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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this ebook. - -Title: Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20) - faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française - -Author: Adolphe Thiers - -Release Date: October 29, 2020 [EBook #63576] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Mireille Harmelin, Keith J Adams, Christine P. Travers and - the Online Distributed Proofreading Team at - https://www.pgdp.net (This file was produced from images - generously made available by the Bibliothèque nationale de - France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE -L'EMPIRE (16/20) *** - - - - -HISTOIRE DU CONSULAT - -ET DE L'EMPIRE - - -TOME XVI - - - - -L'auteur déclare réserver ses droits à l'égard de la traduction en -Langues étrangères, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise, -Espagnole et Italienne. - -Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (Direction de la -Librairie) le 10 août 1857. - - -PARIS. IMPRIMÉ PAR HENRI PLON, RUE GARANCIÈRE, 8. - - - - -HISTOIRE DU CONSULAT - -ET DE L'EMPIRE - - - - -FAISANT SUITE - -À L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE - - - - -PAR M. A. THIERS - - - - -TOME SEIZIÈME - - - - - Paris - LHEUREUX ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS - 60, RUE RICHELIEU - 1857 - - - - -HISTOIRE DU CONSULAT - -ET DE L'EMPIRE. - - - - -LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME. - -DRESDE ET VITTORIA. - - Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa - rencontre avec M. de Bubna. -- Ses dispositions pour le campement, - le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de - l'armistice. -- Son retour à Dresde et son établissement dans le - palais Marcolini. -- À peine est-il arrivé que M. de Bubna - présente une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche - étant acceptée par les puissances belligérantes, la France est - priée de nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses - intentions. -- En réponse à cette note, Napoléon élève des - difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite - de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir - à Dresde. -- Conduite du cabinet autrichien en recevant cette - réponse. -- M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés - pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation. - -- Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et - repart après avoir acquis la connaissance précise des intentions - des alliés. -- Comme l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en - apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à se rendre à - Dresde. -- Arrivée de M. de Metternich dans cette ville le 25 - juin. -- Discussions préalables avec M. de Bassano sur la - médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier - avec le traité d'alliance. -- Entrevue avec Napoléon. -- - Entretien orageux et célèbre. -- Napoléon, regrettant les - emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de - Bassano de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. -- - Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon, déployant autant de - souplesse qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la - médiation, mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation - d'armistice jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt, - dans l'intérêt de ses préparatifs militaires. -- Acceptation - formelle de la médiation autrichienne, et assignation du 5 - juillet pour la réunion des plénipotentiaires à Prague. -- Retour - de M. de Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. -- - La nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la - prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires - à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis - jusqu'au 12 juillet. -- Napoléon, auquel ces délais convenaient, - s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de - nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. -- Son départ le 10 - juillet. -- Il apprend en route les événements d'Espagne. -- Ce - qui s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été - expulsés de la Castille, et que les armées du centre, - d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. -- Projets de - lord Wellington pour la campagne de 1813. -- Il se propose de - marcher sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et - 20 mille Espagnols. -- Projets des Français. -- Possibilité en - opérant bien de tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en - Portugal. -- Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle - de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. -- Il - résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer - Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. -- Reprise - des opérations en mai 1813. -- Quatre divisions de l'armée de - Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la - Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre - lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. -- Retraite - sur Valladolid et Burgos. -- Le manque de vivres précipite notre - marche rétrograde. -- Deux opinions dans l'armée, l'une - consistant à se retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de - rejoindre le général Clausel, l'autre consistant à se tenir - toujours sur la grande route de Bayonne afin de couvrir la - frontière de France. -- Les ordres réitérés de Paris font - incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. -- - Nombreux avis expédiés au général Clausel pour l'engager à se - réunir à l'armée entre Burgos et Vittoria. -- Retraite sur - Miranda del Ebro et sur Vittoria. -- Espérance d'y rallier le - général Clausel. -- Malheureuse inaction de Joseph et de Jourdan - dans les journées du 19 et du 20 juin. -- Funeste bataille de - Vittoria le 21 juin, et ruine complète des affaires des Français - en Espagne. -- À qui peut-on imputer ces déplorables événements? - -- Irritation violente de Napoléon contre son frère Joseph, et - ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. -- Envoi du - maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre - l'offensive. -- Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion - de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à - Leipzig. -- Suite des négociations de Prague. -- MM. de Humboldt - et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au - congrès de Prague. -- Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à - Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les - plénipotentiaires français au jour convenu. -- Chagrin et - doléances de M. de Metternich. -- Napoléon, revenu le 15 à - Dresde, après avoir différé sous divers prétextes la nomination - des plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et - de Caulaincourt. -- Une fausse interprétation donnée à la - convention qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau - prétexte pour ajourner le départ de M. de Caulaincourt. -- Son - espérance en gagnant du temps est de faire remettre au 1er - septembre la reprise des hostilités. -- Redoublement de plaintes - de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de - Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 - août pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la - reprise des hostilités. -- La difficulté soulevée au sujet de - l'armistice étant levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec - des instructions qui soulèvent des questions de forme presque - insolubles. -- Pendant ce temps il quitte Dresde le 25 juillet - pour aller voir l'Impératrice à Mayence. -- Finances et police de - l'Empire durant la guerre de Saxe; affaires des séminaires de - Tournay et de Gand, et du jury d'Anvers. -- Retour de Napoléon à - Dresde le 4 août, après avoir passé la revue des nouveaux corps - qui se rendent en Saxe. -- Vaines difficultés de forme au moyen - desquelles on a même empêché la constitution du congrès de - Prague. -- M. de Metternich déclare une dernière fois que si le - 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées, - l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la - coalition. -- Pensée véritable de Napoléon dans ce moment - décisif. -- Ne se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse - de reprendre les hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant - une négociation sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en - action de celle-ci. -- Il entame effectivement avec l'Autriche - une négociation secrète qui doit être conduite par M. de - Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. -- Ouverture de M. de - Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours avant - l'expiration de l'armistice. -- Surprise de M. de Metternich. -- - Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration authentique - des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur - François. -- Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon. - -- Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à - accepter la paix qu'on lui offre. -- Contre-proposition de - celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par - l'Autriche. -- Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases - proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant - qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la coalition. -- - Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais - inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à - Prague. -- L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en - Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au - nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon - inacceptables. -- Retour et noble affliction de M. de - Caulaincourt. -- Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. -- Sa - confiance et ses projets. -- Profondeur de ses conceptions pour - la seconde partie de la campagne de 1813. -- Il prend le cours de - l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de manoeuvrer - concentriquement autour de Dresde, afin de battre successivement - toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer de front, de - flanc ou par derrière. -- Projets de la coalition et forces - immenses mises en présence dans cette guerre gigantesque. -- - L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la première en - mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur la - Katzbach. -- Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels - Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. -- - Napoléon apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée - des coalisés sur les derrières de Dresde. -- Son retour précipité - sur Dresde. -- Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de - déboucher par Koenigstein, afin de prendre l'armée coalisée à - revers, et de la jeter dans l'Elbe. -- Les terreurs des habitants - de Dresde et les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette - circonstance détournent Napoléon de la plus belle et de la plus - féconde de ses conceptions. -- Son retour à Dresde le 26, et - inutile attaque de cette ville par les coalisés. -- Célèbre - bataille de Dresde livrée le 27 août. -- Défaite complète de - l'armée coalisée et mort de Moreau. -- Position du général - Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. -- Nouveau - et vaste projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations - autour de Dresde. -- Désastre du général Vandamme à Kulm amené - par le plus singulier concours de circonstances. -- Conséquences - de ce désastre. -- Retour de confiance chez les coalisés et - aggravation de la situation de Napoléon, dont les dernières - victoires se trouvent annulées. -- Sa situation au 30 août 1813. - - -[Date en marge: Juin 1813.] - -[En marge: Intention véritable de Napoléon en signant l'armistice de -Pleiswitz.] - -[En marge: Sa pensée est de continuer la guerre, et de prendre -seulement le temps d'achever ses préparatifs.] - -[En marge: Soin de Napoléon à cacher ses desseins, afin de ne pas -exciter de trop graves mécontentements dans le public et dans -l'armée.] - -En signant l'armistice de Pleiswitz, Napoléon n'avait d'autre -intention que de gagner deux mois pour compléter ses armements, et les -proportionner aux forces des nouveaux ennemis qu'il allait s'attirer, -mais il n'avait pas eu un moment la pensée de la paix, ne voulant à -aucun prix la conclure aux conditions que l'Autriche prétendait y -mettre. Ces conditions révélées tant de fois depuis quatre mois, -tantôt par de simples insinuations, tantôt par les déclarations -récentes et formelles de M. de Bubna, étaient, comme on l'a vu, les -suivantes: Dissolution du grand-duché de Varsovie; reconstitution de -la Prusse au moyen d'une partie considérable de ce grand-duché, et de -quelques portions des provinces anséatiques; restitution à -l'Allemagne des villes libres de Lubeck, de Brême, de Hambourg; -abolition de la Confédération du Rhin; rétrocession à l'Autriche de -l'Illyrie et des portions de la Pologne qui lui avaient jadis -appartenu. Quoique cette paix continentale, prélude assuré de la paix -maritime, laissât à la France, indépendamment de la Belgique et des -provinces rhénanes, la Hollande, le Piémont, la Toscane, l'État -romain, maintenus en départements français, la Westphalie, la -Lombardie, Naples, constitués en royaumes vassaux, Napoléon la -repoussait absolument, non à cause des pertes de territoire qui -étaient presque nulles, mais comme une atteinte à sa gloire, et lui -préférait sans hésiter la guerre avec l'Europe entière. C'était sans -doute une insigne témérité pour lui-même, une cruauté pour tant de -victimes destinées à périr sur les champs de bataille, une sorte -d'attentat envers la France, exposée à tant de dangers uniquement pour -l'orgueil de son chef, mais enfin c'était une résolution à peu près -prise, et dans laquelle il y avait fort peu de chance de l'ébranler. -Il eût fallu autour de lui de meilleurs conseillers, et surtout de -plus autorisés, pour le faire revenir de cette détermination fatale. -Pourtant, bien que tout à fait résolu (ce qui résulte d'une manière -incontestable de ses ordres, de ses communications diplomatiques, et -de quelques aveux inévitables faits à ses coopérateurs les plus -intimes), il ne pouvait lui convenir de laisser apercevoir sa -véritable pensée, ni aux puissances avec lesquelles il avait à -traiter, ni à la plupart des agents de son gouvernement, du zèle -desquels il avait grand besoin. En effet, connue de l'Autriche, la -pensée de Napoléon aurait définitivement décidé cette puissance contre -nous, accéléré ses armements déjà bien assez actifs, répandu le -désespoir parmi nos alliés déjà bien assez dégoûtés de notre alliance, -rendu impossible une prolongation d'armistice à laquelle Napoléon -tenait essentiellement, et qu'il ne désespérait pas d'obtenir en -traînant les négociations en longueur. Avouée aux hommes qui -composaient son gouvernement, sa résolution de ne pas accepter la paix -se serait bientôt répandue dans le public, aurait augmenté l'aversion -qu'inspirait sa politique, étendu cette aversion à sa personne et à sa -dynastie, rendu les levées d'hommes plus difficiles, et irrité, -découragé l'armée, qui ne voyant plus de terme à l'effusion de son -sang, serait devenue plus hardie et plus sévère dans son langage. Il -semblait effectivement que l'opposition, comprimée partout, se fût -réfugiée dans les camps, et que nos militaires de tout grade, pour -prix des sacrifices qu'on exigeait d'eux, voulussent exercer la -liberté inaliénable de l'esprit français. Après s'être précipités le -matin au milieu des dangers, ils déploraient le soir dans les bivouacs -l'obstination fatale qui faisait couler tant de sang pour une -politique qu'ils commençaient à ne plus comprendre. Ils avaient bien -admis qu'après Moscou et la Bérézina il fallût une revanche éclatante -aux armes françaises; mais après Lutzen, après Bautzen, le prestige de -nos armes étant rétabli, ils auraient été révoltés, et peut-être -glacés dans leur zèle, s'ils avaient appris que Napoléon pouvant -conserver la Belgique, les provinces rhénanes, la Hollande, le -Piémont, la Toscane, Naples, ne s'en contentait pas, et voulait -encore immoler des milliers d'hommes pour garder Lubeck, Hambourg, -Brême, pour conserver le vain titre de protecteur de la Confédération -du Rhin! Par toutes ces raisons, Napoléon ne dit à personne, excepté -peut-être à M. de Bassano, sa pensée tout entière; il n'en dit à -chacun que ce que chacun avait besoin d'en savoir pour accomplir sa -tâche particulière, réservant pour lui seul la connaissance complète -de ses funestes desseins. - -[En marge: Napoléon dit une partie de son secret au prince Eugène et -au ministre de la guerre, parce qu'il ne peut pas faire autrement.] - -[En marge: Il trompe entièrement le prince Cambacérès.] - -On vient de voir que M. de Bubna avait reparu au quartier général avec -les conditions de l'Autriche, et que ces conditions avaient été -considérablement modifiées, puisqu'en remettant à la paix maritime le -sacrifice des villes anséatiques et de la Confédération du Rhin, on -avait fait tomber la seule objection qu'elles pussent raisonnablement -provoquer. Napoléon se sentant alors serré de près, et craignant -d'avoir à se prononcer immédiatement, ce qui lui eût mis l'Autriche -sur les bras avant qu'il fût en mesure de lui résister, avait signé -l'armistice si désavantageux de Pleiswitz, non pour avoir le temps de -traiter, mais pour avoir celui d'armer. Il écrivit sous le secret au -prince Eugène et au ministre de la guerre qu'il signait cet armistice, -dont il prévoyait en partie le danger, pour avoir le temps de se -préparer contre l'Autriche, à laquelle il entendait faire la loi au -lieu de la recevoir d'elle. Il recommanda à l'un et à l'autre de ne -rien négliger pour que l'armée d'Italie destinée à menacer l'Autriche -par la Carinthie, pour que l'armée de Mayence destinée à la menacer -par la Bavière, fussent prêtes à la fin de juillet, et d'agir de -manière que les jours _comptassent double_, car on avait à peine deux -mois pour achever les armements que les circonstances rendaient -indispensables. Toutefois il n'avoua ni à l'un ni à l'autre quelle -était cette loi de l'Autriche qu'il ne voulait pas subir, il leur -laissa même croire que les exigences de cette puissance étaient -exorbitantes, et ne tendaient à rien moins qu'à ruiner la puissance de -la France et à offenser son honneur. Il écrivit au prince Cambacérès, -auquel il avait remis en partant le dépôt de son autorité, que -l'armistice signé pourrait sans doute conduire à la paix, qu'il _ne -fallait pas toutefois que ce fût une raison de ralentir les -préparatifs de guerre, mais au contraire une raison de les redoubler, -car ce n'était qu'autant qu'on verrait que nous étions formidables sur -tous les points, que la paix pourrait être sûre et honorable_.--Mais -au prince Cambacérès pas plus qu'aux autres, il n'osa dire ce qu'il -entendait par une paix sûre et honorable, et il se garda de lui avouer -qu'il ne considérait pas comme telle une paix qui, indépendamment du -Rhin et des Alpes, concédait directement ou indirectement à la France -la Hollande, la Westphalie, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, les -États romains et Naples. - -[En marge: M. de Bassano seul dépositaire de ses véritables -résolutions.] - -[En marge: Napoléon songe à se faire accorder un mois de plus de -suspension d'armes, en feignant de négocier.] - -À M. de Bassano seul, qu'il ne pouvait pas tromper, puisque ce -ministre était l'intermédiaire de toutes les communications de la -France avec les puissances européennes, et duquel il n'avait pas -d'ailleurs la moindre objection à craindre, il découvrit sa vraie -pensée, en lui confiant le soin de recevoir à sa place M. de Bubna. Il -lui dit qu'il ne voulait pas voir cet envoyé, pour n'avoir pas à se -prononcer sur les conditions de l'Autriche; il lui enjoignit de -l'emmener à Dresde, où devait bientôt revenir le quartier général -français, et de l'y retenir jusqu'à son retour, ce qui ferait gagner -une dizaine de jours, et conduirait à la mi-juin avant d'avoir réuni -les plénipotentiaires. En soulevant ensuite des difficultés de forme, -il était possible d'atteindre le mois de juillet sans s'être prononcé -sur le fond des choses. Puis en montrant au dernier moment quelque -disposition à traiter, et en argumentant du peu de temps qui resterait -alors, il serait encore possible de faire prolonger d'un mois la durée -de l'armistice, ce qui après juin et juillet assurerait tout le mois -d'août, et procurerait ainsi trois mois pour armer, trois mois dont -les puissances coalisées profiteraient sans doute, mais pas autant que -la France, car elles n'étaient administrées ni avec la même activité -ni avec le même génie. - -Ce plan arrêté, Napoléon fit partir M. de Bassano pour Dresde, en le -chargeant d'annoncer sa prochaine arrivée dans cette capitale, et de -lui chercher en dehors des résidences royales une habitation commode -et convenable, où il fût à la fois à la ville et à la campagne, où il -pût travailler en liberté, respirer un air pur, et se trouver à portée -des camps d'instruction établis au bord de l'Elbe. Il ordonna d'y -amener une partie de sa maison, la Comédie française elle-même, afin -d'y déployer une sorte de splendeur pacifique, qui respirât la -satisfaction, la confiance et le penchant au repos, penchant qui -n'avait jamais moins pénétré dans son âme. _Il est bon_, écrivait-il -au prince Cambacérès, _qu'on croie que nous nous amusons ici_.-- - -[En marge: Avant de retourner à Dresde, Napoléon met tous ses soins à -bien cantonner ses troupes.] - -[En marge: Leur distribution sur la ligne frontière stipulée par -l'armistice.] - -Suivant son usage, Napoléon ne quitta point ses troupes sans avoir -assuré leur entretien, leur bonne santé, et leur instruction pendant -la durée de la suspension d'armes. Il s'était réservé, d'après les -conditions de cet armistice, la basse Silésie, pays riche en toutes -sortes de ressources tant pour la nourriture que pour le vêtement des -hommes. Il y répartit ses corps d'armée, depuis les montagnes de la -Bohême jusqu'à l'Oder, de la manière suivante. Il plaça Reynier à -Gorlitz avec le 7e corps, Macdonald à Lowenberg avec le 11e, Lauriston -à Goldberg avec le 5e, Ney à Liegnitz avec le 3e, Marmont à Buntzlau -avec le 6e, Bertrand à Sprottau avec le 4e, Mortier aux environs de -Glogau avec l'infanterie de la jeune garde, Victor à Crossen avec le -2e, Latour-Maubourg et Sébastiani au bord de l'Oder avec la cavalerie -de réserve. Le maréchal Oudinot, avec le corps destiné à marcher sur -Berlin, fut cantonné sur les limites de la Saxe et du Brandebourg, -lesquelles formaient de l'Oder à l'Elbe la ligne de démarcation -stipulée par l'armistice. Ces divers corps durent camper dans des -villages ou des baraques, manoeuvrer, se reposer et bien vivre. Ils -devaient être entretenus au moyen de réquisitions sur le pays, -ménagées de manière à pouvoir y subsister trois mois au moins, et à y -former des approvisionnements pour l'époque du renouvellement des -hostilités. Napoléon prescrivit en outre des levées de draps et de -toiles dans la partie de la Silésie qui lui était restée, et qui les -produisait en abondance, afin de réparer le vêtement déjà usé de ses -soldats. La Silésie devant, dans tous les cas, revenir à la Prusse, -puisque l'Autriche n'en voulait pas, il n'avait à la ménager que pour -en faire durer les ressources aussi longtemps que ses besoins. - -[En marge: Ce qui s'était passé à Hambourg pendant les derniers -événements.] - -[En marge: Attitude équivoque du Danemark.] - -[En marge: Les exigences de la coalition ramènent le Danemark à la -France.] - -[En marge: Le retour du Danemark rend facile la rentrée de nos troupes -dans la ville de Hambourg.] - -[En marge: Nouvelle occupation de Hambourg.] - -[En marge: Renouvellement des ordres sévères de Napoléon.] - -[En marge: Corps de cavalerie et d'infanterie confié au duc de Padoue -pour purger la rive gauche de l'Elbe de la présence des Cosaques.] - -De toutes ses places sur l'Oder et la Vistule, celle de Glogau ayant -eu seule l'avantage d'être débloquée, il en renouvela la garnison et -les approvisionnements, et ordonna d'en perfectionner les moyens de -défense. Il expédia des officiers à Custrin, Stettin, Dantzig, pour -apprendre à ces garnisons les derniers triomphes de nos armes, pour -leur porter des récompenses, et veiller à ce que les vivres consommés -chaque jour fussent remplacés immédiatement par des quantités égales, -conformément aux conditions expresses de l'armistice. Il avait été -convenu par l'une des stipulations de l'armistice que l'importante -place de Hambourg dépendrait du sort des armes, et resterait à ceux -qui l'occuperaient le 8 juin au soir. Elle était rentrée dans nos -mains le 29 mai, par l'arrivée du général Vandamme à la tête de deux -divisions, et serait redevenue plus tôt notre propriété sans -l'intervention singulière et un moment inexplicable du Danemark dans -cette occasion. Jusque-là le Danemark nous avait été fidèle, et il -nous le devait, puisque c'était pour lui conserver la Norvége que nous -avions la guerre avec la Suède. À la suite de notre désastre de -Moscou, il avait été vivement sollicité par la Russie et l'Angleterre -d'abandonner la Norvége à la Suède, avec promesse de l'indemniser aux -dépens de la France s'il cédait, et avec menace, s'il résistait, -d'abattre la monarchie danoise. À ces sollicitations menaçantes de la -Russie et de l'Angleterre, s'étaient jointes les instances plus douces -de l'Autriche, invitant le Danemark à s'unir à elle, et lui promettant -la conservation de la Norvége, s'il adhérait à sa politique -médiatrice. Au milieu de ce conflit de suggestions de tout genre, le -Danemark craignant que la France ne fût plus en mesure de le soutenir, -avait loyalement demandé à Napoléon l'autorisation de traiter pour son -compte, afin d'échapper aux périls qui le menaçaient, et Napoléon -touché de sa franchise y avait généreusement consenti. Il lui avait -même renvoyé les matelots danois qui servaient sur notre flotte, pour -que sa situation s'approchât davantage de la neutralité. L'espérance -du Danemark avait été en se remettant en paix avec l'Angleterre par -l'intermédiaire de la Russie, et en restant neutre ensuite avec tout -le monde, de s'assurer la conservation de la Norvége. Bientôt on lui -avait signifié que non-seulement il fallait qu'il nous déclarât la -guerre, ce qui coûtait fort à sa loyauté, mais qu'il fallait en outre -qu'il renonçât à la Norvége, sauf une indemnité éventuelle, de manière -que la défection envers nous ne l'aurait pas même sauvé de la -spoliation. Révolté de ces exigences, le Danemark nous était enfin -revenu, et l'une de ses divisions, qui s'était tenue aux portes de -Hambourg dans une attitude équivoque, et presque inquiétante, nous -avait tendu la main, au lieu de nous menacer. Vandamme alors que rien -ne retenait, avait expulsé le rassemblement de Tettenborn, composé de -Cosaques, de Prussiens, de Mecklembourgeois, de soldats des villes -anséatiques, et avait arboré de nouveau les aigles françaises sur -tout le cours de l'Elbe inférieur. Napoléon avait sur-le-champ expédié -au maréchal Davout l'ordre de s'établir fortement dans Hambourg, Brême -et Lubeck, lui avait réitéré l'injonction de punir sévèrement la -révolte de ces villes, d'en tirer les ressources nécessaires pour -l'armée, et de créer sur le bas Elbe un vaste établissement militaire -qui complétât les défenses de ce grand fleuve, où nous allions avoir -Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg et Hambourg. Cette -ligne si importante, objet de si vifs débats dans la négociation de -l'armistice, nous était donc assurée, indépendamment de celle de -l'Oder, dont nous avions la partie la plus essentielle, celle qui -faisait face à Dresde. Quelques troupes de partisans, il est vrai, -avaient passé la ligne de l'Elbe, et parcouraient en ce moment la -Westphalie, la Hesse, la Saxe, répandant partout la terreur des -Cosaques, devenue presque superstitieuse. Napoléon forma sur ses -derrières un corps d'infanterie et de cavalerie pour les poursuivre à -outrance, et sabrer sans pitié ceux qu'on prendrait en deçà de l'Elbe. -Le duc de Padoue, destiné, comme on l'a dit, à commander un troisième -corps de cavalerie, lorsque les deux premiers, ceux de Latour-Maubourg -et de Sébastiani, seraient complétés, se trouvait alors à Leipzig avec -le noyau de son corps. Il comptait environ trois mille cavaliers et -quelques pièces d'artillerie attelée. Napoléon lui adjoignit la -division polonaise Dombrowski, la division Teste (quatrième de -Marmont), laissée en arrière pour achever son organisation, une -seconde division wurtembergeoise récemment arrivée, quelques -bataillons de garnison de Magdebourg, ce qui formait un rassemblement -de 8 mille cavaliers et de 12 mille fantassins. Il lui prescrivit de -s'occuper uniquement de la police du pays compris entre l'Elbe et le -Rhin, de le pacifier, de le purger de coureurs, et s'il en surprenait -quelques-uns postérieurement au 8 juin, terme extrême assigné aux -hostilités, de les traiter comme des bandits, et tout au moins de les -faire prisonniers, afin de s'emparer de leurs chevaux qui étaient -excellents. - -[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.] - -Ces premiers soins donnés à l'exécution de l'armistice et au bien-être -des troupes pendant la suspension d'armes, Napoléon s'achemina vers -Dresde, où il avait le projet de passer tout le temps des prochaines -négociations, et rétrograda vers l'Elbe avec la cavalerie et -l'infanterie de la vieille garde, marchant lui-même au pas de ses -troupes par journées d'étapes. Il ne fut de retour à Dresde que le 10 -juin, ce qui convenait à son calcul de se trouver le plus tard -possible en présence de M. de Bubna. Le roi de Saxe vint à sa -rencontre, et les habitants de Dresde eux-mêmes, voyant avec plaisir -la guerre écartée de leurs foyers, et leur roi honoré, lui firent un -accueil auquel on n'aurait pas dû s'attendre de la part d'une -population allemande. - -[En marge: Son établissement au palais Marcolini, et sa manière d'y -vivre.] - -[En marge: Longue attente de M. de Bubna, et note par lui remise à -l'arrivée de Napoléon.] - -Napoléon descendit au palais Marcolini, dont M. de Bassano avait fait -choix pour lui. Ce palais, entouré d'un vaste et beau jardin, était -situé dans le faubourg de Friedrichstadt, tout près de la prairie de -l'Osterwise, où des troupes nombreuses pouvaient manoeuvrer au bord de -l'Elbe. Napoléon y trouva sa maison déjà installée et toute prête à le -recevoir. Là, sans être à charge à la cour de Saxe, sans être -incommodé par elle, il avait ce qu'il désirait, un établissement -convenable, de l'air, de la verdure et un champ de manoeuvre. Il -décida qu'il aurait le matin un lever comme aux Tuileries, au milieu -du jour des revues et des manoeuvres, le soir des dîners, des -réceptions, et les chefs-d'oeuvre de Corneille, de Racine, de Molière, -représentés par les premiers acteurs de la Comédie française. Le -lendemain même de son retour à Dresde, sa vie telle qu'il l'avait -ordonnée commençait avec la précision et l'invariabilité d'une -consigne militaire. Mais en même temps M. de Bubna, qui, arrivé de -Vienne depuis plus de quinze jours, attendait vainement le moment de -le voir, lui rappela sa présence par une note formelle, à laquelle il -fallait de toute nécessité répondre clairement et promptement. - -[En marge: Communications entre les coalisés et la cour d'Autriche -pendant la négociation de l'armistice.] - -[En marge: On se sert de la présence de M. de Caulaincourt aux -avant-postes pour effrayer l'Autriche, et la décider par la crainte de -l'arrangement direct.] - -Pour comprendre cette note et son importance, il est indispensable de -connaître les dernières circonstances survenues en Autriche, où comme -ailleurs les événements se succédaient avec une prodigieuse rapidité, -sous la violente impulsion que Napoléon imprimait partout à la marche -des choses. En employant M. de Caulaincourt dans la négociation de -l'armistice, afin de susciter l'occasion d'un arrangement direct avec -la Russie, Napoléon avait fourni à celle-ci une arme dangereuse, et -dont elle devait faire un funeste usage. Si l'empereur Alexandre, -moins blessé par les dédains de Napoléon, moins épris du rôle tout -nouveau de roi des rois, avait pu partager à quelque degré l'opinion -du prince Kutusof, qui voulait qu'on se tirât de cette guerre en -signant avec la France une paix toute russe, c'eût été un grand -à-propos de lui envoyer M. de Caulaincourt, qui avait été longtemps -son confident et presque son ami. Mais enivré de l'encens que -brûlaient devant lui les Allemands, Alexandre était devenu malgré sa -douceur ordinaire un ennemi implacable, auquel il était dangereux de -chercher à s'adresser. Au lieu de le toucher par l'envoi de M. de -Caulaincourt, on lui fournit seulement un moyen de mettre un terme aux -longues hésitations de l'Autriche. C'était le cas en effet pour -Alexandre de dire à cette puissance: Décidez-vous, car si, faute de -nous secourir, vous nous laissez encore battre comme à Lutzen, comme à -Bautzen, nous serons forcés de traiter avec notre commun ennemi, -d'accepter les avances qu'il nous fait, de conclure avec lui une paix -exclusivement avantageuse à la Russie, et de vous livrer -définitivement à son ressentiment, qui ne doit pas être médiocre, car -si vous n'avez pas assez fait pour nous secourir, vous avez assez fait -pour lui inspirer une profonde défiance.--Ce langage à la cour de -Vienne serait venu d'autant plus à propos le lendemain de Bautzen, -qu'un nouveau mouvement en arrière allait éloigner les coalisés des -frontières de l'Autriche, et les priver de tout contact avec elle. -C'était donc le moment ou jamais de s'unir, car un pas de plus, et les -mains tendues les unes vers les autres ne pourraient plus se joindre. - -[En marge: Envoi de M. de Nesselrode à Vienne pour menacer l'Autriche -d'un arrangement direct avec la France.] - -Telles sont les raisons qu'on avait résolu d'employer auprès de -l'empereur François et de M. de Metternich; et tandis que MM. Kleist -et de Schouvaloff négociaient à Pleiswitz l'armistice du 4 juin, on -avait appelé M. de Stadion, on lui avait fait remarquer le choix de M. -de Caulaincourt pour cette négociation, on avait même ajouté le -mensonge à la vérité, car on avait parlé de prétendues insinuations -que ce personnage se serait permises (ce qui était faux), et -desquelles on pouvait conclure que Napoléon songeait à s'entendre -directement avec la Russie aux dépens de l'Autriche. Tout ce que -l'envoi de M. de Caulaincourt permettait de supposer en fait de -tentatives diplomatiques, on l'avait donné pour accompli, et on avait -pressé M. de Stadion de déclarer à son cabinet, que ce qu'on refusait -aujourd'hui, on serait obligé de l'accepter dans quelques jours, sous -la pression des circonstances et des victoires de Napoléon. M. de -Stadion, qui n'aimait pas la France, et qui avait été fort offusqué de -la présence de M. de Caulaincourt, s'était hâté de peindre à sa cour, -en l'exagérant beaucoup, le danger d'un arrangement direct entre la -France et la Russie. Ne comptant même pas assez sur l'influence des -paroles écrites, on avait expédié, comme nous l'avons dit, M. de -Nesselrode, le même qui pendant quarante ans n'a cessé de conseiller à -ses divers maîtres une politique profonde par sa patience, mais pas -toujours d'accord avec leur tempérament irritable. Jeune alors, -simple, modeste, moins dogmatique que M. de Metternich, moins -entreprenant, mais doué d'autant de finesse, et fait pour gagner la -confiance d'un prince éclairé comme Alexandre, il avait déjà obtenu -sur lui un ascendant très-marqué. Le czar, quoiqu'il eût laissé à M. -de Romanzoff le vain titre de chancelier, en mémoire de la Finlande et -de la Bessarabie conquises sous son ministère, avait amené M. de -Nesselrode à son quartier général, et ne dirigeait plus les affaires -qu'avec lui et par son conseil. Il l'avait expédié dès le 1er juin -pour Vienne, avec la mission de prier, de supplier, de menacer au -besoin la cour d'Autriche, en lui montrant la tête de Méduse, -c'est-à-dire Napoléon s'abouchant avec Alexandre, et renouvelant sur -l'Oder l'entrevue du Niémen, et peut-être à Breslau l'alliance de -Tilsit. M. de Nesselrode s'était mis en route sur-le-champ, se -dirigeant sur Vienne à travers la Bohême. - -[En marge: Effet produit sur l'empereur François et sur M. de -Metternich par la perspective d'un arrangement direct entre la Russie -et la France.] - -[En marge: Danger pour l'Autriche, si elle ne se décide pas à temps, -d'être repoussée universellement, après avoir été universellement -recherchée.] - -Il n'en fallait pas tant pour donner à deux esprits aussi clairvoyants -que l'empereur François et M. de Metternich une commotion décisive. -L'Autriche, en effet, replacée par la fortune dans une grande -situation, dont elle avait été précipitée depuis vingt ans par l'épée -de Napoléon, courait cependant un grave danger. Tout le monde la -caressait en ce moment, tout le monde se présentait à elle les mains -pleines des dons les plus magnifiques. Alexandre lui offrait -non-seulement l'Illyrie et une part de la Pologne, mais l'Italie, mais -le Tyrol, mais la couronne impériale d'Allemagne, que Napoléon avait -fait tomber de sa tête, et, plus que tout cela, l'indépendance. La -France lui offrait avec l'Illyrie et une part de la Pologne, non pas -l'Italie, non pas le Tyrol, non pas la couronne impériale, mais ce qui -l'eût charmée un siècle auparavant, la Silésie, sans l'indépendance il -est vrai, à laquelle elle tenait plus qu'à tout le reste. Elle n'avait -donc qu'à choisir; mais si, voulant jouir trop longtemps de ce rôle de -puissance universellement courtisée, elle ne se décidait pas à -propos, il était possible qu'après avoir été flattée, caressée par -tous, elle finît par être honnie par tous aussi, et écrasée sous leur -commun ressentiment, car si Napoléon et Alexandre s'entendaient, il -devait en résulter une paix exclusivement russe; l'Autriche n'aurait -rien de la Pologne, rien de l'Illyrie, rien de l'Italie; on ne -céderait point à son désir de reconstituer l'Allemagne, sauf quelques -dédommagements qu'on accorderait peut-être à la Prusse, et, loin de -recouvrer son indépendance, elle retomberait sous la domination de -Napoléon devenue plus dure que jamais. Il suffisait pour cela d'un -instant, et, dans les conjonctures présentes, les choses se décidant à -coups d'épée, et quels coups d'épée! c'était assez de quarante-huit -heures pour changer la face du monde. - -[En marge: Départ subit de l'empereur François et de son ministre pour -Prague.] - -[En marge: Altération visible des sentiments de M. de Metternich à -l'égard de la France.] - -Plein de ces préoccupations, M. de Metternich avait déjà songé à -conduire son maître à Prague, afin d'être tout près du théâtre des -batailles et des négociations, et de pouvoir, du haut de la Bohême -comme d'un observatoire élevé et voisin, suivre le torrent si rapide -des choses, et s'y jeter au besoin. La nouvelle du choix de M. de -Caulaincourt pour négocier l'armistice l'avait affecté au point de -rendre son émotion visible aux yeux pénétrants de M. de Narbonne. Les -lettres de M. de Stadion ne lui avaient plus laissé un seul doute, et -en vingt-quatre heures l'empereur et son ministre avaient formé la -résolution de quitter Vienne pour Prague, au grand étonnement du -public, surpris non d'une telle résolution, mais de la promptitude -avec laquelle elle avait été prise. Dans les rapports où l'on était -avec la France, on avait en quelque sorte l'obligation de lui tout -expliquer, et M. de Metternich s'était hâté de dire à M. de Narbonne, -que les négociations étant à la veille de commencer par -l'intermédiaire de l'Autriche, il fallait que le médiateur se -rapprochât des parties soumises à sa médiation, qu'à Prague on -gagnerait six jours au moins sur chaque communication, ce qui -importait fort, la paix du monde devant se conclure en six semaines. -Cette raison justifiait le voyage à Prague, mais non pas le départ en -vingt-quatre heures. Des renseignements secrets et l'air contraint de -M. de Metternich avaient achevé de tout révéler à la vigilance de la -légation française. M. de Narbonne avait su, par des informations -sûres, que la cour de Vienne accélérait son départ par la crainte d'un -arrangement direct de la France avec la Russie, et ces informations -lui expliquaient en outre les nouveaux sentiments qu'il avait cru -découvrir chez M. de Metternich. M. de Narbonne, en effet, avait -trouvé le ministre autrichien sensiblement refroidi, ce qui était -naturel, car si M. de Metternich s'était échappé de notre alliance -comme un serpent s'échappe à force de mouvements alternatifs des -étreintes d'une main puissante, toutefois il n'avait pas entièrement -déserté notre cause, et dans l'intention fort sage de tout terminer -sans guerre, il avait défendu auprès des coalisés le système d'une -paix modérée, ce qui n'avait pas été facile, et il était fondé à nous -en vouloir de chercher à négocier une paix désastreuse pour lui, -tandis qu'il s'efforçait d'en stipuler une très-acceptable pour nous. - -[En marge: Rencontre de M. de Nesselrode et de M. de Metternich.] - -[En marge: Résolution invariable de M. de Metternich d'épuiser le rôle -de médiateur avant de passer au rôle de belligérant.] - -Du reste, M. de Narbonne avait eu à peine le temps d'entretenir M. de -Metternich, et ce dernier, parti en toute hâte, était avec l'empereur -François à Gitschin, résidence située à une vingtaine de lieues de -Prague, dès le 3 juin au soir. En y arrivant il avait rencontré M. de -Nesselrode, qui apprenant le départ de la cour, avait rebroussé chemin -pour la joindre. Les paroles que ces deux hommes d'État, alors si -importants, avaient pu s'adresser, on les devine. M. de Nesselrode -avait, au nom de l'empereur de Russie et du roi de Prusse, supplié M. -de Metternich de mettre fin à de trop longues hésitations, de ne pas -laisser battre de nouveau les alliés, car, battus encore une fois, ils -seraient obligés de se soumettre à Napoléon, de traiter avec lui aux -dépens de l'Autriche, et de consacrer pour jamais la dépendance de -l'Europe. M. de Nesselrode s'était appliqué surtout à montrer à M. de -Metternich que Napoléon trahissait les Autrichiens, car tandis que -ceux-ci soutenaient pour lui le système d'une paix modérée, il -songeait à les sacrifier, et à conclure une paix accablante pour eux -seuls. Il avait donc pressé instamment le ministre autrichien de -suivre enfin l'exemple de la Prusse, et de s'unir par un traité formel -aux souverains alliés. M. de Metternich n'avait besoin d'être ni -éclairé ni excité, car il l'était suffisamment. Mais ce ministre, dont -le mérite a toujours été d'avoir, avec un esprit sans froideur, une -politique sans passion, s'attachait de plus en plus au système de -conduite qu'il avait adopté, celui d'épuiser le rôle intermédiaire -d'arbitre, avant de passer au rôle de belligérant. Ce système de -conduite, outre qu'il dégageait l'honneur de l'empereur François, son -honneur de souverain et de père, avait l'avantage de ménager aussi la -considération de l'Autriche, de lui procurer le temps dont elle avait -besoin pour armer, et, par-dessus tout, de rendre possible une -conclusion pacifique, car c'eût été un bien beau résultat pour elle -que de reconstituer la Prusse, de rétablir l'indépendance de -l'Allemagne, de recouvrer en outre l'Illyrie et la part perdue de la -Gallicie, sans courir les hasards peut-être funestes (personne ne le -savait alors) d'une nouvelle guerre avec Napoléon. - -[En marge: Promesse à la Russie de s'unir à la coalition, si la France -reste sourde à toute proposition raisonnable, mais après avoir tout -fait pour éclairer celle-ci.] - -M. de Metternich avec une prévoyance profonde voulait s'épargner -non-seulement la chance bien dangereuse de voir tout le monde, fatigué -de ses temporisations, s'arranger à ses dépens, mais la chance aussi -de se faire battre par la France, ce qu'il redoutait fort malgré les -événements de l'année précédente, et, par ce motif, il cherchait d'une -main à tenir la Prusse et la Russie, pour qu'elles ne pussent lui -échapper, et de l'autre à contenir Napoléon, pour lui faire accepter -une paix que l'Europe pût agréer. Aussi avait-il dit à M. de -Nesselrode qu'il s'était engagé à être médiateur, qu'il remplirait -franchement ce rôle pendant les deux mois qui allaient suivre, qu'il -lui fallait indispensablement, à l'égard de la France, passer par le -rôle de médiateur avant d'en arriver à celui d'ennemi, que jusque-là -il ne pouvait prendre parti, mais que si des conditions de paix -raisonnables étaient définitivement repoussées, il conseillerait à son -maître, l'armistice expiré, de s'unir aux puissances alliées, et de -tenter un suprême et dernier effort pour arracher l'Europe à la -domination de Napoléon. - -[En marge: Double déclaration en ce sens que M. de Bubna est chargé de -porter à Dresde.] - -Ce qu'on s'était promis actuellement, en conséquence de ces vues, -c'était, de la part de la Russie, de ne pas se laisser séduire par -l'appât d'un arrangement direct, de la part de l'Autriche, de déclarer -la guerre au jour indiqué, si les conditions de la médiation n'étaient -pas acceptées par la France. M. de Metternich, profitant du voisinage -de Prague, y avait rappelé M. de Bubna pour vingt-quatre heures, lui -avait bien expliqué la position, lui avait positivement affirmé qu'on -n'était pas encore engagé avec les belligérants, l'avait autorisé à -donner à l'appui de ce fait la parole d'honneur de l'empereur -François, mais l'avait autorisé aussi à signifier de la manière la -plus expresse qu'on finirait par s'engager, si la durée de l'armistice -n'était pas employée à négocier sincèrement une paix modérée. Il -l'avait en même temps chargé d'annoncer au cabinet français, que la -médiation de l'Autriche était formellement acceptée par la Prusse et -par la Russie, ce qui obligeait dès lors le médiateur à demander à -chacun ses conditions, et notamment à la France qui était instamment -priée de faire connaître les siennes. M. de Bubna devait à cette -occasion témoigner le désir de M. de Metternich de venir un moment à -Dresde, pour tout terminer sur les lieux, dans un entretien cordial -avec Napoléon. Là, en effet, on pouvait finir en quelques heures, car -si M. de Metternich parvenait à persuader Napoléon, tout serait dit, -les coalisés étant dans l'impossibilité de refuser les conditions que -l'Autriche déclarerait acceptables. - -[En marge: Note de M. de Bubna, constituant pour le cabinet français -une vraie mise en demeure.] - -Telles sont les choses, fort importantes comme on le voit, que M. de -Bubna, revenu à Dresde, voulait communiquer à Napoléon, et dont il ne -disait qu'une partie à M. de Bassano, sachant l'inutilité des -explications avec ce ministre, qui recevait les opinions de son maître -et ne les faisait pas. Napoléon étant arrivé le 10 juin, M. de Bubna -avait remis le 11 une note pour déclarer que la Russie et la Prusse -avaient officiellement accepté la médiation de l'Autriche, que -celle-ci était occupée à leur demander leurs conditions de paix, et -qu'on attendait que la France voulût bien énoncer les siennes. Ce -n'était là qu'une mise en demeure, ayant pour but non d'amener une -entière et immédiate énonciation des conditions de la France, mais de -provoquer les pourparlers préliminaires, les épanchements -confidentiels, préalable indispensable et plus ou moins long, suivant -le temps dont on dispose, des déclarations officielles et définitives. - -[En marge: Preuve évidente que Napoléon ne voulait pas la paix, -résultant de plusieurs pertes de temps volontaires.] - -[En marge: Napoléon prend quelques jours pour répondre à la note -remise le 11 juin par M. de Bubna.] - -Si Napoléon avait voulu la paix, celle du moins qui était possible et -dont il connaissait les conditions, il n'aurait pas perdu de temps, -quarante jours au plus lui restant pour la négocier. On était en effet -au 10 juin, et l'armistice expirait au 20 juillet. Avec son ardeur -accoutumée, il aurait appelé M. de Metternich à Dresde, aurait tâché -de lui arracher quelque modification aux propositions de l'Autriche, -ce qui était très-possible avec le désir qu'elle avait d'en finir -pacifiquement, et aurait renvoyé ce ministre, une, deux et trois fois, -au quartier général des puissances alliées, pour aplanir les -difficultés de détail toujours nombreuses dans tout traité, mais -devant l'être bien davantage dans un traité qui allait embrasser les -intérêts du monde entier. Mais la preuve évidente qu'il ne la voulait -pas (indépendamment des preuves irréfragables contenues dans sa -correspondance), c'était le temps qu'il perdait et qu'il allait perdre -encore. Son projet, comme nous l'avons dit, c'était de différer le -moment de s'expliquer, de multiplier pour cela les questions de forme, -puis de paraître s'amender tout à coup lorsque la suspension d'armes -serait près d'expirer, de se montrer alors disposé à céder, d'obtenir -à la faveur de ces manifestations pacifiques une prolongation -d'armistice, de se donner ainsi jusqu'au 1{er} septembre pour terminer -ses préparatifs militaires, de rompre à cette époque sur un motif bien -choisi qui pût faire illusion au public, et de tomber soudainement -avec toutes ses forces sur la coalition, de la dissoudre et de -rétablir plus puissante que jamais sa domination actuellement -contestée, calcul pardonnable assurément, et dont l'histoire des -princes conquérants n'est que trop remplie, s'il avait été fondé sur -la réalité des choses! Avec de telles vues il n'était pas temps encore -de recevoir M. de Bubna, et de lui répondre par oui ou par non, sur -des conditions qui se réduisaient à un petit nombre de points dont -aucun ne prêtait à l'équivoque. Aussi Napoléon prit-il la résolution -de laisser passer quatre ou cinq jours avant d'admettre auprès de lui -M. de Bubna et de répondre à sa note, ajournement fort concevable si -aucun terme n'avait été fixé aux négociations, et si, comme lors du -traité de Westphalie, on avait eu pour négocier des mois et même des -années. Mais perdre quatre ou cinq jours sur quarante pour une -première question de forme, qui en supposait encore mille autres, -c'était trop dire ce qu'on voulait, ou plutôt ce qu'on ne voulait -pas. - -Toutefois Napoléon venait d'arriver à Dresde, fatigué sans doute, -accablé de soins de tout genre, et à la rigueur on pouvait comprendre -qu'il ne reçût point M. de Bubna le jour même. Il n'y avait pas -d'ailleurs de souverain au monde qui fût plus dispensé que lui de se -plier aux convenances d'autrui, et qui s'y pliât moins. Ces retards -envers M. de Bubna n'avaient donc encore rien de bien significatif. -Seulement Napoléon prouvait ainsi qu'il n'était pas pressé, car -lorsqu'il l'était, les jours, les nuits, la fatigue, le repos, tout -devenait égal pour lui, et n'être pas pressé de la paix en ce moment, -c'était ne pas la désirer. M. de Bassano reçut la dépêche de M. de -Bubna, affecta de la trouver infiniment grave, dit que sous trois ou -quatre jours on répondrait, et que sous trois ou quatre jours aussi -Napoléon donnerait audience à M. de Bubna, et s'expliquerait avec lui -sur le contenu de sa note. - -[En marge: Nombreuses chicanes de forme.] - -[En marge: On conteste d'abord à M. de Bubna le caractère nécessaire -pour remettre une note.] - -[En marge: On élève ensuite des objections sur la prétention du -cabinet autrichien, de réunir la double qualité de médiateur et -d'allié.] - -[En marge: On s'oppose formellement à une autre prétention de -l'Autriche, celle d'être l'intermédiaire unique entre les parties -contractantes.] - -Dans cet intervalle la réponse fut préparée et rédigée. Elle était de -nature, plus encore que le temps volontairement perdu, à révéler les -dispositions véritables du gouvernement français. On objecta d'abord à -M. de Bubna qu'il n'avait aucun caractère pour remettre une note. Cet -agent, en effet, reçu officieusement par Napoléon, et envoyé auprès de -lui comme lui étant plus agréable qu'un autre, et comme plus spirituel -notamment que le prince de Schwarzenberg qui l'était peu, n'avait -jamais été formellement accrédité, ni à titre de plénipotentiaire ni à -titre d'ambassadeur; il n'avait donc pas qualité pour remettre une -note. C'était là une difficulté bien mesquine, car on avait déjà -échangé avec ce personnage les communications les plus importantes. -Néanmoins on rédigea une première réponse à M. de Bubna, dans laquelle -on soutint qu'il fallait que la note qu'il avait présentée fût signée -de M. de Metternich, pour prendre place dans les archives du cabinet -français, car il n'avait quant à lui aucun titre qui pût donner à -cette note un caractère d'authenticité. Après cette difficulté de -forme, on éleva des difficultés de fond. La première était relative à -la médiation elle-même. Sans doute, disait-on, la France avait paru -disposée à admettre la médiation de l'Autriche, avait même promis de -l'accepter, mais une résolution si importante ne pouvait pas se -supposer, se déduire d'un simple entretien, et il fallait un acte -officiel, dans lequel on déterminerait le but, la forme, la portée, la -durée de cette médiation. Ce n'était pas tout: cette médiation comment -se concilierait-elle avec le traité d'alliance? le cabinet autrichien -serait-il médiateur, c'est-à-dire arbitre, arbitre prêt à se prononcer -contre l'une ou l'autre partie, et à se prononcer les armes à la main, -comme il était d'usage que le fît un médiateur armé? alors que -devenait le traité d'alliance de l'Autriche avec la France? Il fallait -s'expliquer sur ce point. Enfin, quelle que fût la portée de la -médiation, il y avait une question de forme sur laquelle l'honneur ne -permettait pas de garder le silence. Ainsi le médiateur se saisissant -si brusquement, et on peut dire si cavalièrement, de son rôle, -annonçait déjà une manière de traiter qui ne pouvait convenir à la -France. Il paraissait en effet vouloir s'entremettre entre toutes les -parties belligérantes, porter lui seul la parole de celles-ci à -celles-là, et ne les jamais placer en présence les unes des autres (ce -qui était effectivement le secret désir de l'Autriche, afin d'empêcher -l'arrangement direct). Une telle manière de négocier n'était pas -admissible. La France ne reconnaissait à personne le droit de traiter -pour elle ses propres affaires. S'y prendre de la sorte, c'était lui -imposer une paix concertée avec d'autres, et la France si longtemps -victorieuse, au point de dicter des conditions à l'Europe, n'en était -pas réduite, surtout quand la victoire lui était revenue, à accepter -les conditions de qui que ce soit. Elle voulait bien, pour parvenir à -la paix dont tout le monde avait besoin, renoncer à dicter des -conditions; jamais elle ne consentirait à s'en laisser dicter, -l'Europe fût-elle réunie tout entière pour lui faire la loi.-- - -[En marge: On répond d'une manière presque négative au désir de venir -à Dresde exprimé par M. de Metternich.] - -On remplit plusieurs notes de ces chicanes, et Napoléon en remplit -lui-même un long entretien avec M. de Bubna. Il lui accorda cet -entretien le 14 juin, et les notes furent signées et remises le 15. M. -de Bassano les accompagna d'une lettre personnelle pour M. de -Metternich, dont le ton était même contraire au but qu'on se proposait -d'atteindre, car Napoléon voulait qu'on gagnât du temps, et la hauteur -de langage n'était pas un moyen d'y réussir. Dans cette lettre, il -imputait le temps perdu à M. de Metternich, se plaignait -maladroitement de ce que l'armistice ayant été signé le 4 juin, on fût -si peu avancé le 15, comme si M. de Bubna n'avait pas été dès les -derniers jours de mai au quartier général français, demandant une -entrevue sans pouvoir l'obtenir, comme si l'Autriche sur tous les -points ne se fût pas montrée impatiente de provoquer et de donner des -explications. Enfin, quant au désir exprimé par M. de Metternich de -venir à Dresde, M. de Bassano, sans même éluder, répondait d'une -manière à peine polie que les questions étaient encore trop peu mûries -pour qu'une entrevue de M. de Metternich, soit avec le ministre des -affaires étrangères, soit avec Napoléon lui-même, pût avoir l'utilité -qu'on en attendait, et qu'on en espérait plus tard. - -[En marge: Napoléon se flatte par ces divers ajournements de faire -proroger l'armistice jusqu'au 1er septembre.] - -Telles furent les réponses dont M. de Bubna dut se contenter, et qui -furent expédiées à M. de Metternich à Prague. Il fallait un jour pour -se rendre dans cette capitale de la Bohême, un jour pour en revenir, -et si M. de Metternich et son maître mettaient trois ou quatre jours -pour se résoudre, on devait atteindre le 20 juin avant d'être obligé -de parler de nouveau. De son côté il serait bien permis à la -diplomatie française d'employer quelques jours à se décider sur le -texte de la convention par laquelle on accepterait la médiation, -d'employer quelques jours encore pour réunir les plénipotentiaires, et -on aurait ainsi gagné le 1er juillet sans s'être abouché avec la -diplomatie européenne. Il suffirait alors de se montrer conciliant un -moment, du 1er au 10 juillet, par exemple, pour être fondé à demander -que l'expiration de l'armistice fût reportée du 20 juillet au 20 août, -ce qui, avec six jours pour la dénonciation des hostilités, conduirait -au 26 août, fort près de ce 1er septembre, terme désiré par Napoléon. -Tels étaient ses calculs et les moyens employés pour en obtenir le -succès. - -[En marge: Vastes projets militaires de Napoléon, pour lesquels il -avait besoin d'un délai de trois mois.] - -[En marge: Napoléon, comptant par ses refus avoir la guerre avec -l'Autriche, choisit le cours de l'Elbe pour sa ligne d'opération.] - -[En marge: Nécessité d'adopter cette ligne, puisqu'il continuait la -guerre pour ne pas abandonner les villes anséatiques et la -Confédération du Rhin.] - -[En marge: Avantage qu'avait la ligne de l'Elbe d'éloigner les -hostilités de la frontière de France.] - -Pendant qu'il ne visait qu'à perdre le temps dans les négociations, il -ne visait au contraire qu'à le bien employer dans l'accomplissement -de ses vastes conceptions militaires. Le premier projet de Napoléon, -lorsqu'il comptait sur l'alliance ou la neutralité de l'Autriche, -était de s'avancer jusqu'à l'Oder et à la Vistule, pour rejeter les -Russes sur le Niémen, et les ramener chez eux vaincus et séparés des -Prussiens. Tous les préparatifs actuels étant faits dans la -supposition de la guerre avec l'Autriche, les plans ne pouvaient plus -être les mêmes, car en s'avançant seulement jusqu'à l'Oder, il eût -laissé les armées autrichiennes sur ses flancs et ses derrières. Il -n'avait donc à choisir pour future ligne défensive qu'entre l'Elbe et -le Rhin, ou le Main tout au plus. Il préféra l'Elbe pour des raisons -profondes, généralement peu connues et mal appréciées. (Voir la carte -nº 28.) Disons d'abord que se porter sur le Rhin ou sur le Main -revenait à peu près au même, car la petite rivière du Main, en -décrivant plusieurs contours à travers le pays montueux de la -Franconie, et venant après un cours de peu d'étendue tomber dans le -Rhin à Mayence, pouvait bien servir à défendre les approches du Rhin, -quand on se battait avec des armées de soixante ou quatre-vingt mille -hommes, mais ne pouvait plus avoir cet avantage depuis qu'on se -battait avec des masses de cinq à six cent mille, et eût été débordée -par la droite ou par la gauche avant quinze jours. On devait donc ne -considérer le Main que comme une annexe de la ligne du Rhin, -c'est-à-dire comme le Rhin lui-même, et il n'y avait à choisir -qu'entre le Rhin et l'Elbe. Poser ainsi la question, c'était presque -la résoudre. Se retirer tout de suite sur le Rhin, c'était faire à -l'Europe un abandon de territoire plus humiliant cent fois que les -sacrifices qu'elle demandait pour accorder la paix. C'était abandonner -non-seulement les alliances de la Saxe, de la Bavière, du Wurtemberg, -de Bade, etc., mais les villes anséatiques qui nous étaient si -vivement disputées, mais la Westphalie et la Hollande qui ne l'étaient -pas, car la Hollande elle-même n'est plus couverte quand on est sur le -Rhin. Et comment exiger dans un traité le protectorat de la -Confédération du Rhin, qu'on déclarait en rétrogradant sur le Rhin ne -pouvoir plus défendre? comment prétendre aux villes anséatiques, à la -Westphalie, à la Hollande qu'on reconnaissait ne pouvoir plus occuper? -À prendre ce terrain pour champ de bataille, il eût été bien plus -simple d'accepter tout de suite les conditions de paix de l'Autriche, -car en renonçant à la Confédération du Rhin et aux villes anséatiques, -on eût conservé au moins sans contestation la Westphalie et la -Hollande, et soustrait définitivement à tous les hasards le trône de -Napoléon, et, ce qui valait mieux, la grandeur territoriale de la -France. Indépendamment de ces raisons, qui politiquement étaient -décisives, il y en avait une autre, qui moralement et patriotiquement -était tout aussi forte, c'est que rétrograder sur le Rhin, c'était -consentir à transporter en France le théâtre de la guerre. Sans doute -tant que le Rhin n'était point franchi par l'ennemi, on pouvait -considérer la guerre comme se faisant hors de France; mais le -voisinage était tel, que pour les provinces frontières la souffrance -était presque la même. De plus en obtenant des victoires sur le haut -Rhin, entre Strasbourg et Mayence, par exemple, Napoléon n'était pas -assuré qu'un de ses lieutenants ne laisserait pas forcer sa position -au-dessous de lui, et alors la guerre se trouverait transportée en -France, et ce ne serait plus la situation d'un conquérant se battant -pour la domination du monde, ce serait celle d'un envahi réduit à se -battre pour la conservation de ses propres foyers. Mieux eût valu, -nous le répétons, accepter la paix tout de suite, car outre qu'elle -n'était pas humiliante, qu'elle était même infiniment glorieuse, elle -n'exigeait pas de Napoléon un sacrifice comparable à celui que lui eût -infligé la retraite volontaire sur le Rhin. Ceux donc qui le blâment -d'avoir adopté la ligne de l'Elbe, feraient mieux de lui adresser le -reproche de n'avoir pas accepté la paix, car cette paix entraînait -cent fois moins de sacrifices de tout genre que la retraite immédiate -sur le Rhin. La déplorable idée de continuer la guerre pour les villes -anséatiques, et pour la Confédération du Rhin, étant admise, il n'y -avait évidemment qu'une conduite à tenir, c'était d'occuper et de -défendre la ligne de l'Elbe. - -Le grand esprit de Napoléon ne pouvait pas se tromper à cet égard, et -planant comme l'aigle sur la carte de l'Europe, il s'était abattu sur -Dresde, comme sur le roc d'où il tiendrait tête à tous ses ennemis. Le -récit des événements prouvera bientôt que s'il y fut forcé, ce fut, -non point par le vice de la position elle-même, mais par suite de -l'extension extraordinaire donnée à ses combinaisons, de l'épuisement -de son armée, et des passions patriotiques excitées contre lui dans -toute l'Europe. Six ans plus tôt, avec l'armée de Friedland, il y -aurait tenu contre le monde entier. - -[En marge: Propriétés militaires de la ligne de l'Elbe.] - -[En marge: Danger d'y être tourné par la Bohême.] - -[En marge: Moyens de parer à ce danger.] - -La ligne de l'Elbe, quoique présentant dans sa partie supérieure un -obstacle moins considérable que le Rhin, avait cependant l'avantage -d'être moins longue, moins accidentée, plus facile à parcourir -intérieurement pour porter secours d'un point à un autre, et, depuis -les montagnes de la Bohême jusqu'à la mer, semée de solides appuis, -tels que Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, -Hambourg. Quelques-uns de ces appuis exigeaient des travaux, et c'est -pour ce motif que Napoléon dans ses calculs militaires, qui étaient -plus profonds que ses calculs politiques, voulait sans cesse allonger -l'armistice, pour réparer la faute de l'avoir signé. Il s'agissait de -savoir si la ligne de l'Elbe s'appuyant à son extrême droite aux -montagnes de la Bohême, et si la Bohême donnant à l'Autriche le moyen -de déboucher sur les derrières de cette position, il était possible de -se défendre contre un mouvement tournant de l'ennemi. C'était la -question que s'adressaient beaucoup d'esprits éclairés, et qu'ils -s'adressaient tout haut. Mais Napoléon qui, à mesure que son malheur -commençait à délier certaines langues timides, permettait ces -objections, Napoléon faisait des gestes de dédain quand on lui disait -que sa position de Dresde pourrait être tournée par une descente des -Autrichiens sur Freyberg ou sur Chemnitz. (Voir les cartes n{os} 28 et -58.) Ce n'était pas, en effet, au général de l'armée d'Italie, qui -retrouvait agrandie la position qu'il avait si longtemps occupée -autour de Vérone, qui retrouvait dans l'Elbe l'Adige, dans la Bohême -le Tyrol, dans Dresde Vérone elle-même, et qui fortement établi jadis -au débouché des Alpes, avait fondu tour à tour sur ceux qui se -présentaient ou devant lui ou derrière lui, et les avait plus -maltraitée encore lorsqu'ils s'aventuraient sur ses derrières, ce -n'était pas au général de l'armée d'Italie qu'on pouvait faire peur -d'une position semblable. Il répondait avec raison que ce qu'il -demanderait au ciel de plus heureux, c'était que la principale masse -ennemie voulût bien, tandis qu'il serait posté sur l'Elbe, déboucher -en arrière de ce fleuve, qu'il courrait sur elle, et la prendrait tout -entière entre l'Elbe et la forêt de Thuringe. Le prochain désastre des -coalisés à Dresde prouva bientôt la justesse de ses prévisions, et si -plus tard, comme on le verra, il fut forcé sur l'Elbe, ce ne fut point -par la Bohême, mais par l'Elbe inférieur, que ses lieutenants -n'avaient pas su défendre, et après plusieurs accidents qui l'avaient -prodigieusement affaibli. Sa pensée, toujours profonde et d'une portée -sans égale lorsqu'il s'agissait des hautes combinaisons de la guerre, -était donc de s'établir fortement sur les divers points de l'Elbe, de -manière à pouvoir s'en éloigner quelques jours sans crainte, soit -qu'il fallût prévenir la masse qui s'avancerait de front, soit qu'il -fallût revenir rapidement sur celle qui aurait par la Bohême débouché -sur ses derrières, en un mot de recommencer avec 500 mille hommes -contre 700 mille, ce qu'il avait accompli dans sa jeunesse avec 50 -mille Français contre 80 mille Autrichiens, et les résultats -prouveront qu'avec des éléments moins usés, la supériorité -incomparable de ses conceptions eût triomphé cette seconde fois comme -la première. Mais la gloire de réaliser sur une échelle si vaste les -prodiges de sa jeunesse ne devait pas lui être accordée, pour le punir -d'avoir trop abusé des hommes et des choses, des corps et des âmes! - -[En marge: Nombreux points d'appui qui devaient rendre la ligne de -l'Elbe formidable.] - -[En marge: Koenigstein et Lilienstein.] - -Pour que la ligne de l'Elbe pût avoir toute sa valeur, il fallait -employer le temps de la suspension d'armes à en fortifier les points -principaux, et se hâter, soit qu'on réussît ou non à prolonger la -durée de l'armistice. Le premier point était celui de Koenigstein, à -l'endroit même où l'Elbe sort des montagnes de la Bohême pour entrer -en Saxe. (Voir la carte nº 58.) Deux rochers, ceux de Koenigstein et -de Lilienstein, placés comme deux sentinelles avancées, l'une à -gauche, l'autre à droite du fleuve, resserrent l'Elbe à son entrée -dans les plaines germaniques, et en commandent le cours fort étroit en -cette partie. Sur le rocher de Koenigstein, situé de notre côté, -c'est-à-dire sur la gauche du fleuve, se trouvait la forteresse de ce -nom, laquelle domine le célèbre camp de Pirna, illustré par les -guerres du grand Frédéric. Il n'y avait rien à ajouter aux ouvrages de -cette citadelle; seulement la garnison étant saxonne, Napoléon prit -soin de la renouveler peu à peu et sans affectation par des troupes -françaises. Il ordonna d'y rassembler dix mille quintaux de farine et -d'y construire des fours, afin de pouvoir y nourrir une centaine de -mille hommes pendant neuf ou dix jours, on va voir dans quelle -intention. Sur le rocher opposé situé à la rive droite, celui de -Lilienstein, presque tout était à créer. Napoléon commanda des travaux -rapides qui permissent d'y loger deux mille hommes en sûreté, et en -chargea le général Roguet, l'un des généraux distingués de sa garde. -Puis il fit ramasser le nombre de bateaux nécessaires pour y jeter un -pont spacieux et solide, capable de donner passage à une armée -considérable, et qui, protégé par ces deux forts de Lilienstein et de -Koenigstein, fût à l'abri de toute attaque. Dans sa profonde -prévoyance, Napoléon calculait que si une armée ennemie, réalisant les -pronostics de plus d'un esprit alarmé, débouchait de la Bohême sur ses -derrières, pour attaquer Dresde pendant qu'il serait sur Bautzen par -exemple, il pourrait passer l'Elbe à Koenigstein, et prendre à revers -cette armée imprudente. On reconnaîtra bientôt quelle vue pénétrante -de l'avenir supposait une telle précaution. - -[En marge: Dresde.] - -[En marge: État de cette place.] - -[En marge: Napoléon s'occupe de suppléer aux fortifications -détruites.] - -[En marge: Vaste établissement militaire à Dresde.] - -Après Koenigstein et Lilienstein, placés au débouché des montagnes, -venait Dresde, centre des prochaines opérations, Dresde, qui allait -devenir, comme nous l'avons déjà dit, ce que Vérone avait été dans les -guerres d'Italie. Pendant sa dernière campagne d'Autriche, ne voulant -pas exposer Dresde à être le but des opérations de l'ennemi, et -désirant épargner à son placide allié le roi de Saxe l'épreuve d'un -siége, Napoléon avait conseillé aux ministres saxons de démolir les -fortifications de Dresde, et de les remplacer par celles de Torgau. -Par une négligence trop ordinaire, on avait démoli Dresde sans édifier -Torgau, dont les ouvrages étaient à peine commencés. C'était chose -fort regrettable, mais Napoléon y pourvut par des travaux qui bien -qu'improvisés devaient suffire à leur objet. De l'enceinte de Dresde -il restait les bastions, qu'il fit réparer et armer. Il suppléa aux -courtines par des fossés remplis d'eau et par de fortes palissades. -En avant de Dresde, comme dans toutes les villes déjà anciennes, il -existait de grands faubourgs, dont la défense importait autant que -celle de la ville elle-même. Napoléon les fit envelopper de -palissades, et, en avant de toutes les parties saillantes de leur -pourtour, il ordonna de construire des redoutes bien armées, se -flanquant les unes les autres, et offrant une première ligne -d'ouvrages difficile à forcer. Sur la rive droite, c'est-à-dire dans -la Neustadt (ville neuve), il décida la construction d'une suite -d'ouvrages plus serrés, qui devinrent bientôt une vaste tête de pont -presque complétement fortifiée. Deux ponts en charpente, établis l'un -au-dessus, l'autre au-dessous du pont de pierre, servaient avec -celui-ci aux communications de la ville et de l'armée. Les choses -ainsi disposées, trente mille hommes devaient se soutenir dans Dresde -environ quinze jours contre deux cent mille hommes, si un chef de -grand caractère était chargé du commandement. À ces moyens de défense -Napoléon ajouta d'immenses magasins, dont nous ferons bientôt -connaître le mode d'approvisionnement, ainsi que de vastes hôpitaux -suffisants pour l'armée la plus nombreuse. Il y avait déjà seize mille -malades ou blessés dans Dresde; il en prépara l'évacuation, afin -d'avoir à sa disposition les seize mille lits qui deviendraient -vacants, outre tous ceux qu'il allait établir encore. Avec les toiles -de la Silésie il avait de quoi se procurer le principal matériel de -ces hôpitaux. - -[En marge: Torgau et Wittenberg: travaux ordonnés sur ces deux -points.] - -[En marge: Magdebourg.] - -[En marge: Vaste dépôt préparé à Magdebourg.] - -[En marge: Garnison mobile de cette place.] - -Après Dresde Napoléon s'occupa de Torgau et de Wittenberg. Il avait -pour principe qu'avec du bois on pouvait tout, et que des ouvrages en -terre pourvus de fortes palissades étaient capables d'opposer la plus -longue résistance. C'est ainsi qu'il résolut de suppléer à ce qui -manquait aux fortifications de Torgau et de Wittenberg, et il donna -les ordres nécessaires pour que ces travaux fussent achevés en six ou -sept semaines. Des milliers de paysans saxons bien payés travaillaient -jour et nuit à Koenigstein, à Dresde, à Torgau, à Wittenberg. Sur ces -deux derniers points comme sur les autres, l'établissement des -magasins et des hôpitaux accompagnait la construction des ouvrages -défensifs. À Magdebourg, l'une des plus fortes places de l'Europe, il -n'y avait rien ou presque rien à ajouter en fait de murailles; il -suffisait d'en terminer l'armement et d'en composer la garnison. -Napoléon résolut d'y consacrer un corps d'armée, qui sans être -entièrement immobilisé, pût tout à la fois servir de garnison et -rayonner autour de la place, de manière à lier entre elles nos deux -principales masses agissantes, celle du haut Elbe et celle du bas -Elbe. Dans cette vue, il imagina de transférer à Magdebourg la presque -totalité de ses blessés, et de plus le dépôt de cavalerie du général -Bourcier. D'abord il importait que nos blessés et le dépôt de nos -remontes en Allemagne fussent à l'abri de toute attaque, et dans un -emplacement qui ne gênât pas le mouvement de nos forces actives. Sous -ces divers rapports Magdebourg présentait tous les avantages -nécessaires, car à des remparts presque invincibles cette place -joignait de nombreux bâtiments pour hôpitaux, et des espaces libres -pour y construire des écuries en planches. Elle était en outre située -à une distance presque égale de Hambourg et de Dresde, ce qui en -faisait un dépôt précieux entre les deux points extrêmes de notre -ligne de bataille. Napoléon après y avoir nommé pour gouverneur son -aide de camp le général Lemarois, officier intelligent et vigoureux, -lui donna pour instructions sommaires _de convertir Magdebourg tout -entier en écuries et en hôpitaux_. Il calculait qu'en faisant -descendre par eau à Magdebourg tous les blessés et malades qui le -gênaient à Dresde, qu'en y transportant le dépôt de cavalerie du -général Bourcier actuellement en Hanovre, il aurait toujours sur -quinze ou dix-huit mille blessés ou convalescents, sur dix ou douze -mille cavaliers démontés, trois à quatre mille convalescents guéris, -trois à quatre mille cavaliers en état de servir à pied, et pouvant -fournir à la défense un fond de garnison de sept à huit mille hommes -constamment assuré. Dès lors un corps mobile d'une vingtaine de mille -hommes, établi à Magdebourg pour y lier entre elles nos armées du haut -et du bas Elbe, pourrait en laissant cinq à six mille hommes au -dedans, en porter quinze mille au dehors, et rayonner même à une -grande distance sans que la place fût compromise. On voit avec quel -art subtil et profond il savait combiner ses ressources, et les faire -concourir à l'accomplissement de ses vastes desseins. - -[En marge: Manière de remplir la lacune de Magdebourg à Hambourg.] - -De Magdebourg à Hambourg le cours de l'Elbe restait sans défense, car -de l'une à l'autre de ces villes il n'y avait pas un seul point -fortifié. Ce sujet avait occupé Napoléon dès le jour de la signature -de l'armistice, et après avoir conçu divers projets, il avait envoyé -le général Haxo pour vérifier sur les lieux mêmes quel était celui qui -vaudrait le mieux. À la suite d'un long examen, il s'était arrêté à -l'idée de construire à Werben, plus près de Magdebourg que de -Hambourg, au sommet du coude que l'Elbe forme en tournant du nord à -l'ouest, et à son point le plus rapproché de Berlin, une espèce de -citadelle faite avec de la terre et des palissades, munie de baraques -et de magasins, et dans laquelle trois mille hommes pourraient se -maintenir assez longtemps. Enfin Hambourg fut le dernier et le plus -important objet de sa sollicitude. - -[En marge: Travaux ordonnés à Hambourg pour assurer la défense de -cette ville importante.] - -Il fallait bien que cette grande place de commerce, qui était l'un des -principaux motifs pour lesquels il se refusait à une paix nécessaire, -fût non pas seulement défendue en paroles contre les négociateurs, -mais en fait contre les armées coalisées. Le temps manquait -malheureusement, et là comme ailleurs on ne pouvait exécuter que des -travaux d'urgence. Il eût fallu dix ans et quarante millions pour -faire de Hambourg une place qui comme Dantzig, Magdebourg ou Metz, pût -soutenir un long siége. Napoléon, en faisant relever et armer les -bastions de l'ancienne enceinte, en faisant creuser et inonder ses -fossés, remplacer ses murailles par des palissades, et lier entre -elles les différentes îles qui entourent Hambourg, y prépara un vaste -établissement militaire, moitié place forte, moitié camp retranché, où -un homme ferme, comme le prouva bientôt l'illustre maréchal Davout, -pouvait opposer une longue résistance. Restait au-dessous de Hambourg, -à l'embouchure même de l'Elbe, le fort de Gluckstadt, dont la garde -fut confiée aux Danois, réduits alors par d'indignes traitements à -vaincre ou à succomber avec nous. - -[En marge: Ensemble de la ligne de l'Elbe.] - -Ainsi des montagnes de la Bohême jusqu'à l'Océan du nord, la ligne de -l'Elbe devait se trouver jalonnée d'une suite de points fortifiés, -d'une valeur proportionnée au rôle de chacun d'eux, et pourvue de -ponts qui nous appartiendraient exclusivement, de telle sorte qu'on -pût à volonté se porter au delà, revenir en deçà, manoeuvrer en un mot -dans tous les sens, offensivement et défensivement. La maxime de -Napoléon, qu'on ne devait défendre le cours d'un fleuve -qu'offensivement, c'est-à-dire en s'assurant de tous ses passages, et -en se ménageant toujours le moyen de le franchir, cette maxime allait -recevoir ici sa plus savante application. - -[En marge: Après avoir assuré la défense de cette ligne, Napoléon -s'occupe d'en assurer l'approvisionnement.] - -Il fallait toutefois suffire à la dépense de ces travaux, qui pour -s'exécuter avec rapidité devaient être soldés comptant. Il fallait -joindre aux établissements militaires qui viennent d'être énumérés -d'immenses approvisionnements, afin que les masses d'hommes qui -allaient se mouvoir sur cette ligne y fussent pourvues de tout ce qui -leur serait nécessaire. Ici l'esprit ingénieux de Napoléon ne lui fit -pas plus défaut que son impitoyable volonté pour faire subir aux -peuples les lourdes charges de la guerre. - -[En marge: Premiers ordres rigoureux donnés à l'égard de Hambourg.] - -On a vu qu'il avait ordonné au maréchal Davout de tirer une cruelle -vengeance de la révolte des habitants de Hambourg, de Lubeck et de -Brême, de faire fusiller immédiatement les anciens sénateurs, les -officiers ou soldats de la légion anséatique, les fonctionnaires de -l'insurrection qui n'auraient pas eu le temps de s'évader, et puis de -dresser une liste des cinq cents principaux négociants pour prendre -leurs biens, et _déplacer la propriété_, avait-il dit. Il avait compté -en donnant ces ordres sur l'inexorable rigueur du maréchal Davout, -mais aussi, pour l'honneur de tous deux, sur le bon sens et la probité -de ce maréchal. Celui-ci était arrivé quelques jours après le général -Vandamme, n'avait pas trouvé un seul délinquant à fusiller, et s'y -était pris du reste de manière à n'en trouver aucun. La frontière du -Danemark placée aux portes mêmes de la ville, l'avait aidé à sauver -tout le monde. Quelques exécutions regrettables avaient eu lieu -antérieurement, mais c'était lors du premier mouvement insurrectionnel -du mois de février, et en punition des indignes traitements exercés -contre les fonctionnaires français. - -[En marge: Ces ordres convertis en punitions pécuniaires.] - -Le maréchal fut donc assez heureux pour n'avoir personne à fusiller. -Il restait à dresser des listes de proscription, qui n'entraîneraient -pas la perte de la vie, mais celle des biens, et cette mesure ne lui -semblait pas plus sage que l'autre. Les Hambourgeois coupables, ou -supposés tels, étaient en masse dans la petite ville d'Altona, -véritable faubourg de la ville de Hambourg, demandant à revenir dans -leurs demeures, à charge au Danemark qui ne voulait pas être compromis -avec la France, et faisant faute à celle-ci, qui désirait et pouvait -tirer d'eux de grandes ressources, ce qui était plus profitable que -d'en tirer des vengeances. Le maréchal Davout représenta à Napoléon -qu'il valait mieux pardonner à ceux qui rentreraient dans un temps -prochain, leur imposer pour unique châtiment une forte contribution, -qu'ils se diraient d'abord incapables de payer, qu'ils payeraient -ensuite, se borner ainsi à leur faire peur, et les punir par un côté -très-sensible pour eux, très-utile pour l'armée, l'argent. Pas de sang -et de grandes ressources, fut le résumé de la politique qu'il -conseilla à l'Empereur. - -[En marge: Contribution de cinquante millions frappée sur les -Hambourgeois, et acquittable en argent ou en matières.] - -Napoléon qui avait le goût des grandes ressources et pas du tout celui -du sang, accepta cette transaction.--_Si le lendemain de votre -entrée_, écrivit-il au maréchal Davout, _vous en eussiez fait fusiller -quelques-uns, c'eût été bien, maintenant c'est trop tard. Les -punitions pécuniaires valent mieux_.--C'est ainsi que le despotisme et -la guerre habituent les hommes à parler, même ceux qui n'ont aucune -cruauté dans le coeur. Il fut donc décidé que tout Hambourgeois rentré -dans quinze jours serait pardonné, que les autres seraient frappés de -séquestre, et que la ville de Hambourg acquitterait en argent ou en -matières une contribution de cinquante millions. Une petite partie de -cette contribution dut peser sur Lubeck, Brême, et les campagnes de la -32e division militaire. Dix millions durent être soldés comptant, -vingt en bons à échéance. Quant au surplus, il fut ouvert un compte -pour payer les chevaux, les blés, les riz, les vins, les viandes -salées, le bétail, les bois, qu'on allait exiger de Hambourg, de -Lubeck et de Brême. Sur le même compte devait être porté le prix de -toutes les maisons qu'on allait démolir pour élever les ouvrages -défensifs de Hambourg. Les Hambourgeois se plaignirent beaucoup, -voulurent présenter leurs doléances à Napoléon, qui refusa de les -recevoir, et cette fois trouvèrent inflexible le maréchal qu'ils -avaient eu pour défenseur quelques jours auparavant. Ils acquittèrent -néanmoins la partie de la contribution qui devait être soldée -sur-le-champ, soit en argent, soit en matières. C'était ce qui -importait le plus aux besoins de l'armée. Dix millions environ furent -envoyés à Dresde; de grandes quantités de grains, de bétail, de -spiritueux furent embarqués sur l'Elbe pour le remonter. - -[En marge: Immenses approvisionnements remontant de Hambourg sur tous -les points fortifiés de l'Elbe.] - -Dès que Napoléon se vit en possession de ces ressources, il en disposa -de manière à se procurer sur tous les points du fleuve et -particulièrement à Dresde, de quoi nourrir les nombreuses troupes -qu'il allait y concentrer. Il voulait avoir à Dresde, centre principal -de ses opérations, de quoi entretenir trois cent mille hommes pendant -deux mois, et notamment une suffisante réserve de biscuit, laquelle -portée sur le dos des soldats permettrait de manoeuvrer sept ou huit -jours de suite sans être retenu par la considération des vivres. Il -fallait pour cela cent mille quintaux de grains ou de farine à Dresde, -huit ou dix mille à Koenigstein. Il s'en trouvait environ soixante-dix -mille à Magdebourg, qu'on avait mis tout l'hiver à réunir dans cette -place, soit pour l'approvisionnement de siége, soit pour suffire à -l'entretien des troupes de passage. Napoléon ordonna que ces -soixante-dix mille quintaux fussent transportés par l'Elbe à Dresde, -et remplacés immédiatement par une quantité égale tirée de Hambourg. -Grâce à cette combinaison, ces masses immenses de denrées n'avaient -que la moitié du chemin à parcourir. On s'était aperçu que la chaleur -et la fatigue donnaient la dyssenterie à nos jeunes soldats, et -qu'une ration de riz les guérissait très-vite. On s'empara de tout ce -qu'il y avait de riz à Hambourg, à Brême, à Lubeck; on prit de même -les spiritueux, les viandes salées, le bétail, les chevaux, les cuirs, -les draps, les toiles. Ces matières furent embarquées sur l'Elbe, en -suivant le procédé que nous venons d'indiquer, de prendre à Magdebourg -ce qui s'y trouvait déjà, et de le remplacer par des envois de -Hambourg. Tous les bateliers du fleuve requis et payés avec des bons -sur Hambourg, furent mis en mouvement dès les premiers jours de juin, -dans le moment même où sous prétexte de fatigue, Napoléon refusait de -recevoir M. de Bubna. Ainsi dans les mains de Napoléon l'Elbe était -tout à la fois une puissante ligne de défense, et une source -inépuisable d'approvisionnements. - -[En marge: Autres approvisionnements tirés de la Silésie et de la -Saxe.] - -Mais il ne borna pas ses précautions à cette ligne seule. Au delà de -Dresde à Liegnitz, et en deçà de Dresde à Erfurt, il voulait avoir -aussi des magasins bien fournis. Profitant de la richesse de la basse -Silésie, sur laquelle était campée l'armée qui avait combattu à -Bautzen, et n'ayant guère à ménager cette province, il ordonna qu'on -employât les deux mois de l'armistice à réunir une réserve de vingt -jours de vivres pour chaque corps, en confectionnant tous les jours -beaucoup plus que le nécessaire. En arrière de Dresde, à Erfurt, à -Weimar, à Leipzig, à Nuremberg, à Wurzbourg, pays saxons ou -franconiens, il était chez des alliés, et il n'usa de l'abondance du -pays qu'en payant ce qu'il prenait. Il y ordonna la formation à prix -d'argent de très-grands approvisionnements. Toutefois il s'écarta de -ces ménagements à l'égard de la ville de Leipzig, qui s'était montrée -ouvertement hostile. Il prit les tissus de toile et de laine, les -grains, les spiritueux, dont les magasins de Leipzig étaient -abondamment pourvus, et de plus fit occuper les établissements publics -pour y créer des hôpitaux. Il y joignit la menace de faire brûler la -ville au premier mouvement insurrectionnel. Les villes d'Erfurt, de -Naumbourg, de Weimar, de Wurzbourg, furent également remplies -d'hôpitaux. Erfurt dont il s'était toujours réservé la possession -depuis 1809, Wurzbourg, qui était la capitale du grand-duché de -Wurzbourg, places qui l'une et l'autre étaient susceptibles d'une -certaine résistance, furent armées, afin d'avoir une suite de points -fortifiés sur la route de Mayence, si des événements qu'on ne -prévoyait pas alors rendaient une retraite nécessaire, car, ainsi que -nous l'avons déjà fait remarquer, Napoléon, qui, dans ses calculs -politiques ne voulait jamais admettre la possibilité des revers, -l'admettait toujours dans ses calculs militaires. Enfin ne pouvant -trouver qu'en France les armes, les munitions de guerre, et certains -objets d'équipement, tandis que les vivres il les trouvait partout, il -conclut avec des compagnies allemandes, des marchés, soldés comptant, -pour transporter de Mayence à Dresde, par les trois routes de Cassel, -d'Eisenach et de Hof, les objets d'armement et d'équipement qu'il -était impossible de se procurer en Saxe. - -Telles furent les mesures imaginées par Napoléon pour qu'à la reprise -des opérations sa ligne de bataille fût tout à la fois fortement -défendue, et largement approvisionnée. Restait un dernier soin à -prendre, celui de proportionner le nombre des soldats à l'étendue que -la guerre allait acquérir, et Napoléon ne l'avait pas négligé, car -dans son vaste esprit toutes les mesures allaient ensemble, sans -attendre que l'une fît naître la pensée de l'autre. Toutes étaient -conçues simultanément, avec un accord parfait, et ordonnées sans perte -d'une heure. - -On a déjà vu qu'en se flattant de l'idée que l'Autriche accéderait -peut-être à ses plans, il avait pourtant pris ses mesures dans une -hypothèse contraire, et qu'il avait préparé en Westphalie, sur le -Rhin, en Italie, trois armées de réserve capables d'entrer -prochainement en ligne. Les deux mois de l'armistice, qu'il voulait -étendre à trois mois, étaient destinés à terminer vers le commencement -d'août cette oeuvre commencée en mars. - -[En marge: Nouveaux corps d'armée préparés dans la supposition de la -guerre avec l'Autriche.] - -[En marge: Corps du maréchal Victor.] - -En Westphalie c'étaient, comme nous l'avons dit, les régiments -réorganisés de la grande armée de Russie qui devaient composer deux -grands corps sous les maréchaux Victor et Davout, celui-ci de seize -régiments, celui-là de douze. Les autres régiments de la grande armée -avaient été renvoyés en Italie d'où ils étaient originaires. Les -bataillons de chaque régiment ne pouvant être réorganisés tous à la -fois, on avait d'abord reconstitué les seconds bataillons, puis les -quatrièmes, enfin les premiers, selon l'époque du retour des cadres, -et on avait successivement composé les divisions de seconds, de -quatrièmes et de premiers bataillons, de manière que chaque régiment -était réparti en trois divisions. Napoléon pressé de faire cesser un -état de choses vicieux, voulut réunir les trois bataillons déjà prêts, -et former les divisions par régiments, non plus par bataillons. Il ne -manquait que les troisièmes bataillons, qui allaient être bientôt -disponibles à leur tour, et alors tous les régiments devaient être -portés à quatre bataillons. Le maréchal Davout forma avec les siens -quatre belles divisions, et le maréchal Victor trois. Tandis que ces -organisations s'achevaient, Napoléon arrêta l'emplacement et l'emploi -de ces deux corps d'armée. Celui du maréchal Victor resté en arrière -jusqu'ici, fut acheminé sur la ligne frontière de l'armistice, et -cantonné le long de l'Oder, aux environs de Crossen, pour achever de -s'y instruire, et pour s'y approvisionner conformément aux -prescriptions adressées à tous les autres corps. - -[En marge: Corps du général Vandamme.] - -Napoléon pensant que pour garder les départements anséatiques et le -bas Elbe, le maréchal Davout, renforcé par les Danois, aurait trop de -quatre divisions, car d'après toutes les vraisemblances les grands -coups devaient se porter sur l'Elbe supérieur, imagina de partager le -corps de ce maréchal, de lui laisser deux divisions, d'en confier deux -au général Vandamme, et de placer celles-ci à Wittenberg, d'où il -pourrait les attirer à lui, s'il en avait besoin, ou les renvoyer sur -le bas Elbe, si elles devenaient nécessaires au maréchal Davout. - -[En marge: Corps du maréchal Saint-Cyr.] - -[En marge: Corps du maréchal Augereau.] - -Les autres corps destinés à renforcer la masse des troupes actives -s'organisaient à Mayence. Là, comme on doit s'en souvenir, se -rendaient les cadres tirés de France ou d'Espagne, qu'on remplissait -sur les bords du Rhin de conscrits rapidement instruits, et qu'on -réunissait ensuite dès qu'on avait pu se procurer deux bataillons du -même régiment, afin d'éviter autant que possible la formation vicieuse -en régiments provisoires. Il y avait à Mayence quatre divisions dont -l'organisation était presque achevée, et qui dans deux mois seraient -en aussi bon état qu'on pouvait l'espérer dans la situation des -choses. Napoléon les destinait au maréchal Saint-Cyr, blessé en 1812 -sur la Dwina, mais actuellement remis de ses fatigues et de sa -blessure. C'étaient par conséquent trois corps d'armée, ceux du -maréchal Victor, du général Vandamme, du maréchal Saint-Cyr, -comprenant environ 80 mille hommes d'infanterie, sans les armes -spéciales, dont Napoléon allait accroître ses forces en Saxe contre -l'apparition éventuelle de l'Autriche sur le théâtre de la guerre. Ce -puissant renfort était indépendant de l'augmentation que devaient -recevoir les corps avec lesquels il avait ouvert la campagne. Outre -les quatre divisions déjà prêtes à Mayence, Napoléon avait encore -rassemblé les éléments de deux autres, qui allaient se former sous le -maréchal Augereau, et être rejointes par deux divisions bavaroises. La -cour de Bavière un moment attirée, comme la Saxe, à la politique -médiatrice de l'Autriche, s'était subitement rejetée en arrière, dès -qu'on lui avait demandé sur les bords de l'Inn des sacrifices sans -compensation. Elle s'était hâtée de renouveler ses armements, et on -pouvait compter de sa part sur deux bonnes divisions, à la condition -toutefois que la victoire viendrait contenir l'esprit de son peuple, -et encourager la fidélité de son roi. Ces quatre divisions, deux -françaises et deux bavaroises, devaient menacer l'Autriche vers le -haut Palatinat. - -[En marge: Armée d'Italie.] - -Enfin Napoléon avait suivi avec son attention accoutumée l'exécution -des ordres donnés au prince Eugène, pour qu'avec les cadres revenus de -Russie, avec ceux qui revenaient chaque jour d'Espagne, on refît en -Italie une armée de soixante mille hommes, à laquelle il voulait -joindre vingt mille Napolitains. Murat, toujours flottant entre les -sentiments les plus contraires, blessé par les traitements de -Napoléon, mais voulant avant tout sauver sa couronne, ne sachant avec -qui elle serait sauvée plus sûrement, ou avec l'Autriche, ou avec la -France, faisait encore attendre l'envoi de son contingent. Napoléon à -peine rentré à Dresde l'avait sommé de se décider, et avait enjoint à -M. Durand de Mareuil, ministre de France à Naples, de se retirer si -les ordres de marche n'étaient donnés immédiatement au corps -napolitain. Il restait dans les dépôts de quoi fournir six à sept -mille hommes de cavalerie légère à la future armée d'Italie, ce qui -suffisait dans cette contrée, où la cavalerie, trouvant peu l'occasion -de charger en ligne, n'était qu'un moyen de s'éclairer. Les arsenaux -et les dépôts d'Italie contenaient encore les éléments d'une belle -artillerie. Napoléon se flattait donc d'avoir en Italie au 1er août -une armée de 80 mille hommes, pourvue de 200 bouches à feu, menaçant -d'envahir l'Autriche par l'Illyrie, et ayant pour but Vienne -elle-même. Il calculait que l'Autriche, eût-elle armé trois cent mille -hommes, ce qui était beaucoup dans l'état de ses finances et avec le -temps dont elle disposait, n'en pourrait pas tirer plus de deux cent -mille combattants présents au feu, dont il faudrait qu'elle détournât -cinquante mille pour tenir tête au prince Eugène en Italie, trente -mille pour faire face au maréchal Augereau en Bavière, ce qui ne lui -laisserait pas plus de cent vingt mille hommes à ajouter à la masse -des troupes coalisées sur l'Elbe. - -[En marge: Corps du prince Poniatowski, amené par la Bohême en -Silésie.] - -Les trois corps de Victor, de Vandamme, de Saint-Cyr (sans compter -celui d'Augereau, qui n'était pas destiné à agir sur l'Elbe), lui -semblaient déjà une ressource presque suffisante contre l'apparition -de l'Autriche sur le terrain de cette lutte formidable. Mais le corps -de Poniatowski, après bien des vicissitudes, amené à travers la -Gallicie et la Bohême à Zittau, sur la ligne où campaient nos corps de -Silésie, était une nouvelle ressource d'une véritable importance, bien -moins par la quantité que par la qualité des soldats. Il n'y en avait -pas de plus braves, de plus aguerris, de plus dévoués à la France. De -leur patrie, il ne leur restait que le souvenir, et le désir de la -venger. Napoléon résolut de leur en donner une, en les faisant -Français, et en les prenant au service de la France. En attendant leur -annexion définitive à l'armée française, il les plaça sous -l'administration directe de M. de Bassano, et prescrivit à ce ministre -de leur payer leur solde arriérée, de les pourvoir de vêtements, -d'armes, de tout ce qui leur manquait, de leur faire en un mot passer -ces deux mois dans une véritable abondance. Ils pouvaient, en -recueillant quelques débris de troupes polonaises épars çà et là, mais -sans toucher ni à la division Dombrowski, ni à divers détachements de -leur nation répandus dans les places, réunir environ douze mille -hommes d'infanterie et trois mille de cavalerie. C'était une nouvelle -force ajoutée à celles qui avaient combattu à Lutzen et à Bautzen. - -[En marge: L'organisation de la garde complétée.] - -Enfin, au nombre des ressources créées pour la campagne d'automne, et -pour l'éventualité de la guerre avec l'Autriche, il fallait compter le -développement donné à la garde impériale. Elle n'avait eu que deux -divisions à l'entrée en campagne, une de vieille, l'autre de jeune -garde. Une troisième division avait rejoint au moment de l'armistice, -une quatrième venait d'arriver, une cinquième était en marche, ce qui -avec douze mille hommes de cavalerie et deux cents bouches à feu, -devait composer un corps de près de cinquante mille hommes, dont -trente mille de jeune infanterie, que Napoléon entendait ne pas -ménager comme la vieille garde, mais employer dans toutes les grandes -batailles, qui malheureusement allaient être nombreuses et sanglantes. - -[En marge: La cavalerie de l'armée portée à une force suffisante.] - -[En marge: Nouveaux cadres de cavalerie tirés d'Espagne.] - -Restait la cavalerie, qui avait manqué au commencement de la campagne, -et qui avait été l'un des motifs de Napoléon pour signer l'armistice. -Une cavalerie insuffisante équivaut à peu près à une cavalerie nulle, -car elle n'ose pas s'engager de peur d'être accablée, et demeure -cachée derrière l'infanterie qu'elle ne sert pas même à éclairer. -C'est ce qu'on avait vu à Lutzen et à Bautzen. Les deux corps de -Latour-Maubourg et de Sébastiani ne montaient pas au 1er juin à plus -de huit mille cavaliers. On pouvait en tirer quatre mille des dépôts -du général Bourcier, et environ vingt-huit mille de France, les uns -amenés par le duc de Plaisance, les autres en marche sous le duc de -Padoue, ce qui devait porter à quarante mille hommes les forces de -l'armée d'Allemagne en troupes à cheval, sans compter la cavalerie de -la garde impériale et des alliés, Saxons, Wurtembergeois et Bavarois. -Seulement dans les vingt-huit mille cavaliers tirés de France, il y en -avait quelques mille venant à pied, et auxquels il fallait fournir des -chevaux. Les troubles survenus sur la gauche de l'Elbe par suite de -l'insurrection des villes anséatiques, avaient singulièrement nui aux -remontes. Napoléon ordonna de les reprendre, et fit insérer sur cet -objet un article dans le traité d'alliance par lequel le Danemark -s'était définitivement rattaché à la France. Par ce traité la France -promettait d'entretenir toujours vingt mille hommes de troupes actives -à Hambourg, afin de concourir à la défense des provinces danoises, et -le Danemark s'engageait en retour à fournir à la France dix mille -hommes d'infanterie, deux mille de cavalerie, les uns et les autres -soldés par le trésor français, et à procurer dix mille chevaux à -condition qu'ils seraient payés comptant. C'était, indépendamment des -achats recommencés en Hanovre, une nouvelle ressource pour monter les -cavaliers qui venaient de France à pied. On avait donc la presque -certitude de réunir sous deux ou trois mois près de quarante mille -cavaliers de toutes armes, non compris dix à douze mille de la garde, -et huit à dix mille des alliés, ce qui devait composer une force -totale de soixante mille hommes à cheval. Napoléon attribua deux mille -hommes environ de cavalerie légère ou de ligne à chaque corps d'armée -pour s'éclairer. Le reste il le forma suivant son usage en divers -corps de réserve, destinés à combattre en ligne. Les généraux -Latour-Maubourg et Sébastiani en commandaient déjà deux, qui avaient -fait la campagne du printemps. Le duc de Padoue commandait le -troisième, qui venait d'arriver et était occupé à châtier les -Cosaques. Le comte de Valmy, fils du vieux duc de Valmy, fut placé à -la tête du quatrième. Napoléon en voulut créer un cinquième avec des -régiments nouvellement tirés d'Espagne. Depuis qu'il avait donné -l'ordre d'évacuer Madrid, et de concentrer toutes les forces -françaises dans le nord de la Péninsule, la cavalerie qui avait eu -pour mission principale de lier entre eux les divers corps -d'occupation, était beaucoup moins nécessaire. Il y avait encore -trente-six régiments de cavalerie dans la Péninsule, dont vingt de -dragons, onze de chasseurs, cinq de hussards. Napoléon crut que -c'était assez de vingt, surtout en ne prenant que les cadres, et en -laissant la plus grande partie des hommes en Espagne. Il ordonna donc -le départ de dix régiments de dragons, quatre de chasseurs, deux de -hussards. Il en destina deux à l'Italie, quatorze à l'Allemagne, et -recommanda de transporter tout de suite ces cadres à Mayence, où ils -allaient se remplir de sujets empruntés aux dernières conscriptions et -déjà passablement instruits. Les chevaux requis en France, et payés -comptant, devaient servir à les monter. Napoléon se promettait encore -quatorze ou quinze mille cavaliers, provenant de cette origine, et -enfermés tous dans des cadres excellents. C'était un dernier -supplément qui à l'automne devait porter à soixante-quinze mille -hommes au moins le total de sa cavalerie. À ces préparatifs pour -l'infanterie et la cavalerie, Napoléon ajouta ceux qui concernaient -l'artillerie, et il fit ses dispositions pour qu'elle pût mettre en -mouvement mille bouches à feu de campagne. - -[En marge: Totalité des forces dont Napoléon se flattait de disposer -pour soutenir la guerre contre l'Europe entière.] - -Ainsi établi sur la ligne de l'Elbe, qu'il avait rendue formidable par -les appuis qu'il s'y était ménagés, Napoléon se flattait d'avoir sans -les garnisons 400 mille combattants, plus 20 mille en Bavière et 80 -mille en Italie, ce qui porterait la totalité de ses ressources à 500 -mille hommes de troupes actives, et à 700 mille en y comprenant les -non présents sous les armes. C'était pour atteindre à ces nombres -énormes, suffisants dans sa puissante main pour battre la coalition -même accrue de l'Autriche, qu'il avait consenti à un armistice qui -donnait aux coalisés le temps d'échapper à ses poursuites, et -malheureusement aussi celui d'augmenter considérablement leurs forces. -La question était de savoir si en fait de création de ressources, le -temps profiterait aux coalisés autant qu'à Napoléon. Les coalisés, il -est vrai, n'avaient pas son génie, et c'est sur quoi il fondait ses -espérances, mais ils avaient la passion, seule chose qui puisse -suppléer au génie, surtout quand elle est ardente et sincère. -Napoléon, ne tenant guère compte de la passion, avait supposé que le -temps lui servirait plus qu'à ses ennemis, et c'est dans cet espoir -qu'il mettait tant d'art à le bien employer en fait de préparatifs -militaires, et à le perdre en fait de négociations. - -[En marge: Effet produit par la réponse de Napoléon sur l'empereur -François et sur M. de Metternich.] - -[En marge: M. de Metternich se rend à Oppontschna auprès des -souverains coalisés.] - -La réponse envoyée à M. de Metternich le 15 juin avait été -interprétée comme elle devait l'être, et l'habile ministre autrichien -avait parfaitement compris que lorsque sur quarante jours restant pour -négocier la paix générale, on en perdait d'abord cinq pour répondre à -la note constitutive de la médiation, indépendamment de ceux qu'on -allait perdre encore pour résoudre les questions de forme, il fallait -en conclure qu'on était peu pressé d'arriver à une solution pacifique. -Il se pouvait, à la vérité, que Napoléon ne voulût dire sa véritable -pensée que dans les derniers moments; il se pouvait aussi que dans les -difficultés qu'il avait soulevées, il y en eût quelqu'une qui lui tînt -sérieusement à coeur, et par ces considérations M. de Metternich ne -désespérait pas complétement de la paix, soit aux conditions proposées -par l'Autriche, soit à des conditions qui s'en approcheraient. Dans -l'un et l'autre cas, il avait pensé qu'il fallait à son tour attendre -Napoléon, en employant toutefois un moyen de le stimuler. Les deux -souverains de Prusse et de Russie insistaient vivement pour voir -l'empereur François, dans l'espérance de l'attacher définitivement à -ce qu'ils appelaient la cause européenne. Mais l'empereur François, -croyant devoir à sa qualité de père et de médiateur, d'observer une -extrême réserve à l'égard de deux souverains devenus ennemis -implacables de la France, ne voulait pas, tant qu'il n'aurait pas été -contraint à nous déclarer la guerre, s'aboucher avec eux. Les mêmes -raisons de réserve n'existaient pas pour M. de Metternich, et ce -ministre s'était rendu à Oppontschna afin de conférer avec les deux -monarques coalisés. Son intention était de profiter de cette occasion -pour les amener à ses idées, chose plus facile sans doute que d'y -amener Napoléon, mais difficile aussi, et exigeant bien des soins et -des efforts, car ils voulaient la guerre tout de suite, à tout prix, -et jusqu'au renversement de Napoléon, ce qui n'était pas encore, du -moins alors, le point de vue de l'Autriche. M. de Metternich était -donc parti ostensiblement, certain que lorsque Napoléon le saurait en -conférence avec les deux souverains, il en éprouverait une vive -jalousie, et au lieu de lui refuser de venir à Dresde, lui en -adresserait la pressante invitation. Cette vue, bientôt confirmée par -l'événement, avait paru aussi fine que juste à l'empereur François, -qui par ce motif avait approuvé le voyage de M. de Metternich à -Oppontschna. - -[En marge: Traité de subsides entre l'Angleterre et les puissances -coalisées.] - -[En marge: Condition imposée par ce traité de ne pas faire la paix -sans l'Angleterre.] - -Tandis que ce ministre était en route pour s'y rendre, la Prusse et la -Russie venaient de se lier par un traité de subsides avec -l'Angleterre. Par ce traité, conclu le 15 juin et revêtu de la -signature de lord Cathcart, de M. de Nesselrode et de M. de -Hardenberg, l'Angleterre s'engageait à fournir immédiatement 2 -millions sterling à la Russie et à la Prusse, et à prendre à sa charge -la moitié d'une émission de papier-monnaie, intitulé _papier -fédératif_, et destiné à circuler dans tous les États alliés. La somme -émise devait être de 5 millions sterling. C'étaient donc 4 millions -1/2 sterling (112 millions 500 mille francs) que l'Angleterre -fournissait aux deux puissances, à condition qu'elles tiendraient sur -pied, en troupes actives, la Russie 160 mille hommes, la Prusse 80 -mille, qu'elles feraient à l'ennemi commun de l'Europe une guerre à -outrance, et qu'elles ne traiteraient pas sans l'Angleterre, ou du -moins sans se concerter avec elle. Les souverains de Russie et de -Prusse ayant informé lord Cathcart qu'ils étaient sommés d'accepter la -médiation de l'Autriche, et qu'ils y étaient disposés, sauf les -conditions de paix qui seraient déterminées d'accord avec le cabinet -britannique, lord Cathcart n'avait pas vu là une infraction au traité -de subsides, et il avait reconnu lui-même qu'il fallait se prêter à -tous les désirs de l'Autriche, car probablement les conditions que -cette puissance regardait comme indispensables ne seraient pas admises -par Napoléon, et l'on entraînerait ainsi cette puissance à la guerre -par la voie toute pacifique de la médiation. - -[En marge: Efforts des souverains et de leurs ministres pour décider -M. de Metternich en faveur de la coalition.] - -[En marge: Raisons qu'ils font valoir auprès de M. de Metternich.] - -[En marge: Manière de penser de l'Autriche en ce moment.] - -[En marge: Résolutions formelles exprimées par M. de Metternich.] - -M. de Metternich arrivé à Oppontschna avait été accablé de caresses et -de sollicitations par les souverains et leurs ministres. Les uns et -les autres, pour le décider, disaient leurs forces immenses, -irrésistibles même si l'Autriche se joignait à eux, et dans ce cas -Napoléon perdu, l'Europe sauvée. Ils disaient encore la paix -impossible avec lui, car évidemment il ne la voulait pas, et en outre -peu sûre, car si on laissait échapper l'occasion de l'accabler pendant -qu'il était affaibli, il reprendrait les armes dès qu'il aurait -recouvré ses forces, et la lutte avec lui serait éternelle. Ces points -de vue n'étaient pas, ne pouvaient pas être ceux de l'Autriche. Cette -puissance n'était pas comme la Russie enivrée du rôle de libératrice -de l'Europe, comme la Prusse réduite à vaincre ou à périr, comme -l'Angleterre à l'abri de toutes les conséquences d'une guerre -malheureuse; elle avait de plus des liens avec Napoléon, que la -décence, et chez l'empereur François l'affection pour sa fille, ne -permettaient pas de rompre sans les plus graves motifs. Elle rêvait -d'ailleurs la possibilité de rétablir l'indépendance de l'Europe sans -une guerre qu'elle regardait comme pleine de périls, même contre -Napoléon affaibli. Elle était donc d'avis que si on pouvait conclure -une paix avantageuse et qui offrît des sûretés, il fallait en saisir -l'occasion, et ne pas tout compromettre pour vouloir tout regagner -d'un seul coup. Si par exemple Napoléon renonçait à sa chimère -polonaise (c'est ainsi qu'on qualifiait le grand-duché de Varsovie), -s'il consentait à reconstituer la Prusse, à rendre à l'Allemagne son -indépendance par l'abolition de la Confédération du Rhin, à lui rendre -son commerce par la restitution des villes anséatiques, il valait -mieux accepter cette paix que s'exposer aux dangers d'une guerre -formidable, qui à côté de bonnes chances en présentait d'effrayantes. -Si l'Angleterre n'inclinait pas vers cette manière de penser, il -fallait l'y amener forcément, en lui signifiant qu'on la laisserait -seule. Pour elle d'ailleurs le point le plus important était obtenu, -car il était facile de voir que Napoléon allait renoncer à l'Espagne, -puisqu'il admettait au congrès les représentants de l'insurrection de -Cadix, ce qu'il n'avait jamais accordé. Il fallait donc imposer la -paix à l'Angleterre comme à Napoléon, car cette paix était un besoin -urgent pour le monde entier, et on avait le moyen de l'obtenir, en -menaçant l'Angleterre de traiter sans elle, et Napoléon de l'accabler -sous les forces réunies de l'Europe. Telles étaient les idées de -l'Autriche, que les deux souverains de Prusse et de Russie, dominés -par les passions du moment, étaient loin de partager. Ils auraient -voulu une paix beaucoup plus rigoureuse pour la France, et par exemple -la Westphalie, la Hollande ne leur semblaient pas devoir être -concédées à Napoléon. Ils parlaient de lui ôter une partie au moins de -l'Italie, pour la rendre à l'Autriche, qui n'avait pas besoin qu'on -éveillât en elle ce genre d'appétit, mais chez laquelle la prudence -faisait taire l'ambition. M. de Metternich, tout en trouvant ces voeux -fort légitimes, avait déclaré que l'Autriche, dans l'espoir d'une -conclusion pacifique, se bornerait à demander l'abandon du duché de -Varsovie, la reconstitution de la Prusse, l'abolition de la -Confédération du Rhin, la restitution des villes anséatiques, et ne -ferait la guerre que si ces conditions étaient refusées par la France. -On lui avait répondu qu'elles le seraient inévitablement, à quoi le -ministre autrichien avait facilement répliqué que si elles étaient -refusées, alors son maître pourrait honorablement devenir membre de -l'alliance, et le deviendrait résolûment. - -[En marge: Les monarques coalisés adhèrent aux vues de l'Autriche, -convaincus que, par la faute de Napoléon, elle sera bientôt ramenée -vers eux.] - -Il suffisait que l'Autriche posât des conditions d'une manière -formelle, pour qu'on fût obligé de les admettre, car sans elle la -guerre à Napoléon ne présentait aucune chance. Dictant la loi à la -Prusse et à la Russie, elle la dictait par suite à l'Angleterre, qui -bientôt se verrait contrainte de traiter si le continent finissait -lui-même par traiter. On devait donc subir les volontés de l'Autriche, -mais on les subissait sans répugnance, car on était convaincu que les -conditions par elle imaginées seraient rejetées par Napoléon, et on -croyait en lui cédant la tenir bien plus qu'être tenu par elle. Le -résultat de ces conférences avait été qu'on accepterait la médiation -autrichienne, qu'on s'aboucherait avec Napoléon par l'intermédiaire de -l'Autriche, que celle-ci lui proposerait les conditions précitées, -qu'elle ne lui déclarerait la guerre qu'en cas de refus, que jusque-là -elle demeurerait neutre, que relativement à l'Angleterre, en -l'informant de cette situation, on ajournerait la paix avec elle pour -simplifier la question: toutefois l'opinion était que la paix -continentale devait entraîner prochainement et inévitablement la paix -maritime. - -[En marge: Retour de M. de Metternich à Gitschin.] - -[En marge: Il y trouve l'invitation de se rendre à Dresde.] - -Ces bases adoptées, M. de Metternich était revenu à Gitschin, auprès -de son maître, et avait trouvé en y arrivant sa prévoyance -parfaitement justifiée. En effet Napoléon, inquiet de ce qui se -passait en Bohême, sachant que les allées et venues étaient -continuelles entre Gitschin, résidence de son beau-père, et -Reichenbach, quartier général des coalisés, sachant même que M. de -Metternich avait dû voir les deux souverains de Russie et de Prusse à -Oppontschna, n'avait pas pensé qu'il fallût pousser l'application à -perdre son temps, jusqu'à rester étranger à tout ce qui se tramait -entre les puissances, et peut-être jusqu'à laisser nouer à côté de lui -une coalition redoutable, dont il pourrait prévenir la formation en -intervenant à propos. En voyant M. de Metternich, avec lequel il avait -fort la coutume de s'entretenir, il se flattait au moins de pénétrer -les desseins de la coalition, ce qui pour lui n'était pas de médiocre -importance, et surtout de se ménager une nouvelle prolongation -d'armistice, seul résultat auquel il tînt beaucoup, car pour la paix -il n'y tenait nullement aux conditions proposées. En conséquence il -avait fait dire par M. de Bassano à M. de Bubna qu'il recevrait -volontiers M. de Metternich à Dresde, et qu'il croyait même sa -présence devenue nécessaire pour l'entier éclaircissement des -questions qu'il s'agissait de résoudre. M. de Bubna avait sur-le-champ -écrit à Gitschin, et c'est ainsi que M. de Metternich, en revenant de -son entrevue avec Alexandre et Frédéric-Guillaume, avait trouvé -l'invitation de se rendre à Dresde auprès de Napoléon. Comme c'était -justement ce que lui et l'empereur François désiraient, il n'y avait -pas à hésiter sur l'acceptation du rendez-vous offert, et M. de -Metternich s'était décidé à se mettre de nouveau en route. Au moment -de son départ, l'empereur François lui avait remis une lettre pour son -gendre, dans laquelle il donnait pouvoir à son ministre des affaires -étrangères de signer tous articles relatifs à la modification du -traité d'alliance, et à l'acceptation de la médiation autrichienne. -Dans cette lettre, il pressait de nouveau Napoléon de se résoudre à la -paix, qui était, disait-il, la plus belle et l'unique gloire qui lui -restât à conquérir. - -[En marge: Arrivée de M. de Metternich à Dresde; premier entretien de -ce ministre avec M. de Bassano.] - -[En marge: Célèbre entrevue de M. de Metternich avec Napoléon, le 28 -juin 1813.] - -[En marge: Dispositions de Napoléon.] - -[En marge: Thème de convention, tendant à imputer les pertes de temps -à l'Autriche.] - -[En marge: Plaintes amères contre l'Autriche.] - -[En marge: Défi jeté à M. de Metternich.] - -M. de Metternich arriva le 25 juin à Dresde, et le lendemain 26 eut -une première entrevue avec M. de Bassano, car ostensiblement c'était -avec ce ministre qu'il devait négocier. Ils employèrent environ deux -jours à de vaines chicanes sur le traité d'alliance, qui existait -toujours et pourtant devait rester suspendu, sur la manière de -concilier le rôle de médiateur et celui d'allié, sur la forme de la -médiation, sur la prétention du médiateur d'être le seul -intermédiaire des puissances belligérantes. Fidèle à son système de -gagner du temps, Napoléon avait ainsi gagné deux jours; mais M. de -Metternich n'était pas venu pour s'aboucher uniquement avec un -ministre sans influence, et il avait d'ailleurs à remettre une lettre -de l'empereur François à l'empereur Napoléon; il fallait donc qu'il le -vît, et sans de plus longs retards. Napoléon, de son côté, plein d'un -courroux que la présence de M. de Metternich faisait bouillonner dans -ses veines, était maintenant tout disposé à le recevoir. Pénétrer le -secret de son interlocuteur, lui arracher une prolongation -d'armistice, n'était déjà plus son but, mais lui dire son fait, -épancher sa passion, était en réalité son plus pressant besoin. Il -reçut M. de Metternich le 28 juin dans la seconde moitié du jour. En -traversant les antichambres du palais Marcolini, M. de Metternich les -trouva remplies de ministres étrangers, d'officiers de tous grades, et -rencontra notamment le prince Berthier, qui souhaitait la paix, sans -l'oser dire à Napoléon, et ne savait manifester ses désirs qu'auprès -de ceux auxquels il aurait fallu les cacher. À l'aspect de M. de -Metternich, une sorte d'anxiété parut sur tous les visages. Le prince -Berthier, en le conduisant jusqu'à l'appartement de l'Empereur, lui -dit: Eh bien, nous apportez-vous la paix?... Soyez donc raisonnable... -terminons cette guerre, car nous avons besoin de la faire cesser, et -vous autant que nous.--À ce ton, M. de Metternich put juger que les -rapports de ses espions étaient parfaitement vrais, que partout en -France on désirait ardemment la paix, même dans l'armée, ce qui -malheureusement n'était pas une manière de disposer nos ennemis à la -conclure. Il eût mieux valu en effet montrer plus d'amour de la paix à -Napoléon, et moins à M. de Metternich; mais ainsi sont faites les -cours où l'on n'ose pas parler: souvent on dit à tout le monde ce -qu'il faudrait ne dire qu'au maître. M. de Metternich introduit dans -le cabinet de Napoléon, le trouva debout, l'épée au côté, le chapeau -sous le bras, se contenant comme quelqu'un qui ne va pas se contenir -longtemps, poli mais froid.--Vous voilà donc, monsieur de Metternich, -lui dit-il, vous venez bien tard!... et sur-le-champ, suivant le -langage convenu du cabinet français, il s'efforça, par un premier -exposé de la situation, de mettre sur le compte de l'Autriche le temps -perdu depuis l'armistice, et il n'y avait pas moins de vingt-quatre -jours écoulés sans aucun résultat, puisqu'on était au 28 juin, et que -l'armistice avait été signé le 4. Puis il fit un détail de ses -relations avec l'Autriche, se plaignit d'elle amèrement, et s'étendit -fort au long sur le peu de sûreté des rapports avec cette -puissance.--J'ai, dit-il, rendu trois fois son trône à l'empereur -François; j'ai même commis la faute d'épouser sa fille, espérant me le -rattacher, mais rien n'a pu le ramener à de meilleurs sentiments. -L'année dernière, comptant sur lui, j'ai conclu un traité d'alliance -par lequel je lui garantissais ses États, et par lequel il me -garantissait les miens. S'il m'avait dit que ce traité ne lui -convenait point, je n'aurais pas insisté, je ne me serais même pas -engagé dans la guerre de Russie. Mais enfin il l'a signé, et après -une seule campagne, que les éléments ont rendue malheureuse, le voilà -qui chancelle, et ne veut plus ce qu'il semblait vouloir chaudement, -s'interpose entre mes ennemis et moi, pour négocier la paix, à ce -qu'il dit, mais en réalité pour m'arrêter dans mes victoires, et -arracher de mes mains des adversaires que j'allais détruire...--Si -vous ne teniez plus à mon alliance, ajouta Napoléon, qui commençait à -s'animer en parlant, si elle vous pesait, si elle vous entraînait avec -le reste de l'Europe à une guerre qui vous répugnait, pourquoi ne pas -me le dire? Je n'aurais pas insisté pour vous contraindre; votre -neutralité m'aurait suffi, et à l'heure qu'il est la coalition serait -déjà dissoute. Mais sous prétexte de ménager la paix en interposant -votre médiation, vous avez armé, et puis, vos armements terminés, ou -presque terminés, vous prétendez me dicter des conditions qui sont -celles de mes ennemis eux-mêmes; en un mot, vous vous posez comme gens -qui sont prêts à me déclarer la guerre. Expliquez-vous; est-ce la -guerre que vous voulez avec moi?... Les hommes seront donc toujours -incorrigibles!... les leçons ne leur serviront donc jamais!... Les -Russes et les Prussiens, malgré de cruelles expériences, ont osé, -enhardis par les succès du dernier hiver, venir à ma rencontre, et je -les ai battus, bien battus, quoiqu'ils vous aient dit le contraire. -Vous voulez donc, vous aussi, avoir votre tour?... Eh bien, soit, vous -l'aurez... Je vous donne rendez-vous à Vienne, en octobre.-- - -[En marge: Réponse modérée de M. de Metternich, fondée principalement -sur le besoin général de la paix.] - -[En marge: Exposé fort adouci des conditions de cette paix.] - -[En marge: Emportement de Napoléon.] - -Cette manière si étrange de traiter, cette façon méprisante de -qualifier un mariage dont au reste il ne paraissait nullement fâché -comme homme privé, offensa et irrita M. de Metternich, sans lui -imposer beaucoup, car une fermeté froide lui aurait causé bien plus -d'impression.--Sire, répondit-il, nous ne voulons pas vous déclarer la -guerre, mais nous voulons mettre fin à un état de choses devenu -intolérable pour l'Europe, à un état de choses qui nous menace tous, à -chaque instant, d'un bouleversement universel. Votre Majesté y est -aussi intéressée que nous, car la fortune pourrait bien un jour vous -trahir, et dans cette mobilité effrayante des choses, il ne serait pas -impossible que vous-même rencontrassiez des chances fatales.--Mais que -voulez-vous donc, reprit Napoléon, que venez-vous me demander?--Une -paix, ajouta M. de Metternich, une paix nécessaire, indispensable, une -paix dont vous avez besoin autant que nous, une paix qui assure votre -situation et la nôtre...--Et alors, avec des ménagements infinis, -insinuant plutôt qu'énonçant une condition après l'autre, M. de -Metternich essaya d'énumérer celles que nous avons déjà fait -connaître. Napoléon, bondissant comme un lion, laissait à peine -achever le ministre autrichien, et l'interrompait à chaque -énonciation, comme s'il eût entendu chaque fois un outrage ou un -blasphème.--Oh! dit-il, je vous devine... Aujourd'hui, vous me -demandez seulement l'Illyrie pour procurer des ports à l'Autriche, -quelques portions de la Westphalie et du grand-duché de Varsovie pour -reconstituer la Prusse, les villes de Lubeck, Hambourg et Brême pour -rétablir le commerce de l'Allemagne, et pour relever sa prétendue -indépendance l'abolition du protectorat du Rhin, d'un vain titre, à -vous entendre!... Mais je sais votre secret, je sais ce qu'au fond -vous désirez tous... Vous Autrichiens, vous voulez l'Italie tout -entière; vos amis les Russes veulent la Pologne, les Prussiens la -Saxe, les Anglais la Hollande et la Belgique, et si je cède -aujourd'hui, demain vous me demanderez ces objets de vos ardents -désirs. Mais pour cela préparez-vous à lever des millions d'hommes, à -verser le sang de plusieurs générations, et à venir traiter au pied -des hauteurs de Montmartre!...--Napoléon, en prononçant ces mots, -était pour ainsi dire hors de lui, et on prétend même qu'il se permit -envers M. de Metternich des paroles outrageantes, ce que ce dernier a -toujours nié. - -[En marge: Effort de M. de Metternich pour calmer Napoléon.] - -[En marge: Aveu de son orgueil fait par Napoléon.] - -[En marge: M. de Metternich répond de nouveau en alléguant le besoin -de repos, senti partout et particulièrement en France.] - -[En marge: Nouvelle et plus vive explosion de Napoléon.] - -[En marge: Belle réponse de M. de Metternich.] - -[En marge: Soin de Napoléon à expliquer son désastre de Russie.] - -[En marge: Discussion des forces que l'Autriche peut jeter dans la -balance.] - -[En marge: Nouvel effort de M. de Metternich pour expliquer le vrai -sens de la médiation.] - -[En marge: Dernier défi de Napoléon.] - -M. de Metternich alors essaya de montrer à Napoléon qu'il n'était pas -question de telles choses, qu'une guerre imprudemment prolongée -pourrait peut-être faire renaître de semblables prétentions, que sans -doute il y avait en Europe des fous dont les événements de 1812 -avaient exalté la tête, qu'il y en avait bien quelques-uns de cette -espèce à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Berlin, mais qu'il n'y en -avait pas à Vienne; que là on demandait juste ce qu'on voulait, et -rien au delà; que du reste le vrai moyen de déjouer les prétentions de -ces fous, c'était d'accepter la paix, et une paix honorable, car celle -qu'on offrait était non pas seulement honorable, mais glorieuse.--Un -peu radouci par ces paroles, Napoléon dit à M. de Metternich que s'il -ne s'agissait que de l'abandon de quelques territoires, il pourrait -bien céder; mais qu'on s'était coalisé pour lui dicter la loi, pour -le contraindre à céder, pour lui ôter son prestige, et, avec une -naïveté d'orgueil singulière, laissa voir que ce qui le touchait -sensiblement ici, c'étaient moins les sacrifices exigés de lui, que -l'humiliation de recevoir la loi après l'avoir toujours faite.--Puis, -avec une fierté de soldat qui lui allait bien: Vos souverains, dit-il -à M. de Metternich, vos souverains nés sur le trône ne peuvent -comprendre les sentiments qui m'animent. Ils rentrent battus dans -leurs capitales, et pour eux il n'en est ni plus ni moins. Moi je suis -un soldat, j'ai besoin d'honneur, de gloire; je ne puis pas reparaître -amoindri au milieu de mon peuple; il faut que je reste grand, -glorieux, admiré!...--Quand donc finira cet état de choses, répliqua -M. de Metternich, si les défaites comme les victoires sont un égal -motif de continuer cette guerre désolante?... Victorieux, vous voulez -tirer les conséquences de vos victoires; vaincu, vous voulez vous -relever! Sire, nous serons donc toujours les armes à la main, -dépendant éternellement, vous comme nous, du hasard des -batailles!...--Mais, reprit Napoléon, je ne suis pas à moi, je suis à -cette brave nation qui vient à ma voix de verser son sang le plus -généreux. À tant de dévouement je ne dois pas répondre par des calculs -personnels, par de la faiblesse; je dois lui conserver tout entière la -grandeur qu'elle a achetée par de si héroïques efforts.--Mais, Sire, -reprit à son tour M. de Metternich, cette brave nation dont tout le -monde admire le courage, a elle-même besoin de repos. Je viens de -traverser vos régiments; vos soldats sont des enfants. Vous avez fait -des levées anticipées, et appelé une génération à peine formée; cette -génération une fois détruite par la guerre actuelle, anticiperez-vous -de nouveau? en appellerez-vous une plus jeune encore?...--Ces paroles, -qui touchaient au reproche le plus souvent reproduit par les ennemis -de Napoléon, le piquèrent au vif. Il pâlit de colère; son visage se -décomposa, et n'étant plus maître de lui, il jeta, ou laissa tomber à -terre son chapeau, que M. de Metternich ne ramassa point, et allant -droit à celui-ci, il lui dit: Vous n'êtes pas militaire, Monsieur, -vous n'avez pas, comme moi, l'âme d'un soldat; vous n'avez pas vécu -dans les camps; vous n'avez pas appris à mépriser la vie d'autrui et -la vôtre, quand il le faut... Que me font à moi deux cent mille -hommes!...--Ces paroles, dont nous ne reproduisons pas la familiarité -soldatesque, émurent profondément M. de Metternich.--Ouvrons, s'écria -le ministre autrichien, ouvrons, Sire, les portes et les fenêtres, que -l'Europe entière vous entende, et la cause que je viens défendre -auprès de vous n'y perdra point!--Redevenu un peu plus maître de -lui-même, Napoléon dit à M. de Metternich avec un sourire ironique: -Après tout, les Français dont vous défendez ici le sang, n'ont pas -tant à se plaindre de moi. J'ai perdu, cela est vrai, deux cent mille -hommes en Russie; il y avait dans le nombre cent mille soldats -français des meilleurs; ceux-là, je les regrette... oui, je les -regrette vivement... Quant aux autres, c'étaient des Italiens, des -Polonais, et principalement des Allemands...--À ces paroles Napoléon -ajouta un geste qui signifiait que cette dernière perte le touchait -peu.--Soit, reprit M. de Metternich, mais vous conviendrez, Sire, que -ce n'est pas une raison à donner à un Allemand.--Vous parliez pour les -Français, je vous ai répondu pour eux, répliqua Napoléon.--Puis, à -cette occasion, il employa plus d'une heure à raconter à M. de -Metternich qu'en Russie il avait été surpris et vaincu par le mauvais -temps; qu'il pouvait tout prévoir, tout surmonter, excepté la nature; -qu'il savait se battre avec les hommes, mais non pas avec les -éléments. N'ayant pas revu M. de Metternich depuis la catastrophe de -1812, il s'étudia à refaire à ses yeux le prestige de son -invincibilité, beaucoup trop détruit dans l'esprit de certains hommes, -et mit un grand soin à prouver que sur le champ de bataille on ne -l'avait jamais vaincu, ce qui était vrai; que s'il avait perdu des -canons, c'était par le froid qui, en tuant les chevaux, avait détruit -le moyen de traîner l'artillerie. Pendant qu'il parlait, marchant avec -une extrême animation, il avait rencontré et repoussé du pied dans un -coin de l'appartement son chapeau resté à terre. Au milieu des allées -et venues de ce long entretien, il revint à l'idée fondamentale de son -discours, c'est que l'Autriche, à laquelle il avait fait remise tant -de fois des peines qu'elle avait encourues, à laquelle il avait -demandé une archiduchesse pour l'épouser, faute, disait-il, bien -grande de sa part, osait encore, au mépris de tant de bons procédés, -lui déclarer la guerre.--Faute, reprit M. de Metternich, pour Napoléon -conquérant, mais non pas faute pour Napoléon politique et fondateur -d'empire.--Faute ou non, reprit Napoléon, vous voulez donc me -déclarer la guerre! Soit, quels sont vos moyens? deux cent mille -hommes en Bohême, dites-vous; et vous prétendez me faire croire à des -fables pareilles! C'est tout au plus si vous en avez cent, et je -soutiens que ces cent se réduiront probablement à quatre-vingt mille -en ligne.--Là-dessus il conduisit M. de Metternich dans son cabinet de -travail, lui montra ses notes et ses cartes, lui dit que M. de -Narbonne avait couvert l'Autriche de ses espions, et qu'on tenterait -en vain de l'effrayer par des chimères; que les Autrichiens n'avaient -pas même cent mille hommes en Bohême...--La prétention des Autrichiens -était d'en avoir trois cent cinquante mille sous les armes, dont cent -mille sur la route d'Italie, cinquante mille en Bavière, deux cent -mille en Bohême. C'étaient là les propos d'hommes qui n'avaient pas -l'habitude de ce genre de calculs, et qui ne savaient pas que si -l'Autriche avait trois cent cinquante mille hommes sur ses contrôles, -elle en aurait tout au plus deux cent mille au feu, dont cinquante -peut-être sur la route d'Italie, trente sur celle de Bavière et cent -ou cent vingt en Bohême. Napoléon, par l'expérience qu'il avait des -mécomptes qu'on essuie à la guerre sous le rapport des nombres, traita -légèrement les assertions de M. de Metternich, que celui-ci, étranger -à l'administration militaire, n'était pas capable de justifier -suffisamment. Laissant là ce sujet sur lequel il n'était pas facile de -s'entendre, Napoléon dit à M. de Metternich: Du reste, ne vous mêlez -pas de cette querelle, dans laquelle vous courez trop de dangers pour -trop peu d'avantages, tenez-vous à part. Vous voulez l'Illyrie, eh -bien, je vous la cède; mais soyez neutre, et je me battrai à côté de -vous et sans vous. La paix que vous voulez procurer à l'Europe, je la -lui donnerai sûrement, et équitablement pour tous. Mais la paix que -vous cherchez à conclure au moyen de votre médiation, est une paix -imposée, qui me fait jouer aux yeux du monde le rôle d'un vaincu -auquel on dicte la loi... la loi, quand je viens de remporter deux -victoires éclatantes!...--M. de Metternich revint à l'idée de la -médiation, dont il ne pouvait se départir, s'efforça de la montrer non -comme une contrainte qu'il s'agissait de faire subir à Napoléon, mais -comme une intervention officieuse d'un allié, d'un ami, d'un père, -qui, au jugement du monde, quand on connaîtrait les conditions -proposées, serait encore considéré comme bien partial pour son -gendre.--Ah! vous persistez, s'écria Napoléon avec colère, vous voulez -toujours me dicter la loi! eh bien, soit, la guerre! mais au revoir, à -Vienne[1]...-- - - [Note 1: Cette célèbre entrevue est de toutes celles où - Napoléon a figuré personnellement, la plus difficile à - reproduire, faute de documents suffisants. Pour les autres - entretiens de Napoléon rapportés précédemment dans cette - histoire, il existait des documents nombreux, soit dans nos - archives diplomatiques, soit dans les archives diplomatiques - étrangères; pour celui dont il s'agit ici au contraire, - Napoléon n'ayant rien adressé à ses agents extérieurs, on - manque de l'un des moyens d'information les plus certains. - Il se contenta d'en parler à M. de Bassano, qui plus tard - fut l'auteur des diverses versions publiées par des - écrivains avec lesquels il était lié. Cet entretien - mémorable serait donc à peu près perdu, si M. de Metternich - n'en avait écrit lui-même, avec le plus grand détail, et en - temps utile, toutes les particularités. Ayant obtenu de son - obligeance la communication de ce récit, qui m'a paru trop - sévère pour Napoléon, mais généralement exact, j'ai conservé - dans ce qu'on vient de lire tout ce qui m'a semblé - incontestable, d'après la connaissance que j'avais des - négociations du moment, et d'après les autres récits publiés - par les écrivains auxquels M. de Bassano avait communiqué - ses souvenirs. Je n'ai, comme dans toutes les occasions - semblables, conservé que ce que j'ai considéré comme à - l'abri de toute contestation. Ce qui est incontestable me - paraissait d'ailleurs suffisant pour donner de cette scène - historique une idée qui fût à la fois exacte et complète.] - -[En marge: Longueur de l'entrevue de Napoléon avec M. de Metternich, -et anxiété de ceux qui en attendaient le résultat.] - -Cette mémorable entrevue, qui ne décida pas la question de la paix et -de la guerre, ainsi qu'on le verra bientôt, mais qui fit éclater d'une -manière si peu opportune les dispositions intérieures de Napoléon, -cette mémorable entrevue avait duré cinq à six heures. Il était -presque nuit lorsqu'elle se termina, à ce point que les deux -interlocuteurs pouvaient à peine distinguer les traits l'un de -l'autre. Napoléon ne voulant pas en quittant M. de Metternich se -séparer brouillé, lui dit quelques mots plus doux, et lui assigna un -nouveau rendez-vous pour les jours suivants. La longueur de -l'entretien avait fort préoccupé les habitués de l'antichambre -impériale. L'anxiété des visages était plus grande encore que lorsque -M. de Metternich était entré. Le major général Berthier, accouru pour -savoir quelque chose de ce qui s'était passé, demanda à M. de -Metternich s'il était content de l'Empereur.--Oui, répondit le -ministre autrichien, j'en suis content, car il a éclairé ma -conscience, et, je vous le jure, votre maître a perdu la raison! - -[En marge: Conséquences que cette entrevue pouvait avoir, plus grandes -que celles qu'elle eut en effet.] - -Ce n'était pas la violence de cet entretien qui en cette occasion -avait causé le plus de tort aux affaires de l'Empire, c'était la -triste conviction que Napoléon avait dû laisser dans l'esprit de M. de -Metternich, que jamais il n'accepterait les conditions si modérées -dans lesquelles l'Autriche s'était renfermée. Heureusement néanmoins, -M. de Metternich, attachant sa gloire et sa sûreté à obtenir par la -paix les conditions qu'il croyait indispensables, était homme à -sacrifier l'orgueil à la politique, et à ne pas prendre feu tant qu'il -resterait une chance de réussir. Napoléon pouvait dès lors donner -carrière à son humeur, pourvu qu'au dernier moment il eût un retour de -bon sens, et qu'il agréât la paix encore si prodigieusement belle -qu'on lui offrait. Les explosions de son caractère, on était tout prêt -à les pardonner à son génie et à sa puissance, et on aurait volontiers -supporté un désagrément pour un grand résultat. Du reste, quand on -avait souffert de son humeur impétueuse, on était promptement -dédommagé, car lorsqu'il s'était livré à ses passions, il en était -honteux, revenait bien vite, se hâtait de caresser ceux qu'il avait le -plus blessés, et leur prodiguait les séductions pour leur faire -oublier ses écarts. La situation que nous retraçons devait bientôt en -fournir un nouvel exemple. - -[En marge: Regrets de Napoléon, et ses soins pour ressaisir M. de -Metternich.] - -[En marge: M. de Bassano chargé de rédiger un projet de convention, -relativement à la médiation autrichienne.] - -À peine s'était-il séparé du ministre autrichien qu'il était déjà -plein de regrets de s'être autant abandonné à son emportement naturel, -car il n'avait obtenu de cette entrevue rien de ce qu'il s'était -promis. Loin de pénétrer les secrets du ministre autrichien, il lui -avait révélé les siens en lui laissant voir l'obstination invincible -de son orgueil, et il avait nui surtout à son principal dessein, celui -de faire prolonger l'armistice, en montrant trop clairement que cet -armistice ne conduirait point à la paix. Aussi ordonna-t-il -sur-le-champ à M. de Bassano de courir après M. de Metternich, et de -lui parler de l'objet essentiel, dont il n'avait pas été dit -grand'chose dans l'entrevue, c'est-à-dire de la médiation -autrichienne, de sa forme, de ses conditions, du délai dans lequel -elle devrait s'exercer. M. de Metternich avait même pu croire qu'elle -était refusée, au langage de Napoléon. Pour détruire cette idée, M. de -Bassano eut l'ordre d'entreprendre de concert avec M. de Metternich la -rédaction d'une convention relative au mode de la médiation, ce qui -prouverait au ministre autrichien que malgré les emportements de -Napoléon, tout n'était pas perdu, et que la résolution de repousser -tout arbitrage pacifique n'était pas définitivement arrêtée dans la -pensée du gouvernement français. - -La journée suivante fut en effet consacrée par MM. de Metternich et de -Bassano à débattre la question de la médiation, et il ne fut plus rien -dit de ce traité d'alliance, dont on avait eu la maladresse de fournir -à l'Autriche le moyen de se dégager un article après l'autre, et dont -les tristes restes ne valaient pas la peine qu'on s'irritât pour les -sauver. On parla uniquement de la médiation, de la manière dont elle -s'exercerait, et du sentiment que l'Autriche y apporterait à l'égard -de la France. M. de Metternich renouvela l'assurance d'une médiation -toute partiale pour nous, mais parut tenir beaucoup à la forme qui -constituait le médiateur intermédiaire exclusif des parties -contractantes. On essaya d'une rédaction sans pouvoir tomber d'accord, -parce que M. de Bassano voulait la surcharger de précautions que M. de -Metternich trouvait gênantes. Mais les détails furent débattus sans -aigreur, et du ton de gens décidés à s'entendre. Tout fut renvoyé à -l'Empereur, et M. de Metternich dut le revoir le 30 juin pour résoudre -avec lui les dernières difficultés. - -[En marge: Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon paraît -complétement changé.] - -[En marge: Cette fois, après avoir tout concédé dans les formes à M. -de Metternich, Napoléon cherche avec beaucoup d'adresse à lui arracher -une prolongation d'armistice.] - -[En marge: Napoléon en faisant valoir le peu de temps qui reste pour -négocier, obtient une prolongation d'armistice de vingt jours, du 26 -juillet au 16 août, compris six jours pour se prévenir de la reprise -des hostilités.] - -[En marge: Napoléon renvoie M. de Metternich comblé de caresses.] - -Le 30, en effet, M. de Metternich, accompagné de M. de Bassano, revit -Napoléon, et le trouva tout changé, comme un ciel épuré par un orage. -Il était ouvert, gai, plein d'un aimable repentir.--Vous persistez -donc à faire le méchant avec nous? dit-il à M. de Metternich avec une -familiarité pleine de grâce.--Puis il prit des mains de M. de Bassano -le projet de convention, dont il connaissait les points sujets à -difficulté, et il se mit à en lire les articles l'un après l'autre. À -chaque article, comme s'il eût été du parti de M. de Metternich, il -disait: Mais cela n'a pas le sens commun, ne s'inquiétant guère de -l'amour-propre de son ministre, et il paraissait presque toujours -abonder dans les idées du diplomate autrichien. S'adressant ensuite à -M. de Bassano, il lui dit: Asseyez-vous et écrivez, et il dicta un -projet simple, clair, net, comme il était capable de le faire. Cette -rédaction qui écartait toutes les difficultés, une fois terminée, il -demanda à M. de Metternich: Ce projet vous convient-il?--Oui, Sire, -répondit l'illustre diplomate, sauf quelques expressions.--Lesquelles? -reprit Napoléon.--M. de Metternich les ayant indiquées, Napoléon les -changea sur-le-champ à l'entière satisfaction de son interlocuteur, -s'attachant à lui complaire en tout. Enfin ce projet, qui déclarait -que dans le désir et l'espérance de rétablir la paix, au moins parmi -les États du continent, l'empereur d'Autriche offrait sa médiation à -l'empereur Napoléon, que l'empereur Napoléon l'acceptait, et que les -plénipotentiaires des diverses puissances se réuniraient à Prague le 5 -juillet au plus tard, ce projet complétement arrêté, Napoléon, -toujours du ton le plus aisé, dit à M. de Metternich: Mais ce n'est -pas tout, il me faut une prolongation d'armistice... Comment en effet, -du 5 au 20 juillet, terminer une négociation qui doit embrasser les -intérêts du monde entier, et qui, si on voulait bien régler toutes les -difficultés, exigerait des années?--La question effectivement était -embarrassante, quoique, sur les points importants, on eût pu -s'entendre en quelques heures, si on l'avait voulu. Mais au premier -aspect la question n'admettait pas d'autre réponse qu'un assentiment. -M. de Metternich, vaincu par toutes les condescendances de cette -journée, n'était pas disposé à compromettre la médiation à laquelle il -attachait tant de prix, pour quelques jours de plus ou de moins dans -la durée des négociations. Il répondit qu'il espérait faire accepter -la prolongation demandée aux Prussiens et aux Russes, bien qu'ils -fussent convaincus que l'armistice, utile seulement à la France, leur -était nuisible à eux, et il ne disputa que sur l'étendue de cette -prolongation. Napoléon voulait obtenir jusqu'au 20 août, pour gagner -le 26 avec les six jours accordés pour la dénonciation de l'armistice. -M. de Metternich contestait un terme aussi long, non pas en son nom, -mais au nom de ceux dont il devait obtenir l'assentiment, et répétait -que si on voulait agir avec une entière bonne foi, tout pourrait être -terminé en une journée. Napoléon répondait qu'il lui en fallait -quarante au moins pour juger des vues de ses adversaires, et faire -connaître les siennes.--Quant à moi, vous pouvez être sûr, -ajouta-t-il, que je ne vous dirai mes véritables intentions que le -quarantième jour.--Alors, répliqua M. de Metternich, les trente-neuf -jours qui précèdent le quarantième sont inutiles.--La conversation -ayant pris ce tour plaisant, on touchait évidemment à un accord, et -après discussion, M. de Metternich parut disposé à prolonger -l'armistice jusqu'au 10 août, avec six jours pour se prévenir de la -reprise des hostilités, ce qui devait conduire au 16, et entraînait -une prolongation de vingt jours, du 26 juillet au 16 août. Napoléon -alors, feignant de trouver du 5 juillet au 16 août les quarante jours -dont il avait besoin pour négocier, et au fond, bien qu'il en -souhaitât davantage, jugeant bon de gagner au moins ce temps pour -l'achèvement de ses préparatifs, déclara qu'il acceptait la -proposition de M. de Metternich. En conséquence on ajouta un dernier -article, par lequel il était dit que, vu le peu de temps qui restait -pour négocier d'après les termes de l'armistice signé à Pleiswitz, -l'empereur Napoléon s'engageait à ne pas dénoncer cet armistice avant -le 10 août (16 août en ajoutant les six jours pour l'avis préalable), -et que l'empereur d'Autriche se chargeait d'obtenir le même engagement -de la part du roi de Prusse et de l'empereur de Russie. Napoléon -voulut qu'on signât à l'instant même, et renvoya ensuite M. de -Metternich comblé de toutes sortes de caresses. Ainsi le lion changé -tout à coup en sirène avait su arracher à l'habile ministre autrichien -la seule chose qu'il désirât véritablement, c'est-à-dire une -prolongation d'armistice. Ne voulant pas la paix aux conditions -proposées, ne voulant que le temps nécessaire pour en imposer une qui -fût à son gré, vingt jours de plus étaient pour lui une conquête d'un -prix inestimable. Le sacrifice des questions de forme qu'il avait paru -faire en simplifiant autant le texte de la convention, n'en était pas -un de sa part, car sur le point important de savoir si les parties -contractantes s'aboucheraient toutes ensemble dans une conférence -commune, ou ne traiteraient que par l'entremise du médiateur, il avait -éludé, mais non abandonné la difficulté, en se taisant dans la -rédaction; et il était fort aise de l'avoir réservée, car elle lui -restait pour occuper les premiers jours du congrès, et pour perdre le -temps dans lequel on était renfermé, sans avoir à s'expliquer sur le -fond des choses. C'était à M. de Metternich, souhaitant ardemment le -succès de la médiation, à regretter que cette difficulté n'eût pas été -vidée tout de suite, et qu'elle demeurât comme un gros obstacle sur le -chemin des négociations. Napoléon avait donc avec quelques instants de -douceur réparé jusqu'à un certain point le mal causé par les -imprudents éclats de sa colère, et obtenu tout ce qu'il désirait. -Heureux ce singulier génie, heureuse la France, s'il avait pu employer -cette merveilleuse souplesse à la tirer du faux pas où il l'avait -engagée! - -[Date en marge: Juillet 1813.] - -[En marge: Retour de M. de Metternich à Gitschin le 1er juillet.] - -[En marge: Temps imprudemment perdu par l'Autriche, et remise du 5 au -8 juillet pour la réunion des plénipotentiaires.] - -Maintenant l'habileté de la part de l'Autriche, si passionnée pour le -succès de la médiation, eût consisté à ne pas laisser à Napoléon un -seul prétexte de perdre du temps, et dès lors à lui répondre -sur-le-champ que la convention constitutive de la médiation était -acceptée, que la prolongation de l'armistice l'était également, et que -les négociateurs, comme on l'avait stipulé, se réuniraient exactement -le 5 juillet. Malheureusement il n'en fut pas ainsi. M. de Metternich, -parti de Dresde le 30 juin, jour même de la signature, et arrivé le -1er juillet à Gitschin, causa une grande joie à son maître en lui -annonçant que la médiation était acceptée, ce qui faisait passer la -cour d'Autriche de la situation embarrassante d'alliée de la France, à -la situation indépendante et forte de son arbitre, et lui procurait un -lustre dont elle avait besoin auprès du public autrichien. M. de -Metternich n'eut donc pas de peine à obtenir de l'empereur François la -ratification immédiate de la convention. Mais, soit qu'il n'eût pas -entièrement pénétré les intentions dilatoires de Napoléon, soit qu'il -fût dominé par des difficultés toutes matérielles, M. de Metternich -fournit lui-même des prétextes aux pertes de temps, en demandant de -remettre du 5 au 8 juillet la réunion des plénipotentiaires. Après -avoir demandé cette remise, laquelle, d'après ce qu'on a vu des -projets de Napoléon, ne devait pas rencontrer d'obstacle de notre -part, M. de Metternich s'adressa aux souverains réunis à Reichenbach, -pour leur annoncer l'acceptation de la médiation, pour leur faire -agréer la prolongation de l'armistice, et obtenir le prompt envoi de -leurs plénipotentiaires à Prague. - -[En marge: Dispositions des monarques coalisés réunis à Reichenbach.] - -[En marge: Frappés des avantages de temps que l'armistice procure à -Napoléon, ils ne voudraient pas le prolonger.] - -[En marge: Toutefois ils accordent la prolongation pour complaire à -l'Autriche, et demandent une nouvelle remise au 12 juillet pour la -réunion des plénipotentiaires.] - -Les coalisés de Reichenbach n'avaient pas compris toute la portée de -l'armistice de Pleiswitz en le signant. Ils n'y avaient vu d'abord que -l'avantage de se soustraire aux conséquences immédiates de la -bataille de Bautzen, sans songer aux avantages de temps qu'il -procurait à Napoléon. Maintenant qu'ils étaient sortis de péril, -qu'ils avaient ainsi recueilli le principal fruit de l'armistice, -qu'ils voyaient les armements de Napoléon se développer chaque jour, -bien que les leurs se développassent aussi, ils étaient presque aux -regrets d'une suspension d'armes qui pourtant les avait sauvés, et ils -n'étaient nullement enclins à en prolonger la durée. Une circonstance -d'ailleurs les disposait plus mal encore à l'égard de la prolongation -consentie par M. de Metternich, c'est qu'ils avaient pour vivre la -partie la moins fertile de la Silésie, tandis que Napoléon avait la -meilleure, et qu'ils craignaient de manquer bientôt de moyens de -subsistance. De plus, auprès des Allemands, surtout des Prussiens, -tout ajournement des hostilités semblait un pas fait dans la politique -pacifique de l'Autriche, et une sorte de trahison. Il y eut donc -quelque peine à leur arracher leur consentement, et assez pour -entraîner une nouvelle perte de temps. Toutefois les deux souverains -alliés n'avaient rien à refuser à l'Autriche, et dès qu'elle voulait -une chose, ils devaient l'accorder. Or l'Autriche s'étant engagée -envers Napoléon à prolonger l'armistice, on ne pouvait pas lui faire -l'outrage de déclarer son engagement imprudent et nul. On le ratifia -donc, mais en demandant, vu les distances et le temps déjà écoulé, une -nouvelle remise du 8 au 12 juillet, pour la réunion des -plénipotentiaires à Prague, et en promettant, du reste, qu'ils -seraient exacts au rendez-vous. M. de Metternich informa M. de Bassano -de ces dernières déterminations, mais, en les lui faisant connaître, -il s'exprima au sujet de la prolongation de l'armistice comme à -l'égard d'une chose qui allait de soi, et ne communiqua point son -acceptation officielle par les souverains de Prusse et de Russie. - -[En marge: Napoléon, enchanté du temps perdu, affecte toutefois de -s'en plaindre.] - -Rien ne convenait mieux à Napoléon que des délais dont il n'était pas -l'auteur. Il fit répondre comme s'il se résignait au lieu de se -réjouir. Depuis que la cour d'Autriche s'était transportée de Vienne -aux environs de Prague, il avait rappelé à Dresde M. de Narbonne, l'y -avait retenu quelques jours, et puis l'avait expédié de nouveau pour -qu'il continuât à Prague ainsi qu'à Vienne son rôle d'ambassadeur. -Napoléon le chargea d'exprimer des regrets au sujet du dernier retard, -et en même temps de se plaindre de la négligence qu'on paraissait -mettre à communiquer officiellement le consentement donné à la -prolongation de l'armistice, comme si ce consentement avait pu être -douteux. Il l'autorisa de plus à déclarer que lorsque les négociateurs -russe et prussien seraient connus et partis pour leur destination, la -France désignerait et ferait partir ses négociateurs, et d'insinuer -que ce seraient probablement MM. de Narbonne et de Caulaincourt. - -[En marge: Napoléon profite du temps perdu par les autres cabinets -pour perdre lui-même quatre ou cinq jours en s'absentant.] - -[En marge: Voyage imprévu à Magdebourg, pour visiter les bords de -l'Elbe.] - -Tandis qu'il adressait ces réponses, Napoléon se proposait de tirer, -des délais imprudents auxquels l'Autriche s'était prêtée, de nouveaux -délais qu'il rattacherait adroitement à ceux dont il n'était pas -cause. Depuis longtemps il avait projeté certaines excursions pour -visiter, suivant son usage, les lieux qui allaient devenir le théâtre -de la guerre, et il voulait, s'il en avait le loisir, parcourir les -bords de l'Elbe depuis Koenigstein jusqu'à Hambourg, aller même passer -quelques jours à Mayence avec l'Impératrice, qui était impatiente de -le revoir, et à laquelle il désirait donner des témoignages publics -d'affection. En se montrant tendre et soigneux pour Marie-Louise, il -augmentait pour l'empereur François la difficulté d'oublier les liens -de paternité qui l'unissaient à la France. Il résolut de commencer par -la plus utile de ces excursions, par celle qui devait lui procurer la -vue des points importants de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg. On -était arrivé au 8 juillet. Napoléon, qui n'avait aucun doute sur la -réunion des plénipotentiaires russe et prussien à Prague le 12 au plus -tard, aurait pu nommer les siens, rédiger leurs instructions, et les -faire partir, ou les tenir prêts à partir au premier signal. Eût-il -même fallu différer de quelques jours ses excursions, il l'aurait dû, -car aucun intérêt n'égalait en ce moment celui d'une prompte réunion -du congrès, et d'ailleurs les inspections locales auxquelles il -voulait se livrer, les revues de troupes qu'il se proposait de passer, -n'auraient pas eu moins d'utilité pour être retardées d'une semaine. -Au contraire en prenant patience encore un jour, il aurait reçu de -Prague les communications qu'il se plaignait de n'avoir pas reçues, il -aurait connu les plénipotentiaires désignés, l'époque précise de leur -réunion, et l'acceptation formelle du nouveau terme assigné à -l'armistice. Mais il lui convenait mieux de se dire contraint à -s'absenter immédiatement, parce qu'alors il n'était tenu de répondre -qu'à son retour, et les quatre ou cinq jours qu'il allait gagner -ainsi pouvaient être considérés comme une conséquence du temps qu'on -avait perdu du 5 au 12 juillet. Il déclara donc tout à coup qu'ayant -différé son départ jusqu'au 9, sans avoir rien reçu de Prague, il se -voyait obligé par les affaires urgentes de son armée, de quitter -Dresde le 10. En même temps, de peur de donner à ses ennemis le moyen -de le faire enlever par une troupe de Cosaques, malgré l'armistice, il -ne dit pas où il allait, certain que lorsqu'on apprendrait qu'il était -quelque part, il n'y serait déjà plus. Il ne dit pas non plus combien -il resterait absent, laissant espérer que ce serait trois jours au -plus, que par conséquent on n'aurait pas beaucoup à attendre les -réponses que son départ ajournait inévitablement. La diplomatie -autrichienne ayant ainsi perdu huit jours involontairement, il allait -en perdre encore très-volontairement quatre ou cinq, ce qui devait -remettre la réunion des plénipotentiaires, fixée d'abord au 5 juillet, -puis au 12, à une nouvelle époque qui n'était pas déterminée. - -[En marge: Départ de Napoléon le 10 juillet.] - -Le 10 juillet au matin il partit donc pour Torgau en toute hâte, ne -prenant point un vain prétexte quand il disait s'absenter pour des -affaires importantes, et ne trompant que sur l'urgence de ces -affaires. - -[Date en marge: Juin 1813.] - -[En marge: Napoléon apprend en route les graves événements qui -s'étaient passés en Espagne.] - -Au moment même où il quittait Dresde, on y apprenait les derniers -événements d'Espagne, qui, bien qu'on dût les prévoir d'après ce qui -s'était passé, n'en devaient pas moins causer une surprise bien -agréable pour nos ennemis, bien douloureuse pour nous, et d'une -influence funeste pour l'ensemble de nos affaires. Il faut faire -connaître ces événements, qui par leurs conséquences politiques se -lient nécessairement à ceux dont l'Allemagne était alors le théâtre. - -[En marge: Notre situation en Espagne depuis la réunion des trois -armées du centre, de Portugal et d'Andalousie.] - -Après la réunion des trois armées du centre, de Portugal et -d'Andalousie, la situation des Français dans la Péninsule offrait -encore bien des chances favorables. Le maréchal Suchet, se maintenant -par son corps le plus avancé à Valence, et par deux autres corps en -Catalogne et en Aragon, était maître de la partie de l'Espagne la plus -essentielle pour nous, et en avait toutes les places fortes en sa -possession. Le roi Joseph était à Madrid avec l'armée du centre, ayant -devant lui, répandue sur le Tage, de Tarancon à Almaraz, l'armée -d'Andalousie, et sur sa droite en arrière, entre la Tormès et le -Douro, l'armée de Portugal. Dans cette position, il n'avait rien à -craindre, si, persistant à tenir ensemble ces forces récemment -réunies, il était toujours prêt à tomber en masse sur les Anglais à -leur première apparition. Ces trois armées en janvier 1813 -présentaient 86 mille hommes de toutes armes, comprenant le reste de -ce que la France avait envoyé de meilleur en Espagne. Délivré des -résistances du maréchal Soult que Napoléon avait emmené avec lui en -Allemagne, débarrassé aussi des entêtements du général Caffarelli, il -pouvait se promettre une exécution plus fidèle de ses ordres. Par -suite de ces changements, le général Clausel commandait l'armée du -nord, le général Reille celle de Portugal, le comte d'Erlon celle du -centre, le général Gazan celle d'Andalousie. Sans le redoutable effet -produit par les événements de Russie, la situation de Joseph n'eût -pas été mauvaise. Mais ces événements avaient singulièrement excité -les esprits, et réveillé chez les Espagnols l'espérance d'être -prochainement délivrés de notre domination. - -[En marge: Conduite des cortès de Cadix.] - -Les cortès de Cadix gouvernaient toujours assez confusément, mais avec -un ardent patriotisme, les affaires de l'insurrection espagnole, et -lord Wellington avec beaucoup de suite et de fermeté celles de -l'insurrection portugaise. Les cortès avaient, comme nous l'avons -rapporté ailleurs, terminé leur constitution, et, copiant exactement -celle que la France s'était donnée en 1791, elles avaient adopté une -chambre unique et un roi pourvu seulement du véto suspensif. En -attendant que ce roi pût leur être rendu, les cortès prétendaient -représenter la souveraineté tout entière, s'étaient attribué le titre -de Majesté, et accordaient celui d'Altesse à une régence élective, -composée de cinq membres, et investie du pouvoir exécutif en l'absence -de Ferdinand VII. Les cortès avaient contre elles, outre les Français -et les rares partisans de Joseph, tous les amis du vieux régime -qu'elles avaient aboli, et se trouvaient sans cesse en conflit avec la -régence, suspecte à leurs yeux parce qu'elle avait été composée de -grands personnages du clergé et de l'armée. C'est ce qui explique -pourquoi Séville et toute l'Andalousie étant abandonnées par les -Français, les cortès avaient mieux aimé demeurer au milieu du peuple -de Cadix, plus confiantes dans le peuple de cette ville que dans aucun -autre. Sans les malheurs de Russie, sans la défaite de Salamanque, -Joseph, moins contrarié, mieux pourvu d'argent, aurait pu avec le -temps tirer un grand parti des divisions des Espagnols. - -[En marge: Les cortès défèrent à lord Wellington le commandement des -armées espagnoles.] - -En ce moment une question avait fort ajouté à ces divisions, c'était -celle du commandement des armées. Les succès de lord Wellington, et -surtout les qualités que l'armée portugaise avait déployées sous ses -ordres, avaient suggéré à certains membres des cortès l'idée de lui -offrir le commandement en chef des troupes espagnoles. L'esprit -indépendant et jaloux de la nation avait d'abord opposé des obstacles -à ce projet, mais l'espérance de voir l'armée espagnole égaler bientôt -et surpasser même l'armée portugaise, et en particulier la victoire de -Salamanque, avaient fait taire toutes les répugnances, et on avait -nommé lord Wellington généralissime. Cet illustre personnage avait mis -à son acceptation deux conditions, la première qu'il obtiendrait -l'assentiment de son gouvernement, et la seconde qu'il exercerait sur -l'organisation et les mouvements de l'armée espagnole une autorité -absolue. Le cabinet britannique ayant tout naturellement consenti à ce -qu'il acceptât l'autorité qu'on lui offrait, il s'était transporté à -Cadix pendant l'hiver, pour s'entendre avec la régence sur toutes les -questions que soulevait son futur commandement. Accueilli avec de -grands honneurs, mais attaqué en même temps par les journaux organes -des jalousies nationales, il avait plus d'une fois regretté de s'être -exposé à un semblable traitement et aurait même refusé le généralat, -s'il n'avait craint par son refus de porter un coup funeste à -l'insurrection. On lui avait pourtant accordé à peu près l'autorité -qu'il désirait, mais il craignait fort de ne pas tirer grand parti des -Espagnols, faute d'argent et faute de bons officiers. On lui -promettait l'argent sans moyen de le fournir, et quant aux officiers, -il aurait en vain voulu suppléer à ceux qui lui manquaient par des -officiers anglais. Jamais l'armée espagnole n'aurait souffert, malgré -l'exemple de l'armée portugaise, qu'on lui donnât des étrangers pour -la conduire. Il était parti du reste encore plus applaudi qu'attaqué, -et résolu à s'occuper presque exclusivement de l'armée espagnole de -Galice, qui devait servir sous ses ordres immédiats. - -[En marge: Projet de lord Wellington pour la campagne de 1813.] - -[En marge: Il veut, à la tête de cent mille hommes, s'avancer en -Vieille-Castille pour faire tomber d'un seul coup l'établissement des -Français dans la Péninsule.] - -Revenu à Fresnada, sur la frontière nord du Portugal, il avait employé -tout l'hiver à préparer la campagne prochaine. Son projet était -d'avoir environ 45 mille Anglais, supérieurement organisés, 25 mille -Portugais, et environ 30 mille Espagnols instruits et équipés le moins -mal possible, et de s'avancer ainsi avec une centaine de mille hommes -sur le nord de la Péninsule, afin de couper au pied de l'arbre la -puissance des Français en Espagne. Toutefois, depuis que la -concentration des trois armées de Portugal, du centre et du midi, -avait réuni à Madrid une force de 80 à 90 mille Français, égaux pour -le moins aux Anglais, et bien supérieurs aux Portugais et aux -Espagnols, il regardait son entreprise comme très-hasardeuse, ne -voulait la tenter qu'avec beaucoup de circonspection, et à condition -que les insurgés de Catalogne et de Murcie, soutenus par l'armée -anglo-sicilienne, feraient en sa faveur une forte diversion sur -Valence, et que les flottes anglaises, secondant les bandes des -Asturies et des Pyrénées, donneraient de continuelles occupations à -notre armée du nord. Consulté sur un projet d'invasion dans le midi -de la France pendant qu'on se battait en Saxe avec Napoléon, il avait -répondu que le premier soin des Anglais devait être de forcer les -Français à repasser les Pyrénées, pour n'entrer en France qu'à leur -suite. Mais ce résultat, il avait été bien loin de le promettre en -présence des 86 mille hommes actuellement concentrés sous Joseph -autour de Madrid. - -[En marge: Les projets de lord Wellington, faciles à deviner, auraient -dû amener les Français à évacuer Madrid pour se concentrer en -Vieille-Castille.] - -[En marge: C'était l'avis du maréchal Jourdan, mais Joseph répugnait à -évacuer Madrid.] - -Ces idées du général en chef britannique, qu'il était facile de -deviner même sans le secours d'aucune information, indiquent -suffisamment quel aurait dû être le plan des Français pour rendre -cette campagne plus heureuse que les précédentes, et ce plan devait -être avant tout de rester réunis, et puis de bien choisir la position -sur laquelle ils s'établiraient. Malheureusement le choix de leurs -positions en avant et en arrière de Madrid n'était pas des mieux -entendus. Lorsque en effet il faudrait se replier pour tenir tête aux -Anglo-Portugais dans la Vieille-Castille, entre Salamanque et -Valladolid, il était à craindre qu'on n'arrivât point à temps, et -surtout qu'on ne fût obligé de se priver, pour la garde de Madrid, de -forces très-regrettables un jour de bataille. Le mieux eût donc été -d'évacuer Madrid, de se transporter à Valladolid, de n'y garder que -l'indispensable en fait de matériel, d'expédier sur Vittoria, malades, -blessés, vivres et munitions, et d'être ainsi dans la nouvelle -capitale qu'on aurait adoptée, concentrés et en même temps allégés de -tout poids inutile. C'était l'avis du maréchal Jourdan; mais quoique -d'une parfaite sagesse, ses avis étaient donnés sans énergie, et il en -eût fallu beaucoup pour vaincre la répugnance de Joseph à évacuer -Madrid. Depuis qu'il avait vu lord Wellington fuir devant lui, et -qu'il avait pu rentrer triomphant dans sa capitale, il s'était encore -une fois cru roi d'Espagne, et sans les événements de Russie, il -n'aurait pas même conservé de doute sur son établissement définitif -dans ce pays. Lui proposer maintenant de sortir de Madrid, c'était lui -proposer de redevenir roi vagabond, de rendre aux Espagnols toutes les -espérances qu'ils avaient perdues, de traîner de nouveau sur les -routes une foule de malheureux attachés à son sort, et de se priver du -plus clair de son revenu, qui consistait dans l'octroi de Madrid, et -dans le produit des deux ou trois provinces environnantes. Pourtant -Joseph avait l'esprit si juste, qu'il n'avait pas absolument repoussé -l'idée de quitter Madrid lorsque le maréchal Jourdan lui en avait -parlé, et que si ce dernier eût insisté davantage, on aurait pu -évacuer Madrid en janvier, employer les mois de février et de mars à -réprimer les bandes du nord, puis revenir en avril pour être tous -réunis au mois de mai contre le duc de Wellington, en prenant un mois -entier pour faire reposer les troupes et les préparer à la campagne -décisive de 1813. Ces idées, parfaitement conçues par le maréchal -Jourdan, restèrent donc en projet jusqu'à ce qu'on reçut de Paris des -dépêches de Napoléon, contenant pour cette campagne des instructions -fort arrêtées. - -[En marge: Idées de Napoléon sur la conduite à tenir en Espagne -pendant l'année 1813.] - -Nous avons exposé déjà les pensées de Napoléon à l'égard de l'Espagne -pour l'année 1813. Dégoûté d'une entreprise qui avait déplorablement -divisé ses forces, il y aurait volontiers renoncé s'il l'avait pu, -mais ayant attiré les Anglais dans la Péninsule, il ne dépendait plus -de lui de se débarrasser d'eux à volonté. En ouvrant par exemple à -Ferdinand VII les portes de Valençay, il aurait eu les Anglais à -Toulouse ou à Bordeaux au lieu de les avoir à Burgos ou à Valladolid. -Il fallait donc continuer à combattre au delà des Pyrénées pour n'être -pas obligé de combattre en deçà. Mais Napoléon, comme on l'a vu, avait -réduit cette tâche autant que possible pour 1813, car loin d'envoyer -des renforts en Espagne, il en avait tiré au contraire des cadres et -beaucoup d'hommes d'élite, en se tenant en mesure néanmoins de -conserver la Castille vieille, les provinces basques, la Catalogne et -l'Aragon. Son projet secret était de traiter avec l'Angleterre, en -restituant l'Espagne moins les provinces de l'Èbre à Ferdinand VII, et -en dédommageant celui-ci avec le Portugal, que la maison de Bragance -pouvait bien abandonner depuis qu'elle avait trouvé au Brésil un si -bel asile. C'est ce qui explique pourquoi Napoléon avait consenti pour -la première fois à admettre dans un congrès les représentants de -l'insurrection espagnole. - -[En marge: Désirant ne se réserver de l'Espagne que les provinces de -l'Èbre, et importuné de la présence des guérillas dans le nord de la -Péninsule, Napoléon fonde sur cette double considération ses plans -pour 1813.] - -[En marge: Il prescrit l'évacuation de Madrid, la concentration des -forces françaises en Castille, mais ordonne de prêter l'armée de -Portugal au général Clausel pour détruire les bandes du nord avant -l'ouverture de la campagne.] - -C'est d'après ces idées que Napoléon avait tracé ses instructions, -mais toujours d'une manière trop générale, absorbé qu'il était par les -préparatifs de la campagne de Saxe. Dépité de ce qu'un courrier -employait quelquefois trente ou quarante jours pour aller de Paris à -Madrid, tenant surtout à soumettre les provinces de l'Èbre qu'il avait -le projet d'adjoindre à la France, il prescrivit de rétablir à tout -prix les communications, répétant avec sa fougue ordinaire, quand une -pensée le préoccupait, qu'il était scandaleux, déshonorant, qu'aux -portes de France on fût plus en péril qu'au milieu de la Manche ou de -la Castille, et qu'on ne pût aller de Bayonne à Burgos sans être -dévalisé et égorgé. Il ordonna donc d'employer l'hiver à réduire Mina, -Longa, Porlier et tous les chefs de bandes qui infestaient la Navarre, -le Guipuscoa, la Biscaye, l'Alava. Pour y réussir plus certainement, -il voulut qu'on évacuât Madrid, qui ne l'intéressait plus guère depuis -qu'il songeait à rendre la couronne à Ferdinand VII, que Joseph -transférât sa cour à Valladolid, qu'il ramenât dès lors la masse des -troupes françaises dans la Vieille-Castille, qu'il rapprochât l'armée -de Portugal de Burgos, et qu'il en prêtât une grande partie au général -Clausel pour détruire les bandes, qu'il reportât l'armée d'Andalousie -de Talavera à Salamanque, l'armée du centre de Madrid à Ségovie, -laissant tout au plus un détachement dans cette capitale, afin qu'elle -ne parût pas définitivement abandonnée. Il prescrivit enfin une -dernière disposition, c'était de donner à l'armée d'Andalousie une -attitude offensive, pour persuader aux Anglais que l'on conservait des -projets sur le Portugal. Napoléon espérait ainsi, en portant de Madrid -à Valladolid le siége du gouvernement et en n'ayant plus qu'une seule -armée au lieu de trois, soumettre par la queue de cette armée les -bandes espagnoles qui ravageaient le nord, et par sa tête menacer le -Portugal, de manière à y fixer les Anglais et à les détourner de toute -entreprise sur le midi de la France. Malheureusement il y avait encore -dans ce plan bien des illusions. D'abord il était fort peu probable -que nous songeassions sérieusement à Lisbonne lorsque nous étions -réduits à évacuer Madrid, et lord Wellington avait montré assez de bon -sens pour qu'on ne pût pas se flatter de l'induire en de telles -erreurs. D'ailleurs il n'était pas nécessaire de l'inquiéter sur le -Portugal pour le retenir dans la Péninsule; il suffisait de le battre -en Castille, à Salamanque, à Valladolid, à Burgos, n'importe où, pour -le clouer de nouveau derrière les lignes de Torrès-Védras. Mais ce -grand objet, on le compromettait évidemment en prêtant l'armée de -Portugal au général Clausel, dans l'espérance de soumettre les bandes -du nord de l'Espagne. Ces bandes étaient pour assez longtemps -indomptables, et Joseph avec raison les représentait comme une Vendée, -sur laquelle les moyens moraux pourraient plus que les moyens -physiques. Il était donc bien douteux que vingt mille hommes de plus -missent le général Clausel en mesure de vaincre les bandes du nord, et -il était bien certain que vingt mille hommes de moins mettraient -Joseph dans l'impossibilité de gagner une bataille sur les Anglais. -Mais tout occupé de refaire la puissance militaire de la France, y -travaillant jour et nuit, continuant à ne pas lire la correspondance -d'Espagne, ordonnant de trop loin, et sans une attention assez -soutenue, Napoléon crut qu'un détachement de vingt mille hommes -accordé au général Clausel lui permettrait d'en finir avec les -guérillas pendant l'hiver, et que le printemps venu, on pourrait se -reporter à temps, et tous ensemble, à la rencontre des Anglais. - -[En marge: Les instructions de Napoléon n'arrivent, à cause de la -difficulté des communications, qu'en février et mars.] - -[En marge: Translation de la cour d'Espagne de Madrid à Valladolid.] - -[En marge: Nouvelle distribution des trois armées de Portugal, -d'Andalousie et du centre, et envoi dans le nord de l'Espagne d'une -partie de celle de Portugal.] - -Les instructions de Napoléon, transmises par le ministre de la guerre -dès le mois de janvier, et réitérées en février, n'arrivèrent pour la -première fois qu'au milieu de février, pour la seconde qu'au -commencement de mars, c'est-à-dire trente jours environ après leur -départ. C'était une première perte de temps extrêmement fâcheuse, -naissant des circonstances mêmes qui affectaient si vivement Napoléon, -c'est-à-dire de l'occupation de toutes les routes par les bandes -insurgées. Il en coûtait beaucoup à Joseph, comme nous venons de le -dire, d'abandonner Madrid, car son autorité sur les Espagnols, ses -finances, et les familles des afrancesados, allaient également en -souffrir. Mais déjà sa raison et le maréchal Jourdan lui avaient dit -qu'il fallait se résoudre à ce sacrifice. Les ordres de Napoléon ne -servirent qu'à l'y déterminer définitivement. Mieux eût valu sans -doute le faire plus tôt, car les troupes qu'on allait prêter au -général Clausel seraient redevenues libres plus promptement, mais -Joseph, quoique inclinant par bon sens à cette résolution, n'avait pu -s'y décider qu'à la dernière extrémité. En conséquence il ordonna la -translation de sa cour et de son gouvernement à Valladolid, mais en -laissant une division à Madrid. La masse des blessés et des malades à -évacuer (il y en avait neuf mille), du matériel à mettre en sûreté, -des familles de fonctionnaires à transporter, était si grande, que -cette évacuation exigea près d'un mois. Le nouvel établissement ne fut -pas terminé avant le commencement d'avril. Les troupes furent -distribuées de la manière suivante. (Voir la carte nº 43.) L'armée de -Portugal fut transférée de Salamanque à Burgos. Elle avait été réduite -par le renvoi des cadres inutiles et le versement de l'effectif dans -un moindre nombre de régiments, de huit divisions à six, et elle y -avait gagné en organisation ce qu'elle avait perdu en force numérique. -Trois de ces divisions furent envoyées au général Clausel pour l'aider -à soumettre les bandes; une fut retenue à Burgos; deux furent -échelonnées en avant de Palencia, prêtes à soutenir la cavalerie le -long de l'Esla, et observant l'armée espagnole de la Galice. L'armée -d'Andalousie, transportée de la vallée du Tage dans celle du Douro, et -se liant par sa droite avec celle de Portugal, occupa le Douro et la -Tormès pour se tenir en garde contre l'armée anglo-portugaise campée -dans le Béira. Elle occupait Zamora, Toro, Salamanque, Avila. Une de -ses divisions, celle du général Leval, fut laissée à Madrid, pour -continuer l'occupation apparente de la capitale, et en percevoir -les produits. Enfin l'une des deux divisions de l'armée du -centre fut établie à Valladolid même, l'autre à Ségovie, afin -d'appuyer la division Leval, qui restait en l'air au milieu de -la Nouvelle-Castille. - -[En marge: Malgré le départ des chefs les moins obéissants, la -distribution des troupes françaises en trois armées distinctes laisse -subsister les anciennes divisions.] - -Ces trois armées, qui au mois de janvier présentaient encore 86 mille -hommes aguerris, dont 12 mille de superbe cavalerie, n'en comptaient -plus en avril que 76 mille, par suite du départ des cadres et des -hommes d'élite que Napoléon avait appelés en Saxe. Leur division en -trois armées offrait bien des inconvénients, car malgré la révocation -des chefs qui avaient opposé à l'autorité de Joseph de si funestes -résistances, il restait encore dans les trois états-majors des -tendances à l'isolement, des habitudes d'exploiter le pays pour le -compte de chaque armée, extrêmement dangereuses. Fondre ces armées en -une seule, bien compacte, placer celle-ci sous un chef unique, tel que -le général Clausel, aussi vigoureux sur le champ de bataille que -soumis à l'état-major royal, la réunir tout entière entre Valladolid -et Burgos, lui procurer du repos, réparer son matériel, composer ses -magasins, eût été probablement un moyen de tout sauver. -Malheureusement on n'en fit rien. - -[En marge: L'armée de Portugal réduite successivement à une division -par les envois de troupes en Navarre.] - -On laissa les trois armées séparées, car Napoléon n'aurait pas vu avec -plaisir la réunion dans les mains de Joseph d'une pareille masse de -forces. Chaque état-major conserva ainsi ses prétentions, et quand, -par le conseil de Jourdan, Joseph ordonna aux administrations de ces -trois armées les mesures nécessaires pour la création des magasins, -chacune d'elles refusa d'obéir à l'état-major général. Il fallut un -ordre nouveau de Paris, qui mit plus d'un mois à parvenir à Madrid, -pour obliger chacun des trois intendants à déférer aux injonctions de -l'intendant en chef. Le temps le plus précieux pour la formation des -approvisionnements fut ainsi perdu. Enfin, après avoir envoyé trois -divisions de l'armée de Portugal au général Clausel pour l'aider à -soumettre les bandes, il fallut lui en expédier une quatrième, puis en -acheminer une cinquième jusqu'à Briviesca, de manière que le général -Reille n'en conserva qu'une avec lui. Il dut même la partager en deux, -et placer l'une de ses brigades à Burgos, l'autre à Palencia, derrière -la cavalerie qui gardait l'Esla. On n'avait donc, si les -Anglo-Portugais arrivaient brusquement, que deux des trois armées à -leur opposer, et déjà le bienfait de la concentration, auquel on avait -dû, après la malheureuse bataille de Salamanque, le rétablissement de -nos affaires, était presque annulé. Si encore ces renforts envoyés au -général Clausel l'avaient mis en mesure d'anéantir les bandes de -guérillas, le mal de la dispersion, quoique irréparable, n'aurait pas -été sans compensation. Mais cette Vendée espagnole était aussi -difficile à vaincre que l'avait été la Vendée française, et il -devenait évident que la force sans les moyens moraux et politiques -serait insuffisante pour y réussir. - -[En marge: Efforts impuissants du général Clausel pour détruire les -bandes, malgré le secours de presque toute l'armée de Portugal.] - -La marine anglaise, côtoyant sans cesse le rivage des Asturies de -Santander à Saint-Sébastien, y versant des armes, des munitions, des -objets d'équipement, des vivres, concourant à l'attaque ou à la -défense des postes maritimes, apportait aux insurgés un secours qui -doublait leurs moyens et leur audace. Porlier, Campillo, Longa, Mina, -Mérino, tantôt réunis, tantôt séparés, toujours bien informés, -évitaient nos colonnes dès qu'elles étaient en nombre, ne les -abordaient que lorsqu'elles s'étaient divisées pour courir après eux, -et alors avaient l'art de se rejoindre pour les accabler. Ils -n'avaient emporté nulle part d'avantages considérables, mais ils -avaient détruit jusqu'à deux bataillons à la fois, notamment à Lerin, -et bien que le général Clausel eût cinquante mille hommes à leur -opposer, qu'il mît la plus grande activité à les poursuivre, il ne -parvenait que rarement à les atteindre, et presque jamais à garantir -les communications, parce que pour garder efficacement les routes il -eût fallu en occuper tous les points, ce qui était absolument -impossible. Le général Clausel avait repris Castro sur le bord de la -mer, rendu les Anglais circonspects, traité Mina rudement, ravitaillé -Pampelune, actes fort méritoires sans doute, mais de peu d'importance -pour les affaires générales de la Péninsule. Il n'en fallait pas moins -trois à quatre mille hommes d'escorte pour voyager en sûreté de -Bayonne à Burgos, si l'objet ou le personnage escorté attirait -l'attention de l'ennemi; et en attendant, pour un si mince résultat, -on consumait les forces des troupes qui étaient la dernière ressource -qu'on pût opposer aux Anglais! - -[En marge: Lord Wellington entre en campagne au mois de mai.] - -Tandis qu'on s'épuisait de la sorte en courses inutiles, les mois -d'avril et de mai s'étaient écoulés, et le moment des grandes -opérations étant venu, lord Wellington avait quitté ses cantonnements. -Il entrait en campagne avec 48 mille Anglais, 20 mille Portugais, 24 -mille Espagnols, ces derniers mieux armés, mieux vêtus que de coutume; -il avait ainsi plus de 90 mille hommes à sa disposition. Son intention -était de faire passer d'abord l'Esla par sa gauche que commandait sir -Thomas Graham, et de n'aborder avec son centre et sa droite la ligne -du Douro plus difficile à forcer, que lorsque sa gauche se trouverait -par le passage de l'Esla sur les derrières des Français qui -défendaient le Douro. (Voir la carte nº 43.) Cette fois il marchait -avec un parc d'artillerie de siége, et n'était plus exposé à échouer -devant un ouvrage comme le fort de Burgos. - -[En marge: Il se porte avec 90 mille hommes sur l'Esla et le Douro.] - -Le 11 mai sa gauche exécuta un premier mouvement, et se répandit le -long de l'Esla. La cavalerie du général Reille, n'étant soutenue que -par une brigade d'infanterie, n'avait pu se montrer ni hardie ni -vigilante, et l'Esla était passé avant qu'elle fût en mesure de le -savoir ou de l'empêcher. Les Anglais ne se hâtèrent pas de nous -pousser vivement, car une aile ne voulait pas marcher sans l'autre, et -vers le 20 mai seulement lord Wellington, avec sa droite, se porta sur -Salamanque et la Tormès. Le 24 il fut signalé au général Gazan comme -s'avançant à la tête de forces considérables. - -[En marge: Les troupes françaises surprises dans un véritable état de -dispersion.] - -L'armée française, qui aurait dû être prête et concentrée dès le 1er -mai aux environs de Valladolid, se voyait surprise dans la situation -la plus fâcheuse. Sans doute le maréchal Jourdan plus jeune, Joseph -plus actif et plus décidé, n'auraient pas souffert que les choses -restassent dans l'état où l'ennemi allait les trouver. Ainsi, malgré -l'extrême difficulté des informations en Espagne, ils auraient tâché -de se tenir plus au courant des mouvements des Anglais; malgré les -ordres de l'Empereur, qui après tout étaient des instructions plutôt -que des ordres, ils auraient pu, à l'approche du danger, rappeler les -divisions de l'armée de Portugal prêtées au général Clausel, attirer -auprès d'eux ce général lui-même, seul capable de commander en chef -dans une grande bataille, ils auraient pu au moins concentrer -davantage les armées d'Andalousie et du centre, et ce qui restait de -celle de Portugal; enfin, malgré la résistance des administrations -particulières qu'il fallait briser au besoin, ils auraient pu créer à -Burgos les magasins sans lesquels il était impossible que dans un tel -pays on manoeuvrât en liberté. Mais Jourdan, dégoûté du régime -impérial dont il voyait de si près les abus, d'une guerre dont il -avait depuis longtemps prédit les funestes conséquences, se ressentant -déjà des effets de l'âge, retenu seulement par son affection pour -Joseph, et n'aspirant qu'à rentrer en France, se contentait de -signaler avec un rare bon sens les fautes qu'on allait commettre, et -ne savait pas communiquer à Joseph le courage de les prévenir. Joseph, -jugeant avec discernement le vice des choses, savait s'irriter -quelquefois contre son frère et jamais lui désobéir, ni prendre, comme -général et comme roi, l'autorité qu'après tout on ne l'aurait pas puni -d'avoir prise. Jourdan se consolait trop de tout ce qu'il voyait par -le mépris peu dissimulé d'un honnête homme, Joseph se désolait, mais -les choses n'en suivaient pas moins leur cours parfois heureux, plus -ordinairement malheureux, et destiné à devenir désastreux dans un -temps très-prochain. - -C'est ainsi que lord Wellington, en marche dès le 11 mai par sa -gauche, le 20 par sa droite, trouva l'armée d'Andalousie dispersée de -Madrid à Salamanque, celle du centre de Ségovie à Valladolid; celle de -Portugal de Burgos à Pampelune. - -[En marge: Lente concentration des trois armées françaises sur -Valladolid.] - -[En marge: Avis envoyé au général Clausel de l'approche des Anglais, -et ordre d'accourir lui-même avec les divisions de l'armée de Portugal -qu'on lui a prêtées.] - -Le premier soin devait être de rappeler de Madrid la division Leval, -et de lui faire repasser le Guadarrama pour la transporter à -Valladolid. Le général Gazan aurait pu en donner l'ordre sur-le-champ, -mais comme il s'agissait d'abandonner définitivement la capitale, il -crut devoir venir à Valladolid même s'en entendre avec Joseph. On -perdit ainsi deux jours. L'autorisation d'évacuer fut expédiée le 25 -de Valladolid. En même temps on envoya à toutes les troupes sur les -lignes de la Tormès, du Douro, de l'Esla, l'ordre de rétrograder -lentement, afin de ménager à la division Leval le temps de se replier, -et comme le général Reille n'avait pour appuyer sa cavalerie le long -de l'Esla qu'une des deux brigades de la division Maucune, on lui -prêta une division de l'armée du centre, celle du général Darmagnac. -On laissa le reste de l'armée du centre échelonné sur Ségovie pour -recueillir la division Leval. L'armée d'Andalousie, la plus entière -des trois, dut se retirer de Salamanque sur Tordesillas (voir la carte -nº 43), en cédant le terrain peu à peu, afin que toutes nos troupes -dispersées eussent le temps de se concentrer. À ces mesures, dictées -par la situation, on en ajouta une dernière, ce fut d'avertir le -général Clausel de l'approche des Anglais, de lui redemander les cinq -divisions de l'armée de Portugal, de l'engager à venir lui-même avec -quelques troupes de l'armée du nord, afin d'avoir au moins 80 mille -hommes à opposer aux Anglais. Enfin on écrivit au ministre de la -guerre Clarke, pour lui faire connaître l'état des choses, et le -presser d'ordonner de son côté la concentration des forces. Ce -ministre, demeuré seul à Paris depuis que Napoléon était parti pour -l'Allemagne, ne savait que répéter sans discernement les ordres de -l'Empereur, qui prescrivaient, comme objet essentiel, de rétablir les -communications avec la France, de rester maître avant tout des -provinces du nord, et de prendre une attitude offensive à l'égard du -Portugal, afin de détourner les Anglais de toute tentative contre les -côtes de France. Quelques jours même avant l'apparition des Anglais, -il n'avait pas craint d'ordonner l'envoi en Aragon d'une nouvelle -division de l'armée de Portugal, pour maintenir les communications -avec le maréchal Suchet. Il n'y avait donc pas grand secours à -attendre du duc de Feltre. Le seul service qu'il pût rendre, c'était -de transmettre de son côté au général Clausel l'avis de la marche des -Anglais, ce qui n'était pas indifférent, car, malgré tout ce qu'on -avait fait pour communiquer sûrement avec l'armée du nord, on n'était -pas certain d'y réussir avant trois ou quatre semaines. Au surplus le -général Clausel était si bon compagnon d'armes, et comprenait si bien -l'importance de battre les Anglais, qu'aussitôt averti il ne pouvait -manquer de renvoyer les divisions de l'armée de Portugal, et de venir -lui-même avec les troupes disponibles de l'armée du nord. - -[En marge: On dispute aux Anglais le terrain pied à pied.] - -Heureusement pour les premiers jours de la campagne on avait affaire à -un ennemi solide, mais circonspect, et nos soldats, aussi vaillants -que bien commandés, n'étaient pas faciles à déconcerter. Le général -Reille recueillit sa cavalerie, se retira en bon ordre sur Palencia, -et avec la division d'infanterie Maucune, la seule qui lui restât, -avec la division Darmagnac qui lui avait été prêtée, mit hors -d'atteinte la route de Valladolid à Burgos, laquelle était la ligne de -retraite de l'armée. Le général Villatte, placé sur la Tormès, la -défendit vaillamment, même trop vaillamment, car s'il était utile de -retarder l'ennemi, il était dangereux de prétendre l'arrêter, et il -perdit ainsi quelques centaines d'hommes, mais après en avoir fait -perdre beaucoup plus aux Anglais. Grâce à cette attitude et à la -prudente lenteur de lord Wellington, le général Leval put évacuer -Madrid, et repasser sain et sauf le Guadarrama, ramenant avec lui les -derniers restes de notre établissement à Madrid. Il rejoignit l'armée -du centre à Ségovie. Le 2 juin on se trouvait dans les positions -suivantes: le général Reille entre Rio-Seco et Palencia avec sa -cavalerie et deux divisions; l'armée d'Andalousie à Tordesillas sur le -Douro, avec ses quatre divisions; enfin l'armée du centre à Valladolid -avec une division française et une espagnole. C'était un total -d'environ 52 mille hommes, au lieu de 76 mille qu'on aurait pu réunir, -si on n'avait pas sitôt renoncé aux avantages de la concentration pour -le chimérique projet de la destruction des bandes. - -[En marge: Trois partis à prendre après la concentration opérée autour -de Valladolid.] - -[En marge: L'avis de se retirer directement sur Burgos et Miranda, et -d'y attirer le général Clausel, est adopté.] - -Une fois groupés autour de Valladolid, il y avait trois partis à -prendre (voir la carte nº 43): le premier, de s'arrêter et de livrer -bataille tout de suite avec 52 mille hommes contre 90 mille, ce qui -était imprudent et prématuré, chaque pas fait en arrière donnant la -chance de recouvrer une ou plusieurs divisions de l'armée de Portugal; -le second, de se retirer sur Burgos, puis sur Miranda et Vittoria, -jusqu'à ce qu'on eût rejoint l'armée du nord elle-même, ce qui était -simple et peu chanceux; le troisième enfin, de ne pas quitter la ligne -du Douro, de manoeuvrer sur ce fleuve en le remontant transversalement -jusqu'à Aranda, même jusqu'à Soria, d'où par une route que le maréchal -Ney avait suivie en 1808, on serait tombé entre Tudéla et Logroño, -c'est-à-dire en Navarre, précisément au point où l'on était assuré de -rencontrer le général Clausel et même le maréchal Suchet, si des -événements extraordinaires exigeaient la concentration générale de -toutes nos forces, plan assez hardi en apparence, mais le plus sûr en -réalité. Les trois projets furent pris en considération et discutés. -Personne n'imagina de se battre immédiatement avec 52 mille hommes -contre 90 mille, quand on devait se flatter d'en avoir chaque jour -davantage. On ne méconnut pas le mérite du troisième plan, consistant -à remonter le cours du Douro jusqu'aux approches de la Navarre, mais -on le jugea téméraire et compliqué, et surtout on lui trouva le défaut -d'abandonner la route de Bayonne, et de négliger le soin des -communications si recommandé par les instructions de Paris, comme si -une armée anglaise aurait jamais osé franchir les Pyrénées, en -laissant une armée de 80 mille Français sur ses derrières, et de 150 -mille en comptant le maréchal Suchet. Par ces divers motifs on préféra -le second plan, celui qui consistait à se retirer paisiblement sur -Burgos, en écrivant lettres sur lettres pour ramener les divisions -prêtées au général Clausel, sinon toutes, au moins celles qui -recevraient en temps utile l'avis qu'on leur expédiait. - -[En marge: Évacuation de Valladolid, et retraite sur Burgos.] - -Cette retraite commença donc, et il fallut après Madrid abandonner -Valladolid même, cette seconde capitale qu'on venait de se créer dans -la Vieille-Castille. On achemina devant soi le matériel, les malades, -les blessés, les afrancesados, et la marche ne put être que fort -lente. Les troupes, mal approvisionnées, étaient obligées de s'étendre -pour vivre, ce qui rendait la retraite peu sûre. Heureusement nous -avions dix mille hommes d'une excellente cavalerie, l'ennemi n'était -pas entreprenant, et on put ainsi se retirer sans accident fâcheux. -Lord Wellington, attendant la fortune sans jamais courir après elle, -savait bien qu'il en faudrait venir à une bataille générale, et se -résignait à cette chance, mais avec la résolution de ne combattre, -suivant son usage, que sur un terrain favorable, et jusqu'à ce moment -il semblait se contenter d'un seul résultat, celui de nous ramener -vers les Pyrénées. Dans cette intention, il portait toujours en avant -sa gauche partie des frontières de la Galice, de manière à menacer -notre droite (droite en tournant le dos aux Pyrénées), et à décider -ainsi plus vite nos mouvements rétrogrades. On ne comprend même pas -comment ce général si sensé, se hâtait lui-même de nous pousser sur -nos renforts, et ne cherchait pas une occasion de nous joindre, -lorsqu'au lieu d'être 70 mille nous n'étions que 50 mille. - -[En marge: Arrivée le 7 juin aux environs de Burgos.] - -Le 6 juin on atteignit les environs de Palencia, et une reconnaissance -exécutée par Joseph et Jourdan révéla complétement cette disposition -des Anglais de porter toujours leur gauche renforcée sur notre droite. -Le 7 on continua de marcher sur Burgos, et on vint prendre la position -de Castro-Xeriz, entre la Puyserga et l'Arlanzon, en avant de Burgos. -La rareté des subsistances ne permettant pas de conserver cette -importante position aussi longtemps qu'on l'aurait voulu, on se replia -sur Burgos le 9. Le général Reille avec la division Maucune et la -division Darmagnac s'établit sur le Rio Hormaza, le général Gazan avec -l'armée d'Andalousie derrière le Rio Urbel, à cheval sur l'Arlanzon, -l'armée du centre dans l'intérieur de Burgos. - -[En marge: Impossibilité de séjourner à Burgos par suite du défaut de -vivres, et par la nécessité où l'on est de rallier le général -Clausel.] - -On s'était pressé, faute de vivres, d'arriver à Burgos, et on devait, -faute de vivres encore, se presser d'en partir. Les nombreux convois -de malades, d'expatriés, de conducteurs d'artillerie, accumulés à -Burgos, avaient dévoré les magasins peu considérables qu'on avait -formés dans cette ville, et les troupes pouvaient à peine y subsister -quelques jours. On achemina de nouveau ces convois sur Miranda et -Vittoria, et on eut le tort, une fois la résolution adoptée de -rétrograder jusqu'aux Pyrénées, de ne pas envoyer tous les embarras à -Bayonne, pour en délivrer complétement l'armée. On fit reposer les -troupes quelques jours afin de consommer les subsistances qui -restaient, et de gagner un temps qui était gagné pour la -concentration, car chaque jour qui s'écoulait ajoutait aux chances de -rallier le général Clausel. À Burgos d'ailleurs on avait trouvé la -division Lamartinière, l'une de celles qu'on avait prêtées à l'armée -du nord, et qui était la plus nombreuse de l'armée de Portugal. Elle -procurait près de 6 mille hommes de plus au général Reille, ce qui -permit de rendre à l'armée du centre la division Darmagnac qu'on lui -avait temporairement empruntée. - -[En marge: Avant de quitter Burgos on discute encore une fois le plan -à suivre, et on examine s'il faut se diriger sur Vittoria, ou faire un -détour, pour rejoindre en Navarre le général Clausel.] - -[En marge: La marche directe sur Vittoria prévaut. Nouvel avis au -général Clausel.] - -C'était une nouvelle raison de se rapprocher de l'Èbre, et de pousser -plus loin le mouvement rétrograde, car si on ne ralliait pas toutes -les divisions envoyées au général Clausel, on pouvait du moins en -recouvrer encore une ou deux, et un tel renfort était d'une importance -décisive. Au surplus les vivres manquaient et il fallait aller se -nourrir plus loin. Ici s'élevait pour la seconde fois la question de -savoir, si on continuerait à suivre la grande route de Bayonne, pour -rester fidèle aux ordres qui avaient tant recommandé le soin des -communications avec la France, ou si on opérerait un mouvement -transversal, pour déboucher sur l'Èbre à Logroño, au lieu d'y arriver -par Miranda, ce qui rendait la réunion avec le général Clausel presque -infaillible. C'était, sans aucune des objections qu'il avait d'abord -provoquées, le plan qui avait été repoussé à Valladolid, et qui -consistait à se porter en Navarre par Soria, afin de rejoindre plus -sûrement le général Clausel. Cette fois le détour à faire était si peu -considérable, et la certitude de la jonction avec le général Clausel, -qui opérait en Navarre, d'un intérêt si capital, qu'on a peine à -comprendre la résistance à une telle proposition. Les généraux Reille -et d'Erlon l'appuyèrent fort; mais le maréchal Jourdan et Joseph, -moins bien inspirés que de coutume, dominés surtout par les -instructions de Paris répétées à chaque courrier, craignirent de -découvrir les communications avec Bayonne, et persistèrent à se -diriger directement sur Miranda et Vittoria. Seulement n'ayant pas de -nouvelles du général Clausel, on lui envoya, cette fois sous l'escorte -de quinze cents hommes, l'avis de l'arrivée de l'armée dans la -direction de Vittoria. On prit donc encore le parti de rétrograder sur -l'Èbre par Briviesca, Pancorbo, Miranda. - -[En marge: Départ de Burgos le 13 juin.] - -Le 12 juin le général Reille voyant les Anglais essayer de nouveau de -déborder notre droite (nous répétons qu'il s'agit de notre droite le -dos tourné aux Pyrénées), voulut les contraindre à déployer leurs -forces, et tint en arrière du Rio Hormaza. Les Anglais montrèrent -environ 25 mille hommes, mais le général Reille, qui n'en avait pas la -moitié, manoeuvra avec tant d'aplomb et de vigueur qu'il leur tua -trois ou quatre cents hommes, sans en perdre lui-même plus d'une -cinquantaine, et repassa le Rio Hormaza et même l'Arlanzon dans un -ordre parfait. Il était évident que les Anglais, sans être impatients -de nous livrer bataille, voulaient cependant nous contraindre à leur -céder le terrain en débordant toujours l'une de nos ailes. Le 13 on se -détermina à partir de Burgos, et comme dans cette campagne on savait -lord Wellington pourvu d'un équipage de siége considérable, que -d'ailleurs on ne voulait pas se priver de deux ou trois mille hommes -en les laissant à Burgos que nous n'avions guère l'espérance de -revoir, on se décida à faire sauter le fort qui nous avait rendu de si -grands services l'année précédente. Il fut résolu que les munitions -dont il était rempli et qu'on ne pouvait pas transporter, seraient -livrées aux flammes ainsi que le fort lui-même. - -[En marge: Explosion du fort de Burgos.] - -[En marge: Arrivée à Miranda le 16 juin.] - -Le 13, pendant que nous marchions sur Briviesca, l'armée fut attristée -par une effroyable explosion, triste signe d'une retraite sans espoir -de retour, et on sut, par l'arrière-garde, que cette opération, -exécutée sans les précautions nécessaires, avait causé à nos troupes, -et surtout à la ville, des dommages assez considérables. On arriva le -14 juin à Briviesca, le 15 à Pancorbo, le 16 à Miranda. Parvenu à ce -dernier point, on était au bord de l'Èbre, et un pas de plus on allait -être à Vittoria, au pied même des Pyrénées. (Voir la carte nº 43.) -L'ennemi s'était avancé par sa gauche jusqu'à Villarcajo, continuant -sa manoeuvre accoutumée de déborder notre droite. En même temps on -avait appris que le général Clausel, à la première nouvelle de -l'approche des Anglais, s'était hâté de diriger sur l'armée la -division Sarrut qu'on venait de recueillir en route, la division Foy -qui était encore sur les revers des Pyrénées entre Mondragon et -Tolosa, et qu'il s'avançait lui-même par Logroño en remontant l'Èbre, -avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, et deux -divisions de l'armée du nord. On l'espérait à Logroño pour le 20. - -[En marge: Probabilité et presque certitude d'une grande bataille -avant de repasser les Pyrénées.] - -C'était le cas d'exécuter le plus simple des mouvements, c'est-à-dire -de descendre l'Èbre de Miranda à Logroño, ce qui aurait entraîné un -détour de quelques lieues à peine, et assuré d'une manière certaine la -jonction avec le général Clausel. Mais la route directe de Bayonne par -Vittoria préoccupait plus que jamais Joseph et Jourdan. On craignait -non-seulement de la découvrir en descendant l'Èbre jusqu'à Logroño, -mais même en restant sur la route de Miranda à Vittoria, de ne pas la -protéger assez, car l'ennemi pouvait par Villarcajo franchir les -montagnes un peu plus haut, se porter par Orduña sur Bilbao, pousser -de Bilbao à Tolosa, et nous couper la route de Bayonne. Pour parer à -ce danger, le maréchal Jourdan voulait porter l'armée de Portugal par -Puente-Larra sur Orduña, afin de fermer le débouché par lequel la -route de Vittoria à Bayonne aurait pu être interceptée. C'était -l'obstination du ministre de la guerre à reproduire les premiers -ordres de Napoléon qui amenait cette funeste pensée, laquelle aurait -privé Joseph des trois divisions du général Reille jusqu'à ce qu'on -eût repassé les Pyrénées, et eût replacé l'armée, même après la -réunion avec le général Clausel, dans le dangereux état d'infériorité -numérique où elle se trouvait dans le moment. Or, il n'était pas -probable que les Anglais nous laissassent franchir les Pyrénées sans -livrer bataille, bien qu'en apparence ils n'eussent d'autre but que -celui de nous faire évacuer l'Espagne. Le maréchal Jourdan était -disposé à ne pas leur supposer d'autres intentions, et il faut -reconnaître que leur conduite habituelle donnait quelque crédit à une -opinion pareille. - -On avait séjourné le 17 juin à Miranda, pour procurer quelque repos à -l'armée. Il fallait cependant prendre un parti, car on ne pouvait -demeurer plus longtemps en cet endroit, et permettre à l'ennemi de -nous devancer aux divers cols des Pyrénées. Il y avait toujours eu -deux avis bien distincts dans l'état-major, l'un consistant à se -diriger le plus tôt possible, par un mouvement transversal, sur -Logroño et la Navarre, afin de rallier le général Clausel, sans tenir -compte du mouvement des Anglais contre notre droite, car ils ne -pouvaient pas songer à passer ces montagnes tant qu'ils n'auraient pas -gagné sur nous une bataille décisive; l'autre au contraire consistant -à donner une attention extrême au mouvement par lequel les Anglais -menaçaient nos communications, et à parer à ce mouvement en ne -quittant pas la grande route de Bayonne, et en y appelant le général -Clausel, qu'on espérait d'ailleurs y voir arriver d'un instant à -l'autre. Le premier avis était celui du général Reille et du comte -d'Erlon; le second était celui du maréchal Jourdan et du roi Joseph -fatalement dominés par les ordres de Paris. - -[En marge: Nouvelle discussion à Miranda sur la direction à suivre.] - -[En marge: L'avis du général Reille et du général comte d'Erlon est de -se porter en Navarre.] - -[En marge: Jourdan et Joseph insistent pour la marche directe sur -Vittoria.] - -Le conflit entre les deux opinions fut fort vif à Miranda, car le -moment était venu d'opter entre l'une ou l'autre. Le général Reille -soutenait que le général Clausel s'étant fait annoncer sur l'Èbre aux -environs de Logroño, il fallait se hâter d'y descendre pour le -rejoindre, et que toute considération devait céder devant le grand -intérêt de la concentration de nos forces, répétant ce qu'il avait -toujours dit, que le mouvement par lequel les Anglais cherchaient à -nous déborder n'était pas une menace sérieuse, tant qu'ils ne nous -auraient pas sérieusement battus. Le maréchal Jourdan et Joseph, au -contraire, craignaient par-dessus tout le mouvement qui transportant -les Anglais par Orduña sur Bilbao et Tolosa, les placerait entre nous -et Bayonne, au revers de la grande chaîne des Pyrénées. De plus le -convoi comprenant toutes nos évacuations, nos malades, nos blessés, -les expatriés espagnols, se trouvait à Vittoria, et descendre sur -Logroño c'était le découvrir, et le livrer à l'ennemi. Enfin le -général Clausel, auquel on avait indiqué Vittoria comme point de -rendez-vous, pouvait bien s'y être dirigé sans venir à Logroño, et, -dans ce cas, il serait lui-même aussi compromis que le convoi. - -Il faut reconnaître que l'avis du général Reille et du comte d'Erlon, -bien que le meilleur, comme on le verra bientôt, avait perdu de son -mérite apparent depuis qu'on avait envoyé le convoi à Vittoria, et -qu'on avait fait dire au général Clausel de s'y rendre, car, sans même -partager la crainte d'être tourné par Orduña, le danger de découvrir -le convoi, peut-être le général Clausel lui-même en descendant -obliquement sur Logroño, était un motif très-spécieux de continuer à -marcher directement sur Vittoria, et on ne saurait blâmer Joseph et le -maréchal Jourdan d'avoir persisté dans leur première opinion, surtout -en tenant compte des ordres de Paris, qui leur faisaient un devoir -impérieux de veiller à leurs communications avec la France. - -[En marge: Ils envoient le général Reille à Orduña, de crainte d'être -tournés par les Anglais.] - -Joseph et le maréchal Jourdan ne se bornèrent pas à adopter la marche -directe sur Vittoria, ils voulurent se donner tout repos d'esprit -relativement au danger d'être tourné par Orduña et Bilbao, et ils -prescrivirent au général Reille de se porter par Puente-Larra sur -Osma, par Osma sur Orduña et Bilbao, tandis que le reste de l'armée -s'avancerait immédiatement sur Vittoria. On espérait rallier à -Vittoria le général Clausel, gagner par cette réunion plus qu'on -n'aurait perdu par le départ du général Reille, et, adossés ainsi aux -Pyrénées avec les généraux Gazan, d'Erlon, Clausel, ayant sur le -revers de ces montagnes le général Reille pour parer à un mouvement -tournant, opposer partout à l'ennemi une barrière de fer. Mais en -prenant de telles dispositions, il aurait fallu avertir le général -Clausel autrement que par des paysans ou des officiers détachés; il -aurait fallu, par un régiment de cavalerie (arme dont on avait -beaucoup plus qu'on ne pouvait en employer), lui adresser à Logroño -même l'indication du vrai rendez-vous, et expédier des ordres positifs -pour hâter le départ du convoi de Vittoria, afin de ne pas l'y -rencontrer sur son chemin, et de n'y pas tomber dans un encombrement -dangereux[2]. - - [Note 2: Nous nous permettons d'indiquer ces mesures comme - celles qu'on aurait dû prendre, parce qu'on a généralement - reproché depuis à Joseph et au maréchal Jourdan de ne les - avoir pas prises, et que le simple bon sens suffit - d'ailleurs pour en apprécier la convenance et la nécessité.] - -Le sens, le jugement ne faisaient jamais défaut ni à Joseph, ni au -maréchal Jourdan; mais, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, -l'activité qui multiplie les précautions, qui ne se fie jamais aux -ordres donnés une seule fois, cette activité qui vient de la jeunesse -et d'une extrême ardeur d'esprit, leur manquait absolument. Ils -résolurent donc de diriger le général Reille avec ce qu'il avait de -l'armée de Portugal sur Osma, les généraux Gazan et d'Erlon avec les -armées du centre et d'Andalousie sur Vittoria, sans prendre -malheureusement aucune des précautions que nous venons d'indiquer. - -[En marge: Départ de Miranda le 18.] - -Le 18 le général Reille se mit en mouvement sur Osma avec les -divisions Sarrut, Lamartinière et Maucune. Mais à peine cette dernière -était-elle en marche qu'elle fut assaillie par une nuée d'ennemis, -auxquels elle n'échappa qu'à force de vigueur et de présence d'esprit. -Le général Reille arrivé à Osma, trouva des troupes nombreuses vers -Barbarossa, déjà postées à tous les abords des montagnes, et ne -permettant pas d'en approcher. C'étaient les Espagnols de l'armée de -Galice, qui avaient pris les devants pour occuper avant nous les -passages des Pyrénées. On aurait pu croire que conformément aux -conjectures du maréchal Jourdan et du roi Joseph, ils allaient -franchir les Pyrénées à Orduña pour couper la route de Bayonne; mais -ils n'y songeaient pas. Ils voulaient seulement nous devancer au pied -des montagnes, pour prendre des positions dominantes dans notre -flanc, si nous étions décidés à livrer une bataille défensive le dos -appuyé aux Pyrénées, ou nous précéder tout au plus au col de Salinas, -pour nous entamer avant que nous eussions regagné la frontière de -France. - -[En marge: Le général Reille trouvant l'ennemi sur la route d'Orduña, -revient vers Vittoria.] - -[En marge: Description du bassin de Vittoria.] - -Le général Reille voyant la route d'Orduña interceptée, renonça -facilement à une opération qu'il blâmait, et se décida à regagner par -un mouvement latéral la grande route de Miranda à Vittoria. De son -côté Joseph avait décampé dans la nuit du 18 au 19 juin pour se rendre -à Vittoria, et le 19 au matin tous nos corps étaient en pleine marche -sur cette ville. Vittoria, située au pied des Pyrénées sur le versant -espagnol, s'élève au milieu d'une jolie plaine entourée de montagnes -de tous les côtés. Si on y prend position le dos tourné aux Pyrénées, -on a sur la droite le mont Arrato, qui vous sépare de la vallée de -Murguia, devant soi la Sierra de Andia, et sur la gauche enfin des -coteaux à travers lesquels passe la route de Salvatierra à Pampelune. -Une petite rivière, celle de la Zadorra, arrose toute cette plaine, en -coulant d'abord le long des Pyrénées où elle a sa source, puis en -longeant à droite le mont Arrato, pour s'échapper par un défilé -très-étroit à travers la Sierra de Andia. - -[En marge: Réunion le 19 au soir de nos trois armées dans le bassin de -Vittoria.] - -Le gros de notre armée venant de Miranda et des bords de l'Èbre, -parcourait la grande route de Bayonne, qui pénètre directement dans la -plaine de Vittoria par le défilé que suit la rivière de la Zadorra -pour en sortir. Le général Reille y arrivait latéralement, en s'y -introduisant par les divers cols du mont Arrato. Le corps avec lequel -lord Wellington avait toujours essayé de nous déborder, et qui était -composé d'Espagnols et d'Anglais, aurait pu nous devancer aux passages -du mont Arrato, et occuper ainsi avant nous la plaine de Vittoria, si -le général Reille, qui dans son mouvement latéral lui était opposé, ne -l'eût contenu par la vigueur avec laquelle il disputa le terrain toute -la journée du 19. Par le fait, le détour qu'on avait prescrit au -général Reille, inutile quant au but qu'on s'était d'abord proposé, -eut néanmoins des conséquences heureuses, car s'il ne nous préserva -pas du danger chimérique de voir la route de Bayonne coupée au delà -des Pyrénées, il nous sauva du danger de la voir interceptée en deçà, -par l'occupation même du bassin de Vittoria. Le 19 au soir, nos trois -armées s'y trouvaient réunies sans aucun accident. Le général Reille -avait tué beaucoup de monde à l'ennemi, et n'en avait presque pas -perdu. - -[En marge: Nécessité pour les Français de livrer bataille.] - -[En marge: Forces qu'on aurait pu réunir à Vittoria.] - -Il devenait urgent d'arrêter ses résolutions. Il n'était pas à -présumer que lord Wellington nous laissât repasser les Pyrénées sans -nous livrer bataille, car une fois parvenus à la grande chaîne, -adossés à ses hauteurs, embusqués dans ses vallées, nous n'étions plus -abordables, et concentrés d'ailleurs avant d'avoir été atteints, nous -pouvions tomber sur l'armée anglaise avec 80 mille hommes, et -l'accabler. Lord Wellington avait déjà commis une faute assez grave en -nous permettant d'aller si loin sans nous joindre, et en nous donnant -ainsi tant de chances de rallier le général Clausel, mais on ne -pouvait pas supposer qu'il la commettrait plus longtemps. On devait -donc s'attendre à une bataille prochaine, à moins qu'on ne quittât -tout de suite Vittoria pour franchir le col de Salinas, et descendre -sur la Bidassoa. Mais ce parti était à peu près impossible. Repasser -les Pyrénées sans combat, c'était fuir honteusement devant ceux que -quelques mois auparavant on avait mis en fuite près de Salamanque; -c'était abandonner le général Clausel aux plus grands périls, car on -le laissait seul sur le revers des Pyrénées; c'était y laisser aussi, -moins immédiatement compromis, mais compromis cependant, le maréchal -Suchet avec tout ce qu'il avait de forces répandues depuis Saragosse -jusqu'à Alicante. Ainsi l'honneur militaire, le salut du général -Clausel, la sûreté du maréchal Suchet, tout défendait de repasser les -Pyrénées, et il fallait combattre à leur pied, c'est-à-dire dans le -bassin de Vittoria, où devait nous rejoindre le général Clausel. Si ce -général arrivait à temps, on pouvait être 70 mille combattants au -moins, et plus encore, si le général Foy, qui était sur le revers -entre Salinas et Tolosa, avec une division de l'armée de Portugal, -arrivait également. On avait donc toute chance de battre les Anglais, -qui, bien que formant avec les Portugais et les Espagnols une masse de -90 mille hommes, n'étaient que 47 ou 48 mille soldats de leur nation. -Pourtant il se pouvait qu'on ne fût pas rejoint sur-le-champ par le -général Clausel, et qu'un ou deux jours se passassent à l'attendre. Il -fallait, dans ce cas, se mettre en mesure de tenir tête aux Anglais -jusqu'à l'arrivée du général Clausel, et pour cela reconnaître -soigneusement le terrain et prendre toutes ses précautions pour le -bien défendre. On aurait eu besoin ici d'une vigilance qui -malheureusement avait toujours manqué dans la direction de cette -armée. - -[En marge: Forces qu'on y avait par suite de la dispersion de l'armée -de Portugal.] - -[En marge: Ce qu'il aurait fallu faire pour attendre en sécurité -l'arrivée du général Clausel.] - -Des six divisions de l'armée de Portugal on en avait trois, la -division Maucune qui n'avait pas quitté l'armée, et les divisions -Sarrut et Lamartinière qui avaient rejoint en route. Il s'en trouvait -une quatrième, celle du général Foy, au revers des Pyrénées. Les deux -autres, celles des généraux Barbot et Taupin, étaient encore auprès du -général Clausel, qui les amenait renforcées de deux divisions de -l'armée du nord. Avec les divisions de l'armée de Portugal qu'on avait -recouvrées, avec les armées du centre et d'Andalousie, on aurait -compté environ 60 mille hommes, sans les pertes de la retraite. Mais -bien qu'on n'eût pas livré de combats sérieux, on avait perdu 3 à 4 -mille hommes par maladie, fatigue, dispersion. Il en restait 56 à 57 -mille, dont il fallait distraire une partie pour escorter le convoi -qu'on ne pouvait pas garder à Vittoria, et on devait ainsi se trouver -réduit à 54 mille hommes environ[3]. C'était laisser bien des chances -à la mauvaise fortune que de combattre avec une pareille infériorité -numérique. Mais comme on n'avait pas le choix, et qu'on pouvait être -assailli par l'ennemi avant l'arrivée du général Clausel, il fallait -se servir des localités le mieux possible pour compenser l'infériorité -du nombre, et prendre ses mesures sinon le 19 au soir, au moins le 20 -au matin, car il était à présumer que les Anglais, parvenus aux -Pyrénées en même temps que nous, ne nous laisseraient pas beaucoup de -temps pour nous y asseoir. Dans la soirée même du 19 on aurait dû se -débarrasser de l'immense convoi qui comprenait les blessés, les -expatriés, le matériel, et se composait de plus de mille voitures, car -c'était une horrible gêne s'il fallait combattre, et un désastre -presque certain s'il fallait se retirer. En l'expédiant le soir même, -et en l'escortant seulement jusqu'au revers de la montagne de Salinas, -où l'on devait rencontrer le général Foy, il était possible de ramener -à temps les troupes qui l'auraient accompagné. Après s'être délivré du -convoi, il fallait se bien établir dans la plaine de Vittoria. Les -Anglais, ayant toujours tenté de déborder notre droite, allaient -continuer probablement la même manoeuvre. Ils devaient, venant de -Murguia, essayer de déboucher à travers les passages du mont Arrato -dans la plaine de Vittoria, ce qui les conduirait aux bords de la -Zadorra, qui longe, avons-nous dit, le pied du mont Arrato. Bien que -cette rivière fût peu considérable, on pouvait en rendre le passage -difficile en rompant tous ses ponts, et en couvrant ses gués -d'artillerie, ce qui était aisé, puisque nous traînions après nous une -masse énorme de canons. Or il était indispensable de rendre ce passage -non-seulement difficile, mais presque impossible, car, en traversant -la Zadorra, l'ennemi pouvait tomber sur les derrières ou au moins sur -le flanc de notre armée, rangée dans le bassin de Vittoria, et faisant -face au défilé par lequel on y pénètre en venant de Miranda. Ce défilé -à travers lequel la Zadorra s'échappe, ainsi que nous l'avons déjà -dit, et qui s'appelle le défilé de la Puebla, était le second obstacle -à opposer à l'ennemi, et il fallait bien étudier le terrain pour -chercher les meilleurs moyens de le défendre. Il y avait pour cela une -position dont l'événement prouva les avantages, et qui aurait fourni -le moyen d'interdire aux Anglais tout accès dans la plaine. En se -portant en effet un peu en arrière, dans l'intérieur même du bassin de -Vittoria, on rencontrait une éminence, celle de Zuazo, qui permettait -de mitrailler l'ennemi débouchant du défilé, ou descendant des -hauteurs de la Sierra de Andia, puis de l'y refouler en le chargeant à -la baïonnette après l'avoir mitraillé. Cette position, assez -rapprochée de Vittoria et des passages du mont Arrato, par lesquels -les Anglais menaçaient de déboucher sur nos derrières, permettait -d'avoir toutes choses sous l'oeil et sous la main, et de pourvoir -rapidement aux diverses occurrences. Il était donc possible, en -coupant les ponts de la Zadorra, en occupant avec soin la hauteur de -Zuazo, de défendre le bassin de Vittoria avec ce qu'on avait de -troupes, et d'y attendre en sûreté le général Clausel. Enfin à toutes -ces précautions on aurait dû joindre celle d'envoyer au général -Clausel non pas des paysans mal payés, mais un régiment de cavalerie -pour lui renouveler l'indication précise du rendez-vous. Or, comme -nous l'avons déjà dit, on avait plus de cavalerie qu'il n'en fallait -sur le terrain où l'on était appelé à combattre. - - [Note 3: Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprimés - récemment avec ceux du roi Joseph, on trouve des chiffres un - peu différents, mais le maréchal, quoique toujours - extrêmement véridique, a trop réduit les forces des Français - pour atténuer la défaite de la bataille de Vittoria. Après - des calculs qu'il serait trop long de reproduire, nous - sommes arrivé à croire plus exacts, du moins plus rapprochés - de la vérité, les chiffres que nous présentons ici. Du reste - la différence n'est que de 4 à 5 mille hommes. Nous devons - ajouter que le maréchal Jourdan a tout à fait raison contre - les chiffres allégués par le ministre de la guerre, - lesquels sont entièrement faux.] - -[En marge: Inaction forcée de Jourdan et de Joseph.] - -[En marge: Le maréchal Jourdan est atteint de la fièvre, et Joseph ne -peut rien ordonner sans lui.] - -[En marge: La seule mesure prise est d'acheminer sur Bayonne le convoi -des évacuations, mais en le faisant partir le 20 au lieu du 19.] - -De ces diverses précautions, il n'en fut pris aucune. Le 19 au soir on -ne fit point partir le convoi, et on n'envoya au général Clausel que -des paysans sur lesquels on ne devait pas compter, et qui d'ailleurs, -s'ils avaient été fidèles, auraient été exposés à être arrêtés. Le -jour suivant 20, au lieu de monter à cheval pour reconnaître le -terrain, Jourdan et Joseph ne sortirent point de Vittoria. Le maréchal -Jourdan était atteint d'une fièvre violente, résultat de l'âge, des -fatigues et du chagrin. Joseph, qui n'avait d'autres yeux que ceux du -maréchal, remit au lendemain 21 la reconnaissance des lieux. Il se -flattait, et le maréchal Jourdan aussi, que les Anglais, avec leur -circonspection ordinaire, chercheraient à percer à travers les -montagnes pour nous déborder, mais ne se hâteraient pas de nous -attaquer de front. La seule chose que la maladie du maréchal Jourdan -n'empêchât pas, c'était de se délivrer du convoi, dont on était -embarrassé au point de ne savoir où se mettre, et on décida qu'il -partirait dans la journée du 20. Afin de ne garder avec soi que -l'artillerie de campagne, on ordonna aux armées de Portugal et -d'Andalousie de fournir tous les attelages qui ne leur seraient pas -indispensables pour traîner le gros canon au delà des Pyrénées. De -plus, bien qu'on sût que la division Foy était sur le revers de la -chaîne, entre Salinas et Tolosa, comme les bandes se glissaient à -travers les moindres espaces, on donna à ce convoi la division Maucune -pour l'escorter. Par suite de cette disposition, l'armée de Portugal -se trouvait de nouveau réduite à deux divisions, et l'armée entière à -53 ou 54 mille hommes. - -Ainsi toutes les mesures ordonnées le 20 consistèrent à faire partir -pour Tolosa le convoi qui aurait dû partir le 19, à ranger le général -Gazan avec l'armée d'Andalousie en face du défilé de la Puebla, le -comte d'Erlon avec l'armée du centre derrière le général Gazan, et -puis à droite en arrière, le long de la Zadorra, le général Reille -avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, afin de -tenir tête au corps tournant des Anglais qui venait par la route de -Murguia. Aux négligences commises on ajouta celle de ne pas couper un -seul des ponts de la Zadorra. Entre nos divers corps d'infanterie on -plaça notre belle cavalerie, qui malheureusement, dans le terrain que -nous occupions, ne pouvait pas rendre de grands services, car le -bassin de Vittoria est semé de canaux nombreux qui arrêtent partout -l'élan des troupes à cheval. Nous comptions environ 9 à 10 mille -chevaux, ce qui réduisait notre infanterie à 43 ou 44 mille -combattants, moitié à peu près de celle de l'ennemi. - -[En marge: Toute la journée du 20 se trouve fatalement perdue.] - -Ainsi fut employée, c'est-à-dire perdue, la journée du 20. À chaque -instant on se flattait de voir arriver le général Clausel, que tout -devait faire espérer, mais que rien n'annonçait aux diverses issues -par lesquelles il pouvait apparaître. L'infortuné Joseph était dans -une anxiété extrême, sans en devenir plus actif, car chez les hommes -qui n'ont pas l'esprit tourné à la prévoyance, l'attente produit -l'agitation, mais non l'activité. - -[En marge: Le matin du 21, Jourdan, quoique malade, exécute avec -Joseph une reconnaissance du bassin de Vittoria.] - -[En marge: Description des positions occupées par l'armée française.] - -Le lendemain 21, le général Clausel n'avait point paru, et l'ennemi ne -pouvant pas être supposé longtemps oisif, Joseph et Jourdan voulurent -reconnaître le terrain pour s'y préparer à la lutte qu'ils sentaient -bien devoir être prochaine. Le maréchal Jourdan, un peu débarrassé de -sa fièvre, quoique souffrant encore, fit effort pour monter à cheval, -et vint avec Joseph reconnaître la plaine de Vittoria. À droite de -notre position et en arrière, au pied du mont Arrato, le général -Reille, avec les divisions françaises Lamartinière et Sarrut, avec le -reste d'une division espagnole, gardait les ponts de la Zadorra. Le -pont de Durana placé dans les montagnes du côté des Pyrénées, était -gardé par la division espagnole. Le pont de Gamarra-Mayor, situé à la -naissance de la plaine, était occupé par la division Lamartinière. -Celui d'Arriaga, tout à fait au milieu de la plaine et à la hauteur de -Vittoria, était défendu par la division Sarrut. Derrière ces divisions -se trouvaient, outre la cavalerie légère, plusieurs divisions de -dragons, prêtes à fondre sur toute troupe qui aurait franchi la -Zadorra. Mieux eût valu détruire les ponts de cette petite rivière, et -en défendre les gués avec de l'artillerie. Quoi qu'il en soit, la -présence sur ce point d'un aussi bon officier que le général Reille -avait de quoi rassurer. - -[En marge: Remarque juste, mais tardive, du maréchal Jourdan, et ordre -au général Gazan d'occuper la position de Zuazo, au centre du bassin -de Vittoria.] - -En se reportant droit devant eux, vers l'entrée de la plaine, au -débouché du défilé de la Puebla, Jourdan et Joseph gravirent -l'éminence dont nous avons parlé, celle de Zuazo, coupant -transversalement le bassin et dominant la sortie du défilé. -Sur-le-champ avec son coup d'oeil exercé, le maréchal Jourdan reconnut -que c'était là qu'il fallait établir le général Gazan à la tête de -toute l'armée d'Andalousie, qu'il fallait en outre hérisser la -hauteur de canons, ranger ensuite le comte d'Erlon à droite sur la -Zadorra, pour se lier au général Reille et garder le pont de -Trespuentes qui débouchait sur le flanc de la hauteur de Zuazo. Cette -remarque si juste, faite la veille, eût sauvé l'armée française, et -probablement notre situation en Espagne. On envoya donc des officiers -d'état-major pour transmettre ces ordres au général Gazan, et les lui -faire exécuter en toute hâte. - -[En marge: Au moment même où était donné cet ordre, la bataille -commençait.] - -[En marge: Résolution de lord Wellington de livrer bataille, et -dispositions d'attaque.] - -Mais il était trop tard, et la bataille commençait à l'instant même. -Lord Wellington, comme il était facile de le prévoir, ne voulut pas, -après nous avoir accompagnés, pour ainsi dire, jusqu'aux Pyrénées, -nous laisser repasser les montagnes sans nous livrer bataille, afin de -les franchir, s'il le pouvait, à la suite d'une armée battue. Il avait -porté le général Graham avec deux divisions anglaises, avec les -Portugais et les Espagnols formant sa gauche, sur la route de Murguia, -à travers les passages du mont Arrato, pour essayer de forcer le -général Reille sur la Zadorra. Il avait dirigé son centre composé de -trois divisions, sous le maréchal Béresford, à travers les autres -passages du mont Arrato, pour déboucher aussi sur la Zadorra, mais -vers le milieu de la plaine, ce qui devait les faire aboutir au pont -de Trespuentes, en face du général d'Erlon et sur le flanc de la -position de Zuazo. Enfin sa droite, composée de deux divisions -anglaises sous le général Hill, et de la division espagnole Morillo, -nous ayant suivis sur la route de Miranda, devait percer le défilé de -la Puebla, et venir déboucher au pied même de Zuazo. Tous ces corps -étaient déjà en marche lorsque le maréchal Jourdan et Joseph -envoyèrent au général Gazan l'ordre de rétrograder vers la hauteur de -Zuazo, d'où l'on pouvait, avons-nous dit, cribler à la fois les -troupes qui auraient forcé le défilé de la Puebla, et celles qui -auraient franchi la Zadorra à Trespuentes. - -[En marge: Le général Gazan n'ayant pas eu le temps de rétrograder -vers la position de Zuazo, est obligé de combattre où il se trouve.] - -Lorsque l'aide de camp de Joseph porteur de ses ordres arriva auprès -du général Gazan, celui-ci, déjà aux prises avec l'ennemi, déclara ne -pouvoir exécuter les mouvements qu'on lui prescrivait. Joseph et -Jourdan accoururent auprès de lui et bientôt découvrirent ce qui se -passait. À droite on apercevait les troupes de Béresford, qui, ayant -franchi les cols les plus rapprochés du mont Arrato, essayaient de -traverser la Zadorra à Trespuentes. Devant soi on voyait le général -Hill engagé dans le défilé de la Puebla, mais avec précaution, et -ayant jeté à sa droite, sur les hauteurs de la Sierra de Andia, la -division espagnole Morillo, pour seconder les troupes anglaises qui -voulaient forcer le passage. - -[En marge: Jourdan et Joseph accourus auprès du général Gazan, lui -ordonnent de déloger les Espagnols des hauteurs de la Sierra de -Andia.] - -Jourdan et Joseph ordonnèrent au général Gazan d'envoyer à gauche la -brigade d'avant-garde Maransin sur les hauteurs de la Sierra de Andia, -pour en débusquer le plus tôt possible la division espagnole Morillo, -de faire appuyer cette brigade par une division entière s'il le -fallait, puis, la hauteur reprise, de culbuter les Espagnols dans le -défilé de la Puebla, et de se jeter à leur suite dans le flanc du -général Hill. Avec les divisions Darricau et Conroux, le général Gazan -devait barrer le défilé, tenir à gauche la division Villatte en -réserve, et enfin disposer sur sa droite la division Leval pour -observer les troupes de Béresford, qui menaçaient la Zadorra à -Trespuentes. Le comte d'Erlon, rangé en bataille derrière le général -Gazan, devait faire observer la Zadorra, et être prêt à tomber sur les -troupes qui voudraient la passer entre lui et le général Reille. - -[En marge: Exécution lente et décousue des ordres donnés au général -Gazan.] - -À peine ces ordres étaient-ils expédiés, que le feu, sur notre gauche, -notre front et notre droite, s'étendit en un vaste cercle. Tout à fait -en arrière, vers le général Reille, on n'entendait rien encore. Le -général Gazan, qui avait reçu l'ordre de débarrasser d'abord les -hauteurs à notre gauche, lesquelles formaient l'extrémité de la Sierra -de Andia, ne fit pas attaquer avec assez d'ensemble les Espagnols qui -les avaient gravies. Il envoya un régiment après l'autre, et n'obtint -ainsi aucun résultat. Les Espagnols, bien abrités derrière des rochers -et des bois, et très-habiles à défendre les terrains de cette nature, -opposèrent une résistance assez vive à nos régiments mal engagés. Le -général Gazan pressé par le maréchal Jourdan d'agir avec plus de -vigueur, détacha d'abord de son front une brigade de la division -Conroux, puis une brigade de la division Darricau, pour soutenir -l'avant-garde du général Maransin. Ces deux brigades, plus que -suffisantes si elles avaient été portées en masse et simultanément sur -la hauteur qui était à notre gauche, restèrent à mi-côte, tiraillant -avec désavantage contre les Espagnols bien postés, et n'étant d'aucun -secours pour l'avant-garde Maransin qui perdait beaucoup de monde. -Deux heures s'écoulèrent ainsi sans avantage marqué, et ce retard -était d'autant plus regrettable, que si on les eût bien employées, et -qu'après avoir culbuté les Espagnols de la hauteur de la Sierra de -Andia dans le défilé de la Puebla, on eût refoulé dans ce défilé les -Anglais qui essayaient de le franchir, on aurait pu ensuite se -reporter au secours du général Reille, qui allait être vigoureusement -attaqué. - -[En marge: Lorsque, après des ordres réitérés, le général Gazan se -décide à attaquer vigoureusement les Espagnols, les Anglais profitent -de son mouvement pour déboucher dans la plaine, et enlever le village -de Subijana de Alava.] - -Le roi et le maréchal réitérant leurs ordres, le général Gazan se -décida enfin à porter la division Villatte, rangée un peu en arrière à -gauche, sur les hauteurs si mal et si longuement attaquées. La -division Villatte gravit rapidement les pentes de la Sierra de Andia -sous un feu plongeant des plus meurtriers, refoula néanmoins les -Espagnols de bas en haut, et les ramena dans les bois qui couronnaient -le sommet des hauteurs. Mais pendant ce temps les divisions anglaises -du général Hill, voyant notre front affaibli par l'envoi des deux -premières brigades du général Conroux et du général Darricau, voyant -de plus un village important, placé à notre gauche, celui de Subijana -de Alava, tout à fait découvert par le départ de la division Villatte, -se jetèrent sur ce village en débouchant vivement du défilé, et -parvinrent à l'emporter. Dès cet instant les Anglais avaient fait -irruption dans la plaine, et les repousser devenait fort difficile. Le -maréchal Jourdan imagina de lancer sur eux l'une des divisions du -comte d'Erlon, qui avait été placé en réserve sur la droite en -arrière. Mais le comte d'Erlon s'apercevant que les troupes de -Béresford menaçaient de passer la Zadorra à Trespuentes, y avait -successivement envoyé ses deux divisions. Il ne restait donc pas de -réserve, et par surcroît d'embarras le feu, qui du côté du général -Reille n'avait commencé qu'assez tard, se faisait entendre violemment -vers le fond de la plaine. - -[En marge: Le maréchal Jourdan et Joseph voyant la plaine envahie, -ordonnent qu'on se replie sur la hauteur de Zuazo.] - -Décidés par cet ensemble de circonstances, le roi et le maréchal -ordonnèrent un mouvement rétrograde sur l'éminence de Zuazo, d'où l'on -pouvait, avec un grand feu d'artillerie, arrêter les ennemis qui -avaient envahi la plaine par toutes les issues, les uns à notre droite -en passant la Zadorra à Trespuentes, les autres sur notre front en -débouchant du défilé de la Puebla, les autres enfin à notre gauche en -descendant des hauteurs de la Sierra de Andia. En même temps le -maréchal Jourdan prescrivit au général Tirlet, chef de notre -artillerie, de placer force bouches à feu sur la hauteur de Zuazo. - -[En marge: Le général Tirlet place sur la hauteur de Zuazo 45 bouches -à feu, et arrête les Anglais en les couvrant de mitraille.] - -[En marge: Faute d'une réserve d'infanterie, on ne peut tirer parti de -ce succès.] - -[En marge: Jourdan et Joseph ordonnent la retraite.] - -Ces ordres mieux exécutés que ceux qui avaient été donnés au général -Gazan amenèrent un résultat qui aurait pu être décisif. On rétrograda -sur la hauteur de Zuazo, et le général Tirlet en un clin d'oeil y -réunit quarante-cinq bouches à feu. Attendant les Anglais qui -sortaient du défilé de la Puebla, et l'une des colonnes de Béresford -qui avait forcé le passage de la Zadorra à Trespuentes, il les couvrit -de mitraille, et joncha en peu d'instants la terre de leurs morts. -D'abord mises en désordre, les troupes anglaises se reformèrent, -s'avancèrent au pas, et furent de nouveau rejetées en arrière par la -mitraille. Si dans ce moment on avait eu quatre ou cinq mille hommes -sous la main, et qu'on les eût lancés sur les masses ébranlées des -Anglais, on aurait pu en les refoulant dans le défilé leur faire -essuyer un sanglant échec. Malheureusement le général Gazan, au lieu -de se replier sur la hauteur transversale de Zuazo, était allé vers la -gauche se ranger à mi-côte sur le flanc de la Sierra de Andia, près -de la division Villatte, ce qui laissait un espace ouvert entre ses -troupes et celles du comte d'Erlon. Celui-ci avec ses deux divisions -disputait de son mieux les passages de la Zadorra, au-dessus et -au-dessous de Trespuentes. On n'avait donc sur la hauteur décisive de -Zuazo que de l'artillerie sans appui. Au fond de la plaine, le général -Reille attaqué à Durana, à Gamarra-Mayor, à Arriagua, se défendait -vaillamment, et chaque fois qu'on lui enlevait l'un de ses trois -ponts, le reprenait avec la plus rare vigueur; mais en même temps il -annonçait qu'il serait bientôt forcé, si on ne venait promptement à -son secours. Le maréchal Jourdan appréciant cette situation, conseilla -à Joseph d'ordonner la retraite, seul parti qu'il y eût à prendre en -ce moment. L'intention fut de la diriger sur la grande route de -Bayonne, par Salinas et Tolosa, afin de sauver l'artillerie, car si -par Salvatierra et Pampelune on avait chance de rejoindre le général -Clausel, on avait la certitude de perdre tous ses canons, à cause de -l'état des routes. - -[En marge: Les généraux Gazan et d'Erlon se disjoignent en se -retirant, et laissent à la cavalerie anglaise le champ libre pour se -jeter sur Vittoria.] - -[En marge: Panique à Vittoria.] - -[En marge: Les fuyards se précipitent sur la route de Salvatierra et -de Pampelune.] - -À peine l'ordre de la retraite fut-il donné, qu'on l'exécuta, mais -sans le concert et l'ensemble qui auraient pu prévenir les -inconvénients d'un mouvement rétrograde. Le comte d'Erlon ne voyant -pas le général Gazan à sa gauche, et apercevant la cavalerie anglaise -prête à fondre dans la plaine, chercha à s'appuyer vers la Zadorra en -se retirant, et découvrit ainsi Vittoria. La cavalerie ennemie s'y -précipita, et y fit naître une indicible confusion. Le convoi au salut -duquel on avait consacré une division n'était pas parti tout entier. -Il restait un parc d'artillerie de cent cinquante bouches à feu, -beaucoup de familles fugitives, de bagages, et de soldats de corvée -envoyés pour chercher des vivres. La vue des dragons anglais produisit -sur ces gens une terreur panique des plus vives, et ils se mirent à -fuir dans tous les sens en poussant des cris. Leur premier mouvement -fut de se porter sur la grande route de Bayonne, et le col de Salinas; -mais le général Reille disputant à outrance la haute Zadorra, tantôt -perdant, tantôt reprenant sa position, se battait sur cette même route -qu'il couvrait de feu et de sang. Les fuyards se rejetèrent alors sur -celle de Pampelune par Salvatierra. Le général Tirlet accouru à -Vittoria pour ordonner la retraite, connaissant le mauvais état de la -route de Salvatierra, prévoyant que l'artillerie, surtout avec -l'encombrement qui allait s'y former, ne pourrait pas y passer, -sachant de plus que dans nos arsenaux de la frontière le matériel ne -manquait pas, et que les attelages importaient seuls, prescrivit de -couper les traits, et de sauver les hommes et les chevaux en -abandonnant les canons. - -[En marge: Belle retraite du général Reille avec son corps d'armée.] - -La retraite qui d'abord avait dû se diriger sur Salinas et Bayonne, se -trouva donc par le mouvement du général Gazan, par une sorte -d'instinct de conservation qui avait poussé les fuyards vers la route -de Salvatierra où le canon ne s'entendait point, se trouva, -disons-nous, dirigée sur Pampelune, c'est-à-dire sur la Navarre. On -s'y rua avec une sorte de furie, laissant à Vittoria même un matériel -immense. Dès cet instant la situation du général Reille devenait des -plus périlleuses. Ce général avait tenu tant qu'il avait pu sur la -Zadorra, rejetant les Anglais et les Espagnols au delà de cette -petite rivière, chaque fois qu'ils avaient forcé un des trois ponts -dont il avait la garde. Mais ayant vu le mouvement de retraite sur -Salvatierra, il se décida lui-même à se retirer dans cette direction. -Pour sortir sain et sauf de sa position périlleuse, il fallait qu'il -contînt d'une part les troupes ennemies qui commençaient à franchir la -Zadorra devant lui, de l'autre celles qui déjà débouchaient de -Vittoria sur ses derrières. Il avait fort à propos tenu en réserve, à -quelque distance des trois ponts, la brigade Fririon composée des 2e -léger et 36e de ligne, et en outre plusieurs régiments de cavalerie. -Il ordonna sur-le-champ au général Sarrut qui défendait le pont -d'Arriagua, au général Lamartinière qui défendait celui de -Gamarra-Mayor, au général Casalpaccia qui gardait avec les Espagnols -et quelques centaines d'hommes du 3e de ligne le pont de Durana, de se -replier en bon ordre vers Salvatierra, pendant que lui tiendrait tête -aux Anglais venant de Vittoria. Le général Sarrut, en défendant le -pont d'Arriagua, fut tué. Le général Menne le remplaça, et fut -plusieurs fois assailli, mais ne se laissa point entamer. Le général -Lamartinière opposa un calme, une vigueur rares à l'impulsion de -l'ennemi victorieux. Pendant ce temps, le général Reille qui -s'attachait à les couvrir tous du côté de Vittoria, reçut en plein le -choc de la cavalerie anglaise. Mais avec les dragons de Digeon, de -Tilly, de Mermet, il la contint, et parvint à protéger la retraite de -son corps d'armée jusqu'à Betono. En cet endroit se trouvait un bois; -on s'y enfonça, ce qui permit de parcourir en sûreté une partie du -chemin qui menait à la route de Pampelune en tournant derrière -Vittoria. Mais au sortir du bois on aperçut un gros corps de cavalerie -qui nous attendait. Le général Reille le fit charger par le 3e de -hussards et le 15e de dragons, puis marcha en hâte vers le village -d'Arbulo. La cavalerie ennemie nous y poursuivit à outrance. Le -général Reille avec les 2e léger et 36e de ligne de la brigade -Fririon, se forma en avant de ce village, pour donner au reste de son -corps d'armée le temps de défiler. Assailli par les nombreux escadrons -des Anglais, il les reçut en carré et couvrit le terrain de leurs -morts. Toutes ses troupes ayant défilé, il traversa lui-même le -village, et gagna ainsi sain et sauf la route de Salvatierra, où se -précipitaient confusément les divers corps de notre armée et toute la -queue du vaste convoi que nous avions conduit avec tant de peine de -Madrid à Vittoria. - -[En marge: Résultats de la malheureuse bataille de Vittoria.] - -Nous avions eu dans cette fatale journée environ 5 mille morts ou -blessés, et les Anglais à peu près autant. Mais en soldats de corvée, -en fuyards, en valets d'armée, on nous avait pris 15 ou 1800 hommes. -Nous laissions en outre à l'ennemi 200 bouches à feu, non pas perdues -en ligne, mais abandonnées faute d'une route convenable pour les faire -passer, plus 400 caissons et un nombre infini de voitures de bagages. -Joseph n'avait pas même sauvé sa propre voiture, qui contenait tous -ses papiers. - -[En marge: Ce qu'avaient fait pendant cette bataille le général Foy et -le général Clausel.] - -[En marge: Efforts du général Clausel pour rejoindre Joseph.] - -[En marge: Ce général, séparé de l'armée française par le désastre de -Vittoria, prend l'habile résolution de se transporter à Saragosse.] - -On se demandera naturellement où était en ce moment le général Clausel -avec les 15 mille hommes qu'il aurait pu amener, ce que faisait sur le -revers des monts le général Foy, qui renforcé de plusieurs petites -garnisons et du général Maucune, avait lui aussi 15 mille hommes dont -la présence aurait été si utile dans la fatale plaine de Vittoria. Ces -30 mille hommes, joints aux 52 ou 54 mille de Joseph, formant l'énorme -masse de plus de 80 mille combattants, auraient pu accabler les -Anglais, et les rejeter en Portugal; et alors quelle différence, -non-seulement pour les affaires de la Péninsule, mais de l'Europe -entière, car les Anglais, qui exerçaient en Allemagne une si grande -influence sur les résolutions des coalisés, s'ils avaient conçu -quelques craintes pour leur armée de la Péninsule, auraient -certainement facilité les négociations, jusqu'à rencontrer peut-être -sur la limite des concessions possibles l'orgueil même de Napoléon! -Mais cette fois comme tant d'autres, ce n'était ni le nombre ni la -vaillance, ni le dévouement qui avaient manqué aux soldats de l'armée -d'Espagne, c'était la direction. Le général Foy qui n'était séparé de -Joseph que par la montagne de Salinas, n'avait reçu aucun des avis -qu'on lui avait adressés, et n'avait connu la présence de l'armée à -Vittoria que par l'apparition de la division Maucune à la suite du -convoi qu'elle escortait. Si ce mouvement de la division Maucune eût -été ordonné deux jours plus tôt, on aurait pu mettre le convoi en -sûreté, et ramener un renfort de dix à douze mille hommes à Vittoria. -Quant au général Clausel, dès qu'il avait su la marche des Anglais et -la retraite de notre armée, il avait réuni ses divisions en toute -hâte, était arrivé le 20 à Logroño, y avait cherché de tous côtés des -nouvelles de Joseph, n'avait trouvé que des habitants ou fugitifs ou -silencieux, et personne qui pût ou voulût lui donner un renseignement. -Seulement il avait rencontré des agents anglais faisant préparer des -vivres, et d'après plusieurs vestiges recueillis sur la route, il -avait été conduit à penser que l'armée française s'était portée de -Miranda sur Vittoria. Le 21 il s'était décidé à s'avancer par -Penacurada jusque sur le revers de la Sierra de Andia, pour voir s'il -pourrait à travers cette sierra tendre la main à Joseph. Mais se -doutant avec raison qu'il avait entre Joseph et lui l'armée anglaise, -sans savoir ni où, ni en quel nombre, il s'était approché avec -précaution, n'avait été joint par aucun des paysans qu'on lui avait -dépêchés, et vers la chute du jour avait fini par apprendre qu'on -s'était battu toute la journée, hélas! sans résultat heureux! Le 22 au -matin, voulant connaître la vérité entière, et à tout prix tâcher de -rejoindre l'armée française pour lui porter secours, il avait eu la -hardiesse de gravir la Sierra de Andia et de jeter un regard sur la -plaine de Vittoria. Des sommets de cette sierra il avait vu notre -immense désastre, et séparé de Joseph par les Anglais victorieux, il -n'avait dû songer qu'à son propre salut. Sans se troubler, il avait -regagné les bords de l'Èbre, l'avait descendu jusqu'à Logroño, et -ayant toujours entre Joseph et lui les Anglais qui nous poursuivaient -en Navarre, il avait pris la résolution, l'une des plus sages et des -plus hardies qu'on ait jamais prises à la guerre, de s'enfoncer vers -Saragosse, où il était amené par la raison de sauver son corps -d'armée, et par la raison non moins puissante de couvrir les derrières -du maréchal Suchet, et d'assurer la retraite de ce maréchal. - -[En marge: Retraite de Joseph dans les vallées des Pyrénées.] - -De leur côté, Jourdan et Joseph, ayant regagné Pampelune avec une -armée horriblement mécontente de ses chefs, non démoralisée toutefois, -diminuée seulement de cinq à six mille hommes, privée de ses canons -mais non de ses attelages, étaient encore en mesure d'opposer une -forte résistance aux Anglais, indépendamment de la résistance -naturelle qu'allaient leur présenter les Pyrénées elles-mêmes. Joseph -sur le conseil de Jourdan, après avoir laissé une garnison dans -Pampelune, envoya l'armée d'Andalousie dans la vallée de -Saint-Jean-Pied-de-Port, celle du centre dans la vallée de Bastan, -celle de Portugal dans la vallée de la Bidassoa, de manière à fermer -ainsi toutes les issues, et à prendre le temps de reformer -l'artillerie, et de faire cesser la distribution en trois armées -différentes, laquelle venait d'occasionner de nouveau de si fâcheux -embarras. Tandis qu'il ordonnait cette disposition, le général Foy, -aidé du général Maucune, avait habilement et bravement tenu tête aux -Anglais qui avaient voulu descendre de Salinas sur Tolosa, et les -avait rejetés assez loin. On avait perdu l'Espagne, mais pas encore la -frontière, et l'Empire, si longtemps envahisseur, n'était pas encore -envahi, quoiqu'il fût bien près de l'être! - -[Date en marge: Juillet 1813.] - -[En marge: Caractère de la campagne de 1813 en Espagne, et causes de -sa funeste issue.] - -[En marge: Napoléon, mal informé par le ministre de la guerre Clarke, -s'en prend à Joseph et à Jourdan du désastre de Vittoria.] - -Telle fut la campagne de 1813 en Espagne, si tristement célèbre par le -désastre de Vittoria, qui signalait nos derniers pas dans cette -contrée, où nous avions pendant six années inutilement versé notre -sang et celui des Espagnols. Si on veut prononcer sans passion sur les -événements de cette campagne, il est facile de découvrir les vraies -causes du revers définitif qu'on venait d'essuyer. La première cause, -cette fois comme tant d'autres, il faut la chercher dans les ordres -mêmes de Napoléon, qui ne considérant l'Espagne que comme un -accessoire de ses immenses entreprises, ou ne lui consacrait pas les -forces nécessaires, ou en subordonnait l'emploi à des calculs -étrangers à l'Espagne elle-même, et inconciliables avec le succès des -opérations dans ce pays. Cette année les forces qu'il y laissait, -quoique réduites par le rappel d'un grand nombre de cadres, étaient -depuis la concentration des trois armées d'Andalousie, du centre et de -Portugal, suffisantes pour se maintenir en Castille, puisqu'on aurait -pu réunir quatre-vingt mille hommes contre les Anglais. Mais dans la -double pensée de conserver les provinces du nord, qu'il entendait se -réserver à la paix, et d'alarmer les Anglais pour le Portugal, afin de -les détourner de toute entreprise contre le midi de la France, -Napoléon avait amené de nouveau sans le vouloir la dispersion des -trois armées depuis Salamanque jusqu'à Pampelune, de manière qu'après -avoir recouvré l'ascendant sur les Anglais par notre concentration, -nous venions de le perdre encore par une dissémination imprudente de -nos forces. Cette cause essentielle de la journée de Vittoria ne -saurait être cherchée ailleurs que dans les ordres de Paris, donnés -par Napoléon loin des lieux, avant la connaissance des faits, et -réitérés par le ministre de la guerre avec une obstination sans -excuse, lorsque les événements et les objections du maréchal Jourdan -en avaient démontré le danger. Après cette cause, il y en a une autre, -fort ancienne, et toujours féconde en malheurs dans la Péninsule, -c'est le défaut d'unité dans le commandement, qui fit qu'aucune -administration ne voulant obéir, il n'y eut rien de préparé sur la -route de l'armée, et qu'il fallut, en rétrogradant pour rallier le -général Clausel, se replier avec une précipitation qui rendait le -ralliement plus douteux et plus difficile, les pertes sur la route -plus considérables. Ce défaut d'unité était le tort de Napoléon, -toujours refusant à son frère l'autorité nécessaire, de Joseph, ne -sachant pas la prendre, des généraux, ne sachant pas y suppléer par -leur soumission. Après ces causes, le défaut d'activité chez Joseph et -le maréchal Jourdan, l'un indolent, l'autre fatigué par l'âge et le -chagrin, contribua beaucoup au malheur de la campagne. Plus actifs, -plus prompts à se résoudre, Joseph et Jourdan auraient pu évacuer -Madrid plus tôt, et se rallier plus tôt ou en avant de Valladolid, ou -en avant de Burgos. À Vittoria même, il y eut deux jours perdus, deux -jours précieux pour le départ du convoi et le déblaiement du champ de -bataille, pour le choix du terrain où l'on pouvait disputer à l'ennemi -l'entrée de la plaine, pour la réunion au général Clausel. Dans cette -occasion décisive, comme on l'a vu, le maréchal Jourdan était malade, -et Joseph n'avait pas songé à le suppléer. Enfin des ordres de détail -mal exécutés par les généraux avaient complété la série de fautes et -de malheurs qui amenèrent la catastrophe finale de Vittoria. Après -tout, Napoléon qui aurait dû dans ces funestes résultats s'attribuer -la part la plus grande, car avec son génie si profond, sa connaissance -si parfaite des choses, il était plus que personne capable de tout -prévoir, et avec sa puissance si obéie capable de tout prévenir, -Napoléon s'en prit à tout le monde au lieu de s'en prendre à lui-même, -et à Joseph et à Jourdan plus volontiers qu'à qui que ce fût. - -N'ayant pu suivre dans aucun de leurs détails les événements -d'Espagne, absorbé qu'il était par la guerre de Saxe qu'il dirigeait -en personne, croyant sur cet objet ce que lui écrivait le ministre -Clarke, qui, tandis qu'il adressait à Joseph les lettres les plus -affectueuses, faisait parvenir à Dresde les rapports les plus -défavorables, il avait un double motif d'irritation, dans les -résultats d'abord qui ne pouvaient manquer d'être déplorables, et dans -les fautes qui révoltaient par leur évidence son grand sens militaire. -Les résultats, c'étaient l'Espagne perdue, la frontière du midi -menacée, le moyen le plus puissant de négociation auprès de -l'Angleterre annulé, puisque dans l'état des choses ce n'était plus -rien que de lui céder l'Espagne, c'étaient en outre des sacrifices -nouveaux à ajouter à ceux que demandait l'Autriche, dès lors la paix -plus difficile que jamais, enfin une confiance, une exaltation -nouvelles inspirées à tous ceux qui croyaient le moment venu -d'accabler la France. Les fautes, c'étaient non-seulement celles que -nous venons d'énumérer, et qui n'étaient que trop réelles, mais toutes -celles que le ministre Clarke prêtait gratuitement au malheureux -Joseph et au plus malheureux Jourdan, son chef d'état-major. Le -ministre de la guerre n'avait pas dit en effet que les ordres de -Napoléon qui prescrivaient de détruire les bandes et de menacer le -Portugal, ordres déplorablement réitérés par les bureaux de Paris, -avaient été signalés par Jourdan comme une cause inévitable de -désastre, que la résistance des administrations de chaque armée à -l'ordonnateur en chef avait encore été dénoncée comme un autre -inconvénient grave qui empêcherait que rien ne fût préparé à la -reprise des opérations. Ce même ministre n'avait pas dit que les -Anglais étaient près de 100 mille, et les Français tout au plus 50 -mille. Il présentait au contraire des calculs qu'auraient à peine -accueillis les gazettes les moins informées. Il ne comptait dans -l'armée de lord Wellington que les Anglais, les évaluait à 40 ou 45 -mille, négligeait les Portugais devenus presque les égaux des Anglais, -les Espagnols, excellents dans les montagnes, et attribuait à l'armée -française non pas ce qu'elle avait eu sur le champ de bataille, mais -ce qu'elle aurait pu avoir si les ordres de Paris ne l'avaient -dispersée, et lui supposait de 80 à 90 mille hommes contre 45 mille. -Il avait en effet le courage, après le désastre de Vittoria, d'écrire -à Joseph qu'il aurait dû avoir 90 mille hommes contre 45 mille, et que -c'était chose bien étonnante qu'il se fût laissé battre avec une telle -supériorité de force numérique. Ce fait seul donne une idée de ce qui -pouvait se passer à côté même de Napoléon, lorsqu'il n'y regardait -point de ses propres yeux, et qu'il se laissait informer par des -ministres courtisans, ne lui disant que ce qu'il avait plaisir à -entendre. - -[En marge: C'est dans son voyage à Magdebourg, que Napoléon avait -appris les événements d'Espagne.] - -[En marge: L'irritation de Napoléon s'étend sur tous ses frères en -général.] - -On comprend que Napoléon, en considérant d'une part les résultats, de -l'autre les fautes vraies et les fautes imaginaires imputées à Joseph -et au maréchal Jourdan, qui déjà lui déplaisaient fort, et avaient -auprès de lui un redoutable accusateur dans le maréchal Soult présent -à Dresde, on comprend que Napoléon dût être fort irrité. Il avait -appris d'une manière sommaire les événements d'Espagne au moment de -partir de Dresde pour exécuter les courses militaires dont nous avons -parlé. Il apprit successivement à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg -le détail de ces événements, toujours par les rapports du ministre -Clarke. Aussi son emportement fut-il extrême. Ce fut pour lui une -occasion de se déchaîner contre Joseph et contre tous ses frères. -L'abdication du roi Louis, la défection imminente de Murat qui -s'annonçait déjà clairement, l'éclat que Jérôme avait fait l'année -précédente en quittant l'armée, lui revinrent à l'esprit, et lui -arrachèrent les paroles les plus amères. Le moment était venu en effet -d'apercevoir quelle faute il avait commise en voulant renverser toutes -les dynasties, afin de leur substituer la sienne! Mais, pour être -juste, il faut reconnaître que son ambition avait, bien plus que celle -de ses frères, contribué à cette politique désordonnée, et qu'après -leur avoir donné des trônes ou des armées à commander, il n'avait rien -omis pour rendre leur tâche encore plus difficile qu'elle ne l'était -naturellement. Il avait effectivement exigé d'eux une abnégation des -intérêts de leurs sujets, un talent de tout faire avec rien, ou -presque rien, qu'il était inhumain d'exiger de leur part, et qui -devait amener plus d'un scandale de famille, comme l'abdication du roi -de Hollande. À l'égard de Joseph notamment, après l'avoir tiré de -Naples où ce prince avait une tâche appropriée à son caractère et à -ses talents, où il rendait un petit peuple heureux en étant heureux -lui-même, Napoléon l'avait transporté en Espagne presque sans le -consulter, l'avait lancé dans une guerre effroyable, l'y avait aidé un -moment de toutes ses forces, puis, au milieu des préoccupations de la -guerre d'Autriche en 1809, de celle de Russie en 1812, l'avait laissé -sans secours, sans argent, exposé à la haine de ses sujets, à la -désobéissance, quelquefois même à l'arrogance des généraux, n'avait -voulu écouter aucun de ses avis, presque tous justifiés par -l'événement, et pour toute réponse n'avait cessé de se moquer de ses -prétentions militaires et de ses moeurs, moqueries qui de la cour de -France avaient retenti jusqu'au milieu de la cour d'Espagne, et -avaient encore contribué à la déconsidération de la royauté nouvelle. -Et pourtant Napoléon aimait sa famille, mais gâté par un pouvoir sans -bornes, il ne tenait pas plus compte des droits de ses frères que de -ceux des peuples, et disposait d'eux comme d'instruments inanimés, -jusqu'au jour où il devait trouver les peuples révoltés, et ses frères -eux-mêmes presque en état de défection. - -[En marge: Napoléon rappelle Joseph, le remplace par le maréchal -Soult, lui prescrit de s'enfermer à Morfontaine, et ordonne de le -faire arrêter s'il en sort.] - -Ses traitements envers Joseph furent extrêmement rigoureux.--J'ai trop -longtemps compromis mes affaires pour des imbéciles, écrivit-il à -l'archichancelier Cambacérès, au ministre de la guerre, au ministre de -la police; et, après ce préambule, il donna les ordres les plus -sévères et les plus humiliants pour Joseph. Il fit d'abord pour le -remplacer en Espagne le choix qui pouvait lui être le plus -désagréable, celui du maréchal Soult, qui était en ce moment à Dresde. -Napoléon conféra au maréchal Soult le titre de son lieutenant en -Espagne, avec des pouvoirs extraordinaires, lui ordonna de partir -immédiatement, de ne rester à Paris que douze heures, de n'y voir que -l'archichancelier Cambacérès et le ministre de la guerre, et de se -rendre ensuite à Bayonne pour y rallier l'armée et tenir tête aux -Anglais. Jusque-là rien de plus naturel. Mais il enjoignit à Joseph de -quitter l'Espagne sur-le-champ, lui interdit en même temps de venir à -Paris, lui prescrivit de se retirer à Morfontaine, de s'y enfermer, de -n'y recevoir personne, chargea le prince Cambacérès de défendre à tous -les hauts fonctionnaires de l'aller visiter, comme si on avait eu de -leur part de généreux mouvements à craindre, et à toutes ces -injonctions il ajouta celle de le faire arrêter si ces ordres étaient -enfreints! Devenu méfiant à l'égard des hommes, depuis qu'il avait été -obligé de le devenir à l'égard de la fortune, il voyait partout des -trames prêtes à se nouer contre la régence de sa femme, contre -l'autorité de son fils. C'est pour ces motifs qu'il n'avait pas voulu -laisser le duc d'Otrante, le maréchal Soult à Paris, et que sous -divers prétextes il les tenait sans emploi à Dresde. Joseph mécontent -à Paris, s'y entourant de mécontents, et peut-être un jour disputant -la régence à Marie-Louise, telles étaient les images sinistres qui -avaient traversé son esprit irrité, et qui lui dictèrent l'ordre -inutile de faire arrêter son propre frère. Certes, si Joseph eût été -capable de ces noirs projets, il aurait commencé par lui désobéir en -Espagne, et probablement il lui serait ainsi devenu plus utile qu'en -exécutant servilement des ordres donnés de trop loin, et sous l'empire -de fatales distractions! Le simple bon sens présent sur les lieux et -exclusivement appliqué à son objet, vaut souvent mieux que le génie -absent ou distrait par des entreprises exorbitantes. - -[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.] - -[En marge: Suite des négociations de Prague.] - -[En marge: Arrivée à Prague, le 11 juillet, des plénipotentiaires -russe et prussien.] - -[En marge: Noms et qualités de ces plénipotentiaires, choisis parmi -les personnages les moins éclatants.] - -[En marge: Le 15 juillet, les plénipotentiaires français ne sont pas -encore nommés.] - -[En marge: M. de Bassano affecte de rejeter ces retards sur M. de -Metternich.] - -Si les événements d'Espagne, qui allaient rendre les ennemis de -Napoléon plus exigeants, l'avaient en même temps rendu plus -raisonnable et plus conciliant, on peut dire qu'un grand malheur fût -devenu un grand bien: mais il n'en fut point ainsi. Après avoir visité -Torgau, Wittenberg, Magdebourg, après avoir passé en revue les corps -qu'il voulait inspecter, ordonné les travaux qu'il avait projetés sur -l'Elbe, Napoléon revint à Dresde, pour y continuer le redoutable jeu -de perdre du temps, d'arriver au terme de l'armistice sans s'être -expliqué sur les conditions de la paix, et d'obtenir de la sorte une -nouvelle suspension d'armes en feignant au dernier moment de négocier -sérieusement. La Prusse et la Russie avaient choisi leurs -plénipotentiaires, et les avaient envoyés à Prague, où ils étaient -arrivés le 11 juillet, par conséquent un jour avant le terme assigné -pour la réunion du congrès. Ni l'une ni l'autre de ces puissances -n'avait fait les choix éclatants auxquels on s'était d'abord attendu. -On avait cru que la Prusse désignerait le chancelier de Hardenberg, et -la Russie M. de Nesselrode. Mais, à cause de l'Angleterre, ces -puissances avaient évité de donner à ce congrès trop d'éclat; elles -avaient voulu y paraître amenées et menées par l'Autriche, en n'y -faisant figurer aucun personnage qui fût l'égal de M. de Metternich. -La Prusse avait choisi M. de Humboldt, nom illustre déjà dans la -science, mais peu connu encore dans la politique (le plénipotentiaire -prussien était le frère du savant qui est l'une des gloires de ce -siècle). La Russie avait choisi le baron d'Anstett, Alsacien (par -conséquent Français), appartenant à une famille d'émigrés, homme de -quelque esprit, de peu de considération, et de sentiments fort -hostiles à la France. Quoique ce dernier choix fût assez déplaisant, -comme au fond l'intention était de tout laisser faire à M. de -Metternich, il fallait ne tenir compte que de lui seul, et ne pas -prendre garde aux collaborateurs qu'on lui adjoignait. Ces deux -négociateurs à peine rendus à Prague, avaient communiqué leurs -pouvoirs au médiateur, et ils se plaignaient du peu d'égards qu'on -leur témoignait en les faisant attendre, sans même annoncer le jour de -l'arrivée des plénipotentiaires français. Le 15 juillet on n'avait -encore rien dit, et M. de Narbonne, étant retourné à Prague comme -ambassadeur, désigné en outre comme devant être l'un de nos -plénipotentiaires, mais n'ayant reçu ni pouvoirs ni instructions, ne -savait quel langage tenir ni quelle attitude prendre. À toutes les -remontrances de M. de Metternich, transmises à Dresde, M. de Bassano -avait répondu que la faute était au cabinet autrichien, qui avait -laissé partir l'empereur Napoléon pour Magdebourg sans communiquer -officiellement la ratification de la nouvelle convention prolongeant -l'armistice jusqu'au 16 août. À ce reproche M. de Metternich avait -répliqué qu'ayant fait connaître officieusement cette ratification, on -aurait bien pu, en attendant la communication officielle, nommer les -plénipotentiaires, et les faire partir, ce qui eût été au moins -l'accomplissement des devoirs de politesse auxquels les grands États -sont astreints les uns envers les autres aussi bien que les individus -eux-mêmes. Sans s'arrêter à cette réponse, M. de Bassano avait de -nouveau tout rejeté sur M. de Metternich. - -[En marge: Napoléon ayant reçu la ratification officielle de la -dernière convention, choisit pour plénipotentiaires MM. de Narbonne et -de Caulaincourt.] - -[En marge: Noble conduite de M. de Caulaincourt.] - -[En marge: Conditions auxquelles il accepte la mission qui lui est -confiée.] - -Napoléon étant revenu à Dresde le 15, après un voyage de cinq jours, -et ayant enfin reçu la ratification de la nouvelle convention par -l'Autriche, la Prusse et la Russie, ne pouvait plus différer la -nomination de ses plénipotentiaires. En conséquence il chargea MM. de -Narbonne et de Caulaincourt de le représenter au congrès de Prague. Il -était impossible de choisir des hommes plus sages, plus éclairés, -animés de plus nobles sentiments. En nommant M. de Caulaincourt, -Napoléon nourrissait toujours la secrète espérance d'un rapprochement -direct avec la Russie, et d'un traité de paix qui, sacrifiant -l'Allemagne au profit des deux grands empires d'Orient et d'Occident, -satisferait à la fois la Russie et la France, triste paix, qui -conviendrait peut-être à l'amour-propre de Napoléon, mais nullement -aux intérêts vrais de son empire! Bien que ce fût peu probable, à en -juger seulement par le choix de M. d'Anstett, Napoléon n'en -désespérait pas tout à fait, et c'était même le seul cas où il voulût -négocier sérieusement. M. de Caulaincourt, objet de ces illusions, ne -les partageait point. Cet excellent citoyen, esprit profondément -sensé, avait la vertu peu commune, en aimant fort à plaire, de -s'exposer à déplaire pour dire la vérité, et était ainsi le modèle -rare du courtisan honnête homme, qui compte pour rien les faveurs de -cour, même les plus désirées, quand il s'agit d'épargner une faute au -prince, et un malheur au pays. Il avait dit à Napoléon qu'une espèce -de paix astucieuse, obtenue de la défection des uns envers les autres, -n'était plus à espérer dans l'état de forte cohésion auquel les divers -cabinets étaient parvenus, que la Russie ne se laisserait plus -détacher de l'Autriche, que la faveur dont il avait personnellement -joui auprès de l'empereur Alexandre n'y servirait de rien, que les -concessions demandées par l'Autriche étaient le seul moyen d'arriver à -une paix honorable, que cette paix était indispensable, qu'il -suppliait qu'on ne l'envoyât pas à Prague avec les mains liées, pour y -éprouver la douleur de voir passer inutilement devant lui l'occasion -de servir et de sauver sa patrie. Il était même allé jusqu'à déclarer -que sans une latitude suffisante il n'accepterait pas la mission qui -lui était destinée. Napoléon, qui avait besoin du nom de M. de -Caulaincourt pour couvrir du respect que ce nom inspirait une -négociation simulée, lui avait promis des pouvoirs étendus, et -l'illustre négociateur comptant sur cette promesse s'était soumis à la -volonté de son maître. - -[En marge: Le choix de MM. de Narbonne et de Caulaincourt est approuvé -à Prague.] - -[En marge: Nouvel incident dont Napoléon profite pour perdre encore du -temps.] - -[En marge: Les commissaires réunis à Neumarckt pour l'exécution -quotidienne de l'armistice, paraissent supposer qu'il expirera le 10 -août et non pas le 16.] - -[En marge: Motif de cette méprise.] - -Ces deux choix universellement approuvés produisirent à Prague une -impression qui corrigeait quelque peu le mauvais effet de nos éternels -retards. Bien qu'on fût au 16 juillet, et qu'il ne restât plus que -trente jours pour négocier, tout pouvait être sauvé néanmoins même à -cette heure, lorsqu'un fâcheux incident vint fournir à Napoléon le -prétexte spécieux qu'il cherchait pour perdre encore du temps. Il y -avait à Neumarckt des commissaires des diverses parties belligérantes, -réunis en commission permanente pour le règlement quotidien de ce qui -concernait l'exécution de l'armistice. Lorsque le commissaire français -leur avait communiqué la dernière convention qui prolongeait -l'armistice au 10 août, avec un délai de six jours entre la -dénonciation de l'armistice et le renouvellement des hostilités, ce -qui fixait au 17 la malheureuse reprise de cette guerre, les -commissaires prussien et russe avaient paru en être informés pour la -première fois, et être fort étonnés de ce qu'elle statuait. Après en -avoir référé au quartier général des alliés, ils avaient reçu du -commandant en chef Barclay de Tolly la confirmation de la convention, -et en même temps la déclaration que ce ne serait pas le 17 août mais -le 10 que recommenceraient les hostilités. Cette déclaration était -aussi étrange qu'imprévue. Selon le sens vrai de la convention, on ne -pouvait pas dénoncer l'armistice avant le 10 août, et si effectivement -on le dénonçait le 10, il devait s'écouler encore, d'après la première -convention et d'après toutes les règles, un délai quelconque entre -l'avis donné de la reprise des hostilités et leur reprise effective. -Ce délai, fixé à six jours dans la première convention, devait -subsister de droit dans la seconde. L'usage, l'intention des parties -contractantes, le texte, tout était d'accord pour rendre cette -interprétation incontestable. Mais voici ce qui avait amené la méprise -qui allait fournir à Napoléon de si funestes prétextes. Les deux -souverains de Prusse et de Russie étaient entourés d'esprits tellement -ardents qu'il leur en avait coûté beaucoup d'efforts pour faire agréer -le premier armistice, quelque besoin qu'ils en éprouvassent. Ils -n'avaient pu refuser le second aux instances de M. de Metternich; -toutefois en y consentant ils avaient à peine osé l'avouer, et -l'empereur Alexandre, partant pour Trachenberg où devait avoir lieu -une conférence générale des chefs de la coalition, avait dit sans -détails au général Barclay de Tolly, qu'il avait consenti à une -prolongation d'armistice jusqu'au 10 août, mais qu'il n'accorderait -pas un jour de plus. En s'exprimant ainsi et d'une manière générale, -l'empereur Alexandre n'avait parlé que du délai principal, et n'avait -pas entendu exclure celui de six jours, placé de droit entre l'annonce -et le fait même des hostilités. Mais Barclay de Tolly, poussant -jusqu'à l'excès l'exactitude et l'observation des formes, n'avait cédé -à aucune représentation, et avait déclaré ne pas vouloir prendre sur -lui la solution d'une pareille difficulté sans en référer à l'empereur -Alexandre lui-même. - -[En marge: Napoléon mécontent d'abord de cet incident songe bientôt à -en profiter.] - -[En marge: Il fait dire à Prague que M. de Caulaincourt ne partira que -lorsque le nouvel incident sera vidé.] - -Napoléon en apprenant cette singulière contestation, en éprouva un -premier déplaisir, car il s'était demandé si en effet elle ne serait -pas sérieuse, et si on ne voudrait pas lui faire perdre les sept jours -auxquels il tenait infiniment, car avec l'activité qu'il déployait en -ce moment, chaque heure écoulée lui procurait d'importants résultats. -Mais à la réflexion, en se rappelant ses discussions avec M. de -Metternich, les calculs de temps qu'ils avaient faits ensemble, il -n'avait pu conserver aucun doute sur l'interprétation de la seconde -convention, et loin de s'inquiéter de l'incident, il avait résolu de -s'en servir, et d'en tirer un prétexte nouveau et tout à fait -plausible de perdre encore quelques jours. Il fit sur-le-champ -déclarer par M. de Narbonne à Prague, qu'un étrange incident s'étant -élevé à Neumarckt, le sens de la convention en vertu de laquelle on -allait se réunir et négocier étant contesté, il n'était ni de sa -dignité ni de sa sûreté de traiter avec des gens qui entendaient ainsi -leurs engagements, et qu'avant de faire partir M. de Caulaincourt il -voulait une explication catégorique au sujet de ce qui venait d'être -dit par le général Barclay de Tolly. M. de Narbonne, l'un des deux -plénipotentiaires français, étant déjà rendu à Prague, les devoirs de -politesse se trouvaient remplis selon lui, et le second -plénipotentiaire français pouvait bien ne partir qu'après avoir obtenu -l'explication demandée, et l'avoir obtenue pleinement satisfaisante. - -[En marge: Grande irritation des plénipotentiaires russe et prussien, -attendant depuis le 11 à Prague les plénipotentiaires français qui -n'arrivent pas.] - -[En marge: Langage que les partisans de la guerre tiennent au sujet du -nouveau retard.] - -Lorsque cette nouvelle difficulté fut connue à Prague, et elle le fut -le 18 juillet par une dépêche partie de Dresde le 17, on en ressentit -une impression fort vive et fort naturelle. Les deux plénipotentiaires -prussien et russe affectèrent d'en être irrités, offensés même, -beaucoup plus qu'ils ne l'étaient véritablement. Mais M. de Metternich -en fut consterné, et l'empereur François blessé profondément. L'un et -l'autre désiraient la paix, telle que nous l'avons définie, bien que -l'empereur y crût moins que le ministre, et chaque chance de la -conclure évanouie leur causait de sincères regrets. De plus, ils -étaient humiliés du rôle qu'on leur faisait jouer. Les ennemis de leur -politique de médiation se riaient d'eux, et aimaient à dire que, pour -prix de leurs efforts pacifiques, Napoléon ne leur enverrait pas même -un négociateur, et que ces inventeurs du congrès de Prague, loin de -le conduire à bien, ne pourraient pas même le réunir. Ce fâcheux -pronostic des partisans de la guerre semblait près de se réaliser, car -déjà sous le plus futile prétexte, parce que la ratification de la -seconde convention communiquée officieusement ne l'avait pas été -officiellement, Napoléon avait perdu cinq ou six jours; maintenant, -sous un prétexte aussi frivole, parce que les commissaires de -Neumarckt, simples agents d'exécution, n'ayant aucune autorité morale, -élevaient une difficulté d'interprétation sur un texte qui leur était -inconnu, on allait perdre quelques jours encore. Et quand on avait -vingt jours devant soi, vingt-sept avec le délai contesté, en -sacrifier cinq ou six à chaque occasion, était un jeu visible et -offensant. Le plus grave d'ailleurs ce n'était pas la perte de temps, -car si on voulait bien s'entendre, deux jours, n'en restât-il que -deux, pouvaient suffire: le plus grave, c'était la disposition que -cette manière d'agir révélait chez Napoléon. Puisqu'il se jouait ainsi -de ses adversaires et du médiateur, évidemment il ne souhaitait point -la paix, et après avoir obtenu le temps qu'il avait si ardemment -désiré, et qu'il employait si bien, il ne prenait pas même la peine de -dissimuler à quel point il se moquait de ceux dont il avait fait ses -dupes!--Tel était le langage, malheureusement très-fondé, que les -partisans de la guerre tenaient partout, en ayant soin de le rendre -blessant et amer pour l'empereur François et son ministre. - -[En marge: Langage plein de noblesse et de fermeté de M. de -Metternich.] - -[En marge: Déclaration formelle que l'armistice ne sera pas prolongé -d'un jour, et qu'au terme expiré, l'Autriche fera partie de la -coalition.] - -M. de Metternich vit M. de Narbonne et se montra à lui profondément -affligé.--La nouvelle difficulté que vous venez de soulever, lui -dit-il, n'est pas plus sérieuse que la précédente. Nous vous avions -annoncé amicalement la ratification expresse de la convention en vertu -de laquelle l'armistice est prolongé jusqu'au 16 août; vous ne pouviez -donc pas douter de l'exactitude du fait, et ce n'était pas une raison -de différer la nomination et l'envoi de vos plénipotentiaires, lorsque -ceux des autres parties belligérantes devaient être ici le 12, qu'ils -y arrivaient même le 11. Aujourd'hui les commissaires de Neumarckt, -qui ne sont rien, qui ont toutes les passions des états-majors, -prétendent interpréter un texte qui leur est inconnu, et vous affectez -de prendre la chose au sérieux, jusqu'à vous montrer alarmés! Ce ne -peut être une alarme bien sincère. Croyez-vous qu'on voudrait malgré -nous, et par conséquent sans nous, recommencer les hostilités? le -croyez-vous en vérité? Certainement non. Dès lors de quoi s'agit-il? -D'une difficulté insignifiante, dont vous auriez pu faire le sujet de -notre entretien à la première réunion des plénipotentiaires, et sur -laquelle vous auriez eu l'avis favorable des deux plénipotentiaires -prussien et russe, et en tout cas l'avis décisif du médiateur, dont -l'opinion vous était connue d'avance. Ce n'était donc pas la peine de -perdre encore quelques jours, quand il nous en reste à peine une -vingtaine d'ici au 10 août. Nous ne pouvons voir qu'une chose dans -cette conduite, c'est le désir de l'empereur Napoléon de nous mener -ainsi, sans avoir rien fait, jusqu'au terme de l'armistice. Mais qu'il -ne s'y trompe pas, il ne parviendra pas à faire prolonger d'un jour la -suspension d'armes. Aux difficultés que vous rencontrez à Neumarckt, -vous devez juger de celles que nous avons eu à vaincre nous-mêmes -pour obtenir une première prolongation. Vous n'en obtiendrez pas une -seconde, soyez-en sûr. Que l'empereur Napoléon ne se fasse pas -illusion sur un point plus important encore. Le terme du 10 août -arrivé, il n'y aura plus un mot de paix à dire, et la guerre sera -déclarée. Nous ne serons pas neutres, qu'il ne s'en flatte pas. Après -avoir employé tous les moyens imaginables pour l'amener à des -conditions raisonnables, qu'il connaît bien, que dès le premier jour -nous lui avons fait connaître, sur lesquelles nous n'avons pas pu -varier, car elles constituent le seul état tolérable pour l'Europe, il -ne nous reste plus, s'il les refuse, qu'à devenir belligérants -nous-mêmes. Si nous demeurions neutres (comme au fond il le désire), -les alliés seraient battus, nous n'en doutons pas; mais après leur -tour le nôtre viendrait, et nous l'aurions bien mérité. Nous ne -commettrons donc pas cette faute. Aujourd'hui, quoi qu'on puisse vous -dire, nous sommes libres. Je vous donne ma parole et celle de mon -souverain, que nous n'avons d'engagements avec personne. Mais je vous -donne ma parole aussi que le 10 août à minuit nous en aurons avec tout -le monde, excepté avec vous, et que le 17 au matin vous aurez trois -cent mille Autrichiens de plus sur les bras. Ce n'est pas légèrement, -ce n'est pas sans douleur, car il est père et il aime sa fille, que -l'empereur mon maître a pris cette résolution; mais il doit à son -peuple, à lui-même, à l'Europe, de rendre à tous un état stable, -puisqu'il en a le moyen, et que d'ailleurs l'alternative ne serait -autre que de tomber quelques jours plus tard sous vos coups, dans une -dépendance pire que celle où vous aviez mis la Prusse. Certes nous -savons quelle chance on court en voulant combattre, même quand on est -fort nombreux, l'empereur Napoléon à la tête des armées françaises; -mais après y avoir bien réfléchi, nous préférons cette chance au -déshonneur et à l'esclavage. Qu'on ne vienne donc point après -l'événement nous dire que nous vous avons trompés! Jusqu'au 10 août à -minuit tout est possible, même à la dernière heure; le 10 août passé, -pas un jour, pas un instant de répit, la guerre, la guerre avec tout -le monde, même avec nous!--M. de Narbonne, saisi de ce langage, calme, -triste et grand, dit à M. de Metternich: Quoi! pas un instant de -répit, même si la négociation était commencée!--À une condition -seulement, répondit M. de Metternich, c'est que les bases de la paix -seraient admises en entier, et qu'il n'y aurait plus à régler que les -détails.-- - -[En marge: M. de Narbonne, comprenant parfaitement cette situation, -mande à Dresde que si on n'est pas décidé à la guerre générale avec -l'Europe entière, il faut ouvrir tout de suite la négociation.] - -M. de Narbonne, qui avait parfaitement apprécié cette situation, et -qui voyait bien qu'il n'y avait plus à jouer avec le temps et avec les -hommes, qu'en agissant ainsi on n'abuserait plus personne, et qu'on ne -tromperait que soi, écrivit à M. de Bassano qu'il fallait ou se -décider à la guerre, à la guerre certaine, universelle avec l'Europe, -ou que si on n'avait pas pris ce parti, si on souhaitait la paix, sauf -à en modifier les conditions, il fallait négocier sérieusement, et -même, ne voulût-on qu'une nouvelle prolongation d'armistice, ne pas -paraître se moquer de ceux avec lesquels on traitait. Il demandait -donc qu'on fît partir M. de Caulaincourt, car les négociateurs -prussien et russe menaçaient tous les jours de se retirer (ce dont ils -avaient le droit, puisqu'on était au 20 juillet, et qu'ils attendaient -depuis le 11), et s'ils quittaient Prague tout serait fini. À peine -obtiendrait-on de la bonne foi des coalisés que l'armistice fût -respecté jusqu'au 17 août, et si même on l'obtenait, on ne le devrait -qu'à la prudence et à la modération de l'Autriche. - -[En marge: Nouvelle espérance et nouveau calcul de Napoléon.] - -[En marge: Il n'espère pas obtenir une prolongation d'armistice, mais -retarder l'entrée en action de l'Autriche, ce qui suffit à ses plans -militaires.] - -[En marge: Pour disposer l'Autriche à ce qu'il désire, Napoléon envoie -à M. de Narbonne le pouvoir de commencer la négociation sans M. de -Caulaincourt.] - -Ces conseils si sages, dictés par la plus parfaite connaissance des -choses, n'affectèrent pas beaucoup M. de Bassano, et encore moins -Napoléon. Ce dernier toutefois, bien que décidé à la guerre plutôt -qu'aux conditions apportées par M. de Bubna, bien que se flattant avec -ses nouveaux préparatifs de battre tous les coalisés, l'Autriche -fût-elle du nombre, n'était pas indifférent à l'espérance d'une -nouvelle prolongation d'armistice, et à force de la désirer se faisait -l'illusion étrange que peut-être il l'obtiendrait. Il doutait à la -vérité d'amener la Prusse et la Russie à cette prolongation, animées -comme elles paraissaient l'être; mais il y avait une combinaison -meilleure pour lui que celle de retarder les hostilités avec toutes -les puissances, c'était en les laissant commencer avec la Prusse et la -Russie, de les différer encore quelques jours avec l'Autriche seule, -ce qui lui aurait donné le temps d'accabler les deux premières, puis -de se rejeter sur l'Autriche elle-même, _qui aurait son tour_, comme -avait très-bien dit M. de Metternich. Pour y réussir il y avait un -moyen, c'était en ouvrant la négociation vers la fin de l'armistice, -de manière à inspirer quelques espérances à M. de Metternich et à -l'empereur François, d'obtenir qu'on négociât en se battant, ce qui -était possible, ce qui s'était vu en plus d'une occasion, et ce qui -retarderait probablement l'entrée en action de l'Autriche, car tant -que ses conditions auraient chance d'être acceptées, il était -vraisemblable qu'elle ne voudrait pas se mettre en guerre avec la -France. Ainsi arriver non pas à une nouvelle suspension d'armes qui -arrêterait le bras de tout le monde, mais à une négociation continuée -durant les hostilités, qui retiendrait quelques jours encore le bras -de l'Autriche, était sa pensée actuelle. Mais pour cela il fallait -faire quelque chose, et Napoléon, malgré le doute subsistant à -Neumarckt, doute qui n'en était pas un pour lui, fit expédier à M. de -Narbonne ses pouvoirs et ses instructions qui avaient été retenues -jusque-là, avec la faculté accordée aux deux plénipotentiaires -français de traiter l'un en l'absence de l'autre. Dès lors on n'était -plus fondé à dire que la négociation était suspendue, puisque M. de -Narbonne, à lui tout seul, pouvait la commencer, et la conduire même à -son terme. Mais bien qu'on appréciât le mérite de M. de Narbonne en -Autriche et en Europe, le duc de Vicence (M. de Caulaincourt) passait -pour être seul initié à la pensée de Napoléon, et tant qu'il -n'arrivait pas à Prague, on était généralement disposé à considérer la -négociation comme n'étant pas sérieuse. Sur ce point Napoléon fit -répéter que dès que l'énigme de Neumarckt serait éclaircie, il -expédierait le duc de Vicence; et pour se donner un motif spécieux -d'attacher tant d'importance à ce que disaient les commissaires de -Neumarckt, il fit écrire à M. de Metternich que communiquant par ces -commissaires avec les places bloquées de Custrin, de Stettin, de -Dantzig, tant pour les correspondances que pour les vivres, il avait -besoin d'une explication claire et positive, et ne différait le départ -de M. de Vicence que pour être assuré de l'obtenir. - -[En marge: Langage trop peu sérieux de M. de Bassano.] - -M. de Bassano cherchant sans cesse à se modeler sur son maître, et à -imiter sa coupable mais héroïque indifférence au milieu des dangers, -écrivait à M. de Narbonne ce qui suit:--Je vous envoie, lui disait-il, -plus de _pouvoirs_ que de _puissance_, vous aurez _les mains liées, -mais les jambes et la bouche libres, pour vous promener et -dîner_.--C'est de ce ton que parlait le ministre de l'Empire français, -au moment suprême où se décidait à jamais le sort de son maître et de -sa patrie! - -[En marge: M. de Narbonne est autorisé à l'échange des pouvoirs, opéré -en commun, et sans passer par les mains du médiateur.] - -Après s'être livré à ces jeux de mots, M. de Bassano permettait à M. -de Narbonne de procéder à l'échange des pouvoirs, mais en tenant au -mode de négocier sur lequel on avait déjà insisté. En conséquence il -devait offrir l'échange des pouvoirs dans une conférence commune, puis -cette formalité remplie, proposer la discussion des matières dans des -conférences auxquelles assisteraient tous les plénipotentiaires, sous -les yeux du médiateur, qui serait ainsi témoin et partie des -négociations mais non pas leur intermédiaire exclusif. Il devait enfin -proposer la rédaction de protocoles, qui assureraient l'authenticité -des conférences. Si toutes ces questions de forme étaient vidées, ce -qui ne pouvait manquer d'être long, M. de Narbonne avait ordre de -présenter pour première base de négociation l'_uti possidetis_, -c'est-à-dire la conservation de ce que chacun possédait dans l'état -présent de la guerre, comme si aucun des événements de 1812 et de 1813 -ne s'était accompli. - -[En marge: Nouveau chagrin de M. de Metternich en apprenant à quelle -condition est soumis l'échange des pouvoirs.] - -[En marge: Depuis qu'on avait laissé percer l'intention d'un -arrangement direct entre la Russie et la France, les Russes et les -Prussiens affectaient de vouloir faire de l'Autriche leur unique -intermédiaire.] - -[En marge: Cette disposition poussée au delà des désirs de l'Autriche, -devait rendre insoluble la question de forme.] - -La seule question de forme devait exiger beaucoup de temps, car sur -cette question les coalisés avaient leur parti pris, et insister à ce -sujet c'était s'exposer à dépenser inutilement plusieurs mois, quand -on n'avait plus que dix-huit jours. M. de Metternich, en effet, en -apprenant que M. de Narbonne avait reçu ses pouvoirs, ne fut que -médiocrement consolé de l'absence de M. le duc de Vicence, surtout -lorsqu'il sut que M. de Narbonne voulait présenter et échanger ses -pouvoirs dans une réunion générale des plénipotentiaires, s'abouchant -entre eux sous la présidence du médiateur, mais ne s'astreignant pas à -l'accepter pour unique intermédiaire de leurs communications. Ce -dernier point, comme on l'a vu, avait acquis beaucoup d'importance, -depuis que Napoléon avait clairement indiqué, en faisant choix de M. -de Caulaincourt, la pensée de s'entendre directement avec la Russie -aux dépens de l'Autriche. À dater de ce moment, la Prusse et la -Russie, pour ne pas être soupçonnées d'entrer dans l'intention de -Napoléon, surtout pour n'en pas être accusées, affectaient de tenir -plus que l'Autriche elle-même à une forme de négociation qui faisait -tout passer par l'entremise du médiateur. Aussi MM. de Humboldt et -d'Anstett, particulièrement ce dernier, s'étaient-ils hâtés de -remettre leurs pouvoirs à M. de Metternich, et ne voulaient-ils les -remettre qu'à lui seul. M. de Metternich, tranquille désormais sur la -négociation directe entre la Russie et la France, dont il avait voulu -se garantir en venant à Prague, aurait acquiescé au désir de la France -sur cette question de forme, uniquement pour faire commencer la -négociation; mais cela ne dépendait plus de lui, la Russie et la -Prusse tenant à ce qu'il fût rassuré plus même qu'il n'avait besoin de -l'être. Aussi ne manqua-t-il pas de dire à M. de Narbonne que quant à -lui il consentirait bien à cet échange de pouvoirs opéré en commun, -mais que déjà les plénipotentiaires prussien et russe lui avaient -remis directement leurs pouvoirs, s'étaient ainsi légitimés, et que -certainement, ne fût-ce que par amour-propre, ils ne voudraient pas -revenir sur ce qu'ils avaient fait. Il leur proposa en effet de céder -sur ce point, mais il fut refusé, et malgré les autorisations envoyées -à M. de Narbonne, la négociation ne fit pas un pas. M. de Metternich -en montra de nouveau son chagrin à M. de Narbonne, lui répéta que -jusqu'au 10 août le mal ne serait pas irréparable, mais que le 10 à -minuit il serait sans remède. - -[En marge: Napoléon ne se faisant plus aucune illusion sur la -possibilité de prolonger l'armistice, et espérant tout au plus -retarder l'entrée en action de l'Autriche, avait le parti pris de -continuer la guerre.] - -[En marge: Examen des conditions de paix proposées à la France.] - -[En marge: À quel point ces conditions dépassaient même ce que la -France aurait dû désirer, et combien il était évident que l'orgueil -froissé était en ce moment le seul mobile de Napoléon.] - -[En marge: Napoléon compromet en ce moment non-seulement la grandeur -sérieuse de la France, mais même la grandeur chimérique qu'il avait -rêvée, et dont on ne lui contestait que quelques portions -insignifiantes.] - -Pendant ces inutiles allées et venues, Napoléon ne conservant plus -aucune illusion sur la possibilité d'une négociation séparée avec la -Russie, songeait tout au plus à retenir l'Autriche inactive quelques -jours après le 17 août, afin d'avoir le temps d'accabler d'abord les -Prussiens et les Russes, sauf à battre ensuite, et à leur tour, les -Autrichiens eux-mêmes, s'ils étaient assez peu clairvoyants pour se -prêter à ce calcul. Quant à la paix il n'y songeait guère, ne -voulant à aucun prix abandonner les villes anséatiques réunies -constitutionnellement à l'Empire, renoncer au titre de protecteur de -la Confédération du Rhin porté jusqu'ici avec une sorte -d'ostentation, enfin reconstituer la Prusse au lendemain même de sa -défection. Chacun de ces sacrifices lui coûtait cruellement; pourtant -il n'était pas possible, même après les triomphes de Lutzen et de -Bautzen, que la terrible catastrophe de 1812 n'eût pas quelques -conséquences, sinon pour la France, au moins pour lui, et il fallait -savoir se résigner à payer sa faute par un déplaisir quel qu'il fût. -Il aurait dû se trouver heureux après de si grands malheurs de n'être -puni que dans son orgueil, et de n'avoir rien à sacrifier que la -France pût regretter véritablement, car, ainsi que nous l'avons déjà -dit, et qu'on nous permettra de le redire encore, lorsqu'on lui -laissait outre les Alpes et le Rhin, la Hollande, le Piémont, la -Toscane, Rome, à titre de départements français, la Westphalie, la -Lombardie, Naples, à titre de principautés de famille, on lui -concédait plus que la France ne devait désirer, et qu'elle ne pouvait -posséder. Ici se présentent quelques réflexions que nous avons déjà -indiquées, mais qu'il faut reproduire plus complétement au moment -décisif, pour apprécier sainement les déterminations de Napoléon. Si -on examine l'une après l'autre ses prétentions territoriales, on -reconnaîtra combien il était peu raisonnable d'y tenir. La Hollande -elle-même qui était la moins déraisonnable de toutes, ne pouvait être -qu'avec beaucoup de peine rattachée matériellement et moralement à -l'Empire. Quand on en avait détaché ce que Napoléon avait pris au roi -Louis en 1810, pour le punir de ses résistances, c'est-à-dire ce qui -est situé à la gauche du Wahal, lequel est le Rhin véritable et -constitue la plus puissante des barrières, on avait acquis tout ce qui -était désirable sous le rapport des frontières, restant toujours la -grave difficulté morale de morceler un pays aussi homogène que la -Hollande, et dont toutes les parties sont faites pour vivre ensemble! -Quant à la portion au delà du Wahal, qui s'étend jusqu'au Texel, et -comprend Gorcum, Nimègue, Utrecht, Rotterdam, la Haye, Amsterdam, le -Texel, c'est-à-dire la grande Hollande, il était impossible de la -rattacher à la géographie militaire de la France, et Napoléon dans ses -plus habiles combinaisons pour la défense du territoire, n'avait -jamais pu trouver une manière de couvrir le Zuiderzée, et d'établir -une frontière solide de Wesel à Groningue. N'ayant pour protéger cette -partie de la Hollande que la faible ligne de l'Yssel, il n'avait vu -d'autre ressource que les inondations, et les avait ordonnées; or, un -pays qu'on ne peut garder qu'en le noyant, il n'est pas seulement -inhumain, il est impolitique de songer à le posséder. En ayant dans -l'Océan la Rochelle, Brest, Cherbourg, Anvers et Flessingue, Napoléon -avait contre l'Angleterre tout ce qu'il pouvait désirer, et ces -terrains, moitié îles, moitié continent, qui s'étendent de Nimègue à -Groningue, de Berg-op-Zoom au Texel, entre terre et mer, portant une -race indépendante, fière, sage, riche, pleine de souvenirs assez -glorieux pour ne pas vouloir les confondre avec ceux d'une autre -nation, méritaient d'être laissés indépendants entre toutes les -puissances de l'Europe, pour continuer à être la voie la plus large et -la plus libre du commerce maritime! Quant au Piémont lui-même, -était-il bien prudent de chercher à posséder un territoire au delà des -Alpes, c'est-à-dire au delà de nos frontières naturelles, devant nous -aliéner à jamais les Italiens, comme la possession de la Lombardie n'a -cessé de les aliéner à l'Autriche, nous valant des haines au lieu -d'influence, et destiné au premier règne faible à nous échapper -inévitablement? Toutefois dans un système de grandeur à la façon de -Charlemagne, grandeur qui n'est dans les temps modernes qu'un pur -anachronisme, car lorsque Charlemagne régnait sur le continent de -l'Elbe à l'Èbre, il embrassait dans ses vastes États des pays à moitié -sauvages, n'ayant encore aucune existence historique, dans un tel -système, on peut concevoir l'addition de la Hollande, qui est une -sorte d'appendice maritime de notre territoire, comme le Piémont en -est une sorte d'appendice continental, utile à qui veut descendre -souvent des Alpes; mais même dans ce système déjà faux, que faire de -la Toscane et de Rome? Que faire de l'Illyrie, de Hambourg, de Lubeck? -Ce n'était plus qu'un entraînement de conquêtes insensées, sans plan -et sans limites, pouvant durer la vie d'un conquérant tel qu'Attila ou -Alexandre, mais devant à sa mort donner lieu à un partage de -territoires entre ses lieutenants ou ses voisins! Avec un tel système, -qui, ne reposant sur aucun principe politique, ne pouvait avoir aucune -limite territoriale, dans lequel on pouvait tout faire entrer sauf à -ne rien garder, il n'était pas possible de dire que l'empire de -Napoléon fût véritablement moins grand parce que Hambourg ou Lubeck -n'y seraient pas compris. Napoléon était tout autant Charlemagne sans -ces villes qu'avec elles, car celui qui, outre Bruxelles, Anvers, -Flessingue, Cologne, Mayence, Strasbourg, avait encore Utrecht, -Amsterdam, le Texel, Turin, Florence, Rome, sans compter Cassel, -Milan, Naples, était aussi grand, plus grand même que Charlemagne, de -cette grandeur fabuleuse qui avait au neuvième siècle sa raison -d'être, qui ne l'avait plus au dix-neuvième, et qui après son -Charlemagne aurait eu inévitablement son Louis le Débonnaire. On ne -comprend pas que le principal de cette grandeur chimérique étant -accordé à Napoléon, il la compromît pour Hambourg, pour Lubeck, ou -pour un vain titre comme celui de protecteur de la Confédération du -Rhin! Sans doute si l'honneur des armes eût été compromis, on conçoit -qu'il ne voulût pas céder, car il vaut mieux perdre des provinces que -l'honneur des armes! Cela vaut mieux pour la dignité et la sûreté d'un -vaste empire; mais après Lutzen, mais après Bautzen, où des enfants -avaient vengé le malheur de nos vieux soldats, l'honneur des armes -était sauf; la vraie grandeur et même la grandeur exagérée et inutile -l'était aussi; il ne restait en souffrance que l'orgueil! Et à ce -sentiment si personnel, il est triste de le dire, Napoléon était prêt -à sacrifier non-seulement la solide grandeur de la France, celle -qu'elle avait conquise sans lui pendant la révolution, mais cette -grandeur factice, fabuleuse, qu'il y avait ajoutée par ses prodigieux -exploits! Il allait sacrifier à ce sentiment sa femme, son fils et -lui-même! - -[En marge: Agitation intérieure de Napoléon, qui se cachait sous son -activité incessante, mais qui le rendait très-sensible aux objections -élevées autour de lui.] - -Toutefois ces questions agitaient profondément Napoléon, et si avec -la faculté de se distraire par mille travaux de tout genre, faculté -dont il était doué au plus haut degré, il arrivait à se donner un -visage serein, si même, tout plein de ses vastes et profondes -conceptions militaires, il parvenait à se donner confiance, il était -parfois troublé et pensait sans cesse au grave sujet que nous venons -d'exposer. Toujours en course autour de Dresde, faisant, avec son -embonpoint qui commençait à être importun, des excursions de trente et -quarante lieues par jour, dont la moitié à cheval, allant étudier le -long des frontières de la Bohême les champs de bataille qui devaient -bientôt se couvrir de sang, y amenant ses généraux avec lui, -quelquefois les y envoyant sans lui pour les obliger à étudier le -terrain, il emportait dans sa tête les mêmes pensées, et, soit en -route, soit de retour à Dresde, il en conférait avec les personnages -de toute profession qui le suivaient dans ses campagnes. Absolu par -son pouvoir, il était par sa clairvoyance dépendant des esprits qui -l'entouraient, car il lui était impossible de voir la désapprobation -sur les visages sans éprouver le besoin de la combattre, de la -dissiper, de la vaincre, et il avait souvent fort à faire. Si on était -en effet bien soumis, bien appliqué à lui plaire, le sentiment du -danger déliait les langues chez les plus courageux, attristait au -moins les visages chez les plus timides! - -[En marge: Discussions fréquentes de Napoléon, soit avec ses généraux -sur le futur plan de campagne, soit avec les personnages civils de son -entourage sur les négociations de Prague.] - -Chacun suivant son état, militaire ou civil, apercevant de la -situation ce qui le concernait, révélait les dangers qui le frappaient -plus particulièrement. Les militaires qui avaient jugé excellente la -position de l'Elbe, quand on n'avait affaire qu'aux Prussiens et aux -Russes, étaient effrayés depuis qu'il s'agissait des Autrichiens -eux-mêmes, de se trouver sur l'Elbe avec la possibilité d'être tournés -par ces derniers du côté de la Bohême, et d'avoir ainsi l'ennemi sur -nos derrières, entre nous et la Thuringe. Les politiques voyaient -clairement l'Autriche entraînée par l'esprit public de l'Allemagne, et -sollicitée par son propre intérêt, prête à imiter la Prusse, et à -compléter dès lors l'union de tous les États contre nous; et ils nous -voyaient réduits à lutter contre l'Europe exaltée par la haine avec la -France abattue par la fatigue! aussi les uns et les autres étaient-ils -d'avis d'admettre la médiation et ses conditions, quelles qu'elles -fussent, en les supposant même beaucoup moins avantageuses qu'elles ne -l'étaient réellement. Sans doute ils n'eussent voulu à aucun prix -qu'on acceptât la France privée de ses frontières naturelles, mais si -on leur avait dit qu'elle aurait directement ou indirectement, -Mayence, Cologne, Anvers, Flessingue, Amsterdam, le Texel, Cassel, -Turin, Milan, Florence, Rome, Naples, ils auraient à genoux supplié -Napoléon d'accepter. Mais on leur laissait ignorer le véritable état -des choses; on parlait vaguement devant eux de sacrifices contraires à -l'honneur, et sans savoir précisément ce qui en était, ils supposaient -néanmoins que la France était encore assez redoutée pour qu'on n'osât -pas lui offrir moins que ses frontières naturelles, et dans cette -supposition, bien inférieure pourtant à la réalité, ils préféraient -des sacrifices d'amour-propre au danger d'une lutte effroyable contre -une coalition formée de toute l'Europe. - -[En marge: Objections des militaires contre la ligne de l'Elbe, depuis -qu'on s'attendait à la guerre avec l'Autriche.] - -[En marge: Réponses de Napoléon.] - -[En marge: Napoléon avait raison dans l'hypothèse de la continuation -de la guerre, car en refusant d'abandonner l'Allemagne la ligne de -l'Elbe était la seule admissible.] - -[En marge: La question était mal posée, et ce n'était pas entre telle -ou telle ligne d'opération, mais entre la paix et la guerre, qu'il -fallait la placer.] - -[En marge: Si Napoléon avait raison contre les militaires, il avait -tort contre les diplomates, et s'en tirait avec eux en dissimulant la -vérité, et en ne disant pas à quoi tenaient la paix ou la guerre.] - -[En marge: Vives instances de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon -à la paix.] - -[En marge: Violente sortie du duc d'Otrante en faveur de la paix.] - -Politiques et militaires parlaient entre eux de ce sujet ou dans -leurs bivouacs, ou dans les antichambres de Napoléon, se taisaient -quand il survenait, et quelquefois même ne s'interrompaient qu'à demi, -pour lui fournir l'occasion de reprendre l'entretien s'il daignait le -continuer avec eux, ce que rarement il négligeait de faire. Avec les -militaires les réponses ne lui manquaient pas, car s'ils avaient -raison en signalant la hardiesse de notre situation sur l'Elbe, où -l'on pouvait être tourné par la Bohême en cas de guerre avec -l'Autriche, ils avaient tort, ainsi que le faisaient plusieurs d'entre -eux, de lui proposer la ligne de la Saale, ligne très-courte, -n'embrassant que l'espace compris de Hof à Magdebourg, facile à forcer -sur tous les points, et exposée à être tournée par la Bavière comme -celle de l'Elbe par la Bohême. On eût été, en adoptant cette ligne, -rejeté en huit jours sur le Rhin, et il eût été étrangement -inconséquent d'abandonner dans les combats ce qu'on s'obstinait à -défendre témérairement dans les négociations. Il n'y avait pas de -milieu, ou il fallait renoncer tout de suite à l'Allemagne, et -accepter les conditions de M. de Metternich, ou si on la disputait -diplomatiquement, il fallait aussi la disputer militairement, et on ne -le pouvait que sur l'Elbe. Or placé à Dresde, ayant à sa droite -Koenigstein, à sa gauche Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg, -pouvant, comme il le fit bientôt à Dresde, accabler ceux qui -essayeraient de le tourner, Napoléon avait encore d'immenses chances -pour lui. Restait, il est vrai, le danger de se battre si loin du Rhin -contre l'Europe entière, et, si un de ses lieutenants était faible ou -maladroit sur la vaste ligne de Koenigstein à Hambourg, de se trouver -en l'air au milieu de l'Allemagne soulevée; mais alors il fallait -avoir le bon sens de reconnaître, et le courage de dire que la faute -de Napoléon était politique, et lui conseiller d'abandonner -l'Allemagne, ce qui était la certitude d'une paix immédiate et -glorieuse. Faute de poser ainsi la question, on se donnait tort contre -Napoléon, car à vouloir garder l'Allemagne, il est bien vrai qu'on ne -pouvait la défendre que sur l'Elbe. Aussi, dans leurs nombreux -entretiens, le prince Berthier, les maréchaux Soult, Ney, Mortier, -n'osant pas soutenir résolûment qu'il fallait rentrer sur le Rhin, -s'exposaient à être réfutés victorieusement en proposant des lignes -intermédiaires entre l'Elbe et le Rhin, étaient battus par la logique -pressante de Napoléon, et se taisaient, en conservant cependant le -sentiment d'un grand péril, car c'était un grand péril en effet que de -se battre avec l'Europe, non sur le Rhin pour la défense légitime de -notre sol, mais sur l'Elbe pour la pensée usurpatrice de la domination -universelle. Les choses se passaient autrement lorsqu'il s'agissait de -la question, toute politique, de la paix et de la guerre. Là Napoléon -sentait bien qu'il avait tort, car il n'avait pas une bonne raison à -faire valoir. Il ne disait pas la vérité, parlait vaguement de -sacrifices, qui, d'abord modérés en apparence, deviendraient bientôt, -s'il cédait, immodérés et inadmissibles, et laissait entendre, sans -l'exprimer cependant, que l'Autriche osait lui redemander jusqu'à -l'Italie. Alors il s'échauffait, parlait de l'honneur de l'Empire, et -s'écriait qu'il valait mieux périr que de supporter de semblables -conditions, surtout de la part de l'Autriche, qui, après lui avoir -donné une archiduchesse en mariage, après avoir accepté son alliance -en 1812, profitait du premier revers pour se tourner contre lui, comme -si une pareille conduite, en supposant qu'elle fût telle que la -dépeignait Napoléon, eût été bien criminelle de la part d'une -puissance qui longtemps battue, et dépouillée d'une grande partie de -ses États, saisissait l'occasion d'en recouvrer ce qu'elle pouvait, -surtout contre un conquérant sans modération et sans mesure!--Ses -contradicteurs ignorant le secret des négociations, supposant toujours -qu'il s'agissait de sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on -nous demandait véritablement, accordant qu'il était désagréable de -céder, surtout à gens qui nous dressaient en quelque sorte un -guet-apens, se rejetaient sur le besoin urgent de la paix, et avaient -là des avantages incontestables. Napoléon avait rencontré pour apôtre -constant de la paix M. de Caulaincourt, qui le suppliait sans relâche -de ne pas s'obstiner contre l'orage, et de passer par-dessus un -déplaisir momentané pour sauver la France, l'armée, lui et son fils. -Dans cette courageuse et civique tâche, M. de Caulaincourt était -infatigable, et recommençait sans cesse avec une admirable -persévérance. M. de Caulaincourt avait trouvé un singulier auxiliaire -dans le duc d'Otrante, M. Fouché, qui, bien que cherchant à -reconquérir la faveur impériale perdue, n'hésitait pas, inspiré par -son bon sens et peut-être aussi par le danger que la chute de l'Empire -devait faire courir à tous les hommes de la révolution, n'hésitait -pas à soutenir hardiment qu'il fallait conclure la paix. Il ne -s'agissait point, selon M. Fouché, de savoir laquelle; c'était le -secret des plénipotentiaires que Napoléon avait chargés de cette -tâche; mais après Lutzen et Bautzen, en s'en rapportant à une sorte de -notoriété publique, en songeant à la crainte que la France n'avait pas -cessé d'inspirer, on ne pouvait pas douter, disait-il, que les -conditions ne fussent encore très-belles; et si, comme tout le faisait -présumer, on concédait à la France au delà du Rhin et des Alpes, on -lui concédait plus qu'il ne lui fallait, plus qu'elle ne désirait. On -devait donc, sauf les détails, signer la paix qui nous était offerte; -car l'Europe était exaspérée, et la France épuisée commençait à -partager l'exaspération de l'Europe contre un système qui ne laissait -pas plus de bien-être au vainqueur qu'au vaincu.--Dans l'une de ces -conversations, à laquelle avaient été présents M. Daru, M. de -Caulaincourt, M. de Bassano, même le roi de Saxe, M. Fouché se permit -de dire à Napoléon que s'il ne donnait pas tout de suite la paix, il -deviendrait bientôt odieux à la France, et qu'il y aurait danger -non-seulement pour lui, mais pour son fils, pour sa dynastie; que s'il -ne saisissait pas cette dernière occasion de déposer les armes, il -serait perdu; que la France venait par honneur de faire un dernier -effort, parce qu'elle ne voulait pas se retirer battue de son grand -duel avec l'Europe, mais qu'après les victoires de Lutzen et de -Bautzen elle considérait son honneur comme dégagé, et qu'à la seule -condition de conserver le Rhin et les Alpes que personne ne lui -contestait plus, pas même l'Angleterre, elle se tiendrait pour -satisfaite; mais que si, malgré la possibilité évidente de signer une -telle paix, on persistait à continuer la guerre, elle se regarderait -comme sacrifiée à un système personnel à Napoléon, système insensé, -qu'elle détestait autant que l'Europe elle-même, car elle en souffrait -tout autant.-- - -[En marge: Mécontentement et réponses sophistiques de Napoléon.] - -Ces hardies propositions causèrent à Napoléon une irritation extrême, -et il ne sut répondre qu'en disant qu'on ignorait le secret des -négociations, que les puissances belligérantes lui demandaient des -choses inadmissibles, que s'il les concédait, l'Europe le regarderait -comme tellement affaibli que bientôt elle exigerait tout ce qu'il ne -pouvait pas accorder, et ce que personne, parmi ses contradicteurs, ne -voudrait accorder; qu'il fallait, pour garder le nécessaire, défendre -même le superflu, se montrer indomptable, se résigner à livrer une ou -deux batailles de plus, pour conserver une grandeur acquise par vingt -années de sang versé, et savoir braver la guerre quelques jours encore -pour avoir une vraie, une solide paix. En un mot dans cette -conversation, comme dans toutes celles qu'il eut sur ce sujet, son art -consistait, en cachant toujours les faits véritables, en laissant -toujours ignorer qu'il ne s'agissait en réalité que de Hambourg et du -protectorat de la Confédération du Rhin, son art consistait à soutenir -que c'était tout ou rien, qu'il fallait tout défendre ou tout céder, -et comme personne ne voulait tout céder, la conclusion était selon lui -qu'il fallait tout défendre. Sa force d'esprit et de langage parvenait -bien à embarrasser ses interlocuteurs, qui d'ailleurs ignorant l'état -des négociations, ne pouvaient pas lui répondre, mais elle ne -parvenait pas à les convaincre, et les laissait terrifiés de la fatale -résolution qui perçait dans son attitude et ses discours. Ils -admiraient quelquefois son indomptable caractère en détestant son -orgueil funeste, et s'en allaient silencieux, mécontents, la plupart -du temps désolés. Un seul d'entre eux ne paraissant pas se douter du -péril, affirmait que le génie de l'Empereur était inépuisable en -ressources, qu'il triompherait de tous ses ennemis, et retrouverait -plus grande, ou aussi grande que jamais, sa puissance de 1810 et de -1811. Cet interlocuteur, on le devine, était M. de Bassano, et il -était le moins excusable, car seul il savait le secret des choses, -seul il savait que c'était pour Hambourg et le titre de protecteur de -la Confédération du Rhin qu'on s'exposait à tout perdre. Il faut dire -néanmoins pour réduire à ce qu'elle doit être sa responsabilité, qui -autrement serait si lourde, qu'il influait peu sur les résolutions de -Napoléon, lequel ne semblait même pas touché de ses magnifiques -pronostics, et qu'il parvenait uniquement à exciter chez M. de -Caulaincourt des signes d'impatience peu flatteurs et peu dissimulés. - -[En marge: Hardie correspondance du duc de Rovigo en faveur de la -paix.] - -[En marge: Ordre de se taire expédié au duc de Rovigo.] - -Ce n'est pas seulement à Dresde que Napoléon avait rencontré ces -contradictions, atténuées du reste par la soumission du temps, c'était -à Paris même. Le ministre de la police, duc de Rovigo, entendant plus -que tout autre le retentissement de l'opinion publique, et ne -craignant pas les accès d'humeur de Napoléon, auxquels il s'était -habitué en n'y prenant pas garde, avait plusieurs fois osé lui écrire -ce qu'aucun de ses ministres n'osait lui dire, c'est que la paix était -urgente, indispensable, qu'il ne fallait pas attendre de la France -fatiguée un nouvel effort, semblable à celui qu'elle venait de faire; -c'est que tous les ennemis du gouvernement jusque-là découragés, -dispersés, reprenaient le courage avec l'espérance; c'est que les -révolutionnaires, longtemps accablés sous les souvenirs de -quatre-vingt-treize, les Bourbons, longtemps et complétement oubliés, -essayaient de se produire de nouveau, que ces derniers même -répandaient des manifestes qu'on lisait sans colère et avec une -certaine curiosité. Toutes ces assertions étaient vraies, et il était -constant que l'idée d'un autre gouvernement que celui de Napoléon, -idée qui depuis quatorze ans ne s'était présentée à l'esprit de -personne, pas même au retour de Moscou, commençait, la situation se -prolongeant, à pénétrer dans l'esprit de beaucoup de gens, et allait -devenir générale si la guerre continuait; que de même qu'on avait en -1799 cherché auprès du général Bonaparte un refuge contre l'anarchie, -on irait bientôt chercher auprès des Bourbons un refuge contre la -guerre perpétuelle. C'est tout cela que plus ou moins clairement, plus -ou moins adroitement, le ministre de la police, duc de Rovigo, avait -essayé de faire entendre à Napoléon avec une hardiesse honorable, mais -qui eût été plus méritoire et plus utile, si Napoléon avait attaché -plus d'importance à ce qui venait de lui. Le prince Cambacérès ne se -serait pas hasardé à en dire autant, bien qu'il en pensât davantage, -parce que de sa part Napoléon eût pris la chose plus sérieusement, -dès lors moins patiemment. Fatigué pourtant des lettres du duc de -Rovigo, Napoléon chargea le prince Cambacérès de lui dire qu'elles -l'importunaient, qu'en montrant tant d'amour pour la paix, on lui -nuisait plus qu'on ne le servait; que l'on contribuait à rendre les -ennemis plus exigeants, en accréditant l'idée que la France ne pouvait -plus faire la guerre; que lui, Napoléon, savait seul comment il -fallait s'y prendre pour donner la paix à la France avec sûreté et -avec honneur; que le duc de Rovigo, en se mêlant de cette affaire, se -mêlait de ce qu'il ignorait, bref qu'il eût à se taire, car de -pareilles indiscrétions ne seraient pas souffertes plus longtemps. - -Cette dure réprimande n'était pas de nature à effrayer ni à décourager -le duc de Rovigo, car il ne prenait pas plus au sérieux les colères de -Napoléon que Napoléon ne prenait au sérieux sa politique, et il devait -bientôt se permettre une autre tentative, pas plus heureuse il est -vrai, mais qui prouve à quel point le besoin de la paix était -universellement senti, puisqu'il perçait à travers ce despotisme qui -enveloppait alors la France entière, et pesait si lourdement sur elle. - -[En marge: Le duc d'Otrante envoyé en Illyrie.] - -Napoléon, après avoir fermé la bouche au duc de Rovigo, donna un -emploi au duc d'Otrante. Il en avait déjà trouvé un en Espagne pour le -maréchal Soult, et il en trouva un pour le duc d'Otrante par suite -d'un accident aussi triste que singulier. L'infortuné Junot, depuis la -blessure qu'il avait en Portugal reçue à la tête, n'avait jamais -recouvré ses facultés physiques et morales. Dans la campagne de Russie -on ne lui avait pas vu son ardeur accoutumée, bien qu'il eût été -moins blâmable qu'on ne l'avait prétendu, et il avait essuyé de -Napoléon des reproches qui avaient achevé d'altérer sa raison. Envoyé -à Laybach comme gouverneur de l'Illyrie, il y avait donné tout à coup -des signes de folie, au point qu'il avait fallu le saisir de force et -le transporter en Bourgogne, son pays natal, où il était mort. -Napoléon nomma M. Fouché gouverneur de l'Illyrie, poste peu assorti à -la grande situation de cet ancien ministre, mais que celui-ci accepta, -parce qu'il regardait comme bonne toute manière de rentrer en -fonctions. Il devait voir en passant à Prague M. de Metternich, et -profiter d'anciennes relations pour soutenir auprès de ce diplomate -les prétentions de la France. Le moyen était petit par rapport à -l'objet, et ne pouvait compenser le mauvais effet qu'allait produire -en Autriche une nomination qui prouvait de notre part peu de -disposition à renoncer à l'Illyrie. - -[En marge: Napoléon persistant à perdre le temps consacré aux -négociations, se décide à faire un voyage à Mayence pour y voir -l'Impératrice.] - -Napoléon, inébranlable quoique parfois agité, persista dans sa manière -de négocier, laquelle, comme on l'a vu, consistait à gagner du temps, -soit pour obtenir s'il était possible une nouvelle prolongation -d'armistice, soit au moins pour différer de quelques semaines l'entrée -en action de l'Autriche, soit aussi pour rompre le congrès sur une -question de forme, et n'avoir pas à dire à l'Europe, surtout à la -France, que c'était pour Hambourg et le protectorat du Rhin qu'on -refusait la paix. Afin de réussir dans cette tactique, il fit -concourir avec l'ouverture des négociations un second voyage, qu'il -avait résolu d'exécuter à la fin de juillet pour aller voir -l'Impératrice à Mayence, et qui ne pouvait qu'apporter de nouvelles -entraves à la marche des négociations. Il avait en effet assigné à -Marie-Louise un rendez-vous à Mayence vers le 26 juillet, afin d'y -demeurer quelques jours avec elle, et surtout afin d'y passer en revue -les divisions destinées à former les corps des maréchaux Saint-Cyr et -Augereau. Il laissa en partant des pouvoirs pour M. de Caulaincourt, -qui devait se rendre à Prague dès qu'on aurait reçu des commissaires -réunis à Neumarckt une réponse satisfaisante relativement au terme -précis de l'armistice; à ces pouvoirs il ajouta des instructions, -concertées avec M. de Bassano, pour que M. de Caulaincourt, une fois à -Prague, pût y employer d'une manière spécieuse les six à huit jours -qui allaient s'écouler pendant le voyage projeté sur le Rhin. - -[En marge: Instructions et latitudes laissées à M. de Caulaincourt, -pour qu'il puisse employer à Prague le temps que Napoléon doit passer -à Mayence.] - -On était au 24 juillet, et on ne supposait pas que la réponse de -Neumarckt pût arriver avant le 25 ou le 26. M. de Caulaincourt devait -se mettre en route le lendemain, perdre un jour ou deux à lier -connaissance avec les plénipotentiaires, puis consacrer cinq ou six -jours à discuter sur la remise des pouvoirs, et sur la forme des -conférences. Si, dans son zèle pacifique, M. de Caulaincourt devenait -pressant, et demandait à M. de Bassano l'autorisation de passer outre, -M. de Bassano devait lui permettre de faire quelques concessions -relativement à l'échange des pouvoirs et à la forme des négociations, -mais en lui défendant expressément d'aborder le fond des choses. Il -serait aisé de gagner ainsi jusqu'au 3 ou 4 août, jour probable du -retour de Napoléon à Dresde, et alors il tracerait lui-même la -conduite qu'on devrait tenir ultérieurement. - -[En marge: Ordres militaires de Napoléon en quittant Dresde.] - -[En marge: Progrès merveilleux de ses armements.] - -Après avoir arrêté d'après ces données les instructions de M. de -Caulaincourt, Napoléon fit ses dispositions pour partir le 24 juillet -au soir. Il expédia en même temps quelques ordres relatifs à l'armée. -Les deux mois perdus pour les négociations ne l'avaient pas été, comme -on le pense bien, pour les préparatifs militaires. L'infanterie bien -campée, bien nourrie, bien exercée, avait singulièrement gagné sous -tous les rapports, et particulièrement sous celui de la force -numérique. La cavalerie avait complétement changé d'aspect; elle était -nombreuse et assez bien montée. Les jeunes chevaux, presque tous -blessés à l'entrée en campagne, étaient en meilleur état. Nos -cavaliers, si prompts à se former, savaient déjà se servir de leurs -montures et les soigner. Napoléon avait, outre la cavalerie légère -attachée à chaque armée, quatre beaux corps de cavalerie de réserve -sous les généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, de Padoue, de Valmy. La -garde formée à cinq divisions d'infanterie, comprenait en outre douze -mille cavaliers avec deux cents bouches à feu bien servies. Quinze -cents gardes d'honneur sous le général Dejean étaient arrivés à -Dresde. Cette brave jeunesse qui n'était pas d'abord partie dans de -très-bonnes dispositions, parvenue maintenant en ligne, n'aspirait -qu'à s'illustrer sous les yeux de la grande armée. Le corps du général -Vandamme, que Napoléon avait vu à Magdebourg, composé d'hommes jeunes, -mais de vieux cadres revenus de Moscou, était fort beau. Les quatre -divisions organisées à Mayence, et destinées à venir par Wurzbourg, -Hof, Freyberg, Dresde, s'établir à Koenigstein, s'acheminaient vers -ce point, et présentaient un aspect satisfaisant, quoique remplies de -jeunes soldats comme tout le reste de l'armée. Les approvisionnements, -commandés de toutes parts, arrivaient par l'Elbe à Dresde, où plus de -cinquante mille quintaux de grains et farines étaient actuellement -réunis. Grâce à l'activité du maréchal Davout, les défenses de -Hambourg étaient pour ainsi dire sorties de dessous terre. Elles -portaient déjà deux cents bouches à feu en batterie, et allaient -bientôt en recevoir trois cents. Tout s'achevait donc suivant les vues -de Napoléon, et le progrès de ses desseins ne le disposait guère à la -paix, ce qui autorisait M. de Bassano à répéter partout que les forces -de l'Empereur étaient immenses et son génie toujours plus grand, que -l'Europe en devait trembler, et que ce n'était pas au plus fort à -faire des sacrifices au plus faible. - -[En marge: Manière d'occuper et d'égayer nos jeunes troupes dans leurs -camps.] - -[En marge: Napoléon fixe au 10 août la célébration de sa fête, qui -aurait dû avoir lieu le 15, afin de mettre quelque intervalle entre -les réjouissances et les nouvelles scènes de carnage qui se -préparent.] - -Napoléon cherchant à répandre un peu d'animation dans ses camps, où -ses jeunes troupes, sauf les heures consacrées aux manoeuvres, avaient -été oisives pendant deux mois, imagina pour les occuper un genre -d'exercice à la fois attrayant et utile. Il avait ordonné de les faire -tirer à la cible, et pour les intéresser davantage à cet exercice si -important, il voulut qu'on leur distribuât des prix proportionnés à -leur adresse. Les meilleurs tireurs de chaque compagnie, au nombre de -six, devaient recevoir un prix de quatre francs, puis se réunir à tous -ceux du même bataillon, se mesurer ensemble, et concourir pour un -nouveau prix triple du précédent. Ceux des bataillons devaient se -réunir par régiments, ceux des régiments par divisions, ceux des -divisions par corps d'armée, et concourir de nouveau pour des prix -successivement plus élevés, de telle façon que les meilleurs tireurs -d'un corps d'armée pouvaient remporter des prix qui allaient jusqu'à -cent francs. Tous ces prix représentaient une dépense d'une centaine -de mille francs, ce qui était peu de chose, et avait, outre l'avantage -inappréciable d'améliorer le tir, celui d'occuper, d'amuser les -hommes, de leur fournir l'occasion et le moyen de régaler leurs -camarades. Napoléon fit aussi payer la solde aux officiers, pour -qu'ils pussent jouir des quelques jours de repos qui leur restaient, -et qui, pour le plus grand nombre, étaient, hélas! les derniers de -leur vie! La fête de Napoléon approchait, puisqu'elle se célébrait le -15 août. Il voulut que la célébration en fût fixée au 10, afin que les -hostilités étant reprises le 17, les réjouissances ne fussent pas trop -voisines des nouvelles scènes de carnage qu'il prévoyait. Ce jour du -10 il devait y avoir dans tous les camps des repas à ses frais, et en -son honneur. Les officiers devaient dîner chez les maréchaux, les -soldats entre eux sur des tables servies en plein air. Le vin devait -être prodigué, et bu soit à la santé de Napoléon, soit au triomphe des -armes de la France. Ainsi Napoléon cherchait en quelque sorte à égayer -la guerre, et à mêler les jeux à la mort! Le 24 juillet il partit pour -Mayence, laissant derrière lui toutes choses invariablement prévues et -arrêtées. - -[En marge: Réponse de Neumarckt, qui place définitivement au 16 août -l'expiration de l'armistice, et au 17 la reprise des hostilités.] - -[En marge: Réunion en ce moment des souverains coalisés à Trachenberg, -pour arrêter le plan de campagne.] - -[En marge: La présence de Bernadotte à cette réunion déplaît à tous -les généraux de la coalition.] - -Le 26, les commissaires de Neumarckt répondirent enfin d'une manière -satisfaisante, relativement au jour précis des futures hostilités, et -il fut reconnu, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre, -surtout après de vives observations de M. de Metternich, que le -général en chef Barclay de Tolly avait mal compris les paroles de son -maître, et que si l'armistice pouvait être dénoncé le 10 août, il -n'expirerait cependant que le 16, ce qui remettait au 17 la reprise -des hostilités. Ce malentendu, comme on l'a vu, venait du peu de -clarté que l'empereur Alexandre avait mis à faire connaître une -concession dont il était embarrassé devant les partisans impatients de -la guerre, et du peu de penchant de ces derniers à interpréter les -stipulations douteuses dans le sens de la paix. L'empereur Alexandre -se trouvait alors à Trachenberg, petite ville de Silésie, où il -s'était rendu de Reichenbach avec le roi de Prusse et la plupart des -généraux de la coalition, pour conférer avec le prince de Suède sur le -plan des opérations futures. Cette réunion, fort désirée des deux -souverains qui voulaient enchaîner définitivement l'ancien maréchal -Bernadotte à leur cause, et terminer ses longues hésitations, était -loin de plaire aux officiers russes et allemands, notamment à ces -derniers. On parlait de conférer au prince royal un commandement -important; on lui préparait sur sa route des honneurs extraordinaires, -afin de le toucher par l'endroit si sensible chez lui de la vanité. -Ces empressements pour un homme qui n'avait aux yeux des Allemands et -des Russes d'autre mérite que d'être général français, et qui était -loin de compter parmi les premiers, excitaient au plus haut degré la -jalousie nationale des états-majors alliés. Leurs monarques, -disaient-ils, voulaient donc déclarer qu'un général français, même -médiocre, valait mieux que tous les généraux de la coalition, et que -c'était un titre d'honneur de porter les armes contre son pays. La -perspective d'être placés sous ses ordres leur était souverainement -désagréable. - -[En marge: Bruit universellement répandu que le général Moreau viendra -prêter ses conseils à l'empereur Alexandre.] - -Malheureusement on s'entretenait aussi d'un autre général français, -celui-là grand homme de guerre, doué de véritables vertus civiques et -guerrières, et non pas, comme Bernadotte, gratifié d'une couronne -royale pour prix de médiocres services, mais de l'exil pour prix de -services immenses, et qui vaincu par l'ennui, le désoeuvrement, -l'irritation que lui inspirait un rival heureux, l'horreur que lui -avait fait éprouver la campagne de Moscou, s'était laissé persuader de -quitter l'Amérique pour l'Europe. Ce général était l'illustre Moreau. -Il était venu à Stockholm, attiré dans cette capitale par Bernadotte -qui semblait pressé de se procurer des imitateurs. Entouré là des plus -funestes conseils, agité, combattu, malheureux, se demandant s'il -faisait bien ou mal, il marchait sans s'en apercevoir à un abîme, -dominé par des sentiments confus qu'il croyait honnêtes, parce que -sous l'indignation sincère qu'il éprouvait, il ne voyait pas la part -que la haine et l'oisiveté avaient à sa conduite. On se préoccupait -beaucoup de cette arrivée, et on disait le général Moreau destiné à -devenir le conseiller de l'empereur Alexandre. C'était une nouvelle -cause de déplaisir pour les militaires russes et allemands, qui avec -un redoublement de jalousie demandaient si leurs souverains croyaient -donc que pour vaincre les généraux français il n'y avait de suffisants -que les généraux français eux-mêmes? - -[En marge: Faste de Bernadotte, et manifestation qu'il s'attire de la -part de la garnison française de Stettin.] - -Quoi qu'il en soit, l'ancien maréchal Bernadotte était venu à -Trachenberg, voyageant, non pas comme les souverains de Russie et de -Prusse, avec une extrême simplicité, mais avec un faste éblouissant, -comme un monarque parcourant ses États dans une occasion solennelle. -Ayant passé en revue quelques-unes de ses troupes qui déjà profitaient -de l'armistice pour se rendre en Prusse, il avait paru près de -Stettin, où se trouvait une garnison française. Sa tête inflammable -commençait à se persuader que Napoléon, odieux à l'Europe, à charge à -la France, ne pourrait bientôt plus régner, que les Bourbons, -longtemps oubliés, ne pourraient pas être remis sous les yeux de la -génération présente, que dès lors ce serait à lui à remplacer Napoléon -sur le trône de France. L'insensé, dans son orgueil, ne voyait pas -qu'après la gloire la tradition antique aurait seule de l'empire sur -les esprits, et que la médiocrité souillée du sang français n'était -pas appelée à succéder au génie malheureux. Tandis qu'il se montrait à -cheval sous les murs de Stettin, à la vue de la garnison française, -des coups de feu partirent sans qu'on pût savoir qui les avait tirés. -Des officiers de Bernadotte vinrent se plaindre au brave général -Dufresse, commandant de la place, de cette violation de -l'armistice.--Ce n'est rien, répondit ironiquement le général; la -grand'garde a aperçu un déserteur et a tiré dessus!