1">Et, du coup, il recouvra toute sa -belle humeur. Elle ne s'atténuait qu'aux -promenades du matin, où Taillard, -depuis quelque temps, ne cessait de -maugréer contre le pays, les environs, -sa propriété. Décidément, il ne s'y -plaisait pas du tout, oh! mais pas du -tout. Il avait loué cette sacrée bâtisse -avant ces diables d'histoires. Et maintenant -elle devenait trop grande. A -quoi bon ce second étage inhabité, ces -chambres d'amis sans amis, avec leurs -fenêtres aveugles, leurs volets toujours -clos? A rien qu'à attrister encore la -façade. Sûrement qu'il n'allait pas moisir -dans cette sinistre bicoque! Gégé -reconduit à Paris, il rentrerait au trot. -<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[Pg 158]</a></span> -Et, ouste! les malles, les chevaux, les -voitures, un écriteau à la grille. Ensuite -sous-louerait qui voudrait. Parce que, -lui, il en avait par-dessus la tête.</p> - -<p class="i1">Ces doléances quotidiennes assommaient -Gégé, non sans l'étonner. Il lui -semblait revoir son papa d'autrefois, -avec la figure méchante, les bougonneries -perpétuelles, le mécontentement -chronique. Voyons, la maison, les environs, -tout le reste, ne paraissaient pas si -mal! Certainement qu'il y avait là-dessous -d'autres raisons, pour se mettre -dans un tel état.</p> - -<p class="i1">En quoi Roger ne jugeait pas trop -faux: car ce dont Taillard avait par-dessus -la tête, ce n'était ni Courteuil, ni -la bicoque, ni la contrée avoisinante. -Son aigreur venait de bien ailleurs.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[Pg 159]</a></span></p> - -<p class="i1">Au début, le retour à la vie de garçon, -la noce en liberté, Nelly Jelly, les visites -chez l'avoué, tout cela lui avait donné -l'illusion d'une existence refaite et organisée. -Pourtant les charmes de l'accent -anglais n'ont qu'un temps, la fête à -outrance lasse, les joies de la procédure -sont limitées; et, Nelly Jelly, congédiée -avec une honorable soulte, les plaidoiries -ajournées, sitôt installé à Courteuil, -Jacques avait soudain perdu l'assurance. -Non qu'il fût de ces empruntés qui frémissent -devant des comptes de cuisinière, -et, au surplus, quant à la tenue -de la maison, Annette y pourvoyait -amplement. Mais quelque chose manquait -à ses instincts bourgeois: une -base d'attache, un contrepoids, ce qui -vous retient sans vous lier, en un mot: -<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[Pg 160]</a></span> -le ménage. Il se sentait déséquilibré, -dépareillé, voué fatalement au ridicule -d'un mariage nouveau, sinon à la chute -dans le collage. Sans oublier ce procès -douteux où il risquait de laisser son -fils, de se diminuer un peu plus!... Et, -la présence de Roger aidant, graduellement, -jour par jour, il avait pris le -dégoût de son divorce. En somme, -malgré un affreux caractère, cette Lucie -était une bonne fille, une maîtresse de -maison hors ligne, une mère exceptionnelle. -Avant de se fâcher, elle en avait -subi de toutes les couleurs. Ah! si elle -voulait encore y mettre un peu du sien, -voir les choses en face, se rendre compte -de la situation, comme ce procès s'arrangerait -vite! Et dix fois Jacques -avait été sur le point de demander à -<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[Pg 161]</a></span> -Gégé l'auxiliaire de ses bons offices.</p> - -<p class="i1">Mais le 30 septembre arriva, qu'il -hésitait toujours.</p> - -<p class="i1">Ce matin-là, depuis l'aube, la pluie -tombait sans relâche. Le ciel étendait à -perte de vue un désert gris de fer. Les -arbres, avec des contorsions de désespoir, -pleuraient leurs feuilles sous la -rafale. Les vitres ruisselantes tremblaient -de froid.</p> - -<p class="i1">C'était bien le temps que Gégé attendait -depuis près d'un mois, tout à fait le -temps qui convenait au dernier jour d'un -condamné.</p> - -<p class="i1">—Quelle sale pluie!—murmura-t-il -malgré lui, en regardant à travers la -fenêtre le parc lamentable avec ses allées -jaunies par l'averse et ses pelouses noircies -de branches mortes.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[Pg 162]</a></span></p> - -<p class="i1">Puis, le cœur pesant, les mains sans -élan, il procéda mollement à ses apprêts -de voyage.</p> - -<p class="i1">«Plus que neuf heures!... Plus que -huit!... Plus que sept!... Plus que -six!...»—songeait-il, à chaque tintement -de la pendule.</p> - -<p class="i1">Il se répétait ces chiffres avec moins -de crainte que d'impatience. Il aurait -souhaité être déjà en voiture, seul à -côté de son père, et que tout fût dit et -accompli.