diff options
Diffstat (limited to 'old/53147-0.txt')
| -rw-r--r-- | old/53147-0.txt | 4983 |
1 files changed, 0 insertions, 4983 deletions
diff --git a/old/53147-0.txt b/old/53147-0.txt deleted file mode 100644 index 1f28e4f..0000000 --- a/old/53147-0.txt +++ /dev/null @@ -1,4983 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Albert Durer a Venise et dans les Pays-Bas, by -Albert Durer - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most -other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - - - -Title: Albert Durer a Venise et dans les Pays-Bas - autobiographie, lettres, journal de voyages, papiers divers - -Author: Albert Durer - -Translator: Charles Narrey - -Release Date: September 26, 2016 [EBook #53147] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALBERT DURER A VENISE ET *** - - - - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - - - - - - -Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le -typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et -n'a pas été harmonisée. - - - - -ALBERT DURER - - - - -[Illustration: IMPRIMERIE J. CLAYE RUE SAINT BENOIT 7 PARIS] - - -[Illustration: Montigneul SC AH-CABASSON D] - - - - - ALBERT DURER - - A VENISE - - ET - - DANS LES PAYS-BAS - - AUTOBIOGRAPHIE - - LETTRES, JOURNAL DE VOYAGES - - PAPIERS DIVERS - - TRADUITS DE L'ALLEMAND - - AVEC DES NOTES ET UNE INTRODUCTION - - PAR - - CHARLES NARREY - - Ouvrage orné de 27 gravures sur papier de Chine - - [Illustration: Logo] - - PARIS - - LIBRAIRIE Ve JULES RENOUARD, ÉDITEUR - - G. ÉTHIOU-PÉROU, DIRECTEUR-GÉRANT - - 6, RUE DE TOURNON, 6 - - MDCCCLXVI - - - - - A - - MONSIEUR LE BARON BEYENS - - Ministre de Belgique en France - - Hommage affectueux, - - CHARLES NARREY. - - - - -INTRODUCTION. - - -[Illustration] - -La vie des grands hommes est le flambeau qui éclaire leur œuvre. - -Les souffrances et les faiblesses, les luttes et les triomphes de ces -génies prédestinés expliquent et commentent leurs ouvrages, et chaque -étape de leur existence correspond à une évolution de leur talent. Leur -biographie est donc en quelque sorte le lien logique de leurs ouvrages; -elle donne la clef de la succession de leurs pensées et démontre comment -elles s'enchaînent. - -Écrire l'histoire d'un grand artiste, si l'on se place à ce point de vue -élevé, c'est faire en même temps l'histoire de ses idées, c'est pénétrer -avec lui dans les mystères de son inspiration. - -Prenez l'homme le plus profondément original, et le plus rebelle aux -influences extérieures; ses relations avec ses contemporains, son -commerce avec d'autres artistes, grands comme lui, mais comprenant leur -art de façons différentes, ne pourront manquer d'imprimer une -modification, si minime qu'elle soit, à ses propres idées. - -S'il y a entre les hommes ainsi rassemblés par le caprice du hasard ou -par une loi mystérieuse de la création de larges points de contact et des -horizons communs, cette influence deviendra décisive et modifiera parfois -d'une manière profonde le _faire_ de l'artiste qui la subit. Y a-t-il au -contraire une opposition fondamentale entre leur esprit, leur principe -réciproque s'accentuera avec plus de vigueur, et leur contact servira à -caractériser davantage leur tendance primitive. Grande ou petite, -profonde ou superficielle, cette influence doit subsister, et la saisir -jusque dans ses manifestations les moins apparentes est l'objet de la -critique. - -Or, c'est l'histoire de l'artiste, et son histoire de chaque jour, qui -peut en fournir les éléments d'appréciation. - -Quoi d'étonnant alors que les moindres particularités de la vie privée -d'un grand homme acquièrent la plus haute valeur aux yeux de la -postérité? - -Aussi, dans ces derniers temps, ce genre d'études historiques a-t-il fait -l'objet de nombreux et de consciencieux travaux. On a cherché à y -introduire la précision et la sévérité de la critique moderne, et l'on a -bravement fermé la porte à toutes les fables et à toutes les anecdotes de -contrebande, pour y substituer définitivement la vérité dans sa froide et -chaste nudité. Mais on ne croit guère que de pareils travaux présentent -énormément de difficultés, et beaucoup plus même que ceux qui concernent -la grande histoire. - -Les faits que recherche le biographe sont presque toujours d'une -apparente insignifiance, et par cela même les contemporains des grands -hommes, sans prévoir la valeur que ces détails pourront acquérir un jour, -ont négligé de les consigner. Aussi quelle bonne fortune extraordinaire, -lorsque l'artiste lui-même, soit par une sage prévision, soit dans un -but désintéressé, a pris soin de rassembler minutieusement tous les -matériaux d'une autobiographie. - -C'est précisément ce qui nous arrive pour l'illustre père de l'école -allemande. - -Albert Dürer a laissé sur sa vie privée un grand nombre de notes et de -correspondances qui éclairent d'un jour nouveau sa vie et ses œuvres, et -mettent hors de discussion un grand nombre de points qui, pour des -artistes beaucoup plus récents même, ne sont ordinairement qu'un stérile -sujet de querelles entre les historiens. - -Mais avant de donner la parole au maître lui-même et de laisser découler -de ses écrits les commentaires qui en dérivent, on nous permettra d'en -tirer quelques conclusions générales et quelques conclusions -personnelles. - -Ce qui résulte d'abord de la vie de cet éminent artiste, telle qu'il l'a -simplement racontée lui-même, ce qui ressort de la lecture de sa -correspondance intime avec son ami Bilibald Pirkeimer, c'est une profonde -estime pour le caractère de l'homme, comme une grande admiration pour -l'artiste ressort de la contemplation de ses œuvres. - -Albert Dürer est un aussi grand et noble caractère qu'il est un génie -original et transcendant. Cette double perfection est une chose trop rare -dans le cercle des grands esprits pour ne pas y insister. - -On dirait, en vérité, que l'intelligence ne peut se développer qu'au -détriment du caractère, et trop souvent l'épanouissement de la pensée a -pour corollaire fatal l'atrophie morale du cœur. Si quelque chose, par -exemple, pouvait amoindrir notre admiration pour le panthéiste Gœthe, ne -serait-ce pas la sécheresse de son âme et l'égoïsme de son caractère. -L'esprit humain, qui tend sans cesse à l'idéal et qui prodigue d'instinct -aux élus de l'intelligence tous les dons et toutes les qualités, est -péniblement déçu en voyant tant de grandeur intellectuelle à côté de tant -de petitesse de sentiment. Nous n'aimons pas à apprendre que Virgile -était le flatteur d'Auguste et que Horace eut peur à la bataille -d'Actium. - -Je ne connais que bien peu de génies qui aient été en même temps des -héros du cœur. Michel Cervantes dans les lettres et Michel-Ange dans les -arts sont pour moi les types de cette double grandeur; notre Albert Dürer -peut aussi revendiquer ces deux auréoles. Sa vie a été une lutte -continuelle, soyons plus vrai,--un long martyre causé par celle qui -aurait dû précisément arracher les ronces et les épines de sa route. - -Marié de bonne heure, sans qu'on eût consulté son inclination, à une -femme froide et avare, il n'a pas eu la consolation de se reposer dans la -douce vie du foyer des tracasseries envieuses auxquelles un homme de sa -valeur devait nécessairement se trouver exposé. - -Dès l'âge de 23 ans il devenait le seul soutien de sa famille. «Deux ans -après la mort de mon père, je pris aussi ma mère avec moi (il s'était -déjà chargé de son frère Hans), car elle n'avait plus rien. En 1513 elle -tomba subitement malade. Ses souffrances durèrent une année entière, et -elle fut mourante du premier au dernier jour.» - -Dans ces conditions il fut obligé de se livrer à un travail assidu et -pénible; en outre sa femme l'excitait sans cesse au labeur et le -stimulait avec ses avaricieuses exigences. Et pourtant c'est à peine si, -dans ses écrits, on entend l'écho d'une plainte contre celle qui le -faisait tant souffrir; tout au plus dans sa correspondance avec Bilibald -Pirkeimer, correspondance si franche et si naïve, hasarde-t-il de temps -en temps quelque allusion prudente à ses affaires de ménage. Encore en -parle-t-il avec tant de mansuétude et de bonne humeur, qu'on ne -soupçonnerait pas la profondeur de sa blessure si ses amis n'avaient pas -pris la peine de la sonder. - -«Il était fort contre l'adversité, dit Schrober, mais il est vrai qu'il -n'avait que trop le moyen de s'exercer à la patience, sa femme se -chargeait tous les jours de lui en fournir l'occasion.» - -C'est assez clair, et cependant les lettres de G. Hartmann et de -Pirkeimer sont encore plus explicites. - -En voici des extraits: - - -G. HARTMANN A M. BUCHLER. - -«. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . -. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . «Elle était d'une -piété et d'une honnêteté si intolérantes, qu'il aurait mieux valu pour -Albert Dürer être le mari d'une coquine avec un caractère aimable, que -d'avoir à ses trousses une de ces dévotes qui sont d'une humeur si -féroce, qu'elles vous laissent à peine des moments suffisants pour -respirer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .» - - -AUTRE LETTRE DE GEORGES HARTMANN. - -«Il ne faut imputer le décès de Dürer à personne qu'à sa femme. Elle lui -avait si bien rongé le cœur, elle lui avait fait endurer de telles -souffrances, qu'il semblait en avoir perdu la raison. Elle ne lui -permettait jamais d'interrompre son travail, l'éloignait de toutes les -sociétés, et par des plaintes continuelles, répétées le jour et la nuit, -le tenait rigoureusement enchaîné à l'œuvre, afin qu'il amassât de -l'argent pour le lui laisser après sa mort. Elle avait sans cesse la -crainte de périr dans la misère, et cette crainte la torture encore -maintenant, quoique Dürer lui ait légué près de 6,000 florins. Elle est -insatiable: elle a donc été vraiment la cause de sa mort, etc.» - - -LETTRE DE PIRKEIMER A TZERTE, - -_Architecte de l'Empereur, à Vienne_. - -«J'ai positivement perdu, dans la personne d'Albert Dürer, un des -meilleurs amis que j'aie eus de ma vie. Sa mort m'a fait d'autant plus de -peine qu'elle s'est produite sous l'influence de causes bien pénibles. En -effet, je ne puis l'attribuer, après Dieu, qu'à sa femme qui lui a causé -de si vifs chagrins et l'a tourmenté d'une façon si cruelle, qu'elle l'a -poussé vers la tombe, et l'a rendu sec _comme de la paille_. Le pauvre -homme n'avait plus de courage et ne recherchait plus aucune société. -Cette mégère prenait soin de ses intérêts, et poussait son mari au -travail nuit et jour afin qu'il lui laissât le plus d'écus possible. . . -. . . . . . . . Je lui ai souvent reproché ses procédés, et je lui ai -même prédit ce qui est arrivé; mais cela ne m'a valu que de -l'ingratitude. Du reste, tous ceux qui aimaient le pauvre Albert -détestent sa femme, qui le leur rend bien. En somme, c'est elle qui a mis -le cher homme en terre.» - -Dans les premiers temps de son mariage, Albert Dürer avait fait des -efforts héroïques pour se soustraire à la domination de sa femme, mais la -lutte ne convenait pas à son caractère; peu à peu il avait fini par -courber le front, et, aux derniers jours de sa vie, il obéissait comme un -enfant à cette nouvelle Xantippe. - -Poussait-il la douceur jusqu'à la pusillanimité?--Nous ne le croyons -pas,--car plusieurs fois, pendant sa trop courte existence, il a prouvé -qu'avec les hommes il savait parler en homme.--Ou puisait-il cette -patience angélique dans la religion? En voyant le portrait d'Agnès Frey -qu'il a dessiné lui-même, et que l'on trouve encore aujourd'hui à Vienne, -nous croyons plutôt qu'il fut toujours amoureux de sa femme,--car elle -était fort belle.--Son front était froid, mais l'intelligence s'y jouait -comme un rayon de soleil sur une plaque d'acier poli; ses yeux étaient -durs, mais grands, veloutés et noirs; sa bouche était hautaine, mais -correcte; ses traits étaient sévères, mais remarquablement beaux; ils ne -commandaient pas la sympathie cependant: on sentait que celui qui avait -aimé cette femme l'aimerait toute sa vie, dût-il mourir de son amour. - -Quelle personnalité attachante que celle d'Albert Dürer! - -[Illustration: - ALBERT-DÜRER P. - AH.-CABASSON D. - TAMISIER. Sc. 1850.] - -Il était beau, et la noblesse de ses traits reflétait la pureté de son -âme et la lumière de son intelligence. - -Qui a vu une fois un de ses portraits ne peut plus l'oublier. De beaux -cheveux blonds cendrés qui flottent sur ses épaules, un front élevé et -pur où le génie a imprimé sa sévère majesté, de grands yeux bleus, -bien enchâssés dans leur arcade et ombragés de longs cils plus foncés que -ses cheveux, une bouche rêveuse, un cou flexible qui porte une tête digne -du ciseau de Phidias, comme la tige du lis porte la fleur des rois, tels -sont les traits principaux de cette figure ravissante. - -Toute sa personne était sympathique et séduisante. - -«Il avait de la noblesse et de l'aisance dans les mouvements, et sa haute -raison et son rare bon sens perçaient naturellement dans ses discours.» -«_Sermonis tanta in eo suavitas et lepor erat_, dit Joachim Camerarius, -_ut nihil esset audientibus magis contrarium quam finis_.» - -Et Schrober dit aussi: - -«Il y avait quelque chose de si doux et de si harmonieux dans sa manière -de parler, qu'on l'écoutait avec ravissement.» Du reste son instruction -était fort étendue. - -Peintre, dessinateur, graveur, orfévre, architecte, statuaire, ingénieur -et _géométrien_, comme l'écrit Loys Meygret, le traducteur de son livre -_des Proportions humaines_, il fut tout ce qu'il voulut être[1]. - - [1] Albert Dürer fit une grande quantité de dessins fort - remarquables, mais ses tableaux se comptent, on sait où les - rencontrer tous; ils sont dans les musées publics ou chez des - particuliers qui se font une fête de les montrer aux étrangers. - - Voici un petit catalogue rédigé, par ordre chronologique, d'après - nos notes de voyage; il n'a pas d'autre prétention que d'être - d'une scrupuleuse exactitude et de donner au lecteur le moyen de - trouver, sans les chercher, les chefs-d'œuvre du maître. - - Nous ne parlerons ici que pour mémoire du portrait d'Albert Dürer - qui est conservé précieusement à Vienne dans la collection - Albertine;--ce portrait, d'une grâce et d'une naïveté délicieuses, - est exécuté à la pointe d'argent sur papier teinté.--Il porte - cette inscription, écrite par l'artiste lui-même: «J'ai dessiné - ceci d'après moi, dans un miroir, en 1484, quand j'étais encore - enfant. - - «ALBERT DURER.» - - Il avait donc 13 ans à peine, et il était encore apprenti orfévre; - c'est en 1486 seulement qu'il fit son entrée dans l'atelier de - maître Wohlgemuth. - - La première peinture d'Albert Dürer qui soit parvenue jusqu'à - nous, est le portrait de son père. On la voit dans la pinacothèque - de Munich, cabinet VII, sous le numéro 128, avec cette légende: - «J'ai peint ce tableau d'après la personne de mon père, lorsqu'il - avait 70 ans. Albert DURER l'aîné.» - - Puis viennent le célèbre monogramme et la date 1497. - - Il fit deux fois son propre portrait en 1498: l'un est à Florence, - il a été gravé par Hollar et par Édelinck; l'autre est à Madrid, - au _museo del Rey_. Dans ce dernier portrait, son visage est un - peu maigre et un peu long, mais fort beau et fort distingué. Ses - grands yeux bleus, sa barbe naissante, ses cheveux blonds qui - s'échappent en grosses boucles d'un bonnet pointu, son costume - blanc et noir théâtralement drapé lui donnent un aspect à la fois - étrange et charmant. (Voir à la 1re page de ce livre.) - - En 1499, il a peint le portrait d'Oswald Krel, qui est à Munich, - cabinet VII, sous le numéro 120. - - En 1500, il a fait le portrait d'un jeune homme, peut-être Joannes - Dürer, son frère (Munich, cabinet VII, no 147), et aussi son - propre portrait. Ce n'est plus le même homme que l'on a vu à - Madrid; sa barbe est plus touffue, son visage est plus mâle, son - front est déjà un peu soucieux, son costume surtout est changé de - fond en comble; le bariolage blanc et noir est remplacé par une - fourrure de prix. On reconnaît en lui le chef d'une illustre école - de peinture, et on voit jusqu'à quel point Camerarius a raison - lorsqu'il dit: «Non-seulement Albert Dürer était beau, mais il - était très-fier de sa beauté, et il ne négligeait rien pour la - faire ressortir.» Ce portrait est fort remarquable, il ne peut - être comparé qu'à celui qu'il a fait plus tard de son vénérable - maître Wohlgemuth, et qui est dans le même musée. - - Nous trouvons dans la galerie du Belvédère, à Vienne, avec la date - de 1503, une _Sainte Vierge et l'Enfant Jésus_, deux têtes, deux - chefs-d'œuvre. - - En 1504, Albert Dürer grava sans doute plus qu'il ne peignit, car - nous ne connaissons qu'un seul tableau qui porte cette date, c'est - un _Marius sur les ruines de Carthage_. Le grand homme est assis - près d'une colonne brisée; il jette un long regard triste sur - cette ville autrefois si superbe, et il se dit sans doute que les - destinées des hommes et des empires sont souvent les mêmes: plus - ils sont puissants, plus leur chute est imminente. Ce tableau est - surtout remarquable par la couleur. - - C'est en 1506 qu'il fit son voyage à Venise, où il peignit, outre - le _Saint Bartholomé_, dont il parle dans sa première lettre à - Pirkeimer, un _Christ avec les Pharisiens_, qu'il termina en cinq - jours, et une _Sainte Vierge couronnée par les anges_. Albert - Dürer ébauchait ce dernier tableau, lorsque Giovanni Bellini vint - le voir dans son atelier: «Mon cher Albert, lui dit-il, - voudriez-vous me rendre un grand service?--Certainement, dit le - peintre nurembergeois, si ce que vous me demandez est en mon - pouvoir.--Parfaitement, répondit Bellini, faites-moi présent d'un - de vos pinceaux, de celui qui vous sert à peindre les cheveux de - vos personnages.» Dürer prit une poignée de pinceaux absolument - semblables à ceux dont se servait Bellini, et les lui offrant: - «Choisissez, dit-il, celui qui vous plaît, ou les prenez tous.» Le - peintre italien, croyant à une méprise, insista pour avoir un des - pinceaux avec lesquels il exécutait les cheveux. Pour toute - réponse, Albert Dürer s'assit et peignit avec l'un d'eux, le - premier qui lui tomba sous la main, la chevelure longue et bouclée - de la _Vierge aux anges_ avec une telle sûreté de main, que son - ami resta stupéfait de sa facilité. - - Nous trouvons dans la galerie du Belvédère, à Vienne, une toile - datée de 1507. C'est le portrait d'un jeune homme inconnu, dont - les traits sont d'une très-grande beauté. - - 1508 nous donne un des tableaux les plus célèbres du maître, la - _Légende des dix mille saints martyrisés sous le roi de Perse - Sapor II_. Malgré la multiplicité des personnages et le beau fini - des détails, Albert Dürer le peignit en un an pour le duc Frédéric - de Saxe; plus tard il devint la propriété du prince Albert, qui - l'offrit au cardinal de Granvelle. Je n'ai trouvé nulle part - comment il devint la propriété de l'empereur d'Autriche. Tout ce - que je puis dire, c'est qu'il est depuis longtemps déjà à Vienne, - au Belvédère (salle 1re, no 18), où il excite une juste - admiration.--Au milieu de la toile, on aperçoit Albert Dürer et - son Pylade Bilibald Pirkeimer; tous deux sont vêtus d'habits noirs - et suivent avec intérêt les péripéties du drame terrible qui se - déroule devant eux: leur attitude est calme et digne; l'artiste - tient à la main un petit drapeau sur lequel on lit l'inscription - suivante: _Ista faciebat anno Domini, 1508, Albertus Dürer - Alemanus_. - - Il y a, dans la galerie de Schleissheim, une répétition de cette - toile. Un an avant d'exécuter la _Légende des dix mille martyrs_, - l'artiste en avait fait un croquis à la plume. C'est le prince - royal de Suède qui est l'heureux possesseur de ce petit - chef-d'œuvre. - - Albert Dürer peignit l'_Ascension de la Vierge_ pour Jacques - Heller, de Francfort; il se représenta au second plan, appuyé sur - une table qui portait son nom et la date 1509. Je dis qui portait, - car cette belle toile a été détruite dans le terrible incendie du - château de Munich. Le fameux tableau l'_Adoration des rois mages_, - que l'on voit à Florence, porte aussi la date de 1509. C'est une - œuvre du plus haut style, malgré son aspect un peu étrange. En - effet, on a peine à garder son sérieux devant ses rois d'Orient, - vêtus comme des gentilshommes allemands du commencement du XVIe - siècle. - - Suivant les errements de tous les peintres, ses prédécesseurs, - Albert Dürer ne se souciait pas du costume, il habillait ses - personnages à la mode de son époque et de son pays. - - Revenons au Belvédère, nous ne perdrons pas nos pas, car nous nous - trouverons en face d'une des plus belles pages du maître, _la - Trinité_. Il fit ce chef-d'œuvre pour une église de Nuremberg, - d'où on la porta à Prague; ensuite elle passa à Vienne, où on la - voit encore. En haut, au milieu de la toile, Dieu le père presse - entre ses bras le Christ attaché à la croix; le Saint-Esprit plane - sur sa tête; deux séraphins tiennent le manteau de Jéhovah, tandis - que plusieurs anges voltigent autour d'eux, portant les - instruments de la Passion. A gauche, on aperçoit des saintes - conduites par la Vierge; à droite, des saints conduits par saint - Jean-Baptiste; au-dessous, une troupe d'élus de tous les états et - de toutes les races se tiennent debout sur des nuages et rendent - des actions de grâces au Créateur. A la droite du spectateur, on - aperçoit Albert Dürer lui-même, vêtu d'un riche manteau fourré; il - tient dans la main gauche un écusson sur lequel on lit: _Albertus - Durer Noricus faciebat anno Virginis partu 1511_. - - Un beau paysage, baigné par un lac transparent, occupe le bas de - la toile. - - 1511 nous donne un autre tableau qui ne vaut pas le précédent, il - s'en faut; c'est une _Vierge allaitant l'enfant Jésus_, que l'on - trouve au musée royal de Madrid. On peut reprocher à la mère du - Sauveur de n'être qu'une bonne bourgeoise de Nuremberg, mais on - doit reconnaître que la toile est d'un bel effet et d'un bon - coloris. - - 1512 ne nous apporte qu'un tableau que l'on voit à Vienne, au - Belvédère, c'est une _Madone_ qui se ressent du séjour du maître - en Italie. La robe bleue de la Vierge est d'une couleur - très-intense, trop intense peut-être; elle écrase un peu les - chairs qui sont un peu pâles; l'enfant nu que la Madone tient sur - ses genoux est remarquablement beau. - - Le musée du roi, à Madrid, renferme un _Calvaire_ daté de 1513, - qui peut rivaliser avec les meilleurs morceaux d'Albert Dürer. Ce - n'est guère qu'un tableau de chevalet. Mais les œuvres de génie - ne se mesurent pas au mètre. - - En 1515, il fit à la plume les dessins du célèbre livre de prières - destiné à l'empereur Maximilien. Aucun de ces nombreux petits - chefs-d'œuvre ne ressemble à son voisin: les uns sont sérieux, - les autres spirituels, tous sont admirables, et c'est toujours - celui que l'on a sous les yeux qui paraît le meilleur. Ce livre - unique est à Munich, dans la bibliothèque de la Cour. - - De tous les portraits d'Albert Dürer, le plus beau sans contredit - est celui qu'il a fait en 1516, d'après la _ressemblance_ de son - vieux maître, Michel Wohlgemuth. Cette œuvre pieuse est conservée - à la pinacothèque de Munich, cabinet VII, sous le numéro 139; elle - est peinte sur un fond vert uni et porte cette singulière légende: - «Albert Dürer a fait ce portrait en 1516, d'après la ressemblance - de son maître, Michel Wohlgemuth, qui était âgé de 82 ans et qui a - vécu jusqu'en 1519. Il est mort le jour de la Saint-André, avant - le lever du soleil.» - - A l'âge de quatre-vingt-deux ans maître Wohlgemuth avait encore - l'air intelligent, mais il ressemblait plutôt à un moine qu'à un - grand artiste. - - La _Lucrèce_ que nous trouvons à la pinacothèque de Munich, dans - la deuxième salle, sous le numéro 93, passe pour être le portrait - de sa femme. On se trompe évidemment; Agnès Frey était belle et - distinguée, et cette Lucrèce est laide et sans distinction. La - même année, Albert Dürer a peint une _Vierge tenant son fils sur - ses genoux_. L'Enfant divin porte au cou un collier d'ambre jaune, - et sur une table verte on aperçoit un citron coupé qui fait pâmer - d'aise tous les réalistes. La Mère du Sauveur est aussi belle que - les plus belles Vierges de Raphaël.--Ce tableau est à Vienne, au - Belvédère à côté d'un superbe portrait de l'empereur Maximilien - Ier, daté de 1519. - - En 1520, Albert Dürer entreprend son voyage dans les Pays-Bas. - Chemin faisant, il dessine sur un album qu'il emporte toujours - avec lui les personnages et les objets qui lui semblent - intéressants. Ce précieux album a été vendu en détail; nous en - avons vu quelques feuillets qui appartiennent à un amateur - distingué, M. Ambroise-Firmin Didot. Ils nous ont laissé le regret - de ne pas connaître les autres. - - Dans la pinacothèque de Munich, cabinet VII, numéro 127, nous - trouvons _Siméon et l'évêque Lazare_, un petit tableau charmant - qui porte la date de 1523, et qui cependant est peint sur un fond - d'or, dans le style de l'école de Cologne. A la même date, nous - avons non-seulement un magnifique portrait d'homme peint à la - détrempe sur toile, que l'on suppose être Jacques Frugger, mais - encore trois des meilleurs tableaux du maître: 1º une _Descente de - croix_, fort bien composée et d'une vérité qui vous fait froid au - cœur; 2º une _Nativité dans la crèche_, où l'on voit sainte Marie - et saint Joseph adorer l'enfant Jésus entouré d'un groupe de - chérubins, tandis que d'autres anges vont annoncer la bonne - nouvelle aux bergers. Cette _Nativité_ formait le centre d'un - triptyque dont on a détaché les volets qui contenaient les - portraits en pied des frères Baumgartner, dont Albert Dürer parle - souvent dans ses lettres à Pirkeimer; 3º la _Sainte Trinité_, qui - appartient à un habitant d'Augsbourg. C'est un beau tableau - largement peint et fort bien conçu. - - Le musée Van Ertborn, d'Anvers, possède une magnifique grisaille; - c'est le portrait de l'électeur Frédéric III, de Saxe, conforme à - la gravure qu'Albert Dürer en a faite en 1524 et qui porte son - monogramme si connu. - - 1526 nous apporte trois pages superbes. On voit la première à - Aix-la-Chapelle; c'est un Christ qui fait ses adieux à sa Mère. - - On voit la seconde à Vienne, dans la galerie du Belvédère; c'est - le portrait d'un certain Johann Kleeberger, dont les grands yeux - noirs et le teint mat sont très-poétiques. Il serait très-beau - s'il avait un nez, mais ce détail lui manque presque absolument. - Ce Kleeberger épousa Felicitas Pirkeimer, la fille de l'ami de - Dürer. En 1532, deux ans après la mort de sa femme, il s'établit à - Lyon où on ne l'appela bientôt que _le bon Allemand_, à cause du - bien qu'il faisait aux pauvres. Lorsqu'il mourut, en 1546, ses - compatriotes d'adoption lui élevèrent, sur le roc de Bourgneuf, - une statue en bois, qui fut remplacée en 1849 par une statue en - pierre, due au ciseau de M. Bonnaire. - - La troisième est le portrait d'un des ancêtres de M. le conseiller - et docteur Rodolphe Holzschuler, chef d'une illustre famille de - Nuremberg, qui le montre aux étrangers avec une grâce parfaite. - Son aïeul a cinquante-sept ans environ; mais malgré ses cheveux - blancs, il a l'air fort jeune. Ce portrait est un chef-d'œuvre. - - Il ne nous reste plus qu'à parler des tableaux qui n'ont pas de - date certaine. Parmi ceux-là nous trouvons, à Venise, le célèbre - _Ecce Homo_ qui doit avoir été peint en 1505 ou en 1506.--A - Vienne, dans la galerie de Fries, la _Mort de la Vierge_. La tête - de la mère du Christ est le portrait fidèle de Marie de Bourgogne, - première femme de Maximilien. Au second plan, on reconnaît - l'empereur, son fils et un grand nombre de contemporains célèbres. - La beauté de la couleur, le fini des détails et la ressemblance - des personnages historiques donnent un grand attrait à cette - admirable peinture.--A Florence, dans la galerie des Offices, la - _Madone avec l'Enfant_. Ce tableau est mal placé; cependant on - remarque la grâce et la beauté de la Vierge: on jurerait une de - ces belles toiles de Jules Romain ou de son illustre maître. A - Schleissheim, _la Vierge, sainte Anne et l'Enfant Jésus endormi_, - tableau d'une exécution irréprochable, et une _Mater dolorosa_ - debout, les mains jointes.--Citons encore un _Ecce Homo_ qui, pour - ne pas valoir celui de Venise, n'est pas moins une fort belle - chose dont la chapelle de Moritz, de Nuremberg, peut tirer grande - vanité.--_Hercule tuant les Harpies_ est un tableau peint à la - détrempe; il en reste juste assez pour faire voir qu'il a été - superbe et combien on doit le regretter.--Les _Bustes des - empereurs Charles et Sigismond_, du château de Nuremberg, belles - figures puissantes et majestueuses, peintes avec une grande sûreté - de main.--Dans la galerie de Schleissheim, le _Portrait d'un jeune - savant_, bon ouvrage exécuté à la détrempe, infiniment mieux - conservé que l'_Hercule_ dont nous avons déploré la fin - prématurée.