-- - -[En marge: Accueil brillant fait à Bernadotte par les souverains -coalisés.] - -[En marge: Sa prétention d'être le généralissime de la coalition.] - -[En marge: Son commandement réduit à celui de l'armée dite du Nord.] - -Conduit à Trachenberg de relais en relais, au milieu d'escortes -nombreuses et d'un cortége magnifique, le prince de Suède y reçut de -l'empereur Alexandre et du roi de Prusse un accueil extraordinaire, -comme s'il leur eût apporté le génie de Napoléon ou du grand Frédéric. -C'était moins à ses talents du reste qu'aux craintes qu'on avait -conçues sur sa fidélité, et au désir de montrer un lieutenant de -Napoléon, fatigué de sa domination jusqu'à tourner ses armes contre -lui, qu'il devait ces empressements affectés. Si à la qualité de -Français et de lieutenant de Napoléon il avait joint celle de son -propre frère, les hommages eussent été plus excessifs encore, car on -aurait trouvé sa défection plus significative. Jusqu'au jour où l'on -avait rompu avec le Danemark, et où l'on avait définitivement adjugé -la Norvége à la Suède, le nouveau Suédois avait tour à tour promis, -hésité, menacé même; mais enfin il venait de prendre son parti et de -mettre en mouvement vingt-cinq mille Suédois. Pour prix de ce -contingent, d'ailleurs excellent, car il n'y avait pas de plus braves -soldats, animés de meilleurs sentiments que les Suédois, il affichait -d'étranges prétentions. Il aurait voulu être généralissime, ou du -moins commander toutes les armées que ne commandaient point en -personne les deux souverains eux-mêmes. On lui avait résisté -doucement, et peu à peu on l'avait ramené à de moindres exigences, par -la raison toute simple des emplacements qui ne permettaient pas aux -diverses armées d'opérer très-près les unes des autres, et d'être -réunies dès lors sous l'autorité d'un seul chef. Après des débats qui -avaient duré du 9 au 13 juillet, on avait arrêté le plan de campagne -suivant, fondé sur la coopération des Autrichiens, car bien qu'on eût -chargé ceux-ci de négocier pour tout le monde, la conviction -généralement répandue que Napoléon n'accepterait pas leur système de -pacification, faisait considérer leurs troupes rassemblées en Bohême, -en Bavière, en Styrie, comme inévitablement destinées à coopérer avec -les armées russe et prussienne. - -[En marge: Plan de campagne fondé sur l'idée d'éviter Napoléon, pour -se jeter toujours sur ses lieutenants, jusqu'à ce qu'après l'avoir -épuisé, on trouve l'occasion de l'accabler sous la réunion de toutes -les forces de la coalition.] - -Appréciant le danger de se mesurer avec Napoléon, on s'était proposé -de l'accabler par la masse des forces, et on ne désespérait pas en -effet de réunir huit cent mille soldats, dont cinq cent mille en -première ligne, agissant concentriquement sur Dresde. Trois grandes -armées actives étaient chargées d'expulser Napoléon de cette position -de Dresde, où l'on avait discerné qu'il voulait établir le centre de -ses opérations. Une première armée de 250 mille hommes, formée en -Bohême avec 130 mille Autrichiens et avec 120 mille Prussiens et -Russes, placée pour flatter l'Autriche sous le commandement d'un -général autrichien, devait opérer par la Bohême sur le flanc de -Napoléon. Une seconde de 120 mille hommes, placée sous le général -Blucher en Silésie, et composée en nombre égal de Prussiens et de -Russes, devait par Liegnitz et Bautzen marcher droit sur Dresde, -tandis qu'une troisième de 130 mille, confiée au prince de Suède, -composée de Suédois, de Prussiens, de Russes, d'Allemands, d'Anglais, -se dirigerait de Berlin sur Magdebourg. Il était convenu que ces trois -armées marcheraient prudemment, éviteraient les rencontres directes -avec Napoléon, rétrograderaient quand il avancerait, pour tomber sur -celui de ses lieutenants qu'il aurait laissé sur ses flancs ou ses -derrières, reculeraient de nouveau quand il viendrait au secours du -lieutenant menacé, se jetteraient aussitôt sur un autre, -s'attacheraient ainsi à l'épuiser, et quand elles le jugeraient assez -affaibli, profiteraient d'un moment favorable pour l'aborder lui-même, -et l'étouffer dans les cent bras de la coalition. Si malgré la -recommandation adressée à tous les chefs de ne commettre aucune -témérité, d'être prudent avec Napoléon et hardi avec ses lieutenants, -on se faisait battre, on devait ne pas se décourager, car il restait -en réserve trois cent mille hommes prêts à recruter l'armée active, et -à la rendre indestructible en la renouvelant sans cesse. On était -résolu en un mot à vaincre ou à mourir jusqu'au dernier. La Prusse -avait des réserves dans la Silésie, le Brandebourg, la Poméranie; la -Russie en avait en Pologne, l'Autriche en Bohême. L'Autriche devait -réunir de plus une armée d'observation en Bavière, une armée active en -Italie, et dans l'hypothèse, malheureusement trop vraisemblable, d'une -rupture avec nous, elle avait permis qu'on raisonnât sur ses forces -comme déjà jointes à la coalition, ce qui donnait lieu de dire -faussement qu'elle était définitivement engagée avec nos ennemis, et -que la négociation de Prague n'était qu'un leurre tant de sa part que -de la nôtre. - -Ce plan basé sur les manoeuvres probables de Napoléon, et prouvant que -celui-ci avait donné à ses adversaires des leçons dont ils avaient -profité, était sorti de la tête, non du prince suédois, mais des -généraux russes et prussiens, habitués à notre manière de faire la -guerre. Bernadotte, quoique appelé à commander à 130 mille hommes, -dont 100 mille pouvaient se trouver ensemble sur un même champ de -bataille, ce qui dépassait fort ses talents, car il n'en avait jamais -conduit plus de 20 mille, et toujours sous un supérieur, n'était pas -content de la part qu'on lui avait faite. Il aurait voulu commander, -outre cette armée, celle de Silésie, et avoir sous ses ordres Blucher -lui-même, ce qu'il croyait dû à son rang royal et à ses talents -militaires. Mais une telle prétention devait rencontrer des obstacles -insurmontables. C'était autour de Blucher que se réunissaient les -officiers allemands les plus distingués, les plus patriotes, les plus -engagés dans les sociétés secrètes allemandes, gens à qui Bernadotte -déplaisait à tous les titres, comme Français, comme défectionnaire à -son pays, comme spéculateur ayant depuis une année mis à une sorte -d'enchère ses services fort douteux, comme général enfin rempli de -présomption, quoique d'un mérite très-contestable. L'idée d'obéir à un -tel chef les révoltait tous, et ils tenaient à Trachenberg le langage -le plus injurieux pour le prince de Suède. On s'était donc appliqué à -lui faire entendre qu'il fallait renoncer à cette singulière -prétention, car les trois armées devaient agir trop loin les unes des -autres pour qu'on pût les soumettre au même général, et seulement, -pour le satisfaire, on avait accordé que dans le cas où l'armée de -Silésie serait appelée à coopérer avec celle du Nord (c'est ainsi -qu'on appelait la sienne), il pourrait donner des ordres à toutes les -deux. On avait amené Blucher et ses officiers à admettre cette -éventualité, quelque désagréable qu'elle fût pour eux, en leur disant -que les deux armées destinées à se rencontrer et à opérer ensemble -étaient celles de Silésie et de Bohême, parce qu'elles avaient Dresde -pour but commun, que celle du Nord au contraire, menaçant à la fois -Hambourg et Magdebourg, aurait bien peu de chances de se trouver à -côté de celle de Silésie, qui visait aussi sur l'Elbe mais bien plus -haut. - -[En marge: Retour des souverains à Reichenbach.] - -[En marge: Ils désirent peu la paix, et surtout ne l'espèrent plus.] - -Après ces arrangements, on avait renvoyé Bernadotte enivré d'un encens -brûlé par de royales mains, et Alexandre et Frédéric-Guillaume étaient -revenus à Reichenbach, pour attendre l'issue des négociations, au -résultat desquelles ils ne croyaient guère, dont Alexandre toujours -irrité contre Napoléon et prodigieusement flatté de mener l'Europe, -désirait peu le succès, dont Frédéric-Guillaume, dans sa constante et -sage défiance de la fortune, aurait accepté volontiers l'heureuse -conclusion s'il avait pu y ajouter quelque foi. C'était à leur retour -qu'avait été faite par les commissaires de Neumarckt la réponse que -nous venons de rapporter, et qui ôtait tout prétexte pour retenir plus -longtemps M. de Caulaincourt à Dresde. - -[En marge: M. de Caulaincourt reçoit enfin avec ses instructions, -l'autorisation de se rendre à Prague; il est consterné en voyant le -peu de moyens qu'on lui laisse de travailler à la paix.] - -Le 26 ce digne et courageux personnage reçut de M. de Bassano les -instructions que Napoléon avant de se rendre à Mayence avait laissées -pour lui. Bien que le fond des choses n'y fût point traité, les -difficultés de forme y étaient si complaisamment détaillées, et -données si ouvertement comme un moyen de perdre le temps, que M. de -Caulaincourt en fut consterné. C'était uniquement dans l'intention de -ménager une paix suivant lui indispensable, qu'il avait accepté le -rôle de plénipotentiaire à Prague, rôle plus pénible pour lui que pour -tout autre, car après avoir joui de la faveur particulière de -l'empereur Alexandre, n'obtenir s'il le rencontrait qu'une froideur -blessante, et, s'il ne le rencontrait pas, essuyer cette même froideur -de la part de ses agents les plus vulgaires, devait lui être bien -pénible. Aller s'exposer à de pareils traitements pour ne rendre aucun -service, et pour jouer une fade comédie, coûtait à sa dignité autant -qu'à son patriotisme. Il se mit toutefois en route sur la simple -espérance de conjurer, en partie du moins, les effets de la mauvaise -volonté de son maître, et en quittant Dresde il adressa à Napoléon la -lettre suivante, que l'histoire doit conserver. - -[En marge: Noble lettre de M. de Caulaincourt à Napoléon pour lui -demander quelque latitude, et le supplier de songer sérieusement à la -paix.] - - «Dresde, 26 juillet 1813. - -»Sire, - -»J'ai besoin de soulager mon coeur avant de quitter Dresde, afin de ne -porter à Prague que le sentiment des devoirs que Votre Majesté m'a -imposés. Il est deux heures. M. le duc de Bassano me remet seulement -les instructions que les réponses de Neumarckt et les ordres de Votre -Majesté ne lui ont pas permis de me donner plus tôt; elles sont si -différentes des arrangements auxquels elle avait paru consentir en me -déterminant à accepter cette mission, que je n'hésiterais pas à -refuser encore l'honneur d'être son plénipotentiaire, si, après tant -de temps perdu, les heures n'étaient comptées à Prague, pendant que -Votre Majesté est à Mayence et moi encore à Dresde. Quelle que soit -donc ma répugnance pour des négociations si illusoires, je me pénètre -avant tout de mes devoirs, et j'obéis. Demain je serai en route et -après demain à Prague, comme on me le prescrit; mais permettez, Sire, -que les réflexions de votre fidèle serviteur trouvent encore ici leur -place. L'horizon politique est toujours si rembruni, tout a un aspect -si grave, que je ne puis résister au désir de supplier encore Votre -Majesté de prendre, comme son ministre me le fait espérer, une -salutaire résolution avant le terme fatal. Puisse-t-elle se convaincre -que le temps presse, que l'irritation des Allemands est extrême, et -que cette exaspération des esprits imprime, encore plus que la peur -des cabinets, un mouvement accéléré et irrésistible aux événements. -L'Autriche est déjà trop compromise pour reculer, si la paix du -continent ne la rassure pas. Votre Majesté sait bien que ce n'est pas -la cause de cette puissance que j'ai plaidée près d'elle; certes! ce -n'est pas son abandon dans nos revers que je la prie de récompenser, -ce ne sont même pas ses 150 mille baïonnettes que je veux écarter du -champ de bataille, quoique cette considération mérite bien quelque -attention, mais c'est le soulèvement de l'Allemagne, que le vieil -ascendant de cette puissance peut amener, que je supplie Votre Majesté -d'éviter à tout prix. Tous les sacrifices faits dans ce but et par -conséquent dans ce moment à une prompte paix, vous rendront, Sire, -plus puissant que ne l'ont fait vos victoires, et vous serez l'idole -des peuples, etc...» - -[En marge: Départ de M. de Caulaincourt, et son arrivée à Prague.] - -[En marge: Digne accueil fait à cet illustre personnage.] - -[En marge: La question de forme immédiatement soulevée à l'occasion de -l'échange des pouvoirs.] - -[En marge: Nouvelles réflexions de M. de Metternich à l'égard de ces -difficultés de forme, et nouvelle déclaration que si avant le 10 août -on n'a pas traité sérieusement, l'Autriche, le 10 août à minuit, -signera son adhésion à la coalition.] - -Ce langage d'un honnête homme, qui en voyant déjà une grande partie du -mal ne le voyait pourtant pas tout entier, car ce n'étaient pas 150 -mille Autrichiens mais 300 mille qu'il s'agissait de se mettre encore -sur les bras, car ce n'était pas le soulèvement de l'Allemagne mais -celui de toute l'Europe, qu'il s'agissait de braver, ce langage ne -devait malheureusement pas avoir beaucoup d'utilité. Toutefois ne -renonçant pas à essayer le bien, quelque faible que fût l'espérance de -l'accomplir, M. le duc de Vicence était parti pour Prague, où on -l'attendait impatiemment. L'accueil qu'il y reçut fut digne de lui et -de la considération qu'il s'était acquise en Europe. En apprenant son -départ, on avait suspendu tous les pourparlers jusqu'à son arrivée. -Après être entré en communication avec les plénipotentiaires russe, -prussien et autrichien, il reprit avec M. de Metternich le vieux thème -que M. de Narbonne avait déjà usé en quelques jours, c'est qu'il -n'était possible de remettre les pouvoirs et de traiter les matières à -discuter qu'en assemblée commune, sous les yeux et la présidence du -médiateur, mais en conférence de tous avec tous. Cette difficulté -sérieuse sans doute, si on avait eu encore l'espoir d'un rapprochement -direct avec la Russie, n'en devait plus être une qui méritât tant -d'insistance de notre part, lorsqu'on ne pouvait désormais faire la -paix que par l'Autriche, et à son gré. Il nous était même plus commode -d'avoir le médiateur pour organe principal, que de nous aboucher avec -deux plénipotentiaires mal disposés, et cherchant peu à faciliter une -paix que l'Autriche souhaitait seule. La preuve qu'il en était ainsi, -c'était le désir évident de M. de Metternich d'amener M. de Humboldt -et M. d'Anstett à une concession sur cette question de forme, afin de -rendre au moins l'ouverture du congrès possible. Puisque lui-même -voulait un abouchement direct des plénipotentiaires français avec les -plénipotentiaires prussien et russe, c'est qu'il n'avait plus à le -craindre. Du reste parlant franchement avec M. de Caulaincourt comme -avec M. de Narbonne, il lui montra l'inutilité de disputer longuement -sur les formes suivies à Munster, à Tetschen, à Sistow, car les deux -plénipotentiaires étaient engagés d'amour-propre et d'intérêt dans la -voie où ils étaient entrés; d'amour-propre, parce qu'ils avaient déjà -remis leurs pouvoirs au médiateur, d'intérêt, parce qu'ils ne -voulaient pas qu'on les accusât de pactiser secrètement avec la -diplomatie française, et que traiter par notes remises au médiateur -était le seul moyen qui ne prêtât à aucune fausse interprétation. Il -dit que par ces motifs ils ne consentiraient pas à céder, que -d'ailleurs ils ne désiraient pas beaucoup la paix, et que ce désir ne -pouvait faire taire chez eux ni l'amour-propre ni l'intérêt; que par -conséquent toutes les discussions qu'on aurait avec eux seraient -inutiles; qu'au surplus, il le voyait bien, Napoléon n'avait pas la -moindre envie d'arriver à un résultat; que tant qu'il s'attacherait à -batailler sur un tel terrain, il fallait en conclure qu'il ne voulait -pas faire un pas vers la paix, qu'il était dès lors inutile de -s'agiter pour obtenir sur des questions de forme des concessions qui -ne mèneraient à rien pour le fond des choses, qu'il fallait attendre, -et attendre jusqu'au dernier moment, car avec un caractère aussi -extraordinaire que celui de Napoléon tout était possible; qu'au -dernier jour, à la dernière heure, il se pourrait qu'il envoyât à -l'improviste des ordres de traiter sur des bases acceptables, et que -la paix sortît tout à coup d'une situation actuellement désespérée; -que dans cette supposition peu vraisemblable sans doute, mais -admissible, il attendrait jusqu'au 10 août à minuit, que jusque-là, il -en renouvelait l'assurance formelle, il ne serait engagé avec -personne, mais que le 10 août à minuit il le serait irrévocablement -avec nos ennemis, qu'il signerait au nom de son souverain un traité -d'alliance avec les puissances coalisées, et serait au nombre de nos -adversaires les plus résolus à vaincre ou à périr.-- - -[En marge: Vives instances de M. de Caulaincourt pour qu'on l'autorise -à traiter sérieusement.] - -M. de Metternich répéta ces choses qu'il avait déjà dites à M. de -Narbonne d'un ton si calme, mais si ferme, avec des témoignages si -affectueux pour M. de Caulaincourt, et une sincérité si manifeste (car -il ne faut pas comme le vulgaire s'imaginer qu'un diplomate mente -nécessairement), que M. de Caulaincourt ne pouvait pas résister à tant -d'évidence. Aussi avec sa véracité ordinaire écrivit-il sur-le-champ à -M. de Bassano qu'il craignait peu, à Napoléon qu'il craignait -beaucoup, pour leur faire savoir encore une fois quelle était la -situation véritable, combien était grand, certain même le danger d'une -prochaine adhésion de l'Autriche à la coalition, ce qui rendrait -complète et définitive l'union de l'Europe contre nous; situation -périlleuse mais soutenable en 1792, lorsque nous débutions dans la -carrière des révolutions, lorsque nous étions pleins encore de passion -et d'espérance, injustement attaqués, et non pas durement oppresseurs, -situation au contraire désastreuse lorsque nous étions épuisés, -lorsque nous avions tort contre tout le monde, et que tout le monde -éprouvait contre nous l'indignation qui avait fait notre force en -1792. La conviction de M. de Caulaincourt à cet égard était si vive et -si sincère, que connaissant l'ambition de M. de Bassano, voulant -appeler cette ambition au secours de l'honnêteté très-réelle de ce -ministre, et supposant qu'il serait peut-être sensible à l'honneur de -signer lui-même la paix du monde, il l'engageait instamment à venir à -Prague, lui revêtu de toute la confiance de l'Empereur, ayant tous ses -pouvoirs, n'ayant pas besoin pour en référer à sa volonté de perdre -les dernières heures qui restaient, et à se rendre l'objet d'un -transport universel de reconnaissance en venant conclure une paix qui -allait sauver tant de victimes, et probablement au nombre de ces -victimes la France elle-même. - -[En marge: M. de Bassano accorde à M. de Caulaincourt quelques -facilités illusoires sur la question de forme.] - -M. de Bassano, qui était aussi bon citoyen que le lui permettait sa -parfaite soumission à son maître, aurait cédé sans doute à tant de -raison et de patriotisme, s'il avait eu une volonté propre; mais n'en -admettant qu'une au monde, celle de Napoléon, avec laquelle il ne -contestait pas plus qu'avec celle de Dieu même, il se contenta de -satisfaire aux vives instances de M. de Caulaincourt en lui accordant -quelques facilités pour traiter la question de forme, sans sortir -toutefois des latitudes qui lui avaient été laissées à lui-même. Ainsi -par exemple il permit aux deux négociateurs français de donner une -copie certifiée de leurs pouvoirs au médiateur, qui la transmettrait -aux plénipotentiaires prussien et russe, de façon que cette première -communication aurait lieu suivant le mode désiré par nos adversaires, -mais en retour il continua d'exiger que l'échange définitif des -pouvoirs eût lieu dans une conférence commune. Quant à la forme même -de la négociation, il consentit à ce que les plénipotentiaires russe -et prussien procédassent par notes officielles, comme ils le voulaient -pour mettre leur responsabilité à couvert, mais à condition que les -plénipotentiaires français pourraient discuter ces notes dans des -conférences où les parties adverses se trouveraient réunies. - -[En marge: M. de Bassano informe Napoléon de ce qu'il a fait.] - -Ces subtilités étaient misérables et bien indignes d'une situation -aussi grave. M. de Bassano écrivit à l'Empereur à Mayence qu'il -accordait ces latitudes à nos plénipotentiaires, afin que toutes les -questions de forme fussent vidées à son retour à Dresde, et que, s'il -lui convenait alors de donner dans les six derniers jours une tournure -sérieuse à la négociation[4], il trouvât les discussions préliminaires -terminées. - - [Note 4: Pour quiconque aurait de la peine à croire qu'on - ait cherché à rendre aussi illusoires que nous le disons les - négociations de Prague, nous donnerons l'extrait suivant - d'une lettre de M. de Bassano à l'Empereur, datée de Dresde, - 1er août 1813, à quatre heures du matin. - - «Je transmets à Votre Majesté les dépêches de ses - plénipotentiaires. - - »J'ai cru devoir leur répondre sans attendre les ordres de - Votre Majesté. Nous sommes au 1er août; ma lettre ne partira - que ce matin, les plénipotentiaires ne la recevront que - demain, et il se sera écoulé assez de temps pour que, - conformément aux instructions que Votre Majesté m'a - laissées, on arrive au 10 août sans s'être trop engagé. Il - m'a d'autant moins paru dans l'intention de Votre Majesté de - porter trop loin les discussions de forme _qui mettraient à - découvert le projet de gagner du temps_, que nous - parviendrons tout naturellement au moment du retour de Votre - Majesté à Dresde sans que la négociation ait fait des - progrès réels, et qu'aucune question ait été compromise. À - peine celle de l'approvisionnement des places aura-t-elle - été entamée. - - »Des trois difficultés qui se sont élevées, celles relatives - à l'échange des pouvoirs et au lieu des conférences se - résoudront d'elles-mêmes. - - »Quant au mode à adopter (à partir de ce mot la minute est - écrite de la main du duc de Bassano) pour négocier, j'ai cru - que nous ne pouvions différer pendant plusieurs jours de - répondre, sans prendre sur nous ces retards, tandis que de - fait, et si M. de Metternich insiste sur une proposition qui - attente à tous les droits et à tous les usages, les entraves - apportées à la négociation ne pourront être imputées qu'à - lui. - - »Quoique les déclarations qu'il a faites à MM. de Vicence et - de Narbonne et à M. d'André n'aient peut-être pour objet que - de rendre plus imposante son attitude de médiateur, il - pourrait entrer dans les vues de Votre Majesté de donner dès - le moment de son arrivée ici une tournure assez grave aux - négociations pour qu'on n'osât pas les rompre. Dans cette - supposition, j'ai pensé qu'il conviendrait à Votre Majesté - de trouver les discussions préliminaires à peu près - terminées.»] - -[En marge: Napoléon à Mayence.] - -[En marge: Son entrevue avec l'Impératrice.] - -[En marge: Douleur de cette princesse.] - -[En marge: Tendres égards de Napoléon pour elle.] - -[En marge: Occupations de Napoléon à Mayence.] - -[En marge: Le duc de Rovigo empêché d'y venir.] - -Napoléon était en ce moment à Mayence où il s'était rendu, comme nous -l'avons dit, afin d'y passer quelques jours avec l'Impératrice, et de -voir chemin faisant les troupes en marche, les travaux en cours -d'exécution, tout ce qui avait besoin en un mot de sa présence pour se -perfectionner ou s'achever. Parti dans la nuit du 24 au 25 juillet, il -était arrivé le 26 au soir à Mayence, où l'attendaient une cour -brillante venue de Paris à la suite de l'Impératrice, et un grand -nombre de ses agents accourus pour recevoir ses ordres directs. Il -avait trouvé l'Impératrice désolée, cachant ses larmes au public, mais -n'hésitant pas à les répandre devant lui, car elle était sincèrement -attachée à son glorieux époux, elle tremblait pour sa vie et sa -fortune, elle craignait pour elle-même que la nouvelle déclaration de -guerre de l'Autriche ne réveillât en France toutes les haines -populaires sous lesquelles avait succombé la malheureuse reine -Marie-Antoinette; elle aurait voulu retenir dans l'alliance française -son père qu'elle aimait, dont elle était aimée, mais elle ne pouvait -pas plus vaincre la tranquille inflexibilité de l'empereur François, -que la fougueuse humeur de Napoléon, et elle faisait ce que font les -femmes dans leur impuissance, elle pleurait. Le secret de l'entrevue -de Napoléon avec Marie-Louise est resté inconnu[5], et probablement il -est resté inconnu parce qu'il était nul, car Napoléon ne voulait -charger l'Impératrice de rien, les affaires se traitant à Prague de -telle sorte, qu'elle n'y pouvait rendre aucun service. Il désirait la -voir, la consoler, lui donner des témoignages publics de tendresse, ce -qui, pour l'Autriche, pour l'Europe, devait être d'un bon effet; il -désirait aussi, avec sa défiance ordinaire, chercher à pénétrer si -elle n'aurait pas reçu de Vienne quelque communication clandestine qui -pût l'éclairer sur les desseins de l'Autriche. Mais en tout cas de -tels efforts étaient parfaitement inutiles, car l'Autriche avait dit -tout son secret par la bouche de M. de Metternich, et ce secret -n'était autre que celui-ci, c'est qu'à certaines conditions cent fois -énoncées elle arrêterait l'Europe, l'obligerait à poser les armes, -ménagerait la paix, non-seulement continentale mais maritime, et qu'en -dehors de ces conditions se déclarant sur-le-champ notre ennemie, elle -prendrait part à la coalition universelle qui se préparait contre -nous. Napoléon n'avait donc rien à apprendre de Marie-Louise, mais il -procura à cette princesse le plaisir de passer quelques jours avec -lui, et en attendant il expédia sur les lieux une quantité d'affaires -civiles et militaires. De cette main puissante de laquelle pouvait -s'échapper tant de bien et de mal, il laissa effectivement échapper du -bien et du mal avec l'ordinaire prodigalité de son génie. Le duc de -Rovigo avait voulu venir à Mayence pour y faire une nouvelle tentative -en faveur de la paix, en éclairant Napoléon sur l'état de l'opinion -publique, et sur le danger qu'il courait de s'aliéner définitivement -l'affection de la France. L'opinion publique était en effet dans une -anxiété extrême depuis qu'elle commençait à craindre que le congrès -réuni si tard ne restât sans résultat. Les ennemis de Napoléon étaient -pleins d'espérance, la majorité du pays pleine de chagrins et de -sinistres appréhensions. Déjà l'affection était évanouie, la haine -naissait, et faisait taire l'admiration. Dans la basse Allemagne et la -Hollande on criait _Vive Orange!_ dans toute l'Allemagne _Vive -Alexandre!_ En France on n'osait pas crier _Vivent les Bourbons!_ mais -leur souvenir se réveillait peu à peu, et on se transmettait de main -en main un manifeste de Louis XVIII publié à Hartwell, qui aurait -certainement produit un effet général, s'il n'avait porté encore les -traces nombreuses des préjugés de l'émigration. Ce sont tous ces -détails que le duc de Rovigo se proposait de communiquer au maître -qu'il servait fidèlement, mais Napoléon ne voulant pas être importuné -de ce qu'il appelait les criailleries de l'intérieur, avait refusé de -le recevoir, et lui avait ordonné de rester à Paris, sous prétexte que -sa présence y était nécessaire. - - [Note 5: L'archichancelier Cambacérès, confident et - directeur de l'Impératrice régente, déclare dans ses - Mémoires aussi simples que véridiques, qu'il ne put parvenir - à en rien savoir.] - -[En marge: Nouvelles rigueurs envers le clergé.] - -Usant du procédé trop ordinaire à un gouvernement qui s'entête dans -ses erreurs, et qui voit dans les manifestations de l'opinion publique -des actes à réprimer au lieu de leçons à méditer, il déploya contre le -clergé certaines rigueurs tout à fait étranges par l'audace apportée -dans l'arbitraire. Le clergé naturellement ne négligeait aucune -occasion de multiplier ses manifestations hostiles, surtout en -Belgique, et par ses fautes il provoquait ainsi celles du pouvoir. Le -concordat de Fontainebleau contesté avec une remarquable mauvaise foi -par la correspondance secrète des cardinaux, était considéré dans tout -le clergé comme un acte non avenu. On s'obstinait à ne pas reconnaître -les nouveaux prélats que Napoléon avait nommés et que Pie VII, après -l'avoir promis, refusait toujours d'instituer. Les plus prudents se -tenaient éloignés de leurs nouveaux siéges pour éviter des scandales. -M. de Pradt, devenu ennemi de l'Empire depuis sa fâcheuse ambassade à -Varsovie, et peu jaloux de s'attirer des désagréments pour plaire au -gouvernement, s'était abstenu de se présenter à Malines, dont il avait -été nommé archevêque. Mais les nouveaux évêques de Tournay et de Gand, -ayant voulu se rendre dans leurs diocèses et officier publiquement -dans leurs métropoles, avaient provoqué une sorte de soulèvement de la -part du clergé et des fidèles. En les voyant paraître à l'autel, -prêtres et assistants avaient fui, et laissé les prélats presque seuls -devant le tabernacle. Les séminaristes de Tournay et de Gand avaient, -sous la direction de leurs professeurs, participé à ce désordre. On -signalait aussi parmi les coupables une association de dames qui, sous -le nom de _Béguines_, vivaient à Gand dans une espèce de communauté -sans être astreintes à la rigueur du cloître, et on les accusait -d'avoir exercé en cette occasion une grande influence sur la conduite -du clergé. - -[En marge: Les séminaristes de Tournay et de Gand envoyés dans un -régiment.] - -Napoléon ordonna de disperser les _Béguines_, d'enfermer dans les -prisons d'État quelques membres des chapitres de Tournay et de Gand, -de déporter les autres dans des séminaires éloignés, d'en agir de même -à l'égard des professeurs, et quant aux jeunes séminaristes, de -prendre tous ceux qui avaient plus de dix-huit ans, de les envoyer à -Magdebourg dans un régiment, sur le motif qu'ils étaient passibles de -la loi de la conscription, qu'ils en avaient été dispensés -exceptionnellement pour devenir des ministres des autels, non des -fauteurs de troubles, et qu'une semblable faveur pouvait cesser au gré -du souverain lorsqu'il jugeait qu'on n'en était plus digne. Ceux qui -avaient moins de dix-huit ans durent être renvoyés dans leurs -familles. Des personnes pieuses s'étant réunies pour fournir des -remplaçants aux autres, Napoléon pour ce cas-là défendit le -remplacement. Recommandation expresse fut faite d'exécuter -sur-le-champ ces diverses prescriptions, et on n'y manqua point. - -[En marge: Procès d'Anvers.] - -[En marge: Cassation du jugement rendu par le jury d'Anvers.] - -N'admettant plus de limite à sa volonté, ni au dedans ni au dehors, -Napoléon osa quelque chose de plus extraordinaire encore. L'octroi -d'Anvers avait été livré depuis plusieurs années à des dilapidations -dans lesquelles étaient compromis divers fonctionnaires municipaux. -Les dilapidations étaient incontestables, et elles avaient fait perdre -à la ville d'Anvers deux à trois millions. Les accusés mis en -jugement étaient, à tort ou à raison, considérés par l'administration -comme les véritables auteurs de ces concussions; mais l'opinion du -pays était si hostile au gouvernement, qu'elle n'hésitait pas à se -prononcer favorablement pour des individus qu'en tout autre temps elle -eût hautement condamnés, et à les couvrir d'une sorte d'indulgence, -comme s'il n'avait pu y avoir que d'intéressantes victimes parmi des -hommes poursuivis par l'autorité impériale. Entraînés par ce -sentiment, ou atteints par la corruption, ainsi que le prétendit le -grand juge, les jurés acquittèrent hardiment les fonctionnaires -accusés, aux applaudissements de la province, et la ville d'Anvers, -frustrée déjà de trois millions, fut encore exposée à payer les frais -considérables du procès. On comprend l'indignation d'un gouvernement -régulier très-attaché à maintenir l'ordre le plus rigoureux dans -toutes les parties de l'administration. Mais quelque légitime que fût -l'indignation ressentie par Napoléon en voyant des hommes qu'il -croyait coupables jouir de l'impunité, et la ville d'Anvers victime de -graves dilapidations subir seule une condamnation, il aurait dû -admettre toutefois que le délit poursuivi étant réel, les individus -accusés pouvaient bien n'en pas être les auteurs, et, en supposant -qu'ils le fussent, que la déclaration du jury devait rester sacrée, -comme chose jugée, jugée bien ou mal mais irrévocablement. Napoléon en -apprenant cette décision éprouva une colère extrême, et comme pour -contrarier son gouvernement on avait mis de côté toute justice, il -n'hésita pas, lui, afin de rendre guerre pour guerre, à mettre de côté -toute légalité, et à casser la décision du jury. Cet acte -extraordinaire et sans exemple était de nature à soulever l'opinion -universelle, mais Napoléon ne s'en inquiéta point, et persista, -s'imaginant que la sincérité de son indignation justifierait l'étrange -audace de son acte, tant les idées se pervertissent vite lorsqu'on -prend l'habitude de mettre sa volonté au-dessus de celle des lois. - -[En marge: Hardiesse de Napoléon à prendre sur lui toute la -responsabilité de l'acte extraordinaire qu'il s'était permis à l'égard -du jury d'Anvers.] - -Malgré l'avis du département de la justice, et notamment de -l'archichancelier Cambacérès qui pensait que la seule chose possible -c'était de changer la loi si elle était mauvaise, et de soustraire au -jury la connaissance de ce genre de délits si on le croyait incapable -d'en bien connaître, Napoléon s'appuyant sur un article des -constitutions de l'Empire qui permettait au Sénat d'annuler les -jugements attentatoires à la sûreté de l'État, voulut qu'un -sénatus-consulte fût rendu, pour casser la décision du jury d'Anvers, -et renvoyer devant une autre cour non-seulement les prévenus -acquittés, mais certains jurés eux-mêmes accusés de s'être laissé -corrompre. On ne pouvait pas accumuler plus d'irrégularités à la fois, -car en admettant que l'article 55 de la Constitution du 16 thermidor -an X (4 août 1802) fût encore en vigueur, il était évident que le -jugement dont il s'agissait n'était pas un de ceux qu'on avait eus en -vue en les qualifiant d'attentatoires à la sûreté de l'État, et -surtout qu'en s'arrogeant le droit de casser la décision d'un -tribunal, on avait voulu abroger cette décision, mais nullement -poursuivre ceux qui l'avaient rendue. Ces objections furent soumises à -Napoléon, mais il n'en tint aucun compte, et exigea que le -sénatus-consulte fût rédigé tel qu'il l'avait conçu, et porté -immédiatement au Sénat. Il alla plus loin: convaincu, dans -l'aveuglement de son despotisme, qu'un pouvoir poursuivant un but -honnête ne devait se laisser gêner par aucune règle, il signa, et fit -publier une lettre close, dans laquelle, saisissant lui-même le -conseil privé de la question, et lui indiquant la décision, il prenait -la responsabilité entière sur sa tête. Le rapport du conseiller -d'État, chargé de présenter le sénatus-consulte, contenait cette -phrase qui exprime toute l'opinion de Napoléon en matière de -souveraineté, et qui certainement n'eût jamais été admise, même avant -1789, dans des termes aussi absolus: «Notre législation ordinaire -n'offre aucun moyen d'anéantir une pareille décision. Il faut donc que -la main du souverain intervienne. Le souverain est la loi suprême et -toujours vivante; c'est le propre de la souveraineté de renfermer en -soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir -ou réparer le mal.» - -[En marge: Actes de bienfaisance mêlés à ces actes arbitraires.] - -S'arrogeant ainsi le droit illimité de pourvoir à tout, de distribuer -la justice, de la changer au besoin quand elle ne lui convenait pas, -il prodiguait de cette même main souveraine le bien qu'il trouvait à -faire sur son chemin. Le premier président de la cour de cassation, M. -Muraire, magistrat distingué, ayant mal administré sa fortune, était -tombé dans une situation fâcheuse pour un fonctionnaire de son rang. -Son gendre, destiné à devenir bientôt un sage et courageux ministre du -roi Louis XVIII, M. Decazes, s'étant rendu à Mayence pour faire appel -à la bienfaisance impériale, Napoléon qui avait en ce moment de -fortes raisons d'être avare de son argent, lui dit: Comment donc M. -Muraire s'est-il exposé à de tels embarras?... Mais peu importe, -combien vous faut-il?--Puis cela dit, il examina ce qu'il fallait pour -tirer M. Muraire de sa position, et il accorda quelques centaines de -mille francs sur son trésor particulier, qui était, comme on l'a vu, -la dernière ressource de l'armée. - -[En marge: Napoléon s'occupe à Mayence de ses finances.] - -[En marge: Suite donnée à la mesure de l'aliénation des biens -communaux.] - -[En marge: Le trésor particulier de Napoléon, la Banque, la caisse de -service, avaient pris pour 145 millions des nouveaux bons -représentatifs des biens communaux, et les gardaient en portefeuille.] - -[En marge: On n'osait pas en émettre dans le public de peur de les -déprécier.] - -Napoléon profita de son séjour à Mayence pour donner quelque attention -à ses finances. La mesure de l'aliénation des biens communaux, adoptée -et convertie en loi, n'avait pas encore produit de grands résultats, -parce qu'il fallait ménager un emploi aux nouveaux bons de la caisse -d'amortissement avant d'en émettre des sommes considérables. Sans -cette précaution en effet ils se seraient accumulés sur la place et -eussent été bientôt dépréciés. Il était donc indispensable d'accélérer -l'aliénation des biens communaux, qui pouvait seule fournir l'emploi -désiré. Avant que les biens communaux fussent vendus, il fallait les -choisir, les faire admettre dans la catégorie des biens aliénables, -les estimer, en fournir la valeur aux communes en rentes sur l'État, -en prendre possession, et enfin les mettre publiquement en -adjudication. Quelque accélérée que fût cette suite d'opérations -administratives, elle exigeait du temps, et jusqu'à son achèvement -pour chaque partie de biens, on ne pouvait opérer la mise en vente. -Les bons émis avant qu'ils fussent recherchés pour ce genre d'emploi, -auraient bientôt flotté sur la place, perdu 20 ou 30 pour cent, -entraîné la chute des actions de la Banque et des rentes sur l'État, -seules valeurs ayant cours à cette époque, et ruiné l'espèce de -crédit fort restreint dont on jouissait, et dont on avait besoin, tout -restreint qu'il était. Napoléon avait pris pour le compte de son -trésor environ 72 millions de ces nouveaux bons, la Banque 10, la -Caisse de service 63, ce qui composait une ressource de 145 millions -réalisée d'avance, et qui n'entraînait aucune émission de ces bons, -parce que les trois caisses qui s'en étaient chargées les avaient -gardés en portefeuille. Mais ce n'était pas assez avec les immenses -dépenses qu'on avait eu à solder, car les payements du Trésor dans les -six premiers mois écoulés avaient déjà excédé les recettes ordinaires -de plus de 200 millions. M. Mollien n'osait pas dans ses payements -employer les nouveaux bons de la Caisse d'amortissement, parce qu'il -craignait de les avilir. On en avait d'abord émis quelques-uns sur la -place afin de les populariser, et ils n'avaient pas perdu plus de 5 à -6 pour cent, ce qui était un agio fort modéré, mais les répandre -davantage était difficile et dangereux. On ne pouvait les donner ni -aux rentiers ni aux fonctionnaires, parce que les sommes à payer aux -uns comme aux autres étaient peu considérables et que les coupures de -ces bons ne s'y prêtaient pas, parce qu'on aurait fait d'ailleurs -crier aux assignats. Encore moins pouvait-on les consacrer à payer la -solde de l'armée, qui s'acquittait à l'étranger et en sommes -très-divisées. Toutefois, pour ce genre de payement, Napoléon avait -fait employer dans une certaine proportion les billets de la Caisse de -service, acquittables à Paris ou dans les départements, lesquels -fournissaient aux officiers ayant des familles la faculté de faire -passer sûrement et sans frais de l'argent en France, et procuraient en -outre au Trésor la facilité de remplir ses engagements avec un papier -à échéance assez longue. C'est même par des combinaisons de ce genre -que la Caisse de service avait pu se charger à elle seule de 63 -millions des nouveaux bons, qu'elle devait garder en portefeuille. -L'unique payement qui pût s'effectuer avec cette nouvelle valeur, -c'était celui des grandes fournitures exécutées par les riches -entrepreneurs travaillant pour la guerre et pour la marine. Ceux-là -tenant à continuer les affaires importantes qu'ils faisaient avec -l'État, ne devaient pas regarder de si près au mode de payement, et -d'ailleurs ils avaient tellement besoin d'argent, qu'ils aimaient -encore mieux recevoir une valeur exposée à perdre 10 ou 15 pour cent, -que ne rien recevoir du tout. Il y avait de plus une espèce de -fournisseurs obligés, devenus fournisseurs malgré eux, c'étaient les -propriétaires, fermiers ou négociants, auxquels on avait pris par voie -de réquisition ou des denrées ou des étoffes, ou des chevaux, à -condition de les solder comptant. Aux uns comme aux autres on pouvait -donner les nouveaux bons de la Caisse, que les uns feraient escompter -à de gros capitalistes, que les autres garderaient pour en acheter des -biens communaux. Mais M. Mollien, toujours attaché aux moyens -réguliers, préférait faire attendre les fournisseurs et les individus -frappés de réquisition, ce qui pouvait se couvrir du prétexte des -liquidations inachevées, que d'émettre un papier exposé à être -qualifié d'assignat dès que l'introduction dans le public en -paraîtrait plus ou moins forcée. Aussi les fournisseurs, habitués à -crier à la porte des administrations, commençaient-ils à murmurer, à -se plaindre du défaut de payement, et à l'alléguer comme excuse du -ralentissement de tous les services. C'est là ce qui motiva -l'intervention personnelle de Napoléon, dont l'oreille ne devenait -sensible en ce moment que lorsqu'il s'agissait des besoins de l'armée. - -[En marge: Napoléon exige que M. Mollien donne des nouveaux bons à -certains fournisseurs, et à certains créanciers de l'État.] - -S'adressant à M. Mollien, il soutint que la perte de 9 à 10 pour cent -sur une pareille valeur, surtout lorsqu'un gros intérêt, exactement -payé, devait en maintenir le cours, n'était rien en soi, et n'égalait -pas l'inconvénient de faire attendre des gens qu'il y avait urgence à -satisfaire. Ceux à qui l'argent comptant n'était pas indispensable -auraient dans la main un placement avantageux, ceux qui ne pouvaient -pas s'en passer, réaliseraient le capital par l'escompte, et ce serait -toujours le même résultat, ramené à un seul inconvénient, de faire -baisser de 9 à 10 pour cent l'une des trois valeurs circulantes. Les -rentes sur l'État, par exemple, qu'on avait vues à 12 francs la veille -du 18 brumaire, à 30 le lendemain, puis à 90 après 1806, qu'on -revoyait actuellement à 70, n'entraînaient pas après tout, par ces -variations, la ruine de l'État et des particuliers. La fixité et -l'exact payement de l'intérêt consolaient les porteurs de rente, qui -finissaient par ne plus prendre garde à ces fluctuations, et il n'y -avait d'atteints par elles que ceux qui étaient forcés de vendre. -C'était un inconvénient très-partiel, auquel devaient se résigner ceux -qui avaient besoin d'argent. - -[En marge: Napoléon, pour fournir un emploi à ces bons, prend des -mesures afin d'accélérer la mise en vente des biens communaux.] - -Telle était l'argumentation fort spécieuse de Napoléon contre le -ministre des finances, argumentation qui eût été à peu près vraie, si -la baisse de ces bons avait pu être limitée à 10, à 12, même à 15 pour -cent. Mais qui pouvait dire où elle s'arrêterait, si on se laissait -entraîner à une émission considérable? C'est ce que craignait M. -Mollien, et ce dont Napoléon ne tint aucun compte, car il ordonna -qu'on répandît à Paris environ une trentaine de millions des bons de -la caisse d'amortissement par le payement des fournitures, et dans -les départements environ dix-huit ou vingt par le payement des -réquisitions. C'étaient cinquante millions introduits un peu -forcément dans la circulation. Afin de leur ouvrir plus tôt le -débouché des acquisitions de biens communaux, Napoléon prescrivit -à l'archichancelier Cambacérès de faire acte d'autorité sur le Conseil -d'État, d'enlever au Comité du contentieux, dont les formes sont -celles de la justice elle-même, les contestations relatives aux biens -communaux, de les transporter au Comité chargé de l'administration -communale, de diriger lui-même ce comité, et d'expédier rapidement ce -genre d'affaires au moyen d'un examen sommaire et non interrompu. - -[En marge: Napoléon imagine des conscriptions locales, qui se -justifient par le danger de certaines frontières.] - -[En marge: Levée de 30 mille hommes dans les départements voisins des -Pyrénées.] - -Après ce secours un peu violent apporté à ses finances, Napoléon, -toujours en travail d'esprit pour la levée des hommes, inventa des -conscriptions d'un nouveau genre, qu'il espérait rendre supportables -en leur donnant un caractère d'urgence et d'utilité locales. Par -exemple la frontière des Pyrénées se trouvant menacée par suite des -derniers événements d'Espagne, Napoléon imagina de lever 30 mille -hommes sur les quatre dernières classes, dans tous les départements -situés depuis Bordeaux jusqu'à Montpellier, afin de garantir de -l'invasion cette partie du territoire. Comme le sol que les nouveaux -appelés allaient défendre était le leur, Napoléon pensa que c'était -demander en quelque sorte à des paysans de défendre leurs chaumières, -à des citadins de défendre leurs propres villes, et que l'urgence du -besoin ferait taire la plainte, car on ne pouvait pas dire, comme de -toutes les autres levées de cette époque, que Napoléon prenait les -hommes pour les faire mourir sur l'Elbe et l'Oder au service de son -ambition. L'idée lui ayant paru ingénieuse, il voulut l'appliquer aux -départements du nord et de l'est, toujours en s'adressant aux -départements de l'ancienne France, lesquels, depuis plus de vingt -années, supportaient tout le poids de la guerre, et de leur demander -une soixantaine de mille hommes, sous le même prétexte de danger local -et pressant. Mais comme ces conscriptions devaient bientôt finir par -ressembler à une conscription générale, et en produire l'effet, -Napoléon résolut d'ajourner la seconde de deux ou trois mois. -Seulement il appela sans aucun retard les trente mille hommes demandés -aux départements voisins des Pyrénées. - -[Date en marge: Août 1813.] - -[En marge: Ces diverses mesures résolues en principe à Mayence.] - -[En marge: Au milieu de ses nombreuses occupations, Napoléon comble -Marie-Louise des témoignages les plus affectueux.] - -[En marge: Il lui laisse ignorer à quel point il est résolu à la -guerre.] - -[En marge: Il lui prépare plusieurs voyages pour la distraire, pendant -qu'il se battra à outrance.] - -Ces mesures, les unes civiles, les autres militaires, pour la plupart -conçues avant le voyage de Mayence, furent à Mayence même, soit -résolues immédiatement, soit spécialement examinées avec des agents -venus de Paris, pour être définitivement décrétées à Dresde. Napoléon -ajoutant à ce travail des revues incessantes de troupes, de -continuelles inspections de matériel, n'eut pas grand temps à donner -à l'Impératrice, mais il la combla des témoignages les plus -affectueux, témoignages à la fois sincères et calculés, afin que la -nouvelle guerre avec l'Autriche ne portât dans l'opinion publique -aucun tort à un mariage qu'il regardait toujours comme utile à sa -politique, et afin de laisser l'empereur François sous le poids des -mêmes obligations envers sa fille, car il le dispensait moins d'être -bon père, en restant lui-même bon époux. Il cédait, il faut le dire -aussi, au penchant de son propre coeur, car il était touché de -l'attachement qu'il semblait inspirer à cette noble fille des Césars, -et le lui rendait autant que le permettaient les vastes et fortes -distractions de son âme. Voulant même la ménager, il ne lui dit pas à -quel point la guerre était certaine et serait sérieuse; il la laissa -partir avec des doutes à ce sujet, tandis qu'écrivant au prince Eugène -à Milan, au général Rapp à Dantzig, au maréchal Davout à Hambourg, il -leur avoua ce qu'il en était, et leur enjoignit de se tenir prêts pour -le 17 août. Désirant en outre préparer à l'Impératrice une distraction -agréable, et lui procurer autant que possible l'oubli des cruelles -inquiétudes du moment, il lui prescrivit un voyage sur le Rhin, de -Mayence à Cologne, qu'elle devait faire au milieu des hommages des -populations des deux rives, et puis il décida qu'après avoir passé -quelques jours à Paris, elle entreprendrait un voyage en Normandie, -afin d'aller à Cherbourg présider une imposante cérémonie, -l'introduction des eaux de l'Océan dans le célèbre bassin commencé -sous le règne de Louis XVI, et terminé sous le sien. Il poussa -l'attention jusqu'à recommander au prince Cambacérès de la faire -partir avant la rupture de l'armistice, afin qu'elle n'apprît les -nouvelles hostilités que bien des jours après leur reprise, et -peut-être après quelque grand événement capable de la rassurer. Il -voulait ainsi distraire, consoler et faire aimer de la France cette -jeune femme, mère et tutrice de son fils, régente de l'Empire, -destinée à le remplacer s'il venait à succomber sous un boulet ennemi. -Pourquoi, hélas! les sinistres pressentiments dont ces soins délicats -étaient la preuve, ne contribuaient-ils pas à vaincre l'obstination -fatale à laquelle il allait sacrifier son fils, son épouse, son trône -et sa personne! - -[En marge: Napoléon quitte Mayence le 1er août.] - -[En marge: Il passe en route la revue des troupes du maréchal -Saint-Cyr.] - -[En marge: Il arrive à Dresde le 4 au soir.] - -Après avoir passé du 26 juillet au 1er août avec Marie-Louise, il -l'embrassa en présence de toute sa cour, et la laissant en larmes, -partit pour la Franconie. Déjà il avait inspecté à Mayence les -divisions du maréchal Augereau, qui achevaient de se former sur les -bords du Rhin. À Wurzbourg se trouvaient deux des divisions du -maréchal Saint-Cyr, actuellement en marche vers l'Elbe, où elles -devaient venir prendre la position de Koenigstein. Elles lui parurent -belles, assez bien instruites, et animées des sentiments qu'il pouvait -leur désirer. Il visita la place de Wurzbourg, la citadelle, les -magasins, en un mot l'établissement militaire tout entier, dont il -voulait faire un des points importants de sa ligne de communication; -ensuite il se dirigea sur Bamberg et Bayreuth, où il vit -successivement les autres divisions du maréchal Saint-Cyr, et les -divisions bavaroises destinées à faire partie du corps d'Augereau. -Après avoir porté sur toutes choses son oeil investigateur, donné les -ordres et les encouragements nécessaires, il repartit pour Erfurt, et -arriva le 4 au soir à Dresde. Le 5 de grand matin il était debout et à -l'oeuvre, pressé qu'il était d'employer utilement les derniers jours -de l'armistice. - -[En marge: Confiance immense qu'il a conçue en méditant sur l'étendue -de ses ressources.] - -La vue des troupes qu'il avait inspectées sur sa route, ses -méditations incessantes sur le plan de la prochaine campagne, avaient -redoublé sa confiance dans son armée et dans son génie. En voyant -venir le moment de cette terrible lutte, en méditant sur ses chances, -en se souvenant combien ses soldats bravaient facilement la mort, -combien lui-même une fois au milieu du danger trouvait de combinaisons -heureuses, là où ses adversaires ne trouvaient que des fautes à -commettre, ne sachant pas se rendre compte des passions généreuses -qu'il avait soulevées contre lui, et dont l'ardeur pouvait compenser -chez ses ennemis une direction malhabile, il sentait en lui-même comme -une sorte de chaleur d'âme qui animait toute sa personne, qui éclatait -dans ses yeux, et lui donnait l'aspect du contentement, de l'espérance -et de l'audace. Ceux qui l'entouraient en étaient frappés, et les plus -sages en étaient plutôt inquiets que réjouis[6]. - - [Note 6: Voici de singulières paroles écrites par M. de - Bassano à M. de Vicence, et qui prouvent ce que nous - avançons ici. «L'Empereur part demain et ira coucher à - Bautzen... Nous sommes ici dans l'attente et dans la - meilleure espérance des événements. Toute l'armée est en - mouvement. La confiance est partout. Le roi de Saxe et la - famille royale ne quittent pas Dresde..... Sa Majesté ne - veut pas de prolongation d'armistice, elle est prête à la - guerre. Elle l'est plus que l'Autriche. Elle n'a pas de - motifs d'attendre pour ses subsistances, et elle ne veut pas - perdre un temps précieux et se laisser engager dans - l'hiver... (Dans ce moment en effet Napoléon avait renoncé à - une prolongation d'armistice, et ne voulait que différer - l'entrée en action de l'Autriche.).... M. de Bubna, qui sera - arrivé longtemps avant le courrier porteur de cette dépêche, - connaît notre position. _La secrète joie qu'éprouve Sa - Majesté de se trouver dans une circonstance difficile, mais - digne de son génie, n'a point échappé à M. de Bubna..._ Sa - Majesté, qui se fie à la Providence, entrevoit les grands - desseins qu'elle a fondés sur elle. Ses plans sont arrêtés, - et elle ne voit partout que des motifs de confiance.» - (Dépêche de M. de Bassano à M. le duc de Vicence en lui - envoyant ses pleins pouvoirs, à la date du 13 août 1813.)] - -[En marge: Reproches adressés à MM. de Caulaincourt et de Narbonne, -pour avoir permis à M. de Metternich de les menacer de la guerre.] - -[En marge: Napoléon, soit pour retarder l'entrée en action de -l'Autriche, soit pour aboutir à la paix sans subir les conditions qui -lui déplaisent, essaye au dernier moment d'une négociation secrète -avec l'Autriche.] - -[En marge: Il concède le sacrifice du grand-duché de Varsovie, et la -restitution de l'Illyrie, mais refuse l'abandon des villes anséatiques -et du protectorat de la Confédération du Rhin.] - -[En marge: Cette négociation secrète tentée in extremis doit rester -ignorée de M. de Narbonne.] - -Le jour même où il arrivait à Dresde, les instances de M. de -Caulaincourt et de M. de Narbonne pour obtenir le pouvoir de traiter -sérieusement, étaient devenues plus vives que jamais. Il en parut -importuné, et adressa des reproches à ces deux négociateurs, pour -s'être laissé, disait-il, serrer de trop près par M. de Metternich. Il -trouvait qu'ils avaient manqué de fierté, en permettant au ministre -autrichien de leur dire que dans tel ou tel cas, l'Autriche s'unirait -aux ennemis de la France pour lui déclarer la guerre, comme si c'eût -été une offense que d'annoncer franchement ce qu'on ferait, si -certaines conditions n'étaient point accordées. L'enivrement de la -puissance était tel chez Napoléon, qu'il ne voulait pas qu'on osât -parler de lui déclarer la guerre, comme d'une chose naturelle, -inévitable même dans certains cas. Il voulait qu'on n'y pensât qu'en -tremblant (ce qu'on faisait du reste), qu'on n'en parlât qu'avec une -sorte de crainte respectueuse, comme d'un malheur dont on admettait à -peine la possibilité. Mais après ces réprimandes peu méritées, et peu -séantes actuellement, il s'occupa de quelque chose de plus sérieux. Il -ne croyait plus, après la difficulté qu'on avait eue pour faire -prolonger l'armistice une première fois, obtenir une nouvelle -prolongation; d'ailleurs il se sentait prêt. Le temps désormais devait -profiter à ses adversaires plus qu'à lui, et il tenait à les frapper -avant l'hiver. Un seul désir lui restait en fait d'ajournement, -c'était de différer l'entrée en action de l'Autriche, ce qui lui eût -fort convenu, car il aurait eu ainsi la possibilité d'écraser -séparément les Russes et les Prussiens, et de revenir ensuite sur les -Autrichiens, pour les intimider, les empêcher de prendre parti, ou les -accabler à leur tour. Mais il n'y avait qu'une manière de disposer -l'Autriche à une conduite pareille, c'était l'apparence d'une -négociation sincère, et même de fortes espérances d'une conclusion -pacifique. Napoléon prit donc la résolution de réaliser le pronostic -de M. de Metternich, qui avait dit qu'avec un caractère extraordinaire -comme le sien, il ne fallait jamais désespérer de rien, et que -peut-être le dernier jour, à la dernière heure, une heureuse -conclusion sortirait de cette négociation, illusoire dans le moment -jusqu'à en être offensante. Il se décida, tandis que les -plénipotentiaires continueraient à perdre leur temps en discussions -puériles sur la forme des négociations, à charger secrètement et -exclusivement M. de Caulaincourt d'une communication sérieuse à -l'Autriche, la seule des puissances avec laquelle une négociation -directe fût alors possible. Si la paix résultait d'une semblable -démarche, Napoléon n'en était pas fâché, pourvu toutefois que les -conditions dont il ne voulait pas fussent écartées, et il se flattait -qu'il obtiendrait peut-être de l'Autriche qu'elles le fussent, mais à -l'instant suprême, quand cette puissance se verrait définitivement -placée entre la paix et la guerre. En conséquence, il arrêta de la -manière suivante les conditions à présenter confidentiellement à M. de -Metternich. Le sacrifice du grand-duché de Varsovie, comme celui de -l'Espagne, comme celui de l'Illyrie, étaient faits dans son esprit et -dans l'opinion générale, et n'avaient plus aucune nouveauté poignante -pour son orgueil; d'ailleurs il n'en devait rien coûter au territoire -de l'Empire, car l'Illyrie elle-même n'était demeurée qu'à titre d'en -cas dans nos mains, et elle n'avait jamais été jointe au territoire -constitutionnel de la France. Ce qui coûtait à Napoléon, c'était, -ainsi que nous l'avons dit, de refaire la Prusse plus grande après sa -défection, de sacrifier le titre de protecteur de la Confédération du -Rhin porté avec ostentation depuis plusieurs années, et enfin -d'abandonner Lubeck, Hambourg, Brême, qui avaient été ajoutées par -sénatus-consultes au territoire français. Selon lui chacun de ces -sacrifices le montrait vaincu aux yeux du monde, car il fallait qu'il -le fût pour récompenser une défection, pour permettre qu'on -reconstituât une Allemagne en dehors de son influence, pour se laisser -arracher une partie de ce qu'il appelait le territoire constitutionnel -de l'Empire. D'après certaines paroles de M. de Bubna, qui dans son -désir d'amener la paix amoindrissait toujours la difficulté, Napoléon -avait pensé que peut-être au dernier moment il déciderait l'Autriche à -lui concéder ces points importants, ou qu'au moins en lui faisant -entrevoir une négociation sincère, on pourrait négocier en se -battant, ce qui entraînerait une reprise d'hostilités avec les -Prussiens et les Russes, et une nouvelle remise avec les Autrichiens. - -C'est d'après ces données qu'il enjoignit à M. de Caulaincourt (le -secret devant être gardé envers M. de Narbonne, pour que la -négociation eût un caractère encore plus intime) de se rendre auprès -de M. de Metternich, de l'aborder brusquement, à brûle-pourpoint, de -lui dire qu'on voulait profiter des cinq jours qui restaient pour -s'assurer du fond des choses, particulièrement en ce qui concernait -l'Autriche, qu'on demandait franchement à celle-ci les conditions -auxquelles elle entrerait avec la France en négociation ou en guerre, -qu'on la pressait instamment de déclarer ces conditions sans surfaire -inutilement, que le temps qu'on avait encore était trop court pour le -perdre en vulgaires finesses, qu'il fallait donc énoncer avec la -dernière précision ce qu'on voulait, pour qu'on pût répondre avec une -précision égale et sur-le-champ, c'est-à-dire par oui ou par non. Le -duc de Vicence devait faire remarquer à M. de Metternich à quel point -cette communication était secrète, puisqu'on la laissait ignorer à M. -de Narbonne; il devait insister pour qu'elle demeurât inconnue des -négociateurs prussien et russe, dans le cas même où l'on tomberait -d'accord. Il suffirait en effet de reproduire dans la négociation -officielle les propositions secrètement convenues avec l'Autriche dans -la négociation occulte, pour les faire adopter, et comme après tout il -restait pour négocier non-seulement jusqu'au 10 août, mais jusqu'au -17, il était possible, si on répondait tout de suite à la proposition -actuelle partant de Dresde le 5, arrivant le 6 à Prague, et pouvant -recevoir réponse le 7, de faire parvenir le 9 à M. de Metternich -l'adhésion définitive de la France aux idées de l'Autriche, et de -donner ainsi brusquement au congrès, la veille même de sa dissolution, -un caractère inattendu de sérieux et d'efficacité. - -[En marge: À ces ouvertures confidentielles et pacifiques, Napoléon -ajoute une note officielle des plus offensantes.] - -Par malheur, en adressant enfin à l'Autriche cette ouverture, tardive -mais non pas sans espoir de succès, Napoléon y ajouta pour la -négociation officielle une note tout à fait offensante, car on y -disait très-clairement que les difficultés de forme soulevées par les -représentants des puissances belligérantes révélaient leur intention -véritable, et que cette intention n'était autre que d'entraîner -l'Autriche dans la guerre, en se servant pour y réussir ou de sa -mauvaise foi, ou de sa duperie, toutes suppositions aussi peu -flatteuses pour les uns que pour les autres. MM. de Narbonne et de -Caulaincourt devaient remettre en commun cette étrange note à M. de -Metternich, puis après l'avoir remise, M. de Caulaincourt prenant à -part M. de Metternich, et s'abouchant secrètement avec lui, devait -faire la proposition que nous venons de rapporter. - -[En marge: Étonnement de M. de Metternich en recevant les -communications secrètes de M. de Caulaincourt, et ses appréhensions -quant à l'effet probable de la note officielle.] - -Les dépêches contenant ces ordres si contradictoires, parties le 5 -août de Dresde, arrivèrent le 6 à Prague, surprirent fort M. de -Caulaincourt, et le remplirent d'une joie mêlée malheureusement de -beaucoup de tristesse, car avec le peu de jours qui restaient il -désespérait de mener à bien cette négociation in extremis, et la note -officielle d'ailleurs lui faisait craindre un esclandre qui nuirait -beaucoup au succès de ses efforts. Cette note destinée à être -publique offensa M. de Metternich, qui témoigna combien il en -redoutait l'effet, tant sur son maître que sur les cours de Prusse et -de Russie; mais son étonnement fut extrême lorsque, les deux -négociateurs français l'ayant quitté, il revit peu d'instants après M. -de Caulaincourt chez lui, apportant en grand secret une communication -aussi importante que celle dont il s'agissait. Elle était si tardive, -et il s'était tant habitué à désespérer des dispositions de Napoléon à -l'égard de la paix, qu'il eut de la peine à croire qu'elle fût -sincère, et ce motif seul l'empêcha de se livrer à une joie -qu'autrement il n'aurait pas manqué de ressentir et de manifester. Il -exprima ses regrets de ce qu'on n'avait pas tenté cette démarche -quelques jours plus tôt, car il eût été possible alors sans violer le -secret qui était recommandé, de sonder la Prusse et la Russie sur -certains points délicats, et d'arriver à une conciliation des -difficultés qui vraisemblablement diviseraient les cours -belligérantes. Toutefois, puisqu'on demandait à l'Autriche ses -conditions à elle-même, celles qu'elle appuierait de toute son -influence, et dont elle était résolue à exiger l'adoption de la part -de la Prusse et de la Russie, il allait consulter son maître, et -répondre, il l'espérait, sous vingt-quatre heures. - -[En marge: M. de Metternich se transporte à Brandeiss pour conférer -avec l'empereur d'Autriche sur les propositions de Napoléon.] - -[En marge: Doutes de l'empereur et de M. de Metternich sur le -caractère de la démarche de Napoléon.] - -[En marge: Résolution d'y répondre franchement dans tous les cas.] - -[En marge: Conditions invariables de l'Autriche.] - -M. de Metternich se rendit en effet à Brandeiss, résidence actuelle de -l'empereur François, le trouva fort courroucé comme tout le monde -l'avait été à Prague de la note officielle du 6 août, et lui causa un -étonnement égal à son courroux, en lui faisant part de la démarche -inattendue du principal négociateur français. Tout ce qui était -extraordinaire concordait bien avec le caractère brusque et imprévu de -Napoléon, mais une démarche qui avait des apparences aussi pacifiques, -tentée ainsi à la dernière extrémité, avait de quoi exciter la -méfiance. L'empereur François et son ministre se demandèrent si -c'était de la part de Napoléon un acte de force ou de ruse, si, dans -des vues élevées, il savait enfin imposer silence à son orgueil pour -arriver à un accord entre les puissances européennes, ou bien s'il -voulait provoquer quelque exigence excessive de la part des coalisés, -afin de s'en faire auprès du public français un argument qui le -justifierait d'avoir préféré la guerre à une paix humiliante. Ils -reconnurent que dans les deux cas il fallait répondre sans hésiter, -car s'il souhaitait la paix, on lui devait de s'expliquer franchement -avec lui; s'il cherchait à provoquer une proposition inadmissible, il -importait de le confondre en lui adressant les conditions auxquelles -depuis longtemps on s'était arrêté, et que certainement la France ne -trouverait pas déshonorantes. Ces conditions étaient au fond tellement -indiquées lorsqu'on voulait reconstituer l'Allemagne, et pour -reconstituer l'Allemagne rendre quelque force à la Prusse, que toute -variante était impossible. C'étaient, comme nous l'avons déjà répété -tant de fois, le partage du duché de Varsovie, sur le sort duquel la -fortune avait prononcé à Moscou, et dont la plus grande partie devait -revenir à la Prusse; l'abolition de la Confédération du Rhin, que -toute l'Allemagne réclamait pour n'être plus placée sous une autorité -étrangère, et le rétablissement des villes anséatiques, qu'elle -réclamait également pour recouvrer son commerce; enfin la restitution -de l'Illyrie, consentie depuis longtemps par Napoléon, et vivement -désirée par l'Autriche afin de se procurer quelques aboutissants vers -la mer. Tout cela était si nécessaire pour que l'Allemagne retrouvât -quelque indépendance, en restant d'ailleurs fort exposée encore à -l'influence de Napoléon, qui conservait Mayence, Cologne, Wesel, -Gorcum, le Texel et la Westphalie, qu'il n'y avait pas autre chose à -imaginer et à proposer. On avait assez communiqué avec la Prusse et la -Russie pour s'être assuré de leur adhésion à ces bases, et quant à -l'Angleterre, les villes anséatiques étant rétablies, Napoléon -paraissant décidé au sacrifice de l'Espagne, on était certain de -l'amener à la paix, car elle ne voudrait pas rester seule en guerre -avec la France. On résolut donc de faire connaître à Napoléon les -conditions dont il s'agit, et qui au surplus n'étaient pas nouvelles -pour lui, en exigeant le secret qu'il avait exigé lui-même, et en -demandant une réponse sous quarante-huit heures, car après le 10 août -au soir il ne serait plus temps. - -[En marge: Retour de M. de Metternich à Prague, et son entrevue avec -M. de Caulaincourt.] - -M. de Metternich revenu le 7 à Prague, fut tout à coup rappelé à -Brandeiss par son maître, qui, avant de se prêter à ces communications -particulières, avait été saisi d'une subite hésitation. Mais tout -examiné, l'empereur et son ministre persistèrent, et après une journée -malheureusement perdue, la réponse fut apportée à M. de Caulaincourt, -toujours à l'insu de M. de Narbonne. M. de Metternich lui dit que son -maître s'était demandé si cette communication si imprévue et si -tardive de Napoléon était une _démarche de force ou de ruse_; que si -elle était une démarche de force comme il aimait à le penser de la -part de son gendre, on lui devait une franche réponse; que si elle -était une démarche de ruse, il croyait devoir y répondre encore, car -les conditions qu'il apportait pouvaient s'avouer au monde entier, et -surtout à la France. Il lui fit donc verbalement la déclaration -suivante, qu'il l'autorisa à transcrire sur-le-champ, sous sa dictée, -et qui a une telle importance que nous allons la reproduire -textuellement. - -[En marge: Déclaration importante dans laquelle l'Autriche énonce ses -conditions, avec engagement de les faire accepter par les puissances -coalisées.] - -INSTRUCTIONS POUR LE COMTE DE METTERNICH SIGNÉES PAR L'EMPEREUR -D'AUTRICHE. - -«M. de Metternich demandera au duc de Vicence, sous sa parole -d'honneur, l'engagement que son gouvernement gardera le secret le plus -absolu sur l'objet dont il est question. - -»Connaissant par des explications confidentielles préalables les -conditions que les cours de Russie et de Prusse paraissent mettre à -des arrangements pacifiques, et me réunissant à leurs points de vue, -parce que je regarde ces conditions comme nécessaires au bien-être de -mes États et des autres puissances, et comme les seules qui puissent -réellement mener à la paix générale, je ne balance point à énoncer les -articles qui renferment mon _ultimatum_. - -»J'attends un _oui_ ou _non_ dans la journée du 10. - -»Je suis décidé à déclarer dans la journée du 11, ainsi que cela se -fera de la part de la Russie et de la Prusse, que le congrès est -dissous, et que je joins mes forces à celles des alliés pour conquérir -une paix compatible avec les intérêts de toutes les puissances, et -que je ferai dès lors abstraction des conditions actuelles, dont le -sort des armes décidera pour l'avenir. - -»Toutes propositions faites après le 11 ne pourront plus se lier avec -la présente négociation.» - - -_Conditions auxquelles l'Autriche regarde la paix comme faisable._ - -«Dissolution du duché de Varsovie et sa répartition entre l'Autriche, -la Russie et la Prusse; par conséquent Dantzig à la Prusse. - -»Rétablissement de Hambourg et de Lubeck comme villes libres -anséatiques, et arrangement éventuel et lié à la paix générale sur les -autres parties de la 32e division militaire, et sur la renonciation au -protectorat de la Confédération du Rhin, afin que l'indépendance de -tous les souverains actuels de l'Allemagne se trouve placée sous la -garantie de toutes les grandes puissances. - -»Reconstruction de la Prusse avec une frontière tenable sur l'Elbe. - -»Cession des provinces illyriennes à l'Autriche. - -»Garantie réciproque que l'état de possession des puissances grandes -et petites, tel qu'il se trouvera fixé par la paix, ne pourra être -changé ni lésé par aucune d'elles.» - -[Illustration: Caulaincourt (Duc de Vicence).] - -[En marge: Explications ajoutées par M. de Metternich au texte de son -ultimatum, et nouvelle déclaration qu'après le 10 août l'Autriche fera -partie de la coalition.] - -Après cette communication si importante, et qui confond tous les -mensonges que certains narrateurs ont avancés sur ce sujet, M. de -Metternich ajouta quelques explications d'une extrême gravité. Il dit -que jusqu'au 10 août au soir l'Autriche serait sans engagement avec -les puissances belligérantes, que jusque-là elle pourrait, comme -elle le faisait actuellement, traiter confidentiellement avec -Napoléon, et adopter certaines de ses propositions, les imposer même -aux puissances coalisées, auxquelles nul traité ne la liait, mais qu'à -partir du 11 elle serait liée avec elles, ne pourrait rien écouter -sans leur en donner communication, et serait obligée de n'admettre -aucune condition de paix que d'accord avec elles. - -Ces observations méritaient la plus sérieuse attention, car la -différence qu'il y avait à traiter le 10 et non pas le 11 ou le 12, -consistait à dépendre de l'Autriche seule, qui souhaitait la paix -parce qu'elle craignait la guerre, au lieu de dépendre des puissances -coalisées qui ne voulaient pas la paix parce qu'elles attendaient -davantage de la guerre, et qu'elles étaient en proie à toutes les -passions du moment. Le duc de Vicence en rapportant exactement les -communications qu'il avait reçues, les accompagna de nouvelles -instances exprimées dans le langage le plus beau et le plus touchant. - -[En marge: Nobles paroles de M. de Caulaincourt à Napoléon.] - -«--Sire, disait-il à Napoléon, cette paix _coûtera peut-être quelque -chose à votre amour-propre, mais rien à votre gloire_, car elle ne -coûtera rien à la vraie grandeur de la France. Accordez, je vous en -conjure, cette paix à la France, à ses souffrances, à son noble -dévouement pour vous, aux circonstances impérieuses où vous vous -trouvez. Laissez passer cette fièvre d'irritation contre nous qui -s'est emparée de l'Europe entière, et que les victoires même les plus -décisives exciteraient encore au lieu de la calmer. Je vous la -demande, ajoutait-il, non pour le vain honneur de la signer, mais -parce que je suis certain que vous ne pouvez rien faire de plus utile -à notre patrie, de plus digne de vous et de votre grand -caractère.»--Quel devait être l'effet de ces nobles prières d'un noble -coeur, on va le voir! - -[En marge: La réponse de M. de Metternich arrive le 9 août à Dresde.] - -[En marge: Napoléon s'obstine à n'attacher aucune importance à la date -du 10.] - -[En marge: Il croit avoir jusqu'au 17.] - -[En marge: Il prend toute une journée pour répondre.] - -La réponse apportée le 8 août par M. de Metternich, transcrite pendant -la journée, ne pouvait être que le 9 sous les yeux de Napoléon, et n'y -fut en effet que le 9 à trois heures de l'après-midi. Il aurait fallu -que souscrivant aux sacrifices qu'on lui demandait, et qui n'étaient -que des sacrifices d'amour-propre, comme l'avait si bien dit M. de -Caulaincourt, il s'y décidât sur l'heure, et expédiât la réponse dans -la soirée même du 9, afin que cette réponse arrivant le 10 au matin à -Prague, avec accompagnement de pouvoirs pour M. de Caulaincourt, on -pût signer les bases de la paix le 10 avant minuit. Napoléon n'en fit -malheureusement rien. D'abord il ne voulut pas croire à cette -situation de l'Autriche, libre jusqu'au 10 août à minuit, mais engagée -après le 10, et au lieu de dépendre d'elle seule dépendant de la -volonté de ses nouveaux alliés. Il imagina que ce n'était là qu'un -vain langage diplomatique, qu'on lui tenait pour l'intimider, ou pour -hâter ses déterminations. N'attachant pas d'ailleurs beaucoup -d'importance à éviter la guerre au prix de sacrifices qui lui étaient -souverainement désagréables, aveuglé par une déplorable confiance en -ses forces, il ne se pressa pas de prendre et de faire connaître ses -résolutions. Il employa la journée à se décider, pensant que ce serait -assez tôt de se résoudre le 10, que les hostilités ne recommençant -que le 17 on aurait le temps de s'entendre, que l'Autriche ferait de -ses alliés ce qu'elle voudrait, aussi bien le 11 ou le 12 que le 10, -pourvu que ce fût avant le 17, et que par conséquent il pouvait sans -inconvénient s'accorder à lui-même vingt-quatre heures de réflexion. -Il employa donc vingt-quatre heures, non pas à se combattre mais à se -flatter, à laisser ainsi s'évanouir le moment décisif de cette -négociation, et lui, qui tant de fois avait saisi l'instant propice -sur les champs de bataille, qui avait dû à cette promptitude de -détermination ses plus grands triomphes, allait laisser échapper sans -en profiter le moment politique le plus important de son règne! Et M. -de Bassano, que faisait-il lui-même pendant ces heures fatales? Que ne -passait-il cette nuit aux pieds de son maître, à lui répéter de vive -voix les ardentes, les patriotiques prières de M. de Caulaincourt! et -fallût-il pour le vaincre caresser follement son orgueil indomptable, -fallût-il lui persuader que même après cette paix, il restait plus -puissant que jamais, plus puissant qu'avant Moscou, M. de Bassano en -proférant ces flatteries aurait été un utile, un patriotique flatteur, -et il eût été plus près du vrai qu'en laissant croire à Napoléon que -la gloire consistait à ne jamais céder! - -[En marge: Nuit fatale passée par Napoléon à compulser ses états de -troupes, et à se remplir d'une aveugle confiance.] - -[En marge: Modifications que Napoléon apporte aux conditions de M. de -Metternich.] - -[En marge: Il ne veut céder ni les villes anséatiques, ni le -protectorat de la Confédération du Rhin, ni Trieste.] - -Mais Napoléon n'entendit rien de pareil, et pendant ces quelques -heures, heures qui emportèrent sa grandeur, et malheureusement la -nôtre, il n'entendit que l'écho de sa propre pensée. Après avoir manié -et remanié durant toute la nuit ses états de troupes avec M. de -Bassano, et s'être persuadé qu'il pouvait faire face à tout, il crut -qu'il devait persister dans ses vues, et ne pas accorder à la paix un -sacrifice de plus. Voici donc les conditions auxquelles il s'arrêta. -Il consentait bien à sacrifier le grand-duché de Varsovie, comme un -essai de Pologne condamné par l'événement, mais il ne voulait pas, en -rendant quelque grandeur à la Prusse, la récompenser de ce qu'il -appelait une trahison. Il admettait qu'on lui accordât la plus grande -partie du duché de Varsovie, la totalité même, si la Russie et -l'Autriche consentaient à faire ce sacrifice pour elle; mais il -voulait la rejeter au delà de l'Oder, lui ôter, pour les attribuer à -la Saxe, le Brandebourg, Berlin, Potsdam, c'est-à-dire son sol natal -et sa gloire, la transporter entre l'Oder et la Vistule, la faire -ainsi une puissance polonaise plutôt qu'allemande, lui laisser le -choix comme capitale entre Varsovie et Koenigsberg, sans lui donner -Dantzig, qui redeviendrait ville libre. Il voulait à sa place, entre -l'Oder et l'Elbe, mettre la Saxe, et attribuer à celle-ci tout -l'espace qui s'étend de Dresde à Berlin. Quant à Lubeck, Hambourg, -Brême, c'étaient des parties du territoire constitutionnel de -l'Empire, et il ne souffrait pas même qu'on en parlât. Quant au titre -de protecteur de la Confédération du Rhin, c'était à l'entendre -vouloir lui infliger une humiliation que de le lui enlever, puisqu'on -reconnaissait que ce n'était qu'un titre absolument vain. Quant à -l'Illyrie, il était prêt à la rendre à l'Autriche, mais en gardant -l'Istrie, c'est-à-dire Trieste, seule chose que l'Autriche désirât -ardemment. Il prétendait en outre conserver plusieurs positions au -delà des Alpes Juliennes, telles que Villach, Goritz, en un mot tous -les débouchés qui permettaient de descendre en Illyrie, disant qu'il -n'était pas sûr de Venise s'il n'avait pas ces positions, c'est-à-dire -qu'il n'était pas en sûreté dans sa maison s'il n'avait pas les clefs -de la maison d'autrui. À ces conditions il admettait la paix sans se -tenir pour froissé, et consentait à rentrer sur le Rhin avec ses -armées. À d'autres conditions il aimait mieux lutter pendant des -années contre l'Europe entière. Telles furent les propositions qui -sortirent des méditations de cette nuit funeste. - -Toutefois, comme il n'y avait aucune chance que l'Autriche pût obtenir -de ses futurs alliés l'abandon de Berlin par la Prusse, afin de -composer avec la Saxe une fausse Prusse, sans passé, sans consistance, -sans réalité, il autorisa M. de Caulaincourt à renoncer à ce premier -projet s'il n'était pas accueilli, et il consentit à laisser à la -Prusse, outre ce qu'on lui accorderait du duché de Varsovie, tout ce -qu'elle possédait entre l'Oder et l'Elbe, mais en maintenant Dantzig -comme ville libre, mais en ne souffrant pas davantage qu'on parlât de -Lubeck, de Hambourg, de Brême, de la Confédération du Rhin, et enfin -en ne restituant l'Illyrie qu'à condition de retenir l'Istrie, Trieste -surtout, parce que, répétait-il toujours, vouloir Trieste c'était -vouloir Venise. - -[En marge: Le 10 au matin, Napoléon appelle M. de Bubna pour lui -expliquer ses conditions et le charger de les envoyer à Prague.] - -Le matin du 10 Napoléon manda auprès de lui M. de Bubna, qui formait -des voeux sincères pour la paix, et qui malheureusement se prêtait un -peu trop aux vues de son puissant interlocuteur dans l'espérance de -l'adoucir. Il lui fit connaître la négociation secrète entamée avec M. -de Metternich, lui communiqua ses états de troupes, lui manifesta -ouvertement son penchant à faire cette campagne de Saxe, du résultat -de laquelle il se promettait autant de puissance que de gloire, se -montra ce qu'il était, confiant, gai même, inclinant autant à la -guerre qu'à la paix, disposé par conséquent à donner peu de chose pour -que ce fût l'une ou l'autre qui sortît des négociations de Prague; -puis après avoir, sans vain étalage, sans forfanterie, révélé cette -funeste énergie de son âme, il exposa ses conditions, demandant -presque à chacune un assentiment, que M. de Bubna ne pouvait pas -accorder sans doute, mais qu'il ne refusait pas assez péremptoirement -pour dissiper toute espèce d'illusion. Sur deux points notamment, les -villes anséatiques et la Confédération du Rhin, M. de Bubna n'ayant -jamais trouvé sa cour aussi absolue que sur le reste, il parut -faiblir, et Napoléon se figura que, sans subir ces deux conditions qui -lui étaient particulièrement insupportables, il pourrait avoir la -paix, sauf peut-être à abandonner Trieste. Il ne désespéra donc pas -d'une paix conclue sur ces bases, mais en tout cas il en avait pris -son parti, et n'avait nul chagrin de se battre encore; il se disait -même qu'il retrouverait dans une continuation de la guerre, non pas -toute sa gloire, qui était restée entière, mais toute sa puissance, -toute celle qu'il avait ensevelie sous les ruines de Moscou. - -[En marge: Le courrier parti le 10 de Dresde ne pouvait arriver que le -11 à Prague.] - -Après cet entretien il renvoya M. de Bubna, le chargeant d'écrire à -son cabinet dans ce sens, et manda ses dernières résolutions à M. de -Caulaincourt. Le courrier qui les portait ne pouvait arriver que le -11. Napoléon ne se préoccupa guère de ce retard, et attendit la -réponse quelle qu'elle fût, en prenant toutes ses dispositions pour le -renouvellement des hostilités le 17. - -[En marge: Anxiété à Prague pendant la journée du 10.] - -La journée du 10 s'écoula donc à Prague sans rien apporter de Dresde, -à la grande satisfaction des négociateurs de la Prusse et de la -Russie, à la grande douleur de M. de Caulaincourt, au grand regret de -M. de Metternich, qui, bien qu'il eût pris son parti, ne voyait pas -sans effroi pour l'Autriche la terrible épreuve d'une nouvelle guerre -avec la France. Plusieurs fois dans cette journée il se rendit chez M. -de Caulaincourt, afin de savoir si aucune réponse n'était venue de -Dresde, et chaque fois trouvant M. de Caulaincourt triste et -silencieux parce qu'il n'avait rien à dire, il répéta que passé minuit -il serait non plus arbitre, mais belligérant, réduit par conséquent à -solliciter pour la paix auprès de ses nouveaux alliés, au lieu de -pouvoir la leur imposer modérée et acceptable pour tout le monde. - -[En marge: Rien n'étant arrivé dans le délai fixé, M. de Metternich -annonce le 11 que l'Autriche déclare la guerre à la France.] - -Après avoir vainement attendu pendant toute la journée du 10, M. de -Metternich signa enfin l'adhésion de l'Autriche à la coalition, et -annonça le lendemain 11 au matin à M. de Caulaincourt et à M. de -Narbonne (celui-ci ignorant toujours la négociation secrète), annonça, -disons-nous, avec un chagrin qui frappa tous les yeux, que le congrès -de Prague était dissous, que dès lors l'Autriche, forcée par ses -devoirs envers l'Allemagne et envers elle-même, se voyait contrainte à -déclarer la guerre à la France. Les négociateurs prussien et russe -annoncèrent de leur côté qu'ils se retiraient, en rejetant sur la -France la responsabilité de l'insuccès des négociations, et -quittèrent Prague avec une joie non dissimulée. Du reste cette joie -fut universelle, et excepté M. de Metternich, qui, tout en les -bravant, apercevait les conséquences possibles d'une rupture avec -Napoléon, excepté l'empereur qui avait le coeur serré en songeant à sa -fille, les Autrichiens de toutes les classes manifestèrent des -transports d'enthousiasme. Les passions germaniques qu'ils -partageaient, et qu'on les avait forcés de contenir, éclatèrent sans -mesure, comme elles avaient éclaté à Breslau et à Berlin quelques mois -auparavant. - -[En marge: Le courrier attendu le 10 étant arrivé le 11, M. de -Caulaincourt se rend chez M. de Metternich pour lui transmettre les -dernières conditions de Napoléon.] - -[En marge: M. de Metternich, même en admettant que ces conditions -puissent être convenablement modifiées, déclare qu'au lieu de les -imposer, il ne peut plus désormais que les proposer aux souverains -alliés.] - -[En marge: Chagrin visible de M. de Metternich.] - -Dans le courant de cette journée du 11 M. de Caulaincourt reçut enfin -le courrier tant souhaité la veille, et en voyant ce qu'il apportait -regretta moins sa tardive arrivée. Bien qu'il ne désespérât pas -d'obtenir quelque concession de la part de M. de Metternich, toutefois -il ne se flattait pas d'en obtenir la translation de la Prusse au delà -de l'Oder, et même cette condition chimérique mise de côté, il ne -croyait pas pouvoir conserver à Napoléon Hambourg, le protectorat de -la Confédération du Rhin, et surtout Trieste. Pourtant en laissant -Trieste à l'Autriche, en convenant pour les villes anséatiques d'un -arrangement suspensif qui ferait dépendre leur restitution de la paix -avec l'Angleterre, il ne regardait pas comme impossible d'amener M. de -Metternich aux propositions de la France. Il courut donc chez lui, le -trouva triste, ému, désolé de ce qu'on venait si tard, étonné et -mécontent de ce qu'on eût livré à M. de Bubna le secret d'une -négociation qu'on s'était promis de tenir absolument cachée, ne -jugeant pas acceptables les conditions de Napoléon, mais sur -l'indication assez claire qu'elles n'étaient pas irrévocables, -donnant à entendre qu'en étant absolu sur la restitution de Trieste à -l'Autriche, sur le rétablissement de la Prusse jusqu'à l'Elbe, sur -l'abolition du protectorat du Rhin, il serait possible d'ajourner la -question des villes anséatiques à la paix avec l'Angleterre, ce qui -réduisait beaucoup le désagrément de ce sacrifice pour Napoléon, en le -couvrant de l'immense éclat de la paix maritime. Mais, ajoutait M. de -Metternich, ces conditions ainsi modifiées que nous aurions pu imposer -aux parties belligérantes il y a vingt-quatre heures, ne dépendent -plus de nous, et nous sommes réduits à les proposer sans savoir si -nous réussirons à les faire accueillir. M. de Metternich au surplus -était chagrin et agité, car si avec sa rare portée d'esprit il voyait -dans l'occasion présente de fortes chances de relever sa patrie, il -voyait aussi de nombreuses chances de la perdre en la jetant dans une -guerre effroyable. Napoléon, quoique bien imprudent aux yeux des -hommes de sens, restait si grand dans l'imagination du monde, qu'on le -craignait encore profondément, tout en le jugeant égaré par la -passion, et exposé à toutes les fautes que la passion fait commettre. - -[En marge: M. de Narbonne quitte Prague, mais M. de Caulaincourt y -reste pour attendre la réponse des souverains coalisés.] - -[En marge: Nouvelles instances de M. de Caulaincourt auprès de -Napoléon.] - -Cependant la négociation officielle ne pouvait pas durer, puisque le -congrès était rompu, et que la guerre était officiellement déclarée -par l'Autriche à la France. Les plénipotentiaires russe et prussien -venaient de s'éloigner, et il n'était pas séant que les -plénipotentiaires français demeurassent à Prague. Il fut convenu, si -Napoléon y consentait, qu'on ferait partir M. de Narbonne seul, en -expliquant le mieux possible à celui-ci son départ isolé, que M. de -Caulaincourt au contraire resterait pour attendre le résultat des -ouvertures dont M. de Metternich était chargé auprès des souverains de -Prusse et de Russie, lesquels devaient être rendus à Prague sous deux -ou trois jours. Cette prolongation de séjour était fort désagréable à -M. de Caulaincourt, car sa position allait devenir tout à fait fausse -lorsque l'empereur Alexandre étant à Prague, il se trouverait dans la -même ville sans le voir. Mais tout ce qui laissait une chance à la -paix lui paraissait supportable, même désirable, et il consentit -volontiers à rester. En racontant ce qui avait eu lieu entre lui et le -ministre autrichien, il adressa de nouvelles instances à Napoléon en -faveur de la paix, le supplia de continuer cette négociation, si -difficile qu'elle fût devenue depuis qu'elle se passait non plus avec -l'Autriche seule, mais avec toutes les puissances belligérantes, le -pressa de lui donner quelque latitude pour traiter, et de lui envoyer -surtout des pouvoirs authentiques pour signer, car dans cet instant -suprême, le moindre défaut de forme pouvait être pris pour un nouveau -faux-fuyant, et lui valoir un congé définitif. Tout ce qu'un honnête -homme, un bon citoyen peuvent dire à un souverain afin de lui épargner -une faute mortelle, M. de Caulaincourt le répéta encore à Napoléon, -dans un langage aussi ferme que soumis et dévoué. - -[En marge: Napoléon peu surpris et peu affligé de ce qui est arrivé, -autorise M. de Caulaincourt à attendre à Prague, sans lui envoyer -aucune facilité pour traiter.] - -Ces communications envoyées à Dresde, trouvèrent Napoléon tout préparé -à la guerre, et aussi peu affligé que peu surpris de la rupture du -congrès. Le jour même où l'Autriche avait déclaré le congrès dissous -avant d'avoir été réuni, et annoncé son adhésion à la coalition, -l'armistice avait été dénoncé par les commissaires des puissances -belligérantes, ce qui fixait au 17 août la reprise des hostilités. La -possibilité de renouer par des voies secrètes des négociations rompues -d'une manière si éclatante, était presque nulle, et Napoléon se -conduisit comme s'il n'y comptait pas du tout. Il prescrivit à M. de -Narbonne de revenir à l'instant même de Prague, car ce diplomate étant -à la fois plénipotentiaire au congrès et ambassadeur auprès de la cour -d'Autriche, ne pouvait pas figurer plus longtemps auprès d'une cour -qui venait de déclarer la guerre à la France. Il autorisa M. de -Caulaincourt à demeurer à Prague, non pas dans la ville même, mais -dans les environs, afin que cet ancien ambassadeur de France en Russie -ne se trouvât pas dans le même lieu que l'empereur Alexandre, dont il -ne fallait pas, disait-il, _orner le triomphe_, triomphe, hélas! que -nous lui avions ménagé nous-mêmes par une obstination aveugle; il -consentit à ce que ses dernières propositions fussent transmises à la -Prusse et à la Russie, non pas en son nom, mais au nom de l'Autriche, -qui les présenterait comme siennes, car, pour lui, il ne jugeait pas, -ajoutait-il, de sa dignité de rien proposer aux puissances -belligérantes. Il envoya à M. de Caulaincourt des pouvoirs en forme, -mais aucune latitude pour traiter, ses conditions étant invariables à -l'égard des villes anséatiques, du protectorat du Rhin, et même de -Trieste, qu'il voulait retenir en restituant l'Illyrie à l'Autriche. -C'étaient là de bien faibles chances d'aboutir à la paix, l'Autriche -ne pouvant admettre de pareilles conditions, et le voulût-elle, ne -pouvant plus jeter dans la balance le poids décisif de son épée, -depuis qu'on lui avait laissé, malgré ses avis répétés, le temps de -s'engager à la coalition. - -[En marge: Napoléon dispose tout pour recommencer vivement la guerre.] - -[En marge: Progrès de ses armements.] - -[En marge: Ordres pour qu'on soit partout en mesure à la reprise des -hostilités.] - -Mais toutes ces raisons ne touchaient guère Napoléon. Les instances de -M. de Caulaincourt n'avaient produit sur lui aucune impression. Il -respectait le caractère, la franchise de ce personnage, le traitait -avec plus de considération que M. de Bassano, mais l'écoutait peu, -parce qu'il le savait dans de tout autres idées que les siennes. Il -venait de faire célébrer le 10 août sa fête ordinairement fixée au 15, -avait donné des festins à toute l'armée, distribué des prix nombreux -pour le tir, et écarté autant que possible les sinistres images de -mort de l'esprit de ses soldats si faciles à distraire et à égayer. -Ses corps d'armée étaient tout préparés, et dès le 11 ils avaient -commencé à sortir de leurs cantonnements pour se concentrer sous leurs -chefs, et se porter sur la ligne où ils étaient appelés à combattre. -Les anciens corps étaient reposés, recrutés et complétés. Les nouveaux -venaient d'achever leur organisation. La cavalerie quoique jeune était -redevenue belle, et même nombreuse. Les travaux de Koenigstein et de -Lilienstein, de Dresde, de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg, de -Werben, de Hambourg, étaient terminés ou bien près de l'être. Les -vastes approvisionnements qui avaient dû remonter par l'Elbe de -Hambourg sur Magdebourg, de Magdebourg sur Dresde, étaient déjà réunis -sur les points où l'on en avait besoin. Dresde regorgeait de grains, -de farines, de spiritueux, de viande fraîche et salée. Tous les -convois avaient été accélérés, et les ordres étaient donnés pour que -le 15 il n'y eût ni une voiture de roulage sur les routes d'Allemagne, -ni un bateau sur l'Elbe, afin que les Cosaques ne trouvassent rien à -enlever, et ne pussent _piller que le pays_, ainsi que Napoléon -l'écrivait au maréchal Davout. Lui-même se disposait à partir le 15 ou -le 16 août pour se rendre en Silésie et sur la frontière de Bohême, où -il s'attendait à voir commencer les hostilités. Du reste il ne laissa -de doute à personne sur le renouvellement de la guerre. Il écrivit à -Dantzig au général Rapp pour l'encourager, le rassurer sur l'issue de -cette nouvelle lutte, lui conférer des pouvoirs extraordinaires, lui -recommander de ne jamais rendre la place, et lui promettre de le -débloquer prochainement. Il en fit autant à l'égard des commandants de -Glogau, de Custrin et de Stettin. Il écrivit au maréchal Davout à -Hambourg, au général Lemarois à Magdebourg, qu'ils eussent à se tenir -sur leurs gardes, que la guerre allait recommencer, qu'elle serait -terrible, mais qu'il était en mesure de faire face à tous ses ennemis, -l'Autriche comprise, et qu'il espérait avant trois mois les punir de -leurs indignes propositions. À personne il ne dit, parce qu'il ne -l'aurait pas osé, à quoi avait tenu la paix; il n'en informa pas même -le chef véritable du gouvernement de la régence, l'archichancelier -Cambacérès, et se contenta de lui mander que bientôt on lui ferait -connaître les exigences de l'Autriche, que pour le moment on était -obligé d'en garder le secret, mais qu'elles avaient été excessives -jusqu'à en devenir offensantes. Respectant un peu moins le duc de -Rovigo, Napoléon hasarda un véritable mensonge avec lui, et osa lui -écrire qu'on avait voulu nous ôter Venise, se fondant apparemment sur -son thème ordinaire, que demander Trieste c'était demander Venise, -comme si on prétendait que demander Magdebourg, c'est demander -Mayence, parce que l'une est sur le chemin de l'autre. Ne voulant pas -qu'on inquiétât l'Impératrice, il prescrivit à l'archichancelier de la -faire partir pour Cherbourg, afin qu'elle n'apprît la rupture et la -reprise des hostilités qu'après quelque grande bataille gagnée, et les -plus gros dangers passés. - -[En marge: Arrivée de Murat à Dresde.] - -En ce moment parut à Dresde l'un des lieutenants de Napoléon les plus -utiles un jour de bataille, et doublement désirable dans les -circonstances présentes, sous le rapport de la guerre et de la -politique; c'était le roi de Naples. Outre que la cavalerie de -réserve, pouvant présenter trente mille cavaliers en ligne, avait -besoin d'être commandée par un chef d'un mérite supérieur, c'était un -vrai soulagement pour Napoléon, un grand motif de sécurité, que -d'avoir tiré Murat d'Italie. On a vu que, fatigué du joug de Napoléon, -blessé de ses traitements offensants, alarmé sur le sort de la -dynastie impériale, Murat avait songé à se rattacher à l'Autriche et à -la politique médiatrice de cette puissance, afin de sauver son trône -d'un désastre général, et que se défiant même de sa femme, il avait -fini par se cacher d'elle, et par tomber dans des agitations -maladives. On a vu encore que Napoléon pour compléter l'armée -d'Italie, et pour mettre la cour de Naples à l'épreuve, lui avait -demandé une division de ses troupes, et que Murat, en intrigue avec -l'Autriche, voulant garder d'ailleurs son armée tout entière sous sa -main, s'était refusé aux désirs de son beau-frère. Mais avec ses -manières accoutumées, Napoléon avait fait sommer Murat par le ministre -de France M. Durand de Mareuil, d'obtempérer à ses réquisitions sous -peine de la guerre. Murat alors ne sachant plus à quel parti -s'arrêter, tantôt voyant Napoléon battu, détruit, tous les trônes des -Bonaparte renversés, excepté peut-être les trônes de ceux qui auraient -opéré leur défection à temps, tantôt le voyant vainqueur à Lutzen, à -Bautzen et ailleurs, désarmant l'Europe par la victoire et par les -concessions, sacrifiant à la paix l'Espagne et Naples au besoin, était -tombé dans un véritable état de folie, lorsque les conseils de sa -femme, et les lettres du duc d'Otrante, avec lequel il avait été plus -d'une fois en intrigue secrète, l'avaient déterminé à obéir. Mais ne -voulant pas que la réconciliation une fois qu'il s'y décidait eût lieu -à moitié, il était venu se mettre à la tête de la cavalerie de la -grande armée, et était arrivé à Dresde la veille de l'entrée en -campagne. Napoléon l'accueillit avec bonne grâce, feignant de ne pas -s'apercevoir de ce qui s'était passé, paraissant n'attacher aucune -importance aux variations d'un beau-frère aussi brave qu'inconséquent, -pardonnant en un mot, mais avec une certaine marque de dédain que -Murat discernait bien, et sentait sans le dire. - -[En marge: Napoléon part le 15 août pour Bautzen.] - -[En marge: Vague et faible espérance de paix conservée par M. de -Caulaincourt à Prague.] - -[En marge: Les dernières conditions un peu modifiées auraient -peut-être décidé l'Autriche à la paix, si elle n'avait pas été engagée -à dater du 11 août.] - -Il l'emmena donc avec lui, et partit dans la nuit du 15 au 16 août -pour Bautzen, afin d'être aux avant-postes vingt-quatre heures avant -la reprise des hostilités, et ne conservant évidemment aucune -espérance de voir la paix résulter des efforts réunis de MM. de -Caulaincourt et de Metternich. L'espérance était bien faible en effet, -tant à cause des conditions elles-mêmes que du temps si tristement -perdu. M. de Caulaincourt immédiatement après avoir reçu les dernières -communications de Dresde, et avoir donné quelques prétextes à M. de -Narbonne afin d'expliquer la prolongation de son séjour à Prague, -s'était rendu auprès de M. de Metternich pour lui montrer ses -pouvoirs, pour lui fournir ainsi la preuve qu'il était autorisé à -négocier sérieusement, à la condition toutefois de présenter au nom de -l'Autriche et non pas au nom de la France les propositions qu'il -s'agissait de faire adopter. Quant au fond des choses, il ne pouvait -pas offrir grande satisfaction, puisque Napoléon avait à peu près -persisté dans toutes ses prétentions. Néanmoins si l'Autriche eût -encore été libre, elle eût peut-être admis les conditions françaises, -car recouvrant l'Illyrie, recouvrant en outre la part de la Gallicie -qu'on lui avait prise pour constituer le grand-duché de Varsovie, -obtenant une espèce de reconstitution de la Prusse au moyen de la -dissolution de ce grand-duché, étant débarrassée elle et ses alliés du -fantôme de Pologne que depuis quelques années Napoléon avait toujours -tenu sous les yeux des anciens copartageants, elle aurait probablement -pensé que c'était assez tirer des circonstances, et elle n'eût pas -bravé les chances de la guerre pour Trieste, et surtout pour Hambourg, -qui intéressait la Prusse et l'Angleterre beaucoup plus qu'elle-même. -Malheureusement elle n'était plus libre, et ne voulant pas manquer de -parole à ses nouveaux alliés, elle ne pouvait que leur adresser des -conseils, sans avoir pour les décider le moyen de leur refuser son -alliance, accordée depuis le 10 août à minuit. M. de Metternich, en -disant plus qu'il n'en avait jamais dit, depuis que ses confidences -étaient sans inconvénients, avoua au duc de Vicence que ces conditions -un peu modifiées auraient vraisemblablement amené la paix, huit jours -auparavant, mais que maintenant dépendant d'autrui, ne pouvant rien -sans ses alliés, il désespérait de les leur faire accepter. Il parla -des passions qui les animaient, des espérances qu'ils avaient conçues, -de l'effet produit sur eux par la bataille de Vittoria, et à l'émotion -qu'il éprouvait, il était aisé de voir qu'il était sincère dans ses -regrets. En effet, pour l'Angleterre protégée par la mer, pour la -Russie protégée par la distance, la lutte après tout ne pouvait pas -avoir de conséquences mortelles, mais pour la Prusse et l'Autriche que -rien ne garantissait des coups de Napoléon, et qui avaient passé avec -lui de l'alliance à la guerre, la lutte pouvait amener des résultats -désastreux, et M. de Metternich sentait bien que, quelque raison qu'il -eût d'essayer en cette occasion de refaire la situation de son pays, -on l'accablerait de sanglants reproches si Napoléon était vainqueur. -Il est donc très-présumable, que libre encore il eût, sauf quelques -différences, accepté les conditions proposées, et il était visible -qu'en perdant le temps avec une déplorable obstination, on s'était -plus nui peut-être qu'en persistant dans des prétentions excessives. - -[En marge: M. de Caulaincourt se retire au château de Koenigsal pour y -attendre le résultat des ouvertures dont M. de Metternich est chargé.] - -Quoi qu'il en soit, on convint que dès l'arrivée de l'empereur -Alexandre et du roi de Prusse à Prague, M. de Metternich leur ferait -pour le compte de son maître les ouvertures dont il vient d'être -question, et qu'il donnerait la réponse avant le 17 août. Pour rendre -convenable la position de M. le duc de Vicence, auquel on ne manqua -jamais de témoigner les égards dont il était digne, il fut décidé -qu'il irait attendre la réponse de M. de Metternich au château de -Koenigsal, situé près de Prague, et appartenant à l'empereur François. -Il serait ainsi dispensé de se trouver dans le même lieu que -l'empereur Alexandre, et dispensé aussi d'assister à toute la joie des -coalisés, qui accueillaient avec transport la nouvelle des prochaines -hostilités et de l'adhésion de l'Autriche à la coalition européenne. - -Déjà depuis le 11 août une partie des états-majors prussien et russe -était accourue à Prague pour concerter les opérations militaires avec -l'état-major autrichien; une armée de plus de cent mille hommes, -Prussiens et Russes, entrait en Bohême pour se réunir à l'armée -autrichienne; les officiers des trois armées s'embrassaient, se -félicitaient de combattre ensemble pour contribuer à ce qu'ils -appelaient la commune délivrance, et partout éclatait une joie pour -ainsi dire convulsive, car elle était un mélange d'espérance, de -crainte et de résolution désespérée. - -[En marge: Arrivée le 15 août de l'empereur Alexandre à Prague.] - -[En marge: Exaltation d'esprit de ce monarque.] - -[En marge: Il ne veut plus de la paix.] - -[En marge: Réponse officielle qu'il fait adresser aux dernières -propositions de Napoléon.] - -Le 15 l'empereur Alexandre fit son entrée dans Prague et y fut reçu -avec les honneurs dus à son rang et au rôle de libérateur de l'Europe -que tout le monde lui attribuait alors, excepté toutefois le -gouvernement autrichien, assez offusqué de ces témoignages -enthousiastes, et peu disposé à échanger la domination de la France -contre celle de la Russie. Dès que ce monarque fut rendu à Prague, et -avant que le roi de Prusse y fût arrivé, M. de Metternich et -l'empereur François lui firent connaître le secret de la négociation -clandestine, qui avait pris naissance à côté de la négociation -officielle dans les derniers jours du congrès de Prague, et lui -demandèrent son avis. Parler paix dans ce moment n'était guère de -saison. Alexandre était enivré d'espérance depuis la bataille de -Vittoria, et surtout depuis l'adhésion de l'Autriche. Peut-être même -sans cette puissance il se serait flatté de pouvoir soutenir la lutte, -ayant reçu dans les deux derniers mois de nombreux renforts, et la -Prusse, elle aussi, ayant fort augmenté ses armements. Mais, avec -l'Autriche de plus, avec les nouvelles que les Anglais mandaient de -leurs progrès en Espagne, de leur prochaine entrée en France, il ne -doutait pas d'être bientôt vainqueur de Napoléon, et de le remplacer -en Europe! La tête de ce jeune monarque était dans un état -d'incandescence extraordinaire, et pour atteindre au terme de cette -ambition, il n'était ni dangers qu'il ne fût résolu à braver, ni -caresses qu'il ne fût disposé à prodiguer à ses associés anciens et -nouveaux. Il était en effet plein de soins, de déférence apparente -pour tous, et, loin de se grandir, il affectait au contraire de se -montrer moins grand, moins puissant qu'il n'était, de peur d'offusquer -et de déplaire. Avec beaucoup de respect et de condescendance pour -l'empereur François, et sans afficher l'intention de détrôner -Napoléon, c'est-à-dire Marie-Louise, il manifesta l'espérance de -conquérir bientôt par la guerre des conditions meilleures, et une -indépendance de l'Allemagne infiniment mieux garantie. Il avait -d'ailleurs une raison toute-puissante à faire valoir auprès de -l'Autriche, c'est que sans l'abandon des villes anséatiques il serait -impossible d'obtenir l'adhésion de l'Angleterre à laquelle on était -étroitement lié, et il avait de plus un appât bien séduisant à faire -briller à ses yeux, c'était la possibilité si on était victorieux, de -lui restituer une partie de l'Italie. En conséquence, sans attendre -l'arrivée du roi de Prusse, Alexandre fit répondre par écrit, et par -l'intermédiaire de M. de Metternich à M. de Caulaincourt, que Leurs -Majestés les souverains alliés, après en avoir conféré entre eux, -pensant _que toute idée de paix véritable était inséparable de la -pacification générale que Leurs Majestés s'étaient flattées de -préparer par les négociations de Prague, elles n'avaient pas trouvé -dans les articles que proposait maintenant Sa Majesté l'Empereur -Napoléon des conditions qui pussent faire atteindre au grand but -qu'elles avaient en vue, et que par conséquent Leurs Majestés -jugeaient les conditions inadmissibles_. C'était dire assez clairement -qu'on regardait ces conditions comme tout à fait inacceptables par -l'Angleterre. - -[En marge: M. de Caulaincourt quitte Prague définitivement pour aller -rejoindre Napoléon.] - -[En marge: Ses regrets et son chagrin.] - -M. de Bender, employé de la légation autrichienne, fut chargé de -porter lui-même cette réponse à M. de Caulaincourt au château de -Koenigsal, et de la lui remettre par écrit. Quoique s'y attendant, M. -de Caulaincourt en fut cependant consterné, car dans son bon sens, -dans son noble patriotisme, il n'augurait que de grands malheurs de -la continuation de cette guerre. Il fit ses préparatifs de départ, -vit une dernière fois M. de Metternich, avec lequel il échangea de -nouveaux et inutiles regrets, convint avec lui qu'on pourrait ouvrir -un congrès afin de négocier en se battant, faible espérance qui -laissait la chance pour les uns ou pour les autres de signer après un -affreux duel sa propre destruction, puis il alla rejoindre Napoléon en -Lusace. Le coeur plein d'une sorte de désespoir, il écrivit à M. de -Bassano pour lui exprimer en un langage haut et amer le déplaisir -d'avoir été employé à une négociation illusoire, et, arrivé auprès de -Napoléon, il lui témoigna, avec un respect grave, mais avec une -conviction ferme, la douleur qu'il éprouvait d'avoir vu négliger cette -occasion unique de conclure la paix. Napoléon d'une façon assez légère -essaya de le consoler de cette occasion manquée, promettant de lui en -fournir bientôt une plus belle, et lui rendit ses fonctions qui -nominalement étaient celles de grand écuyer, mais qui devenaient, -depuis la mort du maréchal Duroc, tantôt celles de grand maréchal, -tantôt même celles de ministre des affaires étrangères et -d'ambassadeur extraordinaire. Les honneurs pouvaient toucher ce grand -coeur, sensible assurément aux faveurs de cour, mais ne pouvaient à -aucun degré lui faire oublier les infortunes de son pays. - -[En marge: Caractère général, et suite inévitable de la conduite tenue -envers l'Autriche.] - -Telle fut cette célèbre et malheureuse négociation avec l'Autriche, -commencée, conduite sous l'empire des plus funestes illusions, et avec -une maladresse que les passions seules peuvent expliquer chez un -esprit aussi pénétrant que celui de Napoléon. Comme nous l'avons dit, -comme l'avaient soutenu MM. de Caulaincourt, de Talleyrand, de -Cambacérès, lors du conseil tenu aux Tuileries, il fallait ou annuler -l'Autriche dans cette occasion, l'essayer au moins en la comblant -d'égards, en affectant de ne pas vouloir l'engager dans une guerre qui -lui était étrangère, et surtout en ne lui demandant aucune portion de -ses forces, pour ne pas lui fournir soi-même un prétexte d'armer; ou -bien, si on la pressait d'entrer plus avant dans les événements, si on -lui fournissait par là un motif spécieux d'augmenter ses forces, si on -la conduisait pour ainsi dire par la main au rôle de médiatrice, il -fallait prévoir ses désirs qui naissaient de sa situation même, et se -résigner à les satisfaire, ce qui après tout n'aurait pas été -très-coûteux. Mais la pousser à prendre son épée, et se figurer -qu'elle l'emploierait pour nous et non pour elle, à notre gré et non -au sien, était le comble des illusions, de ces illusions que les -grands esprits se font aussi bien que les plus petits, lorsqu'ils ont -besoin de se tromper eux-mêmes. Si à cette faute on joint celle -d'avoir signé l'armistice de Pleiswitz avant d'avoir rejeté les -coalisés sur la Vistule et loin des Autrichiens, seconde faute qui -tenait, comme on l'a vu, à ce même désir obstiné d'échapper aux -conditions de la cour de Vienne, on a les vraies causes qui firent -aboutir à un si fatal dénoûment les événements d'abord si heureux du -printemps de 1813. - -[En marge: Reprise des hostilités sur toute la ligne de l'Elbe, depuis -Koenigstein jusqu'à Hambourg.] - -Du reste le canon retentissait déjà sur une ligne de cent cinquante -lieues, depuis Koenigstein jusqu'à Hambourg, et Napoléon, excité par -le bruit des armes, avait bientôt oublié les allées et venues, les -dits et redits des diplomates, pour ne songer qu'aux vastes desseins -militaires desquels il attendait les plus grands résultats. Le moment -est venu de faire connaître son plan et ses forces pour cette seconde -partie de la campagne de Saxe. Mais afin de les mieux comprendre, il -faut d'abord se rendre compte du plan et des forces de nos ennemis. - -[En marge: Plan et forces des coalisés.] - -[En marge: Les trois grandes armées actives de Bohême, de Silésie et -du nord.] - -On se souvient qu'à Trachenberg il avait été convenu par les coalisés, -que trois armées principales marcheraient contre Napoléon, qu'elles -agiraient offensivement toutes les trois, mais avec précaution, afin -d'éviter les échauffourées; que dans cette vue, celle des trois sur -laquelle se dirigerait Napoléon ralentirait le pas, tandis que les -deux autres tâcheraient de se jeter sur ses flancs et ses derrières, -et d'accabler ainsi les lieutenants qu'il aurait chargés de les -garder. Ces trois armées devaient être celles de Bohême, de Silésie, -du nord, qu'on espérait avec les corps d'Italie et de Bavière porter à -575 mille hommes de troupes actives, traînant 1,500 bouches à feu, -sans compter 250 mille hommes en réserve, répandus dans la Bohême, la -Pologne, la Vieille-Prusse. On était en effet à peu près arrivé à ces -chiffres énormes pendant la durée de l'armistice, qui n'avait pas -moins profité à la coalition qu'à Napoléon, car les Russes avaient -reçu leurs renforts et leur matériel, que dans la précipitation de -leur marche d'hiver ils n'avaient pas eu le temps d'amener; les -Prussiens avaient également eu le loisir d'armer et d'instruire leurs -innombrables volontaires, et l'Autriche enfin avait organisé son armée -qui existait à peine sur le papier au mois de janvier, de sorte -qu'indépendamment de l'avantage politique de décider l'Autriche, -l'armistice de Pleiswitz avait eu encore pour les coalisés celui de -doubler en nombre les troupes qu'ils allaient nous opposer. - -[En marge: Armée de Bohême, et sa force.] - -[En marge: Cette armée est commandée par le prince de Schwarzenberg.] - -Les forces de la coalition avaient été ainsi réparties. Cent vingt -mille Autrichiens environ, dont moitié d'anciens soldats, se -trouvaient en Bohême, rangés au pied des montagnes qui séparent cette -province de la Saxe, et tout prêts à en franchir les défilés. -Soixante-dix mille Russes sous Barclay de Tolly, 60 mille Prussiens -sous le général Kleist, avaient attendu la déclaration de l'Autriche -pour passer de Silésie en Bohême, et venir former avec les Autrichiens -la grande armée destinée à tourner la position de Dresde, par une -marche en Saxe. (Voir la carte nº 58.) Le point de mire de cette -armée, dite de Bohême, était Leipzig, et les coalisés ne comprenaient -pas que Napoléon, abordé de front sur l'Elbe par deux autres armées, -pût tenir à une attaque aussi formidable que celle qu'on lui préparait -sur ses derrières avec 250 mille hommes. Par déférence pour -l'Autriche, et pour la décider par tous les moyens imaginables, ceux -de la flatterie compris, on avait décerné le commandement supérieur de -l'armée de Bohême au prince de Schwarzenberg, qui avait négocié en -qualité d'ambassadeur le mariage de Marie-Louise, qui avait commandé -le corps autrichien auxiliaire en 1812, et venait tout récemment -d'être envoyé à Paris. Ces rôles si contradictoires causaient quelque -embarras à ce personnage, qui devait à Napoléon le bâton de maréchal -sans l'avoir mérité, et était appelé à le mériter contre celui même -qui le lui avait fait obtenir. Il éprouvait aussi une singulière -crainte de se trouver en présence d'un adversaire tel que Napoléon, -bien qu'il eût beaucoup parlé dans le conseil aulique de -l'affaiblissement de l'armée française, et comme d'usage il se -consolait d'une situation fausse par les vives jouissances de -l'orgueil satisfait. C'était effectivement un honneur insigne pour lui -que d'exercer un si vaste commandement sous les yeux des souverains -coalisés, et il n'en était pas indigne à certains égards, car il était -sage, avait quelque entente de la grande guerre, et possédait un -savoir-vivre qui le rendait propre à manier les caractères si divers -dont se composait la coalition. À cette flatterie envers l'Autriche on -avait ajouté un genre de soins non moins capable de la toucher. Par un -article secret du traité de subsides conclu avec le gouvernement -britannique à Reichenbach, on était convenu qu'il lui serait alloué un -secours pécuniaire, dans le cas où elle prendrait part à la guerre, et -lord Cathcart, arrivé à Prague, avait déjà émis des lettres de change -sur Londres, pour lui procurer le plus tôt possible les ressources -financières dont elle avait besoin. - -[En marge: Armée de Silésie commandée par Blucher.] - -Après cette armée principale venait celle de Silésie. Elle se -composait des corps russes des généraux Langeron et Saint-Priest, -forts ensemble de plus de 40 mille hommes, du corps prussien du -général d'York qui en comptait 38 mille à peu près, enfin d'un autre -corps russe, celui du général Sacken, comprenant de 17 à 18 mille -hommes. Le tout présentait une masse totale de près de cent mille -combattants. L'impétueux Blucher était à la tête de cette armée. Elle -devait franchir la limite qui en Silésie avait séparé les troupes -belligérantes pendant l'armistice, passer la Katzbach, le Bober, et -nous ramener même sur Bautzen, si Napoléon n'était pas de ce côté. On -avait fort recommandé à Blucher la prudence, mais entouré des -officiers prussiens les plus ardents, ayant pour chef d'état-major, au -lieu du général Scharnhorst mort de ses blessures, le général -Gneisenau, officier spirituel, agissant toujours de premier mouvement, -il n'avait à ses côtés personne qui pût lui rappeler ces sages -instructions. - -[En marge: Armée du nord; sa composition, sa distribution sous le -prince royal de Suède.] - -L'armée du nord réunie autour de Berlin était la troisième des armées -actives, et celle que devait commander le prince royal de Suède. Forte -d'environ 150 mille hommes de toutes nations, elle comprenait 25 mille -Suédois et Allemands, sous le général Steding, 18 mille Russes sous le -prince Woronzow, 10 mille coureurs Cosaques ou autres sous -Wintzingerode, 40 mille Prussiens sous le général Bulow, 30 mille -autres Prussiens sous le général Tauenzien, ceux-ci particulièrement -destinés au blocus des places, enfin un mélange d'Anglais, de -Hanovriens, d'Allemands, d'Anséates, d'insurgés de toutes les -provinces soumises à notre domination, lesquels formaient 25 mille -hommes sous le général Walmoden. Une partie de cette nombreuse armée -devait rester devant les places de Dantzig, de Custrin, de Stettin, -une autre partie observer Hambourg, une troisième, la plus -considérable, forte de 80 mille hommes, se diriger sur Magdebourg, y -passer l'Elbe si elle pouvait, et menacer Napoléon par son flanc -gauche, tandis que la grande armée de Bohême le menacerait par son -flanc droit. On espérait qu'en marchant concentriquement sur lui, -s'arrêtant quand il se jetterait sur l'une des trois armées, mais -s'avançant vers le point qu'il aurait abandonné de sa personne, et -chaque fois essayant de gagner un peu de terrain, on finirait par le -serrer toujours de plus près, et par trouver peut-être une occasion de -l'aborder tous ensemble afin de l'accabler sous une masse de forces -écrasante. - -[En marge: Armées secondaires en Bavière et en Italie.] - -À ces trois armées actives comprenant 500 mille hommes, et traînant -1,500 bouches à feu, on avait ajouté un rassemblement de 25 mille -hommes, destiné à observer la Bavière, et un de 50 mille chargé de -tenir tête au prince Eugène du côté de l'Italie. Du reste l'Autriche -s'attendant à tout, mais n'attachant aucune importance à ce qui se -passerait dans cette région, avait fait sortir de Vienne ce qu'il y -avait de précieux en archives, armes, objets d'art. Elle croyait avec -raison que le sort du monde se déciderait sur l'Elbe, entre Dresde, -Bautzen, Magdebourg, Leipzig, et se résignait à voir, ce qui était peu -probable, le prince Eugène à Vienne, plutôt que de détourner ses -forces du véritable théâtre de la guerre. - -[En marge: Armées de réserve.] - -[En marge: La coalition n'a pas moins de 800 mille hommes sous les -armes.] - -Ces deux armées de Bavière et d'Italie portaient donc à 575 mille -hommes les forces actives de la coalition. À cette masse il faut -ajouter les réserves. L'Autriche avait 60 mille hommes entre -Presbourg, Vienne et Lintz. La Russie avait en Pologne 50 mille hommes -sous le général Benningsen, 50 mille sous le prince de Labanoff, prêts -les uns et les autres à entrer en ligne lorsque leur intervention -serait nécessaire. La Prusse comptait encore sur environ 90 mille -recrues qui achevaient de s'instruire, ce qui présentait un dernier -fonds de 250 mille hommes, destiné à réparer les pertes que la guerre -ferait éprouver aux troupes engagées les premières. Bien que les -marches dussent bientôt éclaircir les rangs de ces nombreuses armées, -il faut dire cependant que ces 800 et quelques mille hommes étaient -tous présents au drapeau, et que c'était à cette force immense, non -pas nominale mais réelle, que Napoléon aurait bientôt affaire. Jamais -encore dans l'histoire on n'avait vu de pareilles quantités de soldats -mises en mouvement, et jamais du reste le motif, pour la coalition du -moins, ne l'avait autant mérité. - -[En marge: C'est l'armistice de Pleiswitz qui lui avait procuré ces -forces immenses.] - -[En marge: Illusions de Napoléon qui avait cru que l'armistice de -Pleiswitz ne profiterait qu'à lui.] - -[En marge: Vaste et beau plan de campagne de Napoléon.] - -C'est maintenant qu'on peut juger à quel point Napoléon s'était trompé -en acceptant l'armistice de Pleiswitz. Il l'avait signé pour deux -raisons, avons-nous dit, pour se soustraire aux pressantes instances -de l'Autriche, relativement à la paix, et parce qu'habitué à ne -trouver d'actif que lui-même, ne comprenant pas les miracles que la -passion pouvait produire chez ses adversaires, il croyait que pendant -ces deux mois il arriverait deux cent mille hommes peut-être dans ses -rangs, et pas la moitié dans les rangs de ses adversaires. Le -contraire avait eu lieu, car, ainsi qu'on va le voir, il n'avait guère -ajouté plus de 150 mille hommes à ses troupes (sans compter il est -vrai le surcroît de valeur morale qu'elles devaient à deux mois -d'instruction et de repos), et la coalition en avait ajouté bien près -de quatre cent mille, en y comprenant les forces de l'Autriche. Le -calcul n'avait donc pas été juste. Toutefois Napoléon n'en avait pas -moins employé ces deux mois avec une admirable activité, et ses plans -étaient d'une habileté à déjouer tous ceux de ses adversaires. - -[En marge: Précautions prises sur tout le cours de l'Elbe, de -Koenigstein à Hambourg.] - -[En marge: Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben -et Hambourg.] - -La position de l'Elbe, comme nous l'avons dit, quoique facile à -tourner en débouchant de la Bohême sur Leipzig, avait néanmoins été -adoptée par Napoléon comme la meilleure, et même comme la seule -admissible. (Voir les cartes n{os} 28 et 58.) Dresde, aussi bien -fortifié qu'il pouvait l'être depuis qu'on en avait fait sauter les -murailles, devait être son centre d'opération et son principal -établissement. Il y avait ses arsenaux, ses magasins, ses dépôts et -trois ponts. À sept ou huit lieues sur sa droite, au point où l'Elbe -perce les montagnes de la Bohême pour pénétrer en Saxe, il possédait -les postes fortifiés de Koenigstein et de Lilienstein, avec un pont -solide et des magasins, afin de pouvoir manoeuvrer à volonté sur les -deux rives du fleuve. Sur sa gauche, à Torgau, quinze lieues -au-dessous de Dresde, il avait des ouvrages, des vivres et des ponts, -de même à Wittenberg et à Magdebourg. Ce dernier point était de plus -une vaste place, régulièrement fortifiée, dans laquelle il avait -déposé, outre de grands amas de munitions et de vivres, tous les -malades et blessés de la campagne du printemps. Le poste improvisé de -Werben comblait la lacune comprise entre Magdebourg et Hambourg, et -Hambourg enfin couvrait le bas Elbe. Il était possible sans doute de -passer l'Elbe entre Magdebourg et Hambourg, à cause de la distance qui -sépare ces deux villes, distance que le poste de Werben remplissait -imparfaitement, mais l'ennemi qui voudrait tenter cette entreprise, -laissant sur ses flancs les deux importantes places de Hambourg et de -Magdebourg, et ayant en tête d'ailleurs un corps considérable dont on -va voir tout à l'heure la position et le rôle, ne pouvait pas -l'essayer, tant que la grande armée placée sous la main de Napoléon -n'aurait pas perdu son point d'appui de Dresde, ce qui ramenait à -Dresde même, où Napoléon commandait en personne, tout le noeud de -l'immense action militaire qui allait s'engager. - -[En marge: Distribution des forces de Napoléon sur cette ligne -défensive.] - -[En marge: Position de Saint-Cyr.] - -[En marge: Position de Vandamme.] - -[En marge: Position de Poniatowski et de Victor.] - -[En marge: Position de Macdonald, Lauriston, Ney et Marmont.] - -[En marge: Direction sur Berlin assignée à Oudinot, Bertrand et -Reynier.] - -La ligne de défense étant ainsi établie sur l'Elbe, reste à savoir -comment Napoléon y avait distribué ses forces. Devinant les projets de -l'ennemi comme s'il avait été présent aux conférences de Trachenberg, -il avait parfaitement discerné qu'il aurait trois puissantes armées -sur les bras, une à droite en Bohême, une de front en Silésie, une à -gauche du côté de Berlin, menaçant l'Elbe entre Magdebourg et -Hambourg. Il avait pourvu à ces diverses attaques avec une prévoyance -qui ne laissait rien à désirer. Le nouveau corps du maréchal -Saint-Cyr, fort de 30 mille hommes partagés en quatre divisions, et -récemment amené de Mayence à Dresde, avait été placé à Koenigstein, en -deçà de l'Elbe, c'est-à-dire sur la rive gauche, de manière à fermer -les débouchés par lesquels la grande armée ennemie pouvait descendre -de Bohême en Saxe sur nos derrières. Le corps du général Vandamme fort -aussi de 30 mille hommes, détaché de l'armée du maréchal Davout, et -amené de Hambourg à Dresde, avait été placé à la hauteur du corps de -Saint-Cyr, mais au delà de l'Elbe, pour garder sur la droite du fleuve -les défilés des montagnes de Bohême aboutissant en Lusace. Un peu -plus loin en Lusace, toujours au pied des montagnes de Bohême, au -défilé de Zittau, avaient été postés le corps de Poniatowski, et celui -du maréchal Victor, dont la formation s'était achevée pendant la -suspension d'armes. Enfin plus loin encore, c'est-à-dire en Silésie, -sur la ligne frontière de l'armistice, sur la Katzbach et le Bober, se -trouvaient les quatre corps, de Macdonald (le 11e), de Lauriston (le -5e), de Ney (le 3e), de Marmont (le 6e), présentant cent mille hommes -à eux quatre. En arrière, près de Bautzen, se trouvaient la garde -impériale, portée pendant l'armistice de 12 mille hommes à 48 mille, -et les trois corps de cavalerie de réserve des généraux -Latour-Maubourg, Sébastiani, Kellermann, comprenant 24 mille cavaliers -parfaitement montés. À gauche trois corps, ceux d'Oudinot (le 12e), de -Bertrand (le 4e), de Reynier (le 7e), avaient reçu la mission de -s'opposer à l'armée du Nord, commandée par Bernadotte. - -[En marge: Usage que Napoléon se proposait de faire de ces divers -corps, dans toutes les suppositions imaginables.] - -[En marge: Concentration en arrière de Dresde, si l'ennemi débouchait -de la Bohême par la route de Péterswalde.] - -Ses troupes étant ainsi distribuées, Napoléon avait résolu de parer de -la manière suivante à toutes les éventualités de cette campagne -formidable. L'armée du prince de Schwarzenberg, de beaucoup la plus -nombreuse, celle qui menaçait notre flanc droit par les débouchés de -la Bohême, pouvait descendre par deux issues, une en deçà de l'Elbe, -c'est-à-dire derrière nous par la grande route de Péterswalde, l'autre -au delà, c'est-à-dire devant nous, par la grande route de Bohême en -Lusace passant à Zittau. C'était certainement par l'une de ces deux -issues qu'elle devait faire son apparition. Napoléon était également -prêt dans chacune de ces hypothèses. Le maréchal Saint-Cyr avec ses -quatre divisions occupait en deçà de l'Elbe la chaussée de -Péterswalde. (Voir la carte nº 58.) L'une de ces divisions était de -garde au pont jeté entre les rochers de Koenigstein et de Lilienstein, -deux autres occupaient le camp de Pirna, sous le feu duquel passe la -grande route de Péterswalde. La quatrième avec la cavalerie légère du -général Pajol, veillait à tous les chemins secondaires, qui plus en -arrière encore, pouvaient prendre Dresde à revers. Si donc l'ennemi -voulait descendre sur les derrières de Dresde, soit pour attaquer -cette ville, soit pour se diriger sur Leipzig, le maréchal Saint-Cyr -après avoir profité de l'avantage des lieux afin de ralentir la marche -des coalisés, devait jeter une garnison dans les forts de Koenigstein -et de Lilienstein, puis se replier sur Dresde avec ses quatre -divisions. Adossé à cette ville avec environ 30 mille hommes, y -trouvant une garnison de 8 à 10 mille, que Napoléon avait composée -avec des convalescents, des bataillons de marche, et les gardes -d'honneur, il devait s'y défendre dans un camp retranché -laborieusement préparé à l'avance, et y tenir plusieurs jours sans -avoir des prodiges à faire. En tout cas les choses étaient disposées -de manière à lui procurer des secours prompts et décisifs. Le général -Vandamme ayant ses trois divisions au delà de l'Elbe, une à Stolpen -sur le chemin de Zittau, l'autre à Rumbourg près de Zittau même, la -troisième à Bautzen, pouvait en vingt-quatre heures renvoyer à Dresde -celle de ses divisions qui serait à Stolpen, et en quarante-huit -heures amener les deux autres. Ainsi le second jour le maréchal -Saint-Cyr devait être renforcé de 10 mille hommes, et le troisième de -20 mille, ce qui porterait sa force totale à près de 70 mille -combattants, et à 60 mille au moins établis dans un bon camp -retranché. C'était de quoi le mettre à l'abri de toutes les attaques. -Après deux autres jours, c'est-à-dire après quatre depuis l'apparition -de l'ennemi, Napoléon devait accourir de Gorlitz avec 48 mille hommes -de la garde, 24 mille de la réserve de cavalerie, 24 mille du corps du -maréchal Victor, en ayant laissé à Zittau le corps de Poniatowski. -Ainsi le quatrième jour 170 mille hommes devaient être sous Dresde, ce -qui était bien suffisant, les lieux donnés, pour faire repentir de -leur audace les coalisés qui auraient voulu tourner notre position, et -pour les exposer à ne pas revoir la Bohême. - -[En marge: Concentration en avant de Dresde, à Gorlitz et à Lowenberg, -si l'ennemi voulait déboucher de la Bohême en Lusace.] - -Dans le cas contraire, celui où l'ennemi songerait à descendre de -Bohême en Lusace, non pas en deçà de l'Elbe, mais au delà, non pas -derrière Napoléon mais devant lui, et à déboucher par Zittau sur -Gorlitz ou Bautzen, la même distribution devait amener une aussi -prompte concentration de forces. Napoléon avait résolu de placer au -défilé de Zittau le corps de Poniatowski fort d'une douzaine de mille -hommes, et tout près pour le soutenir le corps du maréchal Victor, ce -qui faisait au moins 36 mille hommes, appuyés sur une forte position, -située au sortir même des montagnes et soigneusement étudiée à -l'avance. En une journée la garde et la cavalerie qui étaient à -Gorlitz, la division de Vandamme qui était à Rumbourg, étaient prêtes -à apporter un secours de 80 mille hommes aux 36 mille postés à -Zittau. Un jour de plus devait par l'arrivée de Vandamme avec ses -deux autres divisions, par le reploiement de l'un des quatre corps -établis sur le Bober, amener un nouveau secours de 50 mille hommes. -C'étaient encore 170 mille combattants opposés en deux jours à ce -second débouché, et disposés de manière qu'ils pussent se défendre en -attendant leur concentration. - -Telles étaient les précautions prises dans les deux hypothèses les -plus vraisemblables. Si toutefois aucune d'elles ne se réalisait, si -l'armée de Bohême, au lieu de vouloir déboucher si près de Napoléon, -soit en avant de lui, soit en arrière, allait, en laissant un corps en -Bohême, réunir sa masse principale à celle de Silésie, et nous aborder -de front avec 250 mille hommes sur le Bober, pour nous livrer une -immense bataille, les quatre corps de Ney, de Lauriston, de Marmont, -de Macdonald, formant un total de cent mille hommes, pouvaient ou se -défendre sur le Bober, ou se replier sur la Neisse et la Sprée, et s'y -renforcer de 150 mille hommes par leur réunion avec la garde, avec la -réserve de cavalerie, avec Victor, avec Poniatowski, avec Vandamme. On -devait ainsi, sans même toucher à Saint-Cyr, se retrouver en force -égale à celle de l'ennemi dans la troisième supposition, la seule -imaginable après les deux autres. Ajoutez l'avantage dans tous les cas -de la présence de Napoléon, son art de profiter des occurrences, la -presque certitude sous sa direction de gagner une grande bataille à la -première rencontre, et on conçoit qu'il se flattât d'avoir toutes les -chances en sa faveur. Quel capitaine, dans aucun temps, avait calculé -avec cette précision, avec cette universalité de prévoyance, les -mouvements de si vastes masses, opposées à d'autres masses plus vastes -encore! - -[En marge: Hypothèse d'une marche de l'ennemi sur Leipzig.] - -[En marge: Invraisemblance de cette hypothèse tant que Napoléon -n'était pas affaibli par plusieurs défaites.] - -Restait une seule hypothèse pour laquelle, très-volontairement, nulle -précaution n'avait été prise, c'était celle où les coalisés voulant -tourner Napoléon d'une manière encore plus audacieuse, et au lieu de -descendre immédiatement sur ses derrières par Péterswalde, y -descendant plus loin, c'est-à-dire par la route de Leipzig, -essayeraient hardiment de se placer entre la grande armée et le Rhin. -Ceci inquiétait peu Napoléon, et il souriait à cette supposition.--_Ce -n'est pas du Rhin, c'est de l'Elbe_, avait-il dit avec une rare -profondeur, _qu'il m'importe de n'être pas coupé_. L'ennemi qui -oserait s'avancer entre moi et le Rhin n'en reviendrait plus, tandis -que celui qui réussirait à s'établir entre moi et l'Elbe, me couperait -de ma vraie base d'opération!--Qui aurait eu l'audace en effet de -marcher sur le Rhin, laissant derrière lui Napoléon avec 400 mille -hommes, Napoléon non vaincu! On pouvait loin du champ de bataille -former de pareils rêves, et on les forma effectivement, mais à la -première marche on devait reculer d'épouvante, comme les faits le -prouvèrent bientôt. - -[En marge: Envoi projeté d'un corps français sur Berlin.] - -[En marge: Concours du corps mobile de Magdebourg, et du corps du -maréchal Davout au mouvement sur Berlin.] - -[En marge: Seule défectuosité du plan de Napoléon.] - -Tous les coups étant prévus et parés sur ses derrières, sur sa droite, -sur son front, contre les deux armées de Bohême et de Silésie, -Napoléon avait préparé sur sa gauche une opération importante, en vue -de tenir tête à l'armée du nord, et d'amener un résultat éclatant -auquel il attachait un grand prix, celui d'occuper la capitale de la -Prusse, d'y entrer triomphalement par l'un de ses lieutenants, de -tirer ainsi une vengeance non pas cruelle, mais humiliante des -passions germaniques. Il avait chargé le maréchal Oudinot avec son -corps, avec ceux des généraux Bertrand et Reynier, avec la cavalerie -de réserve du duc de Padoue, de marcher de Luckau sur Berlin. (Voir -les cartes n{os} 28 et 58.) Ces trois corps d'infanterie, en y -joignant une portion de la cavalerie de réserve, auraient dû s'élever -à 70 mille hommes, mais n'en comprenaient en réalité que de 65 à 66 -mille. Ils comptaient à la vérité sur des renforts considérables. Ils -étaient liés à notre principale armée agissant en avant de Dresde, par -le général Corbineau à la tête de 3 mille chevaux et de 2 mille hommes -d'infanterie légère. C'était là un lien et non un appui; mais plus -loin, sur la gauche, c'est-à-dire à la hauteur de Magdebourg, devait -se trouver le général Girard (le même qui à Lutzen avait si noblement -réparé une faute commise en Espagne) avec un corps de 12 à 15 mille -hommes, formé de la division Dombrowski, et de la partie disponible de -la garnison de Magdebourg, dont nous avons déjà fait connaître -l'ingénieuse composition. Ce général posté en avant de Magdebourg avec -5 mille hommes de la division Dombrowski, recrutée et reposée en -Hesse, avec 8 ou 10 mille de la garnison de Magdebourg, devait établir -la communication entre le maréchal Oudinot et le maréchal Davout, et -suivre le maréchal Oudinot dans son mouvement offensif, de manière à -porter l'armée de celui-ci à près de 80 mille hommes. Une masse -pareille semblait n'avoir rien à craindre, ni des talents, ni des -forces du prince royal de Suède, qui avait dans ses troupes beaucoup -de ramassis, qui ne pouvait pas réunir actuellement plus de 70 mille -hommes sur un même champ de bataille, qui d'ailleurs aurait bientôt à -faire face à un redoutable ennemi de plus, et cet ennemi c'était le -maréchal Davout prêt à sortir de Hambourg avec 25 mille Français, avec -10 mille Danois, et à menacer Berlin par le Mecklembourg, tandis que -le maréchal Oudinot le menacerait par la Lusace. Il y avait donc les -plus grandes chances pour que le maréchal Oudinot entrât sous peu de -jours dans Berlin, y fût rejoint par le maréchal Davout avec 35 mille -hommes, ce qui placerait sous ce dernier, destiné à commander le tout, -une masse de 110 à 115 mille hommes, et suffirait pour déjouer les -projets du prince royal de Suède. Ainsi Napoléon, tandis qu'il tenait -tête à droite et de front aux forces gigantesques de la coalition, -devait par sa gauche pénétrer dans Berlin, y frapper le foyer des -passions germaniques, y punir la Prusse de son abandon, le prince de -Suède de sa trahison, et tendre la main à ses garnisons de l'Oder et -de la Vistule! C'était là sans doute un début éclatant, et qui avait -dû séduire Napoléon: toutefois le mouvement qu'il ordonnait à sa -gauche était bien allongé, les corps qui devaient y concourir étaient -bien distants les uns des autres, et leur coopération dépendait de -beaucoup de circonstances qui pouvaient n'être pas toutes heureuses. -Ses généraux, sans être moins braves, n'avaient plus cette confiance -qui soutient dans les situations hasardeuses; ses troupes étaient -jeunes et mélangées, et le rassemblement de Bernadotte auquel elles -avaient affaire, quoique un ramassis lui-même composé de gens de toute -origine, était réuni par le plus puissant des liens, la passion. Enfin -si l'un de ses lieutenants venait à se faire battre, il faudrait aller -très-loin pour lui porter secours. Il est donc vrai qu'en cette partie -seulement l'habile réseau tendu par Napoléon était un peu relâché. -Mais le désir ardent de rentrer dans Berlin, d'avoir sa main toujours -dirigée vers Dantzig, de pouvoir en une bataille gagnée se retrouver -sur la Vistule, avait ici altéré quelque peu la parfaite rectitude de -son jugement militaire, comme la préoccupation de refaire toute sa -grandeur d'un seul coup avait complétement égaré son jugement -politique. - -[En marge: Le désir de frapper Berlin et d'empêcher les coalisés de -secourir cette capitale avait porté Napoléon à trop étendre le rayon -de ses manoeuvres concentriques.] - -Cette défectuosité en avait entraîné une autre dans la partie de son -plan que nous avons déjà retracée, et qui était la plus fortement -conçue. Il avait en effet trop éloigné de Dresde les quatre corps qui -gardaient son front en avant de l'Elbe. Des bords du Bober, où étaient -postés les corps de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, aux -bords de l'Elbe, c'est-à-dire de Lowenberg à Dresde, il y avait six -jours de marche. (Voir la carte nº 36.) C'était beaucoup trop pour que -Napoléon, avec sa réserve, eût le temps de secourir les corps qui -étaient à Lowenberg, ou ceux qui étaient à Dresde. Tant qu'il pouvait -se tenir entre deux, soit à Gorlitz, soit à Bautzen, il n'y avait pas -de danger, car en moins de trois jours il lui était facile de se -porter à Lowenberg, ou de rétrograder sur Dresde, et d'être présent -ainsi partout où il serait nécessaire qu'il fût pour prévenir, ou -pour réparer un échec. Mais s'il était attiré à l'une des extrémités, -s'il était appelé à Dresde, par exemple, il se pouvait que sur le -Bober il arrivât un grand malheur à l'un de ses lieutenants, et qu'il -vînt trop tard pour y remédier, puisqu'il faudrait six jours au moins -pour y amener du renfort, ou bien que s'il était à l'extrémité -opposée, c'est-à-dire à Lowenberg, Dresde à son tour se trouvât en -péril d'être secouru trop tard. En un mot, pour manoeuvrer -concentriquement autour de Dresde, comme il l'avait fait jadis autour -de Vérone, avec une réserve placée au centre et portée alternativement -sur tous les points de la circonférence, le cercle était trop grand, -le rayon trop allongé. - -[En marge: Causes morales de cette faute, la seule à reprocher à -Napoléon dans la conception de son plan.] - -Était-ce inadvertance chez un esprit parvenu à une si prodigieuse -expérience, à une si rigoureuse précision dans ses calculs? Assurément -non; mais c'était le dangereux désir de faciliter le mouvement sur -Berlin et la Vistule. Il avait en effet discuté longuement avec -lui-même s'il devait établir sur le Bober ou sur la Neisse, -c'est-à-dire à Lowenberg ou à Gorlitz, son corps le plus avancé, et, -bien qu'il eût préféré le mettre à Gorlitz, ce qui lui eût permis de -placer sa réserve à Bautzen, et eût réduit de moitié le chemin qu'il -avait à faire pour aider les uns ou les autres, il y avait renoncé par -ce motif, qui révèle tout le secret de ses résolutions[7], c'est -qu'en portant à Gorlitz son corps le plus avancé, il n'opposait pas -assez d'obstacles à un mouvement que les armées coalisées pouvaient -être tentées d'exécuter par leur droite, pour arrêter le maréchal -Oudinot dans sa marche. À Lowenberg, au contraire, les cent mille -hommes de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, empêchaient -absolument les armées ennemies de Bohême et de Silésie de se -transporter par la Lusace dans le Brandebourg, et de secourir Berlin. -Ainsi, toujours ce désir d'un résultat merveilleux, ce désir de tendre -un bras vers Berlin et sur la Vistule, gâtait ses combinaisons -militaires, comme déjà il avait perverti ses résolutions politiques, -et le poussait à affaiblir en l'étendant trop un cercle de défense -qui, plus resserré, aurait été invincible! Bientôt la guerre, qui -amène une rémunération immédiate des bons et des mauvais calculs, -devait récompenser les uns par d'éclatants succès, punir les autres -par d'éclatants revers! Mais n'anticipons pas sur des événements dont -le triste récit n'arrivera que trop tôt! - - [Note 7: Cette grave délibération de Napoléon avec lui-même - se trouve constatée par de longues notes qu'il a écrites sur - son plan de campagne, et dans lesquelles il a donné tous les - motifs de ses diverses résolutions, bien avant le résultat - qui justifia les unes et condamna les autres. Il n'y a donc - pas ici une idée qui lui soit faussement, ou même - conjecturalement prêtée, puisque les intentions que nous lui - attribuons sont toutes formellement constatées par écrit.] - -[En marge: Comparaison entre les forces de Napoléon et celles des -coalisés.] - -Les forces de Napoléon étaient loin d'égaler celles de la coalition. -Les corps de Saint-Cyr, Vandamme, Victor, Poniatowski, groupés sur sa -droite, ceux de Ney, Marmont, Macdonald, Lauriston, rangés sur son -front, la garde, la réserve de cavalerie placées au centre, pouvaient -former sous sa main une masse mobile de 272 mille hommes présents sous -les armes. Les troupes d'Oudinot, de Girard et de Davout, dirigées sur -Berlin, en formaient une autre de 110 à 115 mille, ce qui portait à -387 mille hommes, ou 380 mille au moins, le total des forces actives -qu'il avait à opposer à la coalition. Si on y ajoute 20 mille hommes -en Bavière, 60 mille en Italie, si on y ajoute encore les garnisons -des places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, telles que -Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben, Hambourg, -Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comprenant 90 mille hommes environ, -on atteint le chiffre de 550 mille combattants, fort inférieur à celui -de 800 mille que la coalition était parvenue à réunir. Il est vrai que -les réserves des coalisés étaient comprises dans ce chiffre de 800 -mille hommes; mais Napoléon ne pouvait pas, en pressant bien ses -cadres du Rhin, en tirer plus de 50 mille soldats de réserve, et dès -lors ses ressources, plutôt exagérées que réduites, ne présentaient -pas un total de six cent mille hommes, contre huit cent mille. Ces -forces toutefois auraient suffi dans ses mains, et au delà, si les -causes morales avaient été pour lui au lieu d'être contre lui; mais -ses adversaires exaspérés étaient résolus à vaincre ou à mourir, et -ses soldats, héroïques sans doute, mais se battant par honneur, -étaient conduits par des généraux dont la confiance était ébranlée, et -qui commençaient à sentir qu'on avait tort contre l'Europe, contre la -France, contre le bon sens! Infériorité morale funeste, et bien plus -redoutable que l'infériorité matérielle du nombre! - -[En marge: Napoléon se porte le 15 à Gorlitz.] - -[En marge: Il pénètre de sa personne en Bohême, par le défilé de -Zittau, afin de se procurer des renseignements sur la marche des -coalisés.] - -[En marge: Possibilité d'une invasion subite en Bohême.] - -[En marge: Danger de cette opération, fort conseillée par le maréchal -Saint-Cyr.] - -Napoléon après avoir lui-même inspecté ses postes de Koenigstein et de -Lilienstein, et s'être assuré par ses propres yeux si la position -prise par Saint-Cyr et Vandamme, sur ses derrières et sa droite, était -conforme à ses vues, s'était porté le 15 à Gorlitz, où il avait -trouvé la garde et la réserve de cavalerie. De là il avait tenu à voir -la gorge de Zittau, que Poniatowski et Victor étaient chargés de -défendre. Après avoir établi Poniatowski sur une montagne dite -d'Eckartsberg, qui fait face à la sortie du défilé, et permet de -barrer le passage, Napoléon s'était avancé de sa personne à quelques -lieues plus loin, escorté par la cavalerie légère de sa garde, afin de -reconnaître un pays où il était possible qu'il pénétrât plus tard. Il -voulait recueillir sur la direction suivie par l'ennemi des -renseignements qui lui manquaient. Aucun symptôme en effet ne révélait -si les coalisés déboucheraient ou en arrière par Péterswalde sur -Dresde, ou sur notre droite par Zittau, ou sur notre front par -Liegnitz et Lowenberg. Bien que Napoléon fût entouré d'une nuée -d'ennemis en mouvement, il ne savait rien de leur marche, parce que -l'épaisse muraille des montagnes de Bohême, qui sur sa droite le -séparait d'eux, était un rideau difficile à percer. Il écoutait donc -avec une singulière attention, cherchant à saisir les moindres bruits, -et suivant l'usage ne recueillant que des versions contradictoires. -Pourtant on était d'accord sur ce point, qu'un corps d'armée prussien -et russe avait passé de Silésie en Bohême pour venir coopérer avec -l'armée autrichienne. C'était le corps qui devait, ainsi qu'on l'a vu -plus haut, composer en se joignant aux troupes autrichiennes la grande -armée du prince de Schwarzenberg. Cette nouvelle très-répandue inspira -un moment à Napoléon la pensée d'entrer précipitamment en Bohême à la -tête de cent mille hommes par la route de Zittau, et de se jeter sur -les Russes et les Prussiens avant leur réunion aux Autrichiens. Il est -bien certain qu'il avait cent mille hommes sous la main avec -Poniatowski, Victor, la garde et la réserve de cavalerie, et que se -portant rapidement à droite vers Leitmeritz, il aurait pu couper en -deux la longue ligne que les coalisés devaient former avant de s'être -réunis autour de Commotau. (Voir la carte nº 58.) Il lui eût donc été -possible de frapper dès le début de la campagne quelque coup terrible, -et le maréchal Saint-Cyr, qui s'était épris de cette idée plus -brillante que juste, l'y poussait vivement par sa correspondance. Mais -il se pouvait qu'entré en Bohême Napoléon trouvât les coalisés déjà -concentrés sur sa droite entre Toeplitz et Commotau, dès lors à l'abri -de ses coups, et en mesure de le prévenir à Dresde en y descendant par -Péterswalde, de sorte que tandis qu'il aurait pénétré en Bohême pour -les surprendre, ils en seraient sortis pour le tourner; ou bien il se -pouvait encore qu'il les trouvât en masse sur son chemin, qu'il eût à -les combattre en force considérable, dans une position désavantageuse -pour lui, car vainqueur il lui était impossible de les poursuivre dans -l'intérieur de la Bohême, et vaincu il lui fallait repasser devant eux -le défilé de Zittau. À leur livrer bataille, il valait bien mieux les -attendre à leur sortie des montagnes de la Bohême, et les rencontrer -sur la rive droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, au moment même où -ils déboucheraient, car en les battant on les acculait aux montagnes, -et on pouvait profiter de leur engorgement dans les défilés pour les -enlever par milliers, hommes et canons. Franchir soi-même les -montagnes pour aller guerroyer en Bohême, c'était se donner -volontairement la fausse position qu'il fallait leur laisser prendre -en les attendant à la sortie de ces montagnes sur l'une ou l'autre -rive de l'Elbe. Aussi Napoléon n'avait-il que peu de penchant pour -cette singulière idée que le maréchal Saint-Cyr soutenait avec -chaleur. Il n'y eût cédé que si des renseignements certains lui -avaient montré tout à fait à sa portée soixante ou quatre-vingt mille -Prussiens et Russes encore séparés des cent vingt mille Autrichiens -qu'ils allaient rejoindre. - -[En marge: Napoléon y renonce.] - -Livré à une véritable effervescence d'esprit en présence de tant de -chances diverses, Napoléon monta à cheval le 19 août au matin, et -suivi de la cavalerie légère de la garde, il pénétra en Bohême, à la -tête de quelques mille cavaliers, faisant la guerre comme un jeune -homme, comme il la faisait jadis en Italie ou en Égypte. Il s'enfonça -dans les gorges jusqu'au delà de Gabel (voir la carte nº 58), se -montra même à l'entrée du beau bassin de la Bohême aux Bohémiens -surpris de le voir. Il fit arrêter des curés, des baillis pour les -questionner, et apprit de la bouche de tous que les troupes russes et -prussiennes venant de Silésie longeaient le pied des montagnes en -dedans de la Bohême, pour aller rejoindre les Autrichiens, et -probablement descendre en Saxe sur les derrières de Dresde. Les -coalisés devaient dans ce mouvement traverser l'Elbe entre Leitmeritz -et Aussig, et tout annonçait qu'ils étaient déjà ou sur le bord du -fleuve, ou au delà, aux environs de Toeplitz. Se jeter sur eux était -une opération dont le temps, fût-elle bonne, était passé, et il -fallait se hâter de revenir en Saxe, pour combattre autour de Dresde, -sur le champ de bataille préparé avec une si haute prévoyance. -Toutefois Napoléon affecta de se montrer, de se nommer aux habitants, -afin que le bruit de sa présence en Bohême retentît jusqu'au quartier -général des coalisés. Voici l'intention qu'il avait en agissant de la -sorte. - -[En marge: Napoléon s'étant fait une idée exacte des plans des -coalisés, forme le projet de mettre hors de jeu l'armée de Silésie, -pour revenir ensuite sur la grande armée de Bohême.] - -[En marge: Motifs du soin qu'il met à se faire voir en Bohême.] - -Il devenait évident que le plan des coalisés, après avoir traversé -l'Elbe en Bohême, était d'entrer en Saxe, et de descendre sur Dresde -afin d'enlever cette ville, ou de se porter sur Leipzig afin de se -placer entre le Rhin et l'armée française. Nous ne pouvions rien -désirer de mieux, car pour s'engager ainsi sur les derrières de -Napoléon, les coalisés s'exposaient à l'avoir eux-mêmes sur leurs -communications, et à se trouver dans un gouffre s'ils perdaient une -bataille dans cette position. Cela étant, il importait à Napoléon de -se jeter brusquement sur l'armée de Silésie, qu'il avait devant lui, -afin de la mettre hors de jeu pour quelque temps, et de revenir -ensuite se donner tout entier aux affaires qui se préparaient en -arrière de Dresde. Pour le succès d'un tel projet il lui était utile -de ralentir un moment la marche des alliés, de les faire hésiter, de -leur causer ainsi une perte d'un ou deux jours, ce qui était tout gain -pour lui, qui avait à courir sur le Bober avant de revenir sur l'Elbe. -Il n'avait pas un meilleur moyen d'y réussir que de se montrer en -Bohême, car sa présence en ces lieux devait provoquer mille -conjectures, ou inquiétantes ou pour le moins embarrassantes. - -[En marge: Napoléon après être rentré en Lusace, dispose les corps de -Poniatowski, de Victor et de Vandamme, de manière à fermer les -débouchés de la Bohême, et attend tout un jour pour voir se développer -les desseins de l'ennemi.] - -Après avoir employé la journée du 19 à courir à cheval, tantôt en -plaine, tantôt dans les gorges, se présentant partout sous son nom, il -repassa les défilés du _Riesen-Gebirge_, et revint à Zittau. Il -consacra la journée du lendemain 20 à disposer lui-même le corps de -Poniatowski et celui de Victor à l'entrée du défilé de Zittau, de -façon que ces deux corps pussent résister trois jours au moins aux -plus fortes attaques. Napoléon assura en outre leurs communications -avec le général Vandamme, qui avait été placé entre Zittau et Dresde -vers Stolpen, afin qu'il pût courir en une journée ou à Zittau ou à -Dresde. Toutes ces mesures arrêtées, il avait l'intention d'attendre -encore tout un jour la complète manifestation des desseins de -l'ennemi, sans éprouver du reste la moindre crainte, car partout les -précautions étaient prises de manière à ne laisser aucune inquiétude. -En effet, du côté de Berlin 80 mille hommes en marche sous le maréchal -Oudinot, et appuyés par les 35 mille du maréchal Davout, à Dresde -Saint-Cyr et Vandamme aux aguets sur les deux rives de l'Elbe, à -Zittau deux corps gardant les gorges de Bohême, sur le Bober 100 mille -hommes sous le maréchal Ney attendant l'ennemi qui voudrait franchir -ce fleuve, enfin à Gorlitz, centre de toutes ces positions, Napoléon -avec la garde et la réserve de cavalerie, placé à mi-chemin des divers -points menacés, présentaient une toile admirablement tissue, du milieu -de laquelle celui qui l'avait si habilement disposée était prêt à -s'élancer sur l'imprudent qui en agiterait les extrémités. - -[En marge: Napoléon revenu à Gorlitz apprend que l'armée de Silésie, -violant le droit des gens, a rompu l'armistice deux jours avant le 17 -août, et il court à elle avec un renfort de 30 mille hommes.] - -Napoléon, revenu le 20 à Gorlitz, y apprit tout à coup que l'armée de -Silésie avait envahi dès le 15 le pays neutre qu'elle aurait dû -respecter jusqu'au 17, ce qui constituait une violation du droit des -gens, que l'ardent patriotisme du général Blucher n'excusait -nullement. Cette armée se dirigeait vers le Bober. Sur-le-champ -Napoléon mit en mouvement la cavalerie et trois divisions de sa garde, -laissant les autres à Gorlitz, et fit ses dispositions pour être sur -le Bober le lendemain 21. Avec le secours qu'il apportait au maréchal -Ney, il allait avoir 130 mille hommes, et c'était plus qu'il ne -fallait pour faire repentir Blucher de sa témérité et de l'infraction -qu'il s'était permise contre le droit des gens. Après avoir une -dernière fois renouvelé ses instructions à Poniatowski, à Victor, à -Vandamme, à Saint-Cyr, il partit plein de confiance et d'espoir. - -[En marge: Les quatre corps de Ney sortaient à peine de leurs -cantonnements lorsqu'ils avaient été surpris par l'ennemi.] - -[En marge: Leur retraite en bon ordre sur le Bober.] - -Les hostilités ayant commencé en Silésie avant l'époque assignée par -l'armistice, les quatre corps confiés à Ney sortaient à peine de leurs -cantonnements lorsque l'ennemi s'était présenté. Deux de ces corps -étaient sur le Bober, ceux de Macdonald et de Marmont, le premier à -droite vers Lowenberg, le second à gauche vers Buntzlau. Deux étaient -plus compromis encore, car ils se trouvaient au delà sur la Katzbach, -celui de Lauriston aux environs de Goldberg, celui de Ney entre -Liegnitz et Haynau. Ces deux derniers presque tournés par la subite -apparition du corps de Langeron sur leur flanc droit, étaient dans un -fort grand péril. Le corps de Lauriston eut de la peine à se replier -de la Katzbach sur le Bober, mais il le fit avec sang-froid et -vigueur, et rejoignit Macdonald à Lowenberg sans accident. Ney, qui -était le plus avancé vers notre gauche, au lieu de se replier -simplement sur Buntzlau pour y repasser le Bober, vint se déployer -hardiment entre la Katzbach et le Bober, et braver Blucher qui -s'acharnait contre Lowenberg. À sa vue Blucher s'étant porté sur lui, -et Lowenberg se trouvant ainsi dégagé, Ney descendit sur Buntzlau, y -passa le Bober, et se réunit à Marmont. - -[En marge: Napoléon, arrivé à Lowenberg le 21, reporte les quatre -corps de Ney en avant.] - -Le 20 nos quatre corps étaient derrière le Bober, ceux de Lauriston et -de Macdonald à Lowenberg, ceux de Marmont et de Ney à Buntzlau, ayant -beaucoup plus causé de mal à l'ennemi qu'ils n'en avaient essuyé. -Napoléon arrivé le 21 au matin sur les lieux voulut prendre -l'offensive immédiatement. Blucher avait montré environ 80 mille -hommes, le général russe Sacken, avec lequel il en aurait eu 100 -mille, étant resté un peu en arrière sur sa droite. Napoléon qui en -avait plus de 130 mille, employa la matinée à faire jeter des ponts de -chevalets sur le Bober, et à donner tous ses ordres pour une marche -prompte et vigoureuse, car il n'avait pas de temps à perdre, -s'attendant à être bientôt rappelé sur ses derrières par la grande -armée de Bohême. En conséquence il résolut de déboucher de Lowenberg -avec Macdonald et Lauriston, en traversant le Bober sur ce point, et -d'attirer sur sa gauche Ney et Marmont, après leur avoir fait passer -le Bober à Buntzlau. - -[En marge: On débouche de Lowenberg, et on pousse l'ennemi l'épée dans -les reins.] - -[En marge: Blucher se replie derrière la Katzbach.] - -Vers le milieu du jour on franchit le Bober à Lowenberg, et on marcha -vivement. La division Maison, qui formait notre tête de colonne, -refoula devant elle les troupes du général d'York, et ne leur laissa -de répit nulle part. Tout le corps de Lauriston suivait appuyé par -celui de Macdonald. À notre gauche, les maréchaux Ney et Marmont -débouchèrent de Buntzlau, et vinrent se serrer sur notre centre. -Blucher se voyant aussi vigoureusement abordé, se douta bien qu'il -avait Napoléon devant lui, et se hâta de rentrer dans ses -instructions, qui lui prescrivaient de ne rien hasarder quand il -aurait en tête ce redoutable adversaire. Il se couvrit d'un petit -cours d'eau, le Haynau, qui coule entre le Bober et la Katzbach. Cette -journée lui avait déjà coûté deux à trois mille hommes. - -[En marge: On continue le 22 cette marche offensive.] - -[En marge: Ardeur des troupes.] - -[En marge: Blucher définitivement repoussé.] - -Le 22 Napoléon continua sa marche offensive. Les corps de Lauriston et -de Macdonald se portèrent directement sur Goldberg pour jeter Blucher -au delà de la Katzbach, tandis que Ney et Marmont, s'avançant toujours -sur notre gauche, le pousseraient dans le même sens. La division -Maison assaillit de nouveau l'ennemi avec la plus grande vigueur. Les -troupes, animées par la présence de Napoléon, montraient partout une -ardeur extrême. L'ennemi voulut se défendre, mais Lauriston le -débordant avec le reste de son corps, pendant que Macdonald le -menaçait au centre, on le força d'abandonner le petit cours d'eau -derrière lequel il s'était réfugié, et de repasser la Katzbach pour -aller prendre position à Goldberg. Ses pertes dans cette journée -furent assez considérables. - -[En marge: Napoléon dans ces entrefaites apprend l'apparition de la -grande armée de Bohême sur les derrières de Dresde.] - -[En marge: Le soir du 22, il arrête le mouvement de ses troupes pour -se reporter sur l'Elbe.] - -[En marge: Il renvoie à Dresde la garde, la réserve de cavalerie et -Marmont.] - -Il était évident, malgré la résistance que Blucher cherchait à nous -opposer, et malgré ses cent mille hommes, qu'on ne l'avait pas mis en -mesure de tenir tête à Napoléon, et que ce n'était pas de son côté -qu'aurait lieu l'action principale. En effet le soir même, Napoléon -reçut du maréchal Saint-Cyr un courrier qui ayant fait quarante lieues -pour le joindre, lui apprenait qu'on était attaqué par des masses -nombreuses, et qu'évidemment la grande armée coalisée débouchait par -Péterswalde sur les derrières de Dresde, soit qu'elle songeât à -enlever cette ville, soit qu'elle eût l'idée de se porter sur Leipzig, -pour exécuter l'audacieuse tentative de se placer entre les Français -et le Rhin. Ainsi s'accomplissait l'une des deux hypothèses prévues -par Napoléon, et la plus désirable des deux, celle pour laquelle tout -avait été préparé avec le plus de soin. Napoléon n'en fut ni surpris -ni affligé, tout au contraire, mais il y vit une raison pressante -d'accélérer ses mouvements. Le soir même du 22, il arrêta sa garde qui -était encore en marche, et qui heureusement n'avait pas dépassé -Lowenberg, afin qu'elle se mît en route après un peu de repos, et -qu'elle pût être de retour à Dresde en quatre jours, c'est-à-dire le -26. Le corps du maréchal Marmont ayant été le moins engagé, était le -moins fatigué aussi, et sans perdre un instant il rebroussa chemin -pour voyager avec la garde. Napoléon expédia également une grande -partie de la réserve de cavalerie, enfin il écrivit au général -Vandamme et au maréchal Victor de se replier l'un et l'autre sur -l'Elbe, en laissant le prince Poniatowski aux gorges de Zittau. De la -sorte 180 mille hommes devaient se trouver réunis sous Dresde en -quatre jours, et 80 mille au moins dans les deux premières journées. -Il n'y avait par conséquent aucune inquiétude à concevoir. - -[En marge: Blucher est forcé de se replier sur Jauer après une perte -de 8 mille hommes en quelques jours.] - -Après avoir donné ces ordres dans la soirée même du 22, Napoléon -voulut que le 23 au matin les corps de Lauriston, Macdonald et Ney, -qui avec la cavalerie du général Sébastiani composaient une masse de -80 mille hommes au moins, poussassent encore une fois l'ennemi devant -eux, et le rejetassent fort au delà de la Katzbach. Au point du jour -le corps de Lauriston à droite, celui de Macdonald au centre, la -cavalerie de Latour-Maubourg à gauche, se déployèrent le long de la -Katzbach, pendant que Ney à trois lieues au-dessous, se portait avec -son corps et la cavalerie de Sébastiani devant Liegnitz. Blucher avait -rangé les troupes russes de Langeron et les troupes prussiennes -d'York, derrière la Katzbach et sur les hauteurs du Wolfsberg. La -division Girard attaqua les bords de la rivière vers Niederau, et eut -un engagement très-vif avec la division prussienne du prince de -Mecklembourg. Le général Girard, après avoir démonté l'artillerie de -l'ennemi et ébranlé son infanterie à coups de canon, l'aborda -brusquement à la baïonnette. Les Prussiens culbutés et acculés sur la -Katzbach se couvrirent de leur cavalerie, qui fut bientôt repoussée -par celle du général Latour-Maubourg, et repassèrent enfin la -Katzbach, que le général Girard franchit à leur suite. À droite, le -général Lauriston ayant opéré son passage vers Seyfnau, assaillit les -hauteurs du Wolfsberg, les enleva trois fois aux Russes, et trois fois -les reperdit. Mais le 135e, de la division Rochambeau, s'en rendit -maître par un dernier effort, et l'action se trouva dès lors décidée -en notre faveur. Blucher se voyant en même temps débordé à deux ou -trois lieues sur sa droite, par le mouvement du maréchal Ney sur -Liegnitz, se replia en toute hâte vers Jauer. - -[En marge: Napoléon emmène avec lui le maréchal Ney, et confie au -maréchal Macdonald le commandement des corps laissés sur le Bober.] - -[En marge: Rôle assigné au maréchal Macdonald.] - -Cette inutile violation du droit des gens avait coûté environ 8 mille -hommes au général prussien, et à nous la moitié tout au plus. -Malheureusement elle n'avait pas ébranlé le moral d'un ennemi -combattant avec l'acharnement du désespoir. Napoléon, qui avait -éprouvé l'inconvénient de laisser plusieurs maréchaux ensemble quand -sa présence ne les dominait point, et qui prévoyait de rudes batailles -pour lesquelles il lui convenait d'avoir le maréchal Ney sous sa main, -résolut de l'emmener avec lui, et de confier le 3e corps au général -Souham. De la sorte il n'allait rester sur ce point qu'un maréchal et -deux lieutenants généraux. Le maréchal était Macdonald, chef du 11e -corps, et les lieutenants généraux étaient Lauriston et Souham, chefs -des 5e et 3e corps. Napoléon en remettant le commandement supérieur à -Macdonald, lui donna pour instruction de tenir ses troupes légères en -observation entre le Bober et la Katzbach, mais de camper avec le gros -de ses forces derrière le Bober même, entre Lowenberg et Buntzlau, et -d'avoir des postes de correspondance à droite dans les montagnes de -Bohême, à gauche dans les plaines de la Lusace, afin d'être -constamment averti des moindres mouvements de l'ennemi. Sa mission -principale était d'abord de défendre le Bober contre Blucher, et -ensuite d'intercepter les routes qui vont de la Bohême en Prusse, afin -d'empêcher les détachements que l'ennemi pourrait diriger vers Berlin, -contre le corps du maréchal Oudinot. Toujours occupé, comme on le -voit, de la marche de ce maréchal sur la capitale de la Prusse, pour -laquelle il avait déjà trop étendu le cercle de ses opérations, -Napoléon continuait à faire à cet objet des sacrifices regrettables, -car Macdonald laissé à quarante lieues de Dresde, pouvait, quoique -débarrassé de l'ennemi en ce moment, être assailli de nouveau avec -plus de vigueur, et courir de grands dangers en attendant qu'on vînt à -son secours. - -[En marge: Napoléon, arrivé à Gorlitz, y trouve une multitude de -nouvelles venues de Dresde.] - -[En marge: Effroi causé à Dresde par l'apparition de la grande armée -des coalisés.] - -Ces dispositions prises, Napoléon ayant vu Blucher en retraite sur -Jauer, partit pour Gorlitz, vers le milieu du jour, tandis que la -garde, le corps de Marmont et la cavalerie de Latour-Maubourg y -marchaient au pas des troupes. Les nouvelles se multipliaient à mesure -qu'il approchait, et lui peignaient la ville de Dresde comme fort -émue. Le roi de Saxe, la population, les généraux mêmes préposés à la -défense de ce poste important, étaient frappés de la masse immense -d'ennemis qui venant de la Bohême, descendaient des montagnes sur les -derrières de cette capitale. Les rapports s'accordaient unanimement à -dire que les hauteurs qui entourent Dresde sur la rive gauche de -l'Elbe, étaient couvertes de soldats de toutes nations. On y voyait -poindre au sommet des coteaux la lance des Cosaques tant redoutée des -habitants paisibles. - -[En marge: Route qu'avait suivie cette armée.] - -[En marge: Après avoir passé l'Elbe en Bohême, les coalisés étaient -entrés en Saxe par les divers défilés des montagnes.] - -La grande armée de la coalition, celle qui, composée de Prussiens, de -Russes, d'Autrichiens, au nombre de 250 mille hommes, devait profiter -de la Bohême pour tourner la position de l'Elbe, avait en effet -exécuté le plan arrêté à Trachenberg, et après avoir opéré sa -concentration, entre Tetschen et Commotau (voir la carte nº 58), -venait de déboucher en Saxe par tous les défilés de l'_Erz-Gebirge_. -Elle avait marché sur quatre colonnes, formées d'après l'emplacement -des troupes. Les Russes venant du fond de la Bohême, puisqu'ils -partaient de la Silésie, n'avaient guère pu dépasser l'Elbe, et -avaient pris la chaussée de Péterswalde, qui longe le camp de Pirna, -et descend sur Dresde en ayant toujours l'Elbe en vue. Le corps -prussien de Kleist marchant en avant des Russes, avait suivi la route -qui se trouvait un peu plus à gauche (gauche des coalisés débouchant -en Saxe), laquelle était moins bien frayée, mais encore fort -praticable, et passait par Toeplitz, Zinnwald, Altenberg, -Dippoldiswalde. Les Autrichiens, les plus avancés parce qu'ils -partaient de chez eux, avaient pris la chaussée de Commotau à -Marienberg et Chemnitz, qui est à la gauche des précédentes, et forme -la grande route de Prague à Leipzig. Les nouvelles levées -autrichiennes composant sous le général Klenau une quatrième colonne, -devaient par Carlsbad et Zwickau s'abattre sur Leipzig. - -[En marge: Décidés d'abord à se porter sur Leipzig, les coalisés sont -incertains sur la marche à suivre.] - -[En marge: Arrivée du général Moreau au quartier général de l'empereur -Alexandre.] - -Mais à peine était-on en marche que le plan arrêté par les coalisés à -Trachenberg avait été modifié, grâce à l'instabilité des conseils -militaires de la coalition, où personne ne commandait, parce que -personne n'en était tout à fait capable. Le commandement nominal avait -bien été déféré au prince de Schwarzenberg pour flatter l'Autriche, -mais au fond l'empereur Alexandre regrettait de ne pas l'avoir pris -lui-même, aurait bien voulu le ressaisir, surtout depuis l'arrivée à -son camp du général Moreau et du général Jomini, avec le secours -desquels il croyait pouvoir conduire glorieusement les affaires de la -coalition. - -[En marge: Avec quelles idées il y était venu, et comment on l'avait -peu à peu entraîné à donner des conseils aux ennemis de son pays.] - -[En marge: Son attitude et sa situation au camp des coalisés.] - -Le général Moreau, comme nous l'avons déjà dit, revenu d'Amérique au -bruit du désastre de Napoléon en Russie, sans autre but qu'une -espérance vague de rentrer dans son pays par des voies honnêtes, avait -formé un projet qui n'était pas dépourvu de chances de succès. Ayant -appris que l'empereur Alexandre avait plus de cent mille prisonniers -français, tous exaspérés contre l'auteur de l'expédition de Moscou, il -avait imaginé qu'on pourrait bien armer quarante ou cinquante mille -d'entre eux, les transporter au moyen de la marine anglaise en -Picardie, et il répondait en marchant avec eux sur Paris de renverser -le trône impérial, pourvu que les souverains alliés le munissent d'un -traité de paix dans lequel la France, laissée libre de se choisir un -gouvernement, conserverait ses limites naturelles, les Alpes et le -Rhin. Moreau, aimant la liberté, ayant en haine le gouvernement -despotique qui pesait alors sur la France, se croyant supérieur aux -lieutenants de Napoléon, prétendait qu'il leur passerait sur le corps -à tous, moyennant qu'il se présentât à la tête de soldats français, -qu'il annonçât une paix honorable, une liberté sage, et la fin de -l'épouvantable carnage auquel Napoléon obligeait l'Europe par son -ambition démesurée. Sans liaisons avec les Bourbons, n'étant -aucunement porté vers eux, il admettait cependant que l'on cherchât à -concilier cette antique famille avec la Révolution française, et qu'on -la rappelât pour établir un gouvernement à la fois stable et libéral, -qui mît fin aux longs troubles de la France[8]. C'est avec ces idées -qu'il était venu à Stockholm, et là son ancien camarade Bernadotte, -feignant d'écouter ses scrupules, mais réchauffant ses haines, lui -promettant qu'il trouverait auprès de l'empereur Alexandre -satisfaction pour tous ses désirs, l'avait envoyé au quartier général -russe. Alexandre avait accueilli ce proscrit avec des honneurs -infinis, l'avait traité en ami, et avait calmé ses scrupules en lui -affirmant qu'on n'en voulait ni à la France ni à sa grandeur, qu'on -était prêt à lui laisser les belles conditions du traité de Lunéville, -qu'on n'entendait lui imposer aucune forme de gouvernement, et qu'on -s'empresserait au contraire de reconnaître celui qu'elle aurait -elle-même choisi, ce gouvernement fût-il celui de la république. -Repoussant comme impraticable le projet d'armer les prisonniers -français, il avait par une pente insensible, d'où toutes les -apparences coupables étaient soigneusement écartées, amené l'infortuné -Moreau à la déplorable résolution, non pas de servir contre la France, -mais de rester auprès des souverains qui la combattaient, différence -qui pouvait lui faire illusion, mais qui n'en était pas une, car il -était impossible qu'il résidât auprès d'eux pendant cette cruelle -guerre sans les éclairer au moins de ses conseils. Pour achever cette -séduction, Alexandre avait employé sa soeur, la grande-duchesse -Catherine, veuve du duc d'Oldenbourg, princesse remarquable par -l'esprit, le caractère, les agréments extérieurs, et tous deux, -traitant Moreau comme un ami, l'avaient ainsi aveuglé, étourdi par les -plus adroites flatteries, et l'avaient entraîné définitivement sur la -voie où il allait rencontrer la plus cruelle des morts, celle qui avec -sa vie devait emporter sinon sa gloire, du moins son innocence. C'est -depuis qu'il avait Moreau à ses côtés qu'Alexandre regrettait le -commandement général. Il aurait voulu le prendre pour chef -d'état-major, et avec lui diriger la guerre. Mais il n'était pas -possible d'imposer Moreau au prince de Schwarzenberg, ni comme -supérieur ni comme subordonné, et de lui ménager un rôle même séant, -soit pour lui, soit pour les généraux de la coalition. Moreau se -trouvait ainsi dans le camp des coalisés à titre d'ami privé de -l'empereur Alexandre, vivant tantôt près de lui, tantôt près de la -grande-duchesse Catherine qui était établie à Toeplitz, n'aimant point -à figurer dans ces conseils militaires où l'on parlait si longuement, -où l'on était à la fois bouillant d'un patriotisme qui était pour lui -un reproche, et plein d'idées théoriques qui n'allaient pas à son -génie simple et pratique, se bornant à donner directement ses avis à -Alexandre, réussissant rarement à les faire prévaloir à travers le -chaos des avis contraires, et déjà cruellement puni de sa faute par la -position fausse, gênée, presque humiliante, qu'il avait au milieu des -ennemis de sa patrie. - - [Note 8: Ce n'est point sur des conjectures ni sur les - interprétations des amis du général Moreau, mais d'après les - lettres de ce général, trouvées depuis sa mort, que j'écris - ces pages. La faute du général Moreau fut assez grave pour - qu'on ne l'exagère point, et on doit à ses grands services - d'autrefois, à son ancien désintéressement, à sa gloire, de - réduire à ce qu'il fut véritablement, l'acte coupable qui a - terni une des plus belles vies des temps modernes. Les - lettres que j'ai dans les mains, écrites avec la plus - parfaite simplicité, établissent ce que j'avance d'une - manière incontestable.] - -[En marge: Arrivée du général Jomini au quartier général de la -coalition.] - -[En marge: Comment il y avait été amené.] - -[En marge: Les généraux Jomini et Moreau improuvent le plan de marcher -sur Leipzig.] - -[En marge: D'après ce conseil on se replie en se rapprochant de -Dresde.] - -Le général Jomini, Suisse de naissance, écrivain militaire supérieur, -et dans la pratique de la guerre officier d'état-major d'un jugement -aussi sûr qu'élevé, avait rendu à l'armée française, soit à Ulm, soit -à la Bérézina, soit à Bautzen, des services dont il avait été mal -récompensé. À Bautzen notamment, après avoir signalé au maréchal Ney -le vrai point où il aurait fallu marcher, il avait reçu une punition -au lieu d'une récompense, ce qu'il devait aux mauvais offices du -prince major général, dont il avait souvent blessé la susceptibilité. -Vif, irritable, ayant voulu plusieurs fois donner sa démission et -entrer au service de la Russie qui s'était empressée de répondre -favorablement à ses désirs, il n'avait pas su se contenir en éprouvant -le dernier désagrément qu'on venait de lui infliger, et pendant -l'armistice il avait passé aux Russes, sans emporter, comme on l'a -dit, des plans qu'il ignorait, sans manquer à sa patrie puisqu'il -était originaire de la Suisse, mais ayant le tort de ne pas sacrifier -des griefs même fondés à une vieille confraternité d'armes, et se -préparant ainsi des regrets qui devaient attrister sa vie. Il était -arrivé auprès d'Alexandre, qui, connaissant son mérite, lui avait fait -le plus brillant accueil. Là il parlait haut, avec la chaleur d'un -esprit ardent et convaincu, déplaisait aux généraux alliés en vantant -Napoléon et les Français qu'il était presque fâché d'avoir quittés, et -censurait sans ménagement tous les projets militaires formés à -Trachenberg. Il n'avait pas eu de peine à prouver à l'empereur -Alexandre que marcher sur Leipzig était une insigne folie, que se -porter sur les communications de l'ennemi lorsqu'on était sûr de ne -pas compromettre les siennes, et qu'on ne craignait pas une rencontre -décisive, pouvait être une bonne manière d'opérer, mais que ce n'était -pas le cas ici, car, une fois à Leipzig, on serait exposé à être coupé -de la Bohême, on aurait Napoléon derrière soi à la tête de trois cent -mille hommes toujours victorieux jusqu'alors, et si dans cette -position on perdait une bataille, on n'en reviendrait pas, les -montagnes de la Bohême étant occupées par lui, et l'Elbe étant jusqu'à -Hambourg dans ses terribles mains. Le général Moreau, consulté, avait -trouvé cet avis parfaitement juste, et on avait renoncé à se diriger -sur Leipzig. On avait résolu, au lieu d'appuyer à gauche, d'appuyer à -droite, et de se rapprocher des bords de l'Elbe. Les deux premières -colonnes, celle qui avait passé par Péterswalde, et celle qui avait -passé par Zinnwald et Altenberg, avaient cheminé tout près de Dresde; -mais il avait fallu ramener la troisième par Marienberg et Sayda sur -Dippoldiswalde, la quatrième par Zwickau et Chemnitz sur Tharandt. -(Voir la carte nº 58.) On s'était ainsi reporté sur Dresde sans savoir -précisément ce qu'on y ferait; mais on avait l'avantage, en restant -adossé aux montagnes de Bohême, de conserver toujours ses -communications, d'être comme une épée de Damoclès suspendue sur la -tête de Napoléon, et de pouvoir au besoin, si l'occasion était -favorable, se jeter sur Dresde pour enlever cette ville, ce qui était -le plus grand dommage qu'on pût causer aux Français. Tandis qu'on -exécutait ce mouvement transversal de gauche à droite, en suivant le -pied de l'_Erz-Gebirge_, on avait appris l'apparition de Napoléon en -Bohême, circonstance qui avait fait craindre de sa part une marche -sur Prague, et rendu plus évidente la convenance de rebrousser chemin -vers l'Elbe. Puis à Dippoldiswalde même on avait connu la marche de -Napoléon sur le Bober, et la situation périlleuse de Blucher. C'était -le cas de tenter quelque chose, et de profiter de l'absence de -Napoléon pour frapper un grand coup, pour enlever Dresde par exemple, -ce que conseillaient les esprits hardis, ce que craignaient les -esprits timides, ce que les esprits sages comme Moreau faisaient -dépendre de l'état dans lequel on trouverait les défenses de cette -ville. - -[En marge: Apparition de la grande armée de Bohême sur les derrières -de Dresde.] - -C'est ainsi que la grande armée des coalisés était arrivée à déployer -ses masses imposantes autour de la belle capitale de la Saxe. La -colonne qu'on avait aperçue la première était la colonne russe de -Wittgenstein, qui descendant le plus près de l'Elbe par la route de -Péterswalde, avait rencontré le maréchal Saint-Cyr devant le camp de -Pirna. Ce qu'on appelle le camp de Pirna consiste dans un plateau -très-élevé, adossé à l'Elbe, taillé à pic presque de tous les côtés, -appuyé à gauche au fort de Koenigstein, à droite au château de -Sonnenstein et à la ville de Pirna. La grande route de Bohême par -Péterswalde, après avoir franchi les montagnes, s'enfonce vers -Hollendorf dans des terrains creux, puis remonte à Berg-Gieshübel sur -un autre plateau situé au-dessous de celui de Pirna, passe presque -sous son feu, mais à une distance qui rend le passage possible, de -manière que la position de Pirna, quoique invincible en elle-même, ne -donne cependant pas le moyen de barrer absolument la route de -Péterswalde. Seulement une armée établie dans cette position, outre -qu'elle a dans le camp de Pirna un asile assuré, y trouve aussi un -poste d'où elle peut gêner, arrêter même en opérant bien l'ennemi qui -veut suivre la route de Péterswalde, soit pour descendre en Saxe, soit -pour remonter en Bohême. - -[En marge: Retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.] - -Le maréchal Saint-Cyr, après avoir occupé par sa première division les -forts de Koenigstein et de Lilienstein, entre lesquels était jeté un -pont sur l'Elbe, avait placé la seconde sur la route de Péterswalde, -de manière à ralentir la marche de l'ennemi, et à pouvoir se replier -sur Dresde comme il en avait l'ordre. Celle-ci avait défendu pied à -pied le plateau de Berg-Gieshübel, avec un aplomb remarquable chez des -soldats à peine formés. Pendant ce temps la troisième des divisions du -maréchal Saint-Cyr observait le second débouché, celui qui de Toeplitz -vient aboutir sur Zinnwald, Altenberg, Dippoldiswalde, et la quatrième -enfin placée à la droite de Dippoldiswalde, et veillant sur la grande -route de Freyberg, servait de soutien au général Pajol, qui faisait le -coup de sabre avec les avant-gardes de la cavalerie autrichienne -arrivant par les débouchés les plus éloignés. - -[En marge: Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr autour de -Dresde.] - -[En marge: Véritable chiffre de ses forces.] - -Le 23 août le maréchal Saint-Cyr ayant confié, comme nous venons de le -dire, à sa première division (42e de l'armée) la garde des deux forts -de Koenigstein et de Lilienstein, et tous les postes des bords de -l'Elbe afin d'empêcher l'ennemi de passer d'une rive à l'autre, -s'était replié en ordre sur Dresde, où il avait ainsi, outre la -garnison, trois divisions d'infanterie avec les cavaleries Lhéritier -et Pajol. Ces forces appuyées sur des ouvrages de campagne, et sur -les défenses de la ville, étaient capables d'opposer une résistance -sérieuse à l'ennemi, quoiqu'il comptât dès les premiers jours 150 -mille hommes, et 200 mille les jours suivants. Les trois divisions -d'infanterie du maréchal Saint-Cyr[9] ne devaient pas comprendre moins -de 21 ou 22 mille hommes. On pouvait tirer de la garnison 5 à 6 mille -hommes, quelques-uns Allemands il est vrai, pour les porter sur la -rive gauche, et les généraux Lhéritier et Pajol avaient bien 4 mille -chevaux. Le maréchal Saint-Cyr disposait ainsi de 31 à 32 mille hommes -avec beaucoup d'artillerie attelée pour aider l'artillerie de -position. Il avait donc les moyens de disputer la place à l'ennemi, et -de donner à Napoléon le temps de manoeuvrer autour d'elle comme il le -jugerait utile au plus grand bien des opérations. - - [Note 9: Le maréchal Saint-Cyr, avec son esprit - ordinairement peu indulgent, et le désir de justifier son - rôle pendant la campagne de 1813, a inexactement représenté - les événements de cette année dans ses Mémoires d'ailleurs - si remarquables. Il a voulu prouver partout que Napoléon - n'avait aucun plan, qu'il n'avait pourvu à rien, et qu'il - n'existait nulle part des forces suffisantes. Ainsi il - suppose que sa seconde division était au plus de 5 mille - hommes, ce qui aurait fait 15 mille hommes pour les trois - divisions chargées de la défense de Dresde. Ces assertions - sont inexactes, car les divisions du maréchal étaient de - douze bataillons, et en supposant que les bataillons qui ne - s'étaient pas encore battus comptassent 500 hommes - seulement, les douze bataillons auraient présenté 6 mille - hommes. Or, la 42e (première du corps de Saint-Cyr), sous le - général Mouton-Duvernet, se trouva le 29 au matin à Kulm - avec plus de 8 mille hommes en bataille, ce qui résulte d'un - appel fait le jour même, et fourni par le général Haxo dans - son rapport circonstancié sur l'affaire de Kulm. Il n'est - donc pas admissible que les autres ne comptassent que 5 - mille hommes. Leur en attribuer 7 mille, surtout au début - des opérations, ce qui suppose à peu près 600 hommes par - bataillon, n'est certainement pas une exagération. Le - maréchal Saint-Cyr aurait donc possédé, seulement en - infanterie de son corps, 21 ou 22 mille hommes à Dresde, - sans compter la division laissée à Koenigstein.] - -[En marge: Napoléon, calculant sur les forces laissées à Saint-Cyr -pour la défense de Dresde, forme l'une des plus grandes et des plus -redoutables combinaisons de sa vie militaire.] - -C'est sur cet état de choses que Napoléon fonda ses calculs en -recevant à Gorlitz le détail de ce qui s'était passé du côté de -Dresde. Il ne pouvait pas savoir tout ce que nous venons de rapporter -des mouvements de l'ennemi; mais il savait par la présence de masses -considérables sur les derrières de Dresde, qu'entre les divers plans -possibles les coalisés avaient adopté celui qui consistait à le -tourner, en se portant sur la rive gauche de l'Elbe, et en descendant -en Saxe par Péterswalde. Ayant prévu ce mouvement, comme l'un des plus -vraisemblables, il avait placé à Dresde, ainsi qu'on vient de le voir, -de quoi repousser une première attaque, et de quoi retenir la grande -armée du prince de Schwarzenberg plusieurs jours au moins. Ces données -bien certaines lui suffisaient, et il imagina sur-le-champ l'une des -combinaisons les plus belles, les plus redoutables qui soient sorties -de son génie, et dont l'exécution, si elle s'accomplissait suivant ses -vues, pouvait terminer la guerre en un jour, par l'un des plus -terribles coups qu'il eût jamais frappés. - -[En marge: Au lieu de déboucher directement de Dresde, il forme le -projet de remonter jusqu'à Koenigstein, de passer l'Elbe en cet -endroit, et de prendre par derrière la grande armée de la coalition.] - -Napoléon revenait de Silésie, précédé ou suivi des masses les plus -mobiles de son armée qu'il faisait refluer vers l'Elbe. L'ennemi, pour -le tourner, avait franchi l'Elbe dans l'intérieur de la Bohême, à -l'abri des montagnes qui séparent la Bohême de la Saxe. Il fallait le -punir de ce mouvement téméraire en repassant l'Elbe soi-même, pour -fondre sur lui avec des masses écrasantes. Maître des ponts de Dresde, -Napoléon pouvait y traverser l'Elbe tranquillement, et, amenant cent -mille hommes avec lui, aborder de front les coalisés, et les refouler -violemment sur les montagnes d'où ils étaient venus. Mais avec ce coup -d'oeil qui n'appartenait qu'à lui, Napoléon jugea qu'il y avait bien -mieux à faire. Au lieu de déboucher de front par Dresde, ce qui -n'aurait donné lieu qu'à un choc direct, il résolut de remonter à -Koenigstein, qu'il avait occupé d'avance, approvisionné, rattaché au -rocher de Lilienstein par un pont de bateaux, puis après avoir passé -l'Elbe en cet endroit, de s'établir à Pirna, d'intercepter la chaussée -de Péterswalde, de descendre ensuite sur les derrières de l'ennemi -avec 140 mille hommes, de le pousser sur Dresde, et de le prendre -ainsi entre l'Elbe et l'armée française. Si ce plan à la fois -extraordinaire et simple, qu'une admirable prévoyance avait rendu -praticable, en s'assurant d'avance tous les passages de l'Elbe, si ce -plan réussissait, et on ne conçoit pas ce qui aurait pu l'empêcher de -réussir, il était possible que sous trois ou quatre jours il ne restât -plus de coalition. On pouvait avoir fait prisonniers les souverains et -leurs armées. - -[En marge: Napoléon écrit au maréchal Saint-Cyr pour lui bien -recommander la défense de Dresde.] - -Napoléon, l'esprit enflammé par la méditation de ce plan, se hâta -d'écrire en chiffres à M. de Bassano, pour lui exposer la formidable -combinaison qu'il venait d'imaginer, pour lui recommander de la tenir -profondément secrète, mais de disposer tout le monde à la seconder, en -faisant prendre patience jusqu'à ce que les secours arrivassent, car -il allait employer deux jours au moins à se concentrer à Koenigstein, -à y multiplier les moyens de passage pour faciliter le mouvement des -140 mille hommes qu'il amenait, et enfin à se poster convenablement -sur la chaussée de Péterswalde. Il écrivit aussi au maréchal -Saint-Cyr, afin de lui retracer encore une fois tous les moyens de -défense que présentait la ville de Dresde, et il vint le 25 s'établir -à Stolpen sur la droite du fleuve, à égale distance de Koenigstein et -de Dresde. Il y fit refluer tout ce qui avait quitté Zittau pour -revenir sur l'Elbe, et tout ce qui arrivait des bords du Bober avec la -même destination. - -[En marge: Napoléon s'établit à Stolpen, et y amène toutes ses troupes -pour l'exécution de son plan.] - -[En marge: Manière d'employer le corps de Vandamme.] - -[En marge: Forces et instructions données à ce général.] - -[En marge: Napoléon après avoir tout disposé pour obtenir un immense -résultat, donne un jour de repos à ses troupes.] - -Établi à Stolpen, il arrêta toutes ses dispositions conformément à son -nouveau plan. Le corps de Vandamme, fort de trois divisions, s'était -déjà replié sur Koenigstein à la première apparition de la grande -armée des coalisés. La moitié de l'une de ses divisions, celle du -général Teste, s'était répandue le long de l'Elbe, de Koenigstein à -Dresde, pour empêcher l'ennemi de repasser le fleuve, et le tenir -enfermé sur la rive gauche. Napoléon laissa là cette demi-division, et -la renforça d'une nombreuse cavalerie avec ordre de s'opposer à -l'établissement de toute espèce de ponts. Il prescrivit à Vandamme de -passer avec ses deux autres divisions par le pont jeté entre -Lilienstein et Koenigstein, d'assaillir le camp de Pirna sous lequel -l'ennemi avait défilé sans l'occuper en forces, de s'en emparer, d'y -rallier la première division de Saint-Cyr, celle de Mouton-Duvernet, -laissée à Pirna, et d'aller s'établir à cheval sur la chaussée de -Péterswalde. Il devait avoir ainsi outre ses deux premières divisions -une moitié de la 3e (celle de Teste) et la première de Saint-Cyr. -Napoléon, pour lui procurer quatre divisions entières, emprunta au -maréchal Victor la brigade du prince de Reuss, y ajouta la cavalerie -de Corbineau, ce qui composait un corps de plus de 40 mille hommes, -dont 36 mille d'infanterie et près de 5 mille de cavalerie. Il disposa -ensuite toute sa garde et le maréchal Victor revenu de Zittau autour -de Stolpen, de manière à suivre le général Vandamme dès que celui-ci -serait maître du camp de Pirna, pressa la marche du maréchal Marmont, -et fit réunir tous les bateaux qu'on put ramasser pour jeter deux -ponts supplémentaires entre Lilienstein et Koenigstein. Ces ponts -jetés, il devait avec Vandamme, Victor, la garde impériale et Marmont, -avoir sous la main cent vingt mille hommes à lancer sur les derrières -de l'ennemi. Son projet était, tandis qu'il repasserait l'Elbe à -Koenigstein, d'envoyer la cavalerie Latour-Maubourg le repasser à -Dresde, afin de tromper le prince de Schwarzenberg, et de lui -persuader que toute l'armée française allait déboucher par cette -ville. Il aurait eu ainsi 40 et quelques mille hommes dans Dresde, et -120 mille au camp de Pirna, pour former l'étau dans lequel il voulait -prendre l'armée coalisée. Afin d'être plus sûr de la garde de l'Elbe, -dont il fallait faire un obstacle insurmontable, il ne se contenta pas -de la moitié de la division Teste et de la cavalerie Latour-Maubourg -distribuées entre Koenigstein et Dresde, mais il ordonna au maréchal -Saint-Cyr d'expédier la cavalerie Lhéritier et deux bataillons -d'infanterie pour aller garder Meissen, à huit lieues de Dresde, afin -que l'ennemi lorsqu'il serait acculé sur cette ville, ne pût pas -trouver passage au-dessous. Enfin la pluie ayant détrempé les routes, -les bateaux étant difficiles à réunir entre Lilienstein et -Koenigstein, et les troupes étant fatiguées, il crut pouvoir leur -donner un jour de repos sans rien compromettre, car tout paraissait -calme autour de Dresde. En conséquence il décida que Vandamme ne -passerait le pont de l'Elbe entre Lilienstein et Koenigstein pour -assaillir le camp de Pirna que vers la fin de la journée du 26. - -[En marge: Mouvements des coalisés autour de Dresde.] - -Malheureusement pendant ce temps les esprits commençaient à se -troubler à Dresde en voyant se déployer les masses de l'armée -coalisée. Du 23 au 25 on n'avait aperçu que la première colonne, celle -qui avait suivi la route de Péterswalde. Les jours suivants les autres -colonnes s'étaient montrées à leur tour, et les hauteurs de Dresde -avaient paru en être couvertes. Il ne manquait à cette réunion que la -dernière colonne autrichienne, celle de Klenau, qui ayant passé par -Carlsbad et Zwickau, avait le plus de chemin à faire pour revenir sur -Dresde. Les conseillers d'Alexandre, accourus sur le terrain, -s'étaient partagés, comme de coutume, et les plus hardis, le général -Jomini en tête, en voyant les trois divisions de Saint-Cyr dans la -plaine, avaient conseillé de se ruer sur elles, pour rentrer dans -Dresde à leur suite, et détruire ainsi d'un seul coup tout notre -établissement sur l'Elbe. La proposition avait de quoi séduire, et -Moreau consulté avait répondu, avec son ordinaire sûreté de jugement, -qu'on aurait raison de faire cette tentative, si Saint-Cyr était -capable d'attendre à découvert le choc de masses écrasantes, et s'il -n'y avait rien derrière lui, soit en ouvrages de défense, soit en -réserve de troupes, mais que ce n'était pas supposable, et qu'il -serait grave de s'exposer à un échec au début des hostilités. Au -milieu de ce conflit, le prince de Schwarzenberg avait dit qu'en tout -cas il fallait différer d'un jour, car sa quatrième colonne n'était -point arrivée. On avait donc remis au lendemain 26 le parti à prendre. - -[En marge: Profonde terreur à Dresde.] - -[En marge: Murat envoyé dans cette ville pour voir ce qui s'y -passait.] - -[En marge: Lettre de Napoléon au maréchal Saint-Cyr sur la défense de -Dresde.] - -[En marge: Froides assurances du maréchal Saint-Cyr en réponse aux -vives instances de Napoléon.] - -Cette accumulation successive des troupes coalisées autour de Dresde -s'apercevait de l'intérieur de la ville, et y causait une sorte de -terreur. On avait adressé à Napoléon messages sur messages pour le -presser d'accourir en personne avec toutes ses réserves, afin de -repousser l'attaque formidable dont on était menacé. En réponse à ces -instances il avait envoyé Murat qui, après une reconnaissance de -cavalerie dans laquelle il avait failli être pris, avait constaté la -présence d'une armée fort nombreuse, manifestant l'intention -d'attaquer Dresde, et n'avait rien pu voir de plus, car il ne -connaissait pas les défenses de la ville, et n'était pas capable -d'ailleurs d'avoir un avis bien éclairé sur leur valeur. Napoléon -toujours plus sollicité d'accourir, et s'y refusant pour ne pas -abandonner un plan duquel il attendait des résultats immenses, avait -écrit au maréchal Saint-Cyr afin de lui détailler de nouveau ses -moyens défensifs, qui consistaient dans un camp retranché composé de -cinq redoutes et de vastes abatis, dans la vieille enceinte de la -ville refaite au moyen d'un fossé plein d'eau et de fortes palissades, -et enfin dans des barricades établies à la tête de toutes les rues, et -il lui avait dit que le camp retranché pris il restait l'enceinte, -après l'enceinte les têtes de rues barricadées, que trente mille -soldats bien commandés devaient se défendre là six à huit jours, et -même quinze, s'ils étaient bien résolus.--Un homme moins habile, mais -plus dévoué que le maréchal Saint-Cyr, aurait promis de faire tuer -jusqu'au dernier de ses soldats en défendant la place, et aurait tenu -parole, car le salut de la France et sa grandeur dépendaient en cette -occasion d'une résistance opiniâtre de quarante-huit heures. -Malheureusement le maréchal, craignant de prendre des engagements -téméraires, se contenta d'écrire qu'il ferait de son mieux, mais qu'il -ne pouvait répondre de rien, en présence des masses ennemies dont il -était environné[10]. Certes on pouvait compter, lorsqu'il promettait -de faire de son mieux, qu'il tiendrait sa promesse, et que ce mieux -serait une résistance aussi ferme qu'intelligente. Mais l'intérêt de -la conservation de Dresde était si grand que Napoléon, mécontent de -l'extrême réserve du maréchal, fit partir son officier d'ordonnance -Gourgaud pour cette ville, avec mission de tout voir, d'entendre tout -le monde, et de revenir ensuite au galop, afin qu'il pût prendre sa -résolution en parfaite connaissance de cause. - - [Note 10: Ces événements ont été jusqu'ici ou incomplétement - ou inexactement rapportés, et avec une flatterie ou un - dénigrement posthumes pour Napoléon, qui ont défiguré la - vérité. Sa grande conception, celle de déboucher par - Koenigstein, n'a jamais été bien précisée, faute de - connaître sa correspondance. C'est sur cette correspondance, - sur la lecture attentive des ordres et des réponses, qu'est - établi le récit qu'on va lire, et on peut compter sur sa - parfaite exactitude.] - -[En marge: L'officier d'ordonnance Gourgaud envoyé à Dresde pour -s'assurer de nouveau du véritable état des choses.] - -[En marge: Ému par ce qu'il a vu, l'officier d'ordonnance Gourgaud -fait à Napoléon un rapport alarmant.] - -[En marge: Malgré toutes les raisons qu'il avait de persister dans son -premier plan, Napoléon en adopte un nouveau, moins fécond en grands -résultats, mais plus sûr.] - -[En marge: Il se décide à déboucher directement de Dresde avec cent -mille hommes, en confiant au général Vandamme le soin de tourner -l'ennemi avec 40 mille.] - -Le chef d'escadron Gourgaud, officier brave et spirituel, n'avait pas -un jugement assez froid pour bien remplir une semblable mission. Quand -il arriva dans la journée du 25 à Dresde, la population, la cour, -étaient dans les alarmes. Les généraux eux-mêmes commençaient à -perdre leur sang-froid, et il régnait partout l'anxiété la plus vive. -On abandonnait en foule la ville principale, dite la ville vieille, -laquelle étant située sur la rive gauche de l'Elbe se trouvait exposée -aux attaques de l'ennemi, pour se rendre dans le faubourg de la rive -droite, appelé ville neuve. On y avait préparé le logement du roi et -celui de M. de Bassano; les magistrats eux-mêmes s'y étaient -transportés, et la population entière suivait leur exemple, sans -savoir où elle logerait. On comprend que devant une attaque exécutée -par 200 mille hommes et 600 bouches à feu, cette malheureuse -population fût épouvantée, et que, tout allemande qu'elle était, -désirant par conséquent le succès des coalisés, elle ne le désirât -plus cette fois, et demandât à grands cris le secours de Napoléon. Le -roi surtout, facile à troubler, entouré d'une nombreuse famille aussi -timide que lui, était saisi de terreur. Le maréchal Saint-Cyr, le -général Durosnel, chargés de la défense, l'un comme commandant du 14e -corps, l'autre comme gouverneur de Dresde, pressés de questions par -l'officier d'ordonnance Gourgaud, ne lui parurent pas convaincus de la -force de la position, et lui firent un rapport peu rassurant. Ce -dernier, dont l'esprit s'échauffait aisément, repartit au galop dans -la soirée du 25, arriva vers onze heures du soir à Stolpen, fit la -peinture la plus vive des dangers qui menaçaient Dresde, au point -d'ébranler le jugement ordinairement si ferme de Napoléon, et de lui -faire oublier les considérations puissantes qu'il avait présentées -lui-même au maréchal Saint-Cyr. Napoléon n'avait besoin en effet que -de deux jours pour descendre par Koenigstein sur les derrières de -l'ennemi, et il n'était pas possible après tout que Dresde ne résistât -pas deux jours, car on avait à opposer aux assaillants le camp -retranché, l'enceinte de la ville, et enfin les têtes de rues -fortement barricadées. En supposant même que la vieille ville -succombât, une chose était certaine, c'est que la ville neuve située -sur la rive droite de l'Elbe, moyennant qu'on brûlât le pont dont une -partie était en bois, ne succomberait point, que dès lors l'ennemi se -trouverait toujours dans un vrai cul-de-sac, et qu'en débouchant sur -ses derrières on serait assuré de le pousser dans un abîme. Toutefois -le sacrifice de la vieille ville était cruel sous le rapport de -l'humanité, fâcheux sous le rapport de la politique, car c'était -rendre notre alliance bien funeste à la Saxe, et Napoléon ne regardait -pas cette ressource extrême de se défendre dans la ville neuve comme -acceptable. D'ailleurs, bien que son plan lui tînt fort au coeur, et -qu'aucune combinaison ne pût en égaler la grandeur et les résultats -probables, il lui restait une autre combinaison féconde aussi en -conséquences, c'était, au lieu de jeter par Koenigstein toute la masse -de ses forces sur les derrières de l'ennemi, de ne jeter par cette -issue que les quarante mille hommes de Vandamme et de déboucher -directement par Dresde avec cent mille. Certainement Vandamme maître -du camp de Pirna, à cheval sur la grande chaussée de Péterswalde, -devait en tombant sur les coalisés vaincus devant Dresde leur faire -essuyer d'énormes dommages, car il prendrait tous ceux qui -essayeraient de repasser par Péterswalde, et refoulerait les autres -sur des routes mal frayées où la retraite serait excessivement -difficile. Ce nouveau plan présentait moins d'avantages sans doute, -mais il en promettait de bien grands encore, et il était moins -hasardeux, puisqu'en réunissant près de cent mille hommes à Dresde, -Napoléon sauvait la ville, avait le moyen de battre l'ennemi sous ses -murs, et avait en outre pour compléter la victoire et en tirer les -dernières conséquences, Vandamme embusqué à Koenigstein. Il se décida -donc pour ce plan, moins vaste mais plus sûr; et ainsi plus audacieux -que jamais en politique, il le fut moins que de coutume en fait de -guerre, à l'inverse de ce qui aurait dû être, car moins il avait -montré de sagesse dans sa politique, plus il aurait dû montrer -d'audace dans ses opérations militaires, s'étant mis dans la nécessité -d'avoir des triomphes inouïs ou de périr. Mais lui-même, contraste -étrange! devenait défiant à l'égard de la fortune, dans un moment où -par le refus de la paix il lui avait livré son existence tout entière! - -[En marge: Troupes dirigées sur Dresde.] - -[En marge: Instructions laissées au général Vandamme.] - -[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.] - -Son parti pris à minuit, avec une promptitude qui ne l'abandonnait -jamais, il dicta ses ordres à l'instant même. Il dirigea sur Dresde sa -vieille garde arrivée déjà dans les environs de Stolpen, la cavalerie -de Latour-Maubourg arrivée également en ce lieu, la moitié de la -division Teste restée sur le bord de l'Elbe, et leur recommanda de -marcher toute la nuit pour être rendues à Dresde à la pointe du jour, -traverser les ponts, et venir se placer derrière le corps du maréchal -Saint-Cyr. Il donna les mêmes instructions à la jeune garde et au -maréchal Marmont qui étaient encore sur la route de Lowenberg, et au -maréchal Victor qui avait quitté Zittau afin de se transporter à -Koenigstein. En même temps il traça au général Vandamme ce qu'il -aurait à faire pendant la journée du lendemain 26. Ce dernier devait -avec ses 40 mille hommes traverser le pont jeté antérieurement entre -Lilienstein et Koenigstein, déboucher sur la rive gauche de l'Elbe, -assaillir le camp de Pirna, l'enlever, et s'établir en travers de la -chaussée de Péterswalde. À ces instructions il ajouta le secours d'un -conseiller éclairé, celui du général Haxo, qu'il chargea d'être le -guide et le mentor du bouillant Vandamme. Ces ordres expédiés, -Napoléon prit un repos de quelques heures, et à la pointe du jour -partit au galop pour Dresde. Il y arriva vers 9 heures du matin le 26 -août, la première de deux journées justement célèbres. - -[En marge: Enthousiasme excité par sa présence.] - -Chemin faisant il avait aperçu une batterie qui de la rive droite de -l'Elbe devait tirer sur la rive gauche moins élevée que la droite, -afin d'appuyer l'extrémité de la ligne du maréchal Saint-Cyr. Il la -fit renforcer et placer le plus avantageusement possible, puis il -entra dans Dresde, suivi des braves cuirassiers de Latour-Maubourg. -L'enthousiasme à son aspect fut extrême parmi les troupes et les -habitants. Il y avait près du grand pont de pierre un hôpital de -blessés français, dont les convalescents se tenaient ordinairement -près des abords de ce pont, regardant travailler leurs camarades aux -ouvrages de défense. À la vue de l'Empereur, ces jeunes gens se -traînant comme ils pouvaient sur leurs membres mutilés, agitant les -uns leurs bonnets, les autres leurs béquilles, se mirent à crier -_Vive l'Empereur!_ avec un véritable fanatisme militaire. Les -habitants, contraints à saluer en lui leur sauveur, l'accueillirent en -poussant les mêmes cris, et en lui demandant de garantir des horreurs -de la guerre leurs femmes et leurs enfants. D'ailleurs le dernier -séjour qu'avaient fait chez eux les coalisés, les Russes surtout, les -avait presque réconciliés avec les Français, qui les traitaient -beaucoup moins durement. Déjà quelques boulets tombant sur le pont et -sur la grande place les avertissaient du péril, et Napoléon leur -apparaissait en ce moment comme un vrai libérateur. Il se rendit chez -le roi de Saxe pour le rassurer, l'engagea vivement à ne pas être -inquiet pour le sort de cette journée, puis se transporta sur le front -du camp retranché, afin de rejoindre le maréchal Saint-Cyr qui était à -la tête de ses troupes, et faisait ses dispositions tactiques avec son -habileté accoutumée. - -[En marge: Description de la position de Dresde.] - -[En marge: Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr.] - -[En marge: Emplacement des forces russes, prussiennes et autrichiennes -autour de Dresde.] - -Nous avons déjà donné une première idée du site et de la configuration -de Dresde. La ville principale se trouve sur la gauche de l'Elbe, et -se montre par conséquent la première quand on vient des bords du Rhin. -(Voir la carte nº 58, et le plan de Dresde ajouté à cette carte.) Une -suite de hauteurs, détachées des montagnes de la Bohême, enveloppent -la ville, et forment autour d'elle une sorte d'amphithéâtre. C'est sur -cet amphithéâtre que s'étaient rangés les coalisés, descendus de la -Bohême pour nous prendre à revers. Ils avaient ainsi le dos tourné à -la France, comme s'ils en étaient venus, et nous à l'Allemagne, comme -si nous avions été chargés de combattre pour elle. Notre ligne de -défense, adossée à la vieille ville, présentait un demi-cercle dont -les deux extrémités s'appuyaient à l'Elbe, l'extrémité gauche au -faubourg de Pirna, l'extrémité droite au faubourg de Friedrichstadt. -Cette ligne consistait d'abord, ainsi que nous l'avons dit, dans cinq -redoutes élevées au saillant des faubourgs, et jointes entre elles par -des clôtures et des abatis (c'est ce qu'on appelait le camp -retranché), puis dans la vieille enceinte composée d'un fossé et de -palissades, et enfin dans les têtes de rues que l'on avait -barricadées. C'est à la ligne extérieure des redoutes que le maréchal -Saint-Cyr avait placé ses troupes. Sa première division étant restée -avec Vandamme, il avait rangé la seconde (43e de l'armée) sur la -première moitié du pourtour de la ville, en partant de la barrière de -Pirna jusqu'à la barrière de Dippoldiswalde. Il avait rangé sa -quatrième division (45e) sur l'autre moitié du pourtour se terminant -au faubourg de Friedrichstadt. En avant du faubourg de Pirna se -trouvait un vaste jardin public, dit le _Gross-Garten_, large de -quatre ou cinq cents toises, long de mille ou douze cents, et qui -présentait, par rapport aux dispositions de cette journée, une forte -saillie en avant de notre gauche. Le maréchal Saint-Cyr y avait établi -sa troisième division (la 44e), mais avec la précaution de ne laisser -que de simples postes dans la partie avancée du jardin, et de mettre -le gros de la division en arrière, pour qu'elle ne fût pas coupée de -l'enceinte de la ville, à laquelle le _Gross-Garten_ n'était pas -immédiatement lié. Le maréchal Saint-Cyr avait distribué ses postes -avec un art infini, de manière qu'ils se soutinssent les uns les -autres, et entre les redoutes, dont quelques-unes ne se flanquaient -pas assez, il avait disposé de l'artillerie attelée, pour remplir par -des feux mobiles les lacunes entre les feux fixes. Les Russes de -Wittgenstein et de Miloradovitch, sous Barclay de Tolly, descendus de -Péterswalde, et faisant face à notre gauche, devaient attaquer entre -l'Elbe et le _Gross-Garten_, par les barrières de Pirna et de Pilnitz. -Les Prussiens, sous le général Kleist, devaient attaquer le -_Gross-Garten_. Les Autrichiens, venus par les débouchés les plus -éloignés, et ramenés ensuite sur Dresde par la route de Freyberg, -formaient la gauche des alliés, faisaient par conséquent face à notre -droite, et devaient attaquer entre les barrières de Dippoldiswalde et -de Freyberg. C'était du moins ce qu'on pouvait supposer d'après la -distribution apparente des forces ennemies sur le demi-cercle des -hauteurs. - -[En marge: Reconnaissance exécutée par Napoléon autour de la ville.] - -[En marge: Dispositions qu'il ajoute à celles qu'avait faites le -maréchal Saint-Cyr.] - -Napoléon après avoir parcouru cette ligne sous un feu de tirailleurs -assez vif, approuva toutes les dispositions du maréchal Saint-Cyr, et -lui fit connaître ses intentions. Les cuirassiers venaient d'arriver, -et la vieille garde les suivait; mais la jeune garde, forte de quatre -belles divisions, ne pouvait être rendue à Dresde que fort tard dans -la journée. Les maréchaux Marmont et Victor se trouvaient encore plus -loin. Le projet de Napoléon était de placer une partie de la vieille -garde aux diverses barrières, pour les garantir contre tout succès -imprévu de l'ennemi, et de ne faire donner cette troupe de -prédilection qu'à la dernière extrémité. Avec le reste de la vieille -garde, tenue en arrière sur la principale place de la ville, il -devait attendre l'événement. Dès qu'il aurait la jeune garde sous la -main, Napoléon se réservait de l'employer lui-même selon les besoins. -Il rangea Murat avec toute la cavalerie de Latour-Maubourg dans la -plaine de Friedrichstadt, qui s'étend en avant du faubourg de ce nom, -et qui formait l'extrême droite de notre ligne de défense, pour -occuper l'espace que la quatrième division du maréchal Saint-Cyr ne -pouvait pas remplir à elle seule. Entre cette division et la deuxième, -c'est-à-dire vers le centre, les forces paraissant insuffisantes, -Napoléon y envoya une partie de la garnison de Dresde composée de -Westphaliens. Il ordonna au général Teste de rentrer en ville avec sa -brigade laissée sur l'Elbe, pour venir soutenir la cavalerie de -Latour-Maubourg dans la plaine de Friedrichstadt. - -[En marge: Dans cette journée du 26, le combat n'avait pas commencé à -la moitié du jour.] - -On attendit ainsi résolûment l'attaque des deux cent mille ennemis -qu'on avait devant soi, et dont on devait supposer que l'effort serait -violent, car ils ne pouvaient se flatter d'emporter Dresde que par un -coup d'extrême vigueur. Pourtant on était à la moitié du jour, et on -n'entendait qu'un feu de tirailleurs sur notre gauche, du côté du -_Gross-Garten_. Ce feu s'était engagé entre les Prussiens et la 44e -division, habilement commandée par le général Berthezène. - -[En marge: Hésitation des coalisés, et motif de cette hésitation.] - -[En marge: Diversité des avis.] - -[En marge: Insistance du roi de Prusse pour une attaque immédiate.] - -[En marge: Sur l'avis des généraux Moreau et Jomini, le projet -d'attaque est abandonné.] - -[En marge: Cependant le contre-ordre n'ayant pas été donné à temps, -toutes les colonnes des coalisés en entendant sonner trois heures aux -cloches de Dresde, s'ébranlent pour attaquer la ville.] - -[En marge: Bataille du 26.] - -Il est aisé de deviner pourquoi les coalisés étaient si lents ce -jour-là, c'est qu'il s'était élevé un nouveau conflit d'opinion au -sein de leur état-major. Ils étaient convenus la veille d'ajourner -toute résolution jusqu'au lendemain 26, soit pour laisser arriver la -quatrième colonne, celle de Klenau, soit pour lire plus clairement -dans les desseins des Français. Le 26 au matin tout leur avait paru -changé, car Saint-Cyr au lieu d'être déployé dans la plaine, s'était -sagement replié sur les ouvrages de la ville, et ne semblait pas -facile à forcer dans sa position. De plus on devait supposer que -Napoléon n'était pas homme à l'y abandonner sans secours, et que dès -lors les cinq ou six mille hommes, les dix mille peut-être, qu'on -serait obligé de sacrifier pour enlever Dresde, seraient probablement -sacrifiés inutilement, ce qui était un triste début pour la grande -armée coalisée, sans compter les dangers qu'on pourrait courir du côté -de Pirna, et dont personne au reste n'avait une idée claire parmi les -coalisés! Dans ce nouvel état de choses, le général Jomini, qui avait -l'esprit ardent mais juste, se rangea au sentiment du général Moreau, -l'empereur Alexandre à celui de tous les deux, et on parut décidé à se -replier sur les hauteurs de Dippoldiswalde, pour s'y établir, le dos -contre les montagnes, dans une position tout à la fois sûre et -menaçante. Mais le roi de Prusse, dominé par les passions de son -armée, dit avec un ton d'opiniâtreté froide, qu'après avoir fait une -tentative si ambitieuse sur les derrières de Napoléon, se retirer sans -même essayer une démonstration contre Dresde, était une conduite qui -dénoterait autant de légèreté que de faiblesse, et qui d'ailleurs -froisserait singulièrement le patriotisme de ses soldats. Le général -Jomini répliqua que la guerre n'était pas une affaire de sentiment, -mais de calcul, qu'il aurait fallu attaquer la veille, c'est-à-dire le -25, qu'alors on aurait eu des chances, mais qu'aujourd'hui il n'y en -avait pas assez pour sacrifier six mille hommes. Moreau appuya cet -avis; Alexandre, suivant son usage, paraissait flottant, le roi de -Prusse se montrait mécontent et roide, lorsqu'un habitant de Dresde, -arrêté aux avant-postes, et sommé de dire ce qu'il savait, déclara que -Napoléon venait d'entrer dans Dresde, qu'il n'y était pas entré seul, -et donna des détails tels qu'il était impossible de conserver aucun -doute à cet égard. De son côté la colonne russe descendue par -Péterswalde avait aperçu au delà de l'Elbe les masses de l'armée -française accourant sur Dresde, de façon que tout annonçait une -résistance des plus sérieuses. Dès lors il ne pouvait plus y avoir -qu'un avis, celui d'aller prendre tout de suite la position de -Dippoldiswalde. Le prince de Schwarzenberg, tout en reconnaissant -qu'on avait raison, répondit qu'il n'était pas aussi facile de se -retirer qu'on l'imaginait, que sa quatrième colonne, arrivée la -dernière, et fort avancée vers la gauche, se trouverait en péril si on -rétrogradait trop vite, car dans le mouvement de conversion en arrière -qu'on allait opérer pour s'éloigner de Dresde et s'adosser aux -montagnes, elle aurait l'arc de cercle le plus long à décrire, -plusieurs vallées à traverser, et qu'il fallait à cause d'elle mettre -beaucoup de lenteur à se replier. Il promit au surplus de contremander -tout projet d'attaque. Le généralissime autrichien, qui avait pour -principal rédacteur de ses dispositions le général Radetzki, avait -adressé la veille pour le lendemain l'ordre convenu de faire une forte -démonstration sur Dresde, ce qui, dans tous les cas, était très-mal -imaginé, car il aurait fallu ou une attaque furieuse, ou rien. Soit la -difficulté de changer assez vite les ordres destinés à une masse de -deux cent mille hommes, soit la répugnance à s'en aller sans -combattre, l'ordre d'attaquer ne fut pas contremandé à temps, et les -cloches de Dresde ayant à toutes les églises sonné trois heures, les -nombreuses colonnes des coalisés s'ébranlèrent à la fois, et bientôt -une violente canonnade se fit entendre, au grand étonnement des -souverains qui ne songeaient qu'à se retirer. Le mouvement étant ainsi -donné de la droite à la gauche, il n'était plus possible de l'arrêter, -et l'attaque se trouva engagée sur tout le pourtour de la ville de -Dresde. - -[En marge: Les Russes, sous Wittgenstein, attaquent la barrière de -Pirna.] - -[En marge: Les Prussiens enlèvent le _Gross-Garten_.] - -Le corps de Wittgenstein formant la droite des coalisés, opposé par -conséquent à notre gauche, s'avança entre l'Elbe et le _Gross-Garten_ -en face du faubourg de Pirna. Il fallait franchir un gros ruisseau -canalisé, appelé le _Land-Graben_, et menant dans l'Elbe les eaux des -hauteurs environnantes. Les soldats de la 43e division (seconde de -Saint-Cyr) disputèrent vivement le terrain. Les Russes, indépendamment -d'une batterie française placée sur l'autre rive de l'Elbe, avaient à -leur droite notre première redoute construite en avant de la barrière -de Ziegel, à leur gauche notre seconde redoute, construite en avant de -la barrière de Pirna, et en face des batteries attelées, dont les feux -mobiles les attendaient à chaque partie découverte du terrain. Ils -eurent donc une grande peine à s'avancer; ils franchirent néanmoins le -_Land-Graben_, puis cheminèrent entre l'Elbe et le _Gross-Garten_, -aidés par les progrès des Prussiens dans le _Gross-Garten_. Ceux-ci en -effet, après de violents efforts, avaient fini par s'emparer de ce -jardin, grâce à leur nombre. Ils étaient plus de 25 mille contre une -simple division (la 43e), qui était de 6 à 7 mille hommes, et qui ne -voulait pas s'obstiner à cette défense jusqu'à courir la chance d'être -coupée de la ville. Elle rétrograda peu à peu, de manière à couvrir le -plus longtemps possible les parties de notre ligne qui s'étendaient à -gauche et à droite, et se replia entre les barrières de Pirna et de -Dohna, disputant opiniâtrement le jardin du prince Antoine, qui était -situé en arrière du _Gross-Garten_, et formait le saillant du faubourg -de Pirna. Elle vint s'y lier à la 45e division (quatrième de -Saint-Cyr), chargée de défendre le reste de l'enceinte. - -[En marge: Les Autrichiens s'emparent de la redoute du jardin -Moczinski.] - -Tel était vers cinq heures du soir l'état des choses dans cette partie -de notre ligne. L'ennemi sur ce point avait fort approché des -redoutes, mais n'en avait enlevé aucune. Au centre, l'attaque avait -fait plus de progrès. Les Autrichiens, apercevant une masse immense de -cavalerie qui couvrait déjà la plaine de Friedrichstadt sur leur -gauche, avaient porté tous leurs efforts sur notre centre, et avaient -abordé deux des redoutes, la troisième et la quatrième, construites -dans cette partie, l'une située en avant du jardin Moczinski près de -la porte de Dohna, l'autre en avant de la porte de Freyberg. Attaquant -avec cinquante pièces de canon chacune de ces redoutes, ils avaient -fini par en éteindre le feu, et profitant ensuite de quelques plis de -terrain ils avaient ouvert une fusillade tellement meurtrière, -notamment sur celle du jardin Moczinski, qu'ils avaient forcé nos -soldats à l'évacuer. Ils l'avaient alors occupée. C'était la seule de -nos redoutes qu'ils eussent prise, mais un effort énergique sur la -quatrième, et sur la cinquième qui venait après, pouvait les en rendre -maîtres, et à leur droite les Russes se trouvaient déjà au pied de la -première et de la seconde, tout prêts à donner l'assaut. - -[En marge: Quelques compagnies de la vieille garde arrêtent l'ennemi -aux barrières de Pirna et de Freyberg.] - -Quoiqu'il fût tard et qu'il restât peu de jour à l'ennemi pour agir, -le péril était grave. Malgré l'ordre de ménager la vieille garde, -Friant qui commandait les grenadiers de ce corps, et qui était placé -en réserve au faubourg de Pirna, n'avait pas craint d'engager quelques -compagnies de ces braves gens. Ces vieux soldats ouvrant hardiment les -barrières de Pilnitz et de Pirna, avaient tiré à bout portant sur les -têtes de colonnes russes, puis repoussé à la baïonnette les -détachements qui s'étaient trop approchés. À l'extrémité opposée, -c'est-à-dire à la porte de Freyberg, les fusiliers avaient agi de -même, et culbuté les Autrichiens. Ces actes d'énergie n'avaient -heureusement pas coûté beaucoup de monde à la vieille garde que -Napoléon tenait à ménager, réservant à la jeune l'honneur et -l'éducation des grands dangers. - -[En marge: Arrivée de la jeune garde vers la fin du jour.] - -[En marge: Napoléon dispose lui-même aux barrières de Pilnitz et de -Pirna les quatre divisions de la jeune garde.] - -Mais les colonnes de cette jeune garde arrivaient en ce moment, -impatientes de se mesurer avec l'ennemi, et remplissant Dresde des -cris de _Vive l'Empereur!_ Elles présentaient quatre belles divisions -de huit à neuf mille hommes chacune, deux sous le maréchal Mortier, et -deux sous le maréchal Ney. En les voyant, Napoléon accourt et les -dispose lui-même. Il envoie les divisions Decouz et Roguet à la -barrière de Pilnitz pour refouler les Russes, qui ne cessaient de -gagner du terrain, les divisions Barrois et Parmentier à la barrière -de Pirna pour refouler les Prussiens, qui après avoir enlevé le -_Gross-Garten_, donnaient déjà la main aux Autrichiens près de la -redoute du jardin Moczinski. En même temps Napoléon fait ordonner à -Murat, que l'infanterie du général Teste venait de rejoindre, de -charger avec toute sa cavalerie dans la plaine de Friedrichstadt. - -[En marge: Ces quatre divisions débouchent brusquement des barrières -de Pilnitz et de Pirna, et refoulent l'ennemi sur tous les points.] - -[En marge: Beaux résultats de la journée du 26.] - -[En marge: L'ennemi a perdu 6 mille hommes, et les Français tout au -plus 2 mille.] - -En un instant la scène change. Les barrières de Ziegel et de Pilnitz -s'ouvrent, et deux divisions de la jeune garde sortent comme des -torrents pour se jeter sur les Russes et les Prussiens. Elles se -déploient d'abord pour faire feu, puis se forment en colonnes, et -chargent à la baïonnette les masses ennemies. Les Russes surpris sont -arrêtés, et bientôt culbutés sur le _Land-Graben_, qu'ils sont forcés -de repasser en désordre. L'une de ces deux divisions se rabat à droite -sur le jardin du prince Antoine qu'attaquaient les Prussiens, et les -en chasse à la baïonnette. Elle vient ensuite se joindre aux troupes -de la 44e division, pour reprendre la redoute située à l'extrémité du -jardin Moczinski. Les soldats de la jeune garde, ceux des 43e et 44e -divisions débouchent de ce jardin en plusieurs colonnes, se jettent -sur la redoute, les uns par la gorge, les autres par les épaulements, -s'en emparent, et y font prisonniers six cents Autrichiens. Au même -moment le général Teste, avec la brigade qui lui restait, sort par la -porte de Freyberg, s'empare du village de Klein-Hambourg, tandis que -Murat, se déployant avec douze mille cavaliers à notre extrême droite, -expulse les Autrichiens de la plaine de Friedrichstadt, et les oblige -à regagner les hauteurs. De toutes parts les alliés vivement repoussés -reconnaissent dans ces actes vigoureux la main de Napoléon et prennent -le parti de la retraite en nous abandonnant trois ou quatre mille -morts ou blessés et deux mille prisonniers. Combattant à couvert, nous -n'avions pas perdu plus de deux mille hommes. - -[En marge: Satisfaction de Napoléon; il espère plus encore pour le -lendemain.] - -[En marge: Du haut de l'un des clochers de Dresde, il avait discerné -une gorge profonde, celle de Plauen, qui divisait le champ de bataille -en deux.] - -[En marge: Il fonde sur cette circonstance une manoeuvre décisive, et -destine à Murat la mission de précipiter les Autrichiens dans la -vallée de Plauen.] - -Napoléon était enchanté de cette première journée, car bien qu'il -n'eût pas éprouvé d'inquiétude pour la conservation de Dresde, il -était fort content d'être quitte de cette attaque à si peu de frais, -d'avoir en même temps arraché les habitants de Dresde ainsi que la -cour de Saxe à leur terreur, et il prévoyait avec joie une brillante -journée pour le lendemain. En effet, cette tentative du 26 ne pouvait -pas être le dernier effort de l'ennemi, et comme on attendait encore -40 mille hommes au moins dans la soirée, outre tout ce qu'on venait de -recevoir dans l'après-midi, Napoléon se croyait en mesure de livrer le -lendemain une bataille décisive. Étant monté plusieurs fois dans -cette journée à un clocher de la ville, d'où l'on apercevait -très-distinctement le demi-cercle de hauteurs qui entourent Dresde, il -avait tout à coup imaginé l'une des plus belles manoeuvres qu'il eût -jamais exécutées. À notre gauche les Russes formant l'extrême droite -des coalisés, étaient rangés entre l'Elbe et le _Gross-Garten_. Un peu -moins à gauche, en s'approchant du centre, étaient les Prussiens sous -le général Kleist, repoussés du _Gross-Garten_ et repliés sur les -hauteurs de Strehlen. (Voir le plan des environs de Dresde, carte nº -58.) Tout à fait au centre se trouvait une partie des Autrichiens, -vis-à-vis des barrières de Dippoldiswalde et de Freyberg, sur les -hauteurs de Racknitz et de Plauen. Là, entre le centre et notre -droite, on découvrait une gorge étroite et profonde, servant de lit à -la petite rivière de la Weisseritz, laquelle vient se jeter dans -l'Elbe, entre la ville vieille et le faubourg de Friedrichstadt. C'est -au delà de cette gorge, appelée vallée de Plauen, à l'extrême gauche -des alliés, et à notre extrême droite, qu'était rangée la plus grande -partie des Autrichiens, séparés ainsi du reste de l'armée coalisée par -une sorte de gouffre, à travers lequel il était impossible de les -secourir. En outre, ce côté du champ de bataille était plus propre que -les autres aux manoeuvres de la cavalerie. Napoléon saisissant d'un -coup d'oeil les avantages qu'offrait cette circonstance locale, avait -résolu de renforcer le roi de Naples de tout le corps du maréchal -Victor, de le lancer par un détour à droite et d'une manière -foudroyante sur les Autrichiens, qui ne pouvant être secourus seraient -inévitablement précipités dans la gorge de Plauen, et après avoir -ainsi détruit la gauche des coalisés, de pousser Ney avec toute la -jeune garde sur leur droite, pour les refouler en masse sur les -hauteurs d'où ils avaient essayé de descendre. Il devait résulter de -ce double mouvement un double avantage, c'était de leur enlever à -droite la grande route de Freyberg, la plus large et la meilleure pour -opérer leur retraite, de les acculer à gauche sur cette route de -Péterswalde, où Vandamme les attendait à la tête de 40 mille hommes, -et de les réduire ainsi pour retourner en Bohême à des chemins mal -frayés, où ils ne repasseraient qu'en essuyant des pertes énormes. - -[En marge: Napoléon donne ses ordres sans prendre un moment de repos.] - -[En marge: Le maréchal Victor chargé d'opérer avec Murat sur notre -droite, et contre la gauche des coalisés composée des Autrichiens.] - -[En marge: Marmont et la garde rangés en masses au centre.] - -[En marge: Saint-Cyr chargé de faire face aux Prussiens à Strehlen.] - -[En marge: Ney chargé avec la jeune garde et une partie de la -cavalerie de défiler devant le _Gross-Garten_, et de venir enlever aux -Russes la plaine entre Gruna et Prohlis.] - -Ces combinaisons formées en un instant avec une merveilleuse -promptitude d'esprit, avaient rempli Napoléon d'une satisfaction qui -éclatait sur son visage, et qui n'était que la joie anticipée d'un -grand triomphe presque assuré pour le lendemain. Avant de prendre ni -repos ni nourriture, il donna ses ordres sans désemparer[11]. À droite -il plaça le général Teste sous le maréchal Victor, l'un et l'autre -sous Murat qui allait avoir ainsi 20 mille hommes d'infanterie et -environ 12 mille hommes de cavalerie, avec ordre de tourner les -Autrichiens par leur gauche, et de les pousser à outrance vers la -vallée de Plauen. Il prescrivit au maréchal Marmont, qui arrivait dans -le moment, de s'établir au centre, à la barrière de Dippoldiswalde, -près du jardin Moczinski, ayant derrière lui la vieille garde et la -réserve d'artillerie. Le maréchal Saint-Cyr devait réunir ses trois -divisions, les ranger en colonne serrée entre la barrière de -Dippoldiswalde et la barrière de Dohna, la droite au maréchal Marmont, -la gauche au _Gross-Garten_. Ces deux corps, placés près de Napoléon -qui avait le projet de se tenir au centre (ce qu'il fit savoir à tous -ses lieutenants pour qu'ils vinssent y chercher ses ordres), ne -devaient recevoir d'instructions que sur le terrain même et de sa -propre bouche. Enfin à l'extrême gauche, Ney, avec toute la jeune -garde et une portion de la cavalerie sous Nansouty, avait pour -instructions de défiler derrière le _Gross-Garten_ avec près de -quarante mille hommes, de tourner autour de ce jardin, d'expulser les -Russes de la plaine qui s'étend de Striesen à Döbritz, et de les -refouler sur les hauteurs quand le désastre de la gauche des coalisés -les aurait suffisamment ébranlés. Sauf le conseil des événements, -Napoléon voulait en agissant par ses deux ailes, dont chacune allait -enlever aux coalisés l'une de leurs routes principales, demeurer -immobile au centre avec 50 mille hommes, se réservant d'en disposer au -besoin, sans crainte d'affaiblir le milieu de sa ligne, appuyé qu'il -était à la ville et à de fortes redoutes. Il avait en effet donné des -ordres pour que toutes les redoutes, et notamment celles du centre, -fussent réarmées, renforcées en hommes et en artillerie. Prévoyant de -plus un violent combat d'artillerie au centre, il y avait amené plus -de cent bouches à feu de la garde, indépendamment de toutes les -batteries de Marmont et de Saint-Cyr. - - [Note 11: Le maréchal Saint-Cyr, avec sa sévérité - accoutumée, a, dans ses Mémoires, représenté Napoléon comme - n'ayant aucun plan pour le lendemain, tandis qu'il existe - une suite de lettres (ignorées évidemment du maréchal), - datées du 26 août à 7 heures du soir, au moment où finissait - la première bataille, et dans lesquelles tous les ordres - pour le lendemain sont donnés avec la plus rare précision et - la plus parfaite prévoyance du résultat. Il ne faut donc - jamais prononcer sur ces grands événements qu'après avoir vu - les documents eux-mêmes, et non pas quelques-uns, mais tous - s'il est possible. Sans cela on ne porte que des jugements - erronés, si bon juge qu'on soit, et si près des événements - qu'on ait pu être.] - -Napoléon avec à peu près 120 mille hommes allait en combattre 200 -mille, car les coalisés, une fois tous les Autrichiens de Klenau -arrivés, n'en devaient pas avoir moins. De ces 200 mille, il y en -avait 180 mille devant Dresde, et 20 mille devant Pirna sous le prince -Eugène de Wurtemberg. Les coalisés auraient même pu en réunir -davantage, s'ils n'avaient pas laissé environ 30 mille hommes entre -Prague et Zittau à la garde de ce débouché, où était resté le prince -Poniatowski. Mais Napoléon avait pour contre-balancer l'inégalité du -nombre l'avantage de ses combinaisons, et les 40 mille hommes du -général Vandamme, placés à Pirna bien plus utilement qu'à Dresde. - -[En marge: Napoléon soupe chez le roi de Saxe avec tous ses -maréchaux.] - -[En marge: Grandes espérances pour le lendemain.] - -Après avoir dicté ces dispositions de la manière la plus précise, -Napoléon alla souper chez le roi de Saxe avec ses maréchaux, et -recevoir les félicitations de toute la cour, bien heureuse maintenant -qu'elle était irrévocablement liée à notre sort, de voir l'ennemi -éloigné de la capitale et menacé d'une prochaine et grande défaite. -Napoléon ne révéla ses projets à personne, mais il annonça une -bataille décisive pour le lendemain, n'hésita point à dire qu'il la -rendrait funeste pour la coalition, et laissa éclater pendant toute la -soirée une gaieté singulière. Il ne se retira que fort tard, afin de -goûter un peu de repos entre deux batailles. - -[En marge: Délibérations dans le camp des coalisés.] - -[En marge: On regrette fort l'événement de la journée du 26, mais on -se propose de rester devant Dresde, ne supposant pas que Napoléon ose -attaquer une armée de 200 mille hommes sur les hauteurs qu'elle -occupe.] - -La journée ne se termina pas aussi gaiement dans le camp des -souverains alliés. On s'y reprochait l'échec éprouvé devant Dresde, on -l'attribuait au contre-ordre décidé et point donné, et on n'était pas -d'avis de renouveler l'imprudente tentative qui venait de coûter -inutilement cinq à six mille hommes à l'armée combinée. Aller prendre -à Dippoldiswalde sur le penchant des montagnes de Bohême la position -menaçante conseillée par Moreau, n'était pas immédiatement praticable, -car c'eût été proclamer une véritable défaite, et la déclarer même -plus grave qu'elle n'était. Mais on résolut de rester en place sur -les coteaux qui entourent Dresde, et où l'on occupait une excellente -position. Les Français avaient eu l'avantage des lieux en s'adossant à -Dresde pour résister; on l'aurait à son tour en se tenant sur le -demi-cercle des hauteurs, et s'ils attaquaient on les rejetterait en -désordre vers ces faubourgs où l'on n'avait pas pu pénétrer. Personne -ne s'avisa de penser à ce gouffre de Plauen, au delà duquel se -trouvait une partie de l'armée autrichienne, et où il serait -impossible de lui porter secours s'il lui advenait malheur. Seulement -le prince de Schwarzenberg craignant de n'être pas assez fort au -centre, retira une partie des troupes qu'il avait au delà du vallon de -Plauen, affaiblit ainsi son aile gauche qu'il aurait dû renforcer, -comptant il est vrai sur l'arrivée de la seconde moitié du corps de -Klenau, pour rendre à cette aile la force dont il la privait. C'est -dans ces dispositions si différentes que chacun attendit la journée du -lendemain. - -[En marge: Grande journée du 27 août.] - -[En marge: Épais brouillard suivi de pluie.] - -[En marge: La matinée employée en manoeuvres.] - -Ce lendemain, 27 août, il pleuvait abondamment, et dans les -intervalles de pluie un brouillard épais enveloppait le champ de -bataille, circonstance pénible pour les soldats des deux armées, mais -avantageuse pour les combinaisons de Napoléon. Les premières heures de -la matinée se passèrent en manoeuvres. De notre côté, en commençant -par la droite, le général Teste, mis sous les ordres du maréchal -Victor, vint s'établir avec les huit bataillons dont il disposait en -face du village de Löbda et de l'entrée du vallon de Plauen, pour -empêcher les grenadiers autrichiens de Bianchi d'en déboucher ainsi -qu'ils l'avaient fait la veille. (Voir le plan des environs de -Dresde.) Le maréchal Victor avec ses trois divisions (dont une réduite -à une seule brigade) se forma en colonnes au pied des hauteurs, -attendant que Murat eût exécuté son mouvement tournant sur la gauche -des Autrichiens, et Murat lui-même, à cheval dès le matin, prenant -avec la grosse cavalerie de Latour-Maubourg le chemin allongé de -Priesnitz, se hâta de gravir sans être aperçu le plateau sur lequel il -devait manoeuvrer. Au centre Marmont ayant la vieille garde derrière -lui, et sur son front une formidable artillerie, vint se ranger au -pied des hauteurs de Racknitz, pour recevoir les instructions que -Napoléon, placé à ses côtés, lui donnerait de vive voix. Un peu à -gauche, mais toujours au centre, Saint-Cyr ayant réuni ses trois -divisions répandues la veille tout autour de la ville, prit position -en avant du _Gross-Garten_, prêt à attaquer les hauteurs de Strehlen. -Enfin à l'extrême gauche, Ney avec la jeune garde et la cavalerie de -Nansouty, défila en colonnes derrière le _Gross-Garten_, pour le -tourner et venir ensuite entre Gruna et Döbritz se mesurer avec les -Russes. - -[En marge: Distribution des troupes alliées.] - -[En marge: Moreau placé à Racknitz avec l'empereur Alexandre.] - -Du côté des alliés la distribution était la même que la veille, sauf -quelques rectifications de position, et ils attendaient presque -immobiles l'attaque des Français, dont ils apercevaient les -préparatifs à travers le brouillard. Le comte de Wittgenstein (en -commençant par leur droite) était avec le gros des Russes opposé au -maréchal Ney entre Prohlis et Leubnitz: il avait ses masses sur les -hauteurs, ses avant-gardes dans la plaine. En arrière à droite, autour -de Prohlis, se trouvait la cavalerie de la garde sous le grand-duc -Constantin, en arrière à gauche, entre Torna et Leubnitz, le corps des -grenadiers sous Miloradovitch. Barclay de Tolly commandait ces -réserves. Un peu à gauche et vers le centre, se trouvaient les -Prussiens de Kleist, entre Leubnitz et Racknitz, ayant la garde -prussienne en arrière et leurs avant-gardes dans la plaine, aux -environs de Strehlen, en face du maréchal Saint-Cyr. Tout à fait au -centre, les corps autrichiens de Colloredo et de Chasteler étaient -déployés de Racknitz à Plauen, faisant face au maréchal Marmont et à -la vieille garde. Là était établi, à Racknitz même, l'empereur -Alexandre avec le général Moreau, devenu son fidèle compagnon, et -pouvant presque apercevoir Napoléon placé à la barrière de Dohna. À -gauche, contre le vallon de Plauen, étaient rangés en colonnes les -grenadiers de Bianchi, détachés du corps de Giulay pour renforcer le -centre, et ayant derrière eux vers Coschitz les réserves -autrichiennes, sous le prince de Hesse-Hombourg. Enfin plus à gauche, -au delà de ce vallon de Plauen, si profond, si difficile à traverser, -se trouvaient à Töltschen les restes du corps de Giulay, un peu plus -loin à Rosthal et Corbitz la division d'infanterie d'Aloys -Lichtenstein, et tout à fait à gauche, entre Comptitz et Altfranken, -la division Meszko, faisant partie du corps de Klenau qui était encore -en marche en ce moment. Ce sont ces troupes qui allaient avoir sur les -bras Victor et le roi de Naples. - -[En marge: Le général Teste s'empare de Löbda.] - -[En marge: Victor s'approche de Rosthal et de Corbitz.] - -Dès que les positions furent prises, et qu'on put discerner les objets -à travers le brouillard, la canonnade commença, et bientôt elle devint -violente, car entre les deux armées il n'y avait pas moins de douze -cents pièces de canon en batterie. Napoléon fit surtout entretenir le -feu d'artillerie au centre, où il n'avait que ce moyen d'action. À la -droite le général Teste s'empara de Löbda, dont il chassa les -tirailleurs autrichiens, et pénétra jusqu'à l'entrée du vallon de -Plauen. Le maréchal Victor qui avait marché une partie de la nuit, -après un peu de repos donné à ses troupes, se forma en plusieurs -colonnes, et entreprit de gravir les hauteurs, pour s'approcher des -villages de Töltschen, Rosthal, Corbitz, qu'il devait enlever, et -Murat ayant franchi par le petit chemin de Priesnitz l'escarpement du -coteau, déploya ses soixante escadrons sur la droite de la chaussée de -Freyberg, menaçant la gauche des Autrichiens. (Voir le plan des -environs de Dresde.) À dix heures et demie du matin ce mouvement était -presque terminé. - -[En marge: Marmont soutient au centre une vive canonnade.] - -[En marge: Saint-Cyr enlève Strehlen aux Prussiens.] - -[En marge: Ney défile derrière le _Gross-Garten_.] - -Au centre, Saint-Cyr, rangé un peu à gauche de Marmont et de la -vieille garde, quitta les murs du _Gross-Garten_, auxquels il était -adossé, enleva Strehlen aux Prussiens, et essaya de les suivre sur les -hauteurs de Leubnitz. Les Prussiens se jetèrent sur lui, et un combat -des plus vifs s'engagea entre Strehlen et Leubnitz. Au delà du -_Gross-Garten_, Ney après avoir défilé derrière ce jardin, et pivotant -alors sur sa droite, la gauche en avant, vint se déployer entre Gruna -et Döbritz, puis s'avança vers Reick, refoulant devant lui les -avant-gardes de Wittgenstein. Marchant à la tête de trente-six mille -hommes d'une superbe infanterie, et de cinq à six mille chevaux, il se -présentait avec l'attitude résolue qui lui était naturelle. - -[En marge: Les coalisés songent à se jeter en masse sur Ney.] - -[En marge: L'ordre en est donné.] - -Sauf l'engagement sérieux entre Saint-Cyr et les Prussiens vers -Strehlen, on se contenta jusqu'à onze heures du matin d'échanger une -forte canonnade sur la plus grande partie de la ligne, et le temps fut -surtout employé à manoeuvrer sur les deux ailes. Les coalisés -cependant, qui ne pouvaient pas apercevoir ce qui se passait à leur -gauche, au delà du vallon de Plauen, et qui voyaient à leur droite la -marche soutenue et imposante de Ney, se demandaient ce qu'il fallait -faire. D'après une idée du général Jomini, il fut proposé à l'empereur -Alexandre dès que le maréchal Ney serait parvenu jusqu'à Prohlis, de -jeter dans son flanc la masse des Prussiens, tandis que Barclay de -Tolly avec les réserves russes l'aborderait de front. On pensait qu'en -portant ainsi sur ce maréchal cinquante à soixante mille hommes à la -fois, on parviendrait à l'accabler. Mais le maréchal Saint-Cyr se -rabattant lui-même avec 20 mille hommes sur les Prussiens, et les -prenant à dos, aurait pu à son tour faire naître des chances bien -diverses, et peut-être bien funestes pour les alliés. Alexandre jugea -bonne l'idée qu'on lui proposait; le prince de Schwarzenberg -l'accueillit; elle convenait à l'ardeur des Prussiens, et on dépêcha -des émissaires au froid et méthodique Barclay de Tolly pour lui -persuader de concourir avec toutes ses forces à une manoeuvre qu'on -croyait décisive. - -[En marge: Vers onze heures, Victor et Murat exécutent la grande -manoeuvre qui leur est prescrite.] - -[En marge: Victor enlève Töltschen, Rosthal et Corbitz.] - -[En marge: Murat lance la cavalerie Bordesoulle sur la division Aloys -Lichtenstein, et enfonce deux carrés.] - -[En marge: Victor et Murat précipitent l'infanterie autrichienne dans -la vallée de Plauen.] - -[En marge: La pluie empêche les Autrichiens de faire feu.] - -[En marge: À deux heures, Murat a tué ou blessé 5 mille hommes à -l'ennemi, et lui a enlevé 12 mille prisonniers.] - -Mais tandis que ce danger, plus ou moins réel, menaçait le maréchal -Ney, un danger certain, ne dépendant pas du concours d'une foule de -volontés, menaçait la gauche des coalisés. Vers onze heures et demie, -au delà du vallon de Plauen, Victor et Murat arrivés en ligne, et -ayant bien concerté leur attaque, commencèrent à l'exécuter avec -autant de promptitude que de vigueur. Le maréchal Victor porta sur sa -gauche la division Dubreton, dont une brigade devait enlever Töltschen -aux grenadiers de Weissenwolf, dont l'autre brigade devait enlever -Rosthal à la division Aloys Lichtenstein. Il porta sur sa droite la -division Dufour, réduite à une brigade, et la dirigea contre le -village de Corbitz, où passait la grande route de Freyberg, et où se -trouvait le reste de la division Aloys Lichtenstein. Il tint en -réserve la division Vial. Au delà de Corbitz et de l'autre côté de la -chaussée de Freyberg, Murat continuant à manoeuvrer, tâchait en -s'avançant jusqu'à Comptitz de déborder la gauche des Autrichiens -formée par la division Meszko. Quand Murat parut avoir gagné assez de -terrain sur la gauche des Autrichiens, le maréchal Victor donna enfin -le signal, et on marcha d'un pas rapide sur les trois villages -désignés. Les Autrichiens firent d'abord avec cinquante pièces de -canon un feu meurtrier, et lorsque nos colonnes d'attaque furent plus -rapprochées, les accueillirent avec la mousqueterie. Nos jeunes -soldats, conduits par des officiers vigoureux, ne furent ébranlés ni -par les boulets ni par les balles. Se portant avec vivacité sur les -trois villages, ils enlevèrent les clôtures des jardins qui les -précédaient, puis se jetèrent sur les villages eux-mêmes. Les deux -brigades de la division Dubreton entrèrent, l'une dans Töltschen, où -elle combattit corps à corps avec les grenadiers de Weissenwolf, -l'autre dans Rosthal, où elle se trouva aux prises avec une partie de -la division Aloys Lichtenstein. Après un combat assez court ces deux -villages tombèrent dans nos mains. À droite la division Dufour -assaillit Corbitz, l'emporta, et y fit deux mille prisonniers. Les -Autrichiens se replièrent alors sur le terrain en arrière, lequel -s'élève en forme de glacis. On les y suivit. Tout à coup la division -Aloys Lichtenstein, apercevant un vide entre la division Dubreton qui -s'était portée un peu à gauche vers Töltschen, et la division Dufour -qui était restée à Corbitz, sur la grande route de Freyberg, tâcha de -pénétrer dans ce vide. Mais la division Vial, qui était en réserve au -centre, s'avança pour lui tenir tête, tandis que Murat saisissant -l'à-propos avec le coup d'oeil d'un général de cavalerie supérieur, -lança la division Bordesoulle sur l'infanterie d'Aloys Lichtenstein. -Les cuirassiers de Bordesoulle fondirent au galop sur les Autrichiens -formés en carré, et privés par la pluie de l'usage de leurs feux. Deux -carrés furent en un instant enfoncés et sabrés. La division Dufour -dégagée reprit alors sa marche le long de la chaussée de Freyberg, -tandis qu'à gauche les deux brigades Dubreton s'appliquaient à pousser -les Autrichiens vers le gouffre de Plauen. Les grenadiers de -Weissenwolf voulurent en vain tenir, ils furent précipités dans la -Weisseritz: on en prit plus de deux mille. En même temps la cavalerie -de Bordesoulle renouvelant ses charges sur la division Aloys -Lichtenstein, la mena jusqu'au sommet des hauteurs entre Altfranken et -Pesterwitz, puis la précipita sur Potschappel, dans le plus profond de -la vallée de Plauen. On ramassait en quantité les hommes et les -canons. À droite Murat, qui avait toujours suivi de l'oeil la -division Meszko pour l'empêcher de se réunir à Aloys Lichtenstein, la -poussa sur Comptitz pour la jeter par delà les hauteurs. Trois mille -cavaliers autrichiens placés sur les flancs de cette division se -ruèrent alors sur lui. Il leur opposa les dragons de la division -Doumerc, et les culbuta. Puis il aborda l'infanterie de Meszko avec -ses cuirassiers, et la mena battant pendant plus d'une lieue sur la -grande route de Freyberg. Tantôt cette malheureuse division s'arrêtait -pour recevoir les charges de nos cavaliers, et les soutenir à la -baïonnette, car la pluie continuant à tomber par torrents rendait les -feux impossibles, tantôt elle se retirait le plus vite qu'elle -pouvait. Enfin débordée, entourée par nos escadrons, elle fut réduite -à mettre bas les armes au nombre de six à huit mille hommes. Il était -deux heures, et déjà Murat avait tué ou blessé quatre à cinq mille -hommes, fait douze mille prisonniers, et ramassé plus de trente -bouches à feu. Le désastre de l'aile gauche ennemie était donc -complet, et on peut dire sans exagération que cette aile n'existait -plus. - -[En marge: Vive canonnade au centre.] - -[En marge: Moreau atteint mortellement par une batterie que Napoléon -avait dirigée sur le groupe des souverains.] - -[En marge: Barclay de Tolly refuse d'exécuter le mouvement projeté -contre Ney.] - -Tandis que ces événements s'accomplissaient à la gauche des coalisés, -un étrange accident se passait au centre. Napoléon ayant engagé là un -violent feu d'artillerie contre les Autrichiens qui avaient beaucoup -de canons et une position dominante, et ne trouvant pas ce feu -suffisant, avait fait amener trente-deux pièces de 12 de la garde -commandées par le colonel Griois. Lui-même sous les boulets ennemis -dirigeant ces batteries, les porta le plus près possible du but sur -lequel elles devaient tirer. En ce moment, l'empereur Alexandre était -vis-à-vis, à Racknitz même, ayant le général Moreau à ses côtés. Ce -dernier faisant remarquer le danger de cette position à l'empereur -Alexandre, lui conseilla de se placer un peu plus loin. À peine -avait-il donné ce conseil et fait exécuter ce mouvement, qu'un boulet -parti des batteries dont Napoléon excitait le feu, le frappa aux deux -jambes et le précipita à terre, lui et son cheval. Étrange coup de la -fortune! Il venait d'être atteint d'un boulet français, tiré pour -ainsi dire par Napoléon! Que de punitions, les unes méritées, les -autres imméritées, tombaient à la fois sur la tête de cet infortuné, -qui aurait dû mourir d'une meilleure mort! L'empereur Alexandre courut -à Moreau, le serra dans ses bras, le fit emporter, et resta -profondément troublé de cet incident, dont l'annonce se propageant de -bouche en bouche causa chez les coalisés une impression générale. À -cette nouvelle s'ajoutèrent bientôt celle du désastre survenu à la -gauche qu'il était impossible de secourir à travers le vallon de -Plauen, et celle du refus de Barclay qui n'avait pas voulu exécuter la -manoeuvre qu'on lui proposait contre Ney, disant que sur ce sol -détrempé par la pluie, coupé de canaux, il ne pouvait faire descendre -son artillerie sans la perdre. En même temps un officier arrivant de -Pirna venait d'annoncer que Vandamme débouchant de Koenigstein, avait -enlevé ce poste au prince Eugène de Wurtemberg. - -[En marge: Les coalisés prennent le parti de la retraite.] - -Frappés d'un éclatant désastre à gauche, violemment canonnés au -centre, menacés d'être débordés à leur droite par le mouvement du -maréchal Ney qui s'avançait sans obstacle de Reick sur Prohlis, et -craignant de voir bientôt la route de Péterswalde aux mains de -Vandamme, les généraux coalisés réunis autour de l'empereur Alexandre -et du roi de Prusse, se mirent à discuter le parti à prendre. Les plus -ardents voulaient s'obstiner, mais le prince de Schwarzenberg, atterré -par la perte de plus de vingt mille hommes à sa gauche, privé de -munitions par le retard de ses convois, ne sachant quel traitement -Murat, lancé au galop sur ses derrières, pourrait faire essuyer au -reste du corps de Klenau, se refusa péremptoirement à continuer la -bataille. La retraite fut donc ordonnée vers les montagnes de la -Bohême par lesquelles on avait pénétré en Saxe, sans qu'on fût bien -fixé sur la direction que suivrait chaque colonne. On céda le terrain -peu à peu, en repassant par-dessus la crête des coteaux qui entourent -la ville de Dresde. - -[En marge: Résultats de la victoire de Dresde, due aux belles -conceptions de Napoléon et à leur brillante exécution par Murat.] - -[En marge: Napoléon se promet de plus grands résultats encore de la -position assignée à Vandamme.] - -À cet aspect la joie la plus vive éclata dans nos rangs. Murat à -droite, galopant toujours sur la chaussée de Freyberg, ramassait à -chaque instant des prisonniers et des voitures de bagages et -d'artillerie. Au centre on canonnait plus vivement l'ennemi, et -Saint-Cyr et Ney s'ébranlant à gauche gravissaient les hauteurs à la -suite des Russes. À six heures du soir nous avions enlevé aux coalisés -15 à 16 mille prisonniers, au moins quarante bouches à feu, et il -restait sur le terrain 10 à 11 mille ennemis morts ou blessés, la -plupart par le canon, excepté ceux qui avaient succombé sous les -baïonnettes de Victor et les sabres de Murat. Les coalisés avaient -donc perdu 26 ou 27 mille hommes, sans compter les traînards et les -égarés que nous allions recueillir par milliers. Cette belle journée, -dernière faveur de la fortune dans cette affreuse campagne, nous avait -coûté environ 8 à 9 mille hommes, presque tous atteints par les -boulets. Elle était principalement due à Napoléon, qui d'un coup -d'oeil avait vu dans la vallée profonde de Plauen un moyen d'isoler et -de détruire une aile de l'armée ennemie, et après Napoléon à Murat, -qui avait exécuté cette belle manoeuvre avec un succès merveilleux. -Sans cet accident de terrain le champ de bataille de Dresde, partout -dominé, n'eût pas été tenable pour nous; mais Napoléon en saisissant -avec le regard du génie une particularité toute locale, en avait fait -soudainement un théâtre de victoire pour lui, un théâtre de confusion -pour ses adversaires! Heureuse inspiration de laquelle il attendait de -plus grands résultats encore que ceux qu'il venait d'obtenir. Ayant à -quatre lieues sur sa gauche quarante mille hommes embusqués, il ne -pouvait penser sans une involontaire joie à l'effet que produiraient -ces quarante mille hommes tombant à l'improviste sur les derrières des -ennemis battus, et tout en s'applaudissant de la victoire du jour, il -se promettait, il promettait à tout le monde de bien autres trophées -pour le lendemain. Hélas! il ne se doutait pas qu'une combinaison -destinée à produire les plus brillants résultats ne serait bientôt -qu'une source de malheurs! La fortune dans ces derniers temps ne -devait plus lui accorder que des triomphes empoisonnés, ordinaire -traitement qu'elle réserve à ceux qui ont abusé d'elle! - -[En marge: Napoléon rentre le soir dans Dresde, et reçoit de la -population un accueil enthousiaste.] - -Napoléon rentra dans Dresde à la chute du jour, au milieu des cris -enthousiastes de la population, enchantée d'être débarrassée des deux -cent mille coalisés, qui avant de la délivrer des Français, lui -auraient fait subir les horreurs d'une prise d'assaut. Ayant supporté -pendant douze heures une pluie continuelle, il avait les bords de son -chapeau rabattus sur les épaules, était couvert de boue et rayonnant -de satisfaction. Il alla chez le roi de Saxe, qui lui témoigna la joie -la plus vive, et au milieu de ce contentement sincère chez les uns, -affecté chez les autres, démonstratif chez tous, il y avait une -question qu'il ne cessait d'adresser à chacun. Au moment où le boulet -qui avait frappé Moreau était tombé dans le groupe de l'empereur -Alexandre, Napoléon avait clairement discerné à l'éclat des uniformes -que ce groupe était celui des souverains, et il ne se lassait pas de -demander: Qui donc avons-nous tué dans ce brillant escadron?...--Il le -sut peu d'instants après par le plus étrange des incidents. L'illustre -blessé avait un chien qui était resté dans la chaumière où on lui -avait donné les premiers soins. Ce chien amené à Napoléon, portait sur -son collier: _J'appartiens au général Moreau!_ C'est ainsi que -Napoléon apprit la présence et la mort de Moreau dans les rangs des -coalisés! En attendant il donna ses ordres pour que ses corps d'armée, -après s'être réchauffés à de grands feux et reposés une nuit entière, -se missent en mouvement dès la pointe du jour du 28, afin de -poursuivre l'ennemi à outrance, et de recueillir toutes les -conséquences de la belle victoire du 27. - -[En marge: Retraite des coalisés.] - -[En marge: Routes par eux adoptées pour se retirer.] - -Les coalisés ayant rétrogradé jusqu'au sommet des hauteurs qui -entourent Dresde, se mirent à discuter la direction qu'ils -donneraient à la retraite. Les uns voulaient s'arrêter aux débouchés -des montagnes de la Bohême, comme l'avait conseillé le général Moreau -avant la bataille, les autres voulaient se retirer tout de suite en -Bohême, au delà même de l'Eger, et de cet avis était surtout le -généralissime prince de Schwarzenberg, qui désirait réorganiser son -armée, et la remettre du rude coup qu'elle venait d'essuyer. Demeurer -sur le versant des montagnes en présence d'un ennemi victorieux, et -habitué comme Napoléon à tirer un si grand parti de la victoire, -n'était plus proposable. Repasser les montagnes, sauf à décider -ensuite jusqu'où l'on pousserait le mouvement rétrograde, était donc -la première et la plus inévitable des résolutions à prendre. Elle fut -prise. Restait à savoir quels chemins on suivrait pour repasser les -montagnes. La grande route de Péterswalde était sinon perdue, au moins -fort compromise. En effet, le général Vandamme exécutant les ordres de -l'Empereur avait la veille, c'est-à-dire le 26, franchi l'Elbe à -Koenigstein, assailli le plateau de Pirna faiblement gardé, et s'était -établi dans ce camp, d'où il dominait la route de Péterswalde sans -toutefois l'intercepter entièrement. On avait bien envoyé dans la -journée le comte Ostermann pour secourir le prince Eugène de -Wurtemberg, mais on ne connaissait pas au juste la force du corps de -Vandamme, on ne savait pas s'il avait vingt, trente ou quarante mille -hommes, et si dans l'intervalle il n'aurait pas réussi à descendre du -camp de Pirna pour fermer les défilés de la route de Péterswalde. -Renoncer à y passer avait le double inconvénient d'y laisser sans -appui le prince de Wurtemberg et le comte Ostermann, et de se reporter -en masse sur les chemins secondaires, qui étaient mal frayés, et où -les Russes allaient former avec les Prussiens et les Autrichiens un -fâcheux encombrement. On décida donc que le gros des Russes sous -Barclay de Tolly marcherait à la suite du comte Ostermann par la route -de Péterswalde, et la rouvrirait de vive force si elle était fermée; -que les Prussiens et une partie des Autrichiens prendraient la route à -côté, celle d'Altenberg, Zinnwald, Toeplitz, par laquelle était venue -la seconde colonne des coalisés; qu'enfin le reste de l'armée -autrichienne irait par la chaussée de Freyberg gagner le grand chemin -de Leipzig à Prague par Commotau. On allait donc rentrer en Bohême sur -trois colonnes, au lieu de quatre qu'on formait en arrivant. Il fut -convenu qu'après s'être reposé toute la nuit on partirait le lendemain -28 de très-grand matin, afin d'aboutir aux défilés des montagnes avant -d'être serré de trop près par l'ennemi. - -[En marge: Le 28, les coalisés regagnent la Bohême par les routes de -Péterswalde, d'Altenberg et de Freyberg.] - -Ces dispositions furent exécutées au moins dans les premières heures -comme elles avaient été arrêtées. Le lendemain matin on se mit en -route sur trois colonnes, dans les directions indiquées, tandis que -les corps français, s'ébranlant de leur côté, marchaient sur les -traces de ces mêmes colonnes, mais à une assez grande distance, à -cause du triste état des chemins. À chaque pas on laissait des -blessés, des traînards, des voitures, destinés à devenir la proie des -Français. La tristesse était dans tous les coeurs. Le roi de Prusse -voyait dans les événements de ces derniers jours la suite de sa -mauvaise fortune ordinaire; Alexandre se demandait si le commencement -de bonheur sur lequel il avait compté n'était pas une triste illusion, -et si on n'avait pas trop espéré en se flattant de vaincre Napoléon. -On s'avançait ainsi, très-inquiet des rencontres auxquelles on était -exposé avant d'avoir franchi ce rideau de hautes montagnes qu'on avait -devant soi, tandis qu'on avait sur ses derrières un ennemi victorieux, -et personne, ni chez les poursuivis, ni chez les poursuivants, ne se -doutant de ce qui allait survenir sous quarante-huit heures! - -[En marge: Barclay de Tolly craignant de trouver des obstacles sur la -route de Péterswalde, se rejette sur celle d'Altenberg.] - -Chemin faisant, Barclay de Tolly apercevant beaucoup d'encombrement -sur la route de Péterswalde, et sentant qu'il serait bientôt serré de -près, commença de craindre, s'il trouvait des difficultés du côté de -Péterswalde, d'y perdre un temps précieux, et de ne pouvoir plus se -rabattre assez tôt sur la route d'Altenberg; il imagina donc de -changer tout à coup de direction avec le gros de l'armée russe, et de -prendre à droite, pour regagner cette même route d'Altenberg que -devaient parcourir les Prussiens et une partie de l'armée -autrichienne, au risque d'y produire un affreux engorgement. Il fit -dire au comte Ostermann de se replier sur lui, et de laisser le prince -Eugène retourner seul par la route de Péterswalde en Bohême. - -[En marge: Le prince Eugène de Wurtemberg et le comte Ostermann se -retirent par la route de Péterswalde.] - -Ces ordres amenèrent entre le comte Ostermann et le prince Eugène de -Wurtemberg un conflit des plus vifs. Le prince Eugène, qui était aux -prises avec le général Vandamme pour la possession de la route de -Péterswalde, ne voulait pas avec raison y rester seul, exposé à -trouver Vandamme tantôt sur son flanc, tantôt sur ses derrières, -peut-être même devant lui, car les Français descendus du plateau de -Pirna se montraient partout. Il disait de plus que si on laissait au -corps de Vandamme, qu'on avait lieu de croire très-fort, la libre -entrée de la Bohême, ce corps irait probablement se placer à Toeplitz, -au débouché des chemins que suivaient les diverses colonnes en -retraite, et pourrait leur causer de graves embarras. Le comte -Ostermann, de son côté, craignait de compromettre les troupes de la -garde qu'on lui avait confiées, et résistait par ce motif aux -pressantes instances du prince Eugène de Wurtemberg. Vaincu par les -bonnes raisons du prince, par son offre de prendre pour lui-même la -plus forte part du péril, il se décida enfin à suivre la route de -Péterswalde, et à la forcer, s'il le fallait, pour devancer Vandamme -au débouché de Toeplitz. En même temps il fit avertir Barclay de Tolly -de la résolution qu'il adoptait, ne s'en dissimulant pas les -inconvénients, mais croyant épargner ainsi de grands dangers au reste -de l'armée coalisée. - -[En marge: Ils côtoient les troupes du général Vandamme, et -parviennent à passer.] - -En conséquence, le 28 au matin, le prince Eugène et le comte Ostermann -essayèrent de cheminer sur le plateau de Gieshübel, situé au-dessous -de celui de Pirna, et séparé seulement de ce dernier par le ruisseau -de Gotleube. Il fallait franchir divers passages très-difficiles, où -l'on pouvait rencontrer les Français, notamment à Zehist, petit bourg -situé à l'entrée du plateau de Gieshübel, sous une hauteur qu'on -appelle le Kohlberg, et qui était occupée en ce moment par un -bataillon français. Le prince Eugène de Wurtemberg fit assaillir et -enlever le Kohlberg, puis il profita de cet avantage pour défiler -avec tout son corps. Vandamme fit réoccuper la position, mais à ce -moment les deux corps russes n'avaient plus intérêt à la reprendre. En -continuant à parcourir le plateau de Gieshübel, ils côtoyèrent à -Gross-Cotta et à Klein-Cotta les Français descendus de Pirna en trop -faibles détachements, et parvinrent à franchir tous les obstacles, -quoiqu'en perdant du monde. Parvenus enfin à l'extrémité de ce -plateau, ils s'échappèrent par la rampe de Gieshübel, et purent gagner -la route de Péterswalde sans de graves accidents, en étant quittes -d'un grand danger au prix de quelques pertes peu considérables. - -[En marge: Causes qui avaient retardé Vandamme, et l'avaient empêché -d'arrêter à temps les Russes sur la route de Péterswalde.] - -[En marge: N'ayant pu les arrêter, il les poursuit à outrance.] - -Ce qui leur avait valu ce bonheur, c'est que Vandamme, ayant eu de la -peine à traîner son artillerie à cause du mauvais temps, n'avait pu -faire autre chose dans la journée du 26 que de gravir le plateau de -Pirna, avait employé à l'occuper solidement toute la journée du 27, et -le 28 au matin avait été surpris par l'apparition des Russes, avant de -connaître les événements de Dresde. Mais, averti bientôt de la -victoire du 27, et ayant réuni ses divisions, il s'était mis à -poursuivre les Russes, leur avait livré un violent combat -d'arrière-garde à Gieshübel, leur avait tué un millier d'hommes, et -les avait menés battant jusqu'à Hollendorf, à quelque distance de -Péterswalde. Arrivé là, il attendit impatiemment les ordres de -Napoléon pour la direction à donner à ses mouvements ultérieurs. - -[En marge: Arrivée de Napoléon sur le terrain le 28 au matin.] - -Telles avaient été les opérations de l'ennemi le matin du 28, et -durant une partie de la même journée. Pendant ce temps Napoléon, -debout de très-bonne heure, avait expédié ses premiers ordres par -écrit, et avait enjoint au maréchal Mortier avec la jeune garde, au -maréchal Saint-Cyr avec le 14e corps, de se porter à Gieshübel, l'un -des défilés de la route de Péterswalde, pour s'y réunir à Vandamme, au -maréchal Marmont de suivre les coalisés par la route d'Altenberg, et à -Murat, qui avait avec lui le corps de Victor, de les poursuivre à -outrance sur la grande route de Freyberg. Napoléon avait par les mêmes -dépêches annoncé sa présence, et promis d'ordonner sur les lieux mêmes -ce que comporteraient les circonstances. En effet, dès la pointe du -jour il s'était rendu à cheval auprès du maréchal Marmont, pour -observer de ses propres yeux la retraite de l'ennemi. - -[En marge: Napoléon voyant le mouvement de Barclay de Tolly, qui se -replie de la route de Péterswalde sur celle d'Altenberg, ordonne un -mouvement semblable au maréchal Saint-Cyr.] - -[En marge: Napoléon se transporte ensuite à Pirna.] - -Parvenu sur les hauteurs de Dresde auprès du maréchal Marmont, il -avait vu les diverses colonnes des coalisés se dirigeant vers les -montagnes boisées de l'_Erz-Gebirge_. Il avait été frappé du mouvement -transversal de gauche à droite qu'exécutaient les troupes russes de -Barclay de Tolly, pour se reporter de la route de Péterswalde sur -celle d'Altenberg, mouvement à la suite duquel une grande partie des -colonnes russes, prussiennes et autrichiennes allaient se trouver -réunies dans la même direction. En face de pareilles masses le corps -du maréchal Marmont était évidemment insuffisant, et Napoléon avait -ordonné lui-même au maréchal Saint-Cyr de se rabattre de Dohna sur -Maxen, pour se rapprocher du maréchal Marmont, et poursuivre l'ennemi -de concert. Cet ordre donné de vive voix, Napoléon s'était transporté -à Pirna, pour voir ce qui s'y passait, et prescrire ce qu'on aurait à -faire sur la route de Péterswalde. - -[En marge: Légère indisposition qui ne l'empêche pas de donner des -ordres.] - -[En marge: Nouvelles graves que Napoléon reçoit des maréchaux Oudinot -et Macdonald.] - -[En marge: Ces nouvelles le décident à retourner à Dresde.] - -[En marge: S'étant convaincu par ses propres yeux que Vandamme ne -pouvait plus que talonner les Russes avec plus ou moins de vivacité, -il lui laisse le soin de les incommoder dans leur retraite.] - -[En marge: Instructions données à Vandamme.] - -[En marge: Forces qui sont confiées à ce général.] - -[En marge: Position assignée à Mortier.] - -[En marge: Ordres à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor et à Murat.] - -Arrivé à Pirna vers le milieu du jour, Napoléon y prit un léger repas, -et soudain fut saisi de douleurs d'entrailles auxquelles il était -sujet dès qu'il avait enduré l'humidité, et la veille en effet il -avait supporté pendant toute la journée des torrents de pluie. -Toutefois ces douleurs n'étaient pas de nature à l'empêcher de donner -des ordres, et de faire ce qui était impérieusement exigé par les -circonstances[12]. Mais en ce moment il reçut des dépêches qu'il -attendait avec impatience des environs de Berlin, et des bords du -Bober. Le maréchal Oudinot, qui aurait dû être entré à Berlin depuis -plusieurs jours, s'était arrêté devant les inondations, puis n'avait -pas abordé l'ennemi en masse, et avait eu l'un de ses corps assez -maltraité. Le maréchal Macdonald, sur le Bober, venait d'être surpris -par Blucher, et d'éprouver des pertes considérables. Ainsi la fortune -laissait à peine à Napoléon le temps de jouir de sa belle victoire de -Dresde, et tout à coup l'horizon s'assombrissait autour de lui, après -s'être montré parfaitement serein. La marche sur Berlin avait toujours -eu à ses yeux une grande importance sous le rapport moral, sous le -rapport politique, sous le rapport militaire. Elle devait éblouir les -esprits, frapper la Prusse au coeur, punir Bernadotte, et nous mettre -en communication avec les places de l'Oder, peut-être avec celles de -la Vistule, qui avaient toutes besoin d'être ravitaillées. L'échec de -Macdonald s'ajoutant à celui d'Oudinot, pouvait contribuer à rendre -plus difficile et plus douteuse cette marche sur Berlin, à laquelle -Napoléon tenait si fort, et il crut devoir rentrer à Dresde -immédiatement pour prescrire les mesures que comportait la situation. -Tandis que Berlin le rappelait, le mouvement sur Péterswalde exigeait -moins sa présence d'après ce qu'on venait de lui annoncer. En effet il -avait pu croire en sortant de Dresde le matin, que Vandamme, occupant -Pirna et Gieshübel, y opposerait une barrière de fer à la colonne -russe, et que Saint-Cyr et Mortier arrivant sur les derrières de cette -colonne, la prendraient tout entière. Mais il venait d'apprendre que -la colonne russe avait eu le temps de regagner la route de -Péterswalde, que dès lors tout ce que Vandamme pourrait faire ce -serait de la poursuivre vigoureusement, et il crut que ce serait assez -de ses lieutenants pour tirer de la victoire de Dresde les -conséquences qu'il était permis d'en espérer encore. Il pensa qu'il -suffirait de laisser à Vandamme toutes les divisions qu'il lui avait -déjà confiées, de le faire descendre en Bohême par la route de -Péterswalde, de le porter à Toeplitz, où il se trouverait sur la ligne -de retraite des coalisés prêts à déboucher des défilés des montagnes, -et vivement poursuivis par Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat. Il était -vraisemblable que Vandamme, embusqué à Kulm ou à Toeplitz, ferait plus -d'une bonne prise, et que se reportant ensuite entre Tetschen et -Aussig, il enlèverait une grande partie du matériel des coalisés -lorsque ceux-ci voudraient repasser l'Elbe. Vandamme devait dans cette -position rendre un autre service, c'était d'occuper la route directe -de Prague à laquelle Napoléon attachait le plus haut prix, car depuis -les dépêches d'Oudinot et de Macdonald il songeait à une marche -foudroyante sur Berlin ou sur Prague, afin de tomber à l'improviste -sur l'armée du Nord, ou d'achever la défaite de celle de Bohême; même -s'il rentrait à Dresde en ce moment, c'était pour employer une journée -à balancer les avantages et les inconvénients d'une marche sur l'une -ou l'autre de ces capitales. Considérant donc la situation sous ce -nouvel aspect, il laissa au général Vandamme non-seulement ses deux -premières divisions, Philippon et Dumonceau, avec la brigade Quyot -formant la moitié de la division Teste, mais la première division du -maréchal Saint-Cyr (la 42e), qui depuis quelques jours lui avait été -prêtée, et y ajouta la brigade de Reuss du corps de Victor, pour le -dédommager de ce qu'on lui avait ôté la moitié de la division Teste. -Il lui adjoignit de plus la cavalerie du général Corbineau. Vandamme -devait avoir ainsi la valeur de quatre divisions d'infanterie, et de -trois brigades de cavalerie, le tout formant quarante mille hommes au -moins. Napoléon lui ordonna de poursuivre vivement les Russes en -Bohême, de descendre sur Kulm, d'occuper d'un côté Toeplitz, afin de -gêner les coalisés à leur sortie des montagnes, et de l'autre Aussig -et Tetschen, afin de garder les passages de l'Elbe et la route de -Prague[13]. Il lui ordonna même, ce qui démontre bien ses vraies -intentions, de faire remonter à Testchen le second pont de bateaux -jeté à Pirna. Il lui annonça, quant au reste, des ordres ultérieurs. -Toutefois il plaça Mortier à Pirna avec quatre divisions de la jeune -garde, pour que ce dernier pût au besoin secourir le général -Vandamme, duquel il ne serait qu'à sept ou huit lieues. En même temps -il fit recommander à Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat, de toujours -suivre les coalisés l'épée dans les reins, et de les pousser -violemment contre les montagnes, pour qu'ils ne pussent les passer -qu'en désordre. Ces instructions données, il partit pour Dresde en -voiture, et prescrivit à la vieille garde de l'y joindre. - - [Note 12: Les flatteurs de la mémoire de Napoléon, ignorant, - parce que sa correspondance leur est restée inconnue, les - vrais motifs de son subit retour à Dresde, et ne voulant pas - non plus admettre qu'il pût commettre une faute, ont - attribué ce retour à une indisposition subite. Les ordres - nombreux donnés dans cette même journée du 28, et dans celle - du 29, prouvent que cette indisposition n'empêcha pas - Napoléon de vaquer à ses affaires, et des témoins oculaires, - le maréchal Marmont notamment, affirment qu'il n'était point - malade. Nous en rapportant plus volontiers aux documents - authentiques qu'aux récits presque toujours contradictoires - des témoins oculaires, nous croyons avoir acquis la preuve - par les lettres mêmes de Napoléon, que cette prétendue - indisposition ne l'empêcha nullement de faire ce qu'il - devait, et nous nous sommes convaincu que le vrai motif de - son retour à Dresde, lequel devint si fatal deux jours - après, ne fut autre que les dépêches reçues des environs de - Berlin et de Lowenberg. Les ordres du 29 et du 30 ne - laissent à cet égard aucun doute. Plus loin nous - démontrerons encore par l'exposé simple des faits que sur - cette importante époque on n'a publié que des erreurs, ce - qui a rendu jusqu'ici la catastrophe du général Vandamme - tout à fait inexplicable. Nous espérons qu'après le récit - qui va suivre elle sera parfaitement claire, et que ce grand - malheur sera rapporté à sa vraie cause, laquelle fut moins - accidentelle et plus générale qu'on ne le suppose - communément.] - - [Note 13: Nous citons l'ordre lui-même qui éclaircit - complétement l'intention de l'Empereur. - - «À une lieue de Pirna, le 28 août 1813, - à quatre heures après midi. - - »M. le général Vandamme, l'Empereur ordonne que vous vous - dirigiez sur Péterswalde avec tout votre corps d'armée, la - division Corbineau, la 42e division, enfin avec la brigade - du 2e corps que commande le général prince de Reuss: ce qui - vous fera 18 bataillons d'augmentation. Pirna sera gardée - par les troupes du duc de Trévise, qui arrive ce soir à - Pirna. Le maréchal a aussi l'ordre de relever vos postes du - camp de Lilienstein. Le général Baltus avec votre batterie - de 12 et votre parc, arrive ce soir à Pirna, envoyez-le - chercher. L'Empereur désire que vous réunissiez toutes les - forces qu'il met à votre disposition, et qu'avec elles vous - pénétriez en Bohême et culbutiez le prince de Wurtemberg - s'il voulait s'y opposer. L'ennemi que nous avons battu - paraît se diriger sur Annaberg. _S. M. pense que vous - pourriez arriver avant lui sur la communication de Tetschen, - Aussig et Toeplitz, et par là prendre ses équipages, ses - ambulances, ses bagages, et enfin tout ce qui marche - derrière une armée._ L'Empereur ordonne qu'on lève le pont - de bateaux devant Pirna, afin de pouvoir en jeter un à - Tetschen.»] - -[En marge: Nombreux prisonniers recueillis dans la journée du 28 par -Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat.] - -Pendant cette même journée du 28, Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat, -talonnèrent l'ennemi sans relâche. Saint-Cyr ramassa des blessés et -des traînards. À Possendorf Marmont enleva deux mille prisonniers et -trois ou quatre cents voitures. À Dippoldiswalde il livra un combat -heureux, et prit ou tua encore quelques centaines d'hommes. Murat et -Victor recueillirent de leur côté des blessés, des traînards, des -prisonniers, des canons, des voitures, et au moins cinq à six mille -hommes en tout. Les pertes que les coalisés avaient essuyées la -veille, et qu'on pouvait évaluer à plus de 25 mille hommes, -s'élevaient au moins à 32 ou 33, par les conséquences de la journée du -28. Les signes du découragement étaient visibles chez l'ennemi, et -faisaient espérer d'importants résultats s'il était fortement -poursuivi. - -[En marge: Le lendemain 29, Vandamme poursuit vivement les Russes.] - -[En marge: Dispositions morales de ce général dans le moment.] - -[En marge: Combat brillant de Hollendorf.] - -[En marge: Mort du prince de Reuss.] - -Le lendemain 29 Vandamme, excité par les ordres qu'il avait reçus dans -la soirée précédente, résolut de ne laisser aucun repos aux Russes, et -de leur faire expier le bonheur qu'ils avaient eu de passer impunément -devant lui, sous le plateau de Pirna. Ce général doué d'infiniment de -coup d'oeil, de vigueur, d'expérience de la guerre, et même d'esprit, -malheureusement décrié par ses moeurs un peu trop soldatesques et par -la violence de son caractère, avait été traité sans aucune faveur, et -se plaignait de n'être pas encore maréchal, grade qu'il méritait -beaucoup plus que quelques-uns de ses contemporains à qui Napoléon ne -l'avait pas fait attendre. La difficulté des circonstances, le besoin -de remplacer les hommes de guerre, dont on faisait une consommation, -hélas! trop grande, ayant ramené sur lui l'attention de l'Empereur, il -se flattait d'obtenir enfin les récompenses qu'il croyait avoir -méritées depuis longtemps, et il éprouvait un redoublement de zèle -qui, fort utile en toute autre circonstance, pouvait dans celle-ci -l'entraîner au delà des bornes de la prudence. Il s'avança donc -résolûment dès le matin du 29 sur l'arrière-garde des Russes. La -brigade de Reuss, commandée par un jeune prince allemand, militaire de -la plus haute distinction, marchait en tête. Vandamme, accompagné du -général Haxo, la dirigeait. Entre Hollendorf et Péterswalde, Vandamme -et le prince de Reuss assaillirent une colonne russe qui voulait -résister, la débordèrent, et, après l'avoir culbutée, lui enlevèrent 2 -mille hommes. Par malheur le jeune prince de Reuss fut tué d'un coup -de canon. Il emporta les regrets de toute l'armée, car au mérite -d'être un officier très-brillant il joignait celui d'être très-attaché -aux Français. - -[En marge: Arrivée de Vandamme sur le revers des montagnes de Bohême.] - -[En marge: Ce qui s'était passé du côté des coalisés.] - -Après cet exploit, Vandamme continua de poursuivre les Russes à -outrance. Il franchit les montagnes sur leurs traces, descendit en -plaine, et à midi atteignit Kulm, d'où il dominait le vaste bassin -dans lequel les colonnes ennemies vivement pourchassées commençaient à -déboucher. À son aspect les soldats du prince Eugène de Wurtemberg et -les gardes d'Ostermann, qu'il n'avait cessé de poursuivre, et sur -lesquels il avait fait plusieurs milliers de prisonniers, -s'arrêtèrent, et vinrent prendre position devant lui, pour couvrir le -débouché de Toeplitz, dont ils sentaient toute l'importance. Des -hauteurs de Kulm, Vandamme apercevait ce débouché de Toeplitz où il -avait ordre de toucher au besoin, et où l'attirait le désir de barrer -le chemin aux colonnes ennemies qui avaient pris les routes latérales -à celle de Péterswalde. Malheureusement il n'avait sous la main que -son avant-garde; le reste suivait en formant une longue queue dans les -gorges, et les troupes russes qu'il avait en face, plus nombreuses que -le matin, renforcées même de corps nouveaux, paraissaient résolues à -tenir où elles étaient. Il suspendit donc quelques instants sa marche -pour attendre son corps d'armée. Voici dans l'intervalle ce qui -s'était passé du côté des coalisés. - -[En marge: L'empereur Alexandre ayant franchi les montagnes le 29 au -matin, reconnaît avec tous les généraux la nécessité de s'arrêter, et -de résister à Vandamme pour assurer la retraite de l'armée alliée.] - -[En marge: Ordres au comte Ostermann et au prince Eugène de Wurtemberg -de s'arrêter en face de Kulm.] - -[En marge: Les troupes autrichiennes reçoivent les mêmes ordres, grâce -à l'intervention de M. de Metternich.] - -L'empereur Alexandre avait séjourné pendant la nuit du 28 au 29 à -Altenberg, au pied des montagnes de l'_Erz-Gebirge_, de celle -notamment qu'on appelle le Geyersberg, l'avait franchie le 29 au -matin, et était parvenu sur le revers de très-bonne heure. De là -découvrant à gauche la position de Kulm, sur laquelle Vandamme s'était -arrêté en face des Russes, à droite Toeplitz et le bassin de l'Eger -qui va se jeter dans l'Elbe, il avait pu apprécier le danger d'une -retraite précipitée, exécutée sans ordre, menacée en flanc par le -corps de Vandamme qu'on savait être considérable, et qui d'heure en -heure pouvait le devenir davantage. Il avait perdu le conseiller dans -lequel il avait pris tant de confiance, le général Moreau, que les -soldats portaient mourant sur leurs épaules, et il lui restait le -général Jomini, que Moreau lui avait recommandé comme capable, quoique -très-bouillant, de donner un bon avis. Le général Jomini et plusieurs -autres, fort disposés à décrier les Autrichiens, et en particulier le -prince de Schwarzenberg, se plaignaient amèrement de ce qu'on songeait -à se retirer au delà de l'Eger, déclaraient excessif, dangereux même -un pareil mouvement rétrograde, surtout le corps de Vandamme -apparaissant au débouché de la chaussée de Péterswalde sur le flanc -des colonnes en retraite. L'empereur Alexandre qui commençait à -entendre un peu mieux la guerre, et qui n'avait que le tort de se -laisser atteindre par les avis contraires au point de tomber dans des -irrésolutions interminables, avait apprécié l'objection, et était tout -disposé à en tenir compte. Jadis, quand on était moins exaspéré contre -les Français, quand on était sous le coup du génie transcendant de -Napoléon, on se sentait peu enclin à en appeler d'une défaite, on la -regardait comme un arrêt qu'il fallait subir, et on se rendait -facilement au premier corps qu'on rencontrait sur son chemin après une -bataille perdue. On était fort changé aujourd'hui. La passion de la -résistance devenue extrême, le prestige de Napoléon diminué, on se -laissait moins décourager, et à la moindre lueur d'espérance on -reprenait volontiers la résolution de combattre. Aussi tous les -généraux qui se trouvaient autour d'Alexandre furent-ils d'avis que -s'il y avait une occasion quelconque de recommencer la lutte, on -devait la saisir, et qu'un corps français se montrant sur leur gauche, -il fallait s'arrêter pour lui tenir tête au lieu de se porter au delà -de l'Eger. Jusqu'ici d'ailleurs c'était un corps isolé, qui serait -soutenu probablement, mais qui peut-être aussi ne le serait pas, et -offrirait dans ce cas une proie facile à enlever. Barclay de Tolly, le -général Diebitch devenu chef d'état-major, ayant partagé cette -opinion, on donna l'ordre aux colonnes du prince Eugène de Wurtemberg -et d'Ostermann de tenir bon devant Kulm, quelque fatiguées qu'elles -pussent être. On leur annonça qu'elles allaient être renforcées, et en -effet plusieurs colonnes d'infanterie russe et prussienne arrivant par -la route d'Altenberg avec la cavalerie de la garde, on les leur -envoya. Ce ne fut pas tout. Les troupes autrichiennes débouchaient -actuellement en plus grand nombre que les Russes, parce qu'elles -s'étaient acheminées les premières et sans tergiverser sur la route -d'Altenberg. Ce fut le corps de Colloredo qui se présenta le premier. -Mais ce général, auquel on demanda de venir se ranger en face de Kulm, -derrière les lignes russes, ayant allégué les instructions du prince -de Schwarzenberg qui lui prescrivaient de se retirer au delà de -l'Eger, on eut recours à M. de Metternich, qui était à Duchs, château -du célèbre Wallenstein, où les souverains étaient actuellement réunis, -et on fit donner l'ordre à toutes les troupes autrichiennes de -converger à gauche, pour venir se mettre en bataille avec les troupes -russes descendues de Péterswalde. - -[En marge: Vandamme expulse les Russes de Kulm, leur enlève Straden, -et veut en vain leur enlever la position de Priesten.] - -[En marge: Vers la fin de la journée, Vandamme conserve Kulm, tandis -que les Russes conservent Priesten.] - -Toutefois ce n'était pas avant quelques heures que ces ordres -pouvaient amener en ligne des forces considérables, et Vandamme après -un instant de réflexion, quoiqu'il vît les troupes fugitives -s'arrêter, et même s'augmenter sensiblement, résolut de les déloger du -poste où elles semblaient vouloir s'établir pour protéger contre nous -les débouchés du Geyersberg. En agissant ainsi il obéissait à la fois -à des ordres précis, et à l'indication des circonstances, car ses -ordres lui disaient d'aller jusqu'à Toeplitz, et les circonstances -devaient l'engager à fermer le débouché des montagnes aux colonnes -battues, puisqu'il n'avait été envoyé en ces lieux que pour opposer -des obstacles à leur retraite. Ayant toujours sous la main la brigade -de Reuss avec laquelle il avait marché depuis le matin et n'ayant -qu'elle, il chassa néanmoins les Russes de Kulm où ils avaient essayé -de tenir, et du village de Straden où ils s'étaient ensuite repliés. -Ce village de Straden emporté, il se trouva devant une seconde -position située derrière un ravin et d'apparence assez forte. D'un -côté, c'est-à-dire vers notre droite, elle s'appuyait aux montagnes, -vers le centre au village de Priesten construit sur la route de -Toeplitz, à gauche enfin à des prairies coupées de canaux, et au -village de Karbitz. Vandamme voulut attaquer sur-le-champ le village -de Priesten, pour ne pas permettre aux Russes de s'y établir; mais -pour la première fois il rencontra une résistance opiniâtre, et fut -repoussé par une charge du régiment des gardes d'Ismaïlow. Il n'avait -ni sa grosse artillerie ni ses masses d'infanterie; il fut donc -obligé d'attendre la division Mouton-Duvernet (la 42e), et il eût -mieux fait évidemment de différer jusqu'à l'arrivée de son corps tout -entier, pour n'engager le combat qu'avec des forces suffisantes. -Cependant ses autres divisions ne pouvant être rendues sur les lieux -que fort tard, et sa préoccupation de couper la retraite à l'ennemi -étant toujours la même, il attaqua l'ennemi avec neuf bataillons du -général Mouton-Duvernet, seuls réunis en ce moment sur les quatorze -dont se composait la division. Avec ces neuf bataillons portés à -droite vers les bois il rétablit le combat, et rejeta les Russes sur -Priesten. Mais tout à coup il fut assailli par quarante escadrons de -la garde russe, qui venaient d'entrer en ligne, et qui se déployèrent, -les uns à notre droite vers le pied des monts, les autres à gauche -dans la plaine de Karbitz. Les bataillons de Mouton-Duvernet -continrent la cavalerie russe le long des montagnes, les escadrons de -Corbineau la chargèrent du côté des prairies, et néanmoins cette fois -encore, au lieu d'avancer nous pûmes tout au plus conserver le terrain -que nous avions acquis. À deux heures de l'après-midi parut la -première brigade de la division Philippon (première de Vandamme). -Cette brigade commandée par le général Pouchelon, envoya sur la droite -le 12e de ligne pour soutenir Mouton-Duvernet, et au centre le 7e -léger pour attaquer Priesten. Ces régiments accueillis par un feu -épouvantable ne purent emporter la position. La seconde brigade de -Philippon étant survenue sous le général de Fezensac, fut engagée de -même, et sans plus de succès quoique avec beaucoup de vigueur. Le 7e -léger de la première brigade ayant voulu attaquer Priesten fut criblé -de mitraille, puis chargé par la cavalerie russe, et sauvé par la -seconde brigade que le général de Fezensac avait ralliée sous le feu -de l'ennemi. Vandamme reconnaissant trop tard que ces attaques -décousues ne donneraient aucun résultat, prit le parti d'asseoir sa -ligne un peu en arrière, sur la hauteur de Kulm, laquelle, placée au -débouché de la chaussée de Péterswalde, dominait la plaine. Les Russes -ayant voulu s'avancer furent mitraillés à leur tour par vingt-quatre -bouches à feu que le général Baltus, arrivé avec la réserve -d'artillerie, avait mises en batterie. Ils reculèrent sous cette -mitraille et devant les charges de notre cavalerie, et allèrent -reprendre la position de Priesten, appuyés comme le matin, la gauche -aux montagnes, le centre à Priesten sur la route de Toeplitz, la -droite dans les prairies de Karbitz. Nous étions vis-à-vis, ayant -comme eux d'un côté les montagnes, de l'autre les prairies, et au -centre la position dominante de Kulm, où il était facile de se -défendre. - -[En marge: Vandamme remet au jour suivant la suite de ses opérations, -et comptant être soutenu, se promet de grands résultats pour le -lendemain.] - -[En marge: Il écrit à Napoléon pour lui faire connaître sa situation.] - -Ce n'était pas un tort à Vandamme d'avoir cherché à emporter la -position des Russes, puisqu'il avait ordre de les pousser jusqu'à -Toeplitz, et que d'ailleurs il devait sentir le besoin de fermer le -débouché de la route d'Altenberg sur Toeplitz; mais c'en était un -d'avoir attaqué avant d'avoir toutes ses forces sous la main, et ce -tort lui-même s'expliquait par l'allongement de sa colonne dans les -montagnes, et par le désir naturel de déloger l'ennemi avant qu'il se -fût consolidé dans sa position. Au surplus le général Vandamme -s'arrêta, et il résolut de bien garder Kulm, où il ne pouvait pas être -forcé, ayant 52 bataillons à sa disposition, et environ 80 bouches à -feu en batterie. Son intention était d'y attendre que Mortier, demeuré -sur ses derrières à Pirna, vînt à son aide, et que Saint-Cyr, Marmont, -placés sur sa droite, de l'autre côté des montagnes, les franchissent -à la suite des coalisés. Ces mouvements n'exigeaient pas plus de douze -ou quinze heures pour s'accomplir, et avec le concours de toutes ces -forces il se flattait d'avoir le lendemain 30 de beaux résultats à -offrir à l'Empereur; triste et déplorable illusion, pourtant bien -fondée, aussi fondée qu'aucune espérance raisonnable le fut jamais! Le -soir même il écrivit à Napoléon pour faire connaître sa situation, -demander des secours, et annoncer que jusqu'à leur arrivée il -resterait immobile à Kulm. - -[En marge: Temps qu'il fallait pour écrire à Dresde et avoir une -réponse.] - -[En marge: Napoléon n'ayant reçu que les nouvelles du matin, se borne -à réitérer à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor, l'ordre de suivre -vivement l'ennemi, et à Mortier de se tenir prêt à secourir Vandamme -lorsqu'il en recevra l'avis.] - -[En marge: Pendant ce temps, Napoléon s'occupe de réparer les échecs -essuyés par Macdonald et Oudinot.] - -[En marge: Grande combinaison imaginée en cette circonstance.] - -Les lettres écrites le 29 au soir de Kulm ne pouvaient parvenir à -Dresde que le 30 au matin, et les ordres émis en réponse à ces lettres -ne pouvaient être exécutés d'assez bonne heure pour que Vandamme fut -secouru à temps dans la journée du 30. Dans la soirée du 29, Napoléon -avait reçu les nouvelles parties le matin de Péterswalde; il avait su -que les Russes se retiraient en toute hâte, que Vandamme les suivait -l'épée dans les reins, et leur avait déjà enlevé quelques mille -hommes. Supposant d'après ces premières informations les coalisés en -complète déroute, comptant que la vive poursuite de Saint-Cyr, de -Marmont, de Murat, les obligerait à traverser les montagnes en -désordre, et que Vandamme placé au revers, les recueillerait par -milliers, peut-être même leur fermerait entièrement le principal -débouché d'Altenberg, il avait réitéré à Saint-Cyr, à Marmont, à -Murat, l'ordre de pousser vivement l'ennemi dans toutes les -directions, et à Mortier d'être aux écoutes, prêt à courir à Kulm si -Vandamme en avait besoin. Ayant la tête pleine des souvenirs du passé, -se rappelant avec quelle facilité il ramassait jadis les Prussiens ou -les Autrichiens vaincus, ne voulant pas tenir compte de la passion qui -les animait aujourd'hui et les rendait si difficiles à décourager, il -estimait que c'était assez de précaution pour obtenir encore de -très-grands résultats de la victoire de Dresde. D'ailleurs il était -absorbé en ce moment par une vaste combinaison[14], au moyen de -laquelle il espérait, profitant du coup si rude frappé sur l'armée de -Bohême, s'avancer sur la route de Berlin à cinq marches de Dresde, -écraser l'armée du Nord, accabler d'un même coup la Prusse et -Bernadotte, ravitailler les places de l'Oder, envoyer des -encouragements à celles de la Vistule, et imprimer de la sorte une -face nouvelle à la guerre, dont le théâtre serait pour un instant -reporté au nord de l'Allemagne. Ainsi Berlin, les places de l'Oder et -de la Vistule, qui déjà l'avaient disposé à trop étendre le cercle de -ses opérations, le préoccupaient de nouveau, et allaient le détourner -de ce qui aurait dû être pour quelques heures son objet essentiel et -unique. Sans doute, comme on en jugera bientôt, sa conception était -singulièrement grande, mais elle était malheureusement intempestive, -et prématurée au moins de deux jours! Tout entier à ses calculs et -dans le feu d'une première conception, il expédia les ordres suivants -pendant la matinée du 30. Il enjoignit au maréchal Mortier à Pirna de -lui renvoyer à Dresde deux divisions de la jeune garde, et avec les -deux autres d'aller au secours de Vandamme; à Murat de lui rendre une -moitié de la grosse cavalerie, et avec le reste de continuer à -poursuivre l'ennemi sur la chaussée de Freyberg. Il ordonna au -maréchal Marmont de pousser vivement l'ennemi sur le débouché -d'Altenberg et Zinnwald, où d'après tous les rapports les colonnes des -Russes, des Prussiens et des Autrichiens se pressaient pêle-mêle; au -maréchal Saint-Cyr de seconder Marmont dans cette opération, ou, ce -qui valait mieux, de chercher par un chemin latéral à gagner la -chaussée de Péterswalde, afin de se joindre à Vandamme, et il espéra -ainsi que pressés en queue, menacés en flanc, retenus en tête, les -coalisés essuieraient quelque désastre. Il prescrivit de faire -immédiatement passer l'Elbe aux troupes qu'il redemandait, et ne -cacha point à Murat que c'était dans l'intention de marcher sur -Berlin. - - [Note 14: Quand il voulait se rendre bien compte de ses - idées, Napoléon les mettait sur le papier, sachant, comme - tous les hommes qui ont beaucoup pensé, que rédiger ses - idées c'est les approfondir davantage. Il avait donc dicté - son projet dans une note admirable, intitulée: _Note sur la - situation générale de mes affaires le 30 août_, assez - semblable à celles qu'il écrivit à Moscou en octobre 1812, - et révélant sa pensée tout entière au moment où Vandamme - était à Kulm. On voit dans cette note la vraie cause de la - négligence qui amena le malheur de Vandamme, surtout en la - rapprochant des ordres donnés le même jour à Murat et à - Mortier, et on sent combien est ridicule la fable de cette - indisposition que certains narrateurs ont inventée, et - qu'ont accueillie avec empressement ceux qui ont le goût de - croire qu'en histoire les plus grands événements viennent - des plus petites causes, goût singulier et qui atteste une - médiocre portée d'esprit. Tant pis, en effet, pour ceux qui - croient plus volontiers aux petites causes qu'aux grandes!] - -[En marge: Calculs des coalisés rangés en avant de Toeplitz.] - -[En marge: Ils n'ont d'autre prétention que de contenir Vandamme et de -se ménager une retraite assurée.] - -[En marge: Danger du corps prussien de Kleist, resté en deçà des -montagnes.] - -[En marge: Ordre envoyé à ce corps de se sauver comme il pourrait.] - -Tandis qu'il concevait ces projets, et expédiait ces ordres, les -coalisés à Toeplitz ne formaient pas d'aussi vastes combinaisons, et -ne songeaient qu'à se tirer du péril auquel ils s'étaient imprudemment -exposés en descendant sur les derrières de Dresde. La résistance -heureusement opposée à Vandamme dans la journée du 29 leur avait rendu -quelque confiance. Tout ce qui leur était arrivé de troupes russes et -autrichiennes par le chemin d'Altenberg sur Toeplitz, avait été -rabattu sur leur gauche, et placé derrière Priesten et Karbitz, afin -de présenter à Vandamme une barrière de fer. Ils se flattaient donc de -l'empêcher de déboucher de Kulm, et de lui faire peut-être éprouver un -échec, ce qui les dédommagerait tant soit peu des journées du 26 et du -27 août, et procurerait à toutes leurs colonnes le temps de repasser -les montagnes en sûreté. Pourtant il leur restait une grave -inquiétude, c'était pour le corps prussien de Kleist, qui avait dû -suivre le corps autrichien de Colloredo dans le premier projet de -retraite, et passer avec lui par Dippoldiswalde, Altenberg, Zinnwald, -Toeplitz, mais qui en avait été empêché par le mouvement transversal -de Barclay de Tolly, lequel, ainsi qu'on l'a vu, s'était reporté -brusquement de la chaussée de Péterswalde sur le chemin d'Altenberg, -afin d'éviter Vandamme. Retardé dans sa marche, et obligé d'attendre -que le chemin fût libre, le corps de Kleist était encore le 29 au soir -sur le revers du Geyersberg, et on craignait pour lui les plus grands -malheurs, car le corps de Saint-Cyr était tout à fait sur ses talons. -Le roi de Prusse, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre, -envoya le colonel Schoeler, l'un de ses aides de camp, au général -Kleist, pour le prévenir de la présence du corps de Vandamme à Kulm, -lui laisser le choix de la route qu'il aurait à prendre pour se -sauver, et lui promettre de bien tenir le lendemain devant Kulm, afin -qu'il eût le loisir de traverser la montagne et de déboucher dans le -bassin de l'Eger[15]. En même temps on regardait ce corps comme -tellement compromis, qu'on enjoignait à M. de Schoeler de ramener à -travers les bois le jeune prince d'Orange, qui faisait cette campagne -avec l'armée prussienne, et avait été placé auprès du général Kleist. -On ne voulait pas en effet livrer aux mains de Napoléon un tel -trophée, si le corps de Kleist était fait prisonnier. M. de Schoeler -partit donc immédiatement pour repasser les montagnes, et aller à tout -risque remplir la difficile mission dont il était chargé. Telles -étaient les espérances des uns, les craintes des autres le 29 à -minuit! - - [Note 15: L'historien russe Danilewski a voulu attribuer à - l'empereur Alexandre l'honneur d'une combinaison profonde, - consistant à faire descendre Kleist sur les derrières de - Vandamme; mais M. de Wolzogen, dans ses Mémoires aussi - instructifs que spirituels, a complétement démenti cette - assertion, et il était mieux que personne autorisé à le - faire, puisqu'il était présent lorsque l'ordre que nous - mentionnons fut donné à M. de Schoeler. Cet ordre se trouve - donc réduit aux proportions et au sens que nous lui prêtons - ici.] - -[En marge: Situation des deux armées le 30 au matin.] - -Le lendemain 30 août au matin, les deux armées se trouvaient dans la -même position que la veille. Les coalisés étaient en face de -Vandamme, leur gauche, composée des Russes, tout près des montagnes, -leur centre, composé aussi des Russes, en avant de Priesten et -vis-à-vis de Kulm, leur droite formée par les Autrichiens et par la -cavalerie des alliés dans les prairies de Karbitz. Ils étaient -disposés à prendre l'offensive, pour favoriser en occupant fortement -les Français le passage du général Kleist à travers les montagnes, -mais ils ignoraient par quelle route celui-ci chercherait à sortir du -gouffre où il était enfermé. Ils supposaient à Vandamme tout au plus -30 mille hommes, tandis qu'il en avait 40 mille sous la main. Ils ne -pouvaient donc pas hésiter à commencer l'attaque, et ils résolurent de -le faire immédiatement. - -[En marge: Vandamme s'était établi dans une forte position, attendant -des secours, et ne voulant rien entreprendre.] - -Vandamme au contraire, ayant au lever du jour discerné plus clairement -encore la disproportion de ses forces avec celles de l'ennemi, et -attendant à chaque instant l'apparition du maréchal Mortier sur ses -derrières, celle du maréchal Saint-Cyr sur sa droite, voulait se -borner à la défensive jusqu'à l'arrivée de ses renforts. C'est ce -qu'il manda dès six heures du matin à Napoléon. Avec l'ordre de -pousser jusqu'à Toeplitz et avec son caractère audacieux, s'arrêter à -Kulm était tout ce qu'on pouvait espérer de mieux de sa part. Quant à -remonter sur Péterswalde même, il ne devait pas y songer, car la -position de Kulm était assez forte pour qu'avec quarante mille hommes -on pût s'y défendre contre quelque ennemi que ce fût; et en arrière, -entre Kulm et Péterswalde, on n'avait aucun danger à prévoir, Mortier -s'y trouvant, et devant en déboucher à chaque instant. Ne pas se -hasarder en plaine pour aller à Toeplitz, et se maintenir à Kulm, -était donc la seule résolution indiquée. - -[En marge: Distribution des troupes de Vandamme.] - -[En marge: Premier engagement sur notre gauche.] - -Voici comment le général Vandamme avait distribué ses troupes. À sa -droite, en face des Russes, au pied même du Geyersberg, il avait neuf -bataillons de la division Mouton-Duvernet, et un peu en arrière, mais -tirant vers le centre, la division Philippon avec quatorze bataillons. -Il était donc bien en force de ce côté des montagnes, d'où à tout -moment descendaient de nombreuses colonnes ennemies. Au centre en -avant de Kulm, vis-à-vis de Priesten, il avait la brigade Quyot, de la -division Teste, un peu en arrière la brigade de Reuss. Derrière Kulm, -il avait la brigade Doucet de la division Dumonceau, et à gauche, vers -les prairies, la brigade Dunesme, appartenant également à la division -Dumonceau, pour servir d'appui à la cavalerie. Enfin le général -Kreutzer, avec ce qui restait de la division Mouton-Duvernet, avait -été envoyé à Aussig, assez loin en arrière, pour garder le passage de -l'Elbe, conformément aux ordres de Napoléon. Ainsi, avec vingt-trois -bataillons à sa droite et le long des montagnes, avec dix-huit au -centre, avec sept ou huit bataillons à gauche soutenant vingt-cinq -escadrons rangés dans la plaine, enfin, avec une formidable -artillerie, il devait se croire en sûreté, surtout étant adossé à la -chaussée de Péterswalde, d'où il se flattait incessamment de voir -déboucher Mortier. Il attendit donc l'esprit libre d'inquiétude, et -pourtant, sans qu'on sût pourquoi, il y avait dans bien des coeurs de -sinistres pressentiments. À huit heures les tirailleurs ennemis -commencèrent le feu, les nôtres répondirent, mais rien ne faisait -encore prévoir un engagement sérieux. Bientôt sur notre gauche on vit -les cavaliers russes du général Knorring franchir une éminence qui -dominait les prairies, et puis fondre sur une batterie attelée qui -était un peu en avant de notre ligne de cavalerie. Trois pièces furent -enlevées, et un bataillon du 13e léger, qui essaya de les défendre, -fut fort maltraité. Alors la brigade de cavalerie légère du général -Heinrodt, conduite par l'intrépide Corbineau, chargea les cuirassiers -russes et les repoussa. Mais l'infanterie autrichienne de Colloredo -ayant déployé ses bataillons à l'appui de la cavalerie russe, les -chasseurs du général Heinrodt furent obligés de se replier. Le général -Corbineau, blessé à la tête, dut quitter le champ de bataille. - -[En marge: Les efforts des coalisés ne révèlent d'abord que -l'intention de contenir Vandamme.] - -Vandamme alors tira du centre la brigade Quyot, et la porta vers sa -gauche pour servir de soutien à la brigade Dunesme et à notre -cavalerie. À peine arrivait-elle dans la plaine à gauche qu'elle fut -assaillie par toute la cavalerie de Knorring. Le général Quyot forma -cette brave brigade, qui était de six bataillons, en trois carrés, et -pendant plus d'une heure essuya sans s'ébranler tous les assauts de la -cavalerie ennemie. Celle-ci ayant voulu tourner nos carrés et -s'approcher de Kulm, la brigade de chasseurs à cheval du général -Gobrecht la chargea à son tour, et la rejeta sur l'infanterie -autrichienne. Les efforts à notre gauche indiquaient le projet de nous -ramener sur la chaussée de Péterswalde en nous débordant, mais -jusqu'ici aucun de ces efforts n'avait réussi, et maîtres de la plaine -à gauche, toujours fermes au centre et à droite, où l'ennemi semblait -même ne pas oser nous attaquer, nous paraissions n'avoir rien à -craindre. - -[En marge: Coups de fusil entendus subitement sur les derrières de -Vandamme.] - -Tout à coup cependant vers dix heures du matin, un certain tumulte se -produisit sur nos derrières. On entendit des coups de fusil de -tirailleurs et le bruit de nombreuses voitures d'artillerie; on -aperçut enfin des colonnes épaisses, et Vandamme plein de joie crut -naturellement que c'était Mortier qui arrivait de Pirna! Vaine -illusion, terrible réveil! Il accourt, et reconnaît l'uniforme des -Prussiens! C'était le général Kleist qui descendait par la chaussée de -Péterswalde! Qui donc avait pu le tirer d'un affreux péril pour le -jeter ainsi sur nos derrières? Un hasard, un heureux mouvement de -désespoir! Voici en effet ce qui s'était passé. - -[En marge: Soudaine apparition du corps prussien de Kleist, qui en -cherchant à se faire jour se trouve sur les derrières de Vandamme.] - -[En marge: Grand péril de Vandamme.] - -En recevant la mission du colonel Schoeler, le général Kleist avait -fait part à ses officiers de la présence des Français à Kulm, et comme -il était entre la route de Péterswalde à gauche, laquelle était -occupée par Vandamme, et la route d'Altenberg à droite, qui avait été -encombrée toute la journée par les Russes et les Autrichiens, et qui -en ce moment était interceptée par le corps de Marmont, il ne lui -restait qu'à suivre droit devant lui les sentiers menant sur le revers -de la montagne, au risque de trouver Vandamme sur son chemin. -D'ailleurs ayant immédiatement sur ses derrières le corps de -Saint-Cyr, s'il s'arrêtait un instant il pouvait être assailli et -accablé. En présence de ce triple danger, les Prussiens, saisis d'un -transport d'enthousiasme, avaient pris le parti de gravir la montagne -qui s'élevait devant eux, et si ce chemin les conduisait au milieu du -corps de Vandamme, de se faire jour ou de mourir. Ils avaient marché -toute la nuit sans être suivis par Saint-Cyr, et avaient découvert sur -leur gauche un chemin de traverse qui par Furstenwalde et -Streckenwalde rejoignant la chaussée de Péterswalde les avait menés -sains et saufs sur les derrières mêmes de Vandamme. Le voyant assailli -de front par cent mille hommes, se trouvant trente mille au moins sur -ses derrières, ils venaient de commencer l'attaque à l'instant même, -se flattant et ne doutant plus d'un prodigieux résultat. - -[En marge: Il conserve sa présence d'esprit, et songe à rebrousser -chemin, en passant sur le corps des Prussiens.] - -À cet aspect Vandamme, conservant une rare présence d'esprit et après -s'être consulté avec le général Haxo, comprend qu'il n'a qu'une chose -à faire, c'est de remonter la chaussée de Péterswalde, et de passer -sur le corps des colonnes prussiennes en abandonnant son artillerie. -Un pareil sacrifice n'est rien s'il peut à ce prix sauver son armée. -Sur-le-champ il donne les ordres qui sont la conséquence de cette -résolution. Il prescrit à la brigade Quyot qu'il avait portée dans la -plaine à sa gauche, de se replier, ainsi qu'à la brigade de Reuss -laissée en avant de Kulm; il leur ordonne à toutes deux de se former -en colonnes serrées pour enfoncer les Prussiens, tandis que la brigade -Dunesme avec la cavalerie persistera dans la plaine à contenir les -Autrichiens de Colloredo et les nombreux escadrons de Knorring, et -qu'à droite Mouton-Duvernet et Philippon, rebroussant chemin le long -des montagnes, viendront à leur tour assaillir les Prussiens. Au -centre sur l'éminence de Kulm, Vandamme décidé à sacrifier son -artillerie, la place en batterie avec ordre d'en faire contre les -Russes un usage désespéré. La brigade Doucet doit soutenir cette -artillerie le plus longtemps possible, et puis quand on se sera fait -jour, on doit se retirer tous ensemble en abandonnant les canons, mais -en sauvant les chevaux et les hommes. - -[En marge: Un moment Vandamme a la chance de se sauver.] - -[En marge: Une confusion subite dans les divisions Philippon et -Mouton-Duvernet amène la catastrophe du corps de Vandamme.] - -Ces ordres sont aussitôt exécutés. Les brigades Quyot et de Reuss -quittent la plaine à gauche pour regagner la chaussée de Péterswalde, -tandis que Philippon et Mouton-Duvernet se replient lentement. À cette -vue, les soixante bataillons russes que nous avions devant nous à -notre droite et à notre centre, poussent des cris de joie, et nous -suivent. Mouton-Duvernet et Philippon les contiennent, Baltus au -centre les mitraille des hauteurs de Kulm; mais à gauche dans la -plaine, où ne reste plus que la brigade Dunesme, une masse formidable -d'ennemis fond sur cette brave brigade qui se défend vaillamment. En -arrière, les brigades Quyot et de Reuss essayant de regagner la -chaussée de Péterswalde en colonne serrée, chargent les Prussiens avec -violence. Ce mouvement produit un affreux refoulement dans les troupes -du général Kleist, et il en résulte un conflit impossible à décrire, -dans lequel les hommes se prennent corps à corps, s'étouffent, -s'égorgent à coups de sabres et de baïonnettes. Au même moment une -brigade de cavalerie, celle de Montmarie, suivie de beaucoup de -soldats du train, se jette sur l'artillerie des Prussiens et l'enlève. -Le général de Fezensac amené sur ce point par Vandamme avec les débris -de sa brigade, contribue à l'effort commun. On parvient ainsi à -rouvrir la route en renversant la première ligne de Kleist, et il y a -chance encore de se sauver si Mouton-Duvernet et Philippon, se -repliant à temps et en bon ordre, peuvent aider à forcer la seconde -ligne des Prussiens. Mais un étrange accident survient et déjoue tous -les calculs de l'infortuné Vandamme. Notre cavalerie chargée à -outrance sur la gauche de la route, et rejetée sur la droite, s'y -précipite suivie d'une multitude de soldats du train qui étaient -séparés de leurs pièces. Dans leur course désordonnée, cavaliers et -canonniers se ruent sur Mouton-Duvernet et Philippon, mettent le -trouble dans leurs rangs, et y décident par leur exemple un mouvement -général de retraite vers les bois. Alors tout prend cette direction! -Le général Baltus, après avoir criblé les Russes de mitraille, se -retire du même côté avec ses attelages et la brigade Doucet. Dans la -plaine il ne reste que la brigade Dunesme, assaillie de toutes parts, -se défendant héroïquement, mais finissant par succomber. Une partie -des soldats de cette brigade sont tués ou pris, les autres tâchent de -gagner l'asile des montagnes. Vandamme, Haxo, blessés, et demeurés les -derniers au milieu du péril, sont faits prisonniers. Le général -Kreutzer, placé à Aussig, et apercevant de loin cette échauffourée, -prend le parti de se retirer, et se sauve par miracle avec quelques -bataillons. À l'exception d'un petit nombre de colonnes se repliant -avec ordre, on ne voit bientôt de tous côtés qu'une nuée d'hommes -s'échappant comme ils peuvent, et réussissant en effet à se dérober à -l'ennemi, grâce à ces montagnes boisées où il est impossible de les -poursuivre. - -[En marge: Pertes de cette journée.] - -Telle fut cette malheureuse journée de Kulm, qui nous coûta 5 à 6 -mille morts ou blessés, 7 mille prisonniers, 48 bouches à feu, deux -généraux bien diversement illustres, et qui, bien qu'elle coûtât 6 -mille hommes aux coalisés, les releva de leur défaite, leur rendit -l'espérance de la victoire, et effaça en un moment de leur souvenir -les éclatantes journées du 26 et du 27 août. - -[En marge: À qui s'en prendre du malheur de Vandamme?] - -Quelle raison donner de cette singulière catastrophe? Comment -expliquer que tant de corps français entourant l'armée coalisée, à ce -point que l'un de ces corps, celui de Vandamme, se trouvait déjà sur -sa ligne de retraite, qu'elle-même étant embarrassée dans les gorges -du Geyersberg, et y ayant un de ses détachements tellement enfermé -qu'on ne pouvait imaginer de quelle manière il s'échapperait, comment -expliquer que la face des choses change tout à coup, que le corps -français destiné à assurer la perte de l'ennemi soit perdu lui-même, -et que l'auteur du désastre soit précisément le détachement prussien -supposé sans ressource, que la victoire passe ainsi des uns aux autres -en un instant, avec toutes ses conséquences militaires, politiques et -morales? Est-ce la faute de Vandamme, qui se serait trop engagé, de -Mortier, de Saint-Cyr qui ne l'auraient pas secouru à temps, de -Napoléon, qui aurait trop abandonné les événements à eux-mêmes? Ou -bien serait-ce le génie militaire qu'auraient déployé les généraux -ennemis en cette circonstance?... Les faits, exposés dans toute leur -vérité, ont presque déjà répondu à ces questions, et expliquent à eux -seuls ce changement de fortune, l'un des plus prodigieux dont -l'histoire fasse mention. - -[En marge: Vandamme ne pouvait pas faire autre chose que ce qu'il -fit.] - -Vandamme avec beaucoup de vices contre-balancés par de grandes -qualités, n'eut dans ces journées presque aucun tort. Il était placé -dès l'origine au camp de Pirna, avec mission essentielle de se porter -sur les derrières de l'ennemi, et devait avoir sans cesse l'esprit -tourné vers cette seule pensée. Le 28 août, voyant plusieurs colonnes -russes défiler devant lui, il reçut l'ordre formel de les suivre -l'épée dans les reins, de marcher après elles en Bohême, et d'aller -jusqu'à Toeplitz pour fermer aux coalisés leur principal débouché. Il -savait qu'il était entouré de corps français sur ses flancs et ses -derrières, prêts à survenir à tous moments. Il courut donc, il suivit -les Russes, et ce fut miracle si dans son ardeur il n'alla pas jusqu'à -Toeplitz, car il en avait l'ordre, et il était certain de n'obtenir -qu'à Toeplitz les grands résultats que Napoléon se promettait de sa -présence en Bohême. Pourtant après avoir essayé de pousser l'ennemi au -delà de Priesten, et avoir eu le tort, fort excusable d'ailleurs, et -qui n'eut aucune gravité pour la suite des événements, d'attaquer sans -ensemble, il sut s'arrêter à Kulm, bien qu'il eût Toeplitz devant lui, -Toeplitz que ses instructions et son légitime désir lui assignaient -comme but. Après s'être arrêté, il s'établit dans une position -très-forte, garantie de tous côtés, un seul excepté, celui par lequel -devait venir Mortier, et il attendit, demandant du secours et des -ordres. Quel autre parti aurait-il pu prendre? Rétrograder sur -Péterswalde et Pirna? mais c'eût été abandonner et son poste et sa -mission, et contrevenir non-seulement au texte, mais à la pensée de -ses instructions, car il était chargé de barrer le chemin à l'ennemi, -et il le lui eût ouvert. Tout ce qu'on pouvait donner à la prudence il -l'avait donné en s'abstenant d'aller à Toeplitz, et en s'arrêtant à -Kulm. Si dans cette position de Kulm, de laquelle il eut le bon esprit -de ne pas sortir, ce fut le général Kleist au lieu du maréchal Mortier -qui parut sur ses derrières, ce fut là un accident extraordinaire, -dont il y aurait une criante injustice à le rendre responsable. Quant -à ce qui suivit, Vandamme au moment de la catastrophe conserva toute -sa présence d'esprit, et prit la seule résolution possible, celle de -rebrousser chemin en passant sur le corps des Prussiens, résolution -qui devint inexécutable par l'inévitable confusion d'une situation -pareille. Il n'y avait donc rien à lui reprocher à lui, et la -supposition qu'il se perdit en courant trop vite après le bâton de -maréchal, qu'il avait mieux mérité que d'autres par ses services -militaires, et pas plus démérité par ses violences, est une calomnie à -l'égard d'un infortuné plus à plaindre ici qu'à blâmer. - -[En marge: Le maréchal Mortier se renferma également dans les ordres -qu'il avait reçus.] - -Si Vandamme ne fut pas coupable, si tout son malheur vint de ce qu'au -lieu d'un corps français il apparut sur ses derrières un corps -prussien, faut-il s'en prendre aux divers commandants de troupes -françaises qui auraient pu survenir, et notamment au maréchal Mortier, -au maréchal Saint-Cyr, les seuls placés à portée de Kulm? Le maréchal -Mortier établi à Pirna comme en cas, avec l'alternative d'être ramené -à Dresde ou envoyé à Toeplitz, aurait dû se tenir entre deux, et avec -plus de spontanéité et de vigilance il aurait pu accourir de lui-même -au secours de Vandamme. Mais dans la stricte observation de ses -devoirs, destiné à être dirigé sur un point ou sur un autre, il était -naturel qu'il attendît dans une complète immobilité l'expression des -volontés de Napoléon, et, quant à l'ordre précis de secourir Vandamme -avec deux divisions, cet ordre ne lui arriva que dans le courant de la -journée du 30, c'est-à-dire à une heure où la catastrophe était déjà -accomplie. Il est donc absolument impossible de s'en prendre à ce -maréchal. - -[En marge: Le maréchal Saint-Cyr seul aurait pu secourir Vandamme, et -ne le fit pas.] - -On voudrait pouvoir en dire autant du maréchal Saint-Cyr; mais ce -maréchal est certainement le plus sujet à reproches, et il y a peu -d'excuses à faire valoir en sa faveur. Placé directement à la suite du -corps de Kleist, il aurait dû être toujours sur ses traces, ne pas le -perdre de vue un instant, et s'il eût rempli ce devoir positif, le -corps de Kleist suivi à la piste, au moment où il tombait sur -Vandamme, aurait vu à son tour un corps français tomber sur ses -derrières, et aurait probablement été pris et détruit, au lieu de -contribuer à prendre et à détruire Vandamme. Malheureusement le -maréchal Saint-Cyr, esprit éminent mais frondeur, n'ayant de zèle que -pour les opérations dont il était directement chargé, ne sachant hors -du feu que critiquer ses voisins et son maître, ayant en toute -circonstance plaisir à chercher des difficultés au lieu de chercher à -les vaincre, employa la journée du 28 à se porter à Maxen, le -lendemain 29 ne s'avança que jusqu'à Reinhards-Grimme, ne fit ainsi -qu'une lieue et demie dans cette journée décisive pour la poursuite, -employa ce temps si précieux à faire demander à l'état-major s'il -devait suivre Marmont sur la route d'Altenberg, et tandis qu'il avait -l'ordre positif de suivre l'ennemi à outrance dans toutes les -directions, laissait Kleist disparaître, et s'acheminer sur les -derrières de Vandamme. Puis le lendemain 30, lorsque l'ordre de -chercher à rejoindre Vandamme par une route latérale lui parvenait, -ordre tellement indiqué que Berthier sur la carte seule le lui -envoyait de Dresde, il s'ébranlait enfin, et par le chemin qui avait -mené Kleist sur les derrières de Vandamme, et qui l'aurait mené -lui-même sur les derrières de Kleist, il arrivait pour entendre le -canon qui annonçait notre désastre. Ainsi avait été perdue la journée -du 29, à fronder, à se plaindre de n'avoir pas d'ordre, tandis -qu'existait l'ordre constant et bien suffisant de poursuivre l'ennemi -sans relâche[16]! - - [Note 16: Quoique je n'aie pas le goût d'adopter les - jugements malveillants que les contemporains portent les uns - sur les autres, et que je me défie en particulier de ceux du - duc de Raguse, ordinairement légers et rigoureux, il est - impossible, quand on a bien étudié les faits, lu les ordres - et les correspondances, de ne pas reconnaître que le - jugement qu'il exprime en cette occasion sur la conduite du - maréchal Saint-Cyr est à peu près juste. C'est avec grand - chagrin qu'on trouve en faute un homme aussi distingué que - le maréchal Saint-Cyr, mais on doit la vérité à tout le - monde, et il faut savoir se résigner à la dire sur ce - maréchal, lorsque dans cette histoire il faut la dire sur - des hommes tels que Moreau, Masséna et Napoléon. - - Le maréchal Marmont n'est pas le seul à juger comme il l'a - fait la conduite du maréchal Saint-Cyr en cette - circonstance. Dans une relation encore manuscrite, digne de - celle qu'il a écrite sur 1812, M. le général de Fezensac a - porté en termes très-modérés, mais très-positifs, le même - jugement que le maréchal Marmont sur le rôle qu'ont joué les - divers acteurs de l'événement de Kulm. Effectivement les - faits sont tellement frappants, qu'il est impossible de les - interpréter de deux manières. Le général Vandamme ne périt - pas pour être allé trop loin, car, ainsi que nous l'avons - dit, il avait ordre d'aller à Toeplitz, et il s'arrêta à - Kulm. À Kulm, avec 52 bataillons, il était invincible, et il - le serait resté si trente mille Prussiens n'étaient tombés - sur ses derrières. Qui était chargé de suivre ces Prussiens? - Non pas Mortier, qui était à gauche à Pirna, et avait ordre - d'y rester; non pas Marmont, qui était à droite sur la route - d'Altenberg, et avait ordre de s'y tenir; mais le maréchal - Saint-Cyr, qui était entre deux, avec mission de poursuivre - l'ennemi sans relâche et dans toutes les directions, comme - le lui prescrivaient les instructions réitérées de Napoléon. - Or, le 28 il s'arrêta à Maxen, ce qui à la rigueur pouvait - se concevoir. Mais le 29 il employa la journée à faire une - lieue et demie, et envoya chercher l'ordre de savoir s'il - suivrait Marmont qu'il venait de rencontrer sur sa droite. - En admettant qu'il eût besoin de cet éclaircissement, le - premier devoir était en attendant de ne pas perdre la piste - de l'ennemi, et de ne pas lui laisser la liberté dont il usa - si fatalement pour accabler Vandamme. Le lendemain, quand - l'ordre, dicté par le plus simple bon sens, de tâcher de se - lier à Vandamme plutôt que de suivre Marmont, quand cet - ordre arrivait il n'était plus temps, et Vandamme était - détruit. Le maréchal Saint-Cyr, sans la mauvaise volonté - dont on l'a accusé à d'autres époques envers ses voisins, - fut par la seule suspension de sa marche le 29, l'auteur - involontaire assurément, mais bien visible, du désastre de - Vandamme. Même en faisant demander un éclaircissement à - l'état-major général, il aurait dû ne pas s'arrêter, et il - devait bien, avec son rare esprit et sa grande expérience, - se dire que pendant qu'il envoyait chercher un ordre - l'ennemi se sauverait; et encore si l'ennemi n'avait fait - que se sauver, ce n'eût été qu'un faible mal, mais en se - sauvant il détruisit Vandamme et le destin de la campagne. - C'est avec un grand regret qu'on trouve en faute un aussi - noble personnage historique que le maréchal Saint-Cyr, mais - l'histoire ne doit être une flatterie ni pour les vivants ni - pour les morts. Elle n'est tenue que d'être vraie, de l'être - sans malveillance comme sans faiblesse. - - Nous plaçons ici quelques lettres extraites de la - correspondance de Napoléon et du major général Berthier. - - - _L'Empereur au major général._ - «Dresde, le 27 août 1813, - à sept heures et demie du soir. - - »..... Envoyez reconnaître positivement la situation du - maréchal Saint-Cyr. Témoignez-lui mon mécontentement de ce - que je n'ai pas eu de ses nouvelles pendant toute la - matinée: il aurait dû m'envoyer un officier toutes les - heures pour me rendre compte de ce qui se passait.» - - - _Au major général._ - «Devant Dresde, le 28 août 1813. - - »Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il - se mettra sur la hauteur, et suivra la retraite sur les - hauteurs en passant entre Dohna et la plaine. Le duc de - Trévise suivra sur la grande route. Aussitôt que la jonction - sera faite avec le général Vandamme, le maréchal Saint-Cyr - continuera sa route pour se porter avec son corps et celui - du général Vandamme sur Gieshübel, le duc de Trévise prendra - position sur Pirna. Du reste, je m'y rendrai moi-même - aussitôt que je saurai que le mouvement est commencé.» - - - _Au major général._ - «Dresde, le 29 août 1813, - à 5 heures et demie du matin. - - »Donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein - et de tomber sur les flancs et les derrières de l'ennemi, et - de réunir à cet effet sa cavalerie, son infanterie et son - artillerie.--_Donnez ordre au duc de Raguse de suivre - l'ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes les directions - qu'il aurait prises.--Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de - suivre l'ennemi sur Maxen et dans toutes les directions - qu'il aurait prises._--Instruisez ces trois généraux de la - position des deux autres, afin qu'ils sachent qu'ils se - soutiennent réciproquement.» - - - _Au roi de Naples._ - «Dresde, le 29 août 1813, - à 5 heures après midi. - - »Aujourd'hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme - a attaqué le prince de Wurtemberg près de Hollendorf; il lui - a fait 1500 prisonniers, pris quatre pièces de canon, et l'a - mené battant; c'étaient _tous Russes_. Le général Vandamme - marchait sur Toeplitz avec tout son corps. Le général prince - de Reuss, qui commandait une de nos brigades, a été tué.--Je - vous écris cela pour votre gouverne.--Le général Vandamme me - mande que l'épouvante est dans toute l'armée russe.» - - - _Le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr._ - «Dresde, le 30 août 1813. - - »MONSIEUR LE MARÉCHAL, - - »Je reçois votre lettre datée de Reinhards-Grimme, par - laquelle vous me faites connaître que vous vous trouvez - derrière le 6e corps. L'intention de Sa Majesté est que, - dans cet état de choses, vous appuyiez le 6e corps; mais il - serait préférable que vous pussiez trouver un chemin sur la - gauche, entre le duc de Raguse et le corps du général - Vandamme, qui a obtenu de grands succès sur l'ennemi et lui - a fait 2 mille prisonniers.»] - -Quant au maréchal Marmont, il poussa l'ennemi aussi vivement qu'il le -put, et eut même plusieurs combats heureux, mais il était trop loin de -Vandamme pour lui venir en aide. Placé tout à fait sur la droite, il -ne pouvait avoir la prétention de franchir les montagnes avant -Saint-Cyr, sans s'exposer à tomber seul au milieu des ennemis comme -dans un gouffre. Il n'y a donc rien à lui reprocher. Quant à Murat, il -était dans l'impossibilité d'exercer aucune influence sur l'événement -déplorable qui s'accomplit à Kulm, puisqu'il courait avec ses -escadrons sur la grande route de Freyberg. - -[En marge: Quelle part peut-on assigner à Napoléon dans la catastrophe -de Vandamme.] - -[En marge: Napoléon n'a mérité dans cette occasion que le reproche -ordinaire de trop entreprendre.] - -Reste enfin au nombre des acteurs responsables de cette catastrophe -Napoléon lui-même, qui présent sur les lieux, suivant sans relâche ses -lieutenants, aurait pu les faire converger au point commun, et par sa -présence eût certainement obtenu ce qu'il prévoyait, et ce qu'il était -fondé à espérer. Mais il fut détourné le 28 de ce grand devoir par les -nouvelles qui lui parvinrent des environs de Lowenberg et de Berlin, -et aussi, il faut le dire, par la confiance qu'après les ordres -donnés, les résultats attendus étaient suffisamment préparés et -garantis. En effet, quatre-vingt mille hommes sous Saint-Cyr, -Marmont, Murat, poussant les coalisés contre les montagnes, et -quarante mille hommes sous Vandamme chargés de les recevoir sur le -revers, composaient un ensemble de précautions aussi complètes que -toutes celles qu'il avait jamais prises pour s'assurer les -conséquences de ses victoires! Si les coalisés eussent été aussi -faciles à déconcerter que l'étaient jadis nos ennemis, s'ils eussent -été moins obstinés à combattre, moins prompts à reprendre confiance, -Vandamme, au lieu de leur inspirer l'idée de s'arrêter, les aurait -recueillis comme des troupeaux qui fuient devant un animal prêt à les -dévorer. Napoléon s'en rapportant au passé, crut, et dut croire qu'il -avait assez fait pour se procurer les plus beaux triomphes. -Malheureusement les temps étaient changés, et pour achever la ruine de -la grande armée de Bohême, ce n'eût pas été trop de Napoléon lui-même -veillant jusqu'au dernier instant à l'accomplissement de ses desseins. -Et en toute autre circonstance il n'aurait pas manqué d'être auprès de -Vandamme avec sa garde entière, de conduire par la main Saint-Cyr et -Marmont, et de poursuivre la victoire jusqu'à ce qu'il en eût tiré -tout ce qu'elle pouvait donner. Mais il était distrait, reporté -violemment ailleurs; non pas comme tant d'autres héros par le goût de -la mollesse ou des plaisirs, mais par la passion ordinaire de sa vie, -passion d'obtenir tous les résultats à la fois, souvent même les plus -contradictoires et les plus opposés. Berlin, Dantzig, comme Moscou un -an auparavant, étaient les prismes trompeurs qui égaraient en ce -moment son génie. Pour frapper à Berlin la Prusse et l'Allemagne, pour -être toujours fondé à dire que sa puissance s'étendait du golfe de -Tarente à la Vistule, il avait eu dès le commencement de cette -campagne la pensée d'envoyer un de ses corps à Berlin, de conserver -une garnison à Dantzig, et pour cette pensée il avait, comme on l'a -vu, laissé s'introduire dans la profonde combinaison de son plan de -campagne un vice caché, celui d'élargir singulièrement le cercle de -ses opérations dont le centre était à Dresde, de placer Macdonald à -Lowenberg au lieu de le placer à Bautzen, de diriger Oudinot sur -Berlin au lieu de l'établir à Wittenberg, grande faute qui l'empêchait -d'accourir à temps partout où il aurait fallu qu'il fût pour achever -ses propres victoires, et réparer les échecs de ses lieutenants! Cette -même cause continuant à produire les mêmes effets, il voulut, en -apprenant un malheur arrivé à Macdonald, le secourir le plus tôt -possible; il voulut aussi conduire lui-même l'armée d'Oudinot à -Berlin, et pour ce double motif se détournant de Pirna et de Kulm, où -il aurait dû être de sa personne et avec sa garde, il laissa ses -victoires les plus importantes inachevées, pour courir à d'autres, et -s'exposa de la sorte à manquer tous les buts pour les vouloir -atteindre tous à la fois. Ainsi toujours la même cause dans les -malheurs de Napoléon, toujours la même source d'erreur! - -[En marge: Mérite des coalisés en cette circonstance.] - -[En marge: C'est au hasard qu'est dû leur triomphe inespéré.] - -Et c'est dans le désastre de Kulm la seule part de reproches qu'on -puisse lui adresser, car dans les détails il ne commit pas une faute. -Quant à ses ennemis, leur mérite contribua pour peu de chose au -résultat. Leur plan de retraite fut fort peu médité; ils se retirèrent -en hâte avec l'idée d'aller jusqu'au delà de l'Eger, et s'ils -s'arrêtèrent devant Kulm, ce fut à l'improviste, ce fut à la vue d'un -corps dont la position à la fois hasardée et inquiétante pour eux -leur inspira l'idée de ne point passer sans le contenir. Et cependant -ils n'en seraient pas même venus à bout, si le plus grand des hasards, -celui d'un corps prussien compromis, faisant acte de désespoir pour se -sauver, ne leur eût fourni une combinaison involontaire, inattendue, -et d'immense conséquence, combinaison dont on a voulu attribuer le -mérite à l'empereur Alexandre, mais qui ne fut due qu'au sentiment -énergique des Prussiens résolus à se faire jour ou à mourir. Ce n'est -donc pas au génie des coalisés, qui toutefois étaient loin de manquer -d'habileté militaire, c'est à la passion patriotique qui les animait, -et qui les portait à se roidir contre la défaite, qu'il faut attribuer -leur promptitude à saisir l'occasion de Kulm! Autre leçon profondément -morale à tirer de ces prodigieux événements, c'est qu'on doit se -garder de pousser les hommes au désespoir, car en provoquant ce -sentiment chez eux on leur donne des forces surnaturelles, qui -déjouent tous les calculs, et surmontent parfois la puissance même de -l'art le plus consommé! - -[En marge: L'événement de Kulm leur rendit toute la confiance qu'ils -avaient perdue.] - -Ces coalisés qui en abandonnant le champ de bataille de Dresde, se -tenaient pour complétement battus, et se demandaient tristement si en -cherchant à vaincre Napoléon ils n'avaient pas entrepris de lutter -contre le destin lui-même, tout à coup à l'aspect de Vandamme vaincu -et pris, se regardèrent comme revenus à une situation excellente, et -crurent voir au moins en équilibre la balance de la fortune. Pourtant -en comptant ce que leur avaient coûté les deux journées de Dresde, la -poursuite du 28 et du 29, la journée même du 30, ils avaient perdu en -morts, blessés ou prisonniers, plus de 40 mille hommes, et la défaite -de Vandamme, après tout, ne nous faisait pas perdre plus de 12 à 13 -mille hommes, en prisonniers, morts ou blessés. Mais la confiance -était rentrée dans leur âme, ils se livraient à la joie, et loin de -vouloir abandonner la partie, et de laisser à Napoléon le temps -d'aller frapper les armées de Silésie et du Nord, ils étaient résolus -à ne lui accorder aucun repos, et à le combattre sans relâche. Dans -ces hécatombes immenses, quarante mille hommes ne comptaient pour -rien; le sentiment des adversaires aux prises était tout, et le -sentiment des coalisés, loin d'être celui de la défaite, était presque -déjà celui de la victoire. Pour eux n'être pas vaincus, c'était -presque vaincre, et pour Napoléon au contraire ne pas anéantir ses -adversaires, c'était n'avoir rien fait. C'est à ces conditions -extrêmes et à peu près impossibles qu'il avait attaché son salut! - -[En marge: Derniers moments de Moreau.] - -[En marge: Sa fermeté devant la douleur, son trouble devant sa -conscience.] - -Ajoutons en terminant ce douloureux récit, que le seul homme qu'on eût -un moment opposé jadis à Napoléon, Moreau, expirait tout près de lui, -à Tann. On lui avait coupé les deux jambes, et il avait supporté cette -opération avec le courage tranquille qui était sa qualité distinctive. -Pourtant il avait horriblement souffert. Transporté sur les épaules -des soldats ennemis de sa patrie, il avait fait un trajet d'une -vingtaine de lieues au milieu de douleurs cruelles. De l'autre côté -des monts, tous les souverains, le roi de Prusse, l'empereur -d'Autriche, l'empereur Alexandre, s'étaient rendus auprès de son lit -de mort, et lui avaient prodigué les marques d'estime et de regret. -Les plus grands personnages, M. de Metternich, le prince de -Schwarzenberg, les généraux de la coalition, étaient venus le visiter -à leur tour; Alexandre l'avait tenu longtemps serré dans ses bras, car -il avait conçu pour lui une amitié véritable. Plutôt embarrassé que -fier de ces témoignages, Moreau, dont l'âme un instant égarée avait -toujours été honnête, Moreau s'interrogeant lui-même sur le mérite de -sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne suis pas coupable, -je ne voulais que le bien de ma patrie!.... Je voulais l'arracher à un -joug humiliant!...