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-The Project Gutenberg EBook of Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20),
-by Adolphe Thiers
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this ebook.
-
-Title: Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20)
- faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
-
-Author: Adolphe Thiers
-
-Release Date: October 29, 2020 [EBook #63576]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Mireille Harmelin, Keith J Adams, Christine P. Travers and
- the Online Distributed Proofreading Team at
- https://www.pgdp.net (This file was produced from images
- generously made available by the Bibliothèque nationale de
- France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE
-L'EMPIRE (16/20) ***
-
-
-
-
-HISTOIRE DU CONSULAT
-
-ET DE L'EMPIRE
-
-
-TOME XVI
-
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-
-
-L'auteur déclare réserver ses droits à l'égard de la traduction en
-Langues étrangères, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise,
-Espagnole et Italienne.
-
-Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (Direction de la
-Librairie) le 10 août 1857.
-
-
-PARIS. IMPRIMÉ PAR HENRI PLON, RUE GARANCIÈRE, 8.
-
-
-
-
-HISTOIRE DU CONSULAT
-
-ET DE L'EMPIRE
-
-
-
-
-FAISANT SUITE
-
-À L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
-
-
-
-
-PAR M. A. THIERS
-
-
-
-
-TOME SEIZIÈME
-
-
-
-
- Paris
- LHEUREUX ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
- 60, RUE RICHELIEU
- 1857
-
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-
-
-HISTOIRE DU CONSULAT
-
-ET DE L'EMPIRE.
-
-
-
-
-LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.
-
-DRESDE ET VITTORIA.
-
- Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa
- rencontre avec M. de Bubna. -- Ses dispositions pour le campement,
- le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de
- l'armistice. -- Son retour à Dresde et son établissement dans le
- palais Marcolini. -- À peine est-il arrivé que M. de Bubna
- présente une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche
- étant acceptée par les puissances belligérantes, la France est
- priée de nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses
- intentions. -- En réponse à cette note, Napoléon élève des
- difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite
- de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir
- à Dresde. -- Conduite du cabinet autrichien en recevant cette
- réponse. -- M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés
- pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation.
- -- Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et
- repart après avoir acquis la connaissance précise des intentions
- des alliés. -- Comme l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en
- apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à se rendre à
- Dresde. -- Arrivée de M. de Metternich dans cette ville le 25
- juin. -- Discussions préalables avec M. de Bassano sur la
- médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier
- avec le traité d'alliance. -- Entrevue avec Napoléon. --
- Entretien orageux et célèbre. -- Napoléon, regrettant les
- emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de
- Bassano de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. --
- Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon, déployant autant de
- souplesse qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la
- médiation, mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation
- d'armistice jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt,
- dans l'intérêt de ses préparatifs militaires. -- Acceptation
- formelle de la médiation autrichienne, et assignation du 5
- juillet pour la réunion des plénipotentiaires à Prague. -- Retour
- de M. de Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. --
- La nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la
- prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires
- à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis
- jusqu'au 12 juillet. -- Napoléon, auquel ces délais convenaient,
- s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de
- nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. -- Son départ le 10
- juillet. -- Il apprend en route les événements d'Espagne. -- Ce
- qui s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été
- expulsés de la Castille, et que les armées du centre,
- d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. -- Projets de
- lord Wellington pour la campagne de 1813. -- Il se propose de
- marcher sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et
- 20 mille Espagnols. -- Projets des Français. -- Possibilité en
- opérant bien de tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en
- Portugal. -- Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle
- de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. -- Il
- résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer
- Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. -- Reprise
- des opérations en mai 1813. -- Quatre divisions de l'armée de
- Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la
- Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre
- lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. -- Retraite
- sur Valladolid et Burgos. -- Le manque de vivres précipite notre
- marche rétrograde. -- Deux opinions dans l'armée, l'une
- consistant à se retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de
- rejoindre le général Clausel, l'autre consistant à se tenir
- toujours sur la grande route de Bayonne afin de couvrir la
- frontière de France. -- Les ordres réitérés de Paris font
- incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. --
- Nombreux avis expédiés au général Clausel pour l'engager à se
- réunir à l'armée entre Burgos et Vittoria. -- Retraite sur
- Miranda del Ebro et sur Vittoria. -- Espérance d'y rallier le
- général Clausel. -- Malheureuse inaction de Joseph et de Jourdan
- dans les journées du 19 et du 20 juin. -- Funeste bataille de
- Vittoria le 21 juin, et ruine complète des affaires des Français
- en Espagne. -- À qui peut-on imputer ces déplorables événements?
- -- Irritation violente de Napoléon contre son frère Joseph, et
- ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. -- Envoi du
- maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre
- l'offensive. -- Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion
- de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à
- Leipzig. -- Suite des négociations de Prague. -- MM. de Humboldt
- et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au
- congrès de Prague. -- Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à
- Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les
- plénipotentiaires français au jour convenu. -- Chagrin et
- doléances de M. de Metternich. -- Napoléon, revenu le 15 à
- Dresde, après avoir différé sous divers prétextes la nomination
- des plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et
- de Caulaincourt. -- Une fausse interprétation donnée à la
- convention qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau
- prétexte pour ajourner le départ de M. de Caulaincourt. -- Son
- espérance en gagnant du temps est de faire remettre au 1er
- septembre la reprise des hostilités. -- Redoublement de plaintes
- de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de
- Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10
- août pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la
- reprise des hostilités. -- La difficulté soulevée au sujet de
- l'armistice étant levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec
- des instructions qui soulèvent des questions de forme presque
- insolubles. -- Pendant ce temps il quitte Dresde le 25 juillet
- pour aller voir l'Impératrice à Mayence. -- Finances et police de
- l'Empire durant la guerre de Saxe; affaires des séminaires de
- Tournay et de Gand, et du jury d'Anvers. -- Retour de Napoléon à
- Dresde le 4 août, après avoir passé la revue des nouveaux corps
- qui se rendent en Saxe. -- Vaines difficultés de forme au moyen
- desquelles on a même empêché la constitution du congrès de
- Prague. -- M. de Metternich déclare une dernière fois que si le
- 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées,
- l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la
- coalition. -- Pensée véritable de Napoléon dans ce moment
- décisif. -- Ne se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse
- de reprendre les hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant
- une négociation sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en
- action de celle-ci. -- Il entame effectivement avec l'Autriche
- une négociation secrète qui doit être conduite par M. de
- Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. -- Ouverture de M. de
- Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours avant
- l'expiration de l'armistice. -- Surprise de M. de Metternich. --
- Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration authentique
- des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur
- François. -- Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon.
- -- Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à
- accepter la paix qu'on lui offre. -- Contre-proposition de
- celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par
- l'Autriche. -- Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases
- proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant
- qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la coalition. --
- Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais
- inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à
- Prague. -- L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en
- Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au
- nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon
- inacceptables. -- Retour et noble affliction de M. de
- Caulaincourt. -- Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. -- Sa
- confiance et ses projets. -- Profondeur de ses conceptions pour
- la seconde partie de la campagne de 1813. -- Il prend le cours de
- l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de manoeuvrer
- concentriquement autour de Dresde, afin de battre successivement
- toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer de front, de
- flanc ou par derrière. -- Projets de la coalition et forces
- immenses mises en présence dans cette guerre gigantesque. --
- L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la première en
- mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur la
- Katzbach. -- Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels
- Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. --
- Napoléon apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée
- des coalisés sur les derrières de Dresde. -- Son retour précipité
- sur Dresde. -- Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de
- déboucher par Koenigstein, afin de prendre l'armée coalisée à
- revers, et de la jeter dans l'Elbe. -- Les terreurs des habitants
- de Dresde et les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette
- circonstance détournent Napoléon de la plus belle et de la plus
- féconde de ses conceptions. -- Son retour à Dresde le 26, et
- inutile attaque de cette ville par les coalisés. -- Célèbre
- bataille de Dresde livrée le 27 août. -- Défaite complète de
- l'armée coalisée et mort de Moreau. -- Position du général
- Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. -- Nouveau
- et vaste projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations
- autour de Dresde. -- Désastre du général Vandamme à Kulm amené
- par le plus singulier concours de circonstances. -- Conséquences
- de ce désastre. -- Retour de confiance chez les coalisés et
- aggravation de la situation de Napoléon, dont les dernières
- victoires se trouvent annulées. -- Sa situation au 30 août 1813.
-
-
-[Date en marge: Juin 1813.]
-
-[En marge: Intention véritable de Napoléon en signant l'armistice de
-Pleiswitz.]
-
-[En marge: Sa pensée est de continuer la guerre, et de prendre
-seulement le temps d'achever ses préparatifs.]
-
-[En marge: Soin de Napoléon à cacher ses desseins, afin de ne pas
-exciter de trop graves mécontentements dans le public et dans
-l'armée.]
-
-En signant l'armistice de Pleiswitz, Napoléon n'avait d'autre
-intention que de gagner deux mois pour compléter ses armements, et les
-proportionner aux forces des nouveaux ennemis qu'il allait s'attirer,
-mais il n'avait pas eu un moment la pensée de la paix, ne voulant à
-aucun prix la conclure aux conditions que l'Autriche prétendait y
-mettre. Ces conditions révélées tant de fois depuis quatre mois,
-tantôt par de simples insinuations, tantôt par les déclarations
-récentes et formelles de M. de Bubna, étaient, comme on l'a vu, les
-suivantes: Dissolution du grand-duché de Varsovie; reconstitution de
-la Prusse au moyen d'une partie considérable de ce grand-duché, et de
-quelques portions des provinces anséatiques; restitution à
-l'Allemagne des villes libres de Lubeck, de Brême, de Hambourg;
-abolition de la Confédération du Rhin; rétrocession à l'Autriche de
-l'Illyrie et des portions de la Pologne qui lui avaient jadis
-appartenu. Quoique cette paix continentale, prélude assuré de la paix
-maritime, laissât à la France, indépendamment de la Belgique et des
-provinces rhénanes, la Hollande, le Piémont, la Toscane, l'État
-romain, maintenus en départements français, la Westphalie, la
-Lombardie, Naples, constitués en royaumes vassaux, Napoléon la
-repoussait absolument, non à cause des pertes de territoire qui
-étaient presque nulles, mais comme une atteinte à sa gloire, et lui
-préférait sans hésiter la guerre avec l'Europe entière. C'était sans
-doute une insigne témérité pour lui-même, une cruauté pour tant de
-victimes destinées à périr sur les champs de bataille, une sorte
-d'attentat envers la France, exposée à tant de dangers uniquement pour
-l'orgueil de son chef, mais enfin c'était une résolution à peu près
-prise, et dans laquelle il y avait fort peu de chance de l'ébranler.
-Il eût fallu autour de lui de meilleurs conseillers, et surtout de
-plus autorisés, pour le faire revenir de cette détermination fatale.
-Pourtant, bien que tout à fait résolu (ce qui résulte d'une manière
-incontestable de ses ordres, de ses communications diplomatiques, et
-de quelques aveux inévitables faits à ses coopérateurs les plus
-intimes), il ne pouvait lui convenir de laisser apercevoir sa
-véritable pensée, ni aux puissances avec lesquelles il avait à
-traiter, ni à la plupart des agents de son gouvernement, du zèle
-desquels il avait grand besoin. En effet, connue de l'Autriche, la
-pensée de Napoléon aurait définitivement décidé cette puissance contre
-nous, accéléré ses armements déjà bien assez actifs, répandu le
-désespoir parmi nos alliés déjà bien assez dégoûtés de notre alliance,
-rendu impossible une prolongation d'armistice à laquelle Napoléon
-tenait essentiellement, et qu'il ne désespérait pas d'obtenir en
-traînant les négociations en longueur. Avouée aux hommes qui
-composaient son gouvernement, sa résolution de ne pas accepter la paix
-se serait bientôt répandue dans le public, aurait augmenté l'aversion
-qu'inspirait sa politique, étendu cette aversion à sa personne et à sa
-dynastie, rendu les levées d'hommes plus difficiles, et irrité,
-découragé l'armée, qui ne voyant plus de terme à l'effusion de son
-sang, serait devenue plus hardie et plus sévère dans son langage. Il
-semblait effectivement que l'opposition, comprimée partout, se fût
-réfugiée dans les camps, et que nos militaires de tout grade, pour
-prix des sacrifices qu'on exigeait d'eux, voulussent exercer la
-liberté inaliénable de l'esprit français. Après s'être précipités le
-matin au milieu des dangers, ils déploraient le soir dans les bivouacs
-l'obstination fatale qui faisait couler tant de sang pour une
-politique qu'ils commençaient à ne plus comprendre. Ils avaient bien
-admis qu'après Moscou et la Bérézina il fallût une revanche éclatante
-aux armes françaises; mais après Lutzen, après Bautzen, le prestige de
-nos armes étant rétabli, ils auraient été révoltés, et peut-être
-glacés dans leur zèle, s'ils avaient appris que Napoléon pouvant
-conserver la Belgique, les provinces rhénanes, la Hollande, le
-Piémont, la Toscane, Naples, ne s'en contentait pas, et voulait
-encore immoler des milliers d'hommes pour garder Lubeck, Hambourg,
-Brême, pour conserver le vain titre de protecteur de la Confédération
-du Rhin! Par toutes ces raisons, Napoléon ne dit à personne, excepté
-peut-être à M. de Bassano, sa pensée tout entière; il n'en dit à
-chacun que ce que chacun avait besoin d'en savoir pour accomplir sa
-tâche particulière, réservant pour lui seul la connaissance complète
-de ses funestes desseins.
-
-[En marge: Napoléon dit une partie de son secret au prince Eugène et
-au ministre de la guerre, parce qu'il ne peut pas faire autrement.]
-
-[En marge: Il trompe entièrement le prince Cambacérès.]
-
-On vient de voir que M. de Bubna avait reparu au quartier général avec
-les conditions de l'Autriche, et que ces conditions avaient été
-considérablement modifiées, puisqu'en remettant à la paix maritime le
-sacrifice des villes anséatiques et de la Confédération du Rhin, on
-avait fait tomber la seule objection qu'elles pussent raisonnablement
-provoquer. Napoléon se sentant alors serré de près, et craignant
-d'avoir à se prononcer immédiatement, ce qui lui eût mis l'Autriche
-sur les bras avant qu'il fût en mesure de lui résister, avait signé
-l'armistice si désavantageux de Pleiswitz, non pour avoir le temps de
-traiter, mais pour avoir celui d'armer. Il écrivit sous le secret au
-prince Eugène et au ministre de la guerre qu'il signait cet armistice,
-dont il prévoyait en partie le danger, pour avoir le temps de se
-préparer contre l'Autriche, à laquelle il entendait faire la loi au
-lieu de la recevoir d'elle. Il recommanda à l'un et à l'autre de ne
-rien négliger pour que l'armée d'Italie destinée à menacer l'Autriche
-par la Carinthie, pour que l'armée de Mayence destinée à la menacer
-par la Bavière, fussent prêtes à la fin de juillet, et d'agir de
-manière que les jours _comptassent double_, car on avait à peine deux
-mois pour achever les armements que les circonstances rendaient
-indispensables. Toutefois il n'avoua ni à l'un ni à l'autre quelle
-était cette loi de l'Autriche qu'il ne voulait pas subir, il leur
-laissa même croire que les exigences de cette puissance étaient
-exorbitantes, et ne tendaient à rien moins qu'à ruiner la puissance de
-la France et à offenser son honneur. Il écrivit au prince Cambacérès,
-auquel il avait remis en partant le dépôt de son autorité, que
-l'armistice signé pourrait sans doute conduire à la paix, qu'il _ne
-fallait pas toutefois que ce fût une raison de ralentir les
-préparatifs de guerre, mais au contraire une raison de les redoubler,
-car ce n'était qu'autant qu'on verrait que nous étions formidables sur
-tous les points, que la paix pourrait être sûre et honorable_.--Mais
-au prince Cambacérès pas plus qu'aux autres, il n'osa dire ce qu'il
-entendait par une paix sûre et honorable, et il se garda de lui avouer
-qu'il ne considérait pas comme telle une paix qui, indépendamment du
-Rhin et des Alpes, concédait directement ou indirectement à la France
-la Hollande, la Westphalie, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, les
-États romains et Naples.
-
-[En marge: M. de Bassano seul dépositaire de ses véritables
-résolutions.]
-
-[En marge: Napoléon songe à se faire accorder un mois de plus de
-suspension d'armes, en feignant de négocier.]
-
-À M. de Bassano seul, qu'il ne pouvait pas tromper, puisque ce
-ministre était l'intermédiaire de toutes les communications de la
-France avec les puissances européennes, et duquel il n'avait pas
-d'ailleurs la moindre objection à craindre, il découvrit sa vraie
-pensée, en lui confiant le soin de recevoir à sa place M. de Bubna. Il
-lui dit qu'il ne voulait pas voir cet envoyé, pour n'avoir pas à se
-prononcer sur les conditions de l'Autriche; il lui enjoignit de
-l'emmener à Dresde, où devait bientôt revenir le quartier général
-français, et de l'y retenir jusqu'à son retour, ce qui ferait gagner
-une dizaine de jours, et conduirait à la mi-juin avant d'avoir réuni
-les plénipotentiaires. En soulevant ensuite des difficultés de forme,
-il était possible d'atteindre le mois de juillet sans s'être prononcé
-sur le fond des choses. Puis en montrant au dernier moment quelque
-disposition à traiter, et en argumentant du peu de temps qui resterait
-alors, il serait encore possible de faire prolonger d'un mois la durée
-de l'armistice, ce qui après juin et juillet assurerait tout le mois
-d'août, et procurerait ainsi trois mois pour armer, trois mois dont
-les puissances coalisées profiteraient sans doute, mais pas autant que
-la France, car elles n'étaient administrées ni avec la même activité
-ni avec le même génie.
-
-Ce plan arrêté, Napoléon fit partir M. de Bassano pour Dresde, en le
-chargeant d'annoncer sa prochaine arrivée dans cette capitale, et de
-lui chercher en dehors des résidences royales une habitation commode
-et convenable, où il fût à la fois à la ville et à la campagne, où il
-pût travailler en liberté, respirer un air pur, et se trouver à portée
-des camps d'instruction établis au bord de l'Elbe. Il ordonna d'y
-amener une partie de sa maison, la Comédie française elle-même, afin
-d'y déployer une sorte de splendeur pacifique, qui respirât la
-satisfaction, la confiance et le penchant au repos, penchant qui
-n'avait jamais moins pénétré dans son âme. _Il est bon_, écrivait-il
-au prince Cambacérès, _qu'on croie que nous nous amusons ici_.--
-
-[En marge: Avant de retourner à Dresde, Napoléon met tous ses soins à
-bien cantonner ses troupes.]
-
-[En marge: Leur distribution sur la ligne frontière stipulée par
-l'armistice.]
-
-Suivant son usage, Napoléon ne quitta point ses troupes sans avoir
-assuré leur entretien, leur bonne santé, et leur instruction pendant
-la durée de la suspension d'armes. Il s'était réservé, d'après les
-conditions de cet armistice, la basse Silésie, pays riche en toutes
-sortes de ressources tant pour la nourriture que pour le vêtement des
-hommes. Il y répartit ses corps d'armée, depuis les montagnes de la
-Bohême jusqu'à l'Oder, de la manière suivante. Il plaça Reynier à
-Gorlitz avec le 7e corps, Macdonald à Lowenberg avec le 11e, Lauriston
-à Goldberg avec le 5e, Ney à Liegnitz avec le 3e, Marmont à Buntzlau
-avec le 6e, Bertrand à Sprottau avec le 4e, Mortier aux environs de
-Glogau avec l'infanterie de la jeune garde, Victor à Crossen avec le
-2e, Latour-Maubourg et Sébastiani au bord de l'Oder avec la cavalerie
-de réserve. Le maréchal Oudinot, avec le corps destiné à marcher sur
-Berlin, fut cantonné sur les limites de la Saxe et du Brandebourg,
-lesquelles formaient de l'Oder à l'Elbe la ligne de démarcation
-stipulée par l'armistice. Ces divers corps durent camper dans des
-villages ou des baraques, manoeuvrer, se reposer et bien vivre. Ils
-devaient être entretenus au moyen de réquisitions sur le pays,
-ménagées de manière à pouvoir y subsister trois mois au moins, et à y
-former des approvisionnements pour l'époque du renouvellement des
-hostilités. Napoléon prescrivit en outre des levées de draps et de
-toiles dans la partie de la Silésie qui lui était restée, et qui les
-produisait en abondance, afin de réparer le vêtement déjà usé de ses
-soldats. La Silésie devant, dans tous les cas, revenir à la Prusse,
-puisque l'Autriche n'en voulait pas, il n'avait à la ménager que pour
-en faire durer les ressources aussi longtemps que ses besoins.
-
-[En marge: Ce qui s'était passé à Hambourg pendant les derniers
-événements.]
-
-[En marge: Attitude équivoque du Danemark.]
-
-[En marge: Les exigences de la coalition ramènent le Danemark à la
-France.]
-
-[En marge: Le retour du Danemark rend facile la rentrée de nos troupes
-dans la ville de Hambourg.]
-
-[En marge: Nouvelle occupation de Hambourg.]
-
-[En marge: Renouvellement des ordres sévères de Napoléon.]
-
-[En marge: Corps de cavalerie et d'infanterie confié au duc de Padoue
-pour purger la rive gauche de l'Elbe de la présence des Cosaques.]
-
-De toutes ses places sur l'Oder et la Vistule, celle de Glogau ayant
-eu seule l'avantage d'être débloquée, il en renouvela la garnison et
-les approvisionnements, et ordonna d'en perfectionner les moyens de
-défense. Il expédia des officiers à Custrin, Stettin, Dantzig, pour
-apprendre à ces garnisons les derniers triomphes de nos armes, pour
-leur porter des récompenses, et veiller à ce que les vivres consommés
-chaque jour fussent remplacés immédiatement par des quantités égales,
-conformément aux conditions expresses de l'armistice. Il avait été
-convenu par l'une des stipulations de l'armistice que l'importante
-place de Hambourg dépendrait du sort des armes, et resterait à ceux
-qui l'occuperaient le 8 juin au soir. Elle était rentrée dans nos
-mains le 29 mai, par l'arrivée du général Vandamme à la tête de deux
-divisions, et serait redevenue plus tôt notre propriété sans
-l'intervention singulière et un moment inexplicable du Danemark dans
-cette occasion. Jusque-là le Danemark nous avait été fidèle, et il
-nous le devait, puisque c'était pour lui conserver la Norvége que nous
-avions la guerre avec la Suède. À la suite de notre désastre de
-Moscou, il avait été vivement sollicité par la Russie et l'Angleterre
-d'abandonner la Norvége à la Suède, avec promesse de l'indemniser aux
-dépens de la France s'il cédait, et avec menace, s'il résistait,
-d'abattre la monarchie danoise. À ces sollicitations menaçantes de la
-Russie et de l'Angleterre, s'étaient jointes les instances plus douces
-de l'Autriche, invitant le Danemark à s'unir à elle, et lui promettant
-la conservation de la Norvége, s'il adhérait à sa politique
-médiatrice. Au milieu de ce conflit de suggestions de tout genre, le
-Danemark craignant que la France ne fût plus en mesure de le soutenir,
-avait loyalement demandé à Napoléon l'autorisation de traiter pour son
-compte, afin d'échapper aux périls qui le menaçaient, et Napoléon
-touché de sa franchise y avait généreusement consenti. Il lui avait
-même renvoyé les matelots danois qui servaient sur notre flotte, pour
-que sa situation s'approchât davantage de la neutralité. L'espérance
-du Danemark avait été en se remettant en paix avec l'Angleterre par
-l'intermédiaire de la Russie, et en restant neutre ensuite avec tout
-le monde, de s'assurer la conservation de la Norvége. Bientôt on lui
-avait signifié que non-seulement il fallait qu'il nous déclarât la
-guerre, ce qui coûtait fort à sa loyauté, mais qu'il fallait en outre
-qu'il renonçât à la Norvége, sauf une indemnité éventuelle, de manière
-que la défection envers nous ne l'aurait pas même sauvé de la
-spoliation. Révolté de ces exigences, le Danemark nous était enfin
-revenu, et l'une de ses divisions, qui s'était tenue aux portes de
-Hambourg dans une attitude équivoque, et presque inquiétante, nous
-avait tendu la main, au lieu de nous menacer. Vandamme alors que rien
-ne retenait, avait expulsé le rassemblement de Tettenborn, composé de
-Cosaques, de Prussiens, de Mecklembourgeois, de soldats des villes
-anséatiques, et avait arboré de nouveau les aigles françaises sur
-tout le cours de l'Elbe inférieur. Napoléon avait sur-le-champ expédié
-au maréchal Davout l'ordre de s'établir fortement dans Hambourg, Brême
-et Lubeck, lui avait réitéré l'injonction de punir sévèrement la
-révolte de ces villes, d'en tirer les ressources nécessaires pour
-l'armée, et de créer sur le bas Elbe un vaste établissement militaire
-qui complétât les défenses de ce grand fleuve, où nous allions avoir
-Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg et Hambourg. Cette
-ligne si importante, objet de si vifs débats dans la négociation de
-l'armistice, nous était donc assurée, indépendamment de celle de
-l'Oder, dont nous avions la partie la plus essentielle, celle qui
-faisait face à Dresde. Quelques troupes de partisans, il est vrai,
-avaient passé la ligne de l'Elbe, et parcouraient en ce moment la
-Westphalie, la Hesse, la Saxe, répandant partout la terreur des
-Cosaques, devenue presque superstitieuse. Napoléon forma sur ses
-derrières un corps d'infanterie et de cavalerie pour les poursuivre à
-outrance, et sabrer sans pitié ceux qu'on prendrait en deçà de l'Elbe.
-Le duc de Padoue, destiné, comme on l'a dit, à commander un troisième
-corps de cavalerie, lorsque les deux premiers, ceux de Latour-Maubourg
-et de Sébastiani, seraient complétés, se trouvait alors à Leipzig avec
-le noyau de son corps. Il comptait environ trois mille cavaliers et
-quelques pièces d'artillerie attelée. Napoléon lui adjoignit la
-division polonaise Dombrowski, la division Teste (quatrième de
-Marmont), laissée en arrière pour achever son organisation, une
-seconde division wurtembergeoise récemment arrivée, quelques
-bataillons de garnison de Magdebourg, ce qui formait un rassemblement
-de 8 mille cavaliers et de 12 mille fantassins. Il lui prescrivit de
-s'occuper uniquement de la police du pays compris entre l'Elbe et le
-Rhin, de le pacifier, de le purger de coureurs, et s'il en surprenait
-quelques-uns postérieurement au 8 juin, terme extrême assigné aux
-hostilités, de les traiter comme des bandits, et tout au moins de les
-faire prisonniers, afin de s'emparer de leurs chevaux qui étaient
-excellents.
-
-[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.]
-
-Ces premiers soins donnés à l'exécution de l'armistice et au bien-être
-des troupes pendant la suspension d'armes, Napoléon s'achemina vers
-Dresde, où il avait le projet de passer tout le temps des prochaines
-négociations, et rétrograda vers l'Elbe avec la cavalerie et
-l'infanterie de la vieille garde, marchant lui-même au pas de ses
-troupes par journées d'étapes. Il ne fut de retour à Dresde que le 10
-juin, ce qui convenait à son calcul de se trouver le plus tard
-possible en présence de M. de Bubna. Le roi de Saxe vint à sa
-rencontre, et les habitants de Dresde eux-mêmes, voyant avec plaisir
-la guerre écartée de leurs foyers, et leur roi honoré, lui firent un
-accueil auquel on n'aurait pas dû s'attendre de la part d'une
-population allemande.
-
-[En marge: Son établissement au palais Marcolini, et sa manière d'y
-vivre.]
-
-[En marge: Longue attente de M. de Bubna, et note par lui remise à
-l'arrivée de Napoléon.]
-
-Napoléon descendit au palais Marcolini, dont M. de Bassano avait fait
-choix pour lui. Ce palais, entouré d'un vaste et beau jardin, était
-situé dans le faubourg de Friedrichstadt, tout près de la prairie de
-l'Osterwise, où des troupes nombreuses pouvaient manoeuvrer au bord de
-l'Elbe. Napoléon y trouva sa maison déjà installée et toute prête à le
-recevoir. Là, sans être à charge à la cour de Saxe, sans être
-incommodé par elle, il avait ce qu'il désirait, un établissement
-convenable, de l'air, de la verdure et un champ de manoeuvre. Il
-décida qu'il aurait le matin un lever comme aux Tuileries, au milieu
-du jour des revues et des manoeuvres, le soir des dîners, des
-réceptions, et les chefs-d'oeuvre de Corneille, de Racine, de Molière,
-représentés par les premiers acteurs de la Comédie française. Le
-lendemain même de son retour à Dresde, sa vie telle qu'il l'avait
-ordonnée commençait avec la précision et l'invariabilité d'une
-consigne militaire. Mais en même temps M. de Bubna, qui, arrivé de
-Vienne depuis plus de quinze jours, attendait vainement le moment de
-le voir, lui rappela sa présence par une note formelle, à laquelle il
-fallait de toute nécessité répondre clairement et promptement.
-
-[En marge: Communications entre les coalisés et la cour d'Autriche
-pendant la négociation de l'armistice.]
-
-[En marge: On se sert de la présence de M. de Caulaincourt aux
-avant-postes pour effrayer l'Autriche, et la décider par la crainte de
-l'arrangement direct.]
-
-Pour comprendre cette note et son importance, il est indispensable de
-connaître les dernières circonstances survenues en Autriche, où comme
-ailleurs les événements se succédaient avec une prodigieuse rapidité,
-sous la violente impulsion que Napoléon imprimait partout à la marche
-des choses. En employant M. de Caulaincourt dans la négociation de
-l'armistice, afin de susciter l'occasion d'un arrangement direct avec
-la Russie, Napoléon avait fourni à celle-ci une arme dangereuse, et
-dont elle devait faire un funeste usage. Si l'empereur Alexandre,
-moins blessé par les dédains de Napoléon, moins épris du rôle tout
-nouveau de roi des rois, avait pu partager à quelque degré l'opinion
-du prince Kutusof, qui voulait qu'on se tirât de cette guerre en
-signant avec la France une paix toute russe, c'eût été un grand
-à-propos de lui envoyer M. de Caulaincourt, qui avait été longtemps
-son confident et presque son ami. Mais enivré de l'encens que
-brûlaient devant lui les Allemands, Alexandre était devenu malgré sa
-douceur ordinaire un ennemi implacable, auquel il était dangereux de
-chercher à s'adresser. Au lieu de le toucher par l'envoi de M. de
-Caulaincourt, on lui fournit seulement un moyen de mettre un terme aux
-longues hésitations de l'Autriche. C'était le cas en effet pour
-Alexandre de dire à cette puissance: Décidez-vous, car si, faute de
-nous secourir, vous nous laissez encore battre comme à Lutzen, comme à
-Bautzen, nous serons forcés de traiter avec notre commun ennemi,
-d'accepter les avances qu'il nous fait, de conclure avec lui une paix
-exclusivement avantageuse à la Russie, et de vous livrer
-définitivement à son ressentiment, qui ne doit pas être médiocre, car
-si vous n'avez pas assez fait pour nous secourir, vous avez assez fait
-pour lui inspirer une profonde défiance.--Ce langage à la cour de
-Vienne serait venu d'autant plus à propos le lendemain de Bautzen,
-qu'un nouveau mouvement en arrière allait éloigner les coalisés des
-frontières de l'Autriche, et les priver de tout contact avec elle.
-C'était donc le moment ou jamais de s'unir, car un pas de plus, et les
-mains tendues les unes vers les autres ne pourraient plus se joindre.
-
-[En marge: Envoi de M. de Nesselrode à Vienne pour menacer l'Autriche
-d'un arrangement direct avec la France.]
-
-Telles sont les raisons qu'on avait résolu d'employer auprès de
-l'empereur François et de M. de Metternich; et tandis que MM. Kleist
-et de Schouvaloff négociaient à Pleiswitz l'armistice du 4 juin, on
-avait appelé M. de Stadion, on lui avait fait remarquer le choix de M.
-de Caulaincourt pour cette négociation, on avait même ajouté le
-mensonge à la vérité, car on avait parlé de prétendues insinuations
-que ce personnage se serait permises (ce qui était faux), et
-desquelles on pouvait conclure que Napoléon songeait à s'entendre
-directement avec la Russie aux dépens de l'Autriche. Tout ce que
-l'envoi de M. de Caulaincourt permettait de supposer en fait de
-tentatives diplomatiques, on l'avait donné pour accompli, et on avait
-pressé M. de Stadion de déclarer à son cabinet, que ce qu'on refusait
-aujourd'hui, on serait obligé de l'accepter dans quelques jours, sous
-la pression des circonstances et des victoires de Napoléon. M. de
-Stadion, qui n'aimait pas la France, et qui avait été fort offusqué de
-la présence de M. de Caulaincourt, s'était hâté de peindre à sa cour,
-en l'exagérant beaucoup, le danger d'un arrangement direct entre la
-France et la Russie. Ne comptant même pas assez sur l'influence des
-paroles écrites, on avait expédié, comme nous l'avons dit, M. de
-Nesselrode, le même qui pendant quarante ans n'a cessé de conseiller à
-ses divers maîtres une politique profonde par sa patience, mais pas
-toujours d'accord avec leur tempérament irritable. Jeune alors,
-simple, modeste, moins dogmatique que M. de Metternich, moins
-entreprenant, mais doué d'autant de finesse, et fait pour gagner la
-confiance d'un prince éclairé comme Alexandre, il avait déjà obtenu
-sur lui un ascendant très-marqué. Le czar, quoiqu'il eût laissé à M.
-de Romanzoff le vain titre de chancelier, en mémoire de la Finlande et
-de la Bessarabie conquises sous son ministère, avait amené M. de
-Nesselrode à son quartier général, et ne dirigeait plus les affaires
-qu'avec lui et par son conseil. Il l'avait expédié dès le 1er juin
-pour Vienne, avec la mission de prier, de supplier, de menacer au
-besoin la cour d'Autriche, en lui montrant la tête de Méduse,
-c'est-à-dire Napoléon s'abouchant avec Alexandre, et renouvelant sur
-l'Oder l'entrevue du Niémen, et peut-être à Breslau l'alliance de
-Tilsit. M. de Nesselrode s'était mis en route sur-le-champ, se
-dirigeant sur Vienne à travers la Bohême.
-
-[En marge: Effet produit sur l'empereur François et sur M. de
-Metternich par la perspective d'un arrangement direct entre la Russie
-et la France.]
-
-[En marge: Danger pour l'Autriche, si elle ne se décide pas à temps,
-d'être repoussée universellement, après avoir été universellement
-recherchée.]
-
-Il n'en fallait pas tant pour donner à deux esprits aussi clairvoyants
-que l'empereur François et M. de Metternich une commotion décisive.
-L'Autriche, en effet, replacée par la fortune dans une grande
-situation, dont elle avait été précipitée depuis vingt ans par l'épée
-de Napoléon, courait cependant un grave danger. Tout le monde la
-caressait en ce moment, tout le monde se présentait à elle les mains
-pleines des dons les plus magnifiques. Alexandre lui offrait
-non-seulement l'Illyrie et une part de la Pologne, mais l'Italie, mais
-le Tyrol, mais la couronne impériale d'Allemagne, que Napoléon avait
-fait tomber de sa tête, et, plus que tout cela, l'indépendance. La
-France lui offrait avec l'Illyrie et une part de la Pologne, non pas
-l'Italie, non pas le Tyrol, non pas la couronne impériale, mais ce qui
-l'eût charmée un siècle auparavant, la Silésie, sans l'indépendance il
-est vrai, à laquelle elle tenait plus qu'à tout le reste. Elle n'avait
-donc qu'à choisir; mais si, voulant jouir trop longtemps de ce rôle de
-puissance universellement courtisée, elle ne se décidait pas à
-propos, il était possible qu'après avoir été flattée, caressée par
-tous, elle finît par être honnie par tous aussi, et écrasée sous leur
-commun ressentiment, car si Napoléon et Alexandre s'entendaient, il
-devait en résulter une paix exclusivement russe; l'Autriche n'aurait
-rien de la Pologne, rien de l'Illyrie, rien de l'Italie; on ne
-céderait point à son désir de reconstituer l'Allemagne, sauf quelques
-dédommagements qu'on accorderait peut-être à la Prusse, et, loin de
-recouvrer son indépendance, elle retomberait sous la domination de
-Napoléon devenue plus dure que jamais. Il suffisait pour cela d'un
-instant, et, dans les conjonctures présentes, les choses se décidant à
-coups d'épée, et quels coups d'épée! c'était assez de quarante-huit
-heures pour changer la face du monde.
-
-[En marge: Départ subit de l'empereur François et de son ministre pour
-Prague.]
-
-[En marge: Altération visible des sentiments de M. de Metternich à
-l'égard de la France.]
-
-Plein de ces préoccupations, M. de Metternich avait déjà songé à
-conduire son maître à Prague, afin d'être tout près du théâtre des
-batailles et des négociations, et de pouvoir, du haut de la Bohême
-comme d'un observatoire élevé et voisin, suivre le torrent si rapide
-des choses, et s'y jeter au besoin. La nouvelle du choix de M. de
-Caulaincourt pour négocier l'armistice l'avait affecté au point de
-rendre son émotion visible aux yeux pénétrants de M. de Narbonne. Les
-lettres de M. de Stadion ne lui avaient plus laissé un seul doute, et
-en vingt-quatre heures l'empereur et son ministre avaient formé la
-résolution de quitter Vienne pour Prague, au grand étonnement du
-public, surpris non d'une telle résolution, mais de la promptitude
-avec laquelle elle avait été prise. Dans les rapports où l'on était
-avec la France, on avait en quelque sorte l'obligation de lui tout
-expliquer, et M. de Metternich s'était hâté de dire à M. de Narbonne,
-que les négociations étant à la veille de commencer par
-l'intermédiaire de l'Autriche, il fallait que le médiateur se
-rapprochât des parties soumises à sa médiation, qu'à Prague on
-gagnerait six jours au moins sur chaque communication, ce qui
-importait fort, la paix du monde devant se conclure en six semaines.
-Cette raison justifiait le voyage à Prague, mais non pas le départ en
-vingt-quatre heures. Des renseignements secrets et l'air contraint de
-M. de Metternich avaient achevé de tout révéler à la vigilance de la
-légation française. M. de Narbonne avait su, par des informations
-sûres, que la cour de Vienne accélérait son départ par la crainte d'un
-arrangement direct de la France avec la Russie, et ces informations
-lui expliquaient en outre les nouveaux sentiments qu'il avait cru
-découvrir chez M. de Metternich. M. de Narbonne, en effet, avait
-trouvé le ministre autrichien sensiblement refroidi, ce qui était
-naturel, car si M. de Metternich s'était échappé de notre alliance
-comme un serpent s'échappe à force de mouvements alternatifs des
-étreintes d'une main puissante, toutefois il n'avait pas entièrement
-déserté notre cause, et dans l'intention fort sage de tout terminer
-sans guerre, il avait défendu auprès des coalisés le système d'une
-paix modérée, ce qui n'avait pas été facile, et il était fondé à nous
-en vouloir de chercher à négocier une paix désastreuse pour lui,
-tandis qu'il s'efforçait d'en stipuler une très-acceptable pour nous.
-
-[En marge: Rencontre de M. de Nesselrode et de M. de Metternich.]
-
-[En marge: Résolution invariable de M. de Metternich d'épuiser le rôle
-de médiateur avant de passer au rôle de belligérant.]
-
-Du reste, M. de Narbonne avait eu à peine le temps d'entretenir M. de
-Metternich, et ce dernier, parti en toute hâte, était avec l'empereur
-François à Gitschin, résidence située à une vingtaine de lieues de
-Prague, dès le 3 juin au soir. En y arrivant il avait rencontré M. de
-Nesselrode, qui apprenant le départ de la cour, avait rebroussé chemin
-pour la joindre. Les paroles que ces deux hommes d'État, alors si
-importants, avaient pu s'adresser, on les devine. M. de Nesselrode
-avait, au nom de l'empereur de Russie et du roi de Prusse, supplié M.
-de Metternich de mettre fin à de trop longues hésitations, de ne pas
-laisser battre de nouveau les alliés, car, battus encore une fois, ils
-seraient obligés de se soumettre à Napoléon, de traiter avec lui aux
-dépens de l'Autriche, et de consacrer pour jamais la dépendance de
-l'Europe. M. de Nesselrode s'était appliqué surtout à montrer à M. de
-Metternich que Napoléon trahissait les Autrichiens, car tandis que
-ceux-ci soutenaient pour lui le système d'une paix modérée, il
-songeait à les sacrifier, et à conclure une paix accablante pour eux
-seuls. Il avait donc pressé instamment le ministre autrichien de
-suivre enfin l'exemple de la Prusse, et de s'unir par un traité formel
-aux souverains alliés. M. de Metternich n'avait besoin d'être ni
-éclairé ni excité, car il l'était suffisamment. Mais ce ministre, dont
-le mérite a toujours été d'avoir, avec un esprit sans froideur, une
-politique sans passion, s'attachait de plus en plus au système de
-conduite qu'il avait adopté, celui d'épuiser le rôle intermédiaire
-d'arbitre, avant de passer au rôle de belligérant. Ce système de
-conduite, outre qu'il dégageait l'honneur de l'empereur François, son
-honneur de souverain et de père, avait l'avantage de ménager aussi la
-considération de l'Autriche, de lui procurer le temps dont elle avait
-besoin pour armer, et, par-dessus tout, de rendre possible une
-conclusion pacifique, car c'eût été un bien beau résultat pour elle
-que de reconstituer la Prusse, de rétablir l'indépendance de
-l'Allemagne, de recouvrer en outre l'Illyrie et la part perdue de la
-Gallicie, sans courir les hasards peut-être funestes (personne ne le
-savait alors) d'une nouvelle guerre avec Napoléon.
-
-[En marge: Promesse à la Russie de s'unir à la coalition, si la France
-reste sourde à toute proposition raisonnable, mais après avoir tout
-fait pour éclairer celle-ci.]
-
-M. de Metternich avec une prévoyance profonde voulait s'épargner
-non-seulement la chance bien dangereuse de voir tout le monde, fatigué
-de ses temporisations, s'arranger à ses dépens, mais la chance aussi
-de se faire battre par la France, ce qu'il redoutait fort malgré les
-événements de l'année précédente, et, par ce motif, il cherchait d'une
-main à tenir la Prusse et la Russie, pour qu'elles ne pussent lui
-échapper, et de l'autre à contenir Napoléon, pour lui faire accepter
-une paix que l'Europe pût agréer. Aussi avait-il dit à M. de
-Nesselrode qu'il s'était engagé à être médiateur, qu'il remplirait
-franchement ce rôle pendant les deux mois qui allaient suivre, qu'il
-lui fallait indispensablement, à l'égard de la France, passer par le
-rôle de médiateur avant d'en arriver à celui d'ennemi, que jusque-là
-il ne pouvait prendre parti, mais que si des conditions de paix
-raisonnables étaient définitivement repoussées, il conseillerait à son
-maître, l'armistice expiré, de s'unir aux puissances alliées, et de
-tenter un suprême et dernier effort pour arracher l'Europe à la
-domination de Napoléon.
-
-[En marge: Double déclaration en ce sens que M. de Bubna est chargé de
-porter à Dresde.]
-
-Ce qu'on s'était promis actuellement, en conséquence de ces vues,
-c'était, de la part de la Russie, de ne pas se laisser séduire par
-l'appât d'un arrangement direct, de la part de l'Autriche, de déclarer
-la guerre au jour indiqué, si les conditions de la médiation n'étaient
-pas acceptées par la France. M. de Metternich, profitant du voisinage
-de Prague, y avait rappelé M. de Bubna pour vingt-quatre heures, lui
-avait bien expliqué la position, lui avait positivement affirmé qu'on
-n'était pas encore engagé avec les belligérants, l'avait autorisé à
-donner à l'appui de ce fait la parole d'honneur de l'empereur
-François, mais l'avait autorisé aussi à signifier de la manière la
-plus expresse qu'on finirait par s'engager, si la durée de l'armistice
-n'était pas employée à négocier sincèrement une paix modérée. Il
-l'avait en même temps chargé d'annoncer au cabinet français, que la
-médiation de l'Autriche était formellement acceptée par la Prusse et
-par la Russie, ce qui obligeait dès lors le médiateur à demander à
-chacun ses conditions, et notamment à la France qui était instamment
-priée de faire connaître les siennes. M. de Bubna devait à cette
-occasion témoigner le désir de M. de Metternich de venir un moment à
-Dresde, pour tout terminer sur les lieux, dans un entretien cordial
-avec Napoléon. Là, en effet, on pouvait finir en quelques heures, car
-si M. de Metternich parvenait à persuader Napoléon, tout serait dit,
-les coalisés étant dans l'impossibilité de refuser les conditions que
-l'Autriche déclarerait acceptables.
-
-[En marge: Note de M. de Bubna, constituant pour le cabinet français
-une vraie mise en demeure.]
-
-Telles sont les choses, fort importantes comme on le voit, que M. de
-Bubna, revenu à Dresde, voulait communiquer à Napoléon, et dont il ne
-disait qu'une partie à M. de Bassano, sachant l'inutilité des
-explications avec ce ministre, qui recevait les opinions de son maître
-et ne les faisait pas. Napoléon étant arrivé le 10 juin, M. de Bubna
-avait remis le 11 une note pour déclarer que la Russie et la Prusse
-avaient officiellement accepté la médiation de l'Autriche, que
-celle-ci était occupée à leur demander leurs conditions de paix, et
-qu'on attendait que la France voulût bien énoncer les siennes. Ce
-n'était là qu'une mise en demeure, ayant pour but non d'amener une
-entière et immédiate énonciation des conditions de la France, mais de
-provoquer les pourparlers préliminaires, les épanchements
-confidentiels, préalable indispensable et plus ou moins long, suivant
-le temps dont on dispose, des déclarations officielles et définitives.
-
-[En marge: Preuve évidente que Napoléon ne voulait pas la paix,
-résultant de plusieurs pertes de temps volontaires.]
-
-[En marge: Napoléon prend quelques jours pour répondre à la note
-remise le 11 juin par M. de Bubna.]
-
-Si Napoléon avait voulu la paix, celle du moins qui était possible et
-dont il connaissait les conditions, il n'aurait pas perdu de temps,
-quarante jours au plus lui restant pour la négocier. On était en effet
-au 10 juin, et l'armistice expirait au 20 juillet. Avec son ardeur
-accoutumée, il aurait appelé M. de Metternich à Dresde, aurait tâché
-de lui arracher quelque modification aux propositions de l'Autriche,
-ce qui était très-possible avec le désir qu'elle avait d'en finir
-pacifiquement, et aurait renvoyé ce ministre, une, deux et trois fois,
-au quartier général des puissances alliées, pour aplanir les
-difficultés de détail toujours nombreuses dans tout traité, mais
-devant l'être bien davantage dans un traité qui allait embrasser les
-intérêts du monde entier. Mais la preuve évidente qu'il ne la voulait
-pas (indépendamment des preuves irréfragables contenues dans sa
-correspondance), c'était le temps qu'il perdait et qu'il allait perdre
-encore. Son projet, comme nous l'avons dit, c'était de différer le
-moment de s'expliquer, de multiplier pour cela les questions de forme,
-puis de paraître s'amender tout à coup lorsque la suspension d'armes
-serait près d'expirer, de se montrer alors disposé à céder, d'obtenir
-à la faveur de ces manifestations pacifiques une prolongation
-d'armistice, de se donner ainsi jusqu'au 1{er} septembre pour terminer
-ses préparatifs militaires, de rompre à cette époque sur un motif bien
-choisi qui pût faire illusion au public, et de tomber soudainement
-avec toutes ses forces sur la coalition, de la dissoudre et de
-rétablir plus puissante que jamais sa domination actuellement
-contestée, calcul pardonnable assurément, et dont l'histoire des
-princes conquérants n'est que trop remplie, s'il avait été fondé sur
-la réalité des choses! Avec de telles vues il n'était pas temps encore
-de recevoir M. de Bubna, et de lui répondre par oui ou par non, sur
-des conditions qui se réduisaient à un petit nombre de points dont
-aucun ne prêtait à l'équivoque. Aussi Napoléon prit-il la résolution
-de laisser passer quatre ou cinq jours avant d'admettre auprès de lui
-M. de Bubna et de répondre à sa note, ajournement fort concevable si
-aucun terme n'avait été fixé aux négociations, et si, comme lors du
-traité de Westphalie, on avait eu pour négocier des mois et même des
-années. Mais perdre quatre ou cinq jours sur quarante pour une
-première question de forme, qui en supposait encore mille autres,
-c'était trop dire ce qu'on voulait, ou plutôt ce qu'on ne voulait
-pas.
-
-Toutefois Napoléon venait d'arriver à Dresde, fatigué sans doute,
-accablé de soins de tout genre, et à la rigueur on pouvait comprendre
-qu'il ne reçût point M. de Bubna le jour même. Il n'y avait pas
-d'ailleurs de souverain au monde qui fût plus dispensé que lui de se
-plier aux convenances d'autrui, et qui s'y pliât moins. Ces retards
-envers M. de Bubna n'avaient donc encore rien de bien significatif.
-Seulement Napoléon prouvait ainsi qu'il n'était pas pressé, car
-lorsqu'il l'était, les jours, les nuits, la fatigue, le repos, tout
-devenait égal pour lui, et n'être pas pressé de la paix en ce moment,
-c'était ne pas la désirer. M. de Bassano reçut la dépêche de M. de
-Bubna, affecta de la trouver infiniment grave, dit que sous trois ou
-quatre jours on répondrait, et que sous trois ou quatre jours aussi
-Napoléon donnerait audience à M. de Bubna, et s'expliquerait avec lui
-sur le contenu de sa note.
-
-[En marge: Nombreuses chicanes de forme.]
-
-[En marge: On conteste d'abord à M. de Bubna le caractère nécessaire
-pour remettre une note.]
-
-[En marge: On élève ensuite des objections sur la prétention du
-cabinet autrichien, de réunir la double qualité de médiateur et
-d'allié.]
-
-[En marge: On s'oppose formellement à une autre prétention de
-l'Autriche, celle d'être l'intermédiaire unique entre les parties
-contractantes.]
-
-Dans cet intervalle la réponse fut préparée et rédigée. Elle était de
-nature, plus encore que le temps volontairement perdu, à révéler les
-dispositions véritables du gouvernement français. On objecta d'abord à
-M. de Bubna qu'il n'avait aucun caractère pour remettre une note. Cet
-agent, en effet, reçu officieusement par Napoléon, et envoyé auprès de
-lui comme lui étant plus agréable qu'un autre, et comme plus spirituel
-notamment que le prince de Schwarzenberg qui l'était peu, n'avait
-jamais été formellement accrédité, ni à titre de plénipotentiaire ni à
-titre d'ambassadeur; il n'avait donc pas qualité pour remettre une
-note. C'était là une difficulté bien mesquine, car on avait déjà
-échangé avec ce personnage les communications les plus importantes.
-Néanmoins on rédigea une première réponse à M. de Bubna, dans laquelle
-on soutint qu'il fallait que la note qu'il avait présentée fût signée
-de M. de Metternich, pour prendre place dans les archives du cabinet
-français, car il n'avait quant à lui aucun titre qui pût donner à
-cette note un caractère d'authenticité. Après cette difficulté de
-forme, on éleva des difficultés de fond. La première était relative à
-la médiation elle-même. Sans doute, disait-on, la France avait paru
-disposée à admettre la médiation de l'Autriche, avait même promis de
-l'accepter, mais une résolution si importante ne pouvait pas se
-supposer, se déduire d'un simple entretien, et il fallait un acte
-officiel, dans lequel on déterminerait le but, la forme, la portée, la
-durée de cette médiation. Ce n'était pas tout: cette médiation comment
-se concilierait-elle avec le traité d'alliance? le cabinet autrichien
-serait-il médiateur, c'est-à-dire arbitre, arbitre prêt à se prononcer
-contre l'une ou l'autre partie, et à se prononcer les armes à la main,
-comme il était d'usage que le fît un médiateur armé? alors que
-devenait le traité d'alliance de l'Autriche avec la France? Il fallait
-s'expliquer sur ce point. Enfin, quelle que fût la portée de la
-médiation, il y avait une question de forme sur laquelle l'honneur ne
-permettait pas de garder le silence. Ainsi le médiateur se saisissant
-si brusquement, et on peut dire si cavalièrement, de son rôle,
-annonçait déjà une manière de traiter qui ne pouvait convenir à la
-France. Il paraissait en effet vouloir s'entremettre entre toutes les
-parties belligérantes, porter lui seul la parole de celles-ci à
-celles-là, et ne les jamais placer en présence les unes des autres (ce
-qui était effectivement le secret désir de l'Autriche, afin d'empêcher
-l'arrangement direct). Une telle manière de négocier n'était pas
-admissible. La France ne reconnaissait à personne le droit de traiter
-pour elle ses propres affaires. S'y prendre de la sorte, c'était lui
-imposer une paix concertée avec d'autres, et la France si longtemps
-victorieuse, au point de dicter des conditions à l'Europe, n'en était
-pas réduite, surtout quand la victoire lui était revenue, à accepter
-les conditions de qui que ce soit. Elle voulait bien, pour parvenir à
-la paix dont tout le monde avait besoin, renoncer à dicter des
-conditions; jamais elle ne consentirait à s'en laisser dicter,
-l'Europe fût-elle réunie tout entière pour lui faire la loi.--
-
-[En marge: On répond d'une manière presque négative au désir de venir
-à Dresde exprimé par M. de Metternich.]
-
-On remplit plusieurs notes de ces chicanes, et Napoléon en remplit
-lui-même un long entretien avec M. de Bubna. Il lui accorda cet
-entretien le 14 juin, et les notes furent signées et remises le 15. M.