</p> - -<p class="i1">Mais comme, après goûter, on montait -en coupé pour se rendre à la gare, -M. de Royse, le propre père de la petite -fiancée, ayant à faire dans Chantilly, -demanda à Taillard un abri jusque-là.</p> - -<p class="i1">Gégé en éprouva une sorte de soulagement. -Si pressé qu'il fût de parler, ce -<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[Pg 163]</a></span> -sursis imprévu ne le contrariait pas tant -qu'il aurait cru. Il le prolongea même -au delà de la Grande-Rue, où l'on avait -posé M. de Royse, car, en wagon, pour -causer, on serait beaucoup mieux avec -tout le laps nécessaire.</p> - -<p class="i1">Mais, au sifflet de départ, bien que -dans le compartiment il n'y eût que lui -et son père, il recula encore. Il voulait, -une dernière fois, contempler au passage -les étangs de la Reine-Blanche, et, -pour ne pas les manquer, il s'agenouilla -contre la vitre. On sortait des bois. Le -train passa au-dessus de la vallée. En -bas, dans leurs impuissants remparts de -feuillages, les étangs avaient cet air -désarmé des pièces d'eau que l'ondée -mitraille. Sous le vent, les roseaux du -bord ne savaient plus où donner de la -<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[Pg 164]</a></span> -tête. Seule la petite chapelle romantique -gardait son impassibilité de presse-papier. -Puis, brusquement la vision -cessa. Le moment était venu. Gégé se -retourna avec un soupir, et, tout en -balançant par contenance la sangle brodée -de la portière:</p> - -<p class="i1">—Papa!—fit-il,—je voudrais...</p> - -<p class="i1">Mais, au même instant, Taillard, -lâchant son journal, lui coupa la parole:</p> - -<p class="i1">—Dis-moi un peu, mon petit... Tu -es un grand garçon... Je n'ai pas à me -gêner avec toi... Eh bien! entre nous, -je vais te confier une chose... J'en ai -assez de cette existence de bohème. J'en -ai assez de ce divorce, de tes randonnées -perpétuelles entre les deux maisons, de -ce procès qui n'en finit pas et dont personne -ne sait comment il finira... Les -<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[Pg 165]</a></span> -juges peuvent très bien te donner complètement -à ta mère ou complètement -à moi... Et alors nous serions jolis!... -Tu sais que je n'aime pas à faire de -l'attendrissement inutile... Mais si, par -malheur, je perdais, si c'était à moi qu'on -t'enlevait, tu vois d'ici ma vie... Elle -serait impossible, intolérable... Eh bien! -pour nous tirer de là, il n'y a que toi... -Il faut absolument que tu essayes de me -remettre avec ta mère...</p> - -<p class="i1">Puis, saisissant la main de Gégé, il -continua, d'une voix moins saccadée, -l'exposé de son plan. C'était le même que -celui de Lucie, avec les mêmes conseils de -prudence, les mêmes recommandations -d'habileté, les mêmes ruses naïves, les -mêmes mots presque, et Gégé, les cils -baissés, l'écoutait pétrifié.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[Pg 166]</a></span></p> - -<p class="i1">D'abord, immédiatement, il avait eu -l'élan d'arrêter net son père, de lui débiter -d'un jet tous les vœux de M<sup>me</sup> Taillard, -si pareils. Mais dix questions prévues -l'avaient aussitôt muselé: «Pourquoi ne -l'avoir pas dit plus tôt? Pourquoi avoir -attendu tout ce mois? Pourquoi ne s'être -décidé qu'à la dernière minute?...» -Voilà ce qu'infailliblement on allait lui -demander. Et qu'y répondre?</p> - -<p class="i1">—Naturellement, ce ne sera pas commode,—acheva -Taillard.—Ta mère -n'a pas toujours eu à se louer de moi... -J'ai été souvent un peu dur à son égard... -Pour commencer, elle fera peut-être des -difficultés... Mais, si tu insistes, si tu -y reviens avec fermeté, je suis convaincu -que tu la persuaderas...</p> - -<p class="i1">Et comme Gégé, écartelé entre la honte, -<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[Pg 167]</a></span> -l'angoisse, l'indécision, se butait dans -son silence, Taillard le secoua affectueusement:</p> - -<p class="i1">—Voyons, mon petit, dis quelque -chose... Tu restes là avec un air ahuri... -Est-ce que, par hasard, cette commission -t'ennuierait?</p> - -<p class="i1">—Pas du tout!—parvint à prononcer -Roger.</p> - -<p class="i1">—Alors, c'est entendu, tu essaieras? -Je puis compter sur toi?</p> - -<p class="i1">—Mais oui, papa!—affirma Gégé -presque en larmes.</p> - -<p class="i1">—Allons, bon! voilà que tu pleures, à -présent! Il n'y a pas de quoi, bêta: si -tu ne réussissais pas, crois-tu que je t'en -voudrais? Pas du tout!