--A Anvers, au musée Van Ertborn, une _Mater dolorosa_. - La Vierge, vêtue d'un manteau vert, est assise les mains jointes. - Ce tableau est très-beau, très-fini, d'une couleur très-intense et - d'une conservation parfaite; Otto Mündler l'attribue à Altdorfer. - Il est peut-être d'Albert Dürer; les hommes distingués qui ont - rédigé le livret du musée d'Anvers se contentent de dire qu'il - appartient à l'école allemande. En Espagne ou en Italie on le - donnerait sans hésiter à Albert Dürer. En Belgique, dans le doute, - on s'abstient toujours, ce qui est à la fois plus honnête et plus - habile. - - Faut-il parler ici des peintures dont le musée de - Saint-Pétersbourg gratifie trop généreusement Albert Dürer? Comme - elles n'ont pas sur elles leur extrait de naissance ou leur - passe-port, ce qui n'est pas toujours la même chose, nous aimons - mieux les oublier pour n'avoir pas à les débaptiser. - - La bibliothèque Ambroisienne de Milan possède la _Conversion de - saint Eustache_, dont Albert Dürer a fait une de ses plus belles - gravures. - - A Rome, il y a un tableau de Dürer, où il nous montre des _Avares_ - repoussants, à force d'être vrais, et une copie de l'_Adoration - des rois_, que l'on voit à Florence. Tout le monde croit qu'elle - est faite par un des bons élèves de Dürer. Le directeur du musée - seul déclare avec assurance que c'est un original. Dans trois ans, - si Dieu prête vie à ce galant homme, ce que je désire de tout mon - cœur, il assurera avec le même aplomb que le tableau de Florence - est une simple contrefaçon;--trois ans plus tard, il nommera - l'élève de Dürer qui l'a fait d'après celui de Rome; il dira, si - on l'exige, combien de temps il a employé à ce travail, où il - était logé, ce qu'il mangeait à ses repas, et il ne croira pas - mentir. Rien ne peut être comparé à l'imagination d'un - propriétaire de tableaux. Et un directeur de musée n'est-il pas - propriétaire de tous les tableaux qu'il a sous sa garde? - - Nous trouvons, à Turin, une _Déposition de croix_ d'une belle - couleur, et un _Ermite en prière_, qui pourrait bien être de - Heinrich Aldegrœver. - - Dans la galerie du prince de Liechtenstein, à Vienne, il y a deux - volets de triptyque dont le panneau central est absent: ce sont - deux portraits en pied qui ne manquent pas de majesté et une - petite esquisse à peine ébauchée, vrai chef-d'œuvre de naïveté. - - A Dresde, on montre un portrait que l'on assure être celui de - Lucas de Leyde, qu'Albert Dürer a fait à Anvers, en 1520, et dont - il parle dans ses notes de voyage.--Un _Portement de croix_ en - figurines et en grisailles, et un _Lapin_ à la gouache sur - parchemin, d'une vérité parfaite;--il amuse beaucoup les enfants, - les grandes personnes se contentent de l'admirer. - - Nous trouvons dans le musée de Madrid deux _allégories_ - philosophiques et chrétiennes peintes sur des panneaux longs et - étroits. Comme dans l'un et dans l'autre la mort joue le rôle - principal, on prétend qu'ils ont été commandés par un seigneur du - temps qui avait le spleen. - - Et enfin les apôtres Pierre et Jean, Paul et Marc, que l'on admire - à Munich, salle première, sous les numéros 71 et 76. Ils ne - portent aucune date, mais le livret de la pinacothèque nous - apprend qu'ils ont été faits en 1527, c'est-à-dire un an avant la - mort d'Albert Dürer. Ces quatre apôtres pourraient être signés: - Raphaël ou Fra Bartholomeo. Quelle élévation de style, quelle - grandeur imposante et quelle noblesse! On les reconnaît, ce sont - bien eux qui ont porté la parole du Christ par la terre entière. - En peignant l'apôtre saint Jean, Albert Dürer lui a donné la belle - et sympathique figure de Schiller. On dirait que le grand peintre - a pressenti la venue du grand poëte et qu'il a voulu d'avance - faire son portrait. - - On remarquera sans doute que nous n'avons pas cité une seule fois - Paris dans ce rapide travail; c'est qu'en effet notre musée - impérial, qui contient quelques beaux dessins du Raphaël de - l'Allemagne, n'a pas une seule de ses admirables peintures. Je - n'accuse personne, je sais combien notre surintendant est artiste; - je sais aussi, sans qu'il me l'ait dit, avec quelle joie il - payerait, non pas au poids de l'or, ce serait trop bon marché, au - poids du rubis, un tableau qui porterait la signature d'Albert - Dürer ou son célèbre monogramme. Mais ceux qui ont le bonheur de - posséder ces inimitables chefs-d'œuvre les gardent. Il lui serait - facile de se procurer quelques-unes des innombrables contrefaçons - que l'on fabrique par un procédé qui est d'une déplorable - simplicité; le voici: on colle sur une plaque de cuivre une - gravure du maître, on la met en couleur; on a soin de respecter le - monogramme; on la vernit, on l'envoie en Hollande, d'où elle - revient sans toucher terre; on la conduit à l'hôtel Drouot, où on - la sert aux banquiers enrichis en un jour qui se font une galerie - en une heure. - - Si notre surintendant n'était pas lui-même un artiste distingué, - il se laisserait prendre à ce piége, car il est quelquefois assez - vraisemblablement ourdi, et nous aurions, comme quelques musées - étrangers, une demi-douzaine d'Albert Dürer. Mais combien nous - préférons l'absence du chef de l'école nurembergeoise à ces toiles - douteuses qui font hausser les épaules aux vrais connaisseurs! Il - y a encore assez de tableaux authentiques d'Albert Dürer dans les - mains des particuliers, pour qu'un bon vent nous en amène un; s'il - faut le payer cher, on le payera cher! - - Les musées de province ne sont guère plus riches que celui de - Paris. Cependant Lyon a un _ex-voto_ de l'empereur Maximilien - signé du portrait de Dürer lui-même, et Limoges un magnifique - tableau peint sur fond d'or. - - Dans la relation de son voyage en Flandre, Albert Dürer passe en - revue la plus grande partie de ses gravures. Nous compléterons, - chemin faisant, les renseignements qu'il donne lui-même, et nous - prierons le lecteur qui voudra de plus amples détails de consulter - l'_Abecedario de Mariette_, publié et annoté par MM. de - Chenevières et de Montaiglon, M. Charles Blanc, qui parle - longuement et savamment de l'œuvre gravé d'Albert Dürer dans son - admirable _Histoire des peintres_, Heller, qui a corrigé Bartsch, - M. Passavant, qui a corrigé Heller, et M. Émile Galichon qui, lui, - n'a voulu corriger personne, et a pourtant écrit un fort bon - ouvrage sur les gravures d'Albert Dürer. - - Nous l'avons dit, Albert Dürer ne fut pas seulement peintre et - graveur, il embrassa tous les arts et excella dans tous. Il fut - orfévre, mais aucun de ses travaux n'est resté. Sandrart nous - apprend qu'il a ciselé sept sujets de la Passion, mais il ne les a - pas vus. - - On lira dans le _Voyage en Flandre_ qu'il fit beaucoup de dessins - pour les orfévres. On verra, dans la même relation, qu'il s'occupa - aussi d'architecture; entre autres travaux, il dessina au lavis le - plan d'une maison pour le médecin de dame Marguerite, et le - British Museum possède le plan d'une fort belle fontaine qu'il a - dessiné à la plume; malheureusement, cette fontaine est restée à - l'état de projet. - - Il fut aussi ingénieur comme Léonard de Vinci et Michel-Ange. - C'est lui qui dirigea les travaux de fortifications de la ville de - Nuremberg. - - Comme sculpteur, on lui donne: 1º un petit bas-relief en pierre, - représentant la naissance de saint Jean-Baptiste (il est conservé - au British Museum); 2º deux statuettes, Adam et Ève (au musée de - Gotha); 3º deux madones, bas-reliefs sculptés en bois; deux femmes - nues, vues l'une de face, l'autre de dos, bas-reliefs en marbre (à - Munich); 4º un saint Jean prêchant dans le désert, bas-relief (à - Brunswick); 5º divers ouvrages exécutés en ivoire et en bois (à - Dresde, dans la collection des Grünes Gewölbe); 6º une arquebuse - (à Vienne); 7º plusieurs bas-reliefs en bois et en pierre - lithographique, avec le monogramme d'Albert Dürer (à Paris, au - Louvre, et à Bruges, au séminaire). Mais nous n'acceptons la plus - grande partie de ces ouvrages que sous bénéfice d'inventaire. Les - numismates lui attribuent aussi plusieurs médailles. - - Voici un pfenning qu'il grava pour Martin Luther: - - [Illustration] - - Le premier livre d'Albert Dürer est intitulé: _Traité de - géométrie, ou Méthode pour apprendre à mesurer avec la règle et le - compas_. Cet ouvrage est mûrement pensé et écrit clairement. On - voit que l'auteur est convaincu de ce qu'il avance, à savoir «que - la géométrie est le vrai fondement de toute peinture, et que, sans - posséder à fond cette science, personne ne peut devenir un bon - peintre.» - - Ce traité était fort estimé au XVIe siècle.--A la demande d'Agnès - Frey, Joachim Camerarius en fit une traduction qui fut publiée à - Paris, _ex officina Christiani Welcheli_. - - _Sub scuto Basilensi_ M. D. XXXV. - - A la même époque, le même éditeur mit en vente une traduction - latine du _Traité sur les fortifications des villes, châteaux et - bourgs_, qu'Albert Dürer avait publié en 1527, et qu'il avait - dédié au roi de Hongrie, Ferdinand, frère de Charles-Quint. - - L'ouvrage intitulé: _Les quatre livres des proportions humaines_, - qui a été écrit en 1523, n'a été publié qu'après la mort d'Albert - Dürer, par les soins de sa femme, qui n'a rien négligé pour en - retirer un bon prix; il a aussi été traduit en latin par - Camerarius, et en français par Loys Meygret, de Lyon. Nous ne - dirons rien de cet ouvrage, puisqu'on peut le lire en français; il - y en a un exemplaire à la Bibliothèque impériale. Outre les trois - traités dont nous venons de parler, on conserve à la Bibliothèque - de la Madeleine, à Breslau, un livre sur l'escrime qui doit être - authentique. On sait combien Albert Dürer aimait tous les - exercices du corps. - - Un ouvrage sur les proportions du cheval, qu'on lui attribue, - n'est pas de lui, si l'on en croit Camerarius, qui est digne de - foi. - - -On l'a souvent comparé à Raphaël, mais du côté de l'universalité des -connaissances, il a bien plus de points de contact avec Michel-Ange. - -J'ai vu quelque part qu'on lui reconnaît aussi le talent de l'écrivain. -On prétend même qu'il a contribué à fixer la langue allemande,--mais -c'est là une assertion que je ne peux admettre. Pour ses traités -didactiques, il est certain que Pirkeimer y mettait la main, car ils -diffèrent notablement, comme style et comme orthographe, de sa -correspondance intime. Dans ses lettres à Pirkeimer, le même mot est -écrit parfois de quatre ou cinq façons différentes, et l'on ne peut -s'empêcher de rire à la vue de ses essais de versification. - -Comme artiste, Albert Dürer est un des esprits les plus originaux que je -connaisse. C'est un peintre qui est avant tout de son pays et de son -époque, grande qualité, si l'on y réfléchit, et à ce titre il mérite -pleinement la qualification de père de l'école allemande. - -Vasari, Lambert-Lombart, Mariette, et quelques autres auteurs anciens et -modernes ont regretté qu'Albert Dürer ne fût pas né en Italie, et ils lui -ont reproché sérieusement de n'avoir pas été à Rome étudier l'antique. Ce -sont là des idées étroites et puériles que l'on est étonné de trouver -chez des écrivains d'une valeur réelle. S'il fallait en croire certains -critiques trop exclusifs, l'art ne serait bientôt plus qu'une formule, -car pour eux le beau n'a qu'un type unique en qui réside une perfection -absolue. Ce serait un moule où les esprits les plus divers viendraient -prendre une empreinte fastidieusement uniforme. C'est une folie que ce -nouveau lit de Procruste, car le beau est dans tout, dans l'harmonie des -proportions, comme dans la profondeur du sentiment, dans l'éclat de la -couleur, comme dans la correction du dessin. - -Ces dernières idées étaient aussi celles d'Albert Dürer. - -«L'homme qui cherche le beau, dit-il, rencontre le multiple et le -divers, et il y a plusieurs voies pour atteindre à la beauté.» - -Il a entrevu l'accord et l'agrément de la nature, jusque dans ses -difformités, et il a deviné la beauté des diverses races. «Il y a des -corps d'Éthiopiens, ajoute-t-il, où la nature a mis une telle convenance -et une telle harmonie, qu'on ne peut rien concevoir de plus parfait.» On -le voit, il n'a pas inventé, comme on l'a prétendu, la fameuse phrase: Le -beau, c'est le laid. Quand son modèle est beau, il le fait beau, témoin -le _Jeune homme_ de la galerie de Vienne, témoin le _Saint Jean_, de -Munich. - -Du reste, mille circonstances viendraient empêcher cette fusion, si -quelqu'un était assez fou pour la tenter, et pour n'en citer qu'une -seule, la variété des climats maintiendra toujours une différence -fondamentale entre le peintre allemand et le peintre italien. Du temps de -Dürer, une autre cause encore venait accentuer cette différence entre les -deux écoles. Les anciens peintres allemands procédaient des Byzantins -comme les Italiens; cependant, le développement de l'art se faisait de -part et d'autre dans des conditions toutes différentes. - -Les Italiens, ayant sous les yeux les trésors de la statuaire antique, -ont pu acquérir rapidement la pureté et la correction du dessin. Ils ont -appris à donner à leurs figures cette souplesse et cette élégance de -pose, et à les revêtir de draperies artistement disposées. Les Allemands, -au contraire, n'avaient qu'un modèle: la nature. Aussi, si leurs poses -ont quelque roideur, si leurs têtes sont presque toutes des portraits, -ils ont un grand charme et une délicieuse naïveté dans l'expression. Ils -sont, en quelque sorte, restés plus près de la vérité. - -Albert Dürer a conservé quelques-uns des défauts de ses prédécesseurs, -mais il a recueilli le riche héritage de leurs qualités; c'est non pas un -réaliste, dans le sens moderne du mot, mais un _naturaliste_. - -Du reste, en laissant de côté ces préoccupations d'école, Albert Dürer -est encore un génie de premier ordre. Ce qui le prouve, c'est que les -plus grands peintres, Andrea del Sarto, le Pontorme, le Guide, n'ont pas -dédaigné de lui faire de larges emprunts.--Le Guide a copié plusieurs -figures du char de Maximilien dans la fresque de l'_Aurore_ qu'il a faite -au palais Rospigliosi. - -Raphaël l'estimait fort, il lui envoya son portrait et quelques dessins -précieux; il disait aussi avec franchise et naïveté: - -«En voilà un qui nous dépasserait tous, s'il avait pu contempler, comme -nous, les chefs-d'œuvre de l'art.» - -Et pour que cet éloge parût plus sincère, tout partisan qu'il était de -l'antique, il exposa plusieurs estampes du graveur allemand dans son -atelier. - -Bernard Palissy connaissait et estimait les gravures d'Albert Dürer; -voici ce qu'il en dit dans son livre intitulé: _de l'Art de terre_. - -«As-tu pas veu aussi combien les imprimeurs ont endommagé les peintres -pourtrayeurs sçavans? J'ay souvenance d'avoir veu les histoires de -Notre-Dame imprimées de gros traits, après l'invention d'un Alemand nommé -Albert, lesquelles histoires vindrent une fois à tel mepris, à cause de -l'abondance qui en fut faite, qu'on donnait pour deux liards chascune -desdites histoires, combien que la pourtraiture fust d'une belle -invention[2].» - - [2] OEuvres de Bernard Palissy, page 10 (_édition - Ruault_,--1777); dans une note, on lit ceci: «En 1777, les pièces - capitales se vendent jusqu'à 15 et 16 livres.» Que dirait donc - l'auteur de la note, s'il savait que j'en ai vu vendre une, - dernièrement, 1,200 francs? - -Albert Dürer est né à Nuremberg, le 20 mai 1471, au moment où cette ville -était dans toute sa splendeur; mais cédons la parole au chef de l'école -allemande et laissons-le se présenter lui-même tenant toute sa famille -par la main. - -Nous traduisons mot à mot les notes de famille, recueillies par Albert -Dürer et laissées dans ses papiers. Elles diront mieux qu'on ne l'a fait -jusqu'à ce jour l'origine et les commencements du célèbre artiste. - -Nous sommes tellement sûrs que rien de ce qui a été écrit par un homme -comme Albert Dürer ne peut être indifférent au public, que nous donnons -ces notes sans en élaguer les passages qui pourraient peut-être paraître -un peu longs, s'ils venaient d'un personnage moins sympathique. - - -NOTES DE FAMILLE - -RECUEILLIES PAR ALBERT DURER. - - -Moi, Albert Durer le jeune, j'ai appris par les papiers que j'ai trouvés -chez mon père, où il est né, comment il est venu à Nuremberg et comment -il est mort saintement. - -Que Dieu lui soit miséricordieux! _Amen!_ - - -ANNÉE 1524. - -Albert Dürer le vieux est né dans le royaume de Hongrie, près de Jula, à -8 milles au-dessous de Wardein, dans un petit village appelé Eytas, où sa -famille élevait des bœufs et des chevaux. - -Mon grand-père se nommait Antony Durer; jeune encore, il vint habiter -Jula et se mit en apprentissage chez un orfévre. Il épousa une jeune -personne appelée Élisabeth dont il eut une fille, Catharina, et trois -garçons. L'aîné, mon père, est aussi devenu un très-honnête et -très-habile orfévre. Ladislas, le second, se fit sellier; il est le père -de mon cousin Nicolas Durer qui demeure à Cologne et qu'on appelle -Nicolas le Hongrois; il a appris le métier d'orfévre à Nuremberg chez mon -père. Le troisième fils, Jean, eut la permission d'étudier; il fut -ordonné prêtre et desservit pendant plus de trente ans la cure de -Wardein. - -Mon père, Albert Durer, est d'abord venu en Allemagne, puis il a séjourné -assez longtemps dans les Pays-Bas, où il a vécu dans l'intimité des -grands artistes, et définitivement il s'est fixé à Nuremberg, l'an 1454, -à la Saint-Louis, le jour même que Philippe Pirkeimer avait choisi pour -faire ses noces sur les remparts; on dansa longuement et allégrement sous -les grands tilleuls. - -Mon cher père entra chez Jérôme Haller qui est devenu depuis mon -grand-père; il est resté à son service jusqu'en 1467. Alors il lui -demanda la main de sa fille Barbara, une jeune personne jolie et -éveillée, à peine âgée de quinze ans. Haller la lui accorda et les noces -furent faites huit jours avant _viti_. - -Il est bon de savoir que ma grand'mère maternelle était fille d'Oellinger -de Weissenburg, et qu'elle s'appelait Cunégonde. - -Du mariage de mon cher père et de ma chère mère sont nés les enfants dont -les noms suivent: - -_Tout ce qu'on va lire maintenant, je l'ai copié mot à mot dans le livre -de mon père._ - -I.--L'année 1468 après la naissance de Jésus-Christ, le jour de -Sainte-Marguerite, ma femme Barbara accoucha de ma fille aînée. La -vieille Marguerite de Weissenburg fut sa marraine; elle donna à l'enfant -le nom de sa mère. - -II.--_Item._ En 1470, à la Sainte-Marie du carême, vers deux heures du -matin, ma femme accoucha d'un fils. Il fut tenu sur les fonts par -Frédéric Roth de Bayreuth, qui l'appela Hans[3]. - - [3] Jean. - -III.--_Item._ L'année 1471, à six heures du soir, un vendredi de la croix -(la semaine avant la Pentecôte), le jour de Sainte-Prudence, un autre -fils nous arriva. Son parrain Antoine Koberger[4] le nomma Albert, pour -m'être agréable. - - [4] Célèbre imprimeur de Nuremberg. - -IV.--_Item._ En 1472, vers trois heures du matin, à la Saint-Félix, ma -femme me donna un quatrième enfant. Il se nomma Sebald, comme son -parrain, Sebald Hotzle. - -V.--_Item._ En 1473, le jour de Saint-Ruppert, à six heures, Barbara -accoucha d'un cinquième enfant que son parrain, Hans Schreiner de Laufer -Thor, appela Jérôme, comme mon beau-père. - -VI.--_Item._ L'année 1474, à la Saint-Domitien, vers sept heures, ma -femme me donna mon sixième enfant. Son parrain Ulric Mank, l'orfévre, le -nomma Antoine. - -VII.--_Item._ En 1476, à la Saint-Sébastien, vers une heure, Barbara me -fit cadeau d'une fille. Sa marraine, demoiselle Agnès Bayrin, lui donna -son nom. - -VIII.--_Item._ A une heure de là ma femme accoucha, au milieu de douleurs -intolérables, d'une seconde fille que l'on crut devoir baptiser -immédiatement. On lui donna le nom de Marguerite. - -IX.--_Item._ En 1477, le premier mercredi après la Saint-Louis, ma -ménagère me donna encore une fille, qui s'appela Ursule comme sa -marraine. - -X.--_Item._ L'année 1478, à trois heures de la nuit, le lendemain de -Saint-Pierre et Saint-Paul, Barbara accoucha d'un fils que son parrain, -Hans Sterger, un ami de Sohmbachs, nomma Hans. - -XI.--_Item._ En 1479, à trois heures du matin, à la Saint-Arnold, un -dimanche, ma femme me fit présent d'une fille à qui Agnès Fritz-Fischer, -sa marraine, donna son nom. - -XII.--_Item._ L'année 1481, à une heure, le jour de Saint-Pierre, Barbara -mit au monde notre douzième enfant,--un garçon.--Nicolas, le commis de -Josse Haller, fut son parrain et l'appela Pierre. - -XIII.--_Item._ En 1482, à quatre heures du matin, le mardi avant la -Saint-Bartholomé, ma femme accoucha d'un enfant du sexe féminin.--Sa -marraine, Catherine, la fille de Brintwar, lui donna son nom. - -XIV.--_Item._ En 1484, le jour de la Saint-Marc, à une heure après -minuit, Barbara me donna mon quatorzième enfant; il s'appelle André, -parce que son parrain André Stromayer a voulu lui donner son nom. - -XV.--_Item._ L'année 1486, la veille de la Saint-Georges, à midi, ma -femme accoucha d'un fils; Sebald de Lochheim fut son parrain et l'appela -Sebald. - -C'est le second de mes enfants qui porte ce nom. - -XVI.--_Item._ En 1488, le vendredi avant l'Ascension, à midi, Barbara mit -au monde une fille, à qui sa marraine, la femme de Bernard Walter, donna -le nom de Christine, qu'elle portait elle-même. - -XVII.--_Item._ L'année 1490, le dimanche du Carnaval, à deux heures après -minuit, ma femme donna le jour à un enfant du sexe masculin; M. George, -le digne vicaire de Saint-Sebald, fut son parrain et l'appela Hans. - -C'est le troisième de mes enfants qui porte ce nom. - -XVIII.--_Item._ En 1492, le jour de la Saint-Cyriac, à deux heures avant -le soir, Barbara me donna mon dix-huitième et dernier enfant. M. Charles -d'Oehsenfurt, son parrain, l'appela Charles. - -A l'heure qu'il est, presque tous ces frères et sœurs, enfants de mon -cher père, sont morts, les uns tout jeunes, les autres un peu plus tard. -Trois d'entre nous ont survécu et vivront tant qu'il plaira à -Dieu.--C'est mon frère André[5], mon frère Jean[6], et moi, Albert. - - [5] Celui-ci a survécu à Albert, et fut son héritier. - - [6] Jean fut peintre du roi de Pologne. - -Albert Durer le vieux a passé sa vie au milieu des plus grandes -privations et des plus rudes labeurs. Pour nourrir sa femme et élever ses -enfants, il n'avait pas d'autres ressources que le travail de ses mains. -Aussi n'a-t-il jamais été bien riche.--Mais comme il eut le courage de -supporter honorablement et chrétiennement l'adversité, il fut loué et -estimé de tous ceux qui l'ont connu. Il fut un homme patient, pieux et -doux; plein de bienveillance pour tout le monde et très-reconnaissant -envers Dieu, malgré sa misère. Il fuyait les plaisirs, n'aimait pas la -société et parlait fort peu. - -Mon cher père avait grand soin de ses enfants, qu'il élevait d'une façon -très-convenable, afin qu'ils fussent agréables à Dieu et aux hommes; il -nous recommandait sans cesse d'honorer le souverain créateur de toutes -choses et de vivre honnêtement avec notre prochain. - -Il nous aimait tous, mais il avait principalement de l'affection pour -moi. Voyant que j'étais studieux, il me laissa aller à l'école; quand je -sus lire et écrire, il me fit rester à la maison et m'apprit l'état -d'orfévre. Je travaillai bientôt très-convenablement. Cependant, mon -inclination me portait vers la peinture; je m'en expliquai avec mon père, -qui me reçut d'abord fort mal; il regrettait le temps que j'avais perdu à -apprendre l'état d'orfévre; il céda néanmoins à mes instances, et l'année -1486, le jour de la Saint-André, il me plaça pour trois ans comme -apprenti chez un grand peintre, nommé Michel Wohlgemuth[7]. - - [7] Né à Nuremberg en 1434, mort en 1519 dans sa ville natale. On - l'appelle généralement le Pérugin du Raphaël de l'Allemagne. - Lorsque Albert Dürer entra chez Michel Wohlgemuth, ce peintre - illustrait la _Chronique de Nuremberg_, livre célèbre, qui fut - imprimé, pour la première fois, en 1493, par le parrain d'Albert, - Antoine Koberger. - -[Illustration: ALBERT-DURER, P. AH. CABASSON, D. TAMISIER. Sc.] - -Pendant ces trois ans, Dieu me donna un grand courage; aussi mes progrès -furent rapides,--mais j'eus beaucoup à souffrir de mes condisciples, qui -auraient voulu en savoir plus que moi en travaillant moins. - -Quand mon apprentissage fut terminé, mon père me fit voyager; je restai -absent jusqu'au jour où il lui plut de me rappeler. En 1490, après -Pâques, je partis de nouveau, et je revins en 1494. Quand je fus à la -maison depuis quelques jours, Hans Frey proposa à mon père de me -donner sa fille Agnès, avec une dot de 200 florins;--il accepta, et les -noces furent faites le lundi avant la Sainte Marguerite de la même année. - -Peu de temps après mon mariage, mon père tomba malade d'une dyssenterie, -contre laquelle personne ne put rien.--Voyant approcher son heure -dernière, il se résigna, me recommanda ma mère, et nous supplia de -continuer à vivre en honnêtes gens; il reçut les saints sacrements et -mourut en vrai chrétien, en 1502, la veille de la Saint-Matthieu, vers -minuit, comme je l'ai déjà écrit longuement dans un autre livre. Dieu -veuille avoir son âme! Je pris mon frère Hans chez moi, et nous mîmes -André en pension. - -Deux ans après la mort de mon père, je pris aussi ma mère avec moi, car -elle n'avait plus rien. En 1513, elle tomba subitement malade. - -Sa maladie dura une année entière, et elle fut mourante du premier au -dernier jour, le 17 mai 1514, deux heures avant la nuit; après avoir été -administrée, elle succomba. - -J'ai prié Dieu de l'avoir en sa sainte garde. - -En 1521, le dimanche avant la Saint-Barthélemy, dix-huitième jour du mois -d'août, ma chère belle-mère se mit au lit, et le 29 septembre, à neuf -heures de la nuit, elle mourut pieusement. - -En 1523, à la fête de la Présentation, de grand matin, est mort, après -avoir reçu les saints sacrements, mon honoré beau-père Hans Frey, qui a -été malade près de six longues années, et qui a aussi eu à essuyer de -grandes adversités dans cette vie. - -Dieu tout-puissant, sois-lui miséricordieux! - - -Rien dans les papiers de Dürer ne dit positivement où il a voyagé de 1490 -à 1494; mais Roth (J.-F.), diacre de l'église Saint-Jacques à Nuremberg, -dans un livre intitulé _Leben Albrecht Dürer_, publié en 1791, nous dit: -«En 1490, Albert Dürer voyagea à travers l'Allemagne, les Pays-Bas et -poussa jusque dans la Vénétie.» - -Une phrase de la deuxième lettre à Pirkeimer nous fait penser que Roth a -raison; du reste un voyage de Nuremberg à Venise était chose très-peu -extraordinaire à la fin du XVe siècle. Les relations des deux villes -étaient très-suivies; une grande quantité de marchands de Nuremberg -avaient une succursale de leur maison à Venise, et un messager partait -chaque semaine de Nuremberg et un autre de Venise. - -Beaucoup de jeunes gens visitaient l'Italie pour compléter leurs études; -ajoutons que l'on voit dans une des gravures du maître, faite avant 1506, -une gondole comme celles que l'on ne rencontre que sur l'Adriatique, et -le marinier la conduit trop bien à la façon des Vénitiens, pour n'avoir -pas été dessiné d'après nature. - -Sandrart assure qu'il séjourna dans les Pays-Bas; mais dans ses notes de -voyage, Albert Dürer ne fait pas une seule fois allusion à une visite -antérieure. - -En 1492, il traversa Colmar, nous dit Scheurl, qui prétend le tenir -d'Albert Dürer lui-même; il fut fort bien reçu par les trois frères de -Martin Schongauer (Martin le Beau), mais il eut le regret de ne pas voir -le célèbre artiste qui, le premier, osa s'affranchir de l'imitation des -peintres hollandais et remplacer la roideur et la sécheresse par la -distinction et la grâce. Il était mort depuis quatre ans. - -De 1494 à 1505, Albert Dürer ne quitta pas Nuremberg, sa ville natale; il -y vécut à l'ombre, dans l'étude, sans autre distractions que ses longs -entretiens avec son ami Pirkeimer, qu'il appelait son second père et qui -était un peu son professeur, à leur insu à tous les deux. - -J'ai visité sa triste maison[8]; j'y ai rencontré à chaque pas l'ombre -exécrée de sa femme, cette abominable Agnès Frey, si belle, si honnête, -si pieuse, si acariâtre, si intolérante et si avare. J'avais le cœur -gros en pensant à ce qu'avait dû souffrir ce pauvre homme de génie -pendant les longues années qu'il a passées avec ce monstre charmant qui -le tuait à petit feu. - - [8] Cette maison ou plutôt cette cage n'est intéressante que - parce qu'elle a été habitée par le célèbre artiste pendant la - plus grande partie de sa vie, et qu'il y a composé presque tous - ses chefs-d'œuvre.--Elle est située à l'extrémité de la rue - Albert Dürer et porte le numéro 376. Les murs sont construits - avec des soliveaux entre-croisés, dont les intervalles sont - remplis par la maçonnerie; les fenêtres sont nombreuses et - larges; elle est coiffée d'un énorme toit rouge percé d'une - grande quantité de lucarnes longues et basses comme ses voisines, - dont elle n'a pas l'air de chercher à se distinguer. - - La tradition rapporte que, sur le pignon, à la hauteur du premier - étage, s'avançait autrefois en saillie une loge vitrée qui servait - d'atelier au maître; elle a été démolie, parce qu'elle menaçait - ruine, et on a eu le tort de ne pas la reconstruire. - - La ville de Nuremberg a acquis cette maison et lui a donné une - noble destination en la réservant aux assemblées de la _Société - Albert Dürer_ et aux expositions permanentes d'objets d'art.