--Ainsi, tandis qu'on entourait son agonie de -respects, lui, tout occupé d'autre chose, s'examinait, se jugeait au -tribunal de sa propre conscience, et n'avait de repos que lorsqu'il -s'était trouvé des excuses pour une conduite qui lui valait de si -hauts témoignages. Un autre cri lui échappa plusieurs fois, ce fut -celui-ci: Ce Bonaparte est toujours heureux!--Il avait proféré ces -mots au moment où le boulet l'avait frappé, et il les répéta souvent -avant d'expirer!... Bonaparte heureux!... Il l'avait été, il pouvait -le paraître encore aux yeux d'un rival expirant, mais la Providence -allait bientôt prononcer sur son propre sort, et lui infliger une fin -plus triste peut-être que celle de Moreau, s'il y a une fin plus -triste que de mourir dans les rangs des ennemis de sa patrie! Funestes -illusions de la haine! On s'envie, on se hait, on se poursuit en -croyant heureux l'adversaire qu'on déteste, tandis que tous, la tête -courbée sous le fardeau de la vie, on marche au milieu des mêmes -douleurs à des malheurs presque pareils! les hommes s'envieraient -moins, s'ils savaient combien avec des apparences différentes leur -fortune est souvent égale, et au lieu de se diviser sous la main du -destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir en commun le poids -accablant! - - -FIN DU LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME. - - - - -LIVRE CINQUANTIÈME. - -LEIPZIG ET HANAU. - - Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin - pendant les opérations des armées belligérantes autour de - Dresde. -- Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald - lorsque Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. -- Pressé - d'exécuter ses instructions et craignant de perdre les avantages - de l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en - mouvement le 26 août. -- Le général Blucher s'était jeté sur la - division Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait - culbutées du plateau de Janowitz. -- Cet accident avait entraîné - la retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de - plusieurs jours avait rendue presque désastreuse. -- Prise et - destruction de la division Puthod. -- Le maréchal Macdonald - réduit de 70 mille hommes à 50 mille. -- Son mouvement rétrograde - sur le Bober. -- Événements du côté de Berlin. -- Marche du - maréchal Oudinot à la tête des 4e, 12e et 7e corps. -- - Composition et force de ces corps. -- Armée du prince royal de - Suède. -- Arrivée devant Trebbin. -- Premières positions de - l'ennemi enlevées dans les journées des 21 et 22 août. -- - Isolement des trois corps français dans la journée du 23, et - combat malheureux du 7e corps à Gross-Beeren. -- Retraite du - maréchal Oudinot sur Wittenberg. -- Beaucoup de soldats se - débandent, surtout parmi les alliés. -- C'est la connaissance de - ces graves échecs qui le 28 août avait ramené Napoléon de Pirna - sur Dresde, et avait détourné son attention de Kulm. -- Ne - sachant pas encore ce qui était arrivé à Vandamme, il avait formé - le projet de déplacer le théâtre de la guerre et de le - transporter dans le nord de l'Allemagne. -- Vastes conséquences - qu'aurait pu avoir ce projet. -- À la nouvelle du désastre de - Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses vues, réorganise le - corps de Vandamme, en confie le commandement au comte de Lobau, - envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal Oudinot dans le - commandement des trois corps retirés sur Wittenberg, et se - propose de s'établir avec ses réserves à Hoyerswerda, afin de - pousser d'un côté le maréchal Ney sur Berlin, et de prendre de - l'autre une position menaçante sur le flanc du général Blucher. - -- Départ de la garde pour Hoyerswerda. -- Nouvelles inquiétantes - de Macdonald, qui détournent encore Napoléon de l'exécution de - son dernier projet, et l'obligent à se porter tout de suite sur - Bautzen. -- Arrivée de Napoléon à Bautzen le 4 septembre. -- - Prompte retraite de Blucher dans les journées des 4 et 5 - septembre. -- À peine Napoléon a-t-il rétabli le maréchal - Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de l'armée de - Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à Dresde. -- Son - entrevue aux avant-postes avec le maréchal Saint-Cyr dans la - journée du 7. -- Projet pour le lendemain 8 septembre. -- Dans - cet intervalle, Napoléon apprend un nouveau malheur arrivé sur la - route de Berlin. -- Le maréchal Ney ayant reçu l'ordre de se - porter sur Baruth, avait fait dans la journée du 5 septembre un - mouvement de flanc devant l'ennemi, avec les 4e, 12e et 7e corps. - -- Ce mouvement, qui avait réussi le 5, ne réussit pas le 6, et - amène la malheureuse bataille de Dennewitz. -- Retraite le 7 - septembre sur Torgau. -- Débandade d'une partie des Saxons. -- - Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais commence à - concevoir des inquiétudes sur sa situation. -- Avis indirect, - donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre de la - guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du Rhin. - -- Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal Saint-Cyr, - Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les Prussiens et - les Russes, afin de les rejeter en Bohême. -- Sur l'avis du - maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille route de - Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a l'espérance de - tourner l'ennemi. -- L'impossibilité de faire passer l'artillerie - par le Geyersberg empêche d'achever le mouvement projeté. -- - Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens sont séparés des - Prussiens et des Russes, et pressé de réparer les échecs de ses - lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à Dresde. -- Évidence - du plan des coalisés, consistant à courir sur les armées - françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se retirer dès - qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour l'envelopper - ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment affaibli. - -- Déplorable réalisation de ces vues. -- Les forces de Napoléon - réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur l'Elbe à 250 - mille. -- En considération de cet état de choses, Napoléon - resserre le cercle de ses opérations, ramène Macdonald avec les - 8e, 5e, 11e, 3e corps près de Dresde, établit le comte de Lobau - et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna, derrière de bons - ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne puisse plus se faire - un jeu de ses apparitions sur la route de Péterswalde, envoie un - fort détachement de cavalerie sur ses derrières pour disperser - les troupes de partisans, réorganise le corps de Ney sur l'Elbe, - place le maréchal Marmont et Murat à Grossenhayn pour protéger - l'arrivée de ses approvisionnements, et se concentre à Dresde - avec toute la garde, de manière à ne plus être mis en mouvement - par de vaines démonstrations de l'ennemi. -- Troisième apparition - des Prussiens et des Russes sur Péterswalde. -- Les ouvrages - ordonnés entre Pirna, Gieshübel et Dohna, n'étant pas achevés, - Napoléon est obligé d'accourir encore une fois sur la route de - Péterswalde pour rejeter l'ennemi en Bohême. -- Prompte retraite - des coalisés. -- Retour de Napoléon à Pirna, et ses soins pour - bien asseoir sa position, afin de ne plus s'épuiser en courses - inutiles. -- Sa résolution de s'établir sur l'Elbe, de Dresde à - Hambourg, pour la durée de l'hiver. -- Projets de l'ennemi. -- - Napoléon étant partout resserré sur l'Elbe, et la saison - avançant, les souverains coalisés songent à mener la guerre à fin - par une tentative décisive sur les derrières de notre position. - -- Blucher fait prévaloir l'idée d'employer en Bohême la réserve - du général Benningsen, et, après avoir ainsi renforcé la grande - armée des alliés, de la faire descendre sur Leipzig, tandis qu'il - ira lui-même joindre Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux - environs de Wittenberg, et remonter sur Leipzig avec les armées - du Nord et de Silésie. -- Premiers mouvements en exécution de ce - dessein. -- Napoléon découvre sur-le-champ l'intention de ses - adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche de - l'Elbe. -- Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald - avec le 11e corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par - Leipzig, l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer - Ney; il envoie Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à - Leipzig pour soutenir Victor contre l'armée de Bohême. -- Attente - de quelques jours pour laisser dessiner plus clairement les - projets de l'ennemi. -- Blucher s'étant dérobé pour se joindre à - Bernadotte et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde - le 7 octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur - Wittenberg dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte - d'abord, et puis de se reporter sur la grande armée de Bohême. -- - Belle et profonde conception de Napoléon tendant à refouler - Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre ensuite - Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour repasser - ce fleuve à Torgau ou à Dresde. -- Mouvement prononcé de Blucher - et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de - Napoléon. -- Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous - sur Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer - entre eux, et empêcher leur jonction. -- Retour de la grande - armée française sur Leipzig. -- Terrible bataille, la plus grande - du siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours - sous les murs de Leipzig. -- Retraite de Napoléon sur Lutzen. -- - Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction ou la - captivité d'une partie de l'armée française. -- Mort de - Poniatowski. -- Marche sur Erfurt. -- Défection de la Bavière et - arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de Hanau. - -- Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de Hanau. - -- Humiliation de l'armée austro-bavaroise. -- Rentrée des - Français sur le Rhin. -- Leur état déplorable en arrivant à - Mayence. -- Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. -- - Triste capitulation de Dresde. -- Situation, forces, conduite - héroïque, et malheurs des garnisons françaises, inutilement - laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. -- Caractère de la - campagne de 1813. -- Effrayants présages qu'on en peut tirer. - - -[Date en marge: Août 1813.] - -[En marge: Événements qui s'étaient passés sur le Bober et sur la -route de Berlin.] - -Les événements graves et peu prévus qui attirant tout à coup -l'attention de Napoléon l'avaient détournée de Kulm, s'étaient passés -sur la Katzbach en Silésie, et à Gross-Beeren dans le Brandebourg. Le -maréchal Macdonald, que Napoléon avait laissé à la poursuite de -Blucher, venait d'éprouver subitement une sorte de désastre, et le -maréchal Oudinot, que Napoléon considérait comme près d'entrer à -Berlin, avait été, à la suite d'un combat malheureux, ramené sous le -canon de Wittenberg. Il faut savoir comment s'étaient produits ces -événements, pour se faire une idée exacte de la situation, et -comprendre les combinaisons qui avaient absorbé Napoléon pendant les -journées des 28, 29, 30 août, et l'avaient empêché d'accourir avec -toutes ses réserves auprès de l'infortuné Vandamme. - -[En marge: Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald par -Napoléon, lorsque celui-ci s'était reporté sur Dresde.] - -[En marge: Le maréchal Macdonald avait 80 mille hommes, compris le -corps de Poniatowski.] - -[En marge: Il avait pour instruction de garder le Bober, mais en -rejetant l'ennemi sur Jauer au delà de la Katzbach.] - -Napoléon après avoir rejeté l'armée de Silésie du Bober sur la -Katzbach, avait laissé au maréchal Macdonald pour continuer à la -poursuivre le 3e corps, fort de 25 mille hommes et commandé par le -général Souham depuis le départ du maréchal Ney, le 5e corps, fort de -20 mille hommes et toujours placé sous les ordres du général -Lauriston, enfin le 11e, fort de 18 mille et confié au général Gérard -depuis que le maréchal Macdonald avait pris le commandement supérieur -des trois corps réunis. À cette masse d'infanterie il fallait ajouter -la cavalerie du général Sébastiani, qui pouvait présenter une réserve -de 5 à 6 mille chevaux, et qui était indépendante des détachements de -cavalerie légère attachés à chaque corps d'armée. Le total s'élevait -ainsi à environ 70 mille hommes, sans compter les 10 ou 11 mille -Polonais du prince Poniatowski, postés sur la frontière de Bohême en -arrière et à droite du maréchal Macdonald, pour garder le débouché de -Zittau. Napoléon avait donné pour instruction au maréchal Macdonald de -rejeter Blucher sur Jauer et au delà, puis de s'établir fortement sur -le Bober, entre Lowenberg et Buntzlau, de manière à tenir l'armée de -Silésie éloignée de Dresde, et à empêcher l'armée de Bohême de faire -des détachements sur Berlin. Napoléon ne doutait pas qu'avec 80 mille -hommes victorieux, Macdonald ne remplît parfaitement sa mission. Le -maréchal n'en doutait pas lui-même, et il continua de s'avancer -hardiment contre le général Blucher. - -[En marge: Ordre mal donné, qui ramène l'ennemi deux jours plus tôt -qu'on ne s'y attendait.] - -Un incident, peu important au premier aspect, apporta dès le début un -fâcheux changement à cette situation en apparence si avantageuse. -Napoléon en partant avait adressé au maréchal Ney l'ordre de le suivre -à Dresde; mais cet ordre ne spécifiant pas assez clairement qu'il -s'agissait de la personne du maréchal Ney et non de ses troupes, on -avait dirigé le 3e corps lui-même sur la route de Dresde, et l'armée -française vers son aile gauche avait semblé se mettre en retraite. -Blucher impatient par caractère et par position de reprendre -l'offensive, avait conclu du mouvement rétrograde d'une portion de -notre ligne que Napoléon n'était plus là, et qu'il fallait revenir sur -l'armée française privée de sa présence, et probablement aussi d'une -partie des forces qu'elle avait un moment déployées. De son côté -Macdonald avait voulu rendre à ses troupes l'attitude qu'elles -venaient de perdre, et s'était hâté, sans tenir assez compte des -circonstances, de se reporter en avant. Il devait de cette double -disposition résulter un choc violent et prochain. - -[En marge: Position des 3e, 5e et 11e corps, le 25 août au soir.] - -Le 3e corps (général Souham) ayant fait d'abord une marche en arrière, -puis une nouvelle marche en avant, afin de revenir à Liegnitz, avait -laissé dans cet inutile déplacement un certain nombre d'hommes sur les -chemins. Le 25 août au soir il était de retour à sa première position. -Le 11e corps (général Gérard) formant le centre, n'avait pas quitté -Goldberg, et le 5e (général Lauriston) formant la droite, était -également demeuré immobile. Le maréchal Macdonald ayant tout son monde -en ligne, résolut de se porter dès le lendemain 26 sur Jauer, point -qu'il devait occuper pour obéir à ses instructions. Bien que Napoléon -ne voulût pas établir son armée de Silésie plus loin que le Bober, il -désirait cependant qu'elle eût ses avant-postes sur la Katzbach, de -Jauer à Liegnitz, afin de mieux vivre, et d'intercepter plus sûrement -tout détachement envoyé de la Bohême sur Berlin. - -[En marge: Marche adoptée par Macdonald pour se porter sur Jauer.] - -Voici comment le maréchal Macdonald s'y prit pour l'exécution de son -mouvement. Quoiqu'à Goldberg il fût sur l'un des bras de la Katzbach, -par conséquent fort au delà du Bober, il y avait sur sa droite un -point du Bober resté au pouvoir de l'ennemi, c'était celui de -Hirschberg, dans les montagnes. Il détacha une division du 11e corps, -celle du général Ledru, et lui ordonna de remonter le Bober de notre -côté, c'est-à-dire par la rive gauche, tandis que la division Puthod -du corps de Lauriston, le remonterait par la rive droite, de manière à -surprendre Hirschberg par les deux rives. Pendant que ce mouvement -s'opérait sur notre extrême droite, et tout à fait dans les -montagnes, le maréchal Macdonald prit le parti de marcher lui-même sur -Jauer, avec les corps de Lauriston et de Gérard, diminués chacun d'une -division. Il n'y avait pour arriver à Jauer aucun cours d'eau -important à franchir, mais seulement quelques ravins plus ou moins -profonds à traverser, sur lesquels on pouvait trouver l'ennemi en -force. Le maréchal Macdonald se flattait de le débusquer, soit par une -attaque directe des généraux Gérard et Lauriston sur Jauer même, soit -par un mouvement latéral des généraux Souham et Sébastiani sur -Liegnitz. - -[En marge: Le 3e corps, partant de Liegnitz, doit prendre Jauer en -flanc, tandis que les 5e et 11e y marcheront directement.] - -Il prescrivit en effet au général Souham de partir de Liegnitz avec le -3e corps, et de prendre la route de cette ville à Jauer, laquelle -vient donner dans le flanc même de Jauer en traversant le plateau de -Janowitz. Il espérait que vingt-cinq mille hommes menaçant l'ennemi en -flanc, lui ôteraient jusqu'à l'idée de résister à l'attaque de front -qu'exécuteraient contre lui les généraux Lauriston et Gérard. -Malheureusement il y avait une assez grande distance entre le chemin -qu'allait suivre le général Souham sur le plateau de Janowitz, et la -route qu'avaient à parcourir les généraux Gérard et Lauriston pour -marcher en droite ligne sur Jauer. Le général Gérard, le moins éloigné -des deux, devait remonter le ravin profond de la Wutten-Neiss, petite -rivière torrentueuse qui de Jauer va tomber dans la Katzbach, en -contournant le plateau de Janowitz. Pour établir quelque liaison entre -les deux principales masses de ses forces, le maréchal Macdonald -assigna au général Sébastiani une route intermédiaire, celle de -Buntzlau à Jauer, qui suivant d'abord le ravin de la Wutten-Neiss, -puis franchissant cette rivière, aboutit sur le plateau de Janowitz. -Tous les ordres furent expédiés pour être exécutés le 26 au matin sans -remise. - -[En marge: Pluie torrentielle le 26 août au matin, laquelle n'empêche -pas Macdonald de persister dans ses projets.] - -Le 26, une pluie d'orage qui avait duré la nuit entière, avait fait -déborder toutes les rivières, et rendu les chemins presque -impraticables. Le maréchal Macdonald, pressé de reprendre l'offensive, -ne tint pas compte du mauvais temps, et exigea qu'il fût donné suite à -ses ordres. Tandis que les divisions Puthod et Ledru remontaient les -deux rives du Bober jusqu'à Hirschberg, les corps de Lauriston et de -Gérard marchaient sur Jauer, descendant, gravissant tour à tour les -bords des ravins qu'il fallait franchir pour arriver à cette petite -ville. Malgré les difficultés que la pluie leur opposait, nos agiles -tirailleurs, dépostant ceux de l'ennemi, les obligèrent partout à se -replier. À gauche, les choses furent moins faciles. - -[En marge: Souham et Sébastiani n'ayant pu prendre la route de -Liegnitz à Jauer, s'engouffrent avec les troupes de Gérard dans le -ravin de la Wutten-Neiss.] - -Le général Sébastiani après s'être mis en route un peu tard n'était -pas encore à l'entrée du ravin de la Wutten-Neiss, tandis que le -général Gérard y avait déjà pénétré, et que Lauriston marchant -parallèlement à celui-ci était fort en avant. Le général Souham, de -son côté, ayant trouvé à Liegnitz la Katzbach débordée, avait cherché -un passage au-dessus, et était ainsi venu prendre la même route que le -général Sébastiani. Il y eut là pendant quelque temps 23 à 24 mille -hommes d'infanterie, 5 à 6 mille chevaux, et plus de cent bouches à -feu engouffrés dans un ravin profond, jusqu'à ce que s'élevant sur le -bord de ce ravin ils pussent déboucher sur le plateau de Janowitz. -Dans ce moment la cavalerie prussienne en reconnaissance avait -descendu ce plateau, et n'apercevant pas nos troupes, s'était fort -avancée dans le ravin de la Wutten-Neiss. Le général Gérard cheminant -sur la rive opposée de cette rivière, découvrit les escadrons -prussiens qui avaient déjà dépassé sa gauche, et il fit tirer sur eux -par derrière. La pluie qui n'avait pas cessé fut cause qu'il partit à -peine une quarantaine de coups de fusil. Mais ils suffirent pour -avertir les escadrons prussiens du mauvais pas où ils s'étaient -engagés, et ils rebroussèrent chemin au galop. Le général Gérard ayant -fait amener son artillerie, et tirant d'une rive à l'autre, joncha le -défilé d'un bon nombre de ces imprudents cavaliers. - -[En marge: Le maréchal Macdonald imagine de faire monter la division -Charpentier sur le plateau de Janowitz et de sortir ainsi du ravin de -la Wutten-Neiss.] - -[En marge: Premier succès de la division Charpentier, et son -déploiement sur le plateau de Janowitz.] - -Cet incident suggéra au maréchal Macdonald l'idée de lancer tout de -suite quelques bataillons de la division Charpentier, l'une des deux -du général Gérard, sur le plateau de Janowitz, afin de s'en emparer, -et d'aider ainsi les généraux Sébastiani et Souham à s'y déployer. -L'ordre donné fut exécuté sur-le-champ. Le général Charpentier, avec -l'une de ses brigades et une batterie de réserve de 12, passa la -Wutten-Neiss à Nieder-Krayn, gravit le plateau, et s'y déploya malgré -les avant-postes prussiens. Il fut immédiatement rejoint par la -cavalerie du général Sébastiani, qui vint successivement prendre -position sur sa gauche. Le général Souham s'apprêtait à la suivre, -mais lentement, ainsi que le comportaient le temps, la nature des -lieux, et le nombre de troupes accumulées dans cet étroit défilé. - -[En marge: Blucher, prévenu à temps, porte quarante mille hommes à la -fois sur la division Charpentier.] - -[En marge: Cette division, après une résistance héroïque, est rejetée -dans le ravin de la Wutten-Neiss.] - -Sur ce même point Blucher arrivait à l'instant avec la plus grande -partie de ses forces. Comptant sur la position de Jauer, il n'y avait -laissé que le corps de Langeron, et avait porté à la fois York et -Sacken sur le plateau de Janowitz pour parer au mouvement de flanc qui -le menaçait. À la vue de nos troupes gravissant le bord du ravin de la -Wutten-Neiss pour s'établir sur le plateau, il avait pensé que nous ne -pourrions pas lui opposer beaucoup de monde à la fois, et qu'en nous -abordant avec quarante mille hommes, il nous culbuterait facilement -dans le ravin dont nous tâchions de sortir. Il se fit d'abord précéder -par une puissante artillerie, dont la brigade du général Charpentier -supporta le feu avec sang-froid, et auquel elle répondit avec sa -batterie de douze. Il fit mieux encore, et lança sur elle dix mille -chevaux. Notre infanterie, formée en carré, voulut en vain leur -opposer ses feux éteints par la pluie; réduite à ses baïonnettes, elle -s'en servit bravement, et arrêta tout court l'élan de la cavalerie -ennemie. Le général Sébastiani, rachetant sa lenteur par sa vigueur, -chargea cette cavalerie et la ramena, mais il fut ramené à son tour, -et ne put résister longtemps à des forces triples des siennes. Il fut -contraint d'opérer un mouvement rétrograde, et découvrit ainsi la -gauche de la brigade Charpentier. Alors Blucher, qui n'avait pu -ébranler cette brave brigade avec ses cavaliers, jeta sur elle plus de -vingt mille hommes d'infanterie. Elle reçut et soutint plusieurs -charges à la baïonnette; mais bientôt accablée par le nombre, elle -perdit du terrain, et finit par être poussée jusqu'au bord du ravin -de la Wutten-Neiss. Malgré une ferme contenance, elle fut obligée d'y -redescendre, et elle s'y trouva pêle-mêle avec la cavalerie Sébastiani -qui se repliait aussi, et avec la tête du corps de Souham qui -arrivait. On conçoit quel encombrement, quel désordre dut s'y -produire, et que de pertes on dut y faire, surtout en canons, car -notre artillerie embourbée dans les terres avait été privée de ses -chevaux presque tous tués par le feu ennemi. - -On se retira donc, refoulés vivement dans cet étroit passage jusqu'au -village de Kroitsch où la Wutten-Neiss se joint à la Katzbach, et où -Blucher n'osa pas nous poursuivre. - -[En marge: Cet accident amène un mouvement rétrograde général.] - -[En marge: Retraite de nuit par un temps affreux.] - -Cette échauffourée sur un seul point, laquelle nous avait coûté tout -au plus un millier d'hommes, suffit pour convertir en une espèce de -déroute générale une opération qui avait réussi sur le reste de notre -ligne. En effet, les généraux Gérard et Lauriston, attaquant avec une -extrême énergie les positions que Langeron avait successivement -occupées et abandonnées, étaient déjà parvenus en vue de Jauer, malgré -le mauvais temps, et allaient s'en emparer, lorsqu'ils furent arrêtés -par la nouvelle de ce qui s'était passé à leur gauche. Ils furent donc -sous peine d'imprudence contraints de rétrograder, et ils revinrent -jusqu'à Goldberg où ils entrèrent vers minuit, dans un état fort -triste, ayant rencontré en route les débris des troupes battues sur le -plateau de Janowitz, et ayant eu à traverser un immense encombrement -de voitures embourbées, de blessés qu'on emportait avec la plus grande -peine par un temps devenu affreux. Il fallut bivouaquer comme on put, -sous une pluie continuelle, les uns dans Goldberg, les autres en -dehors, la plupart sans vivres, sans abri, en un mot dans un état -misérable. - -[En marge: Nos jeunes soldats rebutés par cette subite épreuve.] - -[En marge: Continuation de mauvais temps pendant les journées des 27 -et 28 août.] - -[En marge: Difficulté pour nos corps d'armée de regagner le Bober, et -de franchir le fleuve presque partout débordé.] - -C'est pour les traverses de ce genre que sont bons les vieux soldats. -Au feu, de jeunes soldats menés par des officiers vigoureux sont plus -impétueux sans doute, parce qu'ils connaissent moins le danger; mais -au premier revers ils s'étonnent, à la première souffrance ils se -rebutent, et surtout s'ils sont depuis peu au drapeau, il suffit d'un -échec pour troubler toutes leurs idées, et convertir leur téméraire -bravoure en abattement profond. Cependant avec des vivres on aurait pu -retenir nos conscrits dans les cadres, et, au retour du soleil, avec -une nouvelle impulsion donnée par des chefs énergiques, on serait -parvenu à leur rendre la confiance. Mais il fallut, sans vivres, sans -abri, passer une nuit horrible, avec certitude d'avoir le lendemain -sur les bras quatre-vingt mille hommes, victorieux ou croyant l'être. -Le lendemain matin, le ciel, qui était encore chargé d'eau, continua -de verser sur nos soldats des torrents de pluie. Heureusement la -Katzbach qu'on avait repassée la veille, leur servit de protection -contre la poursuite impétueuse de Blucher. Elle était tellement -débordée, qu'à peine il put faire passer sa cavalerie. On réussit donc -à se retirer sans avoir l'infanterie des alliés sur les bras; mais on -fut poursuivi par une nuée de cavaliers que nos fusils n'arrêtaient -guère faute de pouvoir faire feu. Nos jeunes soldats, plus fermes -devant l'ennemi que devant le mauvais temps, opposèrent avec leurs -baïonnettes une barrière de fer aux cavaliers russes et prussiens, et -parvinrent ainsi à les contenir. Obligés néanmoins de s'éloigner à la -hâte, ils laissèrent en arrière une grande partie de leur artillerie -embourbée, et il arriva que beaucoup d'entre eux, rebutés ou mourants -de faim, s'étant éparpillés dans les villages pour vivre, furent pris, -ou initiés de bonne heure au dangereux et corrupteur métier de -maraudeurs. Le corps du général Souham, couvert par la cavalerie du -général Sébastiani, put se retirer sain et sauf à travers la plaine, -et gagner Buntzlau. Les corps des généraux Gérard et Lauriston, plus -vivement poursuivis, et n'ayant pas de grosse cavalerie pour se -couvrir, trouvèrent un abri dans les bois qui séparent la Katzbach du -Bober, entre Goldberg et Lowenberg. Ils y passèrent la nuit un peu -mieux abrités, mais pas mieux nourris que la veille. Ces deux corps, -rendus dans la journée du 28 en face de Lowenberg, voulurent en vain y -passer le Bober. Le pont n'était pas détruit, mais il fallait pour -arriver jusqu'à ses abords traverser une inondation de trois quarts de -lieue d'étendue, et il n'y eut d'autre ressource que de redescendre la -rive droite du Bober pour le franchir à Buntzlau, où étaient déjà -Souham et Sébastiani. Pour la première fois depuis trois jours, on -trouva des toits et des subsistances, bien disputés du reste, car on -était cinquante mille au moins accumulés sur un seul point. - -[En marge: Inquiétudes du maréchal Macdonald pour la division Puthod, -envoyée sur Hirschberg par la rive droite du Bober.] - -[En marge: Désastre de cette division qui n'avait pas repassé le Bober -à temps.] - -Le maréchal Macdonald, ferme, sage, expérimenté, loyal, mais presque -toujours malheureux depuis la funeste journée de la Trebbia, n'avait -pas le tort de s'abuser sur sa mauvaise fortune. Aussi, rentré à -Buntzlau, ne regardait-il pas comme apaisée la cruelle fatalité qui le -poursuivait, et il tremblait pour la division Puthod, hasardée seule -au delà du Bober, jusqu'à la hauteur de Hirschberg. On ne pouvait -avoir d'inquiétude pour la division Ledru, laquelle avait cheminé par -la rive gauche qui nous appartenait, mais si la division Puthod -n'avait pas profité du pont de Hirschberg pour revenir en deçà du -Bober, son sort était évidemment compromis. C'était en effet ce qui -devait arriver. Cette division ayant remonté le Bober par une rive -tandis que la division Ledru le remontait par l'autre, n'avait point -usé du pont de Hirschberg lorsqu'il en était temps encore, et s'était -vue séparée par d'immenses masses d'eau de ses compagnons d'armes, qui -lui tendaient vainement les mains du haut de la rive gauche. Le 29 -elle imagina de descendre par la rive droite, vis-à-vis de Lowenberg, -près de Zopten. Là, réduite de 6 mille hommes à 3 mille par la -fatigue, la faim, le froid des nuits, l'abattement, elle fut assaillie -par les troupes de Blucher, refusa de se rendre, se défendit -vaillamment, et finit par être prise ou détruite. L'infortuné -Macdonald, plus infortuné qu'elle encore, entendant de Buntzlau le feu -de l'artillerie, devinant l'affreux sacrifice qui se consommait, -voulait avec quelques troupes remonter par la rive droite à la hauteur -de Zopten, mais on lui fit sentir le danger, l'inutilité peut-être de -ce secours, et il fut obligé de laisser immoler sous ses yeux de -malheureux soldats perdus à la suite de sa mauvaise étoile. - -[En marge: Retour le 30 sur le Bober, après une perte de 20 mille -hommes, dont plus de la moitié en soldats débandés.] - -Le 30 on se trouva tous réunis sur la gauche du Bober, mais au nombre -de 50 mille hommes au plus, au lieu de 70 mille qu'on était quelques -jours auparavant, et après avoir laissé cent pièces de canon dans les -fanges. Le feu n'avait pas détruit plus de 3 mille hommes sur les 20 -mille qui manquaient; mais l'ennemi en avait ramassé 7 à 8 mille, et -il y en avait 9 à 10 mille débandés, qui avaient jeté ou perdu leurs -fusils, et qui n'avaient guère envie d'en prendre d'autres. Une trop -subite épreuve des souffrances de la guerre, succédant à une confiance -aveugle, avait tout à coup réveillé en eux le sentiment qu'ils -éprouvaient en quittant leurs chaumières six mois auparavant, celui de -la haine contre l'homme qui les sacrifiait, à peine sortis de -l'adolescence, à une ambition désordonnée. Braves, ils l'étaient -toujours, et on pouvait tout attendre d'eux si on parvenait à les -faire rentrer dans les rangs, mais c'était difficile. Irrités et -dégoûtés, ils aimaient mieux vivre en pillant le pays ennemi que -reprendre des armes pour un dieu cruel qui dévorait, disaient-ils, -leur jeunesse sans pitié et sans motif. Macdonald se vit donc sur le -Bober avec cinquante mille soldats découragés, et neuf ou dix mille -traînards suivant l'armée, et alléguant le défaut de fusils pour ne -pas revenir au drapeau. Poniatowski était resté sain et sauf à Zittau -avec ses dix mille Polonais. - -[En marge: Causes du revers essuyé par le maréchal Macdonald.] - -Les causes de ce malheur étaient de diverses natures: il y en avait -d'accidentelles, il y en avait de générales. Les causes accidentelles, -c'étaient le mauvais temps, l'ordre équivoque au maréchal Ney qui -avait entraîné un mouvement rétrograde inutilement fatigant pour les -troupes, ramené l'ennemi prématurément, et poussé le maréchal -Macdonald à prendre une offensive précipitée; c'étaient peut-être -aussi quelques fautes du général en chef, qui avait envoyé deux -divisions sur Hirschberg pour en expulser l'ennemi que notre présence -à Jauer aurait suffi pour en éloigner; qui pendant la bataille avait -laissé trop isolées les deux fractions de son armée, et en prenant -pour les relier le parti d'occuper le plateau de Janowitz, ne l'avait -fait qu'avec des forces insuffisantes, qui avait trop méprisé enfin -les difficultés naissant du temps et des routes. Les causes générales, -et celles-là beaucoup plus redoutables encore, c'étaient le -patriotisme des coalisés, leur ardeur à revenir sans cesse à la charge -dès qu'ils voyaient la moindre chance de recommencer la lutte avec -avantage, c'était surtout la jeunesse de nos troupes, impétueuses au -feu, mais trop nouvelles aux traverses de la guerre, parties avec le -sentiment qu'on les sacrifiait à une folle ambition, oubliant ce -sentiment devant l'ennemi, mais l'éprouvant plus vivement que jamais -au premier revers, et après s'être conduites vaillamment dans le -combat, jetant leurs armes dans la retraite, par dépit, découragement, -épuisement moral et physique. - -[En marge: Événements sur la route de Berlin.] - -Ces mêmes causes avaient produit sur la route de Berlin un revers -moins éclatant, quoique tout aussi fâcheux par ses conséquences. - -[En marge: Le maréchal Oudinot chargé de marcher sur Berlin avec les -4e, 7e et 12e corps.] - -[En marge: Ces corps comprennent tout au plus 64 mille hommes, au lieu -de 70 mille qu'on s'était flatté de réunir.] - -[En marge: Caractère des généraux Reynier et Bertrand, subordonnés au -maréchal Oudinot.] - -[En marge: Forces de Bernadotte, s'élevant à environ 90 mille hommes -de bonnes troupes.] - -On a vu quelle importance Napoléon attachait à diriger un corps sur -Berlin, afin de rejeter l'armée du Nord loin du théâtre de la guerre, -d'infliger une humiliation à Bernadotte, de saisir l'imagination des -Allemands en entrant dans la principale de leurs capitales, de frapper -au coeur le Tugend-Bund, de dissoudre le ramassis dont il croyait -l'armée de Bernadotte composée, et de tendre enfin la main à nos -garnisons de l'Oder et de la Vistule. Pour atteindre ces buts divers, -il avait donné au maréchal Oudinot outre le 12e corps que ce maréchal -commandait directement, le 7e confié au général Reynier, et le 4e -confié au général Bertrand. Le 12e, comprenant deux bonnes divisions -françaises et une bavaroise, comptait environ 18 mille hommes; le 7e, -formé de la division française Durutte et de deux saxonnes, en -comptait 20 mille; le 4e ayant une seule division française, -excellente il est vrai, celle du général Morand, et deux étrangères, -l'italienne Fontanelli et la wurtembergeoise Franquemont, était, comme -le précédent, fort d'une vingtaine de mille hommes. Le duc de Padoue -avec 6 mille chevaux formait la réserve de cavalerie. C'étaient donc à -peu près 64 mille hommes, au lieu de 70 mille qu'on avait d'abord -espérés, parmi lesquels beaucoup de ramassis, comme disait Napoléon, -car dans l'effectif total il entrait pour un tiers au moins de soldats -de toutes nations, quelques-uns très-médiocres, et la plupart très-mal -disposés. La composition sous le rapport des chefs ne laissait pas -moins à désirer. Le maréchal Oudinot, aussi brave, aussi résolu sur le -champ de bataille qu'on pouvait l'être, n'avait jamais exercé un -commandement de cette importance, avait la noble modestie de se défier -de lui-même, et osait à peine faire sentir son autorité à ses -lieutenants, les généraux Reynier et Bertrand. Le général Reynier, -officier savant et solide, comme nous avons déjà eu l'occasion de le -dire ailleurs, mais malheureux, était plein de prétentions, se croyait -supérieur à la plupart des maréchaux, se plaignait amèrement de n'être -que lieutenant-général, et, comme Vandamme, était trop impatient -peut-être de gagner une dignité qu'on lui avait tant fait attendre. Le -général Bertrand, honoré de la faveur de Napoléon et y tenant, la -justifiant par une grande application à ses devoirs, par la bravoure -la plus sûre de toutes, celle du dévouement, mais plus propre aux -travaux du génie qu'à la direction des troupes, ayant de l'esprit, -mais ne l'ayant pas toujours juste, était un subordonné déférent en -apparence, et plus obséquieux que soumis. Le maréchal Oudinot fort -embarrassé d'avoir à dominer ces prétentions diverses, ne l'osait -faire qu'avec des ménagements infinis, peu compatibles avec la vigueur -et la promptitude du commandement. Placé plus près des lieux que -Napoléon, recueillant tous les bruits du pays, il ne s'abusait pas sur -la force de l'ennemi et sur la difficulté du terrain. Il savait que -Bernadotte avec une certaine quantité de gens de toutes sortes, levés -à la hâte, avait cependant un excellent corps suédois, un corps russe -très-solide, et surtout un corps prussien, celui du général Bulow, -très-nombreux, très-animé, très-disposé à se battre. Outre ce corps de -Bulow, il y avait un second corps prussien sous le général Tauenzien, -destiné d'abord au blocus des places, et duquel on avait tiré ce qu'il -y avait de meilleur pour l'employer à la guerre offensive. Ces -troupes réunies composaient un total de 90 mille hommes environ, -campés en avant de Berlin. Le prince de Suède avait détaché sous le -général Walmoden une vingtaine de mille hommes, comprenant ce qui -méritait le nom de ramassis, pour tenir tête, derrière les nombreux -canaux du Mecklembourg, au corps d'armée qui était sorti de Hambourg -sous le maréchal Davout. Le reste des 150 mille hommes commandés par -le prince de Suède avait été consacré au blocus ou au siége des places -de l'Oder et de la Vistule. - -[En marge: Difficulté des lieux que le maréchal Oudinot avait à -traverser pour se rendre à Berlin.] - -Le maréchal Oudinot était parfaitement informé de cet état de choses, -et en était justement préoccupé. Les lieux ajoutaient à la difficulté -de sa tâche. En s'avançant sur Berlin, entre l'Elbe et la Sprée, on -devait cheminer entre une double ligne d'eaux tour à tour stagnantes -ou courantes, lesquelles peuvent se désigner, l'une par la rivière de -la Dahne qui se jette dans la Sprée au-dessus de Berlin, l'autre par -la rivière de la Nuthe qui se jette dans le Havel à Potsdam. Au sein -de l'angle formé par cette double ligne d'eaux, se trouvait l'armée du -Nord, établie dans une bonne position, celle de Ruhlsdorf, couverte -par une puissante artillerie, et gardée au loin par une cavalerie -innombrable. On ne pouvait s'aventurer à travers ce labyrinthe de -bois, de sables, d'étangs, de rivières, qu'en courant toujours un -double danger, celui d'être débordé ou tourné si on marchait sur une -seule route, et, si on voulait en tenir plusieurs, celui d'être séparé -en deux ou trois corps, que la privation de communications -transversales rendait incapables de se secourir l'un l'autre. - -[En marge: Répugnance du maréchal Oudinot à se charger du grand -commandement qui lui était destiné.] - -[En marge: Premier mouvement de Baruth à Luckenwalde.] - -Au moment de partir pour cette expédition, le maréchal Oudinot se -défiant à la fois de l'ennemi, des lieux, de ses lieutenants, de -lui-même, aurait volontiers cédé à d'autres le périlleux honneur qu'on -lui avait destiné. Napoléon lui avait bien écrit qu'il y aurait dans -peu de jours plus de cent mille Français à Berlin, car dans ses -calculs, malheureusement faits de loin, il avait compris les 30 mille -hommes du maréchal Davout, et les 10 mille hommes qui devaient sortir -de Magdebourg sous le général Girard. Mais avant que cette réunion pût -s'effectuer, il fallait que la première difficulté eût été vaincue, -celle de percer sur Berlin, et celle-là on devait la surmonter avec -une armée de beaucoup inférieure à l'armée ennemie, et à travers un -pays presque impénétrable. Le maréchal Oudinot n'avait donc pas pris -ces promesses fort au sérieux, et il se voyait toujours, au milieu -d'un pays des plus difficiles, obligé avec 64 mille hommes de marcher -contre Berlin protégé par 90 mille. Le 18 août il était réuni à -Baruth, à trois journées de Berlin, avec ses trois corps. Mais ayant à -rallier la division de grosse cavalerie du général Defrance, qui -devait faire partie de la réserve du duc de Padoue, et qui venait -rejoindre l'armée par Wittenberg, il opéra un mouvement transversal de -droite à gauche, et se porta de Baruth à Luckenwalde. (Voir la carte -nº 58.) Après avoir rallié sa grosse cavalerie, il reprit sa route au -nord, s'avançant entre Zossen et Trebbin, au centre de cette double -ligne d'eaux qui viennent, comme nous l'avons dit, converger sur -Berlin. - -[En marge: Arrivée à Trebbin le 21 août.] - -[En marge: Deux routes à suivre, l'une à gauche passant par Trebbin, -l'autre à droite passant par Blankenfelde.] - -Le 21 il était en face de Trebbin, à quelques lieues de l'armée -ennemie, qui commençait à se concentrer à mesure que le terrain se -resserrait et que nous approchions. Entre les deux lignes d'eau -s'élevait une suite de coteaux boisés, et sur le flanc de ces coteaux -se développaient les deux routes par lesquelles on pouvait s'acheminer -sur Berlin. L'une des deux routes, celle de gauche, passant à Trebbin, -avait un ruisseau à franchir, puis à gravir un coteau couvert de bois, -pour déboucher sur Gross-Beeren. Celle de droite, entièrement séparée -de la précédente, après avoir gravi aussi des coteaux, allait -déboucher par Blankenfelde sur la droite et à quelque distance de -Gross-Beeren. Le maréchal Oudinot résolut de suivre ces deux routes à -la fois, par précaution d'abord, car il ne voulait pas être tourné en -négligeant l'une des deux, par condescendance ensuite, car ses -lieutenants aimaient assez à marcher séparément, et il se flattait que -ces obstacles surmontés on se réunirait pour aborder l'ennemi en -masse. - -[En marge: Le maréchal Oudinot enlève Trebbin le 21.] - -Le 21 il attaqua Trebbin avec le 12e corps, dirigea le 4e, celui du -général Bertrand, sur Schultzendorf, et achemina le 7e, celui du -général Reynier, entre deux, vers un village appelé Nunsdorf. La -petite ville de Trebbin, assez bien retranchée, était occupée par un -détachement des troupes de Bulow. Le corps de Tauenzien gardait la -route de droite, celle de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot commença -par accabler Trebbin de ses projectiles, puis il y envoya une brigade -de la division Pacthod, pendant que le 7e corps menaçait par Wittstock -de tourner la position. Ces mouvements combinés produisirent leur -effet. La brigade de la division Pacthod entra baïonnette baissée dans -un faubourg de Trebbin, et les Prussiens se voyant déjà débordés par -le 7e corps, nous abandonnèrent cette petite ville, repassèrent le -ruisseau qu'ils avaient mission de défendre, et se replièrent sur les -coteaux en arrière. Vers la route de droite, le général Bertrand avait -occupé Schultzendorf avec le 4e corps. - -[En marge: Le 22, il force le passage du ruisseau de Trebbin.] - -[En marge: Danger d'être pris en flanc si on marche sur une seule -route, et de se diviser si on marche sur deux.] - -Le lendemain 22, il fallut franchir le ruisseau disputé la veille, -gravir ensuite les coteaux sur lesquels s'élevait la route de Berlin, -et sur la route de droite gravir également les hauteurs le long -desquelles passait le chemin de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot -aborda le ruisseau sur deux points, par Wilmersdorf et Wittstock. La -division Guilleminot du 12e corps, la division Durutte du 7e, ayant -rétabli le passage avec des chevalets, assaillirent hardiment les -redoutes de l'ennemi, et les occupèrent sans perdre beaucoup de monde. -Les troupes du corps de Bulow les évacuèrent en se retirant -définitivement vers la position centrale choisie par le prince de -Suède. Sur le côté opposé, le général Bertrand après une vive -canonnade atteignit la position de Juhnsdorf, conduisant à -Blankenfelde. On avait donc fait un nouveau pas dans ce fourré, où -l'on était condamnés soit à marcher divisés en cheminant sur deux -routes latérales presque sans communication entre elles, soit à -marcher sans précaution contre un mouvement de flanc, si on prenait -une seule route. Sans doute il eût été possible de parer à cet -inconvénient, en s'avançant avec la masse de ses forces par une route -seulement, et en ne dirigeant sur l'autre que quelques détachements de -troupes légères, mais il eût fallu disloquer les divers corps, et pour -cela exercer à l'égard de leurs chefs une autorité que le maréchal -Oudinot, commandant direct du 12e et plutôt conseiller que chef des 7e -et 4e, n'osait pas s'attribuer. - -Tout annonçait qu'on approchait définitivement de l'ennemi, et qu'on -allait se trouver face à face avec lui. Le ruisseau sur le bord duquel -on avait combattu la veille une fois franchi, on allait longer le -flanc de coteaux boisés, et aboutir à un village nommé Gross-Beeren, -vis-à-vis de la position centrale de Ruhlsdorf occupée par l'armée du -Nord. On devait par la route de droite opérer un mouvement semblable -sur le flanc des coteaux de Juhnsdorf et de Blankenfelde, et si on -parvenait à y vaincre la résistance de l'ennemi, on était assuré de -déborder de ce côté la position de Gross-Beeren. - -[En marge: Mouvement le 23 août des 12e et 7e corps sur Gross-Beeren, -et du 4e sur Blankenfelde.] - -Le maréchal Oudinot espérant ne rencontrer l'ennemi qu'après avoir -dépassé Gross-Beeren, et lorsqu'on aurait eu le temps de se réunir, -laissa par excès de condescendance une tâche distincte à chacun de ses -lieutenants. Il décida que sur la route de droite le général Bertrand -enlèverait Blankenfelde, pour se porter ensuite sur Gross-Beeren; que -sur la route de gauche le général Reynier qui avait forcé la veille le -ruisseau de Trebbin et gravi les coteaux au delà, cheminerait sur le -flanc de ces coteaux en suivant la lisière des bois jusqu'à -Gross-Beeren, et là s'arrêterait pour prendre position. Quant à lui, -au lieu de marcher avec le 12e corps derrière le général Reynier pour -lui servir d'appui, il imagina de passer par Arensdorf sur l'autre -versant des hauteurs que ce général devait parcourir, comme s'il eût -craint d'importuner ses lieutenants par sa présence. Il devait ensuite -déboucher sur Gross-Beeren, mais à deux lieues sur la gauche, distance -à peu près égale à celle qui en devait séparer le général Bertrand sur -la droite. - -[En marge: Combat de Gross-Beeren, livré par le 7e corps contre la -masse de l'armée prussienne et suédoise.] - -Le 23 août au matin chacun se mit en mouvement selon la direction qui -lui était assignée. Sur la route de droite, le général Bertrand -s'étant présenté devant la hauteur de Blankenfelde, y trouva le -général Tauenzien fortement établi, et fut obligé d'engager avec lui -une violente canonnade. Sur la route de gauche, le général Reynier, -avec le 7e, longea pendant près de trois lieues le flanc des coteaux -dont le maréchal Oudinot parcourait le revers, chemina sans grande -difficulté, et déboucha devant Gross-Beeren. Sur-le-champ il attaqua -ce village, et en débusqua la division du général de Borstell. Avec -une impatience de succès très-mauvaise conseillère, il s'avança fort -au delà de ce village au lieu de s'y établir, et aperçut en position, -à Ruhlsdorf, l'armée du prince de Suède tout entière. À droite devant -lui il avait la division de Borstell, repliée sur le gros du corps -prussien de Bulow, au centre mais tirant un peu sur la gauche l'armée -suédoise, tout à fait à gauche enfin les Russes, c'est-à-dire, sans -compter le corps de Tauenzien, un rassemblement d'environ 50 mille -hommes, couverts par une nombreuse artillerie. Il n'avait pour faire -face à cette ligne formidable que 18 mille hommes, dont 6 mille -Français, soldats excellents, et 12 mille Saxons qui ne valaient plus -ceux qui avaient fait sous ses ordres la campagne de Russie. Il -n'éprouvait certes pas l'envie de se mesurer avec une pareille masse -d'ennemis; mais s'étant assez avancé pour donner prise, il ne pouvait -manquer de les avoir bientôt sur les bras. - -[En marge: Hésitation de Bernadotte, et ardeur des Prussiens.] - -[En marge: Le gros de l'armée prussienne se jette sur le 7e corps.] - -[En marge: La division Durutte se défend vaillamment, mais les Saxons -se débandent.] - -[En marge: Retraite de l'armée française à la suite du malheureux -combat de Gross-Beeren.] - -En effet les Prussiens du général Bulow brûlaient d'impatience de nous -combattre, et de couvrir de leurs corps la route par laquelle nous -prétendions arriver à Berlin. Bernadotte hésitait. C'était la première -fois qu'il allait rencontrer les Français, et il les craignait encore -plus que sa conscience. Il tremblait de voir disparaître en un jour le -prestige dont il avait cherché à s'entourer au milieu des étrangers, -en se donnant pour le principal auteur des succès de Napoléon. Il -craignait aussi de compromettre l'armée suédoise, qu'il savait ne -pouvoir pas remplacer si elle était détruite. Il s'agissait donc pour -lui de jouer sa fortune, sa couronne en un instant, et il était saisi -d'une hésitation qui faisait douter de son courage de soldat. Le -général Bulow, comme tous les Prussiens, se défiant encore plus de la -loyauté de Bernadotte que de sa valeur, n'attendit pas son -commandement, et avec les 30 mille hommes qu'il avait sous ses ordres, -marcha sur le général Reynier. Il se fit précéder de beaucoup de -bouches à feu, et, pour l'ébranler plus sûrement, il porta sur le -flanc de son adversaire la division de Borstell. Bernadotte ne pouvant -plus reculer, mais ne voulant pas engager toutes ses forces, se -contenta de détacher sa cavalerie avec une nombreuse artillerie -contre la gauche de Reynier, dont la division Borstell menaçait la -droite. Le général Reynier, qui une fois au danger s'y comportait avec -la valeur d'un vieil officier de l'armée du Rhin, tint bon, espérant -être bientôt secouru. Il exécuta un mouvement rétrograde pour prendre -une meilleure position, et appuyant sa droite aux maisons de -Gross-Beeren, sa gauche à une hauteur d'où son artillerie plongeait -sur l'ennemi, il fit très-bonne contenance. Les Prussiens, malgré une -épaisse mitraille, s'avancèrent résolûment, animés par le double désir -de sauver Berlin et de saisir une proie qu'ils croyaient assurée. La -division Durutte résista héroïquement; mais les Saxons, pour la -plupart conscrits de l'année, joignant à la faiblesse de leur âge un -très-mauvais esprit, travaillés par des officiers qui leur rappelaient -que Bernadotte les avait commandés en 1809 et traités comme un père, -ne résistèrent pas longtemps, et laissèrent sans appui la division -Durutte. Celle-ci fut obligée de se retirer, mais elle le fit en bon -ordre, et en ôtant à l'ennemi le goût de la poursuivre. De son côté la -division Guilleminot, du 12e corps, s'avançant sous la conduite du -maréchal Oudinot sur le revers de la position, se trouvait à Arensdorf -au moment de la plus violente canonnade. Elle se hâta de courir au -feu, et se rabattit par sa droite à travers les bois, afin de secourir -Reynier par le plus court chemin. Arrivant trop tard pour faire -changer la face du combat, elle servit toutefois à contenir l'ennemi, -et se replia ensuite, assaillie plusieurs fois par la cavalerie russe -sans en être ébranlée. Chacun se reporta sur le point de départ du -matin, le 12e corps sur Thyrow, le 7e sur Wittstock. Le 12e était en -bon état, le 7e se trouvait désorganisé par la complète déroute des -Saxons. Plus de 2 mille de ces alliés avaient été pris, avec quinze -bouches à feu; quelques mille s'étaient débandés, les uns pour aller -joindre les Suédois, les autres pour s'enfuir sur les derrières. Quant -au général Bertrand qui dirigeait le 4e corps, il avait fait d'assez -grands efforts pour surmonter la résistance de Tauenzien à -Blankenfelde, et n'y avait point réussi. Il ne l'aurait pu qu'en -poussant ces efforts à l'extrême, mais il le croyait inutile, pensant -que le succès du corps principal à Gross-Beeren obligerait Tauenzien à -décamper. De la sorte, chacun avait combattu sans accord, sans -concert, comptant mal à propos sur son voisin, les uns sans dommage -comme Bertrand et Oudinot, les autres au contraire avec un dommage -notable comme le général Reynier. - -[En marge: Pertes considérables par la disposition des troupes alliées -à se débander.] - -[En marge: Motifs du maréchal Oudinot pour se retirer jusqu'à -Wittenberg.] - -[En marge: Mésaventure de la division Girard sortie de Magdebourg.] - -[En marge: Position embarrassée du maréchal Davout, engagé seul avec -30 mille hommes au milieu du Mecklembourg.] - -Cependant cet échec, si on n'avait eu que des troupes exclusivement -françaises, et d'un esprit sûr, n'aurait pas pu être suivi de grandes -conséquences, car, après tout, on n'avait perdu que 2 mille hommes en -ligne. Mais avec une moitié de l'effectif total en troupes italiennes -et allemandes toujours prêtes à nous quitter, et une autre moitié de -jeunes soldats français, trop confiants d'abord, et maintenant tout -étonnés d'un revers, il était difficile de continuer à s'avancer sur -Berlin en présence de 90 mille hommes, sur le corps desquels il aurait -fallu passer. Déjà plus de 10 mille alliés, les uns Saxons, les autres -Bavarois, avaient quitté nos rangs et couraient vers l'Elbe en -poussant le cri de _Sauve qui peut!_ Dans un pareil état de choses le -maréchal Oudinot pensa qu'il fallait battre en retraite, et se -rapprocher de l'Elbe. Le lendemain 24 août, il commença son mouvement -rétrograde, l'exécuta en bon ordre, mais toujours pressé vivement par -les Prussiens, ivres de joie et d'orgueil, accusant Bernadotte de -trahison ou de lâcheté parce qu'il n'était pas aussi ardent qu'eux, et -courant sans le consulter à la poursuite de l'ennemi, plus vaincu à -leurs yeux qu'il ne l'était véritablement. Le maréchal Oudinot aurait -pu s'arrêter et réprimer peut-être leur ardeur; toutefois, dès qu'il -n'était plus en marche sur Berlin, et qu'il devait renoncer à -l'espérance d'entrer dans cette capitale, risquer une action douteuse -avec des soldats ébranlés lui parut peu sage, le résultat d'ailleurs -ne pouvant consister qu'à se maintenir entre Berlin et Wittenberg, -dans un pays qui ne lui présentait ni appui ni ressources. Il prit -donc le parti le plus sûr, celui de venir se placer sous le canon de -Wittenberg, où il était assuré de ne courir aucun danger, où il -couvrait l'Elbe, où il avait abondamment de quoi subsister, et pouvait -enfin remettre le moral de ses soldats. Il y arriva les 29 et 30 août, -toujours disputant fortement le terrain à mesure qu'il rétrogradait. -Pendant ce temps, la division active de Magdebourg était sortie de -cette place sous la conduite du général Girard, avait été assaillie -par le général Hirschfeld et les coureurs russes de Czernicheff, et -bientôt accablée par le nombre, était rentrée dans Magdebourg après -avoir perdu un millier d'hommes et quelques pièces de canon. Aux -environs de Hambourg, le maréchal Davout, sorti de la place avec 30 -mille hommes, dont 10 mille Danois, s'était avancé dans la direction -de Schwerin, forçant le corps anglo-allemand qu'il avait devant lui à -se replier, et prêt à lui passer sur le corps s'il apprenait un succès -du maréchal Oudinot dans les environs de Berlin. Mais, dans le doute, -il était obligé à beaucoup de circonspection, et se conduisait de -manière à n'avoir pas d'échec, surtout pas de désastre. - -[En marge: Fautes diverses qui avaient empêché le succès du mouvement -sur Berlin.] - -Dès que le corps principal, celui du maréchal Oudinot, n'avait pu -pénétrer jusqu'à Berlin, la réunion de plus de cent mille hommes dans -cette capitale, que Napoléon avait espérée, n'était plus qu'un rêve. -Sans doute il y avait eu quelques fautes commises: le maréchal Oudinot -n'avait pas tenu ses corps assez réunis; ses lieutenants n'avaient pas -eu le goût de marcher ensemble, et il avait eu le tort de trop se -prêter à ce goût. Certainement il y avait ces fautes à relever dans -l'exécution du mouvement sur Berlin; mais le tort essentiel (il est à -peine nécessaire de le dire) était à Napoléon, qui avait trop méprisé -ce qu'il appelait le _ramassis_ de Bernadotte, qui lui avait opposé à -son tour un vrai _ramassis_, où pour une moitié de Français prêts à -bien combattre, il y avait une moitié d'Allemands et d'Italiens prêts -à se débander, qui avait trop compté enfin sur la jonction à Berlin de -corps partant de points aussi éloignés que Wittenberg, Magdebourg et -Hambourg. Évidemment le mieux eût été de ne pas hasarder Oudinot sur -Berlin, ce qui eût permis de ne pas tenir Macdonald sur le Bober, et -ici comme toujours l'exagération des desseins politiques chez -Napoléon avait rendu caducs les plans du général, réflexion qui -devient oiseuse à force d'être répétée, mais que nous répétons malgré -nous, parce que ce triste sujet la fait naître sans cesse, et que -seule d'ailleurs elle explique les erreurs d'un aussi grand capitaine. - -[En marge: Ce sont ces divers mécomptes qui avaient ramené Napoléon de -Pirna à Dresde, et occasionné l'isolement de Vandamme.] - -[En marge: Vaste et grande combinaison imaginée par Napoléon pour -réparer les échecs essuyés par Macdonald et Oudinot.] - -C'étaient ces graves mécomptes, et non point une maladie inventée par -les flatteurs, qui avaient surpris Napoléon au lendemain de ses -victoires du 26 et du 27 août, et qui, arrivant coup sur coup à sa -connaissance, l'avaient ramené de Pirna à Dresde, et l'y avaient -retenu les 29 et 30 août, tandis que Vandamme restait sans appui à -Kulm. Ces mécomptes étaient d'une haute importance, car au lieu de -Macdonald laissé victorieux en Silésie et poursuivant Blucher, avoir -sur les bras Blucher victorieux et Macdonald en déroute; au lieu de -cent mille hommes entrés dans Berlin, avoir Oudinot replié sur -Wittenberg et privé de plus de dix mille hommes, Girard repoussé dans -Magdebourg avec perte d'un millier de soldats, Davout enfin condamné à -tâtonner avec trente mille au milieu des marécages du Mecklembourg, -était une situation bien différente de celle que Napoléon avait -espérée, en voulant de l'Elbe étendre son bras jusqu'à la Vistule. Le -30, ignorant encore le désastre de Vandamme, qu'il ne sut que le -lendemain matin, il avait conçu après de profondes méditations un plan -nouveau des plus vastes, des plus fortement combinés, car les revers -de ses lieutenants étaient bien loin jusqu'ici d'avoir déconcerté son -génie et ébranlé sa confiance dans la fortune. Plus d'une fois il -avait songé à courir sur Prague, à frapper l'Autriche dans une de ses -capitales, et à briser en quelque sorte la coalition sur la tête de -l'armée principale où résidaient les trois souverains alliés. Si en -effet après la bataille de Dresde il eût suivi à outrance l'armée de -Bohême, déjà si profondément atteinte, il est probable qu'il eût -dissous la coalition, et sans les nouvelles venues de Silésie et de -Berlin, il est certain qu'il l'eût fait. Le plus spirituel de ses -lieutenants, dont il n'aimait pas l'esprit frondeur, dont il -suspectait quelquefois la justesse de vues, mais dont il appréciait -les rares talents, le maréchal Saint-Cyr, l'y conviait sans relâche. -Mais il y avait des objections graves à ce plan. D'abord il fallait -passer les montagnes de Bohême, livrer bataille au delà, avec le -danger auquel venait d'échapper par miracle la grande armée des -coalisés, celui de n'avoir, si on était battu, que d'affreux défilés -pour retraite. Il fallait ensuite aller prendre Prague, dont les -défenses relevées à la hâte pouvaient opposer une résistance imprévue. -Enfin, si même on triomphait de cet obstacle, on aurait allongé sa -ligne, déjà trop longue, de toute la distance qu'il y a de Dresde à -Prague, distance fort aggravée par les lieux et par les montagnes. -Napoléon se serait trouvé ainsi plus loin de son armée de Silésie, -plus loin de celle du bas Elbe, et hors d'état de les secourir si -elles éprouvaient des revers. Ces objections l'avaient toujours fort -détourné du projet de se porter en Bohême, et il n'y avait songé qu'un -instant, lorsque étant à Zittau, il avait espéré tomber à l'improviste -au milieu des corps qui allaient former l'armée du prince de -Schwarzenberg. Mais Macdonald étant vaincu, Oudinot étant ramené de -Berlin sur Wittenberg, s'éloigner d'eux en ce moment était chose -inadmissible; aussi Napoléon en apprenant leurs revers ne songea-t-il -qu'à s'en rapprocher, et tout à coup, avec cette inépuisable fécondité -qui était un des attributs de son riche génie, il imagina de faire non -plus de Dresde mais de Berlin, le nouveau centre de ses opérations. - -[En marge: Napoléon songe à laisser Murat à Dresde avec cent mille -hommes, et à se porter avec quarante mille au secours d'Oudinot, à le -conduire dans Berlin, puis à revenir se jeter dans le flanc de -Blucher, si ce dernier a osé marcher sur Dresde.] - -Il fallait battre Blucher, qui n'avait reçu les 22 et 23 août qu'un -premier choc sans suite; il fallait battre Bernadotte, qui loin -d'essuyer des échecs avait eu des avantages, dont il serait aussi -utile que satisfaisant de rabaisser l'orgueil, de punir la trahison, -de détruire la fausse renommée. C'étaient là de graves motifs de -tourner nos coups de ce côté. En se dirigeant sur Berlin avec sa -garde, avec une moitié de la réserve de cavalerie, c'est-à-dire avec -quarante mille hommes, Napoléon recueillait en route Oudinot, -accablait Bernadotte, entrait dans Berlin, y appelait la division -Girard, le corps de Davout, y reformait cette concentration de cent -mille hommes sur laquelle il avait tant compté, la dirigeait sur -Stettin, Custrin, où nos garnisons avaient besoin d'être ravitaillées, -donnait courage à celles de la Vistule, pouvait ensuite retourner de -sa personne à Luckau entre Berlin et Dresde, prêt à tomber dans le -flanc de Blucher, si ce dernier avait osé se porter sur l'Elbe. - -Six à sept marches séparaient Napoléon de Berlin: il fallait donc -dix-huit ou vingt jours au plus entre aller et revenir, et il avait -fait les dispositions suivantes pour couvrir Dresde en son absence. Il -voulait y laisser Vandamme avec le 1er corps (car le 30 au matin, -moment de ses projets, Napoléon ignorait le désastre de Kulm), outre -Vandamme, Saint-Cyr, Victor, Marmont avec une portion de la réserve de -cavalerie. Il se proposait de mettre ces forces, constituant une armée -de cent mille hommes, sous Murat, et il comptait que celui-ci, appuyé -sur Dresde, adossé à Macdonald, qui devait dans ce plan être ramené -jusqu'à Bautzen, serait en mesure de résister à un retour de l'armée -de Bohême, retour que le désastre récemment essuyé par celle-ci -rendait peu probable avant quinze jours. Napoléon espérait avoir ainsi -le temps de revenir après avoir frappé à Berlin un coup décisif, et à -son approche tout nouveau projet contre Dresde devait s'évanouir. -Blucher certainement en apprenant la bataille de Dresde, et sachant -Napoléon sur son flanc (car il y serait sur la route de Berlin), -n'oserait pas dépasser Bautzen. En tout cas, Macdonald se rapprochant -de l'Elbe, et venant se mettre dos à dos avec Murat, aucun d'eux -n'aurait de danger sérieux à craindre. - -[En marge: Dans la supposition du plan qui précède, Napoléon se serait -établi de sa personne et avec sa réserve à Luckau, entre Berlin et -Dresde, et aurait ainsi transporté la guerre au nord de l'Allemagne.] - -L'expédition de Berlin terminée, le projet de Napoléon était de -s'établir à Luckau, entre Berlin et Dresde, d'y attirer le corps de -Marmont et toute la réserve de cavalerie, de laisser à Dresde et dans -le camp de Pirna 60 mille hommes, d'en laisser 60 mille à Bautzen, -tandis qu'avec 60 mille autres il serait prêt à courir ou à Berlin, ou -à Bautzen, ou à Dresde, suivant le besoin, ce qu'il pouvait faire en -trois jours d'une marche rapide. Dans cette position il était certain -de suffire à tout, car placé à trois marches de Berlin, il serait de -plus dans le flanc de Blucher, et assez près de Dresde pour y arriver -à temps si l'armée de Bohême s'y présentait. Il est même probable -qu'en suivant ce plan il aurait réussi à transporter la guerre au nord -de l'Allemagne, car le rassemblement du nord étant dissous et -Bernadotte puni, les Prussiens voudraient regagner leur pays pour le -défendre, les Prussiens y attireraient les Russes, on ferait ainsi -supporter aux plus hostiles des Allemands les horreurs de la guerre, -et en découvrant un peu le haut Elbe, on couvrirait tout à fait le bas -Elbe, c'est-à-dire Hambourg, où existait la plus belle des lignes de -communication, celle de Hambourg à Wesel. Restait, il est vrai, dans -ce cas, la chance de voir les Autrichiens se porter sur le haut Rhin, -chance peu vraisemblable, car ils n'oseraient s'avancer si loin, -Napoléon pouvant fondre sur leurs derrières. De plus Napoléon serait -autorisé à se prévaloir auprès d'eux des soins qu'il mettrait à -éloigner la guerre de leur territoire, et il pourrait en tirer une -nouvelle occasion de négociations, ce qui n'était pas impossible, les -Autrichiens étant de tous ses ennemis les moins engagés, les moins -implacables, les seuls disposés à traiter raisonnablement. - -[En marge: La nouvelle du désastre de Kulm arrête l'élan des pensées -de Napoléon.] - -Tel était son plan le 30 au matin, plan déjà écrit et accompagné -d'ordres tout rédigés[17], lorsque la nouvelle de l'événement de Kulm -vint bouleverser ses vastes conceptions. Il fut cruellement affligé -en apprenant le désastre de Vandamme; c'étaient avec la Katzbach et -Gross-Beeren trois échecs graves, qui égalaient en importance les -succès obtenus autour de Dresde, et les surpassaient même, car le -prestige de la victoire avait passé du côté des coalisés, et il ne -restait du côté de Napoléon que le prestige toujours éclatant de son -ancienne gloire. Pour la première fois il pensa qu'il avait peut-être -trop présumé de ses forces, en refusant les conditions qu'on lui avait -offertes à Prague, et il apprécia mieux l'inconvénient de la jeunesse -chez ses soldats, de la contagion des sentiments germaniques chez ses -alliés, du découragement chez ses lieutenants; peut-être alla-t-il -jusqu'à regretter d'avoir ou disgracié, ou décrié lui-même, ou -prodigué au feu des généraux en chef tels que Masséna, Davout et -Lannes! Sans doute il avait encore de braves gens, des héros tels que -Ney, Oudinot, Macdonald, Victor, Murat, mais ils étaient peu habitués -au commandement en chef; il ne les y essayait que dans un moment peu -propre à les encourager, dans un moment où les passions de l'Europe, -la fortune, le vent du succès, tout enfin était tourné contre nous. - - [Note 17: La note où ce plan est exposé et discuté, les - ordres en conséquence de la note, existent à la - secrétairerie d'État, et c'est d'après ces documents - irréfragables que nous écrivons ce récit.] - -[En marge: Napoléon conçoit un nouveau plan fondé sur le dernier état -des choses.] - -[En marge: Il place sous le commandement du maréchal Ney les trois -corps confiés d'abord au maréchal Oudinot.] - -Il fut pendant plus d'un jour atterré pour ainsi dire sous ces coups -redoublés; mais son esprit toujours inépuisable n'en fut point frappé -de stérilité; son énergie, son imagination, ses illusions même, tout -se ranima le lendemain, et il forma un nouveau projet, qui moins vaste -que le précédent, était cependant tout aussi fortement conçu. D'abord -il voulut donner un autre chef aux trois corps destinés à marcher sur -Berlin, et il choisit le maréchal Ney, qui n'avait pas de supérieur en -bravoure sur le champ de bataille, mais qui n'avait jamais dirigé de -grandes armées. Napoléon fit ce choix, parce que l'âme intrépide et -confiante de Ney n'avait pas reçu encore l'atteinte du découragement, -déjà si visible chez nos autres généraux. Il l'envoya à Wittenberg en -lui adressant les paroles les plus encourageantes, et les instructions -les plus précises. Voici à quel plan général correspondaient ces -instructions. - -[En marge: Il porte Ney à Baruth, à deux journées de Berlin, et songe -à se placer lui-même avec sa réserve à Hoyerswerda, entre Baruth et -Dresde, avec l'intention ou de pousser Ney sur Berlin, ou de se jeter -dans le flanc de Blucher, si celui-ci est devenu trop pressant.] - -Napoléon lui prescrivit après avoir réuni et ranimé les 7e, 4e et 12e -corps (le maréchal Oudinot devait garder le commandement direct de ce -dernier), de se rendre à Baruth, à deux journées de Berlin, et d'y -attendre les ordres du quartier général. Quant à lui personnellement, -il résolut de se rendre à Hoyerswerda, distant de trois journées de -Baruth, et de deux journées de Dresde, avec la garde, la plus grande -partie de la réserve de cavalerie, et le corps de Marmont. Posté là en -Lusace, entre Berlin et Gorlitz, il pouvait à volonté, ou se porter à -gauche sur Berlin, et aider Ney à pénétrer dans cette ville, ce qui -revenait à son vaste plan du 30 au matin, ou se jeter à droite dans le -flanc de Blucher et l'accabler, si ce dernier, continuant à presser -Macdonald, devenait inquiétant pour Dresde. Il était impossible -assurément d'imaginer une combinaison plus savante et plus appropriée -aux circonstances, car Napoléon était certain en joignant l'un de ses -deux lieutenants, celui qui faisait face à Bernadotte, ou celui qui -faisait face à Blucher, de rendre l'un ou l'autre victorieux. -Seulement il ne se plaçait cette fois qu'à deux petites journées de -Dresde, dans le doute où il était sur les dispositions de l'armée de -Bohême. Si elle avançait de nouveau, remise de la défaite de Dresde -par le succès de Kulm, il revenait tout de suite lui porter un second -coup comme celui du 27 août. Si c'était Blucher qui se montrait -audacieux, il tombait d'Hoyerswerda dans son flanc, et le renvoyait -pour longtemps sur l'Oder. Et enfin si aucune des armées de Silésie et -de Bohême ne se montrait entreprenante, il pouvait d'Hoyerswerda -pousser Ney sur Berlin, sans même l'y suivre. Il suffisait en effet -qu'il l'appuyât jusqu'à Baruth, car l'impétueux Ney, se sentant une -pareille arrière-garde, était bien capable de se ruer sur Bernadotte, -de lui passer sur le corps, et d'entrer à Berlin. Une fois ce grand -acte accompli, Napoléon était libre de retourner à Hoyerswerda, d'où -il menacerait Blucher ou Schwarzenberg, celui des deux en un mot qui -essayerait quelque chose. Tout était non-seulement profond, mais vrai, -juste, dans ces combinaisons, et il n'y en avait pas une qui dix ans -auparavant n'eût réussi d'une manière éclatante, quand nos soldats -étaient à l'épreuve des dures alternatives de la guerre, quand nos -généraux étaient pleins de confiance, quand Napoléon ne doutait pas -plus des autres que de lui, quand ses ennemis, moins résolus à vaincre -ou à mourir, n'étaient pas décidés à persévérer même au milieu des -plus grandes défaites! Mais aujourd'hui, dans l'état moral de nos -ennemis et de nous-mêmes, tout était incertain, même avec des soldats -et des généraux restés héroïques[18]. - - [Note 18: On a prêté sur cette époque à Napoléon, faute de - connaître sa correspondance et celle de ses lieutenants, les - projets les plus chimériques et les moins raisonnables. Mais - grâce à la possession et à l'étude approfondie de cette - correspondance, nous ne lui attribuons aucun projet, aucun - calcul, qui ne soient certains et constatés par preuves - authentiques.] - -[En marge: Précautions prises pour couvrir Dresde pendant que Napoléon -en sera éloigné.] - -[En marge: Réorganisation du corps de Vandamme.] - -Après avoir donné les ordres convenables, Napoléon fit les plus -habiles dispositions pour qu'en son absence Dresde ne demeurât pas -découvert. D'abord il réorganisa le corps de Vandamme, dont il était -déjà rentré de nombreux débris. Outre la 42e division, restituée au -maréchal Saint-Cyr, laquelle avait assez peu souffert, quinze mille -hommes environ de toutes armes, et appartenant au 1er corps, étaient -revenus, ou isolément ou en troupe. Tout ce qui était Français avait -rejoint le drapeau, sauf les hommes hors de combat ou pris par -l'ennemi. On avait perdu le matériel d'artillerie et malheureusement -quelques-uns des officiers les plus distingués. On ne savait pas ce -qu'étaient devenus Haxo et Vandamme: on allait jusqu'à les croire -morts l'un et l'autre. Le secrétaire du général Vandamme ayant reparu, -Napoléon fit saisir les papiers du général pour en extraire sa -correspondance militaire, et enlever la preuve des ordres envoyés à -cet infortuné. Napoléon eut même la faiblesse de nier l'ordre donné de -s'avancer sur Toeplitz, et sans toutefois accabler Vandamme, en le -plaignant au contraire, il écrivit à tous les chefs de corps que ce -général avait reçu pour instruction de s'arrêter sur les hauteurs de -Kulm, mais qu'entraîné par trop d'ardeur, il s'était engagé en plaine, -et s'était perdu par excès de zèle. Le récit authentique que nous -avons présenté prouve la fausseté de ces assertions, imaginées pour -conserver à Napoléon une autorité sur les esprits, dont il avait en ce -moment besoin plus que jamais. - -[En marge: Commandement de ce corps confié au comte de Lobau.] - -Son premier soin fut de chercher pour ce corps si maltraité un chef -aussi brave que Vandamme, mais plus circonspect. Il choisit l'illustre -comte de Lobau, qui à une rare énergie joignait un remarquable -discernement militaire et un grand savoir-faire, cachés sous des -formes rudes et martiales. Le comte de Lobau possédait en effet et -méritait l'entière confiance de Napoléon, qui l'avait toujours auprès -de lui, soit pour les coups de vigueur, soit pour les missions qui -exigeaient du jugement, de l'exactitude, de la franchise. Ce soldat -intrépide et spirituel si connu des hommes de notre génération, -joignant à une taille de grenadier, à une figure de dogue, la plus -profonde finesse, se tirait de toutes les missions que lui confiait -Napoléon sans le tromper et sans lui déplaire, s'arrangeant pour dire -la vérité sans compromettre ni lui ni les autres. À son extrême -adresse, à sa rare bravoure, il réunissait le talent et le goût de -l'organisation des troupes, dans laquelle il excellait. On ne pouvait -pas mieux choisir pour rendre au 1er corps l'esprit militaire qu'il -avait dû perdre dans le désastre de Kulm. Napoléon distribua ce corps -en trois divisions de dix bataillons chacune, lui restitua la moitié -de la division Teste qu'on en avait momentanément détournée, lui ôta -la brigade de Reuss qu'on lui avait aussi momentanément prêtée, et -soit avec les soldats rentrés, soit avec quelques bataillons de marche -venus de Mayence, lui procura encore un effectif d'environ 18 mille -hommes. Il puisa dans les arsenaux de Dresde, où un immense matériel -avait été amené par ses soins, de quoi remplacer les fusils perdus et -les soixante-douze bouches à feu abandonnées sur le champ de bataille -de Kulm. Il fournit des souliers, des vêtements à ceux qui en -manquaient, et n'oublia rien pour remettre le moral des hommes, soit -par des encouragements, soit par des revues, soit par ces petites -satisfactions matérielles qui composent le bonheur du soldat. Le comte -de Lobau fut chargé d'opérer cette résurrection en quelques jours, -Napoléon entendant se servir du 1er corps pour la défense de Dresde -pendant sa prochaine absence. - -[Date en marge: Sept. 1813.] - -[En marge: Distribution des forces laissées à Dresde, et nouveaux -travaux de défense ordonnés autour de cette capitale, de manière à en -rendre la possession tout à fait certaine.] - -[En marge: Précautions de détail admirablement conçues.] - -[En marge: Toutes ses mesures arrêtées, Napoléon dirige sur -Koenigsbruck une partie de l'infanterie et de la cavalerie de la -garde.] - -Quant à la conservation de Dresde, il y pourvut de la manière -suivante. Au lieu d'y laisser le 14e corps seul, comme lorsqu'il avait -marché sur la Silésie, il laissa le 14e (maréchal Saint-Cyr) au camp -de Pirna, le 2e (maréchal Victor) à Freyberg, et le 1er enfin (comte -de Lobau) dans l'intérieur même de Dresde, où celui-ci aurait plus de -facilité pour se réorganiser. Le 14e corps, qui en recouvrant la 42e -division en avait dès lors quatre, dut garder Koenigstein et -Lilienstein, le pont de l'Elbe jeté entre ces deux forts, le camp de -Pirna, le défilé de Péterswalde, et les débouchés secondaires de la -Bohême qui venaient tomber sur la droite de la chaussée de -Péterswalde. Le maréchal Victor à Freyberg veillait à la fois sur la -grande chaussée de Freyberg, et sur le chemin de Toeplitz par -Altenberg. La cavalerie de Pajol galopait entre deux pour exercer une -active surveillance. En cas de nouvelle apparition de l'armée de -Bohême, ces deux corps avaient ordre d'opposer une résistance modérée, -suffisante seulement pour retarder sans se compromettre la marche de -l'ennemi, et de se replier sur Dresde en y donnant l'éveil. Ils -devaient venir se placer, Saint-Cyr sur la gauche du camp retranché où -il avait déjà combattu vaillamment le 26 août, Victor sur la droite où -il avait décidé le gain de la bataille du 27. Attaqués sérieusement, -ils avaient ordre de rentrer derrière les redoutes, qui avaient été -portées de cinq à huit, et beaucoup mieux armées. Napoléon pendant -l'attaque de Dresde ayant remarqué plusieurs défectuosités dans leur -établissement, avait nommé un commandant spécial pour chacune d'elles, -augmenté leur artillerie, préparé des artilleurs de rechange pour les -servir, défendu de laisser dans aucune des caissons de munitions, et -fait construire avec des sacs à terre des espèces de réduits pour -tenir lieu de magasins à poudre pendant le combat. Il avait distribué -leur armement en artillerie de position nécessairement immobile, et en -artillerie attelée qu'on porterait de la rive droite à la rive gauche -de l'Elbe, selon qu'on serait attaqué par l'une ou par l'autre. Il -avait soigneusement recommandé qu'on tînt des troupes en réserve -derrière chaque redoute, pour reprendre à l'instant celle qui serait -enlevée, et enfin il avait décidé que le 1er corps, sous le comte de -Lobau, serait placé tout entier en réserve derrière les corps de -Saint-Cyr et de Victor, pour déboucher au dernier moment, ainsi -qu'avait fait la garde le 26 août, sur l'ennemi qui se croirait -victorieux. C'était, comme on le voit, une répétition fort améliorée -de la journée du 26, et qui promettait le même succès, car les trois -corps de Saint-Cyr, Victor et Lobau réunissaient près de 60 mille -hommes, c'est-à-dire plus que Napoléon n'en avait eu pour résister le -26 aux 200 mille de l'armée de Bohême. Ajoutant cette circonstance -qu'au lieu d'être à quatre ou cinq journées, comme il était lors de la -première apparition de l'ennemi, il ne serait plus qu'à deux en se -plaçant à Hoyerswerda, Napoléon s'éloignait sans inquiétude pour la -conservation de Dresde, si l'armée de Bohême renouvelait sa récente -manoeuvre, en opérant par la rive gauche de l'Elbe. Si au contraire, -changeant de marche, elle attaquait par la rive droite, Poniatowski, -Macdonald, Napoléon lui-même se rabattant sur elle, seraient en mesure -de l'accabler. Ces dispositions si savantes une fois ordonnées, il -expédia le 2 septembre la cavalerie de la garde sous Nansouty, avec -deux divisions d'infanterie de la jeune garde sous Curial, et les -porta sur Koenigsbruck, à gauche de la route de Bautzen, dans la -direction de Hoyerswerda. (Voir la carte nº 58.) Il comptait le 3 -faire partir la vieille garde de Dresde, et le reste de la jeune garde -de Pirna, toujours dans la même direction. Le 4 il avait le projet de -partir lui-même pour se rendre de sa personne à Hoyerswerda. M. de -Bassano devait rester à Dresde, informé de tout, même des mouvements -militaires qu'il comprenait suffisamment bien, afin qu'avec cette -activité dévouée qui rachetait chez lui une soumission trop aveugle, -il pût transmettre à chacun et toujours à temps l'avis de ce qui -l'intéressait. - -[En marge: Le 3 septembre au matin, Napoléon reçoit la nouvelle que le -maréchal Macdonald, vivement pressé par Blucher, est à Bautzen dans un -véritable danger.] - -Le 3 septembre au matin, Napoléon était occupé à donner ses ordres, -lorsqu'il reçut de Bautzen des dépêches pressées du maréchal -Macdonald. Ce maréchal était, suivant l'expression de Napoléon, tout à -fait _décontenancé_ par la marche véhémente de Blucher sur lui. -Blucher, qui n'était pas homme à s'arrêter dans un succès, s'était -hâté, dès que les eaux avaient un peu baissé, de se porter en avant, -pour tirer les plus grandes conséquences possibles de l'événement si -heureux pour lui de la Katzbach. Plaçant son infanterie partie vers -les montagnes, partie sur la grande route de Breslau à Dresde, lançant -son immense cavalerie dans les plaines humides qu'arrosent -successivement le Bober, la Preiss, la Neisse, la Sprée, il avait en -débordant constamment le flanc gauche du maréchal Macdonald, obligé -celui-ci à rétrograder de Lowenberg sur Lobau, de Lobau sur Gorlitz. -Il disposait de 80 mille hommes contre Macdonald, qui n'en avait pas -conservé 50 mille armés, et qui n'avait pu s'en procurer 60 mille en -état de combattre, qu'en retirant Poniatowski du débouché de Zittau. -Le maréchal Macdonald, malgré son intrépidité connue, craignait que le -découragement chez ses soldats, l'aigreur de la défaite chez ses -généraux, l'impulsion rétrograde chez tous, n'entraînât de nouveaux -malheurs. Il demandait des secours à grands cris. Il se pouvait, à -l'entendre, que sous vingt-quatre heures il fût ramené de Gorlitz sur -Bautzen, peut-être sur Dresde. - -[En marge: Napoléon renonce momentanément à sa dernière combinaison -pour se porter sur Bautzen.] - -Napoléon, qui ne mettait pas beaucoup de temps à prendre son parti, -jugea que ce n'était pas le moment de se porter sur Hoyerswerda, -c'est-à-dire à gauche de la grande route de Silésie et dans le flanc -de Blucher, car Macdonald était trop vivement pressé pour perdre une -heure à manoeuvrer. Secourir ce dernier directement, par la voie la -plus courte, était la seule manoeuvre adaptée aux circonstances. -Napoléon comptait le joindre à Bautzen, le ranimer, le reporter en -avant, et culbuter Blucher au delà de la Neisse, de la Queiss et des -rivières qu'il avait dépassées. Napoléon cherchant surtout une -bataille contre ceux de ses ennemis qui oseraient rester à portée de -son bras, espérait la trouver dans cette nouvelle rencontre avec -Blucher, et il se figurait que celui-ci, lancé comme il l'était, ne -pourrait pas s'arrêter assez vite pour nous échapper encore une fois. - -[En marge: Il redresse la marche des divisions de la garde acheminées -sur Hoyerswerda et les rabat sur Bautzen.] - -[En marge: Il s'applique à cacher son départ de Dresde pour ne pas -donner l'éveil à Blucher.] - -Sa résolution étant ainsi prise, il fit redresser le mouvement imprimé -la veille aux deux divisions de la jeune garde et à la cavalerie qui -les suivait. Il les avait dirigées sur Koenigsbruck, il les ramena de -Koenigsbruck sur Bautzen par Camenz. (Voir la carte nº 58.) Il fit -partir tout de suite la vieille garde de Dresde pour Bischofswerda, et -pour Stolpen le reste de la jeune garde qui sous Mortier attendait ses -ordres à Pirna. Le même mouvement direct sur Bautzen fut prescrit à la -cavalerie de réserve de Latour-Maubourg, et à l'infanterie du maréchal -Marmont. Mises en route le matin du 3, les troupes devaient être le -soir à Bischofswerda, le lendemain 4 à Bautzen. Napoléon se disposa -lui-même à quitter Dresde dans la nuit du 3 au 4, employant selon son -usage la journée entière à expédier ses ordres, et se réservant pour -dormir le temps qu'il passerait en voiture. Il fit prévenir Macdonald -du mouvement considérable qui s'opérait vers Bautzen, lui recommanda -le secret, afin que Blucher non prévenu donnât en plein dans le gros -de l'armée française. Il défendit à Dresde qu'on laissât passer par -les ponts même un seul paysan, espérant empêcher ainsi que la nouvelle -du départ de la garde ne parvînt à Blucher, et enfin il manda au -maréchal Ney que se détournant un moment d'Hoyerswerda, il serait de -retour dans cette direction sous trois ou quatre jours, et qu'il lui -assignait toujours Baruth comme point de réunion, d'où l'on partirait -ultérieurement pour Berlin. - -[En marge: Départ de Dresde le 3 au soir.] - -[En marge: Arrivée à Bautzen le 4 au matin.] - -[En marge: Bon accueil au maréchal Macdonald.] - -Le 3 septembre au soir Napoléon quitta Dresde, s'arrêta quelques -heures à Harta, et arriva le lendemain matin à Bautzen. Il s'était -fait précéder par 70 fourgons, portant des munitions, des fusils, des -souliers, afin de rendre aux soldats du maréchal Macdonald une partie -de ce qu'ils avaient perdu. Il traita bien le maréchal Macdonald, sans -s'appesantir sur les fautes qui avaient pu être commises à la -Katzbach, tenant grand compte à tout le monde des circonstances -difficiles où l'on se trouvait, et sachant qu'en pareille situation il -fallait remonter les coeurs en les encourageant, au lieu de les -abattre en les chagrinant par des reproches. D'ailleurs le maréchal -Macdonald inspirait tant d'estime, que le reproche eût expiré sur la -bouche, si par hasard on eût été tenté de lui en adresser. Loin de se -montrer Napoléon se cacha, voulant attendre pour se laisser voir que -la cavalerie de la garde et de Latour-Maubourg fût arrivée, et qu'on -pût fondre sur Blucher avec des forces suffisantes. - -[En marge: Blucher informé par de secrets avis de l'approche de -Napoléon, s'arrête tout à coup.] - -Malheureusement au milieu de ces populations germaniques où nous ne -comptions plus que des ennemis, même parmi celles que notre présence -forçait à rester alliées, il n'y avait de secret possible qu'au profit -de nos adversaires. Plusieurs avis envoyés de Dresde, soit pour -l'armée de Silésie, soit pour l'armée de Bohême, avaient déjà fait -savoir, non pas les desseins de Napoléon, que lui seul et ses -principaux lieutenants connaissaient, mais les mouvements de la garde -commencés dès le 2 au matin. Cette indication suffisait pour qu'on -devinât que Blucher allait devenir le but des coups de Napoléon. Aussi -le général prussien, tout fougueux qu'il était, fidèle au plan de se -dérober aussitôt que Napoléon apparaîtrait, se préparait à -rétrograder, et, s'il n'avait pas déjà battu en retraite, s'avançait -cependant d'une manière moins vive. Parvenu à Gorlitz, il avait poussé -ses avant-gardes sur Bautzen, mais avait arrêté son corps de bataille -à Gorlitz même, et de sa personne était venu se placer sur une hauteur -qu'on appelle le Lands-Krone, et d'où l'on aperçoit toute la contrée -de Gorlitz à Bautzen. - -[En marge: Murat lancé avec toute la cavalerie à la poursuite de -Blucher.] - -Le 4 septembre, vers le milieu du jour, Latour-Maubourg et Nansouty -étant arrivés, Murat s'était mis à la tête de leurs escadrons, et -avait fondu au galop sur les avant-gardes de Blucher rencontrées vers -la chute du jour aux environs de Weissenberg. D'immenses tourbillons -de poussière avaient annoncé son approche, et sur-le-champ à cette -vive impulsion Blucher avait reconnu la présence du maître, sous les -yeux duquel on ne rétrogradait jamais. Ses avant-gardes vigoureusement -assaillies furent ramenées en arrière, en perdant quelques centaines -d'hommes. La nuit suspendit la poursuite. Blucher prit immédiatement -la résolution de repasser la Neisse le lendemain, et de ne laisser à -Gorlitz qu'une arrière-garde, laquelle occuperait la ville située de -notre côté, pendant qu'on préparerait tout pour détruire les ponts. - -[En marge: Le lendemain 5, on poursuit Blucher, et on le rejette au -delà de la Neisse.] - -[En marge: Entrée des Français dans Gorlitz.] - -Le lendemain matin 5 Napoléon à la tête de ses avant-gardes se porta -en avant de Reichenbach, pour voir s'il pourrait enfin saisir les -Prussiens de manière à leur ôter le goût de revenir si vite après son -départ. Mais au premier coup d'oeil il eut le déplaisir de reconnaître -que Blucher allait encore, comme les 22 et 23 août, se soustraire à -notre approche. Il fit en effet marcher en avant, et sa seule -satisfaction en pénétrant à Gorlitz fut de prendre ou tuer un millier -d'ennemis. Après avoir traversé la ville au pas de course, on trouva -les ponts de la Neisse coupés, et l'arrière-garde prussienne achevant -de détruire celui dont elle s'était servie pour se dérober à nos -coups. - -[En marge: Napoléon renonce à poursuivre Blucher, dans l'impossibilité -où il se trouve de le serrer d'assez près.] - -Dès ce moment il fut évident pour Napoléon que tout ce qu'il gagnerait -à poursuivre plus longtemps les alliés, ce serait de fatiguer -inutilement ses troupes, et de mettre une plus grande distance entre -lui et Dresde. Il résolut donc de s'arrêter à Gorlitz, d'y passer deux -ou trois jours pour y rétablir les ponts, y faire reposer ses soldats, -et y ranimer par sa présence le corps de Macdonald dont le moral était -fort ébranlé. - -[En marge: Le 5 septembre au soir Napoléon apprend une nouvelle -apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde.] - -[En marge: Suppositions qui naissent de cette nouvelle apparition.] - -[En marge: N'ayant rien d'utile à faire à Gorlitz depuis la retraite -de Blucher, Napoléon revient à Dresde pour parer au nouveau danger qui -menace cette capitale.] - -Mais le soir même du 5, des dépêches arrivées de Dresde dans la -journée, vinrent encore changer sa détermination, et l'obliger à ne -pas même passer à Gorlitz les deux ou trois jours qu'il aurait voulu y -demeurer. On lui annonçait en effet une nouvelle apparition de l'armée -de Bohême sur la route de Péterswalde, c'est-à-dire sur les derrières -de Dresde, exactement comme à l'époque récente des batailles des 26 et -27 août. C'était encore l'officier d'ordonnance Gourgaud qui était -l'organe des craintes du maréchal Saint-Cyr, et le narrateur trop -animé de ce qui avait lieu à Dresde. Était-ce une descente véritable -de l'armée de Bohême, voulant essayer une seconde attaque sur Dresde, -malgré le rude accueil qu'avait reçu la première? ou bien n'était-ce -pas plutôt une vaine démonstration de sa part, et n'était-il pas -vraisemblable qu'instruite à temps du mouvement de Napoléon sur -Bautzen, elle voulait le rappeler à Dresde, se jouer ainsi de la -promptitude de ses déterminations, de l'agilité de ses soldats, -fatiguer lui et eux, les épuiser en mouvements infructueux tantôt -contre une armée, tantôt contre l'autre, en ne leur accordant jamais -l'avantage d'approcher assez près d'aucune d'elles pour l'atteindre et -la battre? Cette dernière supposition était la plus vraisemblable, et -si Napoléon avait eu la chance de joindre Blucher, il ne se serait pas -détourné de cet ennemi pour courir au prince de Schwarzenberg, avec -certitude de ne pas le rejoindre. Malheureusement Napoléon ne faisait -aucun sacrifice en s'arrêtant, puisque Blucher, aussi prompt à marcher -en arrière qu'en avant, était déjà hors de portée, et il était naturel -que, n'ayant rien de bien utile à faire à Gorlitz, il revînt là où un -symptôme de danger, quelque léger que fût ce symptôme, ou une -espérance de bataille, quelque douteuse que fût cette espérance, se -présentait en ce moment. Il ordonna donc à sa garde de ne pas aller -plus loin et de se reposer, pour être prête à exécuter ses ordres le -lendemain, et il retourna lui-même de Gorlitz à Bautzen pour se -rapprocher des nouvelles, et apprécier plus sûrement la valeur des -renseignements qu'on lui envoyait du camp de Pirna. Ne perdant pas un -instant, il voyagea toute la soirée et la nuit, et fut rendu à Bautzen -le 6 à deux heures du matin. Certes, on ne pouvait pas déployer plus -d'activité et moins regarder à la fatigue, car, sorti de Dresde le 3 -septembre au soir, arrivé le 4 au matin à Bautzen, ayant couru le 4 -même jusqu'à Weissenberg, le 5 jusqu'à Gorlitz, il revenait dans la -nuit du 5 au 6 à Bautzen. Par malheur ses troupes allant à pied ne -pouvaient suivre que de très-loin la rapidité de ses mouvements. - -[En marge: Malgré la vivacité des démonstrations de l'armée de Bohême, -Napoléon ne se laissant pas abuser, ne ramène à Dresde qu'une partie -de sa réserve, afin de pouvoir revenir à son projet sur Hoyerswerda.] - -[En marge: Napoléon revenu à Dresde le 7 au matin.] - -Napoléon trouva en effet à Bautzen les détails mandés par M. de -Bassano au nom du maréchal Saint-Cyr, et d'après lesquels il -paraissait que la grande armée de Bohême avait débouché brusquement de -Péterswalde, la droite sur Pirna, le centre sur Gieshübel, la gauche -sur Borna, avec toute l'apparence d'une résolution sérieuse, et une -telle vigueur d'attaque, que le maréchal Saint-Cyr avait cru devoir, -en se retirant avec ordre, replier néanmoins ses quatre divisions. En -présence de tels avis, surtout rien d'utile ne le retenant à Bautzen, -Napoléon répondit qu'il allait partir immédiatement, de manière à être -le soir même du 6 à Dresde, et qu'il se ferait suivre par toute sa -garde. Cependant n'étant pas facile à tromper, et ne prenant pas -encore comme très-sérieuse cette nouvelle démonstration, il donna ses -ordres en conséquence de ce qu'il pensait. Ayant toujours en vue son -mouvement sur Hoyerswerda, d'où il pourrait à la fois soutenir Ney -vers Berlin, et contenir Blucher vers Gorlitz, il ne ramena décidément -vers Dresde que la garde seule, jeune et vieille, comptant près de 40 -mille hommes de toutes armes. Il dirigea Marmont, qui était en marche -pour le rejoindre, vers Camenz et Koenigsbruck, d'où il serait aisé de -le rappeler à Dresde ou de le pousser sur Hoyerswerda. Il lui -adjoignit un fort détachement de cavalerie, pour donner la chasse aux -Cosaques, et le lier avec Ney et Macdonald. Il recommanda au maréchal -Macdonald, après avoir replacé Poniatowski au débouché de Zittau, de -se bien établir lui-même à Bautzen, de réarmer ses soldats débandés, -et de tâcher enfin avec un effectif qu'il pouvait reporter à 70 mille -hommes s'il parvenait à ressaisir ses maraudeurs, de garder au moins -la ligne de la Sprée. Il était permis d'espérer que n'étant plus à -cinq journées de Dresde, mais à deux, Macdonald serait moins prompt à -rétrograder, et Blucher à s'avancer. Le maréchal Macdonald avec une -modestie qui l'honorait, supplia fort Napoléon de l'exonérer du -commandement en chef, offrant de rester comme divisionnaire à la tête -du 11e corps, et de s'y faire tuer, mais ne voulant plus d'une -responsabilité trop lourde, et se plaignant peut-être avec l'injustice -du malheur du peu de concours de ses lieutenants. Napoléon n'avait -plus le choix, car les généraux disparaissaient comme les soldats, -par suite de l'affreuse consommation qu'il faisait des uns et des -autres. Il écouta Macdonald, le consola, le traita comme il aurait -traité un général victorieux, et après l'avoir encouragé de son mieux, -partit pour Dresde, où il arriva le 7 au matin. M. de Bassano était -venu à sa rencontre pour employer le loisir de la route à l'entretenir -des affaires de l'Empire et des informations venues du quartier -général du maréchal Saint-Cyr sous Pirna. - -[En marge: Mouvement des Russes et des Prussiens sur Dresde, et motifs -de ce mouvement.] - -Après avoir séjourné une heure ou deux à Dresde, il partit pour Pirna, -et s'arrêta près de Mugeln, où se trouvaient les arrière-gardes du -maréchal Saint-Cyr. Voici ce qui s'était passé de ce côté. Les -Prussiens et les Russes, sans les Autrichiens, avaient débouché de -Bohême par la grande route de Péterswalde, dont nous avons déjà fait -connaître la configuration, avaient essayé d'enlever d'un côté le -plateau de Pirna, de l'autre le plateau de Gieshübel, et avaient -poussé devant eux les quatre divisions de Saint-Cyr qui occupaient ces -diverses positions. Un autre corps, sous le comte Pahlen, débouchant -par la route de Furstenwald qu'avait suivie Kleist lors des événements -de Kulm, était venu vers Borna, là où les montagnes moins abruptes -commencent à se changer en plaine. Une immense cavalerie lancée dans -cette direction avait fort inquiété celle de Pajol, et sans la vigueur -de ce dernier, sans son savoir-faire, lui aurait causé de grands -dommages. - -[En marge: Nouvelle retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.] - -Saint-Cyr se voyant ainsi pressé avait replié du camp de Pirna sur -Pirna même sa 42e division, laissant comme de coutume quelques -bataillons dans la forteresse de Koenigstein, avait ramené la 43e et -la 44e de Gieshübel sur Zehist, et la 45e, qui soutenait Pajol, de -Borna sur Dohna. - -[En marge: Napoléon à Pirna. Ses longs entretiens avec le maréchal -Saint-Cyr sur les probabilités de cette situation.] - -[En marge: Opinion de Napoléon.] - -[En marge: Sa prodigieuse sagacité.] - -C'est dans cette position que Napoléon le trouva, point déconcerté, -beaucoup moins alarmé surtout qu'il n'avait affecté de l'être, et tout -prêt à reprendre l'offensive. Que signifiait cette nouvelle apparition -de l'ennemi? Était-ce une continuation de la tactique au moyen de -laquelle on semblait vouloir épuiser l'armée française, ou bien une -attaque véritable? Il valait la peine de s'entretenir de cette -question obscure avec un officier aussi intelligent que le maréchal -Saint-Cyr. Napoléon le questionna sur ce sujet avec beaucoup de -confiance et de cordialité. Quoiqu'il eût peu de goût pour son -caractère, il appréciait fort ses lumières, et d'ailleurs dans la -situation présente il avait besoin de ménager tout le monde, surtout -les gens de guerre déjà bien fatigués. Par toutes ces raisons il -s'entretint longuement avec le maréchal Saint-Cyr, et ne parut pas -convaincu que cette dernière attaque fût sérieuse, ni qu'elle fût -autre chose qu'une des alternatives de ce va-et-vient perpétuel qui -semblait constituer en ce moment toute la tactique des coalisés. Au -surplus Napoléon ne demandait pas mieux, d'après ce qu'il dit, que de -réparer au moyen d'une action décisive tout le tort que lui avaient -causé les journées de Kulm, de la Katzbach et de Gross-Beeren, mais il -doutait avec raison que les coalisés, après la leçon reçue à Dresde, -songeassent à s'en attirer une seconde du même genre. Évidemment ils -ne voudraient point se présenter encore une fois la tête à Dresde, la -queue aux défilés de l'Erz-Gebirge, et quant à les aller chercher au -delà, c'est-à-dire en Bohême, c'était un jeu trop hasardeux, et qui -consistait à prendre pour soi la mauvaise position dont ils ne -voulaient plus après l'avoir essayée. Il était plus vraisemblable que -s'ils recommençaient une entreprise sur nos derrières, ce serait plus -en arrière encore, c'est-à-dire par la grande route de Commotau sur -Leipzig, et l'apparition de quelques coureurs dans cette direction, -signalée depuis deux ou trois jours, portait déjà Napoléon à le -penser, ce qui prouvait, comme on le verra bientôt, sa profonde -sagacité. Du reste il répéta qu'il se réjouirait fort d'avoir encore -une fois l'armée de Bohême sur les bras, entre Dresde et Péterswalde, -mais qu'il n'osait s'en flatter, qu'il était venu pour cela, que ses -réserves étaient en marche, qu'elles seraient le lendemain matin à -Dresde, le lendemain soir à Mugeln, et qu'on agirait suivant les -circonstances. - -[En marge: Avis du maréchal Saint-Cyr.] - -Le maréchal Saint-Cyr parut être d'un autre avis. Il croyait, lui, à -une attaque déterminée du prince de Schwarzenberg, à en juger par la -vigueur avec laquelle les divisions du 14e corps avaient été poussées -depuis deux jours, et il était étonné surtout de voir ce prince -s'avancer si près de Dresde, si c'était pour une simple démonstration. -Il soutenait, comme il l'avait déjà fait, que c'était vers la Bohême -que Napoléon devait chercher à gagner une grande bataille, qu'elle -serait là plus décisive à cause de la présence des souverains, dont il -importait d'ébranler le courage; à quoi Napoléon répondait avec raison -qu'il la trouverait bonne partout, meilleure sans doute contre les -souverains réunis, mais qu'il ne dépendait pas de lui de l'avoir où il -la désirait, et qu'il la livrerait là où la fortune voudrait bien la -lui offrir. - -[En marge: Séparation des Autrichiens d'avec les Prussiens et les -Russes.] - -[En marge: Accord de Napoléon et du maréchal Saint-Cyr sur la conduite -à tenir.] - -[En marge: Napoléon retourne à Dresde pour donner des ordres pendant -que ses troupes marchent sur Pirna.] - -Le maréchal Saint-Cyr était encore fort préoccupé d'une idée, celle-ci -très-juste quoique bien peu vraisemblable. C'est qu'en ce moment les -Autrichiens s'étaient séparés des Prussiens et des Russes, car on ne -voyait devant soi que de ces derniers, sans un seul détachement -autrichien. Dans ce cas, au lieu de 140 ou 150 mille hommes, c'étaient -tout au plus 80 ou 90 mille auxquels on aurait affaire, et l'occasion -était belle pour se jeter sur les coalisés et les accabler. Il y avait -là cependant une contradiction singulière, car la séparation des -coalisés excluait l'idée d'une tentative sérieuse sur Dresde, et -Napoléon croyait plutôt que si les Autrichiens s'étaient éloignés, -c'était pour préparer une marche ultérieure sur Leipzig, en se portant -vers les directions qui pouvaient y conduire. Ces raisonnements entre -deux militaires si compétents, révélant si bien au milieu de quelles -obscurités un général en chef est obligé de se diriger, n'importaient -nullement quant à la conduite à tenir, puisqu'on était d'accord si -l'armée de Bohême voulait s'y prêter, d'avoir tout de suite une grosse -affaire avec elle, et qu'on n'était même empêché de l'entreprendre sur -l'heure que par l'absence des réserves occupées à franchir l'espace -entre Bautzen et Dresde. Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour -retourner encore le jour même à Dresde, où il avait des ordres de tout -genre à donner à ses divers corps d'armée. Il fut convenu qu'au -premier mouvement de l'ennemi le maréchal lui enverrait un officier -pour le prévenir[19]. - - [Note 19: Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr, - outre beaucoup d'esprit, une grande indépendance de - caractère, nous regrettons seulement qu'elle ait été gâtée - par un penchant excessif à la contradiction, qui lui a fait - commettre plus d'une faute dans sa carrière d'ailleurs si - glorieuse. Mais nous allons citer une étrange preuve de ce - penchant, à l'occasion même des journées dont on vient de - lire le récit. Certes il est difficile de voir des journées - sinon plus heureusement employées, du moins plus activement, - car Napoléon partit le 3 au soir de Dresde, dormit trois ou - quatre heures à Harta, arriva le 4 au matin à Bautzen, y - passa la journée du 4 pour assister à la poursuite de - l'ennemi, poussa pendant la journée du 5 jusqu'à Gorlitz - pour s'assurer de ses propres yeux si les Prussiens - voulaient tenir, revint le soir même à Bautzen sur le bruit - d'une nouvelle apparition de l'armée de Bohême, y arriva à - deux heures du matin le 6, expédia le 6 tous ses ordres, - vint le même jour coucher à Dresde où il fut rendu dans la - nuit, et le 7 au matin se transporta auprès du maréchal - Saint-Cyr pour avoir la conférence que nous venons de - rapporter. Marchant pendant les nuits, passant les journées - ou à cheval ou dans son cabinet pour donner des directions à - une multitude de corps dont il recevait à chaque instant des - nouvelles, Napoléon déployait dans ces circonstances - l'activité d'un jeune homme. Voici pourtant les propres - paroles du maréchal Saint-Cyr dans ses Mémoires, tome IV, - page 136... «Il lui restait (après la retraite de Blucher) - la faculté de marcher sur Schwarzenberg, qui s'avançait par - la rive droite sur Rumburg, et de la marche duquel je - présume qu'il était instruit, comme il le fut par le 14e - corps dans les journées du 3, du 4, de celle de l'armée - russe. Néanmoins, après la retraite de Blucher, il resta le - 5, le 6 et le 7 dans une indécision complète; le 7, il fit - écrire par le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr - une espèce de lettre de reproches...» Sans chercher dans - cette dernière phrase le secret du jugement porté par le - maréchal Saint-Cyr, on peut voir par l'exposé que nous avons - fait à quel point est fondée l'assertion de ce maréchal. - Napoléon marcha le 5 sur Blucher, revint le 6 rappelé par le - maréchal Saint-Cyr lui-même, n'employa que quelques heures à - s'assurer si cet appel était fondé, heures qu'il ne perdit - pas puisqu'il ne cessa de donner des ordres, et consacra le - 7 à se transporter auprès du maréchal. Il ne perdit donc pas - les 5, 6 et 7 en irrésolutions. La supposition que Napoléon - devait être instruit du prétendu mouvement de l'armée - autrichienne sur Rumburg, c'est-à-dire sur la rive droite de - l'Elbe, est tout aussi fausse, car d'une part l'armée - autrichienne n'exécuta point le mouvement dont il s'agit, et - ne revint pas en arrière au delà de Tetschen, d'autre part - Napoléon aurait pu ne pas connaître ce mouvement si en effet - il avait eu lieu, car le rideau des montagnes et la mauvaise - volonté des Allemands nous condamnaient à tout ignorer, à ce - point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr étant - réunis à Mugeln en arrière de Pirna, ne savaient pas s'ils - avaient devant eux les Autrichiens, les Russes et les - Prussiens, ou seulement les Russes et les Prussiens. Tout - est donc inexact, jugements et assertions, dans le passage - que nous venons de citer, et nous faisons cette remarque non - point en flatteur de Napoléon, rôle que nous laissons à - d'autres, ni en détracteur du maréchal Saint-Cyr, dont au - contraire nous aimons fort l'esprit et l'indépendance, mais - en historien préoccupé des difficultés de l'histoire. - Certes, il semble qu'un témoin de ce mérite, placé si près - des événements, ayant passé à côté de Napoléon une partie - des journées pendant lesquelles il prétend que Napoléon ne - fit rien, aurait dû savoir la vérité, et pourtant on voit - comment, pour n'avoir pas lu ce que Napoléon écrivit pendant - ces journées, il a été exposé à prononcer de faux jugements. - C'est une nouvelle preuve qu'il ne faut pas se hasarder à - juger les hommes qui ont figuré dans les grands événements - sans avoir connu leurs ordres, leurs correspondances surtout - qui contiennent leurs vrais motifs. Et quand on voit un - personnage comme le maréchal Saint-Cyr, qui avait commandé - des armées, qui savait par expérience quelles sottes - déterminations les gens mal informés prêtent souvent à ceux - qui commandent, quand un tel personnage commet de telles - erreurs, on se dit qu'il ne faut prononcer que sur pièces - authentiques, et après avoir vu et compulsé toutes celles - qui existent, et qu'on peut se procurer. Quant à nous, c'est - ce que nous avons fait avec une attention scrupuleuse, ne - nous permettant d'affirmer que sur données certaines, - contrôlées les unes par les autres, ne cherchant à exalter - ou dénigrer ni ceux-ci ni ceux-là, n'étant ni le flatteur ni - le détracteur de Napoléon, devenu pour nous un personnage - purement idéal, ne cherchant que la vérité, la cherchant - avec passion, et la disant au profit de Napoléon quand elle - lui est favorable, à son détriment quand elle le condamne. - Le vrai, voilà le but, le devoir, le bonheur même d'un - historien véritable. Quand on sait apprécier la vérité, - quand on sait combien elle est belle, commode même, car - seule elle explique tout, quand on le sait, on ne veut, on - ne cherche, on n'aime, on ne présente qu'elle, ou du moins - ce qu'on prend pour elle.] - -[En marge: Difficultés du commandement en chef, révélées par -l'obscurité qui enveloppe ici les projets de l'ennemi.] - -Pour mieux apprécier la difficulté du commandement, il faut savoir -qu'en ce moment Napoléon et le maréchal avaient raison l'un et -l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était passé en effet -du côté des coalisés. À la première nouvelle venue de Dresde d'une -marche de Napoléon en Lusace, les Autrichiens avaient exécuté un -mouvement rétrograde, correspondant en Bohême à celui que Napoléon -exécutait en Lusace, et avaient repassé l'Elbe derrière le rideau des -montagnes, entre Tetschen et Leitmeritz. Ce mouvement avait un double -but, premièrement de pourvoir aux cas imprévus, à celui notamment -d'une opération de Napoléon sur Prague, secondement de se remettre -quelque peu de la rude secousse essuyée par l'armée autrichienne dans -la bataille de Dresde. On avait laissé les Russes et les Prussiens sur -la grande route de Péterswalde, afin d'y rappeler Napoléon par de -fortes démonstrations, de dégager ainsi l'armée de Silésie contre -laquelle il marchait, et de continuer le plan convenu à Trachenberg, -de se montrer fort entreprenant là où il ne serait pas, très-prudent -là où il serait, jusqu'au moment où après l'avoir épuisé en courses -inutiles, on trouverait moyen de l'accabler. Wittgenstein et Kleist, -qui commandaient les Russes et les Prussiens sous Barclay de Tolly, et -qui étaient pleins d'ardeur, n'avaient pas exécuté à demi les -démonstrations dont ils étaient chargés, avaient attaqué à fond les -quatre divisions du maréchal Saint-Cyr, au point qu'il avait fallu à -celui-ci toute sa tenue, tout son talent dans la guerre défensive, -pour s'en tirer sans échec. Pendant que les corps russes et prussiens -bataillaient ainsi à Péterswalde, Klenau encore tout ébranlé des -coups reçus à Dresde, était entre Commotau et Chemnitz occupé à se -refaire, envoyait des partisans soit à Zwickau soit à Chemnitz, et -préparait de la sorte l'opération décisive que les coalisés, sans -l'oser tenter encore, méditaient toujours sur nos derrières, mais -cette fois dans la direction de Leipzig, et non plus dans celle de -Dresde. - -[En marge: Attente des nouveaux mouvements de l'ennemi, pour se jeter -sur lui dès qu'il donnera prise.] - -Napoléon avait donc raison quand il croyait qu'on ne songeait pas à -une seconde attaque sur Dresde, et qu'une nouvelle marche sur nos -derrières, si elle avait lieu, s'essayerait plus loin, c'est-à-dire -par Leipzig; et le maréchal Saint-Cyr se trompant sur ces points, -avait raison de penser que les Russes et les Prussiens étaient -actuellement séparés des Autrichiens, et que ce pouvait être une bonne -occasion de les assaillir. Napoléon n'objectait rien à cette dernière -opinion, et disait très-sensément que quelle que fût la vérité sur -tout cela, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était d'attendre la -journée du 8, pour voir comment se comporterait l'ennemi, et pour -donner à la garde et à la cavalerie de réserve le temps d'arriver. Il -est rare, surtout lorsque la situation prête à des suppositions -contraires, qu'il n'y ait qu'une conduite à tenir. C'était le cas ici, -et Napoléon était retourné le 7 au soir à Dresde, prêt à revenir de sa -personne au premier signal, mais dans l'intervalle voulant veiller aux -mouvements de ses innombrables corps d'armée. En effet, tandis qu'il -était aux aguets pour saisir en faute l'armée de Bohême, il se passait -de nouveaux événements sur ses ailes. - -[En marge: Mouvement du maréchal Ney pendant que Napoléon s'était -dirigé de nouveau sur Bautzen.] - -On se souvient sans doute qu'en partant de Dresde, d'abord pour se -diriger sur Hoyerswerda, puis pour se rabattre sur Bautzen, Napoléon -avait donné au maréchal Ney rendez-vous à Baruth, dans l'intention de -se réunir à lui, soit pour appuyer son mouvement sur Berlin, soit pour -y marcher lui-même. Ramené sur Dresde par l'apparition des têtes de -colonnes de Kleist et de Wittgenstein, il ne croyait guère, comme on -vient de le voir, à leur intention sérieuse de s'engager encore une -fois sur les derrières de cette capitale; il songeait donc dès qu'il -serait entièrement rassuré à cet égard, à reprendre ses projets sur -Berlin, et il était impatient de savoir ce que le maréchal Ney aurait -fait de ce côté. - -Ce maréchal, envoyé pour prendre le commandement des mains du maréchal -Oudinot, était arrivé le 3 septembre à Wittenberg, jour même où -Napoléon s'acheminait sur Bautzen, et voulant se mettre en marche dès -le 5 au plus tard, il avait passé la revue de ses trois corps d'armée, -qui depuis l'échec de Gross-Beeren avaient beaucoup perdu en matériel, -en force numérique, en dispositions morales. - -[En marge: Force des 4e, 7e et 12e corps, depuis leur retour sur -l'Elbe.] - -[En marge: Dispositions des chefs.] - -[En marge: Le maréchal Ney ayant ordre de se rendre à Baruth, passe -ses corps en revue le 4 septembre, et annonce leur départ pour le 5.] - -Le matériel, on l'avait remplacé au moyen du vaste dépôt de -Wittenberg; la force numérique, on n'avait pas pu la rétablir, car une -douzaine de mille hommes étaient les uns morts ou blessés sur le champ -de bataille de Gross-Beeren, les autres dispersés sur les routes dans -un état de complète débandade. On avait ramassé ceux d'entre eux qui -étaient Français, et on leur avait remis un fusil à l'épaule, mais -c'était le moindre nombre, et c'est tout au plus si les trois corps -d'armée, la cavalerie du duc de Padoue comprise, présentaient en ligne -52 mille hommes, au lieu des 64 mille qu'ils comptaient à la reprise -des hostilités. Quant aux dispositions morales, ils n'avaient plus -cette aveugle confiance en eux-mêmes que les journées de Lutzen et de -Bautzen leur avaient inspirée, et que le premier échec essuyé venait -d'ébranler profondément. Les chefs n'étaient pas satisfaits. Le -maréchal Oudinot, quoique ayant désiré d'être exonéré du commandement, -ne pouvait pas voir avec plaisir l'envoi du maréchal Ney, qui semblait -être une condamnation de sa conduite. Le général Reynier mécontent du -maréchal Oudinot, tout prêt à l'être du maréchal Ney, joignant à sa -propre humeur celle des Saxons qu'il commandait, ne pouvait pas être -un lieutenant animé de bien bonne volonté, quoique toujours disposé à -faire son devoir sur le champ de bataille. Le général Bertrand enfin, -invariablement dévoué au service de l'Empereur, était celui duquel le -maréchal Ney avait le moins à craindre, bien qu'il eût espéré une -position plus indépendante que celle qui lui était échue. Du reste, le -maréchal Ney, n'ayant presque jamais exercé le commandement en chef, -quoique ayant eu sous ses ordres directs de nombreux rassemblements de -troupes, ne regardant guère à ses instruments et tout pressé de les -employer, passa ses corps en revue le 4, et leur annonça qu'on -partirait le lendemain 5. Ayant rendez-vous à Baruth, il devait se -porter de Wittenberg à Juterbock, et pour cela se glisser en quelque -sorte de gauche à droite, afin de se dérober à l'armée ennemie qui -était tout entière devant Wittenberg, pourvue d'une immense cavalerie -et ayant ainsi des yeux partout. - -[En marge: Adroite manoeuvre de Ney, qui défile avec son centre et sa -gauche derrière sa droite immobile, pour se porter de Wittenberg à -Zahne.] - -[En marge: Nécessité où était Ney pour se porter à Baruth d'exécuter -un mouvement de flanc continuel avec 50 mille hommes contre 80 mille.] - -L'armée française était rangée en demi-cercle devant Wittenberg, le 7e -corps (celui du général Reynier) à gauche, le 12e (celui du maréchal -Oudinot) au centre, le 4e (celui du général Bertrand) à droite. On -était tellement serré par l'armée du Nord que les avant-postes étaient -sans cesse aux prises. Le maréchal Ney agissant ici avec beaucoup -d'adresse, laissa sa droite formée par le 4e corps, en présence de -l'ennemi toute la matinée du 5, et commença le mouvement projeté par -son centre composé du 12e corps. Il le porta dans la direction de -Zahne en passant derrière sa droite, et vint enlever Zahne au corps -prussien de Tauenzien. Il y avait une petite rivière à franchir au -bourg même de Zahne; on la força malgré quelque résistance, et on -déboucha au delà. Le 7e qui formait la gauche suivit le 12e, dont il -appuya les efforts sur Zahne, et quand ils eurent défilé tous deux, le -4e, ayant suffisamment occupé l'ennemi, leva son camp à son tour, et -se réunit au reste de l'armée, qui en un jour se trouva ainsi rendue à -Seyda, à cinq lieues sur la droite de Wittenberg. Ce mouvement, -lestement et bravement exécuté, nous avait coûté un millier d'hommes, -mais en avait coûté le double aux Prussiens. Toutefois il s'agissait -de savoir, si précédés, côtoyés, suivis par une innombrable cavalerie, -observés dans tous nos mouvements, il nous serait possible de -continuer cette marche de flanc sans être assaillis par l'ennemi, et -frappés dans le flanc même que nous lui présentions inévitablement. - -[En marge: Ney se décide sans faire d'objections à exécuter -immédiatement les ordres de Napoléon.] - -Si Napoléon avait formé des généraux en chef au lieu de former -d'admirables lieutenants, seule espèce d'élèves qui pussent sortir de -son école puisqu'il ne leur permettait jamais d'être autre chose, il -n'aurait pas été exposé à voir ses ordres interprétés comme ils le -furent en cette occasion. Bien qu'il eût prescrit au maréchal Ney de -se porter à Baruth, ce qui impliquait absolument la nécessité d'un -mouvement de flanc en présence de l'ennemi, le maréchal, moins soumis, -eût plutôt différé l'exécution de ces ordres que de s'exposer aux -chances d'une bataille générale, livrée dans une position fausse et -contre des forces infiniment supérieures. Mais le maréchal Ney, -habitué à ne pas même examiner la valeur des ordres de Napoléon, ne -songeant qu'à s'y conformer ponctuellement et habilement, rendu plus -confiant encore par son heureuse opération du 5, continua son -mouvement de gauche à droite sans aucune hésitation. - -[En marge: Marche sur Juterbock.] - -[En marge: Circonstances fâcheuses qui viennent aggraver la situation -dans la journée du 6.] - -Le 6 il fallait percer sur Juterbock, après quoi on n'avait plus -qu'une marche à exécuter pour être à Baruth. Le maréchal Ney décida -que le général Bertrand, qui continuait à former avec le 4e corps la -droite de l'armée, et qui avait été le moins engagé la veille, -partirait le premier vers huit heures du matin pour se diriger sur -Juterbock, que le général Reynier suivrait avec le 7e, le maréchal -Oudinot avec le 12e. L'ennemi étant si averti et si rapproché, il eût -été à propos de marcher en masse, parfaitement serrés les uns aux -autres, surtout en opérant un mouvement de flanc et de jour avec -cinquante mille hommes contre quatre-vingt mille. Mais les trois -corps étaient à une distance de deux heures les uns des autres, et par -surcroît de malheur ils cheminaient dans une plaine sablonneuse, et -par un vent qui soulevait des nuages d'une poussière épaisse, tout à -fait impénétrable à la vue. - -[En marge: Possibilité d'échapper à l'ennemi, en arrivant à Dennewitz -avant lui.] - -De huit heures à midi, on s'avança toujours harcelés en flanc par une -nombreuse cavalerie que la nôtre avait la plus grande peine à -contenir. Que Bernadotte fût instruit de notre projet, qu'il se fût -ébranlé en masse pour nous barrer le chemin de Juterbock, il n'était -pas possible d'en douter d'après la direction qu'il avait prise et -d'après le nombre de ses cavaliers. Mais si on parvenait au défilé de -Dennewitz qu'il fallait absolument franchir avant que l'ennemi y fût -en masse, on pouvait très-bien forcer le passage et arriver les -premiers à Juterbock. Alors toute l'armée française était hors de -péril, et le prince de Suède était réduit à la suivre en queue, sans -espérance de l'atteindre. - -Vers midi on fut tout à coup assailli par la mitraille, partie du -milieu d'un nuage de poussière. On était sans le savoir en présence du -corps de Tauenzien, que la veille on avait poussé devant soi, qu'on -avait devant soi encore, et on touchait au défilé de Dennewitz, seul -obstacle un peu difficile à surmonter dans le parcours de cette vaste -plaine. Voici en quoi ce défilé consistait. - -[En marge: Description du champ de bataille de Dennewitz.] - -Transversalement devant nous coulait un ruisseau peu profond, mais -très-marécageux, allant de Niedergörsdorf à Juterbock, et qu'on ne -pouvait franchir qu'à deux endroits, à Dennewitz et à Rohrbeck. Ce -ruisseau, après avoir coulé de notre gauche à notre droite, parvenu à -Rohrbeck se détournait pour percer droit devant nous jusqu'à -Juterbock, petite ville devant laquelle il coulait en décrivant divers -contours. La grande route dont nous avions indispensablement besoin -pour nos parcs dans cet océan de sable, traversant Dennewitz, il -fallait forcer le passage à Dennewitz même. Le général Bertrand attiré -par la mitraille accourut, et le nuage de poussière s'étant un moment -dissipé, il reconnut les Prussiens. Il sentit qu'il fallait les -culbuter, et passer malgré eux ce défilé de Dennewitz. Le maréchal Ney -accouru à son tour, vit bien qu'il n'y avait pas autre chose à faire, -et il en donna l'ordre immédiatement. - -[En marge: Les trois corps ne marchant pas assez près les uns des -autres, le 4e arrive le premier.] - -[En marge: Position prise par le 4e corps au delà du ruisseau de -Dennewitz.] - -La division italienne Fontanelli marchait en tête. Son général suivi -de quelques bataillons entra dans Dennewitz en passant sur le corps -d'un détachement prussien, et franchit ainsi le ruisseau. Mais ce -n'était pas dans le village même de Dennewitz, c'était au delà, dans -d'assez belles positions s'étendant en face de notre gauche, que -l'ennemi avait résolu de résister, en nous opposant ce qu'il avait de -forces actuellement réunies. Heureusement il n'y avait de présent sur -les lieux que le corps de Tauenzien; celui de Bulow s'avançait en -toute hâte, les Suédois et les Russes faisaient aussi grande -diligence, mais ils étaient plus loin encore. Si de leur côté tous les -corps français précipitaient leur marche, il se pouvait qu'ils -arrivassent à temps pour traverser le défilé en écrasant Tauenzien, -peut-être Bulow lui-même. - -[En marge: Long combat soutenu en avant de Dennewitz par les divisions -Morand et Fontanelli.] - -[En marge: Belle conduite du général Morand.] - -[En marge: La plus grande partie de l'armée prussienne réunie contre -le 4e corps, tandis que le 7e et le 12e sont encore en marche.] - -[En marge: Le 4e corps se maintient vaillamment dans la position qu'il -a prise.] - -À peine la division italienne avait-elle dépassé le village de -Dennewitz, que des milliers de cavaliers avec beaucoup d'artillerie -fondirent sur elle. Mais elle ne se laissa point ébranler. À la sortie -de Dennewitz nous étions dans une plaine bordée à l'horizon par des -bois, et terminée à gauche par quelques mamelons surmontés d'un -moulin. À droite, dans le lointain, on apercevait Juterbock. Ney, -toujours fort habile sur le terrain, dirigea lui-même toutes les -dispositions. À gauche il plaça près du moulin de Dennewitz la belle -division Morand, dont le général Morand doublait la valeur par sa -présence, au centre la division italienne, à droite dans la direction -de Juterbock la division wurtembergeoise. Notre artillerie bien postée -sur les parties saillantes du terrain, contint celle de Tauenzien, et -réussit même à la faire taire. Alors la cavalerie ennemie -très-nombreuse se jeta sur la nôtre, qui rendit la charge, mais fut -culbutée. Quelques-uns même de nos escadrons vivement poursuivis, se -précipitèrent à travers les intervalles des bataillons italiens, qui -n'osèrent tirer de peur de tirer sur les nôtres. Deux de ces -bataillons se privant ainsi de leurs feux furent renversés par la -cavalerie ennemie, ce qui amena quelque désordre dans notre ligne. À -ce spectacle, le général Morand prit deux bataillons du 13e, se porta -en avant à gauche, et couvrant notre ligne ébranlée lui donna le temps -de se remettre. Toute la cavalerie prussienne et russe fondit sur lui, -mais il la reçut en carrés, et rendit impuissants tous ses efforts. -Cependant il aurait fallu que nos corps arrivassent, car ceux de -l'ennemi approchaient, et déjà du village de Niedergörsdorf, situé -au-dessus de Dennewitz, on voyait déboucher le corps de Bulow, fort de -vingt-cinq mille Prussiens très-animés. Le général Bulow, comme à -Gross-Beeren, devançant les ordres de Bernadotte, avait marché en -toute hâte, et ses têtes de colonnes apparaissaient vers notre gauche, -tandis que sur nos derrières on n'apercevait encore ni Reynier ni -Oudinot. Bientôt les colonnes de Bulow débouchant de Niedergörsdorf, -rencontrèrent les deux bataillons du 13e, que Morand avait postés sur -une éminence à gauche pour servir d'appui à notre ligne de bataille. -Ces deux bataillons tinrent ferme, mais accablés par le nombre, ils -furent forcés de céder le terrain sur lequel ils étaient établis. -Notre artillerie de 12 placée un peu en arrière et au-dessus, les -protégea en accablant les Prussiens de mitraille. Ney, de général en -chef devenu général de division, prit deux bataillons du 8e, -appartenant également à la division Morand, les porta en avant, et -reconquit le terrain qu'avaient cédé malgré eux les deux bataillons du -13e. En même temps il dépêcha officiers sur officiers à Reynier et à -Oudinot pour presser leur arrivée. Le corps entier de Bulow se -déploya, mais la division Morand successivement engagée tint tête à -toutes les forces de l'ennemi. Pressée par des flots de cavalerie, -elle les reçut en carrés, et se fit autour d'elle un rempart de -cavaliers ennemis, tués ou démontés. Le combat se soutint ainsi avec -quinze mille hommes contre près de quarante. - -[En marge: Causes de la lente arrivée des 7e et 12e corps.] - -Commencée à midi, il y avait trois heures que cette lutte inégale -durait avec des chances variées, sans qu'on pût nous faire abandonner -le débouché conquis au delà du ruisseau de Dennewitz. Cependant on -apercevait distinctement l'armée russe et suédoise s'avançant à -marches forcées sur le village de Gölsdorf situé à notre gauche, en -deçà du ruisseau que nous avions franchi, et faisant avec ce ruisseau -un angle droit. Bulow y avait déjà un détachement, et si le progrès de -l'ennemi continuait, la communication pouvait être coupée entre nos -troupes engagées, et celles qui étaient encore en route. Reynier et -Oudinot que Ney avait eu le tort de laisser à une trop grande distance -de Bertrand, entendant le canon, mais l'ayant entendu de même la -veille, et enveloppés par un nuage de poussière qui leur dérobait la -vue des objets, ne s'étaient pas crus obligés de doubler le pas. -Avertis enfin, ils s'étaient hâtés davantage, et le 7e devançant le -12e, était venu diminuer l'inégalité de forces sous laquelle le 4e -corps avait failli succomber. - -[En marge: Le 7e, arrivé en ligne, se place en potence sur la gauche -du 4e.] - -D'après l'ordre de Ney, qui lui avait enjoint de se former en potence -sur notre gauche pour contenir Bulow, et faire face aux Suédois et aux -Russes qui s'approchaient, Reynier retardé un moment par les bagages -du 4e corps, poussa en avant la division française sur laquelle il -comptait le plus, celle de Durutte, et l'établit en arrière de -Dennewitz, en deçà du ruisseau. Cette division placée là sur une -légère éminence pouvait faire un grand usage de son artillerie, et -elle n'y manqua point. Reynier dirigea la division saxonne Lecoc sur -Gölsdorf, et tint en réserve sa seconde division saxonne, celle de -Lestoc. À peine ces dispositions étaient-elles exécutées, que le -général Durutte, se portant au sommet de l'angle décrit par notre -ligne, arrêta court les Prussiens qui débouchaient de Niedergörsdorf. -De son côté la brigade Mellentin de la division saxonne Lestoc, -pénétra dans Gölsdorf, en chassa les Prussiens, et empêcha ainsi -l'ennemi de s'établir sur notre gauche. Le combat se soutint de la -sorte avec acharnement au milieu de nuages de poussière qui ne -laissaient voir autre chose que les troupes qu'on avait immédiatement -devant soi. - -[En marge: Arrivée du 12e corps.] - -[En marge: Il se place derrière le 7e pour soutenir notre gauche qui -est menacée par 40 mille Russes et Suédois.] - -Enfin Oudinot arriva, passa derrière les corps qui l'avaient précédé, -et apercevant l'orage qui nous menaçait à gauche, car de ce côté -quarante mille Suédois et Russes marchaient sur Gölsdorf, plaça deux -de ses divisions derrière les Saxons de Lestoc, et garda la troisième -en réserve. Grâce à ce renfort, et sauf accident, il était possible -encore que les 50 mille soldats de Ney tinssent tête aux 80 mille -ennemis qu'ils avaient sur les bras, et qu'ils parvinssent à gagner -Juterbock sans échec. - -[En marge: Le 4e corps, affaibli par une longue lutte, est obligé de -céder du terrain.] - -[En marge: Ney, pour le remplacer à Dennewitz, ordonne un mouvement de -gauche à droite, qui amène une sorte de confusion.] - -[En marge: Les Saxons se débandent, et il s'ensuit une déroute -générale.] - -[En marge: Tristes résultats de la bataille de Dennewitz.] - -Mais en ce moment un effort combiné de Tauenzien et d'une moitié de -Bulow sur le corps de Bertrand affaibli par une longue lutte, obligea -celui-ci à se replier, et vers quatre heures, ayant déjà perdu plus de -trois mille hommes, il céda du terrain, non en repassant le ruisseau -de Dennewitz, mais en appuyant un peu à droite vers Rohrbeck, et en -restant toujours en avant de ce ruisseau. Ney, trop préoccupé de ce -qu'il avait sous les yeux, et ne songeant pas assez à l'ensemble de la -bataille, craignit que Dennewitz ne fût découvert par le mouvement de -Bertrand, et enjoignit à Reynier de placer la division Durutte à -Dennewitz même. Il ordonna en même temps à Oudinot de se reporter de -Gölsdorf, où il servait d'appui aux Saxons, à Rohrbeck, pour former -réserve derrière Bertrand. C'était une double faute, car notre droite -depuis que Bertrand s'était rapproché de Rohrbeck, était moins en -danger que notre gauche repliée en potence et menacée par l'irruption -de quarante mille ennemis. Le général Durutte, sur l'ordre transmis -par Reynier, quitta avec une de ses deux brigades la bonne position où -il était en arrière de Dennewitz, passa le ruisseau, et s'empara du -moulin de Dennewitz abandonné par Bertrand. Sa seconde brigade réduite -à elle seule ne fut plus suffisante pour garder le sommet de notre -angle. Au même instant Oudinot quitta le côté gauche de cet angle, -dont il formait l'appui indispensable, pour se porter vers le côté -droit. Alors la division prussienne Borstell, appuyée par une nuée de -cavalerie et toute l'artillerie russe et suédoise, attaqua Gölsdorf et -l'enleva à la brigade saxonne Mellentin. Oudinot essaya bien avant de -se retirer d'aider les Saxons à reprendre Gölsdorf, mais obligé de -continuer son mouvement il les livra bientôt à eux-mêmes. Les Saxons -qui par honneur s'étaient jusque-là bien comportés, mais dans le coeur -desquels la haine était toujours prête à faire taire l'honneur, se -croyant abandonnés des Français pour lesquels ils se battaient, voyant -devant eux s'avancer la masse des Suédois et des Russes, commencèrent -à reculer. De perfides alarmistes apercevant les flots de poussière -que les troupes d'Oudinot soulevaient dans leur mouvement de Gölsdorf -vers Rohrbeck, dirent que c'était la cavalerie ennemie qui avait -tourné l'armée française. À ce bruit les Saxons se débandèrent malgré -les efforts de Reynier, désertèrent Gölsdorf, laissèrent notre gauche -entièrement à découvert, et se jetèrent confusément sur Oudinot à -travers les rangs duquel ils passèrent. Par malheur tous les parcs et -bagages s'étaient accumulés dans l'intérieur de l'angle formé par -notre ligne de bataille. Une affreuse confusion se produisit alors, et -une véritable déroute commença de toutes parts. Néanmoins la division -Durutte, contrainte de quitter Dennewitz, se retira avec ordre; -Oudinot, sur lequel la gauche s'était repliée confusément, ne -s'ébranla point, et Bertrand put repasser sain et sauf au village de -Rohrbeck le ruisseau tant disputé. Pourtant la bataille était perdue, -car on avait cédé le terrain du combat, la route de Juterbock était -fermée, et dès lors le but était manqué. Six à sept mille des nôtres -jonchaient la plaine, et huit ou neuf du côté de l'ennemi la -couvraient également. Mais dix à douze mille de nos soldats, surtout -les Saxons et les Bavarois, s'enfuyant à toutes jambes, s'en allaient -dire sur l'Elbe que l'armée française était en déroute, et même -détruite. Le désordre, fort accru par la fâcheuse circonstance d'une -poussière épaisse, était tel, que plusieurs bataillons saxons -entendant galoper autour d'eux, et croyant que c'était la cavalerie -française, ne se mirent pas en défense, et ne s'aperçurent de leur -méprise que lorsqu'il n'était plus temps de se former en carrés. -Quelques-uns furent sabrés, le plus grand nombre pris. Pour ceux-ci -c'était la délivrance plutôt que la captivité, et il faut se plaindre -de leur fidélité plus que de leur courage, car ils se battirent bien, -jusqu'au moment où ils purent nous quitter pour aller dans les rangs -où les attiraient leurs affections. Dans la soirée et le lendemain, il -partit la moitié du corps saxon, et au moins une portion égale de la -division bavaroise. Les Saxons se cachant dans les villages n'eurent -pas de peine à regagner leur pays, qui était près de là. Les Bavarois -coururent vers l'Elbe pour retourner dans leur patrie en maraudeurs. -Il n'y avait plus moyen de se replier sur Wittenberg qu'on avait -laissé à sept ou huit lieues sur la gauche dans la marche de l'armée -vers Juterbock, et il n'y avait de retraite possible que sur Torgau, -qu'on devait rencontrer derrière soi en revenant sur l'Elbe. Le -maréchal Ney s'y retira donc en assez bon ordre, mais après avoir -perdu une vingtaine de bouches à feu dont les chevaux avaient été -tués, et plus de quinze mille hommes, dont la moitié au moins se -composait de déserteurs. Il était réduit à 32 mille combattants -environ. Les Italiens nous étaient restés fidèles suivant leur -coutume, et s'étaient bien battus. Les Wurtembergeois avaient conservé -leur excellente tenue militaire. Parmi les débandés on comptait bien -quelques jeunes soldats français, mais en petit nombre, et ne -s'éloignant guère de l'armée, qui dans ces pays lointains était pour -eux une véritable patrie. - -[En marge: Amères récriminations entre les chefs de l'armée.] - -Le 8 septembre, le maréchal Ney se trouva réuni avec toutes ses -troupes sous le canon de Torgau. Comme il fallait s'y attendre, une -aigreur extrême régnait entre les divers états-majors. Ney se -plaignait de la lenteur de Reynier et d'Oudinot, mais surtout du -faible concours de Reynier, dont les divisions saxonnes avaient lâché -pied. Reynier défendant les Saxons, accusait au contraire le maréchal -Ney d'avoir lui-même tout compromis par une fausse manoeuvre, celle -qui avait porté les divisions d'Oudinot de gauche à droite. Oudinot, -le moins aigre des trois, disait qu'il avait marché aussi vite qu'on -le lui avait prescrit, et rejetait la faute de sa lenteur sur le -général en chef, qui n'ayant pas su prévoir la bataille, n'avait pas -dans cette journée tenu ses corps assez rapprochés. - -[En marge: Véritables causes de la perte de la bataille de Dennewitz.] - -Ce qu'il y avait de vrai dans ces tristes récriminations, tout le -monde peut l'apercevoir par le seul récit des faits qui précèdent. Le -rendez-vous de Baruth assigné par Napoléon d'une manière générale, -pris trop à la lettre par le maréchal Ney qui s'était hâté d'exécuter -un mouvement de flanc hasardeux et infiniment prolongé; ce mouvement -bien exécuté le premier jour, moins bien le second, et sans les -précautions suffisantes; la lente arrivée des corps, imputable au -général en chef, mais un peu aussi aux lieutenants qui auraient dû de -leur côté prévoir une bataille, et y croire en entendant la canonnade; -la circonstance fâcheuse du vent et de la poussière qui plaçait entre -tous les corps un nuage impénétrable à la vue; l'ardeur de Ney au feu, -qui l'avait porté à s'absorber dans le commandement d'un seul corps au -lieu de s'occuper de l'ensemble; l'ordre regrettable donné à Oudinot -de quitter la gauche pour la droite, et enfin le penchant des alliés -à la débandade, telles avaient été les causes de la perte de cette -bataille, causes dont quelques-unes étaient sans doute accidentelles, -mais dont la plupart se rattachaient aux causes générales que nous -avons signalées tant de fois, et qui menaçaient nos affaires d'une -ruine prochaine. - -[En marge: Ney, retiré à Torgau, adresse de vives instances à Napoléon -pour être exonéré du commandement.] - -Arrivé à Torgau, Ney y trouva ce qu'il appelait une _sorte d'enfer_. -Outre le mécontentement des soldats et les récriminations des chefs -qu'il lui fallait subir, outre la cohue des fuyards qu'il lui fallait -faire rentrer dans l'ordre, outre la difficulté de pourvoir à tout ce -qui manquait, surtout à l'approche de l'ennemi déjà presque aux portes -de Torgau, Ney avait encore la crainte de voir les Saxons s'insurger. -Peu contenus par Reynier, qui dans sa mauvaise humeur se faisait trop -leur avocat, ils menaçaient tout haut de défection. On avait ordonné -de ramener du bétail sur la rive droite de l'Elbe pour former les -approvisionnements de la place de Torgau, et ceux de l'armée -elle-même. Les Saxons non-seulement s'y étaient refusés, mais -s'étaient emparés d'un parc qu'on venait de réunir, et avaient -distribué les têtes de bétail aux paysans saxons du voisinage. D'une -pareille désobéissance à une révolte ouverte il n'y avait pas loin. Du -reste il n'était pas surprenant que dans une armée composée d'éléments -si divers, deux batailles perdues en douze jours eussent produit cet -ébranlement moral: il aurait fallu s'étonner au contraire s'il en eût -été autrement. Ney, comme Macdonald, comme Oudinot, écrivit à -l'Empereur pour lui demander d'être exonéré du commandement.--J'aime -mieux, disait-il noblement, être grenadier que général dans de telles -conditions: je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire que ce -soit utilement[20].--Appuyé sur Torgau et sur l'Elbe, Ney pouvait bien -empêcher le passage du fleuve quelques jours, il ne pouvait pas le -disputer longtemps, du moins sans de nouveaux secours, surtout contre -la réunion de forces qu'il était facile de prévoir vers cette partie -de notre ligne de défense. - - [Note 20: Voici cette lettre curieuse, qui peint la - situation mieux que tout ce qu'on pourrait dire: - - _Le prince de la Moskowa au major général._ - «Wurtzen, 10 septembre 1813. - - »C'est un devoir pour moi de déclarer à V. A. S. qu'il est - impossible de tirer un bon parti des 4e, 7e et 12e corps - d'armée dans l'état actuel de leur organisation. Ces corps - sont réunis par le droit, mais ils ne le sont pas par le - fait: chacun des généraux en chef fait à peu près ce qu'il - juge convenable pour sa propre sûreté; les choses en sont au - point qu'il m'est très-difficile d'obtenir une situation. Le - moral des généraux et en général des officiers est - singulièrement ébranlé: commander ainsi n'est commander qu'à - demi, et j'aimerais mieux être grenadier. Je vous prie, - monseigneur, d'obtenir de l'Empereur ou que je sois seul - général en chef, ayant seulement sous mes ordres des - généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille bien - me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de - parler de mon dévouement, je suis prêt à verser tout mon - sang, mais je désire que ce soit utilement.--Dans l'état - actuel, la présence de l'Empereur pourrait seule rétablir - l'ensemble, parce que toutes les volontés cèdent à son - génie, et que les petites vanités disparaissent devant la - majesté du trône. - - »V. A. S. doit être aussi instruite que les troupes - étrangères de toutes nations manifestent le plus mauvais - esprit, et qu'il est douteux si la cavalerie que j'ai avec - moi n'est pas plus nuisible qu'utile.»] - -[En marge: Pendant les fâcheux événements qui se passaient entre -Wittenberg et Torgau, Napoléon revient le 8 septembre au matin à -Pirna.] - -Pendant que ces événements avaient lieu, Napoléon rentré à Dresde le 7 -au soir, avait été rappelé dès le 8 au matin à Pirna, auprès du -maréchal Saint-Cyr, pour y tenir tête aux Russes et aux Prussiens qui -paraissaient insister dans leur attaque, au point de rendre -vraisemblable une entreprise sérieuse. Napoléon aurait bien voulu -qu'il en fût ainsi, mais, hélas! il ne l'espérait guère. Son grand -tact militaire ne lui permettait pas de croire que lorsqu'il y aurait -une opération sérieuse elle pût être tentée sur Dresde, après ce qui -s'était passé les 26 et 27 août. Il ne croyait donc qu'à une simple -démonstration; toutefois il était parti pour Pirna avec sa garde et -une portion de la cavalerie de réserve revenues de Bautzen le matin -même, et s'était encore transporté auprès du maréchal Saint-Cyr, pour -combiner avec lui ce qu'il y aurait à faire en cette nouvelle -occurrence. - -[En marge: Forces réunies par Napoléon en avant de Pirna et de Dohna.] - -[En marge: Projet d'une offensive vigoureuse si l'ennemi tient bon.] - -[En marge: On le pousse toute la journée du 8, sans savoir s'il -résistera sérieusement le lendemain.] - -Les Russes et les Prussiens n'ayant pas aperçu la garde et la réserve -de cavalerie qui signalaient toujours la présence de l'Empereur, -avaient persisté dans leur mouvement offensif, et Saint-Cyr, qui en -rétrogradant était arrivé jusqu'au bord de la petite rivière de la -Müglitz près de Mugeln, ne voulait pas la repasser. Cette rivière -coulant des montagnes de Bohême, vient se perdre près de Mugeln dans -l'Elbe. En la repassant on abandonnait définitivement les hauteurs, et -on était tout à fait rejeté dans la plaine. Le maréchal Saint-Cyr dans -la vue d'un prochain retour offensif, avait voulu se maintenir au delà -de la Müglitz et en avait défendu le bord en restant à Dohna. Napoléon -s'étant rendu sur les lieux le 8 au matin, bien avant les renforts qui -le suivaient, avait pensé comme le maréchal Saint-Cyr, qu'avec la -certitude d'être prochainement appuyé le 14e corps pouvait, sans -laisser de réserve, marcher tout entier contre l'ennemi. Sur-le-champ -en effet trois des divisions du 14e corps s'étaient formées en -colonnes d'attaque et avaient vigoureusement poussé de bas en haut les -troupes de Wittgenstein et de Kleist. On avait d'un côté sur la route -de Péterswalde recouvré le plateau de Gieshübel, et de l'autre, sur la -route de Furstenwalde, refoulé dans la direction de Liebstadt les -masses qu'on avait devant soi. Toutefois les coalisés s'étaient -repliés sans précipitation, et de manière à laisser du doute sur -l'attitude qu'ils prendraient le lendemain. Se retireraient-ils, ou -tiendraient-ils ferme? Telle était la question que Napoléon et le -maréchal Saint-Cyr n'étaient point en mesure de résoudre encore. Bien -décidés du reste à marcher vigoureusement sur l'ennemi s'il voulait -tenir le lendemain, ils passèrent la soirée ensemble, et firent avec -Murat et Berthier un repas, comme on les fait à la guerre et pour -ainsi dire au bivouac. - -[En marge: Sang-froid de Napoléon en apprenant la malheureuse bataille -de Dennewitz, et son indulgence pour le maréchal Ney.] - -[En marge: Curieux entretien avec le maréchal Saint-Cyr sur l'art de -la guerre.] - -Dans ce moment, 8 au soir, un aide de camp apporta la nouvelle de la -bataille perdue à Dennewitz le 6. C'était le quatrième événement -malheureux depuis les deux grandes victoires de Dresde, car nous -comptions déjà la Katzbach, Gross-Beeren, Kulm, Dennewitz, sans un -seul succès pour compenser ces coups redoublés de la fortune. Ce -dernier surtout avait une immense gravité, car outre l'effet moral -croissant avec la série des malheurs, il mettait en péril la partie -inférieure de l'Elbe, et nous exposait à voir ce fleuve franchi sur -notre gauche, tandis que l'armée de Bohême descendant de l'Erz-Gebirge -sur notre droite, menacerait de nous tourner définitivement, et de se -joindre au corps qui aurait passé l'Elbe à Wittenberg. Napoléon -sentit sur-le-champ la portée de cet événement. Néanmoins il demeura -calme, et même, aux yeux malicieusement observateurs du maréchal -Saint-Cyr, ne décela ni un trouble ni un sentiment d'humeur contre le -maréchal Ney. Certes un instant d'emportement eût été excusable; -pourtant dans cet épanchement familier de militaires parlant entre eux -de leur profession, il sembla n'envisager dans ce qui venait d'arriver -que le côté de l'art.--C'est un métier bien difficile que le nôtre! -s'écria-t-il plusieurs fois; et comme pénétré des difficultés de ce -grand art, le plus grand de tous après celui de gouverner, il releva -avec une admirable précision de critique, et sans aucune sévérité, les -fautes commises pendant cette courte campagne de trois jours, -commencée à Wittenberg, et sitôt finie à Torgau. Il ne voulut jamais -voir dans ces fautes que la preuve des difficultés inhérentes au -métier, répéta souvent que la guerre était une chose singulièrement -difficile, qu'il fallait beaucoup d'indulgence envers ceux qui la -pratiquaient, et se montra lui-même de la plus rare équité, comme si -un pressentiment surhumain l'avait averti dans le moment, que lui-même -aurait bientôt besoin de cette justice indulgente qu'il réclamait pour -les généraux malheureux. Entraîné par le feu de la conversation, dans -laquelle il était éblouissant quand il s'y livrait, il dit que les -généraux n'apportaient pas assez de réflexion dans leurs opérations; -que, s'il en avait jamais le temps, il composerait un jour un livre, -dans lequel il leur enseignerait les principes de la guerre, de -manière à en rendre l'application claire et facile à tous, et parla -de ce projet d'écrire un jour, comme s'il avait prévu qu'il passerait -les six dernières années de sa vie dans un cruel exil, réduit à écrire -sur un rocher de l'Océan! Le maréchal Saint-Cyr, que son penchant pour -la contradiction rendait souvent paradoxal, nia la science, même -l'expérience, soutint qu'on naissait général et qu'on ne le devenait -pas, que les généraux gagnaient peu à vieillir dans l'exercice de leur -profession, et que lui Napoléon avait fait sa plus belle campagne à -vingt-six ans. Napoléon lui concéda en effet que lorsque les généraux -n'étaient pas doués par la nature de certaines facultés, l'expérience -leur profitait peu; et plongeant dans le passé, Il n'y en a eu qu'un, -s'écria-t-il, qui méditant sans cesse sur son métier, ait gagné à -vieillir, c'est Turenne!...-- - -[En marge: Prodigieuse faculté de se distraire dont Napoléon était -doué.] - -Ainsi après une nouvelle terrible, qui changeait considérablement sa -position, Napoléon passa la soirée à disserter sur son art, et à -charmer ses auditeurs, qui n'étaient pourtant pas tous bienveillants! -Homme singulier et prodigieux, qui sans être né flegmatique, arrivait -par la puissance de son esprit à s'arracher aux affaires présentes, à -les oublier, à les dédaigner, à les juger de la hauteur de l'aigle, -qui d'un vol vigoureux échappe à la terre pour planer dans les -hauteurs du ciel! - -[En marge: Premier sentiment de la gravité de la situation.] - -Cependant il ne se faisait pas illusion, et songeant que dans son -vaste empire tout avait été prévu pour la conquête, rien pour la -défense, il voulut faire parvenir au ministre de la guerre l'ordre -indirect de s'occuper des places du Rhin. Écrire lui-même au duc de -Feltre qu'il commençait à douter de la possibilité de se maintenir en -Allemagne, était un aveu pénible, et surtout dangereux à faire, car -l'émotion de celui qui recevrait une telle confidence pourrait bien en -amener la divulgation. Il imagina donc le soir même de faire adresser -par M. de Bassano au ministre Clarke, une lettre écrite en chiffres, -et conçue dans les termes suivants: - -[En marge: Ordre secret et indirect au ministre de la guerre, pour la -mise en état de défense des places du Rhin.] - - «8 septembre 1813. - -»Les événements se pressent de telle manière qu'en laissant à S. M. -des chances heureuses et brillantes, il est cependant de la prudence -d'en prévoir de contraires. Je crois devoir, mon cher duc, m'en -expliquer confidentiellement avec vous. - -»L'armée russe n'est pas notre ennemi le plus dangereux. Elle a -éprouvé de grandes pertes, elle ne s'est pas renforcée, et, à sa -cavalerie près, qui est assez nombreuse, elle ne joue qu'un rôle -subordonné dans la lutte qui est engagée. Mais la Prusse a fait de -grands efforts. Une exaltation portée à un très-haut degré a favorisé -le parti qu'a pris le souverain. Ses armées sont considérables, ses -généraux, ses officiers et ses soldats sont très-animés. Toutefois la -Russie et la Prusse n'auraient offert que de faibles obstacles à nos -armées, mais l'accession de l'Autriche a extrêmement compliqué la -question. - -»Notre armée, quelque prix que lui aient coûté les victoires -remportées, est encore belle et nombreuse. Mais les généraux et les -officiers fatigués de la guerre n'ont plus ce mouvement qui leur -avait fait faire de grandes choses. Le théâtre est trop étendu. -L'Empereur est vainqueur toutes les fois qu'il est présent; mais il ne -peut être partout, et les chefs qui commandent isolément répondent -rarement à son attente. Vous savez ce qui est arrivé au général -Vandamme. Le duc de Tarente a éprouvé des échecs en Silésie, et le -prince de la Moskowa vient d'être battu en marchant sur Berlin. - -»Dans de telles circonstances, mon cher duc, et avec le génie de -l'Empereur on peut encore tout espérer. Mais il se peut aussi que des -chances contraires influent d'une manière fâcheuse sur les affaires. -On ne doit pas trop le craindre, mais on doit le regarder comme -possible, et ne rien négliger de ce que commande la prudence. - -»Je vous présente ce tableau afin que vous sachiez tout et que vous -agissiez en conséquence. - -»Vous feriez sagement de veiller à ce que les places fussent mises en -bon état, et d'y réunir beaucoup d'artillerie, car nous faisons -souvent dans ce genre des pertes assez sensibles. Vous devriez vous -entendre secrètement avec le directeur général des vivres pour faire -dans les places du Rhin des approvisionnements extraordinaires, enfin -pour préparer d'avance tout ce qui convient, afin que dans une -circonstance extraordinaire S. M. n'éprouvât point de nouveaux -embarras, et que vous ne fussiez pas pris au dépourvu.--Vous sentez -que si je vous écris ainsi, c'est que j'ai bien réfléchi à ce qui se -passe sous mes yeux, et que je suis assuré que je ne fais rien en cela -que S. M. puisse désapprouver. Un grand succès peut tout changer et -remettre les affaires dans la situation prospère où l'immense avantage -remporté par S. M. les avait placées. - -»Accusez-moi, s'il vous plaît, réception de cette lettre.» - -[En marge: Matinée du 9 septembre en face du Geyersberg.] - -[En marge: Distribution des forces de Napoléon.] - -Le lendemain 9 Napoléon se rendit de très-bonne heure sur le terrain -pour observer de ses yeux les mouvements de l'ennemi, et prescrire ses -dispositions en conséquence. Il avait sous la main le 1er corps, -récemment réorganisé par le comte de Lobau, et posté en avant de -Zehist sur la route de Péterswalde, le 14e sous le maréchal Saint-Cyr -rangé en avant de Dohna, sur la route de Furstenwalde. Il avait un peu -en arrière à Mugeln, mais en position d'agir, trois divisions de la -jeune garde sous le maréchal Mortier, et la cavalerie légère de la -garde sous Lefebvre-Desnoëttes. Le reste de la jeune garde, la vieille -garde, le corps de Marmont, la cavalerie de Latour-Maubourg, étaient à -Dresde, pour parer aux accidents imprévus. Assez loin vers la droite, -à quelques lieues sur la route de Freyberg, le maréchal Victor avec -son corps d'armée surveillait les débouchés de la Bohême aboutissant à -Leipzig. Le 1er et le 14e corps, les trois divisions de la jeune -garde, pouvaient monter à environ 55 mille hommes, force suffisante -pour accabler l'ennemi qu'on apercevait, surtout si on avait su que -les Autrichiens venaient de commettre la faute de rétrograder en -Bohême jusqu'à Tetschen et Leitmeritz, et qu'on n'avait devant soi que -Wittgenstein et Kleist. Mais il était impossible de le savoir d'une -manière sûre, et on en était réduit en ne voyant pas les Autrichiens, -à se demander où ils pouvaient être. Au surplus Kleist et -Wittgenstein faisaient bonne contenance, et ne paraissaient pas encore -disposés à battre en retraite. - -[En marge: Projet de déborder l'ennemi, imaginé par le maréchal -Saint-Cyr, et adopté par Napoléon.] - -On était donc à Zehist et à Dohna sur deux routes à la fois, d'un côté -celle de Péterswalde qui passait par Zehist, Gieshübel, Péterswalde, -chaussée neuve, large, partout facile pour l'artillerie, et de l'autre -celle de Liebstadt, passant par Furstenwalde, chaussée vieille, -praticable à l'artillerie jusqu'à Furstenwalde seulement, et à partir -de ce point franchissant la haute montagne du Geyersberg par des -sentiers inaccessibles aux gros charrois. C'est cette dernière route -que Kleist dans la fatale journée de Kulm avait suivie jusqu'à -Furstenwalde, puis avait quittée pour gagner par un détour à gauche la -chaussée de Péterswalde, et tomber sur Kulm à l'improviste. Le -maréchal Saint-Cyr qui entendait aussi bien que personne l'art de -profiter du terrain, proposa de prendre la vieille route de Bohême, en -se portant rapidement avec le 14e corps et la jeune garde sur -Liebstadt et Furstenwalde, de se jeter ensuite dans le flanc de la -colonne ennemie qui avait pris la route de Péterswalde, de couper -ainsi une portion plus ou moins forte de cette colonne, et même -parvenu à Furstenwalde, de franchir le Geyersberg, et d'intercepter la -retraite de l'ennemi vers la Bohême. Avec des efforts, avec beaucoup -de sapeurs, on finirait bien, selon lui, par frayer un chemin à -l'artillerie, et par arriver sur le revers du Geyersberg, c'est-à-dire -sur les derrières de l'ennemi, avec une quantité suffisante de canons. - -[En marge: Marche le 9 sur Furstenwalde.] - -Napoléon approuva sur-le-champ ce plan ingénieux, bien qu'il ne sût -pas si on pourrait passer le Geyersberg avec de l'artillerie; mais en -tous cas, on avait toujours plus de chances de causer du mal à -l'ennemi en le côtoyant, qu'en l'abordant directement sur la grande -route de Péterswalde. En conséquence, tandis que le comte de Lobau -avec le 1er corps s'avançait de Zehist sur Gieshübel, de Gieshübel sur -Péterswalde, poussant l'ennemi de front, Napoléon se tenant de sa -personne auprès de la colonne de Saint-Cyr, s'avança latéralement, et -d'un pas assez rapide, avec le 14e corps et la jeune garde. On marcha -ainsi toute la journée du 9. - -Kleist et Wittgenstein, sans avoir aperçu les renforts amenés par -Napoléon, avaient reconnu sa présence à la seule allure des troupes, -et s'étaient aussitôt mis en retraite. Toutefois ils se repliaient -sans précipitation, et Napoléon cheminant parallèlement à eux, sur la -vieille route de Bohême, les voyait toujours de flanc, et quoiqu'il -n'eût pas assez d'avance pour les couper en se jetant d'une route sur -l'autre, se flattait de les prendre à revers le lendemain, s'il -pouvait, arrivé au pied des montagnes, les franchir avec son -artillerie. On bivouaqua le 9 au soir à Furstenwalde. - -[En marge: Tentative, le 10 au matin, pour passer le Geyersberg avec -de l'artillerie, et couper la retraite à l'ennemi.] - -Le lendemain matin 10 septembre on se porta par Ebersdorf vers un col -d'où l'on découvrait le triste théâtre des événements de Kulm. À -droite on avait les hauteurs du Geyersberg, à gauche celles du -Nollenberg, le long desquelles se développait la grande route de -Péterswalde pour descendre en Bohême. Napoléon franchit ce col -accompagné du maréchal Saint-Cyr et de ses troupes légères, et vit à -une certaine distance sur sa gauche les troupes ennemies se hâtant de -repasser les montagnes, et menacées d'en être empêchées si on -parvenait à traverser le col avec des moyens d'artillerie suffisants. -Alors en prenant une bonne position sur l'une des hauteurs qui -dominaient la route, on pouvait réduire l'ennemi à faire par des -sentiers presque impraticables une retraite désastreuse, et se -procurer une brillante revanche de Kulm. - -[En marge: Inutilité de cette tentative.] - -[En marge: Napoléon, par de fortes raisons ignorées du maréchal -Saint-Cyr, se décide à rentrer dans Dresde, sans autre résultat que -d'avoir éloigné l'ennemi.] - -L'artillerie pleine d'ardeur s'engagea bravement au milieu des -rochers. Soldats et sapeurs se mirent à l'ouvrage, mais ne purent -hisser leurs canons jusqu'à la hauteur du col, et l'artillerie se vit -ainsi arrêtée par des obstacles insurmontables. Il lui aurait fallu -vingt-quatre heures pour les vaincre, et dans cet intervalle l'ennemi -devait avoir défilé tout entier. En ne franchissant le Geyersberg que -le lendemain, ou en allant par un détour à gauche regagner la route de -Péterswalde, on aurait pu, il est vrai, serrer les Prussiens et les -Russes d'assez près pour les atteindre, et les assaillir hardiment si -on avait su qu'ils étaient séparés des Autrichiens. Mais ce parti -présentait bien des chances auxquelles la prudence ne permettait pas -de s'exposer. En effet, l'absence des Autrichiens n'était qu'une -conjecture; on ne les avait pas vus de ce côté-ci des montagnes, mais -ils pouvaient être de l'autre, et ce n'était pas avec 55 mille hommes -qu'il eût été sage d'en aborder 130 mille. Même sans les Autrichiens, -Kleist et Wittgenstein devaient avoir près de 70 mille hommes, en -comptant les gardes russe et prussienne restées au delà des montagnes, -et quoique avec 55 mille hommes bien postés, on pût leur causer -beaucoup de dommage, descendre dans la plaine à leur suite n'était pas -très-prudent, surtout quand on était rappelé vers Dresde par plusieurs -raisons graves, telles que la bataille perdue de Dennewitz, une -nouvelle agression de Blucher contre Macdonald, et enfin l'apparition -de nombreux partisans sur toutes les routes aboutissant de la Bohême à -la Saxe. Dès qu'il était impossible de franchir le Geyersberg dans -deux heures pour couper la grande route, il n'y avait plus rien -d'utile à tenter, et Napoléon qui, saisissant d'un coup d'oeil tous -les aspects d'une situation, ne perdait pas de temps à se résoudre, -prit sur-le-champ le parti de s'arrêter. Toutefois comme il était -importuné de la nouvelle fréquemment répétée de l'irruption des -partisans en Saxe, il voulut que ses troupes restassent en position, -le maréchal Saint-Cyr au Geyersberg, le comte de Lobau au Nollenberg, -l'un et l'autre au débouché des montagnes. Il avait l'intention, si -ces partisans n'étaient que les avant-coureurs de corps plus -considérables commençant sur Leipzig une opération qu'il avait -toujours crue probable, de les retenir quelques jours en les -intimidant par sa présence au-dessus de Kulm, ce qui lui donnait le -temps de faire des dispositions proportionnées à ce nouveau danger. - -[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.] - -En conséquence, sur ce terrain hérissé de rochers, où les sapeurs et -les soldats s'épuisaient en inutiles efforts pour faire passer -l'artillerie, Napoléon prit à part le maréchal Saint-Cyr, et lui -déclara qu'il renonçait à cette tentative, sans lui exprimer tous ses -motifs, trop nombreux pour être détaillés, et d'ailleurs pas tous -bons à dire. Il lui ordonna de se tenir deux jours au moins dans une -position menaçante au-dessus de Toeplitz, puis il quitta le maréchal, -qui fut fort étonné et fort mécontent de voir abandonner un projet -dont il était épris, et dont il espérait de grands résultats[21]. -Napoléon alla par Breitenau à Hollendorf, donner les mêmes -instructions au comte de Lobau, lui prescrire par conséquent de garder -une attitude menaçante au débouché des montagnes, puis revint coucher -à Breitenau. Il consacra la journée du 11 à revoir toutes les -positions de cette contrée, tant sur le plateau de Pirna que sur celui -de Gieshübel, et rentra le 12 à Dresde. - - [Note 21: Ici encore, toujours appliqué que nous sommes à - rechercher la vérité rigoureuse, nous relèverons un passage - des Mémoires du maréchal Saint-Cyr, qui, retraçant à sa - manière les faits que nous venons de rapporter (tome IV de - ses Mémoires, page 157 et suivantes), raconte avec - étonnement et humeur le brusque changement de détermination - de Napoléon, déplore de n'avoir plus retrouvé en lui ce - jour-là le grand homme que le Saint-Bernard n'avait pu jadis - ni intimider ni arrêter. S'il était vrai, ce qui n'est pas, - que dans ces dernières campagnes on eût à regretter le grand - homme de Rivoli et de Marengo, ce ne serait pas cette fois. - D'abord il y a des faits que le maréchal Saint-Cyr a - exagérés, il y en a d'autres qu'il a ignorés. Il prétend que - le passage du Geyersberg était facile à rendre praticable; - or, une lettre de Napoléon à M. de Bassano, laquelle, par un - hasard heureux pour l'histoire, rend compte de cette - circonstance, dit positivement qu'il avait été impossible de - frayer la route, et certes Napoléon y avait un tel intérêt, - et il en avait de plus un tel désir, que si on l'avait pu - (bien entendu dans le nombre d'heures nécessaire) il - n'aurait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encore - beaucoup sur la faute de n'avoir pas profité de l'absence - des Autrichiens pour accabler Kleist et Wittgenstein: or, - cette absence par lui soupçonnée, mais tout à fait inconnue - alors, et peu présumable, n'est devenue une certitude que - depuis beaucoup de publications historiques, et le jugement - du maréchal n'est plus dès lors qu'un jugement porté après - coup, et reposant sur des données qui sont inexactes en se - référant aux circonstances du moment. Enfin le maréchal - ignorait tout ce que Napoléon venait d'apprendre, et ne lui - avait pas dit, de la situation de Macdonald, de celle de - Ney, et de l'apparition des partisans en Saxe, apparition - inquiétante et qui pouvait être interprétée de bien des - manières. Le maréchal a donc porté un jugement erroné, faute - de connaître tous les faits ou de vouloir les interpréter - équitablement, et cette divergence d'opinion, entre deux - hommes présents à la même heure sur les mêmes lieux, tous - deux fort compétents, est une nouvelle preuve de la - difficulté de bien juger les événements de cette nature, par - conséquent d'écrire l'histoire en toute vérité.] - -[En marge: Réflexions auxquelles il se livre sur la gravité de sa -situation.] - -[En marge: Évidence du plan des coalisés, consistant à épuiser -Napoléon, pour l'envelopper ensuite et l'accabler.] - -[En marge: Succès de ce plan, dû surtout à l'étendue que Napoléon -avait donnée au rayon de ses opérations.] - -Napoléon revenu à Dresde avait de quoi réfléchir à sa situation, qui -était grave en effet, et commençait même à devenir inquiétante. Ce -plan adopté à Trachenberg de marcher tous ensemble sur lui, en se -dérobant dès qu'il était présent, et en avançant résolûment dès qu'on -ne trouvait que ses lieutenants, de l'épuiser ainsi en courses -inutiles, et puis quand on l'aurait suffisamment affaibli, d'essayer -de l'envelopper pour l'étouffer, ce plan, qui exigeait une condition -parfaitement remplie ici, l'ensemble et la persévérance des efforts, -la résignation aux pertes quelles qu'elles fussent, ce plan n'était -que trop évident, et suivi avec une constance funeste. Napoléon le -discernait à merveille, et sans être découragé, il voyait clairement -se former autour de lui le cercle de fer dans lequel on cherchait à -l'enfermer. Quatre batailles avaient été perdues là où il n'était -point, par les fautes que nous avons signalées, fautes remontant -accidentellement à ses lieutenants, fondamentalement à lui. Ces -batailles de la Katzbach, de Gross-Beeren, de Kulm, de Dennewitz, -avaient dépassé en importance la victoire de Dresde; Napoléon quand il -avait voulu y remédier, avait inutilement couru ces jours derniers sur -Gorlitz, aujourd'hui sur Péterswalde, et il avait vu s'échapper sans -cesse l'occasion d'une grande bataille par laquelle il espérait tout -réparer. Cette situation révélait le seul défaut de son plan de guerre -concentrique autour de Dresde, celui d'en avoir trop étendu le rayon, -de l'avoir porté à gauche jusqu'à Berlin, en face jusqu'à Lowenberg, -tandis qu'à droite il était forcé de le pousser jusqu'à Péterswalde, -ce qui faisait qu'il était trop éloigné de ses lieutenants pour les -diriger et les soutenir, et que les courses qu'il était -alternativement obligé d'exécuter lui enlevaient à lui son temps, à -ses soldats si jeunes la force et le courage. Ce défaut Napoléon le -sentait maintenant, et contraint par l'évidence, surtout par le -fâcheux état de ses troupes, il forma le projet de rapprocher de lui -ses lieutenants. C'est dans ces intentions qu'il s'en revint à Dresde, -et c'est d'après elles que ses nouveaux ordres furent calculés et -donnés. - -[En marge: Réduction déjà considérable de ses forces, et augmentation -de celles de ses ennemis.] - -[En marge: Disposition à la désertion commençant à se manifester parmi -ses troupes.] - -Napoléon à la reprise des hostilités avait environ 360 mille hommes de -troupes actives sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, sans compter ni les -garnisons de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ni le corps d'Augereau -destiné à la Bavière, ni le corps du prince Eugène consacré à -l'Italie. Il ne lui en restait guère plus de 250 mille à la suite des -événements que nous venons de raconter. Au lieu de 80 mille hommes, -Macdonald avec les 11e, 3e et 5e corps, en avait tout au plus 50, et -avec Poniatowski 60. Au lieu de 70 mille, le corps d'Oudinot transmis -à Ney n'en conservait pas plus de 32 mille. La cavalerie avait déjà -perdu beaucoup de cavaliers et de chevaux dans ses allées et venues -continuelles. Les corps demeurés autour de Dresde avaient fait aussi -des pertes, moins considérables, il est vrai, parce que la débandade, -résultat le plus sérieux des défaites, ne les avait pas atteints; -pourtant ils en avaient fait d'assez notables, et le total de nos -troupes, comme on vient de le voir, le corps de Davout compris, ne -dépassait pas 250 mille hommes, lesquels représentaient nos forces -disponibles de Dresde à Hambourg. C'était donc une perte de plus de -100 mille hommes, due au feu, aux fatigues, à la désertion des rangs, -désertion très-grande chez nos alliés, bien moindre chez les Français, -et d'une autre nature, mais réelle cependant. Les alliés, ou passaient -à l'ennemi, ou s'enfuyaient chez eux en habits de paysans, comme les -Saxons et les Bavarois; les Français n'allaient jamais à l'ennemi bien -entendu, ne cherchaient qu'en petit nombre à regagner le Rhin, -quoiqu'on aperçût déjà quelques maraudeurs sur la route de Mayence, -mais erraient sans armes autour de l'armée, épuisant les ressources -des villages où ils trouvaient un abri. Cette triste disposition à se -débander, que la fatigue, le froid et surtout la faim, avaient -développée d'une manière désastreuse dans l'armée de Russie, -commençait à reparaître dans notre armée d'Allemagne jusqu'à donner -des inquiétudes, et toute marche nouvelle, tout événement incertain, -toute défaite surtout, l'aggravaient beaucoup. L'attention de Napoléon -était à cet égard singulièrement éveillée, et il était fort préoccupé -entre autres soins de celui des subsistances qui devenaient rares, -tant il y avait de milliers d'hommes qui depuis le mois de mai -vivaient autour de Dresde, dans un rayon de vingt-cinq lieues. - -Telles furent les réflexions qui l'assaillirent à son retour à Dresde, -réflexions dont les maux éprouvés par l'ennemi ne le consolaient -guère. Si en effet les coalisés avaient essuyé des pertes, c'était par -le feu, et nullement par la défection ou les privations. Une ardeur -inouïe chez les Allemands leur amenait à chaque instant de nouveaux -soldats par les levées de volontaires; de grands efforts -administratifs de la part des Russes, leur avaient procuré les recrues -longtemps attendues. On parlait même d'une armée de réserve arrivant -de Pologne sous le général Benningsen, et les Autrichiens dont les -rangs s'étaient fort éclaircis à Dresde, en avaient été dédommagés par -l'achèvement de leurs préparatifs qui à la reprise des hostilités -n'étaient pas terminés. Les vivres abondaient parmi eux, grâce au -concours des populations, aux subsides britanniques, et à un -papier-monnaie soutenu par la bonne volonté universelle. Aussi la -coalition loin d'avoir moins de soldats qu'elle n'en espérait, en -avait davantage. Ses effectifs au lieu d'être descendus au-dessous de -500 mille hommes, approchaient de 600 mille. C'est à cette masse -formidable que Napoléon devait tenir tête avec 250 mille soldats (220 -mille en retranchant le corps de Davout relégué à Hambourg), jeunes, -assez fatigués, déjà moins bien nourris qu'au début de la campagne, -étonnés bien que non découragés par plusieurs échecs consécutifs, et -du reste quoique comptant un peu moins sur la fortune de leur chef, -ayant toujours une foi entière en son génie. - -[En marge: Napoléon prend le sage parti de resserrer sa position -autour de Dresde.] - -[En marge: Admirables combinaisons imaginées par suite de cette -résolution.] - -Napoléon sans songer encore à évacuer l'Elbe pour le Rhin, sacrifice -qu'on ne devait pas attendre de lui, sans songer non plus à porter le -centre de ses opérations à Berlin, vaste projet que deux batailles -perdues sur la route de cette capitale rendaient désormais -impraticable, résolut seulement de resserrer sa position autour de -Dresde, et de s'y concentrer pour avoir moins de chemin à parcourir -lorsqu'il se porterait sur l'un des points de la circonférence, et -pour être en mesure, en restreignant le cercle à garder, de réunir -dans sa main une réserve plus forte. - -[En marge: Nouvelle position assignée à Macdonald.] - -Le maréchal Macdonald avait été obligé de quitter la Sprée et Bautzen -par un mouvement que Blucher avait tenté contre Poniatowski, en -rejetant ce dernier de Zittau sur Rumburg. Il était venu se ranger en -avant de Dresde le long d'une petite rivière, la Wessnitz, qui coule -transversalement vers cette capitale en décrivant de nombreux -circuits, et vient un peu à droite tomber dans l'Elbe à la hauteur de -Pirna. (Voir la carte nº 58.) Napoléon établit le maréchal Macdonald -avec ses anciens corps et Poniatowski le long de cette rivière ou un -peu en arrière, Poniatowski (le 8e) à Stolpen, Lauriston (le 5e) à -Dröbnitz, Gérard (le 11e) à Schmiedefeld, Souham (le 3e) à Radeberg. -Il pouvait en une heure avoir de leurs nouvelles, en deux heures être -à leur tête, et en six avoir envoyé les quarante mille hommes de la -garde au secours de celui qui serait attaqué. - -[En marge: Retranchements élevés sur le plateau de Pirna et de -Berg-Gieshübel pour consolider la position de Saint-Cyr et de Lobau.] - -Napoléon s'appliqua en outre à lier la position de Macdonald placé au -delà de l'Elbe, avec celle du maréchal Saint-Cyr posté en deçà, et -rien n'égale l'art, la profondeur de calcul avec lesquels il disposa -toutes choses conformément au but nouveau qu'il se proposait. D'abord -il ne voulait pas à chaque alternative de ce jeu de va-et-vient auquel -l'ennemi continuait de se livrer, être forcé d'accourir, ce qui était -à la fois fatigant et dérisoire, et il prit des mesures telles que -l'ennemi, s'il descendait encore par Péterswalde sur Pirna, fût obligé -d'emporter des positions extrêmement fortes, dès lors contraint de -s'engager sérieusement, auquel cas il vaudrait la peine de se déplacer -pour avoir affaire à lui. En conséquence Napoléon fit retrancher tous -les abords des deux plateaux de Pirna et de Gieshübel, sur lesquels -l'ennemi devait nécessairement déboucher en venant de Péterswalde. Le -plateau de Pirna supérieur à celui de Gieshübel était abordable vers -Langen-Hennersdorf. Napoléon y ordonna la construction de plusieurs -redoutes, et y plaça la 42e division (Mouton-Duvernet) du corps de -Saint-Cyr, laquelle gardait en même temps les deux forts de -Lilienstein et de Koenigstein sur l'Elbe. Le plateau de Gieshübel -était traversé par la route de Péterswalde à Gieshübel même: Napoléon -y fit construire également de nombreuses redoutes, et y envoya les -trois divisions du 1er corps sous le comte de Lobau. Pour mettre de -l'unité dans la défense, la 42e, séparée du 14e corps auquel elle -appartenait, fut rangée sous les ordres du comte de Lobau, mais le -comte de Lobau lui-même sous ceux du maréchal Saint-Cyr, ce qui -replaçait tout dans la main de ce dernier. Pour le cas où les deux -plateaux seraient forcés vers leur bord extérieur, Napoléon fit -retrancher le château de Sonnenstein à l'extrémité du plateau de -Pirna, et le Kohlberg à l'extrémité de celui de Gieshübel, de façon -que l'ennemi eût une seconde ligne d'ouvrages défensifs à enlever. -Enfin à droite de ces deux positions, en face de la vieille route de -Toeplitz qui donnait par Liebstadt sur Borna, Napoléon posta le -maréchal Saint-Cyr avec les trois autres divisions du 14e corps, et -lui prescrivit d'élever des redoutes armées d'une puissante -artillerie, en sorte qu'une nouvelle tentative contre ces positions -bien retranchées, et défendues par sept divisions, ne pût être -désormais une pure feinte. - -[En marge: La garde placée en réserve à Dresde.] - -[En marge: Lien secret établi à Pirna entre la position de Macdonald -et celle de Saint-Cyr.] - -Napoléon prépara en outre une réserve à ces sept divisions, et la fit -consister en deux divisions de la jeune garde établies dans la ville -de Pirna. Le reste de la jeune garde et toute la vieille, demeurèrent -comme d'usage à Dresde. Napoléon ne s'en tint pas à ces précautions. -Par un calcul des plus savants, il voulut créer un lien secret et -ignoré entre les deux positions, de Macdonald au delà de l'Elbe, de -Saint-Cyr en deçà. Il y avait, comme on l'a vu, deux ponts entre les -forts de Koenigstein et de Lilienstein; il en fit jeter un troisième à -Pirna même, de manière que la jeune garde et une portion du corps de -Saint-Cyr pussent passer l'Elbe à l'improviste, et tomber sur la -gauche de l'ennemi qui attaquerait Macdonald, et que de son côté -Poniatowski avec une portion de Macdonald pût venir se ruer sur la -droite de l'ennemi qui attaquerait Saint-Cyr. Grâce à ces -combinaisons, Napoléon pouvait espérer de n'avoir plus tant à courir, -ou du moins de ne plus le faire en pure perte, contre des corps qui -s'amuseraient à le troubler sans vouloir se battre sérieusement. - -[En marge: Position du maréchal Victor à Freyberg.] - -Le maréchal Victor dut rester à Freyberg, d'où il observait les autres -débouchés qui, plus en arrière encore de Dresde, par la route de -Commotau à Chemnitz, permettaient à l'ennemi de se diriger sur -Leipzig. À Freyberg il n'interceptait pas précisément cette route, -mais il lui était facile de s'y porter en une ou deux marches, et en -même temps il n'était pas assez avancé pour ne pouvoir pas rétrograder -jusqu'à la position du maréchal Saint-Cyr, si l'ennemi débouchait par -Toeplitz sur Péterswalde ou sur Altenberg. - -[En marge: Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques mille chevaux, -chargé de poursuivre les partisans qui infestent déjà la Saxe.] - -[En marge: Nouvelle organisation du corps de Ney.] - -[En marge: Son établissement à Torgau et son rôle.] - -[En marge: Position du maréchal Marmont, dans la double intention de -lier Macdonald avec Ney, et de couvrir les arrivages de l'Elbe.] - -Quant aux partisans dont on voyait déjà un bon nombre, non-seulement -sur la grande route de Commotau à Leipzig, mais même sur celle de -Carlsbad à Zwickau, Napoléon s'occupa de mettre à leur poursuite une -certaine quantité de cavalerie, afin de les pourchasser s'ils -n'étaient que des partisans lancés à l'aventure, et de découvrir leur -destination s'ils étaient l'avant-garde d'une armée marchant sur -Leipzig. Il détacha de Dresde Lefebvre-Desnoëttes, et le fit -rétrograder sur Leipzig avec trois mille hommes de cavalerie légère. -Ce brave général devait recevoir à titre de prêt momentané la -cavalerie légère du maréchal Victor qui était à Freyberg, celle du -maréchal Ney qui s'était fort rapproché depuis la bataille de -Dennewitz, emprunter 2 mille hommes d'infanterie au général Margaron, -qui avait à Leipzig beaucoup de bataillons de marche, et fondre avec -ces forces réunies sur les partisans qui infestaient la Saxe, et -avaient intercepté quelques-uns de nos convois. Ces partisans -paraissaient dirigés par le général saxon Thielmann, le même qui -avait passé à l'ennemi quelques mois auparavant, et qui avec de -l'infanterie légère autrichienne, avec les Cosaques de Platow, venait -à la fois couper nos communications, et tâcher d'insurger la Saxe sur -nos derrières. Lefebvre-Desnoëttes avec 7 ou 8 mille cavaliers et 2 -mille fantassins, avait mission de le poursuivre sans relâche. Voici -enfin ce que Napoléon ordonna relativement au maréchal Ney -actuellement replié sur Torgau. D'abord pour donner plus d'unité à son -armée, il avait prononcé la dissolution du 12e corps spécialement -commandé par le maréchal Oudinot, et rappelé ce maréchal auprès de -lui. Il avait ensuite réparti les deux divisions françaises de ce -corps entre les 4e et 7e, pour procurer à ceux-ci plus de consistance, -et consacré à l'escorte des grands parcs ce qui restait de la division -bavaroise, car on ne pouvait plus avec sûreté employer cette division -devant l'ennemi. Il avait dédommagé le maréchal Ney des trois ou -quatre mille hommes perdus par cette nouvelle distribution, en lui -accordant l'excellente division polonaise Dombrowski, laquelle s'était -conduite et allait encore se conduire héroïquement. Elle avait fait -partie de la division active de Magdebourg sortie de cette place sous -le général Girard, et condamnée maintenant à l'inaction pour un temps -indéfini. Le maréchal Ney renforcé quelque peu en nombre, beaucoup en -qualité de troupes, n'ayant plus que des lieutenants généraux sous ses -ordres, fut établi entre Torgau et Wittenberg, afin d'arrêter ou du -moins de contrarier beaucoup le premier corps ennemi qui essayerait de -franchir l'Elbe. Comptant environ 36 mille hommes, dans lesquels il -n'y avait plus en fait d'Allemands que quelques mille Saxons bien -entourés, il ne pouvait pas sans doute tenir tête à une grande armée -qui voudrait résolûment passer l'Elbe, mais il pouvait disputer le -passage jusqu'à ce qu'on vînt à son secours, ce qui était devenu -facile depuis que Napoléon avait concentré si habilement, quoique si -tardivement, ses forces autour de Dresde. Napoléon adopta -provisoirement une mesure pour assurer au maréchal Ney les secours -dont il aurait besoin, mesure combinée, comme toutes celles qu'il -prenait, de manière à pourvoir à plus d'un objet à la fois. Il plaça -le maréchal Marmont avec 18 mille hommes d'infanterie, le général -Latour-Maubourg avec 6 mille hommes de cavalerie à Grossenhayn, un peu -au delà de l'Elbe, et à mi-chemin de Dresde à Torgau. Ces 24 mille -hommes, outre qu'ils étaient prêts à tendre la main au maréchal Ney, -devaient protéger la navigation de Hambourg à Dresde, laquelle ne -laissait pas d'offrir des difficultés, depuis que l'ennemi victorieux -sur notre gauche s'approchait des bords de l'Elbe. Or on doit se -souvenir que notre principale source d'alimentation était à Hambourg. -Cette ville s'était rachetée au moyen d'une contribution de 50 -millions de francs, acquittés en grande partie en blés, en riz, en -viandes salées, en spiritueux, en cuirs, en chevaux. Une portion de -cet approvisionnement avait remonté jusqu'à Dresde, et avait été -consommée. Il en restait à Torgau une partie dont on avait déjà -besoin, car malgré les soins constants de M. Daru, malgré l'habileté -qu'il déployait pour l'entretien de l'armée, il avait peine à y -suffire, surtout depuis que les partisans interceptaient les routes de -Leipzig à Dresde, et empêchaient l'exécution des marchés passés avec -les habitants. Le corps cantonné à Grossenhayn devait donc assurer les -arrivages par l'Elbe, ainsi que les évacuations de blessés et de -malades que Napoléon avait ordonnées sur Torgau, Wittenberg et -Magdebourg. - -[En marge: Ensemble admirable des dispositions de Napoléon, ayant -toutes pour but de passer l'hiver à Dresde.] - -Telles furent les dispositions de Napoléon rentré à Dresde vers le -milieu de septembre. Avec quatre corps réunis sous Macdonald en avant -de l'Elbe, avec les corps de Lobau, de Saint-Cyr, de Victor en arrière -de ce fleuve, appuyés les uns et les autres sur de bons retranchements -et communiquant par plusieurs ponts, avec Ney gardant aux environs de -Torgau l'Elbe inférieur, avec Marmont et Latour-Maubourg placés entre -Torgau et Dresde pour protéger les arrivages du fleuve et flanquer -Macdonald, ou descendre au secours de Ney, enfin avec toute la garde -concentrée à Dresde et prête à fournir un secours de 40 mille hommes à -celui de nos généraux qui serait en danger, sans compter 7 à 8 mille -chevaux courant sur nos derrières après les partisans, Napoléon -croyait avoir suffisamment resserré sa position, et se flattait même, -les vivres arrivant, de pouvoir y passer l'hiver, sans être obligé de -s'épuiser en courses vaines afin de parer à de trompeuses -démonstrations. Il espérait n'avoir dorénavant à se déplacer que pour -des tentatives sérieuses, qui vaudraient alors la peine qu'elles lui -coûteraient. Il n'y avait dans cette nouvelle manière de s'asseoir -qu'un grave inconvénient, c'était la perte probable des places de -l'Oder et de la Vistule, dont les nombreuses garnisons bloquées depuis -plus de huit mois, ne tiendraient certainement pas au delà de -l'automne. Ces garnisons laissées au loin dans l'espérance de revenir -sur la Vistule après une bataille gagnée, étaient un sacrifice fait au -désir chimérique de rétablir sa grandeur en une journée. Napoléon n'y -comptait plus guère aujourd'hui, et il voyait avec regret ces -excellentes troupes sacrifiées; mais le mal était sans remède, et -actuellement il ne songeait qu'à se maintenir sur l'Elbe, ce qui -d'ailleurs était pour ces mêmes garnisons, tant qu'il y resterait, un -sujet de confiance et une raison de persévérer dans leur résistance. -Rien ne disait, après tout, qu'à la suite d'un événement heureux on ne -pourrait pas obtenir encore un armistice, dont les conditions -essentielles seraient de ravitailler les places de l'Oder et de la -Vistule. - -[En marge: Nouvelle apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de -Péterswalde.] - -[En marge: Motifs qui la ramènent.] - -[En marge: Napoléon revient avec sa réserve sur la chaussée de -Péterswalde, et arrive le 15 au soir à Hollendorf.] - -Tandis qu'il était à Dresde livré à ces pensées, un nouvel acte de -l'ennemi le rappela tout à coup vers Pirna. Les Autrichiens ne -s'étaient éloignés un moment des Russes et des Prussiens que pour se -réorganiser un peu en arrière du théâtre de la guerre, et pour parer à -quelque tentative sur Prague, qu'on avait pu craindre en voyant -Napoléon marcher vers Bautzen et Gorlitz, comme il avait fait les 4 et -5 septembre. Rassurés à cet égard par son retour à Dresde, remis de -leur rude secousse des 26 et 27 août, ils étaient revenus à Toeplitz, -sentant bien que c'était une faute grave que de laisser Kleist et -Wittgenstein seuls devant la grande armée française. À peine -Wittgenstein les avait-il sus de retour, que le 13 septembre au matin -il résolut de repasser les montagnes, et de se montrer de nouveau -devant les camps de Pirna et de Gieshübel. Il n'y avait pas grand -effort à faire pour entraîner le Prussien Kleist, et ils revinrent -tous deux à la charge contre Saint-Cyr et Lobau, surtout contre ce -dernier. Malheureusement les ouvrages ordonnés par Napoléon le 11 à -Langen-Hennersdorf, à Gieshübel, à Borna, ne pouvaient être exécutés -le 13, et le comte de Lobau fut obligé de se replier sur Gieshübel, -comme on l'avait déjà fait si souvent. Bien qu'il n'y eût aucun goût -et qu'il ne s'en promît aucun résultat, Napoléon dut opérer un nouveau -mouvement vers les montagnes de la Bohême, pour rejeter encore une -fois au delà de ces montagnes les incommodes et fatigants visiteurs -qui venaient sans cesse le troubler. Ayant d'ailleurs conservé une -partie de la garde à Pirna même, il n'avait à déplacer que sa personne -qu'il ne ménageait guère, et il revint avec la vague espérance à -laquelle il se livra peu, mais qu'il ne put absolument chasser de son -esprit, de punir une bonne fois l'ennemi si tracassier qu'il avait sur -sa droite, et déjà un peu sur ses derrières. Aspirant avec passion à -une grande bataille qui seule pouvait changer sa situation, il se -laissait aller malgré lui à l'espoir de la rencontrer sur son chemin -dès que l'ennemi approchait. - -[En marge: Le 16, Napoléon après avoir vivement poursuivi l'ennemi, se -trouve en vue de Kulm et en présence de l'armée de Bohême, forte de -120 mille hommes.] - -Le 15 donc, se mettant à la tête de ses troupes, il fit pousser -l'ennemi de Gieshübel sur Péterswalde, où il le ramena en grand -désordre. Mais quelques centaines d'hommes pris ou hors de combat -furent encore le seul résultat de ce mouvement. Toutefois l'ennemi -resta fièrement en avant des défilés de Hollendorf, au pied du faîte -qui sépare la Saxe de la Bohême. On priait le ciel qu'il fût aussi -fier le lendemain, mais on ne s'en flattait guère. Le lendemain 16 -septembre, Napoléon, malgré un temps horrible, se remit en marche vers -le défilé de Hollendorf, tandis qu'à sa droite le maréchal Saint-Cyr -s'était dirigé de Furstenwalde sur le col du Geyersberg, qu'on n'avait -pas pu franchir le 10. On poursuivit chaudement les Russes et les -Prussiens, et une fois les gorges franchies, les lanciers rouges de la -garde fondant sur eux au galop en piquèrent et en prirent un bon -nombre. Dans l'une de ces charges, le colonel Blucher, fils du général -de ce nom, tomba dans nos mains atteint de plusieurs coups de lance. -Il fut traité avec beaucoup d'égards, et à son langage on put voir que -la nécessité, mais non l'affection et la confiance, tenait les -coalisés unis. Peu importait au reste le sentiment qui les -rapprochait, s'il suffisait pour les faire marcher ensemble encore une -ou deux campagnes! Sur la fin du jour on arriva aux environs de Kulm, -et on trouva toute l'armée de Bohême établie dans de fortes positions, -où il était difficile de l'attaquer avec succès. Elle y était au -nombre d'au moins 120 mille hommes depuis le retour des Autrichiens, -et Napoléon n'en avait pas plus de 60 mille. Il aurait fallu qu'il -dégarnît les bords de l'Elbe pour en amener davantage, et l'occasion -n'était vraiment pas assez belle pour qu'il risquât de découvrir les -points importants de sa ligne. - -[En marge: Le 17, un orage affreux et l'insuffisance de ses forces -ramènent Napoléon à Pirna.] - -[En marge: Nouvelle position qu'il prend avec sa réserve à Pirna.] - -[En marge: Chagrin de Napoléon et commencement d'inquiétude en voyant -la guerre se prolonger.] - -[En marge: Son désir d'un événement décisif.] - -Le lendemain 17 il employa la matinée à canonner les Russes, et à leur -tuer ainsi quelque monde; mais un orage affreux, mêlé de pluie, de -grêle, de neige, exposant le soldat à de graves souffrances, était -une raison suffisante pour se retirer. Il repassa la chaîne des -montagnes, dit adieu à ces plaines de Bohême qu'il ne devait plus -revoir, et vint se poser à Pirna, près du pont qu'il avait fait -établir en secret, afin que l'ennemi ne se doutât point de la masse de -forces qui pouvait en quelques heures déboucher sur l'une ou l'autre -rive. Il y réunit toute la garde, et se tint là aux aguets, prêt à -saisir l'occasion et à conduire quarante mille hommes au secours de -Macdonald ou de Saint-Cyr, si une tentative sérieuse était faite sur -la rive droite ou sur la rive gauche du haut Elbe. En ce moment le -maréchal Macdonald apercevait des mouvements singuliers chez l'ennemi. -Il semblait que d'une part des troupes nouvelles remontaient de gauche -à droite pour entrer en Bohême par le débouché de Zittau, et que de -l'autre des troupes allant de droite à gauche quittaient Blucher pour -rejoindre Bernadotte. Toutefois comme les événements les plus graves -paraissaient devoir s'accomplir sur le front de Macdonald, Napoléon -jugea convenable de rester à sa position de Pirna. S'il fallait en -effet fondre sur les assaillants qui viendraient attaquer Macdonald, -il aimait mieux au lieu d'aller passer l'Elbe à Dresde, le passer à -Pirna ou à Koenigstein, car outre le chemin épargné à ses troupes, il -prendrait ainsi en flanc et à revers l'ennemi qui aurait abordé de -front la position de Dresde. De plus en se tenant à Pirna avec toute -sa garde, il conservait la facilité de se rabattre en arrière sur le -flanc de la colonne qui reviendrait encore tracasser le comte de Lobau -à Gieshübel. Enfin par sa présence il accélérait et dirigeait les -travaux ordonnés sur ces divers points. On ne pouvait donc mieux se -placer, ni combiner ses opérations d'une manière plus habile. Mais ces -manoeuvres si savantes n'empêchaient pas la guerre de traîner -tristement en longueur, d'épuiser nos jeunes soldats en fatigues -au-dessus de leur âge, d'éloigner surtout ces événements décisifs -auxquels Napoléon avait habitué la France et l'Europe, et dont il -avait besoin pour soutenir le moral de son armée et déconcerter la -haine toujours croissante de ses ennemis. Aussi était-il chagrin sans -être découragé, et entendait de nombreuses critiques même parmi ses -officiers qui, au lieu de condamner hardiment son imprudente ambition, -blâmaient à tort sa tactique admirable, laquelle ne laissait rien à -désirer, et quand elle péchait en quelque chose, ne péchait que par la -faute de sa politique. L'idée la plus répandue dans son état-major, -c'est qu'il aurait fallu se reporter sur la Saale, ligne, comme nous -l'avons dit, impossible à défendre plus de huit jours, et vers -laquelle on ne pouvait rétrograder que pour se replier tout de suite -sur le Rhin, ce qui était l'abandon instantané de toutes les -prétentions pour lesquelles on avait continué la guerre. Cet abandon, -il était à jamais regrettable de ne l'avoir pas fait deux mois -auparavant, mais aujourd'hui il était devenu presque impraticable. -Évacuer l'Elbe militairement eût été difficile, eût entraîné la -retraite immédiate sur le Rhin, avec le sacrifice de tout ce qu'on -laissait sur la Vistule, sur l'Oder, et peut-être sur l'Elbe, -c'est-à-dire avec le sacrifice de cent vingt mille hommes, et de -trente mille malades, avec chance de démoraliser l'armée et de perdre -quelque grande bataille en se retirant. À l'évacuer, il eût mieux valu -l'évacuer politiquement, en offrant sur-le-champ de rouvrir les -négociations sur la base de l'abandon de l'Allemagne, mais les -coalisés enivrés d'espérance y auraient-ils consenti dans le moment? -C'était peu probable. La faute donc d'être resté sur l'Elbe, non à -cause de l'Elbe lui-même, mais de tout ce qu'on avait la prétention -d'y défendre, condamnait presque à y demeurer jusqu'à périr. Au -surplus Napoléon était loin de se croire réduit à une pareille -extrémité. Il entrevoyait toujours ou une petite guerre de -va-et-vient, dans laquelle il se proposait bien de ne plus user les -jambes de ses soldats, et qui lui permettrait de gagner l'hiver sain -et sauf, ou une entreprise considérable sur ses derrières, partant de -la Bohême ou de l'Elbe inférieur, qui entraînerait une bataille -décisive. C'est cette dernière chance dont il se flattait le plus, et -qui effectivement était le plus près de se réaliser, mais dans des -conditions qui n'étaient pas celles qu'il avait toujours espérées. - -[En marge: Résolution chez les coalisés de terminer la campagne par -une bataille générale, et qui décide du sort de la guerre.] - -[En marge: L'armée de Bohême revient à l'idée de descendre en Saxe, et -de marcher sur Leipzig, mais elle voudrait être jointe par l'armée de -Silésie.] - -En effet, les coalisés étaient résolus à terminer la campagne par une -rencontre directe avec Napoléon. Leur tactique consistant à l'éviter, -pour tomber sur ses lieutenants, ne pouvait pas être éternelle, et -elle avait déjà suffi pour le réduire à une telle infériorité de -forces, qu'ils étaient dans la proportion de deux, et allaient être -bientôt dans celle de trois contre un. Mais il fallait en venir enfin -au moment, désiré et redouté tout à la fois, de se jeter en masse sur -lui pour l'accabler. Le désirer était simple, surtout la saison -commençant à s'avancer; l'exécuter ne l'était pas autant. La grande -armée de Bohême, de beaucoup la plus forte et la mieux composée, -presque remise depuis Kulm de la secousse essuyée sous les murs de -Dresde, influencée en outre par la présence de souverains impatients -d'arriver à un résultat, était disposée à tenter une nouvelle descente -de Bohême en Saxe sur les derrières de Napoléon, mais pas aussi près, -et elle revenait à l'idée première de se porter par Commotau et -Chemnitz sur Leipzig. Les nombreux partisans lancés sous Thielmann et -sous Platow, entre l'Elster et la Saale, étaient comme les -avant-coureurs destinés à lui frayer la route. Toutefois, avant -d'essayer une si vaste entreprise, qui allait amener un duel à mort -avec Napoléon, elle aurait souhaité que deux des trois armées actives -marchassent réunies, celles de Silésie et de Bohême par exemple. Pour -cela elle aurait voulu que l'armée russe de réserve, depuis longtemps -préparée en Pologne sous le général Benningsen, et actuellement rendue -à Breslau, vînt prendre la place de Blucher devant Dresde, que -celui-ci, profitant de l'occasion pour se dérober, allât par Zittau -opérer sa jonction en Bohême avec l'armée de Schwarzenberg, et que -tous ensemble ils marchassent sur Leipzig. À cette condition seulement -le grand état-major des trois souverains osait concevoir l'idée de -risquer une seconde bataille de Dresde, non pas à Dresde mais à -Leipzig. - -[En marge: L'armée de Silésie désire tout aussi vivement une opération -décisive, mais elle ne voudrait pas se joindre à l'armée de Bohême.] - -[En marge: Officier envoyé par Blucher auprès des généraux prussiens -opérant avec l'armée de Bohême.] - -[En marge: Blucher et ses amis aiment mieux se réunir à l'armée du -Nord, pour forcer Bernadotte à passer l'Elbe avec eux.] - -[En marge: Ils proposent de joindre l'armée russe de Benningsen à -l'armée de Bohême, qui descendra sur Leipzig, et de réunir l'armée de -Silésie à l'armée du Nord pour passer l'Elbe en commun, et se rendre -également à Leipzig.] - -Ce n'était pas, on le pense bien, auprès de Blucher et de ses amis que -devait fermenter avec moins de force la pensée de faire aboutir la -campagne actuelle à un résultat prochain et décisif. Blucher et ses -officiers, tout fiers d'avoir ramené les Français du Bober sur l'Elbe, -brûlaient du désir d'arriver à un dénoûment, et ils étaient prêts à -tout braver pour y parvenir. Dès les premiers jours de septembre -Blucher avait envoyé en Bohême un personnage de confiance, pour sonder -les officiers prussiens qui entouraient le roi, et susciter chez eux -l'idée d'une grande opération sur les derrières de Napoléon. Cet -émissaire les avait trouvés fort disposés à en finir, remplis -toutefois de l'idée que nous avons exposée, et consistant à -transporter Blucher lui-même en Bohême pour descendre sur Leipzig avec -les deux armées de Bohême et de Silésie réunies. Mais Blucher et ses -amis du _Tugend-Bund_ dont il était entouré, avaient trop le goût de -l'indépendance pour se placer volontiers sous l'autorité directe de -l'état-major des souverains. Ils avaient toutefois pour résister à ce -qu'on leur proposait des raisons meilleures que leur goût -d'indépendance. Il était difficile en effet que l'armée de Silésie -parvînt à dérober assez complétement sa marche à Napoléon, pour -qu'elle pût remonter en Bohême, traverser les montagnes, et en longer -le pied jusqu'à Toeplitz, sans attirer sur elle quelque coup -redoutable. Cependant comme il fallait tôt ou tard que Blucher, s'il -ne voulait pas se morfondre inutilement devant Dresde, exécutât une -manoeuvre hardie ou sur le bas Elbe, ou sur le haut, la raison -alléguée n'était pas sans réplique. L'état-major de Silésie en donna -une encore plus forte, et à laquelle il était difficile de répondre. -Les nouvelles qu'on avait de l'armée du Nord étaient des moins -satisfaisantes. Les généraux russes et prussiens, mais surtout les -prussiens, placés sous le prince de Suède, se plaignaient de son -inaction pendant les batailles de Gross-Beeren et de Dennewitz. Ils -l'accusaient formellement ou d'une prudence approchant de la -faiblesse, ou d'une infidélité approchant de la trahison. Ils -soutenaient que dans ces deux circonstances il avait tout laissé faire -aux généraux prussiens, que les sachant dans l'embarras il s'était peu -hâté de les en tirer, qu'ayant pu détruire l'armée française, il ne -l'avait pas voulu, ou pas osé. Cette dernière supposition était la -vraie. Il n'avait risqué qu'en tremblant sa fausse renommée, et son -excessive prudence avait ainsi fait mettre en doute son énergie -militaire ou sa loyauté. En ce moment encore, n'ayant devant lui que -Ney réduit à 36 mille hommes, il restait blotti sous le canon de -Magdebourg, et feignait sur l'Elbe des préparatifs de passage sans -aucune envie de les exécuter. En conséquence Blucher disait qu'à -déplacer l'armée de Silésie pour la faire coopérer avec celle de -Bohême ou celle du Nord, il valait mieux la réunir à cette dernière, -qui certainement n'agirait que dominée et entraînée par une autre. Il -proposait donc, au lieu de se rendre en Bohême, d'y envoyer l'armée de -Benningsen, laquelle pénétrant par Zittau, couverte par lui pendant -cette marche, n'aurait rien à craindre, et rejoindrait sans aucun -péril le prince de Schwarzenberg à Toeplitz. Il offrait, ce mouvement -terminé, d'exécuter une attaque simulée sur le camp retranché de -Dresde, puis de laisser à sa place quelques troupes de cavalerie pour -tromper les Français, de descendre avec 60 mille hommes sur l'Elbe -inférieur, de forcer Bernadotte à passer ce fleuve vers Wittenberg, de -remonter ensuite avec lui le cours de la Mulde jusqu'à Leipzig à la -tête de 120 ou 130 mille hommes, tandis que le prince de Schwarzenberg -accru de Benningsen y descendrait avec plus de 200 mille. On aurait -ainsi 320 mille hommes au moins sur les derrières de Napoléon, et on -l'obligerait à une bataille générale, désastreuse pour lui s'il la -perdait, et peu douteuse pour les souverains en la livrant avec une -telle supériorité de forces. - -[En marge: Adoption du plan proposé par l'armée de Silésie.] - -[En marge: Détail de ce plan.] - -Ce plan, qui sans une bien grande profondeur de conception, avait dans -la puissance du nombre, dans la passion des coalisés, de véritables -chances de succès, parut avec raison très-préférable à celui qu'on -avait conçu en Bohême, et le désir ardent du triomphe commun faisant -taire tous les amours-propres, on l'adopta. En conséquence il fut -convenu que le général Benningsen avec son armée de réserve, qui était -forte d'environ 50 mille hommes et avait déjà traversé la Silésie, -s'acheminerait vers le défilé de Zittau que Poniatowski ne gardait -plus, pénétrerait en Bohême, passerait le haut Elbe à l'abri des -montagnes, entre Leitmeritz et Tetschen, et joindrait le prince de -Schwarzenberg à Toeplitz; que ce dernier alors comptant environ 200 -mille hommes se mettrait en marche, et se bornant à masquer le défilé -de Péterswalde, déboucherait en Saxe par Commotau sur Chemnitz; qu'à -cette même époque Blucher exécutant de vives démonstrations contre -Dresde, se déroberait par un rapide mouvement sur sa droite, irait -passer l'Elbe à Wittenberg, forcerait Bernadotte à le franchir à -Roslau, que l'un et l'autre remonteraient entre la Mulde et la Saale -sur Leipzig, tandis que le prince de Schwarzenberg y descendrait en -suivant le cours de ces deux rivières, qu'on tendrait ainsi les uns et -les autres à se réunir dans les environs de Leipzig pour y livrer une -bataille de géants. Le danger évident de cette manoeuvre, parfaitement -compris de ces élèves et ennemis de Napoléon, c'était d'être assaillis -par celui-ci avant la jonction générale de toutes les forces de la -coalition. Mais l'état-major de Blucher soufflant à tous la passion -dont il était animé, on résolut de braver ce danger quel qu'il fût, -car il fallait bien finir par s'exposer à un grand péril, si on -voulait aboutir à un grand résultat. Seulement on se promit une -extrême prudence dans la marche périlleuse qu'on allait entreprendre, -et, une fois la bataille engagée, une énergie désespérée. - -Tels étaient le savoir militaire et la haine implacable auxquels -Napoléon avait amené tout le monde, en foulant depuis quatorze années -l'Europe à ses pieds. - -[En marge: Le général Benningsen entre en Bohême avec l'armée russe de -réserve.] - -[En marge: Blucher se prépare à se mettre en mouvement.] - -Le plan une fois adopté, on procéda sur-le-champ à son exécution. Le -général Benningsen pénétra le 17 septembre dans les gorges de Zittau, -et vers les 22 et 23 septembre fut rendu à Toeplitz. Blucher avait -secrètement informé les généraux Tauenzien et Bulow de ses projets, -les avait pressés d'occuper fortement les Français devant Wittenberg, -Torgau, Grossenhayn, et lui-même s'était continuellement agité autour -de Dresde, pour cacher le grand mouvement qu'il préparait par sa -droite vers le bas Elbe. - -[En marge: Napoléon soupçonne les projets des coalisés.] - -Cette agitation incessante sur notre front, les apparitions des -coureurs de Thielmann et de Platow sur notre droite et nos derrières, -des préparatifs de passage vers l'Elbe inférieur (nous désignons ainsi -l'Elbe au-dessous de Torgau), enfin la saison avancée, étaient des -signes plus que suffisants pour inspirer à Napoléon l'idée -d'événements graves et prochains. Il avait toujours pensé que ne -pouvant l'aborder de front dans sa position de Dresde, on essayerait -de le tourner, ou par sa droite en débouchant de la Bohême, ou par sa -gauche en passant l'Elbe inférieur, et peut-être par les deux côtés à -la fois. Il avait lui-même un tel désir d'un événement décisif, qu'il -en était arrivé à souhaiter de semblables manoeuvres, n'imaginant pas -qu'une bataille où il serait de sa personne et avec toutes ses -réserves pût être autre chose qu'un désastre pour ses ennemis, et ne -trouvant dangereuse que cette tactique de va-et-vient qui avait déjà -tant épuisé ses troupes, porté même une certaine atteinte à son -immense prestige. Seulement il tenait sans cesse l'oeil ouvert, pour -n'être pas surpris, et pour tomber à temps sur le téméraire qui -oserait le premier se risquer sur ses derrières. - -[En marge: Diverses circonstances de détail lui font supposer que -Blucher va descendre l'Elbe, et pour s'en assurer il ordonne une forte -reconnaissance sur le front de Macdonald.] - -Le 22 septembre un concours de petits événements éveilla fortement son -attention. Le maréchal Marmont accru de la cavalerie de réserve du -général Latour-Maubourg avait été placé, comme on a vu, à Grossenhayn, -pour protéger les convois de vivres qui remontaient vers Dresde, et -les convois de blessés qui en descendaient. Cette précaution avait -réussi; un chargement de farines était parvenu à Dresde, et de -nombreux blessés étaient arrivés sans accident à Torgau. Mais tout à -coup la cavalerie légère du général Chastel fut assaillie par la -grosse cavalerie du général Tauenzien, et vivement ramenée. En même -temps le général Bulow qui bombardait Wittenberg, fit mine de jeter un -pont aux environs de cette place, et plus haut le général russe Sacken -qui formait la droite de Blucher en face du camp de Dresde, opéra -divers mouvements très-apparents. Napoléon devinant aussitôt le plan -des coalisés, se figura que toute cette agitation de Dresde à -Wittenberg cachait une tentative de Blucher pour se porter sur le bas -Elbe, et il se mit sur-le-champ en garde. Depuis ses dernières marches -sur Kulm, pendant les journées des 15, 16, 17 septembre, il était -resté à l'affût, prêt à se jeter par le pont de Pirna sur la rive -droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, suivant qu'il y aurait un -téméraire d'un côté ou de l'autre. Il quitta immédiatement son poste, -vint à Dresde, et enjoignit à Macdonald d'exécuter avec ses trois -corps une reconnaissance à fond, de pousser à outrance l'ennemi sur -Harta, même sur Bautzen, pour savoir au juste si Blucher était là, ou -n'y était plus. Napoléon fit savoir à Macdonald qu'il serait lui-même -à sa suite avec une portion de la garde, pour agir vigoureusement -contre l'armée de Silésie, si toutefois elle était encore dans les -mêmes positions. - -[En marge: Napoléon assiste de sa personne à la reconnaissance que -Macdonald est chargé d'exécuter.] - -[En marge: Les trois corps de Blucher trouvés en place trompent -Napoléon, non sur le plan des coalisés, mais sur l'époque de son -exécution.] - -[En marge: Napoléon resserre encore davantage sa position autour de -Dresde, et fait repasser l'Elbe à plusieurs de ses corps, pour être -prêt contre toutes les tentatives de l'ennemi sur ses derrières.] - -Il s'y rendit donc de sa personne, et cette reconnaissance de tous les -corps français composant l'armée de Macdonald, contre les divers corps -formant l'armée de Blucher, commencée le 22 septembre, continuée le -23 jusqu'à Bischofswerda, révéla la présence de Blucher avec les mêmes -forces, dans les mêmes lieux. On ramassa en effet des prisonniers -appartenant aux trois corps de Langeron, d'York, de Sacken; Napoléon -en conclut qu'il s'était trop hâté de prêter à ses ennemis des -desseins audacieux, et en douta presque pour les avoir supposés trop -tôt. Le général Blucher employa une feinte inutile pour le tromper, ce -fut d'envoyer aux avant-postes par un parlementaire, et pour son fils -prisonnier, une lettre signée de lui, et datée de Bischofswerda[22]. -Il espéra ainsi persuader encore mieux à Napoléon que rien n'était -changé dans les dispositions des coalisés, et que rien ne changerait. -Ce ne fut pas cette lettre, à laquelle on n'attacha aucune importance, -mais une circonstance plus sérieuse, la présence à Bischofswerda des -trois corps composant l'armée de Silésie, qui sans abuser Napoléon, -sans l'empêcher de croire au plan qu'il avait sitôt deviné, le disposa -seulement à en regarder l'exécution comme moins prochaine qu'elle ne -l'était effectivement. Trouvant encore Blucher devant lui les 22 et 23 -septembre, Napoléon n'en conclut pas qu'il y resterait toujours, mais -qu'il en partirait moins prochainement, et il fit des dispositions -moins promptes quoique tout aussi justes, qu'il ne les aurait faites -autrement. Ainsi il résolut de resserrer encore davantage sa position, -et de ne plus laisser devant Dresde que le seul 11e corps, celui que -le maréchal Macdonald avait toujours commandé directement, et de -satisfaire ce maréchal en le déchargeant du commandement des 3e, 5e et -8e. Il envoya le 3e (celui du général Souham) à Meissen, petite ville -située sur l'Elbe, au-dessous de Dresde. Il ramena Marmont avec le 6e -corps, Latour-Maubourg avec la grosse cavalerie, de Grossenhayn à ce -même point de Meissen, pour qu'ils fussent plus à portée de secourir -Ney, en cas d'une tentative de passage vers Torgau ou Wittenberg. -Il amena le 5e (Lauriston) à Dresde même, et achemina le 8e -(Poniatowski) sur la route de Waldheim et de Leipzig, afin d'aider -Lefebvre-Desnoëttes contre les coureurs de Thielmann et de Platow, et -de former la tête de colonne de l'armée s'il fallait se rabattre en -arrière sur les masses ennemies venant de la Bohême. Napoléon prit -donc ses précautions dans le vrai sens des desseins des coalisés, -mais, nous le répétons, sans se hâter, car il ne croyait pas ces -desseins si près de leur exécution qu'ils l'étaient réellement. - - [Note 22: M. de Muffling, dans ses intéressants Mémoires, - s'applaudit fort de cette feinte, et croit que c'est avec - l'heureuse idée de cette lettre qu'on endormit la vigilance - de Napoléon. Il est dans l'erreur, et la correspondance - militaire prouve que si Napoléon fut trompé, dans la mesure - d'ailleurs très-restreinte où il le fut, c'est par la - présence des trois corps de l'armée de Silésie, qui le 22 et - le 23 n'avaient pas quitté encore leur position. C'est une - nouvelle preuve de ce qu'il y a de hasards à la guerre, - puisqu'un acte de haute prévoyance de la part de Napoléon - amena, comme on le verra bientôt, le résultat qu'aurait pu - avoir l'imprévoyance elle-même. Ce n'est pas un motif - d'estimer et de pratiquer moins la vigilance, mais c'en est - un, tout en redoublant de soins et de zèle, de se dire qu'il - y a toujours une Providence supérieure qui déjoue parfois - les calculs les plus profonds, et de chercher même dans des - raisons plus hautes, dans la justice ou l'injustice de la - cause qu'on défend, le secret de l'insuccès du génie, à - l'instant même où il déploie ses plus grandes facultés.] - -[En marge: Il envoie le général Rogniat pour occuper les passages de -la Saale en cas de retraite forcée.] - -[En marge: Nouvelles levées d'hommes.] - -À ces mesures il en ajouta quelques autres qui prouvent qu'un vague -pressentiment l'avertissait que bientôt la guerre pourrait se -reporter sur le Rhin, ou au moins sur la Saale. En effet il prescrivit -au général Rogniat, qui dirigeait le génie de la grande armée depuis -la captivité du général Haxo, de relever les défenses de Mersebourg -sur la Saale, d'y préparer des ponts, afin d'avoir sur cette rivière -une ligne de retraite assurée. Il ordonna d'évacuer de Dresde sur -Leipzig, de Leipzig sur Erfurt, d'Erfurt sur Mayence, tous les blessés -et malades qu'on aurait le moyen de transporter par terre, et voulut -même qu'on fît aux officiers blessés ayant les moyens de se déplacer à -leurs frais, certaines insinuations pour les décider à regagner le -Rhin, en mettant du reste un grand soin à ne pas rendre ces -insinuations alarmantes. Prévoyant que la guerre serait longue et -acharnée, il rédigea un décret pour la levée de 120 mille hommes sur -les classes antérieures de 1812, 1811, 1810, et un autre pour la levée -de 160 mille sur la conscription de 1815, laquelle serait ainsi -anticipée de deux ans. Celle de 1814 était déjà tout entière dans les -dépôts. Il comptait, avec les réfractaires que des colonnes mobiles -pourchassaient en ce moment, porter cette levée à plus de 300 mille -hommes, et espérait en l'exécutant dans l'automne l'avoir toute -disponible en hiver, et prête à combattre au printemps. Il rédigea -lui-même le discours que l'Impératrice régente adresserait au Sénat en -cette occasion; il lui enjoignit d'y aller en personne, et de tenir -ainsi une espèce de lit de justice, inutile assurément pour soumettre -un corps qui devait être soumis jusqu'au jour de la chute de l'Empire. -Enfin il donna des ordres directs au ministre de la guerre pour la -mise en état de défense des places du Rhin, et surtout d'Italie. -Cependant tout en prescrivant ces mesures de prudence sur ses -frontières, il contremanda les vastes approvisionnements de vivres que -le duc de Feltre avait ordonnés sur le Rhin, d'après la lettre de M. -de Bassano, précédemment citée, et il les contremanda afin d'épargner -aux populations des alarmes fâcheuses, et, suivant lui, prématurées. - -[En marge: Premier mouvement des armées de Bohême et de Silésie.] - -Tandis que Napoléon prenait ces mesures, les coalisés exécutaient plus -tôt qu'il ne l'avait supposé leur double mouvement sur Leipzig, par la -Bohême et par l'Elbe inférieur. Le prince de Schwarzenberg se faisant -précéder par une colonne autrichienne, marchait de Toeplitz sur -Commotau, et Blucher, après être demeuré immobile en présence de -Napoléon les 22, 23 et 24 septembre, se dérobait tout à coup pour -descendre l'Elbe de Dresde à Wittenberg. Afin de mieux cacher son -mouvement, il avait porté en avant sa droite, formée par le général -Sacken, et lui avait ordonné de diriger une forte attaque contre -Meissen, dans l'intention de défiler avec son centre et sa gauche -derrière cette droite rendue si apparente, et de courir sur -Wittenberg. Il se proposait ensuite de retirer sa droite elle-même, et -de la réunir devant Wittenberg, où il devait franchir l'Elbe. - -[En marge: Blucher se dérobe, et feignant une attaque sur Meissen, se -porte devant Wittenberg.] - -Il entra en opération le 25 septembre, et, tandis que Sacken attaquait -les avant-postes de Macdonald d'un côté, ceux de Marmont de l'autre, -il se mit en marche vers l'Elbe inférieur. Il laissa pour le remplacer -devant Dresde le corps russe de Sherbatow, fort de 8 mille hommes, -ainsi que la division légère autrichienne de Bubna, forte de 10 -mille, et chargée de la garde de Zittau lorsque le prince Poniatowski -était sur ce point. Ce corps de 18 mille hommes environ était -suffisant pour tromper les yeux même les plus exercés, surtout après -une reconnaissance comme celle des 22 et 23 septembre, qui avait dû -paraître tout à fait démonstrative à Napoléon. Le général Blucher -réussit ainsi à se soustraire à nos regards, et dans les journées des -26, 27, 28 septembre s'achemina sur Wittenberg sans être aperçu. -L'attaque si vive de Sacken parut d'abord inexplicable, et fut -interprétée comme une manière de tâter la gauche de Macdonald, et -peut-être comme l'indice d'une prochaine tentative contre le camp -retranché que nous avions en avant de Dresde. Napoléon ordonna de -renforcer cette gauche pour la mettre à l'abri de tous les efforts de -l'ennemi. - -[En marge: Ney voyant les mouvements de Blucher et de Bernadotte vers -lui, en donne avis à Napoléon.] - -Mais la marche du général Blucher, concourant avec d'autres mouvements -des généraux Tauenzien et Bulow, et du prince de Suède lui-même, ne -put échapper à la vigilance du maréchal Ney, contre lequel ces -diverses opérations étaient dirigées. Il avait vu Bulow jeter un pont -à Wartenbourg et l'y maintenir quelques jours, les autres corps du -prince de Suède préparer leurs moyens de passage soit à Barby, soit à -Roslau, et n'osant s'opposer à ces diverses tentatives avec 36 mille -hommes, de peur de s'en attirer 80 mille sur les bras, il s'était -contenté de résister plus particulièrement au passage tenté près de -Wartenbourg, parce que c'était le plus rapproché de Dresde, et le plus -important dès lors à empêcher. Il écrivit immédiatement à Napoléon -pour lui signaler l'état des choses, et lui annoncer comme -s'exécutant à l'instant, ou devant s'exécuter sous peu de jours, un -passage de l'Elbe entre Wittenberg et Magdebourg par des forces -considérables. - -[En marge: Excursions des troupes de partisans précédant la marche de -l'armée de Bohême.] - -[En marge: Apparition de cette armée aux divers débouchés des -montagnes aboutissant en Saxe.] - -Du côté de la Bohême les événements n'étaient pas moins significatifs. -Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques milliers de chevaux -s'était mis à la poursuite de Thielmann, qui entré en Saxe par le -débouché de Carlsbad à Zwickau, s'était dirigé sur Weissenfels comme -s'il eût voulu couper nos communications avec la Saale. Le général -Lefebvre-Desnoëttes lui avait d'abord fait essuyer plusieurs échecs, -et l'avait rejeté jusque sur Altenbourg. Mais en ce moment Platow -débouchant avec ses Cosaques et cinq mille Autrichiens, dont trois -mille de cavalerie, avait assailli de front Lefebvre-Desnoëttes avec -plus de dix mille hommes, tandis que Thielmann par un mouvement rapide -le prenait par derrière. Lefebvre-Desnoëttes n'avait pu s'en tirer -qu'en se repliant sur Leipzig, et en sacrifiant quelques centaines -d'hommes. Cet échec avait été bientôt réparé par le prince -Poniatowski, lequel, ayant repassé l'Elbe et rétrogradé jusqu'à -Frohbourg avec le 8e corps et le 4e de cavalerie, avait fondu à son -tour sur Thielmann et Platow, leur avait tué quatre cents hommes, et -leur en avait pris trois cents. Ces diverses rencontres, -alternativement heureuses ou malheureuses, avaient eu l'avantage de -nous éclairer parfaitement sur la marche de l'ennemi, et nous avions -pu voir sur les débouchés de Commotau à Chemnitz, de Carlsbad à -Zwickau, tout autre chose que des partisans, car nous avions reconnu -sur ces deux routes les têtes de colonnes de la grande armée de -Bohême, composées à la fois d'Autrichiens, de Russes et de Prussiens. -L'annonce d'ailleurs de sa prochaine arrivée était répandue dans toute -la Saxe. Si Napoléon avait pu concevoir quelques doutes, non pas sur -le fond des projets de l'ennemi, mais sur l'époque de leur exécution, -il n'en devait plus conserver aucun après ces nouvelles parties en -même temps du bas Elbe et des frontières de la Bohême. Il devenait -évident que sur sa gauche l'armée du Nord, renforcée peut-être de -Blucher, traversait l'Elbe inférieur pour remonter vers Leipzig le -long de la Mulde; que sur sa droite l'armée de Bohême franchissant les -montagnes de Bohême, descendait vers Leipzig en suivant aussi le cours -de la Mulde, et que toutes deux ou toutes trois après s'être -transportées sur la gauche de l'Elbe, allaient essayer de le prendre à -revers. Quant à l'armée de Silésie, que le général russe Sherbatow et -le général autrichien Bubna représentaient en ce moment devant Dresde, -on pouvait croire encore qu'elle n'avait pas quitté sa position, et -qu'elle se maintenait devant Dresde pour nous y retenir. - -[En marge: Promptes dispositions de Napoléon pour repasser l'Elbe avec -toutes ses forces.] - -[En marge: Il réunit les corps de Poniatowski, Lauriston et Victor -entre les montagnes et Leipzig, pour observer l'armée de Bohême.] - -[En marge: Marmont envoyé au secours de Ney.] - -[En marge: Napoléon se prépare à se porter lui-même avec 75 mille -hommes dans la direction de Leipzig, pour renforcer Murat ou Ney, et -battre l'une après l'autre les deux armées coalisées.] - -Mais Napoléon ne se laissa point abuser par ces fausses apparences, et -sur-le-champ il commença un double mouvement pour diriger ses forces -sur les deux points que l'ennemi menaçait en même temps, de manière à -se placer avec ses réserves entre les deux armées coalisées, et à -tomber sur l'une ou sur l'autre, suivant celle qui serait le plus à sa -portée. Il avait déjà envoyé le prince Poniatowski en arrière de -Dresde, sur la route de Leipzig par Waldheim et Frohbourg, d'où -celui-ci avait pu arrêter Thielmann et Platow. Il reporta également en -arrière le 5e corps (celui de Lauriston), devenu disponible depuis -qu'il ne restait plus que le 11e corps (celui de Macdonald) en avant -de Dresde, et le dirigea sur Mittweyda, pour servir d'appui à -Poniatowski. Le 2e corps (celui du maréchal Victor) était depuis -longtemps à Freyberg, surveillant les débouchés de la Bohême en Saxe. -Napoléon l'envoya plus loin encore, et le fit avancer jusqu'aux -environs de Chemnitz. Ces trois corps, auxquels était annexé le 4e de -cavalerie, postés à une marche les uns des autres, pouvaient se réunir -rapidement, et présenter à l'ennemi une première masse d'environ 40 -mille hommes. Napoléon leur adjoignit le 5e de cavalerie qu'il venait -de confier au général Pajol, afin qu'ils eussent le moyen de -s'éclairer plus au loin, et les rangea tous sous les ordres de Murat. -Ils devaient, en rétrogradant vers la Thuringe, longer le pied des -montagnes de la Bohême, et s'avancer avec précaution, de manière à se -trouver toujours entre la grande armée du prince de Schwarzenberg et -Leipzig. Le maréchal Marmont établi à Meissen, au-dessous de Dresde, -avec le 6e corps et le 1er de cavalerie, reçut ordre de repasser -l'Elbe, et de se replier sur Leipzig, en laissant à Meissen le 3e -corps (général Souham), qui avait été envoyé sur ce point depuis qu'on -s'était concentré autour de Dresde. Le maréchal Marmont posté ainsi à -Leipzig avec près de 30 mille hommes, infanterie et cavalerie, pouvait -au besoin s'acheminer vers Murat, ou bien se réunir à Ney sur le bas -Elbe, si le danger était plus pressant du côté de celui-ci. Il lui -fallait une marche pour rejoindre Murat, deux pour rejoindre Ney. Si -avec ses 30 mille hommes il se dirigeait sur Murat, il le porterait à -70 mille; s'il se dirigeait sur Ney, qui avec Dombrowski avait près de -40 mille hommes, il le porterait à environ 70 mille, et de la sorte, -deux rassemblements considérables allaient être préparés contre les -armées de Bohême et du Nord, Leipzig étant le centre où l'on devait -s'interposer entre elles. Napoléon dès que les mouvements de l'ennemi, -encore assez confus, seraient complètement éclaircis, voulait en -laissant Saint-Cyr et le comte de Lobau à Dresde, rétrograder lui-même -avec les 40 mille hommes de la garde, avec Macdonald, avec Souham qui -de Meissen le joindrait en route, et venir ainsi avec un renfort de 75 -mille hommes à l'appui de l'un ou de l'autre de ses deux principaux -rassemblements. Si le danger le plus menaçant était vers Murat, il -courrait de son côté, et formerait avec lui une masse de 145 mille -hommes; si le danger était vers Ney, il irait à ce dernier, et en -réunirait de même 145 mille. Dans ces deux cas c'était assez, selon -lui, pour obtenir sur l'une ou l'autre armée, et peut-être sur l'une -après l'autre, une victoire décisive. Si même évacuant Dresde, sauf à -y revenir après la victoire, il ralliait à lui les 30 mille hommes de -Saint-Cyr et de Lobau, il pouvait avoir contre l'armée de Bohême -presque l'égalité de forces, et contre celles du Nord et de Silésie -une supériorité accablante. Tels étaient ses calculs, et dans l'état -présent des choses il était impossible d'en faire de plus habiles et -de mieux entendus. - -[En marge: Le corps d'Augereau amené à Leipzig.] - -Les corps de Poniatowski, de Lauriston, de Victor, les 4e et 5e de -cavalerie, ayant été acheminés sous Murat dans la direction de -Mittweyda et de Frohbourg, les corps de Marmont et de Latour-Maubourg -l'ayant été dans la direction de Leipzig, Napoléon se tint prêt au -premier signal à rejoindre les uns ou les autres avec 75 mille hommes. -Il fit payer quelques mois de solde aux officiers qui souffraient -beaucoup, et fournit l'argent nécessaire de son propre trésor, celui -de l'armée étant vide. Il fit donner des souliers aux soldats, -préparer ses parcs de munitions, et tout disposer en un mot pour un -mouvement général. Une colonne de 8 à 9 mille hommes de bataillons et -escadrons de marche était arrivée à Leipzig. Il ordonna de l'y laisser -pour garder cette ville conjointement avec les détachements que le -général Margaron y avait déjà, et enfin il y appela en outre le corps -d'Augereau, qui avait été d'abord destiné à rassurer et à contenir la -Bavière menacée par un corps autrichien. Ce corps d'Augereau qui -devait être de près de 30 mille hommes, avait été successivement -affaibli pour envoyer des renforts sur l'Elbe. Il n'était plus que de -12 mille hommes, dont 3 mille à peu près de vieux dragons d'Espagne. -Tel quel la présence de ce corps à Wurzbourg avait été de quelque -effet sur la Bavière, que l'Autriche dans ce moment encore essayait -d'attirer à la coalition, tantôt par des menaces, tantôt par des -caresses. Mais Napoléon sentant que le sort de la guerre se déciderait -dans les champs de Leipzig, et que toutes les fidélités y seraient -définitivement ou consolidées ou ébranlées, n'hésita pas d'y appeler -Augereau. Ces dispositions avant été arrêtées dans les journées des -28, 29 et 30 septembre, il attendit, l'oeil et l'oreille bien ouverts -sur tout ce qui allait se passer autour de lui. - -[Date en marge: Octob. 1813.] - -[En marge: Marche des armées coalisées.] - -[En marge: Arrivée de Blucher devant Wittenberg le 30 septembre.] - -[En marge: Passage de l'Elbe.] - -Pendant ce temps, les coalisés poursuivaient l'exécution de leurs -desseins. Blucher ayant, comme on l'a vu, laissé les généraux -Sherbatow et Bubna pour figurer à sa place devant Dresde, et ayant -fait défiler son centre et sa gauche derrière sa droite qui feignait -une attaque sur Meissen, était arrivé le 30 septembre devant -Wittenberg. Il y avait remplacé le corps de Bulow, parti pour -rejoindre l'armée du Nord, et s'était ensuite hâté de faire ses -préparatifs de passage. Il avait mandé en même temps à Bernadotte, -posté à une ou deux marches au-dessous, qu'il devait s'apprêter à -franchir l'Elbe, car lui-même espérait se trouver sur la rive gauche -dans deux jours. Wittenberg n'ayant pas cessé d'appartenir aux -Français, il ne pouvait y opérer un passage. Il se prépara donc à -jeter un pont un peu au-dessus, c'est-à-dire à Elster, là même où le -général Bulow l'avait essayé quelques jours auparavant. Le 1er octobre -il fit amener des bateaux, et le 2, ayant établi un pont, il déboucha -sur la rive gauche. Mais il fallait enlever la position de -Wartenbourg, qui n'était pas facile à forcer, car déjà le général -Bulow y avait rencontré une résistance telle qu'il avait été contraint -de replier son pont, ne croyant pas pouvoir s'en servir, et ne voulant -pas l'abandonner aux Français. - -[En marge: Le 4e corps chargé d'arrêter Blucher à Wartenbourg.] - -Le maréchal Ney averti par ses reconnaissances de la présence de -l'ennemi sur la gauche de l'Elbe, s'était empressé d'y envoyer le -général Bertrand avec le 4e corps, afin d'empêcher, comme on l'avait -fait peu de temps auparavant, le succès de cette tentative de passage. -Le 4e corps n'ayant pas encore reçu la division Guilleminot qui lui -revenait dans le partage du 12e, se trouvait composé uniquement de la -division française Morand, de la division italienne Fontanelli, et de -la division wurtembergeoise Franquemont, ces trois ne faisant pas plus -de 12 mille hommes. C'était bien peu contre les 60 mille hommes de -Blucher; mais les lieux, l'habileté, le sang-froid, peuvent souvent -compenser toutes les inégalités de nombre. La circonstance dont il -s'agit en fournit bientôt un exemple mémorable. - -[En marge: Description de la position de Wartenbourg.] - -L'Elbe en approchant d'Elster forme un coude très-prononcé, et -enveloppe ainsi un terrain bas et marécageux, situé sur la rive -gauche. C'est sur ce terrain que se trouve le vieux château de -Wartenbourg. Afin de le garantir des inondations on l'avait jadis -protégé au moyen d'une digue, venant s'appuyer aux deux côtés de -l'Elbe comme la corde d'un arc. Le château lui-même est à l'une des -extrémités de cette digue, le village de Bleddin à l'autre. L'ennemi -ayant franchi l'Elbe à Elster, s'il voulait passer outre, devait -suivre une route qui venait aboutir perpendiculairement au milieu de -la digue. Le général Morand placé au château de Wartenbourg, et au -point de jonction de la route avec la digue, avait été naturellement -chargé de la tâche la plus difficile. Un peu à droite étaient les -Italiens; tout à fait à droite, au village de Bleddin, les -Wurtembergeois. - -[En marge: Superbe combat de Wartenbourg soutenu par la division -Morand.] - -Le général Morand, l'un des trois héros du corps de Davout, quand ce -corps glorieux existait, avait fait ses dispositions avec une sagacité -admirable. Il avait rangé ses quatre à cinq mille Français derrière la -digue, où ils étaient couverts jusqu'à la tête comme derrière un -parapet, et il avait disposé à gauche, sur l'éminence sablonneuse du -château de Wartenbourg, toute son artillerie. Il attendait ainsi, tel -qu'un chasseur à l'affût, l'apparition des Prussiens. - -Ils débouchèrent en effet le 3 octobre au matin par le pont jeté à -Elster le 2, et s'avancèrent bravement sur la route, sans prévoir le -terrible accueil qui leur était réservé. On les laissa venir, et puis -quand ils furent à très-petite portée de fusil, un feu partant de tous -les points de la digue, et embrassant leur colonne entière, les -assaillit à l'improviste, et les décima cruellement. Au même instant -le feu d'une nombreuse artillerie vint s'ajouter à celui de la -mousqueterie, et ils furent rejetés en désordre sur le pont. - -Ce n'était pas avec les passions qui les animaient, soldats et -généraux, qu'ils pouvaient s'arrêter devant un tel obstacle. Ils -revinrent à la charge, et chaque fois accueillis de même, ils furent -abattus en aussi grand nombre, sans pouvoir seulement arriver jusqu'à -la digue. Blucher s'obstina, et ne réussit ainsi qu'à faire tuer une -quantité plus considérable de ses soldats. Incommodé par le feu de -l'artillerie établie sur notre gauche, il imagina de la faire -contre-battre par une batterie placée sur l'autre côté de l'Elbe. -Notre artillerie ne se déconcerta point, tourna une partie de ses -pièces contre la batterie prussienne, la réduisit au silence, et se -remit à tirer sur la route devenue bientôt un vrai champ de carnage. - -Ce combat avait duré environ quatre heures, et près de cinq mille -ennemis jonchaient cette plaine marécageuse, lorsque le général -Blucher eut enfin l'idée de diriger sur notre droite une attaque -vigoureuse contre le village de Bleddin, défendu par les -Wurtembergeois. La colonne d'attaque ayant remonté le bord du fleuve à -la faveur de quelques bois, assaillit Bleddin avec fureur, car c'était -la seule route qui pût s'ouvrir à l'armée de Silésie, et elle finit -par l'enlever aux Wurtembergeois qui n'étaient guère plus de deux -mille. À cette vue le général Bertrand lança la brigade Hullot de la -division Morand, sur le flanc de la colonne ennemie. Cette brigade -renversa trois bataillons, les écrasa, mais arriva trop tard pour -sauver Bleddin, où déjà l'ennemi avait réussi à s'établir. Le général -Hullot fut obligé de revenir derrière la digue, et de rejoindre la -division Morand. - -[En marge: Pertes considérables de Blucher.] - -[En marge: Le 4e corps obligé néanmoins de se replier sur Kemberg.] - -[En marge: Bernadotte passe l'Elbe de son côté dans les environs de -Dessau.] - -Sans cette dernière attaque à découvert, nos pertes n'auraient pas -dépassé une centaine d'hommes; mais cette sortie nous en coûta deux ou -trois cents. Les Wurtembergeois de leur côté, en défendant vaillamment -Bleddin, en perdirent un certain nombre. Toutefois nous n'eûmes pas -plus de 500 hommes hors de combat, tandis que l'ennemi en eut cinq ou -six mille. Cette superbe affaire, l'une des plus remarquables de nos -longues guerres, et qui faisait grand honneur aux généraux Bertrand, -Morand, Hullot, ne pouvait cependant, Bleddin étant pris, empêcher -l'armée de Silésie de déboucher. Le général Bertrand dut donc -rétrograder sur Kemberg, pour se rapprocher du général Reynier et de -la division Dombrowski, établis le long de la Mulde de Düben à Dessau. -(Voir la carte nº 58.) Les prisonniers recueillis nous apprirent qu'on -avait eu sur les bras toute l'armée de Silésie, qui avait ainsi passé -l'Elbe, et se trouvait sur la droite de Ney. D'autres reconnaissances -nous révélèrent que l'armée du Nord avait commencé à franchir l'Elbe -au-dessous de Wittenberg, de Roslau à Barby, et que Ney l'avait par -conséquent sur sa gauche. Voici quelle était la configuration des -lieux sur lesquels ces deux armées tendaient à se réunir contre le -corps du maréchal Ney. - -[En marge: Position de Ney ayant Blucher à sa droite, Bernadotte à sa -gauche.] - -[En marge: Il rétrograde lentement en remontant entre l'Elbe et la -Mulde.] - -[En marge: Concert établi entre Blucher et Bernadotte pour remonter -sur Leipzig, pendant que l'armée de Bohême y descend.] - -L'Elbe qui de Dresde à Wittenberg coule obliquement du sud-est au -nord-ouest, coule de Wartenbourg à Roslau, et presque jusqu'à Barby, -de l'est à l'ouest, c'est-à-dire, par rapport à la position que nous -venions de prendre, de notre droite à notre gauche. De Wittenberg à -Barby l'Elbe recueille la Mulde d'abord, qui s'y jette vers Dessau, et -puis la Saale, qui y tombe près de Barby. Ainsi le maréchal Ney avait -sur sa droite l'Elbe, coulant latéralement à lui jusqu'à Wittenberg, -puis sur son front l'Elbe encore se redressant à Wittenberg, passant -devant lui, et puis à sa gauche la Mulde venant à Dessau se jeter dans -l'Elbe. Ney se trouvait donc entre Blucher qui avait passé l'Elbe sur -sa droite à Wartenbourg, et Bernadotte qui ayant passé l'Elbe -au-dessous du confluent de la Mulde, remontait la Mulde sur sa gauche. -Il avait, il est vrai, l'avantage de posséder tous les ponts de la -Mulde, puisqu'il avait conservé Düben, Bitterfeld, Dessau, d'être dès -lors en mesure de manoeuvrer sur les deux bords de cette rivière, et -de pouvoir s'en couvrir tantôt contre Blucher, tantôt contre -Bernadotte. Malheureusement il comptait à peine 40 mille hommes, -tandis que Blucher en avait 60 mille, et que Bernadotte après avoir -laissé Tauenzien à la garde de ses ponts, en réunissait encore -soixante et quelques mille. Il se conduisit avec beaucoup de prudence -entre ces deux masses, tâchant de manoeuvrer de manière à les tenir -séparées, mais de manière aussi à pouvoir rétrograder rapidement vers -Leipzig en remontant la Mulde. Pendant ce temps Blucher et Bernadotte -cherchèrent à se voir, se virent en effet pour concerter leur plan -d'opération, et tombèrent d'accord que dès qu'ils pourraient quitter -sans danger les bords de l'Elbe, pour se porter derrière la Mulde et -la remonter jusqu'à Leipzig, ils devraient l'entreprendre. Mais tous -deux après avoir osé franchir l'Elbe devant les Français voulaient se -ménager une porte de sortie, c'est-à-dire construire l'un à -Wartenbourg, l'autre à Roslau, des têtes de pont parfaitement solides, -afin de repasser l'Elbe en sûreté si la fortune était contraire aux -armes de la coalition. Il ne leur fallait pas moins de trois à quatre -jours pour vaquer à ces soins de première nécessité. - -[En marge: Marmont vient au secours de Ney, et Murat observe l'armée -de Bohême.] - -Pendant que ces événements se passaient entre l'Elbe et la Mulde, le -maréchal Marmont, que ses instructions autorisaient à se rendre là où -le péril lui semblerait le plus grand, s'était hâté au premier appel -du maréchal Ney de quitter Leipzig et de descendre la Mulde avec son -corps d'armée et la cavalerie du général Latour-Maubourg. Il s'était -arrêté à Eilenbourg, derrière le maréchal Ney qui s'était replié sur -Düben. - -De son côté Murat chargé d'observer les débouchés de la Bohême, -s'était avancé avec Poniatowski, Lauriston, Victor et les 4e et 5e de -cavalerie, de Mittweida jusqu'à Frohbourg, longeant le pied de -l'Erz-Gebirge et couvrant Leipzig. (Voir la carte nº 58.) Les têtes de -colonnes de l'armée de Bohême étaient maintenant très-visibles, et -débouchaient en deux masses principales, de Commotau sur Chemnitz, de -Carlsbad sur Zwickau. Ney, Marmont et Murat avaient exactement mandé à -Napoléon tout ce qui s'était passé sous leurs yeux. - -[En marge: Des nouvelles venues de tous côtés, révèlent à Napoléon les -mouvements des armées ennemies.] - -Napoléon reçut le 5 octobre au matin le rapport du beau combat de -Wartenbourg, et le 5, dans la journée, le détail de tous les -mouvements opérés par ses divers corps d'armée. Comme on lui disait -que le rassemblement qui s'était présenté à Wartenbourg, et qui avait -réussi à franchir l'Elbe sur ce point, était l'armée de Silésie, il -fit sur-le-champ exécuter une nouvelle reconnaissance en avant de -Dresde, c'est-à-dire au delà de l'Elbe, et il sut que la sécurité -fondée sur les reconnaissances des 22 et 23 septembre avait été -trompeuse, car Blucher venait de défiler du 25 au 30 pour se porter -sur Wittenberg. Dès ce moment il était évident qu'on n'avait plus -devant soi à Dresde qu'un rideau de troupes, et que les armées de -Silésie et du Nord réunies sur l'Elbe inférieur, l'avaient traversé -pour remonter en commun le long de la Mulde jusqu'à la hauteur de -Leipzig, tandis que la grande armée de Bohême allait y descendre des -montagnes, ce qui devait prochainement amener la réunion tant prévue -de toutes les forces de la coalition sur nos derrières. - -[En marge: Ses promptes et admirables combinaisons pour combattre -alternativement les deux armées qui lui sont opposées.] - -Napoléon n'en fut ni ému ni troublé. C'était l'annonce de ce qu'il -désirait ardemment, c'est-à-dire d'une bataille générale, et dans sa -confiance il ne craignait même qu'une chose, c'est qu'après un -mouvement si audacieux les coalisés n'eussent pas le courage de -persister dans leur entreprise, et qu'ils ne cherchassent à se -dérober. Qu'il fallût rétrograder de Dresde pour marcher sur eux, ce -n'était pas à mettre en doute. Mais sur laquelle des deux masses se -jetterait-il d'abord, afin de les battre l'une après l'autre? c'était -la seule question à poser, et celle-là même ne le fit pas hésiter un -instant. L'armée de Bohême n'était pas près d'arriver à Leipzig; -d'ailleurs Murat avec 40 mille hommes, en trouvant une douzaine de -mille à Leipzig, devant recevoir bientôt les douze mille d'Augereau, -ce qui lui procurerait plus de 60 mille hommes, pouvait prendre des -positions successives pour couvrir Leipzig, gagner ainsi quelques -jours, tandis que Napoléon, à qui il ne fallait que trois marches pour -se porter à Düben sur la Mulde, aurait le temps de se jeter entre -Blucher et Bernadotte, de les accabler l'un et l'autre, puis de -revenir sur l'armée de Bohême et de la battre à son tour. Si cette -armée qui tant de fois ne s'était montrée que pour se dérober presque -aussitôt, ne l'attendait pas, et se hâtait de rentrer en Bohême, au -lieu de courir après elle il se mettrait à la poursuite de Bernadotte -et de Blucher vaincus, les suivrait l'épée dans les reins jusqu'à -Berlin, réaliserait ainsi son projet favori de tendre une main -secourable à ses garnisons de l'Oder et de la Vistule, et probablement -dans ce cas transporterait le théâtre de la guerre sur le bas Elbe, où -il avait les deux puissants points d'appui de Magdebourg et de -Hambourg. - -C'étaient là les chances les plus heureuses, et Napoléon, bien que -très-confiant encore, n'était pas assez aveugle pour ne pas admettre -aussi les chances malheureuses, surtout en voyant l'acharnement des -coalisés. C'est dans cette prévision qu'il avait envoyé le général -Rogniat à Mersebourg, pour s'y ménager des moyens certains de retraite -sur la Saale. Si les événements étaient sinon fâcheux, du moins -indécis, il se replierait sur la Saale, et en ferait sa nouvelle ligne -d'opération pour plus ou moins longtemps, selon les moyens de -résistance qu'il trouverait sur cette ligne. - -[En marge: Départ de Dresde les 6 et 7 octobre au matin.] - -[En marge: Préparatifs pour l'évacuation de Dresde, où restent encore -les corps de Saint-Cyr et de Lobau.] - -Dans ces divers cas tout semblait devoir aboutir à l'évacuation de -Dresde, et de la partie du cours de l'Elbe comprise de Koenigstein à -Torgau. Si, en effet, après avoir vaincu l'armée de Silésie et du Nord -Napoléon allait s'établir tout à fait sur le bas Elbe, ou bien si -ayant eu des revers en Saxe il était obligé de repasser la Saale, il -devait dans ces deux hypothèses renoncer à Dresde. Il est vrai aussi -que si après avoir battu les armées de Silésie et du Nord il pouvait -battre encore l'armée de Bohême, il était maître de la campagne au -point de n'avoir besoin de rien évacuer. Mais c'était le cas le plus -favorable, et la prudence ne permettait pas d'y compter assez pour en -faire la base de ses calculs. Napoléon disposa les choses de manière -à rendre son mouvement complet, et à évacuer jusqu'à la ville de -Dresde elle-même. En conséquence il fit partir le 6 au matin toute la -garde, jeune et vieille, pour le bas Elbe, c'est-à-dire pour Meissen. -Le 3e corps (celui de Souham) s'était acheminé sur Torgau au premier -bruit du combat de Wartenbourg. Il ordonna également à Macdonald de -partir du camp de Dresde pour Meissen, mais en longeant la rive -droite, ce qui était sans danger, l'armée de Silésie n'étant plus dans -les environs, et ce qui avait en outre l'avantage de ne pas encombrer -la rive gauche. La garde, les corps de Souham et de Macdonald, -comprenaient environ 75 mille hommes, lesquels en deux jours allaient -être près de Ney, et en trois sur l'ennemi. Restaient à Dresde les -corps du comte de Lobau (le 1er), du maréchal Saint-Cyr (le 14e), -comptant sept divisions et environ 30 mille hommes. C'était une force -considérable, qui dans les diverses hypothèses que nous venons -d'énumérer n'était pas nécessaire à Dresde, et qui sur l'un des deux -champs de bataille où l'on s'attendait à combattre, pouvait et devait -même décider la victoire. Napoléon fit appeler le maréchal Saint-Cyr -qui commandait les deux corps, et lui causa une grande satisfaction en -lui exposant ses vues, car ce maréchal, outre qu'il était cette fois -de l'avis de Napoléon, appréhendait fort d'être laissé à Dresde. -Napoléon lui traça ensuite tout ce qu'il aurait à faire pour -l'évacuation de cette ville. D'abord il devait évacuer successivement -Koenigstein, Lilienstein, Pirna, lever en même temps les ponts établis -sur ces divers points, réunir les bateaux qui en proviendraient, en -conserver une partie à Dresde même pour le cas où l'on y retournerait, -charger les autres de vivres, de munitions, de blessés, et les -expédier sur Torgau. Tout en faisant ces choses qui ressemblaient si -fort à une évacuation définitive, le maréchal Saint-Cyr devait dire -hautement qu'on ne songeait pas à quitter Dresde, que loin de là on -allait s'y établir, et se servir de ce langage pour ôter aux habitants -la velléité de s'agiter. Puis ces dispositions terminées, ses trente -mille hommes tenus sur pied, il devait décamper au premier signal, et -rejoindre Napoléon par Meissen. Telles furent les instructions données -à ce maréchal, et plût au ciel qu'elles eussent été maintenues! le -sort de la France et du monde eût été probablement changé! - -[En marge: Pénible situation de la cour de Saxe, les Français devant -quitter Dresde.] - -[En marge: Cette cour veut suivre Napoléon.] - -[En marge: Dispositions ordonnées pour lui rendre le voyage -supportable.] - -Restait à s'expliquer avec la cour de Saxe. On ne pouvait sans -inhumanité, et vraisemblablement aussi sans péril, laisser à Dresde, -au milieu de tous les hasards, cette cour si timide, si peu habituée -aux horreurs de la guerre. On l'exposerait ainsi à être témoin d'une -attaque formidable repoussée par des moyens extrêmes, ou bien si on la -menait avec soi, on la ferait peut-être assister à quelque horrible -bataille, comme les hommes n'en avaient jamais vu. L'alternative était -cruelle. Napoléon lui offrit le choix ou de rester à Dresde, ou -d'accompagner le quartier général. Le bon roi Frédéric-Auguste, qui ne -voyait plus d'autre ressource que de s'attacher à la fortune de -Napoléon, aima mieux être avec lui qu'avec un de ses lieutenants, avec -200 mille hommes qu'avec 30 mille. Il exprima le désir de suivre -Napoléon partout où il irait. Il fallait donc se résoudre à traîner -après soi cette cour nombreuse, remplie de vieillards, de femmes, -d'enfants, car il y avait des frères, des soeurs, des neveux, dignes -et respectables gens accoutumés à la vie la plus douce, la plus -régulière, se levant, mangeant, se couchant, priant Dieu toujours aux -mêmes heures, et rappelant, au scandale près, la simplicité, -l'ignorance, la timidité des Bourbons d'Espagne. Napoléon voulut -autant que possible les faire marcher en pleine sécurité, avec tous -les honneurs qui leur étaient dus, et ce n'était pas chose aisée au -milieu des six cent mille hommes, des trois mille bouches à feu, et -des vingt mille voitures de guerre, qui allaient pendant quinze jours -circuler à quelques lieues les uns des autres. Il décida que lui -partant le 7 octobre avec ce qu'il appelait le petit quartier général, -c'est-à-dire avec Berthier, avec ses aides de camp, avec un ou deux -secrétaires et quelques domestiques, le grand quartier général, -composé des administrations de l'armée, de la chancellerie de M. de -Bassano, des parcs généraux, escorté par quatre mille hommes, -partirait le lendemain 8. Le roi de Saxe, protégé par une division de -la vieille garde, devait s'y joindre avec ses nombreuses voitures. M. -de Bassano, façonné à la vie des camps, et ayant appris de son maître -à ne rien craindre, avait mission de suivre le roi de Saxe pour lui -tenir compagnie, pour le mettre au courant des nouvelles, et le -rassurer en lui peignant tout en beau quoi qu'il pût arriver. Un -officier de la vieille garde devait toujours être à sa portière pour -écouter ses moindres désirs, et y satisfaire. C'est ainsi, et à -travers les embarras des plus vastes armées qu'on eût jamais vues, -embarras dont il n'était pas le moindre, que l'excellent roi de Saxe -allait voyager, marchant à petites journées, entendant la messe chaque -matin, vivant en un mot comme à Dresde, à la suite de son terrible -allié qui marchait, lui, presque jour et nuit, dormait et mangeait à -peine, travaillait presque sans interruption, bien qu'il eût acquis -dès lors l'embonpoint de l'un de ces princes amollis des vieilles -dynasties. Mais une âme de fer, un génie prodigieux, un orgueil de -démon, animaient ce corps déjà souffrant et alourdi, et le remuaient -comme celui d'un jeune homme! - -[En marge: Arrivée de Napoléon à Wurtzen.] - -[En marge: Sa manière de travailler, et son activité prodigieuse.] - -Ayant acheminé une partie de ses troupes le 6 octobre, l'autre partie -le 7, Napoléon se mit lui-même en route dans la journée du 7, et après -une station de quelques heures à Meissen, il poussa jusqu'à -Seerhausen, sur le chemin de Wurtzen. Sa grande expérience de la -guerre lui avait appris que c'était vers minuit ou une heure du matin -que les nouvelles les plus importantes arrivaient, parce que les -généraux placés à dix ou quinze lieues expédiaient à la chute du jour -le récit de ce qu'ils avaient fait dans la journée, par des officiers -qui en cinq ou six heures exécutaient le trajet à cheval, ce qui -procurait la connaissance des événements quelquefois à minuit, -quelquefois à une heure du matin. En dépêchant la réponse -sur-le-champ, les ordres nécessaires parvenaient le lendemain matin, -encore assez tôt pour être exécutés, et des corps placés à une grande -distance agissaient ainsi sous l'inspiration de Napoléon comme s'ils -avaient été auprès de lui. De cette manière la nuit, indispensable au -repos des troupes, avait suffi pour demander des instructions et les -obtenir. Mais cette prodigieuse machine ne pouvait recevoir -l'impulsion qu'à condition que le génie, moteur principal, serait -toujours debout et éveillé, du moins au moment le plus essentiel pour -l'expédition des ordres. En conséquence, surtout depuis cette dernière -campagne, Napoléon se couchait ordinairement à six ou sept heures du -soir, se relevait à minuit, et dictait sa correspondance pendant toute -la nuit. C'était en effet le cas de veiller sans cesse, ayant à -mouvoir des masses immenses, au milieu d'autres masses immenses, et à -les mouvoir avec une précision rigoureuse. Napoléon arrivé à -Seerhausen lut quelques lettres, expédia quelques réponses, prit -ensuite un peu de repos, et repartit dans la nuit pour Wurtzen, où il -arriva le 8 d'assez bonne heure pour expédier ses ordres. - -[En marge: Napoléon s'était promis de prendre à Wurtzen une résolution -définitive, et là de se diriger contre l'une ou l'autre armée -ennemie.] - -À Wurtzen il était sur la Mulde, à peu près à la hauteur de Leipzig -sur la Pleisse, et pouvant se rendre à Leipzig ou à Düben dans le même -espace de temps. Son projet en quittant Dresde avait été d'ajourner -jusqu'à Wurtzen même ses résolutions définitives. Là il devait ou se -diriger tout de suite sur Leipzig, si Murat poussé vivement ne pouvait -plus tenir tête à l'armée de Bohême, ou bien si Murat avait le moyen -de se soutenir quelques jours encore, descendre la Mulde jusqu'à -Düben, et se débarrasser des armées de Silésie et du Nord, en les -rejetant au delà de l'Elbe. Il devait aussi donner au maréchal -Saint-Cyr le signal attendu de l'évacuation de Dresde. - -[En marge: Jugeant le danger plus grand du côté de Ney, il marche avec -75 mille hommes sur Düben.] - -[En marge: Singulier conflit entre Ney et Marmont.] - -Pendant toute la route il avait reçu des nouvelles, soit des débouchés -de la Bohême (c'est-à-dire de sa gauche depuis qu'il tournait le dos à -Dresde et la face à Leipzig), soit de l'Elbe et de la Mulde -inférieure, c'est-à-dire de sa droite. Toutes s'accordaient à montrer -le danger comme plus pressant de ce dernier côté, car Blucher et -Bernadotte réunis étaient prêts à se jeter sur Ney, tandis que Murat, -bien qu'il vît distinctement déboucher de Commotau sur Chemnitz, de -Zwickau sur Altenbourg, deux fortes colonnes, n'était cependant pas -encore serré d'assez près pour que l'on eût à concevoir des craintes -sur son compte. De plus un fâcheux désaccord survenu entre Ney et -Marmont était une raison assez urgente d'aller à eux. Voici ce qui -s'était passé. Ney, après le combat de Wartenbourg, ayant rétrogradé -jusqu'à Düben, et ayant pressé Marmont de venir à son secours, ce que -celui-ci venait de faire en se portant à Eilenbourg, avait tout à coup -quitté sa position, et passé derrière Marmont pour se rapprocher de -l'Elbe dans la direction de Torgau. De la sorte Marmont, au lieu -d'être placé en appui, se trouvait en tête, et assez compromis, outre -que Leipzig par le mouvement qu'on avait exigé de lui, restait exposé -aux entreprises de Bernadotte et de Blucher. Le motif qui avait -déterminé le maréchal Ney à ce mouvement inexplicable, n'était autre -que le désir de rallier à lui le 3e corps (général Souham). Ne se -croyant pas capable d'exécuter grand'chose avec les corps de Reynier -et de Bertrand (7e et 4e corps), il avait voulu recueillir lui-même, -et le plus tôt possible, ce 3e corps qu'il avait longtemps commandé, -et sur lequel il comptait beaucoup. Marmont ne sachant que penser de -la conduite de Ney, et craignant pour Leipzig, avait à son tour -rétrogradé jusqu'à Taucha. - -Il y avait donc pour se jeter à droite sur la Mulde, le double motif -de frapper d'abord Bernadotte et Blucher, puisqu'on en avait le temps, -et de mettre d'accord des lieutenants désunis. Napoléon prit -sur-le-champ son parti, et résolut de marcher de Wurtzen sur -Eilenbourg, c'est-à-dire de descendre la Mulde avec les 75 mille -hommes qu'il amenait, en reportant en avant Ney et Marmont. Il -espérait ainsi en cheminant entre la Mulde et l'Elbe aussi loin qu'il -le faudrait, gagner de vitesse Bernadotte et Blucher, et les -rencontrer avant qu'ils eussent le temps de repasser l'Elbe. Les ayant -toujours vus s'éloigner dès qu'il arrivait, son souci n'était pas de -les éviter, quelque forts qu'ils pussent être, mais de les atteindre, -car il craignait qu'ils n'eussent bientôt peur de ce qu'ils avaient -tenté, et qu'ils ne cherchassent encore à s'enfuir à son approche. Ils -n'en étaient plus là malheureusement, et plusieurs avantages -successivement obtenus sur ses lieutenants, les avaient enhardis -jusqu'à le redouter lui-même beaucoup moins qu'auparavant! - -Blucher et Bernadotte battus, Napoléon se proposait de revenir sur le -prince de Schwarzenberg, si celui-ci avait persisté à s'avancer avec -l'armée de Bohême, ou s'il s'était replié à la nouvelle d'une bataille -perdue, de continuer à poursuivre Blucher et Bernadotte jusqu'à Berlin -peut-être. - -[En marge: Napoléon se décide à suivre les deux rives de la Mulde.] - -En conséquence il prescrivit au maréchal Ney de se reporter en avant -avec Reynier, Bertrand, Dombrowski, Souham, et la cavalerie de -Sébastiani (2e de réserve) qu'on avait attachée à son armée pour -remplacer celle du duc de Padoue. Il lui ordonna de descendre entre la -Mulde et l'Elbe, la gauche à la Mulde, la droite à l'Elbe, en se -couvrant de sa cavalerie pour n'être pas surpris, et pour surprendre -au contraire tous les mouvements de l'ennemi. Il ramena Marmont en -avant, le fit marcher par la rive gauche de la Mulde presque à la -hauteur de Ney, qui était sur la rive droite, et chemina lui-même avec -toute la garde et Macdonald derrière ses deux lieutenants. - -[En marge: Instructions à Murat pour lui tracer la conduite à tenir -pendant que Napoléon sera aux prises avec les armées de Silésie et du -Nord.] - -En même temps il fit part à Murat de ce qu'il avait projeté contre les -armées réunies du Nord et de Silésie, lui recommanda de ne pas -s'engager, de côtoyer sans le heurter l'ennemi qui débouchait de la -Bohême, de se tenir toujours entre lui et Leipzig, où il trouverait de -vingt à vingt-quatre mille hommes de renfort, ce qui lui procurerait -soixante et quelques mille combattants. Napoléon en effet avait placé -le duc de Padoue à Leipzig, avec une partie du 3e corps de cavalerie -(distrait de l'armée de Ney pour courir après les partisans), lui -avait donné en outre les bataillons de marche arrivés de Mayence, et -l'ancienne division Margaron. Cette réunion pouvait former une -douzaine de mille hommes de troupes actives, et 24 mille en y -comprenant Augereau qui s'approchait. Napoléon ordonna à ceux-ci de se -bien tenir sur leurs gardes, surtout du côté de la basse Mulde, de -crainte que Bernadotte et Blucher ne fissent en se dérobant quelque -tentative sur Leipzig. Par malheur, à toutes ces instructions si bien -calculées, Napoléon ajouta une résolution justifiable dans le moment, -mais infiniment regrettable. Il suspendit l'évacuation de Dresde à -laquelle le maréchal Saint-Cyr était tout préparé. Il ne la -contremanda pas précisément, mais il prescrivit de la différer, par le -motif que l'ennemi s'engageant à fond, soit du côté de la Bohême, soit -du côté de la Mulde et de l'Elbe, la bataille tant désirée devenait -certaine, la victoire aussi, et qu'alors il serait bien heureux -d'avoir conservé Dresde, où le quartier général rentrerait presque -aussitôt qu'il en serait sorti. C'était évidemment parce que la grande -bataille approchait qu'il eût fallu concentrer ses forces; mais -Napoléon raisonnait ici pour Dresde comme il avait raisonné pour -Dantzig, pour Stettin, Custrin, Glogau, avec l'espoir téméraire de -refaire d'un seul coup une fortune compromise par des causes -supérieures et déjà presque insurmontables. - -[En marge: Arrivée de Napoléon à Eilenbourg le 10 octobre au matin.] - -[En marge: Marche imposante de Napoléon, à cheval sur la Mulde avec -140 mille hommes.] - -[En marge: Distribution des divers corps d'armée sur l'une et l'autre -rive de la Mulde.] - -Ayant passé à Wurtzen la soirée du 8 et la journée du 9, afin de -laisser à ses troupes le temps d'arriver en ligne, Napoléon en partit -le 10 dans la nuit, et parvint à quatre heures du matin à Eilenbourg. -Il se mit lui-même à la tête de la cavalerie légère de sa garde, et -marcha entouré de tous ses corps sur Düben, point essentiel où l'on -devait rencontrer l'ennemi, et peut-être la bataille qu'on souhaitait -avec ardeur. Dans ces moments suprêmes, Napoléon se tenait de sa -personne au milieu de ses troupes, le plus souvent à l'avant-garde. Il -s'avançait avec 140 mille hommes environ dans l'ordre suivant. Ney en -tête avec ce qui lui restait de la cavalerie du duc de Padoue (3e de -réserve), avec le corps de Sébastiani (2e de réserve), descendait sur -Düben, ayant à gauche Reynier au delà de la Mulde, au centre -Dombrowski et Souham sur la Mulde même, à droite Bertrand marchant -presque à égale distance de la Mulde et de l'Elbe. Napoléon suivait -exactement dans le même ordre, ayant la cavalerie de la garde et de -Latour-Maubourg en tête, Marmont formant la gauche sur un côté de la -Mulde, toute la garde formant le centre sur la Mulde même, Macdonald -formant la droite, entre la Mulde et l'Elbe. À deux journées en -arrière venait le grand quartier général avec tous les parcs, et -notamment avec les bons princes saxons cheminant du pas qui convenait -à leurs habitudes. Napoléon leur expédiait à chaque instant des -nouvelles. Jamais marche plus profondément calculée et plus vaste ne -s'était exécutée dans aucune guerre. On s'avançait avec une précaution -extrême, s'attendant à toute heure à voir apparaître l'ennemi, et le -désirant vivement. On l'apercevait en effet dans toutes les -directions, mais se repliant, et cette fois encore Napoléon put -craindre de voir les coalisés, recommençant leur tactique d'offensive -contre ses lieutenants, de retraite devant lui, se soustraire de -nouveau à ses coups. Voici cependant ce qui s'était passé de leur -côté. - -[En marge: Marche de Blucher et de Bernadotte.] - -[En marge: Leur entrevue, et leur antipathie réciproque.] - -[En marge: En apprenant l'arrivée de Napoléon, ils prennent le parti -de se réunir tous les deux derrière la Mulde, pour se mettre à -couvert.] - -Blucher dans une entrevue qu'il avait eue avec le prince de Suède le -7, en présence des principaux officiers des deux états-majors, était -convenu avec lui de marcher en commun sur Leipzig, croyant n'avoir -affaire qu'aux maréchaux Ney et Marmont. Le mouvement des armées du -Nord et de Silésie devait commencer dès qu'elles auraient assuré par -de fortes têtes de pont leurs moyens de repasser l'Elbe, dans le cas -où elles seraient contraintes de battre en retraite. Les deux chefs de -ces armées étaient loin de se plaire. La fierté, l'impétuosité, la -défiance offensante de Blucher avaient peu satisfait Bernadotte, et la -timidité de Bernadotte, cachée sous une morgue singulière, n'avait -excité ni l'estime ni la confiance de Blucher. De froids égards -avaient à peine dissimulé leur antipathie réciproque, et du reste ils -s'étaient quittés en se promettant un concert d'autant plus -nécessaire, qu'ils étaient engagés dans des opérations plus -périlleuses. Le 9, des avis secrets venus du pays même avaient averti -Bernadotte et Blucher de l'approche de Napoléon avec toutes ses -réserves. C'en était assez pour troubler le futur roi de Suède, et -pour lui faire prendre la résolution de repasser l'Elbe. Blucher qui -n'en était pas d'avis, avait envoyé un de ses officiers au camp -suédois, pour s'entendre sur ce nouvel incident. Bernadotte s'était -hâté de déclarer qu'il allait se reporter derrière l'Elbe pour -s'épargner un désastre, à moins que l'armée de Silésie ne vînt le -rejoindre au delà de la Mulde, afin de réunir en une seule masse les -armées du Nord et de Silésie[23]. L'avis était sensé, et le moindre -des généraux l'eût conçu et adopté sans contestation. Aussi le général -Blucher s'était-il empressé de s'y conformer, bien que ce mouvement -eût l'inconvénient de lui faire perdre son pont de Wartenbourg. Il fut -donc arrêté que dans la journée du 10 le général d'York, formant -actuellement la droite de l'armée de Silésie, passerait la Mulde à -Jesnitz, que le général Langeron en formant le centre, la passerait à -Bitterfeld, et enfin que le général Sacken qui était devenu sa gauche, -la passerait à Düben. Tous les corps de l'armée de Silésie étaient -ainsi en mouvement, défilant devant nous de notre droite à notre -gauche, le long du contour que la Mulde décrit de Düben à Bitterfeld. -(Voir la carte nº 58.) Le corps d'York n'avait qu'un pas à faire pour -passer à Jesnitz. Celui de Langeron n'avait à franchir que les quatre -lieues de Düben à Bitterfeld. Mais Sacken, qui était à Mokrehna entre -la Mulde et l'Elbe, avait au contraire beaucoup plus de chemin à -parcourir pour venir à Düben, et surtout à manoeuvrer très-près des -Français, ce qui rendait pour lui le trajet singulièrement périlleux. - - [Note 23: Dans un atlas dressé pour l'intelligence de ses - campagnes, et accompagné de légendes historiques détaillées, - le prince de Suède a dit que le 7 octobre il avait provoqué - une entrevue avec le général Blucher, et qu'au premier - aspect de la distribution des corps sur la carte il avait - aperçu le danger que courait le général Blucher, et qu'il - lui avait donné le conseil de passer la Mulde pour se - joindre à lui, conseil qui avait sauvé la coalition. Depuis - cette publication, M. de Muffling, dans d'intéressants - mémoires, empreints d'un caractère véridique quoique - respirant les passions du temps, a fourni le moyen de - compléter et de rectifier les assertions du prince de Suède. - Dans l'entrevue du 7 on ignorait le départ de Napoléon qui - ne quitta Dresde que le 7, et par conséquent le danger de - Blucher. Ce jour-là, 7 octobre, il ne fut question que de se - porter sur Leipzig. C'est seulement le 9 qu'on sut l'arrivée - de Napoléon avec ses réserves, et le 9 Blucher envoya un - officier de confiance pour se concerter avec le prince de - Suède. Cet officier trouva le prince fort ému de l'approche - de Napoléon, et voulant repasser l'Elbe immédiatement si - l'armée de Silésie ne venait pas le rejoindre derrière la - Mulde, pour aller ensuite s'abriter derrière la Saale. - Blucher y consentit, car il ne pouvait pas y avoir deux avis - à cet égard, même pour un sous-officier de quelque bon sens, - et il se mit en marche sur-le-champ afin de franchir la - Mulde. Il n'y eut donc lieu à aucune contestation, ni à - aucun avis capable de sauver la coalition. Les jours - suivants, à la vérité, il y eut des divergences, et il - ressort du récit de M. de Muffling, que les avis décisifs - pour le triomphe de la coalition ne furent point suggérés - par le prince de Suède, et qu'il fallut au contraire pour - les lui faire adopter de grands efforts de la part du - général Blucher et du ministre d'Angleterre.] - -[En marge: Pendant que Blucher défile de notre droite à notre gauche -pour passer la Mulde, Ney heurte fortement le corps de Langeron.] - -Tandis que dans la journée du 10 l'armée française à cheval sur la -Mulde descendait cette rivière vers Düben, le maréchal Ney marchant en -tête, heurta vivement le corps de Langeron, qui était resté en arrière -pour attendre le corps de Sacken et lui livrer le pont de Düben. Il le -repoussa brusquement, et lui enleva un parc de 300 voitures. Sacken -fort pressé par les troupes du général Bertrand, qui avaient cheminé -entre la Mulde et l'Elbe, se retira comme il put, et trouvant Düben -occupé par notre avant-garde, opéra un grand circuit pour venir -traverser la Mulde à Raguhn. - -[En marge: Napoléon apprend par des prisonniers le mouvement -qu'exécute l'armée de Silésie pour se couvrir en passant la Mulde.] - -[En marge: Il pousse tous ses corps en avant pour culbuter partout les -détachements ennemis, et leur enlever leurs ponts de l'Elbe et de la -Mulde.] - -Napoléon entré à Düben vers deux heures de l'après-midi, se hâta -d'interroger les prisonniers qu'on avait recueillis, sut qu'il avait -en présence l'armée de Silésie tout entière, laquelle avait défilé, et -défilait encore devant lui, pour aller gagner la Mulde sur notre -gauche. Napoléon résolut de la poursuivre sur-le-champ dans toutes les -directions. Il ordonna au maréchal Ney de se porter avec Souham à -trois lieues sur la gauche, à Gräfenhaynchen, route de Dessau; aux -généraux Dombrowski et Reynier de se porter à droite, sur Wittenberg, -au bord de l'Elbe; au général Bertrand, avec son 4e corps et la -cavalerie de Sébastiani, de se diriger sur Wartenbourg, également au -bord de l'Elbe, afin d'y détruire les ponts de l'ennemi, à Macdonald -enfin d'appuyer Bertrand. Tous devaient culbuter les corps de Blucher, -qui surpris en marche ne pouvaient guère opposer de résistance, et -leur enlever partout les moyens de passage de la Mulde et de l'Elbe, -afin de nous les approprier exclusivement. Napoléon s'arrêta à Düben -même avec la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg et le corps du -maréchal Marmont, pour y combiner ses mouvements ultérieurs. - -[En marge: Sachant que les armées de Silésie et du Nord sont réunies -sur sa gauche et derrière la Mulde, Napoléon forme le projet de -marcher sur elles d'abord, de les poursuivre à outrance dans la -direction de Berlin, de laisser l'armée de Bohême descendre jusqu'à -Leipzig, puis de la surprendre en remontant l'Elbe par la rive droite, -et en se jetant sur elle par Torgau ou Dresde.] - -[En marge: Conséquences possibles de cette vaste et belle -combinaison.] - -À voir la manière dont les choses se présentaient, un souci le -préoccupait fortement. Il savait que l'armée du Nord était sur sa -gauche, derrière la basse Mulde, occupant les ponts de cette rivière, -et ceux de l'Elbe au-dessous de sa réunion avec la Mulde, ayant par -conséquent toute facilité pour repasser l'Elbe, et se soustraire à nos -poursuites. Il savait que l'armée de Silésie, après avoir franchi -l'Elbe à Wartenbourg sur notre droite, venait de défiler le long de -notre front, pour traverser la Mulde à notre gauche, et se joindre à -l'armée du Nord. Il n'y avait pas grande invraisemblance à supposer -qu'elles allaient recommencer cette tactique évasive qui nous avait -tant épuisés, et à notre approche repasser l'Elbe vers Acken ou -Roslau. Pour Napoléon qui avait besoin d'une bataille décisive, et qui -à chaque pas jonchait la route de jeunes gens malades ou dépités, -c'était là un vrai malheur. Il était à craindre également qu'après -avoir inutilement opéré un long trajet pour atteindre les armées de -Silésie et du Nord, et voulant se rabattre ensuite sur l'armée de -Bohême, il ne pût pas davantage atteindre celle-ci. Leur marche sur -nos derrières annonçait sans doute des projets plus hardis que de -coutume, mais elle pouvait bien signifier aussi le désir de ne -combattre que lorsque les trois armées alliées seraient confondues en -une seule. Or pour leur donner le courage de nous attendre, Napoléon -ne pouvait cependant pas leur laisser l'avantage de se réunir, ce qui -les aurait placées à notre égard dans la proportion de deux contre un, -supériorité numérique trop dangereuse pour s'y exposer; et néanmoins, -tant qu'il persisterait à s'interposer entre les deux masses ennemies, -l'une descendant la Mulde, l'autre la remontant, il était présumable -que chacune des deux individuellement menacée, chercherait à se -dérober. Dans cette perplexité, ne voulant pas leur permettre de se -réunir, et obligé de choisir celle qu'il attaquerait la première, il -prit le parti de se jeter à outrance sur la masse qui était formée des -armées de Silésie et du Nord, et pour les joindre, sans perdre le -moyen de revenir plus tard sur l'armée de Bohême, il imagina tout à -coup l'un des projets les plus audacieux, les plus savants, que jamais -capitaine eût conçus, et qui recevait de la proportion des forces avec -lesquelles il allait être tenté une grandeur inouïe[24]. Napoléon -résolut de poursuivre sans relâche les armées de Silésie et du Nord, -de passer à leur suite la Mulde et l'Elbe, d'en détruire tous les -ponts, excepté ceux qui nous appartenaient, de s'efforcer ainsi de -mettre en complète déroute ces deux armées, puis, comme dans cet -intervalle de temps le prince de Schwarzenberg continuant à descendre -la Mulde aurait vivement poussé Murat sur Leipzig, et peut-être plus -bas, de remonter lui-même l'Elbe, sans quitter la rive droite, de le -remonter jusqu'à Torgau ou à Dresde, de repasser ce fleuve à l'un de -ces points, et de fondre sur cette armée de Bohême, séparée des -montagnes, et prise ainsi dans un vrai cul-de-sac, entre la Mulde et -l'Elbe dont les ponts seraient à nous. Il fallait sans doute bien du -bonheur, bien de la précision de mouvement, et de bien bons -instruments pour que cette combinaison réussît, car elle était aussi -vaste que compliquée; mais il se pouvait qu'après avoir fourni à -Napoléon le moyen de battre les armées du Nord et de Silésie, elle lui -ménageât encore le moyen de prendre dans un coupe-gorge et de détruire -complétement l'armée de Bohême. C'étaient de prodigieux résultats, -certains avec les soldats et les généraux de Friedland et -d'Austerlitz, douteux aujourd'hui, mais possibles encore, même avec -des soldats jeunes et des généraux déconcertés. - - [Note 24: On a beaucoup parlé de ce projet sans le - connaître, et on l'a rendu presque ridicule par toutes les - suppositions très-hasardées qu'on a faites, faute de savoir - la vraie pensée de Napoléon. Nous pouvons, grâce à sa - correspondance, mise en rapport avec la correspondance des - généraux sous ses ordres, rétablir sa pensée véritable, jour - par jour, heure par heure, et on verra qu'à la veille du - plus grand des malheurs, nous ajouterons du plus motivé par - ses fautes politiques, son génie militaire se déploya avec - autant de force et de grandeur que jamais.] - -[En marge: Ordres donnés pour l'exécution du nouveau plan.] - -[En marge: Secret fortement recommandé.] - -[En marge: Instructions à Murat pour qu'il se replie lentement sur -Leipzig, afin de donner à Napoléon le temps de revenir par la rive -droite de l'Elbe.] - -Sur-le-champ Napoléon donna ses ordres en conséquence, et les donna en -chiffres, recommandant à tous ceux qui allaient être dépositaires de -son secret, de le bien garder, car, disait-il, ce serait pendant trois -jours le _secret de l'armée et le salut de l'Empire_. Il prescrivit à -Murat de se conduire avec une extrême prudence, de contenir l'ennemi -et de l'attirer tout à la fois, de se replier sur Leipzig où il -rencontrerait le duc de Padoue et vraisemblablement Augereau, de s'y -maintenir autant que possible, car il y avait un intérêt à la fois -politique, moral et militaire à conserver cette ville, mais plutôt que -de s'exposer à une lutte inégale, de rétrograder sur Torgau ou -Wittenberg, où il trouverait asile derrière l'Elbe, en attendant que -Napoléon repassant ce fleuve par Torgau ou Dresde, vînt comme la -foudre retomber sur l'armée de Bohême, condamnée à périr dans le piége -où elle se serait laissé entraîner. Napoléon ordonna au duc de Padoue -de réunir tout ce qu'il y avait à Leipzig de vivres, de munitions, -d'habillements, de souliers, de matériel précieux enfin, d'en composer -un vaste convoi et de l'acheminer sur la route de Torgau, où le -général Lefebvre-Desnoëttes viendrait le recueillir par un mouvement -rétrograde, pour l'escorter jusqu'à Torgau même. De la sorte si on -était obligé d'évacuer Leipzig on n'y perdrait rien. Napoléon -prescrivit encore au duc de Padoue d'écrire à Erfurt, à Mayence, qu'on -était en pleine manoeuvre, que les mouvements allaient être -très-compliqués, qu'il ne fallait donc pas prendre l'alarme si on -apprenait que Leipzig fut occupé par l'ennemi, qu'un pareil événement -pouvait bien avoir lieu, mais par le résultat de combinaisons qui se -termineraient vraisemblablement _par un coup de foudre_. - -Napoléon avait le projet, arrivé jusqu'à Dessau à la poursuite de -Blucher et de Bernadotte, de ne pas lâcher prise avant d'avoir pu les -joindre; cependant, si après les avoir bien battus il fallait pour les -suivre encore perdre la chance d'atteindre l'armée de Bohême, il -était résolu de les laisser traîner leurs débris jusqu'à Berlin, et -quant à lui de remonter la rive droite de l'Elbe pour l'exécution de -sa grande pensée, dont le succès serait ainsi devenu très-probable, -car le fleuve qu'il aurait mis entre lui et l'armée de Bohême -couvrirait son mouvement, maintiendrait cette armée dans l'ignorance -de ce qu'on lui préparait, et ne lui permettrait de l'apprendre que -lorsqu'il ne serait plus temps pour elle de rebrousser chemin vers la -Bohême. - -[En marge: L'inconvénient inévitable de la nouvelle combinaison -imaginée par Napoléon, c'est d'empêcher l'évacuation de Dresde.] - -[En marge: Ordre au maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde.] - -Toutefois cette profonde combinaison avait un inconvénient, un seul, -mais grave, c'était de résoudre définitivement la question de -l'évacuation ou de la conservation de Dresde. Conserver cette ville -devenait en effet nécessaire, puisque après avoir passé l'Elbe à la -suite de Blucher et de Bernadotte, il fallait le repasser afin de -surprendre l'armée de Bohême, et il était possible que pour y réussir -il fallût le remonter non-seulement jusqu'à Torgau, mais jusqu'à -Dresde. Par ce motif Napoléon enjoignit au maréchal Saint-Cyr, -contrairement à ce qu'il lui avait d'abord annoncé, de rester -définitivement à Dresde, de s'y bien établir, et de l'y attendre avec -confiance, car bientôt probablement il le verrait reparaître sous les -murs de cette ville, non par la rive gauche, mais par la rive droite, -après de grands desseins accomplis, et à la poursuite de desseins plus -grands encore. Malheureusement si ces desseins ne se réalisaient pas, -et si on était amené à combattre où l'on se trouvait, c'est-à-dire -entre Düben et Leipzig, c'étaient 30 mille hommes capables de décider -la victoire qui manqueraient à l'effectif de nos forces, et s'il -fallait après une bataille ou indécise ou perdue repasser la Saale, -c'étaient encore 30 mille hommes ajoutés à tous ceux qui renfermés -dans les places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ne pourraient pas -rentrer en France, et seraient réduits à capituler. - -[En marge: Napoléon s'arrête un jour à Düben pour bien s'assurer des -vrais mouvements de l'ennemi.] - -[En marge: Entretien pendant toute une nuit avec le maréchal Marmont.] - -Après avoir enfanté ces vastes conceptions, Napoléon résolut de -s'arrêter un jour à Düben, peut-être deux, pour y recueillir des -nouvelles soit de Murat, soit des différents corps envoyés à la -poursuite de Blucher et de Bernadotte, car il s'agissait de savoir -s'il devait chercher les armées de Silésie et du Nord derrière la -Mulde, en passant cette rivière entre Düben et Dessau, ou les chercher -au delà de l'Elbe, en passant ce fleuve à Wittenberg. Il faisait un -temps horrible, on marchait dans une fange épaisse, délayée par des -pluies continuelles, ce qui augmentait beaucoup les peines du soldat, -et Napoléon était contraint d'attendre le résultat des reconnaissances -dans un petit château entouré d'eau, au milieu de bois déjà ravagés -par l'automne et la mauvaise saison. Cette inaction forcée coûtait à -son impatience, et quoique très-confiant encore, il ne laissait pas -d'avoir de vagues pressentiments qui le jetaient parfois dans une -sorte de tristesse. Il n'avait d'autre ressource que de s'entretenir -avec le maréchal Marmont, dont l'esprit facile, ouvert, cultivé, lui -plaisait, et avec lequel il avait eu jadis les rapports familiers d'un -général avec son aide de camp. Il passa la nuit entière du 10 au 11 à -discourir sur la situation si extraordinairement compliquée des armées -belligérantes entre l'Elbe, la Mulde et les montagnes de Bohême; et -bien qu'il eût été amené à cette situation non par la confusion de -son esprit qui était le plus net du monde, mais par celle des choses, -et qu'il sût parfaitement s'y reconnaître, il n'était pas exempt de -toute inquiétude en se voyant engagé dans un pareil labyrinthe, et à -plusieurs reprises il s'écria: Quel fil embrouillé que tout ceci! Moi -seul je puis le débrouiller, et encore aurai-je bien de la -peine!--C'est ainsi qu'il passa cette nuit, parlant de toutes choses, -même de littérature et de sciences, laissant le maréchal Marmont -épuisé de fatigue, et ne paraissant en éprouver aucune. - -[En marge: Mouvement de Bertrand, Reynier, Macdonald et Ney pendant la -journée du 11.] - -[En marge: L'ennemi rencontré partout sans qu'on puisse deviner sa -véritable direction.] - -[En marge: Incertitude de Napoléon.] - -[En marge: Danger de voir Blucher et Bernadotte, au lieu de repasser -l'Elbe pour s'enfuir vers Berlin, remonter la Mulde pour joindre le -prince de Schwarzenberg à Leipzig.] - -[En marge: Précautions de Napoléon contre ce danger.] - -[En marge: Il envoie Marmont au delà de la Mulde, à Dölitzsch, pour -rester toujours interposé entre les deux masses ennemies, celle du bas -Elbe et celle de Bohême.] - -[En marge: Ordre réitéré à Bertrand, Reynier, Ney, de détruire tous -les ponts qui ne sont pas à nous.] - -Le 11 les rapports des lieutenants annoncèrent les résultats qui -suivent. Le général Bertrand avec le 4e corps s'était porté sur -Wartenbourg, où il avait trouvé la grande tête de pont commencée par -Blucher, et avait entrepris de la détruire, car il était convenu qu'on -ne souffrirait aucun moyen de passage hors des places de Wittenberg ou -de Torgau qui nous appartenaient. Les généraux Dombrowski et Reynier -avaient chassé des environs de Wittenberg les troupes qui bloquaient -cette place, s'y étaient introduits, et, débouchant sur la rive droite -de l'Elbe, avaient couru sur les détachements prussiens. Le maréchal -Macdonald était venu se placer à Kemberg, derrière Wittenberg, pour -appuyer Dombrowski et Reynier. Enfin à gauche Ney s'était approché de -Dessau, et avait refoulé tous les détachements ennemis sur la droite -de la Mulde. Les prisonniers faits, les mouvements aperçus, étaient de -nature à jeter Napoléon dans la plus grande incertitude. En effet, à -Wartenbourg sur notre droite, à Wittenberg sur notre front, à Dessau -sur notre gauche, on avait vu non-seulement des détachements, mais -des corps entiers et d'immenses convois, de manière qu'il était -impossible de dire si l'ennemi repassait sur la rive droite de l'Elbe -à notre approche, ou s'il s'arrêtait derrière la Mulde, attendant pour -livrer bataille que nous osassions franchir cette rivière devant lui. -Il se pouvait aussi que les deux armées du Nord et de Silésie réunies -derrière la Mulde, remontassent cette rivière pour opérer leur -jonction avec l'armée de Bohême aux environs de Leipzig. Ce dernier -mouvement de leur part nous exposait au péril très-grave d'avoir toute -la coalition à la fois sur les bras. Il fallait donc en tâchant -d'accabler Bernadotte et Blucher d'abord, manoeuvrer de façon à -demeurer toujours interposés entre eux et le prince de Schwarzenberg, -c'est-à-dire entre la masse qui remontait du bas Elbe et celle qui -descendait de Bohême. Dans cette vue, Napoléon fit passer le pont de -Düben au maréchal Marmont, et lui donnant une forte division de -cavalerie, le porta sur la gauche de la Mulde vers Dölitzsch. Marmont -allait être derrière un bras détaché de la Mulde qui coule de Leipzig -à Jesnitz, tantôt formant des flaques d'eau, tantôt s'échappant en un -maigre filet pour rejoindre le bras principal à Bitterfeld. Dans cette -position Marmont était suffisamment couvert; il pouvait par sa -cavalerie légère lancée au loin, éclairer les mouvements de l'ennemi, -et s'il apprenait que l'armée de Silésie ou celle du Nord remontant -derrière la Mulde, se dirigeassent sur Leipzig, il lui était facile -d'y marcher en quelques heures, et d'y être avant elles. Joignant -Murat avec 25 mille hommes, il le portait à près de 90 mille, et -c'était assez pour ménager à Napoléon le temps de revenir, et de se -tenir toujours entre les deux masses qui voulaient se réunir pour -l'accabler. Cette sage et utile précaution prise, Napoléon fit ce qui -était nécessaire pour que son grand dessein n'en souffrît pas, si, -comme il l'espérait, la crainte d'un mouvement de Blucher et de -Bernadotte sur Leipzig n'était qu'une chimère. Il prescrivit à -Dombrowski et à Reynier de déboucher de Wittenberg pour courir sur -tous les corps ennemis qu'ils rencontreraient au delà de l'Elbe, de -descendre même le long de la rive droite pour y détruire les ponts de -Bernadotte de Roslau à Barby, ce qui dans tous les cas était pour les -coalisés un grave dommage, car s'ils avaient repassé sur la rive -droite de l'Elbe pour se réfugier vers Berlin, on leur ôtait tout -moyen de revenir au secours de l'armée de Bohême, et s'ils étaient -restés sur la rive gauche, on les enfermait dans un cul-de-sac où -Napoléon allait les prendre et les écraser. Il enjoignit à Ney de se -jeter sur les ponts de la Mulde à Dessau et de les enlever. Il laissa -Macdonald à Kemberg pour soutenir Reynier et Dombrowski au besoin, -Bertrand à Wartenbourg pour y achever la destruction de la tête de -pont de Blucher; enfin il concentra Latour-Maubourg et la garde autour -de Düben, prêt à suivre Ney à Dessau pour fondre au delà de la Mulde -sur les armées du Nord et de Silésie, ou à remonter en arrière vers -Marmont, s'il fallait rebrousser chemin du côté de Leipzig. Voilà dans -quelles perplexités, dans quels calculs profonds et continuels il -passa la journée du 11, que beaucoup de critiques, ignorant le secret -de ses pensées, lui ont reprochée comme une journée perdue. - -[En marge: Indices recueillis dans la journée du 12.] - -[En marge: L'armée du Nord semble repasser sur la rive droite de -l'Elbe, et celle de Silésie se tenir derrière la Mulde, avec tendance -à remonter vers Leipzig.] - -[En marge: Heureux combat de Murat contre l'armée de Bohême.] - -Le 12, levé selon sa coutume entre minuit et une heure du matin, il se -pressa de recueillir ce qui lui arrivait de toutes les directions. -Deux indications, déjà très-prononcées la veille, paraissaient se -prononcer davantage. Il semblait que l'une des deux armées du bas -Elbe, celle de Bernadotte, avait repassé sur la rive droite de l'Elbe, -et que l'autre au contraire, celle de Blucher, était restée sur la -rive gauche, avec tendance à remonter vers Leipzig par derrière la -Mulde. Les mouvements ordonnés la veille, particulièrement celui de -Marmont, répondaient parfaitement à cette indication. Enfin une -nouvelle importante, celle d'un combat heureux livré le 10 par Murat à -Wittgenstein, était de nature à confirmer Napoléon dans sa disposition -à se jeter tout de suite sur les armées du Nord et de Silésie. Voici -ce qui s'était passé du côté de Murat. S'étant porté avec Poniatowski, -Lauriston, Victor et les 4e et 5e de cavalerie sur Frohbourg, il avait -réussi à intercepter la route qui conduit par Commotau et Chemnitz à -Leipzig, mais il n'avait pas eu le temps d'intercepter celle qui -conduite cette ville par Carlsbad et Zwickau. Profitant de la voie -restée ouverte, Wittgenstein avait pu occuper Borna, et Murat s'était -trouvé dans la journée du 10, avec les Autrichiens sur sa gauche à -Penig, et les Russes sur sa droite à Borna. Ne voulant pas demeurer -dans cette position, et surtout ne voulant pas permettre que la tête -de l'une des deux colonnes ennemies le devançât sur Leipzig, il -s'était résolûment rabattu sur sa droite, et avait attaqué Borna avec -la dernière vigueur. Les Russes s'étaient vaillamment défendus, mais -Poniatowski, Lauriston, les avaient assaillis plus vaillamment encore, -et avaient repris Borna à la baïonnette. Ce combat, qui avait coûté 3 -à 4 mille hommes à Wittgenstein, nous avait rendus maîtres de la route -de Leipzig, et avait replacé Murat dans sa situation naturelle, celle -de couvrir Leipzig contre les deux colonnes de Schwarzenberg -débouchant de la Bohême. À en juger d'après les premières apparences, -Wittgenstein repoussé de Borna paraissait en retraite, et notre -cavalerie disait l'avoir vu s'en retournant vers la Bohême. Murat en -écrivant à Napoléon lui mandait donc qu'il croyait l'armée de Bohême -en retraite, et l'engageait à ne rien négliger pour venir à bout des -armées de Silésie et du Nord. Ces nouvelles étaient datées du 11 à -onze heures et demie du matin. - -[En marge: À dix heures du matin, le 12, les deux armées ennemies de -Blucher et de Bernadotte semblent plutôt disposées à se dérober qu'à -tenter une grande opération.] - -Napoléon en recevant ces détails dans la matinée du 12, en revint à -penser que l'armée de Bohême n'était pas très-pressée de s'engager, -que les coalisés avaient toujours le même penchant à l'éviter, qu'il -fallait donc commencer par se jeter sur les armées de Silésie et du -Nord, les poursuivre au delà de l'Elbe, remonter ensuite ce fleuve par -la rive droite, et surprendre l'armée de Bohême en repassant à -l'improviste sur la rive gauche. Napoléon jusqu'à dix heures du matin -confirma ses premiers ordres, et fit ses préparatifs pour passer la -Mulde, afin de se ruer d'abord sur Blucher qui se montrait à notre -gauche, et puis sur Bernadotte qui semblait se tenir à notre droite, à -cheval sur l'Elbe. Il rapprocha même la garde impériale de Düben, pour -pouvoir se joindre à Marmont et marcher droit à Blucher au delà de la -Mulde. - -[En marge: Tout à coup la face des choses change, l'armée de Bohême -paraît descendre vers Leipzig, et l'armée de Silésie y remonter, pour -préparer une jonction générale.] - -Mais à dix heures du matin, la face des choses changea subitement. Une -seconde lettre de Murat écrite de la veille encore, c'est-à-dire du -11, mais à trois heures de l'après-midi, donnait des nouvelles toutes -différentes. Au lieu de trouver l'ennemi en retraite, on l'avait -trouvé en pleine marche sur Leipzig. La colonne autrichienne -poursuivant son mouvement par la route de Chemnitz, continuait de -s'avancer sur Frohbourg et Borna, et la colonne de Wittgenstein après -s'être repliée un moment sur la route de Zwickau jusqu'à Altenbourg, -avait ensuite repris hardiment sa marche sur Leipzig. Murat annonçait -qu'il rétrogradait sur Leipzig, d'abord pour ne pas livrer bataille -avec des forces disproportionnées, secondement pour couvrir toujours -cette ville. Il allait s'établir à quelques lieues de Leipzig, dans -une bonne position, espérait s'y maintenir, renforcé qu'il serait par -les troupes qui l'y attendaient, engageait Napoléon à ne pas lâcher -prise s'il était assuré d'atteindre les armées de Silésie et du Nord, -promettant quant à lui de se dévouer en attendant à la tâche la plus -ingrate, la plus périlleuse, celle de lutter contre un ennemi trois ou -quatre fois supérieur. Au même instant les reconnaissances de Marmont -avaient aperçu l'armée de Blucher quittant les bords de la Mulde pour -ceux de la Saale qui coule parallèlement à la Mulde mais plus loin, et -la remontant vers Halle, avec une tendance évidente vers Leipzig. - -[En marge: Napoléon change soudainement ses déterminations, et -renonçant à son premier plan, malgré les avantages qu'il s'en -promettait, reporte toutes ses forces sur Leipzig pour empêcher la -jonction des armées coalisées.] - -À ces nouvelles, Napoléon, avec la promptitude de l'homme de guerre -supérieur, n'hésita plus, et changea tous ses plans. Il abandonna sa -grande combinaison consistant à courir d'abord sur Blucher et -Bernadotte pour revenir ensuite sur l'armée de Schwarzenberg par la -rive droite de l'Elbe, et il résolut de se porter immédiatement par la -voie la plus courte sur Leipzig. Tant qu'il avait pu espérer de se -tenir entre les deux masses qui venaient l'une de Bohême, l'autre de -l'Elbe inférieur, avec la faculté de se jeter à volonté sur l'une ou -sur l'autre, son projet d'occuper celle de Bohême au moyen de Murat, -tandis qu'il commencerait par assaillir celle de l'Elbe, avait été le -plus habile et le plus sage. Mais à présent que la tendance de l'une -vers l'autre était évidente, qu'il n'était pas sûr que Murat pût -contenir plusieurs jours de suite l'armée de Bohême, comme il n'était -pas sûr non plus qu'il pût lui-même joindre les armées de Silésie et -du Nord en les tenant séparées de Leipzig, la plus urgente des -manoeuvres était de s'opposer à la jonction générale des trois armées -coalisées, et pour cela de venir à Leipzig combattre le plus tôt -possible celle de Bohême. Il n'y avait que ce moyen de sortir de la -difficulté, car persister à se jeter par Dessau sur les armées de -Silésie et du Nord, lorsqu'on n'était pas certain de les trouver -réunies, puisque l'une semblait remonter vers Leipzig et l'autre -repasser l'Elbe, s'exposer ainsi à n'atteindre que l'une des deux, -tandis que l'autre irait rejoindre l'armée de Bohême à Leipzig, et que -ces deux dernières accableraient Murat, n'était plus une conduite -admissible de la part d'un capitaine tel que Napoléon, et il faut -admirer la promptitude incroyable avec laquelle de l'un de ces -projets il passa tout de suite à l'autre. Mais de ce moment sa -situation était déjà moins bonne, car ayant naguère l'espérance fondée -de battre successivement les armées ennemies, peut-être même de leur -faire essuyer une catastrophe, il était menacé à son tour d'une -réunion de forces écrasantes, et son triomphe le plus grand allait -être, non pas d'infliger un désastre à ses ennemis, mais de l'éviter. -Il est vrai qu'il avait la chance d'accabler Schwarzenberg avant que -Blucher survînt, et peut-être aussi Blucher lui-même avant que -Bernadotte pût le rejoindre; mais il fallait pour obtenir ces deux -résultats une précision et une rapidité de mouvements bien difficiles -avec des soldats fatigués par des marches continuelles et par un temps -épouvantable. - -[En marge: Marche successive de tous les corps français sur Leipzig.] - -[En marge: Marche de Marmont, et appel d'Augereau à Leipzig.] - -[En marge: Marche de la garde et de Latour-Maubourg.] - -[En marge: Marche de Bertrand, Macdonald, Reynier et Ney.] - -[En marge: Espérance de réunir à temps 200 mille hommes à Leipzig, -dans une position centrale, contre l'ennemi qui en aurait 300 mille, -mais divisés.] - -À l'instant même, c'est-à-dire le 12 entre dix heures et midi, il fit -ses calculs et donna ses ordres en conséquence. Murat qui le 11 avait -vu recommencer le mouvement offensif de l'armée de Bohême, pouvait -bien mettre toute la journée du 12 à se replier sur Leipzig, et s'y -défendre le 13, le 14, même le 15, avec les secours qui allaient -successivement lui parvenir. En effet Marmont déjà porté à Dölitzsch -n'était séparé de Leipzig que par une marche, et en lui expédiant -immédiatement l'ordre de s'y rendre, devait y être le 12 au soir, ou -le 13 au matin au plus tard. Ce renfort de près de 25 mille hommes, -cavalerie comprise, joint à Augereau dont on annonçait l'arrivée, -procurerait à Murat 90 mille hommes environ pour la journée du 13. La -garde et Latour-Maubourg avaient été tenus autour de Düben, et -pouvaient s'y replier dans la journée pour franchir la Mulde et -s'acheminer sur Leipzig. S'il n'avait pas fallu passer par cet unique -pont de Düben avec d'immenses convois d'artillerie et de bagages, la -garde et Latour-Maubourg auraient pu être le soir même de l'autre côté -de la Mulde, et avoir fait une première marche sur Leipzig, ce qui -leur aurait permis d'y être le lendemain 13 au soir. En comptant la -garde à 38 mille hommes de toutes armes après les fatigues qu'on -venait d'essuyer, Latour-Maubourg à six mille cavaliers (les effectifs -sur le papier étaient bien supérieurs), c'étaient encore 44 mille -hommes qui, le 13 au soir ou le 14 au matin, allaient renforcer le -rassemblement de Murat, le porter à 134 mille hommes, et former entre -l'armée de Bohême et celle de Silésie un mur impénétrable. Restaient -Bertrand occupé près de Wartenbourg à ruiner les ouvrages de Blucher, -Macdonald envoyé dans les environs de Wittenberg pour appuyer Reynier -et Dombrowski. Macdonald et Bertrand ramenés le 13 à Düben, pouvaient -être le 14 au soir ou le 15 au plus tard à Leipzig, et porter ainsi à -160 mille hommes la grande armée qui s'y formait. Enfin Dombrowski -avec 5 mille hommes, Reynier avec 15 mille, Sébastiani avec 4 mille -chevaux, avaient été envoyés au delà de l'Elbe pour détruire tous les -ponts de ce fleuve jusqu'à Barby, et Ney avec 15 mille hommes avait -été chargé de s'emparer de ceux de la Mulde, pour éloigner -définitivement l'armée du Nord, qui semblait décidée à se tenir au -delà de l'Elbe. C'étaient encore 38 ou 39 mille hommes qui ramenés sur -Leipzig devaient porter la concentration générale de nos forces à un -total d'environ 200 mille combattants. Dans la position concentrique -où ces 200 mille combattants allaient se trouver au milieu de toutes -les armées des coalisés, on avait de quoi livrer une bataille qui -serait formidable sans doute, mais qui pourrait être heureuse, les -coalisés fussent-ils 300 mille et même davantage, ce qui n'était pas -impossible. - -Napoléon expédia ses ordres de dix heures à midi aux diverses masses -destinées à se réunir sur Leipzig, et devant partir, Marmont de -Dölitzsch, la garde et Latour-Maubourg de Düben, Bertrand et Macdonald -des environs de Wittenberg. Quant à la dernière portion de 38 mille -hommes, engagés les uns au delà de l'Elbe par Wittenberg, les autres -au delà de la Mulde par Dessau, Napoléon calcula que même en les -ramenant dès le lendemain sur Düben, ils ne pourraient pas y passer le -pont de la Mulde à cause de l'encombrement des hommes et du matériel; -il leur laissa donc terminer la tâche qu'il leur avait confiée. Ayant -des raisons de supposer que l'armée du Nord avait repassé l'Elbe, il -voulut la mettre tout à fait hors de cause, en achevant de détruire -ses moyens de passage. En conséquence il prescrivit à Reynier, -Dombrowski, Sébastiani, de terminer au plus vite l'opération dont ils -étaient chargés contre les ponts de Roslau, d'Acken, de Barby, à Ney -d'enlever ceux de Dessau, à tous enfin de ne rien négliger pour ôter à -Bernadotte, qu'on supposait au delà de l'Elbe, la faculté de le -repasser. - -Ainsi, dans ces ordres si profondément calculés, il était pourvu à -tout, autant qu'il est permis à la prévoyance humaine de le faire. Le -lendemain 13 octobre Murat allait avoir près de 90 mille hommes à -Leipzig, le 14, 134 mille, avec la personne de Napoléon, ce qui -rendait impossible toute jonction des masses ennemies. Enfin les 15 et -16, la grande armée successivement portée à 200 mille hommes, devait -être placée avec toutes ses forces entre les armées coalisées. Il ne -restait plus qu'à se battre vaillamment et heureusement; vaillamment, -Napoléon l'espérait avec raison de ses soldats, heureusement, il -l'espérait encore de son génie et de la fortune! - -[En marge: Napoléon attend de sa personne à Düben que ses corps aient -achevé leur mouvement.] - -[En marge: Opérations de Reynier et Dombrowski, chargés de détruire -les ponts de l'Elbe.] - -[En marge: Beau combat de Ney, enlevant Dessau pour en détruire les -ponts.] - -Il résolut d'attendre à Düben même l'exécution des ordres qu'il avait -donnés. Effectivement il importait peu qu'il fût à Leipzig tant que -ses troupes n'y seraient pas réunies, et à Düben au contraire, il -veillait au défilé de ses corps d'armée, et aux mesures prescrites -pour se débarrasser de Bernadotte, qui paraissait toujours revenu sur -la rive droite de l'Elbe. Pendant cette journée du 12, Dombrowski et -Reynier, précédés par la cavalerie de Sébastiani, ayant traversé -l'Elbe à Wittenberg, chassèrent devant eux les Prussiens, et -enlevèrent même quelques prisonniers à la division Thumen, laquelle -avait toujours fait partie du corps de Bernadotte. C'était une -nouvelle raison de croire au retour de l'armée du Nord sur la rive -droite de l'Elbe. Dombrowski et Reynier se rabattirent ensuite à -gauche pour détruire le pont de Roslau, et s'y heurtèrent aux troupes -du général Hirschfeld appartenant également à l'armée du Nord. Ils ne -descendirent point au delà, des forces considérables semblant y être -réunies. Dans le même temps Ney opérant sur la Mulde, emporta les -ponts de Dessau, situés tout près du confluent de la Mulde dans -l'Elbe. Un peu avant d'être à Dessau et à droite, c'est-à-dire à -Worlitz, se trouvait un détachement ennemi. Ney dirigea sur Worlitz la -cavalerie du général Fournier avec quelques troupes d'infanterie du 3e -corps, et avec le reste de ce corps se précipita sur Dessau même. -L'ennemi fut brusquement refoulé sur le pont de Dessau, où cavalerie -et infanterie se réfugièrent dans une affreuse confusion. On y ramassa -un millier de prisonniers et plusieurs pièces de canon. Sur ces -entrefaites le détachement prussien qui occupait Worlitz, abordé aussi -vivement, fut rejeté sur Dessau, où nous étions déjà, pris entre deux -feux, et enlevé ou sabré par la cavalerie du général Fournier. Ces -affaires coûtèrent à l'ennemi près de trois mille hommes et bon nombre -de bouches à feu. Les troupes qu'on avait rencontrées là étaient -celles du corps de Tauenzien, lequel, sans appartenir à Bernadotte, -avait habituellement servi avec lui. Il parut se replier sur l'Elbe. -Le maréchal Ney ne s'engagea pas davantage, ayant pour instruction de -se tenir prêt à rebrousser chemin. - -[En marge: Toutes les apparences portent à croire que l'armée du Nord -s'est séparée de celle de Silésie pour rester sur la droite de -l'Elbe.] - -Ces diverses rencontres confirmaient tout à fait la supposition que -l'armée du Nord était restée sur la droite de l'Elbe, car la division -Thumen, le corps du général Hirschfeld, celui de Tauenzien, n'avaient -cessé de marcher avec elle. Ce qui était le plus vraisemblable, c'est -qu'elle se tenait sur l'Elbe pour couvrir Berlin, tandis que l'armée -de Silésie, s'étant reportée de la Mulde à la Saale pour accomplir -son mouvement sous la protection de deux rivières, remontait vers -Halle et Leipzig afin de se joindre à l'armée de Bohême. Il y avait -certainement bien des contradictions à expliquer dans une pareille -hypothèse, car on ne comprenait pas pourquoi les armées de Silésie et -du Nord avaient, au prix des plus grands périls, opéré leur jonction -et le passage de l'Elbe pour se séparer ensuite, et pourquoi Blucher -n'était pas allé tout simplement se réunir au prince de Schwarzenberg -à travers la Bohême, au lieu de parcourir l'immense circuit de Bautzen -à Dessau, de Dessau à Leipzig. Mais ce n'était pas la première fois -qu'on avait vu les généraux coalisés exécuter des manoeuvres étranges, -et toutes les reconnaissances constatant la séparation des deux armées -du Nord et de Silésie, il fallait bien se rendre devant des -témoignages unanimes. Il parut donc établi qu'on aurait affaire à -Schwarzenberg renforcé de Blucher seul, si toutefois ce dernier -parvenait à rejoindre le généralissime à travers les masses de l'armée -française. - -[En marge: Confirmation réitérée de ces apparences.] - -[En marge: Arrivée de Marmont le 13 au soir à Leipzig.] - -[En marge: Arrivée d'Augereau dans cette ville, après un brillant -combat contre les coureurs de Thielmann et de Platow.] - -Le 13 ces apparences furent de nouveau confirmées par les -reconnaissances opérées dans toutes les directions, et en conséquence -Napoléon persista dans l'opinion qu'il s'était faite, et qui du reste -n'importait pas relativement aux mesures à prendre, car dans tous les -cas il fallait se concentrer le plus tôt et le plus complétement -possible autour de Leipzig. Marmont avec la cavalerie du général -Deforge ayant remonté la Mulde, entre le bras principal et le petit -bras qui passe à Dölitzsch, côtoya sans cesse les troupes de Blucher -qui effectuaient le même mouvement le long de la Saale, et se -dirigeaient sur Halle comme nous sur Leipzig. Le 13 au soir le -maréchal Marmont vint s'établir en arrière de Leipzig, dans la -position de Breitenfeld, laquelle fait face à la route de Halle. Il -était ainsi en mesure d'empêcher Blucher d'entrer à Leipzig. Le même -jour Murat se repliait en ordre sur le côté opposé de Leipzig, et y -contenait la grande armée du prince de Schwarzenberg. Augereau après -avoir rencontré au delà de Weissenfels, non loin des plaines de -Lutzen, les troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, leur -avait passé sur le corps, et leur avait enlevé 2 mille hommes. Les -dragons d'Espagne, habitués à manier le sabre droit, avaient fait un -grand carnage de la cavalerie ennemie. Augereau était à l'entrée même -de Leipzig vers Lindenau, ce qui apportait un nouvel obstacle à la -jonction de Blucher avec Schwarzenberg. Ainsi le 13 au soir 90 mille -hommes étaient déjà réunis à Leipzig, de manière à s'interposer entre -les masses ennemies. - -[En marge: La garde, Latour-Maubourg, Bertrand, Macdonald, Reynier et -Ney reployés sur Düben et Leipzig.] - -Sur la route de Düben le mouvement de concentration fut le même -pendant cette journée du 13. La garde et Latour-Maubourg ayant franchi -la veille le pont de la Mulde, malgré un fâcheux encombrement, -suivirent les traces du maréchal Marmont, et marchèrent dans le même -ordre, ayant soin de se garder avec leur cavalerie légère du côté du -général Blucher. Bertrand et Macdonald se rapprochèrent de Düben pour -y traverser la Mulde le soir ou le lendemain. Ney rebroussa chemin de -Dessau sur Düben pour passer après eux. Reynier, Dombrowski, -Sébastiani revinrent sur Wittenberg. La pluie ne cessant pas, les -chemins étaient dans l'état le plus affreux, et malheureusement -beaucoup de soldats, trop jeunes pour de telles fatigues, restaient en -arrière et encombraient les routes. Le grand quartier général, composé -de la cour de Saxe, des parcs du génie et de l'artillerie, et des -équipages de pont, ce qui comprenait au moins deux mille voitures, -avait suivi Napoléon jusqu'à Eilenbourg sur la Mulde. Ce quartier -général était gardé par quatre mille hommes, et formait un immense -convoi. Il était à mi-chemin, sur la route de Leipzig à Torgau. -Napoléon avait ordonné que tout ce qui appartenait à l'artillerie fût -dirigé sur Leipzig, et que tout le reste fût renfermé dans Torgau. La -cour de Saxe avait été laissée libre de choisir entre Torgau ou -Leipzig. À Torgau elle avait un siége et d'affreuses maladies à -craindre, à Leipzig une bataille. Mais guidée par une confiance -instinctive en Napoléon, elle avait pensé qu'il y avait plus de sûreté -auprès de lui, et elle avait opté pour Leipzig, au risque d'assister -au plus horrible conflit qui se fût jamais vu entre les nations -civilisées. C'était donc un nouvel embarras ajouté à tous les autres, -sur ces routes encombrées et défoncées. Au pont d'Eilenbourg les -soldats du parc d'artillerie et ceux de l'équipage de pont faillirent -en venir aux mains. - -[En marge: Départ de Napoléon pour Leipzig le 14 au matin.] - -[En marge: Les apparences changées à l'égard de l'armée du Nord, qui -semble se porter aussi sur Leipzig.] - -[En marge: Arrivée de Napoléon à Leipzig le 14 au soir.] - -Le 14 au matin, après avoir veillé toute la nuit à l'exécution de ses -ordres, Napoléon se prépara lui-même à partir pour Leipzig. Au moment -de son départ un rapport du maréchal Ney, recueilli très-près de -l'ennemi, le mit en doute relativement à la position prise par -l'armée du Nord. Elle ne paraissait plus sur la droite de l'Elbe, mais -sur la gauche et derrière la basse Saale, toujours extrêmement -soigneuse d'éviter une rencontre avec nous. Elle était ainsi fort -au-dessous de Blucher sur la Saale, et beaucoup plus loin que lui de -Leipzig; mais tandis qu'il remonterait vers Halle, c'est-à-dire vers -Leipzig, elle pouvait suivre son mouvement, ne fût-ce que de loin, et -dans ce cas il était possible que nous l'eussions elle aussi sur les -bras, ce qui ferait trois armées à combattre au lieu de deux. Il est -vrai que Leipzig occupé par nous, restait toujours entre elles un -obstacle fort difficile à surmonter. En recevant ce dernier -renseignement Napoléon expédia de nouveaux ordres à Ney, Reynier, -Dombrowski, Sébastiani, qui avaient le plus de chemin à faire, et leur -recommanda de se hâter, car plus on prévoyait d'ennemis sur son -chemin, plus il fallait être concentrés pour leur tenir tête. Il -partit ensuite de Düben, afin d'être le soir même du 14 à Leipzig. En -route il rencontra le roi de Saxe, déjà très-ému de tout ce qu'il -voyait, le rassura et le charma comme il faisait toujours par son -énergie et sa bonne grâce, et alla descendre dans le faubourg de -Reudnitz, à une demi-lieue en dehors de Leipzig du côté de Murat. Il -prit gîte dans une habitation particulière qu'on avait préparée pour -lui. - -[En marge: Par suite des dernières marches, Napoléon ne pourra pas -avoir plus de 190 mille hommes, contre l'ennemi qui peut en avoir de -320 à 350 mille.] - -[En marge: Gravité de la situation.] - -Il s'y trouvait avec Berthier, Murat, Marmont et divers officiers de -sa maison, et leur montra une extrême confiance à tous. Pourtant la -situation n'était pas rassurante. C'est tout au plus si, en comptant -bien, il pouvait réunir 190 mille soldats autour de Leipzig, tandis -que huit jours auparavant il en avait environ 210 mille, et 360 mille -deux mois auparavant. Les marches et diverses rencontres lui avaient -déjà fait perdre 20 mille hommes en huit jours, et 30 mille étaient -paralysés à Dresde. Il pouvait avoir, si Bernadotte se joignait à -Blucher, de 320 à 350 mille hommes à combattre, et c'était une -terrible lutte à soutenir contre des ennemis remplis d'exaltation. Il -allait se voir entouré, cerné en quelque sorte au sud et à l'est de -Leipzig par l'armée du prince de Schwarzenberg, au nord par les armées -de Blucher et de Bernadotte, peut-être même enveloppé à l'ouest et -coupé de Mayence, si Blucher au moyen des troupes légères de -Thielmann, réussissait à donner la main à Schwarzenberg à travers la -plaine de Lutzen. (Voir les cartes n{os} 58 et 60.) Cette situation -était donc infiniment grave, bien qu'il eût de grandes ressources dans -l'indomptable bravoure de ses soldats, dans son génie, et dans la -position concentrique qui lui permettrait de contenir les uns pendant -qu'il combattrait les autres, et de les vaincre ainsi successivement. -Du reste il n'avait pas cessé de l'espérer. - -[En marge: Concours de nouvelles politiques fâcheuses.] - -[En marge: Chute du trône de Westphalie.] - -Les événements politiques qu'il apprenait étaient assez tristes, et de -nature à mettre son caractère à une nouvelle épreuve. Le royaume de -Westphalie venait de s'écrouler soudainement, à la seule apparition -d'une troupe de Cosaques. C'était facile à prévoir, mais le coup n'en -était pas moins sensible, et d'un sinistre augure. En effet après la -bataille de Gross-Beeren et de Dennewitz, Bernadotte, parvenu jusqu'à -l'Elbe, dont il avait occupé plusieurs points entre Wittenberg et -Magdebourg, se chargeant toujours volontiers des oeuvres les plus -cruelles pour Napoléon, les moins honorables pour lui, avait pris -plaisir à lancer sur la Hesse Czernicheff avec quelque infanterie -légère et beaucoup de Cosaques, dans l'intention de renverser le trône -de Jérôme. Ces coureurs, tandis que Thielmann et Lichtenstein -envahissaient la Saxe et la Thuringe, s'étaient hâtés d'envahir la -Hesse, et de se porter sur Cassel, où le renversement de l'une des -royautés fondées par Napoléon ne pouvait manquer de produire une -grande sensation. Partout favorisés par la population, bien -accueillis, bien informés, bien nourris, ils étaient parvenus sans -difficulté jusqu'aux portes de Cassel. Le roi Jérôme n'avait pour se -défendre qu'un bataillon de grenadiers et deux régiments de -cuirassiers westphaliens, plus quelques hussards français. Ces -derniers avaient été récemment formés pour lui procurer une garde -sûre, et devaient être portés à douze cents hommes. Mais ils étaient à -peine sept à huit cents, arrivaient depuis quelques jours de France, -et beaucoup d'entre eux étaient encore incapables de se tenir à -cheval. À l'approche des partisans de Czernicheff tous les esprits -avaient été vivement émus, et l'espérance de se débarrasser d'une -royauté étrangère les avait presque soulevés. Les troupes peu -nombreuses et la plupart westphaliennes, contenues par la discipline -militaire, s'étaient abstenues de manifester leurs sentiments, mais en -les laissant facilement deviner. Jérôme s'était donc trouvé dans une -affreuse position; néanmoins il avait bravé l'orage, s'était adressé -au duc de Valmy à Mayence pour obtenir le secours de trois à quatre -mille Français, et en attendant avait essayé de faire une sortie à la -tête de son bataillon de grenadiers, et de quatre cents hussards -français pris parmi ceux qui savaient monter à cheval. Cette sortie -avait été d'abord heureuse, et les hussards français avaient bravement -chargé l'ennemi, qui s'était un moment replié. Mais bientôt -l'agitation des esprits croissant à Cassel, la plupart des troupes -westphaliennes désertant, et le duc de Valmy ne pouvant dans la grave -situation des choses déplacer trois à quatre mille Français sans un -ordre formel de Napoléon, Jérôme avait été obligé d'évacuer sa -capitale, et de se retirer sur Coblentz. Le 30 septembre Czernicheff -était entré dans Cassel, et le royaume de Westphalie avait été aboli. - -[En marge: Adhésion de la Bavière à la coalition.] - -Ces nouvelles étaient suivies d'une autre non moins fâcheuse. La -Bavière était sur le point de nous abandonner, et on allait jusqu'à -répandre le bruit qu'elle avait déjà signé un traité d'adhésion à la -coalition européenne. Elle nous avait du reste préparés à cet -événement. Le roi ne cessant de se plaindre à nous d'être livré à ses -propres forces, avait dit et répété que son armée placée au bord de -l'Inn sous le général de Wrède, ne pourrait résister à l'armée -autrichienne; que si on ne lui envoyait immédiatement un corps de 30 -mille hommes, il serait obligé de céder aux injonctions des puissances -coalisées, au mauvais esprit de ses troupes, et à l'opinion unanime de -son peuple. Notre ministre, M. Mercy d'Argenteau, qui se conduisait à -Munich avec beaucoup de zèle et de prudence, n'avait pu répondre à ces -plaintes que par des promesses toujours démenties par les faits, et -avait plusieurs fois averti M. de Bassano du péril qui nous menaçait -de ce côté. Le départ du maréchal Augereau pour Leipzig avait été le -signal de la défection, et la Bavière avait cédé, en signant un traité -d'alliance avec nos ennemis. Nous devions en conséquence nous -attendre, si nous étions forcés de nous retirer, à trouver sur nos -derrières une armée de 30 mille Autrichiens et de 30 mille Bavarois -prêts à nous fermer la retraite. Il fallait donc à tout prix être -victorieux à Leipzig, sous peine d'un désastre non pas plus tragique, -mais plus irrémédiable que celui de Moscou[25]. - - [Note 25: Les tristes flatteurs qui pendant son règne ont - contribué à perdre Napoléon, et qui depuis sa chute ont plus - d'une fois compromis sa mémoire, ont attribué à la défection - de la Bavière tous les désastres qui ont signalé la fin de - la campagne de 1813. C'est parce que Napoléon est revenu sur - Leipzig, disent-ils, au lieu de descendre sur Magdebourg et - Hambourg, pour prendre position sur le bas Elbe, qu'il a - succombé. Ils prouvent en disant cela qu'ils n'ont ni connu - la partie la plus importante des documents de cette époque, - ni même interprété selon leur vrai sens ceux de ces - documents qu'ils avaient sous les yeux. Ce n'est pas à cause - de la défection de la Bavière que Napoléon est revenu de - Düben sur Leipzig, car c'eût été un bien faible motif pour - un capitaine tel que lui. Il est revenu, comme nous l'avons - raconté, pour rester toujours interposé entre l'armée de - Bohême et les armées de Silésie et du Nord, et il ne le - pouvait qu'en se portant sur Leipzig avant que Blucher eût - le temps d'y arriver. Il y a, indépendamment de ces raisons - qui sont de simple bon sens, des raisons de fait invincibles - dans les lettres mêmes de Napoléon. C'est le 12 au matin - qu'il changea de détermination et renonça au mouvement sur - Berlin pour le mouvement sur Leipzig; or, le 13 il ne - connaissait pas encore la défection de la Bavière, car - racontant à M. de Bassano, qui était à Eilenbourg, - l'arrestation du secrétaire de M. Pozzo di Borgo, et sa - conversation avec ce secrétaire, il dit que les coalisés - comptaient beaucoup sur la Bavière, sans être certains - cependant d'avoir terminé avec elle. Le 13 Napoléon ne - savait donc pas encore ce qui en était de la Bavière, et - c'est le 12 que ses ordres de marcher sur Leipzig avaient - été donnés. Enfin il est constaté par la correspondance - diplomatique de M. Mercy d'Argenteau que ce ministre ne - connut que le 9 octobre le traité signé à Munich le 8, que - ses dépêches annonçant cette nouvelle furent interceptées et - ne parvinrent point à Napoléon. Dans l'état des - communications, ces dépêches obligées d'aller jusqu'à - Francfort ou Mayence pour prendre la route de la grande - armée, ne seraient certainement pas arrivées avant le 12 à - Düben, quand même elles n'auraient pas été interceptées. - Voilà des faits positifs et incontestables. Le 14 on n'avait - à Leipzig que des bruits vagues, venant des coalisés qui - savaient ce qui s'était passé entre eux et la Bavière, et - qui l'ébruitaient par la joie qu'ils en éprouvaient. - Napoléon n'avait donc pu se porter sur Leipzig à cause de la - défection de la Bavière, puisqu'il l'ignorait. On s'est - fondé pour répandre cette fausseté sur une assertion du - _Moniteur_ de cette époque, qui prétend que la défection de - la Bavière avait contraint Napoléon de revenir sur Leipzig. - On vient de voir par les preuves matérielles que nous avons - rapportées, que l'assertion est radicalement fausse. Mais - voici le motif de Napoléon pour dissimuler la vérité en - cette circonstance. Cherchant pour le public une explication - palpable de la manoeuvre qui l'avait ramené sur Leipzig, et - dont le résultat avait été si désastreux, il imagina cette - raison de la défection de la Bavière, qui était frappante - pour les ignorants, et qui lui servait à masquer ce qu'on - pouvait croire une faute, comme pour 1812 il avait imaginé - de dire que le froid était cause de nos malheurs, et pour - Kulm que Vandamme avait manqué à ses instructions. Mais - Napoléon, en se justifiant ainsi devant les ignorants, se - calomniait devant les gens instruits. Si en effet il eût été - certain que la route de Mayence allait se fermer par la - défection de la Bavière, c'eût été une raison de plus de - descendre sur Magdebourg et Hambourg, au lieu de remonter - sur Leipzig, puisqu'il se serait assuré ainsi la route bien - meilleure et encore libre de Wesel. Mais Napoléon - désespérant de faire comprendre à la masse du public comment - il avait été forcé à la suite des plus savantes manoeuvres - de revenir sur Leipzig, adopta une assertion spécieuse, - facile à saisir par tout le monde, et la donna dans les - nouvelles officielles, aux dépens de la vérité et de sa - propre gloire. Heureusement la vérité triomphe toujours avec - le temps, car il y a tôt ou tard des gens qui l'aiment et - savent la trouver, et tantôt elle condamne, tantôt même elle - justifie ceux qui ont eu la maladresse de la cacher. Souvent - en effet elle vaut mieux pour eux que les mensonges qu'ils - ont inventés pour se justifier.] - -[En marge: La confiance de Napoléon est loin encore d'être ébranlée.] - -[En marge: Résolution de mettre l'infanterie sur deux rangs.] - -Cette situation, qui d'heure en heure semblait présenter un aspect -plus sinistre, n'échappait pas à Napoléon, mais elle était loin de le -troubler. L'idée d'être vaincu par les généraux et les soldats de la -coalition ne pouvait entrer dans son esprit. Ses généraux avaient été -battus quatre fois dans cette campagne, et lui jamais, ni dans -celle-ci, ni dans aucune autre. Après avoir livré plus de cinquante -batailles rangées, ce qui n'était arrivé encore à aucun capitaine, ni -ancien ni moderne, il n'en avait pas perdu une seule. Il trouvait sans -doute ses soldats jeunes pour les fatigues, mais il ne les avait -jamais vus plus braves; il sentait sa prodigieuse clairvoyance qui lui -donnait tant d'avantage sur ses ennemis, comme on sent l'excellence de -sa vue en l'exerçant continuellement sur les objets; il ne doutait -donc pas de gagner une, même deux et trois batailles. Son espérance -était de vaincre d'abord Schwarzenberg le premier jour, puis Blucher -le second, et de sortir ainsi de l'espèce de réseau dans lequel on -cherchait à l'enfermer. Toutefois son infériorité numérique par -rapport à l'ennemi lui semblait bien grande, car il ne pouvait pas se -flatter de réunir 200 mille combattants, et ses adversaires devaient -en avoir plus de 300 mille s'ils parvenaient à se joindre. Prévoyant -cette difficulté, il avait prescrit une disposition à laquelle il -avait pensé bien des fois, c'était de placer l'infanterie sur deux -rangs au lieu de trois. Il prétendait que le troisième rang ne servait -ni pour les feux ni pour les charges à la baïonnette, et il ne voulait -pas s'avouer à lui-même que le troisième rang, s'il ne pouvait ni -tirer ni charger à la baïonnette, soutenait cependant les deux autres, -leur imprimait de la solidité, et les recrutait après une action -meurtrière. Mais dans la détresse où il se trouvait, la chose était -bonne à essayer si elle n'était pas bonne à professer. - -[En marge: Curieux entretien de Napoléon avec ses lieutenants pendant -une partie de la nuit du 14 au 15.] - -Enfermé pendant cette soirée dans un appartement chauffé suivant la -coutume allemande, et appuyé à un grand poêle, il eut avec Berthier, -Murat, Marmont et plusieurs de ses généraux, un entretien long, -familier et significatif. Il soutint la formation de l'infanterie sur -deux rangs, et dit que pour le lendemain au moins elle aurait un grand -effet, celui de donner à l'armée française l'apparence d'être d'un -tiers plus forte, l'ennemi ignorant la nouvelle disposition qu'il -venait de prescrire. On disserta sur ce sujet, puis on parla de la -possibilité de juger à l'oeil de la force d'une armée sur le terrain, -et Napoléon affirma qu'avec sa vieille expérience il n'était pas sûr -de ne pas se tromper d'un quart au moins. Tout à coup on annonça -Augereau, qu'il n'avait pas encore vu, car ce maréchal venait à peine -de rejoindre le quartier général.--Ah! vous voilà, s'écria-t-il, -arrivez donc, mon vieil Augereau; vous vous êtes bien fait -attendre.--Puis, sans aigreur ni blâme, même avec un ton amical mais -triste: Vous n'êtes plus, lui dit-il, l'Augereau de Castiglione!--Si, -répondit le maréchal, je serai encore l'Augereau de Castiglione quand -vous me rendrez les soldats d'Italie.--Cette repartie n'irrita pas -Napoléon, mais il insista, se plaignant d'une sorte de défaillance -générale autour de lui. Par un penchant, fort ordinaire aux hommes, de -s'en prendre de leurs malheurs plus volontiers aux autres qu'à -eux-mêmes, il accusa tout le monde, d'ailleurs très-doucement. Il -commença par ses frères, comme s'ils avaient été exclusivement -coupables de ce qui se passait dans leurs États, et qu'il n'eût été -pour rien dans leurs mésaventures. Il se plaignit de Louis qui, de la -Suisse où il s'était retiré, lui redemandait la Hollande, de Jérôme -qui venait de perdre Cassel, de Joseph qui venait de perdre l'Espagne. -Puis il ajouta que son malheur avait été de trop faire pour sa -famille, que son beau-père l'empereur François le lui avait reproché -plus d'une fois, qu'il le reconnaissait maintenant, mais trop -tard.--Vous-même, dit alors Napoléon en s'adressant à Murat avec une -franchise de langage singulière, mais que la complète absence -d'aigreur rendait supportable, vous-même n'avez-vous pas été prêt à -m'abandonner?--Murat repoussa bien loin cette imputation, en disant -qu'il avait toujours eu des ennemis cachés, appliqués à le desservir -auprès de son beau-frère.--Oui, oui, répondit Napoléon avec un ton -tellement affirmatif qu'on voyait bien qu'il avait tout su, ou tout -deviné: vous avez été prêt à faire comme l'Autriche, mais je vous -pardonne. Vous êtes bon, vous avez un fonds d'amitié pour moi, et vous -êtes un vaillant homme; seulement j'ai eu tort de vous faire roi. Si -je m'étais contenté de vous faire vice-roi comme Eugène, vous auriez -agi comme lui; mais roi, vous songez à votre couronne plus qu'à la -mienne.