-de Bassano les accompagna d'une lettre personnelle pour M. de
-Metternich, dont le ton était même contraire au but qu'on se proposait
-d'atteindre, car Napoléon voulait qu'on gagnât du temps, et la hauteur
-de langage n'était pas un moyen d'y réussir. Dans cette lettre, il
-imputait le temps perdu à M. de Metternich, se plaignait
-maladroitement de ce que l'armistice ayant été signé le 4 juin, on fût
-si peu avancé le 15, comme si M. de Bubna n'avait pas été dès les
-derniers jours de mai au quartier général français, demandant une
-entrevue sans pouvoir l'obtenir, comme si l'Autriche sur tous les
-points ne se fût pas montrée impatiente de provoquer et de donner des
-explications. Enfin, quant au désir exprimé par M. de Metternich de
-venir à Dresde, M. de Bassano, sans même éluder, répondait d'une
-manière à peine polie que les questions étaient encore trop peu mûries
-pour qu'une entrevue de M. de Metternich, soit avec le ministre des
-affaires étrangères, soit avec Napoléon lui-même, pût avoir l'utilité
-qu'on en attendait, et qu'on en espérait plus tard.
-
-[En marge: Napoléon se flatte par ces divers ajournements de faire
-proroger l'armistice jusqu'au 1er septembre.]
-
-Telles furent les réponses dont M. de Bubna dut se contenter, et qui
-furent expédiées à M. de Metternich à Prague. Il fallait un jour pour
-se rendre dans cette capitale de la Bohême, un jour pour en revenir,
-et si M. de Metternich et son maître mettaient trois ou quatre jours
-pour se résoudre, on devait atteindre le 20 juin avant d'être obligé
-de parler de nouveau. De son côté il serait bien permis à la
-diplomatie française d'employer quelques jours à se décider sur le
-texte de la convention par laquelle on accepterait la médiation,
-d'employer quelques jours encore pour réunir les plénipotentiaires, et
-on aurait ainsi gagné le 1er juillet sans s'être abouché avec la
-diplomatie européenne. Il suffirait alors de se montrer conciliant un
-moment, du 1er au 10 juillet, par exemple, pour être fondé à demander
-que l'expiration de l'armistice fût reportée du 20 juillet au 20 août,
-ce qui, avec six jours pour la dénonciation des hostilités, conduirait
-au 26 août, fort près de ce 1er septembre, terme désiré par Napoléon.
-Tels étaient ses calculs et les moyens employés pour en obtenir le
-succès.
-
-[En marge: Vastes projets militaires de Napoléon, pour lesquels il
-avait besoin d'un délai de trois mois.]
-
-[En marge: Napoléon, comptant par ses refus avoir la guerre avec
-l'Autriche, choisit le cours de l'Elbe pour sa ligne d'opération.]
-
-[En marge: Nécessité d'adopter cette ligne, puisqu'il continuait la
-guerre pour ne pas abandonner les villes anséatiques et la
-Confédération du Rhin.]
-
-[En marge: Avantage qu'avait la ligne de l'Elbe d'éloigner les
-hostilités de la frontière de France.]
-
-Pendant qu'il ne visait qu'à perdre le temps dans les négociations, il
-ne visait au contraire qu'à le bien employer dans l'accomplissement
-de ses vastes conceptions militaires. Le premier projet de Napoléon,
-lorsqu'il comptait sur l'alliance ou la neutralité de l'Autriche,
-était de s'avancer jusqu'à l'Oder et à la Vistule, pour rejeter les
-Russes sur le Niémen, et les ramener chez eux vaincus et séparés des
-Prussiens. Tous les préparatifs actuels étant faits dans la
-supposition de la guerre avec l'Autriche, les plans ne pouvaient plus
-être les mêmes, car en s'avançant seulement jusqu'à l'Oder, il eût
-laissé les armées autrichiennes sur ses flancs et ses derrières. Il
-n'avait donc à choisir pour future ligne défensive qu'entre l'Elbe et
-le Rhin, ou le Main tout au plus. Il préféra l'Elbe pour des raisons
-profondes, généralement peu connues et mal appréciées. (Voir la carte
-nº 28.) Disons d'abord que se porter sur le Rhin ou sur le Main
-revenait à peu près au même, car la petite rivière du Main, en
-décrivant plusieurs contours à travers le pays montueux de la
-Franconie, et venant après un cours de peu d'étendue tomber dans le
-Rhin à Mayence, pouvait bien servir à défendre les approches du Rhin,
-quand on se battait avec des armées de soixante ou quatre-vingt mille
-hommes, mais ne pouvait plus avoir cet avantage depuis qu'on se
-battait avec des masses de cinq à six cent mille, et eût été débordée
-par la droite ou par la gauche avant quinze jours. On devait donc ne
-considérer le Main que comme une annexe de la ligne du Rhin,
-c'est-à-dire comme le Rhin lui-même, et il n'y avait à choisir
-qu'entre le Rhin et l'Elbe. Poser ainsi la question, c'était presque
-la résoudre. Se retirer tout de suite sur le Rhin, c'était faire à
-l'Europe un abandon de territoire plus humiliant cent fois que les
-sacrifices qu'elle demandait pour accorder la paix. C'était abandonner
-non-seulement les alliances de la Saxe, de la Bavière, du Wurtemberg,
-de Bade, etc., mais les villes anséatiques qui nous étaient si
-vivement disputées, mais la Westphalie et la Hollande qui ne l'étaient
-pas, car la Hollande elle-même n'est plus couverte quand on est sur le
-Rhin. Et comment exiger dans un traité le protectorat de la
-Confédération du Rhin, qu'on déclarait en rétrogradant sur le Rhin ne
-pouvoir plus défendre? comment prétendre aux villes anséatiques, à la
-Westphalie, à la Hollande qu'on reconnaissait ne pouvoir plus occuper?
-À prendre ce terrain pour champ de bataille, il eût été bien plus
-simple d'accepter tout de suite les conditions de paix de l'Autriche,
-car en renonçant à la Confédération du Rhin et aux villes anséatiques,
-on eût conservé au moins sans contestation la Westphalie et la
-Hollande, et soustrait définitivement à tous les hasards le trône de
-Napoléon, et, ce qui valait mieux, la grandeur territoriale de la
-France. Indépendamment de ces raisons, qui politiquement étaient
-décisives, il y en avait une autre, qui moralement et patriotiquement
-était tout aussi forte, c'est que rétrograder sur le Rhin, c'était
-consentir à transporter en France le théâtre de la guerre. Sans doute
-tant que le Rhin n'était point franchi par l'ennemi, on pouvait
-considérer la guerre comme se faisant hors de France; mais le
-voisinage était tel, que pour les provinces frontières la souffrance
-était presque la même. De plus en obtenant des victoires sur le haut
-Rhin, entre Strasbourg et Mayence, par exemple, Napoléon n'était pas
-assuré qu'un de ses lieutenants ne laisserait pas forcer sa position
-au-dessous de lui, et alors la guerre se trouverait transportée en
-France, et ce ne serait plus la situation d'un conquérant se battant
-pour la domination du monde, ce serait celle d'un envahi réduit à se
-battre pour la conservation de ses propres foyers. Mieux eût valu,
-nous le répétons, accepter la paix tout de suite, car outre qu'elle
-n'était pas humiliante, qu'elle était même infiniment glorieuse, elle
-n'exigeait pas de Napoléon un sacrifice comparable à celui que lui eût
-infligé la retraite volontaire sur le Rhin. Ceux donc qui le blâment
-d'avoir adopté la ligne de l'Elbe, feraient mieux de lui adresser le
-reproche de n'avoir pas accepté la paix, car cette paix entraînait
-cent fois moins de sacrifices de tout genre que la retraite immédiate
-sur le Rhin. La déplorable idée de continuer la guerre pour les villes
-anséatiques, et pour la Confédération du Rhin, étant admise, il n'y
-avait évidemment qu'une conduite à tenir, c'était d'occuper et de
-défendre la ligne de l'Elbe.
-
-Le grand esprit de Napoléon ne pouvait pas se tromper à cet égard, et
-planant comme l'aigle sur la carte de l'Europe, il s'était abattu sur
-Dresde, comme sur le roc d'où il tiendrait tête à tous ses ennemis. Le
-récit des événements prouvera bientôt que s'il y fut forcé, ce fut,
-non point par le vice de la position elle-même, mais par suite de
-l'extension extraordinaire donnée à ses combinaisons, de l'épuisement
-de son armée, et des passions patriotiques excitées contre lui dans
-toute l'Europe. Six ans plus tôt, avec l'armée de Friedland, il y
-aurait tenu contre le monde entier.
-
-[En marge: Propriétés militaires de la ligne de l'Elbe.]
-
-[En marge: Danger d'y être tourné par la Bohême.]
-
-[En marge: Moyens de parer à ce danger.]
-
-La ligne de l'Elbe, quoique présentant dans sa partie supérieure un
-obstacle moins considérable que le Rhin, avait cependant l'avantage
-d'être moins longue, moins accidentée, plus facile à parcourir
-intérieurement pour porter secours d'un point à un autre, et, depuis
-les montagnes de la Bohême jusqu'à la mer, semée de solides appuis,
-tels que Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg,
-Hambourg. Quelques-uns de ces appuis exigeaient des travaux, et c'est
-pour ce motif que Napoléon dans ses calculs militaires, qui étaient
-plus profonds que ses calculs politiques, voulait sans cesse allonger
-l'armistice, pour réparer la faute de l'avoir signé. Il s'agissait de
-savoir si la ligne de l'Elbe s'appuyant à son extrême droite aux
-montagnes de la Bohême, et si la Bohême donnant à l'Autriche le moyen
-de déboucher sur les derrières de cette position, il était possible de
-se défendre contre un mouvement tournant de l'ennemi. C'était la
-question que s'adressaient beaucoup d'esprits éclairés, et qu'ils
-s'adressaient tout haut. Mais Napoléon qui, à mesure que son malheur
-commençait à délier certaines langues timides, permettait ces
-objections, Napoléon faisait des gestes de dédain quand on lui disait
-que sa position de Dresde pourrait être tournée par une descente des
-Autrichiens sur Freyberg ou sur Chemnitz. (Voir les cartes n{os} 28 et
-58.) Ce n'était pas, en effet, au général de l'armée d'Italie, qui
-retrouvait agrandie la position qu'il avait si longtemps occupée
-autour de Vérone, qui retrouvait dans l'Elbe l'Adige, dans la Bohême
-le Tyrol, dans Dresde Vérone elle-même, et qui fortement établi jadis
-au débouché des Alpes, avait fondu tour à tour sur ceux qui se
-présentaient ou devant lui ou derrière lui, et les avait plus
-maltraitée encore lorsqu'ils s'aventuraient sur ses derrières, ce
-n'était pas au général de l'armée d'Italie qu'on pouvait faire peur
-d'une position semblable. Il répondait avec raison que ce qu'il
-demanderait au ciel de plus heureux, c'était que la principale masse
-ennemie voulût bien, tandis qu'il serait posté sur l'Elbe, déboucher
-en arrière de ce fleuve, qu'il courrait sur elle, et la prendrait tout
-entière entre l'Elbe et la forêt de Thuringe. Le prochain désastre des
-coalisés à Dresde prouva bientôt la justesse de ses prévisions, et si
-plus tard, comme on le verra, il fut forcé sur l'Elbe, ce ne fut point
-par la Bohême, mais par l'Elbe inférieur, que ses lieutenants
-n'avaient pas su défendre, et après plusieurs accidents qui l'avaient
-prodigieusement affaibli. Sa pensée, toujours profonde et d'une portée
-sans égale lorsqu'il s'agissait des hautes combinaisons de la guerre,
-était donc de s'établir fortement sur les divers points de l'Elbe, de
-manière à pouvoir s'en éloigner quelques jours sans crainte, soit
-qu'il fallût prévenir la masse qui s'avancerait de front, soit qu'il
-fallût revenir rapidement sur celle qui aurait par la Bohême débouché
-sur ses derrières, en un mot de recommencer avec 500 mille hommes
-contre 700 mille, ce qu'il avait accompli dans sa jeunesse avec 50
-mille Français contre 80 mille Autrichiens, et les résultats
-prouveront qu'avec des éléments moins usés, la supériorité
-incomparable de ses conceptions eût triomphé cette seconde fois comme
-la première. Mais la gloire de réaliser sur une échelle si vaste les
-prodiges de sa jeunesse ne devait pas lui être accordée, pour le punir
-d'avoir trop abusé des hommes et des choses, des corps et des âmes!
-
-[En marge: Nombreux points d'appui qui devaient rendre la ligne de
-l'Elbe formidable.]
-
-[En marge: Koenigstein et Lilienstein.]
-
-Pour que la ligne de l'Elbe pût avoir toute sa valeur, il fallait
-employer le temps de la suspension d'armes à en fortifier les points
-principaux, et se hâter, soit qu'on réussît ou non à prolonger la
-durée de l'armistice. Le premier point était celui de Koenigstein, à
-l'endroit même où l'Elbe sort des montagnes de la Bohême pour entrer
-en Saxe. (Voir la carte nº 58.) Deux rochers, ceux de Koenigstein et
-de Lilienstein, placés comme deux sentinelles avancées, l'une à
-gauche, l'autre à droite du fleuve, resserrent l'Elbe à son entrée
-dans les plaines germaniques, et en commandent le cours fort étroit en
-cette partie. Sur le rocher de Koenigstein, situé de notre côté,
-c'est-à-dire sur la gauche du fleuve, se trouvait la forteresse de ce
-nom, laquelle domine le célèbre camp de Pirna, illustré par les
-guerres du grand Frédéric. Il n'y avait rien à ajouter aux ouvrages de
-cette citadelle; seulement la garnison étant saxonne, Napoléon prit
-soin de la renouveler peu à peu et sans affectation par des troupes
-françaises. Il ordonna d'y rassembler dix mille quintaux de farine et
-d'y construire des fours, afin de pouvoir y nourrir une centaine de
-mille hommes pendant neuf ou dix jours, on va voir dans quelle
-intention. Sur le rocher opposé situé à la rive droite, celui de
-Lilienstein, presque tout était à créer. Napoléon commanda des travaux
-rapides qui permissent d'y loger deux mille hommes en sûreté, et en
-chargea le général Roguet, l'un des généraux distingués de sa garde.
-Puis il fit ramasser le nombre de bateaux nécessaires pour y jeter un
-pont spacieux et solide, capable de donner passage à une armée
-considérable, et qui, protégé par ces deux forts de Lilienstein et de
-Koenigstein, fût à l'abri de toute attaque. Dans sa profonde
-prévoyance, Napoléon calculait que si une armée ennemie, réalisant les
-pronostics de plus d'un esprit alarmé, débouchait de la Bohême sur ses
-derrières, pour attaquer Dresde pendant qu'il serait sur Bautzen par
-exemple, il pourrait passer l'Elbe à Koenigstein, et prendre à revers
-cette armée imprudente. On reconnaîtra bientôt quelle vue pénétrante
-de l'avenir supposait une telle précaution.
-
-[En marge: Dresde.]
-
-[En marge: État de cette place.]
-
-[En marge: Napoléon s'occupe de suppléer aux fortifications
-détruites.]
-
-[En marge: Vaste établissement militaire à Dresde.]
-
-Après Koenigstein et Lilienstein, placés au débouché des montagnes,
-venait Dresde, centre des prochaines opérations, Dresde, qui allait
-devenir, comme nous l'avons déjà dit, ce que Vérone avait été dans les
-guerres d'Italie. Pendant sa dernière campagne d'Autriche, ne voulant
-pas exposer Dresde à être le but des opérations de l'ennemi, et
-désirant épargner à son placide allié le roi de Saxe l'épreuve d'un
-siége, Napoléon avait conseillé aux ministres saxons de démolir les
-fortifications de Dresde, et de les remplacer par celles de Torgau.
-Par une négligence trop ordinaire, on avait démoli Dresde sans édifier
-Torgau, dont les ouvrages étaient à peine commencés. C'était chose
-fort regrettable, mais Napoléon y pourvut par des travaux qui bien
-qu'improvisés devaient suffire à leur objet. De l'enceinte de Dresde
-il restait les bastions, qu'il fit réparer et armer. Il suppléa aux
-courtines par des fossés remplis d'eau et par de fortes palissades.
-En avant de Dresde, comme dans toutes les villes déjà anciennes, il
-existait de grands faubourgs, dont la défense importait autant que
-celle de la ville elle-même. Napoléon les fit envelopper de
-palissades, et, en avant de toutes les parties saillantes de leur
-pourtour, il ordonna de construire des redoutes bien armées, se
-flanquant les unes les autres, et offrant une première ligne
-d'ouvrages difficile à forcer. Sur la rive droite, c'est-à-dire dans
-la Neustadt (ville neuve), il décida la construction d'une suite
-d'ouvrages plus serrés, qui devinrent bientôt une vaste tête de pont
-presque complétement fortifiée. Deux ponts en charpente, établis l'un
-au-dessus, l'autre au-dessous du pont de pierre, servaient avec
-celui-ci aux communications de la ville et de l'armée. Les choses
-ainsi disposées, trente mille hommes devaient se soutenir dans Dresde
-environ quinze jours contre deux cent mille hommes, si un chef de
-grand caractère était chargé du commandement. À ces moyens de défense
-Napoléon ajouta d'immenses magasins, dont nous ferons bientôt
-connaître le mode d'approvisionnement, ainsi que de vastes hôpitaux
-suffisants pour l'armée la plus nombreuse. Il y avait déjà seize mille
-malades ou blessés dans Dresde; il en prépara l'évacuation, afin
-d'avoir à sa disposition les seize mille lits qui deviendraient
-vacants, outre tous ceux qu'il allait établir encore. Avec les toiles
-de la Silésie il avait de quoi se procurer le principal matériel de
-ces hôpitaux.
-
-[En marge: Torgau et Wittenberg: travaux ordonnés sur ces deux
-points.]
-
-[En marge: Magdebourg.]
-
-[En marge: Vaste dépôt préparé à Magdebourg.]
-
-[En marge: Garnison mobile de cette place.]
-
-Après Dresde Napoléon s'occupa de Torgau et de Wittenberg. Il avait
-pour principe qu'avec du bois on pouvait tout, et que des ouvrages en
-terre pourvus de fortes palissades étaient capables d'opposer la plus
-longue résistance. C'est ainsi qu'il résolut de suppléer à ce qui
-manquait aux fortifications de Torgau et de Wittenberg, et il donna
-les ordres nécessaires pour que ces travaux fussent achevés en six ou
-sept semaines. Des milliers de paysans saxons bien payés travaillaient
-jour et nuit à Koenigstein, à Dresde, à Torgau, à Wittenberg. Sur ces
-deux derniers points comme sur les autres, l'établissement des
-magasins et des hôpitaux accompagnait la construction des ouvrages
-défensifs. À Magdebourg, l'une des plus fortes places de l'Europe, il
-n'y avait rien ou presque rien à ajouter en fait de murailles; il
-suffisait d'en terminer l'armement et d'en composer la garnison.
-Napoléon résolut d'y consacrer un corps d'armée, qui sans être
-entièrement immobilisé, pût tout à la fois servir de garnison et
-rayonner autour de la place, de manière à lier entre elles nos deux
-principales masses agissantes, celle du haut Elbe et celle du bas
-Elbe. Dans cette vue, il imagina de transférer à Magdebourg la presque
-totalité de ses blessés, et de plus le dépôt de cavalerie du général
-Bourcier. D'abord il importait que nos blessés et le dépôt de nos
-remontes en Allemagne fussent à l'abri de toute attaque, et dans un
-emplacement qui ne gênât pas le mouvement de nos forces actives. Sous
-ces divers rapports Magdebourg présentait tous les avantages
-nécessaires, car à des remparts presque invincibles cette place
-joignait de nombreux bâtiments pour hôpitaux, et des espaces libres
-pour y construire des écuries en planches. Elle était en outre située
-à une distance presque égale de Hambourg et de Dresde, ce qui en
-faisait un dépôt précieux entre les deux points extrêmes de notre
-ligne de bataille. Napoléon après y avoir nommé pour gouverneur son
-aide de camp le général Lemarois, officier intelligent et vigoureux,
-lui donna pour instructions sommaires _de convertir Magdebourg tout
-entier en écuries et en hôpitaux_. Il calculait qu'en faisant
-descendre par eau à Magdebourg tous les blessés et malades qui le
-gênaient à Dresde, qu'en y transportant le dépôt de cavalerie du
-général Bourcier actuellement en Hanovre, il aurait toujours sur
-quinze ou dix-huit mille blessés ou convalescents, sur dix ou douze
-mille cavaliers démontés, trois à quatre mille convalescents guéris,
-trois à quatre mille cavaliers en état de servir à pied, et pouvant
-fournir à la défense un fond de garnison de sept à huit mille hommes
-constamment assuré. Dès lors un corps mobile d'une vingtaine de mille
-hommes, établi à Magdebourg pour y lier entre elles nos armées du haut
-et du bas Elbe, pourrait en laissant cinq à six mille hommes au
-dedans, en porter quinze mille au dehors, et rayonner même à une
-grande distance sans que la place fût compromise. On voit avec quel
-art subtil et profond il savait combiner ses ressources, et les faire
-concourir à l'accomplissement de ses vastes desseins.
-
-[En marge: Manière de remplir la lacune de Magdebourg à Hambourg.]
-
-De Magdebourg à Hambourg le cours de l'Elbe restait sans défense, car
-de l'une à l'autre de ces villes il n'y avait pas un seul point
-fortifié. Ce sujet avait occupé Napoléon dès le jour de la signature
-de l'armistice, et après avoir conçu divers projets, il avait envoyé
-le général Haxo pour vérifier sur les lieux mêmes quel était celui qui
-vaudrait le mieux. À la suite d'un long examen, il s'était arrêté à
-l'idée de construire à Werben, plus près de Magdebourg que de
-Hambourg, au sommet du coude que l'Elbe forme en tournant du nord à
-l'ouest, et à son point le plus rapproché de Berlin, une espèce de
-citadelle faite avec de la terre et des palissades, munie de baraques
-et de magasins, et dans laquelle trois mille hommes pourraient se
-maintenir assez longtemps. Enfin Hambourg fut le dernier et le plus
-important objet de sa sollicitude.
-
-[En marge: Travaux ordonnés à Hambourg pour assurer la défense de
-cette ville importante.]
-
-Il fallait bien que cette grande place de commerce, qui était l'un des
-principaux motifs pour lesquels il se refusait à une paix nécessaire,
-fût non pas seulement défendue en paroles contre les négociateurs,
-mais en fait contre les armées coalisées. Le temps manquait
-malheureusement, et là comme ailleurs on ne pouvait exécuter que des
-travaux d'urgence. Il eût fallu dix ans et quarante millions pour
-faire de Hambourg une place qui comme Dantzig, Magdebourg ou Metz, pût
-soutenir un long siége. Napoléon, en faisant relever et armer les
-bastions de l'ancienne enceinte, en faisant creuser et inonder ses
-fossés, remplacer ses murailles par des palissades, et lier entre
-elles les différentes îles qui entourent Hambourg, y prépara un vaste
-établissement militaire, moitié place forte, moitié camp retranché, où
-un homme ferme, comme le prouva bientôt l'illustre maréchal Davout,
-pouvait opposer une longue résistance. Restait au-dessous de Hambourg,
-à l'embouchure même de l'Elbe, le fort de Gluckstadt, dont la garde
-fut confiée aux Danois, réduits alors par d'indignes traitements à
-vaincre ou à succomber avec nous.
-
-[En marge: Ensemble de la ligne de l'Elbe.]
-
-Ainsi des montagnes de la Bohême jusqu'à l'Océan du nord, la ligne de
-l'Elbe devait se trouver jalonnée d'une suite de points fortifiés,
-d'une valeur proportionnée au rôle de chacun d'eux, et pourvue de
-ponts qui nous appartiendraient exclusivement, de telle sorte qu'on
-pût à volonté se porter au delà, revenir en deçà, manoeuvrer en un mot
-dans tous les sens, offensivement et défensivement. La maxime de
-Napoléon, qu'on ne devait défendre le cours d'un fleuve
-qu'offensivement, c'est-à-dire en s'assurant de tous ses passages, et
-en se ménageant toujours le moyen de le franchir, cette maxime allait
-recevoir ici sa plus savante application.
-
-[En marge: Après avoir assuré la défense de cette ligne, Napoléon
-s'occupe d'en assurer l'approvisionnement.]
-
-Il fallait toutefois suffire à la dépense de ces travaux, qui pour
-s'exécuter avec rapidité devaient être soldés comptant. Il fallait
-joindre aux établissements militaires qui viennent d'être énumérés
-d'immenses approvisionnements, afin que les masses d'hommes qui
-allaient se mouvoir sur cette ligne y fussent pourvues de tout ce qui
-leur serait nécessaire. Ici l'esprit ingénieux de Napoléon ne lui fit
-pas plus défaut que son impitoyable volonté pour faire subir aux
-peuples les lourdes charges de la guerre.
-
-[En marge: Premiers ordres rigoureux donnés à l'égard de Hambourg.]
-
-On a vu qu'il avait ordonné au maréchal Davout de tirer une cruelle
-vengeance de la révolte des habitants de Hambourg, de Lubeck et de
-Brême, de faire fusiller immédiatement les anciens sénateurs, les
-officiers ou soldats de la légion anséatique, les fonctionnaires de
-l'insurrection qui n'auraient pas eu le temps de s'évader, et puis de
-dresser une liste des cinq cents principaux négociants pour prendre
-leurs biens, et _déplacer la propriété_, avait-il dit. Il avait compté
-en donnant ces ordres sur l'inexorable rigueur du maréchal Davout,
-mais aussi, pour l'honneur de tous deux, sur le bon sens et la probité
-de ce maréchal. Celui-ci était arrivé quelques jours après le général
-Vandamme, n'avait pas trouvé un seul délinquant à fusiller, et s'y
-était pris du reste de manière à n'en trouver aucun. La frontière du
-Danemark placée aux portes mêmes de la ville, l'avait aidé à sauver
-tout le monde. Quelques exécutions regrettables avaient eu lieu
-antérieurement, mais c'était lors du premier mouvement insurrectionnel
-du mois de février, et en punition des indignes traitements exercés
-contre les fonctionnaires français.
-
-[En marge: Ces ordres convertis en punitions pécuniaires.]
-
-Le maréchal fut donc assez heureux pour n'avoir personne à fusiller.
-Il restait à dresser des listes de proscription, qui n'entraîneraient
-pas la perte de la vie, mais celle des biens, et cette mesure ne lui
-semblait pas plus sage que l'autre. Les Hambourgeois coupables, ou
-supposés tels, étaient en masse dans la petite ville d'Altona,
-véritable faubourg de la ville de Hambourg, demandant à revenir dans
-leurs demeures, à charge au Danemark qui ne voulait pas être compromis
-avec la France, et faisant faute à celle-ci, qui désirait et pouvait
-tirer d'eux de grandes ressources, ce qui était plus profitable que
-d'en tirer des vengeances. Le maréchal Davout représenta à Napoléon
-qu'il valait mieux pardonner à ceux qui rentreraient dans un temps
-prochain, leur imposer pour unique châtiment une forte contribution,
-qu'ils se diraient d'abord incapables de payer, qu'ils payeraient
-ensuite, se borner ainsi à leur faire peur, et les punir par un côté
-très-sensible pour eux, très-utile pour l'armée, l'argent. Pas de sang
-et de grandes ressources, fut le résumé de la politique qu'il
-conseilla à l'Empereur.
-
-[En marge: Contribution de cinquante millions frappée sur les
-Hambourgeois, et acquittable en argent ou en matières.]
-
-Napoléon qui avait le goût des grandes ressources et pas du tout celui
-du sang, accepta cette transaction.--_Si le lendemain de votre
-entrée_, écrivit-il au maréchal Davout, _vous en eussiez fait fusiller
-quelques-uns, c'eût été bien, maintenant c'est trop tard. Les
-punitions pécuniaires valent mieux_.--C'est ainsi que le despotisme et
-la guerre habituent les hommes à parler, même ceux qui n'ont aucune
-cruauté dans le coeur. Il fut donc décidé que tout Hambourgeois rentré
-dans quinze jours serait pardonné, que les autres seraient frappés de
-séquestre, et que la ville de Hambourg acquitterait en argent ou en
-matières une contribution de cinquante millions. Une petite partie de
-cette contribution dut peser sur Lubeck, Brême, et les campagnes de la
-32e division militaire. Dix millions durent être soldés comptant,
-vingt en bons à échéance. Quant au surplus, il fut ouvert un compte
-pour payer les chevaux, les blés, les riz, les vins, les viandes
-salées, le bétail, les bois, qu'on allait exiger de Hambourg, de
-Lubeck et de Brême. Sur le même compte devait être porté le prix de
-toutes les maisons qu'on allait démolir pour élever les ouvrages
-défensifs de Hambourg. Les Hambourgeois se plaignirent beaucoup,
-voulurent présenter leurs doléances à Napoléon, qui refusa de les
-recevoir, et cette fois trouvèrent inflexible le maréchal qu'ils
-avaient eu pour défenseur quelques jours auparavant. Ils acquittèrent
-néanmoins la partie de la contribution qui devait être soldée
-sur-le-champ, soit en argent, soit en matières. C'était ce qui
-importait le plus aux besoins de l'armée. Dix millions environ furent
-envoyés à Dresde; de grandes quantités de grains, de bétail, de
-spiritueux furent embarqués sur l'Elbe pour le remonter.
-
-[En marge: Immenses approvisionnements remontant de Hambourg sur tous
-les points fortifiés de l'Elbe.]
-
-Dès que Napoléon se vit en possession de ces ressources, il en disposa
-de manière à se procurer sur tous les points du fleuve et
-particulièrement à Dresde, de quoi nourrir les nombreuses troupes
-qu'il allait y concentrer. Il voulait avoir à Dresde, centre principal
-de ses opérations, de quoi entretenir trois cent mille hommes pendant
-deux mois, et notamment une suffisante réserve de biscuit, laquelle
-portée sur le dos des soldats permettrait de manoeuvrer sept ou huit
-jours de suite sans être retenu par la considération des vivres. Il
-fallait pour cela cent mille quintaux de grains ou de farine à Dresde,
-huit ou dix mille à Koenigstein. Il s'en trouvait environ soixante-dix
-mille à Magdebourg, qu'on avait mis tout l'hiver à réunir dans cette
-place, soit pour l'approvisionnement de siége, soit pour suffire à
-l'entretien des troupes de passage. Napoléon ordonna que ces
-soixante-dix mille quintaux fussent transportés par l'Elbe à Dresde,
-et remplacés immédiatement par une quantité égale tirée de Hambourg.
-Grâce à cette combinaison, ces masses immenses de denrées n'avaient
-que la moitié du chemin à parcourir. On s'était aperçu que la chaleur
-et la fatigue donnaient la dyssenterie à nos jeunes soldats, et
-qu'une ration de riz les guérissait très-vite. On s'empara de tout ce
-qu'il y avait de riz à Hambourg, à Brême, à Lubeck; on prit de même
-les spiritueux, les viandes salées, le bétail, les chevaux, les cuirs,
-les draps, les toiles. Ces matières furent embarquées sur l'Elbe, en
-suivant le procédé que nous venons d'indiquer, de prendre à Magdebourg
-ce qui s'y trouvait déjà, et de le remplacer par des envois de
-Hambourg. Tous les bateliers du fleuve requis et payés avec des bons
-sur Hambourg, furent mis en mouvement dès les premiers jours de juin,
-dans le moment même où sous prétexte de fatigue, Napoléon refusait de
-recevoir M. de Bubna. Ainsi dans les mains de Napoléon l'Elbe était
-tout à la fois une puissante ligne de défense, et une source
-inépuisable d'approvisionnements.
-
-[En marge: Autres approvisionnements tirés de la Silésie et de la
-Saxe.]
-
-Mais il ne borna pas ses précautions à cette ligne seule. Au delà de
-Dresde à Liegnitz, et en deçà de Dresde à Erfurt, il voulait avoir
-aussi des magasins bien fournis. Profitant de la richesse de la basse
-Silésie, sur laquelle était campée l'armée qui avait combattu à
-Bautzen, et n'ayant guère à ménager cette province, il ordonna qu'on
-employât les deux mois de l'armistice à réunir une réserve de vingt
-jours de vivres pour chaque corps, en confectionnant tous les jours
-beaucoup plus que le nécessaire. En arrière de Dresde, à Erfurt, à
-Weimar, à Leipzig, à Nuremberg, à Wurzbourg, pays saxons ou
-franconiens, il était chez des alliés, et il n'usa de l'abondance du
-pays qu'en payant ce qu'il prenait. Il y ordonna la formation à prix
-d'argent de très-grands approvisionnements. Toutefois il s'écarta de
-ces ménagements à l'égard de la ville de Leipzig, qui s'était montrée
-ouvertement hostile. Il prit les tissus de toile et de laine, les
-grains, les spiritueux, dont les magasins de Leipzig étaient
-abondamment pourvus, et de plus fit occuper les établissements publics
-pour y créer des hôpitaux. Il y joignit la menace de faire brûler la
-ville au premier mouvement insurrectionnel. Les villes d'Erfurt, de
-Naumbourg, de Weimar, de Wurzbourg, furent également remplies
-d'hôpitaux. Erfurt dont il s'était toujours réservé la possession
-depuis 1809, Wurzbourg, qui était la capitale du grand-duché de
-Wurzbourg, places qui l'une et l'autre étaient susceptibles d'une
-certaine résistance, furent armées, afin d'avoir une suite de points
-fortifiés sur la route de Mayence, si des événements qu'on ne
-prévoyait pas alors rendaient une retraite nécessaire, car, ainsi que
-nous l'avons déjà fait remarquer, Napoléon, qui, dans ses calculs
-politiques ne voulait jamais admettre la possibilité des revers,
-l'admettait toujours dans ses calculs militaires. Enfin ne pouvant
-trouver qu'en France les armes, les munitions de guerre, et certains
-objets d'équipement, tandis que les vivres il les trouvait partout, il
-conclut avec des compagnies allemandes, des marchés, soldés comptant,
-pour transporter de Mayence à Dresde, par les trois routes de Cassel,
-d'Eisenach et de Hof, les objets d'armement et d'équipement qu'il
-était impossible de se procurer en Saxe.
-
-Telles furent les mesures imaginées par Napoléon pour qu'à la reprise
-des opérations sa ligne de bataille fût tout à la fois fortement
-défendue, et largement approvisionnée. Restait un dernier soin à
-prendre, celui de proportionner le nombre des soldats à l'étendue que
-la guerre allait acquérir, et Napoléon ne l'avait pas négligé, car
-dans son vaste esprit toutes les mesures allaient ensemble, sans
-attendre que l'une fît naître la pensée de l'autre. Toutes étaient
-conçues simultanément, avec un accord parfait, et ordonnées sans perte
-d'une heure.
-
-On a déjà vu qu'en se flattant de l'idée que l'Autriche accéderait
-peut-être à ses plans, il avait pourtant pris ses mesures dans une
-hypothèse contraire, et qu'il avait préparé en Westphalie, sur le
-Rhin, en Italie, trois armées de réserve capables d'entrer
-prochainement en ligne. Les deux mois de l'armistice, qu'il voulait
-étendre à trois mois, étaient destinés à terminer vers le commencement
-d'août cette oeuvre commencée en mars.
-
-[En marge: Nouveaux corps d'armée préparés dans la supposition de la
-guerre avec l'Autriche.]
-
-[En marge: Corps du maréchal Victor.]
-
-En Westphalie c'étaient, comme nous l'avons dit, les régiments
-réorganisés de la grande armée de Russie qui devaient composer deux
-grands corps sous les maréchaux Victor et Davout, celui-ci de seize
-régiments, celui-là de douze. Les autres régiments de la grande armée
-avaient été renvoyés en Italie d'où ils étaient originaires. Les
-bataillons de chaque régiment ne pouvant être réorganisés tous à la
-fois, on avait d'abord reconstitué les seconds bataillons, puis les
-quatrièmes, enfin les premiers, selon l'époque du retour des cadres,
-et on avait successivement composé les divisions de seconds, de
-quatrièmes et de premiers bataillons, de manière que chaque régiment
-était réparti en trois divisions. Napoléon pressé de faire cesser un
-état de choses vicieux, voulut réunir les trois bataillons déjà prêts,
-et former les divisions par régiments, non plus par bataillons. Il ne
-manquait que les troisièmes bataillons, qui allaient être bientôt
-disponibles à leur tour, et alors tous les régiments devaient être
-portés à quatre bataillons. Le maréchal Davout forma avec les siens
-quatre belles divisions, et le maréchal Victor trois. Tandis que ces
-organisations s'achevaient, Napoléon arrêta l'emplacement et l'emploi
-de ces deux corps d'armée. Celui du maréchal Victor resté en arrière
-jusqu'ici, fut acheminé sur la ligne frontière de l'armistice, et
-cantonné le long de l'Oder, aux environs de Crossen, pour achever de
-s'y instruire, et pour s'y approvisionner conformément aux
-prescriptions adressées à tous les autres corps.
-
-[En marge: Corps du général Vandamme.]
-
-Napoléon pensant que pour garder les départements anséatiques et le
-bas Elbe, le maréchal Davout, renforcé par les Danois, aurait trop de
-quatre divisions, car d'après toutes les vraisemblances les grands
-coups devaient se porter sur l'Elbe supérieur, imagina de partager le
-corps de ce maréchal, de lui laisser deux divisions, d'en confier deux
-au général Vandamme, et de placer celles-ci à Wittenberg, d'où il
-pourrait les attirer à lui, s'il en avait besoin, ou les renvoyer sur
-le bas Elbe, si elles devenaient nécessaires au maréchal Davout.
-
-[En marge: Corps du maréchal Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Corps du maréchal Augereau.]
-
-Les autres corps destinés à renforcer la masse des troupes actives
-s'organisaient à Mayence. Là, comme on doit s'en souvenir, se
-rendaient les cadres tirés de France ou d'Espagne, qu'on remplissait
-sur les bords du Rhin de conscrits rapidement instruits, et qu'on
-réunissait ensuite dès qu'on avait pu se procurer deux bataillons du
-même régiment, afin d'éviter autant que possible la formation vicieuse
-en régiments provisoires. Il y avait à Mayence quatre divisions dont
-l'organisation était presque achevée, et qui dans deux mois seraient
-en aussi bon état qu'on pouvait l'espérer dans la situation des
-choses. Napoléon les destinait au maréchal Saint-Cyr, blessé en 1812
-sur la Dwina, mais actuellement remis de ses fatigues et de sa
-blessure. C'étaient par conséquent trois corps d'armée, ceux du
-maréchal Victor, du général Vandamme, du maréchal Saint-Cyr,
-comprenant environ 80 mille hommes d'infanterie, sans les armes
-spéciales, dont Napoléon allait accroître ses forces en Saxe contre
-l'apparition éventuelle de l'Autriche sur le théâtre de la guerre. Ce
-puissant renfort était indépendant de l'augmentation que devaient
-recevoir les corps avec lesquels il avait ouvert la campagne. Outre
-les quatre divisions déjà prêtes à Mayence, Napoléon avait encore
-rassemblé les éléments de deux autres, qui allaient se former sous le
-maréchal Augereau, et être rejointes par deux divisions bavaroises. La
-cour de Bavière un moment attirée, comme la Saxe, à la politique
-médiatrice de l'Autriche, s'était subitement rejetée en arrière, dès
-qu'on lui avait demandé sur les bords de l'Inn des sacrifices sans
-compensation. Elle s'était hâtée de renouveler ses armements, et on
-pouvait compter de sa part sur deux bonnes divisions, à la condition
-toutefois que la victoire viendrait contenir l'esprit de son peuple,
-et encourager la fidélité de son roi. Ces quatre divisions, deux
-françaises et deux bavaroises, devaient menacer l'Autriche vers le
-haut Palatinat.
-
-[En marge: Armée d'Italie.]
-
-Enfin Napoléon avait suivi avec son attention accoutumée l'exécution
-des ordres donnés au prince Eugène, pour qu'avec les cadres revenus de
-Russie, avec ceux qui revenaient chaque jour d'Espagne, on refît en
-Italie une armée de soixante mille hommes, à laquelle il voulait
-joindre vingt mille Napolitains. Murat, toujours flottant entre les
-sentiments les plus contraires, blessé par les traitements de
-Napoléon, mais voulant avant tout sauver sa couronne, ne sachant avec
-qui elle serait sauvée plus sûrement, ou avec l'Autriche, ou avec la
-France, faisait encore attendre l'envoi de son contingent. Napoléon à
-peine rentré à Dresde l'avait sommé de se décider, et avait enjoint à
-M. Durand de Mareuil, ministre de France à Naples, de se retirer si
-les ordres de marche n'étaient donnés immédiatement au corps
-napolitain. Il restait dans les dépôts de quoi fournir six à sept
-mille hommes de cavalerie légère à la future armée d'Italie, ce qui
-suffisait dans cette contrée, où la cavalerie, trouvant peu l'occasion
-de charger en ligne, n'était qu'un moyen de s'éclairer. Les arsenaux
-et les dépôts d'Italie contenaient encore les éléments d'une belle
-artillerie. Napoléon se flattait donc d'avoir en Italie au 1er août
-une armée de 80 mille hommes, pourvue de 200 bouches à feu, menaçant
-d'envahir l'Autriche par l'Illyrie, et ayant pour but Vienne
-elle-même. Il calculait que l'Autriche, eût-elle armé trois cent mille
-hommes, ce qui était beaucoup dans l'état de ses finances et avec le
-temps dont elle disposait, n'en pourrait pas tirer plus de deux cent
-mille combattants présents au feu, dont il faudrait qu'elle détournât
-cinquante mille pour tenir tête au prince Eugène en Italie, trente
-mille pour faire face au maréchal Augereau en Bavière, ce qui ne lui
-laisserait pas plus de cent vingt mille hommes à ajouter à la masse
-des troupes coalisées sur l'Elbe.
-
-[En marge: Corps du prince Poniatowski, amené par la Bohême en
-Silésie.]
-
-Les trois corps de Victor, de Vandamme, de Saint-Cyr (sans compter
-celui d'Augereau, qui n'était pas destiné à agir sur l'Elbe), lui
-semblaient déjà une ressource presque suffisante contre l'apparition
-de l'Autriche sur le terrain de cette lutte formidable. Mais le corps
-de Poniatowski, après bien des vicissitudes, amené à travers la
-Gallicie et la Bohême à Zittau, sur la ligne où campaient nos corps de
-Silésie, était une nouvelle ressource d'une véritable importance, bien
-moins par la quantité que par la qualité des soldats. Il n'y en avait
-pas de plus braves, de plus aguerris, de plus dévoués à la France. De
-leur patrie, il ne leur restait que le souvenir, et le désir de la
-venger. Napoléon résolut de leur en donner une, en les faisant
-Français, et en les prenant au service de la France. En attendant leur
-annexion définitive à l'armée française, il les plaça sous
-l'administration directe de M. de Bassano, et prescrivit à ce ministre
-de leur payer leur solde arriérée, de les pourvoir de vêtements,
-d'armes, de tout ce qui leur manquait, de leur faire en un mot passer
-ces deux mois dans une véritable abondance. Ils pouvaient, en
-recueillant quelques débris de troupes polonaises épars çà et là, mais
-sans toucher ni à la division Dombrowski, ni à divers détachements de
-leur nation répandus dans les places, réunir environ douze mille
-hommes d'infanterie et trois mille de cavalerie. C'était une nouvelle
-force ajoutée à celles qui avaient combattu à Lutzen et à Bautzen.
-
-[En marge: L'organisation de la garde complétée.]
-
-Enfin, au nombre des ressources créées pour la campagne d'automne, et
-pour l'éventualité de la guerre avec l'Autriche, il fallait compter le
-développement donné à la garde impériale. Elle n'avait eu que deux
-divisions à l'entrée en campagne, une de vieille, l'autre de jeune
-garde. Une troisième division avait rejoint au moment de l'armistice,
-une quatrième venait d'arriver, une cinquième était en marche, ce qui
-avec douze mille hommes de cavalerie et deux cents bouches à feu,
-devait composer un corps de près de cinquante mille hommes, dont
-trente mille de jeune infanterie, que Napoléon entendait ne pas
-ménager comme la vieille garde, mais employer dans toutes les grandes
-batailles, qui malheureusement allaient être nombreuses et sanglantes.
-
-[En marge: La cavalerie de l'armée portée à une force suffisante.]
-
-[En marge: Nouveaux cadres de cavalerie tirés d'Espagne.]
-
-Restait la cavalerie, qui avait manqué au commencement de la campagne,
-et qui avait été l'un des motifs de Napoléon pour signer l'armistice.
-Une cavalerie insuffisante équivaut à peu près à une cavalerie nulle,
-car elle n'ose pas s'engager de peur d'être accablée, et demeure
-cachée derrière l'infanterie qu'elle ne sert pas même à éclairer.
-C'est ce qu'on avait vu à Lutzen et à Bautzen. Les deux corps de
-Latour-Maubourg et de Sébastiani ne montaient pas au 1er juin à plus
-de huit mille cavaliers. On pouvait en tirer quatre mille des dépôts
-du général Bourcier, et environ vingt-huit mille de France, les uns
-amenés par le duc de Plaisance, les autres en marche sous le duc de
-Padoue, ce qui devait porter à quarante mille hommes les forces de
-l'armée d'Allemagne en troupes à cheval, sans compter la cavalerie de
-la garde impériale et des alliés, Saxons, Wurtembergeois et Bavarois.
-Seulement dans les vingt-huit mille cavaliers tirés de France, il y en
-avait quelques mille venant à pied, et auxquels il fallait fournir des
-chevaux. Les troubles survenus sur la gauche de l'Elbe par suite de
-l'insurrection des villes anséatiques, avaient singulièrement nui aux
-remontes. Napoléon ordonna de les reprendre, et fit insérer sur cet
-objet un article dans le traité d'alliance par lequel le Danemark
-s'était définitivement rattaché à la France. Par ce traité la France
-promettait d'entretenir toujours vingt mille hommes de troupes actives
-à Hambourg, afin de concourir à la défense des provinces danoises, et
-le Danemark s'engageait en retour à fournir à la France dix mille
-hommes d'infanterie, deux mille de cavalerie, les uns et les autres
-soldés par le trésor français, et à procurer dix mille chevaux à
-condition qu'ils seraient payés comptant. C'était, indépendamment des
-achats recommencés en Hanovre, une nouvelle ressource pour monter les
-cavaliers qui venaient de France à pied. On avait donc la presque
-certitude de réunir sous deux ou trois mois près de quarante mille
-cavaliers de toutes armes, non compris dix à douze mille de la garde,
-et huit à dix mille des alliés, ce qui devait composer une force
-totale de soixante mille hommes à cheval. Napoléon attribua deux mille
-hommes environ de cavalerie légère ou de ligne à chaque corps d'armée
-pour s'éclairer. Le reste il le forma suivant son usage en divers
-corps de réserve, destinés à combattre en ligne. Les généraux
-Latour-Maubourg et Sébastiani en commandaient déjà deux, qui avaient
-fait la campagne du printemps. Le duc de Padoue commandait le
-troisième, qui venait d'arriver et était occupé à châtier les
-Cosaques. Le comte de Valmy, fils du vieux duc de Valmy, fut placé à
-la tête du quatrième. Napoléon en voulut créer un cinquième avec des
-régiments nouvellement tirés d'Espagne. Depuis qu'il avait donné
-l'ordre d'évacuer Madrid, et de concentrer toutes les forces
-françaises dans le nord de la Péninsule, la cavalerie qui avait eu
-pour mission principale de lier entre eux les divers corps
-d'occupation, était beaucoup moins nécessaire. Il y avait encore
-trente-six régiments de cavalerie dans la Péninsule, dont vingt de
-dragons, onze de chasseurs, cinq de hussards. Napoléon crut que
-c'était assez de vingt, surtout en ne prenant que les cadres, et en
-laissant la plus grande partie des hommes en Espagne. Il ordonna donc
-le départ de dix régiments de dragons, quatre de chasseurs, deux de
-hussards. Il en destina deux à l'Italie, quatorze à l'Allemagne, et
-recommanda de transporter tout de suite ces cadres à Mayence, où ils
-allaient se remplir de sujets empruntés aux dernières conscriptions et
-déjà passablement instruits. Les chevaux requis en France, et payés
-comptant, devaient servir à les monter. Napoléon se promettait encore
-quatorze ou quinze mille cavaliers, provenant de cette origine, et
-enfermés tous dans des cadres excellents. C'était un dernier
-supplément qui à l'automne devait porter à soixante-quinze mille
-hommes au moins le total de sa cavalerie. À ces préparatifs pour
-l'infanterie et la cavalerie, Napoléon ajouta ceux qui concernaient
-l'artillerie, et il fit ses dispositions pour qu'elle pût mettre en
-mouvement mille bouches à feu de campagne.
-
-[En marge: Totalité des forces dont Napoléon se flattait de disposer
-pour soutenir la guerre contre l'Europe entière.]
-
-Ainsi établi sur la ligne de l'Elbe, qu'il avait rendue formidable par
-les appuis qu'il s'y était ménagés, Napoléon se flattait d'avoir sans
-les garnisons 400 mille combattants, plus 20 mille en Bavière et 80
-mille en Italie, ce qui porterait la totalité de ses ressources à 500
-mille hommes de troupes actives, et à 700 mille en y comprenant les
-non présents sous les armes. C'était pour atteindre à ces nombres
-énormes, suffisants dans sa puissante main pour battre la coalition
-même accrue de l'Autriche, qu'il avait consenti à un armistice qui
-donnait aux coalisés le temps d'échapper à ses poursuites, et
-malheureusement aussi celui d'augmenter considérablement leurs forces.
-La question était de savoir si en fait de création de ressources, le
-temps profiterait aux coalisés autant qu'à Napoléon. Les coalisés, il
-est vrai, n'avaient pas son génie, et c'est sur quoi il fondait ses
-espérances, mais ils avaient la passion, seule chose qui puisse
-suppléer au génie, surtout quand elle est ardente et sincère.
-Napoléon, ne tenant guère compte de la passion, avait supposé que le
-temps lui servirait plus qu'à ses ennemis, et c'est dans cet espoir
-qu'il mettait tant d'art à le bien employer en fait de préparatifs
-militaires, et à le perdre en fait de négociations.
-
-[En marge: Effet produit par la réponse de Napoléon sur l'empereur
-François et sur M. de Metternich.]
-
-[En marge: M. de Metternich se rend à Oppontschna auprès des
-souverains coalisés.]
-
-La réponse envoyée à M. de Metternich le 15 juin avait été
-interprétée comme elle devait l'être, et l'habile ministre autrichien
-avait parfaitement compris que lorsque sur quarante jours restant pour
-négocier la paix générale, on en perdait d'abord cinq pour répondre à
-la note constitutive de la médiation, indépendamment de ceux qu'on
-allait perdre encore pour résoudre les questions de forme, il fallait
-en conclure qu'on était peu pressé d'arriver à une solution pacifique.
-Il se pouvait, à la vérité, que Napoléon ne voulût dire sa véritable
-pensée que dans les derniers moments; il se pouvait aussi que dans les
-difficultés qu'il avait soulevées, il y en eût quelqu'une qui lui tînt
-sérieusement à coeur, et par ces considérations M. de Metternich ne
-désespérait pas complétement de la paix, soit aux conditions proposées
-par l'Autriche, soit à des conditions qui s'en approcheraient. Dans
-l'un et l'autre cas, il avait pensé qu'il fallait à son tour attendre
-Napoléon, en employant toutefois un moyen de le stimuler. Les deux
-souverains de Prusse et de Russie insistaient vivement pour voir
-l'empereur François, dans l'espérance de l'attacher définitivement à
-ce qu'ils appelaient la cause européenne. Mais l'empereur François,
-croyant devoir à sa qualité de père et de médiateur, d'observer une
-extrême réserve à l'égard de deux souverains devenus ennemis
-implacables de la France, ne voulait pas, tant qu'il n'aurait pas été
-contraint à nous déclarer la guerre, s'aboucher avec eux. Les mêmes
-raisons de réserve n'existaient pas pour M. de Metternich, et ce
-ministre s'était rendu à Oppontschna afin de conférer avec les deux
-monarques coalisés. Son intention était de profiter de cette occasion
-pour les amener à ses idées, chose plus facile sans doute que d'y
-amener Napoléon, mais difficile aussi, et exigeant bien des soins et
-des efforts, car ils voulaient la guerre tout de suite, à tout prix,
-et jusqu'au renversement de Napoléon, ce qui n'était pas encore, du
-moins alors, le point de vue de l'Autriche. M. de Metternich était
-donc parti ostensiblement, certain que lorsque Napoléon le saurait en
-conférence avec les deux souverains, il en éprouverait une vive
-jalousie, et au lieu de lui refuser de venir à Dresde, lui en
-adresserait la pressante invitation. Cette vue, bientôt confirmée par
-l'événement, avait paru aussi fine que juste à l'empereur François,
-qui par ce motif avait approuvé le voyage de M. de Metternich à
-Oppontschna.
-
-[En marge: Traité de subsides entre l'Angleterre et les puissances
-coalisées.]
-
-[En marge: Condition imposée par ce traité de ne pas faire la paix
-sans l'Angleterre.]
-
-Tandis que ce ministre était en route pour s'y rendre, la Prusse et la
-Russie venaient de se lier par un traité de subsides avec
-l'Angleterre. Par ce traité, conclu le 15 juin et revêtu de la
-signature de lord Cathcart, de M. de Nesselrode et de M. de
-Hardenberg, l'Angleterre s'engageait à fournir immédiatement 2
-millions sterling à la Russie et à la Prusse, et à prendre à sa charge
-la moitié d'une émission de papier-monnaie, intitulé _papier
-fédératif_, et destiné à circuler dans tous les États alliés. La somme
-émise devait être de 5 millions sterling. C'étaient donc 4 millions
-1/2 sterling (112 millions 500 mille francs) que l'Angleterre
-fournissait aux deux puissances, à condition qu'elles tiendraient sur
-pied, en troupes actives, la Russie 160 mille hommes, la Prusse 80
-mille, qu'elles feraient à l'ennemi commun de l'Europe une guerre à
-outrance, et qu'elles ne traiteraient pas sans l'Angleterre, ou du
-moins sans se concerter avec elle. Les souverains de Russie et de
-Prusse ayant informé lord Cathcart qu'ils étaient sommés d'accepter la
-médiation de l'Autriche, et qu'ils y étaient disposés, sauf les
-conditions de paix qui seraient déterminées d'accord avec le cabinet
-britannique, lord Cathcart n'avait pas vu là une infraction au traité
-de subsides, et il avait reconnu lui-même qu'il fallait se prêter à
-tous les désirs de l'Autriche, car probablement les conditions que
-cette puissance regardait comme indispensables ne seraient pas admises
-par Napoléon, et l'on entraînerait ainsi cette puissance à la guerre
-par la voie toute pacifique de la médiation.
