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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-01-27 19:30:12 -0800 |
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Un petit volume in-18 jésus 2.00 + + Le Temple enseveli. Un volume in-18 jésus 3.50 + + Le Trésor des Humbles. Un volume in 18 jésus 3.50 + + La Sagesse et la Destinée. Un volume in 18 jésus 3.50 + + La Vie des Abeilles. Un volume in-18 jésus 3.50 + + Théâtre Tome I: _La Princesse Maleine._--_L'Intruse._--_Les + Aveugles_ 3.50 + + Théâtre Tome II: _Pelléas et Mélisande._--_Alladine et + Palomides._--_Intérieur._--_La mort de Tintagiles_ 3.50 + + Théâtre Tome III: _Aglavaine et Sélysette._--_Ariane et + Barbe-bleue._--_Soeur Béatrice_ 3.50 + +CHEZ LE MÊME ÉDITEUR: + + Sept Essais d'Emerson, traduits par I. Will, avec une préface + de _Maurice Maeterlinck_. Un volume in-18 jésus 3.50 + + + + +Pelléas et Mélisande + +DRAME LYRIQUE + + + + +PERSONNAGES. + + + ARKEL, roi d'Allemonde. + GENEVIÈVE, mère de Pelléas et de Golaud. + PELLÉAS, GOLAUD, petits-fils d'Arkël. + MÉLISANDE. + Le petit YNIOLD, fils de Golaud (d'un premier lit). + Un médecin. + Servantes, pauvres, etc. + + + + +ACTE I + + +SCÈNE I + +Une forêt. + +_On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.--Entre Golaud._ + +GOLAUD. + +Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.--Dieu sait jusqu'où cette bête +m'a mené. Je croyais cependant l'avoir blessée à mort; et voici des +traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de vue; je crois que je +me suis perdu moi-même--et mes chiens ne me retrouvent plus--je vais +revenir sur mes pas...--J'entends pleurer... Oh! oh! qu'y a-t-il là au +bord de l'eau?... Une petite fille qui pleure au bord de l'eau? _Il +tousse._--Elle ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. _Il +s'approche et touche Mélisande à l'épaule._ Pourquoi pleures-tu? +_Mélisande tressaille, se dresse et veut fuir._--N'ayez pas peur. Vous +n'avez rien à craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule? + +MÉLISANDE. + +Ne me touchez pas! ne me touchez pas! + +GOLAUD. + +N'ayez pas peur... Je ne vous ferai pas... Oh! vous êtes belle! + +MÉLISANDE. + +Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou je me jette à l'eau!... + +GOLAUD. + +Je ne vous touche pas... Voyez, je resterai ici, contre l'arbre. N'ayez +pas peur. Quelqu'un vous a-t-il fait du mal? + +MÉLISANDE. + +Oh! oui! oui, oui!... + +_Elle sanglote profondément._ + +GOLAUD. + +Qui est-ce qui vous a fait du mal? + +MÉLISANDE. + +Tous! tous! + +GOLAUD. + +Quel mal vous a-t-on fait? + +MÉLISANDE. + +Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!... + +GOLAUD. + +Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous? + +MÉLISANDE. + +Je me suis enfuie!... enfuie... enfuie! + +GOLAUD. + +Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie? + +MÉLISANDE. + +Je suis perdue!... perdue ici... Je ne suis pas d'ici... Je ne suis pas +née là ... + +GOLAUD. + +D'où êtes-vous? Où êtes-vous née? + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! loin d'ici... loin... loin... + +GOLAUD. + +Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau? + +MÉLISANDE. + +Où donc--Ah! c'est la couronne qu'il m'a donnée. Elle est tombée en +pleurant. + +GOLAUD. + +Une couronne?--Qui est-ce qui vous a donné une couronne?--Je vais +essayer de la prendre... + +MÉLISANDE. + +Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux plus! Je préfère mourir tout +de suite... + +GOLAUD. + +Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est pas très profonde. + +MÉLISANDE. + +Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me jette à sa place!... + +GOLAUD. + +Non, non; je la laisserai là ; on pourrait la prendre sans peine +cependant. Elle semble très belle.--Y a-t-il longtemps que vous avez +fui? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui... qui êtes-vous? + +GOLAUD. + +Je suis le prince Golaud--le petit-fils d'Arkël, le vieux roi +d'Allemonde... + +MÉLISANDE. + +Oh! vous avez déjà les cheveux gris... + +GOLAUD. + +Oui; quelques-uns, ici, près des tempes... + +MÉLISANDE. + +Et la barbe aussi... Pourquoi me regardez-vous ainsi? + +GOLAUD. + +Je regarde vos yeux.--Vous ne fermez jamais les yeux? + +MÉLISANDE. + +Si, si; je les ferme la nuit... + +GOLAUD. + +Pourquoi avez-vous l'air si étonné? + +MÉLISANDE. + +Vous êtes un géant? + +GOLAUD. + +Je suis un homme comme les autres... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi êtes-vous venu ici? + +GOLAUD. + +Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans la forêt. Je poursuivais un +sanglier. Je me suis trompé de chemin.--Vous avez l'air très jeune. Quel +âge avez-vous? + +MÉLISANDE. + +Je commence à avoir froid... + +GOLAUD. + +Voulez-vous venir avec moi? + +MÉLISANDE. + +Non, non; je reste ici... + +GOLAUD. + +Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne pouvez pas rester ici toute la +nuit... Comment vous nommez-vous? + +MÉLISANDE. + +Mélisande. + +GOLAUD. + +Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande. Venez avec moi... + +MÉLISANDE. + +Je reste ici... + +GOLAUD. + +Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas ce qu'il y a ici... Toute +la nuit... Toute seule, ce n'est pas possible. Mélisande, venez, +donnez-moi la main... + +MÉLISANDE. + +Oh! ne me touchez pas!... + +GOLAUD. + +Ne criez pas... Je ne vous toucherai plus. Mais venez avec moi. La nuit +sera très noire et très froide. Venez avec moi... + +MÉLISANDE. + +Où allez-vous? + +GOLAUD. + +Je ne sais pas... Je suis perdu aussi... + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE II + +Une salle dans le château. + +_On découvre Arkël et Geneviève._ + +GENEVIÈVE. + +Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un soir, je l'ai trouvée tout +en pleurs au bord d'une fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je +ne sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient et je n'ose pas +l'interroger, car elle doit avoir eu une grande épouvante, et quand on +lui demande ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup comme un +enfant et sanglote si profondément qu'on a peur. Il y a maintenant six +mois que je l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de notre +rencontre. En attendant, mon cher Pelléas, toi que j'aime plus qu'un +frère, bien que nous ne soyons pas nés du même père; en attendant, +prépare mon retour... Je sais que ma mère me pardonnera volontiers. Mais +j'ai peur d'Arkël, malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage +étrange, tous ses projets politiques, et je crains que la beauté de +Mélisande n'excuse pas à ses yeux, si sages, ma folie. S'il consent +néanmoins à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille, le +troisième soir qui suivra cette lettre, allume une lampe au sommet de la +tour qui regarde la mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire; sinon, +j'irai plus loin et ne reviendrai plus...» Qu'en dites-vous! + +ARKEL. + +Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître étrange, parce que nous ne +voyons jamais que l'envers des destinées... Il avait toujours suivi mes +conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre heureux en l'envoyant demander +la main de la princesse Ursule... Il ne pouvait pas rester seul, et +depuis la mort de sa femme il était triste d'être seul; et ce mariage +allait mettre fin à de longues guerres et à de vieilles haines... Il ne +l'a pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu: je ne me suis +jamais mis en travers d'une destinée: il sait mieux que moi son avenir. +Il n'arrive peut-être pas d'événements inutiles... + +GENEVIÈVE. + +Il a toujours été prudent, si grave et si ferme... Depuis la mort de sa +femme il ne vivait plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout +oublié...--Qu'allons-nous faire? + +_Entre Pelléas._ + +ARKEL. + +Qui est-ce qui entre là ? + +GENEVIÈVE. + +C'est Pelléas. Il a pleuré. + +ARKEL. + +Est-ce toi Pelléas?--Viens un peu plus près, que je te voie dans la +lumière. + +PELLÉAS. + +Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la lettre de mon frère, une +autre lettre; une lettre de mon ami Marcellus... Il va mourir et il +m'appelle. + +Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort doit venir... Il me dit +que je puis arriver avant elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps +à perdre. + +ARKEL. + +Il faudrait attendre quelque temps cependant... Nous ne savons pas ce +que le retour de ton frère nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il +pas ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que ton ami... +Pourras-tu choisir entre le père et l'ami?... + +_Il sort._ + +GENEVIÈVE. + +Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir, Pelléas... + +_Ils sortent séparément._ + + +SCÈNE III + +Devant le château. + +_Entrent Geneviève et Mélisande._ + +MÉLISANDE. + +Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, quelles forêts +autour des palais!... + +GENEVIÈVE. + +Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée ici, et cela étonne +tout le monde. Il y a des endroits où l'on ne voit jamais le soleil. +Mais l'on s'y fait si vite... Il y a longtemps, il y a longtemps... Il y +a près de quarante ans que je vis ici... Regardez de l'autre côté, vous +aurez la clarté de la mer... + +MÉLISANDE. + +J'entends du bruit au-dessous de nous... + +GENEVIÈVE. + +Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous... Ah! C'est Pelléas... Il +semble encore fatigué de vous avoir attendue si longtemps... + +MÉLISANDE. + +Il ne nous a pas vues. + +GENEVIÈVE. + +Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce qu'il doit faire... +Pelléas, Pelléas, est-ce toi? + +PELLÉAS. + +Oui!... Je venais du côté de la mer... + +GENEVIÈVE. + +Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il fait un peu plus clair +qu'ailleurs! et cependant la mer est sombre. + +PELLÉAS. + +Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a toutes les nuits depuis +quelque temps... et cependant elle est si calme ce soir... On +s'embarquerait sans le savoir et l'on ne reviendrait plus. + +MÉLISANDE. + +Quelque chose sort du port... + +PELLÉAS. + +Il faut que ce soit un grand navire... Les lumières sont très hautes, +nous le verrons tout à l'heure quand il entrera dans la bande de +clarté... + +GENEVIÈVE. + +Je ne sais si nous pourrons le voir... il y a encore une brume sur la +mer... + +PELLÉAS. + +On dirait que la brume s'élève lentement... + +MÉLISANDE. + +Oui; j'aperçois, là -bas, une petite lumière que je n'avais pas vue... + +PELLÉAS. + +C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne voyons pas encore. + +MÉLISANDE. + +Le navire est dans la lumière... Il est déjà bien loin... + +PELLÉAS. + +Il s'éloigne à toutes voiles... + +MÉLISANDE. + +C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de grandes voiles... Je le +reconnais à ses voiles... + +PELLÉAS. + +Il aura mauvaise mer cette nuit... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?... On ne le voit presque plus... Il +fera peut-être naufrage... + +PELLÉAS. + +La nuit tombe très vite... + +_Un silence._ + +GENEVIÈVE. + +Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la route à Mélisande. Il faut +que j'aille voir, un instant, le petit Yniold. + +_Elle sort._ + +PELLÉAS. + +On ne voit plus rien sur la mer... + +MÉLISANDE. + +Je vois d'autres lumières. + +PELLÉAS. + +Ce sont les autres phares... Entendez-vous la mer?... C'est le vent qui +s'élève... Descendons par ici. Voulez-vous me donner la main? + +MÉLISANDE. + +Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs. + +PELLÉAS. + +Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est escarpé et il y fait très +sombre... Je pars peut-être demain... + +MÉLISANDE. + +Oh!... Pourquoi partez-vous? + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE II + + +SCÈNE I + +Une fontaine dans le parc. + +_Entrent Pelléas et Mélisande._ + +PELLÉAS. + +Vous ne savez pas où je vous ai menée?--Je viens souvent m'asseoir ici, +vers midi, lorsqu'il fait trop chaud dans les jardins. On étouffe, +aujourd'hui, même à l'ombre des arbres. + +MÉLISANDE. + +Oh! L'eau est claire... + +PELLÉAS. + +Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille fontaine abandonnée. +Il paraît que c'était une fontaine miraculeuse,--elle ouvrait les yeux +des aveugles.--On l'appelle encore la «fontaine des aveugles». + +MÉLISANDE. + +Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles? + +PELLÉAS. + +Depuis que le roi est presque aveugle lui-même, on n'y vient plus... + +MÉLISANDE. + +Comme on est seul ici... On n'entend rien. + +PELLÉAS. + +Il y a toujours un silence extraordinaire... On entendrait dormir +l'eau... Voulez-vous vous asseoir au bord du bassin de marbre? Il y a un +tilleul où le soleil n'entre jamais... + +MÉLISANDE. + +Je vais me coucher sur le marbre.--Je voudrais voir le fond de l'eau... + +PELLÉAS. + +On ne l'a jamais vu.--Elle est peut-être aussi profonde que la mer. + +MÉLISANDE. + +Si quelque chose brillait au fond, on le verrait peut-être... + +PELLÉAS. + +Ne vous penchez pas ainsi... + +MÉLISANDE. + +Je voudrais toucher l'eau... + +PELLÉAS. + +Prenez garde de glisser... Je vais vous tenir la main... + +MÉLISANDE. + +Non, non, je voudrais y plonger mes deux mains... On dirait que mes +mains sont malades aujourd'hui... + +PELLÉAS. + +Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!... Mélisande!--Oh! votre +chevelure!... + +MÉLISANDE, _se redressant._ + +Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre. + +PELLÉAS. + +Vos cheveux ont plongé dans l'eau... + +MÉLISANDE. + +Oui, ils sont plus longs que mes bras... Ils sont plus longs que moi... + +_Un silence._ + +PELLÉAS. + +C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a trouvée? + +MÉLISANDE. + +Oui... + +PELLÉAS. + +Que vous a-t-il dit? + +MÉLISANDE. + +Rien;--je ne me rappelle plus... + +PELLÉAS. + +Était-il tout près de vous? + +MÉLISANDE. + +Oui, il voulait m'embrasser... + +PELLÉAS. + +Et vous ne vouliez pas? + +MÉLISANDE. + +Non. + +PELLÉAS. + +Pourquoi ne vouliez-vous pas? + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond de l'eau... + +PELLÉAS. + +Prenez garde! prenez garde!--Vous allez tomber!--Avec quoi jouez-vous? + +MÉLISANDE. + +Avec l'anneau qu'il m'a donné... + +PELLÉAS. + +Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde... + +MÉLISANDE. + +Mes mains ne tremblent pas. + +PELLÉAS. + +Comme il brille au soleil!--Ne le jetez pas si haut vers le ciel!... + +MÉLISANDE. + +Oh!... + +PELLÉAS. + +Il est tombé? + +MÉLISANDE. + +Il est tombé dans l'eau!... + +PELLÉAS. + +Où est-il? Où est-il? + +MÉLISANDE. + +Je ne le vois pas descendre... + +PELLÉAS. + +Je crois que je la vois briller... + +MÉLISANDE. + +Ma bague? + +PELLÉAS. + +Oui, oui,... Là -bas... + +MÉLISANDE. + +Oh! Oh! elle est si loin de nous!... non, non, ce n'est pas elle... ce +n'est plus elle... Elle est perdue... perdue... Il n'y a plus qu'un +grand cercle sur l'eau... Qu'allons-nous faire maintenant?... + +PELLÉAS. + +Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague. Ce n'est rien... nous +la retrouverons peut-être. Ou bien nous en retrouverons une autre. + +MÉLISANDE. + +Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous n'en trouverons pas +d'autres non plus... Je croyais l'avoir dans les mains cependant... +J'avais déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré tout... Je l'ai +jetée trop haut, du côté du soleil... + +PELLÉAS. + +Venez, nous reviendrons un autre jour... venez, il est temps. On irait à +notre rencontre... Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé... + +MÉLISANDE. + +Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où il est? + +PELLÉAS. + +La vérité, la vérité, la vérité... + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE II + +Un appartement dans le château. + +_On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande est à son chevet._ + +GOLAUD. + +Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je ne puis m'expliquer +comment cela s'est passé. Je chassais tranquillement dans la forêt. Mon +cheval s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il vu quelque chose +d'extraordinaire?... Je venais d'entendre sonner les douze coups de +midi. Au douzième coup, il s'effraie subitement, et court, comme un +aveugle fou, contre un arbre. Je ne sais plus ce qui est arrivé. Je suis +tombé, et lui doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute la forêt +sur la poitrine; je croyais que mon coeur était déchiré. Mais mon coeur +est solide. Il paraît que ce n'est rien... + +MÉLISANDE. + +Voulez-vous boire un peu d'eau? + +GOLAUD. + +Merci, je n'ai pas soif. + +MÉLISANDE. + +Voulez-vous un autre oreiller?... Il y a une petite tache de sang sur +celui-ci. + +GOLAUD. + +Non, non; ce n'est pas la peine. + +MÉLISANDE. + +Est-ce bien sûr?... Vous ne souffrez pas trop? + +GOLAUD. + +Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait au fer et au sang... + +MÉLISANDE. + +Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai ici toute la nuit... + +GOLAUD. + +Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues ainsi. Je n'ai besoin de +rien; je dormirai comme un enfant... Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi +pleures-tu tout à coup?... + +MÉLISANDE, _fondant en larmes_. + +Je suis... Je suis malade ici... + +GOLAUD. + +Tu es malade?... Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc, Mélisande?... + +MÉLISANDE. + +Je ne sais pas... Je suis malade ici... Je préfère vous le dire +aujourd'hui; seigneur, je ne suis pas heureuse ici... + +GOLAUD. + +Qu'est-il donc arrivé?... Quelqu'un t'a fait du mal?... Quelqu'un +t'aurait-il offensée? + +MÉLISANDE. + +Non, non; personne ne m'a fait le moindre mal... Ce n'est pas cela... + +GOLAUD. + +Mais tu dois me cacher quelque chose?... Dis-moi toute la vérité, +Mélisande... Est-ce le roi?... Est-ce ma mère?... Est-ce Pelléas?... + +MÉLISANDE. + +Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne... Vous ne pouvez pas +me comprendre... C'est quelque chose qui est plus fort que moi... + +GOLAUD. + +Voyons; sois raisonnable, Mélisande.--Que veux-tu que je fasse?--Tu n'es +plus une enfant.--Est-ce moi que tu voudrais quitter? + +MÉLISANDE. + +Oh! non; ce n'est pas cela... Je voudrais m'en aller avec vous... C'est +ici, que je ne peux plus vivre... Je sens que je ne vivrai plus +longtemps... + +GOLAUD. + +Mais il faut une raison cependant. On va te croire folle. On va croire à +des rêves d'enfant.--Voyons, est-ce Pelléas, peut-être?--Je crois qu'il +ne te parle pas souvent... + +MÉLISANDE. + +Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je crois; je l'ai vu dans +ses yeux... Mais il me parle quand il me rencontre... + +GOLAUD. + +Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été ainsi. Il est un peu +étrange. Il changera, tu verras; il est jeune... + +MÉLISANDE. + +Mais ce n'est pas cela... Ce n'est pas cela... + +GOLAUD. + +Qu'est-ce donc?--Ne peux-tu pas te faire à la vie qu'on mène ici? +Fait-il trop triste ici?--Il est vrai que ce château est très vieux et +très sombre... Il est très froid et très profond. Et tous ceux qui +l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne peut sembler bien triste +aussi, avec toutes ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière. +Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et puis, la joie, la joie, +on n'en a pas tous les jours; il faut prendre les choses comme elles +sont. Mais dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai tout ce que +tu voudras... + +MÉLISANDE. + +Oui, c'est vrai... On ne voit jamais le ciel clair... Je l'ai vu pour la +première fois ce matin... + +GOLAUD. + +C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre Mélisande?--Ce n'est donc +que cela?--Tu pleures de ne pas voir le ciel?--Voyons, tu n'es plus à +l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses... Et puis l'été n'est-il pas +là ? Tu vas voir le ciel tous les jours.--Et puis l'année prochaine... +Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux petites mains. _Il lui +prend les mains._ Oh! ces petites mains que je pourrais écraser comme +des fleurs...--Tiens, où est l'anneau que je t'avais donné? + +MÉLISANDE. + +L'anneau? + +GOLAUD. + +Oui; la bague de nos noces, où est-elle? + +MÉLISANDE. + +Je crois... Je crois qu'elle est tombée... + +GOLAUD. + +Tombée?--Où est-elle tombée?...--Tu ne l'as pas perdue? + +MÉLISANDE. + +Non, elle est tombée... elle doit être tombée... Mais je ne sais pas où +elle est... + +GOLAUD. + +Où est-elle? + +MÉLISANDE. + +Vous savez bien... vous savez bien... la grotte au bord de la mer? + +GOLAUD. + +Oui. + +MÉLISANDE. + +Eh bien, c'est là ... Il faut que ce soit là ... Oui, oui; je me +rappelle... J'y suis allée ce matin, ramasser des coquillages pour le +petit Yniold... Il y en a de très beaux... Elle a glissé de mon doigt... +puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir avant de l'avoir retrouvée. + +GOLAUD. + +Es-tu sûre que ce soit là ? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui; tout à fait sûre... Je l'ai sentie glisser... + +GOLAUD. + +Il faut aller la chercher tout de suite. + +MÉLISANDE. + +Maintenant?--tout de suite?--dans l'obscurité? + +GOLAUD. + +Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité. J'aimerais mieux avoir +perdu tout ce que j'ai plutôt que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais +pas ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La mer sera très haute +cette nuit. La mer viendra la prendre avant toi... Dépêche-toi. + +MÉLISANDE. + +Je n'ose pas... Je n'ose pas aller seule... + +GOLAUD. + +Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y aller tout de suite, +entends-tu?--Dépêche-toi; demande à Pelléas d'y aller avec toi. + +MÉLISANDE. + +Pelléas?--Avec Pelléas?--Mais Pelléas ne voudra pas... + +GOLAUD. + +Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je connais Pelléas mieux que +toi. Vas-y, hâte-toi. Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague. + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!... Je ne suis pas heureuse! + +_Elle sort en pleurant._ + + +SCÈNE III + +Devant une grotte. + +_Entrent Pelléas et Mélisande._ + +PELLÉAS, _parlant avec une grande agitation._ + +Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que l'entrée de la grotte +ne se distingue pas du reste de la nuit... Il n'y a pas d'étoiles de ce +côté. Attendons que la lune ait déchiré ce grand nuage; elle éclairera +toute la grotte et alors nous pourrons entrer sans danger. Il y a des +endroits dangereux et le sentier est très étroit, entre deux lacs dont +on n'a pas encore trouvé le fond. Je n'ai pas songé à emporter une +torche ou une lanterne, mais je pense que la clarté du ciel nous +suffira.--Vous n'avez jamais pénétré dans cette grotte? + +MÉLISANDE. + +Non... + +PELLÉAS. + +Entrons-y... Il faut pouvoir décrire l'endroit où vous avez perdu la +bague, s'il vous interroge... Elle est très grande et très belle. Elle +est pleine de ténèbres bleues. Quand on y allume une petite lumière, on +dirait que la voûte est couverte d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la +main, ne tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas de danger: +nous nous arrêterons au moment que nous n'apercevrons plus la clarté de +la mer... Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? Entendez-vous +la mer derrière nous?--Elle ne semble pas heureuse cette nuit... Ah! +Voici la clarté! + +_La lune éclaire largement l'entrée et une partie des ténèbres de la +grotte; et l'on aperçoit, à une certaine profondeur, trois vieux pauvres +à cheveux blancs, assis côte à côte, se soutenant les uns les autres, et +endormis contre un quartier de roc._ + +MÉLISANDE. + +Ah! + +PELLÉAS. + +Qu'y a-t-il? + +MÉLISANDE. + +Il y a... Il y a... + +_Elle montre les trois pauvres._ + +PELLÉAS. + +Oui, oui; je les ai vus aussi... + +MÉLISANDE. + +Allons-nous en!... Allons-nous en!... + +PELLÉAS. + +Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis... Pourquoi sont-ils +venus dormir ici?... Il y aura une famine dans le pays. + +MÉLISANDE. + +Allons-nous en!... Venez... Allons-nous en!... + +PELLÉAS. + +Prenez garde, ne parlez pas si fort... Ne les éveillons pas... Ils +dorment encore profondément... Venez. + +MÉLISANDE. + +Laissez-moi; je préfère marcher seule... + +PELLÉAS. + +Nous reviendrons un autre jour... + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE III + + +SCÈNE I + +Une des tours du château.--Un chemin de ronde passe sous une fenêtre de +la tour. + +MÉLISANDE, _à la fenêtre, tandis qu'elle peigne ses cheveux dénoués._ + + Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour! + Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour! + Et tout le long du jour! + Et tout le long du jour! + + Saint Daniel et saint Michel, + Saint Michel et saint Raphaël, + Je suis née un Dimanche! + Un Dimanche à midi! + +_Entre Pelléas par le chemin de ronde._ + +PELLÉAS. + +Holà ! Holà ! ho! + +MÉLISANDE. + +Qui est là ? + +PELLÉAS. + +Moi, moi, et moi!... Que fais-tu là à la fenêtre en chantant comme un +oiseau qui n'est pas d'ici? + +MÉLISANDE. + +J'arrange mes cheveux pour la nuit... + +PELLÉAS. + +C'est là ce que je vois sur le mur!... Je croyais que c'était un rayon +de lumière... + +MÉLISANDE. + +J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la tour, il fait beau +cette nuit. + +PELLÉAS. + +Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais vu autant que ce +soir;... mais la lune est encore sur la mer... Ne reste pas dans +l'ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués. + +_Mélisande se penche à la fenêtre._ + +MÉLISANDE. + +Je suis affreuse ainsi. + +PELLÉAS. + +Oh! Mélisande!... oh! tu es belle!... tu es belle ainsi!... penche-toi! +penche-toi!... laisse-moi venir plus près de toi... + +MÉLISANDE. + +Je ne puis pas venir plus près de toi... Je me penche tant que je +peux... + +PELLÉAS. + +Je ne puis pas monter plus haut... donne-moi du moins ta main ce soir... +avant que je m'en aille... Je pars demain... + +MÉLISANDE. + +Non, non, non... + +PELLÉAS. + +Si, si; je pars, je partirai demain... donne-moi ta main, ta main, ta +petite main sur mes lèvres... + +MÉLISANDE. + +Je ne te donne pas ma main si tu pars... + +PELLÉAS. + +Donne, donne, donne... + +MÉLISANDE. + +Tu ne partiras pas?... + +PELLÉAS. + +J'attendrai, j'attendrai. + +MÉLISANDE. + +Je vois une rose dans les ténèbres... + +PELLÉAS. + +Où donc?... Je ne vois que les branches du saule qui dépassent le mur... + +MÉLISANDE. + +Plus bas, plus bas, dans le jardin; là -bas, dans le vert sombre. + +PELLÉAS. + +Ce n'est pas une rose... J'irai voir tout à l'heure, mais donne-moi ta +main d'abord; d'abord ta main... + +MÉLISANDE. + +Voilà , voilà ;... Je ne puis me pencher davantage... + +PELLÉAS. + +Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main... + +MÉLISANDE. + +Je ne puis me pencher davantage... Je suis sur le point de +tomber...--Oh! oh! mes cheveux descendent de la tour!... + +_Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis qu'elle se penche ainsi et +inonde Pelléas._ + +PELLÉAS. + +Oh! oh! qu'est-ce que c'est?... Tes cheveux, tes cheveux descendent vers +moi!... Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de +la tour!... Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche... +Je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou... Je +n'ouvrirai plus les mains cette nuit... + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi! Laisse-moi!... Tu vas me faire tomber!... + +PELLÉAS. + +Non, non, non;... Je n'ai jamais vu de cheveux comme les tiens, +Mélisande!... Vois, vois, vois, ils viennent de si haut et ils +m'inondent jusqu'au coeur... Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux... +Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient du ciel!... Je ne +vois plus le ciel à travers tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne +peuvent plus les tenir... Il y en a jusque sur les branches du saule... +Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains... et ils m'aiment, ils +m'aiment mille fois mieux que toi! + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi... laisse-moi... Quelqu'un pourrait venir... + +PELLÉAS. + +Non, non, non; je ne te délivre pas cette nuit... Tu es ma prisonnière +cette nuit; toute la nuit, toute la nuit... + +MÉLISANDE. + +Pelléas! Pelléas! + +PELLÉAS. + +Tu ne t'en iras plus... Je les noue, je les noue aux branches du saule, +tes cheveux. Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes +baisers le long de tes cheveux? Ils montent le long de tes cheveux. Il +faut que chacun t'en apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les +mains... Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne peux plus +m'abandonner... + +_Des colombes sortent de la tour et volent autour d'eux dans la nuit._ + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! tu m'as fait mal!... Qu'y a-t-il, Pelléas?--Qu'est-ce qui vole +autour de moi? + +PELLÉAS. + +Ce sont les colombes qui sortent de la tour... Je les ai effrayées; +elles s'envolent. + +MÉLISANDE. + +Ce sont mes colombes, Pelléas.--Allons-nous en, laisse-moi; elles ne +reviendraient plus... + +PELLÉAS. + +Pourquoi ne reviendraient-elles plus? + +MÉLISANDE. + +Elles se perdront dans l'obscurité... Laisse-moi relever la tête... +J'entends un bruit de pas... Laisse-moi!--C'est Golaud!... Je crois que +c'est Golaud!... Il nous a entendus... + +PELLÉAS. + +Attends! Attends!... Tes cheveux sont autour des branches... Ils se sont +accrochés dans l'obscurité. Attends! attends!... il fait noir... + +_Entre Golaud par le chemin de ronde._ + +GOLAUD. + +Que faites-vous ici? + +PELLÉAS. + +Ce que je fais ici?... Je... + +GOLAUD. + +Vous êtes des enfants... Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre, +tu vas tomber... Vous ne savez pas qu'il est tard?--Il est près de +minuit.--Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.--Vous êtes des enfants... +_Riant nerveusement._ Quels enfants! Quels enfants!... + +_Il sort avec Pelléas._ + + +SCÈNE II + +Les souterrains du château. + +_Entrent Golaud et Pelléas._ + +GOLAUD. + +Prenez garde; par ici, par ici.--Vous n'avez jamais pénétré dans ces +souterrains? + +PELLÉAS. + +Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps... + +GOLAUD. + +Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous parlais... Sentez-vous +l'odeur de mort qui monte!--Allons jusqu'au bout de ce rocher qui +surplombe et penchez-vous un peu. Elle viendra vous frapper au visage. +Penchez-vous; n'ayez pas peur... Je vous tiendrai... donnez-moi... non, +non, pas la main... elle pourrait glisser... le bras... Voyez-vous le +gouffre?... Pelléas? Pelléas?... + +PELLÉAS. + +Oui, je crois que je vois le fond du gouffre... Est-ce la lumière qui +tremble ainsi?... Vous... + +GOLAUD. + +Oui; c'est la lanterne... Voyez, je l'agitais pour éclairer les parois. + +PELLÉAS. + +J'étouffe ici... Sortons. + +GOLAUD. + +Oui, sortons... + +_Ils sortent en silence._ + + +SCÈNE III + +Une terrasse au sortir des souterrains. + +PELLÉAS. + +Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que j'allais me trouver mal +dans ces énormes grottes; j'ai été sur le point de tomber... Il y a là +un air humide et lourd comme une rosée de plomb, et des ténèbres +épaisses comme une pâte empoisonnée. Et maintenant tout l'air de toute +la mer!... Il y a un vent frais, voyez; frais comme une feuille qui +vient de s'ouvrir, sur les petites lames vertes. Tiens! On vient +d'arroser les fleurs au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et +des roses mouillées monte jusqu'ici... Il doit être près de midi, elles +sont déjà dans l'ombre de la tour. Il est midi; j'entends sonner les +cloches et les enfants descendent sur la plage pour se baigner. + +Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une fenêtre de la tour. + +GOLAUD. + +Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre. A propos de Mélisande, +j'ai entendu ce qui s'est passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le +sais bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas que cela se +répète. Elle est très délicate et il faut qu'on la ménage, d'autant plus +qu'elle sera peut-être bientôt mère et la moindre émotion pourrait +amener un malheur. Ce n'est pas la première fois que je remarque qu'il +pourrait y avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus âgé qu'elle; +il suffira de vous l'avoir dit... Évitez-la autant que possible; mais +sans affectation d'ailleurs; sans affectation. + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE IV + +Devant le château. + +_Entrent Golaud et le petit Yniold._ + +GOLAUD. + +Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold; viens sur mes genoux: nous +verrons d'ici ce qui se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout +depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi; tu es toujours chez +petite-mère... Tiens, nous sommes tout juste assis sous les fenêtres de +petite-mère.--Elle fait peut-être sa prière du soir en ce moment... Mais +dis-moi, Yniold, elle est souvent avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas? + +YNIOLD. + +Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous n'êtes pas là . + +GOLAUD. + +Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne dans le jardin.--Mais on +m'a dit qu'ils ne s'aimaient pas... Il paraît qu'ils se querellent +souvent... non? Est-ce vrai? + +YNIOLD. + +Oui, c'est vrai. + +GOLAUD. + +Oui?--Ah! ah!--Mais à propos de quoi se querellent-ils? + +YNIOLD. + +A propos de la porte. + +GOLAUD. + +Comment? A propos de la porte?--Qu'est-ce que tu racontes là ?--Mais +voyons, explique-toi; pourquoi se querellent-ils à propos de la porte? + +YNIOLD. + +Parce qu'elle ne peut pas être ouverte. + +GOLAUD. + +Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?--Voyons, pourquoi se +querellent-ils? + +YNIOLD. + +Je ne sais pas, petit-père, à propos de la lumière. + +GOLAUD. + +Je ne te parle pas de la lumière: je te parle de la porte... Ne mets pas +ainsi la main dans la bouche... voyons... + +YNIOLD. + +Petit-père! petit-père!... Je ne le ferai plus... + +_Il pleure._ + +GOLAUD. + +Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé? + +YNIOLD. + +Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal... + +GOLAUD. + +Je t'ai fait mal?--Où t'ai-je fait mal! C'est sans le vouloir... + +YNIOLD. + +Ici, à mon petit bras... + +GOLAUD. + +C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus, je te donnerai quelque +chose demain... + +YNIOLD. + +Quoi, petit-père? + +GOLAUD. + +Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que tu sais de la porte. + +YNIOLD. + +De grandes flèches? + +GOLAUD. + +Oui, de très grandes flèches.--Mais pourquoi ne veulent-ils pas que la +porte soit ouverte?--Voyons, réponds-moi à la fin!--non, non; n'ouvre +pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché. De quoi parlent-ils +quand ils sont ensemble? + +YNIOLD. + +Pelléas et petite-mère? + +GOLAUD. + +Oui; de quoi parlent-ils? + +YNIOLD. + +De moi; toujours de moi. + +GOLAUD. + +Et que disent-ils de toi? + +YNIOLD. + +Ils disent que je serai très grand. + +GOLAUD. + +Ah! Misère de ma vie!... je suis ici comme un aveugle qui cherche son +trésor au fond de l'océan!... Je suis ici comme un nouveau-né perdu dans +la forêt et vous... Mais voyons, Yniold, j'étais distrait; nous allons +causer sérieusement. Pelléas et petite-mère ne parlent-ils jamais de moi +quand je ne suis pas là ? + +YNIOLD. + +Si, si, petit-père. + +GOLAUD. + +Ah!... Et que disent-ils de moi? + +YNIOLD. + +Ils disent que je deviendrai aussi grand que vous. + +GOLAUD. + +Tu es toujours près d'eux? + +YNIOLD. + +Oui, oui; toujours, petit-père. + +GOLAUD. + +Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis pas là . + +GOLAUD. + +Ils ont peur?... à quoi vois-tu qu'ils ont peur? + +YNIOLD. + +Ils pleurent toujours dans l'obscurité. + +GOLAUD. + +Ah! ah!... + +YNIOLD. + +Cela fait pleurer aussi... + +GOLAUD. + +Oui, oui... + +YNIOLD. + +Elle est pâle, petit-père! + +GOLAUD. + +Ah! ah!... patience, mon Dieu, patience... + +YNIOLD. + +Quoi, petit-père? + +GOLAUD. + +Rien, rien mon enfant.--J'ai vu passer un loup dans la forêt.--Ils +s'embrassent quelquefois?--Non? + +YNIOLD. + +Ils s'embrassent, petit-père?--Non, non.--Ah! si, petit-père, si; une +fois... une fois qu'il pleuvait... + +GOLAUD. + +Ils se sont embrassés?--Mais comment, comment se sont-ils embrassés?-- + +YNIOLD. + +Comme ça, petit-père, comme ça!... _Il lui donne un baiser sur la +bouche; riant._ Ah! ah! votre barbe, petit-père!... Elle pique! elle +pique! Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux aussi; tout +gris, tout gris... _La fenêtre sous laquelle ils sont assis s'éclaire en +ce moment, et sa clarté vient tomber sur eux._ Ah! ah! petite-mère a +allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait clair. + +GOLAUD. + +Oui; il commence à faire clair... + +YNIOLD. + +Allons-y aussi, petit-père... + +GOLAUD. + +Où veux-tu aller? + +YNIOLD. + +Où il fait clair, petit-père. + +GOLAUD. + +Non, non, mon enfant; restons encore un peu dans l'ombre... On ne sait +pas, on ne sait pas encore... Je crois que Pelléas est fou... + +YNIOLD. + +Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est très bon. + +GOLAUD. + +Veux-tu voir petite-mère? + +YNIOLD. + +Oui, oui; je veux la voir! + +GOLAUD. + +Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la fenêtre. Elle est +trop haute pour moi, bien que je sois si grand... _Il soulève l'enfant._ +Ne fais pas le moindre bruit; petite-mère aurait terriblement peur... La +vois-tu?--Est-elle dans la chambre? + +YNIOLD. + +Oui... Oh! il fait clair! + +GOLAUD. + +Elle est seule? + +YNIOLD. + +Oui... Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi. + +GOLAUD. + +Il!... + +YNIOLD. + +Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!... + +GOLAUD. + +Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus; regarde, regarde, +Yniold!... J'ai trébuché; parle plus bas. Que font-ils?-- + +YNIOLD. + +Ils ne font rien, petit-père. + +GOLAUD. + +Est-ce qu'ils parlent? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne parlent pas. + +GOLAUD. + +Mais que font-ils? + +YNIOLD. + +Ils regardent la lumière. + +GOLAUD. + +Tous les deux? + +YNIOLD. + +Oui, petit-père. + +GOLAUD. + +Ils ne disent rien? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux. + +GOLAUD. + +Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment jamais les yeux... +J'ai terriblement peur... + +GOLAUD. + +De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde! + +YNIOLD. + +Petit-père, laissez-moi descendre! + +GOLAUD. + +Regarde! + +YNIOLD. + +Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre! laissez-moi +descendre! + +GOLAUD. + +Viens! nous allons voir ce qui est arrivé. + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE IV + + +SCÈNE I + +Un corridor dans le château. + +PELLÉAS. + +Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te verrai-je? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Je sors de la chambre de mon père. Il va mieux. Le médecin nous a dit +qu'il était sauvé. Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit de +cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: «Est-ce toi, Pelléas? +Tiens, je ne l'avais jamais remarqué, mais tu as le visage grave et +amical de ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut voyager; il faut +voyager...» C'est étrange; je vais lui obéir... Ma mère l'écoutait et +pleurait de joie. Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble déjà +revivre, on entend respirer, on entend marcher... Écoute, j'entends +parler derrière cette porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je? + +MÉLISANDE. + +Où veux-tu? + +PELLÉAS. + +Dans le parc: près de la fontaine des aveugles? Veux-tu? Viendras-tu? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme mon père l'a dit. Tu ne +me verras plus... + +MÉLISANDE. + +Ne dis pas cela, Pelléas... Je te verrai toujours; je te regarderai +toujours... + +PELLÉAS. + +Tu auras beau regarder... Je serai si loin que tu ne pourras plus me +voir. + +MÉLISANDE. + +Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends plus ce que tu dis... + +PELLÉAS. + +Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends parler derrière cette porte. + +_Ils sortent séparément._ + +_Puis Arkël entre accompagné de Mélisande._ + +ARKEL. + +Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et que la maladie, la +vieille servante de la mort, a quitté le château, un peu de joie et un +peu de soleil vont enfin rentrer dans la maison... Il était temps!--Car +depuis ta venue, on n'a vécu ici qu'en chuchotant autour d'une chambre +fermée... Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande... Je +t'observais, tu étais là , insouciante peut-être, mais avec l'air étrange +et égaré de quelqu'un qui attendrait toujours un grand malheur, au +soleil, dans un beau jardin... Je ne puis pas expliquer... Mais j'étais +triste de te voir ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour vivre +déjà , jour et nuit, sous l'haleine de la mort... Mais à présent tout +cela va changer. A mon âge,--et c'est peut-être là le fruit le plus sûr +de ma vie,--à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi à la fidélité +des événements, et j'ai toujours vu que tout être jeune et beau, créait +autour de lui des événements jeunes, beaux et heureux... Et c'est toi, +maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère nouvelle que j'entrevois... +Viens ici; pourquoi restes-tu là sans répondre et sans lever les +yeux?--Je ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le jour de ta +venue; et cependant, les vieillards ont besoin de toucher quelquefois de +leurs lèvres, le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire +encore à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la +mort. As-tu peur de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi ces +mois-ci!... + +MÉLISANDE. + +Grand-père, je n'étais pas malheureuse... + +ARKEL. + +Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un moment... on a tant +besoin de beauté aux côtés de la mort... + +_Entre Golaud._ + +GOLAUD. + +Pelléas part ce soir. + +ARKEL. + +Tu as du sang sur le front.--Qu'as-tu fait? + +GOLAUD. + +Rien, rien... J'ai passé au travers d'une haie d'épines... + +MÉLISANDE. + +Baissez un peu la tête, seigneur... Je vais essuyer votre front... + +GOLAUD, _la repoussant._ + +Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu? Va-t'en, va-t'en!--Je ne +te parle pas.--Où est mon épée?--Je venais chercher mon épée... + +MÉLISANDE. + +Ici; sur le prie-Dieu. + +GOLAUD. + +Apporte-la. _A Arkël._ On vient encore de trouver un paysan mort de +faim, le long de la mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous +nos yeux.--_A Mélisande._ Eh bien, mon épée?--Pourquoi tremblez-vous +ainsi? Je ne vais pas vous tuer. Je voulais simplement examiner la lame. +Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi m'examinez-vous comme un +pauvre?--Je ne viens pas vous demander l'aumône. Vous espérez voir +quelque chose dans mes yeux, sans que je voie quelque chose dans les +vôtres?--Croyez-vous que je sache quelque chose?--_A Arkël._ Voyez-vous +ces grands yeux?--On dirait qu'ils sont fiers d'être riches... + +ARKEL. + +Je n'y vois qu'une grande innocence... + +GOLAUD. + +Une grande innocence!... Ils sont plus grands que l'innocence!... Ils +sont plus purs que les yeux d'un agneau... Ils donneraient à Dieu des +leçons d'innocence! Une grande innocence! Écoutez: j'en suis si près que +je sens la fraîcheur de leurs cils quand ils clignent; et cependant, je +suis moins loin des grands secrets de l'autre monde que du plus petit +secret de ces yeux!... Une grande innocence!... Plus que de l'innocence! +On dirait que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un baptême!... Je +les connais ces yeux! Je les ai vus à l'oeuvre! Fermez-les! Fermez-les! +ou je vais les fermer pour longtemps!...--Ne mettez pas ainsi votre main +à la gorge; je dis une chose très simple... Je n'ai pas +d'arrière-pensée... Si j'avais une arrière-pensée, pourquoi ne la +dirais-je pas? Ah! ah!--ne tâchez pas de fuir!--Ici!--Donnez-moi cette +main!--Ah! vos mains sont trop chaudes... Allez-vous-en! Votre chair me +dégoûte!... Il ne s'agit plus de fuir à présent!--_Il la saisit par les +cheveux._--Vous allez me suivre à genoux!--A genoux!--A genoux devant +moi!--Ah! ah! vos longs cheveux servent enfin à quelque chose!... A +droite et puis à gauche!--A gauche et puis à droite!--Absalon! +Absalon!--En avant! en arrière! Jusqu'à terre! jusqu'à terre!... Vous +voyez, vous voyez; je ris déjà comme un vieillard... + +ARKEL, _accourant._ + +Golaud!... + +GOLAUD, _affectant un calme soudain._ + +Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.--Je n'attache aucune +importance à cela.--Je suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un +espion. J'attendrai le hasard; et alors... Oh! alors!... simplement +parce que c'est l'usage; simplement parce que c'est l'usage... + +_Il sort._ + +ARKEL. + +Qu'a-t-il donc?--Il est ivre? + +MÉLISANDE, _en larmes._ + +Non, non; mais il ne m'aime plus... Je ne suis pas heureuse!... + +ARKEL. + +Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du coeur des hommes... + + +SCÈNE II + +Une terrasse, dans la brume. + +_On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever un quartier de roc._ + +YNIOLD. + +Oh! Cette pierre est lourde... elle est plus lourde que moi.--Elle est +plus lourde que tout le monde.--Elle est plus lourde que tout. + +Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette méchante pierre. Et je ne +puis pas y atteindre... Mon petit bras n'est pas assez long--et cette +pierre ne veut pas être soulevée... On dirait qu'elle a des racines dans +la terre. + +_On entend au loin les bêlements d'un troupeau._ + +Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.--Tiens! Il n'y a plus de +soleil!--Ils arrivent les petits moutons; ils arrivent... Il y en a!... +Il y en a!... Ils ont eu peur du noir... Ils se serrent. Ils se serrent! +Ils pleurent... et ils vont vite!... Il y en a qui voudraient prendre à +droite... Ils voudraient tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!... Le +berger leur jette de la terre!... Ah! ah!... Ils vont passer par ici... +Je vais les voir de près.--Comme il y en a!...--Maintenant, ils se +taisent tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus? + +LE BERGER, _qu'on ne voit pas._ + +Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!-- + +YNIOLD. + +Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?... Il ne m'entend plus. Ils +sont déjà trop loin... Ils ne font plus de bruit.--Ce n'est pas le +chemin de l'étable... Où vont-ils dormir cette nuit?... Oh! oh! il fait +trop noir... Je vais dire quelque chose à quelqu'un! + +_Il sort._ + + +SCÈNE III + +Une fontaine dans le parc. + +_Entre Pelléas._ + +PELLÉAS. + +C'est le dernier soir... Le dernier soir... Il faut que tout finisse... +J'ai joué comme un enfant autour d'une chose que je ne soupçonnais +pas... J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée... Qui est-ce +qui m'a réveillé tout à coup? Je vais fuir en criant de joie et de +douleur comme un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison... Je vais +lui dire que je vais fuir... Il est tard; elle ne vient pas... Je ferais +mieux de m'en aller sans la revoir... Il faut que je la regarde bien +cette fois-ci... Il y a des choses que je ne me rappelle plus... on +dirait, par moment, qu'il y a plus de cent ans que je ne l'ai vue... Et +je n'ai pas encore regardé son regard... Il ne me reste rien si je m'en +vais ainsi. Et tous ces souvenirs... c'est comme si j'emportais un peu +d'eau dans un sac de mousseline... Il faut que je la voie une dernière +fois, jusqu'au fond de son coeur... Il faut que je lui dise tout ce que +je n'ai pas dit... + +_Entre Mélisande._ + +MÉLISANDE. + +Pelléas? + +PELLÉAS. + +Mélisande!--Est-ce toi, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Viens ici: ne reste pas au bord du clair de lune.--Viens ici. Nous avons +tant de choses à nous dire... Viens ici dans l'ombre du tilleul. + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi dans la clarté... + +PELLÉAS. + +On pourrait nous voir des fenêtres de la tour. Viens ici; ici, nous +n'avons rien à craindre.--Prends garde; on pourrait nous voir... + +MÉLISANDE. + +Je veux qu'on me voie... + +PELLÉAS. + +Qu'as-tu donc?--Tu as pu sortir sans qu'on s'en soit aperçu? + +MÉLISANDE. + +Oui; votre frère dormait... + +PELLÉAS. + +Il est tard.--Dans une heure on fermera les portes. Il faut prendre +garde. Pourquoi es-tu venue si tard? + +MÉLISANDE. + +Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma robe s'est accrochée aux +clous de la porte. Voyez, elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et +j'ai couru... + +PELLÉAS. + +Ma pauvre Mélisande!... J'aurais presque peur de te toucher... Tu es +encore hors d'haleine comme un oiseau pourchassé... C'est pour moi, pour +moi que tu fais tout cela?... J'entends battre ton coeur comme si +c'était le mien... Viens ici... plus près, plus près de moi. + +MÉLISANDE. + +Pourquoi riez-vous? + +PELLÉAS. + +Je ne ris pas;--ou bien je ris de joie, sans le savoir... Il y aurait +plutôt de quoi pleurer... + +MÉLISANDE. + +Nous sommes venus ici il y a bien longtemps... Je me rappelle. + +PELLÉAS. + +Oui... Il y a de longs mois.--Alors, je ne savais pas... Sais-tu +pourquoi je t'ai demandé de venir ce soir? + +MÉLISANDE. + +Non. + +PELLÉAS. + +C'est peut-être la dernière fois que je te vois... Il faut que je m'en +aille pour toujours... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?... + +PELLÉAS. + +Je dois te dire ce que tu sais déjà !--Tu ne sais pas ce que je vais te +dire? + +MÉLISANDE. + +Mais non, mais non; je ne sais rien... + +PELLÉAS. + +Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne... _Il l'embrasse +brusquement._ Tu ne sais pas que c'est parce que je t'aime... + +MÉLISANDE, _à voix basse._ + +Je t'aime aussi... + +PELLÉAS. + +Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque pas entendu!... On a +brisé la glace avec des fers rougis!... Tu dis cela d'une voix qui vient +du bout du monde!... Je ne t'ai presque pas entendue... Tu m'aimes?--Tu +m'aimes aussi?... Depuis quand m'aimes-tu? + +MÉLISANDE. + +Depuis toujours... Depuis que je t'ai vu... + +PELLÉAS. + +Oh! comme tu dis cela!... On dirait que ta voix a passé sur la mer au +printemps!... je ne l'ai jamais entendue jusqu'ici... on dirait qu'il a +plu sur mon coeur! Tu dis cela si franchement!... Comme un ange qu'on +interroge!... Je ne puis pas le croire, Mélisande!... Pourquoi +m'aimerais-tu?--Mais pourquoi m'aimes-tu!--Est-ce vrai ce que tu +dis?--Tu ne me trompes pas?--Tu ne mens pas un peu, pour me faire +sourire?... + +MÉLISANDE. + +Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton frère... + +PELLÉAS. + +Oh! Comme tu dis cela!... Ta voix! ta voix... Elle est plus fraîche et +plus franche que l'eau!... On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!... On +dirait de l'eau pure sur mes mains... Donne-moi, donne-moi tes mains. +Oh! tes mains sont petites!... Je ne savais pas que tu étais si +belle!... Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi... J'étais +inquiet, je cherchais partout dans la maison... Je cherchais partout +dans la campagne... Et je ne trouvais pas la beauté... Et maintenant je +t'ai trouvée!... Je t'ai trouvée!... Je ne crois pas qu'il y ait sur la +terre une femme plus belle!... Où es-tu?--Je ne t'entends plus +respirer... + +MÉLISANDE. + +C'est que je te regarde... + +PELLÉAS. + +Pourquoi me regardes-tu si gravement!--Nous sommes déjà dans +l'ombre.--Il fait trop noir sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous +ne pouvons pas voir combien nous sommes heureux. Viens, viens; il nous +reste si peu de temps... + +MÉLISANDE. + +Non, non; restons ici... Je suis plus près de toi dans l'obscurité... + +PELLÉAS. + +Où sont tes yeux?--Tu ne vas pas me fuir?--Tu ne songes pas à moi en ce +moment. + +MÉLISANDE. + +Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi... + +PELLÉAS. + +Tu regardais ailleurs... + +MÉLISANDE. + +Je te voyais ailleurs... + +PELLÉAS. + +Tu es distraite. Qu'as-tu donc?--Tu ne me sembles pas heureuse... + +MÉLISANDE. + +Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste... + +PELLÉAS. + +Quel est ce bruit?--On ferme les portes!... + +MÉLISANDE. + +Oui, on a fermé les portes... + +PELLÉAS. + +Nous ne pouvons plus rentrer!--Entends-tu les verrous?--Écoute! +écoute!... les grandes chaînes!... Il est trop tard, il est trop +tard!... + +MÉLISANDE. + +Tant mieux! Tant mieux! + +PELLÉAS. + +Tu?... Voilà , voilà !... Ce n'est plus nous qui le voulons!... Tout est +perdu, tout est sauvé! tout est sauvé ce soir!--Viens! viens... Mon +coeur bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge... _Il l'enlace._ +Écoute! mon coeur est sur le point de m'étrangler... Viens! viens!... +Ah! qu'il fait beau dans les ténèbres!... + +MÉLISANDE. + +Il y a quelqu'un derrière nous!... + +PELLÉAS. + +Je ne vois personne... + +MÉLISANDE. + +J'ai entendu du bruit... + +PELLÉAS. + +Je n'entends que ton coeur dans l'obscurité... + +MÉLISANDE. + +J'ai entendu craquer les feuilles mortes... + +PELLÉAS. + +C'est le vent qui s'est tû tout à coup... Il est tombé pendant que nous +nous embrassions... + +MÉLISANDE. + +Comme nos ombres sont grandes ce soir!... + +PELLÉAS. + +Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin... Oh! qu'elles s'embrassent +loin de nous!... Regarde! Regarde!... + +MÉLISANDE, _d'une voix étouffée._ + +A-a-h!--Il est derrière un arbre! + +PELLÉAS. + +Qui? + +MÉLISANDE. + +Golaud! + +PELLÉAS. + +Golaud?--où donc?