</p> - -<p class="i1">Et il détourna la conversation sur -Bousingot, qu'on ramènerait incessamment -<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[Pg 168]</a></span> -à Paris, sur l'institution Beaujoint, -qui rouvrait le lendemain, sur certain -pardessus d'hiver, qu'il se proposait de -commander à Roger. Mais celui-ci ne -répondait qu'avec apathie. Ses yeux -égarés semblaient considérer à l'intérieur -un défilé de rêveries cruelles. Et, -en effet, plus il y réfléchissait, plus sa -situation lui apparaissait effrayante et -inextricable.</p> - -<p class="i1">De toutes parts il avait l'impression -d'être bloqué, traqué, sans issue ni -refuge. Il ne lui restait même pas la ressource -de réparer en transmettant les -offres de son père. Car, sitôt joints, en -quelques mots, ses parents se révéleraient -son premier silence, sa première faute. -Et comment la leur expliquer? Comment -leur dire la vérité?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[Pg 169]</a></span></p> - -<p class="i1">Rien qu'à imaginer de si horribles -aveux, Gégé se sentait le cœur en déroute. -Après, que penseraient de lui son père, -sa mère, M. Lecherrier? Est-ce qu'ils -pourraient l'aimer encore, avoir encore -confiance en lui? Non! Tout, plutôt que -d'en tomber là! Même persister à se taire, -même mentir au besoin, même se charger -des pires remords...</p> - -<p class="i1">—Allons! mon garçon,—s'écria -Taillard.—Ne sois donc pas si absorbé: -tu n'as pas besoin de te créer un monde -de cette commission... Tu la feras demain, -après-demain, quand ça se rencontrera!...</p> - -<p class="i1">Et, tirant son sac du filet, car on approchait -de Paris:</p> - -<p class="i1">—Pourvu qu'à la fin de la semaine tu -aies parlé, c'est largement... Je ne rentrerai -<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[Pg 170]</a></span> -pas avant samedi... Ainsi, cela te -fait six grands jours devant toi...</p> - -<p class="i1">Hélas! ce n'était pas ce qu'il avait -devant lui qui inquiétait Gégé, c'était ce -qu'il avait derrière: tout cet amas de -demi-silences, de demi-mensonges, de -demi-calculs, toute cette vase de vilaines -choses où chaque effort pour se dépêtrer -le faisait enfoncer davantage...</p> - -<p class="i1">Un farouche sifflement de la locomotive -lui donna une commotion. Le train -courait dans un ravin charbonneux, bastionné -de maisons jaunâtres et tristes. Des -linges de couleur terne pavoisaient les -croisées. A sa fenêtre, une grosse femme -en camisole embrassait un homme en -bourgeron bleu. On arrivait.</p> - -<p class="i1">Sur le quai, Roger aperçut Firmin, -qui l'attendait pour le conduire avenue -<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[Pg 171]</a></span> -Marceau. Puis, les bagages délivrés, -Taillard mit son fils en fiacre:</p> - -<p class="i1">—Au revoir, mon petit!... A samedi -prochain, chez moi, avenue d'Antin...</p> - -<p class="i1">Et, comme la voiture démarrait, il -ajouta avec un clin d'œil confidentiel:</p> - -<p class="i1">—A moins que, d'ici-là, il n'y ait eu -du nouveau!</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[Pg 173]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - <div class="figcenter"><a name="i_179.jpg" id="i_179.jpg"></a> - <img src="images/i_179.jpg" - alt="Décoration" /> - </div> - - <h2 class="nobreak"><a name="VIII" id="VIII"></a>VIII</h2> -</div> - -<p class="i1">—Comme ça, monsieur Roger s'est -bien amusé!</p> - -<p class="i1">—Très bien!</p> - -<p class="i1">—Monsieur Roger a bien monté à -cheval?</p> - -<p class="i1">—Oui!</p> - -<p class="i1">—Monsieur Roger a joliment profité... -C'est madame qui va être contente!</p> - -<p class="i1">—Oui, oui...</p> - -<p class="i1">La conversation rendait peu. Firmin, -à sec d'inventions, se retourna vers la -<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[Pg 174]</a></span> -portière de droite, tandis que Gégé regardait -par l'autre.</p> - -<p class="i1">Dehors, sous la pluie, les becs de gaz -allumés commençaient leur faction de -nuit dans le crépuscule. A travers la rue -Lafayette, montait, descendait, pataugeait -la bousculade des gens affairés, avec -leurs vêtements médiocres, leurs mines -soucieuses, leurs chapeaux hauts de -forme,—toute la cohue du labeur parisien, -si étrange, si nouvelle quand on revient -des champs. Les tramways fonçaient -lâchement sur les fiacres qui se -garaient avec dédain et mauvais vouloir. -Au carrefour Montholon, deux grisettes, -sous un parapluie, sourirent gentiment à -Gégé en lui lançant une plaisanterie. Plus -loin, un apprenti nu-tête lui tira la langue.</p> - -<p class="i1">Mais Gégé ne voyait pas, n'entendait -<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[Pg 175]</a></span> -pas. Il était tout à ses préparatifs. Quoi -qu'en eût dit Taillard, il n'y avait pas une -seconde à perdre. Dès l'arrivée, au saut -de la voiture, on pouvait le questionner -sur sa commission, lui demander des -comptes; et il fallait savoir quoi répondre.