-
-[En marge: Efforts des souverains et de leurs ministres pour décider
-M. de Metternich en faveur de la coalition.]
-
-[En marge: Raisons qu'ils font valoir auprès de M. de Metternich.]
-
-[En marge: Manière de penser de l'Autriche en ce moment.]
-
-[En marge: Résolutions formelles exprimées par M. de Metternich.]
-
-M. de Metternich arrivé à Oppontschna avait été accablé de caresses et
-de sollicitations par les souverains et leurs ministres. Les uns et
-les autres, pour le décider, disaient leurs forces immenses,
-irrésistibles même si l'Autriche se joignait à eux, et dans ce cas
-Napoléon perdu, l'Europe sauvée. Ils disaient encore la paix
-impossible avec lui, car évidemment il ne la voulait pas, et en outre
-peu sûre, car si on laissait échapper l'occasion de l'accabler pendant
-qu'il était affaibli, il reprendrait les armes dès qu'il aurait
-recouvré ses forces, et la lutte avec lui serait éternelle. Ces points
-de vue n'étaient pas, ne pouvaient pas être ceux de l'Autriche. Cette
-puissance n'était pas comme la Russie enivrée du rôle de libératrice
-de l'Europe, comme la Prusse réduite à vaincre ou à périr, comme
-l'Angleterre à l'abri de toutes les conséquences d'une guerre
-malheureuse; elle avait de plus des liens avec Napoléon, que la
-décence, et chez l'empereur François l'affection pour sa fille, ne
-permettaient pas de rompre sans les plus graves motifs. Elle rêvait
-d'ailleurs la possibilité de rétablir l'indépendance de l'Europe sans
-une guerre qu'elle regardait comme pleine de périls, même contre
-Napoléon affaibli. Elle était donc d'avis que si on pouvait conclure
-une paix avantageuse et qui offrît des sûretés, il fallait en saisir
-l'occasion, et ne pas tout compromettre pour vouloir tout regagner
-d'un seul coup. Si par exemple Napoléon renonçait à sa chimère
-polonaise (c'est ainsi qu'on qualifiait le grand-duché de Varsovie),
-s'il consentait à reconstituer la Prusse, à rendre à l'Allemagne son
-indépendance par l'abolition de la Confédération du Rhin, à lui rendre
-son commerce par la restitution des villes anséatiques, il valait
-mieux accepter cette paix que s'exposer aux dangers d'une guerre
-formidable, qui à côté de bonnes chances en présentait d'effrayantes.
-Si l'Angleterre n'inclinait pas vers cette manière de penser, il
-fallait l'y amener forcément, en lui signifiant qu'on la laisserait
-seule. Pour elle d'ailleurs le point le plus important était obtenu,
-car il était facile de voir que Napoléon allait renoncer à l'Espagne,
-puisqu'il admettait au congrès les représentants de l'insurrection de
-Cadix, ce qu'il n'avait jamais accordé. Il fallait donc imposer la
-paix à l'Angleterre comme à Napoléon, car cette paix était un besoin
-urgent pour le monde entier, et on avait le moyen de l'obtenir, en
-menaçant l'Angleterre de traiter sans elle, et Napoléon de l'accabler
-sous les forces réunies de l'Europe. Telles étaient les idées de
-l'Autriche, que les deux souverains de Prusse et de Russie, dominés
-par les passions du moment, étaient loin de partager. Ils auraient
-voulu une paix beaucoup plus rigoureuse pour la France, et par exemple
-la Westphalie, la Hollande ne leur semblaient pas devoir être
-concédées à Napoléon. Ils parlaient de lui ôter une partie au moins de
-l'Italie, pour la rendre à l'Autriche, qui n'avait pas besoin qu'on
-éveillât en elle ce genre d'appétit, mais chez laquelle la prudence
-faisait taire l'ambition. M. de Metternich, tout en trouvant ces voeux
-fort légitimes, avait déclaré que l'Autriche, dans l'espoir d'une
-conclusion pacifique, se bornerait à demander l'abandon du duché de
-Varsovie, la reconstitution de la Prusse, l'abolition de la
-Confédération du Rhin, la restitution des villes anséatiques, et ne
-ferait la guerre que si ces conditions étaient refusées par la France.
-On lui avait répondu qu'elles le seraient inévitablement, à quoi le
-ministre autrichien avait facilement répliqué que si elles étaient
-refusées, alors son maître pourrait honorablement devenir membre de
-l'alliance, et le deviendrait résolûment.
-
-[En marge: Les monarques coalisés adhèrent aux vues de l'Autriche,
-convaincus que, par la faute de Napoléon, elle sera bientôt ramenée
-vers eux.]
-
-Il suffisait que l'Autriche posât des conditions d'une manière
-formelle, pour qu'on fût obligé de les admettre, car sans elle la
-guerre à Napoléon ne présentait aucune chance. Dictant la loi à la
-Prusse et à la Russie, elle la dictait par suite à l'Angleterre, qui
-bientôt se verrait contrainte de traiter si le continent finissait
-lui-même par traiter. On devait donc subir les volontés de l'Autriche,
-mais on les subissait sans répugnance, car on était convaincu que les
-conditions par elle imaginées seraient rejetées par Napoléon, et on
-croyait en lui cédant la tenir bien plus qu'être tenu par elle. Le
-résultat de ces conférences avait été qu'on accepterait la médiation
-autrichienne, qu'on s'aboucherait avec Napoléon par l'intermédiaire de
-l'Autriche, que celle-ci lui proposerait les conditions précitées,
-qu'elle ne lui déclarerait la guerre qu'en cas de refus, que jusque-là
-elle demeurerait neutre, que relativement à l'Angleterre, en
-l'informant de cette situation, on ajournerait la paix avec elle pour
-simplifier la question: toutefois l'opinion était que la paix
-continentale devait entraîner prochainement et inévitablement la paix
-maritime.
-
-[En marge: Retour de M. de Metternich à Gitschin.]
-
-[En marge: Il y trouve l'invitation de se rendre à Dresde.]
-
-Ces bases adoptées, M. de Metternich était revenu à Gitschin, auprès
-de son maître, et avait trouvé en y arrivant sa prévoyance
-parfaitement justifiée. En effet Napoléon, inquiet de ce qui se
-passait en Bohême, sachant que les allées et venues étaient
-continuelles entre Gitschin, résidence de son beau-père, et
-Reichenbach, quartier général des coalisés, sachant même que M. de
-Metternich avait dû voir les deux souverains de Russie et de Prusse à
-Oppontschna, n'avait pas pensé qu'il fallût pousser l'application à
-perdre son temps, jusqu'à rester étranger à tout ce qui se tramait
-entre les puissances, et peut-être jusqu'à laisser nouer à côté de lui
-une coalition redoutable, dont il pourrait prévenir la formation en
-intervenant à propos. En voyant M. de Metternich, avec lequel il avait
-fort la coutume de s'entretenir, il se flattait au moins de pénétrer
-les desseins de la coalition, ce qui pour lui n'était pas de médiocre
-importance, et surtout de se ménager une nouvelle prolongation
-d'armistice, seul résultat auquel il tînt beaucoup, car pour la paix
-il n'y tenait nullement aux conditions proposées. En conséquence il
-avait fait dire par M. de Bassano à M. de Bubna qu'il recevrait
-volontiers M. de Metternich à Dresde, et qu'il croyait même sa
-présence devenue nécessaire pour l'entier éclaircissement des
-questions qu'il s'agissait de résoudre. M. de Bubna avait sur-le-champ
-écrit à Gitschin, et c'est ainsi que M. de Metternich, en revenant de
-son entrevue avec Alexandre et Frédéric-Guillaume, avait trouvé
-l'invitation de se rendre à Dresde auprès de Napoléon. Comme c'était
-justement ce que lui et l'empereur François désiraient, il n'y avait
-pas à hésiter sur l'acceptation du rendez-vous offert, et M. de
-Metternich s'était décidé à se mettre de nouveau en route. Au moment
-de son départ, l'empereur François lui avait remis une lettre pour son
-gendre, dans laquelle il donnait pouvoir à son ministre des affaires
-étrangères de signer tous articles relatifs à la modification du
-traité d'alliance, et à l'acceptation de la médiation autrichienne.
-Dans cette lettre, il pressait de nouveau Napoléon de se résoudre à la
-paix, qui était, disait-il, la plus belle et l'unique gloire qui lui
-restât à conquérir.
-
-[En marge: Arrivée de M. de Metternich à Dresde; premier entretien de
-ce ministre avec M. de Bassano.]
-
-[En marge: Célèbre entrevue de M. de Metternich avec Napoléon, le 28
-juin 1813.]
-
-[En marge: Dispositions de Napoléon.]
-
-[En marge: Thème de convention, tendant à imputer les pertes de temps
-à l'Autriche.]
-
-[En marge: Plaintes amères contre l'Autriche.]
-
-[En marge: Défi jeté à M. de Metternich.]
-
-M. de Metternich arriva le 25 juin à Dresde, et le lendemain 26 eut
-une première entrevue avec M. de Bassano, car ostensiblement c'était
-avec ce ministre qu'il devait négocier. Ils employèrent environ deux
-jours à de vaines chicanes sur le traité d'alliance, qui existait
-toujours et pourtant devait rester suspendu, sur la manière de
-concilier le rôle de médiateur et celui d'allié, sur la forme de la
-médiation, sur la prétention du médiateur d'être le seul
-intermédiaire des puissances belligérantes. Fidèle à son système de
-gagner du temps, Napoléon avait ainsi gagné deux jours; mais M. de
-Metternich n'était pas venu pour s'aboucher uniquement avec un
-ministre sans influence, et il avait d'ailleurs à remettre une lettre
-de l'empereur François à l'empereur Napoléon; il fallait donc qu'il le
-vît, et sans de plus longs retards. Napoléon, de son côté, plein d'un
-courroux que la présence de M. de Metternich faisait bouillonner dans
-ses veines, était maintenant tout disposé à le recevoir. Pénétrer le
-secret de son interlocuteur, lui arracher une prolongation
-d'armistice, n'était déjà plus son but, mais lui dire son fait,
-épancher sa passion, était en réalité son plus pressant besoin. Il
-reçut M. de Metternich le 28 juin dans la seconde moitié du jour. En
-traversant les antichambres du palais Marcolini, M. de Metternich les
-trouva remplies de ministres étrangers, d'officiers de tous grades, et
-rencontra notamment le prince Berthier, qui souhaitait la paix, sans
-l'oser dire à Napoléon, et ne savait manifester ses désirs qu'auprès
-de ceux auxquels il aurait fallu les cacher. À l'aspect de M. de
-Metternich, une sorte d'anxiété parut sur tous les visages. Le prince
-Berthier, en le conduisant jusqu'à l'appartement de l'Empereur, lui
-dit: Eh bien, nous apportez-vous la paix?... Soyez donc raisonnable...
-terminons cette guerre, car nous avons besoin de la faire cesser, et
-vous autant que nous.--À ce ton, M. de Metternich put juger que les
-rapports de ses espions étaient parfaitement vrais, que partout en
-France on désirait ardemment la paix, même dans l'armée, ce qui
-malheureusement n'était pas une manière de disposer nos ennemis à la
-conclure. Il eût mieux valu en effet montrer plus d'amour de la paix à
-Napoléon, et moins à M. de Metternich; mais ainsi sont faites les
-cours où l'on n'ose pas parler: souvent on dit à tout le monde ce
-qu'il faudrait ne dire qu'au maître. M. de Metternich introduit dans
-le cabinet de Napoléon, le trouva debout, l'épée au côté, le chapeau
-sous le bras, se contenant comme quelqu'un qui ne va pas se contenir
-longtemps, poli mais froid.--Vous voilà donc, monsieur de Metternich,
-lui dit-il, vous venez bien tard!... et sur-le-champ, suivant le
-langage convenu du cabinet français, il s'efforça, par un premier
-exposé de la situation, de mettre sur le compte de l'Autriche le temps
-perdu depuis l'armistice, et il n'y avait pas moins de vingt-quatre
-jours écoulés sans aucun résultat, puisqu'on était au 28 juin, et que
-l'armistice avait été signé le 4. Puis il fit un détail de ses
-relations avec l'Autriche, se plaignit d'elle amèrement, et s'étendit
-fort au long sur le peu de sûreté des rapports avec cette
-puissance.--J'ai, dit-il, rendu trois fois son trône à l'empereur
-François; j'ai même commis la faute d'épouser sa fille, espérant me le
-rattacher, mais rien n'a pu le ramener à de meilleurs sentiments.
-L'année dernière, comptant sur lui, j'ai conclu un traité d'alliance
-par lequel je lui garantissais ses États, et par lequel il me
-garantissait les miens. S'il m'avait dit que ce traité ne lui
-convenait point, je n'aurais pas insisté, je ne me serais même pas
-engagé dans la guerre de Russie. Mais enfin il l'a signé, et après
-une seule campagne, que les éléments ont rendue malheureuse, le voilà
-qui chancelle, et ne veut plus ce qu'il semblait vouloir chaudement,
-s'interpose entre mes ennemis et moi, pour négocier la paix, à ce
-qu'il dit, mais en réalité pour m'arrêter dans mes victoires, et
-arracher de mes mains des adversaires que j'allais détruire...--Si
-vous ne teniez plus à mon alliance, ajouta Napoléon, qui commençait à
-s'animer en parlant, si elle vous pesait, si elle vous entraînait avec
-le reste de l'Europe à une guerre qui vous répugnait, pourquoi ne pas
-me le dire? Je n'aurais pas insisté pour vous contraindre; votre
-neutralité m'aurait suffi, et à l'heure qu'il est la coalition serait
-déjà dissoute. Mais sous prétexte de ménager la paix en interposant
-votre médiation, vous avez armé, et puis, vos armements terminés, ou
-presque terminés, vous prétendez me dicter des conditions qui sont
-celles de mes ennemis eux-mêmes; en un mot, vous vous posez comme gens
-qui sont prêts à me déclarer la guerre. Expliquez-vous; est-ce la
-guerre que vous voulez avec moi?... Les hommes seront donc toujours
-incorrigibles!... les leçons ne leur serviront donc jamais!... Les
-Russes et les Prussiens, malgré de cruelles expériences, ont osé,
-enhardis par les succès du dernier hiver, venir à ma rencontre, et je
-les ai battus, bien battus, quoiqu'ils vous aient dit le contraire.
-Vous voulez donc, vous aussi, avoir votre tour?... Eh bien, soit, vous
-l'aurez... Je vous donne rendez-vous à Vienne, en octobre.--
-
-[En marge: Réponse modérée de M. de Metternich, fondée principalement
-sur le besoin général de la paix.]
-
-[En marge: Exposé fort adouci des conditions de cette paix.]
-
-[En marge: Emportement de Napoléon.]
-
-Cette manière si étrange de traiter, cette façon méprisante de
-qualifier un mariage dont au reste il ne paraissait nullement fâché
-comme homme privé, offensa et irrita M. de Metternich, sans lui
-imposer beaucoup, car une fermeté froide lui aurait causé bien plus
-d'impression.--Sire, répondit-il, nous ne voulons pas vous déclarer la
-guerre, mais nous voulons mettre fin à un état de choses devenu
-intolérable pour l'Europe, à un état de choses qui nous menace tous, à
-chaque instant, d'un bouleversement universel. Votre Majesté y est
-aussi intéressée que nous, car la fortune pourrait bien un jour vous
-trahir, et dans cette mobilité effrayante des choses, il ne serait pas
-impossible que vous-même rencontrassiez des chances fatales.--Mais que
-voulez-vous donc, reprit Napoléon, que venez-vous me demander?--Une
-paix, ajouta M. de Metternich, une paix nécessaire, indispensable, une
-paix dont vous avez besoin autant que nous, une paix qui assure votre
-situation et la nôtre...--Et alors, avec des ménagements infinis,
-insinuant plutôt qu'énonçant une condition après l'autre, M. de
-Metternich essaya d'énumérer celles que nous avons déjà fait
-connaître. Napoléon, bondissant comme un lion, laissait à peine
-achever le ministre autrichien, et l'interrompait à chaque
-énonciation, comme s'il eût entendu chaque fois un outrage ou un
-blasphème.--Oh! dit-il, je vous devine... Aujourd'hui, vous me
-demandez seulement l'Illyrie pour procurer des ports à l'Autriche,
-quelques portions de la Westphalie et du grand-duché de Varsovie pour
-reconstituer la Prusse, les villes de Lubeck, Hambourg et Brême pour
-rétablir le commerce de l'Allemagne, et pour relever sa prétendue
-indépendance l'abolition du protectorat du Rhin, d'un vain titre, à
-vous entendre!... Mais je sais votre secret, je sais ce qu'au fond
-vous désirez tous... Vous Autrichiens, vous voulez l'Italie tout
-entière; vos amis les Russes veulent la Pologne, les Prussiens la
-Saxe, les Anglais la Hollande et la Belgique, et si je cède
-aujourd'hui, demain vous me demanderez ces objets de vos ardents
-désirs. Mais pour cela préparez-vous à lever des millions d'hommes, à
-verser le sang de plusieurs générations, et à venir traiter au pied
-des hauteurs de Montmartre!...--Napoléon, en prononçant ces mots,
-était pour ainsi dire hors de lui, et on prétend même qu'il se permit
-envers M. de Metternich des paroles outrageantes, ce que ce dernier a
-toujours nié.
-
-[En marge: Effort de M. de Metternich pour calmer Napoléon.]
-
-[En marge: Aveu de son orgueil fait par Napoléon.]
-
-[En marge: M. de Metternich répond de nouveau en alléguant le besoin
-de repos, senti partout et particulièrement en France.]
-
-[En marge: Nouvelle et plus vive explosion de Napoléon.]
-
-[En marge: Belle réponse de M. de Metternich.]
-
-[En marge: Soin de Napoléon à expliquer son désastre de Russie.]
-
-[En marge: Discussion des forces que l'Autriche peut jeter dans la
-balance.]
-
-[En marge: Nouvel effort de M. de Metternich pour expliquer le vrai
-sens de la médiation.]
-
-[En marge: Dernier défi de Napoléon.]
-
-M. de Metternich alors essaya de montrer à Napoléon qu'il n'était pas
-question de telles choses, qu'une guerre imprudemment prolongée
-pourrait peut-être faire renaître de semblables prétentions, que sans
-doute il y avait en Europe des fous dont les événements de 1812
-avaient exalté la tête, qu'il y en avait bien quelques-uns de cette
-espèce à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Berlin, mais qu'il n'y en
-avait pas à Vienne; que là on demandait juste ce qu'on voulait, et
-rien au delà; que du reste le vrai moyen de déjouer les prétentions de
-ces fous, c'était d'accepter la paix, et une paix honorable, car celle
-qu'on offrait était non pas seulement honorable, mais glorieuse.--Un
-peu radouci par ces paroles, Napoléon dit à M. de Metternich que s'il
-ne s'agissait que de l'abandon de quelques territoires, il pourrait
-bien céder; mais qu'on s'était coalisé pour lui dicter la loi, pour
-le contraindre à céder, pour lui ôter son prestige, et, avec une
-naïveté d'orgueil singulière, laissa voir que ce qui le touchait
-sensiblement ici, c'étaient moins les sacrifices exigés de lui, que
-l'humiliation de recevoir la loi après l'avoir toujours faite.--Puis,
-avec une fierté de soldat qui lui allait bien: Vos souverains, dit-il
-à M. de Metternich, vos souverains nés sur le trône ne peuvent
-comprendre les sentiments qui m'animent. Ils rentrent battus dans
-leurs capitales, et pour eux il n'en est ni plus ni moins. Moi je suis
-un soldat, j'ai besoin d'honneur, de gloire; je ne puis pas reparaître
-amoindri au milieu de mon peuple; il faut que je reste grand,
-glorieux, admiré!...--Quand donc finira cet état de choses, répliqua
-M. de Metternich, si les défaites comme les victoires sont un égal
-motif de continuer cette guerre désolante?... Victorieux, vous voulez
-tirer les conséquences de vos victoires; vaincu, vous voulez vous
-relever! Sire, nous serons donc toujours les armes à la main,
-dépendant éternellement, vous comme nous, du hasard des
-batailles!...--Mais, reprit Napoléon, je ne suis pas à moi, je suis à
-cette brave nation qui vient à ma voix de verser son sang le plus
-généreux. À tant de dévouement je ne dois pas répondre par des calculs
-personnels, par de la faiblesse; je dois lui conserver tout entière la
-grandeur qu'elle a achetée par de si héroïques efforts.--Mais, Sire,
-reprit à son tour M. de Metternich, cette brave nation dont tout le
-monde admire le courage, a elle-même besoin de repos. Je viens de
-traverser vos régiments; vos soldats sont des enfants. Vous avez fait
-des levées anticipées, et appelé une génération à peine formée; cette
-génération une fois détruite par la guerre actuelle, anticiperez-vous
-de nouveau? en appellerez-vous une plus jeune encore?...--Ces paroles,
-qui touchaient au reproche le plus souvent reproduit par les ennemis
-de Napoléon, le piquèrent au vif. Il pâlit de colère; son visage se
-décomposa, et n'étant plus maître de lui, il jeta, ou laissa tomber à
-terre son chapeau, que M. de Metternich ne ramassa point, et allant
-droit à celui-ci, il lui dit: Vous n'êtes pas militaire, Monsieur,
-vous n'avez pas, comme moi, l'âme d'un soldat; vous n'avez pas vécu
-dans les camps; vous n'avez pas appris à mépriser la vie d'autrui et
-la vôtre, quand il le faut... Que me font à moi deux cent mille
-hommes!...--Ces paroles, dont nous ne reproduisons pas la familiarité
-soldatesque, émurent profondément M. de Metternich.--Ouvrons, s'écria
-le ministre autrichien, ouvrons, Sire, les portes et les fenêtres, que
-l'Europe entière vous entende, et la cause que je viens défendre
-auprès de vous n'y perdra point!--Redevenu un peu plus maître de
-lui-même, Napoléon dit à M. de Metternich avec un sourire ironique:
-Après tout, les Français dont vous défendez ici le sang, n'ont pas
-tant à se plaindre de moi. J'ai perdu, cela est vrai, deux cent mille
-hommes en Russie; il y avait dans le nombre cent mille soldats
-français des meilleurs; ceux-là, je les regrette... oui, je les
-regrette vivement... Quant aux autres, c'étaient des Italiens, des
-Polonais, et principalement des Allemands...--À ces paroles Napoléon
-ajouta un geste qui signifiait que cette dernière perte le touchait
-peu.--Soit, reprit M. de Metternich, mais vous conviendrez, Sire, que
-ce n'est pas une raison à donner à un Allemand.--Vous parliez pour les
-Français, je vous ai répondu pour eux, répliqua Napoléon.--Puis, à
-cette occasion, il employa plus d'une heure à raconter à M. de
-Metternich qu'en Russie il avait été surpris et vaincu par le mauvais
-temps; qu'il pouvait tout prévoir, tout surmonter, excepté la nature;
-qu'il savait se battre avec les hommes, mais non pas avec les
-éléments. N'ayant pas revu M. de Metternich depuis la catastrophe de
-1812, il s'étudia à refaire à ses yeux le prestige de son
-invincibilité, beaucoup trop détruit dans l'esprit de certains hommes,
-et mit un grand soin à prouver que sur le champ de bataille on ne
-l'avait jamais vaincu, ce qui était vrai; que s'il avait perdu des
-canons, c'était par le froid qui, en tuant les chevaux, avait détruit
-le moyen de traîner l'artillerie. Pendant qu'il parlait, marchant avec
-une extrême animation, il avait rencontré et repoussé du pied dans un
-coin de l'appartement son chapeau resté à terre. Au milieu des allées
-et venues de ce long entretien, il revint à l'idée fondamentale de son
-discours, c'est que l'Autriche, à laquelle il avait fait remise tant
-de fois des peines qu'elle avait encourues, à laquelle il avait
-demandé une archiduchesse pour l'épouser, faute, disait-il, bien
-grande de sa part, osait encore, au mépris de tant de bons procédés,
-lui déclarer la guerre.--Faute, reprit M. de Metternich, pour Napoléon
-conquérant, mais non pas faute pour Napoléon politique et fondateur
-d'empire.--Faute ou non, reprit Napoléon, vous voulez donc me
-déclarer la guerre! Soit, quels sont vos moyens? deux cent mille
-hommes en Bohême, dites-vous; et vous prétendez me faire croire à des
-fables pareilles! C'est tout au plus si vous en avez cent, et je
-soutiens que ces cent se réduiront probablement à quatre-vingt mille
-en ligne.--Là-dessus il conduisit M. de Metternich dans son cabinet de
-travail, lui montra ses notes et ses cartes, lui dit que M. de
-Narbonne avait couvert l'Autriche de ses espions, et qu'on tenterait
-en vain de l'effrayer par des chimères; que les Autrichiens n'avaient
-pas même cent mille hommes en Bohême...--La prétention des Autrichiens
-était d'en avoir trois cent cinquante mille sous les armes, dont cent
-mille sur la route d'Italie, cinquante mille en Bavière, deux cent
-mille en Bohême. C'étaient là les propos d'hommes qui n'avaient pas
-l'habitude de ce genre de calculs, et qui ne savaient pas que si
-l'Autriche avait trois cent cinquante mille hommes sur ses contrôles,
-elle en aurait tout au plus deux cent mille au feu, dont cinquante
-peut-être sur la route d'Italie, trente sur celle de Bavière et cent
-ou cent vingt en Bohême. Napoléon, par l'expérience qu'il avait des
-mécomptes qu'on essuie à la guerre sous le rapport des nombres, traita
-légèrement les assertions de M. de Metternich, que celui-ci, étranger
-à l'administration militaire, n'était pas capable de justifier
-suffisamment. Laissant là ce sujet sur lequel il n'était pas facile de
-s'entendre, Napoléon dit à M. de Metternich: Du reste, ne vous mêlez
-pas de cette querelle, dans laquelle vous courez trop de dangers pour
-trop peu d'avantages, tenez-vous à part. Vous voulez l'Illyrie, eh
-bien, je vous la cède; mais soyez neutre, et je me battrai à côté de
-vous et sans vous. La paix que vous voulez procurer à l'Europe, je la
-lui donnerai sûrement, et équitablement pour tous. Mais la paix que
-vous cherchez à conclure au moyen de votre médiation, est une paix
-imposée, qui me fait jouer aux yeux du monde le rôle d'un vaincu
-auquel on dicte la loi... la loi, quand je viens de remporter deux
-victoires éclatantes!...--M. de Metternich revint à l'idée de la
-médiation, dont il ne pouvait se départir, s'efforça de la montrer non
-comme une contrainte qu'il s'agissait de faire subir à Napoléon, mais
-comme une intervention officieuse d'un allié, d'un ami, d'un père,
-qui, au jugement du monde, quand on connaîtrait les conditions
-proposées, serait encore considéré comme bien partial pour son
-gendre.--Ah! vous persistez, s'écria Napoléon avec colère, vous voulez
-toujours me dicter la loi! eh bien, soit, la guerre! mais au revoir, à
-Vienne[1]...--
-
- [Note 1: Cette célèbre entrevue est de toutes celles où
- Napoléon a figuré personnellement, la plus difficile à
- reproduire, faute de documents suffisants. Pour les autres
- entretiens de Napoléon rapportés précédemment dans cette
- histoire, il existait des documents nombreux, soit dans nos
- archives diplomatiques, soit dans les archives diplomatiques
- étrangères; pour celui dont il s'agit ici au contraire,
- Napoléon n'ayant rien adressé à ses agents extérieurs, on
- manque de l'un des moyens d'information les plus certains.
- Il se contenta d'en parler à M. de Bassano, qui plus tard
- fut l'auteur des diverses versions publiées par des
- écrivains avec lesquels il était lié. Cet entretien
- mémorable serait donc à peu près perdu, si M. de Metternich
- n'en avait écrit lui-même, avec le plus grand détail, et en
- temps utile, toutes les particularités. Ayant obtenu de son
- obligeance la communication de ce récit, qui m'a paru trop
- sévère pour Napoléon, mais généralement exact, j'ai conservé
- dans ce qu'on vient de lire tout ce qui m'a semblé
- incontestable, d'après la connaissance que j'avais des
- négociations du moment, et d'après les autres récits publiés
- par les écrivains auxquels M. de Bassano avait communiqué
- ses souvenirs. Je n'ai, comme dans toutes les occasions
- semblables, conservé que ce que j'ai considéré comme à
- l'abri de toute contestation. Ce qui est incontestable me
- paraissait d'ailleurs suffisant pour donner de cette scène
- historique une idée qui fût à la fois exacte et complète.]
-
-[En marge: Longueur de l'entrevue de Napoléon avec M. de Metternich,
-et anxiété de ceux qui en attendaient le résultat.]
-
-Cette mémorable entrevue, qui ne décida pas la question de la paix et
-de la guerre, ainsi qu'on le verra bientôt, mais qui fit éclater d'une
-manière si peu opportune les dispositions intérieures de Napoléon,
-cette mémorable entrevue avait duré cinq à six heures. Il était
-presque nuit lorsqu'elle se termina, à ce point que les deux
-interlocuteurs pouvaient à peine distinguer les traits l'un de
-l'autre. Napoléon ne voulant pas en quittant M. de Metternich se
-séparer brouillé, lui dit quelques mots plus doux, et lui assigna un
-nouveau rendez-vous pour les jours suivants. La longueur de
-l'entretien avait fort préoccupé les habitués de l'antichambre
-impériale. L'anxiété des visages était plus grande encore que lorsque
-M. de Metternich était entré. Le major général Berthier, accouru pour
-savoir quelque chose de ce qui s'était passé, demanda à M. de
-Metternich s'il était content de l'Empereur.--Oui, répondit le
-ministre autrichien, j'en suis content, car il a éclairé ma
-conscience, et, je vous le jure, votre maître a perdu la raison!
-
-[En marge: Conséquences que cette entrevue pouvait avoir, plus grandes
-que celles qu'elle eut en effet.]
-
-Ce n'était pas la violence de cet entretien qui en cette occasion
-avait causé le plus de tort aux affaires de l'Empire, c'était la
-triste conviction que Napoléon avait dû laisser dans l'esprit de M. de
-Metternich, que jamais il n'accepterait les conditions si modérées
-dans lesquelles l'Autriche s'était renfermée. Heureusement néanmoins,
-M. de Metternich, attachant sa gloire et sa sûreté à obtenir par la
-paix les conditions qu'il croyait indispensables, était homme à
-sacrifier l'orgueil à la politique, et à ne pas prendre feu tant qu'il
-resterait une chance de réussir. Napoléon pouvait dès lors donner
-carrière à son humeur, pourvu qu'au dernier moment il eût un retour de
-bon sens, et qu'il agréât la paix encore si prodigieusement belle
-qu'on lui offrait. Les explosions de son caractère, on était tout prêt
-à les pardonner à son génie et à sa puissance, et on aurait volontiers
-supporté un désagrément pour un grand résultat. Du reste, quand on
-avait souffert de son humeur impétueuse, on était promptement
-dédommagé, car lorsqu'il s'était livré à ses passions, il en était
-honteux, revenait bien vite, se hâtait de caresser ceux qu'il avait le
-plus blessés, et leur prodiguait les séductions pour leur faire
-oublier ses écarts. La situation que nous retraçons devait bientôt en
-fournir un nouvel exemple.
-
-[En marge: Regrets de Napoléon, et ses soins pour ressaisir M. de
-Metternich.]
-
-[En marge: M. de Bassano chargé de rédiger un projet de convention,
-relativement à la médiation autrichienne.]
-
-À peine s'était-il séparé du ministre autrichien qu'il était déjà
-plein de regrets de s'être autant abandonné à son emportement naturel,
-car il n'avait obtenu de cette entrevue rien de ce qu'il s'était
-promis. Loin de pénétrer les secrets du ministre autrichien, il lui
-avait révélé les siens en lui laissant voir l'obstination invincible
-de son orgueil, et il avait nui surtout à son principal dessein, celui
-de faire prolonger l'armistice, en montrant trop clairement que cet
-armistice ne conduirait point à la paix. Aussi ordonna-t-il
-sur-le-champ à M. de Bassano de courir après M. de Metternich, et de
-lui parler de l'objet essentiel, dont il n'avait pas été dit
-grand'chose dans l'entrevue, c'est-à-dire de la médiation
-autrichienne, de sa forme, de ses conditions, du délai dans lequel
-elle devrait s'exercer. M. de Metternich avait même pu croire qu'elle
-était refusée, au langage de Napoléon. Pour détruire cette idée, M. de
-Bassano eut l'ordre d'entreprendre de concert avec M. de Metternich la
-rédaction d'une convention relative au mode de la médiation, ce qui
-prouverait au ministre autrichien que malgré les emportements de
-Napoléon, tout n'était pas perdu, et que la résolution de repousser
-tout arbitrage pacifique n'était pas définitivement arrêtée dans la
-pensée du gouvernement français.
-
-La journée suivante fut en effet consacrée par MM. de Metternich et de
-Bassano à débattre la question de la médiation, et il ne fut plus rien
-dit de ce traité d'alliance, dont on avait eu la maladresse de fournir
-à l'Autriche le moyen de se dégager un article après l'autre, et dont
-les tristes restes ne valaient pas la peine qu'on s'irritât pour les
-sauver. On parla uniquement de la médiation, de la manière dont elle
-s'exercerait, et du sentiment que l'Autriche y apporterait à l'égard
-de la France. M. de Metternich renouvela l'assurance d'une médiation
-toute partiale pour nous, mais parut tenir beaucoup à la forme qui
-constituait le médiateur intermédiaire exclusif des parties
-contractantes. On essaya d'une rédaction sans pouvoir tomber d'accord,
-parce que M. de Bassano voulait la surcharger de précautions que M. de
-Metternich trouvait gênantes. Mais les détails furent débattus sans
-aigreur, et du ton de gens décidés à s'entendre. Tout fut renvoyé à
-l'Empereur, et M. de Metternich dut le revoir le 30 juin pour résoudre
-avec lui les dernières difficultés.
-
-[En marge: Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon paraît
-complétement changé.]
-
-[En marge: Cette fois, après avoir tout concédé dans les formes à M.
-de Metternich, Napoléon cherche avec beaucoup d'adresse à lui arracher
-une prolongation d'armistice.]
-
-[En marge: Napoléon en faisant valoir le peu de temps qui reste pour
-négocier, obtient une prolongation d'armistice de vingt jours, du 26
-juillet au 16 août, compris six jours pour se prévenir de la reprise
-des hostilités.]
-
-[En marge: Napoléon renvoie M. de Metternich comblé de caresses.]
-
-Le 30, en effet, M. de Metternich, accompagné de M. de Bassano, revit
-Napoléon, et le trouva tout changé, comme un ciel épuré par un orage.
-Il était ouvert, gai, plein d'un aimable repentir.--Vous persistez
-donc à faire le méchant avec nous? dit-il à M. de Metternich avec une
-familiarité pleine de grâce.--Puis il prit des mains de M. de Bassano
-le projet de convention, dont il connaissait les points sujets à
-difficulté, et il se mit à en lire les articles l'un après l'autre. À
-chaque article, comme s'il eût été du parti de M. de Metternich, il
-disait: Mais cela n'a pas le sens commun, ne s'inquiétant guère de
-l'amour-propre de son ministre, et il paraissait presque toujours
-abonder dans les idées du diplomate autrichien. S'adressant ensuite à
-M. de Bassano, il lui dit: Asseyez-vous et écrivez, et il dicta un
-projet simple, clair, net, comme il était capable de le faire. Cette
-rédaction qui écartait toutes les difficultés, une fois terminée, il
-demanda à M. de Metternich: Ce projet vous convient-il?--Oui, Sire,
-répondit l'illustre diplomate, sauf quelques expressions.--Lesquelles?
-reprit Napoléon.--M. de Metternich les ayant indiquées, Napoléon les
-changea sur-le-champ à l'entière satisfaction de son interlocuteur,
-s'attachant à lui complaire en tout. Enfin ce projet, qui déclarait
-que dans le désir et l'espérance de rétablir la paix, au moins parmi
-les États du continent, l'empereur d'Autriche offrait sa médiation à
-l'empereur Napoléon, que l'empereur Napoléon l'acceptait, et que les
-plénipotentiaires des diverses puissances se réuniraient à Prague le 5
-juillet au plus tard, ce projet complétement arrêté, Napoléon,
-toujours du ton le plus aisé, dit à M. de Metternich: Mais ce n'est
-pas tout, il me faut une prolongation d'armistice... Comment en effet,
-du 5 au 20 juillet, terminer une négociation qui doit embrasser les
-intérêts du monde entier, et qui, si on voulait bien régler toutes les
-difficultés, exigerait des années?--La question effectivement était
-embarrassante, quoique, sur les points importants, on eût pu
-s'entendre en quelques heures, si on l'avait voulu. Mais au premier
-aspect la question n'admettait pas d'autre réponse qu'un assentiment.
-M. de Metternich, vaincu par toutes les condescendances de cette
-journée, n'était pas disposé à compromettre la médiation à laquelle il
-attachait tant de prix, pour quelques jours de plus ou de moins dans
-la durée des négociations. Il répondit qu'il espérait faire accepter
-la prolongation demandée aux Prussiens et aux Russes, bien qu'ils
-fussent convaincus que l'armistice, utile seulement à la France, leur
-était nuisible à eux, et il ne disputa que sur l'étendue de cette
-prolongation. Napoléon voulait obtenir jusqu'au 20 août, pour gagner
-le 26 avec les six jours accordés pour la dénonciation de l'armistice.
-M. de Metternich contestait un terme aussi long, non pas en son nom,
-mais au nom de ceux dont il devait obtenir l'assentiment, et répétait
-que si on voulait agir avec une entière bonne foi, tout pourrait être
-terminé en une journée. Napoléon répondait qu'il lui en fallait
-quarante au moins pour juger des vues de ses adversaires, et faire
-connaître les siennes.--Quant à moi, vous pouvez être sûr,
-ajouta-t-il, que je ne vous dirai mes véritables intentions que le
-quarantième jour.--Alors, répliqua M. de Metternich, les trente-neuf
-jours qui précèdent le quarantième sont inutiles.--La conversation
-ayant pris ce tour plaisant, on touchait évidemment à un accord, et
-après discussion, M. de Metternich parut disposé à prolonger
-l'armistice jusqu'au 10 août, avec six jours pour se prévenir de la
-reprise des hostilités, ce qui devait conduire au 16, et entraînait
-une prolongation de vingt jours, du 26 juillet au 16 août. Napoléon
-alors, feignant de trouver du 5 juillet au 16 août les quarante jours
-dont il avait besoin pour négocier, et au fond, bien qu'il en
-souhaitât davantage, jugeant bon de gagner au moins ce temps pour
-l'achèvement de ses préparatifs, déclara qu'il acceptait la
-proposition de M. de Metternich. En conséquence on ajouta un dernier
-article, par lequel il était dit que, vu le peu de temps qui restait
-pour négocier d'après les termes de l'armistice signé à Pleiswitz,
-l'empereur Napoléon s'engageait à ne pas dénoncer cet armistice avant
-le 10 août (16 août en ajoutant les six jours pour l'avis préalable),
-et que l'empereur d'Autriche se chargeait d'obtenir le même engagement
-de la part du roi de Prusse et de l'empereur de Russie. Napoléon
-voulut qu'on signât à l'instant même, et renvoya ensuite M. de
-Metternich comblé de toutes sortes de caresses. Ainsi le lion changé
-tout à coup en sirène avait su arracher à l'habile ministre autrichien
-la seule chose qu'il désirât véritablement, c'est-à-dire une
-prolongation d'armistice. Ne voulant pas la paix aux conditions
-proposées, ne voulant que le temps nécessaire pour en imposer une qui
-fût à son gré, vingt jours de plus étaient pour lui une conquête d'un
-prix inestimable. Le sacrifice des questions de forme qu'il avait paru
-faire en simplifiant autant le texte de la convention, n'en était pas
-un de sa part, car sur le point important de savoir si les parties
-contractantes s'aboucheraient toutes ensemble dans une conférence
-commune, ou ne traiteraient que par l'entremise du médiateur, il avait
-éludé, mais non abandonné la difficulté, en se taisant dans la
-rédaction; et il était fort aise de l'avoir réservée, car elle lui
-restait pour occuper les premiers jours du congrès, et pour perdre le
-temps dans lequel on était renfermé, sans avoir à s'expliquer sur le
-fond des choses. C'était à M. de Metternich, souhaitant ardemment le
-succès de la médiation, à regretter que cette difficulté n'eût pas été
-vidée tout de suite, et qu'elle demeurât comme un gros obstacle sur le
-chemin des négociations. Napoléon avait donc avec quelques instants de
-douceur réparé jusqu'à un certain point le mal causé par les
-imprudents éclats de sa colère, et obtenu tout ce qu'il désirait.
-Heureux ce singulier génie, heureuse la France, s'il avait pu employer
-cette merveilleuse souplesse à la tirer du faux pas où il l'avait
-engagée!
-
-[Date en marge: Juillet 1813.]
-
-[En marge: Retour de M. de Metternich à Gitschin le 1er juillet.]
-
-[En marge: Temps imprudemment perdu par l'Autriche, et remise du 5 au
-8 juillet pour la réunion des plénipotentiaires.]
-
-Maintenant l'habileté de la part de l'Autriche, si passionnée pour le
-succès de la médiation, eût consisté à ne pas laisser à Napoléon un
-seul prétexte de perdre du temps, et dès lors à lui répondre
-sur-le-champ que la convention constitutive de la médiation était
-acceptée, que la prolongation de l'armistice l'était également, et que
-les négociateurs, comme on l'avait stipulé, se réuniraient exactement
-le 5 juillet. Malheureusement il n'en fut pas ainsi. M. de Metternich,
-parti de Dresde le 30 juin, jour même de la signature, et arrivé le
-1er juillet à Gitschin, causa une grande joie à son maître en lui
-annonçant que la médiation était acceptée, ce qui faisait passer la
-cour d'Autriche de la situation embarrassante d'alliée de la France, à
-la situation indépendante et forte de son arbitre, et lui procurait un
-lustre dont elle avait besoin auprès du public autrichien. M. de
-Metternich n'eut donc pas de peine à obtenir de l'empereur François la
-ratification immédiate de la convention. Mais, soit qu'il n'eût pas
-entièrement pénétré les intentions dilatoires de Napoléon, soit qu'il
-fût dominé par des difficultés toutes matérielles, M. de Metternich
-fournit lui-même des prétextes aux pertes de temps, en demandant de
-remettre du 5 au 8 juillet la réunion des plénipotentiaires. Après
-avoir demandé cette remise, laquelle, d'après ce qu'on a vu des
-projets de Napoléon, ne devait pas rencontrer d'obstacle de notre
-part, M. de Metternich s'adressa aux souverains réunis à Reichenbach,
-pour leur annoncer l'acceptation de la médiation, pour leur faire
-agréer la prolongation de l'armistice, et obtenir le prompt envoi de
-leurs plénipotentiaires à Prague.
-
-[En marge: Dispositions des monarques coalisés réunis à Reichenbach.]
-
-[En marge: Frappés des avantages de temps que l'armistice procure à
-Napoléon, ils ne voudraient pas le prolonger.]
-
-[En marge: Toutefois ils accordent la prolongation pour complaire à
-l'Autriche, et demandent une nouvelle remise au 12 juillet pour la
-réunion des plénipotentiaires.]
-
-Les coalisés de Reichenbach n'avaient pas compris toute la portée de
-l'armistice de Pleiswitz en le signant. Ils n'y avaient vu d'abord que
-l'avantage de se soustraire aux conséquences immédiates de la
-bataille de Bautzen, sans songer aux avantages de temps qu'il
-procurait à Napoléon. Maintenant qu'ils étaient sortis de péril,
-qu'ils avaient ainsi recueilli le principal fruit de l'armistice,
-qu'ils voyaient les armements de Napoléon se développer chaque jour,
-bien que les leurs se développassent aussi, ils étaient presque aux
-regrets d'une suspension d'armes qui pourtant les avait sauvés, et ils
-n'étaient nullement enclins à en prolonger la durée. Une circonstance
-d'ailleurs les disposait plus mal encore à l'égard de la prolongation
-consentie par M. de Metternich, c'est qu'ils avaient pour vivre la
-partie la moins fertile de la Silésie, tandis que Napoléon avait la
-meilleure, et qu'ils craignaient de manquer bientôt de moyens de
-subsistance. De plus, auprès des Allemands, surtout des Prussiens,
-tout ajournement des hostilités semblait un pas fait dans la politique
-pacifique de l'Autriche, et une sorte de trahison. Il y eut donc
-quelque peine à leur arracher leur consentement, et assez pour
-entraîner une nouvelle perte de temps. Toutefois les deux souverains
-alliés n'avaient rien à refuser à l'Autriche, et dès qu'elle voulait
-une chose, ils devaient l'accorder. Or l'Autriche s'étant engagée
-envers Napoléon à prolonger l'armistice, on ne pouvait pas lui faire
-l'outrage de déclarer son engagement imprudent et nul. On le ratifia
-donc, mais en demandant, vu les distances et le temps déjà écoulé, une
-nouvelle remise du 8 au 12 juillet, pour la réunion des
-plénipotentiaires à Prague, et en promettant, du reste, qu'ils
-seraient exacts au rendez-vous. M. de Metternich informa M. de Bassano
-de ces dernières déterminations, mais, en les lui faisant connaître,
-il s'exprima au sujet de la prolongation de l'armistice comme à
-l'égard d'une chose qui allait de soi, et ne communiqua point son
-acceptation officielle par les souverains de Prusse et de Russie.
-
-[En marge: Napoléon, enchanté du temps perdu, affecte toutefois de
-s'en plaindre.]
-
-Rien ne convenait mieux à Napoléon que des délais dont il n'était pas
-l'auteur. Il fit répondre comme s'il se résignait au lieu de se
-réjouir. Depuis que la cour d'Autriche s'était transportée de Vienne
-aux environs de Prague, il avait rappelé à Dresde M. de Narbonne, l'y
-avait retenu quelques jours, et puis l'avait expédié de nouveau pour
-qu'il continuât à Prague ainsi qu'à Vienne son rôle d'ambassadeur.
-Napoléon le chargea d'exprimer des regrets au sujet du dernier retard,
-et en même temps de se plaindre de la négligence qu'on paraissait
-mettre à communiquer officiellement le consentement donné à la
-prolongation de l'armistice, comme si ce consentement avait pu être
-douteux. Il l'autorisa de plus à déclarer que lorsque les négociateurs
-russe et prussien seraient connus et partis pour leur destination, la
-France désignerait et ferait partir ses négociateurs, et d'insinuer
-que ce seraient probablement MM. de Narbonne et de Caulaincourt.
-
-[En marge: Napoléon profite du temps perdu par les autres cabinets
-pour perdre lui-même quatre ou cinq jours en s'absentant.]
-
-[En marge: Voyage imprévu à Magdebourg, pour visiter les bords de
-l'Elbe.]
-
-Tandis qu'il adressait ces réponses, Napoléon se proposait de tirer,
-des délais imprudents auxquels l'Autriche s'était prêtée, de nouveaux
-délais qu'il rattacherait adroitement à ceux dont il n'était pas
-cause. Depuis longtemps il avait projeté certaines excursions pour
-visiter, suivant son usage, les lieux qui allaient devenir le théâtre
-de la guerre, et il voulait, s'il en avait le loisir, parcourir les
-bords de l'Elbe depuis Koenigstein jusqu'à Hambourg, aller même passer
-quelques jours à Mayence avec l'Impératrice, qui était impatiente de
-le revoir, et à laquelle il désirait donner des témoignages publics
-d'affection. En se montrant tendre et soigneux pour Marie-Louise, il
-augmentait pour l'empereur François la difficulté d'oublier les liens
-de paternité qui l'unissaient à la France. Il résolut de commencer par
-la plus utile de ces excursions, par celle qui devait lui procurer la
-vue des points importants de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg. On
-était arrivé au 8 juillet. Napoléon, qui n'avait aucun doute sur la
-réunion des plénipotentiaires russe et prussien à Prague le 12 au plus
-tard, aurait pu nommer les siens, rédiger leurs instructions, et les
-faire partir, ou les tenir prêts à partir au premier signal. Eût-il
-même fallu différer de quelques jours ses excursions, il l'aurait dû,
-car aucun intérêt n'égalait en ce moment celui d'une prompte réunion
-du congrès, et d'ailleurs les inspections locales auxquelles il
-voulait se livrer, les revues de troupes qu'il se proposait de passer,
-n'auraient pas eu moins d'utilité pour être retardées d'une semaine.
-Au contraire en prenant patience encore un jour, il aurait reçu de
-Prague les communications qu'il se plaignait de n'avoir pas reçues, il
-aurait connu les plénipotentiaires désignés, l'époque précise de leur
-réunion, et l'acceptation formelle du nouveau terme assigné à
-l'armistice. Mais il lui convenait mieux de se dire contraint à
-s'absenter immédiatement, parce qu'alors il n'était tenu de répondre
-qu'à son retour, et les quatre ou cinq jours qu'il allait gagner
-ainsi pouvaient être considérés comme une conséquence du temps qu'on
-avait perdu du 5 au 12 juillet. Il déclara donc tout à coup qu'ayant
-différé son départ jusqu'au 9, sans avoir rien reçu de Prague, il se
-voyait obligé par les affaires urgentes de son armée, de quitter
-Dresde le 10. En même temps, de peur de donner à ses ennemis le moyen
-de le faire enlever par une troupe de Cosaques, malgré l'armistice, il
-ne dit pas où il allait, certain que lorsqu'on apprendrait qu'il était
-quelque part, il n'y serait déjà plus. Il ne dit pas non plus combien
-il resterait absent, laissant espérer que ce serait trois jours au
-plus, que par conséquent on n'aurait pas beaucoup à attendre les
-réponses que son départ ajournait inévitablement. La diplomatie
-autrichienne ayant ainsi perdu huit jours involontairement, il allait
-en perdre encore très-volontairement quatre ou cinq, ce qui devait
-remettre la réunion des plénipotentiaires, fixée d'abord au 5 juillet,
-puis au 12, à une nouvelle époque qui n'était pas déterminée.
-
-[En marge: Départ de Napoléon le 10 juillet.]
-
-Le 10 juillet au matin il partit donc pour Torgau en toute hâte, ne
-prenant point un vain prétexte quand il disait s'absenter pour des
-affaires importantes, et ne trompant que sur l'urgence de ces
-affaires.
-
-[Date en marge: Juin 1813.]
-
-[En marge: Napoléon apprend en route les graves événements qui
-s'étaient passés en Espagne.]
-
-Au moment même où il quittait Dresde, on y apprenait les derniers
-événements d'Espagne, qui, bien qu'on dût les prévoir d'après ce qui
-s'était passé, n'en devaient pas moins causer une surprise bien
-agréable pour nos ennemis, bien douloureuse pour nous, et d'une
-influence funeste pour l'ensemble de nos affaires. Il faut faire
-connaître ces événements, qui par leurs conséquences politiques se
-lient nécessairement à ceux dont l'Allemagne était alors le théâtre.
-
-[En marge: Notre situation en Espagne depuis la réunion des trois
-armées du centre, de Portugal et d'Andalousie.]
-
-Après la réunion des trois armées du centre, de Portugal et
-d'Andalousie, la situation des Français dans la Péninsule offrait
-encore bien des chances favorables. Le maréchal Suchet, se maintenant
-par son corps le plus avancé à Valence, et par deux autres corps en
-Catalogne et en Aragon, était maître de la partie de l'Espagne la plus
-essentielle pour nous, et en avait toutes les places fortes en sa
-possession. Le roi Joseph était à Madrid avec l'armée du centre, ayant
-devant lui, répandue sur le Tage, de Tarancon à Almaraz, l'armée
-d'Andalousie, et sur sa droite en arrière, entre la Tormès et le
-Douro, l'armée de Portugal. Dans cette position, il n'avait rien à
-craindre, si, persistant à tenir ensemble ces forces récemment
-réunies, il était toujours prêt à tomber en masse sur les Anglais à
-leur première apparition. Ces trois armées en janvier 1813
-présentaient 86 mille hommes de toutes armes, comprenant le reste de
-ce que la France avait envoyé de meilleur en Espagne. Délivré des
-résistances du maréchal Soult que Napoléon avait emmené avec lui en
-Allemagne, débarrassé aussi des entêtements du général Caffarelli, il
-pouvait se promettre une exécution plus fidèle de ses ordres. Par
-suite de ces changements, le général Clausel commandait l'armée du
-nord, le général Reille celle de Portugal, le comte d'Erlon celle du
-centre, le général Gazan celle d'Andalousie. Sans le redoutable effet
-produit par les événements de Russie, la situation de Joseph n'eût
-pas été mauvaise. Mais ces événements avaient singulièrement excité
-les esprits, et réveillé chez les Espagnols l'espérance d'être
-prochainement délivrés de notre domination.
-
-[En marge: Conduite des cortès de Cadix.]