--Ces vérités, adoucies par le ton, émurent fort les -assistants, et formèrent le sujet de la conversation jusque bien avant -dans la nuit. Ensuite, avec une sorte de résignation supérieure, et -des témoignages affectueux, Napoléon quitta ses lieutenants, en leur -disant qu'il fallait se préparer tous à se bien battre, car on aurait -affaire à forte partie le lendemain, et la bataille prochaine -déciderait de leur sort, du sien, de celui de la France. - -Ce triste retour sur le passé fut le seul signe que Napoléon donna de -ses sombres pressentiments, car du reste il était calme, tranquille, -résolu, comme si les circonstances eussent été celles qui avaient -précédé Austerlitz ou Friedland[26]. - - [Note 26: Je n'ai pas besoin de répéter, après l'avoir dit - tant de fois, que je ne rapporte les entretiens de Napoléon - que lorsque j'ai la preuve authentique de leur parfaite - exactitude, et je ne reproduis celui-ci que parce qu'il me - semble avoir une singulière signification à la veille de la - bataille de Leipzig. Il prouve que déjà une tristesse - confuse se faisait jour dans l'âme de Napoléon. Cet - entretien eut un témoin, M. Jouanne, l'un des secrétaires de - confiance de Napoléon, homme respectable et digne de toute - créance, qui se trouvant là pour écrire divers ordres sous - la dictée de Napoléon, entendit l'entretien que nous venons - de rapporter et en consigna sur-le-champ le souvenir par - écrit. C'est sur ce document conservé par M. Jouanne que - j'ai retracé cette conversation, en résumant les choses, et - en leur donnant seulement la forme du style historique, qui - n'admet pas toutes les familiarités du langage, et qui n'a - pas besoin pour être vrai de rapporter jusqu'à des locutions - soldatesques, que les mémoires particuliers peuvent seuls se - permettre de reproduire.] - -[En marge: Le 15 au matin, Napoléon monte à cheval pour passer la -revue du champ de bataille.] - -Le lendemain matin Napoléon monta de très-bonne heure à cheval, afin -d'inspecter le champ de bataille, ne voulant pas prendre l'initiative -de l'action à cause de ses corps restés en arrière, et imaginant bien -que l'ennemi ne la prendrait pas s'il ne la prenait pas lui-même. Ce -soin était urgent, car ce champ de bataille, immortalisé par notre -bravoure et nos malheurs, avait besoin d'être étudié dans son immense -étendue, pour qu'ayant acquis une entière connaissance des lieux, -Napoléon pût commander là même où il ne serait pas de sa personne. Il -se porta d'abord au sud de Leipzig, vers le côté où Murat s'était -établi en se retirant devant l'armée de Bohême. - -[En marge: Description des environs de Leipzig.] - -La Pleisse et l'Elster, comme la Saale, comme la Mulde, descendent des -montagnes de la Bohême (voir les cartes n{os} 58 et 60), traversent -toute la Saxe en coulant à peu près dans le même sens, jusqu'à ce que -séparées ou confondues elles aillent tomber dans l'Elbe qui les -recueille en passant. Un peu au-dessus de Leipzig la Pleisse et -l'Elster, assez rapprochées l'une de l'autre, et divisées en une -multitude de bras, finissent par se réunir au-dessous de cette ville, -puis se détournent un peu à gauche, et vont se confondre dans la -Saale, avec laquelle elles coulent vers l'Elbe en suivant une -direction presque parallèle au cours de la Mulde. Voici donc quel -était le mouvement des diverses armées. Le prince de Schwarzenberg -ayant débouché des montagnes de la Bohême avec la grande armée des -trois souverains, était arrivé sur Leipzig en descendant entre la -Mulde, la Pleisse et l'Elster. Napoléon au contraire venant à sa -rencontre du bas Elbe, avait remonté ces rivières jusqu'à Leipzig -même. Le prince de Schwarzenberg avait sa gauche à la Pleisse et à -l'Elster, et sa droite dans les plaines faiblement accidentées des -environs de Leipzig. Quant à Napoléon, il avait sa gauche dans ces -mêmes plaines, et sa droite aux deux rivières. Fortement adossé à -Leipzig, et occupant bien cette ville, il avait la prétention de tenir -Blucher et même Bernadotte entièrement séparés de Schwarzenberg. En -effet Blucher ne pouvant traverser Leipzig, que nous occupions, était -forcé de se détourner ou à droite ou à gauche pour rejoindre la grande -armée de Bohême. Pour se détourner à droite (droite de Blucher) il lui -fallait franchir un obstacle de grande importance, c'étaient la -Pleisse, l'Elster, la Saale réunies, couvrant de leurs mille bras une -vallée boisée, large de plus d'une lieue, et derrière laquelle il -aurait pu trouver les Français, notamment Augereau, qui s'avançait par -la route de Lutzen après avoir battu Platow et Thielmann. Si au -contraire il eût cherché à se détourner à gauche, il aurait rencontré -à travers la vaste plaine de Leipzig l'armée française revenant de -Düben, et se serait exposé aux plus grands périls. Dès lors il avait -l'armée française comme une muraille entre lui et Schwarzenberg. Il -suffisait donc que Napoléon arrêtât Schwarzenberg au sud de Leipzig, -Blucher au nord, pour les empêcher de se réunir, et s'il parvenait à -battre l'un, puis à se reporter sur l'autre, il était possible qu'il -triomphât alternativement de tous deux, surtout Bernadotte étant fort -éloigné, et rien encore ne prouvant qu'il dût arriver. Napoléon -sachant Schwarzenberg le plus rapproché, voulait d'abord avoir affaire -à lui, réservant le combat avec Blucher pour le lendemain. - -[En marge: Description du champ de bataille au sud, entre -Liebert-Wolkwitz et Wachau.] - -Il commença donc sa revue par le sud, c'est-à-dire par le champ de -bataille où il s'attendait à rencontrer le prince de Schwarzenberg. -(Voir la carte nº 60.) La Pleisse et l'Elster, tantôt confondues, -tantôt séparées, et embrassant un large terrain, marécageux et boisé, -coulaient, avons-nous dit, de la Bohême sur Leipzig, c'est-à-dire du -sud au nord. Napoléon devait naturellement y appuyer sa droite, comme -Schwarzenberg sa gauche, et l'appui était solide, car le lit des deux -rivières n'était pas facile à traverser. D'ailleurs ce lit traversé, -il aurait fallu gravir un terrain assez élevé pour déboucher par -derrière notre droite dans la plaine de Leipzig. Sur son front -Napoléon avait pour champ de bataille un terrain peu accidenté, et -dont quelques villages formaient à peine les moyens de défense. En -partant de Mark-Kleeberg sur la Pleisse, en passant par Wachau et -allant finir à Liebert-Wolkwitz, une légère dépression de terrain -servant d'écoulement aux eaux vers la Pleisse, séparait notre ligne de -celle de l'ennemi. Tel quel, ce vallon, si on peut l'appeler ainsi, -était l'obstacle de terrain que nous allions nous disputer avec -acharnement. À sa gauche enfin, Napoléon avait la vaste plaine de -Leipzig, semée de gros villages, et à peine sillonnée par une -très-petite rivière, la Partha, qui, naissant à quelque distance de -Liebert-Wolkwitz, allait après de nombreux circuits tomber derrière -nous dans la Pleisse, à travers un faubourg de Leipzig. Napoléon de ce -côté était presque sans appui, mais la présence de ses colonnes -arrivant de Düben devait contenir l'ennemi, et l'empêcher de s'y -risquer. Murat ayant pris position au sud, avait établi à -Mark-Kleeberg sur la Pleisse Poniatowski, à Wachau Victor, à -Liebert-Wolkwitz Lauriston, et dans les intervalles le 4e de cavalerie -(cavalerie polonaise), et le 5e sous Pajol, dans lequel on avait fondu -les dragons d'Espagne. - -De l'autre côté de cette espèce de vallon, on apercevait en face de -nous Kleist et Wittgenstein, entre Gross-Pössnau, Gülden-Gossa, -Cröbern, avec les gardes russe et prussienne pour réserve. L'armée -autrichienne était partie à notre droite, entre la Pleisse et -l'Elster, s'avançant dans l'angle formé par ces rivières, et menaçant -le pont de Dölitz, partie à notre gauche, en avant d'un bois dit de -l'Université, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, et devant tendre plus -tard la main vers Blucher à travers la plaine de Leipzig, si nous -perdions du terrain et si les coalisés en gagnaient. - -[En marge: Distribution des troupes au sud de Leipzig pour tenir tête -à l'armée de Bohême entre Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg.] - -Napoléon approuva complétement la position prise par Murat. Il résolut -de disputer énergiquement la ligne de Liebert-Wolkwitz à Wachau et -Mark-Kleeberg, pour cela de doubler les trois corps de Murat, en -plaçant Augereau à droite près de Mark-Kleeberg, la garde et la -cavalerie de Latour-Maubourg au centre à Wachau, Macdonald avec la -cavalerie de Sébastiani à gauche, au delà de Liebert-Wolkwitz, afin -d'empêcher que notre aile gauche ne fût débordée, et d'essayer même, -comme on le verra bientôt, de déborder l'aile droite de l'ennemi. Les -Autrichiens s'avançant entre la Pleisse et l'Elster sur le pont de -Dölitz, Napoléon pour n'être pas tourné par sa droite, y plaça la -brigade Lefol, tirée des troupes qui formaient la garnison de Leipzig. -Après les combats qu'on avait livrés, les marches qu'on avait -exécutées dans la boue, les corps de Lauriston, Victor, Poniatowski, -Pajol, amenés par Murat, pouvaient monter à 38 mille hommes, Augereau -et Lefol à 12 mille, la garde à 36 mille, Latour-Maubourg à 6 mille, -Macdonald et Sébastiani à 22 mille, ce qui faisait environ 114 à 115 -mille hommes opposés à 160 mille. Mais en manoeuvrant bien, en se -battant énergiquement, toutes choses dont il n'y avait pas à douter, -en se servant par exemple de quelques-uns des corps restés en arrière -sous Ney, on pouvait renforcer Macdonald de 25 ou 30 mille hommes, -puis se rabattre en masse par la gauche sur la droite de -Schwarzenberg, et précipiter celui-ci dans la Pleisse. C'était en -effet le projet de Napoléon si les corps actuellement en marche -n'étaient pas indispensables au nord contre Blucher et Bernadotte. - -Cette revue du terrain terminée et ces dispositions arrêtées, Napoléon -revint par la gauche au faubourg de Reudnitz. Il parcourut les bords -de cette petite rivière de la Partha, qui roule, comme nous venons de -le dire, ses faibles eaux dans une cavité du terrain à peine sensible, -et passant par Taucha, Schönfeld, va les verser dans la Pleisse, au -nord de Leipzig, à travers le faubourg de Halle. Là, si on se joignait -de plus près, pouvait s'offrir un peu en arrière de notre gauche un -nouveau champ de bataille; mais il n'y avait pas à s'en occuper, -l'ennemi n'osant pas encore s'y montrer, et nous n'ayant que de la -cavalerie à y mettre. - -[En marge: Position de Möckern au nord de Leipzig, propre à arrêter -Blucher.] - -Ce n'était pas assez que d'avoir tout disposé pour résister à la -grande armée de Bohême; il fallait songer aussi à tenir tête à -Blucher, qu'on devait s'attendre à voir paraître d'un moment à l'autre -au nord de Leipzig. Heureusement se trouvait de ce côté, en dépassant -la Partha, une position assez avantageuse, s'étendant du village de -Möckern à celui d'Euteritzsch, barrant la route de Halle à Leipzig, et -présentant un terrain large, élevé, appuyé d'un côté à la Pleisse et -à l'Elster, de l'autre à un gros ravin, et où un corps pouvait se -déployer à l'aise, en ayant sur l'ennemi qui arrivait de Halle un fort -commandement. Obligé d'abandonner cette position, on avait la -ressource de se replier derrière la Partha, et d'aller s'adosser à -Leipzig, en avant du faubourg de Halle. - -[En marge: Marmont avait pris position à Möckern.] - -C'est là que Marmont, n'ayant cessé d'observer Blucher pendant la -marche de nos troupes, était venu se placer pour le combattre au -besoin. Napoléon approuva la position que Marmont avait prise, et lui -recommanda de s'y maintenir. Ney, avec Bertrand, Souham, Reynier, -Dombrowski, tous retardés par la destruction des ponts de la Mulde et -de l'Elbe, devait se ranger à la droite de Marmont, puis à mesure -qu'il arriverait se replier autour de Leipzig, du nord au sud, et se -relier à travers la plaine qu'arrose la Partha, avec la gauche de -Murat. Ces dernières troupes venues, le cercle autour de Leipzig -serait entièrement fermé. - -[En marge: Précautions prises pour garder la ville de Leipzig et la -route de Lutzen qui était celle de Mayence.] - -Restait à bien garder la ville même de Leipzig, et non-seulement la -ville, mais la grande route du Rhin, qui après avoir franchi la -Pleisse et l'Elster sur une longue suite de ponts, débouchait par -Lindenau dans la plaine de Lutzen, et allait rejoindre Weissenfels, -Erfurt, Mayence. Il était indispensable de garder spécialement la -route, parce qu'elle était notre seule ligne de retraite, et parce -qu'en l'occupant nous empêchions Blucher et Schwarzenberg de -communiquer entre eux par delà l'Elster et la Pleisse. Napoléon avait -laissé la division Margaron, composée de troupes de marche, dans -Leipzig même, avec mission de défendre les ponts de la Pleisse et de -l'Elster, et le gros bourg de Lindenau, qui en forme le débouché dans -la plaine de Lutzen. Moyennant qu'on défendît bien ce bourg et la -ville, il suffisait de troupes légères sur la grande route de Lutzen, -pour qu'on fût averti de ce qui s'y passerait, et qu'on pût y accourir -à temps. Napoléon adjoignit aux troupes de Margaron le général -Bertrand qui avait marché avec Macdonald, et qui venait d'entrer à -Leipzig. Il devait appuyer au besoin, ou Margaron dans la défense de -Leipzig et du débouché de Lindenau, ou Marmont dans la défense de la -position de Möckern. Les autres corps arrivant successivement -devaient, comme nous l'avons dit, se placer derrière Marmont, et le -relier avec Murat. Ainsi dans la première journée Napoléon avait pour -la bataille qui allait se livrer au sud de Leipzig, 115 mille hommes à -opposer aux 160 mille de Schwarzenberg. Si la lutte s'engageait en -même temps au nord, il avait à opposer aux 60 mille hommes de Blucher -Marmont avec 20 mille, Bertrand avec 10 mille, sans compter les 10 -mille de Margaron qui gardaient Leipzig et la grande route du Rhin. -Ney, avec Souham, Dombrowski, Reynier, nous amenait un renfort de 35 -mille hommes, et pouvait alternativement secourir Marmont ou Napoléon -lui-même. Avec lui le total de nos forces devait s'élever à 190 mille -hommes; mais il fallait se hâter de vaincre, car si Ney portait nos -forces à 190 mille hommes, l'ennemi, dans le même espace de temps, -pouvait voir les siennes s'élever à 320 ou 330 mille hommes par -l'arrivée probable de Bernadotte demeuré en arrière de Blucher, de -Benningsen demeuré en arrière de Schwarzenberg. Napoléon, du reste, -songeait à s'assurer des résultats décisifs dès le premier jour, car -il espérait avoir au moins la tête de colonne de Ney, la joindre à -Macdonald, et, les jetant l'un et l'autre sur la droite de -Schwarzenberg, pousser brusquement ce dernier dans la Pleisse. Ces -dispositions étaient tout ce qu'on pouvait attendre de la situation et -de son génie, et après avoir employé la journée entière du 15 à -rallier ses troupes, il résolut de ne pas différer davantage, et -d'attaquer Schwarzenberg le lendemain 16. Il redoubla d'assurance à -l'égard de ses lieutenants, et même de bienveillance pour eux, voulant -les mieux disposer à donner jusqu'à la dernière goutte de leur sang. -Au surplus, même en éprouvant de secrètes inquiétudes et en -désapprouvant sa politique, ils y étaient déterminés sans réserve. -Vaincre ou mourir était le sentiment de tous. - -[En marge: Ce qui s'était passé du côté des alliés.] - -[En marge: Contestations perpétuelles entre Blucher et Bernadotte -depuis leur réunion derrière la Mulde.] - -[En marge: Blucher s'était avancé par Halle sur Leipzig; Bernadotte -était resté en arrière sur la basse Saale, avec deux divisions -laissées sur la droite de l'Elbe.] - -Les alliés de leur côté n'étaient pas restés oisifs, et avaient fait -de grands efforts pour opérer leur réunion sous les murs de Leipzig. -Blucher et Bernadotte, comme on l'a vu, s'étaient, à l'approche de -Napoléon, réfugiés derrière la Mulde, et n'avaient cessé depuis qu'ils -se trouvaient ensemble d'être en contestation sur la conduite à -suivre. Bernadotte aurait voulu d'abord que l'armée de Silésie vînt -prendre position au-dessus de lui sur la Mulde, c'est-à-dire se placer -entre lui et Leipzig, afin d'avoir en cas de revers des moyens -d'évasion plus prompts et plus sûrs vers l'Elbe. Blucher, qui devinait -les motifs de Bernadotte, aurait désiré au contraire se placer -au-dessous pour le tenir enfermé entre lui et Leipzig, et le forcer -ainsi à marcher à l'ennemi. Mais Bernadotte se refusant absolument à -une semblable disposition des deux armées, et alléguant pour prétexte -le soin de ses communications avec la Suède, Blucher avait été obligé -de se rendre pour éviter une rupture. Après cette contestation, il -s'en était élevé une autre. Bernadotte voulait qu'en remontant vers -Leipzig on opérât ce mouvement non pas derrière la Mulde, mais -derrière la Saale, afin de mettre deux rivières entre soi et les -Français. Blucher, au contraire, voulait qu'on se couvrît seulement de -la Mulde pour arriver plus tôt à Leipzig. Toutefois il avait cédé -encore, toujours dans l'intention de prévenir un éclat. Mais avec son -impatience habituelle, il n'avait porté qu'un de ses corps derrière la -Saale, et à la tête des deux autres il avait cheminé en avant de cette -rivière, sur la chaussée de Halle, très-près du maréchal Marmont qu'il -n'avait cessé de côtoyer. Enfin une troisième contestation avait tout -à coup surgi entre les deux chefs des armées de Silésie et du Nord, et -avait mis le comble à leur mésintelligence. À la vue des Français -occupés au delà de l'Elbe à détruire des ponts, Bernadotte croyant à -un mouvement de Napoléon sur Berlin, avait voulu repasser l'Elbe, pour -n'être pas coupé du nord de l'Allemagne où était sa base d'opération. -Son état-major tout entier, composé en grande partie de Russes et de -Prussiens, avait contre l'ordinaire incliné à son opinion. Aussi -avait-il fait valoir l'autorité éventuelle dont il était investi à -l'égard de l'armée de Silésie, pour enjoindre à Blucher de le suivre -sur la rive droite de l'Elbe. En recevant cet ordre Blucher avait -contesté le mouvement de Napoléon sur Berlin, allégué à l'appui de son -opinion les forces considérables laissées autour de Leipzig, répondu -en outre par une désobéissance formelle, et adressé aux officiers -prussiens et russes de l'armée de Bernadotte l'invitation de ne pas -quitter la rive gauche de l'Elbe. Mais un fait indépendant de leur -volonté à tous, la destruction complète des ponts par Ney et Reynier, -avait mis fin au débat, et Bernadotte, privé de ses moyens de passage, -était resté forcément sur la gauche de l'Elbe, ne suivant d'ailleurs -Blucher que de très-loin. Toutefois les divisions Thumen et -Hirschfeld, le corps de Tauenzien étaient demeurés de l'autre côté du -fleuve, et avaient ainsi causé l'erreur de Napoléon, qui avait cru -l'armée entière du Nord résolue à se maintenir sur la droite de l'Elbe -et sur la route de Berlin. - -[En marge: Blucher, arrivé à quelque distance de Leipzig, envoie un -officier pour essayer de pénétrer auprès de Schwarzenberg à travers -l'armée française.] - -C'est de cette manière que Blucher et Bernadotte avaient occupé le -temps que Napoléon avait employé à revenir sur Leipzig. Blucher était -le 15 sur la route de Halle, à quatre ou cinq lieues au nord de -Leipzig, ayant grand désir de s'en approcher, n'osant donner la main -au prince de Schwarzenberg à travers la plaine de Lutzen, parce qu'il -lui aurait fallu franchir la Pleisse et l'Elster, étant fort tenté de -le faire du côté opposé, à travers la vaste plaine de Leipzig, mais ne -l'osant pas davantage à la vue des corps français qui marchaient dans -cette direction, et renouvelant ses instances auprès de Bernadotte -pour qu'il vînt le joindre, car réunis ils devaient former une armée -de 120 mille hommes, laquelle n'avait rien à craindre de personne. Il -avait en attendant tâché d'envoyer un officier au prince de -Schwarzenberg pour lui dire qu'il était là, au nord de Leipzig, à une -très-petite distance de lui, prêt à marcher au canon dès qu'il -l'entendrait retentir au sud de cette ville. - -[En marge: Mouvement de l'armée de Bohême.] - -[En marge: Peu de divergences d'avis dans cette armée, qui n'avait -d'autre conduite à tenir que de marcher sur Leipzig.] - -Dans l'armée de Bohême l'accord avait été plus grand, grâce à l'esprit -conciliant d'Alexandre, à l'autorité doucement exercée du prince de -Schwarzenberg, et surtout à l'évidence de ce qu'on avait à faire. On -avait voulu descendre sur Leipzig avec l'intention de s'y joindre aux -deux armées de Silésie et du Nord, et dès lors on n'avait qu'une -conduite à tenir, c'était de pousser Murat vivement, et d'autant plus -vivement qu'on voyait bien que Murat n'était qu'un rideau destiné à -couvrir le mouvement des Français sur l'Elbe, et que si on ne se -hâtait pas de percer ce rideau, on laisserait à Napoléon le temps -d'accabler les armées de Silésie et du Nord. C'est ainsi qu'on était -arrivé le 14 devant Liebert-Wolkwitz et Wachau, où l'on avait perdu -1,200 hommes dans un combat de cavalerie imprudemment engagé contre -Murat. - -[En marge: Arrivée le 14 au sud de Leipzig, elle emploie la journée du -15 à se reposer et à prendre position.] - -[En marge: Nécessité pour elle de livrer bataille.] - -[En marge: Discussion sur le plan.] - -[En marge: Avis des généraux russes et prussiens.] - -La journée du 15 avait été employée à se rallier, à se mettre en -ligne, et à délibérer sur le plan d'attaque, sujet fort grave et le -seul sur lequel il y eût à discuter. Qu'il fallût livrer bataille, -personne ne le mettait en doute, dût-on être vaincu, car si on -laissait à Napoléon un jour, une heure de plus, il en profiterait pour -détruire les deux armées du Nord et de Silésie. Se battre -énergiquement en désespérés et tout de suite, était l'avis que la -situation inspirait et commandait à tout le monde. Restait le plan de -la bataille à livrer. À cet égard il y avait grande divergence entre -les généraux autrichiens d'une part, et les généraux russes et -prussiens de l'autre. En guerre, comme en toutes choses, l'opinion de -chacun est généralement dictée par la position qu'il occupe. Les -Russes et les Prussiens, sous Barclay de Tolly, ayant débouché -directement sur Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, devant -Murat, sur la rive droite de la Pleisse et de l'Elster, voulaient -qu'on portât l'attaque sur ce point, qu'on l'y portât résolûment, et -avec presque toutes ses forces. À peine admettaient-ils qu'on fît une -diversion à leur droite par Gross-Pösnau, Seyffertshayn, pour déborder -notre gauche, et essayer de tendre une main vers Blucher à travers la -plaine de Leipzig. Ils admettaient aussi qu'à leur gauche, entre la -Pleisse et l'Elster, on fît quelques démonstrations pour tendre la -main à Blucher à travers la plaine de Lutzen, s'il cherchait par -hasard à percer de ce côté. Mais là encore ils ne voulaient qu'une -simple démonstration. - -[En marge: Avis des généraux autrichiens.] - -Les Autrichiens ayant été conduits par les routes qu'ils avaient -suivies à déboucher en grande partie entre la Pleisse et l'Elster, -accordaient sans doute qu'on dirigeât une attaque vigoureuse contre -Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, mais ils espéraient peu de -cette attaque de front, et demandaient qu'on portât le gros des forces -dans l'angle formé par la Pleisse et l'Elster, que protégés par les -deux côtés de cet angle dont le sommet s'appuyait à Leipzig, on s'y -enfonçât, et qu'on essayât d'enlever à coups d'hommes le pont de -Dölitz, placé sur la droite des Français en arrière de Mark-Kleeberg. -Sans doute, disaient-ils, on y rencontrerait de grandes difficultés, -car la Pleisse, coupée en mille bras, présentait des ponts, des corps -de ferme, des enclos à forcer, et ensuite un terrain assez escarpé à -gravir. Mais ces obstacles vaincus, on se trouverait sur les derrières -des Français, la position de ceux-ci ne serait plus tenable, et ce -serait un miracle s'ils pouvaient se retirer sains et saufs sur -Leipzig. Aussi les généraux autrichiens voulaient-ils que -non-seulement on employât à cette opération l'armée autrichienne, mais -que les réserves de Barclay de Tolly, composées de la garde impériale -russe, et de la garde royale prussienne, fussent chargées d'agir entre -la Pleisse et l'Elster. Il y avait certainement quelques raisons à -faire valoir pour ce plan, mais il y avait deux fortes objections à -lui opposer: la première, c'est qu'avec peu de monde Napoléon pourrait -en arrêter beaucoup à la position de Dölitz, et la seconde, c'est -qu'en voyant combien était peu considérable la masse chargée de le -combattre de front, il se rabattrait par sa gauche sur elle, et la -jetterait dans la Pleisse. Or, lorsqu'il aurait anéanti comme à Dresde -un tiers de l'armée alliée au moins, la question serait évidemment -décidée en sa faveur. - -[En marge: Transaction entre les opinions diverses, et attaque sur -trois points, à la droite de la Pleisse et de l'Elster, entre la -Pleisse et l'Elster, et à la gauche de ces rivières.] - -Il ne suffit pas cependant qu'une opinion ait contre elle des raisons -excellentes pour qu'on y renonce. Après l'avoir adoptée par position -et de bonne foi, on y persiste par amour-propre, et il est rare qu'une -opinion logiquement détruite soit une opinion abandonnée. On contesta -vivement, et suivant la coutume, bonne en politique, mais souvent -dangereuse à la guerre, on transigea. On répartit les forces avec une -certaine égalité. Le corps autrichien de Giulay, renforcé des troupes -légères de Lichtenstein et de Thielmann, dut, au delà de la Pleisse et -de l'Elster, se porter sur Lindenau, pour s'emparer de la -communication des Français avec Lutzen, c'est-à-dire avec Mayence. Ce -corps, de 20 à 25 mille hommes, pouvait, s'il était heureux, donner la -main à Blucher à travers la plaine de Lutzen. Le gros de l'armée -autrichienne, comptant 40 mille hommes environ, composé du corps de -Merfeld et de toutes les réserves tant de cavalerie que d'infanterie -du prince de Hesse-Hombourg, devait s'enfoncer dans l'angle formé par -la Pleisse et l'Elster, et essayer de déboucher par Dölitz sur les -derrières des Français. À la droite des deux rivières, sur le front -des Français, devant les positions de Mark-Kleeberg, Wachau, -Liebert-Wolkwitz, les armées prussienne et russe, appuyées de toutes -leurs réserves et présentant une force d'environ 70 mille hommes, -devaient se ruer sur la ligne occupée par Napoléon, tandis que le -général autrichien Klenau, comptant à peu près 25 mille hommes avec le -renfort d'une brigade prussienne et de la cavalerie de Platow, -déborderait au loin Liebert-Wolkwitz par la plaine de Leipzig, -tâcherait de tourner notre gauche, et de tendre lui aussi la main aux -armées de Blucher et de Bernadotte. - -Tel fut le plan adopté le 15 au soir pour être exécuté le lendemain 16 -dès neuf heures du matin. On essaya de faire parvenir à Blucher, dont -on avait appris l'arrivée au nord de Leipzig, l'avis qu'on allait -attaquer le 16, afin que s'il entendait le canon, il se portât -lui-même au feu, et ne laissât aux Français que le moindre nombre -possible de troupes inoccupées. - -[En marge: Dernières dispositions de Napoléon.] - -Le 16 octobre était donc le jour choisi par les deux armées pour cette -grande et terrible lutte, de laquelle allait dépendre l'empire du -monde. Napoléon avait déjà disposé ses troupes dès la veille. -Macdonald et Sébastiani étant arrivés, il les avait dirigés sur -Holzhausen, à gauche de Liebert-Wolkwitz, afin de faire face à Klenau. -Quant à Ney et à Reynier, ils ne devaient être rendus à Leipzig, le -premier que dans la matinée du 16, et le second que dans celle du 17. -Blucher ne se montrant pas encore sur la route de Halle, ce qui était -naturel puisqu'il fallait que le canon l'attirât sur le champ de -bataille pour qu'il osât s'y aventurer, Napoléon supposa que peut-être -il ne l'aurait pas sur les bras dans cette journée, et il enjoignit à -Marmont de quitter sa position au nord de Leipzig, de traverser le -faubourg de Halle, et de venir se placer sur les derrières de la -grande armée, afin de coopérer à la manoeuvre décisive contre la -droite de Schwarzenberg, par laquelle il espérait assurer le gain de -la bataille. Il prescrivit à Ney de prendre la position laissée -vacante par Marmont, et d'être prêt, de concert avec Bertrand, à -contenir l'ennemi qui se montrerait au nord de Leipzig. Ces ordres -donnés, Napoléon était dès la pointe du jour à cheval au milieu -de sa garde, sur un tertre élevé, à la bergerie de Meusdorf, -d'où il dominait le champ de bataille, et voyait à sa gauche -Liebert-Wolkwitz, au centre et un peu dans le fond Wachau, à droite et -dans le fond aussi Mark-Kleeberg, plus à droite enfin la Pleisse et -l'Elster, entre lesquelles s'avançaient les Autrichiens pour forcer le -pont de Dölitz. Il avait, comme nous l'avons dit, environ 160 mille -hommes devant lui, et environ 115 mille pour les combattre, Macdonald -et Sébastiani compris. Le reste de l'armée française était à deux -lieues en arrière, pour faire face aux éventualités qui pouvaient se -présenter sur d'autres points. - -[En marge: Première bataille de Leipzig, dite journée du 16.] - -[En marge: Attaque des coalisés sur Mark-Kleeberg, Wachau et -Liebert-Wolkwitz.] - -À neuf heures du matin, trois coups de canon tirés du côté des alliés -devinrent le signal d'une épouvantable canonnade. De Mark-Kleeberg à -Liebert-Wolkwitz, les coalisés s'avancèrent sur notre front en trois -fortes colonnes précédées par 200 bouches à feu. Ils avaient eu -l'idée, très-bien entendue, de mêler ensemble les troupes de toutes -les nations, pour que les dangers fussent également répartis, et que -le voisinage excitât l'émulation. À notre droite, le général Kleist -avec la division prussienne du prince Auguste de Prusse, plusieurs -bataillons russes et les cuirassiers de Levachoff, marcha par Cröbern -et Crostewitz sur Mark-Kleeberg. Au centre, le prince Eugène de -Wurtemberg, avec la division russe qu'il commandait et la division -prussienne de Klüx, marcha sur Wachau. À notre gauche et à la droite -des coalisés, le prince Gortschakoff avec son corps et la division -prussienne Pirch marcha sur Liebert-Wolkwitz, que Klenau, avec une -quatrième colonne, essayait de tourner par Seyffertshayn. Ces diverses -colonnes s'avançaient résolûment, en gens décidés à surmonter tous -les obstacles. Notre artillerie, fort nombreuse, mise en batterie sur -la pente du terrain, les couvrit de projectiles, mais ne les arrêta -point, et elles arrivèrent sans chanceler jusqu'au pied de nos -positions. - -[En marge: Poniatowski après avoir vaillamment résisté au général -Kleist, est obligé de se replier un peu en arrière.] - -[En marge: Le maréchal Victor dispute victorieusement le village de -Wachau au prince Eugène de Wurtemberg.] - -[En marge: Lauriston se maintient à Liebert-Wolkwitz.] - -La colonne de Kleist, dirigée sur Mark-Kleeberg à notre droite, fut -bientôt engagée avec Poniatowski, et malgré la résistance de celui-ci, -parvint à emporter ce village situé sur la Pleisse. Elle n'était pas -de moins de 18 mille hommes, tandis que Poniatowski n'en avait que -huit ou neuf mille. Ce dernier fut obligé de se retirer sur le terrain -un peu dominant qui formait l'extrémité droite de notre ligne. -Augereau porté alors en avant vint appuyer Poniatowski. Une forte -artillerie fut dirigée contre Kleist qui cherchait à gravir le terrain -sur lequel nous nous étions repliés. Au centre, le prince Eugène de -Wurtemberg avec son infanterie russe et la division de Klüx, arriva -devant Wachau sous une grêle de mitraille, et tenta d'y pénétrer. Mais -le maréchal Victor, occupant ce village, lui résista opiniâtrement. -Enfin à notre gauche, Gortschakoff partant de Störmthal, point de -départ plus éloigné que celui des autres colonnes, était encore à -quelque distance de Liebert-Wolkwitz, que Klenau avec les Autrichiens -de Mohr était prêt à déborder. Mais le corps de Lauriston se trouvait -à Liebert-Wolkwitz, favorisé par l'élévation du terrain, et devant -être bientôt soutenu par Macdonald qui débouchait de Holzhausen. - -[En marge: Canonnade épouvantable.] - -[En marge: Les Français se défendent sur toute la ligne, sans perdre -aucune portion de terrain.] - -Cette première marche des coalisés fut ferme et résolue, et s'exécuta -sous une grêle de boulets lancés par les trois cents bouches à feu que -nous avions de Mark-Kleeberg à Liebert-Wolkwitz. La canonnade de part -et d'autre était si violente que personne, parmi nos vieux généraux, -ne se souvenait d'en avoir entendu une pareille, et que Napoléon, -quoique placé un peu en arrière à la bergerie de Meusdorf, vit tomber -autour de lui quantité d'officiers et de chevaux. Avec son ordinaire -assurance, il demeura impassible, et laissa la bataille s'engager -davantage avant de prendre aucune résolution décisive. À gauche, -Liebert-Wolkwitz bâti sur une éminence, et vigoureusement occupé par -Lauriston, pouvait se défendre longtemps. Au centre, le prince Eugène -de Wurtemberg ne semblait pas en état de surmonter la résistance des -trois divisions de Victor. À droite seulement, la nécessité où avait -été Poniatowski d'abandonner Mark-Kleeberg, et de céder un peu de -terrain, avait amené notre ligne à se courber légèrement en arrière. -La division Semelé, du corps d'Augereau, était déjà venue au secours -de Poniatowski. Napoléon ordonna de se servir de la nombreuse et -excellente cavalerie qu'on avait de ce côté, celle des Polonais et de -Pajol (4e et 5e corps) pour arrêter l'infanterie de Kleist sur la -pente du terrain qu'elle essayait de gravir. - -[En marge: Charge des dragons de Kellermann et des cuirassiers de -Levachoff.] - -Le général Kellermann, qui dirigeait ce jour-là les 4e et 5e corps, se -jeta avec ses dragons sur l'infanterie du prince Auguste, et la -contint. Mais les cuirassiers de Levachoff, lancés à propos et avec -habileté, franchirent un ravin qui était au pied de nos positions, -prirent en flanc les dragons de Kellermann et les ramenèrent. -Accueillis à leur tour par le feu plongeant de notre artillerie, les -cuirassiers de Levachoff furent obligés de revenir sur leurs pas. On -se contint réciproquement, les Prussiens ne gagnant pas plus de -terrain qu'ils n'en avaient conquis d'abord, nous, ne pouvant -recouvrer Mark-Kleeberg, mais restant sur les points dominants que -nous avions occupés. Une masse formidable d'artillerie arrêtait -l'ennemi, et bien que notre ligne ne fût pas redressée, elle ne -paraissait pas devoir se courber davantage. - -[En marge: Carnage horrible à Wachau et à Liebert-Wolkwitz.] - -Au centre, c'est-à-dire à Wachau, à gauche, c'est-à-dire à -Liebert-Wolkwitz, le combat ne cessait pas d'être opiniâtre et -sanglant. À plusieurs reprises le prince de Wurtemberg et le général -Kleist avaient pénétré dans Wachau, qui était dans un fond, mais à -chaque fois les divisions de Victor fondant sur eux en colonnes -serrées, les en avaient repoussés. Ce village avait été en deux heures -pris et repris cinq fois. Il ne présentait plus qu'un monceau de -ruines et de cadavres. À Liebert-Wolkwitz, Lauriston, abordé de front -par Gortschakoff, de gauche par Klenau, les avait reçus de manière à -ne pas leur donner le goût d'y revenir. Klenau s'étant montré le -premier sur la gauche avec la brigade Spleny, le général Rochambeau -l'avait chargé et culbuté, tandis qu'on canonnait Gortschakoff éloigné -encore, et longeant le bois de l'Université. Après avoir criblé de -boulets les Russes de Gortschakoff, les Prussiens de Pirch, le général -Maison leur avait laissé gravir le terrain saillant sur lequel -s'élevait Liebert-Wolkwitz, puis les avait chargés avec vigueur, et -rejetés partie sur le bois de l'Université à gauche, partie sur -Gülden-Gossa à droite, et, chaque fois qu'ils avaient voulu -reparaître, les avait couverts de mitraille. - -[En marge: Vers midi, 18 à 20 mille hommes avaient déjà succombé.] - -À midi, 18 mille hommes avaient déjà succombé dans l'une et l'autre -armée, mais les deux tiers de ce nombre du côté de l'ennemi, et notre -ligne invincible partout semblait ne pouvoir être forcée, sauf à -droite, où, comme nous l'avons dit, elle s'était légèrement ployée. - -[En marge: Le canon se faisant entendre tout à coup à Lindenau et à -Möckern, nous apprend qu'il se livre trois batailles à la fois.] - -Dans ce moment le canon avait tout à coup retenti au nord, puis on -l'avait bientôt entendu dans les autres directions, ce qui annonçait -que nous étions assaillis de tous les côtés à la fois. En effet, des -aides de camp arrivés au galop avaient appris d'une part que sur la -droite de Leipzig, Margaron était attaqué à Lindenau par Giulay, qui -voulait nous ôter notre ligne de communication avec Lutzen, et qu'en -arrière, c'est-à-dire au nord de Leipzig, Marmont était aux prises -avec Blucher accouru de Halle pour prendre part à la bataille -générale. Marmont mandait qu'il ne pouvait pas exécuter l'ordre de se -porter derrière Napoléon, car il lui fallait tenir tête à Blucher, et -même il réclamait du secours. Heureusement le maréchal Ney paraissait -en cet instant avec la division Dombrowski et le corps de Souham, et -Napoléon fit dire à ce maréchal, que tout en aidant Marmont, il -fallait envoyer derrière Macdonald, à l'appui de la grande armée, -celle de ses divisions dont il pourrait disposer. Ney commandait à la -fois le 4e corps (Bertrand), le 3e (Souham), le 7e (Reynier), plus la -division de Dombrowski. Il avait Bertrand dans Leipzig pour appuyer -Margaron; il lui arrivait Dombrowski et Souham pour soutenir Marmont -et se reporter sur Napoléon. Il ne pouvait avoir Reynier que le -lendemain. - -[En marge: À midi, Napoléon se décide à prendre l'offensive.] - -[En marge: Deux colonnes partant l'une de Wachau, l'autre de -Liebert-Wolkwitz, et ayant l'artillerie de la garde entre deux, -doivent fondre sur l'ennemi, pendant que Macdonald se rabattant de -gauche à droite, cherchera à le pousser vers la Pleisse.] - -À midi la bataille s'étant plus clairement développée, Napoléon songea -enfin à quitter la défensive pour prendre une offensive vigoureuse. Il -résolut de déboucher à la fois de Liebert-Wolkwitz et de Wachau afin -d'écraser le centre de l'ennemi, tandis qu'à l'extrême gauche -Macdonald débouchant de Holzhausen par delà Liebert-Wolkwitz, -repousserait Klenau, le rejetterait le plus loin possible, puis se -rabattant de gauche à droite, se précipiterait sur le centre de -l'ennemi attaqué déjà de front par Liebert-Wolkwitz et Wachau. Pour -l'exécution de ce mouvement, Napoléon fit descendre d'un côté deux -divisions de la jeune garde sous Mortier, afin que réunies à Lauriston -elles tombassent sur Gortschakoff, et de l'autre côté deux autres -divisions de cette même jeune garde, sous Oudinot, pour fondre avec -Victor sur le prince Eugène de Wurtemberg. La réserve d'artillerie de -la garde formant une batterie de quatre-vingts pièces de canon, devait -s'avancer entre ces deux colonnes et les seconder de son feu. La -cavalerie de Latour-Maubourg fut disposée en arrière afin d'appuyer ce -mouvement, et de saisir les occasions de charger. Kellermann avec les -4e et 5e corps se tint également prêt sur la droite. La vieille garde -composée des divisions d'infanterie Curial et Friant et de la -cavalerie de Nansouty, vint prendre la position laissée vacante par la -jeune garde et par Latour-Maubourg. Tout s'ébranla donc pour ce -mouvement offensif, dans le moment même où Alexandre, frappé déjà de -ce qui se passait devant lui, avait envoyé un de ses officiers -allemands, M. de Wolzogen, pour supplier le prince de Schwarzenberg -de renoncer à son attaque entre la Pleisse et l'Elster, et de -s'occuper davantage de ce que les armées prussienne et russe avaient -sur les bras entre Liebert-Wolkwitz et Wachau. - -[En marge: Succès de Lauriston et Mortier, précédés de la division -Maison.] - -[En marge: Succès d'Oudinot et Victor, en avant de Wachau.] - -[En marge: Macdonald refoule Klenau sur le bois de l'Université, mais -sans pouvoir y pénétrer.] - -À peine le signal était-il donné que nos deux colonnes d'attaque -s'avancèrent, ayant entre elles la batterie formidable de la garde -dirigée par Drouot, et dont trente-deux pièces de 12 étaient -commandées par le brave colonel Griois. Le feu était épouvantable, et -tel qu'il semblait qu'aucune troupe n'y pût résister. D'un côté le -maréchal Mortier précédé par la division Maison descendit de -Liebert-Wolkwitz, aborda Gortschakoff, et le rejeta entre le bois de -l'Université et le village marécageux de Gülden-Gossa. De l'autre côté -Oudinot et Victor débouchant de Wachau, repoussèrent le prince Eugène -de Wurtemberg, lui firent repasser l'espèce de vallon qui nous -séparait, et le refoulèrent sur la bergerie d'Avenhayn, qui se -trouvait sur la droite du village de Gülden-Gossa. Tandis que l'on -s'avançait ainsi victorieusement vers le milieu de notre ligne, -Macdonald faisant irruption à gauche par delà Liebert-Wolkwitz, aborda -Klenau, et l'obligea de lui céder une grande étendue de terrain. -Chemin faisant, il arriva devant une vieille redoute, dite des -Suédois, d'où pleuvaient des flots de mitraille, la masqua au moyen de -la division Charpentier, et avec les divisions Ledru et Gérard enleva -Seyffertshayn. L'ennemi se défendit vigoureusement, mais on le rejeta -d'un côté sur Klein-Pössnau, de l'autre sur Gross-Pössnau et le bois -de l'Université. Là favorisé par les difficultés locales, il -s'arrêta, et nous tint tête. Si un corps de réserve appuyant alors -Macdonald, était venu l'aider à se rabattre de gauche à droite, on -aurait pu culbuter une partie de Klenau sur Gortschakoff, l'un et -l'autre sur le prince de Wurtemberg et sur Kleist, et tous ensemble -dans la Pleisse. Mais Marmont était en ce moment aux prises avec -Blucher, Margaron avec Giulay; Bertrand entre deux, se réservait pour -aller au secours du plus menacé. Ney n'osait disposer de Souham, tant -Marmont lui paraissait attaqué violemment, laissait Dombrowski sur la -droite de Marmont, pour faire face à des masses qu'on voyait -confusément dans le lointain, et enfin attendait encore Reynier. Il -fallait donc que Napoléon remportât la victoire avec ce qu'il avait -sous la main. - -[En marge: Danger des alliés.] - -[En marge: M. de Wolzogen envoyé au prince de Schwarzenberg pour le -ramener de la gauche à la droite de la Pleisse, au secours des armées -russe et prussienne.] - -[En marge: En attendant, Alexandre et Frédéric-Guillaume font donner -toutes leurs réserves.] - -[En marge: Charge de la cavalerie russe repoussée par Lauriston et -Mortier d'un côté, par Oudinot et Victor de l'autre.] - -Les ennemis après avoir perdu toute la largeur du champ de bataille en -disputaient pied à pied l'extrême limite. Klenau résistait soit à -Gross-Pössnau, soit à la tête du bois de l'Université. Gortschakoff -rejeté sur l'autre côté de ce bois s'y défendait, et cherchait en même -temps à s'appuyer au village de Gülden-Gossa, qui, étant enfoncé en -terre, et présentant une suite de bois et de mares d'eau assez -allongée, était très-propre à la défensive. Le prince Eugène de -Wurtemberg placé tout auprès, à la bergerie d'Avenhayn, tâchait de s'y -maintenir avec les débris de son corps. À l'aspect du danger qui les -menaçait, les souverains alliés étaient dans la plus grande -perplexité. M. de Wolzogen, comme nous venons de le dire, avait été -envoyé au prince de Schwarzenberg, le général Jomini s'était joint à -lui, et sur les vives observations de tous deux, le prince -reconnaissant la difficulté d'emporter Dölitz pour déboucher sur nos -derrières, et le péril pressant des armées russe et prussienne, avait -consenti à faire passer sur la rive droite de la Pleisse la réserve du -prince de Hesse-Hombourg, forte de plus de 20 mille hommes. Mais ce -n'était pas avant trois heures de l'après-midi que ces renforts -pouvaient être arrivés. En attendant les souverains se décidèrent à -engager toutes leurs réserves, certains qu'ils étaient de les -remplacer bientôt par une partie de l'armée autrichienne. On lança -d'abord les cuirassiers russes sur notre infanterie, tandis qu'on -porta en ligne les dix mille grenadiers de Rajeffsky, dont une colonne -fut dirigée sur Gülden-Gossa, et l'autre sur la bergerie d'Avenhayn. - -[En marge: Les dix mille grenadiers de Rajeffsky viennent se mettre en -ligne, de la bergerie d'Avenhayn à Gülden-Gossa.] - -[En marge: Drouot les démolit à coups de canon.] - -[En marge: Dubreton enlève la bergerie d'Avenhayn.] - -[En marge: Maison attaque Gülden-Gossa avec la dernière violence.] - -[En marge: Le 22e léger enlève la redoute des Suédois.] - -Tels étaient les événements du côté de l'ennemi. Lauriston et Mortier -à notre gauche vers Gülden-Gossa, Victor et Oudinot à notre droite -vers la bergerie d'Avenhayn, reçurent en carrés les cuirassiers -russes, et par un feu imperturbable les renversèrent sous les cadavres -de leurs chevaux. Les dix mille grenadiers de Rajeffsky, répartis -entre la bergerie d'Avenhayn, le village de Gülden-Gossa et le bois de -l'Université, vinrent se placer comme une longue muraille, soutenue -d'intervalle en intervalle par du canon. Le brave Drouot qui était -resté entre nos deux colonnes d'attaque avec sa formidable batterie, -imagina de diriger toutes ses pièces sur cette magnifique infanterie, -négligeant l'artillerie ennemie, quelque importance qu'il y eût à -éteindre ses feux. Quoiqu'il fût bien près de l'ennemi, il s'avança -plus encore, et se mit à tirer à mitraille sur les grenadiers russes -qui tombaient comme des pans de murs sous le feu de nos canons. -Lorsqu'ils parurent suffisamment ébranlés, la division Dubreton se -détachant du corps de Victor à notre droite, exécuta une charge à la -baïonnette sur la bergerie d'Avenhayn, et l'emporta. À gauche le -général Maison formant la tête de Lauriston, se jeta sur Gülden-Gossa -et parvint à y pénétrer. Mais les grenadiers Rajeffsky favorisés par -des bâtiments de ferme, des bois, des mares d'eau, s'y défendirent -avec la dernière opiniâtreté. On conduisit une partie de la garde -russe à leur secours, et tandis que Maison tenait une extrémité du -village, les Russes tenaient l'autre, et ne voulaient pas -l'abandonner. Maison atteint de plusieurs coups de feu, couvert de -sang, changea trois fois de cheval, et ramena ses soldats dans ce -village de Gülden-Gossa qu'il ne pouvait enlever aux Russes, et que de -leur côté les Russes ne pouvaient lui arracher. À gauche Macdonald -tournant Klenau par Seyffertshayn, avait rejeté sur Gross-Pössnau la -brigade prussienne Ziethen, les brigades autrichiennes Spleny et -Schöffer, la division autrichienne Meyer; mais la redoute suédoise -placée à gauche de Liebert-Wolkwitz était demeurée inabordable. -Napoléon qui se portait partout, apercevant le 22e léger au pied de la -redoute, demanda quel était le régiment qui se trouvait devant cette -position, et sur la réponse que c'était le 22e léger, il dit: Ce n'est -pas possible, le 22e léger ne resterait pas ainsi sous la mitraille -sans courir sur l'artillerie qui le foudroie.--Le 22e mené par le -colonel Charras, gravit la hauteur au pas de charge, tua les -artilleurs ennemis à coups de baïonnette, et enleva la redoute. Le -point qui arrêtait Macdonald emporté, ce maréchal continua son -mouvement à notre gauche jusqu'à la moitié du bois de l'Université. - -[En marge: L'ennemi concentre tous ses efforts sur Gülden-Gossa.] - -Il était trois heures: partout l'ennemi acculé, même en arrière de sa -première position, semblait prêt à nous céder la victoire. Seulement à -notre gauche, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, il se soutenait au bois -de l'Université. Au centre, repoussé de la bergerie d'Avenhayn, il -disputait au général Maison Gülden-Gossa, favorisé par la -configuration de ce village, qui présentait une rangée de bois et de -marécages. À notre droite, il n'avait pas rétrogradé en arrière de -Mark-Kleeberg, malgré les efforts héroïques du prince Poniatowski. - -[En marge: Napoléon se décide à ordonner une charge générale de -cavalerie.] - -Napoléon sentait le besoin de vaincre à tout prix, car il ne pouvait -pas ajourner la victoire. Ne pas vaincre aujourd'hui avec la multitude -d'ennemis qui approchaient, ce n'était pas être vaincu seulement, -c'était s'exposer à être détruit. Il prit donc le parti de jeter toute -sa cavalerie sur la ligne ennemie. Murat à gauche descendit entre -Liebert-Wolkwitz et Wachau avec dix régiments de cuirassiers. À -droite, Kellermann descendit entre Wachau et Mark-Kleeberg avec la -cavalerie polonaise, les dragons d'Espagne, et les dragons de la garde -sous le général Letort. En ce moment Pajol, placé à la tête des -dragons d'Espagne, fut enlevé à ses soldats par un obus qui éclatant -dans le ventre de son cheval, lui causa sans le tuer une épouvantable -commotion. - -[En marge: Succès de cette charge; on enlève 26 bouches à feu à -l'ennemi.] - -[En marge: Subite arrivée des cuirassiers de Nostitz, envoyés sur la -droite de la Pleisse par le prince de Schwarzenberg.] - -[En marge: Les cuirassiers de Nostitz arrêtent à gauche le mouvement -de nos dragons.] - -[En marge: Le village de Gülden-Gossa arrête au centre l'élan de nos -cuirassiers.] - -[En marge: Charge des hussards et Cosaques de la garde impériale russe -sur nos cuirassiers.] - -[En marge: Drouot forme son artillerie en carré.] - -Douze mille chevaux s'avancèrent ainsi en deux masses, l'une à -gauche, l'autre à droite, pleins du souvenir de la victoire de Dresde -qui leur était due. Le général Bordesoulle avec ses cuirassiers, lancé -par Murat, chargea la cavalerie de Pahlen et la dispersa, fondit -ensuite sur les grenadiers et les gardes russes qui, après être restés -maîtres de Gülden-Gossa, s'étaient déployés en avant de ce village, -les renversa, et leur prit vingt-six bouches à feu. À droite, les -dragons d'Espagne et ceux de la garde chargèrent les cuirassiers de -Levachoff, et leur firent expier leur succès du matin. Ce premier choc -avait partout réussi, et il ne fallait plus qu'un effort pour percer -définitivement le centre de l'ennemi, et rabattre à droite Kleist et -le prince Eugène de Wurtemberg dans la Pleisse, à gauche Gortschakoff -sur le bois de l'Université. Mais il était plus de trois heures. Tout -à coup on aperçut à notre droite des masses profondes arrivant de -l'autre côté de la Pleisse. C'était la réserve autrichienne de -Hesse-Hombourg dont la tête, formée par les cuirassiers de Nostitz, -devançait les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf. Les cuirassiers -de Nostitz en effet, débouchant au galop, rencontrèrent les cavaliers -de Kellermann, dans le désordre de la poursuite, les prirent en flanc -et les ramenèrent. Le brave Letort avec les dragons de la garde fondit -à son tour sur les cuirassiers de Nostitz, et les contint. Mais au -lieu d'être décisif, le mouvement de notre cavalerie sur la droite ne -fut plus qu'alternatif, et tantôt nous avancions, tantôt nous -reculions. Au centre Murat, après avoir tout renversé du premier choc, -avait eu le tort, dans l'espérance d'être appuyé, d'engager tous ses -escadrons, et d'ailleurs il s'était avancé sur un terrain qu'il -n'avait pas été en mesure de reconnaître, et dont on ne pouvait de -loin découvrir la forme. À distance, le village de Gülden-Gossa ne -laissait voir que quelques touffes d'arbres; mais de près Murat y -trouva un grand enfoncement de terrain, et dans cet enfoncement des -bâtiments, des bouquets de bois, des mares d'eau, et derrière chaque -obstacle de l'infanterie bien postée. Arrivée sur le village, sa -cavalerie fut obligée de s'arrêter court, et de demeurer en ligne sous -le feu. L'empereur Alexandre consentit alors à ce qu'on fît charger -tout ce qui lui restait sous la main, jusqu'aux hussards et Cosaques -de sa garde. Ceux-ci passant entre les ouvertures praticables de -Gülden-Gossa, dont les Russes étaient encore maîtres, se jetèrent à -l'improviste sur le flanc de la cavalerie de Murat, qu'ils surprirent, -et qu'ils obligèrent à se replier n'emmenant que six des vingt-six -pièces conquises tout à l'heure. Le brave Latour-Maubourg eut la -cuisse emportée par un boulet. Ces hussards et ces Cosaques, lancés au -galop, entourèrent de toutes parts la grande batterie de la garde qui -était restée inébranlable au milieu du champ de bataille. Drouot, -rabattant alors les deux extrémités de sa ligne de canons sur ses -flancs, opposa pour ainsi dire un carré d'artillerie à la cavalerie -ennemie, et lorsque celle-ci en revenant passa à portée de ses pièces, -il la couvrit de mitraille. - -[En marge: La bataille n'est pas décidée, ainsi que Napoléon l'avait -espéré par le déploiement de notre cavalerie.] - -[En marge: Napoléon se résout à faire avec toute la garde un dernier -effort.] - -[En marge: Une subite attaque des Autrichiens sur Dölitz suspend ce -mouvement.] - -[En marge: Curial envoyé à Dölitz avec quelques bataillons de la -vieille garde, y prend le général Merfeld avec 2 mille Autrichiens.] - -La bataille n'avait donc pas été décidée par cette action générale de -notre cavalerie, bien qu'une bonne partie du champ de bataille fût en -notre pouvoir. À droite en effet nous avions presque bloqué Kleist -dans Mark-Kleeberg; vers le centre Victor n'avait pas cessé d'occuper -la bergerie d'Avenhayn; au centre, tirant sur la gauche, Lauriston, la -batterie de la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg étaient devant -Gülden-Gossa; à gauche Macdonald, maître de la redoute suédoise et de -Seyffertshayn, bordait de toutes parts le bois de l'Université. Mais -l'ennemi, quoiqu'il eût rétrogradé, tenait encore. Napoléon voulut -alors tenter un suprême effort. Il reforma ses colonnes d'attaque: -Mortier avec Lauriston, Oudinot avec Victor, eurent ordre de se -remettre en colonnes, et de s'engager de nouveau. Les deux divisions -de la vieille garde, comprenant environ dix mille hommes, seule -réserve qui nous restât, durent les soutenir, et s'engager elles-mêmes -s'il le fallait. Toute la cavalerie fut rangée en masse derrière cette -infanterie: vaincre ou périr était leur mission. Mais tout à coup on -entendit de grands cris sur notre droite. Les grenadiers de Bianchi et -de Weissenwolf, survenus à la suite des cuirassiers de Nostitz, -avaient franchi la Pleisse, relevé au village de Mark-Kleeberg Kleist -épuisé de fatigue, et ils tâchaient de faire fléchir Poniatowski, -lequel n'avait pas cessé d'opposer à toutes les attaques une -résistance invincible. Enfin sur nos derrières à droite, à ce poste de -Dölitz que le prince de Schwarzenberg s'était flatté d'enlever, le -général Merfeld, faisant une forte tentative, avait forcé tous les -passages de la Pleisse, et était prêt à gravir la hauteur qui forme la -berge de cette rivière. À ce danger Napoléon arrêta le mouvement de sa -vieille garde, et dirigea sur Dölitz la division Curial. Oudinot fut -détourné pour tenir tête aux grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf. -Mais grâce à l'opiniâtreté de Poniatowski et de la division Semelé (du -corps d'Augereau) les grenadiers autrichiens furent contenus. Curial, -exécutant en arrière un mouvement transversal de gauche à droite, se -précipita sur Dölitz. Il lança d'abord les grenadiers de Turin et de -Toscane sur les bois qui entourent Dölitz, et ensuite, avec les -fusiliers de la garde, il se porta sur Dölitz même pour y entrer à la -baïonnette. Il fallait franchir un bras de la Pleisse, et puis -s'engager dans une suite de fermes contiguës, dépendantes d'un vieux -château. Il mit dans cette charge tant de vigueur, qu'il franchit la -Pleisse, traversa les cours de ferme l'une après l'autre, tua à coups -de baïonnette quiconque essayait de lui résister, et, devançant -l'ennemi au château même, fit prisonnier tout ce qui était resté dans -les cours en arrière. Il prit ainsi le général Merfeld avec plus de -deux mille hommes. - -[En marge: Dernière et violente attaque de Maison sur Gülden-Gossa, -interrompue par la nuit.] - -Il était cinq heures et la nuit s'approchait. Napoléon, après avoir -pourvu à cet accident de sa droite, ne pouvait se résoudre à ne pas -tenter un dernier effort sur le centre de l'ennemi. Victor était -encore à Avenhayn; il ne s'agissait donc que d'enlever Gülden-Gossa. -Lauriston, imperturbable au milieu d'un feu horrible, avait éprouvé -des pertes énormes; il lui restait toutefois le général Maison, -atteint de plusieurs coups de feu, n'ayant plus autour de lui que les -débris de sa division, mais insatiable de dangers jusqu'à ce qu'il eût -conquis Gülden-Gossa. Suivi de Mortier, Maison était rentré dans ce -fatal village. Son succès pouvait tout décider, lorsque Barclay de -Tolly, appréciant le péril, y lança la division prussienne de Firch, -appuyée de la garde russe. Celle-ci, par un effort désespéré, reprit -Gülden-Gossa. Maison essaya encore une fois d'y rentrer; mais une -obscurité profonde sépara bientôt les combattants. Demeuré en dehors -comme un lion rugissant, Maison était là, privé des cinq sixièmes de -sa division, couvert lui-même de blessures, et désolé d'être arrêté -par la nuit. Le matin il avait dit à ses soldats ces nobles paroles: -Mes enfants, c'est aujourd'hui la dernière journée de la France; il -faut que nous soyons tous morts ce soir.--Ces enfants héroïques -avaient tenu son engagement. Il n'en survivait pas un millier. Cet -acte fut le dernier de la bataille du 16, bataille terrible, dite de -Wachau. Environ vingt mille hommes de notre côté, et trente mille du -côté des coalisés, jonchaient la terre, les uns morts, les autres -mourants. - -[En marge: Combat livré à Lindenau dans cette même journée du 16.] - -Mais là ne se bornait pas cette horrible effusion de sang humain. Deux -autres batailles avaient été livrées dans la journée, l'une au -couchant, l'autre au nord de Leipzig, l'une sur notre droite à -Lindenau, l'autre en arrière, à Möckern. À Lindenau, c'était le -général Margaron qui avait eu affaire à Giulay, et qui s'en était -vaillamment tiré, sans autre avantage toutefois que de repousser -l'ennemi, et de demeurer maître du champ de bataille. - -[En marge: Margaron se maintient à Lindenau, après avoir fait essuyer -à l'ennemi des pertes sensibles.] - -À ce bourg de Lindenau, le terrain présentait un plateau se terminant -brusquement vers l'Elster, mais incliné en forme de glacis vers la -plaine de Lutzen. Il était donc possible de le défendre avec assez -d'avantage, surtout en étant sûr des ponts de l'Elster et de la -Pleisse qu'on avait derrière soi. Seulement on courait le danger -d'être tourné à droite par le village de Leutzsch, à gauche par celui -de Plagwitz, situés tous deux au bord de l'Elster. Les bras de ce -cours d'eau sont en effet tellement divisés en cette partie et -amoindris par leur division, qu'on pouvait les franchir aisément, -s'engager à travers les bois et les marécages, et tourner ainsi le -pont de Lindenau, ce qui aurait fait tomber la position. Aussi Giulay, -en exécutant une attaque directe sur le plateau en avant de Lindenau, -avec la cavalerie de Thielmann et l'infanterie légère de Lichtenstein, -avait-il dirigé des attaques latérales par Leutzsch d'un côté, et -Plagwitz de l'autre. Il avait même pénétré dans ces deux villages, et -lancé au delà de l'Elster des tirailleurs dans les bois. Mais le -général Margaron se maintenant avec son artillerie et quatre -bataillons sur le plateau, avait poussé soit sur Leutzsch, soit sur -Plagwitz, des colonnes d'infanterie qui chargeant successivement à la -baïonnette, avaient repris ces villages et dégagé ses deux ailes. Huit -à neuf mille hommes en avaient contenu vingt-cinq mille, et néanmoins -ils auraient peut-être fini par succomber, si la vue de la division -Morand, du corps de Bertrand, rangée entre Lindenau et Leipzig, -n'avait intimidé l'ennemi, et arrêté ses entreprises. Ce combat nous -avait coûté un millier d'hommes, et le double au moins aux -Autrichiens. Demeurés maîtres de Lindenau, nous pouvions toujours nous -rouvrir la route de Lutzen. - -[En marge: Bataille de Möckern, livrée le même jour par Marmont à -Blucher.] - -[En marge: Marche de Blucher.] - -[En marge: Ses forces.] - -[En marge: Ses dispositions.] - -[En marge: Marmont, qui avait reçu l'ordre de se replier vers -Napoléon, s'arrête pour combattre Blucher.] - -À Möckern, le combat avait été plus sérieux, surtout par le nombre -des combattants, et l'étendue du carnage. Le général Blucher se -doutant que la bataille décisive allait commencer, et ne voulant pas -laisser le prince de Schwarzenberg exposé à la livrer seul, n'y avait -plus tenu dès qu'il avait entendu le canon le 16 au matin, et avait -marché par la route de Halle, aboutissant au nord de Leipzig. En -partant il avait envoyé officiers sur officiers à Bernadotte pour lui -faire connaître la situation, et le presser d'arriver. D'ailleurs ses -liaisons particulières avec les états-majors prussien et russe de -l'armée du Nord lui donnaient sur cette armée une grande influence, et -lui faisaient espérer qu'elle finirait par répondre à son appel. Mais -ce ne pouvait être dans la journée du 16; aussi ne s'était-il avancé -qu'avec circonspection, craignant, quoiqu'il reconnût distinctement le -canon du prince de Schwarzenberg, qui n'était qu'à trois lieues vers -le sud, d'avoir la majeure partie de l'armée française sur les bras. -Il comptait environ 60 mille combattants, mais s'il en rencontrait 80 -à 90 mille, le cas pouvait devenir mauvais pour lui. La vue de nos -colonnes remontant de Düben sur Leipzig lui inspirait des craintes, et -il avait eu le soin de placer Langeron en observation sur la route de -Dölitzsch. Il avait rangé au centre le corps russe de Sacken entre la -route de Dölitzsch et celle de Halle, et sur celle-ci qui menait droit -au nord de Leipzig il avait porté le corps prussien d'York, le plus -animé de tous parce qu'il était allemand et prussien. Ces précautions -furent cause qu'il n'arriva pas avant onze heures du matin en vue de -Leipzig, ne pouvant rien distinguer de la bataille qui se livrait au -sud, et entendant seulement une canonnade formidable. Il avait devant -lui vingt mille hommes environ, se retirant lentement de Breitenfeld -et de Lindenthal sur Leipzig. C'était le corps du maréchal Marmont, -exécutant l'ordre qu'il avait reçu le matin de se replier sur Leipzig, -et de traverser cette ville pour venir former la réserve de la grande -armée. Cet ordre toutefois était conditionnel, et subordonné à ce qui -se passerait sur la route de Halle. L'ennemi s'y montrant en force, -l'ordre tombait, et résister à l'armée de Blucher devenait le devoir -indiqué, devoir que le maréchal Marmont était disposé à remplir dans -toute son étendue. - -[En marge: Position de Möckern.] - -La position pour le maréchal Marmont était difficile à cause de -l'infériorité du nombre, et de certaines circonstances locales. -D'abord il n'avait sous la main que 20 mille hommes, et ne comptait -que médiocrement sur les secours qui pouvaient lui être envoyés, -voyant combien chacun était occupé de son côté. Tout au plus -fondait-il quelque espérance sur l'appui de la division Dombrowski, -que Ney avait dirigée vers Euteritzsch pour le flanquer. Secondement -la hauteur sur laquelle il était venu s'établir entre Möckern et -Euteritzsch, appuyée d'une part à l'Elster et à la Pleisse, de l'autre -au ravin de Rietschke, quoique étant assez forte par elle-même, -présentait un inconvénient grave, c'était d'avoir à dos ce même ravin -de Rietschke, lequel, après avoir longé le flanc de la position, -passait par derrière pour tomber dans la Pleisse à Gohlis. (Voir la -carte nº 60.) Il était possible, si on était repoussé, qu'on y fût -jeté en désordre. Aussi le maréchal aurait-il voulu le traverser pour -venir se ranger derrière la Partha. Il n'en eut pas le temps, et ce -fut heureux, car s'il avait commis la faute de s'abriter tout de suite -derrière la Partha, nous aurions été trop resserrés dans Leipzig, et -surtout privés de communication avec celles de nos troupes qui étaient -encore en marche. Quoi qu'il en soit, c'est dans cette position assez -dominante de Möckern que s'était engagée la troisième bataille livrée -dans cette journée funèbre, et avec une passion digne de celle qu'on -avait déployée à Wachau. - -[En marge: Efforts du général d'York pour enlever Möckern.] - -[En marge: Vaillante résistance du 2e de marine.] - -Le combat avait commencé entre onze heures et midi, dès que Blucher -était parvenu en ligne. Préoccupé de la vue des dernières troupes de -Souham et du parc d'artillerie remontant de Düben sur Leipzig, Blucher -avait laissé tout le corps de Langeron en observation devant -Breitenfeld, et n'avait dirigé sur Marmont que le corps d'York et une -partie de celui de Sacken, ce qui faisait encore trente et quelques -mille hommes. Il s'était porté d'abord sur Möckern, pour enlever ce -village sur lequel s'appuyait la gauche de Marmont, et l'avait attaqué -avec l'acharnement qui signalait cette funeste guerre. Marmont l'avait -défendu avec un acharnement égal. Il avait dans ce village le 2e de -marine de la division Lagrange, un peu en arrière la division Lagrange -elle-même, au centre sur la pente du plateau la division Compans, à -droite et en arrière la division Friederichs, enfin en réserve la -cavalerie wurtembergeoise du général Normann, et la cavalerie -française de Lorge. Quatre-vingt-quatre bouches à feu couvraient son -front. Environ 20 mille hommes composaient ce jour-là le nombre réel -de ses combattants. - -[En marge: Combat violent entre Compans et les Prussiens sur le -plateau de Möckern.] - -[En marge: Les Prussiens foudroyés par l'artillerie de Marmont.] - -Le village de Möckern avait été disputé longtemps, et plusieurs fois -le 2e de marine, repoussé des ruines fumantes de ce village, y était -rentré à la baïonnette. Enfin, accablé par le nombre, il avait été -obligé d'en sortir. Alors le 4e de marine et le 35e léger, formant la -seconde brigade de la division Lagrange, avaient exécuté à la -baïonnette une charge furieuse, culbuté l'une des quatre divisions du -corps d'York, et repris Möckern. Blucher voyant qu'il ne gagnait rien -à vouloir nous arracher cet appui de notre gauche, avait porté deux -divisions en avant pour aborder à découvert le plateau incliné sur -lequel s'étendait la division Compans. Les deux divisions prussiennes -s'étaient bravement déployées devant Marmont, mais foudroyées par nos -quatre-vingt-quatre bouches à feu, elles avaient fait des pertes -cruelles, et vu tomber un tiers de leurs soldats. Une charge de -cavalerie pouvait tout décider, et Marmont l'avait aussitôt ordonnée. -Malheureusement la cavalerie wurtembergeoise, mal disposée, apercevant -devant elle et sur sa droite les six mille chevaux de la réserve de -Blucher, avait chargé tard et faiblement, et s'était même, en -revenant, renversée sur un bataillon de marine qu'elle avait mis en -désordre. - -[En marge: Blucher, rassuré sur la marche des troupes qui semblaient -venir de Düben, emploie le corps de Sacken et tous ses Prussiens -contre Marmont.] - -[En marge: Lutte terrible entre la division Compans et l'armée de -Blucher.] - -[En marge: Le feu mis à des caissons produit un désordre dans notre -ligne.] - -[En marge: Marmont, obligé de céder le terrain, se replie avec ordre -sur la Partha.] - -Le combat s'était ainsi soutenu pendant une moitié de l'après-midi, -lorsque Blucher rassuré sur les troupes qu'il avait aperçues dans le -lointain, sachant que le gros de l'armée française n'était pas sur son -flanc gauche, avait dirigé le corps de Langeron vers Dombrowski, pour -tenir celui-ci en respect, amené à lui le corps de Sacken tout -entier, et attaqué la ligne de Marmont avec trois divisions -prussiennes appuyées de toutes les divisions russes de Sacken. À cette -vue, Marmont s'était avancé sur l'ennemi avec la division Compans, que -le brave Compans commandait lui-même. Alors s'était engagée à cent -cinquante pas une lutte terrible, et l'une des plus meurtrières de -cette guerre. Marmont avait reçu une blessure à la main, une contusion -à l'épaule, plusieurs balles dans ses habits, et avait perdu trois de -ses aides de camp. Les régiments de Compans avaient déployé une -fermeté héroïque, et leur formidable artillerie décimant de nouveau -les rangs des Prussiens, avait couvert le sol d'une ligne de cadavres. -Un triomphe complet aurait couronné cette résistance, si un obus -tombant au milieu de l'une de nos batteries, et en faisant sauter les -caissons, n'y avait mis le désordre. L'ennemi profitant de la -circonstance, s'était élancé sur cette batterie, et l'avait prise, -tandis qu'au même instant plusieurs milliers de chevaux fondant sur la -droite de la division Compans déjà écrasée par la mitraille, l'avaient -forcée à plier. La division Friederichs était accourue à son secours, -mais Möckern étant emporté dans ce moment, cet appui de notre gauche -nous manquant, la droite étant menacée par Langeron qui était sur le -point d'envelopper Dombrowski, Marmont avait jugé prudent de battre en -retraite. Il s'était replié en bon ordre et sans accident, grâce à la -précaution qu'il avait prise de faire jeter pendant la bataille -plusieurs ponts de chevalets sur le ravin de Rietschke. Dombrowski, -secouru par l'une des divisions de Souham, s'était aussi retiré sain -et sauf, après avoir eu l'honneur de contenir à Euteritzsch tout le -corps de Langeron. Vingt-quatre mille hommes en avaient donc tenu en -échec soixante mille, des plus braves et des plus acharnés. Ce combat, -d'après l'aveu même de l'ennemi, lui coûtait de neuf à dix mille -hommes. Il nous en coûtait six, avec vingt pièces de canon perdues par -suite de l'explosion. - -[En marge: Résultats de cette première journée.] - -Telle avait été cette affreuse bataille du 16 octobre, composée de -trois batailles, qui nous avait enlevé à nous 26 ou 27 mille hommes, -et près de 40 mille à l'ennemi. Triste et cruel sacrifice qui couvrait -notre armée d'un honneur immortel, mais qui devait couvrir de deuil -notre malheureuse patrie, dont le sang coulait à torrents pour assurer -non sa grandeur, mais sa chute! - -[En marge: Quoique ayant eu partout l'avantage, c'était pour nous un -immense péril que de n'avoir pas détruit l'un de nos trois -adversaires.] - -[En marge: Immensité des forces qui arrivaient aux coalisés.] - -[En marge: Napoléon pouvait-il agir autrement dans la journée du 16?] - -[En marge: Napoléon allait dans la prochaine bataille se trouver avec -150 mille hommes en présence de 300 mille.] - -Sur aucun point nous n'avions été forcés dans notre position; nous -avions gardé le terrain au sud entre Liebert-Wolkwitz et Wachau, et au -couchant vers Lindenau; nous l'avions abandonné, mais presque -volontairement, au nord, et pour en prendre un meilleur. Mais dès que -nous n'avions pas rejeté loin l'un de l'autre, de manière à ne plus -leur permettre de se rejoindre, Schwarzenberg et Blucher, la bataille, -quoique non perdue, pouvait se convertir bientôt en un désastre. Dans -ce moment Bernadotte s'approchait avec 60 mille hommes; on annonçait -Benningsen avec 50 mille, et nous, il nous en arrivait 15 mille sous -Reynier, dont 10 mille prêts à nous trahir! La situation, dès que nous -n'avions pas remporté une victoire éclatante, était donc bien près de -devenir affreuse! Aurait-on pu obtenir un résultat décisif dans cette -première journée du 16? Voilà ce qu'ont agité tous les historiens -spéciaux, ce que les uns ont nié, les autres affirmé. Peut-être si -Napoléon, après s'être mis dans une position extrême, avait poussé -l'audace jusqu'au dernier terme, et ne laissant à Leipzig que Margaron -pour défendre la ville seulement, se bornant de plus à laisser au nord -de Leipzig Marmont et Dombrowski sur la Partha pour contenir Blucher, -avait attiré à lui Bertrand et Ney pour renforcer Macdonald de 30 -mille hommes, ces cinquante mille combattants de Macdonald, Bertrand -et Ney, jetés de notre gauche sur la droite du prince de -Schwarzenberg, auraient pu l'accabler, et le précipiter dans la -Pleisse. Une grande victoire obtenue de ce côté, nos communications -avec Lutzen et Mayence eussent été bientôt rouvertes, et Blucher -aurait été rudement puni le lendemain des progrès qu'il aurait pu -faire. Au lieu de cela, les troupes de Bertrand étaient restées dans -Leipzig presque oisives, et les divisions de Souham, tantôt dirigées -vers Napoléon, tantôt ramenées vers Marmont, avaient perdu la journée -en allées et venues inutiles. C'est ainsi qu'une force décisive avait -manqué sur le théâtre de l'action principale. Mais ces raisonnements, -vrais d'ailleurs, ont été faits après l'événement. Il aurait fallu que -Napoléon eût pu prévoir que Lindenau ne serait pas l'objet d'une -attaque principale, que Bernadotte n'arriverait pas avec Blucher au -nord et à l'est de Leipzig; il aurait fallu enfin que le corps de -Reynier n'eût pas été si loin en arrière. Ce qu'il est juste de -reprocher à Napoléon, ce n'est pas d'avoir mal livré la bataille, que -personne certainement n'aurait mieux livrée que lui, mais de s'être -mis dans une position où, assailli de tous les côtés à la fois, obligé -de faire face en même temps à toute espèce d'ennemis, il ne pouvait -exactement deviner celui qui, à chaque instant donné, serait le plus -pressant, et exigerait l'emploi de ses forces disponibles. C'est sa -conduite générale et non pas sa conduite particulière dans cette -journée, qu'il faut, cette fois comme tant d'autres, blâmer -sévèrement[27]. Quoi qu'il en soit, la position de Napoléon était tout -à coup devenue des plus périlleuses, dès qu'il n'avait pas rejeté loin -de lui l'armée de Bohême, afin de se reporter le lendemain sur celles -de Silésie et du Nord. Sans doute il pouvait se dire que l'ennemi -avait cruellement souffert, et que ses pertes lui ôteraient peut-être -le courage de recommencer le combat. C'était possible à la rigueur, -et même vraisemblable, si de nouveaux renforts n'avaient pas dû -survenir; mais avec l'ardeur qui animait les coalisés, avec -l'apparition certaine de Bernadotte sous un jour ou deux, avec -l'arrivée probable de l'armée de Benningsen, la légère espérance -qu'ils ne continueraient pas cette terrible bataille, n'était plus que -la faible branche à laquelle s'attache le malheureux roulant dans un -abîme. Tandis que les coalisés étaient presque assurés de recevoir -cent mille hommes, à peine Napoléon en attendait-il quinze mille sous -Reynier, dont les deux tiers de Saxons fort douteux, ce qui devait -porter ses forces, réduites de 26 ou 27 mille hommes par la journée du -16, à 165 mille hommes présents, et environ à 150 mille hommes sûrs; -et pouvait-il se flatter, si 300 mille ennemis lui tombaient sur les -bras, ennemis acharnés, se battant avec fureur, de leur faire face -avec 150 mille soldats, héroïques sans doute, mais ayant en tête des -adversaires que le patriotisme rendait leurs égaux au feu? - - [Note 27: Quelques écrivains qui admettraient que nos - généraux ont été lâches ou traîtres, et que nos soldats se - sont mal conduits, plutôt que d'attribuer une faute à - Napoléon, s'en sont pris à tout le monde, sauf à lui, du - résultat de cette journée du 16. D'abord, à les entendre, - Murat à Leipzig trahissait déjà, et c'est par ce motif qu'il - exécuta mal la grande charge de cavalerie ordonnée par - Napoléon. Or le pauvre Murat fort agité, il est vrai, - pendant tout l'hiver, et un moment prêt à suivre les - impulsions de l'Autriche, était revenu tout entier à - Napoléon dès qu'il s'était trouvé auprès de lui, et était - incapable d'ailleurs d'une trahison sur le champ de - bataille. Au surplus le neveu de lord Cathcart, témoin - oculaire de la charge de Murat, et appréciant les lieux - mieux qu'on ne le pouvait faire de notre côté, a expliqué - dans ses Mémoires, publiés depuis, la cause qui fit échouer - cette charge. Cette cause n'était autre que la forme du sol - le long du village de Gülden-Gossa, village qu'il suffit de - voir pour comprendre comment notre cavalerie dut y être - arrêtée. Après Murat, ce sont deux autres lieutenants de - Napoléon, c'est-à-dire Marmont et Ney, qu'on a voulu - incriminer. Marmont, à ce qu'on prétend, aurait dû repasser - la Partha, et Ney ne pas laisser Bertrand inutile dans - Leipzig. Or, Bertrand fut laissé dans Leipzig par ordre de - Napoléon, et Marmont, quand il voulut se retirer derrière la - Partha, ne le pouvait plus, ayant déjà l'ennemi sur les - bras, et n'ayant qu'un seul pont pour défiler. C'est - Napoléon qui avait mis Marmont entre Breitenfeld et - Lindenthal, dans la supposition que Blucher était encore - loin. S'il avait pu le savoir si rapproché, il aurait dès la - veille placé Marmont sur la Partha même, et de la sorte la - concentration eût été suffisante et faite à temps. Il est - vrai que dans ce cas la route de Düben aurait pu être fermée - au reste du corps de Souham et à celui de Reynier; mais - alors, si par cette considération il n'y a rien à reprocher - à Napoléon, il n'y a pas davantage de reproche à faire à - Marmont pour être demeuré au delà de la Partha, où il - n'était d'ailleurs que par ordre supérieur. Quant à nous, - nous ne cherchons que la vérité, et Napoléon, dans cette - campagne, reste si grand homme de guerre, même après - d'affreux malheurs, que nous ne comprenons pas comment on - consent à faire passer nos généraux pour incapables ou pour - traîtres, plutôt que de lui reconnaître une faute. Nous ne - voyons pas ce que la France y peut gagner en force dans le - monde, le monde sachant bien que Napoléon est mort et ne - renaîtra point. Il y a quelque chose qui ne meurt pas et ne - doit pas mourir: c'est la France! Sa gloire importe plus que - celle même de Napoléon. Voilà ce que devraient se dire ceux - qui cherchent à établir son infaillibilité, quand il n'y - aurait pas pour eux comme pour nous une raison supérieure - même à toutes les considérations patriotiques, celle de la - vérité, qu'avant tout il faut chercher et produire au jour.] - -[En marge: Napoléon pour voir les choses de plus près, parcourt le 17 -au matin toute l'étendue du champ de bataille.] - -[En marge: Après avoir bien observé la situation, il songe lui-même à -battre en retraite.] - -[En marge: Objections graves qui s'élèvent contre cette résolution.] - -Il n'était pas possible que Napoléon se dissimulât cette situation. -Espérant la veille encore, qu'après avoir battu la principale des -armées coalisées, il aurait bon marché des deux autres, il dut -éprouver une sensation bien amère en voyant à la chute du jour une -bataille indécise, qui, au lieu de le dégager, l'enfermait au -contraire dans les bras d'une espèce de polype composé d'ennemis de -toute sorte. Toutefois, pour croire à une situation si nouvelle et si -désolante, il fallait qu'il considérât encore la chose de plus près. -Après avoir pris à peine quelques heures de repos, il monta à cheval -le 17 au matin pour parcourir le champ de bataille. Il le trouva -horrible, bien qu'en sa vie il en eût contemplé de bien épouvantables. -Une morne froideur se montrait sur tous les visages. Murat, le major -général Berthier, le ministre Daru l'accompagnaient. Nos soldats -étaient morts à leur place, mais ceux de l'ennemi aussi! Et s'il y -avait certitude de ne pas reculer dans une seconde bataille, il y -avait certitude presque égale que les coalisés ne reculeraient pas -davantage. Or, une nouvelle lutte où nous resterions sur place, et où -nous ne gagnerions rien que de n'être pas arrachés de notre poste, en -voyant le cercle de fer formé autour de nous se resserrer de plus en -plus, et les issues demeurées ouvertes jusque-là se fermer l'une -après l'autre, une nouvelle lutte dans ces conditions ne nous -laissait d'autre perspective que celle des Fourches Caudines. Tout le -monde le sentait, personne n'osait le dire. Murat, dont le coeur -excellent cherchait une consolation à offrir à Napoléon, répéta -plusieurs fois que le terrain était couvert des morts autrichiens, -prussiens et russes, que jamais, excepté à la Moskowa, on n'avait fait -une pareille boucherie des ennemis, ce qui était vrai. Mais il en -restait assez, et en tout cas il allait en venir assez, pour réparer -les brèches de cette muraille vivante qui s'élevait peu à peu autour -de nous. La retraite immédiate par la route de Lutzen, pour ne pas -laisser fermer bientôt l'issue de Lindenau, était donc la seule -résolution à prendre. Napoléon se promenant à pied avec ses -lieutenants, sous un ciel triste et pluvieux, au milieu des -tirailleurs qui faisaient à peine entendre quelques coups de feu, tant -la fatigue était grande des deux côtés, prononça lui-même et le -premier le mot de retraite, que personne n'osait proférer. On le -laissa dire avec un silence qui cette fois était celui de la plus -évidente approbation. Cependant la retraite offrait aussi de graves -inconvénients. La bataille que nous venions de livrer pouvait, sans -mentir autant que nos ennemis, s'appeler une victoire, car nous avions -sans cesse ramené, refoulé les coalisés sur leur terrain, et nous leur -en avions même enlevé une partie. Néanmoins ce qui lui donnerait sa -vraie signification, ce serait comme à Lutzen, comme à Bautzen, -l'attitude du lendemain. Si nous nous retirions, la bataille serait -une défaite. C'était donc avouer tout à coup au monde que nous avions -été vaincus dans une journée décisive, lorsque nous avions au -contraire écrasé l'ennemi partout où il s'était présenté! En vérité -l'aveu était cruel à faire. Mais ce n'était pas tout. Les 170 mille -Français laissés à Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg, -Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comme base d'un édifice de grandeur -qu'on s'était flatté de relever en une bataille, qu'allaient-ils -devenir? Il y avait dans le nombre bien des malades, bien des -écloppés, mais il était possible d'en tirer 100 à 120 mille soldats -excellents, qui, se joignant à ceux qui restaient, rendraient -invincible la frontière du Rhin. Pourraient-ils se grouper, et former -successivement une masse qui sût se rouvrir par Hambourg et Wesel le -chemin de la France? C'était une grande question. Le maréchal qui -commandait à Dresde, seul en position de commencer ce mouvement, avait -assez d'esprit pour en concevoir le projet, aurait-il assez d'audace -pour l'exécuter? - -[En marge: Nécessité d'attendre au moins toute la journée du 17 pour -recueillir Reynier resté en arrière.] - -[En marge: Le meilleur parti à prendre serait de rester toute la -journée du 17 sur le champ de bataille, et de décamper dans la nuit du -17 au 18.] - -Battre en retraite, c'était donc à l'aveu d'une défaite ajouter une -perte irréparable, perte qui était la suite d'une immense faute, celle -d'avoir voulu garder jusqu'au bout les éléments d'une grandeur -impossible à refaire, perte enfin désolante, quelle qu'en fût la -cause. On ne peut blâmer Napoléon d'avoir consumé en affreuses -perplexités la journée du 17, sans juger bien légèrement les -mouvements du coeur humain. Se déclarer soi-même vaincu dans une -rencontre générale, abandonner tout de suite 170 mille Français -laissés dans les places du Nord, sans quelques heures de méditation, -de regrets, d'efforts d'esprit pour tâcher de trouver une autre -issue, était un sacrifice qu'il serait peu juste de demander à -quelque caractère que ce soit. De plus, il y avait un autre sacrifice, -et bien cruel à faire en se retirant tout de suite, c'était celui de -Reynier, qui marchait en ce moment entouré d'ennemis, et qui ne -pouvait arriver que dans la journée du 17. Il fallait donc de toute -nécessité temporiser pendant la plus grande partie de cette journée. -Alors, après vingt-quatre heures passées devant les armées de la -coalition, on pourrait dire qu'on les avait attendues longtemps comme -dans un duel, et que les ayant attendues vainement, on avait décampé -pour regagner une ligne plus avantageuse. D'ailleurs, il fallait bien -accorder un peu de repos à des soldats accablés de fatigue; il fallait -bien rendre quelque ensemble à des corps désorganisés par le combat, -approvisionner avec le grand parc les parcs de chaque corps épuisés de -munitions, toutes choses indispensables si en se retirant on avait -l'ennemi sur les bras. Attendre une journée, et décamper la nuit -suivante, était évidemment la seule conduite qui dût convenir à -Napoléon, la seule qu'on pût même lui conseiller, mais à la condition -de l'adopter résolûment, de tout préparer pour qu'à la chute du jour -la retraite commençât, et que le 18 au matin les coalisés n'eussent -devant eux que d'insaisissables arrière-gardes. - -Malheureusement les perplexités de Napoléon furent extrêmes. Un -immense orgueil mis à la plus terrible des épreuves, et s'appuyant au -surplus dans sa résistance sur des raisons très-fortes, le retint -toute la journée presque sans rien prescrire. Tantôt seul, tantôt -accompagné de Murat, du prince Berthier, de M. Daru, il se promenait, -sombre, soucieux, à chaque instant se répétant douloureusement qu'il -fallait battre en retraite, mais n'en pouvant prendre la résolution, -et aimant à croire que l'ennemi demeuré immobile pendant cette -journée, ne l'attaquerait point le lendemain, et que Schwarzenberg, -usant d'une vieille maxime fort en renom chez les capitaines sages, -_ferait un pont d'or à l'adversaire qui voulait se retirer_. Il -pourrait alors défiler à travers Leipzig d'une manière imposante, -changeant sans être vaincu sa base d'opérations. Vaine espérance, dont -son esprit avait besoin, et dont il se nourrit quelques heures! - -[En marge: Napoléon mande auprès de lui M. de Merveldt, fait -prisonnier la veille, afin de jeter en avant quelques idées -d'armistice.] - -Dans cet état, il imagina de mander auprès de lui M. de Merveldt, qui -avait été fait prisonnier la veille à Dölitz, qu'il connaissait depuis -longtemps, et qui était un militaire d'infiniment d'esprit. Il voulait -avec art le questionner sur les dispositions des coalisés, lui faire -certaines insinuations tendantes à la paix, le charger même d'une -proposition d'armistice, puis le renvoyer libre au camp des -souverains, pour les amener peut-être à perdre un jour en hésitations, -et pour provoquer de leur part quelque ouverture acceptable. Voilà où -il en était arrivé pour avoir refusé d'écouter M. de Caulaincourt deux -mois auparavant, lorsqu'on négociait à Prague! - -[En marge: Curieux entretien avec M. de Merveldt.] - -Vers deux heures de l'après-midi il reçut M. de Merveldt[28], auquel -on avait rendu son épée. Il l'accueillit avec courtoisie, et le -complimenta relativement à la tentative faite contre le pont de -Dölitz, bien qu'elle eût mal réussi; puis il lui dit qu'en mémoire de -son mérite, de ses anciennes relations avec le quartier général -français, il allait le renvoyer sur parole, ce dont le général -autrichien le remercia fort. Amenant ensuite la conversation sur le -sujet qui l'intéressait, Napoléon lui demanda si en attaquant ils -avaient su qu'il était présent sur les lieux.--Le général Merveldt -ayant répondu que oui, Napoléon lui répliqua: Vous vouliez donc cette -fois me livrer bataille?--Le général Merveldt ayant répondu de -nouveau, avec respect mais avec fermeté, que oui, parce qu'ils étaient -résolus à terminer par une action sanglante et décisive cette longue -lutte, Napoléon lui dit: Mais vous vous trompez sur mes forces; -combien croyez-vous que j'aie de soldats?--Cent vingt mille au plus, -repartit M. de Merveldt.--Eh bien, vous êtes dans l'erreur, j'en ai -plus de deux cent mille.--On a vu, par ce qui précède, de combien se -trompaient l'un et l'autre interlocuteur, mais l'un par ignorance, -l'autre par calcul. Et vous, reprit Napoléon, combien en -avez-vous?--Trois cent cinquante mille, dit M. de Merveldt.--Ce -chiffre n'était pas très-éloigné de la vérité. Napoléon ayant avoué -qu'il n'en avait pas supposé autant, ce qui expliquait du reste la -situation où il s'était mis, ajouta avec sang-froid et un semblant de -bonne humeur: Et demain, m'attaquerez-vous?--M. de Merveldt répondit -avec la même assurance que les coalisés combattraient infailliblement -le lendemain, résolus qu'ils étaient à acheter leur indépendance au -prix de tout leur sang.--Napoléon dissimulant son impression, rompit -le cours de l'entretien, et dit à M. de Merveldt: Cette lutte devient -bien sérieuse, est-ce que nous n'y mettrons pas un terme? Est-ce que -nous ne songerons pas à faire la paix?--Plût au ciel que Votre Majesté -la voulût! s'écria le général autrichien, nous ne demandons pas un -autre prix de nos efforts! nous ne combattons que pour la paix! Si -Votre Majesté l'eût désirée, elle l'aurait eue à Prague il y a deux -mois.--Napoléon, alléguant ici de fausses excuses, prétendit qu'à -Prague on n'avait pas agi franchement avec lui; qu'on avait usé de -finesse, qu'on avait cherché à l'enfermer dans un cercle fatal, que -cette manière de traiter n'avait pu lui convenir, que l'Angleterre ne -voulait point la paix, qu'elle menait la Russie et la Prusse, qu'elle -mènerait l'Autriche comme les autres, et que c'était à cette dernière -à travailler à la paix si elle la souhaitait sincèrement.--M. de -Merveldt, après avoir affirmé qu'il parlait pour son compte, et sans -mission (ce qui était vrai, mais ce qui n'empêchait pas qu'il ne fût -instruit de tout), soutint que l'Angleterre désirait la paix, qu'elle -en avait besoin, et que si Napoléon savait faire les sacrifices -nécessaires au bonheur du monde et de la France, la paix serait -conclue tout de suite.--Des sacrifices, s'écria Napoléon, je suis prêt -à en faire! et afin de donner à croire qu'il n'avait tenu à garder -certaines possessions en Allemagne qu'à titre de gages, et pour -s'assurer la restitution de ses colonies, il ajouta: Que l'Angleterre -me rende mes colonies, et je lui rendrai le Hanovre.--M. de Merveldt -ayant indiqué que ce n'était pas assez, Napoléon laissa échapper un -mot qui, prononcé au congrès de Prague, aurait changé son sort et le -nôtre.--Je restituerai, dit-il, s'il le faut, les villes -anséatiques...--Malheureusement il était trop tard. Kulm, la Katzbach, -Gross-Beeren, Dennewitz, Wachau, avaient rendu ce sacrifice -insuffisant. M. de Merveldt exprima l'opinion que pour obtenir la paix -de l'Angleterre il faudrait consentir au sacrifice de la Hollande. -Napoléon se récria fort, dit que la Hollande serait dans les mains de -l'Angleterre un moyen de despotisme maritime, car l'Angleterre, il le -savait bien, voulait le contraindre à limiter le nombre de ses -vaisseaux.--C'était une idée singulière, qui avait pu traverser -certains esprits, mais que jamais le cabinet britannique n'avait -sérieusement regardée comme proposable.--Si vous prétendez, Sire, -reprit M. de Merveldt, joindre aux vastes rivages de la France ceux de -la Hollande, de l'Espagne, de l'Italie, alors comme aucune puissance -maritime n'égalerait la vôtre, il se pourrait qu'on songeât à imposer -une limite à l'étendue de vos flottes; mais Votre Majesté, si -difficile en fait d'honneur, aimera mieux sans doute abandonner des -territoires dont elle n'a pas besoin, que subir une condition dont je -comprends qu'elle repousse jusqu'à l'idée.-- - - [Note 28: M. Fain, qui cependant était au quartier général, - a prétendu que ce fut le 16 au soir que Napoléon appela M. - de Merveldt, et lui rendit sa liberté. Beaucoup d'autres - écrivains ont reproduit la même erreur, parce qu'elle - fournit une explication et une excuse toute naturelle pour - la perte de la journée du 17. Napoléon dans ce cas aurait - attendu pendant toute la journée du 17 une réponse à ses - propositions. Or, la publication de la conversation de M. de - Merveldt, due au comte de Westmoreland, récemment encore - ambassadeur à Vienne, et alors employé dans la légation - britannique auprès des coalisés, permet de redresser cette - erreur. M. de Merveldt, dans la pièce publiée, donne l'heure - et le jour, et place son entrevue au 17 à deux heures de - l'après-midi. Comme on ne peut prétendre qu'il eût intérêt à - altérer une pareille circonstance, la supposition de ceux - qui placent cette conversation dans la soirée du 16, tombe - avec toutes les conséquences qu'ils prétendent en tirer.] - -De cet entretien Napoléon put conclure que tandis qu'il aurait deux -mois auparavant obtenu la paix en sacrifiant seulement le duché de -Varsovie, le protectorat du Rhin, et les villes anséatiques, il lui -faudrait maintenant abandonner en outre la Hollande, la Westphalie, -l'Italie, celle-ci toutefois à la condition de la laisser indépendante -de l'Autriche comme de la France. Certes la France avec le Rhin, les -Alpes, les Pyrénées, restait bien encore assez belle, aussi belle -qu'on la pouvait désirer! Sur tous ces objets Napoléon parut admettre -qu'à la paix générale il faudrait consentir à de grands sacrifices, et -se montra même plus disposé à les accorder qu'il ne l'était -véritablement. Mais la paix l'occupait bien moins que l'espérance, -malheureusement très-vague, d'un armistice. C'était à cette conclusion -qu'il aurait voulu amener son interlocuteur.--Je n'essaye pas, dit-il -à M. de Merveldt, de vous parler d'armistice, car vous prétendez vous -autres que j'ai le goût des armistices, et que c'est une partie de ma -tactique militaire. Pourtant il a coulé bien du sang, il va en couler -beaucoup encore, et si nous faisions tous un pas rétrograde, les -Russes et les Prussiens jusqu'à l'Elbe, les Autrichiens jusqu'aux -montagnes de la Bohême, les Français jusqu'à la Saale, nous -laisserions respirer la pauvre Saxe, et de cette distance nous -pourrions traiter sérieusement de la paix.--M. de Merveldt répondit -que les alliés n'accepteraient point la Saale pour ligne d'armistice, -car ils espéraient aller cet automne jusqu'au Rhin.--Me retirer -jusqu'au Rhin! reprit fièrement Napoléon; il faudrait que j'eusse -perdu une bataille, or je n'en ai point perdu encore! Cela pourra -m'arriver sans doute, car le sort des armes est variable, vous le -savez, monsieur de Merveldt (celui-ci était venu jadis implorer des -armistices après Léoben et après Austerlitz); mais ce malheur ne m'est -point arrivé, et sans bataille perdue je ne vous abandonnerai pas -l'Allemagne jusqu'au Rhin...--Partez, ajouta Napoléon, je vous accorde -votre liberté sur parole; c'est une faveur que j'accorde à votre -mérite, à mes anciennes relations avec vous; et si de ce que je vous -ai dit vous pouvez tirer quelque profit pour amener une négociation, -ou au moins une suspension d'armes qui laisse respirer l'humanité, -vous me trouverez disposé à écouter vos propositions.-- - -[En marge: Napoléon espère que les paroles dont il charge M. de -Merveldt jetteront quelque hésitation dans l'esprit des coalisés.] - -Cet entretien singulier, dans lequel on voit l'art que Napoléon avait -de se dominer, lorsqu'il s'en donnait la peine, avait eu pour but, on -le devine, de savoir au juste ce qu'il devait attendre des coalisés le -lendemain, et de faire naître, s'il était possible, quelque hésitation -parmi eux, en proférant à l'égard de la paix des paroles qui jamais -n'étaient sorties de sa bouche. S'ils avaient été aussi maltraités que -Napoléon le supposait (et maltraités, ils l'étaient fort, mais -ébranlés, point du tout), ils pouvaient trouver dans ces paroles une -raison de parlementer, et lui le temps le changer de position. - -[En marge: Vers la fin du 17, on voit à l'horizon paraître de -nouvelles colonnes ennemies.] - -La fin du jour ne fit que jeter de nouvelles et tristes lumières sur -cette situation. On vit de fortes colonnes apparaître sur la route de -Dresde, et les rangs de l'armée de Schwarzenberg s'épaissir -considérablement. Du haut des clochers de Leipzig on discerna -clairement l'armée de Bernadotte qui arrivait vers le nord. L'horizon -était enflammé de mille feux. Le cercle était presque fermé autour de -nous, au sud, à l'ouest, au nord. Il n'y avait qu'une issue encore -ouverte, c'était celle de l'est, à travers la plaine de Leipzig, car -Blucher jusqu'ici n'avait pu dans cette plaine si vaste étendre son -bras vers Schwarzenberg. Mais cette issue, la seule qui nous restât, -menait à l'Elbe et à Dresde, où il n'était plus temps d'aller. -Napoléon, faisant un dernier effort sur lui-même, prit enfin le parti -de la retraite, parti qui lui coûtait cruellement, non-seulement sous -le rapport de l'orgueil, mais sous un rapport plus sérieux, celui du -changement d'attitude, celui surtout du sacrifice de 170 mille -Français laissés sans secours, presque sans moyen de salut, sur -l'Elbe, l'Oder et la Vistule. - -[En marge: Napoléon se décide à se retirer sur la Saale, mais il veut -faire une retraite imposante, en arrêtant les coalisés s'ils essayent -de poursuivre l'armée française.] - -Malheureusement il se décida trop tard et trop incomplétement. Au -lieud'une retraite franchement résolue, et calculée dès lors dans -tous ses détails, devant commencer dans la soirée du 17, et être -achevée le 18 au matin, il voulut une retraite imposante, qui n'en -fût presque pas une, et qui s'exécutât en plein jour. Il arrêta qu'au -milieu de la nuit, c'est-à-dire vers deux heures, on rétrograderait -concentriquement sur Leipzig, et l'espace d'une lieue; que Bertrand -avec son corps, Mortier avec une partie de la jeune garde, iraient par -Lindenau s'assurer la route de Lutzen; que le jour venu on défilerait, -un corps après l'autre, à travers Leipzig, repoussant énergiquement -l'ennemi qui oserait aborder nos arrière-gardes. Une pareille marche, -en nous tirant d'une fausse position, aurait ainsi l'aspect d'un -changement de ligne, plutôt que celui d'une retraite. - -Napoléon se croyait encore si imposant, qu'il n'imaginait pas qu'on -pût troubler une semblable retraite. Il l'était encore beaucoup sans -doute, mais pour la passion enivrée de subites espérances, il n'y a -rien d'imposant, et c'était une passion de ce genre qui animait alors -les coalisés. Telles furent les résolutions de Napoléon pour la nuit -du 17 au 18. - -[En marge: Résolution de la part des coalisés de se battre en -désespérés, jusqu'à ce qu'ils soient venus à bout de la résistance de -Napoléon.] - -[En marge: L'annonce de l'arrivée de Bernadotte et de Benningsen les -décide à demeurer immobiles le 17, pour recommencer la lutte le 18.] - -Ce qui s'était passé pendant la journée du côté des coalisés ne -répondait pas aux illusions dont il avait flatté son malheur. Leur -intention première avait été de combattre sans relâche, de faire tuer -des hommes sans mesure, jusqu'à ce qu'on fût venu à bout de la -résistance des Français, et avec de telles dispositions il n'y avait -pas même de motif pour s'arrêter le 17. Pourtant les nouvelles qu'on -avait réussi à se procurer du nord de Leipzig, avaient appris que le -prince de Suède pourrait se trouver en ligne si on lui accordait un -jour de plus. Une autre nouvelle non moins importante était venue des -environs de Dresde. On avait laissé devant cette ville la division -russe Sherbatow et la division autrichienne Bubna sur la droite de -l'Elbe, et l'armée entière de Benningsen avec le corps de Colloredo -sur la rive gauche. C'étaient environ 70 mille hommes, bien -inutilement employés à contenir un corps français qu'il suffisait -d'observer, et dont on n'avait rien à craindre. Ayant profité des -leçons de Napoléon, qui avait enseigné à tous les généraux du siècle -l'art de réunir ses troupes au point où elles étaient le plus utiles, -on avait prescrit au général Benningsen de laisser le corps de Tolstoy -devant Dresde, et de marcher avec le sien sur Leipzig. Même ordre -avait été expédié au corps de Colloredo et à la division Bubna. -C'étaient cinquante mille hommes dont l'arrivée était annoncée pour la -fin de la journée. Cinquante mille de ce côté, soixante mille du côté -de Bernadotte, composaient un renfort de cent dix mille hommes, dont -il eût été bien imprudent de se priver. Il n'y avait donc pas à être -avare du temps qui devait tant profiter aux alliés, si peu aux -Français, et on ne pouvait mieux faire que de remettre d'un jour -l'attaque décisive. Les soldats qui avaient si vaillamment combattu -dans la journée du 16 prendraient un peu de repos le 17, et ce repos -ne servirait guère aux soldats de Napoléon, qui étaient trop -intelligents pour ne pas apercevoir le danger sans cesse croissant -autour d'eux, et devaient être plutôt affectés que remis par la -prolongation d'une situation pareille. Par ces raisons, qui pour notre -malheur étaient toutes excellentes, on avait décidé de différer -jusqu'au 18 la dernière bataille[29]. L'arrivée de M. de Merveldt -dans l'après-midi, ses récits détaillés n'ébranlèrent personne, et -révélèrent au contraire à tout le monde la détresse qui avait arraché -à Napoléon des propositions si nouvelles. Ne s'arrêter qu'au bord du -Rhin fut la résolution générale. - - [Note 29: Les écrivains décidés à ne voir dans les revers de - Napoléon d'autre cause que la trahison de ses alliés ou la - faiblesse de ses lieutenants, comme si la trahison des - alliés, la faiblesse des lieutenants ne provenaient pas - elles-mêmes de fautes graves, ces écrivains ont prétendu que - les généraux de la coalition ne voulaient pas attaquer le 17 - ni le 18, mais qu'ils s'y décidèrent dans la nuit du 18, en - apprenant la trahison projetée des Saxons. Dès lors Napoléon - aurait encore calculé ici avec une justesse infaillible. En - restant en effet un jour de plus en position il se serait - retiré sain et sauf avec l'attitude d'un vainqueur, et ce - n'est que la trahison des Saxons qui aurait empêché ce - calcul de se vérifier. Cette nouvelle supposition est aussi - peu fondée que toutes celles du même genre. MM. de Wolzogen, - Cathcart, présents aux quartiers généraux des coalisés, nous - ont révélé le détail des délibérations de ces quartiers - généraux, et on sait aujourd'hui que la résolution était - d'attaquer le 17 même, et que l'arrivée de nouveaux renforts - fit seule remettre au 18. De plus, la défection des Saxons, - si elle était connue d'avance, ne l'était qu'au quartier - général de Bernadotte, où des Saxons réfugiés auprès de lui - l'avaient préparée; mais elle était tout à fait ignorée au - quartier général des trois souverains. Ces inventions, qui - ont pour but de prouver non pas le génie prodigieux de - Napoléon, qu'on ne peut mettre en question, mais son - infaillibilité, sont donc contraires à la vérité, et dénuées - de tout fondement.] - -[En marge: Résolutions prises au camp de Blucher et de Bernadotte.] - -[En marge: Blucher oblige Bernadotte à passer la Partha, pour se lier -avec l'armée de Bohême, et investir complétement les Français.] - -Au nord de Leipzig, les déterminations prises avec moins d'accord, -n'en avaient pas moins tendu au même but. Le prince de Suède, assailli -par les reproches violents du ministre d'Angleterre qui taxait son -inaction de perfidie, par les remontrances de ses divers états-majors, -et notamment par les instances des officiers suédois dont les champs -de Leipzig réveillaient les souvenirs patriotiques, avait fini par -marcher le 17, et par prendre position derrière Blucher, auquel il -avait demandé une entrevue. Celui-ci l'avait déclinée, sachant ce que -le prince désirait de lui, et décidé à ne pas y consentir. Il -s'agissait de passer hardiment la Partha, afin de compléter -l'investissement des Français, et celui qui la traverserait avant -d'avoir donné la main au prince de Schwarzenberg pourrait bien essuyer -quelque rude choc. Or le prince de Suède, en cette occasion, comme sur -la Mulde quelques jours auparavant, voulait que Blucher occupât le -poste le plus périlleux. Blucher fatigué, non pas de dangers, mais de -complaisances pour un allié dont il suspectait la fidélité autant que -l'énergie, avait répondu que ses troupes épuisées par le combat du 16, -étaient beaucoup moins propres à supporter une position difficile que -celles de l'armée du Nord, et il avait exigé que Bernadotte vînt -franchir la Partha sur la gauche de l'armée de Silésie, et se risquer -dans la plaine de Leipzig en face de Napoléon. Il s'était en même -temps entendu secrètement avec les généraux prussiens et russes qui -commandaient les divers corps de l'armée du Nord, et il leur avait -promis de passer avec eux la Partha le lendemain pour combattre -Napoléon à outrance, car Blucher était bien résolu à participer -lui-même à la dernière lutte, mais il voulait contraindre Bernadotte à -prendre une position de combat dont il lui fût impossible de -revenir[30]. Tout était donc disposé pour que Napoléon eût sur les -bras environ 300 mille hommes. Les alliés en avaient effectivement 220 -ou 230 mille le 16; s'ils en avaient perdu environ 40 mille dans -cette journée, et s'il leur en arrivait 50 avec Benningsen, 60 avec -Bernadotte, leur nombre total devait bien être d'à peu près 300 mille. -Quant à Napoléon, qui en avait eu 190 mille, Reynier compris, avant la -bataille du 16, il ne devait pas, comme nous l'avons dit, en conserver -plus de 160 à 165 mille le 18, en comptant même les alliés peu sûrs -qui étaient dans ses rangs. - - [Note 30: Nous citons le passage suivant de M. de Wolzogen - qui peint ce qui se passait aux états-majors de Blucher et - de Bernadotte. Les récits de M. de Muffling, témoin - oculaire, sont encore plus frappants et plus amers. - - «Le prince Guillaume, frère du roi de Prusse, avait déjà - auparavant décidé le prince qui hésitait, à prendre une part - sérieuse à la bataille, et avait amicalement éveillé son - attention sur ce point, que l'opinion des troupes - prussiennes et russes qui se trouvaient dans son armée lui - était très-défavorable, et qu'elles allaient même jusqu'à - douter de son courage personnel et de sa loyale volonté - d'agir efficacement dans l'intérêt de la cause commune des - alliés. Cette confidence, ainsi que les observations du - général Adlerkreutz, chef de son état-major général, que les - Suédois, loin de rester en arrière, désiraient au contraire - soutenir leur ancienne renommée sur le champ de bataille où - Gustave-Adolphe avait combattu si glorieusement, passent - pour avoir exercé une influence décisive sur la résolution - de Charles-Jean.»] - -[En marge: Dispositions de Napoléon autour de Leipzig pour y prendre -une attitude imposante, et se retirer après avoir bravé et contenu -l'ennemi.] - -[En marge: Bertrand envoyé au delà de Lindenau, pour s'ouvrir la route -de Mayence à travers la plaine de Lutzen.] - -Du reste Napoléon connaissant cette situation, avait pris vers la fin -de la journée du 17 le parti de se retirer. Malheureusement ce n'était -pas, comme nous l'avons dit, une de ces retraites nocturnes, telles -que l'art de la guerre autorise à les faire lorsqu'une armée a besoin -de se soustraire à un ennemi supérieur, mais une retraite en plein -jour, et à pas lents, qu'il voulait exécuter, de manière à conserver -une attitude imposante, et à traverser sans embarras le long défilé de -Leipzig à Lindenau, défilé consistant en une multitude de ponts jetés -sur les bras divisés de la Pleisse et de l'Elster. À deux heures du -matin en effet il était debout, expédiant ses ordres qui furent les -suivants. Tous les corps qui avaient combattu au sud, c'est-à-dire -Poniatowski, Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les -1er, 2e, 4e, 5e de cavalerie, devaient rétrograder d'une lieue, et -venir former autour de Leipzig, sur le plateau de Probstheyda, un -cercle plus resserré, et dès lors à peu près invincible. Si l'ennemi -les suivait, ils se précipiteraient sur lui, et le refouleraient au -loin. Au nord et à l'est, Marmont qui après le combat de Möckern avait -repassé la Partha, devait se concentrer de Schönfeld à Sellerhausen. -Ney qui avec Reynier, arrivé dans l'après-midi du 17, formait le -prolongement de la ligne de Marmont, devait replier sa droite en -arrière, jusqu'à ce qu'il rencontrât la gauche de Macdonald à travers -la plaine de Leipzig, et fermât ainsi le cercle que l'armée française -allait décrire. Alors la liaison qui n'avait été établie entre Ney et -Macdonald qu'au moyen de la cavalerie, serait établie au moyen d'une -ligne continue de troupes de toutes armes occupant les villages de -Paunsdorf, Melckau, Holzhausen, Liebert-Wolkwitz. Dès cet instant, au -lieu d'un cercle de cinq à six lieues, on n'en formerait plus qu'un de -deux lieues à peu près, et partout très-solide. À l'est et au nord, on -devait comme au sud rétrograder lentement, culbuter l'ennemi trop -pressant, et si on n'était pas suivi, venir à l'exemple des autres -corps s'écouler à travers Leipzig par la chaussée de Lindenau. Mais -cette chaussée il fallait se l'ouvrir. Margaron, le 16, avait conservé -le bourg de Lindenau placé à l'extrémité des ponts de la Pleisse et de -l'Elster. Napoléon confia au général Bertrand le soin de franchir -Lindenau, de déboucher dans la plaine de Lutzen, d'enfoncer tout -ennemi rencontré sur son chemin, et de percer jusqu'à Weissenfels sur -la Saale. Il lui donna pour le renforcer la division française -Guilleminot, qui avait marché précédemment sous les ordres de Reynier, -avec la division Durutte, dans l'intention de placer les Saxons entre -deux divisions françaises. Le général Rogniat eut ordre de partir avec -les troupes du génie de la garde, afin d'aller jeter de nouveaux ponts -sur la Saale, au-dessous de Weissenfels. Margaron et Dombrowski -furent chargés de la défense de Leipzig. Margaron devait occuper -l'intérieur, Dombrowski le dehors jusqu'à Schönfeld, où était le -maréchal Marmont, et où commençait par conséquent la ligne de Ney. -Comme Margaron pouvait ne pas suffire, Napoléon se priva de la -division de la jeune garde commandée par Mortier, et l'envoya dans -Leipzig même. Les parcs, les bagages inutiles eurent ordre de se -mettre en marche immédiatement, afin d'avoir défilé lorsque les -colonnes de l'armée arriveraient aux ponts. À trois heures du matin -tout était en mouvement par un temps sombre et pluvieux, et les -caissons qu'on brûlait ou qu'on faisait sauter faute de les pouvoir -atteler, ajoutaient de sinistres lueurs et de plus sinistres -détonations à cette retraite. Rien ne prouvait mieux qu'on ne voulait -pas faire une retraite clandestine, et que l'orgueil mal entendu de la -victoire nous restait jusque dans la défaite, défaite, il est vrai, -qui n'était pas celle du champ de bataille, mais de la campagne, et -celle-ci était malheureusement plus grave. - -[En marge: Napoléon courant toute la nuit pour assurer l'exécution de -ses dispositions.] - -Napoléon après avoir expédié ses ordres était allé lui-même au -faubourg de Reudnitz auprès de Ney, pour lui exprimer de vive voix ses -intentions[31]. Entre autres instructions qu'il lui avait laissées, -était celle de pourvoir à la sûreté du grand quartier général qui -était demeuré en arrière sur la route de Düben à Leipzig. Ce grand -quartier général, qui comprenait toutes les administrations, le trésor -de l'armée notamment, le parc du génie, une partie du parc général de -l'artillerie, l'équipage de pont, avait été conduit à Eilenbourg, et -puis, ayant voulu suivre Reynier, il en avait été empêché par la -présence de l'ennemi. Napoléon lui fit dire, s'il ne pouvait pas -rejoindre, de se replier sur Torgau, et d'aller s'y enfermer, triste -ressource qui ne devait différer sa perte que de quelques jours, à -moins qu'un armistice ne vînt sauver la garnison des places. - - [Note 31: Nous avons l'exposé bref mais formel de ces - intentions dans une lettre du maréchal Ney au général - Reynier, datée de 5 heures du matin, et dans laquelle le - maréchal dit ce que Napoléon est venu faire et ordonner - auprès de lui, c'est-à-dire à Reudnitz, où il avait son - quartier général.] - -Ces ordres expédiés, Napoléon s'était transporté à Leipzig, où il -avait communiqué ses vues à ses autres généraux, et il était revenu -fort matin à son bivouac, au milieu des rangs de l'armée principale -qu'il n'avait pas quittés depuis plusieurs jours. - -[En marge: Le colonel Montfort sollicite en vain de Berthier -l'autorisation de jeter des ponts supplémentaires, afin de prévenir un -encombrement sur celui de Lindenau.] - -Le colonel du génie Montfort, qui remplaçait le générai Rogniat parti -pour Weissenfels, avait été extrêmement frappé de la difficulté de -faire défiler toute l'armée par un seul pont d'une immense longueur, -celui qui va de Leipzig à Lindenau. Il avait donc proposé au prince -Berthier de jeter, au-dessus ou au-dessous, d'autres ponts -secondaires, qui serviraient au passage de l'infanterie, afin de -réserver la chaussée principale à l'artillerie, à la cavalerie, aux -bagages. Soit que Berthier, tout plein encore de la peine qu'on avait -eue à parler de retraite à Napoléon, n'osât pas lui en parler de -nouveau, soit (ce qui est plus probable) qu'il eût l'habitude -invétérée d'attendre tout de sa prévoyance, il repoussa le colonel, en -lui disant qu'il fallait savoir exécuter les ordres de l'Empereur, -mais n'avoir pas la prétention de les devancer. Peut-être aussi -Napoléon avait-il considéré ce cas, et n'avait-il rien voulu ordonner -qui annonçât sa retraite trop longtemps à l'avance. Quoi qu'il en -soit, on se réduisit volontairement au seul pont de Lindenau, ce qui -dans certains cas pouvait devenir extrêmement dangereux[32]. - - [Note 32: Il n'est aucune circonstance de cette campagne qui - ait donné lieu à plus de controverses que celle de - l'existence d'un seul pont pour opérer la retraite de - Leipzig. Les écrivains dont le thème ordinaire est que - Napoléon en sa vie n'a commis ni une faute ni une omission, - prétendent que Napoléon prescrivit à Berthier de jeter - plusieurs ponts soit au-dessus, soit au-dessous de celui de - Lindenau, et que Berthier n'exécuta pas cet ordre si - important, lui qui ne négligeait pas les ordres les plus - accessoires. Cette nouvelle assertion, tout invraisemblable - qu'elle soit, pourrait être admise, en supposant que - Berthier fatigué, affecté, malade (ce qu'il était alors), - aurait oublié les prescriptions de Napoléon. Mais par - malheur pour cette hypothèse, il y a l'assertion du colonel - Montfort, qui depuis l'événement a déclaré qu'il avait - adressé à Berthier les plus vives instances pour être - autorisé à jeter des ponts secondaires, ce qui aurait dû - suffire pour rafraîchir la mémoire du major général s'il en - avait eu besoin. Il est vrai qu'on pourrait accuser le - colonel Montfort, mis plus tard en jugement pour cette - affaire, d'avoir imaginé cette assertion afin de s'excuser. - Mais outre la bonne foi du colonel, qui ne saurait être mise - en doute quand on l'a connu, j'ai de cette assertion et de - son exactitude une autre preuve. Le jour même du passage si - embarrassé du pont de Lindenau, c'est-à-dire le 19, le - colonel Montfort au milieu de la foule qui se pressait sur - le pont, s'entretenant avec le colonel du génie Lamare, lui - dit avec chagrin qu'il avait la veille adressé les plus - vives instances à Berthier pour être autorisé à jeter - d'autres ponts, et que Berthier lui avait répondu qu'il - fallait attendre les ordres de l'Empereur. Ainsi au moment - même, le colonel Montfort n'ayant pas encore à se justifier - devant un conseil de guerre, et avant d'avoir pu y penser, - produisait le fait avec une sincérité et une spontanéité - évidentes. Le fait ne peut donc pas être contesté. Or, - comment admettre alors que Berthier ayant des ordres de - Napoléon ne les eût pas exécutés? Ici l'invraisemblance est - frappante, car il eût fallu que Berthier fût ou stupide ou - traître. Or, ce vieux compagnon de Napoléon, quoique - fatigué, était aussi dévoué qu'habile. Il n'y a donc qu'une - supposition possible, c'est que Napoléon, ou n'y ayant pas - pensé, ou, ce qui est plus probable, voulant faire une - retraite pour ainsi dire _à volonté_, sans presser le pas, - crut le pont de Lindenau suffisant. Probablement aussi il ne - voulait pas que des préparatifs indiquant une retraite - précipitée affectassent le moral des soldats. Quoi qu'il en - soit, c'est la seule explication qui n'offense pas le bon - sens. Il est vrai que dans ce cas il faudrait admettre que - Napoléon a commis une erreur. Mais quant à nous, tout en le - regardant comme un des plus grands génies de l'humanité, - nous demandons, non pas à ses admirateurs, car nous sommes - du nombre, mais à ses adorateurs, ce que nous ne sommes pas, - la permission de croire qu'en sa vie il lui est arrivé de se - tromper.] - -[En marge: Bataille du 18.] - -[En marge: Dès la pointe du jour, Napoléon revenu à Probstheyda, du -côté du sud, voit trois grandes colonnes marchant sur la ligne plus -resserrée de l'armée française.] - -[En marge: Immense disproportion des forces.] - -À peine Napoléon était-il retourné à Probstheyda, où il avait eu son -bivouac, qu'il aperçut du haut d'un tertre sur lequel il était placé, -trois grandes colonnes, mais cette fois bien plus fortes que -l'avant-veille, marchant concentriquement sur sa nouvelle ligne de -bataille. Vers notre droite ne s'appuyant plus à Mark-Kleeberg mais un -peu en arrière à Dölitz, c'était le prince de Hesse-Hombourg, qui avec -les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, avec la réserve de -cavalerie de Nostitz, avec le corps de Colloredo et la division légère -d'Aloys Lichtenstein, s'avançait sur Poniatowski et Augereau. Au -centre c'étaient Kleist et Wittgenstein, aujourd'hui réunis en une -seule colonne d'attaque, et suivis des gardes russe et prussienne, qui -marchaient de Wachau et de Liebert-Wolkwitz sur Probstheyda, où se -trouvaient Victor et la garde. À gauche enfin c'étaient Klenau, -Benningsen et Bubna, qui du bois de l'Université et de Seyffertshayn -se dirigeaient sur Zuckelhausen et Holzhausen, contre Macdonald. Cette -dernière colonne, ployant sa droite autour de notre ligne, venait à -travers la plaine de Leipzig menacer la position de Ney, mais avec -beaucoup de circonspection, car elle attendait pour s'engager que -Bernadotte eût passé la Partha. Ces trois colonnes pouvaient -comprendre de 55 à 60 mille hommes chacune, excepté celle de -Benningsen, qui était de 70 mille environ. Pour tenir tête à ces 180 -mille hommes, Napoléon avait comme l'avant-veille Poniatowski, -Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les 1er, 2e, 4e, 5e -de cavalerie, présentant en ce moment une masse totale de 80 et -quelques mille hommes. Dans l'angle formé par l'Elster et la Pleisse -les coalisés avaient laissé le corps de Merveldt, et au delà de -l'Elster vers Lindenau, Giulay, ce qui faisait plus de 25 mille hommes -encore. Enfin Bernadotte et Blucher en avaient bien cent mille à eux -deux. Ney avait à leur opposer, Marmont réduit à 12 ou 13 mille -hommes, Reynier à peu près au même nombre, Souham à 13 ou 14 mille. -Margaron avec le duc de Padoue et Dombrowski n'en avaient pas plus de -12 mille. C'étaient donc 130 et quelques mille hommes opposés à 300 -mille. Bertrand avec 18 mille était en route pour Weissenfels. Mortier -l'appuyait avec deux divisions de la jeune garde. - -[En marge: Lente retraite des troupes françaises pour prendre une -position plus resserrée.] - -Toutes les colonnes de Napoléon en se retirant avaient laissé -de fortes arrière-gardes répandues en tirailleurs, lesquels -disputaient le terrain pied à pied, et ne le cédaient qu'après -avoir causé de grandes pertes à l'ennemi. En arrière de Wachau et -de Liebert-Wolkwitz, à la bergerie de Meusdorf située en avant de -Probstheyda, on ne se retira pas sans couvrir la terre de cadavres -prussiens et russes. À Zuckelhausen, à Holzhausen, où se trouvait le -corps de Macdonald, on tint tête à la division prussienne de Ziethen, -et aux Autrichiens de Klenau, et on leur tua beaucoup de monde avant -de rétrograder sur Stötteritz. Cette dernière position une fois prise -par Macdonald, notre nouvelle ligne de bataille était la suivante. Des -bords de la Pleisse, c'est-à-dire de Dölitz à Probstheyda, elle -formait une ligne continue, se repliait à angle droit vers -Probstheyda, remontait au nord jusqu'au bord de la Partha, par -Stötteritz, Melckau, Schönfeld, où étaient Macdonald, Reynier, -Marmont. - -[En marge: Après avoir lentement rétrogradé, les Français s'arrêtent -de Dölitz à Probstheyda.] - -Probstheyda était donc l'angle saillant que l'ennemi devait emporter, -et où Napoléon était bien décidé à tenir opiniâtrement. Outre Victor -qui gardait Probstheyda, il y avait en arrière Lauriston qui se liait -à Macdonald, la garde et la cavalerie. Jusqu'au moment où ils -parvinrent à la ligne des positions que Napoléon voulait conserver, -les coalisés ne rencontrèrent que des arrières-gardes, qui disputaient -le terrain, mais finissaient par l'abandonner. Arrivés devant Dölitz, -Probstheyda, Stötteritz, ils trouvèrent des lignes immobiles, -imposantes, et qu'il y avait peu de chance de faire céder. Toutefois -ils l'essayèrent avec une sorte d'énergie désespérée. - -[En marge: Violente attaque du prince de Hesse-Hombourg sur Dölitz, et -défense héroïque de Poniatowski.] - -[En marge: On cède un peu de terrain jusqu'à Connewitz, pour prendre -une position inexpugnable.] - -La colonne du prince de Hesse-Hombourg se jeta sur Dölitz, l'emporta, -le perdit, le reprit, le perdit de nouveau. C'était Poniatowski et -Augereau fort épuisés, ne comptant pas dix mille hommes à eux deux, -qui défendaient ce point. Le prince de Hesse-Hombourg y fut gravement -blessé, et remplacé aussitôt par le général Bianchi. Nous fûmes -obligés d'abandonner toutefois un peu de terrain, et de venir nous -placer à Connewitz, derrière une ligne d'eau alternativement -stagnante ou courante, qui allait de Probstheyda à Connewitz se jeter -dans la Pleisse. Avant de s'y retirer, notre cavalerie exécuta de -superbes charges, repoussa plusieurs fois celle des Autrichiens, et -puis se replia avec l'infanterie derrière le ruisseau dont il vient -d'être parlé. Une fois à Connewitz, Poniatowski et Augereau s'y -établirent invinciblement. Oudinot avec les deux divisions de la jeune -garde qui restaient (on a vu que les deux autres étaient sous Mortier -à Leipzig), se posta derrière le ruisseau, de Connewitz à Probstheyda, -la cavalerie rangée dans les intervalles de l'infanterie. Une partie -de l'artillerie de la garde se mit en batterie, et foudroya les masses -ennemies. Plusieurs fois les Autrichiens voulurent franchir -l'obstacle, et chaque fois on les fit mourir au pied de la position. -Le corps de Merveldt commandé par Sederer, et placé de l'autre côté de -la Pleisse, sur le terrain bas et boisé que la Pleisse et l'Elster -traversent en tous sens, renouvelait ses attaques de l'avant-veille -contre notre droite, dans l'intention de la tourner. Il ne put nous -envoyer que des boulets qu'on lui rendit avec usure. - -[En marge: La canonnade s'étend, et embrasse bientôt les quatre faces -du champ de bataille de Leipzig.] - -Il était midi, le canon retentissait au nord, ce qui annonçait que -Blucher et Bernadotte entraient en action, et ce qui faisait trois -batailles livrées en même temps. De plus il y en avait presque une -quatrième, car sur notre droite, au delà de la Pleisse et de l'Elster, -dans la plaine de Lutzen, on entendait le canon de Bertrand aux prises -avec Giulay pour s'ouvrir la route de Weissenfels. Cette épouvantable -étendue de carnage ne troublait pas plus le visage de Napoléon que le -coeur de nos soldats, exaltés pour ainsi dire par cette solennité -d'une bataille sans égale dans l'histoire, car depuis trois jours cinq -cent mille hommes se disputaient dans les plaines de Leipzig l'empire -du monde. Jamais on n'avait vu pareil nombre d'hommes sur un même -champ de bataille. - -[En marge: En entendant le canon de Blucher et de Bernadotte, le -prince de Schwarzenberg veut tenter une attaque décisive sur -Probstheyda, qui forme l'angle saillant de notre position.] - -[En marge: Combat effroyable autour de Probstheyda.] - -Le canon de Blucher et de Bernadotte fut pour l'armée du prince de -Schwarzenberg le signal d'une attaque furieuse contre le point décisif -de Probstheyda. Déjà Kleist et Wittgenstein formant la colonne du -centre, s'étaient avancés, Kleist avec les trois divisions prussiennes -Klüx, Pirch et prince Auguste, Wittgenstein avec les divisions russes -Eugène de Wurtemberg et Gortschakoff, suivies des réserves. Arrivés -devant la position, les Prussiens qui toujours briguaient la tête des -attaques, par la raison fort honorable pour eux qu'il s'agissait dans -cette lutte terrible d'affranchir l'Allemagne, s'élancent les -premiers, et au pas de charge, sur Probstheyda. Drouot, rangé en avant -de Probstheyda, les attend avec l'artillerie de la garde, Victor avec -son infanterie. Il fallait gravir un terrain incliné en forme de -glacis. Drouot les laisse arriver, puis les couvre de mitraille, et -les précipite confusément les uns sur les autres. Pourtant, animés -d'une véritable rage patriotique, ils se remettent en rang, marchent -une seconde fois sur Probstheyda et parviennent à y entrer. Mais -Victor, avec ses divisions décimées, les charge à la baïonnette, et -les arrête. Après les avoir arrêtés il les pousse dehors, et notre -artillerie les mitraille de nouveau. Les trois divisions prussiennes, -horriblement traitées, vont se reformer à quelque distance, au bas du -glacis sur lequel s'élève Probstheyda. Napoléon fait avancer -Lauriston, et lui-même sous une grêle de boulets range par derrière, -en colonnes profondes, les deux divisions de la vieille garde, Friant -et Curial, seule réserve qui lui reste. Ces beaux grenadiers, avec -leurs énormes bonnets à poil, immobiles sous les boulets, sont placés -comme deux puissants arcs-boutants derrière Lauriston et Victor. On -s'attend à une nouvelle attaque, et on se promet de la recevoir comme -la précédente. - -[En marge: Attaques réitérées et toujours repoussées.] - -En effet, les trois divisions prussiennes ayant un moment repris -haleine et resserré leurs rangs, sont rejointes par les divisions -russes de Wittgenstein, et d'un même mouvement se reportent en avant, -toujours accablées par la mitraille de Drouot. Elles se précipitent -toutes ensemble sur Probstheyda, l'enveloppent, y pénètrent, et -semblent cette fois devoir en rester maîtresses. Mais Victor quoique -avec des troupes épuisées, Lauriston avec les siennes que la bataille -du 16 a réduites des deux tiers, fondent à la baïonnette sur les -Prussiens et les Russes réunis, combattent corps à corps, puis par un -suprême effort refoulent les assaillants hors du village, et les -culbutent sur la déclivité du terrain, où notre artillerie, profitant -de cette nouvelle occasion, les couvre encore de mitraille. - -Tandis qu'on résiste ainsi de face, un autre ennemi se présente par la -gauche, c'est la division prussienne Ziethen, qui ayant avec les -Autrichiens de Klenau fait une tentative infructueuse sur Stötteritz, -s'est rabattue sur Probstheyda. Mais une partie de l'artillerie de -Drouot, établie sur le côté gauche du village, la reçoit en flanc, et -la repousse par le feu seul de ses canons. - -[En marge: Après avoir perdu douze mille hommes en deux heures, le -prince de Schwarzenberg se décide à convertir le combat en une longue -canonnade.] - -Après ces tentatives, le prince de Schwarzenberg ayant déjà plus de -douze mille hommes hors de combat, ne pouvait plus se flatter -d'emporter une position que la valeur de nos soldats rendait -inexpugnable. Il se décida, comme l'avant-veille, à procéder contre -l'armée française par voie de resserrement successif. On avait le 16 -resserré Napoléon sur Leipzig, et on l'avait amené le 18 à se retirer -à une lieue en arrière. On achèverait le 19 de l'acculer dans Leipzig -même, en donnant la main à Bernadotte et à Blucher. Le prince -généralissime résolut dès lors d'occuper de son côté la journée par un -combat d'artillerie, et pour le soutenir avec moins de désavantage, il -rétrograda quelques centaines de pas sur un terrain légèrement élevé, -et dont l'élévation faisait face à celle de Probstheyda. Là, placé -vis-à-vis des Français, il se mit à échanger avec eux l'une des plus -épouvantables canonnades qu'on ait jamais entendues. - -Pendant ce temps Benningsen, opposé à notre gauche qui de Probstheyda -remontait au nord jusqu'à Leipzig, avait essayé d'aborder Melckau, -mais moins hardiment que Schwarzenberg, parce qu'il attendait -Bernadotte et Blucher avant de s'engager sérieusement. Quant à -ceux-ci, voici ce qui avait eu lieu de leur côté. - -[En marge: Combat à l'est et au nord contre Bernadotte et Blucher.] - -[En marge: Passage de la Partha par Blucher et Bernadotte.] - -Après avoir refusé de voir Bernadotte, Blucher avait fini par accepter -une entrevue avec lui le matin à huit heures, et ils étaient convenus -de franchir la Partha, mais Bernadotte n'y avait consenti qu'à -condition que Blucher lui prêterait 30 mille hommes, ce que celui-ci -avait promis en se mettant à la tête de ces trente mille hommes qui -étaient ceux de Langeron. En effet pendant que Sacken et York, restés -de l'autre côté de la Partha, tout à fait au nord de Leipzig, -échangeaient des boulets avec Dombrowski et Margaron, Blucher avait -passé la Partha au plus près, c'est-à-dire vers Neutzsch, puis se -portant à l'est de Leipzig, était descendu sur Schönfeld, où la -seconde division de Marmont était établie. Marmont avec ses deux -autres divisions, Ney avec Souham et Reynier, avaient opéré une -conversion en arrière, pour venir par Sellerhausen relier leur droite -avec Macdonald qui était à Stötteritz. Quant à Bernadotte, exécutant -un long circuit pour traverser la Partha le plus loin possible des -Français, il était allé la franchir à Taucha, et les Prussiens en -tête, s'était avancé en face de Reynier, par Heiterblick. Tels avaient -été les mouvements des uns et des autres dans le courant de la -matinée, pendant le terrible combat de Probstheyda. - -[En marge: Position de Reynier, Souham et Marmont sous le maréchal -Ney.] - -[En marge: Indigne défection des Saxons.] - -En avant de Sellerhausen, où était Reynier, se trouvait un village -formant saillie dans la plaine et assez dominant, celui de Paunsdorf, -que Ney aurait désiré occuper, parce que de ce point on pouvait -s'interposer entre l'armée de Bohême et celle du Nord, peut-être même -empêcher leur jonction. Reynier n'en était point d'avis par un motif -assez sage. Il se défiait des Saxons qui ne cessaient de murmurer et -de menacer de désertion. Encadrés jusqu'ici entre les deux divisions -françaises Durutte et Guilleminot, ils avaient été assez fidèles; -mais depuis le départ de Guilleminot, ils n'étaient flanqués que d'un -côté, et Reynier ne voulait pas, en les mettant en avant, les exposer -à la tentation de nous quitter. Ney, plus hardi, les fit avancer en -colonne vers Paunsdorf, en ayant soin de placer la division Durutte -derrière eux, pour les appuyer et les contenir. Mais ils n'eurent pas -plutôt aperçu les enseignes de Bernadotte, avec l'état-major duquel -plusieurs d'entre eux étaient en communication secrète, que par un -hommage qui n'était pas celui de la fidélité à la fidélité, ils -marchèrent soudainement à lui. La cavalerie déserta la première, -l'infanterie suivit. Le maréchal Marmont, qui était à leur gauche, -crut qu'ils se laissaient emporter à trop d'ardeur, et courut après -eux, mais il fut bientôt détrompé, et, trahison indigne! à peine à -quelques pas de notre ligne de bataille, ils tournèrent leurs pièces -contre nous, en tirant sur la division Durutte, avec laquelle ils -servaient depuis deux années! Sans doute Napoléon avait violenté leurs -sentiments, enchaîné leurs coeurs et leurs bras à une cause qu'ils -n'aimaient point; ils avaient le droit de nous quitter, mais pas celui -de nous abandonner sur le champ de bataille; et du reste si Dieu nous -punissait en ce moment pour avoir trop pesé sur l'Europe, il leur -préparait bientôt à eux un terrible et juste châtiment, celui du -morcellement de leur patrie! - -[En marge: Situation presque désespérée, et conduite héroïque de la -division Durutte trahie par les Saxons.] - -[En marge: Delmas vient à son secours, et meurt en faisant son -devoir.] - -[En marge: Combat furieux de Schönfeld entre Marmont et Blucher.] - -Ney accourut à ce spectacle pour aider la division Durutte, qui, -assaillie tout à coup par le corps de Bulow, avait la plus grande -peine à se maintenir. Cinq mille hommes luttèrent pendant plus d'une -heure contre vingt mille, et luttèrent héroïquement. Pourtant il -fallut céder et se replier sur Sellerhausen. Ney leur amena la -division Delmas pour empêcher qu'ils ne fussent accablés dans leur -mouvement rétrograde. Delmas, le vieux soldat de la République, mourut -noblement en venant au secours de Durutte avec sa division. Pendant -qu'à la droite de Ney, Durutte, Delmas combattaient entre Paunsdorf et -Sellerhausen, Marmont à gauche soutenait dans le beau village de -Schönfeld un combat furieux. Schönfeld était le point essentiel où -notre ligne en remontant au nord venait s'appuyer à la Partha, et -c'était le point que Blucher voulait enlever avec les soldats de -Langeron. En quelques heures la division Lagrange perdit ce village et -le reprit sept fois. Enfin elle allait succomber quand Ney vint la -renforcer avec une des divisions de Souham, celle de Ricard. Une -dernière fois on reprit Schönfeld. Entre Schönfeld et Selterhausen -Marmont avec les divisions Compans et Friederichs formées en carré -résistait à tous les assauts de la cavalerie prussienne et russe. Mais -28 mille hommes ne pouvaient pas lutter longtemps contre 90 mille, et -on céda Schönfeld et Sellerhausen pour se rapprocher de Leipzig, avec -la crainte de voir Bernadotte et Bubna, maintenant réunis dans la -plaine de Leipzig, pénétrer par la brèche que la défection des Saxons -avait opérée dans notre ligne. - -[En marge: Napoléon amène au galop la cavalerie de la garde pour -fermer la brèche formée dans notre ligne par la défection des Saxons.] - -Heureusement un renfort considérable de cavalerie et d'artillerie -arrivait au galop. C'était Nansouty avec la cavalerie et l'artillerie -de la garde qui accourait, sous la conduite de l'Empereur lui-même. Le -bruit de la défection des Saxons, retentissant jusqu'au quartier -général, y avait soulevé tous les coeurs, et Napoléon, laissant Murat -à Probstheyda pour le remplacer à la bataille du sud, qui s'était -convertie en canonnade, était venu en toute hâte réparer ce malheur -imprévu qui mettait le comble à nos calamités. - -À cet aspect Bulow d'un côté, Bubna de l'autre, qui étaient prêts à se -donner la main, formèrent chacun un crochet en arrière, pour présenter -un flanc à la cavalerie de Nansouty. Nansouty les chargea à outrance, -tantôt à droite, tantôt à gauche, sans pouvoir renverser leur masse -épaisse. Mais il arrêta court leur progrès, et là comme sur les trois -faces de cet immense champ de bataille, de Leipzig à Schönfeld au -nord, de Schönfeld à Probstheyda à l'est, de Probstheyda à Connewitz -au sud, une canonnade de deux mille bouches à feu termina cette -bataille, justement dite _des Géants_, et jusqu'ici la plus grande -certainement de tous les siècles. - -[En marge: Continuation de la canonnade jusqu'à la chute du jour.] - -[En marge: Horrible carnage de la journée du 18.] - -Tant qu'on put se voir, on tira les uns sur les autres avec une sorte -de fureur, mais sans espoir de la part des coalisés de faire -abandonner aux Français la ligne qu'ils avaient prise. Nos soldats -demeurèrent immobiles, comme fixés à des limites qu'aucune puissance -humaine ne pouvait franchir. L'admiration était dans le coeur même de -leurs ennemis acharnés, et justement acharnés puisqu'il s'agissait -d'affranchir leur patrie. Ce que coûta cette nouvelle bataille, -l'histoire mentirait si elle voulait l'affirmer d'une manière précise. -On peut seulement le conjecturer d'après ce qui resta d'hommes valides -les jours suivants dans les armées belligérantes. Près de vingt mille -hommes de notre côté, et de trente mille du côté des coalisés, qui -étaient exposés à des feux dominants et bien dirigés, furent le nombre -des victimes de cette troisième journée. Ainsi en trois jours plus de -quarante mille Français, plus de soixante mille Allemands et Russes -furent atteints par le feu! Ah! disons-le bien haut, en présence de -cet horrible carnage, la guerre, quand elle n'est pas absolument -nécessaire, n'est qu'une criminelle folie! - -[En marge: La retraite immédiate était devenue inévitable après la -journée du 18.] - -Après cette affreuse journée, quelque glorieuse qu'eût été la -résistance de notre armée, il était indispensable de battre tout de -suite en retraite, et mieux eût valu certainement décamper nuitamment -le 17 au soir, que de risquer la terrible bataille du 18, pour -conserver quelques heures de plus une attitude victorieuse. Il n'en -fallait pas moins se retirer aujourd'hui le plus promptement possible, -au risque d'essuyer des pertes énormes en traversant une ville comme -Leipzig, avec une armée qui après avoir été immense en personnel et en -matériel, l'était encore en matériel, et n'avait pour évacuer ce qui -lui restait qu'un seul pont, celui de Lindenau, long d'une demi-lieue, -embrassant des bois, des marécages, plusieurs bras de rivières. - -[En marge: Napoléon rentre à Leipzig pour ordonner la retraite.] - -[En marge: Ses dispositions pour occuper fortement Leipzig pendant que -ses corps défileront à travers l'unique pont de Lindenau.] - -Napoléon, quoique souffrant cruellement au fond de son âme, mais -cachant sa souffrance sous la hautaine impassibilité de son visage, -quitta son poste de Probstheyda vers le soir, et se rendit à Leipzig -afin de tout disposer pour une retraite immédiate. Après avoir refusé -vingt-quatre heures auparavant la protection des ombres de la nuit, il -fallait bien l'accepter maintenant, et soustraire à l'ennemi le plus -possible de nos embarras avant l'attaque, facile à prévoir, du -lendemain. Napoléon descendit dans une simple hôtellerie située au -centre de la ville, et de là expédia tous ses ordres. Il prescrivit -aux états-majors des divers corps de défiler toute la nuit avec le -matériel, les blessés qu'on pourrait emporter, l'artillerie qu'on -avait conservée tout entière, à l'exception seulement d'une vingtaine -de pièces qu'une explosion avait fait perdre au combat de Möckern. Il -ordonna que les corps d'armée se retirassent ensuite l'un après -l'autre, ayant en tête la garde, dont deux divisions avaient déjà -passé à la suite du général Bertrand. Le pont franchi, la garde devait -se mettre en bataille sur le plateau de Lindenau qui domine l'Elster, -et présenter à l'ennemi une arrière-garde invincible. Comme il était -probable que les coalisés en voyant notre départ, voudraient se jeter -sur nous, afin d'ajouter à notre passage à travers Leipzig toutes les -difficultés d'un combat sanglant, il fut prescrit au 7e corps (général -Reynier), qui était composé aujourd'hui de l'unique division Durutte, -de disputer le faubourg de Halle au nord de la ville. La division -Dombrowski devait l'aider dans cette tâche périlleuse. Marmont, avec -les débris de son 6e corps et une division du 3e (Souham), devait -défendre l'est de la ville, où allaient se presser Blucher et -Bernadotte. Enfin Macdonald, dont le corps avait moins souffert que -les autres le 18, se liant par sa gauche avec Marmont, devait, avec -Lauriston et Poniatowski, protéger le côté sud contre la grande armée -de Bohême. Ces corps, pendant que la garde, toute la cavalerie, les -restes de Victor, d'Augereau, de Ney, décamperaient, avaient mission -de disputer les faubourgs à outrance, d'y barrer les rues comme ils -pourraient, puis de défiler eux-mêmes par un vaste boulevard bordé -d'arbres, qui régnait autour de la ville et la séparait des faubourgs. -Se repliant les uns après les autres sur cette voie, trois ou quatre -fois plus large qu'une rue, ils devaient venir par le côté du -couchant, gagner le pont de Lindenau, et traverser successivement les -deux rivières de la Pleisse et de l'Elster. Le colonel Montfort, -appelé chez Berthier, non point pour l'établissement de ponts -supplémentaires auxquels il n'était plus temps de songer, mais pour -certaines précautions de sûreté, reçut l'ordre de disposer une mine -sous l'arche la plus rapprochée de la ville, afin de la faire sauter -au moment où le dernier corps français aurait passé, et où la tête des -ennemis apparaîtrait: ordre facile à donner, mais soumis quant à son -exécution, Dieu sait à quels hasards! Le combat qu'on devait soutenir -dans les faubourgs serait-il assez long pour que choses et hommes -eussent le temps de s'écouler? Puis les corps chargés de combattre -dans les faubourgs auraient-ils à leur tour le temps de se retirer, et -de s'arracher des mains de l'ennemi? Enfin n'était-il pas à craindre -que les coalisés, perçant sur quelques points, ne parvinssent au pont -avant les derniers corps français? Et alors comment arrêter la -poursuite des uns sans empêcher aussi la retraite des autres? Napoléon -ne s'inquiéta d'aucune de ces questions, et en effet ne le pouvait -guère, car les choses arrivées au point où il les avait amenées, le -hasard allait seul décider des conséquences. D'ailleurs, tout en -paraissant occupé de donner des ordres, il était occupé aussi à -plonger d'un regard sinistre dans les sombres profondeurs de l'avenir, -où il pouvait déjà voir non-seulement des batailles perdues, mais des -empires croulants, et lui-même avec leurs ruines précipité dans un -abîme! - -[En marge: Ordres aux corps laissés dans les places de l'Elbe, depuis -Dresde jusqu'à Hambourg.] - -À ces instructions pour la retraite de Leipzig il en ajouta quelques -autres destinées aux corps laissés sur l'Elbe, et réduits tous à -capituler, si un miracle d'énergie et de présence d'esprit, en les -réunissant sur le bas Elbe au maréchal Davout, ne leur rouvrait les -portes de France actuellement fermées. Il fit prescrire au grand -quartier général, duquel on était resté séparé, de s'acheminer avec -les parcs sur Torgau. Il envoya des émissaires à Dresde, à Torgau, à -Wittenberg, pour leur indiquer un moyen de salut, c'est que le -maréchal Saint-Cyr, qui avait trente mille hommes encore, et pouvait -en ne perdant pas de temps renverser tout ce qui serait sur son -chemin, sortît de Dresde, se rendît à Torgau, puis à Wittenberg, puis -à Magdebourg, et, ramassant successivement toutes les garnisons, allât -se joindre à Davout avec soixante-dix mille hommes. En ayant cent -mille à eux deux, ils pouvaient sauver encore quelques garnisons de -l'Oder, et ensuite rentrer en France par Wesel à la tête de cent vingt -mille soldats. Mais que de miracles pour qu'un tel ordre arrivât, fût -exécuté et réussît! À peine aurait-on pu attendre ce miracle de -soldats et d'officiers ayant l'élan et la confiance de la victoire! et -dans ce cas même, que de milliers de blessés, quarante mille -peut-être, livrés à la barbarie d'un vainqueur qu'une sorte de -fanatisme patriotique aveuglait jusqu'à lui faire croire que le -patriotisme dispense d'humanité. - -[En marge: Défilé de tous nos corps par le pont de Lindenau pendant la -nuit du 18 au 19.] - -[En marge: Affreux encombrement au pont de Lindenau.] - -Le défilé des divers corps dura toute la nuit du 18 au 19, et fut -surtout ralenti par le passage de l'artillerie, qui était -très-nombreuse, et qui avait bravement conservé ses pièces. Les -malheureux blessés du 18 étaient presque tous sacrifiés d'avance, -l'impossibilité de les emporter étant absolue. Mais on avait eu le -temps de ramasser quelques-uns de ceux du 16, et on les traînait après -soi sur les petites voitures qu'on avait pu se procurer. Cette suite -de canons, de caissons, de voitures portant des blessés, formait un -prodigieux encombrement, et retardait beaucoup l'écoulement des -colonnes. La garde qui avait vaillamment combattu, mais qui avait -l'esprit de domination des corps d'élite, prétendant passer dès -qu'elle paraissait, et souvent foulant aux pieds la multitude sans -armes qui obstruait les ponts, augmentait le tumulte, et provoquait -contre elle des cris de haine. Le triste orgueil d'emmener cinq ou six -mille prisonniers les uns faits à Dresde, les autres à Leipzig même, -occasionna un nouvel embarras, car ils prirent la place de pareil -nombre de blessés ou de soldats valides. Lorsque le jour fut venu, -l'affluence devint encore plus grande, parce que chacun songeant à -fuir après quelques heures de repos, se hâtait de regagner le temps -employé à dormir. C'étaient des efforts inouïs pour entrer dans ce -torrent serré qui s'écoulait vers Lindenau, et qui en certains moments -finissait par s'arrêter, comme s'arrêtent faute d'espace les glaçons -que charrie un fleuve près de geler. Chaque troupe nouvelle qui -voulait s'introduire dans cette foule pressée, y provoquait des -résistances, des cris, des combats véritables. Qu'on ajoute à ce -lugubre spectacle le bruit de mille bouches à feu ayant recommencé à -tonner dès le matin, et on aura une idée à peine exacte de notre -horrible départ de l'Allemagne. - -[En marge: Adieux de Napoléon à la famille royale de Saxe.] - -Napoléon, dès que le jour commença de luire, alla présenter ses adieux -à la famille de Saxe. Il lui avait rendu un moment le rêve de ses -ancêtres en lui donnant la couronne de Pologne, mais à ce prix il -l'avait perdue, sans le vouloir du reste, comme il s'était perdu -lui-même! Et par surcroît de misère, de la seule chose impérissable en -lui, la gloire, il ne laissait rien à cette malheureuse famille, -tandis qu'aux Polonais qu'il avait perdus aussi, il laissait du moins -une part d'honneur immortel! La cour honnête et timide de Saxe avait -en effet passé au pied des autels les dix dernières années, que tant -d'autres avaient passées sur les champs de bataille. Napoléon avait de -grands reproches à essuyer du vieux roi, et il pouvait de son côté -trouver matière à des reproches non moins graves dans la conduite -tenue la veille par les soldats saxons, mais il avait un trop haut -orgueil pour employer de la sorte les quelques instants qu'il avait à -consacrer à son allié. Il lui témoigna ses regrets de le livrer ainsi -sans défense à tout le courroux de la coalition; il l'engagea à -traiter avec elle, à se séparer de la France, et lui affirma que quant -à lui, en aucun temps il ne songerait à s'en plaindre. Relevant -fièrement son visage grave, mais non abattu, il lui exprima l'espoir -de redevenir bientôt formidable derrière le Rhin, et lui promit de ne -pas stipuler de paix dans laquelle la Saxe serait sacrifiée. Après de -réciproques embrassements, il quitta cette bonne et malheureuse -famille, épouvantée de le voir rester si tard au milieu des dangers -qui le menaçaient de tous côtés. - -[En marge: Difficultés que Napoléon éprouve lui-même à passer au pont -de Lindenau.] - -Sorti de chez le roi, Napoléon essaya en vain de se faire jour à -travers les rues de Leipzig. Il fut obligé de gagner les boulevards -par un détour, et de les suivre jusqu'au pont, où la presse s'ouvrit -pour lui, car bien qu'il commençât à inspirer des sentiments amers, -l'admiration, la foi en son génie, l'obéissance étaient complètes -encore. Il franchit les ponts, et alla vers Lindenau attendre de -l'autre côté de la Pleisse et de l'Elster, que l'armée eût défilé sous -ses yeux. - -[En marge: Combat dans les faubourgs de Leipzig.] - -[En marge: Les Français exaspérés à leur tour, repoussent violemment -les assaillants.] - -[En marge: Les troupes des 7e, 3e et 6e corps font un grand carnage -des troupes de Sacken et de Langeron dans le faubourg de Halle.] - -[En marge: On traite aussi mal les troupes de Bulow, à l'est de la -ville, et les troupes de Schwarzenberg au sud.] - -[En marge: Après avoir défendu longtemps les faubourgs, les troupes -françaises, pour n'être pas coupées, regagnent les boulevards.] - -[En marge: Encombrement toujours croissant sur les boulevards et sur -le pont.] - -Pendant ce temps un nouveau combat s'était engagé autour de Leipzig. -Les souverains et les généraux coalisés ne pouvaient croire à leur -bonheur, car c'était la première victoire que depuis le commencement -du siècle ils eussent remportée sur Napoléon, et ce n'était pas même -encore une victoire que celle qui venait de leur coûter tant de sang -et tant d'angoisses, c'était une suite d'actions violentes, dont la -dernière allait seule décider le vrai caractère. Or ce quatrième jour, -ils s'attendaient à un conflit épouvantable, dont ils étaient résolus -à supporter les horreurs en vrais martyrs de leur cause. Mais quelles -ne furent pas leur surprise et leur joie, lorsque entre huit et neuf -heures du matin, le brouillard d'automne étant dissipé, ils aperçurent -l'armée française se resserrant successivement autour de Leipzig, et -s'écoulant à travers l'interminable pont de Lindenau, dans les plaines -de Lutzen! Ils remercièrent le ciel d'un résultat qu'ils avaient à -peine osé espérer, et sur-le-champ ils ordonnèrent à leurs soldats de -se jeter sur l'enceinte de Leipzig pour essayer de rendre plus -difficile et plus meurtrière la retraite de l'armée française. Chacun -marchant dans l'ordre de la veille, la colonne du prince de -Hesse-Hombourg qui formait la gauche des coalisés, poursuivit -Poniatowski dans le faubourg correspondant à la porte de Peters-Thor. -La colonne du centre, celle de Kleist et Wittgenstein, se présenta -devant le même faubourg, mais à une barrière placée un peu à droite, -celle de Windmühlen. La colonne de droite, celle de Klenau et -Benningsen, se présenta à la barrière de l'Hôpital, aboutissant à -l'ancienne porte de Grimma. Bulow, du corps de Bernadotte, se dirigea -sur le faubourg qui est situé entre les portes de Grimma et de Halle. -Blucher, Langeron et Sacken se précipitèrent sur le faubourg de Halle, -et on chargea le général d'York qui s'était reposé la veille, de se -porter par le nord sur les rives de l'Elster et de la Pleisse, pour -contrarier autant que possible le défilé de nos colonnes. Mais partout -les coalisés rencontrèrent une résistance opiniâtre. Nos soldats -étaient à leur tour aussi irrités que leurs adversaires, et se -trouvaient autant humiliés de la prétention de les battre, que les -Allemands l'avaient été de notre prétention de les dominer. Fiers de -leur conduite dans ces journées, ils avaient le sentiment du malheur -non celui de la défaite, et étaient décidés à faire payer cher leur -retraite ou leur vie. Au nord et à l'est de Leipzig, dans le faubourg -de Halle, les restes des 7e, 3e et 6e corps repoussèrent -vigoureusement les troupes de Sacken et de Langeron. Ces braves gens -postés dans un vaste bâtiment, tuèrent plus de deux à trois mille -hommes avant de l'évacuer, et même quelques compagnies légères du 6e -corps fondant par la porte de Halle sur les troupes qui attaquaient le -bâtiment, en firent un épouvantable carnage. Marmont avec une division -du 6e corps et une du 3e défendit la face de l'est contre Bulow, et -quelques têtes de colonnes ayant pénétré dans la ville, il lança sur -elles le 142e de ligne et le 23e léger, qui les massacrèrent presque -entièrement. Macdonald, Lauriston, Poniatowski avec leurs troupes -exaspérées, reçurent de même les colonnes ennemies qui se présentèrent -devant les faubourgs du sud. Partout l'impatience des vainqueurs fut -cruellement punie, et avec peu de pertes nous fîmes essuyer aux -coalisés un immense dommage. Toutefois il fallait renoncer à soutenir -longtemps ce combat, par l'impuissance non pas de résister, mais de -concerter nos mouvements. Dans l'impossibilité de communiquer d'une -rue à l'autre, et de discerner la direction des feux au milieu d'une -effroyable canonnade qui embrassait les quatre faces de la ville, on -ne savait pas si partout la résistance était également heureuse, et si -on ne s'exposait pas, en tenant trop longtemps, à être devancé au pont -par l'ennemi victorieux. Quelques Saxons et Badois restés dans -l'intérieur de la ville, et tirant sur nos soldats en retraite, -ajoutaient à la confusion. Dans les rangs de Marmont, c'est-à-dire -vers l'est, on crut que du côté de Macdonald et de Lauriston, -c'est-à-dire vers le sud, la ligne des faubourgs avait été forcée; -vers ces deux côtés on crut la même chose pour le nord, où -combattaient Reynier et Dombrowski. Dans cette crainte on se mit -presque simultanément en retraite, en débouchant sur les boulevards -qui séparaient les faubourgs de la ville. La presse alors y devint -aussi grande que sur le pont. De chaque rue des faubourgs il arrivait -des colonnes qui se repliaient en combattant, et qui venaient ajouter -à l'encombrement, à tel point que l'ennemi lui-même, avec ses -baïonnettes, n'aurait pas pu s'y faire jour. Le maréchal Marmont, -obligé à son tour de se retirer, eut une peine extrême à pénétrer dans -l'épaisseur de cette foule qui remplissait les boulevards. -Heureusement pour lui quelques officiers de son corps l'ayant reconnu, -saisirent la bride de son cheval, et lui faisant place à coups de -sabre, l'introduisirent dans le torrent serré qui s'écoulait lentement -vers les ponts. - -[Illustration: Poniatowski.] - -[En marge: Catastrophe du pont de Leipzig.] - -[En marge: Le colonel Montfort, qui avait mission de détruire les -ponts, veut aller prendre l'ordre de l'Empereur, lorsqu'un caporal -chargé de mettre le feu à la mine croit voir arriver l'ennemi, et fait -sauter le pont.] - -[En marge: État lamentable de vingt mille soldats, privés de tout -moyen de retraite.] - -[En marge: Mort de Poniatowski.] - -[En marge: Macdonald sauvé par miracle.] - -[En marge: Reynier et Lauriston faits prisonniers.] - -[En marge: Accueil plein de courtoisie de l'empereur Alexandre au -général Lauriston.] - -[En marge: Dureté de l'empereur Alexandre à l'égard du roi de Saxe.] - -On en était là de cette épouvantable évacuation de Leipzig, lorsqu'une -subite catastrophe, trop facile à prévoir, vint jeter le désespoir -parmi ceux qui pour le salut commun s'étaient dévoués à la défense des -faubourgs de Leipzig. On avait ordonné au colonel du génie Montfort de -miner la première arche de ce pont continu, qui est tantôt un pont -tantôt une levée de terrain, et embrasse, avons-nous dit, les bras -nombreux de la Pleisse et de l'Elster. Cette arche était située à -l'extrémité de Leipzig qui correspond à Lindenau, et construite sur le -principal bras de l'Elster. Le colonel Montfort l'avait minée, et y -avait placé quelques sapeurs avec un caporal qui attendaient le signal -la mèche à la main. Mais sa perplexité était grande, car du côté du -faubourg de Halle on entendait à travers les bois qui couvrent cette -partie des environs de la ville, la fusillade se rapprocher. À tout -moment on s'attendait à voir l'ennemi déboucher pêle-mêle avec nos -soldats, et on ignorait si au delà il ne restait pas d'autres troupes -françaises encore occupées à combattre. Aussi le colonel Montfort -demandait-il à tout venant s'il y avait encore plusieurs corps en -arrière, dans quel ordre ils se succédaient, quel serait le dernier, -et chacun sachant à peine ce qui s'était passé immédiatement sous ses -yeux, était incapable de répondre. Dans cet embarras, le colonel -imagina de se rendre à l'autre bout du pont, c'est-à-dire à Lindenau, -où était Napoléon, pour obtenir qu'on l'éclairât sur ce qu'il devait -faire, et, en s'éloignant pour un instant, il prescrivit au caporal -des sapeurs de ne mettre le feu à la mine que lorsqu'au lieu des -Français il verrait paraître les ennemis. À peine avait-il fait -quelques pas à travers la foule épaisse qui encombrait le pont, qu'il -s'aperçut de l'impossibilité d'aller jusqu'à Napoléon et de revenir. -Il voulut rebrousser chemin vers son poste, vains efforts! Au pont -qu'il avait quitté se passait la scène la plus tumultueuse. Quelques -troupes de Blucher poursuivant les débris du corps de Reynier à -travers le faubourg de Halle, se montrèrent aux abords du pont -pêle-mêle avec les soldats du 7e corps. À cet aspect, des voix -épouvantées se mirent à crier: Mettez le feu, mettez le feu!--Le -caporal, auquel de toutes parts on répétait qu'il fallait détruire -le pont, crut le moment venu, et mit le feu à la mine! Une -épouvantable explosion retentit aussitôt; les débris du pont, volant -dans les airs et retombant sur les deux rives, y firent des victimes -des deux côtés. Mais cette déplorable erreur eut en quelques instants -de bien autres conséquences. Reynier avec un reste du 7e corps, -Poniatowski avec ce qui avait survécu de ses Polonais, Lauriston, -Macdonald avec les débris des 5e et 11e corps, étaient encore sur les -boulevards de Leipzig, pressés entre deux cent mille ennemis et -plusieurs bras de rivières sur lesquels les moyens de passage étaient -détruits. Plus de vingt mille de nos soldats avec leurs généraux -étaient ainsi condamnés ou à périr, ou à devenir les prisonniers d'un -ennemi que l'exaspération de cette guerre rendait inhumain. Ils se -crurent trahis, exhalèrent des cris de fureur, et dans les -alternatives d'une sorte de désespoir, tantôt se ruaient baïonnette -baissée sur ceux qui les poursuivaient, tantôt revenaient vers la -Pleisse et l'Elster pour franchir ces rivières à la nage. Après une -mêlée confuse et sanglante, les uns se rendirent, les autres se -jetèrent dans les rivières, un certain nombre réussit à les passer à -la nage, beaucoup furent emportés par la force des eaux. Les généraux -commandants, parmi lesquels il y avait deux maréchaux, ne voulaient -pas laisser de si beaux trophées à l'ennemi, et ils cherchèrent à se -sauver. Poniatowski, fait maréchal la veille par Napoléon, pour prix -de son héroïsme, n'hésita pas à lancer son cheval dans l'Elster. -Parvenu à l'autre bord, mais le trouvant escarpé, et chancelant par -suite de plusieurs blessures, il disparut dans les eaux, enseveli dans -sa gloire, la chute de sa patrie et la nôtre. Macdonald ayant suivi -son exemple, atteignit la rive opposée, y trouva des soldats qui -l'aidèrent à la gravir, et fut sauvé. Reynier et Lauriston, entourés -avant qu'ils pussent tenter de s'enfuir, furent conduits devant les -souverains de Russie, de Prusse et d'Autriche, en présence desquels -ils n'avaient longtemps paru qu'en vainqueurs. Alexandre, en -reconnaissant le général Lauriston, ce sage ambassadeur qui avait fait -tant d'efforts pour empêcher la guerre de 1812, lui tendit la main en -lui reprochant d'avoir cherché à se soustraire à son estime. Il fit -traiter avec égard les généraux français devenus ses prisonniers, -dissimula pour eux son orgueil profondément satisfait, mais voulut -qu'ils assistassent à tout l'éclat de son triomphe. En effet, les -généraux, les princes victorieux étaient réunis sur la principale -place de la ville, se félicitant les uns les autres, se complimentant -réciproquement de ce qu'ils avaient fait, en présence des habitants de -Leipzig qui, pâles encore de la terreur de ces trois jours, sortaient -des caves de leurs maisons, et poussaient des acclamations en -l'honneur des souverains libérateurs. Au milieu de ces personnages -agités se faisait remarquer Bernadotte, persuadé qu'il avait à lui -seul décidé la victoire en arrivant le dernier, étant seul à le -croire, mais bien accueilli par Alexandre, qui, dans sa politique -raffinée, tenait à garder sous son influence le futur souverain de la -Suède. Tandis qu'Alexandre accueillait si bien ce Français combattant -contre la France, il se montrait bien dur à l'égard d'un prince -allemand, qu'il appelait injustement traître envers l'Allemagne. Ce -prince était l'infortuné roi de Saxe. Deux fois depuis le matin, des -officiers étaient venus de sa part demander un moment d'entretien, et -ils avaient été repoussés. En ce moment il y en avait un troisième -qui, le chapeau à la main, suppliait Alexandre de permettre au vieux -roi de lui offrir ses hommages. Ce malheureux monarque était à -quelques pas de là, tête nue, implorant vainement un regard du -vainqueur. Napoléon, il faut le reconnaître, plus habitué à la -victoire, avait mieux traité les rois vaincus. Alexandre, cédant à un -sentiment peu digne de lui, fit dire au roi de Saxe qu'il ne voulait -point le voir, qu'il était pris les armes à la main, et dès lors -prisonnier de guerre; que les souverains alliés décideraient de son -sort, et lui feraient notifier leur décision. Ainsi, en nous -abandonnant sur le champ de bataille, les soldats saxons n'avaient pas -même acheté le pardon de leur roi! - -[En marge: Pertes des deux armées aux quatre journées de Leipzig.] - -Revenons à l'armée française, se retirant mutilée à travers les bras -nombreux de la Pleisse et de l'Elster, et laissant encore dans cette -journée vingt mille de ses soldats, ou prisonniers, ou expirants dans -les rues de Leipzig, ou noyés dans les eaux ensanglantées de la -Pleisse et de l'Elster! Cette dernière des quatre journées néfastes de -Leipzig porta les pertes de l'armée française en morts, blessés, -prisonniers, noyés ou égarés, à soixante mille hommes environ. -L'ennemi n'avait pas perdu moins en hommes atteints par le feu; mais -ses blessés allaient recevoir tous les soins du patriotisme allemand -reconnaissant: les nôtres, qu'allaient-ils devenir? - -Napoléon avait entendu de Lindenau où il était, une violente -explosion; il en connut bientôt la cause et les conséquences, se -montra fort courroucé contre tous ceux auxquels on pouvait imputer ce -funeste accident, et affecta de vouloir trouver des coupables, quand -il n'y en avait point, et quand, s'il y en avait un, c'était lui, -l'auteur de cette horrible guerre! - -[En marge: Caractère de la campagne de Saxe, et causes véritables de -nos revers.] - -Telle fut cette longue et tragique bataille de Leipzig, l'une des plus -sanglantes et certainement la plus grande de tous les siècles, et qui -termina si désastreusement la campagne de Saxe, commencée d'une -manière si heureuse à Lutzen et à Bautzen. Sans doute on se demandera -comment après de si profonds calculs, de si savantes manoeuvres, de si -hautes espérances, Napoléon put être conduit à une pareille -catastrophe, et on ne le comprendra en effet qu'en se rendant un -compte exact de tous les mobiles qui le firent agir, et tournèrent en -affreux revers des conceptions qui étaient au nombre des plus belles -de sa vie. Qu'on suppose un général moins grand, mais placé dans une -situation simple, n'ayant ni toute une fortune prodigieuse à refaire -d'un seul coup, ni cent motifs d'orgueil pour se dissimuler la vérité, -n'étant pas non plus habitué à chercher dans des combinaisons hardies -et compliquées des résultats extraordinaires, il eût certainement agi -autrement, et très-probablement s'il n'avait pas obtenu d'éclatants -succès, il aurait au moins évité un désastre. À la première menace -d'un mouvement sur ses derrières, ou par l'Elbe inférieur ou par la -Bohême, il aurait, sans perdre un instant, décampé de Dresde, en n'y -laissant que les malades impossibles à transporter. Il aurait pu -amener ainsi, outre les 200 mille nommes qui lui restaient à cette -époque, les 30 mille laissés dans Dresde, vraisemblablement aussi les -30 mille de Meissen, Torgau, Wittenberg, et rejoindre la Saale en une -masse compacte, que les marches excessives ni les détachements obligés -sur l'Elbe n'auraient point affaiblie. Si, dans cette situation, l'une -des deux armées ennemies, celle de Bohême ou celle de l'Elbe, avait -commis la faute de devancer l'autre d'un jour à Leipzig, il l'eût -accablée, et se serait ensuite rabattu sur la seconde. Supposez que -l'occasion d'un tel triomphe ne lui eût pas été offerte, il aurait au -moins regagné sain et sauf les bords de la Saale, et si cette ligne -qui est courte, facile à déborder de tous les côtés, n'avait pu être -défendue, il aurait sagement repris le chemin du Rhin, et par des -instructions adressées à temps à toutes les garnisons des places de -l'Elbe inférieur, il leur aurait prescrit de se replier les unes sur -les autres jusqu'à Hambourg, où certainement elles auraient pu -parvenir sans accident, l'ennemi étant attiré tout entier à la suite -de la grande armée. Elles auraient formé ainsi avec le maréchal Davout -une belle armée de 80 mille hommes, qui aurait rejoint le Rhin par -Wesel, et dès lors près de 300 mille soldats en bon état se seraient -retrouvés sur la frontière de l'Empire, et y auraient opposé à -l'invasion une barrière invincible! Mais Napoléon, par caractère, par -orgueil, par habitude et besoin de résultats extraordinaires, s'était -rendu impossible une conduite aussi simple. - -À la nouvelle d'une double marche de ses ennemis sur Leipzig, les uns -descendant de la Bohême, les autres remontant de l'Elbe le long de la -Mulde, il ne songea pas un instant à sa sûreté. Habitué à les voir se -dérober sans cesse, il n'eut qu'une crainte, c'est qu'ils pussent lui -échapper encore, et au lieu d'aller droit à Leipzig, par le chemin -direct, ce qui lui aurait sauvé douze ou quinze mille soldats laissés -au milieu des boues de l'automne, il descendit l'Elbe dans la -direction de Düben, pour saisir à coup sûr Blucher et Bernadotte, -toujours convaincu dans son orgueil qu'on était beaucoup plus disposé -à le fuir qu'à le combattre. À peine en marche, et toujours en quête -de combinaisons qui pussent procurer de vastes résultats, il imagina -de se jeter sur les traces de Blucher et de Bernadotte, de les suivre -à outrance au delà de l'Elbe, de les refouler sur la roule de Berlin, -puis de remonter par la rive droite l'Elbe jusqu'à Torgau ou Dresde, -de passer ce fleuve de nouveau sur ces points, et de tomber à -l'improviste sur les derrières de l'armée descendue de Bohême. Certes -la combinaison était aussi profonde qu'audacieuse, et avec les -soldats, l'ardeur et la fortune d'Austerlitz, elle devait amener des -résultats prodigieux. Mais pour cette espérance chimérique, il fallait -se résigner à laisser 30 mille hommes à Dresde, et Napoléon les y -laissa. Arrivé à Düben, sur la basse Mulde, il put bientôt -s'apercevoir que loin de vouloir fuir, Blucher et Bernadotte -cherchaient à le gagner de vitesse sur Leipzig, pour s'y réunir à -Schwarzenberg, et l'accabler. Il prit son parti sur-le-champ, -rebroussa chemin vers cette ville, et avec la sûreté ordinaire de son -coup d'oeil se plaça de la seule manière propre à empêcher la réunion -de ses ennemis. Mais il revenait à Leipzig après une marche inutile de -cinquante lieues, qui avait épuisé ses soldats et fort diminué leur -nombre; il revenait privé de trente mille combattants laissés à -Dresde, d'une quantité égale laissée à Wittenberg, Torgau, Meissen, et -il marchait en une longue colonne, dont un tiers au moins ne pouvait -pas assister à la première et à la plus décisive bataille. Obligé de -faire face à tous ses ennemis, non pas présents mais pouvant l'être, -il lui fut impossible le 16 d'amener Bertrand et Ney à lui, de les -jeter avec Macdonald sur le flanc droit de Schwarzenberg pour accabler -ce dernier, et dès lors n'étant pas vainqueur d'une manière -foudroyante le premier jour, il se vit tout à coup dans une position -affreuse, où il était condamné à succomber les jours suivants sous une -écrasante réunion de forces. Prendre sur-le-champ le parti de la -retraite, l'exécuter sinon le 17, puisqu'il attendait encore Reynier, -du moins dans la nuit du 17 au 18, regagner au plus tôt par Lindenau, -Lutzen et Weissenfels, ses communications menacées, établir pour cela -les ponts nécessaires sur la Pleisse et l'Elster, était la seule -conduite à tenir, la conduite simple du capitaine sage, plus occupé de -sauver son armée que de conserver son prestige. Mais faire une -retraite fière, imposante, en plein jour, en se ruant sur l'ennemi qui -oserait être pressant, afin non pas de se sauver, mais de garder -l'attitude du victorieux, fut, et devait être la pensée du conquérant -longtemps gâté par la fortune, du conquérant qui ne sut pas sortir de -Moscou à temps, et il s'ensuivit la funeste bataille du 18, et la -retraite plus funeste encore du 19, exécutée avec un seul pont. La -confusion inévitable qui s'introduisit au dernier moment dans les -choses ainsi conduites, amena l'explosion du pont de l'Elster, qui -marqua du sceau de la fatalité cette effroyable bataille de quatre -jours. - -Ce résumé des faits montre donc la vraie cause de tous les malheurs -que nous venons de raconter. Ce n'est pas plus ici qu'à Moscou dans -l'affaiblissement des talents du capitaine qu'il faut chercher la -cause de si déplorables résultats, car le capitaine ne fut jamais ni -plus fécond, ni plus audacieux, ni plus tenace, ni plus soldat, mais -dans les illusions de l'orgueil, dans le besoin de regagner d'un coup -une immense fortune perdue, dans la difficulté de s'avouer assez vite -sa défaite, dans tous les vices, en un mot, qu'on aperçoit en petit et -en laid chez le joueur ordinaire, risquant follement des richesses -follement acquises, et qu'on retrouve en grand et en horrible chez ce -joueur gigantesque qui joue avec le sang des hommes, comme d'autres -avec leur argent. De même que les joueurs perdent leur fortune en deux -fois, une première pour ne pas savoir la borner, une seconde pour -vouloir la rétablir d'un seul coup, de même Napoléon compromit la -sienne à Moscou pour la vouloir faire trop grande, et dans la campagne -de Dresde pour la vouloir refaire tout entière. C'était toujours -l'action des mêmes causes, l'altération non du génie, mais du -caractère gâté par la toute-puissance et le succès. - -[En marge: Après les tragiques événements de Leipzig, une prompte -retraite sur le Rhin était le seul parti à prendre.] - -À la suite de tels revers, retourner immédiatement sur le Rhin était -la seule ressource qui restât à Napoléon. Après avoir eu 360 mille -hommes de troupes actives à la reprise des hostilités, sans compter -les garnisons, après en avoir eu 250 mille encore deux semaines -auparavant, et en avoir laissé 30 mille à Dresde, un nombre peut-être -égal sur la route de Dresde à Düben, de Düben à Leipzig, après en -avoir perdu 60 à 70 mille dans les diverses batailles de Leipzig et un -nombre qu'on ne peut guère préciser par la défection des alliés, il en -conservait 100 à 110 mille tout au plus, dans l'état le plus -déplorable. La seule chose qu'il eût encore en quantité considérable -et en excellente qualité, mais malheureusement difficile à ramener, -c'était l'artillerie. Il en avait une très-belle, très-bien servie, -qui avait toujours mis son honneur à sauver ses canons, et n'avait -perdu que ceux que la destruction du pont de l'Elster avait empêché de -transporter à temps d'une rive à l'autre. Ce qui restait d'artillerie -était le double en proportion de ce qui restait de soldats. Si c'était -un embarras, c'était au moins une ressource et des plus précieuses -dans un jour de combat. - -[En marge: Marche de l'armée sur la Saale.] - -Napoléon passa autour de Lutzen la nuit du 19 au 20 octobre avec les -débris de son armée. Bertrand et Mortier avaient culbuté Giulay, et -parvenus à Weissenfels s'étaient assuré la possession de la Saale. Le -20 au matin Napoléon courut à Weissenfels pour diriger lui-même la -retraite, et devancer tous les corps ennemis aux passages essentiels. -Si on suivait à gauche (gauche en retournant vers le Rhin) la grande -route de Weissenfels à Naumbourg et Iéna, on rencontrait le fameux -défilé de Kosen, où le maréchal Davout s'était couvert de gloire en -défendant la plaine d'Awerstaedt, et où l'on était exposé à trouver -Giulay qui, repoussé par Bertrand et Mortier, pouvait bien aller y -chercher une revanche. Napoléon, dont le malheur n'avait pas troublé -la prévoyance, imagina de faire un détour à droite, et au lieu de -passer la Saale à Naumbourg, de la traverser à Weissenfels, dont on -possédait les ponts, de gagner ensuite Freybourg pour y franchir -l'Unstrutt, de déboucher de là dans la plaine de Weimar et d'Erfurt, -tandis que Bertrand porté rapidement par un mouvement à gauche sur le -défilé de Kosen, tâcherait d'y prévenir l'ennemi, et de s'y défendre -le plus longtemps possible contre la grande armée de Schwarzenberg. Ce -plan de marche à peine conçu, Napoléon en ordonna l'exécution. -Bertrand dont le 4e corps avait été augmenté comme on l'a vu de la -division Guilleminot, fut acheminé tout de suite sur Freybourg, avec -Mortier qui commandait deux divisions de la jeune garde, avec la -cavalerie légère de Lefebvre-Desnoëttes, avec le 2e de cavalerie du -général Sébastiani. Cette nombreuse cavalerie, battant partout -l'estrade et sabrant les Cosaques, devait précéder et flanquer -l'avant-garde, puis, lorsqu'on serait rendu à Freybourg, et qu'on -aurait occupé la ville et les ponts sur l'Unstrutt, Bertrand devait -courir à Kosen, et Mortier rester à Freybourg pour protéger le passage -de l'armée. - -Ces ordres furent ponctuellement exécutés. Bertrand arriva le 21 au -soir à Freybourg avec les divers corps qui escortaient sa marche. Il -n'y avait dans cette ville que quelques troupes légères ennemies que -l'on expulsa. On s'empara d'un pont de pierre sur l'Unstrutt, solide -mais étroit. On en jeta un en charpente dans la nuit, pour faciliter -le passage de l'armée, et tandis que Mortier se livrait à ces soins, -Bertrand gravissant les hauteurs à gauche alla prendre position à -Kosen. Il y parvint avant l'ennemi. - -[En marge: Le 21, l'armée passe la Saale à Weissenfels.] - -Ces mesures résolues à temps et exécutées avec vigueur, eurent le -résultat qu'on devait en attendre. L'armée après s'être écoulée à -travers les plaines de Lutzen, arriva le 21 au soir à Weissenfels, où -elle franchit la Saale sans être poursuivie par d'autres troupes que -les coureurs de l'ennemi. Schwarzenberg et Bernadotte étaient restés -dans Leipzig, l'un à refaire son armée épuisée par trois batailles, -l'autre à passer des revues. Giulay seul avait marché par la route de -Naumbourg et de Kosen. De l'infatigable armée de Silésie, il n'y avait -que le corps du général d'York qui eût pu nous suivre, et les moyens -de passage sur la Pleisse et l'Elster ayant été détruits à Leipzig, -Blucher lui-même avait été obligé de faire un détour, et de descendre -fort au-dessous de Leipzig pour traverser ces rivières. Nous l'avions -à notre droite, mais en arrière, tandis qu'à notre gauche nous -n'avions que Giulay, lequel pour nous atteindre était réduit à forcer -le défilé de Kosen. - -[En marge: Le 21 au soir l'armée arrive à Freybourg, et commence à y -passer l'Unstrutt.] - -[En marge: La débandade s'introduit de nouveau parmi nos troupes, -ainsi qu'il était arrivé dans la retraite de Russie.] - -[En marge: Oudinot défend énergiquement l'Unstrutt le 22, et donne à -toute l'armée le temps de défiler.] - -[En marge: Le général Bertrand, de son côté, défend vaillamment les -défilés de Kosen.] - -La Saale franchie le 21, l'armée alla coucher à Freybourg, où, comme -on vient de le voir, les moyens de passer l'Unstrutt avaient été -préparés. Les quelques mille prisonniers que Napoléon avait voulu -mener avec lui, avaient été délivrés par la cavalerie ennemie. C'était -un désagrément d'amour-propre bien plus qu'une perte véritable, mais -qui prouvait par quelles masses de troupes à cheval nous étions -poursuivis, car nous avions subi cet affront entre Bertrand, Mortier, -Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes. Cette cavalerie avait peu -d'inconvénients contre les corps organisés, mais la débandade qu'on -avait vue recommencer dans les corps de Macdonald, d'Oudinot et de -Ney, à la suite des revers de la Katzbach, de Gross-Beeren, de -Dennewitz, était devenue très-générale dans l'armée après -l'épouvantable bataille de Leipzig. Le premier prétexte à la sortie -des rangs, c'étaient les blessures légères qui obligeaient de marcher -sans armes à la queue des colonnes; le second c'était la faim qui -autorisait à courir çà et là pour trouver des vivres. Sorti des rangs, -on n'y rentrait plus. Les habitudes militaires étaient en effet trop -récentes chez nos jeunes soldats pour qu'ils pussent s'éloigner du -drapeau impunément. Une fois le cadre quitté, le dépit, la souffrance, -le goût de la maraude, le penchant naturel à s'épargner de nouveaux -dangers, empêchaient d'y revenir. Sur les 100 à 110 mille hommes que -Napoléon possédait encore, il y en avait plus de 20 mille qui, les uns -portant le bras en écharpe, les autres boitant, la plupart se disant -blessés sans l'être, ou alléguant la perte de leurs armes qu'ils -avaient jetées, marchaient entre les colonnes armées, ou à leur -suite, se répandaient le soir dans les villages qu'ils pillaient, et -sans rendre aucun service dévoraient les ressources dont auraient pu -vivre les corps organisés. Ce qu'il y avait de pis encore, c'était -l'exemple qui menaçait de devenir contagieux, et contre lequel les -répressions de la cavalerie étaient impuissantes. La bravoure n'avait -pas fléchi un moment chez ces jeunes gens, mais les habitudes -militaires trop peu enracinées, n'avaient pas tenu contre une grande -défaite, et ils avaient presque oublié qu'ils étaient soldats. La -cavalerie qui ordinairement poursuit ce genre de vice, et le réprime, -en était atteinte elle-même, et on voyait dans la masse débandée des -cavaliers à pied, quelques-uns même à cheval. C'est sur cette portion -de l'armée que les coureurs de l'ennemi avaient surtout prise. Ils -dispersaient ces maraudeurs comme de timides bandes d'oiseaux, et les -ramassaient en grand nombre, ce qui fournissait à la coalition -l'occasion de dire qu'elle avait fait des milliers de prisonniers. Des -canons abandonnés faute de chevaux, ou des maraudeurs enlevés dans les -villages, lui procuraient de prétendus trophées, bien plus -dommageables pour nous que véritablement glorieux pour elle. Il fallut -employer toute la nuit du 21 et la journée du 22 pour faire écouler -cette masse d'hommes, armés et désarmés, par les deux ponts de -Freybourg. On y réussit pourtant, moyennant la résistance énergique -que le maréchal Oudinot opposa sur les bords de l'Unstrutt aux -Prussiens du corps d'York. Ce maréchal depuis Leipzig avait protégé la -retraite avec deux divisions de la jeune garde, tandis que Mortier -avec les deux autres et Bertrand avec le 4e corps étaient chargés -d'ouvrir la route. Oudinot perdit quelques centaines d'hommes dans ce -combat opiniâtre, mais en tua beaucoup plus au corps prussien d'York. -Il ne quitta ce poste que lorsque toute l'armée eut défilé. Sur ces -entrefaites, le général Bertrand arrivé à temps à Kosen pour y -prévenir Giulay, lui avait livré un combat violent, le dos tourné vers -Awerstaedt, et le front vers la Saale. Pendant une journée entière il -fut assailli par les Autrichiens, et autant de fois il fut attaqué par -eux, autant de fois il les repoussa avec la vaillante division -Guilleminot, et les précipita des hauteurs de Kosen dans les gorges -profondes de la Saale. Lorsque Bertrand sut qu'Oudinot avait évacué -Freybourg, et que toutes nos colonnes avaient défilé sur Erfurt, il -abandonna son poste, craignant que l'ennemi ne le devançât, et ne le -coupât du reste de l'armée en allant passer la Saale à Iéna. Le 22 au -soir on campa dans divers villages entre Apolda, Buttelstedt et -Weimar. Le 23 toute l'armée fut réunie aux environs d'Erfurt, la -cavalerie battant le pays autour d'elle pour la protéger contre les -Cosaques. - -[En marge: Napoléon s'arrête à Erfurt et y donne trois jours de repos -à l'armée.] - -[En marge: Réorganisation de quelques-uns des corps de l'armée.] - -Napoléon à Erfurt voulut, appuyé sur cette place qui contenait de -grandes ressources, donner deux ou trois jours de répit à l'armée. -Elle en avait un extrême besoin, soit pour se reposer, soit pour -remettre un peu d'ordre dans ses rangs. Il y avait à Erfurt beaucoup -de détachements venus en bataillons et escadrons de marche; il y avait -en abondance des vêtements, des souliers, des vivres et des munitions -de guerre. On répartit entre les différents corps les détachements qui -se trouvaient à Erfurt, et que la difficulté des communications avait -empêché de diriger sur l'Elbe. Le corps d'Augereau réduit à la seule -division Semelé et à 1600 hommes d'infanterie, au lieu de 8 mille -qu'il comptait la veille de la bataille de Leipzig, fut par ce moyen -reporté à 4 mille. Il dut marcher avec la division Durutte, seul reste -du 7e corps. Les autres corps ne gagnèrent pas dans cette proportion, -bien entendu, car c'était neuf à dix mille hommes tout au plus que -pouvait fournir le dépôt d'Erfurt. On distribua les vêtements, les -souliers, les vivres, on réapprovisionna les parcs de l'artillerie, et -on essaya par l'appât des distributions de faire reprendre des fusils -aux maraudeurs. Le succès sous ce rapport ne fut pas grand, car le -vice de la maraude favorisé par la saison, le mauvais temps, l'âge de -nos soldats, était déjà fort répandu. - -Napoléon profita de ces deux jours de loisir pour écrire à Paris, et -faire part de sa situation aux principaux membres de son gouvernement. -Tout en palliant ses revers, et cherchant pour les expliquer des -causes imaginaires, il ne dissimulait pas les besoins, et réclamait, -outre les 280 mille hommes déjà demandés, de nouvelles levées, mais en -hommes faits, pris sur les conscriptions arriérées. «Je ne puis pas, -disait-il, défendre la France avec des enfants... _Rien n'égale la -bravoure de notre jeunesse, mais au premier événement douteux elle -montre le caractère de son âge._»--Napoléon sans doute avait raison, -mais des hommes faits qui auraient compté si peu de temps de présence -au drapeau, et qu'on eût, pour leur début, soumis à de pareilles -épreuves, ne les auraient pas beaucoup mieux supportées. Ils auraient -seulement fourni moins de malades aux hôpitaux. - -De même qu'il demandait _des hommes et non des enfants_, Napoléon -demandait des impôts, c'est-à-dire de l'argent, et ne voulait plus de -papier bien ou mal hypothéqué sur les domaines de l'État. Il exigeait -500 millions, au moyen de centimes de guerre ajoutés à tous les impôts -directs et indirects. Les choses arrivées au point où elles étaient, -il n'y avait certainement pas mieux à faire que ce qu'il proposait. - -[En marge: Départ de Murat; sa séparation affecte Napoléon qui -n'espère plus le revoir.] - -Aux impressions douloureuses du moment vint s'ajouter le départ de -Murat. Napoléon, tout en blâmant la légèreté de son beau-frère, -admirait sa bravoure héroïque, son coup d'oeil sur le terrain, et de -plus il était sensible à l'excellence de son coeur. Il savait ce qui -s'était passé dans l'âme de Murat mieux que Murat lui-même; il savait -tous les conflits auxquels le malheureux roi de Naples avait été en -proie entre le désir de garder sa couronne et le désir d'être fidèle à -son bienfaiteur. Murat alléguait pour partir la nécessité de défendre -l'Italie menacée, l'espoir de fournir au prince Eugène trente mille -Napolitains parfaitement organisés, l'utilité enfin de procurer aux -armées française et italienne, en se mettant à leur tête, un chef bien -autrement expérimenté que le prince Eugène. Napoléon admettait ces -raisons, comme il admettait aussi que si la série des revers -continuait, il se pourrait que Murat cédât à l'entraînement général, -et imitât ces princes allemands nos alliés, qui pendant dix années -gorgés par nous des richesses de l'Église allemande, prétendaient -aujourd'hui qu'ils avaient été les victimes de la France. Mais -Napoléon, malgré quelques illusions qu'il se faisait encore, malgré -les derniers mensonges de ses flatteurs, sentait bien au fond de son -coeur qu'il avait abusé et des choses et des hommes. Sachant se rendre -justice, il la rendait aux autres, et entrevoyant la prochaine -défection de Murat, il la lui pardonnait d'avance pour ainsi dire. En -le quittant et en recevant ses protestations de fidélité comme -très-sincères, il l'embrassa plusieurs fois avec une sorte de -serrement de coeur. Il lui semblait en effet qu'il ne reverrait plus -cet ancien compagnon d'armes d'Italie et d'Égypte! Hélas! si la -prospérité aveugle, l'adversité au contraire procure en certains -moments une étrange clairvoyance, et l'on dirait qu'alors, pour mettre -le comble à la punition, la Providence rémunératrice lève tous les -voiles de l'avenir! Napoléon quitta donc Murat comme s'il avait su -qu'il ne devait plus le revoir. Murat partit regretté de toute -l'armée, car dans cette campagne d'automne il s'était montré aussi -habile que brave, et malgré les légèretés de détail qu'il commettait -souvent, il avait rendu à nos armes d'immortels services. - -[En marge: Départ d'Erfurt.] - -[En marge: Napoléon apprend en quittant Erfurt la présence de l'armée -bavaroise sur la route de Mayence.] - -[En marge: Événements de Bavière.] - -Il fallait décamper cependant, car de tous côtés les troupes des -coalisés avançaient, et de plus on annonçait la présence d'un nouvel -ennemi sur nos derrières, prêt à nous fermer le chemin de la France. -Cet ennemi n'était autre que l'armée bavaroise, si longtemps notre -compagne, et pressée de se faire pardonner sa longue alliance avec -nous par une défection qui s'approchât le plus possible de celle de -Bernadotte et des Saxons. Napoléon venait d'apprendre non-seulement la -défection de la Bavière qu'il avait connue sommairement en arrivant à -Leipzig, mais la manière dont cette défection avait été amenée. Voici -ce qui s'était passé à Munich, pendant cette seconde partie de la -campagne de Saxe. - -[En marge: Comment avait été amenée la défection de cette cour -alliée.] - -[En marge: Conduite du général de Wrède.] - -Le roi, faible et assez attaché à Napoléon qui l'avait comblé de -biens, secondé par un ministre spirituel et ambitieux qui avait -cherché sa grandeur personnelle et celle de son pays dans l'alliance -de la France, le roi était contrarié dans cette politique par sa -femme, princesse vaine, entêtée, soeur de l'impératrice de Russie et -de la reine déchue de Suède, ayant les passions de la feue reine de -Prusse et quelque peu de sa beauté. Il était contrarié aussi par son -fils, prince plus ami des arts que de la guerre, que Napoléon avait eu -à son service et qu'il avait traité durement. La reine exerçait son -opposition dans l'intérieur du palais. Le fils du roi, retiré à -Inspruck, fomentait lui-même l'esprit insurrectionnel des Tyroliens -contre la Bavière. Tant que la France avait été victorieuse, le roi -avait souri des saillies aristocratiques de sa femme et de son fils, -les laissant dire l'un et l'autre, et prenant ce que Napoléon lui -donnait après chaque guerre, comme bon à prendre d'abord, et comme bon -aussi à montrer, à titre de réponse, aux détracteurs de sa politique. -Depuis Moscou, le doute élevé sur la puissance de Napoléon, le cri des -populations, la nouvelle des pertes essuyées par les Bavarois, les -suggestions de l'Autriche, la contagion de l'esprit germanique, -avaient ébranlé le roi, que les victoires de Lutzen et de Bautzen -avaient un moment raffermi. Mais la reprise des hostilités, le -caractère tous les jours plus triste des événements, les pertes -récentes du corps bavarois à la bataille de Dennewitz, mandées et -exagérées à Munich, les efforts des trois cours d'Autriche, de Prusse -et de Russie, avaient plus que jamais remis en question la fidélité de -la Bavière à l'égard de la France. L'arrivée d'un nouveau personnage à -Munich avait surtout contribué à rendre cette situation infiniment -critique. Le général de Wrède, caractère bouillant et sans -consistance, officier brave mais de peu de discernement, plein d'un -amour-propre excessif, était revenu dans son pays profondément blessé -des dédains du maréchal Saint-Cyr, sous lequel il avait servi pendant -la campagne de la Dwina. Ayant apporté à Munich tous ses -mécontentements et les ayant manifestés imprudemment, il s'était -toutefois rapproché, comme son souverain, après Lutzen et Bautzen, et -nous avait dévoilé lui-même le secret de la défection à demi consommée -de la cour de Bavière, afin de rentrer en faveur auprès de Napoléon. -M. d'Argenteau sentant le besoin de nous l'attacher, avait demandé -pour lui le grand cordon de la Légion d'honneur, rendu vacant par la -mort du respectable général Des Roys, et Napoléon, qui avait déjà -donné au général de Wrède des titres et des richesses, n'avait pas cru -devoir y ajouter cette dernière distinction. Le général de Wrède -redevenu mécontent, était resté en Bavière, et avait acquis tout à -coup une grande importance en obtenant le commandement de l'armée -bavaroise placée sur l'Inn, en face de l'armée autrichienne du prince -de Reuss. Si Augereau avec une vingtaine de mille hommes était venu le -joindre sur l'Inn, on l'aurait maintenu, et M. d'Argenteau avait fort -insisté pour qu'on prît cette précaution. Mais Napoléon avait eu -besoin d'Augereau ailleurs, et les Bavarois n'étant ni soutenus ni -contenus, avaient bientôt cédé au sentiment de tous les Allemands. Au -lieu de tenir tête au prince de Reuss, le général de Wrède était entré -en pourparlers avec lui. Les Autrichiens, au nom de la coalition, -avaient promis au général de Wrède le commandement des deux armées -bavaroise et autrichienne réunies sur l'Inn, et au roi la conservation -de ses États, sauf un équivalent en population et en revenu pour les -provinces qu'ils entendaient recouvrer, c'est-à-dire le Tyrol et les -bords de l'Inn. M. de Mongelas lui-même, sentant qu'il ne pouvait se -maintenir à son poste qu'en changeant bien vite de politique, avait -accueilli les propositions des puissances coalisées, espérant que la -Bavière conservant ses agrandissements, il conserverait sa situation. -Seulement il avait changé, non comme change la force (ainsi qu'avait -fait M. de Metternich), mais comme change la faiblesse, et il avait -adhéré à la coalition sans même nous avertir. Il nous avait abandonnés -en protestant toujours de sa fidélité. Le roi ayant contre lui sa -femme, son fils, son peuple, son ministre, son général, n'était pas de -caractère à résister à tant de contradicteurs, et quand on était venu -lui dire que, sauf équivalent, il conserverait ses États, et surtout -quand on avait ajouté que s'il refusait il fallait, comme en 1805, -évacuer sa capitale devant l'armée autrichienne, pour aller se jeter -dans les bras de Napoléon, non pas vainqueur mais vaincu, il n'avait -plus hésité, et avait signé le 8 octobre un traité d'alliance -offensive et défensive avec la coalition. Des transports de joie -avaient éclaté à cette nouvelle dans toute la Bavière, et avaient -confirmé sa résolution. - -[En marge: L'armée austro-bavaroise, forte de 60 mille hommes, vient -se placer sur le Main pour couper la route de Mayence.] - -Rien n'était plus amené par des causes irrésistibles qu'un pareil -changement, mais la décence voulait au moins que la Bavière, que nous -avions si richement dotée, en nous quittant pour sa sûreté, laissât à -d'autres pour son honneur, le soin de nous détruire. Il n'en fut point -ainsi, et le gouvernement bavarois, afin de s'assurer sa rentrée en -grâce auprès des souverains coalisés, le général de Wrède afin de -s'assurer le bâton de maréchal, mirent grande hâte à porter l'armée -austro-bavaroise de l'Inn sur le haut Danube, du Danube sur le Main. -Cette armée composée par moitié d'Autrichiens et de Bavarois, et forte -de 60 mille hommes, avait marché avec une telle rapidité, qu'on la -disait déjà rendue à Wurzbourg, et prête à couper aux environs de -Francfort la route de Mayence. - -À cette annonce Napoléon sourit de mépris, et du reste sentit l'erreur -de sa politique à l'égard de l'Allemagne, politique qui, au lieu de se -borner à un peu d'appui donné aux États secondaires, s'était étendue -jusqu'à vouloir en faire des sujets de la France. Il se décida donc à -quitter Erfurt pour prendre la route de Mayence. L'armée -austro-bavaroise ne l'effrayait guère, mais ayant 200 mille hommes -derrière lui, il devait compter les jours et les heures avec une -extrême précision. - -[En marge: Distribution de l'armée française dans sa marche sur -Mayence.] - -Après trois jours passés à Erfurt, il partit pour Eisenach afin de -franchir avant les coalisés les défilés de la forêt de Thuringe. Le -général Sébastiani avec le 2e corps de cavalerie, le général -Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde et le 5e de -cavalerie, formaient l'avant-garde, et couvraient les flancs de -l'armée en battant la campagne à droite et à gauche. Les maréchaux -Victor et Macdonald suivaient avec les débris des 2e et 11e corps; -puis venait le maréchal Marmont qui réunissait sous ses ordres les -débris des 6e, 5e et 3e corps, Durutte et Semelé qui conduisaient -leurs divisions, uniques restes des 7e et 16e corps. Napoléon ayant -sous la main la vieille garde, le 1er de cavalerie et la grosse -cavalerie de la garde, formait le noyau principal de l'armée. Oudinot -et Mortier avec les quatre divisions de la jeune garde, Bertrand avec -le 4e corps, accru de la division Guilleminot, et le 4e de cavalerie, -composaient l'arrière-garde. Le total de ces troupes ne montait pas à -plus de 70 mille hommes ayant un fusil à l'épaule, tant la débandade -s'était propagée de Leipzig à Erfurt. Venaient ensuite 30 à 40 mille -hommes sans armes, toujours logés entre les corps organisés, les -gênant dans le combat, dévorant leurs vivres au bivouac. - -[En marge: Mouvements des armées coalisées.] - -Les armées coalisées, après deux ou trois jours passés à Leipzig, et -employés soit à triompher, soit à se remettre d'une lutte si rude, -avaient été distribuées d'une manière nouvelle, et s'étaient ensuite -dirigées vers leur destination ultérieure. Le général Klenau avait été -renvoyé sur Dresde avec son corps, pour tâcher d'amener la reddition -de cette place et des troupes françaises qui l'occupaient. Le général -Tauenzien, déjà détaché de l'armée du Nord, avait été chargé de -poursuivre la reddition de Torgau et de Wittenberg, et le général -Benningsen, avec l'armée dite de Pologne, avait été expédié sur -Magdebourg et Hambourg pour opérer le blocus, et, s'il était possible, -la conquête de ces places. L'armée du Nord avait été acheminée sur -Cassel afin d'achever, si elle n'était consommée déjà, la destruction -de la monarchie du roi Jérôme. Elle devait ensuite revenir vers la -Westphalie, le Hanovre, la Hollande. Enfin Blucher et le prince de -Schwarzenberg, avec 160 mille hommes environ, s'étaient mis à la -poursuite de l'armée de Napoléon qu'ils serraient de près dans -l'espérance de le placer entre deux feux, de Wrède devant l'attaquer -en tête, tandis qu'ils l'attaqueraient en queue. Blucher, élevé par -son roi à la dignité de maréchal, et ayant mérité plus qu'aucun autre -les récompenses de la coalition, avait été dirigé sur Eisenach, pour -de là se rendre non sur Francfort mais sur Wetzlar, afin d'empêcher -que Napoléon, coupé de la route de Mayence, ne se rejetât sur celle de -Coblentz. La grande armée de Bohême, divisée en deux, devait marcher -partie par Eisenach, Fulde, Francfort, sur Mayence, partie par Gotha, -Smalkalden, Schweinfurt, sur Wurzbourg. C'étaient les Autrichiens que -le prince de Schwarzenberg, par un calcul facile à deviner, envoyait -sur Francfort, tandis qu'il envoyait sur Wurzbourg les Russes et les -Prussiens. Bien que l'empereur François, ainsi que son habile -ministre, eussent sagement renoncé à la couronne impériale germanique, -cependant ils voulaient en Allemagne la suprématie sous une forme -quelconque, et leur présence à Francfort, ville de l'élection -impériale, pouvait y faire éclater des manifestations utiles, dont ils -se serviraient pour recouvrer quelque chose de leur ancienne -domination, ou pour faire valoir au moins leur désintéressement. - -La distribution des forces étant ainsi faite, chacun avait suivi -l'armée française. En effet Sébastiani et Lefebvre-Desnoëttes avaient -trouvé aux environs d'Eisenach quantité de Cosaques et de coureurs de -toute espèce, tant à pied qu'à cheval, et les avaient dispersés, en -les obligeant à se cacher dans la forêt de Thuringe. Les 26 et 27 -octobre l'armée elle-même avait défilé sans grande difficulté, -pourtant l'arrière-garde d'Oudinot et de Mortier, composée de la jeune -garde, s'était vue assaillir par l'impétueux Blucher, à qui elle avait -résisté énergiquement. On avait perdu de part et d'autre un millier -d'hommes, mais l'ennemi avait ramassé de nombreux traînards que, dans -ses bulletins beaucoup plus inexacts que les nôtres, il présentait -comme des prisonniers recueillis sur le champ de bataille. - -[En marge: Pertes de l'armée par suite de la débandade.] - -Le 26, Napoléon vint coucher à Vach, au delà des défilés de la -Thuringe, le 27 à Hünfeld, le 28 à Schlüchtern. Une fois arrivés sur -le versant de la forêt de Thuringe qui regarde vers le Rhin, nous -fûmes poursuivis moins vivement, parce que Blucher s'était détourné à -droite pour s'acheminer par Wetzlar sur le Rhin, et que les Prussiens -et les Russes avaient pris à gauche pour se diriger sur Wurzbourg. Il -n'y avait plus dès lors sur nos traces que les Autrichiens, -vigoureusement contenus par Mortier, Oudinot et Bertrand. On avait -surtout affaire aux Cosaques et en général à la cavalerie ennemie, qui -nous causait, en ramassant les traînards, tout le mal qu'elle pouvait -nous faire. Ce mal n'était, hélas! que trop grand, car la rapidité des -marches et la difficulté de subsister faisaient sortir des rangs les -hommes par milliers. La division Semelé, par exemple, qui après sa -réorganisation à Erfurt comptait environ 4 mille hommes, était réduite -de l'autre côté des montagnes de la Thuringe, à 1800. Les divisions de -la jeune garde, atteintes elles-mêmes de cette contagion, étaient -tombées de 3 mille hommes chacune après Leipzig, à moins de 2 mille. -Les malades, les blessés, qui composaient à l'origine la population -flottante et désarmée, avaient expiré sur les routes par la fatigue ou -par la lance des Cosaques. Ils étaient remplacés par les affamés, les -dégoûtés du service, les mauvais sujets, dont le nombre augmentait à -vue d'oeil. Heureusement le froid n'était pas celui de Russie, et on -approchait de Mayence, car les soldats de 1813, bien inférieurs à ceux -de 1812, n'auraient certainement pas soutenu les mêmes épreuves. - -[En marge: Le général Préval envoyé à la rencontre de l'armée jusqu'à -Francfort, recueille beaucoup de traînards.] - -[En marge: Le 29 octobre, le général de Wrède posté en avant de Hanau, -s'attache à fermer la route de Mayence.] - -Dès le 27 octobre on apprit à Schlüchtern la présence du général de -Wrède à Wurzbourg, occupé à canonner cette place que le général -Thareau ne voulait pas rendre. Le général de Wrède n'avait qu'un pas à -faire pour couper la route de Hanau à Mayence. On fit partir une -avant-garde avec ce qu'on put réunir des traînards et des équipages, -afin de se délivrer de ce qu'il y avait de plus embarrassant. Quelques -troupes légères de l'armée bavaroise étaient déjà parvenues jusqu'à -Hanau, petite place à demi fortifiée, au confluent de la Kinzig et du -Main, qui domine de son canon la grande route de Mayence. Ces -avant-gardes bavaroises n'étaient pas de force à intercepter la route, -et d'ailleurs le général Préval, envoyé par le maréchal duc de Valmy à -la rencontre de la grande armée, venait d'arriver à Francfort avec -quatre à cinq mille hommes. Ce général avait pris position entre -Francfort et Hanau sur la Nidda, afin que l'ennemi ne pût pas nous -opposer l'obstacle de cette rivière et empêcher ainsi la grande armée -de passer. Grâce à cette précaution nos soldats débandés, une fois -Hanau franchi, rencontraient une force pour les recueillir et les -protéger jusqu'à Mayence. Divers détachements défilèrent les 27 et 28 -octobre, obligeant à se replier dans Hanau les troupes légères de -l'ennemi, et sauvant chaque fois quelques milliers d'écloppés, de -malades ou de vagabonds. Il s'en écoula ainsi 15 à 18 mille; mais le -29 la route se trouva entièrement fermée, car le général de Wrède, -désespérant de vaincre la résistance du général Thareau, avait laissé -un simple détachement pour bloquer Wurzbourg, et s'était porté à Hanau -avec 60 mille hommes, moitié Bavarois, moitié Autrichiens. Arrivé là, -il avait détaché une division sur Francfort, et s'était placé avec le -gros de ses forces en avant de Hanau, dans la forêt de Lamboy, que -traverse la grande route. - -[En marge: Le 30 au matin, Napoléon arrive devant Hanau.] - -[En marge: Ses forces à Hanau.] - -Le 29, Napoléon étant venu coucher à Langen-Sebold, apprit que la -tête de l'armée était refoulée sur lui, et que les Austro-Bavarois au -nombre de 50 à 60 mille hommes, avaient la prétention de lui barrer la -route du Rhin. Indigné d'une telle impudence, mais n'en étant pas -fâché, car il se proposait de faire sentir le poids de son indignation -au téméraire qui venait se mettre sur son chemin, il résolut de hâter -le pas dans la journée du 30, pour s'ouvrir lui-même le passage avec -sa vieille garde. Ce n'était pas sur ses forces numériques qu'il -comptait, mais sur le sentiment de ses soldats, car n'eussent-ils été -que dix mille, ils auraient passé sur le corps de l'adversaire qui, -leur allié si longtemps, se montrait si avide de leur sang et de leur -liberté. Hélas! il ne nous restait pas plus de quarante à cinquante -mille hommes sous les armes, tant la désorganisation allait croissant -depuis les dernières marches, et de ces quarante à cinquante mille -hommes, Napoléon n'en pouvait guère réunir plus d'un tiers sous sa -main dans la journée du 30. Il n'avait à l'avant-garde que Sébastiani -avec les 2e et 5e de cavalerie, Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie -légère de la garde, ce qui faisait environ quatre mille chevaux, -Macdonald et Victor avec cinq mille hommes d'infanterie, la vieille -garde, forte de quatre mille grenadiers et chasseurs, la grosse -cavalerie de la garde conservant deux à trois mille cavaliers montés, -enfin la réserve d'artillerie de Drouot, en tout 16 à 17 mille hommes. -Marmont avec les débris des 5e, 3e et 6e corps, Semelé, Durutte avec -leurs divisions, Mortier, Oudinot avec la jeune garde, Bertrand avec -le 4e, étaient en arrière, et ceux-ci à deux journées. Néanmoins -Napoléon n'hésita pas à fondre sur l'armée bavaroise et à la faire -repentir de sa témérité. Il importait de forcer le passage, pour ne -pas laisser grossir et se consolider l'obstacle élevé sur nos pas. - -Le 30 au matin on partit de Langen-Sebold et on marcha sur Hanau. - -À quelque distance on rencontra la division d'avant-garde du général -de Wrède, la division Lamotte, postée à Rückingen. On l'aborda -brusquement et on la culbuta. On la suivit vivement, et on rencontra -en avant de la forêt de Lamboy, à travers laquelle passe la grande -route de Mayence, l'armée austro-bavaroise elle-même. Voici quelles -avaient été les dispositions adoptées par le général de Wrède. - -[En marge: Description du champ de bataille de Hanau.] - -La forêt de Lamboy s'étendait de gauche à droite, de la Kinzig aux -montagnes du pays de Darmstadt. Au delà de la forêt le terrain était -découvert, mais on y trouvait l'obstacle de la Kinzig, petite rivière -allant tomber dans le Main, et enveloppant avant d'y tomber la place -de Hanau. La route, après avoir traversé la forêt dans sa profondeur, -débouchait en plaine, atteignait la Kinzig près du point où cette -rivière se réunit au Main, passait ensuite à droite sous le canon de -Hanau, enfin continuait jusqu'à Francfort et Mayence, entre le Main et -les montagnes. Le général de Wrède avait placé en avant et sur la -lisière de la forêt soixante bouches à feu, bien servies et bien -appuyées, avait rempli l'intérieur de la forêt d'une multitude de -tirailleurs, et rangé son armée dans la plaine au delà, le dos à la -Kinzig, la droite au pont de Lamboy sur la Kinzig, la gauche en avant -de Hanau. Il s'était couvert par 10 mille hommes de cavalerie. Il -disposait ainsi, défalcation faite de ce qu'il avait laissé sous -Wurzbourg, et de ce qu'il avait détaché sur Francfort, de -cinquante-deux mille hommes environ. Les coureurs de Thielmann et de -Lichtenstein l'avaient rejoint. - -Napoléon accouru de sa personne à la tête de son avant-garde avait -reconnu et jugé les dispositions de l'ennemi. Il n'avait sous la main -que la cavalerie de l'avant-garde, et les cinq mille fantassins -restant à Macdonald et à Victor. La vieille garde suivait. - -[En marge: Bataille de Hanau, livrée le 30 octobre.] - -[En marge: Malheureuses dispositions du général de Wrède.] - -Il fit ranger à droite sous le général Charpentier l'infanterie de -Macdonald, à gauche sous le général Dubreton celle de Victor, et -prescrivit à l'un et à l'autre de se répandre en tirailleurs dans les -bois. Il se tint avec toute sa cavalerie sur la grande route et en -présence de l'artillerie bavaroise, jusqu'à ce qu'il fût rejoint par -l'artillerie de la garde. À peine le signal donné, nos adroits -tirailleurs lancés dans la forêt y pénétrèrent avec la hardiesse et -l'intelligence qui les distinguaient. Une fusillade multipliée -éclatant dans la sombre épaisseur des bois, les éclaira bientôt de -mille feux. Nos tirailleurs gagnèrent successivement du terrain sur le -flanc des troupes qui soutenaient l'artillerie ennemie, et les -obligèrent à rétrograder. Peu après une portion de notre artillerie -ayant été amenée, canonna vivement celle des Bavarois qui était dénuée -de l'appui de l'infanterie, et la contraignit à se replier. On poussa -ainsi les Bavarois dans l'intérieur de la forêt, et on en traversa la -plus grande partie à leur suite, en tiraillant toujours sur leurs -flancs. Cependant la division Curial de la vieille garde ayant -rejoint, Napoléon dirigea deux bataillons de cette division sur la -colonne en retraite, et acheva de la rejeter de la forêt dans la -plaine. Parvenu à la lisière des bois on aperçut cinquante mille -hommes en bataille, le dos à la Kinzig, s'appuyant d'un côté au pont -de Lamboy en face de notre gauche, et de l'autre à la ville de Hanau -en face de notre droite. En avant se trouvait la belle et nombreuse -cavalerie de l'ennemi. Napoléon, pour déboucher, attendit que toute -son artillerie fût venue, ainsi que l'infanterie et la cavalerie de la -vieille garde. Lorsque les Bavarois, qui avaient honorablement servi -dans nos rangs, mais qui savaient ce qu'était la garde, la virent -paraître en ligne, ils en furent profondément émus, surtout leur -général de Wrède, qui comprit quelle faute il avait commise en se -plaçant avec une rivière à dos devant de pareilles troupes. Il avait -cru que la grande armée arriverait tellement talonnée par les -coalisés, qu'il n'aurait plus que des prisonniers à recueillir. - -[En marge: Dispositions de Napoléon.] - -Napoléon en apercevant ces dispositions dit avec ironie: Pauvre de -Wrède, j'ai pu le faire comte, mais je n'ai pu le faire -général.--Sur-le-champ il rangea quatre-vingts bouches à feu de la -garde à la lisière de la forêt, étendit à gauche les grands bonnets à -poil de la division Friant, et à droite la cavalerie de Sébastiani, de -Lefebvre-Desnoëttes, de Nansouty. - -[Illustration: Scène de bataille.] - -Après quelques instants d'une violente canonnade, il agit d'abord par -sa droite et lança toute sa cavalerie sur celle du général de Wrède. -Nos grenadiers, nos chasseurs à cheval de la garde, étaient -impatients de fouler aux pieds les alliés infidèles qui venaient -imprudemment leur barrer le chemin de la France. Les escadrons -bavarois furent rejetés d'un seul choc sur les escadrons autrichiens. -Ceux-ci chargèrent à leur tour, mais l'exaspération de notre cavalerie -était au comble; elle renversa tout ce qui s'offrit à elle, et culbuta -sur la Kinzig et Hanau la gauche de l'armée austro-bavaroise. Au -centre les flots de la cavalerie ennemie, dans le va-et-vient de ces -charges répétées, vinrent un moment se jeter sur les quatre-vingts -bouches à feu de la garde. Drouot faisant serrer ses pièces, et -plaçant en avant ses canonniers la carabine à la main, arrêta les -escadrons ennemis, puis les cribla de mitraille lorsqu'ils se -replièrent. Quand notre infanterie accourut à son secours, il était -déjà dégagé. - -[Date en marge: Nov. 1813.] - -[En marge: L'armée austro-bavaroise écrasée.] - -Le général de Wrède acculé sur la Kinzig, ne vit d'autre ressource que -de ramener son armée sur sa droite, afin de lui faire repasser la -Kinzig au pont de Lamboy. Pour favoriser ce mouvement, et se procurer -l'espace dont il avait besoin, il essaya une attaque sur notre gauche. -Mais là justement se trouvaient les grenadiers de Friant. Ces braves -gens, dont le courage était trop souvent enchaîné, partageaient -l'exaspération de toute l'armée. Ils marchèrent appuyés des troupes de -Marmont dont la tête venait d'arriver, abordèrent les Bavarois à la -baïonnette, les poussèrent sur les troupes occupées à franchir la -Kinzig, et en percèrent sept à huit cents de leurs baïonnettes. De -Wrède repassa la Kinzig en désordre, laissant dans nos mains dix à -onze mille morts, blessés ou prisonniers. Cette brillante rencontre -nous avait coûté tout au plus trois mille hommes. La majesté de -l'armée française était dignement vengée. - -Toutefois il ne fallait pas perdre de temps à compter nos trophées, -car de Wrède replié avec quarante mille hommes derrière la Kinzig, -pouvait apercevoir notre petit nombre, et déboucher de Hanau pour nous -barrer le chemin. Le lendemain 31 octobre Napoléon, fier non pour lui -mais pour ses soldats, de cette nouvelle bataille de la Bérézina, se -mit en marche avec Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes, Macdonald, Victor -et la vieille garde, afin d'aller rouvrir la route de Mayence, si elle -était interceptée quelque part. Il laissa Marmont pour border la -Kinzig, et empêcher l'ennemi de déboucher de Hanau, dont le canon -enfilait la chaussée. - -[En marge: Nouvelles tentatives du général de Wrède, et nouveaux -échecs les jours suivants.] - -Le 31 au matin le maréchal Marmont fit enlever Hanau que l'ennemi dans -sa terreur avait presque entièrement évacué, et en partant vers le -milieu du jour confia au général Bertrand qui le suivait, la garde de -ce poste. Le général Bertrand y passa la nuit, toujours dans -l'intention de contenir les Bavarois et de les empêcher de couper la -route. Le 1er novembre au matin, de Wrède voulant prendre une -revanche, et se flattant de ne plus trouver devant lui qu'une faible -arrière-garde sur laquelle il se dédommagerait de son échec, essaya de -déboucher de la Kinzig en traversant le pont de Lamboy à notre gauche, -et en tâchant de reprendre Hanau à notre droite. Devant le pont de -Lamboy Bertrand avait placé la division Guilleminot, au centre la -division Morand qui pouvait canonner Hanau par-dessus la Kinzig, -devant Hanau même la division italienne, partie dans cette ville, -partie le long de la Kinzig, avec mission de protéger la grande route. - -De Wrède à la pointe du jour assaillit les Italiens dans Hanau, leur -prit une des portes, pénétra dans la ville, et les refoula sur le pont -de la Kinzig, vers lequel il courut pour s'en emparer, et occuper -ensuite la route. Mais Morand tirant par-dessus la Kinzig atteignit en -flanc la colonne du général de Wrède, et la couvrit de projectiles. -Les Italiens reprenant courage revinrent à la charge, et rejetèrent -les Bavarois dans Hanau. De Wrède reçut au bas-ventre une blessure qui -le fit supposer mort, tant elle était grave. - -Au même instant sur notre gauche les Austro-Bavarois tentèrent de -franchir la Kinzig sur les chevalets du pont de Lamboy à demi brûlés. -Guilleminot en laissa passer un certain nombre, puis les culbuta dans -la Kinzig à la baïonnette. De toutes parts ils furent ainsi refoulés -au delà de la Kinzig, et condamnés à une nouvelle humiliation. Cette -tentative leur coûta encore de 1500 à 2,000 hommes. Nos canons libres -enfin de courir sur ce chemin de Mayence, y trouvèrent tant de -cadavres qu'ils roulaient, dit un témoin oculaire fort illustre, dans -une boue de chair humaine[33]. Funèbre et terrible rentrée de la -grande armée en France! - - [Note 33: Expression du maréchal Gérard, de la bouche duquel - je l'ai autrefois recueillie.] - -Au surplus le corps du général Bertrand avait été le dernier à -prendre la route de Hanau. Le maréchal Mortier avec la jeune garde -informé des difficultés qu'on rencontrait sur cette voie, avait fait -un détour à droite, et avait regagné Francfort sain et sauf. Le 4 -novembre, la grande armée acheva d'entrer dans Mayence, tristement -triomphante! La cavalerie resta seule en dehors pour recueillir les -plus attardés de nos traînards. Il en avait passé près de quarante -mille en quelques jours. - -[En marge: Arrivée de l'armée française sur les bords du Rhin.] - -Ainsi nous revîmes le Rhin, après tant de victoires suivies maintenant -de tant de revers, le Rhin que nous avions l'espérance fondée de -repasser paisiblement, après une paix glorieuse et générale. Il aurait -pu en être ainsi, mais l'orgueil indomptable de Napoléon ne l'avait -pas permis! - -[En marge: État de dénûment de la frontière du Rhin.] - -Napoléon était en ce moment dans Mayence, pouvant se convaincre de ses -yeux de toute l'étendue de ses fautes. Ce Rhin devenu tellement notre -propriété, que six mois auparavant on aurait regardé comme une grande -preuve de modération de notre part de nous en contenter, ce Rhin il -était douteux que nous pussions le défendre! Napoléon avait tant songé -à la conquête, et si peu à la défense, que le sol de l'Empire se -trouvait presque entièrement découvert. Excepté en Italie, qui était -de la conquête aussi, on n'avait rien fait aux places de la frontière. -Napoléon avait bien commencé à y penser, mais à une époque où il ne -restait plus assez de temps pour que les ordres donnés reçussent leur -exécution. Les grands approvisionnements mêmes provoqués par -l'intermédiaire de M. de Bassano après la bataille de Dennewitz, -délibérés, résolus entre les principaux ministres à Paris, avaient -été contremandés par Napoléon à cause de la dépense, et surtout à -cause des alarmes qu'il craignait de répandre sur le Rhin. Aussi le -long de cette frontière qui aurait dû être le premier objet de nos -soins, tout était-il dans un état déplorable. On s'était épuisé en -munitions, en armes de toutes espèces pour Erfurt, Dresde, Torgau, -Magdebourg, Hambourg, et les arsenaux français étaient vides. Les -approvisionnements en bois ordonnés depuis peu de jours n'étaient pas -commandés. Les approvisionnements de siége se trouvaient dans le même -cas[34]. Le personnel était encore plus insuffisant que le matériel. À -Strasbourg, Landau, Metz, Coblentz, Cologne, Wesel, il n'y avait que -quelques compagnies de gardes nationales levées à la hâte par les -préfets, et qui savaient à peine tirer un coup de fusil. Mayence -seule, vaste dépôt de recrues qu'on n'avait pas eu le temps -d'expédier, de maraudeurs successivement rentrés, de malades, de -blessés transportés comme on avait pu, centre enfin de ralliement pour -nos débris de toute espèce, Mayence contenait des moyens de défense. -Mais c'est une armée qu'il aurait fallu dans cette place, et ce qui -rentrait, quoique ce fût la grande armée, n'aurait pas fourni 40 mille -hommes en état de combattre. Les divisions de la jeune garde qui -s'étaient si bien conduites, comprenant 8 mille hommes à la reprise -des hostilités, 3 mille encore après Leipzig, étaient réduites les -unes à 1,000, les autres à 1,100 hommes. Tous les corps étaient -diminués dans la même proportion. - - [Note 34: Nous parlons d'après les rapports des maréchaux - envoyés sur le Rhin pour y commander.] - -[En marge: Le 4e corps, renforcé des divisions Guilleminot, Durutte et -Semelé, est cantonné à Mayence.] - -Napoléon voulant réserver à Mayence ce qu'il avait ramené de meilleur, -y laissa le 4e corps sous le général Bertrand. Ce corps était destiné -à former l'avant-garde de la future armée que Napoléon espérait -composer. Il devait comprendre la division Morand qui en avait -toujours fait partie, la division Guilleminot qu'on lui avait -récemment adjointe, les divisions Durutte et Semelé, seuls restes, -comme nous l'avons dit, des 7e et 16e corps. Ces quatre divisions, -même après quelques jours de repos, ne comptaient pas quinze mille -soldats. Napoléon ordonna qu'elles fussent immédiatement réorganisées -au moyen des hommes débandés qu'on arrêtait au passage du Rhin. La -cavalerie de la garde fut employée à recueillir ces hommes à plusieurs -lieues au-dessus et au-dessous de Mayence. Mais les fusils, les -vêtements, les souliers, les vivres qu'on leur distribuait ne -pouvaient surmonter l'influence des mauvaises habitudes qu'ils avaient -contractées, et bien que la plupart d'entre eux se fussent comportés -très-bravement deux ou trois semaines auparavant, il était douteux -qu'on parvînt à en faire encore des soldats. À peine cessait-on -d'avoir l'oeil sur eux qu'ils désertaient à l'intérieur. Les cadres -restaient excellents, et tout prouvait que, grâce à eux, il serait -plus facile de créer des soldats avec des conscrits sortant de leurs -chaumières, qu'avec des hommes qu'on venait d'exposer trop tôt, trop à -l'improviste, et sans l'encouragement de la victoire, aux plus -cruelles extrémités de la guerre. - -[En marge: Lefebvre-Desnoëttes est aussi cantonné à Mayence avec la -cavalerie légère de la garde.] - -[En marge: La défense du Rhin confiée aux maréchaux Victor, Marmont et -Macdonald.] - -[En marge: La fièvre d'hôpital transportée par l'armée sur les bords -du Rhin, y exerce d'affreux ravages.] - -En quelques jours cependant on reporta au nombre de vingt et quelques -mille hommes ce 4e corps, dernière représentation de l'armée qui avait -combattu à Lutzen, Dresde et Leipzig. Lefebvre-Desnoëttes lui fut -attaché avec la cavalerie légère de la garde et les vieux dragons du -5e corps, composant en tout 3 à 4 mille chevaux. On lui donna une -bonne artillerie. La garde du Rhin fut partagée entre les trois -maréchaux Marmont, Macdonald et Victor. Le maréchal Marmont fut chargé -de garder depuis Landau jusqu'à Coblentz avec les débris des 6e, 5e et -3e corps d'infanterie, des 1er et 5e de cavalerie. Il devait avoir -Mayence et le général Bertrand sous ses ordres, et procéder à la -recomposition des troupes comprises dans l'étendue de son -commandement. La jeune garde fut placée un peu en arrière de Mayence, -pour se réorganiser sous les yeux du maréchal Mortier. Il en fut de -même pour la cavalerie de la garde. Le maréchal Macdonald fut envoyé à -Cologne avec le 11e corps, qu'il devait également recomposer. On lui -donna le 2e de cavalerie pour veiller à la garde du Rhin, et empêcher -les Cosaques de le franchir. Ce qui restait des Polonais, infanterie -et cavalerie, fut envoyé à Sedan, où était l'ancien dépôt de ces -troupes alliées, pour y recevoir une nouvelle organisation. Le -maréchal Victor fut établi à Strasbourg avec le 2e corps, qui avait -fait sous ses ordres la campagne de 1813, et s'y était couvert de -gloire. C'est avec ces débris que les trois maréchaux devaient -protéger la frontière de l'Empire. Les gendarmes, les douaniers -revenus de tous les pays que nous avions occupés, arrêtaient sur le -Rhin les hommes débandés qui arrivaient, et tâchaient de les faire -rentrer à leurs corps. C'est avec cette ressource, dont nous avons -dit la valeur, qu'on espérait recruter les troupes cantonnées sur la -frontière. Malheureusement, outre leurs mauvaises dispositions -morales, elles venaient d'être atteintes par une affreuse contagion -physique. La fièvre d'hôpital née dans nos vastes dépôts de l'Elbe, -due à l'encombrement des hommes, aux fatigues, à la mauvaise -nourriture, aux pluies continuelles des deux derniers mois, et aux -passions tristes dont avaient été affectés nos blessés et nos malades, -s'était répandue partout où nous avions passé, et avait déjà envahi -les bords du Rhin. De tous les fléaux qui nous avaient poursuivis -celui-là était le plus redoutable. Il venait de pénétrer à Mayence, -d'y exercer déjà de notables ravages, et en faisait craindre de -terribles. De là il avait descendu le Rhin, et l'avait même remonté. -Ainsi aucune calamité ne semblait devoir nous être épargnée. - -[En marge: Départ de Napoléon pour Paris le 7 novembre.] - -[En marge: Situation des troupes laissées dans les garnisons de -l'Elbe, de l'Oder et de la Vistule.] - -[En marge: Le nombre des troupes laissées dans les places n'est pas de -moins de 190 mille hommes.] - -Napoléon, après avoir pourvu au plus pressé par un séjour d'une -semaine à Mayence, partit pour Paris le 7 novembre, afin de se -transporter au centre d'un gouvernement dont il était le moteur -indispensable, et de préparer les moyens d'une nouvelle et dernière -campagne. Tandis qu'il était occupé à faire des efforts inouïs pour -tirer de la France épuisée les ressources qu'elle contenait encore, et -arrêter sur la frontière des ennemis qu'une longue oppression avait -rendus implacables, il y avait du Rhin à la Vistule, en soldats vieux -ou jeunes, et actuellement assiégés ou bloqués par les légions de -l'Europe coalisée, de quoi composer l'une des meilleures armées qu'il -eût jamais rassemblées. Il avait laissé à Modlin 3 mille hommes, à -Zamosc 3, à Dantzig 28, à Glogau 8, à Custrin 4, à Stettin 12, à -Dresde 30, à Torgau 26, à Wittenberg 3, à Magdebourg 25, à Hambourg -40, à Erfurt 6, à Wurzbourg 2, ce qui faisait une force totale de 190 -mille hommes, presque tous valides (car nous n'avons admis dans cette -évaluation ni les malades ni les blessés), tous aguerris ou instruits, -commandés par des officiers excellents, et comprenant notamment des -soldats d'artillerie et du génie incomparables. Jamais plus belle -armée n'eût porté le drapeau de la France, si, par un miracle, on -avait pu réunir ses débris épars, et leur rendre l'ensemble que leur -isolement dans des postes éloignés leur avait fait perdre. Napoléon, -ainsi qu'on l'a vu, dans l'espérance de se retrouver en une seule -bataille reporté sur l'Oder et la Vistule, avait voulu en conserver -les forteresses, de manière à se replacer soudainement dans son -ancienne position. C'est par ce motif qu'il avait consacré une -soixantaine de mille hommes aux places fortes de l'Oder et de la -Vistule. Pendant l'armistice il aurait pu les ramener tous, et en -renforcer sa ligne de l'Elbe; mais, séduit par la même espérance, il -avait persisté dans la même faute, et il venait de l'aggraver -prodigieusement, en quittant l'Elbe sans en retirer les garnisons. -C'est ainsi que ces 190 mille hommes si précieux, suffisant au -printemps pour former le fond d'une superbe armée de 400 mille hommes, -avaient été sacrifiés. Il est vrai que dans ces 190 mille hommes il y -avait 30 mille étrangers, voulant rentrer au sein de leur patrie -depuis que leurs gouvernements avaient rompu avec la France; mais -dans ces 30 mille hommes, s'il y avait 20 mille Allemands ou Illyriens -sur lesquels il ne fallait plus compter, il y avait 10 mille Polonais -devenus aussi braves, et restés aussi fidèles que les soldats de notre -vieille armée. C'était donc toujours la perte certaine de 170 mille -hommes, due à une confiance aveugle dans la victoire, et à la funeste -passion de rétablir en une journée une grandeur détruite par plusieurs -années de fautes irréparables! - -[En marge: Comment on aurait pu les sauver.] - -[En marge: Il aurait fallu que par une résolution spontanée l'un des -commandants de garnison sortit de la place qu'il occupait, allât -recueillir les autres garnisons, et formât ainsi une armée avec -laquelle il pût regagner les bords du Rhin.] - -[En marge: Raisons qui ne permettaient pas aux garnisons de la Vistule -et de l'Oder de tenter une semblable entreprise.] - -Un miracle, avons-nous dit, pouvait les rendre à la France. Sans doute -si un homme intrépide, audacieux, et surtout heureux, se trouvant à la -tête de l'une de ces garnisons, était sorti de la place qu'il -occupait, en forçant le blocus établi autour de ses murs, qu'il se fût -réuni à la garnison la plus voisine, et qu'allant ainsi de l'une à -l'autre il eût composé une armée, il est probable, vu le peu de -troupes laissées par les coalisés sur leurs derrières, qu'il aurait pu -atteindre l'Elbe et le Rhin, et rentrer en France à la tête d'une -force redoutable. Mais dans laquelle des places bloquées ce miracle -pouvait-il s'accomplir? Ce n'est pas assurément dans les places les -plus éloignées. Les garnisons de Modlin et de Zamosc, par exemple, -composées de Lithuaniens et de Polonais peu enclins à sortir de chez -eux, étaient beaucoup trop distantes l'une de l'autre, trop peu -nombreuses, pour essayer de hardies concentrations de troupes. Celle -de Dantzig, qui même après les maladies rapportées de Russie, comptait -encore vingt et quelques mille hommes, aurait pu s'échapper sans -doute, en culbutant ceux qui auraient essayé de l'arrêter. Mais elle -aurait été suivie à outrance par des forces supérieures, peut-être -détruite avant d'arriver à l'Oder, où l'attendaient du reste si elle y -était arrivée, 9 mille Français ou alliés à Stettin, 4 mille à -Custrin. Mais, outre la difficulté naissant de la distance, il y en -avait une dans les instructions de Napoléon. Il avait ordonné au -général Rapp de ne livrer Dantzig que sur un ordre de sa main, de s'y -faire tuer plutôt que de se rendre, et le général Rapp, privé de -nouvelles, ne devant pas ajouter foi à celles de l'ennemi, ne pouvait -pas assez connaître la situation pour se croire autorisé à changer les -instructions si précises, si formelles, qu'il avait reçues de -Napoléon. Les trois garnisons de l'Oder, celles de Stettin, Custrin, -Glogau, quoique plus rapprochées de l'Elbe, étaient encore trop -distantes entre elles, trop peu considérables, et trop surveillées, -pour tenter avec quelques chances de succès des réunions de forces qui -leur eussent permis de regagner le Rhin. - -[En marge: Les commandants de Hambourg et de Dresde pouvaient seuls -prendre l'initiative d'une subite concentration.] - -Ce sont les garnisons de l'Elbe, celles de Hambourg, Magdebourg, -Wittenberg, Torgau, Dresde, qui formaient des rassemblements de 20 et -30 mille hommes, qui étaient fort voisines les unes des autres, et -n'avaient pour rejoindre la France qu'à traverser la Westphalie -exempte de la présence de l'ennemi, ce sont celles-là qui auraient pu -prendre l'initiative, et rendre à la France cent mille hommes, avec -des chefs illustres tels que Saint-Cyr et Davout. Entre ces places -fortes de l'Elbe c'étaient évidemment les deux places extrêmes de -Dresde et de Hambourg, ayant des maréchaux en tête, et chacune 30 -mille hommes au moins, qui auraient pu essayer d'opérer une -concentration subite, et entre ces dernières enfin c'est de la -garnison de Dresde qu'on était le plus fondé à l'attendre. - -[En marge: Raisons qui devaient en détourner celui qui commandait à -Hambourg.] - -Pour qu'un chef commandant une force considérable et chargé d'un poste -important prît sur lui de l'évacuer spontanément, afin de revenir sur -le Rhin, il fallait que l'ordre d'idées dans lequel il avait été -entretenu l'y autorisât. Le maréchal Davout n'était pas dans ce cas. -Il savait que Hambourg avait été la cause principale de la rupture des -négociations de Prague, que Napoléon y tenait au point d'avoir bravé -une guerre mortelle plutôt que d'y renoncer, que Hambourg était -l'appui des garnisons de l'Oder et de Dantzig, le boulevard de la -Westphalie et de la Hollande, le lien avec le Danemark, et que -l'abandonner était une résolution capitale, ne pouvant appartenir -qu'au chef de l'État lui-même. Voilà tout un ensemble de -considérations qui n'était pas fait pour lui inspirer la pensée de -l'évacuation. Mais il y avait de plus pour l'en détourner deux raisons -décisives. Il possédait à Hambourg tous les moyens de se soutenir -longtemps, et il le prouva bientôt; dès lors il n'y avait pour lui -aucune obligation immédiate de changer de position. Secondement, en -supposant qu'il sentît la nécessité de rentrer en France à la tête des -garnisons restées au dehors, il ne pouvait prendre sur lui de remonter -l'Elbe pour se porter à Torgau et à Dresde, car il serait allé dans un -cul-de-sac sans retraite possible, puisque entre Dresde et Mayence il -y avait la coalition tout entière. Il devait donc, s'il avait cette -pensée d'une concentration spontanée, attendre dans le poste où il -était qu'on vînt à lui avec les garnisons de Dresde, de Torgau, de -Magdebourg, et alors avec cent mille hommes il serait retourné en -France par la Westphalie et Wesel. Ainsi, outre que l'ordre d'idées -dans lequel il avait été entretenu ne devait pas l'engager à quitter -Hambourg, à moins d'une nécessité pressante, la concentration ne se -présentait pas comme chose exécutable du bas Elbe vers le haut, mais -du haut vers le bas. - -[En marge: Toutes ces raisons au contraire devaient y décider celui -qui commandait à Dresde.] - -[En marge: On pouvait en descendant de Dresde à Hambourg, y former -avec les garnisons de l'Elbe successivement ramassées, une armée de -plus de cent mille hommes, et à sa tête regagner le Rhin -victorieusement.] - -Ces simples réflexions démontrent que c'est à Dresde qu'aurait dû -naître la résolution de réunir les garnisons voisines, et de former -une force successivement croissante, pour rentrer en France. Tout -devait en effet y disposer le maréchal Saint-Cyr, commandant à Dresde, -et les idées antérieures dont il avait eu l'esprit rempli, et -l'urgence de sa situation, et enfin les moyens dont il était pourvu. -D'abord Dresde n'était point une place forte où l'on pût se maintenir; -c'était un poste militaire à conserver quelques jours seulement, que -Napoléon n'avait entendu garder que très-passagèrement, et que, sans -le prescrire formellement, il avait presque d'avance ordonné -d'évacuer, en disant dans ses instructions que si des accidents -imprévus empêchaient le maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde, il -devait se diriger sur Torgau. Ainsi la pensée naturelle qu'il était -impossible de ne pas concevoir, c'était celle de quitter Dresde, si on -apprenait que Napoléon se fût retiré sur le Rhin. Ensuite cette place -hors d'état de tenir huit jours, n'avait plus aucune importance après -le départ de la grande armée, ne couvrait rien, demeurait purement en -l'air, et ne contenait pas la moindre ressource en vivres. Il y avait -donc urgence de prendre un parti à son égard, et ne pouvant revenir en -France à travers la Saxe, car il aurait fallu passer sur le corps des -armées coalisées, il était évident que c'est sur Torgau qu'il fallait -se replier. Pour se rendre à Torgau on n'avait que deux journées de -marche. On y aurait trouvé 26 mille hommes, dont 18 mille Français -valides, et on aurait été porté à 48 mille hommes, force supérieure à -tout ce qu'il y avait d'ennemis sur les bords de l'Elbe. On aurait -recueilli en passant 3 mille hommes à Wittenberg. En deux jours on -serait arrivé à Magdebourg, où l'on se serait renforcé de 18 à 20 -mille hommes valides. On aurait donc formé tout de suite une armée de -70 mille combattants, armée qui avant trois semaines était sûre de ne -pas rencontrer son égale jusqu'au bord de la mer. À Hambourg, on -aurait fini par réunir 110 mille soldats excellents, et alors qui -est-ce qui pouvait empêcher ces braves gens de regagner le Rhin? - -[Date en marge: Octob. 1813.] - -Si donc l'impulsion première avait dû partir de quelque part pour -opérer ces concentrations spontanées, c'était évidemment de Dresde et -du maréchal qui commandait cette place. Il faut ajouter que l'excuse -bien réelle alors, et souvent alléguée, du défaut d'indépendance et de -spontanéité chez les lieutenants de Napoléon, toujours habitués à -obéir, jamais à commander, que cette excuse ne saurait être donnée -pour le maréchal Saint-Cyr. Indépendant par force d'esprit, et par -indocilité de caractère, n'admirant personne, pas même Napoléon, -blâmant toutes les instructions qu'il recevait, il ne pouvait pas, -comme tant d'autres, expliquer son défaut de détermination par sa -soumission ponctuelle aux ordres supérieurs, ordres d'ailleurs qui, -après la retraite de l'armée, étaient plutôt dans le sens de -l'évacuation que de la conservation de Dresde. Par conséquent, si les -170 mille Français laissés par une déplorable faute de Napoléon sur la -Vistule, l'Oder et l'Elbe, avaient chance d'être sauvés, c'était, pour -100 mille au moins, par une résolution spontanée du maréchal -Saint-Cyr. Cette résolution il ne la prit point, et on va juger par -les faits eux-mêmes s'il est suffisamment justifié de ne l'avoir pas -prise. - -[En marge: Ce qui s'était passé à Dresde après le départ de Napoléon -pour Düben.] - -[En marge: Inquiétudes du maréchal Saint-Cyr et du corps d'armée -laissé à Dresde.] - -[En marge: L'idée de sortir de Dresde pour aller se réunir aux -garnisons de Torgau et de Magdebourg était dans tous les esprits.] - -À peine Napoléon avait-il quitté Dresde pour Düben que des mouvements -incessants de troupes s'étaient exécutés autour de la ville, que -l'intérêt des coalisés avait paru évidemment se porter ailleurs, et -qu'ils n'avaient laissé devant Dresde que des forces insignifiantes, -dont il était très-possible de triompher pour tenter quelque -entreprise salutaire. Au moment même de la bataille de Leipzig, -lorsque Bubna, Colloredo, Benningsen, se détournèrent pour rejoindre -la grande armée du prince de Schwarzenberg, leur disparition devint -promptement sensible, et un général aussi heureusement audacieux que -Richepanse le fut à Hohenlinden, aurait pu être tenté de suivre ces -corps, et s'il eût paru sur leurs derrières le 18, il eût certes -apporté d'immenses changements à nos destinées. Il est vrai que c'eût -été une résolution singulièrement téméraire, et difficile à concilier -avec l'instruction de garder Dresde, que Napoléon avait donnée -lorsqu'il avait formé son grand projet de marcher sur Berlin à la -suite de Bernadotte et de Blucher, pour revenir par Dresde sur les -derrières de l'armée de Bohême. On n'est donc pas fondé à faire au -maréchal Saint-Cyr un reproche de ne l'avoir pas prise. Ce maréchal -s'aperçut assez vite de la disparition des principales forces -stationnées devant Dresde, et il se procura la satisfaction fort -légitime, fort louable, de faire essuyer un échec au faible corps de -blocus qu'on avait laissé devant lui, mais il s'en tint là. Quelques -jours après, n'apprenant rien, ne voyant rien venir, il commença -d'être inquiet; on le fut bientôt autour de lui, et on se demanda ce -qu'avait pu devenir la grande armée. Rester enfermé dans cette prison, -où il y avait peu de vivres, peu de munitions, au milieu d'une -population tranquille, mais peu bienveillante, à laquelle on était -fort à charge, rester, disons-nous, dans un tel coupe-gorge, répugnait -à tout le monde, et à chaque instant surgissait l'idée de s'en aller, -car on savait bien qu'on n'avait rien à faire à Dresde, si ce n'est -d'y périr. Cette pensée de se retirer étant dans toutes les têtes, le -maréchal Saint-Cyr convoqua un conseil de guerre, composé du comte de -Lobau, du général Durosnel, du général Mathieu-Dumas et de quelques -autres. Avec sa remarquable sagacité, le comte de Lobau dit qu'il n'y -avait qu'une chose à tenter, c'était de se retirer sur Torgau, où l'on -trouverait une garnison nombreuse, des vivres, et en tout cas la route -ouverte de Magdebourg. Les autres généraux furent effrayés de la -responsabilité qu'on assumerait sur soi en se retirant, et dirent que -le moment n'était pas venu de se croire abandonné, et dès lors de -prendre un parti aussi décisif. À la vérité le doute était encore -permis le 21 octobre, l'évacuation de Leipzig n'ayant eu lieu que le -19. Bientôt cependant la joie non dissimulée des Saxons, les -communications de l'ennemi intéressé à nous désespérer, nous apprirent -le désastre de Leipzig, et la retraite forcée de Napoléon sur le Rhin. -Dès lors il était évident qu'il fallait prendre un parti, et le -prendre sur-le-champ, avant que toutes les routes fussent fermées. -C'est en ce moment qu'il eût fallu convoquer un conseil de guerre, et -obliger chacun à délibérer en présence du désastre constaté de la -grande armée, et de l'impossibilité démontrée d'être secouru. - -[En marge: On pouvait sortir de Dresde avec 30 mille hommes valides, -qui n'auraient pas trouvé une seule force capable de leur fermer la -route de Torgau.] - -En adoptant les évaluations les plus affaiblies, on pouvait mettre -sous les armes 25 mille hommes parfaitement valides, et tout porte à -croire qu'à la nouvelle du départ on aurait été 30 mille le fusil à -l'épaule. On n'avait pas 25 mille hommes devant soi, et fussent-ils le -double, comme ils devaient être répartis sur les deux rives de l'Elbe, -il y avait certitude de se faire jour, en perçant sur un point -quelconque le cercle très-étendu qu'ils étaient obligés de décrire -autour de la place. Enfin on avait la perspective assurée de mourir de -faim et de misère sous peu de jours, sans pouvoir s'honorer par une -défense que les fortifications de la ville ne rendaient pas possible, -et d'être tous tués ou pris, si on attendait que les forces ennemies -parties pour Leipzig fussent revenues sur Dresde. Si jamais il y a eu -urgence à se décider, évidence dans le parti à embrasser, c'était -certainement dans cette occasion. - -[En marge: Hésitations du maréchal Saint-Cyr.] - -[En marge: Question secrètement adressée à la garnison de Torgau.] - -[En marge: Après quinze jours le maréchal Saint-Cyr ordonne une -tentative pour percer sur Torgau.] - -Le maréchal Saint-Cyr avait infiniment d'esprit, était au feu un -brave soldat, avait de plus une véritable indépendance de caractère, -et cependant il donna ici la preuve que ces qualités très-réelles ne -sont pas celles qui dans certaines circonstances produisent les -grandes inspirations. Il ne résolut rien, ne fit rien, et laissa -écouler le temps en hésitations regrettables. Il eut la singulière -pensée d'envoyer un agent secret au gouverneur de Torgau, pour savoir -si on aurait des vivres à lui donner dans le cas où il se replierait -sur cette place. La question était inutile, car, outre que nous avions -toujours tiré de Torgau nos approvisionnements en grains, et qu'on -avait avec soi l'excellent général Mathieu-Dumas, au fait par ses -fonctions de toutes les ressources de l'armée, il ne s'agissait pas de -descendre sur Torgau pour y rester, mais pour y passer, chose bien -différente. L'agent pénétra, reçut pour réponse qu'on avait des -vivres, dont on ferait part volontiers à ses voisins de Dresde s'ils -avaient la bonne inspiration de venir; mais il ne put pas remonter -l'Elbe, et fut arrêté. On demeura ainsi sans réponse et sans -résolution, non-seulement pendant la fin d'octobre, mais jusqu'aux -premiers jours de novembre. Deux semaines s'étant écoulées, le cordon -du blocus se resserrant à chaque heure, toute espérance de secours -étant évanouie, le maréchal Saint-Cyr prit enfin un parti, mais -malheureusement un demi-parti, et le plus dangereux qu'on pût prendre. -Comme il n'y avait qu'une chose à essayer, celle de se retirer sur -Torgau, il n'imagina pas d'en tenter une autre, et résolut d'envoyer -le comte de Lobau avec 14 mille hommes dans la direction de cette -place, de lui faire descendre l'Elbe par la rive droite, puis, si le -comte de Lobau réussissait à percer, de suivre lui-même avec le reste -de son armée. On ne comprend pas qu'un homme qui avait tant de fois -déployé une si grande sagacité à la guerre, pût songer à faire une -tentative pareille. Si on avait une chance, et on n'en avait pas une, -mais cent, de percer la ligne de blocus, c'était en marchant tous -ensemble, et en ne laissant rien après soi. Il était impossible en -effet qu'en donnant tête baissée sur cette ligne, nécessairement mince -à cause de son étendue, on ne parvînt pas à la rompre. Le général -Brenier avait eu pour sortir de Ciudad-Rodrigo en 1811 de bien autres -dangers à courir, et les avait néanmoins surmontés. - -[Date en marge: Nov. 1813.] - -[En marge: Cette tentative faite avec des forces insuffisantes -échoue.] - -Le maréchal Saint-Cyr confia donc au comte de Lobau le soin de -descendre par la rive droite sur Torgau avec 14 mille hommes. Ce -dernier fit la remarque fort juste que l'entreprise, sûre quinze jours -auparavant, et avec toutes les forces du corps d'armée, devenait bien -douteuse dans le moment, et avec la moitié de ce corps seulement. Il -obéit néanmoins, et il sortit de Dresde le 6 novembre. Il avait avec -lui un lieutenant du plus grand mérite, le brave et intelligent -général Bonnet. À quelques lieues de Dresde, sur la rive droite, on -rencontra les premiers postes ennemis, et on leur passa sur le corps. -Plus loin on trouva une position bien défendue, qu'on ne pouvait -emporter sans doute qu'avec une large effusion de sang, mais qui ne -présentait rien d'insurmontable. D'ailleurs on voyait l'ennemi -s'affaiblir sur son front, et se renforcer sur ses ailes, pour courir -sur nos derrières et nous interdire le retour vers Dresde. Ce -mouvement prouvait clairement que, dans le désir naturel de ne pas -nous laisser rentrer à Dresde, l'ennemi allait nous ouvrir lui-même la -route de Torgau. Si toute l'armée eût été réunie, on n'aurait pas pu -souhaiter mieux que de voir l'ennemi exécuter une semblable manoeuvre, -puisque la difficulté au lieu d'être derrière nous était devant nous. -Mais une moitié du corps d'armée étant restée à Dresde, ce mouvement -devenait très-inquiétant, et on se hâta de revenir sur Dresde pour -n'être pas séparé de tout ce qui s'y trouvait encore. - -Le résultat était certes la démonstration la plus évidente de la faute -commise, faute étrange de la part de l'un des militaires les plus -distingués de cette grande époque guerrière. Une fois la colonne -rentrée à Dresde, cette fausse démarche fut tenue pour la condamnation -formelle de toute entreprise sur Torgau, et comme il n'y en avait pas -d'autre à proposer, on attendit dans une profonde tristesse que -l'extrémité de cette situation fût atteinte. Le général Klenau, envoyé -devant Dresde, avait résolu, quoique très-entreprenant par caractère, -d'attendre la reddition volontaire des trente mille hommes enfermés -dans cette place. Huit jours de patience seulement suffisaient pour le -dispenser de verser des torrents de sang. Il temporisa en effet, et il -eut bientôt satisfaction. - -[En marge: Le maréchal Saint-Cyr ne sachant plus quel parti prendre, -se décide à capituler.] - -Tout le monde dans l'armée était désolé. Les vivres manquaient, -l'affreuse contagion étendue de l'Elbe au Rhin sévissait. Les -habitants soumis, mais désespérés par la longueur de notre séjour, -nous suppliaient de nous retirer, et, quoique Allemands, ils avaient -été si peu hostiles, qu'on devait quelque chose à leur souffrance. On -n'avait plus aucune espérance, pas même celle d'une mort glorieuse. On -entra donc en négociation, et le 11 on capitula. Il n'y avait pas -autre chose à faire, car on ne pouvait ni rester, ni partir, ni se -battre. Il n'y a par conséquent pas à blâmer la capitulation, mais la -conduite qui l'avait amenée. - -[En marge: Conditions de la capitulation.] - -Les conditions d'ailleurs étaient telles qu'on pouvait les désirer. La -garnison devait déposer les armes, rentrer en France par journées -d'étapes, avec faculté de servir après échange. On avait ainsi -l'espoir de conserver à la France 30 mille soldats, éprouvés par une -campagne terrible, et avec eux beaucoup de blessés, de malades qui -auraient été perdus sans une capitulation. Ceux qui l'avaient signée -pouvaient se flatter de s'être tirés de cette situation désastreuse -d'une manière qui n'était très-dommageable ni pour eux ni pour la -France qu'ils seraient bientôt en mesure de défendre encore. Sans -doute on était affligé de capituler, mais consolé par l'impossibilité -de faire autrement, et réjoui par la pensée de revoir la France sous -quelques jours. On fit les préparatifs de départ, et c'est alors qu'on -vit quelles forces on aurait réunies vers le bas Elbe si on y avait -marché, car lorsqu'il fut question de s'en aller il parut trente et -quelques mille hommes dans les rangs. - -[En marge: Violation de la capitulation de Dresde.] - -On se mit donc en route avec encore plus d'espérance que de tristesse. -Mais à peine avait-on quitté Dresde, qu'une affreuse nouvelle vint -consterner tous les coeurs. Le général Klenau, avec beaucoup -d'excuses, fit savoir que l'empereur Alexandre n'admettait pas la -capitulation, et exigeait que la garnison se constituât prisonnière de -guerre, sans permission de retourner en France. Cette décision fut -pour tous un coup de foudre, et un amer sujet de regrets. On put -apprécier alors quelle faute on avait commise en se mettant à la merci -d'un ennemi qui, quoique honnête, devenait par passion un ennemi sans -foi. Le maréchal Saint-Cyr réclama avec hauteur et énergie. On lui -répondit par une cruelle ironie, en lui disant que s'il voulait -rentrer dans Dresde et se replacer dans la position où il était -auparavant, on était prêt à y consentir, comme si, au milieu -d'habitants tout joyeux d'être délivrés de nous, peu disposés -certainement à nous recevoir de nouveau, avec des moyens de défense -détruits ou divulgués, un tel retour était possible. Il fit sentir -l'indignité d'un tel procédé; on ne lui répliqua que par la même -proposition dérisoire, et il fallut se soumettre, et aller expier en -captivité une carrière de vingt ans de gloire. - -[En marge: Indignité de la conduite tenue en cette circonstance par -les souverains alliés.] - -La violation de cette capitulation fut un acte indigne, commis -cependant par d'honnêtes gens, car l'empereur de Russie, le roi de -Prusse, l'empereur d'Autriche, étaient d'honnêtes gens, dont -l'histoire doit flétrir la conduite en cette occasion. Il faut en -tirer une leçon qui s'adresse surtout aux honnêtes gens eux-mêmes, -c'est qu'ils doivent se défendre des passions politiques, car elles -peuvent à leur insu les conduire à des actes abominables. La passion -qu'on avait conçue contre la France à cette époque, ressemblait aux -passions politiques qu'éprouvent à l'égard de leurs adversaires les -partis qui divisent un même pays, et qui se croient tout permis les -uns contre les autres. Ainsi, après une longue domination, nous avions -attiré sur nous une guerre étrangère qui avait toute la violence de la -guerre civile! Triste temps quoique bien grand! Triste temps, aussi -glorieux que déraisonnable et inhumain! - -[En marge: Sort des autres garnisons.] - -[En marge: Situation de Torgau, qui renfermait 26 mille hommes.] - -[En marge: Ravages du typhus.] - -[En marge: Affreuse situation de la garnison.] - -[En marge: Mort de M. de Narbonne.] - -L'impulsion n'étant point partie de Dresde, seul point où existât une -force considérable, un chef de grade élevé, de capacité reconnue, et -mis par ses instructions antérieures sur la pente de la retraite vers -le bas Elbe, chacune de nos garnisons devait tristement expirer à sa -place, et finir misérablement par la faim, le typhus, le feu ou la -captivité. Tout près de Dresde, à Torgau, se trouvaient, sous le -brillant comte de Narbonne, au moins 26 mille hommes, compris le -quartier général que le général Durrieu y avait conduit. Dans ces 26 -mille hommes, il y avait environ 3,400 Saxons, Hessois, -Wurtembergeois, qui moururent ou sortirent. Le reste était composé de -Français dont quelques-uns appartenaient aux troupes spéciales -attachées aux grands parcs de l'artillerie et du génie. Il y avait -donc là une force qui, réunie à celle de Dresde, eût tout à coup -fourni une armée de 45 à 50 mille hommes, capable de culbuter tout ce -qui se serait présenté entre Torgau et Magdebourg. La place était -assez forte, située sur la rive gauche, et protégée par un ouvrage -d'excellente défense, le fort Zinna. Elle contenait des quantités -immenses de grains, de spiritueux, de viandes salées. Le hasard d'une -chute de cheval lui avait procuré la plus utile des accessions, celle -du général Bernard, aide de camp de l'Empereur, et l'un des premiers -officiers du génie de cette époque. Bientôt remis, il s'était joint au -comte de Narbonne avec le zèle patriotique dont il était animé, et -tous deux promettaient de s'illustrer par une longue résistance. -Profitant des bras nombreux dont ils disposaient, des ressources -pécuniaires introduites à la suite du quartier général, ils avaient -fait exécuter de grands travaux, et la place était en mesure de se -défendre énergiquement. Mais un ennemi des plus redoutables s'y était -introduit, c'était le typhus. Il faisait des victimes nombreuses, et -déjà il avait emporté en septembre 1,200 de nos malheureux soldats, et -en octobre 4,900. Les assiégeants n'avaient donc qu'à laisser agir le -fléau, qui suffirait bientôt pour leur ouvrir les portes de Torgau. -Aussi l'ennemi s'était-il borné jusqu'ici à un bombardement qui -causait de grands ravages parmi les habitants, mais bien peu parmi nos -soldats. Seulement les bombes étant tombées dans le cimetière sur les -voitures qui emportaient les morts, et les agents des inhumations -s'étant enfuis sans vouloir reprendre leurs fonctions, les hôpitaux -s'étaient remplis de cadavres qu'on ne pouvait pas ensevelir, et qui -auraient exhalé une affreuse infection s'ils n'avaient été changés en -blocs de pierre par la gelée. La plus triste des circonstances était -venue s'ajouter à toutes celles dont nous sommes condamné à tracer le -lugubre tableau. Le comte de Narbonne s'étant fait, en tombant de -cheval, une légère contusion à la tête, avait vu une blessure -insignifiante se convertir en attaque de typhus, et il était mort -entouré des regrets de la garnison et de tous ceux qui l'avaient -connu. Ainsi avait fini cet homme si intéressant, qui joignant à -l'esprit de l'aristocratie française du dix-huitième siècle les -connaissances positives d'un administrateur éclairé, la sagacité d'un -diplomate, les nobles sentiments d'un grand seigneur libéral, s'était, -malheureusement pour lui, rattaché à l'Empire par admiration pour -l'Empereur, lorsqu'il n'y avait qu'à assister aux déconvenues de notre -diplomatie et aux désastres de nos armées. Le général Dutaillis avait -remplacé le comte de Narbonne dans le commandement de Torgau et s'y -comportait vaillamment. Du reste il n'avait plus qu'à être témoin de -la lente agonie d'une garnison qui avait presque égalé une armée. - -[En marge: Vigoureuse défense du général Lapoype à Wittenberg.] - -À Wittenberg le général Lapoype, qui avec 3 mille hommes seulement, -avait pendant la campagne du printemps défendu énergiquement la place -contre la première apparition des coalisés, s'était, depuis la -campagne d'automne, emparé de sa petite garnison, et l'avait préparée -à tenir tête vigoureusement aux assiégeants du corps de Tauenzien. Il -ne pouvait guère exercer d'influence sur les événements par sa -persévérance, mais il pouvait s'honorer. Il l'avait fait, et il était -prêt à le faire encore. Les vivres ne lui manquaient pas. N'ayant -point, comme la place de Torgau, recueilli les restes des armées -battues, il comptait peu de malades, mais beaucoup d'étrangers. Il les -contenait par son énergie, et paraissait disposé à soutenir un long -siége. - -[En marge: Situation de Magdebourg.] - -[En marge: Force de la place, et moyen qu'elle possède de se soutenir -longtemps.] - -Le général Lemarois, aide de camp de l'Empereur, revêtu de toute sa -confiance et la méritant, avait reçu le gouvernement de Magdebourg. -Quant à lui, il n'y avait aucune raison qui pût l'autoriser à évacuer -spontanément une forteresse aussi importante, si capable de -résistance, commandant le milieu du cours de l'Elbe et le centre de -l'Allemagne. Il n'aurait pu être entraîné à en sortir que par -l'intérêt d'une grande concentration dont il n'avait pas à prendre -l'initiative, et dont personne ne venait malheureusement lui fournir -l'occasion. Il était dès lors dispensé de se poser à lui même la grave -question de l'évacuation, et il s'était tranquillement enfermé dans sa -forteresse, où avec des vivres considérables, une garnison nombreuse, -des murailles puissantes, peu de malades, parce qu'il était resté loin -du carnage pestilentiel de la Saxe, il pouvait tenir tête longtemps -aux armées de la coalition, et avoir le douloureux honneur de survivre -à la France elle-même. - -[En marge: Situation de Hambourg.] - -[En marge: Préparatifs du maréchal Davout pour s'y défendre contre -toutes les armées de la coalition.] - -À Hambourg se trouvait l'intrépide et imperturbable Davout, que -Napoléon, par des mécontentements qui se rattachaient à la campagne de -Russie, et aussi par estime pour son inflexible caractère, avait placé -dans une position éloignée, au grand détriment des opérations de cette -guerre, car il s'était privé ainsi du seul de ses généraux auquel, -depuis la mort de Lannes et la disgrâce de Masséna, il pût confier -cent mille hommes. Le maréchal, parti de Hambourg avec 32 mille -soldats pour commencer sur Berlin un mouvement que les batailles de -Gross-Beeren et de Dennewitz avaient rendu impossible, y était rentré -en apprenant les malheurs de la Saxe, avait résolu, avec ses trente -mille hommes, avec dix mille autres laissés dans les ouvrages de la -place, de soutenir un long siége, qui fût plus qu'un siége, mais une -vraie campagne défensive, de nature à couvrir la basse Allemagne, la -Hollande et le Rhin inférieur. Lui aussi, séparé de l'Empereur et de -la France, impassible au milieu de tous les désastres, les prévoyant -sans en être ému, se proposait d'être le dernier des grands hommes de -guerre de ce règne qui remettrait son épée à la coalition! - -[En marge: Belle défense de Stettin, Custrin et Glogau.] - -Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin, Glogau, tenaient encore, -mais uniquement pour l'honneur des armes. Stettin avait pour -gouverneur le général Grandeau, remplacé quelque temps par le brave -général Dufresse, celui qui pendant l'armistice s'était si peu ému des -coups de fusil tirés sur Bernadotte. Il avait des vivres, 12 mille -hommes de garnison, dont 3 mille écloppés de Russie, et 9 mille hommes -valides. Son autorité s'étendait sur Stettin et la place de Damm, qui -commande de vastes lagunes dépendantes du Grosse-Haff. C'était le -général Ravier qui défendait Damm, et il le faisait avec la plus -grande énergie. Outre l'armée prussienne, on avait affaire à toutes -les flottilles anglaises venues par l'Oder. La vigueur de la défense -avait été admirable, et on avait réduit les assiégeants à entourer les -deux places d'une vingtaine de redoutes, dans lesquelles ils -paraissaient plutôt occupés à se garder contre les assiégés qu'à les -attaquer. Ils laissaient aux flottilles anglaises le soin de bombarder -la garnison, qui, ne s'en inquiétant guère, souriait en quelque sorte -d'un moyen d'attaque funeste seulement aux malheureux habitants -prussiens. Toutefois, avec cette impassibilité, on pouvait bien -résister au feu de l'ennemi, mais non pas aux angoisses de la faim. Le -moment approchant où les vivres allaient manquer (on était bloqué -depuis près d'un an), le général Grandeau, de l'avis de son conseil, -était entré en pourparlers avec l'ennemi, afin de n'être pas réduit à -se rendre à discrétion, s'il traitait quand il n'aurait plus un -morceau de pain. On lui avait proposé de déclarer sa garnison -prisonnière de guerre, car la coalition était résolue à ne laisser -retourner en France aucun des soldats qui pourraient la défendre, et -ce but, elle le poursuivait, comme on l'a vu, par des blocus -persévérants contre les garnisons qui résistaient, par des violations -de foi contre les garnisons qui avaient capitulé. Le général Ravier, -avec les troupes de Damm et presque toutes celles de Stettin, s'était -insurgé à la nouvelle des conditions offertes, et refusait d'obéir au -général Grandeau. Cette vaillante garnison voulait jusqu'au dernier -moment tenir flottant sur l'Allemagne le drapeau de la France. À la -fin de novembre rien n'était encore décidé. - -À Custrin, le général Fournier d'Albe, ayant à peine un millier de -Français au milieu de 3 mille Suisses, Wurtembergeois, Croates, qu'il -maintenait avec une grande énergie, tenait bon contre tous les efforts -de l'ennemi. Quoique sa garnison souffrît cruellement du scorbut, il -n'annonçait pas la moindre disposition à se rendre. - -[En marge: Mémorable défense de Dantzig.] - -À Glogau, le général Laplane, après un premier siége glorieusement -soutenu au printemps, en soutenait un second avec la même énergie. -Ayant 8 mille hommes, des vivres, des ouvrages assez bien armés, il -avait jusqu'ici repoussé toutes les attaques. Mais ces braves gens de -Stettin, Custrin, Glogau, sans espoir ni de rejoindre l'armée -française, ni de voir l'armée française venir à eux, se défendaient -pour soutenir l'honneur du drapeau. Ce qui était vrai d'eux, l'était -bien plus encore, s'il est possible, de l'immortelle garnison de -Dantzig, qui, bloquée sans interruption depuis le mois de janvier, -n'avait reçu qu'une fois des nouvelles de France, et n'avait vécu que -de son courage et de son industrie. En se retirant dans la place en -décembre 1812, à la suite de la retraite de Russie, le général Rapp, -gouverneur et défenseur de Dantzig, s'y était enfermé avec environ 36 -mille hommes et quelques mille malades. Cette garnison, mélange de -troupes de toute espèce, en plus grande partie de troupes françaises -et polonaises, avait rapporté avec elle un autre fléau que celui qui -dévorait Torgau et Mayence, mais non moins funeste, c'était la _fièvre -de congélation_, née du froid, tandis que la fièvre d'hôpital était -née de l'humidité et du mauvais air. Cette fièvre qui avait emporté -les généraux Éblé et Lariboisière, avait réduit la garnison de près de -4 mille hommes. Néanmoins les troupes qui restaient étaient belles, -bien commandées, mais insuffisantes pour les immenses ouvrages de -Dantzig, qui consistaient dans la place elle-même, dans un camp -retranché, et dans la citadelle de Weichselmunde située à l'embouchure -de la Vistule. À peine entré dans la place, qui n'était pas encore -armée, Rapp s'était trouvé d'abord dans un extrême embarras. En effet, -les eaux de la Vistule qui entourent tous les ouvrages de Dantzig et -en forment la principale défense, étant gelées, on courait le danger -de voir les soldats russes du corps de Barclay de Tolly passer les -fossés et les inondations sur la glace, et prendre Dantzig à -l'escalade. Il avait donc fallu rompre sur cinq lieues de pourtour une -glace de deux à trois pieds d'épaisseur, hisser l'artillerie sur les -remparts, et tenir tête à un ennemi hardi, enivré de ses triomphes -inespérés, et pressé de s'emparer de Dantzig, parce qu'il craignait de -revoir Napoléon sur la Vistule, autant que Napoléon lui-même -l'espérait. La garnison après avoir pourvu à tous les travaux -préparatoires de la défense, avait repoussé l'ennemi au loin, et -l'avait culbuté partout où il s'était présenté. Puis elle avait songé -à se procurer des vivres, par des fourrages dans l'île de Nogat. Des -grains, des viandes salées, des spiritueux, des munitions de guerre, -elle en possédait une grande quantité, car elle avait hérité des -approvisionnements accumulés pour la campagne de Russie, et restés en -magasin faute de moyens de transport. Mais la viande fraîche et les -fourrages lui manquaient. Elle les avait trouvés dans les îles de la -Vistule, grâce à la hardiesse de ses excursions. Elle avait ainsi -employé le temps de l'hiver à se faire redouter, et à désespérer -l'ennemi, qui ne se flattait plus d'en venir à bout par une attaque en -règle. - -L'armistice signé, elle n'avait pas reçu plus d'un cinquième des -vivres qu'on lui aurait dus, mais elle avait recommencé ses -excursions dans les îles de la Vistule, et mis la dernière main aux -ouvrages qui n'étaient pas encore achevés. À la reprise des hostilités -elle était reposée, bien retranchée et résolue. Il restait à cette -époque environ 25 mille hommes en état de porter les armes, et de -résister aux fatigues d'un siége. - -Les ouvrages extérieurs avaient été vaillamment disputés, et à la fin -perdus, comme il arrive dans toute place, même la mieux défendue. Mais -secondé par d'habiles officiers du génie, le général Rapp avait élevé -quelques redoutes bien situées et bien armées, lesquelles prenant à -revers les tranchées de l'ennemi, les lui avaient rendues -inhabitables. - -[En marge: Bombardement de Dantzig, héroïquement supporté.] - -C'est autour de ces redoutes qu'on avait de part et d'autre déployé le -plus grand courage, soit pour les défendre, soit pour les attaquer. -L'ennemi désespérant de s'en rendre maître, avait imaginé là comme -ailleurs de recourir à l'affreux moyen du bombardement. Les munitions -et les bouches à feu ne manquant pas, grâce à la mer qui permettait -aux Anglais de les apporter en abondance, on avait dressé contre -Dantzig la plus formidable artillerie qui eût jamais été dirigée -contre une place assiégée. De plus une centaine de chaloupes -canonnières anglaises étaient venues joindre leur feu à celui des -batteries de terre. Tout le mois d'octobre avait été employé sans -relâche et sans pitié au plus abominable bombardement qui se fut -encore vu dans les sanglantes annales du siècle. Nos soldats habitués -à des canonnades comme celle de la Moskowa, et méprisant la chance -presque nulle à leurs yeux d'un éclat de bombe dans une ville -spacieuse, ne s'inquiétaient pas plus de ce genre d'attaque que d'une -fusillade hors de portée, et se bornaient à prendre pitié des -habitants inoffensifs, et beaucoup plus exposés qu'eux à la pluie de -feu qui tombait sur leur ville. Les assiégeants avaient fait un -abominable calcul, celui de nous embarrasser beaucoup en mettant le -feu aux amas de bois que contenait Dantzig. Le 1er novembre en effet -le feu avait pris aux chantiers de Dantzig, et un incendie effroyable -s'était allumé. Les habitants éperdus s'étaient enfuis ou cachés dans -leurs caves, n'osant pas aller éteindre l'incendie sous les éclats des -bombes. Nos soldats l'avaient essayé pour eux, et n'y avaient réussi -que lorsque déjà ces vastes dépôts de bois étaient aux trois quarts -consumés. D'immenses tourbillons de flammes ne cessaient de s'élever -au-dessus de l'infortunée ville de Dantzig, au milieu du roulement -d'un tonnerre continuel, sans que nos soldats parussent disposés à se -rendre. Rapp ne cherchant pas à deviner ce que deviendrait cette -guerre à la suite du désastre de Leipzig, croyant qu'il y avait des -prodiges dont il ne fallait jamais désespérer avec Napoléon, s'en -tenait à ses instructions, qui lui enjoignaient de ne livrer Dantzig -que sur un ordre écrit et signé de la main impériale. En conséquence, -ayant encore 18 mille hommes pour se défendre, quelques boeufs de la -Nogat pour se nourrir, il laissait tirer les Anglais, brûler les bois -de Dantzig, et attendait pour se rendre que l'ordre de Napoléon -arrivât, ou que la France fût détruite, ou que l'ennemi fût entré par -la brèche. Modlin et Zamosc après avoir fait leur devoir avaient -capitulé. Les garnisons polonaises avaient été conduites en captivité. - -Voilà comment sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule, vivaient ou mouraient -les 190 mille soldats laissés si loin du Rhin qu'ils auraient pu -rendre invincible! Voilà comment s'était terminée cette campagne de -1813, qui était destinée à réparer les désastres de la campagne de -1812, et qui les aurait réparés en effet, si Napoléon avait su borner -ses désirs. - -[En marge: Caractères de la campagne de 1813 en Saxe.] - -[En marge: Causes qui firent échouer toutes les combinaisons de -Napoléon dans cette campagne.] - -Cette grande et terrible campagne, sans égale jusqu'ici dans -l'histoire des siècles, par l'immensité de la lutte, par la variété -des péripéties et des combinaisons, par l'horrible effusion du sang -humain, est marquée en ce qui concerne Napoléon d'un trait particulier -et significatif, que nous avons déjà signalé, c'est d'avoir achevé de -tout perdre, en voulant regagner d'un seul coup tout ce qu'il avait -perdu. Avec la seule volonté d'arrêter l'ennemi dans son essor -victorieux, de rétablir le prestige de nos armes, et ce résultat -obtenu de transiger sur des bases qui laissaient la France encore plus -grande qu'il ne fallait, Napoléon aurait infailliblement triomphé. -Effectivement si après Lutzen et Bautzen, ses armes étant redevenues -victorieuses par son génie et la bravoure inexpérimentée de ses jeunes -soldats, il avait poussé les Russes et les Prussiens jusqu'à la -Vistule, sans accepter l'armistice de Pleiswitz, il les aurait séparés -des Autrichiens, et très-certainement il eût mis la coalition dans une -complète déroute. Mais pour le faire impunément, il aurait fallu être -prêt à donner une réponse satisfaisante à l'Autriche qui le pressait -de s'expliquer tout de suite sur les conditions de la paix! Quelque -long qu'ait été ce tragique récit, on se rappelle, hélas! pour quel -motif Napoléon s'arrêta: ce fut, avons-nous dit, pour préparer une -armée contre l'Autriche, et être en mesure de ne pas subir ses -conditions, même les plus modérées. Pour ce triste motif il s'arrêta, -et il laissa volontairement la Russie et la Prusse à portée de -l'Autriche, en mesure de lui tendre la main, et de s'unir à elle. - -Pendant ce funeste armistice, on a vu encore combien il eût été facile -à Napoléon, en sacrifiant le duché de Varsovie qui ne pouvait pas -survivre à la campagne de Russie, en renonçant au protectorat du Rhin -qui n'était qu'un inutile outrage à l'Allemagne, en restituant enfin -les villes anséatiques que nous ne pouvions ni défendre ni faire -servir avantageusement à notre commerce, on a vu combien il lui eût -été facile de garder le Piémont, la Toscane, Rome en départements -français, la Westphalie, la Lombardie, Naples, en royaumes vassaux du -grand empire! Hambourg, possession impossible pour nous, le -protectorat du Rhin, titre vain s'il en fut, furent les causes d'une -rupture insensée. Pourtant la résolution de continuer la guerre étant -prise, c'était le cas de profiter de l'armistice pour retirer de -Zamosc, de Modlin, de Dantzig, de Stettin, de Custrin, de Glogau, les -60 mille hommes que nous n'avions plus aucune raison politique ni -militaire d'y laisser, puisque l'Elbe devenait le siége de nos -opérations, et leur limite autant que leur appui. Napoléon cette fois -encore, par le désir et l'espérance d'être reporté par une seule -victoire sur l'Oder et la Vistule, persista dans ce déplorable -sacrifice, qui devait en entraîner bien d'autres! Afin de pouvoir -donner la main à ses garnisons, il étendit le cercle de cette guerre -concentrique, qui lui avait jadis si bien réussi sur l'Adige en la -resserrant autour de Vérone, il l'étendit à quarante lieues du côté de -Goldberg, à cinquante du côté de Berlin, remporta la belle victoire de -Dresde, mais au moment d'en recueillir le fruit à Kulm, fut rappelé -par les désastres de ses lieutenants laissés trop loin de lui, voulut -courir à eux, arriva trop tard, s'épuisa deux mois en courses -inutiles, vit disparaître le prestige des victoires de Lutzen, de -Bautzen et de Dresde, n'eut bientôt plus autour de lui que des soldats -exténués, des généraux déconcertés, des ennemis exaltés par des -triomphes inattendus, et enfin tandis qu'une simple retraite sur -Leipzig en y amenant tout ce qui restait sur l'Elbe, l'eût sauvé -encore une fois, sans éclat mais avec certitude, il essaya, voulant -toujours rétablir ses affaires par un coup éclatant, il essaya sur -Düben des manoeuvres savantes, d'une conception admirable, péchant -malheureusement par les moyens d'exécution qui ne répondaient plus à -l'audace des entreprises, se trouva comme pris lui-même au piége de -ses propres combinaisons, et succomba dans les champs de Leipzig, -après la plus terrible bataille connue, bataille où périrent, chose -horrible à dire, plus de cent vingt mille hommes, puis rentra sur le -Rhin avec 40 mille hommes armés, 60 mille désarmés, laissant sur la -Vistule, l'Oder, l'Elbe, 170 mille Français condamnés à défendre sans -profit des murailles étrangères, tandis que les murailles de leur -patrie n'avaient pour les défendre que des bras impuissants de -jeunesse ou de vieillesse! - -[En marge: Le caractère des hommes, est la cause principale de leur -destinée.] - -Certes, nous le répéterons, Napoléon ne fut, dans ces jours funestes, -ni moins fécond en vastes combinaisons, ni moins énergique, ni moins -imperturbable dans le danger, mais il fut toujours l'ambitieux dont -les insatiables désirs troublaient et pervertissaient l'immense génie. -En 1812, pour avoir entrepris l'impossible, il essuya un revers -éclatant. En 1813, pour ne pas se borner à réparer ce revers, mais -pour vouloir l'effacer en entier et tout d'un coup, il s'en prépara un -aussi éclatant et plus irréparable, parce que ce dernier emportait -jusqu'à l'espérance. Ainsi un premier revers pour avoir voulu dépasser -le terme du possible, un second pour vouloir réparer entièrement le -premier, tels étaient les échelons successifs par lesquels il -descendait dans l'abîme! Il ne lui en fallait plus qu'un seul pour -arriver au fond. Napoléon s'arrêterait-il sur cette pente fatale? Les -coalisés immobiles depuis qu'ils étaient parvenus au bord du Rhin, -tremblant à l'idée de franchir cette limite redoutable, étaient -résolus à lui offrir la France, la vraie France, celle qu'enferment et -protégent si puissamment le Rhin et les Alpes, celle que la révolution -lui avait léguée, et dont après Marengo et Hohenlinden il s'était -contenté. S'en contenterait-il en 1814? Telle était la dernière -question que le sphinx de la destinée allait proposer à son orgueil. -Suivant la réponse qu'il ferait, il devait finir sur le plus grand des -trônes, ou dans le plus profond des abîmes. Oublions un moment cette -histoire de 1814 et de 1815, que nous connaissons tous, de manière à -ne pouvoir l'oublier; effaçons de notre mémoire le bruit que fit à nos -oreilles, jeunes alors, la chute de ce trône glorieux, plaçons-nous au -mois de décembre 1813, tâchons d'ignorer ce qui se passa en 1814, et -posons-nous la question qui allait être posée à Napoléon. Eh bien, -lequel de nous, après avoir lu le récit des campagnes de Russie et de -Saxe, lequel de nous peut douter de la réponse? Hélas! les hommes -portent dans leur caractère une destinée qu'ils cherchent autour -d'eux, au-dessus d'eux, partout en un mot, excepté en eux-mêmes, où -elle réside véritablement, laquelle, suivant qu'ils cèdent à leurs -passions ou à leur raison, les perd ou les sauve, quoi qu'ils puissent -faire, quelque génie qu'ils puissent déployer! Et lorsqu'ils se sont -perdus, ils s'en prennent à leurs soldats, à leurs généraux, à leurs -alliés, aux hommes, aux dieux, et se disent trahis par tous, quand ils -l'ont été par eux seuls! - - -FIN DU LIVRE CINQUANTIÈME - -ET DU TOME SEIZIÈME. - - - - -TABLE DES MATIÈRES - -CONTENUES - -DANS LE TOME SEIZIÈME. - - -LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME. - -DRESDE ET VITTORIA. - - Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa - rencontre avec M. de Bubna. -- Ses dispositions pour le campement, - le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de - l'armistice. -- Son retour à Dresde et son établissement dans le - palais Marcolini. -- À peine est-il arrivé que M. de Bubna - présente une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche - étant acceptée par les puissances belligérantes, la France est - priée de nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses - intentions. -- En réponse à cette note, Napoléon élève des - difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite - de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir - à Dresde. -- Conduite du cabinet autrichien en recevant cette - réponse. -- M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés - pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation. - -- Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et - repart après avoir acquis la connaissance précise des intentions - des alliés. -- Comme l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en - apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à se rendre à - Dresde. -- Arrivée de M. de Metternich dans cette ville le 25 - juin. -- Discussions préalables avec M. de Bassano sur la - médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier - avec le traité d'alliance. -- Entrevue avec Napoléon. -- - Entretien orageux et célèbre. -- Napoléon, regrettant les - emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de - Bassano de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. -- - Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon, déployant autant de - souplesse qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la - médiation, mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation - d'armistice jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt, - dans l'intérêt de ses préparatifs militaires. -- Acceptation - formelle de la médiation autrichienne, et assignation du 5 - juillet pour la réunion des plénipotentiaires à Prague. -- Retour - de M. de Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. -- - La nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la - prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires - à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis - jusqu'au 12 juillet. -- Napoléon, auquel ces délais convenaient, - s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de - nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. -- Son départ le 10 - juillet. -- Il apprend en route les événements d'Espagne. -- Ce - qui s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été - expulsés de la Castille, et que les armées du centre, - d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. -- Projets de - lord Wellington pour la campagne de 1813. -- Il se propose de - marcher sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et - 20 mille Espagnols. -- Projets des Français. -- Possibilité en - opérant bien de tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en - Portugal. -- Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle - de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. -- Il - résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer - Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. -- Reprise - des opérations en mai 1813. -- Quatre divisions de l'armée de - Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la - Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre - lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. -- Retraite - sur Valladolid et Burgos. -- Le manque de vivres précipite notre - marche rétrograde. -- Deux opinions dans l'armée, l'une - consistant à se retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de - rejoindre le général Clausel, l'autre consistant à se tenir - toujours sur la grande route de Bayonne afin de couvrir la - frontière de France. -- Les ordres réitérés de Paris font - incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. -- - Nombreux avis expédiés au général Clausel pour l'engager à se - réunir à l'armée entre Burgos et Vittoria. -- Retraite sur - Miranda del Ebro et sur Vittoria. -- Espérance d'y rallier le - général Clausel. -- Malheureuse inaction de Joseph et de Jourdan - dans les journées du 19 et du 20 juin. -- Funeste bataille de - Vittoria le 21 juin, et ruine complète des affaires des Français - en Espagne. -- À qui peut-on imputer ces déplorables événements? - -- Irritation violente de Napoléon contre son frère Joseph, et - ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. -- Envoi du - maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre - l'offensive. -- Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion - de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à - Leipzig. -- Suite des négociations de Prague. -- MM. de Humboldt - et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au - congrès de Prague. -- Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à - Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les - plénipotentiaires français au jour convenu. -- Chagrin et - doléances de M. de Metternich. -- Napoléon, revenu le 15 à - Dresde, après avoir différé sous divers prétextes la nomination - des plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et - de Caulaincourt. -- Une fausse interprétation donnée à la - convention qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau - prétexte pour ajourner le départ de M. de Caulaincourt. -- Son - espérance en gagnant du temps est de faire remettre au 1er - septembre la reprise des hostilités. -- Redoublement de plaintes - de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de - Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 - août pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la - reprise des hostilités. -- La difficulté soulevée au sujet de - l'armistice étant levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec - des instructions qui soulèvent des questions de forme presque - insolubles. -- Pendant ce temps il quitte Dresde le 25 juillet - pour aller voir l'Impératrice à Mayence. -- Finances et police de - l'Empire durant la guerre de Saxe; affaires des séminaires de - Tournay et de Gand, et du jury d'Anvers. -- Retour de Napoléon à - Dresde le 4 août, après avoir passé la revue des nouveaux corps - qui se rendent en Saxe. -- Vaines difficultés de forme au moyen - desquelles on a même empêché la constitution du congrès de - Prague. -- M. de Metternich déclare une dernière fois que si le - 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées, - l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la - coalition. -- Pensée véritable de Napoléon dans ce moment - décisif. -- Ne se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse - de reprendre les hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant - une négociation sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en - action de celle-ci. -- Il entame effectivement avec l'Autriche - une négociation secrète qui doit être conduite par M. de - Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. -- Ouverture de M. de - Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours avant - l'expiration de l'armistice. -- Surprise de M. de Metternich. -- - Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration authentique - des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur - François. -- Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon. - -- Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à - accepter la paix qu'on lui offre. -- Contre-proposition de - celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par - l'Autriche. -- Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases - proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant - qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la coalition. -- - Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais - inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à - Prague. -- L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en - Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au - nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon - inacceptables. -- Retour et noble affliction de M. de - Caulaincourt. -- Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. -- Sa - confiance et ses projets. -- Profondeur de ses conceptions pour - la seconde partie de la campagne de 1813. -- Il prend le cours de - l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de manoeuvrer - concentriquement autour de Dresde, afin de battre successivement - toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer de front, de - flanc ou par derrière. -- Projets de la coalition et forces - immenses mises en présence dans cette guerre gigantesque. -- - L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la première en - mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur la - Katzbach. -- Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels - Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. -- - Napoléon apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée - des coalisés sur les derrières de Dresde. -- Son retour précipité - sur Dresde. -- Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de - déboucher par Koenigstein, afin de prendre l'armée coalisée à - revers, et de la jeter dans l'Elbe. -- Les terreurs des habitants - de Dresde et les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette - circonstance détournent Napoléon de la plus belle et de la plus - féconde de ses conceptions. -- Son retour à Dresde le 26, et - inutile attaque de cette ville par les coalisés. -- Célèbre - bataille de Dresde livrée le 27 août. -- Défaite complète de - l'armée coalisée et mort de Moreau. -- Position du général - Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. -- Nouveau - et vaste projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations - autour de Dresde. -- Désastre du général Vandamme à Kulm amené - par le plus singulier concours de circonstances. -- Conséquences - de ce désastre. -- Retour de confiance chez les coalisés et - aggravation de la situation de Napoléon, dont les dernières - victoires se trouvent annulées. -- Sa situation au 30 août 1813. - 1 à 362 - - -LIVRE CINQUANTIÈME. - -LEIPZIG ET HANAU. - - Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin - pendant les opérations des armées belligérantes autour de Dresde. - -- Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald lorsque - Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. -- Pressé d'exécuter - ses instructions et craignant de perdre les avantages de - l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en mouvement - le 26 août. -- Le général Blucher s'était jeté sur la division - Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait culbutées du - plateau de Janowitz. -- Cet accident avait entraîné la retraite - de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de plusieurs jours - avait rendue presque désastreuse. -- Prise et destruction de la - division Puthod. -- Le maréchal Macdonald réduit de 70 mille - hommes à 50 mille. -- Son mouvement rétrograde sur le Bober. -- - Événements du côté de Berlin. -- Marche du maréchal Oudinot à la - tête des 4e, 12e et 7e corps. -- Composition et force de ces - corps. -- Armée du prince royal de Suède. -- Arrivée devant - Trebbin. -- Premières positions de l'ennemi enlevées dans les - journées des 21 et 22 août. -- Isolement des trois corps français - dans la journée du 23, et combat malheureux du 7e corps à - Gross-Beeren. -- Retraite du maréchal Oudinot sur Wittenberg. -- - Beaucoup de soldats se débandent, surtout parmi les alliés. -- - C'est la connaissance de ces graves échecs qui le 28 août avait - ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait détourné son - attention de Kulm. -- Ne sachant pas encore ce qui était arrivé - à Vandamme, il avait formé le projet de déplacer le théâtre de la - guerre et de la transporter dans le nord de l'Allemagne. -- - Vastes conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. -- À la - nouvelle du désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses - vues, réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement - au comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le - maréchal Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur - Wittenberg, et se propose de s'établir avec ses réserves à - Hoyerswerda, afin de pousser d'un côté le maréchal Ney sur - Berlin, et de prendre de l'autre une position menaçante sur le - flanc du général Blucher. -- Départ de la garde pour Hoyerswerda. - -- Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui détournent encore - Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et l'obligent à se - porter tout de suite sur Bautzen. -- Arrivée de Napoléon à - Bautzen le 4 septembre. -- Prompte retraite de Blucher dans les - journées des 4 et 5 septembre. -- À peine Napoléon a-t-il rétabli - le maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de - l'armée de Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à - Dresde. -- Son entrevue aux avant-postes avec le maréchal - Saint-Cyr dans la journée du 7. -- Projet pour le lendemain 8 - septembre. -- Dans cet intervalle, Napoléon apprend un nouveau - malheur arrivé sur la route de Berlin. -- Le maréchal Ney ayant - reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait dans la journée - du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi, avec les - 4e, 12e et 7e corps. -- Ce mouvement, qui avait réussi le 5, ne - réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de Dennewitz. - -- Retraite le 7 septembre sur Torgau. -- Débandade d'une partie - des Saxons. -- Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais - commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. -- Avis - indirect, donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre - de la guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du - Rhin. -- Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal - Saint-Cyr, Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les - Prussiens et les Russes, afin de les rejeter en Bohême. -- Sur - l'avis du maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille - route de Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a - l'espérance de tourner l'ennemi. -- L'impossibilité de faire - passer l'artillerie par le Geyersberg empêche d'achever le - mouvement projeté. -- Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens - sont séparés des Prussiens et des Russes, et pressé de réparer - les échecs de ses lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à - Dresde. -- Évidence du plan des coalisés, consistant à courir sur - les armées françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se - retirer dès qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour - l'envelopper ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera - suffisamment affaibli. -- Déplorable réalisation de ces vues. -- - Les forces de Napoléon réduites de 360 mille hommes de troupes - actives sur l'Elbe à 250 mille. -- En considération de cet état - de choses, Napoléon resserre le cercle de ses opérations, ramène - Macdonald avec les 8e, 5e, 11e, 3e corps près de Dresde, établit - le comte de Lobau et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna, - derrière de bons ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne - puisse plus se faire un jeu de ses apparitions sur la route de - Péterswalde, envoie un fort détachement de cavalerie sur ses - derrières pour disperser les troupes de partisans, réorganise le - corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et Murat à - Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements, et - se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus - être mis en mouvement par de vaines démonstrations de l'ennemi. - -- Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur - Péterswalde. -- Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et - Dohna, n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore - une fois sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en - Bohême. -- Prompte retraite des coalisés. -- Retour de Napoléon à - Pirna, et ses soins pour bien asseoir sa position, afin de ne - plus s'épuiser en courses inutiles. -- Sa résolution de s'établir - sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, pour la durée de l'hiver. -- - Projets de l'ennemi. -- Napoléon étant partout resserré sur - l'Elbe, et la saison avançant, les souverains coalisés songent à - mener la guerre à fin par une tentative décisive sur les - derrières de notre position. -- Blucher fait prévaloir l'idée - d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et, après - avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire - descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre - Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et - remonter sur Leipzig avec les armées du Nord et de Silésie. -- - Premiers mouvements en exécution de ce dessein. -- Napoléon - découvre sur-le-champ l'intention de ses adversaires, et fait - repasser toutes ses troupes sur la gauche de l'Elbe. -- Il ne - laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald avec le 11e - corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par Leipzig, l'autre - par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer Ney; il envoie - Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à Leipzig pour - soutenir Victor contre l'armée de Bohême. -- Attente de quelques - jours pour laisser dessiner plus clairement les projets de - l'ennemi. -- Blucher s'étant dérobé pour se joindre à Bernadotte - et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde le 7 - octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur Wittenberg - dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte d'abord, et puis - de se reporter sur la grande armée de Bohême. -- Belle et - profonde conception de Napoléon tendant à refouler Blucher et - Bernadotte sur Berlin, et à surprendre ensuite Schwarzenberg en - remontant la rive droite de l'Elbe pour repasser ce fleuve à - Torgau ou à Dresde. -- Mouvement prononcé de Blucher et de - Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de Napoléon. - -- Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous sur - Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer entre - eux, et empêcher leur jonction. -- Retour de la grande armée - française sur Leipzig. -- Terrible bataille, la plus grande du - siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours - sous les murs de Leipzig. -- Retraite de Napoléon sur Lutzen. -- - Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction ou la - captivité d'une partie de l'armée française. -- Mort de - Poniatowski. -- Marche sur Erfurt. -- Défection de la Bavière et - arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de Hanau. - -- Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de Hanau. - -- Humiliation de l'armée austro-bavaroise. -- Rentrée des - Français sur le Rhin. -- Leur état déplorable en arrivant à - Mayence. -- Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. -- - Triste capitulation de Dresde. -- Situation, forces, conduite - héroïque, et malheurs des garnisons françaises, inutilement - laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. -- Caractère de la - campagne de 1813. -- Effrayants présages qu'on en peut tirer. - 363 à 685 - - -FIN DE LA TABLE DU SEIZIÈME VOLUME. - - - - -[Note au lecteur de ce fichier numérique: - -Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été -corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée. - -Les lettres supérieures inhabituelles ont été entourées de -parenthèses. - ---Page 648: Le titre de l'illustration "Scène de bataille" a été rajouté -lors de la création de ce fichier; le titre original étant illisible.] - - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE -(16/20) *** - -***** This file should be named 63576-0.txt or 63576-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/3/5/7/63576/ - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this ebook. - -Title: Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20) - faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française - -Author: Adolphe Thiers - -Release Date: October 29, 2020 [EBook #63576] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -Produced by: Mireille Harmelin, Keith J Adams, Christine P. Travers and - the Online Distributed Proofreading Team at - https://www.pgdp.net (This file was produced from images - generously made available by the Bibliothèque nationale de - France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE -L'EMPIRE (16/20) *** -</pre> -<p class="p4 center">HISTOIRE<br /> -<span class="smaller">DU</span><br /> - CONSULAT<br /> -<span class="smaller">ET DE</span><br /> - L'EMPIRE</p> - -<p class="p2 center">TOME XVI</p> - -<p class="p4 slim">L'auteur déclare réserver ses droits à l'égard de la traduction en -Langues étrangères, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise, -Espagnole et Italienne.</p> - -<p class="slim">Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (Direction de la -Librairie) le 10 août 1857.</p> - -<p class="p2 smaller center">PARIS. IMPRIMÉ PAR HENRI PLON, RUE GARANCIÈRE, 8.</p> - - -<p class="p4 center"><b>HISTOIRE<br /> -<span class="smaller">DU</span><br /> - CONSULAT<br /> -<span class="smaller">ET DE</span><br /> - L'EMPIRE</b></p> - -<p class="p2 center">FAISANT SUITE<br /> - À L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE</p> - -<p class="p2 center">PAR M. A. THIERS</p> - -<p class="p4 center smaller">TOME SEIZIÈME</p> - -<div class="figcenter"> -<a id="img001" name="img001"></a> -<img src="images/img001.jpg" width="200" height="146" alt="Emblème de l'éditeur." title="" /> -</div> - -<p class="p4 center small">Paris<br /> - LHEUREUX ET C<sup>ie</sup>, LIBRAIRES-ÉDITEURS<br /> - 60, RUE RICHELIEU<br /> - 1857</p> - - -<div class="chapter"> -<h1><span class="pagenum"><a id="page1" name="page1"></a>(p. 1)</span> HISTOIRE<br /> -DU CONSULAT<br /> -ET<br /> -DE L'EMPIRE.</h1> - -<h2>LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.<br /> -<span class="smaller">DRESDE ET VITTORIA.</span></h2> - -<p class="resume"> - Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa - rencontre avec M. de Bubna. — Ses dispositions pour le campement, - le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de - l'armistice. — Son retour à Dresde et son établissement dans le - palais Marcolini. — À peine est-il arrivé que M. de Bubna présente - une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche étant - acceptée par les puissances belligérantes, la France est priée de - nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses - intentions. — En réponse à cette note, Napoléon élève des - difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite - de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir - à Dresde. — Conduite du cabinet autrichien en recevant cette - réponse. — M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés - pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la - médiation. — Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation, - et repart après avoir acquis la connaissance précise des - intentions des alliés. — Comme l'avait prévu M. de Metternich, - Napoléon en apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à - se rendre à Dresde. — Arrivée de M. de Metternich dans cette ville - le 25 juin. — Discussions préalables avec M. de Bassano sur la - médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier - avec le traité d'alliance. — Entrevue avec Napoléon. — Entretien - orageux et célèbre. — Napoléon, regrettant les emportements - imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de Bassano de - reprendre l'entretien avec M. de Metternich. — Nouvelle entrevue - dans laquelle <span class="pagenum"><a id="page2" name="page2"></a>(p. 2)</span> Napoléon, déployant autant de souplesse - qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la médiation, - mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation d'armistice - jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt, dans l'intérêt - de ses préparatifs militaires. — Acceptation formelle de la - médiation autrichienne, et assignation du 5 juillet pour la - réunion des plénipotentiaires à Prague. — Retour de M. de - Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. — La - nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la - prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires - à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis - jusqu'au 12 juillet. — Napoléon, auquel ces délais convenaient, - s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de - nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. — Son départ le 10 - juillet. — Il apprend en route les événements d'Espagne. — Ce qui - s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été - expulsés de la Castille, et que les armées du centre, - d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. — Projets de lord - Wellington pour la campagne de 1813. — Il se propose de marcher - sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et 20 mille - Espagnols. — Projets des Français. — Possibilité en opérant bien de - tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en - Portugal. — Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle - de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. — Il - résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer - Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. — Reprise - des opérations en mai 1813. — Quatre divisions de l'armée de - Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la - Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre - lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. — Retraite sur - Valladolid et Burgos. — Le manque de vivres précipite notre marche - rétrograde. — Deux opinions dans l'armée, l'une consistant à se - retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de rejoindre le - général Clausel, l'autre consistant à se tenir toujours sur la - grande route de Bayonne afin de couvrir la frontière de - France. — Les ordres réitérés de Paris font incliner Joseph et - Jourdan vers cette dernière opinion. — Nombreux avis expédiés au - général Clausel pour l'engager à se réunir à l'armée entre Burgos - et Vittoria. — Retraite sur Miranda del Ebro et sur - Vittoria. — Espérance d'y rallier le général Clausel. — Malheureuse - inaction de Joseph et de Jourdan dans les journées du 19 et du 20 - juin. — Funeste bataille de Vittoria le 21 juin, et ruine complète - des affaires des Français en Espagne. — À qui peut-on imputer ces - déplorables événements? — Irritation violente de Napoléon contre - son frère Joseph, et ordre de le faire arrêter s'il vient à - Paris. — Envoi du maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, - et reprendre l'offensive. — Retour de Napoléon à Dresde, après une - excursion de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg - et à Leipzig. — Suite des négociations de Prague. — MM. de Humboldt - et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au - congrès de Prague. — Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à - Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les - plénipotentiaires <span class="pagenum"><a id="page3" name="page3"></a>(p. 3)</span> français au jour convenu. — Chagrin et - doléances de M. de Metternich. — Napoléon, revenu le 15 à Dresde, - après avoir différé sous divers prétextes la nomination des - plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et de - Caulaincourt. — Une fausse interprétation donnée à la convention - qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau prétexte pour - ajourner le départ de M. de Caulaincourt. — Son espérance en - gagnant du temps est de faire remettre au 1<sup>er</sup> septembre la - reprise des hostilités. — Redoublement de plaintes de la part des - plénipotentiaires, et déclaration de M. de Metternich qu'on - n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 août pour la - dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la reprise des - hostilités. — La difficulté soulevée au sujet de l'armistice étant - levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec des instructions - qui soulèvent des questions de forme presque insolubles. — Pendant - ce temps il quitte Dresde le 25 juillet pour aller voir - l'Impératrice à Mayence. — Finances et police de l'Empire durant - la guerre de Saxe; affaires des séminaires de Tournay et de Gand, - et du jury d'Anvers. — Retour de Napoléon à Dresde le 4 août, - après avoir passé la revue des nouveaux corps qui se rendent en - Saxe. — Vaines difficultés de forme au moyen desquelles on a même - empêché la constitution du congrès de Prague. — M. de Metternich - déclare une dernière fois que si le 10 août à minuit les bases de - paix n'ont pas été posées, l'armistice sera dénoncé, et - l'Autriche se réunira à la coalition. — Pensée véritable de - Napoléon dans ce moment décisif. — Ne se flattant plus d'empêcher - la Russie et la Prusse de reprendre les hostilités le 17 août, il - voudrait, en ouvrant une négociation sérieuse avec l'Autriche, - différer l'entrée en action de celle-ci. — Il entame effectivement - avec l'Autriche une négociation secrète qui doit être conduite - par M. de Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. — Ouverture - de M. de Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours - avant l'expiration de l'armistice. — Surprise de M. de - Metternich. — Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration - authentique des intentions de l'Autriche, donnée au nom de - l'empereur François. — Avantages tout à fait inespérés offerts à - Napoléon. — Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider - Napoléon à accepter la paix qu'on lui offre. — Contre-proposition - de celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par - l'Autriche. — Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases - proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant - qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la - coalition. — Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, - mais inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à - Prague. — L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en - Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au - nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon - inacceptables. — Retour et noble affliction de M. de - Caulaincourt. — Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. — Sa - confiance et ses projets. — Profondeur de ses conceptions pour la - seconde partie de la campagne de 1813. — Il prend le cours de - l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de manœuvrer - concentriquement autour de Dresde, afin <span class="pagenum"><a id="page4" name="page4"></a>(p. 4)</span> de battre - successivement toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer - de front, de flanc ou par derrière. — Projets de la coalition et - forces immenses mises en présence dans cette guerre - gigantesque. — L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la - première en mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur - la Katzbach. — Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels - Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. — Napoléon - apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée des - coalisés sur les derrières de Dresde. — Son retour précipité sur - Dresde. — Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de déboucher - par Kœnigstein, afin de prendre l'armée coalisée à revers, et - de la jeter dans l'Elbe. — Les terreurs des habitants de Dresde et - les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette circonstance - détournent Napoléon de la plus belle et de la plus féconde de ses - conceptions. — Son retour à Dresde le 26, et inutile attaque de - cette ville par les coalisés. — Célèbre bataille de Dresde livrée - le 27 août. — Défaite complète de l'armée coalisée et mort de - Moreau. — Position du général Vandamme à Péterswalde sur les - derrières des alliés. — Nouveau et vaste projet sur Berlin qui - détourne Napoléon des opérations autour de Dresde. — Désastre du - général Vandamme à Kulm amené par le plus singulier concours de - circonstances. — Conséquences de ce désastre. — Retour de confiance - chez les coalisés et aggravation de la situation de Napoléon, - dont les dernières victoires se trouvent annulées. — Sa situation - au 30 août 1813.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Juin 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Intention véritable de Napoléon en signant l'armistice de -Pleiswitz.</span> -En signant l'armistice de Pleiswitz, Napoléon n'avait d'autre -intention que de gagner deux mois pour compléter ses armements, et les -proportionner aux forces des nouveaux ennemis qu'il allait s'attirer, -mais il n'avait pas eu un moment la pensée de la paix, ne voulant à -aucun prix la conclure aux conditions que l'Autriche prétendait y -mettre. Ces conditions révélées tant de fois depuis quatre mois, -tantôt par de simples insinuations, tantôt par les déclarations -récentes et formelles de M. de Bubna, étaient, comme on l'a vu, les -suivantes: Dissolution du grand-duché de Varsovie; reconstitution de -la Prusse au moyen d'une partie considérable de ce grand-duché, et de -quelques portions des provinces anséatiques; restitution à -l'Allemagne des villes libres <span class="pagenum"><a id="page5" name="page5"></a>(p. 5)</span> de Lubeck, de Brême, de Hambourg; -abolition de la Confédération du Rhin; rétrocession à l'Autriche de -l'Illyrie et des portions de la Pologne qui lui avaient jadis -appartenu. Quoique cette paix continentale, prélude assuré de la paix -maritime, laissât à la France, indépendamment de la Belgique et des -provinces rhénanes, la Hollande, le Piémont, la Toscane, l'État -romain, maintenus en départements français, la Westphalie, la -Lombardie, Naples, constitués en royaumes vassaux, Napoléon la -repoussait absolument, non à cause des pertes de territoire qui -étaient presque nulles, mais comme une atteinte à sa gloire, et lui -préférait sans hésiter la guerre avec l'Europe entière. -<span class="sidenote" title="En marge">Sa pensée est de continuer la guerre, et de prendre -seulement le temps d'achever ses préparatifs.</span> -C'était sans -doute une insigne témérité pour lui-même, une cruauté pour tant de -victimes destinées à périr sur les champs de bataille, une sorte -d'attentat envers la France, exposée à tant de dangers uniquement pour -l'orgueil de son chef, mais enfin c'était une résolution à peu près -prise, et dans laquelle il y avait fort peu de chance de l'ébranler. -Il eût fallu autour de lui de meilleurs conseillers, et surtout de -plus autorisés, pour le faire revenir de cette détermination fatale. -<span class="sidenote" title="En marge">Soin de Napoléon à cacher ses desseins, afin de ne pas -exciter de trop graves mécontentements dans le public et dans -l'armée.</span> -Pourtant, bien que tout à fait résolu (ce qui résulte d'une manière -incontestable de ses ordres, de ses communications diplomatiques, et -de quelques aveux inévitables faits à ses coopérateurs les plus -intimes), il ne pouvait lui convenir de laisser apercevoir sa -véritable pensée, ni aux puissances avec lesquelles il avait à -traiter, ni à la plupart des agents de son gouvernement, du zèle -desquels il avait grand besoin. En effet, connue de l'Autriche, -<span class="pagenum"><a id="page6" name="page6"></a>(p. 6)</span> la pensée de Napoléon aurait définitivement décidé cette -puissance contre nous, accéléré ses armements déjà bien assez actifs, -répandu le désespoir parmi nos alliés déjà bien assez dégoûtés de -notre alliance, rendu impossible une prolongation d'armistice à -laquelle Napoléon tenait essentiellement, et qu'il ne désespérait pas -d'obtenir en traînant les négociations en longueur. Avouée aux hommes -qui composaient son gouvernement, sa résolution de ne pas accepter la -paix se serait bientôt répandue dans le public, aurait augmenté -l'aversion qu'inspirait sa politique, étendu cette aversion à sa -personne et à sa dynastie, rendu les levées d'hommes plus difficiles, -et irrité, découragé l'armée, qui ne voyant plus de terme à l'effusion -de son sang, serait devenue plus hardie et plus sévère dans son -langage. Il semblait effectivement que l'opposition, comprimée -partout, se fût réfugiée dans les camps, et que nos militaires de tout -grade, pour prix des sacrifices qu'on exigeait d'eux, voulussent -exercer la liberté inaliénable de l'esprit français. Après s'être -précipités le matin au milieu des dangers, ils déploraient le soir -dans les bivouacs l'obstination fatale qui faisait couler tant de sang -pour une politique qu'ils commençaient à ne plus comprendre. Ils -avaient bien admis qu'après Moscou et la Bérézina il fallût une -revanche éclatante aux armes françaises; mais après Lutzen, après -Bautzen, le prestige de nos armes étant rétabli, ils auraient été -révoltés, et peut-être glacés dans leur zèle, s'ils avaient appris que -Napoléon pouvant conserver la Belgique, les provinces rhénanes, la -Hollande, le Piémont, la Toscane, Naples, ne s'en contentait pas, -<span class="pagenum"><a id="page7" name="page7"></a>(p. 7)</span> et voulait encore immoler des milliers d'hommes pour garder -Lubeck, Hambourg, Brême, pour conserver le vain titre de protecteur de -la Confédération du Rhin! Par toutes ces raisons, Napoléon ne dit à -personne, excepté peut-être à M. de Bassano, sa pensée tout entière; -il n'en dit à chacun que ce que chacun avait besoin d'en savoir pour -accomplir sa tâche particulière, réservant pour lui seul la -connaissance complète de ses funestes desseins.</p> - -<p>On vient de voir que M. de Bubna avait reparu au quartier général avec -les conditions de l'Autriche, et que ces conditions avaient été -considérablement modifiées, puisqu'en remettant à la paix maritime le -sacrifice des villes anséatiques et de la Confédération du Rhin, on -avait fait tomber la seule objection qu'elles pussent raisonnablement -provoquer. Napoléon se sentant alors serré de près, et craignant -d'avoir à se prononcer immédiatement, ce qui lui eût mis l'Autriche -sur les bras avant qu'il fût en mesure de lui résister, avait signé -l'armistice si désavantageux de Pleiswitz, non pour avoir le temps de -traiter, mais pour avoir celui d'armer. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dit une partie de son secret au prince Eugène et -au ministre de la guerre, parce qu'il ne peut pas faire autrement.</span> -Il écrivit sous le secret au -prince Eugène et au ministre de la guerre qu'il signait cet armistice, -dont il prévoyait en partie le danger, pour avoir le temps de se -préparer contre l'Autriche, à laquelle il entendait faire la loi au -lieu de la recevoir d'elle. Il recommanda à l'un et à l'autre de ne -rien négliger pour que l'armée d'Italie destinée à menacer l'Autriche -par la Carinthie, pour que l'armée de Mayence destinée à la menacer -par la Bavière, fussent prêtes à la fin de juillet, et d'agir de -manière que les jours <em>comptassent double</em>, car on <span class="pagenum"><a id="page8" name="page8"></a>(p. 8)</span> avait à -peine deux mois pour achever les armements que les circonstances -rendaient indispensables. Toutefois il n'avoua ni à l'un ni à l'autre -quelle était cette loi de l'Autriche qu'il ne voulait pas subir, il -leur laissa même croire que les exigences de cette puissance étaient -exorbitantes, et ne tendaient à rien moins qu'à ruiner la puissance de -la France et à offenser son honneur. -<span class="sidenote" title="En marge">Il trompe entièrement le prince Cambacérès.</span> -Il écrivit au prince Cambacérès, -auquel il avait remis en partant le dépôt de son autorité, que -l'armistice signé pourrait sans doute conduire à la paix, qu'il <cite>ne -fallait pas toutefois que ce fût une raison de ralentir les -préparatifs de guerre, mais au contraire une raison de les redoubler, -car ce n'était qu'autant qu'on verrait que nous étions formidables sur -tous les points, que la paix pourrait être sûre et honorable</cite>.--Mais -au prince Cambacérès pas plus qu'aux autres, il n'osa dire ce qu'il -entendait par une paix sûre et honorable, et il se garda de lui avouer -qu'il ne considérait pas comme telle une paix qui, indépendamment du -Rhin et des Alpes, concédait directement ou indirectement à la France -la Hollande, la Westphalie, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, les -États romains et Naples.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano seul dépositaire de ses véritables -résolutions.</span> -À M. de Bassano seul, qu'il ne pouvait pas tromper, puisque ce -ministre était l'intermédiaire de toutes les communications de la -France avec les puissances européennes, et duquel il n'avait pas -d'ailleurs la moindre objection à craindre, il découvrit sa vraie -pensée, en lui confiant le soin de recevoir à sa place M. de Bubna. Il -lui dit qu'il ne voulait pas voir cet envoyé, pour n'avoir pas à se -prononcer sur les conditions de l'Autriche; il lui enjoignit de -l'emmener <span class="pagenum"><a id="page9" name="page9"></a>(p. 9)</span> à Dresde, où devait bientôt revenir le quartier -général français, et de l'y retenir jusqu'à son retour, ce qui ferait -gagner une dizaine de jours, et conduirait à la mi-juin avant d'avoir -réuni les plénipotentiaires. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon songe à se faire accorder un mois de plus de -suspension d'armes, en feignant de négocier.</span> -En soulevant ensuite des difficultés de -forme, il était possible d'atteindre le mois de juillet sans s'être -prononcé sur le fond des choses. Puis en montrant au dernier moment -quelque disposition à traiter, et en argumentant du peu de temps qui -resterait alors, il serait encore possible de faire prolonger d'un -mois la durée de l'armistice, ce qui après juin et juillet assurerait -tout le mois d'août, et procurerait ainsi trois mois pour armer, trois -mois dont les puissances coalisées profiteraient sans doute, mais pas -autant que la France, car elles n'étaient administrées ni avec la même -activité ni avec le même génie.</p> - -<p>Ce plan arrêté, Napoléon fit partir M. de Bassano pour Dresde, en le -chargeant d'annoncer sa prochaine arrivée dans cette capitale, et de -lui chercher en dehors des résidences royales une habitation commode -et convenable, où il fût à la fois à la ville et à la campagne, où il -pût travailler en liberté, respirer un air pur, et se trouver à portée -des camps d'instruction établis au bord de l'Elbe. Il ordonna d'y -amener une partie de sa maison, la Comédie française elle-même, afin -d'y déployer une sorte de splendeur pacifique, qui respirât la -satisfaction, la confiance et le penchant au repos, penchant qui -n'avait jamais moins pénétré dans son âme. <cite>Il est bon</cite>, écrivait-il -au prince Cambacérès, <cite>qu'on croie que nous nous amusons ici</cite>.--</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page10" name="page10"></a>(p. 10)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Avant de retourner à Dresde, Napoléon met tous ses -soins à bien cantonner ses troupes.</span> -Suivant son usage, Napoléon ne quitta point ses troupes sans avoir -assuré leur entretien, leur bonne santé, et leur instruction pendant -la durée de la suspension d'armes. Il s'était réservé, d'après les -conditions de cet armistice, la basse Silésie, pays riche en toutes -sortes de ressources tant pour la nourriture que pour le vêtement des -hommes. Il y répartit ses corps d'armée, depuis les montagnes de la -Bohême jusqu'à l'Oder, de la manière suivante. -<span class="sidenote" title="En marge">Leur distribution sur la ligne frontière stipulée par -l'armistice.</span> -Il plaça Reynier à -Gorlitz avec le 7<sup>e</sup> corps, Macdonald à Lowenberg avec le 11<sup>e</sup>, -Lauriston à Goldberg avec le 5<sup>e</sup>, Ney à Liegnitz avec le 3<sup>e</sup>, Marmont -à Buntzlau avec le 6<sup>e</sup>, Bertrand à Sprottau avec le 4<sup>e</sup>, Mortier aux -environs de Glogau avec l'infanterie de la jeune garde, Victor à -Crossen avec le 2<sup>e</sup>, Latour-Maubourg et Sébastiani au bord de l'Oder -avec la cavalerie de réserve. Le maréchal Oudinot, avec le corps -destiné à marcher sur Berlin, fut cantonné sur les limites de la Saxe -et du Brandebourg, lesquelles formaient de l'Oder à l'Elbe la ligne de -démarcation stipulée par l'armistice. Ces divers corps durent camper -dans des villages ou des baraques, manœuvrer, se reposer et bien -vivre. Ils devaient être entretenus au moyen de réquisitions sur le -pays, ménagées de manière à pouvoir y subsister trois mois au moins, -et à y former des approvisionnements pour l'époque du renouvellement -des hostilités. Napoléon prescrivit en outre des levées de draps et de -toiles dans la partie de la Silésie qui lui était restée, et qui les -produisait en abondance, afin de réparer le vêtement déjà usé de ses -soldats. La Silésie devant, dans tous les cas, revenir à la Prusse, -puisque <span class="pagenum"><a id="page11" name="page11"></a>(p. 11)</span> l'Autriche n'en voulait pas, il n'avait à la ménager -que pour en faire durer les ressources aussi longtemps que ses -besoins.</p> - -<p>De toutes ses places sur l'Oder et la Vistule, celle de Glogau ayant -eu seule l'avantage d'être débloquée, il en renouvela la garnison et -les approvisionnements, et ordonna d'en perfectionner les moyens de -défense. Il expédia des officiers à Custrin, Stettin, Dantzig, pour -apprendre à ces garnisons les derniers triomphes de nos armes, pour -leur porter des récompenses, et veiller à ce que les vivres consommés -chaque jour fussent remplacés immédiatement par des quantités égales, -conformément aux conditions expresses de l'armistice. -<span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé à Hambourg pendant les derniers -événements.</span> -Il avait été -convenu par l'une des stipulations de l'armistice que l'importante -place de Hambourg dépendrait du sort des armes, et resterait à ceux -qui l'occuperaient le 8 juin au soir. Elle était rentrée dans nos -mains le 29 mai, par l'arrivée du général Vandamme à la tête de deux -divisions, et serait redevenue plus tôt notre propriété sans -l'intervention singulière et un moment inexplicable du Danemark dans -cette occasion. -<span class="sidenote" title="En marge">Attitude équivoque du Danemark.</span> -Jusque-là le Danemark nous avait été fidèle, et il -nous le devait, puisque c'était pour lui conserver la Norvége que nous -avions la guerre avec la Suède. À la suite de notre désastre de -Moscou, il avait été vivement sollicité par la Russie et l'Angleterre -d'abandonner la Norvége à la Suède, avec promesse de l'indemniser aux -dépens de la France s'il cédait, et avec menace, s'il résistait, -d'abattre la monarchie danoise. À ces sollicitations menaçantes de la -Russie et de l'Angleterre, s'étaient <span class="pagenum"><a id="page12" name="page12"></a>(p. 12)</span> jointes les instances -plus douces de l'Autriche, invitant le Danemark à s'unir à elle, et -lui promettant la conservation de la Norvége, s'il adhérait à sa -politique médiatrice. Au milieu de ce conflit de suggestions de tout -genre, le Danemark craignant que la France ne fût plus en mesure de le -soutenir, avait loyalement demandé à Napoléon l'autorisation de -traiter pour son compte, afin d'échapper aux périls qui le menaçaient, -et Napoléon touché de sa franchise y avait généreusement consenti. Il -lui avait même renvoyé les matelots danois qui servaient sur notre -flotte, pour que sa situation s'approchât davantage de la neutralité. -L'espérance du Danemark avait été en se remettant en paix avec -l'Angleterre par l'intermédiaire de la Russie, et en restant neutre -ensuite avec tout le monde, de s'assurer la conservation de la -Norvége. -<span class="sidenote" title="En marge">Les exigences de la coalition ramènent le Danemark à la -France.</span> -Bientôt on lui avait signifié que non-seulement il fallait -qu'il nous déclarât la guerre, ce qui coûtait fort à sa loyauté, mais -qu'il fallait en outre qu'il renonçât à la Norvége, sauf une indemnité -éventuelle, de manière que la défection envers nous ne l'aurait pas -même sauvé de la spoliation. -<span class="sidenote" title="En marge">Le retour du Danemark rend facile la rentrée de nos troupes -dans la ville de Hambourg.</span> -Révolté de ces exigences, le Danemark -nous était enfin revenu, et l'une de ses divisions, qui s'était tenue -aux portes de Hambourg dans une attitude équivoque, et presque -inquiétante, nous avait tendu la main, au lieu de nous menacer. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle occupation de Hambourg.</span> -Vandamme alors que rien ne retenait, avait expulsé le rassemblement de -Tettenborn, composé de Cosaques, de Prussiens, de Mecklembourgeois, de -soldats des villes anséatiques, et avait arboré de nouveau les aigles -françaises sur tout le cours de l'Elbe inférieur. <span class="pagenum"><a id="page13" name="page13"></a>(p. 13)</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Renouvellement des ordres sévères de Napoléon.</span> -Napoléon -avait sur-le-champ expédié au maréchal Davout l'ordre de s'établir -fortement dans Hambourg, Brême et Lubeck, lui avait réitéré -l'injonction de punir sévèrement la révolte de ces villes, d'en tirer -les ressources nécessaires pour l'armée, et de créer sur le bas Elbe -un vaste établissement militaire qui complétât les défenses de ce -grand fleuve, où nous allions avoir Kœnigstein, Dresde, Torgau, -Wittenberg, Magdebourg et Hambourg. Cette ligne si importante, objet -de si vifs débats dans la négociation de l'armistice, nous était donc -assurée, indépendamment de celle de l'Oder, dont nous avions la partie -la plus essentielle, celle qui faisait face à Dresde. Quelques troupes -de partisans, il est vrai, avaient passé la ligne de l'Elbe, et -parcouraient en ce moment la Westphalie, la Hesse, la Saxe, répandant -partout la terreur des Cosaques, devenue presque superstitieuse. -Napoléon forma sur ses derrières un corps d'infanterie et de cavalerie -pour les poursuivre à outrance, et sabrer sans pitié ceux qu'on -prendrait en deçà de l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Corps de cavalerie et d'infanterie confié au duc de Padoue -pour purger la rive gauche de l'Elbe de la présence des Cosaques.</span> -Le duc de Padoue, destiné, comme on l'a -dit, à commander un troisième corps de cavalerie, lorsque les deux -premiers, ceux de Latour-Maubourg et de Sébastiani, seraient -complétés, se trouvait alors à Leipzig avec le noyau de son corps. Il -comptait environ trois mille cavaliers et quelques pièces d'artillerie -attelée. Napoléon lui adjoignit la division polonaise Dombrowski, la -division Teste (quatrième de Marmont), laissée en arrière pour achever -son organisation, une seconde division wurtembergeoise récemment -arrivée, quelques bataillons de garnison de Magdebourg, ce qui -<span class="pagenum"><a id="page14" name="page14"></a>(p. 14)</span> formait un rassemblement de 8 mille cavaliers et de 12 mille -fantassins. Il lui prescrivit de s'occuper uniquement de la police du -pays compris entre l'Elbe et le Rhin, de le pacifier, de le purger de -coureurs, et s'il en surprenait quelques-uns postérieurement au 8 -juin, terme extrême assigné aux hostilités, de les traiter comme des -bandits, et tout au moins de les faire prisonniers, afin de s'emparer -de leurs chevaux qui étaient excellents.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span> -Ces premiers soins donnés à l'exécution de l'armistice et au bien-être -des troupes pendant la suspension d'armes, Napoléon s'achemina vers -Dresde, où il avait le projet de passer tout le temps des prochaines -négociations, et rétrograda vers l'Elbe avec la cavalerie et -l'infanterie de la vieille garde, marchant lui-même au pas de ses -troupes par journées d'étapes. Il ne fut de retour à Dresde que le 10 -juin, ce qui convenait à son calcul de se trouver le plus tard -possible en présence de M. de Bubna. Le roi de Saxe vint à sa -rencontre, et les habitants de Dresde eux-mêmes, voyant avec plaisir -la guerre écartée de leurs foyers, et leur roi honoré, lui firent un -accueil auquel on n'aurait pas dû s'attendre de la part d'une -population allemande.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Son établissement au palais Marcolini, et sa manière d'y -vivre.</span> -Napoléon descendit au palais Marcolini, dont M. de Bassano avait fait -choix pour lui. Ce palais, entouré d'un vaste et beau jardin, était -situé dans le faubourg de Friedrichstadt, tout près de la prairie de -l'Osterwise, où des troupes nombreuses pouvaient manœuvrer au bord -de l'Elbe. Napoléon y trouva sa maison déjà installée et toute prête à -le recevoir. Là, sans être à charge à la cour de Saxe, sans être -<span class="pagenum"><a id="page15" name="page15"></a>(p. 15)</span> incommodé par elle, il avait ce qu'il désirait, un -établissement convenable, de l'air, de la verdure et un champ de -manœuvre. Il décida qu'il aurait le matin un lever comme aux -Tuileries, au milieu du jour des revues et des manœuvres, le soir -des dîners, des réceptions, et les chefs-d'œuvre de Corneille, de -Racine, de Molière, représentés par les premiers acteurs de la Comédie -française. Le lendemain même de son retour à Dresde, sa vie telle -qu'il l'avait ordonnée commençait avec la précision et l'invariabilité -d'une consigne militaire. -<span class="sidenote" title="En marge">Longue attente de M. de Bubna, et note par lui remise à -l'arrivée de Napoléon.</span> -Mais en même temps M. de Bubna, qui, arrivé -de Vienne depuis plus de quinze jours, attendait vainement le moment -de le voir, lui rappela sa présence par une note formelle, à laquelle -il fallait de toute nécessité répondre clairement et promptement.</p> - -<p>Pour comprendre cette note et son importance, il est indispensable de -connaître les dernières circonstances survenues en Autriche, où comme -ailleurs les événements se succédaient avec une prodigieuse rapidité, -sous la violente impulsion que Napoléon imprimait partout à la marche -des choses. -<span class="sidenote" title="En marge">Communications entre les coalisés et la cour d'Autriche -pendant la négociation de l'armistice.</span> -En employant M. de Caulaincourt dans la négociation de -l'armistice, afin de susciter l'occasion d'un arrangement direct avec -la Russie, Napoléon avait fourni à celle-ci une arme dangereuse, et -dont elle devait faire un funeste usage. Si l'empereur Alexandre, -moins blessé par les dédains de Napoléon, moins épris du rôle tout -nouveau de roi des rois, avait pu partager à quelque degré l'opinion -du prince Kutusof, qui voulait qu'on se tirât de cette guerre en -signant avec la France une paix toute russe, c'eût été un <span class="pagenum"><a id="page16" name="page16"></a>(p. 16)</span> -grand à-propos de lui envoyer M. de Caulaincourt, qui avait été -longtemps son confident et presque son ami. -<span class="sidenote" title="En marge">On se sert de la présence de M. de Caulaincourt aux -avant-postes pour effrayer l'Autriche, et la décider par la crainte de -l'arrangement direct.</span> -Mais enivré de l'encens -que brûlaient devant lui les Allemands, Alexandre était devenu malgré -sa douceur ordinaire un ennemi implacable, auquel il était dangereux -de chercher à s'adresser. Au lieu de le toucher par l'envoi de M. de -Caulaincourt, on lui fournit seulement un moyen de mettre un terme aux -longues hésitations de l'Autriche. C'était le cas en effet pour -Alexandre de dire à cette puissance: Décidez-vous, car si, faute de -nous secourir, vous nous laissez encore battre comme à Lutzen, comme à -Bautzen, nous serons forcés de traiter avec notre commun ennemi, -d'accepter les avances qu'il nous fait, de conclure avec lui une paix -exclusivement avantageuse à la Russie, et de vous livrer -définitivement à son ressentiment, qui ne doit pas être médiocre, car -si vous n'avez pas assez fait pour nous secourir, vous avez assez fait -pour lui inspirer une profonde défiance.--Ce langage à la cour de -Vienne serait venu d'autant plus à propos le lendemain de Bautzen, -qu'un nouveau mouvement en arrière allait éloigner les coalisés des -frontières de l'Autriche, et les priver de tout contact avec elle. -C'était donc le moment ou jamais de s'unir, car un pas de plus, et les -mains tendues les unes vers les autres ne pourraient plus se joindre.</p> - -<p>Telles sont les raisons qu'on avait résolu d'employer auprès de -l'empereur François et de M. de Metternich; et tandis que MM. Kleist -et de Schouvaloff négociaient à Pleiswitz l'armistice du 4 juin, on -avait appelé M. de Stadion, on lui avait fait remarquer <span class="pagenum"><a id="page17" name="page17"></a>(p. 17)</span> le -choix de M. de Caulaincourt pour cette négociation, on avait même -ajouté le mensonge à la vérité, car on avait parlé de prétendues -insinuations que ce personnage se serait permises (ce qui était faux), -et desquelles on pouvait conclure que Napoléon songeait à s'entendre -directement avec la Russie aux dépens de l'Autriche. Tout ce que -l'envoi de M. de Caulaincourt permettait de supposer en fait de -tentatives diplomatiques, on l'avait donné pour accompli, et on avait -pressé M. de Stadion de déclarer à son cabinet, que ce qu'on refusait -aujourd'hui, on serait obligé de l'accepter dans quelques jours, sous -la pression des circonstances et des victoires de Napoléon. M. de -Stadion, qui n'aimait pas la France, et qui avait été fort offusqué de -la présence de M. de Caulaincourt, s'était hâté de peindre à sa cour, -en l'exagérant beaucoup, le danger d'un arrangement direct entre la -France et la Russie. -<span class="sidenote" title="En marge">Envoi de M. de Nesselrode à Vienne pour menacer l'Autriche -d'un arrangement direct avec la France.</span> -Ne comptant même pas assez sur l'influence des -paroles écrites, on avait expédié, comme nous l'avons dit, M. de -Nesselrode, le même qui pendant quarante ans n'a cessé de conseiller à -ses divers maîtres une politique profonde par sa patience, mais pas -toujours d'accord avec leur tempérament irritable. Jeune alors, -simple, modeste, moins dogmatique que M. de Metternich, moins -entreprenant, mais doué d'autant de finesse, et fait pour gagner la -confiance d'un prince éclairé comme Alexandre, il avait déjà obtenu -sur lui un ascendant très-marqué. Le czar, quoiqu'il eût laissé à M. -de Romanzoff le vain titre de chancelier, en mémoire de la Finlande et -de la Bessarabie conquises sous son ministère, avait amené M. de -<span class="pagenum"><a id="page18" name="page18"></a>(p. 18)</span> Nesselrode à son quartier général, et ne dirigeait plus les -affaires qu'avec lui et par son conseil. Il l'avait expédié dès le -1<sup>er</sup> juin pour Vienne, avec la mission de prier, de supplier, de -menacer au besoin la cour d'Autriche, en lui montrant la tête de -Méduse, c'est-à-dire Napoléon s'abouchant avec Alexandre, et -renouvelant sur l'Oder l'entrevue du Niémen, et peut-être à Breslau -l'alliance de Tilsit. M. de Nesselrode s'était mis en route -sur-le-champ, se dirigeant sur Vienne à travers la Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Effet produit sur l'empereur François et sur M. de -Metternich par la perspective d'un arrangement direct entre la Russie -et la France.</span> -Il n'en fallait pas tant pour donner à deux esprits aussi clairvoyants -que l'empereur François et M. de Metternich une commotion décisive. -L'Autriche, en effet, replacée par la fortune dans une grande -situation, dont elle avait été précipitée depuis vingt ans par l'épée -de Napoléon, courait cependant un grave danger. Tout le monde la -caressait en ce moment, tout le monde se présentait à elle les mains -pleines des dons les plus magnifiques. Alexandre lui offrait -non-seulement l'Illyrie et une part de la Pologne, mais l'Italie, mais -le Tyrol, mais la couronne impériale d'Allemagne, que Napoléon avait -fait tomber de sa tête, et, plus que tout cela, l'indépendance. La -France lui offrait avec l'Illyrie et une part de la Pologne, non pas -l'Italie, non pas le Tyrol, non pas la couronne impériale, mais ce qui -l'eût charmée un siècle auparavant, la Silésie, sans l'indépendance il -est vrai, à laquelle elle tenait plus qu'à tout le reste. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger pour l'Autriche, si elle ne se décide pas à temps, -d'être repoussée universellement, après avoir été universellement -recherchée.</span> -Elle n'avait -donc qu'à choisir; mais si, voulant jouir trop longtemps de ce rôle de -puissance universellement courtisée, elle ne se décidait pas à -propos, il était possible qu'après avoir <span class="pagenum"><a id="page19" name="page19"></a>(p. 19)</span> été flattée, caressée -par tous, elle finît par être honnie par tous aussi, et écrasée sous -leur commun ressentiment, car si Napoléon et Alexandre s'entendaient, -il devait en résulter une paix exclusivement russe; l'Autriche -n'aurait rien de la Pologne, rien de l'Illyrie, rien de l'Italie; on -ne céderait point à son désir de reconstituer l'Allemagne, sauf -quelques dédommagements qu'on accorderait peut-être à la Prusse, et, -loin de recouvrer son indépendance, elle retomberait sous la -domination de Napoléon devenue plus dure que jamais. Il suffisait pour -cela d'un instant, et, dans les conjonctures présentes, les choses se -décidant à coups d'épée, et quels coups d'épée! c'était assez de -quarante-huit heures pour changer la face du monde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ subit de l'empereur François et de son ministre pour -Prague.</span> -Plein de ces préoccupations, M. de Metternich avait déjà songé à -conduire son maître à Prague, afin d'être tout près du théâtre des -batailles et des négociations, et de pouvoir, du haut de la Bohême -comme d'un observatoire élevé et voisin, suivre le torrent si rapide -des choses, et s'y jeter au besoin. La nouvelle du choix de M. de -Caulaincourt pour négocier l'armistice l'avait affecté au point de -rendre son émotion visible aux yeux pénétrants de M. de Narbonne. Les -lettres de M. de Stadion ne lui avaient plus laissé un seul doute, et -en vingt-quatre heures l'empereur et son ministre avaient formé la -résolution de quitter Vienne pour Prague, au grand étonnement du -public, surpris non d'une telle résolution, mais de la promptitude -avec laquelle elle avait été prise. Dans les rapports où l'on était -avec la France, on avait en quelque sorte l'obligation de <span class="pagenum"><a id="page20" name="page20"></a>(p. 20)</span> lui -tout expliquer, et M. de Metternich s'était hâté de dire à M. de -Narbonne, que les négociations étant à la veille de commencer par -l'intermédiaire de l'Autriche, il fallait que le médiateur se -rapprochât des parties soumises à sa médiation, qu'à Prague on -gagnerait six jours au moins sur chaque communication, ce qui -importait fort, la paix du monde devant se conclure en six semaines. -Cette raison justifiait le voyage à Prague, mais non pas le départ en -vingt-quatre heures. -<span class="sidenote" title="En marge">Altération visible des sentiments de M. de Metternich à -l'égard de la France.</span> -Des renseignements secrets et l'air contraint de -M. de Metternich avaient achevé de tout révéler à la vigilance de la -légation française. M. de Narbonne avait su, par des informations -sûres, que la cour de Vienne accélérait son départ par la crainte d'un -arrangement direct de la France avec la Russie, et ces informations -lui expliquaient en outre les nouveaux sentiments qu'il avait cru -découvrir chez M. de Metternich. M. de Narbonne, en effet, avait -trouvé le ministre autrichien sensiblement refroidi, ce qui était -naturel, car si M. de Metternich s'était échappé de notre alliance -comme un serpent s'échappe à force de mouvements alternatifs des -étreintes d'une main puissante, toutefois il n'avait pas entièrement -déserté notre cause, et dans l'intention fort sage de tout terminer -sans guerre, il avait défendu auprès des coalisés le système d'une -paix modérée, ce qui n'avait pas été facile, et il était fondé à nous -en vouloir de chercher à négocier une paix désastreuse pour lui, -tandis qu'il s'efforçait d'en stipuler une très-acceptable pour nous.</p> - -<p>Du reste, M. de Narbonne avait eu à peine le temps d'entretenir M. de -Metternich, et ce dernier, <span class="pagenum"><a id="page21" name="page21"></a>(p. 21)</span> parti en toute hâte, était avec -l'empereur François à Gitschin, résidence située à une vingtaine de -lieues de Prague, dès le 3 juin au soir. En y arrivant il avait -rencontré M. de Nesselrode, qui apprenant le départ de la cour, avait -rebroussé chemin pour la joindre. Les paroles que ces deux hommes -d'État, alors si importants, avaient pu s'adresser, on les devine. -<span class="sidenote" title="En marge">Rencontre de M. de Nesselrode et de M. de Metternich.</span> -M. de Nesselrode avait, au nom de l'empereur de Russie et du roi de -Prusse, supplié M. de Metternich de mettre fin à de trop longues -hésitations, de ne pas laisser battre de nouveau les alliés, car, -battus encore une fois, ils seraient obligés de se soumettre à -Napoléon, de traiter avec lui aux dépens de l'Autriche, et de -consacrer pour jamais la dépendance de l'Europe. M. de Nesselrode -s'était appliqué surtout à montrer à M. de Metternich que Napoléon -trahissait les Autrichiens, car tandis que ceux-ci soutenaient pour -lui le système d'une paix modérée, il songeait à les sacrifier, et à -conclure une paix accablante pour eux seuls. Il avait donc pressé -instamment le ministre autrichien de suivre enfin l'exemple de la -Prusse, et de s'unir par un traité formel aux souverains alliés. M. de -Metternich n'avait besoin d'être ni éclairé ni excité, car il l'était -suffisamment. -<span class="sidenote" title="En marge">Résolution invariable de M. de Metternich d'épuiser le rôle -de médiateur avant de passer au rôle de belligérant.