--je ne vois rien... + +MÉLISANDE. + +Là ... au bout de nos ombres... + +PELLÉAS. + +Oui, oui; je l'ai vu... Ne nous retournons pas brusquement... + +MÉLISANDE. + +Il a son épée... + +PELLÉAS. + +Je n'ai pas la mienne... + +MÉLISANDE. + +Il a vu que nous nous embrassions... + +PELLÉAS. + +Il ne sait pas que nous l'avons vu... Ne bouge pas; ne tourne pas la +tête... Il se précipiterait... Il nous observe... Il est encore +immobile... Va-t'en, va-t'en tout de suite par ici... Je l'attendrai... +Je l'arrêterai... + +MÉLISANDE. + +Non, non, non!... + +PELLÉAS. + +Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!... Il nous tuera!... + +MÉLISANDE. + +Tant mieux! tant mieux! tant mieux!... + +PELLÉAS. + +Il vient! il vient!... Ta bouche!... Ta bouche!... + +MÉLISANDE. + +Oui!... Oui!... Oui!... + +_Ils s'embrassent éperdument._ + +PELLÉAS. + +Oh! oh! Toutes les étoiles tombent... + +MÉLISANDE. + +Sur moi aussi! sur moi aussi!... + +PELLÉAS. + +Toutes! toutes! toutes!... + +_Golaud se précipite sur eux l'épée à la main, et frappe Pelléas, qui +tombe au bord de la fontaine. Mélisande fuit épouvantée._ + +MÉLISANDE, _fuyant._ + +Oh! oh! Je n'ai pas de courage!... Je n'ai pas de courage!... + +_Golaud la poursuit à travers le bois, en silence._ + + + + +ACTE V + + +SCÈNE I + +Un appartement dans le château. + +_On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans un coin de la chambre. +Mélisande est étendue sur son lit._ + +LE MÉDECIN. + +Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle peut mourir; un oiseau +n'en serait pas mort... ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon +seigneur; ne vous désolez pas ainsi... Et puis, il n'est pas dit que +nous ne la sauverons pas... + +ARKEL. + +Non, non; il me semble que nous nous taisons trop, malgré nous, dans sa +chambre... Ce n'est pas un bon signe... Regardez comme elle dort... +lentement, lentement... on dirait que son âme a froid pour toujours... + +GOLAUD. + +J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à faire pleurer les +pierres!... Ils s'étaient embrassés comme des petits enfants... Ils +étaient frère et soeur... Et moi, moi tout de suite!... Je l'ai fait +malgré moi, voyez-vous... Je l'ai fait malgré moi... + +LE MÉDECIN. + +Attention; je crois qu'elle s'éveille... + +MÉLISANDE. + +Ouvrez la fenêtre... ouvrez la fenêtre... + +ARKEL. + +Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Non, non; la grande fenêtre... c'est pour voir... + +ARKEL. + +Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid ce soir? + +LE MÉDECIN. + +Faites, faites... + +MÉLISANDE. + +Merci... Est-ce le soleil qui se couche? + +ARKEL. + +Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il est tard.--Comment te +trouves-tu, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Bien, bien.--Pourquoi demandez-vous cela? Je n'ai jamais été mieux +portante.--Il me semble cependant que je sais quelque chose... + +ARKEL. + +Que dis-tu?--Je ne te comprends pas... + +MÉLISANDE. + +Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous... Je ne +sais pas ce que je dis... Je ne sais pas ce que je sais... Je ne dis +plus ce que je veux... + +ARKEL. + +Mais si, mais si... Je suis tout heureux de t'entendre parler ainsi; tu +as eu un peu de délire ces jours-ci, et l'on ne te comprenait plus... +Mais maintenant, tout cela est bien loin... + +MÉLISANDE. + +Je ne sais pas...--Êtes-vous tout seul dans la chambre, grand-père? + +ARKEL. + +Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie... + +MÉLISANDE. + +Ah!... + +ARKEL. + +Et puis il y a encore quelqu'un... + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce? + +ARKEL. + +C'est... il ne faut pas t'effrayer... Il ne te veut pas le moindre mal, +sois-en sûre... Si tu as peur, il s'en ira... Il est très malheureux... + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce? + +ARKEL. + +C'est... c'est ton mari... c'est Golaud... + +MÉLISANDE. + +Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près de moi? + +GOLAUD, _se traînant vers le lit._ + +Mélisande... Mélisande... + +MÉLISANDE. + +Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais presque plus... C'est que +j'ai le soleil du soir dans les yeux... Pourquoi regardez-vous les murs? +Vous avez maigri et vieilli... Y a-t-il longtemps que nous ne nous +sommes vus? + +GOLAUD, _à Arkël et au médecin._ + +Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres amis... Je laisserai +la porte grande ouverte... Un instant seulement... Je voudrais lui dire +quelque chose; sans cela je ne pourrais pas mourir... Voulez-vous?--Vous +pouvez revenir tout de suite... Ne me refusez pas cela... Je suis un +malheureux... _Sortent Arkël et le médecin._ Mélisande, as-tu pitié de +moi, comme j'ai pitié de toi?... Mélisande?... Me pardonnes-tu, +Mélisande?... + +MÉLISANDE. + +Oui, oui, je te pardonne... Que faut-il pardonner? + +GOLAUD. + +Je t'ai fait tant de mal, Mélisande... Je ne puis pas te dire le mal que +je t'ai fait... Mais je le vois, je le vois si clairement aujourd'hui... +depuis le premier jour... Et tout est de ma faute, tout ce qui est +arrivé, tout ce qui va arriver... Si je pouvais le dire, tu verrais +comme je le vois!... Je vois tout, je vois tout!... Mais je t'aimais +tant!... Je t'aimais tant!... Mais maintenant, quelqu'un va mourir... +C'est moi qui vais mourir... Et je voudrais savoir... Je voudrais te +demander... Tu ne m'en voudras pas?... Il faut dire la vérité à +quelqu'un qui va mourir... Il faut qu'il sache la vérité, sans cela il +ne pourrait pas dormir... Me jures-tu de dire la vérité? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +GOLAUD. + +As-tu aimé Pelléas? + +MÉLISANDE. + +Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il? + +GOLAUD. + +Tu ne me comprends pas?--Tu ne veux pas me comprendre?--Il me semble... +Il me semble... Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as aimé d'un amour +défendu?... As-tu... Avez-vous été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui? + +MÉLISANDE. + +Non, non; nous n'avons pas été coupables.--Pourquoi demandez-vous cela? + +GOLAUD. + +Mélisande!... Dis-moi la vérité pour l'amour de Dieu! + +MÉLISANDE. + +Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité? + +GOLAUD. + +Ne mens plus ainsi, au moment de mourir! + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce qui va mourir?--Est-ce moi? + +GOLAUD. + +Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!... Et il nous faut la vérité... +Il nous faut enfin la vérité, entends-tu!... Dis-moi tout! Dis-moi tout! +Je te pardonne tout!... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi vais-je mourir?--Je ne le savais pas... + +GOLAUD. + +Tu le sais maintenant... Il est temps!... Il est temps!... Vite! +vite!... La vérité! la vérité!... + +MÉLISANDE. + +La vérité... la vérité... + +GOLAUD. + +Où es-tu?--Mélisande!--Où es-tu?--Ce n'est pas naturel! Mélisande! Où +es-tu? _Apercevant Arkël et le médecin à la porte de la chambre._--Oui, +oui; vous pouvez rentrer... Je ne sais rien; c'est inutile... Elle est +déjà trop loin de nous... Je ne saurai jamais!... Je vais mourir ici +comme un aveugle!... + +ARKEL. + +Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer... + +GOLAUD. + +Je l'ai déjà tuée... + +ARKEL. + +Mélisande... + +MÉLISANDE. + +Est-ce vous, grand-père? + +ARKEL. + +Oui, ma fille... Que veux-tu que je fasse? + +MÉLISANDE. + +Est-il vrai que l'hiver commence? + +ARKEL. + +Pourquoi demandes-tu cela? + +MÉLISANDE. + +C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de feuilles... + +ARKEL. + +Tu as froid?--Veux-tu qu'on ferme les fenêtres? + +MÉLISANDE. + +Non, non... jusqu'à ce que le soleil soit au fond de la mer.--Il descend +lentement, alors c'est l'hiver qui commence? + +ARKEL. + +Oui.--Tu n'aimes pas l'hiver? + +MÉLISANDE. + +Oh! non. J'ai peur du froid!--Ah! J'ai peur des grands froids... + +ARKEL. + +Te sens-tu mieux? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes... + +ARKEL. + +Veux-tu voir ton enfant? + +MÉLISANDE. + +Quel enfant? + +ARKEL. + +Ton enfant, ta petite fille... + +MÉLISANDE. + +Où est-elle? + +ARKEL. + +Ici... + +MÉLISANDE. + +C'est étrange... Je ne peux pas lever les bras pour la prendre... + +ARKEL. + +C'est que tu es encore très faible... Je la tiendrai moi-même; +regarde... + +MÉLISANDE. + +Elle ne rit pas... Elle est petite... Elle va pleurer aussi... J'ai +pitié d'elle... + +_La chambre est envahie, peu à peu, par les servantes du château, qui se +rangent en silence le long des murs et attendent._ + +GOLAUD, _se levant brusquement._ + +Qu'y a-t-il?--Qu'est-ce que toutes ces femmes viennent faire ici? + +LE MÉDECIN. + +Ce sont les servantes... + +ARKEL. + +Qui est-ce qui les a appelées? + +LE MÉDECIN. + +Ce n'est pas moi... + +GOLAUD. + +Que venez-vous faire ici?--Personne ne vous a demandées... Que +venez-vous faire ici?--Mais qu'est-ce que donc! Répondez!... + +_Les servantes ne répondent pas._ + +ARKEL. + +Ne parlez pas trop fort... Elle va dormir; elle a fermé les yeux... + +GOLAUD. + +Ce n'est pas?... + +LE MÉDECIN. + +Non, non; voyez, elle respire... + +ARKEL. + +Ses yeux sont pleins de larmes.--Maintenant c'est son âme qui pleure... +Pourquoi étend-elle ainsi les bras? Que veut-elle? + +LE MÉDECIN. + +C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de la mère contre la +mort... + +GOLAUD. + +En ce moment?--En ce moment?--Il faut le dire, dites! dites! + +LE MÉDECIN. + +Peut-être... + +GOLAUD. + +Tout de suite?... Oh! Oh! Il faut que je lui dise...--Mélisande! +Mélisande!... Laissez-moi seul! laissez-moi seul avec elle!... + +ARKEL. + +Non, non, n'approchez pas... Ne la troublez pas... Ne lui parlez plus... +Vous ne savez pas ce que c'est que l'âme... + +GOLAUD. + +Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute! + +ARKEL. + +Attention... Attention... Il faut parler à voix basse.--Il ne faut plus +l'inquiéter... L'âme humaine est très silencieuse... L'âme humaine aime +à s'en aller seule... Elle souffre si timidement... Mais la tristesse, +Golaud... mais la tristesse de tout ce que l'on voit!... Oh! oh! oh!... + +_En ce moment, toutes les servantes tombent subitement à genoux au fond +de la chambre._ + +ARKEL, _se retournant._ + +Qu'y a-t-il? + +LE MÉDECIN, _s'approchant du lit et tâtant le corps._ + +Elles ont raison... + +_Un long silence._ + +ARKEL. + +Je n'ai rien vu.--Êtes-vous sûr?... + +LE MÉDECIN. + +Oui, oui. + +ARKEL. + +Je n'ai rien entendu... Si vite, si vite... Tout à coup... Elle s'en va +sans rien dire... + +GOLAUD, _sanglotant._ + +Oh! oh! oh!... + +ARKEL. + +Ne restez pas ici, Golaud... Il lui faut le silence, maintenant... +Venez, venez... C'est terrible, mais ce n'est pas votre faute... C'était +un petit être si tranquille, si timide et si silencieux... C'était un +pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde... Elle est là , comme +si elle était la grande soeur de son enfant...--Venez; il ne faut pas +que l'enfant reste ici dans cette chambre... Il faut qu'il vive, +maintenant, à sa place... C'est au tour de la pauvre petite... + +_Ils sortent en silence._ + + +FIN. + + + + + + +End of Project Gutenberg's Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 61075 *** diff --git a/61075-h/61075-h.htm b/61075-h/61075-h.htm index 73bc194..054e901 100644 --- a/61075-h/61075-h.htm +++ b/61075-h/61075-h.htm @@ -1,3072 +1,2650 @@ -<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN"
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-The Project Gutenberg EBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck
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-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
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-this ebook.
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-
-Title: Pelléas et Mélisande
- Drame lyrique en cinq actes tiré du théâtre de Maurice
- Maeterlinck Musique de Claude Debussy
-
-Author: Maurice Maeterlinck
-
-Contributor: Claude Debussy
-
-Release Date: January 2, 2020 [EBook #61075]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE ***
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-
-Produced by Laurent Vogel (from images generously made
-available by The Internet Archive/American Libraries)
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-<p class="c large"><b>Nouvelle édition, modifiée conformément aux
-représentations de l'Opéra-Comique</b></p>
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-<h1><span class="large">PELLÉAS</span><br />
-<span class="xsmall">ET</span><br />
-<span class="large">MÉLISANDE</span></h1>
-
-<p class="c"><span class="small">DRAME LYRIQUE EN CINQ ACTES</span><br />
-<span class="xsmall">TIRÉ DU THÉÂTRE DE</span><br />
-<span class="large">MAURICE MAETERLINCK</span></p>
-
-<p class="c"><span class="small">MUSIQUE DE</span><br />
-<span class="large">CLAUDE DEBUSSY</span></p>
-
-<p class="c gap">BRUXELLES<br />
-<span class="large sc">Paul LACOMBLEZ, Éditeur</span><br />
-31, <span class="small">RUE DES PAROISSIENS</span>, 31</p>
-
-<p class="c">1907</p>
-
-<p class="c"><span class="sc">Dépôt pour Paris: CALMANN-LÉVY, 3, rue Auber.</span></p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<h2>DU MÊME AUTEUR:</h2>
-
-<table summary="">
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Serres chaudes</span> suivies de <span class="sc">quinze chansons</span>.
-Un volume in-18 jésus</td>
-<td class="num">3.00</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">L'Ornement des Noces Spirituelles</span> de <i>Ruysbroeck l'admirable</i>,
-traduit du flamand et accompagné d'une Introduction. Un volume
-in-16, sur papier à la main</td>
-<td class="num">5.00</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Les Disciples à Saïs et les Fragments</span> de <i>Novalis</i>, traduits de
-l'allemand et précédés d'une Introduction. Un volume in-18
-jésus</td>
-<td class="num">4.00</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Les Sept Princesses</span>, drame. Un petit volume in-18 jésus</td>
-<td class="num">2.00</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Le Temple enseveli</span>. Un volume in-18 jésus</td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Le Trésor des Humbles</span>. Un volume in 18 jésus</td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">La Sagesse et la Destinée</span>. Un volume in 18 jésus</td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">La Vie des Abeilles</span>. Un volume in-18 jésus</td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome I: <i>La Princesse Maleine.</i>—<i>L'Intruse.</i>—<i>Les
-Aveugles</i></td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome II: <i>Pelléas et Mélisande.</i>—<i>Alladine et
-Palomides.</i>—<i>Intérieur.</i>—<i>La mort de Tintagiles</i></td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome III: <i>Aglavaine et Sélysette.</i>—<i>Ariane et
-Barbe-bleue.</i>—<i>Sœur Béatrice</i></td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-<tr><td colspan="2" class="c topbot">CHEZ LE MÊME ÉDITEUR:</td></tr>
-<tr>
-<td class="drap"><span class="sc">Sept Essais d'Emerson</span>, traduits par I. Will, avec une préface
-de <i>Maurice Maeterlinck</i>. Un volume in-18 jésus</td>
-<td class="num">3.50</td>
-</tr>
-</table>
-<div class="break"></div>
-
-<p class="c large top4em"><b>Pelléas et Mélisande</b></p>
-
-<p class="c small">DRAME LYRIQUE</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<h2 class="nobreak">PERSONNAGES.</h2>
-
-
-<ul><li>A<small>RKEL</small>, roi d'Allemonde.</li>
-<li>G<small>ENEVIÈVE</small>, mère de Pelléas et de Golaud.</li>
-<li>P<small>ELLÉAS</small>, G<small>OLAUD</small>, petits-fils d'Arkël.</li>
-<li>M<small>ÉLISANDE</small>.</li>
-<li>Le petit Y<small>NIOLD</small>, fils de Golaud (d'un premier lit).</li>
-<li>Un médecin.</li>
-<li>Servantes, pauvres, etc.</li>
-</ul>
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">ACTE I</h2>
-
-
-<h3>SCÈNE I</h3>
-
-<p class="c"><b>Une forêt.</b></p>
-
-<p class="rdrap"><i>On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.—Entre
-Golaud.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.—Dieu
-sait jusqu'où cette bête m'a mené. Je croyais
-cependant l'avoir blessée à mort; et voici des
-traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de
-vue; je crois que je me suis perdu moi-même—et
-mes chiens ne me retrouvent plus—je vais
-revenir sur mes pas…—J'entends pleurer… Oh!
-oh! qu'y a-t-il là au bord de l'eau?… Une petite
-fille qui pleure au bord de l'eau? <i>Il tousse.</i>—Elle
-ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage.
-<i>Il s'approche et touche Mélisande à l'épaule.</i> Pourquoi
-pleures-tu? <i>Mélisande tressaille, se dresse et
-veut fuir.</i>—N'ayez pas peur. Vous n'avez rien à
-craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ne me touchez pas! ne me touchez pas!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>N'ayez pas peur… Je ne vous ferai pas… Oh!
-vous êtes belle!</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou
-je me jette à l'eau!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je ne vous touche pas… Voyez, je resterai ici,
-contre l'arbre. N'ayez pas peur. Quelqu'un vous
-a-t-il fait du mal?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! oui! oui, oui!…</p>
-
-<p class="r"><i>Elle sanglote profondément.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Qui est-ce qui vous a fait du mal?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Tous! tous!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Quel mal vous a-t-on fait?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je me suis enfuie!… enfuie… enfuie!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je suis perdue!… perdue ici… Je ne suis pas
-d'ici… Je ne suis pas née là…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>D'où êtes-vous? Où êtes-vous née?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! oh! loin d'ici… loin… loin…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Où donc—Ah! c'est la couronne qu'il m'a
-donnée. Elle est tombée en pleurant.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Une couronne?—Qui est-ce qui vous a donné
-une couronne?—Je vais essayer de la prendre…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux
-plus! Je préfère mourir tout de suite…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est
-pas très profonde.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me
-jette à sa place!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Non, non; je la laisserai là; on pourrait la
-prendre sans peine cependant. Elle semble très
-belle.—Y a-t-il longtemps que vous avez fui?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, oui… qui êtes-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je suis le prince Golaud—le petit-fils d'Arkël,
-le vieux roi d'Allemonde…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! vous avez déjà les cheveux gris…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; quelques-uns, ici, près des tempes…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Et la barbe aussi… Pourquoi me regardez-vous
-ainsi?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je regarde vos yeux.—Vous ne fermez jamais
-les yeux?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Si, si; je les ferme la nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Pourquoi avez-vous l'air si étonné?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Vous êtes un géant?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je suis un homme comme les autres…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi êtes-vous venu ici?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans
-la forêt. Je poursuivais un sanglier. Je me suis
-trompé de chemin.—Vous avez l'air très jeune.
-Quel âge avez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je commence à avoir froid…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Voulez-vous venir avec moi?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; je reste ici…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne
-pouvez pas rester ici toute la nuit… Comment
-vous nommez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mélisande.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande.
-Venez avec moi…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je reste ici…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas
-ce qu'il y a ici… Toute la nuit… Toute seule, ce
-n'est pas possible. Mélisande, venez, donnez-moi
-la main…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! ne me touchez pas!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ne criez pas… Je ne vous toucherai plus. Mais
-venez avec moi. La nuit sera très noire et très
-froide. Venez avec moi…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Où allez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je ne sais pas… Je suis perdu aussi…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE II</h3>
-
-<p class="c"><b>Une salle dans le château.</b></p>
-
-<p class="c"><i>On découvre Arkël et Geneviève.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un
-soir, je l'ai trouvée tout en pleurs au bord d'une
-fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je ne
-sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient
-et je n'ose pas l'interroger, car elle doit avoir eu
-une grande épouvante, et quand on lui demande
-ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup
-comme un enfant et sanglote si profondément
-qu'on a peur. Il y a maintenant six mois que je
-l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de
-notre rencontre. En attendant, mon cher Pelléas,
-toi que j'aime plus qu'un frère, bien que nous ne
-soyons pas nés du même père; en attendant,
-prépare mon retour… Je sais que ma mère me
-pardonnera volontiers. Mais j'ai peur d'Arkël,
-malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage
-étrange, tous ses projets politiques, et je crains
-que la beauté de Mélisande n'excuse pas à ses
-yeux, si sages, ma folie. S'il consent néanmoins
-à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille,
-le troisième soir qui suivra cette lettre, allume
-une lampe au sommet de la tour qui regarde la
-mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire;
-sinon, j'irai plus loin et ne reviendrai plus…»
-Qu'en dites-vous!</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître
-étrange, parce que nous ne voyons jamais que
-l'envers des destinées… Il avait toujours suivi
-mes conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre
-heureux en l'envoyant demander la main de la
-princesse Ursule… Il ne pouvait pas rester seul,
-et depuis la mort de sa femme il était triste
-d'être seul; et ce mariage allait mettre fin à de
-longues guerres et à de vieilles haines… Il ne l'a
-pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu:
-je ne me suis jamais mis en travers d'une destinée:
-il sait mieux que moi son avenir. Il n'arrive
-peut-être pas d'événements inutiles…</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Il a toujours été prudent, si grave et si
-ferme… Depuis la mort de sa femme il ne vivait
-plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout
-oublié…—Qu'allons-nous faire?</p>
-
-<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Qui est-ce qui entre là?</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>C'est Pelléas. Il a pleuré.</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Est-ce toi Pelléas?—Viens un peu plus près,
-que je te voie dans la lumière.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la
-lettre de mon frère, une autre lettre; une lettre
-de mon ami Marcellus… Il va mourir et il m'appelle.</p>
-
-<p>Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort
-doit venir… Il me dit que je puis arriver avant
-elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps à
-perdre.</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Il faudrait attendre quelque temps cependant…
-Nous ne savons pas ce que le retour de ton frère
-nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il pas
-ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que
-ton ami… Pourras-tu choisir entre le père et
-l'ami?…</p>
-
-<p class="r"><i>Il sort.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir,
-Pelléas…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE III</h3>
-
-<p class="c"><b>Devant le château.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entrent Geneviève et Mélisande.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts,
-quelles forêts autour des palais!…</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée
-ici, et cela étonne tout le monde. Il y a des
-endroits où l'on ne voit jamais le soleil. Mais l'on
-s'y fait si vite… Il y a longtemps, il y a longtemps…
-Il y a près de quarante ans que je vis
-ici… Regardez de l'autre côté, vous aurez la
-clarté de la mer…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>J'entends du bruit au-dessous de nous…</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous…
-Ah! C'est Pelléas… Il semble encore fatigué de
-vous avoir attendue si longtemps…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il ne nous a pas vues.</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce
-qu'il doit faire… Pelléas, Pelléas, est-ce toi?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui!… Je venais du côté de la mer…</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il
-fait un peu plus clair qu'ailleurs! et cependant la
-mer est sombre.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a
-toutes les nuits depuis quelque temps… et cependant
-elle est si calme ce soir… On s'embarquerait
-sans le savoir et l'on ne reviendrait plus.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Quelque chose sort du port…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il faut que ce soit un grand navire… Les
-lumières sont très hautes, nous le verrons tout à
-l'heure quand il entrera dans la bande de clarté…</p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Je ne sais si nous pourrons le voir… il y a
-encore une brume sur la mer…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>On dirait que la brume s'élève lentement…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui; j'aperçois, là-bas, une petite lumière que
-je n'avais pas vue…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne
-voyons pas encore.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Le navire est dans la lumière… Il est déjà bien
-loin…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il s'éloigne à toutes voiles…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de
-grandes voiles… Je le reconnais à ses voiles…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il aura mauvaise mer cette nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?… On ne le
-voit presque plus… Il fera peut-être naufrage…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>La nuit tombe très vite…</p>
-
-<p class="r"><i>Un silence.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div>
-<p>Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la
-route à Mélisande. Il faut que j'aille voir, un
-instant, le petit Yniold.</p>
-
-<p class="r"><i>Elle sort.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>On ne voit plus rien sur la mer…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je vois d'autres lumières.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce sont les autres phares… Entendez-vous la
-mer?… C'est le vent qui s'élève… Descendons
-par ici. Voulez-vous me donner la main?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est
-escarpé et il y fait très sombre… Je pars peut-être
-demain…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh!… Pourquoi partez-vous?</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">ACTE II</h2>
-
-
-<h3>SCÈNE I</h3>
-
-<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Vous ne savez pas où je vous ai menée?—Je
-viens souvent m'asseoir ici, vers midi, lorsqu'il
-fait trop chaud dans les jardins. On étouffe,
-aujourd'hui, même à l'ombre des arbres.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! L'eau est claire…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille
-fontaine abandonnée. Il paraît que c'était une
-fontaine miraculeuse,—elle ouvrait les yeux des
-aveugles.—On l'appelle encore la «fontaine
-des aveugles».</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Depuis que le roi est presque aveugle lui-même,
-on n'y vient plus…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Comme on est seul ici… On n'entend rien.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il y a toujours un silence extraordinaire… On
-entendrait dormir l'eau… Voulez-vous vous asseoir
-au bord du bassin de marbre? Il y a un
-tilleul où le soleil n'entre jamais…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je vais me coucher sur le marbre.—Je voudrais
-voir le fond de l'eau…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>On ne l'a jamais vu.—Elle est peut-être aussi
-profonde que la mer.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Si quelque chose brillait au fond, on le verrait
-peut-être…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ne vous penchez pas ainsi…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je voudrais toucher l'eau…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Prenez garde de glisser… Je vais vous tenir la
-main…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non, je voudrais y plonger mes deux
-mains… On dirait que mes mains sont malades
-aujourd'hui…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!…
-Mélisande!—Oh! votre chevelure!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>se redressant.</i></div>
-<p>Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Vos cheveux ont plongé dans l'eau…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, ils sont plus longs que mes bras… Ils sont
-plus longs que moi…</p>
-
-<p class="r"><i>Un silence.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a
-trouvée?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Que vous a-t-il dit?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Rien;—je ne me rappelle plus…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Était-il tout près de vous?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, il voulait m'embrasser…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Et vous ne vouliez pas?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Pourquoi ne vouliez-vous pas?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond
-de l'eau…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Prenez garde! prenez garde!—Vous allez
-tomber!—Avec quoi jouez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Avec l'anneau qu'il m'a donné…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mes mains ne tremblent pas.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Comme il brille au soleil!—Ne le jetez pas si
-haut vers le ciel!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il est tombé?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il est tombé dans l'eau!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Où est-il? Où est-il?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne le vois pas descendre…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je crois que je la vois briller…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ma bague?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui, oui,… Là-bas…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! Oh! elle est si loin de nous!… non, non,
-ce n'est pas elle… ce n'est plus elle… Elle est perdue…
-perdue… Il n'y a plus qu'un grand cercle
-sur l'eau… Qu'allons-nous faire maintenant?…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague.
-Ce n'est rien… nous la retrouverons peut-être.
-Ou bien nous en retrouverons une autre.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous
-n'en trouverons pas d'autres non plus… Je
-croyais l'avoir dans les mains cependant… J'avais
-déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré
-tout… Je l'ai jetée trop haut, du côté du soleil…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Venez, nous reviendrons un autre jour…
-venez, il est temps. On irait à notre rencontre…
-Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où
-il est?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>La vérité, la vérité, la vérité…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE II</h3>
-
-<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p>
-
-<p class="r"><i>On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande
-est à son chevet.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je
-ne puis m'expliquer comment cela s'est passé. Je
-chassais tranquillement dans la forêt. Mon cheval
-s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il
-vu quelque chose d'extraordinaire?… Je venais
-d'entendre sonner les douze coups de midi. Au
-douzième coup, il s'effraie subitement, et court,
-comme un aveugle fou, contre un arbre. Je ne
-sais plus ce qui est arrivé. Je suis tombé, et lui
-doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute
-la forêt sur la poitrine; je croyais que mon cœur
-était déchiré. Mais mon cœur est solide. Il paraît
-que ce n'est rien…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Voulez-vous boire un peu d'eau?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Merci, je n'ai pas soif.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Voulez-vous un autre oreiller?… Il y a une
-petite tache de sang sur celui-ci.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Non, non; ce n'est pas la peine.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Est-ce bien sûr?… Vous ne souffrez pas trop?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait
-au fer et au sang…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai
-ici toute la nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues
-ainsi. Je n'ai besoin de rien; je dormirai comme
-un enfant… Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi
-pleures-tu tout à coup?…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fondant en larmes</i>.</div>
-<p>Je suis… Je suis malade ici…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tu es malade?… Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc,
-Mélisande?…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne sais pas… Je suis malade ici… Je préfère
-vous le dire aujourd'hui; seigneur, je ne suis
-pas heureuse ici…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Qu'est-il donc arrivé?… Quelqu'un t'a fait du
-mal?… Quelqu'un t'aurait-il offensée?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; personne ne m'a fait le moindre
-mal… Ce n'est pas cela…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Mais tu dois me cacher quelque chose?… Dis-moi
-toute la vérité, Mélisande… Est-ce le roi?…
-Est-ce ma mère?… Est-ce Pelléas?…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne…
-Vous ne pouvez pas me comprendre…
-C'est quelque chose qui est plus fort que moi…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Voyons; sois raisonnable, Mélisande.—Que
-veux-tu que je fasse?—Tu n'es plus une enfant.—Est-ce
-moi que tu voudrais quitter?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! non; ce n'est pas cela… Je voudrais m'en
-aller avec vous… C'est ici, que je ne peux plus
-vivre… Je sens que je ne vivrai plus longtemps…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Mais il faut une raison cependant. On va te
-croire folle. On va croire à des rêves d'enfant.—Voyons,
-est-ce Pelléas, peut-être?—Je crois
-qu'il ne te parle pas souvent…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je
-crois; je l'ai vu dans ses yeux… Mais il me parle
-quand il me rencontre…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été
-ainsi. Il est un peu étrange. Il changera, tu
-verras; il est jeune…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mais ce n'est pas cela… Ce n'est pas cela…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Qu'est-ce donc?—Ne peux-tu pas te faire à la
-vie qu'on mène ici? Fait-il trop triste ici?—Il
-est vrai que ce château est très vieux et très
-sombre… Il est très froid et très profond. Et tous
-ceux qui l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne
-peut sembler bien triste aussi, avec toutes
-ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière.
-Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et
-puis, la joie, la joie, on n'en a pas tous les jours;
-il faut prendre les choses comme elles sont. Mais
-dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai
-tout ce que tu voudras…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, c'est vrai… On ne voit jamais le ciel clair…
-Je l'ai vu pour la première fois ce matin…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre
-Mélisande?—Ce n'est donc que cela?—Tu
-pleures de ne pas voir le ciel?—Voyons, tu n'es
-plus à l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses…
-Et puis l'été n'est-il pas là? Tu vas voir le ciel
-tous les jours.—Et puis l'année prochaine…
-Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux
-petites mains. <i>Il lui prend les mains.</i> Oh! ces
-petites mains que je pourrais écraser comme des
-fleurs…—Tiens, où est l'anneau que je t'avais
-donné?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>L'anneau?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; la bague de nos noces, où est-elle?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je crois… Je crois qu'elle est tombée…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tombée?—Où est-elle tombée?…—Tu ne l'as
-pas perdue?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, elle est tombée… elle doit être tombée…
-Mais je ne sais pas où elle est…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Où est-elle?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Vous savez bien… vous savez bien… la grotte
-au bord de la mer?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Eh bien, c'est là… Il faut que ce soit là… Oui,
-oui; je me rappelle… J'y suis allée ce matin,
-ramasser des coquillages pour le petit Yniold… Il
-y en a de très beaux… Elle a glissé de mon
-doigt… puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir
-avant de l'avoir retrouvée.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Es-tu sûre que ce soit là?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, oui; tout à fait sûre… Je l'ai sentie glisser…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Il faut aller la chercher tout de suite.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Maintenant?—tout de suite?—dans l'obscurité?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité.
-J'aimerais mieux avoir perdu tout ce que j'ai plutôt
-que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais pas
-ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La
-mer sera très haute cette nuit. La mer viendra la
-prendre avant toi… Dépêche-toi.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je n'ose pas… Je n'ose pas aller seule…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y
-aller tout de suite, entends-tu?—Dépêche-toi;
-demande à Pelléas d'y aller avec toi.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pelléas?—Avec Pelléas?—Mais Pelléas ne
-voudra pas…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je
-connais Pelléas mieux que toi. Vas-y, hâte-toi.
-Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!… Je ne suis
-pas heureuse!</p>
-
-<p class="r"><i>Elle sort en pleurant.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE III</h3>
-
-<p class="c"><b>Devant une grotte.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>, <i>parlant avec une grande agitation.</i></div>
-<p>Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que
-l'entrée de la grotte ne se distingue pas du reste
-de la nuit… Il n'y a pas d'étoiles de ce côté.
-Attendons que la lune ait déchiré ce grand
-nuage; elle éclairera toute la grotte et alors nous
-pourrons entrer sans danger. Il y a des endroits
-dangereux et le sentier est très étroit, entre
-deux lacs dont on n'a pas encore trouvé le fond.
-Je n'ai pas songé à emporter une torche ou une
-lanterne, mais je pense que la clarté du ciel
-nous suffira.—Vous n'avez jamais pénétré dans
-cette grotte?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Entrons-y… Il faut pouvoir décrire l'endroit où
-vous avez perdu la bague, s'il vous interroge…
-Elle est très grande et très belle. Elle est pleine
-de ténèbres bleues. Quand on y allume une
-petite lumière, on dirait que la voûte est couverte
-d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la main, ne
-tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas
-de danger: nous nous arrêterons au moment que
-nous n'apercevrons plus la clarté de la mer…
-Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie?
-Entendez-vous la mer derrière nous?—Elle ne
-semble pas heureuse cette nuit… Ah! Voici
-la clarté!</p>
-
-<p class="rdrap"><i>La lune éclaire largement l'entrée et une
-partie des ténèbres de la grotte; et l'on aperçoit,
-à une certaine profondeur, trois vieux
-pauvres à cheveux blancs, assis côte à
-côte, se soutenant les uns les autres, et endormis
-contre un quartier de roc.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ah!</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Qu'y a-t-il?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il y a… Il y a…</p>
-
-<p class="r"><i>Elle montre les trois pauvres.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui, oui; je les ai vus aussi…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Allons-nous en!… Allons-nous en!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis…
-Pourquoi sont-ils venus dormir ici?… Il y
-aura une famine dans le pays.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Allons-nous en!… Venez… Allons-nous en!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Prenez garde, ne parlez pas si fort… Ne les
-éveillons pas… Ils dorment encore profondément…
-Venez.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Laissez-moi; je préfère marcher seule…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Nous reviendrons un autre jour…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">ACTE III</h2>
-
-
-<h3>SCÈNE I</h3>
-
-<p class="drap"><b>Une des tours du château.—Un chemin
-de ronde passe sous une fenêtre de la tour.</b></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à la fenêtre, tandis qu'elle peigne
-ses cheveux dénoués.</i></div>
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour!</div>
-<div class="verse">Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour!</div>
-<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div>
-<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div>
-
-<div class="verse i3 stanza">Saint Daniel et saint Michel,</div>
-<div class="verse i3">Saint Michel et saint Raphaël,</div>
-<div class="verse i3">Je suis née un Dimanche!</div>
-<div class="verse i3">Un Dimanche à midi!</div>
-</div>
-
-<p class="r"><i>Entre Pelléas par le chemin de ronde.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Holà! Holà! ho!</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qui est là?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Moi, moi, et moi!… Que fais-tu là à la fenêtre
-en chantant comme un oiseau qui n'est pas d'ici?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>J'arrange mes cheveux pour la nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est là ce que je vois sur le mur!… Je croyais
-que c'était un rayon de lumière…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la
-tour, il fait beau cette nuit.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais
-vu autant que ce soir;… mais la lune est encore
-sur la mer… Ne reste pas dans l'ombre, Mélisande,
-penche-toi un peu, que je voie tes cheveux
-dénoués.</p>
-
-<p class="r"><i>Mélisande se penche à la fenêtre.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je suis affreuse ainsi.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! Mélisande!… oh! tu es belle!… tu es belle
-ainsi!… penche-toi! penche-toi!… laisse-moi
-venir plus près de toi…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne puis pas venir plus près de toi… Je me
-penche tant que je peux…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je ne puis pas monter plus haut… donne-moi
-du moins ta main ce soir… avant que je m'en
-aille… Je pars demain…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non, non…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Si, si; je pars, je partirai demain… donne-moi
-ta main, ta main, ta petite main sur mes lèvres…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne te donne pas ma main si tu pars…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Donne, donne, donne…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Tu ne partiras pas?…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>J'attendrai, j'attendrai.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je vois une rose dans les ténèbres…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Où donc?… Je ne vois que les branches du
-saule qui dépassent le mur…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Plus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans
-le vert sombre.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce n'est pas une rose… J'irai voir tout à
-l'heure, mais donne-moi ta main d'abord; d'abord
-ta main…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Voilà, voilà;… Je ne puis me pencher davantage…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne puis me pencher davantage… Je suis
-sur le point de tomber…—Oh! oh! mes cheveux
-descendent de la tour!…</p>
-
-<p class="rdrap"><i>Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis
-qu'elle se penche ainsi et inonde Pelléas.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! oh! qu'est-ce que c'est?… Tes cheveux,
-tes cheveux descendent vers moi!… Toute ta
-chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est
-tombée de la tour!… Je les tiens dans les mains,
-je les tiens dans la bouche… Je les tiens dans les
-bras, je les mets autour de mon cou… Je n'ouvrirai
-plus les mains cette nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Laisse-moi! Laisse-moi!… Tu vas me faire
-tomber!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Non, non, non;… Je n'ai jamais vu de cheveux
-comme les tiens, Mélisande!… Vois, vois, vois,
-ils viennent de si haut et ils m'inondent jusqu'au
-cœur… Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux…
-Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient
-du ciel!… Je ne vois plus le ciel à travers
-tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne
-peuvent plus les tenir… Il y en a jusque sur les
-branches du saule… Ils vivent comme des oiseaux
-dans mes mains… et ils m'aiment, ils m'aiment
-mille fois mieux que toi!</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Laisse-moi… laisse-moi… Quelqu'un pourrait
-venir…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Non, non, non; je ne te délivre pas cette
-nuit… Tu es ma prisonnière cette nuit; toute la
-nuit, toute la nuit…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pelléas! Pelléas!</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu ne t'en iras plus… Je les noue, je les noue
-aux branches du saule, tes cheveux. Je ne souffre
-plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes
-baisers le long de tes cheveux? Ils montent le
-long de tes cheveux. Il faut que chacun t'en
-apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les
-mains… Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne
-peux plus m'abandonner…</p>
-
-<p class="rdrap"><i>Des colombes sortent de la tour et volent
-autour d'eux dans la nuit.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! oh! tu m'as fait mal!… Qu'y a-t-il, Pelléas?—Qu'est-ce
-qui vole autour de moi?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce sont les colombes qui sortent de la tour… Je
-les ai effrayées; elles s'envolent.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ce sont mes colombes, Pelléas.—Allons-nous en,
-laisse-moi; elles ne reviendraient plus…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Pourquoi ne reviendraient-elles plus?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Elles se perdront dans l'obscurité… Laisse-moi
-relever la tête… J'entends un bruit de pas…
-Laisse-moi!—C'est Golaud!… Je crois que c'est
-Golaud!… Il nous a entendus…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Attends! Attends!… Tes cheveux sont autour
-des branches… Ils se sont accrochés dans l'obscurité.
-Attends! attends!… il fait noir…</p>
-
-<p class="r"><i>Entre Golaud par le chemin de ronde.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Que faites-vous ici?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce que je fais ici?… Je…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Vous êtes des enfants… Mélisande, ne te penche
-pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber… Vous
-ne savez pas qu'il est tard?—Il est près de
-minuit.—Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.—Vous
-êtes des enfants… <i>Riant nerveusement.</i>
-Quels enfants! Quels enfants!…</p>
-
-<p class="r"><i>Il sort avec Pelléas.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE II</h3>
-
-<p class="c"><b>Les souterrains du château.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entrent Golaud et Pelléas.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Prenez garde; par ici, par ici.—Vous n'avez
-jamais pénétré dans ces souterrains?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous
-parlais… Sentez-vous l'odeur de mort qui monte!—Allons
-jusqu'au bout de ce rocher qui surplombe
-et penchez-vous un peu. Elle viendra
-vous frapper au visage. Penchez-vous; n'ayez pas
-peur… Je vous tiendrai… donnez-moi… non,
-non, pas la main… elle pourrait glisser… le bras…
-Voyez-vous le gouffre?… Pelléas? Pelléas?…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui, je crois que je vois le fond du gouffre…
-Est-ce la lumière qui tremble ainsi?… Vous…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; c'est la lanterne… Voyez, je l'agitais pour
-éclairer les parois.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>J'étouffe ici… Sortons.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui, sortons…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE III</h3>
-
-<p class="c"><b>Une terrasse au sortir des souterrains.</b></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que
-j'allais me trouver mal dans ces énormes grottes;
-j'ai été sur le point de tomber… Il y a là un air
-humide et lourd comme une rosée de plomb, et
-des ténèbres épaisses comme une pâte empoisonnée.
-Et maintenant tout l'air de toute la
-mer!… Il y a un vent frais, voyez; frais comme
-une feuille qui vient de s'ouvrir, sur les petites
-lames vertes. Tiens! On vient d'arroser les fleurs
-au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et
-des roses mouillées monte jusqu'ici… Il doit
-être près de midi, elles sont déjà dans l'ombre de
-la tour. Il est midi; j'entends sonner les cloches
-et les enfants descendent sur la plage pour se
-baigner.</p>
-
-<p>Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une
-fenêtre de la tour.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre.
-A propos de Mélisande, j'ai entendu ce qui s'est
-passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le sais
-bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas
-que cela se répète. Elle est très délicate et il
-faut qu'on la ménage, d'autant plus qu'elle sera
-peut-être bientôt mère et la moindre émotion
-pourrait amener un malheur. Ce n'est pas la
-première fois que je remarque qu'il pourrait y
-avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus
-âgé qu'elle; il suffira de vous l'avoir dit… Évitez-la
-autant que possible; mais sans affectation
-d'ailleurs; sans affectation.</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE IV</h3>
-
-<p class="c"><b>Devant le château.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entrent Golaud et le petit Yniold.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold;
-viens sur mes genoux: nous verrons d'ici ce qui
-se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout
-depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi;
-tu es toujours chez petite-mère… Tiens, nous
-sommes tout juste assis sous les fenêtres de petite-mère.—Elle
-fait peut-être sa prière du soir en
-ce moment… Mais dis-moi, Yniold, elle est souvent
-avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous
-n'êtes pas là.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne
-dans le jardin.—Mais on m'a dit qu'ils ne
-s'aimaient pas… Il paraît qu'ils se querellent
-souvent… non? Est-ce vrai?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui, c'est vrai.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui?—Ah! ah!—Mais à propos de quoi se
-querellent-ils?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>A propos de la porte.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Comment? A propos de la porte?—Qu'est-ce
-que tu racontes là?—Mais voyons, explique-toi;
-pourquoi se querellent-ils à propos de la porte?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Parce qu'elle ne peut pas être ouverte.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?—Voyons,
-pourquoi se querellent-ils?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Je ne sais pas, petit-père, à propos de la
-lumière.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je ne te parle pas de la lumière: je te parle
-de la porte… Ne mets pas ainsi la main dans la
-bouche… voyons…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Petit-père! petit-père!… Je ne le ferai plus…</p>
-
-<p class="r"><i>Il pleure.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je t'ai fait mal?—Où t'ai-je fait mal! C'est
-sans le vouloir…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ici, à mon petit bras…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus,
-je te donnerai quelque chose demain…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Quoi, petit-père?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que
-tu sais de la porte.</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>De grandes flèches?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui, de très grandes flèches.—Mais pourquoi
-ne veulent-ils pas que la porte soit ouverte?—Voyons,
-réponds-moi à la fin!—non, non; n'ouvre
-pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché.