</p> - -<p class="i1">Rude tâche qu'un grand mensonge -pour qui n'en a pas le génie ou l'habitude. -C'est toute une œuvre à créer, à -monter, à mettre en scène. Telle version -risque de faire rire, telle autre s'expose aux -grosses objections. Certaines répliques -sont à couper alors qu'ailleurs des trous -fâcheux gâtent l'ensemble. Le ton de voix -importe aussi, comme le regard, le maintien, -le choix des détails. Et Roger, tout -neuf dans le métier, s'affolait parmi ces -combinaisons, ne sachant plus à laquelle -se vouer, jetant à bas les scénarios aussitôt -<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[Pg 176]</a></span> -que dressés, et désespérant d'aboutir.</p> - -<p class="i1">Si bien que la voiture tourna dans l'avenue -Marceau, sans qu'il eût rien arrêté. -Du reste, la tête congestionnée, avec une -oppression persistante qui lui courait de -la gorge aux entrailles, il était à bout -d'efforts. Et lorsque le cheval du fiacre -pénétra sous la voûte de l'hôtel en faisant -nonchalamment claquer ses fers, il -éprouva une sensation de délivrance. -Tant pis! Trop tard pour trouver maintenant. -Il parlerait comme il pourrait, -comme ça lui viendrait sur le moment.</p> - -<p class="i1">Cependant, après les premières effusions, -le malaise le reprit avec violence. -En défaisant ses colis, en dînant, en -jouant aux dames ensuite, il sentait, à -toute minute, des émotions qui lui traversaient -le cœur vivement, comme des -<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[Pg 177]</a></span> -petites aiguilles très fines: et, un instant, -son grand-père l'ayant laissé seul avec -M<sup>me</sup> Taillard, pour chercher un cigare, il -s'était cru perdu. Au jeu, il ne suivait -pas, accumulait les fautes. Les meilleures -plaisanteries ne lui arrachaient pas un -sourire. A la troisième partie, M. Lecherrier -finit par s'étonner:</p> - -<p class="i1">—Ah çà! mais tu m'as l'air d'être devenu -bigrement sérieux là-bas!... On -dirait, ma foi, que tu n'es pas content -d'être revenu ici?</p> - -<p class="i1">—Moi!... Ah ben, vrai!—protesta -Gégé.—Seulement je me suis levé tôt -et je suis un peu fatigué.</p> - -<p class="i1">—Ce n'est que cela? Il fallait l'avouer -tout de suite, mon petit... Va te coucher -au galop; nous terminerons la partie un -autre jour...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[Pg 178]</a></span></p> - -<p class="i1">Gégé, sans se faire prier plus, repoussa -sa chaise et vint tendre la joue à son -grand-père, puis à sa mère. M<sup>me</sup> Taillard -l'embrassa sommairement:</p> - -<p class="i1">—Sauve-toi, mon chéri... Je monterai -tout à l'heure te redire bonsoir dans ton -lit...</p> - -<p class="i1">Sous la surcharge de cette bonne promesse, -Gégé gravit lourdement l'escalier. -Cette fois, plus à reculer! Ce serait pour -ce soir! Dans quelques minutes il faudrait -mentir, mentir tout haut, mentir -pour de bon, mentir! Il se répétait machinalement -à mi-voix le mot abominable, -sans même plus chercher quels mensonges -il ferait ni comment il les accorderait: -«Mentir! Mentir!»</p> - -<p class="i1">Il se déshabilla d'une main tâtonnante. -Et, comme il grimpait dans son lit, il entendit -<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[Pg 179]</a></span> -sur le palier des pas légers, puis des -étoffes soyeuses frôlant le tapis du couloir.</p> - -<p class="i1">Sa mère approchait. Elle allait entrer. -Que lui dire?</p> - -<p class="i1">—Eh bien, mon pauvre Gégé!—soupira -M<sup>me</sup> Taillard en se penchant sur le -lit.—J'ai compris, n'est-ce pas?... Ta -fatigue n'était qu'un prétexte... La vérité, -c'est que tu m'apportes des mauvaises -nouvelles?</p> - -<p class="i1">Roger, étendu sur le dos, le regard en -fuite, approuva de la tête.</p> - -<p class="i1">—Voyons, comment ça s'est-il passé? -Quand lui as-tu parlé?</p> - -<p class="i1">Gégé, la voix chancelante, improvisa:</p> - -<p class="i1">—La semaine dernière, un matin, à -cheval, dans la forêt...</p> - -<p class="i1">—Et qu'est-ce qu'il a répondu?</p> - -<p class="i1">—Rien.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[Pg 180]</a></span></p> - -<p class="i1">—Comment, rien?</p> - -<p class="i1">Gégé, au supplice, corrigea:</p> - -<p class="i1">—Enfin, il a dit: «C'est bon! je verrai!»</p> - -<p class="i1">—Pas autre chose?</p> - -<p class="i1">—Non maman!</p> - -<p class="i1">—Mais quel air avait-il en disant -cela?