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-Project Gutenberg's Le thé chez Miranda, by Jean Moréas and Paul Adam
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le thé chez Miranda
-
-Author: Jean Moréas
- Paul Adam
-
-Release Date: September 10, 2020 [EBook #63167]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE THÉ CHEZ MIRANDA ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
-produced from images generously made available by The
-Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
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-
-
- JEAN MORÉAS ET PAUL ADAM
-
- LE THÉ
- CHEZ
- MIRANDA
-
- PARIS
- TRESSE ET STOCK, LIBRAIRES-ÉDITEURS
- 8, 9, 10, 11, Galerie du Théâtre-Français
- PALAIS-ROYAL
-
- 1886
- Tous droits réservés
-
-
-
-
-_Les auteurs et les éditeurs déclarent réserver leurs droits de
-traduction et de reproduction._
-
-_Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (section de la
-librairie) en Juillet 1886._
-
-
-OUVRAGES DE JEAN MORÉAS:
-
-LES SYRTES.
-
-LES CANTILÈNES.
-
-
-OUVRAGES DE PAUL ADAM:
-
-CHAIR MOLLE.
-
-SOI.
-
-
-_Pour paraître prochainement_:
-
-LES DEMOISELLES GOUBERT
-
-MOEURS DE PARIS
-
-par
-
-JEAN MORÉAS ET PAUL ADAM
-
-
-3694.--ABBEVILLE, TYP. ET STÉR. A. RETAUX.--1886.
-
-
-
-
-_Il a été tiré de cet ouvrage sur papier de Hollande dix exemplaires
-numérotés à la presse._
-
-
-
-
-_Première Soirée_
-
-
-
-
-_C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas._
-
-_Quartier Malesherbes._
-
-_Boudoir oblong._
-
-_En la profondeur violâtre du tapis, des cycloïdes bigarrures._
-
-_En les froncis des tentures, l'inflexion des voix s'apitoie; en les
-froncis des tentures lourdes, sombres, à plumetis._
-
-_C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas._
-
-_Dehors, la blancheur pacifiante des neiges._
-
-_Au foyer, la flamme s'allonge, s'allonge et se recroqueville, s'aplatit
-et se renfle,--facétieuse._
-
-_Et des émanations défaillent par le boudoir oblong, des émanations
-comme d'une guimpe attiédie, d'une guimpe attiédie au contact du derme._
-
-_Le jour froid des lampes filtre et se réfracte. Le jour des lampes se
-réfracte en la profondeur violâtre du tapis aux cycloïdes bigarrures; il
-se réfracte contre les tentures sombres, à plumetis._
-
-_Au-dessus du sofa brodé de lames, dans son cadre d'or bruni, un
-PAYSAGE_: Perse stagne la mare; les joncs flexueux où des engoulevents
-volètent, la ceignent. A gauche, des peupliers que le cadre étronçonne,
-et tout au fond, par les ciels dégradés, dans la grivelure argentée de
-leurs ailes éployées, un vol tumultueux de grèbes.
-
-_En face du sofa brodé de lames, sur un meuble bas, pentagone, que des
-télamons supportent, de hautes feuilles de parchemins vêtues de
-poult-de-soie blanc, aux agrafes d'un métal précieusement oxydé,
-s'étalent._
-
-_Et ce sont là devis et contes, devis et contes futiles et sentencieux,
-écrits pour l'agrément de la Dame par ses deux sigisbées._
-
-_C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas._
-
-_Dehors, la blancheur pacifiante des neiges._
-
-_Au foyer, la flamme s'allonge, s'allonge et se recroqueville, s'aplatit
-et se renfle,--facétieuse._
-
-_... Miranda, toute droite, à l'aise en une sorte de canezou d'escot aux
-passements de jais et de soie écarlate, verse du thé de ses mains bien
-fardées._
-
-
-
-
-AMOURETTE
-
-
-I
-
-Aux Tuileries, contre la terrasse qui longe la Seine, elle se tient
-assise, en brodant. Et se détache à peine sa toilette sobre sur le vert
-noir du lierre.
-
-Paul Doriaste est revenu là pour lui découvrir les imperfections peu
-visibles, mais décevantes, qu'elle doit avoir. Ainsi espère-t-il
-esquiver la hantise d'elle. Chose bête: il a soumis plusieurs jours son
-tympan aux cacophonies des musiques militaires afin de la voir. Cette
-élégance de dame à médiocres revenus, la plus discrète et délicate des
-élégances, le charme. En paysanne, en grande mondaine, en mystérieuse
-courtisane, en bourgeoise lettrée, il l'a décrite déjà, au cours de
-plusieurs nouvelles qu'il fit pour son journal, _le Sphinx_. Elle
-accapare son esprit; il la désire, et il ne l'aura point.
-
-Cela se devine tout de suite qu'il ne l'aura point. Elle est honnête
-fatalement par sa blondeur tendre d'anémique, la matité du teint pur, la
-tendance à rester clapie très longtemps dans la même attitude.
-
-Elle le regarde venir. Sur l'orbe de son oeil levé une nacrure luit,
-humide, puis se voile des cils baissés vite. Et cette luisance le
-pénètre, se darde par ses entrailles qui frémissent. Il la veut. Sans
-doute elle n'osera se livrer; mais ce geste du regard est certainement
-un aveu d'amour. Ou non, peut-être. Aux sourires des gens semblent
-bizarres son costume de sportsman, ses bottines pointues et ses culottes
-collantes; à elle aussi pourquoi ne paraîtrait-il point ridicule. Une
-simple curiosité peut-être incita la moqueuse à l'examiner. Et tout
-désir se dissipe en lui. Il se résout à rentrer. Intimement un spleen
-l'abat.
-
-Le possède depuis quelque temps un besoin de femme, pas un besoin
-charnel, mais une envie de frôler des jupes, de laisser, en une
-infiniment douce caresse, ses lèvres effleurer l'odorant duveteux d'un
-épiderme de blonde, de sentir sous ses doigts l'incurve et plastique
-roideur du corset, à travers la soie.
-
-Le manque de cette satisfaction le rend veule, presque malade. Davantage
-l'obsède son scepticisme. Il s'échafaude en la cervelle des plaidoiries
-également probantes pour des principes contradictoires. Des dégoûts lui
-affluent. Il prévoit tout à l'heure, chez Sylvain, devant l'absinthe,
-ses camarades nantis de raisonnements pareils. On déversera sans trêve
-de pessimistes radotages. Et puis il regagnera son logis en discutant le
-suicide; ou bien, dans quelque boudoir public, il ira s'anuiter et
-accroître, par le contact de chairs urbaines, la regrettance du rêve
-féminin qu'il veut oublier. Rien autre en but. Lassitude d'être.
-
-Au reste, pourquoi ne point tenter cette aventure,--distrayante, qui
-sait? S'arrêterait-il à la crainte d'échouer? Non. L'insuccès dans ce
-genre de tentative indique seulement une erreur sur la minute propice,
-une inaptitude à graduer ses paroles selon l'inintelligence de la femme.
-Aurait-il honte de ne pas réussir là où triomphe la bêtise suprême des
-lieutenants et des coiffeurs?... Le dépit s'en offrirait bizarre à
-étudier sur soi.
-
-Et Paul Doriaste repasse devant elle. Un autre regard le trouble encore.
-Une bestiale envie d'étreindre le surexcite... Il se décide. La pâleur
-lui resserre la peau, son coeur bat; mais comme il s'estime brave de
-l'effort qui l'amène près elle! Il s'assied; et, bien qu'elle feigne une
-complète indifférence, il espère.
-
-Elle demeure toujours immobile, comme malicieuse dans sa pose
-énigmatique. Elle pense,--devine-t-il: S'il se montre impertinent je le
-remettrai à sa place; et s'il n'ose pas c'est un sot. Ce le tracasse
-fort de comprendre cette pensée. Il remarque les dessins de la broderie
-qu'elle achève: une fleur, une étoile, une rosace dans un cercle, et
-puis une fleur, une étoile...; ça recommence ainsi indéfiniment. Un bout
-de jupon frais qui dépasse la robe laisse évoquer le linge de dessous et
-le corps. Oh! si ce teint se retrouve sur la poitrine autour des pointes
-roses, et entrevu par les vides de la guipure!... Et l'odeur chaude qui
-émanera, nourrissante presque. Son minuscule soulier vernis tout plat
-semble ne rien contenir jusque la bouffette de rubans qui lace.
-Par-dessus se courbe un renflement gras, linéaire dans un bas uni et
-violâtre.
-
-Et les lois conventionnelles qui entravent la sincère et brusque
-manifestation de l'amour?... Quels imbéciles préjugés!...
-
-Une balle crasseuse roule vers la chaise de Doriaste. Apparaît le
-propriétaire: un baby, un gnôme bouffi, chancelant, hâve, chevelu de
-jaune clair, et qui fixe le chroniqueur de ses gros yeux lactescents.
-Doriaste ramasse le jouet, car la voisine, tout de suite, a coulé l'oeil
-vers l'enfant. Lui le caresse et lui parle, sûr que l'instinct de
-maternité la tiendra forcément attentive à leur mimique et à leurs
-dires. Il tarabuste l'enfant lourd, ballonné d'étoffe blanche, et dont
-la laideur l'irrite. Il lui serine des inepties que le petit répète
-en bégayant et bavant. Tout à coup le mioche de pleurer à
-sanglots.--«Monsieur, prie-t-elle, mais laissez-le donc;... viens, va!
-mon petit garçon.»
-
-Elle a chanté, cette voix, sur une inflexion parisienne impérieuse,
-donnant la sensation d'avoir été perçue lors de querelles. Et, cependant
-qu'il conduit à la dame le pleurnicheur, il ne trouve rien de spirituel
-à énoncer, tant l'absorbe la désillusion de son ouïe. Au hasard, il
-lâche, avec un espoir de pitoyante réponse:--«Madame, vous aurez sans
-doute plus de chance que moi! je fais pleurer tous ceux que je veux
-aimer...»
-
-Elle sourit, moqueuse.
-
-C'est une grue, juge Doriaste. Le subit intérêt pris à ses paroles
-dénonce l'envie de se livrer; et la façon rapide dont elle l'exprime
-décèle que cette envie lui est coutumière. Il s'enhardit avec, déjà, la
-prévision d'un souper, d'une baignoire de petit théâtre. Justement il
-garde en poche les vingt louis de ses derniers articles. Et, tout en
-calculant la dépense probable de cette fredaine, il conte à la jeune
-femme l'histoire d'une maîtresse suicidée, bien convaincu qu'elle n'y
-veut croire, mais pensant la flatter par la peine qu'il se donne.
-
-Silencieuse, elle essuie de son fin mouchoir les joues de l'enfant, puis
-elle l'embrasse. Doriaste pousse alors un profond soupir tout en
-s'avouant à lui-même cette comédie ridicule. Elle hausse les épaules. Ce
-qui le froisse: elle l'ennuie à la fin avec ses manières! Il débite des
-sottises, soit; mais les femmes sont si nulles. Pour varier il la
-complimente. Il lui déclare comment sa toilette, harmonisée par un art
-dilettante, la désigne l'amie de goût que l'on rêve. Il décline sa
-position sociale, comptant sur ce titre d'homme de lettres pour la
-fasciner. Elle, pâlie un peu, se lève, s'en va.
-
-Ne point s'opposer à son départ? le jeune homme estime excellente cette
-tactique. A la regarder filant parmi la foule badaude, avec sa taille
-svelte qui s'érige hors le gonflement de la jupe, il la trouve plus
-désirable encore et son esprit s'opiniâtre à imaginer tout ce corps sans
-robe, sur un lit. La lumière qui se filtre par la verdure tendre des
-marronniers s'en vient voluter autour de ses formes que la marche
-ondule. Et l'oeil de Doriaste longtemps vise l'épaisse torsade blonde où
-se contourne toute la chevelure qui monte dans le faîtage du chapeau.
-
-Il la suit. Bientôt il marche à côté d'elle et il prie qu'on l'excuse,
-et il proteste que seule une attirance _mystérieuse et invincible_
-l'attache à elle. Comme elle ne répond, gardant l'immutable indifférence
-de ses yeux froids, l'impassibilité de sa peau mate, Doriaste cite son
-nom bien connu et interroge si elle lit quelquefois _le Sphinx_: les
-cinq derniers articles, il les a consacrés à décrire l'image d'elle.
-
-Et elle s'étonne d'entendre sa voix chevroter pendant qu'il dit cela. Et
-ce chevrotement la pénètre, lui secoue le coeur. Subitement, elle
-stationne et déclame cette phrase qu'elle a vue quelque part:
-
---Donnez-moi votre parole d'honneur que vous ne serez que mon ami, rien
-que mon ami.
-
-Au désir d'héroïne dramatique il accède, devenu stupide de bonheur parce
-qu'il la flaire, parce qu'il calque du regard ses formes proches, elle
-consentante. Il ajoute à son serment:
-
---Jusqu'au jour où vous-même m'en relèverez.
-
---Jamais, cela.
-
-La face du chroniqueur s'étire en un sourire triste, amer, incrédule.
-Vers la grille elle reprend sa route. Lui, à mots émus, confesse sa
-présente extase. Muette, elle l'écoute, la bouche gaie, pourtant.
-
-A l'appel de sa main, un cocher blanc dirige près elle son fiacre. Et
-Doriaste:
-
---Laissez-moi vous accompagner.
-
---Non, je ne suis pas libre... je suis mariée.
-
---Quand vous reverrai-je.
-
---Vous avez bien su me trouver; vous le saurez encore, à moins que
-l'oubli...
-
---Oh! non. Me direz-vous comment vous vous appelez, afin que...
-
---Supposez que je m'appelle... Marceline...; oui, Marceline...
-
-Du fiacre où elle s'installe en tapotant ses jupons, elle a pour
-Doriaste un franc regard, très long.
-
-Et la voiture cahote, jaune, par les rosâtres grisailles de la vesprée.
-
-En vain le journaliste espère-t-il qu'elle soulèvera le voile capitonné
-qui ferme le judas dans le panneau du fiacre... Rien.
-
-Marceline? Marceline! songe-t-il, prénom cher à la littérature
-bourgeoise. Le père, il l'imagine ingénieur, ou sous-chef, ou magistrat,
-honnête homme certes, grand lecteur du _Temps_ et des discours
-académiques, et croyant aux destinées du pays. Sans doute il psalmodiait
-le soir, sous la lueur cuivreuse de la lampe, les phrases sentimentales
-de George Sand, devant sa femme, et, par-dessus la nappe, ils se
-serraient la main. A la suite d'une telle lecture Marceline a dû être
-conçue dans un lit d'acajou linceulé de cretonne bleue.
-
-
-II
-
-Premier rendez-vous au concert.
-
-Sur la scène, un violoniste enlève les symphonies de Max Bruch, du
-coude, de la tête, avec des mouvements de lutteur agile; et le gaz
-crûment inonde son habit noir, ses cheveux noirs.
-
-Paul Doriaste se mélancolise à percevoir ces sonorités fuyantes, et qui,
-lentement, reviennent. A son côté, Marceline se serre parmi
-l'entassement d'un public nombreux. Et il la sent très loin de lui comme
-une impassible vision. La rectitude de cette pose où pas une flexion ne
-s'affaisse, le vague de ce regard qui flotte par le lustre, et se fixe
-aux pendeloques que les feux décomposés teintent de lueurs joaillières,
-tout cela semble cacher une âme mystérieuse, intangible. Il lui en veut
-d'avoir accepté ces relations platoniques. Une comédie qu'elle joue là;
-une comédie qui, lui, l'absorbe et l'agace. Voici qu'il n'entend même
-plus Max Bruch. Elle finira, cette femme, par lui tuer le sens
-artistique.
-
-Derrière leurs pupitres, les musiciens s'étagent en face, adossés au
-décor: figures communes, épanouies dans l'évasement des faux-cols; corps
-tassés dans les fracs larges, dans les bosselures des plastrons blancs.
-En bas, les choristes femelles avec les taches claires de leurs
-collerettes sur la terneur minable des corsages. Dans le haut, tout à
-fait, le timbalier s'amplifie en allures pontifiantes, tandis que le
-cymbalier ne cesse de faire reluire son binocle et le replacer sur sa
-face qui sue. Et ce monde s'encastre entre les cuivres énormes,
-s'accoude à l'acajou de contrebasses, s'enrage sous les cordes des
-harpes monumentales. Des toiles peintes et défraîchies, du plafond que
-traverse une ligne d'usure, les torchères saillent, le lustre pend.
-Seules dorures.
-
-Vibre une note isolément, comme le pleur prolongé d'une vierge, et
-Doriaste conquis ne remarque plus rien. La mesure s'active, et
-s'alanguit tout à coup, râle. Comme un sanglot alors, et puis de
-cristallines notes ruissellent, et des notes, et encore. Il en sourd des
-soupirs, des étirances lamentantes, de spasmatiques arpèges. Tantôt
-l'harmonie se pâme humide, s'expire. Puis elle s'élance avec de
-déterminés vouloirs, des violences de rut. Les cordes des violons
-craquent comme des soieries et hocquètent comme des gorges jouissantes.
-D'une accalmie douce, murmurée, surgit une sautillante phrase qui croît.
-Elle domine, triomphe en une impudique danse. De lentes ondulations
-l'enserrent par une spirale qui monte et s'évase. Les dièzes reluisent
-comme des gemmes, des gemmes qui parent une chevelure longue, une
-chevelure qui se dénoue et flotte dans un aboutement de gammes. Et
-s'évoque la toute-puissante femme. Il est une mugissante mesure pour le
-fauve des aisselles, une mesure plane pour le front pur, une note coulée
-pour la gouttelante améthyste qui pendeloque sur le front, deux mesures
-ronflantes pour les seins arrondis; ensuite une rapide infinité de sons
-qui disent tout, décrivent tout et le clament: ce sont les cassures de
-gaze d'or autour des hanches, et le galbe recourbé des bras sur la tête
-qui se renverse, et le poli du ventre avec les mystiques profondeurs du
-nombril, et les yeux, pastilles d'encens où fulgure une minuscule
-étincelle. Le rythme s'exaspère. La Salomé bondit avec un éclat de
-trilles et un scintillement de pierreries. Les croches se dardent comme
-des diamants et se fluidifient en collier comme une rivière d'ambre sur
-la poitrine. Deux notes brèves saillissent comme les escarboucles des
-seins.
-
-Et Paul Doriaste ne perçoit plus que les multiples voluptés d'un corps
-féminin harmonique en danse harmonieuse. Il y voit la nudité de
-Marceline; il se retient pour ne pas l'étreindre. Et, par la salle, les
-bravos croulent, rebondissant sur les banquettes écarlates.
-
---C'est délicieux, émet-elle: toutes ces notes s'épanouissent comme les
-fleurs d'un jardin féerique.
-
-Elle a dû composer cette sentence avec un extrême soin, pendant toute
-une moitié du morceau. Le chroniqueur s'enrage à l'entendre, il se
-contente d'affirmer:
-
---Parfaitement, madame.
-
-Lamoureux, le chef d'orchestre, gravit l'estrade. Il inspecte le public
-à travers la luisance de son binocle, avec un lent tournoiement de sa
-carrure pesante. Levant l'archet, il fait signe.
-
-Du Wagner: le premier acte de _Tristan et Yseult_. La gigantesque rumeur
-d'un océan enfle par les cordes, hurle dans les cuivres, se lamente dans
-les contrebasses, s'écroule avec le choc grave de la grosse caisse, avec
-l'éclatante sonorité des cymbales. Et, par un moutonnement de notes
-minimes, la vague rétrogradante bruisse. Les tonalités énormes et
-balbutiantes de la grande mer s'épanchent dans l'ampleur de cette phrase
-musicale toujours reprise, toujours elle-même et jamais identique. Cela
-institue d'immenses perspectives d'eau verte montuant sous un ciel
-froid, quelque chose de terrifiant et de squameux; et l'inopinée chanson
-du mousse se déverse des hunes pâles: sensation de l'humain infime perdu
-dans l'immensité du large.
-
-Doriaste, très empoigné, abandonne sa rancune contre le béotisme de
-Marceline. Un instant, à peine, le gagne un dédain pour l'écrivaillerie
-sentimentale dont elle copie les piteuses héroïnes. Ailleurs l'emporte
-un rythme.
-
-Fatiguée de s'être tenue si longtemps roide, Marceline fléchit vers le
-dossier de son fauteuil, et un reflet rouge, le reflet d'une tenture de
-loge se pose dans sa pupille bleue. A la contempler, Doriaste ressent un
-nouvel afflux de désirs. Une chaleur parfumée l'imprègne et affadit sa
-rage. Marceline s'affaisse toujours en courbes molles. Il a bientôt de
-sa jupe dans les jambes. Entre sa taille et le dossier du fauteuil il
-glisse la main. Ce lui procure une sensation d'exquis énervement
-effleurer le tissu un peu rêche du corsage. Elle ne bouge, elle ne
-parle, elle ne se meut. Vaniteuse joie du jeune homme qui suppose
-acquiescente cette immobilité. Mais à la fin du morceau, levée
-brusquement, elle profère:
-
---Adieu, par votre faute.
-
-C'est comme un soufflet sur la joue de Doriaste, une leçon qu'elle
-donne. Et tout son mépris pour cette bécasse platonique s'exhale en une
-populacière injure murmurée, qu'il entendit naguère sur le boulevard et
-dont la gouailleuse intonation l'obsède:
-
---Hé va donc, morue!
-
-Jusque la dernière note du concert, il se soûle d'harmonie. Il s'avoue
-soulagé de ne l'avoir plus là, elle.
-
-
-III
-
-Au _Sphinx_, dans la salle de rédaction, Paul Doriaste narre en
-plaisantant son duel du matin.
-
---Mais pas du tout; je sais à peine comment cela se fit. Vergex s'est
-reculé: il avait une grande égratignure là, au biceps. Alors j'ai
-abaissé mon épée.
-
---Et en refrain, une gibelotte délicieuse.
-
---Où ça?
-
---A _la Cascade_, parbleu. Le patron m'a dit qu'il allait faire
-installer une salle de pansement entre la cuisine et les closets. J'ai
-vu le plan.
-
---Il est fumiste ce Doriaste! Et vous êtes amis tout de même.
-
---Je ne pense pas. Nous ne nous saluons plus.
-
-Un monsieur très chauve s'exclame en déposant un journal sur la table
-drapée de vert.
-
---Eh bien, il va être content Caufières.
-
---Le témoin de Vergex? interroge Doriaste.
-
---Lui-même. Je ne sais si c'est une coquille ou une méchanceté de
-Macette, dans le compte rendu de _l'Éclair_ on a supprimé l'_a_ de son
-nom. Voyez.
-
---Cufières, Cufières, ça fait Cu-fier. Elle est mauvaise celle-là.
-
---Du coup, sa maîtresse va le lâcher.
-
---Il a une maîtresse?
-
---Oui, la baronne de Terse. Elle ne lui pardonnera pas ce ridicule.
-
---Il couchait avec?
-
---Dame, une maîtresse?... généralement! Il prenait ses repas chez elle.
-C'est un garçon pratique, ça lui économisait les restaurants.
-
---Ah! il couchait... Eh oui! je suis bête, répond Paul.
-
-Et l'image de Marceline qu'il n'a vue depuis le concert se dresse en sa
-mémoire, vision maligne insaisissable. De ce regret il construit une
-chronique.
-
---Monsieur, vient lui dire le garçon, tandis qu'il achève un paragraphe,
-il y a une dame pour vous dans le salon.
-
-Elle, debout devant une croquade de Forain, et sa toilette sombre
-l'enveloppe de plastiques roideurs.
-
-L'émotion rend Doriaste tout tremblant, et, pour éviter à Marceline
-l'embarras de parler:
-
---Que vous êtes bonne! Vous vous intéressez donc à moi!
-
---J'avais craint qu'il ne vous fût arrivé quelque malheur.
-
---Vous ne m'en voulez plus alors?
-
---Si.
-
-L'humidité profonde de son regard mire le visage du jeune homme.
-
---Je m'en vais, maintenant, dit-elle.
-
---Moi aussi, je m'en vais. Me permettez-vous de vous accompagner?
-
---Oh! non. D'abord je craindrais de vous déranger; et puis, si j'étais
-vue...
-
-Et le ton de ces paroles prouve qu'elle se soumet à lui, repentante. Il
-commande en cachette un coupé de remise. La conversation butine sur des
-banalités vagues; et il exerce son esprit à inventer de quelconques
-traîtrises qui la puissent mettre en ses bras. Ils descendent. Dans la
-rue Drouot étroite, où le monde grouille, elle n'ose s'arrêter longtemps
-pour se défendre de monter en voiture. Près elle un vieux monsieur
-bougonne contre les gens qui obstruent la voie publique. Doriaste,
-doucement, l'amène jusque sur les coussins.
-
---Ce n'est pas bien, fait-elle.
-
-Au capitonnage elle s'adosse, les yeux perdus en quelque infini
-souvenir.
-
-Du duel, il parle. Peu à peu elle lui sert de discrètes exclamations. Il
-invente des détails, il énumère des dangers. Insinuant que le vrai motif
-de cette rencontre n'est pas celui publié par les gazettes, il se pose
-en redresseur de torts, il lâche ses indignations contre la canaillerie
-de _certaines gens_. Puis il se piédestale sceptique, rassasié de vie,
-de choses, d'êtres. Un moment, Marceline lui a rendu ses croyances, les
-bonnes pensées qui retrempent et encouragent. Mais, après son abandon,
-il a requis ce duel, voulant la mort. Sur le terrain, quelque chose,
-subitement, lui prédit qu'elle reviendrait, et il s'est défendu pour
-pouvoir l'aimer, l'adorer, lui poser un baiser.
-
-Elle le laisse prendre si froidement qu'il se reproche l'avoir pris. Et
-cependant il questionne si elle l'aime un peu. Très bas, elle affirme
-«oui». Et sa main, sa longue main gantée se crispe sur les doigts de
-Doriaste.
-
-Devant la maison du chroniqueur le coupé s'arrête. En gentilhomme
-heureux, il donne un louis au cocher; et cette crainte le harcèle: la
-blanchisseuse n'a peut-être point rapporté les serviettes fines.
-
-Mais déjà, dans la lumière blonde du soleil automnal, Marceline
-s'éloigne grave.
-
-Lui murmure: «Ah! non, pas de lapin, ma vieille!» Comme il l'a rejointe,
-comme il la supplie, elle révèle son mari, courageux militaire, officier
-de la Légion d'Honneur. Le tromper serait lâche tant il se confie en
-elle; Paul Doriaste, un galant homme, ne voudrait pas cette forfaiture.
-Toute rose elle s'anime, parlant haut presque. Les grands mots
-«honneur», «paroles engagées», passent entre ses lèvres avec des sons
-sévères, superbes.
-
-Il est convaincu; il l'estime pour ces reproches. Il prévoit vilipendé,
-moqué ce mari, un brave homme. Et c'est en lui une déchirante lutte
-entre son amour paroxysé par le goût du baiser conquis, par les longs
-frôlements en voiture, et l'hésitation à commettre une infamie. Mais
-s'impose l'idée soudaine qu'elle blague peut-être, que tout cela est
-manège pour accroître la valeur de sa défaite. Alors il ruse:
-
---Oui, vous avez raison. Un ange comme vous ne peut pas tromper; et
-pourtant vous m'aimez et je vous aime comme on ne le saurait dire.
-
-L'un l'autre ils se crispent encore leurs mains enlacées; et, de cette
-partielle étreinte, un énervement délicieux jaillit jusqu'au fond de
-lui-même. Elle, pour ne pas pleurer, regarde fixement au loin, devant.
-Rue pâlement ensoleillée; trottoirs gris perle, propres; l'activité
-calme de la grande ville dévale avec les passants muets. Si
-régulièrement palpite le tapage qu'il semble la respiration d'une
-personne saine, et un vent doux caresse la peau, met une légère
-ondulance aux bâches rayées des boutiques. Sur le visage mat de
-Marceline deux larmes qu'elle essuie vite.
-
-Lui, très ému, ne doute pas maintenant que ses protestations ne soient
-sincères. Irrévocablement il l'aime.
-
---Tenez, demande-t-il, je vous jure d'être raisonnable. Mais je voudrais
-vous voir chez moi, Marceline, vous voir une seule fois dans le cadre de
-mon intérieur. Il me semble qu'ensuite votre image y demeurerait
-toujours. Sans cesse je l'y pourrais adorer et je serais heureux. Votre
-souvenir revêtirait auprès de moi une forme plus réelle. Vous seriez
-comme un délicat fantôme, chérie, visible toujours et vous laisseriez
-une ombre parfumée de vous sur les choses que vous auriez touchées. Et
-vous seriez là, jusque ma mort, pour me garantir des désespérances.
-Venez, voulez-vous?
-
-Elle s'arrête de pleurer. Des gens qui marchent la dévisagent avec des
-mines pitoyantes ou ironiques. Elle s'en trouve confuse et se laisse
-conduire.
-
-
-IV
-
-Dans la pièce tendue de mauve, elle s'assied triste. A peine
-effleure-t-il le baiser de Doriaste vers ces lèvres chaudes. Elle se
-laisse enlacer. Ils restent ainsi longtemps sans dire, lui, s'imprégnant
-d'elle. Il songe que cette femme il la doit avoir, que son honneur de
-mâle serait compromis s'il ne manifestait pas sa virilité. Peu à peu, il
-approche son visage de celui de Marceline et multiplie les baisers, de
-minuscules baisers qui pleuvent. Elle s'étire, comme prise d'un malaise
-et vainement se débat sous l'étreinte triomphante. Par saccades sa gorge
-gonfle le drap bleu du corsage. Des tiédeurs en émanent qui pénètrent
-l'amant, font vibrer ses reins et ses entrailles, tendent jusqu'à sa
-gorge, voluptueusement. Elle ne le repousse plus et s'abandonne. Les
-baisers secouent leurs épaules. De la robe dégrafée les seins s'érectent
-et renflent la peau blanche. Il la possède.
-
-Le soleil tamisé par la soie des rideaux épanche une clarté mauve.
-Marceline, les yeux fermés, la bouche tordue, tressaille, et elle brise
-les cordons de ses vêtements et elle force les agrafes. Puis nue
-divinement. Et lui la broie dans son étreinte; il mord ces mâchoires qui
-râlent.
-
-C'est, avec des sanglots, une lutte cruelle de leurs corps, des
-embrassements et des chocs comme s'ils se voulaient confondre jusqu'aux
-moelles. Ils s'aiment infiniment.
-
-Sonnent les argentines heures, rieuses.
-
-Les lèvres de Marceline exhalent une odeur de violette.
-
-Au soir. Un dernier rayon roule dans les ors pâles de la chevelure
-épandue et les membres épars de l'amante s'ombrent d'ambre.
-
-
-V
-
-Tous les jours elle vient chez lui pour aimer.
-
-Et cette liaison se raffine de senteurs discrètes de linge sobrement
-dentellé, sans ostentation de faveurs bleues ou roses.
-
-D'elle, cependant, Paul Doriaste ne possède que l'extérieur; il en
-ignore l'intime psychologie. On dirait qu'elle tâche à paraître une
-créature d'âme banale. Devant les questions qui la sonderaient, elle se
-dérobe et s'efface. Jamais elle ne compte une aventure marquante qui
-permette d'induire une croyance sur son esprit. Surtout elle s'offre
-très bonne. Elle a pour le chroniqueur de simples éloges qui flattent
-délicatement et pour quelques prosateurs modernes qui la délectent,
-elle-même se défend de soutenir une opinion littéraire ou artistique.
-Tout ce qu'il désire, elle l'aime. La vie des boulevards, l'après-midi,
-l'amuse. Aux courses, la correction anglaise des équipages, les gestes
-secs des sportsmen, les faces impassibles des Parisiens cachant des
-angoisses, des joies, des navrances devinables, tout ce luxe de passions
-et de choses la captive. Par contre, lui répugne la semi-familiarité des
-restaurants; elle abhorre ces hommes qui la fixent en mangeant aux
-tables voisines ou crient des théories par pose, pour lui plaire.
-Doriaste et son mari, c'est là, semble-t-il, ses uniques affections.
-
-Le mari de Marceline, un noble de légende. Il fut bénédictin. En 1870 il
-quitta le froc et s'engagea. Par ses relations, par son mérite, il
-atteignit de hauts grades. Elle qui, jusque leur rencontre dans un
-salon, voulait vivre fille, l'aima, l'épousa. Aujourd'hui elle déplore
-ne pas l'avoir accompagné en Afrique. Elle prévoit des catastrophes s'il
-vient à savoir...
-
-Mieux qu'il ne la connaît, Doriaste s'imagine le mari, tant elle en
-parle, et il garde au fond de soi une respectueuse pitié pour le malheur
-de ce noble, qu'il cause.
-
-Maintes fois, la silencieuse Marceline se laisse glisser près Doriaste
-et, toute blanche, la figure encadrée par ses lourds cheveux blonds, à
-genoux sur le velours violet du divan, elle s'immobilise, les yeux
-vagues humant la lumière. Et, dans la pièce mauve, parmi les vieilles
-guipures aux tons fauves, sous les plats de cuivre rouge qui retiennent
-des lueurs dormantes dans leurs ciselures, la jeune femme apparaît à son
-amant comme la frêle réalisation des mystiques donatrices que peint
-Memling dans les panneaux de ses triptyques.
-
-
-VI
-
-Ils vont, calmes de bonheur, parmi la foule active. Au loin, l'Opéra
-assis dans les brumes rosâtres se révèle encore par les dorures qui, de
-place en place, s'irradient. Et la double file des lampadaires en bronze
-s'allonge, s'étrécit dans la perspective crépusculaire.
-
-Paul Doriaste, tout au charme des féminilités frôlantes, s'abandonne au
-bercement vague des réminiscentes rêveries. Contre son coude, le sein de
-sa maîtresse palpite.
-
-Ils doublent l'angle du boulevard. En teintes sobres s'harmonisent le
-miroitement limpide des étalages, les vêtements des promeneurs, les
-feuillages des arbres. Par delà les équipages glissent avec la fuite
-brillante de leurs lanternes, des gourmettes et les luisances noires des
-voitures. Jusqu'aux mors, les steppers arrondissent leurs jambes grêles.
-
---Marceline! clame subitement une voix impérieuse.
-
-Le chroniqueur se retourne. Une colère l'a surpris... Mais, aussitôt, il
-réprime la semonce qu'il voulait servir à l'interrupteur de leur joie.
-Ce monsieur sec, brun, aux moustaches aiguës, ce monsieur ombré d'un
-chapeau gris, sans doute, c'est le mari. Il a pris le bras de la jeune
-femme et, tout bas, il répète:
-
---C'est votre amant, n'est-ce pas?
-
-Et Doriaste sort à peine de son angoisse hébétée pour livrer sa carte en
-échange de celle offerte.
-
-Et puis Marceline jetée dans une voiture; le monsieur parlant au cocher,
-s'installant, reclaquant la portière; et le fiacre perdu dans
-l'enchevêtrement des fiacres; le chapeau blanc du cocher perçu seul
-longtemps encore, jusque là-bas, dans le fouillis des fouets minces.
-
-
-VII
-
-En la bienheureuse caresse des draps frais, Doriaste repose ses membres
-raidis par trois heures successives d'escrime. La clarté discrète qui
-choit de la veilleuse en verre bleu, pose sur le divan où gît la chemise
-de soie qu'il endossera demain matin pour se battre. Des mélancoliques
-lueurs.
-
-Et il vérifie par mémoire s'il n'oublia aucune des courses à faire dans
-cette circonstance, des emplettes. Cette affaire lui coûtera encore cent
-francs. Ses calculs, qu'il les fasse et refasse, atteignent
-inévitablement ce total.
-
-Jusque la fin du mois il sera contraint à vivre chichement. En somme, il
-dépensa beaucoup pour cette liaison: dîners et fleurs, parties de
-campagnes et théâtres, voyages et voitures de remise, duel. Il eût à ce
-prix entretenu trois grisettes pendant le même nombre de semaines. Mais
-que d'heures exquises passées avec elle, si aimante et si douce! Elle
-doit bien souffrir en ce moment aux amers reproches de son mari. Cette
-supposition l'attendrit: toute la journée il y songea tristement.
-Marceline s'évoque en visions délicieuses de charme et de bonté; et ces
-visions se dissipent et renaissent... Ou bien, qui sait, peut-être, la
-finaude a-t-elle déjà reconquis l'époux, et lui la supplie-t-il, en
-larmoyant, de l'aimer. Car elle est forte en volonté, même son amant,
-jamais ne put connaître ce qu'elle pensait...
-
-Si le mari le blesse elle aimera davantage celui qui aura _versé son
-sang pour elle_: et la charmeuse blonde s'exaltera en faveur de la
-victime. N'est-ce pas un premier duel et son auréole de bravoure qui la
-conquit. Au contraire, s'il blesse le mari, elle l'aimera pour son
-triomphe. Oh! la logique des femmes, comme il la connaît.
-
-Machinalement, sous les couvertures, il refait du poignet, du pouce, les
-feintes apprises. Sans doute l'adversaire aura le jeu sec de l'armée et
-l'épée théorique. Par ce dégagé il lui joindra la poitrine, le ventre
-par cet autre. Et s'il commet la sottise de se découvrir par un coupé,
-on lui ménage certaine riposte...
-
-Puis, défile le rappel de ses combats d'honneur, Cluseret faillit le
-transpercer il y a deux ans... Si le mari de Marceline le tuait? Non,
-c'est une chose rare ces accidents. D'ailleurs, il aura mené joyeuse vie
-ces cinq dernières années. Que de maîtresses, mes enfants, que de cocus
-et quelles noces!...
-
-La mort? Le nirvana sans doute, le complet repos des phénomènes. Ou,
-avenir terrifiant, une multitude de petites existences, d'êtres
-minuscules qui naissent de la décomposition; et la mort ce sera la vie
-infiniment multiple, avec toutes les douleurs, atténuées pourtant, et
-mises au point psychologique de ces larves. Quelle destinée: des joies
-et des désespoirs de microbes!
-
-La mort, est-ce la négation absolue? L'inconcevable, alors? Car, si
-l'absolu se pouvait concevoir, il s'établirait un rapport entre lui et
-le concevant, c'est-à-dire que l'absolu serait relatif, proposition
-contradictoire. Oh! stupidité immense des hommes.
-
-Penser que la philosophie officielle raisonne encore dans son ineptie
-béate, sur l'absolu inconnaissable...
-
-Sonne deux fois le cartel. Il reste encore quatre heures à dormir; et le
-sommeil s'impose absolument nécessaire pour se trouver dispos le matin.
-Au reste, il est très calme, très brave. Une dernière fois Doriaste mime
-dans le vide la botte sur laquelle il compte. Il s'y peut fier
-décidément, et, comme il ne se découvre jamais...
-
-Et il s'estime un très chic type: des amours, des duels, du talent et
-une complète indifférence pour les hochets de gloire.
-
-
-VIII
-
-Longchamps, le matin. La pluie striant de rayures fragmentées l'enfilade
-des tribunes vides. Et la pelouse pâlotte. Doriaste éprouve son épée. Le
-mari enlève ses manchettes et, fébrile, ne parvient pas à boutonner son
-gant. Il dut souffrir affreusement, ce noble. Ses yeux paraissent
-glauques; ses cheveux gris sont tout ébouriffés et, dans sa figure, les
-rides frissonnent.
-
-Le jeune homme remarque qu'il le gêne à l'examiner ainsi. Lui-même se
-sent très vigoureux, un robuste mâle, et il se compare en soi aux héros
-écossais de Walter Scott; et son épée, il la nomme muettement claymore.
-Puis, tout entier, l'accapare le soin de prévoir quelles seront les
-premières passes. Et les préparatifs ne se terminent pas. Les témoins
-causent sans agir.
-
-Un léger malaise lui resserre les entrailles et la gorge. Alors, pour se
-distraire d'appréhensions vagues qui, subrepticement, l'envahissent, il
-s'intéresse aux passants matineux, groupés proche. Il y a un garçon
-boucher robuste, les hanches enveloppées de toiles sanglantes, la tête
-fixe sous une corbeille grasse. Un hussard, en petite tenue, maintient,
-par le licol, deux chevaux dont les yeux noirs roulent inquiètement. Sur
-la route, près le moulin, un maraîcher arrête sa voiture et le vent
-souffle dans sa blouse que brunit l'averse. Et les témoins:--Allez,
-messieurs!
-
-La figure verdâtre du noble perçue à travers le très rapide cliquetis
-des armes. Et sa lame qui, sans cesse se dérobe, et repasse, et remonte,
-menaçante, et vue seulement par un reflet mince qui vire.
-
-Doriaste s'encolère impatiemment; son amour-propre se blesse à chacune
-de ses bottes parée. La sensation d'un coup violent et froid dans le
-coeur. Et les tribunes accourent tournoyantes pour l'écraser. Et du
-noir. Plus rien, sinon une morsure à gauche. Naît un calme doux. Vers
-l'infini, une lueur pâlotte, fulgure, diminue, s'éteint.
-
-
-IX
-
-... Dans _le Sphinx_, l'article de première colonne intitulé: _Paul
-Doriaste_, est encadré de noir.
-
-
-
-
-LE LÉVRIER
-
-
-I
-
-Depuis la mort de son mari,--il y aura un an vienne la vendange,--la
-comtesse Diane de Gorde vivait solitaire et inconsolée dans le vieux
-château tristement assis au bord de l'étang. Servie par des domestiques
-taciturnes, assistée par son confesseur qui lui prêchait, mais en vain,
-la résignation évangélique, elle passait sa vie à pleurer son bonheur
-irrévocablement évanoui, le coeur percé de sept glaives.
-
-De haute lignée et d'une beauté fine de pastel ancien, elle s'était
-mariée un peu tardivement, à vingt-quatre ans, au comte de Gorde, beau
-jeune homme d'une trentaine d'années, galant à la mode exquise
-d'autrefois, amateur enragé de vénerie, vrai gentilhomme français et
-point anglomane. Courtisée plus que toute autre, à cause de son rang et
-de sa beauté, la comtesse de Gorde sut par un tact subtil et une
-conduite irréprochable décourager la fatuité des hommes et désarmer la
-médisance des femmes.
-
-Elle ne cachait pourtant pas, la belle Diane, sous sa gorge divinement
-moulée, la glaciale indifférence pour les amoureuses extases, de son
-homonyme l'antique chasseresse. Se sentant du sang de bacchide dans les
-veines et trop d'orgueil et de dévotion dans l'âme pour se salir
-d'adultère, elle préféra tuer littéralement son mari par ses caresses
-inexorables. Ce fut pendant cinq ans une vie d'affres et de délices: les
-flambeaux de l'amour brûlèrent jusques à la torchère autour d'un
-catafalque. Elle le regarda s'éteindre, le coeur ulcéré de remords, mais
-impuissante à commander à la rébellion de ses sens. Et lui, déjà touché
-par la mort, il revenait encore, un mélancolique sourire sur ses lèvres
-pâlies et du bonheur au fond de ses yeux agrandis par la fièvre, il
-revenait, encore et toujours, respirer les lys de ce corps de déesse,
-ces lys plus mortels que la fleur du mancenillier. Ainsi par un
-crépuscule d'automne, comme les feuilles mortes commençaient à tournoyer
-le long des boulingrins jaunis, il rendit l'âme dans un dernier baiser.
-
-
-II
-
-Pendant les premiers mois qui suivirent la mort du comte, le désespoir
-de Diane fut tel qu'on eut à craindre pour sa raison. Peu à peu pourtant
-sa douleur s'apaisa, et une prostration muette suivit l'exaltation
-délirante. Avec l'accalmie relative des regrets, la nature reprit ses
-droits: l'exaspérée fermentation des lancinants désirs se mit à battre
-de nouveau dans ses veines de femme _chaude_, ses nuits furent hantées
-par de hideux cauchemars que d'exténuantes mortifications monastiques ne
-parvinrent pas à exorciser. Souvent, réveillée en sursaut, en butte à
-des tentations hallucinantes, elle tombait à genoux devant la niche de
-la Madone, implorant, avec des sanglots, l'absolution de l'inconsciente
-frénésie qui lui brûlait le sang, ou bien encore, après avoir erré comme
-une apparition désolée par les sombres corridors du château, elle
-passait la nuit jusqu'aux premiers rosissements de l'aube, dans le large
-périptère ouvert sur l'étang où pleurent les sarcelles, debout, son
-front fiévreux contre le marbre des colonnades, aspirant avec avidité le
-vent chargé de brume. Honteuse, elle se surprenait à convoiter les bras
-musculeux des jardiniers ou les mollets charnus des valets de chambre.
-Parfois, elle pensait aussi à se remarier. Alors un fantôme connu, très
-pâle, avec un doux sourire plein de reproches, se dressait devant ses
-yeux épouvantés, pour lui rappeler qu'elle lui avait juré à son lit de
-mort de ne jamais laisser souiller sa couche par un autre homme.
-
-Ainsi, l'oeil cerclé de bistre, le facies torturé par de névriques
-spasmes, elle languissait et s'étiolait, cette Mimalone condamnée au
-célibat par un serment irrévocable.
-
-
-III
-
-C'était par un après-midi de la fin-printemps. Le ciel, dans la chaleur
-torride, semblait une fournaise chauffée à blanc; les libellules
-maraudaient par les nymphéas des eaux figées, les nids s'égosillaient
-dans les claires frondaisons; une langueur amoureuse passait dans l'air
-alourdi.
-
-La comtesse Diane, mélancoliquement accoudée à sa fenêtre, laissait
-errer ses regards distraits par la campagne verte. Soudain une scène
-inopinée attira son attention. Derrière un buisson bas de caryophylées,
-Tom et Giselle, ses lévriers favoris, se copulaient librement au soleil.
-
-La comtesse ferma la fenêtre et rentra rêveuse.
-
-Depuis ce jour-là, Tom, le beau lévrier d'Écosse, gorgé de friandises,
-ne quitte plus sa maîtresse. Diane a presque repris ses fraîches
-couleurs d'autrefois. Et, lorsqu'elle va, deux fois par jour, orner de
-thyrses de roses blanches la tombe de son mari, elle s'agenouille et
-prie, en répétant avec conviction: «Je jure que jamais un autre homme ne
-souillera notre couche.»
-
-
-
-
-_Deuxième Soirée_
-
-
-
-
-_La Haye gris de perle où se fondent les façades closes. Poudroye au
-zénith la blanche incandescence d'un soleil pierrot. A travers les
-mirances du lac, coeur de la ville, les maisons doublées à pic se
-fusèlent vers les aqueuses profondeurs._
-
-_Casqué de cuir, la face ronde, bistre et rase, sauf l'unique barbiche
-en pinceau, un pêcheur offre aux replètes boutiquières des phoques
-vivants. Et dans les mannes qu'il désigne, c'est d'huileuses luisances
-sur les bêtes oblongues, sur leur pelage de souris, et de petits yeux
-doux qui s'effarent, et de félines moustaches._
-
-_Au fond du landau pers se ploye Miranda gisante, songeuse: des formes
-graciles, insexuées. Elle laisse pendre au dehors une de ses mains haut
-gantées de chamois; l'autre effile l'ultime mèche de sa natte blonde,
-blonde ainsi que du chanvre nouvellement roui. Et la natte épaisse lui
-sinue près le cou, près l'oreille exsangue, minuscule, où pas un bijou
-ne se darde. Mais deux saphirs agrafent le col roide de sa robe en
-peluche couleur de fer. Et, aux cassures des plis, l'étoffe émet des
-lueurs de clair acier. Ce qui la sertit comme d'une armure jusque son
-énigmatique visage éburnéen. N'apparaissent point ses pieds sous la peau
-d'ours brun qui, depuis les genoux, la couvre._
-
-_Hors la ville. Les juvéniles bouleaux s'érigent blancs sur le tapis
-roux des pelouses. Un feuillage poudrederizé qui de haut, coquettement,
-et semble voir, et frissonne. Comme un boudoir aux multiples colonnes
-blanches, aux moquettes rousses. Sans oiseaux. Silencieusement._
-
-_Dedans. Le Vyverberg. Ses arbres massifs qu'unissent les branches
-touffues. Le soleil s'y tamise, choit, macule le sol de taches
-violettes, d'un violet violet si peu, mauve presque. Et les maisons
-rougeâtres regardent par les châssis de leurs fenêtres blanches ainsi
-que par des yeux quadrangulaires, des yeux de statue, sans pupilles._
-
-_Sous une vitrine de musée, les émaux de Limoges et leur électrique
-blafardise, et leurs ciels orageux aux tons d'encre écrasée; plus loin,
-la canne d'un historique monsieur avec pomme en porcelaine de Saxe._
-
-_De Rembrandt: un rayon saure qui glisse dans un temple fantastiquement
-brun, un rayon saure où se lève la main du grand prêtre en dalmatique
-d'orfroi, où paraît la Vierge en habit d'azur, et Siméon qui offre un
-Jésus chair, et saint Joseph porteur de colombes._
-
-_Les dunes. De montueuses ondulances blondissantes; accroupies et rondes
-comme les croupes d'un bétail gras; et pressées en un grand troupeau;
-innombrables._
-
-_La mer. L'immense nue; et qui bave. Dans sa peau d'argent des madrures
-s'étalent émeraude, comme des prés; où parfois surgissent des crêtes
-savonneuses qui vont et s'épanchent._
-
-_Et par-dessus s'incurve le firmament, la toujours incommencée page
-blanche._
-
-_Miranda descend. Aux bras de ses chers initiés elle s'appuye et ses
-lèvres rosâtres sourient à la fraîcheur bruissante de l'air; et ses
-sourcils broussailleux, pâles, se froncent à la gifle salée de l'embrun.
-Elle dit. Sa voix de l'Ailleurs, très basse, domine la grondante mer._
-
-_«--Il me plaît que ci nous seyons et que nos yeux se prélassent à
-contempler cette bouillonnante folle qui veut sortir toujours
-d'elle-même, s'efforce et ne peut... l'humaine! tandis que vous me lirez
-des contes dans le blanc Eucologe. Voici que je vous ai conviés à la
-symphonie des septentrionales blancheurs.»_
-
-_Et c'est la transfiguration blanche des choses. Un illuminement s'élève
-à l'extrême limite des flots; et il s'épand. En toutes les teintes il
-s'immisce et transparaît. Même les brumes gris de perle, vers la ville,
-il les gouache de blancheurs lactescentes. L'écume des vagues semble des
-éclaboussures de craie, et des lueurs blanches se glissent aux flancs
-rebondis des barques goudronnées, aux rondeurs des vergues et des mâts.
-Elles posent lourdes sur les cornettes empesées des matelotes; elles
-ternissent l'argent qui brille au loin étendu sur la nappe de mer
-ensoleillée._
-
-_Parmi les maisonnettes de plaisance construites en bois dans les dunes
-et dont les maigres jardinets s'étiolent derrière les paillassons qui
-les protègent des sables, il se présente une demeure basse, à
-péristyle._
-
-_Miranda pousse la barrière de bronze ouvragé, et aux fleurs
-marcescentes du minuscule parterre elle laisse un pitoyant regard._
-
-_L'intérieur de l'unique salle tout en sapin vernis qui mire comme une
-laque. Miroir froid et sombre, aux perspectives crépusculaires où
-s'étrécissent les profils des êtres._
-
-_Des fourrures blanches, blanches et grises de monstres polaires cachent
-le plancher. Les pas y plongent. Une portière de velours blanc lamé
-d'argent tombe et se plisse pleine d'ombres bleuissantes._
-
-_Du côté de la mer ce n'est qu'une glace sans tain encadrée de soie
-neige. Et sur des tréteaux de sapin vernis, des fourrures encore, des
-lits de fourrure pour le repos._
-
-_Miranda retire ses gants qui tombent ainsi que des oiseaux tués; et
-gisent._
-
-
-
-
-LA FAËNZA
-
-
-I
-
-Elle se faisait appeler, dans le monde de la haute noce, du nom
-italianisant de la Faënza, à cause de son teint qui semblait bruni par
-le soleil de Naples et de ses larges prunelles noires qui vous
-assassinaient, au coin des carrefours, comme des escopettes dans les
-fourrés des Abruzzes. Elle était née pourtant dans le département de
-l'Indre-et-Loire, où on la maria âgée de seize ans à peine à un certain
-Verdal, avoué honorable et quinquagénaire, qui la laissa, au bout de
-quatorze mois de mariage, veuve avec un petit garçon sur les bras et
-dans une situation de fortune très problématique. Quelque temps après,
-lasse de cette vie de province triste et monotone, hantée par des rêves
-de luxe et de jouissances faciles, elle se laissa emmener à Paris par un
-sous-préfet dégommé, qui bientôt l'abandonna pour épouser la fille d'un
-riche marchand de la rue du Sentier.