-De quoi parlent-ils quand ils sont ensemble?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Pelléas et petite-mère?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; de quoi parlent-ils?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>De moi; toujours de moi.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Et que disent-ils de toi?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils disent que je serai très grand.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah! Misère de ma vie!… je suis ici comme un
-aveugle qui cherche son trésor au fond de
-l'océan!… Je suis ici comme un nouveau-né
-perdu dans la forêt et vous… Mais voyons,
-Yniold, j'étais distrait; nous allons causer sérieusement.
-Pelléas et petite-mère ne parlent-ils
-jamais de moi quand je ne suis pas là?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Si, si, petit-père.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah!… Et que disent-ils de moi?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils disent que je deviendrai aussi grand que
-vous.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tu es toujours près d'eux?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui, oui; toujours, petit-père.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis
-pas là.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ils ont peur?… à quoi vois-tu qu'ils ont peur?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils pleurent toujours dans l'obscurité.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah! ah!…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Cela fait pleurer aussi…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui, oui…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Elle est pâle, petit-père!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ah! ah!… patience, mon Dieu, patience…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Quoi, petit-père?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Rien, rien mon enfant.—J'ai vu passer un
-loup dans la forêt.—Ils s'embrassent quelquefois?—Non?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils s'embrassent, petit-père?—Non, non.—Ah!
-si, petit-père, si; une fois… une fois qu'il
-pleuvait…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ils se sont embrassés?—Mais comment, comment
-se sont-ils embrassés?—</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Comme ça, petit-père, comme ça!… <i>Il lui
-donne un baiser sur la bouche; riant.</i> Ah! ah!
-votre barbe, petit-père!… Elle pique! elle pique!
-Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux
-aussi; tout gris, tout gris… <i>La fenêtre sous
-laquelle ils sont assis s'éclaire en ce moment, et sa
-clarté vient tomber sur eux.</i> Ah! ah! petite-mère
-a allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait
-clair.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Oui; il commence à faire clair…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Allons-y aussi, petit-père…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Où veux-tu aller?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Où il fait clair, petit-père.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Non, non, mon enfant; restons encore un peu
-dans l'ombre… On ne sait pas, on ne sait pas
-encore… Je crois que Pelléas est fou…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est
-très bon.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Veux-tu voir petite-mère?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui, oui; je veux la voir!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la
-fenêtre. Elle est trop haute pour moi, bien que
-je sois si grand… <i>Il soulève l'enfant.</i> Ne fais pas le
-moindre bruit; petite-mère aurait terriblement
-peur… La vois-tu?—Est-elle dans la chambre?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui… Oh! il fait clair!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Elle est seule?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui… Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Il!…</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus;
-regarde, regarde, Yniold!… J'ai trébuché; parle
-plus bas. Que font-ils?—</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils ne font rien, petit-père.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Est-ce qu'ils parlent?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Non, petit-père; ils ne parlent pas.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Mais que font-ils?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Ils regardent la lumière.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tous les deux?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oui, petit-père.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ils ne disent rien?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre?</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment
-jamais les yeux… J'ai terriblement peur…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde!</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Petit-père, laissez-moi descendre!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Regarde!</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre!
-laissez-moi descendre!</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Viens! nous allons voir ce qui est arrivé.</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">ACTE IV</h2>
-
-
-<h3>SCÈNE I</h3>
-
-<p class="c"><b>Un corridor dans le château.</b></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te
-verrai-je?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je sors de la chambre de mon père. Il va
-mieux. Le médecin nous a dit qu'il était sauvé.
-Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit
-de cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade:
-«Est-ce toi, Pelléas? Tiens, je ne l'avais jamais
-remarqué, mais tu as le visage grave et amical de
-ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut
-voyager; il faut voyager…» C'est étrange; je vais
-lui obéir… Ma mère l'écoutait et pleurait de joie.
-Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble
-déjà revivre, on entend respirer, on entend
-marcher… Écoute, j'entends parler derrière cette
-porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Où veux-tu?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Dans le parc: près de la fontaine des aveugles?
-Veux-tu? Viendras-tu?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme
-mon père l'a dit. Tu ne me verras plus…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ne dis pas cela, Pelléas… Je te verrai toujours;
-je te regarderai toujours…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu auras beau regarder… Je serai si loin que
-tu ne pourras plus me voir.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends
-plus ce que tu dis…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends
-parler derrière cette porte.</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i><br />
-<i>Puis Arkël entre accompagné de Mélisande.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et
-que la maladie, la vieille servante de la mort, a
-quitté le château, un peu de joie et un peu de
-soleil vont enfin rentrer dans la maison… Il était
-temps!—Car depuis ta venue, on n'a vécu ici
-qu'en chuchotant autour d'une chambre fermée…
-Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande…
-Je t'observais, tu étais là, insouciante
-peut-être, mais avec l'air étrange et égaré de
-quelqu'un qui attendrait toujours un grand
-malheur, au soleil, dans un beau jardin… Je ne
-puis pas expliquer… Mais j'étais triste de te voir
-ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour
-vivre déjà, jour et nuit, sous l'haleine de la mort…
-Mais à présent tout cela va changer. A mon âge,—et
-c'est peut-être là le fruit le plus sûr de ma
-vie,—à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi
-à la fidélité des événements, et j'ai toujours vu que
-tout être jeune et beau, créait autour de lui des
-événements jeunes, beaux et heureux… Et c'est
-toi, maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère
-nouvelle que j'entrevois… Viens ici; pourquoi
-restes-tu là sans répondre et sans lever les yeux?—Je
-ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le
-jour de ta venue; et cependant, les vieillards ont
-besoin de toucher quelquefois de leurs lèvres, le
-front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour
-croire encore à la fraîcheur de la vie et éloigner
-un moment les menaces de la mort. As-tu peur
-de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi
-ces mois-ci!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Grand-père, je n'étais pas malheureuse…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un
-moment… on a tant besoin de beauté aux côtés
-de la mort…</p>
-
-<p class="r"><i>Entre Golaud.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Pelléas part ce soir.</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Tu as du sang sur le front.—Qu'as-tu fait?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Rien, rien… J'ai passé au travers d'une haie
-d'épines…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Baissez un peu la tête, seigneur… Je vais
-essuyer votre front…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>la repoussant.</i></div>
-<p>Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu?
-Va-t'en, va-t'en!—Je ne te parle pas.—Où est
-mon épée?—Je venais chercher mon épée…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ici; sur le prie-Dieu.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Apporte-la. <i>A Arkël.</i> On vient encore de
-trouver un paysan mort de faim, le long de la
-mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous
-nos yeux.—<i>A Mélisande.</i> Eh bien, mon épée?—Pourquoi
-tremblez-vous ainsi? Je ne vais pas
-vous tuer. Je voulais simplement examiner la
-lame. Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi
-m'examinez-vous comme un pauvre?—Je
-ne viens pas vous demander l'aumône. Vous
-espérez voir quelque chose dans mes yeux, sans
-que je voie quelque chose dans les vôtres?—Croyez-vous
-que je sache quelque chose?—<i>A
-Arkël.</i> Voyez-vous ces grands yeux?—On
-dirait qu'ils sont fiers d'être riches…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Je n'y vois qu'une grande innocence…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Une grande innocence!… Ils sont plus grands
-que l'innocence!… Ils sont plus purs que les yeux
-d'un agneau… Ils donneraient à Dieu des leçons
-d'innocence! Une grande innocence! Écoutez:
-j'en suis si près que je sens la fraîcheur de leurs
-cils quand ils clignent; et cependant, je suis
-moins loin des grands secrets de l'autre monde
-que du plus petit secret de ces yeux!… Une grande
-innocence!… Plus que de l'innocence! On dirait
-que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un
-baptême!… Je les connais ces yeux! Je les ai vus
-à l'œuvre! Fermez-les! Fermez-les! ou je vais les
-fermer pour longtemps!…—Ne mettez pas
-ainsi votre main à la gorge; je dis une chose très
-simple… Je n'ai pas d'arrière-pensée… Si j'avais
-une arrière-pensée, pourquoi ne la dirais-je pas?
-Ah! ah!—ne tâchez pas de fuir!—Ici!—Donnez-moi
-cette main!—Ah! vos mains sont
-trop chaudes… Allez-vous-en! Votre chair me
-dégoûte!… Il ne s'agit plus de fuir à présent!—<i>Il
-la saisit par les cheveux.</i>—Vous allez me
-suivre à genoux!—A genoux!—A genoux
-devant moi!—Ah! ah! vos longs cheveux servent
-enfin à quelque chose!… A droite et puis à
-gauche!—A gauche et puis à droite!—Absalon!
-Absalon!—En avant! en arrière! Jusqu'à
-terre! jusqu'à terre!… Vous voyez, vous voyez;
-je ris déjà comme un vieillard…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>accourant.</i></div>
-<p>Golaud!…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>affectant un calme soudain.</i></div>
-<p>Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.—Je
-n'attache aucune importance à cela.—Je
-suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un espion.
-J'attendrai le hasard; et alors… Oh! alors!…
-simplement parce que c'est l'usage; simplement
-parce que c'est l'usage…</p>
-
-<p class="r"><i>Il sort.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Qu'a-t-il donc?—Il est ivre?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>en larmes.</i></div>
-<p>Non, non; mais il ne m'aime plus… Je ne suis
-pas heureuse!…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des
-hommes…</p>
-
-
-<h3>SCÈNE II</h3>
-
-<p class="c"><b>Une terrasse, dans la brume.</b></p>
-
-<p class="r"><i>On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever
-un quartier de roc.</i></p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Oh! Cette pierre est lourde… elle est plus
-lourde que moi.—Elle est plus lourde que tout
-le monde.—Elle est plus lourde que tout.</p>
-
-<p>Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette
-méchante pierre. Et je ne puis pas y atteindre…
-Mon petit bras n'est pas assez long—et cette
-pierre ne veut pas être soulevée… On dirait
-qu'elle a des racines dans la terre.</p>
-
-<p class="r"><i>On entend au loin les bêlements d'un troupeau.</i></p>
-
-<p>Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.—Tiens!
-Il n'y a plus de soleil!—Ils arrivent les
-petits moutons; ils arrivent… Il y en a!… Il y en
-a!… Ils ont eu peur du noir… Ils se serrent. Ils
-se serrent! Ils pleurent… et ils vont vite!… Il y
-en a qui voudraient prendre à droite… Ils voudraient
-tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!…
-Le berger leur jette de la terre!… Ah! ah!… Ils
-vont passer par ici… Je vais les voir de près.—Comme
-il y en a!…—Maintenant, ils se taisent
-tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus?</p>
-
-<div class="p"><small>LE BERGER</small>, <i>qu'on ne voit pas.</i></div>
-<p>Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!—</p>
-
-<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div>
-<p>Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?…
-Il ne m'entend plus. Ils sont déjà trop loin… Ils
-ne font plus de bruit.—Ce n'est pas le chemin
-de l'étable… Où vont-ils dormir cette nuit?…
-Oh! oh! il fait trop noir… Je vais dire quelque
-chose à quelqu'un!</p>
-
-<p class="r"><i>Il sort.</i></p>
-
-
-<h3>SCÈNE III</h3>
-
-<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p>
-
-<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est le dernier soir… Le dernier soir… Il faut
-que tout finisse… J'ai joué comme un enfant
-autour d'une chose que je ne soupçonnais pas…
-J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée…
-Qui est-ce qui m'a réveillé tout à coup? Je
-vais fuir en criant de joie et de douleur comme
-un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison…
-Je vais lui dire que je vais fuir… Il est tard; elle
-ne vient pas… Je ferais mieux de m'en aller sans
-la revoir… Il faut que je la regarde bien cette
-fois-ci… Il y a des choses que je ne me rappelle
-plus… on dirait, par moment, qu'il y a plus de
-cent ans que je ne l'ai vue… Et je n'ai pas encore
-regardé son regard… Il ne me reste rien si je m'en
-vais ainsi. Et tous ces souvenirs… c'est comme si
-j'emportais un peu d'eau dans un sac de mousseline…
-Il faut que je la voie une dernière fois,
-jusqu'au fond de son cœur… Il faut que je lui
-dise tout ce que je n'ai pas dit…</p>
-
-<p class="r"><i>Entre Mélisande.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pelléas?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Mélisande!—Est-ce toi, Mélisande?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Viens ici: ne reste pas au bord du clair de
-lune.—Viens ici. Nous avons tant de choses à
-nous dire… Viens ici dans l'ombre du tilleul.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Laisse-moi dans la clarté…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>On pourrait nous voir des fenêtres de la tour.
-Viens ici; ici, nous n'avons rien à craindre.—Prends
-garde; on pourrait nous voir…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je veux qu'on me voie…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Qu'as-tu donc?—Tu as pu sortir sans qu'on
-s'en soit aperçu?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui; votre frère dormait…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il est tard.—Dans une heure on fermera les
-portes. Il faut prendre garde. Pourquoi es-tu
-venue si tard?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma
-robe s'est accrochée aux clous de la porte. Voyez,
-elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et j'ai
-couru…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Ma pauvre Mélisande!… J'aurais presque peur
-de te toucher… Tu es encore hors d'haleine
-comme un oiseau pourchassé… C'est pour moi,
-pour moi que tu fais tout cela?… J'entends
-battre ton cœur comme si c'était le mien… Viens
-ici… plus près, plus près de moi.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi riez-vous?</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je ne ris pas;—ou bien je ris de joie, sans le
-savoir… Il y aurait plutôt de quoi pleurer…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Nous sommes venus ici il y a bien longtemps…
-Je me rappelle.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui… Il y a de longs mois.—Alors, je ne
-savais pas… Sais-tu pourquoi je t'ai demandé de
-venir ce soir?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non.</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est peut-être la dernière fois que je te vois…
-Il faut que je m'en aille pour toujours…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je dois te dire ce que tu sais déjà!—Tu ne
-sais pas ce que je vais te dire?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mais non, mais non; je ne sais rien…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne…
-<i>Il l'embrasse brusquement.</i> Tu ne sais pas
-que c'est parce que je t'aime…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à voix basse.</i></div>
-<p>Je t'aime aussi…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque
-pas entendu!… On a brisé la glace avec des
-fers rougis!… Tu dis cela d'une voix qui vient
-du bout du monde!… Je ne t'ai presque pas
-entendue… Tu m'aimes?—Tu m'aimes aussi?…
-Depuis quand m'aimes-tu?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Depuis toujours… Depuis que je t'ai vu…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! comme tu dis cela!… On dirait que ta
-voix a passé sur la mer au printemps!… je ne l'ai
-jamais entendue jusqu'ici… on dirait qu'il a plu
-sur mon cœur! Tu dis cela si franchement!…
-Comme un ange qu'on interroge!… Je ne puis
-pas le croire, Mélisande!… Pourquoi m'aimerais-tu?—Mais
-pourquoi m'aimes-tu!—Est-ce vrai
-ce que tu dis?—Tu ne me trompes pas?—Tu
-ne mens pas un peu, pour me faire sourire?…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton
-frère…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! Comme tu dis cela!… Ta voix! ta voix…
-Elle est plus fraîche et plus franche que l'eau!…
-On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!… On dirait
-de l'eau pure sur mes mains… Donne-moi,
-donne-moi tes mains. Oh! tes mains sont petites!…
-Je ne savais pas que tu étais si belle!… Je
-n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi…
-J'étais inquiet, je cherchais partout dans la maison…
-Je cherchais partout dans la campagne…
-Et je ne trouvais pas la beauté… Et maintenant
-je t'ai trouvée!… Je t'ai trouvée!… Je ne crois
-pas qu'il y ait sur la terre une femme plus belle!…
-Où es-tu?—Je ne t'entends plus respirer…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>C'est que je te regarde…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Pourquoi me regardes-tu si gravement!—Nous
-sommes déjà dans l'ombre.—Il fait trop noir
-sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous ne
-pouvons pas voir combien nous sommes heureux.
-Viens, viens; il nous reste si peu de temps…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; restons ici… Je suis plus près de toi
-dans l'obscurité…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Où sont tes yeux?—Tu ne vas pas me fuir?—Tu
-ne songes pas à moi en ce moment.</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu regardais ailleurs…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je te voyais ailleurs…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu es distraite. Qu'as-tu donc?—Tu ne me
-sembles pas heureuse…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Quel est ce bruit?—On ferme les portes!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, on a fermé les portes…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Nous ne pouvons plus rentrer!—Entends-tu
-les verrous?—Écoute! écoute!… les grandes
-chaînes!… Il est trop tard, il est trop tard!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Tant mieux! Tant mieux!</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Tu?… Voilà, voilà!… Ce n'est plus nous qui le
-voulons!… Tout est perdu, tout est sauvé! tout
-est sauvé ce soir!—Viens! viens… Mon cœur
-bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge…
-<i>Il l'enlace.</i> Écoute! mon cœur est sur le point de
-m'étrangler… Viens! viens!… Ah! qu'il fait beau
-dans les ténèbres!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il y a quelqu'un derrière nous!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je ne vois personne…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>J'ai entendu du bruit…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je n'entends que ton cœur dans l'obscurité…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>J'ai entendu craquer les feuilles mortes…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>C'est le vent qui s'est tû tout à coup… Il est
-tombé pendant que nous nous embrassions…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Comme nos ombres sont grandes ce soir!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin… Oh!
-qu'elles s'embrassent loin de nous!… Regarde!
-Regarde!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>d'une voix étouffée.</i></div>
-<p>A-a-h!—Il est derrière un arbre!</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Qui?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Golaud!</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Golaud?—où donc?—je ne vois rien…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Là… au bout de nos ombres…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oui, oui; je l'ai vu… Ne nous retournons pas
-brusquement…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il a son épée…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Je n'ai pas la mienne…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Il a vu que nous nous embrassions…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il ne sait pas que nous l'avons vu… Ne bouge
-pas; ne tourne pas la tête… Il se précipiterait…
-Il nous observe… Il est encore immobile… Va-t'en,
-va-t'en tout de suite par ici… Je l'attendrai…
-Je l'arrêterai…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non, non!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!… Il nous tuera!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Tant mieux! tant mieux! tant mieux!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Il vient! il vient!… Ta bouche!… Ta bouche!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui!… Oui!… Oui!…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils s'embrassent éperdument.</i></p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Oh! oh! Toutes les étoiles tombent…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Sur moi aussi! sur moi aussi!…</p>
-
-<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div>
-<p>Toutes! toutes! toutes!…</p>
-
-<p class="rdrap"><i>Golaud se précipite sur eux l'épée à la main,
-et frappe Pelléas, qui tombe au bord de la
-fontaine. Mélisande fuit épouvantée.</i></p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fuyant.</i></div>
-<p>Oh! oh! Je n'ai pas de courage!… Je n'ai pas
-de courage!…</p>
-
-<p class="r"><i>Golaud la poursuit à travers le bois, en silence.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">ACTE V</h2>
-
-
-<h3>SCÈNE I</h3>
-
-<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p>
-
-<p class="rdrap"><i>On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans
-un coin de la chambre. Mélisande est étendue
-sur son lit.</i></p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle
-peut mourir; un oiseau n'en serait pas mort…
-ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon
-seigneur; ne vous désolez pas ainsi… Et puis, il
-n'est pas dit que nous ne la sauverons pas…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Non, non; il me semble que nous nous taisons
-trop, malgré nous, dans sa chambre… Ce n'est
-pas un bon signe… Regardez comme elle dort…
-lentement, lentement… on dirait que son âme a
-froid pour toujours…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à
-faire pleurer les pierres!… Ils s'étaient embrassés
-comme des petits enfants… Ils étaient frère et
-sœur… Et moi, moi tout de suite!… Je l'ai fait
-malgré moi, voyez-vous… Je l'ai fait malgré
-moi…</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Attention; je crois qu'elle s'éveille…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ouvrez la fenêtre… ouvrez la fenêtre…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; la grande fenêtre… c'est pour voir…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid
-ce soir?</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Faites, faites…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Merci… Est-ce le soleil qui se couche?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il
-est tard.—Comment te trouves-tu, Mélisande?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Bien, bien.—Pourquoi demandez-vous cela?
-Je n'ai jamais été mieux portante.—Il me semble
-cependant que je sais quelque chose…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Que dis-tu?—Je ne te comprends pas…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne comprends pas non plus tout ce que je
-dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis…
-Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce
-que je veux…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Mais si, mais si… Je suis tout heureux de t'entendre
-parler ainsi; tu as eu un peu de délire ces
-jours-ci, et l'on ne te comprenait plus… Mais
-maintenant, tout cela est bien loin…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Je ne sais pas…—Êtes-vous tout seul dans la
-chambre, grand-père?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Ah!…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Et puis il y a encore quelqu'un…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qui est-ce?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>C'est… il ne faut pas t'effrayer… Il ne te veut
-pas le moindre mal, sois-en sûre… Si tu as peur,
-il s'en ira… Il est très malheureux…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qui est-ce?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>C'est… c'est ton mari… c'est Golaud…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près
-de moi?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se traînant vers le lit.</i></div>
-<p>Mélisande… Mélisande…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais
-presque plus… C'est que j'ai le soleil du soir dans
-les yeux… Pourquoi regardez-vous les murs?
-Vous avez maigri et vieilli… Y a-t-il longtemps
-que nous ne nous sommes vus?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>à Arkël et au médecin.</i></div>
-<p>Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres
-amis… Je laisserai la porte grande ouverte…
-Un instant seulement… Je voudrais lui dire quelque
-chose; sans cela je ne pourrais pas mourir…
-Voulez-vous?—Vous pouvez revenir tout de
-suite… Ne me refusez pas cela… Je suis un malheureux…
-<i>Sortent Arkël et le médecin.</i> Mélisande,
-as-tu pitié de moi, comme j'ai pitié de toi?…
-Mélisande?… Me pardonnes-tu, Mélisande?…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, oui, je te pardonne… Que faut-il pardonner?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je t'ai fait tant de mal, Mélisande… Je ne puis
-pas te dire le mal que je t'ai fait… Mais je le vois,
-je le vois si clairement aujourd'hui… depuis le
-premier jour… Et tout est de ma faute, tout ce
-qui est arrivé, tout ce qui va arriver… Si je pouvais
-le dire, tu verrais comme je le vois!… Je
-vois tout, je vois tout!… Mais je t'aimais tant!…
-Je t'aimais tant!… Mais maintenant, quelqu'un
-va mourir… C'est moi qui vais mourir… Et je
-voudrais savoir… Je voudrais te demander… Tu
-ne m'en voudras pas?… Il faut dire la vérité à
-quelqu'un qui va mourir… Il faut qu'il sache la
-vérité, sans cela il ne pourrait pas dormir… Me
-jures-tu de dire la vérité?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui.</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>As-tu aimé Pelléas?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tu ne me comprends pas?—Tu ne veux pas
-me comprendre?—Il me semble… Il me semble…
-Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as
-aimé d'un amour défendu?… As-tu… Avez-vous
-été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non; nous n'avons pas été coupables.—Pourquoi
-demandez-vous cela?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Mélisande!… Dis-moi la vérité pour l'amour de
-Dieu!</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ne mens plus ainsi, au moment de mourir!</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Qui est-ce qui va mourir?—Est-ce moi?</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!… Et il
-nous faut la vérité… Il nous faut enfin la vérité,
-entends-tu!… Dis-moi tout! Dis-moi tout! Je te
-pardonne tout!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Pourquoi vais-je mourir?—Je ne le savais pas…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tu le sais maintenant… Il est temps!… Il est
-temps!… Vite! vite!… La vérité! la vérité!…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>La vérité… la vérité…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Où es-tu?—Mélisande!—Où es-tu?—Ce
-n'est pas naturel! Mélisande! Où es-tu? <i>Apercevant
-Arkël et le médecin à la porte de la chambre.</i>—Oui,
-oui; vous pouvez rentrer… Je ne sais
-rien; c'est inutile… Elle est déjà trop loin de
-nous… Je ne saurai jamais!… Je vais mourir ici
-comme un aveugle!…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Je l'ai déjà tuée…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Mélisande…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Est-ce vous, grand-père?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Oui, ma fille… Que veux-tu que je fasse?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Est-il vrai que l'hiver commence?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Pourquoi demandes-tu cela?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de
-feuilles…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Tu as froid?—Veux-tu qu'on ferme les fenêtres?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Non, non… jusqu'à ce que le soleil soit au fond
-de la mer.—Il descend lentement, alors c'est
-l'hiver qui commence?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Oui.—Tu n'aimes pas l'hiver?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oh! non. J'ai peur du froid!—Ah! J'ai peur
-des grands froids…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Te sens-tu mieux?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Veux-tu voir ton enfant?</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Quel enfant?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Ton enfant, ta petite fille…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Où est-elle?</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Ici…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>C'est étrange… Je ne peux pas lever les bras
-pour la prendre…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>C'est que tu es encore très faible… Je la tiendrai
-moi-même; regarde…</p>
-
-<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div>
-<p>Elle ne rit pas… Elle est petite… Elle va pleurer
-aussi… J'ai pitié d'elle…</p>
-
-<p class="rdrap"><i>La chambre est envahie, peu à peu, par les
-servantes du château, qui se rangent en
-silence le long des murs et attendent.</i></p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se levant brusquement.</i></div>
-<p>Qu'y a-t-il?—Qu'est-ce que toutes ces femmes
-viennent faire ici?</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Ce sont les servantes…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Qui est-ce qui les a appelées?</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Ce n'est pas moi…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Que venez-vous faire ici?—Personne ne vous
-a demandées… Que venez-vous faire ici?—Mais
-qu'est-ce que donc! Répondez!…</p>
-
-<p class="r"><i>Les servantes ne répondent pas.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Ne parlez pas trop fort… Elle va dormir; elle
-a fermé les yeux…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ce n'est pas?…</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Non, non; voyez, elle respire…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Ses yeux sont pleins de larmes.—Maintenant
-c'est son âme qui pleure… Pourquoi étend-elle
-ainsi les bras? Que veut-elle?</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de
-la mère contre la mort…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>En ce moment?—En ce moment?—Il faut
-le dire, dites! dites!</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Peut-être…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Tout de suite?… Oh! Oh! Il faut que je lui
-dise…—Mélisande! Mélisande!… Laissez-moi
-seul! laissez-moi seul avec elle!…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Non, non, n'approchez pas… Ne la troublez
-pas… Ne lui parlez plus… Vous ne savez pas ce
-que c'est que l'âme…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div>
-<p>Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute!</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Attention… Attention… Il faut parler à voix
-basse.—Il ne faut plus l'inquiéter… L'âme
-humaine est très silencieuse… L'âme humaine
-aime à s'en aller seule… Elle souffre si timidement…
-Mais la tristesse, Golaud… mais la tristesse
-de tout ce que l'on voit!… Oh! oh! oh!…</p>
-
-<p class="rdrap"><i>En ce moment, toutes les servantes
-tombent subitement à genoux au fond de la chambre.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>se retournant.</i></div>
-<p>Qu'y a-t-il?</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>, <i>s'approchant du lit et tâtant le corps.</i></div>
-<p>Elles ont raison…</p>
-
-<p class="r"><i>Un long silence.</i></p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Je n'ai rien vu.—Êtes-vous sûr?…</p>
-
-<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div>
-<p>Oui, oui.</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Je n'ai rien entendu… Si vite, si vite… Tout à
-coup… Elle s'en va sans rien dire…</p>
-
-<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>sanglotant.</i></div>
-<p>Oh! oh! oh!…</p>
-
-<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div>
-<p>Ne restez pas ici, Golaud… Il lui faut le silence,
-maintenant… Venez, venez… C'est terrible,
-mais ce n'est pas votre faute… C'était un petit
-être si tranquille, si timide et si silencieux…
-C'était un pauvre petit être mystérieux, comme
-tout le monde… Elle est là, comme si elle était la
-grande sœur de son enfant…—Venez; il ne faut
-pas que l'enfant reste ici dans cette chambre…
-Il faut qu'il vive, maintenant, à sa place… C'est
-au tour de la pauvre petite…</p>
-
-<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p>
-
-
-<p class="c gap">FIN.</p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of Project Gutenberg's Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE ***
-
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+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=UTF-8" /> +<title> + The Project Gutenberg eBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck. +</title> +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> +<style type="text/css"> +p { margin: .2em 0; text-indent: 1.5em; text-align: justify; } + +h1 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 1em 0 1em 0; } +h2 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 4em 0 1em 0; } +h3 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 2em 0 1em 0; } + +hr { margin: 1.5em 40%; width: 20%; } + + +.small { font-size: 90%; } +.xsmall { font-size: 80%; } +.large { font-size: 120%; } + +.sc { font-variant: small-caps; } + + +sup { font-size: .7em; vertical-align: top; font-style: normal; + font-weight: normal; font-variant: normal; } +i sup { padding-left: .25em; } + +.p { text-align: center; margin: 1em 0; } +.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; } +.rdrap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; margin: 1em 0 1em 20%; } +.r { text-align: right; margin: 1em 0; } + +p.c, div.c { text-align: center; text-indent: 0; margin: 1.5em 0; line-height: 1.5em; } + +table { margin: 1em auto; } +td { vertical-align: top; padding: 0 1em; } +td.c { text-align: center; line-height: 1.5em; } +td.topbot { padding: 1em 0 .5em 0; } +td.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; } +td.num { vertical-align: bottom; text-align: right; } + + +.poetry { } +.stanza { margin-top: 1em; } + +.verse { text-indent: -3em; padding-left: 3em; } +.i3 { margin-left: 15%; } + +ul, li { list-style: none; } + +.gap { margin-top: 2.5em; } +.chapter, .break { margin-top: 5em; } + +@media screen { + body { margin: 0 auto; max-width: 40em; width: 80%; } +} + +@media handheld { + .chapter, .break { page-break-before: always; } + .top4em { padding-top: 4em; } + .nobreak { page-break-before: avoid; } +} + +</style> +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 61075 ***</div> + +<p class="c large"><b>Nouvelle édition, modifiée conformément aux +représentations de l'Opéra-Comique</b></p> + +<h1><span class="large">PELLÉAS</span><br /> +<span class="xsmall">ET</span><br /> +<span class="large">MÉLISANDE</span></h1> + +<p class="c"><span class="small">DRAME LYRIQUE EN CINQ ACTES</span><br /> +<span class="xsmall">TIRÉ DU THÉÂTRE DE</span><br /> +<span class="large">MAURICE MAETERLINCK</span></p> + +<p class="c"><span class="small">MUSIQUE DE</span><br /> +<span class="large">CLAUDE DEBUSSY</span></p> + +<p class="c gap">BRUXELLES<br /> +<span class="large sc">Paul LACOMBLEZ, Éditeur</span><br /> +31, <span class="small">RUE DES PAROISSIENS</span>, 31</p> + +<p class="c">1907</p> + +<p class="c"><span class="sc">Dépôt pour Paris: CALMANN-LÉVY, 3, rue Auber.</span></p> + +<div class="break"></div> + +<h2>DU MÊME AUTEUR:</h2> + +<table summary=""> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Serres chaudes</span> suivies de <span class="sc">quinze chansons</span>. +Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">L'Ornement des Noces Spirituelles</span> de <i>Ruysbroeck l'admirable</i>, +traduit du flamand et accompagné d'une Introduction. Un volume +in-16, sur papier à la main</td> +<td class="num">5.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Disciples à Saïs et les Fragments</span> de <i>Novalis</i>, traduits de +l'allemand et précédés d'une Introduction. Un volume in-18 +jésus</td> +<td class="num">4.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Sept Princesses</span>, drame. Un petit volume in-18 jésus</td> +<td class="num">2.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Temple enseveli</span>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Trésor des Humbles</span>. Un volume in 18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La Sagesse et la Destinée</span>. Un volume in 18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La Vie des Abeilles</span>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome I: <i>La Princesse Maleine.</i>—<i>L'Intruse.</i>—<i>Les +Aveugles</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome II: <i>Pelléas et Mélisande.</i>—<i>Alladine et +Palomides.</i>—<i>Intérieur.</i>—<i>La mort de Tintagiles</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome III: <i>Aglavaine et Sélysette.</i>—<i>Ariane et +Barbe-bleue.</i>—<i>Sœur Béatrice</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr><td colspan="2" class="c topbot">CHEZ LE MÊME ÉDITEUR:</td></tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Sept Essais d'Emerson</span>, traduits par I. Will, avec une préface +de <i>Maurice Maeterlinck</i>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +</table> +<div class="break"></div> + +<p class="c large top4em"><b>Pelléas et Mélisande</b></p> + +<p class="c small">DRAME LYRIQUE</p> + +<div class="break"></div> + +<h2 class="nobreak">PERSONNAGES.</h2> + + +<ul><li>A<small>RKEL</small>, roi d'Allemonde.</li> +<li>G<small>ENEVIÈVE</small>, mère de Pelléas et de Golaud.</li> +<li>P<small>ELLÉAS</small>, G<small>OLAUD</small>, petits-fils d'Arkël.</li> +<li>M<small>ÉLISANDE</small>.</li> +<li>Le petit Y<small>NIOLD</small>, fils de Golaud (d'un premier lit).</li> +<li>Un médecin.</li> +<li>Servantes, pauvres, etc.</li> +</ul> +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE I</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Une forêt.</b></p> + +<p class="rdrap"><i>On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.—Entre +Golaud.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.—Dieu +sait jusqu'où cette bête m'a mené. Je croyais +cependant l'avoir blessée à mort; et voici des +traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de +vue; je crois que je me suis perdu moi-même—et +mes chiens ne me retrouvent plus—je vais +revenir sur mes pas…—J'entends pleurer… Oh! +oh! qu'y a-t-il là au bord de l'eau?… Une petite +fille qui pleure au bord de l'eau? <i>Il tousse.</i>—Elle +ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. +<i>Il s'approche et touche Mélisande à l'épaule.</i> Pourquoi +pleures-tu? <i>Mélisande tressaille, se dresse et +veut fuir.</i>—N'ayez pas peur. Vous n'avez rien à +craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne me touchez pas! ne me touchez pas!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>N'ayez pas peur… Je ne vous ferai pas… Oh! +vous êtes belle!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou +je me jette à l'eau!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne vous touche pas… Voyez, je resterai ici, +contre l'arbre. N'ayez pas peur. Quelqu'un vous +a-t-il fait du mal?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oui! oui, oui!…</p> + +<p class="r"><i>Elle sanglote profondément.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui vous a fait du mal?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tous! tous!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Quel mal vous a-t-on fait?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je me suis enfuie!… enfuie… enfuie!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je suis perdue!… perdue ici… Je ne suis pas +d'ici… Je ne suis pas née là …</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>D'où êtes-vous? Où êtes-vous née?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! loin d'ici… loin… loin…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où donc—Ah! c'est la couronne qu'il m'a +donnée. Elle est tombée en pleurant.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Une couronne?—Qui est-ce qui vous a donné +une couronne?—Je vais essayer de la prendre…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux +plus! Je préfère mourir tout de suite…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est +pas très profonde.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me +jette à sa place!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; je la laisserai là ; on pourrait la +prendre sans peine cependant. Elle semble très +belle.—Y a-t-il longtemps que vous avez fui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui… qui êtes-vous?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je suis le prince Golaud—le petit-fils d'Arkël, +le vieux roi d'Allemonde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! vous avez déjà les cheveux gris…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; quelques-uns, ici, près des tempes…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Et la barbe aussi… Pourquoi me regardez-vous +ainsi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je regarde vos yeux.—Vous ne fermez jamais +les yeux?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; je les ferme la nuit…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pourquoi avez-vous l'air si étonné?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Vous êtes un géant?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je suis un homme comme les autres…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi êtes-vous venu ici?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans +la forêt. Je poursuivais un sanglier. Je me suis +trompé de chemin.—Vous avez l'air très jeune. +Quel âge avez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je commence à avoir froid…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voulez-vous venir avec moi?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; je reste ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne +pouvez pas rester ici toute la nuit… Comment +vous nommez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mélisande.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande. +Venez avec moi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je reste ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas +ce qu'il y a ici… Toute la nuit… Toute seule, ce +n'est pas possible. Mélisande, venez, donnez-moi +la main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! ne me touchez pas!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne criez pas… Je ne vous toucherai plus. Mais +venez avec moi. La nuit sera très noire et très +froide. Venez avec moi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où allez-vous?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne sais pas… Je suis perdu aussi…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Une salle dans le château.</b></p> + +<p class="c"><i>On découvre Arkël et Geneviève.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un +soir, je l'ai trouvée tout en pleurs au bord d'une +fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je ne +sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient +et je n'ose pas l'interroger, car elle doit avoir eu +une grande épouvante, et quand on lui demande +ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup +comme un enfant et sanglote si profondément +qu'on a peur. Il y a maintenant six mois que je +l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de +notre rencontre. En attendant, mon cher Pelléas, +toi que j'aime plus qu'un frère, bien que nous ne +soyons pas nés du même père; en attendant, +prépare mon retour… Je sais que ma mère me +pardonnera volontiers. Mais j'ai peur d'Arkël, +malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage +étrange, tous ses projets politiques, et je crains +que la beauté de Mélisande n'excuse pas à ses +yeux, si sages, ma folie. S'il consent néanmoins +à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille, +le troisième soir qui suivra cette lettre, allume +une lampe au sommet de la tour qui regarde la +mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire; +sinon, j'irai plus loin et ne reviendrai plus…» +Qu'en dites-vous!</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître +étrange, parce que nous ne voyons jamais que +l'envers des destinées… Il avait toujours suivi +mes conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre +heureux en l'envoyant demander la main de la +princesse Ursule… Il ne pouvait pas rester seul, +et depuis la mort de sa femme il était triste +d'être seul; et ce mariage allait mettre fin à de +longues guerres et à de vieilles haines… Il ne l'a +pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu: +je ne me suis jamais mis en travers d'une destinée: +il sait mieux que moi son avenir. Il n'arrive +peut-être pas d'événements inutiles…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Il a toujours été prudent, si grave et si +ferme… Depuis la mort de sa femme il ne vivait +plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout +oublié…—Qu'allons-nous faire?</p> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui entre là ?</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>C'est Pelléas. Il a pleuré.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Est-ce toi Pelléas?—Viens un peu plus près, +que je te voie dans la lumière.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la +lettre de mon frère, une autre lettre; une lettre +de mon ami Marcellus… Il va mourir et il m'appelle.</p> + +<p>Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort +doit venir… Il me dit que je puis arriver avant +elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps à +perdre.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Il faudrait attendre quelque temps cependant… +Nous ne savons pas ce que le retour de ton frère +nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il pas +ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que +ton ami… Pourras-tu choisir entre le père et +l'ami?…</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir, +Pelléas…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Devant le château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Geneviève et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, +quelles forêts autour des palais!…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée +ici, et cela étonne tout le monde. Il y a des +endroits où l'on ne voit jamais le soleil. Mais l'on +s'y fait si vite… Il y a longtemps, il y a longtemps… +Il y a près de quarante ans que je vis +ici… Regardez de l'autre côté, vous aurez la +clarté de la mer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'entends du bruit au-dessous de nous…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous… +Ah! C'est Pelléas… Il semble encore fatigué de +vous avoir attendue si longtemps…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il ne nous a pas vues.</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce +qu'il doit faire… Pelléas, Pelléas, est-ce toi?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui!… Je venais du côté de la mer…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il +fait un peu plus clair qu'ailleurs! et cependant la +mer est sombre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a +toutes les nuits depuis quelque temps… et cependant +elle est si calme ce soir… On s'embarquerait +sans le savoir et l'on ne reviendrait plus.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Quelque chose sort du port…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il faut que ce soit un grand navire… Les +lumières sont très hautes, nous le verrons tout à +l'heure quand il entrera dans la bande de clarté…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Je ne sais si nous pourrons le voir… il y a +encore une brume sur la mer…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On dirait que la brume s'élève lentement…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui; j'aperçois, là -bas, une petite lumière que +je n'avais pas vue…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne +voyons pas encore.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Le navire est dans la lumière… Il est déjà bien +loin…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il s'éloigne à toutes voiles…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de +grandes voiles… Je le reconnais à ses voiles…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il aura mauvaise mer cette nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?… On ne le +voit presque plus… Il fera peut-être naufrage…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>La nuit tombe très vite…</p> + +<p class="r"><i>Un silence.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la +route à Mélisande. Il faut que j'aille voir, un +instant, le petit Yniold.</p> + +<p class="r"><i>Elle sort.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On ne voit plus rien sur la mer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vois d'autres lumières.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont les autres phares… Entendez-vous la +mer?… C'est le vent qui s'élève… Descendons +par ici. Voulez-vous me donner la main?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est +escarpé et il y fait très sombre… Je pars peut-être +demain…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh!… Pourquoi partez-vous?</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE II</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Vous ne savez pas où je vous ai menée?—Je +viens souvent m'asseoir ici, vers midi, lorsqu'il +fait trop chaud dans les jardins. On étouffe, +aujourd'hui, même à l'ombre des arbres.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! L'eau est claire…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille +fontaine abandonnée. Il paraît que c'était une +fontaine miraculeuse,—elle ouvrait les yeux des +aveugles.—On l'appelle encore la «fontaine +des aveugles».</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Depuis que le roi est presque aveugle lui-même, +on n'y vient plus…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Comme on est seul ici… On n'entend rien.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il y a toujours un silence extraordinaire… On +entendrait dormir l'eau… Voulez-vous vous asseoir +au bord du bassin de marbre? Il y a un +tilleul où le soleil n'entre jamais…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vais me coucher sur le marbre.—Je voudrais +voir le fond de l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On ne l'a jamais vu.—Elle est peut-être aussi +profonde que la mer.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si quelque chose brillait au fond, on le verrait +peut-être…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ne vous penchez pas ainsi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je voudrais toucher l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde de glisser… Je vais vous tenir la +main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, je voudrais y plonger mes deux +mains… On dirait que mes mains sont malades +aujourd'hui…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!… +Mélisande!—Oh! votre chevelure!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>se redressant.</i></div> +<p>Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Vos cheveux ont plongé dans l'eau…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, ils sont plus longs que mes bras… Ils sont +plus longs que moi…</p> + +<p class="r"><i>Un silence.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a +trouvée?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Que vous a-t-il dit?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Rien;—je ne me rappelle plus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Était-il tout près de vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, il voulait m'embrasser…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Et vous ne vouliez pas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi ne vouliez-vous pas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond +de l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde! prenez garde!—Vous allez +tomber!—Avec quoi jouez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Avec l'anneau qu'il m'a donné…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mes mains ne tremblent pas.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Comme il brille au soleil!—Ne le jetez pas si +haut vers le ciel!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il est tombé?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il est tombé dans l'eau!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où est-il? Où est-il?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne le vois pas descendre…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je crois que je la vois briller…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ma bague?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui,… Là -bas…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! Oh! elle est si loin de nous!… non, non, +ce n'est pas elle… ce n'est plus elle… Elle est perdue… +perdue… Il n'y a plus qu'un grand cercle +sur l'eau… Qu'allons-nous faire maintenant?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague. +Ce n'est rien… nous la retrouverons peut-être. +Ou bien nous en retrouverons une autre.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous +n'en trouverons pas d'autres non plus… Je +croyais l'avoir dans les mains cependant… J'avais +déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré +tout… Je l'ai jetée trop haut, du côté du soleil…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Venez, nous reviendrons un autre jour… +venez, il est temps. On irait à notre rencontre… +Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où +il est?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>La vérité, la vérité, la vérité…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p> + +<p class="r"><i>On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande +est à son chevet.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je +ne puis m'expliquer comment cela s'est passé. Je +chassais tranquillement dans la forêt. Mon cheval +s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il +vu quelque chose d'extraordinaire?… Je venais +d'entendre sonner les douze coups de midi. Au +douzième coup, il s'effraie subitement, et court, +comme un aveugle fou, contre un arbre. Je ne +sais plus ce qui est arrivé. Je suis tombé, et lui +doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute +la forêt sur la poitrine; je croyais que mon cœur +était déchiré. Mais mon cœur est solide. Il paraît +que ce n'est rien…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voulez-vous boire un peu d'eau?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Merci, je n'ai pas soif.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voulez-vous un autre oreiller?… Il y a une +petite tache de sang sur celui-ci.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; ce n'est pas la peine.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce bien sûr?… Vous ne souffrez pas trop?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait +au fer et au sang…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai +ici toute la nuit…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues +ainsi. Je n'ai besoin de rien; je dormirai comme +un enfant… Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi +pleures-tu tout à coup?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fondant en larmes</i>.</div> +<p>Je suis… Je suis malade ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu es malade?… Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc, +Mélisande?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne sais pas… Je suis malade ici… Je préfère +vous le dire aujourd'hui; seigneur, je ne suis +pas heureuse ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-il donc arrivé?… Quelqu'un t'a fait du +mal?… Quelqu'un t'aurait-il offensée?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; personne ne m'a fait le moindre +mal… Ce n'est pas cela…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais tu dois me cacher quelque chose?… Dis-moi +toute la vérité, Mélisande… Est-ce le roi?… +Est-ce ma mère?… Est-ce Pelléas?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne… +Vous ne pouvez pas me comprendre… +C'est quelque chose qui est plus fort que moi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; sois raisonnable, Mélisande.—Que +veux-tu que je fasse?—Tu n'es plus une enfant.—Est-ce +moi que tu voudrais quitter?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! non; ce n'est pas cela… Je voudrais m'en +aller avec vous… C'est ici, que je ne peux plus +vivre… Je sens que je ne vivrai plus longtemps…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais il faut une raison cependant. On va te +croire folle. On va croire à des rêves d'enfant.—Voyons, +est-ce Pelléas, peut-être?—Je crois +qu'il ne te parle pas souvent…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je +crois; je l'ai vu dans ses yeux… Mais il me parle +quand il me rencontre…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été +ainsi. Il est un peu étrange. Il changera, tu +verras; il est jeune…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais ce n'est pas cela… Ce n'est pas cela…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-ce donc?—Ne peux-tu pas te faire à la +vie qu'on mène ici? Fait-il trop triste ici?—Il +est vrai que ce château est très vieux et très +sombre… Il est très froid et très profond. Et tous +ceux qui l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne +peut sembler bien triste aussi, avec toutes +ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière. +Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et +puis, la joie, la joie, on n'en a pas tous les jours; +il faut prendre les choses comme elles sont. Mais +dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai +tout ce que tu voudras…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, c'est vrai… On ne voit jamais le ciel clair… +Je l'ai vu pour la première fois ce matin…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre +Mélisande?—Ce n'est donc que cela?—Tu +pleures de ne pas voir le ciel?—Voyons, tu n'es +plus à l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses… +Et puis l'été n'est-il pas là ? Tu vas voir le ciel +tous les jours.—Et puis l'année prochaine… +Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux +petites mains. <i>Il lui prend les mains.</i> Oh! ces +petites mains que je pourrais écraser comme des +fleurs…—Tiens, où est l'anneau que je t'avais +donné?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>L'anneau?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; la bague de nos noces, où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je crois… Je crois qu'elle est tombée…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tombée?—Où est-elle tombée?…—Tu ne l'as +pas perdue?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, elle est tombée… elle doit être tombée… +Mais je ne sais pas où elle est…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Vous savez bien… vous savez bien… la grotte +au bord de la mer?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Eh bien, c'est là … Il faut que ce soit là … Oui, +oui; je me rappelle… J'y suis allée ce matin, +ramasser des coquillages pour le petit Yniold… Il +y en a de très beaux… Elle a glissé de mon +doigt… puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir +avant de l'avoir retrouvée.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Es-tu sûre que ce soit là ?