</p> - -<p class="i1">—Je n'ai pas vu... Papa était plus -haut que moi... Son cheval est plus grand -que le mien...</p> - -<p class="i1">—Mais son ton, ses gestes? Paraissait-il -fâché, énervé?</p> - -<p class="i1">—Il me semble...</p> - -<p class="i1">—Et tu n'as pas renouvelé ton essai?</p> - -<p class="i1">—Non, j'ai pas osé...</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard posa au front de son fils -un baiser prolongé, et, avec un accent -de grande lassitude:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[Pg 181]</a></span></p> - -<p class="i1">—Que veux-tu, mon pauvre enfant! -Tu as fait ce que tu pouvais; nous n'avons -plus qu'à laisser aller les choses...</p> - -<p class="i1">Elle redressa l'oreiller, rajusta le drap -sur la couverture de satin bleu pâle:</p> - -<p class="i1">—Là, maintenant, dors, mon chéri... -Ne te fais pas de souci. Dans tout cela, -hélas! tu n'es pour rien!</p> - -<p class="i1">Puis, tournant le bouton de l'électricité, -elle se dirigea vers sa chambre, dont -elle repoussa la porte jusqu'au chambranle.</p> - -<p class="i1">Gégé, dans l'obscurité, appuyé sur les -coudes, écoutait de tout son être. Un moment, -il crut percevoir des sanglots. Mais -la porte presque jointe ne laissait échapper -que des bruits confus.</p> - -<p class="i1">Il retomba sur son traversin. Un peu -de sueur lui mouillait les tempes. Quelle -<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[Pg 182]</a></span> -torture! Quelle honte! Quelles minutes -terribles!... Et, la semaine suivante, -avec son père, il faudrait encore inventer -d'autres mensonges, passer par -les mêmes transes, subir les mêmes questions. -Dans ces conditions, Gégé commençait -à trouver que les douceurs du -divorce se payaient bien cher.</p> - -<p class="i1">Jamais il n'avait éprouvé pour lui-même -un pareil dégoût. A plat ventre, la -figure contre son oreiller, il chuchotait -désespérément:</p> - -<p class="i1">—Ah! c'est du propre! Ah! c'est du -beau!...</p> - -<p class="i1">Et, par-dessus le marché, personne à -qui se confier. Pas même Ribermont qui, -dans les derniers temps, par son cynisme, -avait perdu aux yeux de Roger toute -espèce de prestige moral. Personne!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[Pg 183]</a></span></p> - -<p class="i1">Mais soudain, dans ce noir abandon, -un nom jaillit comme une lueur de sauvetage: -l'abbé Moussoir.</p> - -<p class="i1">C'était un vieil ecclésiastique cévenol -qui remplissait chez M. Beaujoint des -fonctions analogues à celles d'aumônier. -Un peu aigri par sa carrière sans éclat, -impitoyable au catéchisme, pourtant, à -certains mots, à certains regards attendris -sous ses gros sourcils de laine grise, on -le devinait capable de bonté. Pourquoi ne -pas s'adresser à lui? La semonce serait -sévère, mais le conseil prompt et direct.</p> - -<p class="i1">Gégé, seulement, se donnait jusqu'à la -fin de la semaine pour essayer de sortir -sans aide de ses mensonges. Passé ce -délai, l'abbé saurait tout.</p> - -<p class="i1">Cette perspective d'un refuge possible -dans le désastre lui rendit du calme. A -<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[Pg 184]</a></span> -côté, la lumière s'était éteinte, rien ne -bougeait plus. Gégé, exténué, s'endormit -progressivement.</p> - -<p class="i1">Et, le lendemain matin, quand il vint -dire au revoir à sa mère, il se sentait -tout ragaillardi, tant par cette nuit de -bon sommeil que par ses vues sur l'abbé -Moussoir.</p> - -<p class="i1">M<sup>me</sup> Taillard, en peignoir de soie vert -mousse, examinait des dentelles, près de -la fenêtre.</p> - -<p class="i1">—Déjà levée, maman!—s'écria Gégé.</p> - -<p class="i1">—Oui, mon chéri, j'ai un tas de -courses à faire ce matin.</p> - -<p class="i1">Elle aussi paraissait reposée, le teint -frais sous une couche de poudre légère, -les paupières nettes, sans cernures, et -dans les yeux comme une clarté de vaillante -humeur.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[Pg 185]</a></span></p> - -<p class="i1">—A propos, mon enfant!—fit-elle, -pendant que Roger enfilait son paletot. -... Nous avons oublié un détail important... -C'est bien samedi prochain que -tu revois ton père?... Mais où cela? A -Paris ou à Courteuil?</p> - -<p class="i1">—A Paris donc! Papa rentre de Courteuil -samedi matin.</p> - -<p class="i1">—Tiens! je croyais qu'hier il était revenu -avec toi?</p> - -<p class="i1">—Oui, mais il ne reste qu'une journée -à Paris et il rentre là-bas ce soir -pour surveiller le déménagement.</p> - -<p class="i1">—C'est très bien... Alors à tantôt, -mon chéri!