-
-Comme ses vingt ans venaient d'éclore, que ses grands yeux piquants
-emportaient le coeur, que sa chevelure, sans lui battre les talons, lui
-devait bien descendre plus bas que les hanches qu'elle avait rondes et
-dansantes, les occasions de jeter le peu de bonnet qui lui restait
-par-dessus les cabarets à la mode, ne lui manquèrent pas. Elle fut tout
-de suite cotée très haut à la Bourse de la galanterie, et les
-respectables baronnes, qui font si fructueusement la traite des blanches
-au nez et à la barbe de la police, lui proposèrent des affaires d'or.
-Bientôt tout pacha fuyant la pendaison, tout boyard en train de manger
-ses terres, tout rastaquouère et tout philosophe du tapis vert ayant
-quelques prétentions au respect de ses contemporains, brigua l'honneur
-de déposer des poignées de louis sur le marbre rose de la cheminée de sa
-chambre à coucher. Elle eut son hôtel tout comme une actrice à _onze
-cents_ francs d'appointements, des valets en culotte courte et des
-cochers d'une obésité invraisemblable.
-
-Alors commença pour la belle Faënza une période de splendeur qui dura
-plus de dix ans. Ce fut l'histoire banale de toute jolie fille tombée
-sur le pavé parisien avec très peu de scrupules et beaucoup de poitrine.
-Elle eut des toilettes ruineuses, des chapeaux extravagants, des étoffes
-orientales à faire loucher un shah, dans son salon, et dans son boudoir,
-des glaces de Venise bordées de pierreries pour y admirer la chute
-majestueuse de ses reins. Elle eut même de l'esprit, de cet esprit
-soi-disant parisien qu'on trouve en suçant des écrevisses dans
-l'atmosphère fade des cabinets particuliers. Les jeunes pschutteux,
-avides de gagner leurs éperons, et les vieux viveurs, jaloux de leur
-renommée conquise, se disputaient la gloire de payer ses notes de
-couturier, ses villas à Nice et ses cottages en Normandie. Bref, au
-milieu de toutes ces griseries de la victoire, elle doubla, sans s'en
-douter, l'époque lamentable des rides opiniâtres, des dents branlantes,
-et des cheveux qui s'en vont tristes comme les feuilles d'automne. A
-vrai dire, elle avait pleinement le droit de ne pas s'en douter, car,
-malgré ses trente-quatre ans, sa peau était parfaitement lisse et
-marmoréenne, ses dents d'une blancheur insolente, et, de sa charmante
-tête de vierge du Giorgione, tombaient des cascades de cheveux capables
-de défier les peignes les plus meurtriers.
-
-On se souvient que la Faënza avait un fils de son mariage. Cet enfant
-fut élevé par une vieille tante. Sa mère le vit une seule fois à l'âge
-de huit ans, puis elle ne s'occupa de lui que pour envoyer quelque
-argent et des lettres pleines de cette fausse sentimentalité commune aux
-filles. La vieille tante, voulant cacher au fils la conduite de sa mère,
-l'avait fait engager dans un régiment d'Afrique, où il était à dix-neuf
-ans sous-officier. S'étant distingué lors de la dernière insurrection,
-il obtint la médaille militaire, mais par malheur ses blessures
-l'obligèrent de quitter l'armée. A cette nouvelle, la Faënza se sentit
-prise d'une subite et incommensurable tendresse maternelle, et elle
-résolut de renoncer aux douceurs de l'amour salarié pour consacrer le
-reste de son existence au bonheur de cet enfant abandonné. Après avoir
-vendu son hôtel, ses bijoux et ses attelages, elle se retira, en
-Touraine, dans une propriété offerte jadis par un député de la droite.
-Voilà comment la belle Faënza redevint Madame Verdal, veuve d'un honnête
-avoué, mère de famille exemplaire, dame pieuse et charitable.
-
-
-II
-
-Philippe était un beau jeune homme de dix-neuf à vingt ans, à la
-moustache fine, avec une taille de demoiselle, et des yeux de colombe.
-Ne se doutant guère du passé de sa mère, qui inventa mille ingénieux
-mensonges pour lui expliquer leur trop longue séparation, il se mit à
-l'adorer avec toute l'ardeur d'un coeur resté fermé jusque-là aux
-expansions familiales. La Faënza, de son côté, était littéralement folle
-de son fils, de son beau Philippe.
-
-La propriété où l'ancienne courtisane résolut d'expier ses péchés
-mignons était une charmante villa aux contrevents verts autour desquels
-couraient comme des reptiles les volubilis et les capucines au calice
-sanglant. Un petit bois croissant à l'aventure l'enveloppait du mystère
-exquis de ses ombres fuyantes. Dans le recoin le plus obscur, sous le
-parasol d'un grand polonia, les gazouillis des piverts se mêlaient au
-tintement de l'eau que l'urne d'une nymphe versait dans le petit bassin
-de marbre rongé de mousse et de jaunes lichens.
-
-La mère et le fils menaient là depuis plusieurs mois une vie douce et
-paisible. Ils avaient l'un pour l'autre des petits soins frisant parfois
-le ridicule, des tendresses excessives entrecoupées de feintises de
-bouderie. La Faënza avait complétement oublié son existence d'autrefois:
-les tribunes des courses et les baignoires des petits théâtres, les
-cavalcades dans les Pyrénées et les parties de yacht à Trouville, les
-grands dîners dans son splendide hôtel du parc Monceau, et les petits
-soupers au cabaret, où les carafes de champagne et les chartreuses de
-toutes couleurs rendaient les inénarrables boudinés plus bêtes que
-nature. Elle avait même fini par se figurer très sincèrement avoir été
-toute sa vie une sainte femme.
-
-Cependant, malgré toute leur tendresse mutuelle, l'intimité, cette
-intimité franche et pleine d'abandon, entre la mère qui a fessé son
-enfant et l'enfant grandi sous les jupes de sa mère, ne venait pas. Et
-c'était naturel. La Faënza avait vu son fils, depuis sa fugue avec le
-sous-préfet, une seule fois comme on sait, à une époque où l'enfant
-n'était encore qu'un moutard. Elle le revoyait tout à coup grand jeune
-homme avec des moustaches terribles et une balafre martiale sur la
-tempe. Pour le fils, la mère était une étrangère, on aurait pu dire
-qu'il la voyait pour la première fois. Après cela, on s'expliquera
-facilement pourquoi se surprenaient-ils par moment à se dire _vous_, à
-avoir dans leurs relations des réserves incompréhensibles et des
-politesses inutiles.
-
-Madame Verdal avait dépouillé la Faënza, l'hétaïre était définitivement
-morte en elle. Sa toilette fut sévère: des robes de soie noire avec
-garniture de jais. Très peu de bagues et des boucles d'oreille d'une
-ravissante modestie. Elle adopta pour coiffure les bandeaux plats et eut
-pour tout fard l'honnête poudre de riz. Avec une pareille conduite et
-des rentes très sérieuses, on s'imagine que les voisins de campagne ne
-pouvaient pas lui refuser leur estime.
-
-Parmi les belles relations de l'ex-courtisane, il faut placer, au
-premier rang, la famille Mouflet, composée du papa Évariste Mouflet,
-ancien notaire, provincial insipide atteint d'une manie incurable de
-calembredaine; de la maman Olympe, femme honnête et respectée, qui
-n'avait eu pour amant que les trois ou quatre clercs de son mari, et de
-leurs trois filles, pas mal tournées, ma foi, pour des filles de
-notaire.
-
-Mademoiselle Clémentine surtout, l'aînée du couple Mouflet, eût été même
-fort bien de sa gracile personne, sans ces odieuses robes de vigogne
-caca d'oie sorties de la boutique de quelque Worth de sous-préfecture.
-Deux grands yeux effarés sous un casque de cheveux d'un châtain
-convenable; avec ça, une gorge de dix-sept ans qui avait l'air de
-vouloir tenir ses promesses.
-
-L'ex-courtisane et la famille du notaire allèrent souvent les uns chez
-les autres pour prendre des tasses de thé, jouer aux jeux innocents et
-fausser quelques airs d'opéra sur des pianos plus ou moins mal accordés.
-Philippe, qui n'avait pas appris à être difficile en matière de toilette
-dans ses chasses au Kroumir, trouvait fort à son goût la robe vigogne de
-Mademoiselle Clémentine, tout en lui préférant les trésors qu'elle
-cachait. Mademoiselle Clémentine, de son côté, ne se sentait pas une
-insurmontable aversion pour les moustaches brunes. Inutile de dire que
-le couple Mouflet découvrait tous les jours de nouvelles qualités au
-fils unique d'une mère jouissant d'une rente de cinquante mille livres.
-On se faisait donc la cour honnêtement, sous les yeux de la Faënza, qui
-ne se doutait de rien.
-
-Un soir de juillet, la famille Mouflet se trouvait réunie au grand
-complet, dans la salle à manger de l'ex-courtisane. Après quelques
-polkas tapotées par la cadette et des propos oiseusement échangés, le
-tabellion proposa, vu la chaleur insupportable de l'atmosphère, une
-flânerie sous les frondaisons rafraîchissantes du jardin. Toute la
-société accepta avec empressement.
-
-La soirée était superbe. La pleine lune brillait comme un louis d'or
-fantastique dans un ciel sans nuages. Ils se dispersèrent par les allées
-où s'allumaient parfois, dans la mousse, des vers luisants.
-
-La Faënza cherchait son fils depuis quelques minutes, lorsqu'elle crut
-distinguer dans le recoin le plus sombre du jardin, sur un banc de
-pierre, deux ombres enlacées. Elle s'arrêta, aux aguets. On aurait dit
-vraiment qu'un bruit de baisers se mêlait au clapotis de l'eau tombant
-dans les vasques de marbre. Retenant son souffle, elle avança jusqu'au
-banc de pierre, derrière une haie de rosiers rouges. Son fils Philippe
-était en train de murmurer les choses les plus douces à l'oreille de
-Mademoiselle Clémentine.
-
-Alors un sentiment étrange envahit le coeur de l'ex-courtisane; elle eut
-un moment de vertige, puis ses prunelles se dilatèrent et, suffoquée de
-colère, se dressant de toute sa hauteur devant les pauvres amoureux
-complètement ahuris, elle apostropha Mademoiselle Mouflet en des termes
-virulents:
-
---Elle était vraiment bête pour ne pas s'être aperçue depuis longtemps
-qu'on venait là pour lui voler son fils. Avec ça qu'elle donnerait son
-argent pour nourrir un notaire taré et ses traînées de filles. Et la
-mère Mouflet donc, une pas grand'chose qui couchait avec ses
-domestiques! Tout le monde le savait dans le pays. Ils feraient bien
-tous ces panés de ne plus mettre le pied chez elle, elle les flanquerait
-à la porte à coups de balai...
-
-S'oubliant complétement dans sa colère, Madame Verdal redevint la
-cascadeuse d'autrefois et accabla la famille Mouflet accourue au bruit
-de la dispute des plus ordurières invectives.
-
-M. Mouflet emmena sa femme et ses filles mortes de peur, après avoir
-répondu par une tirade indignée.
-
-Philippe se tenait debout, les yeux hagards, ne comprenant pas.
-
-La Faënza rentra chez elle dans un état d'exaspération indescriptible.
-Elle pleura, sanglota, se roula sur le tapis, la bave aux dents. Puis,
-se levant soudain, elle se mit à embrasser son fils à pleine lèvre, en
-riant comme une folle.
-
-
-III
-
-Après une bouderie de quelques jours la mère et le fils se
-réconcilièrent avec un regain de tendresse. Et ce furent tous les jours
-de longues promenades à travers champs d'où l'on revenait pareils à des
-amoureux de la veille, avec des touffes de genêts plein les mains. Le
-matin, ils partaient des heures entières à cheval, sous bois, et le soir
-par les clairs de lune romantiques, ils allaient rayer en canot les eaux
-calmes d'un étang voisin. Chose curieuse! Depuis l'aventure du jardin,
-un changement notable s'opéra dans les habitudes de la Faënza. Brisant
-avec l'attitude sévère adoptée depuis sa conversion, elle jeta aux
-orties le froc inélégant de la femme honnête pour arborer de nouveau les
-étoffes ruineuses aux couleurs voyantes, les chapeaux aux plumes
-d'autruche et les gants de peau de daim très montants. Les bijoux dont
-elle n'avait pas voulu se défaire, furent retirés de leurs écrins de
-velours grenat pour parer ces mains longues et fines et son cou royal.
-La poudre de riz ne suffisant plus à son embellissement, elle s'est
-souvenue des fards subtils et des aromates précieux qui donnent la
-jeunesse. Elle eut des soins particuliers pour la toilette des dessous
-dont elle savait toutes les perfidies: des dentelles anciennes sur des
-chemises de soie, des bas rose pâle à bouffettes où les diamants dardent
-les feux de leurs facettes. Le mobilier modeste de sa chambre à coucher
-et de son boudoir fut complétement changé. Se ressouvenant du faste
-excitant de son alcôve de courtisane, elle s'entoura de meubles bas et
-moelleux qui enlacent comme des bras voluptueux, de tissus syriens, de
-tapis de Karamanie et de peaux mouchetées de tigre où frétillent les
-pieds nus tendus aux baisers vibrants. Des parfums brûlèrent
-continuellement dans des cassolettes aux riches ciselures et des
-brassées de roses blanches mêlèrent leur dernier souffle aux tiédeurs
-des troncs d'arbres crépitant dans la haute cheminée.
-
-La toilette de son fils l'occupait aussi énormément. Elle disait: ça
-n'est pas chic, ou, ça t'habille bien; cette redingote fait des plis
-dans le dos, ou, ce veston te sangle bien. Elle lui faisait la raie et
-lui passait ses moustaches au cosmétique tout comme à ses amants de
-coeur du temps qu'elle était entretenue par des financiers obèses.
-
-Parfois, le soir à des heures indues, elle l'appelait dans sa chambre à
-coucher, et là, aux clartés vacillantes des bougies roses, son corps
-sculptural à peine abrité par la chemise de batiste aux échancrures
-hardies, se campant d'aplomb devant la haute glace de son armoire en
-bois des îles et faisant saillir ses seins éblouissants et la courbe
-insolente de ses reins de statue elle disait à son fils, avec des
-regards incitants:
-
---N'est-ce pas que je suis belle encore! N'est-ce pas que tu serais fou
-de moi si je n'étais pas ta mère?
-
-Puis elle riait aux éclats en faisant scintiller la splendeur éburnéenne
-de ses dents de fauve. Nonchalante, enlaçante, onduleuse et féline, elle
-venait s'asseoir sur les genoux de Philippe, qui, la rougeur au front et
-de la luxure inconsciente dans l'oeil, osait à peine la regarder. Après
-avoir pendant quelques minutes tortillé les moustaches de son fils,
-baisé ses lèvres pâlies et ses cheveux soigneusement calamistrés, elle
-se roulait sur la peau de tigre qui lui servait de descente de lit,
-croquait quelques biscuits, vidait d'un trait un verre de porto, puis
-d'un bond de gazelle s'élançant sous les draps bordés de points
-d'Angleterre, elle fermait délicieusement ses paupières lisses aux cils
-longs et frisottants, disant avec un léger remuement de lèvres:
-
---Allez vous coucher, monsieur, il est tard et j'ai sommeil!
-
-Quant au pauvre petit coeur de Philippe et à ses nerfs révoltés, leur
-tranquillité était définitivement troublée. Il partait souvent, avant
-l'aurore, sur des chevaux rétifs, par les plaines, sans trop savoir le
-but de ses courses aventureuses, ou il allait tirer les canards sauvages
-pendant des journées entières dans des marais typhoïdes. Inquiet,
-fantasque et irritable, il cherchait depuis quelque temps des motifs
-ridicules de fâcherie à sa mère, disant que cette vie d'oisiveté
-finissait par l'exaspérer, que c'était honteux pour un jeune homme de
-son âge, qu'il retournerait au régiment _pour sûr_! Puis, c'étaient des
-scènes attendrissantes, des larmes, des pardons implorés, des
-protestations d'amour filial suivis de longues caresses et de baisers
-pâmés sur la bouche.
-
-
-IV
-
-Ce jour-là, ils avaient dîné--une fantaisie de la Faënza--dans le petit
-boudoir tendu de satin mauve. Un triste crépuscule pâle filtrait à
-travers les vitres de l'étroite fenêtre. La Faënza avait dit: N'allumons
-pas les bougies, cette pénombre est bien douce. Lui s'était tu avec un
-sourcillement vague. Des senteurs de magnolia flottaient dans l'air
-épaissi. Elle alluma une cigarette de dubèque, lui sa pipe de troubade.
-Près de dix minutes s'écoulèrent dans un silence embarrassé.
-
-La Faënza, sans détourner la tête, dit:
-
---Vous êtes soucieux?
-
---Non.
-
-Quelques minutes de silence encore. Soudain, raidissant ses membres dans
-un effort suprême, la Faënza tomba sur les genoux de son fils et,
-l'enlaçant furieusement, elle lui dit presque sur les lèvres:
-
---Philippe, tu ne m'aimes pas!
-
-Il baissa la tête sans répondre. Alors, elle se leva d'une secousse
-brusque, marcha fiévreusement par la chambre; puis, s'arrêtant net, elle
-dit d'une voix sourde:
-
---Oh! mon Dieu, que c'est affreux! Il faut que ça finisse. Écoute-moi,
-Philippe; tu le vois, tu le sens, je t'aime; et ce n'est pas l'amour
-d'une mère que j'ai pour toi, mais d'une femme éprise, d'une maîtresse,
-entends-tu? Oh! oui, je te veux et tu seras à moi!
-
-Elle ricana comme une insensée, puis elle reprit:
-
---Je suis ta mère; après? la belle affaire! Est-ce que je te connais,
-moi? Je t'ai vu à sept ans une seule fois; tu es un étranger, un joli
-garçon, et tu m'as tourné la tête... Avec ça que tu ne me désires pas,
-toi! Mais regarde-moi donc, je suis belle comme à vingt ans! Ah mais, il
-y a la morale. Oh! la morale! Je m'en moque! D'ailleurs tu ne sais pas,
-ta tante t'a tout caché... j'ai été... entretenue, j'ai été... cocotte,
-comme on dit! Tous mes biens, tes biens viennent de là... Tu n'aurais
-pas le droit de faire le scrupuleux. Nous sommes dans la boue, Philippe,
-restons-y...
-
-Il la regarda stupéfait. Elle continua, de plus en plus surexcitée:
-
---Tu m'as vue en chemise, tu sais que j'ai une poitrine superbe que des
-princes payeraient au poids de l'or... Nous allons être heureux, mon
-Philippe. Veux-tu? Oh! je t'aimerai va, et nous mourrons ensemble...
-d'amour...
-
-Elle se rua sur son fils avec des gestes de Ménade, et, l'emportant dans
-ses bras nerveux, elle se roula avec lui sur la chaise longue, lui
-soufflant au visage la griserie de son haleine. Il se sentit perdu dans
-un anéantissement voluptueux. Puis, soudain, se dégageant de cette
-étreinte dans une crispation désespérée de sa volonté, debout et
-roidissant le jarret, il regarda autour de lui avec des yeux hagards.
-
-La Faënza absolument hors d'elle se rejeta sur son fils. Alors, les
-traits contractés, la bouche effroyablement crispée, Philippe saisit un
-poignard japonais dont la lame effilée brillait sur un guéridon aux
-plaquis bizarres, et la frappa violemment au cou.
-
-Elle tomba sur le tapis, sans un cri, en perdant des flots de sang.
-
-
-
-
-EN GARE
-
-
-Encore quatre minutes.
-
-Le brigadier glissa sa montre d'argent entre deux boutons; l'autre
-gendarme se leva, balancé par le mouvement du train, forcé à se
-maintenir contre le matelassage du compartiment. Au prévenu, le
-professeur Lucien Tordrel, cette annonce de la gare proche fut un
-soulagement. Douai, la cour d'assises, cela voulait dire la fin de la
-détention préventive, des angoisses. Il résume en lui-même son
-plaidoyer, il reprend les phrases chefs qui en seront les points de
-repère. Amplement construites à la manière de Bossuet, elles résonneront
-puissantes sous le plafond sonore des grandes salles judiciaires. Elles
-diront d'abord la passion folle pour Alice, l'élève riche, les hardis
-espoirs du répétiteur pauvre, ses respectueuses timidités. Alors les
-périodes narratives iront amollies avec des tendresses dans les
-substantifs, des émotions dans les épithètes à la Zola, genre _Faute de
-l'abbé Mouret_. Lucien Tordrel s'imagine déjà les débitant, pâle, droit
-dans sa redingote sévère, blanchie d'usure. Et il égarera ce geste lent
-vers l'auditoire, pour les dames.
-
-Quant aux jurés, des parvenus, enfants de leurs oeuvres, eux aussi, ils
-sympathiseront à ses obligatoires humilités de pédagogue misérable. Là,
-des amertumes, deux ou trois propositions mordantes à la Vallès.--Sur
-l'enlèvement, peu de chose. En quelques mots très simples, concis, il
-s'avouera coupable: il appuiera ironiquement sur le terme technique
-«détournement de mineure» en homme qui estime la justice humaine une
-stupidité inévitable comme les averses imprévues ou... la chute bête
-d'une tuile sur un chapeau neuf.--Pour le reste, la fin du plaidoyer, du
-Proudhon, rien que du Proudhon, du Proudhon de toutes les oeuvres. Ce
-passage débutera par une croquade magistrale de la société actuelle:
-«une moisissure.» Il flétrira la réprobation hypocrite des amours
-libres; et alors s'élèveront les grandioses prosopopées de la
-Prostitution et de l'Adultère. Et tout se conclura par un dilemme, le
-fameux dilemme, un dilemme triomphal posé avec une fatigue dans la
-gorge, en approchant le mouchoir des lèvres par un geste automatique,
-quasi-somnambulesque.
-
-Certes, Tordrel ne laissera pas à l'ami Peyrebrune le soin de sa
-plaidoirie. Cet avocassier sans talent bafouillerait en d'obscures
-chicanes. Une condamnation d'ailleurs serait profitable: l'affaire
-s'ébruitera, la presse reproduira sa défense; il entrera dans le
-journalisme par la grande porte. Avenir superbe. Et il achèvera _les
-Veules_, des poésies. Ce livre le posera, l'enrichira. Alice partagera
-avec lui la gloire, le bien-être, elle qui a tout sacrifié, famille,
-réputation pour son amour. Peut-être sera-ce un asservissement pénible:
-traîner partout cette femme avec soi?--Mais non: elle se montre
-intelligente et dévouée.--A quand les délices des premiers revoirs et
-les frémissements infinis de leurs chairs nues?...
-
-Après une succession de sourds tamponnements le train pose. Le brigadier
-se penche à la portière; puis il prévient Tordrel:
-
---M. Peyrebrune est là.
-
-Peyrebrune, le grand Peyrebrune, l'homme aux favoris blonds se
-précipite, serre la main de son ami, criant:
-
---Excellentes nouvelles, mon cher, une ordonnance de non-lieu.
-
---Comment?
-
---Eh! oui. La petite Alice a couché avec Bergelette, avec de Bovardy, tu
-sais, le lieutenant de chasseurs, le pschutt du pschutt. Dans la
-perquisition on a trouvé des lettres d'un brûlant, d'un incendiaire! tu
-n'as pas idée...
-
-Et il narre toutes les démarches faites par lui pour obtenir cette
-perquisition. Il parle, il parle, fier de son succès.
-
-Lucien Tordrel sourit par contenance.
-
-Aux premiers mots qui anéantissaient l'arrangement de sa vie, son unique
-passion, il s'est senti hors les choses, très loin de tout, dans un
-abandon. Les racontars prolixes de l'avocat sur les cascades de sa
-maîtresse l'abrutissent, lui tuent l'avenir. Parfois il proteste:
-«Allons donc!» aux débauches trop invraisemblables. Et bientôt il
-n'écoute plus, les paroles de son ami lui semblent adressées à un autre.
-
-Cependant dans sa poitrine, dans ses membres un énervement s'exaspère,
-rapide. Pris de rage, il projette:
-
---Sacrée garce!
-
-Et un spasme le secoue des pieds aux mâchoires, se vient loger là, dans
-les dents qu'il maintient serrées. Tordrel se navre du discours et du
-travail perdus, puis cette désespérance, à la suite d'un pareil
-scandale, il ne pourra plus donner de leçons. La misère alors; ou bien,
-après le triste voyage par les océans mornes, la classe faite aux
-négrillons là-bas, entre quatre murs blanchis, loin de l'art, de la
-célébrité, irrémédiablement.
-
-Mais ces images très vite se dissipent. Il ne pense plus qu'à elle, à
-son air languissant, à son enfantine moue. D'autres maintenant possèdent
-cette chair d'amante. Dans les garnis d'officiers, tendant sa bouche aux
-moustaches aiguës, il la voit, et il souffre de chaque pose qu'elle a dû
-prendre, de chaque membre qu'elle a découvert, impudique... soûle
-d'après les dires... Elle se dessine moqueuse devant son regard, sur la
-bielle terne de la locomotive, dans l'eau qui pisse dru de la chaudière,
-elle éclate de rire avec le grésillement d'un charbon qui choit,
-s'éteint.
-
-Une rage envahit Tordrel. Il lui pousse des envies de meurtre. Et
-toujours la vision acharnée d'Alice se laissant trousser les jupes.
-
-Peyrebrune conte sans fin. Une histoire d'auberge, maintenant, où elle a
-été surprise.
-
-Lucien pense: Elle retira son corset en dégrafant le busc par le bas; et
-sur le ventre, la chemise toute plissée apparut avec les seins pointant
-au-dessus. Une odeur de propre, d'élégance s'est émise et, dans cette
-chambre qu'il se représente toute imprégnée d'elle, il ne se trouve pas,
-lui. Elle, bête en rut, se livre aux embrassements d'un monsieur gêné et
-content de soi.
-
-La poitrine de l'amant s'enfle et s'affaisse avec une douloureuse
-précipitation. De mauvaises sueurs le baignent, fluent de sa nuque le
-long du dos. Ses articulations se contractent en un ramassis, en un
-tassement de nerfs, en une tension de rage pour quelque effort énorme.
-
---Sacrée garce!
-
-Ça le soulage ces _r_ qui sifflent entre ses mâchoires serrées. C'est un
-peu l'épuisement de cette inutile contraction qui l'étreint, torturante.
-
-En lui-même un drame si vivant se joue que le monde externe lui semble
-factice, artificiel, arrangé: la verdure, terne; les arbres, bleus comme
-dans les antiques paysages; le ciel, une lumière fausse, chimique; le
-mâchefer de la voie, un peinturlurage noir; les rails, des traits de
-plume; les tunnels, une bâtisse de carton, un jouet.
-
-Et il s'efforce à tendre ses idées ailleurs, à fuir l'épouvantable
-fantôme de sa maîtresse pâmée sur un divan sale près un noceur en joie.
-
---Sacrée garce!
-
-Ensuite il s'attarde à lui deviner des tares, à la trouver laide pour se
-bâtir un motif d'indifférence. Des taches rousses lui maculaient la
-gorge, le visage; son front avait des rides; mais ses yeux, mais ses
-hanches, mais ses lèvres, ses lèvres dans la moustache du soudard!
-
-Peyrebrune conte encore. Sous l'immensité vide du hangar les moineaux
-batailleurs volètent, pépient. Il résonne un cliquetis de clefs, le
-roulement d'un chariot à bagages et, continue toujours, l'activité
-agaçante de la sonnerie électrique.
-
-
-
-
-_Troisième Soirée_
-
-
-
-
-_Au couchant, devers la «Roche du Dragon», un dernier sillage ocre et
-crête de coq. Puis la nuit sur les aulnes, les barques amarrées, l'eau
-virante et métallique._
-
-_La terrasse est en surplomb sur le fleuve qui la mine._
-
-_Incitatrice et muette rampe l'ombre. Sur la rive et sur l'eau rampe
-l'ombre incitatrice et muette._
-
-_Des fredons là-bas_:
-
- _Fliesse, fliesse, lieber Fluss!
- Nimmer werd' ich froh!..._
-
-_Un bateau remonte vers Cologne._
-
-_Mélancolique le limbe de son fanal en l'eau virante se brise._
-
-_Mélancolique le son fêlé de sa cloche contre les échos des combes se
-brise._
-
-_La terrasse est en surplomb sur le fleuve qui la mine._
-
-_Des fredons là-bas_:
-
- _So verrauschte Scherz und Kuss,
- Und die Treue so!..._
-
-_Incitatrice et muette rampe la nuit._
-
-_Des fioles de vin du Rhin encombrent la table de noyer._
-
-_--Voici notre thé, cette vesprée, dit Miranda en remplissant les coupes
-dichromes à tige grêle._
-
-
-
-
-CRESCENDO
-
-
-_MI_
-
-Satisfait d'avoir vécu sans ennui les jours de sa permission, et
-tracassé pourtant de son retour à la caserne, Gustave Prescieux pénètre
-dans la gare et s'achemine par les groupes de voyageurs qui causent.
-
-Sous les arcades de fer très hautes, roulent les chariots à bagages et
-bourdonnent les recommandations dernières; parfois claque le bruit
-humide d'un baiser. Et la sensation d'un vide point le jeune soldat, la
-navrance d'être seul parmi la foule, sans un camarade pour les adieux.
-
-Même l'ami Léon a repris son travail le matin, malgré les fatigues de
-leur nuit noceuse. Alors la vision reparaît des filles qu'ils pilotèrent
-ensemble à la Boule-Noire, Augusta et Clémentine, deux belles brunes
-très drôles et pas rapaces. Afin de perpétrer cette fredaine, Gustave a
-quitté son père vingt-quatre heures plus tôt que ne le contraignait son
-ordre de route. Maintenant, de cette vigoureuse débauche, de cette
-manifestation virile qui l'enorgueillit, seuls les déplaisants souvenirs
-le hantent: le tenace rappel d'une tare scrofuleuse en sillon sur le cou
-d'Augusta. A peine, d'ailleurs, la remarqua-t-il dans l'intimité du
-plaisir. Et il imagine encore son embêtement chez le mastroquet du
-boulevard Clichy, tandis que Léon, un ardent politique, grimaçait de sa
-face pâlotte et hurlait des injures contre les patrons, avec menaces de
-les coller à la muraille, une fois pour toutes, au jour très prochain de
-la revanche. Lui, Prescieux, une fois libéré du service, régira sa
-petite ferme en compagnie de son père, sans autre maître. Et de la
-révolution il se moque. Vaines diatribes, cela, bonnes au plus à gueuler
-devant les zincs pour se montrer crâne.
-
-Arrivé à la consigne, Gustave s'explore les poches: un décime est
-exigible pour solder le dépôt de sa valise qu'ils firent Léon et lui,
-avant les ripailles, se trouvant déjà soûls. Même il ne se rappelle plus
-ce qui se passa; mais il n'a point dû omettre son habitude de confier là
-son bagage, chaque fois qu'il vient flâner quelques heures à Paris.
-Cette conviction le rassure, bien qu'il ne réussisse pas à découvrir
-dans sa veste neuve de civil le reçu de la consigne. La percale des
-poches encore empesée et glissante aux doigts recèle sans doute, en
-quelques plis inaccessibles, le bulletin. Et, malgré tout, ce costume
-accapare son admiration. Une fameuse emplette. Le pantalon bleuâtre,
-très large du bas, moule gracieusement ses cuisses solides et rondes, et
-la veste commence par un grand collet rabattu qui dégage le cou.
-Cependant, il ne retrouve rien; et il commence à s'énerver, à craindre.
-La valise renferme son uniforme. Rentrer à la caserne en civil, c'est
-encourir une punition sévère.
-
-Éperdu, agitant dans les goussets ses pouces et ses index, il ne ramène
-que des enchevêtrements d'inutiles objets. Sa feuille de permission lui
-remémore les peines disciplinaires dont il deviendra passible. Il
-retourne ses poches: des sous roulent jusqu'au milieu du hall près les
-guichets, sous les falbalas d'une dame. A leur poursuite il court; et,
-comme il se baisse pour les ramasser, la dame a peur, sursaute,
-l'appelle imbécile.
-
-Cette insulte le peine.
-
-Enfin, après beaucoup d'hésitations, il se détermine à interroger le
-garde des dépôts, et il lui conte sa mésaventure. Le garde, un gros dont
-le ventre se bombe sous un gilet à boutons d'étain, se montre très
-obligeant. Gustave, invité à franchir l'établi pour rechercher lui-même
-son bagage, s'élance avec la certitude de recouvrer son uniforme.
-Rapidement d'abord, minutieusement ensuite, il furète dans les casiers.
-D'envieuses vénérations le pâlissent devant les coffres luxueux décorés
-de métal poli. Après, il s'égare dans un dédale de caisses, d'énormes
-cadres en bois brut. Il se faufile, s'amincit, oublieux des précautions
-à prendre pour son costume dont le drap s'érafle aux coins saillants et
-aux têtes de clous. L'image de sa valise, reconstruite très exacte dans
-son esprit, ne l'aide pas à l'apercevoir réelle, et cependant il remue
-de lourds fardeaux et il se congestionne le visage pour inspecter à
-terre les colis quelque peu analogues au sien. Peines perdues. Il faut
-sortir moulu, tout en sueur et inaugurer un autre genre de recherches.
-
-Dans les estaminets, il passe et se renseigne, dans tous ceux où il a
-séjourné la nuit. Par delà les armures brillantes des zincs; par delà
-les carafons fixés dans les sextuples casiers de maillechort, les
-limonadiers l'accueillent affablement, lui tendent pour une amicale
-poignée de main leurs gros bras velus qui saillissent des chemises
-blanches. A ses questions, tous s'intéressent; quelques-uns se
-témoignent si aimables que Gustave juge obligatoire de consommer. On ne
-retrouve rien.
-
-Cependant une défiance à l'égard de ces commerçants réputés filous
-s'engendre des espoirs déçus. Sous les empressements, le simple désir de
-conquérir la pratique se devine. Et cette idée s'implante dans l'esprit
-du militaire: on lui garde son uniforme pour le contraindre à rester à
-Paris et à renouveler la noce qui enrichira ces gens. Aux dénégations
-continuelles et pareilles, il répond avec colère. On finit par le mettre
-à la porte d'un café de Montmartre, brutalement.
-
-Et l'heure du départ immine; Gustave, désolé, court à l'embarcadère. Là,
-des terreurs l'empoignent. Il se trace le sergent délateur, le colonel
-brusque, le conseil de guerre impitoyable. Retourner chez son père,
-déserter, ce lui semble être le préférable parti.
-
-Et passent deux gendarmes flanquant un tringlot qui tire sur son
-brûle-gueule, flegmatique. Prescieux songe: sa fuite servirait seulement
-à accroître la rigueur de la punition.
-
-Abattu, terrifié, il s'affale au banc d'un wagon de troisième.--Le train
-crache, siffle et tout cahote, par secousses.
-
-
-_SOL_
-
-La comparution devant le conseil de guerre s'impose certaine,
-inévitable, fatale. Pourtant, dans la vie civile, sa peccadille ferait
-sourire sans courroucer. Et les institutions sociales qui astreignent au
-dur asservissement de la loi militaire, il les maudit. Si encore ses
-parents étaient plus riches, il ne souffrirait qu'un an.
-
-Il regarde défiler les murs noircis et abrupts au long desquels
-stationnent des suites de wagons. Des bâtisses surplombent jaunes,
-minables, sans ornements, percées de fenêtres où des femmes cousent, où
-fument des vieillards hâves. Et il regrette n'être pas femme ou
-vieillard. La fumée de la locomotive qui charrie des parcelles de
-houille vers son visage le force à rentrer la tête.
-
-Le compartiment lui apparaît triste, pauvre. Les boiseries brunes se
-tachent au fond de femmes en deuil et d'enfants barbouillés; dans les
-box établis par les dossiers des bancs, des ouvriers s'endorment
-recroquevillés, le derrière tendant leurs culottes de velours. Aux
-vasistas s'encadrent des coins de banlieue, des terres montueuses,
-lépreuses de craie, hirsutes d'herbes roussâtres; et des toits neufs
-tout roses s'amassent jusque l'horizon sous des cheminées industrielles
-qui soufflent noir. La désespérance affaisse Gustave dans son coin.
-Tout, par ici, se découvre laid. Bien plus attrayante la ferme familiale
-avec les caquetages raisonneurs des volailles qui picorent. Et sa
-cousine au visage de propreté miroitante, aux yeux de limpide faïence se
-dresse, vision charmeuse, liant les gerbes dans la pénombre de la
-grange. Puis il l'imagine à l'écurie, et ses bras blancs qui soutiennent
-les seaux de barbotage. Et ses caresses sur les croupes chaudes des
-chevaux qui piétinent. Puis encore il l'imagine au seuil de la maison,
-tricotant, très calme. On la lui promet en mariage pour plus tard, après
-le service. Il l'aime bien. A se ressouvenir d'elle ainsi, d'elle, douce
-et propre, il lui prend une envie de l'embrasser. C'est impossible, à
-présent. Les ordres brutaux, les injures des sous-off vont de nouveau
-lui secouer ces chères indolences qui le prennent partout et le
-possèdent insensible par l'admiration muette de ses souvenances.
-
-Une pluie striante gaze de gris les villages plats et les clochers
-pointus, les rideaux d'arbres. Et la crainte du châtiment attendu
-étreint le jeune soldat. Un malaise engourdissant lui enfle la poitrine:
-rester là, se laisser engourdir par une vague faiblesse qui le
-séparerait du monde cruel, qui l'endormirait pendant les deux années de
-service encore à vivre, ce lui semble désirable. Car l'existence est
-dure... Léon ne se trompe pas tout à fait: un gouvernement aussi
-canaille devrait être abattu. Chose ignoble: par la seule impuissance de
-payer un maître qui instruise, une somme qui dispense, il faut se faire
-tuer pour les autres, les riches, les lâches. Des indignations
-surexcitent le soldat. Tout pour quelques-uns! Et lui, rien. De même,
-son costume si joli paraît commun, tandis que les collants anglais, les
-chapeaux ridicules, les savates pointues et les petits paletots si laids
-s'offrent élégants et superbes par cela seul qu'ils vêtent l'opulence.
-L'argent vaut tout, décidément.
-
-Et le soleil dore la trame pluvieuse. Les écorchures des carrières
-s'éclaircissent. Au loin de lourds nuages mauves fuient. La campagne
-s'égaie. Les herbes se redressent en secouant des gouttes brillantes.
-Aux fils du télégraphe des gemmes hyalines s'irisent. Gustave remet la
-tête à la portière. Sur la voie élargie les rails s'unissent par de
-luisantes courbes, vont se perdre sous le hangar en verre où la lumière
-s'écrase, éclabousse le bleu du soleil. A gauche, dans les feuillages,
-les ardoises des toits et des clochers qui s'irradient dénoncent la
-ville, la garnison.
-
-Tout de suite, il descend, ayant réfléchi: d'autres, avant lui,
-commirent la même faute. En expliquant la chose, on l'excusera sans
-doute; c'est si simple. Et il se remémore l'allure insouciante du
-tringlot qu'il vit entre les gendarmes, lors de son départ. Il faut
-imiter ce sang-froid, car on n'est plus un gamin.
-
-Par hasard, le sergent Berdot, un compatriote, flâne devant la buvette,
-portant sous le bras le cahier du rapport. Prescieux l'aborde avec la
-certitude de lui entendre communiquer un bon conseil.
-
---Eh bien, tu n'as pas de toupet! s'exclame le sergent.
-
---Si j'suis pas en tenue, c'est toujours pas l'envie qui m'en manque.
-
-Et il narre. A mesure qu'il avance dans le récit il juge sa faute plus
-grave. Les gestes et les grimaces de Berdot, qu'il guette anxieusement,
-signifient des blâmes ou d'amusantes réflexions suscités par les
-épisodes comiques, ils ne rassurent pas.
-
---Ce qu'il y a de plus simple, vois-tu, conclut le sergent, c'est
-d'aller trouver le lieutenant. Justement je vais lui porter le rapport;
-tu n'as qu'à venir avec moi. Mais, tu sais, tu t'es fichu dans un sale
-pétrin.
-
-Plusieurs fois encore, Gustave Prescieux sollicite une réponse
-encourageante. L'autre ne la donne pas, mais il émet des potins de
-régiment; il cite des cas disciplinaires; il dit ses chances
-d'avancement et commente les lubies des supérieurs. Le jeune soldat
-ressent une haine pour cet homme arrivé, certain d'être reçu à
-Saint-Maixent. Il y a des caractères comme ça, capables de tout endurer,
-et bas. Par malheur, lui, se trouve être d'une autre pâte; il ne fera
-point de platitudes, lui. Les diatribes du révolutionnaire Léon affluent
-en sa mémoire: un fameux bougre, ce Léon; aussi tous les patrons le
-harcèlent comme le harcèlent, lui, tous les chefs. Et il évoque les
-nuits passées à la salle de police, les consignes au quartier pendant
-lesquelles on arrache l'herbe des cours en regardant sortir tout
-flambants les permissionnaires.
-
-Les deux soldats longent les boutiques pleines de femmes bavardes et
-gesticulantes. Au coin de la place, la claire vitrine d'une pâtisserie
-protège des gâteaux crémeux, appétissants, des sacs de bonbons à faveurs
-soyeuses, qui présentent, sur leurs panses, des figures de dames
-décolletées et riantes. Et ce spectacle lui fait naître l'image d'un
-intérieur en fête, la réminiscence de sages ivresses en l'honneur d'une
-première communion, celle de sa cousine. Il songe à la table illuminée,
-au gâteau de Savoie supportant une figurine en plâtre, nantie d'un
-cierge et d'un missel. Un attendrissement lui brouille la vue des choses
-et assourdit l'intermittente réflexion de Berdot: «C'est tout de même
-une sale histoire.» Maintenant, le jeune homme se complaît à réunir pour
-un ensemble délicieux les traits mièvres de la première communiante
-toute pâle en sa blanche robe, coiffée d'un bonnet vieillot qui enserre
-la mince frimousse de fillette obstinément grave.
-
---Tiens, voilà le lieutenant!
-
-Et Berdot indique devant un café des officiers qui causent et qui rient.
-
-
-_DO_
-
-Gustave Prescieux laisse le sergent s'avancer. Un très jeune
-sous-lieutenant reçoit le rapport sans mouvoir la tête ni rompre la
-conversation qui hilare ses collègues; puis, les épaules encore
-tressautantes, il feuillette. Quand il a fini, Berdot désigne son
-compagnon et s'explique, militairement immobile.
-
-Et Prescieux, en tremblant, suppute les motifs capables de pallier sa
-faute et ceux qui justifieraient son châtiment. Et toujours, la peine
-lui semble inévitable, par logique, bien qu'il possède la très intime
-persuasion d'une délivrance.
-
-Subitement, l'officier sourit et il lance cette exclamation méprisante:
-
---En voilà un imbécile! Mais je n'y peux rien, moi, rien du tout. Que
-voulez-vous? Tant pis!
-
-Il lève en l'air ses bras galonnés, nie que puissent être utiles ses
-bonnes intentions. Il appelle le fautif.
-
-Aux questions de ses supérieurs, Prescieux répond à peine. Son malheur
-l'ahurit. Tout lui semble égal maintenant, rien ne le pouvant plus
-secourir. Sans tenter une excuse il s'embarrasse en des explications
-sincères. Et il se dérobe aux regards apitoyés, aux interrogations
-bienveillantes, car il calcule qu'y répondre serait un surcroît de
-pénibles efforts sans but. Obstinément il fixe les yeux sur les
-officiers en joie. A remarquer leur atroce indifférence une rage
-vindicative le mord. Ce lui est un soulagement lorsqu'il entend
-conclure:
-
---Alors, qu'il aille se mettre en tenue et puis vous le conduirez en
-prison: j'en suis fâché pour lui.
-
-Gustave repasse devant la pâtisserie. Comme il regrette les heures où il
-embrassait les paupières de sa cousine pleurant après les gronderies, et
-dont les fines narines frémissaient. Il la revit plus jeune encore,
-blotti dans la molle poitrine de sa mère, où, mordant des tartines de
-confiture. Et leur goût odorant revient à son palais; il éprouve
-l'instinct de s'en vouloir repaître. Par intervalle, il hoche un
-acquiescement aux consolantes recommandations de son camarade, mais il
-reste tout à fait inattentif aux descriptions de cellules, aux moyens de
-frauder la consigne que le sergent confie en les ponctuant de
-restrictions prudentes: «Surtout ne dis pas que c'est moi qui te l'ai
-dit.»
-
-Son existence d'antan dénuée de désirs irréalisables comme de chagrins
-réels il la voudrait encore passer. Et depuis, de successifs déboires.
-Son arrivée au régiment, une joie: enfin, se présentait la noce tant
-désirée, tant rêvée alors que la lui défendait son père. Et la noce
-n'avait valu que fatigues, embêtements, punitions, maladies,
-fastidieuses élaborations de carottes pour avoir de l'argent. Hormis
-cela on l'excède de manoeuvres; ses camarades plus forts lui empruntent
-et le dépouillent; ses camarades riches le dénigrent et le bernent; les
-chefs le brutalisent, les fillasses le ruinent, l'infectent et le
-blasent. Aujourd'hui, il va encore subir d'inédites rigueurs, de plus
-nombreuses injures. Elles résonneront bientôt à ses oreilles, les voix
-méchantes des sous-officiers enrouées par les habituelles soûleries.
-
-A sa vue, dès le seuil de la caserne, on se gausse: «Mince de chic! Où
-diable a-t-il été pêcher l'autorisation de se balader en pékin dans la
-cour du quartier?»
-
---Ah! foutez-moi la paix, nom de Dieu! hurle Prescieux empoigné d'une
-fureur subite.
-
-Berdot parle au chef de poste; celui-ci grogne un commandement. Quatre
-hommes se lèvent du banc où ils somnolaient; ils abaissent les
-jugulaires de leurs schakos et se traînent jusqu'aux fusils.
-
-Gustave appréhende la torture qui va commencer sans révolte possible:
-oser une protection de soi paraîtrait grotesque. Quels êtres! Berdot
-sait bien cependant à quelle peccadille se réduit le crime; mais
-l'arrestation de Prescieux vaudra d'influentes apostilles à cet individu
-sur la liste d'avancement. Canaille!...
-
-Et il précède dans les couloirs le sergent qui l'a rejoint. Il ne
-s'oublie plus en de vains regrets; un énergique vouloir de se montrer
-ferme et supérieur à ces sales tracasseries persiste seul. En lui-même,
-muet, il se redresse et se rebiffe.
-
-A la chambrée, le conditionnel Auriol, un garçon très drôle, simule une
-profonde admiration pour le costume neuf:
-
---Oh, Prescieux, chic! le complet quarante-cinq. Élégance et solidité!
-En un tour de main le plus vulgaire des tourlourous est transformé en
-mec irréprochable. Entrée libre, on rend l'argent.
-
-Gustave hausse les épaules, feignant l'indifférence pour cette raillerie
-qui le navre. S'il manifeste une colère, on redoublera de quolibets
-stupides. Mais sa chair, plus âpre encore que sa volonté, se révolte; sa
-poitrine s'oppresse et halète; tous ses nerfs lui semblent se pincer et
-se tordre de l'insulte. Son regard se brouille davantage. Il souffre
-d'un trop plein d'excitation qui lui agace le corps; sa nervosité lui
-commande la vengeance et lutte à toute force contre sa raison. Elle le
-vainc; elle le torture pour qu'il obéisse. De douleur, il plonge sur son
-lit et se prend à sangloter, la tête dans les bras, furieux de sa honte.
-Chacun de ses sanglots lui étrangle les entrailles; et ce qu'il souffre,
-il le doit à la méchanceté d'Auriol, de tous. Pour compenser la perte du
-calme familial, il a voulu au moins être un mâle séduisant: il atteint
-au ridicule. Auriol a deviné le prix de son costume et détruit l'espoir
-d'en exagérer la value. Il ne sera donc jamais l'égal des autres en
-bonheur; et pourtant il y a droit, lui aussi. Et la rage le prend plus
-violente; ses entrailles s'étranglent plus étroitement, ses mâchoires
-glissent l'une contre l'autre et grincent; ses doigts se recourbent et
-ses poings se crispent.
-
-Derrière lui, des rires, des esclaffements, des plaisanteries. On le
-prend sous les bras, on le soulève pour voir sa face en pleurs.
-
-Lui, se laisse tomber inerte. Et s'il voulait cependant les battre! Ces
-efforts, ces torsions de membres n'indiquent-ils pas une surexcitation
-extrême accumulée en lui et qui veut se détendre? N'est-il pas un homme
-aussi.
-
-Il se dresse!
-
-Sur la blancheur nue des murailles, le groupe des hommes ricane. Lui,
-les fixe un instant de ses yeux qui voient trouble et qui lui semblent
-se dilater à l'extrême. Tout son être est si douloureusement étréci par
-la souffrance qu'il ne peut respirer. C'est comme une force interne
-immense qui l'emplit et tend à le projeter. Il lui résiste à peine. Et
-il comprend que s'il cède ce sera la plus entière des satisfactions.
-Tout à coup un spasme imprévu le lance sur Berdot qui l'a touché. Au
-contact algide d'un pommeau de bayonnette une juste férocité domine
-Prescieux, le pousse. Il dégaîne cette lame et exulte en la sentant si
-légère à son poing. Aveugle, heureux, les yeux crispés et clignés, il
-l'enfonce droit devant.
-
-Et c'est pour lui un assouvissement extatique: percevoir des chairs qui
-s'abîment sous la pression de son arme victorieuse. Il se rue encore,
-jouissant, perdu, doublant, triplant, multipliant les coups.
-
-
-
-
-BABIOLES
-
-
-Regardez, écoutez mes babioles, ce sont des papiers peints, ce sont des
-violes:
-
-
-I
-
-LE MASQUE JAPONAIS
-
-Yédo. L'on dirait. Tant elle est de potiches trapues et de stores
-bariolés pleine la chambre. La chambre aux rideaux bleus où
-fleurissaient les yeux de _l'absente_, plus bleus que les fleurs bleues
-s'étiolant dans des vases bleus. Et les grands éventails palpitent
-cloués sur les panneaux comme des papillons, les grands éventails où des
-papillons sont peints, les grands éventails diaprés comme des perruches,
-les grands éventails où des perruches sont peintes.
-
-Et le petit masque japonais, don de _l'absente_, rêve sur le mur blanc
-juste en face du lit, du grand lit froid comme un catafalque, où sur les
-taies fleurant les parfums aimés de _l'absente_, tristement accoudé,
-_il_ songe. Il songe que les nuits veuves s'entassent, que l'hallali des
-désirs sonne dans ses nerfs exaspérés; il songe au cabaret grouillant
-là-bas sous la flambée du gaz, il songe à la petite brune, fine et futée
-jusques au bout de l'orteil, à la grande rousse, grasse comme une oie,
-et bête donc! Et cependant que la roue du fiacre attardé chante sur la
-chaussée, _il_ regarde ses bas de soie rouge traînant sur le tapis, ses
-bas de soie rouge qui le fixent de leurs prunelles rouges avec un air de
-_viens-nous-en_. Et sa _fidélité_ sombre, sombre comme la carène prise
-dans un ressac, et la tunique de lin des chères _remembrances_ va être
-souillée.