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui; tout à fait sûre… Je l'ai sentie glisser…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il faut aller la chercher tout de suite.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Maintenant?—tout de suite?—dans l'obscurité?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité. +J'aimerais mieux avoir perdu tout ce que j'ai plutôt +que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais pas +ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La +mer sera très haute cette nuit. La mer viendra la +prendre avant toi… Dépêche-toi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je n'ose pas… Je n'ose pas aller seule…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y +aller tout de suite, entends-tu?—Dépêche-toi; +demande à Pelléas d'y aller avec toi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas?—Avec Pelléas?—Mais Pelléas ne +voudra pas…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je +connais Pelléas mieux que toi. Vas-y, hâte-toi. +Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!… Je ne suis +pas heureuse!</p> + +<p class="r"><i>Elle sort en pleurant.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Devant une grotte.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>, <i>parlant avec une grande agitation.</i></div> +<p>Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que +l'entrée de la grotte ne se distingue pas du reste +de la nuit… Il n'y a pas d'étoiles de ce côté. +Attendons que la lune ait déchiré ce grand +nuage; elle éclairera toute la grotte et alors nous +pourrons entrer sans danger. Il y a des endroits +dangereux et le sentier est très étroit, entre +deux lacs dont on n'a pas encore trouvé le fond. +Je n'ai pas songé à emporter une torche ou une +lanterne, mais je pense que la clarté du ciel +nous suffira.—Vous n'avez jamais pénétré dans +cette grotte?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Entrons-y… Il faut pouvoir décrire l'endroit où +vous avez perdu la bague, s'il vous interroge… +Elle est très grande et très belle. Elle est pleine +de ténèbres bleues. Quand on y allume une +petite lumière, on dirait que la voûte est couverte +d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la main, ne +tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas +de danger: nous nous arrêterons au moment que +nous n'apercevrons plus la clarté de la mer… +Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? +Entendez-vous la mer derrière nous?—Elle ne +semble pas heureuse cette nuit… Ah! Voici +la clarté!</p> + +<p class="rdrap"><i>La lune éclaire largement l'entrée et une +partie des ténèbres de la grotte; et l'on aperçoit, +à une certaine profondeur, trois vieux +pauvres à cheveux blancs, assis côte à +côte, se soutenant les uns les autres, et endormis +contre un quartier de roc.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ah!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qu'y a-t-il?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il y a… Il y a…</p> + +<p class="r"><i>Elle montre les trois pauvres.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui; je les ai vus aussi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Allons-nous en!… Allons-nous en!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis… +Pourquoi sont-ils venus dormir ici?… Il y +aura une famine dans le pays.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Allons-nous en!… Venez… Allons-nous en!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde, ne parlez pas si fort… Ne les +éveillons pas… Ils dorment encore profondément… +Venez.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laissez-moi; je préfère marcher seule…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous reviendrons un autre jour…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE III</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="drap"><b>Une des tours du château.—Un chemin +de ronde passe sous une fenêtre de la tour.</b></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à la fenêtre, tandis qu'elle peigne +ses cheveux dénoués.</i></div> +<div class="poetry"> +<div class="verse">Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour!</div> +<div class="verse">Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour!</div> +<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div> +<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div> + +<div class="verse i3 stanza">Saint Daniel et saint Michel,</div> +<div class="verse i3">Saint Michel et saint Raphaël,</div> +<div class="verse i3">Je suis née un Dimanche!</div> +<div class="verse i3">Un Dimanche à midi!</div> +</div> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas par le chemin de ronde.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Holà ! Holà ! ho!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est là ?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Moi, moi, et moi!… Que fais-tu là à la fenêtre +en chantant comme un oiseau qui n'est pas d'ici?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'arrange mes cheveux pour la nuit…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est là ce que je vois sur le mur!… Je croyais +que c'était un rayon de lumière…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la +tour, il fait beau cette nuit.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais +vu autant que ce soir;… mais la lune est encore +sur la mer… Ne reste pas dans l'ombre, Mélisande, +penche-toi un peu, que je voie tes cheveux +dénoués.</p> + +<p class="r"><i>Mélisande se penche à la fenêtre.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je suis affreuse ainsi.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Mélisande!… oh! tu es belle!… tu es belle +ainsi!… penche-toi! penche-toi!… laisse-moi +venir plus près de toi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne puis pas venir plus près de toi… Je me +penche tant que je peux…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne puis pas monter plus haut… donne-moi +du moins ta main ce soir… avant que je m'en +aille… Je pars demain…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, non…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Si, si; je pars, je partirai demain… donne-moi +ta main, ta main, ta petite main sur mes lèvres…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne te donne pas ma main si tu pars…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Donne, donne, donne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tu ne partiras pas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>J'attendrai, j'attendrai.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vois une rose dans les ténèbres…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où donc?… Je ne vois que les branches du +saule qui dépassent le mur…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Plus bas, plus bas, dans le jardin; là -bas, dans +le vert sombre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce n'est pas une rose… J'irai voir tout à +l'heure, mais donne-moi ta main d'abord; d'abord +ta main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voilà , voilà ;… Je ne puis me pencher davantage…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne puis me pencher davantage… Je suis +sur le point de tomber…—Oh! oh! mes cheveux +descendent de la tour!…</p> + +<p class="rdrap"><i>Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis +qu'elle se penche ainsi et inonde Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! qu'est-ce que c'est?… Tes cheveux, +tes cheveux descendent vers moi!… Toute ta +chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est +tombée de la tour!… Je les tiens dans les mains, +je les tiens dans la bouche… Je les tiens dans les +bras, je les mets autour de mon cou… Je n'ouvrirai +plus les mains cette nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi! Laisse-moi!… Tu vas me faire +tomber!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Non, non, non;… Je n'ai jamais vu de cheveux +comme les tiens, Mélisande!… Vois, vois, vois, +ils viennent de si haut et ils m'inondent jusqu'au +cœur… Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux… +Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient +du ciel!… Je ne vois plus le ciel à travers +tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne +peuvent plus les tenir… Il y en a jusque sur les +branches du saule… Ils vivent comme des oiseaux +dans mes mains… et ils m'aiment, ils m'aiment +mille fois mieux que toi!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi… laisse-moi… Quelqu'un pourrait +venir…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Non, non, non; je ne te délivre pas cette +nuit… Tu es ma prisonnière cette nuit; toute la +nuit, toute la nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas! Pelléas!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu ne t'en iras plus… Je les noue, je les noue +aux branches du saule, tes cheveux. Je ne souffre +plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes +baisers le long de tes cheveux? Ils montent le +long de tes cheveux. Il faut que chacun t'en +apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les +mains… Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne +peux plus m'abandonner…</p> + +<p class="rdrap"><i>Des colombes sortent de la tour et volent +autour d'eux dans la nuit.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! tu m'as fait mal!… Qu'y a-t-il, Pelléas?—Qu'est-ce +qui vole autour de moi?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont les colombes qui sortent de la tour… Je +les ai effrayées; elles s'envolent.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ce sont mes colombes, Pelléas.—Allons-nous en, +laisse-moi; elles ne reviendraient plus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi ne reviendraient-elles plus?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elles se perdront dans l'obscurité… Laisse-moi +relever la tête… J'entends un bruit de pas… +Laisse-moi!—C'est Golaud!… Je crois que c'est +Golaud!… Il nous a entendus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Attends! Attends!… Tes cheveux sont autour +des branches… Ils se sont accrochés dans l'obscurité. +Attends! attends!… il fait noir…</p> + +<p class="r"><i>Entre Golaud par le chemin de ronde.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Que faites-vous ici?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce que je fais ici?… Je…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous êtes des enfants… Mélisande, ne te penche +pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber… Vous +ne savez pas qu'il est tard?—Il est près de +minuit.—Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.—Vous +êtes des enfants… <i>Riant nerveusement.</i> +Quels enfants! Quels enfants!…</p> + +<p class="r"><i>Il sort avec Pelléas.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Les souterrains du château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Golaud et Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Prenez garde; par ici, par ici.—Vous n'avez +jamais pénétré dans ces souterrains?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous +parlais… Sentez-vous l'odeur de mort qui monte!—Allons +jusqu'au bout de ce rocher qui surplombe +et penchez-vous un peu. Elle viendra +vous frapper au visage. Penchez-vous; n'ayez pas +peur… Je vous tiendrai… donnez-moi… non, +non, pas la main… elle pourrait glisser… le bras… +Voyez-vous le gouffre?… Pelléas? Pelléas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, je crois que je vois le fond du gouffre… +Est-ce la lumière qui tremble ainsi?… Vous…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; c'est la lanterne… Voyez, je l'agitais pour +éclairer les parois.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>J'étouffe ici… Sortons.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, sortons…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Une terrasse au sortir des souterrains.</b></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que +j'allais me trouver mal dans ces énormes grottes; +j'ai été sur le point de tomber… Il y a là un air +humide et lourd comme une rosée de plomb, et +des ténèbres épaisses comme une pâte empoisonnée. +Et maintenant tout l'air de toute la +mer!… Il y a un vent frais, voyez; frais comme +une feuille qui vient de s'ouvrir, sur les petites +lames vertes. Tiens! On vient d'arroser les fleurs +au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et +des roses mouillées monte jusqu'ici… Il doit +être près de midi, elles sont déjà dans l'ombre de +la tour. Il est midi; j'entends sonner les cloches +et les enfants descendent sur la plage pour se +baigner.</p> + +<p>Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une +fenêtre de la tour.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre. +A propos de Mélisande, j'ai entendu ce qui s'est +passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le sais +bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas +que cela se répète. Elle est très délicate et il +faut qu'on la ménage, d'autant plus qu'elle sera +peut-être bientôt mère et la moindre émotion +pourrait amener un malheur. Ce n'est pas la +première fois que je remarque qu'il pourrait y +avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus +âgé qu'elle; il suffira de vous l'avoir dit… Évitez-la +autant que possible; mais sans affectation +d'ailleurs; sans affectation.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="c"><b>Devant le château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Golaud et le petit Yniold.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold; +viens sur mes genoux: nous verrons d'ici ce qui +se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout +depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi; +tu es toujours chez petite-mère… Tiens, nous +sommes tout juste assis sous les fenêtres de petite-mère.—Elle +fait peut-être sa prière du soir en +ce moment… Mais dis-moi, Yniold, elle est souvent +avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous +n'êtes pas là .</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne +dans le jardin.—Mais on m'a dit qu'ils ne +s'aimaient pas… Il paraît qu'ils se querellent +souvent… non? Est-ce vrai?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, c'est vrai.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui?—Ah! ah!—Mais à propos de quoi se +querellent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>A propos de la porte.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Comment? A propos de la porte?—Qu'est-ce +que tu racontes là ?—Mais voyons, explique-toi; +pourquoi se querellent-ils à propos de la porte?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Parce qu'elle ne peut pas être ouverte.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?—Voyons, +pourquoi se querellent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Je ne sais pas, petit-père, à propos de la +lumière.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne te parle pas de la lumière: je te parle +de la porte… Ne mets pas ainsi la main dans la +bouche… voyons…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Petit-père! petit-père!… Je ne le ferai plus…</p> + +<p class="r"><i>Il pleure.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je t'ai fait mal?—Où t'ai-je fait mal! C'est +sans le vouloir…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ici, à mon petit bras…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus, +je te donnerai quelque chose demain…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Quoi, petit-père?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que +tu sais de la porte.</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>De grandes flèches?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, de très grandes flèches.—Mais pourquoi +ne veulent-ils pas que la porte soit ouverte?—Voyons, +réponds-moi à la fin!—non, non; n'ouvre +pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché. +De quoi parlent-ils quand ils sont ensemble?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Pelléas et petite-mère?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; de quoi parlent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>De moi; toujours de moi.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Et que disent-ils de toi?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils disent que je serai très grand.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! Misère de ma vie!… je suis ici comme un +aveugle qui cherche son trésor au fond de +l'océan!… Je suis ici comme un nouveau-né +perdu dans la forêt et vous… Mais voyons, +Yniold, j'étais distrait; nous allons causer sérieusement. +Pelléas et petite-mère ne parlent-ils +jamais de moi quand je ne suis pas là ?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Si, si, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah!… Et que disent-ils de moi?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils disent que je deviendrai aussi grand que +vous.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu es toujours près d'eux?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; toujours, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis +pas là .</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ont peur?… à quoi vois-tu qu'ils ont peur?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils pleurent toujours dans l'obscurité.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah!…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Cela fait pleurer aussi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, oui…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Elle est pâle, petit-père!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah!… patience, mon Dieu, patience…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Quoi, petit-père?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Rien, rien mon enfant.—J'ai vu passer un +loup dans la forêt.—Ils s'embrassent quelquefois?—Non?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils s'embrassent, petit-père?—Non, non.—Ah! +si, petit-père, si; une fois… une fois qu'il +pleuvait…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils se sont embrassés?—Mais comment, comment +se sont-ils embrassés?—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Comme ça, petit-père, comme ça!… <i>Il lui +donne un baiser sur la bouche; riant.</i> Ah! ah! +votre barbe, petit-père!… Elle pique! elle pique! +Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux +aussi; tout gris, tout gris… <i>La fenêtre sous +laquelle ils sont assis s'éclaire en ce moment, et sa +clarté vient tomber sur eux.</i> Ah! ah! petite-mère +a allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait +clair.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; il commence à faire clair…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Allons-y aussi, petit-père…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où veux-tu aller?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Où il fait clair, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non, mon enfant; restons encore un peu +dans l'ombre… On ne sait pas, on ne sait pas +encore… Je crois que Pelléas est fou…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est +très bon.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Veux-tu voir petite-mère?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; je veux la voir!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la +fenêtre. Elle est trop haute pour moi, bien que +je sois si grand… <i>Il soulève l'enfant.</i> Ne fais pas le +moindre bruit; petite-mère aurait terriblement +peur… La vois-tu?—Est-elle dans la chambre?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui… Oh! il fait clair!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Elle est seule?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui… Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il!…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus; +regarde, regarde, Yniold!… J'ai trébuché; parle +plus bas. Que font-ils?—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils ne font rien, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Est-ce qu'ils parlent?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne parlent pas.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais que font-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils regardent la lumière.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tous les deux?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne disent rien?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment +jamais les yeux… J'ai terriblement peur…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde!</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Petit-père, laissez-moi descendre!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Regarde!</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre! +laissez-moi descendre!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Viens! nous allons voir ce qui est arrivé.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE IV</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Un corridor dans le château.</b></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te +verrai-je?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je sors de la chambre de mon père. Il va +mieux. Le médecin nous a dit qu'il était sauvé. +Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit +de cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: +«Est-ce toi, Pelléas? Tiens, je ne l'avais jamais +remarqué, mais tu as le visage grave et amical de +ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut +voyager; il faut voyager…» C'est étrange; je vais +lui obéir… Ma mère l'écoutait et pleurait de joie. +Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble +déjà revivre, on entend respirer, on entend +marcher… Écoute, j'entends parler derrière cette +porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où veux-tu?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Dans le parc: près de la fontaine des aveugles? +Veux-tu? Viendras-tu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme +mon père l'a dit. Tu ne me verras plus…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne dis pas cela, Pelléas… Je te verrai toujours; +je te regarderai toujours…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu auras beau regarder… Je serai si loin que +tu ne pourras plus me voir.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends +plus ce que tu dis…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends +parler derrière cette porte.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i><br /> +<i>Puis Arkël entre accompagné de Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et +que la maladie, la vieille servante de la mort, a +quitté le château, un peu de joie et un peu de +soleil vont enfin rentrer dans la maison… Il était +temps!—Car depuis ta venue, on n'a vécu ici +qu'en chuchotant autour d'une chambre fermée… +Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande… +Je t'observais, tu étais là , insouciante +peut-être, mais avec l'air étrange et égaré de +quelqu'un qui attendrait toujours un grand +malheur, au soleil, dans un beau jardin… Je ne +puis pas expliquer… Mais j'étais triste de te voir +ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour +vivre déjà , jour et nuit, sous l'haleine de la mort… +Mais à présent tout cela va changer. A mon âge,—et +c'est peut-être là le fruit le plus sûr de ma +vie,—à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi +à la fidélité des événements, et j'ai toujours vu que +tout être jeune et beau, créait autour de lui des +événements jeunes, beaux et heureux… Et c'est +toi, maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère +nouvelle que j'entrevois… Viens ici; pourquoi +restes-tu là sans répondre et sans lever les yeux?—Je +ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le +jour de ta venue; et cependant, les vieillards ont +besoin de toucher quelquefois de leurs lèvres, le +front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour +croire encore à la fraîcheur de la vie et éloigner +un moment les menaces de la mort. As-tu peur +de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi +ces mois-ci!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Grand-père, je n'étais pas malheureuse…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un +moment… on a tant besoin de beauté aux côtés +de la mort…</p> + +<p class="r"><i>Entre Golaud.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pelléas part ce soir.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Tu as du sang sur le front.—Qu'as-tu fait?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Rien, rien… J'ai passé au travers d'une haie +d'épines…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Baissez un peu la tête, seigneur… Je vais +essuyer votre front…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>la repoussant.</i></div> +<p>Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu? +Va-t'en, va-t'en!—Je ne te parle pas.—Où est +mon épée?—Je venais chercher mon épée…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ici; sur le prie-Dieu.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Apporte-la. <i>A Arkël.</i> On vient encore de +trouver un paysan mort de faim, le long de la +mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous +nos yeux.—<i>A Mélisande.</i> Eh bien, mon épée?—Pourquoi +tremblez-vous ainsi? Je ne vais pas +vous tuer. Je voulais simplement examiner la +lame. Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi +m'examinez-vous comme un pauvre?—Je +ne viens pas vous demander l'aumône. Vous +espérez voir quelque chose dans mes yeux, sans +que je voie quelque chose dans les vôtres?—Croyez-vous +que je sache quelque chose?—<i>A +Arkël.</i> Voyez-vous ces grands yeux?—On +dirait qu'ils sont fiers d'être riches…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'y vois qu'une grande innocence…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Une grande innocence!… Ils sont plus grands +que l'innocence!… Ils sont plus purs que les yeux +d'un agneau… Ils donneraient à Dieu des leçons +d'innocence! Une grande innocence! Écoutez: +j'en suis si près que je sens la fraîcheur de leurs +cils quand ils clignent; et cependant, je suis +moins loin des grands secrets de l'autre monde +que du plus petit secret de ces yeux!… Une grande +innocence!… Plus que de l'innocence! On dirait +que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un +baptême!… Je les connais ces yeux! Je les ai vus +à l'œuvre! Fermez-les! Fermez-les! ou je vais les +fermer pour longtemps!…—Ne mettez pas +ainsi votre main à la gorge; je dis une chose très +simple… Je n'ai pas d'arrière-pensée… Si j'avais +une arrière-pensée, pourquoi ne la dirais-je pas? +Ah! ah!—ne tâchez pas de fuir!—Ici!—Donnez-moi +cette main!—Ah! vos mains sont +trop chaudes… Allez-vous-en! Votre chair me +dégoûte!… Il ne s'agit plus de fuir à présent!—<i>Il +la saisit par les cheveux.</i>—Vous allez me +suivre à genoux!—A genoux!—A genoux +devant moi!—Ah! ah! vos longs cheveux servent +enfin à quelque chose!… A droite et puis à +gauche!—A gauche et puis à droite!—Absalon! +Absalon!—En avant! en arrière! Jusqu'à +terre! jusqu'à terre!… Vous voyez, vous voyez; +je ris déjà comme un vieillard…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>accourant.</i></div> +<p>Golaud!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>affectant un calme soudain.</i></div> +<p>Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.—Je +n'attache aucune importance à cela.—Je +suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un espion. +J'attendrai le hasard; et alors… Oh! alors!… +simplement parce que c'est l'usage; simplement +parce que c'est l'usage…</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qu'a-t-il donc?—Il est ivre?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>en larmes.</i></div> +<p>Non, non; mais il ne m'aime plus… Je ne suis +pas heureuse!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des +hommes…</p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Une terrasse, dans la brume.</b></p> + +<p class="r"><i>On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever +un quartier de roc.</i></p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! Cette pierre est lourde… elle est plus +lourde que moi.—Elle est plus lourde que tout +le monde.—Elle est plus lourde que tout.</p> + +<p>Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette +méchante pierre. Et je ne puis pas y atteindre… +Mon petit bras n'est pas assez long—et cette +pierre ne veut pas être soulevée… On dirait +qu'elle a des racines dans la terre.</p> + +<p class="r"><i>On entend au loin les bêlements d'un troupeau.</i></p> + +<p>Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.—Tiens! +Il n'y a plus de soleil!—Ils arrivent les +petits moutons; ils arrivent… Il y en a!… Il y en +a!… Ils ont eu peur du noir… Ils se serrent. Ils +se serrent! Ils pleurent… et ils vont vite!… Il y +en a qui voudraient prendre à droite… Ils voudraient +tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!… +Le berger leur jette de la terre!… Ah! ah!… Ils +vont passer par ici… Je vais les voir de près.—Comme +il y en a!…—Maintenant, ils se taisent +tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus?</p> + +<div class="p"><small>LE BERGER</small>, <i>qu'on ne voit pas.</i></div> +<p>Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?… +Il ne m'entend plus. Ils sont déjà trop loin… Ils +ne font plus de bruit.—Ce n'est pas le chemin +de l'étable… Où vont-ils dormir cette nuit?… +Oh! oh! il fait trop noir… Je vais dire quelque +chose à quelqu'un!</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est le dernier soir… Le dernier soir… Il faut +que tout finisse… J'ai joué comme un enfant +autour d'une chose que je ne soupçonnais pas… +J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée… +Qui est-ce qui m'a réveillé tout à coup? Je +vais fuir en criant de joie et de douleur comme +un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison… +Je vais lui dire que je vais fuir… Il est tard; elle +ne vient pas… Je ferais mieux de m'en aller sans +la revoir… Il faut que je la regarde bien cette +fois-ci… Il y a des choses que je ne me rappelle +plus… on dirait, par moment, qu'il y a plus de +cent ans que je ne l'ai vue… Et je n'ai pas encore +regardé son regard… Il ne me reste rien si je m'en +vais ainsi. Et tous ces souvenirs… c'est comme si +j'emportais un peu d'eau dans un sac de mousseline… +Il faut que je la voie une dernière fois, +jusqu'au fond de son cœur… Il faut que je lui +dise tout ce que je n'ai pas dit…</p> + +<p class="r"><i>Entre Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Mélisande!—Est-ce toi, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Viens ici: ne reste pas au bord du clair de +lune.—Viens ici. Nous avons tant de choses à +nous dire… Viens ici dans l'ombre du tilleul.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi dans la clarté…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On pourrait nous voir des fenêtres de la tour. +Viens ici; ici, nous n'avons rien à craindre.—Prends +garde; on pourrait nous voir…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je veux qu'on me voie…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qu'as-tu donc?—Tu as pu sortir sans qu'on +s'en soit aperçu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui; votre frère dormait…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il est tard.—Dans une heure on fermera les +portes. Il faut prendre garde. Pourquoi es-tu +venue si tard?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma +robe s'est accrochée aux clous de la porte. Voyez, +elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et j'ai +couru…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ma pauvre Mélisande!… J'aurais presque peur +de te toucher… Tu es encore hors d'haleine +comme un oiseau pourchassé… C'est pour moi, +pour moi que tu fais tout cela?… J'entends +battre ton cœur comme si c'était le mien… Viens +ici… plus près, plus près de moi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi riez-vous?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne ris pas;—ou bien je ris de joie, sans le +savoir… Il y aurait plutôt de quoi pleurer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Nous sommes venus ici il y a bien longtemps… +Je me rappelle.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui… Il y a de longs mois.—Alors, je ne +savais pas… Sais-tu pourquoi je t'ai demandé de +venir ce soir?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est peut-être la dernière fois que je te vois… +Il faut que je m'en aille pour toujours…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je dois te dire ce que tu sais déjà !—Tu ne +sais pas ce que je vais te dire?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais non, mais non; je ne sais rien…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne… +<i>Il l'embrasse brusquement.</i> Tu ne sais pas +que c'est parce que je t'aime…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à voix basse.</i></div> +<p>Je t'aime aussi…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque +pas entendu!… On a brisé la glace avec des +fers rougis!… Tu dis cela d'une voix qui vient +du bout du monde!… Je ne t'ai presque pas +entendue… Tu m'aimes?—Tu m'aimes aussi?… +Depuis quand m'aimes-tu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Depuis toujours… Depuis que je t'ai vu…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! comme tu dis cela!… On dirait que ta +voix a passé sur la mer au printemps!… je ne l'ai +jamais entendue jusqu'ici… on dirait qu'il a plu +sur mon cœur! Tu dis cela si franchement!… +Comme un ange qu'on interroge!… Je ne puis +pas le croire, Mélisande!… Pourquoi m'aimerais-tu?—Mais +pourquoi m'aimes-tu!—Est-ce vrai +ce que tu dis?—Tu ne me trompes pas?—Tu +ne mens pas un peu, pour me faire sourire?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton +frère…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Comme tu dis cela!… Ta voix! ta voix… +Elle est plus fraîche et plus franche que l'eau!… +On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!… On dirait +de l'eau pure sur mes mains… Donne-moi, +donne-moi tes mains. Oh! tes mains sont petites!… +Je ne savais pas que tu étais si belle!… Je +n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi… +J'étais inquiet, je cherchais partout dans la maison… +Je cherchais partout dans la campagne… +Et je ne trouvais pas la beauté… Et maintenant +je t'ai trouvée!… Je t'ai trouvée!… Je ne crois +pas qu'il y ait sur la terre une femme plus belle!… +Où es-tu?—Je ne t'entends plus respirer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est que je te regarde…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi me regardes-tu si gravement!—Nous +sommes déjà dans l'ombre.—Il fait trop noir +sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous ne +pouvons pas voir combien nous sommes heureux. +Viens, viens; il nous reste si peu de temps…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; restons ici… Je suis plus près de toi +dans l'obscurité…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où sont tes yeux?—Tu ne vas pas me fuir?—Tu +ne songes pas à moi en ce moment.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu regardais ailleurs…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je te voyais ailleurs…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu es distraite. Qu'as-tu donc?—Tu ne me +sembles pas heureuse…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Quel est ce bruit?—On ferme les portes!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, on a fermé les portes…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous ne pouvons plus rentrer!—Entends-tu +les verrous?—Écoute! écoute!… les grandes +chaînes!… Il est trop tard, il est trop tard!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tant mieux! Tant mieux!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu?… Voilà , voilà !… Ce n'est plus nous qui le +voulons!… Tout est perdu, tout est sauvé! tout +est sauvé ce soir!—Viens! viens… Mon cœur +bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge… +<i>Il l'enlace.</i> Écoute! mon cœur est sur le point de +m'étrangler… Viens! viens!… Ah! qu'il fait beau +dans les ténèbres!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il y a quelqu'un derrière nous!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne vois personne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai entendu du bruit…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je n'entends que ton cœur dans l'obscurité…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai entendu craquer les feuilles mortes…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est le vent qui s'est tû tout à coup… Il est +tombé pendant que nous nous embrassions…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Comme nos ombres sont grandes ce soir!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin… Oh! +qu'elles s'embrassent loin de nous!… Regarde! +Regarde!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>d'une voix étouffée.</i></div> +<p>A-a-h!—Il est derrière un arbre!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Golaud!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Golaud?—où donc?—je ne vois rien…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Là … au bout de nos ombres…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui; je l'ai vu… Ne nous retournons pas +brusquement…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il a son épée…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je n'ai pas la mienne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il a vu que nous nous embrassions…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il ne sait pas que nous l'avons vu… Ne bouge +pas; ne tourne pas la tête… Il se précipiterait… +Il nous observe… Il est encore immobile… Va-t'en, +va-t'en tout de suite par ici… Je l'attendrai… +Je l'arrêterai…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, non!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!… Il nous tuera!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tant mieux! tant mieux! tant mieux!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il vient! il vient!… Ta bouche!… Ta bouche!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui!… Oui!… Oui!…</p> + +<p class="r"><i>Ils s'embrassent éperdument.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! Toutes les étoiles tombent…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Sur moi aussi! sur moi aussi!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Toutes! toutes! toutes!…</p> + +<p class="rdrap"><i>Golaud se précipite sur eux l'épée à la main, +et frappe Pelléas, qui tombe au bord de la +fontaine. Mélisande fuit épouvantée.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fuyant.</i></div> +<p>Oh! oh! Je n'ai pas de courage!… Je n'ai pas +de courage!…</p> + +<p class="r"><i>Golaud la poursuit à travers le bois, en silence.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE V</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p> + +<p class="rdrap"><i>On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans +un coin de la chambre. Mélisande est étendue +sur son lit.</i></p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle +peut mourir; un oiseau n'en serait pas mort… +ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon +seigneur; ne vous désolez pas ainsi… Et puis, il +n'est pas dit que nous ne la sauverons pas…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non, non; il me semble que nous nous taisons +trop, malgré nous, dans sa chambre… Ce n'est +pas un bon signe… Regardez comme elle dort… +lentement, lentement… on dirait que son âme a +froid pour toujours…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à +faire pleurer les pierres!… Ils s'étaient embrassés +comme des petits enfants… Ils étaient frère et +sœur… Et moi, moi tout de suite!… Je l'ai fait +malgré moi, voyez-vous… Je l'ai fait malgré +moi…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Attention; je crois qu'elle s'éveille…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ouvrez la fenêtre… ouvrez la fenêtre…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; la grande fenêtre… c'est pour voir…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid +ce soir?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Faites, faites…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Merci… Est-ce le soleil qui se couche?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il +est tard.—Comment te trouves-tu, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Bien, bien.—Pourquoi demandez-vous cela? +Je n'ai jamais été mieux portante.—Il me semble +cependant que je sais quelque chose…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Que dis-tu?—Je ne te comprends pas…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne comprends pas non plus tout ce que je +dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis… +Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce +que je veux…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Mais si, mais si… Je suis tout heureux de t'entendre +parler ainsi; tu as eu un peu de délire ces +jours-ci, et l'on ne te comprenait plus… Mais +maintenant, tout cela est bien loin…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne sais pas…—Êtes-vous tout seul dans la +chambre, grand-père?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ah!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Et puis il y a encore quelqu'un…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est… il ne faut pas t'effrayer… Il ne te veut +pas le moindre mal, sois-en sûre… Si tu as peur, +il s'en ira… Il est très malheureux…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est… c'est ton mari… c'est Golaud…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près +de moi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se traînant vers le lit.</i></div> +<p>Mélisande… Mélisande…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais +presque plus… C'est que j'ai le soleil du soir dans +les yeux… Pourquoi regardez-vous les murs? +Vous avez maigri et vieilli… Y a-t-il longtemps +que nous ne nous sommes vus?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>à Arkël et au médecin.</i></div> +<p>Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres +amis… Je laisserai la porte grande ouverte… +Un instant seulement… Je voudrais lui dire quelque +chose; sans cela je ne pourrais pas mourir… +Voulez-vous?—Vous pouvez revenir tout de +suite… Ne me refusez pas cela… Je suis un malheureux… +<i>Sortent Arkël et le médecin.</i> Mélisande, +as-tu pitié de moi, comme j'ai pitié de toi?… +Mélisande?… Me pardonnes-tu, Mélisande?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui, je te pardonne… Que faut-il pardonner?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je t'ai fait tant de mal, Mélisande… Je ne puis +pas te dire le mal que je t'ai fait… Mais je le vois, +je le vois si clairement aujourd'hui… depuis le +premier jour… Et tout est de ma faute, tout ce +qui est arrivé, tout ce qui va arriver… Si je pouvais +le dire, tu verrais comme je le vois!… Je +vois tout, je vois tout!… Mais je t'aimais tant!… +Je t'aimais tant!… Mais maintenant, quelqu'un +va mourir… C'est moi qui vais mourir… Et je +voudrais savoir… Je voudrais te demander… Tu +ne m'en voudras pas?… Il faut dire la vérité à +quelqu'un qui va mourir… Il faut qu'il sache la +vérité, sans cela il ne pourrait pas dormir… Me +jures-tu de dire la vérité?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>As-tu aimé Pelléas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu ne me comprends pas?—Tu ne veux pas +me comprendre?—Il me semble… Il me semble… +Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as +aimé d'un amour défendu?… As-tu… Avez-vous +été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; nous n'avons pas été coupables.—Pourquoi +demandez-vous cela?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mélisande!… Dis-moi la vérité pour l'amour de +Dieu!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne mens plus ainsi, au moment de mourir!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui va mourir?—Est-ce moi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!… Et il +nous faut la vérité… Il nous faut enfin la vérité, +entends-tu!… Dis-moi tout! Dis-moi tout! Je te +pardonne tout!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi vais-je mourir?—Je ne le savais pas…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu le sais maintenant… Il est temps!… Il est +temps!… Vite! vite!… La vérité! la vérité!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>La vérité… la vérité…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où es-tu?—Mélisande!—Où es-tu?—Ce +n'est pas naturel! Mélisande! Où es-tu? <i>Apercevant +Arkël et le médecin à la porte de la chambre.</i>—Oui, +oui; vous pouvez rentrer… Je ne sais +rien; c'est inutile… Elle est déjà trop loin de +nous… Je ne saurai jamais!… Je vais mourir ici +comme un aveugle!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je l'ai déjà tuée…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Mélisande…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce vous, grand-père?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui, ma fille… Que veux-tu que je fasse?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-il vrai que l'hiver commence?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Pourquoi demandes-tu cela?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de +feuilles…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Tu as froid?—Veux-tu qu'on ferme les fenêtres?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non… jusqu'à ce que le soleil soit au fond +de la mer.—Il descend lentement, alors c'est +l'hiver qui commence?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui.—Tu n'aimes pas l'hiver?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! non. J'ai peur du froid!—Ah! J'ai peur +des grands froids…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Te sens-tu mieux?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Veux-tu voir ton enfant?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Quel enfant?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ton enfant, ta petite fille…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ici…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est étrange… Je ne peux pas lever les bras +pour la prendre…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est que tu es encore très faible… Je la tiendrai +moi-même; regarde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elle ne rit pas… Elle est petite… Elle va pleurer +aussi… J'ai pitié d'elle…</p> + +<p class="rdrap"><i>La chambre est envahie, peu à peu, par les +servantes du château, qui se rangent en +silence le long des murs et attendent.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se levant brusquement.</i></div> +<p>Qu'y a-t-il?—Qu'est-ce que toutes ces femmes +viennent faire ici?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce sont les servantes…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui les a appelées?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce n'est pas moi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Que venez-vous faire ici?—Personne ne vous +a demandées… Que venez-vous faire ici?—Mais +qu'est-ce que donc! Répondez!…</p> + +<p class="r"><i>Les servantes ne répondent pas.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ne parlez pas trop fort… Elle va dormir; elle +a fermé les yeux…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est pas?…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Non, non; voyez, elle respire…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ses yeux sont pleins de larmes.—Maintenant +c'est son âme qui pleure… Pourquoi étend-elle +ainsi les bras? Que veut-elle?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de +la mère contre la mort…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>En ce moment?—En ce moment?—Il faut +le dire, dites! dites!</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Peut-être…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tout de suite?… Oh! Oh! Il faut que je lui +dise…—Mélisande! Mélisande!… Laissez-moi +seul! laissez-moi seul avec elle!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non, non, n'approchez pas… Ne la troublez +pas… Ne lui parlez plus… Vous ne savez pas ce +que c'est que l'âme…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute!</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Attention… Attention… Il faut parler à voix +basse.—Il ne faut plus l'inquiéter… L'âme +humaine est très silencieuse… L'âme humaine +aime à s'en aller seule… Elle souffre si timidement… +Mais la tristesse, Golaud… mais la tristesse +de tout ce que l'on voit!… Oh! oh! oh!…</p> + +<p class="rdrap"><i>En ce moment, toutes les servantes +tombent subitement à genoux au fond de la chambre.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>se retournant.</i></div> +<p>Qu'y a-t-il?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>, <i>s'approchant du lit et tâtant le corps.</i></div> +<p>Elles ont raison…</p> + +<p class="r"><i>Un long silence.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'ai rien vu.—Êtes-vous sûr?…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Oui, oui.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'ai rien entendu… Si vite, si vite… Tout à +coup… Elle s'en va sans rien dire…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>sanglotant.</i></div> +<p>Oh! oh! oh!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ne restez pas ici, Golaud… Il lui faut le silence, +maintenant… Venez, venez… C'est terrible, +mais ce n'est pas votre faute… C'était un petit +être si tranquille, si timide et si silencieux… +C'était un pauvre petit être mystérieux, comme +tout le monde… Elle est là , comme si elle était la +grande sœur de son enfant…—Venez; il ne faut +pas que l'enfant reste ici dans cette chambre… +Il faut qu'il vive, maintenant, à sa place… C'est +au tour de la pauvre petite…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p> + + +<p class="c gap">FIN.</p> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 61075 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/61075-8.txt b/old/61075-8.txt index 707d617..7d98886 100644 --- a/61075-8.txt +++ b/old/61075-8.txt @@ -1,3174 +1,3174 @@ -The Project Gutenberg EBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck
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-this ebook.
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-
-Title: Pelléas et Mélisande
- Drame lyrique en cinq actes tiré du théâtre de Maurice
- Maeterlinck Musique de Claude Debussy
-
-Author: Maurice Maeterlinck
-
-Contributor: Claude Debussy
-
-Release Date: January 2, 2020 [EBook #61075]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE ***
-
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-
-
-Produced by Laurent Vogel (from images generously made
-available by The Internet Archive/American Libraries)
-
-
-
-
-
-
-
-
-
- Nouvelle édition, modifiée conformément aux
- représentations de l'Opéra-Comique
-
- PELLÉAS
- ET
- MÉLISANDE
-
- DRAME LYRIQUE EN CINQ ACTES
- TIRÉ DU THÉÂTRE DE
- MAURICE MAETERLINCK
-
- MUSIQUE DE
- CLAUDE DEBUSSY
-
- BRUXELLES
- Paul LACOMBLEZ, Éditeur
- 31, RUE DES PAROISSIENS, 31
-
- 1907
-
- Dépôt pour Paris: CALMANN-LÉVY, 3, rue Auber.
-
-
-
-
-DU MÊME AUTEUR:
-
-
- Serres chaudes suivies de quinze chansons. Un volume in-18
- jésus 3.00
-
- L'Ornement des Noces Spirituelles de _Ruysbroeck l'admirable_,
- traduit du flamand et accompagné d'une Introduction. Un volume
- in-16, sur papier à la main 5.00
-
- Les Disciples à Saïs et les Fragments de _Novalis_, traduits de
- l'allemand et précédés d'une Introduction. Un volume in-18
- jésus 4.00
-
- Les Sept Princesses, drame. Un petit volume in-18 jésus 2.00
-
- Le Temple enseveli. Un volume in-18 jésus 3.50
-
- Le Trésor des Humbles. Un volume in 18 jésus 3.50
-
- La Sagesse et la Destinée. Un volume in 18 jésus 3.50
-
- La Vie des Abeilles. Un volume in-18 jésus 3.50
-
- Théâtre Tome I: _La Princesse Maleine._--_L'Intruse._--_Les
- Aveugles_ 3.50
-
- Théâtre Tome II: _Pelléas et Mélisande._--_Alladine et
- Palomides._--_Intérieur._--_La mort de Tintagiles_ 3.50
-
- Théâtre Tome III: _Aglavaine et Sélysette._--_Ariane et
- Barbe-bleue._--_Soeur Béatrice_ 3.50
-
-CHEZ LE MÊME ÉDITEUR:
-
- Sept Essais d'Emerson, traduits par I. Will, avec une préface
- de _Maurice Maeterlinck_. Un volume in-18 jésus 3.50
-
-
-
-
-Pelléas et Mélisande
-
-DRAME LYRIQUE
-
-
-
-
-PERSONNAGES.
-
-
- ARKEL, roi d'Allemonde.
- GENEVIÈVE, mère de Pelléas et de Golaud.
- PELLÉAS, GOLAUD, petits-fils d'Arkël.
- MÉLISANDE.
- Le petit YNIOLD, fils de Golaud (d'un premier lit).
- Un médecin.
- Servantes, pauvres, etc.
-
-
-
-
-ACTE I
-
-
-SCÈNE I
-
-Une forêt.
-
-_On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.--Entre Golaud._
-
-GOLAUD.
-
-Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.--Dieu sait jusqu'où cette bête
-m'a mené. Je croyais cependant l'avoir blessée à mort; et voici des
-traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de vue; je crois que je
-me suis perdu moi-même--et mes chiens ne me retrouvent plus--je vais
-revenir sur mes pas...--J'entends pleurer... Oh! oh! qu'y a-t-il là au
-bord de l'eau?... Une petite fille qui pleure au bord de l'eau? _Il
-tousse._--Elle ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. _Il
-s'approche et touche Mélisande à l'épaule._ Pourquoi pleures-tu?
-_Mélisande tressaille, se dresse et veut fuir._--N'ayez pas peur. Vous
-n'avez rien à craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule?
-
-MÉLISANDE.
-
-Ne me touchez pas! ne me touchez pas!
-
-GOLAUD.
-
-N'ayez pas peur... Je ne vous ferai pas... Oh! vous êtes belle!
-
-MÉLISANDE.
-
-Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou je me jette à l'eau!...
-
-GOLAUD.
-
-Je ne vous touche pas... Voyez, je resterai ici, contre l'arbre. N'ayez
-pas peur. Quelqu'un vous a-t-il fait du mal?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! oui! oui, oui!...
-
-_Elle sanglote profondément._
-
-GOLAUD.
-
-Qui est-ce qui vous a fait du mal?
-
-MÉLISANDE.
-
-Tous! tous!
-
-GOLAUD.
-
-Quel mal vous a-t-on fait?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!...
-
-GOLAUD.
-
-Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je me suis enfuie!... enfuie... enfuie!
-
-GOLAUD.
-
-Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je suis perdue!... perdue ici... Je ne suis pas d'ici... Je ne suis pas
-née là...
-
-GOLAUD.
-
-D'où êtes-vous? Où êtes-vous née?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! oh! loin d'ici... loin... loin...
-
-GOLAUD.
-
-Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?
-
-MÉLISANDE.
-
-Où donc--Ah! c'est la couronne qu'il m'a donnée. Elle est tombée en
-pleurant.
-
-GOLAUD.
-
-Une couronne?--Qui est-ce qui vous a donné une couronne?--Je vais
-essayer de la prendre...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux plus! Je préfère mourir tout
-de suite...
-
-GOLAUD.
-
-Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est pas très profonde.
-
-MÉLISANDE.
-
-Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me jette à sa place!...
-
-GOLAUD.
-
-Non, non; je la laisserai là; on pourrait la prendre sans peine
-cependant. Elle semble très belle.--Y a-t-il longtemps que vous avez
-fui?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, oui... qui êtes-vous?
-
-GOLAUD.
-
-Je suis le prince Golaud--le petit-fils d'Arkël, le vieux roi
-d'Allemonde...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! vous avez déjà les cheveux gris...
-
-GOLAUD.
-
-Oui; quelques-uns, ici, près des tempes...
-
-MÉLISANDE.
-
-Et la barbe aussi... Pourquoi me regardez-vous ainsi?
-
-GOLAUD.
-
-Je regarde vos yeux.--Vous ne fermez jamais les yeux?
-
-MÉLISANDE.
-
-Si, si; je les ferme la nuit...
-
-GOLAUD.
-
-Pourquoi avez-vous l'air si étonné?
-
-MÉLISANDE.
-
-Vous êtes un géant?
-
-GOLAUD.
-
-Je suis un homme comme les autres...
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi êtes-vous venu ici?
-
-GOLAUD.
-
-Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans la forêt. Je poursuivais un
-sanglier. Je me suis trompé de chemin.--Vous avez l'air très jeune. Quel
-âge avez-vous?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je commence à avoir froid...
-
-GOLAUD.
-
-Voulez-vous venir avec moi?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; je reste ici...
-
-GOLAUD.
-
-Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne pouvez pas rester ici toute la
-nuit... Comment vous nommez-vous?
-
-MÉLISANDE.
-
-Mélisande.
-
-GOLAUD.
-
-Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande. Venez avec moi...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je reste ici...
-
-GOLAUD.
-
-Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas ce qu'il y a ici... Toute
-la nuit... Toute seule, ce n'est pas possible. Mélisande, venez,
-donnez-moi la main...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! ne me touchez pas!...
-
-GOLAUD.
-
-Ne criez pas... Je ne vous toucherai plus. Mais venez avec moi. La nuit
-sera très noire et très froide. Venez avec moi...
-
-MÉLISANDE.
-
-Où allez-vous?
-
-GOLAUD.
-
-Je ne sais pas... Je suis perdu aussi...
-
-_Ils sortent._
-
-
-SCÈNE II
-
-Une salle dans le château.
-
-_On découvre Arkël et Geneviève._
-
-GENEVIÈVE.
-
-Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un soir, je l'ai trouvée tout
-en pleurs au bord d'une fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je
-ne sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient et je n'ose pas
-l'interroger, car elle doit avoir eu une grande épouvante, et quand on
-lui demande ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup comme un
-enfant et sanglote si profondément qu'on a peur. Il y a maintenant six
-mois que je l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de notre
-rencontre. En attendant, mon cher Pelléas, toi que j'aime plus qu'un
-frère, bien que nous ne soyons pas nés du même père; en attendant,
-prépare mon retour... Je sais que ma mère me pardonnera volontiers. Mais
-j'ai peur d'Arkël, malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage
-étrange, tous ses projets politiques, et je crains que la beauté de
-Mélisande n'excuse pas à ses yeux, si sages, ma folie. S'il consent
-néanmoins à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille, le
-troisième soir qui suivra cette lettre, allume une lampe au sommet de la
-tour qui regarde la mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire; sinon,
-j'irai plus loin et ne reviendrai plus...» Qu'en dites-vous!
-
-ARKEL.
-
-Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître étrange, parce que nous ne
-voyons jamais que l'envers des destinées... Il avait toujours suivi mes
-conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre heureux en l'envoyant demander
-la main de la princesse Ursule... Il ne pouvait pas rester seul, et
-depuis la mort de sa femme il était triste d'être seul; et ce mariage
-allait mettre fin à de longues guerres et à de vieilles haines... Il ne
-l'a pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu: je ne me suis
-jamais mis en travers d'une destinée: il sait mieux que moi son avenir.
-Il n'arrive peut-être pas d'événements inutiles...
-
-GENEVIÈVE.
-
-Il a toujours été prudent, si grave et si ferme... Depuis la mort de sa
-femme il ne vivait plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout
-oublié...--Qu'allons-nous faire?
-
-_Entre Pelléas._
-
-ARKEL.
-
-Qui est-ce qui entre là?
-
-GENEVIÈVE.
-
-C'est Pelléas. Il a pleuré.
-
-ARKEL.
-
-Est-ce toi Pelléas?--Viens un peu plus près, que je te voie dans la
-lumière.
-
-PELLÉAS.
-
-Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la lettre de mon frère, une
-autre lettre; une lettre de mon ami Marcellus... Il va mourir et il
-m'appelle.
-
-Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort doit venir... Il me dit
-que je puis arriver avant elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps
-à perdre.
-
-ARKEL.
-
-Il faudrait attendre quelque temps cependant... Nous ne savons pas ce
-que le retour de ton frère nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il
-pas ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que ton ami...
-Pourras-tu choisir entre le père et l'ami?...
-
-_Il sort._
-
-GENEVIÈVE.
-
-Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir, Pelléas...
-
-_Ils sortent séparément._
-
-
-SCÈNE III
-
-Devant le château.
-
-_Entrent Geneviève et Mélisande._
-
-MÉLISANDE.
-
-Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, quelles forêts
-autour des palais!...
-
-GENEVIÈVE.
-
-Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée ici, et cela étonne
-tout le monde. Il y a des endroits où l'on ne voit jamais le soleil.
-Mais l'on s'y fait si vite... Il y a longtemps, il y a longtemps... Il y
-a près de quarante ans que je vis ici... Regardez de l'autre côté, vous
-aurez la clarté de la mer...
-
-MÉLISANDE.
-
-J'entends du bruit au-dessous de nous...
-
-GENEVIÈVE.
-
-Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous... Ah! C'est Pelléas... Il
-semble encore fatigué de vous avoir attendue si longtemps...
-
-MÉLISANDE.
-
-Il ne nous a pas vues.
-
-GENEVIÈVE.
-
-Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce qu'il doit faire...
-Pelléas, Pelléas, est-ce toi?
-
-PELLÉAS.
-
-Oui!... Je venais du côté de la mer...
-
-GENEVIÈVE.
-
-Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il fait un peu plus clair
-qu'ailleurs! et cependant la mer est sombre.
-
-PELLÉAS.
-
-Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a toutes les nuits depuis
-quelque temps... et cependant elle est si calme ce soir... On
-s'embarquerait sans le savoir et l'on ne reviendrait plus.
-
-MÉLISANDE.
-
-Quelque chose sort du port...
-
-PELLÉAS.
-
-Il faut que ce soit un grand navire... Les lumières sont très hautes,
-nous le verrons tout à l'heure quand il entrera dans la bande de
-clarté...
-
-GENEVIÈVE.
-
-Je ne sais si nous pourrons le voir... il y a encore une brume sur la
-mer...
-
-PELLÉAS.
-
-On dirait que la brume s'élève lentement...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui; j'aperçois, là-bas, une petite lumière que je n'avais pas vue...
-
-PELLÉAS.
-
-C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne voyons pas encore.
-
-MÉLISANDE.
-
-Le navire est dans la lumière... Il est déjà bien loin...
-
-PELLÉAS.
-
-Il s'éloigne à toutes voiles...
-
-MÉLISANDE.
-
-C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de grandes voiles... Je le
-reconnais à ses voiles...
-
-PELLÉAS.
-
-Il aura mauvaise mer cette nuit...
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?... On ne le voit presque plus... Il
-fera peut-être naufrage...
-
-PELLÉAS.
-
-La nuit tombe très vite...
-
-_Un silence._
-
-GENEVIÈVE.