</p> - -<p class="i1">Elle savait ce qu'elle voulait savoir. -Sitôt Gégé parti, elle sonna la femme de -chambre:</p> - -<p class="i1">—Vite, Julie, mon costume tailleur -<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[Pg 186]</a></span> -gris... Mon grand chapeau avec des -roses...</p> - -<p class="i1">Et, une heure plus tard, au bureau de -télégraphe de la rue Clément-Marot, elle -demandait un petit bleu. Puis, ayant -libellé l'adresse: «Monsieur Jacques -Taillard, 108, avenue d'Antin», elle -écrivit ces quelques lignes:</p> - -<div class="bq"> - -<p class="i1"><i>Je voudrais vous parler. Je vous attendrai, -ce soir, à six heures, en voiture, avenue du -Bois, côté gauche, entre le 19 et le 21. Si, -vraiment, vous ne me haïssez pas trop, venez.</i></p> - -<p class="ml60"> -LUCIE.</p> -</div> - -<p class="i1">Avant de glisser le télégramme sous -la languette de cuivre, elle eut une dernière -hésitation. C'était peut-être une -énorme bêtise que cette lettre, une maladresse -sans nom que cette démarche. -<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[Pg 187]</a></span> -Mais quand l'incertitude n'est plus tenable, -quand on veut à tout prix reconquérir -son fils, qu'importent les petits -risques d humiliation ou de ridicule? -Est-ce que ces choses-là doivent compter -pour une mère? Et, d'une héroïque -chiquenaude, elle lança dans la boîte -son projectile de papier bleu.</p> - -<p class="i1">Une fois rentrée, elle s'était bien promis -de sortir dès le déjeuner et de multiplier -les achats, les commandes, les -courses, jusqu'à la nuit, pour se distraire. -Cependant, au moment de se rhabiller, -le courage lui manqua. A quoi bon traîner -de force dans les magasins ses inquiétudes -et ses espoirs dont rien ne la -détournerait? Pourquoi gaspiller là des -énergies dont elle n'allait avoir que trop -besoin? Elle demeura donc toute la journée -<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[Pg 188]</a></span> -dans sa chambre, comme une malade -qui se ménage avant l'opération. -Elle ne pouvait, du reste, ni lire, ni broder, -ni se mouvoir, engourdie au fond -de sa bergère par dix questions, toujours -les mêmes, dont le bourdonnement ne -cessait pas. Jacques viendrait-il? S'il -venait, que lui dire? S'il refusait le retour -à la vie commune, quel parti adopter? -Le supplier sans orgueil? Ou renoncer -avec dignité? Et s'il ne venait pas, -quelle riposte choisir? Le silence méprisant? -Ou la lettre cruelle?</p> - -<p class="i1">Elle s'interrogeait encore, que le jour -commença à baisser. Alors, vivement, -elle s'apprêta: une toilette très simple, -un vaste voile noir formant cloche, beaucoup -de son mélange au white rose.</p> - -<p class="i1">Puis, à peine dehors, ayant rencontré -<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[Pg 189]</a></span> -un fiacre fermé, elle se fit mener au rendez-vous.</p> - -<p class="i1">Quoique en avance, elle n'eut pas à -s'impatienter. De loin, au bord du trottoir, -sous un bec de gaz, elle avait immédiatement -reconnu Jacques, sa cape -en feutre beige posée un peu de côté, sa -svelte et vigoureuse stature sanglée dans -un complet de cheviotte marron.</p> - -<p class="i1">—Eh bien?—questionna-t-il gaiement, -après avoir ordonné au cocher de -les conduire vers le Bois.</p> - -<p class="i1">—D'abord merci, mon ami... Mais -savez-vous seulement pourquoi je vous -ai prié de venir?</p> - -<p class="i1">—En voilà une question! C'est pour -nous remettre ensemble, je suppose.</p> - -<p class="i1">Elle murmura, d'une voix qui tremblait:</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[Pg 190]</a></span></p> - -<p class="i1">—C'est vrai?... Vous voudriez bien?...</p> - -<p class="i1">—Dame! sans cela, pourquoi serais-je -ici?</p> - -<p class="i1">—Mais ce que vous avez dit à -Gégé?...</p> - -<p class="i1">—Gégé aura mal fait ma commission, -mal répété mes paroles... Et puis à quoi -bon épiloguer sur tout cela? Grâce à ce -brave enfant, nous voilà réunis pour nous -entendre, pour causer... Si tu veux, causons, -ma petite...</p> - -<p class="i1">Il corroborait ce tutoiement d'une tendre -pression de la main. Lucie retira -pudiquement ses doigts; mais, comme il -n'insistait pas, tout en parlant, peu à -peu, d'elle-même, elle ramena sa main -dans la main de Jacques. Au bout d'un -instant, d'ailleurs, abdiquant toute grandeur -tragique, elle s'était remise d'instinct -<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[Pg 191]</a></span> -à le tutoyer aussi. Et l'on s'occupa -rapidement de régler l'avenir. D'abord, -on n'habiterait plus avenue d'Antin, où -planaient trop de mauvais souvenirs. On -louerait autre part; et, en attendant que -le logis fût prêt, on irait avec Gégé s'installer -une pièce de deux mois à Courteuil, -histoire de refaire connaissance et -de se pardonner dans l'intimité ses petits -méfaits respectifs.