--Les - étrangers qui désirent visiter ce pieux souvenir historique sont - fort bien accueillis par un artiste délégué, qui leur montre avec - une grâce parfaite le rez-de-chaussée où Dürer faisait poser ses - modèles; la grande salle du premier étage où le maître recevait - ses élèves et ses amis, après ses longues journées de labeur, - lorsque la belle Agnès l'autorisait à ne pas travailler le soir, - ce qui était fort rare; et enfin le second étage où on voit la - chambre à coucher d'Albert Dürer. C'est un réduit situé sur la - cour, où le soleil n'a jamais daigné venir le saluer, et où un - homme de moyenne taille peut à peine se tenir debout. Si j'offrais - à mon domestique quelque chose de pareil, il m'aurait bientôt - donné mon compte. - -Vers la fin de 1505, il partit pour Venise où il séjourna un an environ; -c'est de là qu'il adressa à Bilibald Pirkeimer les huit lettres intimes -que l'on trouvera plus loin. - -De 1506 à 1520, il ne sortit guère de son atelier. - -En 1520, il fit dans les Pays-Bas le célèbre voyage dont nous publions -ici _in extenso_ la relation. - -A son retour en Allemagne, Albert Dürer reprit sa vie de travail presque -en tête-à-tête avec son acariâtre épouse, car la mégère avait réussi à -faire le vide autour de lui; mais une telle existence ne pouvait être -longue. Le 6 avril 1528, le pauvre grand homme mourut d'épuisement et de -chagrin, dans toute la force de son talent, à l'âge de 57 ans, sans -enfants, laissant ses objets d'art à son frère André et sa fortune à sa -femme, que ses compatriotes auraient tant voulu voir déshériter. - -La mort d'Albert Dürer affligea sérieusement ses nombreux amis. - -Nous avons cité des fragments de lettres, citons aussi quelques mots -d'Érasme, qui était lié avec lui, mais qui était avant tout philosophe: - -_Quid attinet Dureri mortem deplorare, quum simus mortales omnes? -Epitaphium illi paratum est in libello meo._ - -Traduction: - -A quoi bon pleurer la mort d'Albert Dürer, puisque nous sommes tous -mortels? Je lui ai fait une épitaphe dans mon petit livre. - -Avons-nous besoin de dire à ceux qui connaissent le cœur humain -qu'Albert Dürer était admiré plus par les princes[9] que par ses -égaux,--par les étrangers que par ses compatriotes, prouvant ainsi une -fois encore l'éternelle vérité du proverbe: _Nul n'est prophète en son -pays._ - - [9] Un jour, l'empereur Maximilien fit pour Albert Dürer ce que - Charles-Quint fit plus tard pour le Titien, et François Ier pour - Benvenuto Cellini, il maintint en équilibre l'échelle sur - laquelle le peintre était monté, et dit aux gentilshommes de sa - suite: «Vous le voyez, messieurs, le génie d'Albert Dürer le - place même au-dessus de l'empereur.» - - Un autre jour, Albert Dürer, dessinant sur une muraille, allait - devoir interrompre son travail, parce qu'il ne se trouvait plus - assez élevé, lorsque l'empereur Maximilien, qui était présent, - ordonna à un de ses gentilshommes de se poser de façon que - l'artiste pût se servir de lui pour s'exhausser. Le gentilhomme - représenta humblement qu'il était prêt à obéir, bien qu'il trouvât - cette posture fort humiliante; il ajouta qu'on ne pouvait guère - plus avilir la noblesse, qu'en la faisant servir de marchepied à - un peintre. - - «Ce peintre, reprit l'empereur, est plus que noble par ses - talents; je peux d'un paysan faire un noble, mais d'un noble je ne - ferais jamais un artiste comme Albert Dürer.» Le soir même, Albert - Dürer fut anobli par l'empereur, qui lui donna pour armes trois - écussons d'argent, deux en chef et un en pointe sur champ d'azur. - - Nous laissons la responsabilité de ces anecdotes à Karle de - Mander, qui a fait des comédies charmantes et des fables fort - spirituelles, dont il s'est un peu trop souvent souvenu quand il a - écrit son histoire des peintres. - -[Illustration: Leon Gauchenel Sct. - LA SAINTE TRINITE - Dessin d'ALBERT DURER - Collection de M. F. Reiset Imp. A. Salmon - Gazette des Beau-Arts] - -Voici deux lettres qui attestent suffisamment ce que j'avance: - - -LETTRE DE L'EMPEREUR MAXIMILIEN - -AUX MAGISTRATS DE LA VILLE DE NUREMRERG. - -«Honorables et chers fidèles, - -«Le soin qu'a toujours montré notre fidèle Albert Dürer dans l'exécution -des dessins et des gravures que nous lui avons demandés; l'offre qu'il a -faite de continuer de nous servir avec le même zèle, et dont nous -avons ressenti un plaisir tout particulier; sa célébrité bien connue -entre tous les peintres, nous ont fait résoudre de lui venir en aide et -de le récompenser par une faveur toute spéciale. - -»Nous vous demandons donc avec instances sérieuses de vouloir bien -l'exempter de tout impôt communal de ville et de toute autre -contribution, en témoignage de notre amitié pour lui et en faveur de son -art merveilleux auquel il est juste qu'il puisse s'adonner librement. - -«Nous espérons que dans aucun cas vous ne refuserez la demande que nous -vous adressons, comme du reste il est convenable que vous le fassiez, -tant pour nous être agréables, qu'en considération de l'art dont il -importe de favoriser le développement parmi vous. - -«Vous reconnaîtrez ainsi la bienveillance particulière que nous vous -avons toujours témoignée à vous et à votre ville. - -«Donné dans notre ville impériale de Landau, le douzième du mois de -décembre 1512, de notre règne le vingt-septième.» - -_Ad mandatum Dmi imperatoris Mppria._ - - -LETTRE D'ALBERT DURER - -AUX MAGISTRATS DE LA VILLE DE NUREMBERG. - -«Honorables, sages et gracieux seigneurs, - -«Par mes travaux et avec l'aide de Dieu, pendant une longue suite -d'années, j'ai acquis la somme de mille florins du Rhin, que je voudrais -placer pour mon entretien. - -«Comme je sais que vous n'avez pas l'habitude de donner un intérêt -très-élevé, et que vous avez souvent refusé un florin sur vingt, j'ai -hésité longtemps à vous demander ce service; je m'y suis cependant -résolu, par besoin d'abord, et aussi en songeant à la faveur toute -particulière avec laquelle vos seigneuries m'ont traité en toute -circonstance. - -«Vos seigneuries savent combien j'ai été dévoué et prêt à rendre service -au conseil, dans les affaires publiques et particulières, partout où il a -eu besoin de moi. - -«Dans notre ville, pour ce qui est de mon art, j'ai travaillé plus -souvent gratis que pour de l'argent, et, depuis trente ans que j'habite -ce pays, je puis le dire avec vérité, les travaux dont j'ai été chargé ne -se sont pas élevés à 500 écus; somme peu considérable et sur laquelle je -n'ai pas eu un cinquième de bénéfice. - -«J'ai gagné ma fortune, je veux dire ma pauvreté, qui, Dieu le sait, m'a -été amère et m'a coûté bien des labeurs, avec les princes, les seigneurs, -et d'autres personnes du dehors. Je suis le seul de cette ville qui vive -de l'étranger. - -«Vos seigneuries n'ont pas oublié que feu l'empereur Maximilien, de -glorieuse mémoire, m'avait exempté des charges de cette ville,--de son -propre mouvement, et pour reconnaître les loyaux services que je lui -avais rendus; depuis, j'ai renoncé à ce privilége, suivant les avis de -quelques-uns des membres les plus anciens du conseil; je l'ai fait en -l'honneur de mes maîtres et pour me conserver leurs bonnes grâces. - -«Il y a dix-neuf ans, le doge de Venise m'écrivit de venir demeurer dans -cette ville, en m'offrant 200 ducats par an de provision. - -«Plus tard, la commune d'Anvers, pendant le peu de temps que je suis -resté dans les Pays-Bas, m'a aussi offert 300 florins de Philippe par an, -et elle y ajoutait le don d'une belle maison. - -«Dans l'une comme dans l'autre ville, tous mes travaux m'eussent été -payés à part. - -«J'ai refusé tout cela par l'inclination et l'amour particulier que -j'ai pour vos seigneuries, pour notre ville et pour ma patrie. J'ai -préféré vivre simplement ici, que d'être riche et puissant ailleurs. - -[Illustration] - -«Je vous prie donc respectueusement de prendre en considération toutes -ces choses, d'accepter les mille florins, que j'aime mieux savoir entre -vos mains que partout ailleurs, et de m'en donner, comme une grâce -particulière, cinquante florins d'intérêt par an, pour moi et ma femme -qui, tous deux, devenons de jour en jour vieux, faibles et infirmes. - -«Je reconnaîtrai en cela l'intérêt que votre sagesse m'a témoigné jusqu'à -ce jour et que je m'efforcerai sans cesse de mériter. - -«De vos seigneuries, le très-dévoué concitoyen, - - «ALBERT DURER.» - -Nous l'avons dit, nous le répétons, lorsqu'en 1528 la mort vint frapper -Albert Dürer, il était arrivé à l'apogée de son génie.--Sa manière -s'éloignait de plus en plus des peintures flamandes et allemandes, pour -se rapprocher de celles des grands maîtres de l'Italie, qu'il allait -peut-être égaler bientôt. Les lettres de Mélanchthon nous apprennent -qu'Albert Dürer disait lui-même n'avoir connu la vraie beauté de la -nature que fort tard; il comprit alors que la simplicité est le plus bel -ornement de l'art. Il soupira en songeant à ses premières œuvres si -compliquées, et il se plaignit de ne pouvoir plus atteindre son admirable -modèle[10]. - - [10] Memini virum excellentem ingenio et virtute Albertum Durerum - pictorem dicere, se juvenem floridas et maxime varias picturas - amasse, seque admiratorem suorum operum valde lætatum esse, - contemplando hanc varietatem in sua aliqua pictura. - - Postea se senem cœpisse intueri naturam, et illius nativam faciem - intueri conatum esse. - - Quam cum non prorsus adsequi posset, dicebat se jam non esse - admiratorem operum suorum ut olim, sed sæpe gemere intuentem suas - tabulas et cogitare de infirmitate sua, etc., etc. - - (_Epistolæ Ph. Melancthonis._, Ep. XLVII, page 42.) -Albert Dürer est un grand peintre, mais c'est surtout à son œuvre -gravé qu'il doit le premier rang qu'il occupe dans l'art. - -Comme graveur, personne ne peut lui être comparé, ni Marc-Antoine, ni -Lucas de Leyde, ni Martin Schongauer, qui a été son premier maître, en -dépit de l'éloignement, en dépit de la mort même qui l'enlevait le jour -où Dürer père se décidait à envoyer son fils à Colmar pour suivre ses -leçons.--C'est donc à la fin prématurée de cet homme, justement célèbre, -que Wolhgemuth doit l'honneur d'avoir conservé un élève qui l'a fait -connaître plus que ses ouvrages. - -Comme Martin Schongauer, le maître de Colmar, Albert Dürer réunit autour -de lui de nombreux élèves: Hans Springinklie et Hans Schauflein, qui ont -fourni d'admirables dessins aux graveurs sur bois; Barthélemy Beham, son -cousin, Hans-Sebald Beham, Georges Penz, Henri Aldegraever, Jacob Binck, -Albert Altdorfer, Hans Wagner de Kulmback, Mathias Gruenewald et Melchior -Feselen, qui se servirent avec un égal talent du burin et du pinceau. -Mais à la mort du maître, tous, excepté Henri Aldegraever, abandonnèrent -la manière purement allemande; trois d'entre eux se firent même admettre -dans l'atelier de Marc-Antoine et contribuèrent, après leur retour en -Allemagne, à y répandre le style italien. - -Albert Dürer fut enterré à Nuremberg, dans le cimetière Saint-Jean, à -quelques pas du Calvaire sculpté par Adam Kraft pour le compte du -praticien Martin Kœtzel[11]. - - [11] En 1477, un patricien de Nuremberg, nommé Martin Kœtzel, - fit un voyage en Palestine. Pendant son séjour en Terre Sainte, - il compta le nombre de pas qui séparent la maison de Pilate du - Golgotha. Son dessein était de mesurer une distance égale, à - partir de sa maison de Nuremberg jusqu'au cimetière Saint-Jean, - et de faire sculpter, par l'illustre statuaire Kraft, sept - stations dans l'intervalle et un calvaire avec le Christ, et les - deux larrons à l'extrémité.--Qu'arriva-t-il?--Le patricien - perdit-il la mémoire ou ses notes? On l'ignore. Ce que l'on sait, - c'est que, revenu chez lui, il n'avait plus ses mesures. Onze ans - après, en 1488, il entreprit un nouveau pèlerinage pour pouvoir - faire de nouveau son calcul sur place, et au retour il fut assez - heureux pour trouver Adam Kraft plein de vie et dans toute la - force de son talent. Cette fois, il ne perdit pas une seconde, - son œuvre pie fut exécutée et fort bien, si l'on en juge par les - morceaux que le temps n'a pas dévorés. - -Pirkeimer fit inscrire ces mots sur la tombe de son ami: - - _Me. al. du. - Quidquid Alberti Dureri mortale - fuit, sub hoc conditur tumulo. - Emigravit VIII. idus aprilis. - M. D. XXVIII._ - -[Illustration] - -Lorsque Sandrart visita le cimetière Saint-Jean à Nuremberg, il fut fort -ému en trouvant la tombe d'Albert Dürer délaissée et dans un état complet -de délabrement. Il s'en plaignit avec amertume, et ne s'en tint pas aux -plaintes comme cela arrive trop souvent; il eut la pieuse pensée de faire -réparer les dégâts et de graver sur une plaque de bronze cet éloge que -l'on peut lire encore aujourd'hui sur la pierre, qui n'a pas été changée -depuis 1681: - - _Vixit Germaniæ suæ decus - Albertus Durerus, - Artium lumen, sol artificum, - Urbis patriæ nor. Ornamentum, - Pictor, chalcographus, sculptor - Sine exemplo, qui omniscius - Dignus inventus exteris, - Quem imitandum censerent,_ - _Magnes magnatum, eos ingeniorum - Post sesquiseculi requiem, - Quia parem non habuit, - Solus hic cubare jubetur, - Tu flores sparge viator. - A. R. S. MDCLXXXI. - Opt. mer. F. cur. - J. DE. S._ - -A côté de cette légende latine s'en trouve une seconde en vers allemands: - - _Die ruhe Künsler Fürst du mehr als grosser Mann - In Vielkunst hat es dir noch keiner gleich gethan - Die Erd ward ausgemalt der Himmel dich jetzt hat -Du maltest (malest) Heilig pum dort an der Gottes stadt - Die Bau-Bild-Malerkunst die neppen Dich Patron - Und setzen dir nun auf im Tod die Lorbeerkron_ - -Traduction: - - Repose ici, prince des artistes, toi qui fus le plus grand des hommes. - Dans plus d'un art, personne ne t'a encore égalé; - Tu as peint la terre, et maintenant le ciel te possède; - Devenu saint, tu peins là-haut dans la cité de Dieu. -Les maîtres de l'architecture, de la sculpture et de la peinture te - nomment leur maître - Et maintenant, dans la mort, te couronnent de lauriers. - -En 1840, la Bavière reconnaissante a élevé un monument à la mémoire -d'Albert Dürer, dont le génie multiple fut l'étincelle qui illumina -l'Allemagne entière et la fit, à la fin du XVe siècle, la rivale sérieuse -de l'Italie. - -Au bas de la rue de la Montagne (Berg-Strasse), entre la maison de Pilate -et la maison d'Albert Dürer, on voit une statue de onze pieds de haut, -modelée, à Berlin, par Rauch, et fondue, en 1839, à Nuremberg. - -Albert Dürer est vêtu d'une longue robe fourrée de belles pelleteries; il -porte les cheveux pendants sur ses épaules, en boucles soyeuses. Quant au -caractère de la figure, le sculpteur s'est inspiré des nombreux portraits -peints par le maître lui-même. - -Les personnes qui ne connaîtraient que le portrait de face, que l'on voit -aujourd'hui à la pinacothèque de Munich, admettraient peut-être -difficilement d'abord les profils de la statue de Rauch.--On en pourrait -dire autant de celles qui n'auraient vu que celui du musée de Lyon, où -Albert Dürer s'est peint de trois quarts.--Dans l'un, le premier, il a -vingt-cinq ans à peine; il est pourtant déjà rêveur; sur son visage -amaigri et mystique, on n'aperçoit aucune saillie qui annonce la force; -tout est douceur et mélancolie. On le prendrait volontiers pour un des -disciples de Jésus-Christ, ou pour Jésus-Christ lui-même. - -Dans l'autre, au contraire, on trouve une figure mâle, à laquelle les -arêtes vives du nez et les lignes nettes des lèvres et du front donnent -une incontestable expression de vigueur. - -Rauch a pris un moyen terme entre ces deux types si dissemblables. Sa -statue est plus idéalisée que la peinture réaliste de Lyon, et moins -extatique que celle de Munich; c'est un chef-d'œuvre parmi les -chefs-d'œuvre du maître prussien. - -Un mot encore avant de terminer cette étude, qui est déjà un peu bien -longue. - -La gloire d'Albert Dürer est un tout éblouissant, mais dont les rayons -sont distincts: son imagination est inépuisable, sa naïveté est pleine de -grâce, sa touche est savante, son dessin est humain et vigoureux. Son -exécution est large et puissante; sous sa couleur délicate et vive on -discerne la science anatomique aussi facilement qu'on distingue la couche -calcaire d'un coquillage sous la nacre irisée qui la recouvre. Son -bonheur est extrême dans le choix de ses sujets; il y groupe savamment -les personnages; mieux que personne de son temps et du nôtre, il sait -allier dans les plis de ses draperies l'élégance et le goût à je ne sais -quelle grandeur sauvage; ses ciels sont lumineux comme son génie. Ses -paysages sont pittoresques et accidentés; on comprend, en les regardant, -que l'artiste est allé au delà de la réalité chercher, grâce à son -imagination, le doux rêve qu'il ne trouve pas sous son toit. - -Les critiques n'ont pas manqué à sa gloire; on lui a reproché ses femmes -nues, qui sont plutôt une tristesse qu'une défaillance. Puis, comme si -l'honnête homme ne devait pas avoir souci d'achever son œuvre, on lui a -reproché encore le fini précieux de ses peintures: à notre époque, on lui -reprocherait d'être grand. - -Ses portraits respirent la vie: nouveau Pygmalion, il les anime de par sa -volonté. La volonté d'un grand artiste n'est-elle pas une étincelle du -feu divin? Hélas! aussi puissant qu'il soit, ce souffle de Dieu -s'amoindrit et se dissipe en arrivant vers la terre; heureux les élus qui -savent, comme Albert Dürer, en garder les reflets pour étonner le monde -et faire rêver l'humanité! - - CHARLES NARREY. - -[Illustration: AH-CABASSON, D. CH-JARDIN SC.] - -[Illustration: BILIBALDI PIRKEYMHERI EFFIGIES AETATIS SVAE ANNO L III -VIVITVR INGENIO CAETERA MORTIS ERVNT M D XX IV ALBERT DURER SCULP. FAC -SIMILE DE A. DURAND. BILIBALD PIRKEYMHER. Gazette des Beaux Arts Imp A. -Salmon, Paris] - - - - - LETTRES CONFIDENTIELLES - D'ALBERT DÜRER - A BILIBALD PIRKEIMER - - - LETTRES CONFIDENTIELLES - D'ALBERT DÜRER - A BILIBALD PIRKEIMER[12] - - -LETTRE I. - - -[Illustration] - -Mon cher monsieur Pirkeimer, je vous offre mes services et j'espère que -votre santé est meilleure que la mienne.--Je vous souhaite une bonne et -heureuse année à vous et aux vôtres. Pour ce qui est des perles et des -pierreries que vous m'avez chargé d'acheter, je vous annonce que je n'ai -rien pu trouver, même pour bon argent. Les Allemands ont tout accaparé, -et pour leur en racheter il faudrait les payer plus qu'elles ne valent, -car ils sont très-peu accommodants. Ce sont du reste les plus vilaines -gens que la terre ait portés[13]. Il ne faut pas compter sur eux pour le -moindre service, et des amis sérieux m'ont assuré qu'il est prudent de se -garer d'eux,--ils se moquent de tout, attendu qu'ils sont maîtres de la -place.--Tout le monde est d'accord pour déclarer que l'on trouve à -Francfort de plus beaux objets à meilleur prix qu'à Venise. - - [12] Willibald ou Bilibald Pirkeimer, sénateur de Nuremberg, - homme de lettres distingué et l'un des amis intimes d'Albert - Dürer.--Il a fait son portrait sur cuivre en buste vu de trois - quarts avec cette épigraphe: _Bilibaldi Pirkeymheri. effigies. - œtatis. suæ, anno_ L. III. _Vivitur. ingenio cætera. mortis - erunt_ M. D. XX. IV. Ce portrait admirable est celui dont nous - donnons, dans ce livre, une copie exécutée par M. Durand, d'après - une épreuve de la collection de M. Ambroise-Firmin Didot. Dürer a - aussi peint les armoiries de Pirkeimer, deux écus soutenus par - deux génies ailés au-dessus desquels on lit: _Sibi et amicis_ P., - et dans la marge du bas: Liber _Bilibaldi Pirkeimer_: dans celle - du haut est une inscription en hébreu, une seconde en langue - grecque et la suivante en latin: _Initium sapientiæ timor - Domini_. - - [13] Il parle certainement des Allemands qui habitent la - _Giudecca_ ou _Zuecca_ (quartier des Juifs), dans l'île de - _Spinalonga_. - -Les livres que vous m'avez demandés sont expédiés, vous les recevrez -bientôt, et si vous avez besoin d'autres choses, faites-le moi savoir, je -me ferai un plaisir de vous les envoyer. Fasse le ciel que je puisse vous -rendre un jour un vrai service, car je reconnais que je vous dois -beaucoup. Je vous en prie, ne vous impatientez pas trop, cette dette me -préoccupe plus que vous, j'en suis certain. Si Dieu me vient en aide, je -vous payerai prochainement en vous conservant une éternelle -reconnaissance. Car les Allemands[14] m'ont commandé un tableau[15] -qu'ils me payeront cent dix florins rhénans, et je n'aurai que cinq -florins de frais. - - [14] Il veut parler sans doute d'une communauté allemande qui - existait alors à Venise. - - [15] C'était le _Martyre de saint Bartholomé_. Ce tableau fut - acheté plus tard par le roi de Bohême Rodolphe II, qui le plaça - dans la galerie de Prague. - -Je me mettrai à l'ouvrage tout de suite, j'esquisserai mon tableau en -huit jours, et dans un mois il pourra figurer sur l'autel. En épargnant -tout cet argent, je serai en mesure de vous payer, car je ne crois pas -qu'il soit nécessaire d'envoyer rien en ce moment à ma mère et à ma -femme. J'ai laissé à ma mère dix florins, elle en a reçu neuf ou dix pour -des objets d'art, le marchand de fil d'archal lui en a payé douze. Je lui -en ai encore envoyé neuf par l'entremise de Bastien Imhoff, et elle n'a -dû payer que sept florins à Gartner pour ses gages. Quant à ma femme, je -lui ai donné douze florins, elle en a reçu treize autres, ce qui fait -vingt-cinq. Je pense donc également qu'elle n'a besoin de rien; et s'il -lui manque quelque chose, le beau-frère n'a qu'à l'aider jusqu'à mon -retour; alors je le rembourserais intégralement. - -Sur ce, je me recommande instamment à votre bon souvenir. - -Datée de Venise, le saint jour des Rois 1506. - -Saluez de ma part Étienne Baumgartner et les autres personnes qui -s'informeront de moi. - - ALBERT DURER. - - - - -LETTRE II. - - -Je vous présente mes respects, mon cher monsieur Pirkeimer, j'espère que -vous jouissez d'une bonne santé, et je le souhaite aussi sincèrement que -s'il s'agissait de la mienne propre. - -Je vous ai écrit dernièrement, faites-moi savoir si ma lettre vous est -parvenue. Ma mère m'a grondé parce que je ne vous envoyais pas de mes -nouvelles, et elle m'a donné à entendre que vous étiez furieux contre -moi. - -Voici mon excuse: je suis paresseux quand il s'agit d'écrire, je croyais -que ma lettre ne vous trouverait pas chez vous, et enfin j'avais -recommandé à _Castel_, le messager, de vous présenter particulièrement -mes hommages. Je vous prie donc humblement de me pardonner, car je n'ai -pas d'autre ami que vous en ce monde. - -Je ne crois pourtant pas que vous soyez sérieusement irrité contre moi, -car je vous considère comme un second père. - -Je voudrais que vous fussiez à Venise auprès de moi, vous trouveriez une -quantité de joyeux compagnons parmi les Italiens qui s'attachent de plus -en plus à moi. Ce sont des gens de cœur, d'un commerce agréable, -instruits, honorables, et bons musiciens. Ils m'ont en grande estime et -me témoignent beaucoup d'amitié. Par contre, il y en a parmi eux qui sont -les plus fieffés coquins du monde, mais des coquins bien séduisants, et -celui qui ne verrait que superficiellement les choses serait tenté -d'avoir d'eux la meilleure opinion. Je ris souvent dans ma barbe quand -ils me parlent; ils n'ignorent pas qu'on sait de belles méchancetés -d'eux, mais ils s'en moquent. - -J'ai beaucoup d'excellents amis parmi les Italiens, qui m'engagent à ne -pas vivre trop familièrement avec leurs peintres.--Il est vrai que j'ai -aussi beaucoup d'ennemis qui critiquent mes ouvrages dans les églises et -partout où ils les trouvent. Ils disent qu'ils ne valent rien parce que -je ne peins pas à la manière antique, ce qui ne les empêche pas de les -copier. Giovani Bellini[16] a fait les plus grands éloges de mon talent -devant beaucoup de gentilshommes; il désire avoir une de mes œuvres, il -est venu me voir et il a insisté pour que je lui fisse une composition, -promettant de la bien payer. Plusieurs personnes considérables m'ont -assuré que c'est un homme excellent, et qu'il m'est très-favorable. Il -est vieux, excessivement vieux même; cependant aucun des peintres de -Venise ne peut se vanter d'être aussi vert que lui. Ce qui me plaisait il -y a onze ans ne me plaît plus aujourd'hui, je l'avoue franchement, bien -que cela paraisse extraordinaire. - - [16] Le plus jeune et le plus illustre des deux frères Bellini, - le maître de Giorgion et du Titien. - - Il est né à Venise en 1426, il y est mort en 1516 et il y est - enterré à côté de son frère Gentile, dans l'église des apôtres - saint Jean et saint Paul. - -Il y a ici des artistes qui ont beaucoup plus de talent que maître -Jacob[17]; Antoine Kolb seul jure ses grands dieux qu'il n'y a pas de -meilleur peintre au monde que Jacob. Ici on se moque de lui, et cependant -il reste de son opinion. - - [17] Albert Dürer parle-t-il de Jacob Walch ou de Jacob Elsner, - l'artiste universel dont Neudörffer dit: «Ce Jacob Elsner était - un homme d'un commerce agréable que les patriciens recherchaient - fort. Il jouait admirablement du luth et vivait dans l'intimité - des habiles organistes Sébastien Imhoff, Guillaume Haller et - Laurent Stauber. Il peignit leurs portraits, illumina leurs beaux - livres, dessina les blasons que l'empereur et les rois leur - avaient donnés et fit nombre d'autres petits travaux pour eux. - Personne de son temps ne savait peindre l'or comme lui.» Le - docteur Frédéric Campe croit qu'il est question d'Elsner. «Albert - Dürer, dit-il, parlerait avec plus de respect de son honorable - prédécesseur Jacob Walch ou le Walche.» Le respect n'a rien à - faire ici. Albert Dürer donne son opinion sur les peintres - italiens, et s'il attaque quelqu'un, c'est Antoine Kolb, dont le - zèle amical est en effet un peu bien exagéré. - - M. Passavant déclare nettement qu'il s'agit ici d'un tableau de - Jacob Walch qui venait, grâce à Kolb, d'obtenir une situation - auprès de Philippe de Bourgogne. Il ajoute qu'Albert Dürer avait - peut-être sollicité cette situation. Pourquoi cette supposition - toute gratuite? L'appréciation d'Albert Dürer n'était que juste. - «Jacob Walch, dit Jacob de Barbarj, dit le Maître au caducée, - avait du talent, mais il était loin d'égaler les maîtres - italiens.» (Voir le travail de M. Émile Galichon sur ce peintre. - _Gazette des Beaux-Arts_, t. XI, p. 314, no 456.) - -J'ai commencé à travailler à mon tableau, c'est-à-dire que je l'ai -esquissé, mais mes mains ont été si malades qu'il m'a été impossible de -travailler sérieusement. J'ai laissé passer cette mauvaise disposition; -ne m'en veuillez pas et devenez rangé comme moi, mais vous ne voulez -jamais suivre mes conseils. - -Mon cher, il me serait agréable de savoir si aucune des personnes que -vous aimez n'est morte, celle qui habite près de l'eau, ou celle qui -ressemble à ceci [Illustration] ou celle qui ressemble à cela -[Illustration] ou la fille de [Illustration]. - -Écrite à Venise, à 9 heures[18] du soir, le samedi après la Chandeleur, -1506. - -Présentez mes services à Étienne Baumgartner, à Harstorfer et à Falkamer. - - ALBERT DURER. - - [18] Minuit et demi de notre temps. - - - - -LETTRE III. - - -Mes salutations empressées à mon cher monsieur Pirkeimer. - -Je vous expédie en même temps que cette lettre la bague ornée d'un saphir -que vous m'avez demandée; il m'a été impossible de vous l'envoyer plus -tôt. Pendant deux jours j'ai couru chez tous les orfévres allemands et -italiens de Venise dans la compagnie d'un habile homme que j'ai défrayé; -nous avons longtemps cherché avant de trouver ce qu'il nous fallait, et à -la fin, en marchandant beaucoup, j'en ai acheté une pour dix-huit ducats -et quatre martzels à un particulier qui ne fait pas le commerce de bijoux -et qui la portait lui-même; il me l'a vendue pour me rendre service. Je -lui ai dit que c'était une acquisition que je faisais pour mon usage. Je -l'avais à peine payée qu'un orfévre allemand m'en a offert trois ducats -de bénéfice; j'espère donc que vous la trouverez à votre gré, car tous -ceux à qui je la montre prétendent que c'est une _pierre trouvée_, et -qu'en Allemagne on la payerait cinquante florins. Mais vous verrez bien -s'ils disent vrai ou s'ils mentent; quant à moi, je n'y connais rien. - -J'ai acheté une améthyste à un ami intime pour douze ducats; il m'a volé -comme dans un bois, car elle n'en vaut pas sept. Mes camarades et moi -nous avons tant fait qu'il a consenti à rompre le marché, et je lui ai -payé un dîner au poisson. J'ai repris mon argent et je suis fort -satisfait de cet arrangement. De bons amis ont estimé la bague, et s'ils -ne se sont pas trompés, la pierre ne revient pas à plus de dix-neuf -florins rhénans, car elle pèse environ cinq florins d'or. Je n'ai donc -pas dépassé vos ordres, puisque vous m'avez écrit de ne pas dépenser plus -de quinze ou vingt florins. - -Quant à l'autre pierre que vous m'avez demandée, je n'ai pas encore pu me -la procurer, mais je déploierai tout mon zèle à ce travail. - -On me dit qu'en Allemagne on ne pourrait pas avoir ces pierres, même à la -foire de Francfort, car les Italiens les accaparent toutes aussitôt qu'il -y en a quelque part. Les marchands se sont moqués de moi lorsque je -leur ai offert deux ducats pour des jacinthes; écrivez-moi donc le -plus tôt possible, et dites-moi ce que j'ai