-
-Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la route à Mélisande. Il faut
-que j'aille voir, un instant, le petit Yniold.
-
-_Elle sort._
-
-PELLÉAS.
-
-On ne voit plus rien sur la mer...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je vois d'autres lumières.
-
-PELLÉAS.
-
-Ce sont les autres phares... Entendez-vous la mer?... C'est le vent qui
-s'élève... Descendons par ici. Voulez-vous me donner la main?
-
-MÉLISANDE.
-
-Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs.
-
-PELLÉAS.
-
-Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est escarpé et il y fait très
-sombre... Je pars peut-être demain...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh!... Pourquoi partez-vous?
-
-_Ils sortent._
-
-
-
-
-ACTE II
-
-
-SCÈNE I
-
-Une fontaine dans le parc.
-
-_Entrent Pelléas et Mélisande._
-
-PELLÉAS.
-
-Vous ne savez pas où je vous ai menée?--Je viens souvent m'asseoir ici,
-vers midi, lorsqu'il fait trop chaud dans les jardins. On étouffe,
-aujourd'hui, même à l'ombre des arbres.
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! L'eau est claire...
-
-PELLÉAS.
-
-Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille fontaine abandonnée.
-Il paraît que c'était une fontaine miraculeuse,--elle ouvrait les yeux
-des aveugles.--On l'appelle encore la «fontaine des aveugles».
-
-MÉLISANDE.
-
-Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles?
-
-PELLÉAS.
-
-Depuis que le roi est presque aveugle lui-même, on n'y vient plus...
-
-MÉLISANDE.
-
-Comme on est seul ici... On n'entend rien.
-
-PELLÉAS.
-
-Il y a toujours un silence extraordinaire... On entendrait dormir
-l'eau... Voulez-vous vous asseoir au bord du bassin de marbre? Il y a un
-tilleul où le soleil n'entre jamais...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je vais me coucher sur le marbre.--Je voudrais voir le fond de l'eau...
-
-PELLÉAS.
-
-On ne l'a jamais vu.--Elle est peut-être aussi profonde que la mer.
-
-MÉLISANDE.
-
-Si quelque chose brillait au fond, on le verrait peut-être...
-
-PELLÉAS.
-
-Ne vous penchez pas ainsi...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je voudrais toucher l'eau...
-
-PELLÉAS.
-
-Prenez garde de glisser... Je vais vous tenir la main...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non, je voudrais y plonger mes deux mains... On dirait que mes
-mains sont malades aujourd'hui...
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!... Mélisande!--Oh! votre
-chevelure!...
-
-MÉLISANDE, _se redressant._
-
-Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre.
-
-PELLÉAS.
-
-Vos cheveux ont plongé dans l'eau...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, ils sont plus longs que mes bras... Ils sont plus longs que moi...
-
-_Un silence._
-
-PELLÉAS.
-
-C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a trouvée?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui...
-
-PELLÉAS.
-
-Que vous a-t-il dit?
-
-MÉLISANDE.
-
-Rien;--je ne me rappelle plus...
-
-PELLÉAS.
-
-Était-il tout près de vous?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, il voulait m'embrasser...
-
-PELLÉAS.
-
-Et vous ne vouliez pas?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non.
-
-PELLÉAS.
-
-Pourquoi ne vouliez-vous pas?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond de l'eau...
-
-PELLÉAS.
-
-Prenez garde! prenez garde!--Vous allez tomber!--Avec quoi jouez-vous?
-
-MÉLISANDE.
-
-Avec l'anneau qu'il m'a donné...
-
-PELLÉAS.
-
-Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde...
-
-MÉLISANDE.
-
-Mes mains ne tremblent pas.
-
-PELLÉAS.
-
-Comme il brille au soleil!--Ne le jetez pas si haut vers le ciel!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh!...
-
-PELLÉAS.
-
-Il est tombé?
-
-MÉLISANDE.
-
-Il est tombé dans l'eau!...
-
-PELLÉAS.
-
-Où est-il? Où est-il?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne le vois pas descendre...
-
-PELLÉAS.
-
-Je crois que je la vois briller...
-
-MÉLISANDE.
-
-Ma bague?
-
-PELLÉAS.
-
-Oui, oui,... Là-bas...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! Oh! elle est si loin de nous!... non, non, ce n'est pas elle... ce
-n'est plus elle... Elle est perdue... perdue... Il n'y a plus qu'un
-grand cercle sur l'eau... Qu'allons-nous faire maintenant?...
-
-PELLÉAS.
-
-Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague. Ce n'est rien... nous
-la retrouverons peut-être. Ou bien nous en retrouverons une autre.
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous n'en trouverons pas
-d'autres non plus... Je croyais l'avoir dans les mains cependant...
-J'avais déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré tout... Je l'ai
-jetée trop haut, du côté du soleil...
-
-PELLÉAS.
-
-Venez, nous reviendrons un autre jour... venez, il est temps. On irait à
-notre rencontre... Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé...
-
-MÉLISANDE.
-
-Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où il est?
-
-PELLÉAS.
-
-La vérité, la vérité, la vérité...
-
-_Ils sortent._
-
-
-SCÈNE II
-
-Un appartement dans le château.
-
-_On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande est à son chevet._
-
-GOLAUD.
-
-Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je ne puis m'expliquer
-comment cela s'est passé. Je chassais tranquillement dans la forêt. Mon
-cheval s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il vu quelque chose
-d'extraordinaire?... Je venais d'entendre sonner les douze coups de
-midi. Au douzième coup, il s'effraie subitement, et court, comme un
-aveugle fou, contre un arbre. Je ne sais plus ce qui est arrivé. Je suis
-tombé, et lui doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute la forêt
-sur la poitrine; je croyais que mon coeur était déchiré. Mais mon coeur
-est solide. Il paraît que ce n'est rien...
-
-MÉLISANDE.
-
-Voulez-vous boire un peu d'eau?
-
-GOLAUD.
-
-Merci, je n'ai pas soif.
-
-MÉLISANDE.
-
-Voulez-vous un autre oreiller?... Il y a une petite tache de sang sur
-celui-ci.
-
-GOLAUD.
-
-Non, non; ce n'est pas la peine.
-
-MÉLISANDE.
-
-Est-ce bien sûr?... Vous ne souffrez pas trop?
-
-GOLAUD.
-
-Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait au fer et au sang...
-
-MÉLISANDE.
-
-Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai ici toute la nuit...
-
-GOLAUD.
-
-Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues ainsi. Je n'ai besoin de
-rien; je dormirai comme un enfant... Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi
-pleures-tu tout à coup?...
-
-MÉLISANDE, _fondant en larmes_.
-
-Je suis... Je suis malade ici...
-
-GOLAUD.
-
-Tu es malade?... Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc, Mélisande?...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne sais pas... Je suis malade ici... Je préfère vous le dire
-aujourd'hui; seigneur, je ne suis pas heureuse ici...
-
-GOLAUD.
-
-Qu'est-il donc arrivé?... Quelqu'un t'a fait du mal?... Quelqu'un
-t'aurait-il offensée?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; personne ne m'a fait le moindre mal... Ce n'est pas cela...
-
-GOLAUD.
-
-Mais tu dois me cacher quelque chose?... Dis-moi toute la vérité,
-Mélisande... Est-ce le roi?... Est-ce ma mère?... Est-ce Pelléas?...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne... Vous ne pouvez pas
-me comprendre... C'est quelque chose qui est plus fort que moi...
-
-GOLAUD.
-
-Voyons; sois raisonnable, Mélisande.--Que veux-tu que je fasse?--Tu n'es
-plus une enfant.--Est-ce moi que tu voudrais quitter?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! non; ce n'est pas cela... Je voudrais m'en aller avec vous... C'est
-ici, que je ne peux plus vivre... Je sens que je ne vivrai plus
-longtemps...
-
-GOLAUD.
-
-Mais il faut une raison cependant. On va te croire folle. On va croire à
-des rêves d'enfant.--Voyons, est-ce Pelléas, peut-être?--Je crois qu'il
-ne te parle pas souvent...
-
-MÉLISANDE.
-
-Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je crois; je l'ai vu dans
-ses yeux... Mais il me parle quand il me rencontre...
-
-GOLAUD.
-
-Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été ainsi. Il est un peu
-étrange. Il changera, tu verras; il est jeune...
-
-MÉLISANDE.
-
-Mais ce n'est pas cela... Ce n'est pas cela...
-
-GOLAUD.
-
-Qu'est-ce donc?--Ne peux-tu pas te faire à la vie qu'on mène ici?
-Fait-il trop triste ici?--Il est vrai que ce château est très vieux et
-très sombre... Il est très froid et très profond. Et tous ceux qui
-l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne peut sembler bien triste
-aussi, avec toutes ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière.
-Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et puis, la joie, la joie,
-on n'en a pas tous les jours; il faut prendre les choses comme elles
-sont. Mais dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai tout ce que
-tu voudras...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, c'est vrai... On ne voit jamais le ciel clair... Je l'ai vu pour la
-première fois ce matin...
-
-GOLAUD.
-
-C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre Mélisande?--Ce n'est donc
-que cela?--Tu pleures de ne pas voir le ciel?--Voyons, tu n'es plus à
-l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses... Et puis l'été n'est-il pas
-là? Tu vas voir le ciel tous les jours.--Et puis l'année prochaine...
-Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux petites mains. _Il lui
-prend les mains._ Oh! ces petites mains que je pourrais écraser comme
-des fleurs...--Tiens, où est l'anneau que je t'avais donné?
-
-MÉLISANDE.
-
-L'anneau?
-
-GOLAUD.
-
-Oui; la bague de nos noces, où est-elle?
-
-MÉLISANDE.
-
-Je crois... Je crois qu'elle est tombée...
-
-GOLAUD.
-
-Tombée?--Où est-elle tombée?...--Tu ne l'as pas perdue?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, elle est tombée... elle doit être tombée... Mais je ne sais pas où
-elle est...
-
-GOLAUD.
-
-Où est-elle?
-
-MÉLISANDE.
-
-Vous savez bien... vous savez bien... la grotte au bord de la mer?
-
-GOLAUD.
-
-Oui.
-
-MÉLISANDE.
-
-Eh bien, c'est là... Il faut que ce soit là... Oui, oui; je me
-rappelle... J'y suis allée ce matin, ramasser des coquillages pour le
-petit Yniold... Il y en a de très beaux... Elle a glissé de mon doigt...
-puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir avant de l'avoir retrouvée.
-
-GOLAUD.
-
-Es-tu sûre que ce soit là?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, oui; tout à fait sûre... Je l'ai sentie glisser...
-
-GOLAUD.
-
-Il faut aller la chercher tout de suite.
-
-MÉLISANDE.
-
-Maintenant?--tout de suite?--dans l'obscurité?
-
-GOLAUD.
-
-Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité. J'aimerais mieux avoir
-perdu tout ce que j'ai plutôt que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais
-pas ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La mer sera très haute
-cette nuit. La mer viendra la prendre avant toi... Dépêche-toi.
-
-MÉLISANDE.
-
-Je n'ose pas... Je n'ose pas aller seule...
-
-GOLAUD.
-
-Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y aller tout de suite,
-entends-tu?--Dépêche-toi; demande à Pelléas d'y aller avec toi.
-
-MÉLISANDE.
-
-Pelléas?--Avec Pelléas?--Mais Pelléas ne voudra pas...
-
-GOLAUD.
-
-Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je connais Pelléas mieux que
-toi. Vas-y, hâte-toi. Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague.
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!... Je ne suis pas heureuse!
-
-_Elle sort en pleurant._
-
-
-SCÈNE III
-
-Devant une grotte.
-
-_Entrent Pelléas et Mélisande._
-
-PELLÉAS, _parlant avec une grande agitation._
-
-Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que l'entrée de la grotte
-ne se distingue pas du reste de la nuit... Il n'y a pas d'étoiles de ce
-côté. Attendons que la lune ait déchiré ce grand nuage; elle éclairera
-toute la grotte et alors nous pourrons entrer sans danger. Il y a des
-endroits dangereux et le sentier est très étroit, entre deux lacs dont
-on n'a pas encore trouvé le fond. Je n'ai pas songé à emporter une
-torche ou une lanterne, mais je pense que la clarté du ciel nous
-suffira.--Vous n'avez jamais pénétré dans cette grotte?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non...
-
-PELLÉAS.
-
-Entrons-y... Il faut pouvoir décrire l'endroit où vous avez perdu la
-bague, s'il vous interroge... Elle est très grande et très belle. Elle
-est pleine de ténèbres bleues. Quand on y allume une petite lumière, on
-dirait que la voûte est couverte d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la
-main, ne tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas de danger:
-nous nous arrêterons au moment que nous n'apercevrons plus la clarté de
-la mer... Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? Entendez-vous
-la mer derrière nous?--Elle ne semble pas heureuse cette nuit... Ah!
-Voici la clarté!
-
-_La lune éclaire largement l'entrée et une partie des ténèbres de la
-grotte; et l'on aperçoit, à une certaine profondeur, trois vieux pauvres
-à cheveux blancs, assis côte à côte, se soutenant les uns les autres, et
-endormis contre un quartier de roc._
-
-MÉLISANDE.
-
-Ah!
-
-PELLÉAS.
-
-Qu'y a-t-il?
-
-MÉLISANDE.
-
-Il y a... Il y a...
-
-_Elle montre les trois pauvres._
-
-PELLÉAS.
-
-Oui, oui; je les ai vus aussi...
-
-MÉLISANDE.
-
-Allons-nous en!... Allons-nous en!...
-
-PELLÉAS.
-
-Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis... Pourquoi sont-ils
-venus dormir ici?... Il y aura une famine dans le pays.
-
-MÉLISANDE.
-
-Allons-nous en!... Venez... Allons-nous en!...
-
-PELLÉAS.
-
-Prenez garde, ne parlez pas si fort... Ne les éveillons pas... Ils
-dorment encore profondément... Venez.
-
-MÉLISANDE.
-
-Laissez-moi; je préfère marcher seule...
-
-PELLÉAS.
-
-Nous reviendrons un autre jour...
-
-_Ils sortent._
-
-
-
-
-ACTE III
-
-
-SCÈNE I
-
-Une des tours du château.--Un chemin de ronde passe sous une fenêtre de
-la tour.
-
-MÉLISANDE, _à la fenêtre, tandis qu'elle peigne ses cheveux dénoués._
-
- Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour!
- Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour!
- Et tout le long du jour!
- Et tout le long du jour!
-
- Saint Daniel et saint Michel,
- Saint Michel et saint Raphaël,
- Je suis née un Dimanche!
- Un Dimanche à midi!
-
-_Entre Pelléas par le chemin de ronde._
-
-PELLÉAS.
-
-Holà! Holà! ho!
-
-MÉLISANDE.
-
-Qui est là?
-
-PELLÉAS.
-
-Moi, moi, et moi!... Que fais-tu là à la fenêtre en chantant comme un
-oiseau qui n'est pas d'ici?
-
-MÉLISANDE.
-
-J'arrange mes cheveux pour la nuit...
-
-PELLÉAS.
-
-C'est là ce que je vois sur le mur!... Je croyais que c'était un rayon
-de lumière...
-
-MÉLISANDE.
-
-J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la tour, il fait beau
-cette nuit.
-
-PELLÉAS.
-
-Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais vu autant que ce
-soir;... mais la lune est encore sur la mer... Ne reste pas dans
-l'ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués.
-
-_Mélisande se penche à la fenêtre._
-
-MÉLISANDE.
-
-Je suis affreuse ainsi.
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! Mélisande!... oh! tu es belle!... tu es belle ainsi!... penche-toi!
-penche-toi!... laisse-moi venir plus près de toi...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne puis pas venir plus près de toi... Je me penche tant que je
-peux...
-
-PELLÉAS.
-
-Je ne puis pas monter plus haut... donne-moi du moins ta main ce soir...
-avant que je m'en aille... Je pars demain...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non, non...
-
-PELLÉAS.
-
-Si, si; je pars, je partirai demain... donne-moi ta main, ta main, ta
-petite main sur mes lèvres...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne te donne pas ma main si tu pars...
-
-PELLÉAS.
-
-Donne, donne, donne...
-
-MÉLISANDE.
-
-Tu ne partiras pas?...
-
-PELLÉAS.
-
-J'attendrai, j'attendrai.
-
-MÉLISANDE.
-
-Je vois une rose dans les ténèbres...
-
-PELLÉAS.
-
-Où donc?... Je ne vois que les branches du saule qui dépassent le mur...
-
-MÉLISANDE.
-
-Plus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans le vert sombre.
-
-PELLÉAS.
-
-Ce n'est pas une rose... J'irai voir tout à l'heure, mais donne-moi ta
-main d'abord; d'abord ta main...
-
-MÉLISANDE.
-
-Voilà, voilà;... Je ne puis me pencher davantage...
-
-PELLÉAS.
-
-Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne puis me pencher davantage... Je suis sur le point de
-tomber...--Oh! oh! mes cheveux descendent de la tour!...
-
-_Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis qu'elle se penche ainsi et
-inonde Pelléas._
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! oh! qu'est-ce que c'est?... Tes cheveux, tes cheveux descendent vers
-moi!... Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de
-la tour!... Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche...
-Je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou... Je
-n'ouvrirai plus les mains cette nuit...
-
-MÉLISANDE.
-
-Laisse-moi! Laisse-moi!... Tu vas me faire tomber!...
-
-PELLÉAS.
-
-Non, non, non;... Je n'ai jamais vu de cheveux comme les tiens,
-Mélisande!... Vois, vois, vois, ils viennent de si haut et ils
-m'inondent jusqu'au coeur... Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux...
-Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient du ciel!... Je ne
-vois plus le ciel à travers tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne
-peuvent plus les tenir... Il y en a jusque sur les branches du saule...
-Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains... et ils m'aiment, ils
-m'aiment mille fois mieux que toi!
-
-MÉLISANDE.
-
-Laisse-moi... laisse-moi... Quelqu'un pourrait venir...
-
-PELLÉAS.
-
-Non, non, non; je ne te délivre pas cette nuit... Tu es ma prisonnière
-cette nuit; toute la nuit, toute la nuit...
-
-MÉLISANDE.
-
-Pelléas! Pelléas!
-
-PELLÉAS.
-
-Tu ne t'en iras plus... Je les noue, je les noue aux branches du saule,
-tes cheveux. Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes
-baisers le long de tes cheveux? Ils montent le long de tes cheveux. Il
-faut que chacun t'en apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les
-mains... Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne peux plus
-m'abandonner...
-
-_Des colombes sortent de la tour et volent autour d'eux dans la nuit._
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! oh! tu m'as fait mal!... Qu'y a-t-il, Pelléas?--Qu'est-ce qui vole
-autour de moi?
-
-PELLÉAS.
-
-Ce sont les colombes qui sortent de la tour... Je les ai effrayées;
-elles s'envolent.
-
-MÉLISANDE.
-
-Ce sont mes colombes, Pelléas.--Allons-nous en, laisse-moi; elles ne
-reviendraient plus...
-
-PELLÉAS.
-
-Pourquoi ne reviendraient-elles plus?
-
-MÉLISANDE.
-
-Elles se perdront dans l'obscurité... Laisse-moi relever la tête...
-J'entends un bruit de pas... Laisse-moi!--C'est Golaud!... Je crois que
-c'est Golaud!... Il nous a entendus...
-
-PELLÉAS.
-
-Attends! Attends!... Tes cheveux sont autour des branches... Ils se sont
-accrochés dans l'obscurité. Attends! attends!... il fait noir...
-
-_Entre Golaud par le chemin de ronde._
-
-GOLAUD.
-
-Que faites-vous ici?
-
-PELLÉAS.
-
-Ce que je fais ici?... Je...
-
-GOLAUD.
-
-Vous êtes des enfants... Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre,
-tu vas tomber... Vous ne savez pas qu'il est tard?--Il est près de
-minuit.--Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.--Vous êtes des enfants...
-_Riant nerveusement._ Quels enfants! Quels enfants!...
-
-_Il sort avec Pelléas._
-
-
-SCÈNE II
-
-Les souterrains du château.
-
-_Entrent Golaud et Pelléas._
-
-GOLAUD.
-
-Prenez garde; par ici, par ici.--Vous n'avez jamais pénétré dans ces
-souterrains?
-
-PELLÉAS.
-
-Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps...
-
-GOLAUD.
-
-Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous parlais... Sentez-vous
-l'odeur de mort qui monte!--Allons jusqu'au bout de ce rocher qui
-surplombe et penchez-vous un peu. Elle viendra vous frapper au visage.
-Penchez-vous; n'ayez pas peur... Je vous tiendrai... donnez-moi... non,
-non, pas la main... elle pourrait glisser... le bras... Voyez-vous le
-gouffre?... Pelléas? Pelléas?...
-
-PELLÉAS.
-
-Oui, je crois que je vois le fond du gouffre... Est-ce la lumière qui
-tremble ainsi?... Vous...
-
-GOLAUD.
-
-Oui; c'est la lanterne... Voyez, je l'agitais pour éclairer les parois.
-
-PELLÉAS.
-
-J'étouffe ici... Sortons.
-
-GOLAUD.
-
-Oui, sortons...
-
-_Ils sortent en silence._
-
-
-SCÈNE III
-
-Une terrasse au sortir des souterrains.
-
-PELLÉAS.
-
-Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que j'allais me trouver mal
-dans ces énormes grottes; j'ai été sur le point de tomber... Il y a là
-un air humide et lourd comme une rosée de plomb, et des ténèbres
-épaisses comme une pâte empoisonnée. Et maintenant tout l'air de toute
-la mer!... Il y a un vent frais, voyez; frais comme une feuille qui
-vient de s'ouvrir, sur les petites lames vertes. Tiens! On vient
-d'arroser les fleurs au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et
-des roses mouillées monte jusqu'ici... Il doit être près de midi, elles
-sont déjà dans l'ombre de la tour. Il est midi; j'entends sonner les
-cloches et les enfants descendent sur la plage pour se baigner.
-
-Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une fenêtre de la tour.
-
-GOLAUD.
-
-Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre. A propos de Mélisande,
-j'ai entendu ce qui s'est passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le
-sais bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas que cela se
-répète. Elle est très délicate et il faut qu'on la ménage, d'autant plus
-qu'elle sera peut-être bientôt mère et la moindre émotion pourrait
-amener un malheur. Ce n'est pas la première fois que je remarque qu'il
-pourrait y avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus âgé qu'elle;
-il suffira de vous l'avoir dit... Évitez-la autant que possible; mais
-sans affectation d'ailleurs; sans affectation.
-
-_Ils sortent._
-
-
-SCÈNE IV
-
-Devant le château.
-
-_Entrent Golaud et le petit Yniold._
-
-GOLAUD.
-
-Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold; viens sur mes genoux: nous
-verrons d'ici ce qui se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout
-depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi; tu es toujours chez
-petite-mère... Tiens, nous sommes tout juste assis sous les fenêtres de
-petite-mère.--Elle fait peut-être sa prière du soir en ce moment... Mais
-dis-moi, Yniold, elle est souvent avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas?
-
-YNIOLD.
-
-Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous n'êtes pas là.
-
-GOLAUD.
-
-Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne dans le jardin.--Mais on
-m'a dit qu'ils ne s'aimaient pas... Il paraît qu'ils se querellent
-souvent... non? Est-ce vrai?
-
-YNIOLD.
-
-Oui, c'est vrai.
-
-GOLAUD.
-
-Oui?--Ah! ah!--Mais à propos de quoi se querellent-ils?
-
-YNIOLD.
-
-A propos de la porte.
-
-GOLAUD.
-
-Comment? A propos de la porte?--Qu'est-ce que tu racontes là?--Mais
-voyons, explique-toi; pourquoi se querellent-ils à propos de la porte?
-
-YNIOLD.
-
-Parce qu'elle ne peut pas être ouverte.
-
-GOLAUD.
-
-Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?--Voyons, pourquoi se
-querellent-ils?
-
-YNIOLD.
-
-Je ne sais pas, petit-père, à propos de la lumière.
-
-GOLAUD.
-
-Je ne te parle pas de la lumière: je te parle de la porte... Ne mets pas
-ainsi la main dans la bouche... voyons...
-
-YNIOLD.
-
-Petit-père! petit-père!... Je ne le ferai plus...
-
-_Il pleure._
-
-GOLAUD.
-
-Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé?
-
-YNIOLD.
-
-Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal...
-
-GOLAUD.
-
-Je t'ai fait mal?--Où t'ai-je fait mal! C'est sans le vouloir...
-
-YNIOLD.
-
-Ici, à mon petit bras...
-
-GOLAUD.
-
-C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus, je te donnerai quelque
-chose demain...
-
-YNIOLD.
-
-Quoi, petit-père?
-
-GOLAUD.
-
-Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que tu sais de la porte.
-
-YNIOLD.
-
-De grandes flèches?
-
-GOLAUD.
-
-Oui, de très grandes flèches.--Mais pourquoi ne veulent-ils pas que la
-porte soit ouverte?--Voyons, réponds-moi à la fin!--non, non; n'ouvre
-pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché. De quoi parlent-ils
-quand ils sont ensemble?
-
-YNIOLD.
-
-Pelléas et petite-mère?
-
-GOLAUD.
-
-Oui; de quoi parlent-ils?
-
-YNIOLD.
-
-De moi; toujours de moi.
-
-GOLAUD.
-
-Et que disent-ils de toi?
-
-YNIOLD.
-
-Ils disent que je serai très grand.
-
-GOLAUD.
-
-Ah! Misère de ma vie!... je suis ici comme un aveugle qui cherche son
-trésor au fond de l'océan!... Je suis ici comme un nouveau-né perdu dans
-la forêt et vous... Mais voyons, Yniold, j'étais distrait; nous allons
-causer sérieusement. Pelléas et petite-mère ne parlent-ils jamais de moi
-quand je ne suis pas là?
-
-YNIOLD.
-
-Si, si, petit-père.
-
-GOLAUD.
-
-Ah!... Et que disent-ils de moi?
-
-YNIOLD.
-
-Ils disent que je deviendrai aussi grand que vous.
-
-GOLAUD.
-
-Tu es toujours près d'eux?
-
-YNIOLD.
-
-Oui, oui; toujours, petit-père.
-
-GOLAUD.
-
-Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs?
-
-YNIOLD.
-
-Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis pas là.
-
-GOLAUD.
-
-Ils ont peur?... à quoi vois-tu qu'ils ont peur?
-
-YNIOLD.
-
-Ils pleurent toujours dans l'obscurité.
-
-GOLAUD.
-
-Ah! ah!...
-
-YNIOLD.
-
-Cela fait pleurer aussi...
-
-GOLAUD.
-
-Oui, oui...
-
-YNIOLD.
-
-Elle est pâle, petit-père!
-
-GOLAUD.
-
-Ah! ah!... patience, mon Dieu, patience...
-
-YNIOLD.
-
-Quoi, petit-père?
-
-GOLAUD.
-
-Rien, rien mon enfant.--J'ai vu passer un loup dans la forêt.--Ils
-s'embrassent quelquefois?--Non?
-
-YNIOLD.
-
-Ils s'embrassent, petit-père?--Non, non.--Ah! si, petit-père, si; une
-fois... une fois qu'il pleuvait...
-
-GOLAUD.
-
-Ils se sont embrassés?--Mais comment, comment se sont-ils embrassés?--
-
-YNIOLD.
-
-Comme ça, petit-père, comme ça!... _Il lui donne un baiser sur la
-bouche; riant._ Ah! ah! votre barbe, petit-père!... Elle pique! elle
-pique! Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux aussi; tout
-gris, tout gris... _La fenêtre sous laquelle ils sont assis s'éclaire en
-ce moment, et sa clarté vient tomber sur eux._ Ah! ah! petite-mère a
-allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait clair.
-
-GOLAUD.
-
-Oui; il commence à faire clair...
-
-YNIOLD.
-
-Allons-y aussi, petit-père...
-
-GOLAUD.
-
-Où veux-tu aller?
-
-YNIOLD.
-
-Où il fait clair, petit-père.
-
-GOLAUD.
-
-Non, non, mon enfant; restons encore un peu dans l'ombre... On ne sait
-pas, on ne sait pas encore... Je crois que Pelléas est fou...
-
-YNIOLD.
-
-Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est très bon.
-
-GOLAUD.
-
-Veux-tu voir petite-mère?
-
-YNIOLD.
-
-Oui, oui; je veux la voir!
-
-GOLAUD.
-
-Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la fenêtre. Elle est
-trop haute pour moi, bien que je sois si grand... _Il soulève l'enfant._
-Ne fais pas le moindre bruit; petite-mère aurait terriblement peur... La
-vois-tu?--Est-elle dans la chambre?
-
-YNIOLD.
-
-Oui... Oh! il fait clair!
-
-GOLAUD.
-
-Elle est seule?
-
-YNIOLD.
-
-Oui... Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi.
-
-GOLAUD.
-
-Il!...
-
-YNIOLD.
-
-Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!...
-
-GOLAUD.
-
-Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus; regarde, regarde,
-Yniold!... J'ai trébuché; parle plus bas. Que font-ils?--
-
-YNIOLD.
-
-Ils ne font rien, petit-père.
-
-GOLAUD.
-
-Est-ce qu'ils parlent?
-
-YNIOLD.
-
-Non, petit-père; ils ne parlent pas.
-
-GOLAUD.
-
-Mais que font-ils?
-
-YNIOLD.
-
-Ils regardent la lumière.
-
-GOLAUD.
-
-Tous les deux?
-
-YNIOLD.
-
-Oui, petit-père.
-
-GOLAUD.
-
-Ils ne disent rien?
-
-YNIOLD.
-
-Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux.
-
-GOLAUD.
-
-Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre?
-
-YNIOLD.
-
-Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment jamais les yeux...
-J'ai terriblement peur...
-
-GOLAUD.
-
-De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde!
-
-YNIOLD.
-
-Petit-père, laissez-moi descendre!
-
-GOLAUD.
-
-Regarde!
-
-YNIOLD.
-
-Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre! laissez-moi
-descendre!
-
-GOLAUD.
-
-Viens! nous allons voir ce qui est arrivé.
-
-_Ils sortent._
-
-
-
-
-ACTE IV
-
-
-SCÈNE I
-
-Un corridor dans le château.
-
-PELLÉAS.
-
-Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te verrai-je?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui.
-
-PELLÉAS.
-
-Je sors de la chambre de mon père. Il va mieux. Le médecin nous a dit
-qu'il était sauvé. Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit de
-cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: «Est-ce toi, Pelléas?
-Tiens, je ne l'avais jamais remarqué, mais tu as le visage grave et
-amical de ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut voyager; il faut
-voyager...» C'est étrange; je vais lui obéir... Ma mère l'écoutait et
-pleurait de joie. Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble déjà
-revivre, on entend respirer, on entend marcher... Écoute, j'entends
-parler derrière cette porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je?
-
-MÉLISANDE.
-
-Où veux-tu?
-
-PELLÉAS.
-
-Dans le parc: près de la fontaine des aveugles? Veux-tu? Viendras-tu?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui.
-
-PELLÉAS.
-
-Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme mon père l'a dit. Tu ne
-me verras plus...
-
-MÉLISANDE.
-
-Ne dis pas cela, Pelléas... Je te verrai toujours; je te regarderai
-toujours...
-
-PELLÉAS.
-
-Tu auras beau regarder... Je serai si loin que tu ne pourras plus me
-voir.
-
-MÉLISANDE.
-
-Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends plus ce que tu dis...
-
-PELLÉAS.
-
-Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends parler derrière cette porte.
-
-_Ils sortent séparément._
-
-_Puis Arkël entre accompagné de Mélisande._
-
-ARKEL.
-
-Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et que la maladie, la
-vieille servante de la mort, a quitté le château, un peu de joie et un
-peu de soleil vont enfin rentrer dans la maison... Il était temps!--Car
-depuis ta venue, on n'a vécu ici qu'en chuchotant autour d'une chambre
-fermée... Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande... Je
-t'observais, tu étais là, insouciante peut-être, mais avec l'air étrange
-et égaré de quelqu'un qui attendrait toujours un grand malheur, au
-soleil, dans un beau jardin... Je ne puis pas expliquer... Mais j'étais
-triste de te voir ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour vivre
-déjà, jour et nuit, sous l'haleine de la mort... Mais à présent tout
-cela va changer. A mon âge,--et c'est peut-être là le fruit le plus sûr
-de ma vie,--à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi à la fidélité
-des événements, et j'ai toujours vu que tout être jeune et beau, créait
-autour de lui des événements jeunes, beaux et heureux... Et c'est toi,
-maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère nouvelle que j'entrevois...
-Viens ici; pourquoi restes-tu là sans répondre et sans lever les
-yeux?--Je ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le jour de ta
-venue; et cependant, les vieillards ont besoin de toucher quelquefois de
-leurs lèvres, le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire
-encore à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la
-mort. As-tu peur de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi ces
-mois-ci!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Grand-père, je n'étais pas malheureuse...
-
-ARKEL.
-
-Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un moment... on a tant
-besoin de beauté aux côtés de la mort...
-
-_Entre Golaud._
-
-GOLAUD.
-
-Pelléas part ce soir.
-
-ARKEL.
-
-Tu as du sang sur le front.--Qu'as-tu fait?
-
-GOLAUD.
-
-Rien, rien... J'ai passé au travers d'une haie d'épines...
-
-MÉLISANDE.
-
-Baissez un peu la tête, seigneur... Je vais essuyer votre front...
-
-GOLAUD, _la repoussant._
-
-Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu? Va-t'en, va-t'en!--Je ne
-te parle pas.--Où est mon épée?--Je venais chercher mon épée...
-
-MÉLISANDE.
-
-Ici; sur le prie-Dieu.
-
-GOLAUD.
-
-Apporte-la. _A Arkël._ On vient encore de trouver un paysan mort de
-faim, le long de la mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous
-nos yeux.--_A Mélisande._ Eh bien, mon épée?--Pourquoi tremblez-vous
-ainsi? Je ne vais pas vous tuer. Je voulais simplement examiner la lame.
-Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi m'examinez-vous comme un
-pauvre?--Je ne viens pas vous demander l'aumône. Vous espérez voir
-quelque chose dans mes yeux, sans que je voie quelque chose dans les
-vôtres?--Croyez-vous que je sache quelque chose?--_A Arkël._ Voyez-vous
-ces grands yeux?--On dirait qu'ils sont fiers d'être riches...
-
-ARKEL.
-
-Je n'y vois qu'une grande innocence...
-
-GOLAUD.
-
-Une grande innocence!... Ils sont plus grands que l'innocence!... Ils
-sont plus purs que les yeux d'un agneau... Ils donneraient à Dieu des
-leçons d'innocence! Une grande innocence! Écoutez: j'en suis si près que
-je sens la fraîcheur de leurs cils quand ils clignent; et cependant, je
-suis moins loin des grands secrets de l'autre monde que du plus petit
-secret de ces yeux!... Une grande innocence!... Plus que de l'innocence!
-On dirait que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un baptême!... Je
-les connais ces yeux! Je les ai vus à l'oeuvre! Fermez-les! Fermez-les!
-ou je vais les fermer pour longtemps!...--Ne mettez pas ainsi votre main
-à la gorge; je dis une chose très simple... Je n'ai pas
-d'arrière-pensée... Si j'avais une arrière-pensée, pourquoi ne la
-dirais-je pas? Ah! ah!--ne tâchez pas de fuir!--Ici!--Donnez-moi cette
-main!--Ah! vos mains sont trop chaudes... Allez-vous-en! Votre chair me
-dégoûte!... Il ne s'agit plus de fuir à présent!--_Il la saisit par les
-cheveux._--Vous allez me suivre à genoux!--A genoux!--A genoux devant
-moi!--Ah! ah! vos longs cheveux servent enfin à quelque chose!... A
-droite et puis à gauche!--A gauche et puis à droite!--Absalon!
-Absalon!--En avant! en arrière! Jusqu'à terre! jusqu'à terre!... Vous
-voyez, vous voyez; je ris déjà comme un vieillard...
-
-ARKEL, _accourant._
-
-Golaud!...
-
-GOLAUD, _affectant un calme soudain._
-
-Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.--Je n'attache aucune
-importance à cela.--Je suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un
-espion. J'attendrai le hasard; et alors... Oh! alors!... simplement
-parce que c'est l'usage; simplement parce que c'est l'usage...
-
-_Il sort._
-
-ARKEL.
-
-Qu'a-t-il donc?--Il est ivre?
-
-MÉLISANDE, _en larmes._
-
-Non, non; mais il ne m'aime plus... Je ne suis pas heureuse!...
-
-ARKEL.
-
-Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du coeur des hommes...
-
-
-SCÈNE II
-
-Une terrasse, dans la brume.
-
-_On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever un quartier de roc._
-
-YNIOLD.
-
-Oh! Cette pierre est lourde... elle est plus lourde que moi.--Elle est
-plus lourde que tout le monde.--Elle est plus lourde que tout.
-
-Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette méchante pierre. Et je ne
-puis pas y atteindre... Mon petit bras n'est pas assez long--et cette
-pierre ne veut pas être soulevée... On dirait qu'elle a des racines dans
-la terre.
-
-_On entend au loin les bêlements d'un troupeau._
-
-Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.--Tiens! Il n'y a plus de
-soleil!--Ils arrivent les petits moutons; ils arrivent... Il y en a!...
-Il y en a!... Ils ont eu peur du noir... Ils se serrent. Ils se serrent!
-Ils pleurent... et ils vont vite!... Il y en a qui voudraient prendre à
-droite... Ils voudraient tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!... Le
-berger leur jette de la terre!... Ah! ah!... Ils vont passer par ici...
-Je vais les voir de près.--Comme il y en a!...--Maintenant, ils se
-taisent tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus?
-
-LE BERGER, _qu'on ne voit pas._
-
-Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!--
-
-YNIOLD.
-
-Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?... Il ne m'entend plus. Ils
-sont déjà trop loin... Ils ne font plus de bruit.--Ce n'est pas le
-chemin de l'étable... Où vont-ils dormir cette nuit?... Oh! oh! il fait
-trop noir... Je vais dire quelque chose à quelqu'un!
-
-_Il sort._
-
-
-SCÈNE III
-
-Une fontaine dans le parc.
-
-_Entre Pelléas._
-
-PELLÉAS.
-
-C'est le dernier soir... Le dernier soir... Il faut que tout finisse...
-J'ai joué comme un enfant autour d'une chose que je ne soupçonnais
-pas... J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée... Qui est-ce
-qui m'a réveillé tout à coup? Je vais fuir en criant de joie et de
-douleur comme un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison... Je vais
-lui dire que je vais fuir... Il est tard; elle ne vient pas... Je ferais
-mieux de m'en aller sans la revoir... Il faut que je la regarde bien
-cette fois-ci... Il y a des choses que je ne me rappelle plus... on
-dirait, par moment, qu'il y a plus de cent ans que je ne l'ai vue... Et
-je n'ai pas encore regardé son regard... Il ne me reste rien si je m'en
-vais ainsi. Et tous ces souvenirs... c'est comme si j'emportais un peu
-d'eau dans un sac de mousseline... Il faut que je la voie une dernière
-fois, jusqu'au fond de son coeur... Il faut que je lui dise tout ce que
-je n'ai pas dit...
-
-_Entre Mélisande._
-
-MÉLISANDE.
-
-Pelléas?
-
-PELLÉAS.
-
-Mélisande!--Est-ce toi, Mélisande?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui.
-
-PELLÉAS.
-
-Viens ici: ne reste pas au bord du clair de lune.--Viens ici. Nous avons
-tant de choses à nous dire... Viens ici dans l'ombre du tilleul.
-
-MÉLISANDE.
-
-Laisse-moi dans la clarté...
-
-PELLÉAS.
-
-On pourrait nous voir des fenêtres de la tour. Viens ici; ici, nous
-n'avons rien à craindre.--Prends garde; on pourrait nous voir...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je veux qu'on me voie...
-
-PELLÉAS.
-
-Qu'as-tu donc?--Tu as pu sortir sans qu'on s'en soit aperçu?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui; votre frère dormait...
-
-PELLÉAS.
-
-Il est tard.--Dans une heure on fermera les portes. Il faut prendre
-garde. Pourquoi es-tu venue si tard?
-
-MÉLISANDE.
-
-Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma robe s'est accrochée aux
-clous de la porte. Voyez, elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et
-j'ai couru...
-
-PELLÉAS.
-
-Ma pauvre Mélisande!... J'aurais presque peur de te toucher... Tu es
-encore hors d'haleine comme un oiseau pourchassé... C'est pour moi, pour
-moi que tu fais tout cela?... J'entends battre ton coeur comme si
-c'était le mien... Viens ici... plus près, plus près de moi.
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi riez-vous?
-
-PELLÉAS.
-
-Je ne ris pas;--ou bien je ris de joie, sans le savoir... Il y aurait
-plutôt de quoi pleurer...
-
-MÉLISANDE.
-
-Nous sommes venus ici il y a bien longtemps... Je me rappelle.
-
-PELLÉAS.
-
-Oui... Il y a de longs mois.--Alors, je ne savais pas... Sais-tu
-pourquoi je t'ai demandé de venir ce soir?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non.
-
-PELLÉAS.
-
-C'est peut-être la dernière fois que je te vois... Il faut que je m'en
-aille pour toujours...
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?...
-
-PELLÉAS.
-
-Je dois te dire ce que tu sais déjà!--Tu ne sais pas ce que je vais te
-dire?
-
-MÉLISANDE.
-
-Mais non, mais non; je ne sais rien...
-
-PELLÉAS.
-
-Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne... _Il l'embrasse
-brusquement._ Tu ne sais pas que c'est parce que je t'aime...
-
-MÉLISANDE, _à voix basse._
-
-Je t'aime aussi...
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque pas entendu!... On a
-brisé la glace avec des fers rougis!... Tu dis cela d'une voix qui vient
-du bout du monde!... Je ne t'ai presque pas entendue... Tu m'aimes?--Tu
-m'aimes aussi?... Depuis quand m'aimes-tu?
-
-MÉLISANDE.
-
-Depuis toujours... Depuis que je t'ai vu...
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! comme tu dis cela!... On dirait que ta voix a passé sur la mer au
-printemps!... je ne l'ai jamais entendue jusqu'ici... on dirait qu'il a
-plu sur mon coeur! Tu dis cela si franchement!... Comme un ange qu'on
-interroge!... Je ne puis pas le croire, Mélisande!... Pourquoi
-m'aimerais-tu?--Mais pourquoi m'aimes-tu!--Est-ce vrai ce que tu
-dis?--Tu ne me trompes pas?--Tu ne mens pas un peu, pour me faire
-sourire?...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton frère...
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! Comme tu dis cela!... Ta voix! ta voix... Elle est plus fraîche et
-plus franche que l'eau!... On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!... On
-dirait de l'eau pure sur mes mains... Donne-moi, donne-moi tes mains.
-Oh! tes mains sont petites!... Je ne savais pas que tu étais si
-belle!... Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi... J'étais
-inquiet, je cherchais partout dans la maison... Je cherchais partout
-dans la campagne... Et je ne trouvais pas la beauté... Et maintenant je
-t'ai trouvée!... Je t'ai trouvée!... Je ne crois pas qu'il y ait sur la
-terre une femme plus belle!... Où es-tu?--Je ne t'entends plus
-respirer...
-
-MÉLISANDE.
-
-C'est que je te regarde...
-
-PELLÉAS.
-
-Pourquoi me regardes-tu si gravement!--Nous sommes déjà dans
-l'ombre.--Il fait trop noir sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous
-ne pouvons pas voir combien nous sommes heureux. Viens, viens; il nous
-reste si peu de temps...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; restons ici... Je suis plus près de toi dans l'obscurité...
-
-PELLÉAS.
-
-Où sont tes yeux?--Tu ne vas pas me fuir?--Tu ne songes pas à moi en ce
-moment.
-
-MÉLISANDE.
-
-Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi...
-
-PELLÉAS.
-
-Tu regardais ailleurs...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je te voyais ailleurs...
-
-PELLÉAS.
-
-Tu es distraite. Qu'as-tu donc?--Tu ne me sembles pas heureuse...
-
-MÉLISANDE.
-
-Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste...
-
-PELLÉAS.
-
-Quel est ce bruit?--On ferme les portes!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, on a fermé les portes...
-
-PELLÉAS.
-
-Nous ne pouvons plus rentrer!--Entends-tu les verrous?--Écoute!
-écoute!... les grandes chaînes!... Il est trop tard, il est trop
-tard!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Tant mieux! Tant mieux!
-
-PELLÉAS.
-
-Tu?... Voilà, voilà!... Ce n'est plus nous qui le voulons!... Tout est
-perdu, tout est sauvé! tout est sauvé ce soir!--Viens! viens... Mon
-coeur bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge... _Il l'enlace._
-Écoute! mon coeur est sur le point de m'étrangler... Viens! viens!...
-Ah! qu'il fait beau dans les ténèbres!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Il y a quelqu'un derrière nous!...
-
-PELLÉAS.
-
-Je ne vois personne...
-
-MÉLISANDE.
-
-J'ai entendu du bruit...
-
-PELLÉAS.
-
-Je n'entends que ton coeur dans l'obscurité...
-
-MÉLISANDE.
-
-J'ai entendu craquer les feuilles mortes...
-
-PELLÉAS.
-
-C'est le vent qui s'est tû tout à coup... Il est tombé pendant que nous
-nous embrassions...
-
-MÉLISANDE.
-
-Comme nos ombres sont grandes ce soir!...
-
-PELLÉAS.
-
-Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin... Oh! qu'elles s'embrassent
-loin de nous!... Regarde! Regarde!...
-
-MÉLISANDE, _d'une voix étouffée._
-
-A-a-h!--Il est derrière un arbre!
-
-PELLÉAS.
-
-Qui?
-
-MÉLISANDE.
-
-Golaud!
-
-PELLÉAS.
-
-Golaud?--où donc?--je ne vois rien...
-
-MÉLISANDE.
-
-Là... au bout de nos ombres...
-
-PELLÉAS.
-
-Oui, oui; je l'ai vu... Ne nous retournons pas brusquement...
-
-MÉLISANDE.
-
-Il a son épée...
-
-PELLÉAS.
-
-Je n'ai pas la mienne...
-
-MÉLISANDE.
-
-Il a vu que nous nous embrassions...
-
-PELLÉAS.
-
-Il ne sait pas que nous l'avons vu... Ne bouge pas; ne tourne pas la
-tête... Il se précipiterait... Il nous observe... Il est encore
-immobile... Va-t'en, va-t'en tout de suite par ici... Je l'attendrai...
-Je l'arrêterai...
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non, non!...
-
-PELLÉAS.
-
-Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!... Il nous tuera!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Tant mieux! tant mieux! tant mieux!...
-
-PELLÉAS.
-
-Il vient! il vient!... Ta bouche!... Ta bouche!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui!... Oui!... Oui!...
-
-_Ils s'embrassent éperdument._
-
-PELLÉAS.
-
-Oh! oh! Toutes les étoiles tombent...
-
-MÉLISANDE.
-
-Sur moi aussi! sur moi aussi!...
-
-PELLÉAS.
-
-Toutes! toutes! toutes!...
-
-_Golaud se précipite sur eux l'épée à la main, et frappe Pelléas, qui
-tombe au bord de la fontaine. Mélisande fuit épouvantée._
-
-MÉLISANDE, _fuyant._
-
-Oh! oh! Je n'ai pas de courage!... Je n'ai pas de courage!...
-
-_Golaud la poursuit à travers le bois, en silence._
-
-
-
-
-ACTE V
-
-
-SCÈNE I
-
-Un appartement dans le château.
-
-_On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans un coin de la chambre.
-Mélisande est étendue sur son lit._
-
-LE MÉDECIN.
-
-Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle peut mourir; un oiseau
-n'en serait pas mort... ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon
-seigneur; ne vous désolez pas ainsi... Et puis, il n'est pas dit que
-nous ne la sauverons pas...
-
-ARKEL.
-
-Non, non; il me semble que nous nous taisons trop, malgré nous, dans sa
-chambre... Ce n'est pas un bon signe... Regardez comme elle dort...
-lentement, lentement... on dirait que son âme a froid pour toujours...
-
-GOLAUD.
-
-J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à faire pleurer les
-pierres!... Ils s'étaient embrassés comme des petits enfants... Ils
-étaient frère et soeur... Et moi, moi tout de suite!... Je l'ai fait
-malgré moi, voyez-vous... Je l'ai fait malgré moi...
-
-LE MÉDECIN.
-
-Attention; je crois qu'elle s'éveille...
-
-MÉLISANDE.
-
-Ouvrez la fenêtre... ouvrez la fenêtre...
-
-ARKEL.
-
-Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; la grande fenêtre... c'est pour voir...
-
-ARKEL.
-
-Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid ce soir?
-
-LE MÉDECIN.
-
-Faites, faites...
-
-MÉLISANDE.
-
-Merci... Est-ce le soleil qui se couche?
-
-ARKEL.
-
-Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il est tard.--Comment te
-trouves-tu, Mélisande?
-
-MÉLISANDE.
-
-Bien, bien.--Pourquoi demandez-vous cela? Je n'ai jamais été mieux
-portante.--Il me semble cependant que je sais quelque chose...