</p> - -<p class="i1">Puis, alors, n'ayant plus rien à se dire -ils passèrent naturellement du silence -aux baisers. Dans l'ombre du fiacre qui -allait au pas, Lucie avait la malicieuse -impression qu'un amant nouveau la pressait -dans ses bras, et Jacques, partageant -sans doute l'illusion, faisait tout ce qu'il -fallait pour la fortifier. Néanmoins, durant -une pause, il demanda la permission -<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[Pg 192]</a></span> -de consulter sa montre, et, grattant -une allumette:</p> - -<p class="i1">—Bon sang!—dit-il.—Sept heures -moins le quart!... J'ai raté mon train.</p> - -<p class="i1">—Pauvre chou!—s'écria Lucie distraitement.—Où -vas-tu dîner?</p> - -<p class="i1">—Dans un cabaret quelconque...</p> - -<p class="i1">—Viens donc plutôt dîner à la maison -chez papa.</p> - -<p class="i1">Jacques la considéra, stupéfait:</p> - -<p class="i1">—Non?</p> - -<p class="i1">—Oh! puisque tôt ou tard, il faudra le -mettre au courant, pourquoi pas ce soir?</p> - -<p class="i1">—Tu crois? C'est peut-être une idée...</p> - -<p class="i1">Et, se penchant par la portière, il cria -au cocher l'adresse de l'avenue Marceau.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p class="i1">Au même moment, en compagnie de -<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[Pg 193]</a></span> -Firmin, Gégé quittait à pied l'institution -Beaujoint. Dans le brouhaha de la reprise -scolaire, son secret lui avait semblé -moins lourd que la veille. Et, sans y renoncer -absolument, le recours à l'abbé -Moussoir ne lui paraissait plus si indispensable. -En manière de mortification, -toute la journée, il s'était appliqué à ses -devoirs et à ses leçons comme jamais il -ne l'avait fait. Il rapportait un carnet de -correspondance criblé de mentions excellentes: -grammaire française, <i>très bien</i>;— histoire, -<i>très bien</i>;—conduite, <i>bien</i>;—récitation, -<i>très bien</i>; le reste à l'avenant. -Alors, de tant de bonnes notes, sa -culpabilité ne devait-elle pas être un peu -amoindrie? Qui sait même si, en continuant -dans cette voie, il n'arriverait pas -à liquider entièrement ses comptes de -<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[Pg 194]</a></span> -conscience? Il se voyait déjà premier -dans toutes les branches, raflant tous -les prix de fin d'année, réhabilité par le -travail. Et il en oubliait tout à fait Firmin, -qui cheminait tristement derrière -sans pouvoir s'expliquer cette nouvelle -disgrâce.</p> - -<p class="i1">Il daigna cependant lui adresser la -parole, en apercevant, au porte-manteau -du vestibule, près du large chapeau de -M. Lecherrier, un élégant melon de feutre -beige.</p> - -<p class="i1">—Tiens, qui dîne ici?</p> - -<p class="i1">—Je ne sais pas, monsieur!—répliqua -Firmin sur un ton de froide réserve.</p> - -<p class="i1">Gégé, très intrigué, n'en monta pas -moins vers sa chambre pour y faire le -bout de toilette réglementaire.</p> - -<p class="i1">Mais à l'entresol, il entendit dans le -<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[Pg 195]</a></span> -fumoir une rumeur de causerie si animée -que, malgré lui, il s'arrêta. Qui -pouvait bien être là? Bah! on n'avait -qu'à regarder. Et, sa casquette aux -doigts, comme par étourderie, il ouvrit -d'un seul trait la porte.</p> - -<p class="i1">Grand Dieu! Pas possible!... Mais -si!... Là-bas, au fond de la pièce, sur le -divan, la main dans la main, c'était bien -son père et sa mère qu'il voyait, et en -face d'eux, dans un fauteuil, M. Lecherrier -qui, le binocle au nez, parcourait -tranquillement le <i>Temps</i>.</p> - -<p class="i1">Au bruit de la porte, tous s'étaient retournés.</p> - -<p class="i1">—Ah! voilà votre petite victime!—annonça -M. Lecherrier avec bonhomie.</p> - -<p class="i1">—Dites plutôt notre petit sauveur!—rectifia -Taillard.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[Pg 196]</a></span></p> - -<p class="i1">Et avant que Roger, blême d'épouvante, -eût pu se retourner, proférer un -mot, on l'enlevait du sol, on l'étouffait -de baisers, on se le repassait de bras en -bras, avec accompagnement d'apostrophes -passionnées: «Mon bon loup, mon -amour, mon ange, mon trésor!...» On -recommençait, on ne se lassait pas. Enfin -Taillard arracha son fils à ce maelstrom -de caresses, et, le reposant à terre:</p> - -<p class="i1">—Hein, mon garçon, ça n'a pas -traîné! Tu ne t'attendais pas à celle-là?