à faire. J'ai vu un beau -diamant, je ne sais pas encore ce que l'on en demande; je vous -l'achèterai, si votre lettre m'en donne l'ordre. - -Les émeraudes sont excessivement chères, mais on peut avoir une améthyste -de moyenne grandeur pour vingt ou vingt-cinq ducats. - -D'après toutes les commissions que vous m'avez données, je présume que -vous avez pris une maîtresse. Prenez garde que ce ne soit un maître! Du -reste vous êtes assez grand et assez sage pour vous conduire. - -Endres Künhoffer vous présente ses respects; il vous écrira sous peu de -jours; en attendant, il vous prie de l'excuser auprès de son maître s'il -ne reste pas à Padoue; il n'y a rien à apprendre là pour lui. Ne m'en -veuillez pas, je vous en prie, si je ne vous expédie pas toutes vos -commandes à la fois; malgré mon zèle il m'a été impossible de les -rassembler pour le départ du messager. - -Mes amis vous conseillent de faire remonter la pierre: ils prétendent -qu'elle est belle et que la bague est vieille et démodée. Je vous prie -d'engager ma mère à m'écrire et à continuer ses bons rapports avec vous. -Sur ce, je me recommande à votre bonne amitié. - -Venise, le deuxième dimanche du Carême 1506. - -Rappelez-moi au souvenir de votre servante. - - -[Illustration] - - - - -LETTRE IV. - - -Avant tout j'offre mes services à mon cher ami Pirkeimer. J'ai reçu le -jeudi avant la semaine des Rameaux une lettre de vous, et la bague avec -l'émeraude. Je me suis rendu à l'instant chez l'homme de qui je la -tenais: il consent à me rendre mon argent, bien qu'il ne le fasse pas -volontiers; il prétend qu'il a été trompé lui-même par le bijoutier. - -Mes amis m'ont assuré qu'une des deux autres bagues vaut bien six ducats -et qu'elles sont bien conditionnées et d'un or pur; ils ajoutent que vous -ne vous repentirez pas de l'affaire. Je ne me suis donc trompé que de -deux ducats sur les trois bagues. Du reste Bernard Holdtzbock voulait me -les prendre pour le prix d'achat. - -Depuis je vous ai envoyé un saphir par Hans Imhoff. J'espère que vous -l'avez reçu. Je crois que j'ai fait une bonne affaire. On m'a offert un -bénéfice; c'est bien un hasard, car vous savez que personnellement je ne -connais pas la valeur de ces objets et que je suis obligé de me fier à -ceux qui me conseillent. - -Décidément les peintres ne me veulent pas de bien; ils m'ont déjà fait -venir trois fois devant le magistrat, et cependant j'ai donné trois beaux -florins pour leur caisse. - -J'aurais pu gagner beaucoup d'argent, si je n'avais pas entrepris le -tableau pour les Allemands. Cet ouvrage demande beaucoup de soin, et je -ne pourrai pas l'achever avant la Pentecôte; on ne m'en donnera pourtant -pas plus de quatre-vingt-cinq ducats, et cela se dépense vite. - -J'ai acheté une foule d'objets et j'ai envoyé beaucoup d'argent chez moi, -de sorte qu'il ne m'en reste guère. Je vois bien que je ne pourrai pas -encore m'acquitter envers vous. Sans cette commande, j'aurais pu -facilement gagner cent florins, car, excepté les peintres, tout le monde -ici est excellent pour moi. - -Quant à ce qui concerne mon frère, dites à ma mère qu'elle parle à mon -vieux maître Wohlgemuth; s'il a besoin de lui, qu'il soit assez bon pour -lui donner de l'ouvrage jusqu'à mon retour, ou qu'il aille en chercher -chez les autres. J'aurais bien voulu le prendre avec moi à Venise; -voyager lui aurait été très-utile, il aurait pu y apprendre la langue du -pays. Mais ma mère eût craint que le ciel ne tombât sur nous deux. Je -vous en prie, veillez à ce qu'il ne se perde pas avec les femmes. Causez -avec le gaillard et tâchez qu'il reste sage et raisonnable au moins -jusqu'à ma rentrée. Qu'il ne tombe pas à la charge de ma mère. Je ne peux -pas tout faire pour les miens, mais je suis prêt à faire ce qui dépend de -moi. - -Pour ce qui est de moi personnellement, je ne suis pas inquiet; cependant -il n'est pas absolument facile de gagner sa vie ici, car personne n'aime -à jeter son argent par les fenêtres. - -Dites, je vous prie, à ma mère, qu'elle veille à la vente des œufs de -Pâques[19]. Je pense du reste que ma femme aura eu soin de lui -transmettre toutes mes instructions, car je lui ai écrit à ce sujet. - - [19] La mère de Dürer faisait cuire des œufs et Hans les - peignait. Cette coutume existe encore aujourd'hui à Nuremberg et - à Prague. Ces œufs, qui sont artistement peints, amusent - toujours les petits enfants et même les grandes personnes. - -Je n'achèterai pas le diamant avant que vous ne m'ayez répondu à son -sujet. Je ne compte pas retourner à Nuremberg avant l'automne, même si -mon tableau était fini à la Pentecôte. - -J'espère conserver une grande partie de ce que je gagnerai. - -Comme je suis indécis sur le jour de mon départ, n'en dites rien à ma -femme, je lui écrirai de temps en temps: je reviens... - -Ayez la bonté de répondre quelques mots à cette lettre. - -Venise, le jeudi avant la semaine des Rameaux 1506. - - - - -LETTRE V. - - -Mes services à mon cher ami Pirkeimer. - -Si votre santé est bonne, j'en suis fort aise; moi je me porte bien -aussi, et je travaille ferme; cependant je n'espère pas être prêt avant -la Pentecôte. - -J'ai vendu toutes mes esquisses, sauf une seule. J'en ai donné deux pour -vingt-quatre ducats, et les trois autres pour trois bagues qui ont été -évaluées à vingt-quatre ducats, mais je les ai fait voir à mes amis qui -disent qu'elles n'en valent que vingt-deux. Comme vous m'avez écrit de -vous acheter des pierreries, j'ai cru vous être agréable en vous les -expédiant par Frantz. Faites-les estimer chez vous par des gens qui s'y -entendent, et conservez-les pour leur prix d'estimation. Si cependant -elles ne vous conviennent pas, retournez-les-moi par le prochain -messager. Car à Venise on m'offre douze ducats pour l'émeraude et dix -pour le diamant. Seulement, comme je ne désire pas perdre deux ducats, je -ne veux pas les donner. Je voudrais bien que vous pussiez venir en -Italie, mais je sais tout le prix de vos instants. - -Le temps s'envole rapidement ici; il y a beaucoup de gens fort aimables -qui viennent me distraire dans mon atelier. Je puis consacrer si peu -d'heures à la peinture, que je suis parfois obligé de me cacher. Les -gentilshommes me veulent tous du bien; je n'en dirai pas autant des -peintres depuis qu'ils savent que je sais peindre. - -Endres Künhoffer vous présente ses civilités; il vous écrira par le -prochain courrier. - -Je me recommande à votre bon souvenir et je vous prie de dire à ma mère -que je suis très-étonné de rester si longtemps sans recevoir de ses -nouvelles; ma femme non plus ne m'écrit pas, je crois l'avoir perdue.... -Je suis aussi très-chagrin de ne pas recevoir de lettres de vous, cher -monsieur. J'ai lu le billet que vous avez écrit à Bastien Imhoff, où vous -lui parlez de moi. - -Soyez assez bon pour donner les deux lettres ci-incluses à ma mère. -Oubliez un peu ma dette, et soyez sûr que j'y penserai, moi, pour vous -payer honorablement. - -Saluez de ma part Étienne Baumgartner et d'autres bons amis. Faites-moi -savoir si vos amours sont toujours de ce monde, et tâchez de pouvoir lire -mon écriture, car j'ai affreusement griffonné. - -Faite à Venise le samedi avant le dimanche blanc[20]. Demain il est bon -de se confesser. - - [20] Le premier dimanche après Pâques. - - - - -LETTRE VI. - - -Magnifique seigneur Pirkeimer, très-grand et premier homme du monde, -votre serviteur et esclave Albert Dürer vous donne le salut[21]. Il est -enchanté et honoré d'apprendre que votre santé est excellente, mais il -s'étonne qu'un homme de votre sorte ne trouve que la grâce de Dieu pour -combattre le savant _Trasibul_[22] d'après ce que me dit votre lettre de -ce _monstre étrange_. J'ai eu peur, car cela me paraît en effet une -grande affaire. - - [21] La première partie de cette lettre est écrite un peu en - italien de cuisine, un peu en espagnol, un peu en portugais et - beaucoup en patois indéchiffrable.--Pirkeimer, qui était un homme - fort instruit, a dû rire beaucoup en la recevant.--Voici le texte - original, original est le mot. - - «Grandissimo primo homo de mondo, woster servitor ell schiavo - Alberto Dürer disi salus suo magnifico miser Willibaldo Pircamer - my fede el aldy Wolentiri cum grando pisir woster sanita et grando - honor el my maraweio como ell possibile star uno homo cosi wu - contra thanto sapientissimo Tirasibuly milites non altro modo nysy - una gracia de dio quando my leser woster littera de questi strania - fysa de catza my habe thanto pawra et para my uno grando kosa.» - - [22] Pirkeimer avait envoyé à son ami un dessin un peu intime, en - effet. - -Vous n'êtes donc pas devenu plus raisonnable. Vous faites toujours -l'aimable, mais y songez-vous donc, mon cher, l'amabilité vous sied comme -la civette aux lansquenets. Vous vous habillez de satin et vous vous -pavoisez de rubans pour courir les ruelles comme un étourdi; décidément -vous voulez devenir irrésistible, et vous croyez que tout est dit lorsque -vous êtes parvenu à plaire à quelques femmes de mœurs faciles. Si encore -vous étiez un homme comme moi, mais vous avez beaucoup de maîtresses, et -lorsque vous leur avez embrassé le bout des doigts, vous êtes sur les -dents pour un mois et plus. C'est vraiment bien la peine d'en changer si -souvent. - -[Illustration: ALBERT DURER. AH CABASSON DEL. L. DUJARDIN SC.] - -Je vous remercie de la façon dont vous avez traité mes affaires avec ma -femme, et j'avoue que vous êtes plein de sagesse. Si seulement vous -étiez aussi calme que moi, vous auriez toutes les vertus. Vous méritez -aussi des remercîments pour la loyauté que vous avez montrée à propos des -bagues. Après tout, si elles ne vous conviennent pas, cassez-leur la tête -et les jetez sur le fumier, comme dit Peter Weisbeker. - -Petit à petit je deviens un véritable gentilhomme de Venise, et j'ai -appris avec plaisir que vous composez de beaux vers. Vous seriez bien -ici, avec nos violons qui jouent si tendrement qu'ils en pleurent -eux-mêmes. Plût à Dieu que notre maîtresse de calcul[23] pût les -entendre, elle s'attendrirait peut-être un peu. - - [23] Il parle de sa femme. - -Du reste je suivrai votre conseil, j'apaiserai ma colère et resterai -indifférent aux ennuis qu'elle me cause, comme je l'ai toujours fait -jusqu'à présent. - -Comme je ne pourrai pas songer au retour avant deux mois, car rien n'est -encore prêt, je vous prie de prêter à ma mère une dizaine de florins, -jusqu'au moment où Dieu me tirera de la gêne. Je vous payerai honnêtement -le tout ensemble. Je vous envoie la glace de Venise par le courrier. -Quant aux deux tapis, Antony Kolb me prêtera son expérience pour les -acheter, et aussitôt que je les aurai je les remettrai au commis du -messager qui vous les fera parvenir. Je n'ai pas encore pu trouver les -plumes de grue que vous m'avez demandées; mais il y a ici beaucoup de -plumes de cygne avec lesquelles on écrit et que vous pouvez mettre à -votre chapeau en attendant. J'ai causé avec un imprimeur qui m'a assuré -qu'aucun nouvel ouvrage grec n'avait paru récemment; si par hasard on -édite quelque chose d'intéressant dans ce genre, il me le dira, et je -vous le ferai savoir. - -Dites-moi combien de papier vous voulez. Vous avez bien fait de me donner -cette commission, car jamais je n'en ai vu de plus beau que celui que -l'on vend ici. - -Pour ce qui est des travaux historiques, les Italiens n'ont rien fait de -bien remarquable et qui soit digne d'être lu par un homme comme vous. Il -y a toujours quelque chose à critiquer dans leurs ouvrages sur -l'histoire, vous le savez vous-même mieux que moi. - -Je vous ai écrit brièvement par le messager Kantengysserle. Je voudrais -savoir si vous êtes toujours d'accord avec le messager Kuntz. - -Je me recommande à votre bon souvenir; présentez aussi mes amitiés à -notre bon prieur[24], et dites-lui de m'accorder quelques prières; qu'il -fasse que le bon Dieu me préserve de toute maladie et surtout du mal -français; il n'y a rien sur la terre que je craigne davantage, presque -tout le monde ici en est infecté et beaucoup de gens en meurent. - - [24] Eucharis Karll, prieur des Augustins. - -Saluez aussi de ma part Étienne Baumgartner, Lorentz et tous ceux qui -demandent amicalement de mes nouvelles. - -Écrit à Venise 1506, le 18 août. - - ALBERTUS DURER. - Noricorius Sivus (textuel). - -_Post-scriptum._--Andreas est ici et il me prie de vous offrir ses -amitiés, il n'est pas encore bien fort; il a eu et il a des embarras -d'argent à cause de la longue maladie qu'il a faite. Je vous dirai même, -entre nous, que je lui ai prêté huit ducats; mais n'en parlez à personne, -il pourrait croire que je n'ai pas confiance en lui; du reste, il saura -se procurer de quoi me rembourser, car il se conduit très-honorablement, -et tout le monde lui veut du bien. - -Si le roi vient en Italie, j'ai le projet d'aller avec lui à Rome. - - - - -LETTRE VII. - - -Savant, sage, instruit en beaucoup de langues, homme habile à discerner -la vérité du mensonge, honorable et honoré Bilibald Pirkeimer, votre -humble serviteur Albert Dürer vous souhaite toutes sortes de prospérités. -Cependant, avec cette belle diable de chance qui le tient, il semble -qu'il veuille renoncer à votre cœur[25], vous allez croire que lui aussi -est un orateur à cent finesses comme vous. La chambre qu'il habite -devrait avoir plus de quatre coins où il pourrait placer les dieux de la -mémoire....; mais je ne veux pas me casser la tête à m'excuser plus -longtemps, je me contenterai de me recommander à votre indulgence. Pour -me souvenir de toutes vos commandes, il faudrait que mon cerveau eût -autant de cases différentes que vous avez de pois chiches dans votre -jardin; mais en voilà assez sur ce sujet. Le margrave[26] lui-même ne -donnerait pas une si longue audience. J'ai calculé que cent articles, en -ne mettant que cent mots par article, demandent un travail de neuf jours, -sept heures, cinquante-deux minutes, et notez que je n'ai pas encore -compté les soupirs. Voilà pourquoi on ne s'improvise pas orateur, comme -dit Tettels. - - [25] Les quelques premiers mots de cette phrase sont écrits en - italien, un peu moins indéchiffrable que celui que l'on trouve au - commencement de la lettre précédente. - - [26] A l'époque dont parle Albert Dürer, Pirkeimer fit partie de - l'ambassade qui fut envoyée au conseil de la Confédération souabe - par la ville de Nuremberg. L'histoire de cette négociation est - conservée dans les archives de Nuremberg sous ce titre: - Conventions conclues entre le margrave Frédéric de Brandenbourg - et l'ambassade de Nuremberg, etc., 1506, in-folio. - -Je déploie tout mon zèle, et cependant je ne peux pas mettre la main sur -des tapis larges; ils sont tous étroits et longs. Je continue mes -explorations avec l'aide d'Antony Kolb. Bernard Hirsffogel vous salue et -vous offre de nouveau ses services; il est très-triste, car il a perdu -son fils, l'enfant le plus amusant que j'aie vu de la vie. Je ne peux pas -trouver les plumes de fou que vous demandez. Oh! si vous étiez ici, vous -verriez de crânes lansquenets italiens. Je pense souvent à vous et à -l'intérêt que vous prendriez à examiner leurs armes. Ils ont des -_roncani_ avec deux cent dix-huit pointes; lorsqu'ils touchent un homme -avec cette arme, il est mort, car toutes les pointes sont empoisonnées. -Les Vénitiens mettent beaucoup de soldats sous les armes, le pape et le -roi de France aussi; je ne sais pas ce qui en résultera. - -On se moque beaucoup ici de notre roi. - -Bonne chance à Étienne Baumgartner (je ne suis pas étonné qu'il ait pris -femme). Rappelez-moi au souvenir de Borcht, de M. Lorentz, et même de -notre maîtresse de comptes. Remerciez votre fille de chambre de m'avoir -souhaité le bonjour, mais dites-lui qu'elle est un monstre. - -[Illustration] - -J'ai expédié du bois de palmier de Venise à Augsbourg, où je le laisse en -dépôt; il pèse dix quintaux. - -Mon tableau est enfin terminé; je gage un ducat que si vous le voyiez -vous le trouveriez bien composé et d'un bon coloris. Cet ouvrage m'a valu -beaucoup d'honneur, mais peu de profit. Pendant le temps que j'ai mis à -le peindre j'aurais bien pu gagner deux cents ducats, car j'ai refusé -beaucoup de commandes pour pouvoir m'en occuper exclusivement. Ma seule -consolation est d'avoir fermé la bouche aux peintres qui disaient: C'est -un habile graveur, mais il n'entend rien au maniement des couleurs. -Maintenant tout le monde s'accorde à dire que l'on n'a jamais vu plus -beau coloris. - -Mon manteau français vous présente ses respects, et mon habit italien -vous tire sa révérence. - -Vous passez toujours votre vie chez les femmes légères. Vous êtes en si -mauvaise odeur à Nuremberg, que je vous sens d'ici. On me dit que lorsque -vous courez à vos amours, on ne vous donnerait pas plus de vingt-cinq -ans. Oui-da! multipliez-les par un chiffre quelconque, et alors je vous -croirai. Il y a ici beaucoup d'italiens qui vous ressemblent sous ce -rapport; je ne sais pas comment cela se fait. - -Le doge[27] et le patriarche de Venise[28] sont venus voir mon tableau. - - [27] Leonardo Loredano, doge de Venise de 1500 à 1521. - - [28] Antonio Suriano. - -Maintenant je suis votre serviteur, il faut que j'aille me coucher, il -sonne sept heures de la nuit. Je vous ai écrit, j'ai écrit au prieur des -Augustins, à ma belle-sœur la marchande de couleur et à ma femme; donc -j'ai déjà barbouillé une belle quantité de papier, et je pense qu'il est -plus amusant pour vous de causer avec des princes qu'avec moi. - -Venise, le jour de la sainte Vierge en septembre. - -A propos, ne prêtez pas un sou à ma mère et à ma femme; elles ont assez -d'argent. - - ALBERT DURER. - - - - -LETTRE VIII. - - -Comme je sais que vous êtes convaincu de mon attachement pour vous, je me -dispense de vous en parler. Cependant je ne puis vous dissimuler combien -je suis heureux de la grande réputation dont vous jouissez et que vous -avez su acquérir par votre sagesse et votre instruction. C'est chose -vraiment surprenante et rare de voir tant d'esprit dans un corps si -chétif. C'est une grâce particulière que Dieu vous a faite comme à moi. - -Nous sommes donc deux personnages remarquables, vous par votre esprit et -moi par mon talent. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé pourtant, -lorsque nous y réfléchissons bien, de nous être retournés et d'avoir vu -des gens qui se moquaient de nous pendant que d'autres nous comblaient -d'éloges! Ne croyez donc pas aveuglément tous ceux qui vous -complimentent; mais peut-être êtes-vous trop peu modeste pour ne pas les -croire. Il me semble que je vous vois en présence du margrave, et que -vous mettez autant d'élégance dans vos discours que dans votre manière de -toucher vos thalers. - -J'ai bien vu dans votre neuvième lettre que vous êtes encore une fois -très-occupé de femmes; vous devriez avoir honte de n'être pas plus -raisonnable à votre âge. Sachez que vous avez autant de grâce à faire -toutes ces fredaines qu'un gros bouledogue à jouer avec un petit chat. Je -voudrais apprendre que vous êtes devenu aussi rangé que moi. Si j'étais -bourgmestre, je vous ferais mettre en prison et j'enfermerais avec vous -la Rech..., la Ros..., la Gart..., la Ech..., et d'autres encore que je -ne veux pas nommer: elles sauraient bien vous mettre à la raison. Vous me -dites finement que beaucoup de femmes honnêtes ou légères demandent de -mes nouvelles: cet intérêt ne prouve rien contre ma vertu. - -Si Dieu me ramène à Nuremberg, je ne sais vraiment pas comment je ferai -pour vivre avec vous qui êtes illustre maintenant. Je me réjouis -cependant de votre gloire et de votre nouvelle dignité. Vous ne battrez -plus vos chiens jusqu'à ce qu'ils en soient perclus; mais peut-être ne -voudrez-vous plus vous montrer dans les rues avec un pauvre barbouilleur -comme Albert Dürer; vous trouverez peut-être que c'est une honte pour un -seigneur de votre importance. - -[Illustration] - -Notre cher ami Baumgartner est aussi enchanté que moi de votre bonne -réputation. - -Pendant que je suis en train de vous écrire allégrement, un incendie -dévore six maisons chez Petre Pender; j'y perds une pièce de laine que -j'avais achetée hier pour huit ducats: de cette façon j'éprouve du -dommage par suite de ce désastre. - -Il est beaucoup question d'incendies ici. J'attends que vous m'écriviez -pour rentrer à Nuremberg; je partirai le plus tôt possible, car je -dépense beaucoup d'argent pour ma nourriture. J'ai donné environ cent -ducats pour des couleurs et d'autres objets. J'ai commandé pour vous deux -tapis que je payerai demain, mais je n'ai pas pu les avoir à bon marché. -Je les emballerai avec mes hardes, et aussitôt que vous m'écrirez je -reviendrai. - -Vous tourmentez vraiment trop ma femme. Je vous fais savoir aussi que je -m'étais mis dans la tête d'apprendre à danser; j'ai été deux fois à -l'école, et il m'a fallu payer un ducat au maître; après cela vous me -connaissez assez pour savoir qu'il n'y a de force humaine qui pourrait -m'y faire retourner. Je dépenserais lestement tout l'argent que j'ai -gagné et je ne saurais rien par-dessus le marché. - -Le messager Ferbre vous apportera la glace de Venise. Je n'ai pu -découvrir aucun ouvrage grec nouvellement paru, mais je vous rapporterai -une rame de votre papier; pour les plumes, je n'ai pas pu me procurer -celles que vous m'avez demandées, j'en ai acheté de blanches, et si j'en -trouve de vertes je les rapporterai également. Étienne Baumgartner m'a -écrit de lui envoyer cinquante grains de cornaline pour un rosaire; je -les ai achetés, mais cher, et je n'ai pas pu les avoir gros: je les lui -expédierai par le plus prochain messager. - -Je vous ferai savoir au juste, d'après votre désir, le jour de mon -départ, pour que _mes maîtres_ puissent prendre des dispositions en -conséquence. - -J'irai avant à Bologne pour une raison d'art: quelqu'un m'a promis de -m'apprendre le secret d'une perspective; je resterai huit ou dix jours -dans cette ville, je retournerai à Venise et je reviendrai à Nuremberg -par le prochain messager. - -Hélas! j'ai mangé mon pain blanc avant mon pain noir. Que je regretterai -le soleil de Venise! Ici je suis un grand seigneur, chez moi je ne serais -plus qu'un pauvre diable! - -J'aurais encore beaucoup de choses à vous écrire, mais je vous verrai -prochainement. - -Écrite à Venise, je ne sais pas la date du mois, mais environ quinze -jours après la Saint-Michel, 1506. - - ALBERT DURER. - -_Post-scriptum._--Faites-moi savoir si aucun de vos enfants n'est mort. -Vous m'avez écrit une fois que Joseph Rumell a épousé votre fille, et -vous ne dites rien de plus; comment voulez-vous que je sache à laquelle -vous faites allusion. - -Ah! si j'avais seulement ma pièce de laine! Mais je crains maintenant que -mon manteau ne soit aussi brûlé; si cela est, j'en deviendrai fou. J'ai -vraiment du malheur, car il y a trois semaines un de mes débiteurs s'est -sauvé emportant huit ducats qu'il me devait. - - -Ces lettres portent l'empreinte du cachet d'Albert Dürer et la -suscription suivante: - -A l'honorable et savant Bilibald Pirkeimer, bourgeois de Nuremberg, mon -gracieux seigneur. - -Voici le cachet d'Albert Dürer: - -[Illustration] - -Ses principaux monogrammes, - -[Illustrations] - -Son écriture et sa signature, - -[Illustration] - -Traduction: - -Écrite à Venise, à 9 heures du soir, le samedi après la Chandeleur. - - ALBERT DURER. - -C'est la fin de la deuxième lettre à Pirkeimer. - - - JOURNAL DU VOYAGE - D'ALBERT DÜRER - DANS LES PAYS-BAS - ÉCRIT PAR LUI-MÊME PENDANT LES ANNÉES 1520 ET 1521. - - - - -JOURNAL DU VOYAGE - -DANS LES PAYS-BAS - -ÉCRIT PAR LUI-MÊME PENDANT LES ANNÉES 1520 ET 1521. - - - Nuremberg, 1520. - -[Illustration] - -A mes frais et dépens, le jeudi après la Saint-Kilian, moi, Albert Dürer, -je quitte Nuremberg avec ma femme[29] pour me rendre dans les Pays-Bas. -Après avoir passé le même jour par Erlangen, nous logeons à Baiersdorf, -et j'y dépense trois sous moins six deniers. De là, nous partons par la -route la plus courte pour Forchheim, où nous arrivons le vendredi; là, -pour un sauf-conduit, je paye vingt-deux deniers. Je pars pour Bamberg où -j'offre à l'évêque[30] une peinture de la Vierge, la Vie de -Notre-Dame[31], une Apocalypse[32] et des gravures pour la valeur d'un -florin. - - [29] Agnès Frey, fille d'Hans Frey de Nuremberg, épousa Albert - Dürer en 1494. Le journal de Dürer prouve qu'il n'avait pas - laissé à Nuremberg son avare et querelleuse femme, comme l'ont - prétendu jusqu'ici ses biographes, entre autres J. Sandrart, qui - l'écrit en toutes lettres dans le deuxième volume de l'_Académie - allemande_, page 225 (_imprimé à Nuremberg en 1675_). Du reste, - Albert Dürer, dans son journal, ne dit pas un mot du caractère de - sa femme. Il résulte aussi de ce document qu'en 1520 il se rendit - pour la première fois dans les Pays-Bas. Il n'avait donc pas - visité précédemment ce pays avec l'empereur Maximilien I, comme - Quadens le prétend à tort dans les _Fastes de la nation - allemande_, page 428. S'il est vrai qu'Albert Dürer alla dans les - Pays-Bas pour fuir des chagrins domestiques, malheureusement trop - réels, il faut que ce voyage nouveau ait eu lieu en 1523 ou en - 1524 seulement. - - [30] Georges III, sacré en 1505, mort en 1522, protecteur des - arts. Albert Dürer a fait son portrait. - - [31] Suite de 20 estampes. Hauteur, 11 pouces; largeur, 7 pouces - 9 lignes. Voir Bartsch, _le Peintre-Graveur_, D. VII, no 76-95. - - [32] L'Apocalypse de saint Jean, 15 estampes. Hauteur, 14 pouces - 6 lignes; largeur, 10 pouces 3 à 6 lignes. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, 60-75. - - Cette œuvre gigantesque est digne de l'homme de génie qui l'a - exécutée, et digne du livre étrange qui l'a inspirée. - -Il me fait quitter mon auberge où j'avais dépensé environ un florin, -m'invite à venir chez lui, et me donne un laisser passer pour la douane -et trois lettres de recommandation. Je paye six florins d'or[33] au -voiturier qui va me mener de Bamberg à Francfort. - - [33] Le florin d'or valait 8 fr. 60 de notre monnaie d'aujourd'hui. - -Maître Nicolas Laux, Benedict et Hans le peintre[34] me versent le coup -de l'étrier; je bois et je pars. - - [34] Hans Wolfgang Ratzheimer vivait à Bamberg, de 1492 à 1527. - -Je donne quatre sous pour du pain et treize sous pour des pourboires. Je -vais rapidement de Bamberg à Eltman; de là, je me rends à Zeil, je -dépense vingt et un sous, et j'arrive à Hasfurth où je montre ma lettre -de douane, après quoi on me laisse partir. - -Je dépense un florin dans la chancellerie de l'évêque de Bamberg. A -Theres, au couvent, j'exhibe mes papiers et continue ma route. - -Nous arrivons au bord du Rhin, où nous passons la nuit pour un denier; de -là, nous allons à Maynberg. A Schweinfurth, je suis invité par le docteur -Georges Rebart qui me donne du vin que nous mettons dans notre bateau. On -m'exempte des droits de douane. - -J'avais dépensé dix deniers pour un poulet rôti et dix-huit deniers pour -le cuisinier et son fils. De là, nous nous rendons à Volkach, et ensuite -à Zwartzach où nous passons la nuit et dépensons vingt-deux deniers. - -Le lundi, nous nous levons de grand matin pour nous rendre à Fettelbach. -A Ritzing, nous dépensons trente-sept deniers. - -Par Seilzfeldt, nous arrivons à Markbreit, d'où on me laisse partir après -avoir vu mes papiers. - -En passant par Frickenhaussen et Ochsenfurth nous gagnons Eivelstadt, -puis Murzburg. De là, nous arrivons à _Erla-Brunn_ où on nous donne un -lit pour vingt-deux deniers. - -En passant par Relzbach et Zelling nous gagnons Karlstadt et puis Gemûnd; -nous y dînons assez bien pour vingt-deux deniers. - -Nous voyons successivement Hofstetten, Lohr et Nevenstadt où j'ai dû -montrer ma lettre de transit; je dépense dix deniers pour du vin et des -écrevisses. Le mercredi matin, après avoir laissé derrière nous -Rotenfels, nous arrivons à Saint-Écarig, d'où nous nous rendons à -Heudenfeldt, Triffelstein, Homburg, Wertheim, et puis à Brodselten, -Freudenberg, Miltenberg, Klingenberg, Worth, Obernburg, Asschaffenburg, -Selgenstadt et Steinheim, où je montre mes papiers. - -Nous passons la nuit près de Johansen. Le matin, on nous ouvre les portes -de la ville et l'on nous fait beaucoup d'amitiés; j'y dépense six -weispfenning. - -Le vendredi, nous nous rendons à Kesselstadt pour gagner Francfort où je -montre ma lettre de douane. Je dépense six sous pour un lit, et je donne -deux sous au garçon. Jacob Heller me régale de vin à l'auberge, et je -fais accord avec un homme qui consent à me conduire de Francfort à -Mayence pour un florin, deux sous. La nuit, nous dépensons huit sous. - -Le dimanche, je prends le bateau du matin qui va de Francfort à Mayence. -Arrivé à mi-chemin, c'est-à-dire à Hochst, je montre ma lettre de transit -et on me laisse passer. Je dépense huit deniers francfortois. De là, nous -allons à Mayence; je dépense un albus[35] pour faire décharger mes -effets, plus dix-huit deniers pour les courroies. - - [35] Albus, ou pfennig blanc, monnaie d'argent mise en circulation - vers 1360. Sous l'empereur Charles IV, elle avait surtout cours - dans l'électorat de Cologne et dans la Hesse-Cassel; elle valait - 9 pfennigs. On n'en trouve plus que dans les cabinets des numismates. - -Je fais accord avec le capitaine du bateau de Cologne qui s'engage à me -transporter, avec mon bagage, pour trois florins. J'avais dépensé -dix-sept albus à Mayence. - -Peeter, l'essayeur de la corporation des orfévres, me fait cadeau de deux -bouteilles de vin. Veith Farnpuhler m'invite, mais l'aubergiste refuse de -recevoir son argent et veut lui-même être mon hôte. On me rend beaucoup -d'honneurs. Je pars de Mayence, où le Mein se jette dans le Rhin, le jour -de sainte Marguerite, et je dépense dix-neuf hellers pour de la viande, -du pain et des œufs que je prends avec moi sur le bateau. Léonhard, -l'orfévre, me fait présent de vin et de gibier; il me donne aussi du -charbon, qui me servira à faire la cuisine sur le bateau. Le frère de -Joostes m'offre une bouteille de vin, et la corporation des peintres -deux. Après avoir passé devant Erfeld et Rudisheim, nous arrivons à -Erenfels. Là je montre mon passavant, mais on exige deux florins d'or -qu'on promet de me rendre si dans les deux mois je rapporte une lettre -d'exemption. Nous arrivons à Bacharach où je dois également m'engager à -acquitter les droits dans les deux mois ou à présenter une exemption. - -A Caub, on ne me laisse passer que sous les mêmes conditions. - -A Saint-Goar, le percepteur me demande où j'ai acquitté les droits; je me -contente de lui répondre que je n'ai pas d'argent à lui donner. - -A Bopart, la douane de Trèves ne me laisse passer sur la vue de ma lettre -de transit que lorsque j'ai déclaré, écrit et signé que je n'ai avec moi -aucune espèce de marchandise. De là, nous nous rendons à Lahnstein où je -montre mon passavant; non-seulement le percepteur me laisse passer, mais -il me prie de le recommander au seigneur de Mayence et il me fait cadeau -d'une bouteille de vin; il connaît beaucoup ma femme, et il désirait me -voir depuis longtemps. - -A Engers, ma lettre de transit suffit pour me donner passage. Cette place -appartient au duché de Trèves. - -A Andernach, je dépense onze hellers, et je quitte cette ville le jour de -la Saint-Jacques pour me rendre à Bonn. De là, je vais à Cologne; nous -avons dépensé neuf sous dans le bateau, un sou quatre deniers pour des -fruits et du charbon, sept sous pour le déchargement, et quatorze hellers -pour les domestiques des bateliers. Je fais cadeau à mon cousin -Nicolas[36] de ma redingote doublée et bordée de velours; je donne un -florin à sa femme. Jérôme Fugger, Jean Ghrosserpeck et mon cousin me -régalent de vin. Je dîne au couvent des Chartreux, où un frère m'offre un -coupon de drap. M. Jean Ghrosserpeck me fait cadeau de douze mesures de -vin fin. Je dépense cependant à Cologne deux florins quatorze sous, plus -trois sous pour des fruits, un sou de pourboire, et un sou pour le -messager. - - [36] Le fils du sellier, l'élève du père d'Albert Dürer. - -[Illustration] - -Le jour de la Saint-Pantaléon, nous partons pour Postorff où nous passons -la nuit pour trois sous. Le dimanche, nous dînons à Rodingen. Le -lendemain, de bonne heure, nous quittons Freendorf pour nous rendre à la -petite ville de Sangelt, nous dînons dans un village nommé Systerkylen -pour deux sous et deux hellers. Nous passons par Sittard, jolie petite -ville, pour nous rendre à Starkem, un endroit charmant où nous descendons -dans une excellente auberge. Nous mangeons fort bien, nous nous -couchons dans un bon lit, et la dépense ne s'élève pas à plus de quatre -sous. - -Le vendredi matin, nous passons la Meuse et faisons notre entrée à Marten -Lewbehrn; je donne un sou pour un jeune poulet. De là, nous partons pour -Stoffer, et, le mercredi, nous sommes à Merpeck où, pour trois sous, -j'achète du pain et du vin. En passant par Brantenmuhl et Culenberg, nous -arrivons le mardi matin à La Croix où, pour trois sous deux deniers, on -nous sert un assez bon repas. - -Nous prenons le chemin d'Anvers[37]. Aussitôt arrivé, je me rends à -l'auberge de Joost Plankfeld. Le même soir, le factor Bernard Stecher me -donne un souper splendide; ma femme reste à l'auberge, et je donne trois -florins au voiturier. - - [37] On sait que du temps d'Albert Dürer, cette ville était - appelée Antorff par les Allemands. - -Le samedi après la Saint-Pierre-aux-Liens, mon hôte me mène chez le -bourgmestre d'Anvers[38]; sa maison[39] est grande et bien distribuée, -avec des chambres très-vastes et très-belles. Elle est flanquée d'une -tour précieusement travaillée et entourée d'immenses jardins; en somme, -c'est une demeure princière. Je n'ai pas vu sa pareille dans toute -l'Allemagne. Une grande rue toute neuve donne accès de deux côtés à cette -maison, qu'il a fait bâtir ainsi à sa fantaisie. - - [38] Le chevalier Arnold de Liere, qui fut successivement - bourgmestre de l'extérieur et de l'intérieur, de 1506 à 1529, - date de sa mort. - - [39] Cette maison, située rue des Princes, devant la cour de - Liere, est aussi appelée la Maison Anglaise. Aujourd'hui, c'est - un hôpital militaire. L. Guicciardyn dit, dans sa _Description - des Pays-Bas_, Amsterdam 1612, page 69, qu'elle fut bâtie par le - seigneur Aert, né de la branche noble de Liere, pour servir de - résidence à Charles V. - -Le dimanche, jour de la Saint-Oswald, les peintres m'invitent dans leur -cercle avec ma femme et ma servante. Nous mangeons un excellent dîner, -dans un service complet d'argent. Toutes les femmes des peintres sont là; -et, lorsque l'on me mène à ma place, l'assemblée entière, debout, fait la -haie comme si j'étais un grand seigneur. Il y a à ce banquet des -personnages très-considérables qui se courbent devant moi et me font -mille politesses, me disant qu'ils veulent tout faire pour m'être -agréable. Lorsque je suis assis, le pensionnaire du Conseil d'Anvers -vient à moi avec deux valets et me fait présent, de la part de ces -messieurs de la ville, de quatre pots de vin, en me disant qu'ils veulent -m'honorer par là et me témoigner leur estime. Je le prie de leur -transmettre mes remercîments, et lui offre mes très-humbles services. - -Après lui vient maître Pierre[40], qui me présente, avec ses hommages, -deux autres pots de vin. Après avoir passé gaiement à table une grande -partie de la nuit, on me reconduit aux flambeaux, en me faisant mille et -mille démonstrations amicales. Je remercie chaudement, et vais me mettre -au lit. - - [40] Maître Pierre, charpentier de la ville. - -Je suis allé voir Quentin Metsys[41] dans sa maison[42]. - - [41] Quentin Metsys, peintre fameux, né à Louvain vers 1466, mort - à Anvers en 1530. - - Nous disons en 1530. En effet, il résulte d'une communication - faite à M. Pierre Génard par le chevalier Léon de Burbure, et - insérée à la page 196 de la _Vlamsche School_, volume de 1857, que - maître Quentin Metsys est décédé entre le jour de la Noël 1529 et - la veille de cette fête 1530. C'est en cette dernière année qu'il - est mort, puisqu'il avait assisté encore, le 8 juillet 1530, à la - passation d'un acte.... (_Livret du musée d'Anvers_). - - Le célèbre ferronnier-peintre avait donc seulement 64 ans et non - 84 comme on le croyait avant la découverte de son acte de - naissance faite récemment par M. Edward Van Even, l'infatigable - archiviste de la ville de Louvain. M. Paul Mantz, qui est à - l'affût de tout ce qui peut donner un attrait nouveau à son - _Histoire des peintres flamands_, publiera, j'en suis sûr, ce - précieux document dans la prochaine édition de son excellent - livre. - - [42] Quentin Metsys habitait alors une maison appelée le Singe - (de Simme), dans la rue des Tanneurs (Huidevetters-Straet, - section 3, no 1037). - - Plus tard il alla habiter la rue du Jardin dans les Arbaletriers - (Schutters-hof-Straet). C'est cette deuxième demeure qui avait - encore, en 1658, pour enseigne, un saint Quentin forgé en fer par - maître Quentin Metsys lui-même, si l'on en croit Van Fornenberg. - -J'ai aussi visité les trois grandes places de tir[43]. Je fais un -excellent dîner chez Haber et un autre chez le consul de Portugal, dont -je dessine le portrait. Je fais aussi le portrait de mon hôte Joost -Planckfeld, qui m'offre une branche de corail. Je donne deux sous pour du -beurre, et la même somme aux charpentiers des peintres. Mon hôte me mène -dans l'atelier où les peintres pensionnés par la ville d'Anvers -travaillent aux arcs de triomphe qui seront élevés sur le passage du roi -Charles V[44]. Il n'y en aura pas moins de quatre cents, de quarante -pieds de long chacun; ils régneront des deux côtés des rues, seront bien -peints et auront deux étages, sur lesquels on donnera des -représentations allégoriques. La menuiserie et la peinture coûteront -ensemble quatre cents florins. Cette décoration sera d'un bel effet. - -[Illustration: C. BOGDURT. D. ALBERT-DURER. E. SOTAIN. JC] - - [43] Les places de tir étaient alors situées, les deux premières, - où sont aujourd'hui le marché au blé et le nouveau théâtre; la - troisième, près des rues des Tapissiers et du Jardin-du-Tir. - Elles furent toutes les trois rebâties en partie par Gillibert - van Schoonbeke, en 1552. - - [44] Le 23 décembre 1520, Charles V fit son entrée triomphale à - Anvers, où se tenait alors le conseil de toutes les provinces, - pour offrir à Sa Majesté deux cent mille couronnes (_Chronique - anversoise_, page 14). - -Je dîne de nouveau chez le consul de Portugal et chez Alexandre[45]. - - [45] Orfévre et amateur de Nuremberg, né en 1504, mort en 1546, - reçu de la gilde de Saint-Luc en 1546. - -Sebald Fischer m'achète seize petits dessins de la Passion[46] pour -quatre florins; trente-deux grands livres pour huit florins; six gravures -de la Passion[47] pour trois florins; vingt demi-feuilles, différents -sujets, l'un parmi l'autre, un florin; il m'en prend pour trois florins. -Je vends aussi des quarts de feuille pour cinq florins et demi, plus huit -grandes feuilles pour un florin. - - [46] 37 estampes. Hauteur, 4 pouces 8 à 10 lignes; largeur, 3 - pouces 7 lignes. Voir Bartsch, _le Peintre-Graveur_, 16-52. - - [47] Suite de 16 pièces gravées sur bois. Hauteur, 4 pouces 4 - lignes; largeur, 2 pouces 9 lignes. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, 3-18. Vasari dit qu'Albert Dürer a été à Venise - pour porter plainte contre Marc-Antoine, qui avait fait et vendu - des copies de la grande et petite Passion de Jésus-Christ. Cette - assertion est fausse. Ce qui le prouve mieux que tous les - raisonnements, c'est que les cinquante-trois pièces qui composent - les deux séries de la Passion ont été commencées en 1507 et - terminées en 1513, lorsque Albert était revenu depuis longtemps - de Venise. S'il y a été une autre fois, c'est avant 1506 et non - après. - -J'avais remis à mon hôte une figure de la Vierge peinte sur toile; il l'a -vendue pour mon compte deux florins du Rhin. - -Je fais le portrait de Félix, le joueur de luth[48]. Je dépense deux sous -pour de la bière et du pain, deux sous pour un bain, et quatorze sous -pour trois petits panneaux. - - [48] Félix Hungersberg, musicien célèbre et capitaine de - l'empire. - -Je dîne chez l'orfévre Alexandre, et aussi chez Félix. - -Maître Joachim[49] a dîné chez moi hier, ainsi que son élève. Pour les -peintres, je fais en demi-teinte un écusson; j'accepte un florin pour les -débours. Je donne mes quatre nouvelles pièces à Pierre Wolfgang, et à -Joachim des dessins pour la valeur d'un florin, parce qu'il m'a prêté son -domestique et ses couleurs; du reste, j'avais retenu son domestique à -dîner, et je lui avais donné pour trois sous de dessins. J'envoie à -l'orfévre Alexandre quatre nouvelles pièces. Je fais au fusain les -portraits du Génois Tommaso Florianus, de Romanus, qui est de Lucques, et -des deux frères de Tommaso, Vincent et Gérard, tous trois de la famille -des Pombelli. Je dîne douze fois chez Tommaso. - - [49] Joachim Patenier ou de Patenir, né à Dinant, vers la fin du - XVe siècle, célèbre comme peintre et comme ivrogne. Il a fait - quelques batailles; mais c'est comme paysagiste qu'il s'est - illustré. Il mettait dans un coin de tous ses tableaux un petit - bonhomme accroupi et ...... C'était le coin du maître. Albert - Dürer estimait beaucoup sa peinture; mais il voyait avec chagrin - un homme de son mérite _vivre misérablement dans la crapule_. - -Le trésorier me donne une tête d'enfant peinte sur toile, et une arme en -bois de Calcutta. Tommaso me fait cadeau d'un chapeau de paille. Je dîne -chez le consul de Portugal, et l'un des frères de Tommaso me fait -accepter des gravures pour la valeur de trois florins. - -Érasme[50] m'offre un manteau espagnol, et trois dessins représentant des -portraits d'hommes. Je reçois du frère de Tommaso une paire de gants, et -je fais un deuxième portrait de Vincent. Je donne à maître Augustin -Lumbarth[51] les deux parties des _imagines cœli_[52]. Je dessine le -portrait d'Opiius au nez tordu. Ma femme et ma servante Susanne ont dîné -chez Tommaso. - - [50] Desiderius Erasme, né à Rotterdam le 28 octobre 1467, mort - le 11 juillet 1536 à Basel. - - [51] Peut-être le frère de Lumbardus, le peintre. - - [52] _Imagines cœli septentrionalis._ Hauteur et largeur, 15 - pouces 10 lignes. _Imagines cœli meridionalis._ Hauteur et - largeur, 15 pouces 8 lignes. Voir Bartsch, _le Peintre-Graveur_, - no 151-152. - -Notre-Dame d'Anvers est très-grande. On y dit plusieurs messes à la fois -sans produire de confusion; ses autels ont de riches fondations. Les -meilleurs musiciens y sont attachés; l'église possède plusieurs ornements -et sculptures remarquables, ainsi qu'une jolie tour. - -J'ai visité la riche abbaye de Saint-Michel, dont le chœur est garni de -beaux fauteuils taillés dans la pierre. - -A Anvers, quand il s'agit d'art, on ne se laisse pas arrêter par les -frais, car l'argent n'y est pas rare. - -Je fais le portrait de Nicolas[53], astronome du roi d'Angleterre; c'est -un Allemand né à Munich, qui m'a été fort utile dans diverses -circonstances. - - [53] Nicolas Kratzer, chimiste et astronome fameux, florissait à - Oxford en 1517. Holbein fit aussi son portrait en 1528. - -Hans Pfaffroth me donne un florin de Philippe pour son portrait que j'ai -dessiné. Je dîne de nouveau chez Tommaso; le beau-frère de mon hôte m'a -invité avec ma femme. Je change deux mauvais florins contre vingt-quatre -sous. Je donne un sou à quelqu'un qui me montre un tableau. Le dimanche -après l'Assomption, j'ai vu la grande procession de Notre-Dame d'Anvers; -c'est un spectacle féerique; toutes les corporations et tous les -métiers habillés somptueusement étaient présents. Chaque profession et -chaque gilde avaient ses attributs particuliers, quelques personnes -portaient d'énormes cierges et de longues trompettes antiques en argent -massif. Il y avait un grand nombre de joueurs de flûte et de tambour -vêtus à l'allemande qui, avec leurs instruments, faisaient un terrible -vacarme, je les ai aperçus qui circulaient dans les rues par bandes -séparées. Voici dans quel ordre on marchait: les orfévres, les peintres, -les sculpteurs, les brodeurs sur soie, les statuaires, les menuisiers, -les charpentiers, les bateliers, les pêcheurs, les maçons, les tanneurs, -les teinturiers, les boulangers, les tailleurs, les cordonniers et divers -autres métiers. Il y avait aussi un grand nombre d'hommes de peine et de -négociants, des boutiquiers et des marchands de toute espèce avec leurs -commis. Après ceux-là venaient les tireurs avec leur carabine, leur arc -ou leur arbalète, des cavaliers et des fantassins, la garde des -fonctionnaires, et enfin une troupe très-belle qui était précédée de tous -les ordres représentés par des gens costumés d'une façon spéciale. J'ai -remarqué aussi dans cette procession une troupe de veuves qui vivent de -leur travail et suivent une règle claustrale; elles sont couvertes des -pieds à la tête de longs vêtements de toile blanche, c'est très-curieux à -voir;--parmi ces femmes il y a des personnes fort distinguées. On y -remarquait aussi le chapitre de Notre-Dame, une masse de prêtres, -d'écoliers et de boursiers qui fermaient la marche. Vingt personnes -portaient les images de la Vierge et de l'enfant Jésus splendidement -ornées. Pour cette procession on avait construit à grands frais des -objets très-remarquables, c'est-à-dire un grand nombre de chars et -quantité de bateaux mobiles sur lesquels on représente des scènes de tout -genre. J'ai remarqué les allégories suivantes: l'ordre des Prophètes, le -Nouveau Testament, la salutation de l'Ange, les trois rois Mages sur des -chameaux et d'autres animaux rares fort curieusement costumés, la fuite -en Égypte et beaucoup d'autres choses que je passe pour abréger. Enfin -venait un grand dragon conduit en laisse par sainte Marguerite et ses -vierges qui étaient extrêmement jolies, puis saint Georges, un fort beau -garçon et ses pages; un grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles -costumés de différentes façons représentaient des saints et des saintes. - -Cette procession mit deux heures pour défiler devant notre maison, et -elle présentait trop de particularités pour pouvoir être relatées toutes -ici[54]. - - [54] Ces quelques lignes ont inspiré au grand peintre belge, - Henri Leys, un tableau qui est un chef-d'œuvre. - -J'ai été dans la maison que Focker s'est fait construire[55] récemment, -elle est fort belle, flanquée d'une jolie tour et entourée de jardins -immenses. J'ai surtout admiré ses magnifiques écuries. - - [55] Cette maison existe encore aujourd'hui; elle est située, - rempart des tailleurs de pierre, W. 4, no 794; mais elle est - entièrement défigurée. Les Focker ou Fugger étaient, en ce - temps-là, les plus riches marchands de l'Europe. Ils étaient - originaires d'Augsbourg et s'étaient fixés à Anvers en 1505. - -Tommaso a donné à ma femme quatorze aunes de gros damas d'Arras pour s'en -faire une robe, et de plus, deux aunes et demie de demi-satin pour la -doublure. J'ai fait, à la demande des orfévres, une esquisse d'une -couronne pour la tête de Notre-Dame. Le consul de Portugal m'a offert -dans son hôtel[56] des vins de France et de Portugal. Roderigo[57] m'a -donné un petit tonneau de sucreries de toute sorte, où se trouvent une -boîte de sucre candi, deux plats de sucrerie fine, des massepains et même -quelques cannes à sucre, telles qu'elles croissent naturellement. J'ai -gratifié son domestique d'un florin et changé un mauvais florin contre -douze sous. - - [56] L'hôtel de Portugal, situé au _Kipdorp_, W. 2, no 1668, - acheté par la ville à M. Gilles de Schermere, le 20 novembre - 1511, et donné au facteur et consuls ordinaires du Portugal, «et - ce tant et durant que les dicts facteur ou consuls se tiendront - en ceste ditte ville, et que le facteur tiendra sa demeure en la - ditte maison.» En 1817, on en fit la caserne des pompiers. - - [57] Rodrigo Fernandès, très-gros commerçant, facteur de Portugal - en 1528. Cette année, il acheta le splendide hôtel d'Immerseele, - appelé plus tard le Vetkot, situé rue Longue-Neuve W. 2, no 1468. - Il l'acheta au seigneur Jan d'Immerseele, bailli d'Anvers et - marquis du pays de Ryen, et à demoiselle Marie De Lannoy, sa - femme. La rue du Marquisat qui est près de là en a pris son nom. - La jolie chapelle qui existe encore fut bâtie par le marquis en - 1496. - -Les colonnes de l'église paroissiale du couvent de Saint-Michel sont -toutes faites d'un seul morceau de belle pierre noire. - -Je donne à M. Gilgen, chambellan du roi Charles, et à maître Conrad[58], -excellent sculpteur qui est au service de Mme Marguerite, fille de -l'empereur Maximilien, les objets suivants: - -Saint Jérôme en prière[59], la Mélancolie[60], trois nouvelles Marie, -saint Antoine[61] et sainte Véronique[62]; de plus, à maître Gilgen un -saint Eustache[63] et une Némésis[64]. - -[Illustration: ALBERT-DURER P. AH CABASSON D. CH-JARDIN SC.] - -[Illustration] - - [58] Conrad Meyt, né à Malines, reçu à la gilde de Saint-Luc, en - 1536. - - [59] Cette estampe est gravée à l'eau-forte sur fer. Hauteur, 7 - pouces 9 lignes; largeur, 6 pouces 10 lignes. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, no 59. - - [60] Il y a tout un poëme dans cette figure, qui revient sans - cesse, et peut-être malgré lui, dans l'œuvre du maître. Ce sont - les traits de _la jalousie_ d'une grande quantité de ses vierges - terrestres, et sans doute de ce monstre charmant, Agnès Frey, - qu'il déteste et qu'il adore. Voir page XIV. - - [61] Gravure que l'on trouve assez facilement belle. Hauteur, 3 - pouces 7 lignes; largeur, 5 pouces 3 lignes. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, no 58. - - [62] Cette petite merveille que nous donnons ici est gravée au - burin sec. Albert Dürer en avait fait tirer très-peu - d'exemplaires. Aussi était-elle déjà rare de son vivant, et ne - l'offrait-il qu'aux personnes dont il faisait grand cas. - - [63] Cette gravure, dont l'empereur Rodolphe II a fait dorer la - planche, est une des plus fines et des plus remarquables du - maître. On la nomme aussi _saint Hubert_, parce que l'on y voit - dans une forêt un chasseur à genoux devant un cerf qui porte une - croix lumineuse au-dessus de la tête. On croit, généralement que - l'artiste a fait le portrait de Maximilien Ier. Peut-être est-ce - celui de son ami Reiter, qui ressemblait à l'empereur. Hauteur - mesurée du côté gauche, 13 pouces 3 lignes; du côté droit, 13 - pouces seulement; largeur, 9 pouces 7 lignes. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, no 57. - - [64] On ne trouve plus ce titre dans les catalogues de l'œuvre - d'Albert Dürer; il s'agit ici de la _justice_ ou de la _grande - fortune_. - -Le dimanche qui précède la Saint-Barthélemy je devais déjà à mon hôte -sept florins vingt sous et un heller. - -Mon salon, ma chambre à coucher et la literie me reviennent à onze -florins par mois. - -Le 27 du mois d'août, qui est le lundi qui suit la Saint-Barthélemy, je -fais un nouveau contrat par lequel je dois payer deux sous par repas, y -compris la boisson; ma femme et ma servante feront la cuisine et -mangeront dans leur chambre. J'offre au facteur de Portugal un petit bois -représentant un enfant, Adam et Ève[65], saint Jérôme en prière, Hercule, -saint Eustache, la Mélancolie et une Némésis, puis sur demi-feuilles -trois nouvelles figures de la Vierge, Véronique, saint Antoine, la -Nativité[66] et le Crucifix[67]; mes meilleurs dessins sur quart de -feuilles (huit pièces), les trois livres de la vie de Notre-Dame, -l'Apocalypse, la grande Passion, la petite Passion et la Passion sur -cuivre. - - [65] Cette gravure, très-belle et très-rare, porte cette - inscription: Albertus Dürer Noricus faciebat 1504. C'est la - première fois que le maître signe en toutes lettres. Il a compris - sans doute que l'œuvre est digne du grand nom qu'il se fera. Dès - ce moment, en effet, son dessin et son exécution technique sont - irréprochables. Il n'a plus ni dureté, ni sécheresse, il n'est - plus l'élève d'aucun maître. Il est lui! Hauteur, 9 pouces 2 - lignes; largeur, 7 pouces 1 ligne. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, no 1. - - [66] Voir page CL. - - [67] Le Christ expirant sur la croix. On dit que cette estampe a - été gravée sur le pommeau de l'épée de l'empereur Maximilien. - C'est un petit chef-d'œuvre extrêmement rare. - -Tout cela vaut bien cinq florins. - -Je fais le même cadeau au Portugais Rodrigo qui a donné à ma femme un -petit perroquet vert. Le dimanche après la Saint-Barthélemy je pars -d'Anvers avec M. Tommassin pour aller à Malines, où nous passons la nuit. - -J'invite à dîner un peintre et maître Conrad, l'excellent sculpteur de -Mme Marguerite. De Malines, en passant par Vilvorde, nous nous rendons à -Bruxelles où nous arrivons le lundi 3 septembre. Je donne trois sous au -messager. Je dîne avec ces messieurs de Bruxelles, et une autre fois avec -M. Bonisius[68], à qui j'offre une Passion en cuivre. Je remets au -margrave Hans la lettre de recommandation de l'évêque de Bamberg, plus -une Passion en cuivre. Je dîne une seule fois avec ces messieurs de -Nuremberg. - - [68] Agent d'une maison de commerce du royaume à Bruxelles. - -Dans la chambre d'or du conseil de Bruxelles j'ai pu admirer quatre -tableaux du grand peintre Rudier[69]. Derrière le palais du roi, j'ai vu -les fontaines, le labyrinthe et le jardin zoologique, toutes choses si -belles que je n'en avais jamais contemplé de pareilles; je me croyais en -paradis. - - [69] Rogier de Bruges, ou plutôt Rogier van der Weyden, peintre, - né à Bruxelles, suivant les uns, à Tournay, suivant les autres, - vers 1400, et mort à Bruxelles le 16 juin 1464, d'une maladie - épidémique appelée le _mal anglais_, qui ravageait alors le pays. - - Trois des tableaux dont parle Albert Dürer sont d'une grande - naïveté, mais le quatrième est d'un effet très-saisissant: c'est - Herkenbaldt, mourant dans son lit, qui embrasse son neveu, - convaincu d'un viol, et qui en même temps l'égorge pour le - soustraire à l'ignominie du supplice.--La tête du vieillard est du - plus haut style. M. Alphonse Wauters croit que ces tableaux ont - été détruits dans le bombardement de Bruxelles, en 1695. Quatre - magnifiques tapisseries de 26 pieds de longueur sur 13 pieds 6 - pouces de hauteur, conservées précisément dans la sacristie de - l'église de Berne, les reproduisent de la manière la plus - complète, et nous font voir combien Lampsonius avait raison quand - il s'écriait avec admiration: «O maître Rogier, quel homme vous - étiez! - -La maison du conseil à Bruxelles est magnifique et fort grande, bâtie en -belles pierres, avec une superbe tour découpée à jour. A Bruxelles, j'ai -fait à la lueur de la chandelle trois portraits, celui de maître Conrad -qui était mon hôte, celui du fils du docteur Lampaters et celui de mon -hôtesse. - -J'ai vu parmi les curiosités qu'on a apportées au roi du nouveau pays de -l'or[70], un soleil d'or de la grandeur d'une brasse et une lune d'argent -de la même dimension. J'ai admiré deux chambres pleines de toutes espèces -de curiosités venant du même endroit, des armes, des harnais, des engins -de guerre, des habillements fort bizarres, des literies et bien d'autres -choses encore à l'usage des gens de ce pays-là. Il est à remarquer que -tous ces objets sont infiniment plus beaux et plus riches que ce que nous -trouvons chez nous. Ils sont tellement précieux qu'on les évalue à cent -mille florins. J'avoue que jamais rien n'a excité autant ma curiosité que -ces produits extraordinaires qui prouvent combien les habitants de ces -contrées lointaines ont l'esprit ingénieux et inventif. - - [70] Le Mexique. - -A Bruxelles, j'ai vu bien d'autres belles choses, et spécialement une -gigantesque arête de poisson, qui paraît construite en pierres de taille. -Cette arête a une brasse de largeur et pèse environ quinze quintaux. Sa -forme est à peu près celle-ci: - -(Le dessin n'est pas dans le manuscrit.) - -Cette arête se trouve derrière la tête du poisson. - -J'ai visité l'hôtel de Nassau; c'est un splendide bâtiment, luxueusement -décoré. - -J'ai dîné encore deux fois avec ces messieurs de Bruxelles. Mme -Marguerite de Flandre m'a envoyé chercher et m'a promis de me recommander -au roi Charles. Elle a été avec moi d'une grâce charmante. Je lui ai -offert ma Passion sur cuivre. J'ai fait le même cadeau à son trésorier -Jean Marini, et, de plus, j'ai dessiné son portrait. J'ai donné deux sous -pour un anneau de buffle, et deux sous pour faire ouvrir le tableau de -l'autel de Saint-Luc. - -Lors de ma visite à l'hôtel de Nassau, j'ai vu dans la chapelle la belle -peinture de maître Hugo[71]. J'ai remarqué aussi deux belles salles et -tous les objets précieux qui sont dispersés dans l'hôtel; enfin l'immense -lit qui peut contenir cinquante personnes. J'ai examiné avec attention le -quartier de roc que l'orage a jeté aux pieds du seigneur de Nassau. Cet -hôtel est situé sur une hauteur et jouit d'une vue admirable qui, je -crois, n'a pas sa pareille dans l'Allemagne entière. Maître Bernard[72], -le peintre, m'a invité à sa table et m'a fait servir un dîner si -recherché, qu'à mon avis il ne doit pas en avoir été quitte pour dix -florins. Pour me tenir compagnie, le trésorier de dame Marguerite, -l'intendant de la cour Meteni, et le trésorier de la ville Pufladis, -s'étaient fait inviter à ce dîner. J'ai donné à Pufladis une Passion sur -cuivre, et il m'a remis en échange une bourse espagnole noire de la -valeur de trois florins. J'ai envoyé une Passion sur cuivre à Érasme de -Rotterdam. J'ai fait le même cadeau à Érasme, le secrétaire de Bonisius. -L'Anversois qui m'a donné une tête d'enfant s'appelle Laurent Sterk[73]. -J'ai dessiné le portrait de maître Bernard, le peintre de dame -Marguerite, et j'ai recommencé celui d'Érasme de Rotterdam[74]. J'ai -offert à Laurent Sterk un saint Jérôme assis et la Mélancolie. - - [71] Hugues Vandergoes, peintre distingué, que Vasari nomme Hugo - d'Anversa. Pourquoi? Ce n'est sans doute pas parce qu'il est né à - Gand vers 1430.