-
-ARKEL.
-
-Que dis-tu?--Je ne te comprends pas...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous... Je ne
-sais pas ce que je dis... Je ne sais pas ce que je sais... Je ne dis
-plus ce que je veux...
-
-ARKEL.
-
-Mais si, mais si... Je suis tout heureux de t'entendre parler ainsi; tu
-as eu un peu de délire ces jours-ci, et l'on ne te comprenait plus...
-Mais maintenant, tout cela est bien loin...
-
-MÉLISANDE.
-
-Je ne sais pas...--Êtes-vous tout seul dans la chambre, grand-père?
-
-ARKEL.
-
-Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie...
-
-MÉLISANDE.
-
-Ah!...
-
-ARKEL.
-
-Et puis il y a encore quelqu'un...
-
-MÉLISANDE.
-
-Qui est-ce?
-
-ARKEL.
-
-C'est... il ne faut pas t'effrayer... Il ne te veut pas le moindre mal,
-sois-en sûre... Si tu as peur, il s'en ira... Il est très malheureux...
-
-MÉLISANDE.
-
-Qui est-ce?
-
-ARKEL.
-
-C'est... c'est ton mari... c'est Golaud...
-
-MÉLISANDE.
-
-Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près de moi?
-
-GOLAUD, _se traînant vers le lit._
-
-Mélisande... Mélisande...
-
-MÉLISANDE.
-
-Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais presque plus... C'est que
-j'ai le soleil du soir dans les yeux... Pourquoi regardez-vous les murs?
-Vous avez maigri et vieilli... Y a-t-il longtemps que nous ne nous
-sommes vus?
-
-GOLAUD, _à Arkël et au médecin._
-
-Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres amis... Je laisserai
-la porte grande ouverte... Un instant seulement... Je voudrais lui dire
-quelque chose; sans cela je ne pourrais pas mourir... Voulez-vous?--Vous
-pouvez revenir tout de suite... Ne me refusez pas cela... Je suis un
-malheureux... _Sortent Arkël et le médecin._ Mélisande, as-tu pitié de
-moi, comme j'ai pitié de toi?... Mélisande?... Me pardonnes-tu,
-Mélisande?...
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, oui, je te pardonne... Que faut-il pardonner?
-
-GOLAUD.
-
-Je t'ai fait tant de mal, Mélisande... Je ne puis pas te dire le mal que
-je t'ai fait... Mais je le vois, je le vois si clairement aujourd'hui...
-depuis le premier jour... Et tout est de ma faute, tout ce qui est
-arrivé, tout ce qui va arriver... Si je pouvais le dire, tu verrais
-comme je le vois!... Je vois tout, je vois tout!... Mais je t'aimais
-tant!... Je t'aimais tant!... Mais maintenant, quelqu'un va mourir...
-C'est moi qui vais mourir... Et je voudrais savoir... Je voudrais te
-demander... Tu ne m'en voudras pas?... Il faut dire la vérité à
-quelqu'un qui va mourir... Il faut qu'il sache la vérité, sans cela il
-ne pourrait pas dormir... Me jures-tu de dire la vérité?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui.
-
-GOLAUD.
-
-As-tu aimé Pelléas?
-
-MÉLISANDE.
-
-Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il?
-
-GOLAUD.
-
-Tu ne me comprends pas?--Tu ne veux pas me comprendre?--Il me semble...
-Il me semble... Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as aimé d'un amour
-défendu?... As-tu... Avez-vous été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non; nous n'avons pas été coupables.--Pourquoi demandez-vous cela?
-
-GOLAUD.
-
-Mélisande!... Dis-moi la vérité pour l'amour de Dieu!
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité?
-
-GOLAUD.
-
-Ne mens plus ainsi, au moment de mourir!
-
-MÉLISANDE.
-
-Qui est-ce qui va mourir?--Est-ce moi?
-
-GOLAUD.
-
-Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!... Et il nous faut la vérité...
-Il nous faut enfin la vérité, entends-tu!... Dis-moi tout! Dis-moi tout!
-Je te pardonne tout!...
-
-MÉLISANDE.
-
-Pourquoi vais-je mourir?--Je ne le savais pas...
-
-GOLAUD.
-
-Tu le sais maintenant... Il est temps!... Il est temps!... Vite!
-vite!... La vérité! la vérité!...
-
-MÉLISANDE.
-
-La vérité... la vérité...
-
-GOLAUD.
-
-Où es-tu?--Mélisande!--Où es-tu?--Ce n'est pas naturel! Mélisande! Où
-es-tu? _Apercevant Arkël et le médecin à la porte de la chambre._--Oui,
-oui; vous pouvez rentrer... Je ne sais rien; c'est inutile... Elle est
-déjà trop loin de nous... Je ne saurai jamais!... Je vais mourir ici
-comme un aveugle!...
-
-ARKEL.
-
-Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer...
-
-GOLAUD.
-
-Je l'ai déjà tuée...
-
-ARKEL.
-
-Mélisande...
-
-MÉLISANDE.
-
-Est-ce vous, grand-père?
-
-ARKEL.
-
-Oui, ma fille... Que veux-tu que je fasse?
-
-MÉLISANDE.
-
-Est-il vrai que l'hiver commence?
-
-ARKEL.
-
-Pourquoi demandes-tu cela?
-
-MÉLISANDE.
-
-C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de feuilles...
-
-ARKEL.
-
-Tu as froid?--Veux-tu qu'on ferme les fenêtres?
-
-MÉLISANDE.
-
-Non, non... jusqu'à ce que le soleil soit au fond de la mer.--Il descend
-lentement, alors c'est l'hiver qui commence?
-
-ARKEL.
-
-Oui.--Tu n'aimes pas l'hiver?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oh! non. J'ai peur du froid!--Ah! J'ai peur des grands froids...
-
-ARKEL.
-
-Te sens-tu mieux?
-
-MÉLISANDE.
-
-Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes...
-
-ARKEL.
-
-Veux-tu voir ton enfant?
-
-MÉLISANDE.
-
-Quel enfant?
-
-ARKEL.
-
-Ton enfant, ta petite fille...
-
-MÉLISANDE.
-
-Où est-elle?
-
-ARKEL.
-
-Ici...
-
-MÉLISANDE.
-
-C'est étrange... Je ne peux pas lever les bras pour la prendre...
-
-ARKEL.
-
-C'est que tu es encore très faible... Je la tiendrai moi-même;
-regarde...
-
-MÉLISANDE.
-
-Elle ne rit pas... Elle est petite... Elle va pleurer aussi... J'ai
-pitié d'elle...
-
-_La chambre est envahie, peu à peu, par les servantes du château, qui se
-rangent en silence le long des murs et attendent._
-
-GOLAUD, _se levant brusquement._
-
-Qu'y a-t-il?--Qu'est-ce que toutes ces femmes viennent faire ici?
-
-LE MÉDECIN.
-
-Ce sont les servantes...
-
-ARKEL.
-
-Qui est-ce qui les a appelées?
-
-LE MÉDECIN.
-
-Ce n'est pas moi...
-
-GOLAUD.
-
-Que venez-vous faire ici?--Personne ne vous a demandées... Que
-venez-vous faire ici?--Mais qu'est-ce que donc! Répondez!...
-
-_Les servantes ne répondent pas._
-
-ARKEL.
-
-Ne parlez pas trop fort... Elle va dormir; elle a fermé les yeux...
-
-GOLAUD.
-
-Ce n'est pas?...
-
-LE MÉDECIN.
-
-Non, non; voyez, elle respire...
-
-ARKEL.
-
-Ses yeux sont pleins de larmes.--Maintenant c'est son âme qui pleure...
-Pourquoi étend-elle ainsi les bras? Que veut-elle?
-
-LE MÉDECIN.
-
-C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de la mère contre la
-mort...
-
-GOLAUD.
-
-En ce moment?--En ce moment?--Il faut le dire, dites! dites!
-
-LE MÉDECIN.
-
-Peut-être...
-
-GOLAUD.
-
-Tout de suite?... Oh! Oh! Il faut que je lui dise...--Mélisande!
-Mélisande!... Laissez-moi seul! laissez-moi seul avec elle!...
-
-ARKEL.
-
-Non, non, n'approchez pas... Ne la troublez pas... Ne lui parlez plus...
-Vous ne savez pas ce que c'est que l'âme...
-
-GOLAUD.
-
-Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute!
-
-ARKEL.
-
-Attention... Attention... Il faut parler à voix basse.--Il ne faut plus
-l'inquiéter... L'âme humaine est très silencieuse... L'âme humaine aime
-à s'en aller seule... Elle souffre si timidement... Mais la tristesse,
-Golaud... mais la tristesse de tout ce que l'on voit!... Oh! oh! oh!...
-
-_En ce moment, toutes les servantes tombent subitement à genoux au fond
-de la chambre._
-
-ARKEL, _se retournant._
-
-Qu'y a-t-il?
-
-LE MÉDECIN, _s'approchant du lit et tâtant le corps._
-
-Elles ont raison...
-
-_Un long silence._
-
-ARKEL.
-
-Je n'ai rien vu.--Êtes-vous sûr?...
-
-LE MÉDECIN.
-
-Oui, oui.
-
-ARKEL.
-
-Je n'ai rien entendu... Si vite, si vite... Tout à coup... Elle s'en va
-sans rien dire...
-
-GOLAUD, _sanglotant._
-
-Oh! oh! oh!...
-
-ARKEL.
-
-Ne restez pas ici, Golaud... Il lui faut le silence, maintenant...
-Venez, venez... C'est terrible, mais ce n'est pas votre faute... C'était
-un petit être si tranquille, si timide et si silencieux... C'était un
-pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde... Elle est là, comme
-si elle était la grande soeur de son enfant...--Venez; il ne faut pas
-que l'enfant reste ici dans cette chambre... Il faut qu'il vive,
-maintenant, à sa place... C'est au tour de la pauvre petite...
-
-_Ils sortent en silence._
-
-
-FIN.
-
-
-
-
-
-
-End of Project Gutenberg's Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE ***
-
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+The Project Gutenberg EBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck + +This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and +most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions +whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms +of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at +www.gutenberg.org. 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Un volume in-18 + jésus 3.00 + + L'Ornement des Noces Spirituelles de _Ruysbroeck l'admirable_, + traduit du flamand et accompagné d'une Introduction. Un volume + in-16, sur papier à la main 5.00 + + Les Disciples à Saïs et les Fragments de _Novalis_, traduits de + l'allemand et précédés d'une Introduction. Un volume in-18 + jésus 4.00 + + Les Sept Princesses, drame. Un petit volume in-18 jésus 2.00 + + Le Temple enseveli. Un volume in-18 jésus 3.50 + + Le Trésor des Humbles. Un volume in 18 jésus 3.50 + + La Sagesse et la Destinée. Un volume in 18 jésus 3.50 + + La Vie des Abeilles. Un volume in-18 jésus 3.50 + + Théâtre Tome I: _La Princesse Maleine._--_L'Intruse._--_Les + Aveugles_ 3.50 + + Théâtre Tome II: _Pelléas et Mélisande._--_Alladine et + Palomides._--_Intérieur._--_La mort de Tintagiles_ 3.50 + + Théâtre Tome III: _Aglavaine et Sélysette._--_Ariane et + Barbe-bleue._--_Soeur Béatrice_ 3.50 + +CHEZ LE MÊME ÉDITEUR: + + Sept Essais d'Emerson, traduits par I. Will, avec une préface + de _Maurice Maeterlinck_. Un volume in-18 jésus 3.50 + + + + +Pelléas et Mélisande + +DRAME LYRIQUE + + + + +PERSONNAGES. + + + ARKEL, roi d'Allemonde. + GENEVIÈVE, mère de Pelléas et de Golaud. + PELLÉAS, GOLAUD, petits-fils d'Arkël. + MÉLISANDE. + Le petit YNIOLD, fils de Golaud (d'un premier lit). + Un médecin. + Servantes, pauvres, etc. + + + + +ACTE I + + +SCÈNE I + +Une forêt. + +_On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.--Entre Golaud._ + +GOLAUD. + +Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.--Dieu sait jusqu'où cette bête +m'a mené. Je croyais cependant l'avoir blessée à mort; et voici des +traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de vue; je crois que je +me suis perdu moi-même--et mes chiens ne me retrouvent plus--je vais +revenir sur mes pas...--J'entends pleurer... Oh! oh! qu'y a-t-il là au +bord de l'eau?... Une petite fille qui pleure au bord de l'eau? _Il +tousse._--Elle ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. _Il +s'approche et touche Mélisande à l'épaule._ Pourquoi pleures-tu? +_Mélisande tressaille, se dresse et veut fuir._--N'ayez pas peur. Vous +n'avez rien à craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule? + +MÉLISANDE. + +Ne me touchez pas! ne me touchez pas! + +GOLAUD. + +N'ayez pas peur... Je ne vous ferai pas... Oh! vous êtes belle! + +MÉLISANDE. + +Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou je me jette à l'eau!... + +GOLAUD. + +Je ne vous touche pas... Voyez, je resterai ici, contre l'arbre. N'ayez +pas peur. Quelqu'un vous a-t-il fait du mal? + +MÉLISANDE. + +Oh! oui! oui, oui!... + +_Elle sanglote profondément._ + +GOLAUD. + +Qui est-ce qui vous a fait du mal? + +MÉLISANDE. + +Tous! tous! + +GOLAUD. + +Quel mal vous a-t-on fait? + +MÉLISANDE. + +Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!... + +GOLAUD. + +Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous? + +MÉLISANDE. + +Je me suis enfuie!... enfuie... enfuie! + +GOLAUD. + +Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie? + +MÉLISANDE. + +Je suis perdue!... perdue ici... Je ne suis pas d'ici... Je ne suis pas +née là... + +GOLAUD. + +D'où êtes-vous? Où êtes-vous née? + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! loin d'ici... loin... loin... + +GOLAUD. + +Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau? + +MÉLISANDE. + +Où donc--Ah! c'est la couronne qu'il m'a donnée. Elle est tombée en +pleurant. + +GOLAUD. + +Une couronne?--Qui est-ce qui vous a donné une couronne?--Je vais +essayer de la prendre... + +MÉLISANDE. + +Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux plus! Je préfère mourir tout +de suite... + +GOLAUD. + +Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est pas très profonde. + +MÉLISANDE. + +Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me jette à sa place!... + +GOLAUD. + +Non, non; je la laisserai là; on pourrait la prendre sans peine +cependant. Elle semble très belle.--Y a-t-il longtemps que vous avez +fui? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui... qui êtes-vous? + +GOLAUD. + +Je suis le prince Golaud--le petit-fils d'Arkël, le vieux roi +d'Allemonde... + +MÉLISANDE. + +Oh! vous avez déjà les cheveux gris... + +GOLAUD. + +Oui; quelques-uns, ici, près des tempes... + +MÉLISANDE. + +Et la barbe aussi... Pourquoi me regardez-vous ainsi? + +GOLAUD. + +Je regarde vos yeux.--Vous ne fermez jamais les yeux? + +MÉLISANDE. + +Si, si; je les ferme la nuit... + +GOLAUD. + +Pourquoi avez-vous l'air si étonné? + +MÉLISANDE. + +Vous êtes un géant? + +GOLAUD. + +Je suis un homme comme les autres... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi êtes-vous venu ici? + +GOLAUD. + +Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans la forêt. Je poursuivais un +sanglier. Je me suis trompé de chemin.--Vous avez l'air très jeune. Quel +âge avez-vous? + +MÉLISANDE. + +Je commence à avoir froid... + +GOLAUD. + +Voulez-vous venir avec moi? + +MÉLISANDE. + +Non, non; je reste ici... + +GOLAUD. + +Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne pouvez pas rester ici toute la +nuit... Comment vous nommez-vous? + +MÉLISANDE. + +Mélisande. + +GOLAUD. + +Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande. Venez avec moi... + +MÉLISANDE. + +Je reste ici... + +GOLAUD. + +Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas ce qu'il y a ici... Toute +la nuit... Toute seule, ce n'est pas possible. Mélisande, venez, +donnez-moi la main... + +MÉLISANDE. + +Oh! ne me touchez pas!... + +GOLAUD. + +Ne criez pas... Je ne vous toucherai plus. Mais venez avec moi. La nuit +sera très noire et très froide. Venez avec moi... + +MÉLISANDE. + +Où allez-vous? + +GOLAUD. + +Je ne sais pas... Je suis perdu aussi... + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE II + +Une salle dans le château. + +_On découvre Arkël et Geneviève._ + +GENEVIÈVE. + +Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un soir, je l'ai trouvée tout +en pleurs au bord d'une fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je +ne sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient et je n'ose pas +l'interroger, car elle doit avoir eu une grande épouvante, et quand on +lui demande ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup comme un +enfant et sanglote si profondément qu'on a peur. Il y a maintenant six +mois que je l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de notre +rencontre. En attendant, mon cher Pelléas, toi que j'aime plus qu'un +frère, bien que nous ne soyons pas nés du même père; en attendant, +prépare mon retour... Je sais que ma mère me pardonnera volontiers. Mais +j'ai peur d'Arkël, malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage +étrange, tous ses projets politiques, et je crains que la beauté de +Mélisande n'excuse pas à ses yeux, si sages, ma folie. S'il consent +néanmoins à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille, le +troisième soir qui suivra cette lettre, allume une lampe au sommet de la +tour qui regarde la mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire; sinon, +j'irai plus loin et ne reviendrai plus...» Qu'en dites-vous! + +ARKEL. + +Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître étrange, parce que nous ne +voyons jamais que l'envers des destinées... Il avait toujours suivi mes +conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre heureux en l'envoyant demander +la main de la princesse Ursule... Il ne pouvait pas rester seul, et +depuis la mort de sa femme il était triste d'être seul; et ce mariage +allait mettre fin à de longues guerres et à de vieilles haines... Il ne +l'a pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu: je ne me suis +jamais mis en travers d'une destinée: il sait mieux que moi son avenir. +Il n'arrive peut-être pas d'événements inutiles... + +GENEVIÈVE. + +Il a toujours été prudent, si grave et si ferme... Depuis la mort de sa +femme il ne vivait plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout +oublié...--Qu'allons-nous faire? + +_Entre Pelléas._ + +ARKEL. + +Qui est-ce qui entre là? + +GENEVIÈVE. + +C'est Pelléas. Il a pleuré. + +ARKEL. + +Est-ce toi Pelléas?--Viens un peu plus près, que je te voie dans la +lumière. + +PELLÉAS. + +Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la lettre de mon frère, une +autre lettre; une lettre de mon ami Marcellus... Il va mourir et il +m'appelle. + +Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort doit venir... Il me dit +que je puis arriver avant elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps +à perdre. + +ARKEL. + +Il faudrait attendre quelque temps cependant... Nous ne savons pas ce +que le retour de ton frère nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il +pas ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que ton ami... +Pourras-tu choisir entre le père et l'ami?... + +_Il sort._ + +GENEVIÈVE. + +Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir, Pelléas... + +_Ils sortent séparément._ + + +SCÈNE III + +Devant le château. + +_Entrent Geneviève et Mélisande._ + +MÉLISANDE. + +Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, quelles forêts +autour des palais!... + +GENEVIÈVE. + +Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée ici, et cela étonne +tout le monde. Il y a des endroits où l'on ne voit jamais le soleil. +Mais l'on s'y fait si vite... Il y a longtemps, il y a longtemps... Il y +a près de quarante ans que je vis ici... Regardez de l'autre côté, vous +aurez la clarté de la mer... + +MÉLISANDE. + +J'entends du bruit au-dessous de nous... + +GENEVIÈVE. + +Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous... Ah! C'est Pelléas... Il +semble encore fatigué de vous avoir attendue si longtemps... + +MÉLISANDE. + +Il ne nous a pas vues. + +GENEVIÈVE. + +Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce qu'il doit faire... +Pelléas, Pelléas, est-ce toi? + +PELLÉAS. + +Oui!... Je venais du côté de la mer... + +GENEVIÈVE. + +Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il fait un peu plus clair +qu'ailleurs! et cependant la mer est sombre. + +PELLÉAS. + +Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a toutes les nuits depuis +quelque temps... et cependant elle est si calme ce soir... On +s'embarquerait sans le savoir et l'on ne reviendrait plus. + +MÉLISANDE. + +Quelque chose sort du port... + +PELLÉAS. + +Il faut que ce soit un grand navire... Les lumières sont très hautes, +nous le verrons tout à l'heure quand il entrera dans la bande de +clarté... + +GENEVIÈVE. + +Je ne sais si nous pourrons le voir... il y a encore une brume sur la +mer... + +PELLÉAS. + +On dirait que la brume s'élève lentement... + +MÉLISANDE. + +Oui; j'aperçois, là-bas, une petite lumière que je n'avais pas vue... + +PELLÉAS. + +C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne voyons pas encore. + +MÉLISANDE. + +Le navire est dans la lumière... Il est déjà bien loin... + +PELLÉAS. + +Il s'éloigne à toutes voiles... + +MÉLISANDE. + +C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de grandes voiles... Je le +reconnais à ses voiles... + +PELLÉAS. + +Il aura mauvaise mer cette nuit... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?... On ne le voit presque plus... Il +fera peut-être naufrage... + +PELLÉAS. + +La nuit tombe très vite... + +_Un silence._ + +GENEVIÈVE. + +Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la route à Mélisande. Il faut +que j'aille voir, un instant, le petit Yniold. + +_Elle sort._ + +PELLÉAS. + +On ne voit plus rien sur la mer... + +MÉLISANDE. + +Je vois d'autres lumières. + +PELLÉAS. + +Ce sont les autres phares... Entendez-vous la mer?... C'est le vent qui +s'élève... Descendons par ici. Voulez-vous me donner la main? + +MÉLISANDE. + +Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs. + +PELLÉAS. + +Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est escarpé et il y fait très +sombre... Je pars peut-être demain... + +MÉLISANDE. + +Oh!... Pourquoi partez-vous? + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE II + + +SCÈNE I + +Une fontaine dans le parc. + +_Entrent Pelléas et Mélisande._ + +PELLÉAS. + +Vous ne savez pas où je vous ai menée?--Je viens souvent m'asseoir ici, +vers midi, lorsqu'il fait trop chaud dans les jardins. On étouffe, +aujourd'hui, même à l'ombre des arbres. + +MÉLISANDE. + +Oh! L'eau est claire... + +PELLÉAS. + +Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille fontaine abandonnée. +Il paraît que c'était une fontaine miraculeuse,--elle ouvrait les yeux +des aveugles.--On l'appelle encore la «fontaine des aveugles». + +MÉLISANDE. + +Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles? + +PELLÉAS. + +Depuis que le roi est presque aveugle lui-même, on n'y vient plus... + +MÉLISANDE. + +Comme on est seul ici... On n'entend rien. + +PELLÉAS. + +Il y a toujours un silence extraordinaire... On entendrait dormir +l'eau... Voulez-vous vous asseoir au bord du bassin de marbre? Il y a un +tilleul où le soleil n'entre jamais... + +MÉLISANDE. + +Je vais me coucher sur le marbre.--Je voudrais voir le fond de l'eau... + +PELLÉAS. + +On ne l'a jamais vu.--Elle est peut-être aussi profonde que la mer. + +MÉLISANDE. + +Si quelque chose brillait au fond, on le verrait peut-être... + +PELLÉAS. + +Ne vous penchez pas ainsi... + +MÉLISANDE. + +Je voudrais toucher l'eau... + +PELLÉAS. + +Prenez garde de glisser... Je vais vous tenir la main... + +MÉLISANDE. + +Non, non, je voudrais y plonger mes deux mains... On dirait que mes +mains sont malades aujourd'hui... + +PELLÉAS. + +Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!... Mélisande!--Oh! votre +chevelure!... + +MÉLISANDE, _se redressant._ + +Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre. + +PELLÉAS. + +Vos cheveux ont plongé dans l'eau... + +MÉLISANDE. + +Oui, ils sont plus longs que mes bras... Ils sont plus longs que moi... + +_Un silence._ + +PELLÉAS. + +C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a trouvée? + +MÉLISANDE. + +Oui... + +PELLÉAS. + +Que vous a-t-il dit? + +MÉLISANDE. + +Rien;--je ne me rappelle plus... + +PELLÉAS. + +Était-il tout près de vous? + +MÉLISANDE. + +Oui, il voulait m'embrasser... + +PELLÉAS. + +Et vous ne vouliez pas? + +MÉLISANDE. + +Non. + +PELLÉAS. + +Pourquoi ne vouliez-vous pas? + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond de l'eau... + +PELLÉAS. + +Prenez garde! prenez garde!--Vous allez tomber!--Avec quoi jouez-vous? + +MÉLISANDE. + +Avec l'anneau qu'il m'a donné... + +PELLÉAS. + +Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde... + +MÉLISANDE. + +Mes mains ne tremblent pas. + +PELLÉAS. + +Comme il brille au soleil!--Ne le jetez pas si haut vers le ciel!... + +MÉLISANDE. + +Oh!... + +PELLÉAS. + +Il est tombé? + +MÉLISANDE. + +Il est tombé dans l'eau!... + +PELLÉAS. + +Où est-il? Où est-il? + +MÉLISANDE. + +Je ne le vois pas descendre... + +PELLÉAS. + +Je crois que je la vois briller... + +MÉLISANDE. + +Ma bague? + +PELLÉAS. + +Oui, oui,... Là-bas... + +MÉLISANDE. + +Oh! Oh! elle est si loin de nous!... non, non, ce n'est pas elle... ce +n'est plus elle... Elle est perdue... perdue... Il n'y a plus qu'un +grand cercle sur l'eau... Qu'allons-nous faire maintenant?... + +PELLÉAS. + +Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague. Ce n'est rien... nous +la retrouverons peut-être. Ou bien nous en retrouverons une autre. + +MÉLISANDE. + +Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous n'en trouverons pas +d'autres non plus... Je croyais l'avoir dans les mains cependant... +J'avais déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré tout... Je l'ai +jetée trop haut, du côté du soleil... + +PELLÉAS. + +Venez, nous reviendrons un autre jour... venez, il est temps. On irait à +notre rencontre... Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé... + +MÉLISANDE. + +Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où il est? + +PELLÉAS. + +La vérité, la vérité, la vérité... + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE II + +Un appartement dans le château. + +_On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande est à son chevet._ + +GOLAUD. + +Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je ne puis m'expliquer +comment cela s'est passé. Je chassais tranquillement dans la forêt. Mon +cheval s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il vu quelque chose +d'extraordinaire?... Je venais d'entendre sonner les douze coups de +midi. Au douzième coup, il s'effraie subitement, et court, comme un +aveugle fou, contre un arbre. Je ne sais plus ce qui est arrivé. Je suis +tombé, et lui doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute la forêt +sur la poitrine; je croyais que mon coeur était déchiré. Mais mon coeur +est solide. Il paraît que ce n'est rien... + +MÉLISANDE. + +Voulez-vous boire un peu d'eau? + +GOLAUD. + +Merci, je n'ai pas soif. + +MÉLISANDE. + +Voulez-vous un autre oreiller?... Il y a une petite tache de sang sur +celui-ci. + +GOLAUD. + +Non, non; ce n'est pas la peine. + +MÉLISANDE. + +Est-ce bien sûr?... Vous ne souffrez pas trop? + +GOLAUD. + +Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait au fer et au sang... + +MÉLISANDE. + +Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai ici toute la nuit... + +GOLAUD. + +Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues ainsi. Je n'ai besoin de +rien; je dormirai comme un enfant... Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi +pleures-tu tout à coup?... + +MÉLISANDE, _fondant en larmes_. + +Je suis... Je suis malade ici... + +GOLAUD. + +Tu es malade?... Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc, Mélisande?... + +MÉLISANDE. + +Je ne sais pas... Je suis malade ici... Je préfère vous le dire +aujourd'hui; seigneur, je ne suis pas heureuse ici... + +GOLAUD. + +Qu'est-il donc arrivé?... Quelqu'un t'a fait du mal?... Quelqu'un +t'aurait-il offensée? + +MÉLISANDE. + +Non, non; personne ne m'a fait le moindre mal... Ce n'est pas cela... + +GOLAUD. + +Mais tu dois me cacher quelque chose?... Dis-moi toute la vérité, +Mélisande... Est-ce le roi?... Est-ce ma mère?... Est-ce Pelléas?... + +MÉLISANDE. + +Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne... Vous ne pouvez pas +me comprendre... C'est quelque chose qui est plus fort que moi... + +GOLAUD. + +Voyons; sois raisonnable, Mélisande.--Que veux-tu que je fasse?--Tu n'es +plus une enfant.--Est-ce moi que tu voudrais quitter? + +MÉLISANDE. + +Oh! non; ce n'est pas cela... Je voudrais m'en aller avec vous... C'est +ici, que je ne peux plus vivre... Je sens que je ne vivrai plus +longtemps... + +GOLAUD. + +Mais il faut une raison cependant. On va te croire folle. On va croire à +des rêves d'enfant.--Voyons, est-ce Pelléas, peut-être?--Je crois qu'il +ne te parle pas souvent... + +MÉLISANDE. + +Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je crois; je l'ai vu dans +ses yeux... Mais il me parle quand il me rencontre... + +GOLAUD. + +Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été ainsi. Il est un peu +étrange. Il changera, tu verras; il est jeune... + +MÉLISANDE. + +Mais ce n'est pas cela... Ce n'est pas cela... + +GOLAUD. + +Qu'est-ce donc?--Ne peux-tu pas te faire à la vie qu'on mène ici? +Fait-il trop triste ici?--Il est vrai que ce château est très vieux et +très sombre... Il est très froid et très profond. Et tous ceux qui +l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne peut sembler bien triste +aussi, avec toutes ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière. +Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et puis, la joie, la joie, +on n'en a pas tous les jours; il faut prendre les choses comme elles +sont. Mais dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai tout ce que +tu voudras... + +MÉLISANDE. + +Oui, c'est vrai... On ne voit jamais le ciel clair... Je l'ai vu pour la +première fois ce matin... + +GOLAUD. + +C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre Mélisande?--Ce n'est donc +que cela?--Tu pleures de ne pas voir le ciel?--Voyons, tu n'es plus à +l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses... Et puis l'été n'est-il pas +là? Tu vas voir le ciel tous les jours.--Et puis l'année prochaine... +Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux petites mains. _Il lui +prend les mains._ Oh! ces petites mains que je pourrais écraser comme +des fleurs...--Tiens, où est l'anneau que je t'avais donné? + +MÉLISANDE. + +L'anneau? + +GOLAUD. + +Oui; la bague de nos noces, où est-elle? + +MÉLISANDE. + +Je crois... Je crois qu'elle est tombée... + +GOLAUD. + +Tombée?--Où est-elle tombée?...--Tu ne l'as pas perdue? + +MÉLISANDE. + +Non, elle est tombée... elle doit être tombée... Mais je ne sais pas où +elle est... + +GOLAUD. + +Où est-elle? + +MÉLISANDE. + +Vous savez bien... vous savez bien... la grotte au bord de la mer? + +GOLAUD. + +Oui. + +MÉLISANDE. + +Eh bien, c'est là... Il faut que ce soit là... Oui, oui; je me +rappelle... J'y suis allée ce matin, ramasser des coquillages pour le +petit Yniold... Il y en a de très beaux... Elle a glissé de mon doigt... +puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir avant de l'avoir retrouvée. + +GOLAUD. + +Es-tu sûre que ce soit là? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui; tout à fait sûre... Je l'ai sentie glisser... + +GOLAUD. + +Il faut aller la chercher tout de suite. + +MÉLISANDE. + +Maintenant?--tout de suite?--dans l'obscurité? + +GOLAUD. + +Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité. J'aimerais mieux avoir +perdu tout ce que j'ai plutôt que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais +pas ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La mer sera très haute +cette nuit. La mer viendra la prendre avant toi... Dépêche-toi. + +MÉLISANDE. + +Je n'ose pas... Je n'ose pas aller seule... + +GOLAUD. + +Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y aller tout de suite, +entends-tu?--Dépêche-toi; demande à Pelléas d'y aller avec toi. + +MÉLISANDE. + +Pelléas?--Avec Pelléas?--Mais Pelléas ne voudra pas... + +GOLAUD. + +Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je connais Pelléas mieux que +toi. Vas-y, hâte-toi. Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague. + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!... Je ne suis pas heureuse! + +_Elle sort en pleurant._ + + +SCÈNE III + +Devant une grotte. + +_Entrent Pelléas et Mélisande._ + +PELLÉAS, _parlant avec une grande agitation._ + +Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que l'entrée de la grotte +ne se distingue pas du reste de la nuit... Il n'y a pas d'étoiles de ce +côté. Attendons que la lune ait déchiré ce grand nuage; elle éclairera +toute la grotte et alors nous pourrons entrer sans danger. Il y a des +endroits dangereux et le sentier est très étroit, entre deux lacs dont +on n'a pas encore trouvé le fond. Je n'ai pas songé à emporter une +torche ou une lanterne, mais je pense que la clarté du ciel nous +suffira.--Vous n'avez jamais pénétré dans cette grotte? + +MÉLISANDE. + +Non... + +PELLÉAS. + +Entrons-y... Il faut pouvoir décrire l'endroit où vous avez perdu la +bague, s'il vous interroge... Elle est très grande et très belle. Elle +est pleine de ténèbres bleues. Quand on y allume une petite lumière, on +dirait que la voûte est couverte d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la +main, ne tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas de danger: +nous nous arrêterons au moment que nous n'apercevrons plus la clarté de +la mer... Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? Entendez-vous +la mer derrière nous?--Elle ne semble pas heureuse cette nuit... Ah! +Voici la clarté! + +_La lune éclaire largement l'entrée et une partie des ténèbres de la +grotte; et l'on aperçoit, à une certaine profondeur, trois vieux pauvres +à cheveux blancs, assis côte à côte, se soutenant les uns les autres, et +endormis contre un quartier de roc._ + +MÉLISANDE. + +Ah! + +PELLÉAS. + +Qu'y a-t-il? + +MÉLISANDE. + +Il y a... Il y a... + +_Elle montre les trois pauvres._ + +PELLÉAS. + +Oui, oui; je les ai vus aussi... + +MÉLISANDE. + +Allons-nous en!... Allons-nous en!... + +PELLÉAS. + +Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis... Pourquoi sont-ils +venus dormir ici?... Il y aura une famine dans le pays. + +MÉLISANDE. + +Allons-nous en!... Venez... Allons-nous en!... + +PELLÉAS. + +Prenez garde, ne parlez pas si fort... Ne les éveillons pas... Ils +dorment encore profondément... Venez. + +MÉLISANDE. + +Laissez-moi; je préfère marcher seule... + +PELLÉAS. + +Nous reviendrons un autre jour... + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE III + + +SCÈNE I + +Une des tours du château.--Un chemin de ronde passe sous une fenêtre de +la tour. + +MÉLISANDE, _à la fenêtre, tandis qu'elle peigne ses cheveux dénoués._ + + Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour! + Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour! + Et tout le long du jour! + Et tout le long du jour! + + Saint Daniel et saint Michel, + Saint Michel et saint Raphaël, + Je suis née un Dimanche! + Un Dimanche à midi! + +_Entre Pelléas par le chemin de ronde._ + +PELLÉAS. + +Holà! Holà! ho! + +MÉLISANDE. + +Qui est là? + +PELLÉAS. + +Moi, moi, et moi!... Que fais-tu là à la fenêtre en chantant comme un +oiseau qui n'est pas d'ici? + +MÉLISANDE. + +J'arrange mes cheveux pour la nuit... + +PELLÉAS. + +C'est là ce que je vois sur le mur!... Je croyais que c'était un rayon +de lumière... + +MÉLISANDE. + +J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la tour, il fait beau +cette nuit. + +PELLÉAS. + +Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais vu autant que ce +soir;... mais la lune est encore sur la mer... Ne reste pas dans +l'ombre, Mélisande, penche-toi un peu, que je voie tes cheveux dénoués. + +_Mélisande se penche à la fenêtre._ + +MÉLISANDE. + +Je suis affreuse ainsi. + +PELLÉAS. + +Oh! Mélisande!... oh! tu es belle!... tu es belle ainsi!... penche-toi! +penche-toi!... laisse-moi venir plus près de toi... + +MÉLISANDE. + +Je ne puis pas venir plus près de toi... Je me penche tant que je +peux... + +PELLÉAS. + +Je ne puis pas monter plus haut... donne-moi du moins ta main ce soir... +avant que je m'en aille... Je pars demain... + +MÉLISANDE. + +Non, non, non... + +PELLÉAS. + +Si, si; je pars, je partirai demain... donne-moi ta main, ta main, ta +petite main sur mes lèvres... + +MÉLISANDE. + +Je ne te donne pas ma main si tu pars... + +PELLÉAS. + +Donne, donne, donne... + +MÉLISANDE. + +Tu ne partiras pas?... + +PELLÉAS. + +J'attendrai, j'attendrai. + +MÉLISANDE. + +Je vois une rose dans les ténèbres... + +PELLÉAS. + +Où donc?... Je ne vois que les branches du saule qui dépassent le mur... + +MÉLISANDE. + +Plus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans le vert sombre. + +PELLÉAS. + +Ce n'est pas une rose... J'irai voir tout à l'heure, mais donne-moi ta +main d'abord; d'abord ta main... + +MÉLISANDE. + +Voilà, voilà;... Je ne puis me pencher davantage... + +PELLÉAS. + +Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main... + +MÉLISANDE. + +Je ne puis me pencher davantage... Je suis sur le point de +tomber...--Oh! oh! mes cheveux descendent de la tour!... + +_Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis qu'elle se penche ainsi et +inonde Pelléas._ + +PELLÉAS. + +Oh! oh! qu'est-ce que c'est?... Tes cheveux, tes cheveux descendent vers +moi!... Toute ta chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est tombée de +la tour!... Je les tiens dans les mains, je les tiens dans la bouche... +Je les tiens dans les bras, je les mets autour de mon cou... Je +n'ouvrirai plus les mains cette nuit... + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi! Laisse-moi!... Tu vas me faire tomber!... + +PELLÉAS. + +Non, non, non;... Je n'ai jamais vu de cheveux comme les tiens, +Mélisande!... Vois, vois, vois, ils viennent de si haut et ils +m'inondent jusqu'au coeur... Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux... +Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient du ciel!... Je ne +vois plus le ciel à travers tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne +peuvent plus les tenir... Il y en a jusque sur les branches du saule... +Ils vivent comme des oiseaux dans mes mains... et ils m'aiment, ils +m'aiment mille fois mieux que toi! + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi... laisse-moi... Quelqu'un pourrait venir... + +PELLÉAS. + +Non, non, non; je ne te délivre pas cette nuit... Tu es ma prisonnière +cette nuit; toute la nuit, toute la nuit... + +MÉLISANDE. + +Pelléas! Pelléas! + +PELLÉAS. + +Tu ne t'en iras plus... Je les noue, je les noue aux branches du saule, +tes cheveux. Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes +baisers le long de tes cheveux? Ils montent le long de tes cheveux. Il +faut que chacun t'en apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les +mains... Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne peux plus +m'abandonner... + +_Des colombes sortent de la tour et volent autour d'eux dans la nuit._ + +MÉLISANDE. + +Oh! oh! tu m'as fait mal!... Qu'y a-t-il, Pelléas?--Qu'est-ce qui vole +autour de moi? + +PELLÉAS. + +Ce sont les colombes qui sortent de la tour... Je les ai effrayées; +elles s'envolent. + +MÉLISANDE. + +Ce sont mes colombes, Pelléas.--Allons-nous en, laisse-moi; elles ne +reviendraient plus... + +PELLÉAS. + +Pourquoi ne reviendraient-elles plus? + +MÉLISANDE. + +Elles se perdront dans l'obscurité... Laisse-moi relever la tête... +J'entends un bruit de pas... Laisse-moi!--C'est Golaud!... Je crois que +c'est Golaud!... Il nous a entendus... + +PELLÉAS. + +Attends! Attends!... Tes cheveux sont autour des branches... Ils se sont +accrochés dans l'obscurité. Attends! attends!... il fait noir... + +_Entre Golaud par le chemin de ronde._ + +GOLAUD. + +Que faites-vous ici? + +PELLÉAS. + +Ce que je fais ici?... Je... + +GOLAUD. + +Vous êtes des enfants... Mélisande, ne te penche pas ainsi à la fenêtre, +tu vas tomber... Vous ne savez pas qu'il est tard?--Il est près de +minuit.--Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.--Vous êtes des enfants... +_Riant nerveusement._ Quels enfants! Quels enfants!... + +_Il sort avec Pelléas._ + + +SCÈNE II + +Les souterrains du château. + +_Entrent Golaud et Pelléas._ + +GOLAUD. + +Prenez garde; par ici, par ici.--Vous n'avez jamais pénétré dans ces +souterrains? + +PELLÉAS. + +Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps... + +GOLAUD. + +Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous parlais... Sentez-vous +l'odeur de mort qui monte!--Allons jusqu'au bout de ce rocher qui +surplombe et penchez-vous un peu. Elle viendra vous frapper au visage. +Penchez-vous; n'ayez pas peur... Je vous tiendrai... donnez-moi... non, +non, pas la main... elle pourrait glisser... le bras... Voyez-vous le +gouffre?... Pelléas? Pelléas?... + +PELLÉAS. + +Oui, je crois que je vois le fond du gouffre... Est-ce la lumière qui +tremble ainsi?... Vous... + +GOLAUD. + +Oui; c'est la lanterne... Voyez, je l'agitais pour éclairer les parois. + +PELLÉAS. + +J'étouffe ici... Sortons. + +GOLAUD. + +Oui, sortons... + +_Ils sortent en silence._ + + +SCÈNE III + +Une terrasse au sortir des souterrains. + +PELLÉAS. + +Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que j'allais me trouver mal +dans ces énormes grottes; j'ai été sur le point de tomber... Il y a là +un air humide et lourd comme une rosée de plomb, et des ténèbres +épaisses comme une pâte empoisonnée. Et maintenant tout l'air de toute +la mer!... Il y a un vent frais, voyez; frais comme une feuille qui +vient de s'ouvrir, sur les petites lames vertes. Tiens! On vient +d'arroser les fleurs au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et +des roses mouillées monte jusqu'ici... Il doit être près de midi, elles +sont déjà dans l'ombre de la tour. Il est midi; j'entends sonner les +cloches et les enfants descendent sur la plage pour se baigner. + +Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une fenêtre de la tour. + +GOLAUD. + +Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre. A propos de Mélisande, +j'ai entendu ce qui s'est passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le +sais bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas que cela se +répète. Elle est très délicate et il faut qu'on la ménage, d'autant plus +qu'elle sera peut-être bientôt mère et la moindre émotion pourrait +amener un malheur. Ce n'est pas la première fois que je remarque qu'il +pourrait y avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus âgé qu'elle; +il suffira de vous l'avoir dit... Évitez-la autant que possible; mais +sans affectation d'ailleurs; sans affectation. + +_Ils sortent._ + + +SCÈNE IV + +Devant le château. + +_Entrent Golaud et le petit Yniold._ + +GOLAUD. + +Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold; viens sur mes genoux: nous +verrons d'ici ce qui se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout +depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi; tu es toujours chez +petite-mère... Tiens, nous sommes tout juste assis sous les fenêtres de +petite-mère.--Elle fait peut-être sa prière du soir en ce moment... Mais +dis-moi, Yniold, elle est souvent avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas? + +YNIOLD. + +Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous n'êtes pas là. + +GOLAUD. + +Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne dans le jardin.--Mais on +m'a dit qu'ils ne s'aimaient pas... Il paraît qu'ils se querellent +souvent... non? Est-ce vrai? + +YNIOLD. + +Oui, c'est vrai. + +GOLAUD. + +Oui?--Ah! ah!--Mais à propos de quoi se querellent-ils? + +YNIOLD. + +A propos de la porte. + +GOLAUD. + +Comment? A propos de la porte?--Qu'est-ce que tu racontes là?--Mais +voyons, explique-toi; pourquoi se querellent-ils à propos de la porte? + +YNIOLD. + +Parce qu'elle ne peut pas être ouverte. + +GOLAUD. + +Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?--Voyons, pourquoi se +querellent-ils? + +YNIOLD. + +Je ne sais pas, petit-père, à propos de la lumière. + +GOLAUD. + +Je ne te parle pas de la lumière: je te parle de la porte... Ne mets pas +ainsi la main dans la bouche... voyons... + +YNIOLD. + +Petit-père! petit-père!... Je ne le ferai plus... + +_Il pleure._ + +GOLAUD. + +Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé? + +YNIOLD. + +Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal... + +GOLAUD. + +Je t'ai fait mal?--Où t'ai-je fait mal! C'est sans le vouloir... + +YNIOLD. + +Ici, à mon petit bras... + +GOLAUD. + +C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus, je te donnerai quelque +chose demain... + +YNIOLD. + +Quoi, petit-père? + +GOLAUD. + +Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que tu sais de la porte. + +YNIOLD. + +De grandes flèches? + +GOLAUD. + +Oui, de très grandes flèches.--Mais pourquoi ne veulent-ils pas que la +porte soit ouverte?--Voyons, réponds-moi à la fin!--non, non; n'ouvre +pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché. De quoi parlent-ils +quand ils sont ensemble? + +YNIOLD. + +Pelléas et petite-mère? + +GOLAUD. + +Oui; de quoi parlent-ils? + +YNIOLD. + +De moi; toujours de moi. + +GOLAUD. + +Et que disent-ils de toi? + +YNIOLD. + +Ils disent que je serai très grand. + +GOLAUD. + +Ah! Misère de ma vie!... je suis ici comme un aveugle qui cherche son +trésor au fond de l'océan!... Je suis ici comme un nouveau-né perdu dans +la forêt et vous... Mais voyons, Yniold, j'étais distrait; nous allons +causer sérieusement. Pelléas et petite-mère ne parlent-ils jamais de moi +quand je ne suis pas là? + +YNIOLD. + +Si, si, petit-père. + +GOLAUD. + +Ah!... Et que disent-ils de moi? + +YNIOLD. + +Ils disent que je deviendrai aussi grand que vous. + +GOLAUD. + +Tu es toujours près d'eux? + +YNIOLD. + +Oui, oui; toujours, petit-père. + +GOLAUD. + +Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis pas là. + +GOLAUD. + +Ils ont peur?... à quoi vois-tu qu'ils ont peur? + +YNIOLD. + +Ils pleurent toujours dans l'obscurité. + +GOLAUD. + +Ah! ah!... + +YNIOLD. + +Cela fait pleurer aussi... + +GOLAUD. + +Oui, oui... + +YNIOLD. + +Elle est pâle, petit-père! + +GOLAUD. + +Ah! ah!... patience, mon Dieu, patience... + +YNIOLD. + +Quoi, petit-père? + +GOLAUD. + +Rien, rien mon enfant.--J'ai vu passer un loup dans la forêt.--Ils +s'embrassent quelquefois?--Non? + +YNIOLD. + +Ils s'embrassent, petit-père?--Non, non.--Ah! si, petit-père, si; une +fois... une fois qu'il pleuvait... + +GOLAUD. + +Ils se sont embrassés?--Mais comment, comment se sont-ils embrassés?-- + +YNIOLD. + +Comme ça, petit-père, comme ça!... _Il lui donne un baiser sur la +bouche; riant._ Ah! ah! votre barbe, petit-père!... Elle pique! elle +pique! Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux aussi; tout +gris, tout gris... _La fenêtre sous laquelle ils sont assis s'éclaire en +ce moment, et sa clarté vient tomber sur eux._ Ah! ah! petite-mère a +allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait clair. + +GOLAUD. + +Oui; il commence à faire clair... + +YNIOLD. + +Allons-y aussi, petit-père... + +GOLAUD. + +Où veux-tu aller? + +YNIOLD. + +Où il fait clair, petit-père. + +GOLAUD. + +Non, non, mon enfant; restons encore un peu dans l'ombre... On ne sait +pas, on ne sait pas encore... Je crois que Pelléas est fou... + +YNIOLD. + +Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est très bon. + +GOLAUD. + +Veux-tu voir petite-mère? + +YNIOLD. + +Oui, oui; je veux la voir! + +GOLAUD. + +Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la fenêtre. Elle est +trop haute pour moi, bien que je sois si grand... _Il soulève l'enfant._ +Ne fais pas le moindre bruit; petite-mère aurait terriblement peur... La +vois-tu?--Est-elle dans la chambre? + +YNIOLD. + +Oui... Oh! il fait clair! + +GOLAUD. + +Elle est seule? + +YNIOLD. + +Oui... Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi. + +GOLAUD. + +Il!... + +YNIOLD. + +Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!... + +GOLAUD. + +Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus; regarde, regarde, +Yniold!... J'ai trébuché; parle plus bas. Que font-ils?-- + +YNIOLD. + +Ils ne font rien, petit-père. + +GOLAUD. + +Est-ce qu'ils parlent? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne parlent pas. + +GOLAUD. + +Mais que font-ils? + +YNIOLD. + +Ils regardent la lumière. + +GOLAUD. + +Tous les deux? + +YNIOLD. + +Oui, petit-père. + +GOLAUD. + +Ils ne disent rien? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux. + +GOLAUD. + +Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre? + +YNIOLD. + +Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment jamais les yeux... +J'ai terriblement peur... + +GOLAUD. + +De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde! + +YNIOLD. + +Petit-père, laissez-moi descendre! + +GOLAUD. + +Regarde! + +YNIOLD. + +Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre! laissez-moi +descendre! + +GOLAUD. + +Viens! nous allons voir ce qui est arrivé. + +_Ils sortent._ + + + + +ACTE IV + + +SCÈNE I + +Un corridor dans le château. + +PELLÉAS. + +Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te verrai-je? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Je sors de la chambre de mon père. Il va mieux. Le médecin nous a dit +qu'il était sauvé. Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit de +cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: «Est-ce toi, Pelléas? +Tiens, je ne l'avais jamais remarqué, mais tu as le visage grave et +amical de ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut voyager; il faut +voyager...» C'est étrange; je vais lui obéir... Ma mère l'écoutait et +pleurait de joie. Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble déjà +revivre, on entend respirer, on entend marcher... Écoute, j'entends +parler derrière cette porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je? + +MÉLISANDE. + +Où veux-tu? + +PELLÉAS. + +Dans le parc: près de la fontaine des aveugles? Veux-tu? Viendras-tu? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme mon père l'a dit. Tu ne +me verras plus... + +MÉLISANDE. + +Ne dis pas cela, Pelléas... Je te verrai toujours; je te regarderai +toujours... + +PELLÉAS. + +Tu auras beau regarder... Je serai si loin que tu ne pourras plus me +voir. + +MÉLISANDE. + +Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends plus ce que tu dis... + +PELLÉAS. + +Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends parler derrière cette porte. + +_Ils sortent séparément._ + +_Puis Arkël entre accompagné de Mélisande._ + +ARKEL. + +Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et que la maladie, la +vieille servante de la mort, a quitté le château, un peu de joie et un +peu de soleil vont enfin rentrer dans la maison... Il était temps!--Car +depuis ta venue, on n'a vécu ici qu'en chuchotant autour d'une chambre +fermée... Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande... Je +t'observais, tu étais là, insouciante peut-être, mais avec l'air étrange +et égaré de quelqu'un qui attendrait toujours un grand malheur, au +soleil, dans un beau jardin... Je ne puis pas expliquer... Mais j'étais +triste de te voir ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour vivre +déjà, jour et nuit, sous l'haleine de la mort... Mais à présent tout +cela va changer. A mon âge,--et c'est peut-être là le fruit le plus sûr +de ma vie,--à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi à la fidélité +des événements, et j'ai toujours vu que tout être jeune et beau, créait +autour de lui des événements jeunes, beaux et heureux... Et c'est toi, +maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère nouvelle que j'entrevois... +Viens ici; pourquoi restes-tu là sans répondre et sans lever les +yeux?--Je ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le jour de ta +venue; et cependant, les vieillards ont besoin de toucher quelquefois de +leurs lèvres, le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire +encore à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la +mort. As-tu peur de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi ces +mois-ci!... + +MÉLISANDE. + +Grand-père, je n'étais pas malheureuse... + +ARKEL. + +Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un moment... on a tant +besoin de beauté aux côtés de la mort... + +_Entre Golaud._ + +GOLAUD. + +Pelléas part ce soir. + +ARKEL. + +Tu as du sang sur le front.--Qu'as-tu fait? + +GOLAUD. + +Rien, rien... J'ai passé au travers d'une haie d'épines... + +MÉLISANDE. + +Baissez un peu la tête, seigneur... Je vais essuyer votre front... + +GOLAUD, _la repoussant._ + +Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu? Va-t'en, va-t'en!--Je ne +te parle pas.--Où est mon épée?--Je venais chercher mon épée... + +MÉLISANDE. + +Ici; sur le prie-Dieu. + +GOLAUD. + +Apporte-la. _A Arkël._ On vient encore de trouver un paysan mort de +faim, le long de la mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous +nos yeux.--_A Mélisande._ Eh bien, mon épée?--Pourquoi tremblez-vous +ainsi? Je ne vais pas vous tuer. Je voulais simplement examiner la lame. +Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi m'examinez-vous comme un +pauvre?--Je ne viens pas vous demander l'aumône. Vous espérez voir +quelque chose dans mes yeux, sans que je voie quelque chose dans les +vôtres?--Croyez-vous que je sache quelque chose?--_A Arkël._ Voyez-vous +ces grands yeux?--On dirait qu'ils sont fiers d'être riches... + +ARKEL. + +Je n'y vois qu'une grande innocence... + +GOLAUD. + +Une grande innocence!... Ils sont plus grands que l'innocence!... Ils +sont plus purs que les yeux d'un agneau... Ils donneraient à Dieu des +leçons d'innocence! Une grande innocence! Écoutez: j'en suis si près que +je sens la fraîcheur de leurs cils quand ils clignent; et cependant, je +suis moins loin des grands secrets de l'autre monde que du plus petit +secret de ces yeux!... Une grande innocence!... Plus que de l'innocence! +On dirait que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un baptême!... Je +les connais ces yeux! Je les ai vus à l'oeuvre! Fermez-les! Fermez-les! +ou je vais les fermer pour longtemps!...--Ne mettez pas ainsi votre main +à la gorge; je dis une chose très simple... Je n'ai pas +d'arrière-pensée... Si j'avais une arrière-pensée, pourquoi ne la +dirais-je pas? Ah! ah!--ne tâchez pas de fuir!--Ici!--Donnez-moi cette +main!--Ah! vos mains sont trop chaudes... Allez-vous-en! Votre chair me +dégoûte!... Il ne s'agit plus de fuir à présent!--_Il la saisit par les +cheveux._--Vous allez me suivre à genoux!--A genoux!--A genoux devant +moi!--Ah! ah! vos longs cheveux servent enfin à quelque chose!... A +droite et puis à gauche!--A gauche et puis à droite!--Absalon! +Absalon!--En avant! en arrière! Jusqu'à terre! jusqu'à terre!... Vous +voyez, vous voyez; je ris déjà comme un vieillard... + +ARKEL, _accourant._ + +Golaud!... + +GOLAUD, _affectant un calme soudain._ + +Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.--Je n'attache aucune +importance à cela.--Je suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un +espion. J'attendrai le hasard; et alors... Oh! alors!... simplement +parce que c'est l'usage; simplement parce que c'est l'usage... + +_Il sort._ + +ARKEL. + +Qu'a-t-il donc?