</span> -Mais ce ministre, dont le mérite a toujours été d'avoir, -avec un esprit sans froideur, une politique sans passion, s'attachait -de plus en plus au système de conduite qu'il avait adopté, celui -d'épuiser le rôle intermédiaire d'arbitre, avant de passer au rôle de -belligérant. Ce système de conduite, outre qu'il dégageait l'honneur -de l'empereur François, son honneur de souverain et de père, avait -l'avantage de ménager <span class="pagenum"><a id="page22" name="page22"></a>(p. 22)</span> aussi la considération de l'Autriche, de -lui procurer le temps dont elle avait besoin pour armer, et, -par-dessus tout, de rendre possible une conclusion pacifique, car -c'eût été un bien beau résultat pour elle que de reconstituer la -Prusse, de rétablir l'indépendance de l'Allemagne, de recouvrer en -outre l'Illyrie et la part perdue de la Gallicie, sans courir les -hasards peut-être funestes (personne ne le savait alors) d'une -nouvelle guerre avec Napoléon.</p> - -<p>M. de Metternich avec une prévoyance profonde voulait s'épargner -non-seulement la chance bien dangereuse de voir tout le monde, fatigué -de ses temporisations, s'arranger à ses dépens, mais la chance aussi -de se faire battre par la France, ce qu'il redoutait fort malgré les -événements de l'année précédente, et, par ce motif, il cherchait d'une -main à tenir la Prusse et la Russie, pour qu'elles ne pussent lui -échapper, et de l'autre à contenir Napoléon, pour lui faire accepter -une paix que l'Europe pût agréer. -<span class="sidenote" title="En marge">Promesse à la Russie de s'unir à la coalition, si la France -reste sourde à toute proposition raisonnable, mais après avoir tout -fait pour éclairer celle-ci.</span> -Aussi avait-il dit à M. de -Nesselrode qu'il s'était engagé à être médiateur, qu'il remplirait -franchement ce rôle pendant les deux mois qui allaient suivre, qu'il -lui fallait indispensablement, à l'égard de la France, passer par le -rôle de médiateur avant d'en arriver à celui d'ennemi, que jusque-là -il ne pouvait prendre parti, mais que si des conditions de paix -raisonnables étaient définitivement repoussées, il conseillerait à son -maître, l'armistice expiré, de s'unir aux puissances alliées, et de -tenter un suprême et dernier effort pour arracher l'Europe à la -domination de Napoléon.</p> - -<p>Ce qu'on s'était promis actuellement, en conséquence <span class="pagenum"><a id="page23" name="page23"></a>(p. 23)</span> de ces -vues, c'était, de la part de la Russie, de ne pas se laisser séduire -par l'appât d'un arrangement direct, de la part de l'Autriche, de -déclarer la guerre au jour indiqué, si les conditions de la médiation -n'étaient pas acceptées par la France. -<span class="sidenote" title="En marge">Double déclaration en ce sens que M. de Bubna est chargé de -porter à Dresde.</span> -M. de Metternich, profitant du -voisinage de Prague, y avait rappelé M. de Bubna pour vingt-quatre -heures, lui avait bien expliqué la position, lui avait positivement -affirmé qu'on n'était pas encore engagé avec les belligérants, l'avait -autorisé à donner à l'appui de ce fait la parole d'honneur de -l'empereur François, mais l'avait autorisé aussi à signifier de la -manière la plus expresse qu'on finirait par s'engager, si la durée de -l'armistice n'était pas employée à négocier sincèrement une paix -modérée. Il l'avait en même temps chargé d'annoncer au cabinet -français, que la médiation de l'Autriche était formellement acceptée -par la Prusse et par la Russie, ce qui obligeait dès lors le médiateur -à demander à chacun ses conditions, et notamment à la France qui était -instamment priée de faire connaître les siennes. M. de Bubna devait à -cette occasion témoigner le désir de M. de Metternich de venir un -moment à Dresde, pour tout terminer sur les lieux, dans un entretien -cordial avec Napoléon. Là, en effet, on pouvait finir en quelques -heures, car si M. de Metternich parvenait à persuader Napoléon, tout -serait dit, les coalisés étant dans l'impossibilité de refuser les -conditions que l'Autriche déclarerait acceptables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Note de M. de Bubna, constituant pour le cabinet français -une vraie mise en demeure.</span> -Telles sont les choses, fort importantes comme on le voit, que M. de -Bubna, revenu à Dresde, voulait communiquer à Napoléon, et dont il ne -disait qu'une <span class="pagenum"><a id="page24" name="page24"></a>(p. 24)</span> partie à M. de Bassano, sachant l'inutilité des -explications avec ce ministre, qui recevait les opinions de son maître -et ne les faisait pas. Napoléon étant arrivé le 10 juin, M. de Bubna -avait remis le 11 une note pour déclarer que la Russie et la Prusse -avaient officiellement accepté la médiation de l'Autriche, que -celle-ci était occupée à leur demander leurs conditions de paix, et -qu'on attendait que la France voulût bien énoncer les siennes. Ce -n'était là qu'une mise en demeure, ayant pour but non d'amener une -entière et immédiate énonciation des conditions de la France, mais de -provoquer les pourparlers préliminaires, les épanchements -confidentiels, préalable indispensable et plus ou moins long, suivant -le temps dont on dispose, des déclarations officielles et définitives.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Preuve évidente que Napoléon ne voulait pas la paix, -résultant de plusieurs pertes de temps volontaires.</span> -Si Napoléon avait voulu la paix, celle du moins qui était possible et -dont il connaissait les conditions, il n'aurait pas perdu de temps, -quarante jours au plus lui restant pour la négocier. On était en effet -au 10 juin, et l'armistice expirait au 20 juillet. Avec son ardeur -accoutumée, il aurait appelé M. de Metternich à Dresde, aurait tâché -de lui arracher quelque modification aux propositions de l'Autriche, -ce qui était très-possible avec le désir qu'elle avait d'en finir -pacifiquement, et aurait renvoyé ce ministre, une, deux et trois fois, -au quartier général des puissances alliées, pour aplanir les -difficultés de détail toujours nombreuses dans tout traité, mais -devant l'être bien davantage dans un traité qui allait embrasser les -intérêts du monde entier. Mais la preuve évidente qu'il ne la voulait -pas (indépendamment <span class="pagenum"><a id="page25" name="page25"></a>(p. 25)</span> des preuves irréfragables contenues dans -sa correspondance), c'était le temps qu'il perdait et qu'il allait -perdre encore. Son projet, comme nous l'avons dit, c'était de différer -le moment de s'expliquer, de multiplier pour cela les questions de -forme, puis de paraître s'amender tout à coup lorsque la suspension -d'armes serait près d'expirer, de se montrer alors disposé à céder, -d'obtenir à la faveur de ces manifestations pacifiques une -prolongation d'armistice, de se donner ainsi jusqu'au 1{er} septembre -pour terminer ses préparatifs militaires, de rompre à cette époque sur -un motif bien choisi qui pût faire illusion au public, et de tomber -soudainement avec toutes ses forces sur la coalition, de la dissoudre -et de rétablir plus puissante que jamais sa domination actuellement -contestée, calcul pardonnable assurément, et dont l'histoire des -princes conquérants n'est que trop remplie, s'il avait été fondé sur -la réalité des choses! Avec de telles vues il n'était pas temps encore -de recevoir M. de Bubna, et de lui répondre par oui ou par non, sur -des conditions qui se réduisaient à un petit nombre de points dont -aucun ne prêtait à l'équivoque. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon prend quelques jours pour répondre à la note -remise le 11 juin par M. de Bubna.</span> -Aussi Napoléon prit-il la résolution -de laisser passer quatre ou cinq jours avant d'admettre auprès de lui -M. de Bubna et de répondre à sa note, ajournement fort concevable si -aucun terme n'avait été fixé aux négociations, et si, comme lors du -traité de Westphalie, on avait eu pour négocier des mois et même des -années. Mais perdre quatre ou cinq jours sur quarante pour une -première question de forme, qui en supposait encore mille autres, -c'était trop dire ce qu'on voulait, ou plutôt ce qu'on ne voulait -pas.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page26" name="page26"></a>(p. 26)</span> Toutefois Napoléon venait d'arriver à Dresde, fatigué sans -doute, accablé de soins de tout genre, et à la rigueur on pouvait -comprendre qu'il ne reçût point M. de Bubna le jour même. Il n'y avait -pas d'ailleurs de souverain au monde qui fût plus dispensé que lui de -se plier aux convenances d'autrui, et qui s'y pliât moins. Ces retards -envers M. de Bubna n'avaient donc encore rien de bien significatif. -Seulement Napoléon prouvait ainsi qu'il n'était pas pressé, car -lorsqu'il l'était, les jours, les nuits, la fatigue, le repos, tout -devenait égal pour lui, et n'être pas pressé de la paix en ce moment, -c'était ne pas la désirer. M. de Bassano reçut la dépêche de M. de -Bubna, affecta de la trouver infiniment grave, dit que sous trois ou -quatre jours on répondrait, et que sous trois ou quatre jours aussi -Napoléon donnerait audience à M. de Bubna, et s'expliquerait avec lui -sur le contenu de sa note.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nombreuses chicanes de forme.</span> -Dans cet intervalle la réponse fut préparée et rédigée. Elle était de -nature, plus encore que le temps volontairement perdu, à révéler les -dispositions véritables du gouvernement français. -<span class="sidenote" title="En marge">On conteste d'abord à M. de Bubna le caractère nécessaire -pour remettre une note.</span> -On objecta d'abord à -M. de Bubna qu'il n'avait aucun caractère pour remettre une note. Cet -agent, en effet, reçu officieusement par Napoléon, et envoyé auprès de -lui comme lui étant plus agréable qu'un autre, et comme plus spirituel -notamment que le prince de Schwarzenberg qui l'était peu, n'avait -jamais été formellement accrédité, ni à titre de plénipotentiaire ni à -titre d'ambassadeur; il n'avait donc pas qualité pour remettre une -note. C'était là une difficulté bien mesquine, car on avait déjà -échangé avec ce personnage les communications <span class="pagenum"><a id="page27" name="page27"></a>(p. 27)</span> les plus -importantes. Néanmoins on rédigea une première réponse à M. de Bubna, -dans laquelle on soutint qu'il fallait que la note qu'il avait -présentée fût signée de M. de Metternich, pour prendre place dans les -archives du cabinet français, car il n'avait quant à lui aucun titre -qui pût donner à cette note un caractère d'authenticité. Après cette -difficulté de forme, on éleva des difficultés de fond. La première -était relative à la médiation elle-même. Sans doute, disait-on, la -France avait paru disposée à admettre la médiation de l'Autriche, -avait même promis de l'accepter, mais une résolution si importante ne -pouvait pas se supposer, se déduire d'un simple entretien, et il -fallait un acte officiel, dans lequel on déterminerait le but, la -forme, la portée, la durée de cette médiation. -<span class="sidenote" title="En marge">On élève ensuite des objections sur la prétention du -cabinet autrichien, de réunir la double qualité de médiateur et -d'allié.</span> -Ce n'était pas tout: -cette médiation comment se concilierait-elle avec le traité -d'alliance? le cabinet autrichien serait-il médiateur, c'est-à-dire -arbitre, arbitre prêt à se prononcer contre l'une ou l'autre partie, -et à se prononcer les armes à la main, comme il était d'usage que le -fît un médiateur armé? alors que devenait le traité d'alliance de -l'Autriche avec la France? Il fallait s'expliquer sur ce point. Enfin, -quelle que fût la portée de la médiation, il y avait une question de -forme sur laquelle l'honneur ne permettait pas de garder le silence. -Ainsi le médiateur se saisissant si brusquement, et on peut dire si -cavalièrement, de son rôle, annonçait déjà une manière de traiter qui -ne pouvait convenir à la France. Il paraissait en effet vouloir -s'entremettre entre toutes les parties belligérantes, porter lui seul -la parole de celles-ci à celles-là, et ne les jamais placer en -présence <span class="pagenum"><a id="page28" name="page28"></a>(p. 28)</span> les unes des autres (ce qui était effectivement le -secret désir de l'Autriche, afin d'empêcher l'arrangement direct). -<span class="sidenote" title="En marge">On s'oppose formellement à une autre prétention de -l'Autriche, celle d'être l'intermédiaire unique entre les parties -contractantes.</span> -Une telle manière de négocier n'était pas admissible. La France ne -reconnaissait à personne le droit de traiter pour elle ses propres -affaires. S'y prendre de la sorte, c'était lui imposer une paix -concertée avec d'autres, et la France si longtemps victorieuse, au -point de dicter des conditions à l'Europe, n'en était pas réduite, -surtout quand la victoire lui était revenue, à accepter les conditions -de qui que ce soit. Elle voulait bien, pour parvenir à la paix dont -tout le monde avait besoin, renoncer à dicter des conditions; jamais -elle ne consentirait à s'en laisser dicter, l'Europe fût-elle réunie -tout entière pour lui faire la loi.--</p> - -<p>On remplit plusieurs notes de ces chicanes, et Napoléon en remplit -lui-même un long entretien avec M. de Bubna. Il lui accorda cet -entretien le 14 juin, et les notes furent signées et remises le 15. M. -de Bassano les accompagna d'une lettre personnelle pour M. de -Metternich, dont le ton était même contraire au but qu'on se proposait -d'atteindre, car Napoléon voulait qu'on gagnât du temps, et la hauteur -de langage n'était pas un moyen d'y réussir. Dans cette lettre, il -imputait le temps perdu à M. de Metternich, se plaignait -maladroitement de ce que l'armistice ayant été signé le 4 juin, on fût -si peu avancé le 15, comme si M. de Bubna n'avait pas été dès les -derniers jours de mai au quartier général français, demandant une -entrevue sans pouvoir l'obtenir, comme si l'Autriche sur tous les -points ne se fût pas montrée impatiente de provoquer et de donner des -explications. <span class="pagenum"><a id="page29" name="page29"></a>(p. 29)</span> -<span class="sidenote" title="En marge">On répond d'une manière presque négative au désir de venir -à Dresde exprimé par M. de Metternich.</span> -Enfin, quant au désir exprimé par M. de -Metternich de venir à Dresde, M. de Bassano, sans même éluder, -répondait d'une manière à peine polie que les questions étaient encore -trop peu mûries pour qu'une entrevue de M. de Metternich, soit avec le -ministre des affaires étrangères, soit avec Napoléon lui-même, pût -avoir l'utilité qu'on en attendait, et qu'on en espérait plus tard.</p> - -<p>Telles furent les réponses dont M. de Bubna dut se contenter, et qui -furent expédiées à M. de Metternich à Prague. Il fallait un jour pour -se rendre dans cette capitale de la Bohême, un jour pour en revenir, -et si M. de Metternich et son maître mettaient trois ou quatre jours -pour se résoudre, on devait atteindre le 20 juin avant d'être obligé -de parler de nouveau. De son côté il serait bien permis à la -diplomatie française d'employer quelques jours à se décider sur le -texte de la convention par laquelle on accepterait la médiation, -d'employer quelques jours encore pour réunir les plénipotentiaires, et -on aurait ainsi gagné le 1<sup>er</sup> juillet sans s'être abouché avec la -diplomatie européenne. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se flatte par ces divers ajournements de faire -proroger l'armistice jusqu'au 1<sup>er</sup> septembre.</span> -Il suffirait alors de se montrer conciliant un -moment, du 1<sup>er</sup> au 10 juillet, par exemple, pour être fondé à -demander que l'expiration de l'armistice fût reportée du 20 juillet au -20 août, ce qui, avec six jours pour la dénonciation des hostilités, -conduirait au 26 août, fort près de ce 1<sup>er</sup> septembre, terme désiré -par Napoléon. Tels étaient ses calculs et les moyens employés pour en -obtenir le succès.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vastes projets militaires de Napoléon, pour lesquels il -avait besoin d'un délai de trois mois.</span> -Pendant qu'il ne visait qu'à perdre le temps dans les négociations, il -ne visait au contraire qu'à le bien employer dans l'accomplissement -de ses vastes <span class="pagenum"><a id="page30" name="page30"></a>(p. 30)</span> conceptions militaires. Le premier projet de -Napoléon, lorsqu'il comptait sur l'alliance ou la neutralité de -l'Autriche, était de s'avancer jusqu'à l'Oder et à la Vistule, pour -rejeter les Russes sur le Niémen, et les ramener chez eux vaincus et -séparés des Prussiens. Tous les préparatifs actuels étant faits dans -la supposition de la guerre avec l'Autriche, les plans ne pouvaient -plus être les mêmes, car en s'avançant seulement jusqu'à l'Oder, il -eût laissé les armées autrichiennes sur ses flancs et ses derrières. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, comptant par ses refus avoir la guerre avec -l'Autriche, choisit le cours de l'Elbe pour sa ligne d'opération.</span> -Il n'avait donc à choisir pour future ligne défensive qu'entre l'Elbe -et le Rhin, ou le Main tout au plus. Il préféra l'Elbe pour des -raisons profondes, généralement peu connues et mal appréciées. (Voir -la carte n<sup>o</sup> 28.) Disons d'abord que se porter sur le Rhin ou sur le -Main revenait à peu près au même, car la petite rivière du Main, en -décrivant plusieurs contours à travers le pays montueux de la -Franconie, et venant après un cours de peu d'étendue tomber dans le -Rhin à Mayence, pouvait bien servir à défendre les approches du Rhin, -quand on se battait avec des armées de soixante ou quatre-vingt mille -hommes, mais ne pouvait plus avoir cet avantage depuis qu'on se -battait avec des masses de cinq à six cent mille, et eût été débordée -par la droite ou par la gauche avant quinze jours. On devait donc ne -considérer le Main que comme une annexe de la ligne du Rhin, -c'est-à-dire comme le Rhin lui-même, et il n'y avait à choisir -qu'entre le Rhin et l'Elbe. Poser ainsi la question, c'était presque -la résoudre. Se retirer tout de suite sur le Rhin, c'était faire à -l'Europe un abandon de territoire plus humiliant cent fois que les -sacrifices qu'elle demandait <span class="pagenum"><a id="page31" name="page31"></a>(p. 31)</span> pour accorder la paix. C'était -abandonner non-seulement les alliances de la Saxe, de la Bavière, du -Wurtemberg, de Bade, etc., mais les villes anséatiques qui nous -étaient si vivement disputées, mais la Westphalie et la Hollande qui -ne l'étaient pas, car la Hollande elle-même n'est plus couverte quand -on est sur le Rhin. Et comment exiger dans un traité le protectorat de -la Confédération du Rhin, qu'on déclarait en rétrogradant sur le Rhin -ne pouvoir plus défendre? comment prétendre aux villes anséatiques, à -la Westphalie, à la Hollande qu'on reconnaissait ne pouvoir plus -occuper? -<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité d'adopter cette ligne, puisqu'il continuait la -guerre pour ne pas abandonner les villes anséatiques et la -Confédération du Rhin.</span> -À prendre ce terrain pour champ de bataille, il eût été bien -plus simple d'accepter tout de suite les conditions de paix de -l'Autriche, car en renonçant à la Confédération du Rhin et aux villes -anséatiques, on eût conservé au moins sans contestation la Westphalie -et la Hollande, et soustrait définitivement à tous les hasards le -trône de Napoléon, et, ce qui valait mieux, la grandeur territoriale -de la France. Indépendamment de ces raisons, qui politiquement étaient -décisives, il y en avait une autre, qui moralement et patriotiquement -était tout aussi forte, c'est que rétrograder sur le Rhin, c'était -consentir à transporter en France le théâtre de la guerre. -<span class="sidenote" title="En marge">Avantage qu'avait la ligne de l'Elbe d'éloigner les -hostilités de la frontière de France.</span> -Sans doute -tant que le Rhin n'était point franchi par l'ennemi, on pouvait -considérer la guerre comme se faisant hors de France; mais le -voisinage était tel, que pour les provinces frontières la souffrance -était presque la même. De plus en obtenant des victoires sur le haut -Rhin, entre Strasbourg et Mayence, par exemple, Napoléon n'était pas -assuré qu'un de <span class="pagenum"><a id="page32" name="page32"></a>(p. 32)</span> ses lieutenants ne laisserait pas forcer sa -position au-dessous de lui, et alors la guerre se trouverait -transportée en France, et ce ne serait plus la situation d'un -conquérant se battant pour la domination du monde, ce serait celle -d'un envahi réduit à se battre pour la conservation de ses propres -foyers. Mieux eût valu, nous le répétons, accepter la paix tout de -suite, car outre qu'elle n'était pas humiliante, qu'elle était même -infiniment glorieuse, elle n'exigeait pas de Napoléon un sacrifice -comparable à celui que lui eût infligé la retraite volontaire sur le -Rhin. Ceux donc qui le blâment d'avoir adopté la ligne de l'Elbe, -feraient mieux de lui adresser le reproche de n'avoir pas accepté la -paix, car cette paix entraînait cent fois moins de sacrifices de tout -genre que la retraite immédiate sur le Rhin. La déplorable idée de -continuer la guerre pour les villes anséatiques, et pour la -Confédération du Rhin, étant admise, il n'y avait évidemment qu'une -conduite à tenir, c'était d'occuper et de défendre la ligne de l'Elbe.</p> - -<p>Le grand esprit de Napoléon ne pouvait pas se tromper à cet égard, et -planant comme l'aigle sur la carte de l'Europe, il s'était abattu sur -Dresde, comme sur le roc d'où il tiendrait tête à tous ses ennemis. Le -récit des événements prouvera bientôt que s'il y fut forcé, ce fut, -non point par le vice de la position elle-même, mais par suite de -l'extension extraordinaire donnée à ses combinaisons, de l'épuisement -de son armée, et des passions patriotiques excitées contre lui dans -toute l'Europe. Six ans plus tôt, avec l'armée de Friedland, il y -aurait tenu contre le monde entier.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page33" name="page33"></a>(p. 33)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Propriétés militaires de la ligne de l'Elbe.</span> -La ligne de l'Elbe, quoique présentant dans sa partie supérieure un -obstacle moins considérable que le Rhin, avait cependant l'avantage -d'être moins longue, moins accidentée, plus facile à parcourir -intérieurement pour porter secours d'un point à un autre, et, depuis -les montagnes de la Bohême jusqu'à la mer, semée de solides appuis, -tels que Kœnigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, -Hambourg. Quelques-uns de ces appuis exigeaient des travaux, et c'est -pour ce motif que Napoléon dans ses calculs militaires, qui étaient -plus profonds que ses calculs politiques, voulait sans cesse allonger -l'armistice, pour réparer la faute de l'avoir signé. Il s'agissait de -savoir si la ligne de l'Elbe s'appuyant à son extrême droite aux -montagnes de la Bohême, et si la Bohême donnant à l'Autriche le moyen -de déboucher sur les derrières de cette position, il était possible de -se défendre contre un mouvement tournant de l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger d'y être tourné par la Bohême.</span> -C'était la -question que s'adressaient beaucoup d'esprits éclairés, et qu'ils -s'adressaient tout haut. Mais Napoléon qui, à mesure que son malheur -commençait à délier certaines langues timides, permettait ces -objections, Napoléon faisait des gestes de dédain quand on lui disait -que sa position de Dresde pourrait être tournée par une descente des -Autrichiens sur Freyberg ou sur Chemnitz. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28 -et 58.) Ce n'était pas, en effet, au général de l'armée d'Italie, qui -retrouvait agrandie la position qu'il avait si longtemps occupée -autour de Vérone, qui retrouvait dans l'Elbe l'Adige, dans la Bohême -le Tyrol, dans Dresde Vérone elle-même, et qui fortement établi jadis -au débouché <span class="pagenum"><a id="page34" name="page34"></a>(p. 34)</span> des Alpes, avait fondu tour à tour sur ceux qui se -présentaient ou devant lui ou derrière lui, et les avait plus -maltraitée encore lorsqu'ils s'aventuraient sur ses derrières, ce -n'était pas au général de l'armée d'Italie qu'on pouvait faire peur -d'une position semblable. Il répondait avec raison que ce qu'il -demanderait au ciel de plus heureux, c'était que la principale masse -ennemie voulût bien, tandis qu'il serait posté sur l'Elbe, déboucher -en arrière de ce fleuve, qu'il courrait sur elle, et la prendrait tout -entière entre l'Elbe et la forêt de Thuringe. -<span class="sidenote" title="En marge">Moyens de parer à ce danger.</span> -Le prochain désastre des -coalisés à Dresde prouva bientôt la justesse de ses prévisions, et si -plus tard, comme on le verra, il fut forcé sur l'Elbe, ce ne fut point -par la Bohême, mais par l'Elbe inférieur, que ses lieutenants -n'avaient pas su défendre, et après plusieurs accidents qui l'avaient -prodigieusement affaibli. Sa pensée, toujours profonde et d'une portée -sans égale lorsqu'il s'agissait des hautes combinaisons de la guerre, -était donc de s'établir fortement sur les divers points de l'Elbe, de -manière à pouvoir s'en éloigner quelques jours sans crainte, soit -qu'il fallût prévenir la masse qui s'avancerait de front, soit qu'il -fallût revenir rapidement sur celle qui aurait par la Bohême débouché -sur ses derrières, en un mot de recommencer avec 500 mille hommes -contre 700 mille, ce qu'il avait accompli dans sa jeunesse avec 50 -mille Français contre 80 mille Autrichiens, et les résultats -prouveront qu'avec des éléments moins usés, la supériorité -incomparable de ses conceptions eût triomphé cette seconde fois comme -la première. Mais la gloire de réaliser sur une échelle si vaste les -prodiges <span class="pagenum"><a id="page35" name="page35"></a>(p. 35)</span> de sa jeunesse ne devait pas lui être accordée, pour -le punir d'avoir trop abusé des hommes et des choses, des corps et des -âmes!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nombreux points d'appui qui devaient rendre la ligne de -l'Elbe formidable.</span> -Pour que la ligne de l'Elbe pût avoir toute sa valeur, il fallait -employer le temps de la suspension d'armes à en fortifier les points -principaux, et se hâter, soit qu'on réussît ou non à prolonger la -durée de l'armistice. Le premier point était celui de Kœnigstein, à -l'endroit même où l'Elbe sort des montagnes de la Bohême pour entrer -en Saxe. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) -<span class="sidenote" title="En marge">Kœnigstein et Lilienstein.</span> -Deux rochers, ceux de Kœnigstein -et de Lilienstein, placés comme deux sentinelles avancées, l'une à -gauche, l'autre à droite du fleuve, resserrent l'Elbe à son entrée -dans les plaines germaniques, et en commandent le cours fort étroit en -cette partie. Sur le rocher de Kœnigstein, situé de notre côté, -c'est-à-dire sur la gauche du fleuve, se trouvait la forteresse de ce -nom, laquelle domine le célèbre camp de Pirna, illustré par les -guerres du grand Frédéric. Il n'y avait rien à ajouter aux ouvrages de -cette citadelle; seulement la garnison étant saxonne, Napoléon prit -soin de la renouveler peu à peu et sans affectation par des troupes -françaises. Il ordonna d'y rassembler dix mille quintaux de farine et -d'y construire des fours, afin de pouvoir y nourrir une centaine de -mille hommes pendant neuf ou dix jours, on va voir dans quelle -intention. Sur le rocher opposé situé à la rive droite, celui de -Lilienstein, presque tout était à créer. Napoléon commanda des travaux -rapides qui permissent d'y loger deux mille hommes en sûreté, et en -chargea le général Roguet, l'un des généraux distingués de sa garde. -Puis il fit ramasser <span class="pagenum"><a id="page36" name="page36"></a>(p. 36)</span> le nombre de bateaux nécessaires pour y -jeter un pont spacieux et solide, capable de donner passage à une -armée considérable, et qui, protégé par ces deux forts de Lilienstein -et de Kœnigstein, fût à l'abri de toute attaque. Dans sa profonde -prévoyance, Napoléon calculait que si une armée ennemie, réalisant les -pronostics de plus d'un esprit alarmé, débouchait de la Bohême sur ses -derrières, pour attaquer Dresde pendant qu'il serait sur Bautzen par -exemple, il pourrait passer l'Elbe à Kœnigstein, et prendre à -revers cette armée imprudente. On reconnaîtra bientôt quelle vue -pénétrante de l'avenir supposait une telle précaution.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dresde.</span> -Après Kœnigstein et Lilienstein, placés au débouché des montagnes, -venait Dresde, centre des prochaines opérations, Dresde, qui allait -devenir, comme nous l'avons déjà dit, ce que Vérone avait été dans les -guerres d'Italie. Pendant sa dernière campagne d'Autriche, ne voulant -pas exposer Dresde à être le but des opérations de l'ennemi, et -désirant épargner à son placide allié le roi de Saxe l'épreuve d'un -siége, Napoléon avait conseillé aux ministres saxons de démolir les -fortifications de Dresde, et de les remplacer par celles de Torgau. -<span class="sidenote" title="En marge">État de cette place.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'occupe de suppléer aux fortifications détruites.</span> -Par une négligence trop ordinaire, on avait démoli Dresde sans édifier -Torgau, dont les ouvrages étaient à peine commencés. C'était chose -fort regrettable, mais Napoléon y pourvut par des travaux qui bien -qu'improvisés devaient suffire à leur objet. De l'enceinte de Dresde -il restait les bastions, qu'il fit réparer et armer. Il suppléa aux -courtines par des fossés remplis d'eau et par de fortes palissades. -<span class="pagenum"><a id="page37" name="page37"></a>(p. 37)</span> En avant de Dresde, comme dans toutes les villes déjà -anciennes, il existait de grands faubourgs, dont la défense importait -autant que celle de la ville elle-même. Napoléon les fit envelopper de -palissades, et, en avant de toutes les parties saillantes de leur -pourtour, il ordonna de construire des redoutes bien armées, se -flanquant les unes les autres, et offrant une première ligne -d'ouvrages difficile à forcer. Sur la rive droite, c'est-à-dire dans -la Neustadt (ville neuve), il décida la construction d'une suite -d'ouvrages plus serrés, qui devinrent bientôt une vaste tête de pont -presque complétement fortifiée. Deux ponts en charpente, établis l'un -au-dessus, l'autre au-dessous du pont de pierre, servaient avec -celui-ci aux communications de la ville et de l'armée. -<span class="sidenote" title="En marge">Vaste établissement militaire à Dresde.</span> -Les choses -ainsi disposées, trente mille hommes devaient se soutenir dans Dresde -environ quinze jours contre deux cent mille hommes, si un chef de -grand caractère était chargé du commandement. À ces moyens de défense -Napoléon ajouta d'immenses magasins, dont nous ferons bientôt -connaître le mode d'approvisionnement, ainsi que de vastes hôpitaux -suffisants pour l'armée la plus nombreuse. Il y avait déjà seize mille -malades ou blessés dans Dresde; il en prépara l'évacuation, afin -d'avoir à sa disposition les seize mille lits qui deviendraient -vacants, outre tous ceux qu'il allait établir encore. Avec les toiles -de la Silésie il avait de quoi se procurer le principal matériel de -ces hôpitaux.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Torgau et Wittenberg: travaux ordonnés sur ces deux points.</span> -Après Dresde Napoléon s'occupa de Torgau et de Wittenberg. Il avait -pour principe qu'avec du bois on pouvait tout, et que des ouvrages en -terre pourvus <span class="pagenum"><a id="page38" name="page38"></a>(p. 38)</span> de fortes palissades étaient capables d'opposer -la plus longue résistance. C'est ainsi qu'il résolut de suppléer à ce -qui manquait aux fortifications de Torgau et de Wittenberg, et il -donna les ordres nécessaires pour que ces travaux fussent achevés en -six ou sept semaines. Des milliers de paysans saxons bien payés -travaillaient jour et nuit à Kœnigstein, à Dresde, à Torgau, à -Wittenberg. Sur ces deux derniers points comme sur les autres, -l'établissement des magasins et des hôpitaux accompagnait la -construction des ouvrages défensifs. -<span class="sidenote" title="En marge">Magdebourg.</span> -À Magdebourg, l'une des plus -fortes places de l'Europe, il n'y avait rien ou presque rien à ajouter -en fait de murailles; il suffisait d'en terminer l'armement et d'en -composer la garnison. Napoléon résolut d'y consacrer un corps d'armée, -qui sans être entièrement immobilisé, pût tout à la fois servir de -garnison et rayonner autour de la place, de manière à lier entre elles -nos deux principales masses agissantes, celle du haut Elbe et celle du -bas Elbe. Dans cette vue, il imagina de transférer à Magdebourg la -presque totalité de ses blessés, et de plus le dépôt de cavalerie du -général Bourcier. D'abord il importait que nos blessés et le dépôt de -nos remontes en Allemagne fussent à l'abri de toute attaque, et dans -un emplacement qui ne gênât pas le mouvement de nos forces actives. -<span class="sidenote" title="En marge">Vaste dépôt préparé à Magdebourg.</span> -Sous ces divers rapports Magdebourg présentait tous les avantages -nécessaires, car à des remparts presque invincibles cette place -joignait de nombreux bâtiments pour hôpitaux, et des espaces libres -pour y construire des écuries en planches. Elle était en outre située -à une distance presque <span class="pagenum"><a id="page39" name="page39"></a>(p. 39)</span> égale de Hambourg et de Dresde, ce qui -en faisait un dépôt précieux entre les deux points extrêmes de notre -ligne de bataille. Napoléon après y avoir nommé pour gouverneur son -aide de camp le général Lemarois, officier intelligent et vigoureux, -lui donna pour instructions sommaires <cite>de convertir Magdebourg tout -entier en écuries et en hôpitaux</cite>. Il calculait qu'en faisant -descendre par eau à Magdebourg tous les blessés et malades qui le -gênaient à Dresde, qu'en y transportant le dépôt de cavalerie du -général Bourcier actuellement en Hanovre, il aurait toujours sur -quinze ou dix-huit mille blessés ou convalescents, sur dix ou douze -mille cavaliers démontés, trois à quatre mille convalescents guéris, -trois à quatre mille cavaliers en état de servir à pied, et pouvant -fournir à la défense un fond de garnison de sept à huit mille hommes -constamment assuré. -<span class="sidenote" title="En marge">Garnison mobile de cette place.</span> -Dès lors un corps mobile d'une vingtaine de mille -hommes, établi à Magdebourg pour y lier entre elles nos armées du haut -et du bas Elbe, pourrait en laissant cinq à six mille hommes au -dedans, en porter quinze mille au dehors, et rayonner même à une -grande distance sans que la place fût compromise. On voit avec quel -art subtil et profond il savait combiner ses ressources, et les faire -concourir à l'accomplissement de ses vastes desseins.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Manière de remplir la lacune de Magdebourg à Hambourg.</span> -De Magdebourg à Hambourg le cours de l'Elbe restait sans défense, car -de l'une à l'autre de ces villes il n'y avait pas un seul point -fortifié. Ce sujet avait occupé Napoléon dès le jour de la signature -de l'armistice, et après avoir conçu divers projets, il avait envoyé -le général Haxo pour vérifier sur <span class="pagenum"><a id="page40" name="page40"></a>(p. 40)</span> les lieux mêmes quel était -celui qui vaudrait le mieux. À la suite d'un long examen, il s'était -arrêté à l'idée de construire à Werben, plus près de Magdebourg que de -Hambourg, au sommet du coude que l'Elbe forme en tournant du nord à -l'ouest, et à son point le plus rapproché de Berlin, une espèce de -citadelle faite avec de la terre et des palissades, munie de baraques -et de magasins, et dans laquelle trois mille hommes pourraient se -maintenir assez longtemps. Enfin Hambourg fut le dernier et le plus -important objet de sa sollicitude.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Travaux ordonnés à Hambourg pour assurer la défense de -cette ville importante.</span> -Il fallait bien que cette grande place de commerce, qui était l'un des -principaux motifs pour lesquels il se refusait à une paix nécessaire, -fût non pas seulement défendue en paroles contre les négociateurs, -mais en fait contre les armées coalisées. Le temps manquait -malheureusement, et là comme ailleurs on ne pouvait exécuter que des -travaux d'urgence. Il eût fallu dix ans et quarante millions pour -faire de Hambourg une place qui comme Dantzig, Magdebourg ou Metz, pût -soutenir un long siége. Napoléon, en faisant relever et armer les -bastions de l'ancienne enceinte, en faisant creuser et inonder ses -fossés, remplacer ses murailles par des palissades, et lier entre -elles les différentes îles qui entourent Hambourg, y prépara un vaste -établissement militaire, moitié place forte, moitié camp retranché, où -un homme ferme, comme le prouva bientôt l'illustre maréchal Davout, -pouvait opposer une longue résistance. Restait au-dessous de Hambourg, -à l'embouchure même de l'Elbe, le fort de Gluckstadt, dont la garde -fut confiée aux Danois, <span class="pagenum"><a id="page41" name="page41"></a>(p. 41)</span> réduits alors par d'indignes -traitements à vaincre ou à succomber avec nous.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ensemble de la ligne de l'Elbe.</span> -Ainsi des montagnes de la Bohême jusqu'à l'Océan du nord, la ligne de -l'Elbe devait se trouver jalonnée d'une suite de points fortifiés, -d'une valeur proportionnée au rôle de chacun d'eux, et pourvue de -ponts qui nous appartiendraient exclusivement, de telle sorte qu'on -pût à volonté se porter au delà, revenir en deçà, manœuvrer en un -mot dans tous les sens, offensivement et défensivement. La maxime de -Napoléon, qu'on ne devait défendre le cours d'un fleuve -qu'offensivement, c'est-à-dire en s'assurant de tous ses passages, et -en se ménageant toujours le moyen de le franchir, cette maxime allait -recevoir ici sa plus savante application.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir assuré la défense de cette ligne, Napoléon -s'occupe d'en assurer l'approvisionnement.</span> -Il fallait toutefois suffire à la dépense de ces travaux, qui pour -s'exécuter avec rapidité devaient être soldés comptant. Il fallait -joindre aux établissements militaires qui viennent d'être énumérés -d'immenses approvisionnements, afin que les masses d'hommes qui -allaient se mouvoir sur cette ligne y fussent pourvues de tout ce qui -leur serait nécessaire. Ici l'esprit ingénieux de Napoléon ne lui fit -pas plus défaut que son impitoyable volonté pour faire subir aux -peuples les lourdes charges de la guerre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Premiers ordres rigoureux donnés à l'égard de Hambourg.</span> -On a vu qu'il avait ordonné au maréchal Davout de tirer une cruelle -vengeance de la révolte des habitants de Hambourg, de Lubeck et de -Brême, de faire fusiller immédiatement les anciens sénateurs, les -officiers ou soldats de la légion anséatique, les fonctionnaires de -l'insurrection qui n'auraient pas eu le <span class="pagenum"><a id="page42" name="page42"></a>(p. 42)</span> temps de s'évader, et -puis de dresser une liste des cinq cents principaux négociants pour -prendre leurs biens, et <em>déplacer la propriété</em>, avait-il dit. Il -avait compté en donnant ces ordres sur l'inexorable rigueur du -maréchal Davout, mais aussi, pour l'honneur de tous deux, sur le bon -sens et la probité de ce maréchal. Celui-ci était arrivé quelques -jours après le général Vandamme, n'avait pas trouvé un seul délinquant -à fusiller, et s'y était pris du reste de manière à n'en trouver -aucun. La frontière du Danemark placée aux portes mêmes de la ville, -l'avait aidé à sauver tout le monde. Quelques exécutions regrettables -avaient eu lieu antérieurement, mais c'était lors du premier mouvement -insurrectionnel du mois de février, et en punition des indignes -traitements exercés contre les fonctionnaires français.</p> - -<p>Le maréchal fut donc assez heureux pour n'avoir personne à fusiller. -Il restait à dresser des listes de proscription, qui n'entraîneraient -pas la perte de la vie, mais celle des biens, et cette mesure ne lui -semblait pas plus sage que l'autre. Les Hambourgeois coupables, ou -supposés tels, étaient en masse dans la petite ville d'Altona, -véritable faubourg de la ville de Hambourg, demandant à revenir dans -leurs demeures, à charge au Danemark qui ne voulait pas être compromis -avec la France, et faisant faute à celle-ci, qui désirait et pouvait -tirer d'eux de grandes ressources, ce qui était plus profitable que -d'en tirer des vengeances. -<span class="sidenote" title="En marge">Ces ordres convertis en punitions pécuniaires.</span> -Le maréchal Davout représenta à Napoléon -qu'il valait mieux pardonner à ceux qui rentreraient dans un temps -prochain, leur imposer pour unique châtiment une forte contribution, -<span class="pagenum"><a id="page43" name="page43"></a>(p. 43)</span> qu'ils se diraient d'abord incapables de payer, qu'ils -payeraient ensuite, se borner ainsi à leur faire peur, et les punir -par un côté très-sensible pour eux, très-utile pour l'armée, l'argent. -Pas de sang et de grandes ressources, fut le résumé de la politique -qu'il conseilla à l'Empereur.</p> - -<p>Napoléon qui avait le goût des grandes ressources et pas du tout celui -du sang, accepta cette transaction.--<cite>Si le lendemain de votre -entrée</cite>, écrivit-il au maréchal Davout, <cite>vous en eussiez fait fusiller -quelques-uns, c'eût été bien, maintenant c'est trop tard. Les -punitions pécuniaires valent mieux</cite>.--C'est ainsi que le despotisme et -la guerre habituent les hommes à parler, même ceux qui n'ont aucune -cruauté dans le cœur. -<span class="sidenote" title="En marge">Contribution de cinquante millions frappée sur les -Hambourgeois, et acquittable en argent ou en matières.</span> -Il fut donc décidé que tout Hambourgeois -rentré dans quinze jours serait pardonné, que les autres seraient -frappés de séquestre, et que la ville de Hambourg acquitterait en -argent ou en matières une contribution de cinquante millions. Une -petite partie de cette contribution dut peser sur Lubeck, Brême, et -les campagnes de la 32<sup>e</sup> division militaire. Dix millions durent être -soldés comptant, vingt en bons à échéance. Quant au surplus, il fut -ouvert un compte pour payer les chevaux, les blés, les riz, les vins, -les viandes salées, le bétail, les bois, qu'on allait exiger de -Hambourg, de Lubeck et de Brême. Sur le même compte devait être porté -le prix de toutes les maisons qu'on allait démolir pour élever les -ouvrages défensifs de Hambourg. Les Hambourgeois se plaignirent -beaucoup, voulurent présenter leurs doléances à Napoléon, qui refusa -de les recevoir, et cette fois trouvèrent inflexible le maréchal -<span class="pagenum"><a id="page44" name="page44"></a>(p. 44)</span> qu'ils avaient eu pour défenseur quelques jours auparavant. -Ils acquittèrent néanmoins la partie de la contribution qui devait -être soldée sur-le-champ, soit en argent, soit en matières. C'était ce -qui importait le plus aux besoins de l'armée. Dix millions environ -furent envoyés à Dresde; de grandes quantités de grains, de bétail, de -spiritueux furent embarqués sur l'Elbe pour le remonter.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Immenses approvisionnements remontant de Hambourg sur tous -les points fortifiés de l'Elbe.</span> -Dès que Napoléon se vit en possession de ces ressources, il en disposa -de manière à se procurer sur tous les points du fleuve et -particulièrement à Dresde, de quoi nourrir les nombreuses troupes -qu'il allait y concentrer. Il voulait avoir à Dresde, centre principal -de ses opérations, de quoi entretenir trois cent mille hommes pendant -deux mois, et notamment une suffisante réserve de biscuit, laquelle -portée sur le dos des soldats permettrait de manœuvrer sept ou huit -jours de suite sans être retenu par la considération des vivres. Il -fallait pour cela cent mille quintaux de grains ou de farine à Dresde, -huit ou dix mille à Kœnigstein. Il s'en trouvait environ -soixante-dix mille à Magdebourg, qu'on avait mis tout l'hiver à réunir -dans cette place, soit pour l'approvisionnement de siége, soit pour -suffire à l'entretien des troupes de passage. Napoléon ordonna que ces -soixante-dix mille quintaux fussent transportés par l'Elbe à Dresde, -et remplacés immédiatement par une quantité égale tirée de Hambourg. -Grâce à cette combinaison, ces masses immenses de denrées n'avaient -que la moitié du chemin à parcourir. On s'était aperçu que la chaleur -et la fatigue donnaient la dyssenterie à nos jeunes soldats, et -<span class="pagenum"><a id="page45" name="page45"></a>(p. 45)</span> qu'une ration de riz les guérissait très-vite. On s'empara de -tout ce qu'il y avait de riz à Hambourg, à Brême, à Lubeck; on prit de -même les spiritueux, les viandes salées, le bétail, les chevaux, les -cuirs, les draps, les toiles. Ces matières furent embarquées sur -l'Elbe, en suivant le procédé que nous venons d'indiquer, de prendre à -Magdebourg ce qui s'y trouvait déjà, et de le remplacer par des envois -de Hambourg. Tous les bateliers du fleuve requis et payés avec des -bons sur Hambourg, furent mis en mouvement dès les premiers jours de -juin, dans le moment même où sous prétexte de fatigue, Napoléon -refusait de recevoir M. de Bubna. Ainsi dans les mains de Napoléon -l'Elbe était tout à la fois une puissante ligne de défense, et une -source inépuisable d'approvisionnements.</p> - -<p>Mais il ne borna pas ses précautions à cette ligne seule. Au delà de -Dresde à Liegnitz, et en deçà de Dresde à Erfurt, il voulait avoir -aussi des magasins bien fournis. Profitant de la richesse de la basse -Silésie, sur laquelle était campée l'armée qui avait combattu à -Bautzen, et n'ayant guère à ménager cette province, il ordonna qu'on -employât les deux mois de l'armistice à réunir une réserve de vingt -jours de vivres pour chaque corps, en confectionnant tous les jours -beaucoup plus que le nécessaire. En arrière de Dresde, à Erfurt, à -Weimar, à Leipzig, à Nuremberg, à Wurzbourg, pays saxons ou -franconiens, il était chez des alliés, et il n'usa de l'abondance du -pays qu'en payant ce qu'il prenait. -<span class="sidenote" title="En marge">Autres approvisionnements tirés de la Silésie et de la -Saxe.</span> -Il y ordonna la formation à prix -d'argent de très-grands approvisionnements. Toutefois il s'écarta de -ces <span class="pagenum"><a id="page46" name="page46"></a>(p. 46)</span> ménagements à l'égard de la ville de Leipzig, qui s'était -montrée ouvertement hostile. Il prit les tissus de toile et de laine, -les grains, les spiritueux, dont les magasins de Leipzig étaient -abondamment pourvus, et de plus fit occuper les établissements publics -pour y créer des hôpitaux. Il y joignit la menace de faire brûler la -ville au premier mouvement insurrectionnel. Les villes d'Erfurt, de -Naumbourg, de Weimar, de Wurzbourg, furent également remplies -d'hôpitaux. Erfurt dont il s'était toujours réservé la possession -depuis 1809, Wurzbourg, qui était la capitale du grand-duché de -Wurzbourg, places qui l'une et l'autre étaient susceptibles d'une -certaine résistance, furent armées, afin d'avoir une suite de points -fortifiés sur la route de Mayence, si des événements qu'on ne -prévoyait pas alors rendaient une retraite nécessaire, car, ainsi que -nous l'avons déjà fait remarquer, Napoléon, qui, dans ses calculs -politiques ne voulait jamais admettre la possibilité des revers, -l'admettait toujours dans ses calculs militaires. Enfin ne pouvant -trouver qu'en France les armes, les munitions de guerre, et certains -objets d'équipement, tandis que les vivres il les trouvait partout, il -conclut avec des compagnies allemandes, des marchés, soldés comptant, -pour transporter de Mayence à Dresde, par les trois routes de Cassel, -d'Eisenach et de Hof, les objets d'armement et d'équipement qu'il -était impossible de se procurer en Saxe.</p> - -<p>Telles furent les mesures imaginées par Napoléon pour qu'à la reprise -des opérations sa ligne de bataille fût tout à la fois fortement -défendue, et largement <span class="pagenum"><a id="page47" name="page47"></a>(p. 47)</span> approvisionnée. Restait un dernier soin -à prendre, celui de proportionner le nombre des soldats à l'étendue -que la guerre allait acquérir, et Napoléon ne l'avait pas négligé, car -dans son vaste esprit toutes les mesures allaient ensemble, sans -attendre que l'une fît naître la pensée de l'autre. Toutes étaient -conçues simultanément, avec un accord parfait, et ordonnées sans perte -d'une heure.</p> - -<p>On a déjà vu qu'en se flattant de l'idée que l'Autriche accéderait -peut-être à ses plans, il avait pourtant pris ses mesures dans une -hypothèse contraire, et qu'il avait préparé en Westphalie, sur le -Rhin, en Italie, trois armées de réserve capables d'entrer -prochainement en ligne. Les deux mois de l'armistice, qu'il voulait -étendre à trois mois, étaient destinés à terminer vers le commencement -d'août cette œuvre commencée en mars.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouveaux corps d'armée préparés dans la supposition de la -guerre avec l'Autriche.</span> -En Westphalie c'étaient, comme nous l'avons dit, les régiments -réorganisés de la grande armée de Russie qui devaient composer deux -grands corps sous les maréchaux Victor et Davout, celui-ci de seize -régiments, celui-là de douze. Les autres régiments de la grande armée -avaient été renvoyés en Italie d'où ils étaient originaires. Les -bataillons de chaque régiment ne pouvant être réorganisés tous à la -fois, on avait d'abord reconstitué les seconds bataillons, puis les -quatrièmes, enfin les premiers, selon l'époque du retour des cadres, -et on avait successivement composé les divisions de seconds, de -quatrièmes et de premiers bataillons, de manière que chaque régiment -était réparti en trois divisions. Napoléon pressé de faire cesser un -état de choses vicieux, voulut <span class="pagenum"><a id="page48" name="page48"></a>(p. 48)</span> réunir les trois bataillons -déjà prêts, et former les divisions par régiments, non plus par -bataillons. Il ne manquait que les troisièmes bataillons, qui allaient -être bientôt disponibles à leur tour, et alors tous les régiments -devaient être portés à quatre bataillons. Le maréchal Davout forma -avec les siens quatre belles divisions, et le maréchal Victor trois. -Tandis que ces organisations s'achevaient, Napoléon arrêta -l'emplacement et l'emploi de ces deux corps d'armée. -<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Victor.</span> -Celui du maréchal -Victor resté en arrière jusqu'ici, fut acheminé sur la ligne frontière -de l'armistice, et cantonné le long de l'Oder, aux environs de -Crossen, pour achever de s'y instruire, et pour s'y approvisionner -conformément aux prescriptions adressées à tous les autres corps.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Corps du général Vandamme.</span> -Napoléon pensant que pour garder les départements anséatiques et le -bas Elbe, le maréchal Davout, renforcé par les Danois, aurait trop de -quatre divisions, car d'après toutes les vraisemblances les grands -coups devaient se porter sur l'Elbe supérieur, imagina de partager le -corps de ce maréchal, de lui laisser deux divisions, d'en confier deux -au général Vandamme, et de placer celles-ci à Wittenberg, d'où il -pourrait les attirer à lui, s'il en avait besoin, ou les renvoyer sur -le bas Elbe, si elles devenaient nécessaires au maréchal Davout.</p> - -<p>Les autres corps destinés à renforcer la masse des troupes actives -s'organisaient à Mayence. Là, comme on doit s'en souvenir, se -rendaient les cadres tirés de France ou d'Espagne, qu'on remplissait -sur les bords du Rhin de conscrits rapidement instruits, et qu'on -réunissait ensuite dès qu'on avait pu se procurer <span class="pagenum"><a id="page49" name="page49"></a>(p. 49)</span> deux -bataillons du même régiment, afin d'éviter autant que possible la -formation vicieuse en régiments provisoires. Il y avait à Mayence -quatre divisions dont l'organisation était presque achevée, et qui -dans deux mois seraient en aussi bon état qu'on pouvait l'espérer dans -la situation des choses. -<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Saint-Cyr.</span> -Napoléon les destinait au maréchal Saint-Cyr, -blessé en 1812 sur la Dwina, mais actuellement remis de ses fatigues -et de sa blessure. C'étaient par conséquent trois corps d'armée, ceux -du maréchal Victor, du général Vandamme, du maréchal Saint-Cyr, -comprenant environ 80 mille hommes d'infanterie, sans les armes -spéciales, dont Napoléon allait accroître ses forces en Saxe contre -l'apparition éventuelle de l'Autriche sur le théâtre de la guerre. Ce -puissant renfort était indépendant de l'augmentation que devaient -recevoir les corps avec lesquels il avait ouvert la campagne. -<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Augereau.</span> -Outre -les quatre divisions déjà prêtes à Mayence, Napoléon avait encore -rassemblé les éléments de deux autres, qui allaient se former sous le -maréchal Augereau, et être rejointes par deux divisions bavaroises. La -cour de Bavière un moment attirée, comme la Saxe, à la politique -médiatrice de l'Autriche, s'était subitement rejetée en arrière, dès -qu'on lui avait demandé sur les bords de l'Inn des sacrifices sans -compensation. Elle s'était hâtée de renouveler ses armements, et on -pouvait compter de sa part sur deux bonnes divisions, à la condition -toutefois que la victoire viendrait contenir l'esprit de son peuple, -et encourager la fidélité de son roi. Ces quatre divisions, deux -françaises et deux bavaroises, <span class="pagenum"><a id="page50" name="page50"></a>(p. 50)</span> devaient menacer l'Autriche -vers le haut Palatinat.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée d'Italie.</span> -Enfin Napoléon avait suivi avec son attention accoutumée l'exécution -des ordres donnés au prince Eugène, pour qu'avec les cadres revenus de -Russie, avec ceux qui revenaient chaque jour d'Espagne, on refît en -Italie une armée de soixante mille hommes, à laquelle il voulait -joindre vingt mille Napolitains. Murat, toujours flottant entre les -sentiments les plus contraires, blessé par les traitements de -Napoléon, mais voulant avant tout sauver sa couronne, ne sachant avec -qui elle serait sauvée plus sûrement, ou avec l'Autriche, ou avec la -France, faisait encore attendre l'envoi de son contingent. Napoléon à -peine rentré à Dresde l'avait sommé de se décider, et avait enjoint à -M. Durand de Mareuil, ministre de France à Naples, de se retirer si -les ordres de marche n'étaient donnés immédiatement au corps -napolitain. Il restait dans les dépôts de quoi fournir six à sept -mille hommes de cavalerie légère à la future armée d'Italie, ce qui -suffisait dans cette contrée, où la cavalerie, trouvant peu l'occasion -de charger en ligne, n'était qu'un moyen de s'éclairer. Les arsenaux -et les dépôts d'Italie contenaient encore les éléments d'une belle -artillerie. Napoléon se flattait donc d'avoir en Italie au 1<sup>er</sup> août -une armée de 80 mille hommes, pourvue de 200 bouches à feu, menaçant -d'envahir l'Autriche par l'Illyrie, et ayant pour but Vienne -elle-même. Il calculait que l'Autriche, eût-elle armé trois cent mille -hommes, ce qui était beaucoup dans l'état de ses finances et avec le -temps dont elle disposait, n'en pourrait pas tirer plus de deux cent -mille combattants présents <span class="pagenum"><a id="page51" name="page51"></a>(p. 51)</span> au feu, dont il faudrait qu'elle -détournât cinquante mille pour tenir tête au prince Eugène en Italie, -trente mille pour faire face au maréchal Augereau en Bavière, ce qui -ne lui laisserait pas plus de cent vingt mille hommes à ajouter à la -masse des troupes coalisées sur l'Elbe.</p> - -<p>Les trois corps de Victor, de Vandamme, de Saint-Cyr (sans compter -celui d'Augereau, qui n'était pas destiné à agir sur l'Elbe), lui -semblaient déjà une ressource presque suffisante contre l'apparition -de l'Autriche sur le terrain de cette lutte formidable. -<span class="sidenote" title="En marge">Corps du prince Poniatowski, amené par la Bohême en -Silésie.</span> -Mais le corps -de Poniatowski, après bien des vicissitudes, amené à travers la -Gallicie et la Bohême à Zittau, sur la ligne où campaient nos corps de -Silésie, était une nouvelle ressource d'une véritable importance, bien -moins par la quantité que par la qualité des soldats. Il n'y en avait -pas de plus braves, de plus aguerris, de plus dévoués à la France. De -leur patrie, il ne leur restait que le souvenir, et le désir de la -venger. Napoléon résolut de leur en donner une, en les faisant -Français, et en les prenant au service de la France. En attendant leur -annexion définitive à l'armée française, il les plaça sous -l'administration directe de M. de Bassano, et prescrivit à ce ministre -de leur payer leur solde arriérée, de les pourvoir de vêtements, -d'armes, de tout ce qui leur manquait, de leur faire en un mot passer -ces deux mois dans une véritable abondance. Ils pouvaient, en -recueillant quelques débris de troupes polonaises épars çà et là, mais -sans toucher ni à la division Dombrowski, ni à divers détachements de -leur nation répandus dans les places, <span class="pagenum"><a id="page52" name="page52"></a>(p. 52)</span> réunir environ douze -mille hommes d'infanterie et trois mille de cavalerie. C'était une -nouvelle force ajoutée à celles qui avaient combattu à Lutzen et à -Bautzen.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'organisation de la garde complétée.</span> -Enfin, au nombre des ressources créées pour la campagne d'automne, et -pour l'éventualité de la guerre avec l'Autriche, il fallait compter le -développement donné à la garde impériale. Elle n'avait eu que deux -divisions à l'entrée en campagne, une de vieille, l'autre de jeune -garde. Une troisième division avait rejoint au moment de l'armistice, -une quatrième venait d'arriver, une cinquième était en marche, ce qui -avec douze mille hommes de cavalerie et deux cents bouches à feu, -devait composer un corps de près de cinquante mille hommes, dont -trente mille de jeune infanterie, que Napoléon entendait ne pas -ménager comme la vieille garde, mais employer dans toutes les grandes -batailles, qui malheureusement allaient être nombreuses et sanglantes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La cavalerie de l'armée portée à une force suffisante.</span> -Restait la cavalerie, qui avait manqué au commencement de la campagne, -et qui avait été l'un des motifs de Napoléon pour signer l'armistice. -Une cavalerie insuffisante équivaut à peu près à une cavalerie nulle, -car elle n'ose pas s'engager de peur d'être accablée, et demeure -cachée derrière l'infanterie qu'elle ne sert pas même à éclairer. -C'est ce qu'on avait vu à Lutzen et à Bautzen. Les deux corps de -Latour-Maubourg et de Sébastiani ne montaient pas au 1<sup>er</sup> juin à -plus de huit mille cavaliers. On pouvait en tirer quatre mille des -dépôts du général Bourcier, et environ vingt-huit mille de France, les -uns amenés par le duc de Plaisance, les autres en marche <span class="pagenum"><a id="page53" name="page53"></a>(p. 53)</span> sous -le duc de Padoue, ce qui devait porter à quarante mille hommes les -forces de l'armée d'Allemagne en troupes à cheval, sans compter la -cavalerie de la garde impériale et des alliés, Saxons, Wurtembergeois -et Bavarois. Seulement dans les vingt-huit mille cavaliers tirés de -France, il y en avait quelques mille venant à pied, et auxquels il -fallait fournir des chevaux. Les troubles survenus sur la gauche de -l'Elbe par suite de l'insurrection des villes anséatiques, avaient -singulièrement nui aux remontes. Napoléon ordonna de les reprendre, et -fit insérer sur cet objet un article dans le traité d'alliance par -lequel le Danemark s'était définitivement rattaché à la France. Par ce -traité la France promettait d'entretenir toujours vingt mille hommes -de troupes actives à Hambourg, afin de concourir à la défense des -provinces danoises, et le Danemark s'engageait en retour à fournir à -la France dix mille hommes d'infanterie, deux mille de cavalerie, les -uns et les autres soldés par le trésor français, et à procurer dix -mille chevaux à condition qu'ils seraient payés comptant. C'était, -indépendamment des achats recommencés en Hanovre, une nouvelle -ressource pour monter les cavaliers qui venaient de France à pied. On -avait donc la presque certitude de réunir sous deux ou trois mois près -de quarante mille cavaliers de toutes armes, non compris dix à douze -mille de la garde, et huit à dix mille des alliés, ce qui devait -composer une force totale de soixante mille hommes à cheval. Napoléon -attribua deux mille hommes environ de cavalerie légère ou de ligne à -chaque corps d'armée pour s'éclairer. Le reste il le forma suivant -<span class="pagenum"><a id="page54" name="page54"></a>(p. 54)</span> son usage en divers corps de réserve, destinés à combattre en -ligne. Les généraux Latour-Maubourg et Sébastiani en commandaient déjà -deux, qui avaient fait la campagne du printemps. Le duc de Padoue -commandait le troisième, qui venait d'arriver et était occupé à -châtier les Cosaques. Le comte de Valmy, fils du vieux duc de Valmy, -fut placé à la tête du quatrième. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouveaux cadres de cavalerie tirés d'Espagne.</span> -Napoléon en voulut créer un -cinquième avec des régiments nouvellement tirés d'Espagne. Depuis -qu'il avait donné l'ordre d'évacuer Madrid, et de concentrer toutes -les forces françaises dans le nord de la Péninsule, la cavalerie qui -avait eu pour mission principale de lier entre eux les divers corps -d'occupation, était beaucoup moins nécessaire. Il y avait encore -trente-six régiments de cavalerie dans la Péninsule, dont vingt de -dragons, onze de chasseurs, cinq de hussards. Napoléon crut que -c'était assez de vingt, surtout en ne prenant que les cadres, et en -laissant la plus grande partie des hommes en Espagne. Il ordonna donc -le départ de dix régiments de dragons, quatre de chasseurs, deux de -hussards. Il en destina deux à l'Italie, quatorze à l'Allemagne, et -recommanda de transporter tout de suite ces cadres à Mayence, où ils -allaient se remplir de sujets empruntés aux dernières conscriptions et -déjà passablement instruits. Les chevaux requis en France, et payés -comptant, devaient servir à les monter. Napoléon se promettait encore -quatorze ou quinze mille cavaliers, provenant de cette origine, et -enfermés tous dans des cadres excellents. C'était un dernier -supplément qui à l'automne devait porter à soixante-quinze mille -hommes au <span class="pagenum"><a id="page55" name="page55"></a>(p. 55)</span> moins le total de sa cavalerie. À ces préparatifs -pour l'infanterie et la cavalerie, Napoléon ajouta ceux qui -concernaient l'artillerie, et il fit ses dispositions pour qu'elle pût -mettre en mouvement mille bouches à feu de campagne.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Totalité des forces dont Napoléon se flattait de disposer -pour soutenir la guerre contre l'Europe entière.</span> -Ainsi établi sur la ligne de l'Elbe, qu'il avait rendue formidable par -les appuis qu'il s'y était ménagés, Napoléon se flattait d'avoir sans -les garnisons 400 mille combattants, plus 20 mille en Bavière et 80 -mille en Italie, ce qui porterait la totalité de ses ressources à 500 -mille hommes de troupes actives, et à 700 mille en y comprenant les -non présents sous les armes. C'était pour atteindre à ces nombres -énormes, suffisants dans sa puissante main pour battre la coalition -même accrue de l'Autriche, qu'il avait consenti à un armistice qui -donnait aux coalisés le temps d'échapper à ses poursuites, et -malheureusement aussi celui d'augmenter considérablement leurs forces. -La question était de savoir si en fait de création de ressources, le -temps profiterait aux coalisés autant qu'à Napoléon. Les coalisés, il -est vrai, n'avaient pas son génie, et c'est sur quoi il fondait ses -espérances, mais ils avaient la passion, seule chose qui puisse -suppléer au génie, surtout quand elle est ardente et sincère. -Napoléon, ne tenant guère compte de la passion, avait supposé que le -temps lui servirait plus qu'à ses ennemis, et c'est dans cet espoir -qu'il mettait tant d'art à le bien employer en fait de préparatifs -militaires, et à le perdre en fait de négociations.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Effet produit par la réponse de Napoléon sur l'empereur -François et sur M. de Metternich.</span> -La réponse envoyée à M. de Metternich le 15 juin avait été -interprétée comme elle devait l'être, et <span class="pagenum"><a id="page56" name="page56"></a>(p. 56)</span> l'habile ministre -autrichien avait parfaitement compris que lorsque sur quarante jours -restant pour négocier la paix générale, on en perdait d'abord cinq -pour répondre à la note constitutive de la médiation, indépendamment -de ceux qu'on allait perdre encore pour résoudre les questions de -forme, il fallait en conclure qu'on était peu pressé d'arriver à une -solution pacifique. Il se pouvait, à la vérité, que Napoléon ne voulût -dire sa véritable pensée que dans les derniers moments; il se pouvait -aussi que dans les difficultés qu'il avait soulevées, il y en eût -quelqu'une qui lui tînt sérieusement à cœur, et par ces -considérations M. de Metternich ne désespérait pas complétement de la -paix, soit aux conditions proposées par l'Autriche, soit à des -conditions qui s'en approcheraient. Dans l'un et l'autre cas, il avait -pensé qu'il fallait à son tour attendre Napoléon, en employant -toutefois un moyen de le stimuler. Les deux souverains de Prusse et de -Russie insistaient vivement pour voir l'empereur François, dans -l'espérance de l'attacher définitivement à ce qu'ils appelaient la -cause européenne. Mais l'empereur François, croyant devoir à sa -qualité de père et de médiateur, d'observer une extrême réserve à -l'égard de deux souverains devenus ennemis implacables de la France, -ne voulait pas, tant qu'il n'aurait pas été contraint à nous déclarer -la guerre, s'aboucher avec eux. -<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich se rend à Oppontschna auprès des -souverains coalisés.</span> -Les mêmes raisons de réserve -n'existaient pas pour M. de Metternich, et ce ministre s'était rendu à -Oppontschna afin de conférer avec les deux monarques coalisés. Son -intention était de profiter de cette occasion pour les amener à ses -idées, <span class="pagenum"><a id="page57" name="page57"></a>(p. 57)</span> chose plus facile sans doute que d'y amener Napoléon, -mais difficile aussi, et exigeant bien des soins et des efforts, car -ils voulaient la guerre tout de suite, à tout prix, et jusqu'au -renversement de Napoléon, ce qui n'était pas encore, du moins alors, -le point de vue de l'Autriche. M. de Metternich était donc parti -ostensiblement, certain que lorsque Napoléon le saurait en conférence -avec les deux souverains, il en éprouverait une vive jalousie, et au -lieu de lui refuser de venir à Dresde, lui en adresserait la pressante -invitation. Cette vue, bientôt confirmée par l'événement, avait paru -aussi fine que juste à l'empereur François, qui par ce motif avait -approuvé le voyage de M. de Metternich à Oppontschna.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Traité de subsides entre l'Angleterre et les puissances -coalisées.</span> -Tandis que ce ministre était en route pour s'y rendre, la Prusse et la -Russie venaient de se lier par un traité de subsides avec -l'Angleterre. Par ce traité, conclu le 15 juin et revêtu de la -signature de lord Cathcart, de M. de Nesselrode et de M. de -Hardenberg, l'Angleterre s'engageait à fournir immédiatement 2 -millions sterling à la Russie et à la Prusse, et à prendre à sa charge -la moitié d'une émission de papier-monnaie, intitulé <cite>papier -fédératif</cite>, et destiné à circuler dans tous les États alliés. La somme -émise devait être de 5 millions sterling. -<span class="sidenote" title="En marge">Condition imposée par ce traité de ne pas faire la paix -sans l'Angleterre.</span> -C'étaient donc 4 millions -½ sterling (112 millions 500 mille francs) que l'Angleterre -fournissait aux deux puissances, à condition qu'elles tiendraient sur -pied, en troupes actives, la Russie 160 mille hommes, la Prusse 80 -mille, qu'elles feraient à l'ennemi commun de l'Europe une guerre à -outrance, et qu'elles ne traiteraient pas sans l'Angleterre, ou du -moins sans se <span class="pagenum"><a id="page58" name="page58"></a>(p. 58)</span> concerter avec elle. Les souverains de Russie et -de Prusse ayant informé lord Cathcart qu'ils étaient sommés d'accepter -la médiation de l'Autriche, et qu'ils y étaient disposés, sauf les -conditions de paix qui seraient déterminées d'accord avec le cabinet -britannique, lord Cathcart n'avait pas vu là une infraction au traité -de subsides, et il avait reconnu lui-même qu'il fallait se prêter à -tous les désirs de l'Autriche, car probablement les conditions que -cette puissance regardait comme indispensables ne seraient pas admises -par Napoléon, et l'on entraînerait ainsi cette puissance à la guerre -par la voie toute pacifique de la médiation.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts des souverains et de leurs ministres pour décider -M. de Metternich en faveur de la coalition.</span> -M. de Metternich arrivé à Oppontschna avait été accablé de caresses et -de sollicitations par les souverains et leurs ministres. Les uns et -les autres, pour le décider, disaient leurs forces immenses, -irrésistibles même si l'Autriche se joignait à eux, et dans ce cas -Napoléon perdu, l'Europe sauvée. -<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qu'ils font valoir auprès de M. de Metternich.</span> -Ils disaient encore la paix -impossible avec lui, car évidemment il ne la voulait pas, et en outre -peu sûre, car si on laissait échapper l'occasion de l'accabler pendant -qu'il était affaibli, il reprendrait les armes dès qu'il aurait -recouvré ses forces, et la lutte avec lui serait éternelle. Ces points -de vue n'étaient pas, ne pouvaient pas être ceux de l'Autriche. -<span class="sidenote" title="En marge">Manière de penser de l'Autriche en ce moment.</span> -Cette puissance n'était pas comme la Russie enivrée du rôle de libératrice -de l'Europe, comme la Prusse réduite à vaincre ou à périr, comme -l'Angleterre à l'abri de toutes les conséquences d'une guerre -malheureuse; elle avait de plus des liens avec Napoléon, que la -décence, et chez l'empereur <span class="pagenum"><a id="page59" name="page59"></a>(p. 59)</span> François l'affection pour sa -fille, ne permettaient pas de rompre sans les plus graves motifs. Elle -rêvait d'ailleurs la possibilité de rétablir l'indépendance de -l'Europe sans une guerre qu'elle regardait comme pleine de périls, -même contre Napoléon affaibli. Elle était donc d'avis que si on -pouvait conclure une paix avantageuse et qui offrît des sûretés, il -fallait en saisir l'occasion, et ne pas tout compromettre pour vouloir -tout regagner d'un seul coup. Si par exemple Napoléon renonçait à sa -chimère polonaise (c'est ainsi qu'on qualifiait le grand-duché de -Varsovie), s'il consentait à reconstituer la Prusse, à rendre à -l'Allemagne son indépendance par l'abolition de la Confédération du -Rhin, à lui rendre son commerce par la restitution des villes -anséatiques, il valait mieux accepter cette paix que s'exposer aux -dangers d'une guerre formidable, qui à côté de bonnes chances en -présentait d'effrayantes. Si l'Angleterre n'inclinait pas vers cette -manière de penser, il fallait l'y amener forcément, en lui signifiant -qu'on la laisserait seule. Pour elle d'ailleurs le point le plus -important était obtenu, car il était facile de voir que Napoléon -allait renoncer à l'Espagne, puisqu'il admettait au congrès les -représentants de l'insurrection de Cadix, ce qu'il n'avait jamais -accordé. Il fallait donc imposer la paix à l'Angleterre comme à -Napoléon, car cette paix était un besoin urgent pour le monde entier, -et on avait le moyen de l'obtenir, en menaçant l'Angleterre de traiter -sans elle, et Napoléon de l'accabler sous les forces réunies de -l'Europe. Telles étaient les idées de l'Autriche, que les deux -souverains de <span class="pagenum"><a id="page60" name="page60"></a>(p. 60)</span> Prusse et de Russie, dominés par les passions du -moment, étaient loin de partager. Ils auraient voulu une paix beaucoup -plus rigoureuse pour la France, et par exemple la Westphalie, la -Hollande ne leur semblaient pas devoir être concédées à Napoléon. Ils -parlaient de lui ôter une partie au moins de l'Italie, pour la rendre -à l'Autriche, qui n'avait pas besoin qu'on éveillât en elle ce genre -d'appétit, mais chez laquelle la prudence faisait taire l'ambition. -<span class="sidenote" title="En marge">Résolutions formelles exprimées par M. de Metternich.</span> -M. de Metternich, tout en trouvant ces vœux fort légitimes, avait -déclaré que l'Autriche, dans l'espoir d'une conclusion pacifique, se -bornerait à demander l'abandon du duché de Varsovie, la reconstitution -de la Prusse, l'abolition de la Confédération du Rhin, la restitution -des villes anséatiques, et ne ferait la guerre que si ces conditions -étaient refusées par la France. On lui avait répondu qu'elles le -seraient inévitablement, à quoi le ministre autrichien avait -facilement répliqué que si elles étaient refusées, alors son maître -pourrait honorablement devenir membre de l'alliance, et le deviendrait -résolûment.</p> - -<p>Il suffisait que l'Autriche posât des conditions d'une manière -formelle, pour qu'on fût obligé de les admettre, car sans elle la -guerre à Napoléon ne présentait aucune chance. Dictant la loi à la -Prusse et à la Russie, elle la dictait par suite à l'Angleterre, qui -bientôt se verrait contrainte de traiter si le continent finissait -lui-même par traiter. -<span class="sidenote" title="En marge">Les monarques coalisés adhèrent aux vues de l'Autriche, -convaincus que, par la faute de Napoléon, elle sera bientôt ramenée -vers eux.</span> -On devait donc subir les volontés de l'Autriche, -mais on les subissait sans répugnance, car on était convaincu que les -conditions par elle imaginées seraient rejetées par Napoléon, et on -croyait en lui cédant la tenir bien plus <span class="pagenum"><a id="page61" name="page61"></a>(p. 61)</span> qu'être tenu par -elle. Le résultat de ces conférences avait été qu'on accepterait la -médiation autrichienne, qu'on s'aboucherait avec Napoléon par -l'intermédiaire de l'Autriche, que celle-ci lui proposerait les -conditions précitées, qu'elle ne lui déclarerait la guerre qu'en cas -de refus, que jusque-là elle demeurerait neutre, que relativement à -l'Angleterre, en l'informant de cette situation, on ajournerait la -paix avec elle pour simplifier la question: toutefois l'opinion était -que la paix continentale devait entraîner prochainement et -inévitablement la paix maritime.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Gitschin.</span> -Ces bases adoptées, M. de Metternich était revenu à Gitschin, auprès -de son maître, et avait trouvé en y arrivant sa prévoyance -parfaitement justifiée. En effet Napoléon, inquiet de ce qui se -passait en Bohême, sachant que les allées et venues étaient -continuelles entre Gitschin, résidence de son beau-père, et -Reichenbach, quartier général des coalisés, sachant même que M. de -Metternich avait dû voir les deux souverains de Russie et de Prusse à -Oppontschna, n'avait pas pensé qu'il fallût pousser l'application à -perdre son temps, jusqu'à rester étranger à tout ce qui se tramait -entre les puissances, et peut-être jusqu'à laisser nouer à côté de lui -une coalition redoutable, dont il pourrait prévenir la formation en -intervenant à propos. En voyant M. de Metternich, avec lequel il avait -fort la coutume de s'entretenir, il se flattait au moins de pénétrer -les desseins de la coalition, ce qui pour lui n'était pas de médiocre -importance, et surtout de se ménager une nouvelle prolongation -d'armistice, seul résultat auquel il tînt beaucoup, car pour la paix -il n'y tenait <span class="pagenum"><a id="page62" name="page62"></a>(p. 62)</span> nullement aux conditions proposées. -<span class="sidenote" title="En marge">Il y trouve l'invitation de se rendre à Dresde.</span> -En conséquence il avait fait dire par M. de Bassano à M. de Bubna qu'il -recevrait volontiers M. de Metternich à Dresde, et qu'il croyait même -sa présence devenue nécessaire pour l'entier éclaircissement des -questions qu'il s'agissait de résoudre. M. de Bubna avait sur-le-champ -écrit à Gitschin, et c'est ainsi que M. de Metternich, en revenant de -son entrevue avec Alexandre et Frédéric-Guillaume, avait trouvé -l'invitation de se rendre à Dresde auprès de Napoléon. Comme c'était -justement ce que lui et l'empereur François désiraient, il n'y avait -pas à hésiter sur l'acceptation du rendez-vous offert, et M. de -Metternich s'était décidé à se mettre de nouveau en route. Au moment -de son départ, l'empereur François lui avait remis une lettre pour son -gendre, dans laquelle il donnait pouvoir à son ministre des affaires -étrangères de signer tous articles relatifs à la modification du -traité d'alliance, et à l'acceptation de la médiation autrichienne. -Dans cette lettre, il pressait de nouveau Napoléon de se résoudre à la -paix, qui était, disait-il, la plus belle et l'unique gloire qui lui -restât à conquérir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de M. de Metternich à Dresde; premier entretien de -ce ministre avec M. de Bassano.</span> -M. de Metternich arriva le 25 juin à Dresde, et le lendemain 26 eut -une première entrevue avec M. de Bassano, car ostensiblement c'était -avec ce ministre qu'il devait négocier. Ils employèrent environ deux -jours à de vaines chicanes sur le traité d'alliance, qui existait -toujours et pourtant devait rester suspendu, sur la manière de -concilier le rôle de médiateur et celui d'allié, sur la forme de la -médiation, sur la prétention du médiateur d'être le seul -intermédiaire <span class="pagenum"><a id="page63" name="page63"></a>(p. 63)</span> des puissances belligérantes. Fidèle à son -système de gagner du temps, Napoléon avait ainsi gagné deux jours; -mais M. de Metternich n'était pas venu pour s'aboucher uniquement avec -un ministre sans influence, et il avait d'ailleurs à remettre une -lettre de l'empereur François à l'empereur Napoléon; il fallait donc -qu'il le vît, et sans de plus longs retards. Napoléon, de son côté, -plein d'un courroux que la présence de M. de Metternich faisait -bouillonner dans ses veines, était maintenant tout disposé à le -recevoir. Pénétrer le secret de son interlocuteur, lui arracher une -prolongation d'armistice, n'était déjà plus son but, mais lui dire son -fait, épancher sa passion, était en réalité son plus pressant besoin. -<span class="sidenote" title="En marge">Célèbre entrevue de M. de Metternich avec Napoléon, le 28 -juin 1813.</span> -Il reçut M. de Metternich le 28 juin dans la seconde moitié du jour. -En traversant les antichambres du palais Marcolini, M. de Metternich -les trouva remplies de ministres étrangers, d'officiers de tous -grades, et rencontra notamment le prince Berthier, qui souhaitait la -paix, sans l'oser dire à Napoléon, et ne savait manifester ses désirs -qu'auprès de ceux auxquels il aurait fallu les cacher. À l'aspect de -M. de Metternich, une sorte d'anxiété parut sur tous les visages. Le -prince Berthier, en le conduisant jusqu'à l'appartement de l'Empereur, -lui dit: Eh bien, nous apportez-vous la paix?... Soyez donc -raisonnable... terminons cette guerre, car nous avons besoin de la -faire cesser, et vous autant que nous.--À ce ton, M. de Metternich put -juger que les rapports de ses espions étaient parfaitement vrais, que -partout en France on désirait ardemment la paix, même dans l'armée, -ce qui malheureusement <span class="pagenum"><a id="page64" name="page64"></a>(p. 64)</span> n'était pas une manière de disposer nos -ennemis à la conclure. Il eût mieux valu en effet montrer plus d'amour -de la paix à Napoléon, et moins à M. de Metternich; mais ainsi sont -faites les cours où l'on n'ose pas parler: souvent on dit à tout le -monde ce qu'il faudrait ne dire qu'au maître. -<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon.</span> -M. de Metternich -introduit dans le cabinet de Napoléon, le trouva debout, l'épée au -côté, le chapeau sous le bras, se contenant comme quelqu'un qui ne va -pas se contenir longtemps, poli mais froid.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Thème de convention, tendant à imputer les pertes de temps -à l'Autriche.</span> -Vous voilà donc, monsieur -de Metternich, lui dit-il, vous venez bien tard!... et sur-le-champ, -suivant le langage convenu du cabinet français, il s'efforça, par un -premier exposé de la situation, de mettre sur le compte de l'Autriche -le temps perdu depuis l'armistice, et il n'y avait pas moins de -vingt-quatre jours écoulés sans aucun résultat, puisqu'on était au 28 -juin, et que l'armistice avait été signé le 4. Puis il fit un détail -de ses relations avec l'Autriche, se plaignit d'elle amèrement, et -s'étendit fort au long sur le peu de sûreté des rapports avec cette -puissance.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Plaintes amères contre l'Autriche.</span> -J'ai, dit-il, rendu trois fois son trône à l'empereur -François; j'ai même commis la faute d'épouser sa fille, espérant me le -rattacher, mais rien n'a pu le ramener à de meilleurs sentiments. -L'année dernière, comptant sur lui, j'ai conclu un traité d'alliance -par lequel je lui garantissais ses États, et par lequel il me -garantissait les miens. S'il m'avait dit que ce traité ne lui -convenait point, je n'aurais pas insisté, je ne me serais même pas -engagé dans la guerre de Russie. Mais enfin il l'a signé, et après -une seule campagne, <span class="pagenum"><a id="page65" name="page65"></a>(p. 65)</span> que les éléments ont rendue malheureuse, -le voilà qui chancelle, et ne veut plus ce qu'il semblait vouloir -chaudement, s'interpose entre mes ennemis et moi, pour négocier la -paix, à ce qu'il dit, mais en réalité pour m'arrêter dans mes -victoires, et arracher de mes mains des adversaires que j'allais -détruire...--Si vous ne teniez plus à mon alliance, ajouta Napoléon, -qui commençait à s'animer en parlant, si elle vous pesait, si elle -vous entraînait avec le reste de l'Europe à une guerre qui vous -répugnait, pourquoi ne pas me le dire? Je n'aurais pas insisté pour -vous contraindre; votre neutralité m'aurait suffi, et à l'heure qu'il -est la coalition serait déjà dissoute. Mais sous prétexte de ménager -la paix en interposant votre médiation, vous avez armé, et puis, vos -armements terminés, ou presque terminés, vous prétendez me dicter des -conditions qui sont celles de mes ennemis eux-mêmes; en un mot, vous -vous posez comme gens qui sont prêts à me déclarer la guerre. -Expliquez-vous; est-ce la guerre que vous voulez avec moi?... Les -hommes seront donc toujours incorrigibles!... les leçons ne leur -serviront donc jamais!... Les Russes et les Prussiens, malgré de -cruelles expériences, ont osé, enhardis par les succès du dernier -hiver, venir à ma rencontre, et je les ai battus, bien battus, -quoiqu'ils vous aient dit le contraire. -<span class="sidenote" title="En marge">Défi jeté à M. de Metternich.</span> -Vous voulez donc, vous aussi, -avoir votre tour?... Eh bien, soit, vous l'aurez... Je vous donne -rendez-vous à Vienne, en octobre.--</p> - -<p>Cette manière si étrange de traiter, cette façon méprisante de -qualifier un mariage dont au reste il ne paraissait nullement fâché -comme homme privé, <span class="pagenum"><a id="page66" name="page66"></a>(p. 66)</span> offensa et irrita M. de Metternich, sans -lui imposer beaucoup, car une fermeté froide lui aurait causé bien -plus d'impression.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Réponse modérée de M. de Metternich, fondée principalement -sur le besoin général de la paix.</span> -Sire, répondit-il, nous ne voulons pas vous -déclarer la guerre, mais nous voulons mettre fin à un état de choses -devenu intolérable pour l'Europe, à un état de choses qui nous menace -tous, à chaque instant, d'un bouleversement universel. Votre Majesté y -est aussi intéressée que nous, car la fortune pourrait bien un jour -vous trahir, et dans cette mobilité effrayante des choses, il ne -serait pas impossible que vous-même rencontrassiez des chances -fatales.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Exposé fort adouci des conditions de cette paix.</span> -Mais que voulez-vous donc, reprit Napoléon, que venez-vous -me demander?--Une paix, ajouta M. de Metternich, une paix nécessaire, -indispensable, une paix dont vous avez besoin autant que nous, une -paix qui assure votre situation et la nôtre...--Et alors, avec des -ménagements infinis, insinuant plutôt qu'énonçant une condition après -l'autre, M. de Metternich essaya d'énumérer celles que nous avons déjà -fait connaître. -<span class="sidenote" title="En marge">Emportement de Napoléon.</span> -Napoléon, bondissant comme un lion, laissait à peine -achever le ministre autrichien, et l'interrompait à chaque -énonciation, comme s'il eût entendu chaque fois un outrage ou un -blasphème.--Oh! dit-il, je vous devine... Aujourd'hui, vous me -demandez seulement l'Illyrie pour procurer des ports à l'Autriche, -quelques portions de la Westphalie et du grand-duché de Varsovie pour -reconstituer la Prusse, les villes de Lubeck, Hambourg et Brême pour -rétablir le commerce de l'Allemagne, et pour relever sa prétendue -indépendance l'abolition du protectorat du Rhin, d'un vain titre, -<span class="pagenum"><a id="page67" name="page67"></a>(p. 67)</span> à vous entendre!... Mais je sais votre secret, je sais ce -qu'au fond vous désirez tous... Vous Autrichiens, vous voulez l'Italie -tout entière; vos amis les Russes veulent la Pologne, les Prussiens la -Saxe, les Anglais la Hollande et la Belgique, et si je cède -aujourd'hui, demain vous me demanderez ces objets de vos ardents -désirs. Mais pour cela préparez-vous à lever des millions d'hommes, à -verser le sang de plusieurs générations, et à venir traiter au pied -des hauteurs de Montmartre!...--Napoléon, en prononçant ces mots, -était pour ainsi dire hors de lui, et on prétend même qu'il se permit -envers M. de Metternich des paroles outrageantes, ce que ce dernier a -toujours nié.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Effort de M. de Metternich pour calmer Napoléon.</span> -M. de Metternich alors essaya de montrer à Napoléon qu'il n'était pas -question de telles choses, qu'une guerre imprudemment prolongée -pourrait peut-être faire renaître de semblables prétentions, que sans -doute il y avait en Europe des fous dont les événements de 1812 -avaient exalté la tête, qu'il y en avait bien quelques-uns de cette -espèce à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Berlin, mais qu'il n'y en -avait pas à Vienne; que là on demandait juste ce qu'on voulait, et -rien au delà; que du reste le vrai moyen de déjouer les prétentions de -ces fous, c'était d'accepter la paix, et une paix honorable, car celle -qu'on offrait était non pas seulement honorable, mais glorieuse.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Aveu de son orgueil fait par Napoléon.</span> -Un peu radouci par ces paroles, Napoléon dit à M. de Metternich que s'il -ne s'agissait que de l'abandon de quelques territoires, il pourrait -bien céder; mais qu'on s'était coalisé pour lui dicter la loi, pour -le contraindre à céder, pour lui <span class="pagenum"><a id="page68" name="page68"></a>(p. 68)</span> ôter son prestige, et, avec -une naïveté d'orgueil singulière, laissa voir que ce qui le touchait -sensiblement ici, c'étaient moins les sacrifices exigés de lui, que -l'humiliation de recevoir la loi après l'avoir toujours faite.--Puis, -avec une fierté de soldat qui lui allait bien: Vos souverains, dit-il -à M. de Metternich, vos souverains nés sur le trône ne peuvent -comprendre les sentiments qui m'animent. Ils rentrent battus dans -leurs capitales, et pour eux il n'en est ni plus ni moins. Moi je suis -un soldat, j'ai besoin d'honneur, de gloire; je ne puis pas reparaître -amoindri au milieu de mon peuple; il faut que je reste grand, -glorieux, admiré!...--Quand donc finira cet état de choses, répliqua -M. de Metternich, si les défaites comme les victoires sont un égal -motif de continuer cette guerre désolante?... Victorieux, vous voulez -tirer les conséquences de vos victoires; vaincu, vous voulez vous -relever! Sire, nous serons donc toujours les armes à la main, -dépendant éternellement, vous comme nous, du hasard des -batailles!...--Mais, reprit Napoléon, je ne suis pas à moi, je suis à -cette brave nation qui vient à ma voix de verser son sang le plus -généreux. À tant de dévouement je ne dois pas répondre par des calculs -personnels, par de la faiblesse; je dois lui conserver tout entière la -grandeur qu'elle a achetée par de si héroïques efforts.--Mais, Sire, -reprit à son tour M. de Metternich, cette brave nation dont tout le -monde admire le courage, a elle-même besoin de repos. -<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich répond de nouveau en alléguant le besoin -de repos, senti partout et particulièrement en France.</span> -Je viens de -traverser vos régiments; vos soldats sont des enfants. Vous avez fait -des levées anticipées, et appelé une génération <span class="pagenum"><a id="page69" name="page69"></a>(p. 69)</span> à peine -formée; cette génération une fois détruite par la guerre actuelle, -anticiperez-vous de nouveau? en appellerez-vous une plus jeune -encore?...--Ces paroles, qui touchaient au reproche le plus souvent -reproduit par les ennemis de Napoléon, le piquèrent au vif. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle et plus vive explosion de Napoléon.</span> -Il pâlit -de colère; son visage se décomposa, et n'étant plus maître de lui, il -jeta, ou laissa tomber à terre son chapeau, que M. de Metternich ne -ramassa point, et allant droit à celui-ci, il lui dit: Vous n'êtes pas -militaire, Monsieur, vous n'avez pas, comme moi, l'âme d'un soldat; -vous n'avez pas vécu dans les camps; vous n'avez pas appris à mépriser -la vie d'autrui et la vôtre, quand il le faut... Que me font à moi -deux cent mille hommes!...--Ces paroles, dont nous ne reproduisons pas -la familiarité soldatesque, émurent profondément M. de -Metternich.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Belle réponse de M. de Metternich.</span> -Ouvrons, s'écria le ministre autrichien, ouvrons, Sire, -les portes et les fenêtres, que l'Europe entière vous entende, et la -cause que je viens défendre auprès de vous n'y perdra point!--Redevenu -un peu plus maître de lui-même, Napoléon dit à M. de Metternich avec -un sourire ironique: Après tout, les Français dont vous défendez ici -le sang, n'ont pas tant à se plaindre de moi. J'ai perdu, cela est -vrai, deux cent mille hommes en Russie; il y avait dans le nombre cent -mille soldats français des meilleurs; ceux-là, je les regrette... oui, -je les regrette vivement... Quant aux autres, c'étaient des Italiens, -des Polonais, et principalement des Allemands...--À ces paroles -Napoléon ajouta un geste qui signifiait que cette dernière perte le -touchait peu.--Soit, reprit M. de <span class="pagenum"><a id="page70" name="page70"></a>(p. 70)</span> Metternich, mais vous -conviendrez, Sire, que ce n'est pas une raison à donner à un -Allemand.--Vous parliez pour les Français, je vous ai répondu pour -eux, répliqua Napoléon.--Puis, à cette occasion, il employa plus d'une -heure à raconter à M. de Metternich qu'en Russie il avait été surpris -et vaincu par le mauvais temps; qu'il pouvait tout prévoir, tout -surmonter, excepté la nature; qu'il savait se battre avec les hommes, -mais non pas avec les éléments. -<span class="sidenote" title="En marge">Soin de Napoléon à expliquer son désastre de Russie.</span> -N'ayant pas revu M. de Metternich -depuis la catastrophe de 1812, il s'étudia à refaire à ses yeux le -prestige de son invincibilité, beaucoup trop détruit dans l'esprit de -certains hommes, et mit un grand soin à prouver que sur le champ de -bataille on ne l'avait jamais vaincu, ce qui était vrai; que s'il -avait perdu des canons, c'était par le froid qui, en tuant les -chevaux, avait détruit le moyen de traîner l'artillerie. Pendant qu'il -parlait, marchant avec une extrême animation, il avait rencontré et -repoussé du pied dans un coin de l'appartement son chapeau resté à -terre. Au milieu des allées et venues de ce long entretien, il revint -à l'idée fondamentale de son discours, c'est que l'Autriche, à -laquelle il avait fait remise tant de fois des peines qu'elle avait -encourues, à laquelle il avait demandé une archiduchesse pour -l'épouser, faute, disait-il, bien grande de sa part, osait encore, au -mépris de tant de bons procédés, lui déclarer la guerre.--Faute, -reprit M. de Metternich, pour Napoléon conquérant, mais non pas faute -pour Napoléon politique et fondateur d'empire.--Faute ou non, reprit -Napoléon, vous voulez donc me déclarer la guerre! Soit, quels <span class="pagenum"><a id="page71" name="page71"></a>(p. 71)</span> -sont vos moyens? deux cent mille hommes en Bohême, dites-vous; et vous -prétendez me faire croire à des fables pareilles! C'est tout au plus -si vous en avez cent, et je soutiens que ces cent se réduiront -probablement à quatre-vingt mille en ligne.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Discussion des forces que l'Autriche peut jeter dans la -balance.</span> -Là-dessus il conduisit M. -de Metternich dans son cabinet de travail, lui montra ses notes et ses -cartes, lui dit que M. de Narbonne avait couvert l'Autriche de ses -espions, et qu'on tenterait en vain de l'effrayer par des chimères; -que les Autrichiens n'avaient pas même cent mille hommes en -Bohême...--La prétention des Autrichiens était d'en avoir trois cent -cinquante mille sous les armes, dont cent mille sur la route d'Italie, -cinquante mille en Bavière, deux cent mille en Bohême. C'étaient là -les propos d'hommes qui n'avaient pas l'habitude de ce genre de -calculs, et qui ne savaient pas que si l'Autriche avait trois cent -cinquante mille hommes sur ses contrôles, elle en aurait tout au plus -deux cent mille au feu, dont cinquante peut-être sur la route -d'Italie, trente sur celle de Bavière et cent ou cent vingt en Bohême. -Napoléon, par l'expérience qu'il avait des mécomptes qu'on essuie à la -guerre sous le rapport des nombres, traita légèrement les assertions -de M. de Metternich, que celui-ci, étranger à l'administration -militaire, n'était pas capable de justifier suffisamment. Laissant là -ce sujet sur lequel il n'était pas facile de s'entendre, Napoléon dit -à M. de Metternich: Du reste, ne vous mêlez pas de cette querelle, -dans laquelle vous courez trop de dangers pour trop peu d'avantages, -tenez-vous à part. Vous voulez l'Illyrie, eh bien, je vous la cède; -mais <span class="pagenum"><a id="page72" name="page72"></a>(p. 72)</span> soyez neutre, et je me battrai à côté de vous et sans -vous. La paix que vous voulez procurer à l'Europe, je la lui donnerai -sûrement, et équitablement pour tous. Mais la paix que vous cherchez à -conclure au moyen de votre médiation, est une paix imposée, qui me -fait jouer aux yeux du monde le rôle d'un vaincu auquel on dicte la -loi... la loi, quand je viens de remporter deux victoires -éclatantes!...-- -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvel effort de M. de Metternich pour expliquer le vrai -sens de la médiation.</span> -M. de Metternich revint à l'idée de la médiation, dont -il ne pouvait se départir, s'efforça de la montrer non comme une -contrainte qu'il s'agissait de faire subir à Napoléon, mais comme une -intervention officieuse d'un allié, d'un ami, d'un père, qui, au -jugement du monde, quand on connaîtrait les conditions proposées, -serait encore considéré comme bien partial pour son gendre.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Dernier défi de Napoléon.</span> -Ah! vous -persistez, s'écria Napoléon avec colère, vous voulez toujours me -dicter la loi! eh bien, soit, la guerre! mais au revoir, à -Vienne<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a>...--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Longueur de l'entrevue de Napoléon avec M. de Metternich, -et anxiété de ceux qui en attendaient le résultat.</span> -Cette mémorable entrevue, qui ne décida pas la question de la paix et -de la guerre, ainsi qu'on le verra bientôt, mais qui fit éclater d'une -manière si peu opportune les dispositions intérieures de Napoléon, -<span class="pagenum"><a id="page73" name="page73"></a>(p. 73)</span> cette mémorable entrevue avait duré cinq à six heures. Il -était presque nuit lorsqu'elle se termina, à ce point que les deux -interlocuteurs pouvaient à peine distinguer les traits l'un de -l'autre. Napoléon ne voulant pas en quittant M. de Metternich se -séparer brouillé, lui dit quelques mots plus doux, et lui assigna un -nouveau rendez-vous pour les jours suivants. La longueur de -l'entretien avait fort préoccupé les habitués de l'antichambre -impériale. L'anxiété des visages était plus grande encore que lorsque -M. de Metternich était entré. Le major général Berthier, accouru pour -savoir quelque chose de ce qui s'était passé, demanda à M. de -Metternich s'il était content de l'Empereur.--Oui, répondit le -ministre autrichien, j'en suis content, car il a éclairé ma -conscience, et, je vous le jure, votre maître a perdu la raison!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Conséquences que cette entrevue pouvait avoir, plus grandes -que celles qu'elle eut en effet.</span> -Ce n'était pas la violence de cet entretien qui en cette occasion -avait causé le plus de tort aux affaires de l'Empire, c'était la -triste conviction que Napoléon avait dû laisser dans l'esprit de M. de -Metternich, que jamais il n'accepterait les conditions si modérées -dans lesquelles l'Autriche s'était renfermée. <span class="pagenum"><a id="page74" name="page74"></a>(p. 74)</span> Heureusement -néanmoins, M. de Metternich, attachant sa gloire et sa sûreté à -obtenir par la paix les conditions qu'il croyait indispensables, était -homme à sacrifier l'orgueil à la politique, et à ne pas prendre feu -tant qu'il resterait une chance de réussir. Napoléon pouvait dès lors -donner carrière à son humeur, pourvu qu'au dernier moment il eût un -retour de bon sens, et qu'il agréât la paix encore si prodigieusement -belle qu'on lui offrait. Les explosions de son caractère, on était -tout prêt à les pardonner à son génie et à sa puissance, et on aurait -volontiers supporté un désagrément pour un grand résultat. Du reste, -quand on avait souffert de son humeur impétueuse, on était promptement -dédommagé, car lorsqu'il s'était livré à ses passions, il en était -honteux, revenait bien vite, se hâtait de caresser ceux qu'il avait le -plus blessés, et leur prodiguait les séductions pour leur faire -oublier ses écarts. La situation que nous retraçons devait bientôt en -fournir un nouvel exemple.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Regrets de Napoléon, et ses soins pour ressaisir M. de -Metternich.</span> -À peine s'était-il séparé du ministre autrichien qu'il était déjà -plein de regrets de s'être autant abandonné à son emportement naturel, -car il n'avait obtenu de cette entrevue rien de ce qu'il s'était -promis. Loin de pénétrer les secrets du ministre autrichien, il lui -avait révélé les siens en lui laissant voir l'obstination invincible -de son orgueil, et il avait nui surtout à son principal dessein, celui -de faire prolonger l'armistice, en montrant trop clairement que cet -armistice ne conduirait point à la paix. Aussi ordonna-t-il -sur-le-champ à M. de Bassano de courir après M. de Metternich, et de -<span class="pagenum"><a id="page75" name="page75"></a>(p. 75)</span> lui parler de l'objet essentiel, dont il n'avait pas été dit -grand'chose dans l'entrevue, c'est-à-dire de la médiation -autrichienne, de sa forme, de ses conditions, du délai dans lequel -elle devrait s'exercer. M. de Metternich avait même pu croire qu'elle -était refusée, au langage de Napoléon. -<span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano chargé de rédiger un projet de convention, -relativement à la médiation autrichienne.</span> -Pour détruire cette idée, M. de -Bassano eut l'ordre d'entreprendre de concert avec M. de Metternich la -rédaction d'une convention relative au mode de la médiation, ce qui -prouverait au ministre autrichien que malgré les emportements de -Napoléon, tout n'était pas perdu, et que la résolution de repousser -tout arbitrage pacifique n'était pas définitivement arrêtée dans la -pensée du gouvernement français.</p> - -<p>La journée suivante fut en effet consacrée par MM. de Metternich et de -Bassano à débattre la question de la médiation, et il ne fut plus rien -dit de ce traité d'alliance, dont on avait eu la maladresse de fournir -à l'Autriche le moyen de se dégager un article après l'autre, et dont -les tristes restes ne valaient pas la peine qu'on s'irritât pour les -sauver. On parla uniquement de la médiation, de la manière dont elle -s'exercerait, et du sentiment que l'Autriche y apporterait à l'égard -de la France. M. de Metternich renouvela l'assurance d'une médiation -toute partiale pour nous, mais parut tenir beaucoup à la forme qui -constituait le médiateur intermédiaire exclusif des parties -contractantes. On essaya d'une rédaction sans pouvoir tomber d'accord, -parce que M. de Bassano voulait la surcharger de précautions que M. de -Metternich trouvait gênantes. Mais les détails furent débattus sans -aigreur, <span class="pagenum"><a id="page76" name="page76"></a>(p. 76)</span> et du ton de gens décidés à s'entendre. Tout fut -renvoyé à l'Empereur, et M. de Metternich dut le revoir le 30 juin -pour résoudre avec lui les dernières difficultés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon paraît -complétement changé.</span> -Le 30, en effet, M. de Metternich, accompagné de M. de Bassano, revit -Napoléon, et le trouva tout changé, comme un ciel épuré par un orage. -Il était ouvert, gai, plein d'un aimable repentir.--Vous persistez -donc à faire le méchant avec nous? dit-il à M. de Metternich avec une -familiarité pleine de grâce.--Puis il prit des mains de M. de Bassano -le projet de convention, dont il connaissait les points sujets à -difficulté, et il se mit à en lire les articles l'un après l'autre. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette fois, après avoir tout concédé dans les formes à M. -de Metternich, Napoléon cherche avec beaucoup d'adresse à lui arracher -une prolongation d'armistice.</span> -À chaque article, comme s'il eût été du parti de M. de Metternich, il -disait: Mais cela n'a pas le sens commun, ne s'inquiétant guère de -l'amour-propre de son ministre, et il paraissait presque toujours -abonder dans les idées du diplomate autrichien. S'adressant ensuite à -M. de Bassano, il lui dit: Asseyez-vous et écrivez, et il dicta un -projet simple, clair, net, comme il était capable de le faire. Cette -rédaction qui écartait toutes les difficultés, une fois terminée, il -demanda à M. de Metternich: Ce projet vous convient-il?--Oui, Sire, -répondit l'illustre diplomate, sauf quelques expressions.--Lesquelles? -reprit Napoléon.--M. de Metternich les ayant indiquées, Napoléon les -changea sur-le-champ à l'entière satisfaction de son interlocuteur, -s'attachant à lui complaire en tout. Enfin ce projet, qui déclarait -que dans le désir et l'espérance de rétablir la paix, au moins parmi -les États du continent, l'empereur d'Autriche offrait sa médiation -<span class="pagenum"><a id="page77" name="page77"></a>(p. 77)</span> à l'empereur Napoléon, que l'empereur Napoléon l'acceptait, et -que les plénipotentiaires des diverses puissances se réuniraient à -Prague le 5 juillet au plus tard, ce projet complétement arrêté, -Napoléon, toujours du ton le plus aisé, dit à M. de Metternich: Mais -ce n'est pas tout, il me faut une prolongation d'armistice... Comment -en effet, du 5 au 20 juillet, terminer une négociation qui doit -embrasser les intérêts du monde entier, et qui, si on voulait bien -régler toutes les difficultés, exigerait des années?--La question -effectivement était embarrassante, quoique, sur les points importants, -on eût pu s'entendre en quelques heures, si on l'avait voulu. Mais au -premier aspect la question n'admettait pas d'autre réponse qu'un -assentiment. M. de Metternich, vaincu par toutes les condescendances -de cette journée, n'était pas disposé à compromettre la médiation à -laquelle il attachait tant de prix, pour quelques jours de plus ou de -moins dans la durée des négociations. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon en faisant valoir le peu de temps qui reste pour -négocier, obtient une prolongation d'armistice de vingt jours, du 26 -juillet au 16 août, compris six jours pour se prévenir de la reprise -des hostilités.</span> -Il répondit qu'il espérait faire -accepter la prolongation demandée aux Prussiens et aux Russes, bien -qu'ils fussent convaincus que l'armistice, utile seulement à la -France, leur était nuisible à eux, et il ne disputa que sur l'étendue -de cette prolongation. Napoléon voulait obtenir jusqu'au 20 août, pour -gagner le 26 avec les six jours accordés pour la dénonciation de -l'armistice. M. de Metternich contestait un terme aussi long, non pas -en son nom, mais au nom de ceux dont il devait obtenir l'assentiment, -et répétait que si on voulait agir avec une entière bonne foi, tout -pourrait être terminé en une journée. Napoléon répondait qu'il lui en -fallait quarante <span class="pagenum"><a id="page78" name="page78"></a>(p. 78)</span> au moins pour juger des vues de ses -adversaires, et faire connaître les siennes.--Quant à moi, vous pouvez -être sûr, ajouta-t-il, que je ne vous dirai mes véritables intentions -que le quarantième jour.--Alors, répliqua M. de Metternich, les -trente-neuf jours qui précèdent le quarantième sont inutiles.--La -conversation ayant pris ce tour plaisant, on touchait évidemment à un -accord, et après discussion, M. de Metternich parut disposé à -prolonger l'armistice jusqu'au 10 août, avec six jours pour se -prévenir de la reprise des hostilités, ce qui devait conduire au 16, -et entraînait une prolongation de vingt jours, du 26 juillet au 16 -août. Napoléon alors, feignant de trouver du 5 juillet au 16 août les -quarante jours dont il avait besoin pour négocier, et au fond, bien -qu'il en souhaitât davantage, jugeant bon de gagner au moins ce temps -pour l'achèvement de ses préparatifs, déclara qu'il acceptait la -proposition de M. de Metternich. En conséquence on ajouta un dernier -article, par lequel il était dit que, vu le peu de temps qui restait -pour négocier d'après les termes de l'armistice signé à Pleiswitz, -l'empereur Napoléon s'engageait à ne pas dénoncer cet armistice avant -le 10 août (16 août en ajoutant les six jours pour l'avis préalable), -et que l'empereur d'Autriche se chargeait d'obtenir le même engagement -de la part du roi de Prusse et de l'empereur de Russie. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renvoie M. de Metternich comblé de caresses.</span> -Napoléon -voulut qu'on signât à l'instant même, et renvoya ensuite M. de -Metternich comblé de toutes sortes de caresses. Ainsi le lion changé -tout à coup en sirène avait su arracher à l'habile ministre autrichien -la seule chose qu'il désirât véritablement, c'est-à-dire une -prolongation <span class="pagenum"><a id="page79" name="page79"></a>(p. 79)</span> d'armistice. Ne voulant pas la paix aux -conditions proposées, ne voulant que le temps nécessaire pour en -imposer une qui fût à son gré, vingt jours de plus étaient pour lui -une conquête d'un prix inestimable. Le sacrifice des questions de -forme qu'il avait paru faire en simplifiant autant le texte de la -convention, n'en était pas un de sa part, car sur le point important -de savoir si les parties contractantes s'aboucheraient toutes ensemble -dans une conférence commune, ou ne traiteraient que par l'entremise du -médiateur, il avait éludé, mais non abandonné la difficulté, en se -taisant dans la rédaction; et il était fort aise de l'avoir réservée, -car elle lui restait pour occuper les premiers jours du congrès, et -pour perdre le temps dans lequel on était renfermé, sans avoir à -s'expliquer sur le fond des choses. C'était à M. de Metternich, -souhaitant ardemment le succès de la médiation, à regretter que cette -difficulté n'eût pas été vidée tout de suite, et qu'elle demeurât -comme un gros obstacle sur le chemin des négociations. Napoléon avait -donc avec quelques instants de douceur réparé jusqu'à un certain point -le mal causé par les imprudents éclats de sa colère, et obtenu tout ce -qu'il désirait. Heureux ce singulier génie, heureuse la France, s'il -avait pu employer cette merveilleuse souplesse à la tirer du faux pas -où il l'avait engagée!</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Juillet 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Gitschin le 1<sup>er</sup> juillet.</span> -Maintenant l'habileté de la part de l'Autriche, si passionnée pour le -succès de la médiation, eût consisté à ne pas laisser à Napoléon un -seul prétexte de perdre du temps, et dès lors à lui répondre -sur-le-champ que la convention constitutive de la médiation <span class="pagenum"><a id="page80" name="page80"></a>(p. 80)</span> -était acceptée, que la prolongation de l'armistice l'était également, -et que les négociateurs, comme on l'avait stipulé, se réuniraient -exactement le 5 juillet. Malheureusement il n'en fut pas ainsi. M. de -Metternich, parti de Dresde le 30 juin, jour même de la signature, et -arrivé le 1<sup>er</sup> juillet à Gitschin, causa une grande joie à son -maître en lui annonçant que la médiation était acceptée, ce qui -faisait passer la cour d'Autriche de la situation embarrassante -d'alliée de la France, à la situation indépendante et forte de son -arbitre, et lui procurait un lustre dont elle avait besoin auprès du -public autrichien. M. de Metternich n'eut donc pas de peine à obtenir -de l'empereur François la ratification immédiate de la convention. -<span class="sidenote" title="En marge">Temps imprudemment perdu par l'Autriche, et remise du 5 au -8 juillet pour la réunion des plénipotentiaires.</span> -Mais, soit qu'il n'eût pas entièrement pénétré les intentions -dilatoires de Napoléon, soit qu'il fût dominé par des difficultés -toutes matérielles, M. de Metternich fournit lui-même des prétextes -aux pertes de temps, en demandant de remettre du 5 au 8 juillet la -réunion des plénipotentiaires. Après avoir demandé cette remise, -laquelle, d'après ce qu'on a vu des projets de Napoléon, ne devait pas -rencontrer d'obstacle de notre part, M. de Metternich s'adressa aux -souverains réunis à Reichenbach, pour leur annoncer l'acceptation de -la médiation, pour leur faire agréer la prolongation de l'armistice, -et obtenir le prompt envoi de leurs plénipotentiaires à Prague.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions des monarques coalisés réunis à Reichenbach.</span> -Les coalisés de Reichenbach n'avaient pas compris toute la portée de -l'armistice de Pleiswitz en le signant. Ils n'y avaient vu d'abord que -l'avantage de se soustraire aux conséquences immédiates de la <span class="pagenum"><a id="page81" name="page81"></a>(p. 81)</span> -bataille de Bautzen, sans songer aux avantages de temps qu'il -procurait à Napoléon. Maintenant qu'ils étaient sortis de péril, -qu'ils avaient ainsi recueilli le principal fruit de l'armistice, -qu'ils voyaient les armements de Napoléon se développer chaque jour, -bien que les leurs se développassent aussi, ils étaient presque aux -regrets d'une suspension d'armes qui pourtant les avait sauvés, et ils -n'étaient nullement enclins à en prolonger la durée. -<span class="sidenote" title="En marge">Frappés des avantages de temps que l'armistice procure à -Napoléon, ils ne voudraient pas le prolonger.</span> -Une circonstance -d'ailleurs les disposait plus mal encore à l'égard de la prolongation -consentie par M. de Metternich, c'est qu'ils avaient pour vivre la -partie la moins fertile de la Silésie, tandis que Napoléon avait la -meilleure, et qu'ils craignaient de manquer bientôt de moyens de -subsistance. De plus, auprès des Allemands, surtout des Prussiens, -tout ajournement des hostilités semblait un pas fait dans la politique -pacifique de l'Autriche, et une sorte de trahison. Il y eut donc -quelque peine à leur arracher leur consentement, et assez pour -entraîner une nouvelle perte de temps. Toutefois les deux souverains -alliés n'avaient rien à refuser à l'Autriche, et dès qu'elle voulait -une chose, ils devaient l'accorder. Or l'Autriche s'étant engagée -envers Napoléon à prolonger l'armistice, on ne pouvait pas lui faire -l'outrage de déclarer son engagement imprudent et nul. -<span class="sidenote" title="En marge">Toutefois ils accordent la prolongation pour complaire à -l'Autriche, et demandent une nouvelle remise au 12 juillet pour la -réunion des plénipotentiaires.</span> -On le ratifia -donc, mais en demandant, vu les distances et le temps déjà écoulé, une -nouvelle remise du 8 au 12 juillet, pour la réunion des -plénipotentiaires à Prague, et en promettant, du reste, qu'ils -seraient exacts au rendez-vous. M. de Metternich informa M. de Bassano -de ces dernières déterminations, mais, en les <span class="pagenum"><a id="page82" name="page82"></a>(p. 82)</span> lui faisant -connaître, il s'exprima au sujet de la prolongation de l'armistice -comme à l'égard d'une chose qui allait de soi, et ne communiqua point -son acceptation officielle par les souverains de Prusse et de Russie.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, enchanté du temps perdu, affecte toutefois de -s'en plaindre.</span> -Rien ne convenait mieux à Napoléon que des délais dont il n'était pas -l'auteur. Il fit répondre comme s'il se résignait au lieu de se -réjouir. Depuis que la cour d'Autriche s'était transportée de Vienne -aux environs de Prague, il avait rappelé à Dresde M. de Narbonne, l'y -avait retenu quelques jours, et puis l'avait expédié de nouveau pour -qu'il continuât à Prague ainsi qu'à Vienne son rôle d'ambassadeur. -Napoléon le chargea d'exprimer des regrets au sujet du dernier retard, -et en même temps de se plaindre de la négligence qu'on paraissait -mettre à communiquer officiellement le consentement donné à la -prolongation de l'armistice, comme si ce consentement avait pu être -douteux. Il l'autorisa de plus à déclarer que lorsque les négociateurs -russe et prussien seraient connus et partis pour leur destination, la -France désignerait et ferait partir ses négociateurs, et d'insinuer -que ce seraient probablement MM. de Narbonne et de Caulaincourt.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon profite du temps perdu par les autres cabinets -pour perdre lui-même quatre ou cinq jours en s'absentant.</span> -Tandis qu'il adressait ces réponses, Napoléon se proposait de tirer, -des délais imprudents auxquels l'Autriche s'était prêtée, de nouveaux -délais qu'il rattacherait adroitement à ceux dont il n'était pas -cause. Depuis longtemps il avait projeté certaines excursions pour -visiter, suivant son usage, les lieux qui allaient devenir le théâtre -de la guerre, et il voulait, s'il en avait le loisir, parcourir les -bords de <span class="pagenum"><a id="page83" name="page83"></a>(p. 83)</span> l'Elbe depuis Kœnigstein jusqu'à Hambourg, aller -même passer quelques jours à Mayence avec l'Impératrice, qui était -impatiente de le revoir, et à laquelle il désirait donner des -témoignages publics d'affection. En se montrant tendre et soigneux -pour Marie-Louise, il augmentait pour l'empereur François la -difficulté d'oublier les liens de paternité qui l'unissaient à la -France. -<span class="sidenote" title="En marge">Voyage imprévu à Magdebourg, pour visiter les bords de -l'Elbe.</span> -Il résolut de commencer par la plus utile de ces excursions, -par celle qui devait lui procurer la vue des points importants de -Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg. On était arrivé au 8 juillet. -Napoléon, qui n'avait aucun doute sur la réunion des plénipotentiaires -russe et prussien à Prague le 12 au plus tard, aurait pu nommer les -siens, rédiger leurs instructions, et les faire partir, ou les tenir -prêts à partir au premier signal. Eût-il même fallu différer de -quelques jours ses excursions, il l'aurait dû, car aucun intérêt -n'égalait en ce moment celui d'une prompte réunion du congrès, et -d'ailleurs les inspections locales auxquelles il voulait se livrer, -les revues de troupes qu'il se proposait de passer, n'auraient pas eu -moins d'utilité pour être retardées d'une semaine. Au contraire en -prenant patience encore un jour, il aurait reçu de Prague les -communications qu'il se plaignait de n'avoir pas reçues, il aurait -connu les plénipotentiaires désignés, l'époque précise de leur -réunion, et l'acceptation formelle du nouveau terme assigné à -l'armistice. Mais il lui convenait mieux de se dire contraint à -s'absenter immédiatement, parce qu'alors il n'était tenu de répondre -qu'à son retour, et les quatre ou cinq jours qu'il allait gagner -ainsi pouvaient être considérés <span class="pagenum"><a id="page84" name="page84"></a>(p. 84)</span> comme une conséquence du temps -qu'on avait perdu du 5 au 12 juillet. Il déclara donc tout à coup -qu'ayant différé son départ jusqu'au 9, sans avoir rien reçu de -Prague, il se voyait obligé par les affaires urgentes de son armée, de -quitter Dresde le 10. En même temps, de peur de donner à ses ennemis -le moyen de le faire enlever par une troupe de Cosaques, malgré -l'armistice, il ne dit pas où il allait, certain que lorsqu'on -apprendrait qu'il était quelque part, il n'y serait déjà plus. Il ne -dit pas non plus combien il resterait absent, laissant espérer que ce -serait trois jours au plus, que par conséquent on n'aurait pas -beaucoup à attendre les réponses que son départ ajournait -inévitablement. La diplomatie autrichienne ayant ainsi perdu huit -jours involontairement, il allait en perdre encore très-volontairement -quatre ou cinq, ce qui devait remettre la réunion des -plénipotentiaires, fixée d'abord au 5 juillet, puis au 12, à une -nouvelle époque qui n'était pas déterminée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon le 10 juillet.</span> -Le 10 juillet au matin il partit donc pour Torgau en toute hâte, ne -prenant point un vain prétexte quand il disait s'absenter pour des -affaires importantes, et ne trompant que sur l'urgence de ces -affaires.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Juin 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend en route les graves événements qui -s'étaient passés en Espagne.</span> -Au moment même où il quittait Dresde, on y apprenait les derniers -événements d'Espagne, qui, bien qu'on dût les prévoir d'après ce qui -s'était passé, n'en devaient pas moins causer une surprise bien -agréable pour nos ennemis, bien douloureuse pour nous, et d'une -influence funeste pour l'ensemble de nos affaires. Il faut faire -connaître ces événements, qui par leurs conséquences politiques se -<span class="pagenum"><a id="page85" name="page85"></a>(p. 85)</span> lient nécessairement à ceux dont l'Allemagne était alors le -théâtre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Notre situation en Espagne depuis la réunion des trois -armées du centre, de Portugal et d'Andalousie.</span> -Après la réunion des trois armées du centre, de Portugal et -d'Andalousie, la situation des Français dans la Péninsule offrait -encore bien des chances favorables. Le maréchal Suchet, se maintenant -par son corps le plus avancé à Valence, et par deux autres corps en -Catalogne et en Aragon, était maître de la partie de l'Espagne la plus -essentielle pour nous, et en avait toutes les places fortes en sa -possession. Le roi Joseph était à Madrid avec l'armée du centre, ayant -devant lui, répandue sur le Tage, de Tarancon à Almaraz, l'armée -d'Andalousie, et sur sa droite en arrière, entre la Tormès et le -Douro, l'armée de Portugal. Dans cette position, il n'avait rien à -craindre, si, persistant à tenir ensemble ces forces récemment -réunies, il était toujours prêt à tomber en masse sur les Anglais à -leur première apparition. Ces trois armées en janvier 1813 -présentaient 86 mille hommes de toutes armes, comprenant le reste de -ce que la France avait envoyé de meilleur en Espagne. Délivré des -résistances du maréchal Soult que Napoléon avait emmené avec lui en -Allemagne, débarrassé aussi des entêtements du général Caffarelli, il -pouvait se promettre une exécution plus fidèle de ses ordres. Par -suite de ces changements, le général Clausel commandait l'armée du -nord, le général Reille celle de Portugal, le comte d'Erlon celle du -centre, le général Gazan celle d'Andalousie. Sans le redoutable effet -produit par les événements de Russie, la situation de Joseph n'eût -pas été mauvaise. Mais ces événements avaient singulièrement <span class="pagenum"><a id="page86" name="page86"></a>(p. 86)</span> -excité les esprits, et réveillé chez les Espagnols l'espérance d'être -prochainement délivrés de notre domination.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Conduite des cortès de Cadix.</span> -Les cortès de Cadix gouvernaient toujours assez confusément, mais avec -un ardent patriotisme, les affaires de l'insurrection espagnole, et -lord Wellington avec beaucoup de suite et de fermeté celles de -l'insurrection portugaise. Les cortès avaient, comme nous l'avons -rapporté ailleurs, terminé leur constitution, et, copiant exactement -celle que la France s'était donnée en 1791, elles avaient adopté une -chambre unique et un roi pourvu seulement du véto suspensif. En -attendant que ce roi pût leur être rendu, les cortès prétendaient -représenter la souveraineté tout entière, s'étaient attribué le titre -de Majesté, et accordaient celui d'Altesse à une régence élective, -composée de cinq membres, et investie du pouvoir exécutif en l'absence -de Ferdinand VII. Les cortès avaient contre elles, outre les Français -et les rares partisans de Joseph, tous les amis du vieux régime -qu'elles avaient aboli, et se trouvaient sans cesse en conflit avec la -régence, suspecte à leurs yeux parce qu'elle avait été composée de -grands personnages du clergé et de l'armée. C'est ce qui explique -pourquoi Séville et toute l'Andalousie étant abandonnées par les -Français, les cortès avaient mieux aimé demeurer au milieu du peuple -de Cadix, plus confiantes dans le peuple de cette ville que dans aucun -autre. Sans les malheurs de Russie, sans la défaite de Salamanque, -Joseph, moins contrarié, mieux pourvu d'argent, aurait pu avec le -temps tirer un grand parti des divisions des Espagnols.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page87" name="page87"></a>(p. 87)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Les cortès défèrent à lord Wellington le -commandement des armées espagnoles.</span> -En ce moment une question avait fort ajouté à ces divisions, c'était -celle du commandement des armées. Les succès de lord Wellington, et -surtout les qualités que l'armée portugaise avait déployées sous ses -ordres, avaient suggéré à certains membres des cortès l'idée de lui -offrir le commandement en chef des troupes espagnoles. L'esprit -indépendant et jaloux de la nation avait d'abord opposé des obstacles -à ce projet, mais l'espérance de voir l'armée espagnole égaler bientôt -et surpasser même l'armée portugaise, et en particulier la victoire de -Salamanque, avaient fait taire toutes les répugnances, et on avait -nommé lord Wellington généralissime. Cet illustre personnage avait mis -à son acceptation deux conditions, la première qu'il obtiendrait -l'assentiment de son gouvernement, et la seconde qu'il exercerait sur -l'organisation et les mouvements de l'armée espagnole une autorité -absolue. Le cabinet britannique ayant tout naturellement consenti à ce -qu'il acceptât l'autorité qu'on lui offrait, il s'était transporté à -Cadix pendant l'hiver, pour s'entendre avec la régence sur toutes les -questions que soulevait son futur commandement. Accueilli avec de -grands honneurs, mais attaqué en même temps par les journaux organes -des jalousies nationales, il avait plus d'une fois regretté de s'être -exposé à un semblable traitement et aurait même refusé le généralat, -s'il n'avait craint par son refus de porter un coup funeste à -l'insurrection. On lui avait pourtant accordé à peu près l'autorité -qu'il désirait, mais il craignait fort de ne pas tirer grand parti des -Espagnols, faute d'argent et faute de bons officiers. On lui -promettait <span class="pagenum"><a id="page88" name="page88"></a>(p. 88)</span> l'argent sans moyen de le fournir, et quant aux -officiers, il aurait en vain voulu suppléer à ceux qui lui manquaient -par des officiers anglais. Jamais l'armée espagnole n'aurait souffert, -malgré l'exemple de l'armée portugaise, qu'on lui donnât des étrangers -pour la conduire. Il était parti du reste encore plus applaudi -qu'attaqué, et résolu à s'occuper presque exclusivement de l'armée -espagnole de Galice, qui devait servir sous ses ordres immédiats.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Projet de lord Wellington pour la campagne de 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Il veut, à la tête de cent mille hommes, s'avancer en -Vieille-Castille pour faire tomber d'un seul coup l'établissement des -Français dans la Péninsule.</span> -Revenu à Fresnada, sur la frontière nord du Portugal, il avait employé -tout l'hiver à préparer la campagne prochaine. Son projet était -d'avoir environ 45 mille Anglais, supérieurement organisés, 25 mille -Portugais, et environ 30 mille Espagnols instruits et équipés le moins -mal possible, et de s'avancer ainsi avec une centaine de mille hommes -sur le nord de la Péninsule, afin de couper au pied de l'arbre la -puissance des Français en Espagne. Toutefois, depuis que la -concentration des trois armées de Portugal, du centre et du midi, -avait réuni à Madrid une force de 80 à 90 mille Français, égaux pour -le moins aux Anglais, et bien supérieurs aux Portugais et aux -Espagnols, il regardait son entreprise comme très-hasardeuse, ne -voulait la tenter qu'avec beaucoup de circonspection, et à condition -que les insurgés de Catalogne et de Murcie, soutenus par l'armée -anglo-sicilienne, feraient en sa faveur une forte diversion sur -Valence, et que les flottes anglaises, secondant les bandes des -Asturies et des Pyrénées, donneraient de continuelles occupations à -notre armée du nord. Consulté sur un projet d'invasion dans le midi -de la France pendant qu'on se <span class="pagenum"><a id="page89" name="page89"></a>(p. 89)</span> battait en Saxe avec Napoléon, -il avait répondu que le premier soin des Anglais devait être de forcer -les Français à repasser les Pyrénées, pour n'entrer en France qu'à -leur suite. Mais ce résultat, il avait été bien loin de le promettre -en présence des 86 mille hommes actuellement concentrés sous Joseph -autour de Madrid.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les projets de lord Wellington, faciles à deviner, auraient -dû amener les Français à évacuer Madrid pour se concentrer en -Vieille-Castille.</span> -Ces idées du général en chef britannique, qu'il était facile de -deviner même sans le secours d'aucune information, indiquent -suffisamment quel aurait dû être le plan des Français pour rendre -cette campagne plus heureuse que les précédentes, et ce plan devait -être avant tout de rester réunis, et puis de bien choisir la position -sur laquelle ils s'établiraient. Malheureusement le choix de leurs -positions en avant et en arrière de Madrid n'était pas des mieux -entendus. Lorsque en effet il faudrait se replier pour tenir tête aux -Anglo-Portugais dans la Vieille-Castille, entre Salamanque et -Valladolid, il était à craindre qu'on n'arrivât point à temps, et -surtout qu'on ne fût obligé de se priver, pour la garde de Madrid, de -forces très-regrettables un jour de bataille. Le mieux eût donc été -d'évacuer Madrid, de se transporter à Valladolid, de n'y garder que -l'indispensable en fait de matériel, d'expédier sur Vittoria, malades, -blessés, vivres et munitions, et d'être ainsi dans la nouvelle -capitale qu'on aurait adoptée, concentrés et en même temps allégés de -tout poids inutile. -<span class="sidenote" title="En marge">C'était l'avis du maréchal Jourdan, mais Joseph répugnait à -évacuer Madrid.</span> -C'était l'avis du maréchal Jourdan; mais quoique -d'une parfaite sagesse, ses avis étaient donnés sans énergie, et il en -eût fallu beaucoup pour vaincre la répugnance de Joseph à évacuer -Madrid. Depuis qu'il avait vu lord Wellington <span class="pagenum"><a id="page90" name="page90"></a>(p. 90)</span> fuir devant lui, -et qu'il avait pu rentrer triomphant dans sa capitale, il s'était -encore une fois cru roi d'Espagne, et sans les événements de Russie, -il n'aurait pas même conservé de doute sur son établissement définitif -dans ce pays. Lui proposer maintenant de sortir de Madrid, c'était lui -proposer de redevenir roi vagabond, de rendre aux Espagnols toutes les -espérances qu'ils avaient perdues, de traîner de nouveau sur les -routes une foule de malheureux attachés à son sort, et de se priver du -plus clair de son revenu, qui consistait dans l'octroi de Madrid, et -dans le produit des deux ou trois provinces environnantes. Pourtant -Joseph avait l'esprit si juste, qu'il n'avait pas absolument repoussé -l'idée de quitter Madrid lorsque le maréchal Jourdan lui en avait -parlé, et que si ce dernier eût insisté davantage, on aurait pu -évacuer Madrid en janvier, employer les mois de février et de mars à -réprimer les bandes du nord, puis revenir en avril pour être tous -réunis au mois de mai contre le duc de Wellington, en prenant un mois -entier pour faire reposer les troupes et les préparer à la campagne -décisive de 1813. Ces idées, parfaitement conçues par le maréchal -Jourdan, restèrent donc en projet jusqu'à ce qu'on reçut de Paris des -dépêches de Napoléon, contenant pour cette campagne des instructions -fort arrêtées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Idées de Napoléon sur la conduite à tenir en Espagne -pendant l'année 1813.</span> -Nous avons exposé déjà les pensées de Napoléon à l'égard de l'Espagne -pour l'année 1813. Dégoûté d'une entreprise qui avait déplorablement -divisé ses forces, il y aurait volontiers renoncé s'il l'avait pu, -mais ayant attiré les Anglais dans la Péninsule, <span class="pagenum"><a id="page91" name="page91"></a>(p. 91)</span> il ne -dépendait plus de lui de se débarrasser d'eux à volonté. En ouvrant -par exemple à Ferdinand VII les portes de Valençay, il aurait eu les -Anglais à Toulouse ou à Bordeaux au lieu de les avoir à Burgos ou à -Valladolid. Il fallait donc continuer à combattre au delà des Pyrénées -pour n'être pas obligé de combattre en deçà. Mais Napoléon, comme on -l'a vu, avait réduit cette tâche autant que possible pour 1813, car -loin d'envoyer des renforts en Espagne, il en avait tiré au contraire -des cadres et beaucoup d'hommes d'élite, en se tenant en mesure -néanmoins de conserver la Castille vieille, les provinces basques, la -Catalogne et l'Aragon. Son projet secret était de traiter avec -l'Angleterre, en restituant l'Espagne moins les provinces de l'Èbre à -Ferdinand VII, et en dédommageant celui-ci avec le Portugal, que la -maison de Bragance pouvait bien abandonner depuis qu'elle avait trouvé -au Brésil un si bel asile. C'est ce qui explique pourquoi Napoléon -avait consenti pour la première fois à admettre dans un congrès les -représentants de l'insurrection espagnole.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Désirant ne se réserver de l'Espagne que les provinces de -l'Èbre, et importuné de la présence des guérillas dans le nord de la -Péninsule, Napoléon fonde sur cette double considération ses plans -pour 1813.</span> -C'est d'après ces idées que Napoléon avait tracé ses instructions, -mais toujours d'une manière trop générale, absorbé qu'il était par les -préparatifs de la campagne de Saxe. Dépité de ce qu'un courrier -employait quelquefois trente ou quarante jours pour aller de Paris à -Madrid, tenant surtout à soumettre les provinces de l'Èbre qu'il avait -le projet d'adjoindre à la France, il prescrivit de rétablir à tout -prix les communications, répétant avec sa fougue ordinaire, quand une -pensée le préoccupait, qu'il était <span class="pagenum"><a id="page92" name="page92"></a>(p. 92)</span> scandaleux, déshonorant, -qu'aux portes de France on fût plus en péril qu'au milieu de la Manche -ou de la Castille, et qu'on ne pût aller de Bayonne à Burgos sans être -dévalisé et égorgé. Il ordonna donc d'employer l'hiver à réduire Mina, -Longa, Porlier et tous les chefs de bandes qui infestaient la Navarre, -le Guipuscoa, la Biscaye, l'Alava. -<span class="sidenote" title="En marge">Il prescrit l'évacuation de Madrid, la concentration des -forces françaises en Castille, mais ordonne de prêter l'armée de -Portugal au général Clausel pour détruire les bandes du nord avant -l'ouverture de la campagne.</span> -Pour y réussir plus certainement, -il voulut qu'on évacuât Madrid, qui ne l'intéressait plus guère depuis -qu'il songeait à rendre la couronne à Ferdinand VII, que Joseph -transférât sa cour à Valladolid, qu'il ramenât dès lors la masse des -troupes françaises dans la Vieille-Castille, qu'il rapprochât l'armée -de Portugal de Burgos, et qu'il en prêtât une grande partie au général -Clausel pour détruire les bandes, qu'il reportât l'armée d'Andalousie -de Talavera à Salamanque, l'armée du centre de Madrid à Ségovie, -laissant tout au plus un détachement dans cette capitale, afin qu'elle -ne parût pas définitivement abandonnée. Il prescrivit enfin une -dernière disposition, c'était de donner à l'armée d'Andalousie une -attitude offensive, pour persuader aux Anglais que l'on conservait des -projets sur le Portugal. Napoléon espérait ainsi, en portant de Madrid -à Valladolid le siége du gouvernement et en n'ayant plus qu'une seule -armée au lieu de trois, soumettre par la queue de cette armée les -bandes espagnoles qui ravageaient le nord, et par sa tête menacer le -Portugal, de manière à y fixer les Anglais et à les détourner de toute -entreprise sur le midi de la France. Malheureusement il y avait encore -dans ce plan bien des illusions. D'abord il était fort peu probable -que nous <span class="pagenum"><a id="page93" name="page93"></a>(p. 93)</span> songeassions sérieusement à Lisbonne lorsque nous -étions réduits à évacuer Madrid, et lord Wellington avait montré assez -de bon sens pour qu'on ne pût pas se flatter de l'induire en de telles -erreurs. D'ailleurs il n'était pas nécessaire de l'inquiéter sur le -Portugal pour le retenir dans la Péninsule; il suffisait de le battre -en Castille, à Salamanque, à Valladolid, à Burgos, n'importe où, pour -le clouer de nouveau derrière les lignes de Torrès-Védras. Mais ce -grand objet, on le compromettait évidemment en prêtant l'armée de -Portugal au général Clausel, dans l'espérance de soumettre les bandes -du nord de l'Espagne. Ces bandes étaient pour assez longtemps -indomptables, et Joseph avec raison les représentait comme une Vendée, -sur laquelle les moyens moraux pourraient plus que les moyens -physiques. Il était donc bien douteux que vingt mille hommes de plus -missent le général Clausel en mesure de vaincre les bandes du nord, et -il était bien certain que vingt mille hommes de moins mettraient -Joseph dans l'impossibilité de gagner une bataille sur les Anglais. -Mais tout occupé de refaire la puissance militaire de la France, y -travaillant jour et nuit, continuant à ne pas lire la correspondance -d'Espagne, ordonnant de trop loin, et sans une attention assez -soutenue, Napoléon crut qu'un détachement de vingt mille hommes -accordé au général Clausel lui permettrait d'en finir avec les -guérillas pendant l'hiver, et que le printemps venu, on pourrait se -reporter à temps, et tous ensemble, à la rencontre des Anglais.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les instructions de Napoléon n'arrivent, à cause de la -difficulté des communications, qu'en février et mars.</span> -Les instructions de Napoléon, transmises par le ministre de la guerre -dès le mois de janvier, et réitérées <span class="pagenum"><a id="page94" name="page94"></a>(p. 94)</span> en février, n'arrivèrent -pour la première fois qu'au milieu de février, pour la seconde qu'au -commencement de mars, c'est-à-dire trente jours environ après leur -départ. C'était une première perte de temps extrêmement fâcheuse, -naissant des circonstances mêmes qui affectaient si vivement Napoléon, -c'est-à-dire de l'occupation de toutes les routes par les bandes -insurgées. Il en coûtait beaucoup à Joseph, comme nous venons de le -dire, d'abandonner Madrid, car son autorité sur les Espagnols, ses -finances, et les familles des afrancesados, allaient également en -souffrir. Mais déjà sa raison et le maréchal Jourdan lui avaient dit -qu'il fallait se résoudre à ce sacrifice. Les ordres de Napoléon ne -servirent qu'à l'y déterminer définitivement. Mieux eût valu sans -doute le faire plus tôt, car les troupes qu'on allait prêter au -général Clausel seraient redevenues libres plus promptement, mais -Joseph, quoique inclinant par bon sens à cette résolution, n'avait pu -s'y décider qu'à la dernière extrémité. -<span class="sidenote" title="En marge">Translation de la cour d'Espagne de Madrid à Valladolid.</span> -En conséquence il ordonna la -translation de sa cour et de son gouvernement à Valladolid, mais en -laissant une division à Madrid. La masse des blessés et des malades à -évacuer (il y en avait neuf mille), du matériel à mettre en sûreté, -des familles de fonctionnaires à transporter, était si grande, que -cette évacuation exigea près d'un mois. Le nouvel établissement ne fut -pas terminé avant le commencement d'avril. Les troupes furent -distribuées de la manière suivante. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.) -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle distribution des trois armées de Portugal, -d'Andalousie et du centre, et envoi dans le nord de l'Espagne d'une -partie de celle de Portugal.</span> -L'armée de -Portugal fut transférée de Salamanque à Burgos. Elle avait été réduite -par le renvoi des cadres inutiles et le versement de l'effectif -<span class="pagenum"><a id="page95" name="page95"></a>(p. 95)</span> dans un moindre nombre de régiments, de huit divisions à six, -et elle y avait gagné en organisation ce qu'elle avait perdu en force -numérique. Trois de ces divisions furent envoyées au général Clausel -pour l'aider à soumettre les bandes; une fut retenue à Burgos; deux -furent échelonnées en avant de Palencia, prêtes à soutenir la -cavalerie le long de l'Esla, et observant l'armée espagnole de la -Galice. L'armée d'Andalousie, transportée de la vallée du Tage dans -celle du Douro, et se liant par sa droite avec celle de Portugal, -occupa le Douro et la Tormès pour se tenir en garde contre l'armée -anglo-portugaise campée dans le Béira. Elle occupait Zamora, Toro, -Salamanque, Avila. Une de ses divisions, celle du général Leval, fut -laissée à Madrid, pour continuer l'occupation apparente de la -capitale, et en percevoir les produits. Enfin l'une des deux divisions -de l'armée du centre fut établie à Valladolid même, l'autre à Ségovie, -afin d'appuyer la division Leval, qui restait en l'air au milieu de la -Nouvelle-Castille.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Malgré le départ des chefs les moins obéissants, la -distribution des troupes françaises en trois armées distinctes laisse -subsister les anciennes divisions.</span> -Ces trois armées, qui au mois de janvier présentaient encore 86 mille -hommes aguerris, dont 12 mille de superbe cavalerie, n'en comptaient -plus en avril que 76 mille, par suite du départ des cadres et des -hommes d'élite que Napoléon avait appelés en Saxe. Leur division en -trois armées offrait bien des inconvénients, car malgré la révocation -des chefs qui avaient opposé à l'autorité de Joseph de si funestes -résistances, il restait encore dans les trois états-majors des -tendances à l'isolement, des habitudes d'exploiter le pays pour le -compte de chaque armée, extrêmement <span class="pagenum"><a id="page96" name="page96"></a>(p. 96)</span> dangereuses. Fondre ces -armées en une seule, bien compacte, placer celle-ci sous un chef -unique, tel que le général Clausel, aussi vigoureux sur le champ de -bataille que soumis à l'état-major royal, la réunir tout entière entre -Valladolid et Burgos, lui procurer du repos, réparer son matériel, -composer ses magasins, eût été probablement un moyen de tout sauver. -Malheureusement on n'en fit rien.</p> - -<p>On laissa les trois armées séparées, car Napoléon n'aurait pas vu avec -plaisir la réunion dans les mains de Joseph d'une pareille masse de -forces. Chaque état-major conserva ainsi ses prétentions, et quand, -par le conseil de Jourdan, Joseph ordonna aux administrations de ces -trois armées les mesures nécessaires pour la création des magasins, -chacune d'elles refusa d'obéir à l'état-major général. Il fallut un -ordre nouveau de Paris, qui mit plus d'un mois à parvenir à Madrid, -pour obliger chacun des trois intendants à déférer aux injonctions de -l'intendant en chef. Le temps le plus précieux pour la formation des -approvisionnements fut ainsi perdu. -<span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Portugal réduite successivement à une division -par les envois de troupes en Navarre.</span> -Enfin, après avoir envoyé trois -divisions de l'armée de Portugal au général Clausel pour l'aider à -soumettre les bandes, il fallut lui en expédier une quatrième, puis en -acheminer une cinquième jusqu'à Briviesca, de manière que le général -Reille n'en conserva qu'une avec lui. Il dut même la partager en deux, -et placer l'une de ses brigades à Burgos, l'autre à Palencia, derrière -la cavalerie qui gardait l'Esla. On n'avait donc, si les -Anglo-Portugais arrivaient brusquement, que deux des trois armées à -leur opposer, et <span class="pagenum"><a id="page97" name="page97"></a>(p. 97)</span> déjà le bienfait de la concentration, auquel -on avait dû, après la malheureuse bataille de Salamanque, le -rétablissement de nos affaires, était presque annulé. Si encore ces -renforts envoyés au général Clausel l'avaient mis en mesure d'anéantir -les bandes de guérillas, le mal de la dispersion, quoique irréparable, -n'aurait pas été sans compensation. Mais cette Vendée espagnole était -aussi difficile à vaincre que l'avait été la Vendée française, et il -devenait évident que la force sans les moyens moraux et politiques -serait insuffisante pour y réussir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts impuissants du général Clausel pour détruire les -bandes, malgré le secours de presque toute l'armée de Portugal.</span> -La marine anglaise, côtoyant sans cesse le rivage des Asturies de -Santander à Saint-Sébastien, y versant des armes, des munitions, des -objets d'équipement, des vivres, concourant à l'attaque ou à la -défense des postes maritimes, apportait aux insurgés un secours qui -doublait leurs moyens et leur audace. Porlier, Campillo, Longa, Mina, -Mérino, tantôt réunis, tantôt séparés, toujours bien informés, -évitaient nos colonnes dès qu'elles étaient en nombre, ne les -abordaient que lorsqu'elles s'étaient divisées pour courir après eux, -et alors avaient l'art de se rejoindre pour les accabler. Ils -n'avaient emporté nulle part d'avantages considérables, mais ils -avaient détruit jusqu'à deux bataillons à la fois, notamment à Lerin, -et bien que le général Clausel eût cinquante mille hommes à leur -opposer, qu'il mît la plus grande activité à les poursuivre, il ne -parvenait que rarement à les atteindre, et presque jamais à garantir -les communications, parce que pour garder efficacement les routes il -eût fallu en occuper tous les points, ce qui était absolument -impossible. Le général Clausel avait <span class="pagenum"><a id="page98" name="page98"></a>(p. 98)</span> repris Castro sur le bord -de la mer, rendu les Anglais circonspects, traité Mina rudement, -ravitaillé Pampelune, actes fort méritoires sans doute, mais de peu -d'importance pour les affaires générales de la Péninsule. Il n'en -fallait pas moins trois à quatre mille hommes d'escorte pour voyager -en sûreté de Bayonne à Burgos, si l'objet ou le personnage escorté -attirait l'attention de l'ennemi; et en attendant, pour un si mince -résultat, on consumait les forces des troupes qui étaient la dernière -ressource qu'on pût opposer aux Anglais!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Lord Wellington entre en campagne au mois de mai.</span> -Tandis qu'on s'épuisait de la sorte en courses inutiles, les mois -d'avril et de mai s'étaient écoulés, et le moment des grandes -opérations étant venu, lord Wellington avait quitté ses cantonnements. -Il entrait en campagne avec 48 mille Anglais, 20 mille Portugais, 24 -mille Espagnols, ces derniers mieux armés, mieux vêtus que de coutume; -il avait ainsi plus de 90 mille hommes à sa disposition. Son intention -était de faire passer d'abord l'Esla par sa gauche que commandait sir -Thomas Graham, et de n'aborder avec son centre et sa droite la ligne -du Douro plus difficile à forcer, que lorsque sa gauche se trouverait -par le passage de l'Esla sur les derrières des Français qui -défendaient le Douro. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.) Cette fois il marchait -avec un parc d'artillerie de siége, et n'était plus exposé à échouer -devant un ouvrage comme le fort de Burgos.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Il se porte avec 90 mille hommes sur l'Esla et le Douro.</span> -Le 11 mai sa gauche exécuta un premier mouvement, et se répandit le -long de l'Esla. La cavalerie du général Reille, n'étant soutenue que -par une brigade d'infanterie, n'avait pu se montrer ni hardie <span class="pagenum"><a id="page99" name="page99"></a>(p. 99)</span> -ni vigilante, et l'Esla était passé avant qu'elle fût en mesure de le -savoir ou de l'empêcher. Les Anglais ne se hâtèrent pas de nous -pousser vivement, car une aile ne voulait pas marcher sans l'autre, et -vers le 20 mai seulement lord Wellington, avec sa droite, se porta sur -Salamanque et la Tormès. Le 24 il fut signalé au général Gazan comme -s'avançant à la tête de forces considérables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les troupes françaises surprises dans un véritable état de -dispersion.</span> -L'armée française, qui aurait dû être prête et concentrée dès le -1<sup>er</sup> mai aux environs de Valladolid, se voyait surprise dans la -situation la plus fâcheuse. Sans doute le maréchal Jourdan plus jeune, -Joseph plus actif et plus décidé, n'auraient pas souffert que les -choses restassent dans l'état où l'ennemi allait les trouver. Ainsi, -malgré l'extrême difficulté des informations en Espagne, ils auraient -tâché de se tenir plus au courant des mouvements des Anglais; malgré -les ordres de l'Empereur, qui après tout étaient des instructions -plutôt que des ordres, ils auraient pu, à l'approche du danger, -rappeler les divisions de l'armée de Portugal prêtées au général -Clausel, attirer auprès d'eux ce général lui-même, seul capable de -commander en chef dans une grande bataille, ils auraient pu au moins -concentrer davantage les armées d'Andalousie et du centre, et ce qui -restait de celle de Portugal; enfin, malgré la résistance des -administrations particulières qu'il fallait briser au besoin, ils -auraient pu créer à Burgos les magasins sans lesquels il était -impossible que dans un tel pays on manœuvrât en liberté. Mais -Jourdan, dégoûté du régime impérial dont il voyait de si près les -abus, d'une guerre dont il avait depuis longtemps prédit <span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> les -funestes conséquences, se ressentant déjà des effets de l'âge, retenu -seulement par son affection pour Joseph, et n'aspirant qu'à rentrer en -France, se contentait de signaler avec un rare bon sens les fautes -qu'on allait commettre, et ne savait pas communiquer à Joseph le -courage de les prévenir. Joseph, jugeant avec discernement le vice des -choses, savait s'irriter quelquefois contre son frère et jamais lui -désobéir, ni prendre, comme général et comme roi, l'autorité qu'après -tout on ne l'aurait pas puni d'avoir prise. Jourdan se consolait trop -de tout ce qu'il voyait par le mépris peu dissimulé d'un honnête -homme, Joseph se désolait, mais les choses n'en suivaient pas moins -leur cours parfois heureux, plus ordinairement malheureux, et destiné -à devenir désastreux dans un temps très-prochain.</p> - -<p>C'est ainsi que lord Wellington, en marche dès le 11 mai par sa -gauche, le 20 par sa droite, trouva l'armée d'Andalousie dispersée de -Madrid à Salamanque, celle du centre de Ségovie à Valladolid; celle de -Portugal de Burgos à Pampelune.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Lente concentration des trois armées françaises sur -Valladolid.</span> -Le premier soin devait être de rappeler de Madrid la division Leval, -et de lui faire repasser le Guadarrama pour la transporter à -Valladolid. Le général Gazan aurait pu en donner l'ordre sur-le-champ, -mais comme il s'agissait d'abandonner définitivement la capitale, il -crut devoir venir à Valladolid même s'en entendre avec Joseph. On -perdit ainsi deux jours. L'autorisation d'évacuer fut expédiée le 25 -de Valladolid. En même temps on envoya à toutes les troupes sur les -lignes de la Tormès, du Douro, de l'Esla, l'ordre de rétrograder -lentement, afin de ménager à <span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> la division Leval le temps de se -replier, et comme le général Reille n'avait pour appuyer sa cavalerie -le long de l'Esla qu'une des deux brigades de la division Maucune, on -lui prêta une division de l'armée du centre, celle du général -Darmagnac. On laissa le reste de l'armée du centre échelonné sur -Ségovie pour recueillir la division Leval. L'armée d'Andalousie, la -plus entière des trois, dut se retirer de Salamanque sur Tordesillas -(voir la carte n<sup>o</sup> 43), en cédant le terrain peu à peu, afin que -toutes nos troupes dispersées eussent le temps de se concentrer. -<span class="sidenote" title="En marge">Avis envoyé au général Clausel de l'approche des Anglais, -et ordre d'accourir lui-même avec les divisions de l'armée de Portugal -qu'on lui a prêtées.</span> -À ces -mesures, dictées par la situation, on en ajouta une dernière, ce fut -d'avertir le général Clausel de l'approche des Anglais, de lui -redemander les cinq divisions de l'armée de Portugal, de l'engager à -venir lui-même avec quelques troupes de l'armée du nord, afin d'avoir -au moins 80 mille hommes à opposer aux Anglais. Enfin on écrivit au -ministre de la guerre Clarke, pour lui faire connaître l'état des -choses, et le presser d'ordonner de son côté la concentration des -forces. Ce ministre, demeuré seul à Paris depuis que Napoléon était -parti pour l'Allemagne, ne savait que répéter sans discernement les -ordres de l'Empereur, qui prescrivaient, comme objet essentiel, de -rétablir les communications avec la France, de rester maître avant -tout des provinces du nord, et de prendre une attitude offensive à -l'égard du Portugal, afin de détourner les Anglais de toute tentative -contre les côtes de France. Quelques jours même avant l'apparition des -Anglais, il n'avait pas craint d'ordonner l'envoi en Aragon d'une -nouvelle division de l'armée de Portugal, pour maintenir les -communications <span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> avec le maréchal Suchet. Il n'y avait donc pas -grand secours à attendre du duc de Feltre. Le seul service qu'il pût -rendre, c'était de transmettre de son côté au général Clausel l'avis -de la marche des Anglais, ce qui n'était pas indifférent, car, malgré -tout ce qu'on avait fait pour communiquer sûrement avec l'armée du -nord, on n'était pas certain d'y réussir avant trois ou quatre -semaines. Au surplus le général Clausel était si bon compagnon -d'armes, et comprenait si bien l'importance de battre les Anglais, -qu'aussitôt averti il ne pouvait manquer de renvoyer les divisions de -l'armée de Portugal, et de venir lui-même avec les troupes disponibles -de l'armée du nord.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">On dispute aux Anglais le terrain pied à pied.</span> -Heureusement pour les premiers jours de la campagne on avait affaire à -un ennemi solide, mais circonspect, et nos soldats, aussi vaillants -que bien commandés, n'étaient pas faciles à déconcerter. Le général -Reille recueillit sa cavalerie, se retira en bon ordre sur Palencia, -et avec la division d'infanterie Maucune, la seule qui lui restât, -avec la division Darmagnac qui lui avait été prêtée, mit hors -d'atteinte la route de Valladolid à Burgos, laquelle était la ligne de -retraite de l'armée. Le général Villatte, placé sur la Tormès, la -défendit vaillamment, même trop vaillamment, car s'il était utile de -retarder l'ennemi, il était dangereux de prétendre l'arrêter, et il -perdit ainsi quelques centaines d'hommes, mais après en avoir fait -perdre beaucoup plus aux Anglais. Grâce à cette attitude et à la -prudente lenteur de lord Wellington, le général Leval put évacuer -Madrid, et repasser sain et sauf le Guadarrama, <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> ramenant -avec lui les derniers restes de notre établissement à Madrid. Il -rejoignit l'armée du centre à Ségovie. Le 2 juin on se trouvait dans -les positions suivantes: le général Reille entre Rio-Seco et Palencia -avec sa cavalerie et deux divisions; l'armée d'Andalousie à -Tordesillas sur le Douro, avec ses quatre divisions; enfin l'armée du -centre à Valladolid avec une division française et une espagnole. -C'était un total d'environ 52 mille hommes, au lieu de 76 mille qu'on -aurait pu réunir, si on n'avait pas sitôt renoncé aux avantages de la -concentration pour le chimérique projet de la destruction des bandes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Trois partis à prendre après la concentration opérée autour -de Valladolid.</span> -Une fois groupés autour de Valladolid, il y avait trois partis à -prendre (voir la carte n<sup>o</sup> 43): le premier, de s'arrêter et de livrer -bataille tout de suite avec 52 mille hommes contre 90 mille, ce qui -était imprudent et prématuré, chaque pas fait en arrière donnant la -chance de recouvrer une ou plusieurs divisions de l'armée de Portugal; -le second, de se retirer sur Burgos, puis sur Miranda et Vittoria, -jusqu'à ce qu'on eût rejoint l'armée du nord elle-même, ce qui était -simple et peu chanceux; le troisième enfin, de ne pas quitter la ligne -du Douro, de manœuvrer sur ce fleuve en le remontant -transversalement jusqu'à Aranda, même jusqu'à Soria, d'où par une -route que le maréchal Ney avait suivie en 1808, on serait tombé entre -Tudéla et Logroño, c'est-à-dire en Navarre, précisément au point où -l'on était assuré de rencontrer le général Clausel et même le maréchal -Suchet, si des événements extraordinaires exigeaient la concentration -générale de toutes nos forces, plan assez hardi en apparence, mais le -plus sûr en réalité. <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> Les trois projets furent pris en -considération et discutés. -<span class="sidenote" title="En marge">L'avis de se retirer directement sur Burgos et Miranda, et -d'y attirer le général Clausel, est adopté.</span> -Personne n'imagina de se battre -immédiatement avec 52 mille hommes contre 90 mille, quand on devait se -flatter d'en avoir chaque jour davantage. On ne méconnut pas le mérite -du troisième plan, consistant à remonter le cours du Douro jusqu'aux -approches de la Navarre, mais on le jugea téméraire et compliqué, et -surtout on lui trouva le défaut d'abandonner la route de Bayonne, et -de négliger le soin des communications si recommandé par les -instructions de Paris, comme si une armée anglaise aurait jamais osé -franchir les Pyrénées, en laissant une armée de 80 mille Français sur -ses derrières, et de 150 mille en comptant le maréchal Suchet. Par ces -divers motifs on préféra le second plan, celui qui consistait à se -retirer paisiblement sur Burgos, en écrivant lettres sur lettres pour -ramener les divisions prêtées au général Clausel, sinon toutes, au -moins celles qui recevraient en temps utile l'avis qu'on leur -expédiait.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Évacuation de Valladolid, et retraite sur Burgos.</span> -Cette retraite commença donc, et il fallut après Madrid abandonner -Valladolid même, cette seconde capitale qu'on venait de se créer dans -la Vieille-Castille. On achemina devant soi le matériel, les malades, -les blessés, les afrancesados, et la marche ne put être que fort -lente. Les troupes, mal approvisionnées, étaient obligées de s'étendre -pour vivre, ce qui rendait la retraite peu sûre. Heureusement nous -avions dix mille hommes d'une excellente cavalerie, l'ennemi n'était -pas entreprenant, et on put ainsi se retirer sans accident fâcheux. -Lord Wellington, attendant la fortune sans jamais courir <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span> -après elle, savait bien qu'il en faudrait venir à une bataille -générale, et se résignait à cette chance, mais avec la résolution de -ne combattre, suivant son usage, que sur un terrain favorable, et -jusqu'à ce moment il semblait se contenter d'un seul résultat, celui -de nous ramener vers les Pyrénées. Dans cette intention, il portait -toujours en avant sa gauche partie des frontières de la Galice, de -manière à menacer notre droite (droite en tournant le dos aux -Pyrénées), et à décider ainsi plus vite nos mouvements rétrogrades. On -ne comprend même pas comment ce général si sensé, se hâtait lui-même -de nous pousser sur nos renforts, et ne cherchait pas une occasion de -nous joindre, lorsqu'au lieu d'être 70 mille nous n'étions que 50 -mille.</p> - -<p>Le 6 juin on atteignit les environs de Palencia, et une reconnaissance -exécutée par Joseph et Jourdan révéla complétement cette disposition -des Anglais de porter toujours leur gauche renforcée sur notre droite. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 7 juin aux environs de Burgos.</span> -Le 7 on continua de marcher sur Burgos, et on vint prendre la position -de Castro-Xeriz, entre la Puyserga et l'Arlanzon, en avant de Burgos. -La rareté des subsistances ne permettant pas de conserver cette -importante position aussi longtemps qu'on l'aurait voulu, on se replia -sur Burgos le 9. Le général Reille avec la division Maucune et la -division Darmagnac s'établit sur le Rio Hormaza, le général Gazan avec -l'armée d'Andalousie derrière le Rio Urbel, à cheval sur l'Arlanzon, -l'armée du centre dans l'intérieur de Burgos.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Impossibilité de séjourner à Burgos par suite du défaut de -vivres, et par la nécessité où l'on est de rallier le général -Clausel.</span> -On s'était pressé, faute de vivres, d'arriver à Burgos, et on devait, -faute de vivres encore, se <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> presser d'en partir. Les nombreux -convois de malades, d'expatriés, de conducteurs d'artillerie, -accumulés à Burgos, avaient dévoré les magasins peu considérables -qu'on avait formés dans cette ville, et les troupes pouvaient à peine -y subsister quelques jours. On achemina de nouveau ces convois sur -Miranda et Vittoria, et on eut le tort, une fois la résolution adoptée -de rétrograder jusqu'aux Pyrénées, de ne pas envoyer tous les embarras -à Bayonne, pour en délivrer complétement l'armée. On fit reposer les -troupes quelques jours afin de consommer les subsistances qui -restaient, et de gagner un temps qui était gagné pour la -concentration, car chaque jour qui s'écoulait ajoutait aux chances de -rallier le général Clausel. À Burgos d'ailleurs on avait trouvé la -division Lamartinière, l'une de celles qu'on avait prêtées à l'armée -du nord, et qui était la plus nombreuse de l'armée de Portugal. Elle -procurait près de 6 mille hommes de plus au général Reille, ce qui -permit de rendre à l'armée du centre la division Darmagnac qu'on lui -avait temporairement empruntée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Avant de quitter Burgos on discute encore une fois le plan -à suivre, et on examine s'il faut se diriger sur Vittoria, ou faire un -détour, pour rejoindre en Navarre le général Clausel.</span> -C'était une nouvelle raison de se rapprocher de l'Èbre, et de pousser -plus loin le mouvement rétrograde, car si on ne ralliait pas toutes -les divisions envoyées au général Clausel, on pouvait du moins en -recouvrer encore une ou deux, et un tel renfort était d'une importance -décisive. Au surplus les vivres manquaient et il fallait aller se -nourrir plus loin. Ici s'élevait pour la seconde fois la question de -savoir, si on continuerait à suivre la grande route de Bayonne, pour -rester fidèle aux ordres qui avaient tant recommandé le soin des -communications avec la France, ou <span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> si on opérerait un -mouvement transversal, pour déboucher sur l'Èbre à Logroño, au lieu -d'y arriver par Miranda, ce qui rendait la réunion avec le général -Clausel presque infaillible. C'était, sans aucune des objections qu'il -avait d'abord provoquées, le plan qui avait été repoussé à Valladolid, -et qui consistait à se porter en Navarre par Soria, afin de rejoindre -plus sûrement le général Clausel. Cette fois le détour à faire était -si peu considérable, et la certitude de la jonction avec le général -Clausel, qui opérait en Navarre, d'un intérêt si capital, qu'on a -peine à comprendre la résistance à une telle proposition. Les généraux -Reille et d'Erlon l'appuyèrent fort; mais le maréchal Jourdan et -Joseph, moins bien inspirés que de coutume, dominés surtout par les -instructions de Paris répétées à chaque courrier, craignirent de -découvrir les communications avec Bayonne, et persistèrent à se -diriger directement sur Miranda et Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">La marche directe sur Vittoria prévaut. Nouvel avis au -général Clausel.</span> -Seulement n'ayant pas de -nouvelles du général Clausel, on lui envoya, cette fois sous l'escorte -de quinze cents hommes, l'avis de l'arrivée de l'armée dans la -direction de Vittoria. On prit donc encore le parti de rétrograder sur -l'Èbre par Briviesca, Pancorbo, Miranda.</p> - -<p>Le 12 juin le général Reille voyant les Anglais essayer de nouveau de -déborder notre droite (nous répétons qu'il s'agit de notre droite le -dos tourné aux Pyrénées), voulut les contraindre à déployer leurs -forces, et tint en arrière du Rio Hormaza. Les Anglais montrèrent -environ 25 mille hommes, mais le général Reille, qui n'en avait pas la -moitié, manœuvra avec tant d'aplomb et de vigueur qu'il leur -<span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> tua trois ou quatre cents hommes, sans en perdre lui-même -plus d'une cinquantaine, et repassa le Rio Hormaza et même l'Arlanzon -dans un ordre parfait. Il était évident que les Anglais, sans être -impatients de nous livrer bataille, voulaient cependant nous -contraindre à leur céder le terrain en débordant toujours l'une de nos -ailes. -<span class="sidenote" title="En marge">Départ de Burgos le 13 juin.</span> -Le 13 on se détermina à partir de Burgos, et comme dans cette -campagne on savait lord Wellington pourvu d'un équipage de siége -considérable, que d'ailleurs on ne voulait pas se priver de deux ou -trois mille hommes en les laissant à Burgos que nous n'avions guère -l'espérance de revoir, on se décida à faire sauter le fort qui nous -avait rendu de si grands services l'année précédente. Il fut résolu -que les munitions dont il était rempli et qu'on ne pouvait pas -transporter, seraient livrées aux flammes ainsi que le fort lui-même.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Explosion du fort de Burgos.</span> -Le 13, pendant que nous marchions sur Briviesca, l'armée fut attristée -par une effroyable explosion, triste signe d'une retraite sans espoir -de retour, et on sut, par l'arrière-garde, que cette opération, -exécutée sans les précautions nécessaires, avait causé à nos troupes, -et surtout à la ville, des dommages assez considérables. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Miranda le 16 juin.</span> -On arriva le -14 juin à Briviesca, le 15 à Pancorbo, le 16 à Miranda. Parvenu à ce -dernier point, on était au bord de l'Èbre, et un pas de plus on allait -être à Vittoria, au pied même des Pyrénées. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.) -L'ennemi s'était avancé par sa gauche jusqu'à Villarcajo, continuant -sa manœuvre accoutumée de déborder notre droite. En même temps on -avait appris que le général Clausel, à la première nouvelle de -l'approche des Anglais, <span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> s'était hâté de diriger sur l'armée -la division Sarrut qu'on venait de recueillir en route, la division -Foy qui était encore sur les revers des Pyrénées entre Mondragon et -Tolosa, et qu'il s'avançait lui-même par Logroño en remontant l'Èbre, -avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, et deux -divisions de l'armée du nord. On l'espérait à Logroño pour le 20.</p> - -<p>C'était le cas d'exécuter le plus simple des mouvements, c'est-à-dire -de descendre l'Èbre de Miranda à Logroño, ce qui aurait entraîné un -détour de quelques lieues à peine, et assuré d'une manière certaine la -jonction avec le général Clausel. Mais la route directe de Bayonne par -Vittoria préoccupait plus que jamais Joseph et Jourdan. On craignait -non-seulement de la découvrir en descendant l'Èbre jusqu'à Logroño, -mais même en restant sur la route de Miranda à Vittoria, de ne pas la -protéger assez, car l'ennemi pouvait par Villarcajo franchir les -montagnes un peu plus haut, se porter par Orduña sur Bilbao, pousser -de Bilbao à Tolosa, et nous couper la route de Bayonne. Pour parer à -ce danger, le maréchal Jourdan voulait porter l'armée de Portugal par -Puente-Larra sur Orduña, afin de fermer le débouché par lequel la -route de Vittoria à Bayonne aurait pu être interceptée. C'était -l'obstination du ministre de la guerre à reproduire les premiers -ordres de Napoléon qui amenait cette funeste pensée, laquelle aurait -privé Joseph des trois divisions du général Reille jusqu'à ce qu'on -eût repassé les Pyrénées, et eût replacé l'armée, même après la -réunion avec le général Clausel, dans le dangereux <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> état -d'infériorité numérique où elle se trouvait dans le moment. -<span class="sidenote" title="En marge">Probabilité et presque certitude d'une grande bataille -avant de repasser les Pyrénées.</span> -Or, il -n'était pas probable que les Anglais nous laissassent franchir les -Pyrénées sans livrer bataille, bien qu'en apparence ils n'eussent -d'autre but que celui de nous faire évacuer l'Espagne. Le maréchal -Jourdan était disposé à ne pas leur supposer d'autres intentions, et -il faut reconnaître que leur conduite habituelle donnait quelque -crédit à une opinion pareille.</p> - -<p>On avait séjourné le 17 juin à Miranda, pour procurer quelque repos à -l'armée. Il fallait cependant prendre un parti, car on ne pouvait -demeurer plus longtemps en cet endroit, et permettre à l'ennemi de -nous devancer aux divers cols des Pyrénées. Il y avait toujours eu -deux avis bien distincts dans l'état-major, l'un consistant à se -diriger le plus tôt possible, par un mouvement transversal, sur -Logroño et la Navarre, afin de rallier le général Clausel, sans tenir -compte du mouvement des Anglais contre notre droite, car ils ne -pouvaient pas songer à passer ces montagnes tant qu'ils n'auraient pas -gagné sur nous une bataille décisive; l'autre au contraire consistant -à donner une attention extrême au mouvement par lequel les Anglais -menaçaient nos communications, et à parer à ce mouvement en ne -quittant pas la grande route de Bayonne, et en y appelant le général -Clausel, qu'on espérait d'ailleurs y voir arriver d'un instant à -l'autre. Le premier avis était celui du général Reille et du comte -d'Erlon; le second était celui du maréchal Jourdan et du roi Joseph -fatalement dominés par les ordres de Paris.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle discussion à Miranda sur la direction à suivre.</span> -Le conflit entre les deux opinions fut fort vif à Miranda, <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> -car le moment était venu d'opter entre l'une ou l'autre. -<span class="sidenote" title="En marge">L'avis du général Reille et du général comte d'Erlon est de -se porter en Navarre.</span> -Le général -Reille soutenait que le général Clausel s'étant fait annoncer sur -l'Èbre aux environs de Logroño, il fallait se hâter d'y descendre pour -le rejoindre, et que toute considération devait céder devant le grand -intérêt de la concentration de nos forces, répétant ce qu'il avait -toujours dit, que le mouvement par lequel les Anglais cherchaient à -nous déborder n'était pas une menace sérieuse, tant qu'ils ne nous -auraient pas sérieusement battus. -<span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph insistent pour la marche directe sur -Vittoria.</span> -Le maréchal Jourdan et Joseph, au -contraire, craignaient par-dessus tout le mouvement qui transportant -les Anglais par Orduña sur Bilbao et Tolosa, les placerait entre nous -et Bayonne, au revers de la grande chaîne des Pyrénées. De plus le -convoi comprenant toutes nos évacuations, nos malades, nos blessés, -les expatriés espagnols, se trouvait à Vittoria, et descendre sur -Logroño c'était le découvrir, et le livrer à l'ennemi. Enfin le -général Clausel, auquel on avait indiqué Vittoria comme point de -rendez-vous, pouvait bien s'y être dirigé sans venir à Logroño, et, -dans ce cas, il serait lui-même aussi compromis que le convoi.</p> - -<p>Il faut reconnaître que l'avis du général Reille et du comte d'Erlon, -bien que le meilleur, comme on le verra bientôt, avait perdu de son -mérite apparent depuis qu'on avait envoyé le convoi à Vittoria, et -qu'on avait fait dire au général Clausel de s'y rendre, car, sans même -partager la crainte d'être tourné par Orduña, le danger de découvrir -le convoi, peut-être le général Clausel lui-même en descendant -obliquement sur Logroño, était un motif <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> très-spécieux de -continuer à marcher directement sur Vittoria, et on ne saurait blâmer -Joseph et le maréchal Jourdan d'avoir persisté dans leur première -opinion, surtout en tenant compte des ordres de Paris, qui leur -faisaient un devoir impérieux de veiller à leurs communications avec -la France.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ils envoient le général Reille à Orduña, de crainte d'être -tournés par les Anglais.</span> -Joseph et le maréchal Jourdan ne se bornèrent pas à adopter la marche -directe sur Vittoria, ils voulurent se donner tout repos d'esprit -relativement au danger d'être tourné par Orduña et Bilbao, et ils -prescrivirent au général Reille de se porter par Puente-Larra sur -Osma, par Osma sur Orduña et Bilbao, tandis que le reste de l'armée -s'avancerait immédiatement sur Vittoria. On espérait rallier à -Vittoria le général Clausel, gagner par cette réunion plus qu'on -n'aurait perdu par le départ du général Reille, et, adossés ainsi aux -Pyrénées avec les généraux Gazan, d'Erlon, Clausel, ayant sur le -revers de ces montagnes le général Reille pour parer à un mouvement -tournant, opposer partout à l'ennemi une barrière de fer. Mais en -prenant de telles dispositions, il aurait fallu avertir le général -Clausel autrement que par des paysans ou des officiers détachés; il -aurait fallu, par un régiment de cavalerie (arme dont on avait -beaucoup plus qu'on ne pouvait en employer), lui adresser à Logroño -même l'indication du vrai rendez-vous, et expédier des ordres positifs -pour hâter le départ du convoi de Vittoria, afin de ne pas l'y -rencontrer sur son chemin, et de n'y pas tomber dans un encombrement -dangereux<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> Le sens, le jugement ne faisaient jamais défaut ni à Joseph, -ni au maréchal Jourdan; mais, ainsi que nous l'avons dit ailleurs, -l'activité qui multiplie les précautions, qui ne se fie jamais aux -ordres donnés une seule fois, cette activité qui vient de la jeunesse -et d'une extrême ardeur d'esprit, leur manquait absolument. Ils -résolurent donc de diriger le général Reille avec ce qu'il avait de -l'armée de Portugal sur Osma, les généraux Gazan et d'Erlon avec les -armées du centre et d'Andalousie sur Vittoria, sans prendre -malheureusement aucune des précautions que nous venons d'indiquer.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Miranda le 18.</span> -Le 18 le général Reille se mit en mouvement sur Osma avec les -divisions Sarrut, Lamartinière et Maucune. Mais à peine cette dernière -était-elle en marche qu'elle fut assaillie par une nuée d'ennemis, -auxquels elle n'échappa qu'à force de vigueur et de présence d'esprit. -Le général Reille arrivé à Osma, trouva des troupes nombreuses vers -Barbarossa, déjà postées à tous les abords des montagnes, et ne -permettant pas d'en approcher. C'étaient les Espagnols de l'armée de -Galice, qui avaient pris les devants pour occuper avant nous les -passages des Pyrénées. On aurait pu croire que conformément aux -conjectures du maréchal Jourdan et du roi Joseph, ils allaient -franchir les Pyrénées à Orduña pour couper la route de Bayonne; mais -ils n'y songeaient pas. Ils voulaient seulement nous devancer au pied -des montagnes, pour prendre des positions dominantes <span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> dans -notre flanc, si nous étions décidés à livrer une bataille défensive le -dos appuyé aux Pyrénées, ou nous précéder tout au plus au col de -Salinas, pour nous entamer avant que nous eussions regagné la -frontière de France.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Reille trouvant l'ennemi sur la route d'Orduña, -revient vers Vittoria.</span> -Le général Reille voyant la route d'Orduña interceptée, renonça -facilement à une opération qu'il blâmait, et se décida à regagner par -un mouvement latéral la grande route de Miranda à Vittoria. De son -côté Joseph avait décampé dans la nuit du 18 au 19 juin pour se rendre -à Vittoria, et le 19 au matin tous nos corps étaient en pleine marche -sur cette ville. -<span class="sidenote" title="En marge">Description du bassin de Vittoria.</span> -Vittoria, située au pied des Pyrénées sur le versant -espagnol, s'élève au milieu d'une jolie plaine entourée de montagnes -de tous les côtés. Si on y prend position le dos tourné aux Pyrénées, -on a sur la droite le mont Arrato, qui vous sépare de la vallée de -Murguia, devant soi la Sierra de Andia, et sur la gauche enfin des -coteaux à travers lesquels passe la route de Salvatierra à Pampelune. -Une petite rivière, celle de la Zadorra, arrose toute cette plaine, en -coulant d'abord le long des Pyrénées où elle a sa source, puis en -longeant à droite le mont Arrato, pour s'échapper par un défilé -très-étroit à travers la Sierra de Andia.</p> - -<p>Le gros de notre armée venant de Miranda et des bords de l'Èbre, -parcourait la grande route de Bayonne, qui pénètre directement dans la -plaine de Vittoria par le défilé que suit la rivière de la Zadorra -pour en sortir. Le général Reille y arrivait latéralement, en s'y -introduisant par les divers cols du mont Arrato. Le corps avec lequel -lord Wellington avait <span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> toujours essayé de nous déborder, et -qui était composé d'Espagnols et d'Anglais, aurait pu nous devancer -aux passages du mont Arrato, et occuper ainsi avant nous la plaine de -Vittoria, si le général Reille, qui dans son mouvement latéral lui -était opposé, ne l'eût contenu par la vigueur avec laquelle il disputa -le terrain toute la journée du 19. Par le fait, le détour qu'on avait -prescrit au général Reille, inutile quant au but qu'on s'était d'abord -proposé, eut néanmoins des conséquences heureuses, car s'il ne nous -préserva pas du danger chimérique de voir la route de Bayonne coupée -au delà des Pyrénées, il nous sauva du danger de la voir interceptée -en deçà, par l'occupation même du bassin de Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">Réunion le 19 au soir de nos trois armées dans le bassin de -Vittoria.</span> -Le 19 au soir, -nos trois armées s'y trouvaient réunies sans aucun accident. Le -général Reille avait tué beaucoup de monde à l'ennemi, et n'en avait -presque pas perdu.</p> - -<p>Il devenait urgent d'arrêter ses résolutions. Il n'était pas à -présumer que lord Wellington nous laissât repasser les Pyrénées sans -nous livrer bataille, car une fois parvenus à la grande chaîne, -adossés à ses hauteurs, embusqués dans ses vallées, nous n'étions plus -abordables, et concentrés d'ailleurs avant d'avoir été atteints, nous -pouvions tomber sur l'armée anglaise avec 80 mille hommes, et -l'accabler. Lord Wellington avait déjà commis une faute assez grave en -nous permettant d'aller si loin sans nous joindre, et en nous donnant -ainsi tant de chances de rallier le général Clausel, mais on ne -pouvait pas supposer qu'il la commettrait plus longtemps. -<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité pour les Français de livrer bataille.</span> -On devait -donc s'attendre à une bataille prochaine, à moins <span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> qu'on ne -quittât tout de suite Vittoria pour franchir le col de Salinas, et -descendre sur la Bidassoa. Mais ce parti était à peu près impossible. -Repasser les Pyrénées sans combat, c'était fuir honteusement devant -ceux que quelques mois auparavant on avait mis en fuite près de -Salamanque; c'était abandonner le général Clausel aux plus grands -périls, car on le laissait seul sur le revers des Pyrénées; c'était y -laisser aussi, moins immédiatement compromis, mais compromis -cependant, le maréchal Suchet avec tout ce qu'il avait de forces -répandues depuis Saragosse jusqu'à Alicante. Ainsi l'honneur -militaire, le salut du général Clausel, la sûreté du maréchal Suchet, -tout défendait de repasser les Pyrénées, et il fallait combattre à -leur pied, c'est-à-dire dans le bassin de Vittoria, où devait nous -rejoindre le général Clausel. -<span class="sidenote" title="En marge">Forces qu'on aurait pu réunir à Vittoria.</span> -Si ce général arrivait à temps, on -pouvait être 70 mille combattants au moins, et plus encore, si le -général Foy, qui était sur le revers entre Salinas et Tolosa, avec une -division de l'armée de Portugal, arrivait également. On avait donc -toute chance de battre les Anglais, qui, bien que formant avec les -Portugais et les Espagnols une masse de 90 mille hommes, n'étaient que -47 ou 48 mille soldats de leur nation. Pourtant il se pouvait qu'on ne -fût pas rejoint sur-le-champ par le général Clausel, et qu'un ou deux -jours se passassent à l'attendre. Il fallait, dans ce cas, se mettre -en mesure de tenir tête aux Anglais jusqu'à l'arrivée du général -Clausel, et pour cela reconnaître soigneusement le terrain et prendre -toutes ses précautions pour le bien défendre. On aurait eu besoin ici -d'une vigilance qui <span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> malheureusement avait toujours manqué -dans la direction de cette armée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces qu'on y avait par suite de la dispersion de l'armée -de Portugal.</span> -Des six divisions de l'armée de Portugal on en avait trois, la -division Maucune qui n'avait pas quitté l'armée, et les divisions -Sarrut et Lamartinière qui avaient rejoint en route. Il s'en trouvait -une quatrième, celle du général Foy, au revers des Pyrénées. Les deux -autres, celles des généraux Barbot et Taupin, étaient encore auprès du -général Clausel, qui les amenait renforcées de deux divisions de -l'armée du nord. Avec les divisions de l'armée de Portugal qu'on avait -recouvrées, avec les armées du centre et d'Andalousie, on aurait -compté environ 60 mille hommes, sans les pertes de la retraite. Mais -bien qu'on n'eût pas livré de combats sérieux, on avait perdu 3 à 4 -mille hommes par maladie, fatigue, dispersion. Il en restait 56 à 57 -mille, dont il fallait distraire une partie pour escorter le convoi -qu'on ne pouvait pas garder à Vittoria, et on devait ainsi se trouver -réduit à 54 mille hommes environ<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Ce qu'il aurait fallu faire pour attendre en sécurité -l'arrivée du général Clausel.</span> -C'était laisser bien des chances -à la mauvaise fortune que de combattre avec une pareille infériorité -numérique. Mais comme on n'avait pas le choix, et qu'on pouvait être -assailli par l'ennemi avant l'arrivée du <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> général Clausel, il -fallait se servir des localités le mieux possible pour compenser -l'infériorité du nombre, et prendre ses mesures sinon le 19 au soir, -au moins le 20 au matin, car il était à présumer que les Anglais, -parvenus aux Pyrénées en même temps que nous, ne nous laisseraient pas -beaucoup de temps pour nous y asseoir. Dans la soirée même du 19 on -aurait dû se débarrasser de l'immense convoi qui comprenait les -blessés, les expatriés, le matériel, et se composait de plus de mille -voitures, car c'était une horrible gêne s'il fallait combattre, et un -désastre presque certain s'il fallait se retirer. En l'expédiant le -soir même, et en l'escortant seulement jusqu'au revers de la montagne -de Salinas, où l'on devait rencontrer le général Foy, il était -possible de ramener à temps les troupes qui l'auraient accompagné. -Après s'être délivré du convoi, il fallait se bien établir dans la -plaine de Vittoria. Les Anglais, ayant toujours tenté de déborder -notre droite, allaient continuer probablement la même manœuvre. Ils -devaient, venant de Murguia, essayer de déboucher à travers les -passages du mont Arrato dans la plaine de Vittoria, ce qui les -conduirait aux bords de la Zadorra, qui longe, avons-nous dit, le pied -du mont Arrato. Bien que cette rivière fût peu considérable, on -pouvait en rendre le passage difficile en rompant tous ses ponts, et -en couvrant ses gués d'artillerie, ce qui était aisé, puisque nous -traînions après nous une masse énorme de canons. Or il était -indispensable de rendre ce passage non-seulement difficile, mais -presque impossible, car, en traversant la Zadorra, l'ennemi pouvait -tomber sur les derrières ou <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> au moins sur le flanc de notre -armée, rangée dans le bassin de Vittoria, et faisant face au défilé -par lequel on y pénètre en venant de Miranda. Ce défilé à travers -lequel la Zadorra s'échappe, ainsi que nous l'avons déjà dit, et qui -s'appelle le défilé de la Puebla, était le second obstacle à opposer à -l'ennemi, et il fallait bien étudier le terrain pour chercher les -meilleurs moyens de le défendre. Il y avait pour cela une position -dont l'événement prouva les avantages, et qui aurait fourni le moyen -d'interdire aux Anglais tout accès dans la plaine. En se portant en -effet un peu en arrière, dans l'intérieur même du bassin de Vittoria, -on rencontrait une éminence, celle de Zuazo, qui permettait de -mitrailler l'ennemi débouchant du défilé, ou descendant des hauteurs -de la Sierra de Andia, puis de l'y refouler en le chargeant à la -baïonnette après l'avoir mitraillé. Cette position, assez rapprochée -de Vittoria et des passages du mont Arrato, par lesquels les Anglais -menaçaient de déboucher sur nos derrières, permettait d'avoir toutes -choses sous l'œil et sous la main, et de pourvoir rapidement aux -diverses occurrences. Il était donc possible, en coupant les ponts de -la Zadorra, en occupant avec soin la hauteur de Zuazo, de défendre le -bassin de Vittoria avec ce qu'on avait de troupes, et d'y attendre en -sûreté le général Clausel. Enfin à toutes ces précautions on aurait dû -joindre celle d'envoyer au général Clausel non pas des paysans mal -payés, mais un régiment de cavalerie pour lui renouveler l'indication -précise du rendez-vous. Or, comme nous l'avons déjà dit, on avait plus -de cavalerie qu'il n'en fallait sur le terrain où l'on était appelé à -combattre.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Inaction forcée de Jourdan et de Joseph.</span> -De ces diverses précautions, il n'en fut pris aucune. Le 19 au soir on -ne fit point partir le convoi, et on n'envoya au général Clausel que -des paysans sur lesquels on ne devait pas compter, et qui d'ailleurs, -s'ils avaient été fidèles, auraient été exposés à être arrêtés. Le -jour suivant 20, au lieu de monter à cheval pour reconnaître le -terrain, Jourdan et Joseph ne sortirent point de Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Jourdan est atteint de la fièvre, et Joseph ne -peut rien ordonner sans lui.</span> -Le maréchal -Jourdan était atteint d'une fièvre violente, résultat de l'âge, des -fatigues et du chagrin. Joseph, qui n'avait d'autres yeux que ceux du -maréchal, remit au lendemain 21 la reconnaissance des lieux. Il se -flattait, et le maréchal Jourdan aussi, que les Anglais, avec leur -circonspection ordinaire, chercheraient à percer à travers les -montagnes pour nous déborder, mais ne se hâteraient pas de nous -attaquer de front. La seule chose que la maladie du maréchal Jourdan -n'empêchât pas, c'était de se délivrer du convoi, dont on était -embarrassé au point de ne savoir où se mettre, et on décida qu'il -partirait dans la journée du 20. Afin de ne garder avec soi que -l'artillerie de campagne, on ordonna aux armées de Portugal et -d'Andalousie de fournir tous les attelages qui ne leur seraient pas -indispensables pour traîner le gros canon au delà des Pyrénées. -<span class="sidenote" title="En marge">La seule mesure prise est d'acheminer sur Bayonne le convoi -des évacuations, mais en le faisant partir le 20 au lieu du 19.</span> -De -plus, bien qu'on sût que la division Foy était sur le revers de la -chaîne, entre Salinas et Tolosa, comme les bandes se glissaient à -travers les moindres espaces, on donna à ce convoi la division Maucune -pour l'escorter. Par suite de cette disposition, l'armée de Portugal -se trouvait de nouveau réduite à deux divisions, et l'armée entière à -53 ou 54 mille hommes.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> Ainsi toutes les mesures ordonnées le 20 consistèrent à faire -partir pour Tolosa le convoi qui aurait dû partir le 19, à ranger le -général Gazan avec l'armée d'Andalousie en face du défilé de la -Puebla, le comte d'Erlon avec l'armée du centre derrière le général -Gazan, et puis à droite en arrière, le long de la Zadorra, le général -Reille avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, afin -de tenir tête au corps tournant des Anglais qui venait par la route de -Murguia. Aux négligences commises on ajouta celle de ne pas couper un -seul des ponts de la Zadorra. Entre nos divers corps d'infanterie on -plaça notre belle cavalerie, qui malheureusement, dans le terrain que -nous occupions, ne pouvait pas rendre de grands services, car le -bassin de Vittoria est semé de canaux nombreux qui arrêtent partout -l'élan des troupes à cheval. Nous comptions environ 9 à 10 mille -chevaux, ce qui réduisait notre infanterie à 43 ou 44 mille -combattants, moitié à peu près de celle de l'ennemi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Toute la journée du 20 se trouve fatalement perdue.</span> -Ainsi fut employée, c'est-à-dire perdue, la journée du 20. À chaque -instant on se flattait de voir arriver le général Clausel, que tout -devait faire espérer, mais que rien n'annonçait aux diverses issues -par lesquelles il pouvait apparaître. L'infortuné Joseph était dans -une anxiété extrême, sans en devenir plus actif, car chez les hommes -qui n'ont pas l'esprit tourné à la prévoyance, l'attente produit -l'agitation, mais non l'activité.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le matin du 21, Jourdan, quoique malade, exécute avec -Joseph une reconnaissance du bassin de Vittoria.</span> -Le lendemain 21, le général Clausel n'avait point paru, et l'ennemi ne -pouvant pas être supposé longtemps oisif, Joseph et Jourdan voulurent -reconnaître <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> le terrain pour s'y préparer à la lutte qu'ils -sentaient bien devoir être prochaine. Le maréchal Jourdan, un peu -débarrassé de sa fièvre, quoique souffrant encore, fit effort pour -monter à cheval, et vint avec Joseph reconnaître la plaine de -Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">Description des positions occupées par l'armée française.</span> -À droite de notre position et en arrière, au pied du mont -Arrato, le général Reille, avec les divisions françaises Lamartinière -et Sarrut, avec le reste d'une division espagnole, gardait les ponts -de la Zadorra. Le pont de Durana placé dans les montagnes du côté des -Pyrénées, était gardé par la division espagnole. Le pont de -Gamarra-Mayor, situé à la naissance de la plaine, était occupé par la -division Lamartinière. Celui d'Arriaga, tout à fait au milieu de la -plaine et à la hauteur de Vittoria, était défendu par la division -Sarrut. Derrière ces divisions se trouvaient, outre la cavalerie -légère, plusieurs divisions de dragons, prêtes à fondre sur toute -troupe qui aurait franchi la Zadorra. Mieux eût valu détruire les -ponts de cette petite rivière, et en défendre les gués avec de -l'artillerie. Quoi qu'il en soit, la présence sur ce point d'un aussi -bon officier que le général Reille avait de quoi rassurer.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Remarque juste, mais tardive, du maréchal Jourdan, et ordre -au général Gazan d'occuper la position de Zuazo, au centre du bassin -de Vittoria.</span> -En se reportant droit devant eux, vers l'entrée de la plaine, au -débouché du défilé de la Puebla, Jourdan et Joseph gravirent -l'éminence dont nous avons parlé, celle de Zuazo, coupant -transversalement le bassin et dominant la sortie du défilé. -Sur-le-champ avec son coup d'œil exercé, le maréchal Jourdan -reconnut que c'était là qu'il fallait établir le général Gazan à la -tête de toute l'armée d'Andalousie, qu'il fallait en outre hérisser -la hauteur de canons, ranger <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> ensuite le comte d'Erlon à -droite sur la Zadorra, pour se lier au général Reille et garder le -pont de Trespuentes qui débouchait sur le flanc de la hauteur de -Zuazo. Cette remarque si juste, faite la veille, eût sauvé l'armée -française, et probablement notre situation en Espagne. On envoya donc -des officiers d'état-major pour transmettre ces ordres au général -Gazan, et les lui faire exécuter en toute hâte.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Au moment même où était donné cet ordre, la bataille -commençait.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Résolution de lord Wellington de livrer bataille, et -dispositions d'attaque.</span> -Mais il était trop tard, et la bataille commençait à l'instant même. -Lord Wellington, comme il était facile de le prévoir, ne voulut pas, -après nous avoir accompagnés, pour ainsi dire, jusqu'aux Pyrénées, -nous laisser repasser les montagnes sans nous livrer bataille, afin de -les franchir, s'il le pouvait, à la suite d'une armée battue. Il avait -porté le général Graham avec deux divisions anglaises, avec les -Portugais et les Espagnols formant sa gauche, sur la route de Murguia, -à travers les passages du mont Arrato, pour essayer de forcer le -général Reille sur la Zadorra. Il avait dirigé son centre composé de -trois divisions, sous le maréchal Béresford, à travers les autres -passages du mont Arrato, pour déboucher aussi sur la Zadorra, mais -vers le milieu de la plaine, ce qui devait les faire aboutir au pont -de Trespuentes, en face du général d'Erlon et sur le flanc de la -position de Zuazo. Enfin sa droite, composée de deux divisions -anglaises sous le général Hill, et de la division espagnole Morillo, -nous ayant suivis sur la route de Miranda, devait percer le défilé de -la Puebla, et venir déboucher au pied même de Zuazo. Tous ces corps -étaient déjà en marche lorsque le maréchal Jourdan et Joseph -envoyèrent au général Gazan l'ordre <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> de rétrograder vers la -hauteur de Zuazo, d'où l'on pouvait, avons-nous dit, cribler à la fois -les troupes qui auraient forcé le défilé de la Puebla, et celles qui -auraient franchi la Zadorra à Trespuentes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Gazan n'ayant pas eu le temps de rétrograder -vers la position de Zuazo, est obligé de combattre où il se trouve.</span> -Lorsque l'aide de camp de Joseph porteur de ses ordres arriva auprès -du général Gazan, celui-ci, déjà aux prises avec l'ennemi, déclara ne -pouvoir exécuter les mouvements qu'on lui prescrivait. Joseph et -Jourdan accoururent auprès de lui et bientôt découvrirent ce qui se -passait. À droite on apercevait les troupes de Béresford, qui, ayant -franchi les cols les plus rapprochés du mont Arrato, essayaient de -traverser la Zadorra à Trespuentes. Devant soi on voyait le général -Hill engagé dans le défilé de la Puebla, mais avec précaution, et -ayant jeté à sa droite, sur les hauteurs de la Sierra de Andia, la -division espagnole Morillo, pour seconder les troupes anglaises qui -voulaient forcer le passage.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph accourus auprès du général Gazan, lui -ordonnent de déloger les Espagnols des hauteurs de la Sierra de -Andia.</span> -Jourdan et Joseph ordonnèrent au général Gazan d'envoyer à gauche la -brigade d'avant-garde Maransin sur les hauteurs de la Sierra de Andia, -pour en débusquer le plus tôt possible la division espagnole Morillo, -de faire appuyer cette brigade par une division entière s'il le -fallait, puis, la hauteur reprise, de culbuter les Espagnols dans le -défilé de la Puebla, et de se jeter à leur suite dans le flanc du -général Hill. Avec les divisions Darricau et Conroux, le général Gazan -devait barrer le défilé, tenir à gauche la division Villatte en -réserve, et enfin disposer sur sa droite la division Leval pour -observer les troupes de Béresford, qui menaçaient la Zadorra à -Trespuentes. Le comte d'Erlon, rangé en bataille derrière le général -<span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> Gazan, devait faire observer la Zadorra, et être prêt à -tomber sur les troupes qui voudraient la passer entre lui et le -général Reille.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Exécution lente et décousue des ordres donnés au général -Gazan.</span> -À peine ces ordres étaient-ils expédiés, que le feu, sur notre gauche, -notre front et notre droite, s'étendit en un vaste cercle. Tout à fait -en arrière, vers le général Reille, on n'entendait rien encore. Le -général Gazan, qui avait reçu l'ordre de débarrasser d'abord les -hauteurs à notre gauche, lesquelles formaient l'extrémité de la Sierra -de Andia, ne fit pas attaquer avec assez d'ensemble les Espagnols qui -les avaient gravies. Il envoya un régiment après l'autre, et n'obtint -ainsi aucun résultat. Les Espagnols, bien abrités derrière des rochers -et des bois, et très-habiles à défendre les terrains de cette nature, -opposèrent une résistance assez vive à nos régiments mal engagés. Le -général Gazan pressé par le maréchal Jourdan d'agir avec plus de -vigueur, détacha d'abord de son front une brigade de la division -Conroux, puis une brigade de la division Darricau, pour soutenir -l'avant-garde du général Maransin. Ces deux brigades, plus que -suffisantes si elles avaient été portées en masse et simultanément sur -la hauteur qui était à notre gauche, restèrent à mi-côte, tiraillant -avec désavantage contre les Espagnols bien postés, et n'étant d'aucun -secours pour l'avant-garde Maransin qui perdait beaucoup de monde. -Deux heures s'écoulèrent ainsi sans avantage marqué, et ce retard -était d'autant plus regrettable, que si on les eût bien employées, et -qu'après avoir culbuté les Espagnols de la hauteur de la Sierra de -Andia dans le défilé de la Puebla, on <span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> eût refoulé dans ce -défilé les Anglais qui essayaient de le franchir, on aurait pu ensuite -se reporter au secours du général Reille, qui allait être -vigoureusement attaqué.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Lorsque, après des ordres réitérés, le général Gazan se -décide à attaquer vigoureusement les Espagnols, les Anglais profitent -de son mouvement pour déboucher dans la plaine, et enlever le village -de Subijana de Alava.</span> -Le roi et le maréchal réitérant leurs ordres, le général Gazan se -décida enfin à porter la division Villatte, rangée un peu en arrière à -gauche, sur les hauteurs si mal et si longuement attaquées. La -division Villatte gravit rapidement les pentes de la Sierra de Andia -sous un feu plongeant des plus meurtriers, refoula néanmoins les -Espagnols de bas en haut, et les ramena dans les bois qui couronnaient -le sommet des hauteurs. Mais pendant ce temps les divisions anglaises -du général Hill, voyant notre front affaibli par l'envoi des deux -premières brigades du général Conroux et du général Darricau, voyant -de plus un village important, placé à notre gauche, celui de Subijana -de Alava, tout à fait découvert par le départ de la division Villatte, -se jetèrent sur ce village en débouchant vivement du défilé, et -parvinrent à l'emporter. Dès cet instant les Anglais avaient fait -irruption dans la plaine, et les repousser devenait fort difficile. Le -maréchal Jourdan imagina de lancer sur eux l'une des divisions du -comte d'Erlon, qui avait été placé en réserve sur la droite en -arrière. Mais le comte d'Erlon s'apercevant que les troupes de -Béresford menaçaient de passer la Zadorra à Trespuentes, y avait -successivement envoyé ses deux divisions. Il ne restait donc pas de -réserve, et par surcroît d'embarras le feu, qui du côté du général -Reille n'avait commencé qu'assez tard, se faisait entendre violemment -vers le fond de la plaine.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Jourdan et Joseph voyant la plaine -envahie, ordonnent qu'on se replie sur la hauteur de Zuazo.</span> -Décidés par cet ensemble de circonstances, le roi et le maréchal -ordonnèrent un mouvement rétrograde sur l'éminence de Zuazo, d'où l'on -pouvait, avec un grand feu d'artillerie, arrêter les ennemis qui -avaient envahi la plaine par toutes les issues, les uns à notre droite -en passant la Zadorra à Trespuentes, les autres sur notre front en -débouchant du défilé de la Puebla, les autres enfin à notre gauche en -descendant des hauteurs de la Sierra de Andia. En même temps le -maréchal Jourdan prescrivit au général Tirlet, chef de notre -artillerie, de placer force bouches à feu sur la hauteur de Zuazo.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Tirlet place sur la hauteur de Zuazo 45 bouches -à feu, et arrête les Anglais en les couvrant de mitraille.</span> -Ces ordres mieux exécutés que ceux qui avaient été donnés au général -Gazan amenèrent un résultat qui aurait pu être décisif. On rétrograda -sur la hauteur de Zuazo, et le général Tirlet en un clin d'œil y -réunit quarante-cinq bouches à feu. Attendant les Anglais qui -sortaient du défilé de la Puebla, et l'une des colonnes de Béresford -qui avait forcé le passage de la Zadorra à Trespuentes, il les couvrit -de mitraille, et joncha en peu d'instants la terre de leurs morts. -D'abord mises en désordre, les troupes anglaises se reformèrent, -s'avancèrent au pas, et furent de nouveau rejetées en arrière par la -mitraille. -<span class="sidenote" title="En marge">Faute d'une réserve d'infanterie, on ne peut tirer parti de -ce succès.</span> -Si dans ce moment on avait eu quatre ou cinq mille hommes -sous la main, et qu'on les eût lancés sur les masses ébranlées des -Anglais, on aurait pu en les refoulant dans le défilé leur faire -essuyer un sanglant échec. Malheureusement le général Gazan, au lieu -de se replier sur la hauteur transversale de Zuazo, était allé vers la -gauche se ranger à mi-côte sur le flanc de la Sierra de Andia, près -de la division <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> Villatte, ce qui laissait un espace ouvert -entre ses troupes et celles du comte d'Erlon. Celui-ci avec ses deux -divisions disputait de son mieux les passages de la Zadorra, au-dessus -et au-dessous de Trespuentes. On n'avait donc sur la hauteur décisive -de Zuazo que de l'artillerie sans appui. Au fond de la plaine, le -général Reille attaqué à Durana, à Gamarra-Mayor, à Arriagua, se -défendait vaillamment, et chaque fois qu'on lui enlevait l'un de ses -trois ponts, le reprenait avec la plus rare vigueur; mais en même -temps il annonçait qu'il serait bientôt forcé, si on ne venait -promptement à son secours. -<span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph ordonnent la retraite.</span> -Le maréchal Jourdan appréciant cette -situation, conseilla à Joseph d'ordonner la retraite, seul parti qu'il -y eût à prendre en ce moment. L'intention fut de la diriger sur la -grande route de Bayonne, par Salinas et Tolosa, afin de sauver -l'artillerie, car si par Salvatierra et Pampelune on avait chance de -rejoindre le général Clausel, on avait la certitude de perdre tous ses -canons, à cause de l'état des routes.</p> - -<p>À peine l'ordre de la retraite fut-il donné, qu'on l'exécuta, mais -sans le concert et l'ensemble qui auraient pu prévenir les -inconvénients d'un mouvement rétrograde. -<span class="sidenote" title="En marge">Les généraux Gazan et d'Erlon se disjoignent en se -retirant, et laissent à la cavalerie anglaise le champ libre pour se -jeter sur Vittoria.</span> -Le comte d'Erlon ne voyant -pas le général Gazan à sa gauche, et apercevant la cavalerie anglaise -prête à fondre dans la plaine, chercha à s'appuyer vers la Zadorra en -se retirant, et découvrit ainsi Vittoria. La cavalerie ennemie s'y -précipita, et y fit naître une indicible confusion. Le convoi au salut -duquel on avait consacré une division n'était pas parti tout entier. -Il restait un parc d'artillerie de cent cinquante bouches à feu, -beaucoup <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> de familles fugitives, de bagages, et de soldats de -corvée envoyés pour chercher des vivres. -<span class="sidenote" title="En marge">Panique à Vittoria.</span> -La vue des dragons anglais -produisit sur ces gens une terreur panique des plus vives, et ils se -mirent à fuir dans tous les sens en poussant des cris. Leur premier -mouvement fut de se porter sur la grande route de Bayonne, et le col -de Salinas; mais le général Reille disputant à outrance la haute -Zadorra, tantôt perdant, tantôt reprenant sa position, se battait sur -cette même route qu'il couvrait de feu et de sang. -<span class="sidenote" title="En marge">Les fuyards se précipitent sur la route de Salvatierra et -de Pampelune.</span> -Les fuyards se -rejetèrent alors sur celle de Pampelune par Salvatierra. Le général -Tirlet accouru à Vittoria pour ordonner la retraite, connaissant le -mauvais état de la route de Salvatierra, prévoyant que l'artillerie, -surtout avec l'encombrement qui allait s'y former, ne pourrait pas y -passer, sachant de plus que dans nos arsenaux de la frontière le -matériel ne manquait pas, et que les attelages importaient seuls, -prescrivit de couper les traits, et de sauver les hommes et les -chevaux en abandonnant les canons.</p> - -<p>La retraite qui d'abord avait dû se diriger sur Salinas et Bayonne, se -trouva donc par le mouvement du général Gazan, par une sorte -d'instinct de conservation qui avait poussé les fuyards vers la route -de Salvatierra où le canon ne s'entendait point, se trouva, -disons-nous, dirigée sur Pampelune, c'est-à-dire sur la Navarre. On -s'y rua avec une sorte de furie, laissant à Vittoria même un matériel -immense. -<span class="sidenote" title="En marge">Belle retraite du général Reille avec son corps d'armée.</span> -Dès cet instant la situation du général Reille devenait des -plus périlleuses. Ce général avait tenu tant qu'il avait pu sur la -Zadorra, rejetant les Anglais et les Espagnols au delà de cette -petite rivière, chaque <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> fois qu'ils avaient forcé un des trois -ponts dont il avait la garde. Mais ayant vu le mouvement de retraite -sur Salvatierra, il se décida lui-même à se retirer dans cette -direction. Pour sortir sain et sauf de sa position périlleuse, il -fallait qu'il contînt d'une part les troupes ennemies qui commençaient -à franchir la Zadorra devant lui, de l'autre celles qui déjà -débouchaient de Vittoria sur ses derrières. Il avait fort à propos -tenu en réserve, à quelque distance des trois ponts, la brigade -Fririon composée des 2<sup>e</sup> léger et 36<sup>e</sup> de ligne, et en outre plusieurs -régiments de cavalerie. Il ordonna sur-le-champ au général Sarrut qui -défendait le pont d'Arriagua, au général Lamartinière qui défendait -celui de Gamarra-Mayor, au général Casalpaccia qui gardait avec les -Espagnols et quelques centaines d'hommes du 3<sup>e</sup> de ligne le pont de -Durana, de se replier en bon ordre vers Salvatierra, pendant que lui -tiendrait tête aux Anglais venant de Vittoria. Le général Sarrut, en -défendant le pont d'Arriagua, fut tué. Le général Menne le remplaça, -et fut plusieurs fois assailli, mais ne se laissa point entamer. Le -général Lamartinière opposa un calme, une vigueur rares à l'impulsion -de l'ennemi victorieux. Pendant ce temps, le général Reille qui -s'attachait à les couvrir tous du côté de Vittoria, reçut en plein le -choc de la cavalerie anglaise. Mais avec les dragons de Digeon, de -Tilly, de Mermet, il la contint, et parvint à protéger la retraite de -son corps d'armée jusqu'à Betono. En cet endroit se trouvait un bois; -on s'y enfonça, ce qui permit de parcourir en sûreté une partie du -chemin qui menait à la route de Pampelune en tournant derrière -Vittoria. Mais au <span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> sortir du bois on aperçut un gros corps de -cavalerie qui nous attendait. Le général Reille le fit charger par le -3<sup>e</sup> de hussards et le 15<sup>e</sup> de dragons, puis marcha en hâte vers le -village d'Arbulo. La cavalerie ennemie nous y poursuivit à outrance. -Le général Reille avec les 2<sup>e</sup> léger et 36<sup>e</sup> de ligne de la brigade -Fririon, se forma en avant de ce village, pour donner au reste de son -corps d'armée le temps de défiler. Assailli par les nombreux escadrons -des Anglais, il les reçut en carré et couvrit le terrain de leurs -morts. Toutes ses troupes ayant défilé, il traversa lui-même le -village, et gagna ainsi sain et sauf la route de Salvatierra, où se -précipitaient confusément les divers corps de notre armée et toute la -queue du vaste convoi que nous avions conduit avec tant de peine de -Madrid à Vittoria.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de la malheureuse bataille de Vittoria.</span> -Nous avions eu dans cette fatale journée environ 5 mille morts ou -blessés, et les Anglais à peu près autant. Mais en soldats de corvée, -en fuyards, en valets d'armée, on nous avait pris 15 ou 1800 hommes. -Nous laissions en outre à l'ennemi 200 bouches à feu, non pas perdues -en ligne, mais abandonnées faute d'une route convenable pour les faire -passer, plus 400 caissons et un nombre infini de voitures de bagages. -Joseph n'avait pas même sauvé sa propre voiture, qui contenait tous -ses papiers.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qu'avaient fait pendant cette bataille le général Foy et -le général Clausel.</span> -On se demandera naturellement où était en ce moment le général Clausel -avec les 15 mille hommes qu'il aurait pu amener, ce que faisait sur le -revers des monts le général Foy, qui renforcé de plusieurs petites -garnisons et du général Maucune, avait lui aussi 15 mille hommes dont -la présence aurait été si <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> utile dans la fatale plaine de -Vittoria. Ces 30 mille hommes, joints aux 52 ou 54 mille de Joseph, -formant l'énorme masse de plus de 80 mille combattants, auraient pu -accabler les Anglais, et les rejeter en Portugal; et alors quelle -différence, non-seulement pour les affaires de la Péninsule, mais de -l'Europe entière, car les Anglais, qui exerçaient en Allemagne une si -grande influence sur les résolutions des coalisés, s'ils avaient conçu -quelques craintes pour leur armée de la Péninsule, auraient -certainement facilité les négociations, jusqu'à rencontrer peut-être -sur la limite des concessions possibles l'orgueil même de Napoléon! -Mais cette fois comme tant d'autres, ce n'était ni le nombre ni la -vaillance, ni le dévouement qui avaient manqué aux soldats de l'armée -d'Espagne, c'était la direction. Le général Foy qui n'était séparé de -Joseph que par la montagne de Salinas, n'avait reçu aucun des avis -qu'on lui avait adressés, et n'avait connu la présence de l'armée à -Vittoria que par l'apparition de la division Maucune à la suite du -convoi qu'elle escortait. Si ce mouvement de la division Maucune eût -été ordonné deux jours plus tôt, on aurait pu mettre le convoi en -sûreté, et ramener un renfort de dix à douze mille hommes à Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">Efforts du général Clausel pour rejoindre Joseph.</span> -Quant au général Clausel, dès qu'il avait su la marche des Anglais et -la retraite de notre armée, il avait réuni ses divisions en toute -hâte, était arrivé le 20 à Logroño, y avait cherché de tous côtés des -nouvelles de Joseph, n'avait trouvé que des habitants ou fugitifs ou -silencieux, et personne qui pût ou voulût lui donner un renseignement. -Seulement il avait rencontré des agents anglais <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> faisant -préparer des vivres, et d'après plusieurs vestiges recueillis sur la -route, il avait été conduit à penser que l'armée française s'était -portée de Miranda sur Vittoria. Le 21 il s'était décidé à s'avancer -par Penacurada jusque sur le revers de la Sierra de Andia, pour voir -s'il pourrait à travers cette sierra tendre la main à Joseph. Mais se -doutant avec raison qu'il avait entre Joseph et lui l'armée anglaise, -sans savoir ni où, ni en quel nombre, il s'était approché avec -précaution, n'avait été joint par aucun des paysans qu'on lui avait -dépêchés, et vers la chute du jour avait fini par apprendre qu'on -s'était battu toute la journée, hélas! sans résultat heureux! -<span class="sidenote" title="En marge">Ce général, séparé de l'armée française par le désastre de -Vittoria, prend l'habile résolution de se transporter à Saragosse.</span> -Le 22 au -matin, voulant connaître la vérité entière, et à tout prix tâcher de -rejoindre l'armée française pour lui porter secours, il avait eu la -hardiesse de gravir la Sierra de Andia et de jeter un regard sur la -plaine de Vittoria. Des sommets de cette sierra il avait vu notre -immense désastre, et séparé de Joseph par les Anglais victorieux, il -n'avait dû songer qu'à son propre salut. Sans se troubler, il avait -regagné les bords de l'Èbre, l'avait descendu jusqu'à Logroño, et -ayant toujours entre Joseph et lui les Anglais qui nous poursuivaient -en Navarre, il avait pris la résolution, l'une des plus sages et des -plus hardies qu'on ait jamais prises à la guerre, de s'enfoncer vers -Saragosse, où il était amené par la raison de sauver son corps -d'armée, et par la raison non moins puissante de couvrir les derrières -du maréchal Suchet, et d'assurer la retraite de ce maréchal.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite de Joseph dans les vallées des Pyrénées.</span> -De leur côté, Jourdan et Joseph, ayant regagné Pampelune avec une -armée horriblement mécontente <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> de ses chefs, non démoralisée -toutefois, diminuée seulement de cinq à six mille hommes, privée de -ses canons mais non de ses attelages, étaient encore en mesure -d'opposer une forte résistance aux Anglais, indépendamment de la -résistance naturelle qu'allaient leur présenter les Pyrénées -elles-mêmes. Joseph sur le conseil de Jourdan, après avoir laissé une -garnison dans Pampelune, envoya l'armée d'Andalousie dans la vallée de -Saint-Jean-Pied-de-Port, celle du centre dans la vallée de Bastan, -celle de Portugal dans la vallée de la Bidassoa, de manière à fermer -ainsi toutes les issues, et à prendre le temps de reformer -l'artillerie, et de faire cesser la distribution en trois armées -différentes, laquelle venait d'occasionner de nouveau de si fâcheux -embarras. Tandis qu'il ordonnait cette disposition, le général Foy, -aidé du général Maucune, avait habilement et bravement tenu tête aux -Anglais qui avaient voulu descendre de Salinas sur Tolosa, et les -avait rejetés assez loin. On avait perdu l'Espagne, mais pas encore la -frontière, et l'Empire, si longtemps envahisseur, n'était pas encore -envahi, quoiqu'il fût bien près de l'être!</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Juillet 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Caractère de la campagne de 1813 en Espagne, et causes de -sa funeste issue.</span> -Telle fut la campagne de 1813 en Espagne, si tristement célèbre par le -désastre de Vittoria, qui signalait nos derniers pas dans cette -contrée, où nous avions pendant six années inutilement versé notre -sang et celui des Espagnols. Si on veut prononcer sans passion sur les -événements de cette campagne, il est facile de découvrir les vraies -causes du revers définitif qu'on venait d'essuyer. La première cause, -cette fois comme tant d'autres, il faut la chercher <span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> dans les -ordres mêmes de Napoléon, qui ne considérant l'Espagne que comme un -accessoire de ses immenses entreprises, ou ne lui consacrait pas les -forces nécessaires, ou en subordonnait l'emploi à des calculs -étrangers à l'Espagne elle-même, et inconciliables avec le succès des -opérations dans ce pays. Cette année les forces qu'il y laissait, -quoique réduites par le rappel d'un grand nombre de cadres, étaient -depuis la concentration des trois armées d'Andalousie, du centre et de -Portugal, suffisantes pour se maintenir en Castille, puisqu'on aurait -pu réunir quatre-vingt mille hommes contre les Anglais. Mais dans la -double pensée de conserver les provinces du nord, qu'il entendait se -réserver à la paix, et d'alarmer les Anglais pour le Portugal, afin de -les détourner de toute entreprise contre le midi de la France, -Napoléon avait amené de nouveau sans le vouloir la dispersion des -trois armées depuis Salamanque jusqu'à Pampelune, de manière qu'après -avoir recouvré l'ascendant sur les Anglais par notre concentration, -nous venions de le perdre encore par une dissémination imprudente de -nos forces. Cette cause essentielle de la journée de Vittoria ne -saurait être cherchée ailleurs que dans les ordres de Paris, donnés -par Napoléon loin des lieux, avant la connaissance des faits, et -réitérés par le ministre de la guerre avec une obstination sans -excuse, lorsque les événements et les objections du maréchal Jourdan -en avaient démontré le danger. Après cette cause, il y en a une autre, -fort ancienne, et toujours féconde en malheurs dans la Péninsule, -c'est le défaut d'unité dans le commandement, qui fit qu'aucune -administration <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> ne voulant obéir, il n'y eut rien de préparé -sur la route de l'armée, et qu'il fallut, en rétrogradant pour rallier -le général Clausel, se replier avec une précipitation qui rendait le -ralliement plus douteux et plus difficile, les pertes sur la route -plus considérables. Ce défaut d'unité était le tort de Napoléon, -toujours refusant à son frère l'autorité nécessaire, de Joseph, ne -sachant pas la prendre, des généraux, ne sachant pas y suppléer par -leur soumission. Après ces causes, le défaut d'activité chez Joseph et -le maréchal Jourdan, l'un indolent, l'autre fatigué par l'âge et le -chagrin, contribua beaucoup au malheur de la campagne. Plus actifs, -plus prompts à se résoudre, Joseph et Jourdan auraient pu évacuer -Madrid plus tôt, et se rallier plus tôt ou en avant de Valladolid, ou -en avant de Burgos. À Vittoria même, il y eut deux jours perdus, deux -jours précieux pour le départ du convoi et le déblaiement du champ de -bataille, pour le choix du terrain où l'on pouvait disputer à l'ennemi -l'entrée de la plaine, pour la réunion au général Clausel. Dans cette -occasion décisive, comme on l'a vu, le maréchal Jourdan était malade, -et Joseph n'avait pas songé à le suppléer. Enfin des ordres de détail -mal exécutés par les généraux avaient complété la série de fautes et -de malheurs qui amenèrent la catastrophe finale de Vittoria. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, mal informé par le ministre de la guerre Clarke, -s'en prend à Joseph et à Jourdan du désastre de Vittoria.</span> -Après -tout, Napoléon qui aurait dû dans ces funestes résultats s'attribuer -la part la plus grande, car avec son génie si profond, sa connaissance -si parfaite des choses, il était plus que personne capable de tout -prévoir, et avec sa puissance si obéie capable de tout prévenir, -Napoléon s'en prit à tout le monde <span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> au lieu de s'en prendre à -lui-même, et à Joseph et à Jourdan plus volontiers qu'à qui que ce -fût.</p> - -<p>N'ayant pu suivre dans aucun de leurs détails les événements -d'Espagne, absorbé qu'il était par la guerre de Saxe qu'il dirigeait -en personne, croyant sur cet objet ce que lui écrivait le ministre -Clarke, qui, tandis qu'il adressait à Joseph les lettres les plus -affectueuses, faisait parvenir à Dresde les rapports les plus -défavorables, il avait un double motif d'irritation, dans les -résultats d'abord qui ne pouvaient manquer d'être déplorables, et dans -les fautes qui révoltaient par leur évidence son grand sens militaire. -Les résultats, c'étaient l'Espagne perdue, la frontière du midi -menacée, le moyen le plus puissant de négociation auprès de -l'Angleterre annulé, puisque dans l'état des choses ce n'était plus -rien que de lui céder l'Espagne, c'étaient en outre des sacrifices -nouveaux à ajouter à ceux que demandait l'Autriche, dès lors la paix -plus difficile que jamais, enfin une confiance, une exaltation -nouvelles inspirées à tous ceux qui croyaient le moment venu -d'accabler la France. Les fautes, c'étaient non-seulement celles que -nous venons d'énumérer, et qui n'étaient que trop réelles, mais toutes -celles que le ministre Clarke prêtait gratuitement au malheureux -Joseph et au plus malheureux Jourdan, son chef d'état-major. Le -ministre de la guerre n'avait pas dit en effet que les ordres de -Napoléon qui prescrivaient de détruire les bandes et de menacer le -Portugal, ordres déplorablement réitérés par les bureaux de Paris, -avaient été signalés par Jourdan comme une cause inévitable de -désastre, que la résistance <span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> des administrations de chaque -armée à l'ordonnateur en chef avait encore été dénoncée comme un autre -inconvénient grave qui empêcherait que rien ne fût préparé à la -reprise des opérations. Ce même ministre n'avait pas dit que les -Anglais étaient près de 100 mille, et les Français tout au plus 50 -mille. Il présentait au contraire des calculs qu'auraient à peine -accueillis les gazettes les moins informées. Il ne comptait dans -l'armée de lord Wellington que les Anglais, les évaluait à 40 ou 45 -mille, négligeait les Portugais devenus presque les égaux des Anglais, -les Espagnols, excellents dans les montagnes, et attribuait à l'armée -française non pas ce qu'elle avait eu sur le champ de bataille, mais -ce qu'elle aurait pu avoir si les ordres de Paris ne l'avaient -dispersée, et lui supposait de 80 à 90 mille hommes contre 45 mille. -Il avait en effet le courage, après le désastre de Vittoria, d'écrire -à Joseph qu'il aurait dû avoir 90 mille hommes contre 45 mille, et que -c'était chose bien étonnante qu'il se fût laissé battre avec une telle -supériorité de force numérique. Ce fait seul donne une idée de ce qui -pouvait se passer à côté même de Napoléon, lorsqu'il n'y regardait -point de ses propres yeux, et qu'il se laissait informer par des -ministres courtisans, ne lui disant que ce qu'il avait plaisir à -entendre.</p> - -<p>On comprend que Napoléon, en considérant d'une part les résultats, de -l'autre les fautes vraies et les fautes imaginaires imputées à Joseph -et au maréchal Jourdan, qui déjà lui déplaisaient fort, et avaient -auprès de lui un redoutable accusateur dans le maréchal Soult présent -à Dresde, on comprend que <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> Napoléon dût être fort irrité. Il -avait appris d'une manière sommaire les événements d'Espagne au moment -de partir de Dresde pour exécuter les courses militaires dont nous -avons parlé. -<span class="sidenote" title="En marge">C'est dans son voyage à Magdebourg, que Napoléon avait -appris les événements d'Espagne.</span> -Il apprit successivement à Torgau, à Wittenberg, à -Magdebourg le détail de ces événements, toujours par les rapports du -ministre Clarke. Aussi son emportement fut-il extrême. Ce fut pour lui -une occasion de se déchaîner contre Joseph et contre tous ses frères. -<span class="sidenote" title="En marge">L'irritation de Napoléon s'étend sur tous ses frères en -général.</span> -L'abdication du roi Louis, la défection imminente de Murat qui -s'annonçait déjà clairement, l'éclat que Jérôme avait fait l'année -précédente en quittant l'armée, lui revinrent à l'esprit, et lui -arrachèrent les paroles les plus amères. Le moment était venu en effet -d'apercevoir quelle faute il avait commise en voulant renverser toutes -les dynasties, afin de leur substituer la sienne! Mais, pour être -juste, il faut reconnaître que son ambition avait, bien plus que celle -de ses frères, contribué à cette politique désordonnée, et qu'après -leur avoir donné des trônes ou des armées à commander, il n'avait rien -omis pour rendre leur tâche encore plus difficile qu'elle ne l'était -naturellement. Il avait effectivement exigé d'eux une abnégation des -intérêts de leurs sujets, un talent de tout faire avec rien, ou -presque rien, qu'il était inhumain d'exiger de leur part, et qui -devait amener plus d'un scandale de famille, comme l'abdication du roi -de Hollande. À l'égard de Joseph notamment, après l'avoir tiré de -Naples où ce prince avait une tâche appropriée à son caractère et à -ses talents, où il rendait un petit peuple heureux en étant heureux -lui-même, Napoléon l'avait transporté en <span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> Espagne presque sans -le consulter, l'avait lancé dans une guerre effroyable, l'y avait aidé -un moment de toutes ses forces, puis, au milieu des préoccupations de -la guerre d'Autriche en 1809, de celle de Russie en 1812, l'avait -laissé sans secours, sans argent, exposé à la haine de ses sujets, à -la désobéissance, quelquefois même à l'arrogance des généraux, n'avait -voulu écouter aucun de ses avis, presque tous justifiés par -l'événement, et pour toute réponse n'avait cessé de se moquer de ses -prétentions militaires et de ses mœurs, moqueries qui de la cour de -France avaient retenti jusqu'au milieu de la cour d'Espagne, et -avaient encore contribué à la déconsidération de la royauté nouvelle. -Et pourtant Napoléon aimait sa famille, mais gâté par un pouvoir sans -bornes, il ne tenait pas plus compte des droits de ses frères que de -ceux des peuples, et disposait d'eux comme d'instruments inanimés, -jusqu'au jour où il devait trouver les peuples révoltés, et ses frères -eux-mêmes presque en état de défection.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rappelle Joseph, le remplace par le maréchal -Soult, lui prescrit de s'enfermer à Morfontaine, et ordonne de le -faire arrêter s'il en sort.</span> -Ses traitements envers Joseph furent extrêmement rigoureux.--J'ai trop -longtemps compromis mes affaires pour des imbéciles, écrivit-il à -l'archichancelier Cambacérès, au ministre de la guerre, au ministre de -la police; et, après ce préambule, il donna les ordres les plus -sévères et les plus humiliants pour Joseph. Il fit d'abord pour le -remplacer en Espagne le choix qui pouvait lui être le plus -désagréable, celui du maréchal Soult, qui était en ce moment à Dresde. -Napoléon conféra au maréchal Soult le titre de son lieutenant en -Espagne, avec des pouvoirs extraordinaires, lui ordonna de partir -immédiatement, <span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> de ne rester à Paris que douze heures, de n'y -voir que l'archichancelier Cambacérès et le ministre de la guerre, et -de se rendre ensuite à Bayonne pour y rallier l'armée et tenir tête -aux Anglais. Jusque-là rien de plus naturel. Mais il enjoignit à -Joseph de quitter l'Espagne sur-le-champ, lui interdit en même temps -de venir à Paris, lui prescrivit de se retirer à Morfontaine, de s'y -enfermer, de n'y recevoir personne, chargea le prince Cambacérès de -défendre à tous les hauts fonctionnaires de l'aller visiter, comme si -on avait eu de leur part de généreux mouvements à craindre, et à -toutes ces injonctions il ajouta celle de le faire arrêter si ces -ordres étaient enfreints! Devenu méfiant à l'égard des hommes, depuis -qu'il avait été obligé de le devenir à l'égard de la fortune, il -voyait partout des trames prêtes à se nouer contre la régence de sa -femme, contre l'autorité de son fils. C'est pour ces motifs qu'il -n'avait pas voulu laisser le duc d'Otrante, le maréchal Soult à Paris, -et que sous divers prétextes il les tenait sans emploi à Dresde. -Joseph mécontent à Paris, s'y entourant de mécontents, et peut-être un -jour disputant la régence à Marie-Louise, telles étaient les images -sinistres qui avaient traversé son esprit irrité, et qui lui dictèrent -l'ordre inutile de faire arrêter son propre frère. Certes, si Joseph -eût été capable de ces noirs projets, il aurait commencé par lui -désobéir en Espagne, et probablement il lui serait ainsi devenu plus -utile qu'en exécutant servilement des ordres donnés de trop loin, et -sous l'empire de fatales distractions! Le simple bon sens présent sur -les lieux et exclusivement <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> appliqué à son objet, vaut souvent -mieux que le génie absent ou distrait par des entreprises -exorbitantes.</p> - -<p>Si les événements d'Espagne, qui allaient rendre les ennemis de -Napoléon plus exigeants, l'avaient en même temps rendu plus -raisonnable et plus conciliant, on peut dire qu'un grand malheur fût -devenu un grand bien: mais il n'en fut point ainsi. -<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span> -Après avoir visité -Torgau, Wittenberg, Magdebourg, après avoir passé en revue les corps -qu'il voulait inspecter, ordonné les travaux qu'il avait projetés sur -l'Elbe, Napoléon revint à Dresde, pour y continuer le redoutable jeu -de perdre du temps, d'arriver au terme de l'armistice sans s'être -expliqué sur les conditions de la paix, et d'obtenir de la sorte une -nouvelle suspension d'armes en feignant au dernier moment de négocier -sérieusement. -<span class="sidenote" title="En marge">Suite des négociations de Prague.</span> -La Prusse et la Russie avaient choisi leurs -plénipotentiaires, et les avaient envoyés à Prague, où ils étaient -arrivés le 11 juillet, par conséquent un jour avant le terme assigné -pour la réunion du congrès. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Prague, le 11 juillet, des plénipotentiaires -russe et prussien.</span> -Ni l'une ni l'autre de ces puissances -n'avait fait les choix éclatants auxquels on s'était d'abord attendu. -On avait cru que la Prusse désignerait le chancelier de Hardenberg, et -la Russie M. de Nesselrode. Mais, à cause de l'Angleterre, ces -puissances avaient évité de donner à ce congrès trop d'éclat; elles -avaient voulu y paraître amenées et menées par l'Autriche, en n'y -faisant figurer aucun personnage qui fût l'égal de M. de Metternich. -<span class="sidenote" title="En marge">Noms et qualités de ces plénipotentiaires, choisis parmi -les personnages les moins éclatants.</span> -La Prusse avait choisi M. de Humboldt, nom illustre déjà dans la -science, mais peu connu encore dans la politique (le plénipotentiaire -prussien était le frère <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> du savant qui est l'une des gloires -de ce siècle). La Russie avait choisi le baron d'Anstett, Alsacien -(par conséquent Français), appartenant à une famille d'émigrés, homme -de quelque esprit, de peu de considération, et de sentiments fort -hostiles à la France. Quoique ce dernier choix fût assez déplaisant, -comme au fond l'intention était de tout laisser faire à M. de -Metternich, il fallait ne tenir compte que de lui seul, et ne pas -prendre garde aux collaborateurs qu'on lui adjoignait. Ces deux -négociateurs à peine rendus à Prague, avaient communiqué leurs -pouvoirs au médiateur, et ils se plaignaient du peu d'égards qu'on -leur témoignait en les faisant attendre, sans même annoncer le jour de -l'arrivée des plénipotentiaires français. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 15 juillet, les plénipotentiaires français ne sont pas -encore nommés.</span> -Le 15 juillet on n'avait -encore rien dit, et M. de Narbonne, étant retourné à Prague comme -ambassadeur, désigné en outre comme devant être l'un de nos -plénipotentiaires, mais n'ayant reçu ni pouvoirs ni instructions, ne -savait quel langage tenir ni quelle attitude prendre. -<span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano affecte de rejeter ces retards sur M. de -Metternich.</span> -À toutes les -remontrances de M. de Metternich, transmises à Dresde, M. de Bassano -avait répondu que la faute était au cabinet autrichien, qui avait -laissé partir l'empereur Napoléon pour Magdebourg sans communiquer -officiellement la ratification de la nouvelle convention prolongeant -l'armistice jusqu'au 16 août. À ce reproche M. de Metternich avait -répliqué qu'ayant fait connaître officieusement cette ratification, on -aurait bien pu, en attendant la communication officielle, nommer les -plénipotentiaires, et les faire partir, ce qui eût été au moins -l'accomplissement des devoirs de politesse auxquels les grands États -sont astreints <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> les uns envers les autres aussi bien que les -individus eux-mêmes. Sans s'arrêter à cette réponse, M. de Bassano -avait de nouveau tout rejeté sur M. de Metternich.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon ayant reçu la ratification officielle de la -dernière convention, choisit pour plénipotentiaires MM. de Narbonne et -de Caulaincourt.</span> -Napoléon étant revenu à Dresde le 15, après un voyage de cinq jours, -et ayant enfin reçu la ratification de la nouvelle convention par -l'Autriche, la Prusse et la Russie, ne pouvait plus différer la -nomination de ses plénipotentiaires. En conséquence il chargea MM. de -Narbonne et de Caulaincourt de le représenter au congrès de Prague. Il -était impossible de choisir des hommes plus sages, plus éclairés, -animés de plus nobles sentiments. En nommant M. de Caulaincourt, -Napoléon nourrissait toujours la secrète espérance d'un rapprochement -direct avec la Russie, et d'un traité de paix qui, sacrifiant -l'Allemagne au profit des deux grands empires d'Orient et d'Occident, -satisferait à la fois la Russie et la France, triste paix, qui -conviendrait peut-être à l'amour-propre de Napoléon, mais nullement -aux intérêts vrais de son empire! Bien que ce fût peu probable, à en -juger seulement par le choix de M. d'Anstett, Napoléon n'en -désespérait pas tout à fait, et c'était même le seul cas où il voulût -négocier sérieusement. -<span class="sidenote" title="En marge">Noble conduite de M. de Caulaincourt.</span> -M. de Caulaincourt, objet de ces illusions, ne -les partageait point. Cet excellent citoyen, esprit profondément -sensé, avait la vertu peu commune, en aimant fort à plaire, de -s'exposer à déplaire pour dire la vérité, et était ainsi le modèle -rare du courtisan honnête homme, qui compte pour rien les faveurs de -cour, même les plus désirées, quand il s'agit d'épargner une faute au -prince, et un malheur au pays. Il avait <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> dit à Napoléon qu'une -espèce de paix astucieuse, obtenue de la défection des uns envers les -autres, n'était plus à espérer dans l'état de forte cohésion auquel -les divers cabinets étaient parvenus, que la Russie ne se laisserait -plus détacher de l'Autriche, que la faveur dont il avait -personnellement joui auprès de l'empereur Alexandre n'y servirait de -rien, que les concessions demandées par l'Autriche étaient le seul -moyen d'arriver à une paix honorable, que cette paix était -indispensable, qu'il suppliait qu'on ne l'envoyât pas à Prague avec -les mains liées, pour y éprouver la douleur de voir passer inutilement -devant lui l'occasion de servir et de sauver sa patrie. -<span class="sidenote" title="En marge">Conditions auxquelles il accepte la mission qui lui est -confiée.</span> -Il était même -allé jusqu'à déclarer que sans une latitude suffisante il -n'accepterait pas la mission qui lui était destinée. Napoléon, qui -avait besoin du nom de M. de Caulaincourt pour couvrir du respect que -ce nom inspirait une négociation simulée, lui avait promis des -pouvoirs étendus, et l'illustre négociateur comptant sur cette -promesse s'était soumis à la volonté de son maître.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le choix de MM. de Narbonne et de Caulaincourt est approuvé -à Prague.</span> -Ces deux choix universellement approuvés produisirent à Prague une -impression qui corrigeait quelque peu le mauvais effet de nos éternels -retards. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvel incident dont Napoléon profite pour perdre encore du -temps.</span> -Bien qu'on fût au 16 juillet, et qu'il ne restât plus que -trente jours pour négocier, tout pouvait être sauvé néanmoins même à -cette heure, lorsqu'un fâcheux incident vint fournir à Napoléon le -prétexte spécieux qu'il cherchait pour perdre encore du temps. -<span class="sidenote" title="En marge">Les commissaires réunis à Neumarckt pour l'exécution -quotidienne de l'armistice, paraissent supposer qu'il expirera le 10 -août et non pas le 16.</span> -Il y -avait à Neumarckt des commissaires des diverses parties belligérantes, -réunis en commission permanente pour le règlement quotidien de ce qui -concernait <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> l'exécution de l'armistice. Lorsque le commissaire -français leur avait communiqué la dernière convention qui prolongeait -l'armistice au 10 août, avec un délai de six jours entre la -dénonciation de l'armistice et le renouvellement des hostilités, ce -qui fixait au 17 la malheureuse reprise de cette guerre, les -commissaires prussien et russe avaient paru en être informés pour la -première fois, et être fort étonnés de ce qu'elle statuait. Après en -avoir référé au quartier général des alliés, ils avaient reçu du -commandant en chef Barclay de Tolly la confirmation de la convention, -et en même temps la déclaration que ce ne serait pas le 17 août mais -le 10 que recommenceraient les hostilités. Cette déclaration était -aussi étrange qu'imprévue. Selon le sens vrai de la convention, on ne -pouvait pas dénoncer l'armistice avant le 10 août, et si effectivement -on le dénonçait le 10, il devait s'écouler encore, d'après la première -convention et d'après toutes les règles, un délai quelconque entre -l'avis donné de la reprise des hostilités et leur reprise effective. -Ce délai, fixé à six jours dans la première convention, devait -subsister de droit dans la seconde. L'usage, l'intention des parties -contractantes, le texte, tout était d'accord pour rendre cette -interprétation incontestable. -<span class="sidenote" title="En marge">Motif de cette méprise.</span> -Mais voici ce qui avait amené la méprise -qui allait fournir à Napoléon de si funestes prétextes. Les deux -souverains de Prusse et de Russie étaient entourés d'esprits tellement -ardents qu'il leur en avait coûté beaucoup d'efforts pour faire agréer -le premier armistice, quelque besoin qu'ils en éprouvassent. Ils -n'avaient pu refuser le second aux instances de M. de Metternich; -toutefois <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> en y consentant ils avaient à peine osé l'avouer, -et l'empereur Alexandre, partant pour Trachenberg où devait avoir lieu -une conférence générale des chefs de la coalition, avait dit sans -détails au général Barclay de Tolly, qu'il avait consenti à une -prolongation d'armistice jusqu'au 10 août, mais qu'il n'accorderait -pas un jour de plus. En s'exprimant ainsi et d'une manière générale, -l'empereur Alexandre n'avait parlé que du délai principal, et n'avait -pas entendu exclure celui de six jours, placé de droit entre l'annonce -et le fait même des hostilités. Mais Barclay de Tolly, poussant -jusqu'à l'excès l'exactitude et l'observation des formes, n'avait cédé -à aucune représentation, et avait déclaré ne pas vouloir prendre sur -lui la solution d'une pareille difficulté sans en référer à l'empereur -Alexandre lui-même.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon mécontent d'abord de cet incident songe bientôt à -en profiter.</span> -Napoléon en apprenant cette singulière contestation, en éprouva un -premier déplaisir, car il s'était demandé si en effet elle ne serait -pas sérieuse, et si on ne voudrait pas lui faire perdre les sept jours -auxquels il tenait infiniment, car avec l'activité qu'il déployait en -ce moment, chaque heure écoulée lui procurait d'importants résultats. -Mais à la réflexion, en se rappelant ses discussions avec M. de -Metternich, les calculs de temps qu'ils avaient faits ensemble, il -n'avait pu conserver aucun doute sur l'interprétation de la seconde -convention, et loin de s'inquiéter de l'incident, il avait résolu de -s'en servir, et d'en tirer un prétexte nouveau et tout à fait -plausible de perdre encore quelques jours. -<span class="sidenote" title="En marge">Il fait dire à Prague que M. de Caulaincourt ne partira que -lorsque le nouvel incident sera vidé.</span> -Il fit sur-le-champ -déclarer par M. de Narbonne à Prague, qu'un étrange <span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> incident -s'étant élevé à Neumarckt, le sens de la convention en vertu de -laquelle on allait se réunir et négocier étant contesté, il n'était ni -de sa dignité ni de sa sûreté de traiter avec des gens qui entendaient -ainsi leurs engagements, et qu'avant de faire partir M. de -Caulaincourt il voulait une explication catégorique au sujet de ce qui -venait d'être dit par le général Barclay de Tolly. M. de Narbonne, -l'un des deux plénipotentiaires français, étant déjà rendu à Prague, -les devoirs de politesse se trouvaient remplis selon lui, et le second -plénipotentiaire français pouvait bien ne partir qu'après avoir obtenu -l'explication demandée, et l'avoir obtenue pleinement satisfaisante.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Grande irritation des plénipotentiaires russe et prussien, -attendant depuis le 11 à Prague les plénipotentiaires français qui -n'arrivent pas.</span> -Lorsque cette nouvelle difficulté fut connue à Prague, et elle le fut -le 18 juillet par une dépêche partie de Dresde le 17, on en ressentit -une impression fort vive et fort naturelle. Les deux plénipotentiaires -prussien et russe affectèrent d'en être irrités, offensés même, -beaucoup plus qu'ils ne l'étaient véritablement. Mais M. de Metternich -en fut consterné, et l'empereur François blessé profondément. L'un et -l'autre désiraient la paix, telle que nous l'avons définie, bien que -l'empereur y crût moins que le ministre, et chaque chance de la -conclure évanouie leur causait de sincères regrets. -<span class="sidenote" title="En marge">Langage que les partisans de la guerre tiennent au sujet du -nouveau retard.</span> -De plus, ils -étaient humiliés du rôle qu'on leur faisait jouer. Les ennemis de leur -politique de médiation se riaient d'eux, et aimaient à dire que, pour -prix de leurs efforts pacifiques, Napoléon ne leur enverrait pas même -un négociateur, et que ces inventeurs du congrès de Prague, loin de -le conduire à bien, ne pourraient pas <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> même le réunir. Ce -fâcheux pronostic des partisans de la guerre semblait près de se -réaliser, car déjà sous le plus futile prétexte, parce que la -ratification de la seconde convention communiquée officieusement ne -l'avait pas été officiellement, Napoléon avait perdu cinq ou six -jours; maintenant, sous un prétexte aussi frivole, parce que les -commissaires de Neumarckt, simples agents d'exécution, n'ayant aucune -autorité morale, élevaient une difficulté d'interprétation sur un -texte qui leur était inconnu, on allait perdre quelques jours encore. -Et quand on avait vingt jours devant soi, vingt-sept avec le délai -contesté, en sacrifier cinq ou six à chaque occasion, était un jeu -visible et offensant. Le plus grave d'ailleurs ce n'était pas la perte -de temps, car si on voulait bien s'entendre, deux jours, n'en -restât-il que deux, pouvaient suffire: le plus grave, c'était la -disposition que cette manière d'agir révélait chez Napoléon. Puisqu'il -se jouait ainsi de ses adversaires et du médiateur, évidemment il ne -souhaitait point la paix, et après avoir obtenu le temps qu'il avait -si ardemment désiré, et qu'il employait si bien, il ne prenait pas -même la peine de dissimuler à quel point il se moquait de ceux dont il -avait fait ses dupes!--Tel était le langage, malheureusement -très-fondé, que les partisans de la guerre tenaient partout, en ayant -soin de le rendre blessant et amer pour l'empereur François et son -ministre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Langage plein de noblesse et de fermeté de M. de -Metternich.</span> -M. de Metternich vit M. de Narbonne et se montra à lui profondément -affligé.--La nouvelle difficulté que vous venez de soulever, lui -dit-il, n'est pas plus sérieuse que la précédente. Nous vous avions -annoncé <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> amicalement la ratification expresse de la convention -en vertu de laquelle l'armistice est prolongé jusqu'au 16 août; vous -ne pouviez donc pas douter de l'exactitude du fait, et ce n'était pas -une raison de différer la nomination et l'envoi de vos -plénipotentiaires, lorsque ceux des autres parties belligérantes -devaient être ici le 12, qu'ils y arrivaient même le 11. Aujourd'hui -les commissaires de Neumarckt, qui ne sont rien, qui ont toutes les -passions des états-majors, prétendent interpréter un texte qui leur -est inconnu, et vous affectez de prendre la chose au sérieux, jusqu'à -vous montrer alarmés! Ce ne peut être une alarme bien sincère. -Croyez-vous qu'on voudrait malgré nous, et par conséquent sans nous, -recommencer les hostilités? le croyez-vous en vérité? Certainement -non. Dès lors de quoi s'agit-il? D'une difficulté insignifiante, dont -vous auriez pu faire le sujet de notre entretien à la première réunion -des plénipotentiaires, et sur laquelle vous auriez eu l'avis favorable -des deux plénipotentiaires prussien et russe, et en tout cas l'avis -décisif du médiateur, dont l'opinion vous était connue d'avance. Ce -n'était donc pas la peine de perdre encore quelques jours, quand il -nous en reste à peine une vingtaine d'ici au 10 août. Nous ne pouvons -voir qu'une chose dans cette conduite, c'est le désir de l'empereur -Napoléon de nous mener ainsi, sans avoir rien fait, jusqu'au terme de -l'armistice. Mais qu'il ne s'y trompe pas, il ne parviendra pas à -faire prolonger d'un jour la suspension d'armes. Aux difficultés que -vous rencontrez à Neumarckt, vous devez juger de celles que nous -avons eu à vaincre <span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> nous-mêmes pour obtenir une première -prolongation. Vous n'en obtiendrez pas une seconde, soyez-en sûr. Que -l'empereur Napoléon ne se fasse pas illusion sur un point plus -important encore. -<span class="sidenote" title="En marge">Déclaration formelle que l'armistice ne sera pas prolongé -d'un jour, et qu'au terme expiré, l'Autriche fera partie de la -coalition.</span> -Le terme du 10 août arrivé, il n'y aura plus un mot -de paix à dire, et la guerre sera déclarée. Nous ne serons pas -neutres, qu'il ne s'en flatte pas. Après avoir employé tous les moyens -imaginables pour l'amener à des conditions raisonnables, qu'il connaît -bien, que dès le premier jour nous lui avons fait connaître, sur -lesquelles nous n'avons pas pu varier, car elles constituent le seul -état tolérable pour l'Europe, il ne nous reste plus, s'il les refuse, -qu'à devenir belligérants nous-mêmes. Si nous demeurions neutres -(comme au fond il le désire), les alliés seraient battus, nous n'en -doutons pas; mais après leur tour le nôtre viendrait, et nous -l'aurions bien mérité. Nous ne commettrons donc pas cette faute. -Aujourd'hui, quoi qu'on puisse vous dire, nous sommes libres. Je vous -donne ma parole et celle de mon souverain, que nous n'avons -d'engagements avec personne. Mais je vous donne ma parole aussi que le -10 août à minuit nous en aurons avec tout le monde, excepté avec vous, -et que le 17 au matin vous aurez trois cent mille Autrichiens de plus -sur les bras. Ce n'est pas légèrement, ce n'est pas sans douleur, car -il est père et il aime sa fille, que l'empereur mon maître a pris -cette résolution; mais il doit à son peuple, à lui-même, à l'Europe, -de rendre à tous un état stable, puisqu'il en a le moyen, et que -d'ailleurs l'alternative ne serait autre que de tomber quelques jours -plus tard sous vos coups, dans une <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> dépendance pire que celle -où vous aviez mis la Prusse. Certes nous savons quelle chance on court -en voulant combattre, même quand on est fort nombreux, l'empereur -Napoléon à la tête des armées françaises; mais après y avoir bien -réfléchi, nous préférons cette chance au déshonneur et à l'esclavage. -Qu'on ne vienne donc point après l'événement nous dire que nous vous -avons trompés! Jusqu'au 10 août à minuit tout est possible, même à la -dernière heure; le 10 août passé, pas un jour, pas un instant de -répit, la guerre, la guerre avec tout le monde, même avec nous!--M. de -Narbonne, saisi de ce langage, calme, triste et grand, dit à M. de -Metternich: Quoi! pas un instant de répit, même si la négociation -était commencée!--À une condition seulement, répondit M. de -Metternich, c'est que les bases de la paix seraient admises en entier, -et qu'il n'y aurait plus à régler que les détails.--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne, comprenant parfaitement cette situation, -mande à Dresde que si on n'est pas décidé à la guerre générale avec -l'Europe entière, il faut ouvrir tout de suite la négociation.</span> -M. de Narbonne, qui avait parfaitement apprécié cette situation, et -qui voyait bien qu'il n'y avait plus à jouer avec le temps et avec les -hommes, qu'en agissant ainsi on n'abuserait plus personne, et qu'on ne -tromperait que soi, écrivit à M. de Bassano qu'il fallait ou se -décider à la guerre, à la guerre certaine, universelle avec l'Europe, -ou que si on n'avait pas pris ce parti, si on souhaitait la paix, sauf -à en modifier les conditions, il fallait négocier sérieusement, et -même, ne voulût-on qu'une nouvelle prolongation d'armistice, ne pas -paraître se moquer de ceux avec lesquels on traitait. Il demandait -donc qu'on fît partir M. de Caulaincourt, car les négociateurs -prussien et russe menaçaient <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> tous les jours de se retirer (ce -dont ils avaient le droit, puisqu'on était au 20 juillet, et qu'ils -attendaient depuis le 11), et s'ils quittaient Prague tout serait -fini. À peine obtiendrait-on de la bonne foi des coalisés que -l'armistice fût respecté jusqu'au 17 août, et si même on l'obtenait, -on ne le devrait qu'à la prudence et à la modération de l'Autriche.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle espérance et nouveau calcul de Napoléon.</span> -Ces conseils si sages, dictés par la plus parfaite connaissance des -choses, n'affectèrent pas beaucoup M. de Bassano, et encore moins -Napoléon. Ce dernier toutefois, bien que décidé à la guerre plutôt -qu'aux conditions apportées par M. de Bubna, bien que se flattant avec -ses nouveaux préparatifs de battre tous les coalisés, l'Autriche -fût-elle du nombre, n'était pas indifférent à l'espérance d'une -nouvelle prolongation d'armistice, et à force de la désirer se faisait -l'illusion étrange que peut-être il l'obtiendrait. -<span class="sidenote" title="En marge">Il n'espère pas obtenir une prolongation d'armistice, mais -retarder l'entrée en action de l'Autriche, ce qui suffit à ses plans -militaires.</span> -Il doutait à la -vérité d'amener la Prusse et la Russie à cette prolongation, animées -comme elles paraissaient l'être; mais il y avait une combinaison -meilleure pour lui que celle de retarder les hostilités avec toutes -les puissances, c'était en les laissant commencer avec la Prusse et la -Russie, de les différer encore quelques jours avec l'Autriche seule, -ce qui lui aurait donné le temps d'accabler les deux premières, puis -de se rejeter sur l'Autriche elle-même, <cite>qui aurait son tour</cite>, comme -avait très-bien dit M. de Metternich. Pour y réussir il y avait un -moyen, c'était en ouvrant la négociation vers la fin de l'armistice, -de manière à inspirer quelques espérances à M. de Metternich et à -l'empereur François, d'obtenir qu'on négociât en se battant, ce qui -<span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> était possible, ce qui s'était vu en plus d'une occasion, et -ce qui retarderait probablement l'entrée en action de l'Autriche, car -tant que ses conditions auraient chance d'être acceptées, il était -vraisemblable qu'elle ne voudrait pas se mettre en guerre avec la -France. -<span class="sidenote" title="En marge">Pour disposer l'Autriche à ce qu'il désire, Napoléon envoie -à M. de Narbonne le pouvoir de commencer la négociation sans M. de -Caulaincourt.</span> -Ainsi arriver non pas à une nouvelle suspension d'armes qui -arrêterait le bras de tout le monde, mais à une négociation continuée -durant les hostilités, qui retiendrait quelques jours encore le bras -de l'Autriche, était sa pensée actuelle. Mais pour cela il fallait -faire quelque chose, et Napoléon, malgré le doute subsistant à -Neumarckt, doute qui n'en était pas un pour lui, fit expédier à M. de -Narbonne ses pouvoirs et ses instructions qui avaient été retenues -jusque-là, avec la faculté accordée aux deux plénipotentiaires -français de traiter l'un en l'absence de l'autre. Dès lors on n'était -plus fondé à dire que la négociation était suspendue, puisque M. de -Narbonne, à lui tout seul, pouvait la commencer, et la conduire même à -son terme. Mais bien qu'on appréciât le mérite de M. de Narbonne en -Autriche et en Europe, le duc de Vicence (M. de Caulaincourt) passait -pour être seul initié à la pensée de Napoléon, et tant qu'il -n'arrivait pas à Prague, on était généralement disposé à considérer la -négociation comme n'étant pas sérieuse. Sur ce point Napoléon fit -répéter que dès que l'énigme de Neumarckt serait éclaircie, il -expédierait le duc de Vicence; et pour se donner un motif spécieux -d'attacher tant d'importance à ce que disaient les commissaires de -Neumarckt, il fit écrire à M. de Metternich que communiquant par ces -commissaires avec les places bloquées de Custrin, de <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> -Stettin, de Dantzig, tant pour les correspondances que pour les -vivres, il avait besoin d'une explication claire et positive, et ne -différait le départ de M. de Vicence que pour être assuré de -l'obtenir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Langage trop peu sérieux de M. de Bassano.</span> -M. de Bassano cherchant sans cesse à se modeler sur son maître, et à -imiter sa coupable mais héroïque indifférence au milieu des dangers, -écrivait à M. de Narbonne ce qui suit:--Je vous envoie, lui disait-il, -plus de <em>pouvoirs</em> que de <em>puissance</em>, vous aurez <cite>les mains liées, -mais les jambes et la bouche libres, pour vous promener et -dîner</cite>.--C'est de ce ton que parlait le ministre de l'Empire français, -au moment suprême où se décidait à jamais le sort de son maître et de -sa patrie!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne est autorisé à l'échange des pouvoirs, opéré -en commun, et sans passer par les mains du médiateur.</span> -Après s'être livré à ces jeux de mots, M. de Bassano permettait à M. -de Narbonne de procéder à l'échange des pouvoirs, mais en tenant au -mode de négocier sur lequel on avait déjà insisté. En conséquence il -devait offrir l'échange des pouvoirs dans une conférence commune, puis -cette formalité remplie, proposer la discussion des matières dans des -conférences auxquelles assisteraient tous les plénipotentiaires, sous -les yeux du médiateur, qui serait ainsi témoin et partie des -négociations mais non pas leur intermédiaire exclusif. Il devait enfin -proposer la rédaction de protocoles, qui assureraient l'authenticité -des conférences. Si toutes ces questions de forme étaient vidées, ce -qui ne pouvait manquer d'être long, M. de Narbonne avait ordre de -présenter pour première base de négociation l'<i lang="la">uti possidetis</i>, -c'est-à-dire la conservation de ce que chacun possédait dans l'état -présent de la guerre, comme si <span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> aucun des événements de 1812 -et de 1813 ne s'était accompli.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouveau chagrin de M. de Metternich en apprenant à quelle -condition est soumis l'échange des pouvoirs.</span> -La seule question de forme devait exiger beaucoup de temps, car sur -cette question les coalisés avaient leur parti pris, et insister à ce -sujet c'était s'exposer à dépenser inutilement plusieurs mois, quand -on n'avait plus que dix-huit jours. M. de Metternich, en effet, en -apprenant que M. de Narbonne avait reçu ses pouvoirs, ne fut que -médiocrement consolé de l'absence de M. le duc de Vicence, surtout -lorsqu'il sut que M. de Narbonne voulait présenter et échanger ses -pouvoirs dans une réunion générale des plénipotentiaires, s'abouchant -entre eux sous la présidence du médiateur, mais ne s'astreignant pas à -l'accepter pour unique intermédiaire de leurs communications. -<span class="sidenote" title="En marge">Depuis qu'on avait laissé percer l'intention d'un -arrangement direct entre la Russie et la France, les Russes et les -Prussiens affectaient de vouloir faire de l'Autriche leur unique -intermédiaire.</span> -Ce dernier point, comme on l'a vu, avait acquis beaucoup d'importance, -depuis que Napoléon avait clairement indiqué, en faisant choix de M. -de Caulaincourt, la pensée de s'entendre directement avec la Russie -aux dépens de l'Autriche. À dater de ce moment, la Prusse et la -Russie, pour ne pas être soupçonnées d'entrer dans l'intention de -Napoléon, surtout pour n'en pas être accusées, affectaient de tenir -plus que l'Autriche elle-même à une forme de négociation qui faisait -tout passer par l'entremise du médiateur. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette disposition poussée au delà des désirs de l'Autriche, -devait rendre insoluble la question de forme.</span> -Aussi MM. de Humboldt et -d'Anstett, particulièrement ce dernier, s'étaient-ils hâtés de -remettre leurs pouvoirs à M. de Metternich, et ne voulaient-ils les -remettre qu'à lui seul. M. de Metternich, tranquille désormais sur la -négociation directe entre la Russie et la France, dont il avait voulu -se garantir <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> en venant à Prague, aurait acquiescé au désir de -la France sur cette question de forme, uniquement pour faire commencer -la négociation; mais cela ne dépendait plus de lui, la Russie et la -Prusse tenant à ce qu'il fût rassuré plus même qu'il n'avait besoin de -l'être. Aussi ne manqua-t-il pas de dire à M. de Narbonne que quant à -lui il consentirait bien à cet échange de pouvoirs opéré en commun, -mais que déjà les plénipotentiaires prussien et russe lui avaient -remis directement leurs pouvoirs, s'étaient ainsi légitimés, et que -certainement, ne fût-ce que par amour-propre, ils ne voudraient pas -revenir sur ce qu'ils avaient fait. Il leur proposa en effet de céder -sur ce point, mais il fut refusé, et malgré les autorisations envoyées -à M. de Narbonne, la négociation ne fit pas un pas. M. de Metternich -en montra de nouveau son chagrin à M. de Narbonne, lui répéta que -jusqu'au 10 août le mal ne serait pas irréparable, mais que le 10 à -minuit il serait sans remède.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon ne se faisant plus aucune illusion sur la -possibilité de prolonger l'armistice, et espérant tout au plus -retarder l'entrée en action de l'Autriche, avait le parti pris de -continuer la guerre.</span> -Pendant ces inutiles allées et venues, Napoléon ne conservant plus -aucune illusion sur la possibilité d'une négociation séparée avec la -Russie, songeait tout au plus à retenir l'Autriche inactive quelques -jours après le 17 août, afin d'avoir le temps d'accabler d'abord les -Prussiens et les Russes, sauf à battre ensuite, et à leur tour, les -Autrichiens eux-mêmes, s'ils étaient assez peu clairvoyants pour se -prêter à ce calcul. Quant à la paix il n'y songeait guère, ne voulant -à aucun prix abandonner les villes anséatiques réunies -constitutionnellement à l'Empire, renoncer au titre de protecteur de -la Confédération du Rhin porté jusqu'ici avec une sorte <span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> -d'ostentation, enfin reconstituer la Prusse au lendemain même de sa -défection. Chacun de ces sacrifices lui coûtait cruellement; pourtant -il n'était pas possible, même après les triomphes de Lutzen et de -Bautzen, que la terrible catastrophe de 1812 n'eût pas quelques -conséquences, sinon pour la France, au moins pour lui, et il fallait -savoir se résigner à payer sa faute par un déplaisir quel qu'il fût. -Il aurait dû se trouver heureux après de si grands malheurs de n'être -puni que dans son orgueil, et de n'avoir rien à sacrifier que la -France pût regretter véritablement, car, ainsi que nous l'avons déjà -dit, et qu'on nous permettra de le redire encore, lorsqu'on lui -laissait outre les Alpes et le Rhin, la Hollande, le Piémont, la -Toscane, Rome, à titre de départements français, la Westphalie, la -Lombardie, Naples, à titre de principautés de famille, on lui -concédait plus que la France ne devait désirer, et qu'elle ne pouvait -posséder. Ici se présentent quelques réflexions que nous avons déjà -indiquées, mais qu'il faut reproduire plus complétement au moment -décisif, pour apprécier sainement les déterminations de Napoléon. -<span class="sidenote" title="En marge">Examen des conditions de paix proposées à la France.</span> -Si on examine l'une après l'autre ses prétentions territoriales, on -reconnaîtra combien il était peu raisonnable d'y tenir. La Hollande -elle-même qui était la moins déraisonnable de toutes, ne pouvait être -qu'avec beaucoup de peine rattachée matériellement et moralement à -l'Empire. Quand on en avait détaché ce que Napoléon avait pris au roi -Louis en 1810, pour le punir de ses résistances, c'est-à-dire ce qui -est situé à la gauche du Wahal, lequel est le Rhin véritable et -constitue la <span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> plus puissante des barrières, on avait acquis -tout ce qui était désirable sous le rapport des frontières, restant -toujours la grave difficulté morale de morceler un pays aussi homogène -que la Hollande, et dont toutes les parties sont faites pour vivre -ensemble! Quant à la portion au delà du Wahal, qui s'étend jusqu'au -Texel, et comprend Gorcum, Nimègue, Utrecht, Rotterdam, la Haye, -Amsterdam, le Texel, c'est-à-dire la grande Hollande, il était -impossible de la rattacher à la géographie militaire de la France, et -Napoléon dans ses plus habiles combinaisons pour la défense du -territoire, n'avait jamais pu trouver une manière de couvrir le -Zuiderzée, et d'établir une frontière solide de Wesel à Groningue. -<span class="sidenote" title="En marge">À quel point ces conditions dépassaient même ce que la -France aurait dû désirer, et combien il était évident que l'orgueil -froissé était en ce moment le seul mobile de Napoléon.</span> -N'ayant pour protéger cette partie de la Hollande que la faible ligne -de l'Yssel, il n'avait vu d'autre ressource que les inondations, et -les avait ordonnées; or, un pays qu'on ne peut garder qu'en le noyant, -il n'est pas seulement inhumain, il est impolitique de songer à le -posséder. En ayant dans l'Océan la Rochelle, Brest, Cherbourg, Anvers -et Flessingue, Napoléon avait contre l'Angleterre tout ce qu'il -pouvait désirer, et ces terrains, moitié îles, moitié continent, qui -s'étendent de Nimègue à Groningue, de Berg-op-Zoom au Texel, entre -terre et mer, portant une race indépendante, fière, sage, riche, -pleine de souvenirs assez glorieux pour ne pas vouloir les confondre -avec ceux d'une autre nation, méritaient d'être laissés indépendants -entre toutes les puissances de l'Europe, pour continuer à être la voie -la plus large et la plus libre du commerce maritime! Quant au Piémont -lui-même, était-il <span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> bien prudent de chercher à posséder un -territoire au delà des Alpes, c'est-à-dire au delà de nos frontières -naturelles, devant nous aliéner à jamais les Italiens, comme la -possession de la Lombardie n'a cessé de les aliéner à l'Autriche, nous -valant des haines au lieu d'influence, et destiné au premier règne -faible à nous échapper inévitablement? Toutefois dans un système de -grandeur à la façon de Charlemagne, grandeur qui n'est dans les temps -modernes qu'un pur anachronisme, car lorsque Charlemagne régnait sur -le continent de l'Elbe à l'Èbre, il embrassait dans ses vastes États -des pays à moitié sauvages, n'ayant encore aucune existence -historique, dans un tel système, on peut concevoir l'addition de la -Hollande, qui est une sorte d'appendice maritime de notre territoire, -comme le Piémont en est une sorte d'appendice continental, utile à qui -veut descendre souvent des Alpes; mais même dans ce système déjà faux, -que faire de la Toscane et de Rome? Que faire de l'Illyrie, de -Hambourg, de Lubeck? Ce n'était plus qu'un entraînement de conquêtes -insensées, sans plan et sans limites, pouvant durer la vie d'un -conquérant tel qu'Attila ou Alexandre, mais devant à sa mort donner -lieu à un partage de territoires entre ses lieutenants ou ses voisins! -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon compromet en ce moment non-seulement la grandeur -sérieuse de la France, mais même la grandeur chimérique qu'il avait -rêvée, et dont on ne lui contestait que quelques portions -insignifiantes.</span> -Avec un tel système, qui, ne reposant sur aucun principe politique, ne -pouvait avoir aucune limite territoriale, dans lequel on pouvait tout -faire entrer sauf à ne rien garder, il n'était pas possible de dire -que l'empire de Napoléon fût véritablement moins grand parce que -Hambourg ou Lubeck n'y seraient pas compris. Napoléon était tout -autant <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> Charlemagne sans ces villes qu'avec elles, car celui -qui, outre Bruxelles, Anvers, Flessingue, Cologne, Mayence, -Strasbourg, avait encore Utrecht, Amsterdam, le Texel, Turin, -Florence, Rome, sans compter Cassel, Milan, Naples, était aussi grand, -plus grand même que Charlemagne, de cette grandeur fabuleuse qui avait -au neuvième siècle sa raison d'être, qui ne l'avait plus au -dix-neuvième, et qui après son Charlemagne aurait eu inévitablement -son Louis le Débonnaire. On ne comprend pas que le principal de cette -grandeur chimérique étant accordé à Napoléon, il la compromît pour -Hambourg, pour Lubeck, ou pour un vain titre comme celui de protecteur -de la Confédération du Rhin! Sans doute si l'honneur des armes eût été -compromis, on conçoit qu'il ne voulût pas céder, car il vaut mieux -perdre des provinces que l'honneur des armes! Cela vaut mieux pour la -dignité et la sûreté d'un vaste empire; mais après Lutzen, mais après -Bautzen, où des enfants avaient vengé le malheur de nos vieux soldats, -l'honneur des armes était sauf; la vraie grandeur et même la grandeur -exagérée et inutile l'était aussi; il ne restait en souffrance que -l'orgueil! Et à ce sentiment si personnel, il est triste de le dire, -Napoléon était prêt à sacrifier non-seulement la solide grandeur de la -France, celle qu'elle avait conquise sans lui pendant la révolution, -mais cette grandeur factice, fabuleuse, qu'il y avait ajoutée par ses -prodigieux exploits! Il allait sacrifier à ce sentiment sa femme, son -fils et lui-même!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Agitation intérieure de Napoléon, qui se cachait sous son -activité incessante, mais qui le rendait très-sensible aux objections -élevées autour de lui.</span> -Toutefois ces questions agitaient profondément Napoléon, et si avec -la faculté de se distraire par <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> mille travaux de tout genre, -faculté dont il était doué au plus haut degré, il arrivait à se donner -un visage serein, si même, tout plein de ses vastes et profondes -conceptions militaires, il parvenait à se donner confiance, il était -parfois troublé et pensait sans cesse au grave sujet que nous venons -d'exposer. Toujours en course autour de Dresde, faisant, avec son -embonpoint qui commençait à être importun, des excursions de trente et -quarante lieues par jour, dont la moitié à cheval, allant étudier le -long des frontières de la Bohême les champs de bataille qui devaient -bientôt se couvrir de sang, y amenant ses généraux avec lui, -quelquefois les y envoyant sans lui pour les obliger à étudier le -terrain, il emportait dans sa tête les mêmes pensées, et, soit en -route, soit de retour à Dresde, il en conférait avec les personnages -de toute profession qui le suivaient dans ses campagnes. Absolu par -son pouvoir, il était par sa clairvoyance dépendant des esprits qui -l'entouraient, car il lui était impossible de voir la désapprobation -sur les visages sans éprouver le besoin de la combattre, de la -dissiper, de la vaincre, et il avait souvent fort à faire. Si on était -en effet bien soumis, bien appliqué à lui plaire, le sentiment du -danger déliait les langues chez les plus courageux, attristait au -moins les visages chez les plus timides!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Discussions fréquentes de Napoléon, soit avec ses généraux -sur le futur plan de campagne, soit avec les personnages civils de son -entourage sur les négociations de Prague.</span> -Chacun suivant son état, militaire ou civil, apercevant de la -situation ce qui le concernait, révélait les dangers qui le frappaient -plus particulièrement. Les militaires qui avaient jugé excellente la -position de l'Elbe, quand on n'avait affaire qu'aux Prussiens et aux -Russes, étaient effrayés depuis qu'il s'agissait <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> des -Autrichiens eux-mêmes, de se trouver sur l'Elbe avec la possibilité -d'être tournés par ces derniers du côté de la Bohême, et d'avoir ainsi -l'ennemi sur nos derrières, entre nous et la Thuringe. Les politiques -voyaient clairement l'Autriche entraînée par l'esprit public de -l'Allemagne, et sollicitée par son propre intérêt, prête à imiter la -Prusse, et à compléter dès lors l'union de tous les États contre nous; -et ils nous voyaient réduits à lutter contre l'Europe exaltée par la -haine avec la France abattue par la fatigue! aussi les uns et les -autres étaient-ils d'avis d'admettre la médiation et ses conditions, -quelles qu'elles fussent, en les supposant même beaucoup moins -avantageuses qu'elles ne l'étaient réellement. Sans doute ils -n'eussent voulu à aucun prix qu'on acceptât la France privée de ses -frontières naturelles, mais si on leur avait dit qu'elle aurait -directement ou indirectement, Mayence, Cologne, Anvers, Flessingue, -Amsterdam, le Texel, Cassel, Turin, Milan, Florence, Rome, Naples, ils -auraient à genoux supplié Napoléon d'accepter. Mais on leur laissait -ignorer le véritable état des choses; on parlait vaguement devant eux -de sacrifices contraires à l'honneur, et sans savoir précisément ce -qui en était, ils supposaient néanmoins que la France était encore -assez redoutée pour qu'on n'osât pas lui offrir moins que ses -frontières naturelles, et dans cette supposition, bien inférieure -pourtant à la réalité, ils préféraient des sacrifices d'amour-propre -au danger d'une lutte effroyable contre une coalition formée de toute -l'Europe.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Objections des militaires contre la ligne de l'Elbe, depuis -qu'on s'attendait à la guerre avec l'Autriche.</span> -Politiques et militaires parlaient entre eux de ce <span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> sujet ou -dans leurs bivouacs, ou dans les antichambres de Napoléon, se -taisaient quand il survenait, et quelquefois même ne s'interrompaient -qu'à demi, pour lui fournir l'occasion de reprendre l'entretien s'il -daignait le continuer avec eux, ce que rarement il négligeait de -faire. -<span class="sidenote" title="En marge">Réponses de Napoléon.</span> -Avec les militaires les réponses ne lui manquaient pas, car -s'ils avaient raison en signalant la hardiesse de notre situation sur -l'Elbe, où l'on pouvait être tourné par la Bohême en cas de guerre -avec l'Autriche, ils avaient tort, ainsi que le faisaient plusieurs -d'entre eux, de lui proposer la ligne de la Saale, ligne très-courte, -n'embrassant que l'espace compris de Hof à Magdebourg, facile à forcer -sur tous les points, et exposée à être tournée par la Bavière comme -celle de l'Elbe par la Bohême. On eût été, en adoptant cette ligne, -rejeté en huit jours sur le Rhin, et il eût été étrangement -inconséquent d'abandonner dans les combats ce qu'on s'obstinait à -défendre témérairement dans les négociations. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon avait raison dans l'hypothèse de la continuation -de la guerre, car en refusant d'abandonner l'Allemagne la ligne de -l'Elbe était la seule admissible.</span> -Il n'y avait pas de -milieu, ou il fallait renoncer tout de suite à l'Allemagne, et -accepter les conditions de M. de Metternich, ou si on la disputait -diplomatiquement, il fallait aussi la disputer militairement, et on ne -le pouvait que sur l'Elbe. Or placé à Dresde, ayant à sa droite -Kœnigstein, à sa gauche Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg, -pouvant, comme il le fit bientôt à Dresde, accabler ceux qui -essayeraient de le tourner, Napoléon avait encore d'immenses chances -pour lui. -<span class="sidenote" title="En marge">La question était mal posée, et ce n'était pas entre telle -ou telle ligne d'opération, mais entre la paix et la guerre, qu'il -fallait la placer.</span> -Restait, il est vrai, le danger de se battre si loin du Rhin -contre l'Europe entière, et, si un de ses lieutenants était faible ou -maladroit sur la vaste ligne de Kœnigstein à Hambourg, <span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> de -se trouver en l'air au milieu de l'Allemagne soulevée; mais alors il -fallait avoir le bon sens de reconnaître, et le courage de dire que la -faute de Napoléon était politique, et lui conseiller d'abandonner -l'Allemagne, ce qui était la certitude d'une paix immédiate et -glorieuse. Faute de poser ainsi la question, on se donnait tort contre -Napoléon, car à vouloir garder l'Allemagne, il est bien vrai qu'on ne -pouvait la défendre que sur l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Si Napoléon avait raison contre les militaires, il avait -tort contre les diplomates, et s'en tirait avec eux en dissimulant la -vérité, et en ne disant pas à quoi tenaient la paix ou la guerre.</span> -Aussi, dans leurs nombreux -entretiens, le prince Berthier, les maréchaux Soult, Ney, Mortier, -n'osant pas soutenir résolûment qu'il fallait rentrer sur le Rhin, -s'exposaient à être réfutés victorieusement en proposant des lignes -intermédiaires entre l'Elbe et le Rhin, étaient battus par la logique -pressante de Napoléon, et se taisaient, en conservant cependant le -sentiment d'un grand péril, car c'était un grand péril en effet que de -se battre avec l'Europe, non sur le Rhin pour la défense légitime de -notre sol, mais sur l'Elbe pour la pensée usurpatrice de la domination -universelle. Les choses se passaient autrement lorsqu'il s'agissait de -la question, toute politique, de la paix et de la guerre. Là Napoléon -sentait bien qu'il avait tort, car il n'avait pas une bonne raison à -faire valoir. Il ne disait pas la vérité, parlait vaguement de -sacrifices, qui, d'abord modérés en apparence, deviendraient bientôt, -s'il cédait, immodérés et inadmissibles, et laissait entendre, sans -l'exprimer cependant, que l'Autriche osait lui redemander jusqu'à -l'Italie. Alors il s'échauffait, parlait de l'honneur de l'Empire, et -s'écriait qu'il valait mieux périr que de supporter de semblables -<span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> conditions, surtout de la part de l'Autriche, qui, après lui -avoir donné une archiduchesse en mariage, après avoir accepté son -alliance en 1812, profitait du premier revers pour se tourner contre -lui, comme si une pareille conduite, en supposant qu'elle fût telle -que la dépeignait Napoléon, eût été bien criminelle de la part d'une -puissance qui longtemps battue, et dépouillée d'une grande partie de -ses États, saisissait l'occasion d'en recouvrer ce qu'elle pouvait, -surtout contre un conquérant sans modération et sans mesure!--Ses -contradicteurs ignorant le secret des négociations, supposant toujours -qu'il s'agissait de sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on -nous demandait véritablement, accordant qu'il était désagréable de -céder, surtout à gens qui nous dressaient en quelque sorte un -guet-apens, se rejetaient sur le besoin urgent de la paix, et avaient -là des avantages incontestables. -<span class="sidenote" title="En marge">Vives instances de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon -à la paix.</span> -Napoléon avait rencontré pour apôtre -constant de la paix M. de Caulaincourt, qui le suppliait sans relâche -de ne pas s'obstiner contre l'orage, et de passer par-dessus un -déplaisir momentané pour sauver la France, l'armée, lui et son fils. -Dans cette courageuse et civique tâche, M. de Caulaincourt était -infatigable, et recommençait sans cesse avec une admirable -persévérance. M. de Caulaincourt avait trouvé un singulier auxiliaire -dans le duc d'Otrante, M. Fouché, qui, bien que cherchant à -reconquérir la faveur impériale perdue, n'hésitait pas, inspiré par -son bon sens et peut-être aussi par le danger que la chute de l'Empire -devait faire courir à tous les hommes de la révolution, n'hésitait -pas à soutenir hardiment <span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> qu'il fallait conclure la paix. Il -ne s'agissait point, selon M. Fouché, de savoir laquelle; c'était le -secret des plénipotentiaires que Napoléon avait chargés de cette -tâche; mais après Lutzen et Bautzen, en s'en rapportant à une sorte de -notoriété publique, en songeant à la crainte que la France n'avait pas -cessé d'inspirer, on ne pouvait pas douter, disait-il, que les -conditions ne fussent encore très-belles; et si, comme tout le faisait -présumer, on concédait à la France au delà du Rhin et des Alpes, on -lui concédait plus qu'il ne lui fallait, plus qu'elle ne désirait. On -devait donc, sauf les détails, signer la paix qui nous était offerte; -car l'Europe était exaspérée, et la France épuisée commençait à -partager l'exaspération de l'Europe contre un système qui ne laissait -pas plus de bien-être au vainqueur qu'au vaincu.-- -<span class="sidenote" title="En marge">Violente sortie du duc d'Otrante en faveur de la paix.</span> -Dans l'une de ces -conversations, à laquelle avaient été présents M. Daru, M. de -Caulaincourt, M. de Bassano, même le roi de Saxe, M. Fouché se permit -de dire à Napoléon que s'il ne donnait pas tout de suite la paix, il -deviendrait bientôt odieux à la France, et qu'il y aurait danger -non-seulement pour lui, mais pour son fils, pour sa dynastie; que s'il -ne saisissait pas cette dernière occasion de déposer les armes, il -serait perdu; que la France venait par honneur de faire un dernier -effort, parce qu'elle ne voulait pas se retirer battue de son grand -duel avec l'Europe, mais qu'après les victoires de Lutzen et de -Bautzen elle considérait son honneur comme dégagé, et qu'à la seule -condition de conserver le Rhin et les Alpes que personne ne lui -contestait plus, pas même l'Angleterre, elle se tiendrait pour -satisfaite; mais <span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> que si, malgré la possibilité évidente de -signer une telle paix, on persistait à continuer la guerre, elle se -regarderait comme sacrifiée à un système personnel à Napoléon, système -insensé, qu'elle détestait autant que l'Europe elle-même, car elle en -souffrait tout autant.--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mécontentement et réponses sophistiques de Napoléon.</span> -Ces hardies propositions causèrent à Napoléon une irritation extrême, -et il ne sut répondre qu'en disant qu'on ignorait le secret des -négociations, que les puissances belligérantes lui demandaient des -choses inadmissibles, que s'il les concédait, l'Europe le regarderait -comme tellement affaibli que bientôt elle exigerait tout ce qu'il ne -pouvait pas accorder, et ce que personne, parmi ses contradicteurs, ne -voudrait accorder; qu'il fallait, pour garder le nécessaire, défendre -même le superflu, se montrer indomptable, se résigner à livrer une ou -deux batailles de plus, pour conserver une grandeur acquise par vingt -années de sang versé, et savoir braver la guerre quelques jours encore -pour avoir une vraie, une solide paix. En un mot dans cette -conversation, comme dans toutes celles qu'il eut sur ce sujet, son art -consistait, en cachant toujours les faits véritables, en laissant -toujours ignorer qu'il ne s'agissait en réalité que de Hambourg et du -protectorat de la Confédération du Rhin, son art consistait à soutenir -que c'était tout ou rien, qu'il fallait tout défendre ou tout céder, -et comme personne ne voulait tout céder, la conclusion était selon lui -qu'il fallait tout défendre. Sa force d'esprit et de langage parvenait -bien à embarrasser ses interlocuteurs, qui d'ailleurs ignorant l'état -des négociations, ne pouvaient pas <span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> lui répondre, mais elle ne -parvenait pas à les convaincre, et les laissait terrifiés de la fatale -résolution qui perçait dans son attitude et ses discours. Ils -admiraient quelquefois son indomptable caractère en détestant son -orgueil funeste, et s'en allaient silencieux, mécontents, la plupart -du temps désolés. Un seul d'entre eux ne paraissant pas se douter du -péril, affirmait que le génie de l'Empereur était inépuisable en -ressources, qu'il triompherait de tous ses ennemis, et retrouverait -plus grande, ou aussi grande que jamais, sa puissance de 1810 et de -1811. Cet interlocuteur, on le devine, était M. de Bassano, et il -était le moins excusable, car seul il savait le secret des choses, -seul il savait que c'était pour Hambourg et le titre de protecteur de -la Confédération du Rhin qu'on s'exposait à tout perdre. Il faut dire -néanmoins pour réduire à ce qu'elle doit être sa responsabilité, qui -autrement serait si lourde, qu'il influait peu sur les résolutions de -Napoléon, lequel ne semblait même pas touché de ses magnifiques -pronostics, et qu'il parvenait uniquement à exciter chez M. de -Caulaincourt des signes d'impatience peu flatteurs et peu dissimulés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Hardie correspondance du duc de Rovigo en faveur de la -paix.</span> -Ce n'est pas seulement à Dresde que Napoléon avait rencontré ces -contradictions, atténuées du reste par la soumission du temps, c'était -à Paris même. Le ministre de la police, duc de Rovigo, entendant plus -que tout autre le retentissement de l'opinion publique, et ne -craignant pas les accès d'humeur de Napoléon, auxquels il s'était -habitué en n'y prenant pas garde, avait plusieurs fois osé lui écrire -ce qu'aucun de ses ministres n'osait lui <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> dire, c'est que la -paix était urgente, indispensable, qu'il ne fallait pas attendre de la -France fatiguée un nouvel effort, semblable à celui qu'elle venait de -faire; c'est que tous les ennemis du gouvernement jusque-là -découragés, dispersés, reprenaient le courage avec l'espérance; c'est -que les révolutionnaires, longtemps accablés sous les souvenirs de -quatre-vingt-treize, les Bourbons, longtemps et complétement oubliés, -essayaient de se produire de nouveau, que ces derniers même -répandaient des manifestes qu'on lisait sans colère et avec une -certaine curiosité. Toutes ces assertions étaient vraies, et il était -constant que l'idée d'un autre gouvernement que celui de Napoléon, -idée qui depuis quatorze ans ne s'était présentée à l'esprit de -personne, pas même au retour de Moscou, commençait, la situation se -prolongeant, à pénétrer dans l'esprit de beaucoup de gens, et allait -devenir générale si la guerre continuait; que de même qu'on avait en -1799 cherché auprès du général Bonaparte un refuge contre l'anarchie, -on irait bientôt chercher auprès des Bourbons un refuge contre la -guerre perpétuelle. C'est tout cela que plus ou moins clairement, plus -ou moins adroitement, le ministre de la police, duc de Rovigo, avait -essayé de faire entendre à Napoléon avec une hardiesse honorable, mais -qui eût été plus méritoire et plus utile, si Napoléon avait attaché -plus d'importance à ce qui venait de lui. Le prince Cambacérès ne se -serait pas hasardé à en dire autant, bien qu'il en pensât davantage, -parce que de sa part Napoléon eût pris la chose plus sérieusement, -dès lors moins patiemment. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordre de se taire expédié au duc de Rovigo.</span> -Fatigué pourtant des lettres <span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> du -duc de Rovigo, Napoléon chargea le prince Cambacérès de lui dire -qu'elles l'importunaient, qu'en montrant tant d'amour pour la paix, on -lui nuisait plus qu'on ne le servait; que l'on contribuait à rendre -les ennemis plus exigeants, en accréditant l'idée que la France ne -pouvait plus faire la guerre; que lui, Napoléon, savait seul comment -il fallait s'y prendre pour donner la paix à la France avec sûreté et -avec honneur; que le duc de Rovigo, en se mêlant de cette affaire, se -mêlait de ce qu'il ignorait, bref qu'il eût à se taire, car de -pareilles indiscrétions ne seraient pas souffertes plus longtemps.</p> - -<p>Cette dure réprimande n'était pas de nature à effrayer ni à décourager -le duc de Rovigo, car il ne prenait pas plus au sérieux les colères de -Napoléon que Napoléon ne prenait au sérieux sa politique, et il devait -bientôt se permettre une autre tentative, pas plus heureuse il est -vrai, mais qui prouve à quel point le besoin de la paix était -universellement senti, puisqu'il perçait à travers ce despotisme qui -enveloppait alors la France entière, et pesait si lourdement sur elle.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le duc d'Otrante envoyé en Illyrie.</span> -Napoléon, après avoir fermé la bouche au duc de Rovigo, donna un -emploi au duc d'Otrante. Il en avait déjà trouvé un en Espagne pour le -maréchal Soult, et il en trouva un pour le duc d'Otrante par suite -d'un accident aussi triste que singulier. L'infortuné Junot, depuis la -blessure qu'il avait en Portugal reçue à la tête, n'avait jamais -recouvré ses facultés physiques et morales. Dans la campagne de Russie -on ne lui avait pas vu son ardeur accoutumée, bien qu'il eût été -moins blâmable qu'on ne l'avait prétendu, <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> et il avait essuyé -de Napoléon des reproches qui avaient achevé d'altérer sa raison. -Envoyé à Laybach comme gouverneur de l'Illyrie, il y avait donné tout -à coup des signes de folie, au point qu'il avait fallu le saisir de -force et le transporter en Bourgogne, son pays natal, où il était -mort. Napoléon nomma M. Fouché gouverneur de l'Illyrie, poste peu -assorti à la grande situation de cet ancien ministre, mais que -celui-ci accepta, parce qu'il regardait comme bonne toute manière de -rentrer en fonctions. Il devait voir en passant à Prague M. de -Metternich, et profiter d'anciennes relations pour soutenir auprès de -ce diplomate les prétentions de la France. Le moyen était petit par -rapport à l'objet, et ne pouvait compenser le mauvais effet qu'allait -produire en Autriche une nomination qui prouvait de notre part peu de -disposition à renoncer à l'Illyrie.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon persistant à perdre le temps consacré aux -négociations, se décide à faire un voyage à Mayence pour y voir -l'Impératrice.</span> -Napoléon, inébranlable quoique parfois agité, persista dans sa manière -de négocier, laquelle, comme on l'a vu, consistait à gagner du temps, -soit pour obtenir s'il était possible une nouvelle prolongation -d'armistice, soit au moins pour différer de quelques semaines l'entrée -en action de l'Autriche, soit aussi pour rompre le congrès sur une -question de forme, et n'avoir pas à dire à l'Europe, surtout à la -France, que c'était pour Hambourg et le protectorat du Rhin qu'on -refusait la paix. Afin de réussir dans cette tactique, il fit -concourir avec l'ouverture des négociations un second voyage, qu'il -avait résolu d'exécuter à la fin de juillet pour aller voir -l'Impératrice à Mayence, et qui ne pouvait qu'apporter de nouvelles -entraves à la <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> marche des négociations. Il avait en effet -assigné à Marie-Louise un rendez-vous à Mayence vers le 26 juillet, -afin d'y demeurer quelques jours avec elle, et surtout afin d'y passer -en revue les divisions destinées à former les corps des maréchaux -Saint-Cyr et Augereau. Il laissa en partant des pouvoirs pour M. de -Caulaincourt, qui devait se rendre à Prague dès qu'on aurait reçu des -commissaires réunis à Neumarckt une réponse satisfaisante relativement -au terme précis de l'armistice; à ces pouvoirs il ajouta des -instructions, concertées avec M. de Bassano, pour que M. de -Caulaincourt, une fois à Prague, pût y employer d'une manière -spécieuse les six à huit jours qui allaient s'écouler pendant le -voyage projeté sur le Rhin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Instructions et latitudes laissées à M. de Caulaincourt, -pour qu'il puisse employer à Prague le temps que Napoléon doit passer -à Mayence.</span> -On était au 24 juillet, et on ne supposait pas que la réponse de -Neumarckt pût arriver avant le 25 ou le 26. M. de Caulaincourt devait -se mettre en route le lendemain, perdre un jour ou deux à lier -connaissance avec les plénipotentiaires, puis consacrer cinq ou six -jours à discuter sur la remise des pouvoirs, et sur la forme des -conférences. Si, dans son zèle pacifique, M. de Caulaincourt devenait -pressant, et demandait à M. de Bassano l'autorisation de passer outre, -M. de Bassano devait lui permettre de faire quelques concessions -relativement à l'échange des pouvoirs et à la forme des négociations, -mais en lui défendant expressément d'aborder le fond des choses. Il -serait aisé de gagner ainsi jusqu'au 3 ou 4 août, jour probable du -retour de Napoléon à Dresde, et alors il tracerait lui-même la -conduite qu'on devrait tenir ultérieurement.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Ordres militaires de Napoléon en quittant Dresde.</span> -Après avoir arrêté d'après ces données les instructions de M. de -Caulaincourt, Napoléon fit ses dispositions pour partir le 24 juillet -au soir. Il expédia en même temps quelques ordres relatifs à l'armée. -Les deux mois perdus pour les négociations ne l'avaient pas été, comme -on le pense bien, pour les préparatifs militaires. L'infanterie bien -campée, bien nourrie, bien exercée, avait singulièrement gagné sous -tous les rapports, et particulièrement sous celui de la force -numérique. La cavalerie avait complétement changé d'aspect; elle était -nombreuse et assez bien montée. Les jeunes chevaux, presque tous -blessés à l'entrée en campagne, étaient en meilleur état. Nos -cavaliers, si prompts à se former, savaient déjà se servir de leurs -montures et les soigner. -<span class="sidenote" title="En marge">Progrès merveilleux de ses armements.</span> -Napoléon avait, outre la cavalerie légère -attachée à chaque armée, quatre beaux corps de cavalerie de réserve -sous les généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, de Padoue, de Valmy. La -garde formée à cinq divisions d'infanterie, comprenait en outre douze -mille cavaliers avec deux cents bouches à feu bien servies. Quinze -cents gardes d'honneur sous le général Dejean étaient arrivés à -Dresde. Cette brave jeunesse qui n'était pas d'abord partie dans de -très-bonnes dispositions, parvenue maintenant en ligne, n'aspirait -qu'à s'illustrer sous les yeux de la grande armée. Le corps du général -Vandamme, que Napoléon avait vu à Magdebourg, composé d'hommes jeunes, -mais de vieux cadres revenus de Moscou, était fort beau. Les quatre -divisions organisées à Mayence, et destinées à venir par Wurzbourg, -Hof, Freyberg, Dresde, s'établir à Kœnigstein, s'acheminaient vers -ce point, <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> et présentaient un aspect satisfaisant, quoique -remplies de jeunes soldats comme tout le reste de l'armée. Les -approvisionnements, commandés de toutes parts, arrivaient par l'Elbe à -Dresde, où plus de cinquante mille quintaux de grains et farines -étaient actuellement réunis. Grâce à l'activité du maréchal Davout, -les défenses de Hambourg étaient pour ainsi dire sorties de dessous -terre. Elles portaient déjà deux cents bouches à feu en batterie, et -allaient bientôt en recevoir trois cents. Tout s'achevait donc suivant -les vues de Napoléon, et le progrès de ses desseins ne le disposait -guère à la paix, ce qui autorisait M. de Bassano à répéter partout que -les forces de l'Empereur étaient immenses et son génie toujours plus -grand, que l'Europe en devait trembler, et que ce n'était pas au plus -fort à faire des sacrifices au plus faible.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Manière d'occuper et d'égayer nos jeunes troupes dans leurs -camps.</span> -Napoléon cherchant à répandre un peu d'animation dans ses camps, où -ses jeunes troupes, sauf les heures consacrées aux manœuvres, -avaient été oisives pendant deux mois, imagina pour les occuper un -genre d'exercice à la fois attrayant et utile. Il avait ordonné de les -faire tirer à la cible, et pour les intéresser davantage à cet -exercice si important, il voulut qu'on leur distribuât des prix -proportionnés à leur adresse. Les meilleurs tireurs de chaque -compagnie, au nombre de six, devaient recevoir un prix de quatre -francs, puis se réunir à tous ceux du même bataillon, se mesurer -ensemble, et concourir pour un nouveau prix triple du précédent. Ceux -des bataillons devaient se réunir par régiments, ceux des régiments -par divisions, ceux des divisions par corps <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> d'armée, et -concourir de nouveau pour des prix successivement plus élevés, de -telle façon que les meilleurs tireurs d'un corps d'armée pouvaient -remporter des prix qui allaient jusqu'à cent francs. Tous ces prix -représentaient une dépense d'une centaine de mille francs, ce qui -était peu de chose, et avait, outre l'avantage inappréciable -d'améliorer le tir, celui d'occuper, d'amuser les hommes, de leur -fournir l'occasion et le moyen de régaler leurs camarades. Napoléon -fit aussi payer la solde aux officiers, pour qu'ils pussent jouir des -quelques jours de repos qui leur restaient, et qui, pour le plus grand -nombre, étaient, hélas! les derniers de leur vie! -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon fixe au 10 août la célébration de sa fête, qui -aurait dû avoir lieu le 15, afin de mettre quelque intervalle entre -les réjouissances et les nouvelles scènes de carnage qui se -préparent.</span> -La fête de Napoléon -approchait, puisqu'elle se célébrait le 15 août. Il voulut que la -célébration en fût fixée au 10, afin que les hostilités étant reprises -le 17, les réjouissances ne fussent pas trop voisines des nouvelles -scènes de carnage qu'il prévoyait. Ce jour du 10 il devait y avoir -dans tous les camps des repas à ses frais, et en son honneur. Les -officiers devaient dîner chez les maréchaux, les soldats entre eux sur -des tables servies en plein air. Le vin devait être prodigué, et bu -soit à la santé de Napoléon, soit au triomphe des armes de la France. -Ainsi Napoléon cherchait en quelque sorte à égayer la guerre, et à -mêler les jeux à la mort! Le 24 juillet il partit pour Mayence, -laissant derrière lui toutes choses invariablement prévues et -arrêtées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Réponse de Neumarckt, qui place définitivement au 16 août -l'expiration de l'armistice, et au 17 la reprise des hostilités.</span> -Le 26, les commissaires de Neumarckt répondirent enfin d'une manière -satisfaisante, relativement au jour précis des futures hostilités, et -il fut reconnu, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre, -<span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> surtout après de vives observations de M. de Metternich, que -le général en chef Barclay de Tolly avait mal compris les paroles de -son maître, et que si l'armistice pouvait être dénoncé le 10 août, il -n'expirerait cependant que le 16, ce qui remettait au 17 la reprise -des hostilités. Ce malentendu, comme on l'a vu, venait du peu de -clarté que l'empereur Alexandre avait mis à faire connaître une -concession dont il était embarrassé devant les partisans impatients de -la guerre, et du peu de penchant de ces derniers à interpréter les -stipulations douteuses dans le sens de la paix. -<span class="sidenote" title="En marge">Réunion en ce moment des souverains coalisés à Trachenberg, -pour arrêter le plan de campagne.</span> -L'empereur Alexandre -se trouvait alors à Trachenberg, petite ville de Silésie, où il -s'était rendu de Reichenbach avec le roi de Prusse et la plupart des -généraux de la coalition, pour conférer avec le prince de Suède sur le -plan des opérations futures. -<span class="sidenote" title="En marge">La présence de Bernadotte à cette réunion déplaît à tous -les généraux de la coalition.</span> -Cette réunion, fort désirée des deux -souverains qui voulaient enchaîner définitivement l'ancien maréchal -Bernadotte à leur cause, et terminer ses longues hésitations, était -loin de plaire aux officiers russes et allemands, notamment à ces -derniers. On parlait de conférer au prince royal un commandement -important; on lui préparait sur sa route des honneurs extraordinaires, -afin de le toucher par l'endroit si sensible chez lui de la vanité. -Ces empressements pour un homme qui n'avait aux yeux des Allemands et -des Russes d'autre mérite que d'être général français, et qui était -loin de compter parmi les premiers, excitaient au plus haut degré la -jalousie nationale des états-majors alliés. Leurs monarques, -disaient-ils, voulaient donc déclarer qu'un général français, même -médiocre, <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> valait mieux que tous les généraux de la coalition, -et que c'était un titre d'honneur de porter les armes contre son pays. -La perspective d'être placés sous ses ordres leur était souverainement -désagréable.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Bruit universellement répandu que le général Moreau viendra -prêter ses conseils à l'empereur Alexandre.</span> -Malheureusement on s'entretenait aussi d'un autre général français, -celui-là grand homme de guerre, doué de véritables vertus civiques et -guerrières, et non pas, comme Bernadotte, gratifié d'une couronne -royale pour prix de médiocres services, mais de l'exil pour prix de -services immenses, et qui vaincu par l'ennui, le désœuvrement, -l'irritation que lui inspirait un rival heureux, l'horreur que lui -avait fait éprouver la campagne de Moscou, s'était laissé persuader de -quitter l'Amérique pour l'Europe. Ce général était l'illustre Moreau. -Il était venu à Stockholm, attiré dans cette capitale par Bernadotte -qui semblait pressé de se procurer des imitateurs. Entouré là des plus -funestes conseils, agité, combattu, malheureux, se demandant s'il -faisait bien ou mal, il marchait sans s'en apercevoir à un abîme, -dominé par des sentiments confus qu'il croyait honnêtes, parce que -sous l'indignation sincère qu'il éprouvait, il ne voyait pas la part -que la haine et l'oisiveté avaient à sa conduite. On se préoccupait -beaucoup de cette arrivée, et on disait le général Moreau destiné à -devenir le conseiller de l'empereur Alexandre. C'était une nouvelle -cause de déplaisir pour les militaires russes et allemands, qui avec -un redoublement de jalousie demandaient si leurs souverains croyaient -donc que pour vaincre les généraux français il n'y avait de suffisants -que les généraux français eux-mêmes?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Faste de Bernadotte, et manifestation qu'il -s'attire de la part de la garnison française de Stettin.</span> -Quoi qu'il en soit, l'ancien maréchal Bernadotte était venu à -Trachenberg, voyageant, non pas comme les souverains de Russie et de -Prusse, avec une extrême simplicité, mais avec un faste éblouissant, -comme un monarque parcourant ses États dans une occasion solennelle. -Ayant passé en revue quelques-unes de ses troupes qui déjà profitaient -de l'armistice pour se rendre en Prusse, il avait paru près de -Stettin, où se trouvait une garnison française. Sa tête inflammable -commençait à se persuader que Napoléon, odieux à l'Europe, à charge à -la France, ne pourrait bientôt plus régner, que les Bourbons, -longtemps oubliés, ne pourraient pas être remis sous les yeux de la -génération présente, que dès lors ce serait à lui à remplacer Napoléon -sur le trône de France. L'insensé, dans son orgueil, ne voyait pas -qu'après la gloire la tradition antique aurait seule de l'empire sur -les esprits, et que la médiocrité souillée du sang français n'était -pas appelée à succéder au génie malheureux. Tandis qu'il se montrait à -cheval sous les murs de Stettin, à la vue de la garnison française, -des coups de feu partirent sans qu'on pût savoir qui les avait tirés. -Des officiers de Bernadotte vinrent se plaindre au brave général -Dufresse, commandant de la place, de cette violation de -l'armistice.--Ce n'est rien, répondit ironiquement le général; la -grand'garde a aperçu un déserteur et a tiré dessus!--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Accueil brillant fait à Bernadotte par les souverains -coalisés.</span> -Conduit à Trachenberg de relais en relais, au milieu d'escortes -nombreuses et d'un cortége magnifique, le prince de Suède y reçut de -l'empereur Alexandre et du roi de Prusse un accueil extraordinaire, -<span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> comme s'il leur eût apporté le génie de Napoléon ou du grand -Frédéric. C'était moins à ses talents du reste qu'aux craintes qu'on -avait conçues sur sa fidélité, et au désir de montrer un lieutenant de -Napoléon, fatigué de sa domination jusqu'à tourner ses armes contre -lui, qu'il devait ces empressements affectés. Si à la qualité de -Français et de lieutenant de Napoléon il avait joint celle de son -propre frère, les hommages eussent été plus excessifs encore, car on -aurait trouvé sa défection plus significative. Jusqu'au jour où l'on -avait rompu avec le Danemark, et où l'on avait définitivement adjugé -la Norvége à la Suède, le nouveau Suédois avait tour à tour promis, -hésité, menacé même; mais enfin il venait de prendre son parti et de -mettre en mouvement vingt-cinq mille Suédois. -<span class="sidenote" title="En marge">Sa prétention d'être le généralissime de la coalition.</span> -Pour prix de ce -contingent, d'ailleurs excellent, car il n'y avait pas de plus braves -soldats, animés de meilleurs sentiments que les Suédois, il affichait -d'étranges prétentions. -<span class="sidenote" title="En marge">Son commandement réduit à celui de l'armée dite du Nord.</span> -Il aurait voulu être généralissime, ou du -moins commander toutes les armées que ne commandaient point en -personne les deux souverains eux-mêmes. On lui avait résisté -doucement, et peu à peu on l'avait ramené à de moindres exigences, par -la raison toute simple des emplacements qui ne permettaient pas aux -diverses armées d'opérer très-près les unes des autres, et d'être -réunies dès lors sous l'autorité d'un seul chef. Après des débats qui -avaient duré du 9 au 13 juillet, on avait arrêté le plan de campagne -suivant, fondé sur la coopération des Autrichiens, car bien qu'on eût -chargé ceux-ci de négocier pour tout le monde, la conviction -généralement <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> répandue que Napoléon n'accepterait pas leur -système de pacification, faisait considérer leurs troupes rassemblées -en Bohême, en Bavière, en Styrie, comme inévitablement destinées à -coopérer avec les armées russe et prussienne.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Plan de campagne fondé sur l'idée d'éviter Napoléon, pour -se jeter toujours sur ses lieutenants, jusqu'à ce qu'après l'avoir -épuisé, on trouve l'occasion de l'accabler sous la réunion de toutes -les forces de la coalition.</span> -Appréciant le danger de se mesurer avec Napoléon, on s'était proposé -de l'accabler par la masse des forces, et on ne désespérait pas en -effet de réunir huit cent mille soldats, dont cinq cent mille en -première ligne, agissant concentriquement sur Dresde. Trois grandes -armées actives étaient chargées d'expulser Napoléon de cette position -de Dresde, où l'on avait discerné qu'il voulait établir le centre de -ses opérations. Une première armée de 250 mille hommes, formée en -Bohême avec 130 mille Autrichiens et avec 120 mille Prussiens et -Russes, placée pour flatter l'Autriche sous le commandement d'un -général autrichien, devait opérer par la Bohême sur le flanc de -Napoléon. Une seconde de 120 mille hommes, placée sous le général -Blucher en Silésie, et composée en nombre égal de Prussiens et de -Russes, devait par Liegnitz et Bautzen marcher droit sur Dresde, -tandis qu'une troisième de 130 mille, confiée au prince de Suède, -composée de Suédois, de Prussiens, de Russes, d'Allemands, d'Anglais, -se dirigerait de Berlin sur Magdebourg. Il était convenu que ces trois -armées marcheraient prudemment, éviteraient les rencontres directes -avec Napoléon, rétrograderaient quand il avancerait, pour tomber sur -celui de ses lieutenants qu'il aurait laissé sur ses flancs ou ses -derrières, reculeraient de nouveau quand il viendrait au secours du -lieutenant menacé, <span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> se jetteraient aussitôt sur un autre, -s'attacheraient ainsi à l'épuiser, et quand elles le jugeraient assez -affaibli, profiteraient d'un moment favorable pour l'aborder lui-même, -et l'étouffer dans les cent bras de la coalition. Si malgré la -recommandation adressée à tous les chefs de ne commettre aucune -témérité, d'être prudent avec Napoléon et hardi avec ses lieutenants, -on se faisait battre, on devait ne pas se décourager, car il restait -en réserve trois cent mille hommes prêts à recruter l'armée active, et -à la rendre indestructible en la renouvelant sans cesse. On était -résolu en un mot à vaincre ou à mourir jusqu'au dernier. La Prusse -avait des réserves dans la Silésie, le Brandebourg, la Poméranie; la -Russie en avait en Pologne, l'Autriche en Bohême. L'Autriche devait -réunir de plus une armée d'observation en Bavière, une armée active en -Italie, et dans l'hypothèse, malheureusement trop vraisemblable, d'une -rupture avec nous, elle avait permis qu'on raisonnât sur ses forces -comme déjà jointes à la coalition, ce qui donnait lieu de dire -faussement qu'elle était définitivement engagée avec nos ennemis, et -que la négociation de Prague n'était qu'un leurre tant de sa part que -de la nôtre.</p> - -<p>Ce plan basé sur les manœuvres probables de Napoléon, et prouvant -que celui-ci avait donné à ses adversaires des leçons dont ils avaient -profité, était sorti de la tête, non du prince suédois, mais des -généraux russes et prussiens, habitués à notre manière de faire la -guerre. Bernadotte, quoique appelé à commander à 130 mille hommes, -dont 100 mille pouvaient se trouver ensemble sur un même champ -<span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> de bataille, ce qui dépassait fort ses talents, car il n'en -avait jamais conduit plus de 20 mille, et toujours sous un supérieur, -n'était pas content de la part qu'on lui avait faite. Il aurait voulu -commander, outre cette armée, celle de Silésie, et avoir sous ses -ordres Blucher lui-même, ce qu'il croyait dû à son rang royal et à ses -talents militaires. Mais une telle prétention devait rencontrer des -obstacles insurmontables. C'était autour de Blucher que se -réunissaient les officiers allemands les plus distingués, les plus -patriotes, les plus engagés dans les sociétés secrètes allemandes, -gens à qui Bernadotte déplaisait à tous les titres, comme Français, -comme défectionnaire à son pays, comme spéculateur ayant depuis une -année mis à une sorte d'enchère ses services fort douteux, comme -général enfin rempli de présomption, quoique d'un mérite -très-contestable. L'idée d'obéir à un tel chef les révoltait tous, et -ils tenaient à Trachenberg le langage le plus injurieux pour le prince -de Suède. On s'était donc appliqué à lui faire entendre qu'il fallait -renoncer à cette singulière prétention, car les trois armées devaient -agir trop loin les unes des autres pour qu'on pût les soumettre au -même général, et seulement, pour le satisfaire, on avait accordé que -dans le cas où l'armée de Silésie serait appelée à coopérer avec celle -du Nord (c'est ainsi qu'on appelait la sienne), il pourrait donner des -ordres à toutes les deux. On avait amené Blucher et ses officiers à -admettre cette éventualité, quelque désagréable qu'elle fût pour eux, -en leur disant que les deux armées destinées à se rencontrer et à -opérer ensemble étaient celles de Silésie et de Bohême, <span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> -parce qu'elles avaient Dresde pour but commun, que celle du Nord au -contraire, menaçant à la fois Hambourg et Magdebourg, aurait bien peu -de chances de se trouver à côté de celle de Silésie, qui visait aussi -sur l'Elbe mais bien plus haut.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour des souverains à Reichenbach.</span> -Après ces arrangements, on avait renvoyé Bernadotte enivré d'un encens -brûlé par de royales mains, et Alexandre et Frédéric-Guillaume étaient -revenus à Reichenbach, pour attendre l'issue des négociations, au -résultat desquelles ils ne croyaient guère, dont Alexandre toujours -irrité contre Napoléon et prodigieusement flatté de mener l'Europe, -désirait peu le succès, dont Frédéric-Guillaume, dans sa constante et -sage défiance de la fortune, aurait accepté volontiers l'heureuse -conclusion s'il avait pu y ajouter quelque foi. -<span class="sidenote" title="En marge">Ils désirent peu la paix, et surtout ne l'espèrent plus.</span> -C'était à leur retour -qu'avait été faite par les commissaires de Neumarckt la réponse que -nous venons de rapporter, et qui ôtait tout prétexte pour retenir plus -longtemps M. de Caulaincourt à Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt reçoit enfin avec ses instructions, -l'autorisation de se rendre à Prague; il est consterné en voyant le -peu de moyens qu'on lui laisse de travailler à la paix.</span> -Le 26 ce digne et courageux personnage reçut de M. de Bassano les -instructions que Napoléon avant de se rendre à Mayence avait laissées -pour lui. Bien que le fond des choses n'y fût point traité, les -difficultés de forme y étaient si complaisamment détaillées, et -données si ouvertement comme un moyen de perdre le temps, que M. de -Caulaincourt en fut consterné. C'était uniquement dans l'intention de -ménager une paix suivant lui indispensable, qu'il avait accepté le -rôle de plénipotentiaire à Prague, rôle plus pénible pour lui que pour -tout autre, car après avoir joui de la faveur particulière de -l'empereur Alexandre, <span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> n'obtenir s'il le rencontrait qu'une -froideur blessante, et, s'il ne le rencontrait pas, essuyer cette même -froideur de la part de ses agents les plus vulgaires, devait lui être -bien pénible. Aller s'exposer à de pareils traitements pour ne rendre -aucun service, et pour jouer une fade comédie, coûtait à sa dignité -autant qu'à son patriotisme. Il se mit toutefois en route sur la -simple espérance de conjurer, en partie du moins, les effets de la -mauvaise volonté de son maître, et en quittant Dresde il adressa à -Napoléon la lettre suivante, que l'histoire doit conserver.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Noble lettre de M. de Caulaincourt à Napoléon pour lui -demander quelque latitude, et le supplier de songer sérieusement à la -paix.</span></p> - -<p class="date">«Dresde, 26 juillet 1813.</p> - -<p>»Sire,</p> - -<p>»J'ai besoin de soulager mon cœur avant de quitter Dresde, afin de -ne porter à Prague que le sentiment des devoirs que Votre Majesté m'a -imposés. Il est deux heures. M. le duc de Bassano me remet seulement -les instructions que les réponses de Neumarckt et les ordres de Votre -Majesté ne lui ont pas permis de me donner plus tôt; elles sont si -différentes des arrangements auxquels elle avait paru consentir en me -déterminant à accepter cette mission, que je n'hésiterais pas à -refuser encore l'honneur d'être son plénipotentiaire, si, après tant -de temps perdu, les heures n'étaient comptées à Prague, pendant que -Votre Majesté est à Mayence et moi encore à Dresde. Quelle que soit -donc ma répugnance pour des négociations si illusoires, je me pénètre -avant tout de mes devoirs, et j'obéis. Demain je serai en route et -après demain à Prague, comme on me le prescrit; mais permettez, Sire, -<span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> que les réflexions de votre fidèle serviteur trouvent encore -ici leur place. L'horizon politique est toujours si rembruni, tout a -un aspect si grave, que je ne puis résister au désir de supplier -encore Votre Majesté de prendre, comme son ministre me le fait -espérer, une salutaire résolution avant le terme fatal. Puisse-t-elle -se convaincre que le temps presse, que l'irritation des Allemands est -extrême, et que cette exaspération des esprits imprime, encore plus -que la peur des cabinets, un mouvement accéléré et irrésistible aux -événements. L'Autriche est déjà trop compromise pour reculer, si la -paix du continent ne la rassure pas. Votre Majesté sait bien que ce -n'est pas la cause de cette puissance que j'ai plaidée près d'elle; -certes! ce n'est pas son abandon dans nos revers que je la prie de -récompenser, ce ne sont même pas ses 150 mille baïonnettes que je veux -écarter du champ de bataille, quoique cette considération mérite bien -quelque attention, mais c'est le soulèvement de l'Allemagne, que le -vieil ascendant de cette puissance peut amener, que je supplie Votre -Majesté d'éviter à tout prix. Tous les sacrifices faits dans ce but et -par conséquent dans ce moment à une prompte paix, vous rendront, Sire, -plus puissant que ne l'ont fait vos victoires, et vous serez l'idole -des peuples, etc...»</p> - -<p>Ce langage d'un honnête homme, qui en voyant déjà une grande partie du -mal ne le voyait pourtant pas tout entier, car ce n'étaient pas 150 -mille Autrichiens mais 300 mille qu'il s'agissait de se mettre encore -sur les bras, car ce n'était pas le soulèvement <span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> de -l'Allemagne mais celui de toute l'Europe, qu'il s'agissait de braver, -ce langage ne devait malheureusement pas avoir beaucoup d'utilité. -<span class="sidenote" title="En marge">Départ de M. de Caulaincourt, et son arrivée à Prague.</span> -Toutefois ne renonçant pas à essayer le bien, quelque faible que fût -l'espérance de l'accomplir, M. le duc de Vicence était parti pour -Prague, où on l'attendait impatiemment. -<span class="sidenote" title="En marge">Digne accueil fait à cet illustre personnage.</span> -L'accueil qu'il y reçut fut -digne de lui et de la considération qu'il s'était acquise en Europe. -En apprenant son départ, on avait suspendu tous les pourparlers -jusqu'à son arrivée. Après être entré en communication avec les -plénipotentiaires russe, prussien et autrichien, il reprit avec M. de -Metternich le vieux thème que M. de Narbonne avait déjà usé en -quelques jours, c'est qu'il n'était possible de remettre les pouvoirs -et de traiter les matières à discuter qu'en assemblée commune, sous -les yeux et la présidence du médiateur, mais en conférence de tous -avec tous. -<span class="sidenote" title="En marge">La question de forme immédiatement soulevée à l'occasion de -l'échange des pouvoirs.</span> -Cette difficulté sérieuse sans doute, si on avait eu encore -l'espoir d'un rapprochement direct avec la Russie, n'en devait plus -être une qui méritât tant d'insistance de notre part, lorsqu'on ne -pouvait désormais faire la paix que par l'Autriche, et à son gré. Il -nous était même plus commode d'avoir le médiateur pour organe -principal, que de nous aboucher avec deux plénipotentiaires mal -disposés, et cherchant peu à faciliter une paix que l'Autriche -souhaitait seule. La preuve qu'il en était ainsi, c'était le désir -évident de M. de Metternich d'amener M. de Humboldt et M. d'Anstett à -une concession sur cette question de forme, afin de rendre au moins -l'ouverture du congrès possible. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles réflexions de M. de Metternich à l'égard de ces -difficultés de forme, et nouvelle déclaration que si avant le 10 août -on n'a pas traité sérieusement, l'Autriche, le 10 août à minuit, -signera son adhésion à la coalition.</span> -Puisque lui-même voulait un -abouchement direct des plénipotentiaires <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> français avec les -plénipotentiaires prussien et russe, c'est qu'il n'avait plus à le -craindre. Du reste parlant franchement avec M. de Caulaincourt comme -avec M. de Narbonne, il lui montra l'inutilité de disputer longuement -sur les formes suivies à Munster, à Tetschen, à Sistow, car les deux -plénipotentiaires étaient engagés d'amour-propre et d'intérêt dans la -voie où ils étaient entrés; d'amour-propre, parce qu'ils avaient déjà -remis leurs pouvoirs au médiateur, d'intérêt, parce qu'ils ne -voulaient pas qu'on les accusât de pactiser secrètement avec la -diplomatie française, et que traiter par notes remises au médiateur -était le seul moyen qui ne prêtât à aucune fausse interprétation. Il -dit que par ces motifs ils ne consentiraient pas à céder, que -d'ailleurs ils ne désiraient pas beaucoup la paix, et que ce désir ne -pouvait faire taire chez eux ni l'amour-propre ni l'intérêt; que par -conséquent toutes les discussions qu'on aurait avec eux seraient -inutiles; qu'au surplus, il le voyait bien, Napoléon n'avait pas la -moindre envie d'arriver à un résultat; que tant qu'il s'attacherait à -batailler sur un tel terrain, il fallait en conclure qu'il ne voulait -pas faire un pas vers la paix, qu'il était dès lors inutile de -s'agiter pour obtenir sur des questions de forme des concessions qui -ne mèneraient à rien pour le fond des choses, qu'il fallait attendre, -et attendre jusqu'au dernier moment, car avec un caractère aussi -extraordinaire que celui de Napoléon tout était possible; qu'au -dernier jour, à la dernière heure, il se pourrait qu'il envoyât à -l'improviste des ordres de traiter sur des bases acceptables, et que -la paix <span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> sortît tout à coup d'une situation actuellement -désespérée; que dans cette supposition peu vraisemblable sans doute, -mais admissible, il attendrait jusqu'au 10 août à minuit, que -jusque-là, il en renouvelait l'assurance formelle, il ne serait engagé -avec personne, mais que le 10 août à minuit il le serait -irrévocablement avec nos ennemis, qu'il signerait au nom de son -souverain un traité d'alliance avec les puissances coalisées, et -serait au nombre de nos adversaires les plus résolus à vaincre ou à -périr.--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vives instances de M. de Caulaincourt pour qu'on l'autorise -à traiter sérieusement.</span> -M. de Metternich répéta ces choses qu'il avait déjà dites à M. de -Narbonne d'un ton si calme, mais si ferme, avec des témoignages si -affectueux pour M. de Caulaincourt, et une sincérité si manifeste (car -il ne faut pas comme le vulgaire s'imaginer qu'un diplomate mente -nécessairement), que M. de Caulaincourt ne pouvait pas résister à tant -d'évidence. Aussi avec sa véracité ordinaire écrivit-il sur-le-champ à -M. de Bassano qu'il craignait peu, à Napoléon qu'il craignait -beaucoup, pour leur faire savoir encore une fois quelle était la -situation véritable, combien était grand, certain même le danger d'une -prochaine adhésion de l'Autriche à la coalition, ce qui rendrait -complète et définitive l'union de l'Europe contre nous; situation -périlleuse mais soutenable en 1792, lorsque nous débutions dans la -carrière des révolutions, lorsque nous étions pleins encore de passion -et d'espérance, injustement attaqués, et non pas durement oppresseurs, -situation au contraire désastreuse lorsque nous étions épuisés, -lorsque nous avions tort contre tout le monde, et <span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> que tout -le monde éprouvait contre nous l'indignation qui avait fait notre -force en 1792. La conviction de M. de Caulaincourt à cet égard était -si vive et si sincère, que connaissant l'ambition de M. de Bassano, -voulant appeler cette ambition au secours de l'honnêteté très-réelle -de ce ministre, et supposant qu'il serait peut-être sensible à -l'honneur de signer lui-même la paix du monde, il l'engageait -instamment à venir à Prague, lui revêtu de toute la confiance de -l'Empereur, ayant tous ses pouvoirs, n'ayant pas besoin pour en -référer à sa volonté de perdre les dernières heures qui restaient, et -à se rendre l'objet d'un transport universel de reconnaissance en -venant conclure une paix qui allait sauver tant de victimes, et -probablement au nombre de ces victimes la France elle-même.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano accorde à M. de Caulaincourt quelques -facilités illusoires sur la question de forme.</span> -M. de Bassano, qui était aussi bon citoyen que le lui permettait sa -parfaite soumission à son maître, aurait cédé sans doute à tant de -raison et de patriotisme, s'il avait eu une volonté propre; mais n'en -admettant qu'une au monde, celle de Napoléon, avec laquelle il ne -contestait pas plus qu'avec celle de Dieu même, il se contenta de -satisfaire aux vives instances de M. de Caulaincourt en lui accordant -quelques facilités pour traiter la question de forme, sans sortir -toutefois des latitudes qui lui avaient été laissées à lui-même. Ainsi -par exemple il permit aux deux négociateurs français de donner une -copie certifiée de leurs pouvoirs au médiateur, qui la transmettrait -aux plénipotentiaires prussien et russe, de façon que cette première -communication aurait lieu suivant le mode désiré par nos adversaires, -<span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> mais en retour il continua d'exiger que l'échange définitif -des pouvoirs eût lieu dans une conférence commune. Quant à la forme -même de la négociation, il consentit à ce que les plénipotentiaires -russe et prussien procédassent par notes officielles, comme ils le -voulaient pour mettre leur responsabilité à couvert, mais à condition -que les plénipotentiaires français pourraient discuter ces notes dans -des conférences où les parties adverses se trouveraient réunies.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano informe Napoléon de ce qu'il a fait.</span> -Ces subtilités étaient misérables et bien indignes d'une situation -aussi grave. M. de Bassano écrivit à l'Empereur à Mayence qu'il -accordait ces latitudes à nos plénipotentiaires, afin que toutes les -questions de forme fussent vidées à son retour à Dresde, et que, s'il -lui convenait alors de donner dans les six derniers jours une tournure -sérieuse à la négociation<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a>, il trouvât les discussions préliminaires -terminées.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon à Mayence.</span> -Napoléon était en ce moment à Mayence où il s'était rendu, comme nous -l'avons dit, afin d'y passer quelques jours avec l'Impératrice, et de -voir chemin faisant les troupes en marche, les travaux en cours -d'exécution, tout ce qui avait besoin en un mot de sa présence pour se -perfectionner ou s'achever. Parti dans la nuit du 24 au 25 juillet, il -était arrivé le 26 au soir à Mayence, où l'attendaient une cour -brillante venue de Paris à la suite de l'Impératrice, et un grand -nombre de ses agents accourus pour recevoir ses ordres directs. -<span class="sidenote" title="En marge">Son entrevue avec l'Impératrice.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Douleur de cette princesse.</span> -Il avait trouvé l'Impératrice désolée, cachant ses larmes au public, mais -n'hésitant pas à les répandre devant lui, car elle était sincèrement -attachée à son glorieux époux, elle tremblait pour sa vie et sa -fortune, elle craignait pour elle-même que la nouvelle déclaration de -guerre de l'Autriche ne réveillât en France toutes les haines -populaires sous lesquelles avait succombé la malheureuse reine -Marie-Antoinette; elle aurait voulu retenir <span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> dans l'alliance -française son père qu'elle aimait, dont elle était aimée, mais elle ne -pouvait pas plus vaincre la tranquille inflexibilité de l'empereur -François, que la fougueuse humeur de Napoléon, et elle faisait ce que -font les femmes dans leur impuissance, elle pleurait. Le secret de -l'entrevue de Napoléon avec Marie-Louise est resté inconnu<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>, et -probablement il est resté inconnu parce qu'il était nul, car Napoléon -ne voulait charger l'Impératrice de rien, les affaires se traitant à -Prague de telle sorte, qu'elle n'y pouvait rendre aucun service. -<span class="sidenote" title="En marge">Tendres égards de Napoléon pour elle.</span> -Il désirait la voir, la consoler, lui donner des témoignages publics de -tendresse, ce qui, pour l'Autriche, pour l'Europe, devait être d'un -bon effet; il désirait aussi, avec sa défiance ordinaire, chercher à -pénétrer si elle n'aurait pas reçu de Vienne quelque communication -clandestine qui pût l'éclairer sur les desseins de l'Autriche. Mais en -tout cas de tels efforts étaient parfaitement inutiles, car l'Autriche -avait dit tout son secret par la bouche de M. de Metternich, et ce -secret n'était autre que celui-ci, c'est qu'à certaines conditions -cent fois énoncées elle arrêterait l'Europe, l'obligerait à poser les -armes, ménagerait la paix, non-seulement continentale mais maritime, -et qu'en dehors de ces conditions se déclarant sur-le-champ notre -ennemie, elle prendrait part à la coalition universelle qui se -préparait contre nous. Napoléon n'avait donc rien à apprendre de -Marie-Louise, mais il procura à cette princesse le plaisir de passer -quelques jours avec lui, et en attendant il expédia <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> sur les -lieux une quantité d'affaires civiles et militaires. -<span class="sidenote" title="En marge">Occupations de Napoléon à Mayence.</span> -De cette main -puissante de laquelle pouvait s'échapper tant de bien et de mal, il -laissa effectivement échapper du bien et du mal avec l'ordinaire -prodigalité de son génie. -<span class="sidenote" title="En marge">Le duc de Rovigo empêché d'y venir.</span> -Le duc de Rovigo avait voulu venir à Mayence -pour y faire une nouvelle tentative en faveur de la paix, en éclairant -Napoléon sur l'état de l'opinion publique, et sur le danger qu'il -courait de s'aliéner définitivement l'affection de la France. -L'opinion publique était en effet dans une anxiété extrême depuis -qu'elle commençait à craindre que le congrès réuni si tard ne restât -sans résultat. Les ennemis de Napoléon étaient pleins d'espérance, la -majorité du pays pleine de chagrins et de sinistres appréhensions. -Déjà l'affection était évanouie, la haine naissait, et faisait taire -l'admiration. Dans la basse Allemagne et la Hollande on criait <cite>Vive -Orange!</cite> dans toute l'Allemagne <cite>Vive Alexandre!</cite> En France on n'osait -pas crier <cite>Vivent les Bourbons!</cite> mais leur souvenir se réveillait peu -à peu, et on se transmettait de main en main un manifeste de Louis -XVIII publié à Hartwell, qui aurait certainement produit un effet -général, s'il n'avait porté encore les traces nombreuses des préjugés -de l'émigration. Ce sont tous ces détails que le duc de Rovigo se -proposait de communiquer au maître qu'il servait fidèlement, mais -Napoléon ne voulant pas être importuné de ce qu'il appelait les -criailleries de l'intérieur, avait refusé de le recevoir, et lui avait -ordonné de rester à Paris, sous prétexte que sa présence y était -nécessaire.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles rigueurs envers le clergé.</span> -Usant du procédé trop ordinaire à un gouvernement qui s'entête dans -ses erreurs, et qui voit <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> dans les manifestations de l'opinion -publique des actes à réprimer au lieu de leçons à méditer, il déploya -contre le clergé certaines rigueurs tout à fait étranges par l'audace -apportée dans l'arbitraire. Le clergé naturellement ne négligeait -aucune occasion de multiplier ses manifestations hostiles, surtout en -Belgique, et par ses fautes il provoquait ainsi celles du pouvoir. Le -concordat de Fontainebleau contesté avec une remarquable mauvaise foi -par la correspondance secrète des cardinaux, était considéré dans tout -le clergé comme un acte non avenu. On s'obstinait à ne pas reconnaître -les nouveaux prélats que Napoléon avait nommés et que Pie VII, après -l'avoir promis, refusait toujours d'instituer. Les plus prudents se -tenaient éloignés de leurs nouveaux siéges pour éviter des scandales. -M. de Pradt, devenu ennemi de l'Empire depuis sa fâcheuse ambassade à -Varsovie, et peu jaloux de s'attirer des désagréments pour plaire au -gouvernement, s'était abstenu de se présenter à Malines, dont il avait -été nommé archevêque. Mais les nouveaux évêques de Tournay et de Gand, -ayant voulu se rendre dans leurs diocèses et officier publiquement -dans leurs métropoles, avaient provoqué une sorte de soulèvement de la -part du clergé et des fidèles. En les voyant paraître à l'autel, -prêtres et assistants avaient fui, et laissé les prélats presque seuls -devant le tabernacle. Les séminaristes de Tournay et de Gand avaient, -sous la direction de leurs professeurs, participé à ce désordre. On -signalait aussi parmi les coupables une association de dames qui, sous -le nom de <em>Béguines</em>, vivaient à Gand dans une espèce de <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> -communauté sans être astreintes à la rigueur du cloître, et on les -accusait d'avoir exercé en cette occasion une grande influence sur la -conduite du clergé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les séminaristes de Tournay et de Gand envoyés dans un -régiment.