--En 1476 il se fit ordonner prêtre, devint - chanoine régulier au monastère de la Croix-Rouge, dans la forêt - de Soignes, aux portes de Bruxelles, et mourut en 1482. - - Ses compagnons de retraite gravèrent cette inscription sur sa - tombe: - - Pictor Hugo van der Goes humatus hic quiescit. - Dolet ars, cum similem sibi modo nescit. - - [72] Bernard van Orley, ou Barend van Brussel, né à Bruxelles en - 1471, mort dans sa ville natale en 1541, peintre de Marguerite - d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas. Il eut la gloire d'être un - des rares peintres flamands qui accueillirent Albert Dürer sans - jalousie. - - [73] Receveur du Brabant pour le quartier de la ville d'Anvers. - - [74] Il est représenté à mi-corps dans son cabinet. Il écrit. - Érasme ne fut pas content de ce portrait comme il l'avait été de - celui fait par Holbein, qu'il avait gardé dix jours chez lui - avant de le rendre, pour qu'il pût paraître dans la célèbre - édition de l'_Éloge de la folie_, dite édition d'Holbein, parce - que ce grand peintre l'avait illustrée de quatre-vingt-trois - dessins, gravés sur cuivre, sans compter son portrait, celui de - Morus et celui d'Érasme sur une seule planche. Oh! oh! s'était - écrié le philosophe de Rotterdam en voyant ce portrait, si je - ressemblais encore à cet Érasme-là, en vérité, je voudrais me - marier. Albert Dürer a gravé ce portrait sur cuivre, avec cette - inscription: «Imago Erasmi Roterodami ab Alberto Durero ad vivam - effigiem delineata, MDXXVI.» Hauteur, 9 pouces 3 lignes; largeur, - 7 pouces 2 lignes. - -[Illustration] - -Six personnes de Bruxelles, dont j'ai fait le portrait, ne m'ont rien -donné. - -J'ai acheté deux cornes de bœuf pour trois sous, et deux -uilenspiegels[75] pour un sou. - - [75] Albert Dürer parle-t-il de l'estampe de Lucas de Leyde, ou - du petit livre populaire intitulé _Aventures de Thyl - Uylenspiegel_, qui fut traduit en 1483 du néerlandais en - allemand, selon les Flamands, ou de l'allemand en néerlandais, - selon les Allemands? En 1613, Van der Hoeven, de Rotterdam, fit - une nouvelle édition de cette bonne bouffonnerie avec ce titre: - «Histoire de Thyl Uylenspiegel, relation des farces ingénieuses - qu'il a faites; très-amusante à lire, avec de belles gravures.» - Depuis on en a publié bon nombre corrigées et considérablement - augmentées. Pour ma part j'en connais bien dix, en comptant celle - qui est spirituellement illustrée par Paul Lauters. Je crois - qu'Albert Dürer parle du livre, car de son temps la gravure - devait déjà être très-rare. A peine gravée, la planche avait été - perdue; peut-être Lucas l'avait-il détruite lui-même, car cette - estampe n'était pas à la hauteur de ses autres ouvrages. - - Le graveur Henri Hondius en a fait une copie en 1644, avec cette - inscription: - - Dees eerste vorm is wech, men vinter geen voor ons, - Want een papiere Druck gelt vyftich Ducatons. - «Cette forme première est perdue, on ne peut la retrouver; et un - exemplaire sur papier se paye cinquante ducatons.» - -Le dimanche après la Saint-Gilgen, je prends congé de Hans Ebner[76]. Il -ne veut rien recevoir de Hans Gender pour les sept jours que j'ai passés -chez lui. Je donne un sou à son domestique, et nous partons, M. Tommaso -et moi, pour Malines. Le soir, je dîne avec Mme de Nieuwkerk, et le lundi -de bonne heure je retourne à Anvers. - - [76] Ambassadeur nurembergeois; fut conseiller et bourgmestre de - sa ville, et mourut en 1553. - -Je déjeune le matin avec le facteur de Portugal, qui me donne trois -Porzolana[77], et Roderigo me prie d'accepter quelques objets en plumes -venant de Calcutta. J'achète pour Susanne une cape de deux florins dix -sous. Pendant mon absence, ma femme a dépensé quatre florins rhénans pour -un lessivage, un soufflet, une terrine, des pantoufles, du bois, des bas, -une cage de perroquet, deux gobelets et des pourboires; ses repas, sa -boisson, et d'autres choses de première nécessité, ont en outre coûté -vingt et un sous. - - [77] Tasses de Majolica. Poterie italienne. - -Le lundi après la Saint-Égide, je rentre chez mon hôte Joost Plankfeld et -j'y dîne seize fois. Je donne au domestique de Nicolas Tommaso un sou -pour lui et six sous pour un cadre. Mon hôte me fait cadeau d'une poule -indienne et d'un fouet turc. Je dîne treize fois chez Tommaso. Les -seigneurs de Rogendorf m'invitent à dîner. J'accepte leur invitation et -je peins en grand leur écusson sur bois, pour qu'on pût le graver. Je -dépense un sou, et ma femme change un florin contre vingt-quatre sous. Je -dîne un jour avec Jacob Rechlinger dans la maison de Ficker, et, une -autre fois, avec toute la famille. - -Je donne à Guillaume Havenhüth, le valet de pied du duc comte palatin -Frédéric, un saint Jérôme sur cuivre et les deux demi-feuilles -représentant Marie et saint Antoine; à Jacques Bonisius, une bonne figure -de sainte Véronique, un saint Eustache, la Mélancolie, saint Jérôme -assis, saint Antoine, les deux nouvelles Vierges et le Nouveau paysan; à -son secrétaire Érasme, qui a remis ma pétition, un saint Jérôme assis, la -Mélancolie, saint Antoine et les deux nouvelles Vierges, le tout d'une -valeur de sept florins. J'offre à l'orfévre Merx une Passion sur cuivre, -et je lui vends des gravures pour trois florins; je vends, d'un autre -côté, pour trois florins vingt sous d'objets d'art. Je donne au peintre -sur verre Honig quatre petites pièces sur cuivre. Je dîne trois fois chez -Bonisius. J'achète du fusain et du crayon noir pour quatre sous, du bois -pour un florin huit sous, et trois sous disparaissent sans que je puisse -dire où ils sont passés. Je dîne dix fois chez ces messieurs de -Nuremberg. - -Maître Diderik, peintre sur verre, m'envoie de la couleur rouge que l'on -trouve à Anvers dans les briques nouvellement cuites. Je dessine le -portrait de maître Jacques de Lubeck. Il donne un florin de Philippe à ma -femme. Je le change pour avoir de la monnaie. J'offre à dame Marguerite -un saint Jérôme assis sur cuivre, je vends une Passion sur bois pour -douze sous, et un Adam et Ève pour quatre sous. Félix, le joueur de luth, -achète tout mon œuvre sur cuivre, ma Passion sur bois, ma Passion sur -cuivre, deux demi-feuilles, deux quarts de feuilles, pour huit florins -d'or. Je fais le portrait de Bonisius. Rodrigo m'envoie de nouveau un -perroquet; je donne deux sous de pourboire à son domestique. Je fais -présent au joueur de trompette Jean Van den Winkel d'une petite Passion -sur bois, d'un saint Jérôme en prière et d'une Mélancolie. - -[Illustration: - ALBERT DURER. P. - PERUGINI. D. - TAMISIER. SC.] - -J'achète une paire de souliers pour six sous et une verge de mer pour -cinq sous; Georges Schlautersbach m'en avait donné une qui valait six -sous. Je dîne une fois avec l'agent des Focker, Wolf-Haller[78], à -l'occasion d'une invitation qu'il avait faite à messeigneurs de -Nuremberg. Je dîne avec ma femme, et je donne un sou au garçon de Hans -Deners. Je vends pour cent sous d'objets d'art. Je fais le portrait de -maître Jacques[79], le peintre des Van Rogendorf. Comme j'ai dessiné sur -bois l'écusson des Van Rogendorf[80], on me donne pour ma peine sept -aunes de velours. Je dessine au fusain le portrait de Jararott Pruk pour -un florin. Je dîne chez le facteur de Portugal. A Hans Schwarz[81], je -paye deux florins d'or pour mon portrait; je les lui envoie à Augsbourg -par l'entremise des Focker dans une lettre. J'achète une chemise de laine -rouge pour trente et un sous, de la couleur rouge que l'on trouve dans -les briques nouvellement cuites pour deux sous, et une corne de bœuf -pour neuf sous. Je dessine le portrait d'un Espagnol; je dîne avec ma -femme; je donne deux sous pour mille pierres à feu, et trois sous pour -deux tasses pareilles à celles que Félix et maître Jacques de Lubeck ont -données à ma femme. Je dîne chez Rogendorf et donne un sou pour une -brochure relatant l'entrée triomphale du roi à Anvers[82]. - - [78] L'écusson de cette famille fut peint par Dürer, et peut-être - même gravé sur bois. - - [79] Jacques Cornelisz, né au village de Oostzanen, et maître de - Jean Schorel. En 1512, il jouissait déjà d'une grande réputation. - Charles van Mandre a vu à Harlem, chez Corneille Suyver, une - Circoncision peinte par lui en 1517, dont il dit le plus grand - bien. Ce peintre avait un frère, nommé Buys, et un fils nommé - Dirck Jacob; l'un a fait de beaux paysages, l'autre de beaux - portraits. Jacques Cornelisz est mort à Amsterdam dans un âge - avancé. Dürer l'appelle Jacques de Lubeck, parce qu'il avait été - pensionné par les magistrats de cette ville. - - [80] Ce sont ces quelques mots qui ont fait dire qu'Albert Dürer - ne grava pas sur bois. Comment supposer cependant qu'étant en - apprentissage chez Wolhgemuth, au moment où ce peintre était déjà - occupé des dessins de _la Chronique de Nuremberg_, il n'ait pas - appris toutes les pratiques de l'atelier de son maître, et qu'il - n'ait pas plus tard mis la main à quelques-uns des bois à sa - marque. On convient généralement que les dessins de Dürer sont - mieux gravés que ceux des autres artistes de son temps. N'en - pourrait-on pas conclure qu'il donnait le dernier coup de ciseau, - ou qu'il dirigeait le travail comme un homme qui sait le métier - et qui ne grave pas habituellement, parce qu'il n'a pas le loisir - de s'occuper de cet ouvrage long et minutieux? - - [81] Jean Swart ou Jean Lenoir, originaire de Groningue, fit des - tableaux d'histoire et des paysages avec un égal succès. Ses - toiles sont fort rares; mais j'ai vu beaucoup de charmantes - gravures sur bois, gravées par lui ou d'après ses dessins. Il - avait une grande prédilection pour les cavaliers turcs, armés de - flèches et de carquois, car il en a mis partout. Il courut - beaucoup le monde et finit par se fixer à Gouda en 1522. - - [82] Cornelii Graphæi gratulatio Caroli V imperatoris, 1520. - Antverpiæ, apud Joan. Croccium. 8º. - -Les portes étaient garnies de représentations allégoriques et de jeunes -filles presque nues; j'en ai vu rarement d'aussi belles[83]. J'ai changé -un florin pour avoir de la monnaie. A Anvers, on m'a montré plusieurs -ossements du géant[84]. L'os de la cuisse a quatre pieds et demi de long, -et est extrêmement lourd. Son omoplate est plus grande que le dos entier -d'une grande personne. Ce géant a eu dix-huit pieds de hauteur; il a -gouverné Anvers, et y a fait plusieurs choses surprenantes. Ces messieurs -de la ville ont beaucoup écrit sur lui dans un gros livre[85]. - - [83] Dürer s'exprima plus longuement à ce sujet en causant avec - Melanchthon qui, lors de son séjour à Nuremberg, vint souvent - visiter le peintre. Il lui disait entre autres choses: «J'ai - regardé ces jeunes filles fort attentivement et même brutalement - (puisque je suis peintre).» Manlii Collectanea Locor. communium, - page 345. Ces jeunes vierges étaient les plus belles personnes - d'Anvers; elles étaient presque nues et habillées seulement d'une - gaze légère. Lorsque Charles V fit son entrée triomphale, il ne - se montra pas aussi admirateur que Dürer de leur beauté; car en - passant devant elles il baissa les yeux, ce qui les indisposa - fort contre lui. - - A cette époque, on voyait des vierges à peu près nues dans toutes - les solennités de ce genre. Les jeunes filles se disputaient - l'honneur d'être désignées par les juges institués _ad hoc_, car - la mission de ces nouveaux Pâris était de choisir les plus belles - et les mieux faites. Elles recevaient donc un diplôme de beauté, - et plus tard leur mari pouvait dire avec un noble orgueil: Ma - femme figurait à l'entrée de tel ou tel souverain. - - [84] Brabon. - - [85] Ce livre est un manuscrit du XVe siècle, que l'on trouve - encore aujourd'hui dans les archives d'Anvers. C'est un in-folio, - relié en corne blanche. Il porte ce titre: «Le vieux registre de - divers mandements». Page 33, on lit l'histoire fabuleuse du géant - Brabon et autres de son espèce. - -L'école de Raphaël d'Urbin s'est considérablement amoindrie après la mort -de ce grand homme. Un de ses élèves, Thomas Polonius[86], bon peintre, a -désiré me voir; il est venu chez moi et m'a fait cadeau d'une bague en or -antique, ornée d'un beau camée d'une valeur de cinq florins, et dont on -m'a déjà offert le double. En retour, je lui ai donné pour six florins de -mes meilleures gravures. Je dépense trois sous pour un _calacut_, un sou -pour un messager, et trois sous avec des camarades. - - [86] Cet élève de Raphaël se nommait Thomaso Vincidore, de - Bologne; il paraît avoir été envoyé en Flandre pour surveiller - l'exécution de certaines tapisseries, faites d'après des dessins - de Raphaël. - -[Illustration: - MARTIN. D. - SOTAIMS] - -J'ai offert à dame Marguerite, sœur du roi Charles, un exemplaire de mon -œuvre gravé; j'ai fait aussi pour elle, avec un grand soin, deux dessins -sur parchemin, que j'évalue à trente florins; et, pour son médecin, le -plan d'une maison qu'il veut bâtir. Je ne voudrais pas refaire ce -dessin à moins de dix florins. Je donne à Nicolas Ziegler un Christ mort -qui vaut trois florins, et au facteur de Portugal une tête d'enfant -peinte, que je vendrais bien un florin. - -J'achète une corne de buffle pour dix sous, une patte d'élan pour un -florin d'or. - -J'ai fait le portrait de maître Adrien au crayon, et celui de Wolf -Rogendorf au poinçon. J'ai dépensé deux sous pour des condamnations et -des dialogues, et j'ai donné à maître Adrien des œuvres d'art pour une -valeur de deux florins. On m'a vendu un seul crayon rouge un sou. J'ai -peint le portrait d'une dame noble dans la maison de Tommaso. J'ai offert -à Nicolas un saint Jérôme en prière et les deux nouvelles Vierges. - -Le lundi après la Saint-Michel, je donne à Thomas Polonius tout mon -œuvre gravé. Par l'entremise d'un peintre, il doit être envoyé à Rome, -et l'on me promet en échange des dessins de Raphaël. - -Je dîne avec ma femme, et je dépense trois sous pour la régaler. - -Polonius a fait mon portrait[87] pour l'emporter à Rome. Je change une -couronne et garde onze florins pour mes besoins. Je donne neuf sous pour -du bois, et vingt sous pour porter ma malle à la barque de Bruges. - - [87] Ce portrait fut gravé au burin par André Stock. On lit cette - inscription au bas de la planche: Effigies Alberti Dureri Norici, - pictoris et sculptoris hactenus excellentissimi delineata ad - imaginem ejus quam Thomas Vincidor de Bolognia ad vivum depinxit - Antuerpiæ 1520. And. Stock, sculp. H. Hondius excudit 1639. - -A Bruges, je dessine le portrait d'une femme qui me le paye un florin. Je -fais de grandes dépenses: un sou pour du vernis, un sou pour de la -couleur, treize sous pour des fourrures, un sou pour du cuir, et deux -sous pour deux écailles de moule. Dans la maison de Jean Gabriel, je -peins le portrait d'un Italien pour deux florins d'or. J'achète un sac de -voyage deux florins et quatre sous. - -Le jeudi après la Saint-Michel, je pars pour Aix-la-Chapelle. Je prends -avec moi un florin et un noble, et j'arrive le dimanche à Aix-la-Chapelle -après avoir passé par Maëstricht et par Gulpen. Jusqu'à présent mon -voyage, tout compris, m'a coûté trois florins. - -A Aix-la-Chapelle, je vois les colonnes que Charles a fait venir de Rome, -et qui sont ornées de chapiteaux de porphyre rouge et vert. Elles sont -faites très-artistement d'après Vitruve. Je peins deux fois le portrait -de Hans Ebner[88], et je dessine au fusain ceux de Georges -Schlaudersbach, du jeune Christophe Groland et de mon hôte Pierre Van -Enden. Je donne deux sous pour une pierre à aiguiser, cinq sous pour un -bain et deux deniers au domestique de la ville qui m'a conduit à la salle -du Conseil; je paye pour cinq deniers de boisson à des camarades, et je -perds sept sous au jeu avec Hans Ebner. Je dessine dans mon album les -portraits de Paulus Topler et de Martin Pfinzing. - - [88] C'est à la famille d'Ebner que nous devons le journal - d'Albert Dürer. M. C. G. de Murr, qui a publié le texte allemand, - dit qu'il l'a tiré _ex bibliotheca Ebneriana_. M. Frédéric - Verachter, le savant archiviste de la ville d'Anvers, a traduit - en flamand ce document précieux. Je me suis beaucoup aidé de son - travail qui est fait avec une grande intelligence; pour être tout - à fait juste, je dois dire que sans lui je ne serais jamais - parvenu à rendre clairs une certaine quantité de passages qui - étaient restés inexpliqués jusqu'à ce jour. - -Je vois à Aix-la-Chapelle le bras de l'empereur Henri, la chemise de la -vierge Marie et d'autres reliques. Je dessine l'église de Notre-Dame, et -je fais le portrait de Sturm[89]. Je dessine le portrait des sœurs de -Kopffinger, une fois au charbon et une fois au crayon noir. Je donne dix -sous pour une grande corne de bœuf, et je perds trois sous au jeu. -J'offre à la fille de Tomasius une peinture de la Trinité d'une valeur de -quatre florins, et je dépense un sou pour du cirage, trois sous pour un -bain, huit sous pour une corne de buffle, et deux sous pour une ceinture. - - [89] Gaspard Sturm, dit Teutschland (Allemagne), le héraut - d'armes qui assista à la prise du château de Sickingen, et qui - fut chargé de conduire Luther à la diète de Worms. (Voir la _Vie - de Luther_, par Audin, t. VI, p. 207.) - -[Illustration] - -Le 23 octobre, j'assiste au couronnement du roi Charles à -Aix-la-Chapelle; c'est si beau et si riche, que de la vie je n'ai vu -pareil spectacle, et que je renonce à le décrire. Je donne à Mathias pour -onze florins de mes gravures et trois pièces à Stéphan, chambellan de -dame Marguerite. J'achète un chapelet de bois de cèdre pour dix sous, et -je perds trois demi-sous au jeu. Je donne deux sous au barbier et quatre -sous pour deux verres de lunettes; je perds encore une pièce blanche au -jeu. - -Le vendredi qui précède la fête de Simon et Judas, je me rends à Louvain, -laissant sept sous de pourboire dans la maison de mon hôte; je visite -l'église où est la tête de sainte Anne. - -Le dimanche, nous arrivons à Cologne. - -A Bruxelles, j'ai été hébergé complétement par ces messieurs de -Nuremberg, qui n'ont rien voulu accepter. A Aix-la-Chapelle, ils -m'avaient déjà rendu le même service pendant trois semaines; ils me -conduisent à Cologne, où ils me renouvellent le refus d'accepter la plus -légère rétribution. - -Je dépense cinq sous pour un traité de Luther, un sou pour la -condamnation de cet homme courageux, un sou pour un chapelet et deux -sous pour une ceinture. J'offre à Léonard Groland ma grande corne de -bœuf, et mon chapelet en bois de cèdre à Hans Ebner. J'achète une paire -de souliers pour six sous et une petite tête de mort pour deux sous. Je -donne un sou pour de la bière et du pain, deux sous au barbier, à Ziegler -Linhart des gravures pour deux florins, et deux sous à celui qui m'a -laissé voir le tableau de maître Stephanus[90]. Je dépense deux sous avec -des camarades et un sou pour un petit traité. Je fais le portrait de la -sœur de Gott-Schalken. Le dimanche soir après la Toussaint, je suis -encore à Cologne et j'assiste au bal[91] et au festin donnés par -l'empereur Charles; c'est fort beau. Je dessine l'écusson de Staber, et -j'offre à un jeune comte de Cologne une Mélancolie et au duc Frédéric ma -nouvelle Vierge. Je fais au charbon le portrait de Nicolas Haller et je -donne deux sous au portier, trois sous pour deux petits traités et dix -sous pour une corne de vache. - - [90] Stephen Lochner (de Constance), et non Lothner comme on l'a - cru longtemps, né....? mort en 1451. Le tableau en question est - un triptyque dont le panneau central représente l'Adoration des - Mages. Les volets sont peints des deux côtés, celui de droite - nous montre sainte Ursule et ses compagnes à l'intérieur, et à - l'extérieur l'Annonciation; sur celui de gauche, on voit à - l'intérieur saint Géréon, le glorieux patron de la ville de - Cologne, et un ange à genoux à l'extérieur. Avant la visite - d'Albert Dürer il était attribué tantôt à Philippe Kaff, tantôt à - Willem; depuis, il n'y a plus eu d'incertitude. Ce chef-d'œuvre - est aujourd'hui dans la cathédrale de Cologne (chapelle - Sainte-Agnès), où on l'admirerait sans restriction s'il n'avait - pas subi quelques regrettables retouches. Une inscription que - l'on peut lire sous le tableau dit qu'il a été peint à l'huile en - 1410. - - [91] Il en fit un dessin gravé sur bois. Voir Bartsch, _le - Peintre-Graveur_, 38. - -A Cologne, je visite l'église de Sainte-Ursule ainsi que son tombeau; je -vois les statues des vierges et aussi celles des saints. Je dessine au -fusain le portrait de Forherwerger, et je donne à la femme de Nicolas -huit sous parce qu'elle m'a offert l'hospitalité. - -J'ai séjourné huit jours à Bruxelles, trois semaines à Aix, quatorze -jours à Cologne, et ces trois messieurs de l'ambassade de Nuremberg, -Léonard Groland, Hans Ebner et Nicolas Haller, m'ont constamment hébergé. -J'ai fait des portraits chez les nonnes pour sept sous et leur ai offert -trois demi-feuilles de gravures sur cuivre. - -Le lundi après la Saint-Martin, ces messieurs de l'ambassade de Nuremberg -m'apprennent qu'ils viennent d'obtenir pour moi le titre de peintre de la -cour de l'empereur Charles[92]. - - [92] Cet acte de Charles V est du 4 novembre 1520, daté de - Cologne. Par cet acte, les magistrats furent chargés de payer à - Dürer la pension viagère de cent florins, qui lui avait été - accordée par l'empereur Maximilien. La pièce originale de cet - acte est encore aux archives de Nuremberg. - -Dorfer m'invite une fois chez Staber et une autre fois chez le vieux -Wolfgang. Je dîne aussi chez mon cousin Nicolas; j'offre un florin à sa -femme, deux liards à sa petite fille, sept sous à la servante et un saint -Eustache à son domestique, car je leur ai donné beaucoup de mal à tous. - -Le mercredi de la Saint-Martin, après avoir acheté une petite tête de -mort en ivoire pour un florin, et une paire de souliers pour sept sous, -je remonte de bonne heure le Rhin avec le bateau de Cologne; nous -arrivons à Zons, de là à Neus et puis à Stain, où nous passons la nuit -pour deux sous. Le lendemain, nous voyons Keizerswerth, Duisburg, Orson -et nous couchons à Rheinberg pour six sous. De là nous allons à Wezel, à -Rees, à Entmerich, à Thomas et enfin à Nimègue, où on nous donne un -mauvais lit pour quatre sous. Le lendemain, nous partons pour Thiel, Pust -et Entmerich, où je m'arrête un moment. J'y fais un bon dîner pour trois -sous. Je profite d'un grand coup de vent qui nous empêche de continuer -notre route pour dessiner le portrait d'un compagnon orfévre d'Anvers, -nommé Pierre Federmacher, une tête de femme et un croquis d'après -l'aubergiste. - -C'est seulement le dimanche que nous arrivons à Nimègue. Je donne vingt -sous au batelier. - -Nimègue est une jolie ville qui possède une belle église et un château -fort bien situé. - -A Thiel, sur le Waal, nous quittons le Rhin pour remonter la Meuse; nous -arrivons à Terveer, où il y a deux tours, nous y passons la nuit et je -dépense sept sous. - -Le vendredi matin, nous partons pour Bommel; là survient une furieuse -tempête qui nous oblige à louer pour un florin des chevaux de paysan qui -nous portent tant bien que mal à Bois-le-Duc. Bois-le-Duc est une jolie -ville qui renferme de belles et riches églises et qui est solidement -fortifiée. J'y dépense dix sous que maître Arnold[93] veut absolument -payer. Les orfévres de l'endroit viennent me voir et me font beaucoup de -politesses. - - [93] Arnold de Beer, élève de Lambert Suterman, peintre d'Anvers. - Il s'est fait une réputation comme dessinateur plutôt que comme - coloriste. - -Le jour de Notre-Dame, nous arrivons de bonne heure au magnifique village -d'Osterwyck, de là à Tilborg, où nous faisons un repas assez convenable, -et nous restons coucher à Baerle; mais comme mes compagnons tombent en -désaccord avec l'aubergiste, nous partons pour Hoogstraeten après deux -heures de repos. Arrivés à Harfth, nous déjeunons en face de l'église -Saint-Léonard pour quatre sous. - -Le jeudi après l'Assomption, je revois Anvers; je donne quinze sous au -voiturier et je vais me loger de nouveau chez Joost Planckfeld. Je dîne -trois fois avec lui et deux fois avec ma femme. Le premier portrait que -je fais est celui de Nicolas Sombalis. - -Pendant sept semaines qu'a duré mon voyage, ma femme et ma servante ont -dépensé sept couronnes pour le ménage et quatre florins pour les menus -objets. Je dépense quatre sous avec des camarades. Je dîne six fois chez -Tommaso. - -Le jour de la Saint-Martin, dans l'église de Notre-Dame, on coupe la -bourse de ma femme; elle valait un florin et contenait deux florins et -quelques clefs. - -Le soir de la Sainte-Catherine, je paye à Joost Planckfeld dix couronnes -d'or en à-compte de ce que je lui dois. - -Je dîne deux fois chez les Portugais. Rodrigue me fait cadeau de six noix -indiennes; je donne deux sous à son domestique, et dix-neuf sous pour du -parchemin. Je prends la monnaie de deux couronnes. - -Je vends les gravures suivantes: deux Adam et Ève, très-belles épreuves, -un saint Jérôme, un cavalier, une Némésis, un saint Eustache, dix-sept -pièces gravées à l'eau-forte, huit quarts de feuilles, dix-neuf pièces -sur bois, sept mauvaises gravures sur bois et dix livres de la petite -Passion, le tout pour huit florins; pour une once de couleur de plomb je -donne trois gros livres. Je prends la monnaie d'un florin de Philippe et -ma femme celle d'un florin simple. - -A Ziericzée (en Zélande), une forte marée chassée par l'ouragan fait -échouer une baleine; elle a plus de cent toises de long et personne ne se -souvient d'en avoir vu une pareille en Zélande. - -Ce poisson ne peut être mis à flot; les habitants voudraient s'en -débarrasser parce qu'il infecte la contrée. Il est si monstrueux qu'ils -n'espèrent pas avant six mois d'ici pouvoir le mettre en pièces et le -réduire en huile. - -Stéphan Capello me donne un chapelet en cèdre, à condition que je ferai -son portrait. J'achète pour quatre sous de tripoli et du papier pour -trois sous. - -Je fais le portrait de Félix à genoux, à la plume, dans son album; il me -donne cent huîtres. Je fais présent au seigneur Lazare, surnommé le -Grand Homme, d'un saint Jérôme sur cuivre et de trois grands livres. -Rodrigue m'envoie du vin fort et des huîtres. J'invite à dîner Tomasin -Gerhard, sa fille et son mari, Honing, le peintre sur verre, Félix, Joost -et sa femme; cela me coûte deux florins. Thomassin me fait cadeau de -trois aunes de gros damas. - -Le soir de la Sainte-Barbe, je me rends à Bergen[94], je dépense un -florin six sous et douze sous pour le cheval. J'achète dans cette ville -une faille pour ma femme; je la paye un florin sept sous; je donne six -sous pour trois paires de souliers, un sou pour un microscope et six sous -pour une pomme d'ivoire. - - [94] C'est à Berg-op-Zoom que Dürer veut dire. - -Je dessine les portraits de Jean de Haes[95], de sa femme et de ses deux -filles au charbon noir, et je fais des croquis de sa servante et d'une -vieille femme au poinçon sur son album. Je visite la maison de ville de -Bergen, elle est très-belle. Bergen est une ville fort agréable en été: -elle a deux foires considérables par an. - - [95] Sculpteur, né à Metz. - -La veille de la fête de la Vierge, je pars avec mes compagnons pour la -Zélande. Sébastien Imhoff me prête cinq florins.--Nous passons la -première nuit sur le navire à l'ancre; il fait très-froid et nous n'avons -rien à boire ni à manger. Le samedi, nous arrivons à Ter-Goes, où je -dessine une jeune fille avec son costume national. Nous partons pour Erma -et arrivons devant l'île de Walcheren; nous passons la nuit à Ernig; de -là nous allons à Middelbourg. Dans l'église de l'abbaye[96], je remarque -le grand tableau de Jean de Mabuse[97], qui est mieux peint que -dessiné[98]. De là je pars pour la jolie ville de Terveer, où relâchent -des vaisseaux de tous les pays. - - [96] L'abbaye de l'ordre de Prémontré, dédiée N.-D. et à saint - Nicolas. - - [97] Jean Gossaert, dit _Jean de Maubeuge,_ né à Maubeuge vers - 1470, mort le 1er octobre 1532, mort à Anvers, où il fut enterré - à Notre-Dame. - - [98] Une Descente de Croix qui avait été commandée par l'abbé - Maximilien de Bourgogne. Ce tableau, un des meilleurs du maître, - fut détruit par la foudre le 24 janvier 1568. - -A Aremuidem, il nous arrive un grand malheur. Au moment où nous voulons -prendre terre, après avoir lancé notre câble sur le rivage et qu'une -grande partie de l'équipage est déjà descendue, un vaisseau vient se -heurter avec force contre le nôtre. Comme à cause de la presse j'avais -laissé passer devant moi la foule, j'étais encore dans le navire avec -Georges Kotzler, deux vieilles femmes, le capitaine du navire et un -mousse. Le vaisseau qui nous avait abordés nous entraîne, et malgré nos -efforts nous ne parvenons pas à nous dégager. Alors le câble se rompt et -un violent coup de vent nous rejette en pleine mer.