-
-Les cortès de Cadix gouvernaient toujours assez confusément, mais avec
-un ardent patriotisme, les affaires de l'insurrection espagnole, et
-lord Wellington avec beaucoup de suite et de fermeté celles de
-l'insurrection portugaise. Les cortès avaient, comme nous l'avons
-rapporté ailleurs, terminé leur constitution, et, copiant exactement
-celle que la France s'était donnée en 1791, elles avaient adopté une
-chambre unique et un roi pourvu seulement du véto suspensif. En
-attendant que ce roi pût leur être rendu, les cortès prétendaient
-représenter la souveraineté tout entière, s'étaient attribué le titre
-de Majesté, et accordaient celui d'Altesse à une régence élective,
-composée de cinq membres, et investie du pouvoir exécutif en l'absence
-de Ferdinand VII. Les cortès avaient contre elles, outre les Français
-et les rares partisans de Joseph, tous les amis du vieux régime
-qu'elles avaient aboli, et se trouvaient sans cesse en conflit avec la
-régence, suspecte à leurs yeux parce qu'elle avait été composée de
-grands personnages du clergé et de l'armée. C'est ce qui explique
-pourquoi Séville et toute l'Andalousie étant abandonnées par les
-Français, les cortès avaient mieux aimé demeurer au milieu du peuple
-de Cadix, plus confiantes dans le peuple de cette ville que dans aucun
-autre. Sans les malheurs de Russie, sans la défaite de Salamanque,
-Joseph, moins contrarié, mieux pourvu d'argent, aurait pu avec le
-temps tirer un grand parti des divisions des Espagnols.
-
-[En marge: Les cortès défèrent à lord Wellington le commandement des
-armées espagnoles.]
-
-En ce moment une question avait fort ajouté à ces divisions, c'était
-celle du commandement des armées. Les succès de lord Wellington, et
-surtout les qualités que l'armée portugaise avait déployées sous ses
-ordres, avaient suggéré à certains membres des cortès l'idée de lui
-offrir le commandement en chef des troupes espagnoles. L'esprit
-indépendant et jaloux de la nation avait d'abord opposé des obstacles
-à ce projet, mais l'espérance de voir l'armée espagnole égaler bientôt
-et surpasser même l'armée portugaise, et en particulier la victoire de
-Salamanque, avaient fait taire toutes les répugnances, et on avait
-nommé lord Wellington généralissime. Cet illustre personnage avait mis
-à son acceptation deux conditions, la première qu'il obtiendrait
-l'assentiment de son gouvernement, et la seconde qu'il exercerait sur
-l'organisation et les mouvements de l'armée espagnole une autorité
-absolue. Le cabinet britannique ayant tout naturellement consenti à ce
-qu'il acceptât l'autorité qu'on lui offrait, il s'était transporté à
-Cadix pendant l'hiver, pour s'entendre avec la régence sur toutes les
-questions que soulevait son futur commandement. Accueilli avec de
-grands honneurs, mais attaqué en même temps par les journaux organes
-des jalousies nationales, il avait plus d'une fois regretté de s'être
-exposé à un semblable traitement et aurait même refusé le généralat,
-s'il n'avait craint par son refus de porter un coup funeste à
-l'insurrection. On lui avait pourtant accordé à peu près l'autorité
-qu'il désirait, mais il craignait fort de ne pas tirer grand parti des
-Espagnols, faute d'argent et faute de bons officiers. On lui
-promettait l'argent sans moyen de le fournir, et quant aux officiers,
-il aurait en vain voulu suppléer à ceux qui lui manquaient par des
-officiers anglais. Jamais l'armée espagnole n'aurait souffert, malgré
-l'exemple de l'armée portugaise, qu'on lui donnât des étrangers pour
-la conduire. Il était parti du reste encore plus applaudi qu'attaqué,
-et résolu à s'occuper presque exclusivement de l'armée espagnole de
-Galice, qui devait servir sous ses ordres immédiats.
-
-[En marge: Projet de lord Wellington pour la campagne de 1813.]
-
-[En marge: Il veut, à la tête de cent mille hommes, s'avancer en
-Vieille-Castille pour faire tomber d'un seul coup l'établissement des
-Français dans la Péninsule.]
-
-Revenu à Fresnada, sur la frontière nord du Portugal, il avait employé
-tout l'hiver à préparer la campagne prochaine. Son projet était
-d'avoir environ 45 mille Anglais, supérieurement organisés, 25 mille
-Portugais, et environ 30 mille Espagnols instruits et équipés le moins
-mal possible, et de s'avancer ainsi avec une centaine de mille hommes
-sur le nord de la Péninsule, afin de couper au pied de l'arbre la
-puissance des Français en Espagne. Toutefois, depuis que la
-concentration des trois armées de Portugal, du centre et du midi,
-avait réuni à Madrid une force de 80 à 90 mille Français, égaux pour
-le moins aux Anglais, et bien supérieurs aux Portugais et aux
-Espagnols, il regardait son entreprise comme très-hasardeuse, ne
-voulait la tenter qu'avec beaucoup de circonspection, et à condition
-que les insurgés de Catalogne et de Murcie, soutenus par l'armée
-anglo-sicilienne, feraient en sa faveur une forte diversion sur
-Valence, et que les flottes anglaises, secondant les bandes des
-Asturies et des Pyrénées, donneraient de continuelles occupations à
-notre armée du nord. Consulté sur un projet d'invasion dans le midi
-de la France pendant qu'on se battait en Saxe avec Napoléon, il avait
-répondu que le premier soin des Anglais devait être de forcer les
-Français à repasser les Pyrénées, pour n'entrer en France qu'à leur
-suite. Mais ce résultat, il avait été bien loin de le promettre en
-présence des 86 mille hommes actuellement concentrés sous Joseph
-autour de Madrid.
-
-[En marge: Les projets de lord Wellington, faciles à deviner, auraient
-dû amener les Français à évacuer Madrid pour se concentrer en
-Vieille-Castille.]
-
-[En marge: C'était l'avis du maréchal Jourdan, mais Joseph répugnait à
-évacuer Madrid.]
-
-Ces idées du général en chef britannique, qu'il était facile de
-deviner même sans le secours d'aucune information, indiquent
-suffisamment quel aurait dû être le plan des Français pour rendre
-cette campagne plus heureuse que les précédentes, et ce plan devait
-être avant tout de rester réunis, et puis de bien choisir la position
-sur laquelle ils s'établiraient. Malheureusement le choix de leurs
-positions en avant et en arrière de Madrid n'était pas des mieux
-entendus. Lorsque en effet il faudrait se replier pour tenir tête aux
-Anglo-Portugais dans la Vieille-Castille, entre Salamanque et
-Valladolid, il était à craindre qu'on n'arrivât point à temps, et
-surtout qu'on ne fût obligé de se priver, pour la garde de Madrid, de
-forces très-regrettables un jour de bataille. Le mieux eût donc été
-d'évacuer Madrid, de se transporter à Valladolid, de n'y garder que
-l'indispensable en fait de matériel, d'expédier sur Vittoria, malades,
-blessés, vivres et munitions, et d'être ainsi dans la nouvelle
-capitale qu'on aurait adoptée, concentrés et en même temps allégés de
-tout poids inutile. C'était l'avis du maréchal Jourdan; mais quoique
-d'une parfaite sagesse, ses avis étaient donnés sans énergie, et il en
-eût fallu beaucoup pour vaincre la répugnance de Joseph à évacuer
-Madrid. Depuis qu'il avait vu lord Wellington fuir devant lui, et
-qu'il avait pu rentrer triomphant dans sa capitale, il s'était encore
-une fois cru roi d'Espagne, et sans les événements de Russie, il
-n'aurait pas même conservé de doute sur son établissement définitif
-dans ce pays. Lui proposer maintenant de sortir de Madrid, c'était lui
-proposer de redevenir roi vagabond, de rendre aux Espagnols toutes les
-espérances qu'ils avaient perdues, de traîner de nouveau sur les
-routes une foule de malheureux attachés à son sort, et de se priver du
-plus clair de son revenu, qui consistait dans l'octroi de Madrid, et
-dans le produit des deux ou trois provinces environnantes. Pourtant
-Joseph avait l'esprit si juste, qu'il n'avait pas absolument repoussé
-l'idée de quitter Madrid lorsque le maréchal Jourdan lui en avait
-parlé, et que si ce dernier eût insisté davantage, on aurait pu
-évacuer Madrid en janvier, employer les mois de février et de mars à
-réprimer les bandes du nord, puis revenir en avril pour être tous
-réunis au mois de mai contre le duc de Wellington, en prenant un mois
-entier pour faire reposer les troupes et les préparer à la campagne
-décisive de 1813. Ces idées, parfaitement conçues par le maréchal
-Jourdan, restèrent donc en projet jusqu'à ce qu'on reçut de Paris des
-dépêches de Napoléon, contenant pour cette campagne des instructions
-fort arrêtées.
-
-[En marge: Idées de Napoléon sur la conduite à tenir en Espagne
-pendant l'année 1813.]
-
-Nous avons exposé déjà les pensées de Napoléon à l'égard de l'Espagne
-pour l'année 1813. Dégoûté d'une entreprise qui avait déplorablement
-divisé ses forces, il y aurait volontiers renoncé s'il l'avait pu,
-mais ayant attiré les Anglais dans la Péninsule, il ne dépendait plus
-de lui de se débarrasser d'eux à volonté. En ouvrant par exemple à
-Ferdinand VII les portes de Valençay, il aurait eu les Anglais à
-Toulouse ou à Bordeaux au lieu de les avoir à Burgos ou à Valladolid.
-Il fallait donc continuer à combattre au delà des Pyrénées pour n'être
-pas obligé de combattre en deçà. Mais Napoléon, comme on l'a vu, avait
-réduit cette tâche autant que possible pour 1813, car loin d'envoyer
-des renforts en Espagne, il en avait tiré au contraire des cadres et
-beaucoup d'hommes d'élite, en se tenant en mesure néanmoins de
-conserver la Castille vieille, les provinces basques, la Catalogne et
-l'Aragon. Son projet secret était de traiter avec l'Angleterre, en
-restituant l'Espagne moins les provinces de l'Èbre à Ferdinand VII, et
-en dédommageant celui-ci avec le Portugal, que la maison de Bragance
-pouvait bien abandonner depuis qu'elle avait trouvé au Brésil un si
-bel asile. C'est ce qui explique pourquoi Napoléon avait consenti pour
-la première fois à admettre dans un congrès les représentants de
-l'insurrection espagnole.
-
-[En marge: Désirant ne se réserver de l'Espagne que les provinces de
-l'Èbre, et importuné de la présence des guérillas dans le nord de la
-Péninsule, Napoléon fonde sur cette double considération ses plans
-pour 1813.]
-
-[En marge: Il prescrit l'évacuation de Madrid, la concentration des
-forces françaises en Castille, mais ordonne de prêter l'armée de
-Portugal au général Clausel pour détruire les bandes du nord avant
-l'ouverture de la campagne.]
-
-C'est d'après ces idées que Napoléon avait tracé ses instructions,
-mais toujours d'une manière trop générale, absorbé qu'il était par les
-préparatifs de la campagne de Saxe. Dépité de ce qu'un courrier
-employait quelquefois trente ou quarante jours pour aller de Paris à
-Madrid, tenant surtout à soumettre les provinces de l'Èbre qu'il avait
-le projet d'adjoindre à la France, il prescrivit de rétablir à tout
-prix les communications, répétant avec sa fougue ordinaire, quand une
-pensée le préoccupait, qu'il était scandaleux, déshonorant, qu'aux
-portes de France on fût plus en péril qu'au milieu de la Manche ou de
-la Castille, et qu'on ne pût aller de Bayonne à Burgos sans être
-dévalisé et égorgé. Il ordonna donc d'employer l'hiver à réduire Mina,
-Longa, Porlier et tous les chefs de bandes qui infestaient la Navarre,
-le Guipuscoa, la Biscaye, l'Alava. Pour y réussir plus certainement,
-il voulut qu'on évacuât Madrid, qui ne l'intéressait plus guère depuis
-qu'il songeait à rendre la couronne à Ferdinand VII, que Joseph
-transférât sa cour à Valladolid, qu'il ramenât dès lors la masse des
-troupes françaises dans la Vieille-Castille, qu'il rapprochât l'armée
-de Portugal de Burgos, et qu'il en prêtât une grande partie au général
-Clausel pour détruire les bandes, qu'il reportât l'armée d'Andalousie
-de Talavera à Salamanque, l'armée du centre de Madrid à Ségovie,
-laissant tout au plus un détachement dans cette capitale, afin qu'elle
-ne parût pas définitivement abandonnée. Il prescrivit enfin une
-dernière disposition, c'était de donner à l'armée d'Andalousie une
-attitude offensive, pour persuader aux Anglais que l'on conservait des
-projets sur le Portugal. Napoléon espérait ainsi, en portant de Madrid
-à Valladolid le siége du gouvernement et en n'ayant plus qu'une seule
-armée au lieu de trois, soumettre par la queue de cette armée les
-bandes espagnoles qui ravageaient le nord, et par sa tête menacer le
-Portugal, de manière à y fixer les Anglais et à les détourner de toute
-entreprise sur le midi de la France. Malheureusement il y avait encore
-dans ce plan bien des illusions. D'abord il était fort peu probable
-que nous songeassions sérieusement à Lisbonne lorsque nous étions
-réduits à évacuer Madrid, et lord Wellington avait montré assez de bon
-sens pour qu'on ne pût pas se flatter de l'induire en de telles
-erreurs. D'ailleurs il n'était pas nécessaire de l'inquiéter sur le
-Portugal pour le retenir dans la Péninsule; il suffisait de le battre
-en Castille, à Salamanque, à Valladolid, à Burgos, n'importe où, pour
-le clouer de nouveau derrière les lignes de Torrès-Védras. Mais ce
-grand objet, on le compromettait évidemment en prêtant l'armée de
-Portugal au général Clausel, dans l'espérance de soumettre les bandes
-du nord de l'Espagne. Ces bandes étaient pour assez longtemps
-indomptables, et Joseph avec raison les représentait comme une Vendée,
-sur laquelle les moyens moraux pourraient plus que les moyens
-physiques. Il était donc bien douteux que vingt mille hommes de plus
-missent le général Clausel en mesure de vaincre les bandes du nord, et
-il était bien certain que vingt mille hommes de moins mettraient
-Joseph dans l'impossibilité de gagner une bataille sur les Anglais.
-Mais tout occupé de refaire la puissance militaire de la France, y
-travaillant jour et nuit, continuant à ne pas lire la correspondance
-d'Espagne, ordonnant de trop loin, et sans une attention assez
-soutenue, Napoléon crut qu'un détachement de vingt mille hommes
-accordé au général Clausel lui permettrait d'en finir avec les
-guérillas pendant l'hiver, et que le printemps venu, on pourrait se
-reporter à temps, et tous ensemble, à la rencontre des Anglais.
-
-[En marge: Les instructions de Napoléon n'arrivent, à cause de la
-difficulté des communications, qu'en février et mars.]
-
-[En marge: Translation de la cour d'Espagne de Madrid à Valladolid.]
-
-[En marge: Nouvelle distribution des trois armées de Portugal,
-d'Andalousie et du centre, et envoi dans le nord de l'Espagne d'une
-partie de celle de Portugal.]
-
-Les instructions de Napoléon, transmises par le ministre de la guerre
-dès le mois de janvier, et réitérées en février, n'arrivèrent pour la
-première fois qu'au milieu de février, pour la seconde qu'au
-commencement de mars, c'est-à-dire trente jours environ après leur
-départ. C'était une première perte de temps extrêmement fâcheuse,
-naissant des circonstances mêmes qui affectaient si vivement Napoléon,
-c'est-à-dire de l'occupation de toutes les routes par les bandes
-insurgées. Il en coûtait beaucoup à Joseph, comme nous venons de le
-dire, d'abandonner Madrid, car son autorité sur les Espagnols, ses
-finances, et les familles des afrancesados, allaient également en
-souffrir. Mais déjà sa raison et le maréchal Jourdan lui avaient dit
-qu'il fallait se résoudre à ce sacrifice. Les ordres de Napoléon ne
-servirent qu'à l'y déterminer définitivement. Mieux eût valu sans
-doute le faire plus tôt, car les troupes qu'on allait prêter au
-général Clausel seraient redevenues libres plus promptement, mais
-Joseph, quoique inclinant par bon sens à cette résolution, n'avait pu
-s'y décider qu'à la dernière extrémité. En conséquence il ordonna la
-translation de sa cour et de son gouvernement à Valladolid, mais en
-laissant une division à Madrid. La masse des blessés et des malades à
-évacuer (il y en avait neuf mille), du matériel à mettre en sûreté,
-des familles de fonctionnaires à transporter, était si grande, que
-cette évacuation exigea près d'un mois. Le nouvel établissement ne fut
-pas terminé avant le commencement d'avril. Les troupes furent
-distribuées de la manière suivante. (Voir la carte nº 43.) L'armée de
-Portugal fut transférée de Salamanque à Burgos. Elle avait été réduite
-par le renvoi des cadres inutiles et le versement de l'effectif dans
-un moindre nombre de régiments, de huit divisions à six, et elle y
-avait gagné en organisation ce qu'elle avait perdu en force numérique.
-Trois de ces divisions furent envoyées au général Clausel pour l'aider
-à soumettre les bandes; une fut retenue à Burgos; deux furent
-échelonnées en avant de Palencia, prêtes à soutenir la cavalerie le
-long de l'Esla, et observant l'armée espagnole de la Galice. L'armée
-d'Andalousie, transportée de la vallée du Tage dans celle du Douro, et
-se liant par sa droite avec celle de Portugal, occupa le Douro et la
-Tormès pour se tenir en garde contre l'armée anglo-portugaise campée
-dans le Béira. Elle occupait Zamora, Toro, Salamanque, Avila. Une de
-ses divisions, celle du général Leval, fut laissée à Madrid, pour
-continuer l'occupation apparente de la capitale, et en percevoir
-les produits. Enfin l'une des deux divisions de l'armée du
-centre fut établie à Valladolid même, l'autre à Ségovie, afin
-d'appuyer la division Leval, qui restait en l'air au milieu de
-la Nouvelle-Castille.
-
-[En marge: Malgré le départ des chefs les moins obéissants, la
-distribution des troupes françaises en trois armées distinctes laisse
-subsister les anciennes divisions.]
-
-Ces trois armées, qui au mois de janvier présentaient encore 86 mille
-hommes aguerris, dont 12 mille de superbe cavalerie, n'en comptaient
-plus en avril que 76 mille, par suite du départ des cadres et des
-hommes d'élite que Napoléon avait appelés en Saxe. Leur division en
-trois armées offrait bien des inconvénients, car malgré la révocation
-des chefs qui avaient opposé à l'autorité de Joseph de si funestes
-résistances, il restait encore dans les trois états-majors des
-tendances à l'isolement, des habitudes d'exploiter le pays pour le
-compte de chaque armée, extrêmement dangereuses. Fondre ces armées en
-une seule, bien compacte, placer celle-ci sous un chef unique, tel que
-le général Clausel, aussi vigoureux sur le champ de bataille que
-soumis à l'état-major royal, la réunir tout entière entre Valladolid
-et Burgos, lui procurer du repos, réparer son matériel, composer ses
-magasins, eût été probablement un moyen de tout sauver.
-Malheureusement on n'en fit rien.
-
-[En marge: L'armée de Portugal réduite successivement à une division
-par les envois de troupes en Navarre.]
-
-On laissa les trois armées séparées, car Napoléon n'aurait pas vu avec
-plaisir la réunion dans les mains de Joseph d'une pareille masse de
-forces. Chaque état-major conserva ainsi ses prétentions, et quand,
-par le conseil de Jourdan, Joseph ordonna aux administrations de ces
-trois armées les mesures nécessaires pour la création des magasins,
-chacune d'elles refusa d'obéir à l'état-major général. Il fallut un
-ordre nouveau de Paris, qui mit plus d'un mois à parvenir à Madrid,
-pour obliger chacun des trois intendants à déférer aux injonctions de
-l'intendant en chef. Le temps le plus précieux pour la formation des
-approvisionnements fut ainsi perdu. Enfin, après avoir envoyé trois
-divisions de l'armée de Portugal au général Clausel pour l'aider à
-soumettre les bandes, il fallut lui en expédier une quatrième, puis en
-acheminer une cinquième jusqu'à Briviesca, de manière que le général
-Reille n'en conserva qu'une avec lui. Il dut même la partager en deux,
-et placer l'une de ses brigades à Burgos, l'autre à Palencia, derrière
-la cavalerie qui gardait l'Esla. On n'avait donc, si les
-Anglo-Portugais arrivaient brusquement, que deux des trois armées à
-leur opposer, et déjà le bienfait de la concentration, auquel on avait
-dû, après la malheureuse bataille de Salamanque, le rétablissement de
-nos affaires, était presque annulé. Si encore ces renforts envoyés au
-général Clausel l'avaient mis en mesure d'anéantir les bandes de
-guérillas, le mal de la dispersion, quoique irréparable, n'aurait pas
-été sans compensation. Mais cette Vendée espagnole était aussi
-difficile à vaincre que l'avait été la Vendée française, et il
-devenait évident que la force sans les moyens moraux et politiques
-serait insuffisante pour y réussir.
-
-[En marge: Efforts impuissants du général Clausel pour détruire les
-bandes, malgré le secours de presque toute l'armée de Portugal.]
-
-La marine anglaise, côtoyant sans cesse le rivage des Asturies de
-Santander à Saint-Sébastien, y versant des armes, des munitions, des
-objets d'équipement, des vivres, concourant à l'attaque ou à la
-défense des postes maritimes, apportait aux insurgés un secours qui
-doublait leurs moyens et leur audace. Porlier, Campillo, Longa, Mina,
-Mérino, tantôt réunis, tantôt séparés, toujours bien informés,
-évitaient nos colonnes dès qu'elles étaient en nombre, ne les
-abordaient que lorsqu'elles s'étaient divisées pour courir après eux,
-et alors avaient l'art de se rejoindre pour les accabler. Ils
-n'avaient emporté nulle part d'avantages considérables, mais ils
-avaient détruit jusqu'à deux bataillons à la fois, notamment à Lerin,
-et bien que le général Clausel eût cinquante mille hommes à leur
-opposer, qu'il mît la plus grande activité à les poursuivre, il ne
-parvenait que rarement à les atteindre, et presque jamais à garantir
-les communications, parce que pour garder efficacement les routes il
-eût fallu en occuper tous les points, ce qui était absolument
-impossible. Le général Clausel avait repris Castro sur le bord de la
-mer, rendu les Anglais circonspects, traité Mina rudement, ravitaillé
-Pampelune, actes fort méritoires sans doute, mais de peu d'importance
-pour les affaires générales de la Péninsule. Il n'en fallait pas moins
-trois à quatre mille hommes d'escorte pour voyager en sûreté de
-Bayonne à Burgos, si l'objet ou le personnage escorté attirait
-l'attention de l'ennemi; et en attendant, pour un si mince résultat,
-on consumait les forces des troupes qui étaient la dernière ressource
-qu'on pût opposer aux Anglais!
-
-[En marge: Lord Wellington entre en campagne au mois de mai.]
-
-Tandis qu'on s'épuisait de la sorte en courses inutiles, les mois
-d'avril et de mai s'étaient écoulés, et le moment des grandes
-opérations étant venu, lord Wellington avait quitté ses cantonnements.
-Il entrait en campagne avec 48 mille Anglais, 20 mille Portugais, 24
-mille Espagnols, ces derniers mieux armés, mieux vêtus que de coutume;
-il avait ainsi plus de 90 mille hommes à sa disposition. Son intention
-était de faire passer d'abord l'Esla par sa gauche que commandait sir
-Thomas Graham, et de n'aborder avec son centre et sa droite la ligne
-du Douro plus difficile à forcer, que lorsque sa gauche se trouverait
-par le passage de l'Esla sur les derrières des Français qui
-défendaient le Douro. (Voir la carte nº 43.) Cette fois il marchait
-avec un parc d'artillerie de siége, et n'était plus exposé à échouer
-devant un ouvrage comme le fort de Burgos.
-
-[En marge: Il se porte avec 90 mille hommes sur l'Esla et le Douro.]
-
-Le 11 mai sa gauche exécuta un premier mouvement, et se répandit le
-long de l'Esla. La cavalerie du général Reille, n'étant soutenue que
-par une brigade d'infanterie, n'avait pu se montrer ni hardie ni
-vigilante, et l'Esla était passé avant qu'elle fût en mesure de le
-savoir ou de l'empêcher. Les Anglais ne se hâtèrent pas de nous
-pousser vivement, car une aile ne voulait pas marcher sans l'autre, et
-vers le 20 mai seulement lord Wellington, avec sa droite, se porta sur
-Salamanque et la Tormès. Le 24 il fut signalé au général Gazan comme
-s'avançant à la tête de forces considérables.
-
-[En marge: Les troupes françaises surprises dans un véritable état de
-dispersion.]
-
-L'armée française, qui aurait dû être prête et concentrée dès le 1er
-mai aux environs de Valladolid, se voyait surprise dans la situation
-la plus fâcheuse. Sans doute le maréchal Jourdan plus jeune, Joseph
-plus actif et plus décidé, n'auraient pas souffert que les choses
-restassent dans l'état où l'ennemi allait les trouver. Ainsi, malgré
-l'extrême difficulté des informations en Espagne, ils auraient tâché
-de se tenir plus au courant des mouvements des Anglais; malgré les
-ordres de l'Empereur, qui après tout étaient des instructions plutôt
-que des ordres, ils auraient pu, à l'approche du danger, rappeler les
-divisions de l'armée de Portugal prêtées au général Clausel, attirer
-auprès d'eux ce général lui-même, seul capable de commander en chef
-dans une grande bataille, ils auraient pu au moins concentrer
-davantage les armées d'Andalousie et du centre, et ce qui restait de
-celle de Portugal; enfin, malgré la résistance des administrations
-particulières qu'il fallait briser au besoin, ils auraient pu créer à
-Burgos les magasins sans lesquels il était impossible que dans un tel
-pays on manoeuvrât en liberté. Mais Jourdan, dégoûté du régime
-impérial dont il voyait de si près les abus, d'une guerre dont il
-avait depuis longtemps prédit les funestes conséquences, se ressentant
-déjà des effets de l'âge, retenu seulement par son affection pour
-Joseph, et n'aspirant qu'à rentrer en France, se contentait de
-signaler avec un rare bon sens les fautes qu'on allait commettre, et
-ne savait pas communiquer à Joseph le courage de les prévenir. Joseph,
-jugeant avec discernement le vice des choses, savait s'irriter
-quelquefois contre son frère et jamais lui désobéir, ni prendre, comme
-général et comme roi, l'autorité qu'après tout on ne l'aurait pas puni
-d'avoir prise. Jourdan se consolait trop de tout ce qu'il voyait par
-le mépris peu dissimulé d'un honnête homme, Joseph se désolait, mais
-les choses n'en suivaient pas moins leur cours parfois heureux, plus
-ordinairement malheureux, et destiné à devenir désastreux dans un
-temps très-prochain.
-
-C'est ainsi que lord Wellington, en marche dès le 11 mai par sa
-gauche, le 20 par sa droite, trouva l'armée d'Andalousie dispersée de
-Madrid à Salamanque, celle du centre de Ségovie à Valladolid; celle de
-Portugal de Burgos à Pampelune.
-
-[En marge: Lente concentration des trois armées françaises sur
-Valladolid.]
-
-[En marge: Avis envoyé au général Clausel de l'approche des Anglais,
-et ordre d'accourir lui-même avec les divisions de l'armée de Portugal
-qu'on lui a prêtées.]
-
-Le premier soin devait être de rappeler de Madrid la division Leval,
-et de lui faire repasser le Guadarrama pour la transporter à
-Valladolid. Le général Gazan aurait pu en donner l'ordre sur-le-champ,
-mais comme il s'agissait d'abandonner définitivement la capitale, il
-crut devoir venir à Valladolid même s'en entendre avec Joseph. On
-perdit ainsi deux jours. L'autorisation d'évacuer fut expédiée le 25
-de Valladolid. En même temps on envoya à toutes les troupes sur les
-lignes de la Tormès, du Douro, de l'Esla, l'ordre de rétrograder
-lentement, afin de ménager à la division Leval le temps de se replier,
-et comme le général Reille n'avait pour appuyer sa cavalerie le long
-de l'Esla qu'une des deux brigades de la division Maucune, on lui
-prêta une division de l'armée du centre, celle du général Darmagnac.
-On laissa le reste de l'armée du centre échelonné sur Ségovie pour
-recueillir la division Leval. L'armée d'Andalousie, la plus entière
-des trois, dut se retirer de Salamanque sur Tordesillas (voir la carte
-nº 43), en cédant le terrain peu à peu, afin que toutes nos troupes
-dispersées eussent le temps de se concentrer. À ces mesures, dictées
-par la situation, on en ajouta une dernière, ce fut d'avertir le
-général Clausel de l'approche des Anglais, de lui redemander les cinq
-divisions de l'armée de Portugal, de l'engager à venir lui-même avec
-quelques troupes de l'armée du nord, afin d'avoir au moins 80 mille
-hommes à opposer aux Anglais. Enfin on écrivit au ministre de la
-guerre Clarke, pour lui faire connaître l'état des choses, et le
-presser d'ordonner de son côté la concentration des forces. Ce
-ministre, demeuré seul à Paris depuis que Napoléon était parti pour
-l'Allemagne, ne savait que répéter sans discernement les ordres de
-l'Empereur, qui prescrivaient, comme objet essentiel, de rétablir les
-communications avec la France, de rester maître avant tout des
-provinces du nord, et de prendre une attitude offensive à l'égard du
-Portugal, afin de détourner les Anglais de toute tentative contre les
-côtes de France. Quelques jours même avant l'apparition des Anglais,
-il n'avait pas craint d'ordonner l'envoi en Aragon d'une nouvelle
-division de l'armée de Portugal, pour maintenir les communications
-avec le maréchal Suchet. Il n'y avait donc pas grand secours à
-attendre du duc de Feltre. Le seul service qu'il pût rendre, c'était
-de transmettre de son côté au général Clausel l'avis de la marche des
-Anglais, ce qui n'était pas indifférent, car, malgré tout ce qu'on
-avait fait pour communiquer sûrement avec l'armée du nord, on n'était
-pas certain d'y réussir avant trois ou quatre semaines. Au surplus le
-général Clausel était si bon compagnon d'armes, et comprenait si bien
-l'importance de battre les Anglais, qu'aussitôt averti il ne pouvait
-manquer de renvoyer les divisions de l'armée de Portugal, et de venir
-lui-même avec les troupes disponibles de l'armée du nord.
-
-[En marge: On dispute aux Anglais le terrain pied à pied.]
-
-Heureusement pour les premiers jours de la campagne on avait affaire à
-un ennemi solide, mais circonspect, et nos soldats, aussi vaillants
-que bien commandés, n'étaient pas faciles à déconcerter. Le général
-Reille recueillit sa cavalerie, se retira en bon ordre sur Palencia,
-et avec la division d'infanterie Maucune, la seule qui lui restât,
-avec la division Darmagnac qui lui avait été prêtée, mit hors
-d'atteinte la route de Valladolid à Burgos, laquelle était la ligne de
-retraite de l'armée. Le général Villatte, placé sur la Tormès, la
-défendit vaillamment, même trop vaillamment, car s'il était utile de
-retarder l'ennemi, il était dangereux de prétendre l'arrêter, et il
-perdit ainsi quelques centaines d'hommes, mais après en avoir fait
-perdre beaucoup plus aux Anglais. Grâce à cette attitude et à la
-prudente lenteur de lord Wellington, le général Leval put évacuer
-Madrid, et repasser sain et sauf le Guadarrama, ramenant avec lui les
-derniers restes de notre établissement à Madrid. Il rejoignit l'armée
-du centre à Ségovie. Le 2 juin on se trouvait dans les positions
-suivantes: le général Reille entre Rio-Seco et Palencia avec sa
-cavalerie et deux divisions; l'armée d'Andalousie à Tordesillas sur le
-Douro, avec ses quatre divisions; enfin l'armée du centre à Valladolid
-avec une division française et une espagnole. C'était un total
-d'environ 52 mille hommes, au lieu de 76 mille qu'on aurait pu réunir,
-si on n'avait pas sitôt renoncé aux avantages de la concentration pour
-le chimérique projet de la destruction des bandes.
-
-[En marge: Trois partis à prendre après la concentration opérée autour
-de Valladolid.]
-
-[En marge: L'avis de se retirer directement sur Burgos et Miranda, et
-d'y attirer le général Clausel, est adopté.]
-
-Une fois groupés autour de Valladolid, il y avait trois partis à
-prendre (voir la carte nº 43): le premier, de s'arrêter et de livrer
-bataille tout de suite avec 52 mille hommes contre 90 mille, ce qui
-était imprudent et prématuré, chaque pas fait en arrière donnant la
-chance de recouvrer une ou plusieurs divisions de l'armée de Portugal;
-le second, de se retirer sur Burgos, puis sur Miranda et Vittoria,
-jusqu'à ce qu'on eût rejoint l'armée du nord elle-même, ce qui était
-simple et peu chanceux; le troisième enfin, de ne pas quitter la ligne
-du Douro, de manoeuvrer sur ce fleuve en le remontant transversalement
-jusqu'à Aranda, même jusqu'à Soria, d'où par une route que le maréchal
-Ney avait suivie en 1808, on serait tombé entre Tudéla et Logroño,
-c'est-à-dire en Navarre, précisément au point où l'on était assuré de
-rencontrer le général Clausel et même le maréchal Suchet, si des
-événements extraordinaires exigeaient la concentration générale de
-toutes nos forces, plan assez hardi en apparence, mais le plus sûr en
-réalité. Les trois projets furent pris en considération et discutés.
-Personne n'imagina de se battre immédiatement avec 52 mille hommes
-contre 90 mille, quand on devait se flatter d'en avoir chaque jour
-davantage. On ne méconnut pas le mérite du troisième plan, consistant
-à remonter le cours du Douro jusqu'aux approches de la Navarre, mais
-on le jugea téméraire et compliqué, et surtout on lui trouva le défaut
-d'abandonner la route de Bayonne, et de négliger le soin des
-communications si recommandé par les instructions de Paris, comme si
-une armée anglaise aurait jamais osé franchir les Pyrénées, en
-laissant une armée de 80 mille Français sur ses derrières, et de 150
-mille en comptant le maréchal Suchet. Par ces divers motifs on préféra
-le second plan, celui qui consistait à se retirer paisiblement sur
-Burgos, en écrivant lettres sur lettres pour ramener les divisions
-prêtées au général Clausel, sinon toutes, au moins celles qui
-recevraient en temps utile l'avis qu'on leur expédiait.
-
-[En marge: Évacuation de Valladolid, et retraite sur Burgos.]
-
-Cette retraite commença donc, et il fallut après Madrid abandonner
-Valladolid même, cette seconde capitale qu'on venait de se créer dans
-la Vieille-Castille. On achemina devant soi le matériel, les malades,
-les blessés, les afrancesados, et la marche ne put être que fort
-lente. Les troupes, mal approvisionnées, étaient obligées de s'étendre
-pour vivre, ce qui rendait la retraite peu sûre. Heureusement nous
-avions dix mille hommes d'une excellente cavalerie, l'ennemi n'était
-pas entreprenant, et on put ainsi se retirer sans accident fâcheux.
-Lord Wellington, attendant la fortune sans jamais courir après elle,
-savait bien qu'il en faudrait venir à une bataille générale, et se
-résignait à cette chance, mais avec la résolution de ne combattre,
-suivant son usage, que sur un terrain favorable, et jusqu'à ce moment
-il semblait se contenter d'un seul résultat, celui de nous ramener
-vers les Pyrénées. Dans cette intention, il portait toujours en avant
-sa gauche partie des frontières de la Galice, de manière à menacer
-notre droite (droite en tournant le dos aux Pyrénées), et à décider
-ainsi plus vite nos mouvements rétrogrades. On ne comprend même pas
-comment ce général si sensé, se hâtait lui-même de nous pousser sur
-nos renforts, et ne cherchait pas une occasion de nous joindre,
-lorsqu'au lieu d'être 70 mille nous n'étions que 50 mille.
-
-[En marge: Arrivée le 7 juin aux environs de Burgos.]
-
-Le 6 juin on atteignit les environs de Palencia, et une reconnaissance
-exécutée par Joseph et Jourdan révéla complétement cette disposition
-des Anglais de porter toujours leur gauche renforcée sur notre droite.
-Le 7 on continua de marcher sur Burgos, et on vint prendre la position
-de Castro-Xeriz, entre la Puyserga et l'Arlanzon, en avant de Burgos.
-La rareté des subsistances ne permettant pas de conserver cette
-importante position aussi longtemps qu'on l'aurait voulu, on se replia
-sur Burgos le 9. Le général Reille avec la division Maucune et la
-division Darmagnac s'établit sur le Rio Hormaza, le général Gazan avec
-l'armée d'Andalousie derrière le Rio Urbel, à cheval sur l'Arlanzon,
-l'armée du centre dans l'intérieur de Burgos.
-
-[En marge: Impossibilité de séjourner à Burgos par suite du défaut de
-vivres, et par la nécessité où l'on est de rallier le général
-Clausel.]
-
-On s'était pressé, faute de vivres, d'arriver à Burgos, et on devait,
-faute de vivres encore, se presser d'en partir. Les nombreux convois
-de malades, d'expatriés, de conducteurs d'artillerie, accumulés à
-Burgos, avaient dévoré les magasins peu considérables qu'on avait
-formés dans cette ville, et les troupes pouvaient à peine y subsister
-quelques jours. On achemina de nouveau ces convois sur Miranda et
-Vittoria, et on eut le tort, une fois la résolution adoptée de
-rétrograder jusqu'aux Pyrénées, de ne pas envoyer tous les embarras à
-Bayonne, pour en délivrer complétement l'armée. On fit reposer les
-troupes quelques jours afin de consommer les subsistances qui
-restaient, et de gagner un temps qui était gagné pour la
-concentration, car chaque jour qui s'écoulait ajoutait aux chances de
-rallier le général Clausel. À Burgos d'ailleurs on avait trouvé la
-division Lamartinière, l'une de celles qu'on avait prêtées à l'armée
-du nord, et qui était la plus nombreuse de l'armée de Portugal. Elle
-procurait près de 6 mille hommes de plus au général Reille, ce qui
-permit de rendre à l'armée du centre la division Darmagnac qu'on lui
-avait temporairement empruntée.
-
-[En marge: Avant de quitter Burgos on discute encore une fois le plan
-à suivre, et on examine s'il faut se diriger sur Vittoria, ou faire un
-détour, pour rejoindre en Navarre le général Clausel.]
-
-[En marge: La marche directe sur Vittoria prévaut. Nouvel avis au
-général Clausel.]
-
-C'était une nouvelle raison de se rapprocher de l'Èbre, et de pousser
-plus loin le mouvement rétrograde, car si on ne ralliait pas toutes
-les divisions envoyées au général Clausel, on pouvait du moins en
-recouvrer encore une ou deux, et un tel renfort était d'une importance
-décisive. Au surplus les vivres manquaient et il fallait aller se
-nourrir plus loin. Ici s'élevait pour la seconde fois la question de
-savoir, si on continuerait à suivre la grande route de Bayonne, pour
-rester fidèle aux ordres qui avaient tant recommandé le soin des
-communications avec la France, ou si on opérerait un mouvement
-transversal, pour déboucher sur l'Èbre à Logroño, au lieu d'y arriver
-par Miranda, ce qui rendait la réunion avec le général Clausel presque
-infaillible. C'était, sans aucune des objections qu'il avait d'abord
-provoquées, le plan qui avait été repoussé à Valladolid, et qui
-consistait à se porter en Navarre par Soria, afin de rejoindre plus
-sûrement le général Clausel. Cette fois le détour à faire était si peu
-considérable, et la certitude de la jonction avec le général Clausel,
-qui opérait en Navarre, d'un intérêt si capital, qu'on a peine à
-comprendre la résistance à une telle proposition. Les généraux Reille
-et d'Erlon l'appuyèrent fort; mais le maréchal Jourdan et Joseph,
-moins bien inspirés que de coutume, dominés surtout par les
-instructions de Paris répétées à chaque courrier, craignirent de
-découvrir les communications avec Bayonne, et persistèrent à se
-diriger directement sur Miranda et Vittoria. Seulement n'ayant pas de
-nouvelles du général Clausel, on lui envoya, cette fois sous l'escorte
-de quinze cents hommes, l'avis de l'arrivée de l'armée dans la
-direction de Vittoria. On prit donc encore le parti de rétrograder sur
-l'Èbre par Briviesca, Pancorbo, Miranda.
-
-[En marge: Départ de Burgos le 13 juin.]
-
-Le 12 juin le général Reille voyant les Anglais essayer de nouveau de
-déborder notre droite (nous répétons qu'il s'agit de notre droite le
-dos tourné aux Pyrénées), voulut les contraindre à déployer leurs
-forces, et tint en arrière du Rio Hormaza. Les Anglais montrèrent
-environ 25 mille hommes, mais le général Reille, qui n'en avait pas la
-moitié, manoeuvra avec tant d'aplomb et de vigueur qu'il leur tua
-trois ou quatre cents hommes, sans en perdre lui-même plus d'une
-cinquantaine, et repassa le Rio Hormaza et même l'Arlanzon dans un
-ordre parfait. Il était évident que les Anglais, sans être impatients
-de nous livrer bataille, voulaient cependant nous contraindre à leur
-céder le terrain en débordant toujours l'une de nos ailes. Le 13 on se
-détermina à partir de Burgos, et comme dans cette campagne on savait
-lord Wellington pourvu d'un équipage de siége considérable, que
-d'ailleurs on ne voulait pas se priver de deux ou trois mille hommes
-en les laissant à Burgos que nous n'avions guère l'espérance de
-revoir, on se décida à faire sauter le fort qui nous avait rendu de si
-grands services l'année précédente. Il fut résolu que les munitions
-dont il était rempli et qu'on ne pouvait pas transporter, seraient
-livrées aux flammes ainsi que le fort lui-même.
-
-[En marge: Explosion du fort de Burgos.]
-
-[En marge: Arrivée à Miranda le 16 juin.]
-
-Le 13, pendant que nous marchions sur Briviesca, l'armée fut attristée
-par une effroyable explosion, triste signe d'une retraite sans espoir
-de retour, et on sut, par l'arrière-garde, que cette opération,
-exécutée sans les précautions nécessaires, avait causé à nos troupes,
-et surtout à la ville, des dommages assez considérables. On arriva le
-14 juin à Briviesca, le 15 à Pancorbo, le 16 à Miranda. Parvenu à ce
-dernier point, on était au bord de l'Èbre, et un pas de plus on allait
-être à Vittoria, au pied même des Pyrénées. (Voir la carte nº 43.)
-L'ennemi s'était avancé par sa gauche jusqu'à Villarcajo, continuant
-sa manoeuvre accoutumée de déborder notre droite. En même temps on
-avait appris que le général Clausel, à la première nouvelle de
-l'approche des Anglais, s'était hâté de diriger sur l'armée la
-division Sarrut qu'on venait de recueillir en route, la division Foy
-qui était encore sur les revers des Pyrénées entre Mondragon et
-Tolosa, et qu'il s'avançait lui-même par Logroño en remontant l'Èbre,
-avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, et deux
-divisions de l'armée du nord. On l'espérait à Logroño pour le 20.
-
-[En marge: Probabilité et presque certitude d'une grande bataille
-avant de repasser les Pyrénées.]
-
-C'était le cas d'exécuter le plus simple des mouvements, c'est-à-dire
-de descendre l'Èbre de Miranda à Logroño, ce qui aurait entraîné un
-détour de quelques lieues à peine, et assuré d'une manière certaine la
-jonction avec le général Clausel. Mais la route directe de Bayonne par
-Vittoria préoccupait plus que jamais Joseph et Jourdan. On craignait
-non-seulement de la découvrir en descendant l'Èbre jusqu'à Logroño,
-mais même en restant sur la route de Miranda à Vittoria, de ne pas la
-protéger assez, car l'ennemi pouvait par Villarcajo franchir les
-montagnes un peu plus haut, se porter par Orduña sur Bilbao, pousser
-de Bilbao à Tolosa, et nous couper la route de Bayonne. Pour parer à
-ce danger, le maréchal Jourdan voulait porter l'armée de Portugal par
-Puente-Larra sur Orduña, afin de fermer le débouché par lequel la
-route de Vittoria à Bayonne aurait pu être interceptée. C'était
-l'obstination du ministre de la guerre à reproduire les premiers
-ordres de Napoléon qui amenait cette funeste pensée, laquelle aurait
-privé Joseph des trois divisions du général Reille jusqu'à ce qu'on
-eût repassé les Pyrénées, et eût replacé l'armée, même après la
-réunion avec le général Clausel, dans le dangereux état d'infériorité
-numérique où elle se trouvait dans le moment. Or, il n'était pas
-probable que les Anglais nous laissassent franchir les Pyrénées sans
-livrer bataille, bien qu'en apparence ils n'eussent d'autre but que
-celui de nous faire évacuer l'Espagne. Le maréchal Jourdan était
-disposé à ne pas leur supposer d'autres intentions, et il faut
-reconnaître que leur conduite habituelle donnait quelque crédit à une
-opinion pareille.
-
-On avait séjourné le 17 juin à Miranda, pour procurer quelque repos à
-l'armée. Il fallait cependant prendre un parti, car on ne pouvait
-demeurer plus longtemps en cet endroit, et permettre à l'ennemi de
-nous devancer aux divers cols des Pyrénées. Il y avait toujours eu
-deux avis bien distincts dans l'état-major, l'un consistant à se
-diriger le plus tôt possible, par un mouvement transversal, sur
-Logroño et la Navarre, afin de rallier le général Clausel, sans tenir
-compte du mouvement des Anglais contre notre droite, car ils ne
-pouvaient pas songer à passer ces montagnes tant qu'ils n'auraient pas
-gagné sur nous une bataille décisive; l'autre au contraire consistant
-à donner une attention extrême au mouvement par lequel les Anglais
-menaçaient nos communications, et à parer à ce mouvement en ne
-quittant pas la grande route de Bayonne, et en y appelant le général
-Clausel, qu'on espérait d'ailleurs y voir arriver d'un instant à
-l'autre. Le premier avis était celui du général Reille et du comte
-d'Erlon; le second était celui du maréchal Jourdan et du roi Joseph
-fatalement dominés par les ordres de Paris.
-
-[En marge: Nouvelle discussion à Miranda sur la direction à suivre.]
-
-[En marge: L'avis du général Reille et du général comte d'Erlon est de
-se porter en Navarre.]
-
-[En marge: Jourdan et Joseph insistent pour la marche directe sur
-Vittoria.]
-
-Le conflit entre les deux opinions fut fort vif à Miranda, car le
-moment était venu d'opter entre l'une ou l'autre. Le général Reille
-soutenait que le général Clausel s'étant fait annoncer sur l'Èbre aux
-environs de Logroño, il fallait se hâter d'y descendre pour le
-rejoindre, et que toute considération devait céder devant le grand
-intérêt de la concentration de nos forces, répétant ce qu'il avait
-toujours dit, que le mouvement par lequel les Anglais cherchaient à
-nous déborder n'était pas une menace sérieuse, tant qu'ils ne nous
-auraient pas sérieusement battus. Le maréchal Jourdan et Joseph, au
-contraire, craignaient par-dessus tout le mouvement qui transportant
-les Anglais par Orduña sur Bilbao et Tolosa, les placerait entre nous
-et Bayonne, au revers de la grande chaîne des Pyrénées. De plus le
-convoi comprenant toutes nos évacuations, nos malades, nos blessés,
-les expatriés espagnols, se trouvait à Vittoria, et descendre sur
-Logroño c'était le découvrir, et le livrer à l'ennemi. Enfin le
-général Clausel, auquel on avait indiqué Vittoria comme point de
-rendez-vous, pouvait bien s'y être dirigé sans venir à Logroño, et,
-dans ce cas, il serait lui-même aussi compromis que le convoi.
-
-Il faut reconnaître que l'avis du général Reille et du comte d'Erlon,
-bien que le meilleur, comme on le verra bientôt, avait perdu de son
-mérite apparent depuis qu'on avait envoyé le convoi à Vittoria, et
-qu'on avait fait dire au général Clausel de s'y rendre, car, sans même
-partager la crainte d'être tourné par Orduña, le danger de découvrir
-le convoi, peut-être le général Clausel lui-même en descendant
-obliquement sur Logroño, était un motif très-spécieux de continuer à
-marcher directement sur Vittoria, et on ne saurait blâmer Joseph et le
-maréchal Jourdan d'avoir persisté dans leur première opinion, surtout
-en tenant compte des ordres de Paris, qui leur faisaient un devoir
-impérieux de veiller à leurs communications avec la France.
-
-[En marge: Ils envoient le général Reille à Orduña, de crainte d'être
-tournés par les Anglais.]
-
-Joseph et le maréchal Jourdan ne se bornèrent pas à adopter la marche
-directe sur Vittoria, ils voulurent se donner tout repos d'esprit
-relativement au danger d'être tourné par Orduña et Bilbao, et ils
-prescrivirent au général Reille de se porter par Puente-Larra sur
-Osma, par Osma sur Orduña et Bilbao, tandis que le reste de l'armée
-s'avancerait immédiatement sur Vittoria. On espérait rallier à
-Vittoria le général Clausel, gagner par cette réunion plus qu'on
-n'aurait perdu par le départ du général Reille, et, adossés ainsi aux
-Pyrénées avec les généraux Gazan, d'Erlon, Clausel, ayant sur le
-revers de ces montagnes le général Reille pour parer à un mouvement
-tournant, opposer partout à l'ennemi une barrière de fer. Mais en
-prenant de telles dispositions, il aurait fallu avertir le général
-Clausel autrement que par des paysans ou des officiers détachés; il
-aurait fallu, par un régiment de cavalerie (arme dont on avait
-beaucoup plus qu'on ne pouvait en employer), lui adresser à Logroño
-même l'indication du vrai rendez-vous, et expédier des ordres positifs
-pour hâter le départ du convoi de Vittoria, afin de ne pas l'y
-rencontrer sur son chemin, et de n'y pas tomber dans un encombrement
-dangereux[2].
-
- [Note 2: Nous nous permettons d'indiquer ces mesures comme
- celles qu'on aurait dû prendre, parce qu'on a généralement
- reproché depuis à Joseph et au maréchal Jourdan de ne les
- avoir pas prises, et que le simple bon sens suffit
- d'ailleurs pour en apprécier la convenance et la nécessité.]
-
-Le sens, le jugement ne faisaient jamais défaut ni à Joseph, ni au
-maréchal Jourdan; mais, ainsi que nous l'avons dit ailleurs,
-l'activité qui multiplie les précautions, qui ne se fie jamais aux
-ordres donnés une seule fois, cette activité qui vient de la jeunesse
-et d'une extrême ardeur d'esprit, leur manquait absolument. Ils
-résolurent donc de diriger le général Reille avec ce qu'il avait de
-l'armée de Portugal sur Osma, les généraux Gazan et d'Erlon avec les
-armées du centre et d'Andalousie sur Vittoria, sans prendre
-malheureusement aucune des précautions que nous venons d'indiquer.
-
-[En marge: Départ de Miranda le 18.]
-
-Le 18 le général Reille se mit en mouvement sur Osma avec les
-divisions Sarrut, Lamartinière et Maucune. Mais à peine cette dernière
-était-elle en marche qu'elle fut assaillie par une nuée d'ennemis,
-auxquels elle n'échappa qu'à force de vigueur et de présence d'esprit.
-Le général Reille arrivé à Osma, trouva des troupes nombreuses vers
-Barbarossa, déjà postées à tous les abords des montagnes, et ne
-permettant pas d'en approcher. C'étaient les Espagnols de l'armée de
-Galice, qui avaient pris les devants pour occuper avant nous les
-passages des Pyrénées. On aurait pu croire que conformément aux
-conjectures du maréchal Jourdan et du roi Joseph, ils allaient
-franchir les Pyrénées à Orduña pour couper la route de Bayonne; mais
-ils n'y songeaient pas. Ils voulaient seulement nous devancer au pied
-des montagnes, pour prendre des positions dominantes dans notre
-flanc, si nous étions décidés à livrer une bataille défensive le dos
-appuyé aux Pyrénées, ou nous précéder tout au plus au col de Salinas,
-pour nous entamer avant que nous eussions regagné la frontière de
-France.
-
-[En marge: Le général Reille trouvant l'ennemi sur la route d'Orduña,
-revient vers Vittoria.]
-
-[En marge: Description du bassin de Vittoria.]
-
-Le général Reille voyant la route d'Orduña interceptée, renonça
-facilement à une opération qu'il blâmait, et se décida à regagner par
-un mouvement latéral la grande route de Miranda à Vittoria. De son
-côté Joseph avait décampé dans la nuit du 18 au 19 juin pour se rendre
-à Vittoria, et le 19 au matin tous nos corps étaient en pleine marche
-sur cette ville. Vittoria, située au pied des Pyrénées sur le versant
-espagnol, s'élève au milieu d'une jolie plaine entourée de montagnes
-de tous les côtés. Si on y prend position le dos tourné aux Pyrénées,
-on a sur la droite le mont Arrato, qui vous sépare de la vallée de
-Murguia, devant soi la Sierra de Andia, et sur la gauche enfin des
-coteaux à travers lesquels passe la route de Salvatierra à Pampelune.
-Une petite rivière, celle de la Zadorra, arrose toute cette plaine, en
-coulant d'abord le long des Pyrénées où elle a sa source, puis en
-longeant à droite le mont Arrato, pour s'échapper par un défilé
-très-étroit à travers la Sierra de Andia.
-
-[En marge: Réunion le 19 au soir de nos trois armées dans le bassin de
-Vittoria.]