</p> - -<p class="i1">—Oh! non!—exhala sincèrement -Gégé.</p> - -<p class="i1">—Mais regarde-moi donc, mon chéri!—fit -Lucie.—Tu es tout pâle... Qu'est-ce -que tu as?</p> - -<p class="i1">—Ce qu'il a?—interrompit fort à -propos M. Lecherrier.—Tu demandes -<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[Pg 197]</a></span> -ce qu'il a? Il est bouleversé, ce petit... -On le serait à moins... N'est-ce pas, -Gégé, l'émotion t'a donné un coup?</p> - -<p class="i1">—Oui, grand-papa, c'est ça!</p> - -<p class="i1">—Parbleu!... Alors, va vite te passer -de l'eau sur la figure pour te remettre... -Et tu nous rejoindras en bas, -parce que, moi, je commence à avoir une -faim peu commune!</p> - -<p class="i1">Roger sortit d'un pas automatique et, -pour grimper, empoigna la rampe. La -dépression maintenant l'accablait. Des -tremblements vibraient dans ses jambes. -Il avait le cerveau brouillé et endolori, -comme si on lui eût mis la tête à l'envers... -Quelle histoire! C'était positivement -à devenir fou! Comment! Ses parents -se réconciliaient, les adversaires -fraternisaient. Et, au lieu de reproches, -<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[Pg 198]</a></span> -d'outrages, de mépris, on l'embrassait, -on le fêtait, il était le petit sauveur!... -Plus tard, sans doute, l'énigme s'éclaircirait. -Mais, pour le moment, il ne fallait -pas essayer de comprendre.</p> - -<p class="i1">Par contre, peu à peu, il éprouvait -une étrange sensation d'allégement. Il -ne croyait pas à son amnistie totale, il se -savait toujours sous le coup de sa faute. -Pourtant il lui semblait que toutes ses -hontes, toutes ses craintes, s'en allaient -par une fuite cachée, tandis qu'un bien-être -nouveau montait doucement à leur -place. Il se sourit dans le miroir de la toilette -avec sympathie. En somme, tout -cela ne s'arrangeait pas si mal!</p> - -<p class="i1">Mais il achevait à peine cette constatation -qu'un choc brutal lui heurta le -cœur. Et, de chagrin, il lâcha sa brosse à -<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[Pg 199]</a></span> -ongles, qui coula à pic au fond de la -cuvette...</p> - -<p class="i1">Il venait de revoir brusquement la réalité -que depuis deux jours lui masquaient -ses remords: le divorce abandonné, le -divorce rompu, c'est-à-dire ce qu'en secret -il redoutait le plus, ce qu'il avait -d'instinct tout fait pour retarder indéfiniment!...</p> - -<p class="i1">Voilà qui devenait autrement grave que -de simples problèmes de conscience. A -présent, plus à compter sur les remises -possibles, sur les silences, sur les hasards! -La paix était signée. Le bon -temps finissait. C'était bien le triste retour -à jadis. C'était la rentrée!</p> - -<p class="i1">Gégé, avant d'éteindre, parcourut encore -d'un coup d'œil d'adieu la petite -chambre bleu de lin, où, à côté de sa -<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[Pg 200]</a></span> -mère, à deux pas de son grand-père, il -avait dormi tant de nuits heureuses, -passé tant de journées bienfaisantes.</p> - -<p class="i1">Puis, mélancoliquement, marche à -marche, il descendit l'escalier.</p> - -<p class="i1">Dans la salle à manger, on terminait -presque le potage.</p> - -<p class="i1">Roger s'assit vis-à-vis de son père, -entre sa mère et M. Lecherrier. Tous trois -lui souriaient d'un air de connivence.</p> - -<p class="i1">—Eh bien, mon petit!—demanda -Taillard,—j'espère que tu es content?</p> - -<p class="i1">—Je te crois!—riposta Gégé, avec -un flegme fort au-dessus de son âge.</p> - - -<p class="ac p4">FIN</p> - - -<hr class="chap" /> - -<p class="ac smaller">ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HÉRISSEY ET FILS</p> - - -<hr class="chap" /> - - -<p class="ac">LIBRAIRIE OLLENDORFF</p> - -<p class="p2 ac">Œuvres de Fernand Vandérem</p> - - -<p class="ac"> -LA CENDRE<br /> -<br /> -CHARLIE<br /> -<br /> -LE CHEMIN DE VELOURS<br /> -<br /> -LES DEUX RIVES<br /> -<br /> -LE CALICE (Pièce)<br /> -<br /> -LA PATRONNE<br /> -</p> - - -<p class="p2 ar smaller"> -Gautherin-Leemans, typographes.—Paris</p> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of La victime, by Fernand Vandérem - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VICTIME *** - -***** This file should be named 51373-h.htm or 51373-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/3/7/51373/ - -Produced by Clarity, Christian Boissonnas and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/Canadian Libraries) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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