--Il est ivre? + +MÉLISANDE, _en larmes._ + +Non, non; mais il ne m'aime plus... Je ne suis pas heureuse!... + +ARKEL. + +Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du coeur des hommes... + + +SCÈNE II + +Une terrasse, dans la brume. + +_On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever un quartier de roc._ + +YNIOLD. + +Oh! Cette pierre est lourde... elle est plus lourde que moi.--Elle est +plus lourde que tout le monde.--Elle est plus lourde que tout. + +Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette méchante pierre. Et je ne +puis pas y atteindre... Mon petit bras n'est pas assez long--et cette +pierre ne veut pas être soulevée... On dirait qu'elle a des racines dans +la terre. + +_On entend au loin les bêlements d'un troupeau._ + +Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.--Tiens! Il n'y a plus de +soleil!--Ils arrivent les petits moutons; ils arrivent... Il y en a!... +Il y en a!... Ils ont eu peur du noir... Ils se serrent. Ils se serrent! +Ils pleurent... et ils vont vite!... Il y en a qui voudraient prendre à +droite... Ils voudraient tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!... Le +berger leur jette de la terre!... Ah! ah!... Ils vont passer par ici... +Je vais les voir de près.--Comme il y en a!...--Maintenant, ils se +taisent tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus? + +LE BERGER, _qu'on ne voit pas._ + +Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!-- + +YNIOLD. + +Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?... Il ne m'entend plus. Ils +sont déjà trop loin... Ils ne font plus de bruit.--Ce n'est pas le +chemin de l'étable... Où vont-ils dormir cette nuit?... Oh! oh! il fait +trop noir... Je vais dire quelque chose à quelqu'un! + +_Il sort._ + + +SCÈNE III + +Une fontaine dans le parc. + +_Entre Pelléas._ + +PELLÉAS. + +C'est le dernier soir... Le dernier soir... Il faut que tout finisse... +J'ai joué comme un enfant autour d'une chose que je ne soupçonnais +pas... J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée... Qui est-ce +qui m'a réveillé tout à coup? Je vais fuir en criant de joie et de +douleur comme un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison... Je vais +lui dire que je vais fuir... Il est tard; elle ne vient pas... Je ferais +mieux de m'en aller sans la revoir... Il faut que je la regarde bien +cette fois-ci... Il y a des choses que je ne me rappelle plus... on +dirait, par moment, qu'il y a plus de cent ans que je ne l'ai vue... Et +je n'ai pas encore regardé son regard... Il ne me reste rien si je m'en +vais ainsi. Et tous ces souvenirs... c'est comme si j'emportais un peu +d'eau dans un sac de mousseline... Il faut que je la voie une dernière +fois, jusqu'au fond de son coeur... Il faut que je lui dise tout ce que +je n'ai pas dit... + +_Entre Mélisande._ + +MÉLISANDE. + +Pelléas? + +PELLÉAS. + +Mélisande!--Est-ce toi, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +PELLÉAS. + +Viens ici: ne reste pas au bord du clair de lune.--Viens ici. Nous avons +tant de choses à nous dire... Viens ici dans l'ombre du tilleul. + +MÉLISANDE. + +Laisse-moi dans la clarté... + +PELLÉAS. + +On pourrait nous voir des fenêtres de la tour. Viens ici; ici, nous +n'avons rien à craindre.--Prends garde; on pourrait nous voir... + +MÉLISANDE. + +Je veux qu'on me voie... + +PELLÉAS. + +Qu'as-tu donc?--Tu as pu sortir sans qu'on s'en soit aperçu? + +MÉLISANDE. + +Oui; votre frère dormait... + +PELLÉAS. + +Il est tard.--Dans une heure on fermera les portes. Il faut prendre +garde. Pourquoi es-tu venue si tard? + +MÉLISANDE. + +Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma robe s'est accrochée aux +clous de la porte. Voyez, elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et +j'ai couru... + +PELLÉAS. + +Ma pauvre Mélisande!... J'aurais presque peur de te toucher... Tu es +encore hors d'haleine comme un oiseau pourchassé... C'est pour moi, pour +moi que tu fais tout cela?... J'entends battre ton coeur comme si +c'était le mien... Viens ici... plus près, plus près de moi. + +MÉLISANDE. + +Pourquoi riez-vous? + +PELLÉAS. + +Je ne ris pas;--ou bien je ris de joie, sans le savoir... Il y aurait +plutôt de quoi pleurer... + +MÉLISANDE. + +Nous sommes venus ici il y a bien longtemps... Je me rappelle. + +PELLÉAS. + +Oui... Il y a de longs mois.--Alors, je ne savais pas... Sais-tu +pourquoi je t'ai demandé de venir ce soir? + +MÉLISANDE. + +Non. + +PELLÉAS. + +C'est peut-être la dernière fois que je te vois... Il faut que je m'en +aille pour toujours... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?... + +PELLÉAS. + +Je dois te dire ce que tu sais déjà!--Tu ne sais pas ce que je vais te +dire? + +MÉLISANDE. + +Mais non, mais non; je ne sais rien... + +PELLÉAS. + +Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne... _Il l'embrasse +brusquement._ Tu ne sais pas que c'est parce que je t'aime... + +MÉLISANDE, _à voix basse._ + +Je t'aime aussi... + +PELLÉAS. + +Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque pas entendu!... On a +brisé la glace avec des fers rougis!... Tu dis cela d'une voix qui vient +du bout du monde!... Je ne t'ai presque pas entendue... Tu m'aimes?--Tu +m'aimes aussi?... Depuis quand m'aimes-tu? + +MÉLISANDE. + +Depuis toujours... Depuis que je t'ai vu... + +PELLÉAS. + +Oh! comme tu dis cela!... On dirait que ta voix a passé sur la mer au +printemps!... je ne l'ai jamais entendue jusqu'ici... on dirait qu'il a +plu sur mon coeur! Tu dis cela si franchement!... Comme un ange qu'on +interroge!... Je ne puis pas le croire, Mélisande!... Pourquoi +m'aimerais-tu?--Mais pourquoi m'aimes-tu!--Est-ce vrai ce que tu +dis?--Tu ne me trompes pas?--Tu ne mens pas un peu, pour me faire +sourire?... + +MÉLISANDE. + +Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton frère... + +PELLÉAS. + +Oh! Comme tu dis cela!... Ta voix! ta voix... Elle est plus fraîche et +plus franche que l'eau!... On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!... On +dirait de l'eau pure sur mes mains... Donne-moi, donne-moi tes mains. +Oh! tes mains sont petites!... Je ne savais pas que tu étais si +belle!... Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi... J'étais +inquiet, je cherchais partout dans la maison... Je cherchais partout +dans la campagne... Et je ne trouvais pas la beauté... Et maintenant je +t'ai trouvée!... Je t'ai trouvée!... Je ne crois pas qu'il y ait sur la +terre une femme plus belle!... Où es-tu?--Je ne t'entends plus +respirer... + +MÉLISANDE. + +C'est que je te regarde... + +PELLÉAS. + +Pourquoi me regardes-tu si gravement!--Nous sommes déjà dans +l'ombre.--Il fait trop noir sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous +ne pouvons pas voir combien nous sommes heureux. Viens, viens; il nous +reste si peu de temps... + +MÉLISANDE. + +Non, non; restons ici... Je suis plus près de toi dans l'obscurité... + +PELLÉAS. + +Où sont tes yeux?--Tu ne vas pas me fuir?--Tu ne songes pas à moi en ce +moment. + +MÉLISANDE. + +Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi... + +PELLÉAS. + +Tu regardais ailleurs... + +MÉLISANDE. + +Je te voyais ailleurs... + +PELLÉAS. + +Tu es distraite. Qu'as-tu donc?--Tu ne me sembles pas heureuse... + +MÉLISANDE. + +Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste... + +PELLÉAS. + +Quel est ce bruit?--On ferme les portes!... + +MÉLISANDE. + +Oui, on a fermé les portes... + +PELLÉAS. + +Nous ne pouvons plus rentrer!--Entends-tu les verrous?--Écoute! +écoute!... les grandes chaînes!... Il est trop tard, il est trop +tard!... + +MÉLISANDE. + +Tant mieux! Tant mieux! + +PELLÉAS. + +Tu?... Voilà, voilà!... Ce n'est plus nous qui le voulons!... Tout est +perdu, tout est sauvé! tout est sauvé ce soir!--Viens! viens... Mon +coeur bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge... _Il l'enlace._ +Écoute! mon coeur est sur le point de m'étrangler... Viens! viens!... +Ah! qu'il fait beau dans les ténèbres!... + +MÉLISANDE. + +Il y a quelqu'un derrière nous!... + +PELLÉAS. + +Je ne vois personne... + +MÉLISANDE. + +J'ai entendu du bruit... + +PELLÉAS. + +Je n'entends que ton coeur dans l'obscurité... + +MÉLISANDE. + +J'ai entendu craquer les feuilles mortes... + +PELLÉAS. + +C'est le vent qui s'est tû tout à coup... Il est tombé pendant que nous +nous embrassions... + +MÉLISANDE. + +Comme nos ombres sont grandes ce soir!... + +PELLÉAS. + +Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin... Oh! qu'elles s'embrassent +loin de nous!... Regarde! Regarde!... + +MÉLISANDE, _d'une voix étouffée._ + +A-a-h!--Il est derrière un arbre! + +PELLÉAS. + +Qui? + +MÉLISANDE. + +Golaud! + +PELLÉAS. + +Golaud?--où donc?--je ne vois rien... + +MÉLISANDE. + +Là... au bout de nos ombres... + +PELLÉAS. + +Oui, oui; je l'ai vu... Ne nous retournons pas brusquement... + +MÉLISANDE. + +Il a son épée... + +PELLÉAS. + +Je n'ai pas la mienne... + +MÉLISANDE. + +Il a vu que nous nous embrassions... + +PELLÉAS. + +Il ne sait pas que nous l'avons vu... Ne bouge pas; ne tourne pas la +tête... Il se précipiterait... Il nous observe... Il est encore +immobile... Va-t'en, va-t'en tout de suite par ici... Je l'attendrai... +Je l'arrêterai... + +MÉLISANDE. + +Non, non, non!... + +PELLÉAS. + +Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!... Il nous tuera!... + +MÉLISANDE. + +Tant mieux! tant mieux! tant mieux!... + +PELLÉAS. + +Il vient! il vient!... Ta bouche!... Ta bouche!... + +MÉLISANDE. + +Oui!... Oui!... Oui!... + +_Ils s'embrassent éperdument._ + +PELLÉAS. + +Oh! oh! Toutes les étoiles tombent... + +MÉLISANDE. + +Sur moi aussi! sur moi aussi!... + +PELLÉAS. + +Toutes! toutes! toutes!... + +_Golaud se précipite sur eux l'épée à la main, et frappe Pelléas, qui +tombe au bord de la fontaine. Mélisande fuit épouvantée._ + +MÉLISANDE, _fuyant._ + +Oh! oh! Je n'ai pas de courage!... Je n'ai pas de courage!... + +_Golaud la poursuit à travers le bois, en silence._ + + + + +ACTE V + + +SCÈNE I + +Un appartement dans le château. + +_On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans un coin de la chambre. +Mélisande est étendue sur son lit._ + +LE MÉDECIN. + +Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle peut mourir; un oiseau +n'en serait pas mort... ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon +seigneur; ne vous désolez pas ainsi... Et puis, il n'est pas dit que +nous ne la sauverons pas... + +ARKEL. + +Non, non; il me semble que nous nous taisons trop, malgré nous, dans sa +chambre... Ce n'est pas un bon signe... Regardez comme elle dort... +lentement, lentement... on dirait que son âme a froid pour toujours... + +GOLAUD. + +J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à faire pleurer les +pierres!... Ils s'étaient embrassés comme des petits enfants... Ils +étaient frère et soeur... Et moi, moi tout de suite!... Je l'ai fait +malgré moi, voyez-vous... Je l'ai fait malgré moi... + +LE MÉDECIN. + +Attention; je crois qu'elle s'éveille... + +MÉLISANDE. + +Ouvrez la fenêtre... ouvrez la fenêtre... + +ARKEL. + +Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Non, non; la grande fenêtre... c'est pour voir... + +ARKEL. + +Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid ce soir? + +LE MÉDECIN. + +Faites, faites... + +MÉLISANDE. + +Merci... Est-ce le soleil qui se couche? + +ARKEL. + +Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il est tard.--Comment te +trouves-tu, Mélisande? + +MÉLISANDE. + +Bien, bien.--Pourquoi demandez-vous cela? Je n'ai jamais été mieux +portante.--Il me semble cependant que je sais quelque chose... + +ARKEL. + +Que dis-tu?--Je ne te comprends pas... + +MÉLISANDE. + +Je ne comprends pas non plus tout ce que je dis, voyez-vous... Je ne +sais pas ce que je dis... Je ne sais pas ce que je sais... Je ne dis +plus ce que je veux... + +ARKEL. + +Mais si, mais si... Je suis tout heureux de t'entendre parler ainsi; tu +as eu un peu de délire ces jours-ci, et l'on ne te comprenait plus... +Mais maintenant, tout cela est bien loin... + +MÉLISANDE. + +Je ne sais pas...--Êtes-vous tout seul dans la chambre, grand-père? + +ARKEL. + +Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie... + +MÉLISANDE. + +Ah!... + +ARKEL. + +Et puis il y a encore quelqu'un... + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce? + +ARKEL. + +C'est... il ne faut pas t'effrayer... Il ne te veut pas le moindre mal, +sois-en sûre... Si tu as peur, il s'en ira... Il est très malheureux... + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce? + +ARKEL. + +C'est... c'est ton mari... c'est Golaud... + +MÉLISANDE. + +Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près de moi? + +GOLAUD, _se traînant vers le lit._ + +Mélisande... Mélisande... + +MÉLISANDE. + +Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais presque plus... C'est que +j'ai le soleil du soir dans les yeux... Pourquoi regardez-vous les murs? +Vous avez maigri et vieilli... Y a-t-il longtemps que nous ne nous +sommes vus? + +GOLAUD, _à Arkël et au médecin._ + +Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres amis... Je laisserai +la porte grande ouverte... Un instant seulement... Je voudrais lui dire +quelque chose; sans cela je ne pourrais pas mourir... Voulez-vous?--Vous +pouvez revenir tout de suite... Ne me refusez pas cela... Je suis un +malheureux... _Sortent Arkël et le médecin._ Mélisande, as-tu pitié de +moi, comme j'ai pitié de toi?... Mélisande?... Me pardonnes-tu, +Mélisande?... + +MÉLISANDE. + +Oui, oui, je te pardonne... Que faut-il pardonner? + +GOLAUD. + +Je t'ai fait tant de mal, Mélisande... Je ne puis pas te dire le mal que +je t'ai fait... Mais je le vois, je le vois si clairement aujourd'hui... +depuis le premier jour... Et tout est de ma faute, tout ce qui est +arrivé, tout ce qui va arriver... Si je pouvais le dire, tu verrais +comme je le vois!... Je vois tout, je vois tout!... Mais je t'aimais +tant!... Je t'aimais tant!... Mais maintenant, quelqu'un va mourir... +C'est moi qui vais mourir... Et je voudrais savoir... Je voudrais te +demander... Tu ne m'en voudras pas?... Il faut dire la vérité à +quelqu'un qui va mourir... Il faut qu'il sache la vérité, sans cela il +ne pourrait pas dormir... Me jures-tu de dire la vérité? + +MÉLISANDE. + +Oui. + +GOLAUD. + +As-tu aimé Pelléas? + +MÉLISANDE. + +Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il? + +GOLAUD. + +Tu ne me comprends pas?--Tu ne veux pas me comprendre?--Il me semble... +Il me semble... Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as aimé d'un amour +défendu?... As-tu... Avez-vous été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui? + +MÉLISANDE. + +Non, non; nous n'avons pas été coupables.--Pourquoi demandez-vous cela? + +GOLAUD. + +Mélisande!... Dis-moi la vérité pour l'amour de Dieu! + +MÉLISANDE. + +Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité? + +GOLAUD. + +Ne mens plus ainsi, au moment de mourir! + +MÉLISANDE. + +Qui est-ce qui va mourir?--Est-ce moi? + +GOLAUD. + +Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!... Et il nous faut la vérité... +Il nous faut enfin la vérité, entends-tu!... Dis-moi tout! Dis-moi tout! +Je te pardonne tout!... + +MÉLISANDE. + +Pourquoi vais-je mourir?--Je ne le savais pas... + +GOLAUD. + +Tu le sais maintenant... Il est temps!... Il est temps!... Vite! +vite!... La vérité! la vérité!... + +MÉLISANDE. + +La vérité... la vérité... + +GOLAUD. + +Où es-tu?--Mélisande!--Où es-tu?--Ce n'est pas naturel! Mélisande! Où +es-tu? _Apercevant Arkël et le médecin à la porte de la chambre._--Oui, +oui; vous pouvez rentrer... Je ne sais rien; c'est inutile... Elle est +déjà trop loin de nous... Je ne saurai jamais!... Je vais mourir ici +comme un aveugle!... + +ARKEL. + +Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer... + +GOLAUD. + +Je l'ai déjà tuée... + +ARKEL. + +Mélisande... + +MÉLISANDE. + +Est-ce vous, grand-père? + +ARKEL. + +Oui, ma fille... Que veux-tu que je fasse? + +MÉLISANDE. + +Est-il vrai que l'hiver commence? + +ARKEL. + +Pourquoi demandes-tu cela? + +MÉLISANDE. + +C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de feuilles... + +ARKEL. + +Tu as froid?--Veux-tu qu'on ferme les fenêtres? + +MÉLISANDE. + +Non, non... jusqu'à ce que le soleil soit au fond de la mer.--Il descend +lentement, alors c'est l'hiver qui commence? + +ARKEL. + +Oui.--Tu n'aimes pas l'hiver? + +MÉLISANDE. + +Oh! non. J'ai peur du froid!--Ah! J'ai peur des grands froids... + +ARKEL. + +Te sens-tu mieux? + +MÉLISANDE. + +Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes... + +ARKEL. + +Veux-tu voir ton enfant? + +MÉLISANDE. + +Quel enfant? + +ARKEL. + +Ton enfant, ta petite fille... + +MÉLISANDE. + +Où est-elle? + +ARKEL. + +Ici... + +MÉLISANDE. + +C'est étrange... Je ne peux pas lever les bras pour la prendre... + +ARKEL. + +C'est que tu es encore très faible... Je la tiendrai moi-même; +regarde... + +MÉLISANDE. + +Elle ne rit pas... Elle est petite... Elle va pleurer aussi... J'ai +pitié d'elle... + +_La chambre est envahie, peu à peu, par les servantes du château, qui se +rangent en silence le long des murs et attendent._ + +GOLAUD, _se levant brusquement._ + +Qu'y a-t-il?--Qu'est-ce que toutes ces femmes viennent faire ici? + +LE MÉDECIN. + +Ce sont les servantes... + +ARKEL. + +Qui est-ce qui les a appelées? + +LE MÉDECIN. + +Ce n'est pas moi... + +GOLAUD. + +Que venez-vous faire ici?--Personne ne vous a demandées... Que +venez-vous faire ici?--Mais qu'est-ce que donc! Répondez!... + +_Les servantes ne répondent pas._ + +ARKEL. + +Ne parlez pas trop fort... Elle va dormir; elle a fermé les yeux... + +GOLAUD. + +Ce n'est pas?... + +LE MÉDECIN. + +Non, non; voyez, elle respire... + +ARKEL. + +Ses yeux sont pleins de larmes.--Maintenant c'est son âme qui pleure... +Pourquoi étend-elle ainsi les bras? Que veut-elle? + +LE MÉDECIN. + +C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de la mère contre la +mort... + +GOLAUD. + +En ce moment?--En ce moment?--Il faut le dire, dites! dites! + +LE MÉDECIN. + +Peut-être... + +GOLAUD. + +Tout de suite?... Oh! Oh! Il faut que je lui dise...--Mélisande! +Mélisande!... Laissez-moi seul! laissez-moi seul avec elle!... + +ARKEL. + +Non, non, n'approchez pas... Ne la troublez pas... Ne lui parlez plus... +Vous ne savez pas ce que c'est que l'âme... + +GOLAUD. + +Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute! + +ARKEL. + +Attention... Attention... Il faut parler à voix basse.--Il ne faut plus +l'inquiéter... L'âme humaine est très silencieuse... L'âme humaine aime +à s'en aller seule... Elle souffre si timidement... Mais la tristesse, +Golaud... mais la tristesse de tout ce que l'on voit!... Oh! oh! oh!... + +_En ce moment, toutes les servantes tombent subitement à genoux au fond +de la chambre._ + +ARKEL, _se retournant._ + +Qu'y a-t-il? + +LE MÉDECIN, _s'approchant du lit et tâtant le corps._ + +Elles ont raison... + +_Un long silence._ + +ARKEL. + +Je n'ai rien vu.--Êtes-vous sûr?... + +LE MÉDECIN. + +Oui, oui. + +ARKEL. + +Je n'ai rien entendu... Si vite, si vite... Tout à coup... Elle s'en va +sans rien dire... + +GOLAUD, _sanglotant._ + +Oh! oh! oh!... + +ARKEL. + +Ne restez pas ici, Golaud... Il lui faut le silence, maintenant... +Venez, venez... C'est terrible, mais ce n'est pas votre faute... C'était +un petit être si tranquille, si timide et si silencieux... C'était un +pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde... Elle est là, comme +si elle était la grande soeur de son enfant...--Venez; il ne faut pas +que l'enfant reste ici dans cette chambre... Il faut qu'il vive, +maintenant, à sa place... C'est au tour de la pauvre petite... + +_Ils sortent en silence._ + + +FIN. + + + + + + +End of Project Gutenberg's Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE *** + +***** This file should be named 61075-8.txt or 61075-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/6/1/0/7/61075/ + +Produced by Laurent Vogel (from images generously made +available by The Internet Archive/American Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions will +be renamed. + +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United +States without permission and without paying copyright +royalties. 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It +exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations +from people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future +generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see +Sections 3 and 4 and the Foundation information page at +www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by +U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the +mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its +volunteers and employees are scattered throughout numerous +locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt +Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to +date contact information can be found at the Foundation's web site and +official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. To +donate, please visit: www.gutenberg.org/donate + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project +Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be +freely shared with anyone. For forty years, he produced and +distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of +volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in +the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not +necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper +edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search +facility: www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + diff --git a/61075-8.zip b/old/61075-8.zip Binary files differindex dc6c025..dc6c025 100644 --- a/61075-8.zip +++ b/old/61075-8.zip diff --git a/61075-h.zip b/old/61075-h.zip Binary files differindex 942ebb2..942ebb2 100644 --- a/61075-h.zip +++ b/old/61075-h.zip diff --git a/old/61075-h/61075-h.htm b/old/61075-h/61075-h.htm new file mode 100644 index 0000000..6af164a --- /dev/null +++ b/old/61075-h/61075-h.htm @@ -0,0 +1,3072 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=iso-8859-1" /> +<title> + The Project Gutenberg eBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck. +</title> +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> +<style type="text/css"> +p { margin: .2em 0; text-indent: 1.5em; text-align: justify; } + +h1 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 1em 0 1em 0; } +h2 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 4em 0 1em 0; } +h3 { text-align: center; font-weight: normal; margin: 2em 0 1em 0; } + +hr { margin: 1.5em 40%; width: 20%; } + + +.small { font-size: 90%; } +.xsmall { font-size: 80%; } +.large { font-size: 120%; } + +.sc { font-variant: small-caps; } + + +sup { font-size: .7em; vertical-align: top; font-style: normal; + font-weight: normal; font-variant: normal; } +i sup { padding-left: .25em; } + +.p { text-align: center; margin: 1em 0; } +.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; } +.rdrap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; margin: 1em 0 1em 20%; } +.r { text-align: right; margin: 1em 0; } + +p.c, div.c { text-align: center; text-indent: 0; margin: 1.5em 0; line-height: 1.5em; } + +table { margin: 1em auto; } +td { vertical-align: top; padding: 0 1em; } +td.c { text-align: center; line-height: 1.5em; } +td.topbot { padding: 1em 0 .5em 0; } +td.drap { text-indent: -1.5em; padding-left: 1.5em; text-align: justify; } +td.num { vertical-align: bottom; text-align: right; } + + +.poetry { } +.stanza { margin-top: 1em; } + +.verse { text-indent: -3em; padding-left: 3em; } +.i3 { margin-left: 15%; } + +ul, li { list-style: none; } + +.gap { margin-top: 2.5em; } +.chapter, .break { margin-top: 5em; } + +@media screen { + body { margin: 0 auto; max-width: 40em; width: 80%; } +} + +@media handheld { + .chapter, .break { page-break-before: always; } + .top4em { padding-top: 4em; } + .nobreak { page-break-before: avoid; } +} + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck + +This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and +most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions +whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms +of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at +www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll +have to check the laws of the country where you are located before using +this ebook. + + + +Title: Pelléas et Mélisande + Drame lyrique en cinq actes tiré du théâtre de Maurice + Maeterlinck Musique de Claude Debussy + +Author: Maurice Maeterlinck + +Contributor: Claude Debussy + +Release Date: January 2, 2020 [EBook #61075] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE *** + + + + +Produced by Laurent Vogel (from images generously made +available by The Internet Archive/American Libraries) + + + + + + +</pre> + +<p class="c large"><b>Nouvelle édition, modifiée conformément aux +représentations de l'Opéra-Comique</b></p> + +<h1><span class="large">PELLÉAS</span><br /> +<span class="xsmall">ET</span><br /> +<span class="large">MÉLISANDE</span></h1> + +<p class="c"><span class="small">DRAME LYRIQUE EN CINQ ACTES</span><br /> +<span class="xsmall">TIRÉ DU THÉÂTRE DE</span><br /> +<span class="large">MAURICE MAETERLINCK</span></p> + +<p class="c"><span class="small">MUSIQUE DE</span><br /> +<span class="large">CLAUDE DEBUSSY</span></p> + +<p class="c gap">BRUXELLES<br /> +<span class="large sc">Paul LACOMBLEZ, Éditeur</span><br /> +31, <span class="small">RUE DES PAROISSIENS</span>, 31</p> + +<p class="c">1907</p> + +<p class="c"><span class="sc">Dépôt pour Paris: CALMANN-LÉVY, 3, rue Auber.</span></p> + +<div class="break"></div> + +<h2>DU MÊME AUTEUR:</h2> + +<table summary=""> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Serres chaudes</span> suivies de <span class="sc">quinze chansons</span>. +Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">L'Ornement des Noces Spirituelles</span> de <i>Ruysbroeck l'admirable</i>, +traduit du flamand et accompagné d'une Introduction. Un volume +in-16, sur papier à la main</td> +<td class="num">5.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Disciples à Saïs et les Fragments</span> de <i>Novalis</i>, traduits de +l'allemand et précédés d'une Introduction. Un volume in-18 +jésus</td> +<td class="num">4.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Sept Princesses</span>, drame. Un petit volume in-18 jésus</td> +<td class="num">2.00</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Temple enseveli</span>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Trésor des Humbles</span>. Un volume in 18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La Sagesse et la Destinée</span>. Un volume in 18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La Vie des Abeilles</span>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome I: <i>La Princesse Maleine.</i>—<i>L'Intruse.</i>—<i>Les +Aveugles</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome II: <i>Pelléas et Mélisande.</i>—<i>Alladine et +Palomides.</i>—<i>Intérieur.</i>—<i>La mort de Tintagiles</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Théâtre</span> Tome III: <i>Aglavaine et Sélysette.</i>—<i>Ariane et +Barbe-bleue.</i>—<i>Sœur Béatrice</i></td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +<tr><td colspan="2" class="c topbot">CHEZ LE MÊME ÉDITEUR:</td></tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Sept Essais d'Emerson</span>, traduits par I. Will, avec une préface +de <i>Maurice Maeterlinck</i>. Un volume in-18 jésus</td> +<td class="num">3.50</td> +</tr> +</table> +<div class="break"></div> + +<p class="c large top4em"><b>Pelléas et Mélisande</b></p> + +<p class="c small">DRAME LYRIQUE</p> + +<div class="break"></div> + +<h2 class="nobreak">PERSONNAGES.</h2> + + +<ul><li>A<small>RKEL</small>, roi d'Allemonde.</li> +<li>G<small>ENEVIÈVE</small>, mère de Pelléas et de Golaud.</li> +<li>P<small>ELLÉAS</small>, G<small>OLAUD</small>, petits-fils d'Arkël.</li> +<li>M<small>ÉLISANDE</small>.</li> +<li>Le petit Y<small>NIOLD</small>, fils de Golaud (d'un premier lit).</li> +<li>Un médecin.</li> +<li>Servantes, pauvres, etc.</li> +</ul> +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE I</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Une forêt.</b></p> + +<p class="rdrap"><i>On découvre Mélisande au bord d'une fontaine.—Entre +Golaud.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne pourrai plus sortir de cette forêt.—Dieu +sait jusqu'où cette bête m'a mené. Je croyais +cependant l'avoir blessée à mort; et voici des +traces de sang. Mais maintenant, je l'ai perdue de +vue; je crois que je me suis perdu moi-même—et +mes chiens ne me retrouvent plus—je vais +revenir sur mes pas…—J'entends pleurer… Oh! +oh! qu'y a-t-il là au bord de l'eau?… Une petite +fille qui pleure au bord de l'eau? <i>Il tousse.</i>—Elle +ne m'entend pas. Je ne vois pas son visage. +<i>Il s'approche et touche Mélisande à l'épaule.</i> Pourquoi +pleures-tu? <i>Mélisande tressaille, se dresse et +veut fuir.</i>—N'ayez pas peur. Vous n'avez rien à +craindre. Pourquoi pleurez-vous ici toute seule?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne me touchez pas! ne me touchez pas!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>N'ayez pas peur… Je ne vous ferai pas… Oh! +vous êtes belle!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne me touchez pas! Ne me touchez pas! ou +je me jette à l'eau!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne vous touche pas… Voyez, je resterai ici, +contre l'arbre. N'ayez pas peur. Quelqu'un vous +a-t-il fait du mal?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oui! oui, oui!…</p> + +<p class="r"><i>Elle sanglote profondément.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui vous a fait du mal?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tous! tous!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Quel mal vous a-t-on fait?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne veux pas le dire! je ne peux pas le dire!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; ne pleurez pas ainsi. D'où venez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je me suis enfuie!… enfuie… enfuie!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; mais d'où vous êtes-vous enfuie?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je suis perdue!… perdue ici… Je ne suis pas +d'ici… Je ne suis pas née là…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>D'où êtes-vous? Où êtes-vous née?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! loin d'ici… loin… loin…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-ce qui brille ainsi au fond de l'eau?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où donc—Ah! c'est la couronne qu'il m'a +donnée. Elle est tombée en pleurant.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Une couronne?—Qui est-ce qui vous a donné +une couronne?—Je vais essayer de la prendre…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; je n'en veux plus! Je n'en veux +plus! Je préfère mourir tout de suite…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je pourrais la retirer facilement. L'eau n'est +pas très profonde.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je n'en veux plus! Si vous la retirez, je me +jette à sa place!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; je la laisserai là; on pourrait la +prendre sans peine cependant. Elle semble très +belle.—Y a-t-il longtemps que vous avez fui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui… qui êtes-vous?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je suis le prince Golaud—le petit-fils d'Arkël, +le vieux roi d'Allemonde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! vous avez déjà les cheveux gris…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; quelques-uns, ici, près des tempes…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Et la barbe aussi… Pourquoi me regardez-vous +ainsi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je regarde vos yeux.—Vous ne fermez jamais +les yeux?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; je les ferme la nuit…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pourquoi avez-vous l'air si étonné?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Vous êtes un géant?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je suis un homme comme les autres…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi êtes-vous venu ici?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je n'en sais rien moi-même. Je chassais dans +la forêt. Je poursuivais un sanglier. Je me suis +trompé de chemin.—Vous avez l'air très jeune. +Quel âge avez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je commence à avoir froid…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voulez-vous venir avec moi?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; je reste ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous ne pouvez pas rester seule. Vous ne +pouvez pas rester ici toute la nuit… Comment +vous nommez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mélisande.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous ne pouvez pas rester ici, Mélisande. +Venez avec moi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je reste ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous aurez peur, toute seule. On ne sait pas +ce qu'il y a ici… Toute la nuit… Toute seule, ce +n'est pas possible. Mélisande, venez, donnez-moi +la main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! ne me touchez pas!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne criez pas… Je ne vous toucherai plus. Mais +venez avec moi. La nuit sera très noire et très +froide. Venez avec moi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où allez-vous?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne sais pas… Je suis perdu aussi…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Une salle dans le château.</b></p> + +<p class="c"><i>On découvre Arkël et Geneviève.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Voici ce qu'il écrit à son frère Pelléas: «Un +soir, je l'ai trouvée tout en pleurs au bord d'une +fontaine, dans la forêt où je m'étais perdu. Je ne +sais ni son âge, ni qui elle est, ni d'où elle vient +et je n'ose pas l'interroger, car elle doit avoir eu +une grande épouvante, et quand on lui demande +ce qui lui est arrivé, elle pleure tout à coup +comme un enfant et sanglote si profondément +qu'on a peur. Il y a maintenant six mois que je +l'ai épousée et je n'en sais pas plus qu'au jour de +notre rencontre. En attendant, mon cher Pelléas, +toi que j'aime plus qu'un frère, bien que nous ne +soyons pas nés du même père; en attendant, +prépare mon retour… Je sais que ma mère me +pardonnera volontiers. Mais j'ai peur d'Arkël, +malgré toute sa bonté, car j'ai déçu, par ce mariage +étrange, tous ses projets politiques, et je crains +que la beauté de Mélisande n'excuse pas à ses +yeux, si sages, ma folie. S'il consent néanmoins +à l'accueillir comme il accueillerait sa propre fille, +le troisième soir qui suivra cette lettre, allume +une lampe au sommet de la tour qui regarde la +mer. Je l'apercevrai du pont de notre navire; +sinon, j'irai plus loin et ne reviendrai plus…» +Qu'en dites-vous!</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'en dis rien. Cela peut nous paraître +étrange, parce que nous ne voyons jamais que +l'envers des destinées… Il avait toujours suivi +mes conseils jusqu'ici; j'avais cru le rendre +heureux en l'envoyant demander la main de la +princesse Ursule… Il ne pouvait pas rester seul, +et depuis la mort de sa femme il était triste +d'être seul; et ce mariage allait mettre fin à de +longues guerres et à de vieilles haines… Il ne l'a +pas voulu ainsi. Qu'il en soit comme il a voulu: +je ne me suis jamais mis en travers d'une destinée: +il sait mieux que moi son avenir. Il n'arrive +peut-être pas d'événements inutiles…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Il a toujours été prudent, si grave et si +ferme… Depuis la mort de sa femme il ne vivait +plus que pour son fils, le petit Yniold. Il a tout +oublié…—Qu'allons-nous faire?</p> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui entre là?</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>C'est Pelléas. Il a pleuré.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Est-ce toi Pelléas?—Viens un peu plus près, +que je te voie dans la lumière.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Grand-père, j'ai reçu, en même temps que la +lettre de mon frère, une autre lettre; une lettre +de mon ami Marcellus… Il va mourir et il m'appelle.</p> + +<p>Il dit qu'il sait exactement le jour où la mort +doit venir… Il me dit que je puis arriver avant +elle si je veux, mais qu'il n'y a pas de temps à +perdre.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Il faudrait attendre quelque temps cependant… +Nous ne savons pas ce que le retour de ton frère +nous prépare. Et d'ailleurs ton père n'est-il pas +ici, au-dessus de nous, plus malade peut-être que +ton ami… Pourras-tu choisir entre le père et +l'ami?…</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Aie soin d'allumer la lampe dès ce soir, +Pelléas…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Devant le château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Geneviève et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts, +quelles forêts autour des palais!…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Oui; cela m'étonnait aussi quand je suis arrivée +ici, et cela étonne tout le monde. Il y a des +endroits où l'on ne voit jamais le soleil. Mais l'on +s'y fait si vite… Il y a longtemps, il y a longtemps… +Il y a près de quarante ans que je vis +ici… Regardez de l'autre côté, vous aurez la +clarté de la mer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'entends du bruit au-dessous de nous…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Oui; c'est quelqu'un qui monte vers nous… +Ah! C'est Pelléas… Il semble encore fatigué de +vous avoir attendue si longtemps…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il ne nous a pas vues.</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Je crois qu'il nous a vues, mais il ne sait ce +qu'il doit faire… Pelléas, Pelléas, est-ce toi?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui!… Je venais du côté de la mer…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Nous aussi; nous cherchions la clarté. Ici, il +fait un peu plus clair qu'ailleurs! et cependant la +mer est sombre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous aurons une tempête cette nuit; il y en a +toutes les nuits depuis quelque temps… et cependant +elle est si calme ce soir… On s'embarquerait +sans le savoir et l'on ne reviendrait plus.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Quelque chose sort du port…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il faut que ce soit un grand navire… Les +lumières sont très hautes, nous le verrons tout à +l'heure quand il entrera dans la bande de clarté…</p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Je ne sais si nous pourrons le voir… il y a +encore une brume sur la mer…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On dirait que la brume s'élève lentement…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui; j'aperçois, là-bas, une petite lumière que +je n'avais pas vue…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est un phare; il y en a d'autres que nous ne +voyons pas encore.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Le navire est dans la lumière… Il est déjà bien +loin…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il s'éloigne à toutes voiles…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est le navire qui m'a menée ici. Il a de +grandes voiles… Je le reconnais à ses voiles…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il aura mauvaise mer cette nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi s'en va-t-il cette nuit?… On ne le +voit presque plus… Il fera peut-être naufrage…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>La nuit tombe très vite…</p> + +<p class="r"><i>Un silence.</i></p> + +<div class="p"><small>GENEVIÈVE</small>.</div> +<p>Il est temps de rentrer. Pelléas, montre la +route à Mélisande. Il faut que j'aille voir, un +instant, le petit Yniold.</p> + +<p class="r"><i>Elle sort.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On ne voit plus rien sur la mer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vois d'autres lumières.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont les autres phares… Entendez-vous la +mer?… C'est le vent qui s'élève… Descendons +par ici. Voulez-vous me donner la main?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voyez, voyez, j'ai les mains pleines de fleurs.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je vous soutiendrai par le bras, le chemin est +escarpé et il y fait très sombre… Je pars peut-être +demain…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh!… Pourquoi partez-vous?</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE II</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Vous ne savez pas où je vous ai menée?—Je +viens souvent m'asseoir ici, vers midi, lorsqu'il +fait trop chaud dans les jardins. On étouffe, +aujourd'hui, même à l'ombre des arbres.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! L'eau est claire…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Elle est fraîche comme l'hiver. C'est une vieille +fontaine abandonnée. Il paraît que c'était une +fontaine miraculeuse,—elle ouvrait les yeux des +aveugles.—On l'appelle encore la «fontaine +des aveugles».</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elle n'ouvre plus les yeux des aveugles?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Depuis que le roi est presque aveugle lui-même, +on n'y vient plus…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Comme on est seul ici… On n'entend rien.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il y a toujours un silence extraordinaire… On +entendrait dormir l'eau… Voulez-vous vous asseoir +au bord du bassin de marbre? Il y a un +tilleul où le soleil n'entre jamais…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vais me coucher sur le marbre.—Je voudrais +voir le fond de l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On ne l'a jamais vu.—Elle est peut-être aussi +profonde que la mer.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si quelque chose brillait au fond, on le verrait +peut-être…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ne vous penchez pas ainsi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je voudrais toucher l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde de glisser… Je vais vous tenir la +main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, je voudrais y plonger mes deux +mains… On dirait que mes mains sont malades +aujourd'hui…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! prenez garde! prenez garde! Mélisande!… +Mélisande!—Oh! votre chevelure!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>se redressant.</i></div> +<p>Je ne peux pas, je ne peux pas l'atteindre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Vos cheveux ont plongé dans l'eau…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, ils sont plus longs que mes bras… Ils sont +plus longs que moi…</p> + +<p class="r"><i>Un silence.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est au bord d'une fontaine aussi, qu'il vous a +trouvée?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Que vous a-t-il dit?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Rien;—je ne me rappelle plus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Était-il tout près de vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, il voulait m'embrasser…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Et vous ne vouliez pas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi ne vouliez-vous pas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! j'ai vu passer quelque chose au fond +de l'eau…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde! prenez garde!—Vous allez +tomber!—Avec quoi jouez-vous?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Avec l'anneau qu'il m'a donné…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ne jouez pas ainsi, au-dessus d'une eau si profonde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mes mains ne tremblent pas.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Comme il brille au soleil!—Ne le jetez pas si +haut vers le ciel!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il est tombé?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il est tombé dans l'eau!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où est-il? Où est-il?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne le vois pas descendre…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je crois que je la vois briller…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ma bague?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui,… Là-bas…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! Oh! elle est si loin de nous!… non, non, +ce n'est pas elle… ce n'est plus elle… Elle est perdue… +perdue… Il n'y a plus qu'un grand cercle +sur l'eau… Qu'allons-nous faire maintenant?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague. +Ce n'est rien… nous la retrouverons peut-être. +Ou bien nous en retrouverons une autre.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, nous ne la retrouverons plus, nous +n'en trouverons pas d'autres non plus… Je +croyais l'avoir dans les mains cependant… J'avais +déjà fermé les mains, et elle est tombée malgré +tout… Je l'ai jetée trop haut, du côté du soleil…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Venez, nous reviendrons un autre jour… +venez, il est temps. On irait à notre rencontre… +Midi sonnait au moment où l'anneau est tombé…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qu'allons-nous dire à Golaud s'il demande où +il est?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>La vérité, la vérité, la vérité…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p> + +<p class="r"><i>On découvre Golaud étendu sur son lit; Mélisande +est à son chevet.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah! tout va bien, cela ne sera rien. Mais je +ne puis m'expliquer comment cela s'est passé. Je +chassais tranquillement dans la forêt. Mon cheval +s'est emporté tout à coup, sans raison. A-t-il +vu quelque chose d'extraordinaire?… Je venais +d'entendre sonner les douze coups de midi. Au +douzième coup, il s'effraie subitement, et court, +comme un aveugle fou, contre un arbre. Je ne +sais plus ce qui est arrivé. Je suis tombé, et lui +doit être tombé sur moi. Je croyais avoir toute +la forêt sur la poitrine; je croyais que mon cœur +était déchiré. Mais mon cœur est solide. Il paraît +que ce n'est rien…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voulez-vous boire un peu d'eau?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Merci, je n'ai pas soif.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voulez-vous un autre oreiller?… Il y a une +petite tache de sang sur celui-ci.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; ce n'est pas la peine.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce bien sûr?… Vous ne souffrez pas trop?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non, j'en ai vu bien d'autres. Je suis fait +au fer et au sang…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Fermez les yeux et tâchez de dormir. Je resterai +ici toute la nuit…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non; je ne veux pas que tu te fatigues +ainsi. Je n'ai besoin de rien; je dormirai comme +un enfant… Qu'y a-t-il, Mélisande? Pourquoi +pleures-tu tout à coup?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fondant en larmes</i>.</div> +<p>Je suis… Je suis malade ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu es malade?… Qu'as-tu donc, qu'as-tu donc, +Mélisande?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne sais pas… Je suis malade ici… Je préfère +vous le dire aujourd'hui; seigneur, je ne suis +pas heureuse ici…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-il donc arrivé?… Quelqu'un t'a fait du +mal?… Quelqu'un t'aurait-il offensée?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; personne ne m'a fait le moindre +mal… Ce n'est pas cela…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais tu dois me cacher quelque chose?… Dis-moi +toute la vérité, Mélisande… Est-ce le roi?… +Est-ce ma mère?… Est-ce Pelléas?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; ce n'est pas Pelléas. Ce n'est personne… +Vous ne pouvez pas me comprendre… +C'est quelque chose qui est plus fort que moi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; sois raisonnable, Mélisande.—Que +veux-tu que je fasse?—Tu n'es plus une enfant.—Est-ce +moi que tu voudrais quitter?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! non; ce n'est pas cela… Je voudrais m'en +aller avec vous… C'est ici, que je ne peux plus +vivre… Je sens que je ne vivrai plus longtemps…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais il faut une raison cependant. On va te +croire folle. On va croire à des rêves d'enfant.—Voyons, +est-ce Pelléas, peut-être?—Je crois +qu'il ne te parle pas souvent…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; il me parle parfois. Il ne m'aime pas, je +crois; je l'ai vu dans ses yeux… Mais il me parle +quand il me rencontre…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il ne faut pas lui en vouloir. Il a toujours été +ainsi. Il est un peu étrange. Il changera, tu +verras; il est jeune…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais ce n'est pas cela… Ce n'est pas cela…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qu'est-ce donc?—Ne peux-tu pas te faire à la +vie qu'on mène ici? Fait-il trop triste ici?—Il +est vrai que ce château est très vieux et très +sombre… Il est très froid et très profond. Et tous +ceux qui l'habitent sont déjà vieux. Et la campagne +peut sembler bien triste aussi, avec toutes +ses forêts, toutes ses vieilles forêts sans lumière. +Mais on peut égayer tout cela si l'on veut. Et +puis, la joie, la joie, on n'en a pas tous les jours; +il faut prendre les choses comme elles sont. Mais +dis-moi quelque chose; n'importe quoi; je ferai +tout ce que tu voudras…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, c'est vrai… On ne voit jamais le ciel clair… +Je l'ai vu pour la première fois ce matin…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>C'est donc cela qui te fait pleurer, ma pauvre +Mélisande?—Ce n'est donc que cela?—Tu +pleures de ne pas voir le ciel?—Voyons, tu n'es +plus à l'âge où l'on peut pleurer pour ces choses… +Et puis l'été n'est-il pas là? Tu vas voir le ciel +tous les jours.—Et puis l'année prochaine… +Voyons, donne-moi ta main; donne-moi tes deux +petites mains. <i>Il lui prend les mains.</i> Oh! ces +petites mains que je pourrais écraser comme des +fleurs…—Tiens, où est l'anneau que je t'avais +donné?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>L'anneau?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; la bague de nos noces, où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je crois… Je crois qu'elle est tombée…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tombée?—Où est-elle tombée?…—Tu ne l'as +pas perdue?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, elle est tombée… elle doit être tombée… +Mais je ne sais pas où elle est…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Vous savez bien… vous savez bien… la grotte +au bord de la mer?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Eh bien, c'est là… Il faut que ce soit là… Oui, +oui; je me rappelle… J'y suis allée ce matin, +ramasser des coquillages pour le petit Yniold… Il +y en a de très beaux… Elle a glissé de mon +doigt… puis la mer est entrée; et j'ai dû sortir +avant de l'avoir retrouvée.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Es-tu sûre que ce soit là?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui; tout à fait sûre… Je l'ai sentie glisser…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il faut aller la chercher tout de suite.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Maintenant?—tout de suite?—dans l'obscurité?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Maintenant, tout de suite, dans l'obscurité. +J'aimerais mieux avoir perdu tout ce que j'ai plutôt +que d'avoir perdu cette bague. Tu ne sais pas +ce que c'est. Tu ne sais pas d'où elle vient. La +mer sera très haute cette nuit. La mer viendra la +prendre avant toi… Dépêche-toi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je n'ose pas… Je n'ose pas aller seule…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vas-y, vas-y avec n'importe qui. Mais il faut y +aller tout de suite, entends-tu?—Dépêche-toi; +demande à Pelléas d'y aller avec toi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas?—Avec Pelléas?—Mais Pelléas ne +voudra pas…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pelléas fera tout ce que tu lui demandes. Je +connais Pelléas mieux que toi. Vas-y, hâte-toi. +Je ne dormirai pas avant d'avoir la bague.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! Je ne suis pas heureuse!… Je ne suis +pas heureuse!</p> + +<p class="r"><i>Elle sort en pleurant.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Devant une grotte.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Pelléas et Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>, <i>parlant avec une grande agitation.</i></div> +<p>Oui; c'est ici, nous y sommes. Il fait si noir que +l'entrée de la grotte ne se distingue pas du reste +de la nuit… Il n'y a pas d'étoiles de ce côté. +Attendons que la lune ait déchiré ce grand +nuage; elle éclairera toute la grotte et alors nous +pourrons entrer sans danger. Il y a des endroits +dangereux et le sentier est très étroit, entre +deux lacs dont on n'a pas encore trouvé le fond. +Je n'ai pas songé à emporter une torche ou une +lanterne, mais je pense que la clarté du ciel +nous suffira.—Vous n'avez jamais pénétré dans +cette grotte?