</span> -Napoléon ordonna de disperser les <em>Béguines</em>, d'enfermer dans les -prisons d'État quelques membres des chapitres de Tournay et de Gand, -de déporter les autres dans des séminaires éloignés, d'en agir de même -à l'égard des professeurs, et quant aux jeunes séminaristes, de -prendre tous ceux qui avaient plus de dix-huit ans, de les envoyer à -Magdebourg dans un régiment, sur le motif qu'ils étaient passibles de -la loi de la conscription, qu'ils en avaient été dispensés -exceptionnellement pour devenir des ministres des autels, non des -fauteurs de troubles, et qu'une semblable faveur pouvait cesser au gré -du souverain lorsqu'il jugeait qu'on n'en était plus digne. Ceux qui -avaient moins de dix-huit ans durent être renvoyés dans leurs -familles. Des personnes pieuses s'étant réunies pour fournir des -remplaçants aux autres, Napoléon pour ce cas-là défendit le -remplacement. Recommandation expresse fut faite d'exécuter -sur-le-champ ces diverses prescriptions, et on n'y manqua point.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Procès d'Anvers.</span> -N'admettant plus de limite à sa volonté, ni au dedans ni au dehors, -Napoléon osa quelque chose de plus extraordinaire encore. L'octroi -d'Anvers avait été livré depuis plusieurs années à des dilapidations -dans lesquelles étaient compromis divers fonctionnaires municipaux. -Les dilapidations étaient incontestables, et elles avaient fait perdre -à la ville d'Anvers deux à trois millions. Les accusés mis en -jugement étaient, à tort ou à raison, considérés <span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> par -l'administration comme les véritables auteurs de ces concussions; mais -l'opinion du pays était si hostile au gouvernement, qu'elle n'hésitait -pas à se prononcer favorablement pour des individus qu'en tout autre -temps elle eût hautement condamnés, et à les couvrir d'une sorte -d'indulgence, comme s'il n'avait pu y avoir que d'intéressantes -victimes parmi des hommes poursuivis par l'autorité impériale. -Entraînés par ce sentiment, ou atteints par la corruption, ainsi que -le prétendit le grand juge, les jurés acquittèrent hardiment les -fonctionnaires accusés, aux applaudissements de la province, et la -ville d'Anvers, frustrée déjà de trois millions, fut encore exposée à -payer les frais considérables du procès. On comprend l'indignation -d'un gouvernement régulier très-attaché à maintenir l'ordre le plus -rigoureux dans toutes les parties de l'administration. Mais quelque -légitime que fût l'indignation ressentie par Napoléon en voyant des -hommes qu'il croyait coupables jouir de l'impunité, et la ville -d'Anvers victime de graves dilapidations subir seule une condamnation, -il aurait dû admettre toutefois que le délit poursuivi étant réel, les -individus accusés pouvaient bien n'en pas être les auteurs, et, en -supposant qu'ils le fussent, que la déclaration du jury devait rester -sacrée, comme chose jugée, jugée bien ou mal mais irrévocablement. -<span class="sidenote" title="En marge">Cassation du jugement rendu par le jury d'Anvers.</span> -Napoléon en apprenant cette décision éprouva une colère extrême, et -comme pour contrarier son gouvernement on avait mis de côté toute -justice, il n'hésita pas, lui, afin de rendre guerre pour guerre, à -mettre de côté toute légalité, et à casser la décision du jury. Cet -acte extraordinaire <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> et sans exemple était de nature à -soulever l'opinion universelle, mais Napoléon ne s'en inquiéta point, -et persista, s'imaginant que la sincérité de son indignation -justifierait l'étrange audace de son acte, tant les idées se -pervertissent vite lorsqu'on prend l'habitude de mettre sa volonté -au-dessus de celle des lois.</p> - -<p>Malgré l'avis du département de la justice, et notamment de -l'archichancelier Cambacérès qui pensait que la seule chose possible -c'était de changer la loi si elle était mauvaise, et de soustraire au -jury la connaissance de ce genre de délits si on le croyait incapable -d'en bien connaître, Napoléon s'appuyant sur un article des -constitutions de l'Empire qui permettait au Sénat d'annuler les -jugements attentatoires à la sûreté de l'État, voulut qu'un -sénatus-consulte fût rendu, pour casser la décision du jury d'Anvers, -et renvoyer devant une autre cour non-seulement les prévenus -acquittés, mais certains jurés eux-mêmes accusés de s'être laissé -corrompre. On ne pouvait pas accumuler plus d'irrégularités à la fois, -car en admettant que l'article 55 de la Constitution du 16 thermidor -an <span class="smcap">x</span> (4 août 1802) fût encore en vigueur, il était évident que le -jugement dont il s'agissait n'était pas un de ceux qu'on avait eus en -vue en les qualifiant d'attentatoires à la sûreté de l'État, et -surtout qu'en s'arrogeant le droit de casser la décision d'un -tribunal, on avait voulu abroger cette décision, mais nullement -poursuivre ceux qui l'avaient rendue. Ces objections furent soumises à -Napoléon, mais il n'en tint aucun compte, et exigea que le -sénatus-consulte <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> fût rédigé tel qu'il l'avait conçu, et porté -immédiatement au Sénat. -<span class="sidenote" title="En marge">Hardiesse de Napoléon à prendre sur lui toute la -responsabilité de l'acte extraordinaire qu'il s'était permis à l'égard -du jury d'Anvers.</span> -Il alla plus loin: convaincu, dans -l'aveuglement de son despotisme, qu'un pouvoir poursuivant un but -honnête ne devait se laisser gêner par aucune règle, il signa, et fit -publier une lettre close, dans laquelle, saisissant lui-même le -conseil privé de la question, et lui indiquant la décision, il prenait -la responsabilité entière sur sa tête. Le rapport du conseiller -d'État, chargé de présenter le sénatus-consulte, contenait cette -phrase qui exprime toute l'opinion de Napoléon en matière de -souveraineté, et qui certainement n'eût jamais été admise, même avant -1789, dans des termes aussi absolus: «Notre législation ordinaire -n'offre aucun moyen d'anéantir une pareille décision. Il faut donc que -la main du souverain intervienne. Le souverain est la loi suprême et -toujours vivante; c'est le propre de la souveraineté de renfermer en -soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir -ou réparer le mal.»</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Actes de bienfaisance mêlés à ces actes arbitraires.</span> -S'arrogeant ainsi le droit illimité de pourvoir à tout, de distribuer -la justice, de la changer au besoin quand elle ne lui convenait pas, -il prodiguait de cette même main souveraine le bien qu'il trouvait à -faire sur son chemin. Le premier président de la cour de cassation, M. -Muraire, magistrat distingué, ayant mal administré sa fortune, était -tombé dans une situation fâcheuse pour un fonctionnaire de son rang. -Son gendre, destiné à devenir bientôt un sage et courageux ministre du -roi Louis XVIII, M. Decazes, s'étant rendu à Mayence pour faire appel -à la bienfaisance impériale, Napoléon qui avait en ce moment de -fortes <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> raisons d'être avare de son argent, lui dit: Comment -donc M. Muraire s'est-il exposé à de tels embarras?... Mais peu -importe, combien vous faut-il?--Puis cela dit, il examina ce qu'il -fallait pour tirer M. Muraire de sa position, et il accorda quelques -centaines de mille francs sur son trésor particulier, qui était, comme -on l'a vu, la dernière ressource de l'armée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'occupe à Mayence de ses finances.</span> -Napoléon profita de son séjour à Mayence pour donner quelque attention -à ses finances. La mesure de l'aliénation des biens communaux, adoptée -et convertie en loi, n'avait pas encore produit de grands résultats, -parce qu'il fallait ménager un emploi aux nouveaux bons de la caisse -d'amortissement avant d'en émettre des sommes considérables. Sans -cette précaution en effet ils se seraient accumulés sur la place et -eussent été bientôt dépréciés. Il était donc indispensable d'accélérer -l'aliénation des biens communaux, qui pouvait seule fournir l'emploi -désiré. Avant que les biens communaux fussent vendus, il fallait les -choisir, les faire admettre dans la catégorie des biens aliénables, -les estimer, en fournir la valeur aux communes en rentes sur l'État, -en prendre possession, et enfin les mettre publiquement en -adjudication. -<span class="sidenote" title="En marge">Suite donnée à la mesure de l'aliénation des biens -communaux.</span> -Quelque accélérée que fût cette suite d'opérations -administratives, elle exigeait du temps, et jusqu'à son achèvement -pour chaque partie de biens, on ne pouvait opérer la mise en vente. -Les bons émis avant qu'ils fussent recherchés pour ce genre d'emploi, -auraient bientôt flotté sur la place, perdu 20 ou 30 pour cent, -entraîné la chute des actions de la Banque et des rentes sur l'État, -seules valeurs ayant cours à cette époque, et ruiné l'espèce de -crédit fort <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> restreint dont on jouissait, et dont on avait -besoin, tout restreint qu'il était. -<span class="sidenote" title="En marge">Le trésor particulier de Napoléon, la Banque, la caisse de -service, avaient pris pour 145 millions des nouveaux bons -représentatifs des biens communaux, et les gardaient en portefeuille.</span> -Napoléon avait pris pour le compte -de son trésor environ 72 millions de ces nouveaux bons, la Banque 10, -la Caisse de service 63, ce qui composait une ressource de 145 -millions réalisée d'avance, et qui n'entraînait aucune émission de ces -bons, parce que les trois caisses qui s'en étaient chargées les -avaient gardés en portefeuille. Mais ce n'était pas assez avec les -immenses dépenses qu'on avait eu à solder, car les payements du Trésor -dans les six premiers mois écoulés avaient déjà excédé les recettes -ordinaires de plus de 200 millions. M. Mollien n'osait pas dans ses -payements employer les nouveaux bons de la Caisse d'amortissement, -parce qu'il craignait de les avilir. -<span class="sidenote" title="En marge">On n'osait pas en émettre dans le public de peur de les -déprécier.</span> -On en avait d'abord émis -quelques-uns sur la place afin de les populariser, et ils n'avaient -pas perdu plus de 5 à 6 pour cent, ce qui était un agio fort modéré, -mais les répandre davantage était difficile et dangereux. On ne -pouvait les donner ni aux rentiers ni aux fonctionnaires, parce que -les sommes à payer aux uns comme aux autres étaient peu considérables -et que les coupures de ces bons ne s'y prêtaient pas, parce qu'on -aurait fait d'ailleurs crier aux assignats. Encore moins pouvait-on -les consacrer à payer la solde de l'armée, qui s'acquittait à -l'étranger et en sommes très-divisées. Toutefois, pour ce genre de -payement, Napoléon avait fait employer dans une certaine proportion -les billets de la Caisse de service, acquittables à Paris ou dans les -départements, lesquels fournissaient aux officiers ayant des familles -la faculté de faire passer sûrement <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> et sans frais de l'argent -en France, et procuraient en outre au Trésor la facilité de remplir -ses engagements avec un papier à échéance assez longue. C'est même par -des combinaisons de ce genre que la Caisse de service avait pu se -charger à elle seule de 63 millions des nouveaux bons, qu'elle devait -garder en portefeuille. L'unique payement qui pût s'effectuer avec -cette nouvelle valeur, c'était celui des grandes fournitures exécutées -par les riches entrepreneurs travaillant pour la guerre et pour la -marine. Ceux-là tenant à continuer les affaires importantes qu'ils -faisaient avec l'État, ne devaient pas regarder de si près au mode de -payement, et d'ailleurs ils avaient tellement besoin d'argent, qu'ils -aimaient encore mieux recevoir une valeur exposée à perdre 10 ou 15 -pour cent, que ne rien recevoir du tout. Il y avait de plus une espèce -de fournisseurs obligés, devenus fournisseurs malgré eux, c'étaient -les propriétaires, fermiers ou négociants, auxquels on avait pris par -voie de réquisition ou des denrées ou des étoffes, ou des chevaux, à -condition de les solder comptant. Aux uns comme aux autres on pouvait -donner les nouveaux bons de la Caisse, que les uns feraient escompter -à de gros capitalistes, que les autres garderaient pour en acheter des -biens communaux. Mais M. Mollien, toujours attaché aux moyens -réguliers, préférait faire attendre les fournisseurs et les individus -frappés de réquisition, ce qui pouvait se couvrir du prétexte des -liquidations inachevées, que d'émettre un papier exposé à être -qualifié d'assignat dès que l'introduction dans le public en -paraîtrait plus ou moins forcée. Aussi <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> les fournisseurs, -habitués à crier à la porte des administrations, commençaient-ils à -murmurer, à se plaindre du défaut de payement, et à l'alléguer comme -excuse du ralentissement de tous les services. C'est là ce qui motiva -l'intervention personnelle de Napoléon, dont l'oreille ne devenait -sensible en ce moment que lorsqu'il s'agissait des besoins de l'armée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon exige que M. Mollien donne des nouveaux bons à -certains fournisseurs, et à certains créanciers de l'État.</span> -S'adressant à M. Mollien, il soutint que la perte de 9 à 10 pour cent -sur une pareille valeur, surtout lorsqu'un gros intérêt, exactement -payé, devait en maintenir le cours, n'était rien en soi, et n'égalait -pas l'inconvénient de faire attendre des gens qu'il y avait urgence à -satisfaire. Ceux à qui l'argent comptant n'était pas indispensable -auraient dans la main un placement avantageux, ceux qui ne pouvaient -pas s'en passer, réaliseraient le capital par l'escompte, et ce serait -toujours le même résultat, ramené à un seul inconvénient, de faire -baisser de 9 à 10 pour cent l'une des trois valeurs circulantes. Les -rentes sur l'État, par exemple, qu'on avait vues à 12 francs la veille -du 18 brumaire, à 30 le lendemain, puis à 90 après 1806, qu'on -revoyait actuellement à 70, n'entraînaient pas après tout, par ces -variations, la ruine de l'État et des particuliers. La fixité et -l'exact payement de l'intérêt consolaient les porteurs de rente, qui -finissaient par ne plus prendre garde à ces fluctuations, et il n'y -avait d'atteints par elles que ceux qui étaient forcés de vendre. -C'était un inconvénient très-partiel, auquel devaient se résigner ceux -qui avaient besoin d'argent.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, pour fournir un emploi à ces bons, prend des -mesures afin d'accélérer la mise en vente des biens communaux.</span> -Telle était l'argumentation fort spécieuse de Napoléon contre le -ministre des finances, argumentation <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> qui eût été à peu près -vraie, si la baisse de ces bons avait pu être limitée à 10, à 12, même -à 15 pour cent. Mais qui pouvait dire où elle s'arrêterait, si on se -laissait entraîner à une émission considérable? C'est ce que craignait -M. Mollien, et ce dont Napoléon ne tint aucun compte, car il ordonna -qu'on répandît à Paris environ une trentaine de millions des bons de -la caisse d'amortissement par le payement des fournitures, et dans les -départements environ dix-huit ou vingt par le payement des -réquisitions. C'étaient cinquante millions introduits un peu forcément -dans la circulation. Afin de leur ouvrir plus tôt le débouché des -acquisitions de biens communaux, Napoléon prescrivit à -l'archichancelier Cambacérès de faire acte d'autorité sur le Conseil -d'État, d'enlever au Comité du contentieux, dont les formes sont -celles de la justice elle-même, les contestations relatives aux biens -communaux, de les transporter au Comité chargé de l'administration -communale, de diriger lui-même ce comité, et d'expédier rapidement ce -genre d'affaires au moyen d'un examen sommaire et non interrompu.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon imagine des conscriptions locales, qui se -justifient par le danger de certaines frontières.</span> -Après ce secours un peu violent apporté à ses finances, Napoléon, -toujours en travail d'esprit pour la levée des hommes, inventa des -conscriptions d'un nouveau genre, qu'il espérait rendre supportables -en leur donnant un caractère d'urgence et d'utilité locales. -<span class="sidenote" title="En marge">Levée de 30 mille hommes dans les départements voisins des -Pyrénées.</span> -Par exemple la frontière des Pyrénées se trouvant menacée par suite des -derniers événements d'Espagne, Napoléon imagina de lever 30 mille -hommes sur les quatre dernières classes, dans tous les départements -situés depuis Bordeaux jusqu'à <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> Montpellier, afin de garantir -de l'invasion cette partie du territoire. Comme le sol que les -nouveaux appelés allaient défendre était le leur, Napoléon pensa que -c'était demander en quelque sorte à des paysans de défendre leurs -chaumières, à des citadins de défendre leurs propres villes, et que -l'urgence du besoin ferait taire la plainte, car on ne pouvait pas -dire, comme de toutes les autres levées de cette époque, que Napoléon -prenait les hommes pour les faire mourir sur l'Elbe et l'Oder au -service de son ambition. L'idée lui ayant paru ingénieuse, il voulut -l'appliquer aux départements du nord et de l'est, toujours en -s'adressant aux départements de l'ancienne France, lesquels, depuis -plus de vingt années, supportaient tout le poids de la guerre, et de -leur demander une soixantaine de mille hommes, sous le même prétexte -de danger local et pressant. Mais comme ces conscriptions devaient -bientôt finir par ressembler à une conscription générale, et en -produire l'effet, Napoléon résolut d'ajourner la seconde de deux ou -trois mois. Seulement il appela sans aucun retard les trente mille -hommes demandés aux départements voisins des Pyrénées.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Août 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Ces diverses mesures résolues en principe à Mayence.</span> -Ces mesures, les unes civiles, les autres militaires, pour la plupart -conçues avant le voyage de Mayence, furent à Mayence même, soit -résolues immédiatement, soit spécialement examinées avec des agents -venus de Paris, pour être définitivement décrétées à Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Au milieu de ses nombreuses occupations, Napoléon comble -Marie-Louise des témoignages les plus affectueux.</span> -Napoléon -ajoutant à ce travail des revues incessantes de troupes, de -continuelles inspections de matériel, n'eut pas grand temps à -<span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> donner à l'Impératrice, mais il la combla des témoignages les -plus affectueux, témoignages à la fois sincères et calculés, afin que -la nouvelle guerre avec l'Autriche ne portât dans l'opinion publique -aucun tort à un mariage qu'il regardait toujours comme utile à sa -politique, et afin de laisser l'empereur François sous le poids des -mêmes obligations envers sa fille, car il le dispensait moins d'être -bon père, en restant lui-même bon époux. Il cédait, il faut le dire -aussi, au penchant de son propre cœur, car il était touché de -l'attachement qu'il semblait inspirer à cette noble fille des Césars, -et le lui rendait autant que le permettaient les vastes et fortes -distractions de son âme. -<span class="sidenote" title="En marge">Il lui laisse ignorer à quel point il est résolu à la -guerre.</span> -Voulant même la ménager, il ne lui dit pas à -quel point la guerre était certaine et serait sérieuse; il la laissa -partir avec des doutes à ce sujet, tandis qu'écrivant au prince Eugène -à Milan, au général Rapp à Dantzig, au maréchal Davout à Hambourg, il -leur avoua ce qu'il en était, et leur enjoignit de se tenir prêts pour -le 17 août. -<span class="sidenote" title="En marge">Il lui prépare plusieurs voyages pour la distraire, pendant -qu'il se battra à outrance.</span> -Désirant en outre préparer à l'Impératrice une distraction -agréable, et lui procurer autant que possible l'oubli des cruelles -inquiétudes du moment, il lui prescrivit un voyage sur le Rhin, de -Mayence à Cologne, qu'elle devait faire au milieu des hommages des -populations des deux rives, et puis il décida qu'après avoir passé -quelques jours à Paris, elle entreprendrait un voyage en Normandie, -afin d'aller à Cherbourg présider une imposante cérémonie, -l'introduction des eaux de l'Océan dans le célèbre bassin commencé -sous le règne de Louis XVI, et terminé sous le sien. Il poussa -l'attention jusqu'à recommander <span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> au prince Cambacérès de la -faire partir avant la rupture de l'armistice, afin qu'elle n'apprît -les nouvelles hostilités que bien des jours après leur reprise, et -peut-être après quelque grand événement capable de la rassurer. Il -voulait ainsi distraire, consoler et faire aimer de la France cette -jeune femme, mère et tutrice de son fils, régente de l'Empire, -destinée à le remplacer s'il venait à succomber sous un boulet ennemi. -Pourquoi, hélas! les sinistres pressentiments dont ces soins délicats -étaient la preuve, ne contribuaient-ils pas à vaincre l'obstination -fatale à laquelle il allait sacrifier son fils, son épouse, son trône -et sa personne!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon quitte Mayence le 1<sup>er</sup> août.</span> -Après avoir passé du 26 juillet au 1<sup>er</sup> août avec Marie-Louise, il -l'embrassa en présence de toute sa cour, et la laissant en larmes, -partit pour la Franconie. Déjà il avait inspecté à Mayence les -divisions du maréchal Augereau, qui achevaient de se former sur les -bords du Rhin. -<span class="sidenote" title="En marge">Il passe en route la revue des troupes du maréchal -Saint-Cyr.</span> -À Wurzbourg se trouvaient deux des divisions du -maréchal Saint-Cyr, actuellement en marche vers l'Elbe, où elles -devaient venir prendre la position de Kœnigstein. Elles lui -parurent belles, assez bien instruites, et animées des sentiments -qu'il pouvait leur désirer. Il visita la place de Wurzbourg, la -citadelle, les magasins, en un mot l'établissement militaire tout -entier, dont il voulait faire un des points importants de sa ligne de -communication; ensuite il se dirigea sur Bamberg et Bayreuth, où il -vit successivement les autres divisions du maréchal Saint-Cyr, et les -divisions bavaroises destinées à faire partie du corps d'Augereau. -<span class="sidenote" title="En marge">Il arrive à Dresde le 4 au soir.</span> -Après avoir porté sur toutes choses son œil investigateur, -<span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> donné les ordres et les encouragements nécessaires, il -repartit pour Erfurt, et arriva le 4 au soir à Dresde. Le 5 de grand -matin il était debout et à l'œuvre, pressé qu'il était d'employer -utilement les derniers jours de l'armistice.</p> - -<p>La vue des troupes qu'il avait inspectées sur sa route, ses -méditations incessantes sur le plan de la prochaine campagne, avaient -redoublé sa confiance dans son armée et dans son génie. -<span class="sidenote" title="En marge">Confiance immense qu'il a conçue en méditant sur l'étendue -de ses ressources.</span> -En voyant -venir le moment de cette terrible lutte, en méditant sur ses chances, -en se souvenant combien ses soldats bravaient facilement la mort, -combien lui-même une fois au milieu du danger trouvait de combinaisons -heureuses, là où ses adversaires ne trouvaient que des fautes à -commettre, ne sachant pas se rendre compte des passions généreuses -qu'il avait soulevées contre lui, et dont l'ardeur pouvait compenser -chez ses ennemis une direction malhabile, il sentait en lui-même comme -une sorte de chaleur d'âme qui animait toute sa personne, qui éclatait -dans ses yeux, et lui donnait l'aspect du contentement, de l'espérance -et de l'audace. Ceux qui l'entouraient en étaient frappés, et les plus -sages en étaient plutôt inquiets que réjouis<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Reproches adressés à MM. de Caulaincourt et de -Narbonne, pour avoir permis à M. de Metternich de les menacer de la -guerre.</span> -Le jour même où il arrivait à Dresde, les instances de M. de -Caulaincourt et de M. de Narbonne pour obtenir le pouvoir de traiter -sérieusement, étaient devenues plus vives que jamais. Il en parut -importuné, et adressa des reproches à ces deux négociateurs, pour -s'être laissé, disait-il, serrer de trop près par M. de Metternich. Il -trouvait qu'ils avaient manqué de fierté, en permettant au ministre -autrichien de leur dire que dans tel ou tel cas, l'Autriche s'unirait -aux ennemis de la France pour lui déclarer la guerre, comme si c'eût -été une offense que d'annoncer franchement ce qu'on ferait, si -certaines conditions n'étaient point accordées. L'enivrement de la -puissance était tel chez Napoléon, qu'il ne voulait pas qu'on osât -parler de lui déclarer la guerre, comme d'une chose naturelle, -inévitable même dans certains cas. Il voulait qu'on n'y pensât qu'en -tremblant (ce qu'on faisait du reste), qu'on n'en parlât qu'avec une -sorte de crainte respectueuse, comme d'un malheur dont on admettait à -peine la possibilité. Mais après ces réprimandes peu méritées, et peu -séantes actuellement, il s'occupa de quelque chose de plus sérieux. Il -ne croyait plus, après la difficulté qu'on avait eue pour faire -<span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> prolonger l'armistice une première fois, obtenir une nouvelle -prolongation; d'ailleurs il se sentait prêt. Le temps désormais devait -profiter à ses adversaires plus qu'à lui, et il tenait à les frapper -avant l'hiver. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, soit pour retarder l'entrée en action de -l'Autriche, soit pour aboutir à la paix sans subir les conditions qui -lui déplaisent, essaye au dernier moment d'une négociation secrète -avec l'Autriche.</span> -Un seul désir lui restait en fait d'ajournement, -c'était de différer l'entrée en action de l'Autriche, ce qui lui eût -fort convenu, car il aurait eu ainsi la possibilité d'écraser -séparément les Russes et les Prussiens, et de revenir ensuite sur les -Autrichiens, pour les intimider, les empêcher de prendre parti, ou les -accabler à leur tour. Mais il n'y avait qu'une manière de disposer -l'Autriche à une conduite pareille, c'était l'apparence d'une -négociation sincère, et même de fortes espérances d'une conclusion -pacifique. Napoléon prit donc la résolution de réaliser le pronostic -de M. de Metternich, qui avait dit qu'avec un caractère extraordinaire -comme le sien, il ne fallait jamais désespérer de rien, et que -peut-être le dernier jour, à la dernière heure, une heureuse -conclusion sortirait de cette négociation, illusoire dans le moment -jusqu'à en être offensante. Il se décida, tandis que les -plénipotentiaires continueraient à perdre leur temps en discussions -puériles sur la forme des négociations, à charger secrètement et -exclusivement M. de Caulaincourt d'une communication sérieuse à -l'Autriche, la seule des puissances avec laquelle une négociation -directe fût alors possible. Si la paix résultait d'une semblable -démarche, Napoléon n'en était pas fâché, pourvu toutefois que les -conditions dont il ne voulait pas fussent écartées, et il se flattait -qu'il obtiendrait peut-être de l'Autriche qu'elles le fussent, mais à -l'instant suprême, <span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> quand cette puissance se verrait -définitivement placée entre la paix et la guerre. En conséquence, il -arrêta de la manière suivante les conditions à présenter -confidentiellement à M. de Metternich. -<span class="sidenote" title="En marge">Il concède le sacrifice du grand-duché de Varsovie, et la -restitution de l'Illyrie, mais refuse l'abandon des villes anséatiques -et du protectorat de la Confédération du Rhin.</span> -Le sacrifice du grand-duché de -Varsovie, comme celui de l'Espagne, comme celui de l'Illyrie, étaient -faits dans son esprit et dans l'opinion générale, et n'avaient plus -aucune nouveauté poignante pour son orgueil; d'ailleurs il n'en devait -rien coûter au territoire de l'Empire, car l'Illyrie elle-même n'était -demeurée qu'à titre d'en cas dans nos mains, et elle n'avait jamais -été jointe au territoire constitutionnel de la France. Ce qui coûtait -à Napoléon, c'était, ainsi que nous l'avons dit, de refaire la Prusse -plus grande après sa défection, de sacrifier le titre de protecteur de -la Confédération du Rhin porté avec ostentation depuis plusieurs -années, et enfin d'abandonner Lubeck, Hambourg, Brême, qui avaient été -ajoutées par sénatus-consultes au territoire français. Selon lui -chacun de ces sacrifices le montrait vaincu aux yeux du monde, car il -fallait qu'il le fût pour récompenser une défection, pour permettre -qu'on reconstituât une Allemagne en dehors de son influence, pour se -laisser arracher une partie de ce qu'il appelait le territoire -constitutionnel de l'Empire. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette négociation secrète tentée in extremis doit rester -ignorée de M. de Narbonne.</span> -D'après certaines paroles de M. de Bubna, -qui dans son désir d'amener la paix amoindrissait toujours la -difficulté, Napoléon avait pensé que peut-être au dernier moment il -déciderait l'Autriche à lui concéder ces points importants, ou qu'au -moins en lui faisant entrevoir une négociation sincère, on pourrait -négocier en se battant, ce qui entraînerait <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> une reprise -d'hostilités avec les Prussiens et les Russes, et une nouvelle remise -avec les Autrichiens.</p> - -<p>C'est d'après ces données qu'il enjoignit à M. de Caulaincourt (le -secret devant être gardé envers M. de Narbonne, pour que la -négociation eût un caractère encore plus intime) de se rendre auprès -de M. de Metternich, de l'aborder brusquement, à brûle-pourpoint, de -lui dire qu'on voulait profiter des cinq jours qui restaient pour -s'assurer du fond des choses, particulièrement en ce qui concernait -l'Autriche, qu'on demandait franchement à celle-ci les conditions -auxquelles elle entrerait avec la France en négociation ou en guerre, -qu'on la pressait instamment de déclarer ces conditions sans surfaire -inutilement, que le temps qu'on avait encore était trop court pour le -perdre en vulgaires finesses, qu'il fallait donc énoncer avec la -dernière précision ce qu'on voulait, pour qu'on pût répondre avec une -précision égale et sur-le-champ, c'est-à-dire par oui ou par non. Le -duc de Vicence devait faire remarquer à M. de Metternich à quel point -cette communication était secrète, puisqu'on la laissait ignorer à M. -de Narbonne; il devait insister pour qu'elle demeurât inconnue des -négociateurs prussien et russe, dans le cas même où l'on tomberait -d'accord. Il suffirait en effet de reproduire dans la négociation -officielle les propositions secrètement convenues avec l'Autriche dans -la négociation occulte, pour les faire adopter, et comme après tout il -restait pour négocier non-seulement jusqu'au 10 août, mais jusqu'au -17, il était possible, si on répondait tout de suite à la proposition -actuelle partant de Dresde le 5, arrivant le 6 <span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> à Prague, et -pouvant recevoir réponse le 7, de faire parvenir le 9 à M. de -Metternich l'adhésion définitive de la France aux idées de l'Autriche, -et de donner ainsi brusquement au congrès, la veille même de sa -dissolution, un caractère inattendu de sérieux et d'efficacité.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">À ces ouvertures confidentielles et pacifiques, Napoléon -ajoute une note officielle des plus offensantes.</span> -Par malheur, en adressant enfin à l'Autriche cette ouverture, tardive -mais non pas sans espoir de succès, Napoléon y ajouta pour la -négociation officielle une note tout à fait offensante, car on y -disait très-clairement que les difficultés de forme soulevées par les -représentants des puissances belligérantes révélaient leur intention -véritable, et que cette intention n'était autre que d'entraîner -l'Autriche dans la guerre, en se servant pour y réussir ou de sa -mauvaise foi, ou de sa duperie, toutes suppositions aussi peu -flatteuses pour les uns que pour les autres. MM. de Narbonne et de -Caulaincourt devaient remettre en commun cette étrange note à M. de -Metternich, puis après l'avoir remise, M. de Caulaincourt prenant à -part M. de Metternich, et s'abouchant secrètement avec lui, devait -faire la proposition que nous venons de rapporter.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Étonnement de M. de Metternich en recevant les -communications secrètes de M. de Caulaincourt, et ses appréhensions -quant à l'effet probable de la note officielle.</span> -Les dépêches contenant ces ordres si contradictoires, parties le 5 -août de Dresde, arrivèrent le 6 à Prague, surprirent fort M. de -Caulaincourt, et le remplirent d'une joie mêlée malheureusement de -beaucoup de tristesse, car avec le peu de jours qui restaient il -désespérait de mener à bien cette négociation in extremis, et la note -officielle d'ailleurs lui faisait craindre un esclandre qui nuirait -beaucoup au succès de ses efforts. Cette note destinée à être -publique <span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> offensa M. de Metternich, qui témoigna combien il en -redoutait l'effet, tant sur son maître que sur les cours de Prusse et -de Russie; mais son étonnement fut extrême lorsque, les deux -négociateurs français l'ayant quitté, il revit peu d'instants après M. -de Caulaincourt chez lui, apportant en grand secret une communication -aussi importante que celle dont il s'agissait. Elle était si tardive, -et il s'était tant habitué à désespérer des dispositions de Napoléon à -l'égard de la paix, qu'il eut de la peine à croire qu'elle fût -sincère, et ce motif seul l'empêcha de se livrer à une joie -qu'autrement il n'aurait pas manqué de ressentir et de manifester. Il -exprima ses regrets de ce qu'on n'avait pas tenté cette démarche -quelques jours plus tôt, car il eût été possible alors sans violer le -secret qui était recommandé, de sonder la Prusse et la Russie sur -certains points délicats, et d'arriver à une conciliation des -difficultés qui vraisemblablement diviseraient les cours -belligérantes. Toutefois, puisqu'on demandait à l'Autriche ses -conditions à elle-même, celles qu'elle appuierait de toute son -influence, et dont elle était résolue à exiger l'adoption de la part -de la Prusse et de la Russie, il allait consulter son maître, et -répondre, il l'espérait, sous vingt-quatre heures.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich se transporte à Brandeiss pour conférer -avec l'empereur d'Autriche sur les propositions de Napoléon.</span> -M. de Metternich se rendit en effet à Brandeiss, résidence actuelle de -l'empereur François, le trouva fort courroucé comme tout le monde -l'avait été à Prague de la note officielle du 6 août, et lui causa un -étonnement égal à son courroux, en lui faisant part de la démarche -inattendue du principal négociateur français. Tout ce qui était -extraordinaire <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> concordait bien avec le caractère brusque et -imprévu de Napoléon, mais une démarche qui avait des apparences aussi -pacifiques, tentée ainsi à la dernière extrémité, avait de quoi -exciter la méfiance. -<span class="sidenote" title="En marge">Doutes de l'empereur et de M. de Metternich sur le -caractère de la démarche de Napoléon.</span> -L'empereur François et son ministre se -demandèrent si c'était de la part de Napoléon un acte de force ou de -ruse, si, dans des vues élevées, il savait enfin imposer silence à son -orgueil pour arriver à un accord entre les puissances européennes, ou -bien s'il voulait provoquer quelque exigence excessive de la part des -coalisés, afin de s'en faire auprès du public français un argument qui -le justifierait d'avoir préféré la guerre à une paix humiliante. -<span class="sidenote" title="En marge">Résolution d'y répondre franchement dans tous les cas.</span> -Ils reconnurent que dans les deux cas il fallait répondre sans hésiter, -car s'il souhaitait la paix, on lui devait de s'expliquer franchement -avec lui; s'il cherchait à provoquer une proposition inadmissible, il -importait de le confondre en lui adressant les conditions auxquelles -depuis longtemps on s'était arrêté, et que certainement la France ne -trouverait pas déshonorantes. Ces conditions étaient au fond tellement -indiquées lorsqu'on voulait reconstituer l'Allemagne, et pour -reconstituer l'Allemagne rendre quelque force à la Prusse, que toute -variante était impossible. -<span class="sidenote" title="En marge">Conditions invariables de l'Autriche.</span> -C'étaient, comme nous l'avons déjà répété -tant de fois, le partage du duché de Varsovie, sur le sort duquel la -fortune avait prononcé à Moscou, et dont la plus grande partie devait -revenir à la Prusse; l'abolition de la Confédération du Rhin, que -toute l'Allemagne réclamait pour n'être plus placée sous une autorité -étrangère, et le rétablissement des villes anséatiques, qu'elle -réclamait <span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> également pour recouvrer son commerce; enfin la -restitution de l'Illyrie, consentie depuis longtemps par Napoléon, et -vivement désirée par l'Autriche afin de se procurer quelques -aboutissants vers la mer. Tout cela était si nécessaire pour que -l'Allemagne retrouvât quelque indépendance, en restant d'ailleurs fort -exposée encore à l'influence de Napoléon, qui conservait Mayence, -Cologne, Wesel, Gorcum, le Texel et la Westphalie, qu'il n'y avait pas -autre chose à imaginer et à proposer. On avait assez communiqué avec -la Prusse et la Russie pour s'être assuré de leur adhésion à ces -bases, et quant à l'Angleterre, les villes anséatiques étant -rétablies, Napoléon paraissant décidé au sacrifice de l'Espagne, on -était certain de l'amener à la paix, car elle ne voudrait pas rester -seule en guerre avec la France. On résolut donc de faire connaître à -Napoléon les conditions dont il s'agit, et qui au surplus n'étaient -pas nouvelles pour lui, en exigeant le secret qu'il avait exigé -lui-même, et en demandant une réponse sous quarante-huit heures, car -après le 10 août au soir il ne serait plus temps.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Prague, et son entrevue avec -M. de Caulaincourt.</span> -M. de Metternich revenu le 7 à Prague, fut tout à coup rappelé à -Brandeiss par son maître, qui, avant de se prêter à ces communications -particulières, avait été saisi d'une subite hésitation. Mais tout -examiné, l'empereur et son ministre persistèrent, et après une journée -malheureusement perdue, la réponse fut apportée à M. de Caulaincourt, -toujours à l'insu de M. de Narbonne. M. de Metternich lui dit que son -maître s'était demandé si cette communication si imprévue et si -tardive de Napoléon était une <cite>démarche de force ou de ruse</cite>; que si -elle était <span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> une démarche de force comme il aimait à le penser -de la part de son gendre, on lui devait une franche réponse; que si -elle était une démarche de ruse, il croyait devoir y répondre encore, -car les conditions qu'il apportait pouvaient s'avouer au monde entier, -et surtout à la France. Il lui fit donc verbalement la déclaration -suivante, qu'il l'autorisa à transcrire sur-le-champ, sous sa dictée, -et qui a une telle importance que nous allons la reproduire -textuellement.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Déclaration importante dans laquelle l'Autriche énonce ses -conditions, avec engagement de les faire accepter par les puissances -coalisées.</span> -INSTRUCTIONS POUR LE COMTE DE METTERNICH SIGNÉES PAR L'EMPEREUR -D'AUTRICHE.</p> - -<p>«M. de Metternich demandera au duc de Vicence, sous sa parole -d'honneur, l'engagement que son gouvernement gardera le secret le plus -absolu sur l'objet dont il est question.</p> - -<p>»Connaissant par des explications confidentielles préalables les -conditions que les cours de Russie et de Prusse paraissent mettre à -des arrangements pacifiques, et me réunissant à leurs points de vue, -parce que je regarde ces conditions comme nécessaires au bien-être de -mes États et des autres puissances, et comme les seules qui puissent -réellement mener à la paix générale, je ne balance point à énoncer les -articles qui renferment mon <i lang="la">ultimatum</i>.</p> - -<p>»J'attends un <em>oui</em> ou <em>non</em> dans la journée du 10.</p> - -<p>»Je suis décidé à déclarer dans la journée du 11, ainsi que cela se -fera de la part de la Russie et de la Prusse, que le congrès est -dissous, et que je joins mes forces à celles des alliés pour conquérir -une paix compatible avec les intérêts de toutes les <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> -puissances, et que je ferai dès lors abstraction des conditions -actuelles, dont le sort des armes décidera pour l'avenir.</p> - -<p>»Toutes propositions faites après le 11 ne pourront plus se lier avec -la présente négociation.»</p> - -<p><i>Conditions auxquelles l'Autriche regarde la paix comme faisable.</i></p> - -<p>«Dissolution du duché de Varsovie et sa répartition entre l'Autriche, -la Russie et la Prusse; par conséquent Dantzig à la Prusse.</p> - -<p>»Rétablissement de Hambourg et de Lubeck comme villes libres -anséatiques, et arrangement éventuel et lié à la paix générale sur les -autres parties de la 32<sup>e</sup> division militaire, et sur la renonciation -au protectorat de la Confédération du Rhin, afin que l'indépendance de -tous les souverains actuels de l'Allemagne se trouve placée sous la -garantie de toutes les grandes puissances.</p> - -<p>»Reconstruction de la Prusse avec une frontière tenable sur l'Elbe.</p> - -<p>»Cession des provinces illyriennes à l'Autriche.</p> - -<p>»Garantie réciproque que l'état de possession des puissances grandes -et petites, tel qu'il se trouvera fixé par la paix, ne pourra être -changé ni lésé par aucune d'elles.»</p> - -<div class="p4 figcenter"> -<a id="caulaincourt" name="caulaincourt"></a> -<img src="images/caulaincourt.jpg" width="400" height="570" alt="Caulaincourt, (Duc de Vicence)." title="" /> -<p class="small">E. Charpentier del. T. Goutière sculp.</p> -<p class="caption">CAULAINCOURT<br /> -<span class="smaller">(DUC DE VICENCE)</span></p> -</div> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Explications ajoutées par M. de Metternich au texte de son -ultimatum, et nouvelle déclaration qu'après le 10 août l'Autriche fera -partie de la coalition.</span> -Après cette communication si importante, et qui confond tous les -mensonges que certains narrateurs ont avancés sur ce sujet, M. de -Metternich ajouta quelques explications d'une extrême gravité. Il dit -que jusqu'au 10 août au soir l'Autriche serait sans engagement avec -les puissances belligérantes, que <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> jusque-là elle pourrait, -comme elle le faisait actuellement, traiter confidentiellement avec -Napoléon, et adopter certaines de ses propositions, les imposer même -aux puissances coalisées, auxquelles nul traité ne la liait, mais qu'à -partir du 11 elle serait liée avec elles, ne pourrait rien écouter -sans leur en donner communication, et serait obligée de n'admettre -aucune condition de paix que d'accord avec elles.</p> - -<p>Ces observations méritaient la plus sérieuse attention, car la -différence qu'il y avait à traiter le 10 et non pas le 11 ou le 12, -consistait à dépendre de l'Autriche seule, qui souhaitait la paix -parce qu'elle craignait la guerre, au lieu de dépendre des puissances -coalisées qui ne voulaient pas la paix parce qu'elles attendaient -davantage de la guerre, et qu'elles étaient en proie à toutes les -passions du moment. Le duc de Vicence en rapportant exactement les -communications qu'il avait reçues, les accompagna de nouvelles -instances exprimées dans le langage le plus beau et le plus touchant.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nobles paroles de M. de Caulaincourt à Napoléon.</span> -«--Sire, disait-il à Napoléon, cette paix <cite>coûtera peut-être quelque -chose à votre amour-propre, mais rien à votre gloire</cite>, car elle ne -coûtera rien à la vraie grandeur de la France. Accordez, je vous en -conjure, cette paix à la France, à ses souffrances, à son noble -dévouement pour vous, aux circonstances impérieuses où vous vous -trouvez. Laissez passer cette fièvre d'irritation contre nous qui -s'est emparée de l'Europe entière, et que les victoires même les plus -décisives exciteraient encore au lieu de la calmer. Je vous la -demande, ajoutait-il, non pour le vain honneur de la signer, mais -parce <span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> que je suis certain que vous ne pouvez rien faire de -plus utile à notre patrie, de plus digne de vous et de votre grand -caractère.»--Quel devait être l'effet de ces nobles prières d'un noble -cœur, on va le voir!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La réponse de M. de Metternich arrive le 9 août à Dresde.</span> -La réponse apportée le 8 août par M. de Metternich, transcrite pendant -la journée, ne pouvait être que le 9 sous les yeux de Napoléon, et n'y -fut en effet que le 9 à trois heures de l'après-midi. Il aurait fallu -que souscrivant aux sacrifices qu'on lui demandait, et qui n'étaient -que des sacrifices d'amour-propre, comme l'avait si bien dit M. de -Caulaincourt, il s'y décidât sur l'heure, et expédiât la réponse dans -la soirée même du 9, afin que cette réponse arrivant le 10 au matin à -Prague, avec accompagnement de pouvoirs pour M. de Caulaincourt, on -pût signer les bases de la paix le 10 avant minuit. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'obstine à n'attacher aucune importance à la date -du 10.</span> -Napoléon n'en fit -malheureusement rien. D'abord il ne voulut pas croire à cette -situation de l'Autriche, libre jusqu'au 10 août à minuit, mais engagée -après le 10, et au lieu de dépendre d'elle seule dépendant de la -volonté de ses nouveaux alliés. Il imagina que ce n'était là qu'un -vain langage diplomatique, qu'on lui tenait pour l'intimider, ou pour -hâter ses déterminations. N'attachant pas d'ailleurs beaucoup -d'importance à éviter la guerre au prix de sacrifices qui lui étaient -souverainement désagréables, aveuglé par une déplorable confiance en -ses forces, il ne se pressa pas de prendre et de faire connaître ses -résolutions. -<span class="sidenote" title="En marge">Il croit avoir jusqu'au 17.</span> -Il employa la journée à se décider, pensant que ce serait -assez tôt de se résoudre le 10, que les hostilités ne recommençant -que le 17 on aurait le <span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> temps de s'entendre, que l'Autriche -ferait de ses alliés ce qu'elle voudrait, aussi bien le 11 ou le 12 -que le 10, pourvu que ce fût avant le 17, et que par conséquent il -pouvait sans inconvénient s'accorder à lui-même vingt-quatre heures de -réflexion. <span class="sidenote" title="En marge">Il prend toute une journée pour répondre.</span> -Il employa donc vingt-quatre heures, non pas à se combattre -mais à se flatter, à laisser ainsi s'évanouir le moment décisif de -cette négociation, et lui, qui tant de fois avait saisi l'instant -propice sur les champs de bataille, qui avait dû à cette promptitude -de détermination ses plus grands triomphes, allait laisser échapper -sans en profiter le moment politique le plus important de son règne! -Et M. de Bassano, que faisait-il lui-même pendant ces heures fatales? -Que ne passait-il cette nuit aux pieds de son maître, à lui répéter de -vive voix les ardentes, les patriotiques prières de M. de -Caulaincourt! et fallût-il pour le vaincre caresser follement son -orgueil indomptable, fallût-il lui persuader que même après cette -paix, il restait plus puissant que jamais, plus puissant qu'avant -Moscou, M. de Bassano en proférant ces flatteries aurait été un utile, -un patriotique flatteur, et il eût été plus près du vrai qu'en -laissant croire à Napoléon que la gloire consistait à ne jamais céder!</p> - -<p>Mais Napoléon n'entendit rien de pareil, et pendant ces quelques -heures, heures qui emportèrent sa grandeur, et malheureusement la -nôtre, il n'entendit que l'écho de sa propre pensée. -<span class="sidenote" title="En marge">Nuit fatale passée par Napoléon à compulser ses états de -troupes, et à se remplir d'une aveugle confiance.</span> -Après avoir manié -et remanié durant toute la nuit ses états de troupes avec M. de -Bassano, et s'être persuadé qu'il pouvait faire face à tout, il crut -qu'il devait persister dans ses vues, et ne pas accorder à la paix -<span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> un sacrifice de plus. Voici donc les conditions auxquelles il -s'arrêta. Il consentait bien à sacrifier le grand-duché de Varsovie, -comme un essai de Pologne condamné par l'événement, mais il ne voulait -pas, en rendant quelque grandeur à la Prusse, la récompenser de ce -qu'il appelait une trahison. -<span class="sidenote" title="En marge">Modifications que Napoléon apporte aux conditions de M. de -Metternich.</span> -Il admettait qu'on lui accordât la plus -grande partie du duché de Varsovie, la totalité même, si la Russie et -l'Autriche consentaient à faire ce sacrifice pour elle; mais il -voulait la rejeter au delà de l'Oder, lui ôter, pour les attribuer à -la Saxe, le Brandebourg, Berlin, Potsdam, c'est-à-dire son sol natal -et sa gloire, la transporter entre l'Oder et la Vistule, la faire -ainsi une puissance polonaise plutôt qu'allemande, lui laisser le -choix comme capitale entre Varsovie et Kœnigsberg, sans lui donner -Dantzig, qui redeviendrait ville libre. Il voulait à sa place, entre -l'Oder et l'Elbe, mettre la Saxe, et attribuer à celle-ci tout -l'espace qui s'étend de Dresde à Berlin. -<span class="sidenote" title="En marge">Il ne veut céder ni les villes anséatiques, ni le -protectorat de la Confédération du Rhin, ni Trieste.</span> -Quant à Lubeck, Hambourg, -Brême, c'étaient des parties du territoire constitutionnel de -l'Empire, et il ne souffrait pas même qu'on en parlât. Quant au titre -de protecteur de la Confédération du Rhin, c'était à l'entendre -vouloir lui infliger une humiliation que de le lui enlever, puisqu'on -reconnaissait que ce n'était qu'un titre absolument vain. Quant à -l'Illyrie, il était prêt à la rendre à l'Autriche, mais en gardant -l'Istrie, c'est-à-dire Trieste, seule chose que l'Autriche désirât -ardemment. Il prétendait en outre conserver plusieurs positions au -delà des Alpes Juliennes, telles que Villach, Goritz, en un mot tous -les débouchés qui permettaient de descendre <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> en Illyrie, -disant qu'il n'était pas sûr de Venise s'il n'avait pas ces positions, -c'est-à-dire qu'il n'était pas en sûreté dans sa maison s'il n'avait -pas les clefs de la maison d'autrui. À ces conditions il admettait la -paix sans se tenir pour froissé, et consentait à rentrer sur le Rhin -avec ses armées. À d'autres conditions il aimait mieux lutter pendant -des années contre l'Europe entière. Telles furent les propositions qui -sortirent des méditations de cette nuit funeste.</p> - -<p>Toutefois, comme il n'y avait aucune chance que l'Autriche pût obtenir -de ses futurs alliés l'abandon de Berlin par la Prusse, afin de -composer avec la Saxe une fausse Prusse, sans passé, sans consistance, -sans réalité, il autorisa M. de Caulaincourt à renoncer à ce premier -projet s'il n'était pas accueilli, et il consentit à laisser à la -Prusse, outre ce qu'on lui accorderait du duché de Varsovie, tout ce -qu'elle possédait entre l'Oder et l'Elbe, mais en maintenant Dantzig -comme ville libre, mais en ne souffrant pas davantage qu'on parlât de -Lubeck, de Hambourg, de Brême, de la Confédération du Rhin, et enfin -en ne restituant l'Illyrie qu'à condition de retenir l'Istrie, Trieste -surtout, parce que, répétait-il toujours, vouloir Trieste c'était -vouloir Venise.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 10 au matin, Napoléon appelle M. de Bubna pour lui -expliquer ses conditions et le charger de les envoyer à Prague.</span></p> - -<p>Le matin du 10 Napoléon manda auprès de lui M. de Bubna, qui formait -des vœux sincères pour la paix, et qui malheureusement se prêtait -un peu trop aux vues de son puissant interlocuteur dans l'espérance de -l'adoucir. Il lui fit connaître la négociation secrète entamée avec M. -de Metternich, lui communiqua ses états de troupes, lui manifesta -ouvertement <span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> son penchant à faire cette campagne de Saxe, du -résultat de laquelle il se promettait autant de puissance que de -gloire, se montra ce qu'il était, confiant, gai même, inclinant autant -à la guerre qu'à la paix, disposé par conséquent à donner peu de chose -pour que ce fût l'une ou l'autre qui sortît des négociations de -Prague; puis après avoir, sans vain étalage, sans forfanterie, révélé -cette funeste énergie de son âme, il exposa ses conditions, demandant -presque à chacune un assentiment, que M. de Bubna ne pouvait pas -accorder sans doute, mais qu'il ne refusait pas assez péremptoirement -pour dissiper toute espèce d'illusion. Sur deux points notamment, les -villes anséatiques et la Confédération du Rhin, M. de Bubna n'ayant -jamais trouvé sa cour aussi absolue que sur le reste, il parut -faiblir, et Napoléon se figura que, sans subir ces deux conditions qui -lui étaient particulièrement insupportables, il pourrait avoir la -paix, sauf peut-être à abandonner Trieste. Il ne désespéra donc pas -d'une paix conclue sur ces bases, mais en tout cas il en avait pris -son parti, et n'avait nul chagrin de se battre encore; il se disait -même qu'il retrouverait dans une continuation de la guerre, non pas -toute sa gloire, qui était restée entière, mais toute sa puissance, -toute celle qu'il avait ensevelie sous les ruines de Moscou.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le courrier parti le 10 de Dresde ne pouvait arriver que le -11 à Prague.</span> -Après cet entretien il renvoya M. de Bubna, le chargeant d'écrire à -son cabinet dans ce sens, et manda ses dernières résolutions à M. de -Caulaincourt. Le courrier qui les portait ne pouvait arriver que le -11. Napoléon ne se préoccupa guère de ce retard, et attendit la -réponse quelle qu'elle fût, en <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> prenant toutes ses -dispositions pour le renouvellement des hostilités le 17.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Anxiété à Prague pendant la journée du 10.</span> -La journée du 10 s'écoula donc à Prague sans rien apporter de Dresde, -à la grande satisfaction des négociateurs de la Prusse et de la -Russie, à la grande douleur de M. de Caulaincourt, au grand regret de -M. de Metternich, qui, bien qu'il eût pris son parti, ne voyait pas -sans effroi pour l'Autriche la terrible épreuve d'une nouvelle guerre -avec la France. Plusieurs fois dans cette journée il se rendit chez M. -de Caulaincourt, afin de savoir si aucune réponse n'était venue de -Dresde, et chaque fois trouvant M. de Caulaincourt triste et -silencieux parce qu'il n'avait rien à dire, il répéta que passé minuit -il serait non plus arbitre, mais belligérant, réduit par conséquent à -solliciter pour la paix auprès de ses nouveaux alliés, au lieu de -pouvoir la leur imposer modérée et acceptable pour tout le monde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Rien n'étant arrivé dans le délai fixé, M. de Metternich -annonce le 11 que l'Autriche déclare la guerre à la France.</span> -Après avoir vainement attendu pendant toute la journée du 10, M. de -Metternich signa enfin l'adhésion de l'Autriche à la coalition, et -annonça le lendemain 11 au matin à M. de Caulaincourt et à M. de -Narbonne (celui-ci ignorant toujours la négociation secrète), annonça, -disons-nous, avec un chagrin qui frappa tous les yeux, que le congrès -de Prague était dissous, que dès lors l'Autriche, forcée par ses -devoirs envers l'Allemagne et envers elle-même, se voyait contrainte à -déclarer la guerre à la France. Les négociateurs prussien et russe -annoncèrent de leur côté qu'ils se retiraient, en rejetant sur la -France la responsabilité de l'insuccès des négociations, et -quittèrent Prague avec une joie non <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> dissimulée. Du reste -cette joie fut universelle, et excepté M. de Metternich, qui, tout en -les bravant, apercevait les conséquences possibles d'une rupture avec -Napoléon, excepté l'empereur qui avait le cœur serré en songeant à -sa fille, les Autrichiens de toutes les classes manifestèrent des -transports d'enthousiasme. Les passions germaniques qu'ils -partageaient, et qu'on les avait forcés de contenir, éclatèrent sans -mesure, comme elles avaient éclaté à Breslau et à Berlin quelques mois -auparavant.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le courrier attendu le 10 étant arrivé le 11, M. de -Caulaincourt se rend chez M. de Metternich pour lui transmettre les -dernières conditions de Napoléon.</span> -Dans le courant de cette journée du 11 M. de Caulaincourt reçut enfin -le courrier tant souhaité la veille, et en voyant ce qu'il apportait -regretta moins sa tardive arrivée. Bien qu'il ne désespérât pas -d'obtenir quelque concession de la part de M. de Metternich, toutefois -il ne se flattait pas d'en obtenir la translation de la Prusse au delà -de l'Oder, et même cette condition chimérique mise de côté, il ne -croyait pas pouvoir conserver à Napoléon Hambourg, le protectorat de -la Confédération du Rhin, et surtout Trieste. Pourtant en laissant -Trieste à l'Autriche, en convenant pour les villes anséatiques d'un -arrangement suspensif qui ferait dépendre leur restitution de la paix -avec l'Angleterre, il ne regardait pas comme impossible d'amener M. de -Metternich aux propositions de la France. -<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich, même en admettant que ces conditions -puissent être convenablement modifiées, déclare qu'au lieu de les -imposer, il ne peut plus désormais que les proposer aux souverains -alliés.</span> -Il courut donc chez lui, le -trouva triste, ému, désolé de ce qu'on venait si tard, étonné et -mécontent de ce qu'on eût livré à M. de Bubna le secret d'une -négociation qu'on s'était promis de tenir absolument cachée, ne -jugeant pas acceptables les conditions de Napoléon, mais sur -l'indication assez claire qu'elles n'étaient pas irrévocables, -donnant à entendre <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> qu'en étant absolu sur la restitution de -Trieste à l'Autriche, sur le rétablissement de la Prusse jusqu'à -l'Elbe, sur l'abolition du protectorat du Rhin, il serait possible -d'ajourner la question des villes anséatiques à la paix avec -l'Angleterre, ce qui réduisait beaucoup le désagrément de ce sacrifice -pour Napoléon, en le couvrant de l'immense éclat de la paix maritime. -Mais, ajoutait M. de Metternich, ces conditions ainsi modifiées que -nous aurions pu imposer aux parties belligérantes il y a vingt-quatre -heures, ne dépendent plus de nous, et nous sommes réduits à les -proposer sans savoir si nous réussirons à les faire accueillir. -<span class="sidenote" title="En marge">Chagrin visible de M. de Metternich.</span> -M. de -Metternich au surplus était chagrin et agité, car si avec sa rare -portée d'esprit il voyait dans l'occasion présente de fortes chances -de relever sa patrie, il voyait aussi de nombreuses chances de la -perdre en la jetant dans une guerre effroyable. Napoléon, quoique bien -imprudent aux yeux des hommes de sens, restait si grand dans -l'imagination du monde, qu'on le craignait encore profondément, tout -en le jugeant égaré par la passion, et exposé à toutes les fautes que -la passion fait commettre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne quitte Prague, mais M. de Caulaincourt y -reste pour attendre la réponse des souverains coalisés.</span> -Cependant la négociation officielle ne pouvait pas durer, puisque le -congrès était rompu, et que la guerre était officiellement déclarée -par l'Autriche à la France. Les plénipotentiaires russe et prussien -venaient de s'éloigner, et il n'était pas séant que les -plénipotentiaires français demeurassent à Prague. Il fut convenu, si -Napoléon y consentait, qu'on ferait partir M. de Narbonne seul, en -expliquant le mieux possible à celui-ci son départ isolé, que M. de -Caulaincourt <span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> au contraire resterait pour attendre le résultat -des ouvertures dont M. de Metternich était chargé auprès des -souverains de Prusse et de Russie, lesquels devaient être rendus à -Prague sous deux ou trois jours. Cette prolongation de séjour était -fort désagréable à M. de Caulaincourt, car sa position allait devenir -tout à fait fausse lorsque l'empereur Alexandre étant à Prague, il se -trouverait dans la même ville sans le voir. Mais tout ce qui laissait -une chance à la paix lui paraissait supportable, même désirable, et il -consentit volontiers à rester. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles instances de M. de Caulaincourt auprès de -Napoléon.</span> -En racontant ce qui avait eu lieu entre -lui et le ministre autrichien, il adressa de nouvelles instances à -Napoléon en faveur de la paix, le supplia de continuer cette -négociation, si difficile qu'elle fût devenue depuis qu'elle se -passait non plus avec l'Autriche seule, mais avec toutes les -puissances belligérantes, le pressa de lui donner quelque latitude -pour traiter, et de lui envoyer surtout des pouvoirs authentiques pour -signer, car dans cet instant suprême, le moindre défaut de forme -pouvait être pris pour un nouveau faux-fuyant, et lui valoir un congé -définitif. Tout ce qu'un honnête homme, un bon citoyen peuvent dire à -un souverain afin de lui épargner une faute mortelle, M. de -Caulaincourt le répéta encore à Napoléon, dans un langage aussi ferme -que soumis et dévoué.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon peu surpris et peu affligé de ce qui est arrivé, -autorise M. de Caulaincourt à attendre à Prague, sans lui envoyer -aucune facilité pour traiter.</span> -Ces communications envoyées à Dresde, trouvèrent Napoléon tout préparé -à la guerre, et aussi peu affligé que peu surpris de la rupture du -congrès. Le jour même où l'Autriche avait déclaré le congrès dissous -avant d'avoir été réuni, et annoncé son adhésion <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> à la -coalition, l'armistice avait été dénoncé par les commissaires des -puissances belligérantes, ce qui fixait au 17 août la reprise des -hostilités. La possibilité de renouer par des voies secrètes des -négociations rompues d'une manière si éclatante, était presque nulle, -et Napoléon se conduisit comme s'il n'y comptait pas du tout. Il -prescrivit à M. de Narbonne de revenir à l'instant même de Prague, car -ce diplomate étant à la fois plénipotentiaire au congrès et -ambassadeur auprès de la cour d'Autriche, ne pouvait pas figurer plus -longtemps auprès d'une cour qui venait de déclarer la guerre à la -France. Il autorisa M. de Caulaincourt à demeurer à Prague, non pas -dans la ville même, mais dans les environs, afin que cet ancien -ambassadeur de France en Russie ne se trouvât pas dans le même lieu -que l'empereur Alexandre, dont il ne fallait pas, disait-il, <cite>orner le -triomphe</cite>, triomphe, hélas! que nous lui avions ménagé nous-mêmes par -une obstination aveugle; il consentit à ce que ses dernières -propositions fussent transmises à la Prusse et à la Russie, non pas en -son nom, mais au nom de l'Autriche, qui les présenterait comme -siennes, car, pour lui, il ne jugeait pas, ajoutait-il, de sa dignité -de rien proposer aux puissances belligérantes. Il envoya à M. de -Caulaincourt des pouvoirs en forme, mais aucune latitude pour traiter, -ses conditions étant invariables à l'égard des villes anséatiques, du -protectorat du Rhin, et même de Trieste, qu'il voulait retenir en -restituant l'Illyrie à l'Autriche. C'étaient là de bien faibles -chances d'aboutir à la paix, l'Autriche ne pouvant admettre de -pareilles conditions, <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> et le voulût-elle, ne pouvant plus -jeter dans la balance le poids décisif de son épée, depuis qu'on lui -avait laissé, malgré ses avis répétés, le temps de s'engager à la -coalition.</p> - -<p>Mais toutes ces raisons ne touchaient guère Napoléon. Les instances de -M. de Caulaincourt n'avaient produit sur lui aucune impression. Il -respectait le caractère, la franchise de ce personnage, le traitait -avec plus de considération que M. de Bassano, mais l'écoutait peu, -parce qu'il le savait dans de tout autres idées que les siennes. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dispose tout pour recommencer vivement la guerre.</span> -Il venait de faire célébrer le 10 août sa fête ordinairement fixée au 15, -avait donné des festins à toute l'armée, distribué des prix nombreux -pour le tir, et écarté autant que possible les sinistres images de -mort de l'esprit de ses soldats si faciles à distraire et à égayer. -<span class="sidenote" title="En marge">Progrès de ses armements.</span> -Ses corps d'armée étaient tout préparés, et dès le 11 ils avaient -commencé à sortir de leurs cantonnements pour se concentrer sous leurs -chefs, et se porter sur la ligne où ils étaient appelés à combattre. -Les anciens corps étaient reposés, recrutés et complétés. Les nouveaux -venaient d'achever leur organisation. La cavalerie quoique jeune était -redevenue belle, et même nombreuse. Les travaux de Kœnigstein et de -Lilienstein, de Dresde, de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg, de -Werben, de Hambourg, étaient terminés ou bien près de l'être. Les -vastes approvisionnements qui avaient dû remonter par l'Elbe de -Hambourg sur Magdebourg, de Magdebourg sur Dresde, étaient déjà réunis -sur les points où l'on en avait besoin. Dresde regorgeait de grains, -de farines, de spiritueux, de viande fraîche et salée. Tous les -convois <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> avaient été accélérés, et les ordres étaient donnés -pour que le 15 il n'y eût ni une voiture de roulage sur les routes -d'Allemagne, ni un bateau sur l'Elbe, afin que les Cosaques ne -trouvassent rien à enlever, et ne pussent <em>piller que le pays</em>, ainsi -que Napoléon l'écrivait au maréchal Davout. Lui-même se disposait à -partir le 15 ou le 16 août pour se rendre en Silésie et sur la -frontière de Bohême, où il s'attendait à voir commencer les -hostilités. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordres pour qu'on soit partout en mesure à la reprise des -hostilités.</span> -Du reste il ne laissa de doute à personne sur le -renouvellement de la guerre. Il écrivit à Dantzig au général Rapp pour -l'encourager, le rassurer sur l'issue de cette nouvelle lutte, lui -conférer des pouvoirs extraordinaires, lui recommander de ne jamais -rendre la place, et lui promettre de le débloquer prochainement. Il en -fit autant à l'égard des commandants de Glogau, de Custrin et de -Stettin. Il écrivit au maréchal Davout à Hambourg, au général Lemarois -à Magdebourg, qu'ils eussent à se tenir sur leurs gardes, que la -guerre allait recommencer, qu'elle serait terrible, mais qu'il était -en mesure de faire face à tous ses ennemis, l'Autriche comprise, et -qu'il espérait avant trois mois les punir de leurs indignes -propositions. À personne il ne dit, parce qu'il ne l'aurait pas osé, à -quoi avait tenu la paix; il n'en informa pas même le chef véritable du -gouvernement de la régence, l'archichancelier Cambacérès, et se -contenta de lui mander que bientôt on lui ferait connaître les -exigences de l'Autriche, que pour le moment on était obligé d'en -garder le secret, mais qu'elles avaient été excessives jusqu'à en -devenir offensantes. Respectant un peu moins le duc de <span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> -Rovigo, Napoléon hasarda un véritable mensonge avec lui, et osa lui -écrire qu'on avait voulu nous ôter Venise, se fondant apparemment sur -son thème ordinaire, que demander Trieste c'était demander Venise, -comme si on prétendait que demander Magdebourg, c'est demander -Mayence, parce que l'une est sur le chemin de l'autre. Ne voulant pas -qu'on inquiétât l'Impératrice, il prescrivit à l'archichancelier de la -faire partir pour Cherbourg, afin qu'elle n'apprît la rupture et la -reprise des hostilités qu'après quelque grande bataille gagnée, et les -plus gros dangers passés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Murat à Dresde.</span> -En ce moment parut à Dresde l'un des lieutenants de Napoléon les plus -utiles un jour de bataille, et doublement désirable dans les -circonstances présentes, sous le rapport de la guerre et de la -politique; c'était le roi de Naples. Outre que la cavalerie de -réserve, pouvant présenter trente mille cavaliers en ligne, avait -besoin d'être commandée par un chef d'un mérite supérieur, c'était un -vrai soulagement pour Napoléon, un grand motif de sécurité, que -d'avoir tiré Murat d'Italie. On a vu que, fatigué du joug de Napoléon, -blessé de ses traitements offensants, alarmé sur le sort de la -dynastie impériale, Murat avait songé à se rattacher à l'Autriche et à -la politique médiatrice de cette puissance, afin de sauver son trône -d'un désastre général, et que se défiant même de sa femme, il avait -fini par se cacher d'elle, et par tomber dans des agitations -maladives. On a vu encore que Napoléon pour compléter l'armée -d'Italie, et pour mettre la cour de Naples à l'épreuve, lui avait -demandé une division de ses troupes, et <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> que Murat, en -intrigue avec l'Autriche, voulant garder d'ailleurs son armée tout -entière sous sa main, s'était refusé aux désirs de son beau-frère. -Mais avec ses manières accoutumées, Napoléon avait fait sommer Murat -par le ministre de France M. Durand de Mareuil, d'obtempérer à ses -réquisitions sous peine de la guerre. Murat alors ne sachant plus à -quel parti s'arrêter, tantôt voyant Napoléon battu, détruit, tous les -trônes des Bonaparte renversés, excepté peut-être les trônes de ceux -qui auraient opéré leur défection à temps, tantôt le voyant vainqueur -à Lutzen, à Bautzen et ailleurs, désarmant l'Europe par la victoire et -par les concessions, sacrifiant à la paix l'Espagne et Naples au -besoin, était tombé dans un véritable état de folie, lorsque les -conseils de sa femme, et les lettres du duc d'Otrante, avec lequel il -avait été plus d'une fois en intrigue secrète, l'avaient déterminé à -obéir. Mais ne voulant pas que la réconciliation une fois qu'il s'y -décidait eût lieu à moitié, il était venu se mettre à la tête de la -cavalerie de la grande armée, et était arrivé à Dresde la veille de -l'entrée en campagne. Napoléon l'accueillit avec bonne grâce, feignant -de ne pas s'apercevoir de ce qui s'était passé, paraissant n'attacher -aucune importance aux variations d'un beau-frère aussi brave -qu'inconséquent, pardonnant en un mot, mais avec une certaine marque -de dédain que Murat discernait bien, et sentait sans le dire.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon part le 15 août pour Bautzen.</span> -Il l'emmena donc avec lui, et partit dans la nuit du 15 au 16 août -pour Bautzen, afin d'être aux avant-postes vingt-quatre heures avant -la reprise des hostilités, et ne conservant évidemment aucune -espérance <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> de voir la paix résulter des efforts réunis de MM. -de Caulaincourt et de Metternich. -<span class="sidenote" title="En marge">Vague et faible espérance de paix conservée par M. de -Caulaincourt à Prague.</span> -L'espérance était bien faible en -effet, tant à cause des conditions elles-mêmes que du temps si -tristement perdu. M. de Caulaincourt immédiatement après avoir reçu -les dernières communications de Dresde, et avoir donné quelques -prétextes à M. de Narbonne afin d'expliquer la prolongation de son -séjour à Prague, s'était rendu auprès de M. de Metternich pour lui -montrer ses pouvoirs, pour lui fournir ainsi la preuve qu'il était -autorisé à négocier sérieusement, à la condition toutefois de -présenter au nom de l'Autriche et non pas au nom de la France les -propositions qu'il s'agissait de faire adopter. Quant au fond des -choses, il ne pouvait pas offrir grande satisfaction, puisque Napoléon -avait à peu près persisté dans toutes ses prétentions. -<span class="sidenote" title="En marge">Les dernières conditions un peu modifiées auraient -peut-être décidé l'Autriche à la paix, si elle n'avait pas été engagée -à dater du 11 août.</span> -Néanmoins si l'Autriche eût encore été libre, elle eût peut-être admis les -conditions françaises, car recouvrant l'Illyrie, recouvrant en outre -la part de la Gallicie qu'on lui avait prise pour constituer le -grand-duché de Varsovie, obtenant une espèce de reconstitution de la -Prusse au moyen de la dissolution de ce grand-duché, étant débarrassée -elle et ses alliés du fantôme de Pologne que depuis quelques années -Napoléon avait toujours tenu sous les yeux des anciens copartageants, -elle aurait probablement pensé que c'était assez tirer des -circonstances, et elle n'eût pas bravé les chances de la guerre pour -Trieste, et surtout pour Hambourg, qui intéressait la Prusse et -l'Angleterre beaucoup plus qu'elle-même. Malheureusement elle n'était -plus libre, et ne voulant pas manquer <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> de parole à ses -nouveaux alliés, elle ne pouvait que leur adresser des conseils, sans -avoir pour les décider le moyen de leur refuser son alliance, accordée -depuis le 10 août à minuit. M. de Metternich, en disant plus qu'il -n'en avait jamais dit, depuis que ses confidences étaient sans -inconvénients, avoua au duc de Vicence que ces conditions un peu -modifiées auraient vraisemblablement amené la paix, huit jours -auparavant, mais que maintenant dépendant d'autrui, ne pouvant rien -sans ses alliés, il désespérait de les leur faire accepter. Il parla -des passions qui les animaient, des espérances qu'ils avaient conçues, -de l'effet produit sur eux par la bataille de Vittoria, et à l'émotion -qu'il éprouvait, il était aisé de voir qu'il était sincère dans ses -regrets. En effet, pour l'Angleterre protégée par la mer, pour la -Russie protégée par la distance, la lutte après tout ne pouvait pas -avoir de conséquences mortelles, mais pour la Prusse et l'Autriche que -rien ne garantissait des coups de Napoléon, et qui avaient passé avec -lui de l'alliance à la guerre, la lutte pouvait amener des résultats -désastreux, et M. de Metternich sentait bien que, quelque raison qu'il -eût d'essayer en cette occasion de refaire la situation de son pays, -on l'accablerait de sanglants reproches si Napoléon était vainqueur. -Il est donc très-présumable, que libre encore il eût, sauf quelques -différences, accepté les conditions proposées, et il était visible -qu'en perdant le temps avec une déplorable obstination, on s'était -plus nui peut-être qu'en persistant dans des prétentions excessives.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt se retire au château de Kœnigsal pour -y attendre le résultat des ouvertures dont M. de Metternich est -chargé.</span> -Quoi qu'il en soit, on convint que dès l'arrivée de <span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> -l'empereur Alexandre et du roi de Prusse à Prague, M. de Metternich -leur ferait pour le compte de son maître les ouvertures dont il vient -d'être question, et qu'il donnerait la réponse avant le 17 août. Pour -rendre convenable la position de M. le duc de Vicence, auquel on ne -manqua jamais de témoigner les égards dont il était digne, il fut -décidé qu'il irait attendre la réponse de M. de Metternich au château -de Kœnigsal, situé près de Prague, et appartenant à l'empereur -François. Il serait ainsi dispensé de se trouver dans le même lieu que -l'empereur Alexandre, et dispensé aussi d'assister à toute la joie des -coalisés, qui accueillaient avec transport la nouvelle des prochaines -hostilités et de l'adhésion de l'Autriche à la coalition européenne.</p> - -<p>Déjà depuis le 11 août une partie des états-majors prussien et russe -était accourue à Prague pour concerter les opérations militaires avec -l'état-major autrichien; une armée de plus de cent mille hommes, -Prussiens et Russes, entrait en Bohême pour se réunir à l'armée -autrichienne; les officiers des trois armées s'embrassaient, se -félicitaient de combattre ensemble pour contribuer à ce qu'ils -appelaient la commune délivrance, et partout éclatait une joie pour -ainsi dire convulsive, car elle était un mélange d'espérance, de -crainte et de résolution désespérée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 15 août de l'empereur Alexandre à Prague.</span> -Le 15 l'empereur Alexandre fit son entrée dans Prague et y fut reçu -avec les honneurs dus à son rang et au rôle de libérateur de l'Europe -que tout le monde lui attribuait alors, excepté toutefois le -gouvernement autrichien, assez offusqué de ces témoignages -enthousiastes, et peu disposé à échanger la <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> domination de la -France contre celle de la Russie. Dès que ce monarque fut rendu à -Prague, et avant que le roi de Prusse y fût arrivé, M. de Metternich -et l'empereur François lui firent connaître le secret de la -négociation clandestine, qui avait pris naissance à côté de la -négociation officielle dans les derniers jours du congrès de Prague, -et lui demandèrent son avis. Parler paix dans ce moment n'était guère -de saison. Alexandre était enivré d'espérance depuis la bataille de -Vittoria, et surtout depuis l'adhésion de l'Autriche. Peut-être même -sans cette puissance il se serait flatté de pouvoir soutenir la lutte, -ayant reçu dans les deux derniers mois de nombreux renforts, et la -Prusse, elle aussi, ayant fort augmenté ses armements. Mais, avec -l'Autriche de plus, avec les nouvelles que les Anglais mandaient de -leurs progrès en Espagne, de leur prochaine entrée en France, il ne -doutait pas d'être bientôt vainqueur de Napoléon, et de le remplacer -en Europe! <span class="sidenote" title="En marge">Exaltation d'esprit de ce monarque.</span> -La tête de ce jeune monarque était dans un état -d'incandescence extraordinaire, et pour atteindre au terme de cette -ambition, il n'était ni dangers qu'il ne fût résolu à braver, ni -caresses qu'il ne fût disposé à prodiguer à ses associés anciens et -nouveaux. Il était en effet plein de soins, de déférence apparente -pour tous, et, loin de se grandir, il affectait au contraire de se -montrer moins grand, moins puissant qu'il n'était, de peur d'offusquer -et de déplaire. -<span class="sidenote" title="En marge">Il ne veut plus de la paix.</span> -Avec beaucoup de respect et de condescendance pour -l'empereur François, et sans afficher l'intention de détrôner -Napoléon, c'est-à-dire Marie-Louise, il manifesta l'espérance de -conquérir <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> bientôt par la guerre des conditions meilleures, et -une indépendance de l'Allemagne infiniment mieux garantie. Il avait -d'ailleurs une raison toute-puissante à faire valoir auprès de -l'Autriche, c'est que sans l'abandon des villes anséatiques il serait -impossible d'obtenir l'adhésion de l'Angleterre à laquelle on était -étroitement lié, et il avait de plus un appât bien séduisant à faire -briller à ses yeux, c'était la possibilité si on était victorieux, de -lui restituer une partie de l'Italie. -<span class="sidenote" title="En marge">Réponse officielle qu'il fait adresser aux dernières -propositions de Napoléon.</span> -En conséquence, sans attendre -l'arrivée du roi de Prusse, Alexandre fit répondre par écrit, et par -l'intermédiaire de M. de Metternich à M. de Caulaincourt, que Leurs -Majestés les souverains alliés, après en avoir conféré entre eux, -pensant <cite>que toute idée de paix véritable était inséparable de la -pacification générale que Leurs Majestés s'étaient flattées de -préparer par les négociations de Prague, elles n'avaient pas trouvé -dans les articles que proposait maintenant Sa Majesté l'Empereur -Napoléon des conditions qui pussent faire atteindre au grand but -qu'elles avaient en vue, et que par conséquent Leurs Majestés -jugeaient les conditions inadmissibles</cite>. C'était dire assez clairement -qu'on regardait ces conditions comme tout à fait inacceptables par -l'Angleterre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt quitte Prague définitivement pour aller -rejoindre Napoléon.</span> -M. de Bender, employé de la légation autrichienne, fut chargé de -porter lui-même cette réponse à M. de Caulaincourt au château de -Kœnigsal, et de la lui remettre par écrit. Quoique s'y attendant, -M. de Caulaincourt en fut cependant consterné, car dans son bon sens, -dans son noble patriotisme, il n'augurait que de grands malheurs de -la continuation de cette guerre. Il fit ses préparatifs <span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> de -départ, vit une dernière fois M. de Metternich, avec lequel il -échangea de nouveaux et inutiles regrets, convint avec lui qu'on -pourrait ouvrir un congrès afin de négocier en se battant, faible -espérance qui laissait la chance pour les uns ou pour les autres de -signer après un affreux duel sa propre destruction, puis il alla -rejoindre Napoléon en Lusace. <span class="sidenote" title="En marge">Ses regrets et son chagrin.</span> -Le cœur plein d'une sorte de -désespoir, il écrivit à M. de Bassano pour lui exprimer en un langage -haut et amer le déplaisir d'avoir été employé à une négociation -illusoire, et, arrivé auprès de Napoléon, il lui témoigna, avec un -respect grave, mais avec une conviction ferme, la douleur qu'il -éprouvait d'avoir vu négliger cette occasion unique de conclure la -paix. Napoléon d'une façon assez légère essaya de le consoler de cette -occasion manquée, promettant de lui en fournir bientôt une plus belle, -et lui rendit ses fonctions qui nominalement étaient celles de grand -écuyer, mais qui devenaient, depuis la mort du maréchal Duroc, tantôt -celles de grand maréchal, tantôt même celles de ministre des affaires -étrangères et d'ambassadeur extraordinaire. Les honneurs pouvaient -toucher ce grand cœur, sensible assurément aux faveurs de cour, -mais ne pouvaient à aucun degré lui faire oublier les infortunes de -son pays.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractère général, et suite inévitable de la conduite tenue -envers l'Autriche.</span> -Telle fut cette célèbre et malheureuse négociation avec l'Autriche, -commencée, conduite sous l'empire des plus funestes illusions, et avec -une maladresse que les passions seules peuvent expliquer chez un -esprit aussi pénétrant que celui de Napoléon. Comme nous l'avons dit, -comme l'avaient soutenu MM. de <span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> Caulaincourt, de Talleyrand, -de Cambacérès, lors du conseil tenu aux Tuileries, il fallait ou -annuler l'Autriche dans cette occasion, l'essayer au moins en la -comblant d'égards, en affectant de ne pas vouloir l'engager dans une -guerre qui lui était étrangère, et surtout en ne lui demandant aucune -portion de ses forces, pour ne pas lui fournir soi-même un prétexte -d'armer; ou bien, si on la pressait d'entrer plus avant dans les -événements, si on lui fournissait par là un motif spécieux d'augmenter -ses forces, si on la conduisait pour ainsi dire par la main au rôle de -médiatrice, il fallait prévoir ses désirs qui naissaient de sa -situation même, et se résigner à les satisfaire, ce qui après tout -n'aurait pas été très-coûteux. Mais la pousser à prendre son épée, et -se figurer qu'elle l'emploierait pour nous et non pour elle, à notre -gré et non au sien, était le comble des illusions, de ces illusions -que les grands esprits se font aussi bien que les plus petits, -lorsqu'ils ont besoin de se tromper eux-mêmes. Si à cette faute on -joint celle d'avoir signé l'armistice de Pleiswitz avant d'avoir -rejeté les coalisés sur la Vistule et loin des Autrichiens, seconde -faute qui tenait, comme on l'a vu, à ce même désir obstiné d'échapper -aux conditions de la cour de Vienne, on a les vraies causes qui firent -aboutir à un si fatal dénoûment les événements d'abord si heureux du -printemps de 1813.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Reprise des hostilités sur toute la ligne de l'Elbe, depuis -Kœnigstein jusqu'à Hambourg.</span> -Du reste le canon retentissait déjà sur une ligne de cent cinquante -lieues, depuis Kœnigstein jusqu'à Hambourg, et Napoléon, excité par -le bruit des armes, avait bientôt oublié les allées et venues, les -dits et redits des diplomates, pour ne songer qu'aux <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> vastes -desseins militaires desquels il attendait les plus grands résultats. -Le moment est venu de faire connaître son plan et ses forces pour -cette seconde partie de la campagne de Saxe. Mais afin de les mieux -comprendre, il faut d'abord se rendre compte du plan et des forces de -nos ennemis.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Plan et forces des coalisés.</span> -On se souvient qu'à Trachenberg il avait été convenu par les coalisés, -que trois armées principales marcheraient contre Napoléon, qu'elles -agiraient offensivement toutes les trois, mais avec précaution, afin -d'éviter les échauffourées; que dans cette vue, celle des trois sur -laquelle se dirigerait Napoléon ralentirait le pas, tandis que les -deux autres tâcheraient de se jeter sur ses flancs et ses derrières, -et d'accabler ainsi les lieutenants qu'il aurait chargés de les -garder. -<span class="sidenote" title="En marge">Les trois grandes armées actives de Bohême, de Silésie et -du nord.</span> -Ces trois armées devaient être celles de Bohême, de Silésie, -du nord, qu'on espérait avec les corps d'Italie et de Bavière porter à -575 mille hommes de troupes actives, traînant 1,500 bouches à feu, -sans compter 250 mille hommes en réserve, répandus dans la Bohême, la -Pologne, la Vieille-Prusse. On était en effet à peu près arrivé à ces -chiffres énormes pendant la durée de l'armistice, qui n'avait pas -moins profité à la coalition qu'à Napoléon, car les Russes avaient -reçu leurs renforts et leur matériel, que dans la précipitation de -leur marche d'hiver ils n'avaient pas eu le temps d'amener; les -Prussiens avaient également eu le loisir d'armer et d'instruire leurs -innombrables volontaires, et l'Autriche enfin avait organisé son armée -qui existait à peine sur le papier au mois de janvier, de sorte -qu'indépendamment de l'avantage politique de <span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> décider -l'Autriche, l'armistice de Pleiswitz avait eu encore pour les coalisés -celui de doubler en nombre les troupes qu'ils allaient nous opposer.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée de Bohême, et sa force.</span> -Les forces de la coalition avaient été ainsi réparties. Cent vingt -mille Autrichiens environ, dont moitié d'anciens soldats, se -trouvaient en Bohême, rangés au pied des montagnes qui séparent cette -province de la Saxe, et tout prêts à en franchir les défilés. -Soixante-dix mille Russes sous Barclay de Tolly, 60 mille Prussiens -sous le général Kleist, avaient attendu la déclaration de l'Autriche -pour passer de Silésie en Bohême, et venir former avec les Autrichiens -la grande armée destinée à tourner la position de Dresde, par une -marche en Saxe. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Le point de mire de cette -armée, dite de Bohême, était Leipzig, et les coalisés ne comprenaient -pas que Napoléon, abordé de front sur l'Elbe par deux autres armées, -pût tenir à une attaque aussi formidable que celle qu'on lui préparait -sur ses derrières avec 250 mille hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette armée est commandée par le prince de Schwarzenberg.</span> -Par déférence pour -l'Autriche, et pour la décider par tous les moyens imaginables, ceux -de la flatterie compris, on avait décerné le commandement supérieur de -l'armée de Bohême au prince de Schwarzenberg, qui avait négocié en -qualité d'ambassadeur le mariage de Marie-Louise, qui avait commandé -le corps autrichien auxiliaire en 1812, et venait tout récemment -d'être envoyé à Paris. Ces rôles si contradictoires causaient quelque -embarras à ce personnage, qui devait à Napoléon le bâton de maréchal -sans l'avoir mérité, et était appelé à le mériter contre celui même -qui le lui avait fait obtenir. <span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> Il éprouvait aussi une -singulière crainte de se trouver en présence d'un adversaire tel que -Napoléon, bien qu'il eût beaucoup parlé dans le conseil aulique de -l'affaiblissement de l'armée française, et comme d'usage il se -consolait d'une situation fausse par les vives jouissances de -l'orgueil satisfait. C'était effectivement un honneur insigne pour lui -que d'exercer un si vaste commandement sous les yeux des souverains -coalisés, et il n'en était pas indigne à certains égards, car il était -sage, avait quelque entente de la grande guerre, et possédait un -savoir-vivre qui le rendait propre à manier les caractères si divers -dont se composait la coalition. À cette flatterie envers l'Autriche on -avait ajouté un genre de soins non moins capable de la toucher. Par un -article secret du traité de subsides conclu avec le gouvernement -britannique à Reichenbach, on était convenu qu'il lui serait alloué un -secours pécuniaire, dans le cas où elle prendrait part à la guerre, et -lord Cathcart, arrivé à Prague, avait déjà émis des lettres de change -sur Londres, pour lui procurer le plus tôt possible les ressources -financières dont elle avait besoin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée de Silésie commandée par Blucher.</span> -Après cette armée principale venait celle de Silésie. Elle se -composait des corps russes des généraux Langeron et Saint-Priest, -forts ensemble de plus de 40 mille hommes, du corps prussien du -général d'York qui en comptait 38 mille à peu près, enfin d'un autre -corps russe, celui du général Sacken, comprenant de 17 à 18 mille -hommes. Le tout présentait une masse totale de près de cent mille -combattants. L'impétueux Blucher était à la tête de cette armée. Elle -devait franchir la limite qui en Silésie avait séparé <span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> les -troupes belligérantes pendant l'armistice, passer la Katzbach, le -Bober, et nous ramener même sur Bautzen, si Napoléon n'était pas de ce -côté. On avait fort recommandé à Blucher la prudence, mais entouré des -officiers prussiens les plus ardents, ayant pour chef d'état-major, au -lieu du général Scharnhorst mort de ses blessures, le général -Gneisenau, officier spirituel, agissant toujours de premier mouvement, -il n'avait à ses côtés personne qui pût lui rappeler ces sages -instructions.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée du nord; sa composition, sa distribution sous le -prince royal de Suède.</span> -L'armée du nord réunie autour de Berlin était la troisième des armées -actives, et celle que devait commander le prince royal de Suède. Forte -d'environ 150 mille hommes de toutes nations, elle comprenait 25 mille -Suédois et Allemands, sous le général Steding, 18 mille Russes sous le -prince Woronzow, 10 mille coureurs Cosaques ou autres sous -Wintzingerode, 40 mille Prussiens sous le général Bulow, 30 mille -autres Prussiens sous le général Tauenzien, ceux-ci particulièrement -destinés au blocus des places, enfin un mélange d'Anglais, de -Hanovriens, d'Allemands, d'Anséates, d'insurgés de toutes les -provinces soumises à notre domination, lesquels formaient 25 mille -hommes sous le général Walmoden. Une partie de cette nombreuse armée -devait rester devant les places de Dantzig, de Custrin, de Stettin, -une autre partie observer Hambourg, une troisième, la plus -considérable, forte de 80 mille hommes, se diriger sur Magdebourg, y -passer l'Elbe si elle pouvait, et menacer Napoléon par son flanc -gauche, tandis que la grande armée de Bohême le menacerait par son -flanc droit. On <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> espérait qu'en marchant concentriquement sur -lui, s'arrêtant quand il se jetterait sur l'une des trois armées, mais -s'avançant vers le point qu'il aurait abandonné de sa personne, et -chaque fois essayant de gagner un peu de terrain, on finirait par le -serrer toujours de plus près, et par trouver peut-être une occasion de -l'aborder tous ensemble afin de l'accabler sous une masse de forces -écrasante.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armées secondaires en Bavière et en Italie.</span> -À ces trois armées actives comprenant 500 mille hommes, et traînant -1,500 bouches à feu, on avait ajouté un rassemblement de 25 mille -hommes, destiné à observer la Bavière, et un de 50 mille chargé de -tenir tête au prince Eugène du côté de l'Italie. Du reste l'Autriche -s'attendant à tout, mais n'attachant aucune importance à ce qui se -passerait dans cette région, avait fait sortir de Vienne ce qu'il y -avait de précieux en archives, armes, objets d'art. Elle croyait avec -raison que le sort du monde se déciderait sur l'Elbe, entre Dresde, -Bautzen, Magdebourg, Leipzig, et se résignait à voir, ce qui était peu -probable, le prince Eugène à Vienne, plutôt que de détourner ses -forces du véritable théâtre de la guerre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Armées de réserve.</span> -Ces deux armées de Bavière et d'Italie portaient donc à 575 mille -hommes les forces actives de la coalition. À cette masse il faut -ajouter les réserves. L'Autriche avait 60 mille hommes entre -Presbourg, Vienne et Lintz. La Russie avait en Pologne 50 mille hommes -sous le général Benningsen, 50 mille sous le prince de Labanoff, prêts -les uns et les autres à entrer en ligne lorsque leur intervention -serait nécessaire. La Prusse comptait encore sur environ 90 mille -recrues <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> qui achevaient de s'instruire, ce qui présentait un -dernier fonds de 250 mille hommes, destiné à réparer les pertes que la -guerre ferait éprouver aux troupes engagées les premières. -<span class="sidenote" title="En marge">La coalition n'a pas moins de 800 mille hommes sous les -armes.</span> -Bien que -les marches dussent bientôt éclaircir les rangs de ces nombreuses -armées, il faut dire cependant que ces 800 et quelques mille hommes -étaient tous présents au drapeau, et que c'était à cette force -immense, non pas nominale mais réelle, que Napoléon aurait bientôt -affaire. Jamais encore dans l'histoire on n'avait vu de pareilles -quantités de soldats mises en mouvement, et jamais du reste le motif, -pour la coalition du moins, ne l'avait autant mérité.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">C'est l'armistice de Pleiswitz qui lui avait procuré ces -forces immenses.</span> -C'est maintenant qu'on peut juger à quel point Napoléon s'était trompé -en acceptant l'armistice de Pleiswitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Illusions de Napoléon qui avait cru que l'armistice de -Pleiswitz ne profiterait qu'à lui.</span> -Il l'avait signé pour deux -raisons, avons-nous dit, pour se soustraire aux pressantes instances -de l'Autriche, relativement à la paix, et parce qu'habitué à ne -trouver d'actif que lui-même, ne comprenant pas les miracles que la -passion pouvait produire chez ses adversaires, il croyait que pendant -ces deux mois il arriverait deux cent mille hommes peut-être dans ses -rangs, et pas la moitié dans les rangs de ses adversaires. Le -contraire avait eu lieu, car, ainsi qu'on va le voir, il n'avait guère -ajouté plus de 150 mille hommes à ses troupes (sans compter il est -vrai le surcroît de valeur morale qu'elles devaient à deux mois -d'instruction et de repos), et la coalition en avait ajouté bien près -de quatre cent mille, en y comprenant les forces de l'Autriche. Le -calcul n'avait donc pas été juste. -<span class="sidenote" title="En marge">Vaste et beau plan de campagne de Napoléon.</span> -Toutefois Napoléon n'en avait pas -moins employé ces deux mois avec une admirable <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> activité, et -ses plans étaient d'une habileté à déjouer tous ceux de ses -adversaires.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises sur tout le cours de l'Elbe, de -Kœnigstein à Hambourg.</span> -La position de l'Elbe, comme nous l'avons dit, quoique facile à -tourner en débouchant de la Bohême sur Leipzig, avait néanmoins été -adoptée par Napoléon comme la meilleure, et même comme la seule -admissible. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28 et 58.) Dresde, aussi bien -fortifié qu'il pouvait l'être depuis qu'on en avait fait sauter les -murailles, devait être son centre d'opération et son principal -établissement. Il y avait ses arsenaux, ses magasins, ses dépôts et -trois ponts. -<span class="sidenote" title="En marge">Kœnigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, -Werben et Hambourg.</span> -À sept ou huit lieues sur sa droite, au point où l'Elbe -perce les montagnes de la Bohême pour pénétrer en Saxe, il possédait -les postes fortifiés de Kœnigstein et de Lilienstein, avec un pont -solide et des magasins, afin de pouvoir manœuvrer à volonté sur les -deux rives du fleuve. Sur sa gauche, à Torgau, quinze lieues -au-dessous de Dresde, il avait des ouvrages, des vivres et des ponts, -de même à Wittenberg et à Magdebourg. Ce dernier point était de plus -une vaste place, régulièrement fortifiée, dans laquelle il avait -déposé, outre de grands amas de munitions et de vivres, tous les -malades et blessés de la campagne du printemps. Le poste improvisé de -Werben comblait la lacune comprise entre Magdebourg et Hambourg, et -Hambourg enfin couvrait le bas Elbe. Il était possible sans doute de -passer l'Elbe entre Magdebourg et Hambourg, à cause de la distance qui -sépare ces deux villes, distance que le poste de Werben remplissait -imparfaitement, mais l'ennemi qui voudrait tenter cette entreprise, -laissant sur ses flancs les <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> deux importantes places de -Hambourg et de Magdebourg, et ayant en tête d'ailleurs un corps -considérable dont on va voir tout à l'heure la position et le rôle, ne -pouvait pas l'essayer, tant que la grande armée placée sous la main de -Napoléon n'aurait pas perdu son point d'appui de Dresde, ce qui -ramenait à Dresde même, où Napoléon commandait en personne, tout le -nœud de l'immense action militaire qui allait s'engager.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces de Napoléon sur cette ligne -défensive.</span> -La ligne de défense étant ainsi établie sur l'Elbe, reste à savoir -comment Napoléon y avait distribué ses forces. Devinant les projets de -l'ennemi comme s'il avait été présent aux conférences de Trachenberg, -il avait parfaitement discerné qu'il aurait trois puissantes armées -sur les bras, une à droite en Bohême, une de front en Silésie, une à -gauche du côté de Berlin, menaçant l'Elbe entre Magdebourg et -Hambourg. Il avait pourvu à ces diverses attaques avec une prévoyance -qui ne laissait rien à désirer. -<span class="sidenote" title="En marge">Position de Saint-Cyr.</span> -Le nouveau corps du maréchal -Saint-Cyr, fort de 30 mille hommes partagés en quatre divisions, et -récemment amené de Mayence à Dresde, avait été placé à Kœnigstein, -en deçà de l'Elbe, c'est-à-dire sur la rive gauche, de manière à -fermer les débouchés par lesquels la grande armée ennemie pouvait -descendre de Bohême en Saxe sur nos derrières. -<span class="sidenote" title="En marge">Position de Vandamme.</span> -Le corps du général -Vandamme fort aussi de 30 mille hommes, détaché de l'armée du maréchal -Davout, et amené de Hambourg à Dresde, avait été placé à la hauteur du -corps de Saint-Cyr, mais au delà de l'Elbe, pour garder sur la droite -du fleuve les défilés des montagnes de Bohême aboutissant en Lusace. -<span class="sidenote" title="En marge">Position de Poniatowski et de Victor.</span> -Un <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> peu plus loin en Lusace, toujours au pied des montagnes de -Bohême, au défilé de Zittau, avaient été postés le corps de -Poniatowski, et celui du maréchal Victor, dont la formation s'était -achevée pendant la suspension d'armes. -<span class="sidenote" title="En marge">Position de Macdonald, Lauriston, Ney et Marmont.</span> -Enfin plus loin encore, -c'est-à-dire en Silésie, sur la ligne frontière de l'armistice, sur la -Katzbach et le Bober, se trouvaient les quatre corps, de Macdonald (le -11<sup>e</sup>), de Lauriston (le 5<sup>e</sup>), de Ney (le 3<sup>e</sup>), de Marmont (le 6<sup>e</sup>), -présentant cent mille hommes à eux quatre. En arrière, près de -Bautzen, se trouvaient la garde impériale, portée pendant l'armistice -de 12 mille hommes à 48 mille, et les trois corps de cavalerie de -réserve des généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, Kellermann, -comprenant 24 mille cavaliers parfaitement montés. -<span class="sidenote" title="En marge">Direction sur Berlin assignée à Oudinot, Bertrand et -Reynier.</span> -À gauche trois -corps, ceux d'Oudinot (le 12<sup>e</sup>), de Bertrand (le 4<sup>e</sup>), de Reynier (le -7<sup>e</sup>), avaient reçu la mission de s'opposer à l'armée du Nord, -commandée par Bernadotte.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Usage que Napoléon se proposait de faire de ces divers -corps, dans toutes les suppositions imaginables.</span> -Ses troupes étant ainsi distribuées, Napoléon avait résolu de parer de -la manière suivante à toutes les éventualités de cette campagne -formidable. L'armée du prince de Schwarzenberg, de beaucoup la plus -nombreuse, celle qui menaçait notre flanc droit par les débouchés de -la Bohême, pouvait descendre par deux issues, une en deçà de l'Elbe, -c'est-à-dire derrière nous par la grande route de Péterswalde, l'autre -au delà, c'est-à-dire devant nous, par la grande route de Bohême en -Lusace passant à Zittau. C'était certainement par l'une de ces deux -issues qu'elle devait faire son apparition. Napoléon était également -prêt dans chacune de ces hypothèses. <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> Le maréchal Saint-Cyr -avec ses quatre divisions occupait en deçà de l'Elbe la chaussée de -Péterswalde. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) <span class="sidenote" title="En marge">Concentration en arrière de Dresde, si l'ennemi débouchait -de la Bohême par la route de Péterswalde.</span> -L'une de ces divisions était de -garde au pont jeté entre les rochers de Kœnigstein et de -Lilienstein, deux autres occupaient le camp de Pirna, sous le feu -duquel passe la grande route de Péterswalde. La quatrième avec la -cavalerie légère du général Pajol, veillait à tous les chemins -secondaires, qui plus en arrière encore, pouvaient prendre Dresde à -revers. Si donc l'ennemi voulait descendre sur les derrières de -Dresde, soit pour attaquer cette ville, soit pour se diriger sur -Leipzig, le maréchal Saint-Cyr après avoir profité de l'avantage des -lieux afin de ralentir la marche des coalisés, devait jeter une -garnison dans les forts de Kœnigstein et de Lilienstein, puis se -replier sur Dresde avec ses quatre divisions. Adossé à cette ville -avec environ 30 mille hommes, y trouvant une garnison de 8 à 10 mille, -que Napoléon avait composée avec des convalescents, des bataillons de -marche, et les gardes d'honneur, il devait s'y défendre dans un camp -retranché laborieusement préparé à l'avance, et y tenir plusieurs -jours sans avoir des prodiges à faire. En tout cas les choses étaient -disposées de manière à lui procurer des secours prompts et décisifs. -Le général Vandamme ayant ses trois divisions au delà de l'Elbe, une à -Stolpen sur le chemin de Zittau, l'autre à Rumbourg près de Zittau -même, la troisième à Bautzen, pouvait en vingt-quatre heures renvoyer -à Dresde celle de ses divisions qui serait à Stolpen, et en -quarante-huit heures amener les deux autres. Ainsi le second jour le -maréchal Saint-Cyr <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> devait être renforcé de 10 mille hommes, -et le troisième de 20 mille, ce qui porterait sa force totale à près -de 70 mille combattants, et à 60 mille au moins établis dans un bon -camp retranché. C'était de quoi le mettre à l'abri de toutes les -attaques. Après deux autres jours, c'est-à-dire après quatre depuis -l'apparition de l'ennemi, Napoléon devait accourir de Gorlitz avec 48 -mille hommes de la garde, 24 mille de la réserve de cavalerie, 24 -mille du corps du maréchal Victor, en ayant laissé à Zittau le corps -de Poniatowski. Ainsi le quatrième jour 170 mille hommes devaient être -sous Dresde, ce qui était bien suffisant, les lieux donnés, pour faire -repentir de leur audace les coalisés qui auraient voulu tourner notre -position, et pour les exposer à ne pas revoir la Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Concentration en avant de Dresde, à Gorlitz et à Lowenberg, -si l'ennemi voulait déboucher de la Bohême en Lusace.</span> -Dans le cas contraire, celui où l'ennemi songerait à descendre de -Bohême en Lusace, non pas en deçà de l'Elbe, mais au delà, non pas -derrière Napoléon mais devant lui, et à déboucher par Zittau sur -Gorlitz ou Bautzen, la même distribution devait amener une aussi -prompte concentration de forces. Napoléon avait résolu de placer au -défilé de Zittau le corps de Poniatowski fort d'une douzaine de mille -hommes, et tout près pour le soutenir le corps du maréchal Victor, ce -qui faisait au moins 36 mille hommes, appuyés sur une forte position, -située au sortir même des montagnes et soigneusement étudiée à -l'avance. En une journée la garde et la cavalerie qui étaient à -Gorlitz, la division de Vandamme qui était à Rumbourg, étaient prêtes -à apporter un secours de 80 mille hommes aux 36 mille postés à -Zittau. Un jour de plus devait par l'arrivée de Vandamme <span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> -avec ses deux autres divisions, par le reploiement de l'un des quatre -corps établis sur le Bober, amener un nouveau secours de 50 mille -hommes. C'étaient encore 170 mille combattants opposés en deux jours à -ce second débouché, et disposés de manière qu'ils pussent se défendre -en attendant leur concentration.</p> - -<p>Telles étaient les précautions prises dans les deux hypothèses les -plus vraisemblables. Si toutefois aucune d'elles ne se réalisait, si -l'armée de Bohême, au lieu de vouloir déboucher si près de Napoléon, -soit en avant de lui, soit en arrière, allait, en laissant un corps en -Bohême, réunir sa masse principale à celle de Silésie, et nous aborder -de front avec 250 mille hommes sur le Bober, pour nous livrer une -immense bataille, les quatre corps de Ney, de Lauriston, de Marmont, -de Macdonald, formant un total de cent mille hommes, pouvaient ou se -défendre sur le Bober, ou se replier sur la Neisse et la Sprée, et s'y -renforcer de 150 mille hommes par leur réunion avec la garde, avec la -réserve de cavalerie, avec Victor, avec Poniatowski, avec Vandamme. On -devait ainsi, sans même toucher à Saint-Cyr, se retrouver en force -égale à celle de l'ennemi dans la troisième supposition, la seule -imaginable après les deux autres. Ajoutez l'avantage dans tous les cas -de la présence de Napoléon, son art de profiter des occurrences, la -presque certitude sous sa direction de gagner une grande bataille à la -première rencontre, et on conçoit qu'il se flattât d'avoir toutes les -chances en sa faveur. Quel capitaine, dans aucun temps, avait calculé -avec cette précision, avec cette <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> universalité de prévoyance, -les mouvements de si vastes masses, opposées à d'autres masses plus -vastes encore!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Hypothèse d'une marche de l'ennemi sur Leipzig.</span> -Restait une seule hypothèse pour laquelle, très-volontairement, nulle -précaution n'avait été prise, c'était celle où les coalisés voulant -tourner Napoléon d'une manière encore plus audacieuse, et au lieu de -descendre immédiatement sur ses derrières par Péterswalde, y -descendant plus loin, c'est-à-dire par la route de Leipzig, -essayeraient hardiment de se placer entre la grande armée et le Rhin. -<span class="sidenote" title="En marge">Invraisemblance de cette hypothèse tant que Napoléon -n'était pas affaibli par plusieurs défaites.</span> -Ceci inquiétait peu Napoléon, et il souriait à cette supposition.--<cite>Ce -n'est pas du Rhin, c'est de l'Elbe</cite>, avait-il dit avec une rare -profondeur, <cite>qu'il m'importe de n'être pas coupé</cite>. L'ennemi qui -oserait s'avancer entre moi et le Rhin n'en reviendrait plus, tandis -que celui qui réussirait à s'établir entre moi et l'Elbe, me couperait -de ma vraie base d'opération!--Qui aurait eu l'audace en effet de -marcher sur le Rhin, laissant derrière lui Napoléon avec 400 mille -hommes, Napoléon non vaincu! On pouvait loin du champ de bataille -former de pareils rêves, et on les forma effectivement, mais à la -première marche on devait reculer d'épouvante, comme les faits le -prouvèrent bientôt.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Envoi projeté d'un corps français sur Berlin.</span> -Tous les coups étant prévus et parés sur ses derrières, sur sa droite, -sur son front, contre les deux armées de Bohême et de Silésie, -Napoléon avait préparé sur sa gauche une opération importante, en vue -de tenir tête à l'armée du nord, et d'amener un résultat éclatant -auquel il attachait un grand prix, celui d'occuper la capitale de la -Prusse, d'y entrer <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> triomphalement par l'un de ses -lieutenants, de tirer ainsi une vengeance non pas cruelle, mais -humiliante des passions germaniques. Il avait chargé le maréchal -Oudinot avec son corps, avec ceux des généraux Bertrand et Reynier, -avec la cavalerie de réserve du duc de Padoue, de marcher de Luckau -sur Berlin. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28 et 58.) Ces trois corps -d'infanterie, en y joignant une portion de la cavalerie de réserve, -auraient dû s'élever à 70 mille hommes, mais n'en comprenaient en -réalité que de 65 à 66 mille. Ils comptaient à la vérité sur des -renforts considérables. Ils étaient liés à notre principale armée -agissant en avant de Dresde, par le général Corbineau à la tête de 3 -mille chevaux et de 2 mille hommes d'infanterie légère. C'était là un -lien et non un appui; mais plus loin, sur la gauche, c'est-à-dire à la -hauteur de Magdebourg, devait se trouver le général Girard (le même -qui à Lutzen avait si noblement réparé une faute commise en Espagne) -avec un corps de 12 à 15 mille hommes, formé de la division -Dombrowski, et de la partie disponible de la garnison de Magdebourg, -dont nous avons déjà fait connaître l'ingénieuse composition. -<span class="sidenote" title="En marge">Concours du corps mobile de Magdebourg, et du corps du -maréchal Davout au mouvement sur Berlin.</span> -Ce général posté en avant de Magdebourg avec 5 mille hommes de la -division Dombrowski, recrutée et reposée en Hesse, avec 8 ou 10 mille -de la garnison de Magdebourg, devait établir la communication entre le -maréchal Oudinot et le maréchal Davout, et suivre le maréchal Oudinot -dans son mouvement offensif, de manière à porter l'armée de celui-ci à -près de 80 mille hommes. Une masse pareille semblait n'avoir rien à -craindre, ni des talents, ni des <span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> forces du prince royal de -Suède, qui avait dans ses troupes beaucoup de ramassis, qui ne pouvait -pas réunir actuellement plus de 70 mille hommes sur un même champ de -bataille, qui d'ailleurs aurait bientôt à faire face à un redoutable -ennemi de plus, et cet ennemi c'était le maréchal Davout prêt à sortir -de Hambourg avec 25 mille Français, avec 10 mille Danois, et à menacer -Berlin par le Mecklembourg, tandis que le maréchal Oudinot le -menacerait par la Lusace. Il y avait donc les plus grandes chances -pour que le maréchal Oudinot entrât sous peu de jours dans Berlin, y -fût rejoint par le maréchal Davout avec 35 mille hommes, ce qui -placerait sous ce dernier, destiné à commander le tout, une masse de -110 à 115 mille hommes, et suffirait pour déjouer les projets du -prince royal de Suède. Ainsi Napoléon, tandis qu'il tenait tête à -droite et de front aux forces gigantesques de la coalition, devait par -sa gauche pénétrer dans Berlin, y frapper le foyer des passions -germaniques, y punir la Prusse de son abandon, le prince de Suède de -sa trahison, et tendre la main à ses garnisons de l'Oder et de la -Vistule! <span class="sidenote" title="En marge">Seule défectuosité du plan de Napoléon.</span> -C'était là sans doute un début éclatant, et qui avait dû -séduire Napoléon: toutefois le mouvement qu'il ordonnait à sa gauche -était bien allongé, les corps qui devaient y concourir étaient bien -distants les uns des autres, et leur coopération dépendait de beaucoup -de circonstances qui pouvaient n'être pas toutes heureuses. Ses -généraux, sans être moins braves, n'avaient plus cette confiance qui -soutient dans les situations hasardeuses; ses troupes étaient jeunes -et mélangées, et le rassemblement de Bernadotte auquel <span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> elles -avaient affaire, quoique un ramassis lui-même composé de gens de toute -origine, était réuni par le plus puissant des liens, la passion. Enfin -si l'un de ses lieutenants venait à se faire battre, il faudrait aller -très-loin pour lui porter secours. Il est donc vrai qu'en cette partie -seulement l'habile réseau tendu par Napoléon était un peu relâché. -Mais le désir ardent de rentrer dans Berlin, d'avoir sa main toujours -dirigée vers Dantzig, de pouvoir en une bataille gagnée se retrouver -sur la Vistule, avait ici altéré quelque peu la parfaite rectitude de -son jugement militaire, comme la préoccupation de refaire toute sa -grandeur d'un seul coup avait complétement égaré son jugement -politique.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le désir de frapper Berlin et d'empêcher les coalisés de -secourir cette capitale avait porté Napoléon à trop étendre le rayon -de ses manœuvres concentriques.</span> -Cette défectuosité en avait entraîné une autre dans la partie de son -plan que nous avons déjà retracée, et qui était la plus fortement -conçue. Il avait en effet trop éloigné de Dresde les quatre corps qui -gardaient son front en avant de l'Elbe. Des bords du Bober, où étaient -postés les corps de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, aux -bords de l'Elbe, c'est-à-dire de Lowenberg à Dresde, il y avait six -jours de marche. (Voir la carte n<sup>o</sup> 36.) C'était beaucoup trop pour -que Napoléon, avec sa réserve, eût le temps de secourir les corps qui -étaient à Lowenberg, ou ceux qui étaient à Dresde. Tant qu'il pouvait -se tenir entre deux, soit à Gorlitz, soit à Bautzen, il n'y avait pas -de danger, car en moins de trois jours il lui était facile de se -porter à Lowenberg, ou de rétrograder sur Dresde, et d'être présent -ainsi partout où il serait nécessaire qu'il fût pour prévenir, ou -pour réparer un échec. Mais s'il était attiré à l'une <span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> des -extrémités, s'il était appelé à Dresde, par exemple, il se pouvait que -sur le Bober il arrivât un grand malheur à l'un de ses lieutenants, et -qu'il vînt trop tard pour y remédier, puisqu'il faudrait six jours au -moins pour y amener du renfort, ou bien que s'il était à l'extrémité -opposée, c'est-à-dire à Lowenberg, Dresde à son tour se trouvât en -péril d'être secouru trop tard. En un mot, pour manœuvrer -concentriquement autour de Dresde, comme il l'avait fait jadis autour -de Vérone, avec une réserve placée au centre et portée alternativement -sur tous les points de la circonférence, le cercle était trop grand, -le rayon trop allongé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes morales de cette faute, la seule à reprocher à -Napoléon dans la conception de son plan.</span> -Était-ce inadvertance chez un esprit parvenu à une si prodigieuse -expérience, à une si rigoureuse précision dans ses calculs? Assurément -non; mais c'était le dangereux désir de faciliter le mouvement sur -Berlin et la Vistule. Il avait en effet discuté longuement avec -lui-même s'il devait établir sur le Bober ou sur la Neisse, -c'est-à-dire à Lowenberg ou à Gorlitz, son corps le plus avancé, et, -bien qu'il eût préféré le mettre à Gorlitz, ce qui lui eût permis de -placer sa réserve à Bautzen, et eût réduit de moitié le chemin qu'il -avait à faire pour aider les uns ou les autres, il y avait renoncé par -ce motif, qui révèle tout le secret de ses résolutions<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>, c'est -qu'en <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> portant à Gorlitz son corps le plus avancé, il -n'opposait pas assez d'obstacles à un mouvement que les armées -coalisées pouvaient être tentées d'exécuter par leur droite, pour -arrêter le maréchal Oudinot dans sa marche. À Lowenberg, au contraire, -les cent mille hommes de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, -empêchaient absolument les armées ennemies de Bohême et de Silésie de -se transporter par la Lusace dans le Brandebourg, et de secourir -Berlin. Ainsi, toujours ce désir d'un résultat merveilleux, ce désir -de tendre un bras vers Berlin et sur la Vistule, gâtait ses -combinaisons militaires, comme déjà il avait perverti ses résolutions -politiques, et le poussait à affaiblir en l'étendant trop un cercle de -défense qui, plus resserré, aurait été invincible! Bientôt la guerre, -qui amène une rémunération immédiate des bons et des mauvais calculs, -devait récompenser les uns par d'éclatants succès, punir les autres -par d'éclatants revers! Mais n'anticipons pas sur des événements dont -le triste récit n'arrivera que trop tôt!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Comparaison entre les forces de Napoléon et celles des -coalisés.</span> -Les forces de Napoléon étaient loin d'égaler celles de la coalition. -Les corps de Saint-Cyr, Vandamme, Victor, Poniatowski, groupés sur sa -droite, ceux de Ney, Marmont, Macdonald, Lauriston, rangés sur son -front, la garde, la réserve de cavalerie placées au centre, pouvaient -former sous sa main une masse mobile de 272 mille hommes présents sous -les armes. Les troupes d'Oudinot, de Girard et de Davout, dirigées sur -Berlin, en formaient une autre de 110 à 115 mille, ce qui portait à -387 mille hommes, ou 380 mille au moins, le total des forces <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> -actives qu'il avait à opposer à la coalition. Si on y ajoute 20 mille -hommes en Bavière, 60 mille en Italie, si on y ajoute encore les -garnisons des places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, telles que -Kœnigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben, -Hambourg, Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comprenant 90 mille -hommes environ, on atteint le chiffre de 550 mille combattants, fort -inférieur à celui de 800 mille que la coalition était parvenue à -réunir. Il est vrai que les réserves des coalisés étaient comprises -dans ce chiffre de 800 mille hommes; mais Napoléon ne pouvait pas, en -pressant bien ses cadres du Rhin, en tirer plus de 50 mille soldats de -réserve, et dès lors ses ressources, plutôt exagérées que réduites, ne -présentaient pas un total de six cent mille hommes, contre huit cent -mille. Ces forces toutefois auraient suffi dans ses mains, et au delà, -si les causes morales avaient été pour lui au lieu d'être contre lui; -mais ses adversaires exaspérés étaient résolus à vaincre ou à mourir, -et ses soldats, héroïques sans doute, mais se battant par honneur, -étaient conduits par des généraux dont la confiance était ébranlée, et -qui commençaient à sentir qu'on avait tort contre l'Europe, contre la -France, contre le bon sens! Infériorité morale funeste, et bien plus -redoutable que l'infériorité matérielle du nombre!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se porte le 15 à Gorlitz.</span> -Napoléon après avoir lui-même inspecté ses postes de Kœnigstein et -de Lilienstein, et s'être assuré par ses propres yeux si la position -prise par Saint-Cyr et Vandamme, sur ses derrières et sa droite, était -conforme à ses vues, s'était porté le 15 à Gorlitz, où il avait -trouvé la garde et la réserve de cavalerie. <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> De là il avait -tenu à voir la gorge de Zittau, que Poniatowski et Victor étaient -chargés de défendre. -<span class="sidenote" title="En marge">Il pénètre de sa personne en Bohême, par le défilé de -Zittau, afin de se procurer des renseignements sur la marche des -coalisés.</span> -Après avoir établi Poniatowski sur une montagne -dite d'Eckartsberg, qui fait face à la sortie du défilé, et permet de -barrer le passage, Napoléon s'était avancé de sa personne à quelques -lieues plus loin, escorté par la cavalerie légère de sa garde, afin de -reconnaître un pays où il était possible qu'il pénétrât plus tard. Il -voulait recueillir sur la direction suivie par l'ennemi des -renseignements qui lui manquaient. Aucun symptôme en effet ne révélait -si les coalisés déboucheraient ou en arrière par Péterswalde sur -Dresde, ou sur notre droite par Zittau, ou sur notre front par -Liegnitz et Lowenberg. Bien que Napoléon fût entouré d'une nuée -d'ennemis en mouvement, il ne savait rien de leur marche, parce que -l'épaisse muraille des montagnes de Bohême, qui sur sa droite le -séparait d'eux, était un rideau difficile à percer. Il écoutait donc -avec une singulière attention, cherchant à saisir les moindres bruits, -et suivant l'usage ne recueillant que des versions contradictoires. -Pourtant on était d'accord sur ce point, qu'un corps d'armée prussien -et russe avait passé de Silésie en Bohême pour venir coopérer avec -l'armée autrichienne. C'était le corps qui devait, ainsi qu'on l'a vu -plus haut, composer en se joignant aux troupes autrichiennes la grande -armée du prince de Schwarzenberg. Cette nouvelle très-répandue inspira -un moment à Napoléon la pensée d'entrer précipitamment en Bohême à la -tête de cent mille hommes par la route de Zittau, et de se jeter sur -les Russes et les Prussiens avant leur <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> réunion aux -Autrichiens. Il est bien certain qu'il avait cent mille hommes sous la -main avec Poniatowski, Victor, la garde et la réserve de cavalerie, et -que se portant rapidement à droite vers Leitmeritz, il aurait pu -couper en deux la longue ligne que les coalisés devaient former avant -de s'être réunis autour de Commotau. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) -<span class="sidenote" title="En marge">Possibilité d'une invasion subite en Bohême.</span> -Il lui -eût donc été possible de frapper dès le début de la campagne quelque -coup terrible, et le maréchal Saint-Cyr, qui s'était épris de cette -idée plus brillante que juste, l'y poussait vivement par sa -correspondance. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger de cette opération, fort conseillée par le maréchal -Saint-Cyr.</span> -Mais il se pouvait qu'entré en Bohême Napoléon trouvât -les coalisés déjà concentrés sur sa droite entre Tœplitz et -Commotau, dès lors à l'abri de ses coups, et en mesure de le prévenir -à Dresde en y descendant par Péterswalde, de sorte que tandis qu'il -aurait pénétré en Bohême pour les surprendre, ils en seraient sortis -pour le tourner; ou bien il se pouvait encore qu'il les trouvât en -masse sur son chemin, qu'il eût à les combattre en force considérable, -dans une position désavantageuse pour lui, car vainqueur il lui était -impossible de les poursuivre dans l'intérieur de la Bohême, et vaincu -il lui fallait repasser devant eux le défilé de Zittau. À leur livrer -bataille, il valait bien mieux les attendre à leur sortie des -montagnes de la Bohême, et les rencontrer sur la rive droite ou sur la -rive gauche de l'Elbe, au moment même où ils déboucheraient, car en -les battant on les acculait aux montagnes, et on pouvait profiter de -leur engorgement dans les défilés pour les enlever par milliers, -hommes et canons. Franchir soi-même les montagnes pour aller -guerroyer en Bohême, c'était se donner <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> volontairement la -fausse position qu'il fallait leur laisser prendre en les attendant à -la sortie de ces montagnes sur l'une ou l'autre rive de l'Elbe. Aussi -Napoléon n'avait-il que peu de penchant pour cette singulière idée que -le maréchal Saint-Cyr soutenait avec chaleur. Il n'y eût cédé que si -des renseignements certains lui avaient montré tout à fait à sa portée -soixante ou quatre-vingt mille Prussiens et Russes encore séparés des -cent vingt mille Autrichiens qu'ils allaient rejoindre.</p> - -<p>Livré à une véritable effervescence d'esprit en présence de tant de -chances diverses, Napoléon monta à cheval le 19 août au matin, et -suivi de la cavalerie légère de la garde, il pénétra en Bohême, à la -tête de quelques mille cavaliers, faisant la guerre comme un jeune -homme, comme il la faisait jadis en Italie ou en Égypte. Il s'enfonça -dans les gorges jusqu'au delà de Gabel (voir la carte n<sup>o</sup> 58), se -montra même à l'entrée du beau bassin de la Bohême aux Bohémiens -surpris de le voir. Il fit arrêter des curés, des baillis pour les -questionner, et apprit de la bouche de tous que les troupes russes et -prussiennes venant de Silésie longeaient le pied des montagnes en -dedans de la Bohême, pour aller rejoindre les Autrichiens, et -probablement descendre en Saxe sur les derrières de Dresde. Les -coalisés devaient dans ce mouvement traverser l'Elbe entre Leitmeritz -et Aussig, et tout annonçait qu'ils étaient déjà ou sur le bord du -fleuve, ou au delà, aux environs de Tœplitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon y renonce.</span> -Se jeter sur eux était -une opération dont le temps, fût-elle bonne, était passé, et il -fallait se hâter de revenir en Saxe, pour combattre autour de -<span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> Dresde, sur le champ de bataille préparé avec une si haute -prévoyance. Toutefois Napoléon affecta de se montrer, de se nommer aux -habitants, afin que le bruit de sa présence en Bohême retentît -jusqu'au quartier général des coalisés. Voici l'intention qu'il avait -en agissant de la sorte.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'étant fait une idée exacte des plans des -coalisés, forme le projet de mettre hors de jeu l'armée de Silésie, -pour revenir ensuite sur la grande armée de Bohême.</span> -Il devenait évident que le plan des coalisés, après avoir traversé -l'Elbe en Bohême, était d'entrer en Saxe, et de descendre sur Dresde -afin d'enlever cette ville, ou de se porter sur Leipzig afin de se -placer entre le Rhin et l'armée française. Nous ne pouvions rien -désirer de mieux, car pour s'engager ainsi sur les derrières de -Napoléon, les coalisés s'exposaient à l'avoir eux-mêmes sur leurs -communications, et à se trouver dans un gouffre s'ils perdaient une -bataille dans cette position. Cela étant, il importait à Napoléon de -se jeter brusquement sur l'armée de Silésie, qu'il avait devant lui, -afin de la mettre hors de jeu pour quelque temps, et de revenir -ensuite se donner tout entier aux affaires qui se préparaient en -arrière de Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Motifs du soin qu'il met à se faire voir en Bohême.</span> -Pour le succès d'un tel projet il lui était utile -de ralentir un moment la marche des alliés, de les faire hésiter, de -leur causer ainsi une perte d'un ou deux jours, ce qui était tout gain -pour lui, qui avait à courir sur le Bober avant de revenir sur l'Elbe. -Il n'avait pas un meilleur moyen d'y réussir que de se montrer en -Bohême, car sa présence en ces lieux devait provoquer mille -conjectures, ou inquiétantes ou pour le moins embarrassantes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon après être rentré en Lusace, dispose les corps de -Poniatowski, de Victor et de Vandamme, de manière à fermer les -débouchés de la Bohême, et attend tout un jour pour voir se développer -les desseins de l'ennemi.</span> -Après avoir employé la journée du 19 à courir à cheval, tantôt en -plaine, tantôt dans les gorges, se <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> présentant partout sous -son nom, il repassa les défilés du <em>Riesen-Gebirge</em>, et revint à -Zittau. Il consacra la journée du lendemain 20 à disposer lui-même le -corps de Poniatowski et celui de Victor à l'entrée du défilé de -Zittau, de façon que ces deux corps pussent résister trois jours au -moins aux plus fortes attaques. Napoléon assura en outre leurs -communications avec le général Vandamme, qui avait été placé entre -Zittau et Dresde vers Stolpen, afin qu'il pût courir en une journée ou -à Zittau ou à Dresde. Toutes ces mesures arrêtées, il avait -l'intention d'attendre encore tout un jour la complète manifestation -des desseins de l'ennemi, sans éprouver du reste la moindre crainte, -car partout les précautions étaient prises de manière à ne laisser -aucune inquiétude. En effet, du côté de Berlin 80 mille hommes en -marche sous le maréchal Oudinot, et appuyés par les 35 mille du -maréchal Davout, à Dresde Saint-Cyr et Vandamme aux aguets sur les -deux rives de l'Elbe, à Zittau deux corps gardant les gorges de -Bohême, sur le Bober 100 mille hommes sous le maréchal Ney attendant -l'ennemi qui voudrait franchir ce fleuve, enfin à Gorlitz, centre de -toutes ces positions, Napoléon avec la garde et la réserve de -cavalerie, placé à mi-chemin des divers points menacés, présentaient -une toile admirablement tissue, du milieu de laquelle celui qui -l'avait si habilement disposée était prêt à s'élancer sur l'imprudent -qui en agiterait les extrémités.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revenu à Gorlitz apprend que l'armée de Silésie, -violant le droit des gens, a rompu l'armistice deux jours avant le 17 -août, et il court à elle avec un renfort de 30 mille hommes.</span> -Napoléon, revenu le 20 à Gorlitz, y apprit tout à coup que l'armée de -Silésie avait envahi dès le 15 le pays neutre qu'elle aurait dû -respecter jusqu'au 17, <span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> ce qui constituait une violation du -droit des gens, que l'ardent patriotisme du général Blucher n'excusait -nullement. Cette armée se dirigeait vers le Bober. Sur-le-champ -Napoléon mit en mouvement la cavalerie et trois divisions de sa garde, -laissant les autres à Gorlitz, et fit ses dispositions pour être sur -le Bober le lendemain 21. Avec le secours qu'il apportait au maréchal -Ney, il allait avoir 130 mille hommes, et c'était plus qu'il ne -fallait pour faire repentir Blucher de sa témérité et de l'infraction -qu'il s'était permise contre le droit des gens. Après avoir une -dernière fois renouvelé ses instructions à Poniatowski, à Victor, à -Vandamme, à Saint-Cyr, il partit plein de confiance et d'espoir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les quatre corps de Ney sortaient à peine de leurs -cantonnements lorsqu'ils avaient été surpris par l'ennemi.</span> -Les hostilités ayant commencé en Silésie avant l'époque assignée par -l'armistice, les quatre corps confiés à Ney sortaient à peine de leurs -cantonnements lorsque l'ennemi s'était présenté. Deux de ces corps -étaient sur le Bober, ceux de Macdonald et de Marmont, le premier à -droite vers Lowenberg, le second à gauche vers Buntzlau. Deux étaient -plus compromis encore, car ils se trouvaient au delà sur la Katzbach, -celui de Lauriston aux environs de Goldberg, celui de Ney entre -Liegnitz et Haynau. Ces deux derniers presque tournés par la subite -apparition du corps de Langeron sur leur flanc droit, étaient dans un -fort grand péril. Le corps de Lauriston eut de la peine à se replier -de la Katzbach sur le Bober, mais il le fit avec sang-froid et -vigueur, et rejoignit Macdonald à Lowenberg sans accident. -<span class="sidenote" title="En marge">Leur retraite en bon ordre sur le Bober.</span> -Ney, qui -était le plus avancé vers notre gauche, au lieu de se replier -simplement sur Buntzlau pour y <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> repasser le Bober, vint se -déployer hardiment entre la Katzbach et le Bober, et braver Blucher -qui s'acharnait contre Lowenberg. À sa vue Blucher s'étant porté sur -lui, et Lowenberg se trouvant ainsi dégagé, Ney descendit sur -Buntzlau, y passa le Bober, et se réunit à Marmont.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, arrivé à Lowenberg le 21, reporte les quatre -corps de Ney en avant.</span> -Le 20 nos quatre corps étaient derrière le Bober, ceux de Lauriston et -de Macdonald à Lowenberg, ceux de Marmont et de Ney à Buntzlau, ayant -beaucoup plus causé de mal à l'ennemi qu'ils n'en avaient essuyé. -Napoléon arrivé le 21 au matin sur les lieux voulut prendre -l'offensive immédiatement. Blucher avait montré environ 80 mille -hommes, le général russe Sacken, avec lequel il en aurait eu 100 -mille, étant resté un peu en arrière sur sa droite. Napoléon qui en -avait plus de 130 mille, employa la matinée à faire jeter des ponts de -chevalets sur le Bober, et à donner tous ses ordres pour une marche -prompte et vigoureuse, car il n'avait pas de temps à perdre, -s'attendant à être bientôt rappelé sur ses derrières par la grande -armée de Bohême. En conséquence il résolut de déboucher de Lowenberg -avec Macdonald et Lauriston, en traversant le Bober sur ce point, et -d'attirer sur sa gauche Ney et Marmont, après leur avoir fait passer -le Bober à Buntzlau.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">On débouche de Lowenberg, et on pousse l'ennemi l'épée dans -les reins.</span> -Vers le milieu du jour on franchit le Bober à Lowenberg, et on marcha -vivement. La division Maison, qui formait notre tête de colonne, -refoula devant elle les troupes du général d'York, et ne leur laissa -de répit nulle part. Tout le corps de Lauriston suivait appuyé par -celui de Macdonald. À notre gauche, <span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> les maréchaux Ney et -Marmont débouchèrent de Buntzlau, et vinrent se serrer sur notre -centre. Blucher se voyant aussi vigoureusement abordé, se douta bien -qu'il avait Napoléon devant lui, et se hâta de rentrer dans ses -instructions, qui lui prescrivaient de ne rien hasarder quand il -aurait en tête ce redoutable adversaire. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher se replie derrière la Katzbach.</span> -Il se couvrit d'un petit -cours d'eau, le Haynau, qui coule entre le Bober et la Katzbach. Cette -journée lui avait déjà coûté deux à trois mille hommes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">On continue le 22 cette marche offensive.</span> -Le 22 Napoléon continua sa marche offensive. Les corps de Lauriston et -de Macdonald se portèrent directement sur Goldberg pour jeter Blucher -au delà de la Katzbach, tandis que Ney et Marmont, s'avançant toujours -sur notre gauche, le pousseraient dans le même sens. -<span class="sidenote" title="En marge">Ardeur des troupes.</span> -La division -Maison assaillit de nouveau l'ennemi avec la plus grande vigueur. Les -troupes, animées par la présence de Napoléon, montraient partout une -ardeur extrême. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher définitivement repoussé.</span> -L'ennemi voulut se défendre, mais Lauriston le -débordant avec le reste de son corps, pendant que Macdonald le -menaçait au centre, on le força d'abandonner le petit cours d'eau -derrière lequel il s'était réfugié, et de repasser la Katzbach pour -aller prendre position à Goldberg. Ses pertes dans cette journée -furent assez considérables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dans ces entrefaites apprend l'apparition de la -grande armée de Bohême sur les derrières de Dresde.</span> -Il était évident, malgré la résistance que Blucher cherchait à nous -opposer, et malgré ses cent mille hommes, qu'on ne l'avait pas mis en -mesure de tenir tête à Napoléon, et que ce n'était pas de son côté -qu'aurait lieu l'action principale. En effet le soir même, Napoléon -reçut du maréchal Saint-Cyr un <span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> courrier qui ayant fait -quarante lieues pour le joindre, lui apprenait qu'on était attaqué par -des masses nombreuses, et qu'évidemment la grande armée coalisée -débouchait par Péterswalde sur les derrières de Dresde, soit qu'elle -songeât à enlever cette ville, soit qu'elle eût l'idée de se porter -sur Leipzig, pour exécuter l'audacieuse tentative de se placer entre -les Français et le Rhin. Ainsi s'accomplissait l'une des deux -hypothèses prévues par Napoléon, et la plus désirable des deux, celle -pour laquelle tout avait été préparé avec le plus de soin. Napoléon -n'en fut ni surpris ni affligé, tout au contraire, mais il y vit une -raison pressante d'accélérer ses mouvements. -<span class="sidenote" title="En marge">Le soir du 22, il arrête le mouvement de ses troupes pour -se reporter sur l'Elbe.</span> -Le soir même du 22, il -arrêta sa garde qui était encore en marche, et qui heureusement -n'avait pas dépassé Lowenberg, afin qu'elle se mît en route après un -peu de repos, et qu'elle pût être de retour à Dresde en quatre jours, -c'est-à-dire le 26. <span class="sidenote" title="En marge">Il renvoie à Dresde la garde, la réserve de cavalerie et -Marmont.</span> -Le corps du maréchal Marmont ayant été le moins -engagé, était le moins fatigué aussi, et sans perdre un instant il -rebroussa chemin pour voyager avec la garde. Napoléon expédia -également une grande partie de la réserve de cavalerie, enfin il -écrivit au général Vandamme et au maréchal Victor de se replier l'un -et l'autre sur l'Elbe, en laissant le prince Poniatowski aux gorges de -Zittau. De la sorte 180 mille hommes devaient se trouver réunis sous -Dresde en quatre jours, et 80 mille au moins dans les deux premières -journées. Il n'y avait par conséquent aucune inquiétude à concevoir.</p> - -<p>Après avoir donné ces ordres dans la soirée même du 22, Napoléon -voulut que le 23 au matin les corps <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> de Lauriston, Macdonald -et Ney, qui avec la cavalerie du général Sébastiani composaient une -masse de 80 mille hommes au moins, poussassent encore une fois -l'ennemi devant eux, et le rejetassent fort au delà de la Katzbach. Au -point du jour le corps de Lauriston à droite, celui de Macdonald au -centre, la cavalerie de Latour-Maubourg à gauche, se déployèrent le -long de la Katzbach, pendant que Ney à trois lieues au-dessous, se -portait avec son corps et la cavalerie de Sébastiani devant Liegnitz. -Blucher avait rangé les troupes russes de Langeron et les troupes -prussiennes d'York, derrière la Katzbach et sur les hauteurs du -Wolfsberg. La division Girard attaqua les bords de la rivière vers -Niederau, et eut un engagement très-vif avec la division prussienne du -prince de Mecklembourg. Le général Girard, après avoir démonté -l'artillerie de l'ennemi et ébranlé son infanterie à coups de canon, -l'aborda brusquement à la baïonnette. <span class="sidenote" title="En marge">Blucher est forcé de se replier sur Jauer après une perte -de 8 mille hommes en quelques jours.</span> -Les Prussiens culbutés et -acculés sur la Katzbach se couvrirent de leur cavalerie, qui fut -bientôt repoussée par celle du général Latour-Maubourg, et repassèrent -enfin la Katzbach, que le général Girard franchit à leur suite. À -droite, le général Lauriston ayant opéré son passage vers Seyfnau, -assaillit les hauteurs du Wolfsberg, les enleva trois fois aux Russes, -et trois fois les reperdit. Mais le 135<sup>e</sup>, de la division Rochambeau, -s'en rendit maître par un dernier effort, et l'action se trouva dès -lors décidée en notre faveur. Blucher se voyant en même temps débordé -à deux ou trois lieues sur sa droite, par le mouvement du maréchal Ney -sur Liegnitz, se replia en toute hâte vers Jauer.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon emmène avec lui le maréchal Ney, et -confie au maréchal Macdonald le commandement des corps laissés sur le -Bober.</span> -Cette inutile violation du droit des gens avait coûté environ 8 mille -hommes au général prussien, et à nous la moitié tout au plus. -Malheureusement elle n'avait pas ébranlé le moral d'un ennemi -combattant avec l'acharnement du désespoir. Napoléon, qui avait -éprouvé l'inconvénient de laisser plusieurs maréchaux ensemble quand -sa présence ne les dominait point, et qui prévoyait de rudes batailles -pour lesquelles il lui convenait d'avoir le maréchal Ney sous sa main, -résolut de l'emmener avec lui, et de confier le 3<sup>e</sup> corps au général -Souham. De la sorte il n'allait rester sur ce point qu'un maréchal et -deux lieutenants généraux. Le maréchal était Macdonald, chef du 11<sup>e</sup> -corps, et les lieutenants généraux étaient Lauriston et Souham, chefs -des 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps. Napoléon en remettant le commandement supérieur -à Macdonald, lui donna pour instruction de tenir ses troupes légères -en observation entre le Bober et la Katzbach, mais de camper avec le -gros de ses forces derrière le Bober même, entre Lowenberg et -Buntzlau, et d'avoir des postes de correspondance à droite dans les -montagnes de Bohême, à gauche dans les plaines de la Lusace, afin -d'être constamment averti des moindres mouvements de l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Rôle assigné au maréchal Macdonald.</span> -Sa mission principale était d'abord de défendre le Bober contre Blucher, -et ensuite d'intercepter les routes qui vont de la Bohême en Prusse, -afin d'empêcher les détachements que l'ennemi pourrait diriger vers -Berlin, contre le corps du maréchal Oudinot. Toujours occupé, comme on -le voit, de la marche de ce maréchal sur la capitale de la Prusse, -pour laquelle il avait déjà trop étendu le cercle de <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> ses -opérations, Napoléon continuait à faire à cet objet des sacrifices -regrettables, car Macdonald laissé à quarante lieues de Dresde, -pouvait, quoique débarrassé de l'ennemi en ce moment, être assailli de -nouveau avec plus de vigueur, et courir de grands dangers en attendant -qu'on vînt à son secours.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, arrivé à Gorlitz, y trouve une multitude de -nouvelles venues de Dresde.</span> -Ces dispositions prises, Napoléon ayant vu Blucher en retraite sur -Jauer, partit pour Gorlitz, vers le milieu du jour, tandis que la -garde, le corps de Marmont et la cavalerie de Latour-Maubourg y -marchaient au pas des troupes. Les nouvelles se multipliaient à mesure -qu'il approchait, et lui peignaient la ville de Dresde comme fort -émue. -<span class="sidenote" title="En marge">Effroi causé à Dresde par l'apparition de la grande armée -des coalisés.</span> -Le roi de Saxe, la population, les généraux mêmes préposés à la -défense de ce poste important, étaient frappés de la masse immense -d'ennemis qui venant de la Bohême, descendaient des montagnes sur les -derrières de cette capitale. Les rapports s'accordaient unanimement à -dire que les hauteurs qui entourent Dresde sur la rive gauche de -l'Elbe, étaient couvertes de soldats de toutes nations. On y voyait -poindre au sommet des coteaux la lance des Cosaques tant redoutée des -habitants paisibles.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Route qu'avait suivie cette armée.</span> -La grande armée de la coalition, celle qui, composée de Prussiens, de -Russes, d'Autrichiens, au nombre de 250 mille hommes, devait profiter -de la Bohême pour tourner la position de l'Elbe, avait en effet -exécuté le plan arrêté à Trachenberg, et après avoir opéré sa -concentration, entre Tetschen et Commotau (voir la carte n<sup>o</sup> 58), -venait de déboucher en Saxe par tous les défilés de l'<i>Erz-Gebirge</i>. -Elle avait marché sur quatre colonnes, formées <span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> d'après -l'emplacement des troupes. <span class="sidenote" title="En marge">Après avoir passé l'Elbe en Bohême, les coalisés étaient -entrés en Saxe par les divers défilés des montagnes.</span> -Les Russes venant du fond de la Bohême, -puisqu'ils partaient de la Silésie, n'avaient guère pu dépasser -l'Elbe, et avaient pris la chaussée de Péterswalde, qui longe le camp -de Pirna, et descend sur Dresde en ayant toujours l'Elbe en vue. Le -corps prussien de Kleist marchant en avant des Russes, avait suivi la -route qui se trouvait un peu plus à gauche (gauche des coalisés -débouchant en Saxe), laquelle était moins bien frayée, mais encore -fort praticable, et passait par Tœplitz, Zinnwald, Altenberg, -Dippoldiswalde. Les Autrichiens, les plus avancés parce qu'ils -partaient de chez eux, avaient pris la chaussée de Commotau à -Marienberg et Chemnitz, qui est à la gauche des précédentes, et forme -la grande route de Prague à Leipzig. Les nouvelles levées -autrichiennes composant sous le général Klenau une quatrième colonne, -devaient par Carlsbad et Zwickau s'abattre sur Leipzig.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Décidés d'abord à se porter sur Leipzig, les coalisés sont -incertains sur la marche à suivre.</span> -Mais à peine était-on en marche que le plan arrêté par les coalisés à -Trachenberg avait été modifié, grâce à l'instabilité des conseils -militaires de la coalition, où personne ne commandait, parce que -personne n'en était tout à fait capable. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du général Moreau au quartier général de l'empereur -Alexandre.</span> -Le commandement nominal avait -bien été déféré au prince de Schwarzenberg pour flatter l'Autriche, -mais au fond l'empereur Alexandre regrettait de ne pas l'avoir pris -lui-même, aurait bien voulu le ressaisir, surtout depuis l'arrivée à -son camp du général Moreau et du général Jomini, avec le secours -desquels il croyait pouvoir conduire glorieusement les affaires de la -coalition.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Avec quelles idées il y était venu, et comment on -l'avait peu à peu entraîné à donner des conseils aux ennemis de son -pays.</span> -Le général Moreau, comme nous l'avons déjà dit, revenu d'Amérique au -bruit du désastre de Napoléon en Russie, sans autre but qu'une -espérance vague de rentrer dans son pays par des voies honnêtes, avait -formé un projet qui n'était pas dépourvu de chances de succès. Ayant -appris que l'empereur Alexandre avait plus de cent mille prisonniers -français, tous exaspérés contre l'auteur de l'expédition de Moscou, il -avait imaginé qu'on pourrait bien armer quarante ou cinquante mille -d'entre eux, les transporter au moyen de la marine anglaise en -Picardie, et il répondait en marchant avec eux sur Paris de renverser -le trône impérial, pourvu que les souverains alliés le munissent d'un -traité de paix dans lequel la France, laissée libre de se choisir un -gouvernement, conserverait ses limites naturelles, les Alpes et le -Rhin. Moreau, aimant la liberté, ayant en haine le gouvernement -despotique qui pesait alors sur la France, se croyant supérieur aux -lieutenants de Napoléon, prétendait qu'il leur passerait sur le corps -à tous, moyennant qu'il se présentât à la tête de soldats français, -qu'il annonçât une paix honorable, une liberté sage, et la fin de -l'épouvantable carnage auquel Napoléon obligeait l'Europe par son -ambition démesurée. Sans liaisons avec les Bourbons, n'étant -aucunement porté vers eux, il admettait cependant que l'on cherchât à -concilier cette antique famille avec la Révolution française, et qu'on -la rappelât pour établir un gouvernement à la fois stable et libéral, -qui mît fin aux longs troubles de la France<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>. C'est avec ces idées -qu'il <span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> était venu à Stockholm, et là son ancien camarade -Bernadotte, feignant d'écouter ses scrupules, mais réchauffant ses -haines, lui promettant qu'il trouverait auprès de l'empereur Alexandre -satisfaction pour tous ses désirs, l'avait envoyé au quartier général -russe. Alexandre avait accueilli ce proscrit avec des honneurs -infinis, l'avait traité en ami, et avait calmé ses scrupules en lui -affirmant qu'on n'en voulait ni à la France ni à sa grandeur, qu'on -était prêt à lui laisser les belles conditions du traité de Lunéville, -qu'on n'entendait lui imposer aucune forme de gouvernement, et qu'on -s'empresserait au contraire de reconnaître celui qu'elle aurait -elle-même choisi, ce gouvernement fût-il celui de la république. -Repoussant comme impraticable le projet d'armer les prisonniers -français, il avait par une pente insensible, d'où toutes les -apparences coupables étaient soigneusement écartées, amené l'infortuné -Moreau à la déplorable résolution, non pas de servir contre la France, -mais de rester auprès des souverains qui la combattaient, différence -qui pouvait lui faire illusion, mais qui n'en était pas une, car il -était impossible qu'il résidât auprès d'eux pendant cette cruelle -guerre sans les éclairer au moins de ses conseils. Pour achever cette -séduction, Alexandre avait employé sa sœur, la grande-duchesse -Catherine, <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> veuve du duc d'Oldenbourg, princesse remarquable -par l'esprit, le caractère, les agréments extérieurs, et tous deux, -traitant Moreau comme un ami, l'avaient ainsi aveuglé, étourdi par les -plus adroites flatteries, et l'avaient entraîné définitivement sur la -voie où il allait rencontrer la plus cruelle des morts, celle qui avec -sa vie devait emporter sinon sa gloire, du moins son innocence. C'est -depuis qu'il avait Moreau à ses côtés qu'Alexandre regrettait le -commandement général. Il aurait voulu le prendre pour chef -d'état-major, et avec lui diriger la guerre. Mais il n'était pas -possible d'imposer Moreau au prince de Schwarzenberg, ni comme -supérieur ni comme subordonné, et de lui ménager un rôle même séant, -soit pour lui, soit pour les généraux de la coalition. -<span class="sidenote" title="En marge">Son attitude et sa situation au camp des coalisés.</span> -Moreau se -trouvait ainsi dans le camp des coalisés à titre d'ami privé de -l'empereur Alexandre, vivant tantôt près de lui, tantôt près de la -grande-duchesse Catherine qui était établie à Tœplitz, n'aimant -point à figurer dans ces conseils militaires où l'on parlait si -longuement, où l'on était à la fois bouillant d'un patriotisme qui -était pour lui un reproche, et plein d'idées théoriques qui n'allaient -pas à son génie simple et pratique, se bornant à donner directement -ses avis à Alexandre, réussissant rarement à les faire prévaloir à -travers le chaos des avis contraires, et déjà cruellement puni de sa -faute par la position fausse, gênée, presque humiliante, qu'il avait -au milieu des ennemis de sa patrie.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du général Jomini au quartier général de la -coalition.</span> -Le général Jomini, Suisse de naissance, écrivain militaire supérieur, -et dans la pratique de la guerre <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> officier d'état-major d'un -jugement aussi sûr qu'élevé, avait rendu à l'armée française, soit à -Ulm, soit à la Bérézina, soit à Bautzen, des services dont il avait -été mal récompensé. <span class="sidenote" title="En marge">Comment il y avait été amené.</span> -À Bautzen notamment, après avoir signalé au -maréchal Ney le vrai point où il aurait fallu marcher, il avait reçu -une punition au lieu d'une récompense, ce qu'il devait aux mauvais -offices du prince major général, dont il avait souvent blessé la -susceptibilité. Vif, irritable, ayant voulu plusieurs fois donner sa -démission et entrer au service de la Russie qui s'était empressée de -répondre favorablement à ses désirs, il n'avait pas su se contenir en -éprouvant le dernier désagrément qu'on venait de lui infliger, et -pendant l'armistice il avait passé aux Russes, sans emporter, comme on -l'a dit, des plans qu'il ignorait, sans manquer à sa patrie puisqu'il -était originaire de la Suisse, mais ayant le tort de ne pas sacrifier -des griefs même fondés à une vieille confraternité d'armes, et se -préparant ainsi des regrets qui devaient attrister sa vie. Il était -arrivé auprès d'Alexandre, qui, connaissant son mérite, lui avait fait -le plus brillant accueil. Là il parlait haut, avec la chaleur d'un -esprit ardent et convaincu, déplaisait aux généraux alliés en vantant -Napoléon et les Français qu'il était presque fâché d'avoir quittés, et -censurait sans ménagement tous les projets militaires formés à -Trachenberg. -<span class="sidenote" title="En marge">Les généraux Jomini et Moreau improuvent le plan de marcher -sur Leipzig.</span> -Il n'avait pas eu de peine à prouver à l'empereur -Alexandre que marcher sur Leipzig était une insigne folie, que se -porter sur les communications de l'ennemi lorsqu'on était sûr de ne -pas compromettre les siennes, et qu'on ne craignait pas une <span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> -rencontre décisive, pouvait être une bonne manière d'opérer, mais que -ce n'était pas le cas ici, car, une fois à Leipzig, on serait exposé à -être coupé de la Bohême, on aurait Napoléon derrière soi à la tête de -trois cent mille hommes toujours victorieux jusqu'alors, et si dans -cette position on perdait une bataille, on n'en reviendrait pas, les -montagnes de la Bohême étant occupées par lui, et l'Elbe étant jusqu'à -Hambourg dans ses terribles mains. Le général Moreau, consulté, avait -trouvé cet avis parfaitement juste, et on avait renoncé à se diriger -sur Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">D'après ce conseil on se replie en se rapprochant de -Dresde.</span> -On avait résolu, au lieu d'appuyer à gauche, d'appuyer à -droite, et de se rapprocher des bords de l'Elbe. Les deux premières -colonnes, celle qui avait passé par Péterswalde, et celle qui avait -passé par Zinnwald et Altenberg, avaient cheminé tout près de Dresde; -mais il avait fallu ramener la troisième par Marienberg et Sayda sur -Dippoldiswalde, la quatrième par Zwickau et Chemnitz sur Tharandt. -(Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) On s'était ainsi reporté sur Dresde sans -savoir précisément ce qu'on y ferait; mais on avait l'avantage, en -restant adossé aux montagnes de Bohême, de conserver toujours ses -communications, d'être comme une épée de Damoclès suspendue sur la -tête de Napoléon, et de pouvoir au besoin, si l'occasion était -favorable, se jeter sur Dresde pour enlever cette ville, ce qui était -le plus grand dommage qu'on pût causer aux Français. Tandis qu'on -exécutait ce mouvement transversal de gauche à droite, en suivant le -pied de l'<i>Erz-Gebirge</i>, on avait appris l'apparition de Napoléon en -Bohême, circonstance qui avait fait craindre de sa part une marche -<span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> sur Prague, et rendu plus évidente la convenance de -rebrousser chemin vers l'Elbe. Puis à Dippoldiswalde même on avait -connu la marche de Napoléon sur le Bober, et la situation périlleuse -de Blucher. C'était le cas de tenter quelque chose, et de profiter de -l'absence de Napoléon pour frapper un grand coup, pour enlever Dresde -par exemple, ce que conseillaient les esprits hardis, ce que -craignaient les esprits timides, ce que les esprits sages comme Moreau -faisaient dépendre de l'état dans lequel on trouverait les défenses de -cette ville.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Apparition de la grande armée de Bohême sur les derrières -de Dresde.</span> -C'est ainsi que la grande armée des coalisés était arrivée à déployer -ses masses imposantes autour de la belle capitale de la Saxe. La -colonne qu'on avait aperçue la première était la colonne russe de -Wittgenstein, qui descendant le plus près de l'Elbe par la route de -Péterswalde, avait rencontré le maréchal Saint-Cyr devant le camp de -Pirna. Ce qu'on appelle le camp de Pirna consiste dans un plateau -très-élevé, adossé à l'Elbe, taillé à pic presque de tous les côtés, -appuyé à gauche au fort de Kœnigstein, à droite au château de -Sonnenstein et à la ville de Pirna. La grande route de Bohême par -Péterswalde, après avoir franchi les montagnes, s'enfonce vers -Hollendorf dans des terrains creux, puis remonte à Berg-Gieshübel sur -un autre plateau situé au-dessous de celui de Pirna, passe presque -sous son feu, mais à une distance qui rend le passage possible, de -manière que la position de Pirna, quoique invincible en elle-même, ne -donne cependant pas le moyen de barrer absolument la route de -Péterswalde. Seulement une armée établie dans cette position, -<span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> outre qu'elle a dans le camp de Pirna un asile assuré, y -trouve aussi un poste d'où elle peut gêner, arrêter même en opérant -bien l'ennemi qui veut suivre la route de Péterswalde, soit pour -descendre en Saxe, soit pour remonter en Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.</span> -Le maréchal Saint-Cyr, après avoir occupé par sa première division les -forts de Kœnigstein et de Lilienstein, entre lesquels était jeté un -pont sur l'Elbe, avait placé la seconde sur la route de Péterswalde, -de manière à ralentir la marche de l'ennemi, et à pouvoir se replier -sur Dresde comme il en avait l'ordre. Celle-ci avait défendu pied à -pied le plateau de Berg-Gieshübel, avec un aplomb remarquable chez des -soldats à peine formés. Pendant ce temps la troisième des divisions du -maréchal Saint-Cyr observait le second débouché, celui qui de -Tœplitz vient aboutir sur Zinnwald, Altenberg, Dippoldiswalde, et -la quatrième enfin placée à la droite de Dippoldiswalde, et veillant -sur la grande route de Freyberg, servait de soutien au général Pajol, -qui faisait le coup de sabre avec les avant-gardes de la cavalerie -autrichienne arrivant par les débouchés les plus éloignés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr autour de -Dresde.</span> -Le 23 août le maréchal Saint-Cyr ayant confié, comme nous venons de le -dire, à sa première division (42<sup>e</sup> de l'armée) la garde des deux forts -de Kœnigstein et de Lilienstein, et tous les postes des bords de -l'Elbe afin d'empêcher l'ennemi de passer d'une rive à l'autre, -s'était replié en ordre sur Dresde, où il avait ainsi, outre la -garnison, trois divisions d'infanterie avec les cavaleries Lhéritier -et Pajol. Ces forces appuyées sur des ouvrages de campagne, <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span> -et sur les défenses de la ville, étaient capables d'opposer une -résistance sérieuse à l'ennemi, quoiqu'il comptât dès les premiers -jours 150 mille hommes, et 200 mille les jours suivants. Les trois -divisions d'infanterie du maréchal Saint-Cyr<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a> ne devaient pas -comprendre moins de 21 ou 22 mille hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Véritable chiffre de ses forces.</span> -On pouvait tirer de la -garnison 5 à 6 mille hommes, quelques-uns Allemands il est vrai, pour -les porter sur la rive gauche, et les généraux Lhéritier et Pajol -avaient bien 4 mille chevaux. Le maréchal Saint-Cyr disposait ainsi de -31 à 32 mille hommes avec beaucoup d'artillerie attelée pour aider -l'artillerie de position. Il avait donc les moyens de disputer la -place à l'ennemi, et de donner à Napoléon le temps de manœuvrer -autour d'elle comme il le jugerait utile au plus grand bien des -opérations.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, calculant sur les forces laissées à -Saint-Cyr pour la défense de Dresde, forme l'une des plus grandes et -des plus redoutables combinaisons de sa vie militaire.</span> -C'est sur cet état de choses que Napoléon fonda ses calculs en -recevant à Gorlitz le détail de ce qui s'était passé du côté de -Dresde. Il ne pouvait pas savoir tout ce que nous venons de rapporter -des mouvements de l'ennemi; mais il savait par la présence de masses -considérables sur les derrières de Dresde, qu'entre les divers plans -possibles les coalisés avaient adopté celui qui consistait à le -tourner, en se portant sur la rive gauche de l'Elbe, et en descendant -en Saxe par Péterswalde. Ayant prévu ce mouvement, comme l'un des plus -vraisemblables, il avait placé à Dresde, ainsi qu'on vient de le voir, -de quoi repousser une première attaque, et de quoi retenir la grande -armée du prince de Schwarzenberg plusieurs jours au moins. Ces données -bien certaines lui suffisaient, et il imagina sur-le-champ l'une des -combinaisons les plus belles, les plus redoutables qui soient sorties -de son génie, et dont l'exécution, si elle s'accomplissait suivant ses -vues, pouvait terminer la guerre en un jour, par l'un des plus -terribles coups qu'il eût jamais frappés.</p> - -<p>Napoléon revenait de Silésie, précédé ou suivi des masses les plus -mobiles de son armée qu'il faisait refluer vers l'Elbe. L'ennemi, pour -le tourner, avait franchi l'Elbe dans l'intérieur de la Bohême, à -l'abri des montagnes qui séparent la Bohême de la Saxe. -<span class="sidenote" title="En marge">Au lieu de déboucher directement de Dresde, il forme le -projet de remonter jusqu'à Kœnigstein, de passer l'Elbe en cet -endroit, et de prendre par derrière la grande armée de la coalition.</span> -Il fallait le -punir de ce mouvement téméraire en repassant l'Elbe soi-même, pour -fondre sur lui avec des masses écrasantes. Maître des ponts de Dresde, -Napoléon pouvait y traverser l'Elbe tranquillement, et, amenant cent -mille hommes avec lui, aborder de front les coalisés, et les refouler -violemment sur les <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> montagnes d'où ils étaient venus. Mais -avec ce coup d'œil qui n'appartenait qu'à lui, Napoléon jugea qu'il -y avait bien mieux à faire. Au lieu de déboucher de front par Dresde, -ce qui n'aurait donné lieu qu'à un choc direct, il résolut de remonter -à Kœnigstein, qu'il avait occupé d'avance, approvisionné, rattaché -au rocher de Lilienstein par un pont de bateaux, puis après avoir -passé l'Elbe en cet endroit, de s'établir à Pirna, d'intercepter la -chaussée de Péterswalde, de descendre ensuite sur les derrières de -l'ennemi avec 140 mille hommes, de le pousser sur Dresde, et de le -prendre ainsi entre l'Elbe et l'armée française. Si ce plan à la fois -extraordinaire et simple, qu'une admirable prévoyance avait rendu -praticable, en s'assurant d'avance tous les passages de l'Elbe, si ce -plan réussissait, et on ne conçoit pas ce qui aurait pu l'empêcher de -réussir, il était possible que sous trois ou quatre jours il ne restât -plus de coalition. On pouvait avoir fait prisonniers les souverains et -leurs armées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon écrit au maréchal Saint-Cyr pour lui bien -recommander la défense de Dresde.</span> -Napoléon, l'esprit enflammé par la méditation de ce plan, se hâta -d'écrire en chiffres à M. de Bassano, pour lui exposer la formidable -combinaison qu'il venait d'imaginer, pour lui recommander de la tenir -profondément secrète, mais de disposer tout le monde à la seconder, en -faisant prendre patience jusqu'à ce que les secours arrivassent, car -il allait employer deux jours au moins à se concentrer à -Kœnigstein, à y multiplier les moyens de passage pour faciliter le -mouvement des 140 mille hommes qu'il amenait, et enfin à se poster -convenablement sur la chaussée de Péterswalde. Il écrivit aussi au -<span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> maréchal Saint-Cyr, afin de lui retracer encore une fois tous -les moyens de défense que présentait la ville de Dresde, et il vint le -25 s'établir à Stolpen sur la droite du fleuve, à égale distance de -Kœnigstein et de Dresde. Il y fit refluer tout ce qui avait quitté -Zittau pour revenir sur l'Elbe, et tout ce qui arrivait des bords du -Bober avec la même destination.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'établit à Stolpen, et y amène toutes ses troupes -pour l'exécution de son plan.</span> -Établi à Stolpen, il arrêta toutes ses dispositions conformément à son -nouveau plan. Le corps de Vandamme, fort de trois divisions, s'était -déjà replié sur Kœnigstein à la première apparition de la grande -armée des coalisés. La moitié de l'une de ses divisions, celle du -général Teste, s'était répandue le long de l'Elbe, de Kœnigstein à -Dresde, pour empêcher l'ennemi de repasser le fleuve, et le tenir -enfermé sur la rive gauche. Napoléon laissa là cette demi-division, et -la renforça d'une nombreuse cavalerie avec ordre de s'opposer à -l'établissement de toute espèce de ponts. -<span class="sidenote" title="En marge">Manière d'employer le corps de Vandamme.</span> -Il prescrivit à Vandamme de -passer avec ses deux autres divisions par le pont jeté entre -Lilienstein et Kœnigstein, d'assaillir le camp de Pirna sous lequel -l'ennemi avait défilé sans l'occuper en forces, de s'en emparer, d'y -rallier la première division de Saint-Cyr, celle de Mouton-Duvernet, -laissée à Pirna, et d'aller s'établir à cheval sur la chaussée de -Péterswalde. Il devait avoir ainsi outre ses deux premières divisions -une moitié de la 3<sup>e</sup> (celle de Teste) et la première de Saint-Cyr. -<span class="sidenote" title="En marge">Forces et instructions données à ce général.</span> -Napoléon, pour lui procurer quatre divisions entières, emprunta au -maréchal Victor la brigade du prince de Reuss, y ajouta la cavalerie -de Corbineau, ce qui composait un corps de plus de 40 mille hommes, -<span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> dont 36 mille d'infanterie et près de 5 mille de cavalerie. -Il disposa ensuite toute sa garde et le maréchal Victor revenu de -Zittau autour de Stolpen, de manière à suivre le général Vandamme dès -que celui-ci serait maître du camp de Pirna, pressa la marche du -maréchal Marmont, et fit réunir tous les bateaux qu'on put ramasser -pour jeter deux ponts supplémentaires entre Lilienstein et -Kœnigstein. Ces ponts jetés, il devait avec Vandamme, Victor, la -garde impériale et Marmont, avoir sous la main cent vingt mille hommes -à lancer sur les derrières de l'ennemi. Son projet était, tandis qu'il -repasserait l'Elbe à Kœnigstein, d'envoyer la cavalerie -Latour-Maubourg le repasser à Dresde, afin de tromper le prince de -Schwarzenberg, et de lui persuader que toute l'armée française allait -déboucher par cette ville. Il aurait eu ainsi 40 et quelques mille -hommes dans Dresde, et 120 mille au camp de Pirna, pour former l'étau -dans lequel il voulait prendre l'armée coalisée. Afin d'être plus sûr -de la garde de l'Elbe, dont il fallait faire un obstacle -insurmontable, il ne se contenta pas de la moitié de la division Teste -et de la cavalerie Latour-Maubourg distribuées entre Kœnigstein et -Dresde, mais il ordonna au maréchal Saint-Cyr d'expédier la cavalerie -Lhéritier et deux bataillons d'infanterie pour aller garder Meissen, à -huit lieues de Dresde, afin que l'ennemi lorsqu'il serait acculé sur -cette ville, ne pût pas trouver passage au-dessous. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon après avoir tout disposé pour obtenir un immense -résultat, donne un jour de repos à ses troupes.</span> -Enfin la pluie -ayant détrempé les routes, les bateaux étant difficiles à réunir entre -Lilienstein et Kœnigstein, et les troupes étant fatiguées, il crut -pouvoir leur donner un jour de repos <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> sans rien compromettre, -car tout paraissait calme autour de Dresde. En conséquence il décida -que Vandamme ne passerait le pont de l'Elbe entre Lilienstein et -Kœnigstein pour assaillir le camp de Pirna que vers la fin de la -journée du 26.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvements des coalisés autour de Dresde.</span> -Malheureusement pendant ce temps les esprits commençaient à se -troubler à Dresde en voyant se déployer les masses de l'armée -coalisée. Du 23 au 25 on n'avait aperçu que la première colonne, celle -qui avait suivi la route de Péterswalde. Les jours suivants les autres -colonnes s'étaient montrées à leur tour, et les hauteurs de Dresde -avaient paru en être couvertes. Il ne manquait à cette réunion que la -dernière colonne autrichienne, celle de Klenau, qui ayant passé par -Carlsbad et Zwickau, avait le plus de chemin à faire pour revenir sur -Dresde. Les conseillers d'Alexandre, accourus sur le terrain, -s'étaient partagés, comme de coutume, et les plus hardis, le général -Jomini en tête, en voyant les trois divisions de Saint-Cyr dans la -plaine, avaient conseillé de se ruer sur elles, pour rentrer dans -Dresde à leur suite, et détruire ainsi d'un seul coup tout notre -établissement sur l'Elbe. La proposition avait de quoi séduire, et -Moreau consulté avait répondu, avec son ordinaire sûreté de jugement, -qu'on aurait raison de faire cette tentative, si Saint-Cyr était -capable d'attendre à découvert le choc de masses écrasantes, et s'il -n'y avait rien derrière lui, soit en ouvrages de défense, soit en -réserve de troupes, mais que ce n'était pas supposable, et qu'il -serait grave de s'exposer à un échec au début des hostilités. Au -milieu de ce conflit, le prince de Schwarzenberg <span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> avait dit -qu'en tout cas il fallait différer d'un jour, car sa quatrième colonne -n'était point arrivée. On avait donc remis au lendemain 26 le parti à -prendre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Profonde terreur à Dresde.</span> -Cette accumulation successive des troupes coalisées autour de Dresde -s'apercevait de l'intérieur de la ville, et y causait une sorte de -terreur. On avait adressé à Napoléon messages sur messages pour le -presser d'accourir en personne avec toutes ses réserves, afin de -repousser l'attaque formidable dont on était menacé. -<span class="sidenote" title="En marge">Murat envoyé dans cette ville pour voir ce qui s'y -passait.</span> -En réponse à ces -instances il avait envoyé Murat qui, après une reconnaissance de -cavalerie dans laquelle il avait failli être pris, avait constaté la -présence d'une armée fort nombreuse, manifestant l'intention -d'attaquer Dresde, et n'avait rien pu voir de plus, car il ne -connaissait pas les défenses de la ville, et n'était pas capable -d'ailleurs d'avoir un avis bien éclairé sur leur valeur. -<span class="sidenote" title="En marge">Lettre de Napoléon au maréchal Saint-Cyr sur la défense de -Dresde.</span> -Napoléon -toujours plus sollicité d'accourir, et s'y refusant pour ne pas -abandonner un plan duquel il attendait des résultats immenses, avait -écrit au maréchal Saint-Cyr afin de lui détailler de nouveau ses -moyens défensifs, qui consistaient dans un camp retranché composé de -cinq redoutes et de vastes abatis, dans la vieille enceinte de la -ville refaite au moyen d'un fossé plein d'eau et de fortes palissades, -et enfin dans des barricades établies à la tête de toutes les rues, et -il lui avait dit que le camp retranché pris il restait l'enceinte, -après l'enceinte les têtes de rues barricadées, que trente mille -soldats bien commandés devaient se défendre là six à huit jours, et -même quinze, s'ils étaient bien résolus.--Un homme moins habile, mais -plus dévoué que le <span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> maréchal Saint-Cyr, aurait promis de faire -tuer jusqu'au dernier de ses soldats en défendant la place, et aurait -tenu parole, car le salut de la France et sa grandeur dépendaient en -cette occasion d'une résistance opiniâtre de quarante-huit heures. -Malheureusement le maréchal, craignant de prendre des engagements -téméraires, se contenta d'écrire qu'il ferait de son mieux, mais qu'il -ne pouvait répondre de rien, en présence des masses ennemies dont il -était environné<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Froides assurances du maréchal Saint-Cyr en réponse aux -vives instances de Napoléon.</span> -Certes on pouvait compter, lorsqu'il promettait -de faire de son mieux, qu'il tiendrait sa promesse, et que ce mieux -serait une résistance aussi ferme qu'intelligente. Mais l'intérêt de -la conservation de Dresde était si grand que Napoléon, mécontent de -l'extrême réserve du maréchal, fit partir son officier d'ordonnance -Gourgaud pour cette ville, avec mission de tout voir, d'entendre tout -le monde, et de revenir ensuite au galop, afin qu'il pût prendre sa -résolution en parfaite connaissance de cause.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'officier d'ordonnance Gourgaud envoyé à Dresde pour -s'assurer de nouveau du véritable état des choses.</span> -Le chef d'escadron Gourgaud, officier brave et spirituel, n'avait pas -un jugement assez froid pour bien remplir une semblable mission. Quand -il arriva dans la journée du 25 à Dresde, la population, la cour, -étaient dans les alarmes. Les généraux eux-mêmes commençaient à -perdre leur sang-froid, et il <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> régnait partout l'anxiété la -plus vive. On abandonnait en foule la ville principale, dite la ville -vieille, laquelle étant située sur la rive gauche de l'Elbe se -trouvait exposée aux attaques de l'ennemi, pour se rendre dans le -faubourg de la rive droite, appelé ville neuve. On y avait préparé le -logement du roi et celui de M. de Bassano; les magistrats eux-mêmes -s'y étaient transportés, et la population entière suivait leur -exemple, sans savoir où elle logerait. On comprend que devant une -attaque exécutée par 200 mille hommes et 600 bouches à feu, cette -malheureuse population fût épouvantée, et que, tout allemande qu'elle -était, désirant par conséquent le succès des coalisés, elle ne le -désirât plus cette fois, et demandât à grands cris le secours de -Napoléon. Le roi surtout, facile à troubler, entouré d'une nombreuse -famille aussi timide que lui, était saisi de terreur. Le maréchal -Saint-Cyr, le général Durosnel, chargés de la défense, l'un comme -commandant du 14<sup>e</sup> corps, l'autre comme gouverneur de Dresde, pressés -de questions par l'officier d'ordonnance Gourgaud, ne lui parurent pas -convaincus de la force de la position, et lui firent un rapport peu -rassurant. -<span class="sidenote" title="En marge">Ému par ce qu'il a vu, l'officier d'ordonnance Gourgaud -fait à Napoléon un rapport alarmant.</span> -Ce dernier, dont l'esprit s'échauffait aisément, repartit -au galop dans la soirée du 25, arriva vers onze heures du soir à -Stolpen, fit la peinture la plus vive des dangers qui menaçaient -Dresde, au point d'ébranler le jugement ordinairement si ferme de -Napoléon, et de lui faire oublier les considérations puissantes qu'il -avait présentées lui-même au maréchal Saint-Cyr. Napoléon n'avait -besoin en effet que de deux jours pour descendre par <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> -Kœnigstein sur les derrières de l'ennemi, et il n'était pas -possible après tout que Dresde ne résistât pas deux jours, car on -avait à opposer aux assaillants le camp retranché, l'enceinte de la -ville, et enfin les têtes de rues fortement barricadées. En supposant -même que la vieille ville succombât, une chose était certaine, c'est -que la ville neuve située sur la rive droite de l'Elbe, moyennant -qu'on brûlât le pont dont une partie était en bois, ne succomberait -point, que dès lors l'ennemi se trouverait toujours dans un vrai -cul-de-sac, et qu'en débouchant sur ses derrières on serait assuré de -le pousser dans un abîme. Toutefois le sacrifice de la vieille ville -était cruel sous le rapport de l'humanité, fâcheux sous le rapport de -la politique, car c'était rendre notre alliance bien funeste à la -Saxe, et Napoléon ne regardait pas cette ressource extrême de se -défendre dans la ville neuve comme acceptable. -<span class="sidenote" title="En marge">Malgré toutes les raisons qu'il avait de persister dans son -premier plan, Napoléon en adopte un nouveau, moins fécond en grands -résultats, mais plus sûr.</span> -D'ailleurs, bien que -son plan lui tînt fort au cœur, et qu'aucune combinaison ne pût en -égaler la grandeur et les résultats probables, il lui restait une -autre combinaison féconde aussi en conséquences, c'était, au lieu de -jeter par Kœnigstein toute la masse de ses forces sur les derrières -de l'ennemi, de ne jeter par cette issue que les quarante mille hommes -de Vandamme et de déboucher directement par Dresde avec cent mille. -<span class="sidenote" title="En marge">Il se décide à déboucher directement de Dresde avec cent -mille hommes, en confiant au général Vandamme le soin de tourner -l'ennemi avec 40 mille.</span> -Certainement Vandamme maître du camp de Pirna, à cheval sur la grande -chaussée de Péterswalde, devait en tombant sur les coalisés vaincus -devant Dresde leur faire essuyer d'énormes dommages, car il prendrait -tous ceux qui essayeraient de repasser par Péterswalde, et -refoulerait les autres sur des routes mal <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> frayées où la -retraite serait excessivement difficile. Ce nouveau plan présentait -moins d'avantages sans doute, mais il en promettait de bien grands -encore, et il était moins hasardeux, puisqu'en réunissant près de cent -mille hommes à Dresde, Napoléon sauvait la ville, avait le moyen de -battre l'ennemi sous ses murs, et avait en outre pour compléter la -victoire et en tirer les dernières conséquences, Vandamme embusqué à -Kœnigstein. Il se décida donc pour ce plan, moins vaste mais plus -sûr; et ainsi plus audacieux que jamais en politique, il le fut moins -que de coutume en fait de guerre, à l'inverse de ce qui aurait dû -être, car moins il avait montré de sagesse dans sa politique, plus il -aurait dû montrer d'audace dans ses opérations militaires, s'étant mis -dans la nécessité d'avoir des triomphes inouïs ou de périr. Mais -lui-même, contraste étrange! devenait défiant à l'égard de la fortune, -dans un moment où par le refus de la paix il lui avait livré son -existence tout entière!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Troupes dirigées sur Dresde.</span> -Son parti pris à minuit, avec une promptitude qui ne l'abandonnait -jamais, il dicta ses ordres à l'instant même. Il dirigea sur Dresde sa -vieille garde arrivée déjà dans les environs de Stolpen, la cavalerie -de Latour-Maubourg arrivée également en ce lieu, la moitié de la -division Teste restée sur le bord de l'Elbe, et leur recommanda de -marcher toute la nuit pour être rendues à Dresde à la pointe du jour, -traverser les ponts, et venir se placer derrière le corps du maréchal -Saint-Cyr. Il donna les mêmes instructions à la jeune garde et au -maréchal Marmont qui étaient encore sur la route de Lowenberg, -<span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> et au maréchal Victor qui avait quitté Zittau afin de se -transporter à Kœnigstein. -<span class="sidenote" title="En marge">Instructions laissées au général Vandamme.</span> -En même temps il traça au général -Vandamme ce qu'il aurait à faire pendant la journée du lendemain 26. -Ce dernier devait avec ses 40 mille hommes traverser le pont jeté -antérieurement entre Lilienstein et Kœnigstein, déboucher sur la -rive gauche de l'Elbe, assaillir le camp de Pirna, l'enlever, et -s'établir en travers de la chaussée de Péterswalde. À ces instructions -il ajouta le secours d'un conseiller éclairé, celui du général Haxo, -qu'il chargea d'être le guide et le mentor du bouillant Vandamme. Ces -ordres expédiés, Napoléon prit un repos de quelques heures, et à la -pointe du jour partit au galop pour Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span> -Il y arriva vers 9 heures -du matin le 26 août, la première de deux journées justement célèbres.</p> - -<p>Chemin faisant il avait aperçu une batterie qui de la rive droite de -l'Elbe devait tirer sur la rive gauche moins élevée que la droite, -afin d'appuyer l'extrémité de la ligne du maréchal Saint-Cyr. Il la -fit renforcer et placer le plus avantageusement possible, puis il -entra dans Dresde, suivi des braves cuirassiers de Latour-Maubourg. -<span class="sidenote" title="En marge">Enthousiasme excité par sa présence.</span> -L'enthousiasme à son aspect fut extrême parmi les troupes et les -habitants. Il y avait près du grand pont de pierre un hôpital de -blessés français, dont les convalescents se tenaient ordinairement -près des abords de ce pont, regardant travailler leurs camarades aux -ouvrages de défense. À la vue de l'Empereur, ces jeunes gens se -traînant comme ils pouvaient sur leurs membres mutilés, agitant les -uns leurs bonnets, les autres leurs béquilles, se mirent à crier -<cite>Vive l'Empereur!</cite> avec <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> un véritable fanatisme militaire. Les -habitants, contraints à saluer en lui leur sauveur, l'accueillirent en -poussant les mêmes cris, et en lui demandant de garantir des horreurs -de la guerre leurs femmes et leurs enfants. D'ailleurs le dernier -séjour qu'avaient fait chez eux les coalisés, les Russes surtout, les -avait presque réconciliés avec les Français, qui les traitaient -beaucoup moins durement. Déjà quelques boulets tombant sur le pont et -sur la grande place les avertissaient du péril, et Napoléon leur -apparaissait en ce moment comme un vrai libérateur. Il se rendit chez -le roi de Saxe pour le rassurer, l'engagea vivement à ne pas être -inquiet pour le sort de cette journée, puis se transporta sur le front -du camp retranché, afin de rejoindre le maréchal Saint-Cyr qui était à -la tête de ses troupes, et faisait ses dispositions tactiques avec son -habileté accoutumée.</p> - -<p>Nous avons déjà donné une première idée du site et de la configuration -de Dresde. La ville principale se trouve sur la gauche de l'Elbe, et -se montre par conséquent la première quand on vient des bords du Rhin. -(Voir la carte n<sup>o</sup> 58, et le plan de Dresde ajouté à cette carte.) Une -suite de hauteurs, détachées des montagnes de la Bohême, enveloppent -la ville, et forment autour d'elle une sorte d'amphithéâtre. -<span class="sidenote" title="En marge">Description de la position de Dresde.</span> -C'est sur -cet amphithéâtre que s'étaient rangés les coalisés, descendus de la -Bohême pour nous prendre à revers. Ils avaient ainsi le dos tourné à -la France, comme s'ils en étaient venus, et nous à l'Allemagne, comme -si nous avions été chargés de combattre pour elle. Notre ligne de -défense, adossée à la vieille ville, présentait un demi-cercle -<span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> dont les deux extrémités s'appuyaient à l'Elbe, l'extrémité -gauche au faubourg de Pirna, l'extrémité droite au faubourg de -Friedrichstadt. Cette ligne consistait d'abord, ainsi que nous l'avons -dit, dans cinq redoutes élevées au saillant des faubourgs, et jointes -entre elles par des clôtures et des abatis (c'est ce qu'on appelait le -camp retranché), puis dans la vieille enceinte composée d'un fossé et -de palissades, et enfin dans les têtes de rues que l'on avait -barricadées. -<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr.</span> -C'est à la ligne extérieure des redoutes que le maréchal -Saint-Cyr avait placé ses troupes. Sa première division étant restée -avec Vandamme, il avait rangé la seconde (43<sup>e</sup> de l'armée) sur la -première moitié du pourtour de la ville, en partant de la barrière de -Pirna jusqu'à la barrière de Dippoldiswalde. Il avait rangé sa -quatrième division (45<sup>e</sup>) sur l'autre moitié du pourtour se terminant -au faubourg de Friedrichstadt. En avant du faubourg de Pirna se -trouvait un vaste jardin public, dit le <i>Gross-Garten</i>, large de -quatre ou cinq cents toises, long de mille ou douze cents, et qui -présentait, par rapport aux dispositions de cette journée, une forte -saillie en avant de notre gauche. Le maréchal Saint-Cyr y avait établi -sa troisième division (la 44<sup>e</sup>), mais avec la précaution de ne laisser -que de simples postes dans la partie avancée du jardin, et de mettre -le gros de la division en arrière, pour qu'elle ne fût pas coupée de -l'enceinte de la ville, à laquelle le <i>Gross-Garten</i> n'était pas -immédiatement lié. Le maréchal Saint-Cyr avait distribué ses postes -avec un art infini, de manière qu'ils se soutinssent les uns les -autres, et entre les redoutes, dont quelques-unes ne se flanquaient -<span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> pas assez, il avait disposé de l'artillerie attelée, pour -remplir par des feux mobiles les lacunes entre les feux fixes. -<span class="sidenote" title="En marge">Emplacement des forces russes, prussiennes et autrichiennes -autour de Dresde.</span> -Les Russes de Wittgenstein et de Miloradovitch, sous Barclay de Tolly, -descendus de Péterswalde, et faisant face à notre gauche, devaient -attaquer entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>, par les barrières de Pirna -et de Pilnitz. Les Prussiens, sous le général Kleist, devaient -attaquer le <i>Gross-Garten</i>. Les Autrichiens, venus par les débouchés -les plus éloignés, et ramenés ensuite sur Dresde par la route de -Freyberg, formaient la gauche des alliés, faisaient par conséquent -face à notre droite, et devaient attaquer entre les barrières de -Dippoldiswalde et de Freyberg. C'était du moins ce qu'on pouvait -supposer d'après la distribution apparente des forces ennemies sur le -demi-cercle des hauteurs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Reconnaissance exécutée par Napoléon autour de la ville.</span> -Napoléon après avoir parcouru cette ligne sous un feu de tirailleurs -assez vif, approuva toutes les dispositions du maréchal Saint-Cyr, et -lui fit connaître ses intentions. Les cuirassiers venaient d'arriver, -et la vieille garde les suivait; mais la jeune garde, forte de quatre -belles divisions, ne pouvait être rendue à Dresde que fort tard dans -la journée. Les maréchaux Marmont et Victor se trouvaient encore plus -loin. Le projet de Napoléon était de placer une partie de la vieille -garde aux diverses barrières, pour les garantir contre tout succès -imprévu de l'ennemi, et de ne faire donner cette troupe de -prédilection qu'à la dernière extrémité. Avec le reste de la vieille -garde, tenue en arrière sur la principale place de la ville, il -devait attendre l'événement. <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> Dès qu'il aurait la jeune garde -sous la main, Napoléon se réservait de l'employer lui-même selon les -besoins. -<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions qu'il ajoute à celles qu'avait faites le -maréchal Saint-Cyr.</span> -Il rangea Murat avec toute la cavalerie de Latour-Maubourg -dans la plaine de Friedrichstadt, qui s'étend en avant du faubourg de -ce nom, et qui formait l'extrême droite de notre ligne de défense, -pour occuper l'espace que la quatrième division du maréchal Saint-Cyr -ne pouvait pas remplir à elle seule. Entre cette division et la -deuxième, c'est-à-dire vers le centre, les forces paraissant -insuffisantes, Napoléon y envoya une partie de la garnison de Dresde -composée de Westphaliens. Il ordonna au général Teste de rentrer en -ville avec sa brigade laissée sur l'Elbe, pour venir soutenir la -cavalerie de Latour-Maubourg dans la plaine de Friedrichstadt.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dans cette journée du 26, le combat n'avait pas commencé à -la moitié du jour.</span> -On attendit ainsi résolûment l'attaque des deux cent mille ennemis -qu'on avait devant soi, et dont on devait supposer que l'effort serait -violent, car ils ne pouvaient se flatter d'emporter Dresde que par un -coup d'extrême vigueur. Pourtant on était à la moitié du jour, et on -n'entendait qu'un feu de tirailleurs sur notre gauche, du côté du -<i>Gross-Garten</i>. Ce feu s'était engagé entre les Prussiens et la 44<sup>e</sup> -division, habilement commandée par le général Berthezène.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitation des coalisés, et motif de cette hésitation.</span> -Il est aisé de deviner pourquoi les coalisés étaient si lents ce -jour-là, c'est qu'il s'était élevé un nouveau conflit d'opinion au -sein de leur état-major. Ils étaient convenus la veille d'ajourner -toute résolution jusqu'au lendemain 26, soit pour laisser arriver la -quatrième colonne, celle de Klenau, soit pour lire plus clairement -dans les desseins des Français. Le 26 au matin tout leur avait paru -changé, car Saint-Cyr <span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> au lieu d'être déployé dans la plaine, -s'était sagement replié sur les ouvrages de la ville, et ne semblait -pas facile à forcer dans sa position. De plus on devait supposer que -Napoléon n'était pas homme à l'y abandonner sans secours, et que dès -lors les cinq ou six mille hommes, les dix mille peut-être, qu'on -serait obligé de sacrifier pour enlever Dresde, seraient probablement -sacrifiés inutilement, ce qui était un triste début pour la grande -armée coalisée, sans compter les dangers qu'on pourrait courir du côté -de Pirna, et dont personne au reste n'avait une idée claire parmi les -coalisés! -<span class="sidenote" title="En marge">Diversité des avis.</span> -Dans ce nouvel état de choses, le général Jomini, qui avait -l'esprit ardent mais juste, se rangea au sentiment du général Moreau, -l'empereur Alexandre à celui de tous les deux, et on parut décidé à se -replier sur les hauteurs de Dippoldiswalde, pour s'y établir, le dos -contre les montagnes, dans une position tout à la fois sûre et -menaçante. -<span class="sidenote" title="En marge">Insistance du roi de Prusse pour une attaque immédiate.</span> -Mais le roi de Prusse, dominé par les passions de son -armée, dit avec un ton d'opiniâtreté froide, qu'après avoir fait une -tentative si ambitieuse sur les derrières de Napoléon, se retirer sans -même essayer une démonstration contre Dresde, était une conduite qui -dénoterait autant de légèreté que de faiblesse, et qui d'ailleurs -froisserait singulièrement le patriotisme de ses soldats. Le général -Jomini répliqua que la guerre n'était pas une affaire de sentiment, -mais de calcul, qu'il aurait fallu attaquer la veille, c'est-à-dire le -25, qu'alors on aurait eu des chances, mais qu'aujourd'hui il n'y en -avait pas assez pour sacrifier six mille hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Sur l'avis des généraux Moreau et Jomini, le projet -d'attaque est abandonné.</span> -Moreau appuya cet -avis; Alexandre, suivant <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> son usage, paraissait flottant, le -roi de Prusse se montrait mécontent et roide, lorsqu'un habitant de -Dresde, arrêté aux avant-postes, et sommé de dire ce qu'il savait, -déclara que Napoléon venait d'entrer dans Dresde, qu'il n'y était pas -entré seul, et donna des détails tels qu'il était impossible de -conserver aucun doute à cet égard. De son côté la colonne russe -descendue par Péterswalde avait aperçu au delà de l'Elbe les masses de -l'armée française accourant sur Dresde, de façon que tout annonçait -une résistance des plus sérieuses. Dès lors il ne pouvait plus y avoir -qu'un avis, celui d'aller prendre tout de suite la position de -Dippoldiswalde. Le prince de Schwarzenberg, tout en reconnaissant -qu'on avait raison, répondit qu'il n'était pas aussi facile de se -retirer qu'on l'imaginait, que sa quatrième colonne, arrivée la -dernière, et fort avancée vers la gauche, se trouverait en péril si on -rétrogradait trop vite, car dans le mouvement de conversion en arrière -qu'on allait opérer pour s'éloigner de Dresde et s'adosser aux -montagnes, elle aurait l'arc de cercle le plus long à décrire, -plusieurs vallées à traverser, et qu'il fallait à cause d'elle mettre -beaucoup de lenteur à se replier. -<span class="sidenote" title="En marge">Cependant le contre-ordre n'ayant pas été donné à temps, -toutes les colonnes des coalisés en entendant sonner trois heures aux -cloches de Dresde, s'ébranlent pour attaquer la ville.</span> -Il promit au surplus de contremander -tout projet d'attaque. Le généralissime autrichien, qui avait pour -principal rédacteur de ses dispositions le général Radetzki, avait -adressé la veille pour le lendemain l'ordre convenu de faire une forte -démonstration sur Dresde, ce qui, dans tous les cas, était très-mal -imaginé, car il aurait fallu ou une attaque furieuse, ou rien. Soit la -difficulté de changer assez vite les ordres destinés à une masse de -<span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> deux cent mille hommes, soit la répugnance à s'en aller sans -combattre, l'ordre d'attaquer ne fut pas contremandé à temps, et les -cloches de Dresde ayant à toutes les églises sonné trois heures, les -nombreuses colonnes des coalisés s'ébranlèrent à la fois, et bientôt -une violente canonnade se fit entendre, au grand étonnement des -souverains qui ne songeaient qu'à se retirer. -<span class="sidenote" title="En marge">Bataille du 26.</span> -Le mouvement étant ainsi -donné de la droite à la gauche, il n'était plus possible de l'arrêter, -et l'attaque se trouva engagée sur tout le pourtour de la ville de -Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les Russes, sous Wittgenstein, attaquent la barrière de -Pirna.</span> -Le corps de Wittgenstein formant la droite des coalisés, opposé par -conséquent à notre gauche, s'avança entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i> -en face du faubourg de Pirna. Il fallait franchir un gros ruisseau -canalisé, appelé le <em>Land-Graben</em>, et menant dans l'Elbe les eaux des -hauteurs environnantes. Les soldats de la 43<sup>e</sup> division (seconde de -Saint-Cyr) disputèrent vivement le terrain. Les Russes, indépendamment -d'une batterie française placée sur l'autre rive de l'Elbe, avaient à -leur droite notre première redoute construite en avant de la barrière -de Ziegel, à leur gauche notre seconde redoute, construite en avant de -la barrière de Pirna, et en face des batteries attelées, dont les feux -mobiles les attendaient à chaque partie découverte du terrain. Ils -eurent donc une grande peine à s'avancer; ils franchirent néanmoins le -<em>Land-Graben</em>, puis cheminèrent entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>, -aidés par les progrès des Prussiens dans le <i>Gross-Garten</i>. -<span class="sidenote" title="En marge">Les Prussiens enlèvent le <i>Gross-Garten</i>.</span> -Ceux-ci en -effet, après de violents efforts, avaient fini par s'emparer de ce -jardin, grâce à leur nombre. Ils <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> étaient plus de 25 mille -contre une simple division (la 43<sup>e</sup>), qui était de 6 à 7 mille hommes, -et qui ne voulait pas s'obstiner à cette défense jusqu'à courir la -chance d'être coupée de la ville. Elle rétrograda peu à peu, de -manière à couvrir le plus longtemps possible les parties de notre -ligne qui s'étendaient à gauche et à droite, et se replia entre les -barrières de Pirna et de Dohna, disputant opiniâtrement le jardin du -prince Antoine, qui était situé en arrière du <i>Gross-Garten</i>, et -formait le saillant du faubourg de Pirna. Elle vint s'y lier à la 45<sup>e</sup> -division (quatrième de Saint-Cyr), chargée de défendre le reste de -l'enceinte.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les Autrichiens s'emparent de la redoute du jardin -Moczinski.</span> -Tel était vers cinq heures du soir l'état des choses dans cette partie -de notre ligne. L'ennemi sur ce point avait fort approché des -redoutes, mais n'en avait enlevé aucune. Au centre, l'attaque avait -fait plus de progrès. Les Autrichiens, apercevant une masse immense de -cavalerie qui couvrait déjà la plaine de Friedrichstadt sur leur -gauche, avaient porté tous leurs efforts sur notre centre, et avaient -abordé deux des redoutes, la troisième et la quatrième, construites -dans cette partie, l'une située en avant du jardin Moczinski près de -la porte de Dohna, l'autre en avant de la porte de Freyberg. Attaquant -avec cinquante pièces de canon chacune de ces redoutes, ils avaient -fini par en éteindre le feu, et profitant ensuite de quelques plis de -terrain ils avaient ouvert une fusillade tellement meurtrière, -notamment sur celle du jardin Moczinski, qu'ils avaient forcé nos -soldats à l'évacuer. Ils l'avaient alors occupée. C'était la seule de -nos redoutes qu'ils <span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> eussent prise, mais un effort énergique -sur la quatrième, et sur la cinquième qui venait après, pouvait les en -rendre maîtres, et à leur droite les Russes se trouvaient déjà au pied -de la première et de la seconde, tout prêts à donner l'assaut.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Quelques compagnies de la vieille garde arrêtent l'ennemi -aux barrières de Pirna et de Freyberg.</span> -Quoiqu'il fût tard et qu'il restât peu de jour à l'ennemi pour agir, -le péril était grave. Malgré l'ordre de ménager la vieille garde, -Friant qui commandait les grenadiers de ce corps, et qui était placé -en réserve au faubourg de Pirna, n'avait pas craint d'engager quelques -compagnies de ces braves gens. Ces vieux soldats ouvrant hardiment les -barrières de Pilnitz et de Pirna, avaient tiré à bout portant sur les -têtes de colonnes russes, puis repoussé à la baïonnette les -détachements qui s'étaient trop approchés. À l'extrémité opposée, -c'est-à-dire à la porte de Freyberg, les fusiliers avaient agi de -même, et culbuté les Autrichiens. Ces actes d'énergie n'avaient -heureusement pas coûté beaucoup de monde à la vieille garde que -Napoléon tenait à ménager, réservant à la jeune l'honneur et -l'éducation des grands dangers.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de la jeune garde vers la fin du jour.</span> -Mais les colonnes de cette jeune garde arrivaient en ce moment, -impatientes de se mesurer avec l'ennemi, et remplissant Dresde des -cris de <cite>Vive l'Empereur!</cite> Elles présentaient quatre belles divisions -de huit à neuf mille hommes chacune, deux sous le maréchal Mortier, et -deux sous le maréchal Ney. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dispose lui-même aux barrières de Pilnitz et de -Pirna les quatre divisions de la jeune garde.</span> -En les voyant, Napoléon accourt et les -dispose lui-même. Il envoie les divisions Decouz et Roguet à la -barrière de Pilnitz pour refouler les Russes, qui ne cessaient de -gagner du terrain, les divisions Barrois <span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> et Parmentier à la -barrière de Pirna pour refouler les Prussiens, qui après avoir enlevé -le <i>Gross-Garten</i>, donnaient déjà la main aux Autrichiens près de la -redoute du jardin Moczinski. En même temps Napoléon fait ordonner à -Murat, que l'infanterie du général Teste venait de rejoindre, de -charger avec toute sa cavalerie dans la plaine de Friedrichstadt.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ces quatre divisions débouchent brusquement des barrières -de Pilnitz et de Pirna, et refoulent l'ennemi sur tous les points.</span> -En un instant la scène change. Les barrières de Ziegel et de Pilnitz -s'ouvrent, et deux divisions de la jeune garde sortent comme des -torrents pour se jeter sur les Russes et les Prussiens. Elles se -déploient d'abord pour faire feu, puis se forment en colonnes, et -chargent à la baïonnette les masses ennemies. Les Russes surpris sont -arrêtés, et bientôt culbutés sur le <em>Land-Graben</em>, qu'ils sont forcés -de repasser en désordre. L'une de ces deux divisions se rabat à droite -sur le jardin du prince Antoine qu'attaquaient les Prussiens, et les -en chasse à la baïonnette. Elle vient ensuite se joindre aux troupes -de la 44<sup>e</sup> division, pour reprendre la redoute située à l'extrémité du -jardin Moczinski. -<span class="sidenote" title="En marge">Beaux résultats de la journée du 26.</span> -Les soldats de la jeune garde, ceux des 43<sup>e</sup> et 44<sup>e</sup> -divisions débouchent de ce jardin en plusieurs colonnes, se jettent -sur la redoute, les uns par la gorge, les autres par les épaulements, -s'en emparent, et y font prisonniers six cents Autrichiens. Au même -moment le général Teste, avec la brigade qui lui restait, sort par la -porte de Freyberg, s'empare du village de Klein-Hambourg, tandis que -Murat, se déployant avec douze mille cavaliers à notre extrême droite, -expulse les Autrichiens de la plaine de Friedrichstadt, et les oblige -à regagner les hauteurs. -<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi a perdu 6 mille hommes, et les Français tout au -plus 2 mille.</span> -De toutes <span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> parts les alliés vivement -repoussés reconnaissent dans ces actes vigoureux la main de Napoléon -et prennent le parti de la retraite en nous abandonnant trois ou -quatre mille morts ou blessés et deux mille prisonniers. Combattant à -couvert, nous n'avions pas perdu plus de deux mille hommes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Satisfaction de Napoléon; il espère plus encore pour le -lendemain.</span> -Napoléon était enchanté de cette première journée, car bien qu'il -n'eût pas éprouvé d'inquiétude pour la conservation de Dresde, il -était fort content d'être quitte de cette attaque à si peu de frais, -d'avoir en même temps arraché les habitants de Dresde ainsi que la -cour de Saxe à leur terreur, et il prévoyait avec joie une brillante -journée pour le lendemain. En effet, cette tentative du 26 ne pouvait -pas être le dernier effort de l'ennemi, et comme on attendait encore -40 mille hommes au moins dans la soirée, outre tout ce qu'on venait de -recevoir dans l'après-midi, Napoléon se croyait en mesure de livrer le -lendemain une bataille décisive. -<span class="sidenote" title="En marge">Du haut de l'un des clochers de Dresde, il avait discerné -une gorge profonde, celle de Plauen, qui divisait le champ de bataille -en deux.</span> -Étant monté plusieurs fois dans cette -journée à un clocher de la ville, d'où l'on apercevait -très-distinctement le demi-cercle de hauteurs qui entourent Dresde, il -avait tout à coup imaginé l'une des plus belles manœuvres qu'il eût -jamais exécutées. À notre gauche les Russes formant l'extrême droite -des coalisés, étaient rangés entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>. -<span class="sidenote" title="En marge">Il fonde sur cette circonstance une manœuvre décisive, -et destine à Murat la mission de précipiter les Autrichiens dans la -vallée de Plauen.</span> -Un peu -moins à gauche, en s'approchant du centre, étaient les Prussiens sous -le général Kleist, repoussés du <i>Gross-Garten</i> et repliés sur les -hauteurs de Strehlen. (Voir le plan des environs de Dresde, carte n<sup>o</sup> -58.) Tout à fait au centre se trouvait une partie des Autrichiens, -vis-à-vis des barrières de Dippoldiswalde <span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> et de Freyberg, sur -les hauteurs de Racknitz et de Plauen. Là, entre le centre et notre -droite, on découvrait une gorge étroite et profonde, servant de lit à -la petite rivière de la Weisseritz, laquelle vient se jeter dans -l'Elbe, entre la ville vieille et le faubourg de Friedrichstadt. C'est -au delà de cette gorge, appelée vallée de Plauen, à l'extrême gauche -des alliés, et à notre extrême droite, qu'était rangée la plus grande -partie des Autrichiens, séparés ainsi du reste de l'armée coalisée par -une sorte de gouffre, à travers lequel il était impossible de les -secourir. En outre, ce côté du champ de bataille était plus propre que -les autres aux manœuvres de la cavalerie. Napoléon saisissant d'un -coup d'œil les avantages qu'offrait cette circonstance locale, -avait résolu de renforcer le roi de Naples de tout le corps du -maréchal Victor, de le lancer par un détour à droite et d'une manière -foudroyante sur les Autrichiens, qui ne pouvant être secourus seraient -inévitablement précipités dans la gorge de Plauen, et après avoir -ainsi détruit la gauche des coalisés, de pousser Ney avec toute la -jeune garde sur leur droite, pour les refouler en masse sur les -hauteurs d'où ils avaient essayé de descendre. Il devait résulter de -ce double mouvement un double avantage, c'était de leur enlever à -droite la grande route de Freyberg, la plus large et la meilleure pour -opérer leur retraite, de les acculer à gauche sur cette route de -Péterswalde, où Vandamme les attendait à la tête de 40 mille hommes, -et de les réduire ainsi pour retourner en Bohême à des chemins mal -frayés, où ils ne repasseraient qu'en essuyant des pertes énormes.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon donne ses ordres sans prendre un moment -de repos.</span> -Ces combinaisons formées en un instant avec une merveilleuse -promptitude d'esprit, avaient rempli Napoléon d'une satisfaction qui -éclatait sur son visage, et qui n'était que la joie anticipée d'un -grand triomphe presque assuré pour le lendemain. Avant de prendre ni -repos ni nourriture, il donna ses ordres sans désemparer<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Victor chargé d'opérer avec Murat sur notre -droite, et contre la gauche des coalisés composée des Autrichiens.</span> -À droite -il plaça le général Teste sous le maréchal Victor, l'un et l'autre -sous Murat qui allait avoir ainsi 20 mille hommes d'infanterie et -environ 12 mille hommes de cavalerie, avec ordre de tourner les -Autrichiens par leur gauche, et de les pousser à outrance vers la -vallée de Plauen. -<span class="sidenote" title="En marge">Marmont et la garde rangés en masses au centre.</span> -Il prescrivit au maréchal Marmont, qui arrivait dans -le moment, de s'établir au centre, à la barrière de Dippoldiswalde, -près du jardin Moczinski, ayant derrière lui la vieille garde et la -réserve d'artillerie. -<span class="sidenote" title="En marge">Saint-Cyr chargé de faire face aux Prussiens à Strehlen.</span> -Le maréchal Saint-Cyr devait réunir ses trois -divisions, les ranger en colonne serrée entre la barrière de -Dippoldiswalde et la barrière de Dohna, la droite au maréchal Marmont, -la gauche au <i>Gross-Garten</i>. Ces deux corps, placés près de Napoléon -qui avait le projet de se tenir au centre (ce qu'il fit savoir à tous -ses lieutenants pour qu'ils vinssent y chercher <span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> ses ordres), -ne devaient recevoir d'instructions que sur le terrain même et de sa -propre bouche. -<span class="sidenote" title="En marge">Ney chargé avec la jeune garde et une partie de la -cavalerie de défiler devant le <i>Gross-Garten</i>, et de venir enlever aux -Russes la plaine entre Gruna et Prohlis.</span> -Enfin à l'extrême gauche, Ney, avec toute la jeune -garde et une portion de la cavalerie sous Nansouty, avait pour -instructions de défiler derrière le <i>Gross-Garten</i> avec près de -quarante mille hommes, de tourner autour de ce jardin, d'expulser les -Russes de la plaine qui s'étend de Striesen à Döbritz, et de les -refouler sur les hauteurs quand le désastre de la gauche des coalisés -les aurait suffisamment ébranlés. Sauf le conseil des événements, -Napoléon voulait en agissant par ses deux ailes, dont chacune allait -enlever aux coalisés l'une de leurs routes principales, demeurer -immobile au centre avec 50 mille hommes, se réservant d'en disposer au -besoin, sans crainte d'affaiblir le milieu de sa ligne, appuyé qu'il -était à la ville et à de fortes redoutes. Il avait en effet donné des -ordres pour que toutes les redoutes, et notamment celles du centre, -fussent réarmées, renforcées en hommes et en artillerie. Prévoyant de -plus un violent combat d'artillerie au centre, il y avait amené plus -de cent bouches à feu de la garde, indépendamment de toutes les -batteries de Marmont et de Saint-Cyr.</p> - -<p>Napoléon avec à peu près 120 mille hommes allait en combattre 200 -mille, car les coalisés, une fois tous les Autrichiens de Klenau -arrivés, n'en devaient pas avoir moins. De ces 200 mille, il y en -avait 180 mille devant Dresde, et 20 mille devant Pirna sous le prince -Eugène de Wurtemberg. Les coalisés auraient même pu en réunir -davantage, s'ils n'avaient pas laissé environ 30 mille hommes -<span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> entre Prague et Zittau à la garde de ce débouché, où était -resté le prince Poniatowski. Mais Napoléon avait pour contre-balancer -l'inégalité du nombre l'avantage de ses combinaisons, et les 40 mille -hommes du général Vandamme, placés à Pirna bien plus utilement qu'à -Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon soupe chez le roi de Saxe avec tous ses -maréchaux.</span> -Après avoir dicté ces dispositions de la manière la plus précise, -Napoléon alla souper chez le roi de Saxe avec ses maréchaux, et -recevoir les félicitations de toute la cour, bien heureuse maintenant -qu'elle était irrévocablement liée à notre sort, de voir l'ennemi -éloigné de la capitale et menacé d'une prochaine et grande défaite. -<span class="sidenote" title="En marge">Grandes espérances pour le lendemain.</span> -Napoléon ne révéla ses projets à personne, mais il annonça une -bataille décisive pour le lendemain, n'hésita point à dire qu'il la -rendrait funeste pour la coalition, et laissa éclater pendant toute la -soirée une gaieté singulière. Il ne se retira que fort tard, afin de -goûter un peu de repos entre deux batailles.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Délibérations dans le camp des coalisés.</span> -La journée ne se termina pas aussi gaiement dans le camp des -souverains alliés. -<span class="sidenote" title="En marge">On regrette fort l'événement de la journée du 26, mais on -se propose de rester devant Dresde, ne supposant pas que Napoléon ose -attaquer une armée de 200 mille hommes sur les hauteurs qu'elle -occupe.</span> -On s'y reprochait l'échec éprouvé devant Dresde, on -l'attribuait au contre-ordre décidé et point donné, et on n'était pas -d'avis de renouveler l'imprudente tentative qui venait de coûter -inutilement cinq à six mille hommes à l'armée combinée. Aller prendre -à Dippoldiswalde sur le penchant des montagnes de Bohême la position -menaçante conseillée par Moreau, n'était pas immédiatement praticable, -car c'eût été proclamer une véritable défaite, et la déclarer même -plus grave qu'elle n'était. Mais on résolut de rester en place sur -les coteaux qui entourent Dresde, et où l'on occupait <span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> une -excellente position. Les Français avaient eu l'avantage des lieux en -s'adossant à Dresde pour résister; on l'aurait à son tour en se tenant -sur le demi-cercle des hauteurs, et s'ils attaquaient on les -rejetterait en désordre vers ces faubourgs où l'on n'avait pas pu -pénétrer. Personne ne s'avisa de penser à ce gouffre de Plauen, au -delà duquel se trouvait une partie de l'armée autrichienne, et où il -serait impossible de lui porter secours s'il lui advenait malheur. -Seulement le prince de Schwarzenberg craignant de n'être pas assez -fort au centre, retira une partie des troupes qu'il avait au delà du -vallon de Plauen, affaiblit ainsi son aile gauche qu'il aurait dû -renforcer, comptant il est vrai sur l'arrivée de la seconde moitié du -corps de Klenau, pour rendre à cette aile la force dont il la privait. -C'est dans ces dispositions si différentes que chacun attendit la -journée du lendemain.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Grande journée du 27 août.</span> -Ce lendemain, 27 août, il pleuvait abondamment, et dans les -intervalles de pluie un brouillard épais enveloppait le champ de -bataille, circonstance pénible pour les soldats des deux armées, mais -avantageuse pour les combinaisons de Napoléon. -<span class="sidenote" title="En marge">Épais brouillard suivi de pluie.</span> -Les premières heures de -la matinée se passèrent en manœuvres. -<span class="sidenote" title="En marge">La matinée employée en manœuvres.</span> -De notre côté, en commençant -par la droite, le général Teste, mis sous les ordres du maréchal -Victor, vint s'établir avec les huit bataillons dont il disposait en -face du village de Löbda et de l'entrée du vallon de Plauen, pour -empêcher les grenadiers autrichiens de Bianchi d'en déboucher ainsi -qu'ils l'avaient fait la veille. (Voir le plan des environs de -Dresde.) Le maréchal Victor avec ses <span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> trois divisions (dont -une réduite à une seule brigade) se forma en colonnes au pied des -hauteurs, attendant que Murat eût exécuté son mouvement tournant sur -la gauche des Autrichiens, et Murat lui-même, à cheval dès le matin, -prenant avec la grosse cavalerie de Latour-Maubourg le chemin allongé -de Priesnitz, se hâta de gravir sans être aperçu le plateau sur lequel -il devait manœuvrer. Au centre Marmont ayant la vieille garde -derrière lui, et sur son front une formidable artillerie, vint se -ranger au pied des hauteurs de Racknitz, pour recevoir les -instructions que Napoléon, placé à ses côtés, lui donnerait de vive -voix. Un peu à gauche, mais toujours au centre, Saint-Cyr ayant réuni -ses trois divisions répandues la veille tout autour de la ville, prit -position en avant du <i>Gross-Garten</i>, prêt à attaquer les hauteurs de -Strehlen. Enfin à l'extrême gauche, Ney avec la jeune garde et la -cavalerie de Nansouty, défila en colonnes derrière le <i>Gross-Garten</i>, -pour le tourner et venir ensuite entre Gruna et Döbritz se mesurer -avec les Russes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes alliées.</span> -Du côté des alliés la distribution était la même que la veille, sauf -quelques rectifications de position, et ils attendaient presque -immobiles l'attaque des Français, dont ils apercevaient les -préparatifs à travers le brouillard. Le comte de Wittgenstein (en -commençant par leur droite) était avec le gros des Russes opposé au -maréchal Ney entre Prohlis et Leubnitz: il avait ses masses sur les -hauteurs, ses avant-gardes dans la plaine. En arrière à droite, autour -de Prohlis, se trouvait la cavalerie de la garde sous le grand-duc -Constantin, en arrière à <span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> gauche, entre Torna et Leubnitz, le -corps des grenadiers sous Miloradovitch. Barclay de Tolly commandait -ces réserves. Un peu à gauche et vers le centre, se trouvaient les -Prussiens de Kleist, entre Leubnitz et Racknitz, ayant la garde -prussienne en arrière et leurs avant-gardes dans la plaine, aux -environs de Strehlen, en face du maréchal Saint-Cyr. Tout à fait au -centre, les corps autrichiens de Colloredo et de Chasteler étaient -déployés de Racknitz à Plauen, faisant face au maréchal Marmont et à -la vieille garde. -<span class="sidenote" title="En marge">Moreau placé à Racknitz avec l'empereur Alexandre.</span> -Là était établi, à Racknitz même, l'empereur -Alexandre avec le général Moreau, devenu son fidèle compagnon, et -pouvant presque apercevoir Napoléon placé à la barrière de Dohna. À -gauche, contre le vallon de Plauen, étaient rangés en colonnes les -grenadiers de Bianchi, détachés du corps de Giulay pour renforcer le -centre, et ayant derrière eux vers Coschitz les réserves -autrichiennes, sous le prince de Hesse-Hombourg. Enfin plus à gauche, -au delà de ce vallon de Plauen, si profond, si difficile à traverser, -se trouvaient à Töltschen les restes du corps de Giulay, un peu plus -loin à Rosthal et Corbitz la division d'infanterie d'Aloys -Lichtenstein, et tout à fait à gauche, entre Comptitz et Altfranken, -la division Meszko, faisant partie du corps de Klenau qui était encore -en marche en ce moment. Ce sont ces troupes qui allaient avoir sur les -bras Victor et le roi de Naples.</p> - -<p>Dès que les positions furent prises, et qu'on put discerner les objets -à travers le brouillard, la canonnade commença, et bientôt elle devint -violente, car entre les deux armées il n'y avait pas moins de -<span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> douze cents pièces de canon en batterie. Napoléon fit surtout -entretenir le feu d'artillerie au centre, où il n'avait que ce moyen -d'action. -<span class="sidenote" title="En marge">Le général Teste s'empare de Löbda.</span> -À la droite le général Teste s'empara de Löbda, dont il -chassa les tirailleurs autrichiens, et pénétra jusqu'à l'entrée du -vallon de Plauen. -<span class="sidenote" title="En marge">Victor s'approche de Rosthal et de Corbitz.</span> -Le maréchal Victor qui avait marché une partie de la -nuit, après un peu de repos donné à ses troupes, se forma en plusieurs -colonnes, et entreprit de gravir les hauteurs, pour s'approcher des -villages de Töltschen, Rosthal, Corbitz, qu'il devait enlever, et -Murat ayant franchi par le petit chemin de Priesnitz l'escarpement du -coteau, déploya ses soixante escadrons sur la droite de la chaussée de -Freyberg, menaçant la gauche des Autrichiens. (Voir le plan des -environs de Dresde.) À dix heures et demie du matin ce mouvement était -presque terminé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont soutient au centre une vive canonnade.</span> -Au centre, Saint-Cyr, rangé un peu à gauche de Marmont et de la -vieille garde, quitta les murs du <i>Gross-Garten</i>, auxquels il était -adossé, enleva Strehlen aux Prussiens, et essaya de les suivre sur les -hauteurs de Leubnitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Saint-Cyr enlève Strehlen aux Prussiens.</span> -Les Prussiens se jetèrent sur lui, et un combat -des plus vifs s'engagea entre Strehlen et Leubnitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Ney défile derrière le <i>Gross-Garten</i>.</span> -Au delà du <i>Gross-Garten</i>, Ney après avoir défilé derrière ce jardin, et pivotant -alors sur sa droite, la gauche en avant, vint se déployer entre Gruna -et Döbritz, puis s'avança vers Reick, refoulant devant lui les -avant-gardes de Wittgenstein. Marchant à la tête de trente-six mille -hommes d'une superbe infanterie, et de cinq à six mille chevaux, il se -présentait avec l'attitude résolue qui lui était naturelle.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> Sauf l'engagement sérieux entre Saint-Cyr et les Prussiens vers -Strehlen, on se contenta jusqu'à onze heures du matin d'échanger une -forte canonnade sur la plus grande partie de la ligne, et le temps fut -surtout employé à manœuvrer sur les deux ailes. Les coalisés -cependant, qui ne pouvaient pas apercevoir ce qui se passait à leur -gauche, au delà du vallon de Plauen, et qui voyaient à leur droite la -marche soutenue et imposante de Ney, se demandaient ce qu'il fallait -faire. -<span class="sidenote" title="En marge">Les coalisés songent à se jeter en masse sur Ney.</span>D'après une idée du général Jomini, il fut proposé à l'empereur -Alexandre dès que le maréchal Ney serait parvenu jusqu'à Prohlis, de -jeter dans son flanc la masse des Prussiens, tandis que Barclay de -Tolly avec les réserves russes l'aborderait de front. On pensait qu'en -portant ainsi sur ce maréchal cinquante à soixante mille hommes à la -fois, on parviendrait à l'accabler. Mais le maréchal Saint-Cyr se -rabattant lui-même avec 20 mille hommes sur les Prussiens, et les -prenant à dos, aurait pu à son tour faire naître des chances bien -diverses, et peut-être bien funestes pour les alliés. -<span class="sidenote" title="En marge">L'ordre en est donné.</span> -Alexandre jugea -bonne l'idée qu'on lui proposait; le prince de Schwarzenberg -l'accueillit; elle convenait à l'ardeur des Prussiens, et on dépêcha -des émissaires au froid et méthodique Barclay de Tolly pour lui -persuader de concourir avec toutes ses forces à une manœuvre qu'on -croyait décisive.</p> - -<p>Mais tandis que ce danger, plus ou moins réel, menaçait le maréchal -Ney, un danger certain, ne dépendant pas du concours d'une foule de -volontés, menaçait la gauche des coalisés. -<span class="sidenote" title="En marge">Vers onze heures, Victor et Murat exécutent la grande -manœuvre qui leur est prescrite.</span> -Vers onze heures et demie, -au delà du vallon de Plauen, Victor et <span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> Murat arrivés en -ligne, et ayant bien concerté leur attaque, commencèrent à l'exécuter -avec autant de promptitude que de vigueur. Le maréchal Victor porta -sur sa gauche la division Dubreton, dont une brigade devait enlever -Töltschen aux grenadiers de Weissenwolf, dont l'autre brigade devait -enlever Rosthal à la division Aloys Lichtenstein. Il porta sur sa -droite la division Dufour, réduite à une brigade, et la dirigea contre -le village de Corbitz, où passait la grande route de Freyberg, et où -se trouvait le reste de la division Aloys Lichtenstein. Il tint en -réserve la division Vial. Au delà de Corbitz et de l'autre côté de la -chaussée de Freyberg, Murat continuant à manœuvrer, tâchait en -s'avançant jusqu'à Comptitz de déborder la gauche des Autrichiens -formée par la division Meszko. -<span class="sidenote" title="En marge">Victor enlève Töltschen, Rosthal et Corbitz.</span> -Quand Murat parut avoir gagné assez de -terrain sur la gauche des Autrichiens, le maréchal Victor donna enfin -le signal, et on marcha d'un pas rapide sur les trois villages -désignés. Les Autrichiens firent d'abord avec cinquante pièces de -canon un feu meurtrier, et lorsque nos colonnes d'attaque furent plus -rapprochées, les accueillirent avec la mousqueterie. Nos jeunes -soldats, conduits par des officiers vigoureux, ne furent ébranlés ni -par les boulets ni par les balles. Se portant avec vivacité sur les -trois villages, ils enlevèrent les clôtures des jardins qui les -précédaient, puis se jetèrent sur les villages eux-mêmes. Les deux -brigades de la division Dubreton entrèrent, l'une dans Töltschen, où -elle combattit corps à corps avec les grenadiers de Weissenwolf, -l'autre dans Rosthal, où elle se trouva aux prises avec une partie de -la division Aloys Lichtenstein. <span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> Après un combat assez court -ces deux villages tombèrent dans nos mains. À droite la division -Dufour assaillit Corbitz, l'emporta, et y fit deux mille prisonniers. -Les Autrichiens se replièrent alors sur le terrain en arrière, lequel -s'élève en forme de glacis. On les y suivit. Tout à coup la division -Aloys Lichtenstein, apercevant un vide entre la division Dubreton qui -s'était portée un peu à gauche vers Töltschen, et la division Dufour -qui était restée à Corbitz, sur la grande route de Freyberg, tâcha de -pénétrer dans ce vide. -<span class="sidenote" title="En marge">Murat lance la cavalerie Bordesoulle sur la division Aloys -Lichtenstein, et enfonce deux carrés.</span> -Mais la division Vial, qui était en réserve au -centre, s'avança pour lui tenir tête, tandis que Murat saisissant -l'à-propos avec le coup d'œil d'un général de cavalerie supérieur, -lança la division Bordesoulle sur l'infanterie d'Aloys Lichtenstein. -Les cuirassiers de Bordesoulle fondirent au galop sur les Autrichiens -formés en carré, et privés par la pluie de l'usage de leurs feux. Deux -carrés furent en un instant enfoncés et sabrés. La division Dufour -dégagée reprit alors sa marche le long de la chaussée de Freyberg, -tandis qu'à gauche les deux brigades Dubreton s'appliquaient à pousser -les Autrichiens vers le gouffre de Plauen. -<span class="sidenote" title="En marge">Victor et Murat précipitent l'infanterie autrichienne dans -la vallée de Plauen.</span> -Les grenadiers de -Weissenwolf voulurent en vain tenir, ils furent précipités dans la -Weisseritz: on en prit plus de deux mille. En même temps la cavalerie -de Bordesoulle renouvelant ses charges sur la division Aloys -Lichtenstein, la mena jusqu'au sommet des hauteurs entre Altfranken et -Pesterwitz, puis la précipita sur Potschappel, dans le plus profond de -la vallée de Plauen. On ramassait en quantité les hommes et les -canons. À droite Murat, qui avait toujours suivi de l'œil la -division <span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> Meszko pour l'empêcher de se réunir à Aloys -Lichtenstein, la poussa sur Comptitz pour la jeter par delà les -hauteurs. Trois mille cavaliers autrichiens placés sur les flancs de -cette division se ruèrent alors sur lui. Il leur opposa les dragons de -la division Doumerc, et les culbuta. Puis il aborda l'infanterie de -Meszko avec ses cuirassiers, et la mena battant pendant plus d'une -lieue sur la grande route de Freyberg. -<span class="sidenote" title="En marge">La pluie empêche les Autrichiens de faire feu.</span> -Tantôt cette malheureuse -division s'arrêtait pour recevoir les charges de nos cavaliers, et les -soutenir à la baïonnette, car la pluie continuant à tomber par -torrents rendait les feux impossibles, tantôt elle se retirait le plus -vite qu'elle pouvait. Enfin débordée, entourée par nos escadrons, elle -fut réduite à mettre bas les armes au nombre de six à huit mille -hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">À deux heures, Murat a tué ou blessé 5 mille hommes à -l'ennemi, et lui a enlevé 12 mille prisonniers.</span> -Il était deux heures, et déjà Murat avait tué ou blessé quatre -à cinq mille hommes, fait douze mille prisonniers, et ramassé plus de -trente bouches à feu. Le désastre de l'aile gauche ennemie était donc -complet, et on peut dire sans exagération que cette aile n'existait -plus.</p> - -<p>Tandis que ces événements s'accomplissaient à la gauche des coalisés, -un étrange accident se passait au centre. -<span class="sidenote" title="En marge">Vive canonnade au centre.</span> -Napoléon ayant engagé là un -violent feu d'artillerie contre les Autrichiens qui avaient beaucoup -de canons et une position dominante, et ne trouvant pas ce feu -suffisant, avait fait amener trente-deux pièces de 12 de la garde -commandées par le colonel Griois. Lui-même sous les boulets ennemis -dirigeant ces batteries, les porta le plus près possible du but sur -lequel elles devaient tirer. En ce moment, l'empereur Alexandre était -vis-à-vis, à <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> Racknitz même, ayant le général Moreau à ses -côtés. Ce dernier faisant remarquer le danger de cette position à -l'empereur Alexandre, lui conseilla de se placer un peu plus loin. -<span class="sidenote" title="En marge">Moreau atteint mortellement par une batterie que Napoléon -avait dirigée sur le groupe des souverains.</span> -À peine avait-il donné ce conseil et fait exécuter ce mouvement, qu'un -boulet parti des batteries dont Napoléon excitait le feu, le frappa -aux deux jambes et le précipita à terre, lui et son cheval. Étrange -coup de la fortune! Il venait d'être atteint d'un boulet français, -tiré pour ainsi dire par Napoléon! Que de punitions, les unes -méritées, les autres imméritées, tombaient à la fois sur la tête de -cet infortuné, qui aurait dû mourir d'une meilleure mort! L'empereur -Alexandre courut à Moreau, le serra dans ses bras, le fit emporter, et -resta profondément troublé de cet incident, dont l'annonce se -propageant de bouche en bouche causa chez les coalisés une impression -générale. -<span class="sidenote" title="En marge">Barclay de Tolly refuse d'exécuter le mouvement projeté -contre Ney.</span> -À cette nouvelle s'ajoutèrent bientôt celle du désastre -survenu à la gauche qu'il était impossible de secourir à travers le -vallon de Plauen, et celle du refus de Barclay qui n'avait pas voulu -exécuter la manœuvre qu'on lui proposait contre Ney, disant que sur -ce sol détrempé par la pluie, coupé de canaux, il ne pouvait faire -descendre son artillerie sans la perdre. En même temps un officier -arrivant de Pirna venait d'annoncer que Vandamme débouchant de -Kœnigstein, avait enlevé ce poste au prince Eugène de Wurtemberg.</p> - -<p>Frappés d'un éclatant désastre à gauche, violemment canonnés au -centre, menacés d'être débordés à leur droite par le mouvement du -maréchal Ney qui s'avançait sans obstacle de Reick sur Prohlis, et -craignant de voir bientôt la route de Péterswalde <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> aux mains -de Vandamme, les généraux coalisés réunis autour de l'empereur -Alexandre et du roi de Prusse, se mirent à discuter le parti à -prendre. -<span class="sidenote" title="En marge">Les coalisés prennent le parti de la retraite.</span> -Les plus ardents voulaient s'obstiner, mais le prince de -Schwarzenberg, atterré par la perte de plus de vingt mille hommes à sa -gauche, privé de munitions par le retard de ses convois, ne sachant -quel traitement Murat, lancé au galop sur ses derrières, pourrait -faire essuyer au reste du corps de Klenau, se refusa péremptoirement à -continuer la bataille. La retraite fut donc ordonnée vers les -montagnes de la Bohême par lesquelles on avait pénétré en Saxe, sans -qu'on fût bien fixé sur la direction que suivrait chaque colonne. On -céda le terrain peu à peu, en repassant par-dessus la crête des -coteaux qui entourent la ville de Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de la victoire de Dresde, due aux belles -conceptions de Napoléon et à leur brillante exécution par Murat.</span> -À cet aspect la joie la plus vive éclata dans nos rangs. Murat à -droite, galopant toujours sur la chaussée de Freyberg, ramassait à -chaque instant des prisonniers et des voitures de bagages et -d'artillerie. Au centre on canonnait plus vivement l'ennemi, et -Saint-Cyr et Ney s'ébranlant à gauche gravissaient les hauteurs à la -suite des Russes. À six heures du soir nous avions enlevé aux coalisés -15 à 16 mille prisonniers, au moins quarante bouches à feu, et il -restait sur le terrain 10 à 11 mille ennemis morts ou blessés, la -plupart par le canon, excepté ceux qui avaient succombé sous les -baïonnettes de Victor et les sabres de Murat. Les coalisés avaient -donc perdu 26 ou 27 mille hommes, sans compter les traînards et les -égarés que nous allions recueillir par milliers. Cette belle journée, -dernière faveur de la <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> fortune dans cette affreuse campagne, -nous avait coûté environ 8 à 9 mille hommes, presque tous atteints par -les boulets. Elle était principalement due à Napoléon, qui d'un coup -d'œil avait vu dans la vallée profonde de Plauen un moyen d'isoler -et de détruire une aile de l'armée ennemie, et après Napoléon à Murat, -qui avait exécuté cette belle manœuvre avec un succès merveilleux. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se promet de plus grands résultats encore de la -position assignée à Vandamme.</span> -Sans cet accident de terrain le champ de bataille de Dresde, partout -dominé, n'eût pas été tenable pour nous; mais Napoléon en saisissant -avec le regard du génie une particularité toute locale, en avait fait -soudainement un théâtre de victoire pour lui, un théâtre de confusion -pour ses adversaires! Heureuse inspiration de laquelle il attendait de -plus grands résultats encore que ceux qu'il venait d'obtenir. Ayant à -quatre lieues sur sa gauche quarante mille hommes embusqués, il ne -pouvait penser sans une involontaire joie à l'effet que produiraient -ces quarante mille hommes tombant à l'improviste sur les derrières des -ennemis battus, et tout en s'applaudissant de la victoire du jour, il -se promettait, il promettait à tout le monde de bien autres trophées -pour le lendemain. Hélas! il ne se doutait pas qu'une combinaison -destinée à produire les plus brillants résultats ne serait bientôt -qu'une source de malheurs! La fortune dans ces derniers temps ne -devait plus lui accorder que des triomphes empoisonnés, ordinaire -traitement qu'elle réserve à ceux qui ont abusé d'elle!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rentre le soir dans Dresde, et reçoit de la -population un accueil enthousiaste.</span> -Napoléon rentra dans Dresde à la chute du jour, au milieu des cris -enthousiastes de la population, enchantée d'être débarrassée des deux -cent mille <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> coalisés, qui avant de la délivrer des Français, -lui auraient fait subir les horreurs d'une prise d'assaut. Ayant -supporté pendant douze heures une pluie continuelle, il avait les -bords de son chapeau rabattus sur les épaules, était couvert de boue -et rayonnant de satisfaction. Il alla chez le roi de Saxe, qui lui -témoigna la joie la plus vive, et au milieu de ce contentement sincère -chez les uns, affecté chez les autres, démonstratif chez tous, il y -avait une question qu'il ne cessait d'adresser à chacun. Au moment où -le boulet qui avait frappé Moreau était tombé dans le groupe de -l'empereur Alexandre, Napoléon avait clairement discerné à l'éclat des -uniformes que ce groupe était celui des souverains, et il ne se -lassait pas de demander: Qui donc avons-nous tué dans ce brillant -escadron?...--Il le sut peu d'instants après par le plus étrange des -incidents. L'illustre blessé avait un chien qui était resté dans la -chaumière où on lui avait donné les premiers soins. Ce chien amené à -Napoléon, portait sur son collier: <cite>J'appartiens au général Moreau!</cite> -C'est ainsi que Napoléon apprit la présence et la mort de Moreau dans -les rangs des coalisés! En attendant il donna ses ordres pour que ses -corps d'armée, après s'être réchauffés à de grands feux et reposés une -nuit entière, se missent en mouvement dès la pointe du jour du 28, -afin de poursuivre l'ennemi à outrance, et de recueillir toutes les -conséquences de la belle victoire du 27.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite des coalisés.</span> -Les coalisés ayant rétrogradé jusqu'au sommet des hauteurs qui -entourent Dresde, se mirent à discuter la direction qu'ils -donneraient à la retraite. <span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> Les uns voulaient s'arrêter aux -débouchés des montagnes de la Bohême, comme l'avait conseillé le -général Moreau avant la bataille, les autres voulaient se retirer tout -de suite en Bohême, au delà même de l'Eger, et de cet avis était -surtout le généralissime prince de Schwarzenberg, qui désirait -réorganiser son armée, et la remettre du rude coup qu'elle venait -d'essuyer. Demeurer sur le versant des montagnes en présence d'un -ennemi victorieux, et habitué comme Napoléon à tirer un si grand parti -de la victoire, n'était plus proposable. Repasser les montagnes, sauf -à décider ensuite jusqu'où l'on pousserait le mouvement rétrograde, -était donc la première et la plus inévitable des résolutions à -prendre. Elle fut prise. Restait à savoir quels chemins on suivrait -pour repasser les montagnes. La grande route de Péterswalde était -sinon perdue, au moins fort compromise. En effet, le général Vandamme -exécutant les ordres de l'Empereur avait la veille, c'est-à-dire le -26, franchi l'Elbe à Kœnigstein, assailli le plateau de Pirna -faiblement gardé, et s'était établi dans ce camp, d'où il dominait la -route de Péterswalde sans toutefois l'intercepter entièrement. -<span class="sidenote" title="En marge">Routes par eux adoptées pour se retirer.</span> -On avait bien envoyé dans la journée le comte Ostermann pour secourir le -prince Eugène de Wurtemberg, mais on ne connaissait pas au juste la -force du corps de Vandamme, on ne savait pas s'il avait vingt, trente -ou quarante mille hommes, et si dans l'intervalle il n'aurait pas -réussi à descendre du camp de Pirna pour fermer les défilés de la -route de Péterswalde. Renoncer à y passer avait le double inconvénient -d'y laisser sans appui le prince de Wurtemberg et le <span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> comte -Ostermann, et de se reporter en masse sur les chemins secondaires, qui -étaient mal frayés, et où les Russes allaient former avec les -Prussiens et les Autrichiens un fâcheux encombrement. On décida donc -que le gros des Russes sous Barclay de Tolly marcherait à la suite du -comte Ostermann par la route de Péterswalde, et la rouvrirait de vive -force si elle était fermée; que les Prussiens et une partie des -Autrichiens prendraient la route à côté, celle d'Altenberg, Zinnwald, -Tœplitz, par laquelle était venue la seconde colonne des coalisés; -qu'enfin le reste de l'armée autrichienne irait par la chaussée de -Freyberg gagner le grand chemin de Leipzig à Prague par Commotau. On -allait donc rentrer en Bohême sur trois colonnes, au lieu de quatre -qu'on formait en arrivant. Il fut convenu qu'après s'être reposé toute -la nuit on partirait le lendemain 28 de très-grand matin, afin -d'aboutir aux défilés des montagnes avant d'être serré de trop près -par l'ennemi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 28, les coalisés regagnent la Bohême par les routes de -Péterswalde, d'Altenberg et de Freyberg.</span> -Ces dispositions furent exécutées au moins dans les premières heures -comme elles avaient été arrêtées. Le lendemain matin on se mit en -route sur trois colonnes, dans les directions indiquées, tandis que -les corps français, s'ébranlant de leur côté, marchaient sur les -traces de ces mêmes colonnes, mais à une assez grande distance, à -cause du triste état des chemins. À chaque pas on laissait des -blessés, des traînards, des voitures, destinés à devenir la proie des -Français. La tristesse était dans tous les cœurs. Le roi de Prusse -voyait dans les événements de ces derniers jours la suite de sa -mauvaise fortune ordinaire; Alexandre se demandait si le commencement -<span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> de bonheur sur lequel il avait compté n'était pas une triste -illusion, et si on n'avait pas trop espéré en se flattant de vaincre -Napoléon. On s'avançait ainsi, très-inquiet des rencontres auxquelles -on était exposé avant d'avoir franchi ce rideau de hautes montagnes -qu'on avait devant soi, tandis qu'on avait sur ses derrières un ennemi -victorieux, et personne, ni chez les poursuivis, ni chez les -poursuivants, ne se doutant de ce qui allait survenir sous -quarante-huit heures!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Barclay de Tolly craignant de trouver des obstacles sur la -route de Péterswalde, se rejette sur celle d'Altenberg.</span> -Chemin faisant, Barclay de Tolly apercevant beaucoup d'encombrement -sur la route de Péterswalde, et sentant qu'il serait bientôt serré de -près, commença de craindre, s'il trouvait des difficultés du côté de -Péterswalde, d'y perdre un temps précieux, et de ne pouvoir plus se -rabattre assez tôt sur la route d'Altenberg; il imagina donc de -changer tout à coup de direction avec le gros de l'armée russe, et de -prendre à droite, pour regagner cette même route d'Altenberg que -devaient parcourir les Prussiens et une partie de l'armée -autrichienne, au risque d'y produire un affreux engorgement. Il fit -dire au comte Ostermann de se replier sur lui, et de laisser le prince -Eugène retourner seul par la route de Péterswalde en Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le prince Eugène de Wurtemberg et le comte Ostermann se -retirent par la route de Péterswalde.</span> -Ces ordres amenèrent entre le comte Ostermann et le prince Eugène de -Wurtemberg un conflit des plus vifs. Le prince Eugène, qui était aux -prises avec le général Vandamme pour la possession de la route de -Péterswalde, ne voulait pas avec raison y rester seul, exposé à -trouver Vandamme tantôt sur son flanc, tantôt sur ses derrières, -peut-être même <span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> devant lui, car les Français descendus du -plateau de Pirna se montraient partout. Il disait de plus que si on -laissait au corps de Vandamme, qu'on avait lieu de croire très-fort, -la libre entrée de la Bohême, ce corps irait probablement se placer à -Tœplitz, au débouché des chemins que suivaient les diverses -colonnes en retraite, et pourrait leur causer de graves embarras. Le -comte Ostermann, de son côté, craignait de compromettre les troupes de -la garde qu'on lui avait confiées, et résistait par ce motif aux -pressantes instances du prince Eugène de Wurtemberg. Vaincu par les -bonnes raisons du prince, par son offre de prendre pour lui-même la -plus forte part du péril, il se décida enfin à suivre la route de -Péterswalde, et à la forcer, s'il le fallait, pour devancer Vandamme -au débouché de Tœplitz. En même temps il fit avertir Barclay de -Tolly de la résolution qu'il adoptait, ne s'en dissimulant pas les -inconvénients, mais croyant épargner ainsi de grands dangers au reste -de l'armée coalisée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ils côtoient les troupes du général Vandamme, et -parviennent à passer.</span> -En conséquence, le 28 au matin, le prince Eugène et le comte Ostermann -essayèrent de cheminer sur le plateau de Gieshübel, situé au-dessous -de celui de Pirna, et séparé seulement de ce dernier par le ruisseau -de Gotleube. Il fallait franchir divers passages très-difficiles, où -l'on pouvait rencontrer les Français, notamment à Zehist, petit bourg -situé à l'entrée du plateau de Gieshübel, sous une hauteur qu'on -appelle le Kohlberg, et qui était occupée en ce moment par un -bataillon français. Le prince Eugène de Wurtemberg fit assaillir et -enlever le Kohlberg, puis il profita de cet avantage pour défiler -<span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> avec tout son corps. Vandamme fit réoccuper la position, mais -à ce moment les deux corps russes n'avaient plus intérêt à la -reprendre. En continuant à parcourir le plateau de Gieshübel, ils -côtoyèrent à Gross-Cotta et à Klein-Cotta les Français descendus de -Pirna en trop faibles détachements, et parvinrent à franchir tous les -obstacles, quoiqu'en perdant du monde. Parvenus enfin à l'extrémité de -ce plateau, ils s'échappèrent par la rampe de Gieshübel, et purent -gagner la route de Péterswalde sans de graves accidents, en étant -quittes d'un grand danger au prix de quelques pertes peu -considérables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes qui avaient retardé Vandamme, et l'avaient empêché -d'arrêter à temps les Russes sur la route de Péterswalde.</span> -Ce qui leur avait valu ce bonheur, c'est que Vandamme, ayant eu de la -peine à traîner son artillerie à cause du mauvais temps, n'avait pu -faire autre chose dans la journée du 26 que de gravir le plateau de -Pirna, avait employé à l'occuper solidement toute la journée du 27, et -le 28 au matin avait été surpris par l'apparition des Russes, avant de -connaître les événements de Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">N'ayant pu les arrêter, il les poursuit à outrance.</span> -Mais, averti bientôt de la -victoire du 27, et ayant réuni ses divisions, il s'était mis à -poursuivre les Russes, leur avait livré un violent combat -d'arrière-garde à Gieshübel, leur avait tué un millier d'hommes, et -les avait menés battant jusqu'à Hollendorf, à quelque distance de -Péterswalde. Arrivé là, il attendit impatiemment les ordres de -Napoléon pour la direction à donner à ses mouvements ultérieurs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon sur le terrain le 28 au matin.</span> -Telles avaient été les opérations de l'ennemi le matin du 28, et -durant une partie de la même journée. Pendant ce temps Napoléon, -debout de très-bonne heure, avait expédié ses premiers ordres par -<span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> écrit, et avait enjoint au maréchal Mortier avec la jeune -garde, au maréchal Saint-Cyr avec le 14<sup>e</sup> corps, de se porter à -Gieshübel, l'un des défilés de la route de Péterswalde, pour s'y -réunir à Vandamme, au maréchal Marmont de suivre les coalisés par la -route d'Altenberg, et à Murat, qui avait avec lui le corps de Victor, -de les poursuivre à outrance sur la grande route de Freyberg. Napoléon -avait par les mêmes dépêches annoncé sa présence, et promis d'ordonner -sur les lieux mêmes ce que comporteraient les circonstances. En effet, -dès la pointe du jour il s'était rendu à cheval auprès du maréchal -Marmont, pour observer de ses propres yeux la retraite de l'ennemi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon voyant le mouvement de Barclay de Tolly, qui se -replie de la route de Péterswalde sur celle d'Altenberg, ordonne un -mouvement semblable au maréchal Saint-Cyr.</span> -Parvenu sur les hauteurs de Dresde auprès du maréchal Marmont, il -avait vu les diverses colonnes des coalisés se dirigeant vers les -montagnes boisées de l'<i>Erz-Gebirge</i>. Il avait été frappé du mouvement -transversal de gauche à droite qu'exécutaient les troupes russes de -Barclay de Tolly, pour se reporter de la route de Péterswalde sur -celle d'Altenberg, mouvement à la suite duquel une grande partie des -colonnes russes, prussiennes et autrichiennes allaient se trouver -réunies dans la même direction. En face de pareilles masses le corps -du maréchal Marmont était évidemment insuffisant, et Napoléon avait -ordonné lui-même au maréchal Saint-Cyr de se rabattre de Dohna sur -Maxen, pour se rapprocher du maréchal Marmont, et poursuivre l'ennemi -de concert. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se transporte ensuite à Pirna.</span> -Cet ordre donné de vive voix, Napoléon s'était transporté -à Pirna, pour voir ce qui s'y passait, et prescrire ce qu'on aurait à -faire sur la route de Péterswalde.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Légère indisposition qui ne l'empêche pas de -donner des ordres.</span> -Arrivé à Pirna vers le milieu du jour, Napoléon y prit un léger repas, -et soudain fut saisi de douleurs d'entrailles auxquelles il était -sujet dès qu'il avait enduré l'humidité, et la veille en effet il -avait supporté pendant toute la journée des torrents de pluie. -Toutefois ces douleurs n'étaient pas de nature à l'empêcher de donner -des ordres, et de faire ce qui était impérieusement exigé par les -circonstances<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>. Mais en ce moment il reçut des dépêches qu'il -attendait avec impatience des environs de Berlin, et des bords du -Bober. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles graves que Napoléon reçoit des maréchaux Oudinot -et Macdonald.</span> -Le maréchal Oudinot, qui aurait dû être entré à Berlin depuis -plusieurs jours, s'était arrêté devant les inondations, puis n'avait -pas abordé l'ennemi en masse, et avait eu l'un de ses corps assez -maltraité. Le maréchal Macdonald, <span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> sur le Bober, venait d'être -surpris par Blucher, et d'éprouver des pertes considérables. Ainsi la -fortune laissait à peine à Napoléon le temps de jouir de sa belle -victoire de Dresde, et tout à coup l'horizon s'assombrissait autour de -lui, après s'être montré parfaitement serein. La marche sur Berlin -avait toujours eu à ses yeux une grande importance sous le rapport -moral, sous le rapport politique, sous le rapport militaire. Elle -devait éblouir les esprits, frapper la Prusse au cœur, punir -Bernadotte, et nous mettre en communication avec les places de l'Oder, -peut-être avec celles de la Vistule, qui avaient toutes besoin d'être -ravitaillées. -<span class="sidenote" title="En marge">Ces nouvelles le décident à retourner à Dresde.</span> -L'échec de Macdonald s'ajoutant à celui d'Oudinot, -pouvait contribuer à rendre plus difficile et plus douteuse cette -marche sur Berlin, à laquelle Napoléon tenait si fort, et il crut -devoir rentrer à Dresde immédiatement pour prescrire les mesures que -comportait la situation. Tandis que Berlin le rappelait, le mouvement -sur Péterswalde exigeait moins sa présence d'après ce qu'on venait de -lui annoncer. En effet il avait pu croire en sortant de Dresde le -matin, que Vandamme, occupant Pirna et Gieshübel, y opposerait une -barrière de fer à la colonne russe, et que Saint-Cyr et Mortier -arrivant sur les derrières de cette colonne, la prendraient tout -entière. -<span class="sidenote" title="En marge">S'étant convaincu par ses propres yeux que Vandamme ne -pouvait plus que talonner les Russes avec plus ou moins de vivacité, -il lui laisse le soin de les incommoder dans leur retraite.</span> -Mais il venait d'apprendre que la colonne russe avait eu le -temps de regagner la route de Péterswalde, que dès lors tout ce que -Vandamme pourrait faire ce serait de la poursuivre vigoureusement, et -il crut que ce serait assez de ses lieutenants pour tirer de la -victoire de Dresde les conséquences qu'il était permis d'en <span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span> -espérer encore. Il pensa qu'il suffirait de laisser à Vandamme toutes -les divisions qu'il lui avait déjà confiées, de le faire descendre en -Bohême par la route de Péterswalde, de le porter à Tœplitz, où il -se trouverait sur la ligne de retraite des coalisés prêts à déboucher -des défilés des montagnes, et vivement poursuivis par Saint-Cyr, -Marmont, Victor, Murat. -<span class="sidenote" title="En marge">Instructions données à Vandamme.</span> -Il était vraisemblable que Vandamme, embusqué -à Kulm ou à Tœplitz, ferait plus d'une bonne prise, et que se -reportant ensuite entre Tetschen et Aussig, il enlèverait une grande -partie du matériel des coalisés lorsque ceux-ci voudraient repasser -l'Elbe. Vandamme devait dans cette position rendre un autre service, -c'était d'occuper la route directe de Prague à laquelle Napoléon -attachait le plus haut prix, car depuis les dépêches d'Oudinot et de -Macdonald il songeait à une marche foudroyante sur Berlin ou sur -Prague, afin de tomber à l'improviste sur l'armée du Nord, ou -d'achever la défaite de celle de Bohême; même s'il rentrait à Dresde -en ce moment, c'était pour employer une journée à balancer les -avantages et les inconvénients d'une marche sur l'une ou l'autre de -ces capitales. -<span class="sidenote" title="En marge">Forces qui sont confiées à ce général.</span> -Considérant donc la situation sous ce nouvel aspect, il -laissa au général Vandamme non-seulement ses deux premières divisions, -Philippon et Dumonceau, avec la brigade Quyot formant la moitié de la -division Teste, mais la première division du maréchal Saint-Cyr (la -42<sup>e</sup>), qui depuis quelques jours lui avait été prêtée, et y ajouta la -brigade de Reuss du corps de Victor, pour le dédommager de ce qu'on -lui avait ôté la moitié de la division Teste. Il lui adjoignit de -plus <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> la cavalerie du général Corbineau. Vandamme devait avoir -ainsi la valeur de quatre divisions d'infanterie, et de trois brigades -de cavalerie, le tout formant quarante mille hommes au moins. Napoléon -lui ordonna de poursuivre vivement les Russes en Bohême, de descendre -sur Kulm, d'occuper d'un côté Tœplitz, afin de gêner les coalisés à -leur sortie des montagnes, et de l'autre Aussig et Tetschen, afin de -garder les passages de l'Elbe et la route de Prague<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>. Il lui -ordonna même, ce qui démontre bien ses vraies intentions, de faire -remonter à Testchen le second pont de bateaux jeté à Pirna. Il lui -annonça, quant au reste, des ordres ultérieurs. -<span class="sidenote" title="En marge">Position assignée à Mortier.</span> -Toutefois il plaça -Mortier à Pirna avec quatre divisions de la jeune garde, pour que ce -dernier pût au besoin secourir le général Vandamme, duquel il ne -<span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> serait qu'à sept ou huit lieues. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordres à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor et à Murat.</span> -En même temps il fit -recommander à Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat, de toujours suivre -les coalisés l'épée dans les reins, et de les pousser violemment -contre les montagnes, pour qu'ils ne pussent les passer qu'en -désordre. Ces instructions données, il partit pour Dresde en voiture, -et prescrivit à la vieille garde de l'y joindre.</p> - -<p>Pendant cette même journée du 28, Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat, -talonnèrent l'ennemi sans relâche. Saint-Cyr ramassa des blessés et -des traînards. À Possendorf Marmont enleva deux mille prisonniers et -trois ou quatre cents voitures. À Dippoldiswalde il livra un combat -heureux, et prit ou tua encore quelques centaines d'hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Nombreux prisonniers recueillis dans la journée du 28 par -Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat.</span> -Murat et -Victor recueillirent de leur côté des blessés, des traînards, des -prisonniers, des canons, des voitures, et au moins cinq à six mille -hommes en tout. Les pertes que les coalisés avaient essuyées la -veille, et qu'on pouvait évaluer à plus de 25 mille hommes, -s'élevaient au moins à 32 ou 33, par les conséquences de la journée du -28. Les signes du découragement étaient visibles chez l'ennemi, et -faisaient espérer d'importants résultats s'il était fortement -poursuivi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le lendemain 29, Vandamme poursuit vivement les Russes.</span> -Le lendemain 29 Vandamme, excité par les ordres qu'il avait reçus dans -la soirée précédente, résolut de ne laisser aucun repos aux Russes, et -de leur faire expier le bonheur qu'ils avaient eu de passer impunément -devant lui, sous le plateau de Pirna. -<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions morales de ce général dans le moment.</span> -Ce général doué d'infiniment de -coup d'œil, de vigueur, d'expérience de la guerre, et même -<span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span> d'esprit, malheureusement décrié par ses mœurs un peu trop -soldatesques et par la violence de son caractère, avait été traité -sans aucune faveur, et se plaignait de n'être pas encore maréchal, -grade qu'il méritait beaucoup plus que quelques-uns de ses -contemporains à qui Napoléon ne l'avait pas fait attendre. La -difficulté des circonstances, le besoin de remplacer les hommes de -guerre, dont on faisait une consommation, hélas! trop grande, ayant -ramené sur lui l'attention de l'Empereur, il se flattait d'obtenir -enfin les récompenses qu'il croyait avoir méritées depuis longtemps, -et il éprouvait un redoublement de zèle qui, fort utile en toute autre -circonstance, pouvait dans celle-ci l'entraîner au delà des bornes de -la prudence. Il s'avança donc résolûment dès le matin du 29 sur -l'arrière-garde des Russes. La brigade de Reuss, commandée par un -jeune prince allemand, militaire de la plus haute distinction, -marchait en tête. Vandamme, accompagné du général Haxo, la dirigeait. -<span class="sidenote" title="En marge">Combat brillant de Hollendorf.</span> -Entre Hollendorf et Péterswalde, Vandamme et le prince de Reuss -assaillirent une colonne russe qui voulait résister, la débordèrent, -et, après l'avoir culbutée, lui enlevèrent 2 mille hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Mort du prince de Reuss.</span> -Par malheur -le jeune prince de Reuss fut tué d'un coup de canon. Il emporta les -regrets de toute l'armée, car au mérite d'être un officier -très-brillant il joignait celui d'être très-attaché aux Français.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Vandamme sur le revers des montagnes de Bohême.</span> -Après cet exploit, Vandamme continua de poursuivre les Russes à -outrance. Il franchit les montagnes sur leurs traces, descendit en -plaine, et à midi atteignit Kulm, d'où il dominait le vaste bassin -dans <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> lequel les colonnes ennemies vivement pourchassées -commençaient à déboucher. À son aspect les soldats du prince Eugène de -Wurtemberg et les gardes d'Ostermann, qu'il n'avait cessé de -poursuivre, et sur lesquels il avait fait plusieurs milliers de -prisonniers, s'arrêtèrent, et vinrent prendre position devant lui, -pour couvrir le débouché de Tœplitz, dont ils sentaient toute -l'importance. Des hauteurs de Kulm, Vandamme apercevait ce débouché de -Tœplitz où il avait ordre de toucher au besoin, et où l'attirait le -désir de barrer le chemin aux colonnes ennemies qui avaient pris les -routes latérales à celle de Péterswalde. Malheureusement il n'avait -sous la main que son avant-garde; le reste suivait en formant une -longue queue dans les gorges, et les troupes russes qu'il avait en -face, plus nombreuses que le matin, renforcées même de corps nouveaux, -paraissaient résolues à tenir où elles étaient. -<span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé du côté des coalisés.</span> -Il suspendit donc -quelques instants sa marche pour attendre son corps d'armée. Voici -dans l'intervalle ce qui s'était passé du côté des coalisés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'empereur Alexandre ayant franchi les montagnes le 29 au -matin, reconnaît avec tous les généraux la nécessité de s'arrêter, et -de résister à Vandamme pour assurer la retraite de l'armée alliée.</span> -L'empereur Alexandre avait séjourné pendant la nuit du 28 au 29 à -Altenberg, au pied des montagnes de l'<i>Erz-Gebirge</i>, de celle -notamment qu'on appelle le Geyersberg, l'avait franchie le 29 au -matin, et était parvenu sur le revers de très-bonne heure. De là -découvrant à gauche la position de Kulm, sur laquelle Vandamme s'était -arrêté en face des Russes, à droite Tœplitz et le bassin de l'Eger -qui va se jeter dans l'Elbe, il avait pu apprécier le danger d'une -retraite précipitée, exécutée sans ordre, menacée en flanc par le -corps de Vandamme <span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> qu'on savait être considérable, et qui -d'heure en heure pouvait le devenir davantage. Il avait perdu le -conseiller dans lequel il avait pris tant de confiance, le général -Moreau, que les soldats portaient mourant sur leurs épaules, et il lui -restait le général Jomini, que Moreau lui avait recommandé comme -capable, quoique très-bouillant, de donner un bon avis. Le général -Jomini et plusieurs autres, fort disposés à décrier les Autrichiens, -et en particulier le prince de Schwarzenberg, se plaignaient amèrement -de ce qu'on songeait à se retirer au delà de l'Eger, déclaraient -excessif, dangereux même un pareil mouvement rétrograde, surtout le -corps de Vandamme apparaissant au débouché de la chaussée de -Péterswalde sur le flanc des colonnes en retraite. L'empereur -Alexandre qui commençait à entendre un peu mieux la guerre, et qui -n'avait que le tort de se laisser atteindre par les avis contraires au -point de tomber dans des irrésolutions interminables, avait apprécié -l'objection, et était tout disposé à en tenir compte. Jadis, quand on -était moins exaspéré contre les Français, quand on était sous le coup -du génie transcendant de Napoléon, on se sentait peu enclin à en -appeler d'une défaite, on la regardait comme un arrêt qu'il fallait -subir, et on se rendait facilement au premier corps qu'on rencontrait -sur son chemin après une bataille perdue. On était fort changé -aujourd'hui. La passion de la résistance devenue extrême, le prestige -de Napoléon diminué, on se laissait moins décourager, et à la moindre -lueur d'espérance on reprenait volontiers la résolution de combattre. -Aussi tous les généraux <span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> qui se trouvaient autour d'Alexandre -furent-ils d'avis que s'il y avait une occasion quelconque de -recommencer la lutte, on devait la saisir, et qu'un corps français se -montrant sur leur gauche, il fallait s'arrêter pour lui tenir tête au -lieu de se porter au delà de l'Eger. Jusqu'ici d'ailleurs c'était un -corps isolé, qui serait soutenu probablement, mais qui peut-être aussi -ne le serait pas, et offrirait dans ce cas une proie facile à enlever. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordres au comte Ostermann et au prince Eugène de Wurtemberg -de s'arrêter en face de Kulm.</span> -Barclay de Tolly, le général Diebitch devenu chef d'état-major, ayant -partagé cette opinion, on donna l'ordre aux colonnes du prince Eugène -de Wurtemberg et d'Ostermann de tenir bon devant Kulm, quelque -fatiguées qu'elles pussent être. On leur annonça qu'elles allaient -être renforcées, et en effet plusieurs colonnes d'infanterie russe et -prussienne arrivant par la route d'Altenberg avec la cavalerie de la -garde, on les leur envoya. Ce ne fut pas tout. Les troupes -autrichiennes débouchaient actuellement en plus grand nombre que les -Russes, parce qu'elles s'étaient acheminées les premières et sans -tergiverser sur la route d'Altenberg. -<span class="sidenote" title="En marge">Les troupes autrichiennes reçoivent les mêmes ordres, grâce -à l'intervention de M. de Metternich.</span> -Ce fut le corps de Colloredo qui -se présenta le premier. Mais ce général, auquel on demanda de venir se -ranger en face de Kulm, derrière les lignes russes, ayant allégué les -instructions du prince de Schwarzenberg qui lui prescrivaient de se -retirer au delà de l'Eger, on eut recours à M. de Metternich, qui -était à Duchs, château du célèbre Wallenstein, où les souverains -étaient actuellement réunis, et on fit donner l'ordre à toutes les -troupes autrichiennes de converger à gauche, pour venir se mettre en -bataille avec les troupes russes descendues de Péterswalde.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vandamme expulse les Russes de Kulm, leur enlève -Straden, et veut en vain leur enlever la position de Priesten.</span> -Toutefois ce n'était pas avant quelques heures que ces ordres -pouvaient amener en ligne des forces considérables, et Vandamme après -un instant de réflexion, quoiqu'il vît les troupes fugitives -s'arrêter, et même s'augmenter sensiblement, résolut de les déloger du -poste où elles semblaient vouloir s'établir pour protéger contre nous -les débouchés du Geyersberg. En agissant ainsi il obéissait à la fois -à des ordres précis, et à l'indication des circonstances, car ses -ordres lui disaient d'aller jusqu'à Tœplitz, et les circonstances -devaient l'engager à fermer le débouché des montagnes aux colonnes -battues, puisqu'il n'avait été envoyé en ces lieux que pour opposer -des obstacles à leur retraite. Ayant toujours sous la main la brigade -de Reuss avec laquelle il avait marché depuis le matin et n'ayant -qu'elle, il chassa néanmoins les Russes de Kulm où ils avaient essayé -de tenir, et du village de Straden où ils s'étaient ensuite repliés. -Ce village de Straden emporté, il se trouva devant une seconde -position située derrière un ravin et d'apparence assez forte. D'un -côté, c'est-à-dire vers notre droite, elle s'appuyait aux montagnes, -vers le centre au village de Priesten construit sur la route de -Tœplitz, à gauche enfin à des prairies coupées de canaux, et au -village de Karbitz. Vandamme voulut attaquer sur-le-champ le village -de Priesten, pour ne pas permettre aux Russes de s'y établir; mais -pour la première fois il rencontra une résistance opiniâtre, et fut -repoussé par une charge du régiment des gardes d'Ismaïlow. Il n'avait -ni sa grosse artillerie ni ses masses d'infanterie; il fut donc -obligé <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> d'attendre la division Mouton-Duvernet (la 42<sup>e</sup>), et -il eût mieux fait évidemment de différer jusqu'à l'arrivée de son -corps tout entier, pour n'engager le combat qu'avec des forces -suffisantes. Cependant ses autres divisions ne pouvant être rendues -sur les lieux que fort tard, et sa préoccupation de couper la retraite -à l'ennemi étant toujours la même, il attaqua l'ennemi avec neuf -bataillons du général Mouton-Duvernet, seuls réunis en ce moment sur -les quatorze dont se composait la division. Avec ces neuf bataillons -portés à droite vers les bois il rétablit le combat, et rejeta les -Russes sur Priesten. Mais tout à coup il fut assailli par quarante -escadrons de la garde russe, qui venaient d'entrer en ligne, et qui se -déployèrent, les uns à notre droite vers le pied des monts, les autres -à gauche dans la plaine de Karbitz. Les bataillons de Mouton-Duvernet -continrent la cavalerie russe le long des montagnes, les escadrons de -Corbineau la chargèrent du côté des prairies, et néanmoins cette fois -encore, au lieu d'avancer nous pûmes tout au plus conserver le terrain -que nous avions acquis. À deux heures de l'après-midi parut la -première brigade de la division Philippon (première de Vandamme). -Cette brigade commandée par le général Pouchelon, envoya sur la droite -le 12<sup>e</sup> de ligne pour soutenir Mouton-Duvernet, et au centre le 7<sup>e</sup> -léger pour attaquer Priesten. Ces régiments accueillis par un feu -épouvantable ne purent emporter la position. La seconde brigade de -Philippon étant survenue sous le général de Fezensac, fut engagée de -même, et sans plus de succès quoique avec beaucoup de vigueur. -<span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> Le 7<sup>e</sup> léger de la première brigade ayant voulu attaquer -Priesten fut criblé de mitraille, puis chargé par la cavalerie russe, -et sauvé par la seconde brigade que le général de Fezensac avait -ralliée sous le feu de l'ennemi. Vandamme reconnaissant trop tard que -ces attaques décousues ne donneraient aucun résultat, prit le parti -d'asseoir sa ligne un peu en arrière, sur la hauteur de Kulm, -laquelle, placée au débouché de la chaussée de Péterswalde, dominait -la plaine. Les Russes ayant voulu s'avancer furent mitraillés à leur -tour par vingt-quatre bouches à feu que le général Baltus, arrivé avec -la réserve d'artillerie, avait mises en batterie. -<span class="sidenote" title="En marge">Vers la fin de la journée, Vandamme conserve Kulm, tandis -que les Russes conservent Priesten.</span> -Ils reculèrent sous -cette mitraille et devant les charges de notre cavalerie, et allèrent -reprendre la position de Priesten, appuyés comme le matin, la gauche -aux montagnes, le centre à Priesten sur la route de Tœplitz, la -droite dans les prairies de Karbitz. Nous étions vis-à-vis, ayant -comme eux d'un côté les montagnes, de l'autre les prairies, et au -centre la position dominante de Kulm, où il était facile de se -défendre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vandamme remet au jour suivant la suite de ses opérations, -et comptant être soutenu, se promet de grands résultats pour le -lendemain.</span> -Ce n'était pas un tort à Vandamme d'avoir cherché à emporter la -position des Russes, puisqu'il avait ordre de les pousser jusqu'à -Tœplitz, et que d'ailleurs il devait sentir le besoin de fermer le -débouché de la route d'Altenberg sur Tœplitz; mais c'en était un -d'avoir attaqué avant d'avoir toutes ses forces sous la main, et ce -tort lui-même s'expliquait par l'allongement de sa colonne dans les -montagnes, et par le désir naturel de déloger l'ennemi avant qu'il se -fût consolidé dans sa position. Au surplus le général <span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span> -Vandamme s'arrêta, et il résolut de bien garder Kulm, où il ne pouvait -pas être forcé, ayant 52 bataillons à sa disposition, et environ 80 -bouches à feu en batterie. Son intention était d'y attendre que -Mortier, demeuré sur ses derrières à Pirna, vînt à son aide, et que -Saint-Cyr, Marmont, placés sur sa droite, de l'autre côté des -montagnes, les franchissent à la suite des coalisés. Ces mouvements -n'exigeaient pas plus de douze ou quinze heures pour s'accomplir, et -avec le concours de toutes ces forces il se flattait d'avoir le -lendemain 30 de beaux résultats à offrir à l'Empereur; triste et -déplorable illusion, pourtant bien fondée, aussi fondée qu'aucune -espérance raisonnable le fut jamais! -<span class="sidenote" title="En marge">Il écrit à Napoléon pour lui faire connaître sa situation.</span> -Le soir même il écrivit à -Napoléon pour faire connaître sa situation, demander des secours, et -annoncer que jusqu'à leur arrivée il resterait immobile à Kulm.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Temps qu'il fallait pour écrire à Dresde et avoir une -réponse.</span> -Les lettres écrites le 29 au soir de Kulm ne pouvaient parvenir à -Dresde que le 30 au matin, et les ordres émis en réponse à ces lettres -ne pouvaient être exécutés d'assez bonne heure pour que Vandamme fut -secouru à temps dans la journée du 30. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon n'ayant reçu que les nouvelles du matin, se borne -à réitérer à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor, l'ordre de suivre -vivement l'ennemi, et à Mortier de se tenir prêt à secourir Vandamme -lorsqu'il en recevra l'avis.</span> -Dans la soirée du 29, Napoléon -avait reçu les nouvelles parties le matin de Péterswalde; il avait su -que les Russes se retiraient en toute hâte, que Vandamme les suivait -l'épée dans les reins, et leur avait déjà enlevé quelques mille -hommes. Supposant d'après ces premières informations les coalisés en -complète déroute, comptant que la vive poursuite de Saint-Cyr, de -Marmont, de Murat, les obligerait à traverser les montagnes en -désordre, et que Vandamme placé au revers, les recueillerait par -milliers, <span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> peut-être même leur fermerait entièrement le -principal débouché d'Altenberg, il avait réitéré à Saint-Cyr, à -Marmont, à Murat, l'ordre de pousser vivement l'ennemi dans toutes les -directions, et à Mortier d'être aux écoutes, prêt à courir à Kulm si -Vandamme en avait besoin. Ayant la tête pleine des souvenirs du passé, -se rappelant avec quelle facilité il ramassait jadis les Prussiens ou -les Autrichiens vaincus, ne voulant pas tenir compte de la passion qui -les animait aujourd'hui et les rendait si difficiles à décourager, il -estimait que c'était assez de précaution pour obtenir encore de -très-grands résultats de la victoire de Dresde. D'ailleurs il était -absorbé en ce moment par une vaste combinaison<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a>, au moyen de -laquelle il espérait, profitant du coup si rude frappé sur l'armée de -Bohême, s'avancer sur la route de Berlin à cinq marches de Dresde, -écraser l'armée du Nord, accabler d'un même coup la Prusse et -Bernadotte, ravitailler les places de l'Oder, envoyer des -encouragements à celles de la Vistule, <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> et imprimer de la -sorte une face nouvelle à la guerre, dont le théâtre serait pour un -instant reporté au nord de l'Allemagne. -<span class="sidenote" title="En marge">Pendant ce temps, Napoléon s'occupe de réparer les échecs -essuyés par Macdonald et Oudinot.</span> -Ainsi Berlin, les places de -l'Oder et de la Vistule, qui déjà l'avaient disposé à trop étendre le -cercle de ses opérations, le préoccupaient de nouveau, et allaient le -détourner de ce qui aurait dû être pour quelques heures son objet -essentiel et unique. Sans doute, comme on en jugera bientôt, sa -conception était singulièrement grande, mais elle était -malheureusement intempestive, et prématurée au moins de deux jours! -Tout entier à ses calculs et dans le feu d'une première conception, il -expédia les ordres suivants pendant la matinée du 30. Il enjoignit au -maréchal Mortier à Pirna de lui renvoyer à Dresde deux divisions de la -jeune garde, et avec les deux autres d'aller au secours de Vandamme; à -Murat de lui rendre une moitié de la grosse cavalerie, et avec le -reste de continuer à poursuivre l'ennemi sur la chaussée de Freyberg. -<span class="sidenote" title="En marge">Grande combinaison imaginée en cette circonstance.</span> -Il ordonna au maréchal Marmont de pousser vivement l'ennemi sur le -débouché d'Altenberg et Zinnwald, où d'après tous les rapports les -colonnes des Russes, des Prussiens et des Autrichiens se pressaient -pêle-mêle; au maréchal Saint-Cyr de seconder Marmont dans cette -opération, ou, ce qui valait mieux, de chercher par un chemin latéral -à gagner la chaussée de Péterswalde, afin de se joindre à Vandamme, et -il espéra ainsi que pressés en queue, menacés en flanc, retenus en -tête, les coalisés essuieraient quelque désastre. Il prescrivit de -faire immédiatement passer l'Elbe aux troupes qu'il redemandait, et -ne cacha point à <span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span> Murat que c'était dans l'intention de -marcher sur Berlin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Calculs des coalisés rangés en avant de Tœplitz.</span> -Tandis qu'il concevait ces projets, et expédiait ces ordres, les -coalisés à Tœplitz ne formaient pas d'aussi vastes combinaisons, et -ne songeaient qu'à se tirer du péril auquel ils s'étaient imprudemment -exposés en descendant sur les derrières de Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Ils n'ont d'autre prétention que de contenir Vandamme et de -se ménager une retraite assurée.</span> -La résistance -heureusement opposée à Vandamme dans la journée du 29 leur avait rendu -quelque confiance. Tout ce qui leur était arrivé de troupes russes et -autrichiennes par le chemin d'Altenberg sur Tœplitz, avait été -rabattu sur leur gauche, et placé derrière Priesten et Karbitz, afin -de présenter à Vandamme une barrière de fer. Ils se flattaient donc de -l'empêcher de déboucher de Kulm, et de lui faire peut-être éprouver un -échec, ce qui les dédommagerait tant soit peu des journées du 26 et du -27 août, et procurerait à toutes leurs colonnes le temps de repasser -les montagnes en sûreté. Pourtant il leur restait une grave -inquiétude, c'était pour le corps prussien de Kleist, qui avait dû -suivre le corps autrichien de Colloredo dans le premier projet de -retraite, et passer avec lui par Dippoldiswalde, Altenberg, Zinnwald, -Tœplitz, mais qui en avait été empêché par le mouvement transversal -de Barclay de Tolly, lequel, ainsi qu'on l'a vu, s'était reporté -brusquement de la chaussée de Péterswalde sur le chemin d'Altenberg, -afin d'éviter Vandamme. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger du corps prussien de Kleist, resté en deçà des -montagnes.</span> -Retardé dans sa marche, et obligé d'attendre -que le chemin fût libre, le corps de Kleist était encore le 29 au soir -sur le revers du Geyersberg, et on craignait pour lui les plus grands -malheurs, car le corps <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> de Saint-Cyr était tout à fait sur ses -talons. Le roi de Prusse, après en avoir conféré avec l'empereur -Alexandre, envoya le colonel Schœler, l'un de ses aides de camp, au -général Kleist, pour le prévenir de la présence du corps de Vandamme à -Kulm, lui laisser le choix de la route qu'il aurait à prendre pour se -sauver, et lui promettre de bien tenir le lendemain devant Kulm, afin -qu'il eût le loisir de traverser la montagne et de déboucher dans le -bassin de l'Eger<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordre envoyé à ce corps de se sauver comme il pourrait.</span> -En même temps on regardait ce corps comme -tellement compromis, qu'on enjoignait à M. de Schœler de ramener à -travers les bois le jeune prince d'Orange, qui faisait cette campagne -avec l'armée prussienne, et avait été placé auprès du général Kleist. -On ne voulait pas en effet livrer aux mains de Napoléon un tel -trophée, si le corps de Kleist était fait prisonnier. M. de Schœler -partit donc immédiatement pour repasser les montagnes, et aller à tout -risque remplir la difficile mission dont il était chargé. Telles -étaient les espérances des uns, les craintes des autres le 29 à -minuit!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation des deux armées le 30 au matin.</span> -Le lendemain 30 août au matin, les deux armées se trouvaient dans la -même position que la veille. Les coalisés étaient en face de -Vandamme, leur gauche, <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> composée des Russes, tout près des -montagnes, leur centre, composé aussi des Russes, en avant de Priesten -et vis-à-vis de Kulm, leur droite formée par les Autrichiens et par la -cavalerie des alliés dans les prairies de Karbitz. Ils étaient -disposés à prendre l'offensive, pour favoriser en occupant fortement -les Français le passage du général Kleist à travers les montagnes, -mais ils ignoraient par quelle route celui-ci chercherait à sortir du -gouffre où il était enfermé. Ils supposaient à Vandamme tout au plus -30 mille hommes, tandis qu'il en avait 40 mille sous la main. Ils ne -pouvaient donc pas hésiter à commencer l'attaque, et ils résolurent de -le faire immédiatement.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vandamme s'était établi dans une forte position, attendant -des secours, et ne voulant rien entreprendre.</span> -Vandamme au contraire, ayant au lever du jour discerné plus clairement -encore la disproportion de ses forces avec celles de l'ennemi, et -attendant à chaque instant l'apparition du maréchal Mortier sur ses -derrières, celle du maréchal Saint-Cyr sur sa droite, voulait se -borner à la défensive jusqu'à l'arrivée de ses renforts. C'est ce -qu'il manda dès six heures du matin à Napoléon. Avec l'ordre de -pousser jusqu'à Tœplitz et avec son caractère audacieux, s'arrêter -à Kulm était tout ce qu'on pouvait espérer de mieux de sa part. Quant -à remonter sur Péterswalde même, il ne devait pas y songer, car la -position de Kulm était assez forte pour qu'avec quarante mille hommes -on pût s'y défendre contre quelque ennemi que ce fût; et en arrière, -entre Kulm et Péterswalde, on n'avait aucun danger à prévoir, Mortier -s'y trouvant, et devant en déboucher à chaque instant. Ne pas se -hasarder en plaine pour aller à <span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> Tœplitz, et se maintenir à -Kulm, était donc la seule résolution indiquée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes de Vandamme.</span> -Voici comment le général Vandamme avait distribué ses troupes. À sa -droite, en face des Russes, au pied même du Geyersberg, il avait neuf -bataillons de la division Mouton-Duvernet, et un peu en arrière, mais -tirant vers le centre, la division Philippon avec quatorze bataillons. -Il était donc bien en force de ce côté des montagnes, d'où à tout -moment descendaient de nombreuses colonnes ennemies. Au centre en -avant de Kulm, vis-à-vis de Priesten, il avait la brigade Quyot, de la -division Teste, un peu en arrière la brigade de Reuss. Derrière Kulm, -il avait la brigade Doucet de la division Dumonceau, et à gauche, vers -les prairies, la brigade Dunesme, appartenant également à la division -Dumonceau, pour servir d'appui à la cavalerie. Enfin le général -Kreutzer, avec ce qui restait de la division Mouton-Duvernet, avait -été envoyé à Aussig, assez loin en arrière, pour garder le passage de -l'Elbe, conformément aux ordres de Napoléon. Ainsi, avec vingt-trois -bataillons à sa droite et le long des montagnes, avec dix-huit au -centre, avec sept ou huit bataillons à gauche soutenant vingt-cinq -escadrons rangés dans la plaine, enfin, avec une formidable -artillerie, il devait se croire en sûreté, surtout étant adossé à la -chaussée de Péterswalde, d'où il se flattait incessamment de voir -déboucher Mortier. Il attendit donc l'esprit libre d'inquiétude, et -pourtant, sans qu'on sût pourquoi, il y avait dans bien des cœurs -de sinistres pressentiments. À huit heures les tirailleurs ennemis -commencèrent le feu, les nôtres répondirent, <span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> mais rien ne -faisait encore prévoir un engagement sérieux. -<span class="sidenote" title="En marge">Premier engagement sur notre gauche.</span> -Bientôt sur notre gauche -on vit les cavaliers russes du général Knorring franchir une éminence -qui dominait les prairies, et puis fondre sur une batterie attelée qui -était un peu en avant de notre ligne de cavalerie. Trois pièces furent -enlevées, et un bataillon du 13<sup>e</sup> léger, qui essaya de les défendre, -fut fort maltraité. Alors la brigade de cavalerie légère du général -Heinrodt, conduite par l'intrépide Corbineau, chargea les cuirassiers -russes et les repoussa. Mais l'infanterie autrichienne de Colloredo -ayant déployé ses bataillons à l'appui de la cavalerie russe, les -chasseurs du général Heinrodt furent obligés de se replier. Le général -Corbineau, blessé à la tête, dut quitter le champ de bataille.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les efforts des coalisés ne révèlent d'abord que -l'intention de contenir Vandamme.</span> -Vandamme alors tira du centre la brigade Quyot, et la porta vers sa -gauche pour servir de soutien à la brigade Dunesme et à notre -cavalerie. À peine arrivait-elle dans la plaine à gauche qu'elle fut -assaillie par toute la cavalerie de Knorring. Le général Quyot forma -cette brave brigade, qui était de six bataillons, en trois carrés, et -pendant plus d'une heure essuya sans s'ébranler tous les assauts de la -cavalerie ennemie. Celle-ci ayant voulu tourner nos carrés et -s'approcher de Kulm, la brigade de chasseurs à cheval du général -Gobrecht la chargea à son tour, et la rejeta sur l'infanterie -autrichienne. Les efforts à notre gauche indiquaient le projet de nous -ramener sur la chaussée de Péterswalde en nous débordant, mais -jusqu'ici aucun de ces efforts n'avait réussi, et maîtres de la plaine -à gauche, toujours fermes au centre et à droite, où l'ennemi semblait -<span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> même ne pas oser nous attaquer, nous paraissions n'avoir rien -à craindre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Coups de fusil entendus subitement sur les derrières de -Vandamme.</span> -Tout à coup cependant vers dix heures du matin, un certain tumulte se -produisit sur nos derrières. On entendit des coups de fusil de -tirailleurs et le bruit de nombreuses voitures d'artillerie; on -aperçut enfin des colonnes épaisses, et Vandamme plein de joie crut -naturellement que c'était Mortier qui arrivait de Pirna! Vaine -illusion, terrible réveil! Il accourt, et reconnaît l'uniforme des -Prussiens! C'était le général Kleist qui descendait par la chaussée de -Péterswalde! Qui donc avait pu le tirer d'un affreux péril pour le -jeter ainsi sur nos derrières? Un hasard, un heureux mouvement de -désespoir! Voici en effet ce qui s'était passé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Soudaine apparition du corps prussien de Kleist, qui en -cherchant à se faire jour se trouve sur les derrières de Vandamme.</span> -En recevant la mission du colonel Schœler, le général Kleist avait -fait part à ses officiers de la présence des Français à Kulm, et comme -il était entre la route de Péterswalde à gauche, laquelle était -occupée par Vandamme, et la route d'Altenberg à droite, qui avait été -encombrée toute la journée par les Russes et les Autrichiens, et qui -en ce moment était interceptée par le corps de Marmont, il ne lui -restait qu'à suivre droit devant lui les sentiers menant sur le revers -de la montagne, au risque de trouver Vandamme sur son chemin. -D'ailleurs ayant immédiatement sur ses derrières le corps de -Saint-Cyr, s'il s'arrêtait un instant il pouvait être assailli et -accablé. En présence de ce triple danger, les Prussiens, saisis d'un -transport d'enthousiasme, avaient pris le parti de gravir la montagne -qui s'élevait devant eux, et si ce chemin les conduisait au <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span> -milieu du corps de Vandamme, de se faire jour ou de mourir. Ils -avaient marché toute la nuit sans être suivis par Saint-Cyr, et -avaient découvert sur leur gauche un chemin de traverse qui par -Furstenwalde et Streckenwalde rejoignant la chaussée de Péterswalde -les avait menés sains et saufs sur les derrières mêmes de Vandamme. -<span class="sidenote" title="En marge">Grand péril de Vandamme.</span> -Le -voyant assailli de front par cent mille hommes, se trouvant trente -mille au moins sur ses derrières, ils venaient de commencer l'attaque -à l'instant même, se flattant et ne doutant plus d'un prodigieux -résultat.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Il conserve sa présence d'esprit, et songe à rebrousser -chemin, en passant sur le corps des Prussiens.</span> -À cet aspect Vandamme, conservant une rare présence d'esprit et après -s'être consulté avec le général Haxo, comprend qu'il n'a qu'une chose -à faire, c'est de remonter la chaussée de Péterswalde, et de passer -sur le corps des colonnes prussiennes en abandonnant son artillerie. -Un pareil sacrifice n'est rien s'il peut à ce prix sauver son armée. -Sur-le-champ il donne les ordres qui sont la conséquence de cette -résolution. Il prescrit à la brigade Quyot qu'il avait portée dans la -plaine à sa gauche, de se replier, ainsi qu'à la brigade de Reuss -laissée en avant de Kulm; il leur ordonne à toutes deux de se former -en colonnes serrées pour enfoncer les Prussiens, tandis que la brigade -Dunesme avec la cavalerie persistera dans la plaine à contenir les -Autrichiens de Colloredo et les nombreux escadrons de Knorring, et -qu'à droite Mouton-Duvernet et Philippon, rebroussant chemin le long -des montagnes, viendront à leur tour assaillir les Prussiens. Au -centre sur l'éminence de Kulm, Vandamme décidé à sacrifier son -artillerie, la place en batterie avec ordre d'en <span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> faire contre -les Russes un usage désespéré. La brigade Doucet doit soutenir cette -artillerie le plus longtemps possible, et puis quand on se sera fait -jour, on doit se retirer tous ensemble en abandonnant les canons, mais -en sauvant les chevaux et les hommes.</p> - -<p>Ces ordres sont aussitôt exécutés. Les brigades Quyot et de Reuss -quittent la plaine à gauche pour regagner la chaussée de Péterswalde, -tandis que Philippon et Mouton-Duvernet se replient lentement. À cette -vue, les soixante bataillons russes que nous avions devant nous à -notre droite et à notre centre, poussent des cris de joie, et nous -suivent. Mouton-Duvernet et Philippon les contiennent, Baltus au -centre les mitraille des hauteurs de Kulm; mais à gauche dans la -plaine, où ne reste plus que la brigade Dunesme, une masse formidable -d'ennemis fond sur cette brave brigade qui se défend vaillamment. En -arrière, les brigades Quyot et de Reuss essayant de regagner la -chaussée de Péterswalde en colonne serrée, chargent les Prussiens avec -violence. Ce mouvement produit un affreux refoulement dans les troupes -du général Kleist, et il en résulte un conflit impossible à décrire, -dans lequel les hommes se prennent corps à corps, s'étouffent, -s'égorgent à coups de sabres et de baïonnettes. Au même moment une -brigade de cavalerie, celle de Montmarie, suivie de beaucoup de -soldats du train, se jette sur l'artillerie des Prussiens et l'enlève. -Le général de Fezensac amené sur ce point par Vandamme avec les débris -de sa brigade, contribue à l'effort commun. -<span class="sidenote" title="En marge">Un moment Vandamme a la chance de se sauver.</span> -On parvient ainsi à -rouvrir la route en renversant la première ligne de Kleist, et il y a -chance <span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> encore de se sauver si Mouton-Duvernet et Philippon, -se repliant à temps et en bon ordre, peuvent aider à forcer la seconde -ligne des Prussiens. Mais un étrange accident survient et déjoue tous -les calculs de l'infortuné Vandamme. Notre cavalerie chargée à -outrance sur la gauche de la route, et rejetée sur la droite, s'y -précipite suivie d'une multitude de soldats du train qui étaient -séparés de leurs pièces. -<span class="sidenote" title="En marge">Une confusion subite dans les divisions Philippon et -Mouton-Duvernet amène la catastrophe du corps de Vandamme.</span> -Dans leur course désordonnée, cavaliers et -canonniers se ruent sur Mouton-Duvernet et Philippon, mettent le -trouble dans leurs rangs, et y décident par leur exemple un mouvement -général de retraite vers les bois. Alors tout prend cette direction! -Le général Baltus, après avoir criblé les Russes de mitraille, se -retire du même côté avec ses attelages et la brigade Doucet. Dans la -plaine il ne reste que la brigade Dunesme, assaillie de toutes parts, -se défendant héroïquement, mais finissant par succomber. Une partie -des soldats de cette brigade sont tués ou pris, les autres tâchent de -gagner l'asile des montagnes. Vandamme, Haxo, blessés, et demeurés les -derniers au milieu du péril, sont faits prisonniers. Le général -Kreutzer, placé à Aussig, et apercevant de loin cette échauffourée, -prend le parti de se retirer, et se sauve par miracle avec quelques -bataillons. À l'exception d'un petit nombre de colonnes se repliant -avec ordre, on ne voit bientôt de tous côtés qu'une nuée d'hommes -s'échappant comme ils peuvent, et réussissant en effet à se dérober à -l'ennemi, grâce à ces montagnes boisées où il est impossible de les -poursuivre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pertes de cette journée.</span> -Telle fut cette malheureuse journée de Kulm, qui <span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> nous coûta -5 à 6 mille morts ou blessés, 7 mille prisonniers, 48 bouches à feu, -deux généraux bien diversement illustres, et qui, bien qu'elle coûtât -6 mille hommes aux coalisés, les releva de leur défaite, leur rendit -l'espérance de la victoire, et effaça en un moment de leur souvenir -les éclatantes journées du 26 et du 27 août.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">À qui s'en prendre du malheur de Vandamme?</span> -Quelle raison donner de cette singulière catastrophe? Comment -expliquer que tant de corps français entourant l'armée coalisée, à ce -point que l'un de ces corps, celui de Vandamme, se trouvait déjà sur -sa ligne de retraite, qu'elle-même étant embarrassée dans les gorges -du Geyersberg, et y ayant un de ses détachements tellement enfermé -qu'on ne pouvait imaginer de quelle manière il s'échapperait, comment -expliquer que la face des choses change tout à coup, que le corps -français destiné à assurer la perte de l'ennemi soit perdu lui-même, -et que l'auteur du désastre soit précisément le détachement prussien -supposé sans ressource, que la victoire passe ainsi des uns aux autres -en un instant, avec toutes ses conséquences militaires, politiques et -morales? Est-ce la faute de Vandamme, qui se serait trop engagé, de -Mortier, de Saint-Cyr qui ne l'auraient pas secouru à temps, de -Napoléon, qui aurait trop abandonné les événements à eux-mêmes? Ou -bien serait-ce le génie militaire qu'auraient déployé les généraux -ennemis en cette circonstance?... Les faits, exposés dans toute leur -vérité, ont presque déjà répondu à ces questions, et expliquent à eux -seuls ce changement de fortune, l'un des plus prodigieux dont -l'histoire fasse mention.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vandamme ne pouvait pas faire autre chose que ce -qu'il fit.</span> -Vandamme avec beaucoup de vices contre-balancés par de grandes -qualités, n'eut dans ces journées presque aucun tort. Il était placé -dès l'origine au camp de Pirna, avec mission essentielle de se porter -sur les derrières de l'ennemi, et devait avoir sans cesse l'esprit -tourné vers cette seule pensée. Le 28 août, voyant plusieurs colonnes -russes défiler devant lui, il reçut l'ordre formel de les suivre -l'épée dans les reins, de marcher après elles en Bohême, et d'aller -jusqu'à Tœplitz pour fermer aux coalisés leur principal débouché. -Il savait qu'il était entouré de corps français sur ses flancs et ses -derrières, prêts à survenir à tous moments. Il courut donc, il suivit -les Russes, et ce fut miracle si dans son ardeur il n'alla pas jusqu'à -Tœplitz, car il en avait l'ordre, et il était certain de n'obtenir -qu'à Tœplitz les grands résultats que Napoléon se promettait de sa -présence en Bohême. Pourtant après avoir essayé de pousser l'ennemi au -delà de Priesten, et avoir eu le tort, fort excusable d'ailleurs, et -qui n'eut aucune gravité pour la suite des événements, d'attaquer sans -ensemble, il sut s'arrêter à Kulm, bien qu'il eût Tœplitz devant -lui, Tœplitz que ses instructions et son légitime désir lui -assignaient comme but. Après s'être arrêté, il s'établit dans une -position très-forte, garantie de tous côtés, un seul excepté, celui -par lequel devait venir Mortier, et il attendit, demandant du secours -et des ordres. Quel autre parti aurait-il pu prendre? Rétrograder sur -Péterswalde et Pirna? mais c'eût été abandonner et son poste et sa -mission, et contrevenir non-seulement au texte, mais à la pensée de -ses <span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> instructions, car il était chargé de barrer le chemin à -l'ennemi, et il le lui eût ouvert. Tout ce qu'on pouvait donner à la -prudence il l'avait donné en s'abstenant d'aller à Tœplitz, et en -s'arrêtant à Kulm. Si dans cette position de Kulm, de laquelle il eut -le bon esprit de ne pas sortir, ce fut le général Kleist au lieu du -maréchal Mortier qui parut sur ses derrières, ce fut là un accident -extraordinaire, dont il y aurait une criante injustice à le rendre -responsable. Quant à ce qui suivit, Vandamme au moment de la -catastrophe conserva toute sa présence d'esprit, et prit la seule -résolution possible, celle de rebrousser chemin en passant sur le -corps des Prussiens, résolution qui devint inexécutable par -l'inévitable confusion d'une situation pareille. Il n'y avait donc -rien à lui reprocher à lui, et la supposition qu'il se perdit en -courant trop vite après le bâton de maréchal, qu'il avait mieux mérité -que d'autres par ses services militaires, et pas plus démérité par ses -violences, est une calomnie à l'égard d'un infortuné plus à plaindre -ici qu'à blâmer.</p> - -<p>Si Vandamme ne fut pas coupable, si tout son malheur vint de ce qu'au -lieu d'un corps français il apparut sur ses derrières un corps -prussien, faut-il s'en prendre aux divers commandants de troupes -françaises qui auraient pu survenir, et notamment au maréchal Mortier, -au maréchal Saint-Cyr, les seuls placés à portée de Kulm? -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Mortier se renferma également dans les ordres -qu'il avait reçus.</span> -Le maréchal -Mortier établi à Pirna comme en cas, avec l'alternative d'être ramené -à Dresde ou envoyé à Tœplitz, aurait dû se tenir entre deux, et -avec plus de spontanéité et de vigilance il aurait pu accourir de -lui-même au secours <span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> de Vandamme. Mais dans la stricte -observation de ses devoirs, destiné à être dirigé sur un point ou sur -un autre, il était naturel qu'il attendît dans une complète immobilité -l'expression des volontés de Napoléon, et, quant à l'ordre précis de -secourir Vandamme avec deux divisions, cet ordre ne lui arriva que -dans le courant de la journée du 30, c'est-à-dire à une heure où la -catastrophe était déjà accomplie. Il est donc absolument impossible de -s'en prendre à ce maréchal.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Saint-Cyr seul aurait pu secourir Vandamme, et -ne le fit pas.</span> -On voudrait pouvoir en dire autant du maréchal Saint-Cyr; mais ce -maréchal est certainement le plus sujet à reproches, et il y a peu -d'excuses à faire valoir en sa faveur. Placé directement à la suite du -corps de Kleist, il aurait dû être toujours sur ses traces, ne pas le -perdre de vue un instant, et s'il eût rempli ce devoir positif, le -corps de Kleist suivi à la piste, au moment où il tombait sur -Vandamme, aurait vu à son tour un corps français tomber sur ses -derrières, et aurait probablement été pris et détruit, au lieu de -contribuer à prendre et à détruire Vandamme. Malheureusement le -maréchal Saint-Cyr, esprit éminent mais frondeur, n'ayant de zèle que -pour les opérations dont il était directement chargé, ne sachant hors -du feu que critiquer ses voisins et son maître, ayant en toute -circonstance plaisir à chercher des difficultés au lieu de chercher à -les vaincre, employa la journée du 28 à se porter à Maxen, le -lendemain 29 ne s'avança que jusqu'à Reinhards-Grimme, ne fit ainsi -qu'une lieue et demie dans cette journée décisive pour la poursuite, -employa ce temps si précieux à faire demander à l'état-major s'il -devait <span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> suivre Marmont sur la route d'Altenberg, et tandis -qu'il avait l'ordre positif de suivre l'ennemi à outrance dans toutes -les directions, laissait Kleist disparaître, et s'acheminer sur les -derrières de Vandamme. Puis le lendemain 30, lorsque l'ordre de -chercher à rejoindre Vandamme par une route latérale lui parvenait, -ordre tellement indiqué que Berthier sur la carte seule le lui -envoyait de Dresde, il s'ébranlait enfin, et par le chemin qui avait -mené Kleist sur les derrières de Vandamme, et qui l'aurait mené -lui-même sur les derrières de Kleist, il arrivait pour entendre le -canon qui annonçait notre désastre. Ainsi avait été perdue la journée -du 29, à fronder, à se plaindre de n'avoir pas d'ordre, tandis -qu'existait l'ordre constant et bien suffisant de poursuivre l'ennemi -sans relâche<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a>!</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> Quant au maréchal Marmont, il poussa l'ennemi aussi vivement -qu'il le put, et eut même plusieurs combats heureux, mais il était -trop loin de Vandamme pour lui venir en aide. Placé tout à fait sur la -droite, il ne pouvait avoir la prétention de franchir les montagnes -avant Saint-Cyr, sans s'exposer à tomber seul au milieu des ennemis -comme dans un gouffre. Il n'y a donc rien à lui reprocher. Quant à -Murat, il était dans l'impossibilité d'exercer aucune influence sur -l'événement déplorable qui s'accomplit à Kulm, puisqu'il courait avec -ses escadrons sur la grande route de Freyberg.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> Reste enfin au nombre des acteurs responsables de cette catastrophe -Napoléon lui-même, qui présent sur les lieux, suivant sans relâche ses -lieutenants, aurait pu les faire converger au point commun, et par sa -présence eût certainement obtenu ce qu'il prévoyait, et ce qu'il était -fondé à espérer. Mais il fut détourné le 28 de ce grand devoir par les -nouvelles qui lui parvinrent des environs de Lowenberg et de Berlin, -et aussi, il faut le dire, par la confiance qu'après les ordres -donnés, les résultats attendus étaient suffisamment préparés et -garantis. En effet, quatre-vingt mille hommes sous Saint-Cyr, -<span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> Marmont, Murat, poussant les coalisés contre les montagnes, -et quarante mille hommes sous Vandamme chargés de les recevoir sur le -revers, composaient un ensemble de précautions aussi complètes que -toutes celles qu'il avait jamais prises pour s'assurer les -conséquences de ses victoires! Si les coalisés eussent été aussi -faciles à déconcerter que l'étaient jadis nos ennemis, s'ils eussent -été moins obstinés à combattre, moins prompts à reprendre confiance, -Vandamme, au lieu de leur inspirer l'idée de s'arrêter, les aurait -recueillis comme des troupeaux qui fuient devant un animal prêt à les -dévorer. -<span class="sidenote" title="En marge">Quelle part peut-on assigner à Napoléon dans la -catastrophe de Vandamme.</span>Napoléon s'en rapportant au passé, crut, et dut croire qu'il -avait assez fait pour se procurer les plus beaux triomphes. -Malheureusement les temps étaient changés, et pour achever la ruine de -la grande armée de Bohême, ce n'eût pas été trop de Napoléon lui-même -veillant jusqu'au dernier <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> instant à l'accomplissement de ses -desseins. Et en toute autre circonstance il n'aurait pas manqué d'être -auprès de Vandamme avec sa garde entière, de conduire par la main -Saint-Cyr et Marmont, et de poursuivre la victoire jusqu'à ce qu'il en -eût tiré tout ce qu'elle pouvait donner. Mais il était distrait, -reporté violemment ailleurs; non pas comme tant d'autres héros par le -goût de la mollesse ou des plaisirs, mais par la passion ordinaire de -sa vie, passion d'obtenir tous les résultats à la fois, souvent même -les plus contradictoires et les plus opposés. Berlin, Dantzig, comme -Moscou un an auparavant, étaient les prismes trompeurs qui égaraient -en ce moment son génie. Pour frapper à Berlin la Prusse et -l'Allemagne, pour être toujours fondé à dire que sa puissance -s'étendait du golfe de Tarente à la Vistule, il avait eu dès le -commencement de cette campagne la pensée d'envoyer un de ses corps -<span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> à Berlin, de conserver une garnison à Dantzig, et pour cette -pensée il avait, comme on l'a vu, laissé s'introduire dans la profonde -combinaison de son plan de campagne un vice caché, celui d'élargir -singulièrement le cercle de ses opérations dont le centre était à -Dresde, de placer Macdonald à Lowenberg au lieu de le placer à -Bautzen, de diriger Oudinot sur Berlin au lieu de l'établir à -Wittenberg, grande faute qui l'empêchait d'accourir à temps partout où -il aurait fallu qu'il fût pour achever ses propres victoires, et -réparer les échecs de ses lieutenants! -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon n'a mérité dans cette occasion que le reproche -ordinaire de trop entreprendre.</span> -Cette même cause continuant à -produire les mêmes effets, il voulut, en apprenant un malheur arrivé à -Macdonald, le secourir le plus tôt possible; il voulut aussi conduire -lui-même l'armée d'Oudinot à Berlin, et pour ce double motif se -détournant de Pirna et de Kulm, où il aurait dû être de sa personne et -avec sa garde, il laissa ses victoires les plus importantes -inachevées, pour courir à d'autres, et s'exposa de la sorte à manquer -tous les buts pour les vouloir atteindre tous à la fois. Ainsi -toujours la même cause dans les malheurs de Napoléon, toujours la même -source d'erreur!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mérite des coalisés en cette circonstance.</span> -Et c'est dans le désastre de Kulm la seule part de reproches qu'on -puisse lui adresser, car dans les détails il ne commit pas une faute. -Quant à ses ennemis, leur mérite contribua pour peu de chose au -résultat. Leur plan de retraite fut fort peu médité; ils se retirèrent -en hâte avec l'idée d'aller jusqu'au delà de l'Eger, et s'ils -s'arrêtèrent devant Kulm, ce fut à l'improviste, ce fut à la vue d'un -corps dont la position à la fois hasardée et inquiétante <span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span> -pour eux leur inspira l'idée de ne point passer sans le contenir. -<span class="sidenote" title="En marge">C'est au hasard qu'est dû leur triomphe inespéré.</span> -Et cependant ils n'en seraient pas même venus à bout, si le plus grand -des hasards, celui d'un corps prussien compromis, faisant acte de -désespoir pour se sauver, ne leur eût fourni une combinaison -involontaire, inattendue, et d'immense conséquence, combinaison dont -on a voulu attribuer le mérite à l'empereur Alexandre, mais qui ne fut -due qu'au sentiment énergique des Prussiens résolus à se faire jour ou -à mourir. Ce n'est donc pas au génie des coalisés, qui toutefois -étaient loin de manquer d'habileté militaire, c'est à la passion -patriotique qui les animait, et qui les portait à se roidir contre la -défaite, qu'il faut attribuer leur promptitude à saisir l'occasion de -Kulm! Autre leçon profondément morale à tirer de ces prodigieux -événements, c'est qu'on doit se garder de pousser les hommes au -désespoir, car en provoquant ce sentiment chez eux on leur donne des -forces surnaturelles, qui déjouent tous les calculs, et surmontent -parfois la puissance même de l'art le plus consommé!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'événement de Kulm leur rendit toute la confiance qu'ils -avaient perdue.</span> -Ces coalisés qui en abandonnant le champ de bataille de Dresde, se -tenaient pour complétement battus, et se demandaient tristement si en -cherchant à vaincre Napoléon ils n'avaient pas entrepris de lutter -contre le destin lui-même, tout à coup à l'aspect de Vandamme vaincu -et pris, se regardèrent comme revenus à une situation excellente, et -crurent voir au moins en équilibre la balance de la fortune. Pourtant -en comptant ce que leur avaient coûté les deux journées de Dresde, la -poursuite du 28 et du 29, la journée même du 30, ils avaient perdu en -morts, blessés <span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> ou prisonniers, plus de 40 mille hommes, et la -défaite de Vandamme, après tout, ne nous faisait pas perdre plus de 12 -à 13 mille hommes, en prisonniers, morts ou blessés. Mais la confiance -était rentrée dans leur âme, ils se livraient à la joie, et loin de -vouloir abandonner la partie, et de laisser à Napoléon le temps -d'aller frapper les armées de Silésie et du Nord, ils étaient résolus -à ne lui accorder aucun repos, et à le combattre sans relâche. Dans -ces hécatombes immenses, quarante mille hommes ne comptaient pour -rien; le sentiment des adversaires aux prises était tout, et le -sentiment des coalisés, loin d'être celui de la défaite, était presque -déjà celui de la victoire. Pour eux n'être pas vaincus, c'était -presque vaincre, et pour Napoléon au contraire ne pas anéantir ses -adversaires, c'était n'avoir rien fait. C'est à ces conditions -extrêmes et à peu près impossibles qu'il avait attaché son salut!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Derniers moments de Moreau.</span> -Ajoutons en terminant ce douloureux récit, que le seul homme qu'on eût -un moment opposé jadis à Napoléon, Moreau, expirait tout près de lui, -à Tann. On lui avait coupé les deux jambes, et il avait supporté cette -opération avec le courage tranquille qui était sa qualité distinctive. -Pourtant il avait horriblement souffert. Transporté sur les épaules -des soldats ennemis de sa patrie, il avait fait un trajet d'une -vingtaine de lieues au milieu de douleurs cruelles. De l'autre côté -des monts, tous les souverains, le roi de Prusse, l'empereur -d'Autriche, l'empereur Alexandre, s'étaient rendus auprès de son lit -de mort, et lui avaient prodigué les marques <span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> d'estime et de -regret. Les plus grands personnages, M. de Metternich, le prince de -Schwarzenberg, les généraux de la coalition, étaient venus le visiter -à leur tour; Alexandre l'avait tenu longtemps serré dans ses bras, car -il avait conçu pour lui une amitié véritable. -<span class="sidenote" title="En marge">Sa fermeté devant la douleur, son trouble devant sa -conscience.</span> -Plutôt embarrassé que -fier de ces témoignages, Moreau, dont l'âme un instant égarée avait -toujours été honnête, Moreau s'interrogeant lui-même sur le mérite de -sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne suis pas coupable, -je ne voulais que le bien de ma patrie!.... Je voulais l'arracher à un -joug humiliant!...--Ainsi, tandis qu'on entourait son agonie de -respects, lui, tout occupé d'autre chose, s'examinait, se jugeait au -tribunal de sa propre conscience, et n'avait de repos que lorsqu'il -s'était trouvé des excuses pour une conduite qui lui valait de si -hauts témoignages. Un autre cri lui échappa plusieurs fois, ce fut -celui-ci: Ce Bonaparte est toujours heureux!--Il avait proféré ces -mots au moment où le boulet l'avait frappé, et il les répéta souvent -avant d'expirer!... Bonaparte heureux!... Il l'avait été, il pouvait -le paraître encore aux yeux d'un rival expirant, mais la Providence -allait bientôt prononcer sur son propre sort, et lui infliger une fin -plus triste peut-être que celle de Moreau, s'il y a une fin plus -triste que de mourir dans les rangs des ennemis de sa patrie! Funestes -illusions de la haine! On s'envie, on se hait, on se poursuit en -croyant heureux l'adversaire qu'on déteste, tandis que tous, la tête -courbée sous le fardeau de la vie, on marche au milieu des mêmes -douleurs à des malheurs presque pareils! les hommes s'envieraient -<span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> moins, s'ils savaient combien avec des apparences différentes -leur fortune est souvent égale, et au lieu de se diviser sous la main -du destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir en commun le -poids accablant!</p> - -<p class="p2 center">FIN DU LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.</p> -</div> - - -<div class="chapter"> -<h2><span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> LIVRE CINQUANTIÈME.<br /> -<span class="smaller">LEIPZIG ET HANAU.</span></h2> - -<p class="resume"> - Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin - pendant les opérations des armées belligérantes autour de - Dresde. — Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald - lorsque Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. — Pressé - d'exécuter ses instructions et craignant de perdre les avantages - de l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en - mouvement le 26 août. — Le général Blucher s'était jeté sur la - division Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait - culbutées du plateau de Janowitz. — Cet accident avait entraîné la - retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de plusieurs - jours avait rendue presque désastreuse. — Prise et destruction de - la division Puthod. — Le maréchal Macdonald réduit de 70 mille - hommes à 50 mille. — Son mouvement rétrograde sur le - Bober. — Événements du côté de Berlin. — Marche du maréchal Oudinot - à la tête des 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. — Composition et force de - ces corps. — Armée du prince royal de Suède. — Arrivée devant - Trebbin. — Premières positions de l'ennemi enlevées dans les - journées des 21 et 22 août. — Isolement des trois corps français - dans la journée du 23, et combat malheureux du 7<sup>e</sup> corps à - Gross-Beeren. — Retraite du maréchal Oudinot sur - Wittenberg. — Beaucoup de soldats se débandent, surtout parmi les - alliés. — C'est la connaissance de ces graves échecs qui le 28 - août avait ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait détourné - son attention de Kulm. — Ne sachant pas encore ce qui était arrivé - à Vandamme, il avait formé le projet de déplacer le théâtre de la - guerre et de le transporter dans le nord de l'Allemagne. — Vastes - conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. — À la nouvelle du - désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses vues, - réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement au - comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal - Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur - Wittenberg, et se propose de s'établir avec ses réserves à - Hoyerswerda, afin de pousser d'un côté le maréchal Ney sur - Berlin, et de prendre de l'autre une position menaçante sur le - flanc du général Blucher. — Départ de la garde pour - Hoyerswerda. — Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui détournent - encore Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et - l'obligent à se porter tout de suite sur Bautzen. — Arrivée de - Napoléon à Bautzen <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> le 4 septembre. — Prompte retraite de - Blucher dans les journées des 4 et 5 septembre. — À peine Napoléon - a-t-il rétabli le maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une - seconde apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de - Péterswalde le ramène à Dresde. — Son entrevue aux avant-postes - avec le maréchal Saint-Cyr dans la journée du 7. — Projet pour le - lendemain 8 septembre. — Dans cet intervalle, Napoléon apprend un - nouveau malheur arrivé sur la route de Berlin. — Le maréchal Ney - ayant reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait dans la - journée du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi, - avec les 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. — Ce mouvement, qui avait réussi - le 5, ne réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de - Dennewitz. — Retraite le 7 septembre sur Torgau. — Débandade d'une - partie des Saxons. — Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, - mais commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. — Avis - indirect, donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre - de la guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du - Rhin. — Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal - Saint-Cyr, Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les - Prussiens et les Russes, afin de les rejeter en Bohême. — Sur - l'avis du maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille - route de Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a - l'espérance de tourner l'ennemi. — L'impossibilité de faire passer - l'artillerie par le Geyersberg empêche d'achever le mouvement - projeté. — Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens sont séparés - des Prussiens et des Russes, et pressé de réparer les échecs de - ses lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à Dresde. — Évidence - du plan des coalisés, consistant à courir sur les armées - françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se retirer dès - qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour l'envelopper - ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment - affaibli. — Déplorable réalisation de ces vues. — Les forces de - Napoléon réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur - l'Elbe à 250 mille. — En considération de cet état de choses, - Napoléon resserre le cercle de ses opérations, ramène Macdonald - avec les 8<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup>, 11<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> corps près de Dresde, établit le - comte de Lobau et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna, - derrière de bons ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne - puisse plus se faire un jeu de ses apparitions sur la route de - Péterswalde, envoie un fort détachement de cavalerie sur ses - derrières pour disperser les troupes de partisans, réorganise le - corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et Murat à - Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements, et - se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus - être mis en mouvement par de vaines démonstrations de - l'ennemi. — Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur - Péterswalde. — Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et - Dohna, n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore - une fois sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en - Bohême. — Prompte retraite des coalisés. — Retour de Napoléon à - Pirna, et ses soins pour bien asseoir sa position, afin de ne - plus s'épuiser en courses inutiles. — Sa résolution de s'établir - sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, <span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> pour la durée de - l'hiver. — Projets de l'ennemi. — Napoléon étant partout resserré - sur l'Elbe, et la saison avançant, les souverains coalisés - songent à mener la guerre à fin par une tentative décisive sur - les derrières de notre position. — Blucher fait prévaloir l'idée - d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et, après - avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire - descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre - Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et - remonter sur Leipzig avec les armées du Nord et de - Silésie. — Premiers mouvements en exécution de ce - dessein. — Napoléon découvre sur-le-champ l'intention de ses - adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche de - l'Elbe. — Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald - avec le 11<sup>e</sup> corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par - Leipzig, l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer - Ney; il envoie Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à - Leipzig pour soutenir Victor contre l'armée de Bohême. — Attente - de quelques jours pour laisser dessiner plus clairement les - projets de l'ennemi. — Blucher s'étant dérobé pour se joindre à - Bernadotte et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde - le 7 octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur - Wittenberg dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte - d'abord, et puis de se reporter sur la grande armée de - Bohême. — Belle et profonde conception de Napoléon tendant à - refouler Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre - ensuite Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour - repasser ce fleuve à Torgau ou à Dresde. — Mouvement prononcé de - Blucher et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets - de Napoléon. — Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous - sur Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer - entre eux, et empêcher leur jonction. — Retour de la grande armée - française sur Leipzig. — Terrible bataille, la plus grande du - siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours - sous les murs de Leipzig. — Retraite de Napoléon sur - Lutzen. — Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction - ou la captivité d'une partie de l'armée française. — Mort de - Poniatowski. — Marche sur Erfurt. — Défection de la Bavière et - arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de - Hanau. — Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de - Hanau. — Humiliation de l'armée austro-bavaroise. — Rentrée des - Français sur le Rhin. — Leur état déplorable en arrivant à - Mayence. — Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. — Triste - capitulation de Dresde. — Situation, forces, conduite héroïque, et - malheurs des garnisons françaises, inutilement laissées sur la - Vistule, l'Oder et l'Elbe. — Caractère de la campagne de - 1813. — Effrayants présages qu'on en peut tirer.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Août 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Événements qui s'étaient passés sur le Bober et sur la -route de Berlin.</span> -Les événements graves et peu prévus qui attirant tout à coup -l'attention de Napoléon l'avaient détournée de Kulm, s'étaient passés -sur la Katzbach <span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> en Silésie, et à Gross-Beeren dans le -Brandebourg. Le maréchal Macdonald, que Napoléon avait laissé à la -poursuite de Blucher, venait d'éprouver subitement une sorte de -désastre, et le maréchal Oudinot, que Napoléon considérait comme près -d'entrer à Berlin, avait été, à la suite d'un combat malheureux, -ramené sous le canon de Wittenberg. Il faut savoir comment s'étaient -produits ces événements, pour se faire une idée exacte de la -situation, et comprendre les combinaisons qui avaient absorbé Napoléon -pendant les journées des 28, 29, 30 août, et l'avaient empêché -d'accourir avec toutes ses réserves auprès de l'infortuné Vandamme.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald par -Napoléon, lorsque celui-ci s'était reporté sur Dresde.</span> -Napoléon après avoir rejeté l'armée de Silésie du Bober sur la -Katzbach, avait laissé au maréchal Macdonald pour continuer à la -poursuivre le 3<sup>e</sup> corps, fort de 25 mille hommes et commandé par le -général Souham depuis le départ du maréchal Ney, le 5<sup>e</sup> corps, fort de -20 mille hommes et toujours placé sous les ordres du général -Lauriston, enfin le 11<sup>e</sup>, fort de 18 mille et confié au général Gérard -depuis que le maréchal Macdonald avait pris le commandement supérieur -des trois corps réunis. À cette masse d'infanterie il fallait ajouter -la cavalerie du général Sébastiani, qui pouvait présenter une réserve -de 5 à 6 mille chevaux, et qui était indépendante des détachements de -cavalerie légère attachés à chaque corps d'armée. -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Macdonald avait 80 mille hommes, compris le -corps de Poniatowski.</span> -Le total s'élevait -ainsi à environ 70 mille hommes, sans compter les 10 ou 11 mille -Polonais du prince Poniatowski, postés sur la frontière de Bohême en -arrière et à droite du maréchal Macdonald, pour garder le débouché de -Zittau. -<span class="sidenote" title="En marge">Il avait pour instruction de garder le Bober, mais en -rejetant l'ennemi sur Jauer au delà de la Katzbach.</span> -Napoléon <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> avait donné pour instruction au maréchal -Macdonald de rejeter Blucher sur Jauer et au delà, puis de s'établir -fortement sur le Bober, entre Lowenberg et Buntzlau, de manière à -tenir l'armée de Silésie éloignée de Dresde, et à empêcher l'armée de -Bohême de faire des détachements sur Berlin. Napoléon ne doutait pas -qu'avec 80 mille hommes victorieux, Macdonald ne remplît parfaitement -sa mission. Le maréchal n'en doutait pas lui-même, et il continua de -s'avancer hardiment contre le général Blucher.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordre mal donné, qui ramène l'ennemi deux jours plus tôt -qu'on ne s'y attendait.</span> -Un incident, peu important au premier aspect, apporta dès le début un -fâcheux changement à cette situation en apparence si avantageuse. -Napoléon en partant avait adressé au maréchal Ney l'ordre de le suivre -à Dresde; mais cet ordre ne spécifiant pas assez clairement qu'il -s'agissait de la personne du maréchal Ney et non de ses troupes, on -avait dirigé le 3<sup>e</sup> corps lui-même sur la route de Dresde, et l'armée -française vers son aile gauche avait semblé se mettre en retraite. -Blucher impatient par caractère et par position de reprendre -l'offensive, avait conclu du mouvement rétrograde d'une portion de -notre ligne que Napoléon n'était plus là, et qu'il fallait revenir sur -l'armée française privée de sa présence, et probablement aussi d'une -partie des forces qu'elle avait un moment déployées. De son côté -Macdonald avait voulu rendre à ses troupes l'attitude qu'elles -venaient de perdre, et s'était hâté, sans tenir assez compte des -circonstances, de se reporter en avant. Il devait de cette double -disposition résulter un choc violent et prochain.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Position des 3<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps, le 25 août au -soir.</span> -Le 3<sup>e</sup> corps (général Souham) ayant fait d'abord une marche en -arrière, puis une nouvelle marche en avant, afin de revenir à -Liegnitz, avait laissé dans cet inutile déplacement un certain nombre -d'hommes sur les chemins. Le 25 août au soir il était de retour à sa -première position. Le 11<sup>e</sup> corps (général Gérard) formant le centre, -n'avait pas quitté Goldberg, et le 5<sup>e</sup> (général Lauriston) formant la -droite, était également demeuré immobile. Le maréchal Macdonald ayant -tout son monde en ligne, résolut de se porter dès le lendemain 26 sur -Jauer, point qu'il devait occuper pour obéir à ses instructions. Bien -que Napoléon ne voulût pas établir son armée de Silésie plus loin que -le Bober, il désirait cependant qu'elle eût ses avant-postes sur la -Katzbach, de Jauer à Liegnitz, afin de mieux vivre, et d'intercepter -plus sûrement tout détachement envoyé de la Bohême sur Berlin.</p> - -<p>Voici comment le maréchal Macdonald s'y prit pour l'exécution de son -mouvement. Quoiqu'à Goldberg il fût sur l'un des bras de la Katzbach, -par conséquent fort au delà du Bober, il y avait sur sa droite un -point du Bober resté au pouvoir de l'ennemi, c'était celui de -Hirschberg, dans les montagnes. Il détacha une division du 11<sup>e</sup> corps, -celle du général Ledru, et lui ordonna de remonter le Bober de notre -côté, c'est-à-dire par la rive gauche, tandis que la division Puthod -du corps de Lauriston, le remonterait par la rive droite, de manière à -surprendre Hirschberg par les deux rives. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche adoptée par Macdonald pour se porter sur Jauer.</span> -Pendant que ce mouvement -s'opérait sur notre extrême droite, et tout à fait dans les -montagnes, le maréchal Macdonald <span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> prit le parti de marcher -lui-même sur Jauer, avec les corps de Lauriston et de Gérard, diminués -chacun d'une division. Il n'y avait pour arriver à Jauer aucun cours -d'eau important à franchir, mais seulement quelques ravins plus ou -moins profonds à traverser, sur lesquels on pouvait trouver l'ennemi -en force. Le maréchal Macdonald se flattait de le débusquer, soit par -une attaque directe des généraux Gérard et Lauriston sur Jauer même, -soit par un mouvement latéral des généraux Souham et Sébastiani sur -Liegnitz.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 3<sup>e</sup> corps, partant de Liegnitz, doit prendre Jauer en -flanc, tandis que les 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> y marcheront directement.</span> -Il prescrivit en effet au général Souham de partir de Liegnitz avec le -3<sup>e</sup> corps, et de prendre la route de cette ville à Jauer, laquelle -vient donner dans le flanc même de Jauer en traversant le plateau de -Janowitz. Il espérait que vingt-cinq mille hommes menaçant l'ennemi en -flanc, lui ôteraient jusqu'à l'idée de résister à l'attaque de front -qu'exécuteraient contre lui les généraux Lauriston et Gérard. -Malheureusement il y avait une assez grande distance entre le chemin -qu'allait suivre le général Souham sur le plateau de Janowitz, et la -route qu'avaient à parcourir les généraux Gérard et Lauriston pour -marcher en droite ligne sur Jauer. Le général Gérard, le moins éloigné -des deux, devait remonter le ravin profond de la Wutten-Neiss, petite -rivière torrentueuse qui de Jauer va tomber dans la Katzbach, en -contournant le plateau de Janowitz. Pour établir quelque liaison entre -les deux principales masses de ses forces, le maréchal Macdonald -assigna au général Sébastiani une route intermédiaire, celle de -Buntzlau à Jauer, qui suivant d'abord <span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> le ravin de la -Wutten-Neiss, puis franchissant cette rivière, aboutit sur le plateau -de Janowitz. Tous les ordres furent expédiés pour être exécutés le 26 -au matin sans remise.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pluie torrentielle le 26 août au matin, laquelle n'empêche -pas Macdonald de persister dans ses projets.</span> -Le 26, une pluie d'orage qui avait duré la nuit entière, avait fait -déborder toutes les rivières, et rendu les chemins presque -impraticables. Le maréchal Macdonald, pressé de reprendre l'offensive, -ne tint pas compte du mauvais temps, et exigea qu'il fût donné suite à -ses ordres. Tandis que les divisions Puthod et Ledru remontaient les -deux rives du Bober jusqu'à Hirschberg, les corps de Lauriston et de -Gérard marchaient sur Jauer, descendant, gravissant tour à tour les -bords des ravins qu'il fallait franchir pour arriver à cette petite -ville. Malgré les difficultés que la pluie leur opposait, nos agiles -tirailleurs, dépostant ceux de l'ennemi, les obligèrent partout à se -replier. À gauche, les choses furent moins faciles.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Souham et Sébastiani n'ayant pu prendre la route de -Liegnitz à Jauer, s'engouffrent avec les troupes de Gérard dans le -ravin de la Wutten-Neiss.</span> -Le général Sébastiani après s'être mis en route un peu tard n'était -pas encore à l'entrée du ravin de la Wutten-Neiss, tandis que le -général Gérard y avait déjà pénétré, et que Lauriston marchant -parallèlement à celui-ci était fort en avant. Le général Souham, de -son côté, ayant trouvé à Liegnitz la Katzbach débordée, avait cherché -un passage au-dessus, et était ainsi venu prendre la même route que le -général Sébastiani. Il y eut là pendant quelque temps 23 à 24 mille -hommes d'infanterie, 5 à 6 mille chevaux, et plus de cent bouches à -feu engouffrés dans un ravin profond, jusqu'à ce que s'élevant sur le -bord de ce ravin ils pussent déboucher sur <span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> le plateau de -Janowitz. Dans ce moment la cavalerie prussienne en reconnaissance -avait descendu ce plateau, et n'apercevant pas nos troupes, s'était -fort avancée dans le ravin de la Wutten-Neiss. Le général Gérard -cheminant sur la rive opposée de cette rivière, découvrit les -escadrons prussiens qui avaient déjà dépassé sa gauche, et il fit -tirer sur eux par derrière. La pluie qui n'avait pas cessé fut cause -qu'il partit à peine une quarantaine de coups de fusil. Mais ils -suffirent pour avertir les escadrons prussiens du mauvais pas où ils -s'étaient engagés, et ils rebroussèrent chemin au galop. Le général -Gérard ayant fait amener son artillerie, et tirant d'une rive à -l'autre, joncha le défilé d'un bon nombre de ces imprudents cavaliers.