--C'est en vain que -nous crions au secours, personne n'ose se hasarder, le capitaine se -lamente parce que ses matelots sont descendus et que son navire n'est -plus assez chargé. La position est désespérée, le vent souffle avec -violence et nous ne sommes pas plus de six personnes à bord. Je dis au -capitaine de prendre courage et de mettre son espoir en Dieu. - ---Et après? me répondit-il. - ---Et après, lui dis-je, carguez la petite voile. - -Nous exécutons tant bien que mal cette manœuvre en réunissant tous nos -efforts. - -Ceux qui sont sur la côte, nous voyant lutter énergiquement contre la -mort, se décident à venir à notre aide et nous réussissons à reprendre -terre. - -Middelbourg est une bonne cité qui a une jolie maison de ville et une -superbe tour; tout cela est fait avec art. Dans l'abbaye, il y a un jubé -remarquable et un imposant portique en pierre. L'église paroissiale est -très-belle; si j'y retourne jamais, je prendrai un croquis de cette -charmante ville. - -La Zélande est du reste un pays bien curieux, le niveau de la mer y -dépasse la plaine. - -A Ernig, je fais le portrait d'un aubergiste. - -Maître Hugo, Alexandre Imhoff et Frédéric, le serviteur des Hierchvogel, -me donnent chacune une poule indienne qu'ils ont gagnée au jeu, et -l'aubergiste me fait cadeau d'un bel oignon. - -Le matin, nous repartons avec le bateau, nous arrivons bientôt à Terveer -et ensuite à Ziericzée, où j'aurais voulu admirer la baleine, mais la -marée l'avait emportée. Je donne deux florins pour des plumes, deux -florins pour un manteau, quatre sous pour une cage et trois sous à celui -qui me l'a apportée; je perds six sous au jeu et je repars pour Bergen. -Je peins l'aubergiste Arden et Schnabhann. Je donne dix sous pour un -peigne en ivoire, deux florins moins cinq sous pour une plaque d'étain -ordinaire. Je fais les portraits du jeune Bernhard de Bresles, de Georges -Kotzler et de François de Cambrai. Chacun me paye un florin. J'oubliais -Jean de Has-Eiden, à qui je rends le même service et qui me donne aussi -un florin. J'achète encore deux plaques d'étain pour quatre florins moins -dix sous et peins Nicolas Soilir. - -Voilà neuf fois depuis mon départ de Zélande que je dîne à Bergen, -chaque fois à raison de quatre sous. Je donne trois sous au voiturier, -et le vendredi après la Sainte-Lucie j'arrive à Anvers, chez Joost -Planckfeld. Je dîne avec ma femme chez mon hôte et je paye la dépense. - -[Illustration: - FAC-SIMILE D'APRÈS ALBERT DURER. BAUDRAN SCULP. - BOURGEOIS D'ANVERS. (Cabinet de M. Didot.) - Gazette des Beaux Arts. Imprimerie A. Salmon] - -Le seigneur Lazare de Ravensberg me donne en retour des trois livres dont -je lui ai fait présent autrefois quelques curiosités d'histoire -naturelle. Je change une couronne. Le facteur de Portugal m'envoie un sac -de velours brun et une boîte treillagée. - -J'achète plusieurs petites guenons (Mehrkätzlein) pour quatre florins -d'or, cinq poissons pour quatorze sous et un petit traité de deux sous. -Je donne à Lazare de Ravensberg un portrait peint sur panneau qui m'a -coûté six sous, huit pièces de grandes gravures sur cuivre et une Passion -sur bois, le tout valant plus de quatre florins. Je fais changer un -florin de Philippe; j'achète pour six sous un panneau, j'esquisse le -portrait du domestique de l'agent de Portugal et je le lui donne comme -cadeau de nouvel an avec deux sous de pourboire. J'offre à Bernard -Stecher tout mon œuvre gravé sur cuivre. J'achète pour trente et un sous -de bois. Je fais le portrait de Gerhard Pombelli et celui de la fille du -procureur Sébastien. Je donne à Wolff de Rogendorff une Passion sur -cuivre et une autre sur bois. Gerhard Pombelli m'envoie un mouchoir turc -à dessins, et Wolff de Rogendorff, sept aunes brabançonnes de velours. Je -donne un florin de Philippe à son domestique. Je dîne huit fois chez les -Portugais, une fois chez le Trésorier, dix fois chez Tommaso, une fois -chez Lazare de Ravensberg, une fois chez Wolff de Rogendorff, une fois -chez Bernard Stecher, une fois chez Arnold Meyting, une fois chez Gaspard -Lewenter, et chaque dîner me coûte un pourboire de quatre sous. - -Je donne trois sous à un homme d'après qui j'ai fait une étude et deux -sous à son domestique. J'achète pour quatre sous de lin et je vends pour -quatre florins de mes gravures. Je change une couronne et je donne six -sous au pelletier. Je perds six sous au jeu et je dépense six sous. Je -change un noble à la rose; pour dix-huit sous j'achète des raisins et -trois paires de couteaux. En divers payements, je donne deux florins à -Joost; j'offre à maître Jacques deux saint Jérôme sur cuivre, et à -chacune des trois filles de Tommaso une paire de couteaux de cinq sous. -J'ai joué plusieurs fois et fini par perdre sept sous. Rodrigues me fait -présent d'une pomme de senteur que l'on cueille sur l'arbre du musc, de -quelques autres raretés encore et d'une boîte de sucre. Je donne cinq -sous à son domestique. Je dessine au charbon le portrait de la femme de -Joost. J'achète trois coupons de drap pour quatre florins cinq sous. Ma -femme a été marraine d'un enfant, et ce plaisir lui a coûté un florin, -sans compter quatre sous pour la garde. Je change une couronne, je -perds deux sous au jeu et je dépense deux sous. - -[Illustration: - ALBERT-DURER. P. - AH CABASSON.D. - E. SOTAIN. S] - -Je donne à maître Thiéry, peintre sur verre, une Apocalypse, au jeune -facteur de Portugal, le seigneur Francisco, ma pièce avec le petit enfant -qui vaut lix florins, et au docteur Loffen, d'Anvers, les quatre livres -et un saint Jérôme sur cuivre. J'exécute pour Joost Planckfeld l'écusson -de Staber et un autre encore. Je fais les portraits du fils et de la -fille de Tommaso au poinçon et une figure d'archiduc à l'huile sur -panneau. - -Rodrigues Scrivan, de Portugal, me fait présent de deux filets de -Calcutta en soie, d'un bonnet rempli d'ornements, d'un petit vase avec du -_mirabolon_ et d'une branche de cèdre. Tout cela vaut au moins dix -florins. Je donne cinq sous à son domestique. J'achète un pinceau pour -deux sous. J'ai fait sur la commande de Focker un dessin pour masque; je -reçois pour ce travail un angelot[99]. Je change un florin et donne huit -sous pour deux petites cornes à herbes. Je perds trois sous au jeu et -change mon angelot. Pour Tommaso, j'exécute deux feuilles de jolis -masques. - - [99] L'angelot valait deux florins et deux sous. L'archange - Michel y était figuré, tenant de la main droite une épée, et de - la gauche un écu chargé de trois fleurs de lis. Sous ses pieds, - il avait un serpent. - -J'ai peint à l'huile une bonne figure de Véronique, ce tableau vaut douze -florins. Je l'ai donné à Francisco, facteur de Portugal. J'ai fait de sa -femme un portrait à l'huile qui vaut mieux que le précédent, et je l'ai -donné au facteur Brandon, de Portugal. Pour le premier objet, ma servante -a reçu en pourboire un florin de Philippe, un florin pour la Véronique et -un florin de Brandon. - -La veille du carême, les orfévres m'invitent à dîner avec ma femme. Je -vois là beaucoup de gens distingués. Le banquet est superbe et l'on me -rend beaucoup d'honneurs. Vers le soir, le vieux fonctionnaire de la -ville[100] m'invite et me reçoit très-bien, je vois chez lui de -très-drôles de masques. Je fais le portrait de Florez, organiste de dame -Marguerite. Le lundi soir, j'ai été invité à un grand dîner chez H. -Lupez[101]. La fête a été fort belle et a duré jusqu'à deux heures; -Laurent Stark m'a donné une pelisse espagnole; à ce festin, il y avait -des masques très-richement mis, on remarquait surtout Tomasso et -Branbell. J'ai gagné deux florins au jeu et donné quatorze sous pour un -petit panier de raisins. J'ai fait au crayon noir le portrait de Bernard -de Castell que j'avais battu au jeu. - - [100] Le chevalier Gérard van de Werve. - - [101] Thomas Lopez (le chevalier), ambassadeur du roi de - Portugal. - -Le frère de Gérard Tommaso m'envoie quatre aunes brabançonnes du meilleur -satin et trois grandes boîtes incrustées, je donne trois sous à sa -servante. J'achète pour treize sous de bois et pour deux sous de vernis. -J'ai fait au poinçon un joli portrait de la fille du procureur. Je change -un angelot. Maître Jean[102], bon statuaire, né à Metz, qui a étudié en -Italie et ressemble beaucoup à Christophe Holer, m'a prié de dessiner son -portrait au crayon. Je l'ai fait avec plaisir. Je donne à Jean Turcken -trois florins pour des objets d'art italien et pour une once de bon -outremer. - - [102] De Haes. - -Pour la petite Passion en bois, je reçois trois florins; et, pour quatre -livres de gravures de Schaufelein[103], aussi trois florins. J'achète -deux salières en ivoire de Calcutta, je les paye deux florins. Rudinger -de Gelern me donne une petite corne pleine de monnaie d'or et d'argent, -un quart de florin environ, pour trois grands livres, et un cavalier sur -cuivre. Je dépense onze sous pour des objets d'art, deux florins de -Philippe pour un saint Pierre et saint Paul, que je veux donner à Mme -Koler, et six sous pour du bois. Je dîne chez le Français, deux fois chez -Hirschvogel, et une fois chez maître Pierre[104] l'écrivain, avec Érasme, -de Rotterdam. Je donne un sou à l'homme qui me montre la tour d'Anvers; -cette tour[105] sera plus haute que celle de Strasbourg. De là, je vois -la ville dans tous les sens; cette vue est très-belle. Je change un -angelot. Le facteur Brandon me fait cadeau de deux grandes cannes à sucre -blanc, d'un bol, de deux pots verts remplis de sucreries, et de quatre -aunes de fort satin. Je donne dix sous à son domestique. Je fais au -poinçon le portrait de la jolie fille de Gerhard. Je change un angelot. -J'ai dîné chez le receveur Laurent Serk, qui m'a donné une petite flûte -en ivoire et de la jolie porcelaine; je lui ai remis, en échange de sa -politesse, un exemplaire de mon œuvre, ainsi qu'à Adrien[106], l'orateur -de la ville d'Anvers. J'ai offert à la chambre des riches commerçants -d'Anvers (les merciers) un saint Nicolas assis; on m'a prié d'accepter -trois florins de Philippe de gratification. J'ai donné à Pierre (le -menuisier de la ville) les vieux cadres de saint Jérôme, et quatre -florins pour le cadre du portrait du receveur. J'ai acheté pour onze sous -de bois, et payé quatre sous à un paysan. - - [103] Hans Schaufelein, un des bons élèves d'Albert Dürer. - - [104] Pierre Ægidius, plus tard greffier de la ville d'Anvers. - C'était un ami intime d'Érasme et du chancelier Thomas Morus. - Ægidius se trouvant un jour avec Érasme chez Quentin Metsys, ce - peintre fit leur portrait sur deux panneaux ovales, attachés l'un - à l'autre avec cette inscription latine: - - Quanti olim fuerant Pollux et Castor amici, - Erasmus tantos Ægidiumque fere. - Morus ab is dolet esse loco, conjunctus amore, - Tam prope quam quisquam vix queat esse sibi. - Sic desiderio est consultum absentis ut horum - Reddat amans animum littera, corpus ego. - - Pierre Ægidius, autrement dit Gillis, naquit à Anvers en 1486, et - laissa plusieurs écrits remarquables. Il mourut dans sa ville - natale en juin 1533. Son père, Nicolas Ægidius, avait été bailli - d'Anvers. - - [105] Cette tour fut commencée en 1422, par un architecte nommé - Jean Amelius de Bologne, selon les uns; selon les autres, par - Pierre Smit, dit Appelmans, qui bâtit l'église de Saint-Georges - et beaucoup de maisons des environs. Quoi qu'il en soit, il - paraît, d'après le témoignage de Dürer, qu'en 1520 cette tour - n'était pas encore achevée. Elle a cent vingt-deux mètres neuf - cent vingt-cinq millimètres de haut. Albert Dürer n'est donc pas - de beaucoup au-dessous de la vérité, puisque la flèche de - Strasbourg n'en a que cent quarante-deux. - - [106] Adrien Herbouts, né et mort à Anvers, devint pensionnaire - de cette ville en 1506. On voyait autrefois son épitaphe dans - l'église des Pauvres-Claires: - - D. O. M. - D. Adriano Herbouts, - Præclaræ hujus urbis per XLI ann. - Pensionario - Utriusque juris doctori - Decessit X Januarii CI[C]. I[C]. XLVI - Elisabethæ nilis illius conjugi - Obiit IX Augusti, anno CI[C]. I[C]. XXXIII. - Levinæ legitimæ utriusque illorum F. - Nicolai van der Heyden uxori; - Periit dolore partus, - XXIV Martii A. CI[C]. I[C]. XXVII. - -J'ai confié ma malle à Jacques et André Heszler, qui doivent la -transporter à Nuremberg pour deux florins par quintal; ils la remettront -au vieil Hans Imhoff. Je leur ai déjà donné deux florins. - -Le dimanche _Judica_, 1521, Rodrigues m'envoie six noix de coco, une -jolie branche de corail, et deux florins d'or de Portugal pesant chacun -onze ducats. Je donne quinze sous à son domestique. - -Je paye six sous pour un aimant. J'envoie à maître Hugo, à Bruxelles, un -petit morceau de porphyre, une Passion sur cuivre, et quelques autres -pièces. Je fais pour Tomasso un dessin d'après lequel on va peindre sa -maison. J'ai fait avec empressement un saint Jérôme à l'huile pour -Rodrigues, qui a donné à ma servante Suzanne un ducat de pourboire. J'ai -donné dix sous à mon confesseur, et quatre sous pour une petite tortue. - -J'ai dîné chez Gilbert, qui m'a offert un petit bouclier de Calcutta, -fait avec une écaille de poisson, et de petits gantelets. J'ai fait au -crayon rouge le portrait de Cornelis[107], secrétaire de la ville -d'Anvers; il est parfaitement réussi. J'ai acheté six brosses pour vingt -sous, et six ceintures de soie pour trois florins seize sous. Je les ai -offertes aux femmes de Gaspard Nutzel, Hans Imhoff, Spingler et -Loffelhotz, et je leur ai donné par-dessus le marché une bonne paire de -gants. Gaspar Nutzel, Hans Imhoff, Spengler et Jérôme Holzschuher ont -reçu de moi de très-jolies choses. J'ai fait cadeau à Pirkeimer d'un beau -bonnet et d'un riche encrier. - - [107] Graphæus ou Schryver, ou encore Scribonius, né à Alost en - 1482. Savant très-versé dans les langues étrangères. Il mourut à - Anvers le 19 décembre 1558 et fut enterré dans l'église - Notre-Dame. Son tombeau, élevé par son fils Alexandre, porte - l'inscription suivante: - - Cornelius Scribonius - Præclaræ hujus urbis a secretis, - Sibi suisque - Et Adrianæ Philippæ - Dulciss. uxori vivens pos. - Ipsa quidem vixit ann. LXXI. - Uno et XL. ann. marita: - Matrona et prudentiss. - Et pietatis cultrix eximia. - Ille vero caram secutus conjugem, - Migravit XIX Decembris M. D. LVIII - Cum vixisset annos LXXVI - -Je dîne chez maître Adrien, qui me fait présent d'un petit tableau -représentant Loth et ses deux filles, peint par Joachim Patenier. Je -vends à Hans Grun pour un florin d'objets d'art. Rudiger de Gelern -m'envoie un morceau de bois de santal. Je donne un sou à son domestique. -Je fais le portrait à l'huile de Bernard de Reszen; il me le paye huit -florins, et donne de plus une couronne à ma femme et un florin de -vingt-quatre sous à Suzanne, ma servante. - -Je donne quatre sous à mon confesseur. Je vends pour quatre florins dix -sous de gravures; j'achète du baume pour cinq sous, du bois pour douze -demi-sous, et quatorze pièces de bois français pour un florin. Je donne à -Ambroise Hochstetter[108] une Vie de la Vierge, en échange de quoi je -reçois un dessin de son navire. Rodrigues offre une petite bague, qui -vaut plus de cinq florins, à ma femme. - - [108] Ambroise et Jean, deux frères, riches marchands, - originaires d'Augsbourg, arrivés à Anvers vers 1485. - -J'ai fait au fusain le portrait du secrétaire du facteur Brandon, et -celui de sa négresse au poinçon. J'ai peint le portrait de Rodrigues sur -une grande feuille de papier, avec de la couleur noire et blanche. - -J'ai acheté une pièce de camelot de vingt-quatre aunes qui me coûte seize -florins et un sou pour l'emporter avec moi; j'ai aussi acheté des gants -pour deux sous. Lucas de Dantzig, dont j'ai dessiné le portrait au -charbon, m'a donné un florin et un morceau de bois de santal. - -Le samedi après Pâques, je pars d'Anvers pour Bruges avec Hans Luber et -maître Jean Plos, bon peintre, né à Bruges. Nous passons par Beveren, un -gros village; de là, nous allons à Vracène, un autre gros village. De -bourg en bourg, de village en village, nous arrivons enfin à Saint-Paul, -qui est célèbre par la richesse de ses habitants et de son abbaye. Après -avoir passé par Kalve, nous allons loger à Erdvelde. - -Le dimanche matin, nous nous rendons à Eecloo, très-gros bourg qui a une -chaussée et un marché. Nous y déjeunons; nous traversons Maldeghem et -quelques autres villages d'un fort joli aspect, et nous arrivons à -Bruges, qui est une belle ville. - -Jusqu'ici mon voyage me coûte vingt et un sous. - -Arrivé à Bruges, Jean Plos me donne l'hospitalité chez lui et fait -préparer le soir même un banquet; il invite beaucoup de monde. Le -lendemain, l'orfévre Marx en fait autant. - -On me mène au palais de l'empereur, riche et beau bâtiment. - -Dans la chapelle de ce palais, il m'est permis d'admirer le tableau de -Rudiger[109] et d'autres productions remarquables d'un ancien grand -maître. Je donne un sou à l'homme qui me les fait voir. J'achète trois -peignes d'ivoire peur trente sous. On me conduit ensuite à Saint-Jacques -devant les belles peintures de Rudiger et d'Hugo[110], deux grands -artistes. Je vois aussi la statue de la Vierge en albâtre faite par -Michel-Ange[111] de Rome; elle est dans l'église Notre-Dame. Je visite -successivement plusieurs églises où se trouvent tous les tableaux de -Jean[112] et d'autres artistes remarquables. - - [109] Rogier van der Weyden. - - [110] Hugo van der Goes. Le tableau dont il est question ici est - une sainte Vierge avec l'enfant Jésus. - - [111] Cette admirable statue est encore aujourd'hui dans la même - église. - - [112] Albert Dürer parle-t-il de Jean van Eyck? C'est probable. - Cependant il pourrait être question de _Jean Hemmlinck_ ou de - _Jean Spital_. - -La chapelle des peintres renferme aussi des choses très-curieuses. - -Après m'avoir offert un riche banquet, les peintres me mènent à leur -chambre de gilde, où se trouvent plusieurs personnes distinguées telles -qu'orfévres, peintres et marchands. Ils me forcent courtoisement à souper -avec eux; on me régale, on me choie, bref, on me fait beaucoup -d'honneurs. Les conseillers Jacques et Pierre Mostaert m'offrent douze -mesures de vin, après quoi toute la société, composée de soixante -personnes, me ramène chez moi avec des lanternes. - -J'ai également visité la société du tir. J'y ai admiré le grand plat à -poisson qu'on sert sur la table des tireurs et qui a dix-neuf pieds de -long, sept de haut et trois de large. - -Avant mon départ, je fais au poinçon les portraits de Jean Plos et de sa -femme, et je donne dix sous à ses gens pour mes adieux. - -Nous partons pour Orchhel où nous faisons un repas. Après avoir passé par -six villages, nous arrivons à Gand. J'avais dépensé en tout quatre sous -pour mon transport, et quatre sous pour des objets divers. - -A mon débarquement à Gand, je suis reçu par le doyen des peintres et les -autres dignitaires; ils me rendent de grands honneurs en m'offrant leurs -services. - -Le soir, nous dînons ensemble. - -Le mercredi matin, on me fait monter à la haute tour de Saint-Jean; de -là, j'admire cette grande ville qui, elle aussi, m'appelle grand. - -Je vois le tableau de Jean[113]; il est superbe et admirablement conçu. - -J'admire surtout les figures d'Ève, de Marie et de Dieu le père. - - [113] Il est question ici de l'_Adoration de l'Agneau_, que les - frères Jean et Hubert van Eyck peignirent pour Philippe le Bon, - duc de Bourgogne, comte de Flandre. Après avoir admiré le génie - des artistes, on admire leur patience. Rien, en effet, ne peut - être comparé au fini précieux de ce tableau. On y compte trois - cent trente têtes, sans en retrouver deux qui se ressemblent. De - ce poëme, qui était composé de douze panneaux, il ne reste plus, - dans la onzième chapelle de la cathédrale de Saint-Bavon à Gand, - que quatre compartiments; mais si on en croit les chroniques, ce - sont les plus beaux, et leur conservation est parfaite. Les - couleurs principales, le rouge, le bleu et le pourpre, n'ont rien - perdu de leur fraîcheur et de leur éclat; on croirait que cette - belle œuvre, qui a aujourd'hui quatre cent trente-deux ans, sort - de l'atelier des peintres. Il est vrai que les Gantois en ont un - soin tout particulier; elle ne voit la lumière que rarement, à - certains grands jours de fête, et à la demande des gens - considérables. On m'a assuré à Gand que l'homme préposé à sa - garde se livre à une petite supercherie, que nous sommes assez - tentés de lui pardonner, puisqu'elle contribue à prolonger - l'existence de ce chef-d'œuvre inimitable. Il a un flair - excellent parmi les touristes dont il reçoit la visite, il - distingue du premier coup d'œil ceux qui sont dignes d'adorer - l'_Agneau_; s'il a affaire à des connaisseurs, il montre le vrai - tableau; s'il a affaire à des profanes, il exhibe une toile au - hasard; ce qui n'empêche pas ces braves gens de trouver la - réputation du tableau surfaite. _Se non è vero è ben trovato._ Le - roi d'Espagne, Philippe II, ne pouvait se lasser d'admirer cette - peinture, il en offrit à plusieurs reprises des sommes - considérables, mais vainement; enfin, il se décida à la faire - copier par Michel Coxie, qui employa à ce travail pour - trente-deux ducats de bleu, que le Titien lui avait envoyé - d'Italie. Cette copie est fort belle; on lui reproche seulement - de n'être pas la reproduction tout à fait exacte du modèle. On se - demande, par exemple, pourquoi la sainte Cécile regarde derrière - elle; si c'est, comme on le suppose, un caprice royal, nous - excusons Coxie. Philippe II payait assez cher (quatre mille - florins) pour avoir le droit de donner des ordres, même mauvais. - Après bien des pérégrinations en Espagne, en Angleterre et en - Hollande, elle est aujourd'hui dans la même chapelle que son - admirable modèle; voici par quel concours de circonstances: le - gouvernement belge l'avant achetée (1800 francs) à la vente du - roi Guillaume II, proposa à l'évêque de Gand, Monseigneur - Delebecque, et au chapitre de Saint-Bavon de l'échanger contre - deux tableaux d'Hubert van Eyck, représentant Adam et Ève de - grandeur naturelle, qui étaient relegués dans les combles de - l'église à cause de la légèreté de leur costume. Le marché fut - accepté moyennant un appoint de 12,000 fr. que le gouvernement - belge paya; cet argent servit à faire exécuter les vitraux que - l'on voit derrière le maître-autel. Des douze panneaux de la - composition originale, six appartiennent au roi de Prusse, qui - les a achetés à un Anglais, M. Solly, avec quelques toiles d'un - ordre inférieur, pour la somme de 410,900 fr. Cet Anglais les - avait payés 100,000 fr. à M. Nieuwenhuys de Bruxelles, à qui ils - avaient coûté 6,000 francs. - -[Illustration] - -Je vais visiter les lions vivants, et je dessinerai l'un d'eux au -poinçon[114]. Sur le pont où se font les exécutions, je vois deux statues -qui rappellent l'histoire d'un fils qui décapita son père[115]. - - [114] Wenceslas Hollar l'a gravé sur cuivre, d'après le dessin de - Dürer, qui est dans le cabinet du comte Arundel. L'empereur - Charles V, étant à Tunis, envoya un lion et quatre lionnes à un - certain Dominique van Houcke, dit Van Vaernewyck, de Gand. - _Histoire de Belgique_, page 119, Gand 1574. - - [115] On voyait autrefois ces statues sur un des ponts jetés sur - la Lys, appelé le pont de la décapitation, avec cette - inscription: - - Ae Gandt le en fant Fraepe sae père Tacte desuu - Maies se Heppe rompe, si Grâce de Dieu. - - MCCCLXXI. - - Voici la légende: Deux hommes, le père et le fils, étaient - condamnés à mort. Le roi avait fait grâce de la vie à celui des - deux qui consentirait à décapiter l'autre. Le père refusa - énergiquement, le fils eut la lâcheté d'accepter. Il brandit sa - hache, mais elle se brisa et vint lui trancher la tête, au lieu de - trancher celle de son père. - - Ces deux statues n'ont disparu que vers 1793. - -Gand est une ville très-remarquable, qui a quatre grands cours d'eau, et -qui renferme en outre beaucoup de choses curieuses; les peintres et leur -doyen ne me quittent pas, ils dînent avec moi, soupent avec moi, et -veulent absolument tout payer. Ils me témoignent beaucoup d'amitié; je -donne trois sous au sacristain et au gardien des lions, et cinq sous pour -mes adieux dans la maison de l'épicier. - -Le mardi matin, après avoir déjeuné à l'auberge du Cygne, nous partons -pour Anvers. Je paye huit sous pour le transport. Je fais au charbon le -portrait d'Hans Luber, d'Ulm; il veut me le payer un florin, mais je -refuse toute récompense. - -La troisième semaine après Pâques, je suis pris d'une fièvre froide qui -m'affaiblit et me tourmente beaucoup. J'ai de violents maux de tête. -Déjà, lors de mon séjour en Zélande, j'avais gagné une infirmité telle -que personne n'en a jamais vu, et je l'ai toujours. - -Je paye en plusieurs fois au médecin trois florins et vingt sous à -l'apothicaire. Pendant ma maladie, Rodrigues m'envoie beaucoup de -sucreries. Je donne quatre sous à son domestique. Je fais le portrait de -maître Joachim[116] au poinçon et une autre figure. J'envoie à Nuremberg -un sac rempli d'effets à l'adresse de Hans Imhoff. Je paye treize sous -pour l'emballage à Hans Rabner, et un florin au voiturier. Je fais accord -pour le transport d'Anvers à Nuremberg de ce paquet qui pesait un -quintal, à raison d'un florin et un liard. Je donne quatorze sous au -docteur, à l'apothicaire et au barbier; de plus, à maître Jacques le -médecin, quatre florins de gravure. Je dessine au fusain le portrait de -Thomas Polonius de Rome. - - [116] Joachim Patenier. Le peintre de Dinant paraît avoir - quarante-cinq ans environ. Il est en buste, vu de trois quarts, - et coiffé d'un bonnet bizarre à deux étages, dont le premier est - en fourrure. Les épaules sont couvertes d'un manteau bien drapé, - qui laisse entrevoir un vêtement de chambre, d'une forme - excentrique. Son cou est nu. Au haut de la planche à gauche, - l'année 1521 et le chiffre d'Albert Dürer sont gravés sur un fond - gris. Hauteur, 7 pouces 8 lignes, en comptant la petite marge du - bas qui a 4 lignes. - - Il est prouvé aujourd'hui que ce portrait a été dessiné par Albert - Dürer et gravé par Cornelius Cort. - -Mon tabart de camelot a absorbé vingt et une aunes brabançonnes: ces -aunes ont trois grands doigts de plus que celles de Nuremberg. J'ai -acheté à cet effet trente-quatre aunes d'étoffe espagnole noire pour -faille à trois sous. Total dix florins deux sous. - -Je paye un florin au pelletier pour la confection. - -Pour deux aunes de garniture de velours, je donne cinq florins; pour de -la soie, du cordonnet et du fil trente-quatre sous, pour le coupeur -trente sous, pour le camelot quatorze florins un sou, et cinq sous au -domestique. - -Je vends des gravures pour cinquante-trois sous, que je prends sur moi -pour mes dépenses. - -Le dimanche qui précède les Rogations, maître Joachim Patenier, bon -paysagiste, m'invite à son mariage. J'y vois deux pièces de théâtre, -dont la première surtout est fort drôle. Je donne six sous au docteur. - -Le dimanche après l'Ascension, le peintre sur verre Thiéry (d'Anvers) -m'invite fort amicalement à dîner avec plusieurs autres personnes parmi -lesquelles se trouve Alexandre, un orfévre très-riche. - -Le dîner est fort bon, et l'on me fait de grands honneurs. Je dessine -deux portraits au charbon, celui de maître Marx, orfévre à Bruges, et -d'Ambroise Hochstetter, chez qui j'ai dîné. Je prends six repas chez Mme -Tommaso. Je donne au médecin étranger une Vie de la Vierge, une autre au -valet de chambre de Marx, huit sous au docteur, et quatre sous à celui -qui m'a lavé à neuf un vieux bonnet. Je perds quatre sous au jeu. - -J'achète un nouveau bonnet de deux florins, et je change mon vieux bonnet -qui est en étoffe trop grossière. Je remets six sous pour cet échange. - -Je fais à l'huile le portrait d'un duc, celui de Joost mon hôte, et celui -du receveur Sterk, très-bien soigné et d'une valeur de vingt-cinq -florins. Il me donne vingt florins et un florin à Suzanne. - -Je dessine de nouveau le portrait de la femme de Joost. - -Le vendredi avant la Pentecôte de l'année 1521, le bruit court à Anvers -que Martin Luther[117] a été fait traîtreusement prisonnier. - - [117] Albert Dürer ajouta facilement foi à cette fausse nouvelle - de l'emprisonnement et de la mort de Martin Luther, et il en fut - fort attristé. Cet enlèvement n'avait pourtant pas été fait par - ses ennemis, mais par ses amis. Lorsque Luther fut mis au ban de - l'empire par Charles V, l'électeur, Frédéric III de Saxe, - craignit qu'il ne lui arrivât malheur. Il résolut donc de le - mettre en lieu sûr, et donna l'ordre à quelques hommes de - confiance de l'enlever. Cet ordre fut exécuté par Jean de - Berlepsch et Burkard de Kund, accompagnés de trois valets, le 4 - mai 1521, pendant que Luther traversait la forêt de Thuringe, - entre le château d'Altenstein et la petite ville de Walterhausen; - on l'emmena sous un déguisement au château de Wartburg, près - d'Eisenach. Là, il écrivit plusieurs ouvrages et y resta jusqu'au - 1er mars de l'année suivante, époque à laquelle il retourna à - Wittenberg. - -On lui avait donné un sauf-conduit, et il était accompagné d'un héraut -d'armes de l'empereur Charles, qui devait le protéger; mais lorsqu'ils -furent arrivés près d'Eisenach, dans un endroit isolé, le héraut lui -déclara qu'il cessait d'être son guide et le quitta. Alors survinrent dix -cavaliers qui emmenèrent, trahi et vendu, l'homme pieux, éclairé par le -Saint-Esprit, qui était parmi nous le représentant de la véritable foi -chrétienne. Vit-il encore, ou l'ont-ils assassiné? Je ne le sais pas. - -Mais ce que je sais, c'est qu'il aura souffert pour la vérité, parce -qu'il a essayé de punir le papisme autrichien qui conspire de tout son -pouvoir contre l'affranchissement promis par le Christ, nous ravit notre -sueur et notre sang, dont il se nourrit honteusement, peuple fainéant et -infâme qu'il est, tandis que les hommes malades et altérés meurent de -faim. Mais ce qui m'attriste surtout, c'est de voir que notre Dieu veut -peut-être nous laisser longtemps encore dans cette doctrine fausse et -aveugle inventée par des hommes qu'ils appellent _les pères_, qui sont -cause que la parole divine nous a été faussement interprétée en beaucoup -d'endroits, ou qu'on n'en a pas tenu compte. O Dieu, qui es dans le ciel, -prends-nous en pitié! O Seigneur Jésus, X P E, prie pour ton peuple, -délivre-nous au temps prédit, conserve en nous la véritable foi -chrétienne; rassemble par ta parole, appelée dans la Bible la parole de -Dieu, tes troupeaux dispersés! Aide-nous à reconnaître la vraie voie, -afin que nous ne suivions pas les erreurs nées du délire des hommes, et -que nous ne te quittions pas, Seigneur Jésus, X P E! - -Appelle, réunis dans tes pâturages tes brebis dispersées, dont une partie -se trouve encore égarée dans l'Église romaine, et l'autre parmi les -Indiens, les Moscovites et les Grecs, qui ont été séparés de nous par -l'avarice des papes et leur faux semblant de sainteté. O Dieu, délivre -ton peuple infortuné, qui est contraint, sous des peines rigoureuses, -d'observer des commandements qui répugnent à sa nature et l'obligent à -pécher sans cesse contre sa conscience! O Dieu, jamais hommes n'ont été -aussi cruellement opprimés sous des lois humaines que nous sous le siége -de Rome, nous qui, chaque jour, sommes rachetés par le sacrifice de ton -précieux sang, et qui devons vivre chrétiens et libres! O père suprême et -céleste, que ton fils verse dans nos cœurs une lumière telle que nous -puissions reconnaître quel est ton envoyé véritable; qu'il nous soit -permis de nous dégager en pleine sûreté de conscience des entraves -étrangères, et de te servir dans toute la joie de notre cœur! - -Puisque nous avons perdu cet homme à qui tu avais donné un esprit si -évangélique, et dont la parole était plus claire que celle de tout autre -qu'on ait entendue depuis 140 ans, nous te prions, ô père céleste, de -donner de nouveau ton Saint-Esprit à un apôtre qui rassemble encore une -fois ton Église! - -Fais que nous puissions vivre unis et chrétiens, et que, grâce à nos -salutaires efforts, tous les infidèles, tels que les Turcs, les païens et -les Calcuttes, viennent d'eux-mêmes à nous pour embrasser la vraie foi! - -Mais, Seigneur, toi dont le fils I H C X P E a été mis à mort par les -prêtres, puisque tu as voulu qu'avant le jugement il en arrivât autant à -son successeur Martin Luther, que le pape a fait tuer traîtreusement et -par des meurtriers à gages; de même que tes décrets avaient ordonné la -ruine de Jérusalem, détruis également cette puissance usurpée du siége -romain. O Seigneur, donne-nous alors la Jérusalem nouvellement parée, qui -doit descendre du ciel, ainsi qu'il est écrit dans l'Apocalypse! -Donne-nous l'Évangile saint et clair qui n'ait pas été altéré par les -fausses doctrines! Quiconque lira les livres de Martin Luther verra -combien sa doctrine est claire et transparente, et combien elle est -conforme au saint Évangile. Il faut donc les conserver en grand honneur -et non les brûler, à moins qu'on ne jette au feu tout le parti qui lui -est opposé, avec ses contrevérités et ses prétentions de changer des -hommes en dieux. O Seigneur, si Luther est mort, qui nous expliquera le -saint Évangile avec la même clarté? O Dieu, que de choses il aurait pu -écrire encore dans l'espace de dix ou vingt années! O vous tous, -chrétiens pieux, déplorez avec moi la perte de cet homme doué de l'esprit -divin, et priez le Seigneur qu'il nous envoie un autre guide aussi -éclairé! O Érasme de Rotterdam, où veux tu aller?