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Entrons-y… Il faut pouvoir décrire l'endroit où +vous avez perdu la bague, s'il vous interroge… +Elle est très grande et très belle. Elle est pleine +de ténèbres bleues. Quand on y allume une +petite lumière, on dirait que la voûte est couverte +d'étoiles, comme le ciel. Donnez-moi la main, ne +tremblez pas, ne tremblez pas ainsi. Il n'y a pas +de danger: nous nous arrêterons au moment que +nous n'apercevrons plus la clarté de la mer… +Est-ce le bruit de la grotte qui vous effraie? +Entendez-vous la mer derrière nous?—Elle ne +semble pas heureuse cette nuit… Ah! Voici +la clarté!</p> + +<p class="rdrap"><i>La lune éclaire largement l'entrée et une +partie des ténèbres de la grotte; et l'on aperçoit, +à une certaine profondeur, trois vieux +pauvres à cheveux blancs, assis côte à +côte, se soutenant les uns les autres, et endormis +contre un quartier de roc.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ah!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qu'y a-t-il?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il y a… Il y a…</p> + +<p class="r"><i>Elle montre les trois pauvres.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui; je les ai vus aussi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Allons-nous en!… Allons-nous en!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont trois vieux pauvres qui se sont endormis… +Pourquoi sont-ils venus dormir ici?… Il y +aura une famine dans le pays.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Allons-nous en!… Venez… Allons-nous en!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Prenez garde, ne parlez pas si fort… Ne les +éveillons pas… Ils dorment encore profondément… +Venez.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laissez-moi; je préfère marcher seule…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous reviendrons un autre jour…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE III</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="drap"><b>Une des tours du château.—Un chemin +de ronde passe sous une fenêtre de la tour.</b></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à la fenêtre, tandis qu'elle peigne +ses cheveux dénoués.</i></div> +<div class="poetry"> +<div class="verse">Mes longs cheveux descendent jusqu'au seuil de la tour!</div> +<div class="verse">Mes cheveux vous attendent tout le long de la tour!</div> +<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div> +<div class="verse i3">Et tout le long du jour!</div> + +<div class="verse i3 stanza">Saint Daniel et saint Michel,</div> +<div class="verse i3">Saint Michel et saint Raphaël,</div> +<div class="verse i3">Je suis née un Dimanche!</div> +<div class="verse i3">Un Dimanche à midi!</div> +</div> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas par le chemin de ronde.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Holà! Holà! ho!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est là?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Moi, moi, et moi!… Que fais-tu là à la fenêtre +en chantant comme un oiseau qui n'est pas d'ici?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'arrange mes cheveux pour la nuit…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est là ce que je vois sur le mur!… Je croyais +que c'était un rayon de lumière…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai ouvert la fenêtre. Il fait trop chaud dans la +tour, il fait beau cette nuit.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il y a d'innombrables étoiles; je n'en ai jamais +vu autant que ce soir;… mais la lune est encore +sur la mer… Ne reste pas dans l'ombre, Mélisande, +penche-toi un peu, que je voie tes cheveux +dénoués.</p> + +<p class="r"><i>Mélisande se penche à la fenêtre.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je suis affreuse ainsi.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Mélisande!… oh! tu es belle!… tu es belle +ainsi!… penche-toi! penche-toi!… laisse-moi +venir plus près de toi…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne puis pas venir plus près de toi… Je me +penche tant que je peux…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne puis pas monter plus haut… donne-moi +du moins ta main ce soir… avant que je m'en +aille… Je pars demain…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, non…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Si, si; je pars, je partirai demain… donne-moi +ta main, ta main, ta petite main sur mes lèvres…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne te donne pas ma main si tu pars…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Donne, donne, donne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tu ne partiras pas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>J'attendrai, j'attendrai.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je vois une rose dans les ténèbres…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où donc?… Je ne vois que les branches du +saule qui dépassent le mur…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Plus bas, plus bas, dans le jardin; là-bas, dans +le vert sombre.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce n'est pas une rose… J'irai voir tout à +l'heure, mais donne-moi ta main d'abord; d'abord +ta main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Voilà, voilà;… Je ne puis me pencher davantage…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Mes lèvres ne peuvent pas atteindre ta main…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne puis me pencher davantage… Je suis +sur le point de tomber…—Oh! oh! mes cheveux +descendent de la tour!…</p> + +<p class="rdrap"><i>Sa chevelure se révulse tout à coup, tandis +qu'elle se penche ainsi et inonde Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! qu'est-ce que c'est?… Tes cheveux, +tes cheveux descendent vers moi!… Toute ta +chevelure, Mélisande, toute ta chevelure est +tombée de la tour!… Je les tiens dans les mains, +je les tiens dans la bouche… Je les tiens dans les +bras, je les mets autour de mon cou… Je n'ouvrirai +plus les mains cette nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi! Laisse-moi!… Tu vas me faire +tomber!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Non, non, non;… Je n'ai jamais vu de cheveux +comme les tiens, Mélisande!… Vois, vois, vois, +ils viennent de si haut et ils m'inondent jusqu'au +cœur… Ils m'inondent encore jusqu'aux genoux… +Et ils sont doux, ils sont doux comme s'ils tombaient +du ciel!… Je ne vois plus le ciel à travers +tes cheveux. Tu vois, tu vois, mes mains ne +peuvent plus les tenir… Il y en a jusque sur les +branches du saule… Ils vivent comme des oiseaux +dans mes mains… et ils m'aiment, ils m'aiment +mille fois mieux que toi!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi… laisse-moi… Quelqu'un pourrait +venir…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Non, non, non; je ne te délivre pas cette +nuit… Tu es ma prisonnière cette nuit; toute la +nuit, toute la nuit…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas! Pelléas!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu ne t'en iras plus… Je les noue, je les noue +aux branches du saule, tes cheveux. Je ne souffre +plus au milieu de tes cheveux. Tu entends mes +baisers le long de tes cheveux? Ils montent le +long de tes cheveux. Il faut que chacun t'en +apporte. Tu vois, tu vois, je puis ouvrir les +mains… Tu vois, j'ai les mains libres et tu ne +peux plus m'abandonner…</p> + +<p class="rdrap"><i>Des colombes sortent de la tour et volent +autour d'eux dans la nuit.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! oh! tu m'as fait mal!… Qu'y a-t-il, Pelléas?—Qu'est-ce +qui vole autour de moi?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sont les colombes qui sortent de la tour… Je +les ai effrayées; elles s'envolent.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ce sont mes colombes, Pelléas.—Allons-nous en, +laisse-moi; elles ne reviendraient plus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi ne reviendraient-elles plus?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elles se perdront dans l'obscurité… Laisse-moi +relever la tête… J'entends un bruit de pas… +Laisse-moi!—C'est Golaud!… Je crois que c'est +Golaud!… Il nous a entendus…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Attends! Attends!… Tes cheveux sont autour +des branches… Ils se sont accrochés dans l'obscurité. +Attends! attends!… il fait noir…</p> + +<p class="r"><i>Entre Golaud par le chemin de ronde.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Que faites-vous ici?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce que je fais ici?… Je…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Vous êtes des enfants… Mélisande, ne te penche +pas ainsi à la fenêtre, tu vas tomber… Vous +ne savez pas qu'il est tard?—Il est près de +minuit.—Ne jouez pas ainsi dans l'obscurité.—Vous +êtes des enfants… <i>Riant nerveusement.</i> +Quels enfants! Quels enfants!…</p> + +<p class="r"><i>Il sort avec Pelléas.</i></p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Les souterrains du château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Golaud et Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Prenez garde; par ici, par ici.—Vous n'avez +jamais pénétré dans ces souterrains?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Si, une fois, dans le temps; mais il y a longtemps…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Eh bien! Voici l'eau stagnante dont je vous +parlais… Sentez-vous l'odeur de mort qui monte!—Allons +jusqu'au bout de ce rocher qui surplombe +et penchez-vous un peu. Elle viendra +vous frapper au visage. Penchez-vous; n'ayez pas +peur… Je vous tiendrai… donnez-moi… non, +non, pas la main… elle pourrait glisser… le bras… +Voyez-vous le gouffre?… Pelléas? Pelléas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, je crois que je vois le fond du gouffre… +Est-ce la lumière qui tremble ainsi?… Vous…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; c'est la lanterne… Voyez, je l'agitais pour +éclairer les parois.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>J'étouffe ici… Sortons.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, sortons…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Une terrasse au sortir des souterrains.</b></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ah! Je respire enfin! J'ai cru un instant que +j'allais me trouver mal dans ces énormes grottes; +j'ai été sur le point de tomber… Il y a là un air +humide et lourd comme une rosée de plomb, et +des ténèbres épaisses comme une pâte empoisonnée. +Et maintenant tout l'air de toute la +mer!… Il y a un vent frais, voyez; frais comme +une feuille qui vient de s'ouvrir, sur les petites +lames vertes. Tiens! On vient d'arroser les fleurs +au bord de la terrasse et l'odeur de la verdure et +des roses mouillées monte jusqu'ici… Il doit +être près de midi, elles sont déjà dans l'ombre de +la tour. Il est midi; j'entends sonner les cloches +et les enfants descendent sur la plage pour se +baigner.</p> + +<p>Tiens, voilà notre mère et Mélisande à une +fenêtre de la tour.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; elles se sont réfugiées du côté de l'ombre. +A propos de Mélisande, j'ai entendu ce qui s'est +passé et ce qui s'est dit hier au soir. Je le sais +bien, ce sont là jeux d'enfants; mais il ne faut pas +que cela se répète. Elle est très délicate et il +faut qu'on la ménage, d'autant plus qu'elle sera +peut-être bientôt mère et la moindre émotion +pourrait amener un malheur. Ce n'est pas la +première fois que je remarque qu'il pourrait y +avoir quelque chose entre vous. Vous êtes plus +âgé qu'elle; il suffira de vous l'avoir dit… Évitez-la +autant que possible; mais sans affectation +d'ailleurs; sans affectation.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="c"><b>Devant le château.</b></p> + +<p class="r"><i>Entrent Golaud et le petit Yniold.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Viens, nous allons nous asseoir ici, Yniold; +viens sur mes genoux: nous verrons d'ici ce qui +se passe dans la forêt. Je ne te vois plus du tout +depuis quelque temps. Tu m'abandonnes aussi; +tu es toujours chez petite-mère… Tiens, nous +sommes tout juste assis sous les fenêtres de petite-mère.—Elle +fait peut-être sa prière du soir en +ce moment… Mais dis-moi, Yniold, elle est souvent +avec ton oncle Pelléas, n'est-ce pas?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; toujours, petit-père; quand vous +n'êtes pas là.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! Tiens, quelqu'un passe avec une lanterne +dans le jardin.—Mais on m'a dit qu'ils ne +s'aimaient pas… Il paraît qu'ils se querellent +souvent… non? Est-ce vrai?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, c'est vrai.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui?—Ah! ah!—Mais à propos de quoi se +querellent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>A propos de la porte.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Comment? A propos de la porte?—Qu'est-ce +que tu racontes là?—Mais voyons, explique-toi; +pourquoi se querellent-ils à propos de la porte?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Parce qu'elle ne peut pas être ouverte.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Qui ne veut pas qu'elle soit ouverte?—Voyons, +pourquoi se querellent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Je ne sais pas, petit-père, à propos de la +lumière.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je ne te parle pas de la lumière: je te parle +de la porte… Ne mets pas ainsi la main dans la +bouche… voyons…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Petit-père! petit-père!… Je ne le ferai plus…</p> + +<p class="r"><i>Il pleure.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Voyons; pourquoi pleures-tu? Qu'est-il arrivé?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! oh! petit-père, vous m'avez fait mal…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je t'ai fait mal?—Où t'ai-je fait mal! C'est +sans le vouloir…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ici, à mon petit bras…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>C'est sans le vouloir; voyons, ne pleure plus, +je te donnerai quelque chose demain…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Quoi, petit-père?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Un carquois et des flèches; mais dis-moi ce que +tu sais de la porte.</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>De grandes flèches?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, de très grandes flèches.—Mais pourquoi +ne veulent-ils pas que la porte soit ouverte?—Voyons, +réponds-moi à la fin!—non, non; n'ouvre +pas la bouche pour pleurer. Je ne suis pas fâché. +De quoi parlent-ils quand ils sont ensemble?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Pelléas et petite-mère?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; de quoi parlent-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>De moi; toujours de moi.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Et que disent-ils de toi?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils disent que je serai très grand.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! Misère de ma vie!… je suis ici comme un +aveugle qui cherche son trésor au fond de +l'océan!… Je suis ici comme un nouveau-né +perdu dans la forêt et vous… Mais voyons, +Yniold, j'étais distrait; nous allons causer sérieusement. +Pelléas et petite-mère ne parlent-ils +jamais de moi quand je ne suis pas là?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Si, si, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah!… Et que disent-ils de moi?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils disent que je deviendrai aussi grand que +vous.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu es toujours près d'eux?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; toujours, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne te disent jamais d'aller jouer ailleurs?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ont peur quand je ne suis +pas là.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ont peur?… à quoi vois-tu qu'ils ont peur?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils pleurent toujours dans l'obscurité.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah!…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Cela fait pleurer aussi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui, oui…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Elle est pâle, petit-père!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ah! ah!… patience, mon Dieu, patience…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Quoi, petit-père?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Rien, rien mon enfant.—J'ai vu passer un +loup dans la forêt.—Ils s'embrassent quelquefois?—Non?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils s'embrassent, petit-père?—Non, non.—Ah! +si, petit-père, si; une fois… une fois qu'il +pleuvait…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils se sont embrassés?—Mais comment, comment +se sont-ils embrassés?—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Comme ça, petit-père, comme ça!… <i>Il lui +donne un baiser sur la bouche; riant.</i> Ah! ah! +votre barbe, petit-père!… Elle pique! elle pique! +Elle devient toute grise, petit-père, et vos cheveux +aussi; tout gris, tout gris… <i>La fenêtre sous +laquelle ils sont assis s'éclaire en ce moment, et sa +clarté vient tomber sur eux.</i> Ah! ah! petite-mère +a allumé la lampe. Il fait clair, petit-père; il fait +clair.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Oui; il commence à faire clair…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Allons-y aussi, petit-père…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où veux-tu aller?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Où il fait clair, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Non, non, mon enfant; restons encore un peu +dans l'ombre… On ne sait pas, on ne sait pas +encore… Je crois que Pelléas est fou…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père, il n'est pas fou, mais il est +très bon.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Veux-tu voir petite-mère?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, oui; je veux la voir!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne fais pas de bruit; je vais te hisser jusqu'à la +fenêtre. Elle est trop haute pour moi, bien que +je sois si grand… <i>Il soulève l'enfant.</i> Ne fais pas le +moindre bruit; petite-mère aurait terriblement +peur… La vois-tu?—Est-elle dans la chambre?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui… Oh! il fait clair!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Elle est seule?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui… Non, non! mon oncle Pelléas y est aussi.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Il!…</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ah! ah! petit-père! vous m'avez fait mal!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est rien; tais-toi; je ne le ferai plus; +regarde, regarde, Yniold!… J'ai trébuché; parle +plus bas. Que font-ils?—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils ne font rien, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Est-ce qu'ils parlent?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne parlent pas.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mais que font-ils?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Ils regardent la lumière.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tous les deux?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oui, petit-père.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne disent rien?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne ferment pas les yeux.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ils ne s'approchent pas l'un de l'autre?</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Non, petit-père; ils ne bougent pas, ils ne ferment +jamais les yeux… J'ai terriblement peur…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>De quoi donc as-tu peur? Regarde! Regarde!</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Petit-père, laissez-moi descendre!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Regarde!</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! je vais crier, petit-père! Laissez-moi descendre! +laissez-moi descendre!</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Viens! nous allons voir ce qui est arrivé.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE IV</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Un corridor dans le château.</b></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où vas-tu? Il faut que je te parle ce soir. Te +verrai-je?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je sors de la chambre de mon père. Il va +mieux. Le médecin nous a dit qu'il était sauvé. +Il m'a reconnu. Il m'a pris la main, et il m'a dit +de cet air étrange qu'il a depuis qu'il est malade: +«Est-ce toi, Pelléas? Tiens, je ne l'avais jamais +remarqué, mais tu as le visage grave et amical de +ceux qui ne vivront pas longtemps. Il faut +voyager; il faut voyager…» C'est étrange; je vais +lui obéir… Ma mère l'écoutait et pleurait de joie. +Tu ne t'en es pas aperçue? Toute la maison semble +déjà revivre, on entend respirer, on entend +marcher… Écoute, j'entends parler derrière cette +porte. Vite, vite, réponds vite, où te verrai-je?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où veux-tu?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Dans le parc: près de la fontaine des aveugles? +Veux-tu? Viendras-tu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ce sera le dernier soir. Je vais voyager comme +mon père l'a dit. Tu ne me verras plus…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ne dis pas cela, Pelléas… Je te verrai toujours; +je te regarderai toujours…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu auras beau regarder… Je serai si loin que +tu ne pourras plus me voir.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qu'est-il arrivé, Pelléas? Je ne comprends +plus ce que tu dis…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Va-t'en, va-t'en, séparons-nous. J'entends +parler derrière cette porte.</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent séparément.</i><br /> +<i>Puis Arkël entre accompagné de Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Maintenant que le père de Pelléas est sauvé, et +que la maladie, la vieille servante de la mort, a +quitté le château, un peu de joie et un peu de +soleil vont enfin rentrer dans la maison… Il était +temps!—Car depuis ta venue, on n'a vécu ici +qu'en chuchotant autour d'une chambre fermée… +Et vraiment, j'avais pitié de toi, Mélisande… +Je t'observais, tu étais là, insouciante +peut-être, mais avec l'air étrange et égaré de +quelqu'un qui attendrait toujours un grand +malheur, au soleil, dans un beau jardin… Je ne +puis pas expliquer… Mais j'étais triste de te voir +ainsi; car tu es trop jeune et trop belle pour +vivre déjà, jour et nuit, sous l'haleine de la mort… +Mais à présent tout cela va changer. A mon âge,—et +c'est peut-être là le fruit le plus sûr de ma +vie,—à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi +à la fidélité des événements, et j'ai toujours vu que +tout être jeune et beau, créait autour de lui des +événements jeunes, beaux et heureux… Et c'est +toi, maintenant, qui vas ouvrir la porte à l'ère +nouvelle que j'entrevois… Viens ici; pourquoi +restes-tu là sans répondre et sans lever les yeux?—Je +ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le +jour de ta venue; et cependant, les vieillards ont +besoin de toucher quelquefois de leurs lèvres, le +front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour +croire encore à la fraîcheur de la vie et éloigner +un moment les menaces de la mort. As-tu peur +de mes vieilles lèvres? Comme j'avais pitié de toi +ces mois-ci!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Grand-père, je n'étais pas malheureuse…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un +moment… on a tant besoin de beauté aux côtés +de la mort…</p> + +<p class="r"><i>Entre Golaud.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Pelléas part ce soir.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Tu as du sang sur le front.—Qu'as-tu fait?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Rien, rien… J'ai passé au travers d'une haie +d'épines…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Baissez un peu la tête, seigneur… Je vais +essuyer votre front…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>la repoussant.</i></div> +<p>Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu? +Va-t'en, va-t'en!—Je ne te parle pas.—Où est +mon épée?—Je venais chercher mon épée…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ici; sur le prie-Dieu.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Apporte-la. <i>A Arkël.</i> On vient encore de +trouver un paysan mort de faim, le long de la +mer. On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous +nos yeux.—<i>A Mélisande.</i> Eh bien, mon épée?—Pourquoi +tremblez-vous ainsi? Je ne vais pas +vous tuer. Je voulais simplement examiner la +lame. Je n'emploie pas l'épée à ces usages. Pourquoi +m'examinez-vous comme un pauvre?—Je +ne viens pas vous demander l'aumône. Vous +espérez voir quelque chose dans mes yeux, sans +que je voie quelque chose dans les vôtres?—Croyez-vous +que je sache quelque chose?—<i>A +Arkël.</i> Voyez-vous ces grands yeux?—On +dirait qu'ils sont fiers d'être riches…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'y vois qu'une grande innocence…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Une grande innocence!… Ils sont plus grands +que l'innocence!… Ils sont plus purs que les yeux +d'un agneau… Ils donneraient à Dieu des leçons +d'innocence! Une grande innocence! Écoutez: +j'en suis si près que je sens la fraîcheur de leurs +cils quand ils clignent; et cependant, je suis +moins loin des grands secrets de l'autre monde +que du plus petit secret de ces yeux!… Une grande +innocence!… Plus que de l'innocence! On dirait +que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un +baptême!… Je les connais ces yeux! Je les ai vus +à l'œuvre! Fermez-les! Fermez-les! ou je vais les +fermer pour longtemps!…—Ne mettez pas +ainsi votre main à la gorge; je dis une chose très +simple… Je n'ai pas d'arrière-pensée… Si j'avais +une arrière-pensée, pourquoi ne la dirais-je pas? +Ah! ah!—ne tâchez pas de fuir!—Ici!—Donnez-moi +cette main!—Ah! vos mains sont +trop chaudes… Allez-vous-en! Votre chair me +dégoûte!… Il ne s'agit plus de fuir à présent!—<i>Il +la saisit par les cheveux.</i>—Vous allez me +suivre à genoux!—A genoux!—A genoux +devant moi!—Ah! ah! vos longs cheveux servent +enfin à quelque chose!… A droite et puis à +gauche!—A gauche et puis à droite!—Absalon! +Absalon!—En avant! en arrière! Jusqu'à +terre! jusqu'à terre!… Vous voyez, vous voyez; +je ris déjà comme un vieillard…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>accourant.</i></div> +<p>Golaud!…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>affectant un calme soudain.</i></div> +<p>Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.—Je +n'attache aucune importance à cela.—Je +suis trop vieux; et puis, je ne suis pas un espion. +J'attendrai le hasard; et alors… Oh! alors!… +simplement parce que c'est l'usage; simplement +parce que c'est l'usage…</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qu'a-t-il donc?—Il est ivre?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>en larmes.</i></div> +<p>Non, non; mais il ne m'aime plus… Je ne suis +pas heureuse!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des +hommes…</p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="c"><b>Une terrasse, dans la brume.</b></p> + +<p class="r"><i>On aperçoit le petit Yniold qui cherche à soulever +un quartier de roc.</i></p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Oh! Cette pierre est lourde… elle est plus +lourde que moi.—Elle est plus lourde que tout +le monde.—Elle est plus lourde que tout.</p> + +<p>Je vois ma balle d'or entre le rocher et cette +méchante pierre. Et je ne puis pas y atteindre… +Mon petit bras n'est pas assez long—et cette +pierre ne veut pas être soulevée… On dirait +qu'elle a des racines dans la terre.</p> + +<p class="r"><i>On entend au loin les bêlements d'un troupeau.</i></p> + +<p>Oh! oh! J'entends pleurer les moutons.—Tiens! +Il n'y a plus de soleil!—Ils arrivent les +petits moutons; ils arrivent… Il y en a!… Il y en +a!… Ils ont eu peur du noir… Ils se serrent. Ils +se serrent! Ils pleurent… et ils vont vite!… Il y +en a qui voudraient prendre à droite… Ils voudraient +tous aller à droite. Ils ne peuvent pas!… +Le berger leur jette de la terre!… Ah! ah!… Ils +vont passer par ici… Je vais les voir de près.—Comme +il y en a!…—Maintenant, ils se taisent +tous. Berger? Pourquoi ne parlent-ils plus?</p> + +<div class="p"><small>LE BERGER</small>, <i>qu'on ne voit pas.</i></div> +<p>Parce que ce n'est pas le chemin de l'étable!—</p> + +<div class="p"><small>YNIOLD</small>.</div> +<p>Où vont-ils? Berger? Berger? Où vont-ils?… +Il ne m'entend plus. Ils sont déjà trop loin… Ils +ne font plus de bruit.—Ce n'est pas le chemin +de l'étable… Où vont-ils dormir cette nuit?… +Oh! oh! il fait trop noir… Je vais dire quelque +chose à quelqu'un!</p> + +<p class="r"><i>Il sort.</i></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="c"><b>Une fontaine dans le parc.</b></p> + +<p class="r"><i>Entre Pelléas.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est le dernier soir… Le dernier soir… Il faut +que tout finisse… J'ai joué comme un enfant +autour d'une chose que je ne soupçonnais pas… +J'ai joué en rêve autour des pièges de la destinée… +Qui est-ce qui m'a réveillé tout à coup? Je +vais fuir en criant de joie et de douleur comme +un aveugle qui fuirait l'incendie de sa maison… +Je vais lui dire que je vais fuir… Il est tard; elle +ne vient pas… Je ferais mieux de m'en aller sans +la revoir… Il faut que je la regarde bien cette +fois-ci… Il y a des choses que je ne me rappelle +plus… on dirait, par moment, qu'il y a plus de +cent ans que je ne l'ai vue… Et je n'ai pas encore +regardé son regard… Il ne me reste rien si je m'en +vais ainsi. Et tous ces souvenirs… c'est comme si +j'emportais un peu d'eau dans un sac de mousseline… +Il faut que je la voie une dernière fois, +jusqu'au fond de son cœur… Il faut que je lui +dise tout ce que je n'ai pas dit…</p> + +<p class="r"><i>Entre Mélisande.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pelléas?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Mélisande!—Est-ce toi, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Viens ici: ne reste pas au bord du clair de +lune.—Viens ici. Nous avons tant de choses à +nous dire… Viens ici dans l'ombre du tilleul.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Laisse-moi dans la clarté…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>On pourrait nous voir des fenêtres de la tour. +Viens ici; ici, nous n'avons rien à craindre.—Prends +garde; on pourrait nous voir…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je veux qu'on me voie…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qu'as-tu donc?—Tu as pu sortir sans qu'on +s'en soit aperçu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui; votre frère dormait…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il est tard.—Dans une heure on fermera les +portes. Il faut prendre garde. Pourquoi es-tu +venue si tard?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Votre frère avait un mauvais rêve. Et puis ma +robe s'est accrochée aux clous de la porte. Voyez, +elle est déchirée. J'ai perdu tout ce temps et j'ai +couru…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Ma pauvre Mélisande!… J'aurais presque peur +de te toucher… Tu es encore hors d'haleine +comme un oiseau pourchassé… C'est pour moi, +pour moi que tu fais tout cela?… J'entends +battre ton cœur comme si c'était le mien… Viens +ici… plus près, plus près de moi.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi riez-vous?</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne ris pas;—ou bien je ris de joie, sans le +savoir… Il y aurait plutôt de quoi pleurer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Nous sommes venus ici il y a bien longtemps… +Je me rappelle.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui… Il y a de longs mois.—Alors, je ne +savais pas… Sais-tu pourquoi je t'ai demandé de +venir ce soir?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non.</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est peut-être la dernière fois que je te vois… +Il faut que je m'en aille pour toujours…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi dis-tu toujours que tu t'en vas?…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je dois te dire ce que tu sais déjà!—Tu ne +sais pas ce que je vais te dire?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais non, mais non; je ne sais rien…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu ne sais pas pourquoi il faut que je m'éloigne… +<i>Il l'embrasse brusquement.</i> Tu ne sais pas +que c'est parce que je t'aime…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>à voix basse.</i></div> +<p>Je t'aime aussi…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Qu'as-tu dit, Mélisande! Je ne l'ai presque +pas entendu!… On a brisé la glace avec des +fers rougis!… Tu dis cela d'une voix qui vient +du bout du monde!… Je ne t'ai presque pas +entendue… Tu m'aimes?—Tu m'aimes aussi?… +Depuis quand m'aimes-tu?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Depuis toujours… Depuis que je t'ai vu…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! comme tu dis cela!… On dirait que ta +voix a passé sur la mer au printemps!… je ne l'ai +jamais entendue jusqu'ici… on dirait qu'il a plu +sur mon cœur! Tu dis cela si franchement!… +Comme un ange qu'on interroge!… Je ne puis +pas le croire, Mélisande!… Pourquoi m'aimerais-tu?—Mais +pourquoi m'aimes-tu!—Est-ce vrai +ce que tu dis?—Tu ne me trompes pas?—Tu +ne mens pas un peu, pour me faire sourire?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non; je ne mens jamais; je ne mens qu'à ton +frère…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! Comme tu dis cela!… Ta voix! ta voix… +Elle est plus fraîche et plus franche que l'eau!… +On dirait de l'eau pure sur mes lèvres!… On dirait +de l'eau pure sur mes mains… Donne-moi, +donne-moi tes mains. Oh! tes mains sont petites!… +Je ne savais pas que tu étais si belle!… Je +n'avais jamais rien vu d'aussi beau, avant toi… +J'étais inquiet, je cherchais partout dans la maison… +Je cherchais partout dans la campagne… +Et je ne trouvais pas la beauté… Et maintenant +je t'ai trouvée!… Je t'ai trouvée!… Je ne crois +pas qu'il y ait sur la terre une femme plus belle!… +Où es-tu?—Je ne t'entends plus respirer…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est que je te regarde…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Pourquoi me regardes-tu si gravement!—Nous +sommes déjà dans l'ombre.—Il fait trop noir +sous cet arbre. Viens dans la lumière. Nous ne +pouvons pas voir combien nous sommes heureux. +Viens, viens; il nous reste si peu de temps…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; restons ici… Je suis plus près de toi +dans l'obscurité…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Où sont tes yeux?—Tu ne vas pas me fuir?—Tu +ne songes pas à moi en ce moment.</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais si, mais si, je ne songe qu'à toi…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu regardais ailleurs…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je te voyais ailleurs…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu es distraite. Qu'as-tu donc?—Tu ne me +sembles pas heureuse…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Si, si; je suis heureuse, mais je suis triste…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Quel est ce bruit?—On ferme les portes!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, on a fermé les portes…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Nous ne pouvons plus rentrer!—Entends-tu +les verrous?—Écoute! écoute!… les grandes +chaînes!… Il est trop tard, il est trop tard!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tant mieux! Tant mieux!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Tu?… Voilà, voilà!… Ce n'est plus nous qui le +voulons!… Tout est perdu, tout est sauvé! tout +est sauvé ce soir!—Viens! viens… Mon cœur +bat comme un fou jusqu'au fond de ma gorge… +<i>Il l'enlace.</i> Écoute! mon cœur est sur le point de +m'étrangler… Viens! viens!… Ah! qu'il fait beau +dans les ténèbres!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il y a quelqu'un derrière nous!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je ne vois personne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai entendu du bruit…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je n'entends que ton cœur dans l'obscurité…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>J'ai entendu craquer les feuilles mortes…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>C'est le vent qui s'est tû tout à coup… Il est +tombé pendant que nous nous embrassions…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Comme nos ombres sont grandes ce soir!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Elles s'enlacent jusqu'au fond du jardin… Oh! +qu'elles s'embrassent loin de nous!… Regarde! +Regarde!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>d'une voix étouffée.</i></div> +<p>A-a-h!—Il est derrière un arbre!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Qui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Golaud!</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Golaud?—où donc?—je ne vois rien…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Là… au bout de nos ombres…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oui, oui; je l'ai vu… Ne nous retournons pas +brusquement…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il a son épée…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Je n'ai pas la mienne…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Il a vu que nous nous embrassions…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il ne sait pas que nous l'avons vu… Ne bouge +pas; ne tourne pas la tête… Il se précipiterait… +Il nous observe… Il est encore immobile… Va-t'en, +va-t'en tout de suite par ici… Je l'attendrai… +Je l'arrêterai…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non, non!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Va-t'en! va-t'en! Il a tout vu!… Il nous tuera!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Tant mieux! tant mieux! tant mieux!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Il vient! il vient!… Ta bouche!… Ta bouche!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui!… Oui!… Oui!…</p> + +<p class="r"><i>Ils s'embrassent éperdument.</i></p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Oh! oh! Toutes les étoiles tombent…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Sur moi aussi! sur moi aussi!…</p> + +<div class="p"><small>PELLÉAS</small>.</div> +<p>Toutes! toutes! toutes!…</p> + +<p class="rdrap"><i>Golaud se précipite sur eux l'épée à la main, +et frappe Pelléas, qui tombe au bord de la +fontaine. Mélisande fuit épouvantée.</i></p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>, <i>fuyant.</i></div> +<p>Oh! oh! Je n'ai pas de courage!… Je n'ai pas +de courage!…</p> + +<p class="r"><i>Golaud la poursuit à travers le bois, en silence.</i></p> + +<div class="chapter"></div> + +<h2 class="nobreak">ACTE V</h2> + + +<h3>SCÈNE I</h3> + +<p class="c"><b>Un appartement dans le château.</b></p> + +<p class="rdrap"><i>On découvre Arkël, Golaud et le médecin dans +un coin de la chambre. Mélisande est étendue +sur son lit.</i></p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce n'est pas de cette petite blessure qu'elle +peut mourir; un oiseau n'en serait pas mort… +ce n'est donc pas vous qui l'avez tuée, mon bon +seigneur; ne vous désolez pas ainsi… Et puis, il +n'est pas dit que nous ne la sauverons pas…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non, non; il me semble que nous nous taisons +trop, malgré nous, dans sa chambre… Ce n'est +pas un bon signe… Regardez comme elle dort… +lentement, lentement… on dirait que son âme a +froid pour toujours…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>J'ai tué sans raison! Est-ce que ce n'est pas à +faire pleurer les pierres!… Ils s'étaient embrassés +comme des petits enfants… Ils étaient frère et +sœur… Et moi, moi tout de suite!… Je l'ai fait +malgré moi, voyez-vous… Je l'ai fait malgré +moi…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Attention; je crois qu'elle s'éveille…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ouvrez la fenêtre… ouvrez la fenêtre…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Veux-tu que j'ouvre celle-ci, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; la grande fenêtre… c'est pour voir…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Est-ce que l'air de la mer n'est pas trop froid +ce soir?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Faites, faites…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Merci… Est-ce le soleil qui se couche?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui; c'est le soleil qui se couche sur la mer; il +est tard.—Comment te trouves-tu, Mélisande?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Bien, bien.—Pourquoi demandez-vous cela? +Je n'ai jamais été mieux portante.—Il me semble +cependant que je sais quelque chose…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Que dis-tu?—Je ne te comprends pas…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne comprends pas non plus tout ce que je +dis, voyez-vous… Je ne sais pas ce que je dis… +Je ne sais pas ce que je sais… Je ne dis plus ce +que je veux…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Mais si, mais si… Je suis tout heureux de t'entendre +parler ainsi; tu as eu un peu de délire ces +jours-ci, et l'on ne te comprenait plus… Mais +maintenant, tout cela est bien loin…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Je ne sais pas…—Êtes-vous tout seul dans la +chambre, grand-père?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non; il y a encore le médecin qui t'a guérie…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Ah!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Et puis il y a encore quelqu'un…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est… il ne faut pas t'effrayer… Il ne te veut +pas le moindre mal, sois-en sûre… Si tu as peur, +il s'en ira… Il est très malheureux…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est… c'est ton mari… c'est Golaud…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Golaud est ici? Pourquoi ne vient-il pas près +de moi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se traînant vers le lit.</i></div> +<p>Mélisande… Mélisande…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce vous, Golaud? Je ne vous reconnaissais +presque plus… C'est que j'ai le soleil du soir dans +les yeux… Pourquoi regardez-vous les murs? +Vous avez maigri et vieilli… Y a-t-il longtemps +que nous ne nous sommes vus?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>à Arkël et au médecin.</i></div> +<p>Voulez-vous vous éloigner un instant, mes pauvres +amis… Je laisserai la porte grande ouverte… +Un instant seulement… Je voudrais lui dire quelque +chose; sans cela je ne pourrais pas mourir… +Voulez-vous?—Vous pouvez revenir tout de +suite… Ne me refusez pas cela… Je suis un malheureux… +<i>Sortent Arkël et le médecin.</i> Mélisande, +as-tu pitié de moi, comme j'ai pitié de toi?… +Mélisande?… Me pardonnes-tu, Mélisande?…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui, je te pardonne… Que faut-il pardonner?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je t'ai fait tant de mal, Mélisande… Je ne puis +pas te dire le mal que je t'ai fait… Mais je le vois, +je le vois si clairement aujourd'hui… depuis le +premier jour… Et tout est de ma faute, tout ce +qui est arrivé, tout ce qui va arriver… Si je pouvais +le dire, tu verrais comme je le vois!… Je +vois tout, je vois tout!… Mais je t'aimais tant!… +Je t'aimais tant!… Mais maintenant, quelqu'un +va mourir… C'est moi qui vais mourir… Et je +voudrais savoir… Je voudrais te demander… Tu +ne m'en voudras pas?… Il faut dire la vérité à +quelqu'un qui va mourir… Il faut qu'il sache la +vérité, sans cela il ne pourrait pas dormir… Me +jures-tu de dire la vérité?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui.</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>As-tu aimé Pelléas?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Mais oui; je l'ai aimé. Où est-il?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu ne me comprends pas?—Tu ne veux pas +me comprendre?—Il me semble… Il me semble… +Eh bien, voici: Je te demande si tu l'as +aimé d'un amour défendu?… As-tu… Avez-vous +été coupables? Dis, dis, oui, oui, oui?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non; nous n'avons pas été coupables.—Pourquoi +demandez-vous cela?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Mélisande!… Dis-moi la vérité pour l'amour de +Dieu!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi n'ai-je pas dit la vérité?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ne mens plus ainsi, au moment de mourir!</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui va mourir?—Est-ce moi?</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Toi, toi! et moi, moi aussi, après toi!… Et il +nous faut la vérité… Il nous faut enfin la vérité, +entends-tu!… Dis-moi tout! Dis-moi tout! Je te +pardonne tout!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Pourquoi vais-je mourir?—Je ne le savais pas…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tu le sais maintenant… Il est temps!… Il est +temps!… Vite! vite!… La vérité! la vérité!…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>La vérité… la vérité…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Où es-tu?—Mélisande!—Où es-tu?—Ce +n'est pas naturel! Mélisande! Où es-tu? <i>Apercevant +Arkël et le médecin à la porte de la chambre.</i>—Oui, +oui; vous pouvez rentrer… Je ne sais +rien; c'est inutile… Elle est déjà trop loin de +nous… Je ne saurai jamais!… Je vais mourir ici +comme un aveugle!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qu'avez-vous fait? Vous allez la tuer…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Je l'ai déjà tuée…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Mélisande…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-ce vous, grand-père?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui, ma fille… Que veux-tu que je fasse?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Est-il vrai que l'hiver commence?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Pourquoi demandes-tu cela?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est qu'il fait froid et qu'il n'y a plus de +feuilles…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Tu as froid?—Veux-tu qu'on ferme les fenêtres?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Non, non… jusqu'à ce que le soleil soit au fond +de la mer.—Il descend lentement, alors c'est +l'hiver qui commence?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Oui.—Tu n'aimes pas l'hiver?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oh! non. J'ai peur du froid!—Ah! J'ai peur +des grands froids…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Te sens-tu mieux?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Oui, oui; je n'ai plus toutes ces inquiétudes…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Veux-tu voir ton enfant?</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Quel enfant?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ton enfant, ta petite fille…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Où est-elle?</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ici…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>C'est étrange… Je ne peux pas lever les bras +pour la prendre…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>C'est que tu es encore très faible… Je la tiendrai +moi-même; regarde…</p> + +<div class="p"><small>MÉLISANDE</small>.</div> +<p>Elle ne rit pas… Elle est petite… Elle va pleurer +aussi… J'ai pitié d'elle…</p> + +<p class="rdrap"><i>La chambre est envahie, peu à peu, par les +servantes du château, qui se rangent en +silence le long des murs et attendent.</i></p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>se levant brusquement.</i></div> +<p>Qu'y a-t-il?—Qu'est-ce que toutes ces femmes +viennent faire ici?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce sont les servantes…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Qui est-ce qui les a appelées?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Ce n'est pas moi…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Que venez-vous faire ici?—Personne ne vous +a demandées… Que venez-vous faire ici?—Mais +qu'est-ce que donc! Répondez!…</p> + +<p class="r"><i>Les servantes ne répondent pas.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ne parlez pas trop fort… Elle va dormir; elle +a fermé les yeux…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est pas?…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Non, non; voyez, elle respire…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ses yeux sont pleins de larmes.—Maintenant +c'est son âme qui pleure… Pourquoi étend-elle +ainsi les bras? Que veut-elle?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>C'est vers l'enfant sans doute. C'est la lutte de +la mère contre la mort…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>En ce moment?—En ce moment?—Il faut +le dire, dites! dites!</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Peut-être…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Tout de suite?… Oh! Oh! Il faut que je lui +dise…—Mélisande! Mélisande!… Laissez-moi +seul! laissez-moi seul avec elle!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Non, non, n'approchez pas… Ne la troublez +pas… Ne lui parlez plus… Vous ne savez pas ce +que c'est que l'âme…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>.</div> +<p>Ce n'est pas ma faute, ce n'est pas ma faute!</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Attention… Attention… Il faut parler à voix +basse.—Il ne faut plus l'inquiéter… L'âme +humaine est très silencieuse… L'âme humaine +aime à s'en aller seule… Elle souffre si timidement… +Mais la tristesse, Golaud… mais la tristesse +de tout ce que l'on voit!… Oh! oh! oh!…</p> + +<p class="rdrap"><i>En ce moment, toutes les servantes +tombent subitement à genoux au fond de la chambre.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>, <i>se retournant.</i></div> +<p>Qu'y a-t-il?</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>, <i>s'approchant du lit et tâtant le corps.</i></div> +<p>Elles ont raison…</p> + +<p class="r"><i>Un long silence.</i></p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'ai rien vu.—Êtes-vous sûr?…</p> + +<div class="p"><small>LE MÉDECIN</small>.</div> +<p>Oui, oui.</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Je n'ai rien entendu… Si vite, si vite… Tout à +coup… Elle s'en va sans rien dire…</p> + +<div class="p"><small>GOLAUD</small>, <i>sanglotant.</i></div> +<p>Oh! oh! oh!…</p> + +<div class="p"><small>ARKEL</small>.</div> +<p>Ne restez pas ici, Golaud… Il lui faut le silence, +maintenant… Venez, venez… C'est terrible, +mais ce n'est pas votre faute… C'était un petit +être si tranquille, si timide et si silencieux… +C'était un pauvre petit être mystérieux, comme +tout le monde… Elle est là, comme si elle était la +grande sœur de son enfant…—Venez; il ne faut +pas que l'enfant reste ici dans cette chambre… +Il faut qu'il vive, maintenant, à sa place… C'est +au tour de la pauvre petite…</p> + +<p class="r"><i>Ils sortent en silence.</i></p> + + +<p class="c gap">FIN.</p> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Pelléas et Mélisande, by Maurice Maeterlinck + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK PELLÉAS ET MÉLISANDE *** + +***** This file should be named 61075-h.htm or 61075-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/6/1/0/7/61075/ + +Produced by Laurent Vogel (from images generously made +available by The Internet Archive/American Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions will +be renamed. + +Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright +law means that no one owns a United States copyright in these works, +so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United +States without permission and without paying copyright +royalties. 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It +exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations +from people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future +generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see +Sections 3 and 4 and the Foundation information page at +www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by +U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the +mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its +volunteers and employees are scattered throughout numerous +locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt +Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to +date contact information can be found at the Foundation's web site and +official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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