-
-Et, ses yeux tombent sur le masque japonais, don de _l'absente_, pâle
-sur le mur blanc, juste en face du lit. Et le pauvre petit _masque_ le
-regarde si tristement, si tristement que l'hallali des désirs ne sonne
-plus dans ses nerfs exaspérés, si tristement qu'il ne songe plus à la
-petite brune, fine et futée jusques au bout de l'orteil, qu'il ne songe
-plus à la grande rousse, grasse comme une oie, et bête donc! Si
-tristement que la tunique de lin des chères _remembrances_ ne sera pas
-souillée--encore.
-
-
-II
-
-AUBE
-
-Les maisons sont tristes comme des bêtes.
-
-A leurs vitres glacées le jour indistinct indistinctement se réverbère;
-en les buées leurs vitres obscures s'emboivent.
-
-Les maisons sont tristes comme des bêtes.
-
-_Deuil et modes_, _Liquidateur judiciaire_, _Docteur-médecin_...
-Implacable Destinée! Les enseignes, les implacables enseignes marquent
-leur flanc suranné, tels des stigmates de lys sur l'épaule des
-prostituées. _Deuil et modes_, _Liquidateur judiciaire_,
-_Docteur-médecin_...
-
-Les maisons sont tristes comme des bêtes.
-
-Leurs portes s'entrebâillent; aux tintamarres des timbres par les
-couloirs leurs portes s'entrebâillent; au labeur superflu, à la débauche
-superflue, à la superflue et irrémédiable Vie, leurs portes
-s'entrebâillent.
-
-Les maisons sont tristes comme des bêtes.
-
-Et elles regardent résignées dans la rue pleine de boue et sur la place
-morne où le vent siffle; elles regardent vers le square au bassin plein
-de feuilles mortes, vers le lamentable square plein de feuilles mortes,
-elles regardent résignées.
-
-Les maisons sont tristes comme des bêtes.
-
-
-III
-
-ROMANCE
-
-Les subtils, les très vagues parfums des mouchoirs qu'on retrouve au
-fond des malles poussiéreuses rappellent les serments emportés aux
-jours,--telles des fleurs aux bises hiémales,--les serments de nos
-amourettes d'autrefois.
-
-Doucement surgissent les anciennes souvenances, souvenances de bonheur
-et de tourment; doucement du fond poussiéreux des malles, douces et
-dépouillées,--telles des ramures aux bises hiémales,--elles surgissent
-les anciennes souvenances.
-
-Et mélancoliquement se plaignent les souvenances délaissées, souvenances
-de bonheur et de tourment; mélancoliquement du fond poussiéreux des
-malles, mélancoliques,--telles parmi les ramures les bises
-hiémales,--des replis des anciens mouchoirs aux surannés parfums, elles
-se plaignent les souvenances délaissées.
-
-
-IV
-
-MALÉFICE
-
-Ils avaient bu toute la nuit, Styx le poète désolé et Laas le poète
-calme, ils avaient bu à la coupe d'or de la fée Eaudevie, cette
-compatissante qui change les cailloux en pierreries,
-
- Qui porte la lune
- Dans son tablier,
-
-comme a dit un autre poète, leur aîné.
-
-Adoncques, à l'heure où, sous le clignotement de la dernière lanterne,
-le dernier ribleur rase les murs suintants, ils passèrent la rivière
-Sequane sur le Pont-au-Double, en face le parvis de la Cathédrale.
-
-Les pieds dans la boue et le front dans les étoiles--absentes,--ils
-allèrent d'aguet, par la ruelle torte aux pavés disjoints, chez les
-Villotières adextres à tenir amoureuses lysses, où l'on a sadinet cy
-pris, cy mis.
-
-Muets, à la lueur blafarde de la chandelle chassieuse, ils grimpèrent
-les marches vermoulues de l'escalier branlant, jusques à la haute
-chambre aux poutres enfumées, aux escabeaux cul-de-jatte, où les
-maléfiques Circés du bas mestier étalaient leurs reins monstrueux et
-leurs torses lubriques sous les courtines de percale des lits
-craquetants.
-
-Là, bientôt énervés par les caresses savantes des filles, les deux
-poètes voulurent chanter Priape. Mais lorsqu'ils ouvrirent leur bouche
-idoine à lancer l'ample alexandrin aux sonorités de cuivre,--ils
-grognèrent comme des pourceaux.
-
-
-
-
-_Quatrième Soirée_
-
-
-
-
-_La mer, d'un jade qui écumerait. Et le tissu métallique des pluies
-voile le ciel morose._
-
-_Jusqu'aux flots du golfe, le vieux palais génois étend ses balustres à
-travers les bosquets de myrtes. Pétale à pétale s'effeuillent les roses
-pourpres trop chétives pour soutenir les gouttes pesantes de l'averse;
-et les pétales pourpres jonchent la pelouse._
-
-_Et la mer geint, la mer d'un jade qui écumerait._
-
-_Les dames transies des fresques anciennes croisent leurs bras anguleux
-sur leurs poitrines liturgiques. Les chevaliers foulent de leurs pieds
-de fer les échines des lions armoriaux, et l'impassibilité rébarbative
-de leurs visages glace. En une ombre caligineuse, humide, les dalles des
-larges escaliers dégradent. Vers où?_
-
-_Là-bas s'érige l'amphithéâtre des collines olivâtres; et les maisons
-s'y étagent, assises en cercle au spectacle des eaux, comme un peuple._
-
-_Et le tissu métallique des pluies voile le ciel morose._
-
-_Les vaisseaux ivres titubent à la surface du golfe qui moutonne, et
-monte, et se dérobe._
-
-_Et les grands môles se courbent dans les flots, les grands môles qui
-guettent au loin, de leurs phares._
-
-_Une mouette. L'éclair oblique de son ventre blanc, et l'aigu de sa tête
-grise, dans le terne espace._
-
-_Miranda soulève sa face exsangue et la ruisselante blondeur de sa
-chevelure éparse où brillent quelques saphirs perdus dans l'emmêlement
-des tresses. Elle se dresse des coussins écarlates fiorés
-d'aigues-marines. Ses bras nus, graciles, l'étayent; ses bras nus,
-graciles, et blancs comme les vieilles soies blanches, et ses longues
-mains rubéfiées par l'écarlate des étoffes. Sur sa gorge plate
-s'effondre en plis mous une chlamyde couleur d'aventurine où se révèlent
-de très distantes et minuscules paillettes d'or vert. Sur sa gorge
-plate, et blanche comme les vieilles soies blanches, la chlamyde couleur
-d'aventurine s'ouvre en longue fente sans bordure._
-
-_Elle se tient à genoux dans une posture attentive, le regard au golfe.
-Et sous ses sourcils broussailleux de chanvre pâle, et sous la paupière
-exsangue qui presque recouvre l'orbite, seul l'iris obscur._
-
-_A genoux. Et ses bras l'étayent, et sa jambe fluette s'enfonce par les
-coussins, sa jambe gaînée d'un bas teinte de fleuve, où des chimères
-d'argent butinent parmi des fleurs magiques, et se lovent._
-
-_Et jusqu'aux flots du golfe le vieux palais génois étend ses balustres
-à travers les bosquets de myrtes._
-
-_Pétale à pétale s'effeuillent les roses pourpres._
-
-_Des tentures blanches à paysages peints suspendues de pilier à pilier
-sur des tringles de cuivre comblent le vide des arcades, sauf une._
-
-_Par elle Miranda regarde le vol elliptique de la mouette, et la mer._
-
-_L'harmonieuse pluie chante. Elle brode sa cristalline mélodie de
-clochettes sur le gémissement uniforme du reflux._
-
-_Gènes se noye dans la liquescence de l'air et des sons, Gènes et ses
-maisons assises comme un peuple, et les fresques olympiques du palais,
-et les myrtes._
-
-_L'atmosphère se glauque avec des teintes d'aquarium._
-
-_Pétale à pétale s'effeuillent les roses pourpres._
-
-
-
-
-LE CAS DE MONSIEUR DE LORN
-
-
-I
-
-Ah! mais! C'est qu'il n'était pas du tout rassuré, le beau Fernand de
-Lorn, en entrant pour la première fois dans la chambre nuptiale. Pensez
-donc! Effeuiller une couronne d'oranger! ce n'est pas si commode,
-surtout pour un viveur de trente-six ans, à qui la patte d'oie arrive,
-escortée d'une longue séquelle de vilaines choses. Il faisait encore
-vaillamment ses preuves chez la grosse Tata, ou chez la maigre Toto;
-mais là, c'était autre chose: vins généreux, écrevisses diantrement
-poivrées et propos plus poivrés encore. Et puis on avait l'habitude,
-cette sacrée habitude si précieuse. Et l'on pouvait se mettre à son aise
-avec Tata, et avec Toto, donc; cette petite friponne de Toto, savante à
-vous émoustiller le plus vanné des académiciens. Mais allez donc vous
-faire comprendre par une jeune fille de dix-neuf ans, élevée sous les
-jupes roides de sa maman, et la première nuit de vos noces encore!
-
-C'est à toutes ces bêtises qu'il pensait avec inquiétude, Fernand de
-Lorn, correct et pâle dans son habit noir sous la douce lueur de la
-veilleuse, tandis que la mariée faisait semblant de s'occuper de sa
-traîne pour cacher son embarras.
-
-Il regarda sa femme à la dérobée. Pour gentille, elle l'était, Madame
-Blanche de Lorn. Gentille et très gentille, avec son corsage frêle et
-pas maigre, avec ses grands yeux de pervenche mouillée.
-
-Fernand résolut d'être brave. Il invita sa femme à s'asseoir à ses côtés
-sur la chaise longue, puis il se mit à l'embrasser doucement sur la
-bouche.
-
-Elle fermait voluptueusement, en rougissant un peu, ses yeux aux cils
-frangés. Il la délaça méthodiquement. Après avoir fait tomber un à un
-tous les voiles importuns, il la prit dans ses bras et la porta au lit.
-Hélas! une fois sous les draps fins parfumés d'iris de Florence, il eut
-de nouveau le trac, comme un acteur à une première:
-
---Commencer par un four, se disait-il, c'est dangereux pour l'avenir.
-
-Il parla de choses indifférentes, puis fixant sur sa femme des regards
-qui voulaient paraître langoureux, il dit:
-
---Vous devez être bien fatiguée, mon amie...
-
-Elle répondit simplement:
-
---Non.
-
-Et cacha sa tête blonde dans les dentelles des taies d'oreillers.
-
-Alors il commença des caresses prudentes, en lui murmurant les banalités
-exquises des amoureux. Il parla avec passion de l'avenir, de la
-tendresse qu'il lui avait vouée.
-
-Elle l'écoutait, visiblement désappointée. La veilleuse se mourait, et
-les premières lueurs de l'aube filtraient déjà à travers les lourds
-rideaux des hautes fenêtres.
-
-Blanche s'assoupit légèrement.
-
-Fernand de Lorn poussa un soupir de soulagement.
-
-Hélas! la pauvre couronne d'oranger n'avait pas perdu un seul pétale.
-
-
-II
-
-Deux nuits suivirent dans un calme aussi plat. La troisième il résolut
-d'être plus hardi:
-
---Après tout, se disait-il, pourquoi avoir de telles appréhensions?
-C'est absurde.
-
-Il perdit la bataille, et l'honneur aussi.
-
-Pendant plusieurs semaines des tentatives fréquemment renouvelées furent
-absolument désastreuses. La situation devenait tendue. Les époux
-commençaient à échanger des paroles aigres-douces. Ils s'en voulaient
-mutuellement. Fernand retourna au cercle, où les plaisanteries banales
-de ses amis, à propos de son bonheur conjugal, lui entraient au coeur
-comme des dagues. Il perdait des sommes folles sans arriver à se
-distraire. L'humeur de Blanche devenait de jour en jour plus acariâtre,
-ses nerfs exaspérés battaient la charge. Elle passait sa vie à massacrer
-des statuettes de Saxe et à renvoyer ses femmes de chambre. Ce qui la
-faisait rager surtout, c'étaient ses amies intimes, la comtesse de Luc,
-Madame de Baixas, et les autres, mariées peu de temps avant elle, avec
-leurs conversations indiscrètes, telles que:
-
---Eh! bien, dis, est-ce si terrible que ça un mari?
-
-Ou:
-
---Pauvre petite comme tu as les yeux battus.
-
-Ou encore:
-
---A quand le baptême, ma mignonne?
-
-Elle tâchait de prendre des mines effarouchées, très vexée au fond, et
-finissait par se fâcher tout rouge.
-
-A quoi les petites amies répliquaient en choeur:
-
---La voyez-vous, l'hypocrite!
-
-
-III
-
-Plaisanterie à part, ce pauvre Monsieur de Lorn était vraiment à
-plaindre. Songez donc! ça n'était pas gai. Quelle déveine! Oh! si l'on
-pouvait se douter de son malheur chez la grosse Tata, quelle fête! Et le
-petit d'Anglar à qui il avait enlevé Toto, c'est lui qui s'amuserait à
-colporter la nouvelle dans tous les cercles de Paris. Et puis, c'est que
-ça devenait inquiétant. Si c'était pour tout de bon! C'est que ces
-choses-là arrivent quelquefois, tout d'un coup, à son âge, surtout quand
-on a brûlé la mèche par tous les bouts. Il aurait bien voulu essayer
-avec une ancienne _amie_, pour savoir à quoi s'en tenir. Mais ces filles
-sont si bavardes! Il y aurait peut-être un autre moyen. Ah! mais oui,
-Madame de Saint-Baume. Était-il assez bête de n'y pas avoir pensé plus
-tôt! La baronne de Saint-Baume, cette vieille dame si discrète et qui
-protégeait de si jolis tendrons!
-
-Le lendemain, vers dix heures du soir, il sortit, la figure abritée sous
-le haut collet de sa pelisse. Il bruinait légèrement. Par la chaussée le
-gaz flambait roux, dans les flaques d'eau. Les fiacres roulaient
-assourdissants; les passants se heurtaient, hâtifs. Aux coins des rues
-sombres, les pierreuses faisaient: Pstt! Il fut tenté de monter avec une
-de ces filles à cause de la discrétion. Le dégoût l'en empêcha. Il
-continua son chemin, rasant les murs.
-
-Arrivé devant la large porte cochère de l'hôtel connu, il sonna
-timidement, puis il grimpa d'un pas furtif les marches moelleusement
-tapissées.
-
-Madame de Saint-Baume le reçut dans son petit salon aux tentures sévères
-avec la cordialité due à un ancien ami, doublé d'un bon client. C'était
-une femme de cinquante et quelques ans, grande et osseuse, aux manières
-distinguées. Figure longue, aux méplats secs, encadrée de boucles
-grisonnantes. Des yeux gris très perçants. Un sourire factice entr'ouvre
-la lèvre mince sous laquelle éclate la blancheur du râtelier.
-
-Il fait bon dans le petit salon. Un petit feu attiédit l'air saturé
-d'aromates. La grande pendule en bronze repoussé tictaque berceusement.
-La flamme bleue du samovar veille sur le guéridon couvert d'une nappe
-brodée.
-
---Ah! monsieur de Lorn! Quelle agréable surprise! Je vous croyais
-définitivement perdu pour nous, tout à vos devoirs de mari.
-
-Il eut un petit rire saccadé.
-
---Je passais devant votre porte, chère baronne, et le désir de causer un
-instant avec vous du passé conduisit ma main vers la sonnette.
-
---C'est bien, cela, et je vous remercie de ne m'avoir pas complétement
-oubliée.
-
-Ils causèrent de mille choses diverses: sport, politique, potins du
-jour. La petite Niniche était partie en Amérique avec un riche
-fabricant. Quelle roublarde! Les républicains, tous des Robert-Macaire.
-Cet imbécile de X... s'était fait sauter la cervelle après avoir perdu
-au baccarat toute sa fortune et celle des autres. Le banquier Z...
-venait de surprendre sa femme avec un clown du cirque, etc., etc.
-
-Un coup de sonnette retentit dans l'air apaisé de l'hôtel.
-
---A propos, dit la baronne. Mademoiselle Louise de Fasols, cette belle
-brune qui vous aimait tant, mon cher Fernand, est de retour depuis
-quelques jours, et je l'attends ce soir. Si vous avez quelques instants
-à nous donner nous allons prendre une tasse de thé ensemble.
-
-Il regarda sa montre machinalement et dit:
-
---Avec plaisir. Précisément, ma femme est allée passer une semaine chez
-sa mère, à Nice; je suis garçon.
-
---C'est à merveille, dit Madame de Saint-Baume en se levant. Voilà
-Mademoiselle Louise qui monte l'escalier. Elle sera enchantée de vous
-rencontrer.
-
-Mademoiselle Louise de Fasols entra avec un froufrou de robes,
-emmitoufflée dans ses belles fourrures de loutre, les joues rosées sous
-sa voilette. C'était une belle fille à la gorge rebondie, aux hanches
-superbement cambrées.
-
---Tiens, un revenant, dit-elle, en apercevant Monsieur de Lorn. A quel
-heureux hasard devons-nous le plaisir de vous voir, homme rangé?
-
---Votre retour à Paris, mademoiselle, y est pour beaucoup, répondit
-Fernand en souriant.
-
---Flatteur, va! reprit Louise très câline, en lui tirant amicalement le
-bout de sa barbe en pointe.
-
-Ils causèrent en sirotant du thé copieusement désaffadi de cognac. Les
-petits verres d'eckau vinrent après, très fréquents.
-
-De Lorn sentait se réveiller en lui tous ses vices d'hier. Les petits
-verres d'eckau faisaient déjà leur effet. Il dit en effleurant de ses
-lèvres la nuque de Louise:
-
---Dites donc, si nous soupions!
-
-Madame de Saint-Baume se leva avec un sourire protecteur.
-
---Mes enfants, dit-elle, j'ai un peu de migraine, et il se fait tard.
-Permettez-moi de me retirer. Je vais donner des ordres pour que vous
-soyez servis comme de simples Khédives. Ne vous gênez pas, vous savez
-que ma maison est vôtre.
-
-Elle se retira digne et roide dans sa robe de soie sombre.
-
-Au bout d'un quart d'heure, une vieille bonne typique apporta sur un
-grand plateau d'argent un petit souper extra-fin.
-
-Les écrevisses furent éventrées, les pâtés saccagés, le Chandon moutonna
-dans les coupes.
-
---Ah! ça, dit Louise, à cheval sur la cuisse de Fernand, t'es donc
-marié, petit singe?
-
---Mais oui.
-
---Et ça va bien, les petites amours légitimes?
-
---Hum!
-
---Comment? Déjà!
-
---Je n'ai pas dit.
-
---Tu fais: hum!
-
---C'est que...
-
---C'est que?
-
---Tu sais, les jeunes mariées...
-
---Les jeunes mariées?
-
---C'est un peu...
-
---Innocent, n'est-ce pas?
-
---Oui.
-
---Je comprends, dit Louise, en risquant des gestes définitifs. A des...
-comme toi il faut...
-
---Des... comme toi, riposta Fernand, en lui passant la main sous le
-corset.
-
-Alors Louise en fit sauter les agrafes. Ses beaux seins fermes bondirent
-comme des cavales fringantes. Elle dénoua sa lourde chevelure et colla
-sa bouche fardée sur les lèvres de Fernand, l'excitant de la morve de
-ses baisers.
-
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
-
-Une heure après, M. de Lorn sortait de l'hôtel Saint-Baume,
-épouvantablement gris, mais la tête haute et le chapeau sur l'oreille.
-
-L'honneur était sauf.
-
-Tout en marchant il se répétait avec satisfaction:
-
---C'est égal, je suis content. Ce n'était pas pour tout de bon. C'est
-que cette pensée me donnait la chair de poule. Songez donc: trente-six
-ans et plus rien! Oh! non, pas encore! Et mais, dites donc, ça a marché
-avec cette petite grue de Louise, mais là très bien. Au bout du compte,
-je m'en lave les mains. Que ma femme s'arrange: c'est de sa faute. J'ai
-la preuve de ma vaillance. O ces jeunes filles du noble faubourg
-sont-elles godiches!
-
-
-IV
-
-Quelques jours après. Vers neuf heures du soir. Ils se trouvent en tête
-à tête dans le petit boudoir chaud comme un nid, devant le feu pétillant
-parmi les chenets. Fernand regarde sa femme qui lit un volume de
-Feuillet: très pâle, à la lueur tamisée de la lampe, son corps se
-dessine amoureusement sous la soie du peignoir clair à bouffettes roses.
-On voit le bras blanc jusqu'au coude. Les cheveux longs et soyeux
-traînent négligemment sur ses épaules. Le pied,--bas noir et mule
-blanche,--frétille nerveusement sur un pouf en tissu du Daghestan.
-Fernand la regarde toujours et la trouve gentille à croquer. Il se sent
-un appétit d'enfer et pourtant son estomac refuse toute nourriture.
-
---Nom d'un chien! pense-t-il, il faut que cela finisse. Tout ça, c'est
-de l'appréhension. Puis, il me semble qu'après ma victoire de l'autre
-nuit, à l'hôtel Saint-Baume, je serais bien bête de ne pas essayer...
-
-Il essaya...
-
-Bernique!
-
-Alors il se mit dans une fureur de fauve: il allait et venait par la
-chambre, sacrant comme un goujat, se campant fièrement devant la haute
-glace, retroussant les pointes féroces de ses moustaches, bombant son
-torse.
-
-Il alluma un gros cigare, et,--tel un maroufle sur un sofa de bouge,--il
-se vautra sur un canapé.
-
-Là, d'un air d'indifférence, avec des ricanements, il dit, entre deux
-bouffées de cigare:
-
---Tu sais, ma chère, c'est absolument ridicule, et je tiens à te dire
-une fois pour toutes que c'est de ta faute.
-
-Blanche lança un rire aigu plein de mépris.
-
-Il reprit tranquillement, sans se laisser déconcerter:
-
---Oui, c'est de ta faute, je le répète; j'ai des preuves certaines que
-je ne suis pour rien dans le désagrément qui nous arrive; des preuves,
-entendez-vous, madame!
-
-Il prononça le mot _preuves_ en appuyant, avec un sourire fat.
-
-Elle eut un haussement d'épaules, sans répondre. Alors il se leva et
-sortit en sifflant un air d'opérette.
-
-Après le départ de son mari, Madame de Lorn laissa éclater ses sanglots
-et ses pleurs: dire qu'elle avait espéré le bonheur entre les bras de
-cet homme! Où sont ces rêves bleus, ces illusions aux ailes d'or! Des
-querelles, des injures même. Et dire qu'ils venaient de se marier à
-peine! Quel enfer! Comment finirait-elle cette situation aussi lugubre
-que grotesque? C'était sa faute, disait-il, sa faute à elle? L'imbécile!
-Sa faute! Pourquoi? Elle était jolie, vraiment jolie, et désirable! Oh!
-c'était trop fort! Elle avouerait tout à sa mère, elle se séparerait.
-Non. Elle le rendrait plutôt ridicule. Elle se laisserait courtiser,
-courtiser _jusqu'au bout_, par le vicomte de Cazal, qui avait demandé
-autrefois sa main, ou par Monsieur Maffei, ce jeune diplomate italien si
-joli garçon. Oui, mais c'est qu'elle l'aimait toujours, et quand même ce
-grand diable d'homme avec ces moustaches fines, sa main aristocratique,
-ses yeux qui vous allaient droit au coeur. Oh! si ça pouvait s'arranger!
-Comme elle vivrait heureuse entre ses bras! Le posséder, le posséder
-_complétement_ une semaine, et puis mourir! Et elle sanglotait,
-sanglotait à fendre l'âme, la pauvre petite, et elle pleurait, pleurait
-toutes les larmes de son corps.
-
-Soudain, un objet blanc, tranchant sur le fond brun du tapis, attira son
-regard. C'était une carte de visite. Elle la ramassa et lut:
-
- _Madame la Baronne de Saint-Baume,_
- Rue...... nº...
-
-La baronne de Saint-Baume! Ce nom ne lui était pas inconnu. Où diable
-avait-elle entendu parler de cette femme? Mais oui. C'est son oncle, le
-marquis de Matas, ce vieux gâteux qui racontait des choses si
-inconvenantes devant les jeunes filles. C'est lui qui parlait souvent de
-Madame de Saint-Baume, quand il allait dîner chez ses parents. Elle se
-rappelait maintenant. Sa mère se montrait très scandalisée toutes les
-fois qu'on entamait cette conversation.
-
-Elle sentit son coeur saigner. La jalousie l'étreignit de ses griffes.
-Puis, une idée subite lui traversa l'esprit et elle sourit
-malicieusement.
-
---C'est à essayer, pensa-t-elle. Qui sait? Mon bonheur est là,
-peut-être.
-
-
-V
-
-Le lendemain, une dame long voilée se présentait à l'hôtel Saint-Baume.
-La baronne la reçut avec une courtoisie exquise de douairière.
-
---Madame, dit l'inconnue d'une voix mourante au bout de quelques
-instants de silence embarrassé, je fais auprès de vous une démarche très
-grave, comptant sur votre discrétion inattaquable.
-
-La baronne remercia de la tête avec dignité.
-
---J'aime, reprit l'inconnue d'une voix de plus en plus faible, j'aime
-follement un de vos amis, Monsieur de Lorn. Après avoir vainement lutté,
-je me sens vaincue. Je désirerais néanmoins, à cause de mon rang dans le
-monde, et pour des motifs qu'il serait inutile d'expliquer, le voir en
-cachette et sans qu'il sache qui je suis, pour le moment du moins. Je
-vous ai choisie, madame la baronne, comme la seule digne de ma
-confiance.
-
---Madame, répondit la vieille proxénète d'un ton grave, je n'ai pas
-l'honneur de vous connaître; mais je sens, rien qu'à vos paroles, une
-personne de ce monde, le grand monde qui m'est cher et auquel
-j'appartiens par droit de naissance. Mon dévouement vous est acquis de
-ce moment, madame. Revenez après-demain vers dix heures du soir. Vous
-trouverez de bonnes nouvelles, je l'espère, et peut-être davantage.
-
-Elle souligna ce dernier mot d'un sourire malin.
-
-L'inconnue, après avoir déposé trois billets de mille sur la cheminée,
-sortit de l'hôtel Saint-Baume toute tremblante.
-
-Le lendemain, M. de Lorn trouva, en dépouillant sa correspondance, la
-lettre suivante:
-
- «Mon cher ami,
-
- «Une femme charmante et du plus grand monde, qui vous aime en secret
- depuis longtemps, vous attendra demain soir, vers dix heures, chez
- moi. Accourez donc, Lovelace.
-
- «Votre dévouée,
-
- «Baronne de SAINT-BAUME.»
-
---Tiens, tiens! se dit-il, un roman! On me propose un roman, à moi, un
-homme marié! Il est vrai que je le suis si peu!
-
-Il rit d'un rire amer.
-
---Tant pis! j'irai. J'ai besoin d'oublier et de me prouver encore que ce
-n'est pas tout à fait ma faute, si...
-
-Il se leva et se regarda dans la glace.
-
---Hé! hé! Elle n'a pas tort, la dame, j'ai encore de beaux restes.
-
-Le lendemain, Fernand fut fidèle au rendez-vous. La baronne le reçut
-mystérieusement.
-
---La dame va venir d'un moment à l'autre, dit-elle. Me promettez-vous de
-ne pas chercher à la reconnaître? Elle tient à garder l'incognito, pour
-le moment du moins. C'est dans l'obscurité propice que vous allez être
-heureux, don Juan...
-
---Ho! ho! interrompit Fernand, quelque vieille sorcière, sans doute,
-ayant peur du jour.
-
---Je vous promets que non: fiez-vous à moi; laissez-vous faire.
-
---Soit, dit Fernand en riant, va pour l'obscurité. Bientôt je finirai
-par me croire à l'Ambigu.
-
-
-VI
-
-Ç'avait été un grand triomphe pour Fernand. Dans l'espace, relativement
-court, d'une heure, il avait accompli des prodiges de vaillance.
-Maintenant, un peu fatigué, sa tête amoureusement posée sur l'épaule de
-l'inconnue qui ne soufflait mot, il se disait:
-
---Ah! si je pouvais être comme ça avec ma pauvre petite femme!
-
-Et il soupirait légèrement.
-
-Puis il se disait encore:
-
---Ah! ça, serait-ce à une _demoiselle_, à une demoiselle authentique que
-j'eus à faire? C'est que... il m'a semblé... ah! par exemple! ça serait
-drôle!
-
-Tout à coup, il fut troublé dans ses méditations d'une façon
-inattendue... Il se sentit mordu si cruellement que le sang coula.
-
-Il sauta du lit en poussant un cri de douleur, stupéfait, ahuri.
-
-L'inconnue se leva à son tour, et après lui avoir appliqué une
-vigoureuse paire de gifles, elle dit:
-
---Allume donc la bougie, imbécile!
-
-Le son de cette voix le troubla tellement qu'il resta pendant deux
-secondes cloué sur place, puis il alla machinalement allumer une bougie
-sur la cheminée.
-
-La lumière éclata aveuglante.
-
-L'inconnue se tenait là, debout, immobile dans une nudité presque
-absolue, sa chemise aux fines dentelles glissant le long des hanches.
-
-C'était Madame Blanche de Lorn.
-
-Les deux époux se regardèrent un instant sans une parole, puis ils
-s'étreignirent longuement, toujours muets, très émus.
-
-Fernand risqua une question sur cette aventure invraisemblable, mais sa
-femme lui fermant la bouche avec sa fine main pâle, lui dit:
-
---Pas ici. Chez nous. Maintenant va-t-en vite avant moi, pour éviter
-tout scandale.
-
-Il s'habilla à la hâte et sortit de la chambre.
-
-Madame de Saint-Baume l'attendait dans son petit salon.
-
---Eh bien, interrogea-t-elle avec son sourire malin, sommes-nous
-content?
-
---Ravi, ma chère baronne, vous êtes la Providence des amoureux.
-
---Quand je vous le disais!
-
-Il passa à l'annulaire crochu de la proxénète une bague de haut prix, et
-quitta l'hôtel le paradis dans l'âme.
-
-
-VII
-
-Depuis ce jour la vaillance de Fernand ne se démentit pas un seul
-instant. Blanche est la plus heureuse des femmes, et lorsque ses petites
-amies la plaisantent sur ses yeux battus, au lieu de se fâcher comme
-autrefois, elle égrène le chapelet de perles de ses rires argentins.
-
-
-
-
-LA TARE
-
-
-I
-
-De la fenêtre, par l'écran de papier, s'épanche un rayon clair qui vient
-illuminer l'eau-forte de Paul Grimail. Le très jeune artiste contemple
-son oeuvre, indécis: sous le col ondulant du cygne, Léda se pâme en une
-torsion enlaçante, et l'aile toute blanche, affaissée sur l'amante,
-explique les cambrures de ce corps énervé par la caresse duveteuse.
-Ainsi doivent s'exprimer les transports de la passion, ainsi ont-ils
-toujours apparu dans ses rêves;--car l'éphèbe les ignore réels: nulle ne
-lui offrit l'amour; jamais il n'osa le mendier, et il lui répugne
-d'imposer son désir à la vendeuse en besoin.
-
-Il pense. Machinalement il frôle le bandeau qui couvre en partie sa
-figure et son front; dessous se cache une horrible bouffissure violâtre.
-Aussi loin que peut remonter sa mémoire, l'artiste revoit sa tête
-d'enfant bridée par le triste bandeau et sa mère lui défendant de le
-retirer: «cela ferait pleurer la sainte Vierge.»
-
-Aux murs de l'atelier, entre les costumes orientaux, les panoplies et
-les dressoirs à céramiques, des plâtres suspendus ou piédestalés. Pour
-lui, Sémiramis et Minerve semblent faire valoir leurs formes graciles ou
-majestueuses. Il les considère ayant pour ses désirs une pitié ironique.
-Ne connaître de la femme que cette artistique immobilité! Il ne saura
-jamais les étreintes ni les baisers! Mythes, les voluptés ressenties par
-de plus heureux, par tous!--Bah! Il est fou! C'est démence se complaire
-en des souhaits irréalisables.
-
-Il s'approche à la croisée.
-
-Dans la rue, le carnaval bruit. Les trompes hurlent une invite aux
-viriles ivresses. Paul Grimail déchire l'écran et voit. Les fiacres
-cahotent des cartonnages grimaçants, de voyantes étoffes et des faces
-plâtrées; de chez le perruquier voisin une fille s'échappe, la chevelure
-toute piquée de noeuds roses et de fleurs; et, au milieu de la cohue en
-tumulte, un polichinelle énorme, cramoisi, marche; deux cocottes se
-frottent à ses flancs afin de partager sa gloire.
-
-Lui, arrache son bandeau, surpris par une idée, encore vague, mais
-grosse de conséquences heureuses. Il court à un coffre étrange donné par
-son maître, le célèbre Voméra. C'était le présent d'un samouraï qui fut
-à Yeddo l'hôte du peintre des jaunes. Paul Grimail fait baver au coffre
-un flot de tissus chatoyants; et longuement en choisit.
-
-
-II
-
-Il va par les boulevards illuminés. Une rumeur étonnée accueille sa
-venue, une rumeur vénérante suit ses pas. Les «chienlits» se figent dans
-les bouches et la foule s'enfle autour de lui, chuchotante et
-solennelle. L'éphèbe, d'abord, se figure être ridicule. Il lui paraît
-que derrière son dos des ironies s'esclaffent. Par les trous visuels du
-masque, il examine. Et c'est un bonheur, ne plus heurter son regard au
-bandeau dont l'aspect navrant a jusqu'alors interrompu l'inspection de
-sa personne: à quoi bon se voir tout entier? cette tare déparerait la
-plus évidente perfection. Maintenant, au contraire, il prend plaisir à
-cet examen: sa robe azurée, son surtout couleur de safran avec, partout,
-de gros oiseaux brodés en relief qui chatoyent aux mouvements de la
-marche, et, tout près, les bouts balancés d'une flasque moustache sous
-un nez très pâle. Pour la première fois, il perçoit en son être une
-harmonie et, aussi, le spectacle de la soie aux cassures flambantes le
-ravit.
-
---C'est probablement le prince de Galles.
-
-Des grisettes le dévisagent. On l'admire, sans restriction. Enfin on ne
-fixe plus sur sa face ces regards commisérants qui lui étaient si lourds
-à supporter. Il marche heureux, humant l'air très pur. Et subitement, un
-arrêt: une multitude grouillante et noire piquée par les splendeurs des
-déguisements; tout en haut la bâtisse de l'Opéra aux baies enjaunies de
-lumières où des ombres se heurtent; sur le faîte, l'Apollon verdi par un
-feu de Bengale.
-
-L'artiste s'avance hardiment. Il dévisage les hommes en haussant les
-épaules aux ingracieux costumes. Il se sent très robuste avec une idée
-de querelles. Car, dans cette fête, il va être un des mille acteurs
-contemplés, sûrement un des plus magnifiques: on l'acclame déjà.
-
-Comme tous lui font place, il a bientôt gravi quelques marches du grand
-escalier. Alors l'enthousiasme crève. Vers lui se penchent des gorges
-nues se mouvant dans les dentelles et les raides plastrons où miroitent
-d'uniques pastilles d'or.--Des femmes? Pour l'adorer, il en descend des
-galeries, il en monte du péristyle, il en sort des portes béantes: de
-petites qui se haussent pour effleurer du doigt les sourcils de son
-masque, et, dans leurs yeux, il lit des promesses lascives; de grandes
-qui se baissent pour palper le crêpe de sa ceinture, et il voudrait
-enfouir ses lèvres dans les sillons de leurs dos flexibles; de grasses
-qui s'éventent, et il lui semble que plonger dans leurs molles rondeurs
-serait à son rut un assouvissement délicieux; de minces dont les seins
-sautillent dans les cuirasses de satin, et, en un souhait de les y
-sentir se reposer, il arrondit ses mains frémissantes.
-
-Le torrent des admirateurs le roule dans la salle:
-
---Mikado! Mikado! Bravo Mikado!
-
-Pour leur hocher un signe remerciant, Paul Grimail cherche qui répète ce
-mot. Ses yeux se lèvent, et c'est le lustre énorme, le cru du gaz, les
-loges gorgées de femmes en clairs dominos et de gants blancs
-applaudisseurs; ses yeux se baissent, et c'est un enchevêtrement de
-corps assombris: le trille de ces deux teintes adverses accotées.
-
-Et les bravos le déclarent le plus splendide des mâles.
-
-
-III
-
---Mikado!
-
---Savonnette!
-
-Deux cohues rivales proclament les noms de leurs idoles.
-
-Une rage fait pâlir l'artiste: quel autre tente lui ravir sa gloire et
-discuter son triomphe? Le caprice d'un passant anéantirait-il ce bonheur
-unique. Il lui faudrait renoncer aux adulations des femmes comme aux
-envieuses exclamations des hommes? Cela ne se peut. Il aura entière
-cette nuit de joie, dût-il affirmer sa suprématie par la violence.
-
-Gronde une sédition. Un moment les casques des municipaux étincellent.
-Des protestations murmurantes montent sous la coupole après qu'un des
-vocables beuglé par un plus grand ensemble de voix est parvenu à
-étouffer l'autre. L'artiste, aux premiers rangs de ses partisans,
-s'affermit la main sur les poignées de jade de ses sabres. Une
-bousculade houle, quelques cris, des injures mugissent et l'éphèbe, prêt
-à s'élancer, se retient, émerveillé:
-
-C'est une femme.
-
-Ses formes se moulent à cru dans un collant d'émeraude; en les calices
-des fleurs étranges qui l'enlacent, des pierreries s'embrasent.
-
---Il est rien pschutt, tu sais, ton costume. Paies-tu quelque chose au
-buffet?
-
-Elle prend son bras. Sa voix gracieuse se note d'un exquis enjouement.
-Elle s'appuie à lui, et, parfois, avec une gentille curiosité, elle
-soulève de ses doigts minces les lourdes soieries qui habillent
-l'artiste. Elle en fait le tour, rieuse, montrant les ivoires de sa
-denture dans l'écarlate des lèvres. Ses grands yeux noirs sont humides;
-des luxures dorment dans sa crinière d'or; sa poitrine semble, à chaque
-instant, devoir saillir du corsage, et les pointes rosées découvertes
-par les sursauts des hilarités réclament les caresses de bouches
-aimantes. Il émane d'elle un parfum qui fait songer l'éphèbe aux
-dévêtements ultimes, aux spasmes furieux et alanguissants. Il n'ose
-presque la regarder tant il sent irrésistible le pouvoir de ses sens en
-fougue. Et, tout à l'heure, il va la tenir dans ses bras, elle
-frissonnera sous ses baisers. Il sait maintenant pourquoi son talent
-sommeille encore: il s'éveillera grandiose à la manifestation de sa
-virilité. Il sera un fort.
-
-
-IV
-
-On verse du champagne à pleines flûtes. Libéralement l'aqua-fortiste
-jette les louis dans les mains tendues des sommeliers en fracs. Quand la
-fille a fini d'étancher sa soif, elle demande:
-
---Allons vite chez Baratte, dis, tu veux? Il ne va plus rester de
-salons.
-
-Sur l'escalier de marbre, la foule leur fait cortège. Lui, presque pâmé
-de bonheur, s'enivre des flatteries qu'elle susurre à l'adresse du
-couple merveilleux.
-
-Subitement une bande se précipite, calicots déguisés d'une pièce de
-percale, gadoues en débardeurs crottés. Comme l'un deux regarde trop
-près Savonnette, lui le repousse doucement de la main. L'homme se
-rebiffe, crache des invectives, et, d'un soufflet, démasque Paul
-Grimail.
-
-Un vide se fait, bruyamment. L'artiste s'affaisse, sans une idée, près
-la balustrade. Un municipal le pousse hors des degrés. Sur le large
-palier le calicot clame:
-
---Oh! mince, alors! Reluque un peu sa gueule.
-
-
-V
-
-La Seine est noire... Il y grelotte des bigarrures de lumière diffuse.
-
-Lui, va le long des quais.
-
-Dans sa fièvre, il arrache une à une les parties de son costume et les
-jette par-dessus le parapet.
-
-Bientôt il les ira rejoindre, ces oripeaux qui lui ont valu la seule
-félicité de sa vie. A quoi bon vouloir encore tenter l'impossible,
-décrire et imiter l'inconnu? Insanité! Et sans le travail, son existence
-est sans but, puisqu'il n'en peut jouir.
-
-Jusqu'au loin, s'alignent, en file, des rangées de tonneaux, des tas de
-pierres, des empilements de planches. Puis un pont: un chapelet de
-lampadaires, le falot vert d'un fiacre qui semble glisser sur le
-garde-fou.
-
-Se tuer c'est imposer la douleur sans fin à un être excellent, une mère
-qui par ses caresses, par ses regards et ses moindres paroles demande à
-son fils pardon d'avoir produit.--Il ne peut mourir.
-
-Des rues étroites se percent entre les pâtés de bâtisses neuves. Paul
-Grimail en aperçoit une plus éclairée: la lanterne d'un bouge rayonne
-avec son numéro énorme, ombrant les vitres.
-
-
-
-
-_Cinquième Soirée_
-
-
-
-
-_Au pied de la montagne à la chevelure frondante, la villa blanche et
-enguirlandée._
-
-_Sur les gazons ras des pelouses et parmi les hauts tulipiers aux
-branches se bifurquant,--tel un blanc gypaète les ailes toutes
-grandes,--la blanche et enguirlandée villa se pose._
-
-_La nuit est pâle d'étoiles._
-
-_L'air torride est tout embaumé de la sève des branches frondantes de la
-forêt, et de l'arome des rhododendrons, et de la saveur des mûres._
-
-_Au pied de la montagne, sur les gazons ras des pelouses,--tel un blanc
-gypaète les ailes toutes grandes,--la villa se pose._
-
-_La nuit est pâle d'étoiles._
-
-_La rue close de baraques foraines s'aveugle de lumière, s'assourdit de
-claquements de fouet, de cris et de sonnailles._
-
-_Là-bas, par-dessus les toits ardoisés, l'orchestre du casino clangore._
-
-_Là-bas, dans l'obscurité humide de l'allée, on entend le gave qui saute
-le barrage..._
-
-_Parmi les hauts tulipiers aux branches se bifurquant, la blanche et
-enguirlandée villa._
-
-_L'air torride embaume la sève de la forêt, l'arome des rhododendrons,
-la saveur des mûres._
-
-_Des fouets qui claquent._
-
-_Des sonnailles qui tintinnabulent._
-
-_Des roues qui roulent._
-
-_Des cuivres qui clangorent._
-
-_De l'eau qui bruit._
-
-_La nuit est pâle sur la villa aux guirlandes..._
-
-_En robe claire à pois, Miranda se renverse, le cou nu et des rubacelles
-aux oreilles._
-
-
-
-
-LE CUL-DE-JATTE
-
-
-I
-
-Une grosse pluie d'orage s'épanche dans la cour du Louvre, soulève des
-stalagmites liquides et polit l'asphalte. A sentir cette fluide tiédeur
-imprégner le col de sa chemise, Éphraïm Samuel s'irrite: «Sacrée
-infirmité! Pas même pouvoir se servir d'un pépin!» Et, violemment, le
-cul-de-jatte balance son torse, le projette, les yeux clignés sous la
-gifle de l'eau. Il s'arc-boute des mains pour faire courir ses fesses
-redondantes, ligotées dans un siège à roulettes. Et sa demi-personne
-s'éjouit quand, par une grande vitesse acquise, elle fend l'air avec un
-bruit ronronnant d'express.
-
-Mais son tape-cul, tout neuf étrenné ce jour-là même, à l'occasion d'un
-mariage, lui vaut une obsédante inquiétude. Déjà, le matin, à la
-synagogue, au moment où le verre symbolique lancé par-dessus le couple
-nuptial vint se rompre contre les dalles, un craquement a gémi sous les
-reins tendus d'Éphraïm qui se haussait pour voir. Après la cérémonie, au
-zinc de la rue d'Aboukir, comme il levait haut le coude, pour boire du
-bitter, le véhicule vagit. Et, au début du déjeuner, un déchirement se
-lamenta pendant qu'on hissait l'infirme sur une chaise. La mère Salomon,
-sa voisine de droite, était un peu sourde, et sa voisine de gauche, la
-gantière Rachel, flirta avec Bernheim, le marchand de lorgnettes,
-jusqu'après le dessert; lui, forcément se tut. D'exquises boissons et
-d'exquises mangeailles le consolèrent abondamment.
-
-Puis, très aise, il s'en était revenu le long du boulevard Sébastopol,
-le long de la rue Rivoli, tantôt filant vite pour contraindre à se garer
-précipitamment les lourds promeneurs du dimanche, tantôt stationnant au
-plus compact de la foule pour empêcher de leurs courses les poursuivants
-d'omnibus. Malices impunies, tout le monde manifestant une déférence
-pour sa difformité.
-
-Maintenant l'orage se déverse dru: Éphraïm s'empresse; mais un nouveau
-craquement lui suggère: «Ce ne serait pas drôle de rester là, en plan,
-le derrière dans l'eau.» Et il s'efforce vers une arcade où s'engouffre
-un public humide et morose. Dessous, bée une porte olivâtre, que
-couronne l'indication: Musée Égyptien. Éphraïm la franchit.
-
-
-II
-
-Il se bouscule dans la salle une grouillante cohue. Le nez du juif
-s'enfouit dans les basques des jaquettes ou se froisse au rude contact
-des fausses tournures. Un empuantement de malsains parfums s'affadit.
-Les coudes font choir sa casquette. Virer, partir; nul moyen: il est
-pris comme dans une vivante cage. A chaque heurt de pieds inattentifs,
-il perçoit son siège s'affaisser. Et ses reins s'encastrent plus
-profondément dans les coussins où il repose.
-
-Soudain, au-dessus de lui, une mère gifle son mioche. Pour esquiver
-d'autres coups, l'enfant se roule, ahuri, pèse du talon sur le chariot
-du cul-de-jatte qu'il ne voit pas. Catastrophe. Une commotion ébranle
-Éphraïm qui s'effondre avec son assise. Les poignées où ses mains
-prenaient appui roulent au loin. Cependant il tente une fuite, mais un
-éclat aigu de planche brisée raye les dalles et s'oppose à la
-progression des roues. Un désespoir: calculer la dépense d'un tape-cul
-neuf et le prix de la course en fiacre pour rentrer. Et puis, la crainte
-d'être piétiné! Par malheur, là-haut, des disputes se clament; de
-furieuses gesticulations se détendent, il se bave de rageuses injures,
-et des enfants pleurent. Bientôt le juif s'épouvante à parer en vain des
-horions indus; des poings le frôlent et l'accrochent, des genoux cognent
-son dos. Il s'exaspère, il redoute qu'on ne lui marche sur les doigts et
-ne cesse de crier, mêlant des invectives à ses requêtes de secours.
-Alors, peu à peu on s'apaise. Des oreilles s'inclinent vers l'infirme;
-il y verse des récriminations pleurardes, apitoyantes, avec l'intonation
-qu'il suppose devoir le plus facilement toucher. A grands soins, on le
-porte dans le chambranle d'une fenêtre, entre des stèles entamées de
-nombreux hiéroglyphes. Éphraïm Samuel s'enorgueillit de ces prévenances
-unanimes. Il se laisse faire, plaignard avec une muette espérance de
-ripailles qu'on paiera pour le réconforter. Seul, un jeune homme propose
-aller quérir un fiacre. A peine le juif déçu de ses voeux remercie-t-il.
-Il maudit son infirmité et l'indifférence égoïste des valides.
-
-Puis les gens recommencent à circuler, bavards. Un brave homme à la
-blouse roide, un provincial égaré dans Paris, reste encore; et, mettant
-à profit l'aide prêtée, il se renseigne sans fin sur l'itinéraire à
-suivre pour gagner le boulevard Barbès. Ensuite il part.
-
-
-III
-
---C'est rien chien, tout de même, murmure le juif, de ne pas laisser un
-sou pour la casse! Quant à Tabourdel, l'ébéniste, il peut fouiller ses
-profondes, pour sûr. On ne se fiche pas ainsi du monde!
-
-Et il détache les courroies qui le tiennent encore lié aux débris du
-chariot: du bois perdu, et mauvais!--Il repose ses membres éreintés par
-la course fournie. Au dehors, l'averse s'écrase toujours sur les vitres.
-Entre les colosses de granit et les tombeaux de marbre noir, la cohue se
-fait plus dense, piétine, laisse pisser partout les parapluies.
-
-Du déjeuner, il demeure au juif une ivresse qui lui montre les choses
-fluides. La tête pèse. Le bruit monotone des pas et des conversations
-susurrées ronflent autour de lui et bercent.--Pas de voiture.--Pendant
-cette inoccupation, un dégoût pour l'égoïsme des autres inspire à
-Éphraïm Samuel des projets de revanche; mais, bizarrement, l'enfilade de
-ses idées s'embranche de digressions et se troue de subites lacunes:
-venue du sommeil. A plusieurs reprises il lève ses paupières qui
-tombent, et se décolle péniblement les cils. Il songe qu'on le saura
-bien avertir à l'arrivée du fiacre. Il s'ensommeille, heureux de cette
-torpeur, contrarié seulement de la prévoir trop brève.
-
-Plus rien. Longtemps.
-
-Et des souvenirs se cherchent, s'unissent. Une à une s'éliminent les
-perceptions flottantes du rêve, elles laissent place à de plus réels
-fantômes. Se retracent l'orage, l'accident.
-
-Une inquiète avidité de savoir si on pense à lui éveille Éphraïm. Il
-écoute et il regarde: nul pas, nulle voix, nul être. Une bleuâtre clarté
-ruisselle par les murs, par les stèles, par les sarcophages, par les
-colosses qui se dressent rigides, les poings collés aux cuisses, dans
-une attitude de violence résolue. Et sur le parquet ces masses se
-projettent en grandes ombres nettes. Clair de lune.
-
-Appeler, le juif n'ose: peut-être l'emprisonnerait-on pour avoir dormi
-là, car on en veut toujours à la race d'Adonaï.--A se voir dans cette
-antique Égypte, un effroi le saisit. Sa haine des persécuteurs fut
-adulée depuis l'enfance. Il voua surtout de vindicatives colères à ces
-Égyptiens que, tout jeune, il criblait de coups de crayon sur les images
-de la Bible.
-
-Maintenant, seul parmi toutes ces figures énormes et surplombantes, il
-redoute, lui si infime, des vengeances, des niches surnaturelles de
-gnômes outragés.
-
-Il se tasse sur lui-même et frissonne; mais l'oeil très large d'un dieu
-le fixe, froid, immobile. Dans le vide du musée, continûment, une
-sonorité fantastique vibre, creuse et sourde. Et il paraît au fond de la
-salle que les sphinx et les sarcophages avec leurs théories de prêtres
-gravés s'approchent lentement et s'assemblent, dans un rythme de marche
-funéraire. Une angoisse.
-
-Au dehors, un nuage qui passe ombre tout. Le cul-de-jatte s'estime
-encore plus abandonné sans cette lumière qui espionnait en sa faveur. Il
-s'affole à l'appréhension tenace de sentir sur ses épaules des chocs
-glacés, des étreintes inébranlables et lisses.
-
-Mais de nouveau la lumière bleute le musée. Les monstres ne se sont
-point mus.
-
-
-IV
-
-Sa bêtise devient évidente à Éphraïm: ces affreux magots ne s'imposent
-que ridicules. Certainement, les sculpteurs travaillent bien mieux
-aujourd'hui; et les anciens étaient des imbéciles, ignorant l'art tout à
-fait. Ce jugement sévère le raffermit en la confiance de soi.
-
-Une statuette de marbre appuyée au mur adverse s'offre très élégante
-avec ses formes graciles, son corps svelte, sa taille de fillette et ses
-petits seins pointus. Par dommage, une tête de tigresse y culmine; et
-cette stupide déformance gâte tout l'ensemble de la fluette membrure.
-
-A contempler dans ses plus fines rondeurs le menu des hanches; à suivre
-les volutes dérobées de la gorge et les cambrures des flancs aux plis
-courts, un érotique appétit s'accroît en Éphraïm. Et s'évoque la série
-des femmes qu'il posséda. La dernière, Madame Jules, l'épouse d'un
-ouvrier, d'un camarade, auquel il a prêté deux cents francs. Elle se
-livra, pitoyante un peu pour sa timidité d'infirme, certaine aussi
-d'obtenir une prolongation d'échéance. Et cette échéance retombe demain;
-il songe à l'emploi de cette rentrée. Selon l'avis du médecin, son
-métier de graveur le tue. Souvent des crises de toux le torturent, et la
-douleur lui raidit le dos comme si une plaque de plomb s'appliquait
-entre ses épaules. Ces deux cents francs garantiront tout un mois de
-repos. Dans la suite, il reprendra son travail, bien portant. Les
-meubles des Jules représentent une valeur suffisant au solde du billet;
-et, cette fois, il ne se laissera plus circonvenir bêtement par une
-cajoleuse drôlesse de trente-cinq ans, fanée déjà.
-
-De nouveau le regard d'Éphraïm se heurte à la statue. Malgré les efforts
-qu'il tente pour l'esquiver, son érotisme flambe par ses entrailles.
-
-Une enfant des Jules, une fillette, aperçue se débarbouillant au matin,
-est très ronde de formes, toute semblable à cette Égyptienne. Il la
-désire.
-
-Pour l'avoir il reculerait bien encore le paiement de ce qu'on lui doit.
-Pourtant cet acte serait ignoble. Des romans où de vieux riches
-obtiennent par de tels moyens les filles du peuple lui reviennent au
-souvenir. Ces débauchés il les méprise. A la vue du sphinx allongé dans
-le fond de la salle, il se rappelle un dessin autrefois gravé par lui:
-des israélites élevant un monstre pareil sur une plate-forme au moyen de
-cordes et de machines; un tassement de torses courbés par l'effort et de
-muscles gonflés que fustigent les soldats.
-
-Alors toutes les persécutions souffertes par la Race le hantent. Il la
-suit par l'histoire peinant sous tous les peuples, esclave toujours. Il
-se remémore les antiques massacres. Femmes violées, enfants éventrés,
-torches humaines. Et ces tortures, ces boucheries, ces atrocités
-séculaires lui apparaissent comme la lugubre préface de sa propre
-existence, existence de mutilé, existence de méprisé. A lui,
-certainement échoient le summum des dédains et l'ironie suprême. Témoins
-ce dernier accident et la dédaigneuse indifférence des gens. De cette
-exaltation son érotisme s'avive et s'irrite. Il se complaît à vouloir
-cette petite Jules: en même temps que la cause des plus extatiques
-joies, cette possession sera pour Israël un triomphe, et le droit
-légitime du vainqueur en cette guerre de l'or prêchée par les rabbins
-comme la seule revanche possible. Et la dernière homélie entendue
-conseillait la prolification comme le plus sûr moyen de répandre à
-l'infini les germes de vengeance. N'est-ce pas pour ses projets la
-consécration religieuse?
-
-Mais, au moment où son imagination prévoit les voluptés de cet
-assouvissement, la crainte de la mort s'associe, conseillant le repos
-des sens. Il devine des délices à rester au lit et à dormir tout un mois
-sans l'inquiétude de l'heure. Dans le jour il lira, fainéantise
-inéprouvée depuis longtemps. De vieux feuilletons coupés au bas de
-journaux et reliés de ficelles gisent au fond de ses tiroirs, provision
-pour l'époque toujours reculée du loisir. Il l'épuisera. Oubliant toutes
-ses colères, ses ruts et ses fanatismes, il se perd à repasser les
-romans parcourus jadis, à revivre dans les pampas américaines, dans les
-catacombes de Rome et dans les égouts de Paris avec les énergiques héros
-qu'il aima. Et il s'enorgueillit se félicitant de ses aspirations
-littéraires, supérieures.
-
-Peu à peu ses souvenirs deviennent vagues et s'emmêlent. Les évocations
-se colorent, prennent des formes presque tangibles, mouvantes; puis
-elles s'obscurcissent, s'effacent. Éphraïm s'endort.
-
-
-V
-
---Voyez-vous, monsieur Samuel, quand votre assignation est arrivée hier,
-je me suis dit: c'est pas possible, on aura fait cela sans le
-prévenir... Et puis, voilà... Ah, c'est pas bien ça, surtout...
-surtout...
-
-Madame Jules hésite, sanglotante. De la main elle relève ses cheveux qui
-s'affaissent au long de son visage et se collent dans les larmes.
-
-Éphraïm s'adosse commodément au poêle encore tiède de récents cuisinages
-et tâche à retenir le flux de toux qui lui écorche la gorge.
-
---Surtout après ce qui s'est passé entre nous!... ajoute-t-elle.
-
-Elle va jusqu'au lit, où elle range du linge nouvellement rapporté.
-
-Éphraïm ne répond pas. Depuis la nuit du Louvre tout l'amas des rancunes
-ataviques l'exaspère. Il exploitera les chrétiens avec une persévérance
-sacrée. Et il persiste à croire une lâche insulte cette séquestration en
-compagnie des bourreaux de la Race. Tout bas, il ressasse les insultes
-dont l'inondèrent les gardiens du musée en le retrouvant endormi, le
-matin.
-
-Maintenant il sifflote, expertise les meubles en affectant ne pas
-regarder la jeune femme. Et la honte d'avoir succombé avec cette impure,
-de se sentir comme débiteur envers elle, c'est une dernière humiliation
-qui paroxyse sa haine.
-
-Un effleurement le contraint à voir Madame Jules qui met ses lèvres près
-les siennes, s'agenouille, et se diminue pour être semblable à lui. Il
-bougonne:
-
---Non, non, c'est inutile: c'était bon pour une fois.
-
-Alors elle l'enlève riant, l'embrassant, et elle proteste:
-
---Nous allons bien voir.
-
-Éphraïm s'effondre dans la mollesse des couvertures. Les courroies de
-son chariot sont précipitamment dénouées. Une voix aigrelette lance:
-
---Bonjour, maman.
-
---Hé, va te promener!
-
-Éphraïm s'irrite contre cette interruption du plaisir enfin consenti;
-mais sa colère tombe quand il reconnaît l'enfant semblable à la déesse
-égyptienne. Des yeux, des bras, il la redemande, rendu fou par les
-caresses inachevées de Madame Jules.
-
---Console Monsieur Samuel, Agathe; moi je vais chez la fruitière. Sois
-bien gentille, n'est-ce pas?
-
---Oui, maman.
-
-Et la petite console le cul-de-jatte. Elle lui tend sa joue, ses cheveux
-volontiers. Elle l'interroge, gentille, sur les causes de son chagrin.
-Il la fait asseoir près lui et chevrote à peine de courtes phrases, tout
-ému. Très vite il se grise de cette présence et se rappelle les violents
-désirs qui le harcelèrent durant la nuit. Et, fermant les yeux, il lui
-semble qu'il embrasse les lèvres félines de cette face de tigresse; il
-lui semble que ces petites mains qui le repoussent sont ces doigts de
-marbre noir étendus naguère au long des cuisses de la gracile divinité.
-
---Oh! la canaille! Le saligaud! Un pareil monstre! Pauvre enfant!
-
-On le saisit, on l'arrache de la fillette. Des figures bavantes de
-mégères blêmes, la face triomphalement pâle de Madame Jules grimacent
-autour de lui, hurlantes, vociférantes.
-
-
-
-
-L'INNOUCENTO
-
-
-Elle s'en va, toute droite, et longue, longue et poudreuse sous le
-soleil ardent, l'unique rue du village, avec sa bordure de masures
-blanchies à la chaux et recouvertes de chaume, avec, tout au bout, sa
-petite église très délabrée, où le cadran postiche marque toujours la
-même heure depuis tant d'années. Au-dessus, la montagne aux sapinières
-crêpues comme des têtes de nègre où, tout au fond, bleuissent les
-glaciers vierges; au delà, le gave plein de truites, s'acharnant contre
-les tas de rocs de son lit sous le petit pont que les lourds chariots
-débordants de fourrages font trembler de leur poids.
-
-Elle avait grandi là, l'Innoucento, comme on l'appelait familièrement,
-entre les pourceaux et les poules, grognant et gloussant avec eux sur le
-fumier et dans la boue. Une grosse tête difforme, engoncée dans des
-épaules mal équarries, des yeux trop petits falotement brillants, de
-vrais yeux de crétin; la bouche fendue jusqu'aux oreilles, avec des
-lèvres minces et des dents déjà toutes moussues. Les bras trop longs, la
-main trop large, le pied s'aplatissant dans l'espadrille.
-
-Ainsi, gambadant par les champs de maïs et les carrés de légumes, le
-corps difforme et l'esprit embrumé, la pauvre idiote attrapa ses vingt
-ans.
-
-Ses parents étant morts, une vieille femme, Madame Lafont, l'avait prise
-à son service. Elle gardait les bestiaux et allait blanchir le linge au
-torrent.
-
-Les gars du village se moquaient d'elle en lui prenant le menton avec
-des mines comiques et les jeunes filles lui demandaient
-confidentiellement, histoire de rire un brin, si elle avait un amant:
-_As oun galan, Innoucento?_ Et la pauvre idiote écarquillait ses petits
-yeux, ne comprenant pas, et gloussait comme ses poules.
-
-C'était un après-midi de juillet. Un soleil fauve dardait ses rayons
-rouges dans le ciel blanc. Les mouches bourdonnaient au-dessus des eaux
-stagnantes, les guêpes picoraient sur la haie, les gélinottes
-roucoulaient dans les branches, et les petits lézards verts rampaient
-dans les buissons creux. L'Innoucento qui paissait ses bestiaux par les
-champs sentit sa tête lourde de somnolence et s'endormit à l'ombre des
-peupliers.
-
-En ce moment le garde champêtre Miquelas passait dans le sentier, ivre.
-Il vit l'Innoucento endormie sous les peupliers, et une idée baroque
-traversa sa tête alourdie par la boisson.
-
---Tiens, comme c'est drôle! se dit-il.
-
-Puis il réveilla d'un coup de pied la pauvre idiote. Elle se frotta les
-yeux en grognant. Alors il la prit dans ses bras et l'emporta dans le
-taillis prochain où l'herbe poussait haute.
-
-Et les mouches bourdonnaient au-dessus des eaux stagnantes, et les
-guêpes picoraient sur la haie, et les petits lézards verts rampaient
-dans les buissons creux.
-
-Depuis ce jour là, lorsque les jeunes filles lui demandaient: _As oun
-galan, Innoucento?_ l'idiote ne gloussait plus comme ses poules et son
-regard devenait sérieux.
-
-Quelques mois après, sa taille s'épaissit visiblement et les gars du
-village, en la rencontrant, disaient avec des éclats de rires:
-
---Comme tu engraisses, l'Innoucento? Serais-tu enceinte?
-
-Mais elle ne répondait pas, et s'enfuyait en courant par les carrés de
-betteraves.
-
-Souvent le soir, en se déshabillant, elle fixait des yeux inquiets sur
-son ventre gonflé et se rappelait en rougissant le jour où elle
-s'endormit sous les grands peupliers.
-
-Dans le village, on souriait en la voyant passer, et les commères se
-chuchotaient avec des mines étonnées:
-
---Mais qui diable a pu faire ça?
-
-La vieille Madame Lafont, très intriguée, appela un empirique de
-passage, et lui fit examiner sa servante. L'empirique déclara que la
-jeune fille était enceinte.
-
-Alors la vieille femme entra dans une colère effroyable et intima à sa
-servante de quitter la maison au plus vite: Je ne veux pas de _puto_
-chez moi, disait-elle.
-
-La pauvre idiote fit un paquet de ses hardes et partit en pleurant par
-la campagne sans savoir où elle allait. A la tombée de la nuit, elle
-s'arrêta, brisée de fatigue, sur un petit pont en bois jeté sur la
-rivière qui s'engouffrait avec un fracas lugubre au fond des rocs
-pointus.
-
-La nuit était délicieuse. La lune nimbée d'argent brillait sur la
-montagne apaisée. On entendait les chiens hurler au loin et l'eau
-clapoter sous le pont. Une douce brise parfumée de framboises bruissait
-dans les lamelles des pins. L'esprit de la pauvre Innoucento revint
-encore à ce jour où le garde champêtre l'emporta dans le taillis, et sur
-ses lèvres minces un sourire doux et amer à la fois passa furtivement.
-Elle regarda son ventre gonflé et le palpa avec curiosité.
-
-Puis, comme si un éclair subit eût traversé son cerveau enténébré, elle
-se mit à sangloter.
-
-La lune s'était cachée derrière les hautes futaies.
-
-L'Innoucento regarda un instant l'eau brunie s'engouffrant avec un
-lugubre fracas au fond des rocs pointus, puis elle escalada le parapet,
-et se jeta sans un cri dans la rivière.
-
-
-
-
-_Sixième Soirée_
-
-
-
-
-_Gît la plaine brune, étendue, rase._
-
-_Au bord, la trace du soleil parti stagne rouge._
-
-_Et le ciel s'élève avec des courbes immenses de palmes, et des teintes
-citrines qui montent, qui montent et se nacrent de blanc, et se
-bleutent, se bleutent comme un ruban de blonde. Une étoile fichée là,
-minuscule, la tête d'une épingle, dans ce bleu lisse._
-
-_Miranda descend par la plaine. Droite et grêle. Droite, en sa blouse
-lâche à fermoirs de missel. Grêle en ses hautes guêtres qui sanglent.
-Droite et grêle._
-
-_Luisent les canons de son fusil, roses un peu du couchant, rouges un
-peu du sang des bêtes. Et se rose aussi la torsade la plus lointaine de
-sa chevelure massée, et se rose encore la brindille de houx qui
-retrousse sa toque large._
-
-_Les perdrix rappellent._
-
-
-_Par les sillons aigus comme des vagues, les grands chiens flairent.
-Gueules haletantes. Et leurs oreilles traînent sur le sol épilé de
-moissons._
-
-_Le vent effleure les nappes illimitées de betteraves. Les betteraves
-frissonnent de leurs panaches verts et de leurs panaches mauves.
-Semblables à des piles d'écus, les lointaines cheminées de fabriques._
-
-_Les perdrix rappellent._
-
-
-_L'église du proche village lève au ciel sa tour de prières, son clocher
-bleu. Son clocher assis sur les rondes cimes des pommiers et dans les
-feuilles ténues des saules._
-
-_Voici que des buées sourdent et rampent; des buées grises qui glissent
-au ras des éteules et des trèfles. L'ampleur du vide s'accroît. Le ciel
-se hausse et s'éteint. La nuit violette plane sur la plaine, plane et
-s'accroupit. Et les lueurs des fermes transparaissent à peine suspendues
-parmi les brumes denses: des taches d'or._
-
-_Par les sillons aigus comme des vagues, les grands chiens flairent. Et
-leurs flancs roulent aux sursauts de l'infatigable course._
-
-_Les perdrix rappellent._
-
-
-_Dans l'ombre rousse de la salle où les murs se perdent, rien que les
-torses des hermès, cariatides de la cheminée profonde, rougeoyent au feu
-des bûches. La flamme danse et pétille. La flamme danse, et son ombre
-jaune sur la tête pensive des chiens allongés._
-
-_Miranda se repose toute mince dans l'antique fauteuil aux fleurages
-défunts. Et saillent ses jambes rondes croisées dans la courte jupe de
-velours sombre. Sa chevelure dénouée inonde de pâleur les pâleurs
-exsangues de sa face sérieuse. Trop petite dans le fauteuil trop grand;
-trop blanche dans le fauteuil usé._
-
-_Pour un sourire de sa mémoire, ses lèvres rosâtres s'étirent. Et la
-flamme qui se tend jusqu'à elle lèche ses yeux obscurs d'ombres
-flambantes._
-
-
-
-
-OEIL-CHINOIS
-
-
-Après le dîner, on s'installa pour prendre le café dans le jardin, sous
-des berceaux de capucines. Il y avait là, autour de la maîtresse de
-céans, la délicieuse Blanche d'Étanges, Léonie Clauss avec sa face
-blafarde de pierrot vicieux et Julia Lebreton, une brune massive, au
-regard têtu. Cavaliers: Hanser, le financier obèse, le jeune de Tretel,
-et le fameux reporter Gros-Renaud. La nuit était tombée douce et
-susurrante sur la Seine dont le cours fuyait, imperceptible, sous le
-pont instantanément ébranlé par le passage du train de Paris.
-
-Les six convives goûtaient l'exquise torpeur de la digestion. Une bonne
-digestion de dîner fin. Les bouteilles ventrues, les fioles allongées
-pleines de liqueurs multicolores encombraient la table parmi les petits
-verres de cristal, les tasses de Sèvres, les boîtes à cigares et les
-mignonnes cigarettes blondes et opiacées.
-
-De l'autre côté de la rive, là-bas, des appels,--comme d'une voix de
-ventriloque,--coupaient tout à coup le silence de la nuit. Plus près, de
-la route, des refrains expirés, puis repris, montaient.
-
-Une lampe à abat-jour lilas lunait à peine l'obscurité que le feu des
-cigares cloutait d'or. La nuque grêle de Léonie Clauss, la toilette
-estivale de Julia, l'énorme nez de de Tretel surgissaient
-fantastiquement de cette pénombre nimbée.
-
-On parla potins.
-
---Ainsi, demanda de Tretel, Madame Gimary vient de déserter
-définitivement le toit conjugal.
-
---C'est son mari qui doit être embêté, remarqua Léonie.
-
---Je vous crois, fit le gros Hanser en se renversant sur sa chaise.
-C'est sa femme qui est riche. Lui a toujours fait de mauvaises affaires
-à la Bourse et avec ses maîtresses. Il a encore perdu dernièrement une
-forte somme avec le Panama.
-
---Il paraît que la petite OEil-Chinois lui a coûté près de deux cent
-mille francs, reprit de Tretel.
-
---Quel imbécile! lança dédaigneusement Hanser; moi, les femmes ne me
-coûtent presque rien.
-
---Tourné comme vous l'êtes, ça se comprend, remarqua malicieusement
-Léonie Clauss.
-
---Vous, vous allez vous taire, petite futée, répondit le gros Hanser,
-menaçant du doigt, et visiblement piqué malgré son air plaisant.
-
---Pas de querelles, cria la maîtresse de céans.
-
-Puis s'adressant à Gros-Renaud:
-
---Dites: vous la connaissez bien, vous, cette OEil-Chinois? Contez-nous
-donc quelques détails.
-
---Peuh! une petite rousse chiffonnée, interrompit la brune Julia
-Lebreton.
-
---C'est elle qui est la cause de tout ce scandale, pas? continua Blanche
-d'Étanges.
-
---Évidemment, firent en même temps de Tretel et Hanser.
-
---Messieurs, prononça avec autorité le reporter, vous avez deviné que la
-brouille du ménage Gimary est l'oeuvre de Mademoiselle OEil-Chinois.
-C'est le secret de Polichinelle. Mais je parie que vous ignorez
-complétement le fin mot de cette aventure.
-
---Le fin mot de cette aventure! s'exclama le financier qui détestait la
-contradiction, le fin mot de cette aventure? C'est bien simple: Gimary
-était en train de se ruiner, de se couvrir de ridicule; Madame Gimary
-l'a trouvée mauvaise, et elle a eu raison.
-
---Vous n'y êtes pas, monsieur Hanser, répliqua froidement le
-journaliste.
-
---Assez, cria de nouveau Blanche d'Étanges, est-il ennuyeux avec ses
-piques, ce Hanser.
-
---Avec mes piques?... bougonna le financier.
-
---Voyons, Gros-Renaud, continua Blanche, je vous ai demandé des
-renseignements sur OEil-Chinois. Est-il vrai qu'elle ait vendu des
-fleurs au quartier Latin?
-
---Parfaitement. Il y a cinq ou six ans de cela. Et si vous voulez
-connaître son portrait à cette époque, permettez-moi de vous réciter une
-pièce de vers qu'un de mes amis publia jadis en l'honneur de la
-bouquetière dans une feuille de chou de la rive gauche.
-
---Moi je n'aime pas les vers, observa Hanser de plus en plus dépité.
-
---On ne vous demande pas votre avis, clamèrent à la fois ces dames.
-
---Voici les vers, dit Gros-Renaud, en prenant une pose, et il récita:
-
- Par les brouillards violets,
- Qu'il bruine ou bien qu'il neige,
- Sous sa jupe de barège,
- Laisse trotter ses mollets--
- La petite bouquetière.
-
- Des roses blêmes dans sa
- Corbeille, roussette et blanche,
- S'en va, tanguant de la hanche,
- Faisant des yeux comme ça--
- La petite bouquetière.
-
- Et ses rêves familiers
- La montrent déjà parée
- D'une robe mordorée
- Avec de jolis souliers--
- La petite bouquetière.
-
---Pas mal, épilogua Léonie Clauss.
-
---Il y a des mots que je ne comprends pas, avoua naïvement Julia
-Lebreton.
-
-Hanser et de Tretel restèrent cois.
-
---Connaissez-vous son vrai nom? car OEil-Chinois ne peut être qu'un
-sobriquet, insista Blanche d'Étanges.
-
---Notre ami Guy Bouffard la baptisa ainsi à cause de ses yeux qui
-rappellent les dames des kakémonos.
-
---Caqué, caqué... quoi? s'esclaffa Julia.
-
---Les kakémonos, ma chère, c'est des articles japonais; c'est des bandes
-d'étoffes avec de la peinture dessus.
-
---Peste! Quelle érudition, mademoiselle.
-
---Vous saurez, monsieur Gros-Renaud, que j'ai été employée dans un
-magasin de japoneries... du temps de mon honnêteté.
-
---Je vous vois d'ici parmi les magots, fit le lourd financier qui
-cherchait à se venger de Léonie.
-
-Gros-Renaud continua:
-
---OEil-Chinois s'appelle tout bêtement Clara Thureaux. Sur son père, je
-ne sais rien de précis. Sa mère, une ancienne blanchisseuse, pensa que
-la fillette, avec sa frimousse bizarre, ses crins roux sur le dos, et
-son coup de hanche shocking, pourrait rapporter gros en vendant des
-violettes et des roses le long du Boul'Mich, et dans les brasseries où
-des futurs notaires et des dondons à sacoches marivaudent. Elle avait
-raison la brave femme. Le succès de la petite Clara fut immense. L'un
-lui achetait une rose pour lui prendre le menton, l'autre un bouquet de
-violettes pour lui passer la main dans ses cheveux dénoués. Sa
-conversation était très amusante. Elle avait de ces reparties ingénûment
-perverses qui émoustillent. Il paraît même que bientôt le sexe faible la
-disputa au sexe fort, la gentille bouquetière n'ayant pas manqué de
-toucher le coeur de mainte verseuse de bocks. L'une voulait remplacer
-ses chaussettes d'estame par des bas de soie fine; l'autre la comblait
-de présents en chrysocale; une troisième la faisait calamistrer par son
-coiffeur...
-
---Et ce fin mot? interrompit Hanser avec un bâillement ironique.
-
---Oui, ce fin mot, répercuta de Tretel.
-
---Pas d'interruptions! commanda Blanche.
-
---Nous y arrivons, messieurs:
-
-A dix-sept ans, la bouquetière se laissa enlever par un étudiant
-exotique quelconque. Elle fréquenta Bullier, le restaurant Boulant et
-l'arbre de Robinson. Il serait superflu de la suivre à travers les
-diverses étapes qui constituent l'histoire banale de...
-
---Vous toutes, mesdames, interrompit de nouveau le financier
-metteur-dans-le-plat.
-
---Malhonnête! dit Blanche.
-
---Idiot! fit Léonie.
-
---Veau! gronda Julia.
-
-Le narrateur feignit l'indignation:
-
---Je reprends, monsieur Hanser, vous m'avez empêché de placer un mot
-spirituel.
-
---... Il serait superflu de la suivre à travers les diverses _étapes_
-qui constituent l'histoire banale de toute jolie fille dont la vertu
-rend les clefs à la première sommation d'une agrafe diamantée; néanmoins
-il faut croire qu'elle _les_ brûla, car la haute galanterie parisienne
-ne tarda pas à s'enrichir de Mademoiselle OEil-Chinois, une rousse
-adorablement évaporée et fringante comme une cavale de race.
-
---Brûla quoi? demanda Julia.
-
---Les étapes.
-
---Les étapes? Ah! bien.
-
-Hanser trouva le mot faible. De Tretel le nota pour le répéter à son
-cercle.
-
---... Gimary qui venait de se brouiller avec la petite Louisette, des
-Nouveautés, rencontra un soir OEil-Chinois à l'Hippodrome. La folle
-rousse était ravissante, tout en noir, coiffée d'une mantille à la
-milanaise. Gimary fut très empressé et finit par faire des propositions
-quasi-officielles. Au moment le plus pathétique de la déclaration,
-OEil-Chinois qui n'avait pas cessé d'examiner avec une curiosité
-narquoise le crâne de Gimary, dont la calvitie est légendaire, dit sur
-un ton de sérieux imperturbable: «Eh ben, vous avez un joli genou,
-vous.» Cette espièglerie ne découragea pas l'amoureux; et, au bout d'une
-cour assidue de plus d'un mois, la miséricordieuse enfant finit par
-accepter un joli petit hôtel rue Daubigny, richement meublé de l'écurie
-aux mansardes. On parla beaucoup d'un lit à colonnades dont les
-draperies avaient coûté près de quinze mille francs. Eh bien, il paraît
-que le malheureux Gimary n'a jamais couché dans ce lit-là.
-
-De Tretel gloussa un rire méprisant, se trouvant fort supérieur.
-
---... L'amoureux crut d'abord à un caprice passager; puis il s'exaspéra.
-Il se trouvait ridicule. Rompre? Mais comment, quand on est fou de désir
-et de dépit? La cause de cette rigueur inaccoutumée? Sans doute un
-rival. Un amant de coeur, étudiant, ancienne connaissance du quartier
-Latin, un cabotin, un bookmaker, un rapin de Montmartre... Il espionna
-longtemps sans résultat. Enfin, il finit par découvrir que l'inhumaine
-se rendait fréquemment dans une maison de la rue Pasquier. Les scrupules
-de la concierge capitulèrent devant une liasse de billets de banque et,
-un après-midi, Gimary put pénétrer dans l'entresol à gauche. Un vrai nid
-d'amoureux aux meubles intimes et parfumés. Il était furieux, résolu de
-ne pas reculer devant le plus épouvantable scandale. La porte de la
-chambre à coucher céda. Il se trouva en face de deux femmes. Horreur!...
-Il reconnut OEil-Chinois et Madame Gimary. On prétend que leur tenue
-était peu convenable...
-
---Le pauvre homme! soupira Léonie Clauss.
-
---Pouah! fit Julia Lebreton.
-
-De Tretel trépignait.
-
-Hanser traita _ça_ d'invention de journaliste.
-
---Elle n'a pas mauvais goût, Madame Gimary, épilogua Blanche d'Étanges,
-rêveuse.
-
-
-
-
-OPHICLÉIDE FLAMAND
-
-
-AUBADE
-
-Lille.
-
-Les maisons sont grises et hautes, leurs fenêtres blanchement linceulées
-de rideaux mornes. De faîte à faîte ondoye le violet pâle des brumes.
-Plus haut, surgissent les pinacles de vieilles églises dans les nues
-cendreuses qui vont, lentes. La ternissure du jour choit vers les
-trottoirs où la pluie a laissé des marbrures sombres. Il pullule des
-passants silencieux et le bruit de leurs pas a d'inquiétantes sonorités
-qui vibrent. Les fillettes étreignent leurs corsets emmaillotés de
-journaux; elles trottinent, blêmes, la main crispée sur le louis
-d'amour.--Enloqués de velours flasque, jauni, les travailleurs se
-dandinent, lourds. Et les chaussures bossuées des bureaucrates luisent
-seules dans le pianissime des teintes fades. Sur les rails noirs, les
-tramways glissent sans tapage au trot des petits chevaux qui s'agitent
-dans les traits lâches, tandis que des gamins au teint vert étouffent
-tous les tumultes par la psalmodie continue de leurs voix aigres:
-«Demandez _le Petit Nord_», et passent, rapides, décollant de leur pouce
-ensalivé les feuilles humides du journal.
-
-Impérieusement, un roquet aboie.
-
-
-CONCERTO
-
-Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Des heures. Elles tombent
-lourdes de sa couronne en pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes. Au pinacle de l'édifice, que noircirent les âges, le lion
-héraldique dressé mire le soleil en ses flancs d'or. Et les maisons sont
-coiffées de faîtes à gradins; et dans l'angle suprême des façades les
-oeils-de-boeuf semblent voir.
-
-Vieille cité flamande.
-
- * * * * *
-
-Sous les panonceaux, portant en lettres vertes: «Robes et Confections»,
-
-Sous l'exergue brillant du magasin: «A la Dame-d'Honneur»,
-
-Elles jacassent les petites couturières, les petites couturières
-engaînées de minces robes noires.
-
-Elles jacassent et elles sautillent--et leurs bras grêles; et leurs
-saclets en cuir roussi. Et leurs échines se penchent devant la vitrine,
-leurs échines qui font luire les corsages par places. Admirations pour
-les toilettes de Paris tendues sur les mannequins rigides.
-
-Deux à deux arrivent les retardataires, deux à deux. Une à une.
-
-Et la dernière vêtue de rouge, elle court.
-
-Elle court la main soutenant sa tournure qui sursaute. Elle court, ayant
-sa frimousse encore moite du lit, et les mèches noires de sa chevelure
-croulant malgré la morsure du peigne. D'un rire elle salue, tandis que
-des friandises, en sa bouche, lui gonflent la joue. Elle salue d'un rire
-sans pensée.
-
-Et les petites couturières se pressent dans le couloir de l'atelier. La
-grande salle claire.
-
-La grande salle claire où plane l'aigre puanteur des failles neuves.
-Elles s'installent; et elles se bousculent; et des claques malicieuses
-rebondissent sur les omoplates en saillie, sur les croupes futures. Des
-disputes crèvent pour occuper les meilleures places, très loin du poêle
-où chauffent les fers, très loin de la coupeuse surveillante qui
-taillade sans fin des étoffes de toutes nuances sur le transparent jaune
-du modèle.
-
-Et s'inclinent, les têtes attentives, sur les doublures à faufiler, les
-têtes attentives des petites couturières si bien coiffées.
-
-Agilement s'agitent les minces doigts, piqués noir par l'aiguille. Et
-les bavardages piaillent. Des potins d'amour. Aux frisures brunes
-s'emmêlent des frisures blondes; et les cheveux échappés des tempes
-tremblotent à l'haleine des confidences chuchotées. Les dos palpitent
-par saccades, en une grande envie de s'esclaffer.
-
-Et la quinte des rires trop longtemps contenue résonne.
-
-Elle résonne, elle monte dans la grande pièce claire; elle étouffe la
-cliquetante mastication des ciseaux.
-
-Et des restes de pudeurs rougissantes se cachent dans la claire-voie des
-mains ramenées sur le visage, des mains blanches aux minces doigts,
-piqués noir par l'aiguille. Et la joie met en danse les seins grêles
-perdus dans l'ampleur du mérinos.
-
-Une joie qu'elles lâchent au nez des garçons, une fois sorties.
-
-Au nez des jeunes garçons, qui les rattrapent et les embrassent, les
-petites couturières, bien contentes, sous les grandes portes.
-
-Mais ils les abandonnent soudain, les jeunes garçons, à l'aspect
-terrifiant d'un chapeau haute forme.
-
- * * * * *
-
-Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Cinq heures. Elles tombent
-lourdes de sa couronne en pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes.
-
- * * * * *
-
-Aux bosselures du pavage, cahotent les coupés déteints des hobereaux en
-visite.
-
-La «Dame-d'Honneur» tressaille.
-
-Elle tressaille de ses escaliers qui trépident sous l'avalanche des
-petits pieds.
-
-Les petits pieds des grisettes qui envahissent le trottoir.
-
-Et les unes, gourmandes, déroulent des papiers gras recéleurs de
-charcuteries.
-
-Et les autres assaillent la voisine épicerie et chipent des cornichons
-dans le baril où plonge une grosse cuillère en bois.
-
-Mais la petite rouge, non rieuse, reste immobile.
-
-Un doigt dans la bouche, attentive, écoutante.
-
-Au loin ronronne un étrange bruit.
-
-Un étrange bruit où se mêle le titillement d'un grelot.
-
-Cela grandit, enfle et ronfle.
-
-Brille sur la chaussée un bicycle, un bicycle dont les orbes dardent de
-pâles étincelles.
-
-Là haut, un éphèbe juché.
-
-Et ses cuisses se moulent dans un collant gris de perle et ses mollets
-en de superbes guêtres jaunes.
-
-Elles se sont tues les petites couturières. Elles se sont tues et elles
-le contemplent.
-
-Seule, la petite rouge continue rire et narrer. Seule.
-
-L'éphèbe avec un geste de calme souplesse a sauté de son véhicule. Se
-dirige vers la ruelle du Palais.
-
-La petite rouge quitte ses compagnes et pénètre sournoise dans la ruelle
-du Palais.
-
- * * * * *
-
-Au pinacle du beffroi que noircirent les âges, le lion héraldique dressé
-mire le soleil en ses flancs d'or.
-
-Et tout droits dans leurs chars rougis, aux criardes ferrailles, les
-très robustes garçons bouchers passent sanglants, ainsi que les
-triomphateurs antiques.
-
-Ils passent et font claquer la chambrière au-dessus de leurs poneys qui
-galopent.
-
- P'tite Lucie n'est plus pucelle,
- Tant pis pour elle!
- C'est Lucien qui l' lui a pris,
- Tant mieux pour lui!
-
-Elle pleura d'abord la petite rouge, elle pleura quand ses compagnes la
-chansonnèrent.
-
-Elle rit ensuite, elle a ri quand ses compagnes la chansonnèrent.
-
-Puis, tous les jours, la petite rouge laisse paraître à son oreille une
-touche de poudre de riz.
-
-Bientôt la touche s'étend, s'étend à givrer tout son visage.
-
-Et ses joues n'ont plus que des roseurs marcescentes comme celles de
-l'anémone du Japon.
-
-Et puis l'épiderme se voile de blanc, d'une transparence blanche sous
-laquelle il se devine encore, de même que le vert se devine encore au
-verso blanc des feuilles du peuplier blanc.
-
-Et puis il se linceule de blanc: on dirait d'une marmoréenne statue où
-seuls les yeux vivent.
-
-Mais les yeux s'auréolent de noir; et les lèvres se vernissent de
-carmin; et les mouches noires notent une recherche d'élégance.
-
-Et le sourire, l'immuable sourire, se fige à la commissure des lèvres,
-découvrant la denture bêtasse.
-
-Et l'oeil dans son auréole noire stagne, avec la classique polissonnerie
-qui bonimente l'alcôve.
-
-Et toute, elle donne l'impression d'une étiquette, comme les toilettes
-de Paris derrière la provinciale vitrine.
-
- * * * * *
-
-Les maisons sont coiffées de faîtes à gradins. Dans l'angle suprême des
-façades, les oeils-de-boeuf semblent voir.
-
- * * * * *
-
-Leurs saillies se capuchonnent de neige, de neige qu'illumine la lune
-bleue. La vitrine de la «Dame-d'Honneur» larmoie des gouttes de vapeur.
-Le pavé sec et gris, le ruisseau solide.
-
-Entre le manteau soyeux et bordé de loutre que dépassent les volants
-d'une robe en velours, entre le manteau et le chapeau chargé de plumes
-frissonnantes, la figure de Lucie resplendit comme un masque neuf.
-
-Et ses mains gantées de noir où saignent de larges piqûres écarlates,
-ses mains gantées de noir tiennent un petit manchon.
-
-Elle regarde la vitrine et sa poitrine exhale de gros soupirs.
-
-Une autre femme semblablement mise l'accoste. Et les: «Bonjour, madame!»
-chantent un prétentieux duo.
-
-Les petites mains gantées de noir et les petites mains gantées de jaune
-indiquent une foule d'objets derrière la glace. Elles s'agitent, elles
-vont des mannequins pancartés de blanc aux chapeaux piédestalés de
-palissandre, des rubans enroulés sur les supports de globes à gaz,
-jusqu'aux cravates indigo et vermillon qui semblent nager en des flots
-de dentelles rêches.
-
-Et les têtes hochent, et les plumes frémissent, et d'une poitrine à
-l'autre les gestes oscillent, volubiles.
-
-Mais voici deux ombres toussotantes, crachotantes, bedonnantes.
-
-Elles traînent sur le trottoir sec et gris des sabres qui résonnent et
-des éperons qui cliquètent.
-
-Et leurs faces renfrognées, rougeaudes, moustachues, grognent sous les
-képis garance.
-
-Et très penaudes, se taisent les petites femmes qui suivent les
-officiers.
-
-Sans dire, elles subissent les remontrances; et les moustaches en
-brosse, balayent leurs petites figures, les pauvres petites figures qui
-resplendissent comme des masques neufs.
-
- * * * * *
-
-Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Des heures. Elles tombent
-lourdes de sa couronne en pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes. Au pinacle de l'édifice que noircirent les âges, le lion
-héraldique dressé mire la lune en ses flancs d'or. Et les maisons sont
-coiffées de faîtes à gradins; et, dans l'angle suprême des façades, les
-oeils-de-boeuf semblent voir.
-
-Vieille cité flamande.
-
-
-SÉRÉNADE
-
-Arras.
-
-Le café blanc et or, ses banquettes de velours grenat. De pilier à
-pilier, ondoye la bleuâtre fumée des pipes qui sinue et s'élève. Plus
-haut, le plafond a revêtu la teinte saure des vieux tableaux. Dans les
-globes dépolis, le gaz flambe comme un oeil; sa lumière s'épand et
-cuivre. Elle s'épand et elle cuivre les tables de marbre blanc, et les
-verres et les liquides. Elle s'épand et cuivre les glaces adverses, où
-s'enfoncent d'infinies perspectives de la salle, réfléchies et
-réfléchies toujours dans leurs multiples mirances. De même, au théâtre,
-la galerie sans bout du palatial décor. Des têtes pommadées et des
-crânes chauves. Et, proférés, des mots étranges de jeux. Bruit des
-dominos grattant les tables. Des éphèbes étreignent leurs cartes, les
-Rois impassibles trônant avec le sceptre, les Reines à figure ronde, et
-les As solitaires. Ils tremblent blêmes, la main frémissant au bord du
-tapis rouge, où s'enlacent sataniquement les noires initiales du patron.
-Un sou la fiche. Autour des billards, verts comme des prairies
-anglaises, les messieurs grisonnants s'appuient sur les queues, en
-silence, dans l'attitude du hallebardier royal. Et les blancheurs des
-tabliers qui ceignent les garçons lâchent seuls une note crue dans la
-symphonie des couleurs cuivrées. La très laide caissière, à peine
-découvrable au milieu des flacons à pans et des maillechorts, inscrit.
-Ses gros doigts courent sur la page, courent avec une bague à chaton
-d'émeraude. Tandis que de jeunes hommes étouffent de criailleries le
-bruissement qui plane: «Tu as une veine de cocu! Le roi! Tu es baisé!»
-et jettent les cartes sur le marbre avec une bestiale rage.
-
-Magistralement un notaire impose: Whist veut dire silence.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
- Première Soirée:
-
- _C'est l'hiémale nuit_ (J. M.) 7
- Amourette (P. A.) 11
- Le lévrier (J. M.) 45
-
- Deuxième Soirée:
-
- _La Haye gris de perle_ (P. A.) 53
- La Faënza (J. M.) 59
- En gare (P. A.) 77
-
- Troisième Soirée:
-
- _Au couchant, devers_ (J. M.) 87
- Crescendo (P. A.) 89
- Babioles (J. M.) 107
-
- Quatrième Soirée:
-
- _La mer, d'un jade qui_ (P. A.) 117
- Le cas de Monsieur de Lorn (J. M.) 121
- La tare (J. M.) 143
-
- Cinquième Soirée:
-
- _Au pied de la montagne_ (J. M.) 157
- Le cul-de-jatte (P. A.) 159
- L'Innoucento (J. M.) 175
-
- Sixième Soirée:
-
- _Gît la plaine brune_ (P. A.) 183
- OEil-Chinois (J. M.) 187
- Ophicléide flamand (P. A.) 197
-
-
-3694.--ABBEVILLE, TYP. ET STÉR. A. RETAUX.--1886.
-
-
-
-
-
-End of Project Gutenberg's Le thé chez Miranda, by Jean Moréas and Paul Adam
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE THÉ CHEZ MIRANDA ***
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-Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
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-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
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- The Project Gutenberg eBook of Le thé chez Miranda, by Jean Moréas and Paul Adam.
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-</head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-Project Gutenberg's Le thé chez Miranda, by Jean Moréas and Paul Adam
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le thé chez Miranda
-
-Author: Jean Moréas
- Paul Adam
-
-Release Date: September 10, 2020 [EBook #63167]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE THÉ CHEZ MIRANDA ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
-produced from images generously made available by The
-Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-<p class="c large sans-serif">JEAN MORÉAS ET PAUL ADAM</p>
-
-<h1>LE THÉ<br />
-<span class="small">CHEZ</span><br />
-<span class="large">MIRANDA</span></h1>
-
-<p class="c gap"><span class="large">PARIS</span><br />
-TRESSE ET STOCK, LIBRAIRES-ÉDITEURS<br />
-<span class="small">8, 9, 10, 11, Galerie du Théâtre-Français<br />
-PALAIS-ROYAL</span></p>
-
-<p class="c">1886<br />
-Tous droits réservés</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="top4em"><i>Les auteurs et les éditeurs déclarent réserver leurs droits
-de traduction et de reproduction.</i></p>
-
-<p><i>Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (section
-de la librairie) en Juillet 1886.</i></p>
-
-
-<p class="c gap sans-serif small">OUVRAGES DE JEAN MORÉAS:</p>
-
-<p><b>LES SYRTES.</b></p>
-
-<p><b>LES CANTILÈNES.</b></p>
-
-
-<p class="c gap sans-serif small">OUVRAGES DE PAUL ADAM:</p>
-
-<p><b>CHAIR MOLLE.</b></p>
-
-<p><b>SOI.</b></p>
-
-
-<p class="c gap"><i>Pour paraître prochainement</i>:</p>
-
-<p class="c"><b class="large sans-serif">LES DEMOISELLES GOUBERT</b><br />
-<span class="small">M&OElig;URS DE PARIS</span><br />
-par<br />
-<span class="small sans-serif">JEAN MORÉAS ET PAUL ADAM</span></p>
-
-
-<p class="c gap small">3694.&mdash;ABBEVILLE, TYP. ET STÉR. A. RETAUX.&mdash;1886.</p>
-
-<div class="break"></div>
-
-<p class="top4em"><i>Il a été tiré de cet ouvrage sur papier de Hollande
-dix exemplaires numérotés à la presse.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Première Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="C'est l'hiémale nuit" id="p1ch1"></h3>
-
-<p><i>C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux
-comas.</i></p>
-
-<p><i>Quartier Malesherbes.</i></p>
-
-<p><i>Boudoir oblong.</i></p>
-
-<p><i>En la profondeur violâtre du tapis, des cycloïdes
-bigarrures.</i></p>
-
-<p><i>En les froncis des tentures, l'inflexion des voix
-s'apitoie; en les froncis des tentures lourdes, sombres,
-à plumetis.</i></p>
-
-<p><i>C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux
-comas.</i></p>
-
-<p><i>Dehors, la blancheur pacifiante des neiges.</i></p>
-
-<p><i>Au foyer, la flamme s'allonge, s'allonge et se
-recroqueville, s'aplatit et se renfle,&mdash;facétieuse.</i></p>
-
-<p><i>Et des émanations défaillent par le boudoir oblong,
-des émanations comme d'une guimpe attiédie, d'une
-guimpe attiédie au contact du derme.</i></p>
-
-<p><i>Le jour froid des lampes filtre et se réfracte. Le
-jour des lampes se réfracte en la profondeur violâtre
-du tapis aux cycloïdes bigarrures; il se réfracte contre
-les tentures sombres, à plumetis.</i></p>
-
-<p><i>Au-dessus du sofa brodé de lames, dans son cadre
-d'or bruni, un <span class="small">PAYSAGE</span></i>: Perse stagne la mare;
-les joncs flexueux où des engoulevents volètent, la
-ceignent. A gauche, des peupliers que le cadre
-étronçonne, et tout au fond, par les ciels dégradés,
-dans la grivelure argentée de leurs ailes éployées, un
-vol tumultueux de grèbes.</p>
-
-<p><i>En face du sofa brodé de lames, sur un meuble
-bas, pentagone, que des télamons supportent, de
-hautes feuilles de parchemins vêtues de poult-de-soie
-blanc, aux agrafes d'un métal précieusement oxydé,
-s'étalent.</i></p>
-
-<p><i>Et ce sont là devis et contes, devis et contes futiles
-et sentencieux, écrits pour l'agrément de la Dame par
-ses deux sigisbées.</i></p>
-
-<p><i>C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux
-comas.</i></p>
-
-<p><i>Dehors, la blancheur pacifiante des neiges.</i></p>
-
-<p><i>Au foyer, la flamme s'allonge, s'allonge et se
-recroqueville, s'aplatit et se renfle,&mdash;facétieuse.</i></p>
-
-<p><i>&hellip; Miranda, toute droite, à l'aise en une sorte de
-canezou d'escot aux passements de jais et de soie écarlate,
-verse du thé de ses mains bien fardées.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p1ch2">AMOURETTE</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>Aux Tuileries, contre la terrasse qui longe la
-Seine, elle se tient assise, en brodant. Et se
-détache à peine sa toilette sobre sur le vert
-noir du lierre.</p>
-
-<p>Paul Doriaste est revenu là pour lui découvrir les
-imperfections peu visibles, mais décevantes, qu'elle
-doit avoir. Ainsi espère-t-il esquiver la hantise d'elle.
-Chose bête: il a soumis plusieurs jours son tympan
-aux cacophonies des musiques militaires afin de la
-voir. Cette élégance de dame à médiocres revenus, la
-plus discrète et délicate des élégances, le charme.
-En paysanne, en grande mondaine, en mystérieuse
-courtisane, en bourgeoise lettrée, il l'a décrite déjà,
-au cours de plusieurs nouvelles qu'il fit pour son
-journal, <i>le Sphinx</i>. Elle accapare son esprit; il la
-désire, et il ne l'aura point.</p>
-
-<p>Cela se devine tout de suite qu'il ne l'aura point.
-Elle est honnête fatalement par sa blondeur tendre
-d'anémique, la matité du teint pur, la tendance à
-rester clapie très longtemps dans la même attitude.</p>
-
-<p>Elle le regarde venir. Sur l'orbe de son &oelig;il levé
-une nacrure luit, humide, puis se voile des cils baissés
-vite. Et cette luisance le pénètre, se darde par ses
-entrailles qui frémissent. Il la veut. Sans doute elle
-n'osera se livrer; mais ce geste du regard est certainement
-un aveu d'amour. Ou non, peut-être. Aux
-sourires des gens semblent bizarres son costume de
-<span lang="en" xml:lang="en">sportsman</span>, ses bottines pointues et ses culottes collantes;
-à elle aussi pourquoi ne paraîtrait-il point
-ridicule. Une simple curiosité peut-être incita la
-moqueuse à l'examiner. Et tout désir se dissipe en
-lui. Il se résout à rentrer. Intimement un spleen
-l'abat.</p>
-
-<p>Le possède depuis quelque temps un besoin de
-femme, pas un besoin charnel, mais une envie de
-frôler des jupes, de laisser, en une infiniment douce
-caresse, ses lèvres effleurer l'odorant duveteux d'un
-épiderme de blonde, de sentir sous ses doigts l'incurve
-et plastique roideur du corset, à travers la
-soie.</p>
-
-<p>Le manque de cette satisfaction le rend veule,
-presque malade. Davantage l'obsède son scepticisme.
-Il s'échafaude en la cervelle des plaidoiries
-également probantes pour des principes contradictoires.
-Des dégoûts lui affluent. Il prévoit tout à
-l'heure, chez Sylvain, devant l'absinthe, ses camarades
-nantis de raisonnements pareils. On déversera
-sans trêve de pessimistes radotages. Et puis il
-regagnera son logis en discutant le suicide; ou
-bien, dans quelque boudoir public, il ira s'anuiter et
-accroître, par le contact de chairs urbaines, la regrettance
-du rêve féminin qu'il veut oublier. Rien autre
-en but. Lassitude d'être.</p>
-
-<p>Au reste, pourquoi ne point tenter cette aventure,&mdash;distrayante,
-qui sait? S'arrêterait-il à la crainte
-d'échouer? Non. L'insuccès dans ce genre de tentative
-indique seulement une erreur sur la minute
-propice, une inaptitude à graduer ses paroles selon
-l'inintelligence de la femme. Aurait-il honte de ne
-pas réussir là où triomphe la bêtise suprême des
-lieutenants et des coiffeurs?&hellip; Le dépit s'en offrirait
-bizarre à étudier sur soi.</p>
-
-<p>Et Paul Doriaste repasse devant elle. Un autre
-regard le trouble encore. Une bestiale envie
-d'étreindre le surexcite&hellip; Il se décide. La pâleur
-lui resserre la peau, son c&oelig;ur bat; mais comme il
-s'estime brave de l'effort qui l'amène près elle! Il
-s'assied; et, bien qu'elle feigne une complète indifférence,
-il espère.</p>
-
-<p>Elle demeure toujours immobile, comme malicieuse
-dans sa pose énigmatique. Elle pense,&mdash;devine-t-il:
-S'il se montre impertinent je le remettrai à sa place;
-et s'il n'ose pas c'est un sot. Ce le tracasse fort de
-comprendre cette pensée. Il remarque les dessins de
-la broderie qu'elle achève: une fleur, une étoile, une
-rosace dans un cercle, et puis une fleur, une étoile&hellip;;
-ça recommence ainsi indéfiniment. Un bout de jupon
-frais qui dépasse la robe laisse évoquer le linge de
-dessous et le corps. Oh! si ce teint se retrouve sur
-la poitrine autour des pointes roses, et entrevu par
-les vides de la guipure!&hellip; Et l'odeur chaude qui
-émanera, nourrissante presque. Son minuscule soulier
-vernis tout plat semble ne rien contenir jusque
-la bouffette de rubans qui lace. Par-dessus se courbe
-un renflement gras, linéaire dans un bas uni et
-violâtre.</p>
-
-<p>Et les lois conventionnelles qui entravent la sincère
-et brusque manifestation de l'amour?&hellip; Quels
-imbéciles préjugés!&hellip;</p>
-
-<p>Une balle crasseuse roule vers la chaise de
-Doriaste. Apparaît le propriétaire: un <span lang="en" xml:lang="en">baby</span>, un
-gnôme bouffi, chancelant, hâve, chevelu de jaune
-clair, et qui fixe le chroniqueur de ses gros yeux
-lactescents. Doriaste ramasse le jouet, car la voisine,
-tout de suite, a coulé l'&oelig;il vers l'enfant. Lui le
-caresse et lui parle, sûr que l'instinct de maternité
-la tiendra forcément attentive à leur mimique et à
-leurs dires. Il tarabuste l'enfant lourd, ballonné
-d'étoffe blanche, et dont la laideur l'irrite. Il lui
-serine des inepties que le petit répète en bégayant
-et bavant. Tout à coup le mioche de pleurer à sanglots.&mdash;«Monsieur,
-prie-t-elle, mais laissez-le
-donc;&hellip; viens, va! mon petit garçon.»</p>
-
-<p>Elle a chanté, cette voix, sur une inflexion parisienne
-impérieuse, donnant la sensation d'avoir été
-perçue lors de querelles. Et, cependant qu'il conduit
-à la dame le pleurnicheur, il ne trouve rien de
-spirituel à énoncer, tant l'absorbe la désillusion de
-son ouïe. Au hasard, il lâche, avec un espoir de
-pitoyante réponse:&mdash;«Madame, vous aurez sans
-doute plus de chance que moi! je fais pleurer tous
-ceux que je veux aimer&hellip;»</p>
-
-<p>Elle sourit, moqueuse.</p>
-
-<p>C'est une grue, juge Doriaste. Le subit intérêt
-pris à ses paroles dénonce l'envie de se livrer; et la
-façon rapide dont elle l'exprime décèle que cette
-envie lui est coutumière. Il s'enhardit avec, déjà, la
-prévision d'un souper, d'une baignoire de petit
-théâtre. Justement il garde en poche les vingt louis
-de ses derniers articles. Et, tout en calculant la
-dépense probable de cette fredaine, il conte à la
-jeune femme l'histoire d'une maîtresse suicidée, bien
-convaincu qu'elle n'y veut croire, mais pensant la
-flatter par la peine qu'il se donne.</p>
-
-<p>Silencieuse, elle essuie de son fin mouchoir les
-joues de l'enfant, puis elle l'embrasse. Doriaste
-pousse alors un profond soupir tout en s'avouant
-à lui-même cette comédie ridicule. Elle hausse les
-épaules. Ce qui le froisse: elle l'ennuie à la fin avec
-ses manières! Il débite des sottises, soit; mais les
-femmes sont si nulles. Pour varier il la complimente.
-Il lui déclare comment sa toilette, harmonisée par
-un art dilettante, la désigne l'amie de goût que l'on
-rêve. Il décline sa position sociale, comptant sur ce
-titre d'homme de lettres pour la fasciner. Elle, pâlie
-un peu, se lève, s'en va.</p>
-
-<p>Ne point s'opposer à son départ? le jeune homme
-estime excellente cette tactique. A la regarder filant
-parmi la foule badaude, avec sa taille svelte qui
-s'érige hors le gonflement de la jupe, il la trouve plus
-désirable encore et son esprit s'opiniâtre à imaginer
-tout ce corps sans robe, sur un lit. La lumière qui
-se filtre par la verdure tendre des marronniers s'en
-vient voluter autour de ses formes que la marche
-ondule. Et l'&oelig;il de Doriaste longtemps vise l'épaisse
-torsade blonde où se contourne toute la chevelure
-qui monte dans le faîtage du chapeau.</p>
-
-<p>Il la suit. Bientôt il marche à côté d'elle et il prie
-qu'on l'excuse, et il proteste que seule une attirance
-<i>mystérieuse et invincible</i> l'attache à elle. Comme elle
-ne répond, gardant l'immutable indifférence de ses
-yeux froids, l'impassibilité de sa peau mate, Doriaste
-cite son nom bien connu et interroge si elle lit
-quelquefois <i>le Sphinx</i>: les cinq derniers articles, il
-les a consacrés à décrire l'image d'elle.</p>
-
-<p>Et elle s'étonne d'entendre sa voix chevroter pendant
-qu'il dit cela. Et ce chevrotement la pénètre,
-lui secoue le c&oelig;ur. Subitement, elle stationne
-et déclame cette phrase qu'elle a vue quelque
-part:</p>
-
-<p>&mdash;Donnez-moi votre parole d'honneur que vous
-ne serez que mon ami, rien que mon ami.</p>
-
-<p>Au désir d'héroïne dramatique il accède, devenu
-stupide de bonheur parce qu'il la flaire, parce qu'il
-calque du regard ses formes proches, elle consentante.
-Il ajoute à son serment:</p>
-
-<p>&mdash;Jusqu'au jour où vous-même m'en relèverez.</p>
-
-<p>&mdash;Jamais, cela.</p>
-
-<p>La face du chroniqueur s'étire en un sourire triste,
-amer, incrédule. Vers la grille elle reprend sa route.
-Lui, à mots émus, confesse sa présente extase.
-Muette, elle l'écoute, la bouche gaie, pourtant.</p>
-
-<p>A l'appel de sa main, un cocher blanc dirige près
-elle son fiacre. Et Doriaste:</p>
-
-<p>&mdash;Laissez-moi vous accompagner.</p>
-
-<p>&mdash;Non, je ne suis pas libre&hellip; je suis mariée.</p>
-
-<p>&mdash;Quand vous reverrai-je.</p>
-
-<p>&mdash;Vous avez bien su me trouver; vous le saurez
-encore, à moins que l'oubli&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Oh! non. Me direz-vous comment vous vous
-appelez, afin que&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Supposez que je m'appelle&hellip; Marceline&hellip;;
-oui, Marceline&hellip;</p>
-
-<p>Du fiacre où elle s'installe en tapotant ses jupons,
-elle a pour Doriaste un franc regard, très long.</p>
-
-<p>Et la voiture cahote, jaune, par les rosâtres grisailles
-de la vesprée.</p>
-
-<p>En vain le journaliste espère-t-il qu'elle soulèvera
-le voile capitonné qui ferme le judas dans le panneau
-du fiacre&hellip; Rien.</p>
-
-<p>Marceline? Marceline! songe-t-il, prénom cher à
-la littérature bourgeoise. Le père, il l'imagine ingénieur,
-ou sous-chef, ou magistrat, honnête homme
-certes, grand lecteur du <i>Temps</i> et des discours académiques,
-et croyant aux destinées du pays. Sans
-doute il psalmodiait le soir, sous la lueur cuivreuse
-de la lampe, les phrases sentimentales de George
-Sand, devant sa femme, et, par-dessus la nappe, ils
-se serraient la main. A la suite d'une telle lecture
-Marceline a dû être conçue dans un lit d'acajou linceulé
-de cretonne bleue.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Premier rendez-vous au concert.</p>
-
-<p>Sur la scène, un violoniste enlève les symphonies
-de Max Bruch, du coude, de la tête, avec des
-mouvements de lutteur agile; et le gaz crûment
-inonde son habit noir, ses cheveux noirs.</p>
-
-<p>Paul Doriaste se mélancolise à percevoir ces
-sonorités fuyantes, et qui, lentement, reviennent. A
-son côté, Marceline se serre parmi l'entassement
-d'un public nombreux. Et il la sent très loin de lui
-comme une impassible vision. La rectitude de cette
-pose où pas une flexion ne s'affaisse, le vague de ce
-regard qui flotte par le lustre, et se fixe aux pendeloques
-que les feux décomposés teintent de lueurs
-joaillières, tout cela semble cacher une âme mystérieuse,
-intangible. Il lui en veut d'avoir accepté ces
-relations platoniques. Une comédie qu'elle joue là;
-une comédie qui, lui, l'absorbe et l'agace. Voici
-qu'il n'entend même plus Max Bruch. Elle finira,
-cette femme, par lui tuer le sens artistique.</p>
-
-<p>Derrière leurs pupitres, les musiciens s'étagent
-en face, adossés au décor: figures communes, épanouies
-dans l'évasement des faux-cols; corps tassés
-dans les fracs larges, dans les bosselures des plastrons
-blancs. En bas, les choristes femelles avec
-les taches claires de leurs collerettes sur la terneur
-minable des corsages. Dans le haut, tout à
-fait, le timbalier s'amplifie en allures pontifiantes,
-tandis que le cymbalier ne cesse de faire reluire
-son binocle et le replacer sur sa face qui sue. Et ce
-monde s'encastre entre les cuivres énormes, s'accoude
-à l'acajou de contrebasses, s'enrage sous les cordes
-des harpes monumentales. Des toiles peintes et
-défraîchies, du plafond que traverse une ligne
-d'usure, les torchères saillent, le lustre pend. Seules
-dorures.</p>
-
-<p>Vibre une note isolément, comme le pleur prolongé
-d'une vierge, et Doriaste conquis ne remarque
-plus rien. La mesure s'active, et s'alanguit tout à
-coup, râle. Comme un sanglot alors, et puis de
-cristallines notes ruissellent, et des notes, et encore.
-Il en sourd des soupirs, des étirances lamentantes,
-de spasmatiques arpèges. Tantôt l'harmonie se
-pâme humide, s'expire. Puis elle s'élance avec de
-déterminés vouloirs, des violences de rut. Les cordes
-des violons craquent comme des soieries et hocquètent
-comme des gorges jouissantes. D'une accalmie
-douce, murmurée, surgit une sautillante phrase qui
-croît. Elle domine, triomphe en une impudique
-danse. De lentes ondulations l'enserrent par une
-spirale qui monte et s'évase. Les dièzes reluisent
-comme des gemmes, des gemmes qui parent une
-chevelure longue, une chevelure qui se dénoue et
-flotte dans un aboutement de gammes. Et s'évoque
-la toute-puissante femme. Il est une mugissante mesure
-pour le fauve des aisselles, une mesure plane pour
-le front pur, une note coulée pour la gouttelante
-améthyste qui pendeloque sur le front, deux mesures
-ronflantes pour les seins arrondis; ensuite une rapide
-infinité de sons qui disent tout, décrivent tout et le
-clament: ce sont les cassures de gaze d'or autour des
-hanches, et le galbe recourbé des bras sur la tête
-qui se renverse, et le poli du ventre avec les mystiques
-profondeurs du nombril, et les yeux, pastilles
-d'encens où fulgure une minuscule étincelle. Le
-rythme s'exaspère. La Salomé bondit avec un éclat
-de trilles et un scintillement de pierreries. Les croches
-se dardent comme des diamants et se fluidifient
-en collier comme une rivière d'ambre sur la
-poitrine. Deux notes brèves saillissent comme les
-escarboucles des seins.</p>
-
-<p>Et Paul Doriaste ne perçoit plus que les multiples
-voluptés d'un corps féminin harmonique en
-danse harmonieuse. Il y voit la nudité de Marceline;
-il se retient pour ne pas l'étreindre. Et, par
-la salle, les bravos croulent, rebondissant sur les
-banquettes écarlates.</p>
-
-<p>&mdash;C'est délicieux, émet-elle: toutes ces notes
-s'épanouissent comme les fleurs d'un jardin
-féerique.</p>
-
-<p>Elle a dû composer cette sentence avec un
-extrême soin, pendant toute une moitié du morceau.
-Le chroniqueur s'enrage à l'entendre, il se contente
-d'affirmer:</p>
-
-<p>&mdash;Parfaitement, madame.</p>
-
-<p>Lamoureux, le chef d'orchestre, gravit l'estrade.
-Il inspecte le public à travers la luisance de son
-binocle, avec un lent tournoiement de sa carrure
-pesante. Levant l'archet, il fait signe.</p>
-
-<p>Du Wagner: le premier acte de <i>Tristan et Yseult</i>.
-La gigantesque rumeur d'un océan enfle par les
-cordes, hurle dans les cuivres, se lamente dans les
-contrebasses, s'écroule avec le choc grave de la
-grosse caisse, avec l'éclatante sonorité des cymbales.
-Et, par un moutonnement de notes minimes,
-la vague rétrogradante bruisse. Les tonalités énormes
-et balbutiantes de la grande mer s'épanchent
-dans l'ampleur de cette phrase musicale
-toujours reprise, toujours elle-même et jamais
-identique. Cela institue d'immenses perspectives
-d'eau verte montuant sous un ciel froid, quelque
-chose de terrifiant et de squameux; et l'inopinée
-chanson du mousse se déverse des hunes pâles:
-sensation de l'humain infime perdu dans l'immensité
-du large.</p>
-
-<p>Doriaste, très empoigné, abandonne sa rancune
-contre le béotisme de Marceline. Un instant, à
-peine, le gagne un dédain pour l'écrivaillerie sentimentale
-dont elle copie les piteuses héroïnes.
-Ailleurs l'emporte un rythme.</p>
-
-<p>Fatiguée de s'être tenue si longtemps roide,
-Marceline fléchit vers le dossier de son fauteuil, et
-un reflet rouge, le reflet d'une tenture de loge se
-pose dans sa pupille bleue. A la contempler, Doriaste
-ressent un nouvel afflux de désirs. Une chaleur
-parfumée l'imprègne et affadit sa rage. Marceline
-s'affaisse toujours en courbes molles. Il a
-bientôt de sa jupe dans les jambes. Entre sa taille et
-le dossier du fauteuil il glisse la main. Ce lui procure
-une sensation d'exquis énervement effleurer le tissu
-un peu rêche du corsage. Elle ne bouge, elle ne
-parle, elle ne se meut. Vaniteuse joie du jeune
-homme qui suppose acquiescente cette immobilité.
-Mais à la fin du morceau, levée brusquement, elle
-profère:</p>
-
-<p>&mdash;Adieu, par votre faute.</p>
-
-<p>C'est comme un soufflet sur la joue de Doriaste,
-une leçon qu'elle donne. Et tout son mépris pour
-cette bécasse platonique s'exhale en une populacière
-injure murmurée, qu'il entendit naguère sur le
-boulevard et dont la gouailleuse intonation l'obsède:</p>
-
-<p>&mdash;Hé va donc, morue!</p>
-
-<p>Jusque la dernière note du concert, il se soûle
-d'harmonie. Il s'avoue soulagé de ne l'avoir plus
-là, elle.</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>Au <i>Sphinx</i>, dans la salle de rédaction, Paul Doriaste
-narre en plaisantant son duel du matin.</p>
-
-<p>&mdash;Mais pas du tout; je sais à peine comment
-cela se fit. Vergex s'est reculé: il avait une grande
-égratignure là, au biceps. Alors j'ai abaissé mon
-épée.</p>
-
-<p>&mdash;Et en refrain, une gibelotte délicieuse.</p>
-
-<p>&mdash;Où ça?</p>
-
-<p>&mdash;A <i>la Cascade</i>, parbleu. Le patron m'a dit qu'il
-allait faire installer une salle de pansement entre la
-cuisine et les <span lang="en" xml:lang="en">closets</span>. J'ai vu le plan.</p>
-
-<p>&mdash;Il est fumiste ce Doriaste! Et vous êtes amis
-tout de même.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne pense pas. Nous ne nous saluons plus.</p>
-
-<p>Un monsieur très chauve s'exclame en déposant
-un journal sur la table drapée de vert.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, il va être content Caufières.</p>
-
-<p>&mdash;Le témoin de Vergex? interroge Doriaste.</p>
-
-<p>&mdash;Lui-même. Je ne sais si c'est une coquille ou
-une méchanceté de Macette, dans le compte rendu
-de <i>l'Éclair</i> on a supprimé l'<i>a</i> de son nom. Voyez.</p>
-
-<p>&mdash;Cufières, Cufières, ça fait Cu-fier. Elle est
-mauvaise celle-là.</p>
-
-<p>&mdash;Du coup, sa maîtresse va le lâcher.</p>
-
-<p>&mdash;Il a une maîtresse?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, la baronne de Terse. Elle ne lui pardonnera
-pas ce ridicule.</p>
-
-<p>&mdash;Il couchait avec?</p>
-
-<p>&mdash;Dame, une maîtresse?&hellip; généralement! Il prenait
-ses repas chez elle. C'est un garçon pratique,
-ça lui économisait les restaurants.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! il couchait&hellip; Eh oui! je suis bête, répond
-Paul.</p>
-
-<p>Et l'image de Marceline qu'il n'a vue depuis le
-concert se dresse en sa mémoire, vision maligne insaisissable.
-De ce regret il construit une chronique.</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur, vient lui dire le garçon, tandis
-qu'il achève un paragraphe, il y a une dame pour
-vous dans le salon.</p>
-
-<p>Elle, debout devant une croquade de Forain, et sa
-toilette sombre l'enveloppe de plastiques roideurs.</p>
-
-<p>L'émotion rend Doriaste tout tremblant, et, pour
-éviter à Marceline l'embarras de parler:</p>
-
-<p>&mdash;Que vous êtes bonne! Vous vous intéressez
-donc à moi!</p>
-
-<p>&mdash;J'avais craint qu'il ne vous fût arrivé quelque
-malheur.</p>
-
-<p>&mdash;Vous ne m'en voulez plus alors?</p>
-
-<p>&mdash;Si.</p>
-
-<p>L'humidité profonde de son regard mire le visage
-du jeune homme.</p>
-
-<p>&mdash;Je m'en vais, maintenant, dit-elle.</p>
-
-<p>&mdash;Moi aussi, je m'en vais. Me permettez-vous
-de vous accompagner?</p>
-
-<p>&mdash;Oh! non. D'abord je craindrais de vous déranger;
-et puis, si j'étais vue&hellip;</p>
-
-<p>Et le ton de ces paroles prouve qu'elle se soumet
-à lui, repentante. Il commande en cachette un coupé
-de remise. La conversation butine sur des banalités
-vagues; et il exerce son esprit à inventer de quelconques
-traîtrises qui la puissent mettre en ses bras.
-Ils descendent. Dans la rue Drouot étroite, où le
-monde grouille, elle n'ose s'arrêter longtemps pour
-se défendre de monter en voiture. Près elle un vieux
-monsieur bougonne contre les gens qui obstruent la
-voie publique. Doriaste, doucement, l'amène jusque
-sur les coussins.</p>
-
-<p>&mdash;Ce n'est pas bien, fait-elle.</p>
-
-<p>Au capitonnage elle s'adosse, les yeux perdus en
-quelque infini souvenir.</p>
-
-<p>Du duel, il parle. Peu à peu elle lui sert de
-discrètes exclamations. Il invente des détails, il
-énumère des dangers. Insinuant que le vrai motif
-de cette rencontre n'est pas celui publié par les
-gazettes, il se pose en redresseur de torts, il lâche
-ses indignations contre la canaillerie de <i>certaines gens</i>.
-Puis il se piédestale sceptique, rassasié de vie, de
-choses, d'êtres. Un moment, Marceline lui a rendu
-ses croyances, les bonnes pensées qui retrempent et
-encouragent. Mais, après son abandon, il a requis
-ce duel, voulant la mort. Sur le terrain, quelque
-chose, subitement, lui prédit qu'elle reviendrait, et il
-s'est défendu pour pouvoir l'aimer, l'adorer, lui
-poser un baiser.</p>
-
-<p>Elle le laisse prendre si froidement qu'il se reproche
-l'avoir pris. Et cependant il questionne si
-elle l'aime un peu. Très bas, elle affirme «oui».
-Et sa main, sa longue main gantée se crispe sur
-les doigts de Doriaste.</p>
-
-<p>Devant la maison du chroniqueur le coupé s'arrête.
-En gentilhomme heureux, il donne un louis au
-cocher; et cette crainte le harcèle: la blanchisseuse
-n'a peut-être point rapporté les serviettes
-fines.</p>
-
-<p>Mais déjà, dans la lumière blonde du soleil automnal,
-Marceline s'éloigne grave.</p>
-
-<p>Lui murmure: «Ah! non, pas de lapin, ma
-vieille!» Comme il l'a rejointe, comme il la supplie,
-elle révèle son mari, courageux militaire, officier
-de la Légion d'Honneur. Le tromper serait lâche
-tant il se confie en elle; Paul Doriaste, un galant
-homme, ne voudrait pas cette forfaiture. Toute rose
-elle s'anime, parlant haut presque. Les grands mots
-«honneur», «paroles engagées», passent entre ses
-lèvres avec des sons sévères, superbes.</p>
-
-<p>Il est convaincu; il l'estime pour ces reproches.
-Il prévoit vilipendé, moqué ce mari, un brave
-homme. Et c'est en lui une déchirante lutte entre
-son amour paroxysé par le goût du baiser conquis,
-par les longs frôlements en voiture, et l'hésitation à
-commettre une infamie. Mais s'impose l'idée soudaine
-qu'elle blague peut-être, que tout cela est
-manège pour accroître la valeur de sa défaite. Alors
-il ruse:</p>
-
-<p>&mdash;Oui, vous avez raison. Un ange comme vous
-ne peut pas tromper; et pourtant vous m'aimez et
-je vous aime comme on ne le saurait dire.</p>
-
-<p>L'un l'autre ils se crispent encore leurs mains
-enlacées; et, de cette partielle étreinte, un énervement
-délicieux jaillit jusqu'au fond de lui-même.
-Elle, pour ne pas pleurer, regarde fixement au loin,
-devant. Rue pâlement ensoleillée; trottoirs gris
-perle, propres; l'activité calme de la grande ville
-dévale avec les passants muets. Si régulièrement
-palpite le tapage qu'il semble la respiration d'une
-personne saine, et un vent doux caresse la peau,
-met une légère ondulance aux bâches rayées des
-boutiques. Sur le visage mat de Marceline deux
-larmes qu'elle essuie vite.</p>
-
-<p>Lui, très ému, ne doute pas maintenant que ses
-protestations ne soient sincères. Irrévocablement il
-l'aime.</p>
-
-<p>&mdash;Tenez, demande-t-il, je vous jure d'être raisonnable.
-Mais je voudrais vous voir chez moi, Marceline,
-vous voir une seule fois dans le cadre de mon
-intérieur. Il me semble qu'ensuite votre image y
-demeurerait toujours. Sans cesse je l'y pourrais
-adorer et je serais heureux. Votre souvenir revêtirait
-auprès de moi une forme plus réelle. Vous seriez
-comme un délicat fantôme, chérie, visible toujours
-et vous laisseriez une ombre parfumée de vous sur
-les choses que vous auriez touchées. Et vous seriez
-là, jusque ma mort, pour me garantir des désespérances.
-Venez, voulez-vous?</p>
-
-<p>Elle s'arrête de pleurer. Des gens qui marchent
-la dévisagent avec des mines pitoyantes ou ironiques.
-Elle s'en trouve confuse et se laisse conduire.</p>
-
-
-<h4>IV</h4>
-
-<p>Dans la pièce tendue de mauve, elle s'assied triste.
-A peine effleure-t-il le baiser de Doriaste vers ces
-lèvres chaudes. Elle se laisse enlacer. Ils restent
-ainsi longtemps sans dire, lui, s'imprégnant d'elle. Il
-songe que cette femme il la doit avoir, que son
-honneur de mâle serait compromis s'il ne manifestait
-pas sa virilité. Peu à peu, il approche son visage
-de celui de Marceline et multiplie les baisers, de
-minuscules baisers qui pleuvent. Elle s'étire, comme
-prise d'un malaise et vainement se débat sous
-l'étreinte triomphante. Par saccades sa gorge gonfle
-le drap bleu du corsage. Des tiédeurs en émanent
-qui pénètrent l'amant, font vibrer ses reins et ses
-entrailles, tendent jusqu'à sa gorge, voluptueusement.
-Elle ne le repousse plus et s'abandonne. Les baisers
-secouent leurs épaules. De la robe dégrafée les
-seins s'érectent et renflent la peau blanche. Il la possède.</p>
-
-<p>Le soleil tamisé par la soie des rideaux épanche
-une clarté mauve. Marceline, les yeux fermés, la
-bouche tordue, tressaille, et elle brise les cordons de
-ses vêtements et elle force les agrafes. Puis nue
-divinement. Et lui la broie dans son étreinte; il
-mord ces mâchoires qui râlent.</p>
-
-<p>C'est, avec des sanglots, une lutte cruelle de leurs
-corps, des embrassements et des chocs comme s'ils
-se voulaient confondre jusqu'aux moelles. Ils s'aiment
-infiniment.</p>
-
-<p>Sonnent les argentines heures, rieuses.</p>
-
-<p>Les lèvres de Marceline exhalent une odeur de
-violette.</p>
-
-<p>Au soir. Un dernier rayon roule dans les ors
-pâles de la chevelure épandue et les membres épars
-de l'amante s'ombrent d'ambre.</p>
-
-
-<h4>V</h4>
-
-<p>Tous les jours elle vient chez lui pour aimer.</p>
-
-<p>Et cette liaison se raffine de senteurs discrètes de
-linge sobrement dentellé, sans ostentation de faveurs
-bleues ou roses.</p>
-
-<p>D'elle, cependant, Paul Doriaste ne possède que
-l'extérieur; il en ignore l'intime psychologie. On
-dirait qu'elle tâche à paraître une créature d'âme
-banale. Devant les questions qui la sonderaient, elle
-se dérobe et s'efface. Jamais elle ne compte une
-aventure marquante qui permette d'induire une
-croyance sur son esprit. Surtout elle s'offre très
-bonne. Elle a pour le chroniqueur de simples éloges
-qui flattent délicatement et pour quelques prosateurs
-modernes qui la délectent, elle-même se défend
-de soutenir une opinion littéraire ou artistique.
-Tout ce qu'il désire, elle l'aime. La vie des
-boulevards, l'après-midi, l'amuse. Aux courses, la
-correction anglaise des équipages, les gestes secs
-des <span lang="en" xml:lang="en">sportsmen</span>, les faces impassibles des Parisiens
-cachant des angoisses, des joies, des navrances devinables,
-tout ce luxe de passions et de choses la
-captive. Par contre, lui répugne la semi-familiarité
-des restaurants; elle abhorre ces hommes qui la
-fixent en mangeant aux tables voisines ou crient
-des théories par pose, pour lui plaire. Doriaste
-et son mari, c'est là, semble-t-il, ses uniques affections.</p>
-
-<p>Le mari de Marceline, un noble de légende. Il
-fut bénédictin. En 1870 il quitta le froc et s'engagea.
-Par ses relations, par son mérite, il atteignit de
-hauts grades. Elle qui, jusque leur rencontre dans
-un salon, voulait vivre fille, l'aima, l'épousa. Aujourd'hui
-elle déplore ne pas l'avoir accompagné en
-Afrique. Elle prévoit des catastrophes s'il vient à
-savoir&hellip;</p>
-
-<p>Mieux qu'il ne la connaît, Doriaste s'imagine le
-mari, tant elle en parle, et il garde au fond de soi
-une respectueuse pitié pour le malheur de ce noble,
-qu'il cause.</p>
-
-<p>Maintes fois, la silencieuse Marceline se laisse
-glisser près Doriaste et, toute blanche, la figure encadrée
-par ses lourds cheveux blonds, à genoux sur
-le velours violet du divan, elle s'immobilise, les yeux
-vagues humant la lumière. Et, dans la pièce mauve,
-parmi les vieilles guipures aux tons fauves, sous les
-plats de cuivre rouge qui retiennent des lueurs dormantes
-dans leurs ciselures, la jeune femme apparaît
-à son amant comme la frêle réalisation des mystiques
-donatrices que peint Memling dans les panneaux de
-ses triptyques.</p>
-
-
-<h4>VI</h4>
-
-<p>Ils vont, calmes de bonheur, parmi la foule active.
-Au loin, l'Opéra assis dans les brumes rosâtres se
-révèle encore par les dorures qui, de place en
-place, s'irradient. Et la double file des lampadaires
-en bronze s'allonge, s'étrécit dans la perspective
-crépusculaire.</p>
-
-<p>Paul Doriaste, tout au charme des féminilités
-frôlantes, s'abandonne au bercement vague des réminiscentes
-rêveries. Contre son coude, le sein de sa
-maîtresse palpite.</p>
-
-<p>Ils doublent l'angle du boulevard. En teintes
-sobres s'harmonisent le miroitement limpide des
-étalages, les vêtements des promeneurs, les feuillages
-des arbres. Par delà les équipages glissent
-avec la fuite brillante de leurs lanternes, des gourmettes
-et les luisances noires des voitures. Jusqu'aux
-mors, les <span lang="en" xml:lang="en">steppers</span> arrondissent leurs jambes
-grêles.</p>
-
-<p>&mdash;Marceline! clame subitement une voix impérieuse.</p>
-
-<p>Le chroniqueur se retourne. Une colère l'a surpris&hellip;
-Mais, aussitôt, il réprime la semonce qu'il
-voulait servir à l'interrupteur de leur joie. Ce monsieur
-sec, brun, aux moustaches aiguës, ce monsieur
-ombré d'un chapeau gris, sans doute, c'est le mari.
-Il a pris le bras de la jeune femme et, tout bas, il
-répète:</p>
-
-<p>&mdash;C'est votre amant, n'est-ce pas?</p>
-
-<p>Et Doriaste sort à peine de son angoisse hébétée
-pour livrer sa carte en échange de celle offerte.</p>
-
-<p>Et puis Marceline jetée dans une voiture; le
-monsieur parlant au cocher, s'installant, reclaquant
-la portière; et le fiacre perdu dans l'enchevêtrement
-des fiacres; le chapeau blanc du cocher perçu seul
-longtemps encore, jusque là-bas, dans le fouillis des
-fouets minces.</p>
-
-
-<h4>VII</h4>
-
-<p>En la bienheureuse caresse des draps frais, Doriaste
-repose ses membres raidis par trois heures
-successives d'escrime. La clarté discrète qui choit de
-la veilleuse en verre bleu, pose sur le divan où gît
-la chemise de soie qu'il endossera demain matin
-pour se battre. Des mélancoliques lueurs.</p>
-
-<p>Et il vérifie par mémoire s'il n'oublia aucune des
-courses à faire dans cette circonstance, des emplettes.
-Cette affaire lui coûtera encore cent francs. Ses
-calculs, qu'il les fasse et refasse, atteignent inévitablement
-ce total.</p>
-
-<p>Jusque la fin du mois il sera contraint à vivre chichement.
-En somme, il dépensa beaucoup pour cette
-liaison: dîners et fleurs, parties de campagnes et
-théâtres, voyages et voitures de remise, duel. Il eût
-à ce prix entretenu trois grisettes pendant le même
-nombre de semaines. Mais que d'heures exquises
-passées avec elle, si aimante et si douce! Elle doit
-bien souffrir en ce moment aux amers reproches de
-son mari. Cette supposition l'attendrit: toute la
-journée il y songea tristement. Marceline s'évoque
-en visions délicieuses de charme et de bonté; et
-ces visions se dissipent et renaissent&hellip; Ou bien, qui
-sait, peut-être, la finaude a-t-elle déjà reconquis
-l'époux, et lui la supplie-t-il, en larmoyant, de
-l'aimer. Car elle est forte en volonté, même son
-amant, jamais ne put connaître ce qu'elle pensait&hellip;</p>
-
-<p>Si le mari le blesse elle aimera davantage celui
-qui aura <i>versé son sang pour elle</i>: et la charmeuse
-blonde s'exaltera en faveur de la victime. N'est-ce
-pas un premier duel et son auréole de bravoure
-qui la conquit. Au contraire, s'il blesse le mari, elle
-l'aimera pour son triomphe. Oh! la logique des
-femmes, comme il la connaît.</p>
-
-<p>Machinalement, sous les couvertures, il refait du
-poignet, du pouce, les feintes apprises. Sans doute
-l'adversaire aura le jeu sec de l'armée et l'épée
-théorique. Par ce dégagé il lui joindra la poitrine,
-le ventre par cet autre. Et s'il commet la sottise de
-se découvrir par un coupé, on lui ménage certaine
-riposte&hellip;</p>
-
-<p>Puis, défile le rappel de ses combats d'honneur,
-Cluseret faillit le transpercer il y a deux ans&hellip; Si
-le mari de Marceline le tuait? Non, c'est une chose
-rare ces accidents. D'ailleurs, il aura mené joyeuse
-vie ces cinq dernières années. Que de maîtresses,
-mes enfants, que de cocus et quelles noces!&hellip;</p>
-
-<p>La mort? Le nirvana sans doute, le complet repos
-des phénomènes. Ou, avenir terrifiant, une multitude
-de petites existences, d'êtres minuscules qui
-naissent de la décomposition; et la mort ce sera la
-vie infiniment multiple, avec toutes les douleurs,
-atténuées pourtant, et mises au point psychologique
-de ces larves. Quelle destinée: des joies et
-des désespoirs de microbes!</p>
-
-<p>La mort, est-ce la négation absolue? L'inconcevable,
-alors? Car, si l'absolu se pouvait concevoir,
-il s'établirait un rapport entre lui et le concevant,
-c'est-à-dire que l'absolu serait relatif, proposition
-contradictoire. Oh! stupidité immense des hommes.</p>
-
-<p>Penser que la philosophie officielle raisonne encore
-dans son ineptie béate, sur l'absolu inconnaissable&hellip;</p>
-
-<p>Sonne deux fois le cartel. Il reste encore quatre
-heures à dormir; et le sommeil s'impose absolument
-nécessaire pour se trouver dispos le matin. Au reste,
-il est très calme, très brave. Une dernière fois Doriaste
-mime dans le vide la botte sur laquelle il
-compte. Il s'y peut fier décidément, et, comme il
-ne se découvre jamais&hellip;</p>
-
-<p>Et il s'estime un très chic type: des amours, des
-duels, du talent et une complète indifférence pour
-les hochets de gloire.</p>
-
-
-<h4>VIII</h4>
-
-<p>Longchamps, le matin. La pluie striant de rayures
-fragmentées l'enfilade des tribunes vides. Et la pelouse
-pâlotte. Doriaste éprouve son épée. Le mari
-enlève ses manchettes et, fébrile, ne parvient pas à
-boutonner son gant. Il dut souffrir affreusement, ce
-noble. Ses yeux paraissent glauques; ses cheveux
-gris sont tout ébouriffés et, dans sa figure, les rides
-frissonnent.</p>
-
-<p>Le jeune homme remarque qu'il le gêne à l'examiner
-ainsi. Lui-même se sent très vigoureux, un
-robuste mâle, et il se compare en soi aux héros
-écossais de Walter Scott; et son épée, il la nomme
-muettement claymore. Puis, tout entier, l'accapare
-le soin de prévoir quelles seront les premières passes.
-Et les préparatifs ne se terminent pas. Les témoins
-causent sans agir.</p>
-
-<p>Un léger malaise lui resserre les entrailles et la
-gorge. Alors, pour se distraire d'appréhensions
-vagues qui, subrepticement, l'envahissent, il s'intéresse
-aux passants matineux, groupés proche. Il y a
-un garçon boucher robuste, les hanches enveloppées
-de toiles sanglantes, la tête fixe sous une corbeille
-grasse. Un hussard, en petite tenue, maintient, par
-le licol, deux chevaux dont les yeux noirs roulent
-inquiètement. Sur la route, près le moulin, un maraîcher
-arrête sa voiture et le vent souffle dans sa
-blouse que brunit l'averse. Et les témoins:&mdash;Allez,
-messieurs!</p>
-
-<p>La figure verdâtre du noble perçue à travers le
-très rapide cliquetis des armes. Et sa lame qui, sans
-cesse se dérobe, et repasse, et remonte, menaçante,
-et vue seulement par un reflet mince qui vire.</p>
-
-<p>Doriaste s'encolère impatiemment; son amour-propre
-se blesse à chacune de ses bottes parée. La
-sensation d'un coup violent et froid dans le c&oelig;ur. Et
-les tribunes accourent tournoyantes pour l'écraser.
-Et du noir. Plus rien, sinon une morsure à gauche.
-Naît un calme doux. Vers l'infini, une lueur pâlotte,
-fulgure, diminue, s'éteint.</p>
-
-
-<h4>IX</h4>
-
-<p>&hellip; Dans <i>le Sphinx</i>, l'article de première colonne
-intitulé: <i>Paul Doriaste</i>, est encadré de noir.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p1ch3">LE LÉVRIER</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>Depuis la mort de son mari,&mdash;il y aura un
-an vienne la vendange,&mdash;la comtesse Diane
-de Gorde vivait solitaire et inconsolée dans
-le vieux château tristement assis au bord de l'étang.
-Servie par des domestiques taciturnes, assistée par
-son confesseur qui lui prêchait, mais en vain, la
-résignation évangélique, elle passait sa vie à pleurer
-son bonheur irrévocablement évanoui, le c&oelig;ur percé
-de sept glaives.</p>
-
-<p>De haute lignée et d'une beauté fine de pastel
-ancien, elle s'était mariée un peu tardivement, à
-vingt-quatre ans, au comte de Gorde, beau jeune
-homme d'une trentaine d'années, galant à la mode
-exquise d'autrefois, amateur enragé de vénerie, vrai
-gentilhomme français et point anglomane. Courtisée
-plus que toute autre, à cause de son rang et de sa
-beauté, la comtesse de Gorde sut par un tact subtil
-et une conduite irréprochable décourager la fatuité
-des hommes et désarmer la médisance des femmes.</p>
-
-<p>Elle ne cachait pourtant pas, la belle Diane, sous
-sa gorge divinement moulée, la glaciale indifférence
-pour les amoureuses extases, de son homonyme l'antique
-chasseresse. Se sentant du sang de bacchide
-dans les veines et trop d'orgueil et de dévotion dans
-l'âme pour se salir d'adultère, elle préféra tuer
-littéralement son mari par ses caresses inexorables.
-Ce fut pendant cinq ans une vie d'affres et de délices:
-les flambeaux de l'amour brûlèrent jusques à
-la torchère autour d'un catafalque. Elle le regarda
-s'éteindre, le c&oelig;ur ulcéré de remords, mais impuissante
-à commander à la rébellion de ses sens. Et lui,
-déjà touché par la mort, il revenait encore, un
-mélancolique sourire sur ses lèvres pâlies et du
-bonheur au fond de ses yeux agrandis par la fièvre,
-il revenait, encore et toujours, respirer les lys de ce
-corps de déesse, ces lys plus mortels que la fleur du
-mancenillier. Ainsi par un crépuscule d'automne,
-comme les feuilles mortes commençaient à tournoyer
-le long des boulingrins jaunis, il rendit l'âme dans
-un dernier baiser.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Pendant les premiers mois qui suivirent la mort
-du comte, le désespoir de Diane fut tel qu'on eut à
-craindre pour sa raison. Peu à peu pourtant sa douleur
-s'apaisa, et une prostration muette suivit l'exaltation
-délirante. Avec l'accalmie relative des regrets,
-la nature reprit ses droits: l'exaspérée fermentation
-des lancinants désirs se mit à battre de nouveau
-dans ses veines de femme <i>chaude</i>, ses nuits furent
-hantées par de hideux cauchemars que d'exténuantes
-mortifications monastiques ne parvinrent pas à exorciser.
-Souvent, réveillée en sursaut, en butte à des
-tentations hallucinantes, elle tombait à genoux devant
-la niche de la Madone, implorant, avec des sanglots,
-l'absolution de l'inconsciente frénésie qui lui
-brûlait le sang, ou bien encore, après avoir erré
-comme une apparition désolée par les sombres corridors
-du château, elle passait la nuit jusqu'aux
-premiers rosissements de l'aube, dans le large
-périptère ouvert sur l'étang où pleurent les sarcelles,
-debout, son front fiévreux contre le marbre des
-colonnades, aspirant avec avidité le vent chargé de
-brume. Honteuse, elle se surprenait à convoiter les
-bras musculeux des jardiniers ou les mollets charnus
-des valets de chambre. Parfois, elle pensait aussi à
-se remarier. Alors un fantôme connu, très pâle, avec
-un doux sourire plein de reproches, se dressait
-devant ses yeux épouvantés, pour lui rappeler qu'elle
-lui avait juré à son lit de mort de ne jamais laisser
-souiller sa couche par un autre homme.</p>
-
-<p>Ainsi, l'&oelig;il cerclé de bistre, le facies torturé par
-de névriques spasmes, elle languissait et s'étiolait,
-cette Mimalone condamnée au célibat par un serment
-irrévocable.</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>C'était par un après-midi de la fin-printemps. Le
-ciel, dans la chaleur torride, semblait une fournaise
-chauffée à blanc; les libellules maraudaient par les
-nymphéas des eaux figées, les nids s'égosillaient
-dans les claires frondaisons; une langueur amoureuse
-passait dans l'air alourdi.</p>
-
-<p>La comtesse Diane, mélancoliquement accoudée
-à sa fenêtre, laissait errer ses regards distraits par la
-campagne verte. Soudain une scène inopinée attira
-son attention. Derrière un buisson bas de caryophylées,
-Tom et Giselle, ses lévriers favoris, se copulaient
-librement au soleil.</p>
-
-<p>La comtesse ferma la fenêtre et rentra rêveuse.</p>
-
-<p>Depuis ce jour-là, Tom, le beau lévrier d'Écosse,
-gorgé de friandises, ne quitte plus sa maîtresse.
-Diane a presque repris ses fraîches couleurs d'autrefois.
-Et, lorsqu'elle va, deux fois par jour, orner
-de thyrses de roses blanches la tombe de son mari,
-elle s'agenouille et prie, en répétant avec conviction:
-«Je jure que jamais un autre homme ne souillera
-notre couche.»</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Deuxième Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="La Haye gris de perle" id="p2ch1"></h3>
-
-<p><i>La Haye gris de perle où se fondent les façades
-closes. Poudroye au zénith la blanche incandescence
-d'un soleil pierrot. A travers les mirances du lac,
-c&oelig;ur de la ville, les maisons doublées à pic se fusèlent
-vers les aqueuses profondeurs.</i></p>
-
-<p><i>Casqué de cuir, la face ronde, bistre et rase, sauf
-l'unique barbiche en pinceau, un pêcheur offre aux
-replètes boutiquières des phoques vivants. Et dans les
-mannes qu'il désigne, c'est d'huileuses luisances sur
-les bêtes oblongues, sur leur pelage de souris, et de
-petits yeux doux qui s'effarent, et de félines moustaches.</i></p>
-
-<p><i>Au fond du landau pers se ploye Miranda gisante,
-songeuse: des formes graciles, insexuées. Elle laisse
-pendre au dehors une de ses mains haut gantées de
-chamois; l'autre effile l'ultime mèche de sa natte
-blonde, blonde ainsi que du chanvre nouvellement
-roui. Et la natte épaisse lui sinue près le cou, près
-l'oreille exsangue, minuscule, où pas un bijou ne se
-darde. Mais deux saphirs agrafent le col roide de sa
-robe en peluche couleur de fer. Et, aux cassures des
-plis, l'étoffe émet des lueurs de clair acier. Ce qui la
-sertit comme d'une armure jusque son énigmatique
-visage éburnéen. N'apparaissent point ses pieds sous
-la peau d'ours brun qui, depuis les genoux, la
-couvre.</i></p>
-
-<p><i>Hors la ville. Les juvéniles bouleaux s'érigent
-blancs sur le tapis roux des pelouses. Un feuillage
-poudrederizé qui de haut, coquettement, et semble
-voir, et frissonne. Comme un boudoir aux multiples
-colonnes blanches, aux moquettes rousses. Sans
-oiseaux. Silencieusement.</i></p>
-
-<p><i>Dedans. Le Vyverberg. Ses arbres massifs qu'unissent
-les branches touffues. Le soleil s'y tamise,
-choit, macule le sol de taches violettes, d'un violet
-violet si peu, mauve presque. Et les maisons rougeâtres
-regardent par les châssis de leurs fenêtres
-blanches ainsi que par des yeux quadrangulaires, des
-yeux de statue, sans pupilles.</i></p>
-
-<p><i>Sous une vitrine de musée, les émaux de Limoges
-et leur électrique blafardise, et leurs ciels orageux
-aux tons d'encre écrasée; plus loin, la canne
-d'un historique monsieur avec pomme en porcelaine
-de Saxe.</i></p>
-
-<p><i>De Rembrandt: un rayon saure qui glisse dans un
-temple fantastiquement brun, un rayon saure où se
-lève la main du grand prêtre en dalmatique d'orfroi,
-où paraît la Vierge en habit d'azur, et Siméon qui
-offre un Jésus chair, et saint Joseph porteur de
-colombes.</i></p>
-
-<p><i>Les dunes. De montueuses ondulances blondissantes;
-accroupies et rondes comme les croupes d'un bétail
-gras; et pressées en un grand troupeau; innombrables.</i></p>
-
-<p><i>La mer. L'immense nue; et qui bave. Dans sa
-peau d'argent des madrures s'étalent émeraude,
-comme des prés; où parfois surgissent des crêtes
-savonneuses qui vont et s'épanchent.</i></p>
-
-<p><i>Et par-dessus s'incurve le firmament, la toujours
-incommencée page blanche.</i></p>
-
-<p><i>Miranda descend. Aux bras de ses chers initiés elle
-s'appuye et ses lèvres rosâtres sourient à la fraîcheur
-bruissante de l'air; et ses sourcils broussailleux, pâles,
-se froncent à la gifle salée de l'embrun. Elle dit. Sa
-voix de l'Ailleurs, très basse, domine la grondante
-mer.</i></p>
-
-<p><i>«&mdash;Il me plaît que ci nous seyons et que nos yeux
-se prélassent à contempler cette bouillonnante folle
-qui veut sortir toujours d'elle-même, s'efforce et ne
-peut&hellip; l'humaine! tandis que vous me lirez des
-contes dans le blanc Eucologe. Voici que je vous ai
-conviés à la symphonie des septentrionales blancheurs.»</i></p>
-
-<p><i>Et c'est la transfiguration blanche des choses. Un
-illuminement s'élève à l'extrême limite des flots; et il
-s'épand. En toutes les teintes il s'immisce et transparaît.
-Même les brumes gris de perle, vers la ville, il
-les gouache de blancheurs lactescentes. L'écume des
-vagues semble des éclaboussures de craie, et des lueurs
-blanches se glissent aux flancs rebondis des barques
-goudronnées, aux rondeurs des vergues et des mâts.
-Elles posent lourdes sur les cornettes empesées des
-matelotes; elles ternissent l'argent qui brille au loin
-étendu sur la nappe de mer ensoleillée.</i></p>
-
-<p><i>Parmi les maisonnettes de plaisance construites en
-bois dans les dunes et dont les maigres jardinets
-s'étiolent derrière les paillassons qui les protègent des
-sables, il se présente une demeure basse, à péristyle.</i></p>
-
-<p><i>Miranda pousse la barrière de bronze ouvragé, et
-aux fleurs marcescentes du minuscule parterre elle
-laisse un pitoyant regard.</i></p>
-
-<p><i>L'intérieur de l'unique salle tout en sapin vernis
-qui mire comme une laque. Miroir froid et sombre,
-aux perspectives crépusculaires où s'étrécissent les
-profils des êtres.</i></p>
-
-<p><i>Des fourrures blanches, blanches et grises de
-monstres polaires cachent le plancher. Les pas y
-plongent. Une portière de velours blanc lamé d'argent
-tombe et se plisse pleine d'ombres bleuissantes.</i></p>
-
-<p><i>Du côté de la mer ce n'est qu'une glace sans tain
-encadrée de soie neige. Et sur des tréteaux de sapin
-vernis, des fourrures encore, des lits de fourrure pour
-le repos.</i></p>
-
-<p><i>Miranda retire ses gants qui tombent ainsi que des
-oiseaux tués; et gisent.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p2ch2">LA FAËNZA</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>Elle se faisait appeler, dans le monde de la
-haute noce, du nom italianisant de la
-Faënza, à cause de son teint qui semblait
-bruni par le soleil de Naples et de ses larges prunelles
-noires qui vous assassinaient, au coin des
-carrefours, comme des escopettes dans les fourrés
-des Abruzzes. Elle était née pourtant dans le département
-de l'Indre-et-Loire, où on la maria âgée
-de seize ans à peine à un certain Verdal, avoué
-honorable et quinquagénaire, qui la laissa, au bout
-de quatorze mois de mariage, veuve avec un petit
-garçon sur les bras et dans une situation de fortune
-très problématique. Quelque temps après, lasse de
-cette vie de province triste et monotone, hantée
-par des rêves de luxe et de jouissances faciles, elle
-se laissa emmener à Paris par un sous-préfet dégommé,
-qui bientôt l'abandonna pour épouser la
-fille d'un riche marchand de la rue du Sentier.</p>
-
-<p>Comme ses vingt ans venaient d'éclore, que ses
-grands yeux piquants emportaient le c&oelig;ur, que sa
-chevelure, sans lui battre les talons, lui devait bien
-descendre plus bas que les hanches qu'elle avait
-rondes et dansantes, les occasions de jeter le peu
-de bonnet qui lui restait par-dessus les cabarets à
-la mode, ne lui manquèrent pas. Elle fut tout de
-suite cotée très haut à la Bourse de la galanterie,
-et les respectables baronnes, qui font si fructueusement
-la traite des blanches au nez et à la barbe
-de la police, lui proposèrent des affaires d'or.
-Bientôt tout pacha fuyant la pendaison, tout boyard
-en train de manger ses terres, tout rastaquouère et
-tout philosophe du tapis vert ayant quelques prétentions
-au respect de ses contemporains, brigua
-l'honneur de déposer des poignées de louis sur le
-marbre rose de la cheminée de sa chambre à coucher.
-Elle eut son hôtel tout comme une actrice à
-<i>onze cents</i> francs d'appointements, des valets en
-culotte courte et des cochers d'une obésité invraisemblable.</p>
-
-<p>Alors commença pour la belle Faënza une période
-de splendeur qui dura plus de dix ans. Ce
-fut l'histoire banale de toute jolie fille tombée sur
-le pavé parisien avec très peu de scrupules et beaucoup
-de poitrine. Elle eut des toilettes ruineuses,
-des chapeaux extravagants, des étoffes orientales à
-faire loucher un shah, dans son salon, et dans son
-boudoir, des glaces de Venise bordées de pierreries
-pour y admirer la chute majestueuse de ses reins.
-Elle eut même de l'esprit, de cet esprit soi-disant
-parisien qu'on trouve en suçant des écrevisses dans
-l'atmosphère fade des cabinets particuliers. Les
-jeunes pschutteux, avides de gagner leurs éperons,
-et les vieux viveurs, jaloux de leur renommée conquise,
-se disputaient la gloire de payer ses notes de
-couturier, ses villas à Nice et ses cottages en Normandie.
-Bref, au milieu de toutes ces griseries de
-la victoire, elle doubla, sans s'en douter, l'époque
-lamentable des rides opiniâtres, des dents branlantes,
-et des cheveux qui s'en vont tristes comme
-les feuilles d'automne. A vrai dire, elle avait pleinement
-le droit de ne pas s'en douter, car, malgré
-ses trente-quatre ans, sa peau était parfaitement
-lisse et marmoréenne, ses dents d'une blancheur
-insolente, et, de sa charmante tête de vierge du
-Giorgione, tombaient des cascades de cheveux capables
-de défier les peignes les plus meurtriers.</p>
-
-<p>On se souvient que la Faënza avait un fils de son
-mariage. Cet enfant fut élevé par une vieille tante.
-Sa mère le vit une seule fois à l'âge de huit ans,
-puis elle ne s'occupa de lui que pour envoyer quelque
-argent et des lettres pleines de cette fausse sentimentalité
-commune aux filles. La vieille tante,
-voulant cacher au fils la conduite de sa mère,
-l'avait fait engager dans un régiment d'Afrique, où
-il était à dix-neuf ans sous-officier. S'étant distingué
-lors de la dernière insurrection, il obtint la
-médaille militaire, mais par malheur ses blessures
-l'obligèrent de quitter l'armée. A cette nouvelle, la
-Faënza se sentit prise d'une subite et incommensurable
-tendresse maternelle, et elle résolut de renoncer
-aux douceurs de l'amour salarié pour consacrer
-le reste de son existence au bonheur de cet
-enfant abandonné. Après avoir vendu son hôtel, ses
-bijoux et ses attelages, elle se retira, en Touraine,
-dans une propriété offerte jadis par un député de
-la droite. Voilà comment la belle Faënza redevint
-Madame Verdal, veuve d'un honnête avoué, mère
-de famille exemplaire, dame pieuse et charitable.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Philippe était un beau jeune homme de dix-neuf
-à vingt ans, à la moustache fine, avec une taille de
-demoiselle, et des yeux de colombe. Ne se doutant
-guère du passé de sa mère, qui inventa mille
-ingénieux mensonges pour lui expliquer leur trop
-longue séparation, il se mit à l'adorer avec toute
-l'ardeur d'un c&oelig;ur resté fermé jusque-là aux expansions
-familiales. La Faënza, de son côté, était
-littéralement folle de son fils, de son beau Philippe.</p>
-
-<p>La propriété où l'ancienne courtisane résolut
-d'expier ses péchés mignons était une charmante
-villa aux contrevents verts autour desquels couraient
-comme des reptiles les volubilis et les capucines
-au calice sanglant. Un petit bois croissant
-à l'aventure l'enveloppait du mystère exquis de ses
-ombres fuyantes. Dans le recoin le plus obscur,
-sous le parasol d'un grand polonia, les gazouillis
-des piverts se mêlaient au tintement de l'eau que
-l'urne d'une nymphe versait dans le petit bassin de
-marbre rongé de mousse et de jaunes lichens.</p>
-
-<p>La mère et le fils menaient là depuis plusieurs
-mois une vie douce et paisible. Ils avaient l'un pour
-l'autre des petits soins frisant parfois le ridicule,
-des tendresses excessives entrecoupées de feintises
-de bouderie. La Faënza avait complétement oublié
-son existence d'autrefois: les tribunes des courses
-et les baignoires des petits théâtres, les cavalcades
-dans les Pyrénées et les parties de yacht à Trouville,
-les grands dîners dans son splendide hôtel du
-parc Monceau, et les petits soupers au cabaret, où
-les carafes de champagne et les chartreuses de
-toutes couleurs rendaient les inénarrables boudinés
-plus bêtes que nature. Elle avait même fini par se
-figurer très sincèrement avoir été toute sa vie une
-sainte femme.</p>
-
-<p>Cependant, malgré toute leur tendresse mutuelle,
-l'intimité, cette intimité franche et pleine d'abandon,
-entre la mère qui a fessé son enfant et l'enfant
-grandi sous les jupes de sa mère, ne venait pas. Et
-c'était naturel. La Faënza avait vu son fils, depuis
-sa fugue avec le sous-préfet, une seule fois comme
-on sait, à une époque où l'enfant n'était encore
-qu'un moutard. Elle le revoyait tout à coup grand
-jeune homme avec des moustaches terribles et une
-balafre martiale sur la tempe. Pour le fils, la mère
-était une étrangère, on aurait pu dire qu'il la
-voyait pour la première fois. Après cela, on s'expliquera
-facilement pourquoi se surprenaient-ils
-par moment à se dire <i>vous</i>, à avoir dans leurs relations
-des réserves incompréhensibles et des politesses
-inutiles.</p>
-
-<p>Madame Verdal avait dépouillé la Faënza, l'hétaïre
-était définitivement morte en elle. Sa toilette
-fut sévère: des robes de soie noire avec garniture de
-jais. Très peu de bagues et des boucles d'oreille
-d'une ravissante modestie. Elle adopta pour coiffure
-les bandeaux plats et eut pour tout fard l'honnête
-poudre de riz. Avec une pareille conduite et des
-rentes très sérieuses, on s'imagine que les voisins de
-campagne ne pouvaient pas lui refuser leur estime.</p>
-
-<p>Parmi les belles relations de l'ex-courtisane, il
-faut placer, au premier rang, la famille Mouflet,
-composée du papa Évariste Mouflet, ancien notaire,
-provincial insipide atteint d'une manie incurable de
-calembredaine; de la maman Olympe, femme honnête
-et respectée, qui n'avait eu pour amant que les
-trois ou quatre clercs de son mari, et de leurs trois
-filles, pas mal tournées, ma foi, pour des filles de
-notaire.</p>
-
-<p>Mademoiselle Clémentine surtout, l'aînée du
-couple Mouflet, eût été même fort bien de sa gracile
-personne, sans ces odieuses robes de vigogne
-caca d'oie sorties de la boutique de quelque Worth
-de sous-préfecture. Deux grands yeux effarés sous
-un casque de cheveux d'un châtain convenable;
-avec ça, une gorge de dix-sept ans qui avait l'air
-de vouloir tenir ses promesses.</p>
-
-<p>L'ex-courtisane et la famille du notaire allèrent
-souvent les uns chez les autres pour prendre des
-tasses de thé, jouer aux jeux innocents et fausser
-quelques airs d'opéra sur des pianos plus ou moins
-mal accordés. Philippe, qui n'avait pas appris à être
-difficile en matière de toilette dans ses chasses au
-Kroumir, trouvait fort à son goût la robe vigogne
-de Mademoiselle Clémentine, tout en lui préférant
-les trésors qu'elle cachait. Mademoiselle Clémentine,
-de son côté, ne se sentait pas une insurmontable
-aversion pour les moustaches brunes. Inutile
-de dire que le couple Mouflet découvrait tous les
-jours de nouvelles qualités au fils unique d'une
-mère jouissant d'une rente de cinquante mille livres.
-On se faisait donc la cour honnêtement, sous les
-yeux de la Faënza, qui ne se doutait de rien.</p>
-
-<p>Un soir de juillet, la famille Mouflet se trouvait
-réunie au grand complet, dans la salle à manger de
-l'ex-courtisane. Après quelques polkas tapotées
-par la cadette et des propos oiseusement échangés,
-le tabellion proposa, vu la chaleur insupportable de
-l'atmosphère, une flânerie sous les frondaisons rafraîchissantes
-du jardin. Toute la société accepta
-avec empressement.</p>
-
-<p>La soirée était superbe. La pleine lune brillait
-comme un louis d'or fantastique dans un ciel sans
-nuages. Ils se dispersèrent par les allées où s'allumaient
-parfois, dans la mousse, des vers luisants.</p>
-
-<p>La Faënza cherchait son fils depuis quelques
-minutes, lorsqu'elle crut distinguer dans le recoin le
-plus sombre du jardin, sur un banc de pierre, deux
-ombres enlacées. Elle s'arrêta, aux aguets. On
-aurait dit vraiment qu'un bruit de baisers se mêlait
-au clapotis de l'eau tombant dans les vasques de
-marbre. Retenant son souffle, elle avança jusqu'au
-banc de pierre, derrière une haie de rosiers rouges.
-Son fils Philippe était en train de murmurer les
-choses les plus douces à l'oreille de Mademoiselle
-Clémentine.</p>
-
-<p>Alors un sentiment étrange envahit le c&oelig;ur de
-l'ex-courtisane; elle eut un moment de vertige, puis
-ses prunelles se dilatèrent et, suffoquée de colère, se
-dressant de toute sa hauteur devant les pauvres
-amoureux complètement ahuris, elle apostropha
-Mademoiselle Mouflet en des termes virulents:</p>
-
-<p>&mdash;Elle était vraiment bête pour ne pas s'être
-aperçue depuis longtemps qu'on venait là pour lui
-voler son fils. Avec ça qu'elle donnerait son argent
-pour nourrir un notaire taré et ses traînées de filles.
-Et la mère Mouflet donc, une pas grand'chose qui
-couchait avec ses domestiques! Tout le monde le
-savait dans le pays. Ils feraient bien tous ces panés
-de ne plus mettre le pied chez elle, elle les flanquerait
-à la porte à coups de balai&hellip;</p>
-
-<p>S'oubliant complétement dans sa colère, Madame
-Verdal redevint la cascadeuse d'autrefois et accabla
-la famille Mouflet accourue au bruit de la dispute
-des plus ordurières invectives.</p>
-
-<p>M. Mouflet emmena sa femme et ses filles mortes
-de peur, après avoir répondu par une tirade indignée.</p>
-
-<p>Philippe se tenait debout, les yeux hagards, ne
-comprenant pas.</p>
-
-<p>La Faënza rentra chez elle dans un état d'exaspération
-indescriptible. Elle pleura, sanglota, se roula
-sur le tapis, la bave aux dents. Puis, se levant soudain,
-elle se mit à embrasser son fils à pleine lèvre,
-en riant comme une folle.</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>Après une bouderie de quelques jours la mère et
-le fils se réconcilièrent avec un regain de tendresse.
-Et ce furent tous les jours de longues promenades à
-travers champs d'où l'on revenait pareils à des
-amoureux de la veille, avec des touffes de genêts
-plein les mains. Le matin, ils partaient des heures
-entières à cheval, sous bois, et le soir par les clairs
-de lune romantiques, ils allaient rayer en canot les
-eaux calmes d'un étang voisin. Chose curieuse!
-Depuis l'aventure du jardin, un changement notable
-s'opéra dans les habitudes de la Faënza. Brisant avec
-l'attitude sévère adoptée depuis sa conversion, elle
-jeta aux orties le froc inélégant de la femme honnête
-pour arborer de nouveau les étoffes ruineuses
-aux couleurs voyantes, les chapeaux aux plumes
-d'autruche et les gants de peau de daim très montants.
-Les bijoux dont elle n'avait pas voulu se
-défaire, furent retirés de leurs écrins de velours
-grenat pour parer ces mains longues et fines et son
-cou royal. La poudre de riz ne suffisant plus à son
-embellissement, elle s'est souvenue des fards subtils
-et des aromates précieux qui donnent la jeunesse.
-Elle eut des soins particuliers pour la toilette des
-dessous dont elle savait toutes les perfidies: des
-dentelles anciennes sur des chemises de soie, des
-bas rose pâle à bouffettes où les diamants dardent
-les feux de leurs facettes. Le mobilier modeste de sa
-chambre à coucher et de son boudoir fut complétement
-changé. Se ressouvenant du faste excitant de
-son alcôve de courtisane, elle s'entoura de meubles
-bas et moelleux qui enlacent comme des bras
-voluptueux, de tissus syriens, de tapis de Karamanie
-et de peaux mouchetées de tigre où frétillent les
-pieds nus tendus aux baisers vibrants. Des parfums
-brûlèrent continuellement dans des cassolettes
-aux riches ciselures et des brassées de roses
-blanches mêlèrent leur dernier souffle aux tiédeurs
-des troncs d'arbres crépitant dans la haute cheminée.</p>
-
-<p>La toilette de son fils l'occupait aussi énormément.
-Elle disait: ça n'est pas chic, ou, ça t'habille bien;
-cette redingote fait des plis dans le dos, ou, ce veston
-te sangle bien. Elle lui faisait la raie et lui passait
-ses moustaches au cosmétique tout comme à ses
-amants de c&oelig;ur du temps qu'elle était entretenue
-par des financiers obèses.</p>
-
-<p>Parfois, le soir à des heures indues, elle l'appelait
-dans sa chambre à coucher, et là, aux clartés
-vacillantes des bougies roses, son corps sculptural
-à peine abrité par la chemise de batiste aux échancrures
-hardies, se campant d'aplomb devant la haute
-glace de son armoire en bois des îles et faisant saillir
-ses seins éblouissants et la courbe insolente de ses
-reins de statue elle disait à son fils, avec des regards
-incitants:</p>
-
-<p>&mdash;N'est-ce pas que je suis belle encore! N'est-ce
-pas que tu serais fou de moi si je n'étais pas ta
-mère?</p>
-
-<p>Puis elle riait aux éclats en faisant scintiller la
-splendeur éburnéenne de ses dents de fauve. Nonchalante,
-enlaçante, onduleuse et féline, elle venait
-s'asseoir sur les genoux de Philippe, qui, la
-rougeur au front et de la luxure inconsciente dans
-l'&oelig;il, osait à peine la regarder. Après avoir pendant
-quelques minutes tortillé les moustaches de son fils,
-baisé ses lèvres pâlies et ses cheveux soigneusement
-calamistrés, elle se roulait sur la peau de tigre qui
-lui servait de descente de lit, croquait quelques biscuits,
-vidait d'un trait un verre de porto, puis d'un
-bond de gazelle s'élançant sous les draps bordés de
-points d'Angleterre, elle fermait délicieusement ses
-paupières lisses aux cils longs et frisottants, disant
-avec un léger remuement de lèvres:</p>
-
-<p>&mdash;Allez vous coucher, monsieur, il est tard et
-j'ai sommeil!</p>
-
-<p>Quant au pauvre petit c&oelig;ur de Philippe et à ses
-nerfs révoltés, leur tranquillité était définitivement
-troublée. Il partait souvent, avant l'aurore, sur des
-chevaux rétifs, par les plaines, sans trop savoir le
-but de ses courses aventureuses, ou il allait tirer
-les canards sauvages pendant des journées entières
-dans des marais typhoïdes. Inquiet, fantasque et
-irritable, il cherchait depuis quelque temps des
-motifs ridicules de fâcherie à sa mère, disant que
-cette vie d'oisiveté finissait par l'exaspérer, que
-c'était honteux pour un jeune homme de son âge,
-qu'il retournerait au régiment <i>pour sûr</i>! Puis, c'étaient
-des scènes attendrissantes, des larmes, des
-pardons implorés, des protestations d'amour filial
-suivis de longues caresses et de baisers pâmés sur la
-bouche.</p>
-
-
-<h4>IV</h4>
-
-<p>Ce jour-là, ils avaient dîné&mdash;une fantaisie de la
-Faënza&mdash;dans le petit boudoir tendu de satin
-mauve. Un triste crépuscule pâle filtrait à travers
-les vitres de l'étroite fenêtre. La Faënza avait dit:
-N'allumons pas les bougies, cette pénombre est bien
-douce. Lui s'était tu avec un sourcillement vague.
-Des senteurs de magnolia flottaient dans l'air épaissi.
-Elle alluma une cigarette de dubèque, lui sa pipe
-de troubade. Près de dix minutes s'écoulèrent dans
-un silence embarrassé.</p>
-
-<p>La Faënza, sans détourner la tête, dit:</p>
-
-<p>&mdash;Vous êtes soucieux?</p>
-
-<p>&mdash;Non.</p>
-
-<p>Quelques minutes de silence encore. Soudain,
-raidissant ses membres dans un effort suprême, la
-Faënza tomba sur les genoux de son fils et, l'enlaçant
-furieusement, elle lui dit presque sur les lèvres:</p>
-
-<p>&mdash;Philippe, tu ne m'aimes pas!</p>
-
-<p>Il baissa la tête sans répondre. Alors, elle se leva
-d'une secousse brusque, marcha fiévreusement par
-la chambre; puis, s'arrêtant net, elle dit d'une voix
-sourde:</p>
-
-<p>&mdash;Oh! mon Dieu, que c'est affreux! Il faut que
-ça finisse. Écoute-moi, Philippe; tu le vois, tu le
-sens, je t'aime; et ce n'est pas l'amour d'une mère
-que j'ai pour toi, mais d'une femme éprise, d'une
-maîtresse, entends-tu? Oh! oui, je te veux et tu
-seras à moi!</p>
-
-<p>Elle ricana comme une insensée, puis elle reprit:</p>
-
-<p>&mdash;Je suis ta mère; après? la belle affaire! Est-ce
-que je te connais, moi? Je t'ai vu à sept ans une seule
-fois; tu es un étranger, un joli garçon, et tu m'as
-tourné la tête&hellip; Avec ça que tu ne me désires pas,
-toi! Mais regarde-moi donc, je suis belle comme à
-vingt ans! Ah mais, il y a la morale. Oh! la morale!
-Je m'en moque! D'ailleurs tu ne sais pas, ta tante
-t'a tout caché&hellip; j'ai été&hellip; entretenue, j'ai été&hellip;
-cocotte, comme on dit! Tous mes biens, tes biens
-viennent de là&hellip; Tu n'aurais pas le droit de faire le
-scrupuleux. Nous sommes dans la boue, Philippe,
-restons-y&hellip;</p>
-
-<p>Il la regarda stupéfait. Elle continua, de plus en
-plus surexcitée:</p>
-
-<p>&mdash;Tu m'as vue en chemise, tu sais que j'ai une
-poitrine superbe que des princes payeraient au poids
-de l'or&hellip; Nous allons être heureux, mon Philippe.
-Veux-tu? Oh! je t'aimerai va, et nous mourrons
-ensemble&hellip; d'amour&hellip;</p>
-
-<p>Elle se rua sur son fils avec des gestes de Ménade,
-et, l'emportant dans ses bras nerveux, elle se roula
-avec lui sur la chaise longue, lui soufflant au visage
-la griserie de son haleine. Il se sentit perdu dans un
-anéantissement voluptueux. Puis, soudain, se dégageant
-de cette étreinte dans une crispation désespérée
-de sa volonté, debout et roidissant le jarret,
-il regarda autour de lui avec des yeux hagards.</p>
-
-<p>La Faënza absolument hors d'elle se rejeta sur
-son fils. Alors, les traits contractés, la bouche
-effroyablement crispée, Philippe saisit un poignard
-japonais dont la lame effilée brillait sur un guéridon
-aux plaquis bizarres, et la frappa violemment au
-cou.</p>
-
-<p>Elle tomba sur le tapis, sans un cri, en perdant
-des flots de sang.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p2ch3">EN GARE</h3>
-
-
-<p>Encore quatre minutes.</p>
-
-<p>Le brigadier glissa sa montre d'argent
-entre deux boutons; l'autre gendarme se
-leva, balancé par le mouvement du train, forcé à se
-maintenir contre le matelassage du compartiment.
-Au prévenu, le professeur Lucien Tordrel, cette
-annonce de la gare proche fut un soulagement. Douai,
-la cour d'assises, cela voulait dire la fin de la détention
-préventive, des angoisses. Il résume en lui-même
-son plaidoyer, il reprend les phrases chefs
-qui en seront les points de repère. Amplement construites
-à la manière de Bossuet, elles résonneront
-puissantes sous le plafond sonore des grandes salles
-judiciaires. Elles diront d'abord la passion folle pour
-Alice, l'élève riche, les hardis espoirs du répétiteur
-pauvre, ses respectueuses timidités. Alors les périodes
-narratives iront amollies avec des tendresses dans
-les substantifs, des émotions dans les épithètes à
-la Zola, genre <i>Faute de l'abbé Mouret</i>. Lucien
-Tordrel s'imagine déjà les débitant, pâle, droit dans
-sa redingote sévère, blanchie d'usure. Et il égarera
-ce geste lent vers l'auditoire, pour les dames.</p>
-
-<p>Quant aux jurés, des parvenus, enfants de leurs
-&oelig;uvres, eux aussi, ils sympathiseront à ses obligatoires
-humilités de pédagogue misérable. Là, des
-amertumes, deux ou trois propositions mordantes à la
-Vallès.&mdash;Sur l'enlèvement, peu de chose. En quelques
-mots très simples, concis, il s'avouera coupable:
-il appuiera ironiquement sur le terme technique
-«détournement de mineure» en homme qui
-estime la justice humaine une stupidité inévitable
-comme les averses imprévues ou&hellip; la chute bête
-d'une tuile sur un chapeau neuf.&mdash;Pour le reste,
-la fin du plaidoyer, du Proudhon, rien que du Proudhon,
-du Proudhon de toutes les &oelig;uvres. Ce passage
-débutera par une croquade magistrale de la
-société actuelle: «une moisissure.» Il flétrira la
-réprobation hypocrite des amours libres; et alors
-s'élèveront les grandioses prosopopées de la Prostitution
-et de l'Adultère. Et tout se conclura par un
-dilemme, le fameux dilemme, un dilemme triomphal
-posé avec une fatigue dans la gorge, en approchant
-le mouchoir des lèvres par un geste automatique,
-quasi-somnambulesque.</p>
-
-<p>Certes, Tordrel ne laissera pas à l'ami Peyrebrune
-le soin de sa plaidoirie. Cet avocassier sans talent
-bafouillerait en d'obscures chicanes. Une condamnation
-d'ailleurs serait profitable: l'affaire s'ébruitera,
-la presse reproduira sa défense; il entrera dans le
-journalisme par la grande porte. Avenir superbe.
-Et il achèvera <i>les Veules</i>, des poésies. Ce livre le
-posera, l'enrichira. Alice partagera avec lui la gloire,
-le bien-être, elle qui a tout sacrifié, famille, réputation
-pour son amour. Peut-être sera-ce un asservissement
-pénible: traîner partout cette femme avec
-soi?&mdash;Mais non: elle se montre intelligente et
-dévouée.&mdash;A quand les délices des premiers revoirs
-et les frémissements infinis de leurs chairs nues?&hellip;</p>
-
-<p>Après une succession de sourds tamponnements
-le train pose. Le brigadier se penche à la portière;
-puis il prévient Tordrel:</p>
-
-<p>&mdash;M. Peyrebrune est là.</p>
-
-<p>Peyrebrune, le grand Peyrebrune, l'homme aux
-favoris blonds se précipite, serre la main de son ami,
-criant:</p>
-
-<p>&mdash;Excellentes nouvelles, mon cher, une ordonnance
-de non-lieu.</p>
-
-<p>&mdash;Comment?</p>
-
-<p>&mdash;Eh! oui. La petite Alice a couché avec Bergelette,
-avec de Bovardy, tu sais, le lieutenant de
-chasseurs, le pschutt du pschutt. Dans la perquisition
-on a trouvé des lettres d'un brûlant, d'un incendiaire!
-tu n'as pas idée&hellip;</p>
-
-<p>Et il narre toutes les démarches faites par lui pour
-obtenir cette perquisition. Il parle, il parle, fier de
-son succès.</p>
-
-<p>Lucien Tordrel sourit par contenance.</p>
-
-<p>Aux premiers mots qui anéantissaient l'arrangement
-de sa vie, son unique passion, il s'est senti
-hors les choses, très loin de tout, dans un abandon.
-Les racontars prolixes de l'avocat sur les cascades
-de sa maîtresse l'abrutissent, lui tuent l'avenir. Parfois
-il proteste: «Allons donc!» aux débauches
-trop invraisemblables. Et bientôt il n'écoute plus, les
-paroles de son ami lui semblent adressées à un autre.</p>
-
-<p>Cependant dans sa poitrine, dans ses membres un
-énervement s'exaspère, rapide. Pris de rage, il projette:</p>
-
-<p>&mdash;Sacrée garce!</p>
-
-<p>Et un spasme le secoue des pieds aux mâchoires,
-se vient loger là, dans les dents qu'il maintient serrées.
-Tordrel se navre du discours et du travail
-perdus, puis cette désespérance, à la suite d'un pareil
-scandale, il ne pourra plus donner de leçons. La
-misère alors; ou bien, après le triste voyage par les
-océans mornes, la classe faite aux négrillons là-bas,
-entre quatre murs blanchis, loin de l'art, de la
-célébrité, irrémédiablement.</p>
-
-<p>Mais ces images très vite se dissipent. Il ne pense
-plus qu'à elle, à son air languissant, à son enfantine
-moue. D'autres maintenant possèdent cette chair
-d'amante. Dans les garnis d'officiers, tendant sa
-bouche aux moustaches aiguës, il la voit, et il souffre
-de chaque pose qu'elle a dû prendre, de chaque
-membre qu'elle a découvert, impudique&hellip; soûle
-d'après les dires&hellip; Elle se dessine moqueuse devant
-son regard, sur la bielle terne de la locomotive, dans
-l'eau qui pisse dru de la chaudière, elle éclate de rire
-avec le grésillement d'un charbon qui choit, s'éteint.</p>
-
-<p>Une rage envahit Tordrel. Il lui pousse des envies
-de meurtre. Et toujours la vision acharnée d'Alice
-se laissant trousser les jupes.</p>
-
-<p>Peyrebrune conte sans fin. Une histoire d'auberge,
-maintenant, où elle a été surprise.</p>
-
-<p>Lucien pense: Elle retira son corset en dégrafant
-le busc par le bas; et sur le ventre, la chemise toute
-plissée apparut avec les seins pointant au-dessus.
-Une odeur de propre, d'élégance s'est émise et,
-dans cette chambre qu'il se représente toute imprégnée
-d'elle, il ne se trouve pas, lui. Elle, bête en
-rut, se livre aux embrassements d'un monsieur gêné
-et content de soi.</p>
-
-<p>La poitrine de l'amant s'enfle et s'affaisse avec une
-douloureuse précipitation. De mauvaises sueurs le
-baignent, fluent de sa nuque le long du dos. Ses
-articulations se contractent en un ramassis, en un
-tassement de nerfs, en une tension de rage pour
-quelque effort énorme.</p>
-
-<p>&mdash;Sacrée garce!</p>
-
-<p>Ça le soulage ces <i>r</i> qui sifflent entre ses mâchoires
-serrées. C'est un peu l'épuisement de cette inutile
-contraction qui l'étreint, torturante.</p>
-
-<p>En lui-même un drame si vivant se joue que le
-monde externe lui semble factice, artificiel, arrangé:
-la verdure, terne; les arbres, bleus comme dans les
-antiques paysages; le ciel, une lumière fausse, chimique;
-le mâchefer de la voie, un peinturlurage
-noir; les rails, des traits de plume; les tunnels, une
-bâtisse de carton, un jouet.</p>
-
-<p>Et il s'efforce à tendre ses idées ailleurs, à fuir
-l'épouvantable fantôme de sa maîtresse pâmée sur
-un divan sale près un noceur en joie.</p>
-
-<p>&mdash;Sacrée garce!</p>
-
-<p>Ensuite il s'attarde à lui deviner des tares, à la
-trouver laide pour se bâtir un motif d'indifférence.
-Des taches rousses lui maculaient la gorge, le visage;
-son front avait des rides; mais ses yeux, mais ses
-hanches, mais ses lèvres, ses lèvres dans la moustache
-du soudard!</p>
-
-<p>Peyrebrune conte encore. Sous l'immensité vide
-du hangar les moineaux batailleurs volètent, pépient.
-Il résonne un cliquetis de clefs, le roulement d'un
-chariot à bagages et, continue toujours, l'activité
-agaçante de la sonnerie électrique.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Troisième Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="Au couchant, devers" id="p3ch1"></h3>
-
-<p><i>Au couchant, devers la «Roche du Dragon», un
-dernier sillage ocre et crête de coq. Puis la nuit sur
-les aulnes, les barques amarrées, l'eau virante et
-métallique.</i></p>
-
-<p><i>La terrasse est en surplomb sur le fleuve qui la
-mine.</i></p>
-
-<p><i>Incitatrice et muette rampe l'ombre. Sur la rive et
-sur l'eau rampe l'ombre incitatrice et muette.</i></p>
-
-<p><i>Des fredons là-bas</i>:</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse"><i lang="de" xml:lang="de">Fliesse, fliesse, lieber Fluss!</i></div>
-<div class="verse"><i lang="de" xml:lang="de">Nimmer werd' ich froh!&hellip;</i></div>
-</div>
-
-<p><i>Un bateau remonte vers Cologne.</i></p>
-
-<p><i>Mélancolique le limbe de son fanal en l'eau virante
-se brise.</i></p>
-
-<p><i>Mélancolique le son fêlé de sa cloche contre les
-échos des combes se brise.</i></p>
-
-<p><i>La terrasse est en surplomb sur le fleuve qui la
-mine.</i></p>
-
-<p><i>Des fredons là-bas</i>:</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse"><i lang="de" xml:lang="de">So verrauschte Scherz und Kuss,</i></div>
-<div class="verse"><i lang="de" xml:lang="de">Und die Treue so!&hellip;</i></div>
-</div>
-
-<p><i>Incitatrice et muette rampe la nuit.</i></p>
-
-<p><i>Des fioles de vin du Rhin encombrent la table de
-noyer.</i></p>
-
-<p><i>&mdash;Voici notre thé, cette vesprée, dit Miranda en
-remplissant les coupes dichromes à tige grêle.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p3ch2">CRESCENDO</h3>
-
-
-<h4><i>MI</i></h4>
-
-<p>Satisfait d'avoir vécu sans ennui les jours
-de sa permission, et tracassé pourtant de
-son retour à la caserne, Gustave Prescieux
-pénètre dans la gare et s'achemine par les groupes
-de voyageurs qui causent.</p>
-
-<p>Sous les arcades de fer très hautes, roulent les
-chariots à bagages et bourdonnent les recommandations
-dernières; parfois claque le bruit humide
-d'un baiser. Et la sensation d'un vide point le
-jeune soldat, la navrance d'être seul parmi la foule,
-sans un camarade pour les adieux.</p>
-
-<p>Même l'ami Léon a repris son travail le matin,
-malgré les fatigues de leur nuit noceuse. Alors la
-vision reparaît des filles qu'ils pilotèrent ensemble
-à la Boule-Noire, Augusta et Clémentine, deux
-belles brunes très drôles et pas rapaces. Afin de
-perpétrer cette fredaine, Gustave a quitté son père
-vingt-quatre heures plus tôt que ne le contraignait
-son ordre de route. Maintenant, de cette vigoureuse
-débauche, de cette manifestation virile qui l'enorgueillit,
-seuls les déplaisants souvenirs le hantent:
-le tenace rappel d'une tare scrofuleuse en sillon
-sur le cou d'Augusta. A peine, d'ailleurs, la remarqua-t-il
-dans l'intimité du plaisir. Et il imagine
-encore son embêtement chez le mastroquet du boulevard
-Clichy, tandis que Léon, un ardent politique,
-grimaçait de sa face pâlotte et hurlait des injures
-contre les patrons, avec menaces de les coller
-à la muraille, une fois pour toutes, au jour très
-prochain de la revanche. Lui, Prescieux, une fois
-libéré du service, régira sa petite ferme en compagnie
-de son père, sans autre maître. Et de la révolution
-il se moque. Vaines diatribes, cela, bonnes
-au plus à gueuler devant les zincs pour se montrer
-crâne.</p>
-
-<p>Arrivé à la consigne, Gustave s'explore les poches:
-un décime est exigible pour solder le dépôt
-de sa valise qu'ils firent Léon et lui, avant les ripailles,
-se trouvant déjà soûls. Même il ne se rappelle
-plus ce qui se passa; mais il n'a point dû
-omettre son habitude de confier là son bagage,
-chaque fois qu'il vient flâner quelques heures à
-Paris. Cette conviction le rassure, bien qu'il ne
-réussisse pas à découvrir dans sa veste neuve de
-civil le reçu de la consigne. La percale des poches
-encore empesée et glissante aux doigts recèle sans
-doute, en quelques plis inaccessibles, le bulletin. Et,
-malgré tout, ce costume accapare son admiration.
-Une fameuse emplette. Le pantalon bleuâtre, très
-large du bas, moule gracieusement ses cuisses
-solides et rondes, et la veste commence par un
-grand collet rabattu qui dégage le cou. Cependant,
-il ne retrouve rien; et il commence à s'énerver,
-à craindre. La valise renferme son uniforme.
-Rentrer à la caserne en civil, c'est encourir une
-punition sévère.</p>
-
-<p>Éperdu, agitant dans les goussets ses pouces et
-ses index, il ne ramène que des enchevêtrements
-d'inutiles objets. Sa feuille de permission lui remémore
-les peines disciplinaires dont il deviendra passible.
-Il retourne ses poches: des sous roulent
-jusqu'au milieu du hall près les guichets, sous les
-falbalas d'une dame. A leur poursuite il court; et,
-comme il se baisse pour les ramasser, la dame a
-peur, sursaute, l'appelle imbécile.</p>
-
-<p>Cette insulte le peine.</p>
-
-<p>Enfin, après beaucoup d'hésitations, il se détermine
-à interroger le garde des dépôts, et il lui
-conte sa mésaventure. Le garde, un gros dont le
-ventre se bombe sous un gilet à boutons d'étain, se
-montre très obligeant. Gustave, invité à franchir
-l'établi pour rechercher lui-même son bagage, s'élance
-avec la certitude de recouvrer son uniforme.
-Rapidement d'abord, minutieusement ensuite, il
-furète dans les casiers. D'envieuses vénérations le pâlissent
-devant les coffres luxueux décorés de métal
-poli. Après, il s'égare dans un dédale de caisses,
-d'énormes cadres en bois brut. Il se faufile, s'amincit,
-oublieux des précautions à prendre pour
-son costume dont le drap s'érafle aux coins saillants
-et aux têtes de clous. L'image de sa valise, reconstruite
-très exacte dans son esprit, ne l'aide pas à
-l'apercevoir réelle, et cependant il remue de lourds
-fardeaux et il se congestionne le visage pour inspecter
-à terre les colis quelque peu analogues au
-sien. Peines perdues. Il faut sortir moulu, tout en
-sueur et inaugurer un autre genre de recherches.</p>
-
-<p>Dans les estaminets, il passe et se renseigne, dans
-tous ceux où il a séjourné la nuit. Par delà les
-armures brillantes des zincs; par delà les carafons
-fixés dans les sextuples casiers de maillechort, les
-limonadiers l'accueillent affablement, lui tendent
-pour une amicale poignée de main leurs gros bras
-velus qui saillissent des chemises blanches. A ses
-questions, tous s'intéressent; quelques-uns se témoignent
-si aimables que Gustave juge obligatoire
-de consommer. On ne retrouve rien.</p>
-
-<p>Cependant une défiance à l'égard de ces commerçants
-réputés filous s'engendre des espoirs
-déçus. Sous les empressements, le simple désir de
-conquérir la pratique se devine. Et cette idée s'implante
-dans l'esprit du militaire: on lui garde son
-uniforme pour le contraindre à rester à Paris et à
-renouveler la noce qui enrichira ces gens. Aux
-dénégations continuelles et pareilles, il répond avec
-colère. On finit par le mettre à la porte d'un café
-de Montmartre, brutalement.</p>
-
-<p>Et l'heure du départ immine; Gustave, désolé,
-court à l'embarcadère. Là, des terreurs l'empoignent.
-Il se trace le sergent délateur, le colonel
-brusque, le conseil de guerre impitoyable. Retourner
-chez son père, déserter, ce lui semble être
-le préférable parti.</p>
-
-<p>Et passent deux gendarmes flanquant un tringlot
-qui tire sur son brûle-gueule, flegmatique. Prescieux
-songe: sa fuite servirait seulement à accroître
-la rigueur de la punition.</p>
-
-<p>Abattu, terrifié, il s'affale au banc d'un wagon
-de troisième.&mdash;Le train crache, siffle et tout cahote,
-par secousses.</p>
-
-
-<h4><i>SOL</i></h4>
-
-<p>La comparution devant le conseil de guerre
-s'impose certaine, inévitable, fatale. Pourtant, dans
-la vie civile, sa peccadille ferait sourire sans courroucer.
-Et les institutions sociales qui astreignent
-au dur asservissement de la loi militaire, il les
-maudit. Si encore ses parents étaient plus riches,
-il ne souffrirait qu'un an.</p>
-
-<p>Il regarde défiler les murs noircis et abrupts au
-long desquels stationnent des suites de wagons.
-Des bâtisses surplombent jaunes, minables, sans
-ornements, percées de fenêtres où des femmes cousent,
-où fument des vieillards hâves. Et il regrette
-n'être pas femme ou vieillard. La fumée de la locomotive
-qui charrie des parcelles de houille vers son
-visage le force à rentrer la tête.</p>
-
-<p>Le compartiment lui apparaît triste, pauvre. Les
-boiseries brunes se tachent au fond de femmes en
-deuil et d'enfants barbouillés; dans les box établis
-par les dossiers des bancs, des ouvriers s'endorment
-recroquevillés, le derrière tendant leurs culottes
-de velours. Aux vasistas s'encadrent des
-coins de banlieue, des terres montueuses, lépreuses
-de craie, hirsutes d'herbes roussâtres; et des toits
-neufs tout roses s'amassent jusque l'horizon sous
-des cheminées industrielles qui soufflent noir. La
-désespérance affaisse Gustave dans son coin. Tout,
-par ici, se découvre laid. Bien plus attrayante la
-ferme familiale avec les caquetages raisonneurs des
-volailles qui picorent. Et sa cousine au visage de
-propreté miroitante, aux yeux de limpide faïence se
-dresse, vision charmeuse, liant les gerbes dans la
-pénombre de la grange. Puis il l'imagine à l'écurie,
-et ses bras blancs qui soutiennent les seaux de
-barbotage. Et ses caresses sur les croupes chaudes
-des chevaux qui piétinent. Puis encore il l'imagine
-au seuil de la maison, tricotant, très calme. On la
-lui promet en mariage pour plus tard, après le service.
-Il l'aime bien. A se ressouvenir d'elle ainsi,
-d'elle, douce et propre, il lui prend une envie de
-l'embrasser. C'est impossible, à présent. Les ordres
-brutaux, les injures des sous-off vont de nouveau
-lui secouer ces chères indolences qui le prennent
-partout et le possèdent insensible par l'admiration
-muette de ses souvenances.</p>
-
-<p>Une pluie striante gaze de gris les villages plats
-et les clochers pointus, les rideaux d'arbres. Et la
-crainte du châtiment attendu étreint le jeune soldat.
-Un malaise engourdissant lui enfle la poitrine: rester
-là, se laisser engourdir par une vague faiblesse
-qui le séparerait du monde cruel, qui l'endormirait
-pendant les deux années de service encore à vivre,
-ce lui semble désirable. Car l'existence est dure&hellip;
-Léon ne se trompe pas tout à fait: un gouvernement
-aussi canaille devrait être abattu. Chose ignoble:
-par la seule impuissance de payer un maître qui
-instruise, une somme qui dispense, il faut se faire
-tuer pour les autres, les riches, les lâches. Des indignations
-surexcitent le soldat. Tout pour quelques-uns!
-Et lui, rien. De même, son costume si
-joli paraît commun, tandis que les collants anglais,
-les chapeaux ridicules, les savates pointues et les
-petits paletots si laids s'offrent élégants et superbes
-par cela seul qu'ils vêtent l'opulence. L'argent vaut
-tout, décidément.</p>
-
-<p>Et le soleil dore la trame pluvieuse. Les écorchures
-des carrières s'éclaircissent. Au loin de
-lourds nuages mauves fuient. La campagne s'égaie.
-Les herbes se redressent en secouant des
-gouttes brillantes. Aux fils du télégraphe des gemmes
-hyalines s'irisent. Gustave remet la tête à la
-portière. Sur la voie élargie les rails s'unissent par
-de luisantes courbes, vont se perdre sous le hangar
-en verre où la lumière s'écrase, éclabousse le bleu du
-soleil. A gauche, dans les feuillages, les ardoises
-des toits et des clochers qui s'irradient dénoncent la
-ville, la garnison.</p>
-
-<p>Tout de suite, il descend, ayant réfléchi: d'autres,
-avant lui, commirent la même faute. En expliquant
-la chose, on l'excusera sans doute; c'est si simple.
-Et il se remémore l'allure insouciante du tringlot
-qu'il vit entre les gendarmes, lors de son départ. Il
-faut imiter ce sang-froid, car on n'est plus un gamin.</p>
-
-<p>Par hasard, le sergent Berdot, un compatriote,
-flâne devant la buvette, portant sous le bras le cahier
-du rapport. Prescieux l'aborde avec la certitude de
-lui entendre communiquer un bon conseil.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, tu n'as pas de toupet! s'exclame le
-sergent.</p>
-
-<p>&mdash;Si j'suis pas en tenue, c'est toujours pas l'envie
-qui m'en manque.</p>
-
-<p>Et il narre. A mesure qu'il avance dans le récit
-il juge sa faute plus grave. Les gestes et les grimaces
-de Berdot, qu'il guette anxieusement, signifient
-des blâmes ou d'amusantes réflexions suscités
-par les épisodes comiques, ils ne rassurent pas.</p>
-
-<p>&mdash;Ce qu'il y a de plus simple, vois-tu, conclut
-le sergent, c'est d'aller trouver le lieutenant. Justement
-je vais lui porter le rapport; tu n'as qu'à venir
-avec moi. Mais, tu sais, tu t'es fichu dans un sale
-pétrin.</p>
-
-<p>Plusieurs fois encore, Gustave Prescieux sollicite
-une réponse encourageante. L'autre ne la donne
-pas, mais il émet des potins de régiment; il cite des
-cas disciplinaires; il dit ses chances d'avancement et
-commente les lubies des supérieurs. Le jeune soldat
-ressent une haine pour cet homme arrivé, certain d'être
-reçu à Saint-Maixent. Il y a des caractères comme
-ça, capables de tout endurer, et bas. Par malheur,
-lui, se trouve être d'une autre pâte; il ne fera point
-de platitudes, lui. Les diatribes du révolutionnaire
-Léon affluent en sa mémoire: un fameux bougre, ce
-Léon; aussi tous les patrons le harcèlent comme le
-harcèlent, lui, tous les chefs. Et il évoque les nuits
-passées à la salle de police, les consignes au quartier
-pendant lesquelles on arrache l'herbe des cours
-en regardant sortir tout flambants les permissionnaires.</p>
-
-<p>Les deux soldats longent les boutiques pleines de
-femmes bavardes et gesticulantes. Au coin de la
-place, la claire vitrine d'une pâtisserie protège des
-gâteaux crémeux, appétissants, des sacs de bonbons
-à faveurs soyeuses, qui présentent, sur leurs panses,
-des figures de dames décolletées et riantes. Et ce
-spectacle lui fait naître l'image d'un intérieur en
-fête, la réminiscence de sages ivresses en l'honneur
-d'une première communion, celle de sa cousine. Il
-songe à la table illuminée, au gâteau de Savoie supportant
-une figurine en plâtre, nantie d'un cierge
-et d'un missel. Un attendrissement lui brouille la
-vue des choses et assourdit l'intermittente réflexion
-de Berdot: «C'est tout de même une sale histoire.»
-Maintenant, le jeune homme se complaît à réunir
-pour un ensemble délicieux les traits mièvres de la
-première communiante toute pâle en sa blanche
-robe, coiffée d'un bonnet vieillot qui enserre la
-mince frimousse de fillette obstinément grave.</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, voilà le lieutenant!</p>
-
-<p>Et Berdot indique devant un café des officiers qui
-causent et qui rient.</p>
-
-
-<h4><i>DO</i></h4>
-
-<p>Gustave Prescieux laisse le sergent s'avancer. Un
-très jeune sous-lieutenant reçoit le rapport sans
-mouvoir la tête ni rompre la conversation qui hilare
-ses collègues; puis, les épaules encore tressautantes,
-il feuillette. Quand il a fini, Berdot désigne son compagnon
-et s'explique, militairement immobile.</p>
-
-<p>Et Prescieux, en tremblant, suppute les motifs
-capables de pallier sa faute et ceux qui justifieraient
-son châtiment. Et toujours, la peine lui semble
-inévitable, par logique, bien qu'il possède la très
-intime persuasion d'une délivrance.</p>
-
-<p>Subitement, l'officier sourit et il lance cette exclamation
-méprisante:</p>
-
-<p>&mdash;En voilà un imbécile! Mais je n'y peux rien,
-moi, rien du tout. Que voulez-vous? Tant pis!</p>
-
-<p>Il lève en l'air ses bras galonnés, nie que puissent
-être utiles ses bonnes intentions. Il appelle le
-fautif.</p>
-
-<p>Aux questions de ses supérieurs, Prescieux répond
-à peine. Son malheur l'ahurit. Tout lui semble égal
-maintenant, rien ne le pouvant plus secourir. Sans
-tenter une excuse il s'embarrasse en des explications
-sincères. Et il se dérobe aux regards apitoyés, aux
-interrogations bienveillantes, car il calcule qu'y
-répondre serait un surcroît de pénibles efforts sans
-but. Obstinément il fixe les yeux sur les officiers en
-joie. A remarquer leur atroce indifférence une rage
-vindicative le mord. Ce lui est un soulagement lorsqu'il
-entend conclure:</p>
-
-<p>&mdash;Alors, qu'il aille se mettre en tenue et puis
-vous le conduirez en prison: j'en suis fâché pour
-lui.</p>
-
-<p>Gustave repasse devant la pâtisserie. Comme il
-regrette les heures où il embrassait les paupières de
-sa cousine pleurant après les gronderies, et dont les
-fines narines frémissaient. Il la revit plus jeune encore,
-blotti dans la molle poitrine de sa mère, où, mordant
-des tartines de confiture. Et leur goût odorant
-revient à son palais; il éprouve l'instinct de s'en
-vouloir repaître. Par intervalle, il hoche un acquiescement
-aux consolantes recommandations de son
-camarade, mais il reste tout à fait inattentif aux descriptions
-de cellules, aux moyens de frauder la
-consigne que le sergent confie en les ponctuant de
-restrictions prudentes: «Surtout ne dis pas que
-c'est moi qui te l'ai dit.»</p>
-
-<p>Son existence d'antan dénuée de désirs irréalisables
-comme de chagrins réels il la voudrait
-encore passer. Et depuis, de successifs déboires.
-Son arrivée au régiment, une joie: enfin, se présentait
-la noce tant désirée, tant rêvée alors que
-la lui défendait son père. Et la noce n'avait valu que
-fatigues, embêtements, punitions, maladies, fastidieuses
-élaborations de carottes pour avoir de l'argent.
-Hormis cela on l'excède de man&oelig;uvres; ses
-camarades plus forts lui empruntent et le dépouillent;
-ses camarades riches le dénigrent et le bernent;
-les chefs le brutalisent, les fillasses le ruinent,
-l'infectent et le blasent. Aujourd'hui, il va encore
-subir d'inédites rigueurs, de plus nombreuses injures.
-Elles résonneront bientôt à ses oreilles, les voix
-méchantes des sous-officiers enrouées par les habituelles
-soûleries.</p>
-
-<p>A sa vue, dès le seuil de la caserne, on se gausse:
-«Mince de chic! Où diable a-t-il été pêcher l'autorisation
-de se balader en pékin dans la cour du quartier?»</p>
-
-<p>&mdash;Ah! foutez-moi la paix, nom de Dieu! hurle
-Prescieux empoigné d'une fureur subite.</p>
-
-<p>Berdot parle au chef de poste; celui-ci grogne
-un commandement. Quatre hommes se lèvent du
-banc où ils somnolaient; ils abaissent les jugulaires
-de leurs schakos et se traînent jusqu'aux fusils.</p>
-
-<p>Gustave appréhende la torture qui va commencer
-sans révolte possible: oser une protection de soi
-paraîtrait grotesque. Quels êtres! Berdot sait bien
-cependant à quelle peccadille se réduit le crime;
-mais l'arrestation de Prescieux vaudra d'influentes
-apostilles à cet individu sur la liste d'avancement.
-Canaille!&hellip;</p>
-
-<p>Et il précède dans les couloirs le sergent qui l'a
-rejoint. Il ne s'oublie plus en de vains regrets; un
-énergique vouloir de se montrer ferme et supérieur
-à ces sales tracasseries persiste seul. En lui-même,
-muet, il se redresse et se rebiffe.</p>
-
-<p>A la chambrée, le conditionnel Auriol, un garçon
-très drôle, simule une profonde admiration pour le
-costume neuf:</p>
-
-<p>&mdash;Oh, Prescieux, chic! le complet quarante-cinq.
-Élégance et solidité! En un tour de main le plus
-vulgaire des tourlourous est transformé en mec irréprochable.
-Entrée libre, on rend l'argent.</p>
-
-<p>Gustave hausse les épaules, feignant l'indifférence
-pour cette raillerie qui le navre. S'il manifeste une
-colère, on redoublera de quolibets stupides. Mais sa
-chair, plus âpre encore que sa volonté, se révolte;
-sa poitrine s'oppresse et halète; tous ses nerfs lui
-semblent se pincer et se tordre de l'insulte. Son
-regard se brouille davantage. Il souffre d'un trop
-plein d'excitation qui lui agace le corps; sa nervosité
-lui commande la vengeance et lutte à toute
-force contre sa raison. Elle le vainc; elle le torture
-pour qu'il obéisse. De douleur, il plonge sur son lit
-et se prend à sangloter, la tête dans les bras, furieux
-de sa honte. Chacun de ses sanglots lui étrangle les
-entrailles; et ce qu'il souffre, il le doit à la méchanceté
-d'Auriol, de tous. Pour compenser la perte du
-calme familial, il a voulu au moins être un mâle séduisant:
-il atteint au ridicule. Auriol a deviné le prix
-de son costume et détruit l'espoir d'en exagérer la
-value. Il ne sera donc jamais l'égal des autres en
-bonheur; et pourtant il y a droit, lui aussi. Et la
-rage le prend plus violente; ses entrailles s'étranglent
-plus étroitement, ses mâchoires glissent l'une
-contre l'autre et grincent; ses doigts se recourbent
-et ses poings se crispent.</p>
-
-<p>Derrière lui, des rires, des esclaffements, des
-plaisanteries. On le prend sous les bras, on le soulève
-pour voir sa face en pleurs.</p>
-
-<p>Lui, se laisse tomber inerte. Et s'il voulait cependant
-les battre! Ces efforts, ces torsions de membres
-n'indiquent-ils pas une surexcitation extrême accumulée
-en lui et qui veut se détendre? N'est-il pas
-un homme aussi.</p>
-
-<p>Il se dresse!</p>
-
-<p>Sur la blancheur nue des murailles, le groupe
-des hommes ricane. Lui, les fixe un instant de ses
-yeux qui voient trouble et qui lui semblent se
-dilater à l'extrême. Tout son être est si douloureusement
-étréci par la souffrance qu'il ne peut respirer.
-C'est comme une force interne immense qui l'emplit
-et tend à le projeter. Il lui résiste à peine. Et il
-comprend que s'il cède ce sera la plus entière des
-satisfactions. Tout à coup un spasme imprévu le
-lance sur Berdot qui l'a touché. Au contact algide
-d'un pommeau de bayonnette une juste férocité
-domine Prescieux, le pousse. Il dégaîne cette lame et
-exulte en la sentant si légère à son poing. Aveugle,
-heureux, les yeux crispés et clignés, il l'enfonce
-droit devant.</p>
-
-<p>Et c'est pour lui un assouvissement extatique: percevoir
-des chairs qui s'abîment sous la pression de
-son arme victorieuse. Il se rue encore, jouissant,
-perdu, doublant, triplant, multipliant les coups.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p3ch3">BABIOLES</h3>
-
-
-<p>Regardez, écoutez mes babioles, ce sont des
-papiers peints, ce sont des violes:</p>
-
-
-<h4>I<br />
-LE MASQUE JAPONAIS</h4>
-
-<p>Yédo. L'on dirait. Tant elle est de potiches trapues
-et de stores bariolés pleine la chambre. La
-chambre aux rideaux bleus où fleurissaient les yeux
-de <i>l'absente</i>, plus bleus que les fleurs bleues s'étiolant
-dans des vases bleus. Et les grands éventails
-palpitent cloués sur les panneaux comme des papillons,
-les grands éventails où des papillons sont
-peints, les grands éventails diaprés comme des perruches,
-les grands éventails où des perruches
-sont peintes.</p>
-
-<p>Et le petit masque japonais, don de <i>l'absente</i>, rêve
-sur le mur blanc juste en face du lit, du grand lit
-froid comme un catafalque, où sur les taies fleurant
-les parfums aimés de <i>l'absente</i>, tristement accoudé,
-<i>il</i> songe. Il songe que les nuits veuves s'entassent,
-que l'hallali des désirs sonne dans ses nerfs exaspérés;
-il songe au cabaret grouillant là-bas sous la
-flambée du gaz, il songe à la petite brune, fine et
-futée jusques au bout de l'orteil, à la grande rousse,
-grasse comme une oie, et bête donc! Et cependant
-que la roue du fiacre attardé chante sur la chaussée,
-<i>il</i> regarde ses bas de soie rouge traînant sur le
-tapis, ses bas de soie rouge qui le fixent de leurs
-prunelles rouges avec un air de <i>viens-nous-en</i>. Et sa
-<i>fidélité</i> sombre, sombre comme la carène prise dans
-un ressac, et la tunique de lin des chères <i>remembrances</i>
-va être souillée.</p>
-
-<p>Et, ses yeux tombent sur le masque japonais, don
-de <i>l'absente</i>, pâle sur le mur blanc, juste en face du
-lit. Et le pauvre petit <i>masque</i> le regarde si tristement,
-si tristement que l'hallali des désirs ne sonne plus
-dans ses nerfs exaspérés, si tristement qu'il ne songe
-plus à la petite brune, fine et futée jusques au bout
-de l'orteil, qu'il ne songe plus à la grande rousse,
-grasse comme une oie, et bête donc! Si tristement
-que la tunique de lin des chères <i>remembrances</i> ne
-sera pas souillée&mdash;encore.</p>
-
-
-<h4>II<br />
-AUBE</h4>
-
-<p>Les maisons sont tristes comme des bêtes.</p>
-
-<p>A leurs vitres glacées le jour indistinct indistinctement
-se réverbère; en les buées leurs vitres obscures
-s'emboivent.</p>
-
-<p>Les maisons sont tristes comme des bêtes.</p>
-
-<p><i>Deuil et modes</i>, <i>Liquidateur judiciaire</i>, <i>Docteur-médecin</i>&hellip;
-Implacable Destinée! Les enseignes, les
-implacables enseignes marquent leur flanc suranné,
-tels des stigmates de lys sur l'épaule des prostituées.
-<i>Deuil et modes</i>, <i>Liquidateur judiciaire</i>, <i>Docteur-médecin</i>&hellip;</p>
-
-<p>Les maisons sont tristes comme des bêtes.</p>
-
-<p>Leurs portes s'entrebâillent; aux tintamarres des
-timbres par les couloirs leurs portes s'entrebâillent;
-au labeur superflu, à la débauche superflue, à la superflue
-et irrémédiable Vie, leurs portes s'entrebâillent.</p>
-
-<p>Les maisons sont tristes comme des bêtes.</p>
-
-<p>Et elles regardent résignées dans la rue pleine de
-boue et sur la place morne où le vent siffle; elles
-regardent vers le square au bassin plein de feuilles
-mortes, vers le lamentable square plein de feuilles
-mortes, elles regardent résignées.</p>
-
-<p>Les maisons sont tristes comme des bêtes.</p>
-
-
-<h4>III<br />
-ROMANCE</h4>
-
-<p>Les subtils, les très vagues parfums des mouchoirs
-qu'on retrouve au fond des malles poussiéreuses
-rappellent les serments emportés aux jours,&mdash;telles
-des fleurs aux bises hiémales,&mdash;les serments de
-nos amourettes d'autrefois.</p>
-
-<p>Doucement surgissent les anciennes souvenances,
-souvenances de bonheur et de tourment; doucement
-du fond poussiéreux des malles, douces et dépouillées,&mdash;telles
-des ramures aux bises hiémales,&mdash;elles
-surgissent les anciennes souvenances.</p>
-
-<p>Et mélancoliquement se plaignent les souvenances
-délaissées, souvenances de bonheur et de tourment;
-mélancoliquement du fond poussiéreux des malles,
-mélancoliques,&mdash;telles parmi les ramures les bises
-hiémales,&mdash;des replis des anciens mouchoirs aux
-surannés parfums, elles se plaignent les souvenances
-délaissées.</p>
-
-
-<h4>IV<br />
-MALÉFICE</h4>
-
-<p>Ils avaient bu toute la nuit, Styx le poète désolé
-et Laas le poète calme, ils avaient bu à la coupe d'or
-de la fée Eaudevie, cette compatissante qui change
-les cailloux en pierreries,</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Qui porte la lune</div>
-<div class="verse">Dans son tablier,</div>
-</div>
-
-<p class="noindent">comme a dit un autre poète, leur aîné.</p>
-
-<p>Adoncques, à l'heure où, sous le clignotement de
-la dernière lanterne, le dernier ribleur rase les murs
-suintants, ils passèrent la rivière Sequane sur le
-Pont-au-Double, en face le parvis de la Cathédrale.</p>
-
-<p>Les pieds dans la boue et le front dans les étoiles&mdash;absentes,&mdash;ils
-allèrent d'aguet, par la ruelle
-torte aux pavés disjoints, chez les Villotières adextres
-à tenir amoureuses lysses, où l'on a sadinet cy pris,
-cy mis.</p>
-
-<p>Muets, à la lueur blafarde de la chandelle chassieuse,
-ils grimpèrent les marches vermoulues de
-l'escalier branlant, jusques à la haute chambre aux
-poutres enfumées, aux escabeaux cul-de-jatte, où les
-maléfiques Circés du bas mestier étalaient leurs reins
-monstrueux et leurs torses lubriques sous les courtines
-de percale des lits craquetants.</p>
-
-<p>Là, bientôt énervés par les caresses savantes des
-filles, les deux poètes voulurent chanter Priape. Mais
-lorsqu'ils ouvrirent leur bouche idoine à lancer
-l'ample alexandrin aux sonorités de cuivre,&mdash;ils
-grognèrent comme des pourceaux.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Quatrième Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="La mer, d'un jade qui" id="p4ch1"></h3>
-
-<p><i>La mer, d'un jade qui écumerait. Et le tissu métallique
-des pluies voile le ciel morose.</i></p>
-
-<p><i>Jusqu'aux flots du golfe, le vieux palais génois
-étend ses balustres à travers les bosquets de myrtes.
-Pétale à pétale s'effeuillent les roses pourpres trop
-chétives pour soutenir les gouttes pesantes de l'averse;
-et les pétales pourpres jonchent la pelouse.</i></p>
-
-<p><i>Et la mer geint, la mer d'un jade qui écumerait.</i></p>
-
-<p><i>Les dames transies des fresques anciennes croisent
-leurs bras anguleux sur leurs poitrines liturgiques.
-Les chevaliers foulent de leurs pieds de fer les échines
-des lions armoriaux, et l'impassibilité rébarbative de
-leurs visages glace. En une ombre caligineuse,
-humide, les dalles des larges escaliers dégradent.
-Vers où?</i></p>
-
-<p><i>Là-bas s'érige l'amphithéâtre des collines olivâtres;
-et les maisons s'y étagent, assises en cercle au spectacle
-des eaux, comme un peuple.</i></p>
-
-<p><i>Et le tissu métallique des pluies voile le ciel morose.</i></p>
-
-<p><i>Les vaisseaux ivres titubent à la surface du golfe
-qui moutonne, et monte, et se dérobe.</i></p>
-
-<p><i>Et les grands môles se courbent dans les flots,
-les grands môles qui guettent au loin, de leurs
-phares.</i></p>
-
-<p><i>Une mouette. L'éclair oblique de son ventre blanc,
-et l'aigu de sa tête grise, dans le terne espace.</i></p>
-
-<p><i>Miranda soulève sa face exsangue et la ruisselante
-blondeur de sa chevelure éparse où brillent quelques
-saphirs perdus dans l'emmêlement des tresses. Elle
-se dresse des coussins écarlates fiorés d'aigues-marines.
-Ses bras nus, graciles, l'étayent; ses bras nus, graciles,
-et blancs comme les vieilles soies blanches, et
-ses longues mains rubéfiées par l'écarlate des étoffes.
-Sur sa gorge plate s'effondre en plis mous une chlamyde
-couleur d'aventurine où se révèlent de très distantes
-et minuscules paillettes d'or vert. Sur sa gorge
-plate, et blanche comme les vieilles soies blanches, la
-chlamyde couleur d'aventurine s'ouvre en longue fente
-sans bordure.</i></p>
-
-<p><i>Elle se tient à genoux dans une posture attentive,
-le regard au golfe. Et sous ses sourcils broussailleux
-de chanvre pâle, et sous la paupière exsangue qui
-presque recouvre l'orbite, seul l'iris obscur.</i></p>
-
-<p><i>A genoux. Et ses bras l'étayent, et sa jambe fluette
-s'enfonce par les coussins, sa jambe gaînée d'un bas
-teinte de fleuve, où des chimères d'argent butinent
-parmi des fleurs magiques, et se lovent.</i></p>
-
-<p><i>Et jusqu'aux flots du golfe le vieux palais génois
-étend ses balustres à travers les bosquets de myrtes.</i></p>
-
-<p><i>Pétale à pétale s'effeuillent les roses pourpres.</i></p>
-
-<p><i>Des tentures blanches à paysages peints suspendues
-de pilier à pilier sur des tringles de cuivre comblent le
-vide des arcades, sauf une.</i></p>
-
-<p><i>Par elle Miranda regarde le vol elliptique de la
-mouette, et la mer.</i></p>
-
-<p><i>L'harmonieuse pluie chante. Elle brode sa cristalline
-mélodie de clochettes sur le gémissement uniforme
-du reflux.</i></p>
-
-<p><i>Gènes se noye dans la liquescence de l'air et des
-sons, Gènes et ses maisons assises comme un peuple,
-et les fresques olympiques du palais, et les myrtes.</i></p>
-
-<p><i>L'atmosphère se glauque avec des teintes d'aquarium.</i></p>
-
-<p><i>Pétale à pétale s'effeuillent les roses pourpres.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p4ch2">LE CAS DE MONSIEUR DE LORN</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>Ah! mais! C'est qu'il n'était pas du tout
-rassuré, le beau Fernand de Lorn, en entrant
-pour la première fois dans la chambre
-nuptiale. Pensez donc! Effeuiller une couronne
-d'oranger! ce n'est pas si commode, surtout pour
-un viveur de trente-six ans, à qui la patte d'oie
-arrive, escortée d'une longue séquelle de vilaines
-choses. Il faisait encore vaillamment ses preuves chez
-la grosse Tata, ou chez la maigre Toto; mais là,
-c'était autre chose: vins généreux, écrevisses diantrement
-poivrées et propos plus poivrés encore. Et
-puis on avait l'habitude, cette sacrée habitude si
-précieuse. Et l'on pouvait se mettre à son aise avec
-Tata, et avec Toto, donc; cette petite friponne de
-Toto, savante à vous émoustiller le plus vanné des
-académiciens. Mais allez donc vous faire comprendre
-par une jeune fille de dix-neuf ans, élevée sous les
-jupes roides de sa maman, et la première nuit de
-vos noces encore!</p>
-
-<p>C'est à toutes ces bêtises qu'il pensait avec inquiétude,
-Fernand de Lorn, correct et pâle dans son
-habit noir sous la douce lueur de la veilleuse, tandis
-que la mariée faisait semblant de s'occuper de sa
-traîne pour cacher son embarras.</p>
-
-<p>Il regarda sa femme à la dérobée. Pour gentille,
-elle l'était, Madame Blanche de Lorn. Gentille et
-très gentille, avec son corsage frêle et pas maigre,
-avec ses grands yeux de pervenche mouillée.</p>
-
-<p>Fernand résolut d'être brave. Il invita sa femme
-à s'asseoir à ses côtés sur la chaise longue, puis il
-se mit à l'embrasser doucement sur la bouche.</p>
-
-<p>Elle fermait voluptueusement, en rougissant un
-peu, ses yeux aux cils frangés. Il la délaça méthodiquement.
-Après avoir fait tomber un à un tous
-les voiles importuns, il la prit dans ses bras et la
-porta au lit. Hélas! une fois sous les draps fins parfumés
-d'iris de Florence, il eut de nouveau le trac,
-comme un acteur à une première:</p>
-
-<p>&mdash;Commencer par un four, se disait-il, c'est dangereux
-pour l'avenir.</p>
-
-<p>Il parla de choses indifférentes, puis fixant sur sa
-femme des regards qui voulaient paraître langoureux,
-il dit:</p>
-
-<p>&mdash;Vous devez être bien fatiguée, mon amie&hellip;</p>
-
-<p>Elle répondit simplement:</p>
-
-<p>&mdash;Non.</p>
-
-<p>Et cacha sa tête blonde dans les dentelles des
-taies d'oreillers.</p>
-
-<p>Alors il commença des caresses prudentes, en lui
-murmurant les banalités exquises des amoureux. Il
-parla avec passion de l'avenir, de la tendresse qu'il
-lui avait vouée.</p>
-
-<p>Elle l'écoutait, visiblement désappointée. La veilleuse
-se mourait, et les premières lueurs de l'aube
-filtraient déjà à travers les lourds rideaux des hautes
-fenêtres.</p>
-
-<p>Blanche s'assoupit légèrement.</p>
-
-<p>Fernand de Lorn poussa un soupir de soulagement.</p>
-
-<p>Hélas! la pauvre couronne d'oranger n'avait pas
-perdu un seul pétale.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Deux nuits suivirent dans un calme aussi plat. La
-troisième il résolut d'être plus hardi:</p>
-
-<p>&mdash;Après tout, se disait-il, pourquoi avoir de telles
-appréhensions? C'est absurde.</p>
-
-<p>Il perdit la bataille, et l'honneur aussi.</p>
-
-<p>Pendant plusieurs semaines des tentatives fréquemment
-renouvelées furent absolument désastreuses.
-La situation devenait tendue. Les époux commençaient
-à échanger des paroles aigres-douces.
-Ils s'en voulaient mutuellement. Fernand retourna
-au cercle, où les plaisanteries banales de ses amis,
-à propos de son bonheur conjugal, lui entraient au
-c&oelig;ur comme des dagues. Il perdait des sommes
-folles sans arriver à se distraire. L'humeur de Blanche
-devenait de jour en jour plus acariâtre, ses nerfs
-exaspérés battaient la charge. Elle passait sa vie à
-massacrer des statuettes de Saxe et à renvoyer ses
-femmes de chambre. Ce qui la faisait rager surtout,
-c'étaient ses amies intimes, la comtesse de Luc,
-Madame de Baixas, et les autres, mariées peu de
-temps avant elle, avec leurs conversations indiscrètes,
-telles que:</p>
-
-<p>&mdash;Eh! bien, dis, est-ce si terrible que ça un
-mari?</p>
-
-<p>Ou:</p>
-
-<p>&mdash;Pauvre petite comme tu as les yeux battus.</p>
-
-<p>Ou encore:</p>
-
-<p>&mdash;A quand le baptême, ma mignonne?</p>
-
-<p>Elle tâchait de prendre des mines effarouchées,
-très vexée au fond, et finissait par se fâcher tout
-rouge.</p>
-
-<p>A quoi les petites amies répliquaient en ch&oelig;ur:</p>
-
-<p>&mdash;La voyez-vous, l'hypocrite!</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>Plaisanterie à part, ce pauvre Monsieur de Lorn
-était vraiment à plaindre. Songez donc! ça n'était
-pas gai. Quelle déveine! Oh! si l'on pouvait se douter
-de son malheur chez la grosse Tata, quelle fête! Et
-le petit d'Anglar à qui il avait enlevé Toto, c'est lui
-qui s'amuserait à colporter la nouvelle dans tous les
-cercles de Paris. Et puis, c'est que ça devenait
-inquiétant. Si c'était pour tout de bon! C'est que
-ces choses-là arrivent quelquefois, tout d'un coup,
-à son âge, surtout quand on a brûlé la mèche par
-tous les bouts. Il aurait bien voulu essayer avec une
-ancienne <i>amie</i>, pour savoir à quoi s'en tenir. Mais
-ces filles sont si bavardes! Il y aurait peut-être un
-autre moyen. Ah! mais oui, Madame de Saint-Baume.
-Était-il assez bête de n'y pas avoir pensé plus tôt!
-La baronne de Saint-Baume, cette vieille dame si
-discrète et qui protégeait de si jolis tendrons!</p>
-
-<p>Le lendemain, vers dix heures du soir, il sortit,
-la figure abritée sous le haut collet de sa pelisse. Il
-bruinait légèrement. Par la chaussée le gaz flambait
-roux, dans les flaques d'eau. Les fiacres roulaient
-assourdissants; les passants se heurtaient, hâtifs.
-Aux coins des rues sombres, les pierreuses faisaient:
-Pstt! Il fut tenté de monter avec une de ces filles à
-cause de la discrétion. Le dégoût l'en empêcha. Il
-continua son chemin, rasant les murs.</p>
-
-<p>Arrivé devant la large porte cochère de l'hôtel
-connu, il sonna timidement, puis il grimpa d'un pas
-furtif les marches moelleusement tapissées.</p>
-
-<p>Madame de Saint-Baume le reçut dans son petit
-salon aux tentures sévères avec la cordialité due à
-un ancien ami, doublé d'un bon client. C'était une
-femme de cinquante et quelques ans, grande et
-osseuse, aux manières distinguées. Figure longue,
-aux méplats secs, encadrée de boucles grisonnantes.
-Des yeux gris très perçants. Un sourire factice
-entr'ouvre la lèvre mince sous laquelle éclate la blancheur
-du râtelier.</p>
-
-<p>Il fait bon dans le petit salon. Un petit feu attiédit
-l'air saturé d'aromates. La grande pendule en bronze
-repoussé tictaque berceusement. La flamme bleue
-du samovar veille sur le guéridon couvert d'une
-nappe brodée.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! monsieur de Lorn! Quelle agréable surprise!
-Je vous croyais définitivement perdu pour
-nous, tout à vos devoirs de mari.</p>
-
-<p>Il eut un petit rire saccadé.</p>
-
-<p>&mdash;Je passais devant votre porte, chère baronne,
-et le désir de causer un instant avec vous du passé
-conduisit ma main vers la sonnette.</p>
-
-<p>&mdash;C'est bien, cela, et je vous remercie de ne
-m'avoir pas complétement oubliée.</p>
-
-<p>Ils causèrent de mille choses diverses: sport,
-politique, potins du jour. La petite Niniche était
-partie en Amérique avec un riche fabricant. Quelle
-roublarde! Les républicains, tous des Robert-Macaire.
-Cet imbécile de X&hellip; s'était fait sauter la
-cervelle après avoir perdu au baccarat toute sa fortune
-et celle des autres. Le banquier Z&hellip; venait de
-surprendre sa femme avec un clown du cirque,
-etc., etc.</p>
-
-<p>Un coup de sonnette retentit dans l'air apaisé de
-l'hôtel.</p>
-
-<p>&mdash;A propos, dit la baronne. Mademoiselle Louise
-de Fasols, cette belle brune qui vous aimait tant,
-mon cher Fernand, est de retour depuis quelques
-jours, et je l'attends ce soir. Si vous avez quelques
-instants à nous donner nous allons prendre une tasse
-de thé ensemble.</p>
-
-<p>Il regarda sa montre machinalement et dit:</p>
-
-<p>&mdash;Avec plaisir. Précisément, ma femme est allée
-passer une semaine chez sa mère, à Nice; je suis
-garçon.</p>
-
-<p>&mdash;C'est à merveille, dit Madame de Saint-Baume
-en se levant. Voilà Mademoiselle Louise qui monte
-l'escalier. Elle sera enchantée de vous rencontrer.</p>
-
-<p>Mademoiselle Louise de Fasols entra avec un
-froufrou de robes, emmitoufflée dans ses belles fourrures
-de loutre, les joues rosées sous sa voilette.
-C'était une belle fille à la gorge rebondie, aux hanches
-superbement cambrées.</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, un revenant, dit-elle, en apercevant
-Monsieur de Lorn. A quel heureux hasard devons-nous
-le plaisir de vous voir, homme rangé?</p>
-
-<p>&mdash;Votre retour à Paris, mademoiselle, y est pour
-beaucoup, répondit Fernand en souriant.</p>
-
-<p>&mdash;Flatteur, va! reprit Louise très câline, en lui
-tirant amicalement le bout de sa barbe en pointe.</p>
-
-<p>Ils causèrent en sirotant du thé copieusement
-désaffadi de cognac. Les petits verres d'eckau vinrent
-après, très fréquents.</p>
-
-<p>De Lorn sentait se réveiller en lui tous ses vices
-d'hier. Les petits verres d'eckau faisaient déjà leur
-effet. Il dit en effleurant de ses lèvres la nuque de
-Louise:</p>
-
-<p>&mdash;Dites donc, si nous soupions!</p>
-
-<p>Madame de Saint-Baume se leva avec un sourire
-protecteur.</p>
-
-<p>&mdash;Mes enfants, dit-elle, j'ai un peu de migraine,
-et il se fait tard. Permettez-moi de me retirer. Je
-vais donner des ordres pour que vous soyez servis
-comme de simples Khédives. Ne vous gênez pas,
-vous savez que ma maison est vôtre.</p>
-
-<p>Elle se retira digne et roide dans sa robe de soie
-sombre.</p>
-
-<p>Au bout d'un quart d'heure, une vieille bonne
-typique apporta sur un grand plateau d'argent un
-petit souper extra-fin.</p>
-
-<p>Les écrevisses furent éventrées, les pâtés saccagés,
-le Chandon moutonna dans les coupes.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! ça, dit Louise, à cheval sur la cuisse de
-Fernand, t'es donc marié, petit singe?</p>
-
-<p>&mdash;Mais oui.</p>
-
-<p>&mdash;Et ça va bien, les petites amours légitimes?</p>
-
-<p>&mdash;Hum!</p>
-
-<p>&mdash;Comment? Déjà!</p>
-
-<p>&mdash;Je n'ai pas dit.</p>
-
-<p>&mdash;Tu fais: hum!</p>
-
-<p>&mdash;C'est que&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;C'est que?</p>
-
-<p>&mdash;Tu sais, les jeunes mariées&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Les jeunes mariées?</p>
-
-<p>&mdash;C'est un peu&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Innocent, n'est-ce pas?</p>
-
-<p>&mdash;Oui.</p>
-
-<p>&mdash;Je comprends, dit Louise, en risquant des
-gestes définitifs. A des&hellip; comme toi il faut&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Des&hellip; comme toi, riposta Fernand, en lui
-passant la main sous le corset.</p>
-
-<p>Alors Louise en fit sauter les agrafes. Ses beaux
-seins fermes bondirent comme des cavales fringantes.
-Elle dénoua sa lourde chevelure et colla sa
-bouche fardée sur les lèvres de Fernand, l'excitant
-de la morve de ses baisers.</p>
-
-<div class="dots"><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b><b>.
-</b><b>.</b><b>.</b><b>.</b></div>
-<p>Une heure après, M. de Lorn sortait de l'hôtel
-Saint-Baume, épouvantablement gris, mais la tête
-haute et le chapeau sur l'oreille.</p>
-
-<p>L'honneur était sauf.</p>
-
-<p>Tout en marchant il se répétait avec satisfaction:</p>
-
-<p>&mdash;C'est égal, je suis content. Ce n'était pas pour
-tout de bon. C'est que cette pensée me donnait la
-chair de poule. Songez donc: trente-six ans et plus
-rien! Oh! non, pas encore! Et mais, dites donc, ça
-a marché avec cette petite grue de Louise, mais là
-très bien. Au bout du compte, je m'en lave les
-mains. Que ma femme s'arrange: c'est de sa faute.
-J'ai la preuve de ma vaillance. O ces jeunes filles du
-noble faubourg sont-elles godiches!</p>
-
-
-<h4>IV</h4>
-
-<p>Quelques jours après. Vers neuf heures du soir.
-Ils se trouvent en tête à tête dans le petit boudoir
-chaud comme un nid, devant le feu pétillant parmi
-les chenets. Fernand regarde sa femme qui lit un
-volume de Feuillet: très pâle, à la lueur tamisée de
-la lampe, son corps se dessine amoureusement sous
-la soie du peignoir clair à bouffettes roses. On voit
-le bras blanc jusqu'au coude. Les cheveux longs et
-soyeux traînent négligemment sur ses épaules. Le
-pied,&mdash;bas noir et mule blanche,&mdash;frétille nerveusement
-sur un pouf en tissu du Daghestan. Fernand
-la regarde toujours et la trouve gentille à croquer.
-Il se sent un appétit d'enfer et pourtant son estomac
-refuse toute nourriture.</p>
-
-<p>&mdash;Nom d'un chien! pense-t-il, il faut que cela
-finisse. Tout ça, c'est de l'appréhension. Puis, il me
-semble qu'après ma victoire de l'autre nuit, à l'hôtel
-Saint-Baume, je serais bien bête de ne pas essayer&hellip;</p>
-
-<p>Il essaya&hellip;</p>
-
-<p>Bernique!</p>
-
-<p>Alors il se mit dans une fureur de fauve: il allait
-et venait par la chambre, sacrant comme un goujat,
-se campant fièrement devant la haute glace, retroussant
-les pointes féroces de ses moustaches, bombant
-son torse.</p>
-
-<p>Il alluma un gros cigare, et,&mdash;tel un maroufle
-sur un sofa de bouge,&mdash;il se vautra sur un canapé.</p>
-
-<p>Là, d'un air d'indifférence, avec des ricanements,
-il dit, entre deux bouffées de cigare:</p>
-
-<p>&mdash;Tu sais, ma chère, c'est absolument ridicule,
-et je tiens à te dire une fois pour toutes que c'est de
-ta faute.</p>
-
-<p>Blanche lança un rire aigu plein de mépris.</p>
-
-<p>Il reprit tranquillement, sans se laisser déconcerter:</p>
-
-<p>&mdash;Oui, c'est de ta faute, je le répète; j'ai des
-preuves certaines que je ne suis pour rien dans le
-désagrément qui nous arrive; des preuves, entendez-vous,
-madame!</p>
-
-<p>Il prononça le mot <i>preuves</i> en appuyant, avec un
-sourire fat.</p>
-
-<p>Elle eut un haussement d'épaules, sans répondre.
-Alors il se leva et sortit en sifflant un air d'opérette.</p>
-
-<p>Après le départ de son mari, Madame de Lorn
-laissa éclater ses sanglots et ses pleurs: dire qu'elle
-avait espéré le bonheur entre les bras de cet
-homme! Où sont ces rêves bleus, ces illusions aux
-ailes d'or! Des querelles, des injures même. Et
-dire qu'ils venaient de se marier à peine! Quel
-enfer! Comment finirait-elle cette situation aussi
-lugubre que grotesque? C'était sa faute, disait-il,
-sa faute à elle? L'imbécile! Sa faute! Pourquoi?
-Elle était jolie, vraiment jolie, et désirable! Oh!
-c'était trop fort! Elle avouerait tout à sa mère, elle
-se séparerait. Non. Elle le rendrait plutôt ridicule.
-Elle se laisserait courtiser, courtiser <i>jusqu'au bout</i>,
-par le vicomte de Cazal, qui avait demandé autrefois
-sa main, ou par Monsieur Maffei, ce jeune diplomate
-italien si joli garçon. Oui, mais c'est qu'elle
-l'aimait toujours, et quand même ce grand diable
-d'homme avec ces moustaches fines, sa main aristocratique,
-ses yeux qui vous allaient droit au c&oelig;ur.
-Oh! si ça pouvait s'arranger! Comme elle vivrait
-heureuse entre ses bras! Le posséder, le posséder
-<i>complétement</i> une semaine, et puis mourir! Et elle
-sanglotait, sanglotait à fendre l'âme, la pauvre
-petite, et elle pleurait, pleurait toutes les larmes
-de son corps.</p>
-
-<p>Soudain, un objet blanc, tranchant sur le fond
-brun du tapis, attira son regard. C'était une carte
-de visite. Elle la ramassa et lut:</p>
-
-<p class="c"><i>Madame la Baronne de Saint-Baume</i>,<br />
-Rue&hellip;&hellip; n<sup>o</sup>&hellip;</p>
-
-<p>La baronne de Saint-Baume! Ce nom ne lui était
-pas inconnu. Où diable avait-elle entendu parler
-de cette femme? Mais oui. C'est son oncle, le marquis
-de Matas, ce vieux gâteux qui racontait des
-choses si inconvenantes devant les jeunes filles.
-C'est lui qui parlait souvent de Madame de Saint-Baume,
-quand il allait dîner chez ses parents. Elle
-se rappelait maintenant. Sa mère se montrait très
-scandalisée toutes les fois qu'on entamait cette conversation.</p>
-
-<p>Elle sentit son c&oelig;ur saigner. La jalousie l'étreignit
-de ses griffes. Puis, une idée subite lui traversa
-l'esprit et elle sourit malicieusement.</p>
-
-<p>&mdash;C'est à essayer, pensa-t-elle. Qui sait? Mon
-bonheur est là, peut-être.</p>
-
-
-<h4>V</h4>
-
-<p>Le lendemain, une dame long voilée se présentait
-à l'hôtel Saint-Baume. La baronne la reçut avec
-une courtoisie exquise de douairière.</p>
-
-<p>&mdash;Madame, dit l'inconnue d'une voix mourante
-au bout de quelques instants de silence embarrassé,
-je fais auprès de vous une démarche très grave,
-comptant sur votre discrétion inattaquable.</p>
-
-<p>La baronne remercia de la tête avec dignité.</p>
-
-<p>&mdash;J'aime, reprit l'inconnue d'une voix de plus
-en plus faible, j'aime follement un de vos amis,
-Monsieur de Lorn. Après avoir vainement lutté, je
-me sens vaincue. Je désirerais néanmoins, à cause
-de mon rang dans le monde, et pour des motifs
-qu'il serait inutile d'expliquer, le voir en cachette
-et sans qu'il sache qui je suis, pour le moment du
-moins. Je vous ai choisie, madame la baronne,
-comme la seule digne de ma confiance.</p>
-
-<p>&mdash;Madame, répondit la vieille proxénète d'un
-ton grave, je n'ai pas l'honneur de vous connaître;
-mais je sens, rien qu'à vos paroles, une personne
-de ce monde, le grand monde qui m'est cher et
-auquel j'appartiens par droit de naissance. Mon
-dévouement vous est acquis de ce moment, madame.
-Revenez après-demain vers dix heures du
-soir. Vous trouverez de bonnes nouvelles, je l'espère,
-et peut-être davantage.</p>
-
-<p>Elle souligna ce dernier mot d'un sourire malin.</p>
-
-<p>L'inconnue, après avoir déposé trois billets de
-mille sur la cheminée, sortit de l'hôtel Saint-Baume
-toute tremblante.</p>
-
-<p>Le lendemain, M. de Lorn trouva, en dépouillant
-sa correspondance, la lettre suivante:</p>
-
-<blockquote>
-<p class="ind">«Mon cher ami,</p>
-
-<p>«Une femme charmante et du plus grand monde,
-qui vous aime en secret depuis longtemps, vous
-attendra demain soir, vers dix heures, chez moi.
-Accourez donc, Lovelace.</p>
-
-<p class="sign2">«Votre dévouée,</p>
-
-<p class="sign">«Baronne de <span class="sc">Saint-Baume</span>.»</p>
-</blockquote>
-
-<p>&mdash;Tiens, tiens! se dit-il, un roman! On me propose
-un roman, à moi, un homme marié! Il est vrai
-que je le suis si peu!</p>
-
-<p>Il rit d'un rire amer.</p>
-
-<p>&mdash;Tant pis! j'irai. J'ai besoin d'oublier et de me
-prouver encore que ce n'est pas tout à fait ma faute,
-si&hellip;</p>
-
-<p>Il se leva et se regarda dans la glace.</p>
-
-<p>&mdash;Hé! hé! Elle n'a pas tort, la dame, j'ai encore
-de beaux restes.</p>
-
-<p>Le lendemain, Fernand fut fidèle au rendez-vous.
-La baronne le reçut mystérieusement.</p>
-
-<p>&mdash;La dame va venir d'un moment à l'autre, dit-elle.
-Me promettez-vous de ne pas chercher à la
-reconnaître? Elle tient à garder l'incognito, pour le
-moment du moins. C'est dans l'obscurité propice
-que vous allez être heureux, don Juan&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Ho! ho! interrompit Fernand, quelque vieille
-sorcière, sans doute, ayant peur du jour.</p>
-
-<p>&mdash;Je vous promets que non: fiez-vous à moi;
-laissez-vous faire.</p>
-
-<p>&mdash;Soit, dit Fernand en riant, va pour l'obscurité.
-Bientôt je finirai par me croire à l'Ambigu.</p>
-
-
-<h4>VI</h4>
-
-<p>Ç'avait été un grand triomphe pour Fernand.
-Dans l'espace, relativement court, d'une heure, il
-avait accompli des prodiges de vaillance. Maintenant,
-un peu fatigué, sa tête amoureusement posée
-sur l'épaule de l'inconnue qui ne soufflait mot, il se
-disait:</p>
-
-<p>&mdash;Ah! si je pouvais être comme ça avec ma pauvre
-petite femme!</p>
-
-<p>Et il soupirait légèrement.</p>
-
-<p>Puis il se disait encore:</p>
-
-<p>&mdash;Ah! ça, serait-ce à une <i>demoiselle</i>, à une
-demoiselle authentique que j'eus à faire? C'est que&hellip;
-il m'a semblé&hellip; ah! par exemple! ça serait drôle!</p>
-
-<p>Tout à coup, il fut troublé dans ses méditations
-d'une façon inattendue&hellip; Il se sentit mordu si cruellement
-que le sang coula.</p>
-
-<p>Il sauta du lit en poussant un cri de douleur, stupéfait,
-ahuri.</p>
-
-<p>L'inconnue se leva à son tour, et après lui avoir
-appliqué une vigoureuse paire de gifles, elle dit:</p>
-
-<p>&mdash;Allume donc la bougie, imbécile!</p>
-
-<p>Le son de cette voix le troubla tellement qu'il
-resta pendant deux secondes cloué sur place, puis
-il alla machinalement allumer une bougie sur la cheminée.</p>
-
-<p>La lumière éclata aveuglante.</p>
-
-<p>L'inconnue se tenait là, debout, immobile dans une
-nudité presque absolue, sa chemise aux fines dentelles
-glissant le long des hanches.</p>
-
-<p>C'était Madame Blanche de Lorn.</p>
-
-<p>Les deux époux se regardèrent un instant sans
-une parole, puis ils s'étreignirent longuement, toujours
-muets, très émus.</p>
-
-<p>Fernand risqua une question sur cette aventure
-invraisemblable, mais sa femme lui fermant la bouche
-avec sa fine main pâle, lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;Pas ici. Chez nous. Maintenant va-t-en vite
-avant moi, pour éviter tout scandale.</p>
-
-<p>Il s'habilla à la hâte et sortit de la chambre.</p>
-
-<p>Madame de Saint-Baume l'attendait dans son petit
-salon.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, interrogea-t-elle avec son sourire
-malin, sommes-nous content?</p>
-
-<p>&mdash;Ravi, ma chère baronne, vous êtes la Providence
-des amoureux.</p>
-
-<p>&mdash;Quand je vous le disais!</p>
-
-<p>Il passa à l'annulaire crochu de la proxénète une
-bague de haut prix, et quitta l'hôtel le paradis dans
-l'âme.</p>
-
-
-<h4>VII</h4>
-
-<p>Depuis ce jour la vaillance de Fernand ne se
-démentit pas un seul instant. Blanche est la plus
-heureuse des femmes, et lorsque ses petites amies la
-plaisantent sur ses yeux battus, au lieu de se fâcher
-comme autrefois, elle égrène le chapelet de perles
-de ses rires argentins.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p4ch3">LA TARE</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>De la fenêtre, par l'écran de papier, s'épanche
-un rayon clair qui vient illuminer
-l'eau-forte de Paul Grimail. Le très jeune
-artiste contemple son &oelig;uvre, indécis: sous le col ondulant
-du cygne, Léda se pâme en une torsion enlaçante,
-et l'aile toute blanche, affaissée sur l'amante,
-explique les cambrures de ce corps énervé par la
-caresse duveteuse. Ainsi doivent s'exprimer les
-transports de la passion, ainsi ont-ils toujours apparu
-dans ses rêves;&mdash;car l'éphèbe les ignore réels:
-nulle ne lui offrit l'amour; jamais il n'osa le mendier,
-et il lui répugne d'imposer son désir à la vendeuse
-en besoin.</p>
-
-<p>Il pense. Machinalement il frôle le bandeau qui
-couvre en partie sa figure et son front; dessous se
-cache une horrible bouffissure violâtre. Aussi loin
-que peut remonter sa mémoire, l'artiste revoit sa
-tête d'enfant bridée par le triste bandeau et sa mère
-lui défendant de le retirer: «cela ferait pleurer la
-sainte Vierge.»</p>
-
-<p>Aux murs de l'atelier, entre les costumes orientaux,
-les panoplies et les dressoirs à céramiques,
-des plâtres suspendus ou piédestalés. Pour lui,
-Sémiramis et Minerve semblent faire valoir leurs
-formes graciles ou majestueuses. Il les considère
-ayant pour ses désirs une pitié ironique. Ne connaître
-de la femme que cette artistique immobilité! Il
-ne saura jamais les étreintes ni les baisers! Mythes,
-les voluptés ressenties par de plus heureux, par
-tous!&mdash;Bah! Il est fou! C'est démence se complaire
-en des souhaits irréalisables.</p>
-
-<p>Il s'approche à la croisée.</p>
-
-<p>Dans la rue, le carnaval bruit. Les trompes hurlent
-une invite aux viriles ivresses. Paul Grimail
-déchire l'écran et voit. Les fiacres cahotent des cartonnages
-grimaçants, de voyantes étoffes et des faces
-plâtrées; de chez le perruquier voisin une fille
-s'échappe, la chevelure toute piquée de n&oelig;uds roses
-et de fleurs; et, au milieu de la cohue en tumulte,
-un polichinelle énorme, cramoisi, marche; deux
-cocottes se frottent à ses flancs afin de partager sa
-gloire.</p>
-
-<p>Lui, arrache son bandeau, surpris par une idée,
-encore vague, mais grosse de conséquences heureuses.
-Il court à un coffre étrange donné par son
-maître, le célèbre Voméra. C'était le présent d'un
-samouraï qui fut à Yeddo l'hôte du peintre des jaunes.
-Paul Grimail fait baver au coffre un flot de tissus
-chatoyants; et longuement en choisit.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Il va par les boulevards illuminés. Une rumeur
-étonnée accueille sa venue, une rumeur vénérante
-suit ses pas. Les «chienlits» se figent dans les
-bouches et la foule s'enfle autour de lui, chuchotante
-et solennelle. L'éphèbe, d'abord, se figure
-être ridicule. Il lui paraît que derrière son dos des
-ironies s'esclaffent. Par les trous visuels du masque,
-il examine. Et c'est un bonheur, ne plus heurter son
-regard au bandeau dont l'aspect navrant a jusqu'alors
-interrompu l'inspection de sa personne: à quoi bon
-se voir tout entier? cette tare déparerait la plus évidente
-perfection. Maintenant, au contraire, il prend
-plaisir à cet examen: sa robe azurée, son surtout
-couleur de safran avec, partout, de gros oiseaux
-brodés en relief qui chatoyent aux mouvements de
-la marche, et, tout près, les bouts balancés d'une
-flasque moustache sous un nez très pâle. Pour la
-première fois, il perçoit en son être une harmonie et,
-aussi, le spectacle de la soie aux cassures flambantes
-le ravit.</p>
-
-<p>&mdash;C'est probablement le prince de Galles.</p>
-
-<p>Des grisettes le dévisagent. On l'admire, sans
-restriction. Enfin on ne fixe plus sur sa face ces
-regards commisérants qui lui étaient si lourds à supporter.
-Il marche heureux, humant l'air très pur. Et
-subitement, un arrêt: une multitude grouillante et
-noire piquée par les splendeurs des déguisements;
-tout en haut la bâtisse de l'Opéra aux baies enjaunies
-de lumières où des ombres se heurtent; sur
-le faîte, l'Apollon verdi par un feu de Bengale.</p>
-
-<p>L'artiste s'avance hardiment. Il dévisage les
-hommes en haussant les épaules aux ingracieux costumes.
-Il se sent très robuste avec une idée de querelles.
-Car, dans cette fête, il va être un des mille
-acteurs contemplés, sûrement un des plus magnifiques:
-on l'acclame déjà.</p>
-
-<p>Comme tous lui font place, il a bientôt gravi
-quelques marches du grand escalier. Alors l'enthousiasme
-crève. Vers lui se penchent des gorges nues
-se mouvant dans les dentelles et les raides plastrons
-où miroitent d'uniques pastilles d'or.&mdash;Des
-femmes? Pour l'adorer, il en descend des galeries,
-il en monte du péristyle, il en sort des portes
-béantes: de petites qui se haussent pour effleurer du
-doigt les sourcils de son masque, et, dans leurs
-yeux, il lit des promesses lascives; de grandes qui
-se baissent pour palper le crêpe de sa ceinture, et
-il voudrait enfouir ses lèvres dans les sillons de
-leurs dos flexibles; de grasses qui s'éventent, et il
-lui semble que plonger dans leurs molles rondeurs
-serait à son rut un assouvissement délicieux;
-de minces dont les seins sautillent dans les cuirasses
-de satin, et, en un souhait de les y sentir
-se reposer, il arrondit ses mains frémissantes.</p>
-
-<p>Le torrent des admirateurs le roule dans la
-salle:</p>
-
-<p>&mdash;Mikado! Mikado! Bravo Mikado!</p>
-
-<p>Pour leur hocher un signe remerciant, Paul Grimail
-cherche qui répète ce mot. Ses yeux se lèvent,
-et c'est le lustre énorme, le cru du gaz, les loges
-gorgées de femmes en clairs dominos et de gants
-blancs applaudisseurs; ses yeux se baissent, et c'est
-un enchevêtrement de corps assombris: le trille
-de ces deux teintes adverses accotées.</p>
-
-<p>Et les bravos le déclarent le plus splendide des
-mâles.</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>&mdash;Mikado!</p>
-
-<p>&mdash;Savonnette!</p>
-
-<p>Deux cohues rivales proclament les noms de leurs
-idoles.</p>
-
-<p>Une rage fait pâlir l'artiste: quel autre tente lui
-ravir sa gloire et discuter son triomphe? Le caprice
-d'un passant anéantirait-il ce bonheur unique. Il
-lui faudrait renoncer aux adulations des femmes
-comme aux envieuses exclamations des hommes?
-Cela ne se peut. Il aura entière cette nuit de joie,
-dût-il affirmer sa suprématie par la violence.</p>
-
-<p>Gronde une sédition. Un moment les casques
-des municipaux étincellent. Des protestations murmurantes
-montent sous la coupole après qu'un des
-vocables beuglé par un plus grand ensemble de voix
-est parvenu à étouffer l'autre. L'artiste, aux premiers
-rangs de ses partisans, s'affermit la main sur
-les poignées de jade de ses sabres. Une bousculade
-houle, quelques cris, des injures mugissent et
-l'éphèbe, prêt à s'élancer, se retient, émerveillé:</p>
-
-<p>C'est une femme.</p>
-
-<p>Ses formes se moulent à cru dans un collant
-d'émeraude; en les calices des fleurs étranges qui
-l'enlacent, des pierreries s'embrasent.</p>
-
-<p>&mdash;Il est rien pschutt, tu sais, ton costume.
-Paies-tu quelque chose au buffet?</p>
-
-<p>Elle prend son bras. Sa voix gracieuse se note
-d'un exquis enjouement. Elle s'appuie à lui, et, parfois,
-avec une gentille curiosité, elle soulève de ses
-doigts minces les lourdes soieries qui habillent l'artiste.
-Elle en fait le tour, rieuse, montrant les
-ivoires de sa denture dans l'écarlate des lèvres. Ses
-grands yeux noirs sont humides; des luxures dorment
-dans sa crinière d'or; sa poitrine semble, à
-chaque instant, devoir saillir du corsage, et les
-pointes rosées découvertes par les sursauts des hilarités
-réclament les caresses de bouches aimantes. Il
-émane d'elle un parfum qui fait songer l'éphèbe aux
-dévêtements ultimes, aux spasmes furieux et alanguissants.
-Il n'ose presque la regarder tant il sent
-irrésistible le pouvoir de ses sens en fougue. Et, tout
-à l'heure, il va la tenir dans ses bras, elle frissonnera
-sous ses baisers. Il sait maintenant pourquoi son
-talent sommeille encore: il s'éveillera grandiose à la
-manifestation de sa virilité. Il sera un fort.</p>
-
-
-<h4>IV</h4>
-
-<p>On verse du champagne à pleines flûtes. Libéralement
-l'aqua-fortiste jette les louis dans les mains
-tendues des sommeliers en fracs. Quand la fille a
-fini d'étancher sa soif, elle demande:</p>
-
-<p>&mdash;Allons vite chez Baratte, dis, tu veux? Il ne
-va plus rester de salons.</p>
-
-<p>Sur l'escalier de marbre, la foule leur fait cortège.
-Lui, presque pâmé de bonheur, s'enivre des flatteries
-qu'elle susurre à l'adresse du couple merveilleux.</p>
-
-<p>Subitement une bande se précipite, calicots déguisés
-d'une pièce de percale, gadoues en débardeurs
-crottés. Comme l'un deux regarde trop près Savonnette,
-lui le repousse doucement de la main.
-L'homme se rebiffe, crache des invectives, et, d'un
-soufflet, démasque Paul Grimail.</p>
-
-<p>Un vide se fait, bruyamment. L'artiste s'affaisse,
-sans une idée, près la balustrade. Un municipal le
-pousse hors des degrés. Sur le large palier le calicot
-clame:</p>
-
-<p>&mdash;Oh! mince, alors! Reluque un peu sa gueule.</p>
-
-
-<h4>V</h4>
-
-<p>La Seine est noire&hellip; Il y grelotte des bigarrures
-de lumière diffuse.</p>
-
-<p>Lui, va le long des quais.</p>
-
-<p>Dans sa fièvre, il arrache une à une les parties de
-son costume et les jette par-dessus le parapet.</p>
-
-<p>Bientôt il les ira rejoindre, ces oripeaux qui lui
-ont valu la seule félicité de sa vie. A quoi bon vouloir
-encore tenter l'impossible, décrire et imiter l'inconnu?
-Insanité! Et sans le travail, son existence est
-sans but, puisqu'il n'en peut jouir.</p>
-
-<p>Jusqu'au loin, s'alignent, en file, des rangées de
-tonneaux, des tas de pierres, des empilements de
-planches. Puis un pont: un chapelet de lampadaires,
-le falot vert d'un fiacre qui semble glisser sur le
-garde-fou.</p>
-
-<p>Se tuer c'est imposer la douleur sans fin à un
-être excellent, une mère qui par ses caresses, par
-ses regards et ses moindres paroles demande à son
-fils pardon d'avoir produit.&mdash;Il ne peut mourir.</p>
-
-<p>Des rues étroites se percent entre les pâtés de
-bâtisses neuves. Paul Grimail en aperçoit une plus
-éclairée: la lanterne d'un bouge rayonne avec son
-numéro énorme, ombrant les vitres.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Cinquième Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="Au pied de la montagne" id="p5ch1"></h3>
-
-<p><i>Au pied de la montagne à la chevelure frondante,
-la villa blanche et enguirlandée.</i></p>
-
-<p><i>Sur les gazons ras des pelouses et parmi les hauts
-tulipiers aux branches se bifurquant,&mdash;tel un blanc
-gypaète les ailes toutes grandes,&mdash;la blanche et
-enguirlandée villa se pose.</i></p>
-
-<p><i>La nuit est pâle d'étoiles.</i></p>
-
-<p><i>L'air torride est tout embaumé de la sève des
-branches frondantes de la forêt, et de l'arome des
-rhododendrons, et de la saveur des mûres.</i></p>
-
-<p><i>Au pied de la montagne, sur les gazons ras des
-pelouses,&mdash;tel un blanc gypaète les ailes toutes
-grandes,&mdash;la villa se pose.</i></p>
-
-<p><i>La nuit est pâle d'étoiles.</i></p>
-
-<p><i>La rue close de baraques foraines s'aveugle de
-lumière, s'assourdit de claquements de fouet, de cris et
-de sonnailles.</i></p>
-
-<p><i>Là-bas, par-dessus les toits ardoisés, l'orchestre du
-casino clangore.</i></p>
-
-<p><i>Là-bas, dans l'obscurité humide de l'allée, on entend
-le gave qui saute le barrage&hellip;</i></p>
-
-<p><i>Parmi les hauts tulipiers aux branches se bifurquant,
-la blanche et enguirlandée villa.</i></p>
-
-<p><i>L'air torride embaume la sève de la forêt, l'arome
-des rhododendrons, la saveur des mûres.</i></p>
-
-<p><i>Des fouets qui claquent.</i></p>
-
-<p><i>Des sonnailles qui tintinnabulent.</i></p>
-
-<p><i>Des roues qui roulent.</i></p>
-
-<p><i>Des cuivres qui clangorent.</i></p>
-
-<p><i>De l'eau qui bruit.</i></p>
-
-<p><i>La nuit est pâle sur la villa aux guirlandes&hellip;</i></p>
-
-<p><i>En robe claire à pois, Miranda se renverse, le cou
-nu et des rubacelles aux oreilles.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p5ch2">LE CUL-DE-JATTE</h3>
-
-
-<h4>I</h4>
-
-<p>Une grosse pluie d'orage s'épanche dans la
-cour du Louvre, soulève des stalagmites
-liquides et polit l'asphalte. A sentir cette
-fluide tiédeur imprégner le col de sa chemise,
-Éphraïm Samuel s'irrite: «Sacrée infirmité! Pas
-même pouvoir se servir d'un pépin!» Et, violemment,
-le cul-de-jatte balance son torse, le projette,
-les yeux clignés sous la gifle de l'eau. Il s'arc-boute
-des mains pour faire courir ses fesses redondantes,
-ligotées dans un siège à roulettes. Et sa demi-personne
-s'éjouit quand, par une grande vitesse acquise,
-elle fend l'air avec un bruit ronronnant d'express.</p>
-
-<p>Mais son tape-cul, tout neuf étrenné ce jour-là
-même, à l'occasion d'un mariage, lui vaut une obsédante
-inquiétude. Déjà, le matin, à la synagogue,
-au moment où le verre symbolique lancé par-dessus
-le couple nuptial vint se rompre contre les dalles, un
-craquement a gémi sous les reins tendus d'Éphraïm
-qui se haussait pour voir. Après la cérémonie, au
-zinc de la rue d'Aboukir, comme il levait haut le
-coude, pour boire du <span lang="en" xml:lang="en">bitter</span>, le véhicule vagit. Et,
-au début du déjeuner, un déchirement se lamenta
-pendant qu'on hissait l'infirme sur une chaise. La
-mère Salomon, sa voisine de droite, était un peu
-sourde, et sa voisine de gauche, la gantière Rachel,
-flirta avec Bernheim, le marchand de lorgnettes, jusqu'après
-le dessert; lui, forcément se tut. D'exquises
-boissons et d'exquises mangeailles le consolèrent
-abondamment.</p>
-
-<p>Puis, très aise, il s'en était revenu le long du
-boulevard Sébastopol, le long de la rue Rivoli, tantôt
-filant vite pour contraindre à se garer précipitamment
-les lourds promeneurs du dimanche, tantôt
-stationnant au plus compact de la foule pour empêcher
-de leurs courses les poursuivants d'omnibus.
-Malices impunies, tout le monde manifestant une
-déférence pour sa difformité.</p>
-
-<p>Maintenant l'orage se déverse dru: Éphraïm
-s'empresse; mais un nouveau craquement lui suggère:
-«Ce ne serait pas drôle de rester là, en plan,
-le derrière dans l'eau.» Et il s'efforce vers une
-arcade où s'engouffre un public humide et morose.
-Dessous, bée une porte olivâtre, que couronne
-l'indication: Musée Égyptien. Éphraïm la franchit.</p>
-
-
-<h4>II</h4>
-
-<p>Il se bouscule dans la salle une grouillante cohue.
-Le nez du juif s'enfouit dans les basques des jaquettes
-ou se froisse au rude contact des fausses tournures.
-Un empuantement de malsains parfums s'affadit. Les
-coudes font choir sa casquette. Virer, partir; nul
-moyen: il est pris comme dans une vivante cage. A
-chaque heurt de pieds inattentifs, il perçoit son
-siège s'affaisser. Et ses reins s'encastrent plus profondément
-dans les coussins où il repose.</p>
-
-<p>Soudain, au-dessus de lui, une mère gifle son
-mioche. Pour esquiver d'autres coups, l'enfant se
-roule, ahuri, pèse du talon sur le chariot du cul-de-jatte
-qu'il ne voit pas. Catastrophe. Une commotion
-ébranle Éphraïm qui s'effondre avec son assise. Les
-poignées où ses mains prenaient appui roulent au
-loin. Cependant il tente une fuite, mais un éclat aigu
-de planche brisée raye les dalles et s'oppose à la
-progression des roues. Un désespoir: calculer la
-dépense d'un tape-cul neuf et le prix de la course en
-fiacre pour rentrer. Et puis, la crainte d'être piétiné!
-Par malheur, là-haut, des disputes se clament; de
-furieuses gesticulations se détendent, il se bave de
-rageuses injures, et des enfants pleurent. Bientôt le
-juif s'épouvante à parer en vain des horions indus;
-des poings le frôlent et l'accrochent, des genoux
-cognent son dos. Il s'exaspère, il redoute qu'on ne
-lui marche sur les doigts et ne cesse de crier, mêlant
-des invectives à ses requêtes de secours. Alors, peu
-à peu on s'apaise. Des oreilles s'inclinent vers l'infirme;
-il y verse des récriminations pleurardes, apitoyantes,
-avec l'intonation qu'il suppose devoir le
-plus facilement toucher. A grands soins, on le porte
-dans le chambranle d'une fenêtre, entre des stèles
-entamées de nombreux hiéroglyphes. Éphraïm Samuel
-s'enorgueillit de ces prévenances unanimes. Il
-se laisse faire, plaignard avec une muette espérance
-de ripailles qu'on paiera pour le réconforter. Seul,
-un jeune homme propose aller quérir un fiacre. A
-peine le juif déçu de ses v&oelig;ux remercie-t-il. Il
-maudit son infirmité et l'indifférence égoïste des
-valides.</p>
-
-<p>Puis les gens recommencent à circuler, bavards.
-Un brave homme à la blouse roide, un provincial
-égaré dans Paris, reste encore; et, mettant à profit
-l'aide prêtée, il se renseigne sans fin sur l'itinéraire
-à suivre pour gagner le boulevard Barbès. Ensuite
-il part.</p>
-
-
-<h4>III</h4>
-
-<p>&mdash;C'est rien chien, tout de même, murmure le
-juif, de ne pas laisser un sou pour la casse! Quant à
-Tabourdel, l'ébéniste, il peut fouiller ses profondes,
-pour sûr. On ne se fiche pas ainsi du monde!</p>
-
-<p>Et il détache les courroies qui le tiennent encore
-lié aux débris du chariot: du bois perdu, et mauvais!&mdash;Il
-repose ses membres éreintés par la course
-fournie. Au dehors, l'averse s'écrase toujours sur
-les vitres. Entre les colosses de granit et les tombeaux
-de marbre noir, la cohue se fait plus dense, piétine,
-laisse pisser partout les parapluies.</p>
-
-<p>Du déjeuner, il demeure au juif une ivresse qui
-lui montre les choses fluides. La tête pèse. Le bruit
-monotone des pas et des conversations susurrées
-ronflent autour de lui et bercent.&mdash;Pas de voiture.&mdash;Pendant
-cette inoccupation, un dégoût pour
-l'égoïsme des autres inspire à Éphraïm Samuel des
-projets de revanche; mais, bizarrement, l'enfilade de
-ses idées s'embranche de digressions et se troue de
-subites lacunes: venue du sommeil. A plusieurs
-reprises il lève ses paupières qui tombent, et se
-décolle péniblement les cils. Il songe qu'on le saura
-bien avertir à l'arrivée du fiacre. Il s'ensommeille,
-heureux de cette torpeur, contrarié seulement de la
-prévoir trop brève.</p>
-
-<p>Plus rien. Longtemps.</p>
-
-<p>Et des souvenirs se cherchent, s'unissent. Une à
-une s'éliminent les perceptions flottantes du rêve,
-elles laissent place à de plus réels fantômes. Se
-retracent l'orage, l'accident.</p>
-
-<p>Une inquiète avidité de savoir si on pense à lui
-éveille Éphraïm. Il écoute et il regarde: nul pas,
-nulle voix, nul être. Une bleuâtre clarté ruisselle
-par les murs, par les stèles, par les sarcophages, par
-les colosses qui se dressent rigides, les poings collés
-aux cuisses, dans une attitude de violence résolue.
-Et sur le parquet ces masses se projettent en grandes
-ombres nettes. Clair de lune.</p>
-
-<p>Appeler, le juif n'ose: peut-être l'emprisonnerait-on
-pour avoir dormi là, car on en veut toujours à la
-race d'Adonaï.&mdash;A se voir dans cette antique
-Égypte, un effroi le saisit. Sa haine des persécuteurs
-fut adulée depuis l'enfance. Il voua surtout de vindicatives
-colères à ces Égyptiens que, tout jeune, il
-criblait de coups de crayon sur les images de la
-Bible.</p>
-
-<p>Maintenant, seul parmi toutes ces figures énormes
-et surplombantes, il redoute, lui si infime, des
-vengeances, des niches surnaturelles de gnômes
-outragés.</p>
-
-<p>Il se tasse sur lui-même et frissonne; mais l'&oelig;il
-très large d'un dieu le fixe, froid, immobile. Dans
-le vide du musée, continûment, une sonorité fantastique
-vibre, creuse et sourde. Et il paraît au fond de
-la salle que les sphinx et les sarcophages avec leurs
-théories de prêtres gravés s'approchent lentement
-et s'assemblent, dans un rythme de marche funéraire.
-Une angoisse.</p>
-
-<p>Au dehors, un nuage qui passe ombre tout. Le
-cul-de-jatte s'estime encore plus abandonné sans
-cette lumière qui espionnait en sa faveur. Il s'affole
-à l'appréhension tenace de sentir sur ses épaules
-des chocs glacés, des étreintes inébranlables et
-lisses.</p>
-
-<p>Mais de nouveau la lumière bleute le musée. Les
-monstres ne se sont point mus.</p>
-
-
-<h4>IV</h4>
-
-<p>Sa bêtise devient évidente à Éphraïm: ces affreux
-magots ne s'imposent que ridicules. Certainement,
-les sculpteurs travaillent bien mieux aujourd'hui; et
-les anciens étaient des imbéciles, ignorant l'art tout
-à fait. Ce jugement sévère le raffermit en la confiance
-de soi.</p>
-
-<p>Une statuette de marbre appuyée au mur adverse
-s'offre très élégante avec ses formes graciles, son
-corps svelte, sa taille de fillette et ses petits seins
-pointus. Par dommage, une tête de tigresse y culmine;
-et cette stupide déformance gâte tout l'ensemble
-de la fluette membrure.</p>
-
-<p>A contempler dans ses plus fines rondeurs le
-menu des hanches; à suivre les volutes dérobées de
-la gorge et les cambrures des flancs aux plis courts,
-un érotique appétit s'accroît en Éphraïm. Et s'évoque
-la série des femmes qu'il posséda. La dernière,
-Madame Jules, l'épouse d'un ouvrier, d'un
-camarade, auquel il a prêté deux cents francs. Elle
-se livra, pitoyante un peu pour sa timidité d'infirme,
-certaine aussi d'obtenir une prolongation
-d'échéance. Et cette échéance retombe demain; il
-songe à l'emploi de cette rentrée. Selon l'avis du
-médecin, son métier de graveur le tue. Souvent des
-crises de toux le torturent, et la douleur lui raidit
-le dos comme si une plaque de plomb s'appliquait
-entre ses épaules. Ces deux cents francs garantiront
-tout un mois de repos. Dans la suite, il reprendra
-son travail, bien portant. Les meubles des Jules
-représentent une valeur suffisant au solde du billet;
-et, cette fois, il ne se laissera plus circonvenir bêtement
-par une cajoleuse drôlesse de trente-cinq ans,
-fanée déjà.</p>
-
-<p>De nouveau le regard d'Éphraïm se heurte à la
-statue. Malgré les efforts qu'il tente pour l'esquiver,
-son érotisme flambe par ses entrailles.</p>
-
-<p>Une enfant des Jules, une fillette, aperçue se
-débarbouillant au matin, est très ronde de formes,
-toute semblable à cette Égyptienne. Il la désire.</p>
-
-<p>Pour l'avoir il reculerait bien encore le paiement
-de ce qu'on lui doit. Pourtant cet acte serait
-ignoble. Des romans où de vieux riches obtiennent
-par de tels moyens les filles du peuple lui reviennent
-au souvenir. Ces débauchés il les méprise. A la vue
-du sphinx allongé dans le fond de la salle, il se
-rappelle un dessin autrefois gravé par lui: des
-israélites élevant un monstre pareil sur une plate-forme
-au moyen de cordes et de machines; un tassement
-de torses courbés par l'effort et de muscles
-gonflés que fustigent les soldats.</p>
-
-<p>Alors toutes les persécutions souffertes par la
-Race le hantent. Il la suit par l'histoire peinant sous
-tous les peuples, esclave toujours. Il se remémore
-les antiques massacres. Femmes violées, enfants
-éventrés, torches humaines. Et ces tortures, ces
-boucheries, ces atrocités séculaires lui apparaissent
-comme la lugubre préface de sa propre existence,
-existence de mutilé, existence de méprisé. A lui,
-certainement échoient le summum des dédains et
-l'ironie suprême. Témoins ce dernier accident et la
-dédaigneuse indifférence des gens. De cette exaltation
-son érotisme s'avive et s'irrite. Il se complaît à
-vouloir cette petite Jules: en même temps que la
-cause des plus extatiques joies, cette possession
-sera pour Israël un triomphe, et le droit légitime du
-vainqueur en cette guerre de l'or prêchée par les
-rabbins comme la seule revanche possible. Et la
-dernière homélie entendue conseillait la prolification
-comme le plus sûr moyen de répandre à l'infini les
-germes de vengeance. N'est-ce pas pour ses projets
-la consécration religieuse?</p>
-
-<p>Mais, au moment où son imagination prévoit les
-voluptés de cet assouvissement, la crainte de la
-mort s'associe, conseillant le repos des sens. Il
-devine des délices à rester au lit et à dormir tout un
-mois sans l'inquiétude de l'heure. Dans le jour il
-lira, fainéantise inéprouvée depuis longtemps. De
-vieux feuilletons coupés au bas de journaux et reliés
-de ficelles gisent au fond de ses tiroirs, provision
-pour l'époque toujours reculée du loisir. Il l'épuisera.
-Oubliant toutes ses colères, ses ruts et ses
-fanatismes, il se perd à repasser les romans parcourus
-jadis, à revivre dans les pampas américaines,
-dans les catacombes de Rome et dans les égouts de
-Paris avec les énergiques héros qu'il aima. Et il
-s'enorgueillit se félicitant de ses aspirations littéraires,
-supérieures.</p>
-
-<p>Peu à peu ses souvenirs deviennent vagues et
-s'emmêlent. Les évocations se colorent, prennent
-des formes presque tangibles, mouvantes; puis elles
-s'obscurcissent, s'effacent. Éphraïm s'endort.</p>
-
-
-<h4>V</h4>
-
-<p>&mdash;Voyez-vous, monsieur Samuel, quand votre
-assignation est arrivée hier, je me suis dit: c'est pas
-possible, on aura fait cela sans le prévenir&hellip; Et puis,
-voilà&hellip; Ah, c'est pas bien ça, surtout&hellip; surtout&hellip;</p>
-
-<p>Madame Jules hésite, sanglotante. De la main
-elle relève ses cheveux qui s'affaissent au long de
-son visage et se collent dans les larmes.</p>
-
-<p>Éphraïm s'adosse commodément au poêle encore
-tiède de récents cuisinages et tâche à retenir le
-flux de toux qui lui écorche la gorge.</p>
-
-<p>&mdash;Surtout après ce qui s'est passé entre nous!&hellip;
-ajoute-t-elle.</p>
-
-<p>Elle va jusqu'au lit, où elle range du linge nouvellement
-rapporté.</p>
-
-<p>Éphraïm ne répond pas. Depuis la nuit du Louvre
-tout l'amas des rancunes ataviques l'exaspère. Il
-exploitera les chrétiens avec une persévérance
-sacrée. Et il persiste à croire une lâche insulte cette
-séquestration en compagnie des bourreaux de la
-Race. Tout bas, il ressasse les insultes dont l'inondèrent
-les gardiens du musée en le retrouvant
-endormi, le matin.</p>
-
-<p>Maintenant il sifflote, expertise les meubles en
-affectant ne pas regarder la jeune femme. Et la
-honte d'avoir succombé avec cette impure, de se
-sentir comme débiteur envers elle, c'est une dernière
-humiliation qui paroxyse sa haine.</p>
-
-<p>Un effleurement le contraint à voir Madame Jules
-qui met ses lèvres près les siennes, s'agenouille,
-et se diminue pour être semblable à lui. Il bougonne:</p>
-
-<p>&mdash;Non, non, c'est inutile: c'était bon pour une
-fois.</p>
-
-<p>Alors elle l'enlève riant, l'embrassant, et elle proteste:</p>
-
-<p>&mdash;Nous allons bien voir.</p>
-
-<p>Éphraïm s'effondre dans la mollesse des couvertures.
-Les courroies de son chariot sont précipitamment
-dénouées. Une voix aigrelette lance:</p>
-
-<p>&mdash;Bonjour, maman.</p>
-
-<p>&mdash;Hé, va te promener!</p>
-
-<p>Éphraïm s'irrite contre cette interruption du plaisir
-enfin consenti; mais sa colère tombe quand il
-reconnaît l'enfant semblable à la déesse égyptienne.
-Des yeux, des bras, il la redemande, rendu fou par
-les caresses inachevées de Madame Jules.</p>
-
-<p>&mdash;Console Monsieur Samuel, Agathe; moi je
-vais chez la fruitière. Sois bien gentille, n'est-ce
-pas?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, maman.</p>
-
-<p>Et la petite console le cul-de-jatte. Elle lui tend
-sa joue, ses cheveux volontiers. Elle l'interroge,
-gentille, sur les causes de son chagrin. Il la fait
-asseoir près lui et chevrote à peine de courtes
-phrases, tout ému. Très vite il se grise de cette présence
-et se rappelle les violents désirs qui le harcelèrent
-durant la nuit. Et, fermant les yeux, il lui
-semble qu'il embrasse les lèvres félines de cette
-face de tigresse; il lui semble que ces petites
-mains qui le repoussent sont ces doigts de marbre
-noir étendus naguère au long des cuisses de la gracile
-divinité.</p>
-
-<p>&mdash;Oh! la canaille! Le saligaud! Un pareil
-monstre! Pauvre enfant!</p>
-
-<p>On le saisit, on l'arrache de la fillette. Des
-figures bavantes de mégères blêmes, la face triomphalement
-pâle de Madame Jules grimacent autour
-de lui, hurlantes, vociférantes.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p5ch3">L'INNOUCENTO</h3>
-
-
-<p>Elle s'en va, toute droite, et longue, longue
-et poudreuse sous le soleil ardent, l'unique
-rue du village, avec sa bordure de masures
-blanchies à la chaux et recouvertes de chaume, avec,
-tout au bout, sa petite église très délabrée, où le
-cadran postiche marque toujours la même heure
-depuis tant d'années. Au-dessus, la montagne aux
-sapinières crêpues comme des têtes de nègre où,
-tout au fond, bleuissent les glaciers vierges; au
-delà, le gave plein de truites, s'acharnant contre les
-tas de rocs de son lit sous le petit pont que les lourds
-chariots débordants de fourrages font trembler de
-leur poids.</p>
-
-<p>Elle avait grandi là, l'Innoucento, comme on l'appelait
-familièrement, entre les pourceaux et les
-poules, grognant et gloussant avec eux sur le fumier
-et dans la boue. Une grosse tête difforme, engoncée
-dans des épaules mal équarries, des yeux trop petits
-falotement brillants, de vrais yeux de crétin; la
-bouche fendue jusqu'aux oreilles, avec des lèvres
-minces et des dents déjà toutes moussues. Les bras
-trop longs, la main trop large, le pied s'aplatissant
-dans l'espadrille.</p>
-
-<p>Ainsi, gambadant par les champs de maïs et les
-carrés de légumes, le corps difforme et l'esprit embrumé,
-la pauvre idiote attrapa ses vingt ans.</p>
-
-<p>Ses parents étant morts, une vieille femme, Madame
-Lafont, l'avait prise à son service. Elle gardait
-les bestiaux et allait blanchir le linge au torrent.</p>
-
-<p>Les gars du village se moquaient d'elle en lui
-prenant le menton avec des mines comiques et les
-jeunes filles lui demandaient confidentiellement, histoire
-de rire un brin, si elle avait un amant: <i>As oun
-galan, Innoucento?</i> Et la pauvre idiote écarquillait
-ses petits yeux, ne comprenant pas, et gloussait
-comme ses poules.</p>
-
-<p>C'était un après-midi de juillet. Un soleil fauve
-dardait ses rayons rouges dans le ciel blanc. Les
-mouches bourdonnaient au-dessus des eaux stagnantes,
-les guêpes picoraient sur la haie, les gélinottes
-roucoulaient dans les branches, et les petits
-lézards verts rampaient dans les buissons creux.
-L'Innoucento qui paissait ses bestiaux par les champs
-sentit sa tête lourde de somnolence et s'endormit à
-l'ombre des peupliers.</p>
-
-<p>En ce moment le garde champêtre Miquelas passait
-dans le sentier, ivre. Il vit l'Innoucento endormie
-sous les peupliers, et une idée baroque traversa
-sa tête alourdie par la boisson.</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, comme c'est drôle! se dit-il.</p>
-
-<p>Puis il réveilla d'un coup de pied la pauvre idiote.
-Elle se frotta les yeux en grognant. Alors il la prit
-dans ses bras et l'emporta dans le taillis prochain où
-l'herbe poussait haute.</p>
-
-<p>Et les mouches bourdonnaient au-dessus des eaux
-stagnantes, et les guêpes picoraient sur la haie, et les
-petits lézards verts rampaient dans les buissons creux.</p>
-
-<p>Depuis ce jour là, lorsque les jeunes filles lui
-demandaient: <i>As oun galan, Innoucento?</i> l'idiote
-ne gloussait plus comme ses poules et son regard
-devenait sérieux.</p>
-
-<p>Quelques mois après, sa taille s'épaissit visiblement
-et les gars du village, en la rencontrant, disaient
-avec des éclats de rires:</p>
-
-<p>&mdash;Comme tu engraisses, l'Innoucento? Serais-tu
-enceinte?</p>
-
-<p>Mais elle ne répondait pas, et s'enfuyait en courant
-par les carrés de betteraves.</p>
-
-<p>Souvent le soir, en se déshabillant, elle fixait des
-yeux inquiets sur son ventre gonflé et se rappelait
-en rougissant le jour où elle s'endormit sous les
-grands peupliers.</p>
-
-<p>Dans le village, on souriait en la voyant passer,
-et les commères se chuchotaient avec des mines
-étonnées:</p>
-
-<p>&mdash;Mais qui diable a pu faire ça?</p>
-
-<p>La vieille Madame Lafont, très intriguée, appela
-un empirique de passage, et lui fit examiner sa servante.
-L'empirique déclara que la jeune fille était
-enceinte.</p>
-
-<p>Alors la vieille femme entra dans une colère
-effroyable et intima à sa servante de quitter la maison
-au plus vite: Je ne veux pas de <i>puto</i> chez moi, disait-elle.</p>
-
-<p>La pauvre idiote fit un paquet de ses hardes et
-partit en pleurant par la campagne sans savoir où
-elle allait. A la tombée de la nuit, elle s'arrêta,
-brisée de fatigue, sur un petit pont en bois jeté sur
-la rivière qui s'engouffrait avec un fracas lugubre
-au fond des rocs pointus.</p>
-
-<p>La nuit était délicieuse. La lune nimbée d'argent
-brillait sur la montagne apaisée. On entendait les
-chiens hurler au loin et l'eau clapoter sous le pont.
-Une douce brise parfumée de framboises bruissait
-dans les lamelles des pins. L'esprit de la pauvre
-Innoucento revint encore à ce jour où le garde
-champêtre l'emporta dans le taillis, et sur ses lèvres
-minces un sourire doux et amer à la fois passa furtivement.
-Elle regarda son ventre gonflé et le palpa
-avec curiosité.</p>
-
-<p>Puis, comme si un éclair subit eût traversé son
-cerveau enténébré, elle se mit à sangloter.</p>
-
-<p>La lune s'était cachée derrière les hautes futaies.</p>
-
-<p>L'Innoucento regarda un instant l'eau brunie
-s'engouffrant avec un lugubre fracas au fond des
-rocs pointus, puis elle escalada le parapet, et se jeta
-sans un cri dans la rivière.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak sc"><i>Sixième Soirée</i></h2>
-
-<div class="chapter"></div>
-<h3 title="Gît la plaine brune" id="p6ch1"></h3>
-
-<p><i>Gît la plaine brune, étendue, rase.</i></p>
-
-<p><i>Au bord, la trace du soleil parti stagne rouge.</i></p>
-
-<p><i>Et le ciel s'élève avec des courbes immenses de
-palmes, et des teintes citrines qui montent, qui montent
-et se nacrent de blanc, et se bleutent, se bleutent
-comme un ruban de blonde. Une étoile fichée là,
-minuscule, la tête d'une épingle, dans ce bleu lisse.</i></p>
-
-<p><i>Miranda descend par la plaine. Droite et grêle.
-Droite, en sa blouse lâche à fermoirs de missel.
-Grêle en ses hautes guêtres qui sanglent. Droite et
-grêle.</i></p>
-
-<p><i>Luisent les canons de son fusil, roses un peu du
-couchant, rouges un peu du sang des bêtes. Et se rose
-aussi la torsade la plus lointaine de sa chevelure
-massée, et se rose encore la brindille de houx qui
-retrousse sa toque large.</i></p>
-
-<p class="ugap"><i>Les perdrix rappellent.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><i>Par les sillons aigus comme des vagues, les grands
-chiens flairent. Gueules haletantes. Et leurs oreilles
-traînent sur le sol épilé de moissons.</i></p>
-
-<p><i>Le vent effleure les nappes illimitées de betteraves.
-Les betteraves frissonnent de leurs panaches verts et de
-leurs panaches mauves. Semblables à des piles d'écus,
-les lointaines cheminées de fabriques.</i></p>
-
-<p class="ugap"><i>Les perdrix rappellent.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><i>L'église du proche village lève au ciel sa tour de
-prières, son clocher bleu. Son clocher assis sur les
-rondes cimes des pommiers et dans les feuilles ténues
-des saules.</i></p>
-
-<p><i>Voici que des buées sourdent et rampent; des buées
-grises qui glissent au ras des éteules et des trèfles.
-L'ampleur du vide s'accroît. Le ciel se hausse et
-s'éteint. La nuit violette plane sur la plaine, plane
-et s'accroupit. Et les lueurs des fermes transparaissent
-à peine suspendues parmi les brumes denses:
-des taches d'or.</i></p>
-
-<p><i>Par les sillons aigus comme des vagues, les grands
-chiens flairent. Et leurs flancs roulent aux sursauts de
-l'infatigable course.</i></p>
-
-<p class="ugap"><i>Les perdrix rappellent.</i></p>
-
-
-<p class="gap"><i>Dans l'ombre rousse de la salle où les murs se
-perdent, rien que les torses des hermès, cariatides de
-la cheminée profonde, rougeoyent au feu des bûches.
-La flamme danse et pétille. La flamme danse, et son
-ombre jaune sur la tête pensive des chiens allongés.</i></p>
-
-<p><i>Miranda se repose toute mince dans l'antique fauteuil
-aux fleurages défunts. Et saillent ses jambes
-rondes croisées dans la courte jupe de velours sombre.
-Sa chevelure dénouée inonde de pâleur les pâleurs
-exsangues de sa face sérieuse. Trop petite dans le
-fauteuil trop grand; trop blanche dans le fauteuil
-usé.</i></p>
-
-<p><i>Pour un sourire de sa mémoire, ses lèvres rosâtres
-s'étirent. Et la flamme qui se tend jusqu'à elle lèche
-ses yeux obscurs d'ombres flambantes.</i></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p6ch2">&OElig;IL-CHINOIS</h3>
-
-
-<p>Après le dîner, on s'installa pour prendre le
-café dans le jardin, sous des berceaux de
-capucines. Il y avait là, autour de la maîtresse
-de céans, la délicieuse Blanche d'Étanges,
-Léonie Clauss avec sa face blafarde de pierrot
-vicieux et Julia Lebreton, une brune massive, au
-regard têtu. Cavaliers: Hanser, le financier obèse,
-le jeune de Tretel, et le fameux reporter Gros-Renaud.
-La nuit était tombée douce et susurrante
-sur la Seine dont le cours fuyait, imperceptible,
-sous le pont instantanément ébranlé par le passage
-du train de Paris.</p>
-
-<p>Les six convives goûtaient l'exquise torpeur de
-la digestion. Une bonne digestion de dîner fin. Les
-bouteilles ventrues, les fioles allongées pleines de
-liqueurs multicolores encombraient la table parmi
-les petits verres de cristal, les tasses de Sèvres, les
-boîtes à cigares et les mignonnes cigarettes blondes
-et opiacées.</p>
-
-<p>De l'autre côté de la rive, là-bas, des appels,&mdash;comme
-d'une voix de ventriloque,&mdash;coupaient tout
-à coup le silence de la nuit. Plus près, de la route,
-des refrains expirés, puis repris, montaient.</p>
-
-<p>Une lampe à abat-jour lilas lunait à peine l'obscurité
-que le feu des cigares cloutait d'or. La nuque
-grêle de Léonie Clauss, la toilette estivale de Julia,
-l'énorme nez de de Tretel surgissaient fantastiquement
-de cette pénombre nimbée.</p>
-
-<p>On parla potins.</p>
-
-<p>&mdash;Ainsi, demanda de Tretel, Madame Gimary
-vient de déserter définitivement le toit conjugal.</p>
-
-<p>&mdash;C'est son mari qui doit être embêté, remarqua
-Léonie.</p>
-
-<p>&mdash;Je vous crois, fit le gros Hanser en se renversant
-sur sa chaise. C'est sa femme qui est
-riche. Lui a toujours fait de mauvaises affaires à la
-Bourse et avec ses maîtresses. Il a encore perdu
-dernièrement une forte somme avec le Panama.</p>
-
-<p>&mdash;Il paraît que la petite &OElig;il-Chinois lui a coûté
-près de deux cent mille francs, reprit de Tretel.</p>
-
-<p>&mdash;Quel imbécile! lança dédaigneusement Hanser;
-moi, les femmes ne me coûtent presque rien.</p>
-
-<p>&mdash;Tourné comme vous l'êtes, ça se comprend,
-remarqua malicieusement Léonie Clauss.</p>
-
-<p>&mdash;Vous, vous allez vous taire, petite futée,
-répondit le gros Hanser, menaçant du doigt, et visiblement
-piqué malgré son air plaisant.</p>
-
-<p>&mdash;Pas de querelles, cria la maîtresse de céans.</p>
-
-<p>Puis s'adressant à Gros-Renaud:</p>
-
-<p>&mdash;Dites: vous la connaissez bien, vous, cette
-&OElig;il-Chinois? Contez-nous donc quelques détails.</p>
-
-<p>&mdash;Peuh! une petite rousse chiffonnée, interrompit
-la brune Julia Lebreton.</p>
-
-<p>&mdash;C'est elle qui est la cause de tout ce scandale,
-pas? continua Blanche d'Étanges.</p>
-
-<p>&mdash;Évidemment, firent en même temps de Tretel
-et Hanser.</p>
-
-<p>&mdash;Messieurs, prononça avec autorité le reporter,
-vous avez deviné que la brouille du ménage Gimary
-est l'&oelig;uvre de Mademoiselle &OElig;il-Chinois.
-C'est le secret de Polichinelle. Mais je parie que
-vous ignorez complétement le fin mot de cette
-aventure.</p>
-
-<p>&mdash;Le fin mot de cette aventure! s'exclama le
-financier qui détestait la contradiction, le fin mot de
-cette aventure? C'est bien simple: Gimary était en
-train de se ruiner, de se couvrir de ridicule; Madame
-Gimary l'a trouvée mauvaise, et elle a eu raison.</p>
-
-<p>&mdash;Vous n'y êtes pas, monsieur Hanser, répliqua
-froidement le journaliste.</p>
-
-<p>&mdash;Assez, cria de nouveau Blanche d'Étanges,
-est-il ennuyeux avec ses piques, ce Hanser.</p>
-
-<p>&mdash;Avec mes piques?&hellip; bougonna le financier.</p>
-
-<p>&mdash;Voyons, Gros-Renaud, continua Blanche, je
-vous ai demandé des renseignements sur &OElig;il-Chinois.
-Est-il vrai qu'elle ait vendu des fleurs au quartier
-Latin?</p>
-
-<p>&mdash;Parfaitement. Il y a cinq ou six ans de cela.
-Et si vous voulez connaître son portrait à cette époque,
-permettez-moi de vous réciter une pièce de
-vers qu'un de mes amis publia jadis en l'honneur de
-la bouquetière dans une feuille de chou de la rive
-gauche.</p>
-
-<p>&mdash;Moi je n'aime pas les vers, observa Hanser de
-plus en plus dépité.</p>
-
-<p>&mdash;On ne vous demande pas votre avis, clamèrent
-à la fois ces dames.</p>
-
-<p>&mdash;Voici les vers, dit Gros-Renaud, en prenant
-une pose, et il récita:</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">Par les brouillards violets,</div>
-<div class="verse">Qu'il bruine ou bien qu'il neige,</div>
-<div class="verse">Sous sa jupe de barège,</div>
-<div class="verse">Laisse trotter ses mollets&mdash;</div>
-<div class="verse">La petite bouquetière.</div>
-
-<div class="verse stanza">Des roses blêmes dans sa</div>
-<div class="verse">Corbeille, roussette et blanche,</div>
-<div class="verse">S'en va, tanguant de la hanche,</div>
-<div class="verse">Faisant des yeux comme ça&mdash;</div>
-<div class="verse">La petite bouquetière.</div>
-
-<div class="verse stanza">Et ses rêves familiers</div>
-<div class="verse">La montrent déjà parée</div>
-<div class="verse">D'une robe mordorée</div>
-<div class="verse">Avec de jolis souliers&mdash;</div>
-<div class="verse">La petite bouquetière.</div>
-</div>
-
-<p>&mdash;Pas mal, épilogua Léonie Clauss.</p>
-
-<p>&mdash;Il y a des mots que je ne comprends pas,
-avoua naïvement Julia Lebreton.</p>
-
-<p>Hanser et de Tretel restèrent cois.</p>
-
-<p>&mdash;Connaissez-vous son vrai nom? car &OElig;il-Chinois
-ne peut être qu'un sobriquet, insista Blanche
-d'Étanges.</p>
-
-<p>&mdash;Notre ami Guy Bouffard la baptisa ainsi à
-cause de ses yeux qui rappellent les dames des
-kakémonos.</p>
-
-<p>&mdash;Caqué, caqué&hellip; quoi? s'esclaffa Julia.</p>
-
-<p>&mdash;Les kakémonos, ma chère, c'est des articles
-japonais; c'est des bandes d'étoffes avec de la peinture
-dessus.</p>
-
-<p>&mdash;Peste! Quelle érudition, mademoiselle.</p>
-
-<p>&mdash;Vous saurez, monsieur Gros-Renaud, que j'ai
-été employée dans un magasin de japoneries&hellip; du
-temps de mon honnêteté.</p>
-
-<p>&mdash;Je vous vois d'ici parmi les magots, fit le
-lourd financier qui cherchait à se venger de Léonie.</p>
-
-<p>Gros-Renaud continua:</p>
-
-<p>&mdash;&OElig;il-Chinois s'appelle tout bêtement Clara
-Thureaux. Sur son père, je ne sais rien de précis.
-Sa mère, une ancienne blanchisseuse, pensa que la
-fillette, avec sa frimousse bizarre, ses crins roux sur
-le dos, et son coup de hanche <span lang="en" xml:lang="en">shocking</span>, pourrait
-rapporter gros en vendant des violettes et des roses
-le long du Boul'Mich, et dans les brasseries où des
-futurs notaires et des dondons à sacoches marivaudent.
-Elle avait raison la brave femme. Le succès de
-la petite Clara fut immense. L'un lui achetait une
-rose pour lui prendre le menton, l'autre un bouquet
-de violettes pour lui passer la main dans ses cheveux
-dénoués. Sa conversation était très amusante. Elle
-avait de ces reparties ingénûment perverses qui
-émoustillent. Il paraît même que bientôt le sexe
-faible la disputa au sexe fort, la gentille bouquetière
-n'ayant pas manqué de toucher le c&oelig;ur de
-mainte verseuse de bocks. L'une voulait remplacer
-ses chaussettes d'estame par des bas de soie fine;
-l'autre la comblait de présents en chrysocale; une
-troisième la faisait calamistrer par son coiffeur&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Et ce fin mot? interrompit Hanser avec un
-bâillement ironique.</p>
-
-<p>&mdash;Oui, ce fin mot, répercuta de Tretel.</p>
-
-<p>&mdash;Pas d'interruptions! commanda Blanche.</p>
-
-<p>&mdash;Nous y arrivons, messieurs:</p>
-
-<p>A dix-sept ans, la bouquetière se laissa enlever
-par un étudiant exotique quelconque. Elle fréquenta
-Bullier, le restaurant Boulant et l'arbre de Robinson.
-Il serait superflu de la suivre à travers les
-diverses étapes qui constituent l'histoire banale
-de&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Vous toutes, mesdames, interrompit de nouveau
-le financier metteur-dans-le-plat.</p>
-
-<p>&mdash;Malhonnête! dit Blanche.</p>
-
-<p>&mdash;Idiot! fit Léonie.</p>
-
-<p>&mdash;Veau! gronda Julia.</p>
-
-<p>Le narrateur feignit l'indignation:</p>
-
-<p>&mdash;Je reprends, monsieur Hanser, vous m'avez
-empêché de placer un mot spirituel.</p>
-
-<p>&mdash;&hellip; Il serait superflu de la suivre à travers les
-diverses <i>étapes</i> qui constituent l'histoire banale de
-toute jolie fille dont la vertu rend les clefs à la première
-sommation d'une agrafe diamantée; néanmoins
-il faut croire qu'elle <i>les</i> brûla, car la haute
-galanterie parisienne ne tarda pas à s'enrichir de
-Mademoiselle &OElig;il-Chinois, une rousse adorablement
-évaporée et fringante comme une cavale de race.</p>
-
-<p>&mdash;Brûla quoi? demanda Julia.</p>
-
-<p>&mdash;Les étapes.</p>
-
-<p>&mdash;Les étapes? Ah! bien.</p>
-
-<p>Hanser trouva le mot faible. De Tretel le nota
-pour le répéter à son cercle.</p>
-
-<p>&mdash;&hellip; Gimary qui venait de se brouiller avec la
-petite Louisette, des Nouveautés, rencontra un soir
-&OElig;il-Chinois à l'Hippodrome. La folle rousse était
-ravissante, tout en noir, coiffée d'une mantille à la
-milanaise. Gimary fut très empressé et finit par faire
-des propositions quasi-officielles. Au moment le
-plus pathétique de la déclaration, &OElig;il-Chinois qui
-n'avait pas cessé d'examiner avec une curiosité narquoise
-le crâne de Gimary, dont la calvitie est légendaire,
-dit sur un ton de sérieux imperturbable: «Eh
-ben, vous avez un joli genou, vous.» Cette espièglerie
-ne découragea pas l'amoureux; et, au bout d'une
-cour assidue de plus d'un mois, la miséricordieuse
-enfant finit par accepter un joli petit hôtel rue Daubigny,
-richement meublé de l'écurie aux mansardes.
-On parla beaucoup d'un lit à colonnades dont les
-draperies avaient coûté près de quinze mille francs.
-Eh bien, il paraît que le malheureux Gimary n'a
-jamais couché dans ce lit-là.</p>
-
-<p>De Tretel gloussa un rire méprisant, se trouvant
-fort supérieur.</p>
-
-<p>&mdash;&hellip; L'amoureux crut d'abord à un caprice passager;
-puis il s'exaspéra. Il se trouvait ridicule.
-Rompre? Mais comment, quand on est fou de désir
-et de dépit? La cause de cette rigueur inaccoutumée?
-Sans doute un rival. Un amant de c&oelig;ur, étudiant,
-ancienne connaissance du quartier Latin, un cabotin,
-un <span lang="en" xml:lang="en">bookmaker</span>, un rapin de Montmartre&hellip; Il
-espionna longtemps sans résultat. Enfin, il finit par
-découvrir que l'inhumaine se rendait fréquemment
-dans une maison de la rue Pasquier. Les scrupules
-de la concierge capitulèrent devant une liasse de
-billets de banque et, un après-midi, Gimary put
-pénétrer dans l'entresol à gauche. Un vrai nid
-d'amoureux aux meubles intimes et parfumés. Il
-était furieux, résolu de ne pas reculer devant le
-plus épouvantable scandale. La porte de la chambre
-à coucher céda. Il se trouva en face de deux
-femmes. Horreur!&hellip; Il reconnut &OElig;il-Chinois et
-Madame Gimary. On prétend que leur tenue était
-peu convenable&hellip;</p>
-
-<p>&mdash;Le pauvre homme! soupira Léonie Clauss.</p>
-
-<p>&mdash;Pouah! fit Julia Lebreton.</p>
-
-<p>De Tretel trépignait.</p>
-
-<p>Hanser traita <i>ça</i> d'invention de journaliste.</p>
-
-<p>&mdash;Elle n'a pas mauvais goût, Madame Gimary,
-épilogua Blanche d'Étanges, rêveuse.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h3 id="p6ch3">OPHICLÉIDE FLAMAND</h3>
-
-
-<h4>AUBADE</h4>
-
-<p class="date">Lille.</p>
-
-<p>Les maisons sont grises et hautes, leurs
-fenêtres blanchement linceulées de rideaux
-mornes. De faîte à faîte ondoye le violet pâle
-des brumes. Plus haut, surgissent les pinacles de
-vieilles églises dans les nues cendreuses qui vont,
-lentes. La ternissure du jour choit vers les trottoirs où
-la pluie a laissé des marbrures sombres. Il pullule des
-passants silencieux et le bruit de leurs pas a d'inquiétantes
-sonorités qui vibrent. Les fillettes étreignent
-leurs corsets emmaillotés de journaux; elles trottinent,
-blêmes, la main crispée sur le louis d'amour.&mdash;Enloqués
-de velours flasque, jauni, les travailleurs
-se dandinent, lourds. Et les chaussures bossuées des
-bureaucrates luisent seules dans le pianissime des
-teintes fades. Sur les rails noirs, les tramways glissent
-sans tapage au trot des petits chevaux qui
-s'agitent dans les traits lâches, tandis que des gamins
-au teint vert étouffent tous les tumultes par la psalmodie
-continue de leurs voix aigres: «Demandez
-<i>le Petit Nord</i>», et passent, rapides, décollant de leur
-pouce ensalivé les feuilles humides du journal.</p>
-
-<p>Impérieusement, un roquet aboie.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<h4>CONCERTO</h4>
-
-<p>Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Des
-heures. Elles tombent lourdes de sa couronne en
-pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes. Au pinacle de l'édifice, que noircirent les
-âges, le lion héraldique dressé mire le soleil en ses
-flancs d'or. Et les maisons sont coiffées de faîtes à
-gradins; et dans l'angle suprême des façades les &oelig;ils-de-b&oelig;uf
-semblent voir.</p>
-
-<p>Vieille cité flamande.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Sous les panonceaux, portant en lettres vertes:
-«Robes et Confections»,</p>
-
-<p>Sous l'exergue brillant du magasin: «A la Dame-d'Honneur»,</p>
-
-<p>Elles jacassent les petites couturières, les petites
-couturières engaînées de minces robes noires.</p>
-
-<p>Elles jacassent et elles sautillent&mdash;et leurs bras
-grêles; et leurs saclets en cuir roussi. Et leurs
-échines se penchent devant la vitrine, leurs échines
-qui font luire les corsages par places. Admirations
-pour les toilettes de Paris tendues sur les
-mannequins rigides.</p>
-
-<p>Deux à deux arrivent les retardataires, deux à
-deux. Une à une.</p>
-
-<p>Et la dernière vêtue de rouge, elle court.</p>
-
-<p>Elle court la main soutenant sa tournure qui sursaute.
-Elle court, ayant sa frimousse encore moite
-du lit, et les mèches noires de sa chevelure croulant
-malgré la morsure du peigne. D'un rire elle salue,
-tandis que des friandises, en sa bouche, lui gonflent
-la joue. Elle salue d'un rire sans pensée.</p>
-
-<p>Et les petites couturières se pressent dans le couloir
-de l'atelier. La grande salle claire.</p>
-
-<p>La grande salle claire où plane l'aigre puanteur
-des failles neuves. Elles s'installent; et elles se bousculent;
-et des claques malicieuses rebondissent sur
-les omoplates en saillie, sur les croupes futures. Des
-disputes crèvent pour occuper les meilleures places,
-très loin du poêle où chauffent les fers, très loin de
-la coupeuse surveillante qui taillade sans fin des
-étoffes de toutes nuances sur le transparent jaune du
-modèle.</p>
-
-<p>Et s'inclinent, les têtes attentives, sur les doublures
-à faufiler, les têtes attentives des petites couturières
-si bien coiffées.</p>
-
-<p>Agilement s'agitent les minces doigts, piqués noir
-par l'aiguille. Et les bavardages piaillent. Des potins
-d'amour. Aux frisures brunes s'emmêlent des frisures
-blondes; et les cheveux échappés des tempes tremblotent
-à l'haleine des confidences chuchotées. Les
-dos palpitent par saccades, en une grande envie de
-s'esclaffer.</p>
-
-<p>Et la quinte des rires trop longtemps contenue
-résonne.</p>
-
-<p>Elle résonne, elle monte dans la grande pièce
-claire; elle étouffe la cliquetante mastication des
-ciseaux.</p>
-
-<p>Et des restes de pudeurs rougissantes se cachent
-dans la claire-voie des mains ramenées sur le visage,
-des mains blanches aux minces doigts, piqués noir
-par l'aiguille. Et la joie met en danse les seins grêles
-perdus dans l'ampleur du mérinos.</p>
-
-<p>Une joie qu'elles lâchent au nez des garçons, une
-fois sorties.</p>
-
-<p>Au nez des jeunes garçons, qui les rattrapent et
-les embrassent, les petites couturières, bien contentes,
-sous les grandes portes.</p>
-
-<p>Mais ils les abandonnent soudain, les jeunes
-garçons, à l'aspect terrifiant d'un chapeau haute
-forme.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Cinq
-heures. Elles tombent lourdes de sa couronne en
-pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Aux bosselures du pavage, cahotent les coupés
-déteints des hobereaux en visite.</p>
-
-<p>La «Dame-d'Honneur» tressaille.</p>
-
-<p>Elle tressaille de ses escaliers qui trépident sous
-l'avalanche des petits pieds.</p>
-
-<p>Les petits pieds des grisettes qui envahissent le
-trottoir.</p>
-
-<p>Et les unes, gourmandes, déroulent des papiers
-gras recéleurs de charcuteries.</p>
-
-<p>Et les autres assaillent la voisine épicerie et chipent
-des cornichons dans le baril où plonge une
-grosse cuillère en bois.</p>
-
-<p>Mais la petite rouge, non rieuse, reste immobile.</p>
-
-<p>Un doigt dans la bouche, attentive, écoutante.</p>
-
-<p>Au loin ronronne un étrange bruit.</p>
-
-<p>Un étrange bruit où se mêle le titillement d'un
-grelot.</p>
-
-<p>Cela grandit, enfle et ronfle.</p>
-
-<p>Brille sur la chaussée un bicycle, un bicycle dont
-les orbes dardent de pâles étincelles.</p>
-
-<p>Là haut, un éphèbe juché.</p>
-
-<p>Et ses cuisses se moulent dans un collant gris de
-perle et ses mollets en de superbes guêtres jaunes.</p>
-
-<p>Elles se sont tues les petites couturières. Elles se
-sont tues et elles le contemplent.</p>
-
-<p>Seule, la petite rouge continue rire et narrer. Seule.</p>
-
-<p>L'éphèbe avec un geste de calme souplesse a sauté
-de son véhicule. Se dirige vers la ruelle du Palais.</p>
-
-<p>La petite rouge quitte ses compagnes et pénètre
-sournoise dans la ruelle du Palais.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Au pinacle du beffroi que noircirent les âges, le
-lion héraldique dressé mire le soleil en ses flancs d'or.</p>
-
-<p>Et tout droits dans leurs chars rougis, aux criardes
-ferrailles, les très robustes garçons bouchers passent
-sanglants, ainsi que les triomphateurs antiques.</p>
-
-<p>Ils passent et font claquer la chambrière au-dessus
-de leurs poneys qui galopent.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="verse">P'tite Lucie n'est plus pucelle,</div>
-<div class="verse i2">Tant pis pour elle!</div>
-<div class="verse">C'est Lucien qui l' lui a pris,</div>
-<div class="verse i2">Tant mieux pour lui!</div>
-</div>
-
-<p>Elle pleura d'abord la petite rouge, elle pleura
-quand ses compagnes la chansonnèrent.</p>
-
-<p>Elle rit ensuite, elle a ri quand ses compagnes
-la chansonnèrent.</p>
-
-<p>Puis, tous les jours, la petite rouge laisse paraître
-à son oreille une touche de poudre de riz.</p>
-
-<p>Bientôt la touche s'étend, s'étend à givrer tout
-son visage.</p>
-
-<p>Et ses joues n'ont plus que des roseurs marcescentes
-comme celles de l'anémone du Japon.</p>
-
-<p>Et puis l'épiderme se voile de blanc, d'une transparence
-blanche sous laquelle il se devine encore,
-de même que le vert se devine encore au verso blanc
-des feuilles du peuplier blanc.</p>
-
-<p>Et puis il se linceule de blanc: on dirait d'une
-marmoréenne statue où seuls les yeux vivent.</p>
-
-<p>Mais les yeux s'auréolent de noir; et les lèvres
-se vernissent de carmin; et les mouches noires notent
-une recherche d'élégance.</p>
-
-<p>Et le sourire, l'immuable sourire, se fige à la commissure
-des lèvres, découvrant la denture bêtasse.</p>
-
-<p>Et l'&oelig;il dans son auréole noire stagne, avec la
-classique polissonnerie qui bonimente l'alcôve.</p>
-
-<p>Et toute, elle donne l'impression d'une étiquette,
-comme les toilettes de Paris derrière la provinciale
-vitrine.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Les maisons sont coiffées de faîtes à gradins. Dans
-l'angle suprême des façades, les &oelig;ils-de-b&oelig;uf semblent
-voir.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Leurs saillies se capuchonnent de neige, de neige
-qu'illumine la lune bleue. La vitrine de la «Dame-d'Honneur»
-larmoie des gouttes de vapeur. Le pavé
-sec et gris, le ruisseau solide.</p>
-
-<p>Entre le manteau soyeux et bordé de loutre que
-dépassent les volants d'une robe en velours, entre
-le manteau et le chapeau chargé de plumes frissonnantes,
-la figure de Lucie resplendit comme un
-masque neuf.</p>
-
-<p>Et ses mains gantées de noir où saignent de larges
-piqûres écarlates, ses mains gantées de noir tiennent
-un petit manchon.</p>
-
-<p>Elle regarde la vitrine et sa poitrine exhale de gros
-soupirs.</p>
-
-<p>Une autre femme semblablement mise l'accoste.
-Et les: «Bonjour, madame!» chantent un prétentieux
-duo.</p>
-
-<p>Les petites mains gantées de noir et les petites
-mains gantées de jaune indiquent une foule d'objets
-derrière la glace. Elles s'agitent, elles vont des
-mannequins pancartés de blanc aux chapeaux piédestalés
-de palissandre, des rubans enroulés sur les
-supports de globes à gaz, jusqu'aux cravates indigo
-et vermillon qui semblent nager en des flots de dentelles
-rêches.</p>
-
-<p>Et les têtes hochent, et les plumes frémissent, et
-d'une poitrine à l'autre les gestes oscillent, volubiles.</p>
-
-<p>Mais voici deux ombres toussotantes, crachotantes,
-bedonnantes.</p>
-
-<p>Elles traînent sur le trottoir sec et gris des sabres
-qui résonnent et des éperons qui cliquètent.</p>
-
-<p>Et leurs faces renfrognées, rougeaudes, moustachues,
-grognent sous les képis garance.</p>
-
-<p>Et très penaudes, se taisent les petites femmes
-qui suivent les officiers.</p>
-
-<p>Sans dire, elles subissent les remontrances; et
-les moustaches en brosse, balayent leurs petites
-figures, les pauvres petites figures qui resplendissent
-comme des masques neufs.</p>
-
-<hr />
-
-
-<p>Le beffroi carillonne ses notes hésitantes. Des
-heures. Elles tombent lourdes de sa couronne en
-pierres, de sa couronne fermée comme celle des
-princes. Au pinacle de l'édifice que noircirent les
-âges, le lion héraldique dressé mire la lune en ses
-flancs d'or. Et les maisons sont coiffées de faîtes à
-gradins; et, dans l'angle suprême des façades, les
-&oelig;ils-de-b&oelig;uf semblent voir.</p>
-
-<p>Vieille cité flamande.</p>
-
-<div class="break"></div>
-<h4>SÉRÉNADE</h4>
-
-<p class="date">Arras.</p>
-
-<p>Le café blanc et or, ses banquettes de velours
-grenat. De pilier à pilier, ondoye la bleuâtre fumée
-des pipes qui sinue et s'élève. Plus haut, le plafond
-a revêtu la teinte saure des vieux tableaux. Dans
-les globes dépolis, le gaz flambe comme un &oelig;il; sa
-lumière s'épand et cuivre. Elle s'épand et elle cuivre
-les tables de marbre blanc, et les verres et les liquides.
-Elle s'épand et cuivre les glaces adverses,
-où s'enfoncent d'infinies perspectives de la salle,
-réfléchies et réfléchies toujours dans leurs multiples
-mirances. De même, au théâtre, la galerie sans bout
-du palatial décor. Des têtes pommadées et des
-crânes chauves. Et, proférés, des mots étranges de
-jeux. Bruit des dominos grattant les tables. Des
-éphèbes étreignent leurs cartes, les Rois impassibles
-trônant avec le sceptre, les Reines à figure
-ronde, et les As solitaires. Ils tremblent blêmes, la
-main frémissant au bord du tapis rouge, où s'enlacent
-sataniquement les noires initiales du patron.
-Un sou la fiche. Autour des billards, verts comme
-des prairies anglaises, les messieurs grisonnants
-s'appuient sur les queues, en silence, dans l'attitude
-du hallebardier royal. Et les blancheurs des
-tabliers qui ceignent les garçons lâchent seuls
-une note crue dans la symphonie des couleurs
-cuivrées. La très laide caissière, à peine découvrable
-au milieu des flacons à pans et des maillechorts,
-inscrit. Ses gros doigts courent sur la page, courent
-avec une bague à chaton d'émeraude. Tandis que
-de jeunes hommes étouffent de criailleries le bruissement
-qui plane: «Tu as une veine de cocu! Le
-roi! Tu es baisé!» et jettent les cartes sur le marbre
-avec une bestiale rage.</p>
-
-<p>Magistralement un notaire impose: Whist veut
-dire silence.</p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="nobreak">TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-
-<table summary="">
-<tr><td>&nbsp;</td><td class="small">Pages</td></tr>
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Première Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>C'est l'hiémale nuit</i> (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p1ch1">7</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Amourette (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p1ch2">11</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Le lévrier (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p1ch3">45</a></td></tr>
-
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Deuxième Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>La Haye gris de perle</i> (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p2ch1">53</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">La Faënza (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p2ch2">59</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">En gare (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p2ch3">77</a></td></tr>
-
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Troisième Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>Au couchant, devers</i> (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p3ch1">87</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Crescendo (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p3ch2">89</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Babioles (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p3ch3">107</a></td></tr>
-
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Quatrième Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>La mer, d'un jade qui</i> (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p4ch1">117</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Le cas de Monsieur de Lorn (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p4ch2">121</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">La tare (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p4ch3">143</a></td></tr>
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Cinquième Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>Au pied de la montagne</i> (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p5ch1">157</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Le cul-de-jatte (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p5ch2">159</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">L'Innoucento (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p5ch3">175</a></td></tr>
-
-<tr><td colspan="2"><span class="sc">Sixième Soirée</span>:</td></tr>
-<tr><td class="left2em"><i>Gît la plaine brune</i> (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p6ch1">183</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">&OElig;il-Chinois (J. M.)</td>
-<td class="num"><a href="#p6ch2">187</a></td></tr>
-<tr><td class="left2em">Ophicléide flamand (P. A.)</td>
-<td class="num"><a href="#p6ch3">197</a></td></tr>
-</table>
-
-<p class="c gap small">3694.&mdash;ABBEVILLE, TYP. ET STÉR. A. RETAUX.&mdash;1886.</p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of Project Gutenberg's Le thé chez Miranda, by Jean Moréas and Paul Adam
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE THÉ CHEZ MIRANDA ***
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-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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