--Vois ce que fait -l'injuste et aveugle tyrannie des puissants du monde! Écoute, chevalier -du Christ, montre-toi à cheval à côté du Seigneur X P E; malgré ta -vieillesse et la faiblesse de ton corps, va conquérir la couronne du -martyre. Je t'ai entendu dire que tu t'étais donné encore deux ans pour -faire quelque chose. Emploie-les bien pour l'amour de l'Évangile et de la -véritable foi chrétienne. Fais entendre ta voix: le siége romain, les -portes de l'enfer, comme l'a dit Jésus, ne prévaudront pas contre toi: et -s'il arrivait que ton sort fût le même que celui de ton maître le Christ, -que les menteurs t'accablassent, comme lui, d'ignominies, et que tu -mourusses un peu avant le temps, tu ressusciterais et tu serais glorifié -en Jésus-Christ; car en buvant dans la coupe où il a trempé ses lèvres, -tu régnerais avec lui et tu jugerais ceux dont les actions n'ont pas été -justes.--O Érasme, fais que Dieu, ton juge, se glorifie en toi! Comme il -est écrit dans David, tu peux, comme lui, abattre Goliath, car le -Seigneur est debout près de la sainte Église. Que sa volonté divine nous -conduise à la béatitude éternelle. Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, un -Dieu éternel. Amen. - -O vous, chrétiens, priez Dieu et demandez-lui grâce, car son jugement -approche et sa justice va se manifester! C'est alors que le pape, les -prêtres, les moines, et tous ceux qui ont versé le sang innocent, seront -jugés et condamnés. Voilà les victimes innocentes abattues sous l'autel -de Dieu, et qui crient vengeance. A quoi la voix céleste répond: -Travaillez jusqu'à ce que le nombre des martyrs soit complet; alors je -jugerai! - -Je change un florin, et donne encore huit sous au docteur. - -Je dîne deux fois chez Rodrigues, et une fois chez le riche chanoine. - -Pendant les fêtes de la Pentecôte, je reçois à ma table maître Conrad, -statuaire de Malines. Je fais pour maître Joachim, sur papier gris, -quatre Christophe. - -Je donne dix-huit sous pour des objets d'art italien, et six sous au -docteur. - -Le dernier jour de la Pentecôte vient la grande foire aux chevaux -d'Anvers. J'y vais essayer plusieurs beaux étalons; on en achète deux -devant moi pour sept cents florins. - -Je vends pour un florin trois liards de gravures, et je mets cet argent -dans ma poche pour mes dépenses; je donne encore quatre sous au docteur. - -Je dîne trois fois chez Tommaso. Comme je lui ai dessiné trois fourreaux -d'épée, il me donne un petit vase en albâtre. - -Je fais au charbon le portrait d'un lord anglais; je reçois un florin, -que je prends sur moi pour mes menus plaisirs. - -Maître Gerhard[118] l'enlumineur a une petite fille de huit ans qui se -nomme Suzanne[119]; elle a enluminé un Sauveur que j'ai payé un florin. -Il est vraiment remarquable qu'une enfant de cet âge puisse faire -pareille chose. Je perds six sous au jeu. - - [118] Maître Gérard Horebout ou Hurembout, né à Gand, peintre - d'Henri VIII, roi d'Angleterre. - - [119] Cette Suzanne devint une grande et belle personne, fort - recherchée à la cour du roi Henri VIII. Elle fit un art de - l'enluminure et mourut en Angleterre, considérablement riche et - comblée d'honneurs. Son frère, Lucas Hurembout, alléché par les - succès de sa sœur, quitta la peinture pour se faire enlumineur, - mais il ne réussit pas comme elle. - -Le jour de la Sainte-Trinité, il y a à Anvers une grande et belle -procession. - -Maître Conrad m'envoie de jolis rasoirs; je donne à son vieux serviteur -une Vie de Notre-Dame. - -Je fais au charbon le portrait de Jean l'orfévre, de Bruxelles, et celui -de sa femme. Je reçois pour ces deux portraits, et pour le dessin de son -sceau, trois philippes. - -[Illustration] - -Je lui fais présent de la Véronique que j'ai peinte à l'huile, et d'un -Adam et Ève fait par Frans; il me donne à son tour une hyacinthe et une -agate, sur laquelle est gravée une Lucrèce, que tout le monde évaluera à -quatorze florins. - -Pour une bague et six petites pierres, je lui donne tout mon œuvre sur -cuivre, qui vaut sept florins. - -J'achète deux paires de souliers pour quatorze sous, et deux petites -boîtes à un sou pièce. Je donne sur du papier gris, avec du blanc et du -noir, trois figures et deux costumes flamands, et je mets en couleur pour -un florin l'écusson d'un Anglais. - -Je fais çà et là beaucoup de dessins, et d'autres choses à la convenance -des personnes que je vois, mais la plupart du temps mon travail ne m'est -pas payé. - -Entrès (de Curaçao) me donne un philippe pour un écusson et une tête -d'enfant. - -Je paye deux sous pour des brosses. Je dîne cinq fois chez Tommaso, et -donne six sous au docteur. Ma femme tombe malade. Le médecin reçoit -dix-huit sous en divers payements. Je paye deux florins onze sous pour -recettes et médecines à l'apothicaire, et huit sous au moine qui est venu -voir ma femme, de nouveau vingt-quatre sous à l'apothicaire pour un -clystère. J'achète toute une pièce de satin pour huit florins, et je -donne encore autant pour quatorze aunes de satin fin. Je paye quatre sous -au tailleur et dix sous pour des bandes. - -En 1521, le mercredi après la fête Corpus-Christi, je fais transporter -d'Anvers à Nuremberg, par le voiturier Antoine Mez de Schlaudendorff, mes -grands ballots. Je le paye un peu moins d'un demi-florin par quintal, -c'est-à-dire en tout un florin. - -Je dessine au fusain le portrait du jeune Rehlinger d'Anvers. - -Le huitième jour après Corpus-Christi, je vais à Malines avec ma famille -pour voir Mme Marguerite; je descends à l'auberge de la Tête-d'Or, chez -maître Henri[120], le peintre. Les peintres et les statuaires m'invitent -à dîner dans mon propre logement, et me rendent beaucoup d'honneurs. - - [120] Sans doute Henri de Bles ou Met de Bles, Henri à la Houppe, - né à Bovines, près de Dinant. Les Italiens l'appelaient le Maître - au hibou ou _Civetta_, parce qu'il avait la manie de peindre un - hibou dans le feuillage de ses arbres; il l'y cachait si bien que - souvent on avait beaucoup de mal à le trouver. - -Je visite la maison de Popenruter, le fondeur d'artillerie, et j'y trouve -des choses vraiment dignes d'admiration. Je vais rendre visite à Mme -Marguerite, qui refuse d'accepter le portrait de l'empereur que je lui -offre. - -Le vendredi, elle me montre ses superbes collections; j'admire -principalement quarante miniatures à l'huile, les plus belles qui -soient. Je vois aussi de beaux tableaux de Jean[121] et de Jacob -Walch[122]. Je prie Mme Marguerite de me donner le livre de dessins de -maître Jacob; mais elle me répond qu'elle l'a promis à son peintre[123]. -Je remarque une belle bibliothèque. - - [121] Van Eyck. - - [122] Jacopo de Barbary, dit le maître au caducée. - - [123] Bernard van Orley. - -Maître Hans Popenruter m'invite à dîner, j'accepte; et, de mon côté, -j'invite deux fois maître Conrad et une fois sa femme. Je dépense pour -cela vingt-neuf sous. - -Je fais le portrait d'Étienne Kimmerling et celui de maître Conrad le -sculpteur. - -Le samedi, je quitte Malines pour retourner à Anvers. - -Je dessine au charbon le portrait de maître Jacob. Je fais faire un cadre -qui me coûte six sous, et je lui offre le tout sans lui rien faire payer. - -Je dîne deux fois chez les Augustins[124]. Je redessine une fois le -portrait de Bernard Stecher, et deux fois celui de sa femme; je lui donne -tout mon œuvre gravé, il me le paye dix florins. - - [124] C'étaient les Augustins de Saxe, arrivés à Anvers en 1513 - et chassés en 1523. Ils habitaient le quartier Saint-André, où il - y a encore la rue des Augustins. - -J'ai été invité par maître Lucas[125] qui grave sur cuivre. C'est un -petit homme de Leyde, en Hollande, qui est venu voir Anvers. - - [125] Lucas de Leyde, le célèbre graveur. - -Je dîne chez maître Bernard Stecher, et donne à son domestique un -demi-sou. Je vends pour quatre florins et un liard de gravures. - -J'ai fait le portrait de maître Lucas de Leyde au poinçon, et perdu un -florin au jeu. J'ai donné de nouveau douze sous au médecin. - -L'abbé du cloître des Augustins d'Anvers veut bien accepter une Vie de la -Vierge que je lui offre. Je donne deux philippes pour quatorze peaux de -poissons. J'ai dessiné le portrait du grand Antoine Haunolt et celui de -maître Aest Braun[126] avec sa femme sur deux feuilles royales. Je l'ai -fait autrefois au poinçon. J'ai reçu un angelot pour ces différents -travaux. J'ai donné à l'orfévre qui a estimé mes bagues des gravures pour -la valeur d'un florin. Ces trois bagues, que j'ai échangées contre des -gravures, sont évaluées ainsi qu'il suit: - -Les deux moins belles quinze couronnes, et le saphir vingt-cinq -couronnes; total cinquante-quatre florins huit sous, et parmi les choses -échangées, le Français a reçu trente-six grands livres à neuf florins. -L'homme aux trois bagues m'a payé trop peu de moitié. - - [126] Peintre sur verre. - -Décidément, je n'ai pas d'esprit. - -J'achète un couteau pour deux sous, et je donne dix-huit sous à mon -filleul pour un bonnet rouge. Je perds douze sous au jeu, et je dépense -deux sous à boire. J'achète trois jolis rubis pour onze florins d'or et -douze sous. - -Je dîne une fois chez les Augustins et deux fois chez Tommaso. - -Je donne six sous pour des brosses de soies de sanglier, trois sous pour -six autres brosses, un florin pour une paire de burins, six sous pour un -encrier, vingt et un sous pour une douzaine de gants de femmes et six -sous pour un sac. - -Antoine Haunolt me donne trois philippes pour son portrait, et Bernard -Stecher un petit livre en écaille de tortue. Je fais le portrait de la -fille de sa belle-sœur et je dîne une fois avec son mari. Il me paye -deux philippes, et je donne un sou de pourboire à son valet. Antoine -Haunolt accepte deux livres que je lui offre. - -J'ai donné quelque chose de maître Grun Hansen[127] à maître Joachim. Je -donne à la femme de Joost quatre gravures sur bois et deux livres des -plus grands à son domestique Frédéric, deux aussi au fils d'Honing, le -peintre sur verre. Je dîne deux fois chez Bernard et deux fois chez Mme -Tommaso. - - [127] Hans Baldung Grun, célèbre peintre et graveur de médailles. - -Rodrigues me fait cadeau d'un perroquet venu de Malaga. Je donne cinq -sous à son domestique; pour trois sous, j'achète une paire de souliers et -des bas. - -Je donne à Pierre deux grandes feuilles de gravures sur cuivre et -beaucoup de gravures sur bois. Je dîne deux fois chez Mme Tommaso. - -J'offre à maître Aert, le peintre sur verre, une Vie de la Vierge et tout -mon œuvre gravé à maître Jean, le sculpteur français; ce dernier avait -donné à ma femme six fioles précieusement travaillées remplies d'eau de -rose. - -Cornelis, le secrétaire, me fait présent de la Captivité de Babylone par -Luther; je lui envoie en revanche mes trois grands livres. Je donne à -Honing le peintre sur verre deux grands livres, et au moine Pierre Puz -des gravures pour la valeur d'un florin environ. - -Lucas de Leyde me fait cadeau de son œuvre entier; il reçoit en échange -une collection de mes gravures que j'évalue à huit florins. J'achète un -sac pour neuf sous, je paye sept sous pour une demi-douzaine de cartes -des Pays-Bas, trois sous pour un petit cornet de poste jaune, -vingt-quatre sous pour de la viande, et dix-sept sous pour du gros drap. - -Rodrigues m'envoie six aunes de drap noir pour me faire un manteau; -l'aune vaut une couronne; je donne deux sous au domestique du tailleur. - -Le jour de saint Pierre et Paul, j'ai fait mon compte avec Joost. Je lui -devais trente et un florins que je lui ai payés. Déduction faite des deux -peintures à l'huile, il m'a donné en supplément cinq livres de borax, -poids des Pays-Bas. - -En Flandre, dans toutes mes transactions, dans toutes mes ventes et -autres affaires, dans tous mes rapports avec les personnes de haute ou de -basse condition, j'ai été lésé, spécialement par Mme Marguerite, qui ne -m'a rien donné pour les présents que je lui ai faits et pour les travaux -que j'ai exécutés pour elle. - -Je donne sept sous de pourboire au domestique de Rodrigues; à maître -Henri, qui m'a envoyé de savoureuses cerises, ma Passion sur cuivre; et -au tailleur, pour la confection de mon manteau, quarante-cinq sous. - -Je fais accord avec un voiturier qui s'engage à me transporter d'Anvers à -Cologne pour treize mauvais florins, dont un vaut vingt-quatre mauvais -sous. - -Jacob Relinger me paye son portrait au charbon un ducat, et maître -Gerhard me fait présent de deux tonneaux de câpres et d'olives; je donne -quatre sous de pourboire à son domestique et un sou à celui de Rodrigues. -Je fais un échange avec le beau-fils de Jacob Tomasso; il m'envoie une -pièce d'étoffe blanche pour mon portrait de l'empereur. - -Alexandre Imhoff me prête cent florins d'or la veille de la fête de la -Vierge. Je lui donne mon sceau et ma signature avec promesse de les lui -rendre lorsqu'il me présentera cette pièce à Nuremberg. J'achète une -paire de souliers pour six sous, je paye onze sous au pharmacien et trois -sous pour des cordes. Je fais cadeau au cuisinier de Tomasso d'un -philippe; à la jeune demoiselle, sa fille, d'un florin d'or. Je donne à -la femme de Joost un florin, un florin à ses cuisiniers, et, en dernier -lieu, encore deux sous. - -Tomasso m'offre une boîte du _meilleur thériaque_. Je donne dix sous à -son valet de chambre, un sou à Pierre, trois sous au domestique de maître -Jacob, et trois sous au messager. - -Le jour de la Visitation, comme je suis sur le point de quitter Anvers, -le roi de Danemark[128] m'envoie chercher en toute hâte. Je fais son -portrait au charbon, ainsi qu'il le désirait, et aussi celui de son -chambellan Antoni. Le roi me retient à dîner. Il se montre fort affable. - - [128] Christian II, roi des royaumes unis de Danemark, de Suède - et de Norvége, surnommé le Néron du Nord. - -Je recommande mon bagage à Léonard Sucher, et lui donne ma pièce d'étoffe -blanche. Ce n'est pas ce voiturier qui m'a transporté; au moment du -départ, je suis tombé en désaccord avec lui. - -Gerhard me donne des objets d'art italiens très-remarquables. J'ai chargé -le _Vicarius_ du transport de mes curiosités. - -Le lendemain de la Visitation, je pars pour Bruxelles par la même voie -que le roi de Danemark, à qui j'offre les meilleures pièces de mon œuvre -gravé. Je me suis amusé de la mine étonnée des Anversois devant la mâle -beauté du roi de Danemark qui ne craint pas de traverser le pays de ses -ennemis. J'ai vu l'empereur de Bruxelles venir à sa rencontre et le -recevoir cordialement et en grande pompe. J'ai vu aussi le splendide -banquet que l'empereur et Mme Marguerite lui ont offert le lendemain. - -Je paye deux sous pour une paire de gants. - -Monsieur Antoni me donne douze florins de Horn. J'en remets deux au -peintre qui a acheté le panneau pour le portrait et qui a fait broyer mes -couleurs. Je prends les huit autres florins pour ma dépense. - -Le dimanche qui précède la Sainte-Marguerite, le roi de Danemark offre un -grand banquet à l'empereur, à dame Marguerite et à la reine d'Espagne. Il -m'invite, je dîne au palais et je donne douze sous au cuisinier du roi. - -Je fais le portrait du roi à l'huile, il me le paye trente florins. Je -donne deux sous au jeune Bartholomé qui a broyé mes couleurs, quatre -demi-feuilles au domestique de maître Jean, et une Apocalypse à son -rapin. - -Polonius me fait cadeau d'une belle œuvre d'art italienne. - -Le tailleur de maître Joost m'ayant invité, je mange avec lui le soir. - -Je passe huit jours à Bruxelles et je dépense vingt-deux sous pour mon -logement. Je donne une Passion à la femme de l'orfévre Jean. J'avais dîné -trois fois chez lui. Je fais cadeau à Bartholomé, le domestique du -peintre, d'une Vie de la Vierge. - -Je dîne avec Nicolas Zigler et je donne quinze sous à Jean le domestique. - -Je me suis retenu deux jours à Bruxelles par la faute de ma voiture. - -Enfin, le vendredi matin, je quitte Bruxelles, je dois donner dix florins -au voiturier. Je paye à mon hôtesse, pour cette seule nuit, cinq sous. - -Nous traversons deux villages et arrivons à Louvain, où nous dépensons -treize sous pour notre repas. De là nous allons à Tirlemont, petite ville -où nous passons la nuit; ma dépense s'élève à huit sous. - -Le jour de sainte Marguerite, de bon matin, nous partons et après avoir -traversé deux villages nous nous arrêtons dans la ville de Saint-Trond, -où l'on bâtit une très-belle tour; nous traversons ensuite des endroits -assez misérables et nous nous trouvons à Tongres, où nous déjeunons pour -six sous. De là, en passant par des villages plus pauvres encore, nous -arrivons à Maëstricht, où nous couchons. Nous dépensons douze sous et -deux blancs pour droits de garde. - -Le dimanche matin, nous nous rendons à Aix, où nous mangeons assez bien -pour quatorze sous. De là nous mettons six heures pour arriver à -Altenburg, où nous sommes obligés de passer la nuit, car le voiturier -s'est perdu plusieurs fois. - -Le lundi, nous traversons Juliers, nous dînons à Berchem pour trois sous, -et nous partons pour Cologne. - - -Ici s'arrête le journal d'Albert Dürer. Il n'a pas pris de notes en route -depuis Cologne, peut-être parce qu'il a précipité son retour, peut-être -aussi parce que son voyage n'a été marqué par aucun incident digne d'être -raconté. - -[Illustration: deco] - - - - -TABLE. - Pages - - INTRODUCTION IX - Lettres d'Albert Dürer à Bilibald Pirkeimer IL - Journal du voyage d'Albert Dürer dans les Pays-Bas LXXXI - - - - -GRAVURES. Pages - - - Portrait d'Albert Dürer I - Fac-simile d'une médaille attribuée à Albert Dürer, de la - collection de M. Niel IX - Le grand Cheval XV - Pfenning gravé par Albert Dürer pour Martin Luther XXVI - Les Armoiries de la tête de mort XXXII - La Sainte Trinité, dessin d'Albert Dürer, collection de - M. Reiset. (Gravure hors texte.) XXXIX - Les Cavaliers hongrois, XLI - Tombeau d'Albert Dürer à Nuremberg XLV - Les trois Génies XLVIII - Portrait de Bilibald Pirkeimer. (Gravure hors texte.) LI - Le petit Crucifix LI - Rébus LV - Fac-simile d'un dessin d'ornement par Albert Dürer, de la - collection de M. Gatteaux LVII - La Vierge au singe LXIV - Caricature par Albert Dürer LXX - La Dame à cheval LXXII - Cachet, principaux monogrammes, écriture et signature - d'Albert Dürer LXXVII - Lettre. A LXXXI - Système pour pourtraire trouvé par Albert Dürer LXXXV - La Sépulture LXXXIII - La Mélancolie XCIII - Sainte Véronique XCVII - La Nativité CI - Le Christ faisant ses adieux à sa Mère CVII - Samson tuant le lion CIX - Portrait de Gaspard Sturm; dessin de la collection de - M. F. Reiset CXIII - Un Bourgeois d'Anvers, collection de M. Ambroise-Firmin - Didot. (Gravure hors texte) CXIX - Le Mariage de la Vierge CXXI - Décollation de saint Jean-Baptiste CXXIX - Le Seigneur et la Dame CXXXVII - - -PARIS.--J. CLAYE, IMPRIMEUR, RUE SAINT-BENOIT, 7. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Albert Durer a Venise et dans les -Pays-Bas, by Albert Durer - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ALBERT DURER A VENISE ET *** - -***** This file should be named 53147-0.txt or 53147-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/3/1/4/53147/ - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm -electronic works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the -Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. If an individual work is unprotected by copyright law in the -United States and you are located in the United States, we do not -claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, -displaying or creating derivative works based on the work as long as -all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope -that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting -free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm -works in compliance with the terms of this agreement for keeping the -Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily -comply with the terms of this agreement by keeping this work in the -same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when -you share it without charge with others. - -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are -in a constant state of change. If you are outside the United States, -check the laws of your country in addition to the terms of this -agreement before downloading, copying, displaying, performing, -distributing or creating derivative works based on this work or any -other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no -representations concerning the copyright status of any work in any -country outside the United States. - -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: - -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other -immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear -prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work -on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the -phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, -performed, viewed, copied or distributed: - - This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and - most other parts of the world at no cost and with almost no - restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it - under the terms of the Project Gutenberg License included with this - eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the - United States, you'll have to check the laws of the country where you - are located before using this ebook. - -1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is -derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not -contain a notice indicating that it is posted with permission of the -copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in -the United States without paying any fees or charges. If you are -redistributing or providing access to a work with the phrase "Project -Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply -either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or -obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm -trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any -additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms -will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works -posted with the permission of the copyright holder found at the -beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including -any word processing or hypertext form. However, if you provide access -to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format -other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official -version posted on the official Project Gutenberg-tm web site -(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense -to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means -of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain -Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the -full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. - -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works -provided that - -* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed - to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has - agreed to donate royalties under this paragraph to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid - within 60 days following each date on which you prepare (or are - legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty - payments should be clearly marked as such and sent to the Project - Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in - Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg - Literary Archive Foundation." - -* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm - License. You must require such a user to return or destroy all - copies of the works possessed in a physical medium and discontinue - all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm - works. - -* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of - any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days of - receipt of the work. - -* You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg-tm works. - -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project -Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than -are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing -from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The -Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm -trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. - -1.F. - -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -works not protected by U.S. copyright law in creating the Project -Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm -electronic works, and the medium on which they may be stored, may -contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate -or corrupt data, transcription errors, a copyright or other -intellectual property infringement, a defective or damaged disk or -other medium, a computer virus, or computer codes that damage or -cannot be read by your equipment. - -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right -of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. - -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium -with your written explanation. The person or entity that provided you -with the defective work may elect to provide a replacement copy in -lieu of a refund. If you received the work electronically, the person -or entity providing it to you may choose to give you a second -opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If -the second copy is also defective, you may demand a refund in writing -without further opportunities to fix the problem. - -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO -OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT -LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. - -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of -damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. - -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any -Defect you cause. - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - |