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Macdonald imagine de faire monter la division -Charpentier sur le plateau de Janowitz et de sortir ainsi du ravin de -la Wutten-Neiss.</span> -Cet incident suggéra au maréchal Macdonald l'idée de lancer tout de -suite quelques bataillons de la division Charpentier, l'une des deux -du général Gérard, sur le plateau de Janowitz, afin de s'en emparer, -et d'aider ainsi les généraux Sébastiani et Souham à s'y déployer. -L'ordre donné fut exécuté sur-le-champ. Le général Charpentier, avec -l'une de ses brigades et une batterie de réserve de 12, passa la -Wutten-Neiss à Nieder-Krayn, gravit le plateau, et s'y déploya malgré -les avant-postes prussiens. -<span class="sidenote" title="En marge">Premier succès de la division Charpentier, et son -déploiement sur le plateau de Janowitz.</span> -Il fut immédiatement rejoint par la -cavalerie du général Sébastiani, qui vint successivement prendre -position sur sa gauche. Le général Souham s'apprêtait à la suivre, -mais lentement, ainsi que le comportaient le temps, la nature des -lieux, et le nombre de troupes accumulées dans cet étroit défilé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, prévenu à temps, porte quarante mille hommes à la -fois sur la division Charpentier.</span> -Sur ce même point Blucher arrivait à l'instant <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> avec la plus -grande partie de ses forces. Comptant sur la position de Jauer, il n'y -avait laissé que le corps de Langeron, et avait porté à la fois York -et Sacken sur le plateau de Janowitz pour parer au mouvement de flanc -qui le menaçait. À la vue de nos troupes gravissant le bord du ravin -de la Wutten-Neiss pour s'établir sur le plateau, il avait pensé que -nous ne pourrions pas lui opposer beaucoup de monde à la fois, et -qu'en nous abordant avec quarante mille hommes, il nous culbuterait -facilement dans le ravin dont nous tâchions de sortir. Il se fit -d'abord précéder par une puissante artillerie, dont la brigade du -général Charpentier supporta le feu avec sang-froid, et auquel elle -répondit avec sa batterie de douze. Il fit mieux encore, et lança sur -elle dix mille chevaux. Notre infanterie, formée en carré, voulut en -vain leur opposer ses feux éteints par la pluie; réduite à ses -baïonnettes, elle s'en servit bravement, et arrêta tout court l'élan -de la cavalerie ennemie. Le général Sébastiani, rachetant sa lenteur -par sa vigueur, chargea cette cavalerie et la ramena, mais il fut -ramené à son tour, et ne put résister longtemps à des forces triples -des siennes. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette division, après une résistance héroïque, est rejetée -dans le ravin de la Wutten-Neiss.</span> -Il fut contraint d'opérer un mouvement rétrograde, et -découvrit ainsi la gauche de la brigade Charpentier. Alors Blucher, -qui n'avait pu ébranler cette brave brigade avec ses cavaliers, jeta -sur elle plus de vingt mille hommes d'infanterie. Elle reçut et -soutint plusieurs charges à la baïonnette; mais bientôt accablée par -le nombre, elle perdit du terrain, et finit par être poussée jusqu'au -bord du ravin de la Wutten-Neiss. Malgré <span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> une ferme -contenance, elle fut obligée d'y redescendre, et elle s'y trouva -pêle-mêle avec la cavalerie Sébastiani qui se repliait aussi, et avec -la tête du corps de Souham qui arrivait. On conçoit quel encombrement, -quel désordre dut s'y produire, et que de pertes on dut y faire, -surtout en canons, car notre artillerie embourbée dans les terres -avait été privée de ses chevaux presque tous tués par le feu ennemi.</p> - -<p>On se retira donc, refoulés vivement dans cet étroit passage jusqu'au -village de Kroitsch où la Wutten-Neiss se joint à la Katzbach, et où -Blucher n'osa pas nous poursuivre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Cet accident amène un mouvement rétrograde général.</span> -Cette échauffourée sur un seul point, laquelle nous avait coûté tout -au plus un millier d'hommes, suffit pour convertir en une espèce de -déroute générale une opération qui avait réussi sur le reste de notre -ligne. En effet, les généraux Gérard et Lauriston, attaquant avec une -extrême énergie les positions que Langeron avait successivement -occupées et abandonnées, étaient déjà parvenus en vue de Jauer, malgré -le mauvais temps, et allaient s'en emparer, lorsqu'ils furent arrêtés -par la nouvelle de ce qui s'était passé à leur gauche. -<span class="sidenote" title="En marge">Retraite de nuit par un temps affreux.</span> -Ils furent donc -sous peine d'imprudence contraints de rétrograder, et ils revinrent -jusqu'à Goldberg où ils entrèrent vers minuit, dans un état fort -triste, ayant rencontré en route les débris des troupes battues sur le -plateau de Janowitz, et ayant eu à traverser un immense encombrement -de voitures embourbées, de blessés qu'on emportait avec la plus grande -peine par un temps devenu affreux. Il fallut bivouaquer <span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span> -comme on put, sous une pluie continuelle, les uns dans Goldberg, les -autres en dehors, la plupart sans vivres, sans abri, en un mot dans un -état misérable.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nos jeunes soldats rebutés par cette subite épreuve.</span> -C'est pour les traverses de ce genre que sont bons les vieux soldats. -Au feu, de jeunes soldats menés par des officiers vigoureux sont plus -impétueux sans doute, parce qu'ils connaissent moins le danger; mais -au premier revers ils s'étonnent, à la première souffrance ils se -rebutent, et surtout s'ils sont depuis peu au drapeau, il suffit d'un -échec pour troubler toutes leurs idées, et convertir leur téméraire -bravoure en abattement profond. Cependant avec des vivres on aurait pu -retenir nos conscrits dans les cadres, et, au retour du soleil, avec -une nouvelle impulsion donnée par des chefs énergiques, on serait -parvenu à leur rendre la confiance. Mais il fallut, sans vivres, sans -abri, passer une nuit horrible, avec certitude d'avoir le lendemain -sur les bras quatre-vingt mille hommes, victorieux ou croyant l'être. -<span class="sidenote" title="En marge">Continuation de mauvais temps pendant les journées des 27 -et 28 août.</span> -Le lendemain matin, le ciel, qui était encore chargé d'eau, continua -de verser sur nos soldats des torrents de pluie. Heureusement la -Katzbach qu'on avait repassée la veille, leur servit de protection -contre la poursuite impétueuse de Blucher. Elle était tellement -débordée, qu'à peine il put faire passer sa cavalerie. On réussit donc -à se retirer sans avoir l'infanterie des alliés sur les bras; mais on -fut poursuivi par une nuée de cavaliers que nos fusils n'arrêtaient -guère faute de pouvoir faire feu. Nos jeunes soldats, plus fermes -devant l'ennemi que devant le mauvais temps, opposèrent avec leurs -baïonnettes <span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span> une barrière de fer aux cavaliers russes et -prussiens, et parvinrent ainsi à les contenir. Obligés néanmoins de -s'éloigner à la hâte, ils laissèrent en arrière une grande partie de -leur artillerie embourbée, et il arriva que beaucoup d'entre eux, -rebutés ou mourants de faim, s'étant éparpillés dans les villages pour -vivre, furent pris, ou initiés de bonne heure au dangereux et -corrupteur métier de maraudeurs. Le corps du général Souham, couvert -par la cavalerie du général Sébastiani, put se retirer sain et sauf à -travers la plaine, et gagner Buntzlau. Les corps des généraux Gérard -et Lauriston, plus vivement poursuivis, et n'ayant pas de grosse -cavalerie pour se couvrir, trouvèrent un abri dans les bois qui -séparent la Katzbach du Bober, entre Goldberg et Lowenberg. Ils y -passèrent la nuit un peu mieux abrités, mais pas mieux nourris que la -veille. -<span class="sidenote" title="En marge">Difficulté pour nos corps d'armée de regagner le Bober, et -de franchir le fleuve presque partout débordé.</span> -Ces deux corps, rendus dans la journée du 28 en face de -Lowenberg, voulurent en vain y passer le Bober. Le pont n'était pas -détruit, mais il fallait pour arriver jusqu'à ses abords traverser une -inondation de trois quarts de lieue d'étendue, et il n'y eut d'autre -ressource que de redescendre la rive droite du Bober pour le franchir -à Buntzlau, où étaient déjà Souham et Sébastiani. Pour la première -fois depuis trois jours, on trouva des toits et des subsistances, bien -disputés du reste, car on était cinquante mille au moins accumulés sur -un seul point.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Inquiétudes du maréchal Macdonald pour la division Puthod, -envoyée sur Hirschberg par la rive droite du Bober.</span> -Le maréchal Macdonald, ferme, sage, expérimenté, loyal, mais presque -toujours malheureux depuis la funeste journée de la Trebbia, n'avait -pas le tort de s'abuser sur sa mauvaise fortune. Aussi, <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span> -rentré à Buntzlau, ne regardait-il pas comme apaisée la cruelle -fatalité qui le poursuivait, et il tremblait pour la division Puthod, -hasardée seule au delà du Bober, jusqu'à la hauteur de Hirschberg. On -ne pouvait avoir d'inquiétude pour la division Ledru, laquelle avait -cheminé par la rive gauche qui nous appartenait, mais si la division -Puthod n'avait pas profité du pont de Hirschberg pour revenir en deçà -du Bober, son sort était évidemment compromis. -<span class="sidenote" title="En marge">Désastre de cette division qui n'avait pas repassé le Bober -à temps.</span> -C'était en effet ce qui -devait arriver. Cette division ayant remonté le Bober par une rive -tandis que la division Ledru le remontait par l'autre, n'avait point -usé du pont de Hirschberg lorsqu'il en était temps encore, et s'était -vue séparée par d'immenses masses d'eau de ses compagnons d'armes, qui -lui tendaient vainement les mains du haut de la rive gauche. Le 29 -elle imagina de descendre par la rive droite, vis-à-vis de Lowenberg, -près de Zopten. Là, réduite de 6 mille hommes à 3 mille par la -fatigue, la faim, le froid des nuits, l'abattement, elle fut assaillie -par les troupes de Blucher, refusa de se rendre, se défendit -vaillamment, et finit par être prise ou détruite. L'infortuné -Macdonald, plus infortuné qu'elle encore, entendant de Buntzlau le feu -de l'artillerie, devinant l'affreux sacrifice qui se consommait, -voulait avec quelques troupes remonter par la rive droite à la hauteur -de Zopten, mais on lui fit sentir le danger, l'inutilité peut-être de -ce secours, et il fut obligé de laisser immoler sous ses yeux de -malheureux soldats perdus à la suite de sa mauvaise étoile.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour le 30 sur le Bober, après une perte de 20 mille -hommes, dont plus de la moitié en soldats débandés.</span> -Le 30 on se trouva tous réunis sur la gauche du <span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> Bober, mais -au nombre de 50 mille hommes au plus, au lieu de 70 mille qu'on était -quelques jours auparavant, et après avoir laissé cent pièces de canon -dans les fanges. Le feu n'avait pas détruit plus de 3 mille hommes sur -les 20 mille qui manquaient; mais l'ennemi en avait ramassé 7 à 8 -mille, et il y en avait 9 à 10 mille débandés, qui avaient jeté ou -perdu leurs fusils, et qui n'avaient guère envie d'en prendre -d'autres. Une trop subite épreuve des souffrances de la guerre, -succédant à une confiance aveugle, avait tout à coup réveillé en eux -le sentiment qu'ils éprouvaient en quittant leurs chaumières six mois -auparavant, celui de la haine contre l'homme qui les sacrifiait, à -peine sortis de l'adolescence, à une ambition désordonnée. Braves, ils -l'étaient toujours, et on pouvait tout attendre d'eux si on parvenait -à les faire rentrer dans les rangs, mais c'était difficile. Irrités et -dégoûtés, ils aimaient mieux vivre en pillant le pays ennemi que -reprendre des armes pour un dieu cruel qui dévorait, disaient-ils, -leur jeunesse sans pitié et sans motif. Macdonald se vit donc sur le -Bober avec cinquante mille soldats découragés, et neuf ou dix mille -traînards suivant l'armée, et alléguant le défaut de fusils pour ne -pas revenir au drapeau. Poniatowski était resté sain et sauf à Zittau -avec ses dix mille Polonais.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes du revers essuyé par le maréchal Macdonald.</span> -Les causes de ce malheur étaient de diverses natures: il y en avait -d'accidentelles, il y en avait de générales. Les causes accidentelles, -c'étaient le mauvais temps, l'ordre équivoque au maréchal Ney qui -avait entraîné un mouvement rétrograde inutilement <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> fatigant -pour les troupes, ramené l'ennemi prématurément, et poussé le maréchal -Macdonald à prendre une offensive précipitée; c'étaient peut-être -aussi quelques fautes du général en chef, qui avait envoyé deux -divisions sur Hirschberg pour en expulser l'ennemi que notre présence -à Jauer aurait suffi pour en éloigner; qui pendant la bataille avait -laissé trop isolées les deux fractions de son armée, et en prenant -pour les relier le parti d'occuper le plateau de Janowitz, ne l'avait -fait qu'avec des forces insuffisantes, qui avait trop méprisé enfin -les difficultés naissant du temps et des routes. Les causes générales, -et celles-là beaucoup plus redoutables encore, c'étaient le -patriotisme des coalisés, leur ardeur à revenir sans cesse à la charge -dès qu'ils voyaient la moindre chance de recommencer la lutte avec -avantage, c'était surtout la jeunesse de nos troupes, impétueuses au -feu, mais trop nouvelles aux traverses de la guerre, parties avec le -sentiment qu'on les sacrifiait à une folle ambition, oubliant ce -sentiment devant l'ennemi, mais l'éprouvant plus vivement que jamais -au premier revers, et après s'être conduites vaillamment dans le -combat, jetant leurs armes dans la retraite, par dépit, découragement, -épuisement moral et physique.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Événements sur la route de Berlin.</span> -Ces mêmes causes avaient produit sur la route de Berlin un revers -moins éclatant, quoique tout aussi fâcheux par ses conséquences.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Oudinot chargé de marcher sur Berlin avec les -4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps.</span> -On a vu quelle importance Napoléon attachait à diriger un corps sur -Berlin, afin de rejeter l'armée du Nord loin du théâtre de la guerre, -d'infliger une humiliation à Bernadotte, de saisir l'imagination des -<span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> Allemands en entrant dans la principale de leurs capitales, -de frapper au cœur le Tugend-Bund, de dissoudre le ramassis dont il -croyait l'armée de Bernadotte composée, et de tendre enfin la main à -nos garnisons de l'Oder et de la Vistule. Pour atteindre ces buts -divers, il avait donné au maréchal Oudinot outre le 12<sup>e</sup> corps que ce -maréchal commandait directement, le 7<sup>e</sup> confié au général Reynier, et -le 4<sup>e</sup> confié au général Bertrand. Le 12<sup>e</sup>, comprenant deux bonnes -divisions françaises et une bavaroise, comptait environ 18 mille -hommes; le 7<sup>e</sup>, formé de la division française Durutte et de deux -saxonnes, en comptait 20 mille; le 4<sup>e</sup> ayant une seule division -française, excellente il est vrai, celle du général Morand, et deux -étrangères, l'italienne Fontanelli et la wurtembergeoise Franquemont, -était, comme le précédent, fort d'une vingtaine de mille hommes. Le -duc de Padoue avec 6 mille chevaux formait la réserve de cavalerie. -<span class="sidenote" title="En marge">Ces corps comprennent tout au plus 64 mille hommes, au lieu -de 70 mille qu'on s'était flatté de réunir.</span> -C'étaient donc à peu près 64 mille hommes, au lieu de 70 mille qu'on -avait d'abord espérés, parmi lesquels beaucoup de ramassis, comme -disait Napoléon, car dans l'effectif total il entrait pour un tiers au -moins de soldats de toutes nations, quelques-uns très-médiocres, et la -plupart très-mal disposés. La composition sous le rapport des chefs ne -laissait pas moins à désirer. Le maréchal Oudinot, aussi brave, aussi -résolu sur le champ de bataille qu'on pouvait l'être, n'avait jamais -exercé un commandement de cette importance, avait la noble modestie de -se défier de lui-même, et osait à peine faire sentir son autorité à -ses lieutenants, les généraux Reynier et Bertrand. <span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Caractère des généraux Reynier et Bertrand, subordonnés au -maréchal Oudinot.</span> -Le général Reynier, officier savant et solide, comme nous avons déjà eu -l'occasion de le dire ailleurs, mais malheureux, était plein de -prétentions, se croyait supérieur à la plupart des maréchaux, se -plaignait amèrement de n'être que lieutenant-général, et, comme -Vandamme, était trop impatient peut-être de gagner une dignité qu'on -lui avait tant fait attendre. Le général Bertrand, honoré de la faveur -de Napoléon et y tenant, la justifiant par une grande application à -ses devoirs, par la bravoure la plus sûre de toutes, celle du -dévouement, mais plus propre aux travaux du génie qu'à la direction -des troupes, ayant de l'esprit, mais ne l'ayant pas toujours juste, -était un subordonné déférent en apparence, et plus obséquieux que -soumis. Le maréchal Oudinot fort embarrassé d'avoir à dominer ces -prétentions diverses, ne l'osait faire qu'avec des ménagements -infinis, peu compatibles avec la vigueur et la promptitude du -commandement. Placé plus près des lieux que Napoléon, recueillant tous -les bruits du pays, il ne s'abusait pas sur la force de l'ennemi et -sur la difficulté du terrain. -<span class="sidenote" title="En marge">Forces de Bernadotte, s'élevant à environ 90 mille hommes -de bonnes troupes.</span> -Il savait que Bernadotte avec une -certaine quantité de gens de toutes sortes, levés à la hâte, avait -cependant un excellent corps suédois, un corps russe très-solide, et -surtout un corps prussien, celui du général Bulow, très-nombreux, -très-animé, très-disposé à se battre. Outre ce corps de Bulow, il y -avait un second corps prussien sous le général Tauenzien, destiné -d'abord au blocus des places, et duquel on avait tiré ce qu'il y avait -de meilleur pour l'employer à la guerre offensive. Ces troupes -réunies composaient <span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> un total de 90 mille hommes environ, -campés en avant de Berlin. Le prince de Suède avait détaché sous le -général Walmoden une vingtaine de mille hommes, comprenant ce qui -méritait le nom de ramassis, pour tenir tête, derrière les nombreux -canaux du Mecklembourg, au corps d'armée qui était sorti de Hambourg -sous le maréchal Davout. Le reste des 150 mille hommes commandés par -le prince de Suède avait été consacré au blocus ou au siége des places -de l'Oder et de la Vistule.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficulté des lieux que le maréchal Oudinot avait à -traverser pour se rendre à Berlin.</span> -Le maréchal Oudinot était parfaitement informé de cet état de choses, -et en était justement préoccupé. Les lieux ajoutaient à la difficulté -de sa tâche. En s'avançant sur Berlin, entre l'Elbe et la Sprée, on -devait cheminer entre une double ligne d'eaux tour à tour stagnantes -ou courantes, lesquelles peuvent se désigner, l'une par la rivière de -la Dahne qui se jette dans la Sprée au-dessus de Berlin, l'autre par -la rivière de la Nuthe qui se jette dans le Havel à Potsdam. Au sein -de l'angle formé par cette double ligne d'eaux, se trouvait l'armée du -Nord, établie dans une bonne position, celle de Ruhlsdorf, couverte -par une puissante artillerie, et gardée au loin par une cavalerie -innombrable. On ne pouvait s'aventurer à travers ce labyrinthe de -bois, de sables, d'étangs, de rivières, qu'en courant toujours un -double danger, celui d'être débordé ou tourné si on marchait sur une -seule route, et, si on voulait en tenir plusieurs, celui d'être séparé -en deux ou trois corps, que la privation de communications -transversales rendait incapables de se secourir l'un l'autre.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Répugnance du maréchal Oudinot à se charger du -grand commandement qui lui était destiné.</span> -Au moment de partir pour cette expédition, le maréchal Oudinot se -défiant à la fois de l'ennemi, des lieux, de ses lieutenants, de -lui-même, aurait volontiers cédé à d'autres le périlleux honneur qu'on -lui avait destiné. Napoléon lui avait bien écrit qu'il y aurait dans -peu de jours plus de cent mille Français à Berlin, car dans ses -calculs, malheureusement faits de loin, il avait compris les 30 mille -hommes du maréchal Davout, et les 10 mille hommes qui devaient sortir -de Magdebourg sous le général Girard. Mais avant que cette réunion pût -s'effectuer, il fallait que la première difficulté eût été vaincue, -celle de percer sur Berlin, et celle-là on devait la surmonter avec -une armée de beaucoup inférieure à l'armée ennemie, et à travers un -pays presque impénétrable. Le maréchal Oudinot n'avait donc pas pris -ces promesses fort au sérieux, et il se voyait toujours, au milieu -d'un pays des plus difficiles, obligé avec 64 mille hommes de marcher -contre Berlin protégé par 90 mille. -<span class="sidenote" title="En marge">Premier mouvement de Baruth à Luckenwalde.</span> -Le 18 août il était réuni à -Baruth, à trois journées de Berlin, avec ses trois corps. Mais ayant à -rallier la division de grosse cavalerie du général Defrance, qui -devait faire partie de la réserve du duc de Padoue, et qui venait -rejoindre l'armée par Wittenberg, il opéra un mouvement transversal de -droite à gauche, et se porta de Baruth à Luckenwalde. (Voir la carte -n<sup>o</sup> 58.) Après avoir rallié sa grosse cavalerie, il reprit sa route au -nord, s'avançant entre Zossen et Trebbin, au centre de cette double -ligne d'eaux qui viennent, comme nous l'avons dit, converger sur -Berlin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Trebbin le 21 août.</span> -Le 21 il était en face de Trebbin, à quelques <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> lieues de -l'armée ennemie, qui commençait à se concentrer à mesure que le -terrain se resserrait et que nous approchions. Entre les deux lignes -d'eau s'élevait une suite de coteaux boisés, et sur le flanc de ces -coteaux se développaient les deux routes par lesquelles on pouvait -s'acheminer sur Berlin. -<span class="sidenote" title="En marge">Deux routes à suivre, l'une à gauche passant par Trebbin, -l'autre à droite passant par Blankenfelde.</span> -L'une des deux routes, celle de gauche, -passant à Trebbin, avait un ruisseau à franchir, puis à gravir un -coteau couvert de bois, pour déboucher sur Gross-Beeren. Celle de -droite, entièrement séparée de la précédente, après avoir gravi aussi -des coteaux, allait déboucher par Blankenfelde sur la droite et à -quelque distance de Gross-Beeren. Le maréchal Oudinot résolut de -suivre ces deux routes à la fois, par précaution d'abord, car il ne -voulait pas être tourné en négligeant l'une des deux, par -condescendance ensuite, car ses lieutenants aimaient assez à marcher -séparément, et il se flattait que ces obstacles surmontés on se -réunirait pour aborder l'ennemi en masse.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Oudinot enlève Trebbin le 21.</span> -Le 21 il attaqua Trebbin avec le 12<sup>e</sup> corps, dirigea le 4<sup>e</sup>, celui du -général Bertrand, sur Schultzendorf, et achemina le 7<sup>e</sup>, celui du -général Reynier, entre deux, vers un village appelé Nunsdorf. La -petite ville de Trebbin, assez bien retranchée, était occupée par un -détachement des troupes de Bulow. Le corps de Tauenzien gardait la -route de droite, celle de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot commença -par accabler Trebbin de ses projectiles, puis il y envoya une brigade -de la division Pacthod, pendant que le 7<sup>e</sup> corps menaçait par -Wittstock de tourner la position. Ces mouvements combinés -produisirent <span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> leur effet. La brigade de la division Pacthod -entra baïonnette baissée dans un faubourg de Trebbin, et les Prussiens -se voyant déjà débordés par le 7<sup>e</sup> corps, nous abandonnèrent cette -petite ville, repassèrent le ruisseau qu'ils avaient mission de -défendre, et se replièrent sur les coteaux en arrière. Vers la route -de droite, le général Bertrand avait occupé Schultzendorf avec le 4<sup>e</sup> -corps.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 22, il force le passage du ruisseau de Trebbin.</span> -Le lendemain 22, il fallut franchir le ruisseau disputé la veille, -gravir ensuite les coteaux sur lesquels s'élevait la route de Berlin, -et sur la route de droite gravir également les hauteurs le long -desquelles passait le chemin de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot -aborda le ruisseau sur deux points, par Wilmersdorf et Wittstock. La -division Guilleminot du 12<sup>e</sup> corps, la division Durutte du 7<sup>e</sup>, ayant -rétabli le passage avec des chevalets, assaillirent hardiment les -redoutes de l'ennemi, et les occupèrent sans perdre beaucoup de monde. -Les troupes du corps de Bulow les évacuèrent en se retirant -définitivement vers la position centrale choisie par le prince de -Suède. Sur le côté opposé, le général Bertrand après une vive -canonnade atteignit la position de Juhnsdorf, conduisant à -Blankenfelde. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger d'être pris en flanc si on marche sur une seule -route, et de se diviser si on marche sur deux.</span> -On avait donc fait un nouveau pas dans ce fourré, où -l'on était condamnés soit à marcher divisés en cheminant sur deux -routes latérales presque sans communication entre elles, soit à -marcher sans précaution contre un mouvement de flanc, si on prenait -une seule route. Sans doute il eût été possible de parer à cet -inconvénient, en s'avançant avec la masse de ses forces par une route -seulement, et en ne dirigeant <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> sur l'autre que quelques -détachements de troupes légères, mais il eût fallu disloquer les -divers corps, et pour cela exercer à l'égard de leurs chefs une -autorité que le maréchal Oudinot, commandant direct du 12<sup>e</sup> et plutôt -conseiller que chef des 7<sup>e</sup> et 4<sup>e</sup>, n'osait pas s'attribuer.</p> - -<p>Tout annonçait qu'on approchait définitivement de l'ennemi, et qu'on -allait se trouver face à face avec lui. Le ruisseau sur le bord duquel -on avait combattu la veille une fois franchi, on allait longer le -flanc de coteaux boisés, et aboutir à un village nommé Gross-Beeren, -vis-à-vis de la position centrale de Ruhlsdorf occupée par l'armée du -Nord. On devait par la route de droite opérer un mouvement semblable -sur le flanc des coteaux de Juhnsdorf et de Blankenfelde, et si on -parvenait à y vaincre la résistance de l'ennemi, on était assuré de -déborder de ce côté la position de Gross-Beeren.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement le 23 août des 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps sur -Gross-Beeren, et du 4<sup>e</sup> sur Blankenfelde.</span> -Le maréchal Oudinot espérant ne rencontrer l'ennemi qu'après avoir -dépassé Gross-Beeren, et lorsqu'on aurait eu le temps de se réunir, -laissa par excès de condescendance une tâche distincte à chacun de ses -lieutenants. Il décida que sur la route de droite le général Bertrand -enlèverait Blankenfelde, pour se porter ensuite sur Gross-Beeren; que -sur la route de gauche le général Reynier qui avait forcé la veille le -ruisseau de Trebbin et gravi les coteaux au delà, cheminerait sur le -flanc de ces coteaux en suivant la lisière des bois jusqu'à -Gross-Beeren, et là s'arrêterait pour prendre position. Quant à lui, -au lieu de marcher avec le 12<sup>e</sup> corps derrière le général Reynier -pour lui servir d'appui, il imagina <span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> de passer par Arensdorf -sur l'autre versant des hauteurs que ce général devait parcourir, -comme s'il eût craint d'importuner ses lieutenants par sa présence. Il -devait ensuite déboucher sur Gross-Beeren, mais à deux lieues sur la -gauche, distance à peu près égale à celle qui en devait séparer le -général Bertrand sur la droite.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat de Gross-Beeren, livré par le 7<sup>e</sup> corps contre la -masse de l'armée prussienne et suédoise.</span> -Le 23 août au matin chacun se mit en mouvement selon la direction qui -lui était assignée. Sur la route de droite, le général Bertrand -s'étant présenté devant la hauteur de Blankenfelde, y trouva le -général Tauenzien fortement établi, et fut obligé d'engager avec lui -une violente canonnade. Sur la route de gauche, le général Reynier, -avec le 7<sup>e</sup>, longea pendant près de trois lieues le flanc des coteaux -dont le maréchal Oudinot parcourait le revers, chemina sans grande -difficulté, et déboucha devant Gross-Beeren. Sur-le-champ il attaqua -ce village, et en débusqua la division du général de Borstell. Avec -une impatience de succès très-mauvaise conseillère, il s'avança fort -au delà de ce village au lieu de s'y établir, et aperçut en position, -à Ruhlsdorf, l'armée du prince de Suède tout entière. À droite devant -lui il avait la division de Borstell, repliée sur le gros du corps -prussien de Bulow, au centre mais tirant un peu sur la gauche l'armée -suédoise, tout à fait à gauche enfin les Russes, c'est-à-dire, sans -compter le corps de Tauenzien, un rassemblement d'environ 50 mille -hommes, couverts par une nombreuse artillerie. Il n'avait pour faire -face à cette ligne formidable que 18 mille hommes, dont 6 mille -Français, soldats excellents, et 12 mille <span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> Saxons qui ne -valaient plus ceux qui avaient fait sous ses ordres la campagne de -Russie. Il n'éprouvait certes pas l'envie de se mesurer avec une -pareille masse d'ennemis; mais s'étant assez avancé pour donner prise, -il ne pouvait manquer de les avoir bientôt sur les bras.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitation de Bernadotte, et ardeur des Prussiens.</span> -En effet les Prussiens du général Bulow brûlaient d'impatience de nous -combattre, et de couvrir de leurs corps la route par laquelle nous -prétendions arriver à Berlin. Bernadotte hésitait. C'était la première -fois qu'il allait rencontrer les Français, et il les craignait encore -plus que sa conscience. Il tremblait de voir disparaître en un jour le -prestige dont il avait cherché à s'entourer au milieu des étrangers, -en se donnant pour le principal auteur des succès de Napoléon. Il -craignait aussi de compromettre l'armée suédoise, qu'il savait ne -pouvoir pas remplacer si elle était détruite. Il s'agissait donc pour -lui de jouer sa fortune, sa couronne en un instant, et il était saisi -d'une hésitation qui faisait douter de son courage de soldat. -<span class="sidenote" title="En marge">Le gros de l'armée prussienne se jette sur le 7<sup>e</sup> corps.</span> -Le général Bulow, comme tous les Prussiens, se défiant encore plus de la -loyauté de Bernadotte que de sa valeur, n'attendit pas son -commandement, et avec les 30 mille hommes qu'il avait sous ses ordres, -marcha sur le général Reynier. Il se fit précéder de beaucoup de -bouches à feu, et, pour l'ébranler plus sûrement, il porta sur le -flanc de son adversaire la division de Borstell. Bernadotte ne pouvant -plus reculer, mais ne voulant pas engager toutes ses forces, se -contenta de détacher sa cavalerie avec une nombreuse artillerie -contre la gauche de Reynier, dont la division <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> Borstell -menaçait la droite. Le général Reynier, qui une fois au danger s'y -comportait avec la valeur d'un vieil officier de l'armée du Rhin, tint -bon, espérant être bientôt secouru. Il exécuta un mouvement rétrograde -pour prendre une meilleure position, et appuyant sa droite aux maisons -de Gross-Beeren, sa gauche à une hauteur d'où son artillerie plongeait -sur l'ennemi, il fit très-bonne contenance. Les Prussiens, malgré une -épaisse mitraille, s'avancèrent résolûment, animés par le double désir -de sauver Berlin et de saisir une proie qu'ils croyaient assurée. -<span class="sidenote" title="En marge">La division Durutte se défend vaillamment, mais les Saxons -se débandent.</span> -La division Durutte résista héroïquement; mais les Saxons, pour la -plupart conscrits de l'année, joignant à la faiblesse de leur âge un -très-mauvais esprit, travaillés par des officiers qui leur rappelaient -que Bernadotte les avait commandés en 1809 et traités comme un père, -ne résistèrent pas longtemps, et laissèrent sans appui la division -Durutte. Celle-ci fut obligée de se retirer, mais elle le fit en bon -ordre, et en ôtant à l'ennemi le goût de la poursuivre. De son côté la -division Guilleminot, du 12<sup>e</sup> corps, s'avançant sous la conduite du -maréchal Oudinot sur le revers de la position, se trouvait à Arensdorf -au moment de la plus violente canonnade. Elle se hâta de courir au -feu, et se rabattit par sa droite à travers les bois, afin de secourir -Reynier par le plus court chemin. Arrivant trop tard pour faire -changer la face du combat, elle servit toutefois à contenir l'ennemi, -et se replia ensuite, assaillie plusieurs fois par la cavalerie russe -sans en être ébranlée. Chacun se reporta sur le point de départ du -matin, <span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> le 12<sup>e</sup> corps sur Thyrow, le 7<sup>e</sup> sur Wittstock. Le -12<sup>e</sup> était en bon état, le 7<sup>e</sup> se trouvait désorganisé par la complète -déroute des Saxons. Plus de 2 mille de ces alliés avaient été pris, -avec quinze bouches à feu; quelques mille s'étaient débandés, les uns -pour aller joindre les Suédois, les autres pour s'enfuir sur les -derrières. -<span class="sidenote" title="En marge">Retraite de l'armée française à la suite du malheureux -combat de Gross-Beeren.</span> -Quant au général Bertrand qui dirigeait le 4<sup>e</sup> corps, il -avait fait d'assez grands efforts pour surmonter la résistance de -Tauenzien à Blankenfelde, et n'y avait point réussi. Il ne l'aurait pu -qu'en poussant ces efforts à l'extrême, mais il le croyait inutile, -pensant que le succès du corps principal à Gross-Beeren obligerait -Tauenzien à décamper. De la sorte, chacun avait combattu sans accord, -sans concert, comptant mal à propos sur son voisin, les uns sans -dommage comme Bertrand et Oudinot, les autres au contraire avec un -dommage notable comme le général Reynier.</p> - -<p>Cependant cet échec, si on n'avait eu que des troupes exclusivement -françaises, et d'un esprit sûr, n'aurait pas pu être suivi de grandes -conséquences, car, après tout, on n'avait perdu que 2 mille hommes en -ligne. Mais avec une moitié de l'effectif total en troupes italiennes -et allemandes toujours prêtes à nous quitter, et une autre moitié de -jeunes soldats français, trop confiants d'abord, et maintenant tout -étonnés d'un revers, il était difficile de continuer à s'avancer sur -Berlin en présence de 90 mille hommes, sur le corps desquels il aurait -fallu passer. -<span class="sidenote" title="En marge">Pertes considérables par la disposition des troupes alliées -à se débander.</span> -Déjà plus de 10 mille alliés, les uns Saxons, les autres -Bavarois, avaient quitté nos rangs et couraient vers l'Elbe en -poussant le cri de <cite>Sauve qui peut!</cite> Dans <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> un pareil état de -choses le maréchal Oudinot pensa qu'il fallait battre en retraite, et -se rapprocher de l'Elbe. Le lendemain 24 août, il commença son -mouvement rétrograde, l'exécuta en bon ordre, mais toujours pressé -vivement par les Prussiens, ivres de joie et d'orgueil, accusant -Bernadotte de trahison ou de lâcheté parce qu'il n'était pas aussi -ardent qu'eux, et courant sans le consulter à la poursuite de -l'ennemi, plus vaincu à leurs yeux qu'il ne l'était véritablement. -<span class="sidenote" title="En marge">Motifs du maréchal Oudinot pour se retirer jusqu'à -Wittenberg.</span> -Le maréchal Oudinot aurait pu s'arrêter et réprimer peut-être leur -ardeur; toutefois, dès qu'il n'était plus en marche sur Berlin, et -qu'il devait renoncer à l'espérance d'entrer dans cette capitale, -risquer une action douteuse avec des soldats ébranlés lui parut peu -sage, le résultat d'ailleurs ne pouvant consister qu'à se maintenir -entre Berlin et Wittenberg, dans un pays qui ne lui présentait ni -appui ni ressources. Il prit donc le parti le plus sûr, celui de venir -se placer sous le canon de Wittenberg, où il était assuré de ne courir -aucun danger, où il couvrait l'Elbe, où il avait abondamment de quoi -subsister, et pouvait enfin remettre le moral de ses soldats. Il y -arriva les 29 et 30 août, toujours disputant fortement le terrain à -mesure qu'il rétrogradait. -<span class="sidenote" title="En marge">Mésaventure de la division Girard sortie de Magdebourg.</span> -Pendant ce temps, la division active de -Magdebourg était sortie de cette place sous la conduite du général -Girard, avait été assaillie par le général Hirschfeld et les coureurs -russes de Czernicheff, et bientôt accablée par le nombre, était -rentrée dans Magdebourg après avoir perdu un millier d'hommes et -quelques pièces de canon. -<span class="sidenote" title="En marge">Position embarrassée du maréchal Davout, engagé seul avec -30 mille hommes au milieu du Mecklembourg.</span> -Aux environs de Hambourg, le maréchal -<span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> Davout, sorti de la place avec 30 mille hommes, dont 10 mille -Danois, s'était avancé dans la direction de Schwerin, forçant le corps -anglo-allemand qu'il avait devant lui à se replier, et prêt à lui -passer sur le corps s'il apprenait un succès du maréchal Oudinot dans -les environs de Berlin. Mais, dans le doute, il était obligé à -beaucoup de circonspection, et se conduisait de manière à n'avoir pas -d'échec, surtout pas de désastre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Fautes diverses qui avaient empêché le succès du mouvement -sur Berlin.</span> -Dès que le corps principal, celui du maréchal Oudinot, n'avait pu -pénétrer jusqu'à Berlin, la réunion de plus de cent mille hommes dans -cette capitale, que Napoléon avait espérée, n'était plus qu'un rêve. -Sans doute il y avait eu quelques fautes commises: le maréchal Oudinot -n'avait pas tenu ses corps assez réunis; ses lieutenants n'avaient pas -eu le goût de marcher ensemble, et il avait eu le tort de trop se -prêter à ce goût. Certainement il y avait ces fautes à relever dans -l'exécution du mouvement sur Berlin; mais le tort essentiel (il est à -peine nécessaire de le dire) était à Napoléon, qui avait trop méprisé -ce qu'il appelait le <em>ramassis</em> de Bernadotte, qui lui avait opposé à -son tour un vrai <em>ramassis</em>, où pour une moitié de Français prêts à -bien combattre, il y avait une moitié d'Allemands et d'Italiens prêts -à se débander, qui avait trop compté enfin sur la jonction à Berlin de -corps partant de points aussi éloignés que Wittenberg, Magdebourg et -Hambourg. Évidemment le mieux eût été de ne pas hasarder Oudinot sur -Berlin, ce qui eût permis de ne pas tenir Macdonald sur le Bober, et -ici comme toujours l'exagération des desseins politiques chez -<span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> Napoléon avait rendu caducs les plans du général, réflexion -qui devient oiseuse à force d'être répétée, mais que nous répétons -malgré nous, parce que ce triste sujet la fait naître sans cesse, et -que seule d'ailleurs elle explique les erreurs d'un aussi grand -capitaine.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce sont ces divers mécomptes qui avaient ramené Napoléon de -Pirna à Dresde, et occasionné l'isolement de Vandamme.</span> -C'étaient ces graves mécomptes, et non point une maladie inventée par -les flatteurs, qui avaient surpris Napoléon au lendemain de ses -victoires du 26 et du 27 août, et qui, arrivant coup sur coup à sa -connaissance, l'avaient ramené de Pirna à Dresde, et l'y avaient -retenu les 29 et 30 août, tandis que Vandamme restait sans appui à -Kulm. Ces mécomptes étaient d'une haute importance, car au lieu de -Macdonald laissé victorieux en Silésie et poursuivant Blucher, avoir -sur les bras Blucher victorieux et Macdonald en déroute; au lieu de -cent mille hommes entrés dans Berlin, avoir Oudinot replié sur -Wittenberg et privé de plus de dix mille hommes, Girard repoussé dans -Magdebourg avec perte d'un millier de soldats, Davout enfin condamné à -tâtonner avec trente mille au milieu des marécages du Mecklembourg, -était une situation bien différente de celle que Napoléon avait -espérée, en voulant de l'Elbe étendre son bras jusqu'à la Vistule. -<span class="sidenote" title="En marge">Vaste et grande combinaison imaginée par Napoléon pour -réparer les échecs essuyés par Macdonald et Oudinot.</span> -Le 30, ignorant encore le désastre de Vandamme, qu'il ne sut que le -lendemain matin, il avait conçu après de profondes méditations un plan -nouveau des plus vastes, des plus fortement combinés, car les revers -de ses lieutenants étaient bien loin jusqu'ici d'avoir déconcerté son -génie et ébranlé sa confiance dans la fortune. Plus d'une fois il -avait songé à courir sur <span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> Prague, à frapper l'Autriche dans -une de ses capitales, et à briser en quelque sorte la coalition sur la -tête de l'armée principale où résidaient les trois souverains alliés. -Si en effet après la bataille de Dresde il eût suivi à outrance -l'armée de Bohême, déjà si profondément atteinte, il est probable -qu'il eût dissous la coalition, et sans les nouvelles venues de -Silésie et de Berlin, il est certain qu'il l'eût fait. Le plus -spirituel de ses lieutenants, dont il n'aimait pas l'esprit frondeur, -dont il suspectait quelquefois la justesse de vues, mais dont il -appréciait les rares talents, le maréchal Saint-Cyr, l'y conviait sans -relâche. Mais il y avait des objections graves à ce plan. D'abord il -fallait passer les montagnes de Bohême, livrer bataille au delà, avec -le danger auquel venait d'échapper par miracle la grande armée des -coalisés, celui de n'avoir, si on était battu, que d'affreux défilés -pour retraite. Il fallait ensuite aller prendre Prague, dont les -défenses relevées à la hâte pouvaient opposer une résistance imprévue. -Enfin, si même on triomphait de cet obstacle, on aurait allongé sa -ligne, déjà trop longue, de toute la distance qu'il y a de Dresde à -Prague, distance fort aggravée par les lieux et par les montagnes. -Napoléon se serait trouvé ainsi plus loin de son armée de Silésie, -plus loin de celle du bas Elbe, et hors d'état de les secourir si -elles éprouvaient des revers. Ces objections l'avaient toujours fort -détourné du projet de se porter en Bohême, et il n'y avait songé qu'un -instant, lorsque étant à Zittau, il avait espéré tomber à l'improviste -au milieu des corps qui allaient former l'armée <span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> du prince de -Schwarzenberg. Mais Macdonald étant vaincu, Oudinot étant ramené de -Berlin sur Wittenberg, s'éloigner d'eux en ce moment était chose -inadmissible; aussi Napoléon en apprenant leurs revers ne songea-t-il -qu'à s'en rapprocher, et tout à coup, avec cette inépuisable fécondité -qui était un des attributs de son riche génie, il imagina de faire non -plus de Dresde mais de Berlin, le nouveau centre de ses opérations.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon songe à laisser Murat à Dresde avec cent mille -hommes, et à se porter avec quarante mille au secours d'Oudinot, à le -conduire dans Berlin, puis à revenir se jeter dans le flanc de -Blucher, si ce dernier a osé marcher sur Dresde.</span> -Il fallait battre Blucher, qui n'avait reçu les 22 et 23 août qu'un -premier choc sans suite; il fallait battre Bernadotte, qui loin -d'essuyer des échecs avait eu des avantages, dont il serait aussi -utile que satisfaisant de rabaisser l'orgueil, de punir la trahison, -de détruire la fausse renommée. C'étaient là de graves motifs de -tourner nos coups de ce côté. En se dirigeant sur Berlin avec sa -garde, avec une moitié de la réserve de cavalerie, c'est-à-dire avec -quarante mille hommes, Napoléon recueillait en route Oudinot, -accablait Bernadotte, entrait dans Berlin, y appelait la division -Girard, le corps de Davout, y reformait cette concentration de cent -mille hommes sur laquelle il avait tant compté, la dirigeait sur -Stettin, Custrin, où nos garnisons avaient besoin d'être ravitaillées, -donnait courage à celles de la Vistule, pouvait ensuite retourner de -sa personne à Luckau entre Berlin et Dresde, prêt à tomber dans le -flanc de Blucher, si ce dernier avait osé se porter sur l'Elbe.</p> - -<p>Six à sept marches séparaient Napoléon de Berlin: il fallait donc -dix-huit ou vingt jours au plus entre aller et revenir, et il avait -fait les dispositions <span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> suivantes pour couvrir Dresde en son -absence. Il voulait y laisser Vandamme avec le 1<sup>er</sup> corps (car le 30 -au matin, moment de ses projets, Napoléon ignorait le désastre de -Kulm), outre Vandamme, Saint-Cyr, Victor, Marmont avec une portion de -la réserve de cavalerie. Il se proposait de mettre ces forces, -constituant une armée de cent mille hommes, sous Murat, et il comptait -que celui-ci, appuyé sur Dresde, adossé à Macdonald, qui devait dans -ce plan être ramené jusqu'à Bautzen, serait en mesure de résister à un -retour de l'armée de Bohême, retour que le désastre récemment essuyé -par celle-ci rendait peu probable avant quinze jours. Napoléon -espérait avoir ainsi le temps de revenir après avoir frappé à Berlin -un coup décisif, et à son approche tout nouveau projet contre Dresde -devait s'évanouir. Blucher certainement en apprenant la bataille de -Dresde, et sachant Napoléon sur son flanc (car il y serait sur la -route de Berlin), n'oserait pas dépasser Bautzen. En tout cas, -Macdonald se rapprochant de l'Elbe, et venant se mettre dos à dos avec -Murat, aucun d'eux n'aurait de danger sérieux à craindre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dans la supposition du plan qui précède, Napoléon se serait -établi de sa personne et avec sa réserve à Luckau, entre Berlin et -Dresde, et aurait ainsi transporté la guerre au nord de l'Allemagne.</span> -L'expédition de Berlin terminée, le projet de Napoléon était de -s'établir à Luckau, entre Berlin et Dresde, d'y attirer le corps de -Marmont et toute la réserve de cavalerie, de laisser à Dresde et dans -le camp de Pirna 60 mille hommes, d'en laisser 60 mille à Bautzen, -tandis qu'avec 60 mille autres il serait prêt à courir ou à Berlin, ou -à Bautzen, ou à Dresde, suivant le besoin, ce qu'il pouvait faire en -trois jours d'une marche rapide. Dans cette position il était certain -de suffire à tout, car placé à trois <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span> marches de Berlin, il -serait de plus dans le flanc de Blucher, et assez près de Dresde pour -y arriver à temps si l'armée de Bohême s'y présentait. Il est même -probable qu'en suivant ce plan il aurait réussi à transporter la -guerre au nord de l'Allemagne, car le rassemblement du nord étant -dissous et Bernadotte puni, les Prussiens voudraient regagner leur -pays pour le défendre, les Prussiens y attireraient les Russes, on -ferait ainsi supporter aux plus hostiles des Allemands les horreurs de -la guerre, et en découvrant un peu le haut Elbe, on couvrirait tout à -fait le bas Elbe, c'est-à-dire Hambourg, où existait la plus belle des -lignes de communication, celle de Hambourg à Wesel. Restait, il est -vrai, dans ce cas, la chance de voir les Autrichiens se porter sur le -haut Rhin, chance peu vraisemblable, car ils n'oseraient s'avancer si -loin, Napoléon pouvant fondre sur leurs derrières. De plus Napoléon -serait autorisé à se prévaloir auprès d'eux des soins qu'il mettrait à -éloigner la guerre de leur territoire, et il pourrait en tirer une -nouvelle occasion de négociations, ce qui n'était pas impossible, les -Autrichiens étant de tous ses ennemis les moins engagés, les moins -implacables, les seuls disposés à traiter raisonnablement.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La nouvelle du désastre de Kulm arrête l'élan des pensées -de Napoléon.</span> -Tel était son plan le 30 au matin, plan déjà écrit et accompagné -d'ordres tout rédigés<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a>, lorsque la nouvelle de l'événement de Kulm -vint bouleverser ses vastes conceptions. Il fut cruellement affligé -en <span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> apprenant le désastre de Vandamme; c'étaient avec la -Katzbach et Gross-Beeren trois échecs graves, qui égalaient en -importance les succès obtenus autour de Dresde, et les surpassaient -même, car le prestige de la victoire avait passé du côté des coalisés, -et il ne restait du côté de Napoléon que le prestige toujours éclatant -de son ancienne gloire. Pour la première fois il pensa qu'il avait -peut-être trop présumé de ses forces, en refusant les conditions qu'on -lui avait offertes à Prague, et il apprécia mieux l'inconvénient de la -jeunesse chez ses soldats, de la contagion des sentiments germaniques -chez ses alliés, du découragement chez ses lieutenants; peut-être -alla-t-il jusqu'à regretter d'avoir ou disgracié, ou décrié lui-même, -ou prodigué au feu des généraux en chef tels que Masséna, Davout et -Lannes! Sans doute il avait encore de braves gens, des héros tels que -Ney, Oudinot, Macdonald, Victor, Murat, mais ils étaient peu habitués -au commandement en chef; il ne les y essayait que dans un moment peu -propre à les encourager, dans un moment où les passions de l'Europe, -la fortune, le vent du succès, tout enfin était tourné contre nous.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon conçoit un nouveau plan fondé sur le dernier état -des choses.</span> -Il fut pendant plus d'un jour atterré pour ainsi dire sous ces coups -redoublés; mais son esprit toujours inépuisable n'en fut point frappé -de stérilité; son énergie, son imagination, ses illusions même, tout -se ranima le lendemain, et il forma un nouveau projet, qui moins vaste -que le précédent, était cependant tout aussi fortement conçu. D'abord -il voulut donner un autre chef aux trois corps destinés à marcher sur -Berlin, et il choisit le maréchal Ney, qui <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> n'avait pas de -supérieur en bravoure sur le champ de bataille, mais qui n'avait -jamais dirigé de grandes armées. -<span class="sidenote" title="En marge">Il place sous le commandement du maréchal Ney les trois -corps confiés d'abord au maréchal Oudinot.</span> -Napoléon fit ce choix, parce que -l'âme intrépide et confiante de Ney n'avait pas reçu encore l'atteinte -du découragement, déjà si visible chez nos autres généraux. Il -l'envoya à Wittenberg en lui adressant les paroles les plus -encourageantes, et les instructions les plus précises. Voici à quel -plan général correspondaient ces instructions.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Il porte Ney à Baruth, à deux journées de Berlin, et songe -à se placer lui-même avec sa réserve à Hoyerswerda, entre Baruth et -Dresde, avec l'intention ou de pousser Ney sur Berlin, ou de se jeter -dans le flanc de Blucher, si celui-ci est devenu trop pressant.</span> -Napoléon lui prescrivit après avoir réuni et ranimé les 7<sup>e</sup>, 4<sup>e</sup> et -12<sup>e</sup> corps (le maréchal Oudinot devait garder le commandement direct -de ce dernier), de se rendre à Baruth, à deux journées de Berlin, et -d'y attendre les ordres du quartier général. Quant à lui -personnellement, il résolut de se rendre à Hoyerswerda, distant de -trois journées de Baruth, et de deux journées de Dresde, avec la -garde, la plus grande partie de la réserve de cavalerie, et le corps -de Marmont. Posté là en Lusace, entre Berlin et Gorlitz, il pouvait à -volonté, ou se porter à gauche sur Berlin, et aider Ney à pénétrer -dans cette ville, ce qui revenait à son vaste plan du 30 au matin, ou -se jeter à droite dans le flanc de Blucher et l'accabler, si ce -dernier, continuant à presser Macdonald, devenait inquiétant pour -Dresde. Il était impossible assurément d'imaginer une combinaison plus -savante et plus appropriée aux circonstances, car Napoléon était -certain en joignant l'un de ses deux lieutenants, celui qui faisait -face à Bernadotte, ou celui qui faisait face à Blucher, de rendre l'un -ou l'autre victorieux. Seulement il ne se plaçait cette fois qu'à -deux petites <span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> journées de Dresde, dans le doute où il était -sur les dispositions de l'armée de Bohême. Si elle avançait de -nouveau, remise de la défaite de Dresde par le succès de Kulm, il -revenait tout de suite lui porter un second coup comme celui du 27 -août. Si c'était Blucher qui se montrait audacieux, il tombait -d'Hoyerswerda dans son flanc, et le renvoyait pour longtemps sur -l'Oder. Et enfin si aucune des armées de Silésie et de Bohême ne se -montrait entreprenante, il pouvait d'Hoyerswerda pousser Ney sur -Berlin, sans même l'y suivre. Il suffisait en effet qu'il l'appuyât -jusqu'à Baruth, car l'impétueux Ney, se sentant une pareille -arrière-garde, était bien capable de se ruer sur Bernadotte, de lui -passer sur le corps, et d'entrer à Berlin. Une fois ce grand acte -accompli, Napoléon était libre de retourner à Hoyerswerda, d'où il -menacerait Blucher ou Schwarzenberg, celui des deux en un mot qui -essayerait quelque chose. Tout était non-seulement profond, mais vrai, -juste, dans ces combinaisons, et il n'y en avait pas une qui dix ans -auparavant n'eût réussi d'une manière éclatante, quand nos soldats -étaient à l'épreuve des dures alternatives de la guerre, quand nos -généraux étaient pleins de confiance, quand Napoléon ne doutait pas -plus des autres que de lui, quand ses ennemis, moins résolus à vaincre -ou à mourir, n'étaient pas décidés à persévérer même au milieu des -plus grandes défaites! Mais aujourd'hui, dans l'état moral de nos -ennemis et de nous-mêmes, tout était incertain, même avec des soldats -et des généraux restés héroïques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises pour couvrir Dresde pendant que -Napoléon en sera éloigné.</span> -Après avoir donné les ordres convenables, Napoléon fit les plus -habiles dispositions pour qu'en son absence Dresde ne demeurât pas -découvert. D'abord il réorganisa le corps de Vandamme, dont il était -déjà rentré de nombreux débris. Outre la 42<sup>e</sup> division, restituée au -maréchal Saint-Cyr, laquelle avait assez peu souffert, quinze mille -hommes environ de toutes armes, et appartenant au 1<sup>er</sup> corps, -étaient revenus, ou isolément ou en troupe. -<span class="sidenote" title="En marge">Réorganisation du corps de Vandamme.</span> -Tout ce qui était Français -avait rejoint le drapeau, sauf les hommes hors de combat ou pris par -l'ennemi. On avait perdu le matériel d'artillerie et malheureusement -quelques-uns des officiers les plus distingués. On ne savait pas ce -qu'étaient devenus Haxo et Vandamme: on allait jusqu'à les croire -morts l'un et l'autre. Le secrétaire du général Vandamme ayant reparu, -Napoléon fit saisir les papiers du général pour en extraire sa -correspondance militaire, et enlever la preuve des ordres envoyés à -cet infortuné. Napoléon eut même la faiblesse de nier l'ordre donné de -s'avancer sur Tœplitz, et sans toutefois accabler Vandamme, en le -plaignant au contraire, il écrivit à tous les chefs de corps que ce -général avait reçu pour instruction de s'arrêter sur les hauteurs de -Kulm, mais qu'entraîné par trop d'ardeur, il s'était engagé en plaine, -et s'était perdu par excès de zèle. Le récit authentique que nous -avons présenté prouve la fausseté de ces assertions, imaginées -<span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> pour conserver à Napoléon une autorité sur les esprits, dont -il avait en ce moment besoin plus que jamais.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Commandement de ce corps confié au comte de Lobau.</span> -Son premier soin fut de chercher pour ce corps si maltraité un chef -aussi brave que Vandamme, mais plus circonspect. Il choisit l'illustre -comte de Lobau, qui à une rare énergie joignait un remarquable -discernement militaire et un grand savoir-faire, cachés sous des -formes rudes et martiales. Le comte de Lobau possédait en effet et -méritait l'entière confiance de Napoléon, qui l'avait toujours auprès -de lui, soit pour les coups de vigueur, soit pour les missions qui -exigeaient du jugement, de l'exactitude, de la franchise. Ce soldat -intrépide et spirituel si connu des hommes de notre génération, -joignant à une taille de grenadier, à une figure de dogue, la plus -profonde finesse, se tirait de toutes les missions que lui confiait -Napoléon sans le tromper et sans lui déplaire, s'arrangeant pour dire -la vérité sans compromettre ni lui ni les autres. À son extrême -adresse, à sa rare bravoure, il réunissait le talent et le goût de -l'organisation des troupes, dans laquelle il excellait. On ne pouvait -pas mieux choisir pour rendre au 1<sup>er</sup> corps l'esprit militaire qu'il -avait dû perdre dans le désastre de Kulm. Napoléon distribua ce corps -en trois divisions de dix bataillons chacune, lui restitua la moitié -de la division Teste qu'on en avait momentanément détournée, lui ôta -la brigade de Reuss qu'on lui avait aussi momentanément prêtée, et -soit avec les soldats rentrés, soit avec quelques bataillons de marche -venus de Mayence, lui procura encore un effectif d'environ <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span> -18 mille hommes. Il puisa dans les arsenaux de Dresde, où un immense -matériel avait été amené par ses soins, de quoi remplacer les fusils -perdus et les soixante-douze bouches à feu abandonnées sur le champ de -bataille de Kulm. Il fournit des souliers, des vêtements à ceux qui en -manquaient, et n'oublia rien pour remettre le moral des hommes, soit -par des encouragements, soit par des revues, soit par ces petites -satisfactions matérielles qui composent le bonheur du soldat. Le comte -de Lobau fut chargé d'opérer cette résurrection en quelques jours, -Napoléon entendant se servir du 1<sup>er</sup> corps pour la défense de Dresde -pendant sa prochaine absence.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Sept. 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces laissées à Dresde, et nouveaux -travaux de défense ordonnés autour de cette capitale, de manière à en -rendre la possession tout à fait certaine.</span> -Quant à la conservation de Dresde, il y pourvut de la manière -suivante. Au lieu d'y laisser le 14<sup>e</sup> corps seul, comme lorsqu'il -avait marché sur la Silésie, il laissa le 14<sup>e</sup> (maréchal Saint-Cyr) au -camp de Pirna, le 2<sup>e</sup> (maréchal Victor) à Freyberg, et le 1<sup>er</sup> enfin -(comte de Lobau) dans l'intérieur même de Dresde, où celui-ci aurait -plus de facilité pour se réorganiser. Le 14<sup>e</sup> corps, qui en recouvrant -la 42<sup>e</sup> division en avait dès lors quatre, dut garder Kœnigstein et -Lilienstein, le pont de l'Elbe jeté entre ces deux forts, le camp de -Pirna, le défilé de Péterswalde, et les débouchés secondaires de la -Bohême qui venaient tomber sur la droite de la chaussée de -Péterswalde. Le maréchal Victor à Freyberg veillait à la fois sur la -grande chaussée de Freyberg, et sur le chemin de Tœplitz par -Altenberg. La cavalerie de Pajol galopait entre deux pour exercer une -active surveillance. En cas de nouvelle apparition de l'armée de -Bohême, ces deux corps avaient ordre d'opposer <span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> une résistance -modérée, suffisante seulement pour retarder sans se compromettre la -marche de l'ennemi, et de se replier sur Dresde en y donnant l'éveil. -Ils devaient venir se placer, Saint-Cyr sur la gauche du camp -retranché où il avait déjà combattu vaillamment le 26 août, Victor sur -la droite où il avait décidé le gain de la bataille du 27. Attaqués -sérieusement, ils avaient ordre de rentrer derrière les redoutes, qui -avaient été portées de cinq à huit, et beaucoup mieux armées. -<span class="sidenote" title="En marge">Précautions de détail admirablement conçues.</span> -Napoléon -pendant l'attaque de Dresde ayant remarqué plusieurs défectuosités -dans leur établissement, avait nommé un commandant spécial pour -chacune d'elles, augmenté leur artillerie, préparé des artilleurs de -rechange pour les servir, défendu de laisser dans aucune des caissons -de munitions, et fait construire avec des sacs à terre des espèces de -réduits pour tenir lieu de magasins à poudre pendant le combat. Il -avait distribué leur armement en artillerie de position nécessairement -immobile, et en artillerie attelée qu'on porterait de la rive droite à -la rive gauche de l'Elbe, selon qu'on serait attaqué par l'une ou par -l'autre. Il avait soigneusement recommandé qu'on tînt des troupes en -réserve derrière chaque redoute, pour reprendre à l'instant celle qui -serait enlevée, et enfin il avait décidé que le 1<sup>er</sup> corps, sous le -comte de Lobau, serait placé tout entier en réserve derrière les corps -de Saint-Cyr et de Victor, pour déboucher au dernier moment, ainsi -qu'avait fait la garde le 26 août, sur l'ennemi qui se croirait -victorieux. C'était, comme on le voit, une répétition fort améliorée -de la journée du 26, et qui promettait le même <span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> succès, car -les trois corps de Saint-Cyr, Victor et Lobau réunissaient près de 60 -mille hommes, c'est-à-dire plus que Napoléon n'en avait eu pour -résister le 26 aux 200 mille de l'armée de Bohême. Ajoutant cette -circonstance qu'au lieu d'être à quatre ou cinq journées, comme il -était lors de la première apparition de l'ennemi, il ne serait plus -qu'à deux en se plaçant à Hoyerswerda, Napoléon s'éloignait sans -inquiétude pour la conservation de Dresde, si l'armée de Bohême -renouvelait sa récente manœuvre, en opérant par la rive gauche de -l'Elbe. Si au contraire, changeant de marche, elle attaquait par la -rive droite, Poniatowski, Macdonald, Napoléon lui-même se rabattant -sur elle, seraient en mesure de l'accabler. -<span class="sidenote" title="En marge">Toutes ses mesures arrêtées, Napoléon dirige sur -Kœnigsbruck une partie de l'infanterie et de la cavalerie de la -garde.</span> -Ces dispositions si -savantes une fois ordonnées, il expédia le 2 septembre la cavalerie de -la garde sous Nansouty, avec deux divisions d'infanterie de la jeune -garde sous Curial, et les porta sur Kœnigsbruck, à gauche de la -route de Bautzen, dans la direction de Hoyerswerda. (Voir la carte n<sup>o</sup> -58.) Il comptait le 3 faire partir la vieille garde de Dresde, et le -reste de la jeune garde de Pirna, toujours dans la même direction. Le -4 il avait le projet de partir lui-même pour se rendre de sa personne -à Hoyerswerda. M. de Bassano devait rester à Dresde, informé de tout, -même des mouvements militaires qu'il comprenait suffisamment bien, -afin qu'avec cette activité dévouée qui rachetait chez lui une -soumission trop aveugle, il pût transmettre à chacun et toujours à -temps l'avis de ce qui l'intéressait.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 3 septembre au matin, Napoléon reçoit la nouvelle que le -maréchal Macdonald, vivement pressé par Blucher, est à Bautzen dans un -véritable danger.</span> -Le 3 septembre au matin, Napoléon était occupé <span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> à donner ses -ordres, lorsqu'il reçut de Bautzen des dépêches pressées du maréchal -Macdonald. Ce maréchal était, suivant l'expression de Napoléon, tout à -fait <em>décontenancé</em> par la marche véhémente de Blucher sur lui. -Blucher, qui n'était pas homme à s'arrêter dans un succès, s'était -hâté, dès que les eaux avaient un peu baissé, de se porter en avant, -pour tirer les plus grandes conséquences possibles de l'événement si -heureux pour lui de la Katzbach. Plaçant son infanterie partie vers -les montagnes, partie sur la grande route de Breslau à Dresde, lançant -son immense cavalerie dans les plaines humides qu'arrosent -successivement le Bober, la Preiss, la Neisse, la Sprée, il avait en -débordant constamment le flanc gauche du maréchal Macdonald, obligé -celui-ci à rétrograder de Lowenberg sur Lobau, de Lobau sur Gorlitz. -Il disposait de 80 mille hommes contre Macdonald, qui n'en avait pas -conservé 50 mille armés, et qui n'avait pu s'en procurer 60 mille en -état de combattre, qu'en retirant Poniatowski du débouché de Zittau. -Le maréchal Macdonald, malgré son intrépidité connue, craignait que le -découragement chez ses soldats, l'aigreur de la défaite chez ses -généraux, l'impulsion rétrograde chez tous, n'entraînât de nouveaux -malheurs. Il demandait des secours à grands cris. Il se pouvait, à -l'entendre, que sous vingt-quatre heures il fût ramené de Gorlitz sur -Bautzen, peut-être sur Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renonce momentanément à sa dernière combinaison -pour se porter sur Bautzen.</span> -Napoléon, qui ne mettait pas beaucoup de temps à prendre son parti, -jugea que ce n'était pas le moment de se porter sur Hoyerswerda, -c'est-à-dire à gauche de la grande route de Silésie et dans le flanc -<span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> de Blucher, car Macdonald était trop vivement pressé pour -perdre une heure à manœuvrer. Secourir ce dernier directement, par -la voie la plus courte, était la seule manœuvre adaptée aux -circonstances. Napoléon comptait le joindre à Bautzen, le ranimer, le -reporter en avant, et culbuter Blucher au delà de la Neisse, de la -Queiss et des rivières qu'il avait dépassées. Napoléon cherchant -surtout une bataille contre ceux de ses ennemis qui oseraient rester à -portée de son bras, espérait la trouver dans cette nouvelle rencontre -avec Blucher, et il se figurait que celui-ci, lancé comme il l'était, -ne pourrait pas s'arrêter assez vite pour nous échapper encore une -fois.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Il redresse la marche des divisions de la garde acheminées -sur Hoyerswerda et les rabat sur Bautzen.</span> -Sa résolution étant ainsi prise, il fit redresser le mouvement imprimé -la veille aux deux divisions de la jeune garde et à la cavalerie qui -les suivait. Il les avait dirigées sur Kœnigsbruck, il les ramena -de Kœnigsbruck sur Bautzen par Camenz. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Il -fit partir tout de suite la vieille garde de Dresde pour -Bischofswerda, et pour Stolpen le reste de la jeune garde qui sous -Mortier attendait ses ordres à Pirna. Le même mouvement direct sur -Bautzen fut prescrit à la cavalerie de réserve de Latour-Maubourg, et -à l'infanterie du maréchal Marmont. Mises en route le matin du 3, les -troupes devaient être le soir à Bischofswerda, le lendemain 4 à -Bautzen. -<span class="sidenote" title="En marge">Il s'applique à cacher son départ de Dresde pour ne pas -donner l'éveil à Blucher.</span> -Napoléon se disposa lui-même à quitter Dresde dans la nuit du -3 au 4, employant selon son usage la journée entière à expédier ses -ordres, et se réservant pour dormir le temps qu'il passerait en -voiture. Il fit prévenir Macdonald du mouvement considérable qui -s'opérait vers Bautzen, <span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> lui recommanda le secret, afin que -Blucher non prévenu donnât en plein dans le gros de l'armée française. -Il défendit à Dresde qu'on laissât passer par les ponts même un seul -paysan, espérant empêcher ainsi que la nouvelle du départ de la garde -ne parvînt à Blucher, et enfin il manda au maréchal Ney que se -détournant un moment d'Hoyerswerda, il serait de retour dans cette -direction sous trois ou quatre jours, et qu'il lui assignait toujours -Baruth comme point de réunion, d'où l'on partirait ultérieurement pour -Berlin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Dresde le 3 au soir.</span> -Le 3 septembre au soir Napoléon quitta Dresde, s'arrêta quelques -heures à Harta, et arriva le lendemain matin à Bautzen. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Bautzen le 4 au matin.</span> -Il s'était -fait précéder par 70 fourgons, portant des munitions, des fusils, des -souliers, afin de rendre aux soldats du maréchal Macdonald une partie -de ce qu'ils avaient perdu. -<span class="sidenote" title="En marge">Bon accueil au maréchal Macdonald.</span> -Il traita bien le maréchal Macdonald, sans -s'appesantir sur les fautes qui avaient pu être commises à la -Katzbach, tenant grand compte à tout le monde des circonstances -difficiles où l'on se trouvait, et sachant qu'en pareille situation il -fallait remonter les cœurs en les encourageant, au lieu de les -abattre en les chagrinant par des reproches. D'ailleurs le maréchal -Macdonald inspirait tant d'estime, que le reproche eût expiré sur la -bouche, si par hasard on eût été tenté de lui en adresser. Loin de se -montrer Napoléon se cacha, voulant attendre pour se laisser voir que -la cavalerie de la garde et de Latour-Maubourg fût arrivée, et qu'on -pût fondre sur Blucher avec des forces suffisantes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher informé par de secrets avis de l'approche de -Napoléon, s'arrête tout à coup.</span> -Malheureusement au milieu de ces populations <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> germaniques où -nous ne comptions plus que des ennemis, même parmi celles que notre -présence forçait à rester alliées, il n'y avait de secret possible -qu'au profit de nos adversaires. Plusieurs avis envoyés de Dresde, -soit pour l'armée de Silésie, soit pour l'armée de Bohême, avaient -déjà fait savoir, non pas les desseins de Napoléon, que lui seul et -ses principaux lieutenants connaissaient, mais les mouvements de la -garde commencés dès le 2 au matin. Cette indication suffisait pour -qu'on devinât que Blucher allait devenir le but des coups de Napoléon. -Aussi le général prussien, tout fougueux qu'il était, fidèle au plan -de se dérober aussitôt que Napoléon apparaîtrait, se préparait à -rétrograder, et, s'il n'avait pas déjà battu en retraite, s'avançait -cependant d'une manière moins vive. Parvenu à Gorlitz, il avait poussé -ses avant-gardes sur Bautzen, mais avait arrêté son corps de bataille -à Gorlitz même, et de sa personne était venu se placer sur une hauteur -qu'on appelle le Lands-Krone, et d'où l'on aperçoit toute la contrée -de Gorlitz à Bautzen.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Murat lancé avec toute la cavalerie à la poursuite de -Blucher.</span> -Le 4 septembre, vers le milieu du jour, Latour-Maubourg et Nansouty -étant arrivés, Murat s'était mis à la tête de leurs escadrons, et -avait fondu au galop sur les avant-gardes de Blucher rencontrées vers -la chute du jour aux environs de Weissenberg. D'immenses tourbillons -de poussière avaient annoncé son approche, et sur-le-champ à cette -vive impulsion Blucher avait reconnu la présence du maître, sous les -yeux duquel on ne rétrogradait jamais. Ses avant-gardes vigoureusement -assaillies furent ramenées en arrière, en perdant quelques centaines -<span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> d'hommes. La nuit suspendit la poursuite. Blucher prit -immédiatement la résolution de repasser la Neisse le lendemain, et de -ne laisser à Gorlitz qu'une arrière-garde, laquelle occuperait la -ville située de notre côté, pendant qu'on préparerait tout pour -détruire les ponts.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le lendemain 5, on poursuit Blucher, et on le rejette au -delà de la Neisse.</span> -Le lendemain matin 5 Napoléon à la tête de ses avant-gardes se porta -en avant de Reichenbach, pour voir s'il pourrait enfin saisir les -Prussiens de manière à leur ôter le goût de revenir si vite après son -départ. Mais au premier coup d'œil il eut le déplaisir de -reconnaître que Blucher allait encore, comme les 22 et 23 août, se -soustraire à notre approche. -<span class="sidenote" title="En marge">Entrée des Français dans Gorlitz.</span> -Il fit en effet marcher en avant, et sa -seule satisfaction en pénétrant à Gorlitz fut de prendre ou tuer un -millier d'ennemis. Après avoir traversé la ville au pas de course, on -trouva les ponts de la Neisse coupés, et l'arrière-garde prussienne -achevant de détruire celui dont elle s'était servie pour se dérober à -nos coups.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renonce à poursuivre Blucher, dans l'impossibilité -où il se trouve de le serrer d'assez près.</span> -Dès ce moment il fut évident pour Napoléon que tout ce qu'il gagnerait -à poursuivre plus longtemps les alliés, ce serait de fatiguer -inutilement ses troupes, et de mettre une plus grande distance entre -lui et Dresde. Il résolut donc de s'arrêter à Gorlitz, d'y passer deux -ou trois jours pour y rétablir les ponts, y faire reposer ses soldats, -et y ranimer par sa présence le corps de Macdonald dont le moral était -fort ébranlé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 5 septembre au soir Napoléon apprend une nouvelle -apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde.</span> -Mais le soir même du 5, des dépêches arrivées de Dresde dans la -journée, vinrent encore changer sa détermination, et l'obliger à ne -pas même passer <span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> à Gorlitz les deux ou trois jours qu'il -aurait voulu y demeurer. On lui annonçait en effet une nouvelle -apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde, -c'est-à-dire sur les derrières de Dresde, exactement comme à l'époque -récente des batailles des 26 et 27 août. C'était encore l'officier -d'ordonnance Gourgaud qui était l'organe des craintes du maréchal -Saint-Cyr, et le narrateur trop animé de ce qui avait lieu à Dresde. -Était-ce une descente véritable de l'armée de Bohême, voulant essayer -une seconde attaque sur Dresde, malgré le rude accueil qu'avait reçu -la première? ou bien n'était-ce pas plutôt une vaine démonstration de -sa part, et n'était-il pas vraisemblable qu'instruite à temps du -mouvement de Napoléon sur Bautzen, elle voulait le rappeler à Dresde, -se jouer ainsi de la promptitude de ses déterminations, de l'agilité -de ses soldats, fatiguer lui et eux, les épuiser en mouvements -infructueux tantôt contre une armée, tantôt contre l'autre, en ne leur -accordant jamais l'avantage d'approcher assez près d'aucune d'elles -pour l'atteindre et la battre? -<span class="sidenote" title="En marge">Suppositions qui naissent de cette nouvelle apparition.</span> -Cette dernière supposition était la -plus vraisemblable, et si Napoléon avait eu la chance de joindre -Blucher, il ne se serait pas détourné de cet ennemi pour courir au -prince de Schwarzenberg, avec certitude de ne pas le rejoindre. -Malheureusement Napoléon ne faisait aucun sacrifice en s'arrêtant, -puisque Blucher, aussi prompt à marcher en arrière qu'en avant, était -déjà hors de portée, et il était naturel que, n'ayant rien de bien -utile à faire à Gorlitz, il revînt là où un symptôme de danger, -quelque léger que fût ce symptôme, ou une espérance de <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span> -bataille, quelque douteuse que fût cette espérance, se présentait en -ce moment. -<span class="sidenote" title="En marge">N'ayant rien d'utile à faire à Gorlitz depuis la retraite -de Blucher, Napoléon revient à Dresde pour parer au nouveau danger qui -menace cette capitale.</span> -Il ordonna donc à sa garde de ne pas aller plus loin et de -se reposer, pour être prête à exécuter ses ordres le lendemain, et il -retourna lui-même de Gorlitz à Bautzen pour se rapprocher des -nouvelles, et apprécier plus sûrement la valeur des renseignements -qu'on lui envoyait du camp de Pirna. Ne perdant pas un instant, il -voyagea toute la soirée et la nuit, et fut rendu à Bautzen le 6 à deux -heures du matin. Certes, on ne pouvait pas déployer plus d'activité et -moins regarder à la fatigue, car, sorti de Dresde le 3 septembre au -soir, arrivé le 4 au matin à Bautzen, ayant couru le 4 même jusqu'à -Weissenberg, le 5 jusqu'à Gorlitz, il revenait dans la nuit du 5 au 6 -à Bautzen. Par malheur ses troupes allant à pied ne pouvaient suivre -que de très-loin la rapidité de ses mouvements.</p> - -<p>Napoléon trouva en effet à Bautzen les détails mandés par M. de -Bassano au nom du maréchal Saint-Cyr, et d'après lesquels il -paraissait que la grande armée de Bohême avait débouché brusquement de -Péterswalde, la droite sur Pirna, le centre sur Gieshübel, la gauche -sur Borna, avec toute l'apparence d'une résolution sérieuse, et une -telle vigueur d'attaque, que le maréchal Saint-Cyr avait cru devoir, -en se retirant avec ordre, replier néanmoins ses quatre divisions. -<span class="sidenote" title="En marge">Malgré la vivacité des démonstrations de l'armée de Bohême, -Napoléon ne se laissant pas abuser, ne ramène à Dresde qu'une partie -de sa réserve, afin de pouvoir revenir à son projet sur Hoyerswerda.</span> -En présence de tels avis, surtout rien d'utile ne le retenant à Bautzen, -Napoléon répondit qu'il allait partir immédiatement, de manière à être -le soir même du 6 à Dresde, et qu'il se ferait suivre par toute sa -garde. Cependant <span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> n'étant pas facile à tromper, et ne prenant -pas encore comme très-sérieuse cette nouvelle démonstration, il donna -ses ordres en conséquence de ce qu'il pensait. Ayant toujours en vue -son mouvement sur Hoyerswerda, d'où il pourrait à la fois soutenir Ney -vers Berlin, et contenir Blucher vers Gorlitz, il ne ramena décidément -vers Dresde que la garde seule, jeune et vieille, comptant près de 40 -mille hommes de toutes armes. Il dirigea Marmont, qui était en marche -pour le rejoindre, vers Camenz et Kœnigsbruck, d'où il serait aisé -de le rappeler à Dresde ou de le pousser sur Hoyerswerda. Il lui -adjoignit un fort détachement de cavalerie, pour donner la chasse aux -Cosaques, et le lier avec Ney et Macdonald. Il recommanda au maréchal -Macdonald, après avoir replacé Poniatowski au débouché de Zittau, de -se bien établir lui-même à Bautzen, de réarmer ses soldats débandés, -et de tâcher enfin avec un effectif qu'il pouvait reporter à 70 mille -hommes s'il parvenait à ressaisir ses maraudeurs, de garder au moins -la ligne de la Sprée. Il était permis d'espérer que n'étant plus à -cinq journées de Dresde, mais à deux, Macdonald serait moins prompt à -rétrograder, et Blucher à s'avancer. Le maréchal Macdonald avec une -modestie qui l'honorait, supplia fort Napoléon de l'exonérer du -commandement en chef, offrant de rester comme divisionnaire à la tête -du 11<sup>e</sup> corps, et de s'y faire tuer, mais ne voulant plus d'une -responsabilité trop lourde, et se plaignant peut-être avec l'injustice -du malheur du peu de concours de ses lieutenants. Napoléon n'avait -plus le choix, car les généraux disparaissaient comme les soldats, -par <span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> suite de l'affreuse consommation qu'il faisait des uns et -des autres. Il écouta Macdonald, le consola, le traita comme il aurait -traité un général victorieux, et après l'avoir encouragé de son mieux, -partit pour Dresde, où il arriva le 7 au matin. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revenu à Dresde le 7 au matin.</span> -M. de Bassano était -venu à sa rencontre pour employer le loisir de la route à l'entretenir -des affaires de l'Empire et des informations venues du quartier -général du maréchal Saint-Cyr sous Pirna.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement des Russes et des Prussiens sur Dresde, et motifs -de ce mouvement.</span> -Après avoir séjourné une heure ou deux à Dresde, il partit pour Pirna, -et s'arrêta près de Mugeln, où se trouvaient les arrière-gardes du -maréchal Saint-Cyr. Voici ce qui s'était passé de ce côté. Les -Prussiens et les Russes, sans les Autrichiens, avaient débouché de -Bohême par la grande route de Péterswalde, dont nous avons déjà fait -connaître la configuration, avaient essayé d'enlever d'un côté le -plateau de Pirna, de l'autre le plateau de Gieshübel, et avaient -poussé devant eux les quatre divisions de Saint-Cyr qui occupaient ces -diverses positions. Un autre corps, sous le comte Pahlen, débouchant -par la route de Furstenwald qu'avait suivie Kleist lors des événements -de Kulm, était venu vers Borna, là où les montagnes moins abruptes -commencent à se changer en plaine. Une immense cavalerie lancée dans -cette direction avait fort inquiété celle de Pajol, et sans la vigueur -de ce dernier, sans son savoir-faire, lui aurait causé de grands -dommages.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.</span> -Saint-Cyr se voyant ainsi pressé avait replié du camp de Pirna sur -Pirna même sa 42<sup>e</sup> division, laissant comme de coutume quelques -bataillons dans la forteresse de Kœnigstein, avait ramené la 43<sup>e</sup> -et la <span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> 44<sup>e</sup> de Gieshübel sur Zehist, et la 45<sup>e</sup>, qui soutenait -Pajol, de Borna sur Dohna.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon à Pirna. Ses longs entretiens avec le maréchal -Saint-Cyr sur les probabilités de cette situation.</span> -C'est dans cette position que Napoléon le trouva, point déconcerté, -beaucoup moins alarmé surtout qu'il n'avait affecté de l'être, et tout -prêt à reprendre l'offensive. Que signifiait cette nouvelle apparition -de l'ennemi? Était-ce une continuation de la tactique au moyen de -laquelle on semblait vouloir épuiser l'armée française, ou bien une -attaque véritable? Il valait la peine de s'entretenir de cette -question obscure avec un officier aussi intelligent que le maréchal -Saint-Cyr. Napoléon le questionna sur ce sujet avec beaucoup de -confiance et de cordialité. Quoiqu'il eût peu de goût pour son -caractère, il appréciait fort ses lumières, et d'ailleurs dans la -situation présente il avait besoin de ménager tout le monde, surtout -les gens de guerre déjà bien fatigués. -<span class="sidenote" title="En marge">Opinion de Napoléon.</span> -Par toutes ces raisons il -s'entretint longuement avec le maréchal Saint-Cyr, et ne parut pas -convaincu que cette dernière attaque fût sérieuse, ni qu'elle fût -autre chose qu'une des alternatives de ce va-et-vient perpétuel qui -semblait constituer en ce moment toute la tactique des coalisés. Au -surplus Napoléon ne demandait pas mieux, d'après ce qu'il dit, que de -réparer au moyen d'une action décisive tout le tort que lui avaient -causé les journées de Kulm, de la Katzbach et de Gross-Beeren, mais il -doutait avec raison que les coalisés, après la leçon reçue à Dresde, -songeassent à s'en attirer une seconde du même genre. Évidemment ils -ne voudraient point se présenter encore une fois la tête à Dresde, la -queue aux défilés de l'Erz-Gebirge, <span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> et quant à les aller -chercher au delà, c'est-à-dire en Bohême, c'était un jeu trop -hasardeux, et qui consistait à prendre pour soi la mauvaise position -dont ils ne voulaient plus après l'avoir essayée. -<span class="sidenote" title="En marge">Sa prodigieuse sagacité.</span> -Il était plus -vraisemblable que s'ils recommençaient une entreprise sur nos -derrières, ce serait plus en arrière encore, c'est-à-dire par la -grande route de Commotau sur Leipzig, et l'apparition de quelques -coureurs dans cette direction, signalée depuis deux ou trois jours, -portait déjà Napoléon à le penser, ce qui prouvait, comme on le verra -bientôt, sa profonde sagacité. Du reste il répéta qu'il se réjouirait -fort d'avoir encore une fois l'armée de Bohême sur les bras, entre -Dresde et Péterswalde, mais qu'il n'osait s'en flatter, qu'il était -venu pour cela, que ses réserves étaient en marche, qu'elles seraient -le lendemain matin à Dresde, le lendemain soir à Mugeln, et qu'on -agirait suivant les circonstances.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Avis du maréchal Saint-Cyr.</span> -Le maréchal Saint-Cyr parut être d'un autre avis. Il croyait, lui, à -une attaque déterminée du prince de Schwarzenberg, à en juger par la -vigueur avec laquelle les divisions du 14<sup>e</sup> corps avaient été -poussées depuis deux jours, et il était étonné surtout de voir ce -prince s'avancer si près de Dresde, si c'était pour une simple -démonstration. Il soutenait, comme il l'avait déjà fait, que c'était -vers la Bohême que Napoléon devait chercher à gagner une grande -bataille, qu'elle serait là plus décisive à cause de la présence des -souverains, dont il importait d'ébranler le courage; à quoi Napoléon -répondait avec raison qu'il la trouverait bonne partout, meilleure -sans doute contre les souverains réunis, mais qu'il ne <span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span> -dépendait pas de lui de l'avoir où il la désirait, et qu'il la -livrerait là où la fortune voudrait bien la lui offrir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Séparation des Autrichiens d'avec les Prussiens et les -Russes.</span> -Le maréchal Saint-Cyr était encore fort préoccupé d'une idée, celle-ci -très-juste quoique bien peu vraisemblable. C'est qu'en ce moment les -Autrichiens s'étaient séparés des Prussiens et des Russes, car on ne -voyait devant soi que de ces derniers, sans un seul détachement -autrichien. Dans ce cas, au lieu de 140 ou 150 mille hommes, c'étaient -tout au plus 80 ou 90 mille auxquels on aurait affaire, et l'occasion -était belle pour se jeter sur les coalisés et les accabler. Il y avait -là cependant une contradiction singulière, car la séparation des -coalisés excluait l'idée d'une tentative sérieuse sur Dresde, et -Napoléon croyait plutôt que si les Autrichiens s'étaient éloignés, -c'était pour préparer une marche ultérieure sur Leipzig, en se portant -vers les directions qui pouvaient y conduire. -<span class="sidenote" title="En marge">Accord de Napoléon et du maréchal Saint-Cyr sur la conduite -à tenir.</span> -Ces raisonnements entre -deux militaires si compétents, révélant si bien au milieu de quelles -obscurités un général en chef est obligé de se diriger, n'importaient -nullement quant à la conduite à tenir, puisqu'on était d'accord si -l'armée de Bohême voulait s'y prêter, d'avoir tout de suite une grosse -affaire avec elle, et qu'on n'était même empêché de l'entreprendre sur -l'heure que par l'absence des réserves occupées à franchir l'espace -entre Bautzen et Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon retourne à Dresde pour donner des ordres pendant -que ses troupes marchent sur Pirna.</span> -Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour -retourner encore le jour même à Dresde, où il avait des ordres de tout -genre à donner à ses divers corps d'armée. Il fut convenu qu'au -premier mouvement <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> de l'ennemi le maréchal lui enverrait un -officier pour le prévenir<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a>.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficultés du commandement en chef, révélées par -l'obscurité qui enveloppe ici les projets de l'ennemi.</span> -Pour mieux apprécier la difficulté du commandement, il faut savoir -qu'en ce moment Napoléon et le maréchal avaient raison l'un et -l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était passé en effet -du côté des coalisés. À la première nouvelle venue de Dresde d'une -marche de Napoléon en Lusace, les Autrichiens avaient exécuté un -mouvement rétrograde, correspondant en Bohême à celui que Napoléon -exécutait en Lusace, et avaient repassé l'Elbe derrière le rideau des -montagnes, entre Tetschen et <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> Leitmeritz. Ce mouvement avait -un double but, premièrement de pourvoir aux cas imprévus, à celui -notamment d'une opération de Napoléon sur Prague, secondement de se -remettre quelque peu de la rude secousse essuyée par l'armée -autrichienne dans la bataille de Dresde. On avait laissé les Russes et -les Prussiens sur la grande route de Péterswalde, afin d'y rappeler -Napoléon par de fortes démonstrations, de dégager ainsi l'armée de -Silésie contre laquelle il marchait, et de continuer le plan convenu à -Trachenberg, de se montrer fort entreprenant là où il ne serait pas, -très-prudent là où il <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> serait, jusqu'au moment où après -l'avoir épuisé en courses inutiles, on trouverait moyen de l'accabler. -Wittgenstein et Kleist, qui commandaient les Russes et les Prussiens -sous Barclay de Tolly, et qui étaient pleins d'ardeur, n'avaient pas -exécuté à demi les démonstrations dont ils étaient chargés, avaient -attaqué à fond les quatre divisions du maréchal Saint-Cyr, au point -qu'il avait fallu à celui-ci toute sa tenue, tout son talent dans la -guerre défensive, pour s'en tirer sans échec. Pendant que les corps -russes et prussiens bataillaient ainsi à Péterswalde, Klenau encore -tout ébranlé des coups reçus <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> à Dresde, était entre Commotau -et Chemnitz occupé à se refaire, envoyait des partisans soit à Zwickau -soit à Chemnitz, et préparait de la sorte l'opération décisive que les -coalisés, sans l'oser tenter encore, méditaient toujours sur nos -derrières, mais cette fois dans la direction de Leipzig, et non plus -dans celle de Dresde.</p> - -<p>Napoléon avait donc raison quand il croyait qu'on ne songeait pas à -une seconde attaque sur Dresde, et qu'une nouvelle marche sur nos -derrières, si elle avait lieu, s'essayerait plus loin, c'est-à-dire -par Leipzig; et le maréchal Saint-Cyr se trompant sur ces points, -avait raison de penser que les Russes et les Prussiens étaient -actuellement séparés des Autrichiens, et que ce pouvait être une bonne -occasion de les assaillir. -<span class="sidenote" title="En marge">Attente des nouveaux mouvements de l'ennemi, pour se jeter -sur lui dès qu'il donnera prise.</span> -Napoléon n'objectait rien à cette dernière -opinion, et disait très-sensément que quelle que fût la vérité sur -tout cela, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était d'attendre la -journée du 8, pour voir comment se comporterait l'ennemi, et pour -donner à la garde et à la cavalerie de réserve le temps d'arriver. Il -est rare, surtout lorsque la situation prête à des suppositions -contraires, qu'il n'y ait qu'une conduite à tenir. C'était le cas ici, -et Napoléon était retourné le 7 au soir à Dresde, prêt à revenir de sa -personne au premier signal, mais dans l'intervalle voulant veiller aux -mouvements de ses innombrables corps d'armée. En effet, tandis qu'il -était aux aguets pour saisir en faute l'armée de Bohême, il se passait -de nouveaux événements sur ses ailes.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement du maréchal Ney pendant que Napoléon s'était -dirigé de nouveau sur Bautzen.</span> -On se souvient sans doute qu'en partant de Dresde, <span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> d'abord -pour se diriger sur Hoyerswerda, puis pour se rabattre sur Bautzen, -Napoléon avait donné au maréchal Ney rendez-vous à Baruth, dans -l'intention de se réunir à lui, soit pour appuyer son mouvement sur -Berlin, soit pour y marcher lui-même. Ramené sur Dresde par -l'apparition des têtes de colonnes de Kleist et de Wittgenstein, il ne -croyait guère, comme on vient de le voir, à leur intention sérieuse de -s'engager encore une fois sur les derrières de cette capitale; il -songeait donc dès qu'il serait entièrement rassuré à cet égard, à -reprendre ses projets sur Berlin, et il était impatient de savoir ce -que le maréchal Ney aurait fait de ce côté.</p> - -<p>Ce maréchal, envoyé pour prendre le commandement des mains du maréchal -Oudinot, était arrivé le 3 septembre à Wittenberg, jour même où -Napoléon s'acheminait sur Bautzen, et voulant se mettre en marche dès -le 5 au plus tard, il avait passé la revue de ses trois corps d'armée, -qui depuis l'échec de Gross-Beeren avaient beaucoup perdu en matériel, -en force numérique, en dispositions morales.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Force des 4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps, depuis leur retour sur -l'Elbe.</span> -Le matériel, on l'avait remplacé au moyen du vaste dépôt de -Wittenberg; la force numérique, on n'avait pas pu la rétablir, car une -douzaine de mille hommes étaient les uns morts ou blessés sur le champ -de bataille de Gross-Beeren, les autres dispersés sur les routes dans -un état de complète débandade. On avait ramassé ceux d'entre eux qui -étaient Français, et on leur avait remis un fusil à l'épaule, mais -c'était le moindre nombre, et c'est tout au plus si les trois corps -d'armée, la cavalerie <span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> du duc de Padoue comprise, présentaient -en ligne 52 mille hommes, au lieu des 64 mille qu'ils comptaient à la -reprise des hostilités. Quant aux dispositions morales, ils n'avaient -plus cette aveugle confiance en eux-mêmes que les journées de Lutzen -et de Bautzen leur avaient inspirée, et que le premier échec essuyé -venait d'ébranler profondément. -<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions des chefs.</span> -Les chefs n'étaient pas satisfaits. Le -maréchal Oudinot, quoique ayant désiré d'être exonéré du commandement, -ne pouvait pas voir avec plaisir l'envoi du maréchal Ney, qui semblait -être une condamnation de sa conduite. Le général Reynier mécontent du -maréchal Oudinot, tout prêt à l'être du maréchal Ney, joignant à sa -propre humeur celle des Saxons qu'il commandait, ne pouvait pas être -un lieutenant animé de bien bonne volonté, quoique toujours disposé à -faire son devoir sur le champ de bataille. -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Ney ayant ordre de se rendre à Baruth, passe -ses corps en revue le 4 septembre, et annonce leur départ pour le 5.</span> -Le général Bertrand enfin, -invariablement dévoué au service de l'Empereur, était celui duquel le -maréchal Ney avait le moins à craindre, bien qu'il eût espéré une -position plus indépendante que celle qui lui était échue. Du reste, le -maréchal Ney, n'ayant presque jamais exercé le commandement en chef, -quoique ayant eu sous ses ordres directs de nombreux rassemblements de -troupes, ne regardant guère à ses instruments et tout pressé de les -employer, passa ses corps en revue le 4, et leur annonça qu'on -partirait le lendemain 5. Ayant rendez-vous à Baruth, il devait se -porter de Wittenberg à Juterbock, et pour cela se glisser en quelque -sorte de gauche à droite, afin de se dérober à l'armée ennemie qui -était tout entière devant Wittenberg, <span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> pourvue d'une immense -cavalerie et ayant ainsi des yeux partout.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Adroite manœuvre de Ney, qui défile avec son centre et -sa gauche derrière sa droite immobile, pour se porter de Wittenberg à -Zahne.</span> -L'armée française était rangée en demi-cercle devant Wittenberg, le -7<sup>e</sup> corps (celui du général Reynier) à gauche, le 12<sup>e</sup> (celui du -maréchal Oudinot) au centre, le 4<sup>e</sup> (celui du général Bertrand) à -droite. On était tellement serré par l'armée du Nord que les -avant-postes étaient sans cesse aux prises. Le maréchal Ney agissant -ici avec beaucoup d'adresse, laissa sa droite formée par le 4<sup>e</sup> corps, -en présence de l'ennemi toute la matinée du 5, et commença le -mouvement projeté par son centre composé du 12<sup>e</sup> corps. Il le porta -dans la direction de Zahne en passant derrière sa droite, et vint -enlever Zahne au corps prussien de Tauenzien. Il y avait une petite -rivière à franchir au bourg même de Zahne; on la força malgré quelque -résistance, et on déboucha au delà. Le 7<sup>e</sup> qui formait la gauche -suivit le 12<sup>e</sup>, dont il appuya les efforts sur Zahne, et quand ils -eurent défilé tous deux, le 4<sup>e</sup>, ayant suffisamment occupé l'ennemi, -leva son camp à son tour, et se réunit au reste de l'armée, qui en un -jour se trouva ainsi rendue à Seyda, à cinq lieues sur la droite de -Wittenberg. -<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité où était Ney pour se porter à Baruth d'exécuter -un mouvement de flanc continuel avec 50 mille hommes contre 80 mille.</span> -Ce mouvement, lestement et bravement exécuté, nous avait -coûté un millier d'hommes, mais en avait coûté le double aux -Prussiens. Toutefois il s'agissait de savoir, si précédés, côtoyés, -suivis par une innombrable cavalerie, observés dans tous nos -mouvements, il nous serait possible de continuer cette marche de flanc -sans être assaillis par l'ennemi, et frappés dans le flanc même que -nous lui présentions inévitablement.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Ney se décide sans faire d'objections à exécuter -immédiatement les ordres de Napoléon.</span> -Si Napoléon avait formé des généraux en chef au lieu de former -d'admirables lieutenants, seule espèce d'élèves qui pussent sortir de -son école puisqu'il ne leur permettait jamais d'être autre chose, il -n'aurait pas été exposé à voir ses ordres interprétés comme ils le -furent en cette occasion. Bien qu'il eût prescrit au maréchal Ney de -se porter à Baruth, ce qui impliquait absolument la nécessité d'un -mouvement de flanc en présence de l'ennemi, le maréchal, moins soumis, -eût plutôt différé l'exécution de ces ordres que de s'exposer aux -chances d'une bataille générale, livrée dans une position fausse et -contre des forces infiniment supérieures. Mais le maréchal Ney, -habitué à ne pas même examiner la valeur des ordres de Napoléon, ne -songeant qu'à s'y conformer ponctuellement et habilement, rendu plus -confiant encore par son heureuse opération du 5, continua son -mouvement de gauche à droite sans aucune hésitation.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche sur Juterbock.</span> -Le 6 il fallait percer sur Juterbock, après quoi on n'avait plus -qu'une marche à exécuter pour être à Baruth. -<span class="sidenote" title="En marge">Circonstances fâcheuses qui viennent aggraver la situation -dans la journée du 6.</span> -Le maréchal Ney décida -que le général Bertrand, qui continuait à former avec le 4<sup>e</sup> corps la -droite de l'armée, et qui avait été le moins engagé la veille, -partirait le premier vers huit heures du matin pour se diriger sur -Juterbock, que le général Reynier suivrait avec le 7<sup>e</sup>, le maréchal -Oudinot avec le 12<sup>e</sup>. L'ennemi étant si averti et si rapproché, il eût -été à propos de marcher en masse, parfaitement serrés les uns aux -autres, surtout en opérant un mouvement de flanc et de jour avec -cinquante mille hommes contre quatre-vingt mille. Mais les trois -<span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> corps étaient à une distance de deux heures les uns des -autres, et par surcroît de malheur ils cheminaient dans une plaine -sablonneuse, et par un vent qui soulevait des nuages d'une poussière -épaisse, tout à fait impénétrable à la vue.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Possibilité d'échapper à l'ennemi, en arrivant à Dennewitz -avant lui.</span> -De huit heures à midi, on s'avança toujours harcelés en flanc par une -nombreuse cavalerie que la nôtre avait la plus grande peine à -contenir. Que Bernadotte fût instruit de notre projet, qu'il se fût -ébranlé en masse pour nous barrer le chemin de Juterbock, il n'était -pas possible d'en douter d'après la direction qu'il avait prise et -d'après le nombre de ses cavaliers. Mais si on parvenait au défilé de -Dennewitz qu'il fallait absolument franchir avant que l'ennemi y fût -en masse, on pouvait très-bien forcer le passage et arriver les -premiers à Juterbock. Alors toute l'armée française était hors de -péril, et le prince de Suède était réduit à la suivre en queue, sans -espérance de l'atteindre.</p> - -<p>Vers midi on fut tout à coup assailli par la mitraille, partie du -milieu d'un nuage de poussière. On était sans le savoir en présence du -corps de Tauenzien, que la veille on avait poussé devant soi, qu'on -avait devant soi encore, et on touchait au défilé de Dennewitz, seul -obstacle un peu difficile à surmonter dans le parcours de cette vaste -plaine. Voici en quoi ce défilé consistait.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille de Dennewitz.</span> -Transversalement devant nous coulait un ruisseau peu profond, mais -très-marécageux, allant de Niedergörsdorf à Juterbock, et qu'on ne -pouvait franchir qu'à deux endroits, à Dennewitz et à Rohrbeck. Ce -ruisseau, après avoir coulé de notre gauche à notre <span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> droite, -parvenu à Rohrbeck se détournait pour percer droit devant nous jusqu'à -Juterbock, petite ville devant laquelle il coulait en décrivant divers -contours. La grande route dont nous avions indispensablement besoin -pour nos parcs dans cet océan de sable, traversant Dennewitz, il -fallait forcer le passage à Dennewitz même. Le général Bertrand attiré -par la mitraille accourut, et le nuage de poussière s'étant un moment -dissipé, il reconnut les Prussiens. Il sentit qu'il fallait les -culbuter, et passer malgré eux ce défilé de Dennewitz. Le maréchal Ney -accouru à son tour, vit bien qu'il n'y avait pas autre chose à faire, -et il en donna l'ordre immédiatement.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Les trois corps ne marchant pas assez près les uns des -autres, le 4<sup>e</sup> arrive le premier.</span> -La division italienne Fontanelli marchait en tête. Son général suivi -de quelques bataillons entra dans Dennewitz en passant sur le corps -d'un détachement prussien, et franchit ainsi le ruisseau. -<span class="sidenote" title="En marge">Position prise par le 4<sup>e</sup> corps au delà du ruisseau de -Dennewitz.</span> -Mais ce -n'était pas dans le village même de Dennewitz, c'était au delà, dans -d'assez belles positions s'étendant en face de notre gauche, que -l'ennemi avait résolu de résister, en nous opposant ce qu'il avait de -forces actuellement réunies. Heureusement il n'y avait de présent sur -les lieux que le corps de Tauenzien; celui de Bulow s'avançait en -toute hâte, les Suédois et les Russes faisaient aussi grande -diligence, mais ils étaient plus loin encore. Si de leur côté tous les -corps français précipitaient leur marche, il se pouvait qu'ils -arrivassent à temps pour traverser le défilé en écrasant Tauenzien, -peut-être Bulow lui-même.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Long combat soutenu en avant de Dennewitz par les divisions -Morand et Fontanelli.</span> -À peine la division italienne avait-elle dépassé <span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> le village -de Dennewitz, que des milliers de cavaliers avec beaucoup d'artillerie -fondirent sur elle. Mais elle ne se laissa point ébranler. À la sortie -de Dennewitz nous étions dans une plaine bordée à l'horizon par des -bois, et terminée à gauche par quelques mamelons surmontés d'un -moulin. À droite, dans le lointain, on apercevait Juterbock. Ney, -toujours fort habile sur le terrain, dirigea lui-même toutes les -dispositions. À gauche il plaça près du moulin de Dennewitz la belle -division Morand, dont le général Morand doublait la valeur par sa -présence, au centre la division italienne, à droite dans la direction -de Juterbock la division wurtembergeoise. Notre artillerie bien postée -sur les parties saillantes du terrain, contint celle de Tauenzien, et -réussit même à la faire taire. Alors la cavalerie ennemie -très-nombreuse se jeta sur la nôtre, qui rendit la charge, mais fut -culbutée. Quelques-uns même de nos escadrons vivement poursuivis, se -précipitèrent à travers les intervalles des bataillons italiens, qui -n'osèrent tirer de peur de tirer sur les nôtres. Deux de ces -bataillons se privant ainsi de leurs feux furent renversés par la -cavalerie ennemie, ce qui amena quelque désordre dans notre ligne. -<span class="sidenote" title="En marge">Belle conduite du général Morand.</span> -À ce spectacle, le général Morand prit deux bataillons du 13<sup>e</sup>, se porta -en avant à gauche, et couvrant notre ligne ébranlée lui donna le temps -de se remettre. Toute la cavalerie prussienne et russe fondit sur lui, -mais il la reçut en carrés, et rendit impuissants tous ses efforts. -Cependant il aurait fallu que nos corps arrivassent, car ceux de -l'ennemi approchaient, et déjà du village de Niedergörsdorf, <span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span> -situé au-dessus de Dennewitz, on voyait déboucher le corps de Bulow, -fort de vingt-cinq mille Prussiens très-animés. -<span class="sidenote" title="En marge">La plus grande partie de l'armée prussienne réunie contre -le 4<sup>e</sup> corps, tandis que le 7<sup>e</sup> et le 12<sup>e</sup> sont encore en marche.</span> -Le général Bulow, -comme à Gross-Beeren, devançant les ordres de Bernadotte, avait marché -en toute hâte, et ses têtes de colonnes apparaissaient vers notre -gauche, tandis que sur nos derrières on n'apercevait encore ni Reynier -ni Oudinot. Bientôt les colonnes de Bulow débouchant de -Niedergörsdorf, rencontrèrent les deux bataillons du 13<sup>e</sup>, que Morand -avait postés sur une éminence à gauche pour servir d'appui à notre -ligne de bataille. Ces deux bataillons tinrent ferme, mais accablés -par le nombre, ils furent forcés de céder le terrain sur lequel ils -étaient établis. Notre artillerie de 12 placée un peu en arrière et -au-dessus, les protégea en accablant les Prussiens de mitraille. Ney, -de général en chef devenu général de division, prit deux bataillons du -8<sup>e</sup>, appartenant également à la division Morand, les porta en avant, -et reconquit le terrain qu'avaient cédé malgré eux les deux bataillons -du 13<sup>e</sup>. En même temps il dépêcha officiers sur officiers à Reynier et -à Oudinot pour presser leur arrivée. Le corps entier de Bulow se -déploya, mais la division Morand successivement engagée tint tête à -toutes les forces de l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps se maintient vaillamment dans la position -qu'il a prise.</span> -Pressée par des flots de cavalerie, -elle les reçut en carrés, et se fit autour d'elle un rempart de -cavaliers ennemis, tués ou démontés. Le combat se soutint ainsi avec -quinze mille hommes contre près de quarante.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes de la lente arrivée des 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps.</span> -Commencée à midi, il y avait trois heures que cette lutte inégale -durait avec des chances variées, <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> sans qu'on pût nous faire -abandonner le débouché conquis au delà du ruisseau de Dennewitz. -Cependant on apercevait distinctement l'armée russe et suédoise -s'avançant à marches forcées sur le village de Gölsdorf situé à notre -gauche, en deçà du ruisseau que nous avions franchi, et faisant avec -ce ruisseau un angle droit. Bulow y avait déjà un détachement, et si -le progrès de l'ennemi continuait, la communication pouvait être -coupée entre nos troupes engagées, et celles qui étaient encore en -route. Reynier et Oudinot que Ney avait eu le tort de laisser à une -trop grande distance de Bertrand, entendant le canon, mais l'ayant -entendu de même la veille, et enveloppés par un nuage de poussière qui -leur dérobait la vue des objets, ne s'étaient pas crus obligés de -doubler le pas. Avertis enfin, ils s'étaient hâtés davantage, et le -7<sup>e</sup> devançant le 12<sup>e</sup>, était venu diminuer l'inégalité de forces sous -laquelle le 4<sup>e</sup> corps avait failli succomber.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 7<sup>e</sup>, arrivé en ligne, se place en potence sur la gauche -du 4<sup>e</sup>.</span> -D'après l'ordre de Ney, qui lui avait enjoint de se former en potence -sur notre gauche pour contenir Bulow, et faire face aux Suédois et aux -Russes qui s'approchaient, Reynier retardé un moment par les bagages -du 4<sup>e</sup> corps, poussa en avant la division française sur laquelle il -comptait le plus, celle de Durutte, et l'établit en arrière de -Dennewitz, en deçà du ruisseau. Cette division placée là sur une -légère éminence pouvait faire un grand usage de son artillerie, et -elle n'y manqua point. Reynier dirigea la division saxonne Lecoc sur -Gölsdorf, et tint en réserve sa seconde division saxonne, celle de -Lestoc. À peine ces dispositions étaient-elles exécutées, <span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span> -que le général Durutte, se portant au sommet de l'angle décrit par -notre ligne, arrêta court les Prussiens qui débouchaient de -Niedergörsdorf. De son côté la brigade Mellentin de la division -saxonne Lestoc, pénétra dans Gölsdorf, en chassa les Prussiens, et -empêcha ainsi l'ennemi de s'établir sur notre gauche. Le combat se -soutint de la sorte avec acharnement au milieu de nuages de poussière -qui ne laissaient voir autre chose que les troupes qu'on avait -immédiatement devant soi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du 12<sup>e</sup> corps.</span> -Enfin Oudinot arriva, passa derrière les corps qui l'avaient précédé, -et apercevant l'orage qui nous menaçait à gauche, car de ce côté -quarante mille Suédois et Russes marchaient sur Gölsdorf, plaça deux -de ses divisions derrière les Saxons de Lestoc, et garda la troisième -en réserve. -<span class="sidenote" title="En marge">Il se place derrière le 7<sup>e</sup> pour soutenir notre gauche qui -est menacée par 40 mille Russes et Suédois.</span> -Grâce à ce renfort, et sauf accident, il était possible -encore que les 50 mille soldats de Ney tinssent tête aux 80 mille -ennemis qu'ils avaient sur les bras, et qu'ils parvinssent à gagner -Juterbock sans échec.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps, affaibli par une longue lutte, est obligé de -céder du terrain.</span> -Mais en ce moment un effort combiné de Tauenzien et d'une moitié de -Bulow sur le corps de Bertrand affaibli par une longue lutte, obligea -celui-ci à se replier, et vers quatre heures, ayant déjà perdu plus de -trois mille hommes, il céda du terrain, non en repassant le ruisseau -de Dennewitz, mais en appuyant un peu à droite vers Rohrbeck, et en -restant toujours en avant de ce ruisseau. Ney, trop préoccupé de ce -qu'il avait sous les yeux, et ne songeant pas assez à l'ensemble de la -bataille, craignit que Dennewitz ne fût découvert par le mouvement de -Bertrand, et enjoignit à Reynier de placer la division <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span> -Durutte à Dennewitz même. -<span class="sidenote" title="En marge">Ney, pour le remplacer à Dennewitz, ordonne un mouvement de -gauche à droite, qui amène une sorte de confusion.</span> -Il ordonna en même temps à Oudinot de se -reporter de Gölsdorf, où il servait d'appui aux Saxons, à Rohrbeck, -pour former réserve derrière Bertrand. C'était une double faute, car -notre droite depuis que Bertrand s'était rapproché de Rohrbeck, était -moins en danger que notre gauche repliée en potence et menacée par -l'irruption de quarante mille ennemis. Le général Durutte, sur l'ordre -transmis par Reynier, quitta avec une de ses deux brigades la bonne -position où il était en arrière de Dennewitz, passa le ruisseau, et -s'empara du moulin de Dennewitz abandonné par Bertrand. Sa seconde -brigade réduite à elle seule ne fut plus suffisante pour garder le -sommet de notre angle. Au même instant Oudinot quitta le côté gauche -de cet angle, dont il formait l'appui indispensable, pour se porter -vers le côté droit. Alors la division prussienne Borstell, appuyée par -une nuée de cavalerie et toute l'artillerie russe et suédoise, attaqua -Gölsdorf et l'enleva à la brigade saxonne Mellentin. Oudinot essaya -bien avant de se retirer d'aider les Saxons à reprendre Gölsdorf, mais -obligé de continuer son mouvement il les livra bientôt à eux-mêmes. -<span class="sidenote" title="En marge">Les Saxons se débandent, et il s'ensuit une déroute -générale.</span> -Les Saxons qui par honneur s'étaient jusque-là bien comportés, mais -dans le cœur desquels la haine était toujours prête à faire taire -l'honneur, se croyant abandonnés des Français pour lesquels ils se -battaient, voyant devant eux s'avancer la masse des Suédois et des -Russes, commencèrent à reculer. De perfides alarmistes apercevant les -flots de poussière que les troupes d'Oudinot soulevaient dans leur -mouvement de Gölsdorf vers Rohrbeck, dirent <span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> que c'était la -cavalerie ennemie qui avait tourné l'armée française. À ce bruit les -Saxons se débandèrent malgré les efforts de Reynier, désertèrent -Gölsdorf, laissèrent notre gauche entièrement à découvert, et se -jetèrent confusément sur Oudinot à travers les rangs duquel ils -passèrent. Par malheur tous les parcs et bagages s'étaient accumulés -dans l'intérieur de l'angle formé par notre ligne de bataille. Une -affreuse confusion se produisit alors, et une véritable déroute -commença de toutes parts. Néanmoins la division Durutte, contrainte de -quitter Dennewitz, se retira avec ordre; Oudinot, sur lequel la gauche -s'était repliée confusément, ne s'ébranla point, et Bertrand put -repasser sain et sauf au village de Rohrbeck le ruisseau tant disputé. -Pourtant la bataille était perdue, car on avait cédé le terrain du -combat, la route de Juterbock était fermée, et dès lors le but était -manqué. Six à sept mille des nôtres jonchaient la plaine, et huit ou -neuf du côté de l'ennemi la couvraient également. Mais dix à douze -mille de nos soldats, surtout les Saxons et les Bavarois, s'enfuyant à -toutes jambes, s'en allaient dire sur l'Elbe que l'armée française -était en déroute, et même détruite. Le désordre, fort accru par la -fâcheuse circonstance d'une poussière épaisse, était tel, que -plusieurs bataillons saxons entendant galoper autour d'eux, et croyant -que c'était la cavalerie française, ne se mirent pas en défense, et ne -s'aperçurent de leur méprise que lorsqu'il n'était plus temps de se -former en carrés. -<span class="sidenote" title="En marge">Tristes résultats de la bataille de Dennewitz.</span> -Quelques-uns furent sabrés, le plus grand nombre -pris. Pour ceux-ci c'était la délivrance <span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> plutôt que la -captivité, et il faut se plaindre de leur fidélité plus que de leur -courage, car ils se battirent bien, jusqu'au moment où ils purent nous -quitter pour aller dans les rangs où les attiraient leurs affections. -Dans la soirée et le lendemain, il partit la moitié du corps saxon, et -au moins une portion égale de la division bavaroise. Les Saxons se -cachant dans les villages n'eurent pas de peine à regagner leur pays, -qui était près de là. Les Bavarois coururent vers l'Elbe pour -retourner dans leur patrie en maraudeurs. Il n'y avait plus moyen de -se replier sur Wittenberg qu'on avait laissé à sept ou huit lieues sur -la gauche dans la marche de l'armée vers Juterbock, et il n'y avait de -retraite possible que sur Torgau, qu'on devait rencontrer derrière soi -en revenant sur l'Elbe. Le maréchal Ney s'y retira donc en assez bon -ordre, mais après avoir perdu une vingtaine de bouches à feu dont les -chevaux avaient été tués, et plus de quinze mille hommes, dont la -moitié au moins se composait de déserteurs. Il était réduit à 32 mille -combattants environ. Les Italiens nous étaient restés fidèles suivant -leur coutume, et s'étaient bien battus. Les Wurtembergeois avaient -conservé leur excellente tenue militaire. Parmi les débandés on -comptait bien quelques jeunes soldats français, mais en petit nombre, -et ne s'éloignant guère de l'armée, qui dans ces pays lointains était -pour eux une véritable patrie.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Amères récriminations entre les chefs de l'armée.</span> -Le 8 septembre, le maréchal Ney se trouva réuni avec toutes ses -troupes sous le canon de Torgau. Comme il fallait s'y attendre, une -aigreur extrême régnait entre les divers états-majors. Ney se -plaignait <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> de la lenteur de Reynier et d'Oudinot, mais surtout -du faible concours de Reynier, dont les divisions saxonnes avaient -lâché pied. Reynier défendant les Saxons, accusait au contraire le -maréchal Ney d'avoir lui-même tout compromis par une fausse -manœuvre, celle qui avait porté les divisions d'Oudinot de gauche à -droite. Oudinot, le moins aigre des trois, disait qu'il avait marché -aussi vite qu'on le lui avait prescrit, et rejetait la faute de sa -lenteur sur le général en chef, qui n'ayant pas su prévoir la -bataille, n'avait pas dans cette journée tenu ses corps assez -rapprochés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Véritables causes de la perte de la bataille de Dennewitz.</span> -Ce qu'il y avait de vrai dans ces tristes récriminations, tout le -monde peut l'apercevoir par le seul récit des faits qui précèdent. Le -rendez-vous de Baruth assigné par Napoléon d'une manière générale, -pris trop à la lettre par le maréchal Ney qui s'était hâté d'exécuter -un mouvement de flanc hasardeux et infiniment prolongé; ce mouvement -bien exécuté le premier jour, moins bien le second, et sans les -précautions suffisantes; la lente arrivée des corps, imputable au -général en chef, mais un peu aussi aux lieutenants qui auraient dû de -leur côté prévoir une bataille, et y croire en entendant la canonnade; -la circonstance fâcheuse du vent et de la poussière qui plaçait entre -tous les corps un nuage impénétrable à la vue; l'ardeur de Ney au feu, -qui l'avait porté à s'absorber dans le commandement d'un seul corps au -lieu de s'occuper de l'ensemble; l'ordre regrettable donné à Oudinot -de quitter la gauche pour la droite, et enfin le penchant des alliés -à la débandade, telles avaient été les causes de la <span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> perte de -cette bataille, causes dont quelques-unes étaient sans doute -accidentelles, mais dont la plupart se rattachaient aux causes -générales que nous avons signalées tant de fois, et qui menaçaient nos -affaires d'une ruine prochaine.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ney, retiré à Torgau, adresse de vives instances à Napoléon -pour être exonéré du commandement.</span> -Arrivé à Torgau, Ney y trouva ce qu'il appelait une <em>sorte d'enfer</em>. -Outre le mécontentement des soldats et les récriminations des chefs -qu'il lui fallait subir, outre la cohue des fuyards qu'il lui fallait -faire rentrer dans l'ordre, outre la difficulté de pourvoir à tout ce -qui manquait, surtout à l'approche de l'ennemi déjà presque aux portes -de Torgau, Ney avait encore la crainte de voir les Saxons s'insurger. -Peu contenus par Reynier, qui dans sa mauvaise humeur se faisait trop -leur avocat, ils menaçaient tout haut de défection. On avait ordonné -de ramener du bétail sur la rive droite de l'Elbe pour former les -approvisionnements de la place de Torgau, et ceux de l'armée -elle-même. Les Saxons non-seulement s'y étaient refusés, mais -s'étaient emparés d'un parc qu'on venait de réunir, et avaient -distribué les têtes de bétail aux paysans saxons du voisinage. D'une -pareille désobéissance à une révolte ouverte il n'y avait pas loin. Du -reste il n'était pas surprenant que dans une armée composée d'éléments -si divers, deux batailles perdues en douze jours eussent produit cet -ébranlement moral: il aurait fallu s'étonner au contraire s'il en eût -été autrement. Ney, comme Macdonald, comme Oudinot, écrivit à -l'Empereur pour lui demander d'être exonéré du commandement.--J'aime -mieux, disait-il noblement, être grenadier que général dans de telles -conditions: je suis prêt à <span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> verser tout mon sang, mais je -désire que ce soit utilement<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a>.--Appuyé sur Torgau et sur l'Elbe, -Ney pouvait bien empêcher le passage du fleuve quelques jours, il ne -pouvait pas le disputer longtemps, du moins sans de nouveaux secours, -surtout contre la réunion de forces qu'il était facile de prévoir vers -cette partie de notre ligne de défense.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pendant les fâcheux événements qui se passaient entre -Wittenberg et Torgau, Napoléon revient le 8 septembre au matin à -Pirna.</span> -Pendant que ces événements avaient lieu, Napoléon rentré à Dresde le 7 -au soir, avait été rappelé dès le 8 au matin à Pirna, auprès du -maréchal Saint-Cyr, pour y tenir tête aux Russes et aux Prussiens qui -paraissaient insister dans leur attaque, au point de rendre -vraisemblable une entreprise sérieuse. <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> Napoléon aurait bien -voulu qu'il en fût ainsi, mais, hélas! il ne l'espérait guère. Son -grand tact militaire ne lui permettait pas de croire que lorsqu'il y -aurait une opération sérieuse elle pût être tentée sur Dresde, après -ce qui s'était passé les 26 et 27 août. Il ne croyait donc qu'à une -simple démonstration; toutefois il était parti pour Pirna avec sa -garde et une portion de la cavalerie de réserve revenues de Bautzen le -matin même, et s'était encore transporté auprès du maréchal Saint-Cyr, -pour combiner avec lui ce qu'il y aurait à faire en cette nouvelle -occurrence.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces réunies par Napoléon en avant de Pirna et de Dohna.</span> -Les Russes et les Prussiens n'ayant pas aperçu la garde et la réserve -de cavalerie qui signalaient toujours la présence de l'Empereur, -avaient persisté dans leur mouvement offensif, et Saint-Cyr, qui en -rétrogradant était arrivé jusqu'au bord de la petite rivière de la -Müglitz près de Mugeln, ne voulait pas la repasser. Cette rivière -coulant des montagnes de Bohême, vient se perdre près de Mugeln dans -l'Elbe. En la repassant on abandonnait définitivement les hauteurs, et -on était tout à fait rejeté dans la plaine. -<span class="sidenote" title="En marge">Projet d'une offensive vigoureuse si l'ennemi tient bon.</span> -Le maréchal Saint-Cyr dans -la vue d'un prochain retour offensif, avait voulu se maintenir au delà -de la Müglitz et en avait défendu le bord en restant à Dohna. Napoléon -s'étant rendu sur les lieux le 8 au matin, bien avant les renforts qui -le suivaient, avait pensé comme le maréchal Saint-Cyr, qu'avec la -certitude d'être prochainement appuyé le 14<sup>e</sup> corps pouvait, sans -laisser de réserve, marcher tout entier contre l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">On le pousse toute la journée du 8, sans savoir s'il -résistera sérieusement le lendemain.</span> -Sur-le-champ -en effet trois des divisions du 14<sup>e</sup> corps s'étaient formées en -<span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> colonnes d'attaque et avaient vigoureusement poussé de bas en -haut les troupes de Wittgenstein et de Kleist. On avait d'un côté sur -la route de Péterswalde recouvré le plateau de Gieshübel, et de -l'autre, sur la route de Furstenwalde, refoulé dans la direction de -Liebstadt les masses qu'on avait devant soi. Toutefois les coalisés -s'étaient repliés sans précipitation, et de manière à laisser du doute -sur l'attitude qu'ils prendraient le lendemain. Se retireraient-ils, -ou tiendraient-ils ferme? Telle était la question que Napoléon et le -maréchal Saint-Cyr n'étaient point en mesure de résoudre encore. Bien -décidés du reste à marcher vigoureusement sur l'ennemi s'il voulait -tenir le lendemain, ils passèrent la soirée ensemble, et firent avec -Murat et Berthier un repas, comme on les fait à la guerre et pour -ainsi dire au bivouac.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Sang-froid de Napoléon en apprenant la malheureuse bataille -de Dennewitz, et son indulgence pour le maréchal Ney.</span> -Dans ce moment, 8 au soir, un aide de camp apporta la nouvelle de la -bataille perdue à Dennewitz le 6. C'était le quatrième événement -malheureux depuis les deux grandes victoires de Dresde, car nous -comptions déjà la Katzbach, Gross-Beeren, Kulm, Dennewitz, sans un -seul succès pour compenser ces coups redoublés de la fortune. Ce -dernier surtout avait une immense gravité, car outre l'effet moral -croissant avec la série des malheurs, il mettait en péril la partie -inférieure de l'Elbe, et nous exposait à voir ce fleuve franchi sur -notre gauche, tandis que l'armée de Bohême descendant de l'Erz-Gebirge -sur notre droite, menacerait de nous tourner définitivement, et de se -joindre au corps qui aurait passé l'Elbe à Wittenberg. Napoléon -sentit sur-le-champ <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> la portée de cet événement. Néanmoins il -demeura calme, et même, aux yeux malicieusement observateurs du -maréchal Saint-Cyr, ne décela ni un trouble ni un sentiment d'humeur -contre le maréchal Ney. -<span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien avec le maréchal Saint-Cyr sur l'art de -la guerre.</span> -Certes un instant d'emportement eût été -excusable; pourtant dans cet épanchement familier de militaires -parlant entre eux de leur profession, il sembla n'envisager dans ce -qui venait d'arriver que le côté de l'art.--C'est un métier bien -difficile que le nôtre! s'écria-t-il plusieurs fois; et comme pénétré -des difficultés de ce grand art, le plus grand de tous après celui de -gouverner, il releva avec une admirable précision de critique, et sans -aucune sévérité, les fautes commises pendant cette courte campagne de -trois jours, commencée à Wittenberg, et sitôt finie à Torgau. Il ne -voulut jamais voir dans ces fautes que la preuve des difficultés -inhérentes au métier, répéta souvent que la guerre était une chose -singulièrement difficile, qu'il fallait beaucoup d'indulgence envers -ceux qui la pratiquaient, et se montra lui-même de la plus rare -équité, comme si un pressentiment surhumain l'avait averti dans le -moment, que lui-même aurait bientôt besoin de cette justice indulgente -qu'il réclamait pour les généraux malheureux. Entraîné par le feu de -la conversation, dans laquelle il était éblouissant quand il s'y -livrait, il dit que les généraux n'apportaient pas assez de réflexion -dans leurs opérations; que, s'il en avait jamais le temps, il -composerait un jour un livre, dans lequel il leur enseignerait les -principes de la guerre, de manière à en rendre l'application claire -et facile à tous, et parla de ce projet d'écrire un <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> jour, -comme s'il avait prévu qu'il passerait les six dernières années de sa -vie dans un cruel exil, réduit à écrire sur un rocher de l'Océan! Le -maréchal Saint-Cyr, que son penchant pour la contradiction rendait -souvent paradoxal, nia la science, même l'expérience, soutint qu'on -naissait général et qu'on ne le devenait pas, que les généraux -gagnaient peu à vieillir dans l'exercice de leur profession, et que -lui Napoléon avait fait sa plus belle campagne à vingt-six ans. -Napoléon lui concéda en effet que lorsque les généraux n'étaient pas -doués par la nature de certaines facultés, l'expérience leur profitait -peu; et plongeant dans le passé, Il n'y en a eu qu'un, s'écria-t-il, -qui méditant sans cesse sur son métier, ait gagné à vieillir, c'est -Turenne!...--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Prodigieuse faculté de se distraire dont Napoléon était -doué.</span> -Ainsi après une nouvelle terrible, qui changeait considérablement sa -position, Napoléon passa la soirée à disserter sur son art, et à -charmer ses auditeurs, qui n'étaient pourtant pas tous bienveillants! -Homme singulier et prodigieux, qui sans être né flegmatique, arrivait -par la puissance de son esprit à s'arracher aux affaires présentes, à -les oublier, à les dédaigner, à les juger de la hauteur de l'aigle, -qui d'un vol vigoureux échappe à la terre pour planer dans les -hauteurs du ciel!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Premier sentiment de la gravité de la situation.</span> -Cependant il ne se faisait pas illusion, et songeant que dans son -vaste empire tout avait été prévu pour la conquête, rien pour la -défense, il voulut faire parvenir au ministre de la guerre l'ordre -indirect de s'occuper des places du Rhin. Écrire lui-même au duc de -Feltre qu'il commençait à douter de la possibilité de se maintenir en -Allemagne, était un aveu <span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> pénible, et surtout dangereux à -faire, car l'émotion de celui qui recevrait une telle confidence -pourrait bien en amener la divulgation. Il imagina donc le soir même -de faire adresser par M. de Bassano au ministre Clarke, une lettre -écrite en chiffres, et conçue dans les termes suivants:</p> - -<p class="date"><span class="sidenote" title="En marge">Ordre secret et indirect au ministre de la guerre, pour la -mise en état de défense des places du Rhin.</span> -«8 septembre 1813.</p> - -<p>»Les événements se pressent de telle manière qu'en laissant à S. M. -des chances heureuses et brillantes, il est cependant de la prudence -d'en prévoir de contraires. Je crois devoir, mon cher duc, m'en -expliquer confidentiellement avec vous.</p> - -<p>»L'armée russe n'est pas notre ennemi le plus dangereux. Elle a -éprouvé de grandes pertes, elle ne s'est pas renforcée, et, à sa -cavalerie près, qui est assez nombreuse, elle ne joue qu'un rôle -subordonné dans la lutte qui est engagée. Mais la Prusse a fait de -grands efforts. Une exaltation portée à un très-haut degré a favorisé -le parti qu'a pris le souverain. Ses armées sont considérables, ses -généraux, ses officiers et ses soldats sont très-animés. Toutefois la -Russie et la Prusse n'auraient offert que de faibles obstacles à nos -armées, mais l'accession de l'Autriche a extrêmement compliqué la -question.</p> - -<p>»Notre armée, quelque prix que lui aient coûté les victoires -remportées, est encore belle et nombreuse. Mais les généraux et les -officiers fatigués de la guerre n'ont plus ce mouvement qui leur -avait fait faire de grandes choses. Le théâtre est <span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> trop -étendu. L'Empereur est vainqueur toutes les fois qu'il est présent; -mais il ne peut être partout, et les chefs qui commandent isolément -répondent rarement à son attente. Vous savez ce qui est arrivé au -général Vandamme. Le duc de Tarente a éprouvé des échecs en Silésie, -et le prince de la Moskowa vient d'être battu en marchant sur Berlin.</p> - -<p>»Dans de telles circonstances, mon cher duc, et avec le génie de -l'Empereur on peut encore tout espérer. Mais il se peut aussi que des -chances contraires influent d'une manière fâcheuse sur les affaires. -On ne doit pas trop le craindre, mais on doit le regarder comme -possible, et ne rien négliger de ce que commande la prudence.</p> - -<p>»Je vous présente ce tableau afin que vous sachiez tout et que vous -agissiez en conséquence.</p> - -<p>»Vous feriez sagement de veiller à ce que les places fussent mises en -bon état, et d'y réunir beaucoup d'artillerie, car nous faisons -souvent dans ce genre des pertes assez sensibles. Vous devriez vous -entendre secrètement avec le directeur général des vivres pour faire -dans les places du Rhin des approvisionnements extraordinaires, enfin -pour préparer d'avance tout ce qui convient, afin que dans une -circonstance extraordinaire S. M. n'éprouvât point de nouveaux -embarras, et que vous ne fussiez pas pris au dépourvu.--Vous sentez -que si je vous écris ainsi, c'est que j'ai bien réfléchi à ce qui se -passe sous mes yeux, et que je suis assuré que je ne fais rien en cela -que S. M. puisse désapprouver. Un grand succès peut tout changer et -remettre les affaires dans la situation <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> prospère où l'immense -avantage remporté par S. M. les avait placées.</p> - -<p>»Accusez-moi, s'il vous plaît, réception de cette lettre.»</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Matinée du 9 septembre en face du Geyersberg.</span> -Le lendemain 9 Napoléon se rendit de très-bonne heure sur le terrain -pour observer de ses yeux les mouvements de l'ennemi, et prescrire ses -dispositions en conséquence. -<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces de Napoléon.</span> -Il avait sous la main le 1<sup>er</sup> corps, -récemment réorganisé par le comte de Lobau, et posté en avant de -Zehist sur la route de Péterswalde, le 14<sup>e</sup> sous le maréchal Saint-Cyr -rangé en avant de Dohna, sur la route de Furstenwalde. Il avait un peu -en arrière à Mugeln, mais en position d'agir, trois divisions de la -jeune garde sous le maréchal Mortier, et la cavalerie légère de la -garde sous Lefebvre-Desnoëttes. Le reste de la jeune garde, la vieille -garde, le corps de Marmont, la cavalerie de Latour-Maubourg, étaient à -Dresde, pour parer aux accidents imprévus. Assez loin vers la droite, -à quelques lieues sur la route de Freyberg, le maréchal Victor avec -son corps d'armée surveillait les débouchés de la Bohême aboutissant à -Leipzig. Le 1<sup>er</sup> et le 14<sup>e</sup> corps, les trois divisions de la jeune -garde, pouvaient monter à environ 55 mille hommes, force suffisante -pour accabler l'ennemi qu'on apercevait, surtout si on avait su que -les Autrichiens venaient de commettre la faute de rétrograder en -Bohême jusqu'à Tetschen et Leitmeritz, et qu'on n'avait devant soi que -Wittgenstein et Kleist. Mais il était impossible de le savoir d'une -manière sûre, et on en était réduit en ne voyant pas les Autrichiens, -à se demander où ils pouvaient être. Au surplus Kleist <span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> et -Wittgenstein faisaient bonne contenance, et ne paraissaient pas encore -disposés à battre en retraite.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Projet de déborder l'ennemi, imaginé par le maréchal -Saint-Cyr, et adopté par Napoléon.</span> -On était donc à Zehist et à Dohna sur deux routes à la fois, d'un côté -celle de Péterswalde qui passait par Zehist, Gieshübel, Péterswalde, -chaussée neuve, large, partout facile pour l'artillerie, et de l'autre -celle de Liebstadt, passant par Furstenwalde, chaussée vieille, -praticable à l'artillerie jusqu'à Furstenwalde seulement, et à partir -de ce point franchissant la haute montagne du Geyersberg par des -sentiers inaccessibles aux gros charrois. C'est cette dernière route -que Kleist dans la fatale journée de Kulm avait suivie jusqu'à -Furstenwalde, puis avait quittée pour gagner par un détour à gauche la -chaussée de Péterswalde, et tomber sur Kulm à l'improviste. Le -maréchal Saint-Cyr qui entendait aussi bien que personne l'art de -profiter du terrain, proposa de prendre la vieille route de Bohême, en -se portant rapidement avec le 14<sup>e</sup> corps et la jeune garde sur -Liebstadt et Furstenwalde, de se jeter ensuite dans le flanc de la -colonne ennemie qui avait pris la route de Péterswalde, de couper -ainsi une portion plus ou moins forte de cette colonne, et même -parvenu à Furstenwalde, de franchir le Geyersberg, et d'intercepter la -retraite de l'ennemi vers la Bohême. Avec des efforts, avec beaucoup -de sapeurs, on finirait bien, selon lui, par frayer un chemin à -l'artillerie, et par arriver sur le revers du Geyersberg, c'est-à-dire -sur les derrières de l'ennemi, avec une quantité suffisante de canons.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche le 9 sur Furstenwalde.</span> -Napoléon approuva sur-le-champ ce plan ingénieux, bien qu'il ne sût -pas si on pourrait passer le <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> Geyersberg avec de l'artillerie; -mais en tous cas, on avait toujours plus de chances de causer du mal à -l'ennemi en le côtoyant, qu'en l'abordant directement sur la grande -route de Péterswalde. En conséquence, tandis que le comte de Lobau -avec le 1<sup>er</sup> corps s'avançait de Zehist sur Gieshübel, de Gieshübel -sur Péterswalde, poussant l'ennemi de front, Napoléon se tenant de sa -personne auprès de la colonne de Saint-Cyr, s'avança latéralement, et -d'un pas assez rapide, avec le 14<sup>e</sup> corps et la jeune garde. On marcha -ainsi toute la journée du 9.</p> - -<p>Kleist et Wittgenstein, sans avoir aperçu les renforts amenés par -Napoléon, avaient reconnu sa présence à la seule allure des troupes, -et s'étaient aussitôt mis en retraite. Toutefois ils se repliaient -sans précipitation, et Napoléon cheminant parallèlement à eux, sur la -vieille route de Bohême, les voyait toujours de flanc, et quoiqu'il -n'eût pas assez d'avance pour les couper en se jetant d'une route sur -l'autre, se flattait de les prendre à revers le lendemain, s'il -pouvait, arrivé au pied des montagnes, les franchir avec son -artillerie. On bivouaqua le 9 au soir à Furstenwalde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Tentative, le 10 au matin, pour passer le Geyersberg avec -de l'artillerie, et couper la retraite à l'ennemi.</span> -Le lendemain matin 10 septembre on se porta par Ebersdorf vers un col -d'où l'on découvrait le triste théâtre des événements de Kulm. À -droite on avait les hauteurs du Geyersberg, à gauche celles du -Nollenberg, le long desquelles se développait la grande route de -Péterswalde pour descendre en Bohême. Napoléon franchit ce col -accompagné du maréchal Saint-Cyr et de ses troupes légères, et vit à -une certaine distance sur sa gauche les troupes ennemies <span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> se -hâtant de repasser les montagnes, et menacées d'en être empêchées si -on parvenait à traverser le col avec des moyens d'artillerie -suffisants. Alors en prenant une bonne position sur l'une des hauteurs -qui dominaient la route, on pouvait réduire l'ennemi à faire par des -sentiers presque impraticables une retraite désastreuse, et se -procurer une brillante revanche de Kulm.</p> - -<p>L'artillerie pleine d'ardeur s'engagea bravement au milieu des -rochers. Soldats et sapeurs se mirent à l'ouvrage, mais ne purent -hisser leurs canons jusqu'à la hauteur du col, et l'artillerie se vit -ainsi arrêtée par des obstacles insurmontables. -<span class="sidenote" title="En marge">Inutilité de cette tentative.</span> -Il lui aurait fallu -vingt-quatre heures pour les vaincre, et dans cet intervalle l'ennemi -devait avoir défilé tout entier. En ne franchissant le Geyersberg que -le lendemain, ou en allant par un détour à gauche regagner la route de -Péterswalde, on aurait pu, il est vrai, serrer les Prussiens et les -Russes d'assez près pour les atteindre, et les assaillir hardiment si -on avait su qu'ils étaient séparés des Autrichiens. Mais ce parti -présentait bien des chances auxquelles la prudence ne permettait pas -de s'exposer. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, par de fortes raisons ignorées du maréchal -Saint-Cyr, se décide à rentrer dans Dresde, sans autre résultat que -d'avoir éloigné l'ennemi.</span> -En effet, l'absence des Autrichiens n'était qu'une -conjecture; on ne les avait pas vus de ce côté-ci des montagnes, mais -ils pouvaient être de l'autre, et ce n'était pas avec 55 mille hommes -qu'il eût été sage d'en aborder 130 mille. Même sans les Autrichiens, -Kleist et Wittgenstein devaient avoir près de 70 mille hommes, en -comptant les gardes russe et prussienne restées au delà des montagnes, -et quoique avec 55 mille hommes bien postés, on pût leur causer -beaucoup <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> de dommage, descendre dans la plaine à leur suite -n'était pas très-prudent, surtout quand on était rappelé vers Dresde -par plusieurs raisons graves, telles que la bataille perdue de -Dennewitz, une nouvelle agression de Blucher contre Macdonald, et -enfin l'apparition de nombreux partisans sur toutes les routes -aboutissant de la Bohême à la Saxe. Dès qu'il était impossible de -franchir le Geyersberg dans deux heures pour couper la grande route, -il n'y avait plus rien d'utile à tenter, et Napoléon qui, saisissant -d'un coup d'œil tous les aspects d'une situation, ne perdait pas de -temps à se résoudre, prit sur-le-champ le parti de s'arrêter. -Toutefois comme il était importuné de la nouvelle fréquemment répétée -de l'irruption des partisans en Saxe, il voulut que ses troupes -restassent en position, le maréchal Saint-Cyr au Geyersberg, le comte -de Lobau au Nollenberg, l'un et l'autre au débouché des montagnes. Il -avait l'intention, si ces partisans n'étaient que les avant-coureurs -de corps plus considérables commençant sur Leipzig une opération qu'il -avait toujours crue probable, de les retenir quelques jours en les -intimidant par sa présence au-dessus de Kulm, ce qui lui donnait le -temps de faire des dispositions proportionnées à ce nouveau danger.</p> - -<p>En conséquence, sur ce terrain hérissé de rochers, où les sapeurs et -les soldats s'épuisaient en inutiles efforts pour faire passer -l'artillerie, Napoléon prit à part le maréchal Saint-Cyr, et lui -déclara qu'il renonçait à cette tentative, sans lui exprimer tous ses -motifs, trop nombreux pour être détaillés, et d'ailleurs pas tous -bons à dire. Il lui ordonna de se tenir <span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> deux jours au moins -dans une position menaçante au-dessus de Tœplitz, puis il quitta le -maréchal, qui fut fort étonné et fort mécontent de voir abandonner un -projet dont il était épris, et dont il espérait de grands -résultats<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>. Napoléon alla par Breitenau à Hollendorf, donner les -mêmes instructions au comte de Lobau, lui prescrire par conséquent de -garder une attitude menaçante au débouché des montagnes, puis revint -coucher à Breitenau. -<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span> -Il consacra la journée du 11 à revoir toutes les -positions de cette contrée, tant sur le plateau de Pirna que sur celui -de Gieshübel, et rentra le 12 à Dresde.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Réflexions auxquelles il se livre sur la gravité de sa -situation.</span> -Napoléon revenu à Dresde avait de quoi réfléchir à sa situation, qui -était grave en effet, et commençait même à devenir inquiétante. -<span class="sidenote" title="En marge">Évidence du plan des coalisés, consistant à épuiser -Napoléon, pour l'envelopper ensuite et l'accabler.</span> -Ce plan adopté à Trachenberg de marcher tous ensemble sur lui, en se -dérobant dès qu'il était présent, et en avançant résolûment dès qu'on -ne trouvait que ses lieutenants, de l'épuiser ainsi en courses -inutiles, et <span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> puis quand on l'aurait suffisamment affaibli, -d'essayer de l'envelopper pour l'étouffer, ce plan, qui exigeait une -condition parfaitement remplie ici, l'ensemble et la persévérance des -efforts, la résignation aux pertes quelles qu'elles fussent, ce plan -n'était que trop évident, et suivi avec une constance funeste. -Napoléon le discernait à merveille, et sans être découragé, il voyait -clairement se former autour de lui le cercle de fer dans lequel on -cherchait à l'enfermer. Quatre batailles avaient été perdues là où il -n'était point, par les fautes que nous avons signalées, fautes -remontant accidentellement à ses lieutenants, fondamentalement à lui. -Ces batailles de la Katzbach, de Gross-Beeren, de Kulm, de Dennewitz, -avaient dépassé en importance la victoire de Dresde; Napoléon quand il -avait voulu y remédier, avait inutilement couru ces jours derniers sur -Gorlitz, aujourd'hui sur Péterswalde, et il avait vu s'échapper sans -cesse l'occasion d'une <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> grande bataille par laquelle il -espérait tout réparer. -<span class="sidenote" title="En marge">Succès de ce plan, dû surtout à l'étendue que Napoléon -avait donnée au rayon de ses opérations.</span> -Cette situation révélait le seul défaut de son -plan de guerre concentrique autour de Dresde, celui d'en avoir trop -étendu le rayon, de l'avoir porté à gauche jusqu'à Berlin, en face -jusqu'à Lowenberg, tandis qu'à droite il était forcé de le pousser -jusqu'à Péterswalde, ce qui faisait qu'il était trop éloigné de ses -lieutenants pour les diriger et les soutenir, et que les courses qu'il -était alternativement obligé d'exécuter lui enlevaient à lui son -temps, à ses soldats si jeunes la force et le courage. Ce défaut -Napoléon le sentait maintenant, et contraint par l'évidence, surtout -par le fâcheux état de ses troupes, il forma le projet de rapprocher -de lui ses lieutenants. C'est dans ces intentions qu'il s'en revint à -Dresde, et c'est d'après elles que ses nouveaux ordres furent calculés -et donnés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Réduction déjà considérable de ses forces, et augmentation -de celles de ses ennemis.</span> -Napoléon à la reprise des hostilités avait environ 360 mille hommes de -troupes actives sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, sans compter ni les -garnisons de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ni le corps d'Augereau -destiné à la Bavière, ni le corps du prince Eugène consacré à -l'Italie. Il ne lui en restait guère plus de 250 mille à la suite des -événements que nous venons de raconter. Au lieu de 80 mille hommes, -Macdonald avec les 11<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps, en avait tout au plus 50, -et avec Poniatowski 60. Au lieu de 70 mille, le corps d'Oudinot -transmis à Ney n'en conservait pas plus de 32 mille. La cavalerie -avait déjà perdu beaucoup de cavaliers et de chevaux dans ses allées -et venues continuelles. Les corps demeurés autour de Dresde avaient -fait aussi des pertes, <span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> moins considérables, il est vrai, -parce que la débandade, résultat le plus sérieux des défaites, ne les -avait pas atteints; pourtant ils en avaient fait d'assez notables, et -le total de nos troupes, comme on vient de le voir, le corps de Davout -compris, ne dépassait pas 250 mille hommes, lesquels représentaient -nos forces disponibles de Dresde à Hambourg. C'était donc une perte de -plus de 100 mille hommes, due au feu, aux fatigues, à la désertion des -rangs, désertion très-grande chez nos alliés, bien moindre chez les -Français, et d'une autre nature, mais réelle cependant. -<span class="sidenote" title="En marge">Disposition à la désertion commençant à se manifester parmi -ses troupes.</span> -Les alliés, ou -passaient à l'ennemi, ou s'enfuyaient chez eux en habits de paysans, -comme les Saxons et les Bavarois; les Français n'allaient jamais à -l'ennemi bien entendu, ne cherchaient qu'en petit nombre à regagner le -Rhin, quoiqu'on aperçût déjà quelques maraudeurs sur la route de -Mayence, mais erraient sans armes autour de l'armée, épuisant les -ressources des villages où ils trouvaient un abri. Cette triste -disposition à se débander, que la fatigue, le froid et surtout la -faim, avaient développée d'une manière désastreuse dans l'armée de -Russie, commençait à reparaître dans notre armée d'Allemagne jusqu'à -donner des inquiétudes, et toute marche nouvelle, tout événement -incertain, toute défaite surtout, l'aggravaient beaucoup. L'attention -de Napoléon était à cet égard singulièrement éveillée, et il était -fort préoccupé entre autres soins de celui des subsistances qui -devenaient rares, tant il y avait de milliers d'hommes qui depuis le -mois de mai vivaient autour de Dresde, dans un rayon de vingt-cinq -lieues.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> Telles furent les réflexions qui l'assaillirent à son retour -à Dresde, réflexions dont les maux éprouvés par l'ennemi ne le -consolaient guère. Si en effet les coalisés avaient essuyé des pertes, -c'était par le feu, et nullement par la défection ou les privations. -Une ardeur inouïe chez les Allemands leur amenait à chaque instant de -nouveaux soldats par les levées de volontaires; de grands efforts -administratifs de la part des Russes, leur avaient procuré les recrues -longtemps attendues. On parlait même d'une armée de réserve arrivant -de Pologne sous le général Benningsen, et les Autrichiens dont les -rangs s'étaient fort éclaircis à Dresde, en avaient été dédommagés par -l'achèvement de leurs préparatifs qui à la reprise des hostilités -n'étaient pas terminés. Les vivres abondaient parmi eux, grâce au -concours des populations, aux subsides britanniques, et à un -papier-monnaie soutenu par la bonne volonté universelle. Aussi la -coalition loin d'avoir moins de soldats qu'elle n'en espérait, en -avait davantage. Ses effectifs au lieu d'être descendus au-dessous de -500 mille hommes, approchaient de 600 mille. C'est à cette masse -formidable que Napoléon devait tenir tête avec 250 mille soldats (220 -mille en retranchant le corps de Davout relégué à Hambourg), jeunes, -assez fatigués, déjà moins bien nourris qu'au début de la campagne, -étonnés bien que non découragés par plusieurs échecs consécutifs, et -du reste quoique comptant un peu moins sur la fortune de leur chef, -ayant toujours une foi entière en son génie.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon prend le sage parti de resserrer sa position -autour de Dresde.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Admirables combinaisons imaginées par suite de cette -résolution.</span> -Napoléon sans songer encore à évacuer l'Elbe <span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> pour le Rhin, -sacrifice qu'on ne devait pas attendre de lui, sans songer non plus à -porter le centre de ses opérations à Berlin, vaste projet que deux -batailles perdues sur la route de cette capitale rendaient désormais -impraticable, résolut seulement de resserrer sa position autour de -Dresde, et de s'y concentrer pour avoir moins de chemin à parcourir -lorsqu'il se porterait sur l'un des points de la circonférence, et -pour être en mesure, en restreignant le cercle à garder, de réunir -dans sa main une réserve plus forte.</p> - -<p>Le maréchal Macdonald avait été obligé de quitter la Sprée et Bautzen -par un mouvement que Blucher avait tenté contre Poniatowski, en -rejetant ce dernier de Zittau sur Rumburg. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle position assignée à Macdonald.</span> -Il était venu se ranger en -avant de Dresde le long d'une petite rivière, la Wessnitz, qui coule -transversalement vers cette capitale en décrivant de nombreux -circuits, et vient un peu à droite tomber dans l'Elbe à la hauteur de -Pirna. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Napoléon établit le maréchal Macdonald -avec ses anciens corps et Poniatowski le long de cette rivière ou un -peu en arrière, Poniatowski (le 8<sup>e</sup>) à Stolpen, Lauriston (le 5<sup>e</sup>) à -Dröbnitz, Gérard (le 11<sup>e</sup>) à Schmiedefeld, Souham (le 3<sup>e</sup>) à Radeberg. -Il pouvait en une heure avoir de leurs nouvelles, en deux heures être -à leur tête, et en six avoir envoyé les quarante mille hommes de la -garde au secours de celui qui serait attaqué.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Retranchements élevés sur le plateau de Pirna et de -Berg-Gieshübel pour consolider la position de Saint-Cyr et de Lobau.</span> -Napoléon s'appliqua en outre à lier la position de Macdonald placé au -delà de l'Elbe, avec celle du maréchal Saint-Cyr posté en deçà, et -rien n'égale l'art, la profondeur de calcul avec lesquels il disposa -<span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> toutes choses conformément au but nouveau qu'il se proposait. -D'abord il ne voulait pas à chaque alternative de ce jeu de -va-et-vient auquel l'ennemi continuait de se livrer, être forcé -d'accourir, ce qui était à la fois fatigant et dérisoire, et il prit -des mesures telles que l'ennemi, s'il descendait encore par -Péterswalde sur Pirna, fût obligé d'emporter des positions extrêmement -fortes, dès lors contraint de s'engager sérieusement, auquel cas il -vaudrait la peine de se déplacer pour avoir affaire à lui. En -conséquence Napoléon fit retrancher tous les abords des deux plateaux -de Pirna et de Gieshübel, sur lesquels l'ennemi devait nécessairement -déboucher en venant de Péterswalde. Le plateau de Pirna supérieur à -celui de Gieshübel était abordable vers Langen-Hennersdorf. Napoléon y -ordonna la construction de plusieurs redoutes, et y plaça la 42<sup>e</sup> -division (Mouton-Duvernet) du corps de Saint-Cyr, laquelle gardait en -même temps les deux forts de Lilienstein et de Kœnigstein sur -l'Elbe. Le plateau de Gieshübel était traversé par la route de -Péterswalde à Gieshübel même: Napoléon y fit construire également de -nombreuses redoutes, et y envoya les trois divisions du 1<sup>er</sup> corps -sous le comte de Lobau. Pour mettre de l'unité dans la défense, la -42<sup>e</sup>, séparée du 14<sup>e</sup> corps auquel elle appartenait, fut rangée sous -les ordres du comte de Lobau, mais le comte de Lobau lui-même sous -ceux du maréchal Saint-Cyr, ce qui replaçait tout dans la main de ce -dernier. Pour le cas où les deux plateaux seraient forcés vers leur -bord extérieur, Napoléon fit retrancher le château de Sonnenstein à -l'extrémité du plateau de Pirna, <span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> et le Kohlberg à l'extrémité -de celui de Gieshübel, de façon que l'ennemi eût une seconde ligne -d'ouvrages défensifs à enlever. Enfin à droite de ces deux positions, -en face de la vieille route de Tœplitz qui donnait par Liebstadt -sur Borna, Napoléon posta le maréchal Saint-Cyr avec les trois autres -divisions du 14<sup>e</sup> corps, et lui prescrivit d'élever des redoutes -armées d'une puissante artillerie, en sorte qu'une nouvelle tentative -contre ces positions bien retranchées, et défendues par sept -divisions, ne pût être désormais une pure feinte.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La garde placée en réserve à Dresde.</span> -Napoléon prépara en outre une réserve à ces sept divisions, et la fit -consister en deux divisions de la jeune garde établies dans la ville -de Pirna. Le reste de la jeune garde et toute la vieille, demeurèrent -comme d'usage à Dresde. Napoléon ne s'en tint pas à ces précautions. -<span class="sidenote" title="En marge">Lien secret établi à Pirna entre la position de Macdonald -et celle de Saint-Cyr.</span> -Par un calcul des plus savants, il voulut créer un lien secret et -ignoré entre les deux positions, de Macdonald au delà de l'Elbe, de -Saint-Cyr en deçà. Il y avait, comme on l'a vu, deux ponts entre les -forts de Kœnigstein et de Lilienstein; il en fit jeter un troisième -à Pirna même, de manière que la jeune garde et une portion du corps de -Saint-Cyr pussent passer l'Elbe à l'improviste, et tomber sur la -gauche de l'ennemi qui attaquerait Macdonald, et que de son côté -Poniatowski avec une portion de Macdonald pût venir se ruer sur la -droite de l'ennemi qui attaquerait Saint-Cyr. Grâce à ces -combinaisons, Napoléon pouvait espérer de n'avoir plus tant à courir, -ou du moins de ne plus le faire en pure perte, contre des corps qui -s'amuseraient à le troubler sans vouloir se battre sérieusement.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Position du maréchal Victor à Freyberg.</span> -Le maréchal Victor dut rester à Freyberg, d'où il observait les autres -débouchés qui, plus en arrière encore de Dresde, par la route de -Commotau à Chemnitz, permettaient à l'ennemi de se diriger sur -Leipzig. À Freyberg il n'interceptait pas précisément cette route, -mais il lui était facile de s'y porter en une ou deux marches, et en -même temps il n'était pas assez avancé pour ne pouvoir pas rétrograder -jusqu'à la position du maréchal Saint-Cyr, si l'ennemi débouchait par -Tœplitz sur Péterswalde ou sur Altenberg.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques mille chevaux, -chargé de poursuivre les partisans qui infestent déjà la Saxe.</span> -Quant aux partisans dont on voyait déjà un bon nombre, non-seulement -sur la grande route de Commotau à Leipzig, mais même sur celle de -Carlsbad à Zwickau, Napoléon s'occupa de mettre à leur poursuite une -certaine quantité de cavalerie, afin de les pourchasser s'ils -n'étaient que des partisans lancés à l'aventure, et de découvrir leur -destination s'ils étaient l'avant-garde d'une armée marchant sur -Leipzig. Il détacha de Dresde Lefebvre-Desnoëttes, et le fit -rétrograder sur Leipzig avec trois mille hommes de cavalerie légère. -Ce brave général devait recevoir à titre de prêt momentané la -cavalerie légère du maréchal Victor qui était à Freyberg, celle du -maréchal Ney qui s'était fort rapproché depuis la bataille de -Dennewitz, emprunter 2 mille hommes d'infanterie au général Margaron, -qui avait à Leipzig beaucoup de bataillons de marche, et fondre avec -ces forces réunies sur les partisans qui infestaient la Saxe, et -avaient intercepté quelques-uns de nos convois. Ces partisans -paraissaient dirigés par le général saxon Thielmann, le même qui -avait passé à l'ennemi <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> quelques mois auparavant, et qui avec -de l'infanterie légère autrichienne, avec les Cosaques de Platow, -venait à la fois couper nos communications, et tâcher d'insurger la -Saxe sur nos derrières. Lefebvre-Desnoëttes avec 7 ou 8 mille -cavaliers et 2 mille fantassins, avait mission de le poursuivre sans -relâche. Voici enfin ce que Napoléon ordonna relativement au maréchal -Ney actuellement replié sur Torgau. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle organisation du corps de Ney.</span> -D'abord pour donner plus d'unité à -son armée, il avait prononcé la dissolution du 12<sup>e</sup> corps spécialement -commandé par le maréchal Oudinot, et rappelé ce maréchal auprès de -lui. Il avait ensuite réparti les deux divisions françaises de ce -corps entre les 4<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup>, pour procurer à ceux-ci plus de -consistance, et consacré à l'escorte des grands parcs ce qui restait -de la division bavaroise, car on ne pouvait plus avec sûreté employer -cette division devant l'ennemi. Il avait dédommagé le maréchal Ney des -trois ou quatre mille hommes perdus par cette nouvelle distribution, -en lui accordant l'excellente division polonaise Dombrowski, laquelle -s'était conduite et allait encore se conduire héroïquement. Elle avait -fait partie de la division active de Magdebourg sortie de cette place -sous le général Girard, et condamnée maintenant à l'inaction pour un -temps indéfini. -<span class="sidenote" title="En marge">Son établissement à Torgau et son rôle.</span> -Le maréchal Ney renforcé quelque peu en nombre, -beaucoup en qualité de troupes, n'ayant plus que des lieutenants -généraux sous ses ordres, fut établi entre Torgau et Wittenberg, afin -d'arrêter ou du moins de contrarier beaucoup le premier corps ennemi -qui essayerait de franchir l'Elbe. Comptant environ 36 mille hommes, -dans lesquels <span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> il n'y avait plus en fait d'Allemands que -quelques mille Saxons bien entourés, il ne pouvait pas sans doute -tenir tête à une grande armée qui voudrait résolûment passer l'Elbe, -mais il pouvait disputer le passage jusqu'à ce qu'on vînt à son -secours, ce qui était devenu facile depuis que Napoléon avait -concentré si habilement, quoique si tardivement, ses forces autour de -Dresde. Napoléon adopta provisoirement une mesure pour assurer au -maréchal Ney les secours dont il aurait besoin, mesure combinée, comme -toutes celles qu'il prenait, de manière à pourvoir à plus d'un objet à -la fois. -<span class="sidenote" title="En marge">Position du maréchal Marmont, dans la double intention de -lier Macdonald avec Ney, et de couvrir les arrivages de l'Elbe.</span> -Il plaça le maréchal Marmont avec 18 mille hommes -d'infanterie, le général Latour-Maubourg avec 6 mille hommes de -cavalerie à Grossenhayn, un peu au delà de l'Elbe, et à mi-chemin de -Dresde à Torgau. Ces 24 mille hommes, outre qu'ils étaient prêts à -tendre la main au maréchal Ney, devaient protéger la navigation de -Hambourg à Dresde, laquelle ne laissait pas d'offrir des difficultés, -depuis que l'ennemi victorieux sur notre gauche s'approchait des bords -de l'Elbe. Or on doit se souvenir que notre principale source -d'alimentation était à Hambourg. Cette ville s'était rachetée au moyen -d'une contribution de 50 millions de francs, acquittés en grande -partie en blés, en riz, en viandes salées, en spiritueux, en cuirs, en -chevaux. Une portion de cet approvisionnement avait remonté jusqu'à -Dresde, et avait été consommée. Il en restait à Torgau une partie dont -on avait déjà besoin, car malgré les soins constants de M. Daru, -malgré l'habileté qu'il déployait pour l'entretien de l'armée, il -avait peine à y suffire, surtout depuis <span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> que les partisans -interceptaient les routes de Leipzig à Dresde, et empêchaient -l'exécution des marchés passés avec les habitants. Le corps cantonné à -Grossenhayn devait donc assurer les arrivages par l'Elbe, ainsi que -les évacuations de blessés et de malades que Napoléon avait ordonnées -sur Torgau, Wittenberg et Magdebourg.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ensemble admirable des dispositions de Napoléon, ayant -toutes pour but de passer l'hiver à Dresde.</span> -Telles furent les dispositions de Napoléon rentré à Dresde vers le -milieu de septembre. Avec quatre corps réunis sous Macdonald en avant -de l'Elbe, avec les corps de Lobau, de Saint-Cyr, de Victor en arrière -de ce fleuve, appuyés les uns et les autres sur de bons retranchements -et communiquant par plusieurs ponts, avec Ney gardant aux environs de -Torgau l'Elbe inférieur, avec Marmont et Latour-Maubourg placés entre -Torgau et Dresde pour protéger les arrivages du fleuve et flanquer -Macdonald, ou descendre au secours de Ney, enfin avec toute la garde -concentrée à Dresde et prête à fournir un secours de 40 mille hommes à -celui de nos généraux qui serait en danger, sans compter 7 à 8 mille -chevaux courant sur nos derrières après les partisans, Napoléon -croyait avoir suffisamment resserré sa position, et se flattait même, -les vivres arrivant, de pouvoir y passer l'hiver, sans être obligé de -s'épuiser en courses vaines afin de parer à de trompeuses -démonstrations. Il espérait n'avoir dorénavant à se déplacer que pour -des tentatives sérieuses, qui vaudraient alors la peine qu'elles lui -coûteraient. Il n'y avait dans cette nouvelle manière de s'asseoir -qu'un grave inconvénient, c'était la perte probable des places de -l'Oder et de la Vistule, dont les nombreuses <span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> garnisons -bloquées depuis plus de huit mois, ne tiendraient certainement pas au -delà de l'automne. Ces garnisons laissées au loin dans l'espérance de -revenir sur la Vistule après une bataille gagnée, étaient un sacrifice -fait au désir chimérique de rétablir sa grandeur en une journée. -Napoléon n'y comptait plus guère aujourd'hui, et il voyait avec regret -ces excellentes troupes sacrifiées; mais le mal était sans remède, et -actuellement il ne songeait qu'à se maintenir sur l'Elbe, ce qui -d'ailleurs était pour ces mêmes garnisons, tant qu'il y resterait, un -sujet de confiance et une raison de persévérer dans leur résistance. -Rien ne disait, après tout, qu'à la suite d'un événement heureux on ne -pourrait pas obtenir encore un armistice, dont les conditions -essentielles seraient de ravitailler les places de l'Oder et de la -Vistule.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de -Péterswalde.</span> -Tandis qu'il était à Dresde livré à ces pensées, un nouvel acte de -l'ennemi le rappela tout à coup vers Pirna. Les Autrichiens ne -s'étaient éloignés un moment des Russes et des Prussiens que pour se -réorganiser un peu en arrière du théâtre de la guerre, et pour parer à -quelque tentative sur Prague, qu'on avait pu craindre en voyant -Napoléon marcher vers Bautzen et Gorlitz, comme il avait fait les 4 et -5 septembre. -<span class="sidenote" title="En marge">Motifs qui la ramènent.</span> -Rassurés à cet égard par son retour à Dresde, remis de -leur rude secousse des 26 et 27 août, ils étaient revenus à -Tœplitz, sentant bien que c'était une faute grave que de laisser -Kleist et Wittgenstein seuls devant la grande armée française. À peine -Wittgenstein les avait-il sus de retour, que le 13 septembre au matin -il résolut de repasser les montagnes, et de <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> se montrer de -nouveau devant les camps de Pirna et de Gieshübel. Il n'y avait pas -grand effort à faire pour entraîner le Prussien Kleist, et ils -revinrent tous deux à la charge contre Saint-Cyr et Lobau, surtout -contre ce dernier. Malheureusement les ouvrages ordonnés par Napoléon -le 11 à Langen-Hennersdorf, à Gieshübel, à Borna, ne pouvaient être -exécutés le 13, et le comte de Lobau fut obligé de se replier sur -Gieshübel, comme on l'avait déjà fait si souvent. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revient avec sa réserve sur la chaussée de -Péterswalde, et arrive le 15 au soir à Hollendorf.</span> -Bien qu'il n'y eût -aucun goût et qu'il ne s'en promît aucun résultat, Napoléon dut opérer -un nouveau mouvement vers les montagnes de la Bohême, pour rejeter -encore une fois au delà de ces montagnes les incommodes et fatigants -visiteurs qui venaient sans cesse le troubler. Ayant d'ailleurs -conservé une partie de la garde à Pirna même, il n'avait à déplacer -que sa personne qu'il ne ménageait guère, et il revint avec la vague -espérance à laquelle il se livra peu, mais qu'il ne put absolument -chasser de son esprit, de punir une bonne fois l'ennemi si tracassier -qu'il avait sur sa droite, et déjà un peu sur ses derrières. Aspirant -avec passion à une grande bataille qui seule pouvait changer sa -situation, il se laissait aller malgré lui à l'espoir de la rencontrer -sur son chemin dès que l'ennemi approchait.</p> - -<p>Le 15 donc, se mettant à la tête de ses troupes, il fit pousser -l'ennemi de Gieshübel sur Péterswalde, où il le ramena en grand -désordre. Mais quelques centaines d'hommes pris ou hors de combat -furent encore le seul résultat de ce mouvement. Toutefois l'ennemi -resta fièrement en avant des défilés de Hollendorf, au pied du faîte -qui sépare la Saxe de la <span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Bohême. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 16, Napoléon après avoir vivement poursuivi l'ennemi, se -trouve en vue de Kulm et en présence de l'armée de Bohême, forte de -120 mille hommes.</span> -On priait le ciel qu'il fût -aussi fier le lendemain, mais on ne s'en flattait guère. Le lendemain -16 septembre, Napoléon, malgré un temps horrible, se remit en marche -vers le défilé de Hollendorf, tandis qu'à sa droite le maréchal -Saint-Cyr s'était dirigé de Furstenwalde sur le col du Geyersberg, -qu'on n'avait pas pu franchir le 10. On poursuivit chaudement les -Russes et les Prussiens, et une fois les gorges franchies, les -lanciers rouges de la garde fondant sur eux au galop en piquèrent et -en prirent un bon nombre. Dans l'une de ces charges, le colonel -Blucher, fils du général de ce nom, tomba dans nos mains atteint de -plusieurs coups de lance. Il fut traité avec beaucoup d'égards, et à -son langage on put voir que la nécessité, mais non l'affection et la -confiance, tenait les coalisés unis. Peu importait au reste le -sentiment qui les rapprochait, s'il suffisait pour les faire marcher -ensemble encore une ou deux campagnes! Sur la fin du jour on arriva -aux environs de Kulm, et on trouva toute l'armée de Bohême établie -dans de fortes positions, où il était difficile de l'attaquer avec -succès. Elle y était au nombre d'au moins 120 mille hommes depuis le -retour des Autrichiens, et Napoléon n'en avait pas plus de 60 mille. -Il aurait fallu qu'il dégarnît les bords de l'Elbe pour en amener -davantage, et l'occasion n'était vraiment pas assez belle pour qu'il -risquât de découvrir les points importants de sa ligne.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 17, un orage affreux et l'insuffisance de ses forces -ramènent Napoléon à Pirna.</span> -Le lendemain 17 il employa la matinée à canonner les Russes, et à leur -tuer ainsi quelque monde; mais un orage affreux, mêlé de pluie, de -grêle, de neige, exposant le soldat à de graves souffrances, était -une <span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> raison suffisante pour se retirer. Il repassa la chaîne -des montagnes, dit adieu à ces plaines de Bohême qu'il ne devait plus -revoir, et vint se poser à Pirna, près du pont qu'il avait fait -établir en secret, afin que l'ennemi ne se doutât point de la masse de -forces qui pouvait en quelques heures déboucher sur l'une ou l'autre -rive. Il y réunit toute la garde, et se tint là aux aguets, prêt à -saisir l'occasion et à conduire quarante mille hommes au secours de -Macdonald ou de Saint-Cyr, si une tentative sérieuse était faite sur -la rive droite ou sur la rive gauche du haut Elbe. En ce moment le -maréchal Macdonald apercevait des mouvements singuliers chez l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle position qu'il prend avec sa réserve à Pirna.</span> -Il semblait que d'une part des troupes nouvelles remontaient de gauche -à droite pour entrer en Bohême par le débouché de Zittau, et que de -l'autre des troupes allant de droite à gauche quittaient Blucher pour -rejoindre Bernadotte. Toutefois comme les événements les plus graves -paraissaient devoir s'accomplir sur le front de Macdonald, Napoléon -jugea convenable de rester à sa position de Pirna. S'il fallait en -effet fondre sur les assaillants qui viendraient attaquer Macdonald, -il aimait mieux au lieu d'aller passer l'Elbe à Dresde, le passer à -Pirna ou à Kœnigstein, car outre le chemin épargné à ses troupes, -il prendrait ainsi en flanc et à revers l'ennemi qui aurait abordé de -front la position de Dresde. De plus en se tenant à Pirna avec toute -sa garde, il conservait la facilité de se rabattre en arrière sur le -flanc de la colonne qui reviendrait encore tracasser le comte de Lobau -à Gieshübel. Enfin par sa présence il accélérait et dirigeait les -<span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> travaux ordonnés sur ces divers points. On ne pouvait donc -mieux se placer, ni combiner ses opérations d'une manière plus habile. -Mais ces manœuvres si savantes n'empêchaient pas la guerre de -traîner tristement en longueur, d'épuiser nos jeunes soldats en -fatigues au-dessus de leur âge, d'éloigner surtout ces événements -décisifs auxquels Napoléon avait habitué la France et l'Europe, et -dont il avait besoin pour soutenir le moral de son armée et -déconcerter la haine toujours croissante de ses ennemis. -<span class="sidenote" title="En marge">Chagrin de Napoléon et commencement d'inquiétude en voyant -la guerre se prolonger.</span> -Aussi était-il chagrin sans être découragé, et entendait de nombreuses -critiques même parmi ses officiers qui, au lieu de condamner hardiment -son imprudente ambition, blâmaient à tort sa tactique admirable, -laquelle ne laissait rien à désirer, et quand elle péchait en quelque -chose, ne péchait que par la faute de sa politique. L'idée la plus -répandue dans son état-major, c'est qu'il aurait fallu se reporter sur -la Saale, ligne, comme nous l'avons dit, impossible à défendre plus de -huit jours, et vers laquelle on ne pouvait rétrograder que pour se -replier tout de suite sur le Rhin, ce qui était l'abandon instantané -de toutes les prétentions pour lesquelles on avait continué la guerre. -Cet abandon, il était à jamais regrettable de ne l'avoir pas fait deux -mois auparavant, mais aujourd'hui il était devenu presque -impraticable. Évacuer l'Elbe militairement eût été difficile, eût -entraîné la retraite immédiate sur le Rhin, avec le sacrifice de tout -ce qu'on laissait sur la Vistule, sur l'Oder, et peut-être sur l'Elbe, -c'est-à-dire avec le sacrifice de cent vingt mille hommes, et de -trente mille malades, avec chance de démoraliser l'armée <span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> et -de perdre quelque grande bataille en se retirant. À l'évacuer, il eût -mieux valu l'évacuer politiquement, en offrant sur-le-champ de rouvrir -les négociations sur la base de l'abandon de l'Allemagne, mais les -coalisés enivrés d'espérance y auraient-ils consenti dans le moment? -C'était peu probable. La faute donc d'être resté sur l'Elbe, non à -cause de l'Elbe lui-même, mais de tout ce qu'on avait la prétention -d'y défendre, condamnait presque à y demeurer jusqu'à périr. -<span class="sidenote" title="En marge">Son désir d'un événement décisif.</span> -Au surplus Napoléon était loin de se croire réduit à une pareille -extrémité. Il entrevoyait toujours ou une petite guerre de -va-et-vient, dans laquelle il se proposait bien de ne plus user les -jambes de ses soldats, et qui lui permettrait de gagner l'hiver sain -et sauf, ou une entreprise considérable sur ses derrières, partant de -la Bohême ou de l'Elbe inférieur, qui entraînerait une bataille -décisive. C'est cette dernière chance dont il se flattait le plus, et -qui effectivement était le plus près de se réaliser, mais dans des -conditions qui n'étaient pas celles qu'il avait toujours espérées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolution chez les coalisés de terminer la campagne par -une bataille générale, et qui décide du sort de la guerre.</span> -En effet, les coalisés étaient résolus à terminer la campagne par une -rencontre directe avec Napoléon. Leur tactique consistant à l'éviter, -pour tomber sur ses lieutenants, ne pouvait pas être éternelle, et -elle avait déjà suffi pour le réduire à une telle infériorité de -forces, qu'ils étaient dans la proportion de deux, et allaient être -bientôt dans celle de trois contre un. Mais il fallait en venir enfin -au moment, désiré et redouté tout à la fois, de se jeter en masse sur -lui pour l'accabler. Le désirer était simple, surtout la saison -commençant à s'avancer; <span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> l'exécuter ne l'était pas autant. -<span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Bohême revient à l'idée de descendre en Saxe, et -de marcher sur Leipzig, mais elle voudrait être jointe par l'armée de -Silésie.</span> -La grande armée de Bohême, de beaucoup la plus forte et la mieux -composée, presque remise depuis Kulm de la secousse essuyée sous les -murs de Dresde, influencée en outre par la présence de souverains -impatients d'arriver à un résultat, était disposée à tenter une -nouvelle descente de Bohême en Saxe sur les derrières de Napoléon, -mais pas aussi près, et elle revenait à l'idée première de se porter -par Commotau et Chemnitz sur Leipzig. Les nombreux partisans lancés -sous Thielmann et sous Platow, entre l'Elster et la Saale, étaient -comme les avant-coureurs destinés à lui frayer la route. Toutefois, -avant d'essayer une si vaste entreprise, qui allait amener un duel à -mort avec Napoléon, elle aurait souhaité que deux des trois armées -actives marchassent réunies, celles de Silésie et de Bohême par -exemple. Pour cela elle aurait voulu que l'armée russe de réserve, -depuis longtemps préparée en Pologne sous le général Benningsen, et -actuellement rendue à Breslau, vînt prendre la place de Blucher devant -Dresde, que celui-ci, profitant de l'occasion pour se dérober, allât -par Zittau opérer sa jonction en Bohême avec l'armée de Schwarzenberg, -et que tous ensemble ils marchassent sur Leipzig. À cette condition -seulement le grand état-major des trois souverains osait concevoir -l'idée de risquer une seconde bataille de Dresde, non pas à Dresde -mais à Leipzig.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Silésie désire tout aussi vivement une opération -décisive, mais elle ne voudrait pas se joindre à l'armée de Bohême.</span> -Ce n'était pas, on le pense bien, auprès de Blucher et de ses amis que -devait fermenter avec moins de force la pensée de faire aboutir la -campagne actuelle à un résultat prochain et décisif. Blucher et -<span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> ses officiers, tout fiers d'avoir ramené les Français du -Bober sur l'Elbe, brûlaient du désir d'arriver à un dénoûment, et ils -étaient prêts à tout braver pour y parvenir. Dès les premiers jours de -septembre Blucher avait envoyé en Bohême un personnage de confiance, -pour sonder les officiers prussiens qui entouraient le roi, et -susciter chez eux l'idée d'une grande opération sur les derrières de -Napoléon. -<span class="sidenote" title="En marge">Officier envoyé par Blucher auprès des généraux prussiens -opérant avec l'armée de Bohême.</span> -Cet émissaire les avait trouvés fort disposés à en finir, -remplis toutefois de l'idée que nous avons exposée, et consistant à -transporter Blucher lui-même en Bohême pour descendre sur Leipzig avec -les deux armées de Bohême et de Silésie réunies. Mais Blucher et ses -amis du <i>Tugend-Bund</i> dont il était entouré, avaient trop le goût de -l'indépendance pour se placer volontiers sous l'autorité directe de -l'état-major des souverains. Ils avaient toutefois pour résister à ce -qu'on leur proposait des raisons meilleures que leur goût -d'indépendance. Il était difficile en effet que l'armée de Silésie -parvînt à dérober assez complétement sa marche à Napoléon, pour -qu'elle pût remonter en Bohême, traverser les montagnes, et en longer -le pied jusqu'à Tœplitz, sans attirer sur elle quelque coup -redoutable. Cependant comme il fallait tôt ou tard que Blucher, s'il -ne voulait pas se morfondre inutilement devant Dresde, exécutât une -manœuvre hardie ou sur le bas Elbe, ou sur le haut, la raison -alléguée n'était pas sans réplique. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher et ses amis aiment mieux se réunir à l'armée du -Nord, pour forcer Bernadotte à passer l'Elbe avec eux.</span> -L'état-major de Silésie en donna -une encore plus forte, et à laquelle il était difficile de répondre. -Les nouvelles qu'on avait de l'armée du Nord étaient des moins -satisfaisantes. Les généraux <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> russes et prussiens, mais -surtout les prussiens, placés sous le prince de Suède, se plaignaient -de son inaction pendant les batailles de Gross-Beeren et de Dennewitz. -Ils l'accusaient formellement ou d'une prudence approchant de la -faiblesse, ou d'une infidélité approchant de la trahison. Ils -soutenaient que dans ces deux circonstances il avait tout laissé faire -aux généraux prussiens, que les sachant dans l'embarras il s'était peu -hâté de les en tirer, qu'ayant pu détruire l'armée française, il ne -l'avait pas voulu, ou pas osé. Cette dernière supposition était la -vraie. Il n'avait risqué qu'en tremblant sa fausse renommée, et son -excessive prudence avait ainsi fait mettre en doute son énergie -militaire ou sa loyauté. En ce moment encore, n'ayant devant lui que -Ney réduit à 36 mille hommes, il restait blotti sous le canon de -Magdebourg, et feignait sur l'Elbe des préparatifs de passage sans -aucune envie de les exécuter. -<span class="sidenote" title="En marge">Ils proposent de joindre l'armée russe de Benningsen à -l'armée de Bohême, qui descendra sur Leipzig, et de réunir l'armée de -Silésie à l'armée du Nord pour passer l'Elbe en commun, et se rendre -également à Leipzig.</span> -En conséquence Blucher disait qu'à -déplacer l'armée de Silésie pour la faire coopérer avec celle de -Bohême ou celle du Nord, il valait mieux la réunir à cette dernière, -qui certainement n'agirait que dominée et entraînée par une autre. Il -proposait donc, au lieu de se rendre en Bohême, d'y envoyer l'armée de -Benningsen, laquelle pénétrant par Zittau, couverte par lui pendant -cette marche, n'aurait rien à craindre, et rejoindrait sans aucun -péril le prince de Schwarzenberg à Tœplitz. Il offrait, ce -mouvement terminé, d'exécuter une attaque simulée sur le camp -retranché de Dresde, puis de laisser à sa place quelques troupes de -cavalerie pour tromper les Français, de descendre avec 60 <span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span> -mille hommes sur l'Elbe inférieur, de forcer Bernadotte à passer ce -fleuve vers Wittenberg, de remonter ensuite avec lui le cours de la -Mulde jusqu'à Leipzig à la tête de 120 ou 130 mille hommes, tandis que -le prince de Schwarzenberg accru de Benningsen y descendrait avec plus -de 200 mille. On aurait ainsi 320 mille hommes au moins sur les -derrières de Napoléon, et on l'obligerait à une bataille générale, -désastreuse pour lui s'il la perdait, et peu douteuse pour les -souverains en la livrant avec une telle supériorité de forces.</p> - -<p>Ce plan, qui sans une bien grande profondeur de conception, avait dans -la puissance du nombre, dans la passion des coalisés, de véritables -chances de succès, parut avec raison très-préférable à celui qu'on -avait conçu en Bohême, et le désir ardent du triomphe commun faisant -taire tous les amours-propres, on l'adopta. -<span class="sidenote" title="En marge">Adoption du plan proposé par l'armée de Silésie.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Détail de ce plan.</span> -En conséquence il fut -convenu que le général Benningsen avec son armée de réserve, qui était -forte d'environ 50 mille hommes et avait déjà traversé la Silésie, -s'acheminerait vers le défilé de Zittau que Poniatowski ne gardait -plus, pénétrerait en Bohême, passerait le haut Elbe à l'abri des -montagnes, entre Leitmeritz et Tetschen, et joindrait le prince de -Schwarzenberg à Tœplitz; que ce dernier alors comptant environ 200 -mille hommes se mettrait en marche, et se bornant à masquer le défilé -de Péterswalde, déboucherait en Saxe par Commotau sur Chemnitz; qu'à -cette même époque Blucher exécutant de vives démonstrations contre -Dresde, se déroberait par un rapide mouvement sur sa droite, irait -passer l'Elbe à Wittenberg, forcerait Bernadotte <span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> à le -franchir à Roslau, que l'un et l'autre remonteraient entre la Mulde et -la Saale sur Leipzig, tandis que le prince de Schwarzenberg y -descendrait en suivant le cours de ces deux rivières, qu'on tendrait -ainsi les uns et les autres à se réunir dans les environs de Leipzig -pour y livrer une bataille de géants. Le danger évident de cette -manœuvre, parfaitement compris de ces élèves et ennemis de -Napoléon, c'était d'être assaillis par celui-ci avant la jonction -générale de toutes les forces de la coalition. Mais l'état-major de -Blucher soufflant à tous la passion dont il était animé, on résolut de -braver ce danger quel qu'il fût, car il fallait bien finir par -s'exposer à un grand péril, si on voulait aboutir à un grand résultat. -Seulement on se promit une extrême prudence dans la marche périlleuse -qu'on allait entreprendre, et, une fois la bataille engagée, une -énergie désespérée.</p> - -<p>Tels étaient le savoir militaire et la haine implacable auxquels -Napoléon avait amené tout le monde, en foulant depuis quatorze années -l'Europe à ses pieds.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Benningsen entre en Bohême avec l'armée russe de -réserve.</span> -Le plan une fois adopté, on procéda sur-le-champ à son exécution. Le -général Benningsen pénétra le 17 septembre dans les gorges de Zittau, -et vers les 22 et 23 septembre fut rendu à Tœplitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher se prépare à se mettre en mouvement.</span> -Blucher avait -secrètement informé les généraux Tauenzien et Bulow de ses projets, -les avait pressés d'occuper fortement les Français devant Wittenberg, -Torgau, Grossenhayn, et lui-même s'était continuellement agité autour -de Dresde, pour cacher le grand mouvement qu'il préparait par sa -droite vers le bas Elbe.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> Cette agitation incessante sur notre front, les apparitions des -coureurs de Thielmann et de Platow sur notre droite et nos derrières, -des préparatifs de passage vers l'Elbe inférieur (nous désignons ainsi -l'Elbe au-dessous de Torgau), enfin la saison avancée, étaient des -signes plus que suffisants pour inspirer à Napoléon l'idée -d'événements graves et prochains. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon soupçonne les projets des coalisés.</span> -Il avait toujours pensé que ne -pouvant l'aborder de front dans sa position de Dresde, on essayerait -de le tourner, ou par sa droite en débouchant de la Bohême, ou par sa -gauche en passant l'Elbe inférieur, et peut-être par les deux côtés à -la fois. Il avait lui-même un tel désir d'un événement décisif, qu'il -en était arrivé à souhaiter de semblables manœuvres, n'imaginant -pas qu'une bataille où il serait de sa personne et avec toutes ses -réserves pût être autre chose qu'un désastre pour ses ennemis, et ne -trouvant dangereuse que cette tactique de va-et-vient qui avait déjà -tant épuisé ses troupes, porté même une certaine atteinte à son -immense prestige. Seulement il tenait sans cesse l'œil ouvert, pour -n'être pas surpris, et pour tomber à temps sur le téméraire qui -oserait le premier se risquer sur ses derrières.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Diverses circonstances de détail lui font supposer que -Blucher va descendre l'Elbe, et pour s'en assurer il ordonne une forte -reconnaissance sur le front de Macdonald.</span> -Le 22 septembre un concours de petits événements éveilla fortement son -attention. Le maréchal Marmont accru de la cavalerie de réserve du -général Latour-Maubourg avait été placé, comme on a vu, à Grossenhayn, -pour protéger les convois de vivres qui remontaient vers Dresde, et -les convois de blessés qui en descendaient. Cette précaution avait -réussi; un chargement de farines était parvenu à <span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> Dresde, et -de nombreux blessés étaient arrivés sans accident à Torgau. Mais tout -à coup la cavalerie légère du général Chastel fut assaillie par la -grosse cavalerie du général Tauenzien, et vivement ramenée. En même -temps le général Bulow qui bombardait Wittenberg, fit mine de jeter un -pont aux environs de cette place, et plus haut le général russe Sacken -qui formait la droite de Blucher en face du camp de Dresde, opéra -divers mouvements très-apparents. Napoléon devinant aussitôt le plan -des coalisés, se figura que toute cette agitation de Dresde à -Wittenberg cachait une tentative de Blucher pour se porter sur le bas -Elbe, et il se mit sur-le-champ en garde. Depuis ses dernières marches -sur Kulm, pendant les journées des 15, 16, 17 septembre, il était -resté à l'affût, prêt à se jeter par le pont de Pirna sur la rive -droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, suivant qu'il y aurait un -téméraire d'un côté ou de l'autre. Il quitta immédiatement son poste, -vint à Dresde, et enjoignit à Macdonald d'exécuter avec ses trois -corps une reconnaissance à fond, de pousser à outrance l'ennemi sur -Harta, même sur Bautzen, pour savoir au juste si Blucher était là, ou -n'y était plus. Napoléon fit savoir à Macdonald qu'il serait lui-même -à sa suite avec une portion de la garde, pour agir vigoureusement -contre l'armée de Silésie, si toutefois elle était encore dans les -mêmes positions.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon assiste de sa personne à la reconnaissance que -Macdonald est chargé d'exécuter.</span> -Il s'y rendit donc de sa personne, et cette reconnaissance de tous les -corps français composant l'armée de Macdonald, contre les divers corps -formant l'armée de Blucher, commencée le 22 septembre, <span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span> -continuée le 23 jusqu'à Bischofswerda, révéla la présence de Blucher -avec les mêmes forces, dans les mêmes lieux. On ramassa en effet des -prisonniers appartenant aux trois corps de Langeron, d'York, de -Sacken; Napoléon en conclut qu'il s'était trop hâté de prêter à ses -ennemis des desseins audacieux, et en douta presque pour les avoir -supposés trop tôt. -<span class="sidenote" title="En marge">Les trois corps de Blucher trouvés en place trompent -Napoléon, non sur le plan des coalisés, mais sur l'époque de son -exécution.</span> -Le général Blucher employa une feinte inutile pour -le tromper, ce fut d'envoyer aux avant-postes par un parlementaire, et -pour son fils prisonnier, une lettre signée de lui, et datée de -Bischofswerda<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>. Il espéra ainsi persuader encore mieux à Napoléon -que rien n'était changé dans les dispositions des coalisés, et que -rien ne changerait. Ce ne fut pas cette lettre, à laquelle on -n'attacha aucune importance, mais une circonstance plus sérieuse, la -présence à Bischofswerda des trois corps composant l'armée de Silésie, -qui sans abuser Napoléon, sans l'empêcher de croire au plan qu'il -avait sitôt deviné, le disposa seulement à en regarder l'exécution -comme moins <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> prochaine qu'elle ne l'était effectivement. -Trouvant encore Blucher devant lui les 22 et 23 septembre, Napoléon -n'en conclut pas qu'il y resterait toujours, mais qu'il en partirait -moins prochainement, et il fit des dispositions moins promptes quoique -tout aussi justes, qu'il ne les aurait faites autrement. Ainsi il -résolut de resserrer encore davantage sa position, et de ne plus -laisser devant Dresde que le seul 11<sup>e</sup> corps, celui que le maréchal -Macdonald avait toujours commandé directement, et de satisfaire ce -maréchal en le déchargeant du commandement des 3<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 8<sup>e</sup>. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon resserre encore davantage sa position autour de -Dresde, et fait repasser l'Elbe à plusieurs de ses corps, pour être -prêt contre toutes les tentatives de l'ennemi sur ses derrières.</span> -Il envoya le 3<sup>e</sup> (celui du général Souham) à Meissen, petite ville située -sur l'Elbe, au-dessous de Dresde. Il ramena Marmont avec le 6<sup>e</sup> corps, -Latour-Maubourg avec la grosse cavalerie, de Grossenhayn à ce même -point de Meissen, pour qu'ils fussent plus à portée de secourir Ney, -en cas d'une tentative de passage vers Torgau ou Wittenberg. Il amena -le 5<sup>e</sup> (Lauriston) à Dresde même, et achemina le 8<sup>e</sup> (Poniatowski) sur -la route de Waldheim et de Leipzig, afin d'aider Lefebvre-Desnoëttes -contre les coureurs de Thielmann et de Platow, et de former la tête de -colonne de l'armée s'il fallait se rabattre en arrière sur les masses -ennemies venant de la Bohême. Napoléon prit donc ses précautions dans -le vrai sens des desseins des coalisés, mais, nous le répétons, sans -se hâter, car il ne croyait pas ces desseins si près de leur exécution -qu'ils l'étaient réellement.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Il envoie le général Rogniat pour occuper les passages de -la Saale en cas de retraite forcée.</span> -À ces mesures il en ajouta quelques autres qui prouvent qu'un vague -pressentiment l'avertissait que bientôt la guerre pourrait se -reporter sur le <span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> Rhin, ou au moins sur la Saale. En effet il -prescrivit au général Rogniat, qui dirigeait le génie de la grande -armée depuis la captivité du général Haxo, de relever les défenses de -Mersebourg sur la Saale, d'y préparer des ponts, afin d'avoir sur -cette rivière une ligne de retraite assurée. Il ordonna d'évacuer de -Dresde sur Leipzig, de Leipzig sur Erfurt, d'Erfurt sur Mayence, tous -les blessés et malades qu'on aurait le moyen de transporter par terre, -et voulut même qu'on fît aux officiers blessés ayant les moyens de se -déplacer à leurs frais, certaines insinuations pour les décider à -regagner le Rhin, en mettant du reste un grand soin à ne pas rendre -ces insinuations alarmantes. -<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles levées d'hommes.</span> -Prévoyant que la guerre serait longue et -acharnée, il rédigea un décret pour la levée de 120 mille hommes sur -les classes antérieures de 1812, 1811, 1810, et un autre pour la levée -de 160 mille sur la conscription de 1815, laquelle serait ainsi -anticipée de deux ans. Celle de 1814 était déjà tout entière dans les -dépôts. Il comptait, avec les réfractaires que des colonnes mobiles -pourchassaient en ce moment, porter cette levée à plus de 300 mille -hommes, et espérait en l'exécutant dans l'automne l'avoir toute -disponible en hiver, et prête à combattre au printemps. Il rédigea -lui-même le discours que l'Impératrice régente adresserait au Sénat en -cette occasion; il lui enjoignit d'y aller en personne, et de tenir -ainsi une espèce de lit de justice, inutile assurément pour soumettre -un corps qui devait être soumis jusqu'au jour de la chute de l'Empire. -Enfin il donna des ordres directs au ministre de la guerre pour la -mise en état de défense <span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> des places du Rhin, et surtout -d'Italie. Cependant tout en prescrivant ces mesures de prudence sur -ses frontières, il contremanda les vastes approvisionnements de vivres -que le duc de Feltre avait ordonnés sur le Rhin, d'après la lettre de -M. de Bassano, précédemment citée, et il les contremanda afin -d'épargner aux populations des alarmes fâcheuses, et, suivant lui, -prématurées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Premier mouvement des armées de Bohême et de Silésie.</span> -Tandis que Napoléon prenait ces mesures, les coalisés exécutaient plus -tôt qu'il ne l'avait supposé leur double mouvement sur Leipzig, par la -Bohême et par l'Elbe inférieur. Le prince de Schwarzenberg se faisant -précéder par une colonne autrichienne, marchait de Tœplitz sur -Commotau, et Blucher, après être demeuré immobile en présence de -Napoléon les 22, 23 et 24 septembre, se dérobait tout à coup pour -descendre l'Elbe de Dresde à Wittenberg. Afin de mieux cacher son -mouvement, il avait porté en avant sa droite, formée par le général -Sacken, et lui avait ordonné de diriger une forte attaque contre -Meissen, dans l'intention de défiler avec son centre et sa gauche -derrière cette droite rendue si apparente, et de courir sur -Wittenberg. Il se proposait ensuite de retirer sa droite elle-même, et -de la réunir devant Wittenberg, où il devait franchir l'Elbe.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher se dérobe, et feignant une attaque sur Meissen, se -porte devant Wittenberg.</span> -Il entra en opération le 25 septembre, et, tandis que Sacken attaquait -les avant-postes de Macdonald d'un côté, ceux de Marmont de l'autre, -il se mit en marche vers l'Elbe inférieur. Il laissa pour le remplacer -devant Dresde le corps russe de Sherbatow, fort de 8 mille hommes, -ainsi que la division légère autrichienne de Bubna, forte de 10 -mille, et chargée <span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> de la garde de Zittau lorsque le prince -Poniatowski était sur ce point. Ce corps de 18 mille hommes environ -était suffisant pour tromper les yeux même les plus exercés, surtout -après une reconnaissance comme celle des 22 et 23 septembre, qui avait -dû paraître tout à fait démonstrative à Napoléon. Le général Blucher -réussit ainsi à se soustraire à nos regards, et dans les journées des -26, 27, 28 septembre s'achemina sur Wittenberg sans être aperçu. -L'attaque si vive de Sacken parut d'abord inexplicable, et fut -interprétée comme une manière de tâter la gauche de Macdonald, et -peut-être comme l'indice d'une prochaine tentative contre le camp -retranché que nous avions en avant de Dresde. Napoléon ordonna de -renforcer cette gauche pour la mettre à l'abri de tous les efforts de -l'ennemi.</p> - -<p>Mais la marche du général Blucher, concourant avec d'autres mouvements -des généraux Tauenzien et Bulow, et du prince de Suède lui-même, ne -put échapper à la vigilance du maréchal Ney, contre lequel ces -diverses opérations étaient dirigées. Il avait vu Bulow jeter un pont -à Wartenbourg et l'y maintenir quelques jours, les autres corps du -prince de Suède préparer leurs moyens de passage soit à Barby, soit à -Roslau, et n'osant s'opposer à ces diverses tentatives avec 36 mille -hommes, de peur de s'en attirer 80 mille sur les bras, il s'était -contenté de résister plus particulièrement au passage tenté près de -Wartenbourg, parce que c'était le plus rapproché de Dresde, et le plus -important dès lors à empêcher. -<span class="sidenote" title="En marge">Ney voyant les mouvements de Blucher et de Bernadotte vers -lui, en donne avis à Napoléon.</span> -Il écrivit immédiatement à Napoléon -pour lui signaler l'état des choses, et lui annoncer comme <span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span> -s'exécutant à l'instant, ou devant s'exécuter sous peu de jours, un -passage de l'Elbe entre Wittenberg et Magdebourg par des forces -considérables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Excursions des troupes de partisans précédant la marche de -l'armée de Bohême.</span> -Du côté de la Bohême les événements n'étaient pas moins significatifs. -Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques milliers de chevaux -s'était mis à la poursuite de Thielmann, qui entré en Saxe par le -débouché de Carlsbad à Zwickau, s'était dirigé sur Weissenfels comme -s'il eût voulu couper nos communications avec la Saale. Le général -Lefebvre-Desnoëttes lui avait d'abord fait essuyer plusieurs échecs, -et l'avait rejeté jusque sur Altenbourg. Mais en ce moment Platow -débouchant avec ses Cosaques et cinq mille Autrichiens, dont trois -mille de cavalerie, avait assailli de front Lefebvre-Desnoëttes avec -plus de dix mille hommes, tandis que Thielmann par un mouvement rapide -le prenait par derrière. Lefebvre-Desnoëttes n'avait pu s'en tirer -qu'en se repliant sur Leipzig, et en sacrifiant quelques centaines -d'hommes. Cet échec avait été bientôt réparé par le prince -Poniatowski, lequel, ayant repassé l'Elbe et rétrogradé jusqu'à -Frohbourg avec le 8<sup>e</sup> corps et le 4<sup>e</sup> de cavalerie, avait fondu à son -tour sur Thielmann et Platow, leur avait tué quatre cents hommes, et -leur en avait pris trois cents. -<span class="sidenote" title="En marge">Apparition de cette armée aux divers débouchés des -montagnes aboutissant en Saxe.</span> -Ces diverses rencontres, -alternativement heureuses ou malheureuses, avaient eu l'avantage de -nous éclairer parfaitement sur la marche de l'ennemi, et nous avions -pu voir sur les débouchés de Commotau à Chemnitz, de Carlsbad à -Zwickau, tout autre chose que des partisans, car nous avions reconnu -sur ces deux routes les têtes de colonnes de la grande armée <span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span> -de Bohême, composées à la fois d'Autrichiens, de Russes et de -Prussiens. L'annonce d'ailleurs de sa prochaine arrivée était répandue -dans toute la Saxe. Si Napoléon avait pu concevoir quelques doutes, -non pas sur le fond des projets de l'ennemi, mais sur l'époque de leur -exécution, il n'en devait plus conserver aucun après ces nouvelles -parties en même temps du bas Elbe et des frontières de la Bohême. Il -devenait évident que sur sa gauche l'armée du Nord, renforcée -peut-être de Blucher, traversait l'Elbe inférieur pour remonter vers -Leipzig le long de la Mulde; que sur sa droite l'armée de Bohême -franchissant les montagnes de Bohême, descendait vers Leipzig en -suivant aussi le cours de la Mulde, et que toutes deux ou toutes trois -après s'être transportées sur la gauche de l'Elbe, allaient essayer de -le prendre à revers. Quant à l'armée de Silésie, que le général russe -Sherbatow et le général autrichien Bubna représentaient en ce moment -devant Dresde, on pouvait croire encore qu'elle n'avait pas quitté sa -position, et qu'elle se maintenait devant Dresde pour nous y retenir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Promptes dispositions de Napoléon pour repasser l'Elbe avec -toutes ses forces.</span> -Mais Napoléon ne se laissa point abuser par ces fausses apparences, et -sur-le-champ il commença un double mouvement pour diriger ses forces -sur les deux points que l'ennemi menaçait en même temps, de manière à -se placer avec ses réserves entre les deux armées coalisées, et à -tomber sur l'une ou sur l'autre, suivant celle qui serait le plus à sa -portée. -<span class="sidenote" title="En marge">Il réunit les corps de Poniatowski, Lauriston et Victor -entre les montagnes et Leipzig, pour observer l'armée de Bohême.</span> -Il avait déjà envoyé le prince Poniatowski en arrière de -Dresde, sur la route de Leipzig par Waldheim et Frohbourg, d'où -celui-ci avait pu arrêter Thielmann <span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> et Platow. Il reporta -également en arrière le 5<sup>e</sup> corps (celui de Lauriston), devenu -disponible depuis qu'il ne restait plus que le 11<sup>e</sup> corps (celui de -Macdonald) en avant de Dresde, et le dirigea sur Mittweyda, pour -servir d'appui à Poniatowski. Le 2<sup>e</sup> corps (celui du maréchal Victor) -était depuis longtemps à Freyberg, surveillant les débouchés de la -Bohême en Saxe. Napoléon l'envoya plus loin encore, et le fit avancer -jusqu'aux environs de Chemnitz. Ces trois corps, auxquels était annexé -le 4<sup>e</sup> de cavalerie, postés à une marche les uns des autres, pouvaient -se réunir rapidement, et présenter à l'ennemi une première masse -d'environ 40 mille hommes. Napoléon leur adjoignit le 5<sup>e</sup> de cavalerie -qu'il venait de confier au général Pajol, afin qu'ils eussent le moyen -de s'éclairer plus au loin, et les rangea tous sous les ordres de -Murat. Ils devaient, en rétrogradant vers la Thuringe, longer le pied -des montagnes de la Bohême, et s'avancer avec précaution, de manière à -se trouver toujours entre la grande armée du prince de Schwarzenberg -et Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Marmont envoyé au secours de Ney.</span> -Le maréchal Marmont établi à Meissen, au-dessous de -Dresde, avec le 6<sup>e</sup> corps et le 1<sup>er</sup> de cavalerie, reçut ordre de -repasser l'Elbe, et de se replier sur Leipzig, en laissant à Meissen -le 3<sup>e</sup> corps (général Souham), qui avait été envoyé sur ce point -depuis qu'on s'était concentré autour de Dresde. Le maréchal Marmont -posté ainsi à Leipzig avec près de 30 mille hommes, infanterie et -cavalerie, pouvait au besoin s'acheminer vers Murat, ou bien se réunir -à Ney sur le bas Elbe, si le danger était plus pressant du côté de -celui-ci. Il lui fallait une marche pour <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> rejoindre Murat, -deux pour rejoindre Ney. Si avec ses 30 mille hommes il se dirigeait -sur Murat, il le porterait à 70 mille; s'il se dirigeait sur Ney, qui -avec Dombrowski avait près de 40 mille hommes, il le porterait à -environ 70 mille, et de la sorte, deux rassemblements considérables -allaient être préparés contre les armées de Bohême et du Nord, Leipzig -étant le centre où l'on devait s'interposer entre elles. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se prépare à se porter lui-même avec 75 mille -hommes dans la direction de Leipzig, pour renforcer Murat ou Ney, et -battre l'une après l'autre les deux armées coalisées.</span> -Napoléon dès -que les mouvements de l'ennemi, encore assez confus, seraient -complètement éclaircis, voulait en laissant Saint-Cyr et le comte de -Lobau à Dresde, rétrograder lui-même avec les 40 mille hommes de la -garde, avec Macdonald, avec Souham qui de Meissen le joindrait en -route, et venir ainsi avec un renfort de 75 mille hommes à l'appui de -l'un ou de l'autre de ses deux principaux rassemblements. Si le danger -le plus menaçant était vers Murat, il courrait de son côté, et -formerait avec lui une masse de 145 mille hommes; si le danger était -vers Ney, il irait à ce dernier, et en réunirait de même 145 mille. -Dans ces deux cas c'était assez, selon lui, pour obtenir sur l'une ou -l'autre armée, et peut-être sur l'une après l'autre, une victoire -décisive. Si même évacuant Dresde, sauf à y revenir après la victoire, -il ralliait à lui les 30 mille hommes de Saint-Cyr et de Lobau, il -pouvait avoir contre l'armée de Bohême presque l'égalité de forces, et -contre celles du Nord et de Silésie une supériorité accablante. Tels -étaient ses calculs, et dans l'état présent des choses il était -impossible d'en faire de plus habiles et de mieux entendus.</p> - -<p>Les corps de Poniatowski, de Lauriston, de Victor, <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> les 4<sup>e</sup> -et 5<sup>e</sup> de cavalerie, ayant été acheminés sous Murat dans la direction -de Mittweyda et de Frohbourg, les corps de Marmont et de -Latour-Maubourg l'ayant été dans la direction de Leipzig, Napoléon se -tint prêt au premier signal à rejoindre les uns ou les autres avec 75 -mille hommes. Il fit payer quelques mois de solde aux officiers qui -souffraient beaucoup, et fournit l'argent nécessaire de son propre -trésor, celui de l'armée étant vide. Il fit donner des souliers aux -soldats, préparer ses parcs de munitions, et tout disposer en un mot -pour un mouvement général. Une colonne de 8 à 9 mille hommes de -bataillons et escadrons de marche était arrivée à Leipzig. Il ordonna -de l'y laisser pour garder cette ville conjointement avec les -détachements que le général Margaron y avait déjà, et enfin il y -appela en outre le corps d'Augereau, qui avait été d'abord destiné à -rassurer et à contenir la Bavière menacée par un corps autrichien. -<span class="sidenote" title="En marge">Le corps d'Augereau amené à Leipzig.</span> -Ce corps d'Augereau qui devait être de près de 30 mille hommes, avait été -successivement affaibli pour envoyer des renforts sur l'Elbe. Il -n'était plus que de 12 mille hommes, dont 3 mille à peu près de vieux -dragons d'Espagne. Tel quel la présence de ce corps à Wurzbourg avait -été de quelque effet sur la Bavière, que l'Autriche dans ce moment -encore essayait d'attirer à la coalition, tantôt par des menaces, -tantôt par des caresses. Mais Napoléon sentant que le sort de la -guerre se déciderait dans les champs de Leipzig, et que toutes les -fidélités y seraient définitivement ou consolidées ou ébranlées, -n'hésita pas d'y appeler Augereau. Ces dispositions avant été -arrêtées dans les journées des <span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> 28, 29 et 30 septembre, il -attendit, l'œil et l'oreille bien ouverts sur tout ce qui allait se -passer autour de lui.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Octob. 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Marche des armées coalisées.</span> -Pendant ce temps, les coalisés poursuivaient l'exécution de leurs -desseins. Blucher ayant, comme on l'a vu, laissé les généraux -Sherbatow et Bubna pour figurer à sa place devant Dresde, et ayant -fait défiler son centre et sa gauche derrière sa droite qui feignait -une attaque sur Meissen, était arrivé le 30 septembre devant -Wittenberg. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Blucher devant Wittenberg le 30 septembre.</span> -Il y avait remplacé le corps de Bulow, parti pour -rejoindre l'armée du Nord, et s'était ensuite hâté de faire ses -préparatifs de passage. Il avait mandé en même temps à Bernadotte, -posté à une ou deux marches au-dessous, qu'il devait s'apprêter à -franchir l'Elbe, car lui-même espérait se trouver sur la rive gauche -dans deux jours. Wittenberg n'ayant pas cessé d'appartenir aux -Français, il ne pouvait y opérer un passage. Il se prépara donc à -jeter un pont un peu au-dessus, c'est-à-dire à Elster, là même où le -général Bulow l'avait essayé quelques jours auparavant. -<span class="sidenote" title="En marge">Passage de l'Elbe.</span> -Le 1<sup>er</sup> -octobre il fit amener des bateaux, et le 2, ayant établi un pont, il -déboucha sur la rive gauche. Mais il fallait enlever la position de -Wartenbourg, qui n'était pas facile à forcer, car déjà le général -Bulow y avait rencontré une résistance telle qu'il avait été contraint -de replier son pont, ne croyant pas pouvoir s'en servir, et ne voulant -pas l'abandonner aux Français.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps chargé d'arrêter Blucher à Wartenbourg.</span> -Le maréchal Ney averti par ses reconnaissances de la présence de -l'ennemi sur la gauche de l'Elbe, s'était empressé d'y envoyer le -général Bertrand <span class="pagenum"><a id="page484" name="page484"></a>(p. 484)</span> avec le 4<sup>e</sup> corps, afin d'empêcher, comme on -l'avait fait peu de temps auparavant, le succès de cette tentative de -passage. Le 4<sup>e</sup> corps n'ayant pas encore reçu la division Guilleminot -qui lui revenait dans le partage du 12<sup>e</sup>, se trouvait composé -uniquement de la division française Morand, de la division italienne -Fontanelli, et de la division wurtembergeoise Franquemont, ces trois -ne faisant pas plus de 12 mille hommes. C'était bien peu contre les 60 -mille hommes de Blucher; mais les lieux, l'habileté, le sang-froid, -peuvent souvent compenser toutes les inégalités de nombre. La -circonstance dont il s'agit en fournit bientôt un exemple mémorable.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Description de la position de Wartenbourg.</span> -L'Elbe en approchant d'Elster forme un coude très-prononcé, et -enveloppe ainsi un terrain bas et marécageux, situé sur la rive -gauche. C'est sur ce terrain que se trouve le vieux château de -Wartenbourg. Afin de le garantir des inondations on l'avait jadis -protégé au moyen d'une digue, venant s'appuyer aux deux côtés de -l'Elbe comme la corde d'un arc. Le château lui-même est à l'une des -extrémités de cette digue, le village de Bleddin à l'autre. L'ennemi -ayant franchi l'Elbe à Elster, s'il voulait passer outre, devait -suivre une route qui venait aboutir perpendiculairement au milieu de -la digue. Le général Morand placé au château de Wartenbourg, et au -point de jonction de la route avec la digue, avait été naturellement -chargé de la tâche la plus difficile. Un peu à droite étaient les -Italiens; tout à fait à droite, au village de Bleddin, les -Wurtembergeois.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Superbe combat de Wartenbourg soutenu par la division -Morand.</span> -Le général Morand, l'un des trois héros du corps de Davout, quand ce -corps glorieux existait, avait <span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> fait ses dispositions avec une -sagacité admirable. Il avait rangé ses quatre à cinq mille Français -derrière la digue, où ils étaient couverts jusqu'à la tête comme -derrière un parapet, et il avait disposé à gauche, sur l'éminence -sablonneuse du château de Wartenbourg, toute son artillerie. Il -attendait ainsi, tel qu'un chasseur à l'affût, l'apparition des -Prussiens.</p> - -<p>Ils débouchèrent en effet le 3 octobre au matin par le pont jeté à -Elster le 2, et s'avancèrent bravement sur la route, sans prévoir le -terrible accueil qui leur était réservé. On les laissa venir, et puis -quand ils furent à très-petite portée de fusil, un feu partant de tous -les points de la digue, et embrassant leur colonne entière, les -assaillit à l'improviste, et les décima cruellement. Au même instant -le feu d'une nombreuse artillerie vint s'ajouter à celui de la -mousqueterie, et ils furent rejetés en désordre sur le pont.</p> - -<p>Ce n'était pas avec les passions qui les animaient, soldats et -généraux, qu'ils pouvaient s'arrêter devant un tel obstacle. Ils -revinrent à la charge, et chaque fois accueillis de même, ils furent -abattus en aussi grand nombre, sans pouvoir seulement arriver jusqu'à -la digue. Blucher s'obstina, et ne réussit ainsi qu'à faire tuer une -quantité plus considérable de ses soldats. Incommodé par le feu de -l'artillerie établie sur notre gauche, il imagina de la faire -contre-battre par une batterie placée sur l'autre côté de l'Elbe. -Notre artillerie ne se déconcerta point, tourna une partie de ses -pièces contre la batterie prussienne, la réduisit au silence, et se -remit à tirer sur <span class="pagenum"><a id="page486" name="page486"></a>(p. 486)</span> la route devenue bientôt un vrai champ de -carnage.</p> - -<p>Ce combat avait duré environ quatre heures, et près de cinq mille -ennemis jonchaient cette plaine marécageuse, lorsque le général -Blucher eut enfin l'idée de diriger sur notre droite une attaque -vigoureuse contre le village de Bleddin, défendu par les -Wurtembergeois. La colonne d'attaque ayant remonté le bord du fleuve à -la faveur de quelques bois, assaillit Bleddin avec fureur, car c'était -la seule route qui pût s'ouvrir à l'armée de Silésie, et elle finit -par l'enlever aux Wurtembergeois qui n'étaient guère plus de deux -mille. À cette vue le général Bertrand lança la brigade Hullot de la -division Morand, sur le flanc de la colonne ennemie. Cette brigade -renversa trois bataillons, les écrasa, mais arriva trop tard pour -sauver Bleddin, où déjà l'ennemi avait réussi à s'établir. Le général -Hullot fut obligé de revenir derrière la digue, et de rejoindre la -division Morand.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pertes considérables de Blucher.</span> -Sans cette dernière attaque à découvert, nos pertes n'auraient pas -dépassé une centaine d'hommes; mais cette sortie nous en coûta deux ou -trois cents. Les Wurtembergeois de leur côté, en défendant vaillamment -Bleddin, en perdirent un certain nombre. Toutefois nous n'eûmes pas -plus de 500 hommes hors de combat, tandis que l'ennemi en eut cinq ou -six mille. Cette superbe affaire, l'une des plus remarquables de nos -longues guerres, et qui faisait grand honneur aux généraux Bertrand, -Morand, Hullot, ne pouvait cependant, Bleddin étant pris, empêcher -l'armée de Silésie de déboucher. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps obligé néanmoins de se replier sur Kemberg.</span> -Le général Bertrand dut donc -rétrograder sur Kemberg, <span class="pagenum"><a id="page487" name="page487"></a>(p. 487)</span> pour se rapprocher du général -Reynier et de la division Dombrowski, établis le long de la Mulde de -Düben à Dessau. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Les prisonniers recueillis -nous apprirent qu'on avait eu sur les bras toute l'armée de Silésie, -qui avait ainsi passé l'Elbe, et se trouvait sur la droite de Ney. -<span class="sidenote" title="En marge">Bernadotte passe l'Elbe de son côté dans les environs de -Dessau.</span> -D'autres reconnaissances nous révélèrent que l'armée du Nord avait -commencé à franchir l'Elbe au-dessous de Wittenberg, de Roslau à -Barby, et que Ney l'avait par conséquent sur sa gauche. Voici quelle -était la configuration des lieux sur lesquels ces deux armées -tendaient à se réunir contre le corps du maréchal Ney.</p> - -<p>L'Elbe qui de Dresde à Wittenberg coule obliquement du sud-est au -nord-ouest, coule de Wartenbourg à Roslau, et presque jusqu'à Barby, -de l'est à l'ouest, c'est-à-dire, par rapport à la position que nous -venions de prendre, de notre droite à notre gauche. De Wittenberg à -Barby l'Elbe recueille la Mulde d'abord, qui s'y jette vers Dessau, et -puis la Saale, qui y tombe près de Barby. Ainsi le maréchal Ney avait -sur sa droite l'Elbe, coulant latéralement à lui jusqu'à Wittenberg, -puis sur son front l'Elbe encore se redressant à Wittenberg, passant -devant lui, et puis à sa gauche la Mulde venant à Dessau se jeter dans -l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Position de Ney ayant Blucher à sa droite, Bernadotte à sa -gauche.</span> -Ney se trouvait donc entre Blucher qui avait passé l'Elbe sur -sa droite à Wartenbourg, et Bernadotte qui ayant passé l'Elbe -au-dessous du confluent de la Mulde, remontait la Mulde sur sa gauche. -<span class="sidenote" title="En marge">Il rétrograde lentement en remontant entre l'Elbe et la -Mulde.</span> -Il avait, il est vrai, l'avantage de posséder tous les ponts de la -Mulde, puisqu'il avait conservé Düben, Bitterfeld, Dessau, d'être dès -lors <span class="pagenum"><a id="page488" name="page488"></a>(p. 488)</span> en mesure de manœuvrer sur les deux bords de cette -rivière, et de pouvoir s'en couvrir tantôt contre Blucher, tantôt -contre Bernadotte. Malheureusement il comptait à peine 40 mille -hommes, tandis que Blucher en avait 60 mille, et que Bernadotte après -avoir laissé Tauenzien à la garde de ses ponts, en réunissait encore -soixante et quelques mille. Il se conduisit avec beaucoup de prudence -entre ces deux masses, tâchant de manœuvrer de manière à les tenir -séparées, mais de manière aussi à pouvoir rétrograder rapidement vers -Leipzig en remontant la Mulde. -<span class="sidenote" title="En marge">Concert établi entre Blucher et Bernadotte pour remonter -sur Leipzig, pendant que l'armée de Bohême y descend.</span> -Pendant ce temps Blucher et Bernadotte -cherchèrent à se voir, se virent en effet pour concerter leur plan -d'opération, et tombèrent d'accord que dès qu'ils pourraient quitter -sans danger les bords de l'Elbe, pour se porter derrière la Mulde et -la remonter jusqu'à Leipzig, ils devraient l'entreprendre. Mais tous -deux après avoir osé franchir l'Elbe devant les Français voulaient se -ménager une porte de sortie, c'est-à-dire construire l'un à -Wartenbourg, l'autre à Roslau, des têtes de pont parfaitement solides, -afin de repasser l'Elbe en sûreté si la fortune était contraire aux -armes de la coalition. Il ne leur fallait pas moins de trois à quatre -jours pour vaquer à ces soins de première nécessité.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont vient au secours de Ney, et Murat observe l'armée -de Bohême.</span> -Pendant que ces événements se passaient entre l'Elbe et la Mulde, le -maréchal Marmont, que ses instructions autorisaient à se rendre là où -le péril lui semblerait le plus grand, s'était hâté au premier appel -du maréchal Ney de quitter Leipzig et de descendre la Mulde avec son -corps d'armée et la cavalerie du général Latour-Maubourg. Il s'était -arrêté <span class="pagenum"><a id="page489" name="page489"></a>(p. 489)</span> à Eilenbourg, derrière le maréchal Ney qui s'était -replié sur Düben.</p> - -<p>De son côté Murat chargé d'observer les débouchés de la Bohême, -s'était avancé avec Poniatowski, Lauriston, Victor et les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> -de cavalerie, de Mittweida jusqu'à Frohbourg, longeant le pied de -l'Erz-Gebirge et couvrant Leipzig. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Les têtes -de colonnes de l'armée de Bohême étaient maintenant très-visibles, et -débouchaient en deux masses principales, de Commotau sur Chemnitz, de -Carlsbad sur Zwickau. Ney, Marmont et Murat avaient exactement mandé à -Napoléon tout ce qui s'était passé sous leurs yeux.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Des nouvelles venues de tous côtés, révèlent à Napoléon les -mouvements des armées ennemies.</span> -Napoléon reçut le 5 octobre au matin le rapport du beau combat de -Wartenbourg, et le 5, dans la journée, le détail de tous les -mouvements opérés par ses divers corps d'armée. Comme on lui disait -que le rassemblement qui s'était présenté à Wartenbourg, et qui avait -réussi à franchir l'Elbe sur ce point, était l'armée de Silésie, il -fit sur-le-champ exécuter une nouvelle reconnaissance en avant de -Dresde, c'est-à-dire au delà de l'Elbe, et il sut que la sécurité -fondée sur les reconnaissances des 22 et 23 septembre avait été -trompeuse, car Blucher venait de défiler du 25 au 30 pour se porter -sur Wittenberg. Dès ce moment il était évident qu'on n'avait plus -devant soi à Dresde qu'un rideau de troupes, et que les armées de -Silésie et du Nord réunies sur l'Elbe inférieur, l'avaient traversé -pour remonter en commun le long de la Mulde jusqu'à la hauteur de -Leipzig, tandis que la grande armée de Bohême allait y descendre des -montagnes, ce qui devait prochainement <span class="pagenum"><a id="page490" name="page490"></a>(p. 490)</span> amener la réunion tant -prévue de toutes les forces de la coalition sur nos derrières.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ses promptes et admirables combinaisons pour combattre -alternativement les deux armées qui lui sont opposées.</span> -Napoléon n'en fut ni ému ni troublé. C'était l'annonce de ce qu'il -désirait ardemment, c'est-à-dire d'une bataille générale, et dans sa -confiance il ne craignait même qu'une chose, c'est qu'après un -mouvement si audacieux les coalisés n'eussent pas le courage de -persister dans leur entreprise, et qu'ils ne cherchassent à se -dérober. Qu'il fallût rétrograder de Dresde pour marcher sur eux, ce -n'était pas à mettre en doute. Mais sur laquelle des deux masses se -jetterait-il d'abord, afin de les battre l'une après l'autre? c'était -la seule question à poser, et celle-là même ne le fit pas hésiter un -instant. L'armée de Bohême n'était pas près d'arriver à Leipzig; -d'ailleurs Murat avec 40 mille hommes, en trouvant une douzaine de -mille à Leipzig, devant recevoir bientôt les douze mille d'Augereau, -ce qui lui procurerait plus de 60 mille hommes, pouvait prendre des -positions successives pour couvrir Leipzig, gagner ainsi quelques -jours, tandis que Napoléon, à qui il ne fallait que trois marches pour -se porter à Düben sur la Mulde, aurait le temps de se jeter entre -Blucher et Bernadotte, de les accabler l'un et l'autre, puis de -revenir sur l'armée de Bohême et de la battre à son tour. Si cette -armée qui tant de fois ne s'était montrée que pour se dérober presque -aussitôt, ne l'attendait pas, et se hâtait de rentrer en Bohême, au -lieu de courir après elle il se mettrait à la poursuite de Bernadotte -et de Blucher vaincus, les suivrait l'épée dans les reins jusqu'à -Berlin, réaliserait ainsi son projet favori de tendre une main -secourable <span class="pagenum"><a id="page491" name="page491"></a>(p. 491)</span> à ses garnisons de l'Oder et de la Vistule, et -probablement dans ce cas transporterait le théâtre de la guerre sur le -bas Elbe, où il avait les deux puissants points d'appui de Magdebourg -et de Hambourg.</p> - -<p>C'étaient là les chances les plus heureuses, et Napoléon, bien que -très-confiant encore, n'était pas assez aveugle pour ne pas admettre -aussi les chances malheureuses, surtout en voyant l'acharnement des -coalisés. C'est dans cette prévision qu'il avait envoyé le général -Rogniat à Mersebourg, pour s'y ménager des moyens certains de retraite -sur la Saale. Si les événements étaient sinon fâcheux, du moins -indécis, il se replierait sur la Saale, et en ferait sa nouvelle ligne -d'opération pour plus ou moins longtemps, selon les moyens de -résistance qu'il trouverait sur cette ligne.</p> - -<p>Dans ces divers cas tout semblait devoir aboutir à l'évacuation de -Dresde, et de la partie du cours de l'Elbe comprise de Kœnigstein à -Torgau. Si, en effet, après avoir vaincu l'armée de Silésie et du Nord -Napoléon allait s'établir tout à fait sur le bas Elbe, ou bien si -ayant eu des revers en Saxe il était obligé de repasser la Saale, il -devait dans ces deux hypothèses renoncer à Dresde. Il est vrai aussi -que si après avoir battu les armées de Silésie et du Nord il pouvait -battre encore l'armée de Bohême, il était maître de la campagne au -point de n'avoir besoin de rien évacuer. Mais c'était le cas le plus -favorable, et la prudence ne permettait pas d'y compter assez pour en -faire la base de ses calculs. Napoléon disposa les choses de manière -à rendre <span class="pagenum"><a id="page492" name="page492"></a>(p. 492)</span> son mouvement complet, et à évacuer jusqu'à la ville -de Dresde elle-même. -<span class="sidenote" title="En marge">Départ de Dresde les 6 et 7 octobre au matin.</span> -En conséquence il fit partir le 6 au matin toute -la garde, jeune et vieille, pour le bas Elbe, c'est-à-dire pour -Meissen. Le 3<sup>e</sup> corps (celui de Souham) s'était acheminé sur Torgau au -premier bruit du combat de Wartenbourg. -<span class="sidenote" title="En marge">Préparatifs pour l'évacuation de Dresde, où restent encore -les corps de Saint-Cyr et de Lobau.</span> -Il ordonna également à -Macdonald de partir du camp de Dresde pour Meissen, mais en longeant -la rive droite, ce qui était sans danger, l'armée de Silésie n'étant -plus dans les environs, et ce qui avait en outre l'avantage de ne pas -encombrer la rive gauche. La garde, les corps de Souham et de -Macdonald, comprenaient environ 75 mille hommes, lesquels en deux -jours allaient être près de Ney, et en trois sur l'ennemi. Restaient à -Dresde les corps du comte de Lobau (le 1<sup>er</sup>), du maréchal Saint-Cyr -(le 14<sup>e</sup>), comptant sept divisions et environ 30 mille hommes. C'était -une force considérable, qui dans les diverses hypothèses que nous -venons d'énumérer n'était pas nécessaire à Dresde, et qui sur l'un des -deux champs de bataille où l'on s'attendait à combattre, pouvait et -devait même décider la victoire. Napoléon fit appeler le maréchal -Saint-Cyr qui commandait les deux corps, et lui causa une grande -satisfaction en lui exposant ses vues, car ce maréchal, outre qu'il -était cette fois de l'avis de Napoléon, appréhendait fort d'être -laissé à Dresde. Napoléon lui traça ensuite tout ce qu'il aurait à -faire pour l'évacuation de cette ville. D'abord il devait évacuer -successivement Kœnigstein, Lilienstein, Pirna, lever en même temps -les ponts établis sur ces divers points, réunir les bateaux qui en -proviendraient, en conserver une <span class="pagenum"><a id="page493" name="page493"></a>(p. 493)</span> partie à Dresde même pour le -cas où l'on y retournerait, charger les autres de vivres, de -munitions, de blessés, et les expédier sur Torgau. Tout en faisant ces -choses qui ressemblaient si fort à une évacuation définitive, le -maréchal Saint-Cyr devait dire hautement qu'on ne songeait pas à -quitter Dresde, que loin de là on allait s'y établir, et se servir de -ce langage pour ôter aux habitants la velléité de s'agiter. Puis ces -dispositions terminées, ses trente mille hommes tenus sur pied, il -devait décamper au premier signal, et rejoindre Napoléon par Meissen. -Telles furent les instructions données à ce maréchal, et plût au ciel -qu'elles eussent été maintenues! le sort de la France et du monde eût -été probablement changé!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pénible situation de la cour de Saxe, les Français devant -quitter Dresde.</span> -Restait à s'expliquer avec la cour de Saxe. On ne pouvait sans -inhumanité, et vraisemblablement aussi sans péril, laisser à Dresde, -au milieu de tous les hasards, cette cour si timide, si peu habituée -aux horreurs de la guerre. On l'exposerait ainsi à être témoin d'une -attaque formidable repoussée par des moyens extrêmes, ou bien si on la -menait avec soi, on la ferait peut-être assister à quelque horrible -bataille, comme les hommes n'en avaient jamais vu. L'alternative était -cruelle. Napoléon lui offrit le choix ou de rester à Dresde, ou -d'accompagner le quartier général. Le bon roi Frédéric-Auguste, qui ne -voyait plus d'autre ressource que de s'attacher à la fortune de -Napoléon, aima mieux être avec lui qu'avec un de ses lieutenants, avec -200 mille hommes qu'avec 30 mille. -<span class="sidenote" title="En marge">Cette cour veut suivre Napoléon.</span> -Il exprima le désir de suivre -Napoléon partout où il irait. Il fallait donc se <span class="pagenum"><a id="page494" name="page494"></a>(p. 494)</span> résoudre à -traîner après soi cette cour nombreuse, remplie de vieillards, de -femmes, d'enfants, car il y avait des frères, des sœurs, des -neveux, dignes et respectables gens accoutumés à la vie la plus douce, -la plus régulière, se levant, mangeant, se couchant, priant Dieu -toujours aux mêmes heures, et rappelant, au scandale près, la -simplicité, l'ignorance, la timidité des Bourbons d'Espagne. -<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions ordonnées pour lui rendre le voyage -supportable.</span> -Napoléon -voulut autant que possible les faire marcher en pleine sécurité, avec -tous les honneurs qui leur étaient dus, et ce n'était pas chose aisée -au milieu des six cent mille hommes, des trois mille bouches à feu, et -des vingt mille voitures de guerre, qui allaient pendant quinze jours -circuler à quelques lieues les uns des autres. Il décida que lui -partant le 7 octobre avec ce qu'il appelait le petit quartier général, -c'est-à-dire avec Berthier, avec ses aides de camp, avec un ou deux -secrétaires et quelques domestiques, le grand quartier général, -composé des administrations de l'armée, de la chancellerie de M. de -Bassano, des parcs généraux, escorté par quatre mille hommes, -partirait le lendemain 8. Le roi de Saxe, protégé par une division de -la vieille garde, devait s'y joindre avec ses nombreuses voitures. M. -de Bassano, façonné à la vie des camps, et ayant appris de son maître -à ne rien craindre, avait mission de suivre le roi de Saxe pour lui -tenir compagnie, pour le mettre au courant des nouvelles, et le -rassurer en lui peignant tout en beau quoi qu'il pût arriver. Un -officier de la vieille garde devait toujours être à sa portière pour -écouter ses moindres désirs, et y satisfaire. C'est ainsi, et à -travers les embarras <span class="pagenum"><a id="page495" name="page495"></a>(p. 495)</span> des plus vastes armées qu'on eût jamais -vues, embarras dont il n'était pas le moindre, que l'excellent roi de -Saxe allait voyager, marchant à petites journées, entendant la messe -chaque matin, vivant en un mot comme à Dresde, à la suite de son -terrible allié qui marchait, lui, presque jour et nuit, dormait et -mangeait à peine, travaillait presque sans interruption, bien qu'il -eût acquis dès lors l'embonpoint de l'un de ces princes amollis des -vieilles dynasties. Mais une âme de fer, un génie prodigieux, un -orgueil de démon, animaient ce corps déjà souffrant et alourdi, et le -remuaient comme celui d'un jeune homme!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Wurtzen.</span> -Ayant acheminé une partie de ses troupes le 6 octobre, l'autre partie -le 7, Napoléon se mit lui-même en route dans la journée du 7, et après -une station de quelques heures à Meissen, il poussa jusqu'à -Seerhausen, sur le chemin de Wurtzen. Sa grande expérience de la -guerre lui avait appris que c'était vers minuit ou une heure du matin -que les nouvelles les plus importantes arrivaient, parce que les -généraux placés à dix ou quinze lieues expédiaient à la chute du jour -le récit de ce qu'ils avaient fait dans la journée, par des officiers -qui en cinq ou six heures exécutaient le trajet à cheval, ce qui -procurait la connaissance des événements quelquefois à minuit, -quelquefois à une heure du matin. -<span class="sidenote" title="En marge">Sa manière de travailler, et son activité prodigieuse.</span> -En dépêchant la réponse -sur-le-champ, les ordres nécessaires parvenaient le lendemain matin, -encore assez tôt pour être exécutés, et des corps placés à une grande -distance agissaient ainsi sous l'inspiration de Napoléon comme s'ils -avaient été auprès de <span class="pagenum"><a id="page496" name="page496"></a>(p. 496)</span> lui. De cette manière la nuit, -indispensable au repos des troupes, avait suffi pour demander des -instructions et les obtenir. Mais cette prodigieuse machine ne pouvait -recevoir l'impulsion qu'à condition que le génie, moteur principal, -serait toujours debout et éveillé, du moins au moment le plus -essentiel pour l'expédition des ordres. En conséquence, surtout depuis -cette dernière campagne, Napoléon se couchait ordinairement à six ou -sept heures du soir, se relevait à minuit, et dictait sa -correspondance pendant toute la nuit. C'était en effet le cas de -veiller sans cesse, ayant à mouvoir des masses immenses, au milieu -d'autres masses immenses, et à les mouvoir avec une précision -rigoureuse. Napoléon arrivé à Seerhausen lut quelques lettres, expédia -quelques réponses, prit ensuite un peu de repos, et repartit dans la -nuit pour Wurtzen, où il arriva le 8 d'assez bonne heure pour expédier -ses ordres.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'était promis de prendre à Wurtzen une résolution -définitive, et là de se diriger contre l'une ou l'autre armée -ennemie.</span> -À Wurtzen il était sur la Mulde, à peu près à la hauteur de Leipzig -sur la Pleisse, et pouvant se rendre à Leipzig ou à Düben dans le même -espace de temps. Son projet en quittant Dresde avait été d'ajourner -jusqu'à Wurtzen même ses résolutions définitives. Là il devait ou se -diriger tout de suite sur Leipzig, si Murat poussé vivement ne pouvait -plus tenir tête à l'armée de Bohême, ou bien si Murat avait le moyen -de se soutenir quelques jours encore, descendre la Mulde jusqu'à -Düben, et se débarrasser des armées de Silésie et du Nord, en les -rejetant au delà de l'Elbe. Il devait aussi donner au maréchal -Saint-Cyr le signal attendu de l'évacuation de Dresde.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page497" name="page497"></a>(p. 497)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Jugeant le danger plus grand du côté de Ney, il -marche avec 75 mille hommes sur Düben.</span> -Pendant toute la route il avait reçu des nouvelles, soit des débouchés -de la Bohême (c'est-à-dire de sa gauche depuis qu'il tournait le dos à -Dresde et la face à Leipzig), soit de l'Elbe et de la Mulde -inférieure, c'est-à-dire de sa droite. Toutes s'accordaient à montrer -le danger comme plus pressant de ce dernier côté, car Blucher et -Bernadotte réunis étaient prêts à se jeter sur Ney, tandis que Murat, -bien qu'il vît distinctement déboucher de Commotau sur Chemnitz, de -Zwickau sur Altenbourg, deux fortes colonnes, n'était cependant pas -encore serré d'assez près pour que l'on eût à concevoir des craintes -sur son compte. De plus un fâcheux désaccord survenu entre Ney et -Marmont était une raison assez urgente d'aller à eux. Voici ce qui -s'était passé. Ney, après le combat de Wartenbourg, ayant rétrogradé -jusqu'à Düben, et ayant pressé Marmont de venir à son secours, ce que -celui-ci venait de faire en se portant à Eilenbourg, avait tout à coup -quitté sa position, et passé derrière Marmont pour se rapprocher de -l'Elbe dans la direction de Torgau. -<span class="sidenote" title="En marge">Singulier conflit entre Ney et Marmont.</span> -De la sorte Marmont, au lieu -d'être placé en appui, se trouvait en tête, et assez compromis, outre -que Leipzig par le mouvement qu'on avait exigé de lui, restait exposé -aux entreprises de Bernadotte et de Blucher. Le motif qui avait -déterminé le maréchal Ney à ce mouvement inexplicable, n'était autre -que le désir de rallier à lui le 3<sup>e</sup> corps (général Souham). Ne se -croyant pas capable d'exécuter grand'chose avec les corps de Reynier -et de Bertrand (7<sup>e</sup> et 4<sup>e</sup> corps), il avait voulu recueillir lui-même, -et le plus tôt possible, ce 3<sup>e</sup> corps qu'il avait longtemps <span class="pagenum"><a id="page498" name="page498"></a>(p. 498)</span> -commandé, et sur lequel il comptait beaucoup. Marmont ne sachant que -penser de la conduite de Ney, et craignant pour Leipzig, avait à son -tour rétrogradé jusqu'à Taucha.</p> - -<p>Il y avait donc pour se jeter à droite sur la Mulde, le double motif -de frapper d'abord Bernadotte et Blucher, puisqu'on en avait le temps, -et de mettre d'accord des lieutenants désunis. Napoléon prit -sur-le-champ son parti, et résolut de marcher de Wurtzen sur -Eilenbourg, c'est-à-dire de descendre la Mulde avec les 75 mille -hommes qu'il amenait, en reportant en avant Ney et Marmont. Il -espérait ainsi en cheminant entre la Mulde et l'Elbe aussi loin qu'il -le faudrait, gagner de vitesse Bernadotte et Blucher, et les -rencontrer avant qu'ils eussent le temps de repasser l'Elbe. Les ayant -toujours vus s'éloigner dès qu'il arrivait, son souci n'était pas de -les éviter, quelque forts qu'ils pussent être, mais de les atteindre, -car il craignait qu'ils n'eussent bientôt peur de ce qu'ils avaient -tenté, et qu'ils ne cherchassent encore à s'enfuir à son approche. Ils -n'en étaient plus là malheureusement, et plusieurs avantages -successivement obtenus sur ses lieutenants, les avaient enhardis -jusqu'à le redouter lui-même beaucoup moins qu'auparavant!</p> - -<p>Blucher et Bernadotte battus, Napoléon se proposait de revenir sur le -prince de Schwarzenberg, si celui-ci avait persisté à s'avancer avec -l'armée de Bohême, ou s'il s'était replié à la nouvelle d'une bataille -perdue, de continuer à poursuivre Blucher et Bernadotte jusqu'à Berlin -peut-être.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à suivre les deux rives de la Mulde.</span> -En conséquence il prescrivit au maréchal Ney de <span class="pagenum"><a id="page499" name="page499"></a>(p. 499)</span> se reporter -en avant avec Reynier, Bertrand, Dombrowski, Souham, et la cavalerie -de Sébastiani (2<sup>e</sup> de réserve) qu'on avait attachée à son armée pour -remplacer celle du duc de Padoue. Il lui ordonna de descendre entre la -Mulde et l'Elbe, la gauche à la Mulde, la droite à l'Elbe, en se -couvrant de sa cavalerie pour n'être pas surpris, et pour surprendre -au contraire tous les mouvements de l'ennemi. Il ramena Marmont en -avant, le fit marcher par la rive gauche de la Mulde presque à la -hauteur de Ney, qui était sur la rive droite, et chemina lui-même avec -toute la garde et Macdonald derrière ses deux lieutenants.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Instructions à Murat pour lui tracer la conduite à tenir -pendant que Napoléon sera aux prises avec les armées de Silésie et du -Nord.</span> -En même temps il fit part à Murat de ce qu'il avait projeté contre les -armées réunies du Nord et de Silésie, lui recommanda de ne pas -s'engager, de côtoyer sans le heurter l'ennemi qui débouchait de la -Bohême, de se tenir toujours entre lui et Leipzig, où il trouverait de -vingt à vingt-quatre mille hommes de renfort, ce qui lui procurerait -soixante et quelques mille combattants. Napoléon en effet avait placé -le duc de Padoue à Leipzig, avec une partie du 3<sup>e</sup> corps de cavalerie -(distrait de l'armée de Ney pour courir après les partisans), lui -avait donné en outre les bataillons de marche arrivés de Mayence, et -l'ancienne division Margaron. Cette réunion pouvait former une -douzaine de mille hommes de troupes actives, et 24 mille en y -comprenant Augereau qui s'approchait. Napoléon ordonna à ceux-ci de se -bien tenir sur leurs gardes, surtout du côté de la basse Mulde, de -crainte que Bernadotte et Blucher ne fissent en se dérobant quelque -<span class="pagenum"><a id="page500" name="page500"></a>(p. 500)</span> tentative sur Leipzig. Par malheur, à toutes ces instructions -si bien calculées, Napoléon ajouta une résolution justifiable dans le -moment, mais infiniment regrettable. Il suspendit l'évacuation de -Dresde à laquelle le maréchal Saint-Cyr était tout préparé. Il ne la -contremanda pas précisément, mais il prescrivit de la différer, par le -motif que l'ennemi s'engageant à fond, soit du côté de la Bohême, soit -du côté de la Mulde et de l'Elbe, la bataille tant désirée devenait -certaine, la victoire aussi, et qu'alors il serait bien heureux -d'avoir conservé Dresde, où le quartier général rentrerait presque -aussitôt qu'il en serait sorti. C'était évidemment parce que la grande -bataille approchait qu'il eût fallu concentrer ses forces; mais -Napoléon raisonnait ici pour Dresde comme il avait raisonné pour -Dantzig, pour Stettin, Custrin, Glogau, avec l'espoir téméraire de -refaire d'un seul coup une fortune compromise par des causes -supérieures et déjà presque insurmontables.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Eilenbourg le 10 octobre au matin.</span> -Ayant passé à Wurtzen la soirée du 8 et la journée du 9, afin de -laisser à ses troupes le temps d'arriver en ligne, Napoléon en partit -le 10 dans la nuit, et parvint à quatre heures du matin à Eilenbourg. -Il se mit lui-même à la tête de la cavalerie légère de sa garde, et -marcha entouré de tous ses corps sur Düben, point essentiel où l'on -devait rencontrer l'ennemi, et peut-être la bataille qu'on souhaitait -avec ardeur. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche imposante de Napoléon, à cheval sur la Mulde avec -140 mille hommes.</span> -Dans ces moments suprêmes, Napoléon se tenait de sa -personne au milieu de ses troupes, le plus souvent à l'avant-garde. Il -s'avançait avec 140 mille hommes environ dans l'ordre suivant. Ney en -tête avec ce qui lui restait de la cavalerie <span class="pagenum"><a id="page501" name="page501"></a>(p. 501)</span> du duc de Padoue -(3<sup>e</sup> de réserve), avec le corps de Sébastiani (2<sup>e</sup> de réserve), -descendait sur Düben, ayant à gauche Reynier au delà de la Mulde, au -centre Dombrowski et Souham sur la Mulde même, à droite Bertrand -marchant presque à égale distance de la Mulde et de l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divers corps d'armée sur l'une et l'autre -rive de la Mulde.</span> -Napoléon -suivait exactement dans le même ordre, ayant la cavalerie de la garde -et de Latour-Maubourg en tête, Marmont formant la gauche sur un côté -de la Mulde, toute la garde formant le centre sur la Mulde même, -Macdonald formant la droite, entre la Mulde et l'Elbe. À deux journées -en arrière venait le grand quartier général avec tous les parcs, et -notamment avec les bons princes saxons cheminant du pas qui convenait -à leurs habitudes. Napoléon leur expédiait à chaque instant des -nouvelles. Jamais marche plus profondément calculée et plus vaste ne -s'était exécutée dans aucune guerre. On s'avançait avec une précaution -extrême, s'attendant à toute heure à voir apparaître l'ennemi, et le -désirant vivement. On l'apercevait en effet dans toutes les -directions, mais se repliant, et cette fois encore Napoléon put -craindre de voir les coalisés, recommençant leur tactique d'offensive -contre ses lieutenants, de retraite devant lui, se soustraire de -nouveau à ses coups. Voici cependant ce qui s'était passé de leur -côté.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche de Blucher et de Bernadotte.</span> -Blucher dans une entrevue qu'il avait eue avec le prince de Suède le -7, en présence des principaux officiers des deux états-majors, était -convenu avec lui de marcher en commun sur Leipzig, croyant n'avoir -affaire qu'aux maréchaux Ney et Marmont. Le mouvement des armées du -Nord et de Silésie devait commencer <span class="pagenum"><a id="page502" name="page502"></a>(p. 502)</span> dès qu'elles auraient -assuré par de fortes têtes de pont leurs moyens de repasser l'Elbe, -dans le cas où elles seraient contraintes de battre en retraite. -<span class="sidenote" title="En marge">Leur entrevue, et leur antipathie réciproque.</span> -Les -deux chefs de ces armées étaient loin de se plaire. La fierté, -l'impétuosité, la défiance offensante de Blucher avaient peu satisfait -Bernadotte, et la timidité de Bernadotte, cachée sous une morgue -singulière, n'avait excité ni l'estime ni la confiance de Blucher. De -froids égards avaient à peine dissimulé leur antipathie réciproque, et -du reste ils s'étaient quittés en se promettant un concert d'autant -plus nécessaire, qu'ils étaient engagés dans des opérations plus -périlleuses. -<span class="sidenote" title="En marge">En apprenant l'arrivée de Napoléon, ils prennent le parti -de se réunir tous les deux derrière la Mulde, pour se mettre à -couvert.</span> -Le 9, des avis secrets venus du pays même avaient averti -Bernadotte et Blucher de l'approche de Napoléon avec toutes ses -réserves. C'en était assez pour troubler le futur roi de Suède, et -pour lui faire prendre la résolution de repasser l'Elbe. Blucher qui -n'en était pas d'avis, avait envoyé un de ses officiers au camp -suédois, pour s'entendre sur ce nouvel incident. Bernadotte s'était -hâté de déclarer qu'il allait se reporter derrière l'Elbe pour -s'épargner un désastre, à moins que l'armée de Silésie ne vînt le -rejoindre au delà de la Mulde, afin de réunir en une seule masse les -armées du Nord et de Silésie<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a>. L'avis était sensé, et le moindre -des généraux <span class="pagenum"><a id="page503" name="page503"></a>(p. 503)</span> l'eût conçu et adopté sans contestation. Aussi -le général Blucher s'était-il empressé de s'y conformer, bien que ce -mouvement eût l'inconvénient de lui faire perdre son pont de -Wartenbourg. Il fut donc arrêté que dans la journée du 10 le général -d'York, formant actuellement la droite de l'armée de Silésie, -passerait la Mulde à Jesnitz, que le général Langeron en formant le -centre, la passerait à Bitterfeld, et enfin que le général Sacken qui -était devenu sa gauche, la passerait à Düben. Tous les corps de -l'armée de Silésie étaient ainsi en mouvement, défilant devant nous de -notre droite à notre gauche, le long du contour que la Mulde décrit de -Düben à Bitterfeld. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Le corps d'York n'avait -qu'un pas à faire pour passer à Jesnitz. Celui de Langeron n'avait à -franchir que les quatre lieues de Düben à Bitterfeld. <span class="pagenum"><a id="page504" name="page504"></a>(p. 504)</span> Mais -Sacken, qui était à Mokrehna entre la Mulde et l'Elbe, avait au -contraire beaucoup plus de chemin à parcourir pour venir à Düben, et -surtout à manœuvrer très-près des Français, ce qui rendait pour lui -le trajet singulièrement périlleux.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Pendant que Blucher défile de notre droite à notre gauche -pour passer la Mulde, Ney heurte fortement le corps de Langeron.</span> -Tandis que dans la journée du 10 l'armée française à cheval sur la -Mulde descendait cette rivière vers Düben, le maréchal Ney marchant en -tête, heurta vivement le corps de Langeron, qui était resté en arrière -pour attendre le corps de Sacken et lui livrer le pont de Düben. Il le -repoussa brusquement, et lui enleva un parc de 300 voitures. Sacken -fort pressé par les troupes du général Bertrand, qui avaient cheminé -entre la Mulde et l'Elbe, se retira comme il put, et trouvant Düben -occupé par notre avant-garde, opéra un grand circuit pour venir -traverser la Mulde à Raguhn.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend par des prisonniers le mouvement -qu'exécute l'armée de Silésie pour se couvrir en passant la Mulde.</span> -Napoléon entré à Düben vers deux heures de l'après-midi, se hâta -d'interroger les prisonniers qu'on avait recueillis, sut qu'il avait -en présence l'armée de Silésie tout entière, laquelle avait défilé, et -défilait encore devant lui, pour aller gagner la Mulde sur notre -gauche. Napoléon résolut de la poursuivre sur-le-champ dans toutes les -directions. Il ordonna au maréchal Ney de se porter avec Souham à -trois lieues sur la gauche, à Gräfenhaynchen, route de Dessau; aux -généraux Dombrowski et Reynier de se porter à droite, sur Wittenberg, -au bord de l'Elbe; au général Bertrand, avec son 4<sup>e</sup> corps et la -cavalerie de Sébastiani, de se diriger sur Wartenbourg, également au -bord de l'Elbe, afin d'y détruire les ponts de l'ennemi, à Macdonald -enfin <span class="pagenum"><a id="page505" name="page505"></a>(p. 505)</span> d'appuyer Bertrand. -<span class="sidenote" title="En marge">Il pousse tous ses corps en avant pour culbuter partout les -détachements ennemis, et leur enlever leurs ponts de l'Elbe et de la -Mulde.</span> -Tous devaient culbuter les corps de -Blucher, qui surpris en marche ne pouvaient guère opposer de -résistance, et leur enlever partout les moyens de passage de la Mulde -et de l'Elbe, afin de nous les approprier exclusivement. Napoléon -s'arrêta à Düben même avec la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg -et le corps du maréchal Marmont, pour y combiner ses mouvements -ultérieurs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Sachant que les armées de Silésie et du Nord sont réunies -sur sa gauche et derrière la Mulde, Napoléon forme le projet de -marcher sur elles d'abord, de les poursuivre à outrance dans la -direction de Berlin, de laisser l'armée de Bohême descendre jusqu'à -Leipzig, puis de la surprendre en remontant l'Elbe par la rive droite, -et en se jetant sur elle par Torgau ou Dresde.</span> -À voir la manière dont les choses se présentaient, un souci le -préoccupait fortement. Il savait que l'armée du Nord était sur sa -gauche, derrière la basse Mulde, occupant les ponts de cette rivière, -et ceux de l'Elbe au-dessous de sa réunion avec la Mulde, ayant par -conséquent toute facilité pour repasser l'Elbe, et se soustraire à nos -poursuites. Il savait que l'armée de Silésie, après avoir franchi -l'Elbe à Wartenbourg sur notre droite, venait de défiler le long de -notre front, pour traverser la Mulde à notre gauche, et se joindre à -l'armée du Nord. Il n'y avait pas grande invraisemblance à supposer -qu'elles allaient recommencer cette tactique évasive qui nous avait -tant épuisés, et à notre approche repasser l'Elbe vers Acken ou -Roslau. Pour Napoléon qui avait besoin d'une bataille décisive, et qui -à chaque pas jonchait la route de jeunes gens malades ou dépités, -c'était là un vrai malheur. Il était à craindre également qu'après -avoir inutilement opéré un long trajet pour atteindre les armées de -Silésie et du Nord, et voulant se rabattre ensuite sur l'armée de -Bohême, il ne pût pas davantage atteindre celle-ci. Leur marche sur -nos derrières annonçait sans doute des <span class="pagenum"><a id="page506" name="page506"></a>(p. 506)</span> projets plus hardis -que de coutume, mais elle pouvait bien signifier aussi le désir de ne -combattre que lorsque les trois armées alliées seraient confondues en -une seule. Or pour leur donner le courage de nous attendre, Napoléon -ne pouvait cependant pas leur laisser l'avantage de se réunir, ce qui -les aurait placées à notre égard dans la proportion de deux contre un, -supériorité numérique trop dangereuse pour s'y exposer; et néanmoins, -tant qu'il persisterait à s'interposer entre les deux masses ennemies, -l'une descendant la Mulde, l'autre la remontant, il était présumable -que chacune des deux individuellement menacée, chercherait à se -dérober. Dans cette perplexité, ne voulant pas leur permettre de se -réunir, et obligé de choisir celle qu'il attaquerait la première, il -prit le parti de se jeter à outrance sur la masse qui était formée des -armées de Silésie et du Nord, et pour les joindre, sans perdre le -moyen de revenir plus tard sur l'armée de Bohême, il imagina tout à -coup l'un des projets les plus audacieux, les plus savants, que jamais -capitaine eût conçus, et qui recevait de la proportion des forces avec -lesquelles il allait être tenté une grandeur inouïe<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Conséquences possibles de cette vaste et belle -combinaison.</span> -Napoléon -résolut de poursuivre sans relâche les armées de Silésie et du Nord, -de passer à leur suite la Mulde <span class="pagenum"><a id="page507" name="page507"></a>(p. 507)</span> et l'Elbe, d'en détruire tous -les ponts, excepté ceux qui nous appartenaient, de s'efforcer ainsi de -mettre en complète déroute ces deux armées, puis, comme dans cet -intervalle de temps le prince de Schwarzenberg continuant à descendre -la Mulde aurait vivement poussé Murat sur Leipzig, et peut-être plus -bas, de remonter lui-même l'Elbe, sans quitter la rive droite, de le -remonter jusqu'à Torgau ou à Dresde, de repasser ce fleuve à l'un de -ces points, et de fondre sur cette armée de Bohême, séparée des -montagnes, et prise ainsi dans un vrai cul-de-sac, entre la Mulde et -l'Elbe dont les ponts seraient à nous. Il fallait sans doute bien du -bonheur, bien de la précision de mouvement, et de bien bons -instruments pour que cette combinaison réussît, car elle était aussi -vaste que compliquée; mais il se pouvait qu'après avoir fourni à -Napoléon le moyen de battre les armées du Nord et de Silésie, elle lui -ménageât encore le moyen de prendre dans un coupe-gorge et de détruire -complétement l'armée de Bohême. C'étaient de prodigieux résultats, -certains avec les soldats et les généraux de Friedland et -d'Austerlitz, douteux aujourd'hui, mais possibles encore, même avec -des soldats jeunes et des généraux déconcertés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordres donnés pour l'exécution du nouveau plan.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Secret fortement recommandé.</span> -Sur-le-champ Napoléon donna ses ordres en conséquence, et les donna en -chiffres, recommandant à tous ceux qui allaient être dépositaires de -son secret, de le bien garder, car, disait-il, ce serait pendant trois -jours le <cite>secret de l'armée et le salut de l'Empire</cite>. -<span class="sidenote" title="En marge">Instructions à Murat pour qu'il se replie lentement sur -Leipzig, afin de donner à Napoléon le temps de revenir par la rive -droite de l'Elbe.</span> -Il prescrivit à -Murat de se conduire avec une extrême prudence, de contenir l'ennemi -et de l'attirer tout à la fois, de se replier sur Leipzig où il -<span class="pagenum"><a id="page508" name="page508"></a>(p. 508)</span> rencontrerait le duc de Padoue et vraisemblablement Augereau, -de s'y maintenir autant que possible, car il y avait un intérêt à la -fois politique, moral et militaire à conserver cette ville, mais -plutôt que de s'exposer à une lutte inégale, de rétrograder sur Torgau -ou Wittenberg, où il trouverait asile derrière l'Elbe, en attendant -que Napoléon repassant ce fleuve par Torgau ou Dresde, vînt comme la -foudre retomber sur l'armée de Bohême, condamnée à périr dans le piége -où elle se serait laissé entraîner. Napoléon ordonna au duc de Padoue -de réunir tout ce qu'il y avait à Leipzig de vivres, de munitions, -d'habillements, de souliers, de matériel précieux enfin, d'en composer -un vaste convoi et de l'acheminer sur la route de Torgau, où le -général Lefebvre-Desnoëttes viendrait le recueillir par un mouvement -rétrograde, pour l'escorter jusqu'à Torgau même. De la sorte si on -était obligé d'évacuer Leipzig on n'y perdrait rien. Napoléon -prescrivit encore au duc de Padoue d'écrire à Erfurt, à Mayence, qu'on -était en pleine manœuvre, que les mouvements allaient être -très-compliqués, qu'il ne fallait donc pas prendre l'alarme si on -apprenait que Leipzig fut occupé par l'ennemi, qu'un pareil événement -pouvait bien avoir lieu, mais par le résultat de combinaisons qui se -termineraient vraisemblablement <em>par un coup de foudre</em>.</p> - -<p>Napoléon avait le projet, arrivé jusqu'à Dessau à la poursuite de -Blucher et de Bernadotte, de ne pas lâcher prise avant d'avoir pu les -joindre; cependant, si après les avoir bien battus il fallait pour les -suivre encore perdre la chance d'atteindre l'armée de Bohême, il -était résolu de les laisser traîner leurs débris <span class="pagenum"><a id="page509" name="page509"></a>(p. 509)</span> jusqu'à -Berlin, et quant à lui de remonter la rive droite de l'Elbe pour -l'exécution de sa grande pensée, dont le succès serait ainsi devenu -très-probable, car le fleuve qu'il aurait mis entre lui et l'armée de -Bohême couvrirait son mouvement, maintiendrait cette armée dans -l'ignorance de ce qu'on lui préparait, et ne lui permettrait de -l'apprendre que lorsqu'il ne serait plus temps pour elle de rebrousser -chemin vers la Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'inconvénient inévitable de la nouvelle combinaison -imaginée par Napoléon, c'est d'empêcher l'évacuation de Dresde.</span> -Toutefois cette profonde combinaison avait un inconvénient, un seul, -mais grave, c'était de résoudre définitivement la question de -l'évacuation ou de la conservation de Dresde. Conserver cette ville -devenait en effet nécessaire, puisque après avoir passé l'Elbe à la -suite de Blucher et de Bernadotte, il fallait le repasser afin de -surprendre l'armée de Bohême, et il était possible que pour y réussir -il fallût le remonter non-seulement jusqu'à Torgau, mais jusqu'à -Dresde. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordre au maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde.</span> -Par ce motif Napoléon enjoignit au maréchal Saint-Cyr, -contrairement à ce qu'il lui avait d'abord annoncé, de rester -définitivement à Dresde, de s'y bien établir, et de l'y attendre avec -confiance, car bientôt probablement il le verrait reparaître sous les -murs de cette ville, non par la rive gauche, mais par la rive droite, -après de grands desseins accomplis, et à la poursuite de desseins plus -grands encore. Malheureusement si ces desseins ne se réalisaient pas, -et si on était amené à combattre où l'on se trouvait, c'est-à-dire -entre Düben et Leipzig, c'étaient 30 mille hommes capables de décider -la victoire qui manqueraient à l'effectif de nos forces, et s'il -fallait après une bataille ou indécise ou perdue <span class="pagenum"><a id="page510" name="page510"></a>(p. 510)</span> repasser la -Saale, c'étaient encore 30 mille hommes ajoutés à tous ceux qui -renfermés dans les places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ne -pourraient pas rentrer en France, et seraient réduits à capituler.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'arrête un jour à Düben pour bien s'assurer des -vrais mouvements de l'ennemi.</span> -Après avoir enfanté ces vastes conceptions, Napoléon résolut de -s'arrêter un jour à Düben, peut-être deux, pour y recueillir des -nouvelles soit de Murat, soit des différents corps envoyés à la -poursuite de Blucher et de Bernadotte, car il s'agissait de savoir -s'il devait chercher les armées de Silésie et du Nord derrière la -Mulde, en passant cette rivière entre Düben et Dessau, ou les chercher -au delà de l'Elbe, en passant ce fleuve à Wittenberg. Il faisait un -temps horrible, on marchait dans une fange épaisse, délayée par des -pluies continuelles, ce qui augmentait beaucoup les peines du soldat, -et Napoléon était contraint d'attendre le résultat des reconnaissances -dans un petit château entouré d'eau, au milieu de bois déjà ravagés -par l'automne et la mauvaise saison. Cette inaction forcée coûtait à -son impatience, et quoique très-confiant encore, il ne laissait pas -d'avoir de vagues pressentiments qui le jetaient parfois dans une -sorte de tristesse. -<span class="sidenote" title="En marge">Entretien pendant toute une nuit avec le maréchal Marmont.</span> -Il n'avait d'autre ressource que de s'entretenir -avec le maréchal Marmont, dont l'esprit facile, ouvert, cultivé, lui -plaisait, et avec lequel il avait eu jadis les rapports familiers d'un -général avec son aide de camp. Il passa la nuit entière du 10 au 11 à -discourir sur la situation si extraordinairement compliquée des armées -belligérantes entre l'Elbe, la Mulde et les montagnes de Bohême; et -bien qu'il eût été amené à cette situation non par la confusion de -son esprit qui était le plus net du <span class="pagenum"><a id="page511" name="page511"></a>(p. 511)</span> monde, mais par celle des -choses, et qu'il sût parfaitement s'y reconnaître, il n'était pas -exempt de toute inquiétude en se voyant engagé dans un pareil -labyrinthe, et à plusieurs reprises il s'écria: Quel fil embrouillé -que tout ceci! Moi seul je puis le débrouiller, et encore aurai-je -bien de la peine!--C'est ainsi qu'il passa cette nuit, parlant de -toutes choses, même de littérature et de sciences, laissant le -maréchal Marmont épuisé de fatigue, et ne paraissant en éprouver -aucune.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement de Bertrand, Reynier, Macdonald et Ney pendant la -journée du 11.</span> -Le 11 les rapports des lieutenants annoncèrent les résultats qui -suivent. Le général Bertrand avec le 4<sup>e</sup> corps s'était porté sur -Wartenbourg, où il avait trouvé la grande tête de pont commencée par -Blucher, et avait entrepris de la détruire, car il était convenu qu'on -ne souffrirait aucun moyen de passage hors des places de Wittenberg ou -de Torgau qui nous appartenaient. -<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi rencontré partout sans qu'on puisse deviner sa -véritable direction.</span> -Les généraux Dombrowski et Reynier -avaient chassé des environs de Wittenberg les troupes qui bloquaient -cette place, s'y étaient introduits, et, débouchant sur la rive droite -de l'Elbe, avaient couru sur les détachements prussiens. Le maréchal -Macdonald était venu se placer à Kemberg, derrière Wittenberg, pour -appuyer Dombrowski et Reynier. Enfin à gauche Ney s'était approché de -Dessau, et avait refoulé tous les détachements ennemis sur la droite -de la Mulde. -<span class="sidenote" title="En marge">Incertitude de Napoléon.</span> -Les prisonniers faits, les mouvements aperçus, étaient de -nature à jeter Napoléon dans la plus grande incertitude. En effet, à -Wartenbourg sur notre droite, à Wittenberg sur notre front, à Dessau -sur notre gauche, on avait vu non-seulement des détachements, -<span class="pagenum"><a id="page512" name="page512"></a>(p. 512)</span> mais des corps entiers et d'immenses convois, de manière -qu'il était impossible de dire si l'ennemi repassait sur la rive -droite de l'Elbe à notre approche, ou s'il s'arrêtait derrière la -Mulde, attendant pour livrer bataille que nous osassions franchir -cette rivière devant lui. -<span class="sidenote" title="En marge">Danger de voir Blucher et Bernadotte, au lieu de repasser -l'Elbe pour s'enfuir vers Berlin, remonter la Mulde pour joindre le -prince de Schwarzenberg à Leipzig.</span> -Il se pouvait aussi que les deux armées du -Nord et de Silésie réunies derrière la Mulde, remontassent cette -rivière pour opérer leur jonction avec l'armée de Bohême aux environs -de Leipzig. Ce dernier mouvement de leur part nous exposait au péril -très-grave d'avoir toute la coalition à la fois sur les bras. Il -fallait donc en tâchant d'accabler Bernadotte et Blucher d'abord, -manœuvrer de façon à demeurer toujours interposés entre eux et le -prince de Schwarzenberg, c'est-à-dire entre la masse qui remontait du -bas Elbe et celle qui descendait de Bohême. -<span class="sidenote" title="En marge">Précautions de Napoléon contre ce danger.</span> -Dans cette vue, Napoléon -fit passer le pont de Düben au maréchal Marmont, et lui donnant une -forte division de cavalerie, le porta sur la gauche de la Mulde vers -Dölitzsch. -<span class="sidenote" title="En marge">Il envoie Marmont au delà de la Mulde, à Dölitzsch, pour -rester toujours interposé entre les deux masses ennemies, celle du bas -Elbe et celle de Bohême.</span> -Marmont allait être derrière un bras détaché de la Mulde -qui coule de Leipzig à Jesnitz, tantôt formant des flaques d'eau, -tantôt s'échappant en un maigre filet pour rejoindre le bras principal -à Bitterfeld. Dans cette position Marmont était suffisamment couvert; -il pouvait par sa cavalerie légère lancée au loin, éclairer les -mouvements de l'ennemi, et s'il apprenait que l'armée de Silésie ou -celle du Nord remontant derrière la Mulde, se dirigeassent sur -Leipzig, il lui était facile d'y marcher en quelques heures, et d'y -être avant elles. Joignant Murat avec 25 mille hommes, il le portait -à près de 90 mille, <span class="pagenum"><a id="page513" name="page513"></a>(p. 513)</span> et c'était assez pour ménager à Napoléon -le temps de revenir, et de se tenir toujours entre les deux masses qui -voulaient se réunir pour l'accabler. Cette sage et utile précaution -prise, Napoléon fit ce qui était nécessaire pour que son grand dessein -n'en souffrît pas, si, comme il l'espérait, la crainte d'un mouvement -de Blucher et de Bernadotte sur Leipzig n'était qu'une chimère. -<span class="sidenote" title="En marge">Ordre réitéré à Bertrand, Reynier, Ney, de détruire tous -les ponts qui ne sont pas à nous.</span> -Il prescrivit à Dombrowski et à Reynier de déboucher de Wittenberg pour -courir sur tous les corps ennemis qu'ils rencontreraient au delà de -l'Elbe, de descendre même le long de la rive droite pour y détruire -les ponts de Bernadotte de Roslau à Barby, ce qui dans tous les cas -était pour les coalisés un grave dommage, car s'ils avaient repassé -sur la rive droite de l'Elbe pour se réfugier vers Berlin, on leur -ôtait tout moyen de revenir au secours de l'armée de Bohême, et s'ils -étaient restés sur la rive gauche, on les enfermait dans un cul-de-sac -où Napoléon allait les prendre et les écraser. Il enjoignit à Ney de -se jeter sur les ponts de la Mulde à Dessau et de les enlever. Il -laissa Macdonald à Kemberg pour soutenir Reynier et Dombrowski au -besoin, Bertrand à Wartenbourg pour y achever la destruction de la -tête de pont de Blucher; enfin il concentra Latour-Maubourg et la -garde autour de Düben, prêt à suivre Ney à Dessau pour fondre au delà -de la Mulde sur les armées du Nord et de Silésie, ou à remonter en -arrière vers Marmont, s'il fallait rebrousser chemin du côté de -Leipzig. Voilà dans quelles perplexités, dans quels calculs profonds -et continuels il passa la journée du 11, que beaucoup de critiques, -ignorant le secret de ses pensées, <span class="pagenum"><a id="page514" name="page514"></a>(p. 514)</span> lui ont reprochée comme -une journée perdue.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Indices recueillis dans la journée du 12.</span> -Le 12, levé selon sa coutume entre minuit et une heure du matin, il se -pressa de recueillir ce qui lui arrivait de toutes les directions. -Deux indications, déjà très-prononcées la veille, paraissaient se -prononcer davantage. -<span class="sidenote" title="En marge">L'armée du Nord semble repasser sur la rive droite de -l'Elbe, et celle de Silésie se tenir derrière la Mulde, avec tendance -à remonter vers Leipzig.</span> -Il semblait que l'une des deux armées du bas -Elbe, celle de Bernadotte, avait repassé sur la rive droite de l'Elbe, -et que l'autre au contraire, celle de Blucher, était restée sur la -rive gauche, avec tendance à remonter vers Leipzig par derrière la -Mulde. Les mouvements ordonnés la veille, particulièrement celui de -Marmont, répondaient parfaitement à cette indication. -<span class="sidenote" title="En marge">Heureux combat de Murat contre l'armée de Bohême.</span> -Enfin une -nouvelle importante, celle d'un combat heureux livré le 10 par Murat à -Wittgenstein, était de nature à confirmer Napoléon dans sa disposition -à se jeter tout de suite sur les armées du Nord et de Silésie. Voici -ce qui s'était passé du côté de Murat. S'étant porté avec Poniatowski, -Lauriston, Victor et les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie sur Frohbourg, il -avait réussi à intercepter la route qui conduit par Commotau et -Chemnitz à Leipzig, mais il n'avait pas eu le temps d'intercepter -celle qui conduite cette ville par Carlsbad et Zwickau. Profitant de -la voie restée ouverte, Wittgenstein avait pu occuper Borna, et Murat -s'était trouvé dans la journée du 10, avec les Autrichiens sur sa -gauche à Penig, et les Russes sur sa droite à Borna. Ne voulant pas -demeurer dans cette position, et surtout ne voulant pas permettre que -la tête de l'une des deux colonnes ennemies le devançât sur Leipzig, -il s'était résolûment rabattu sur sa droite, et avait attaqué Borna -avec la dernière vigueur. Les <span class="pagenum"><a id="page515" name="page515"></a>(p. 515)</span> Russes s'étaient vaillamment -défendus, mais Poniatowski, Lauriston, les avaient assaillis plus -vaillamment encore, et avaient repris Borna à la baïonnette. Ce -combat, qui avait coûté 3 à 4 mille hommes à Wittgenstein, nous avait -rendus maîtres de la route de Leipzig, et avait replacé Murat dans sa -situation naturelle, celle de couvrir Leipzig contre les deux colonnes -de Schwarzenberg débouchant de la Bohême. À en juger d'après les -premières apparences, Wittgenstein repoussé de Borna paraissait en -retraite, et notre cavalerie disait l'avoir vu s'en retournant vers la -Bohême. Murat en écrivant à Napoléon lui mandait donc qu'il croyait -l'armée de Bohême en retraite, et l'engageait à ne rien négliger pour -venir à bout des armées de Silésie et du Nord. Ces nouvelles étaient -datées du 11 à onze heures et demie du matin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">À dix heures du matin, le 12, les deux armées ennemies de -Blucher et de Bernadotte semblent plutôt disposées à se dérober qu'à -tenter une grande opération.</span> -Napoléon en recevant ces détails dans la matinée du 12, en revint à -penser que l'armée de Bohême n'était pas très-pressée de s'engager, -que les coalisés avaient toujours le même penchant à l'éviter, qu'il -fallait donc commencer par se jeter sur les armées de Silésie et du -Nord, les poursuivre au delà de l'Elbe, remonter ensuite ce fleuve par -la rive droite, et surprendre l'armée de Bohême en repassant à -l'improviste sur la rive gauche. Napoléon jusqu'à dix heures du matin -confirma ses premiers ordres, et fit ses préparatifs pour passer la -Mulde, afin de se ruer d'abord sur Blucher qui se montrait à notre -gauche, et puis sur Bernadotte qui semblait se tenir à notre droite, à -cheval sur l'Elbe. Il rapprocha même la garde impériale de Düben, pour -pouvoir se joindre à Marmont et marcher droit à Blucher au delà de la -Mulde.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page516" name="page516"></a>(p. 516)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Tout à coup la face des choses change, l'armée de -Bohême paraît descendre vers Leipzig, et l'armée de Silésie y -remonter, pour préparer une jonction générale.</span> -Mais à dix heures du matin, la face des choses changea subitement. Une -seconde lettre de Murat écrite de la veille encore, c'est-à-dire du -11, mais à trois heures de l'après-midi, donnait des nouvelles toutes -différentes. Au lieu de trouver l'ennemi en retraite, on l'avait -trouvé en pleine marche sur Leipzig. La colonne autrichienne -poursuivant son mouvement par la route de Chemnitz, continuait de -s'avancer sur Frohbourg et Borna, et la colonne de Wittgenstein après -s'être repliée un moment sur la route de Zwickau jusqu'à Altenbourg, -avait ensuite repris hardiment sa marche sur Leipzig. Murat annonçait -qu'il rétrogradait sur Leipzig, d'abord pour ne pas livrer bataille -avec des forces disproportionnées, secondement pour couvrir toujours -cette ville. Il allait s'établir à quelques lieues de Leipzig, dans -une bonne position, espérait s'y maintenir, renforcé qu'il serait par -les troupes qui l'y attendaient, engageait Napoléon à ne pas lâcher -prise s'il était assuré d'atteindre les armées de Silésie et du Nord, -promettant quant à lui de se dévouer en attendant à la tâche la plus -ingrate, la plus périlleuse, celle de lutter contre un ennemi trois ou -quatre fois supérieur. Au même instant les reconnaissances de Marmont -avaient aperçu l'armée de Blucher quittant les bords de la Mulde pour -ceux de la Saale qui coule parallèlement à la Mulde mais plus loin, et -la remontant vers Halle, avec une tendance évidente vers Leipzig.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon change soudainement ses déterminations, et -renonçant à son premier plan, malgré les avantages qu'il s'en -promettait, reporte toutes ses forces sur Leipzig pour empêcher la -jonction des armées coalisées.</span> -À ces nouvelles, Napoléon, avec la promptitude de l'homme de guerre -supérieur, n'hésita plus, et changea tous ses plans. Il abandonna sa -grande <span class="pagenum"><a id="page517" name="page517"></a>(p. 517)</span> combinaison consistant à courir d'abord sur Blucher et -Bernadotte pour revenir ensuite sur l'armée de Schwarzenberg par la -rive droite de l'Elbe, et il résolut de se porter immédiatement par la -voie la plus courte sur Leipzig. Tant qu'il avait pu espérer de se -tenir entre les deux masses qui venaient l'une de Bohême, l'autre de -l'Elbe inférieur, avec la faculté de se jeter à volonté sur l'une ou -sur l'autre, son projet d'occuper celle de Bohême au moyen de Murat, -tandis qu'il commencerait par assaillir celle de l'Elbe, avait été le -plus habile et le plus sage. Mais à présent que la tendance de l'une -vers l'autre était évidente, qu'il n'était pas sûr que Murat pût -contenir plusieurs jours de suite l'armée de Bohême, comme il n'était -pas sûr non plus qu'il pût lui-même joindre les armées de Silésie et -du Nord en les tenant séparées de Leipzig, la plus urgente des -manœuvres était de s'opposer à la jonction générale des trois -armées coalisées, et pour cela de venir à Leipzig combattre le plus -tôt possible celle de Bohême. Il n'y avait que ce moyen de sortir de -la difficulté, car persister à se jeter par Dessau sur les armées de -Silésie et du Nord, lorsqu'on n'était pas certain de les trouver -réunies, puisque l'une semblait remonter vers Leipzig et l'autre -repasser l'Elbe, s'exposer ainsi à n'atteindre que l'une des deux, -tandis que l'autre irait rejoindre l'armée de Bohême à Leipzig, et que -ces deux dernières accableraient Murat, n'était plus une conduite -admissible de la part d'un capitaine tel que Napoléon, et il faut -admirer la promptitude incroyable avec laquelle de l'un de ces -projets il passa tout de suite <span class="pagenum"><a id="page518" name="page518"></a>(p. 518)</span> à l'autre. Mais de ce moment -sa situation était déjà moins bonne, car ayant naguère l'espérance -fondée de battre successivement les armées ennemies, peut-être même de -leur faire essuyer une catastrophe, il était menacé à son tour d'une -réunion de forces écrasantes, et son triomphe le plus grand allait -être, non pas d'infliger un désastre à ses ennemis, mais de l'éviter. -Il est vrai qu'il avait la chance d'accabler Schwarzenberg avant que -Blucher survînt, et peut-être aussi Blucher lui-même avant que -Bernadotte pût le rejoindre; mais il fallait pour obtenir ces deux -résultats une précision et une rapidité de mouvements bien difficiles -avec des soldats fatigués par des marches continuelles et par un temps -épouvantable.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche successive de tous les corps français sur Leipzig.</span> -À l'instant même, c'est-à-dire le 12 entre dix heures et midi, il fit -ses calculs et donna ses ordres en conséquence. Murat qui le 11 avait -vu recommencer le mouvement offensif de l'armée de Bohême, pouvait -bien mettre toute la journée du 12 à se replier sur Leipzig, et s'y -défendre le 13, le 14, même le 15, avec les secours qui allaient -successivement lui parvenir. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Marmont, et appel d'Augereau à Leipzig.</span> -En effet Marmont déjà porté à Dölitzsch -n'était séparé de Leipzig que par une marche, et en lui expédiant -immédiatement l'ordre de s'y rendre, devait y être le 12 au soir, ou -le 13 au matin au plus tard. Ce renfort de près de 25 mille hommes, -cavalerie comprise, joint à Augereau dont on annonçait l'arrivée, -procurerait à Murat 90 mille hommes environ pour la journée du 13. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche de la garde et de Latour-Maubourg.</span> -La -garde et Latour-Maubourg avaient été tenus autour de Düben, et -pouvaient s'y replier dans <span class="pagenum"><a id="page519" name="page519"></a>(p. 519)</span> la journée pour franchir la Mulde -et s'acheminer sur Leipzig. S'il n'avait pas fallu passer par cet -unique pont de Düben avec d'immenses convois d'artillerie et de -bagages, la garde et Latour-Maubourg auraient pu être le soir même de -l'autre côté de la Mulde, et avoir fait une première marche sur -Leipzig, ce qui leur aurait permis d'y être le lendemain 13 au soir. -En comptant la garde à 38 mille hommes de toutes armes après les -fatigues qu'on venait d'essuyer, Latour-Maubourg à six mille cavaliers -(les effectifs sur le papier étaient bien supérieurs), c'étaient -encore 44 mille hommes qui, le 13 au soir ou le 14 au matin, allaient -renforcer le rassemblement de Murat, le porter à 134 mille hommes, et -former entre l'armée de Bohême et celle de Silésie un mur -impénétrable. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Bertrand, Macdonald, Reynier et Ney.</span> -Restaient Bertrand occupé près de Wartenbourg à ruiner -les ouvrages de Blucher, Macdonald envoyé dans les environs de -Wittenberg pour appuyer Reynier et Dombrowski. Macdonald et Bertrand -ramenés le 13 à Düben, pouvaient être le 14 au soir ou le 15 au plus -tard à Leipzig, et porter ainsi à 160 mille hommes la grande armée qui -s'y formait. Enfin Dombrowski avec 5 mille hommes, Reynier avec 15 -mille, Sébastiani avec 4 mille chevaux, avaient été envoyés au delà de -l'Elbe pour détruire tous les ponts de ce fleuve jusqu'à Barby, et Ney -avec 15 mille hommes avait été chargé de s'emparer de ceux de la -Mulde, pour éloigner définitivement l'armée du Nord, qui semblait -décidée à se tenir au delà de l'Elbe. C'étaient encore 38 ou 39 mille -hommes qui ramenés sur Leipzig devaient porter la concentration -générale de nos forces à un <span class="pagenum"><a id="page520" name="page520"></a>(p. 520)</span> total d'environ 200 mille -combattants. -<span class="sidenote" title="En marge">Espérance de réunir à temps 200 mille hommes à Leipzig, -dans une position centrale, contre l'ennemi qui en aurait 300 mille, -mais divisés.</span> -Dans la position concentrique où ces 200 mille -combattants allaient se trouver au milieu de toutes les armées des -coalisés, on avait de quoi livrer une bataille qui serait formidable -sans doute, mais qui pourrait être heureuse, les coalisés fussent-ils -300 mille et même davantage, ce qui n'était pas impossible.</p> - -<p>Napoléon expédia ses ordres de dix heures à midi aux diverses masses -destinées à se réunir sur Leipzig, et devant partir, Marmont de -Dölitzsch, la garde et Latour-Maubourg de Düben, Bertrand et Macdonald -des environs de Wittenberg. Quant à la dernière portion de 38 mille -hommes, engagés les uns au delà de l'Elbe par Wittenberg, les autres -au delà de la Mulde par Dessau, Napoléon calcula que même en les -ramenant dès le lendemain sur Düben, ils ne pourraient pas y passer le -pont de la Mulde à cause de l'encombrement des hommes et du matériel; -il leur laissa donc terminer la tâche qu'il leur avait confiée. Ayant -des raisons de supposer que l'armée du Nord avait repassé l'Elbe, il -voulut la mettre tout à fait hors de cause, en achevant de détruire -ses moyens de passage. En conséquence il prescrivit à Reynier, -Dombrowski, Sébastiani, de terminer au plus vite l'opération dont ils -étaient chargés contre les ponts de Roslau, d'Acken, de Barby, à Ney -d'enlever ceux de Dessau, à tous enfin de ne rien négliger pour ôter à -Bernadotte, qu'on supposait au delà de l'Elbe, la faculté de le -repasser.</p> - -<p>Ainsi, dans ces ordres si profondément calculés, il était pourvu à -tout, autant qu'il est permis à la <span class="pagenum"><a id="page521" name="page521"></a>(p. 521)</span> prévoyance humaine de le -faire. Le lendemain 13 octobre Murat allait avoir près de 90 mille -hommes à Leipzig, le 14, 134 mille, avec la personne de Napoléon, ce -qui rendait impossible toute jonction des masses ennemies. Enfin les -15 et 16, la grande armée successivement portée à 200 mille hommes, -devait être placée avec toutes ses forces entre les armées coalisées. -Il ne restait plus qu'à se battre vaillamment et heureusement; -vaillamment, Napoléon l'espérait avec raison de ses soldats, -heureusement, il l'espérait encore de son génie et de la fortune!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon attend de sa personne à Düben que ses corps aient -achevé leur mouvement.</span> -Il résolut d'attendre à Düben même l'exécution des ordres qu'il avait -donnés. Effectivement il importait peu qu'il fût à Leipzig tant que -ses troupes n'y seraient pas réunies, et à Düben au contraire, il -veillait au défilé de ses corps d'armée, et aux mesures prescrites -pour se débarrasser de Bernadotte, qui paraissait toujours revenu sur -la rive droite de l'Elbe. Pendant cette journée du 12, Dombrowski et -Reynier, précédés par la cavalerie de Sébastiani, ayant traversé -l'Elbe à Wittenberg, chassèrent devant eux les Prussiens, et -enlevèrent même quelques prisonniers à la division Thumen, laquelle -avait toujours fait partie du corps de Bernadotte. C'était une -nouvelle raison de croire au retour de l'armée du Nord sur la rive -droite de l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Opérations de Reynier et Dombrowski, chargés de détruire -les ponts de l'Elbe.</span> -Dombrowski et Reynier se rabattirent ensuite à -gauche pour détruire le pont de Roslau, et s'y heurtèrent aux troupes -du général Hirschfeld appartenant également à l'armée du Nord. Ils ne -descendirent point au delà, des forces considérables <span class="pagenum"><a id="page522" name="page522"></a>(p. 522)</span> -semblant y être réunies. Dans le même temps Ney opérant sur la Mulde, -emporta les ponts de Dessau, situés tout près du confluent de la Mulde -dans l'Elbe. Un peu avant d'être à Dessau et à droite, c'est-à-dire à -Worlitz, se trouvait un détachement ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Beau combat de Ney, enlevant Dessau pour en détruire les -ponts.</span> -Ney dirigea sur Worlitz la -cavalerie du général Fournier avec quelques troupes d'infanterie du -3<sup>e</sup> corps, et avec le reste de ce corps se précipita sur Dessau même. -L'ennemi fut brusquement refoulé sur le pont de Dessau, où cavalerie -et infanterie se réfugièrent dans une affreuse confusion. On y ramassa -un millier de prisonniers et plusieurs pièces de canon. Sur ces -entrefaites le détachement prussien qui occupait Worlitz, abordé aussi -vivement, fut rejeté sur Dessau, où nous étions déjà, pris entre deux -feux, et enlevé ou sabré par la cavalerie du général Fournier. Ces -affaires coûtèrent à l'ennemi près de trois mille hommes et bon nombre -de bouches à feu. Les troupes qu'on avait rencontrées là étaient -celles du corps de Tauenzien, lequel, sans appartenir à Bernadotte, -avait habituellement servi avec lui. Il parut se replier sur l'Elbe. -Le maréchal Ney ne s'engagea pas davantage, ayant pour instruction de -se tenir prêt à rebrousser chemin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Toutes les apparences portent à croire que l'armée du Nord -s'est séparée de celle de Silésie pour rester sur la droite de -l'Elbe.</span> -Ces diverses rencontres confirmaient tout à fait la supposition que -l'armée du Nord était restée sur la droite de l'Elbe, car la division -Thumen, le corps du général Hirschfeld, celui de Tauenzien, n'avaient -cessé de marcher avec elle. Ce qui était le plus vraisemblable, c'est -qu'elle se tenait sur l'Elbe pour couvrir Berlin, tandis que l'armée -de Silésie, s'étant reportée de la Mulde à la Saale pour accomplir -son <span class="pagenum"><a id="page523" name="page523"></a>(p. 523)</span> mouvement sous la protection de deux rivières, remontait -vers Halle et Leipzig afin de se joindre à l'armée de Bohême. Il y -avait certainement bien des contradictions à expliquer dans une -pareille hypothèse, car on ne comprenait pas pourquoi les armées de -Silésie et du Nord avaient, au prix des plus grands périls, opéré leur -jonction et le passage de l'Elbe pour se séparer ensuite, et pourquoi -Blucher n'était pas allé tout simplement se réunir au prince de -Schwarzenberg à travers la Bohême, au lieu de parcourir l'immense -circuit de Bautzen à Dessau, de Dessau à Leipzig. Mais ce n'était pas -la première fois qu'on avait vu les généraux coalisés exécuter des -manœuvres étranges, et toutes les reconnaissances constatant la -séparation des deux armées du Nord et de Silésie, il fallait bien se -rendre devant des témoignages unanimes. Il parut donc établi qu'on -aurait affaire à Schwarzenberg renforcé de Blucher seul, si toutefois -ce dernier parvenait à rejoindre le généralissime à travers les masses -de l'armée française.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Confirmation réitérée de ces apparences.</span> -Le 13 ces apparences furent de nouveau confirmées par les -reconnaissances opérées dans toutes les directions, et en conséquence -Napoléon persista dans l'opinion qu'il s'était faite, et qui du reste -n'importait pas relativement aux mesures à prendre, car dans tous les -cas il fallait se concentrer le plus tôt et le plus complétement -possible autour de Leipzig. Marmont avec la cavalerie du général -Deforge ayant remonté la Mulde, entre le bras principal et le petit -bras qui passe à Dölitzsch, côtoya sans cesse les troupes de Blucher -qui effectuaient le même <span class="pagenum"><a id="page524" name="page524"></a>(p. 524)</span> mouvement le long de la Saale, et se -dirigeaient sur Halle comme nous sur Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Marmont le 13 au soir à Leipzig.</span> -Le 13 au soir le -maréchal Marmont vint s'établir en arrière de Leipzig, dans la -position de Breitenfeld, laquelle fait face à la route de Halle. Il -était ainsi en mesure d'empêcher Blucher d'entrer à Leipzig. Le même -jour Murat se repliait en ordre sur le côté opposé de Leipzig, et y -contenait la grande armée du prince de Schwarzenberg. Augereau après -avoir rencontré au delà de Weissenfels, non loin des plaines de -Lutzen, les troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, leur -avait passé sur le corps, et leur avait enlevé 2 mille hommes. Les -dragons d'Espagne, habitués à manier le sabre droit, avaient fait un -grand carnage de la cavalerie ennemie. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée d'Augereau dans cette ville, après un brillant -combat contre les coureurs de Thielmann et de Platow.</span> -Augereau était à l'entrée même -de Leipzig vers Lindenau, ce qui apportait un nouvel obstacle à la -jonction de Blucher avec Schwarzenberg. Ainsi le 13 au soir 90 mille -hommes étaient déjà réunis à Leipzig, de manière à s'interposer entre -les masses ennemies.</p> - -<p>Sur la route de Düben le mouvement de concentration fut le même -pendant cette journée du 13. La garde et Latour-Maubourg ayant franchi -la veille le pont de la Mulde, malgré un fâcheux encombrement, -suivirent les traces du maréchal Marmont, et marchèrent dans le même -ordre, ayant soin de se garder avec leur cavalerie légère du côté du -général Blucher. -<span class="sidenote" title="En marge">La garde, Latour-Maubourg, Bertrand, Macdonald, Reynier et -Ney reployés sur Düben et Leipzig.</span> -Bertrand et Macdonald se rapprochèrent de Düben pour -y traverser la Mulde le soir ou le lendemain. Ney rebroussa chemin de -Dessau sur Düben pour passer après eux. Reynier, Dombrowski, -Sébastiani revinrent sur Wittenberg. La pluie ne cessant <span class="pagenum"><a id="page525" name="page525"></a>(p. 525)</span> -pas, les chemins étaient dans l'état le plus affreux, et -malheureusement beaucoup de soldats, trop jeunes pour de telles -fatigues, restaient en arrière et encombraient les routes. Le grand -quartier général, composé de la cour de Saxe, des parcs du génie et de -l'artillerie, et des équipages de pont, ce qui comprenait au moins -deux mille voitures, avait suivi Napoléon jusqu'à Eilenbourg sur la -Mulde. Ce quartier général était gardé par quatre mille hommes, et -formait un immense convoi. Il était à mi-chemin, sur la route de -Leipzig à Torgau. Napoléon avait ordonné que tout ce qui appartenait à -l'artillerie fût dirigé sur Leipzig, et que tout le reste fût renfermé -dans Torgau. La cour de Saxe avait été laissée libre de choisir entre -Torgau ou Leipzig. À Torgau elle avait un siége et d'affreuses -maladies à craindre, à Leipzig une bataille. Mais guidée par une -confiance instinctive en Napoléon, elle avait pensé qu'il y avait plus -de sûreté auprès de lui, et elle avait opté pour Leipzig, au risque -d'assister au plus horrible conflit qui se fût jamais vu entre les -nations civilisées. C'était donc un nouvel embarras ajouté à tous les -autres, sur ces routes encombrées et défoncées. Au pont d'Eilenbourg -les soldats du parc d'artillerie et ceux de l'équipage de pont -faillirent en venir aux mains.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon pour Leipzig le 14 au matin.</span> -Le 14 au matin, après avoir veillé toute la nuit à l'exécution de ses -ordres, Napoléon se prépara lui-même à partir pour Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Les apparences changées à l'égard de l'armée du Nord, qui -semble se porter aussi sur Leipzig.</span> -Au moment -de son départ un rapport du maréchal Ney, recueilli très-près de -l'ennemi, le mit en doute relativement à la position prise par -l'armée du Nord. Elle ne paraissait <span class="pagenum"><a id="page526" name="page526"></a>(p. 526)</span> plus sur la droite de -l'Elbe, mais sur la gauche et derrière la basse Saale, toujours -extrêmement soigneuse d'éviter une rencontre avec nous. Elle était -ainsi fort au-dessous de Blucher sur la Saale, et beaucoup plus loin -que lui de Leipzig; mais tandis qu'il remonterait vers Halle, -c'est-à-dire vers Leipzig, elle pouvait suivre son mouvement, ne -fût-ce que de loin, et dans ce cas il était possible que nous -l'eussions elle aussi sur les bras, ce qui ferait trois armées à -combattre au lieu de deux. Il est vrai que Leipzig occupé par nous, -restait toujours entre elles un obstacle fort difficile à surmonter. -En recevant ce dernier renseignement Napoléon expédia de nouveaux -ordres à Ney, Reynier, Dombrowski, Sébastiani, qui avaient le plus de -chemin à faire, et leur recommanda de se hâter, car plus on prévoyait -d'ennemis sur son chemin, plus il fallait être concentrés pour leur -tenir tête. -<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Leipzig le 14 au soir.</span> -Il partit ensuite de Düben, afin d'être le soir même du 14 -à Leipzig. En route il rencontra le roi de Saxe, déjà très-ému de tout -ce qu'il voyait, le rassura et le charma comme il faisait toujours par -son énergie et sa bonne grâce, et alla descendre dans le faubourg de -Reudnitz, à une demi-lieue en dehors de Leipzig du côté de Murat. Il -prit gîte dans une habitation particulière qu'on avait préparée pour -lui.</p> - -<p>Il s'y trouvait avec Berthier, Murat, Marmont et divers officiers de -sa maison, et leur montra une extrême confiance à tous. Pourtant la -situation n'était pas rassurante. -<span class="sidenote" title="En marge">Par suite des dernières marches, Napoléon ne pourra pas -avoir plus de 190 mille hommes, contre l'ennemi qui peut en avoir de -320 à 350 mille.</span> -C'est tout au plus si, en comptant -bien, il pouvait réunir 190 mille soldats autour de Leipzig, tandis -que huit jours auparavant il en avait <span class="pagenum"><a id="page527" name="page527"></a>(p. 527)</span> environ 210 mille, et -360 mille deux mois auparavant. Les marches et diverses rencontres lui -avaient déjà fait perdre 20 mille hommes en huit jours, et 30 mille -étaient paralysés à Dresde. Il pouvait avoir, si Bernadotte se -joignait à Blucher, de 320 à 350 mille hommes à combattre, et c'était -une terrible lutte à soutenir contre des ennemis remplis d'exaltation. -Il allait se voir entouré, cerné en quelque sorte au sud et à l'est de -Leipzig par l'armée du prince de Schwarzenberg, au nord par les armées -de Blucher et de Bernadotte, peut-être même enveloppé à l'ouest et -coupé de Mayence, si Blucher au moyen des troupes légères de -Thielmann, réussissait à donner la main à Schwarzenberg à travers la -plaine de Lutzen. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 58 et 60.) -<span class="sidenote" title="En marge">Gravité de la situation.</span> -Cette situation -était donc infiniment grave, bien qu'il eût de grandes ressources dans -l'indomptable bravoure de ses soldats, dans son génie, et dans la -position concentrique qui lui permettrait de contenir les uns pendant -qu'il combattrait les autres, et de les vaincre ainsi successivement. -Du reste il n'avait pas cessé de l'espérer.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Concours de nouvelles politiques fâcheuses.</span> -Les événements politiques qu'il apprenait étaient assez tristes, et de -nature à mettre son caractère à une nouvelle épreuve. -<span class="sidenote" title="En marge">Chute du trône de Westphalie.</span> -Le royaume de -Westphalie venait de s'écrouler soudainement, à la seule apparition -d'une troupe de Cosaques. C'était facile à prévoir, mais le coup n'en -était pas moins sensible, et d'un sinistre augure. En effet après la -bataille de Gross-Beeren et de Dennewitz, Bernadotte, parvenu jusqu'à -l'Elbe, dont il avait occupé plusieurs points entre Wittenberg et -Magdebourg, se chargeant <span class="pagenum"><a id="page528" name="page528"></a>(p. 528)</span> toujours volontiers des œuvres -les plus cruelles pour Napoléon, les moins honorables pour lui, avait -pris plaisir à lancer sur la Hesse Czernicheff avec quelque infanterie -légère et beaucoup de Cosaques, dans l'intention de renverser le trône -de Jérôme. Ces coureurs, tandis que Thielmann et Lichtenstein -envahissaient la Saxe et la Thuringe, s'étaient hâtés d'envahir la -Hesse, et de se porter sur Cassel, où le renversement de l'une des -royautés fondées par Napoléon ne pouvait manquer de produire une -grande sensation. Partout favorisés par la population, bien -accueillis, bien informés, bien nourris, ils étaient parvenus sans -difficulté jusqu'aux portes de Cassel. Le roi Jérôme n'avait pour se -défendre qu'un bataillon de grenadiers et deux régiments de -cuirassiers westphaliens, plus quelques hussards français. Ces -derniers avaient été récemment formés pour lui procurer une garde -sûre, et devaient être portés à douze cents hommes. Mais ils étaient à -peine sept à huit cents, arrivaient depuis quelques jours de France, -et beaucoup d'entre eux étaient encore incapables de se tenir à -cheval. À l'approche des partisans de Czernicheff tous les esprits -avaient été vivement émus, et l'espérance de se débarrasser d'une -royauté étrangère les avait presque soulevés. Les troupes peu -nombreuses et la plupart westphaliennes, contenues par la discipline -militaire, s'étaient abstenues de manifester leurs sentiments, mais en -les laissant facilement deviner. Jérôme s'était donc trouvé dans une -affreuse position; néanmoins il avait bravé l'orage, s'était adressé -au duc de Valmy à Mayence pour obtenir le secours <span class="pagenum"><a id="page529" name="page529"></a>(p. 529)</span> de trois à -quatre mille Français, et en attendant avait essayé de faire une -sortie à la tête de son bataillon de grenadiers, et de quatre cents -hussards français pris parmi ceux qui savaient monter à cheval. Cette -sortie avait été d'abord heureuse, et les hussards français avaient -bravement chargé l'ennemi, qui s'était un moment replié. Mais bientôt -l'agitation des esprits croissant à Cassel, la plupart des troupes -westphaliennes désertant, et le duc de Valmy ne pouvant dans la grave -situation des choses déplacer trois à quatre mille Français sans un -ordre formel de Napoléon, Jérôme avait été obligé d'évacuer sa -capitale, et de se retirer sur Coblentz. Le 30 septembre Czernicheff -était entré dans Cassel, et le royaume de Westphalie avait été aboli.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Adhésion de la Bavière à la coalition.</span> -Ces nouvelles étaient suivies d'une autre non moins fâcheuse. La -Bavière était sur le point de nous abandonner, et on allait jusqu'à -répandre le bruit qu'elle avait déjà signé un traité d'adhésion à la -coalition européenne. Elle nous avait du reste préparés à cet -événement. Le roi ne cessant de se plaindre à nous d'être livré à ses -propres forces, avait dit et répété que son armée placée au bord de -l'Inn sous le général de Wrède, ne pourrait résister à l'armée -autrichienne; que si on ne lui envoyait immédiatement un corps de 30 -mille hommes, il serait obligé de céder aux injonctions des puissances -coalisées, au mauvais esprit de ses troupes, et à l'opinion unanime de -son peuple. Notre ministre, M. Mercy d'Argenteau, qui se conduisait à -Munich avec beaucoup de zèle et de prudence, n'avait pu répondre à ces -plaintes que par des promesses toujours démenties <span class="pagenum"><a id="page530" name="page530"></a>(p. 530)</span> par les -faits, et avait plusieurs fois averti M. de Bassano du péril qui nous -menaçait de ce côté. Le départ du maréchal Augereau pour Leipzig avait -été le signal de la défection, et la Bavière avait cédé, en signant un -traité d'alliance avec nos ennemis. Nous devions en conséquence nous -attendre, si nous étions forcés de nous retirer, à trouver sur nos -derrières une armée de 30 mille Autrichiens et de 30 mille Bavarois -prêts à nous fermer la retraite. Il fallait donc à tout prix être -victorieux à Leipzig, sous peine d'un désastre non pas plus tragique, -mais plus irrémédiable que celui de Moscou<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page531" name="page531"></a>(p. 531)</span> <span class="sidenote" title="En marge">La confiance de Napoléon est loin encore d'être -ébranlée.</span> -Cette situation, qui d'heure en heure semblait présenter un aspect -plus sinistre, n'échappait pas à Napoléon, mais elle était loin de le -troubler. L'idée d'être vaincu par les généraux et les soldats de la -coalition ne pouvait entrer dans son esprit. Ses généraux avaient été -battus quatre fois dans cette campagne, et lui jamais, ni dans -celle-ci, ni dans aucune autre. Après avoir livré plus de cinquante -batailles rangées, ce qui n'était arrivé encore à aucun capitaine, ni -ancien ni moderne, il n'en avait pas perdu une seule. Il trouvait sans -doute ses soldats jeunes pour les fatigues, mais il ne les avait -<span class="pagenum"><a id="page532" name="page532"></a>(p. 532)</span> jamais vus plus braves; il sentait sa prodigieuse -clairvoyance qui lui donnait tant d'avantage sur ses ennemis, comme on -sent l'excellence de sa vue en l'exerçant continuellement sur les -objets; il ne doutait donc pas de gagner une, même deux et trois -batailles. Son espérance était de vaincre d'abord Schwarzenberg le -premier jour, puis Blucher le second, et de sortir ainsi de l'espèce -de réseau dans lequel on cherchait à l'enfermer. Toutefois son -infériorité numérique par rapport à l'ennemi lui semblait bien grande, -car il ne pouvait pas se flatter de réunir 200 mille combattants, et -ses adversaires devaient en avoir plus de 300 mille s'ils parvenaient -à se joindre. -<span class="sidenote" title="En marge">Résolution de mettre l'infanterie sur deux rangs.</span> -Prévoyant cette difficulté, il avait prescrit une -disposition à laquelle il avait pensé bien des fois, c'était de placer -l'infanterie sur deux rangs au lieu de trois. Il prétendait que le -troisième rang ne servait ni pour les feux ni pour les charges à la -baïonnette, et il ne voulait pas s'avouer à lui-même que le troisième -rang, s'il ne pouvait ni tirer ni charger à la baïonnette, soutenait -cependant les deux autres, leur imprimait de la solidité, et les -recrutait après une action meurtrière. Mais dans la <span class="pagenum"><a id="page533" name="page533"></a>(p. 533)</span> détresse -où il se trouvait, la chose était bonne à essayer si elle n'était pas -bonne à professer.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien de Napoléon avec ses lieutenants pendant -une partie de la nuit du 14 au 15.</span> -Enfermé pendant cette soirée dans un appartement chauffé suivant la -coutume allemande, et appuyé à un grand poêle, il eut avec Berthier, -Murat, Marmont et plusieurs de ses généraux, un entretien long, -familier et significatif. Il soutint la formation de l'infanterie sur -deux rangs, et dit que pour le lendemain au moins elle aurait un grand -effet, celui de donner à l'armée française l'apparence d'être d'un -tiers plus forte, l'ennemi ignorant la nouvelle disposition qu'il -venait de prescrire. On disserta sur ce sujet, puis on parla de la -possibilité de juger à l'œil de la force d'une armée sur le -terrain, et Napoléon affirma qu'avec sa vieille expérience il n'était -pas sûr de ne pas se tromper d'un quart au moins. Tout à coup on -annonça Augereau, qu'il n'avait pas encore vu, car ce maréchal venait -à peine de rejoindre le quartier général.--Ah! vous voilà, -s'écria-t-il, arrivez donc, mon vieil Augereau; vous vous êtes bien -fait attendre.--Puis, sans aigreur ni blâme, même avec un ton amical -mais triste: Vous n'êtes plus, lui dit-il, l'Augereau de -Castiglione!--Si, répondit le maréchal, je serai encore l'Augereau de -Castiglione quand vous me rendrez les soldats d'Italie.--Cette -repartie n'irrita pas Napoléon, mais il insista, se plaignant d'une -sorte de défaillance générale autour de lui. Par un penchant, fort -ordinaire aux hommes, de s'en prendre de leurs malheurs plus -volontiers aux autres qu'à eux-mêmes, il accusa tout le monde, -d'ailleurs très-doucement. Il commença par ses frères, <span class="pagenum"><a id="page534" name="page534"></a>(p. 534)</span> comme -s'ils avaient été exclusivement coupables de ce qui se passait dans -leurs États, et qu'il n'eût été pour rien dans leurs mésaventures. Il -se plaignit de Louis qui, de la Suisse où il s'était retiré, lui -redemandait la Hollande, de Jérôme qui venait de perdre Cassel, de -Joseph qui venait de perdre l'Espagne. Puis il ajouta que son malheur -avait été de trop faire pour sa famille, que son beau-père l'empereur -François le lui avait reproché plus d'une fois, qu'il le reconnaissait -maintenant, mais trop tard.--Vous-même, dit alors Napoléon en -s'adressant à Murat avec une franchise de langage singulière, mais que -la complète absence d'aigreur rendait supportable, vous-même -n'avez-vous pas été prêt à m'abandonner?--Murat repoussa bien loin -cette imputation, en disant qu'il avait toujours eu des ennemis -cachés, appliqués à le desservir auprès de son beau-frère.--Oui, oui, -répondit Napoléon avec un ton tellement affirmatif qu'on voyait bien -qu'il avait tout su, ou tout deviné: vous avez été prêt à faire comme -l'Autriche, mais je vous pardonne. Vous êtes bon, vous avez un fonds -d'amitié pour moi, et vous êtes un vaillant homme; seulement j'ai eu -tort de vous faire roi. Si je m'étais contenté de vous faire vice-roi -comme Eugène, vous auriez agi comme lui; mais roi, vous songez à votre -couronne plus qu'à la mienne.--Ces vérités, adoucies par le ton, -émurent fort les assistants, et formèrent le sujet de la conversation -jusque bien avant dans la nuit. Ensuite, avec une sorte de résignation -supérieure, et des témoignages affectueux, Napoléon quitta ses -lieutenants, en leur disant qu'il fallait se <span class="pagenum"><a id="page535" name="page535"></a>(p. 535)</span> préparer tous à -se bien battre, car on aurait affaire à forte partie le lendemain, et -la bataille prochaine déciderait de leur sort, du sien, de celui de la -France.</p> - -<p>Ce triste retour sur le passé fut le seul signe que Napoléon donna de -ses sombres pressentiments, car du reste il était calme, tranquille, -résolu, comme si les circonstances eussent été celles qui avaient -précédé Austerlitz ou Friedland<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a>.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 15 au matin, Napoléon monte à cheval pour passer la -revue du champ de bataille.</span> -Le lendemain matin Napoléon monta de très-bonne heure à cheval, afin -d'inspecter le champ de bataille, ne voulant pas prendre l'initiative -de l'action à cause de ses corps restés en arrière, et imaginant bien -que l'ennemi ne la prendrait pas s'il ne la prenait pas lui-même. Ce -soin était urgent, car ce champ de bataille, immortalisé par notre -bravoure et nos malheurs, avait besoin d'être étudié dans son immense -étendue, pour qu'ayant acquis une entière connaissance des lieux, -Napoléon pût commander <span class="pagenum"><a id="page536" name="page536"></a>(p. 536)</span> là même où il ne serait pas de sa -personne. Il se porta d'abord au sud de Leipzig, vers le côté où Murat -s'était établi en se retirant devant l'armée de Bohême.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Description des environs de Leipzig.</span> -La Pleisse et l'Elster, comme la Saale, comme la Mulde, descendent des -montagnes de la Bohême (voir les cartes n<sup>os</sup> 58 et 60), traversent -toute la Saxe en coulant à peu près dans le même sens, jusqu'à ce que -séparées ou confondues elles aillent tomber dans l'Elbe qui les -recueille en passant. Un peu au-dessus de Leipzig la Pleisse et -l'Elster, assez rapprochées l'une de l'autre, et divisées en une -multitude de bras, finissent par se réunir au-dessous de cette ville, -puis se détournent un peu à gauche, et vont se confondre dans la -Saale, avec laquelle elles coulent vers l'Elbe en suivant une -direction presque parallèle au cours de la Mulde. Voici donc quel -était le mouvement des diverses armées. Le prince de Schwarzenberg -ayant débouché des montagnes de la Bohême avec la grande armée des -trois souverains, était arrivé sur Leipzig en descendant entre la -Mulde, la Pleisse et l'Elster. Napoléon au contraire venant à sa -rencontre du bas Elbe, avait remonté ces rivières jusqu'à Leipzig -même. Le prince de Schwarzenberg avait sa gauche à la Pleisse et à -l'Elster, et sa droite dans les plaines faiblement accidentées des -environs de Leipzig. Quant à Napoléon, il avait sa gauche dans ces -mêmes plaines, et sa droite aux deux rivières. Fortement adossé à -Leipzig, et occupant bien cette ville, il avait la prétention de tenir -Blucher et même Bernadotte entièrement séparés de Schwarzenberg. En -effet Blucher ne pouvant traverser <span class="pagenum"><a id="page537" name="page537"></a>(p. 537)</span> Leipzig, que nous -occupions, était forcé de se détourner ou à droite ou à gauche pour -rejoindre la grande armée de Bohême. Pour se détourner à droite -(droite de Blucher) il lui fallait franchir un obstacle de grande -importance, c'étaient la Pleisse, l'Elster, la Saale réunies, couvrant -de leurs mille bras une vallée boisée, large de plus d'une lieue, et -derrière laquelle il aurait pu trouver les Français, notamment -Augereau, qui s'avançait par la route de Lutzen après avoir battu -Platow et Thielmann. Si au contraire il eût cherché à se détourner à -gauche, il aurait rencontré à travers la vaste plaine de Leipzig -l'armée française revenant de Düben, et se serait exposé aux plus -grands périls. Dès lors il avait l'armée française comme une muraille -entre lui et Schwarzenberg. Il suffisait donc que Napoléon arrêtât -Schwarzenberg au sud de Leipzig, Blucher au nord, pour les empêcher de -se réunir, et s'il parvenait à battre l'un, puis à se reporter sur -l'autre, il était possible qu'il triomphât alternativement de tous -deux, surtout Bernadotte étant fort éloigné, et rien encore ne -prouvant qu'il dût arriver. Napoléon sachant Schwarzenberg le plus -rapproché, voulait d'abord avoir affaire à lui, réservant le combat -avec Blucher pour le lendemain.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille au sud, entre -Liebert-Wolkwitz et Wachau.</span> -Il commença donc sa revue par le sud, c'est-à-dire par le champ de -bataille où il s'attendait à rencontrer le prince de Schwarzenberg. -(Voir la carte n<sup>o</sup> 60.) La Pleisse et l'Elster, tantôt confondues, -tantôt séparées, et embrassant un large terrain, marécageux et boisé, -coulaient, avons-nous dit, de la Bohême sur Leipzig, c'est-à-dire du -sud <span class="pagenum"><a id="page538" name="page538"></a>(p. 538)</span> au nord. Napoléon devait naturellement y appuyer sa -droite, comme Schwarzenberg sa gauche, et l'appui était solide, car le -lit des deux rivières n'était pas facile à traverser. D'ailleurs ce -lit traversé, il aurait fallu gravir un terrain assez élevé pour -déboucher par derrière notre droite dans la plaine de Leipzig. Sur son -front Napoléon avait pour champ de bataille un terrain peu accidenté, -et dont quelques villages formaient à peine les moyens de défense. En -partant de Mark-Kleeberg sur la Pleisse, en passant par Wachau et -allant finir à Liebert-Wolkwitz, une légère dépression de terrain -servant d'écoulement aux eaux vers la Pleisse, séparait notre ligne de -celle de l'ennemi. Tel quel, ce vallon, si on peut l'appeler ainsi, -était l'obstacle de terrain que nous allions nous disputer avec -acharnement. À sa gauche enfin, Napoléon avait la vaste plaine de -Leipzig, semée de gros villages, et à peine sillonnée par une -très-petite rivière, la Partha, qui, naissant à quelque distance de -Liebert-Wolkwitz, allait après de nombreux circuits tomber derrière -nous dans la Pleisse, à travers un faubourg de Leipzig. Napoléon de ce -côté était presque sans appui, mais la présence de ses colonnes -arrivant de Düben devait contenir l'ennemi, et l'empêcher de s'y -risquer. Murat ayant pris position au sud, avait établi à -Mark-Kleeberg sur la Pleisse Poniatowski, à Wachau Victor, à -Liebert-Wolkwitz Lauriston, et dans les intervalles le 4<sup>e</sup> de -cavalerie (cavalerie polonaise), et le 5<sup>e</sup> sous Pajol, dans lequel on -avait fondu les dragons d'Espagne.</p> - -<p>De l'autre côté de cette espèce de vallon, on apercevait en face de -nous Kleist et Wittgenstein, entre <span class="pagenum"><a id="page539" name="page539"></a>(p. 539)</span> Gross-Pössnau, -Gülden-Gossa, Cröbern, avec les gardes russe et prussienne pour -réserve. L'armée autrichienne était partie à notre droite, entre la -Pleisse et l'Elster, s'avançant dans l'angle formé par ces rivières, -et menaçant le pont de Dölitz, partie à notre gauche, en avant d'un -bois dit de l'Université, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, et devant -tendre plus tard la main vers Blucher à travers la plaine de Leipzig, -si nous perdions du terrain et si les coalisés en gagnaient.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes au sud de Leipzig pour tenir tête -à l'armée de Bohême entre Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg.</span> -Napoléon approuva complétement la position prise par Murat. Il résolut -de disputer énergiquement la ligne de Liebert-Wolkwitz à Wachau et -Mark-Kleeberg, pour cela de doubler les trois corps de Murat, en -plaçant Augereau à droite près de Mark-Kleeberg, la garde et la -cavalerie de Latour-Maubourg au centre à Wachau, Macdonald avec la -cavalerie de Sébastiani à gauche, au delà de Liebert-Wolkwitz, afin -d'empêcher que notre aile gauche ne fût débordée, et d'essayer même, -comme on le verra bientôt, de déborder l'aile droite de l'ennemi. Les -Autrichiens s'avançant entre la Pleisse et l'Elster sur le pont de -Dölitz, Napoléon pour n'être pas tourné par sa droite, y plaça la -brigade Lefol, tirée des troupes qui formaient la garnison de Leipzig. -Après les combats qu'on avait livrés, les marches qu'on avait -exécutées dans la boue, les corps de Lauriston, Victor, Poniatowski, -Pajol, amenés par Murat, pouvaient monter à 38 mille hommes, Augereau -et Lefol à 12 mille, la garde à 36 mille, Latour-Maubourg à 6 mille, -Macdonald et Sébastiani à 22 mille, ce qui faisait environ 114 à 115 -mille hommes opposés à <span class="pagenum"><a id="page540" name="page540"></a>(p. 540)</span> 160 mille. Mais en manœuvrant bien, -en se battant énergiquement, toutes choses dont il n'y avait pas à -douter, en se servant par exemple de quelques-uns des corps restés en -arrière sous Ney, on pouvait renforcer Macdonald de 25 ou 30 mille -hommes, puis se rabattre en masse par la gauche sur la droite de -Schwarzenberg, et précipiter celui-ci dans la Pleisse. C'était en -effet le projet de Napoléon si les corps actuellement en marche -n'étaient pas indispensables au nord contre Blucher et Bernadotte.</p> - -<p>Cette revue du terrain terminée et ces dispositions arrêtées, Napoléon -revint par la gauche au faubourg de Reudnitz. Il parcourut les bords -de cette petite rivière de la Partha, qui roule, comme nous venons de -le dire, ses faibles eaux dans une cavité du terrain à peine sensible, -et passant par Taucha, Schönfeld, va les verser dans la Pleisse, au -nord de Leipzig, à travers le faubourg de Halle. Là, si on se joignait -de plus près, pouvait s'offrir un peu en arrière de notre gauche un -nouveau champ de bataille; mais il n'y avait pas à s'en occuper, -l'ennemi n'osant pas encore s'y montrer, et nous n'ayant que de la -cavalerie à y mettre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Möckern au nord de Leipzig, propre à arrêter -Blucher.</span> -Ce n'était pas assez que d'avoir tout disposé pour résister à la -grande armée de Bohême; il fallait songer aussi à tenir tête à -Blucher, qu'on devait s'attendre à voir paraître d'un moment à l'autre -au nord de Leipzig. Heureusement se trouvait de ce côté, en dépassant -la Partha, une position assez avantageuse, s'étendant du village de -Möckern à celui d'Euteritzsch, barrant la route de Halle à Leipzig, et -présentant un terrain large, élevé, appuyé d'un côté à <span class="pagenum"><a id="page541" name="page541"></a>(p. 541)</span> la -Pleisse et à l'Elster, de l'autre à un gros ravin, et où un corps -pouvait se déployer à l'aise, en ayant sur l'ennemi qui arrivait de -Halle un fort commandement. Obligé d'abandonner cette position, on -avait la ressource de se replier derrière la Partha, et d'aller -s'adosser à Leipzig, en avant du faubourg de Halle.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont avait pris position à Möckern.</span> -C'est là que Marmont, n'ayant cessé d'observer Blucher pendant la -marche de nos troupes, était venu se placer pour le combattre au -besoin. Napoléon approuva la position que Marmont avait prise, et lui -recommanda de s'y maintenir. Ney, avec Bertrand, Souham, Reynier, -Dombrowski, tous retardés par la destruction des ponts de la Mulde et -de l'Elbe, devait se ranger à la droite de Marmont, puis à mesure -qu'il arriverait se replier autour de Leipzig, du nord au sud, et se -relier à travers la plaine qu'arrose la Partha, avec la gauche de -Murat. Ces dernières troupes venues, le cercle autour de Leipzig -serait entièrement fermé.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises pour garder la ville de Leipzig et la -route de Lutzen qui était celle de Mayence.</span> -Restait à bien garder la ville même de Leipzig, et non-seulement la -ville, mais la grande route du Rhin, qui après avoir franchi la -Pleisse et l'Elster sur une longue suite de ponts, débouchait par -Lindenau dans la plaine de Lutzen, et allait rejoindre Weissenfels, -Erfurt, Mayence. Il était indispensable de garder spécialement la -route, parce qu'elle était notre seule ligne de retraite, et parce -qu'en l'occupant nous empêchions Blucher et Schwarzenberg de -communiquer entre eux par delà l'Elster et la Pleisse. Napoléon avait -laissé la division Margaron, composée de troupes de marche, dans -Leipzig <span class="pagenum"><a id="page542" name="page542"></a>(p. 542)</span> même, avec mission de défendre les ponts de la -Pleisse et de l'Elster, et le gros bourg de Lindenau, qui en forme le -débouché dans la plaine de Lutzen. Moyennant qu'on défendît bien ce -bourg et la ville, il suffisait de troupes légères sur la grande route -de Lutzen, pour qu'on fût averti de ce qui s'y passerait, et qu'on pût -y accourir à temps. Napoléon adjoignit aux troupes de Margaron le -général Bertrand qui avait marché avec Macdonald, et qui venait -d'entrer à Leipzig. Il devait appuyer au besoin, ou Margaron dans la -défense de Leipzig et du débouché de Lindenau, ou Marmont dans la -défense de la position de Möckern. Les autres corps arrivant -successivement devaient, comme nous l'avons dit, se placer derrière -Marmont, et le relier avec Murat. Ainsi dans la première journée -Napoléon avait pour la bataille qui allait se livrer au sud de -Leipzig, 115 mille hommes à opposer aux 160 mille de Schwarzenberg. Si -la lutte s'engageait en même temps au nord, il avait à opposer aux 60 -mille hommes de Blucher Marmont avec 20 mille, Bertrand avec 10 mille, -sans compter les 10 mille de Margaron qui gardaient Leipzig et la -grande route du Rhin. Ney, avec Souham, Dombrowski, Reynier, nous -amenait un renfort de 35 mille hommes, et pouvait alternativement -secourir Marmont ou Napoléon lui-même. Avec lui le total de nos forces -devait s'élever à 190 mille hommes; mais il fallait se hâter de -vaincre, car si Ney portait nos forces à 190 mille hommes, l'ennemi, -dans le même espace de temps, pouvait voir les siennes s'élever à 320 -ou 330 mille hommes par l'arrivée probable de Bernadotte demeuré -<span class="pagenum"><a id="page543" name="page543"></a>(p. 543)</span> en arrière de Blucher, de Benningsen demeuré en arrière de -Schwarzenberg. Napoléon, du reste, songeait à s'assurer des résultats -décisifs dès le premier jour, car il espérait avoir au moins la tête -de colonne de Ney, la joindre à Macdonald, et, les jetant l'un et -l'autre sur la droite de Schwarzenberg, pousser brusquement ce dernier -dans la Pleisse. Ces dispositions étaient tout ce qu'on pouvait -attendre de la situation et de son génie, et après avoir employé la -journée entière du 15 à rallier ses troupes, il résolut de ne pas -différer davantage, et d'attaquer Schwarzenberg le lendemain 16. Il -redoubla d'assurance à l'égard de ses lieutenants, et même de -bienveillance pour eux, voulant les mieux disposer à donner jusqu'à la -dernière goutte de leur sang. Au surplus, même en éprouvant de -secrètes inquiétudes et en désapprouvant sa politique, ils y étaient -déterminés sans réserve. Vaincre ou mourir était le sentiment de tous.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé du côté des alliés.</span> -Les alliés de leur côté n'étaient pas restés oisifs, et avaient fait -de grands efforts pour opérer leur réunion sous les murs de Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Contestations perpétuelles entre Blucher et Bernadotte -depuis leur réunion derrière la Mulde.</span> -Blucher et Bernadotte, comme on l'a vu, s'étaient, à l'approche de -Napoléon, réfugiés derrière la Mulde, et n'avaient cessé depuis qu'ils -se trouvaient ensemble d'être en contestation sur la conduite à -suivre. Bernadotte aurait voulu d'abord que l'armée de Silésie vînt -prendre position au-dessus de lui sur la Mulde, c'est-à-dire se placer -entre lui et Leipzig, afin d'avoir en cas de revers des moyens -d'évasion plus prompts et plus sûrs vers l'Elbe. Blucher, qui devinait -les motifs de Bernadotte, aurait désiré au contraire se <span class="pagenum"><a id="page544" name="page544"></a>(p. 544)</span> -placer au-dessous pour le tenir enfermé entre lui et Leipzig, et le -forcer ainsi à marcher à l'ennemi. Mais Bernadotte se refusant -absolument à une semblable disposition des deux armées, et alléguant -pour prétexte le soin de ses communications avec la Suède, Blucher -avait été obligé de se rendre pour éviter une rupture. Après cette -contestation, il s'en était élevé une autre. Bernadotte voulait qu'en -remontant vers Leipzig on opérât ce mouvement non pas derrière la -Mulde, mais derrière la Saale, afin de mettre deux rivières entre soi -et les Français. Blucher, au contraire, voulait qu'on se couvrît -seulement de la Mulde pour arriver plus tôt à Leipzig. Toutefois il -avait cédé encore, toujours dans l'intention de prévenir un éclat. -Mais avec son impatience habituelle, il n'avait porté qu'un de ses -corps derrière la Saale, et à la tête des deux autres il avait cheminé -en avant de cette rivière, sur la chaussée de Halle, très-près du -maréchal Marmont qu'il n'avait cessé de côtoyer. Enfin une troisième -contestation avait tout à coup surgi entre les deux chefs des armées -de Silésie et du Nord, et avait mis le comble à leur mésintelligence. -À la vue des Français occupés au delà de l'Elbe à détruire des ponts, -Bernadotte croyant à un mouvement de Napoléon sur Berlin, avait voulu -repasser l'Elbe, pour n'être pas coupé du nord de l'Allemagne où était -sa base d'opération. Son état-major tout entier, composé en grande -partie de Russes et de Prussiens, avait contre l'ordinaire incliné à -son opinion. Aussi avait-il fait valoir l'autorité éventuelle dont il -était investi à l'égard de l'armée de Silésie, pour enjoindre à -Blucher de le suivre sur la rive <span class="pagenum"><a id="page545" name="page545"></a>(p. 545)</span> droite de l'Elbe. En -recevant cet ordre Blucher avait contesté le mouvement de Napoléon sur -Berlin, allégué à l'appui de son opinion les forces considérables -laissées autour de Leipzig, répondu en outre par une désobéissance -formelle, et adressé aux officiers prussiens et russes de l'armée de -Bernadotte l'invitation de ne pas quitter la rive gauche de l'Elbe. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher s'était avancé par Halle sur Leipzig; Bernadotte -était resté en arrière sur la basse Saale, avec deux divisions -laissées sur la droite de l'Elbe.</span> -Mais un fait indépendant de leur volonté à tous, la destruction -complète des ponts par Ney et Reynier, avait mis fin au débat, et -Bernadotte, privé de ses moyens de passage, était resté forcément sur -la gauche de l'Elbe, ne suivant d'ailleurs Blucher que de très-loin. -Toutefois les divisions Thumen et Hirschfeld, le corps de Tauenzien -étaient demeurés de l'autre côté du fleuve, et avaient ainsi causé -l'erreur de Napoléon, qui avait cru l'armée entière du Nord résolue à -se maintenir sur la droite de l'Elbe et sur la route de Berlin.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, arrivé à quelque distance de Leipzig, envoie un -officier pour essayer de pénétrer auprès de Schwarzenberg à travers -l'armée française.</span> -C'est de cette manière que Blucher et Bernadotte avaient occupé le -temps que Napoléon avait employé à revenir sur Leipzig. Blucher était -le 15 sur la route de Halle, à quatre ou cinq lieues au nord de -Leipzig, ayant grand désir de s'en approcher, n'osant donner la main -au prince de Schwarzenberg à travers la plaine de Lutzen, parce qu'il -lui aurait fallu franchir la Pleisse et l'Elster, étant fort tenté de -le faire du côté opposé, à travers la vaste plaine de Leipzig, mais ne -l'osant pas davantage à la vue des corps français qui marchaient dans -cette direction, et renouvelant ses instances auprès de Bernadotte -pour qu'il vînt le joindre, car réunis ils devaient former une armée -de 120 mille hommes, <span class="pagenum"><a id="page546" name="page546"></a>(p. 546)</span> laquelle n'avait rien à craindre de -personne. Il avait en attendant tâché d'envoyer un officier au prince -de Schwarzenberg pour lui dire qu'il était là, au nord de Leipzig, à -une très-petite distance de lui, prêt à marcher au canon dès qu'il -l'entendrait retentir au sud de cette ville.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement de l'armée de Bohême.</span> -Dans l'armée de Bohême l'accord avait été plus grand, grâce à l'esprit -conciliant d'Alexandre, à l'autorité doucement exercée du prince de -Schwarzenberg, et surtout à l'évidence de ce qu'on avait à faire. -<span class="sidenote" title="En marge">Peu de divergences d'avis dans cette armée, qui n'avait -d'autre conduite à tenir que de marcher sur Leipzig.</span> -On avait voulu descendre sur Leipzig avec l'intention de s'y joindre aux -deux armées de Silésie et du Nord, et dès lors on n'avait qu'une -conduite à tenir, c'était de pousser Murat vivement, et d'autant plus -vivement qu'on voyait bien que Murat n'était qu'un rideau destiné à -couvrir le mouvement des Français sur l'Elbe, et que si on ne se -hâtait pas de percer ce rideau, on laisserait à Napoléon le temps -d'accabler les armées de Silésie et du Nord. C'est ainsi qu'on était -arrivé le 14 devant Liebert-Wolkwitz et Wachau, où l'on avait perdu -1,200 hommes dans un combat de cavalerie imprudemment engagé contre -Murat.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 14 au sud de Leipzig, elle emploie la journée du -15 à se reposer et à prendre position.</span> -La journée du 15 avait été employée à se rallier, à se mettre en -ligne, et à délibérer sur le plan d'attaque, sujet fort grave et le -seul sur lequel il y eût à discuter. Qu'il fallût livrer bataille, -personne ne le mettait en doute, dût-on être vaincu, car si on -laissait à Napoléon un jour, une heure de plus, il en profiterait pour -détruire les deux armées du Nord et de Silésie. -<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité pour elle de livrer bataille.</span> -Se battre -énergiquement en désespérés et tout de suite, était l'avis que la -situation inspirait <span class="pagenum"><a id="page547" name="page547"></a>(p. 547)</span> et commandait à tout le monde. Restait le -plan de la bataille à livrer. -<span class="sidenote" title="En marge">Discussion sur le plan.</span> -À cet égard il y avait grande divergence -entre les généraux autrichiens d'une part, et les généraux russes et -prussiens de l'autre. En guerre, comme en toutes choses, l'opinion de -chacun est généralement dictée par la position qu'il occupe. -<span class="sidenote" title="En marge">Avis des généraux russes et prussiens.</span> -Les Russes et les Prussiens, sous Barclay de Tolly, ayant débouché -directement sur Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, devant -Murat, sur la rive droite de la Pleisse et de l'Elster, voulaient -qu'on portât l'attaque sur ce point, qu'on l'y portât résolûment, et -avec presque toutes ses forces. À peine admettaient-ils qu'on fît une -diversion à leur droite par Gross-Pösnau, Seyffertshayn, pour déborder -notre gauche, et essayer de tendre une main vers Blucher à travers la -plaine de Leipzig. Ils admettaient aussi qu'à leur gauche, entre la -Pleisse et l'Elster, on fît quelques démonstrations pour tendre la -main à Blucher à travers la plaine de Lutzen, s'il cherchait par -hasard à percer de ce côté. Mais là encore ils ne voulaient qu'une -simple démonstration.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Avis des généraux autrichiens.</span> -Les Autrichiens ayant été conduits par les routes qu'ils avaient -suivies à déboucher en grande partie entre la Pleisse et l'Elster, -accordaient sans doute qu'on dirigeât une attaque vigoureuse contre -Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, mais ils espéraient peu de -cette attaque de front, et demandaient qu'on portât le gros des forces -dans l'angle formé par la Pleisse et l'Elster, que protégés par les -deux côtés de cet angle dont le sommet s'appuyait à Leipzig, on s'y -enfonçât, et qu'on essayât d'enlever à coups d'hommes le pont de -Dölitz, placé sur la <span class="pagenum"><a id="page548" name="page548"></a>(p. 548)</span> droite des Français en arrière de -Mark-Kleeberg. Sans doute, disaient-ils, on y rencontrerait de grandes -difficultés, car la Pleisse, coupée en mille bras, présentait des -ponts, des corps de ferme, des enclos à forcer, et ensuite un terrain -assez escarpé à gravir. Mais ces obstacles vaincus, on se trouverait -sur les derrières des Français, la position de ceux-ci ne serait plus -tenable, et ce serait un miracle s'ils pouvaient se retirer sains et -saufs sur Leipzig. Aussi les généraux autrichiens voulaient-ils que -non-seulement on employât à cette opération l'armée autrichienne, mais -que les réserves de Barclay de Tolly, composées de la garde impériale -russe, et de la garde royale prussienne, fussent chargées d'agir entre -la Pleisse et l'Elster. Il y avait certainement quelques raisons à -faire valoir pour ce plan, mais il y avait deux fortes objections à -lui opposer: la première, c'est qu'avec peu de monde Napoléon pourrait -en arrêter beaucoup à la position de Dölitz, et la seconde, c'est -qu'en voyant combien était peu considérable la masse chargée de le -combattre de front, il se rabattrait par sa gauche sur elle, et la -jetterait dans la Pleisse. Or, lorsqu'il aurait anéanti comme à Dresde -un tiers de l'armée alliée au moins, la question serait évidemment -décidée en sa faveur.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Transaction entre les opinions diverses, et attaque sur -trois points, à la droite de la Pleisse et de l'Elster, entre la -Pleisse et l'Elster, et à la gauche de ces rivières.</span> -Il ne suffit pas cependant qu'une opinion ait contre elle des raisons -excellentes pour qu'on y renonce. Après l'avoir adoptée par position -et de bonne foi, on y persiste par amour-propre, et il est rare qu'une -opinion logiquement détruite soit une opinion abandonnée. On contesta -vivement, et suivant la coutume, bonne en politique, mais souvent -<span class="pagenum"><a id="page549" name="page549"></a>(p. 549)</span> dangereuse à la guerre, on transigea. On répartit les forces -avec une certaine égalité. Le corps autrichien de Giulay, renforcé des -troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, dut, au delà de la -Pleisse et de l'Elster, se porter sur Lindenau, pour s'emparer de la -communication des Français avec Lutzen, c'est-à-dire avec Mayence. Ce -corps, de 20 à 25 mille hommes, pouvait, s'il était heureux, donner la -main à Blucher à travers la plaine de Lutzen. Le gros de l'armée -autrichienne, comptant 40 mille hommes environ, composé du corps de -Merfeld et de toutes les réserves tant de cavalerie que d'infanterie -du prince de Hesse-Hombourg, devait s'enfoncer dans l'angle formé par -la Pleisse et l'Elster, et essayer de déboucher par Dölitz sur les -derrières des Français. À la droite des deux rivières, sur le front -des Français, devant les positions de Mark-Kleeberg, Wachau, -Liebert-Wolkwitz, les armées prussienne et russe, appuyées de toutes -leurs réserves et présentant une force d'environ 70 mille hommes, -devaient se ruer sur la ligne occupée par Napoléon, tandis que le -général autrichien Klenau, comptant à peu près 25 mille hommes avec le -renfort d'une brigade prussienne et de la cavalerie de Platow, -déborderait au loin Liebert-Wolkwitz par la plaine de Leipzig, -tâcherait de tourner notre gauche, et de tendre lui aussi la main aux -armées de Blucher et de Bernadotte.</p> - -<p>Tel fut le plan adopté le 15 au soir pour être exécuté le lendemain 16 -dès neuf heures du matin. On essaya de faire parvenir à Blucher, dont -on avait appris l'arrivée au nord de Leipzig, l'avis qu'on allait -<span class="pagenum"><a id="page550" name="page550"></a>(p. 550)</span> attaquer le 16, afin que s'il entendait le canon, il se -portât lui-même au feu, et ne laissât aux Français que le moindre -nombre possible de troupes inoccupées.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dernières dispositions de Napoléon.</span> -Le 16 octobre était donc le jour choisi par les deux armées pour cette -grande et terrible lutte, de laquelle allait dépendre l'empire du -monde. Napoléon avait déjà disposé ses troupes dès la veille. -Macdonald et Sébastiani étant arrivés, il les avait dirigés sur -Holzhausen, à gauche de Liebert-Wolkwitz, afin de faire face à Klenau. -Quant à Ney et à Reynier, ils ne devaient être rendus à Leipzig, le -premier que dans la matinée du 16, et le second que dans celle du 17. -Blucher ne se montrant pas encore sur la route de Halle, ce qui était -naturel puisqu'il fallait que le canon l'attirât sur le champ de -bataille pour qu'il osât s'y aventurer, Napoléon supposa que peut-être -il ne l'aurait pas sur les bras dans cette journée, et il enjoignit à -Marmont de quitter sa position au nord de Leipzig, de traverser le -faubourg de Halle, et de venir se placer sur les derrières de la -grande armée, afin de coopérer à la manœuvre décisive contre la -droite de Schwarzenberg, par laquelle il espérait assurer le gain de -la bataille. Il prescrivit à Ney de prendre la position laissée -vacante par Marmont, et d'être prêt, de concert avec Bertrand, à -contenir l'ennemi qui se montrerait au nord de Leipzig. Ces ordres -donnés, Napoléon était dès la pointe du jour à cheval au milieu de sa -garde, sur un tertre élevé, à la bergerie de Meusdorf, d'où il -dominait le champ de bataille, et voyait à sa gauche -Liebert-Wolkwitz, au centre <span class="pagenum"><a id="page551" name="page551"></a>(p. 551)</span> et un peu dans le fond Wachau, à -droite et dans le fond aussi Mark-Kleeberg, plus à droite enfin la -Pleisse et l'Elster, entre lesquelles s'avançaient les Autrichiens -pour forcer le pont de Dölitz. Il avait, comme nous l'avons dit, -environ 160 mille hommes devant lui, et environ 115 mille pour les -combattre, Macdonald et Sébastiani compris. Le reste de l'armée -française était à deux lieues en arrière, pour faire face aux -éventualités qui pouvaient se présenter sur d'autres points.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Première bataille de Leipzig, dite journée du 16.</span> -À neuf heures du matin, trois coups de canon tirés du côté des alliés -devinrent le signal d'une épouvantable canonnade. De Mark-Kleeberg à -Liebert-Wolkwitz, les coalisés s'avancèrent sur notre front en trois -fortes colonnes précédées par 200 bouches à feu. -<span class="sidenote" title="En marge">Attaque des coalisés sur Mark-Kleeberg, Wachau et -Liebert-Wolkwitz.</span> -Ils avaient eu -l'idée, très-bien entendue, de mêler ensemble les troupes de toutes -les nations, pour que les dangers fussent également répartis, et que -le voisinage excitât l'émulation. À notre droite, le général Kleist -avec la division prussienne du prince Auguste de Prusse, plusieurs -bataillons russes et les cuirassiers de Levachoff, marcha par Cröbern -et Crostewitz sur Mark-Kleeberg. Au centre, le prince Eugène de -Wurtemberg, avec la division russe qu'il commandait et la division -prussienne de Klüx, marcha sur Wachau. À notre gauche et à la droite -des coalisés, le prince Gortschakoff avec son corps et la division -prussienne Pirch marcha sur Liebert-Wolkwitz, que Klenau, avec une -quatrième colonne, essayait de tourner par Seyffertshayn. Ces diverses -colonnes s'avançaient résolûment, en gens décidés à surmonter tous -les obstacles. Notre artillerie, <span class="pagenum"><a id="page552" name="page552"></a>(p. 552)</span> fort nombreuse, mise en -batterie sur la pente du terrain, les couvrit de projectiles, mais ne -les arrêta point, et elles arrivèrent sans chanceler jusqu'au pied de -nos positions.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Poniatowski après avoir vaillamment résisté au général -Kleist, est obligé de se replier un peu en arrière.</span> -La colonne de Kleist, dirigée sur Mark-Kleeberg à notre droite, fut -bientôt engagée avec Poniatowski, et malgré la résistance de celui-ci, -parvint à emporter ce village situé sur la Pleisse. Elle n'était pas -de moins de 18 mille hommes, tandis que Poniatowski n'en avait que -huit ou neuf mille. Ce dernier fut obligé de se retirer sur le terrain -un peu dominant qui formait l'extrémité droite de notre ligne. -Augereau porté alors en avant vint appuyer Poniatowski. Une forte -artillerie fut dirigée contre Kleist qui cherchait à gravir le terrain -sur lequel nous nous étions repliés. -<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Victor dispute victorieusement le village de -Wachau au prince Eugène de Wurtemberg.</span> -Au centre, le prince Eugène de -Wurtemberg avec son infanterie russe et la division de Klüx, arriva -devant Wachau sous une grêle de mitraille, et tenta d'y pénétrer. Mais -le maréchal Victor, occupant ce village, lui résista opiniâtrement. -Enfin à notre gauche, Gortschakoff partant de Störmthal, point de -départ plus éloigné que celui des autres colonnes, était encore à -quelque distance de Liebert-Wolkwitz, que Klenau avec les Autrichiens -de Mohr était prêt à déborder. -<span class="sidenote" title="En marge">Lauriston se maintient à Liebert-Wolkwitz.</span> -Mais le corps de Lauriston se trouvait -à Liebert-Wolkwitz, favorisé par l'élévation du terrain, et devant -être bientôt soutenu par Macdonald qui débouchait de Holzhausen.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Canonnade épouvantable.</span> -Cette première marche des coalisés fut ferme et résolue, et s'exécuta -sous une grêle de boulets lancés par les trois cents bouches à feu que -nous avions de Mark-Kleeberg à Liebert-Wolkwitz. -<span class="sidenote" title="En marge">Les Français se défendent sur toute la ligne, sans perdre -aucune portion de terrain.</span> -La canonnade -<span class="pagenum"><a id="page553" name="page553"></a>(p. 553)</span> de part et d'autre était si violente que personne, parmi nos -vieux généraux, ne se souvenait d'en avoir entendu une pareille, et -que Napoléon, quoique placé un peu en arrière à la bergerie de -Meusdorf, vit tomber autour de lui quantité d'officiers et de chevaux. -Avec son ordinaire assurance, il demeura impassible, et laissa la -bataille s'engager davantage avant de prendre aucune résolution -décisive. À gauche, Liebert-Wolkwitz bâti sur une éminence, et -vigoureusement occupé par Lauriston, pouvait se défendre longtemps. Au -centre, le prince Eugène de Wurtemberg ne semblait pas en état de -surmonter la résistance des trois divisions de Victor. À droite -seulement, la nécessité où avait été Poniatowski d'abandonner -Mark-Kleeberg, et de céder un peu de terrain, avait amené notre ligne -à se courber légèrement en arrière. La division Semelé, du corps -d'Augereau, était déjà venue au secours de Poniatowski. Napoléon -ordonna de se servir de la nombreuse et excellente cavalerie qu'on -avait de ce côté, celle des Polonais et de Pajol (4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps) -pour arrêter l'infanterie de Kleist sur la pente du terrain qu'elle -essayait de gravir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Charge des dragons de Kellermann et des cuirassiers de -Levachoff.</span> -Le général Kellermann, qui dirigeait ce jour-là les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps, -se jeta avec ses dragons sur l'infanterie du prince Auguste, et la -contint. Mais les cuirassiers de Levachoff, lancés à propos et avec -habileté, franchirent un ravin qui était au pied de nos positions, -prirent en flanc les dragons de Kellermann et les ramenèrent. -Accueillis à leur tour par le feu plongeant de notre artillerie, les -cuirassiers de Levachoff furent obligés de revenir sur leurs pas. On -se contint <span class="pagenum"><a id="page554" name="page554"></a>(p. 554)</span> réciproquement, les Prussiens ne gagnant pas plus -de terrain qu'ils n'en avaient conquis d'abord, nous, ne pouvant -recouvrer Mark-Kleeberg, mais restant sur les points dominants que -nous avions occupés. Une masse formidable d'artillerie arrêtait -l'ennemi, et bien que notre ligne ne fût pas redressée, elle ne -paraissait pas devoir se courber davantage.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Carnage horrible à Wachau et à Liebert-Wolkwitz.</span> -Au centre, c'est-à-dire à Wachau, à gauche, c'est-à-dire à -Liebert-Wolkwitz, le combat ne cessait pas d'être opiniâtre et -sanglant. À plusieurs reprises le prince de Wurtemberg et le général -Kleist avaient pénétré dans Wachau, qui était dans un fond, mais à -chaque fois les divisions de Victor fondant sur eux en colonnes -serrées, les en avaient repoussés. Ce village avait été en deux heures -pris et repris cinq fois. Il ne présentait plus qu'un monceau de -ruines et de cadavres. À Liebert-Wolkwitz, Lauriston, abordé de front -par Gortschakoff, de gauche par Klenau, les avait reçus de manière à -ne pas leur donner le goût d'y revenir. Klenau s'étant montré le -premier sur la gauche avec la brigade Spleny, le général Rochambeau -l'avait chargé et culbuté, tandis qu'on canonnait Gortschakoff éloigné -encore, et longeant le bois de l'Université. Après avoir criblé de -boulets les Russes de Gortschakoff, les Prussiens de Pirch, le général -Maison leur avait laissé gravir le terrain saillant sur lequel -s'élevait Liebert-Wolkwitz, puis les avait chargés avec vigueur, et -rejetés partie sur le bois de l'Université à gauche, partie sur -Gülden-Gossa à droite, et, chaque fois qu'ils avaient voulu -reparaître, les avait couverts de mitraille.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page555" name="page555"></a>(p. 555)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vers midi, 18 à 20 mille hommes avaient déjà -succombé.</span> -À midi, 18 mille hommes avaient déjà succombé dans l'une et l'autre -armée, mais les deux tiers de ce nombre du côté de l'ennemi, et notre -ligne invincible partout semblait ne pouvoir être forcée, sauf à -droite, où, comme nous l'avons dit, elle s'était légèrement ployée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le canon se faisant entendre tout à coup à Lindenau et à -Möckern, nous apprend qu'il se livre trois batailles à la fois.</span> -Dans ce moment le canon avait tout à coup retenti au nord, puis on -l'avait bientôt entendu dans les autres directions, ce qui annonçait -que nous étions assaillis de tous les côtés à la fois. En effet, des -aides de camp arrivés au galop avaient appris d'une part que sur la -droite de Leipzig, Margaron était attaqué à Lindenau par Giulay, qui -voulait nous ôter notre ligne de communication avec Lutzen, et qu'en -arrière, c'est-à-dire au nord de Leipzig, Marmont était aux prises -avec Blucher accouru de Halle pour prendre part à la bataille -générale. Marmont mandait qu'il ne pouvait pas exécuter l'ordre de se -porter derrière Napoléon, car il lui fallait tenir tête à Blucher, et -même il réclamait du secours. Heureusement le maréchal Ney paraissait -en cet instant avec la division Dombrowski et le corps de Souham, et -Napoléon fit dire à ce maréchal, que tout en aidant Marmont, il -fallait envoyer derrière Macdonald, à l'appui de la grande armée, -celle de ses divisions dont il pourrait disposer. Ney commandait à la -fois le 4<sup>e</sup> corps (Bertrand), le 3<sup>e</sup> (Souham), le 7<sup>e</sup> (Reynier), plus -la division de Dombrowski. Il avait Bertrand dans Leipzig pour appuyer -Margaron; il lui arrivait Dombrowski et Souham pour soutenir Marmont -et se reporter sur Napoléon. Il ne pouvait avoir Reynier que le -lendemain.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page556" name="page556"></a>(p. 556)</span> <span class="sidenote" title="En marge">À midi, Napoléon se décide à prendre l'offensive.</span> -À midi la bataille s'étant plus clairement développée, Napoléon songea -enfin à quitter la défensive pour prendre une offensive vigoureuse. Il -résolut de déboucher à la fois de Liebert-Wolkwitz et de Wachau afin -d'écraser le centre de l'ennemi, tandis qu'à l'extrême gauche -Macdonald débouchant de Holzhausen par delà Liebert-Wolkwitz, -repousserait Klenau, le rejetterait le plus loin possible, puis se -rabattant de gauche à droite, se précipiterait sur le centre de -l'ennemi attaqué déjà de front par Liebert-Wolkwitz et Wachau. -<span class="sidenote" title="En marge">Deux colonnes partant l'une de Wachau, l'autre de -Liebert-Wolkwitz, et ayant l'artillerie de la garde entre deux, -doivent fondre sur l'ennemi, pendant que Macdonald se rabattant de -gauche à droite, cherchera à le pousser vers la Pleisse.</span> -Pour l'exécution de ce mouvement, Napoléon fit descendre d'un côté deux -divisions de la jeune garde sous Mortier, afin que réunies à Lauriston -elles tombassent sur Gortschakoff, et de l'autre côté deux autres -divisions de cette même jeune garde, sous Oudinot, pour fondre avec -Victor sur le prince Eugène de Wurtemberg. La réserve d'artillerie de -la garde formant une batterie de quatre-vingts pièces de canon, devait -s'avancer entre ces deux colonnes et les seconder de son feu. La -cavalerie de Latour-Maubourg fut disposée en arrière afin d'appuyer ce -mouvement, et de saisir les occasions de charger. Kellermann avec les -4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps se tint également prêt sur la droite. La vieille -garde composée des divisions d'infanterie Curial et Friant et de la -cavalerie de Nansouty, vint prendre la position laissée vacante par la -jeune garde et par Latour-Maubourg. Tout s'ébranla donc pour ce -mouvement offensif, dans le moment même où Alexandre, frappé déjà de -ce qui se passait devant lui, avait envoyé un de ses officiers -allemands, M. de Wolzogen, pour supplier le prince de Schwarzenberg -<span class="pagenum"><a id="page557" name="page557"></a>(p. 557)</span> de renoncer à son attaque entre la Pleisse et l'Elster, et de -s'occuper davantage de ce que les armées prussienne et russe avaient -sur les bras entre Liebert-Wolkwitz et Wachau.</p> - -<p>À peine le signal était-il donné que nos deux colonnes d'attaque -s'avancèrent, ayant entre elles la batterie formidable de la garde -dirigée par Drouot, et dont trente-deux pièces de 12 étaient -commandées par le brave colonel Griois. Le feu était épouvantable, et -tel qu'il semblait qu'aucune troupe n'y pût résister. -<span class="sidenote" title="En marge">Succès de Lauriston et Mortier, précédés de la division -Maison.</span> -D'un côté le -maréchal Mortier précédé par la division Maison descendit de -Liebert-Wolkwitz, aborda Gortschakoff, et le rejeta entre le bois de -l'Université et le village marécageux de Gülden-Gossa. -<span class="sidenote" title="En marge">Succès d'Oudinot et Victor, en avant de Wachau.</span> -De l'autre côté -Oudinot et Victor débouchant de Wachau, repoussèrent le prince Eugène -de Wurtemberg, lui firent repasser l'espèce de vallon qui nous -séparait, et le refoulèrent sur la bergerie d'Avenhayn, qui se -trouvait sur la droite du village de Gülden-Gossa. -<span class="sidenote" title="En marge">Macdonald refoule Klenau sur le bois de l'Université, mais -sans pouvoir y pénétrer.</span> -Tandis que l'on -s'avançait ainsi victorieusement vers le milieu de notre ligne, -Macdonald faisant irruption à gauche par delà Liebert-Wolkwitz, aborda -Klenau, et l'obligea de lui céder une grande étendue de terrain. -Chemin faisant, il arriva devant une vieille redoute, dite des -Suédois, d'où pleuvaient des flots de mitraille, la masqua au moyen de -la division Charpentier, et avec les divisions Ledru et Gérard enleva -Seyffertshayn. L'ennemi se défendit vigoureusement, mais on le rejeta -d'un côté sur Klein-Pössnau, de l'autre sur Gross-Pössnau et le bois -de l'Université. Là favorisé par les difficultés locales, il -s'arrêta, et nous tint tête. Si un corps de <span class="pagenum"><a id="page558" name="page558"></a>(p. 558)</span> réserve appuyant -alors Macdonald, était venu l'aider à se rabattre de gauche à droite, -on aurait pu culbuter une partie de Klenau sur Gortschakoff, l'un et -l'autre sur le prince de Wurtemberg et sur Kleist, et tous ensemble -dans la Pleisse. Mais Marmont était en ce moment aux prises avec -Blucher, Margaron avec Giulay; Bertrand entre deux, se réservait pour -aller au secours du plus menacé. Ney n'osait disposer de Souham, tant -Marmont lui paraissait attaqué violemment, laissait Dombrowski sur la -droite de Marmont, pour faire face à des masses qu'on voyait -confusément dans le lointain, et enfin attendait encore Reynier. Il -fallait donc que Napoléon remportât la victoire avec ce qu'il avait -sous la main.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Danger des alliés.</span> -Les ennemis après avoir perdu toute la largeur du champ de bataille en -disputaient pied à pied l'extrême limite. Klenau résistait soit à -Gross-Pössnau, soit à la tête du bois de l'Université. Gortschakoff -rejeté sur l'autre côté de ce bois s'y défendait, et cherchait en même -temps à s'appuyer au village de Gülden-Gossa, qui, étant enfoncé en -terre, et présentant une suite de bois et de mares d'eau assez -allongée, était très-propre à la défensive. Le prince Eugène de -Wurtemberg placé tout auprès, à la bergerie d'Avenhayn, tâchait de s'y -maintenir avec les débris de son corps. À l'aspect du danger qui les -menaçait, les souverains alliés étaient dans la plus grande -perplexité. <span class="sidenote" title="En marge">M. de Wolzogen envoyé au prince de Schwarzenberg pour le -ramener de la gauche à la droite de la Pleisse, au secours des armées -russe et prussienne.</span> -M. de Wolzogen, comme nous venons de le dire, avait été -envoyé au prince de Schwarzenberg, le général Jomini s'était joint à -lui, et sur les vives observations de tous deux, le prince -reconnaissant la difficulté d'emporter Dölitz pour <span class="pagenum"><a id="page559" name="page559"></a>(p. 559)</span> déboucher -sur nos derrières, et le péril pressant des armées russe et -prussienne, avait consenti à faire passer sur la rive droite de la -Pleisse la réserve du prince de Hesse-Hombourg, forte de plus de 20 -mille hommes. Mais ce n'était pas avant trois heures de l'après-midi -que ces renforts pouvaient être arrivés. -<span class="sidenote" title="En marge">En attendant, Alexandre et Frédéric-Guillaume font donner -toutes leurs réserves.</span> -En attendant les souverains -se décidèrent à engager toutes leurs réserves, certains qu'ils étaient -de les remplacer bientôt par une partie de l'armée autrichienne. -<span class="sidenote" title="En marge">Charge de la cavalerie russe repoussée par Lauriston et -Mortier d'un côté, par Oudinot et Victor de l'autre.</span> -On lança d'abord les cuirassiers russes sur notre infanterie, tandis -qu'on porta en ligne les dix mille grenadiers de Rajeffsky, dont une -colonne fut dirigée sur Gülden-Gossa, et l'autre sur la bergerie -d'Avenhayn.</p> - -<p>Tels étaient les événements du côté de l'ennemi. Lauriston et Mortier -à notre gauche vers Gülden-Gossa, Victor et Oudinot à notre droite -vers la bergerie d'Avenhayn, reçurent en carrés les cuirassiers -russes, et par un feu imperturbable les renversèrent sous les cadavres -de leurs chevaux. -<span class="sidenote" title="En marge">Les dix mille grenadiers de Rajeffsky viennent se mettre en -ligne, de la bergerie d'Avenhayn à Gülden-Gossa.</span> -Les dix mille grenadiers de Rajeffsky, répartis -entre la bergerie d'Avenhayn, le village de Gülden-Gossa et le bois de -l'Université, vinrent se placer comme une longue muraille, soutenue -d'intervalle en intervalle par du canon. -<span class="sidenote" title="En marge">Drouot les démolit à coups de canon.</span> -Le brave Drouot qui était -resté entre nos deux colonnes d'attaque avec sa formidable batterie, -imagina de diriger toutes ses pièces sur cette magnifique infanterie, -négligeant l'artillerie ennemie, quelque importance qu'il y eût à -éteindre ses feux. Quoiqu'il fût bien près de l'ennemi, il s'avança -plus encore, et se mit à tirer à mitraille sur les grenadiers russes -qui tombaient comme des pans de <span class="pagenum"><a id="page560" name="page560"></a>(p. 560)</span> murs sous le feu de nos -canons. -<span class="sidenote" title="En marge">Dubreton enlève la bergerie d'Avenhayn.</span> -Lorsqu'ils parurent suffisamment ébranlés, la division -Dubreton se détachant du corps de Victor à notre droite, exécuta une -charge à la baïonnette sur la bergerie d'Avenhayn, et l'emporta. -<span class="sidenote" title="En marge">Maison attaque Gülden-Gossa avec la dernière violence.</span> -À gauche le général Maison formant la tête de Lauriston, se jeta sur -Gülden-Gossa et parvint à y pénétrer. Mais les grenadiers Rajeffsky -favorisés par des bâtiments de ferme, des bois, des mares d'eau, s'y -défendirent avec la dernière opiniâtreté. On conduisit une partie de -la garde russe à leur secours, et tandis que Maison tenait une -extrémité du village, les Russes tenaient l'autre, et ne voulaient pas -l'abandonner. Maison atteint de plusieurs coups de feu, couvert de -sang, changea trois fois de cheval, et ramena ses soldats dans ce -village de Gülden-Gossa qu'il ne pouvait enlever aux Russes, et que de -leur côté les Russes ne pouvaient lui arracher. À gauche Macdonald -tournant Klenau par Seyffertshayn, avait rejeté sur Gross-Pössnau la -brigade prussienne Ziethen, les brigades autrichiennes Spleny et -Schöffer, la division autrichienne Meyer; mais la redoute suédoise -placée à gauche de Liebert-Wolkwitz était demeurée inabordable. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 22<sup>e</sup> léger enlève la redoute des Suédois.</span> -Napoléon qui se portait partout, apercevant le 22<sup>e</sup> léger au pied de -la redoute, demanda quel était le régiment qui se trouvait devant -cette position, et sur la réponse que c'était le 22<sup>e</sup> léger, il dit: -Ce n'est pas possible, le 22<sup>e</sup> léger ne resterait pas ainsi sous la -mitraille sans courir sur l'artillerie qui le foudroie.--Le 22<sup>e</sup> mené -par le colonel Charras, gravit la hauteur au pas de charge, tua les -artilleurs ennemis à coups de baïonnette, et <span class="pagenum"><a id="page561" name="page561"></a>(p. 561)</span> enleva la -redoute. Le point qui arrêtait Macdonald emporté, ce maréchal continua -son mouvement à notre gauche jusqu'à la moitié du bois de -l'Université.</p> - -<p>Il était trois heures: partout l'ennemi acculé, même en arrière de sa -première position, semblait prêt à nous céder la victoire. Seulement à -notre gauche, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, il se soutenait au bois -de l'Université. -<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi concentre tous ses efforts sur Gülden-Gossa.</span> -Au centre, repoussé de la bergerie d'Avenhayn, il -disputait au général Maison Gülden-Gossa, favorisé par la -configuration de ce village, qui présentait une rangée de bois et de -marécages. À notre droite, il n'avait pas rétrogradé en arrière de -Mark-Kleeberg, malgré les efforts héroïques du prince Poniatowski.</p> - -<p>Napoléon sentait le besoin de vaincre à tout prix, car il ne pouvait -pas ajourner la victoire. Ne pas vaincre aujourd'hui avec la multitude -d'ennemis qui approchaient, ce n'était pas être vaincu seulement, -c'était s'exposer à être détruit. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à ordonner une charge générale de -cavalerie.</span> -Il prit donc le parti de jeter toute -sa cavalerie sur la ligne ennemie. Murat à gauche descendit entre -Liebert-Wolkwitz et Wachau avec dix régiments de cuirassiers. À -droite, Kellermann descendit entre Wachau et Mark-Kleeberg avec la -cavalerie polonaise, les dragons d'Espagne, et les dragons de la garde -sous le général Letort. En ce moment Pajol, placé à la tête des -dragons d'Espagne, fut enlevé à ses soldats par un obus qui éclatant -dans le ventre de son cheval, lui causa sans le tuer une épouvantable -commotion.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Succès de cette charge; on enlève 26 bouches à feu à -l'ennemi.</span> -Douze mille chevaux s'avancèrent ainsi en deux masses, l'une à -gauche, l'autre à droite, pleins du <span class="pagenum"><a id="page562" name="page562"></a>(p. 562)</span> souvenir de la victoire -de Dresde qui leur était due. Le général Bordesoulle avec ses -cuirassiers, lancé par Murat, chargea la cavalerie de Pahlen et la -dispersa, fondit ensuite sur les grenadiers et les gardes russes qui, -après être restés maîtres de Gülden-Gossa, s'étaient déployés en avant -de ce village, les renversa, et leur prit vingt-six bouches à feu. À -droite, les dragons d'Espagne et ceux de la garde chargèrent les -cuirassiers de Levachoff, et leur firent expier leur succès du matin. -Ce premier choc avait partout réussi, et il ne fallait plus qu'un -effort pour percer définitivement le centre de l'ennemi, et rabattre à -droite Kleist et le prince Eugène de Wurtemberg dans la Pleisse, à -gauche Gortschakoff sur le bois de l'Université. Mais il était plus de -trois heures. Tout à coup on aperçut à notre droite des masses -profondes arrivant de l'autre côté de la Pleisse. C'était la réserve -autrichienne de Hesse-Hombourg dont la tête, formée par les -cuirassiers de Nostitz, devançait les grenadiers de Bianchi et de -Weissenwolf. -<span class="sidenote" title="En marge">Subite arrivée des cuirassiers de Nostitz, envoyés sur la -droite de la Pleisse par le prince de Schwarzenberg.</span> -Les cuirassiers de Nostitz en effet, débouchant au galop, -rencontrèrent les cavaliers de Kellermann, dans le désordre de la -poursuite, les prirent en flanc et les ramenèrent. Le brave Letort -avec les dragons de la garde fondit à son tour sur les cuirassiers de -Nostitz, et les contint. -<span class="sidenote" title="En marge">Les cuirassiers de Nostitz arrêtent à gauche le mouvement -de nos dragons.</span> -Mais au lieu d'être décisif, le mouvement de -notre cavalerie sur la droite ne fut plus qu'alternatif, et tantôt -nous avancions, tantôt nous reculions. Au centre Murat, après avoir -tout renversé du premier choc, avait eu le tort, dans l'espérance -d'être appuyé, d'engager tous ses escadrons, et d'ailleurs il s'était -avancé <span class="pagenum"><a id="page563" name="page563"></a>(p. 563)</span> sur un terrain qu'il n'avait pas été en mesure de -reconnaître, et dont on ne pouvait de loin découvrir la forme. -<span class="sidenote" title="En marge">Le village de Gülden-Gossa arrête au centre l'élan de nos -cuirassiers.</span> -À distance, le village de Gülden-Gossa ne laissait voir que quelques -touffes d'arbres; mais de près Murat y trouva un grand enfoncement de -terrain, et dans cet enfoncement des bâtiments, des bouquets de bois, -des mares d'eau, et derrière chaque obstacle de l'infanterie bien -postée. Arrivée sur le village, sa cavalerie fut obligée de s'arrêter -court, et de demeurer en ligne sous le feu. -<span class="sidenote" title="En marge">Charge des hussards et Cosaques de la garde impériale russe -sur nos cuirassiers.</span> -L'empereur Alexandre -consentit alors à ce qu'on fît charger tout ce qui lui restait sous la -main, jusqu'aux hussards et Cosaques de sa garde. Ceux-ci passant -entre les ouvertures praticables de Gülden-Gossa, dont les Russes -étaient encore maîtres, se jetèrent à l'improviste sur le flanc de la -cavalerie de Murat, qu'ils surprirent, et qu'ils obligèrent à se -replier n'emmenant que six des vingt-six pièces conquises tout à -l'heure. Le brave Latour-Maubourg eut la cuisse emportée par un -boulet. Ces hussards et ces Cosaques, lancés au galop, entourèrent de -toutes parts la grande batterie de la garde qui était restée -inébranlable au milieu du champ de bataille. -<span class="sidenote" title="En marge">Drouot forme son artillerie en carré.</span> -Drouot, rabattant alors -les deux extrémités de sa ligne de canons sur ses flancs, opposa pour -ainsi dire un carré d'artillerie à la cavalerie ennemie, et lorsque -celle-ci en revenant passa à portée de ses pièces, il la couvrit de -mitraille.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La bataille n'est pas décidée, ainsi que Napoléon l'avait -espéré par le déploiement de notre cavalerie.</span> -La bataille n'avait donc pas été décidée par cette action générale de -notre cavalerie, bien qu'une bonne partie du champ de bataille fût en -notre pouvoir. À droite en effet nous avions presque bloqué <span class="pagenum"><a id="page564" name="page564"></a>(p. 564)</span> -Kleist dans Mark-Kleeberg; vers le centre Victor n'avait pas cessé -d'occuper la bergerie d'Avenhayn; au centre, tirant sur la gauche, -Lauriston, la batterie de la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg -étaient devant Gülden-Gossa; à gauche Macdonald, maître de la redoute -suédoise et de Seyffertshayn, bordait de toutes parts le bois de -l'Université. Mais l'ennemi, quoiqu'il eût rétrogradé, tenait encore. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se résout à faire avec toute la garde un dernier -effort.</span> -Napoléon voulut alors tenter un suprême effort. Il reforma ses -colonnes d'attaque: Mortier avec Lauriston, Oudinot avec Victor, -eurent ordre de se remettre en colonnes, et de s'engager de nouveau. -Les deux divisions de la vieille garde, comprenant environ dix mille -hommes, seule réserve qui nous restât, durent les soutenir, et -s'engager elles-mêmes s'il le fallait. Toute la cavalerie fut rangée -en masse derrière cette infanterie: vaincre ou périr était leur -mission. -<span class="sidenote" title="En marge">Une subite attaque des Autrichiens sur Dölitz suspend ce -mouvement.</span> -Mais tout à coup on entendit de grands cris sur notre droite. -Les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, survenus à la suite des -cuirassiers de Nostitz, avaient franchi la Pleisse, relevé au village -de Mark-Kleeberg Kleist épuisé de fatigue, et ils tâchaient de faire -fléchir Poniatowski, lequel n'avait pas cessé d'opposer à toutes les -attaques une résistance invincible. Enfin sur nos derrières à droite, -à ce poste de Dölitz que le prince de Schwarzenberg s'était flatté -d'enlever, le général Merfeld, faisant une forte tentative, avait -forcé tous les passages de la Pleisse, et était prêt à gravir la -hauteur qui forme la berge de cette rivière. -<span class="sidenote" title="En marge">Curial envoyé à Dölitz avec quelques bataillons de la -vieille garde, y prend le général Merfeld avec 2 mille Autrichiens.</span> -À ce danger Napoléon -arrêta le mouvement de sa vieille garde, et dirigea sur Dölitz la -division Curial. Oudinot fut détourné pour tenir tête aux grenadiers -<span class="pagenum"><a id="page565" name="page565"></a>(p. 565)</span> de Bianchi et de Weissenwolf. Mais grâce à l'opiniâtreté de -Poniatowski et de la division Semelé (du corps d'Augereau) les -grenadiers autrichiens furent contenus. Curial, exécutant en arrière -un mouvement transversal de gauche à droite, se précipita sur Dölitz. -Il lança d'abord les grenadiers de Turin et de Toscane sur les bois -qui entourent Dölitz, et ensuite, avec les fusiliers de la garde, il -se porta sur Dölitz même pour y entrer à la baïonnette. Il fallait -franchir un bras de la Pleisse, et puis s'engager dans une suite de -fermes contiguës, dépendantes d'un vieux château. Il mit dans cette -charge tant de vigueur, qu'il franchit la Pleisse, traversa les cours -de ferme l'une après l'autre, tua à coups de baïonnette quiconque -essayait de lui résister, et, devançant l'ennemi au château même, fit -prisonnier tout ce qui était resté dans les cours en arrière. Il prit -ainsi le général Merfeld avec plus de deux mille hommes.</p> - -<p>Il était cinq heures et la nuit s'approchait. Napoléon, après avoir -pourvu à cet accident de sa droite, ne pouvait se résoudre à ne pas -tenter un dernier effort sur le centre de l'ennemi. -<span class="sidenote" title="En marge">Dernière et violente attaque de Maison sur Gülden-Gossa, -interrompue par la nuit.</span> -Victor était -encore à Avenhayn; il ne s'agissait donc que d'enlever Gülden-Gossa. -Lauriston, imperturbable au milieu d'un feu horrible, avait éprouvé -des pertes énormes; il lui restait toutefois le général Maison, -atteint de plusieurs coups de feu, n'ayant plus autour de lui que les -débris de sa division, mais insatiable de dangers jusqu'à ce qu'il eût -conquis Gülden-Gossa. Suivi de Mortier, Maison était rentré dans ce -fatal village. Son succès pouvait tout décider, lorsque Barclay de -<span class="pagenum"><a id="page566" name="page566"></a>(p. 566)</span> Tolly, appréciant le péril, y lança la division prussienne de -Firch, appuyée de la garde russe. Celle-ci, par un effort désespéré, -reprit Gülden-Gossa. Maison essaya encore une fois d'y rentrer; mais -une obscurité profonde sépara bientôt les combattants. Demeuré en -dehors comme un lion rugissant, Maison était là, privé des cinq -sixièmes de sa division, couvert lui-même de blessures, et désolé -d'être arrêté par la nuit. Le matin il avait dit à ses soldats ces -nobles paroles: Mes enfants, c'est aujourd'hui la dernière journée de -la France; il faut que nous soyons tous morts ce soir.--Ces enfants -héroïques avaient tenu son engagement. Il n'en survivait pas un -millier. Cet acte fut le dernier de la bataille du 16, bataille -terrible, dite de Wachau. Environ vingt mille hommes de notre côté, et -trente mille du côté des coalisés, jonchaient la terre, les uns morts, -les autres mourants.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat livré à Lindenau dans cette même journée du 16.</span> -Mais là ne se bornait pas cette horrible effusion de sang humain. Deux -autres batailles avaient été livrées dans la journée, l'une au -couchant, l'autre au nord de Leipzig, l'une sur notre droite à -Lindenau, l'autre en arrière, à Möckern. À Lindenau, c'était le -général Margaron qui avait eu affaire à Giulay, et qui s'en était -vaillamment tiré, sans autre avantage toutefois que de repousser -l'ennemi, et de demeurer maître du champ de bataille.</p> - -<p>À ce bourg de Lindenau, le terrain présentait un plateau se terminant -brusquement vers l'Elster, mais incliné en forme de glacis vers la -plaine de Lutzen. Il était donc possible de le défendre avec assez -d'avantage, surtout en étant sûr des ponts de <span class="pagenum"><a id="page567" name="page567"></a>(p. 567)</span> l'Elster et de -la Pleisse qu'on avait derrière soi. Seulement on courait le danger -d'être tourné à droite par le village de Leutzsch, à gauche par celui -de Plagwitz, situés tous deux au bord de l'Elster. Les bras de ce -cours d'eau sont en effet tellement divisés en cette partie et -amoindris par leur division, qu'on pouvait les franchir aisément, -s'engager à travers les bois et les marécages, et tourner ainsi le -pont de Lindenau, ce qui aurait fait tomber la position. Aussi Giulay, -en exécutant une attaque directe sur le plateau en avant de Lindenau, -avec la cavalerie de Thielmann et l'infanterie légère de Lichtenstein, -avait-il dirigé des attaques latérales par Leutzsch d'un côté, et -Plagwitz de l'autre. Il avait même pénétré dans ces deux villages, et -lancé au delà de l'Elster des tirailleurs dans les bois. -<span class="sidenote" title="En marge">Margaron se maintient à Lindenau, après avoir fait essuyer -à l'ennemi des pertes sensibles.</span> -Mais le -général Margaron se maintenant avec son artillerie et quatre -bataillons sur le plateau, avait poussé soit sur Leutzsch, soit sur -Plagwitz, des colonnes d'infanterie qui chargeant successivement à la -baïonnette, avaient repris ces villages et dégagé ses deux ailes. Huit -à neuf mille hommes en avaient contenu vingt-cinq mille, et néanmoins -ils auraient peut-être fini par succomber, si la vue de la division -Morand, du corps de Bertrand, rangée entre Lindenau et Leipzig, -n'avait intimidé l'ennemi, et arrêté ses entreprises. Ce combat nous -avait coûté un millier d'hommes, et le double au moins aux -Autrichiens. Demeurés maîtres de Lindenau, nous pouvions toujours nous -rouvrir la route de Lutzen.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille de Möckern, livrée le même jour par Marmont à -Blucher.</span> -À Möckern, le combat avait été plus sérieux, surtout par le nombre -des combattants, et l'étendue du <span class="pagenum"><a id="page568" name="page568"></a>(p. 568)</span> carnage. Le général Blucher -se doutant que la bataille décisive allait commencer, et ne voulant -pas laisser le prince de Schwarzenberg exposé à la livrer seul, n'y -avait plus tenu dès qu'il avait entendu le canon le 16 au matin, et -avait marché par la route de Halle, aboutissant au nord de Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Blucher.</span> -En partant il avait envoyé officiers sur officiers à Bernadotte pour lui -faire connaître la situation, et le presser d'arriver. D'ailleurs ses -liaisons particulières avec les états-majors prussien et russe de -l'armée du Nord lui donnaient sur cette armée une grande influence, et -lui faisaient espérer qu'elle finirait par répondre à son appel. Mais -ce ne pouvait être dans la journée du 16; aussi ne s'était-il avancé -qu'avec circonspection, craignant, quoiqu'il reconnût distinctement le -canon du prince de Schwarzenberg, qui n'était qu'à trois lieues vers -le sud, d'avoir la majeure partie de l'armée française sur les bras. -<span class="sidenote" title="En marge">Ses forces.</span> -Il comptait environ 60 mille combattants, mais s'il en rencontrait 80 -à 90 mille, le cas pouvait devenir mauvais pour lui. La vue de nos -colonnes remontant de Düben sur Leipzig lui inspirait des craintes, et -il avait eu le soin de placer Langeron en observation sur la route de -Dölitzsch. -<span class="sidenote" title="En marge">Ses dispositions.</span> -Il avait rangé au centre le corps russe de Sacken entre la -route de Dölitzsch et celle de Halle, et sur celle-ci qui menait droit -au nord de Leipzig il avait porté le corps prussien d'York, le plus -animé de tous parce qu'il était allemand et prussien. Ces précautions -furent cause qu'il n'arriva pas avant onze heures du matin en vue de -Leipzig, ne pouvant rien distinguer de la bataille qui se livrait au -sud, et entendant seulement une <span class="pagenum"><a id="page569" name="page569"></a>(p. 569)</span> canonnade formidable. Il -avait devant lui vingt mille hommes environ, se retirant lentement de -Breitenfeld et de Lindenthal sur Leipzig. -<span class="sidenote" title="En marge">Marmont, qui avait reçu l'ordre de se replier vers -Napoléon, s'arrête pour combattre Blucher.</span> -C'était le corps du maréchal -Marmont, exécutant l'ordre qu'il avait reçu le matin de se replier sur -Leipzig, et de traverser cette ville pour venir former la réserve de -la grande armée. Cet ordre toutefois était conditionnel, et subordonné -à ce qui se passerait sur la route de Halle. L'ennemi s'y montrant en -force, l'ordre tombait, et résister à l'armée de Blucher devenait le -devoir indiqué, devoir que le maréchal Marmont était disposé à remplir -dans toute son étendue.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Möckern.</span> -La position pour le maréchal Marmont était difficile à cause de -l'infériorité du nombre, et de certaines circonstances locales. -D'abord il n'avait sous la main que 20 mille hommes, et ne comptait -que médiocrement sur les secours qui pouvaient lui être envoyés, -voyant combien chacun était occupé de son côté. Tout au plus -fondait-il quelque espérance sur l'appui de la division Dombrowski, -que Ney avait dirigée vers Euteritzsch pour le flanquer. Secondement -la hauteur sur laquelle il était venu s'établir entre Möckern et -Euteritzsch, appuyée d'une part à l'Elster et à la Pleisse, de l'autre -au ravin de Rietschke, quoique étant assez forte par elle-même, -présentait un inconvénient grave, c'était d'avoir à dos ce même ravin -de Rietschke, lequel, après avoir longé le flanc de la position, -passait par derrière pour tomber dans la Pleisse à Gohlis. (Voir la -carte n<sup>o</sup> 60.) Il était possible, si on était repoussé, qu'on y fût -jeté en désordre. Aussi le maréchal aurait-il voulu le traverser pour -venir se ranger derrière la Partha. Il <span class="pagenum"><a id="page570" name="page570"></a>(p. 570)</span> n'en eut pas le temps, -et ce fut heureux, car s'il avait commis la faute de s'abriter tout de -suite derrière la Partha, nous aurions été trop resserrés dans -Leipzig, et surtout privés de communication avec celles de nos troupes -qui étaient encore en marche. Quoi qu'il en soit, c'est dans cette -position assez dominante de Möckern que s'était engagée la troisième -bataille livrée dans cette journée funèbre, et avec une passion digne -de celle qu'on avait déployée à Wachau.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts du général d'York pour enlever Möckern.</span> -Le combat avait commencé entre onze heures et midi, dès que Blucher -était parvenu en ligne. Préoccupé de la vue des dernières troupes de -Souham et du parc d'artillerie remontant de Düben sur Leipzig, Blucher -avait laissé tout le corps de Langeron en observation devant -Breitenfeld, et n'avait dirigé sur Marmont que le corps d'York et une -partie de celui de Sacken, ce qui faisait encore trente et quelques -mille hommes. Il s'était porté d'abord sur Möckern, pour enlever ce -village sur lequel s'appuyait la gauche de Marmont, et l'avait attaqué -avec l'acharnement qui signalait cette funeste guerre. -<span class="sidenote" title="En marge">Vaillante résistance du 2<sup>e</sup> de marine.</span> -Marmont l'avait -défendu avec un acharnement égal. Il avait dans ce village le 2<sup>e</sup> de -marine de la division Lagrange, un peu en arrière la division Lagrange -elle-même, au centre sur la pente du plateau la division Compans, à -droite et en arrière la division Friederichs, enfin en réserve la -cavalerie wurtembergeoise du général Normann, et la cavalerie -française de Lorge. Quatre-vingt-quatre bouches à feu couvraient son -front. Environ 20 mille hommes composaient ce jour-là le nombre réel -de ses combattants.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page571" name="page571"></a>(p. 571)</span> Le village de Möckern avait été disputé longtemps, et plusieurs fois -le 2<sup>e</sup> de marine, repoussé des ruines fumantes de ce village, y était -rentré à la baïonnette. Enfin, accablé par le nombre, il avait été -obligé d'en sortir. Alors le 4<sup>e</sup> de marine et le 35<sup>e</sup> léger, formant -la seconde brigade de la division Lagrange, avaient exécuté à la -baïonnette une charge furieuse, culbuté l'une des quatre divisions du -corps d'York, et repris Möckern. -<span class="sidenote" title="En marge">Combat violent entre Compans et les Prussiens sur -le plateau de Möckern.</span> -Blucher voyant qu'il ne gagnait rien -à vouloir nous arracher cet appui de notre gauche, avait porté deux -divisions en avant pour aborder à découvert le plateau incliné sur -lequel s'étendait la division Compans. -<span class="sidenote" title="En marge">Les Prussiens foudroyés par l'artillerie de Marmont.</span> -Les deux divisions prussiennes -s'étaient bravement déployées devant Marmont, mais foudroyées par nos -quatre-vingt-quatre bouches à feu, elles avaient fait des pertes -cruelles, et vu tomber un tiers de leurs soldats. Une charge de -cavalerie pouvait tout décider, et Marmont l'avait aussitôt ordonnée. -Malheureusement la cavalerie wurtembergeoise, mal disposée, apercevant -devant elle et sur sa droite les six mille chevaux de la réserve de -Blucher, avait chargé tard et faiblement, et s'était même, en -revenant, renversée sur un bataillon de marine qu'elle avait mis en -désordre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, rassuré sur la marche des troupes qui semblaient -venir de Düben, emploie le corps de Sacken et tous ses Prussiens -contre Marmont.</span> -Le combat s'était ainsi soutenu pendant une moitié de l'après-midi, -lorsque Blucher rassuré sur les troupes qu'il avait aperçues dans le -lointain, sachant que le gros de l'armée française n'était pas sur son -flanc gauche, avait dirigé le corps de Langeron vers Dombrowski, pour -tenir celui-ci en respect, amené à lui le corps de Sacken tout -entier, <span class="pagenum"><a id="page572" name="page572"></a>(p. 572)</span> et attaqué la ligne de Marmont avec trois divisions -prussiennes appuyées de toutes les divisions russes de Sacken. À cette -vue, Marmont s'était avancé sur l'ennemi avec la division Compans, que -le brave Compans commandait lui-même. Alors s'était engagée à cent -cinquante pas une lutte terrible, et l'une des plus meurtrières de -cette guerre. Marmont avait reçu une blessure à la main, une contusion -à l'épaule, plusieurs balles dans ses habits, et avait perdu trois de -ses aides de camp. -<span class="sidenote" title="En marge">Lutte terrible entre la division Compans et l'armée de -Blucher.</span> -Les régiments de Compans avaient déployé une -fermeté héroïque, et leur formidable artillerie décimant de nouveau -les rangs des Prussiens, avait couvert le sol d'une ligne de cadavres. -<span class="sidenote" title="En marge">Le feu mis à des caissons produit un désordre dans notre -ligne.</span> -Un triomphe complet aurait couronné cette résistance, si un obus -tombant au milieu de l'une de nos batteries, et en faisant sauter les -caissons, n'y avait mis le désordre. L'ennemi profitant de la -circonstance, s'était élancé sur cette batterie, et l'avait prise, -tandis qu'au même instant plusieurs milliers de chevaux fondant sur la -droite de la division Compans déjà écrasée par la mitraille, l'avaient -forcée à plier. La division Friederichs était accourue à son secours, -mais Möckern étant emporté dans ce moment, cet appui de notre gauche -nous manquant, la droite étant menacée par Langeron qui était sur le -point d'envelopper Dombrowski, Marmont avait jugé prudent de battre en -retraite. Il s'était replié en bon ordre et sans accident, grâce à la -précaution qu'il avait prise de faire jeter pendant la bataille -plusieurs ponts de chevalets sur le ravin de Rietschke. Dombrowski, -secouru par l'une des divisions de Souham, s'était aussi retiré sain -et sauf, après avoir eu l'honneur de <span class="pagenum"><a id="page573" name="page573"></a>(p. 573)</span> contenir à Euteritzsch -tout le corps de Langeron. -<span class="sidenote" title="En marge">Marmont, obligé de céder le terrain, se replie avec ordre -sur la Partha.</span> -Vingt-quatre mille hommes en avaient donc -tenu en échec soixante mille, des plus braves et des plus acharnés. Ce -combat, d'après l'aveu même de l'ennemi, lui coûtait de neuf à dix -mille hommes. Il nous en coûtait six, avec vingt pièces de canon -perdues par suite de l'explosion.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de cette première journée.</span> -Telle avait été cette affreuse bataille du 16 octobre, composée de -trois batailles, qui nous avait enlevé à nous 26 ou 27 mille hommes, -et près de 40 mille à l'ennemi. Triste et cruel sacrifice qui couvrait -notre armée d'un honneur immortel, mais qui devait couvrir de deuil -notre malheureuse patrie, dont le sang coulait à torrents pour assurer -non sa grandeur, mais sa chute!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Quoique ayant eu partout l'avantage, c'était pour nous un -immense péril que de n'avoir pas détruit l'un de nos trois -adversaires.</span> -Sur aucun point nous n'avions été forcés dans notre position; nous -avions gardé le terrain au sud entre Liebert-Wolkwitz et Wachau, et au -couchant vers Lindenau; nous l'avions abandonné, mais presque -volontairement, au nord, et pour en prendre un meilleur. Mais dès que -nous n'avions pas rejeté loin l'un de l'autre, de manière à ne plus -leur permettre de se rejoindre, Schwarzenberg et Blucher, la bataille, -quoique non perdue, pouvait se convertir bientôt en un désastre. -<span class="sidenote" title="En marge">Immensité des forces qui arrivaient aux coalisés.</span> -Dans ce moment Bernadotte s'approchait avec 60 mille hommes; on annonçait -Benningsen avec 50 mille, et nous, il nous en arrivait 15 mille sous -Reynier, dont 10 mille prêts à nous trahir! La situation, dès que nous -n'avions pas remporté une victoire éclatante, était donc bien près de -devenir affreuse! -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon pouvait-il agir autrement dans la journée du 16?</span> -Aurait-on pu obtenir un résultat décisif dans cette -première journée du 16? Voilà <span class="pagenum"><a id="page574" name="page574"></a>(p. 574)</span> ce qu'ont agité tous les -historiens spéciaux, ce que les uns ont nié, les autres affirmé. -Peut-être si Napoléon, après s'être mis dans une position extrême, -avait poussé l'audace jusqu'au dernier terme, et ne laissant à Leipzig -que Margaron pour défendre la ville seulement, se bornant de plus à -laisser au nord de Leipzig Marmont et Dombrowski sur la Partha pour -contenir Blucher, avait attiré à lui Bertrand et Ney pour renforcer -Macdonald de 30 mille hommes, ces cinquante mille combattants de -Macdonald, Bertrand et Ney, jetés de notre gauche sur la droite du -prince de Schwarzenberg, auraient pu l'accabler, et le précipiter dans -la Pleisse. Une grande victoire obtenue de ce côté, nos communications -avec Lutzen et Mayence eussent été bientôt rouvertes, et Blucher -aurait été rudement puni le lendemain des progrès qu'il aurait pu -faire. Au lieu de cela, les troupes de Bertrand étaient restées dans -Leipzig presque oisives, et les divisions de Souham, tantôt dirigées -vers Napoléon, tantôt ramenées vers Marmont, avaient perdu la journée -en allées et venues inutiles. C'est ainsi qu'une force décisive avait -manqué sur le théâtre de l'action principale. Mais ces raisonnements, -vrais d'ailleurs, ont été faits après l'événement. Il aurait fallu que -Napoléon eût pu prévoir que Lindenau ne serait pas l'objet d'une -attaque principale, que Bernadotte n'arriverait pas avec Blucher au -nord et à l'est de Leipzig; il aurait fallu enfin que le corps de -Reynier n'eût pas été si loin en arrière. Ce qu'il est juste de -reprocher à Napoléon, ce n'est pas d'avoir mal livré la bataille, que -personne certainement n'aurait mieux livrée que <span class="pagenum"><a id="page575" name="page575"></a>(p. 575)</span> lui, mais de -s'être mis dans une position où, assailli de tous les côtés à la fois, -obligé de faire face en même temps à toute espèce d'ennemis, il ne -pouvait exactement deviner celui qui, à chaque instant donné, serait -le plus pressant, et exigerait l'emploi de ses forces disponibles. -C'est sa conduite générale et non pas sa conduite particulière dans -cette journée, qu'il faut, cette fois comme tant d'autres, blâmer -sévèrement<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>. -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon allait dans la prochaine bataille se trouver avec -150 mille hommes en présence de 300 mille.</span> -Quoi qu'il en soit, la position de Napoléon était tout -à coup devenue des plus périlleuses, dès qu'il n'avait pas rejeté loin -de lui l'armée de Bohême, afin de se reporter le lendemain sur celles -de Silésie et du Nord. Sans doute il pouvait se dire que l'ennemi -avait cruellement souffert, et que ses pertes lui ôteraient peut-être -le courage de recommencer le combat. C'était possible à la rigueur, -<span class="pagenum"><a id="page576" name="page576"></a>(p. 576)</span> et même vraisemblable, si de nouveaux renforts n'avaient pas -dû survenir; mais avec l'ardeur qui animait les coalisés, avec -l'apparition certaine de Bernadotte sous un jour ou deux, avec -l'arrivée probable de l'armée de Benningsen, la légère espérance -qu'ils ne continueraient pas cette terrible bataille, n'était plus que -la faible branche à laquelle s'attache le malheureux roulant dans un -abîme. Tandis que les coalisés étaient presque assurés de recevoir -cent mille hommes, à peine Napoléon en attendait-il quinze mille sous -Reynier, dont les deux tiers de Saxons fort douteux, ce qui devait -porter ses forces, réduites de 26 ou 27 mille hommes par la journée du -16, à 165 mille hommes présents, et environ à 150 mille hommes sûrs; -et <span class="pagenum"><a id="page577" name="page577"></a>(p. 577)</span> pouvait-il se flatter, si 300 mille ennemis lui tombaient -sur les bras, ennemis acharnés, se battant avec fureur, de leur faire -face avec 150 mille soldats, héroïques sans doute, mais ayant en tête -des adversaires que le patriotisme rendait leurs égaux au feu?</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon pour voir les choses de plus près, parcourt le 17 -au matin toute l'étendue du champ de bataille.</span> -Il n'était pas possible que Napoléon se dissimulât cette situation. -Espérant la veille encore, qu'après avoir battu la principale des -armées coalisées, il aurait bon marché des deux autres, il dut -éprouver une sensation bien amère en voyant à la chute du jour une -bataille indécise, qui, au lieu de le dégager, l'enfermait au -contraire dans les bras d'une espèce de polype composé d'ennemis de -toute sorte. Toutefois, pour croire à une situation si nouvelle et si -désolante, il fallait qu'il considérât encore la chose de plus près. -Après avoir pris à peine quelques heures de repos, il monta à cheval -le 17 au matin pour parcourir le champ de bataille. Il le trouva -horrible, bien qu'en sa vie il en eût contemplé de bien épouvantables. -Une morne froideur se montrait sur tous les visages. Murat, le major -général Berthier, le ministre Daru l'accompagnaient. Nos soldats -étaient morts à leur place, mais ceux de l'ennemi aussi! Et s'il y -avait certitude de ne pas reculer dans une seconde bataille, il y -avait certitude presque égale que les coalisés ne reculeraient pas -davantage. Or, une nouvelle lutte où nous resterions sur place, et où -nous ne gagnerions rien que de n'être pas arrachés de notre poste, en -voyant le cercle de fer formé autour de nous se resserrer de plus en -plus, et les issues demeurées ouvertes jusque-là se fermer l'une -après l'autre, une nouvelle lutte dans ces conditions <span class="pagenum"><a id="page578" name="page578"></a>(p. 578)</span> ne -nous laissait d'autre perspective que celle des Fourches Caudines. -Tout le monde le sentait, personne n'osait le dire. Murat, dont le -cœur excellent cherchait une consolation à offrir à Napoléon, -répéta plusieurs fois que le terrain était couvert des morts -autrichiens, prussiens et russes, que jamais, excepté à la Moskowa, on -n'avait fait une pareille boucherie des ennemis, ce qui était vrai. -Mais il en restait assez, et en tout cas il allait en venir assez, -pour réparer les brèches de cette muraille vivante qui s'élevait peu à -peu autour de nous. -<span class="sidenote" title="En marge">Après avoir bien observé la situation, il songe lui-même à -battre en retraite.</span> -La retraite immédiate par la route de Lutzen, pour -ne pas laisser fermer bientôt l'issue de Lindenau, était donc la seule -résolution à prendre. Napoléon se promenant à pied avec ses -lieutenants, sous un ciel triste et pluvieux, au milieu des -tirailleurs qui faisaient à peine entendre quelques coups de feu, tant -la fatigue était grande des deux côtés, prononça lui-même et le -premier le mot de retraite, que personne n'osait proférer. On le -laissa dire avec un silence qui cette fois était celui de la plus -évidente approbation. -<span class="sidenote" title="En marge">Objections graves qui s'élèvent contre cette résolution.</span> -Cependant la retraite offrait aussi de graves -inconvénients. La bataille que nous venions de livrer pouvait, sans -mentir autant que nos ennemis, s'appeler une victoire, car nous avions -sans cesse ramené, refoulé les coalisés sur leur terrain, et nous leur -en avions même enlevé une partie. Néanmoins ce qui lui donnerait sa -vraie signification, ce serait comme à Lutzen, comme à Bautzen, -l'attitude du lendemain. Si nous nous retirions, la bataille serait -une défaite. C'était donc avouer tout à coup au monde que nous avions -été vaincus dans une journée décisive, lorsque <span class="pagenum"><a id="page579" name="page579"></a>(p. 579)</span> nous avions au -contraire écrasé l'ennemi partout où il s'était présenté! En vérité -l'aveu était cruel à faire. Mais ce n'était pas tout. Les 170 mille -Français laissés à Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg, -Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comme base d'un édifice de grandeur -qu'on s'était flatté de relever en une bataille, qu'allaient-ils -devenir? Il y avait dans le nombre bien des malades, bien des -écloppés, mais il était possible d'en tirer 100 à 120 mille soldats -excellents, qui, se joignant à ceux qui restaient, rendraient -invincible la frontière du Rhin. Pourraient-ils se grouper, et former -successivement une masse qui sût se rouvrir par Hambourg et Wesel le -chemin de la France? C'était une grande question. Le maréchal qui -commandait à Dresde, seul en position de commencer ce mouvement, avait -assez d'esprit pour en concevoir le projet, aurait-il assez d'audace -pour l'exécuter?</p> - -<p>Battre en retraite, c'était donc à l'aveu d'une défaite ajouter une -perte irréparable, perte qui était la suite d'une immense faute, celle -d'avoir voulu garder jusqu'au bout les éléments d'une grandeur -impossible à refaire, perte enfin désolante, quelle qu'en fût la -cause. On ne peut blâmer Napoléon d'avoir consumé en affreuses -perplexités la journée du 17, sans juger bien légèrement les -mouvements du cœur humain. Se déclarer soi-même vaincu dans une -rencontre générale, abandonner tout de suite 170 mille Français -laissés dans les places du Nord, sans quelques heures de méditation, -de regrets, d'efforts d'esprit pour tâcher de trouver une autre -issue, était un sacrifice qu'il serait peu juste de demander <span class="pagenum"><a id="page580" name="page580"></a>(p. 580)</span> -à quelque caractère que ce soit. -<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité d'attendre au moins toute la journée du 17 pour -recueillir Reynier resté en arrière.</span> -De plus, il y avait un autre -sacrifice, et bien cruel à faire en se retirant tout de suite, c'était -celui de Reynier, qui marchait en ce moment entouré d'ennemis, et qui -ne pouvait arriver que dans la journée du 17. Il fallait donc de toute -nécessité temporiser pendant la plus grande partie de cette journée. -Alors, après vingt-quatre heures passées devant les armées de la -coalition, on pourrait dire qu'on les avait attendues longtemps comme -dans un duel, et que les ayant attendues vainement, on avait décampé -pour regagner une ligne plus avantageuse. D'ailleurs, il fallait bien -accorder un peu de repos à des soldats accablés de fatigue; il fallait -bien rendre quelque ensemble à des corps désorganisés par le combat, -approvisionner avec le grand parc les parcs de chaque corps épuisés de -munitions, toutes choses indispensables si en se retirant on avait -l'ennemi sur les bras. -<span class="sidenote" title="En marge">Le meilleur parti à prendre serait de rester toute la -journée du 17 sur le champ de bataille, et de décamper dans la nuit du -17 au 18.</span> -Attendre une journée, et décamper la nuit -suivante, était évidemment la seule conduite qui dût convenir à -Napoléon, la seule qu'on pût même lui conseiller, mais à la condition -de l'adopter résolûment, de tout préparer pour qu'à la chute du jour -la retraite commençât, et que le 18 au matin les coalisés n'eussent -devant eux que d'insaisissables arrière-gardes.</p> - -<p>Malheureusement les perplexités de Napoléon furent extrêmes. Un -immense orgueil mis à la plus terrible des épreuves, et s'appuyant au -surplus dans sa résistance sur des raisons très-fortes, le retint -toute la journée presque sans rien prescrire. Tantôt seul, tantôt -accompagné de Murat, du prince Berthier, de M. Daru, il se promenait, -sombre, soucieux, <span class="pagenum"><a id="page581" name="page581"></a>(p. 581)</span> à chaque instant se répétant -douloureusement qu'il fallait battre en retraite, mais n'en pouvant -prendre la résolution, et aimant à croire que l'ennemi demeuré -immobile pendant cette journée, ne l'attaquerait point le lendemain, -et que Schwarzenberg, usant d'une vieille maxime fort en renom chez -les capitaines sages, <cite>ferait un pont d'or à l'adversaire qui voulait -se retirer</cite>. Il pourrait alors défiler à travers Leipzig d'une manière -imposante, changeant sans être vaincu sa base d'opérations. Vaine -espérance, dont son esprit avait besoin, et dont il se nourrit -quelques heures!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon mande auprès de lui M. de Merveldt, fait -prisonnier la veille, afin de jeter en avant quelques idées -d'armistice.</span> -Dans cet état, il imagina de mander auprès de lui M. de Merveldt, qui -avait été fait prisonnier la veille à Dölitz, qu'il connaissait depuis -longtemps, et qui était un militaire d'infiniment d'esprit. Il voulait -avec art le questionner sur les dispositions des coalisés, lui faire -certaines insinuations tendantes à la paix, le charger même d'une -proposition d'armistice, puis le renvoyer libre au camp des -souverains, pour les amener peut-être à perdre un jour en hésitations, -et pour provoquer de leur part quelque ouverture acceptable. Voilà où -il en était arrivé pour avoir refusé d'écouter M. de Caulaincourt deux -mois auparavant, lorsqu'on négociait à Prague!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien avec M. de Merveldt.</span> -Vers deux heures de l'après-midi il reçut M. de Merveldt<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a>, auquel -on avait rendu son épée. Il l'accueillit <span class="pagenum"><a id="page582" name="page582"></a>(p. 582)</span> avec courtoisie, et -le complimenta relativement à la tentative faite contre le pont de -Dölitz, bien qu'elle eût mal réussi; puis il lui dit qu'en mémoire de -son mérite, de ses anciennes relations avec le quartier général -français, il allait le renvoyer sur parole, ce dont le général -autrichien le remercia fort. Amenant ensuite la conversation sur le -sujet qui l'intéressait, Napoléon lui demanda si en attaquant ils -avaient su qu'il était présent sur les lieux.--Le général Merveldt -ayant répondu que oui, Napoléon lui répliqua: Vous vouliez donc cette -fois me livrer bataille?--Le général Merveldt ayant répondu de -nouveau, avec respect mais avec fermeté, que oui, parce qu'ils étaient -résolus à terminer par une action sanglante et décisive cette longue -lutte, Napoléon lui dit: Mais vous vous trompez sur mes forces; -combien croyez-vous que j'aie de soldats?--Cent vingt mille au plus, -repartit M. de Merveldt.--Eh bien, vous êtes dans l'erreur, j'en ai -plus de deux cent mille.--On a vu, par ce qui précède, de combien se -trompaient l'un et l'autre interlocuteur, mais l'un par ignorance, -l'autre par calcul. Et vous, reprit Napoléon, combien en -avez-vous?--Trois cent cinquante mille, dit M. de Merveldt.--Ce -chiffre n'était pas très-éloigné de la vérité. Napoléon ayant avoué -qu'il n'en <span class="pagenum"><a id="page583" name="page583"></a>(p. 583)</span> avait pas supposé autant, ce qui expliquait du -reste la situation où il s'était mis, ajouta avec sang-froid et un -semblant de bonne humeur: Et demain, m'attaquerez-vous?--M. de -Merveldt répondit avec la même assurance que les coalisés -combattraient infailliblement le lendemain, résolus qu'ils étaient à -acheter leur indépendance au prix de tout leur sang.--Napoléon -dissimulant son impression, rompit le cours de l'entretien, et dit à -M. de Merveldt: Cette lutte devient bien sérieuse, est-ce que nous n'y -mettrons pas un terme? Est-ce que nous ne songerons pas à faire la -paix?--Plût au ciel que Votre Majesté la voulût! s'écria le général -autrichien, nous ne demandons pas un autre prix de nos efforts! nous -ne combattons que pour la paix! Si Votre Majesté l'eût désirée, elle -l'aurait eue à Prague il y a deux mois.--Napoléon, alléguant ici de -fausses excuses, prétendit qu'à Prague on n'avait pas agi franchement -avec lui; qu'on avait usé de finesse, qu'on avait cherché à l'enfermer -dans un cercle fatal, que cette manière de traiter n'avait pu lui -convenir, que l'Angleterre ne voulait point la paix, qu'elle menait la -Russie et la Prusse, qu'elle mènerait l'Autriche comme les autres, et -que c'était à cette dernière à travailler à la paix si elle la -souhaitait sincèrement.--M. de Merveldt, après avoir affirmé qu'il -parlait pour son compte, et sans mission (ce qui était vrai, mais ce -qui n'empêchait pas qu'il ne fût instruit de tout), soutint que -l'Angleterre désirait la paix, qu'elle en avait besoin, et que si -Napoléon savait faire les sacrifices nécessaires au bonheur du monde -et de la France, la paix serait conclue tout de suite.--Des <span class="pagenum"><a id="page584" name="page584"></a>(p. 584)</span> -sacrifices, s'écria Napoléon, je suis prêt à en faire! et afin de -donner à croire qu'il n'avait tenu à garder certaines possessions en -Allemagne qu'à titre de gages, et pour s'assurer la restitution de ses -colonies, il ajouta: Que l'Angleterre me rende mes colonies, et je lui -rendrai le Hanovre.--M. de Merveldt ayant indiqué que ce n'était pas -assez, Napoléon laissa échapper un mot qui, prononcé au congrès de -Prague, aurait changé son sort et le nôtre.--Je restituerai, dit-il, -s'il le faut, les villes anséatiques...--Malheureusement il était trop -tard. Kulm, la Katzbach, Gross-Beeren, Dennewitz, Wachau, avaient -rendu ce sacrifice insuffisant. M. de Merveldt exprima l'opinion que -pour obtenir la paix de l'Angleterre il faudrait consentir au -sacrifice de la Hollande. Napoléon se récria fort, dit que la Hollande -serait dans les mains de l'Angleterre un moyen de despotisme maritime, -car l'Angleterre, il le savait bien, voulait le contraindre à limiter -le nombre de ses vaisseaux.--C'était une idée singulière, qui avait pu -traverser certains esprits, mais que jamais le cabinet britannique -n'avait sérieusement regardée comme proposable.--Si vous prétendez, -Sire, reprit M. de Merveldt, joindre aux vastes rivages de la France -ceux de la Hollande, de l'Espagne, de l'Italie, alors comme aucune -puissance maritime n'égalerait la vôtre, il se pourrait qu'on songeât -à imposer une limite à l'étendue de vos flottes; mais Votre Majesté, -si difficile en fait d'honneur, aimera mieux sans doute abandonner des -territoires dont elle n'a pas besoin, que subir une condition dont je -comprends qu'elle repousse jusqu'à l'idée.--</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page585" name="page585"></a>(p. 585)</span> De cet entretien Napoléon put conclure que tandis qu'il -aurait deux mois auparavant obtenu la paix en sacrifiant seulement le -duché de Varsovie, le protectorat du Rhin, et les villes anséatiques, -il lui faudrait maintenant abandonner en outre la Hollande, la -Westphalie, l'Italie, celle-ci toutefois à la condition de la laisser -indépendante de l'Autriche comme de la France. Certes la France avec -le Rhin, les Alpes, les Pyrénées, restait bien encore assez belle, -aussi belle qu'on la pouvait désirer! Sur tous ces objets Napoléon -parut admettre qu'à la paix générale il faudrait consentir à de grands -sacrifices, et se montra même plus disposé à les accorder qu'il ne -l'était véritablement. Mais la paix l'occupait bien moins que -l'espérance, malheureusement très-vague, d'un armistice. C'était à -cette conclusion qu'il aurait voulu amener son interlocuteur.--Je -n'essaye pas, dit-il à M. de Merveldt, de vous parler d'armistice, car -vous prétendez vous autres que j'ai le goût des armistices, et que -c'est une partie de ma tactique militaire. Pourtant il a coulé bien du -sang, il va en couler beaucoup encore, et si nous faisions tous un pas -rétrograde, les Russes et les Prussiens jusqu'à l'Elbe, les -Autrichiens jusqu'aux montagnes de la Bohême, les Français jusqu'à la -Saale, nous laisserions respirer la pauvre Saxe, et de cette distance -nous pourrions traiter sérieusement de la paix.--M. de Merveldt -répondit que les alliés n'accepteraient point la Saale pour ligne -d'armistice, car ils espéraient aller cet automne jusqu'au Rhin.--Me -retirer jusqu'au Rhin! reprit fièrement Napoléon; il faudrait que -j'eusse perdu <span class="pagenum"><a id="page586" name="page586"></a>(p. 586)</span> une bataille, or je n'en ai point perdu encore! -Cela pourra m'arriver sans doute, car le sort des armes est variable, -vous le savez, monsieur de Merveldt (celui-ci était venu jadis -implorer des armistices après Léoben et après Austerlitz); mais ce -malheur ne m'est point arrivé, et sans bataille perdue je ne vous -abandonnerai pas l'Allemagne jusqu'au Rhin...--Partez, ajouta -Napoléon, je vous accorde votre liberté sur parole; c'est une faveur -que j'accorde à votre mérite, à mes anciennes relations avec vous; et -si de ce que je vous ai dit vous pouvez tirer quelque profit pour -amener une négociation, ou au moins une suspension d'armes qui laisse -respirer l'humanité, vous me trouverez disposé à écouter vos -propositions.--</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon espère que les paroles dont il charge M. de -Merveldt jetteront quelque hésitation dans l'esprit des coalisés.</span> -Cet entretien singulier, dans lequel on voit l'art que Napoléon avait -de se dominer, lorsqu'il s'en donnait la peine, avait eu pour but, on -le devine, de savoir au juste ce qu'il devait attendre des coalisés le -lendemain, et de faire naître, s'il était possible, quelque hésitation -parmi eux, en proférant à l'égard de la paix des paroles qui jamais -n'étaient sorties de sa bouche. S'ils avaient été aussi maltraités que -Napoléon le supposait (et maltraités, ils l'étaient fort, mais -ébranlés, point du tout), ils pouvaient trouver dans ces paroles une -raison de parlementer, et lui le temps le changer de position.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vers la fin du 17, on voit à l'horizon paraître de -nouvelles colonnes ennemies.</span> -La fin du jour ne fit que jeter de nouvelles et tristes lumières sur -cette situation. On vit de fortes colonnes apparaître sur la route de -Dresde, et les rangs de l'armée de Schwarzenberg s'épaissir -considérablement. Du haut des clochers de Leipzig on <span class="pagenum"><a id="page587" name="page587"></a>(p. 587)</span> -discerna clairement l'armée de Bernadotte qui arrivait vers le nord. -L'horizon était enflammé de mille feux. Le cercle était presque fermé -autour de nous, au sud, à l'ouest, au nord. Il n'y avait qu'une issue -encore ouverte, c'était celle de l'est, à travers la plaine de -Leipzig, car Blucher jusqu'ici n'avait pu dans cette plaine si vaste -étendre son bras vers Schwarzenberg. Mais cette issue, la seule qui -nous restât, menait à l'Elbe et à Dresde, où il n'était plus temps -d'aller. Napoléon, faisant un dernier effort sur lui-même, prit enfin -le parti de la retraite, parti qui lui coûtait cruellement, -non-seulement sous le rapport de l'orgueil, mais sous un rapport plus -sérieux, celui du changement d'attitude, celui surtout du sacrifice de -170 mille Français laissés sans secours, presque sans moyen de salut, -sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à se retirer sur la Saale, mais il veut -faire une retraite imposante, en arrêtant les coalisés s'ils essayent -de poursuivre l'armée française.</span> -Malheureusement il se décida trop tard et trop incomplétement. Au lieu -d'une retraite franchement résolue, et calculée dès lors dans tous ses -détails, devant commencer dans la soirée du 17, et être achevée le 18 -au matin, il voulut une retraite imposante, qui n'en fût presque pas -une, et qui s'exécutât en plein jour. Il arrêta qu'au milieu de la -nuit, c'est-à-dire vers deux heures, on rétrograderait -concentriquement sur Leipzig, et l'espace d'une lieue; que Bertrand -avec son corps, Mortier avec une partie de la jeune garde, iraient par -Lindenau s'assurer la route de Lutzen; que le jour venu on défilerait, -un corps après l'autre, à travers Leipzig, repoussant énergiquement -l'ennemi qui oserait aborder nos arrière-gardes. Une pareille marche, -en <span class="pagenum"><a id="page588" name="page588"></a>(p. 588)</span> nous tirant d'une fausse position, aurait ainsi l'aspect -d'un changement de ligne, plutôt que celui d'une retraite.</p> - -<p>Napoléon se croyait encore si imposant, qu'il n'imaginait pas qu'on -pût troubler une semblable retraite. Il l'était encore beaucoup sans -doute, mais pour la passion enivrée de subites espérances, il n'y a -rien d'imposant, et c'était une passion de ce genre qui animait alors -les coalisés. Telles furent les résolutions de Napoléon pour la nuit -du 17 au 18.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolution de la part des coalisés de se battre en -désespérés, jusqu'à ce qu'ils soient venus à bout de la résistance de -Napoléon.</span> -Ce qui s'était passé pendant la journée du côté des coalisés ne -répondait pas aux illusions dont il avait flatté son malheur. Leur -intention première avait été de combattre sans relâche, de faire tuer -des hommes sans mesure, jusqu'à ce qu'on fût venu à bout de la -résistance des Français, et avec de telles dispositions il n'y avait -pas même de motif pour s'arrêter le 17. Pourtant les nouvelles qu'on -avait réussi à se procurer du nord de Leipzig, avaient appris que le -prince de Suède pourrait se trouver en ligne si on lui accordait un -jour de plus. -<span class="sidenote" title="En marge">L'annonce de l'arrivée de Bernadotte et de Benningsen les -décide à demeurer immobiles le 17, pour recommencer la lutte le 18.</span> -Une autre nouvelle non moins importante était venue des -environs de Dresde. On avait laissé devant cette ville la division -russe Sherbatow et la division autrichienne Bubna sur la droite de -l'Elbe, et l'armée entière de Benningsen avec le corps de Colloredo -sur la rive gauche. C'étaient environ 70 mille hommes, bien -inutilement employés à contenir un corps français qu'il suffisait -d'observer, et dont on n'avait rien à craindre. Ayant profité des -leçons de Napoléon, qui avait enseigné à tous les généraux du siècle -l'art de réunir ses troupes au point où elles étaient le plus utiles, -<span class="pagenum"><a id="page589" name="page589"></a>(p. 589)</span> on avait prescrit au général Benningsen de laisser le corps -de Tolstoy devant Dresde, et de marcher avec le sien sur Leipzig. Même -ordre avait été expédié au corps de Colloredo et à la division Bubna. -C'étaient cinquante mille hommes dont l'arrivée était annoncée pour la -fin de la journée. Cinquante mille de ce côté, soixante mille du côté -de Bernadotte, composaient un renfort de cent dix mille hommes, dont -il eût été bien imprudent de se priver. Il n'y avait donc pas à être -avare du temps qui devait tant profiter aux alliés, si peu aux -Français, et on ne pouvait mieux faire que de remettre d'un jour -l'attaque décisive. Les soldats qui avaient si vaillamment combattu -dans la journée du 16 prendraient un peu de repos le 17, et ce repos -ne servirait guère aux soldats de Napoléon, qui étaient trop -intelligents pour ne pas apercevoir le danger sans cesse croissant -autour d'eux, et devaient être plutôt affectés que remis par la -prolongation d'une situation pareille. Par ces raisons, qui pour notre -malheur étaient toutes excellentes, on avait décidé de différer -jusqu'au 18 la dernière bataille<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a>. L'arrivée de M. de <span class="pagenum"><a id="page590" name="page590"></a>(p. 590)</span> -Merveldt dans l'après-midi, ses récits détaillés n'ébranlèrent -personne, et révélèrent au contraire à tout le monde la détresse qui -avait arraché à Napoléon des propositions si nouvelles. Ne s'arrêter -qu'au bord du Rhin fut la résolution générale.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolutions prises au camp de Blucher et de Bernadotte.</span> -Au nord de Leipzig, les déterminations prises avec moins d'accord, -n'en avaient pas moins tendu au même but. Le prince de Suède, assailli -par les reproches violents du ministre d'Angleterre qui taxait son -inaction de perfidie, par les remontrances de ses divers états-majors, -et notamment par les instances des officiers suédois dont les champs -de Leipzig réveillaient les souvenirs patriotiques, avait fini par -marcher le 17, et par prendre position derrière Blucher, auquel il -avait demandé une entrevue. Celui-ci l'avait déclinée, sachant ce que -le prince désirait de lui, et décidé à ne pas y consentir. Il -s'agissait de passer hardiment la Partha, afin de compléter -l'investissement des Français, et celui qui la traverserait avant -d'avoir donné la main au prince de Schwarzenberg pourrait bien essuyer -quelque rude choc. Or le prince de Suède, en cette occasion, comme sur -la Mulde quelques jours auparavant, voulait que Blucher occupât le -poste le plus périlleux. -<span class="sidenote" title="En marge">Blucher oblige Bernadotte à passer la Partha, pour se lier -avec l'armée de Bohême, et investir complétement les Français.</span> -Blucher fatigué, non pas de dangers, mais de -<span class="pagenum"><a id="page591" name="page591"></a>(p. 591)</span> complaisances pour un allié dont il suspectait la fidélité -autant que l'énergie, avait répondu que ses troupes épuisées par le -combat du 16, étaient beaucoup moins propres à supporter une position -difficile que celles de l'armée du Nord, et il avait exigé que -Bernadotte vînt franchir la Partha sur la gauche de l'armée de -Silésie, et se risquer dans la plaine de Leipzig en face de Napoléon. -Il s'était en même temps entendu secrètement avec les généraux -prussiens et russes qui commandaient les divers corps de l'armée du -Nord, et il leur avait promis de passer avec eux la Partha le -lendemain pour combattre Napoléon à outrance, car Blucher était bien -résolu à participer lui-même à la dernière lutte, mais il voulait -contraindre Bernadotte à prendre une position de combat dont il lui -fût impossible de revenir<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a>. Tout était donc disposé pour que -Napoléon eût sur les bras environ 300 mille hommes. Les alliés en -avaient effectivement 220 ou 230 mille le 16; s'ils en avaient perdu -environ 40 mille dans cette journée, <span class="pagenum"><a id="page592" name="page592"></a>(p. 592)</span> et s'il leur en arrivait -50 avec Benningsen, 60 avec Bernadotte, leur nombre total devait bien -être d'à peu près 300 mille. Quant à Napoléon, qui en avait eu 190 -mille, Reynier compris, avant la bataille du 16, il ne devait pas, -comme nous l'avons dit, en conserver plus de 160 à 165 mille le 18, en -comptant même les alliés peu sûrs qui étaient dans ses rangs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon autour de Leipzig pour y prendre -une attitude imposante, et se retirer après avoir bravé et contenu -l'ennemi.</span> -Du reste Napoléon connaissant cette situation, avait pris vers la fin -de la journée du 17 le parti de se retirer. Malheureusement ce n'était -pas, comme nous l'avons dit, une de ces retraites nocturnes, telles -que l'art de la guerre autorise à les faire lorsqu'une armée a besoin -de se soustraire à un ennemi supérieur, mais une retraite en plein -jour, et à pas lents, qu'il voulait exécuter, de manière à conserver -une attitude imposante, et à traverser sans embarras le long défilé de -Leipzig à Lindenau, défilé consistant en une multitude de ponts jetés -sur les bras divisés de la Pleisse et de l'Elster. À deux heures du -matin en effet il était debout, expédiant ses ordres qui furent les -suivants. Tous les corps qui avaient combattu au sud, c'est-à-dire -Poniatowski, Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les -1<sup>er</sup>, 2<sup>e</sup>, 4<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> de cavalerie, devaient rétrograder d'une lieue, -et venir former autour de Leipzig, sur le plateau de Probstheyda, un -cercle plus resserré, et dès lors à peu près invincible. Si l'ennemi -les suivait, ils se précipiteraient sur lui, et le refouleraient au -loin. Au nord et à l'est, Marmont qui après le combat de Möckern avait -repassé la Partha, devait se concentrer de Schönfeld à Sellerhausen. -Ney qui <span class="pagenum"><a id="page593" name="page593"></a>(p. 593)</span> avec Reynier, arrivé dans l'après-midi du 17, formait -le prolongement de la ligne de Marmont, devait replier sa droite en -arrière, jusqu'à ce qu'il rencontrât la gauche de Macdonald à travers -la plaine de Leipzig, et fermât ainsi le cercle que l'armée française -allait décrire. Alors la liaison qui n'avait été établie entre Ney et -Macdonald qu'au moyen de la cavalerie, serait établie au moyen d'une -ligne continue de troupes de toutes armes occupant les villages de -Paunsdorf, Melckau, Holzhausen, Liebert-Wolkwitz. Dès cet instant, au -lieu d'un cercle de cinq à six lieues, on n'en formerait plus qu'un de -deux lieues à peu près, et partout très-solide. À l'est et au nord, on -devait comme au sud rétrograder lentement, culbuter l'ennemi trop -pressant, et si on n'était pas suivi, venir à l'exemple des autres -corps s'écouler à travers Leipzig par la chaussée de Lindenau. Mais -cette chaussée il fallait se l'ouvrir. Margaron, le 16, avait conservé -le bourg de Lindenau placé à l'extrémité des ponts de la Pleisse et de -l'Elster. -<span class="sidenote" title="En marge">Bertrand envoyé au delà de Lindenau, pour s'ouvrir la route -de Mayence à travers la plaine de Lutzen.</span> -Napoléon confia au général Bertrand le soin de franchir -Lindenau, de déboucher dans la plaine de Lutzen, d'enfoncer tout -ennemi rencontré sur son chemin, et de percer jusqu'à Weissenfels sur -la Saale. Il lui donna pour le renforcer la division française -Guilleminot, qui avait marché précédemment sous les ordres de Reynier, -avec la division Durutte, dans l'intention de placer les Saxons entre -deux divisions françaises. Le général Rogniat eut ordre de partir avec -les troupes du génie de la garde, afin d'aller jeter de nouveaux ponts -sur la Saale, au-dessous de Weissenfels. Margaron et Dombrowski -<span class="pagenum"><a id="page594" name="page594"></a>(p. 594)</span> furent chargés de la défense de Leipzig. Margaron devait -occuper l'intérieur, Dombrowski le dehors jusqu'à Schönfeld, où était -le maréchal Marmont, et où commençait par conséquent la ligne de Ney. -Comme Margaron pouvait ne pas suffire, Napoléon se priva de la -division de la jeune garde commandée par Mortier, et l'envoya dans -Leipzig même. Les parcs, les bagages inutiles eurent ordre de se -mettre en marche immédiatement, afin d'avoir défilé lorsque les -colonnes de l'armée arriveraient aux ponts. À trois heures du matin -tout était en mouvement par un temps sombre et pluvieux, et les -caissons qu'on brûlait ou qu'on faisait sauter faute de les pouvoir -atteler, ajoutaient de sinistres lueurs et de plus sinistres -détonations à cette retraite. Rien ne prouvait mieux qu'on ne voulait -pas faire une retraite clandestine, et que l'orgueil mal entendu de la -victoire nous restait jusque dans la défaite, défaite, il est vrai, -qui n'était pas celle du champ de bataille, mais de la campagne, et -celle-ci était malheureusement plus grave.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon courant toute la nuit pour assurer l'exécution de -ses dispositions.</span> -Napoléon après avoir expédié ses ordres était allé lui-même au -faubourg de Reudnitz auprès de Ney, pour lui exprimer de vive voix ses -intentions<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a>. Entre autres instructions qu'il lui avait laissées, -était celle de pourvoir à la sûreté du grand quartier général qui -était demeuré en arrière sur la route de Düben à Leipzig. Ce grand -quartier général, <span class="pagenum"><a id="page595" name="page595"></a>(p. 595)</span> qui comprenait toutes les administrations, -le trésor de l'armée notamment, le parc du génie, une partie du parc -général de l'artillerie, l'équipage de pont, avait été conduit à -Eilenbourg, et puis, ayant voulu suivre Reynier, il en avait été -empêché par la présence de l'ennemi. Napoléon lui fit dire, s'il ne -pouvait pas rejoindre, de se replier sur Torgau, et d'aller s'y -enfermer, triste ressource qui ne devait différer sa perte que de -quelques jours, à moins qu'un armistice ne vînt sauver la garnison des -places.</p> - -<p>Ces ordres expédiés, Napoléon s'était transporté à Leipzig, où il -avait communiqué ses vues à ses autres généraux, et il était revenu -fort matin à son bivouac, au milieu des rangs de l'armée principale -qu'il n'avait pas quittés depuis plusieurs jours.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le colonel Montfort sollicite en vain de Berthier -l'autorisation de jeter des ponts supplémentaires, afin de prévenir un -encombrement sur celui de Lindenau.</span> -Le colonel du génie Montfort, qui remplaçait le générai Rogniat parti -pour Weissenfels, avait été extrêmement frappé de la difficulté de -faire défiler toute l'armée par un seul pont d'une immense longueur, -celui qui va de Leipzig à Lindenau. Il avait donc proposé au prince -Berthier de jeter, au-dessus ou au-dessous, d'autres ponts -secondaires, qui serviraient au passage de l'infanterie, afin de -réserver la chaussée principale à l'artillerie, à la cavalerie, aux -bagages. Soit que Berthier, tout plein encore de la peine qu'on avait -eue à parler de retraite à Napoléon, n'osât pas lui en parler de -nouveau, soit (ce qui est plus probable) qu'il eût l'habitude -invétérée d'attendre tout de sa prévoyance, il repoussa le colonel, en -lui disant qu'il fallait savoir exécuter les ordres de l'Empereur, -mais n'avoir pas la prétention <span class="pagenum"><a id="page596" name="page596"></a>(p. 596)</span> de les devancer. Peut-être -aussi Napoléon avait-il considéré ce cas, et n'avait-il rien voulu -ordonner qui annonçât sa retraite trop longtemps à l'avance. Quoi -qu'il en soit, on se réduisit volontairement au seul pont de Lindenau, -ce qui dans certains cas pouvait devenir extrêmement dangereux<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a>.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille du 18.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Dès la pointe du jour, Napoléon revenu à Probstheyda, du -côté du sud, voit trois grandes colonnes marchant sur la ligne plus -resserrée de l'armée française.</span> -À peine Napoléon était-il retourné à Probstheyda, où il avait eu son -bivouac, qu'il aperçut du haut d'un tertre sur lequel il était placé, -trois grandes colonnes, mais cette fois bien plus fortes que -l'avant-veille, marchant concentriquement sur sa nouvelle ligne de -bataille. Vers notre droite ne s'appuyant plus à Mark-Kleeberg mais un -peu en arrière à Dölitz, c'était le prince de Hesse-Hombourg, qui avec -les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, avec la <span class="pagenum"><a id="page597" name="page597"></a>(p. 597)</span> réserve -de cavalerie de Nostitz, avec le corps de Colloredo et la division -légère d'Aloys Lichtenstein, s'avançait sur Poniatowski et Augereau. -Au centre c'étaient Kleist et Wittgenstein, aujourd'hui réunis en une -seule colonne d'attaque, et suivis des gardes russe et prussienne, qui -marchaient de Wachau et de Liebert-Wolkwitz sur Probstheyda, où se -trouvaient Victor et la garde. À gauche enfin c'étaient Klenau, -Benningsen et Bubna, qui du bois de l'Université et de Seyffertshayn -se dirigeaient sur Zuckelhausen et Holzhausen, contre Macdonald. Cette -dernière colonne, ployant sa droite autour de notre ligne, venait à -travers la plaine de Leipzig menacer la position de Ney, mais avec -beaucoup de circonspection, car elle attendait pour s'engager que -Bernadotte <span class="pagenum"><a id="page598" name="page598"></a>(p. 598)</span> eût passé la Partha. Ces trois colonnes pouvaient -comprendre de 55 à 60 mille hommes chacune, excepté celle de -Benningsen, qui était de 70 mille environ. -<span class="sidenote" title="En marge">Immense disproportion des forces.</span> -Pour tenir tête à ces 180 -mille hommes, Napoléon avait comme l'avant-veille Poniatowski, -Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les 1<sup>er</sup>, 2<sup>e</sup>, -4<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> de cavalerie, présentant en ce moment une masse totale de 80 -et quelques mille hommes. Dans l'angle formé par l'Elster et la -Pleisse les coalisés avaient laissé le corps de Merveldt, et au delà -de l'Elster vers Lindenau, Giulay, ce qui faisait plus de 25 mille -hommes encore. Enfin Bernadotte et Blucher en avaient bien cent mille -à eux deux. Ney avait à leur opposer, Marmont réduit à 12 ou 13 mille -hommes, Reynier à peu près au même nombre, Souham à 13 ou 14 mille. -Margaron avec le duc de Padoue et Dombrowski n'en avaient pas plus de -12 mille. C'étaient donc 130 et quelques mille hommes opposés à 300 -mille. Bertrand avec 18 mille était en route pour Weissenfels. Mortier -l'appuyait avec deux divisions de la jeune garde.</p> - -<p>Toutes les colonnes de Napoléon en se retirant avaient laissé de -fortes arrière-gardes répandues en tirailleurs, lesquels disputaient -le terrain pied à pied, et ne le cédaient qu'après avoir causé de -grandes pertes à l'ennemi. En arrière de Wachau et de -Liebert-Wolkwitz, à la bergerie de Meusdorf située en avant de -Probstheyda, on ne se retira pas sans couvrir la terre de cadavres -prussiens et russes. -<span class="sidenote" title="En marge">Lente retraite des troupes françaises pour prendre une -position plus resserrée.</span> -À Zuckelhausen, à Holzhausen, où se trouvait le -corps de Macdonald, on tint tête à la division prussienne de Ziethen, -et aux Autrichiens de Klenau, <span class="pagenum"><a id="page599" name="page599"></a>(p. 599)</span> et on leur tua beaucoup de -monde avant de rétrograder sur Stötteritz. Cette dernière position une -fois prise par Macdonald, notre nouvelle ligne de bataille était la -suivante. Des bords de la Pleisse, c'est-à-dire de Dölitz à -Probstheyda, elle formait une ligne continue, se repliait à angle -droit vers Probstheyda, remontait au nord jusqu'au bord de la Partha, -par Stötteritz, Melckau, Schönfeld, où étaient Macdonald, Reynier, -Marmont.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir lentement rétrogradé, les Français s'arrêtent -de Dölitz à Probstheyda.</span> -Probstheyda était donc l'angle saillant que l'ennemi devait emporter, -et où Napoléon était bien décidé à tenir opiniâtrement. Outre Victor -qui gardait Probstheyda, il y avait en arrière Lauriston qui se liait -à Macdonald, la garde et la cavalerie. Jusqu'au moment où ils -parvinrent à la ligne des positions que Napoléon voulait conserver, -les coalisés ne rencontrèrent que des arrières-gardes, qui disputaient -le terrain, mais finissaient par l'abandonner. Arrivés devant Dölitz, -Probstheyda, Stötteritz, ils trouvèrent des lignes immobiles, -imposantes, et qu'il y avait peu de chance de faire céder. Toutefois -ils l'essayèrent avec une sorte d'énergie désespérée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Violente attaque du prince de Hesse-Hombourg sur Dölitz, et -défense héroïque de Poniatowski.</span> -La colonne du prince de Hesse-Hombourg se jeta sur Dölitz, l'emporta, -le perdit, le reprit, le perdit de nouveau. C'était Poniatowski et -Augereau fort épuisés, ne comptant pas dix mille hommes à eux deux, -qui défendaient ce point. Le prince de Hesse-Hombourg y fut gravement -blessé, et remplacé aussitôt par le général Bianchi. -<span class="sidenote" title="En marge">On cède un peu de terrain jusqu'à Connewitz, pour prendre -une position inexpugnable.</span> -Nous fûmes -obligés d'abandonner toutefois un peu de terrain, et de venir nous -placer à Connewitz, derrière une ligne d'eau alternativement -stagnante ou courante, qui <span class="pagenum"><a id="page600" name="page600"></a>(p. 600)</span> allait de Probstheyda à Connewitz -se jeter dans la Pleisse. Avant de s'y retirer, notre cavalerie -exécuta de superbes charges, repoussa plusieurs fois celle des -Autrichiens, et puis se replia avec l'infanterie derrière le ruisseau -dont il vient d'être parlé. Une fois à Connewitz, Poniatowski et -Augereau s'y établirent invinciblement. Oudinot avec les deux -divisions de la jeune garde qui restaient (on a vu que les deux autres -étaient sous Mortier à Leipzig), se posta derrière le ruisseau, de -Connewitz à Probstheyda, la cavalerie rangée dans les intervalles de -l'infanterie. Une partie de l'artillerie de la garde se mit en -batterie, et foudroya les masses ennemies. Plusieurs fois les -Autrichiens voulurent franchir l'obstacle, et chaque fois on les fit -mourir au pied de la position. Le corps de Merveldt commandé par -Sederer, et placé de l'autre côté de la Pleisse, sur le terrain bas et -boisé que la Pleisse et l'Elster traversent en tous sens, renouvelait -ses attaques de l'avant-veille contre notre droite, dans l'intention -de la tourner. Il ne put nous envoyer que des boulets qu'on lui rendit -avec usure.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La canonnade s'étend, et embrasse bientôt les quatre faces -du champ de bataille de Leipzig.</span> -Il était midi, le canon retentissait au nord, ce qui annonçait que -Blucher et Bernadotte entraient en action, et ce qui faisait trois -batailles livrées en même temps. De plus il y en avait presque une -quatrième, car sur notre droite, au delà de la Pleisse et de l'Elster, -dans la plaine de Lutzen, on entendait le canon de Bertrand aux prises -avec Giulay pour s'ouvrir la route de Weissenfels. Cette épouvantable -étendue de carnage ne troublait pas plus le visage de Napoléon que le -cœur de nos soldats, <span class="pagenum"><a id="page601" name="page601"></a>(p. 601)</span> exaltés pour ainsi dire par cette -solennité d'une bataille sans égale dans l'histoire, car depuis trois -jours cinq cent mille hommes se disputaient dans les plaines de -Leipzig l'empire du monde. Jamais on n'avait vu pareil nombre d'hommes -sur un même champ de bataille.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">En entendant le canon de Blucher et de Bernadotte, le -prince de Schwarzenberg veut tenter une attaque décisive sur -Probstheyda, qui forme l'angle saillant de notre position.</span> -Le canon de Blucher et de Bernadotte fut pour l'armée du prince de -Schwarzenberg le signal d'une attaque furieuse contre le point décisif -de Probstheyda. Déjà Kleist et Wittgenstein formant la colonne du -centre, s'étaient avancés, Kleist avec les trois divisions prussiennes -Klüx, Pirch et prince Auguste, Wittgenstein avec les divisions russes -Eugène de Wurtemberg et Gortschakoff, suivies des réserves. Arrivés -devant la position, les Prussiens qui toujours briguaient la tête des -attaques, par la raison fort honorable pour eux qu'il s'agissait dans -cette lutte terrible d'affranchir l'Allemagne, s'élancent les -premiers, et au pas de charge, sur Probstheyda. Drouot, rangé en avant -de Probstheyda, les attend avec l'artillerie de la garde, Victor avec -son infanterie. -<span class="sidenote" title="En marge">Combat effroyable autour de Probstheyda.</span> -Il fallait gravir un terrain incliné en forme de -glacis. Drouot les laisse arriver, puis les couvre de mitraille, et -les précipite confusément les uns sur les autres. Pourtant, animés -d'une véritable rage patriotique, ils se remettent en rang, marchent -une seconde fois sur Probstheyda et parviennent à y entrer. Mais -Victor, avec ses divisions décimées, les charge à la baïonnette, et -les arrête. Après les avoir arrêtés il les pousse dehors, et notre -artillerie les mitraille de nouveau. Les trois divisions prussiennes, -horriblement traitées, vont se reformer à quelque distance, <span class="pagenum"><a id="page602" name="page602"></a>(p. 602)</span> -au bas du glacis sur lequel s'élève Probstheyda. Napoléon fait avancer -Lauriston, et lui-même sous une grêle de boulets range par derrière, -en colonnes profondes, les deux divisions de la vieille garde, Friant -et Curial, seule réserve qui lui reste. Ces beaux grenadiers, avec -leurs énormes bonnets à poil, immobiles sous les boulets, sont placés -comme deux puissants arcs-boutants derrière Lauriston et Victor. On -s'attend à une nouvelle attaque, et on se promet de la recevoir comme -la précédente.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Attaques réitérées et toujours repoussées.</span> -En effet, les trois divisions prussiennes ayant un moment repris -haleine et resserré leurs rangs, sont rejointes par les divisions -russes de Wittgenstein, et d'un même mouvement se reportent en avant, -toujours accablées par la mitraille de Drouot. Elles se précipitent -toutes ensemble sur Probstheyda, l'enveloppent, y pénètrent, et -semblent cette fois devoir en rester maîtresses. Mais Victor quoique -avec des troupes épuisées, Lauriston avec les siennes que la bataille -du 16 a réduites des deux tiers, fondent à la baïonnette sur les -Prussiens et les Russes réunis, combattent corps à corps, puis par un -suprême effort refoulent les assaillants hors du village, et les -culbutent sur la déclivité du terrain, où notre artillerie, profitant -de cette nouvelle occasion, les couvre encore de mitraille.</p> - -<p>Tandis qu'on résiste ainsi de face, un autre ennemi se présente par la -gauche, c'est la division prussienne Ziethen, qui ayant avec les -Autrichiens de Klenau fait une tentative infructueuse sur Stötteritz, -s'est rabattue sur Probstheyda. Mais une partie de l'artillerie de -Drouot, établie sur le côté gauche <span class="pagenum"><a id="page603" name="page603"></a>(p. 603)</span> du village, la reçoit en -flanc, et la repousse par le feu seul de ses canons.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir perdu douze mille hommes en deux heures, le -prince de Schwarzenberg se décide à convertir le combat en une longue -canonnade.</span> -Après ces tentatives, le prince de Schwarzenberg ayant déjà plus de -douze mille hommes hors de combat, ne pouvait plus se flatter -d'emporter une position que la valeur de nos soldats rendait -inexpugnable. Il se décida, comme l'avant-veille, à procéder contre -l'armée française par voie de resserrement successif. On avait le 16 -resserré Napoléon sur Leipzig, et on l'avait amené le 18 à se retirer -à une lieue en arrière. On achèverait le 19 de l'acculer dans Leipzig -même, en donnant la main à Bernadotte et à Blucher. Le prince -généralissime résolut dès lors d'occuper de son côté la journée par un -combat d'artillerie, et pour le soutenir avec moins de désavantage, il -rétrograda quelques centaines de pas sur un terrain légèrement élevé, -et dont l'élévation faisait face à celle de Probstheyda. Là, placé -vis-à-vis des Français, il se mit à échanger avec eux l'une des plus -épouvantables canonnades qu'on ait jamais entendues.</p> - -<p>Pendant ce temps Benningsen, opposé à notre gauche qui de Probstheyda -remontait au nord jusqu'à Leipzig, avait essayé d'aborder Melckau, -mais moins hardiment que Schwarzenberg, parce qu'il attendait -Bernadotte et Blucher avant de s'engager sérieusement. Quant à -ceux-ci, voici ce qui avait eu lieu de leur côté.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat à l'est et au nord contre Bernadotte et Blucher.</span> -Après avoir refusé de voir Bernadotte, Blucher avait fini par accepter -une entrevue avec lui le matin à huit heures, et ils étaient convenus -de franchir la Partha, mais Bernadotte n'y avait consenti qu'à -<span class="pagenum"><a id="page604" name="page604"></a>(p. 604)</span> condition que Blucher lui prêterait 30 mille hommes, ce que -celui-ci avait promis en se mettant à la tête de ces trente mille -hommes qui étaient ceux de Langeron. -<span class="sidenote" title="En marge">Passage de la Partha par Blucher et Bernadotte.</span> -En effet pendant que Sacken et -York, restés de l'autre côté de la Partha, tout à fait au nord de -Leipzig, échangeaient des boulets avec Dombrowski et Margaron, Blucher -avait passé la Partha au plus près, c'est-à-dire vers Neutzsch, puis -se portant à l'est de Leipzig, était descendu sur Schönfeld, où la -seconde division de Marmont était établie. Marmont avec ses deux -autres divisions, Ney avec Souham et Reynier, avaient opéré une -conversion en arrière, pour venir par Sellerhausen relier leur droite -avec Macdonald qui était à Stötteritz. Quant à Bernadotte, exécutant -un long circuit pour traverser la Partha le plus loin possible des -Français, il était allé la franchir à Taucha, et les Prussiens en -tête, s'était avancé en face de Reynier, par Heiterblick. Tels avaient -été les mouvements des uns et des autres dans le courant de la -matinée, pendant le terrible combat de Probstheyda.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Reynier, Souham et Marmont sous le maréchal -Ney.</span> -En avant de Sellerhausen, où était Reynier, se trouvait un village -formant saillie dans la plaine et assez dominant, celui de Paunsdorf, -que Ney aurait désiré occuper, parce que de ce point on pouvait -s'interposer entre l'armée de Bohême et celle du Nord, peut-être même -empêcher leur jonction. Reynier n'en était point d'avis par un motif -assez sage. -<span class="sidenote" title="En marge">Indigne défection des Saxons.</span> -Il se défiait des Saxons qui ne cessaient de murmurer et -de menacer de désertion. Encadrés jusqu'ici entre les deux divisions -françaises Durutte et Guilleminot, ils avaient été assez fidèles; -mais <span class="pagenum"><a id="page605" name="page605"></a>(p. 605)</span> depuis le départ de Guilleminot, ils n'étaient flanqués -que d'un côté, et Reynier ne voulait pas, en les mettant en avant, les -exposer à la tentation de nous quitter. Ney, plus hardi, les fit -avancer en colonne vers Paunsdorf, en ayant soin de placer la division -Durutte derrière eux, pour les appuyer et les contenir. Mais ils -n'eurent pas plutôt aperçu les enseignes de Bernadotte, avec -l'état-major duquel plusieurs d'entre eux étaient en communication -secrète, que par un hommage qui n'était pas celui de la fidélité à la -fidélité, ils marchèrent soudainement à lui. La cavalerie déserta la -première, l'infanterie suivit. Le maréchal Marmont, qui était à leur -gauche, crut qu'ils se laissaient emporter à trop d'ardeur, et courut -après eux, mais il fut bientôt détrompé, et, trahison indigne! à peine -à quelques pas de notre ligne de bataille, ils tournèrent leurs pièces -contre nous, en tirant sur la division Durutte, avec laquelle ils -servaient depuis deux années! Sans doute Napoléon avait violenté leurs -sentiments, enchaîné leurs cœurs et leurs bras à une cause qu'ils -n'aimaient point; ils avaient le droit de nous quitter, mais pas celui -de nous abandonner sur le champ de bataille; et du reste si Dieu nous -punissait en ce moment pour avoir trop pesé sur l'Europe, il leur -préparait bientôt à eux un terrible et juste châtiment, celui du -morcellement de leur patrie!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation presque désespérée, et conduite héroïque de la -division Durutte trahie par les Saxons.</span> -Ney accourut à ce spectacle pour aider la division Durutte, qui, -assaillie tout à coup par le corps de Bulow, avait la plus grande -peine à se maintenir. Cinq mille hommes luttèrent pendant plus d'une -heure contre vingt mille, et luttèrent héroïquement. <span class="pagenum"><a id="page606" name="page606"></a>(p. 606)</span> -Pourtant il fallut céder et se replier sur Sellerhausen. Ney leur -amena la division Delmas pour empêcher qu'ils ne fussent accablés dans -leur mouvement rétrograde. -<span class="sidenote" title="En marge">Delmas vient à son secours, et meurt en faisant son -devoir.</span> -Delmas, le vieux soldat de la République, -mourut noblement en venant au secours de Durutte avec sa division. -Pendant qu'à la droite de Ney, Durutte, Delmas combattaient entre -Paunsdorf et Sellerhausen, Marmont à gauche soutenait dans le beau -village de Schönfeld un combat furieux. -<span class="sidenote" title="En marge">Combat furieux de Schönfeld entre Marmont et Blucher.</span> -Schönfeld était le point -essentiel où notre ligne en remontant au nord venait s'appuyer à la -Partha, et c'était le point que Blucher voulait enlever avec les -soldats de Langeron. En quelques heures la division Lagrange perdit ce -village et le reprit sept fois. Enfin elle allait succomber quand Ney -vint la renforcer avec une des divisions de Souham, celle de Ricard. -Une dernière fois on reprit Schönfeld. Entre Schönfeld et Selterhausen -Marmont avec les divisions Compans et Friederichs formées en carré -résistait à tous les assauts de la cavalerie prussienne et russe. Mais -28 mille hommes ne pouvaient pas lutter longtemps contre 90 mille, et -on céda Schönfeld et Sellerhausen pour se rapprocher de Leipzig, avec -la crainte de voir Bernadotte et Bubna, maintenant réunis dans la -plaine de Leipzig, pénétrer par la brèche que la défection des Saxons -avait opérée dans notre ligne.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon amène au galop la cavalerie de la garde pour -fermer la brèche formée dans notre ligne par la défection des Saxons.</span> -Heureusement un renfort considérable de cavalerie et d'artillerie -arrivait au galop. C'était Nansouty avec la cavalerie et l'artillerie -de la garde qui accourait, sous la conduite de l'Empereur lui-même. Le -bruit de la défection des Saxons, retentissant jusqu'au <span class="pagenum"><a id="page607" name="page607"></a>(p. 607)</span> -quartier général, y avait soulevé tous les cœurs, et Napoléon, -laissant Murat à Probstheyda pour le remplacer à la bataille du sud, -qui s'était convertie en canonnade, était venu en toute hâte réparer -ce malheur imprévu qui mettait le comble à nos calamités.</p> - -<p>À cet aspect Bulow d'un côté, Bubna de l'autre, qui étaient prêts à se -donner la main, formèrent chacun un crochet en arrière, pour présenter -un flanc à la cavalerie de Nansouty. Nansouty les chargea à outrance, -tantôt à droite, tantôt à gauche, sans pouvoir renverser leur masse -épaisse. Mais il arrêta court leur progrès, et là comme sur les trois -faces de cet immense champ de bataille, de Leipzig à Schönfeld au -nord, de Schönfeld à Probstheyda à l'est, de Probstheyda à Connewitz -au sud, une canonnade de deux mille bouches à feu termina cette -bataille, justement dite <em>des Géants</em>, et jusqu'ici la plus grande -certainement de tous les siècles.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Continuation de la canonnade jusqu'à la chute du jour.</span> -Tant qu'on put se voir, on tira les uns sur les autres avec une sorte -de fureur, mais sans espoir de la part des coalisés de faire -abandonner aux Français la ligne qu'ils avaient prise. Nos soldats -demeurèrent immobiles, comme fixés à des limites qu'aucune puissance -humaine ne pouvait franchir. L'admiration était dans le cœur même -de leurs ennemis acharnés, et justement acharnés puisqu'il s'agissait -d'affranchir leur patrie. Ce que coûta cette nouvelle bataille, -l'histoire mentirait si elle voulait l'affirmer d'une manière précise. -<span class="sidenote" title="En marge">Horrible carnage de la journée du 18.</span> -On peut seulement le conjecturer d'après ce qui resta d'hommes valides -les jours suivants dans les armées belligérantes. Près <span class="pagenum"><a id="page608" name="page608"></a>(p. 608)</span> de -vingt mille hommes de notre côté, et de trente mille du côté des -coalisés, qui étaient exposés à des feux dominants et bien dirigés, -furent le nombre des victimes de cette troisième journée. Ainsi en -trois jours plus de quarante mille Français, plus de soixante mille -Allemands et Russes furent atteints par le feu! Ah! disons-le bien -haut, en présence de cet horrible carnage, la guerre, quand elle n'est -pas absolument nécessaire, n'est qu'une criminelle folie!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">La retraite immédiate était devenue inévitable après la -journée du 18.</span> -Après cette affreuse journée, quelque glorieuse qu'eût été la -résistance de notre armée, il était indispensable de battre tout de -suite en retraite, et mieux eût valu certainement décamper nuitamment -le 17 au soir, que de risquer la terrible bataille du 18, pour -conserver quelques heures de plus une attitude victorieuse. Il n'en -fallait pas moins se retirer aujourd'hui le plus promptement possible, -au risque d'essuyer des pertes énormes en traversant une ville comme -Leipzig, avec une armée qui après avoir été immense en personnel et en -matériel, l'était encore en matériel, et n'avait pour évacuer ce qui -lui restait qu'un seul pont, celui de Lindenau, long d'une demi-lieue, -embrassant des bois, des marécages, plusieurs bras de rivières.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rentre à Leipzig pour ordonner la retraite.</span> -Napoléon, quoique souffrant cruellement au fond de son âme, mais -cachant sa souffrance sous la hautaine impassibilité de son visage, -quitta son poste de Probstheyda vers le soir, et se rendit à Leipzig -afin de tout disposer pour une retraite immédiate. Après avoir refusé -vingt-quatre heures auparavant la protection des ombres de la nuit, il -fallait bien l'accepter maintenant, et soustraire à l'ennemi le -<span class="pagenum"><a id="page609" name="page609"></a>(p. 609)</span> plus possible de nos embarras avant l'attaque, facile à -prévoir, du lendemain. Napoléon descendit dans une simple hôtellerie -située au centre de la ville, et de là expédia tous ses ordres. Il -prescrivit aux états-majors des divers corps de défiler toute la nuit -avec le matériel, les blessés qu'on pourrait emporter, l'artillerie -qu'on avait conservée tout entière, à l'exception seulement d'une -vingtaine de pièces qu'une explosion avait fait perdre au combat de -Möckern. -<span class="sidenote" title="En marge">Ses dispositions pour occuper fortement Leipzig pendant que -ses corps défileront à travers l'unique pont de Lindenau.</span> -Il ordonna que les corps d'armée se retirassent ensuite l'un -après l'autre, ayant en tête la garde, dont deux divisions avaient -déjà passé à la suite du général Bertrand. Le pont franchi, la garde -devait se mettre en bataille sur le plateau de Lindenau qui domine -l'Elster, et présenter à l'ennemi une arrière-garde invincible. Comme -il était probable que les coalisés en voyant notre départ, voudraient -se jeter sur nous, afin d'ajouter à notre passage à travers Leipzig -toutes les difficultés d'un combat sanglant, il fut prescrit au 7<sup>e</sup> -corps (général Reynier), qui était composé aujourd'hui de l'unique -division Durutte, de disputer le faubourg de Halle au nord de la -ville. La division Dombrowski devait l'aider dans cette tâche -périlleuse. Marmont, avec les débris de son 6<sup>e</sup> corps et une division -du 3<sup>e</sup> (Souham), devait défendre l'est de la ville, où allaient se -presser Blucher et Bernadotte. Enfin Macdonald, dont le corps avait -moins souffert que les autres le 18, se liant par sa gauche avec -Marmont, devait, avec Lauriston et Poniatowski, protéger le côté sud -contre la grande armée de Bohême. Ces corps, pendant que la garde, -toute la cavalerie, les <span class="pagenum"><a id="page610" name="page610"></a>(p. 610)</span> restes de Victor, d'Augereau, de Ney, -décamperaient, avaient mission de disputer les faubourgs à outrance, -d'y barrer les rues comme ils pourraient, puis de défiler eux-mêmes -par un vaste boulevard bordé d'arbres, qui régnait autour de la ville -et la séparait des faubourgs. Se repliant les uns après les autres sur -cette voie, trois ou quatre fois plus large qu'une rue, ils devaient -venir par le côté du couchant, gagner le pont de Lindenau, et -traverser successivement les deux rivières de la Pleisse et de -l'Elster. Le colonel Montfort, appelé chez Berthier, non point pour -l'établissement de ponts supplémentaires auxquels il n'était plus -temps de songer, mais pour certaines précautions de sûreté, reçut -l'ordre de disposer une mine sous l'arche la plus rapprochée de la -ville, afin de la faire sauter au moment où le dernier corps français -aurait passé, et où la tête des ennemis apparaîtrait: ordre facile à -donner, mais soumis quant à son exécution, Dieu sait à quels hasards! -Le combat qu'on devait soutenir dans les faubourgs serait-il assez -long pour que choses et hommes eussent le temps de s'écouler? Puis les -corps chargés de combattre dans les faubourgs auraient-ils à leur tour -le temps de se retirer, et de s'arracher des mains de l'ennemi? Enfin -n'était-il pas à craindre que les coalisés, perçant sur quelques -points, ne parvinssent au pont avant les derniers corps français? Et -alors comment arrêter la poursuite des uns sans empêcher aussi la -retraite des autres? Napoléon ne s'inquiéta d'aucune de ces questions, -et en effet ne le pouvait guère, car les choses arrivées au point où -il les avait amenées, le hasard allait seul <span class="pagenum"><a id="page611" name="page611"></a>(p. 611)</span> décider des -conséquences. D'ailleurs, tout en paraissant occupé de donner des -ordres, il était occupé aussi à plonger d'un regard sinistre dans les -sombres profondeurs de l'avenir, où il pouvait déjà voir non-seulement -des batailles perdues, mais des empires croulants, et lui-même avec -leurs ruines précipité dans un abîme!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordres aux corps laissés dans les places de l'Elbe, depuis -Dresde jusqu'à Hambourg.</span> -À ces instructions pour la retraite de Leipzig il en ajouta quelques -autres destinées aux corps laissés sur l'Elbe, et réduits tous à -capituler, si un miracle d'énergie et de présence d'esprit, en les -réunissant sur le bas Elbe au maréchal Davout, ne leur rouvrait les -portes de France actuellement fermées. Il fit prescrire au grand -quartier général, duquel on était resté séparé, de s'acheminer avec -les parcs sur Torgau. Il envoya des émissaires à Dresde, à Torgau, à -Wittenberg, pour leur indiquer un moyen de salut, c'est que le -maréchal Saint-Cyr, qui avait trente mille hommes encore, et pouvait -en ne perdant pas de temps renverser tout ce qui serait sur son -chemin, sortît de Dresde, se rendît à Torgau, puis à Wittenberg, puis -à Magdebourg, et, ramassant successivement toutes les garnisons, allât -se joindre à Davout avec soixante-dix mille hommes. En ayant cent -mille à eux deux, ils pouvaient sauver encore quelques garnisons de -l'Oder, et ensuite rentrer en France par Wesel à la tête de cent vingt -mille soldats. Mais que de miracles pour qu'un tel ordre arrivât, fût -exécuté et réussît! À peine aurait-on pu attendre ce miracle de -soldats et d'officiers ayant l'élan et la confiance de la victoire! et -dans ce cas même, que de milliers de blessés, quarante mille -peut-être, livrés <span class="pagenum"><a id="page612" name="page612"></a>(p. 612)</span> à la barbarie d'un vainqueur qu'une sorte -de fanatisme patriotique aveuglait jusqu'à lui faire croire que le -patriotisme dispense d'humanité.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Défilé de tous nos corps par le pont de Lindenau pendant la -nuit du 18 au 19.</span> -Le défilé des divers corps dura toute la nuit du 18 au 19, et fut -surtout ralenti par le passage de l'artillerie, qui était -très-nombreuse, et qui avait bravement conservé ses pièces. Les -malheureux blessés du 18 étaient presque tous sacrifiés d'avance, -l'impossibilité de les emporter étant absolue. Mais on avait eu le -temps de ramasser quelques-uns de ceux du 16, et on les traînait après -soi sur les petites voitures qu'on avait pu se procurer. Cette suite -de canons, de caissons, de voitures portant des blessés, formait un -prodigieux encombrement, et retardait beaucoup l'écoulement des -colonnes. La garde qui avait vaillamment combattu, mais qui avait -l'esprit de domination des corps d'élite, prétendant passer dès -qu'elle paraissait, et souvent foulant aux pieds la multitude sans -armes qui obstruait les ponts, augmentait le tumulte, et provoquait -contre elle des cris de haine. Le triste orgueil d'emmener cinq ou six -mille prisonniers les uns faits à Dresde, les autres à Leipzig même, -occasionna un nouvel embarras, car ils prirent la place de pareil -nombre de blessés ou de soldats valides. Lorsque le jour fut venu, -l'affluence devint encore plus grande, parce que chacun songeant à -fuir après quelques heures de repos, se hâtait de regagner le temps -employé à dormir. -<span class="sidenote" title="En marge">Affreux encombrement au pont de Lindenau.</span> -C'étaient des efforts inouïs pour entrer dans ce -torrent serré qui s'écoulait vers Lindenau, et qui en certains moments -finissait par s'arrêter, comme s'arrêtent faute d'espace les glaçons -<span class="pagenum"><a id="page613" name="page613"></a>(p. 613)</span> que charrie un fleuve près de geler. Chaque troupe nouvelle -qui voulait s'introduire dans cette foule pressée, y provoquait des -résistances, des cris, des combats véritables. Qu'on ajoute à ce -lugubre spectacle le bruit de mille bouches à feu ayant recommencé à -tonner dès le matin, et on aura une idée à peine exacte de notre -horrible départ de l'Allemagne.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Adieux de Napoléon à la famille royale de Saxe.</span> -Napoléon, dès que le jour commença de luire, alla présenter ses adieux -à la famille de Saxe. Il lui avait rendu un moment le rêve de ses -ancêtres en lui donnant la couronne de Pologne, mais à ce prix il -l'avait perdue, sans le vouloir du reste, comme il s'était perdu -lui-même! Et par surcroît de misère, de la seule chose impérissable en -lui, la gloire, il ne laissait rien à cette malheureuse famille, -tandis qu'aux Polonais qu'il avait perdus aussi, il laissait du moins -une part d'honneur immortel! La cour honnête et timide de Saxe avait -en effet passé au pied des autels les dix dernières années, que tant -d'autres avaient passées sur les champs de bataille. Napoléon avait de -grands reproches à essuyer du vieux roi, et il pouvait de son côté -trouver matière à des reproches non moins graves dans la conduite -tenue la veille par les soldats saxons, mais il avait un trop haut -orgueil pour employer de la sorte les quelques instants qu'il avait à -consacrer à son allié. Il lui témoigna ses regrets de le livrer ainsi -sans défense à tout le courroux de la coalition; il l'engagea à -traiter avec elle, à se séparer de la France, et lui affirma que quant -à lui, en aucun temps il ne songerait à s'en plaindre. Relevant -fièrement son visage grave, mais non abattu, il lui exprima l'espoir -de <span class="pagenum"><a id="page614" name="page614"></a>(p. 614)</span> redevenir bientôt formidable derrière le Rhin, et lui -promit de ne pas stipuler de paix dans laquelle la Saxe serait -sacrifiée. Après de réciproques embrassements, il quitta cette bonne -et malheureuse famille, épouvantée de le voir rester si tard au milieu -des dangers qui le menaçaient de tous côtés.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficultés que Napoléon éprouve lui-même à passer au pont -de Lindenau.</span> -Sorti de chez le roi, Napoléon essaya en vain de se faire jour à -travers les rues de Leipzig. Il fut obligé de gagner les boulevards -par un détour, et de les suivre jusqu'au pont, où la presse s'ouvrit -pour lui, car bien qu'il commençât à inspirer des sentiments amers, -l'admiration, la foi en son génie, l'obéissance étaient complètes -encore. Il franchit les ponts, et alla vers Lindenau attendre de -l'autre côté de la Pleisse et de l'Elster, que l'armée eût défilé sous -ses yeux.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat dans les faubourgs de Leipzig.</span> -Pendant ce temps un nouveau combat s'était engagé autour de Leipzig. -Les souverains et les généraux coalisés ne pouvaient croire à leur -bonheur, car c'était la première victoire que depuis le commencement -du siècle ils eussent remportée sur Napoléon, et ce n'était pas même -encore une victoire que celle qui venait de leur coûter tant de sang -et tant d'angoisses, c'était une suite d'actions violentes, dont la -dernière allait seule décider le vrai caractère. Or ce quatrième jour, -ils s'attendaient à un conflit épouvantable, dont ils étaient résolus -à supporter les horreurs en vrais martyrs de leur cause. Mais quelles -ne furent pas leur surprise et leur joie, lorsque entre huit et neuf -heures du matin, le brouillard d'automne étant dissipé, ils aperçurent -l'armée française se resserrant successivement <span class="pagenum"><a id="page615" name="page615"></a>(p. 615)</span> autour de -Leipzig, et s'écoulant à travers l'interminable pont de Lindenau, dans -les plaines de Lutzen! Ils remercièrent le ciel d'un résultat qu'ils -avaient à peine osé espérer, et sur-le-champ ils ordonnèrent à leurs -soldats de se jeter sur l'enceinte de Leipzig pour essayer de rendre -plus difficile et plus meurtrière la retraite de l'armée française. -Chacun marchant dans l'ordre de la veille, la colonne du prince de -Hesse-Hombourg qui formait la gauche des coalisés, poursuivit -Poniatowski dans le faubourg correspondant à la porte de Peters-Thor. -La colonne du centre, celle de Kleist et Wittgenstein, se présenta -devant le même faubourg, mais à une barrière placée un peu à droite, -celle de Windmühlen. La colonne de droite, celle de Klenau et -Benningsen, se présenta à la barrière de l'Hôpital, aboutissant à -l'ancienne porte de Grimma. Bulow, du corps de Bernadotte, se dirigea -sur le faubourg qui est situé entre les portes de Grimma et de Halle. -Blucher, Langeron et Sacken se précipitèrent sur le faubourg de Halle, -et on chargea le général d'York qui s'était reposé la veille, de se -porter par le nord sur les rives de l'Elster et de la Pleisse, pour -contrarier autant que possible le défilé de nos colonnes. Mais partout -les coalisés rencontrèrent une résistance opiniâtre. -<span class="sidenote" title="En marge">Les Français exaspérés à leur tour, repoussent violemment -les assaillants.</span> -Nos soldats -étaient à leur tour aussi irrités que leurs adversaires, et se -trouvaient autant humiliés de la prétention de les battre, que les -Allemands l'avaient été de notre prétention de les dominer. Fiers de -leur conduite dans ces journées, ils avaient le sentiment du malheur -non celui de la défaite, et étaient décidés à faire payer cher leur -retraite ou <span class="pagenum"><a id="page616" name="page616"></a>(p. 616)</span> leur vie. -<span class="sidenote" title="En marge">Les troupes des 7<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps font un grand carnage -des troupes de Sacken et de Langeron dans le faubourg de Halle.</span> -Au nord et à l'est de Leipzig, dans le -faubourg de Halle, les restes des 7<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps repoussèrent -vigoureusement les troupes de Sacken et de Langeron. Ces braves gens -postés dans un vaste bâtiment, tuèrent plus de deux à trois mille -hommes avant de l'évacuer, et même quelques compagnies légères du 6<sup>e</sup> -corps fondant par la porte de Halle sur les troupes qui attaquaient le -bâtiment, en firent un épouvantable carnage. -<span class="sidenote" title="En marge">On traite aussi mal les troupes de Bulow, à l'est de la -ville, et les troupes de Schwarzenberg au sud.</span> -Marmont avec une division -du 6<sup>e</sup> corps et une du 3<sup>e</sup> défendit la face de l'est contre Bulow, et -quelques têtes de colonnes ayant pénétré dans la ville, il lança sur -elles le 142<sup>e</sup> de ligne et le 23<sup>e</sup> léger, qui les massacrèrent presque -entièrement. Macdonald, Lauriston, Poniatowski avec leurs troupes -exaspérées, reçurent de même les colonnes ennemies qui se présentèrent -devant les faubourgs du sud. Partout l'impatience des vainqueurs fut -cruellement punie, et avec peu de pertes nous fîmes essuyer aux -coalisés un immense dommage. Toutefois il fallait renoncer à soutenir -longtemps ce combat, par l'impuissance non pas de résister, mais de -concerter nos mouvements. Dans l'impossibilité de communiquer d'une -rue à l'autre, et de discerner la direction des feux au milieu d'une -effroyable canonnade qui embrassait les quatre faces de la ville, on -ne savait pas si partout la résistance était également heureuse, et si -on ne s'exposait pas, en tenant trop longtemps, à être devancé au pont -par l'ennemi victorieux. Quelques Saxons et Badois restés dans -l'intérieur de la ville, et tirant sur nos soldats en retraite, -ajoutaient à la confusion. Dans les rangs de Marmont, c'est-à-dire -<span class="pagenum"><a id="page617" name="page617"></a>(p. 617)</span> vers l'est, on crut que du côté de Macdonald et de Lauriston, -c'est-à-dire vers le sud, la ligne des faubourgs avait été forcée; -vers ces deux côtés on crut la même chose pour le nord, où -combattaient Reynier et Dombrowski. -<span class="sidenote" title="En marge">Après avoir défendu longtemps les faubourgs, les troupes -françaises, pour n'être pas coupées, regagnent les boulevards.</span> -Dans cette crainte on se mit -presque simultanément en retraite, en débouchant sur les boulevards -qui séparaient les faubourgs de la ville. La presse alors y devint -aussi grande que sur le pont. De chaque rue des faubourgs il arrivait -des colonnes qui se repliaient en combattant, et qui venaient ajouter -à l'encombrement, à tel point que l'ennemi lui-même, avec ses -baïonnettes, n'aurait pas pu s'y faire jour. -<span class="sidenote" title="En marge">Encombrement toujours croissant sur les boulevards et sur -le pont.</span> -Le maréchal Marmont, -obligé à son tour de se retirer, eut une peine extrême à pénétrer dans -l'épaisseur de cette foule qui remplissait les boulevards. -Heureusement pour lui quelques officiers de son corps l'ayant reconnu, -saisirent la bride de son cheval, et lui faisant place à coups de -sabre, l'introduisirent dans le torrent serré qui s'écoulait lentement -vers les ponts.</p> - -<div class="p4 figcenter"> -<a id="poniatowski" name="poniatowski"></a> -<img src="images/poniatowski.jpg" width="500" height="357" alt="Poniatowski." title="" /> -<p class="caption">PONIATOWSKI.</p> -</div> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Catastrophe du pont de Leipzig.</span> -On en était là de cette épouvantable évacuation de Leipzig, lorsqu'une -subite catastrophe, trop facile à prévoir, vint jeter le désespoir -parmi ceux qui pour le salut commun s'étaient dévoués à la défense des -faubourgs de Leipzig. On avait ordonné au colonel du génie Montfort de -miner la première arche de ce pont continu, qui est tantôt un pont -tantôt une levée de terrain, et embrasse, avons-nous dit, les bras -nombreux de la Pleisse et de l'Elster. Cette arche était située à -l'extrémité de Leipzig qui correspond à Lindenau, et construite sur le -principal bras de l'Elster. Le colonel Montfort l'avait minée, -<span class="pagenum"><a id="page618" name="page618"></a>(p. 618)</span> et y avait placé quelques sapeurs avec un caporal qui -attendaient le signal la mèche à la main. Mais sa perplexité était -grande, car du côté du faubourg de Halle on entendait à travers les -bois qui couvrent cette partie des environs de la ville, la fusillade -se rapprocher. À tout moment on s'attendait à voir l'ennemi déboucher -pêle-mêle avec nos soldats, et on ignorait si au delà il ne restait -pas d'autres troupes françaises encore occupées à combattre. -<span class="sidenote" title="En marge">Le colonel Montfort, qui avait mission de détruire les -ponts, veut aller prendre l'ordre de l'Empereur, lorsqu'un caporal -chargé de mettre le feu à la mine croit voir arriver l'ennemi, et fait -sauter le pont.</span> -Aussi le -colonel Montfort demandait-il à tout venant s'il y avait encore -plusieurs corps en arrière, dans quel ordre ils se succédaient, quel -serait le dernier, et chacun sachant à peine ce qui s'était passé -immédiatement sous ses yeux, était incapable de répondre. Dans cet -embarras, le colonel imagina de se rendre à l'autre bout du pont, -c'est-à-dire à Lindenau, où était Napoléon, pour obtenir qu'on -l'éclairât sur ce qu'il devait faire, et, en s'éloignant pour un -instant, il prescrivit au caporal des sapeurs de ne mettre le feu à la -mine que lorsqu'au lieu des Français il verrait paraître les ennemis. -À peine avait-il fait quelques pas à travers la foule épaisse qui -encombrait le pont, qu'il s'aperçut de l'impossibilité d'aller jusqu'à -Napoléon et de revenir. Il voulut rebrousser chemin vers son poste, -vains efforts! Au pont qu'il avait quitté se passait la scène la plus -tumultueuse. Quelques troupes de Blucher poursuivant les débris du -corps de Reynier à travers le faubourg de Halle, se montrèrent aux -abords du pont pêle-mêle avec les soldats du 7<sup>e</sup> corps. À cet aspect, -des voix épouvantées se mirent à crier: Mettez le feu, mettez le -feu!--Le caporal, auquel <span class="pagenum"><a id="page619" name="page619"></a>(p. 619)</span> de toutes parts on répétait qu'il -fallait détruire le pont, crut le moment venu, et mit le feu à la -mine! Une épouvantable explosion retentit aussitôt; les débris du -pont, volant dans les airs et retombant sur les deux rives, y firent -des victimes des deux côtés. -<span class="sidenote" title="En marge">État lamentable de vingt mille soldats, privés de tout -moyen de retraite.</span> -Mais cette déplorable erreur eut en -quelques instants de bien autres conséquences. Reynier avec un reste -du 7<sup>e</sup> corps, Poniatowski avec ce qui avait survécu de ses Polonais, -Lauriston, Macdonald avec les débris des 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps, étaient -encore sur les boulevards de Leipzig, pressés entre deux cent mille -ennemis et plusieurs bras de rivières sur lesquels les moyens de -passage étaient détruits. Plus de vingt mille de nos soldats avec -leurs généraux étaient ainsi condamnés ou à périr, ou à devenir les -prisonniers d'un ennemi que l'exaspération de cette guerre rendait -inhumain. Ils se crurent trahis, exhalèrent des cris de fureur, et -dans les alternatives d'une sorte de désespoir, tantôt se ruaient -baïonnette baissée sur ceux qui les poursuivaient, tantôt revenaient -vers la Pleisse et l'Elster pour franchir ces rivières à la nage. -Après une mêlée confuse et sanglante, les uns se rendirent, les autres -se jetèrent dans les rivières, un certain nombre réussit à les passer -à la nage, beaucoup furent emportés par la force des eaux. Les -généraux commandants, parmi lesquels il y avait deux maréchaux, ne -voulaient pas laisser de si beaux trophées à l'ennemi, et ils -cherchèrent à se sauver. -<span class="sidenote" title="En marge">Mort de Poniatowski.</span> -Poniatowski, fait maréchal la veille par -Napoléon, pour prix de son héroïsme, n'hésita pas à lancer son cheval -dans l'Elster. Parvenu à l'autre bord, mais le trouvant escarpé, et -<span class="pagenum"><a id="page620" name="page620"></a>(p. 620)</span> chancelant par suite de plusieurs blessures, il disparut dans -les eaux, enseveli dans sa gloire, la chute de sa patrie et la nôtre. -<span class="sidenote" title="En marge">Macdonald sauvé par miracle.</span> -Macdonald ayant suivi son exemple, atteignit la rive opposée, y trouva -des soldats qui l'aidèrent à la gravir, et fut sauvé. -<span class="sidenote" title="En marge">Reynier et Lauriston faits prisonniers.</span> -Reynier et -Lauriston, entourés avant qu'ils pussent tenter de s'enfuir, furent -conduits devant les souverains de Russie, de Prusse et d'Autriche, en -présence desquels ils n'avaient longtemps paru qu'en vainqueurs. -<span class="sidenote" title="En marge">Accueil plein de courtoisie de l'empereur Alexandre au -général Lauriston.</span> -Alexandre, en reconnaissant le général Lauriston, ce sage ambassadeur -qui avait fait tant d'efforts pour empêcher la guerre de 1812, lui -tendit la main en lui reprochant d'avoir cherché à se soustraire à son -estime. Il fit traiter avec égard les généraux français devenus ses -prisonniers, dissimula pour eux son orgueil profondément satisfait, -mais voulut qu'ils assistassent à tout l'éclat de son triomphe. En -effet, les généraux, les princes victorieux étaient réunis sur la -principale place de la ville, se félicitant les uns les autres, se -complimentant réciproquement de ce qu'ils avaient fait, en présence -des habitants de Leipzig qui, pâles encore de la terreur de ces trois -jours, sortaient des caves de leurs maisons, et poussaient des -acclamations en l'honneur des souverains libérateurs. Au milieu de ces -personnages agités se faisait remarquer Bernadotte, persuadé qu'il -avait à lui seul décidé la victoire en arrivant le dernier, étant seul -à le croire, mais bien accueilli par Alexandre, qui, dans sa politique -raffinée, tenait à garder sous son influence le futur souverain de la -Suède. Tandis qu'Alexandre accueillait si bien ce Français combattant -contre la France, il se montrait <span class="pagenum"><a id="page621" name="page621"></a>(p. 621)</span> bien dur à l'égard d'un -prince allemand, qu'il appelait injustement traître envers -l'Allemagne. Ce prince était l'infortuné roi de Saxe. -<span class="sidenote" title="En marge">Dureté de l'empereur Alexandre à l'égard du roi de Saxe.</span> -Deux fois depuis -le matin, des officiers étaient venus de sa part demander un moment -d'entretien, et ils avaient été repoussés. En ce moment il y en avait -un troisième qui, le chapeau à la main, suppliait Alexandre de -permettre au vieux roi de lui offrir ses hommages. Ce malheureux -monarque était à quelques pas de là, tête nue, implorant vainement un -regard du vainqueur. Napoléon, il faut le reconnaître, plus habitué à -la victoire, avait mieux traité les rois vaincus. Alexandre, cédant à -un sentiment peu digne de lui, fit dire au roi de Saxe qu'il ne -voulait point le voir, qu'il était pris les armes à la main, et dès -lors prisonnier de guerre; que les souverains alliés décideraient de -son sort, et lui feraient notifier leur décision. Ainsi, en nous -abandonnant sur le champ de bataille, les soldats saxons n'avaient pas -même acheté le pardon de leur roi!</p> - -<p>Revenons à l'armée française, se retirant mutilée à travers les bras -nombreux de la Pleisse et de l'Elster, et laissant encore dans cette -journée vingt mille de ses soldats, ou prisonniers, ou expirants dans -les rues de Leipzig, ou noyés dans les eaux ensanglantées de la -Pleisse et de l'Elster! -<span class="sidenote" title="En marge">Pertes des deux armées aux quatre journées de Leipzig.</span> -Cette dernière des quatre journées néfastes de -Leipzig porta les pertes de l'armée française en morts, blessés, -prisonniers, noyés ou égarés, à soixante mille hommes environ. -L'ennemi n'avait pas perdu moins en hommes atteints par le feu; mais -ses blessés allaient recevoir tous les soins du patriotisme allemand -<span class="pagenum"><a id="page622" name="page622"></a>(p. 622)</span> reconnaissant: les nôtres, qu'allaient-ils devenir?</p> - -<p>Napoléon avait entendu de Lindenau où il était, une violente -explosion; il en connut bientôt la cause et les conséquences, se -montra fort courroucé contre tous ceux auxquels on pouvait imputer ce -funeste accident, et affecta de vouloir trouver des coupables, quand -il n'y en avait point, et quand, s'il y en avait un, c'était lui, -l'auteur de cette horrible guerre!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractère de la campagne de Saxe, et causes véritables de -nos revers.</span> -Telle fut cette longue et tragique bataille de Leipzig, l'une des plus -sanglantes et certainement la plus grande de tous les siècles, et qui -termina si désastreusement la campagne de Saxe, commencée d'une -manière si heureuse à Lutzen et à Bautzen. Sans doute on se demandera -comment après de si profonds calculs, de si savantes manœuvres, de -si hautes espérances, Napoléon put être conduit à une pareille -catastrophe, et on ne le comprendra en effet qu'en se rendant un -compte exact de tous les mobiles qui le firent agir, et tournèrent en -affreux revers des conceptions qui étaient au nombre des plus belles -de sa vie. Qu'on suppose un général moins grand, mais placé dans une -situation simple, n'ayant ni toute une fortune prodigieuse à refaire -d'un seul coup, ni cent motifs d'orgueil pour se dissimuler la vérité, -n'étant pas non plus habitué à chercher dans des combinaisons hardies -et compliquées des résultats extraordinaires, il eût certainement agi -autrement, et très-probablement s'il n'avait pas obtenu d'éclatants -succès, il aurait au moins évité un désastre. À la première menace -d'un mouvement sur <span class="pagenum"><a id="page623" name="page623"></a>(p. 623)</span> ses derrières, ou par l'Elbe inférieur ou -par la Bohême, il aurait, sans perdre un instant, décampé de Dresde, -en n'y laissant que les malades impossibles à transporter. Il aurait -pu amener ainsi, outre les 200 mille nommes qui lui restaient à cette -époque, les 30 mille laissés dans Dresde, vraisemblablement aussi les -30 mille de Meissen, Torgau, Wittenberg, et rejoindre la Saale en une -masse compacte, que les marches excessives ni les détachements obligés -sur l'Elbe n'auraient point affaiblie. Si, dans cette situation, l'une -des deux armées ennemies, celle de Bohême ou celle de l'Elbe, avait -commis la faute de devancer l'autre d'un jour à Leipzig, il l'eût -accablée, et se serait ensuite rabattu sur la seconde. Supposez que -l'occasion d'un tel triomphe ne lui eût pas été offerte, il aurait au -moins regagné sain et sauf les bords de la Saale, et si cette ligne -qui est courte, facile à déborder de tous les côtés, n'avait pu être -défendue, il aurait sagement repris le chemin du Rhin, et par des -instructions adressées à temps à toutes les garnisons des places de -l'Elbe inférieur, il leur aurait prescrit de se replier les unes sur -les autres jusqu'à Hambourg, où certainement elles auraient pu -parvenir sans accident, l'ennemi étant attiré tout entier à la suite -de la grande armée. Elles auraient formé ainsi avec le maréchal Davout -une belle armée de 80 mille hommes, qui aurait rejoint le Rhin par -Wesel, et dès lors près de 300 mille soldats en bon état se seraient -retrouvés sur la frontière de l'Empire, et y auraient opposé à -l'invasion une barrière invincible! Mais Napoléon, par caractère, par -orgueil, par habitude et besoin <span class="pagenum"><a id="page624" name="page624"></a>(p. 624)</span> de résultats extraordinaires, -s'était rendu impossible une conduite aussi simple.</p> - -<p>À la nouvelle d'une double marche de ses ennemis sur Leipzig, les uns -descendant de la Bohême, les autres remontant de l'Elbe le long de la -Mulde, il ne songea pas un instant à sa sûreté. Habitué à les voir se -dérober sans cesse, il n'eut qu'une crainte, c'est qu'ils pussent lui -échapper encore, et au lieu d'aller droit à Leipzig, par le chemin -direct, ce qui lui aurait sauvé douze ou quinze mille soldats laissés -au milieu des boues de l'automne, il descendit l'Elbe dans la -direction de Düben, pour saisir à coup sûr Blucher et Bernadotte, -toujours convaincu dans son orgueil qu'on était beaucoup plus disposé -à le fuir qu'à le combattre. À peine en marche, et toujours en quête -de combinaisons qui pussent procurer de vastes résultats, il imagina -de se jeter sur les traces de Blucher et de Bernadotte, de les suivre -à outrance au delà de l'Elbe, de les refouler sur la roule de Berlin, -puis de remonter par la rive droite l'Elbe jusqu'à Torgau ou Dresde, -de passer ce fleuve de nouveau sur ces points, et de tomber à -l'improviste sur les derrières de l'armée descendue de Bohême. Certes -la combinaison était aussi profonde qu'audacieuse, et avec les -soldats, l'ardeur et la fortune d'Austerlitz, elle devait amener des -résultats prodigieux. Mais pour cette espérance chimérique, il fallait -se résigner à laisser 30 mille hommes à Dresde, et Napoléon les y -laissa. Arrivé à Düben, sur la basse Mulde, il put bientôt -s'apercevoir que loin de vouloir fuir, Blucher et Bernadotte -cherchaient à le gagner de vitesse sur Leipzig, pour <span class="pagenum"><a id="page625" name="page625"></a>(p. 625)</span> s'y -réunir à Schwarzenberg, et l'accabler. Il prit son parti sur-le-champ, -rebroussa chemin vers cette ville, et avec la sûreté ordinaire de son -coup d'œil se plaça de la seule manière propre à empêcher la -réunion de ses ennemis. Mais il revenait à Leipzig après une marche -inutile de cinquante lieues, qui avait épuisé ses soldats et fort -diminué leur nombre; il revenait privé de trente mille combattants -laissés à Dresde, d'une quantité égale laissée à Wittenberg, Torgau, -Meissen, et il marchait en une longue colonne, dont un tiers au moins -ne pouvait pas assister à la première et à la plus décisive bataille. -Obligé de faire face à tous ses ennemis, non pas présents mais pouvant -l'être, il lui fut impossible le 16 d'amener Bertrand et Ney à lui, de -les jeter avec Macdonald sur le flanc droit de Schwarzenberg pour -accabler ce dernier, et dès lors n'étant pas vainqueur d'une manière -foudroyante le premier jour, il se vit tout à coup dans une position -affreuse, où il était condamné à succomber les jours suivants sous une -écrasante réunion de forces. Prendre sur-le-champ le parti de la -retraite, l'exécuter sinon le 17, puisqu'il attendait encore Reynier, -du moins dans la nuit du 17 au 18, regagner au plus tôt par Lindenau, -Lutzen et Weissenfels, ses communications menacées, établir pour cela -les ponts nécessaires sur la Pleisse et l'Elster, était la seule -conduite à tenir, la conduite simple du capitaine sage, plus occupé de -sauver son armée que de conserver son prestige. Mais faire une -retraite fière, imposante, en plein jour, en se ruant sur l'ennemi qui -oserait être pressant, afin non pas de se sauver, mais de <span class="pagenum"><a id="page626" name="page626"></a>(p. 626)</span> -garder l'attitude du victorieux, fut, et devait être la pensée du -conquérant longtemps gâté par la fortune, du conquérant qui ne sut pas -sortir de Moscou à temps, et il s'ensuivit la funeste bataille du 18, -et la retraite plus funeste encore du 19, exécutée avec un seul pont. -La confusion inévitable qui s'introduisit au dernier moment dans les -choses ainsi conduites, amena l'explosion du pont de l'Elster, qui -marqua du sceau de la fatalité cette effroyable bataille de quatre -jours.</p> - -<p>Ce résumé des faits montre donc la vraie cause de tous les malheurs -que nous venons de raconter. Ce n'est pas plus ici qu'à Moscou dans -l'affaiblissement des talents du capitaine qu'il faut chercher la -cause de si déplorables résultats, car le capitaine ne fut jamais ni -plus fécond, ni plus audacieux, ni plus tenace, ni plus soldat, mais -dans les illusions de l'orgueil, dans le besoin de regagner d'un coup -une immense fortune perdue, dans la difficulté de s'avouer assez vite -sa défaite, dans tous les vices, en un mot, qu'on aperçoit en petit et -en laid chez le joueur ordinaire, risquant follement des richesses -follement acquises, et qu'on retrouve en grand et en horrible chez ce -joueur gigantesque qui joue avec le sang des hommes, comme d'autres -avec leur argent. De même que les joueurs perdent leur fortune en deux -fois, une première pour ne pas savoir la borner, une seconde pour -vouloir la rétablir d'un seul coup, de même Napoléon compromit la -sienne à Moscou pour la vouloir faire trop grande, et dans la campagne -de Dresde pour la vouloir refaire tout entière. C'était toujours -l'action des mêmes causes, l'altération non <span class="pagenum"><a id="page627" name="page627"></a>(p. 627)</span> du génie, mais du -caractère gâté par la toute-puissance et le succès.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Après les tragiques événements de Leipzig, une prompte -retraite sur le Rhin était le seul parti à prendre.</span> -À la suite de tels revers, retourner immédiatement sur le Rhin était -la seule ressource qui restât à Napoléon. Après avoir eu 360 mille -hommes de troupes actives à la reprise des hostilités, sans compter -les garnisons, après en avoir eu 250 mille encore deux semaines -auparavant, et en avoir laissé 30 mille à Dresde, un nombre peut-être -égal sur la route de Dresde à Düben, de Düben à Leipzig, après en -avoir perdu 60 à 70 mille dans les diverses batailles de Leipzig et un -nombre qu'on ne peut guère préciser par la défection des alliés, il en -conservait 100 à 110 mille tout au plus, dans l'état le plus -déplorable. La seule chose qu'il eût encore en quantité considérable -et en excellente qualité, mais malheureusement difficile à ramener, -c'était l'artillerie. Il en avait une très-belle, très-bien servie, -qui avait toujours mis son honneur à sauver ses canons, et n'avait -perdu que ceux que la destruction du pont de l'Elster avait empêché de -transporter à temps d'une rive à l'autre. Ce qui restait d'artillerie -était le double en proportion de ce qui restait de soldats. Si c'était -un embarras, c'était au moins une ressource et des plus précieuses -dans un jour de combat.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche de l'armée sur la Saale.</span> -Napoléon passa autour de Lutzen la nuit du 19 au 20 octobre avec les -débris de son armée. Bertrand et Mortier avaient culbuté Giulay, et -parvenus à Weissenfels s'étaient assuré la possession de la Saale. Le -20 au matin Napoléon courut à Weissenfels pour diriger lui-même la -retraite, et devancer tous les corps ennemis aux passages essentiels. -<span class="pagenum"><a id="page628" name="page628"></a>(p. 628)</span> Si on suivait à gauche (gauche en retournant vers le Rhin) la -grande route de Weissenfels à Naumbourg et Iéna, on rencontrait le -fameux défilé de Kosen, où le maréchal Davout s'était couvert de -gloire en défendant la plaine d'Awerstaedt, et où l'on était exposé à -trouver Giulay qui, repoussé par Bertrand et Mortier, pouvait bien -aller y chercher une revanche. Napoléon, dont le malheur n'avait pas -troublé la prévoyance, imagina de faire un détour à droite, et au lieu -de passer la Saale à Naumbourg, de la traverser à Weissenfels, dont on -possédait les ponts, de gagner ensuite Freybourg pour y franchir -l'Unstrutt, de déboucher de là dans la plaine de Weimar et d'Erfurt, -tandis que Bertrand porté rapidement par un mouvement à gauche sur le -défilé de Kosen, tâcherait d'y prévenir l'ennemi, et de s'y défendre -le plus longtemps possible contre la grande armée de Schwarzenberg. Ce -plan de marche à peine conçu, Napoléon en ordonna l'exécution. -Bertrand dont le 4<sup>e</sup> corps avait été augmenté comme on l'a vu de la -division Guilleminot, fut acheminé tout de suite sur Freybourg, avec -Mortier qui commandait deux divisions de la jeune garde, avec la -cavalerie légère de Lefebvre-Desnoëttes, avec le 2<sup>e</sup> de cavalerie du -général Sébastiani. Cette nombreuse cavalerie, battant partout -l'estrade et sabrant les Cosaques, devait précéder et flanquer -l'avant-garde, puis, lorsqu'on serait rendu à Freybourg, et qu'on -aurait occupé la ville et les ponts sur l'Unstrutt, Bertrand devait -courir à Kosen, et Mortier rester à Freybourg pour protéger le passage -de l'armée.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page629" name="page629"></a>(p. 629)</span> Ces ordres furent ponctuellement exécutés. Bertrand arriva le -21 au soir à Freybourg avec les divers corps qui escortaient sa -marche. Il n'y avait dans cette ville que quelques troupes légères -ennemies que l'on expulsa. On s'empara d'un pont de pierre sur -l'Unstrutt, solide mais étroit. On en jeta un en charpente dans la -nuit, pour faciliter le passage de l'armée, et tandis que Mortier se -livrait à ces soins, Bertrand gravissant les hauteurs à gauche alla -prendre position à Kosen. Il y parvint avant l'ennemi.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 21, l'armée passe la Saale à Weissenfels.</span> -Ces mesures résolues à temps et exécutées avec vigueur, eurent le -résultat qu'on devait en attendre. L'armée après s'être écoulée à -travers les plaines de Lutzen, arriva le 21 au soir à Weissenfels, où -elle franchit la Saale sans être poursuivie par d'autres troupes que -les coureurs de l'ennemi. Schwarzenberg et Bernadotte étaient restés -dans Leipzig, l'un à refaire son armée épuisée par trois batailles, -l'autre à passer des revues. Giulay seul avait marché par la route de -Naumbourg et de Kosen. De l'infatigable armée de Silésie, il n'y avait -que le corps du général d'York qui eût pu nous suivre, et les moyens -de passage sur la Pleisse et l'Elster ayant été détruits à Leipzig, -Blucher lui-même avait été obligé de faire un détour, et de descendre -fort au-dessous de Leipzig pour traverser ces rivières. Nous l'avions -à notre droite, mais en arrière, tandis qu'à notre gauche nous -n'avions que Giulay, lequel pour nous atteindre était réduit à forcer -le défilé de Kosen.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 21 au soir l'armée arrive à Freybourg, et commence à y -passer l'Unstrutt.</span> -La Saale franchie le 21, l'armée alla coucher à <span class="pagenum"><a id="page630" name="page630"></a>(p. 630)</span> Freybourg, -où, comme on vient de le voir, les moyens de passer l'Unstrutt avaient -été préparés. Les quelques mille prisonniers que Napoléon avait voulu -mener avec lui, avaient été délivrés par la cavalerie ennemie. C'était -un désagrément d'amour-propre bien plus qu'une perte véritable, mais -qui prouvait par quelles masses de troupes à cheval nous étions -poursuivis, car nous avions subi cet affront entre Bertrand, Mortier, -Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes. Cette cavalerie avait peu -d'inconvénients contre les corps organisés, mais la débandade qu'on -avait vue recommencer dans les corps de Macdonald, d'Oudinot et de -Ney, à la suite des revers de la Katzbach, de Gross-Beeren, de -Dennewitz, était devenue très-générale dans l'armée après -l'épouvantable bataille de Leipzig. Le premier prétexte à la sortie -des rangs, c'étaient les blessures légères qui obligeaient de marcher -sans armes à la queue des colonnes; le second c'était la faim qui -autorisait à courir çà et là pour trouver des vivres. -<span class="sidenote" title="En marge">La débandade s'introduit de nouveau parmi nos troupes, -ainsi qu'il était arrivé dans la retraite de Russie.</span> -Sorti des rangs, -on n'y rentrait plus. Les habitudes militaires étaient en effet trop -récentes chez nos jeunes soldats pour qu'ils pussent s'éloigner du -drapeau impunément. Une fois le cadre quitté, le dépit, la souffrance, -le goût de la maraude, le penchant naturel à s'épargner de nouveaux -dangers, empêchaient d'y revenir. Sur les 100 à 110 mille hommes que -Napoléon possédait encore, il y en avait plus de 20 mille qui, les uns -portant le bras en écharpe, les autres boitant, la plupart se disant -blessés sans l'être, ou alléguant la perte de leurs armes qu'ils -avaient jetées, marchaient entre les colonnes armées, ou à leur -<span class="pagenum"><a id="page631" name="page631"></a>(p. 631)</span> suite, se répandaient le soir dans les villages qu'ils -pillaient, et sans rendre aucun service dévoraient les ressources dont -auraient pu vivre les corps organisés. Ce qu'il y avait de pis encore, -c'était l'exemple qui menaçait de devenir contagieux, et contre lequel -les répressions de la cavalerie étaient impuissantes. La bravoure -n'avait pas fléchi un moment chez ces jeunes gens, mais les habitudes -militaires trop peu enracinées, n'avaient pas tenu contre une grande -défaite, et ils avaient presque oublié qu'ils étaient soldats. La -cavalerie qui ordinairement poursuit ce genre de vice, et le réprime, -en était atteinte elle-même, et on voyait dans la masse débandée des -cavaliers à pied, quelques-uns même à cheval. C'est sur cette portion -de l'armée que les coureurs de l'ennemi avaient surtout prise. Ils -dispersaient ces maraudeurs comme de timides bandes d'oiseaux, et les -ramassaient en grand nombre, ce qui fournissait à la coalition -l'occasion de dire qu'elle avait fait des milliers de prisonniers. Des -canons abandonnés faute de chevaux, ou des maraudeurs enlevés dans les -villages, lui procuraient de prétendus trophées, bien plus -dommageables pour nous que véritablement glorieux pour elle. Il fallut -employer toute la nuit du 21 et la journée du 22 pour faire écouler -cette masse d'hommes, armés et désarmés, par les deux ponts de -Freybourg. On y réussit pourtant, moyennant la résistance énergique -que le maréchal Oudinot opposa sur les bords de l'Unstrutt aux -Prussiens du corps d'York. -<span class="sidenote" title="En marge">Oudinot défend énergiquement l'Unstrutt le 22, et donne à -toute l'armée le temps de défiler.</span> -Ce maréchal depuis Leipzig avait protégé la -retraite avec deux divisions de la jeune garde, tandis que Mortier -avec les deux <span class="pagenum"><a id="page632" name="page632"></a>(p. 632)</span> autres et Bertrand avec le 4<sup>e</sup> corps étaient -chargés d'ouvrir la route. Oudinot perdit quelques centaines d'hommes -dans ce combat opiniâtre, mais en tua beaucoup plus au corps prussien -d'York. Il ne quitta ce poste que lorsque toute l'armée eut défilé. -<span class="sidenote" title="En marge">Le général Bertrand, de son côté, défend vaillamment les -défilés de Kosen.</span> -Sur ces entrefaites, le général Bertrand arrivé à temps à Kosen pour y -prévenir Giulay, lui avait livré un combat violent, le dos tourné vers -Awerstaedt, et le front vers la Saale. Pendant une journée entière il -fut assailli par les Autrichiens, et autant de fois il fut attaqué par -eux, autant de fois il les repoussa avec la vaillante division -Guilleminot, et les précipita des hauteurs de Kosen dans les gorges -profondes de la Saale. Lorsque Bertrand sut qu'Oudinot avait évacué -Freybourg, et que toutes nos colonnes avaient défilé sur Erfurt, il -abandonna son poste, craignant que l'ennemi ne le devançât, et ne le -coupât du reste de l'armée en allant passer la Saale à Iéna. Le 22 au -soir on campa dans divers villages entre Apolda, Buttelstedt et -Weimar. Le 23 toute l'armée fut réunie aux environs d'Erfurt, la -cavalerie battant le pays autour d'elle pour la protéger contre les -Cosaques.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'arrête à Erfurt et y donne trois jours de repos -à l'armée.</span> -Napoléon à Erfurt voulut, appuyé sur cette place qui contenait de -grandes ressources, donner deux ou trois jours de répit à l'armée. -Elle en avait un extrême besoin, soit pour se reposer, soit pour -remettre un peu d'ordre dans ses rangs. Il y avait à Erfurt beaucoup -de détachements venus en bataillons et escadrons de marche; il y avait -en abondance des vêtements, des souliers, des vivres et des munitions -de guerre. -<span class="sidenote" title="En marge">Réorganisation de quelques-uns des corps de l'armée.</span> -On répartit entre les différents <span class="pagenum"><a id="page633" name="page633"></a>(p. 633)</span> corps les -détachements qui se trouvaient à Erfurt, et que la difficulté des -communications avait empêché de diriger sur l'Elbe. Le corps -d'Augereau réduit à la seule division Semelé et à 1600 hommes -d'infanterie, au lieu de 8 mille qu'il comptait la veille de la -bataille de Leipzig, fut par ce moyen reporté à 4 mille. Il dut -marcher avec la division Durutte, seul reste du 7<sup>e</sup> corps. Les autres -corps ne gagnèrent pas dans cette proportion, bien entendu, car -c'était neuf à dix mille hommes tout au plus que pouvait fournir le -dépôt d'Erfurt. On distribua les vêtements, les souliers, les vivres, -on réapprovisionna les parcs de l'artillerie, et on essaya par l'appât -des distributions de faire reprendre des fusils aux maraudeurs. Le -succès sous ce rapport ne fut pas grand, car le vice de la maraude -favorisé par la saison, le mauvais temps, l'âge de nos soldats, était -déjà fort répandu.</p> - -<p>Napoléon profita de ces deux jours de loisir pour écrire à Paris, et -faire part de sa situation aux principaux membres de son gouvernement. -Tout en palliant ses revers, et cherchant pour les expliquer des -causes imaginaires, il ne dissimulait pas les besoins, et réclamait, -outre les 280 mille hommes déjà demandés, de nouvelles levées, mais en -hommes faits, pris sur les conscriptions arriérées. «Je ne puis pas, -disait-il, défendre la France avec des enfants... <cite>Rien n'égale la -bravoure de notre jeunesse, mais au premier événement douteux elle -montre le caractère de son âge.</cite>»--Napoléon sans doute avait raison, -mais des hommes faits qui auraient compté si peu de temps de présence -au drapeau, <span class="pagenum"><a id="page634" name="page634"></a>(p. 634)</span> et qu'on eût, pour leur début, soumis à de -pareilles épreuves, ne les auraient pas beaucoup mieux supportées. Ils -auraient seulement fourni moins de malades aux hôpitaux.</p> - -<p>De même qu'il demandait <em>des hommes et non des enfants</em>, Napoléon -demandait des impôts, c'est-à-dire de l'argent, et ne voulait plus de -papier bien ou mal hypothéqué sur les domaines de l'État. Il exigeait -500 millions, au moyen de centimes de guerre ajoutés à tous les impôts -directs et indirects. Les choses arrivées au point où elles étaient, -il n'y avait certainement pas mieux à faire que ce qu'il proposait.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Murat; sa séparation affecte Napoléon qui -n'espère plus le revoir.</span> -Aux impressions douloureuses du moment vint s'ajouter le départ de -Murat. Napoléon, tout en blâmant la légèreté de son beau-frère, -admirait sa bravoure héroïque, son coup d'œil sur le terrain, et de -plus il était sensible à l'excellence de son cœur. Il savait ce qui -s'était passé dans l'âme de Murat mieux que Murat lui-même; il savait -tous les conflits auxquels le malheureux roi de Naples avait été en -proie entre le désir de garder sa couronne et le désir d'être fidèle à -son bienfaiteur. Murat alléguait pour partir la nécessité de défendre -l'Italie menacée, l'espoir de fournir au prince Eugène trente mille -Napolitains parfaitement organisés, l'utilité enfin de procurer aux -armées française et italienne, en se mettant à leur tête, un chef bien -autrement expérimenté que le prince Eugène. Napoléon admettait ces -raisons, comme il admettait aussi que si la série des revers -continuait, il se pourrait que Murat cédât à l'entraînement général, -et imitât ces princes allemands <span class="pagenum"><a id="page635" name="page635"></a>(p. 635)</span> nos alliés, qui pendant dix -années gorgés par nous des richesses de l'Église allemande, -prétendaient aujourd'hui qu'ils avaient été les victimes de la France. -Mais Napoléon, malgré quelques illusions qu'il se faisait encore, -malgré les derniers mensonges de ses flatteurs, sentait bien au fond -de son cœur qu'il avait abusé et des choses et des hommes. Sachant -se rendre justice, il la rendait aux autres, et entrevoyant la -prochaine défection de Murat, il la lui pardonnait d'avance pour ainsi -dire. En le quittant et en recevant ses protestations de fidélité -comme très-sincères, il l'embrassa plusieurs fois avec une sorte de -serrement de cœur. Il lui semblait en effet qu'il ne reverrait plus -cet ancien compagnon d'armes d'Italie et d'Égypte! Hélas! si la -prospérité aveugle, l'adversité au contraire procure en certains -moments une étrange clairvoyance, et l'on dirait qu'alors, pour mettre -le comble à la punition, la Providence rémunératrice lève tous les -voiles de l'avenir! Napoléon quitta donc Murat comme s'il avait su -qu'il ne devait plus le revoir. Murat partit regretté de toute -l'armée, car dans cette campagne d'automne il s'était montré aussi -habile que brave, et malgré les légèretés de détail qu'il commettait -souvent, il avait rendu à nos armes d'immortels services.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ d'Erfurt.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend en quittant Erfurt la présence de l'armée -bavaroise sur la route de Mayence.</span> -Il fallait décamper cependant, car de tous côtés les troupes des -coalisés avançaient, et de plus on annonçait la présence d'un nouvel -ennemi sur nos derrières, prêt à nous fermer le chemin de la France. -Cet ennemi n'était autre que l'armée bavaroise, si longtemps notre -compagne, et pressée de se faire pardonner sa longue alliance avec -nous par une défection <span class="pagenum"><a id="page636" name="page636"></a>(p. 636)</span> qui s'approchât le plus possible de -celle de Bernadotte et des Saxons. -<span class="sidenote" title="En marge">Événements de Bavière.</span> -Napoléon venait d'apprendre -non-seulement la défection de la Bavière qu'il avait connue -sommairement en arrivant à Leipzig, mais la manière dont cette -défection avait été amenée. Voici ce qui s'était passé à Munich, -pendant cette seconde partie de la campagne de Saxe.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Comment avait été amenée la défection de cette cour -alliée.</span> -Le roi, faible et assez attaché à Napoléon qui l'avait comblé de -biens, secondé par un ministre spirituel et ambitieux qui avait -cherché sa grandeur personnelle et celle de son pays dans l'alliance -de la France, le roi était contrarié dans cette politique par sa -femme, princesse vaine, entêtée, sœur de l'impératrice de Russie et -de la reine déchue de Suède, ayant les passions de la feue reine de -Prusse et quelque peu de sa beauté. Il était contrarié aussi par son -fils, prince plus ami des arts que de la guerre, que Napoléon avait eu -à son service et qu'il avait traité durement. La reine exerçait son -opposition dans l'intérieur du palais. Le fils du roi, retiré à -Inspruck, fomentait lui-même l'esprit insurrectionnel des Tyroliens -contre la Bavière. Tant que la France avait été victorieuse, le roi -avait souri des saillies aristocratiques de sa femme et de son fils, -les laissant dire l'un et l'autre, et prenant ce que Napoléon lui -donnait après chaque guerre, comme bon à prendre d'abord, et comme bon -aussi à montrer, à titre de réponse, aux détracteurs de sa politique. -Depuis Moscou, le doute élevé sur la puissance de Napoléon, le cri des -populations, la nouvelle des pertes essuyées par les Bavarois, les -suggestions de l'Autriche, la contagion de l'esprit <span class="pagenum"><a id="page637" name="page637"></a>(p. 637)</span> -germanique, avaient ébranlé le roi, que les victoires de Lutzen et de -Bautzen avaient un moment raffermi. Mais la reprise des hostilités, le -caractère tous les jours plus triste des événements, les pertes -récentes du corps bavarois à la bataille de Dennewitz, mandées et -exagérées à Munich, les efforts des trois cours d'Autriche, de Prusse -et de Russie, avaient plus que jamais remis en question la fidélité de -la Bavière à l'égard de la France. L'arrivée d'un nouveau personnage à -Munich avait surtout contribué à rendre cette situation infiniment -critique. Le général de Wrède, caractère bouillant et sans -consistance, officier brave mais de peu de discernement, plein d'un -amour-propre excessif, était revenu dans son pays profondément blessé -des dédains du maréchal Saint-Cyr, sous lequel il avait servi pendant -la campagne de la Dwina. Ayant apporté à Munich tous ses -mécontentements et les ayant manifestés imprudemment, il s'était -toutefois rapproché, comme son souverain, après Lutzen et Bautzen, et -nous avait dévoilé lui-même le secret de la défection à demi consommée -de la cour de Bavière, afin de rentrer en faveur auprès de Napoléon. -M. d'Argenteau sentant le besoin de nous l'attacher, avait demandé -pour lui le grand cordon de la Légion d'honneur, rendu vacant par la -mort du respectable général Des Roys, et Napoléon, qui avait déjà -donné au général de Wrède des titres et des richesses, n'avait pas cru -devoir y ajouter cette dernière distinction. -<span class="sidenote" title="En marge">Conduite du général de Wrède.</span> -Le général de Wrède -redevenu mécontent, était resté en Bavière, et avait acquis tout à -coup une grande importance en obtenant le <span class="pagenum"><a id="page638" name="page638"></a>(p. 638)</span> commandement de -l'armée bavaroise placée sur l'Inn, en face de l'armée autrichienne du -prince de Reuss. Si Augereau avec une vingtaine de mille hommes était -venu le joindre sur l'Inn, on l'aurait maintenu, et M. d'Argenteau -avait fort insisté pour qu'on prît cette précaution. Mais Napoléon -avait eu besoin d'Augereau ailleurs, et les Bavarois n'étant ni -soutenus ni contenus, avaient bientôt cédé au sentiment de tous les -Allemands. Au lieu de tenir tête au prince de Reuss, le général de -Wrède était entré en pourparlers avec lui. Les Autrichiens, au nom de -la coalition, avaient promis au général de Wrède le commandement des -deux armées bavaroise et autrichienne réunies sur l'Inn, et au roi la -conservation de ses États, sauf un équivalent en population et en -revenu pour les provinces qu'ils entendaient recouvrer, c'est-à-dire -le Tyrol et les bords de l'Inn. M. de Mongelas lui-même, sentant qu'il -ne pouvait se maintenir à son poste qu'en changeant bien vite de -politique, avait accueilli les propositions des puissances coalisées, -espérant que la Bavière conservant ses agrandissements, il -conserverait sa situation. Seulement il avait changé, non comme change -la force (ainsi qu'avait fait M. de Metternich), mais comme change la -faiblesse, et il avait adhéré à la coalition sans même nous avertir. -Il nous avait abandonnés en protestant toujours de sa fidélité. Le roi -ayant contre lui sa femme, son fils, son peuple, son ministre, son -général, n'était pas de caractère à résister à tant de contradicteurs, -et quand on était venu lui dire que, sauf équivalent, il conserverait -ses États, <span class="pagenum"><a id="page639" name="page639"></a>(p. 639)</span> et surtout quand on avait ajouté que s'il refusait -il fallait, comme en 1805, évacuer sa capitale devant l'armée -autrichienne, pour aller se jeter dans les bras de Napoléon, non pas -vainqueur mais vaincu, il n'avait plus hésité, et avait signé le 8 -octobre un traité d'alliance offensive et défensive avec la coalition. -Des transports de joie avaient éclaté à cette nouvelle dans toute la -Bavière, et avaient confirmé sa résolution.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">L'armée austro-bavaroise, forte de 60 mille hommes, vient -se placer sur le Main pour couper la route de Mayence.</span> -Rien n'était plus amené par des causes irrésistibles qu'un pareil -changement, mais la décence voulait au moins que la Bavière, que nous -avions si richement dotée, en nous quittant pour sa sûreté, laissât à -d'autres pour son honneur, le soin de nous détruire. Il n'en fut point -ainsi, et le gouvernement bavarois, afin de s'assurer sa rentrée en -grâce auprès des souverains coalisés, le général de Wrède afin de -s'assurer le bâton de maréchal, mirent grande hâte à porter l'armée -austro-bavaroise de l'Inn sur le haut Danube, du Danube sur le Main. -Cette armée composée par moitié d'Autrichiens et de Bavarois, et forte -de 60 mille hommes, avait marché avec une telle rapidité, qu'on la -disait déjà rendue à Wurzbourg, et prête à couper aux environs de -Francfort la route de Mayence.</p> - -<p>À cette annonce Napoléon sourit de mépris, et du reste sentit l'erreur -de sa politique à l'égard de l'Allemagne, politique qui, au lieu de se -borner à un peu d'appui donné aux États secondaires, s'était étendue -jusqu'à vouloir en faire des sujets de la France. Il se décida donc à -quitter Erfurt pour prendre la route de Mayence. L'armée -austro-bavaroise <span class="pagenum"><a id="page640" name="page640"></a>(p. 640)</span> ne l'effrayait guère, mais ayant 200 mille -hommes derrière lui, il devait compter les jours et les heures avec -une extrême précision.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution de l'armée française dans sa marche sur -Mayence.</span> -Après trois jours passés à Erfurt, il partit pour Eisenach afin de -franchir avant les coalisés les défilés de la forêt de Thuringe. Le -général Sébastiani avec le 2<sup>e</sup> corps de cavalerie, le général -Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde et le 5<sup>e</sup> de -cavalerie, formaient l'avant-garde, et couvraient les flancs de -l'armée en battant la campagne à droite et à gauche. Les maréchaux -Victor et Macdonald suivaient avec les débris des 2<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps; -puis venait le maréchal Marmont qui réunissait sous ses ordres les -débris des 6<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps, Durutte et Semelé qui conduisaient -leurs divisions, uniques restes des 7<sup>e</sup> et 16<sup>e</sup> corps. Napoléon ayant -sous la main la vieille garde, le 1<sup>er</sup> de cavalerie et la grosse -cavalerie de la garde, formait le noyau principal de l'armée. Oudinot -et Mortier avec les quatre divisions de la jeune garde, Bertrand avec -le 4<sup>e</sup> corps, accru de la division Guilleminot, et le 4<sup>e</sup> de -cavalerie, composaient l'arrière-garde. Le total de ces troupes ne -montait pas à plus de 70 mille hommes ayant un fusil à l'épaule, tant -la débandade s'était propagée de Leipzig à Erfurt. Venaient ensuite 30 -à 40 mille hommes sans armes, toujours logés entre les corps -organisés, les gênant dans le combat, dévorant leurs vivres au -bivouac.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvements des armées coalisées.</span> -Les armées coalisées, après deux ou trois jours passés à Leipzig, et -employés soit à triompher, soit à se remettre d'une lutte si rude, -avaient été distribuées d'une manière nouvelle, et s'étaient ensuite -<span class="pagenum"><a id="page641" name="page641"></a>(p. 641)</span> dirigées vers leur destination ultérieure. Le général Klenau -avait été renvoyé sur Dresde avec son corps, pour tâcher d'amener la -reddition de cette place et des troupes françaises qui l'occupaient. -Le général Tauenzien, déjà détaché de l'armée du Nord, avait été -chargé de poursuivre la reddition de Torgau et de Wittenberg, et le -général Benningsen, avec l'armée dite de Pologne, avait été expédié -sur Magdebourg et Hambourg pour opérer le blocus, et, s'il était -possible, la conquête de ces places. L'armée du Nord avait été -acheminée sur Cassel afin d'achever, si elle n'était consommée déjà, -la destruction de la monarchie du roi Jérôme. Elle devait ensuite -revenir vers la Westphalie, le Hanovre, la Hollande. Enfin Blucher et -le prince de Schwarzenberg, avec 160 mille hommes environ, s'étaient -mis à la poursuite de l'armée de Napoléon qu'ils serraient de près -dans l'espérance de le placer entre deux feux, de Wrède devant -l'attaquer en tête, tandis qu'ils l'attaqueraient en queue. Blucher, -élevé par son roi à la dignité de maréchal, et ayant mérité plus -qu'aucun autre les récompenses de la coalition, avait été dirigé sur -Eisenach, pour de là se rendre non sur Francfort mais sur Wetzlar, -afin d'empêcher que Napoléon, coupé de la route de Mayence, ne se -rejetât sur celle de Coblentz. La grande armée de Bohême, divisée en -deux, devait marcher partie par Eisenach, Fulde, Francfort, sur -Mayence, partie par Gotha, Smalkalden, Schweinfurt, sur Wurzbourg. -C'étaient les Autrichiens que le prince de Schwarzenberg, par un -calcul facile à deviner, envoyait sur Francfort, tandis qu'il -envoyait sur Wurzbourg les Russes et les <span class="pagenum"><a id="page642" name="page642"></a>(p. 642)</span> Prussiens. Bien que -l'empereur François, ainsi que son habile ministre, eussent sagement -renoncé à la couronne impériale germanique, cependant ils voulaient en -Allemagne la suprématie sous une forme quelconque, et leur présence à -Francfort, ville de l'élection impériale, pouvait y faire éclater des -manifestations utiles, dont ils se serviraient pour recouvrer quelque -chose de leur ancienne domination, ou pour faire valoir au moins leur -désintéressement.</p> - -<p>La distribution des forces étant ainsi faite, chacun avait suivi -l'armée française. En effet Sébastiani et Lefebvre-Desnoëttes avaient -trouvé aux environs d'Eisenach quantité de Cosaques et de coureurs de -toute espèce, tant à pied qu'à cheval, et les avaient dispersés, en -les obligeant à se cacher dans la forêt de Thuringe. Les 26 et 27 -octobre l'armée elle-même avait défilé sans grande difficulté, -pourtant l'arrière-garde d'Oudinot et de Mortier, composée de la jeune -garde, s'était vue assaillir par l'impétueux Blucher, à qui elle avait -résisté énergiquement. On avait perdu de part et d'autre un millier -d'hommes, mais l'ennemi avait ramassé de nombreux traînards que, dans -ses bulletins beaucoup plus inexacts que les nôtres, il présentait -comme des prisonniers recueillis sur le champ de bataille.</p> - -<p>Le 26, Napoléon vint coucher à Vach, au delà des défilés de la -Thuringe, le 27 à Hünfeld, le 28 à Schlüchtern. Une fois arrivés sur -le versant de la forêt de Thuringe qui regarde vers le Rhin, nous -fûmes poursuivis moins vivement, parce que Blucher s'était détourné à -droite pour s'acheminer par Wetzlar sur le Rhin, et que les Prussiens -et les <span class="pagenum"><a id="page643" name="page643"></a>(p. 643)</span> Russes avaient pris à gauche pour se diriger sur -Wurzbourg. Il n'y avait plus dès lors sur nos traces que les -Autrichiens, vigoureusement contenus par Mortier, Oudinot et Bertrand. -<span class="sidenote" title="En marge">Pertes de l'armée par suite de la débandade.</span> -On avait surtout affaire aux Cosaques et en général à la cavalerie -ennemie, qui nous causait, en ramassant les traînards, tout le mal -qu'elle pouvait nous faire. Ce mal n'était, hélas! que trop grand, car -la rapidité des marches et la difficulté de subsister faisaient sortir -des rangs les hommes par milliers. La division Semelé, par exemple, -qui après sa réorganisation à Erfurt comptait environ 4 mille hommes, -était réduite de l'autre côté des montagnes de la Thuringe, à 1800. -Les divisions de la jeune garde, atteintes elles-mêmes de cette -contagion, étaient tombées de 3 mille hommes chacune après Leipzig, à -moins de 2 mille. Les malades, les blessés, qui composaient à -l'origine la population flottante et désarmée, avaient expiré sur les -routes par la fatigue ou par la lance des Cosaques. Ils étaient -remplacés par les affamés, les dégoûtés du service, les mauvais -sujets, dont le nombre augmentait à vue d'œil. Heureusement le -froid n'était pas celui de Russie, et on approchait de Mayence, car -les soldats de 1813, bien inférieurs à ceux de 1812, n'auraient -certainement pas soutenu les mêmes épreuves.</p> - -<p>Dès le 27 octobre on apprit à Schlüchtern la présence du général de -Wrède à Wurzbourg, occupé à canonner cette place que le général -Thareau ne voulait pas rendre. Le général de Wrède n'avait qu'un pas à -faire pour couper la route de Hanau à Mayence. On fit partir une -avant-garde avec ce qu'on put <span class="pagenum"><a id="page644" name="page644"></a>(p. 644)</span> réunir des traînards et des -équipages, afin de se délivrer de ce qu'il y avait de plus -embarrassant. Quelques troupes légères de l'armée bavaroise étaient -déjà parvenues jusqu'à Hanau, petite place à demi fortifiée, au -confluent de la Kinzig et du Main, qui domine de son canon la grande -route de Mayence. -<span class="sidenote" title="En marge">Le général Préval envoyé à la rencontre de l'armée jusqu'à -Francfort, recueille beaucoup de traînards.</span> -Ces avant-gardes bavaroises n'étaient pas de force à -intercepter la route, et d'ailleurs le général Préval, envoyé par le -maréchal duc de Valmy à la rencontre de la grande armée, venait -d'arriver à Francfort avec quatre à cinq mille hommes. Ce général -avait pris position entre Francfort et Hanau sur la Nidda, afin que -l'ennemi ne pût pas nous opposer l'obstacle de cette rivière et -empêcher ainsi la grande armée de passer. Grâce à cette précaution nos -soldats débandés, une fois Hanau franchi, rencontraient une force pour -les recueillir et les protéger jusqu'à Mayence. Divers détachements -défilèrent les 27 et 28 octobre, obligeant à se replier dans Hanau les -troupes légères de l'ennemi, et sauvant chaque fois quelques milliers -d'écloppés, de malades ou de vagabonds. -<span class="sidenote" title="En marge">Le 29 octobre, le général de Wrède posté en avant de Hanau, -s'attache à fermer la route de Mayence.</span> -Il s'en écoula ainsi 15 à 18 -mille; mais le 29 la route se trouva entièrement fermée, car le -général de Wrède, désespérant de vaincre la résistance du général -Thareau, avait laissé un simple détachement pour bloquer Wurzbourg, et -s'était porté à Hanau avec 60 mille hommes, moitié Bavarois, moitié -Autrichiens. Arrivé là, il avait détaché une division sur Francfort, -et s'était placé avec le gros de ses forces en avant de Hanau, dans la -forêt de Lamboy, que traverse la grande route.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 30 au matin, Napoléon arrive devant Hanau.</span> -Le 29, Napoléon étant venu coucher à Langen-Sebold, <span class="pagenum"><a id="page645" name="page645"></a>(p. 645)</span> apprit -que la tête de l'armée était refoulée sur lui, et que les -Austro-Bavarois au nombre de 50 à 60 mille hommes, avaient la -prétention de lui barrer la route du Rhin. Indigné d'une telle -impudence, mais n'en étant pas fâché, car il se proposait de faire -sentir le poids de son indignation au téméraire qui venait se mettre -sur son chemin, il résolut de hâter le pas dans la journée du 30, pour -s'ouvrir lui-même le passage avec sa vieille garde. -<span class="sidenote" title="En marge">Ses forces à Hanau.</span> -Ce n'était pas sur -ses forces numériques qu'il comptait, mais sur le sentiment de ses -soldats, car n'eussent-ils été que dix mille, ils auraient passé sur -le corps de l'adversaire qui, leur allié si longtemps, se montrait si -avide de leur sang et de leur liberté. Hélas! il ne nous restait pas -plus de quarante à cinquante mille hommes sous les armes, tant la -désorganisation allait croissant depuis les dernières marches, et de -ces quarante à cinquante mille hommes, Napoléon n'en pouvait guère -réunir plus d'un tiers sous sa main dans la journée du 30. Il n'avait -à l'avant-garde que Sébastiani avec les 2<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie, -Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde, ce qui -faisait environ quatre mille chevaux, Macdonald et Victor avec cinq -mille hommes d'infanterie, la vieille garde, forte de quatre mille -grenadiers et chasseurs, la grosse cavalerie de la garde conservant -deux à trois mille cavaliers montés, enfin la réserve d'artillerie de -Drouot, en tout 16 à 17 mille hommes. Marmont avec les débris des 5<sup>e</sup>, -3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps, Semelé, Durutte avec leurs divisions, Mortier, -Oudinot avec la jeune garde, Bertrand avec le 4<sup>e</sup>, étaient en -arrière, et ceux-ci à deux journées. Néanmoins Napoléon <span class="pagenum"><a id="page646" name="page646"></a>(p. 646)</span> -n'hésita pas à fondre sur l'armée bavaroise et à la faire repentir de -sa témérité. Il importait de forcer le passage, pour ne pas laisser -grossir et se consolider l'obstacle élevé sur nos pas.</p> - -<p>Le 30 au matin on partit de Langen-Sebold et on marcha sur Hanau.</p> - -<p>À quelque distance on rencontra la division d'avant-garde du général -de Wrède, la division Lamotte, postée à Rückingen. On l'aborda -brusquement et on la culbuta. On la suivit vivement, et on rencontra -en avant de la forêt de Lamboy, à travers laquelle passe la grande -route de Mayence, l'armée austro-bavaroise elle-même. Voici quelles -avaient été les dispositions adoptées par le général de Wrède.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille de Hanau.</span> -La forêt de Lamboy s'étendait de gauche à droite, de la Kinzig aux -montagnes du pays de Darmstadt. Au delà de la forêt le terrain était -découvert, mais on y trouvait l'obstacle de la Kinzig, petite rivière -allant tomber dans le Main, et enveloppant avant d'y tomber la place -de Hanau. La route, après avoir traversé la forêt dans sa profondeur, -débouchait en plaine, atteignait la Kinzig près du point où cette -rivière se réunit au Main, passait ensuite à droite sous le canon de -Hanau, enfin continuait jusqu'à Francfort et Mayence, entre le Main et -les montagnes. Le général de Wrède avait placé en avant et sur la -lisière de la forêt soixante bouches à feu, bien servies et bien -appuyées, avait rempli l'intérieur de la forêt d'une multitude de -tirailleurs, et rangé son armée dans la plaine au delà, le dos à la -Kinzig, la droite au pont de Lamboy sur la Kinzig, la gauche en avant -de Hanau. Il s'était couvert par <span class="pagenum"><a id="page647" name="page647"></a>(p. 647)</span> 10 mille hommes de -cavalerie. Il disposait ainsi, défalcation faite de ce qu'il avait -laissé sous Wurzbourg, et de ce qu'il avait détaché sur Francfort, de -cinquante-deux mille hommes environ. Les coureurs de Thielmann et de -Lichtenstein l'avaient rejoint.</p> - -<p>Napoléon accouru de sa personne à la tête de son avant-garde avait -reconnu et jugé les dispositions de l'ennemi. Il n'avait sous la main -que la cavalerie de l'avant-garde, et les cinq mille fantassins -restant à Macdonald et à Victor. La vieille garde suivait.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille de Hanau, livrée le 30 octobre.</span> -Il fit ranger à droite sous le général Charpentier l'infanterie de -Macdonald, à gauche sous le général Dubreton celle de Victor, et -prescrivit à l'un et à l'autre de se répandre en tirailleurs dans les -bois. Il se tint avec toute sa cavalerie sur la grande route et en -présence de l'artillerie bavaroise, jusqu'à ce qu'il fût rejoint par -l'artillerie de la garde. À peine le signal donné, nos adroits -tirailleurs lancés dans la forêt y pénétrèrent avec la hardiesse et -l'intelligence qui les distinguaient. Une fusillade multipliée -éclatant dans la sombre épaisseur des bois, les éclaira bientôt de -mille feux. Nos tirailleurs gagnèrent successivement du terrain sur le -flanc des troupes qui soutenaient l'artillerie ennemie, et les -obligèrent à rétrograder. Peu après une portion de notre artillerie -ayant été amenée, canonna vivement celle des Bavarois qui était dénuée -de l'appui de l'infanterie, et la contraignit à se replier. On poussa -ainsi les Bavarois dans l'intérieur de la forêt, et on en traversa la -plus grande partie à leur suite, en tiraillant toujours sur leurs -flancs. Cependant la division <span class="pagenum"><a id="page648" name="page648"></a>(p. 648)</span> Curial de la vieille garde -ayant rejoint, Napoléon dirigea deux bataillons de cette division sur -la colonne en retraite, et acheva de la rejeter de la forêt dans la -plaine. -<span class="sidenote" title="En marge">Malheureuses dispositions du général de Wrède.</span> -Parvenu à la lisière des bois on aperçut cinquante mille -hommes en bataille, le dos à la Kinzig, s'appuyant d'un côté au pont -de Lamboy en face de notre gauche, et de l'autre à la ville de Hanau -en face de notre droite. En avant se trouvait la belle et nombreuse -cavalerie de l'ennemi. Napoléon, pour déboucher, attendit que toute -son artillerie fût venue, ainsi que l'infanterie et la cavalerie de la -vieille garde. Lorsque les Bavarois, qui avaient honorablement servi -dans nos rangs, mais qui savaient ce qu'était la garde, la virent -paraître en ligne, ils en furent profondément émus, surtout leur -général de Wrède, qui comprit quelle faute il avait commise en se -plaçant avec une rivière à dos devant de pareilles troupes. Il avait -cru que la grande armée arriverait tellement talonnée par les -coalisés, qu'il n'aurait plus que des prisonniers à recueillir.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon.</span> -Napoléon en apercevant ces dispositions dit avec ironie: Pauvre de -Wrède, j'ai pu le faire comte, mais je n'ai pu le faire -général.--Sur-le-champ il rangea quatre-vingts bouches à feu de la -garde à la lisière de la forêt, étendit à gauche les grands bonnets à -poil de la division Friant, et à droite la cavalerie de Sébastiani, de -Lefebvre-Desnoëttes, de Nansouty.</p> - -<div class="p4 figcenter"> -<a id="bataille" name="bataille"></a> -<img src="images/648.jpg" width="500" height="347" alt="bataille." title="" /> -</div> - -<p>Après quelques instants d'une violente canonnade, il agit d'abord par -sa droite et lança toute sa cavalerie sur celle du général de Wrède. -Nos grenadiers, <span class="pagenum"><a id="page649" name="page649"></a>(p. 649)</span> nos chasseurs à cheval de la garde, étaient -impatients de fouler aux pieds les alliés infidèles qui venaient -imprudemment leur barrer le chemin de la France. Les escadrons -bavarois furent rejetés d'un seul choc sur les escadrons autrichiens. -Ceux-ci chargèrent à leur tour, mais l'exaspération de notre cavalerie -était au comble; elle renversa tout ce qui s'offrit à elle, et culbuta -sur la Kinzig et Hanau la gauche de l'armée austro-bavaroise. Au -centre les flots de la cavalerie ennemie, dans le va-et-vient de ces -charges répétées, vinrent un moment se jeter sur les quatre-vingts -bouches à feu de la garde. Drouot faisant serrer ses pièces, et -plaçant en avant ses canonniers la carabine à la main, arrêta les -escadrons ennemis, puis les cribla de mitraille lorsqu'ils se -replièrent. Quand notre infanterie accourut à son secours, il était -déjà dégagé.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Nov. 1813.</span> -Le général de Wrède acculé sur la Kinzig, ne vit d'autre ressource que -de ramener son armée sur sa droite, afin de lui faire repasser la -Kinzig au pont de Lamboy. Pour favoriser ce mouvement, et se procurer -l'espace dont il avait besoin, il essaya une attaque sur notre gauche. -Mais là justement se trouvaient les grenadiers de Friant. Ces braves -gens, dont le courage était trop souvent enchaîné, partageaient -l'exaspération de toute l'armée. -<span class="sidenote" title="En marge">L'armée austro-bavaroise écrasée.</span> -Ils marchèrent appuyés des troupes de -Marmont dont la tête venait d'arriver, abordèrent les Bavarois à la -baïonnette, les poussèrent sur les troupes occupées à franchir la -Kinzig, et en percèrent sept à huit cents de leurs baïonnettes. De -Wrède repassa la Kinzig en désordre, laissant dans nos mains dix à -onze mille <span class="pagenum"><a id="page650" name="page650"></a>(p. 650)</span> morts, blessés ou prisonniers. Cette brillante -rencontre nous avait coûté tout au plus trois mille hommes. La majesté -de l'armée française était dignement vengée.</p> - -<p>Toutefois il ne fallait pas perdre de temps à compter nos trophées, -car de Wrède replié avec quarante mille hommes derrière la Kinzig, -pouvait apercevoir notre petit nombre, et déboucher de Hanau pour nous -barrer le chemin. Le lendemain 31 octobre Napoléon, fier non pour lui -mais pour ses soldats, de cette nouvelle bataille de la Bérézina, se -mit en marche avec Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes, Macdonald, Victor -et la vieille garde, afin d'aller rouvrir la route de Mayence, si elle -était interceptée quelque part. Il laissa Marmont pour border la -Kinzig, et empêcher l'ennemi de déboucher de Hanau, dont le canon -enfilait la chaussée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles tentatives du général de Wrède, et nouveaux -échecs les jours suivants.</span> -Le 31 au matin le maréchal Marmont fit enlever Hanau que l'ennemi dans -sa terreur avait presque entièrement évacué, et en partant vers le -milieu du jour confia au général Bertrand qui le suivait, la garde de -ce poste. Le général Bertrand y passa la nuit, toujours dans -l'intention de contenir les Bavarois et de les empêcher de couper la -route. Le 1<sup>er</sup> novembre au matin, de Wrède voulant prendre une -revanche, et se flattant de ne plus trouver devant lui qu'une faible -arrière-garde sur laquelle il se dédommagerait de son échec, essaya de -déboucher de la Kinzig en traversant le pont de Lamboy à notre gauche, -et en tâchant de reprendre Hanau à notre droite. Devant le pont de -Lamboy Bertrand avait placé la division Guilleminot, au centre la -division <span class="pagenum"><a id="page651" name="page651"></a>(p. 651)</span> Morand qui pouvait canonner Hanau par-dessus la -Kinzig, devant Hanau même la division italienne, partie dans cette -ville, partie le long de la Kinzig, avec mission de protéger la grande -route.</p> - -<p>De Wrède à la pointe du jour assaillit les Italiens dans Hanau, leur -prit une des portes, pénétra dans la ville, et les refoula sur le pont -de la Kinzig, vers lequel il courut pour s'en emparer, et occuper -ensuite la route. Mais Morand tirant par-dessus la Kinzig atteignit en -flanc la colonne du général de Wrède, et la couvrit de projectiles. -Les Italiens reprenant courage revinrent à la charge, et rejetèrent -les Bavarois dans Hanau. De Wrède reçut au bas-ventre une blessure qui -le fit supposer mort, tant elle était grave.</p> - -<p>Au même instant sur notre gauche les Austro-Bavarois tentèrent de -franchir la Kinzig sur les chevalets du pont de Lamboy à demi brûlés. -Guilleminot en laissa passer un certain nombre, puis les culbuta dans -la Kinzig à la baïonnette. De toutes parts ils furent ainsi refoulés -au delà de la Kinzig, et condamnés à une nouvelle humiliation. Cette -tentative leur coûta encore de 1500 à 2,000 hommes. Nos canons libres -enfin de courir sur ce chemin de Mayence, y trouvèrent tant de -cadavres qu'ils roulaient, dit un témoin oculaire fort illustre, dans -une boue de chair humaine<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a>. Funèbre et terrible rentrée de la -grande armée en France!</p> - -<p>Au surplus le corps du général Bertrand avait été le dernier à -prendre la route de Hanau. Le maréchal <span class="pagenum"><a id="page652" name="page652"></a>(p. 652)</span> Mortier avec la jeune -garde informé des difficultés qu'on rencontrait sur cette voie, avait -fait un détour à droite, et avait regagné Francfort sain et sauf. Le 4 -novembre, la grande armée acheva d'entrer dans Mayence, tristement -triomphante! La cavalerie resta seule en dehors pour recueillir les -plus attardés de nos traînards. Il en avait passé près de quarante -mille en quelques jours.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de l'armée française sur les bords du Rhin.</span> -Ainsi nous revîmes le Rhin, après tant de victoires suivies maintenant -de tant de revers, le Rhin que nous avions l'espérance fondée de -repasser paisiblement, après une paix glorieuse et générale. Il aurait -pu en être ainsi, mais l'orgueil indomptable de Napoléon ne l'avait -pas permis!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">État de dénûment de la frontière du Rhin.</span> -Napoléon était en ce moment dans Mayence, pouvant se convaincre de ses -yeux de toute l'étendue de ses fautes. Ce Rhin devenu tellement notre -propriété, que six mois auparavant on aurait regardé comme une grande -preuve de modération de notre part de nous en contenter, ce Rhin il -était douteux que nous pussions le défendre! Napoléon avait tant songé -à la conquête, et si peu à la défense, que le sol de l'Empire se -trouvait presque entièrement découvert. Excepté en Italie, qui était -de la conquête aussi, on n'avait rien fait aux places de la frontière. -Napoléon avait bien commencé à y penser, mais à une époque où il ne -restait plus assez de temps pour que les ordres donnés reçussent leur -exécution. Les grands approvisionnements mêmes provoqués par -l'intermédiaire de M. de Bassano après la bataille de Dennewitz, -délibérés, résolus entre les principaux ministres à Paris, avaient -été contremandés <span class="pagenum"><a id="page653" name="page653"></a>(p. 653)</span> par Napoléon à cause de la dépense, et -surtout à cause des alarmes qu'il craignait de répandre sur le Rhin. -Aussi le long de cette frontière qui aurait dû être le premier objet -de nos soins, tout était-il dans un état déplorable. On s'était épuisé -en munitions, en armes de toutes espèces pour Erfurt, Dresde, Torgau, -Magdebourg, Hambourg, et les arsenaux français étaient vides. Les -approvisionnements en bois ordonnés depuis peu de jours n'étaient pas -commandés. Les approvisionnements de siége se trouvaient dans le même -cas<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>. Le personnel était encore plus insuffisant que le matériel. À -Strasbourg, Landau, Metz, Coblentz, Cologne, Wesel, il n'y avait que -quelques compagnies de gardes nationales levées à la hâte par les -préfets, et qui savaient à peine tirer un coup de fusil. Mayence -seule, vaste dépôt de recrues qu'on n'avait pas eu le temps -d'expédier, de maraudeurs successivement rentrés, de malades, de -blessés transportés comme on avait pu, centre enfin de ralliement pour -nos débris de toute espèce, Mayence contenait des moyens de défense. -Mais c'est une armée qu'il aurait fallu dans cette place, et ce qui -rentrait, quoique ce fût la grande armée, n'aurait pas fourni 40 mille -hommes en état de combattre. Les divisions de la jeune garde qui -s'étaient si bien conduites, comprenant 8 mille hommes à la reprise -des hostilités, 3 mille encore après Leipzig, étaient réduites les -unes à 1,000, les autres à 1,100 hommes. Tous les corps étaient -diminués dans la même proportion.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="page654" name="page654"></a>(p. 654)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps, renforcé des divisions Guilleminot, -Durutte et Semelé, est cantonné à Mayence.</span> -Napoléon voulant réserver à Mayence ce qu'il avait ramené de meilleur, -y laissa le 4<sup>e</sup> corps sous le général Bertrand. Ce corps était destiné -à former l'avant-garde de la future armée que Napoléon espérait -composer. Il devait comprendre la division Morand qui en avait -toujours fait partie, la division Guilleminot qu'on lui avait -récemment adjointe, les divisions Durutte et Semelé, seuls restes, -comme nous l'avons dit, des 7<sup>e</sup> et 16<sup>e</sup> corps. Ces quatre divisions, -même après quelques jours de repos, ne comptaient pas quinze mille -soldats. Napoléon ordonna qu'elles fussent immédiatement réorganisées -au moyen des hommes débandés qu'on arrêtait au passage du Rhin. La -cavalerie de la garde fut employée à recueillir ces hommes à plusieurs -lieues au-dessus et au-dessous de Mayence. Mais les fusils, les -vêtements, les souliers, les vivres qu'on leur distribuait ne -pouvaient surmonter l'influence des mauvaises habitudes qu'ils avaient -contractées, et bien que la plupart d'entre eux se fussent comportés -très-bravement deux ou trois semaines auparavant, il était douteux -qu'on parvînt à en faire encore des soldats. À peine cessait-on -d'avoir l'œil sur eux qu'ils désertaient à l'intérieur. Les cadres -restaient excellents, et tout prouvait que, grâce à eux, il serait -plus facile de créer des soldats avec des conscrits sortant de leurs -chaumières, qu'avec des hommes qu'on venait d'exposer trop tôt, trop à -l'improviste, et sans l'encouragement de la victoire, aux plus -cruelles extrémités de la guerre.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Lefebvre-Desnoëttes est aussi cantonné à Mayence avec la -cavalerie légère de la garde.</span> -En quelques jours cependant on reporta au nombre de vingt et quelques -mille hommes ce 4<sup>e</sup> corps, <span class="pagenum"><a id="page655" name="page655"></a>(p. 655)</span> dernière représentation de l'armée -qui avait combattu à Lutzen, Dresde et Leipzig. Lefebvre-Desnoëttes -lui fut attaché avec la cavalerie légère de la garde et les vieux -dragons du 5<sup>e</sup> corps, composant en tout 3 à 4 mille chevaux. On lui -donna une bonne artillerie. -<span class="sidenote" title="En marge">La défense du Rhin confiée aux maréchaux Victor, Marmont et -Macdonald.</span> -La garde du Rhin fut partagée entre les -trois maréchaux Marmont, Macdonald et Victor. Le maréchal Marmont fut -chargé de garder depuis Landau jusqu'à Coblentz avec les débris des -6<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps d'infanterie, des 1<sup>er</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie. Il -devait avoir Mayence et le général Bertrand sous ses ordres, et -procéder à la recomposition des troupes comprises dans l'étendue de -son commandement. La jeune garde fut placée un peu en arrière de -Mayence, pour se réorganiser sous les yeux du maréchal Mortier. Il en -fut de même pour la cavalerie de la garde. Le maréchal Macdonald fut -envoyé à Cologne avec le 11<sup>e</sup> corps, qu'il devait également -recomposer. On lui donna le 2<sup>e</sup> de cavalerie pour veiller à la garde -du Rhin, et empêcher les Cosaques de le franchir. Ce qui restait des -Polonais, infanterie et cavalerie, fut envoyé à Sedan, où était -l'ancien dépôt de ces troupes alliées, pour y recevoir une nouvelle -organisation. Le maréchal Victor fut établi à Strasbourg avec le 2<sup>e</sup> -corps, qui avait fait sous ses ordres la campagne de 1813, et s'y -était couvert de gloire. C'est avec ces débris que les trois maréchaux -devaient protéger la frontière de l'Empire. Les gendarmes, les -douaniers revenus de tous les pays que nous avions occupés, arrêtaient -sur le Rhin les hommes débandés qui arrivaient, et tâchaient de les -faire rentrer à leurs corps. C'est avec cette ressource, dont nous -<span class="pagenum"><a id="page656" name="page656"></a>(p. 656)</span> avons dit la valeur, qu'on espérait recruter les troupes -cantonnées sur la frontière. Malheureusement, outre leurs mauvaises -dispositions morales, elles venaient d'être atteintes par une affreuse -contagion physique. -<span class="sidenote" title="En marge">La fièvre d'hôpital transportée par l'armée sur les bords -du Rhin, y exerce d'affreux ravages.</span> -La fièvre d'hôpital née dans nos vastes dépôts de -l'Elbe, due à l'encombrement des hommes, aux fatigues, à la mauvaise -nourriture, aux pluies continuelles des deux derniers mois, et aux -passions tristes dont avaient été affectés nos blessés et nos malades, -s'était répandue partout où nous avions passé, et avait déjà envahi -les bords du Rhin. De tous les fléaux qui nous avaient poursuivis -celui-là était le plus redoutable. Il venait de pénétrer à Mayence, -d'y exercer déjà de notables ravages, et en faisait craindre de -terribles. De là il avait descendu le Rhin, et l'avait même remonté. -Ainsi aucune calamité ne semblait devoir nous être épargnée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon pour Paris le 7 novembre.</span> -Napoléon, après avoir pourvu au plus pressé par un séjour d'une -semaine à Mayence, partit pour Paris le 7 novembre, afin de se -transporter au centre d'un gouvernement dont il était le moteur -indispensable, et de préparer les moyens d'une nouvelle et dernière -campagne. Tandis qu'il était occupé à faire des efforts inouïs pour -tirer de la France épuisée les ressources qu'elle contenait encore, et -arrêter sur la frontière des ennemis qu'une longue oppression avait -rendus implacables, il y avait du Rhin à la Vistule, en soldats vieux -ou jeunes, et actuellement assiégés ou bloqués par les légions de -l'Europe coalisée, de quoi composer l'une des meilleures armées qu'il -eût jamais rassemblées. -<span class="sidenote" title="En marge">Situation des troupes laissées dans les garnisons de -l'Elbe, de l'Oder et de la Vistule.</span> -Il avait laissé à Modlin 3 mille hommes, à -Zamosc 3, <span class="pagenum"><a id="page657" name="page657"></a>(p. 657)</span> à Dantzig 28, à Glogau 8, à Custrin 4, à Stettin -12, à Dresde 30, à Torgau 26, à Wittenberg 3, à Magdebourg 25, à -Hambourg 40, à Erfurt 6, à Wurzbourg 2, ce qui faisait une force -totale de 190 mille hommes, presque tous valides (car nous n'avons -admis dans cette évaluation ni les malades ni les blessés), tous -aguerris ou instruits, commandés par des officiers excellents, et -comprenant notamment des soldats d'artillerie et du génie -incomparables. Jamais plus belle armée n'eût porté le drapeau de la -France, si, par un miracle, on avait pu réunir ses débris épars, et -leur rendre l'ensemble que leur isolement dans des postes éloignés -leur avait fait perdre. Napoléon, ainsi qu'on l'a vu, dans l'espérance -de se retrouver en une seule bataille reporté sur l'Oder et la -Vistule, avait voulu en conserver les forteresses, de manière à se -replacer soudainement dans son ancienne position. C'est par ce motif -qu'il avait consacré une soixantaine de mille hommes aux places fortes -de l'Oder et de la Vistule. Pendant l'armistice il aurait pu les -ramener tous, et en renforcer sa ligne de l'Elbe; mais, séduit par la -même espérance, il avait persisté dans la même faute, et il venait de -l'aggraver prodigieusement, en quittant l'Elbe sans en retirer les -garnisons. -<span class="sidenote" title="En marge">Le nombre des troupes laissées dans les places n'est pas de -moins de 190 mille hommes.</span> -C'est ainsi que ces 190 mille hommes si précieux, suffisant -au printemps pour former le fond d'une superbe armée de 400 mille -hommes, avaient été sacrifiés. Il est vrai que dans ces 190 mille -hommes il y avait 30 mille étrangers, voulant rentrer au sein de leur -patrie depuis que leurs gouvernements avaient rompu avec la France; -mais dans ces 30 mille hommes, s'il <span class="pagenum"><a id="page658" name="page658"></a>(p. 658)</span> y avait 20 mille -Allemands ou Illyriens sur lesquels il ne fallait plus compter, il y -avait 10 mille Polonais devenus aussi braves, et restés aussi fidèles -que les soldats de notre vieille armée. C'était donc toujours la perte -certaine de 170 mille hommes, due à une confiance aveugle dans la -victoire, et à la funeste passion de rétablir en une journée une -grandeur détruite par plusieurs années de fautes irréparables!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Comment on aurait pu les sauver.</span> -Un miracle, avons-nous dit, pouvait les rendre à la France. -<span class="sidenote" title="En marge">Il aurait fallu que par une résolution spontanée l'un des -commandants de garnison sortit de la place qu'il occupait, allât -recueillir les autres garnisons, et formât ainsi une armée avec -laquelle il pût regagner les bords du Rhin.</span> -Sans doute -si un homme intrépide, audacieux, et surtout heureux, se trouvant à la -tête de l'une de ces garnisons, était sorti de la place qu'il -occupait, en forçant le blocus établi autour de ses murs, qu'il se fût -réuni à la garnison la plus voisine, et qu'allant ainsi de l'une à -l'autre il eût composé une armée, il est probable, vu le peu de -troupes laissées par les coalisés sur leurs derrières, qu'il aurait pu -atteindre l'Elbe et le Rhin, et rentrer en France à la tête d'une -force redoutable. Mais dans laquelle des places bloquées ce miracle -pouvait-il s'accomplir? Ce n'est pas assurément dans les places les -plus éloignées. Les garnisons de Modlin et de Zamosc, par exemple, -composées de Lithuaniens et de Polonais peu enclins à sortir de chez -eux, étaient beaucoup trop distantes l'une de l'autre, trop peu -nombreuses, pour essayer de hardies concentrations de troupes. Celle -de Dantzig, qui même après les maladies rapportées de Russie, comptait -encore vingt et quelques mille hommes, aurait pu s'échapper sans -doute, en culbutant ceux qui auraient essayé de l'arrêter. -<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qui ne permettaient pas aux garnisons de la Vistule -et de l'Oder de tenter une semblable entreprise.</span> -Mais elle -aurait été suivie à outrance par <span class="pagenum"><a id="page659" name="page659"></a>(p. 659)</span> des forces supérieures, -peut-être détruite avant d'arriver à l'Oder, où l'attendaient du reste -si elle y était arrivée, 9 mille Français ou alliés à Stettin, 4 mille -à Custrin. Mais, outre la difficulté naissant de la distance, il y en -avait une dans les instructions de Napoléon. Il avait ordonné au -général Rapp de ne livrer Dantzig que sur un ordre de sa main, de s'y -faire tuer plutôt que de se rendre, et le général Rapp, privé de -nouvelles, ne devant pas ajouter foi à celles de l'ennemi, ne pouvait -pas assez connaître la situation pour se croire autorisé à changer les -instructions si précises, si formelles, qu'il avait reçues de -Napoléon. Les trois garnisons de l'Oder, celles de Stettin, Custrin, -Glogau, quoique plus rapprochées de l'Elbe, étaient encore trop -distantes entre elles, trop peu considérables, et trop surveillées, -pour tenter avec quelques chances de succès des réunions de forces qui -leur eussent permis de regagner le Rhin.</p> - -<p>Ce sont les garnisons de l'Elbe, celles de Hambourg, Magdebourg, -Wittenberg, Torgau, Dresde, qui formaient des rassemblements de 20 et -30 mille hommes, qui étaient fort voisines les unes des autres, et -n'avaient pour rejoindre la France qu'à traverser la Westphalie -exempte de la présence de l'ennemi, ce sont celles-là qui auraient pu -prendre l'initiative, et rendre à la France cent mille hommes, avec -des chefs illustres tels que Saint-Cyr et Davout. -<span class="sidenote" title="En marge">Les commandants de Hambourg et de Dresde pouvaient seuls -prendre l'initiative d'une subite concentration.</span> -Entre ces places -fortes de l'Elbe c'étaient évidemment les deux places extrêmes de -Dresde et de Hambourg, ayant des maréchaux en tête, et chacune 30 -mille hommes au moins, qui auraient pu essayer d'opérer une -concentration subite, et entre ces dernières <span class="pagenum"><a id="page660" name="page660"></a>(p. 660)</span> enfin c'est de -la garnison de Dresde qu'on était le plus fondé à l'attendre.</p> - -<p>Pour qu'un chef commandant une force considérable et chargé d'un poste -important prît sur lui de l'évacuer spontanément, afin de revenir sur -le Rhin, il fallait que l'ordre d'idées dans lequel il avait été -entretenu l'y autorisât. Le maréchal Davout n'était pas dans ce cas. -Il savait que Hambourg avait été la cause principale de la rupture des -négociations de Prague, que Napoléon y tenait au point d'avoir bravé -une guerre mortelle plutôt que d'y renoncer, que Hambourg était -l'appui des garnisons de l'Oder et de Dantzig, le boulevard de la -Westphalie et de la Hollande, le lien avec le Danemark, et que -l'abandonner était une résolution capitale, ne pouvant appartenir -qu'au chef de l'État lui-même. Voilà tout un ensemble de -considérations qui n'était pas fait pour lui inspirer la pensée de -l'évacuation. Mais il y avait de plus pour l'en détourner deux raisons -décisives. -<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qui devaient en détourner celui qui commandait à -Hambourg.</span> -Il possédait à Hambourg tous les moyens de se soutenir -longtemps, et il le prouva bientôt; dès lors il n'y avait pour lui -aucune obligation immédiate de changer de position. Secondement, en -supposant qu'il sentît la nécessité de rentrer en France à la tête des -garnisons restées au dehors, il ne pouvait prendre sur lui de remonter -l'Elbe pour se porter à Torgau et à Dresde, car il serait allé dans un -cul-de-sac sans retraite possible, puisque entre Dresde et Mayence il -y avait la coalition tout entière. Il devait donc, s'il avait cette -pensée d'une concentration spontanée, attendre dans le poste où il -était qu'on vînt à lui avec les garnisons de Dresde, de <span class="pagenum"><a id="page661" name="page661"></a>(p. 661)</span> -Torgau, de Magdebourg, et alors avec cent mille hommes il serait -retourné en France par la Westphalie et Wesel. Ainsi, outre que -l'ordre d'idées dans lequel il avait été entretenu ne devait pas -l'engager à quitter Hambourg, à moins d'une nécessité pressante, la -concentration ne se présentait pas comme chose exécutable du bas Elbe -vers le haut, mais du haut vers le bas.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Toutes ces raisons au contraire devaient y décider celui -qui commandait à Dresde.</span> -Ces simples réflexions démontrent que c'est à Dresde qu'aurait dû -naître la résolution de réunir les garnisons voisines, et de former -une force successivement croissante, pour rentrer en France. Tout -devait en effet y disposer le maréchal Saint-Cyr, commandant à Dresde, -et les idées antérieures dont il avait eu l'esprit rempli, et -l'urgence de sa situation, et enfin les moyens dont il était pourvu. -D'abord Dresde n'était point une place forte où l'on pût se maintenir; -c'était un poste militaire à conserver quelques jours seulement, que -Napoléon n'avait entendu garder que très-passagèrement, et que, sans -le prescrire formellement, il avait presque d'avance ordonné -d'évacuer, en disant dans ses instructions que si des accidents -imprévus empêchaient le maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde, il -devait se diriger sur Torgau. Ainsi la pensée naturelle qu'il était -impossible de ne pas concevoir, c'était celle de quitter Dresde, si on -apprenait que Napoléon se fût retiré sur le Rhin. Ensuite cette place -hors d'état de tenir huit jours, n'avait plus aucune importance après -le départ de la grande armée, ne couvrait rien, demeurait purement en -l'air, et ne contenait pas la moindre ressource en vivres. Il y avait -donc <span class="pagenum"><a id="page662" name="page662"></a>(p. 662)</span> urgence de prendre un parti à son égard, et ne pouvant -revenir en France à travers la Saxe, car il aurait fallu passer sur le -corps des armées coalisées, il était évident que c'est sur Torgau -qu'il fallait se replier. -<span class="sidenote" title="En marge">On pouvait en descendant de Dresde à Hambourg, y former -avec les garnisons de l'Elbe successivement ramassées, une armée de -plus de cent mille hommes, et à sa tête regagner le Rhin -victorieusement.</span> -Pour se rendre à Torgau on n'avait que deux -journées de marche. On y aurait trouvé 26 mille hommes, dont 18 mille -Français valides, et on aurait été porté à 48 mille hommes, force -supérieure à tout ce qu'il y avait d'ennemis sur les bords de l'Elbe. -On aurait recueilli en passant 3 mille hommes à Wittenberg. En deux -jours on serait arrivé à Magdebourg, où l'on se serait renforcé de 18 -à 20 mille hommes valides. On aurait donc formé tout de suite une -armée de 70 mille combattants, armée qui avant trois semaines était -sûre de ne pas rencontrer son égale jusqu'au bord de la mer. À -Hambourg, on aurait fini par réunir 110 mille soldats excellents, et -alors qui est-ce qui pouvait empêcher ces braves gens de regagner le -Rhin?</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Octob. 1813.</span> -Si donc l'impulsion première avait dû partir de quelque part pour -opérer ces concentrations spontanées, c'était évidemment de Dresde et -du maréchal qui commandait cette place. Il faut ajouter que l'excuse -bien réelle alors, et souvent alléguée, du défaut d'indépendance et de -spontanéité chez les lieutenants de Napoléon, toujours habitués à -obéir, jamais à commander, que cette excuse ne saurait être donnée -pour le maréchal Saint-Cyr. Indépendant par force d'esprit, et par -indocilité de caractère, n'admirant personne, pas même Napoléon, -blâmant toutes les instructions qu'il recevait, il ne pouvait pas, -comme tant d'autres, expliquer son défaut de <span class="pagenum"><a id="page663" name="page663"></a>(p. 663)</span> détermination -par sa soumission ponctuelle aux ordres supérieurs, ordres d'ailleurs -qui, après la retraite de l'armée, étaient plutôt dans le sens de -l'évacuation que de la conservation de Dresde. Par conséquent, si les -170 mille Français laissés par une déplorable faute de Napoléon sur la -Vistule, l'Oder et l'Elbe, avaient chance d'être sauvés, c'était, pour -100 mille au moins, par une résolution spontanée du maréchal -Saint-Cyr. Cette résolution il ne la prit point, et on va juger par -les faits eux-mêmes s'il est suffisamment justifié de ne l'avoir pas -prise.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé à Dresde après le départ de Napoléon -pour Düben.</span> -À peine Napoléon avait-il quitté Dresde pour Düben que des mouvements -incessants de troupes s'étaient exécutés autour de la ville, que -l'intérêt des coalisés avait paru évidemment se porter ailleurs, et -qu'ils n'avaient laissé devant Dresde que des forces insignifiantes, -dont il était très-possible de triompher pour tenter quelque -entreprise salutaire. Au moment même de la bataille de Leipzig, -lorsque Bubna, Colloredo, Benningsen, se détournèrent pour rejoindre -la grande armée du prince de Schwarzenberg, leur disparition devint -promptement sensible, et un général aussi heureusement audacieux que -Richepanse le fut à Hohenlinden, aurait pu être tenté de suivre ces -corps, et s'il eût paru sur leurs derrières le 18, il eût certes -apporté d'immenses changements à nos destinées. Il est vrai que c'eût -été une résolution singulièrement téméraire, et difficile à concilier -avec l'instruction de garder Dresde, que Napoléon avait donnée -lorsqu'il avait formé son grand projet de marcher sur Berlin à la -suite de Bernadotte et de Blucher, pour revenir par Dresde <span class="pagenum"><a id="page664" name="page664"></a>(p. 664)</span> -sur les derrières de l'armée de Bohême. On n'est donc pas fondé à -faire au maréchal Saint-Cyr un reproche de ne l'avoir pas prise. -<span class="sidenote" title="En marge">Inquiétudes du maréchal Saint-Cyr et du corps d'armée -laissé à Dresde.</span> -Ce maréchal s'aperçut assez vite de la disparition des principales forces -stationnées devant Dresde, et il se procura la satisfaction fort -légitime, fort louable, de faire essuyer un échec au faible corps de -blocus qu'on avait laissé devant lui, mais il s'en tint là. Quelques -jours après, n'apprenant rien, ne voyant rien venir, il commença -d'être inquiet; on le fut bientôt autour de lui, et on se demanda ce -qu'avait pu devenir la grande armée. Rester enfermé dans cette prison, -où il y avait peu de vivres, peu de munitions, au milieu d'une -population tranquille, mais peu bienveillante, à laquelle on était -fort à charge, rester, disons-nous, dans un tel coupe-gorge, répugnait -à tout le monde, et à chaque instant surgissait l'idée de s'en aller, -car on savait bien qu'on n'avait rien à faire à Dresde, si ce n'est -d'y périr. -<span class="sidenote" title="En marge">L'idée de sortir de Dresde pour aller se réunir aux -garnisons de Torgau et de Magdebourg était dans tous les esprits.</span> -Cette pensée de se retirer étant dans toutes les têtes, le -maréchal Saint-Cyr convoqua un conseil de guerre, composé du comte de -Lobau, du général Durosnel, du général Mathieu-Dumas et de quelques -autres. Avec sa remarquable sagacité, le comte de Lobau dit qu'il n'y -avait qu'une chose à tenter, c'était de se retirer sur Torgau, où l'on -trouverait une garnison nombreuse, des vivres, et en tout cas la route -ouverte de Magdebourg. Les autres généraux furent effrayés de la -responsabilité qu'on assumerait sur soi en se retirant, et dirent que -le moment n'était pas venu de se croire abandonné, et dès lors de -prendre un parti aussi décisif. À la vérité le doute était encore -permis le 21 octobre, <span class="pagenum"><a id="page665" name="page665"></a>(p. 665)</span> l'évacuation de Leipzig n'ayant eu lieu -que le 19. Bientôt cependant la joie non dissimulée des Saxons, les -communications de l'ennemi intéressé à nous désespérer, nous apprirent -le désastre de Leipzig, et la retraite forcée de Napoléon sur le Rhin. -Dès lors il était évident qu'il fallait prendre un parti, et le -prendre sur-le-champ, avant que toutes les routes fussent fermées. -C'est en ce moment qu'il eût fallu convoquer un conseil de guerre, et -obliger chacun à délibérer en présence du désastre constaté de la -grande armée, et de l'impossibilité démontrée d'être secouru.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">On pouvait sortir de Dresde avec 30 mille hommes valides, -qui n'auraient pas trouvé une seule force capable de leur fermer la -route de Torgau.</span> -En adoptant les évaluations les plus affaiblies, on pouvait mettre -sous les armes 25 mille hommes parfaitement valides, et tout porte à -croire qu'à la nouvelle du départ on aurait été 30 mille le fusil à -l'épaule. On n'avait pas 25 mille hommes devant soi, et fussent-ils le -double, comme ils devaient être répartis sur les deux rives de l'Elbe, -il y avait certitude de se faire jour, en perçant sur un point -quelconque le cercle très-étendu qu'ils étaient obligés de décrire -autour de la place. Enfin on avait la perspective assurée de mourir de -faim et de misère sous peu de jours, sans pouvoir s'honorer par une -défense que les fortifications de la ville ne rendaient pas possible, -et d'être tous tués ou pris, si on attendait que les forces ennemies -parties pour Leipzig fussent revenues sur Dresde. Si jamais il y a eu -urgence à se décider, évidence dans le parti à embrasser, c'était -certainement dans cette occasion.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitations du maréchal Saint-Cyr.</span> -Le maréchal Saint-Cyr avait infiniment d'esprit, était au feu un -brave soldat, avait de plus une <span class="pagenum"><a id="page666" name="page666"></a>(p. 666)</span> véritable indépendance de -caractère, et cependant il donna ici la preuve que ces qualités -très-réelles ne sont pas celles qui dans certaines circonstances -produisent les grandes inspirations. Il ne résolut rien, ne fit rien, -et laissa écouler le temps en hésitations regrettables. -<span class="sidenote" title="En marge">Question secrètement adressée à la garnison de Torgau.</span> -Il eut la -singulière pensée d'envoyer un agent secret au gouverneur de Torgau, -pour savoir si on aurait des vivres à lui donner dans le cas où il se -replierait sur cette place. La question était inutile, car, outre que -nous avions toujours tiré de Torgau nos approvisionnements en grains, -et qu'on avait avec soi l'excellent général Mathieu-Dumas, au fait par -ses fonctions de toutes les ressources de l'armée, il ne s'agissait -pas de descendre sur Torgau pour y rester, mais pour y passer, chose -bien différente. L'agent pénétra, reçut pour réponse qu'on avait des -vivres, dont on ferait part volontiers à ses voisins de Dresde s'ils -avaient la bonne inspiration de venir; mais il ne put pas remonter -l'Elbe, et fut arrêté. On demeura ainsi sans réponse et sans -résolution, non-seulement pendant la fin d'octobre, mais jusqu'aux -premiers jours de novembre. -<span class="sidenote" title="En marge">Après quinze jours le maréchal Saint-Cyr ordonne une -tentative pour percer sur Torgau.</span> -Deux semaines s'étant écoulées, le cordon -du blocus se resserrant à chaque heure, toute espérance de secours -étant évanouie, le maréchal Saint-Cyr prit enfin un parti, mais -malheureusement un demi-parti, et le plus dangereux qu'on pût prendre. -Comme il n'y avait qu'une chose à essayer, celle de se retirer sur -Torgau, il n'imagina pas d'en tenter une autre, et résolut d'envoyer -le comte de Lobau avec 14 mille hommes dans la direction de cette -place, de lui faire descendre l'Elbe par la rive droite, puis, si le -comte <span class="pagenum"><a id="page667" name="page667"></a>(p. 667)</span> de Lobau réussissait à percer, de suivre lui-même avec -le reste de son armée. On ne comprend pas qu'un homme qui avait tant -de fois déployé une si grande sagacité à la guerre, pût songer à faire -une tentative pareille. Si on avait une chance, et on n'en avait pas -une, mais cent, de percer la ligne de blocus, c'était en marchant tous -ensemble, et en ne laissant rien après soi. Il était impossible en -effet qu'en donnant tête baissée sur cette ligne, nécessairement mince -à cause de son étendue, on ne parvînt pas à la rompre. Le général -Brenier avait eu pour sortir de Ciudad-Rodrigo en 1811 de bien autres -dangers à courir, et les avait néanmoins surmontés.</p> - -<p><span class="sidedate" title="En marge">Nov. 1813.</span> -<span class="sidenote" title="En marge">Cette tentative faite avec des forces insuffisantes -échoue.</span> -Le maréchal Saint-Cyr confia donc au comte de Lobau le soin de -descendre par la rive droite sur Torgau avec 14 mille hommes. Ce -dernier fit la remarque fort juste que l'entreprise, sûre quinze jours -auparavant, et avec toutes les forces du corps d'armée, devenait bien -douteuse dans le moment, et avec la moitié de ce corps seulement. Il -obéit néanmoins, et il sortit de Dresde le 6 novembre. Il avait avec -lui un lieutenant du plus grand mérite, le brave et intelligent -général Bonnet. À quelques lieues de Dresde, sur la rive droite, on -rencontra les premiers postes ennemis, et on leur passa sur le corps. -Plus loin on trouva une position bien défendue, qu'on ne pouvait -emporter sans doute qu'avec une large effusion de sang, mais qui ne -présentait rien d'insurmontable. D'ailleurs on voyait l'ennemi -s'affaiblir sur son front, et se renforcer sur ses ailes, pour courir -sur nos derrières et nous interdire le retour vers Dresde. Ce -mouvement prouvait clairement que, dans le désir <span class="pagenum"><a id="page668" name="page668"></a>(p. 668)</span> naturel de -ne pas nous laisser rentrer à Dresde, l'ennemi allait nous ouvrir -lui-même la route de Torgau. Si toute l'armée eût été réunie, on -n'aurait pas pu souhaiter mieux que de voir l'ennemi exécuter une -semblable manœuvre, puisque la difficulté au lieu d'être derrière -nous était devant nous. Mais une moitié du corps d'armée étant restée -à Dresde, ce mouvement devenait très-inquiétant, et on se hâta de -revenir sur Dresde pour n'être pas séparé de tout ce qui s'y trouvait -encore.</p> - -<p>Le résultat était certes la démonstration la plus évidente de la faute -commise, faute étrange de la part de l'un des militaires les plus -distingués de cette grande époque guerrière. Une fois la colonne -rentrée à Dresde, cette fausse démarche fut tenue pour la condamnation -formelle de toute entreprise sur Torgau, et comme il n'y en avait pas -d'autre à proposer, on attendit dans une profonde tristesse que -l'extrémité de cette situation fût atteinte. Le général Klenau, envoyé -devant Dresde, avait résolu, quoique très-entreprenant par caractère, -d'attendre la reddition volontaire des trente mille hommes enfermés -dans cette place. Huit jours de patience seulement suffisaient pour le -dispenser de verser des torrents de sang. Il temporisa en effet, et il -eut bientôt satisfaction.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Saint-Cyr ne sachant plus quel parti prendre, -se décide à capituler.</span> -Tout le monde dans l'armée était désolé. Les vivres manquaient, -l'affreuse contagion étendue de l'Elbe au Rhin sévissait. Les -habitants soumis, mais désespérés par la longueur de notre séjour, -nous suppliaient de nous retirer, et, quoique Allemands, ils avaient -été si peu hostiles, qu'on devait quelque <span class="pagenum"><a id="page669" name="page669"></a>(p. 669)</span> chose à leur -souffrance. On n'avait plus aucune espérance, pas même celle d'une -mort glorieuse. On entra donc en négociation, et le 11 on capitula. Il -n'y avait pas autre chose à faire, car on ne pouvait ni rester, ni -partir, ni se battre. Il n'y a par conséquent pas à blâmer la -capitulation, mais la conduite qui l'avait amenée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Conditions de la capitulation.</span> -Les conditions d'ailleurs étaient telles qu'on pouvait les désirer. La -garnison devait déposer les armes, rentrer en France par journées -d'étapes, avec faculté de servir après échange. On avait ainsi -l'espoir de conserver à la France 30 mille soldats, éprouvés par une -campagne terrible, et avec eux beaucoup de blessés, de malades qui -auraient été perdus sans une capitulation. Ceux qui l'avaient signée -pouvaient se flatter de s'être tirés de cette situation désastreuse -d'une manière qui n'était très-dommageable ni pour eux ni pour la -France qu'ils seraient bientôt en mesure de défendre encore. Sans -doute on était affligé de capituler, mais consolé par l'impossibilité -de faire autrement, et réjoui par la pensée de revoir la France sous -quelques jours. On fit les préparatifs de départ, et c'est alors qu'on -vit quelles forces on aurait réunies vers le bas Elbe si on y avait -marché, car lorsqu'il fut question de s'en aller il parut trente et -quelques mille hommes dans les rangs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Violation de la capitulation de Dresde.</span> -On se mit donc en route avec encore plus d'espérance que de tristesse. -Mais à peine avait-on quitté Dresde, qu'une affreuse nouvelle vint -consterner tous les cœurs. Le général Klenau, avec beaucoup -d'excuses, fit savoir que l'empereur Alexandre n'admettait <span class="pagenum"><a id="page670" name="page670"></a>(p. 670)</span> -pas la capitulation, et exigeait que la garnison se constituât -prisonnière de guerre, sans permission de retourner en France. Cette -décision fut pour tous un coup de foudre, et un amer sujet de regrets. -On put apprécier alors quelle faute on avait commise en se mettant à -la merci d'un ennemi qui, quoique honnête, devenait par passion un -ennemi sans foi. Le maréchal Saint-Cyr réclama avec hauteur et -énergie. On lui répondit par une cruelle ironie, en lui disant que -s'il voulait rentrer dans Dresde et se replacer dans la position où il -était auparavant, on était prêt à y consentir, comme si, au milieu -d'habitants tout joyeux d'être délivrés de nous, peu disposés -certainement à nous recevoir de nouveau, avec des moyens de défense -détruits ou divulgués, un tel retour était possible. Il fit sentir -l'indignité d'un tel procédé; on ne lui répliqua que par la même -proposition dérisoire, et il fallut se soumettre, et aller expier en -captivité une carrière de vingt ans de gloire.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Indignité de la conduite tenue en cette circonstance par -les souverains alliés.</span> -La violation de cette capitulation fut un acte indigne, commis -cependant par d'honnêtes gens, car l'empereur de Russie, le roi de -Prusse, l'empereur d'Autriche, étaient d'honnêtes gens, dont -l'histoire doit flétrir la conduite en cette occasion. Il faut en -tirer une leçon qui s'adresse surtout aux honnêtes gens eux-mêmes, -c'est qu'ils doivent se défendre des passions politiques, car elles -peuvent à leur insu les conduire à des actes abominables. La passion -qu'on avait conçue contre la France à cette époque, ressemblait aux -passions politiques qu'éprouvent à l'égard de leurs adversaires les -partis <span class="pagenum"><a id="page671" name="page671"></a>(p. 671)</span> qui divisent un même pays, et qui se croient tout -permis les uns contre les autres. Ainsi, après une longue domination, -nous avions attiré sur nous une guerre étrangère qui avait toute la -violence de la guerre civile! Triste temps quoique bien grand! Triste -temps, aussi glorieux que déraisonnable et inhumain!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Sort des autres garnisons.</span> -L'impulsion n'étant point partie de Dresde, seul point où existât une -force considérable, un chef de grade élevé, de capacité reconnue, et -mis par ses instructions antérieures sur la pente de la retraite vers -le bas Elbe, chacune de nos garnisons devait tristement expirer à sa -place, et finir misérablement par la faim, le typhus, le feu ou la -captivité. -<span class="sidenote" title="En marge">Situation de Torgau, qui renfermait 26 mille hommes.</span> -Tout près de Dresde, à Torgau, se trouvaient, sous le -brillant comte de Narbonne, au moins 26 mille hommes, compris le -quartier général que le général Durrieu y avait conduit. Dans ces 26 -mille hommes, il y avait environ 3,400 Saxons, Hessois, -Wurtembergeois, qui moururent ou sortirent. Le reste était composé de -Français dont quelques-uns appartenaient aux troupes spéciales -attachées aux grands parcs de l'artillerie et du génie. Il y avait -donc là une force qui, réunie à celle de Dresde, eût tout à coup -fourni une armée de 45 à 50 mille hommes, capable de culbuter tout ce -qui se serait présenté entre Torgau et Magdebourg. La place était -assez forte, située sur la rive gauche, et protégée par un ouvrage -d'excellente défense, le fort Zinna. Elle contenait des quantités -immenses de grains, de spiritueux, de viandes salées. Le hasard d'une -chute de cheval lui avait procuré la <span class="pagenum"><a id="page672" name="page672"></a>(p. 672)</span> plus utile des -accessions, celle du général Bernard, aide de camp de l'Empereur, et -l'un des premiers officiers du génie de cette époque. Bientôt remis, -il s'était joint au comte de Narbonne avec le zèle patriotique dont il -était animé, et tous deux promettaient de s'illustrer par une longue -résistance. Profitant des bras nombreux dont ils disposaient, des -ressources pécuniaires introduites à la suite du quartier général, ils -avaient fait exécuter de grands travaux, et la place était en mesure -de se défendre énergiquement. -<span class="sidenote" title="En marge">Ravages du typhus.</span> -Mais un ennemi des plus redoutables s'y -était introduit, c'était le typhus. Il faisait des victimes -nombreuses, et déjà il avait emporté en septembre 1,200 de nos -malheureux soldats, et en octobre 4,900. Les assiégeants n'avaient -donc qu'à laisser agir le fléau, qui suffirait bientôt pour leur -ouvrir les portes de Torgau. Aussi l'ennemi s'était-il borné jusqu'ici -à un bombardement qui causait de grands ravages parmi les habitants, -mais bien peu parmi nos soldats. -<span class="sidenote" title="En marge">Affreuse situation de la garnison.</span> -Seulement les bombes étant tombées -dans le cimetière sur les voitures qui emportaient les morts, et les -agents des inhumations s'étant enfuis sans vouloir reprendre leurs -fonctions, les hôpitaux s'étaient remplis de cadavres qu'on ne pouvait -pas ensevelir, et qui auraient exhalé une affreuse infection s'ils -n'avaient été changés en blocs de pierre par la gelée. La plus triste -des circonstances était venue s'ajouter à toutes celles dont nous -sommes condamné à tracer le lugubre tableau. Le comte de Narbonne -s'étant fait, en tombant de cheval, une légère contusion à la tête, -avait vu une blessure insignifiante se convertir en attaque de -typhus, et <span class="pagenum"><a id="page673" name="page673"></a>(p. 673)</span> il était mort entouré des regrets de la garnison -et de tous ceux qui l'avaient connu. -<span class="sidenote" title="En marge">Mort de M. de Narbonne.</span> -Ainsi avait fini cet homme si -intéressant, qui joignant à l'esprit de l'aristocratie française du -dix-huitième siècle les connaissances positives d'un administrateur -éclairé, la sagacité d'un diplomate, les nobles sentiments d'un grand -seigneur libéral, s'était, malheureusement pour lui, rattaché à -l'Empire par admiration pour l'Empereur, lorsqu'il n'y avait qu'à -assister aux déconvenues de notre diplomatie et aux désastres de nos -armées. Le général Dutaillis avait remplacé le comte de Narbonne dans -le commandement de Torgau et s'y comportait vaillamment. Du reste il -n'avait plus qu'à être témoin de la lente agonie d'une garnison qui -avait presque égalé une armée.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Vigoureuse défense du général Lapoype à Wittenberg.</span> -À Wittenberg le général Lapoype, qui avec 3 mille hommes seulement, -avait pendant la campagne du printemps défendu énergiquement la place -contre la première apparition des coalisés, s'était, depuis la -campagne d'automne, emparé de sa petite garnison, et l'avait préparée -à tenir tête vigoureusement aux assiégeants du corps de Tauenzien. Il -ne pouvait guère exercer d'influence sur les événements par sa -persévérance, mais il pouvait s'honorer. Il l'avait fait, et il était -prêt à le faire encore. Les vivres ne lui manquaient pas. N'ayant -point, comme la place de Torgau, recueilli les restes des armées -battues, il comptait peu de malades, mais beaucoup d'étrangers. Il les -contenait par son énergie, et paraissait disposé à soutenir un long -siége.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation de Magdebourg.</span> -Le général Lemarois, aide de camp de l'Empereur, <span class="pagenum"><a id="page674" name="page674"></a>(p. 674)</span> revêtu de -toute sa confiance et la méritant, avait reçu le gouvernement de -Magdebourg. Quant à lui, il n'y avait aucune raison qui pût -l'autoriser à évacuer spontanément une forteresse aussi importante, si -capable de résistance, commandant le milieu du cours de l'Elbe et le -centre de l'Allemagne. Il n'aurait pu être entraîné à en sortir que -par l'intérêt d'une grande concentration dont il n'avait pas à prendre -l'initiative, et dont personne ne venait malheureusement lui fournir -l'occasion. -<span class="sidenote" title="En marge">Force de la place, et moyen qu'elle possède de se soutenir -longtemps.</span> -Il était dès lors dispensé de se poser à lui même la grave -question de l'évacuation, et il s'était tranquillement enfermé dans sa -forteresse, où avec des vivres considérables, une garnison nombreuse, -des murailles puissantes, peu de malades, parce qu'il était resté loin -du carnage pestilentiel de la Saxe, il pouvait tenir tête longtemps -aux armées de la coalition, et avoir le douloureux honneur de survivre -à la France elle-même.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation de Hambourg.</span> -À Hambourg se trouvait l'intrépide et imperturbable Davout, que -Napoléon, par des mécontentements qui se rattachaient à la campagne de -Russie, et aussi par estime pour son inflexible caractère, avait placé -dans une position éloignée, au grand détriment des opérations de cette -guerre, car il s'était privé ainsi du seul de ses généraux auquel, -depuis la mort de Lannes et la disgrâce de Masséna, il pût confier -cent mille hommes. -<span class="sidenote" title="En marge">Préparatifs du maréchal Davout pour s'y défendre contre -toutes les armées de la coalition.</span> -Le maréchal, parti de Hambourg avec 32 mille -soldats pour commencer sur Berlin un mouvement que les batailles de -Gross-Beeren et de Dennewitz avaient rendu impossible, y était rentré -en apprenant les malheurs de la Saxe, <span class="pagenum"><a id="page675" name="page675"></a>(p. 675)</span> avait résolu, avec ses -trente mille hommes, avec dix mille autres laissés dans les ouvrages -de la place, de soutenir un long siége, qui fût plus qu'un siége, mais -une vraie campagne défensive, de nature à couvrir la basse Allemagne, -la Hollande et le Rhin inférieur. Lui aussi, séparé de l'Empereur et -de la France, impassible au milieu de tous les désastres, les -prévoyant sans en être ému, se proposait d'être le dernier des grands -hommes de guerre de ce règne qui remettrait son épée à la coalition!</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Belle défense de Stettin, Custrin et Glogau.</span> -Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin, Glogau, tenaient encore, -mais uniquement pour l'honneur des armes. Stettin avait pour -gouverneur le général Grandeau, remplacé quelque temps par le brave -général Dufresse, celui qui pendant l'armistice s'était si peu ému des -coups de fusil tirés sur Bernadotte. Il avait des vivres, 12 mille -hommes de garnison, dont 3 mille écloppés de Russie, et 9 mille hommes -valides. Son autorité s'étendait sur Stettin et la place de Damm, qui -commande de vastes lagunes dépendantes du Grosse-Haff. C'était le -général Ravier qui défendait Damm, et il le faisait avec la plus -grande énergie. Outre l'armée prussienne, on avait affaire à toutes -les flottilles anglaises venues par l'Oder. La vigueur de la défense -avait été admirable, et on avait réduit les assiégeants à entourer les -deux places d'une vingtaine de redoutes, dans lesquelles ils -paraissaient plutôt occupés à se garder contre les assiégés qu'à les -attaquer. Ils laissaient aux flottilles anglaises le soin de bombarder -la garnison, qui, ne s'en inquiétant guère, souriait en quelque sorte -d'un moyen d'attaque funeste seulement <span class="pagenum"><a id="page676" name="page676"></a>(p. 676)</span> aux malheureux -habitants prussiens. Toutefois, avec cette impassibilité, on pouvait -bien résister au feu de l'ennemi, mais non pas aux angoisses de la -faim. Le moment approchant où les vivres allaient manquer (on était -bloqué depuis près d'un an), le général Grandeau, de l'avis de son -conseil, était entré en pourparlers avec l'ennemi, afin de n'être pas -réduit à se rendre à discrétion, s'il traitait quand il n'aurait plus -un morceau de pain. On lui avait proposé de déclarer sa garnison -prisonnière de guerre, car la coalition était résolue à ne laisser -retourner en France aucun des soldats qui pourraient la défendre, et -ce but, elle le poursuivait, comme on l'a vu, par des blocus -persévérants contre les garnisons qui résistaient, par des violations -de foi contre les garnisons qui avaient capitulé. Le général Ravier, -avec les troupes de Damm et presque toutes celles de Stettin, s'était -insurgé à la nouvelle des conditions offertes, et refusait d'obéir au -général Grandeau. Cette vaillante garnison voulait jusqu'au dernier -moment tenir flottant sur l'Allemagne le drapeau de la France. À la -fin de novembre rien n'était encore décidé.</p> - -<p>À Custrin, le général Fournier d'Albe, ayant à peine un millier de -Français au milieu de 3 mille Suisses, Wurtembergeois, Croates, qu'il -maintenait avec une grande énergie, tenait bon contre tous les efforts -de l'ennemi. Quoique sa garnison souffrît cruellement du scorbut, il -n'annonçait pas la moindre disposition à se rendre.</p> - -<p>À Glogau, le général Laplane, après un premier siége glorieusement -soutenu au printemps, en soutenait <span class="pagenum"><a id="page677" name="page677"></a>(p. 677)</span> un second avec la même -énergie. Ayant 8 mille hommes, des vivres, des ouvrages assez bien -armés, il avait jusqu'ici repoussé toutes les attaques. Mais ces -braves gens de Stettin, Custrin, Glogau, sans espoir ni de rejoindre -l'armée française, ni de voir l'armée française venir à eux, se -défendaient pour soutenir l'honneur du drapeau. -<span class="sidenote" title="En marge">Mémorable défense de Dantzig.</span> -Ce qui était vrai -d'eux, l'était bien plus encore, s'il est possible, de l'immortelle -garnison de Dantzig, qui, bloquée sans interruption depuis le mois de -janvier, n'avait reçu qu'une fois des nouvelles de France, et n'avait -vécu que de son courage et de son industrie. En se retirant dans la -place en décembre 1812, à la suite de la retraite de Russie, le -général Rapp, gouverneur et défenseur de Dantzig, s'y était enfermé -avec environ 36 mille hommes et quelques mille malades. Cette -garnison, mélange de troupes de toute espèce, en plus grande partie de -troupes françaises et polonaises, avait rapporté avec elle un autre -fléau que celui qui dévorait Torgau et Mayence, mais non moins -funeste, c'était la <em>fièvre de congélation</em>, née du froid, tandis que -la fièvre d'hôpital était née de l'humidité et du mauvais air. Cette -fièvre qui avait emporté les généraux Éblé et Lariboisière, avait -réduit la garnison de près de 4 mille hommes. Néanmoins les troupes -qui restaient étaient belles, bien commandées, mais insuffisantes pour -les immenses ouvrages de Dantzig, qui consistaient dans la place -elle-même, dans un camp retranché, et dans la citadelle de -Weichselmunde située à l'embouchure de la Vistule. À peine entré dans -la place, qui n'était pas encore armée, Rapp s'était trouvé d'abord -dans un <span class="pagenum"><a id="page678" name="page678"></a>(p. 678)</span> extrême embarras. En effet, les eaux de la Vistule -qui entourent tous les ouvrages de Dantzig et en forment la principale -défense, étant gelées, on courait le danger de voir les soldats russes -du corps de Barclay de Tolly passer les fossés et les inondations sur -la glace, et prendre Dantzig à l'escalade. Il avait donc fallu rompre -sur cinq lieues de pourtour une glace de deux à trois pieds -d'épaisseur, hisser l'artillerie sur les remparts, et tenir tête à un -ennemi hardi, enivré de ses triomphes inespérés, et pressé de -s'emparer de Dantzig, parce qu'il craignait de revoir Napoléon sur la -Vistule, autant que Napoléon lui-même l'espérait. La garnison après -avoir pourvu à tous les travaux préparatoires de la défense, avait -repoussé l'ennemi au loin, et l'avait culbuté partout où il s'était -présenté. Puis elle avait songé à se procurer des vivres, par des -fourrages dans l'île de Nogat. Des grains, des viandes salées, des -spiritueux, des munitions de guerre, elle en possédait une grande -quantité, car elle avait hérité des approvisionnements accumulés pour -la campagne de Russie, et restés en magasin faute de moyens de -transport. Mais la viande fraîche et les fourrages lui manquaient. -Elle les avait trouvés dans les îles de la Vistule, grâce à la -hardiesse de ses excursions. Elle avait ainsi employé le temps de -l'hiver à se faire redouter, et à désespérer l'ennemi, qui ne se -flattait plus d'en venir à bout par une attaque en règle.</p> - -<p>L'armistice signé, elle n'avait pas reçu plus d'un cinquième des -vivres qu'on lui aurait dus, mais elle avait recommencé ses -excursions dans les îles de la <span class="pagenum"><a id="page679" name="page679"></a>(p. 679)</span> Vistule, et mis la dernière -main aux ouvrages qui n'étaient pas encore achevés. À la reprise des -hostilités elle était reposée, bien retranchée et résolue. Il restait -à cette époque environ 25 mille hommes en état de porter les armes, et -de résister aux fatigues d'un siége.</p> - -<p>Les ouvrages extérieurs avaient été vaillamment disputés, et à la fin -perdus, comme il arrive dans toute place, même la mieux défendue. Mais -secondé par d'habiles officiers du génie, le général Rapp avait élevé -quelques redoutes bien situées et bien armées, lesquelles prenant à -revers les tranchées de l'ennemi, les lui avaient rendues -inhabitables.</p> - -<p>C'est autour de ces redoutes qu'on avait de part et d'autre déployé le -plus grand courage, soit pour les défendre, soit pour les attaquer. -L'ennemi désespérant de s'en rendre maître, avait imaginé là comme -ailleurs de recourir à l'affreux moyen du bombardement. Les munitions -et les bouches à feu ne manquant pas, grâce à la mer qui permettait -aux Anglais de les apporter en abondance, on avait dressé contre -Dantzig la plus formidable artillerie qui eût jamais été dirigée -contre une place assiégée. De plus une centaine de chaloupes -canonnières anglaises étaient venues joindre leur feu à celui des -batteries de terre. Tout le mois d'octobre avait été employé sans -relâche et sans pitié au plus abominable bombardement qui se fut -encore vu dans les sanglantes annales du siècle. -<span class="sidenote" title="En marge">Bombardement de Dantzig, héroïquement supporté.</span> -Nos soldats habitués -à des canonnades comme celle de la Moskowa, et méprisant la chance -presque nulle à leurs yeux d'un éclat de bombe dans une ville -spacieuse, ne <span class="pagenum"><a id="page680" name="page680"></a>(p. 680)</span> s'inquiétaient pas plus de ce genre d'attaque -que d'une fusillade hors de portée, et se bornaient à prendre pitié -des habitants inoffensifs, et beaucoup plus exposés qu'eux à la pluie -de feu qui tombait sur leur ville. Les assiégeants avaient fait un -abominable calcul, celui de nous embarrasser beaucoup en mettant le -feu aux amas de bois que contenait Dantzig. Le 1<sup>er</sup> novembre en -effet le feu avait pris aux chantiers de Dantzig, et un incendie -effroyable s'était allumé. Les habitants éperdus s'étaient enfuis ou -cachés dans leurs caves, n'osant pas aller éteindre l'incendie sous -les éclats des bombes. Nos soldats l'avaient essayé pour eux, et n'y -avaient réussi que lorsque déjà ces vastes dépôts de bois étaient aux -trois quarts consumés. D'immenses tourbillons de flammes ne cessaient -de s'élever au-dessus de l'infortunée ville de Dantzig, au milieu du -roulement d'un tonnerre continuel, sans que nos soldats parussent -disposés à se rendre. Rapp ne cherchant pas à deviner ce que -deviendrait cette guerre à la suite du désastre de Leipzig, croyant -qu'il y avait des prodiges dont il ne fallait jamais désespérer avec -Napoléon, s'en tenait à ses instructions, qui lui enjoignaient de ne -livrer Dantzig que sur un ordre écrit et signé de la main impériale. -En conséquence, ayant encore 18 mille hommes pour se défendre, -quelques bœufs de la Nogat pour se nourrir, il laissait tirer les -Anglais, brûler les bois de Dantzig, et attendait pour se rendre que -l'ordre de Napoléon arrivât, ou que la France fût détruite, ou que -l'ennemi fût entré par la brèche. Modlin et Zamosc après avoir fait -leur devoir <span class="pagenum"><a id="page681" name="page681"></a>(p. 681)</span> avaient capitulé. Les garnisons polonaises -avaient été conduites en captivité.</p> - -<p>Voilà comment sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule, vivaient ou mouraient -les 190 mille soldats laissés si loin du Rhin qu'ils auraient pu -rendre invincible! Voilà comment s'était terminée cette campagne de -1813, qui était destinée à réparer les désastres de la campagne de -1812, et qui les aurait réparés en effet, si Napoléon avait su borner -ses désirs.</p> - -<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractères de la campagne de 1813 en Saxe.</span> -Cette grande et terrible campagne, sans égale jusqu'ici dans -l'histoire des siècles, par l'immensité de la lutte, par la variété -des péripéties et des combinaisons, par l'horrible effusion du sang -humain, est marquée en ce qui concerne Napoléon d'un trait particulier -et significatif, que nous avons déjà signalé, c'est d'avoir achevé de -tout perdre, en voulant regagner d'un seul coup tout ce qu'il avait -perdu. Avec la seule volonté d'arrêter l'ennemi dans son essor -victorieux, de rétablir le prestige de nos armes, et ce résultat -obtenu de transiger sur des bases qui laissaient la France encore plus -grande qu'il ne fallait, Napoléon aurait infailliblement triomphé. -<span class="sidenote" title="En marge">Causes qui firent échouer toutes les combinaisons de -Napoléon dans cette campagne.</span> -Effectivement si après Lutzen et Bautzen, ses armes étant redevenues -victorieuses par son génie et la bravoure inexpérimentée de ses jeunes -soldats, il avait poussé les Russes et les Prussiens jusqu'à la -Vistule, sans accepter l'armistice de Pleiswitz, il les aurait séparés -des Autrichiens, et très-certainement il eût mis la coalition dans une -complète déroute. Mais pour le faire impunément, il aurait fallu être -prêt à donner une réponse satisfaisante à l'Autriche qui le pressait -de s'expliquer tout de suite <span class="pagenum"><a id="page682" name="page682"></a>(p. 682)</span> sur les conditions de la paix! -Quelque long qu'ait été ce tragique récit, on se rappelle, hélas! pour -quel motif Napoléon s'arrêta: ce fut, avons-nous dit, pour préparer -une armée contre l'Autriche, et être en mesure de ne pas subir ses -conditions, même les plus modérées. Pour ce triste motif il s'arrêta, -et il laissa volontairement la Russie et la Prusse à portée de -l'Autriche, en mesure de lui tendre la main, et de s'unir à elle.</p> - -<p>Pendant ce funeste armistice, on a vu encore combien il eût été facile -à Napoléon, en sacrifiant le duché de Varsovie qui ne pouvait pas -survivre à la campagne de Russie, en renonçant au protectorat du Rhin -qui n'était qu'un inutile outrage à l'Allemagne, en restituant enfin -les villes anséatiques que nous ne pouvions ni défendre ni faire -servir avantageusement à notre commerce, on a vu combien il lui eût -été facile de garder le Piémont, la Toscane, Rome en départements -français, la Westphalie, la Lombardie, Naples, en royaumes vassaux du -grand empire! Hambourg, possession impossible pour nous, le -protectorat du Rhin, titre vain s'il en fut, furent les causes d'une -rupture insensée. Pourtant la résolution de continuer la guerre étant -prise, c'était le cas de profiter de l'armistice pour retirer de -Zamosc, de Modlin, de Dantzig, de Stettin, de Custrin, de Glogau, les -60 mille hommes que nous n'avions plus aucune raison politique ni -militaire d'y laisser, puisque l'Elbe devenait le siége de nos -opérations, et leur limite autant que leur appui. Napoléon cette fois -encore, par le désir et l'espérance d'être reporté par une seule -victoire sur <span class="pagenum"><a id="page683" name="page683"></a>(p. 683)</span> l'Oder et la Vistule, persista dans ce -déplorable sacrifice, qui devait en entraîner bien d'autres! Afin de -pouvoir donner la main à ses garnisons, il étendit le cercle de cette -guerre concentrique, qui lui avait jadis si bien réussi sur l'Adige en -la resserrant autour de Vérone, il l'étendit à quarante lieues du côté -de Goldberg, à cinquante du côté de Berlin, remporta la belle victoire -de Dresde, mais au moment d'en recueillir le fruit à Kulm, fut rappelé -par les désastres de ses lieutenants laissés trop loin de lui, voulut -courir à eux, arriva trop tard, s'épuisa deux mois en courses -inutiles, vit disparaître le prestige des victoires de Lutzen, de -Bautzen et de Dresde, n'eut bientôt plus autour de lui que des soldats -exténués, des généraux déconcertés, des ennemis exaltés par des -triomphes inattendus, et enfin tandis qu'une simple retraite sur -Leipzig en y amenant tout ce qui restait sur l'Elbe, l'eût sauvé -encore une fois, sans éclat mais avec certitude, il essaya, voulant -toujours rétablir ses affaires par un coup éclatant, il essaya sur -Düben des manœuvres savantes, d'une conception admirable, péchant -malheureusement par les moyens d'exécution qui ne répondaient plus à -l'audace des entreprises, se trouva comme pris lui-même au piége de -ses propres combinaisons, et succomba dans les champs de Leipzig, -après la plus terrible bataille connue, bataille où périrent, chose -horrible à dire, plus de cent vingt mille hommes, puis rentra sur le -Rhin avec 40 mille hommes armés, 60 mille désarmés, laissant sur la -Vistule, l'Oder, l'Elbe, 170 mille Français condamnés à défendre sans -profit des murailles étrangères, tandis <span class="pagenum"><a id="page684" name="page684"></a>(p. 684)</span> que les murailles de -leur patrie n'avaient pour les défendre que des bras impuissants de -jeunesse ou de vieillesse!</p> - -<p>Certes, nous le répéterons, Napoléon ne fut, dans ces jours funestes, -ni moins fécond en vastes combinaisons, ni moins énergique, ni moins -imperturbable dans le danger, mais il fut toujours l'ambitieux dont -les insatiables désirs troublaient et pervertissaient l'immense génie. -En 1812, pour avoir entrepris l'impossible, il essuya un revers -éclatant. En 1813, pour ne pas se borner à réparer ce revers, mais -pour vouloir l'effacer en entier et tout d'un coup, il s'en prépara un -aussi éclatant et plus irréparable, parce que ce dernier emportait -jusqu'à l'espérance. Ainsi un premier revers pour avoir voulu dépasser -le terme du possible, un second pour vouloir réparer entièrement le -premier, tels étaient les échelons successifs par lesquels il -descendait dans l'abîme! Il ne lui en fallait plus qu'un seul pour -arriver au fond. Napoléon s'arrêterait-il sur cette pente fatale? Les -coalisés immobiles depuis qu'ils étaient parvenus au bord du Rhin, -tremblant à l'idée de franchir cette limite redoutable, étaient -résolus à lui offrir la France, la vraie France, celle qu'enferment et -protégent si puissamment le Rhin et les Alpes, celle que la révolution -lui avait léguée, et dont après Marengo et Hohenlinden il s'était -contenté. S'en contenterait-il en 1814? Telle était la dernière -question que le sphinx de la destinée allait proposer à son orgueil. -Suivant la réponse qu'il ferait, il devait finir sur le plus grand des -trônes, ou dans le plus profond des abîmes. Oublions un moment cette -histoire <span class="pagenum"><a id="page685" name="page685"></a>(p. 685)</span> de 1814 et de 1815, que nous connaissons tous, de -manière à ne pouvoir l'oublier; effaçons de notre mémoire le bruit que -fit à nos oreilles, jeunes alors, la chute de ce trône glorieux, -plaçons-nous au mois de décembre 1813, tâchons d'ignorer ce qui se -passa en 1814, et posons-nous la question qui allait être posée à -Napoléon. Eh bien, lequel de nous, après avoir lu le récit des -campagnes de Russie et de Saxe, lequel de nous peut douter de la -réponse? -<span class="sidenote" title="En marge">Le caractère des hommes, est la cause principale de leur -destinée.</span> -Hélas! les hommes portent dans leur caractère une destinée -qu'ils cherchent autour d'eux, au-dessus d'eux, partout en un mot, -excepté en eux-mêmes, où elle réside véritablement, laquelle, suivant -qu'ils cèdent à leurs passions ou à leur raison, les perd ou les -sauve, quoi qu'ils puissent faire, quelque génie qu'ils puissent -déployer! Et lorsqu'ils se sont perdus, ils s'en prennent à leurs -soldats, à leurs généraux, à leurs alliés, aux hommes, aux dieux, et -se disent trahis par tous, quand ils l'ont été par eux seuls!</p> - -<p class="p2 center">FIN DU LIVRE CINQUANTIÈME<br /> - ET DU TOME SEIZIÈME.</p> -</div> - - -<div class="chapter"> -<h2><span class="pagenum"><a id="page687" name="page687"></a>(p. 687)</span> TABLE DES MATIÈRES<br /> -CONTENUES<br /> -DANS LE TOME SEIZIÈME.</h2> - -<div class="toc"> -<p class="center">LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.</p> - -<p class="center">DRESDE ET VITTORIA.</p> - -<p>Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa rencontre -avec M. de Bubna. — Ses dispositions pour le campement, le bien-être et -la sûreté de ses troupes pendant la durée de l'armistice. — Son retour -à Dresde et son établissement dans le palais Marcolini. — À peine -est-il arrivé que M. de Bubna présente une note pour déclarer que la -médiation de l'Autriche étant acceptée par les puissances -belligérantes, la France est priée de nommer ses plénipotentiaires, et -de faire connaître ses intentions. — En réponse à cette note, Napoléon -élève des difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et -évite de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de -venir à Dresde. — Conduite du cabinet autrichien en recevant cette -réponse. — M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés pour -convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation. — Il -obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et repart après -avoir acquis la connaissance précise des intentions des alliés. — Comme -l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en apprenant cette entrevue, -veut le voir, et l'invite à se rendre à Dresde. — Arrivée de M. de -Metternich dans cette ville le 25 juin. — Discussions préalables avec -M. de Bassano sur la médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière -de la concilier avec le traité d'alliance. — Entrevue avec -Napoléon. — Entretien orageux et célèbre. — Napoléon, regrettant les -emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de Bassano -de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. — Nouvelle entrevue -dans laquelle Napoléon, déployant autant de souplesse qu'il avait -d'abord montré de violence, consent à la médiation, mais en arrachant -à M. de Metternich une prolongation d'armistice jusqu'au 17 août, -seule chose à laquelle il tînt, dans l'intérêt de ses préparatifs -militaires. — Acceptation <span class="pagenum"><a id="page688" name="page688"></a>(p. 688)</span> formelle de la médiation -autrichienne, et assignation du 5 juillet pour la réunion des -plénipotentiaires à Prague. — Retour de M. de Metternich à Gitschin -auprès de l'empereur François. — La nécessité de s'entendre avec la -Prusse et la Russie sur la prolongation de l'armistice et sur l'envoi -des plénipotentiaires à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord -jusqu'au 8, puis jusqu'au 12 juillet. — Napoléon, auquel ces délais -convenaient, s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait -naître de nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. — Son départ le -10 juillet. — Il apprend en route les événements d'Espagne. — Ce qui -s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été expulsés -de la Castille, et que les armées du centre, d'Andalousie et de -Portugal avaient été réunies. — Projets de lord Wellington pour la -campagne de 1813. — Il se propose de marcher sur la Vieille-Castille -avec 70 mille Anglo-Portugais et 20 mille Espagnols. — Projets des -Français. — Possibilité en opérant bien de tenir tête aux Anglais, et -de les rejeter même en Portugal. — Nouveaux conflits entre l'autorité -de Paris et celle de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la -suite. — Il résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à -évacuer Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. — Reprise -des opérations en mai 1813. — Quatre divisions de l'armée de Portugal -ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la Péninsule, -Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre lord Wellington, -n'en a que 52 mille à lui opposer. — Retraite sur Valladolid et -Burgos. — Le manque de vivres précipite notre marche rétrograde. — Deux -opinions dans l'armée, l'une consistant à se retirer sur la Navarre -afin d'être plus sûr de rejoindre le général Clausel, l'autre -consistant à se tenir toujours sur la grande route de Bayonne afin de -couvrir la frontière de France. — Les ordres réitérés de Paris font -incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. — Nombreux avis -expédiés au général Clausel pour l'engager à se réunir à l'armée entre -Burgos et Vittoria. — Retraite sur Miranda del Ebro et sur -Vittoria. — Espérance d'y rallier le général Clausel. — Malheureuse -inaction de Joseph et de Jourdan dans les journées du 19 et du 20 -juin. — Funeste bataille de Vittoria le 21 juin, et ruine complète des -affaires des Français en Espagne. — À qui peut-on imputer ces -déplorables événements? — Irritation violente de Napoléon contre son -frère Joseph, et ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. — Envoi -du maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre -l'offensive. — Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion de -quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à -Leipzig. — Suite des négociations de Prague. — MM. de Humboldt et -d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au congrès -de Prague. — Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à Prague, se -plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les plénipotentiaires -français au jour convenu. — Chagrin et doléances de M. de -Metternich. — Napoléon, revenu le 15 à Dresde, après avoir différé sous -divers prétextes la nomination des plénipotentiaires français, désigne -enfin MM. de Narbonne et de Caulaincourt. — Une fausse interprétation -<span class="pagenum"><a id="page689" name="page689"></a>(p. 689)</span> donnée à la convention qui prolonge l'armistice lui fournit -un nouveau prétexte pour ajourner le départ de M. de -Caulaincourt. — Son espérance en gagnant du temps est de faire remettre -au 1<sup>er</sup> septembre la reprise des hostilités. — Redoublement de -plaintes de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de -Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 août -pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la reprise des -hostilités. — La difficulté soulevée au sujet de l'armistice étant -levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec des instructions qui -soulèvent des questions de forme presque insolubles. — Pendant ce temps -il quitte Dresde le 25 juillet pour aller voir l'Impératrice à -Mayence. — Finances et police de l'Empire durant la guerre de Saxe; -affaires des séminaires de Tournay et de Gand, et du jury -d'Anvers. — Retour de Napoléon à Dresde le 4 août, après avoir passé la -revue des nouveaux corps qui se rendent en Saxe. — Vaines difficultés -de forme au moyen desquelles on a même empêché la constitution du -congrès de Prague. — M. de Metternich déclare une dernière fois que si -le 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées, -l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la -coalition. — Pensée véritable de Napoléon dans ce moment décisif. — Ne -se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse de reprendre les -hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant une négociation -sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en action de celle-ci. — Il -entame effectivement avec l'Autriche une négociation secrète qui doit -être conduite par M. de Caulaincourt et ignorée de M. de -Narbonne. — Ouverture de M. de Caulaincourt à M. de Metternich le 6 -août, quatre jours avant l'expiration de l'armistice. — Surprise de M. -de Metternich. — Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration -authentique des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur -François. — Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon. — Nobles -efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à accepter la paix -qu'on lui offre. — Contre-proposition de celui-ci, envoyée seulement le -10, et jugée inacceptable par l'Autriche. — Le 10 août s'étant passé -sans l'adoption des bases proposées, l'Autriche déclare le congrès de -Prague dissous avant qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à -la coalition. — Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais -inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à -Prague. — L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en -Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au nom des -souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon -inacceptables. — Retour et noble affliction de M. de -Caulaincourt. — Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. — Sa confiance -et ses projets. — Profondeur de ses conceptions pour la seconde partie -de la campagne de 1813. — Il prend le cours de l'Elbe pour ligne de -défense, et se propose de manœuvrer concentriquement autour de -Dresde, afin de battre successivement toutes les masses ennemies qui -voudront l'attaquer de front, de flanc ou par derrière. — Projets de la -coalition et forces immenses mises en présence dans cette guerre -gigantesque. — L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la -première <span class="pagenum"><a id="page690" name="page690"></a>(p. 690)</span> en mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter -sur la Katzbach. — Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels -Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. — Napoléon -apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée des coalisés sur -les derrières de Dresde. — Son retour précipité sur Dresde. — Il -s'arrête à Stolpen, et forme le projet de déboucher par Kœnigstein, -afin de prendre l'armée coalisée à revers, et de la jeter dans -l'Elbe. — Les terreurs des habitants de Dresde et les hésitations du -maréchal Saint-Cyr en cette circonstance détournent Napoléon de la -plus belle et de la plus féconde de ses conceptions. — Son retour à -Dresde le 26, et inutile attaque de cette ville par les -coalisés. — Célèbre bataille de Dresde livrée le 27 août. — Défaite -complète de l'armée coalisée et mort de Moreau. — Position du général -Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. — Nouveau et vaste -projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations autour de -Dresde. — Désastre du général Vandamme à Kulm amené par le plus -singulier concours de circonstances. — Conséquences de ce -désastre. — Retour de confiance chez les coalisés et aggravation de la -situation de Napoléon, dont les dernières victoires se trouvent -annulées. — Sa situation au 30 août 1813. -<span class="ralign"><a href="#page1">1 à 362</a></span></p> - - -<p class="p2 center">LIVRE CINQUANTIÈME.</p> - -<p class="center">LEIPZIG ET HANAU.</p> - -<p>Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin pendant -les opérations des armées belligérantes autour de Dresde. — Forces et -instructions laissées au maréchal Macdonald lorsque Napoléon était -revenu du Bober sur l'Elbe. — Pressé d'exécuter ses instructions et -craignant de perdre les avantages de l'offensive, ce maréchal avait -mis ses trois corps en mouvement le 26 août. — Le général Blucher -s'était jeté sur la division Charpentier et la cavalerie Sébastiani, -et les avait culbutées du plateau de Janowitz. — Cet accident avait -entraîné la retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de -plusieurs jours avait rendue presque désastreuse. — Prise et -destruction de la division Puthod. — Le maréchal Macdonald réduit de 70 -mille hommes à 50 mille. — Son mouvement rétrograde sur le -Bober. — Événements du côté de Berlin. — Marche du maréchal Oudinot à la -tête des 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. — Composition et force de ces -corps. — Armée du prince royal de Suède. — Arrivée devant -Trebbin. — Premières positions de l'ennemi enlevées dans les journées -des 21 et 22 août. — Isolement des trois corps français dans la journée -du 23, et combat malheureux du 7<sup>e</sup> corps à Gross-Beeren. — Retraite du -maréchal Oudinot sur Wittenberg. — Beaucoup de soldats se débandent, -surtout parmi les alliés. — C'est la connaissance de ces graves échecs -qui le 28 août avait ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait -détourné son attention de Kulm. — Ne sachant pas encore ce qui était -arrivé à Vandamme, il avait <span class="pagenum"><a id="page691" name="page691"></a>(p. 691)</span> formé le projet de déplacer le -théâtre de la guerre et de la transporter dans le nord de -l'Allemagne. — Vastes conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. — À la -nouvelle du désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses -vues, réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement au -comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal -Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur Wittenberg, -et se propose de s'établir avec ses réserves à Hoyerswerda, afin de -pousser d'un côté le maréchal Ney sur Berlin, et de prendre de l'autre -une position menaçante sur le flanc du général Blucher. — Départ de la -garde pour Hoyerswerda. — Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui -détournent encore Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et -l'obligent à se porter tout de suite sur Bautzen. — Arrivée de Napoléon -à Bautzen le 4 septembre. — Prompte retraite de Blucher dans les -journées des 4 et 5 septembre. — À peine Napoléon a-t-il rétabli le -maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de l'armée -de Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à Dresde. — Son -entrevue aux avant-postes avec le maréchal Saint-Cyr dans la journée -du 7. — Projet pour le lendemain 8 septembre. — Dans cet intervalle, -Napoléon apprend un nouveau malheur arrivé sur la route de Berlin. — Le -maréchal Ney ayant reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait -dans la journée du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi, -avec les 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. — Ce mouvement, qui avait réussi le 5, -ne réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de -Dennewitz. — Retraite le 7 septembre sur Torgau. — Débandade d'une -partie des Saxons. — Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais -commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. — Avis indirect, -donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre de la guerre -pour l'armement et l'approvisionnement des places du -Rhin. — Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal Saint-Cyr, -Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les Prussiens et les -Russes, afin de les rejeter en Bohême. — Sur l'avis du maréchal -Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille route de Bohême, celle de -Furstenwalde, par laquelle on a l'espérance de tourner -l'ennemi. — L'impossibilité de faire passer l'artillerie par le -Geyersberg empêche d'achever le mouvement projeté. — Ignorant qu'en ce -moment les Autrichiens sont séparés des Prussiens et des Russes, et -pressé de réparer les échecs de ses lieutenants, Napoléon s'arrête et -revient à Dresde. — Évidence du plan des coalisés, consistant à courir -sur les armées françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se -retirer dès qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour -l'envelopper ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment -affaibli. — Déplorable réalisation de ces vues. — Les forces de Napoléon -réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur l'Elbe à 250 -mille. — En considération de cet état de choses, Napoléon resserre le -cercle de ses opérations, ramène Macdonald avec les 8<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup>, 11<sup>e</sup>, -3<sup>e</sup> corps près de Dresde, établit le comte de Lobau et le maréchal -Saint-Cyr au camp de Pirna, derrière de bons ouvrages de campagne, -afin que l'ennemi ne puisse plus se faire un jeu de ses apparitions -sur la route de <span class="pagenum"><a id="page692" name="page692"></a>(p. 692)</span> Péterswalde, envoie un fort détachement de -cavalerie sur ses derrières pour disperser les troupes de partisans, -réorganise le corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et -Murat à Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements, -et se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus -être mis en mouvement par de vaines démonstrations de -l'ennemi. — Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur -Péterswalde. — Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et Dohna, -n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore une fois -sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en Bohême. — Prompte -retraite des coalisés. — Retour de Napoléon à Pirna, et ses soins pour -bien asseoir sa position, afin de ne plus s'épuiser en courses -inutiles. — Sa résolution de s'établir sur l'Elbe, de Dresde à -Hambourg, pour la durée de l'hiver. — Projets de l'ennemi. — Napoléon -étant partout resserré sur l'Elbe, et la saison avançant, les -souverains coalisés songent à mener la guerre à fin par une tentative -décisive sur les derrières de notre position. — Blucher fait prévaloir -l'idée d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et, -après avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire -descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre Bernadotte, -passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et remonter sur -Leipzig avec les armées du Nord et de Silésie. — Premiers mouvements en -exécution de ce dessein. — Napoléon découvre sur-le-champ l'intention -de ses adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche -de l'Elbe. — Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald avec -le 11<sup>e</sup> corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par Leipzig, -l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer Ney; il envoie -Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à Leipzig pour -soutenir Victor contre l'armée de Bohême. — Attente de quelques jours -pour laisser dessiner plus clairement les projets de -l'ennemi. — Blucher s'étant dérobé pour se joindre à Bernadotte et -passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde le 7 octobre avec -la garde et Macdonald, et descend sur Wittenberg dans le dessein de -battre Blucher et Bernadotte d'abord, et puis de se reporter sur la -grande armée de Bohême. — Belle et profonde conception de Napoléon -tendant à refouler Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre -ensuite Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour -repasser ce fleuve à Torgau ou à Dresde. — Mouvement prononcé de -Blucher et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de -Napoléon. — Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous sur -Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer entre eux, -et empêcher leur jonction. — Retour de la grande armée française sur -Leipzig. — Terrible bataille, la plus grande du siècle et probablement -des siècles, livrée pendant trois jours sous les murs de -Leipzig. — Retraite de Napoléon sur Lutzen. — Explosion du pont de -Leipzig, qui amène la destruction ou la captivité d'une partie de -l'armée française. — Mort de Poniatowski. — Marche sur -Erfurt. — Défection de la Bavière et arrivée de l'armée -austro-bavaroise dans les environs de Hanau. — Mouvement accéléré de -l'armée française <span class="pagenum"><a id="page693" name="page693"></a>(p. 693)</span> et bataille de Hanau. — Humiliation de -l'armée austro-bavaroise. — Rentrée des Français sur le Rhin. — Leur -état déplorable en arrivant à Mayence. — Opérations du maréchal -Saint-Cyr sur l'Elbe. — Triste capitulation de Dresde. — Situation, -forces, conduite héroïque, et malheurs des garnisons françaises, -inutilement laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. — Caractère de -la campagne de 1813. — Effrayants présages qu'on en peut tirer. -<span class="ralign"><a href="#page363">363 à 685</a></span></p> - -<p class="p2 center">FIN DE LA TABLE DU SEIZIÈME VOLUME.</p> -</div> -</div> - -<div class="chapter"> -<h2>Notes</h2> - -<p><a id="footnote1" name="footnote1"></a> -<b><a href="#footnotetag1">1</a></b>: Cette célèbre entrevue est de toutes celles où Napoléon a -figuré personnellement, la plus difficile à reproduire, faute de -documents suffisants. Pour les autres entretiens de Napoléon rapportés -précédemment dans cette histoire, il existait des documents nombreux, -soit dans nos archives diplomatiques, soit dans les archives -diplomatiques étrangères; pour celui dont il s'agit ici au contraire, -Napoléon n'ayant rien adressé à ses agents extérieurs, on manque de -l'un des moyens d'information les plus certains. Il se contenta d'en -parler à M. de Bassano, qui plus tard fut l'auteur des diverses -versions publiées par des écrivains avec lesquels il était lié. Cet -entretien mémorable serait donc à peu près perdu, si M. de Metternich -n'en avait écrit lui-même, avec le plus grand détail, et en temps -utile, toutes les particularités. Ayant obtenu de son obligeance la -communication de ce récit, qui m'a paru trop sévère pour Napoléon, -mais généralement exact, j'ai conservé dans ce qu'on vient de lire -tout ce qui m'a semblé incontestable, d'après la connaissance que -j'avais des négociations du moment, et d'après les autres récits -publiés par les écrivains auxquels M. de Bassano avait communiqué ses -souvenirs. Je n'ai, comme dans toutes les occasions semblables, -conservé que ce que j'ai considéré comme à l'abri de toute -contestation. Ce qui est incontestable me paraissait d'ailleurs -suffisant pour donner de cette scène historique une idée qui fût à la -fois exacte et complète.</p> - -<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a> -<b><a href="#footnotetag2">2</a></b>: Nous nous permettons d'indiquer ces mesures comme celles -qu'on aurait dû prendre, parce qu'on a généralement reproché depuis à -Joseph et au maréchal Jourdan de ne les avoir pas prises, et que le -simple bon sens suffit d'ailleurs pour en apprécier la convenance et -la nécessité.</p> - -<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a> -<b><a href="#footnotetag3">3</a></b>: Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprimés récemment -avec ceux du roi Joseph, on trouve des chiffres un peu différents, -mais le maréchal, quoique toujours extrêmement véridique, a trop -réduit les forces des Français pour atténuer la défaite de la bataille -de Vittoria. Après des calculs qu'il serait trop long de reproduire, -nous sommes arrivé à croire plus exacts, du moins plus rapprochés de -la vérité, les chiffres que nous présentons ici. Du reste la -différence n'est que de 4 à 5 mille hommes. Nous devons ajouter que le -maréchal Jourdan a tout à fait raison contre les chiffres allégués par -le ministre de la guerre, lesquels sont entièrement faux.</p> - -<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a> -<b><a href="#footnotetag4">4</a></b>: Pour quiconque aurait de la peine à croire qu'on ait -cherché à rendre aussi illusoires que nous le disons les négociations -de Prague, nous donnerons l'extrait suivant d'une lettre de M. de -Bassano à l'Empereur, datée de Dresde, 1<sup>er</sup> août 1813, à quatre -heures du matin.</p> - -<p>«Je transmets à Votre Majesté les dépêches de ses plénipotentiaires.</p> - -<p>»J'ai cru devoir leur répondre sans attendre les ordres de Votre -Majesté. Nous sommes au 1<sup>er</sup> août; ma lettre ne partira que ce -matin, les plénipotentiaires ne la recevront que demain, et il se sera -écoulé assez de temps pour que, conformément aux instructions que -Votre Majesté m'a laissées, on arrive au 10 août sans s'être trop -engagé. Il m'a d'autant moins paru dans l'intention de Votre Majesté -de porter trop loin les discussions de forme <cite>qui mettraient à -découvert le projet de gagner du temps</cite>, que nous parviendrons tout -naturellement au moment du retour de Votre Majesté à Dresde sans que -la négociation ait fait des progrès réels, et qu'aucune question ait -été compromise. À peine celle de l'approvisionnement des places -aura-t-elle été entamée.</p> - -<p>»Des trois difficultés qui se sont élevées, celles relatives à -l'échange des pouvoirs et au lieu des conférences se résoudront -d'elles-mêmes.</p> - -<p>»Quant au mode à adopter (à partir de ce mot la minute est écrite de -la main du duc de Bassano) pour négocier, j'ai cru que nous ne -pouvions différer pendant plusieurs jours de répondre, sans prendre -sur nous ces retards, tandis que de fait, et si M. de Metternich -insiste sur une proposition qui attente à tous les droits et à tous -les usages, les entraves apportées à la négociation ne pourront être -imputées qu'à lui.</p> - -<p>»Quoique les déclarations qu'il a faites à MM. de Vicence et de -Narbonne et à M. d'André n'aient peut-être pour objet que de rendre -plus imposante son attitude de médiateur, il pourrait entrer dans les -vues de Votre Majesté de donner dès le moment de son arrivée ici une -tournure assez grave aux négociations pour qu'on n'osât pas les -rompre. Dans cette supposition, j'ai pensé qu'il conviendrait à Votre -Majesté de trouver les discussions préliminaires à peu près -terminées.»</p> - -<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a> -<b><a href="#footnotetag5">5</a></b>: L'archichancelier Cambacérès, confident et directeur de -l'Impératrice régente, déclare dans ses Mémoires aussi simples que -véridiques, qu'il ne put parvenir à en rien savoir.</p> - -<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a> -<b><a href="#footnotetag6">6</a></b>: Voici de singulières paroles écrites par M. de Bassano à -M. de Vicence, et qui prouvent ce que nous avançons ici. «L'Empereur -part demain et ira coucher à Bautzen... Nous sommes ici dans l'attente -et dans la meilleure espérance des événements. Toute l'armée est en -mouvement. La confiance est partout. Le roi de Saxe et la famille -royale ne quittent pas Dresde..... Sa Majesté ne veut pas de -prolongation d'armistice, elle est prête à la guerre. Elle l'est plus -que l'Autriche. Elle n'a pas de motifs d'attendre pour ses -subsistances, et elle ne veut pas perdre un temps précieux et se -laisser engager dans l'hiver... (Dans ce moment en effet Napoléon -avait renoncé à une prolongation d'armistice, et ne voulait que -différer l'entrée en action de l'Autriche.).... M. de Bubna, qui sera -arrivé longtemps avant le courrier porteur de cette dépêche, connaît -notre position. <cite>La secrète joie qu'éprouve Sa Majesté de se trouver -dans une circonstance difficile, mais digne de son génie, n'a point -échappé à M. de Bubna...</cite> Sa Majesté, qui se fie à la Providence, -entrevoit les grands desseins qu'elle a fondés sur elle. Ses plans -sont arrêtés, et elle ne voit partout que des motifs de confiance.» -(Dépêche de M. de Bassano à M. le duc de Vicence en lui envoyant ses -pleins pouvoirs, à la date du 13 août 1813.)</p> - -<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a> -<b><a href="#footnotetag7">7</a></b>: Cette grave délibération de Napoléon avec lui-même se -trouve constatée par de longues notes qu'il a écrites sur son plan de -campagne, et dans lesquelles il a donné tous les motifs de ses -diverses résolutions, bien avant le résultat qui justifia les unes et -condamna les autres. Il n'y a donc pas ici une idée qui lui soit -faussement, ou même conjecturalement prêtée, puisque les intentions -que nous lui attribuons sont toutes formellement constatées par -écrit.</p> - -<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a> -<b><a href="#footnotetag8">8</a></b>: Ce n'est point sur des conjectures ni sur les -interprétations des amis du général Moreau, mais d'après les lettres -de ce général, trouvées depuis sa mort, que j'écris ces pages. La -faute du général Moreau fut assez grave pour qu'on ne l'exagère point, -et on doit à ses grands services d'autrefois, à son ancien -désintéressement, à sa gloire, de réduire à ce qu'il fut -véritablement, l'acte coupable qui a terni une des plus belles vies -des temps modernes. Les lettres que j'ai dans les mains, écrites avec -la plus parfaite simplicité, établissent ce que j'avance d'une manière -incontestable.</p> - -<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a> -<b><a href="#footnotetag9">9</a></b>: Le maréchal Saint-Cyr, avec son esprit ordinairement peu -indulgent, et le désir de justifier son rôle pendant la campagne de -1813, a inexactement représenté les événements de cette année dans ses -Mémoires d'ailleurs si remarquables. Il a voulu prouver partout que -Napoléon n'avait aucun plan, qu'il n'avait pourvu à rien, et qu'il -n'existait nulle part des forces suffisantes. Ainsi il suppose que sa -seconde division était au plus de 5 mille hommes, ce qui aurait fait -15 mille hommes pour les trois divisions chargées de la défense de -Dresde. Ces assertions sont inexactes, car les divisions du maréchal -étaient de douze bataillons, et en supposant que les bataillons qui ne -s'étaient pas encore battus comptassent 500 hommes seulement, les -douze bataillons auraient présenté 6 mille hommes. Or, la 42<sup>e</sup> -(première du corps de Saint-Cyr), sous le général Mouton-Duvernet, se -trouva le 29 au matin à Kulm avec plus de 8 mille hommes en bataille, -ce qui résulte d'un appel fait le jour même, et fourni par le général -Haxo dans son rapport circonstancié sur l'affaire de Kulm. Il n'est -donc pas admissible que les autres ne comptassent que 5 mille hommes. -Leur en attribuer 7 mille, surtout au début des opérations, ce qui -suppose à peu près 600 hommes par bataillon, n'est certainement pas -une exagération. Le maréchal Saint-Cyr aurait donc possédé, seulement -en infanterie de son corps, 21 ou 22 mille hommes à Dresde, sans -compter la division laissée à Kœnigstein.</p> - -<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a> -<b><a href="#footnotetag10">10</a></b>: Ces événements ont été jusqu'ici ou incomplétement ou -inexactement rapportés, et avec une flatterie ou un dénigrement -posthumes pour Napoléon, qui ont défiguré la vérité. Sa grande -conception, celle de déboucher par Kœnigstein, n'a jamais été bien -précisée, faute de connaître sa correspondance. C'est sur cette -correspondance, sur la lecture attentive des ordres et des réponses, -qu'est établi le récit qu'on va lire, et on peut compter sur sa -parfaite exactitude.</p> - -<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a> -<b><a href="#footnotetag11">11</a></b>: Le maréchal Saint-Cyr, avec sa sévérité accoutumée, a, -dans ses Mémoires, représenté Napoléon comme n'ayant aucun plan pour -le lendemain, tandis qu'il existe une suite de lettres (ignorées -évidemment du maréchal), datées du 26 août à 7 heures du soir, au -moment où finissait la première bataille, et dans lesquelles tous les -ordres pour le lendemain sont donnés avec la plus rare précision et la -plus parfaite prévoyance du résultat. Il ne faut donc jamais prononcer -sur ces grands événements qu'après avoir vu les documents eux-mêmes, -et non pas quelques-uns, mais tous s'il est possible. Sans cela on ne -porte que des jugements erronés, si bon juge qu'on soit, et si près -des événements qu'on ait pu être.</p> - -<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a> -<b><a href="#footnotetag12">12</a></b>: Les flatteurs de la mémoire de Napoléon, ignorant, parce -que sa correspondance leur est restée inconnue, les vrais motifs de -son subit retour à Dresde, et ne voulant pas non plus admettre qu'il -pût commettre une faute, ont attribué ce retour à une indisposition -subite. Les ordres nombreux donnés dans cette même journée du 28, et -dans celle du 29, prouvent que cette indisposition n'empêcha pas -Napoléon de vaquer à ses affaires, et des témoins oculaires, le -maréchal Marmont notamment, affirment qu'il n'était point malade. Nous -en rapportant plus volontiers aux documents authentiques qu'aux récits -presque toujours contradictoires des témoins oculaires, nous croyons -avoir acquis la preuve par les lettres mêmes de Napoléon, que cette -prétendue indisposition ne l'empêcha nullement de faire ce qu'il -devait, et nous nous sommes convaincu que le vrai motif de son retour -à Dresde, lequel devint si fatal deux jours après, ne fut autre que -les dépêches reçues des environs de Berlin et de Lowenberg. Les ordres -du 29 et du 30 ne laissent à cet égard aucun doute. Plus loin nous -démontrerons encore par l'exposé simple des faits que sur cette -importante époque on n'a publié que des erreurs, ce qui a rendu -jusqu'ici la catastrophe du général Vandamme tout à fait inexplicable. -Nous espérons qu'après le récit qui va suivre elle sera parfaitement -claire, et que ce grand malheur sera rapporté à sa vraie cause, -laquelle fut moins accidentelle et plus générale qu'on ne le suppose -communément.</p> - -<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a> -<b><a href="#footnotetag13">13</a></b>: Nous citons l'ordre lui-même qui éclaircit complétement -l'intention de l'Empereur.</p> - -<p class="date">«À une lieue de Pirna, le 28 août 1813, à quatre heures après midi.</p> - -<p>»M. le général Vandamme, l'Empereur ordonne que vous vous dirigiez sur -Péterswalde avec tout votre corps d'armée, la division Corbineau, la -42<sup>e</sup> division, enfin avec la brigade du 2<sup>e</sup> corps que commande le -général prince de Reuss: ce qui vous fera 18 bataillons -d'augmentation. Pirna sera gardée par les troupes du duc de Trévise, -qui arrive ce soir à Pirna. Le maréchal a aussi l'ordre de relever vos -postes du camp de Lilienstein. Le général Baltus avec votre batterie -de 12 et votre parc, arrive ce soir à Pirna, envoyez-le chercher. -L'Empereur désire que vous réunissiez toutes les forces qu'il met à -votre disposition, et qu'avec elles vous pénétriez en Bohême et -culbutiez le prince de Wurtemberg s'il voulait s'y opposer. L'ennemi -que nous avons battu paraît se diriger sur Annaberg. <cite>S. M. pense que -vous pourriez arriver avant lui sur la communication de Tetschen, -Aussig et Tœplitz, et par là prendre ses équipages, ses ambulances, -ses bagages, et enfin tout ce qui marche derrière une armée.</cite> -L'Empereur ordonne qu'on lève le pont de bateaux devant Pirna, afin de -pouvoir en jeter un à Tetschen.»</p> - -<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a> -<b><a href="#footnotetag14">14</a></b>: Quand il voulait se rendre bien compte de ses idées, -Napoléon les mettait sur le papier, sachant, comme tous les hommes qui -ont beaucoup pensé, que rédiger ses idées c'est les approfondir -davantage. Il avait donc dicté son projet dans une note admirable, -intitulée: <cite>Note sur la situation générale de mes affaires le 30 -août</cite>, assez semblable à celles qu'il écrivit à Moscou en octobre -1812, et révélant sa pensée tout entière au moment où Vandamme était à -Kulm. On voit dans cette note la vraie cause de la négligence qui -amena le malheur de Vandamme, surtout en la rapprochant des ordres -donnés le même jour à Murat et à Mortier, et on sent combien est -ridicule la fable de cette indisposition que certains narrateurs ont -inventée, et qu'ont accueillie avec empressement ceux qui ont le goût -de croire qu'en histoire les plus grands événements viennent des plus -petites causes, goût singulier et qui atteste une médiocre portée -d'esprit. Tant pis, en effet, pour ceux qui croient plus volontiers -aux petites causes qu'aux grandes!</p> - -<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a> -<b><a href="#footnotetag15">15</a></b>: L'historien russe Danilewski a voulu attribuer à -l'empereur Alexandre l'honneur d'une combinaison profonde, consistant -à faire descendre Kleist sur les derrières de Vandamme; mais M. de -Wolzogen, dans ses Mémoires aussi instructifs que spirituels, a -complétement démenti cette assertion, et il était mieux que personne -autorisé à le faire, puisqu'il était présent lorsque l'ordre que nous -mentionnons fut donné à M. de Schœler. Cet ordre se trouve donc -réduit aux proportions et au sens que nous lui prêtons ici.</p> - -<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a> -<b><a href="#footnotetag16">16</a></b>: Quoique je n'aie pas le goût d'adopter les jugements -malveillants que les contemporains portent les uns sur les autres, et -que je me défie en particulier de ceux du duc de Raguse, ordinairement -légers et rigoureux, il est impossible, quand on a bien étudié les -faits, lu les ordres et les correspondances, de ne pas reconnaître que -le jugement qu'il exprime en cette occasion sur la conduite du -maréchal Saint-Cyr est à peu près juste. C'est avec grand chagrin -qu'on trouve en faute un homme aussi distingué que le maréchal -Saint-Cyr, mais on doit la vérité à tout le monde, et il faut savoir -se résigner à la dire sur ce maréchal, lorsque dans cette histoire il -faut la dire sur des hommes tels que Moreau, Masséna et Napoléon.</p> - -<p>Le maréchal Marmont n'est pas le seul à juger comme il l'a fait la -conduite du maréchal Saint-Cyr en cette circonstance. Dans une -relation encore manuscrite, digne de celle qu'il a écrite sur 1812, M. -le général de Fezensac a porté en termes très-modérés, mais -très-positifs, le même jugement que le maréchal Marmont sur le rôle -qu'ont joué les divers acteurs de l'événement de Kulm. Effectivement -les faits sont tellement frappants, qu'il est impossible de les -interpréter de deux manières. Le général Vandamme ne périt pas pour -être allé trop loin, car, ainsi que nous l'avons dit, il avait ordre -d'aller à Tœplitz, et il s'arrêta à Kulm. À Kulm, avec 52 -bataillons, il était invincible, et il le serait resté si trente mille -Prussiens n'étaient tombés sur ses derrières. Qui était chargé de -suivre ces Prussiens? Non pas Mortier, qui était à gauche à Pirna, et -avait ordre d'y rester; non pas Marmont, qui était à droite sur la -route d'Altenberg, et avait ordre de s'y tenir; mais le maréchal -Saint-Cyr, qui était entre deux, avec mission de poursuivre l'ennemi -sans relâche et dans toutes les directions, comme le lui prescrivaient -les instructions réitérées de Napoléon. Or, le 28 il s'arrêta à Maxen, -ce qui à la rigueur pouvait se concevoir. Mais le 29 il employa la -journée à faire une lieue et demie, et envoya chercher l'ordre de -savoir s'il suivrait Marmont qu'il venait de rencontrer sur sa droite. -En admettant qu'il eût besoin de cet éclaircissement, le premier -devoir était en attendant de ne pas perdre la piste de l'ennemi, et de -ne pas lui laisser la liberté dont il usa si fatalement pour accabler -Vandamme. Le lendemain, quand l'ordre, dicté par le plus simple bon -sens, de tâcher de se lier à Vandamme plutôt que de suivre Marmont, -quand cet ordre arrivait il n'était plus temps, et Vandamme était -détruit. Le maréchal Saint-Cyr, sans la mauvaise volonté dont on l'a -accusé à d'autres époques envers ses voisins, fut par la seule -suspension de sa marche le 29, l'auteur involontaire assurément, mais -bien visible, du désastre de Vandamme. Même en faisant demander un -éclaircissement à l'état-major général, il aurait dû ne pas s'arrêter, -et il devait bien, avec son rare esprit et sa grande expérience, se -dire que pendant qu'il envoyait chercher un ordre l'ennemi se -sauverait; et encore si l'ennemi n'avait fait que se sauver, ce n'eût -été qu'un faible mal, mais en se sauvant il détruisit Vandamme et le -destin de la campagne. C'est avec un grand regret qu'on trouve en -faute un aussi noble personnage historique que le maréchal Saint-Cyr, -mais l'histoire ne doit être une flatterie ni pour les vivants ni pour -les morts. Elle n'est tenue que d'être vraie, de l'être sans -malveillance comme sans faiblesse.</p> - -<p>Nous plaçons ici quelques lettres extraites de la correspondance de -Napoléon et du major général Berthier.</p> - -<p class="center"><i>L'Empereur au major général.</i></p> - -<p class="date">«Dresde, le 27 août 1813, à sept heures et demie du soir.</p> - -<p>»..... Envoyez reconnaître positivement la situation du maréchal -Saint-Cyr. Témoignez-lui mon mécontentement de ce que je n'ai pas eu -de ses nouvelles pendant toute la matinée: il aurait dû m'envoyer un -officier toutes les heures pour me rendre compte de ce qui se -passait.»</p> - -<p class="p2 center"><i>Au major général.</i></p> - -<p class="date">«Devant Dresde, le 28 août 1813.</p> - -<p>»Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il se mettra -sur la hauteur, et suivra la retraite sur les hauteurs en passant -entre Dohna et la plaine. Le duc de Trévise suivra sur la grande -route. Aussitôt que la jonction sera faite avec le général Vandamme, -le maréchal Saint-Cyr continuera sa route pour se porter avec son -corps et celui du général Vandamme sur Gieshübel, le duc de Trévise -prendra position sur Pirna. Du reste, je m'y rendrai moi-même aussitôt -que je saurai que le mouvement est commencé.»</p> - -<p class="p2 center"><i>Au major général.</i></p> - -<p class="date">«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures et demie du matin.</p> - -<p>»Donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein et de -tomber sur les flancs et les derrières de l'ennemi, et de réunir à cet -effet sa cavalerie, son infanterie et son artillerie.--<cite>Donnez ordre -au duc de Raguse de suivre l'ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes -les directions qu'il aurait prises.--Donnez ordre au maréchal -Saint-Cyr de suivre l'ennemi sur Maxen et dans toutes les directions -qu'il aurait prises.</cite>--Instruisez ces trois généraux de la position -des deux autres, afin qu'ils sachent qu'ils se soutiennent -réciproquement.»</p> - -<p class="p2 center"><i>Au roi de Naples.</i></p> - -<p class="date">«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures après midi.</p> - -<p>»Aujourd'hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme a attaqué -le prince de Wurtemberg près de Hollendorf; il lui a fait 1500 -prisonniers, pris quatre pièces de canon, et l'a mené battant; -c'étaient <em>tous Russes</em>. Le général Vandamme marchait sur Tœplitz -avec tout son corps. Le général prince de Reuss, qui commandait une de -nos brigades, a été tué.--Je vous écris cela pour votre gouverne.--Le -général Vandamme me mande que l'épouvante est dans toute l'armée -russe.»</p> - -<p class="p2 center"><i>Le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr.</i></p> - -<p class="date">«Dresde, le 30 août 1813.</p> - -<p>»<span class="smcap">Monsieur le maréchal</span>,</p> - -<p>»Je reçois votre lettre datée de Reinhards-Grimme, par laquelle vous -me faites connaître que vous vous trouvez derrière le 6<sup>e</sup> corps. -L'intention de Sa Majesté est que, dans cet état de choses, vous -appuyiez le 6<sup>e</sup> corps; mais il serait préférable que vous pussiez -trouver un chemin sur la gauche, entre le duc de Raguse et le corps du -général Vandamme, qui a obtenu de grands succès sur l'ennemi et lui a -fait 2 mille prisonniers.»</p> - -<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a> -<b><a href="#footnotetag17">17</a></b>: La note où ce plan est exposé et discuté, les ordres en -conséquence de la note, existent à la secrétairerie d'État, et c'est -d'après ces documents irréfragables que nous écrivons ce récit.</p> - -<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a> -<b><a href="#footnotetag18">18</a></b>: On a prêté sur cette époque à Napoléon, faute de -connaître sa correspondance et celle de ses lieutenants, les projets -les plus chimériques et les moins raisonnables. Mais grâce à la -possession et à l'étude approfondie de cette correspondance, nous ne -lui attribuons aucun projet, aucun calcul, qui ne soient certains et -constatés par preuves authentiques.</p> - -<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a> -<b><a href="#footnotetag19">19</a></b>: Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr, outre -beaucoup d'esprit, une grande indépendance de caractère, nous -regrettons seulement qu'elle ait été gâtée par un penchant excessif à -la contradiction, qui lui a fait commettre plus d'une faute dans sa -carrière d'ailleurs si glorieuse. Mais nous allons citer une étrange -preuve de ce penchant, à l'occasion même des journées dont on vient de -lire le récit. Certes il est difficile de voir des journées sinon plus -heureusement employées, du moins plus activement, car Napoléon partit -le 3 au soir de Dresde, dormit trois ou quatre heures à Harta, arriva -le 4 au matin à Bautzen, y passa la journée du 4 pour assister à la -poursuite de l'ennemi, poussa pendant la journée du 5 jusqu'à Gorlitz -pour s'assurer de ses propres yeux si les Prussiens voulaient tenir, -revint le soir même à Bautzen sur le bruit d'une nouvelle apparition -de l'armée de Bohême, y arriva à deux heures du matin le 6, expédia le -6 tous ses ordres, vint le même jour coucher à Dresde où il fut rendu -dans la nuit, et le 7 au matin se transporta auprès du maréchal -Saint-Cyr pour avoir la conférence que nous venons de rapporter. -Marchant pendant les nuits, passant les journées ou à cheval ou dans -son cabinet pour donner des directions à une multitude de corps dont -il recevait à chaque instant des nouvelles, Napoléon déployait dans -ces circonstances l'activité d'un jeune homme. Voici pourtant les -propres paroles du maréchal Saint-Cyr dans ses Mémoires, tome IV, page -136... «Il lui restait (après la retraite de Blucher) la faculté de -marcher sur Schwarzenberg, qui s'avançait par la rive droite sur -Rumburg, et de la marche duquel je présume qu'il était instruit, comme -il le fut par le 14<sup>e</sup> corps dans les journées du 3, du 4, de celle de -l'armée russe. Néanmoins, après la retraite de Blucher, il resta le 5, -le 6 et le 7 dans une indécision complète; le 7, il fit écrire par le -major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr une espèce de lettre de -reproches...» Sans chercher dans cette dernière phrase le secret du -jugement porté par le maréchal Saint-Cyr, on peut voir par l'exposé -que nous avons fait à quel point est fondée l'assertion de ce -maréchal. Napoléon marcha le 5 sur Blucher, revint le 6 rappelé par le -maréchal Saint-Cyr lui-même, n'employa que quelques heures à s'assurer -si cet appel était fondé, heures qu'il ne perdit pas puisqu'il ne -cessa de donner des ordres, et consacra le 7 à se transporter auprès -du maréchal. Il ne perdit donc pas les 5, 6 et 7 en irrésolutions. La -supposition que Napoléon devait être instruit du prétendu mouvement de -l'armée autrichienne sur Rumburg, c'est-à-dire sur la rive droite de -l'Elbe, est tout aussi fausse, car d'une part l'armée autrichienne -n'exécuta point le mouvement dont il s'agit, et ne revint pas en -arrière au delà de Tetschen, d'autre part Napoléon aurait pu ne pas -connaître ce mouvement si en effet il avait eu lieu, car le rideau des -montagnes et la mauvaise volonté des Allemands nous condamnaient à -tout ignorer, à ce point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr -étant réunis à Mugeln en arrière de Pirna, ne savaient pas s'ils -avaient devant eux les Autrichiens, les Russes et les Prussiens, ou -seulement les Russes et les Prussiens. Tout est donc inexact, -jugements et assertions, dans le passage que nous venons de citer, et -nous faisons cette remarque non point en flatteur de Napoléon, rôle -que nous laissons à d'autres, ni en détracteur du maréchal Saint-Cyr, -dont au contraire nous aimons fort l'esprit et l'indépendance, mais en -historien préoccupé des difficultés de l'histoire. Certes, il semble -qu'un témoin de ce mérite, placé si près des événements, ayant passé à -côté de Napoléon une partie des journées pendant lesquelles il prétend -que Napoléon ne fit rien, aurait dû savoir la vérité, et pourtant on -voit comment, pour n'avoir pas lu ce que Napoléon écrivit pendant ces -journées, il a été exposé à prononcer de faux jugements. C'est une -nouvelle preuve qu'il ne faut pas se hasarder à juger les hommes qui -ont figuré dans les grands événements sans avoir connu leurs ordres, -leurs correspondances surtout qui contiennent leurs vrais motifs. Et -quand on voit un personnage comme le maréchal Saint-Cyr, qui avait -commandé des armées, qui savait par expérience quelles sottes -déterminations les gens mal informés prêtent souvent à ceux qui -commandent, quand un tel personnage commet de telles erreurs, on se -dit qu'il ne faut prononcer que sur pièces authentiques, et après -avoir vu et compulsé toutes celles qui existent, et qu'on peut se -procurer. Quant à nous, c'est ce que nous avons fait avec une -attention scrupuleuse, ne nous permettant d'affirmer que sur données -certaines, contrôlées les unes par les autres, ne cherchant à exalter -ou dénigrer ni ceux-ci ni ceux-là, n'étant ni le flatteur ni le -détracteur de Napoléon, devenu pour nous un personnage purement idéal, -ne cherchant que la vérité, la cherchant avec passion, et la disant au -profit de Napoléon quand elle lui est favorable, à son détriment quand -elle le condamne. Le vrai, voilà le but, le devoir, le bonheur même -d'un historien véritable. Quand on sait apprécier la vérité, quand on -sait combien elle est belle, commode même, car seule elle explique -tout, quand on le sait, on ne veut, on ne cherche, on n'aime, on ne -présente qu'elle, ou du moins ce qu'on prend pour elle.</p> - -<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a> -<b><a href="#footnotetag20">20</a></b>: Voici cette lettre curieuse, qui peint la situation -mieux que tout ce qu'on pourrait dire:</p> - -<p class="center"><i>Le prince de la Moskowa au major général.</i></p> - -<p class="date">«Wurtzen, 10 septembre 1813.</p> - -<p>»C'est un devoir pour moi de déclarer à V. A. S. qu'il est impossible -de tirer un bon parti des 4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps d'armée dans l'état -actuel de leur organisation. Ces corps sont réunis par le droit, mais -ils ne le sont pas par le fait: chacun des généraux en chef fait à peu -près ce qu'il juge convenable pour sa propre sûreté; les choses en -sont au point qu'il m'est très-difficile d'obtenir une situation. Le -moral des généraux et en général des officiers est singulièrement -ébranlé: commander ainsi n'est commander qu'à demi, et j'aimerais -mieux être grenadier. Je vous prie, monseigneur, d'obtenir de -l'Empereur ou que je sois seul général en chef, ayant seulement sous -mes ordres des généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille -bien me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de parler -de mon dévouement, je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire -que ce soit utilement.--Dans l'état actuel, la présence de l'Empereur -pourrait seule rétablir l'ensemble, parce que toutes les volontés -cèdent à son génie, et que les petites vanités disparaissent devant la -majesté du trône.</p> - -<p>»V. A. S. doit être aussi instruite que les troupes étrangères de -toutes nations manifestent le plus mauvais esprit, et qu'il est -douteux si la cavalerie que j'ai avec moi n'est pas plus nuisible -qu'utile.»</p> - -<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a> -<b><a href="#footnotetag21">21</a></b>: Ici encore, toujours appliqué que nous sommes à -rechercher la vérité rigoureuse, nous relèverons un passage des -Mémoires du maréchal Saint-Cyr, qui, retraçant à sa manière les faits -que nous venons de rapporter (tome IV de ses Mémoires, page 157 et -suivantes), raconte avec étonnement et humeur le brusque changement de -détermination de Napoléon, déplore de n'avoir plus retrouvé en lui ce -jour-là le grand homme que le Saint-Bernard n'avait pu jadis ni -intimider ni arrêter. S'il était vrai, ce qui n'est pas, que dans ces -dernières campagnes on eût à regretter le grand homme de Rivoli et de -Marengo, ce ne serait pas cette fois. D'abord il y a des faits que le -maréchal Saint-Cyr a exagérés, il y en a d'autres qu'il a ignorés. Il -prétend que le passage du Geyersberg était facile à rendre praticable; -or, une lettre de Napoléon à M. de Bassano, laquelle, par un hasard -heureux pour l'histoire, rend compte de cette circonstance, dit -positivement qu'il avait été impossible de frayer la route, et certes -Napoléon y avait un tel intérêt, et il en avait de plus un tel désir, -que si on l'avait pu (bien entendu dans le nombre d'heures nécessaire) -il n'aurait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encore -beaucoup sur la faute de n'avoir pas profité de l'absence des -Autrichiens pour accabler Kleist et Wittgenstein: or, cette absence -par lui soupçonnée, mais tout à fait inconnue alors, et peu -présumable, n'est devenue une certitude que depuis beaucoup de -publications historiques, et le jugement du maréchal n'est plus dès -lors qu'un jugement porté après coup, et reposant sur des données qui -sont inexactes en se référant aux circonstances du moment. Enfin le -maréchal ignorait tout ce que Napoléon venait d'apprendre, et ne lui -avait pas dit, de la situation de Macdonald, de celle de Ney, et de -l'apparition des partisans en Saxe, apparition inquiétante et qui -pouvait être interprétée de bien des manières. Le maréchal a donc -porté un jugement erroné, faute de connaître tous les faits ou de -vouloir les interpréter équitablement, et cette divergence d'opinion, -entre deux hommes présents à la même heure sur les mêmes lieux, tous -deux fort compétents, est une nouvelle preuve de la difficulté de bien -juger les événements de cette nature, par conséquent d'écrire -l'histoire en toute vérité.</p> - -<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a> -<b><a href="#footnotetag22">22</a></b>: M. de Muffling, dans ses intéressants Mémoires, -s'applaudit fort de cette feinte, et croit que c'est avec l'heureuse -idée de cette lettre qu'on endormit la vigilance de Napoléon. Il est -dans l'erreur, et la correspondance militaire prouve que si Napoléon -fut trompé, dans la mesure d'ailleurs très-restreinte où il le fut, -c'est par la présence des trois corps de l'armée de Silésie, qui le 22 -et le 23 n'avaient pas quitté encore leur position. C'est une nouvelle -preuve de ce qu'il y a de hasards à la guerre, puisqu'un acte de haute -prévoyance de la part de Napoléon amena, comme on le verra bientôt, le -résultat qu'aurait pu avoir l'imprévoyance elle-même. Ce n'est pas un -motif d'estimer et de pratiquer moins la vigilance, mais c'en est un, -tout en redoublant de soins et de zèle, de se dire qu'il y a toujours -une Providence supérieure qui déjoue parfois les calculs les plus -profonds, et de chercher même dans des raisons plus hautes, dans la -justice ou l'injustice de la cause qu'on défend, le secret de -l'insuccès du génie, à l'instant même où il déploie ses plus grandes -facultés.</p> - -<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a> -<b><a href="#footnotetag23">23</a></b>: Dans un atlas dressé pour l'intelligence de ses -campagnes, et accompagné de légendes historiques détaillées, le prince -de Suède a dit que le 7 octobre il avait provoqué une entrevue avec le -général Blucher, et qu'au premier aspect de la distribution des corps -sur la carte il avait aperçu le danger que courait le général Blucher, -et qu'il lui avait donné le conseil de passer la Mulde pour se joindre -à lui, conseil qui avait sauvé la coalition. Depuis cette publication, -M. de Muffling, dans d'intéressants mémoires, empreints d'un caractère -véridique quoique respirant les passions du temps, a fourni le moyen -de compléter et de rectifier les assertions du prince de Suède. Dans -l'entrevue du 7 on ignorait le départ de Napoléon qui ne quitta Dresde -que le 7, et par conséquent le danger de Blucher. Ce jour-là, 7 -octobre, il ne fut question que de se porter sur Leipzig. C'est -seulement le 9 qu'on sut l'arrivée de Napoléon avec ses réserves, et -le 9 Blucher envoya un officier de confiance pour se concerter avec le -prince de Suède. Cet officier trouva le prince fort ému de l'approche -de Napoléon, et voulant repasser l'Elbe immédiatement si l'armée de -Silésie ne venait pas le rejoindre derrière la Mulde, pour aller -ensuite s'abriter derrière la Saale. Blucher y consentit, car il ne -pouvait pas y avoir deux avis à cet égard, même pour un sous-officier -de quelque bon sens, et il se mit en marche sur-le-champ afin de -franchir la Mulde. Il n'y eut donc lieu à aucune contestation, ni à -aucun avis capable de sauver la coalition. Les jours suivants, à la -vérité, il y eut des divergences, et il ressort du récit de M. de -Muffling, que les avis décisifs pour le triomphe de la coalition ne -furent point suggérés par le prince de Suède, et qu'il fallut au -contraire pour les lui faire adopter de grands efforts de la part du -général Blucher et du ministre d'Angleterre.</p> - -<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a> -<b><a href="#footnotetag24">24</a></b>: On a beaucoup parlé de ce projet sans le connaître, et -on l'a rendu presque ridicule par toutes les suppositions -très-hasardées qu'on a faites, faute de savoir la vraie pensée de -Napoléon. Nous pouvons, grâce à sa correspondance, mise en rapport -avec la correspondance des généraux sous ses ordres, rétablir sa -pensée véritable, jour par jour, heure par heure, et on verra qu'à la -veille du plus grand des malheurs, nous ajouterons du plus motivé par -ses fautes politiques, son génie militaire se déploya avec autant de -force et de grandeur que jamais.</p> - -<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a> -<b><a href="#footnotetag25">25</a></b>: Les tristes flatteurs qui pendant son règne ont -contribué à perdre Napoléon, et qui depuis sa chute ont plus d'une -fois compromis sa mémoire, ont attribué à la défection de la Bavière -tous les désastres qui ont signalé la fin de la campagne de 1813. -C'est parce que Napoléon est revenu sur Leipzig, disent-ils, au lieu -de descendre sur Magdebourg et Hambourg, pour prendre position sur le -bas Elbe, qu'il a succombé. Ils prouvent en disant cela qu'ils n'ont -ni connu la partie la plus importante des documents de cette époque, -ni même interprété selon leur vrai sens ceux de ces documents qu'ils -avaient sous les yeux. Ce n'est pas à cause de la défection de la -Bavière que Napoléon est revenu de Düben sur Leipzig, car c'eût été un -bien faible motif pour un capitaine tel que lui. Il est revenu, comme -nous l'avons raconté, pour rester toujours interposé entre l'armée de -Bohême et les armées de Silésie et du Nord, et il ne le pouvait qu'en -se portant sur Leipzig avant que Blucher eût le temps d'y arriver. Il -y a, indépendamment de ces raisons qui sont de simple bon sens, des -raisons de fait invincibles dans les lettres mêmes de Napoléon. C'est -le 12 au matin qu'il changea de détermination et renonça au mouvement -sur Berlin pour le mouvement sur Leipzig; or, le 13 il ne connaissait -pas encore la défection de la Bavière, car racontant à M. de Bassano, -qui était à Eilenbourg, l'arrestation du secrétaire de M. Pozzo di -Borgo, et sa conversation avec ce secrétaire, il dit que les coalisés -comptaient beaucoup sur la Bavière, sans être certains cependant -d'avoir terminé avec elle. Le 13 Napoléon ne savait donc pas encore ce -qui en était de la Bavière, et c'est le 12 que ses ordres de marcher -sur Leipzig avaient été donnés. Enfin il est constaté par la -correspondance diplomatique de M. Mercy d'Argenteau que ce ministre ne -connut que le 9 octobre le traité signé à Munich le 8, que ses -dépêches annonçant cette nouvelle furent interceptées et ne parvinrent -point à Napoléon. Dans l'état des communications, ces dépêches -obligées d'aller jusqu'à Francfort ou Mayence pour prendre la route de -la grande armée, ne seraient certainement pas arrivées avant le 12 à -Düben, quand même elles n'auraient pas été interceptées. Voilà des -faits positifs et incontestables. Le 14 on n'avait à Leipzig que des -bruits vagues, venant des coalisés qui savaient ce qui s'était passé -entre eux et la Bavière, et qui l'ébruitaient par la joie qu'ils en -éprouvaient. Napoléon n'avait donc pu se porter sur Leipzig à cause de -la défection de la Bavière, puisqu'il l'ignorait. On s'est fondé pour -répandre cette fausseté sur une assertion du <cite>Moniteur</cite> de cette -époque, qui prétend que la défection de la Bavière avait contraint -Napoléon de revenir sur Leipzig. On vient de voir par les preuves -matérielles que nous avons rapportées, que l'assertion est -radicalement fausse. Mais voici le motif de Napoléon pour dissimuler -la vérité en cette circonstance. Cherchant pour le public une -explication palpable de la manœuvre qui l'avait ramené sur Leipzig, -et dont le résultat avait été si désastreux, il imagina cette raison -de la défection de la Bavière, qui était frappante pour les ignorants, -et qui lui servait à masquer ce qu'on pouvait croire une faute, comme -pour 1812 il avait imaginé de dire que le froid était cause de nos -malheurs, et pour Kulm que Vandamme avait manqué à ses instructions. -Mais Napoléon, en se justifiant ainsi devant les ignorants, se -calomniait devant les gens instruits. Si en effet il eût été certain -que la route de Mayence allait se fermer par la défection de la -Bavière, c'eût été une raison de plus de descendre sur Magdebourg et -Hambourg, au lieu de remonter sur Leipzig, puisqu'il se serait assuré -ainsi la route bien meilleure et encore libre de Wesel. Mais Napoléon -désespérant de faire comprendre à la masse du public comment il avait -été forcé à la suite des plus savantes manœuvres de revenir sur -Leipzig, adopta une assertion spécieuse, facile à saisir par tout le -monde, et la donna dans les nouvelles officielles, aux dépens de la -vérité et de sa propre gloire. Heureusement la vérité triomphe -toujours avec le temps, car il y a tôt ou tard des gens qui l'aiment -et savent la trouver, et tantôt elle condamne, tantôt même elle -justifie ceux qui ont eu la maladresse de la cacher. Souvent en effet -elle vaut mieux pour eux que les mensonges qu'ils ont inventés pour -se justifier.</p> - -<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a> -<b><a href="#footnotetag26">26</a></b>: Je n'ai pas besoin de répéter, après l'avoir dit tant de -fois, que je ne rapporte les entretiens de Napoléon que lorsque j'ai -la preuve authentique de leur parfaite exactitude, et je ne reproduis -celui-ci que parce qu'il me semble avoir une singulière signification -à la veille de la bataille de Leipzig. Il prouve que déjà une -tristesse confuse se faisait jour dans l'âme de Napoléon. Cet -entretien eut un témoin, M. Jouanne, l'un des secrétaires de confiance -de Napoléon, homme respectable et digne de toute créance, qui se -trouvant là pour écrire divers ordres sous la dictée de Napoléon, -entendit l'entretien que nous venons de rapporter et en consigna -sur-le-champ le souvenir par écrit. C'est sur ce document conservé par -M. Jouanne que j'ai retracé cette conversation, en résumant les -choses, et en leur donnant seulement la forme du style historique, qui -n'admet pas toutes les familiarités du langage, et qui n'a pas besoin -pour être vrai de rapporter jusqu'à des locutions soldatesques, que -les mémoires particuliers peuvent seuls se permettre de reproduire.</p> - -<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a> -<b><a href="#footnotetag27">27</a></b>: Quelques écrivains qui admettraient que nos généraux ont -été lâches ou traîtres, et que nos soldats se sont mal conduits, -plutôt que d'attribuer une faute à Napoléon, s'en sont pris à tout le -monde, sauf à lui, du résultat de cette journée du 16. D'abord, à les -entendre, Murat à Leipzig trahissait déjà, et c'est par ce motif qu'il -exécuta mal la grande charge de cavalerie ordonnée par Napoléon. Or le -pauvre Murat fort agité, il est vrai, pendant tout l'hiver, et un -moment prêt à suivre les impulsions de l'Autriche, était revenu tout -entier à Napoléon dès qu'il s'était trouvé auprès de lui, et était -incapable d'ailleurs d'une trahison sur le champ de bataille. Au -surplus le neveu de lord Cathcart, témoin oculaire de la charge de -Murat, et appréciant les lieux mieux qu'on ne le pouvait faire de -notre côté, a expliqué dans ses Mémoires, publiés depuis, la cause qui -fit échouer cette charge. Cette cause n'était autre que la forme du -sol le long du village de Gülden-Gossa, village qu'il suffit de voir -pour comprendre comment notre cavalerie dut y être arrêtée. Après -Murat, ce sont deux autres lieutenants de Napoléon, c'est-à-dire -Marmont et Ney, qu'on a voulu incriminer. Marmont, à ce qu'on prétend, -aurait dû repasser la Partha, et Ney ne pas laisser Bertrand inutile -dans Leipzig. Or, Bertrand fut laissé dans Leipzig par ordre de -Napoléon, et Marmont, quand il voulut se retirer derrière la Partha, -ne le pouvait plus, ayant déjà l'ennemi sur les bras, et n'ayant qu'un -seul pont pour défiler. C'est Napoléon qui avait mis Marmont entre -Breitenfeld et Lindenthal, dans la supposition que Blucher était -encore loin. S'il avait pu le savoir si rapproché, il aurait dès la -veille placé Marmont sur la Partha même, et de la sorte la -concentration eût été suffisante et faite à temps. Il est vrai que -dans ce cas la route de Düben aurait pu être fermée au reste du corps -de Souham et à celui de Reynier; mais alors, si par cette -considération il n'y a rien à reprocher à Napoléon, il n'y a pas -davantage de reproche à faire à Marmont pour être demeuré au delà de -la Partha, où il n'était d'ailleurs que par ordre supérieur. Quant à -nous, nous ne cherchons que la vérité, et Napoléon, dans cette -campagne, reste si grand homme de guerre, même après d'affreux -malheurs, que nous ne comprenons pas comment on consent à faire passer -nos généraux pour incapables ou pour traîtres, plutôt que de lui -reconnaître une faute. Nous ne voyons pas ce que la France y peut -gagner en force dans le monde, le monde sachant bien que Napoléon est -mort et ne renaîtra point. Il y a quelque chose qui ne meurt pas et ne -doit pas mourir: c'est la France! Sa gloire importe plus que celle -même de Napoléon. Voilà ce que devraient se dire ceux qui cherchent à -établir son infaillibilité, quand il n'y aurait pas pour eux comme -pour nous une raison supérieure même à toutes les considérations -patriotiques, celle de la vérité, qu'avant tout il faut chercher et -produire au jour.</p> - -<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a> -<b><a href="#footnotetag28">28</a></b>: M. Fain, qui cependant était au quartier général, a -prétendu que ce fut le 16 au soir que Napoléon appela M. de Merveldt, -et lui rendit sa liberté. Beaucoup d'autres écrivains ont reproduit la -même erreur, parce qu'elle fournit une explication et une excuse toute -naturelle pour la perte de la journée du 17. Napoléon dans ce cas -aurait attendu pendant toute la journée du 17 une réponse à ses -propositions. Or, la publication de la conversation de M. de Merveldt, -due au comte de Westmoreland, récemment encore ambassadeur à Vienne, -et alors employé dans la légation britannique auprès des coalisés, -permet de redresser cette erreur. M. de Merveldt, dans la pièce -publiée, donne l'heure et le jour, et place son entrevue au 17 à deux -heures de l'après-midi. Comme on ne peut prétendre qu'il eût intérêt à -altérer une pareille circonstance, la supposition de ceux qui placent -cette conversation dans la soirée du 16, tombe avec toutes les -conséquences qu'ils prétendent en tirer.</p> - -<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a> -<b><a href="#footnotetag29">29</a></b>: Les écrivains décidés à ne voir dans les revers de -Napoléon d'autre cause que la trahison de ses alliés ou la faiblesse -de ses lieutenants, comme si la trahison des alliés, la faiblesse des -lieutenants ne provenaient pas elles-mêmes de fautes graves, ces -écrivains ont prétendu que les généraux de la coalition ne voulaient -pas attaquer le 17 ni le 18, mais qu'ils s'y décidèrent dans la nuit -du 18, en apprenant la trahison projetée des Saxons. Dès lors Napoléon -aurait encore calculé ici avec une justesse infaillible. En restant en -effet un jour de plus en position il se serait retiré sain et sauf -avec l'attitude d'un vainqueur, et ce n'est que la trahison des Saxons -qui aurait empêché ce calcul de se vérifier. Cette nouvelle -supposition est aussi peu fondée que toutes celles du même genre. MM. -de Wolzogen, Cathcart, présents aux quartiers généraux des coalisés, -nous ont révélé le détail des délibérations de ces quartiers généraux, -et on sait aujourd'hui que la résolution était d'attaquer le 17 même, -et que l'arrivée de nouveaux renforts fit seule remettre au 18. De -plus, la défection des Saxons, si elle était connue d'avance, ne -l'était qu'au quartier général de Bernadotte, où des Saxons réfugiés -auprès de lui l'avaient préparée; mais elle était tout à fait ignorée -au quartier général des trois souverains. Ces inventions, qui ont pour -but de prouver non pas le génie prodigieux de Napoléon, qu'on ne peut -mettre en question, mais son infaillibilité, sont donc contraires à la -vérité, et dénuées de tout fondement.</p> - -<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a> -<b><a href="#footnotetag30">30</a></b>: Nous citons le passage suivant de M. de Wolzogen qui -peint ce qui se passait aux états-majors de Blucher et de Bernadotte. -Les récits de M. de Muffling, témoin oculaire, sont encore plus -frappants et plus amers.</p> - -<p>«Le prince Guillaume, frère du roi de Prusse, avait déjà auparavant -décidé le prince qui hésitait, à prendre une part sérieuse à la -bataille, et avait amicalement éveillé son attention sur ce point, que -l'opinion des troupes prussiennes et russes qui se trouvaient dans son -armée lui était très-défavorable, et qu'elles allaient même jusqu'à -douter de son courage personnel et de sa loyale volonté d'agir -efficacement dans l'intérêt de la cause commune des alliés. Cette -confidence, ainsi que les observations du général Adlerkreutz, chef de -son état-major général, que les Suédois, loin de rester en arrière, -désiraient au contraire soutenir leur ancienne renommée sur le champ -de bataille où Gustave-Adolphe avait combattu si glorieusement, -passent pour avoir exercé une influence décisive sur la résolution de -Charles-Jean.»</p> - -<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a> -<b><a href="#footnotetag31">31</a></b>: Nous avons l'exposé bref mais formel de ces intentions -dans une lettre du maréchal Ney au général Reynier, datée de 5 heures -du matin, et dans laquelle le maréchal dit ce que Napoléon est venu -faire et ordonner auprès de lui, c'est-à-dire à Reudnitz, où il avait -son quartier général.</p> - -<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a> -<b><a href="#footnotetag32">32</a></b>: Il n'est aucune circonstance de cette campagne qui ait -donné lieu à plus de controverses que celle de l'existence d'un seul -pont pour opérer la retraite de Leipzig. Les écrivains dont le thème -ordinaire est que Napoléon en sa vie n'a commis ni une faute ni une -omission, prétendent que Napoléon prescrivit à Berthier de jeter -plusieurs ponts soit au-dessus, soit au-dessous de celui de Lindenau, -et que Berthier n'exécuta pas cet ordre si important, lui qui ne -négligeait pas les ordres les plus accessoires. Cette nouvelle -assertion, tout invraisemblable qu'elle soit, pourrait être admise, en -supposant que Berthier fatigué, affecté, malade (ce qu'il était -alors), aurait oublié les prescriptions de Napoléon. Mais par malheur -pour cette hypothèse, il y a l'assertion du colonel Montfort, qui -depuis l'événement a déclaré qu'il avait adressé à Berthier les plus -vives instances pour être autorisé à jeter des ponts secondaires, ce -qui aurait dû suffire pour rafraîchir la mémoire du major général s'il -en avait eu besoin. Il est vrai qu'on pourrait accuser le colonel -Montfort, mis plus tard en jugement pour cette affaire, d'avoir -imaginé cette assertion afin de s'excuser. Mais outre la bonne foi du -colonel, qui ne saurait être mise en doute quand on l'a connu, j'ai de -cette assertion et de son exactitude une autre preuve. Le jour même du -passage si embarrassé du pont de Lindenau, c'est-à-dire le 19, le -colonel Montfort au milieu de la foule qui se pressait sur le pont, -s'entretenant avec le colonel du génie Lamare, lui dit avec chagrin -qu'il avait la veille adressé les plus vives instances à Berthier pour -être autorisé à jeter d'autres ponts, et que Berthier lui avait -répondu qu'il fallait attendre les ordres de l'Empereur. Ainsi au -moment même, le colonel Montfort n'ayant pas encore à se justifier -devant un conseil de guerre, et avant d'avoir pu y penser, produisait -le fait avec une sincérité et une spontanéité évidentes. Le fait ne -peut donc pas être contesté. Or, comment admettre alors que Berthier -ayant des ordres de Napoléon ne les eût pas exécutés? Ici -l'invraisemblance est frappante, car il eût fallu que Berthier fût ou -stupide ou traître. Or, ce vieux compagnon de Napoléon, quoique -fatigué, était aussi dévoué qu'habile. Il n'y a donc qu'une -supposition possible, c'est que Napoléon, ou n'y ayant pas pensé, ou, -ce qui est plus probable, voulant faire une retraite pour ainsi dire -<em>à volonté</em>, sans presser le pas, crut le pont de Lindenau suffisant. -Probablement aussi il ne voulait pas que des préparatifs indiquant une -retraite précipitée affectassent le moral des soldats. Quoi qu'il en -soit, c'est la seule explication qui n'offense pas le bon sens. Il est -vrai que dans ce cas il faudrait admettre que Napoléon a commis une -erreur. Mais quant à nous, tout en le regardant comme un des plus -grands génies de l'humanité, nous demandons, non pas à ses -admirateurs, car nous sommes du nombre, mais à ses adorateurs, ce que -nous ne sommes pas, la permission de croire qu'en sa vie il lui est -arrivé de se tromper.</p> - -<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a> -<b><a href="#footnotetag33">33</a></b>: Expression du maréchal Gérard, de la bouche duquel je -l'ai autrefois recueillie.</p> - -<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a> -<b><a href="#footnotetag34">34</a></b>: Nous parlons d'après les rapports des maréchaux envoyés -sur le Rhin pour y commander.</p> -</div> - -<div class="tn"> -<p class="center">Note au lecteur de ce fichier numérique:</p> - -<p>Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été -corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée.</p> -</div> -<pre style='margin-top:6em'> -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE -(16/20) *** - -This file should be named 63576-h.htm or 63576-h.zip - -This and all associated files of various formats will be found in: -http://www.gutenberg.org/6/3/5/7/63576/ - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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