-
-Le gros de notre armée venant de Miranda et des bords de l'Èbre,
-parcourait la grande route de Bayonne, qui pénètre directement dans la
-plaine de Vittoria par le défilé que suit la rivière de la Zadorra
-pour en sortir. Le général Reille y arrivait latéralement, en s'y
-introduisant par les divers cols du mont Arrato. Le corps avec lequel
-lord Wellington avait toujours essayé de nous déborder, et qui était
-composé d'Espagnols et d'Anglais, aurait pu nous devancer aux passages
-du mont Arrato, et occuper ainsi avant nous la plaine de Vittoria, si
-le général Reille, qui dans son mouvement latéral lui était opposé, ne
-l'eût contenu par la vigueur avec laquelle il disputa le terrain toute
-la journée du 19. Par le fait, le détour qu'on avait prescrit au
-général Reille, inutile quant au but qu'on s'était d'abord proposé,
-eut néanmoins des conséquences heureuses, car s'il ne nous préserva
-pas du danger chimérique de voir la route de Bayonne coupée au delà
-des Pyrénées, il nous sauva du danger de la voir interceptée en deçà,
-par l'occupation même du bassin de Vittoria. Le 19 au soir, nos trois
-armées s'y trouvaient réunies sans aucun accident. Le général Reille
-avait tué beaucoup de monde à l'ennemi, et n'en avait presque pas
-perdu.
-
-[En marge: Nécessité pour les Français de livrer bataille.]
-
-[En marge: Forces qu'on aurait pu réunir à Vittoria.]
-
-Il devenait urgent d'arrêter ses résolutions. Il n'était pas à
-présumer que lord Wellington nous laissât repasser les Pyrénées sans
-nous livrer bataille, car une fois parvenus à la grande chaîne,
-adossés à ses hauteurs, embusqués dans ses vallées, nous n'étions plus
-abordables, et concentrés d'ailleurs avant d'avoir été atteints, nous
-pouvions tomber sur l'armée anglaise avec 80 mille hommes, et
-l'accabler. Lord Wellington avait déjà commis une faute assez grave en
-nous permettant d'aller si loin sans nous joindre, et en nous donnant
-ainsi tant de chances de rallier le général Clausel, mais on ne
-pouvait pas supposer qu'il la commettrait plus longtemps. On devait
-donc s'attendre à une bataille prochaine, à moins qu'on ne quittât
-tout de suite Vittoria pour franchir le col de Salinas, et descendre
-sur la Bidassoa. Mais ce parti était à peu près impossible. Repasser
-les Pyrénées sans combat, c'était fuir honteusement devant ceux que
-quelques mois auparavant on avait mis en fuite près de Salamanque;
-c'était abandonner le général Clausel aux plus grands périls, car on
-le laissait seul sur le revers des Pyrénées; c'était y laisser aussi,
-moins immédiatement compromis, mais compromis cependant, le maréchal
-Suchet avec tout ce qu'il avait de forces répandues depuis Saragosse
-jusqu'à Alicante. Ainsi l'honneur militaire, le salut du général
-Clausel, la sûreté du maréchal Suchet, tout défendait de repasser les
-Pyrénées, et il fallait combattre à leur pied, c'est-à-dire dans le
-bassin de Vittoria, où devait nous rejoindre le général Clausel. Si ce
-général arrivait à temps, on pouvait être 70 mille combattants au
-moins, et plus encore, si le général Foy, qui était sur le revers
-entre Salinas et Tolosa, avec une division de l'armée de Portugal,
-arrivait également. On avait donc toute chance de battre les Anglais,
-qui, bien que formant avec les Portugais et les Espagnols une masse de
-90 mille hommes, n'étaient que 47 ou 48 mille soldats de leur nation.
-Pourtant il se pouvait qu'on ne fût pas rejoint sur-le-champ par le
-général Clausel, et qu'un ou deux jours se passassent à l'attendre. Il
-fallait, dans ce cas, se mettre en mesure de tenir tête aux Anglais
-jusqu'à l'arrivée du général Clausel, et pour cela reconnaître
-soigneusement le terrain et prendre toutes ses précautions pour le
-bien défendre. On aurait eu besoin ici d'une vigilance qui
-malheureusement avait toujours manqué dans la direction de cette
-armée.
-
-[En marge: Forces qu'on y avait par suite de la dispersion de l'armée
-de Portugal.]
-
-[En marge: Ce qu'il aurait fallu faire pour attendre en sécurité
-l'arrivée du général Clausel.]
-
-Des six divisions de l'armée de Portugal on en avait trois, la
-division Maucune qui n'avait pas quitté l'armée, et les divisions
-Sarrut et Lamartinière qui avaient rejoint en route. Il s'en trouvait
-une quatrième, celle du général Foy, au revers des Pyrénées. Les deux
-autres, celles des généraux Barbot et Taupin, étaient encore auprès du
-général Clausel, qui les amenait renforcées de deux divisions de
-l'armée du nord. Avec les divisions de l'armée de Portugal qu'on avait
-recouvrées, avec les armées du centre et d'Andalousie, on aurait
-compté environ 60 mille hommes, sans les pertes de la retraite. Mais
-bien qu'on n'eût pas livré de combats sérieux, on avait perdu 3 à 4
-mille hommes par maladie, fatigue, dispersion. Il en restait 56 à 57
-mille, dont il fallait distraire une partie pour escorter le convoi
-qu'on ne pouvait pas garder à Vittoria, et on devait ainsi se trouver
-réduit à 54 mille hommes environ[3]. C'était laisser bien des chances
-à la mauvaise fortune que de combattre avec une pareille infériorité
-numérique. Mais comme on n'avait pas le choix, et qu'on pouvait être
-assailli par l'ennemi avant l'arrivée du général Clausel, il fallait
-se servir des localités le mieux possible pour compenser l'infériorité
-du nombre, et prendre ses mesures sinon le 19 au soir, au moins le 20
-au matin, car il était à présumer que les Anglais, parvenus aux
-Pyrénées en même temps que nous, ne nous laisseraient pas beaucoup de
-temps pour nous y asseoir. Dans la soirée même du 19 on aurait dû se
-débarrasser de l'immense convoi qui comprenait les blessés, les
-expatriés, le matériel, et se composait de plus de mille voitures, car
-c'était une horrible gêne s'il fallait combattre, et un désastre
-presque certain s'il fallait se retirer. En l'expédiant le soir même,
-et en l'escortant seulement jusqu'au revers de la montagne de Salinas,
-où l'on devait rencontrer le général Foy, il était possible de ramener
-à temps les troupes qui l'auraient accompagné. Après s'être délivré du
-convoi, il fallait se bien établir dans la plaine de Vittoria. Les
-Anglais, ayant toujours tenté de déborder notre droite, allaient
-continuer probablement la même manoeuvre. Ils devaient, venant de
-Murguia, essayer de déboucher à travers les passages du mont Arrato
-dans la plaine de Vittoria, ce qui les conduirait aux bords de la
-Zadorra, qui longe, avons-nous dit, le pied du mont Arrato. Bien que
-cette rivière fût peu considérable, on pouvait en rendre le passage
-difficile en rompant tous ses ponts, et en couvrant ses gués
-d'artillerie, ce qui était aisé, puisque nous traînions après nous une
-masse énorme de canons. Or il était indispensable de rendre ce passage
-non-seulement difficile, mais presque impossible, car, en traversant
-la Zadorra, l'ennemi pouvait tomber sur les derrières ou au moins sur
-le flanc de notre armée, rangée dans le bassin de Vittoria, et faisant
-face au défilé par lequel on y pénètre en venant de Miranda. Ce défilé
-à travers lequel la Zadorra s'échappe, ainsi que nous l'avons déjà
-dit, et qui s'appelle le défilé de la Puebla, était le second obstacle
-à opposer à l'ennemi, et il fallait bien étudier le terrain pour
-chercher les meilleurs moyens de le défendre. Il y avait pour cela une
-position dont l'événement prouva les avantages, et qui aurait fourni
-le moyen d'interdire aux Anglais tout accès dans la plaine. En se
-portant en effet un peu en arrière, dans l'intérieur même du bassin de
-Vittoria, on rencontrait une éminence, celle de Zuazo, qui permettait
-de mitrailler l'ennemi débouchant du défilé, ou descendant des
-hauteurs de la Sierra de Andia, puis de l'y refouler en le chargeant à
-la baïonnette après l'avoir mitraillé. Cette position, assez
-rapprochée de Vittoria et des passages du mont Arrato, par lesquels
-les Anglais menaçaient de déboucher sur nos derrières, permettait
-d'avoir toutes choses sous l'oeil et sous la main, et de pourvoir
-rapidement aux diverses occurrences. Il était donc possible, en
-coupant les ponts de la Zadorra, en occupant avec soin la hauteur de
-Zuazo, de défendre le bassin de Vittoria avec ce qu'on avait de
-troupes, et d'y attendre en sûreté le général Clausel. Enfin à toutes
-ces précautions on aurait dû joindre celle d'envoyer au général
-Clausel non pas des paysans mal payés, mais un régiment de cavalerie
-pour lui renouveler l'indication précise du rendez-vous. Or, comme
-nous l'avons déjà dit, on avait plus de cavalerie qu'il n'en fallait
-sur le terrain où l'on était appelé à combattre.
-
- [Note 3: Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprimés
- récemment avec ceux du roi Joseph, on trouve des chiffres un
- peu différents, mais le maréchal, quoique toujours
- extrêmement véridique, a trop réduit les forces des Français
- pour atténuer la défaite de la bataille de Vittoria. Après
- des calculs qu'il serait trop long de reproduire, nous
- sommes arrivé à croire plus exacts, du moins plus rapprochés
- de la vérité, les chiffres que nous présentons ici. Du reste
- la différence n'est que de 4 à 5 mille hommes. Nous devons
- ajouter que le maréchal Jourdan a tout à fait raison contre
- les chiffres allégués par le ministre de la guerre,
- lesquels sont entièrement faux.]
-
-[En marge: Inaction forcée de Jourdan et de Joseph.]
-
-[En marge: Le maréchal Jourdan est atteint de la fièvre, et Joseph ne
-peut rien ordonner sans lui.]
-
-[En marge: La seule mesure prise est d'acheminer sur Bayonne le convoi
-des évacuations, mais en le faisant partir le 20 au lieu du 19.]
-
-De ces diverses précautions, il n'en fut pris aucune. Le 19 au soir on
-ne fit point partir le convoi, et on n'envoya au général Clausel que
-des paysans sur lesquels on ne devait pas compter, et qui d'ailleurs,
-s'ils avaient été fidèles, auraient été exposés à être arrêtés. Le
-jour suivant 20, au lieu de monter à cheval pour reconnaître le
-terrain, Jourdan et Joseph ne sortirent point de Vittoria. Le maréchal
-Jourdan était atteint d'une fièvre violente, résultat de l'âge, des
-fatigues et du chagrin. Joseph, qui n'avait d'autres yeux que ceux du
-maréchal, remit au lendemain 21 la reconnaissance des lieux. Il se
-flattait, et le maréchal Jourdan aussi, que les Anglais, avec leur
-circonspection ordinaire, chercheraient à percer à travers les
-montagnes pour nous déborder, mais ne se hâteraient pas de nous
-attaquer de front. La seule chose que la maladie du maréchal Jourdan
-n'empêchât pas, c'était de se délivrer du convoi, dont on était
-embarrassé au point de ne savoir où se mettre, et on décida qu'il
-partirait dans la journée du 20. Afin de ne garder avec soi que
-l'artillerie de campagne, on ordonna aux armées de Portugal et
-d'Andalousie de fournir tous les attelages qui ne leur seraient pas
-indispensables pour traîner le gros canon au delà des Pyrénées. De
-plus, bien qu'on sût que la division Foy était sur le revers de la
-chaîne, entre Salinas et Tolosa, comme les bandes se glissaient à
-travers les moindres espaces, on donna à ce convoi la division Maucune
-pour l'escorter. Par suite de cette disposition, l'armée de Portugal
-se trouvait de nouveau réduite à deux divisions, et l'armée entière à
-53 ou 54 mille hommes.
-
-Ainsi toutes les mesures ordonnées le 20 consistèrent à faire partir
-pour Tolosa le convoi qui aurait dû partir le 19, à ranger le général
-Gazan avec l'armée d'Andalousie en face du défilé de la Puebla, le
-comte d'Erlon avec l'armée du centre derrière le général Gazan, et
-puis à droite en arrière, le long de la Zadorra, le général Reille
-avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, afin de
-tenir tête au corps tournant des Anglais qui venait par la route de
-Murguia. Aux négligences commises on ajouta celle de ne pas couper un
-seul des ponts de la Zadorra. Entre nos divers corps d'infanterie on
-plaça notre belle cavalerie, qui malheureusement, dans le terrain que
-nous occupions, ne pouvait pas rendre de grands services, car le
-bassin de Vittoria est semé de canaux nombreux qui arrêtent partout
-l'élan des troupes à cheval. Nous comptions environ 9 à 10 mille
-chevaux, ce qui réduisait notre infanterie à 43 ou 44 mille
-combattants, moitié à peu près de celle de l'ennemi.
-
-[En marge: Toute la journée du 20 se trouve fatalement perdue.]
-
-Ainsi fut employée, c'est-à-dire perdue, la journée du 20. À chaque
-instant on se flattait de voir arriver le général Clausel, que tout
-devait faire espérer, mais que rien n'annonçait aux diverses issues
-par lesquelles il pouvait apparaître. L'infortuné Joseph était dans
-une anxiété extrême, sans en devenir plus actif, car chez les hommes
-qui n'ont pas l'esprit tourné à la prévoyance, l'attente produit
-l'agitation, mais non l'activité.
-
-[En marge: Le matin du 21, Jourdan, quoique malade, exécute avec
-Joseph une reconnaissance du bassin de Vittoria.]
-
-[En marge: Description des positions occupées par l'armée française.]
-
-Le lendemain 21, le général Clausel n'avait point paru, et l'ennemi ne
-pouvant pas être supposé longtemps oisif, Joseph et Jourdan voulurent
-reconnaître le terrain pour s'y préparer à la lutte qu'ils sentaient
-bien devoir être prochaine. Le maréchal Jourdan, un peu débarrassé de
-sa fièvre, quoique souffrant encore, fit effort pour monter à cheval,
-et vint avec Joseph reconnaître la plaine de Vittoria. À droite de
-notre position et en arrière, au pied du mont Arrato, le général
-Reille, avec les divisions françaises Lamartinière et Sarrut, avec le
-reste d'une division espagnole, gardait les ponts de la Zadorra. Le
-pont de Durana placé dans les montagnes du côté des Pyrénées, était
-gardé par la division espagnole. Le pont de Gamarra-Mayor, situé à la
-naissance de la plaine, était occupé par la division Lamartinière.
-Celui d'Arriaga, tout à fait au milieu de la plaine et à la hauteur de
-Vittoria, était défendu par la division Sarrut. Derrière ces divisions
-se trouvaient, outre la cavalerie légère, plusieurs divisions de
-dragons, prêtes à fondre sur toute troupe qui aurait franchi la
-Zadorra. Mieux eût valu détruire les ponts de cette petite rivière, et
-en défendre les gués avec de l'artillerie. Quoi qu'il en soit, la
-présence sur ce point d'un aussi bon officier que le général Reille
-avait de quoi rassurer.
-
-[En marge: Remarque juste, mais tardive, du maréchal Jourdan, et ordre
-au général Gazan d'occuper la position de Zuazo, au centre du bassin
-de Vittoria.]
-
-En se reportant droit devant eux, vers l'entrée de la plaine, au
-débouché du défilé de la Puebla, Jourdan et Joseph gravirent
-l'éminence dont nous avons parlé, celle de Zuazo, coupant
-transversalement le bassin et dominant la sortie du défilé.
-Sur-le-champ avec son coup d'oeil exercé, le maréchal Jourdan reconnut
-que c'était là qu'il fallait établir le général Gazan à la tête de
-toute l'armée d'Andalousie, qu'il fallait en outre hérisser la
-hauteur de canons, ranger ensuite le comte d'Erlon à droite sur la
-Zadorra, pour se lier au général Reille et garder le pont de
-Trespuentes qui débouchait sur le flanc de la hauteur de Zuazo. Cette
-remarque si juste, faite la veille, eût sauvé l'armée française, et
-probablement notre situation en Espagne. On envoya donc des officiers
-d'état-major pour transmettre ces ordres au général Gazan, et les lui
-faire exécuter en toute hâte.
-
-[En marge: Au moment même où était donné cet ordre, la bataille
-commençait.]
-
-[En marge: Résolution de lord Wellington de livrer bataille, et
-dispositions d'attaque.]
-
-Mais il était trop tard, et la bataille commençait à l'instant même.
-Lord Wellington, comme il était facile de le prévoir, ne voulut pas,
-après nous avoir accompagnés, pour ainsi dire, jusqu'aux Pyrénées,
-nous laisser repasser les montagnes sans nous livrer bataille, afin de
-les franchir, s'il le pouvait, à la suite d'une armée battue. Il avait
-porté le général Graham avec deux divisions anglaises, avec les
-Portugais et les Espagnols formant sa gauche, sur la route de Murguia,
-à travers les passages du mont Arrato, pour essayer de forcer le
-général Reille sur la Zadorra. Il avait dirigé son centre composé de
-trois divisions, sous le maréchal Béresford, à travers les autres
-passages du mont Arrato, pour déboucher aussi sur la Zadorra, mais
-vers le milieu de la plaine, ce qui devait les faire aboutir au pont
-de Trespuentes, en face du général d'Erlon et sur le flanc de la
-position de Zuazo. Enfin sa droite, composée de deux divisions
-anglaises sous le général Hill, et de la division espagnole Morillo,
-nous ayant suivis sur la route de Miranda, devait percer le défilé de
-la Puebla, et venir déboucher au pied même de Zuazo. Tous ces corps
-étaient déjà en marche lorsque le maréchal Jourdan et Joseph
-envoyèrent au général Gazan l'ordre de rétrograder vers la hauteur de
-Zuazo, d'où l'on pouvait, avons-nous dit, cribler à la fois les
-troupes qui auraient forcé le défilé de la Puebla, et celles qui
-auraient franchi la Zadorra à Trespuentes.
-
-[En marge: Le général Gazan n'ayant pas eu le temps de rétrograder
-vers la position de Zuazo, est obligé de combattre où il se trouve.]
-
-Lorsque l'aide de camp de Joseph porteur de ses ordres arriva auprès
-du général Gazan, celui-ci, déjà aux prises avec l'ennemi, déclara ne
-pouvoir exécuter les mouvements qu'on lui prescrivait. Joseph et
-Jourdan accoururent auprès de lui et bientôt découvrirent ce qui se
-passait. À droite on apercevait les troupes de Béresford, qui, ayant
-franchi les cols les plus rapprochés du mont Arrato, essayaient de
-traverser la Zadorra à Trespuentes. Devant soi on voyait le général
-Hill engagé dans le défilé de la Puebla, mais avec précaution, et
-ayant jeté à sa droite, sur les hauteurs de la Sierra de Andia, la
-division espagnole Morillo, pour seconder les troupes anglaises qui
-voulaient forcer le passage.
-
-[En marge: Jourdan et Joseph accourus auprès du général Gazan, lui
-ordonnent de déloger les Espagnols des hauteurs de la Sierra de
-Andia.]
-
-Jourdan et Joseph ordonnèrent au général Gazan d'envoyer à gauche la
-brigade d'avant-garde Maransin sur les hauteurs de la Sierra de Andia,
-pour en débusquer le plus tôt possible la division espagnole Morillo,
-de faire appuyer cette brigade par une division entière s'il le
-fallait, puis, la hauteur reprise, de culbuter les Espagnols dans le
-défilé de la Puebla, et de se jeter à leur suite dans le flanc du
-général Hill. Avec les divisions Darricau et Conroux, le général Gazan
-devait barrer le défilé, tenir à gauche la division Villatte en
-réserve, et enfin disposer sur sa droite la division Leval pour
-observer les troupes de Béresford, qui menaçaient la Zadorra à
-Trespuentes. Le comte d'Erlon, rangé en bataille derrière le général
-Gazan, devait faire observer la Zadorra, et être prêt à tomber sur les
-troupes qui voudraient la passer entre lui et le général Reille.
-
-[En marge: Exécution lente et décousue des ordres donnés au général
-Gazan.]
-
-À peine ces ordres étaient-ils expédiés, que le feu, sur notre gauche,
-notre front et notre droite, s'étendit en un vaste cercle. Tout à fait
-en arrière, vers le général Reille, on n'entendait rien encore. Le
-général Gazan, qui avait reçu l'ordre de débarrasser d'abord les
-hauteurs à notre gauche, lesquelles formaient l'extrémité de la Sierra
-de Andia, ne fit pas attaquer avec assez d'ensemble les Espagnols qui
-les avaient gravies. Il envoya un régiment après l'autre, et n'obtint
-ainsi aucun résultat. Les Espagnols, bien abrités derrière des rochers
-et des bois, et très-habiles à défendre les terrains de cette nature,
-opposèrent une résistance assez vive à nos régiments mal engagés. Le
-général Gazan pressé par le maréchal Jourdan d'agir avec plus de
-vigueur, détacha d'abord de son front une brigade de la division
-Conroux, puis une brigade de la division Darricau, pour soutenir
-l'avant-garde du général Maransin. Ces deux brigades, plus que
-suffisantes si elles avaient été portées en masse et simultanément sur
-la hauteur qui était à notre gauche, restèrent à mi-côte, tiraillant
-avec désavantage contre les Espagnols bien postés, et n'étant d'aucun
-secours pour l'avant-garde Maransin qui perdait beaucoup de monde.
-Deux heures s'écoulèrent ainsi sans avantage marqué, et ce retard
-était d'autant plus regrettable, que si on les eût bien employées, et
-qu'après avoir culbuté les Espagnols de la hauteur de la Sierra de
-Andia dans le défilé de la Puebla, on eût refoulé dans ce défilé les
-Anglais qui essayaient de le franchir, on aurait pu ensuite se
-reporter au secours du général Reille, qui allait être vigoureusement
-attaqué.
-
-[En marge: Lorsque, après des ordres réitérés, le général Gazan se
-décide à attaquer vigoureusement les Espagnols, les Anglais profitent
-de son mouvement pour déboucher dans la plaine, et enlever le village
-de Subijana de Alava.]
-
-Le roi et le maréchal réitérant leurs ordres, le général Gazan se
-décida enfin à porter la division Villatte, rangée un peu en arrière à
-gauche, sur les hauteurs si mal et si longuement attaquées. La
-division Villatte gravit rapidement les pentes de la Sierra de Andia
-sous un feu plongeant des plus meurtriers, refoula néanmoins les
-Espagnols de bas en haut, et les ramena dans les bois qui couronnaient
-le sommet des hauteurs. Mais pendant ce temps les divisions anglaises
-du général Hill, voyant notre front affaibli par l'envoi des deux
-premières brigades du général Conroux et du général Darricau, voyant
-de plus un village important, placé à notre gauche, celui de Subijana
-de Alava, tout à fait découvert par le départ de la division Villatte,
-se jetèrent sur ce village en débouchant vivement du défilé, et
-parvinrent à l'emporter. Dès cet instant les Anglais avaient fait
-irruption dans la plaine, et les repousser devenait fort difficile. Le
-maréchal Jourdan imagina de lancer sur eux l'une des divisions du
-comte d'Erlon, qui avait été placé en réserve sur la droite en
-arrière. Mais le comte d'Erlon s'apercevant que les troupes de
-Béresford menaçaient de passer la Zadorra à Trespuentes, y avait
-successivement envoyé ses deux divisions. Il ne restait donc pas de
-réserve, et par surcroît d'embarras le feu, qui du côté du général
-Reille n'avait commencé qu'assez tard, se faisait entendre violemment
-vers le fond de la plaine.
-
-[En marge: Le maréchal Jourdan et Joseph voyant la plaine envahie,
-ordonnent qu'on se replie sur la hauteur de Zuazo.]
-
-Décidés par cet ensemble de circonstances, le roi et le maréchal
-ordonnèrent un mouvement rétrograde sur l'éminence de Zuazo, d'où l'on
-pouvait, avec un grand feu d'artillerie, arrêter les ennemis qui
-avaient envahi la plaine par toutes les issues, les uns à notre droite
-en passant la Zadorra à Trespuentes, les autres sur notre front en
-débouchant du défilé de la Puebla, les autres enfin à notre gauche en
-descendant des hauteurs de la Sierra de Andia. En même temps le
-maréchal Jourdan prescrivit au général Tirlet, chef de notre
-artillerie, de placer force bouches à feu sur la hauteur de Zuazo.
-
-[En marge: Le général Tirlet place sur la hauteur de Zuazo 45 bouches
-à feu, et arrête les Anglais en les couvrant de mitraille.]
-
-[En marge: Faute d'une réserve d'infanterie, on ne peut tirer parti de
-ce succès.]
-
-[En marge: Jourdan et Joseph ordonnent la retraite.]
-
-Ces ordres mieux exécutés que ceux qui avaient été donnés au général
-Gazan amenèrent un résultat qui aurait pu être décisif. On rétrograda
-sur la hauteur de Zuazo, et le général Tirlet en un clin d'oeil y
-réunit quarante-cinq bouches à feu. Attendant les Anglais qui
-sortaient du défilé de la Puebla, et l'une des colonnes de Béresford
-qui avait forcé le passage de la Zadorra à Trespuentes, il les couvrit
-de mitraille, et joncha en peu d'instants la terre de leurs morts.
-D'abord mises en désordre, les troupes anglaises se reformèrent,
-s'avancèrent au pas, et furent de nouveau rejetées en arrière par la
-mitraille. Si dans ce moment on avait eu quatre ou cinq mille hommes
-sous la main, et qu'on les eût lancés sur les masses ébranlées des
-Anglais, on aurait pu en les refoulant dans le défilé leur faire
-essuyer un sanglant échec. Malheureusement le général Gazan, au lieu
-de se replier sur la hauteur transversale de Zuazo, était allé vers la
-gauche se ranger à mi-côte sur le flanc de la Sierra de Andia, près
-de la division Villatte, ce qui laissait un espace ouvert entre ses
-troupes et celles du comte d'Erlon. Celui-ci avec ses deux divisions
-disputait de son mieux les passages de la Zadorra, au-dessus et
-au-dessous de Trespuentes. On n'avait donc sur la hauteur décisive de
-Zuazo que de l'artillerie sans appui. Au fond de la plaine, le général
-Reille attaqué à Durana, à Gamarra-Mayor, à Arriagua, se défendait
-vaillamment, et chaque fois qu'on lui enlevait l'un de ses trois
-ponts, le reprenait avec la plus rare vigueur; mais en même temps il
-annonçait qu'il serait bientôt forcé, si on ne venait promptement à
-son secours. Le maréchal Jourdan appréciant cette situation, conseilla
-à Joseph d'ordonner la retraite, seul parti qu'il y eût à prendre en
-ce moment. L'intention fut de la diriger sur la grande route de
-Bayonne, par Salinas et Tolosa, afin de sauver l'artillerie, car si
-par Salvatierra et Pampelune on avait chance de rejoindre le général
-Clausel, on avait la certitude de perdre tous ses canons, à cause de
-l'état des routes.
-
-[En marge: Les généraux Gazan et d'Erlon se disjoignent en se
-retirant, et laissent à la cavalerie anglaise le champ libre pour se
-jeter sur Vittoria.]
-
-[En marge: Panique à Vittoria.]
-
-[En marge: Les fuyards se précipitent sur la route de Salvatierra et
-de Pampelune.]
-
-À peine l'ordre de la retraite fut-il donné, qu'on l'exécuta, mais
-sans le concert et l'ensemble qui auraient pu prévenir les
-inconvénients d'un mouvement rétrograde. Le comte d'Erlon ne voyant
-pas le général Gazan à sa gauche, et apercevant la cavalerie anglaise
-prête à fondre dans la plaine, chercha à s'appuyer vers la Zadorra en
-se retirant, et découvrit ainsi Vittoria. La cavalerie ennemie s'y
-précipita, et y fit naître une indicible confusion. Le convoi au salut
-duquel on avait consacré une division n'était pas parti tout entier.
-Il restait un parc d'artillerie de cent cinquante bouches à feu,
-beaucoup de familles fugitives, de bagages, et de soldats de corvée
-envoyés pour chercher des vivres. La vue des dragons anglais produisit
-sur ces gens une terreur panique des plus vives, et ils se mirent à
-fuir dans tous les sens en poussant des cris. Leur premier mouvement
-fut de se porter sur la grande route de Bayonne, et le col de Salinas;
-mais le général Reille disputant à outrance la haute Zadorra, tantôt
-perdant, tantôt reprenant sa position, se battait sur cette même route
-qu'il couvrait de feu et de sang. Les fuyards se rejetèrent alors sur
-celle de Pampelune par Salvatierra. Le général Tirlet accouru à
-Vittoria pour ordonner la retraite, connaissant le mauvais état de la
-route de Salvatierra, prévoyant que l'artillerie, surtout avec
-l'encombrement qui allait s'y former, ne pourrait pas y passer,
-sachant de plus que dans nos arsenaux de la frontière le matériel ne
-manquait pas, et que les attelages importaient seuls, prescrivit de
-couper les traits, et de sauver les hommes et les chevaux en
-abandonnant les canons.
-
-[En marge: Belle retraite du général Reille avec son corps d'armée.]
-
-La retraite qui d'abord avait dû se diriger sur Salinas et Bayonne, se
-trouva donc par le mouvement du général Gazan, par une sorte
-d'instinct de conservation qui avait poussé les fuyards vers la route
-de Salvatierra où le canon ne s'entendait point, se trouva,
-disons-nous, dirigée sur Pampelune, c'est-à-dire sur la Navarre. On
-s'y rua avec une sorte de furie, laissant à Vittoria même un matériel
-immense. Dès cet instant la situation du général Reille devenait des
-plus périlleuses. Ce général avait tenu tant qu'il avait pu sur la
-Zadorra, rejetant les Anglais et les Espagnols au delà de cette
-petite rivière, chaque fois qu'ils avaient forcé un des trois ponts
-dont il avait la garde. Mais ayant vu le mouvement de retraite sur
-Salvatierra, il se décida lui-même à se retirer dans cette direction.
-Pour sortir sain et sauf de sa position périlleuse, il fallait qu'il
-contînt d'une part les troupes ennemies qui commençaient à franchir la
-Zadorra devant lui, de l'autre celles qui déjà débouchaient de
-Vittoria sur ses derrières. Il avait fort à propos tenu en réserve, à
-quelque distance des trois ponts, la brigade Fririon composée des 2e
-léger et 36e de ligne, et en outre plusieurs régiments de cavalerie.
-Il ordonna sur-le-champ au général Sarrut qui défendait le pont
-d'Arriagua, au général Lamartinière qui défendait celui de
-Gamarra-Mayor, au général Casalpaccia qui gardait avec les Espagnols
-et quelques centaines d'hommes du 3e de ligne le pont de Durana, de se
-replier en bon ordre vers Salvatierra, pendant que lui tiendrait tête
-aux Anglais venant de Vittoria. Le général Sarrut, en défendant le
-pont d'Arriagua, fut tué. Le général Menne le remplaça, et fut
-plusieurs fois assailli, mais ne se laissa point entamer. Le général
-Lamartinière opposa un calme, une vigueur rares à l'impulsion de
-l'ennemi victorieux. Pendant ce temps, le général Reille qui
-s'attachait à les couvrir tous du côté de Vittoria, reçut en plein le
-choc de la cavalerie anglaise. Mais avec les dragons de Digeon, de
-Tilly, de Mermet, il la contint, et parvint à protéger la retraite de
-son corps d'armée jusqu'à Betono. En cet endroit se trouvait un bois;
-on s'y enfonça, ce qui permit de parcourir en sûreté une partie du
-chemin qui menait à la route de Pampelune en tournant derrière
-Vittoria. Mais au sortir du bois on aperçut un gros corps de cavalerie
-qui nous attendait. Le général Reille le fit charger par le 3e de
-hussards et le 15e de dragons, puis marcha en hâte vers le village
-d'Arbulo. La cavalerie ennemie nous y poursuivit à outrance. Le
-général Reille avec les 2e léger et 36e de ligne de la brigade
-Fririon, se forma en avant de ce village, pour donner au reste de son
-corps d'armée le temps de défiler. Assailli par les nombreux escadrons
-des Anglais, il les reçut en carré et couvrit le terrain de leurs
-morts. Toutes ses troupes ayant défilé, il traversa lui-même le
-village, et gagna ainsi sain et sauf la route de Salvatierra, où se
-précipitaient confusément les divers corps de notre armée et toute la
-queue du vaste convoi que nous avions conduit avec tant de peine de
-Madrid à Vittoria.
-
-[En marge: Résultats de la malheureuse bataille de Vittoria.]
-
-Nous avions eu dans cette fatale journée environ 5 mille morts ou
-blessés, et les Anglais à peu près autant. Mais en soldats de corvée,
-en fuyards, en valets d'armée, on nous avait pris 15 ou 1800 hommes.
-Nous laissions en outre à l'ennemi 200 bouches à feu, non pas perdues
-en ligne, mais abandonnées faute d'une route convenable pour les faire
-passer, plus 400 caissons et un nombre infini de voitures de bagages.
-Joseph n'avait pas même sauvé sa propre voiture, qui contenait tous
-ses papiers.
-
-[En marge: Ce qu'avaient fait pendant cette bataille le général Foy et
-le général Clausel.]
-
-[En marge: Efforts du général Clausel pour rejoindre Joseph.]
-
-[En marge: Ce général, séparé de l'armée française par le désastre de
-Vittoria, prend l'habile résolution de se transporter à Saragosse.]
-
-On se demandera naturellement où était en ce moment le général Clausel
-avec les 15 mille hommes qu'il aurait pu amener, ce que faisait sur le
-revers des monts le général Foy, qui renforcé de plusieurs petites
-garnisons et du général Maucune, avait lui aussi 15 mille hommes dont
-la présence aurait été si utile dans la fatale plaine de Vittoria. Ces
-30 mille hommes, joints aux 52 ou 54 mille de Joseph, formant l'énorme
-masse de plus de 80 mille combattants, auraient pu accabler les
-Anglais, et les rejeter en Portugal; et alors quelle différence,
-non-seulement pour les affaires de la Péninsule, mais de l'Europe
-entière, car les Anglais, qui exerçaient en Allemagne une si grande
-influence sur les résolutions des coalisés, s'ils avaient conçu
-quelques craintes pour leur armée de la Péninsule, auraient
-certainement facilité les négociations, jusqu'à rencontrer peut-être
-sur la limite des concessions possibles l'orgueil même de Napoléon!
-Mais cette fois comme tant d'autres, ce n'était ni le nombre ni la
-vaillance, ni le dévouement qui avaient manqué aux soldats de l'armée
-d'Espagne, c'était la direction. Le général Foy qui n'était séparé de
-Joseph que par la montagne de Salinas, n'avait reçu aucun des avis
-qu'on lui avait adressés, et n'avait connu la présence de l'armée à
-Vittoria que par l'apparition de la division Maucune à la suite du
-convoi qu'elle escortait. Si ce mouvement de la division Maucune eût
-été ordonné deux jours plus tôt, on aurait pu mettre le convoi en
-sûreté, et ramener un renfort de dix à douze mille hommes à Vittoria.
-Quant au général Clausel, dès qu'il avait su la marche des Anglais et
-la retraite de notre armée, il avait réuni ses divisions en toute
-hâte, était arrivé le 20 à Logroño, y avait cherché de tous côtés des
-nouvelles de Joseph, n'avait trouvé que des habitants ou fugitifs ou
-silencieux, et personne qui pût ou voulût lui donner un renseignement.
-Seulement il avait rencontré des agents anglais faisant préparer des
-vivres, et d'après plusieurs vestiges recueillis sur la route, il
-avait été conduit à penser que l'armée française s'était portée de
-Miranda sur Vittoria. Le 21 il s'était décidé à s'avancer par
-Penacurada jusque sur le revers de la Sierra de Andia, pour voir s'il
-pourrait à travers cette sierra tendre la main à Joseph. Mais se
-doutant avec raison qu'il avait entre Joseph et lui l'armée anglaise,
-sans savoir ni où, ni en quel nombre, il s'était approché avec
-précaution, n'avait été joint par aucun des paysans qu'on lui avait
-dépêchés, et vers la chute du jour avait fini par apprendre qu'on
-s'était battu toute la journée, hélas! sans résultat heureux! Le 22 au
-matin, voulant connaître la vérité entière, et à tout prix tâcher de
-rejoindre l'armée française pour lui porter secours, il avait eu la
-hardiesse de gravir la Sierra de Andia et de jeter un regard sur la
-plaine de Vittoria. Des sommets de cette sierra il avait vu notre
-immense désastre, et séparé de Joseph par les Anglais victorieux, il
-n'avait dû songer qu'à son propre salut. Sans se troubler, il avait
-regagné les bords de l'Èbre, l'avait descendu jusqu'à Logroño, et
-ayant toujours entre Joseph et lui les Anglais qui nous poursuivaient
-en Navarre, il avait pris la résolution, l'une des plus sages et des
-plus hardies qu'on ait jamais prises à la guerre, de s'enfoncer vers
-Saragosse, où il était amené par la raison de sauver son corps
-d'armée, et par la raison non moins puissante de couvrir les derrières
-du maréchal Suchet, et d'assurer la retraite de ce maréchal.
-
-[En marge: Retraite de Joseph dans les vallées des Pyrénées.]
-
-De leur côté, Jourdan et Joseph, ayant regagné Pampelune avec une
-armée horriblement mécontente de ses chefs, non démoralisée toutefois,
-diminuée seulement de cinq à six mille hommes, privée de ses canons
-mais non de ses attelages, étaient encore en mesure d'opposer une
-forte résistance aux Anglais, indépendamment de la résistance
-naturelle qu'allaient leur présenter les Pyrénées elles-mêmes. Joseph
-sur le conseil de Jourdan, après avoir laissé une garnison dans
-Pampelune, envoya l'armée d'Andalousie dans la vallée de
-Saint-Jean-Pied-de-Port, celle du centre dans la vallée de Bastan,
-celle de Portugal dans la vallée de la Bidassoa, de manière à fermer
-ainsi toutes les issues, et à prendre le temps de reformer
-l'artillerie, et de faire cesser la distribution en trois armées
-différentes, laquelle venait d'occasionner de nouveau de si fâcheux
-embarras. Tandis qu'il ordonnait cette disposition, le général Foy,
-aidé du général Maucune, avait habilement et bravement tenu tête aux
-Anglais qui avaient voulu descendre de Salinas sur Tolosa, et les
-avait rejetés assez loin. On avait perdu l'Espagne, mais pas encore la
-frontière, et l'Empire, si longtemps envahisseur, n'était pas encore
-envahi, quoiqu'il fût bien près de l'être!
-
-[Date en marge: Juillet 1813.]
-
-[En marge: Caractère de la campagne de 1813 en Espagne, et causes de
-sa funeste issue.]
-
-[En marge: Napoléon, mal informé par le ministre de la guerre Clarke,
-s'en prend à Joseph et à Jourdan du désastre de Vittoria.]
-
-Telle fut la campagne de 1813 en Espagne, si tristement célèbre par le
-désastre de Vittoria, qui signalait nos derniers pas dans cette
-contrée, où nous avions pendant six années inutilement versé notre
-sang et celui des Espagnols. Si on veut prononcer sans passion sur les
-événements de cette campagne, il est facile de découvrir les vraies
-causes du revers définitif qu'on venait d'essuyer. La première cause,
-cette fois comme tant d'autres, il faut la chercher dans les ordres
-mêmes de Napoléon, qui ne considérant l'Espagne que comme un
-accessoire de ses immenses entreprises, ou ne lui consacrait pas les
-forces nécessaires, ou en subordonnait l'emploi à des calculs
-étrangers à l'Espagne elle-même, et inconciliables avec le succès des
-opérations dans ce pays. Cette année les forces qu'il y laissait,
-quoique réduites par le rappel d'un grand nombre de cadres, étaient
-depuis la concentration des trois armées d'Andalousie, du centre et de
-Portugal, suffisantes pour se maintenir en Castille, puisqu'on aurait
-pu réunir quatre-vingt mille hommes contre les Anglais. Mais dans la
-double pensée de conserver les provinces du nord, qu'il entendait se
-réserver à la paix, et d'alarmer les Anglais pour le Portugal, afin de
-les détourner de toute entreprise contre le midi de la France,
-Napoléon avait amené de nouveau sans le vouloir la dispersion des
-trois armées depuis Salamanque jusqu'à Pampelune, de manière qu'après
-avoir recouvré l'ascendant sur les Anglais par notre concentration,
-nous venions de le perdre encore par une dissémination imprudente de
-nos forces. Cette cause essentielle de la journée de Vittoria ne
-saurait être cherchée ailleurs que dans les ordres de Paris, donnés
-par Napoléon loin des lieux, avant la connaissance des faits, et
-réitérés par le ministre de la guerre avec une obstination sans
-excuse, lorsque les événements et les objections du maréchal Jourdan
-en avaient démontré le danger. Après cette cause, il y en a une autre,
-fort ancienne, et toujours féconde en malheurs dans la Péninsule,
-c'est le défaut d'unité dans le commandement, qui fit qu'aucune
-administration ne voulant obéir, il n'y eut rien de préparé sur la
-route de l'armée, et qu'il fallut, en rétrogradant pour rallier le
-général Clausel, se replier avec une précipitation qui rendait le
-ralliement plus douteux et plus difficile, les pertes sur la route
-plus considérables. Ce défaut d'unité était le tort de Napoléon,
-toujours refusant à son frère l'autorité nécessaire, de Joseph, ne
-sachant pas la prendre, des généraux, ne sachant pas y suppléer par
-leur soumission. Après ces causes, le défaut d'activité chez Joseph et
-le maréchal Jourdan, l'un indolent, l'autre fatigué par l'âge et le
-chagrin, contribua beaucoup au malheur de la campagne. Plus actifs,
-plus prompts à se résoudre, Joseph et Jourdan auraient pu évacuer
-Madrid plus tôt, et se rallier plus tôt ou en avant de Valladolid, ou
-en avant de Burgos. À Vittoria même, il y eut deux jours perdus, deux
-jours précieux pour le départ du convoi et le déblaiement du champ de
-bataille, pour le choix du terrain où l'on pouvait disputer à l'ennemi
-l'entrée de la plaine, pour la réunion au général Clausel. Dans cette
-occasion décisive, comme on l'a vu, le maréchal Jourdan était malade,
-et Joseph n'avait pas songé à le suppléer. Enfin des ordres de détail
-mal exécutés par les généraux avaient complété la série de fautes et
-de malheurs qui amenèrent la catastrophe finale de Vittoria. Après
-tout, Napoléon qui aurait dû dans ces funestes résultats s'attribuer
-la part la plus grande, car avec son génie si profond, sa connaissance
-si parfaite des choses, il était plus que personne capable de tout
-prévoir, et avec sa puissance si obéie capable de tout prévenir,
-Napoléon s'en prit à tout le monde au lieu de s'en prendre à lui-même,
-et à Joseph et à Jourdan plus volontiers qu'à qui que ce fût.
-
-N'ayant pu suivre dans aucun de leurs détails les événements
-d'Espagne, absorbé qu'il était par la guerre de Saxe qu'il dirigeait
-en personne, croyant sur cet objet ce que lui écrivait le ministre
-Clarke, qui, tandis qu'il adressait à Joseph les lettres les plus
-affectueuses, faisait parvenir à Dresde les rapports les plus
-défavorables, il avait un double motif d'irritation, dans les
-résultats d'abord qui ne pouvaient manquer d'être déplorables, et dans
-les fautes qui révoltaient par leur évidence son grand sens militaire.
-Les résultats, c'étaient l'Espagne perdue, la frontière du midi
-menacée, le moyen le plus puissant de négociation auprès de
-l'Angleterre annulé, puisque dans l'état des choses ce n'était plus
-rien que de lui céder l'Espagne, c'étaient en outre des sacrifices
-nouveaux à ajouter à ceux que demandait l'Autriche, dès lors la paix
-plus difficile que jamais, enfin une confiance, une exaltation
-nouvelles inspirées à tous ceux qui croyaient le moment venu
-d'accabler la France. Les fautes, c'étaient non-seulement celles que
-nous venons d'énumérer, et qui n'étaient que trop réelles, mais toutes
-celles que le ministre Clarke prêtait gratuitement au malheureux
-Joseph et au plus malheureux Jourdan, son chef d'état-major. Le
-ministre de la guerre n'avait pas dit en effet que les ordres de
-Napoléon qui prescrivaient de détruire les bandes et de menacer le
-Portugal, ordres déplorablement réitérés par les bureaux de Paris,
-avaient été signalés par Jourdan comme une cause inévitable de
-désastre, que la résistance des administrations de chaque armée à
-l'ordonnateur en chef avait encore été dénoncée comme un autre
-inconvénient grave qui empêcherait que rien ne fût préparé à la
-reprise des opérations. Ce même ministre n'avait pas dit que les
-Anglais étaient près de 100 mille, et les Français tout au plus 50
-mille. Il présentait au contraire des calculs qu'auraient à peine
-accueillis les gazettes les moins informées. Il ne comptait dans
-l'armée de lord Wellington que les Anglais, les évaluait à 40 ou 45
-mille, négligeait les Portugais devenus presque les égaux des Anglais,
-les Espagnols, excellents dans les montagnes, et attribuait à l'armée
-française non pas ce qu'elle avait eu sur le champ de bataille, mais
-ce qu'elle aurait pu avoir si les ordres de Paris ne l'avaient
-dispersée, et lui supposait de 80 à 90 mille hommes contre 45 mille.
-Il avait en effet le courage, après le désastre de Vittoria, d'écrire
-à Joseph qu'il aurait dû avoir 90 mille hommes contre 45 mille, et que
-c'était chose bien étonnante qu'il se fût laissé battre avec une telle
-supériorité de force numérique. Ce fait seul donne une idée de ce qui
-pouvait se passer à côté même de Napoléon, lorsqu'il n'y regardait
-point de ses propres yeux, et qu'il se laissait informer par des
-ministres courtisans, ne lui disant que ce qu'il avait plaisir à
-entendre.
-
-[En marge: C'est dans son voyage à Magdebourg, que Napoléon avait
-appris les événements d'Espagne.]
-
-[En marge: L'irritation de Napoléon s'étend sur tous ses frères en
-général.]
-
-On comprend que Napoléon, en considérant d'une part les résultats, de
-l'autre les fautes vraies et les fautes imaginaires imputées à Joseph
-et au maréchal Jourdan, qui déjà lui déplaisaient fort, et avaient
-auprès de lui un redoutable accusateur dans le maréchal Soult présent
-à Dresde, on comprend que Napoléon dût être fort irrité. Il avait
-appris d'une manière sommaire les événements d'Espagne au moment de
-partir de Dresde pour exécuter les courses militaires dont nous avons
-parlé. Il apprit successivement à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg
-le détail de ces événements, toujours par les rapports du ministre
-Clarke. Aussi son emportement fut-il extrême. Ce fut pour lui une
-occasion de se déchaîner contre Joseph et contre tous ses frères.
-L'abdication du roi Louis, la défection imminente de Murat qui
-s'annonçait déjà clairement, l'éclat que Jérôme avait fait l'année
-précédente en quittant l'armée, lui revinrent à l'esprit, et lui
-arrachèrent les paroles les plus amères. Le moment était venu en effet
-d'apercevoir quelle faute il avait commise en voulant renverser toutes
-les dynasties, afin de leur substituer la sienne! Mais, pour être
-juste, il faut reconnaître que son ambition avait, bien plus que celle
-de ses frères, contribué à cette politique désordonnée, et qu'après
-leur avoir donné des trônes ou des armées à commander, il n'avait rien
-omis pour rendre leur tâche encore plus difficile qu'elle ne l'était
-naturellement. Il avait effectivement exigé d'eux une abnégation des
-intérêts de leurs sujets, un talent de tout faire avec rien, ou
-presque rien, qu'il était inhumain d'exiger de leur part, et qui
-devait amener plus d'un scandale de famille, comme l'abdication du roi
-de Hollande. À l'égard de Joseph notamment, après l'avoir tiré de
-Naples où ce prince avait une tâche appropriée à son caractère et à
-ses talents, où il rendait un petit peuple heureux en étant heureux
-lui-même, Napoléon l'avait transporté en Espagne presque sans le
-consulter, l'avait lancé dans une guerre effroyable, l'y avait aidé un
-moment de toutes ses forces, puis, au milieu des préoccupations de la
-guerre d'Autriche en 1809, de celle de Russie en 1812, l'avait laissé
-sans secours, sans argent, exposé à la haine de ses sujets, à la
-désobéissance, quelquefois même à l'arrogance des généraux, n'avait
-voulu écouter aucun de ses avis, presque tous justifiés par
-l'événement, et pour toute réponse n'avait cessé de se moquer de ses
-prétentions militaires et de ses moeurs, moqueries qui de la cour de
-France avaient retenti jusqu'au milieu de la cour d'Espagne, et
-avaient encore contribué à la déconsidération de la royauté nouvelle.
-Et pourtant Napoléon aimait sa famille, mais gâté par un pouvoir sans
-bornes, il ne tenait pas plus compte des droits de ses frères que de
-ceux des peuples, et disposait d'eux comme d'instruments inanimés,
-jusqu'au jour où il devait trouver les peuples révoltés, et ses frères
-eux-mêmes presque en état de défection.
-
-[En marge: Napoléon rappelle Joseph, le remplace par le maréchal
-Soult, lui prescrit de s'enfermer à Morfontaine, et ordonne de le
-faire arrêter s'il en sort.]
-
-Ses traitements envers Joseph furent extrêmement rigoureux.--J'ai trop
-longtemps compromis mes affaires pour des imbéciles, écrivit-il à
-l'archichancelier Cambacérès, au ministre de la guerre, au ministre de
-la police; et, après ce préambule, il donna les ordres les plus
-sévères et les plus humiliants pour Joseph. Il fit d'abord pour le
-remplacer en Espagne le choix qui pouvait lui être le plus
-désagréable, celui du maréchal Soult, qui était en ce moment à Dresde.
-Napoléon conféra au maréchal Soult le titre de son lieutenant en
-Espagne, avec des pouvoirs extraordinaires, lui ordonna de partir
-immédiatement, de ne rester à Paris que douze heures, de n'y voir que
-l'archichancelier Cambacérès et le ministre de la guerre, et de se
-rendre ensuite à Bayonne pour y rallier l'armée et tenir tête aux
-Anglais. Jusque-là rien de plus naturel. Mais il enjoignit à Joseph de
-quitter l'Espagne sur-le-champ, lui interdit en même temps de venir à
-Paris, lui prescrivit de se retirer à Morfontaine, de s'y enfermer, de
-n'y recevoir personne, chargea le prince Cambacérès de défendre à tous
-les hauts fonctionnaires de l'aller visiter, comme si on avait eu de
-leur part de généreux mouvements à craindre, et à toutes ces
-injonctions il ajouta celle de le faire arrêter si ces ordres étaient
-enfreints! Devenu méfiant à l'égard des hommes, depuis qu'il avait été
-obligé de le devenir à l'égard de la fortune, il voyait partout des
-trames prêtes à se nouer contre la régence de sa femme, contre
-l'autorité de son fils. C'est pour ces motifs qu'il n'avait pas voulu
-laisser le duc d'Otrante, le maréchal Soult à Paris, et que sous
-divers prétextes il les tenait sans emploi à Dresde. Joseph mécontent
-à Paris, s'y entourant de mécontents, et peut-être un jour disputant
-la régence à Marie-Louise, telles étaient les images sinistres qui
-avaient traversé son esprit irrité, et qui lui dictèrent l'ordre
-inutile de faire arrêter son propre frère. Certes, si Joseph eût été
-capable de ces noirs projets, il aurait commencé par lui désobéir en
-Espagne, et probablement il lui serait ainsi devenu plus utile qu'en
-exécutant servilement des ordres donnés de trop loin, et sous l'empire
-de fatales distractions! Le simple bon sens présent sur les lieux et
-exclusivement appliqué à son objet, vaut souvent mieux que le génie
-absent ou distrait par des entreprises exorbitantes.
-
-[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.]
-
-[En marge: Suite des négociations de Prague.]
-
-[En marge: Arrivée à Prague, le 11 juillet, des plénipotentiaires
-russe et prussien.]
-
-[En marge: Noms et qualités de ces plénipotentiaires, choisis parmi
-les personnages les moins éclatants.]
-
-[En marge: Le 15 juillet, les plénipotentiaires français ne sont pas
-encore nommés.]
-
-[En marge: M. de Bassano affecte de rejeter ces retards sur M. de
-Metternich.]
-
-Si les événements d'Espagne, qui allaient rendre les ennemis de
-Napoléon plus exigeants, l'avaient en même temps rendu plus
-raisonnable et plus conciliant, on peut dire qu'un grand malheur fût
-devenu un grand bien: mais il n'en fut point ainsi. Après avoir visité
-Torgau, Wittenberg, Magdebourg, après avoir passé en revue les corps
-qu'il voulait inspecter, ordonné les travaux qu'il avait projetés sur
-l'Elbe, Napoléon revint à Dresde, pour y continuer le redoutable jeu
-de perdre du temps, d'arriver au terme de l'armistice sans s'être
-expliqué sur les conditions de la paix, et d'obtenir de la sorte une
-nouvelle suspension d'armes en feignant au dernier moment de négocier
-sérieusement. La Prusse et la Russie avaient choisi leurs
-plénipotentiaires, et les avaient envoyés à Prague, où ils étaient
-arrivés le 11 juillet, par conséquent un jour avant le terme assigné
-pour la réunion du congrès. Ni l'une ni l'autre de ces puissances
-n'avait fait les choix éclatants auxquels on s'était d'abord attendu.
-On avait cru que la Prusse désignerait le chancelier de Hardenberg, et
-la Russie M. de Nesselrode. Mais, à cause de l'Angleterre, ces
-puissances avaient évité de donner à ce congrès trop d'éclat; elles
-avaient voulu y paraître amenées et menées par l'Autriche, en n'y
-faisant figurer aucun personnage qui fût l'égal de M. de Metternich.
-La Prusse avait choisi M. de Humboldt, nom illustre déjà dans la
-science, mais peu connu encore dans la politique (le plénipotentiaire
-prussien était le frère du savant qui est l'une des gloires de ce
-siècle). La Russie avait choisi le baron d'Anstett, Alsacien (par
-conséquent Français), appartenant à une famille d'émigrés, homme de
-quelque esprit, de peu de considération, et de sentiments fort
-hostiles à la France. Quoique ce dernier choix fût assez déplaisant,
-comme au fond l'intention était de tout laisser faire à M. de
-Metternich, il fallait ne tenir compte que de lui seul, et ne pas
-prendre garde aux collaborateurs qu'on lui adjoignait. Ces deux
-négociateurs à peine rendus à Prague, avaient communiqué leurs
-pouvoirs au médiateur, et ils se plaignaient du peu d'égards qu'on
-leur témoignait en les faisant attendre, sans même annoncer le jour de
-l'arrivée des plénipotentiaires français. Le 15 juillet on n'avait
-encore rien dit, et M. de Narbonne, étant retourné à Prague comme
-ambassadeur, désigné en outre comme devant être l'un de nos
-plénipotentiaires, mais n'ayant reçu ni pouvoirs ni instructions, ne
-savait quel langage tenir ni quelle attitude prendre. À toutes les
-remontrances de M. de Metternich, transmises à Dresde, M. de Bassano
-avait répondu que la faute était au cabinet autrichien, qui avait
-laissé partir l'empereur Napoléon pour Magdebourg sans communiquer
-officiellement la ratification de la nouvelle convention prolongeant
-l'armistice jusqu'au 16 août. À ce reproche M. de Metternich avait
-répliqué qu'ayant fait connaître officieusement cette ratification, on
-aurait bien pu, en attendant la communication officielle, nommer les
-plénipotentiaires, et les faire partir, ce qui eût été au moins
-l'accomplissement des devoirs de politesse auxquels les grands États
-sont astreints les uns envers les autres aussi bien que les individus
-eux-mêmes. Sans s'arrêter à cette réponse, M. de Bassano avait de
-nouveau tout rejeté sur M. de Metternich.
-
-[En marge: Napoléon ayant reçu la ratification officielle de la
-dernière convention, choisit pour plénipotentiaires MM. de Narbonne et
-de Caulaincourt.]
-
-[En marge: Noble conduite de M. de Caulaincourt.]
-
-[En marge: Conditions auxquelles il accepte la mission qui lui est
-confiée.]
-
-Napoléon étant revenu à Dresde le 15, après un voyage de cinq jours,
-et ayant enfin reçu la ratification de la nouvelle convention par
-l'Autriche, la Prusse et la Russie, ne pouvait plus différer la
-nomination de ses plénipotentiaires. En conséquence il chargea MM. de
-Narbonne et de Caulaincourt de le représenter au congrès de Prague. Il
-était impossible de choisir des hommes plus sages, plus éclairés,
-animés de plus nobles sentiments. En nommant M. de Caulaincourt,
-Napoléon nourrissait toujours la secrète espérance d'un rapprochement
-direct avec la Russie, et d'un traité de paix qui, sacrifiant
-l'Allemagne au profit des deux grands empires d'Orient et d'Occident,
-satisferait à la fois la Russie et la France, triste paix, qui
-conviendrait peut-être à l'amour-propre de Napoléon, mais nullement
-aux intérêts vrais de son empire! Bien que ce fût peu probable, à en
-juger seulement par le choix de M. d'Anstett, Napoléon n'en
-désespérait pas tout à fait, et c'était même le seul cas où il voulût
-négocier sérieusement. M. de Caulaincourt, objet de ces illusions, ne
-les partageait point. Cet excellent citoyen, esprit profondément
-sensé, avait la vertu peu commune, en aimant fort à plaire, de
-s'exposer à déplaire pour dire la vérité, et était ainsi le modèle
-rare du courtisan honnête homme, qui compte pour rien les faveurs de
-cour, même les plus désirées, quand il s'agit d'épargner une faute au
-prince, et un malheur au pays. Il avait dit à Napoléon qu'une espèce
-de paix astucieuse, obtenue de la défection des uns envers les autres,
-n'était plus à espérer dans l'état de forte cohésion auquel les divers
-cabinets étaient parvenus, que la Russie ne se laisserait plus
-détacher de l'Autriche, que la faveur dont il avait personnellement
-joui auprès de l'empereur Alexandre n'y servirait de rien, que les
-concessions demandées par l'Autriche étaient le seul moyen d'arriver à
-une paix honorable, que cette paix était indispensable, qu'il
-suppliait qu'on ne l'envoyât pas à Prague avec les mains liées, pour y
-éprouver la douleur de voir passer inutilement devant lui l'occasion
-de servir et de sauver sa patrie. Il était même allé jusqu'à déclarer
-que sans une latitude suffisante il n'accepterait pas la mission qui
-lui était destinée. Napoléon, qui avait besoin du nom de M. de
-Caulaincourt pour couvrir du respect que ce nom inspirait une
-négociation simulée, lui avait promis des pouvoirs étendus, et
-l'illustre négociateur comptant sur cette promesse s'était soumis à la
-volonté de son maître.
-
-[En marge: Le choix de MM. de Narbonne et de Caulaincourt est approuvé
-à Prague.]
-
-[En marge: Nouvel incident dont Napoléon profite pour perdre encore du
-temps.]
-
-[En marge: Les commissaires réunis à Neumarckt pour l'exécution
-quotidienne de l'armistice, paraissent supposer qu'il expirera le 10
-août et non pas le 16.]
-
-[En marge: Motif de cette méprise.]
-
-Ces deux choix universellement approuvés produisirent à Prague une
-impression qui corrigeait quelque peu le mauvais effet de nos éternels
-retards. Bien qu'on fût au 16 juillet, et qu'il ne restât plus que
-trente jours pour négocier, tout pouvait être sauvé néanmoins même à
-cette heure, lorsqu'un fâcheux incident vint fournir à Napoléon le
-prétexte spécieux qu'il cherchait pour perdre encore du temps. Il y
-avait à Neumarckt des commissaires des diverses parties belligérantes,
-réunis en commission permanente pour le règlement quotidien de ce qui
-concernait l'exécution de l'armistice. Lorsque le commissaire français
-leur avait communiqué la dernière convention qui prolongeait
-l'armistice au 10 août, avec un délai de six jours entre la
-dénonciation de l'armistice et le renouvellement des hostilités, ce
-qui fixait au 17 la malheureuse reprise de cette guerre, les
-commissaires prussien et russe avaient paru en être informés pour la
-première fois, et être fort étonnés de ce qu'elle statuait. Après en
-avoir référé au quartier général des alliés, ils avaient reçu du
-commandant en chef Barclay de Tolly la confirmation de la convention,
-et en même temps la déclaration que ce ne serait pas le 17 août mais
-le 10 que recommenceraient les hostilités. Cette déclaration était
-aussi étrange qu'imprévue. Selon le sens vrai de la convention, on ne
-pouvait pas dénoncer l'armistice avant le 10 août, et si effectivement
-on le dénonçait le 10, il devait s'écouler encore, d'après la première
-convention et d'après toutes les règles, un délai quelconque entre
-l'avis donné de la reprise des hostilités et leur reprise effective.
-Ce délai, fixé à six jours dans la première convention, devait
-subsister de droit dans la seconde. L'usage, l'intention des parties
-contractantes, le texte, tout était d'accord pour rendre cette
-interprétation incontestable. Mais voici ce qui avait amené la méprise
-qui allait fournir à Napoléon de si funestes prétextes. Les deux
-souverains de Prusse et de Russie étaient entourés d'esprits tellement
-ardents qu'il leur en avait coûté beaucoup d'efforts pour faire agréer
-le premier armistice, quelque besoin qu'ils en éprouvassent. Ils
-n'avaient pu refuser le second aux instances de M. de Metternich;
-toutefois en y consentant ils avaient à peine osé l'avouer, et
-l'empereur Alexandre, partant pour Trachenberg où devait avoir lieu
-une conférence générale des chefs de la coalition, avait dit sans
-détails au général Barclay de Tolly, qu'il avait consenti à une
-prolongation d'armistice jusqu'au 10 août, mais qu'il n'accorderait
-pas un jour de plus. En s'exprimant ainsi et d'une manière générale,
-l'empereur Alexandre n'avait parlé que du délai principal, et n'avait
-pas entendu exclure celui de six jours, placé de droit entre l'annonce
-et le fait même des hostilités. Mais Barclay de Tolly, poussant
-jusqu'à l'excès l'exactitude et l'observation des formes, n'avait cédé
-à aucune représentation, et avait déclaré ne pas vouloir prendre sur
-lui la solution d'une pareille difficulté sans en référer à l'empereur
-Alexandre lui-même.
-
-[En marge: Napoléon mécontent d'abord de cet incident songe bientôt à
-en profiter.]
-
-[En marge: Il fait dire à Prague que M. de Caulaincourt ne partira que
-lorsque le nouvel incident sera vidé.]
-
-Napoléon en apprenant cette singulière contestation, en éprouva un
-premier déplaisir, car il s'était demandé si en effet elle ne serait
-pas sérieuse, et si on ne voudrait pas lui faire perdre les sept jours
-auxquels il tenait infiniment, car avec l'activité qu'il déployait en
-ce moment, chaque heure écoulée lui procurait d'importants résultats.
-Mais à la réflexion, en se rappelant ses discussions avec M. de
-Metternich, les calculs de temps qu'ils avaient faits ensemble, il
-n'avait pu conserver aucun doute sur l'interprétation de la seconde
-convention, et loin de s'inquiéter de l'incident, il avait résolu de
-s'en servir, et d'en tirer un prétexte nouveau et tout à fait
-plausible de perdre encore quelques jours. Il fit sur-le-champ
-déclarer par M. de Narbonne à Prague, qu'un étrange incident s'étant
-élevé à Neumarckt, le sens de la convention en vertu de laquelle on
-allait se réunir et négocier étant contesté, il n'était ni de sa
-dignité ni de sa sûreté de traiter avec des gens qui entendaient ainsi
-leurs engagements, et qu'avant de faire partir M. de Caulaincourt il
-voulait une explication catégorique au sujet de ce qui venait d'être
-dit par le général Barclay de Tolly. M. de Narbonne, l'un des deux
-plénipotentiaires français, étant déjà rendu à Prague, les devoirs de
-politesse se trouvaient remplis selon lui, et le second
-plénipotentiaire français pouvait bien ne partir qu'après avoir obtenu
-l'explication demandée, et l'avoir obtenue pleinement satisfaisante.
-
-[En marge: Grande irritation des plénipotentiaires russe et prussien,
-attendant depuis le 11 à Prague les plénipotentiaires français qui
-n'arrivent pas.]
-
-[En marge: Langage que les partisans de la guerre tiennent au sujet du
-nouveau retard.]
-
-Lorsque cette nouvelle difficulté fut connue à Prague, et elle le fut
-le 18 juillet par une dépêche partie de Dresde le 17, on en ressentit
-une impression fort vive et fort naturelle. Les deux plénipotentiaires
-prussien et russe affectèrent d'en être irrités, offensés même,
-beaucoup plus qu'ils ne l'étaient véritablement. Mais M. de Metternich
-en fut consterné, et l'empereur François blessé profondément. L'un et
-l'autre désiraient la paix, telle que nous l'avons définie, bien que
-l'empereur y crût moins que le ministre, et chaque chance de la
-conclure évanouie leur causait de sincères regrets. De plus, ils
-étaient humiliés du rôle qu'on leur faisait jouer. Les ennemis de leur
-politique de médiation se riaient d'eux, et aimaient à dire que, pour
-prix de leurs efforts pacifiques, Napoléon ne leur enverrait pas même
-un négociateur, et que ces inventeurs du congrès de Prague, loin de
-le conduire à bien, ne pourraient pas même le réunir. Ce fâcheux
-pronostic des partisans de la guerre semblait près de se réaliser, car
-déjà sous le plus futile prétexte, parce que la ratification de la
-seconde convention communiquée officieusement ne l'avait pas été
-officiellement, Napoléon avait perdu cinq ou six jours; maintenant,
-sous un prétexte aussi frivole, parce que les commissaires de
-Neumarckt, simples agents d'exécution, n'ayant aucune autorité morale,
-élevaient une difficulté d'interprétation sur un texte qui leur était
-inconnu, on allait perdre quelques jours encore. Et quand on avait
-vingt jours devant soi, vingt-sept avec le délai contesté, en
-sacrifier cinq ou six à chaque occasion, était un jeu visible et
-offensant. Le plus grave d'ailleurs ce n'était pas la perte de temps,
-car si on voulait bien s'entendre, deux jours, n'en restât-il que
-deux, pouvaient suffire: le plus grave, c'était la disposition que
-cette manière d'agir révélait chez Napoléon. Puisqu'il se jouait ainsi
-de ses adversaires et du médiateur, évidemment il ne souhaitait point
-la paix, et après avoir obtenu le temps qu'il avait si ardemment
-désiré, et qu'il employait si bien, il ne prenait pas même la peine de
-dissimuler à quel point il se moquait de ceux dont il avait fait ses
-dupes!--Tel était le langage, malheureusement très-fondé, que les
-partisans de la guerre tenaient partout, en ayant soin de le rendre
-blessant et amer pour l'empereur François et son ministre.
-
-[En marge: Langage plein de noblesse et de fermeté de M. de
-Metternich.]
-
-[En marge: Déclaration formelle que l'armistice ne sera pas prolongé
-d'un jour, et qu'au terme expiré, l'Autriche fera partie de la
-coalition.]
-
-M. de Metternich vit M. de Narbonne et se montra à lui profondément
-affligé.--La nouvelle difficulté que vous venez de soulever, lui
-dit-il, n'est pas plus sérieuse que la précédente. Nous vous avions
-annoncé amicalement la ratification expresse de la convention en vertu
-de laquelle l'armistice est prolongé jusqu'au 16 août; vous ne pouviez
-donc pas douter de l'exactitude du fait, et ce n'était pas une raison
-de différer la nomination et l'envoi de vos plénipotentiaires, lorsque
-ceux des autres parties belligérantes devaient être ici le 12, qu'ils
-y arrivaient même le 11. Aujourd'hui les commissaires de Neumarckt,
-qui ne sont rien, qui ont toutes les passions des états-majors,
-prétendent interpréter un texte qui leur est inconnu, et vous affectez
-de prendre la chose au sérieux, jusqu'à vous montrer alarmés! Ce ne
-peut être une alarme bien sincère. Croyez-vous qu'on voudrait malgré
-nous, et par conséquent sans nous, recommencer les hostilités? le
-croyez-vous en vérité? Certainement non. Dès lors de quoi s'agit-il?
-D'une difficulté insignifiante, dont vous auriez pu faire le sujet de
-notre entretien à la première réunion des plénipotentiaires, et sur
-laquelle vous auriez eu l'avis favorable des deux plénipotentiaires
-prussien et russe, et en tout cas l'avis décisif du médiateur, dont
-l'opinion vous était connue d'avance. Ce n'était donc pas la peine de
-perdre encore quelques jours, quand il nous en reste à peine une
-vingtaine d'ici au 10 août. Nous ne pouvons voir qu'une chose dans
-cette conduite, c'est le désir de l'empereur Napoléon de nous mener
-ainsi, sans avoir rien fait, jusqu'au terme de l'armistice. Mais qu'il
-ne s'y trompe pas, il ne parviendra pas à faire prolonger d'un jour la
-suspension d'armes. Aux difficultés que vous rencontrez à Neumarckt,
-vous devez juger de celles que nous avons eu à vaincre nous-mêmes
-pour obtenir une première prolongation. Vous n'en obtiendrez pas une
-seconde, soyez-en sûr. Que l'empereur Napoléon ne se fasse pas
-illusion sur un point plus important encore. Le terme du 10 août
-arrivé, il n'y aura plus un mot de paix à dire, et la guerre sera
-déclarée. Nous ne serons pas neutres, qu'il ne s'en flatte pas. Après
-avoir employé tous les moyens imaginables pour l'amener à des
-conditions raisonnables, qu'il connaît bien, que dès le premier jour
-nous lui avons fait connaître, sur lesquelles nous n'avons pas pu
-varier, car elles constituent le seul état tolérable pour l'Europe, il
-ne nous reste plus, s'il les refuse, qu'à devenir belligérants
-nous-mêmes. Si nous demeurions neutres (comme au fond il le désire),
-les alliés seraient battus, nous n'en doutons pas; mais après leur
-tour le nôtre viendrait, et nous l'aurions bien mérité. Nous ne
-commettrons donc pas cette faute. Aujourd'hui, quoi qu'on puisse vous
-dire, nous sommes libres. Je vous donne ma parole et celle de mon
-souverain, que nous n'avons d'engagements avec personne. Mais je vous
-donne ma parole aussi que le 10 août à minuit nous en aurons avec tout
-le monde, excepté avec vous, et que le 17 au matin vous aurez trois
-cent mille Autrichiens de plus sur les bras. Ce n'est pas légèrement,
-ce n'est pas sans douleur, car il est père et il aime sa fille, que
-l'empereur mon maître a pris cette résolution; mais il doit à son
-peuple, à lui-même, à l'Europe, de rendre à tous un état stable,
-puisqu'il en a le moyen, et que d'ailleurs l'alternative ne serait
-autre que de tomber quelques jours plus tard sous vos coups, dans une
-dépendance pire que celle où vous aviez mis la Prusse. Certes nous
-savons quelle chance on court en voulant combattre, même quand on est
-fort nombreux, l'empereur Napoléon à la tête des armées françaises;
-mais après y avoir bien réfléchi, nous préférons cette chance au
-déshonneur et à l'esclavage. Qu'on ne vienne donc point après
-l'événement nous dire que nous vous avons trompés! Jusqu'au 10 août à
-minuit tout est possible, même à la dernière heure; le 10 août passé,
-pas un jour, pas un instant de répit, la guerre, la guerre avec tout
-le monde, même avec nous!--M. de Narbonne, saisi de ce langage, calme,
-triste et grand, dit à M. de Metternich: Quoi! pas un instant de
-répit, même si la négociation était commencée!--À une condition
-seulement, répondit M. de Metternich, c'est que les bases de la paix
-seraient admises en entier, et qu'il n'y aurait plus à régler que les
-détails.--
-
-[En marge: M. de Narbonne, comprenant parfaitement cette situation,
-mande à Dresde que si on n'est pas décidé à la guerre générale avec
-l'Europe entière, il faut ouvrir tout de suite la négociation.]
-
-M. de Narbonne, qui avait parfaitement apprécié cette situation, et
-qui voyait bien qu'il n'y avait plus à jouer avec le temps et avec les
-hommes, qu'en agissant ainsi on n'abuserait plus personne, et qu'on ne
-tromperait que soi, écrivit à M. de Bassano qu'il fallait ou se
-décider à la guerre, à la guerre certaine, universelle avec l'Europe,
-ou que si on n'avait pas pris ce parti, si on souhaitait la paix, sauf
-à en modifier les conditions, il fallait négocier sérieusement, et
-même, ne voulût-on qu'une nouvelle prolongation d'armistice, ne pas
-paraître se moquer de ceux avec lesquels on traitait. Il demandait
-donc qu'on fît partir M. de Caulaincourt, car les négociateurs
-prussien et russe menaçaient tous les jours de se retirer (ce dont ils
-avaient le droit, puisqu'on était au 20 juillet, et qu'ils attendaient
-depuis le 11), et s'ils quittaient Prague tout serait fini. À peine
-obtiendrait-on de la bonne foi des coalisés que l'armistice fût
-respecté jusqu'au 17 août, et si même on l'obtenait, on ne le devrait
-qu'à la prudence et à la modération de l'Autriche.
-
-[En marge: Nouvelle espérance et nouveau calcul de Napoléon.]
-
-[En marge: Il n'espère pas obtenir une prolongation d'armistice, mais
-retarder l'entrée en action de l'Autriche, ce qui suffit à ses plans
-militaires.]
-
-[En marge: Pour disposer l'Autriche à ce qu'il désire, Napoléon envoie
-à M. de Narbonne le pouvoir de commencer la négociation sans M. de
-Caulaincourt.]
-
-Ces conseils si sages, dictés par la plus parfaite connaissance des
-choses, n'affectèrent pas beaucoup M. de Bassano, et encore moins
-Napoléon. Ce dernier toutefois, bien que décidé à la guerre plutôt
-qu'aux conditions apportées par M. de Bubna, bien que se flattant avec
-ses nouveaux préparatifs de battre tous les coalisés, l'Autriche
-fût-elle du nombre, n'était pas indifférent à l'espérance d'une
-nouvelle prolongation d'armistice, et à force de la désirer se faisait
-l'illusion étrange que peut-être il l'obtiendrait. Il doutait à la
-vérité d'amener la Prusse et la Russie à cette prolongation, animées
-comme elles paraissaient l'être; mais il y avait une combinaison
-meilleure pour lui que celle de retarder les hostilités avec toutes
-les puissances, c'était en les laissant commencer avec la Prusse et la
-Russie, de les différer encore quelques jours avec l'Autriche seule,
-ce qui lui aurait donné le temps d'accabler les deux premières, puis
-de se rejeter sur l'Autriche elle-même, _qui aurait son tour_, comme
-avait très-bien dit M. de Metternich. Pour y réussir il y avait un
-moyen, c'était en ouvrant la négociation vers la fin de l'armistice,
-de manière à inspirer quelques espérances à M. de Metternich et à
-l'empereur François, d'obtenir qu'on négociât en se battant, ce qui
-était possible, ce qui s'était vu en plus d'une occasion, et ce qui
-retarderait probablement l'entrée en action de l'Autriche, car tant
-que ses conditions auraient chance d'être acceptées, il était
-vraisemblable qu'elle ne voudrait pas se mettre en guerre avec la
-France. Ainsi arriver non pas à une nouvelle suspension d'armes qui
-arrêterait le bras de tout le monde, mais à une négociation continuée
-durant les hostilités, qui retiendrait quelques jours encore le bras
-de l'Autriche, était sa pensée actuelle. Mais pour cela il fallait
-faire quelque chose, et Napoléon, malgré le doute subsistant à
-Neumarckt, doute qui n'en était pas un pour lui, fit expédier à M. de
-Narbonne ses pouvoirs et ses instructions qui avaient été retenues
-jusque-là, avec la faculté accordée aux deux plénipotentiaires
-français de traiter l'un en l'absence de l'autre. Dès lors on n'était
-plus fondé à dire que la négociation était suspendue, puisque M. de
-Narbonne, à lui tout seul, pouvait la commencer, et la conduire même à
-son terme. Mais bien qu'on appréciât le mérite de M. de Narbonne en
-Autriche et en Europe, le duc de Vicence (M. de Caulaincourt) passait
-pour être seul initié à la pensée de Napoléon, et tant qu'il
-n'arrivait pas à Prague, on était généralement disposé à considérer la
-négociation comme n'étant pas sérieuse. Sur ce point Napoléon fit
-répéter que dès que l'énigme de Neumarckt serait éclaircie, il
-expédierait le duc de Vicence; et pour se donner un motif spécieux
-d'attacher tant d'importance à ce que disaient les commissaires de
-Neumarckt, il fit écrire à M. de Metternich que communiquant par ces
-commissaires avec les places bloquées de Custrin, de Stettin, de
-Dantzig, tant pour les correspondances que pour les vivres, il avait
-besoin d'une explication claire et positive, et ne différait le départ
-de M. de Vicence que pour être assuré de l'obtenir.
-
-[En marge: Langage trop peu sérieux de M. de Bassano.]
-
-M. de Bassano cherchant sans cesse à se modeler sur son maître, et à
-imiter sa coupable mais héroïque indifférence au milieu des dangers,
-écrivait à M. de Narbonne ce qui suit:--Je vous envoie, lui disait-il,
-plus de _pouvoirs_ que de _puissance_, vous aurez _les mains liées,
-mais les jambes et la bouche libres, pour vous promener et
-dîner_.--C'est de ce ton que parlait le ministre de l'Empire français,
-au moment suprême où se décidait à jamais le sort de son maître et de
-sa patrie!
-
-[En marge: M. de Narbonne est autorisé à l'échange des pouvoirs, opéré
-en commun, et sans passer par les mains du médiateur.]
-
-Après s'être livré à ces jeux de mots, M. de Bassano permettait à M.
-de Narbonne de procéder à l'échange des pouvoirs, mais en tenant au
-mode de négocier sur lequel on avait déjà insisté. En conséquence il
-devait offrir l'échange des pouvoirs dans une conférence commune, puis
-cette formalité remplie, proposer la discussion des matières dans des
-conférences auxquelles assisteraient tous les plénipotentiaires, sous
-les yeux du médiateur, qui serait ainsi témoin et partie des
-négociations mais non pas leur intermédiaire exclusif. Il devait enfin
-proposer la rédaction de protocoles, qui assureraient l'authenticité
-des conférences. Si toutes ces questions de forme étaient vidées, ce
-qui ne pouvait manquer d'être long, M. de Narbonne avait ordre de
-présenter pour première base de négociation l'_uti possidetis_,
-c'est-à-dire la conservation de ce que chacun possédait dans l'état
-présent de la guerre, comme si aucun des événements de 1812 et de 1813
-ne s'était accompli.
-
-[En marge: Nouveau chagrin de M. de Metternich en apprenant à quelle
-condition est soumis l'échange des pouvoirs.]
-
-[En marge: Depuis qu'on avait laissé percer l'intention d'un
-arrangement direct entre la Russie et la France, les Russes et les
-Prussiens affectaient de vouloir faire de l'Autriche leur unique
-intermédiaire.]
-
-[En marge: Cette disposition poussée au delà des désirs de l'Autriche,
-devait rendre insoluble la question de forme.]
-
-La seule question de forme devait exiger beaucoup de temps, car sur
-cette question les coalisés avaient leur parti pris, et insister à ce
-sujet c'était s'exposer à dépenser inutilement plusieurs mois, quand
-on n'avait plus que dix-huit jours. M. de Metternich, en effet, en
-apprenant que M. de Narbonne avait reçu ses pouvoirs, ne fut que
-médiocrement consolé de l'absence de M. le duc de Vicence, surtout
-lorsqu'il sut que M. de Narbonne voulait présenter et échanger ses
-pouvoirs dans une réunion générale des plénipotentiaires, s'abouchant
-entre eux sous la présidence du médiateur, mais ne s'astreignant pas à
-l'accepter pour unique intermédiaire de leurs communications. Ce
-dernier point, comme on l'a vu, avait acquis beaucoup d'importance,
-depuis que Napoléon avait clairement indiqué, en faisant choix de M.
-de Caulaincourt, la pensée de s'entendre directement avec la Russie
-aux dépens de l'Autriche. À dater de ce moment, la Prusse et la
-Russie, pour ne pas être soupçonnées d'entrer dans l'intention de
-Napoléon, surtout pour n'en pas être accusées, affectaient de tenir
-plus que l'Autriche elle-même à une forme de négociation qui faisait
-tout passer par l'entremise du médiateur. Aussi MM. de Humboldt et
-d'Anstett, particulièrement ce dernier, s'étaient-ils hâtés de
-remettre leurs pouvoirs à M. de Metternich, et ne voulaient-ils les
-remettre qu'à lui seul. M. de Metternich, tranquille désormais sur la
-négociation directe entre la Russie et la France, dont il avait voulu
-se garantir en venant à Prague, aurait acquiescé au désir de la France
-sur cette question de forme, uniquement pour faire commencer la
-négociation; mais cela ne dépendait plus de lui, la Russie et la
-Prusse tenant à ce qu'il fût rassuré plus même qu'il n'avait besoin de
-l'être. Aussi ne manqua-t-il pas de dire à M. de Narbonne que quant à
-lui il consentirait bien à cet échange de pouvoirs opéré en commun,
-mais que déjà les plénipotentiaires prussien et russe lui avaient
-remis directement leurs pouvoirs, s'étaient ainsi légitimés, et que
-certainement, ne fût-ce que par amour-propre, ils ne voudraient pas
-revenir sur ce qu'ils avaient fait. Il leur proposa en effet de céder
-sur ce point, mais il fut refusé, et malgré les autorisations envoyées
-à M. de Narbonne, la négociation ne fit pas un pas. M. de Metternich
-en montra de nouveau son chagrin à M. de Narbonne, lui répéta que
-jusqu'au 10 août le mal ne serait pas irréparable, mais que le 10 à
-minuit il serait sans remède.
-
-[En marge: Napoléon ne se faisant plus aucune illusion sur la
-possibilité de prolonger l'armistice, et espérant tout au plus
-retarder l'entrée en action de l'Autriche, avait le parti pris de
-continuer la guerre.]
-
-[En marge: Examen des conditions de paix proposées à la France.]
-
-[En marge: À quel point ces conditions dépassaient même ce que la
-France aurait dû désirer, et combien il était évident que l'orgueil
-froissé était en ce moment le seul mobile de Napoléon.]
-
-[En marge: Napoléon compromet en ce moment non-seulement la grandeur
-sérieuse de la France, mais même la grandeur chimérique qu'il avait
-rêvée, et dont on ne lui contestait que quelques portions
-insignifiantes.]
-
-Pendant ces inutiles allées et venues, Napoléon ne conservant plus
-aucune illusion sur la possibilité d'une négociation séparée avec la
-Russie, songeait tout au plus à retenir l'Autriche inactive quelques
-jours après le 17 août, afin d'avoir le temps d'accabler d'abord les
-Prussiens et les Russes, sauf à battre ensuite, et à leur tour, les
-Autrichiens eux-mêmes, s'ils étaient assez peu clairvoyants pour se
-prêter à ce calcul. Quant à la paix il n'y songeait guère, ne
-voulant à aucun prix abandonner les villes anséatiques réunies
-constitutionnellement à l'Empire, renoncer au titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin porté jusqu'ici avec une sorte
-d'ostentation, enfin reconstituer la Prusse au lendemain même de sa
-défection. Chacun de ces sacrifices lui coûtait cruellement; pourtant
-il n'était pas possible, même après les triomphes de Lutzen et de
-Bautzen, que la terrible catastrophe de 1812 n'eût pas quelques
-conséquences, sinon pour la France, au moins pour lui, et il fallait
-savoir se résigner à payer sa faute par un déplaisir quel qu'il fût.
-Il aurait dû se trouver heureux après de si grands malheurs de n'être
-puni que dans son orgueil, et de n'avoir rien à sacrifier que la
-France pût regretter véritablement, car, ainsi que nous l'avons déjà
-dit, et qu'on nous permettra de le redire encore, lorsqu'on lui
-laissait outre les Alpes et le Rhin, la Hollande, le Piémont, la
-Toscane, Rome, à titre de départements français, la Westphalie, la
-Lombardie, Naples, à titre de principautés de famille, on lui
-concédait plus que la France ne devait désirer, et qu'elle ne pouvait
-posséder. Ici se présentent quelques réflexions que nous avons déjà
-indiquées, mais qu'il faut reproduire plus complétement au moment
-décisif, pour apprécier sainement les déterminations de Napoléon. Si
-on examine l'une après l'autre ses prétentions territoriales, on
-reconnaîtra combien il était peu raisonnable d'y tenir. La Hollande
-elle-même qui était la moins déraisonnable de toutes, ne pouvait être
-qu'avec beaucoup de peine rattachée matériellement et moralement à
-l'Empire. Quand on en avait détaché ce que Napoléon avait pris au roi
-Louis en 1810, pour le punir de ses résistances, c'est-à-dire ce qui
-est situé à la gauche du Wahal, lequel est le Rhin véritable et
-constitue la plus puissante des barrières, on avait acquis tout ce qui
-était désirable sous le rapport des frontières, restant toujours la
-grave difficulté morale de morceler un pays aussi homogène que la
-Hollande, et dont toutes les parties sont faites pour vivre ensemble!
-Quant à la portion au delà du Wahal, qui s'étend jusqu'au Texel, et
-comprend Gorcum, Nimègue, Utrecht, Rotterdam, la Haye, Amsterdam, le
-Texel, c'est-à-dire la grande Hollande, il était impossible de la
-rattacher à la géographie militaire de la France, et Napoléon dans ses
-plus habiles combinaisons pour la défense du territoire, n'avait
-jamais pu trouver une manière de couvrir le Zuiderzée, et d'établir
-une frontière solide de Wesel à Groningue. N'ayant pour protéger cette
-partie de la Hollande que la faible ligne de l'Yssel, il n'avait vu
-d'autre ressource que les inondations, et les avait ordonnées; or, un
-pays qu'on ne peut garder qu'en le noyant, il n'est pas seulement
-inhumain, il est impolitique de songer à le posséder. En ayant dans
-l'Océan la Rochelle, Brest, Cherbourg, Anvers et Flessingue, Napoléon
-avait contre l'Angleterre tout ce qu'il pouvait désirer, et ces
-terrains, moitié îles, moitié continent, qui s'étendent de Nimègue à
-Groningue, de Berg-op-Zoom au Texel, entre terre et mer, portant une
-race indépendante, fière, sage, riche, pleine de souvenirs assez
-glorieux pour ne pas vouloir les confondre avec ceux d'une autre
-nation, méritaient d'être laissés indépendants entre toutes les
-puissances de l'Europe, pour continuer à être la voie la plus large et
-la plus libre du commerce maritime! Quant au Piémont lui-même,
-était-il bien prudent de chercher à posséder un territoire au delà des
-Alpes, c'est-à-dire au delà de nos frontières naturelles, devant nous
-aliéner à jamais les Italiens, comme la possession de la Lombardie n'a
-cessé de les aliéner à l'Autriche, nous valant des haines au lieu
-d'influence, et destiné au premier règne faible à nous échapper
-inévitablement? Toutefois dans un système de grandeur à la façon de
-Charlemagne, grandeur qui n'est dans les temps modernes qu'un pur
-anachronisme, car lorsque Charlemagne régnait sur le continent de
-l'Elbe à l'Èbre, il embrassait dans ses vastes États des pays à moitié
-sauvages, n'ayant encore aucune existence historique, dans un tel
-système, on peut concevoir l'addition de la Hollande, qui est une
-sorte d'appendice maritime de notre territoire, comme le Piémont en
-est une sorte d'appendice continental, utile à qui veut descendre
-souvent des Alpes; mais même dans ce système déjà faux, que faire de
-la Toscane et de Rome? Que faire de l'Illyrie, de Hambourg, de Lubeck?
-Ce n'était plus qu'un entraînement de conquêtes insensées, sans plan
-et sans limites, pouvant durer la vie d'un conquérant tel qu'Attila ou
-Alexandre, mais devant à sa mort donner lieu à un partage de
-territoires entre ses lieutenants ou ses voisins! Avec un tel système,
-qui, ne reposant sur aucun principe politique, ne pouvait avoir aucune
-limite territoriale, dans lequel on pouvait tout faire entrer sauf à
-ne rien garder, il n'était pas possible de dire que l'empire de
-Napoléon fût véritablement moins grand parce que Hambourg ou Lubeck
-n'y seraient pas compris. Napoléon était tout autant Charlemagne sans
-ces villes qu'avec elles, car celui qui, outre Bruxelles, Anvers,
-Flessingue, Cologne, Mayence, Strasbourg, avait encore Utrecht,
-Amsterdam, le Texel, Turin, Florence, Rome, sans compter Cassel,
-Milan, Naples, était aussi grand, plus grand même que Charlemagne, de
-cette grandeur fabuleuse qui avait au neuvième siècle sa raison
-d'être, qui ne l'avait plus au dix-neuvième, et qui après son
-Charlemagne aurait eu inévitablement son Louis le Débonnaire. On ne
-comprend pas que le principal de cette grandeur chimérique étant
-accordé à Napoléon, il la compromît pour Hambourg, pour Lubeck, ou
-pour un vain titre comme celui de protecteur de la Confédération du
-Rhin! Sans doute si l'honneur des armes eût été compromis, on conçoit
-qu'il ne voulût pas céder, car il vaut mieux perdre des provinces que
-l'honneur des armes! Cela vaut mieux pour la dignité et la sûreté d'un
-vaste empire; mais après Lutzen, mais après Bautzen, où des enfants
-avaient vengé le malheur de nos vieux soldats, l'honneur des armes
-était sauf; la vraie grandeur et même la grandeur exagérée et inutile
-l'était aussi; il ne restait en souffrance que l'orgueil! Et à ce
-sentiment si personnel, il est triste de le dire, Napoléon était prêt
-à sacrifier non-seulement la solide grandeur de la France, celle
-qu'elle avait conquise sans lui pendant la révolution, mais cette
-grandeur factice, fabuleuse, qu'il y avait ajoutée par ses prodigieux
-exploits! Il allait sacrifier à ce sentiment sa femme, son fils et
-lui-même!
-
-[En marge: Agitation intérieure de Napoléon, qui se cachait sous son
-activité incessante, mais qui le rendait très-sensible aux objections
-élevées autour de lui.]
-
-Toutefois ces questions agitaient profondément Napoléon, et si avec
-la faculté de se distraire par mille travaux de tout genre, faculté
-dont il était doué au plus haut degré, il arrivait à se donner un
-visage serein, si même, tout plein de ses vastes et profondes
-conceptions militaires, il parvenait à se donner confiance, il était
-parfois troublé et pensait sans cesse au grave sujet que nous venons
-d'exposer. Toujours en course autour de Dresde, faisant, avec son
-embonpoint qui commençait à être importun, des excursions de trente et
-quarante lieues par jour, dont la moitié à cheval, allant étudier le
-long des frontières de la Bohême les champs de bataille qui devaient
-bientôt se couvrir de sang, y amenant ses généraux avec lui,
-quelquefois les y envoyant sans lui pour les obliger à étudier le
-terrain, il emportait dans sa tête les mêmes pensées, et, soit en
-route, soit de retour à Dresde, il en conférait avec les personnages
-de toute profession qui le suivaient dans ses campagnes. Absolu par
-son pouvoir, il était par sa clairvoyance dépendant des esprits qui
-l'entouraient, car il lui était impossible de voir la désapprobation
-sur les visages sans éprouver le besoin de la combattre, de la
-dissiper, de la vaincre, et il avait souvent fort à faire. Si on était
-en effet bien soumis, bien appliqué à lui plaire, le sentiment du
-danger déliait les langues chez les plus courageux, attristait au
-moins les visages chez les plus timides!
-
-[En marge: Discussions fréquentes de Napoléon, soit avec ses généraux
-sur le futur plan de campagne, soit avec les personnages civils de son
-entourage sur les négociations de Prague.]
-
-Chacun suivant son état, militaire ou civil, apercevant de la
-situation ce qui le concernait, révélait les dangers qui le frappaient
-plus particulièrement. Les militaires qui avaient jugé excellente la
-position de l'Elbe, quand on n'avait affaire qu'aux Prussiens et aux
-Russes, étaient effrayés depuis qu'il s'agissait des Autrichiens
-eux-mêmes, de se trouver sur l'Elbe avec la possibilité d'être tournés
-par ces derniers du côté de la Bohême, et d'avoir ainsi l'ennemi sur
-nos derrières, entre nous et la Thuringe. Les politiques voyaient
-clairement l'Autriche entraînée par l'esprit public de l'Allemagne, et
-sollicitée par son propre intérêt, prête à imiter la Prusse, et à
-compléter dès lors l'union de tous les États contre nous; et ils nous
-voyaient réduits à lutter contre l'Europe exaltée par la haine avec la
-France abattue par la fatigue! aussi les uns et les autres étaient-ils
-d'avis d'admettre la médiation et ses conditions, quelles qu'elles
-fussent, en les supposant même beaucoup moins avantageuses qu'elles ne
-l'étaient réellement. Sans doute ils n'eussent voulu à aucun prix
-qu'on acceptât la France privée de ses frontières naturelles, mais si
-on leur avait dit qu'elle aurait directement ou indirectement,
-Mayence, Cologne, Anvers, Flessingue, Amsterdam, le Texel, Cassel,
-Turin, Milan, Florence, Rome, Naples, ils auraient à genoux supplié
-Napoléon d'accepter. Mais on leur laissait ignorer le véritable état
-des choses; on parlait vaguement devant eux de sacrifices contraires à
-l'honneur, et sans savoir précisément ce qui en était, ils supposaient
-néanmoins que la France était encore assez redoutée pour qu'on n'osât
-pas lui offrir moins que ses frontières naturelles, et dans cette
-supposition, bien inférieure pourtant à la réalité, ils préféraient
-des sacrifices d'amour-propre au danger d'une lutte effroyable contre
-une coalition formée de toute l'Europe.
-
-[En marge: Objections des militaires contre la ligne de l'Elbe, depuis
-qu'on s'attendait à la guerre avec l'Autriche.]
-
-[En marge: Réponses de Napoléon.]
-
-[En marge: Napoléon avait raison dans l'hypothèse de la continuation
-de la guerre, car en refusant d'abandonner l'Allemagne la ligne de
-l'Elbe était la seule admissible.]
-
-[En marge: La question était mal posée, et ce n'était pas entre telle
-ou telle ligne d'opération, mais entre la paix et la guerre, qu'il
-fallait la placer.]
-
-[En marge: Si Napoléon avait raison contre les militaires, il avait
-tort contre les diplomates, et s'en tirait avec eux en dissimulant la
-vérité, et en ne disant pas à quoi tenaient la paix ou la guerre.]
-
-[En marge: Vives instances de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon
-à la paix.]
-
-[En marge: Violente sortie du duc d'Otrante en faveur de la paix.]
-
-Politiques et militaires parlaient entre eux de ce sujet ou dans
-leurs bivouacs, ou dans les antichambres de Napoléon, se taisaient
-quand il survenait, et quelquefois même ne s'interrompaient qu'à demi,
-pour lui fournir l'occasion de reprendre l'entretien s'il daignait le
-continuer avec eux, ce que rarement il négligeait de faire. Avec les
-militaires les réponses ne lui manquaient pas, car s'ils avaient
-raison en signalant la hardiesse de notre situation sur l'Elbe, où
-l'on pouvait être tourné par la Bohême en cas de guerre avec
-l'Autriche, ils avaient tort, ainsi que le faisaient plusieurs d'entre
-eux, de lui proposer la ligne de la Saale, ligne très-courte,
-n'embrassant que l'espace compris de Hof à Magdebourg, facile à forcer
-sur tous les points, et exposée à être tournée par la Bavière comme
-celle de l'Elbe par la Bohême. On eût été, en adoptant cette ligne,
-rejeté en huit jours sur le Rhin, et il eût été étrangement
-inconséquent d'abandonner dans les combats ce qu'on s'obstinait à
-défendre témérairement dans les négociations. Il n'y avait pas de
-milieu, ou il fallait renoncer tout de suite à l'Allemagne, et
-accepter les conditions de M. de Metternich, ou si on la disputait
-diplomatiquement, il fallait aussi la disputer militairement, et on ne
-le pouvait que sur l'Elbe. Or placé à Dresde, ayant à sa droite
-Koenigstein, à sa gauche Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg,
-pouvant, comme il le fit bientôt à Dresde, accabler ceux qui
-essayeraient de le tourner, Napoléon avait encore d'immenses chances
-pour lui. Restait, il est vrai, le danger de se battre si loin du Rhin
-contre l'Europe entière, et, si un de ses lieutenants était faible ou
-maladroit sur la vaste ligne de Koenigstein à Hambourg, de se trouver
-en l'air au milieu de l'Allemagne soulevée; mais alors il fallait
-avoir le bon sens de reconnaître, et le courage de dire que la faute
-de Napoléon était politique, et lui conseiller d'abandonner
-l'Allemagne, ce qui était la certitude d'une paix immédiate et
-glorieuse. Faute de poser ainsi la question, on se donnait tort contre
-Napoléon, car à vouloir garder l'Allemagne, il est bien vrai qu'on ne
-pouvait la défendre que sur l'Elbe. Aussi, dans leurs nombreux
-entretiens, le prince Berthier, les maréchaux Soult, Ney, Mortier,
-n'osant pas soutenir résolûment qu'il fallait rentrer sur le Rhin,
-s'exposaient à être réfutés victorieusement en proposant des lignes
-intermédiaires entre l'Elbe et le Rhin, étaient battus par la logique
-pressante de Napoléon, et se taisaient, en conservant cependant le
-sentiment d'un grand péril, car c'était un grand péril en effet que de
-se battre avec l'Europe, non sur le Rhin pour la défense légitime de
-notre sol, mais sur l'Elbe pour la pensée usurpatrice de la domination
-universelle. Les choses se passaient autrement lorsqu'il s'agissait de
-la question, toute politique, de la paix et de la guerre. Là Napoléon
-sentait bien qu'il avait tort, car il n'avait pas une bonne raison à
-faire valoir. Il ne disait pas la vérité, parlait vaguement de
-sacrifices, qui, d'abord modérés en apparence, deviendraient bientôt,
-s'il cédait, immodérés et inadmissibles, et laissait entendre, sans
-l'exprimer cependant, que l'Autriche osait lui redemander jusqu'à
-l'Italie. Alors il s'échauffait, parlait de l'honneur de l'Empire, et
-s'écriait qu'il valait mieux périr que de supporter de semblables
-conditions, surtout de la part de l'Autriche, qui, après lui avoir
-donné une archiduchesse en mariage, après avoir accepté son alliance
-en 1812, profitait du premier revers pour se tourner contre lui, comme
-si une pareille conduite, en supposant qu'elle fût telle que la
-dépeignait Napoléon, eût été bien criminelle de la part d'une
-puissance qui longtemps battue, et dépouillée d'une grande partie de
-ses États, saisissait l'occasion d'en recouvrer ce qu'elle pouvait,
-surtout contre un conquérant sans modération et sans mesure!--Ses
-contradicteurs ignorant le secret des négociations, supposant toujours
-qu'il s'agissait de sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on
-nous demandait véritablement, accordant qu'il était désagréable de
-céder, surtout à gens qui nous dressaient en quelque sorte un
-guet-apens, se rejetaient sur le besoin urgent de la paix, et avaient
-là des avantages incontestables. Napoléon avait rencontré pour apôtre
-constant de la paix M. de Caulaincourt, qui le suppliait sans relâche
-de ne pas s'obstiner contre l'orage, et de passer par-dessus un
-déplaisir momentané pour sauver la France, l'armée, lui et son fils.
-Dans cette courageuse et civique tâche, M. de Caulaincourt était
-infatigable, et recommençait sans cesse avec une admirable
-persévérance. M. de Caulaincourt avait trouvé un singulier auxiliaire
-dans le duc d'Otrante, M. Fouché, qui, bien que cherchant à
-reconquérir la faveur impériale perdue, n'hésitait pas, inspiré par
-son bon sens et peut-être aussi par le danger que la chute de l'Empire
-devait faire courir à tous les hommes de la révolution, n'hésitait
-pas à soutenir hardiment qu'il fallait conclure la paix. Il ne
-s'agissait point, selon M. Fouché, de savoir laquelle; c'était le
-secret des plénipotentiaires que Napoléon avait chargés de cette
-tâche; mais après Lutzen et Bautzen, en s'en rapportant à une sorte de
-notoriété publique, en songeant à la crainte que la France n'avait pas
-cessé d'inspirer, on ne pouvait pas douter, disait-il, que les
-conditions ne fussent encore très-belles; et si, comme tout le faisait
-présumer, on concédait à la France au delà du Rhin et des Alpes, on
-lui concédait plus qu'il ne lui fallait, plus qu'elle ne désirait. On
-devait donc, sauf les détails, signer la paix qui nous était offerte;
-car l'Europe était exaspérée, et la France épuisée commençait à
-partager l'exaspération de l'Europe contre un système qui ne laissait
-pas plus de bien-être au vainqueur qu'au vaincu.--Dans l'une de ces
-conversations, à laquelle avaient été présents M. Daru, M. de
-Caulaincourt, M. de Bassano, même le roi de Saxe, M. Fouché se permit
-de dire à Napoléon que s'il ne donnait pas tout de suite la paix, il
-deviendrait bientôt odieux à la France, et qu'il y aurait danger
-non-seulement pour lui, mais pour son fils, pour sa dynastie; que s'il
-ne saisissait pas cette dernière occasion de déposer les armes, il
-serait perdu; que la France venait par honneur de faire un dernier
-effort, parce qu'elle ne voulait pas se retirer battue de son grand
-duel avec l'Europe, mais qu'après les victoires de Lutzen et de
-Bautzen elle considérait son honneur comme dégagé, et qu'à la seule
-condition de conserver le Rhin et les Alpes que personne ne lui
-contestait plus, pas même l'Angleterre, elle se tiendrait pour
-satisfaite; mais que si, malgré la possibilité évidente de signer une
-telle paix, on persistait à continuer la guerre, elle se regarderait
-comme sacrifiée à un système personnel à Napoléon, système insensé,
-qu'elle détestait autant que l'Europe elle-même, car elle en souffrait
-tout autant.--
-
-[En marge: Mécontentement et réponses sophistiques de Napoléon.]
-
-Ces hardies propositions causèrent à Napoléon une irritation extrême,
-et il ne sut répondre qu'en disant qu'on ignorait le secret des
-négociations, que les puissances belligérantes lui demandaient des
-choses inadmissibles, que s'il les concédait, l'Europe le regarderait
-comme tellement affaibli que bientôt elle exigerait tout ce qu'il ne
-pouvait pas accorder, et ce que personne, parmi ses contradicteurs, ne
-voudrait accorder; qu'il fallait, pour garder le nécessaire, défendre
-même le superflu, se montrer indomptable, se résigner à livrer une ou
-deux batailles de plus, pour conserver une grandeur acquise par vingt
-années de sang versé, et savoir braver la guerre quelques jours encore
-pour avoir une vraie, une solide paix. En un mot dans cette
-conversation, comme dans toutes celles qu'il eut sur ce sujet, son art
-consistait, en cachant toujours les faits véritables, en laissant
-toujours ignorer qu'il ne s'agissait en réalité que de Hambourg et du
-protectorat de la Confédération du Rhin, son art consistait à soutenir
-que c'était tout ou rien, qu'il fallait tout défendre ou tout céder,
-et comme personne ne voulait tout céder, la conclusion était selon lui
-qu'il fallait tout défendre. Sa force d'esprit et de langage parvenait
-bien à embarrasser ses interlocuteurs, qui d'ailleurs ignorant l'état
-des négociations, ne pouvaient pas lui répondre, mais elle ne
-parvenait pas à les convaincre, et les laissait terrifiés de la fatale
-résolution qui perçait dans son attitude et ses discours. Ils
-admiraient quelquefois son indomptable caractère en détestant son
-orgueil funeste, et s'en allaient silencieux, mécontents, la plupart
-du temps désolés. Un seul d'entre eux ne paraissant pas se douter du
-péril, affirmait que le génie de l'Empereur était inépuisable en
-ressources, qu'il triompherait de tous ses ennemis, et retrouverait
-plus grande, ou aussi grande que jamais, sa puissance de 1810 et de
-1811. Cet interlocuteur, on le devine, était M. de Bassano, et il
-était le moins excusable, car seul il savait le secret des choses,
-seul il savait que c'était pour Hambourg et le titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin qu'on s'exposait à tout perdre. Il faut dire
-néanmoins pour réduire à ce qu'elle doit être sa responsabilité, qui
-autrement serait si lourde, qu'il influait peu sur les résolutions de
-Napoléon, lequel ne semblait même pas touché de ses magnifiques
-pronostics, et qu'il parvenait uniquement à exciter chez M. de
-Caulaincourt des signes d'impatience peu flatteurs et peu dissimulés.
-
-[En marge: Hardie correspondance du duc de Rovigo en faveur de la
-paix.]
-
-[En marge: Ordre de se taire expédié au duc de Rovigo.]
-
-Ce n'est pas seulement à Dresde que Napoléon avait rencontré ces
-contradictions, atténuées du reste par la soumission du temps, c'était
-à Paris même. Le ministre de la police, duc de Rovigo, entendant plus
-que tout autre le retentissement de l'opinion publique, et ne
-craignant pas les accès d'humeur de Napoléon, auxquels il s'était
-habitué en n'y prenant pas garde, avait plusieurs fois osé lui écrire
-ce qu'aucun de ses ministres n'osait lui dire, c'est que la paix était
-urgente, indispensable, qu'il ne fallait pas attendre de la France
-fatiguée un nouvel effort, semblable à celui qu'elle venait de faire;
-c'est que tous les ennemis du gouvernement jusque-là découragés,
-dispersés, reprenaient le courage avec l'espérance; c'est que les
-révolutionnaires, longtemps accablés sous les souvenirs de
-quatre-vingt-treize, les Bourbons, longtemps et complétement oubliés,
-essayaient de se produire de nouveau, que ces derniers même
-répandaient des manifestes qu'on lisait sans colère et avec une
-certaine curiosité. Toutes ces assertions étaient vraies, et il était
-constant que l'idée d'un autre gouvernement que celui de Napoléon,
-idée qui depuis quatorze ans ne s'était présentée à l'esprit de
-personne, pas même au retour de Moscou, commençait, la situation se
-prolongeant, à pénétrer dans l'esprit de beaucoup de gens, et allait
-devenir générale si la guerre continuait; que de même qu'on avait en
-1799 cherché auprès du général Bonaparte un refuge contre l'anarchie,
-on irait bientôt chercher auprès des Bourbons un refuge contre la
-guerre perpétuelle. C'est tout cela que plus ou moins clairement, plus
-ou moins adroitement, le ministre de la police, duc de Rovigo, avait
-essayé de faire entendre à Napoléon avec une hardiesse honorable, mais
-qui eût été plus méritoire et plus utile, si Napoléon avait attaché
-plus d'importance à ce qui venait de lui. Le prince Cambacérès ne se
-serait pas hasardé à en dire autant, bien qu'il en pensât davantage,
-parce que de sa part Napoléon eût pris la chose plus sérieusement,
-dès lors moins patiemment. Fatigué pourtant des lettres du duc de
-Rovigo, Napoléon chargea le prince Cambacérès de lui dire qu'elles
-l'importunaient, qu'en montrant tant d'amour pour la paix, on lui
-nuisait plus qu'on ne le servait; que l'on contribuait à rendre les
-ennemis plus exigeants, en accréditant l'idée que la France ne pouvait
-plus faire la guerre; que lui, Napoléon, savait seul comment il
-fallait s'y prendre pour donner la paix à la France avec sûreté et
-avec honneur; que le duc de Rovigo, en se mêlant de cette affaire, se
-mêlait de ce qu'il ignorait, bref qu'il eût à se taire, car de
-pareilles indiscrétions ne seraient pas souffertes plus longtemps.
-
-Cette dure réprimande n'était pas de nature à effrayer ni à décourager
-le duc de Rovigo, car il ne prenait pas plus au sérieux les colères de
-Napoléon que Napoléon ne prenait au sérieux sa politique, et il devait
-bientôt se permettre une autre tentative, pas plus heureuse il est
-vrai, mais qui prouve à quel point le besoin de la paix était
-universellement senti, puisqu'il perçait à travers ce despotisme qui
-enveloppait alors la France entière, et pesait si lourdement sur elle.
-
-[En marge: Le duc d'Otrante envoyé en Illyrie.]
-
-Napoléon, après avoir fermé la bouche au duc de Rovigo, donna un
-emploi au duc d'Otrante. Il en avait déjà trouvé un en Espagne pour le
-maréchal Soult, et il en trouva un pour le duc d'Otrante par suite
-d'un accident aussi triste que singulier. L'infortuné Junot, depuis la
-blessure qu'il avait en Portugal reçue à la tête, n'avait jamais
-recouvré ses facultés physiques et morales. Dans la campagne de Russie
-on ne lui avait pas vu son ardeur accoutumée, bien qu'il eût été
-moins blâmable qu'on ne l'avait prétendu, et il avait essuyé de
-Napoléon des reproches qui avaient achevé d'altérer sa raison. Envoyé
-à Laybach comme gouverneur de l'Illyrie, il y avait donné tout à coup
-des signes de folie, au point qu'il avait fallu le saisir de force et
-le transporter en Bourgogne, son pays natal, où il était mort.
-Napoléon nomma M. Fouché gouverneur de l'Illyrie, poste peu assorti à
-la grande situation de cet ancien ministre, mais que celui-ci accepta,
-parce qu'il regardait comme bonne toute manière de rentrer en
-fonctions. Il devait voir en passant à Prague M. de Metternich, et
-profiter d'anciennes relations pour soutenir auprès de ce diplomate
-les prétentions de la France. Le moyen était petit par rapport à
-l'objet, et ne pouvait compenser le mauvais effet qu'allait produire
-en Autriche une nomination qui prouvait de notre part peu de
-disposition à renoncer à l'Illyrie.
-
-[En marge: Napoléon persistant à perdre le temps consacré aux
-négociations, se décide à faire un voyage à Mayence pour y voir
-l'Impératrice.]
-
-Napoléon, inébranlable quoique parfois agité, persista dans sa manière
-de négocier, laquelle, comme on l'a vu, consistait à gagner du temps,
-soit pour obtenir s'il était possible une nouvelle prolongation
-d'armistice, soit au moins pour différer de quelques semaines l'entrée
-en action de l'Autriche, soit aussi pour rompre le congrès sur une
-question de forme, et n'avoir pas à dire à l'Europe, surtout à la
-France, que c'était pour Hambourg et le protectorat du Rhin qu'on
-refusait la paix. Afin de réussir dans cette tactique, il fit
-concourir avec l'ouverture des négociations un second voyage, qu'il
-avait résolu d'exécuter à la fin de juillet pour aller voir
-l'Impératrice à Mayence, et qui ne pouvait qu'apporter de nouvelles
-entraves à la marche des négociations. Il avait en effet assigné à
-Marie-Louise un rendez-vous à Mayence vers le 26 juillet, afin d'y
-demeurer quelques jours avec elle, et surtout afin d'y passer en revue
-les divisions destinées à former les corps des maréchaux Saint-Cyr et
-Augereau. Il laissa en partant des pouvoirs pour M. de Caulaincourt,
-qui devait se rendre à Prague dès qu'on aurait reçu des commissaires
-réunis à Neumarckt une réponse satisfaisante relativement au terme
-précis de l'armistice; à ces pouvoirs il ajouta des instructions,
-concertées avec M. de Bassano, pour que M. de Caulaincourt, une fois à
-Prague, pût y employer d'une manière spécieuse les six à huit jours
-qui allaient s'écouler pendant le voyage projeté sur le Rhin.
-
-[En marge: Instructions et latitudes laissées à M. de Caulaincourt,
-pour qu'il puisse employer à Prague le temps que Napoléon doit passer
-à Mayence.]
-
-On était au 24 juillet, et on ne supposait pas que la réponse de
-Neumarckt pût arriver avant le 25 ou le 26. M. de Caulaincourt devait
-se mettre en route le lendemain, perdre un jour ou deux à lier
-connaissance avec les plénipotentiaires, puis consacrer cinq ou six
-jours à discuter sur la remise des pouvoirs, et sur la forme des
-conférences. Si, dans son zèle pacifique, M. de Caulaincourt devenait
-pressant, et demandait à M. de Bassano l'autorisation de passer outre,
-M. de Bassano devait lui permettre de faire quelques concessions
-relativement à l'échange des pouvoirs et à la forme des négociations,
-mais en lui défendant expressément d'aborder le fond des choses. Il
-serait aisé de gagner ainsi jusqu'au 3 ou 4 août, jour probable du
-retour de Napoléon à Dresde, et alors il tracerait lui-même la
-conduite qu'on devrait tenir ultérieurement.
-
-[En marge: Ordres militaires de Napoléon en quittant Dresde.]
-
-[En marge: Progrès merveilleux de ses armements.]
-
-Après avoir arrêté d'après ces données les instructions de M. de
-Caulaincourt, Napoléon fit ses dispositions pour partir le 24 juillet
-au soir. Il expédia en même temps quelques ordres relatifs à l'armée.
-Les deux mois perdus pour les négociations ne l'avaient pas été, comme
-on le pense bien, pour les préparatifs militaires. L'infanterie bien
-campée, bien nourrie, bien exercée, avait singulièrement gagné sous
-tous les rapports, et particulièrement sous celui de la force
-numérique. La cavalerie avait complétement changé d'aspect; elle était
-nombreuse et assez bien montée. Les jeunes chevaux, presque tous
-blessés à l'entrée en campagne, étaient en meilleur état. Nos
-cavaliers, si prompts à se former, savaient déjà se servir de leurs
-montures et les soigner. Napoléon avait, outre la cavalerie légère
-attachée à chaque armée, quatre beaux corps de cavalerie de réserve
-sous les généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, de Padoue, de Valmy. La
-garde formée à cinq divisions d'infanterie, comprenait en outre douze
-mille cavaliers avec deux cents bouches à feu bien servies. Quinze
-cents gardes d'honneur sous le général Dejean étaient arrivés à
-Dresde. Cette brave jeunesse qui n'était pas d'abord partie dans de
-très-bonnes dispositions, parvenue maintenant en ligne, n'aspirait
-qu'à s'illustrer sous les yeux de la grande armée. Le corps du général
-Vandamme, que Napoléon avait vu à Magdebourg, composé d'hommes jeunes,
-mais de vieux cadres revenus de Moscou, était fort beau. Les quatre
-divisions organisées à Mayence, et destinées à venir par Wurzbourg,
-Hof, Freyberg, Dresde, s'établir à Koenigstein, s'acheminaient vers
-ce point, et présentaient un aspect satisfaisant, quoique remplies de
-jeunes soldats comme tout le reste de l'armée. Les approvisionnements,
-commandés de toutes parts, arrivaient par l'Elbe à Dresde, où plus de
-cinquante mille quintaux de grains et farines étaient actuellement
-réunis. Grâce à l'activité du maréchal Davout, les défenses de
-Hambourg étaient pour ainsi dire sorties de dessous terre. Elles
-portaient déjà deux cents bouches à feu en batterie, et allaient
-bientôt en recevoir trois cents. Tout s'achevait donc suivant les vues
-de Napoléon, et le progrès de ses desseins ne le disposait guère à la
-paix, ce qui autorisait M. de Bassano à répéter partout que les forces
-de l'Empereur étaient immenses et son génie toujours plus grand, que
-l'Europe en devait trembler, et que ce n'était pas au plus fort à
-faire des sacrifices au plus faible.
-
-[En marge: Manière d'occuper et d'égayer nos jeunes troupes dans leurs
-camps.]
-
-[En marge: Napoléon fixe au 10 août la célébration de sa fête, qui
-aurait dû avoir lieu le 15, afin de mettre quelque intervalle entre
-les réjouissances et les nouvelles scènes de carnage qui se
-préparent.]
-
-Napoléon cherchant à répandre un peu d'animation dans ses camps, où
-ses jeunes troupes, sauf les heures consacrées aux manoeuvres, avaient
-été oisives pendant deux mois, imagina pour les occuper un genre
-d'exercice à la fois attrayant et utile. Il avait ordonné de les faire
-tirer à la cible, et pour les intéresser davantage à cet exercice si
-important, il voulut qu'on leur distribuât des prix proportionnés à
-leur adresse. Les meilleurs tireurs de chaque compagnie, au nombre de
-six, devaient recevoir un prix de quatre francs, puis se réunir à tous
-ceux du même bataillon, se mesurer ensemble, et concourir pour un
-nouveau prix triple du précédent. Ceux des bataillons devaient se
-réunir par régiments, ceux des régiments par divisions, ceux des
-divisions par corps d'armée, et concourir de nouveau pour des prix
-successivement plus élevés, de telle façon que les meilleurs tireurs
-d'un corps d'armée pouvaient remporter des prix qui allaient jusqu'à
-cent francs. Tous ces prix représentaient une dépense d'une centaine
-de mille francs, ce qui était peu de chose, et avait, outre l'avantage
-inappréciable d'améliorer le tir, celui d'occuper, d'amuser les
-hommes, de leur fournir l'occasion et le moyen de régaler leurs
-camarades. Napoléon fit aussi payer la solde aux officiers, pour
-qu'ils pussent jouir des quelques jours de repos qui leur restaient,
-et qui, pour le plus grand nombre, étaient, hélas! les derniers de
-leur vie! La fête de Napoléon approchait, puisqu'elle se célébrait le
-15 août. Il voulut que la célébration en fût fixée au 10, afin que les
-hostilités étant reprises le 17, les réjouissances ne fussent pas trop
-voisines des nouvelles scènes de carnage qu'il prévoyait. Ce jour du
-10 il devait y avoir dans tous les camps des repas à ses frais, et en
-son honneur. Les officiers devaient dîner chez les maréchaux, les
-soldats entre eux sur des tables servies en plein air. Le vin devait
-être prodigué, et bu soit à la santé de Napoléon, soit au triomphe des
-armes de la France. Ainsi Napoléon cherchait en quelque sorte à égayer
-la guerre, et à mêler les jeux à la mort! Le 24 juillet il partit pour
-Mayence, laissant derrière lui toutes choses invariablement prévues et
-arrêtées.
-
-[En marge: Réponse de Neumarckt, qui place définitivement au 16 août
-l'expiration de l'armistice, et au 17 la reprise des hostilités.]
-
-[En marge: Réunion en ce moment des souverains coalisés à Trachenberg,
-pour arrêter le plan de campagne.]
-
-[En marge: La présence de Bernadotte à cette réunion déplaît à tous
-les généraux de la coalition.]
-
-Le 26, les commissaires de Neumarckt répondirent enfin d'une manière
-satisfaisante, relativement au jour précis des futures hostilités, et
-il fut reconnu, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre,
-surtout après de vives observations de M. de Metternich, que le
-général en chef Barclay de Tolly avait mal compris les paroles de son
-maître, et que si l'armistice pouvait être dénoncé le 10 août, il
-n'expirerait cependant que le 16, ce qui remettait au 17 la reprise
-des hostilités. Ce malentendu, comme on l'a vu, venait du peu de
-clarté que l'empereur Alexandre avait mis à faire connaître une
-concession dont il était embarrassé devant les partisans impatients de
-la guerre, et du peu de penchant de ces derniers à interpréter les
-stipulations douteuses dans le sens de la paix. L'empereur Alexandre
-se trouvait alors à Trachenberg, petite ville de Silésie, où il
-s'était rendu de Reichenbach avec le roi de Prusse et la plupart des
-généraux de la coalition, pour conférer avec le prince de Suède sur le
-plan des opérations futures. Cette réunion, fort désirée des deux
-souverains qui voulaient enchaîner définitivement l'ancien maréchal
-Bernadotte à leur cause, et terminer ses longues hésitations, était
-loin de plaire aux officiers russes et allemands, notamment à ces
-derniers. On parlait de conférer au prince royal un commandement
-important; on lui préparait sur sa route des honneurs extraordinaires,
-afin de le toucher par l'endroit si sensible chez lui de la vanité.
-Ces empressements pour un homme qui n'avait aux yeux des Allemands et
-des Russes d'autre mérite que d'être général français, et qui était
-loin de compter parmi les premiers, excitaient au plus haut degré la
-jalousie nationale des états-majors alliés. Leurs monarques,
-disaient-ils, voulaient donc déclarer qu'un général français, même
-médiocre, valait mieux que tous les généraux de la coalition, et que
-c'était un titre d'honneur de porter les armes contre son pays. La
-perspective d'être placés sous ses ordres leur était souverainement
-désagréable.
-
-[En marge: Bruit universellement répandu que le général Moreau viendra
-prêter ses conseils à l'empereur Alexandre.]
-
-Malheureusement on s'entretenait aussi d'un autre général français,
-celui-là grand homme de guerre, doué de véritables vertus civiques et
-guerrières, et non pas, comme Bernadotte, gratifié d'une couronne
-royale pour prix de médiocres services, mais de l'exil pour prix de
-services immenses, et qui vaincu par l'ennui, le désoeuvrement,
-l'irritation que lui inspirait un rival heureux, l'horreur que lui
-avait fait éprouver la campagne de Moscou, s'était laissé persuader de
-quitter l'Amérique pour l'Europe. Ce général était l'illustre Moreau.
-Il était venu à Stockholm, attiré dans cette capitale par Bernadotte
-qui semblait pressé de se procurer des imitateurs. Entouré là des plus
-funestes conseils, agité, combattu, malheureux, se demandant s'il
-faisait bien ou mal, il marchait sans s'en apercevoir à un abîme,
-dominé par des sentiments confus qu'il croyait honnêtes, parce que
-sous l'indignation sincère qu'il éprouvait, il ne voyait pas la part
-que la haine et l'oisiveté avaient à sa conduite. On se préoccupait
-beaucoup de cette arrivée, et on disait le général Moreau destiné à
-devenir le conseiller de l'empereur Alexandre. C'était une nouvelle
-cause de déplaisir pour les militaires russes et allemands, qui avec
-un redoublement de jalousie demandaient si leurs souverains croyaient
-donc que pour vaincre les généraux français il n'y avait de suffisants
-que les généraux français eux-mêmes?
-
-[En marge: Faste de Bernadotte, et manifestation qu'il s'attire de la
-part de la garnison française de Stettin.]
-
-Quoi qu'il en soit, l'ancien maréchal Bernadotte était venu à
-Trachenberg, voyageant, non pas comme les souverains de Russie et de
-Prusse, avec une extrême simplicité, mais avec un faste éblouissant,
-comme un monarque parcourant ses États dans une occasion solennelle.
-Ayant passé en revue quelques-unes de ses troupes qui déjà profitaient
-de l'armistice pour se rendre en Prusse, il avait paru près de
-Stettin, où se trouvait une garnison française. Sa tête inflammable
-commençait à se persuader que Napoléon, odieux à l'Europe, à charge à
-la France, ne pourrait bientôt plus régner, que les Bourbons,
-longtemps oubliés, ne pourraient pas être remis sous les yeux de la
-génération présente, que dès lors ce serait à lui à remplacer Napoléon
-sur le trône de France. L'insensé, dans son orgueil, ne voyait pas
-qu'après la gloire la tradition antique aurait seule de l'empire sur
-les esprits, et que la médiocrité souillée du sang français n'était
-pas appelée à succéder au génie malheureux. Tandis qu'il se montrait à
-cheval sous les murs de Stettin, à la vue de la garnison française,
-des coups de feu partirent sans qu'on pût savoir qui les avait tirés.
-Des officiers de Bernadotte vinrent se plaindre au brave général
-Dufresse, commandant de la place, de cette violation de
-l'armistice.--Ce n'est rien, répondit ironiquement le général; la
-grand'garde a aperçu un déserteur et a tiré dessus!--
-
-[En marge: Accueil brillant fait à Bernadotte par les souverains
-coalisés.]
-
-[En marge: Sa prétention d'être le généralissime de la coalition.]
-
-[En marge: Son commandement réduit à celui de l'armée dite du Nord.]
-
-Conduit à Trachenberg de relais en relais, au milieu d'escortes
-nombreuses et d'un cortége magnifique, le prince de Suède y reçut de
-l'empereur Alexandre et du roi de Prusse un accueil extraordinaire,
-comme s'il leur eût apporté le génie de Napoléon ou du grand Frédéric.
-C'était moins à ses talents du reste qu'aux craintes qu'on avait
-conçues sur sa fidélité, et au désir de montrer un lieutenant de
-Napoléon, fatigué de sa domination jusqu'à tourner ses armes contre
-lui, qu'il devait ces empressements affectés. Si à la qualité de
-Français et de lieutenant de Napoléon il avait joint celle de son
-propre frère, les hommages eussent été plus excessifs encore, car on
-aurait trouvé sa défection plus significative. Jusqu'au jour où l'on
-avait rompu avec le Danemark, et où l'on avait définitivement adjugé
-la Norvége à la Suède, le nouveau Suédois avait tour à tour promis,
-hésité, menacé même; mais enfin il venait de prendre son parti et de
-mettre en mouvement vingt-cinq mille Suédois. Pour prix de ce
-contingent, d'ailleurs excellent, car il n'y avait pas de plus braves
-soldats, animés de meilleurs sentiments que les Suédois, il affichait
-d'étranges prétentions. Il aurait voulu être généralissime, ou du
-moins commander toutes les armées que ne commandaient point en
-personne les deux souverains eux-mêmes. On lui avait résisté
-doucement, et peu à peu on l'avait ramené à de moindres exigences, par
-la raison toute simple des emplacements qui ne permettaient pas aux
-diverses armées d'opérer très-près les unes des autres, et d'être
-réunies dès lors sous l'autorité d'un seul chef. Après des débats qui
-avaient duré du 9 au 13 juillet, on avait arrêté le plan de campagne
-suivant, fondé sur la coopération des Autrichiens, car bien qu'on eût
-chargé ceux-ci de négocier pour tout le monde, la conviction
-généralement répandue que Napoléon n'accepterait pas leur système de
-pacification, faisait considérer leurs troupes rassemblées en Bohême,
-en Bavière, en Styrie, comme inévitablement destinées à coopérer avec
-les armées russe et prussienne.
-
-[En marge: Plan de campagne fondé sur l'idée d'éviter Napoléon, pour
-se jeter toujours sur ses lieutenants, jusqu'à ce qu'après l'avoir
-épuisé, on trouve l'occasion de l'accabler sous la réunion de toutes
-les forces de la coalition.]
-
-Appréciant le danger de se mesurer avec Napoléon, on s'était proposé
-de l'accabler par la masse des forces, et on ne désespérait pas en
-effet de réunir huit cent mille soldats, dont cinq cent mille en
-première ligne, agissant concentriquement sur Dresde. Trois grandes
-armées actives étaient chargées d'expulser Napoléon de cette position
-de Dresde, où l'on avait discerné qu'il voulait établir le centre de
-ses opérations. Une première armée de 250 mille hommes, formée en
-Bohême avec 130 mille Autrichiens et avec 120 mille Prussiens et
-Russes, placée pour flatter l'Autriche sous le commandement d'un
-général autrichien, devait opérer par la Bohême sur le flanc de
-Napoléon. Une seconde de 120 mille hommes, placée sous le général
-Blucher en Silésie, et composée en nombre égal de Prussiens et de
-Russes, devait par Liegnitz et Bautzen marcher droit sur Dresde,
-tandis qu'une troisième de 130 mille, confiée au prince de Suède,
-composée de Suédois, de Prussiens, de Russes, d'Allemands, d'Anglais,
-se dirigerait de Berlin sur Magdebourg. Il était convenu que ces trois
-armées marcheraient prudemment, éviteraient les rencontres directes
-avec Napoléon, rétrograderaient quand il avancerait, pour tomber sur
-celui de ses lieutenants qu'il aurait laissé sur ses flancs ou ses
-derrières, reculeraient de nouveau quand il viendrait au secours du
-lieutenant menacé, se jetteraient aussitôt sur un autre,
-s'attacheraient ainsi à l'épuiser, et quand elles le jugeraient assez
-affaibli, profiteraient d'un moment favorable pour l'aborder lui-même,
-et l'étouffer dans les cent bras de la coalition. Si malgré la
-recommandation adressée à tous les chefs de ne commettre aucune
-témérité, d'être prudent avec Napoléon et hardi avec ses lieutenants,
-on se faisait battre, on devait ne pas se décourager, car il restait
-en réserve trois cent mille hommes prêts à recruter l'armée active, et
-à la rendre indestructible en la renouvelant sans cesse. On était
-résolu en un mot à vaincre ou à mourir jusqu'au dernier. La Prusse
-avait des réserves dans la Silésie, le Brandebourg, la Poméranie; la
-Russie en avait en Pologne, l'Autriche en Bohême. L'Autriche devait
-réunir de plus une armée d'observation en Bavière, une armée active en
-Italie, et dans l'hypothèse, malheureusement trop vraisemblable, d'une
-rupture avec nous, elle avait permis qu'on raisonnât sur ses forces
-comme déjà jointes à la coalition, ce qui donnait lieu de dire
-faussement qu'elle était définitivement engagée avec nos ennemis, et
-que la négociation de Prague n'était qu'un leurre tant de sa part que
-de la nôtre.
-
-Ce plan basé sur les manoeuvres probables de Napoléon, et prouvant que
-celui-ci avait donné à ses adversaires des leçons dont ils avaient
-profité, était sorti de la tête, non du prince suédois, mais des
-généraux russes et prussiens, habitués à notre manière de faire la
-guerre. Bernadotte, quoique appelé à commander à 130 mille hommes,
-dont 100 mille pouvaient se trouver ensemble sur un même champ de
-bataille, ce qui dépassait fort ses talents, car il n'en avait jamais
-conduit plus de 20 mille, et toujours sous un supérieur, n'était pas
-content de la part qu'on lui avait faite. Il aurait voulu commander,
-outre cette armée, celle de Silésie, et avoir sous ses ordres Blucher
-lui-même, ce qu'il croyait dû à son rang royal et à ses talents
-militaires. Mais une telle prétention devait rencontrer des obstacles
-insurmontables. C'était autour de Blucher que se réunissaient les
-officiers allemands les plus distingués, les plus patriotes, les plus
-engagés dans les sociétés secrètes allemandes, gens à qui Bernadotte
-déplaisait à tous les titres, comme Français, comme défectionnaire à
-son pays, comme spéculateur ayant depuis une année mis à une sorte
-d'enchère ses services fort douteux, comme général enfin rempli de
-présomption, quoique d'un mérite très-contestable. L'idée d'obéir à un
-tel chef les révoltait tous, et ils tenaient à Trachenberg le langage
-le plus injurieux pour le prince de Suède. On s'était donc appliqué à
-lui faire entendre qu'il fallait renoncer à cette singulière
-prétention, car les trois armées devaient agir trop loin les unes des
-autres pour qu'on pût les soumettre au même général, et seulement,
-pour le satisfaire, on avait accordé que dans le cas où l'armée de
-Silésie serait appelée à coopérer avec celle du Nord (c'est ainsi
-qu'on appelait la sienne), il pourrait donner des ordres à toutes les
-deux. On avait amené Blucher et ses officiers à admettre cette
-éventualité, quelque désagréable qu'elle fût pour eux, en leur disant
-que les deux armées destinées à se rencontrer et à opérer ensemble
-étaient celles de Silésie et de Bohême, parce qu'elles avaient Dresde
-pour but commun, que celle du Nord au contraire, menaçant à la fois
-Hambourg et Magdebourg, aurait bien peu de chances de se trouver à
-côté de celle de Silésie, qui visait aussi sur l'Elbe mais bien plus
-haut.
-
-[En marge: Retour des souverains à Reichenbach.]
-
-[En marge: Ils désirent peu la paix, et surtout ne l'espèrent plus.]
-
-Après ces arrangements, on avait renvoyé Bernadotte enivré d'un encens
-brûlé par de royales mains, et Alexandre et Frédéric-Guillaume étaient
-revenus à Reichenbach, pour attendre l'issue des négociations, au
-résultat desquelles ils ne croyaient guère, dont Alexandre toujours
-irrité contre Napoléon et prodigieusement flatté de mener l'Europe,
-désirait peu le succès, dont Frédéric-Guillaume, dans sa constante et
-sage défiance de la fortune, aurait accepté volontiers l'heureuse
-conclusion s'il avait pu y ajouter quelque foi. C'était à leur retour
-qu'avait été faite par les commissaires de Neumarckt la réponse que
-nous venons de rapporter, et qui ôtait tout prétexte pour retenir plus
-longtemps M. de Caulaincourt à Dresde.
-
-[En marge: M. de Caulaincourt reçoit enfin avec ses instructions,
-l'autorisation de se rendre à Prague; il est consterné en voyant le
-peu de moyens qu'on lui laisse de travailler à la paix.]
-
-Le 26 ce digne et courageux personnage reçut de M. de Bassano les
-instructions que Napoléon avant de se rendre à Mayence avait laissées
-pour lui. Bien que le fond des choses n'y fût point traité, les
-difficultés de forme y étaient si complaisamment détaillées, et
-données si ouvertement comme un moyen de perdre le temps, que M. de
-Caulaincourt en fut consterné. C'était uniquement dans l'intention de
-ménager une paix suivant lui indispensable, qu'il avait accepté le
-rôle de plénipotentiaire à Prague, rôle plus pénible pour lui que pour
-tout autre, car après avoir joui de la faveur particulière de
-l'empereur Alexandre, n'obtenir s'il le rencontrait qu'une froideur
-blessante, et, s'il ne le rencontrait pas, essuyer cette même froideur
-de la part de ses agents les plus vulgaires, devait lui être bien
-pénible. Aller s'exposer à de pareils traitements pour ne rendre aucun
-service, et pour jouer une fade comédie, coûtait à sa dignité autant
-qu'à son patriotisme. Il se mit toutefois en route sur la simple
-espérance de conjurer, en partie du moins, les effets de la mauvaise
-volonté de son maître, et en quittant Dresde il adressa à Napoléon la
-lettre suivante, que l'histoire doit conserver.
-
-[En marge: Noble lettre de M. de Caulaincourt à Napoléon pour lui
-demander quelque latitude, et le supplier de songer sérieusement à la
-paix.]
-
- «Dresde, 26 juillet 1813.
-
-»Sire,
-
-»J'ai besoin de soulager mon coeur avant de quitter Dresde, afin de ne
-porter à Prague que le sentiment des devoirs que Votre Majesté m'a
-imposés. Il est deux heures. M. le duc de Bassano me remet seulement
-les instructions que les réponses de Neumarckt et les ordres de Votre
-Majesté ne lui ont pas permis de me donner plus tôt; elles sont si
-différentes des arrangements auxquels elle avait paru consentir en me
-déterminant à accepter cette mission, que je n'hésiterais pas à
-refuser encore l'honneur d'être son plénipotentiaire, si, après tant
-de temps perdu, les heures n'étaient comptées à Prague, pendant que
-Votre Majesté est à Mayence et moi encore à Dresde. Quelle que soit
-donc ma répugnance pour des négociations si illusoires, je me pénètre
-avant tout de mes devoirs, et j'obéis. Demain je serai en route et
-après demain à Prague, comme on me le prescrit; mais permettez, Sire,
-que les réflexions de votre fidèle serviteur trouvent encore ici leur
-place. L'horizon politique est toujours si rembruni, tout a un aspect
-si grave, que je ne puis résister au désir de supplier encore Votre
-Majesté de prendre, comme son ministre me le fait espérer, une
-salutaire résolution avant le terme fatal. Puisse-t-elle se convaincre
-que le temps presse, que l'irritation des Allemands est extrême, et
-que cette exaspération des esprits imprime, encore plus que la peur
-des cabinets, un mouvement accéléré et irrésistible aux événements.
-L'Autriche est déjà trop compromise pour reculer, si la paix du
-continent ne la rassure pas. Votre Majesté sait bien que ce n'est pas
-la cause de cette puissance que j'ai plaidée près d'elle; certes! ce
-n'est pas son abandon dans nos revers que je la prie de récompenser,
-ce ne sont même pas ses 150 mille baïonnettes que je veux écarter du
-champ de bataille, quoique cette considération mérite bien quelque
-attention, mais c'est le soulèvement de l'Allemagne, que le vieil
-ascendant de cette puissance peut amener, que je supplie Votre Majesté
-d'éviter à tout prix. Tous les sacrifices faits dans ce but et par
-conséquent dans ce moment à une prompte paix, vous rendront, Sire,
-plus puissant que ne l'ont fait vos victoires, et vous serez l'idole
-des peuples, etc...»
-
-[En marge: Départ de M. de Caulaincourt, et son arrivée à Prague.]
-
-[En marge: Digne accueil fait à cet illustre personnage.]
-
-[En marge: La question de forme immédiatement soulevée à l'occasion de
-l'échange des pouvoirs.]
-
-[En marge: Nouvelles réflexions de M. de Metternich à l'égard de ces
-difficultés de forme, et nouvelle déclaration que si avant le 10 août
-on n'a pas traité sérieusement, l'Autriche, le 10 août à minuit,
-signera son adhésion à la coalition.]
-
-Ce langage d'un honnête homme, qui en voyant déjà une grande partie du
-mal ne le voyait pourtant pas tout entier, car ce n'étaient pas 150
-mille Autrichiens mais 300 mille qu'il s'agissait de se mettre encore
-sur les bras, car ce n'était pas le soulèvement de l'Allemagne mais
-celui de toute l'Europe, qu'il s'agissait de braver, ce langage ne
-devait malheureusement pas avoir beaucoup d'utilité. Toutefois ne
-renonçant pas à essayer le bien, quelque faible que fût l'espérance de
-l'accomplir, M. le duc de Vicence était parti pour Prague, où on
-l'attendait impatiemment. L'accueil qu'il y reçut fut digne de lui et
-de la considération qu'il s'était acquise en Europe. En apprenant son
-départ, on avait suspendu tous les pourparlers jusqu'à son arrivée.
-Après être entré en communication avec les plénipotentiaires russe,
-prussien et autrichien, il reprit avec M. de Metternich le vieux thème
-que M. de Narbonne avait déjà usé en quelques jours, c'est qu'il
-n'était possible de remettre les pouvoirs et de traiter les matières à
-discuter qu'en assemblée commune, sous les yeux et la présidence du
-médiateur, mais en conférence de tous avec tous. Cette difficulté
-sérieuse sans doute, si on avait eu encore l'espoir d'un rapprochement
-direct avec la Russie, n'en devait plus être une qui méritât tant
-d'insistance de notre part, lorsqu'on ne pouvait désormais faire la
-paix que par l'Autriche, et à son gré. Il nous était même plus commode
-d'avoir le médiateur pour organe principal, que de nous aboucher avec
-deux plénipotentiaires mal disposés, et cherchant peu à faciliter une
-paix que l'Autriche souhaitait seule. La preuve qu'il en était ainsi,
-c'était le désir évident de M. de Metternich d'amener M. de Humboldt
-et M. d'Anstett à une concession sur cette question de forme, afin de
-rendre au moins l'ouverture du congrès possible. Puisque lui-même
-voulait un abouchement direct des plénipotentiaires français avec les
-plénipotentiaires prussien et russe, c'est qu'il n'avait plus à le
-craindre. Du reste parlant franchement avec M. de Caulaincourt comme
-avec M. de Narbonne, il lui montra l'inutilité de disputer longuement
-sur les formes suivies à Munster, à Tetschen, à Sistow, car les deux
-plénipotentiaires étaient engagés d'amour-propre et d'intérêt dans la
-voie où ils étaient entrés; d'amour-propre, parce qu'ils avaient déjà
-remis leurs pouvoirs au médiateur, d'intérêt, parce qu'ils ne
-voulaient pas qu'on les accusât de pactiser secrètement avec la
-diplomatie française, et que traiter par notes remises au médiateur
-était le seul moyen qui ne prêtât à aucune fausse interprétation. Il
-dit que par ces motifs ils ne consentiraient pas à céder, que
-d'ailleurs ils ne désiraient pas beaucoup la paix, et que ce désir ne
-pouvait faire taire chez eux ni l'amour-propre ni l'intérêt; que par
-conséquent toutes les discussions qu'on aurait avec eux seraient
-inutiles; qu'au surplus, il le voyait bien, Napoléon n'avait pas la
-moindre envie d'arriver à un résultat; que tant qu'il s'attacherait à
-batailler sur un tel terrain, il fallait en conclure qu'il ne voulait
-pas faire un pas vers la paix, qu'il était dès lors inutile de
-s'agiter pour obtenir sur des questions de forme des concessions qui
-ne mèneraient à rien pour le fond des choses, qu'il fallait attendre,
-et attendre jusqu'au dernier moment, car avec un caractère aussi
-extraordinaire que celui de Napoléon tout était possible; qu'au
-dernier jour, à la dernière heure, il se pourrait qu'il envoyât à
-l'improviste des ordres de traiter sur des bases acceptables, et que
-la paix sortît tout à coup d'une situation actuellement désespérée;
-que dans cette supposition peu vraisemblable sans doute, mais
-admissible, il attendrait jusqu'au 10 août à minuit, que jusque-là, il
-en renouvelait l'assurance formelle, il ne serait engagé avec
-personne, mais que le 10 août à minuit il le serait irrévocablement
-avec nos ennemis, qu'il signerait au nom de son souverain un traité
-d'alliance avec les puissances coalisées, et serait au nombre de nos
-adversaires les plus résolus à vaincre ou à périr.--
-
-[En marge: Vives instances de M. de Caulaincourt pour qu'on l'autorise
-à traiter sérieusement.]
-
-M. de Metternich répéta ces choses qu'il avait déjà dites à M. de
-Narbonne d'un ton si calme, mais si ferme, avec des témoignages si
-affectueux pour M. de Caulaincourt, et une sincérité si manifeste (car
-il ne faut pas comme le vulgaire s'imaginer qu'un diplomate mente
-nécessairement), que M. de Caulaincourt ne pouvait pas résister à tant
-d'évidence. Aussi avec sa véracité ordinaire écrivit-il sur-le-champ à
-M. de Bassano qu'il craignait peu, à Napoléon qu'il craignait
-beaucoup, pour leur faire savoir encore une fois quelle était la
-situation véritable, combien était grand, certain même le danger d'une
-prochaine adhésion de l'Autriche à la coalition, ce qui rendrait
-complète et définitive l'union de l'Europe contre nous; situation
-périlleuse mais soutenable en 1792, lorsque nous débutions dans la
-carrière des révolutions, lorsque nous étions pleins encore de passion
-et d'espérance, injustement attaqués, et non pas durement oppresseurs,
-situation au contraire désastreuse lorsque nous étions épuisés,
-lorsque nous avions tort contre tout le monde, et que tout le monde
-éprouvait contre nous l'indignation qui avait fait notre force en
-1792. La conviction de M. de Caulaincourt à cet égard était si vive et
-si sincère, que connaissant l'ambition de M. de Bassano, voulant
-appeler cette ambition au secours de l'honnêteté très-réelle de ce
-ministre, et supposant qu'il serait peut-être sensible à l'honneur de
-signer lui-même la paix du monde, il l'engageait instamment à venir à
-Prague, lui revêtu de toute la confiance de l'Empereur, ayant tous ses
-pouvoirs, n'ayant pas besoin pour en référer à sa volonté de perdre
-les dernières heures qui restaient, et à se rendre l'objet d'un
-transport universel de reconnaissance en venant conclure une paix qui
-allait sauver tant de victimes, et probablement au nombre de ces
-victimes la France elle-même.
-
-[En marge: M. de Bassano accorde à M. de Caulaincourt quelques
-facilités illusoires sur la question de forme.]
-
-M. de Bassano, qui était aussi bon citoyen que le lui permettait sa
-parfaite soumission à son maître, aurait cédé sans doute à tant de
-raison et de patriotisme, s'il avait eu une volonté propre; mais n'en
-admettant qu'une au monde, celle de Napoléon, avec laquelle il ne
-contestait pas plus qu'avec celle de Dieu même, il se contenta de
-satisfaire aux vives instances de M. de Caulaincourt en lui accordant
-quelques facilités pour traiter la question de forme, sans sortir
-toutefois des latitudes qui lui avaient été laissées à lui-même. Ainsi
-par exemple il permit aux deux négociateurs français de donner une
-copie certifiée de leurs pouvoirs au médiateur, qui la transmettrait
-aux plénipotentiaires prussien et russe, de façon que cette première
-communication aurait lieu suivant le mode désiré par nos adversaires,
-mais en retour il continua d'exiger que l'échange définitif des
-pouvoirs eût lieu dans une conférence commune. Quant à la forme même
-de la négociation, il consentit à ce que les plénipotentiaires russe
-et prussien procédassent par notes officielles, comme ils le voulaient
-pour mettre leur responsabilité à couvert, mais à condition que les
-plénipotentiaires français pourraient discuter ces notes dans des
-conférences où les parties adverses se trouveraient réunies.
-
-[En marge: M. de Bassano informe Napoléon de ce qu'il a fait.]
-
-Ces subtilités étaient misérables et bien indignes d'une situation
-aussi grave. M. de Bassano écrivit à l'Empereur à Mayence qu'il
-accordait ces latitudes à nos plénipotentiaires, afin que toutes les
-questions de forme fussent vidées à son retour à Dresde, et que, s'il
-lui convenait alors de donner dans les six derniers jours une tournure
-sérieuse à la négociation[4], il trouvât les discussions préliminaires
-terminées.
-
- [Note 4: Pour quiconque aurait de la peine à croire qu'on
- ait cherché à rendre aussi illusoires que nous le disons les
- négociations de Prague, nous donnerons l'extrait suivant
- d'une lettre de M. de Bassano à l'Empereur, datée de Dresde,
- 1er août 1813, à quatre heures du matin.
-
- «Je transmets à Votre Majesté les dépêches de ses
- plénipotentiaires.
-
- »J'ai cru devoir leur répondre sans attendre les ordres de
- Votre Majesté. Nous sommes au 1er août; ma lettre ne partira
- que ce matin, les plénipotentiaires ne la recevront que
- demain, et il se sera écoulé assez de temps pour que,
- conformément aux instructions que Votre Majesté m'a
- laissées, on arrive au 10 août sans s'être trop engagé. Il
- m'a d'autant moins paru dans l'intention de Votre Majesté de
- porter trop loin les discussions de forme _qui mettraient à
- découvert le projet de gagner du temps_, que nous
- parviendrons tout naturellement au moment du retour de Votre
- Majesté à Dresde sans que la négociation ait fait des
- progrès réels, et qu'aucune question ait été compromise. À
- peine celle de l'approvisionnement des places aura-t-elle
- été entamée.
-
- »Des trois difficultés qui se sont élevées, celles relatives
- à l'échange des pouvoirs et au lieu des conférences se
- résoudront d'elles-mêmes.
-
- »Quant au mode à adopter (à partir de ce mot la minute est
- écrite de la main du duc de Bassano) pour négocier, j'ai cru
- que nous ne pouvions différer pendant plusieurs jours de
- répondre, sans prendre sur nous ces retards, tandis que de
- fait, et si M. de Metternich insiste sur une proposition qui
- attente à tous les droits et à tous les usages, les entraves
- apportées à la négociation ne pourront être imputées qu'à
- lui.
-
- »Quoique les déclarations qu'il a faites à MM. de Vicence et
- de Narbonne et à M. d'André n'aient peut-être pour objet que
- de rendre plus imposante son attitude de médiateur, il
- pourrait entrer dans les vues de Votre Majesté de donner dès
- le moment de son arrivée ici une tournure assez grave aux
- négociations pour qu'on n'osât pas les rompre. Dans cette
- supposition, j'ai pensé qu'il conviendrait à Votre Majesté
- de trouver les discussions préliminaires à peu près
- terminées.»]
-
-[En marge: Napoléon à Mayence.]
-
-[En marge: Son entrevue avec l'Impératrice.]
-
-[En marge: Douleur de cette princesse.]
-
-[En marge: Tendres égards de Napoléon pour elle.]
-
-[En marge: Occupations de Napoléon à Mayence.]
-
-[En marge: Le duc de Rovigo empêché d'y venir.]
-
-Napoléon était en ce moment à Mayence où il s'était rendu, comme nous
-l'avons dit, afin d'y passer quelques jours avec l'Impératrice, et de
-voir chemin faisant les troupes en marche, les travaux en cours
-d'exécution, tout ce qui avait besoin en un mot de sa présence pour se
-perfectionner ou s'achever. Parti dans la nuit du 24 au 25 juillet, il
-était arrivé le 26 au soir à Mayence, où l'attendaient une cour
-brillante venue de Paris à la suite de l'Impératrice, et un grand
-nombre de ses agents accourus pour recevoir ses ordres directs. Il
-avait trouvé l'Impératrice désolée, cachant ses larmes au public, mais
-n'hésitant pas à les répandre devant lui, car elle était sincèrement
-attachée à son glorieux époux, elle tremblait pour sa vie et sa
-fortune, elle craignait pour elle-même que la nouvelle déclaration de
-guerre de l'Autriche ne réveillât en France toutes les haines
-populaires sous lesquelles avait succombé la malheureuse reine
-Marie-Antoinette; elle aurait voulu retenir dans l'alliance française
-son père qu'elle aimait, dont elle était aimée, mais elle ne pouvait
-pas plus vaincre la tranquille inflexibilité de l'empereur François,
-que la fougueuse humeur de Napoléon, et elle faisait ce que font les
-femmes dans leur impuissance, elle pleurait. Le secret de l'entrevue
-de Napoléon avec Marie-Louise est resté inconnu[5], et probablement il
-est resté inconnu parce qu'il était nul, car Napoléon ne voulait
-charger l'Impératrice de rien, les affaires se traitant à Prague de
-telle sorte, qu'elle n'y pouvait rendre aucun service. Il désirait la
-voir, la consoler, lui donner des témoignages publics de tendresse, ce
-qui, pour l'Autriche, pour l'Europe, devait être d'un bon effet; il
-désirait aussi, avec sa défiance ordinaire, chercher à pénétrer si
-elle n'aurait pas reçu de Vienne quelque communication clandestine qui
-pût l'éclairer sur les desseins de l'Autriche. Mais en tout cas de
-tels efforts étaient parfaitement inutiles, car l'Autriche avait dit
-tout son secret par la bouche de M. de Metternich, et ce secret
-n'était autre que celui-ci, c'est qu'à certaines conditions cent fois
-énoncées elle arrêterait l'Europe, l'obligerait à poser les armes,
-ménagerait la paix, non-seulement continentale mais maritime, et qu'en
-dehors de ces conditions se déclarant sur-le-champ notre ennemie, elle
-prendrait part à la coalition universelle qui se préparait contre
-nous. Napoléon n'avait donc rien à apprendre de Marie-Louise, mais il
-procura à cette princesse le plaisir de passer quelques jours avec
-lui, et en attendant il expédia sur les lieux une quantité d'affaires
-civiles et militaires. De cette main puissante de laquelle pouvait
-s'échapper tant de bien et de mal, il laissa effectivement échapper du
-bien et du mal avec l'ordinaire prodigalité de son génie. Le duc de
-Rovigo avait voulu venir à Mayence pour y faire une nouvelle tentative
-en faveur de la paix, en éclairant Napoléon sur l'état de l'opinion
-publique, et sur le danger qu'il courait de s'aliéner définitivement
-l'affection de la France. L'opinion publique était en effet dans une
-anxiété extrême depuis qu'elle commençait à craindre que le congrès
-réuni si tard ne restât sans résultat. Les ennemis de Napoléon étaient
-pleins d'espérance, la majorité du pays pleine de chagrins et de
-sinistres appréhensions. Déjà l'affection était évanouie, la haine
-naissait, et faisait taire l'admiration. Dans la basse Allemagne et la
-Hollande on criait _Vive Orange!_ dans toute l'Allemagne _Vive
-Alexandre!_ En France on n'osait pas crier _Vivent les Bourbons!_ mais
-leur souvenir se réveillait peu à peu, et on se transmettait de main
-en main un manifeste de Louis XVIII publié à Hartwell, qui aurait
-certainement produit un effet général, s'il n'avait porté encore les
-traces nombreuses des préjugés de l'émigration. Ce sont tous ces
-détails que le duc de Rovigo se proposait de communiquer au maître
-qu'il servait fidèlement, mais Napoléon ne voulant pas être importuné
-de ce qu'il appelait les criailleries de l'intérieur, avait refusé de
-le recevoir, et lui avait ordonné de rester à Paris, sous prétexte que
-sa présence y était nécessaire.
-
- [Note 5: L'archichancelier Cambacérès, confident et
- directeur de l'Impératrice régente, déclare dans ses
- Mémoires aussi simples que véridiques, qu'il ne put parvenir
- à en rien savoir.]
-
-[En marge: Nouvelles rigueurs envers le clergé.]
-
-Usant du procédé trop ordinaire à un gouvernement qui s'entête dans
-ses erreurs, et qui voit dans les manifestations de l'opinion publique
-des actes à réprimer au lieu de leçons à méditer, il déploya contre le
-clergé certaines rigueurs tout à fait étranges par l'audace apportée
-dans l'arbitraire. Le clergé naturellement ne négligeait aucune
-occasion de multiplier ses manifestations hostiles, surtout en
-Belgique, et par ses fautes il provoquait ainsi celles du pouvoir. Le
-concordat de Fontainebleau contesté avec une remarquable mauvaise foi
-par la correspondance secrète des cardinaux, était considéré dans tout
-le clergé comme un acte non avenu. On s'obstinait à ne pas reconnaître
-les nouveaux prélats que Napoléon avait nommés et que Pie VII, après
-l'avoir promis, refusait toujours d'instituer. Les plus prudents se
-tenaient éloignés de leurs nouveaux siéges pour éviter des scandales.
-M. de Pradt, devenu ennemi de l'Empire depuis sa fâcheuse ambassade à
-Varsovie, et peu jaloux de s'attirer des désagréments pour plaire au
-gouvernement, s'était abstenu de se présenter à Malines, dont il avait
-été nommé archevêque. Mais les nouveaux évêques de Tournay et de Gand,
-ayant voulu se rendre dans leurs diocèses et officier publiquement
-dans leurs métropoles, avaient provoqué une sorte de soulèvement de la
-part du clergé et des fidèles. En les voyant paraître à l'autel,
-prêtres et assistants avaient fui, et laissé les prélats presque seuls
-devant le tabernacle. Les séminaristes de Tournay et de Gand avaient,
-sous la direction de leurs professeurs, participé à ce désordre. On
-signalait aussi parmi les coupables une association de dames qui, sous
-le nom de _Béguines_, vivaient à Gand dans une espèce de communauté
-sans être astreintes à la rigueur du cloître, et on les accusait
-d'avoir exercé en cette occasion une grande influence sur la conduite
-du clergé.
-
-[En marge: Les séminaristes de Tournay et de Gand envoyés dans un
-régiment.]
-
-Napoléon ordonna de disperser les _Béguines_, d'enfermer dans les
-prisons d'État quelques membres des chapitres de Tournay et de Gand,
-de déporter les autres dans des séminaires éloignés, d'en agir de même
-à l'égard des professeurs, et quant aux jeunes séminaristes, de
-prendre tous ceux qui avaient plus de dix-huit ans, de les envoyer à
-Magdebourg dans un régiment, sur le motif qu'ils étaient passibles de
-la loi de la conscription, qu'ils en avaient été dispensés
-exceptionnellement pour devenir des ministres des autels, non des
-fauteurs de troubles, et qu'une semblable faveur pouvait cesser au gré
-du souverain lorsqu'il jugeait qu'on n'en était plus digne. Ceux qui
-avaient moins de dix-huit ans durent être renvoyés dans leurs
-familles. Des personnes pieuses s'étant réunies pour fournir des
-remplaçants aux autres, Napoléon pour ce cas-là défendit le
-remplacement. Recommandation expresse fut faite d'exécuter
-sur-le-champ ces diverses prescriptions, et on n'y manqua point.
-
-[En marge: Procès d'Anvers.]
-
-[En marge: Cassation du jugement rendu par le jury d'Anvers.]
-
-N'admettant plus de limite à sa volonté, ni au dedans ni au dehors,
-Napoléon osa quelque chose de plus extraordinaire encore. L'octroi
-d'Anvers avait été livré depuis plusieurs années à des dilapidations
-dans lesquelles étaient compromis divers fonctionnaires municipaux.
-Les dilapidations étaient incontestables, et elles avaient fait perdre
-à la ville d'Anvers deux à trois millions. Les accusés mis en
-jugement étaient, à tort ou à raison, considérés par l'administration
-comme les véritables auteurs de ces concussions; mais l'opinion du
-pays était si hostile au gouvernement, qu'elle n'hésitait pas à se
-prononcer favorablement pour des individus qu'en tout autre temps elle
-eût hautement condamnés, et à les couvrir d'une sorte d'indulgence,
-comme s'il n'avait pu y avoir que d'intéressantes victimes parmi des
-hommes poursuivis par l'autorité impériale. Entraînés par ce
-sentiment, ou atteints par la corruption, ainsi que le prétendit le
-grand juge, les jurés acquittèrent hardiment les fonctionnaires
-accusés, aux applaudissements de la province, et la ville d'Anvers,
-frustrée déjà de trois millions, fut encore exposée à payer les frais
-considérables du procès. On comprend l'indignation d'un gouvernement
-régulier très-attaché à maintenir l'ordre le plus rigoureux dans
-toutes les parties de l'administration. Mais quelque légitime que fût
-l'indignation ressentie par Napoléon en voyant des hommes qu'il
-croyait coupables jouir de l'impunité, et la ville d'Anvers victime de
-graves dilapidations subir seule une condamnation, il aurait dû
-admettre toutefois que le délit poursuivi étant réel, les individus
-accusés pouvaient bien n'en pas être les auteurs, et, en supposant
-qu'ils le fussent, que la déclaration du jury devait rester sacrée,
-comme chose jugée, jugée bien ou mal mais irrévocablement. Napoléon en
-apprenant cette décision éprouva une colère extrême, et comme pour
-contrarier son gouvernement on avait mis de côté toute justice, il
-n'hésita pas, lui, afin de rendre guerre pour guerre, à mettre de côté
-toute légalité, et à casser la décision du jury. Cet acte
-extraordinaire et sans exemple était de nature à soulever l'opinion
-universelle, mais Napoléon ne s'en inquiéta point, et persista,
-s'imaginant que la sincérité de son indignation justifierait l'étrange
-audace de son acte, tant les idées se pervertissent vite lorsqu'on
-prend l'habitude de mettre sa volonté au-dessus de celle des lois.
-
-[En marge: Hardiesse de Napoléon à prendre sur lui toute la
-responsabilité de l'acte extraordinaire qu'il s'était permis à l'égard
-du jury d'Anvers.]
-
-Malgré l'avis du département de la justice, et notamment de
-l'archichancelier Cambacérès qui pensait que la seule chose possible
-c'était de changer la loi si elle était mauvaise, et de soustraire au
-jury la connaissance de ce genre de délits si on le croyait incapable
-d'en bien connaître, Napoléon s'appuyant sur un article des
-constitutions de l'Empire qui permettait au Sénat d'annuler les
-jugements attentatoires à la sûreté de l'État, voulut qu'un
-sénatus-consulte fût rendu, pour casser la décision du jury d'Anvers,
-et renvoyer devant une autre cour non-seulement les prévenus
-acquittés, mais certains jurés eux-mêmes accusés de s'être laissé
-corrompre. On ne pouvait pas accumuler plus d'irrégularités à la fois,
-car en admettant que l'article 55 de la Constitution du 16 thermidor
-an X (4 août 1802) fût encore en vigueur, il était évident que le
-jugement dont il s'agissait n'était pas un de ceux qu'on avait eus en
-vue en les qualifiant d'attentatoires à la sûreté de l'État, et
-surtout qu'en s'arrogeant le droit de casser la décision d'un
-tribunal, on avait voulu abroger cette décision, mais nullement
-poursuivre ceux qui l'avaient rendue. Ces objections furent soumises à
-Napoléon, mais il n'en tint aucun compte, et exigea que le
-sénatus-consulte fût rédigé tel qu'il l'avait conçu, et porté
-immédiatement au Sénat. Il alla plus loin: convaincu, dans
-l'aveuglement de son despotisme, qu'un pouvoir poursuivant un but
-honnête ne devait se laisser gêner par aucune règle, il signa, et fit
-publier une lettre close, dans laquelle, saisissant lui-même le
-conseil privé de la question, et lui indiquant la décision, il prenait
-la responsabilité entière sur sa tête. Le rapport du conseiller
-d'État, chargé de présenter le sénatus-consulte, contenait cette
-phrase qui exprime toute l'opinion de Napoléon en matière de
-souveraineté, et qui certainement n'eût jamais été admise, même avant
-1789, dans des termes aussi absolus: «Notre législation ordinaire
-n'offre aucun moyen d'anéantir une pareille décision. Il faut donc que
-la main du souverain intervienne. Le souverain est la loi suprême et
-toujours vivante; c'est le propre de la souveraineté de renfermer en
-soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir
-ou réparer le mal.»
-
-[En marge: Actes de bienfaisance mêlés à ces actes arbitraires.]
-
-S'arrogeant ainsi le droit illimité de pourvoir à tout, de distribuer
-la justice, de la changer au besoin quand elle ne lui convenait pas,
-il prodiguait de cette même main souveraine le bien qu'il trouvait à
-faire sur son chemin. Le premier président de la cour de cassation, M.
-Muraire, magistrat distingué, ayant mal administré sa fortune, était
-tombé dans une situation fâcheuse pour un fonctionnaire de son rang.
-Son gendre, destiné à devenir bientôt un sage et courageux ministre du
-roi Louis XVIII, M. Decazes, s'étant rendu à Mayence pour faire appel
-à la bienfaisance impériale, Napoléon qui avait en ce moment de
-fortes raisons d'être avare de son argent, lui dit: Comment donc M.
-Muraire s'est-il exposé à de tels embarras?... Mais peu importe,
-combien vous faut-il?--Puis cela dit, il examina ce qu'il fallait pour
-tirer M. Muraire de sa position, et il accorda quelques centaines de
-mille francs sur son trésor particulier, qui était, comme on l'a vu,
-la dernière ressource de l'armée.
-
-[En marge: Napoléon s'occupe à Mayence de ses finances.]
-
-[En marge: Suite donnée à la mesure de l'aliénation des biens
-communaux.]
-
-[En marge: Le trésor particulier de Napoléon, la Banque, la caisse de
-service, avaient pris pour 145 millions des nouveaux bons
-représentatifs des biens communaux, et les gardaient en portefeuille.]
-
-[En marge: On n'osait pas en émettre dans le public de peur de les
-déprécier.]
-
-Napoléon profita de son séjour à Mayence pour donner quelque attention
-à ses finances. La mesure de l'aliénation des biens communaux, adoptée
-et convertie en loi, n'avait pas encore produit de grands résultats,
-parce qu'il fallait ménager un emploi aux nouveaux bons de la caisse
-d'amortissement avant d'en émettre des sommes considérables. Sans
-cette précaution en effet ils se seraient accumulés sur la place et
-eussent été bientôt dépréciés. Il était donc indispensable d'accélérer
-l'aliénation des biens communaux, qui pouvait seule fournir l'emploi
-désiré. Avant que les biens communaux fussent vendus, il fallait les
-choisir, les faire admettre dans la catégorie des biens aliénables,
-les estimer, en fournir la valeur aux communes en rentes sur l'État,
-en prendre possession, et enfin les mettre publiquement en
-adjudication. Quelque accélérée que fût cette suite d'opérations
-administratives, elle exigeait du temps, et jusqu'à son achèvement
-pour chaque partie de biens, on ne pouvait opérer la mise en vente.
-Les bons émis avant qu'ils fussent recherchés pour ce genre d'emploi,
-auraient bientôt flotté sur la place, perdu 20 ou 30 pour cent,
-entraîné la chute des actions de la Banque et des rentes sur l'État,
-seules valeurs ayant cours à cette époque, et ruiné l'espèce de
-crédit fort restreint dont on jouissait, et dont on avait besoin, tout
-restreint qu'il était. Napoléon avait pris pour le compte de son
-trésor environ 72 millions de ces nouveaux bons, la Banque 10, la
-Caisse de service 63, ce qui composait une ressource de 145 millions
-réalisée d'avance, et qui n'entraînait aucune émission de ces bons,
-parce que les trois caisses qui s'en étaient chargées les avaient
-gardés en portefeuille. Mais ce n'était pas assez avec les immenses
-dépenses qu'on avait eu à solder, car les payements du Trésor dans les
-six premiers mois écoulés avaient déjà excédé les recettes ordinaires
-de plus de 200 millions. M. Mollien n'osait pas dans ses payements
-employer les nouveaux bons de la Caisse d'amortissement, parce qu'il
-craignait de les avilir. On en avait d'abord émis quelques-uns sur la
-place afin de les populariser, et ils n'avaient pas perdu plus de 5 à
-6 pour cent, ce qui était un agio fort modéré, mais les répandre
-davantage était difficile et dangereux. On ne pouvait les donner ni
-aux rentiers ni aux fonctionnaires, parce que les sommes à payer aux
-uns comme aux autres étaient peu considérables et que les coupures de
-ces bons ne s'y prêtaient pas, parce qu'on aurait fait d'ailleurs
-crier aux assignats. Encore moins pouvait-on les consacrer à payer la
-solde de l'armée, qui s'acquittait à l'étranger et en sommes
-très-divisées. Toutefois, pour ce genre de payement, Napoléon avait
-fait employer dans une certaine proportion les billets de la Caisse de
-service, acquittables à Paris ou dans les départements, lesquels
-fournissaient aux officiers ayant des familles la faculté de faire
-passer sûrement et sans frais de l'argent en France, et procuraient en
-outre au Trésor la facilité de remplir ses engagements avec un papier
-à échéance assez longue. C'est même par des combinaisons de ce genre
-que la Caisse de service avait pu se charger à elle seule de 63
-millions des nouveaux bons, qu'elle devait garder en portefeuille.
-L'unique payement qui pût s'effectuer avec cette nouvelle valeur,
-c'était celui des grandes fournitures exécutées par les riches
-entrepreneurs travaillant pour la guerre et pour la marine. Ceux-là
-tenant à continuer les affaires importantes qu'ils faisaient avec
-l'État, ne devaient pas regarder de si près au mode de payement, et
-d'ailleurs ils avaient tellement besoin d'argent, qu'ils aimaient
-encore mieux recevoir une valeur exposée à perdre 10 ou 15 pour cent,
-que ne rien recevoir du tout. Il y avait de plus une espèce de
-fournisseurs obligés, devenus fournisseurs malgré eux, c'étaient les
-propriétaires, fermiers ou négociants, auxquels on avait pris par voie
-de réquisition ou des denrées ou des étoffes, ou des chevaux, à
-condition de les solder comptant. Aux uns comme aux autres on pouvait
-donner les nouveaux bons de la Caisse, que les uns feraient escompter
-à de gros capitalistes, que les autres garderaient pour en acheter des
-biens communaux. Mais M. Mollien, toujours attaché aux moyens
-réguliers, préférait faire attendre les fournisseurs et les individus
-frappés de réquisition, ce qui pouvait se couvrir du prétexte des
-liquidations inachevées, que d'émettre un papier exposé à être
-qualifié d'assignat dès que l'introduction dans le public en
-paraîtrait plus ou moins forcée. Aussi les fournisseurs, habitués à
-crier à la porte des administrations, commençaient-ils à murmurer, à
-se plaindre du défaut de payement, et à l'alléguer comme excuse du
-ralentissement de tous les services. C'est là ce qui motiva
-l'intervention personnelle de Napoléon, dont l'oreille ne devenait
-sensible en ce moment que lorsqu'il s'agissait des besoins de l'armée.
-
-[En marge: Napoléon exige que M. Mollien donne des nouveaux bons à
-certains fournisseurs, et à certains créanciers de l'État.]
-
-S'adressant à M. Mollien, il soutint que la perte de 9 à 10 pour cent
-sur une pareille valeur, surtout lorsqu'un gros intérêt, exactement
-payé, devait en maintenir le cours, n'était rien en soi, et n'égalait
-pas l'inconvénient de faire attendre des gens qu'il y avait urgence à
-satisfaire. Ceux à qui l'argent comptant n'était pas indispensable
-auraient dans la main un placement avantageux, ceux qui ne pouvaient
-pas s'en passer, réaliseraient le capital par l'escompte, et ce serait
-toujours le même résultat, ramené à un seul inconvénient, de faire
-baisser de 9 à 10 pour cent l'une des trois valeurs circulantes. Les
-rentes sur l'État, par exemple, qu'on avait vues à 12 francs la veille
-du 18 brumaire, à 30 le lendemain, puis à 90 après 1806, qu'on
-revoyait actuellement à 70, n'entraînaient pas après tout, par ces
-variations, la ruine de l'État et des particuliers. La fixité et
-l'exact payement de l'intérêt consolaient les porteurs de rente, qui
-finissaient par ne plus prendre garde à ces fluctuations, et il n'y
-avait d'atteints par elles que ceux qui étaient forcés de vendre.
-C'était un inconvénient très-partiel, auquel devaient se résigner ceux
-qui avaient besoin d'argent.
-
-[En marge: Napoléon, pour fournir un emploi à ces bons, prend des
-mesures afin d'accélérer la mise en vente des biens communaux.]
-
-Telle était l'argumentation fort spécieuse de Napoléon contre le
-ministre des finances, argumentation qui eût été à peu près vraie, si
-la baisse de ces bons avait pu être limitée à 10, à 12, même à 15 pour
-cent. Mais qui pouvait dire où elle s'arrêterait, si on se laissait
-entraîner à une émission considérable? C'est ce que craignait M.
-Mollien, et ce dont Napoléon ne tint aucun compte, car il ordonna
-qu'on répandît à Paris environ une trentaine de millions des bons de
-la caisse d'amortissement par le payement des fournitures, et dans
-les départements environ dix-huit ou vingt par le payement des
-réquisitions. C'étaient cinquante millions introduits un peu
-forcément dans la circulation. Afin de leur ouvrir plus tôt le
-débouché des acquisitions de biens communaux, Napoléon prescrivit
-à l'archichancelier Cambacérès de faire acte d'autorité sur le Conseil
-d'État, d'enlever au Comité du contentieux, dont les formes sont
-celles de la justice elle-même, les contestations relatives aux biens
-communaux, de les transporter au Comité chargé de l'administration
-communale, de diriger lui-même ce comité, et d'expédier rapidement ce
-genre d'affaires au moyen d'un examen sommaire et non interrompu.
-
-[En marge: Napoléon imagine des conscriptions locales, qui se
-justifient par le danger de certaines frontières.]
-
-[En marge: Levée de 30 mille hommes dans les départements voisins des
-Pyrénées.]
-
-Après ce secours un peu violent apporté à ses finances, Napoléon,
-toujours en travail d'esprit pour la levée des hommes, inventa des
-conscriptions d'un nouveau genre, qu'il espérait rendre supportables
-en leur donnant un caractère d'urgence et d'utilité locales. Par
-exemple la frontière des Pyrénées se trouvant menacée par suite des
-derniers événements d'Espagne, Napoléon imagina de lever 30 mille
-hommes sur les quatre dernières classes, dans tous les départements
-situés depuis Bordeaux jusqu'à Montpellier, afin de garantir de
-l'invasion cette partie du territoire. Comme le sol que les nouveaux
-appelés allaient défendre était le leur, Napoléon pensa que c'était
-demander en quelque sorte à des paysans de défendre leurs chaumières,
-à des citadins de défendre leurs propres villes, et que l'urgence du
-besoin ferait taire la plainte, car on ne pouvait pas dire, comme de
-toutes les autres levées de cette époque, que Napoléon prenait les
-hommes pour les faire mourir sur l'Elbe et l'Oder au service de son
-ambition. L'idée lui ayant paru ingénieuse, il voulut l'appliquer aux
-départements du nord et de l'est, toujours en s'adressant aux
-départements de l'ancienne France, lesquels, depuis plus de vingt
-années, supportaient tout le poids de la guerre, et de leur demander
-une soixantaine de mille hommes, sous le même prétexte de danger local
-et pressant. Mais comme ces conscriptions devaient bientôt finir par
-ressembler à une conscription générale, et en produire l'effet,
-Napoléon résolut d'ajourner la seconde de deux ou trois mois.
-Seulement il appela sans aucun retard les trente mille hommes demandés
-aux départements voisins des Pyrénées.
-
-[Date en marge: Août 1813.]
-
-[En marge: Ces diverses mesures résolues en principe à Mayence.]
-
-[En marge: Au milieu de ses nombreuses occupations, Napoléon comble
-Marie-Louise des témoignages les plus affectueux.]
-
-[En marge: Il lui laisse ignorer à quel point il est résolu à la
-guerre.]
-
-[En marge: Il lui prépare plusieurs voyages pour la distraire, pendant
-qu'il se battra à outrance.]
-
-Ces mesures, les unes civiles, les autres militaires, pour la plupart
-conçues avant le voyage de Mayence, furent à Mayence même, soit
-résolues immédiatement, soit spécialement examinées avec des agents
-venus de Paris, pour être définitivement décrétées à Dresde. Napoléon
-ajoutant à ce travail des revues incessantes de troupes, de
-continuelles inspections de matériel, n'eut pas grand temps à donner
-à l'Impératrice, mais il la combla des témoignages les plus
-affectueux, témoignages à la fois sincères et calculés, afin que la
-nouvelle guerre avec l'Autriche ne portât dans l'opinion publique
-aucun tort à un mariage qu'il regardait toujours comme utile à sa
-politique, et afin de laisser l'empereur François sous le poids des
-mêmes obligations envers sa fille, car il le dispensait moins d'être
-bon père, en restant lui-même bon époux. Il cédait, il faut le dire
-aussi, au penchant de son propre coeur, car il était touché de
-l'attachement qu'il semblait inspirer à cette noble fille des Césars,
-et le lui rendait autant que le permettaient les vastes et fortes
-distractions de son âme. Voulant même la ménager, il ne lui dit pas à
-quel point la guerre était certaine et serait sérieuse; il la laissa
-partir avec des doutes à ce sujet, tandis qu'écrivant au prince Eugène
-à Milan, au général Rapp à Dantzig, au maréchal Davout à Hambourg, il
-leur avoua ce qu'il en était, et leur enjoignit de se tenir prêts pour
-le 17 août. Désirant en outre préparer à l'Impératrice une distraction
-agréable, et lui procurer autant que possible l'oubli des cruelles
-inquiétudes du moment, il lui prescrivit un voyage sur le Rhin, de
-Mayence à Cologne, qu'elle devait faire au milieu des hommages des
-populations des deux rives, et puis il décida qu'après avoir passé
-quelques jours à Paris, elle entreprendrait un voyage en Normandie,
-afin d'aller à Cherbourg présider une imposante cérémonie,
-l'introduction des eaux de l'Océan dans le célèbre bassin commencé
-sous le règne de Louis XVI, et terminé sous le sien. Il poussa
-l'attention jusqu'à recommander au prince Cambacérès de la faire
-partir avant la rupture de l'armistice, afin qu'elle n'apprît les
-nouvelles hostilités que bien des jours après leur reprise, et
-peut-être après quelque grand événement capable de la rassurer. Il
-voulait ainsi distraire, consoler et faire aimer de la France cette
-jeune femme, mère et tutrice de son fils, régente de l'Empire,
-destinée à le remplacer s'il venait à succomber sous un boulet ennemi.
-Pourquoi, hélas! les sinistres pressentiments dont ces soins délicats
-étaient la preuve, ne contribuaient-ils pas à vaincre l'obstination
-fatale à laquelle il allait sacrifier son fils, son épouse, son trône
-et sa personne!
-
-[En marge: Napoléon quitte Mayence le 1er août.]
-
-[En marge: Il passe en route la revue des troupes du maréchal
-Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Il arrive à Dresde le 4 au soir.]
-
-Après avoir passé du 26 juillet au 1er août avec Marie-Louise, il
-l'embrassa en présence de toute sa cour, et la laissant en larmes,
-partit pour la Franconie. Déjà il avait inspecté à Mayence les
-divisions du maréchal Augereau, qui achevaient de se former sur les
-bords du Rhin. À Wurzbourg se trouvaient deux des divisions du
-maréchal Saint-Cyr, actuellement en marche vers l'Elbe, où elles
-devaient venir prendre la position de Koenigstein. Elles lui parurent
-belles, assez bien instruites, et animées des sentiments qu'il pouvait
-leur désirer. Il visita la place de Wurzbourg, la citadelle, les
-magasins, en un mot l'établissement militaire tout entier, dont il
-voulait faire un des points importants de sa ligne de communication;
-ensuite il se dirigea sur Bamberg et Bayreuth, où il vit
-successivement les autres divisions du maréchal Saint-Cyr, et les
-divisions bavaroises destinées à faire partie du corps d'Augereau.
-Après avoir porté sur toutes choses son oeil investigateur, donné les
-ordres et les encouragements nécessaires, il repartit pour Erfurt, et
-arriva le 4 au soir à Dresde. Le 5 de grand matin il était debout et à
-l'oeuvre, pressé qu'il était d'employer utilement les derniers jours
-de l'armistice.
-
-[En marge: Confiance immense qu'il a conçue en méditant sur l'étendue
-de ses ressources.]
-
-La vue des troupes qu'il avait inspectées sur sa route, ses
-méditations incessantes sur le plan de la prochaine campagne, avaient
-redoublé sa confiance dans son armée et dans son génie. En voyant
-venir le moment de cette terrible lutte, en méditant sur ses chances,
-en se souvenant combien ses soldats bravaient facilement la mort,
-combien lui-même une fois au milieu du danger trouvait de combinaisons
-heureuses, là où ses adversaires ne trouvaient que des fautes à
-commettre, ne sachant pas se rendre compte des passions généreuses
-qu'il avait soulevées contre lui, et dont l'ardeur pouvait compenser
-chez ses ennemis une direction malhabile, il sentait en lui-même comme
-une sorte de chaleur d'âme qui animait toute sa personne, qui éclatait
-dans ses yeux, et lui donnait l'aspect du contentement, de l'espérance
-et de l'audace. Ceux qui l'entouraient en étaient frappés, et les plus
-sages en étaient plutôt inquiets que réjouis[6].
-
- [Note 6: Voici de singulières paroles écrites par M. de
- Bassano à M. de Vicence, et qui prouvent ce que nous
- avançons ici. «L'Empereur part demain et ira coucher à
- Bautzen... Nous sommes ici dans l'attente et dans la
- meilleure espérance des événements. Toute l'armée est en
- mouvement. La confiance est partout. Le roi de Saxe et la
- famille royale ne quittent pas Dresde..... Sa Majesté ne
- veut pas de prolongation d'armistice, elle est prête à la
- guerre. Elle l'est plus que l'Autriche. Elle n'a pas de
- motifs d'attendre pour ses subsistances, et elle ne veut pas
- perdre un temps précieux et se laisser engager dans
- l'hiver... (Dans ce moment en effet Napoléon avait renoncé à
- une prolongation d'armistice, et ne voulait que différer
- l'entrée en action de l'Autriche.).... M. de Bubna, qui sera
- arrivé longtemps avant le courrier porteur de cette dépêche,
- connaît notre position. _La secrète joie qu'éprouve Sa
- Majesté de se trouver dans une circonstance difficile, mais
- digne de son génie, n'a point échappé à M. de Bubna..._ Sa
- Majesté, qui se fie à la Providence, entrevoit les grands
- desseins qu'elle a fondés sur elle. Ses plans sont arrêtés,
- et elle ne voit partout que des motifs de confiance.»
- (Dépêche de M. de Bassano à M. le duc de Vicence en lui
- envoyant ses pleins pouvoirs, à la date du 13 août 1813.)]
-
-[En marge: Reproches adressés à MM. de Caulaincourt et de Narbonne,
-pour avoir permis à M. de Metternich de les menacer de la guerre.]
-
-[En marge: Napoléon, soit pour retarder l'entrée en action de
-l'Autriche, soit pour aboutir à la paix sans subir les conditions qui
-lui déplaisent, essaye au dernier moment d'une négociation secrète
-avec l'Autriche.]
-
-[En marge: Il concède le sacrifice du grand-duché de Varsovie, et la
-restitution de l'Illyrie, mais refuse l'abandon des villes anséatiques
-et du protectorat de la Confédération du Rhin.]
-
-[En marge: Cette négociation secrète tentée in extremis doit rester
-ignorée de M. de Narbonne.]
-
-Le jour même où il arrivait à Dresde, les instances de M. de
-Caulaincourt et de M. de Narbonne pour obtenir le pouvoir de traiter
-sérieusement, étaient devenues plus vives que jamais. Il en parut
-importuné, et adressa des reproches à ces deux négociateurs, pour
-s'être laissé, disait-il, serrer de trop près par M. de Metternich. Il
-trouvait qu'ils avaient manqué de fierté, en permettant au ministre
-autrichien de leur dire que dans tel ou tel cas, l'Autriche s'unirait
-aux ennemis de la France pour lui déclarer la guerre, comme si c'eût
-été une offense que d'annoncer franchement ce qu'on ferait, si
-certaines conditions n'étaient point accordées. L'enivrement de la
-puissance était tel chez Napoléon, qu'il ne voulait pas qu'on osât
-parler de lui déclarer la guerre, comme d'une chose naturelle,
-inévitable même dans certains cas. Il voulait qu'on n'y pensât qu'en
-tremblant (ce qu'on faisait du reste), qu'on n'en parlât qu'avec une
-sorte de crainte respectueuse, comme d'un malheur dont on admettait à
-peine la possibilité. Mais après ces réprimandes peu méritées, et peu
-séantes actuellement, il s'occupa de quelque chose de plus sérieux. Il
-ne croyait plus, après la difficulté qu'on avait eue pour faire
-prolonger l'armistice une première fois, obtenir une nouvelle
-prolongation; d'ailleurs il se sentait prêt. Le temps désormais devait
-profiter à ses adversaires plus qu'à lui, et il tenait à les frapper
-avant l'hiver. Un seul désir lui restait en fait d'ajournement,
-c'était de différer l'entrée en action de l'Autriche, ce qui lui eût
-fort convenu, car il aurait eu ainsi la possibilité d'écraser
-séparément les Russes et les Prussiens, et de revenir ensuite sur les
-Autrichiens, pour les intimider, les empêcher de prendre parti, ou les
-accabler à leur tour. Mais il n'y avait qu'une manière de disposer
-l'Autriche à une conduite pareille, c'était l'apparence d'une
-négociation sincère, et même de fortes espérances d'une conclusion
-pacifique. Napoléon prit donc la résolution de réaliser le pronostic
-de M. de Metternich, qui avait dit qu'avec un caractère extraordinaire
-comme le sien, il ne fallait jamais désespérer de rien, et que
-peut-être le dernier jour, à la dernière heure, une heureuse
-conclusion sortirait de cette négociation, illusoire dans le moment
-jusqu'à en être offensante. Il se décida, tandis que les
-plénipotentiaires continueraient à perdre leur temps en discussions
-puériles sur la forme des négociations, à charger secrètement et
-exclusivement M. de Caulaincourt d'une communication sérieuse à
-l'Autriche, la seule des puissances avec laquelle une négociation
-directe fût alors possible. Si la paix résultait d'une semblable
-démarche, Napoléon n'en était pas fâché, pourvu toutefois que les
-conditions dont il ne voulait pas fussent écartées, et il se flattait
-qu'il obtiendrait peut-être de l'Autriche qu'elles le fussent, mais à
-l'instant suprême, quand cette puissance se verrait définitivement
-placée entre la paix et la guerre. En conséquence, il arrêta de la
-manière suivante les conditions à présenter confidentiellement à M. de
-Metternich. Le sacrifice du grand-duché de Varsovie, comme celui de
-l'Espagne, comme celui de l'Illyrie, étaient faits dans son esprit et
-dans l'opinion générale, et n'avaient plus aucune nouveauté poignante
-pour son orgueil; d'ailleurs il n'en devait rien coûter au territoire
-de l'Empire, car l'Illyrie elle-même n'était demeurée qu'à titre d'en
-cas dans nos mains, et elle n'avait jamais été jointe au territoire
-constitutionnel de la France. Ce qui coûtait à Napoléon, c'était,
-ainsi que nous l'avons dit, de refaire la Prusse plus grande après sa
-défection, de sacrifier le titre de protecteur de la Confédération du
-Rhin porté avec ostentation depuis plusieurs années, et enfin
-d'abandonner Lubeck, Hambourg, Brême, qui avaient été ajoutées par
-sénatus-consultes au territoire français. Selon lui chacun de ces
-sacrifices le montrait vaincu aux yeux du monde, car il fallait qu'il
-le fût pour récompenser une défection, pour permettre qu'on
-reconstituât une Allemagne en dehors de son influence, pour se laisser
-arracher une partie de ce qu'il appelait le territoire constitutionnel
-de l'Empire. D'après certaines paroles de M. de Bubna, qui dans son
-désir d'amener la paix amoindrissait toujours la difficulté, Napoléon
-avait pensé que peut-être au dernier moment il déciderait l'Autriche à
-lui concéder ces points importants, ou qu'au moins en lui faisant
-entrevoir une négociation sincère, on pourrait négocier en se
-battant, ce qui entraînerait une reprise d'hostilités avec les
-Prussiens et les Russes, et une nouvelle remise avec les Autrichiens.
-
-C'est d'après ces données qu'il enjoignit à M. de Caulaincourt (le
-secret devant être gardé envers M. de Narbonne, pour que la
-négociation eût un caractère encore plus intime) de se rendre auprès
-de M. de Metternich, de l'aborder brusquement, à brûle-pourpoint, de
-lui dire qu'on voulait profiter des cinq jours qui restaient pour
-s'assurer du fond des choses, particulièrement en ce qui concernait
-l'Autriche, qu'on demandait franchement à celle-ci les conditions
-auxquelles elle entrerait avec la France en négociation ou en guerre,
-qu'on la pressait instamment de déclarer ces conditions sans surfaire
-inutilement, que le temps qu'on avait encore était trop court pour le
-perdre en vulgaires finesses, qu'il fallait donc énoncer avec la
-dernière précision ce qu'on voulait, pour qu'on pût répondre avec une
-précision égale et sur-le-champ, c'est-à-dire par oui ou par non. Le
-duc de Vicence devait faire remarquer à M. de Metternich à quel point
-cette communication était secrète, puisqu'on la laissait ignorer à M.
-de Narbonne; il devait insister pour qu'elle demeurât inconnue des
-négociateurs prussien et russe, dans le cas même où l'on tomberait
-d'accord. Il suffirait en effet de reproduire dans la négociation
-officielle les propositions secrètement convenues avec l'Autriche dans
-la négociation occulte, pour les faire adopter, et comme après tout il
-restait pour négocier non-seulement jusqu'au 10 août, mais jusqu'au
-17, il était possible, si on répondait tout de suite à la proposition
-actuelle partant de Dresde le 5, arrivant le 6 à Prague, et pouvant
-recevoir réponse le 7, de faire parvenir le 9 à M. de Metternich
-l'adhésion définitive de la France aux idées de l'Autriche, et de
-donner ainsi brusquement au congrès, la veille même de sa dissolution,
-un caractère inattendu de sérieux et d'efficacité.
-
-[En marge: À ces ouvertures confidentielles et pacifiques, Napoléon
-ajoute une note officielle des plus offensantes.]
-
-Par malheur, en adressant enfin à l'Autriche cette ouverture, tardive
-mais non pas sans espoir de succès, Napoléon y ajouta pour la
-négociation officielle une note tout à fait offensante, car on y
-disait très-clairement que les difficultés de forme soulevées par les
-représentants des puissances belligérantes révélaient leur intention
-véritable, et que cette intention n'était autre que d'entraîner
-l'Autriche dans la guerre, en se servant pour y réussir ou de sa
-mauvaise foi, ou de sa duperie, toutes suppositions aussi peu
-flatteuses pour les uns que pour les autres. MM. de Narbonne et de
-Caulaincourt devaient remettre en commun cette étrange note à M. de
-Metternich, puis après l'avoir remise, M. de Caulaincourt prenant à
-part M. de Metternich, et s'abouchant secrètement avec lui, devait
-faire la proposition que nous venons de rapporter.
-
-[En marge: Étonnement de M. de Metternich en recevant les
-communications secrètes de M. de Caulaincourt, et ses appréhensions
-quant à l'effet probable de la note officielle.]
-
-Les dépêches contenant ces ordres si contradictoires, parties le 5
-août de Dresde, arrivèrent le 6 à Prague, surprirent fort M. de
-Caulaincourt, et le remplirent d'une joie mêlée malheureusement de
-beaucoup de tristesse, car avec le peu de jours qui restaient il
-désespérait de mener à bien cette négociation in extremis, et la note
-officielle d'ailleurs lui faisait craindre un esclandre qui nuirait
-beaucoup au succès de ses efforts. Cette note destinée à être
-publique offensa M. de Metternich, qui témoigna combien il en
-redoutait l'effet, tant sur son maître que sur les cours de Prusse et
-de Russie; mais son étonnement fut extrême lorsque, les deux
-négociateurs français l'ayant quitté, il revit peu d'instants après M.
-de Caulaincourt chez lui, apportant en grand secret une communication
-aussi importante que celle dont il s'agissait. Elle était si tardive,
-et il s'était tant habitué à désespérer des dispositions de Napoléon à
-l'égard de la paix, qu'il eut de la peine à croire qu'elle fût
-sincère, et ce motif seul l'empêcha de se livrer à une joie
-qu'autrement il n'aurait pas manqué de ressentir et de manifester. Il
-exprima ses regrets de ce qu'on n'avait pas tenté cette démarche
-quelques jours plus tôt, car il eût été possible alors sans violer le
-secret qui était recommandé, de sonder la Prusse et la Russie sur
-certains points délicats, et d'arriver à une conciliation des
-difficultés qui vraisemblablement diviseraient les cours
-belligérantes. Toutefois, puisqu'on demandait à l'Autriche ses
-conditions à elle-même, celles qu'elle appuierait de toute son
-influence, et dont elle était résolue à exiger l'adoption de la part
-de la Prusse et de la Russie, il allait consulter son maître, et
-répondre, il l'espérait, sous vingt-quatre heures.
-
-[En marge: M. de Metternich se transporte à Brandeiss pour conférer
-avec l'empereur d'Autriche sur les propositions de Napoléon.]
-
-[En marge: Doutes de l'empereur et de M. de Metternich sur le
-caractère de la démarche de Napoléon.]
-
-[En marge: Résolution d'y répondre franchement dans tous les cas.]
-
-[En marge: Conditions invariables de l'Autriche.]
-
-M. de Metternich se rendit en effet à Brandeiss, résidence actuelle de
-l'empereur François, le trouva fort courroucé comme tout le monde
-l'avait été à Prague de la note officielle du 6 août, et lui causa un
-étonnement égal à son courroux, en lui faisant part de la démarche
-inattendue du principal négociateur français. Tout ce qui était
-extraordinaire concordait bien avec le caractère brusque et imprévu de
-Napoléon, mais une démarche qui avait des apparences aussi pacifiques,
-tentée ainsi à la dernière extrémité, avait de quoi exciter la
-méfiance. L'empereur François et son ministre se demandèrent si
-c'était de la part de Napoléon un acte de force ou de ruse, si, dans
-des vues élevées, il savait enfin imposer silence à son orgueil pour
-arriver à un accord entre les puissances européennes, ou bien s'il
-voulait provoquer quelque exigence excessive de la part des coalisés,
-afin de s'en faire auprès du public français un argument qui le
-justifierait d'avoir préféré la guerre à une paix humiliante. Ils
-reconnurent que dans les deux cas il fallait répondre sans hésiter,
-car s'il souhaitait la paix, on lui devait de s'expliquer franchement
-avec lui; s'il cherchait à provoquer une proposition inadmissible, il
-importait de le confondre en lui adressant les conditions auxquelles
-depuis longtemps on s'était arrêté, et que certainement la France ne
-trouverait pas déshonorantes. Ces conditions étaient au fond tellement
-indiquées lorsqu'on voulait reconstituer l'Allemagne, et pour
-reconstituer l'Allemagne rendre quelque force à la Prusse, que toute
-variante était impossible. C'étaient, comme nous l'avons déjà répété
-tant de fois, le partage du duché de Varsovie, sur le sort duquel la
-fortune avait prononcé à Moscou, et dont la plus grande partie devait
-revenir à la Prusse; l'abolition de la Confédération du Rhin, que
-toute l'Allemagne réclamait pour n'être plus placée sous une autorité
-étrangère, et le rétablissement des villes anséatiques, qu'elle
-réclamait également pour recouvrer son commerce; enfin la restitution
-de l'Illyrie, consentie depuis longtemps par Napoléon, et vivement
-désirée par l'Autriche afin de se procurer quelques aboutissants vers
-la mer. Tout cela était si nécessaire pour que l'Allemagne retrouvât
-quelque indépendance, en restant d'ailleurs fort exposée encore à
-l'influence de Napoléon, qui conservait Mayence, Cologne, Wesel,
-Gorcum, le Texel et la Westphalie, qu'il n'y avait pas autre chose à
-imaginer et à proposer. On avait assez communiqué avec la Prusse et la
-Russie pour s'être assuré de leur adhésion à ces bases, et quant à
-l'Angleterre, les villes anséatiques étant rétablies, Napoléon
-paraissant décidé au sacrifice de l'Espagne, on était certain de
-l'amener à la paix, car elle ne voudrait pas rester seule en guerre
-avec la France. On résolut donc de faire connaître à Napoléon les
-conditions dont il s'agit, et qui au surplus n'étaient pas nouvelles
-pour lui, en exigeant le secret qu'il avait exigé lui-même, et en
-demandant une réponse sous quarante-huit heures, car après le 10 août
-au soir il ne serait plus temps.
-
-[En marge: Retour de M. de Metternich à Prague, et son entrevue avec
-M. de Caulaincourt.]
-
-M. de Metternich revenu le 7 à Prague, fut tout à coup rappelé à
-Brandeiss par son maître, qui, avant de se prêter à ces communications
-particulières, avait été saisi d'une subite hésitation. Mais tout
-examiné, l'empereur et son ministre persistèrent, et après une journée
-malheureusement perdue, la réponse fut apportée à M. de Caulaincourt,
-toujours à l'insu de M. de Narbonne. M. de Metternich lui dit que son
-maître s'était demandé si cette communication si imprévue et si
-tardive de Napoléon était une _démarche de force ou de ruse_; que si
-elle était une démarche de force comme il aimait à le penser de la
-part de son gendre, on lui devait une franche réponse; que si elle
-était une démarche de ruse, il croyait devoir y répondre encore, car
-les conditions qu'il apportait pouvaient s'avouer au monde entier, et
-surtout à la France. Il lui fit donc verbalement la déclaration
-suivante, qu'il l'autorisa à transcrire sur-le-champ, sous sa dictée,
-et qui a une telle importance que nous allons la reproduire
-textuellement.
-
-[En marge: Déclaration importante dans laquelle l'Autriche énonce ses
-conditions, avec engagement de les faire accepter par les puissances
-coalisées.]
-
-INSTRUCTIONS POUR LE COMTE DE METTERNICH SIGNÉES PAR L'EMPEREUR
-D'AUTRICHE.
-
-«M. de Metternich demandera au duc de Vicence, sous sa parole
-d'honneur, l'engagement que son gouvernement gardera le secret le plus
-absolu sur l'objet dont il est question.
-
-»Connaissant par des explications confidentielles préalables les
-conditions que les cours de Russie et de Prusse paraissent mettre à
-des arrangements pacifiques, et me réunissant à leurs points de vue,
-parce que je regarde ces conditions comme nécessaires au bien-être de
-mes États et des autres puissances, et comme les seules qui puissent
-réellement mener à la paix générale, je ne balance point à énoncer les
-articles qui renferment mon _ultimatum_.
-
-»J'attends un _oui_ ou _non_ dans la journée du 10.
-
-»Je suis décidé à déclarer dans la journée du 11, ainsi que cela se
-fera de la part de la Russie et de la Prusse, que le congrès est
-dissous, et que je joins mes forces à celles des alliés pour conquérir
-une paix compatible avec les intérêts de toutes les puissances, et
-que je ferai dès lors abstraction des conditions actuelles, dont le
-sort des armes décidera pour l'avenir.
-
-»Toutes propositions faites après le 11 ne pourront plus se lier avec
-la présente négociation.»
-
-
-_Conditions auxquelles l'Autriche regarde la paix comme faisable._
-
-«Dissolution du duché de Varsovie et sa répartition entre l'Autriche,
-la Russie et la Prusse; par conséquent Dantzig à la Prusse.
-
-»Rétablissement de Hambourg et de Lubeck comme villes libres
-anséatiques, et arrangement éventuel et lié à la paix générale sur les
-autres parties de la 32e division militaire, et sur la renonciation au
-protectorat de la Confédération du Rhin, afin que l'indépendance de
-tous les souverains actuels de l'Allemagne se trouve placée sous la
-garantie de toutes les grandes puissances.
-
-»Reconstruction de la Prusse avec une frontière tenable sur l'Elbe.
-
-»Cession des provinces illyriennes à l'Autriche.
-
-»Garantie réciproque que l'état de possession des puissances grandes
-et petites, tel qu'il se trouvera fixé par la paix, ne pourra être
-changé ni lésé par aucune d'elles.»
-
-[Illustration: Caulaincourt (Duc de Vicence).]
-
-[En marge: Explications ajoutées par M. de Metternich au texte de son
-ultimatum, et nouvelle déclaration qu'après le 10 août l'Autriche fera
-partie de la coalition.]
-
-Après cette communication si importante, et qui confond tous les
-mensonges que certains narrateurs ont avancés sur ce sujet, M. de
-Metternich ajouta quelques explications d'une extrême gravité. Il dit
-que jusqu'au 10 août au soir l'Autriche serait sans engagement avec
-les puissances belligérantes, que jusque-là elle pourrait, comme
-elle le faisait actuellement, traiter confidentiellement avec
-Napoléon, et adopter certaines de ses propositions, les imposer même
-aux puissances coalisées, auxquelles nul traité ne la liait, mais qu'à
-partir du 11 elle serait liée avec elles, ne pourrait rien écouter
-sans leur en donner communication, et serait obligée de n'admettre
-aucune condition de paix que d'accord avec elles.
-
-Ces observations méritaient la plus sérieuse attention, car la
-différence qu'il y avait à traiter le 10 et non pas le 11 ou le 12,
-consistait à dépendre de l'Autriche seule, qui souhaitait la paix
-parce qu'elle craignait la guerre, au lieu de dépendre des puissances
-coalisées qui ne voulaient pas la paix parce qu'elles attendaient
-davantage de la guerre, et qu'elles étaient en proie à toutes les
-passions du moment. Le duc de Vicence en rapportant exactement les
-communications qu'il avait reçues, les accompagna de nouvelles
-instances exprimées dans le langage le plus beau et le plus touchant.
-
-[En marge: Nobles paroles de M. de Caulaincourt à Napoléon.]
-
-«--Sire, disait-il à Napoléon, cette paix _coûtera peut-être quelque
-chose à votre amour-propre, mais rien à votre gloire_, car elle ne
-coûtera rien à la vraie grandeur de la France. Accordez, je vous en
-conjure, cette paix à la France, à ses souffrances, à son noble
-dévouement pour vous, aux circonstances impérieuses où vous vous
-trouvez. Laissez passer cette fièvre d'irritation contre nous qui
-s'est emparée de l'Europe entière, et que les victoires même les plus
-décisives exciteraient encore au lieu de la calmer. Je vous la
-demande, ajoutait-il, non pour le vain honneur de la signer, mais
-parce que je suis certain que vous ne pouvez rien faire de plus utile
-à notre patrie, de plus digne de vous et de votre grand
-caractère.»--Quel devait être l'effet de ces nobles prières d'un noble
-coeur, on va le voir!
-
-[En marge: La réponse de M. de Metternich arrive le 9 août à Dresde.]
-
-[En marge: Napoléon s'obstine à n'attacher aucune importance à la date
-du 10.]
-
-[En marge: Il croit avoir jusqu'au 17.]
-
-[En marge: Il prend toute une journée pour répondre.]
-
-La réponse apportée le 8 août par M. de Metternich, transcrite pendant
-la journée, ne pouvait être que le 9 sous les yeux de Napoléon, et n'y
-fut en effet que le 9 à trois heures de l'après-midi. Il aurait fallu
-que souscrivant aux sacrifices qu'on lui demandait, et qui n'étaient
-que des sacrifices d'amour-propre, comme l'avait si bien dit M. de
-Caulaincourt, il s'y décidât sur l'heure, et expédiât la réponse dans
-la soirée même du 9, afin que cette réponse arrivant le 10 au matin à
-Prague, avec accompagnement de pouvoirs pour M. de Caulaincourt, on
-pût signer les bases de la paix le 10 avant minuit. Napoléon n'en fit
-malheureusement rien. D'abord il ne voulut pas croire à cette
-situation de l'Autriche, libre jusqu'au 10 août à minuit, mais engagée
-après le 10, et au lieu de dépendre d'elle seule dépendant de la
-volonté de ses nouveaux alliés. Il imagina que ce n'était là qu'un
-vain langage diplomatique, qu'on lui tenait pour l'intimider, ou pour
-hâter ses déterminations. N'attachant pas d'ailleurs beaucoup
-d'importance à éviter la guerre au prix de sacrifices qui lui étaient
-souverainement désagréables, aveuglé par une déplorable confiance en
-ses forces, il ne se pressa pas de prendre et de faire connaître ses
-résolutions. Il employa la journée à se décider, pensant que ce serait
-assez tôt de se résoudre le 10, que les hostilités ne recommençant
-que le 17 on aurait le temps de s'entendre, que l'Autriche ferait de
-ses alliés ce qu'elle voudrait, aussi bien le 11 ou le 12 que le 10,
-pourvu que ce fût avant le 17, et que par conséquent il pouvait sans
-inconvénient s'accorder à lui-même vingt-quatre heures de réflexion.
-Il employa donc vingt-quatre heures, non pas à se combattre mais à se
-flatter, à laisser ainsi s'évanouir le moment décisif de cette
-négociation, et lui, qui tant de fois avait saisi l'instant propice
-sur les champs de bataille, qui avait dû à cette promptitude de
-détermination ses plus grands triomphes, allait laisser échapper sans
-en profiter le moment politique le plus important de son règne! Et M.
-de Bassano, que faisait-il lui-même pendant ces heures fatales? Que ne
-passait-il cette nuit aux pieds de son maître, à lui répéter de vive
-voix les ardentes, les patriotiques prières de M. de Caulaincourt! et
-fallût-il pour le vaincre caresser follement son orgueil indomptable,
-fallût-il lui persuader que même après cette paix, il restait plus
-puissant que jamais, plus puissant qu'avant Moscou, M. de Bassano en
-proférant ces flatteries aurait été un utile, un patriotique flatteur,
-et il eût été plus près du vrai qu'en laissant croire à Napoléon que
-la gloire consistait à ne jamais céder!
-
-[En marge: Nuit fatale passée par Napoléon à compulser ses états de
-troupes, et à se remplir d'une aveugle confiance.]
-
-[En marge: Modifications que Napoléon apporte aux conditions de M. de
-Metternich.]
-
-[En marge: Il ne veut céder ni les villes anséatiques, ni le
-protectorat de la Confédération du Rhin, ni Trieste.]
-
-Mais Napoléon n'entendit rien de pareil, et pendant ces quelques
-heures, heures qui emportèrent sa grandeur, et malheureusement la
-nôtre, il n'entendit que l'écho de sa propre pensée. Après avoir manié
-et remanié durant toute la nuit ses états de troupes avec M. de
-Bassano, et s'être persuadé qu'il pouvait faire face à tout, il crut
-qu'il devait persister dans ses vues, et ne pas accorder à la paix un
-sacrifice de plus. Voici donc les conditions auxquelles il s'arrêta.
-Il consentait bien à sacrifier le grand-duché de Varsovie, comme un
-essai de Pologne condamné par l'événement, mais il ne voulait pas, en
-rendant quelque grandeur à la Prusse, la récompenser de ce qu'il
-appelait une trahison. Il admettait qu'on lui accordât la plus grande
-partie du duché de Varsovie, la totalité même, si la Russie et
-l'Autriche consentaient à faire ce sacrifice pour elle; mais il
-voulait la rejeter au delà de l'Oder, lui ôter, pour les attribuer à
-la Saxe, le Brandebourg, Berlin, Potsdam, c'est-à-dire son sol natal
-et sa gloire, la transporter entre l'Oder et la Vistule, la faire
-ainsi une puissance polonaise plutôt qu'allemande, lui laisser le
-choix comme capitale entre Varsovie et Koenigsberg, sans lui donner
-Dantzig, qui redeviendrait ville libre. Il voulait à sa place, entre
-l'Oder et l'Elbe, mettre la Saxe, et attribuer à celle-ci tout
-l'espace qui s'étend de Dresde à Berlin. Quant à Lubeck, Hambourg,
-Brême, c'étaient des parties du territoire constitutionnel de
-l'Empire, et il ne souffrait pas même qu'on en parlât. Quant au titre
-de protecteur de la Confédération du Rhin, c'était à l'entendre
-vouloir lui infliger une humiliation que de le lui enlever, puisqu'on
-reconnaissait que ce n'était qu'un titre absolument vain. Quant à
-l'Illyrie, il était prêt à la rendre à l'Autriche, mais en gardant
-l'Istrie, c'est-à-dire Trieste, seule chose que l'Autriche désirât
-ardemment. Il prétendait en outre conserver plusieurs positions au
-delà des Alpes Juliennes, telles que Villach, Goritz, en un mot tous
-les débouchés qui permettaient de descendre en Illyrie, disant qu'il
-n'était pas sûr de Venise s'il n'avait pas ces positions, c'est-à-dire
-qu'il n'était pas en sûreté dans sa maison s'il n'avait pas les clefs
-de la maison d'autrui. À ces conditions il admettait la paix sans se
-tenir pour froissé, et consentait à rentrer sur le Rhin avec ses
-armées. À d'autres conditions il aimait mieux lutter pendant des
-années contre l'Europe entière. Telles furent les propositions qui
-sortirent des méditations de cette nuit funeste.
-
-Toutefois, comme il n'y avait aucune chance que l'Autriche pût obtenir
-de ses futurs alliés l'abandon de Berlin par la Prusse, afin de
-composer avec la Saxe une fausse Prusse, sans passé, sans consistance,
-sans réalité, il autorisa M. de Caulaincourt à renoncer à ce premier
-projet s'il n'était pas accueilli, et il consentit à laisser à la
-Prusse, outre ce qu'on lui accorderait du duché de Varsovie, tout ce
-qu'elle possédait entre l'Oder et l'Elbe, mais en maintenant Dantzig
-comme ville libre, mais en ne souffrant pas davantage qu'on parlât de
-Lubeck, de Hambourg, de Brême, de la Confédération du Rhin, et enfin
-en ne restituant l'Illyrie qu'à condition de retenir l'Istrie, Trieste
-surtout, parce que, répétait-il toujours, vouloir Trieste c'était
-vouloir Venise.
-
-[En marge: Le 10 au matin, Napoléon appelle M. de Bubna pour lui
-expliquer ses conditions et le charger de les envoyer à Prague.]
-
-Le matin du 10 Napoléon manda auprès de lui M. de Bubna, qui formait
-des voeux sincères pour la paix, et qui malheureusement se prêtait un
-peu trop aux vues de son puissant interlocuteur dans l'espérance de
-l'adoucir. Il lui fit connaître la négociation secrète entamée avec M.
-de Metternich, lui communiqua ses états de troupes, lui manifesta
-ouvertement son penchant à faire cette campagne de Saxe, du résultat
-de laquelle il se promettait autant de puissance que de gloire, se
-montra ce qu'il était, confiant, gai même, inclinant autant à la
-guerre qu'à la paix, disposé par conséquent à donner peu de chose pour
-que ce fût l'une ou l'autre qui sortît des négociations de Prague;
-puis après avoir, sans vain étalage, sans forfanterie, révélé cette
-funeste énergie de son âme, il exposa ses conditions, demandant
-presque à chacune un assentiment, que M. de Bubna ne pouvait pas
-accorder sans doute, mais qu'il ne refusait pas assez péremptoirement
-pour dissiper toute espèce d'illusion. Sur deux points notamment, les
-villes anséatiques et la Confédération du Rhin, M. de Bubna n'ayant
-jamais trouvé sa cour aussi absolue que sur le reste, il parut
-faiblir, et Napoléon se figura que, sans subir ces deux conditions qui
-lui étaient particulièrement insupportables, il pourrait avoir la
-paix, sauf peut-être à abandonner Trieste. Il ne désespéra donc pas
-d'une paix conclue sur ces bases, mais en tout cas il en avait pris
-son parti, et n'avait nul chagrin de se battre encore; il se disait
-même qu'il retrouverait dans une continuation de la guerre, non pas
-toute sa gloire, qui était restée entière, mais toute sa puissance,
-toute celle qu'il avait ensevelie sous les ruines de Moscou.
-
-[En marge: Le courrier parti le 10 de Dresde ne pouvait arriver que le
-11 à Prague.]
-
-Après cet entretien il renvoya M. de Bubna, le chargeant d'écrire à
-son cabinet dans ce sens, et manda ses dernières résolutions à M. de
-Caulaincourt. Le courrier qui les portait ne pouvait arriver que le
-11. Napoléon ne se préoccupa guère de ce retard, et attendit la
-réponse quelle qu'elle fût, en prenant toutes ses dispositions pour le
-renouvellement des hostilités le 17.
-
-[En marge: Anxiété à Prague pendant la journée du 10.]
-
-La journée du 10 s'écoula donc à Prague sans rien apporter de Dresde,
-à la grande satisfaction des négociateurs de la Prusse et de la
-Russie, à la grande douleur de M. de Caulaincourt, au grand regret de
-M. de Metternich, qui, bien qu'il eût pris son parti, ne voyait pas
-sans effroi pour l'Autriche la terrible épreuve d'une nouvelle guerre
-avec la France. Plusieurs fois dans cette journée il se rendit chez M.
-de Caulaincourt, afin de savoir si aucune réponse n'était venue de
-Dresde, et chaque fois trouvant M. de Caulaincourt triste et
-silencieux parce qu'il n'avait rien à dire, il répéta que passé minuit
-il serait non plus arbitre, mais belligérant, réduit par conséquent à
-solliciter pour la paix auprès de ses nouveaux alliés, au lieu de
-pouvoir la leur imposer modérée et acceptable pour tout le monde.
-
-[En marge: Rien n'étant arrivé dans le délai fixé, M. de Metternich
-annonce le 11 que l'Autriche déclare la guerre à la France.]
-
-Après avoir vainement attendu pendant toute la journée du 10, M. de
-Metternich signa enfin l'adhésion de l'Autriche à la coalition, et
-annonça le lendemain 11 au matin à M. de Caulaincourt et à M. de
-Narbonne (celui-ci ignorant toujours la négociation secrète), annonça,
-disons-nous, avec un chagrin qui frappa tous les yeux, que le congrès
-de Prague était dissous, que dès lors l'Autriche, forcée par ses
-devoirs envers l'Allemagne et envers elle-même, se voyait contrainte à
-déclarer la guerre à la France. Les négociateurs prussien et russe
-annoncèrent de leur côté qu'ils se retiraient, en rejetant sur la
-France la responsabilité de l'insuccès des négociations, et
-quittèrent Prague avec une joie non dissimulée. Du reste cette joie
-fut universelle, et excepté M. de Metternich, qui, tout en les
-bravant, apercevait les conséquences possibles d'une rupture avec
-Napoléon, excepté l'empereur qui avait le coeur serré en songeant à sa
-fille, les Autrichiens de toutes les classes manifestèrent des
-transports d'enthousiasme. Les passions germaniques qu'ils
-partageaient, et qu'on les avait forcés de contenir, éclatèrent sans
-mesure, comme elles avaient éclaté à Breslau et à Berlin quelques mois
-auparavant.
-
-[En marge: Le courrier attendu le 10 étant arrivé le 11, M. de
-Caulaincourt se rend chez M. de Metternich pour lui transmettre les
-dernières conditions de Napoléon.]
-
-[En marge: M. de Metternich, même en admettant que ces conditions
-puissent être convenablement modifiées, déclare qu'au lieu de les
-imposer, il ne peut plus désormais que les proposer aux souverains
-alliés.]
-
-[En marge: Chagrin visible de M. de Metternich.]
-
-Dans le courant de cette journée du 11 M. de Caulaincourt reçut enfin
-le courrier tant souhaité la veille, et en voyant ce qu'il apportait
-regretta moins sa tardive arrivée. Bien qu'il ne désespérât pas
-d'obtenir quelque concession de la part de M. de Metternich, toutefois
-il ne se flattait pas d'en obtenir la translation de la Prusse au delà
-de l'Oder, et même cette condition chimérique mise de côté, il ne
-croyait pas pouvoir conserver à Napoléon Hambourg, le protectorat de
-la Confédération du Rhin, et surtout Trieste. Pourtant en laissant
-Trieste à l'Autriche, en convenant pour les villes anséatiques d'un
-arrangement suspensif qui ferait dépendre leur restitution de la paix
-avec l'Angleterre, il ne regardait pas comme impossible d'amener M. de
-Metternich aux propositions de la France. Il courut donc chez lui, le
-trouva triste, ému, désolé de ce qu'on venait si tard, étonné et
-mécontent de ce qu'on eût livré à M. de Bubna le secret d'une
-négociation qu'on s'était promis de tenir absolument cachée, ne
-jugeant pas acceptables les conditions de Napoléon, mais sur
-l'indication assez claire qu'elles n'étaient pas irrévocables,
-donnant à entendre qu'en étant absolu sur la restitution de Trieste à
-l'Autriche, sur le rétablissement de la Prusse jusqu'à l'Elbe, sur
-l'abolition du protectorat du Rhin, il serait possible d'ajourner la
-question des villes anséatiques à la paix avec l'Angleterre, ce qui
-réduisait beaucoup le désagrément de ce sacrifice pour Napoléon, en le
-couvrant de l'immense éclat de la paix maritime. Mais, ajoutait M. de
-Metternich, ces conditions ainsi modifiées que nous aurions pu imposer
-aux parties belligérantes il y a vingt-quatre heures, ne dépendent
-plus de nous, et nous sommes réduits à les proposer sans savoir si
-nous réussirons à les faire accueillir. M. de Metternich au surplus
-était chagrin et agité, car si avec sa rare portée d'esprit il voyait
-dans l'occasion présente de fortes chances de relever sa patrie, il
-voyait aussi de nombreuses chances de la perdre en la jetant dans une
-guerre effroyable. Napoléon, quoique bien imprudent aux yeux des
-hommes de sens, restait si grand dans l'imagination du monde, qu'on le
-craignait encore profondément, tout en le jugeant égaré par la
-passion, et exposé à toutes les fautes que la passion fait commettre.
-
-[En marge: M. de Narbonne quitte Prague, mais M. de Caulaincourt y
-reste pour attendre la réponse des souverains coalisés.]
-
-[En marge: Nouvelles instances de M. de Caulaincourt auprès de
-Napoléon.]
-
-Cependant la négociation officielle ne pouvait pas durer, puisque le
-congrès était rompu, et que la guerre était officiellement déclarée
-par l'Autriche à la France. Les plénipotentiaires russe et prussien
-venaient de s'éloigner, et il n'était pas séant que les
-plénipotentiaires français demeurassent à Prague. Il fut convenu, si
-Napoléon y consentait, qu'on ferait partir M. de Narbonne seul, en
-expliquant le mieux possible à celui-ci son départ isolé, que M. de
-Caulaincourt au contraire resterait pour attendre le résultat des
-ouvertures dont M. de Metternich était chargé auprès des souverains de
-Prusse et de Russie, lesquels devaient être rendus à Prague sous deux
-ou trois jours. Cette prolongation de séjour était fort désagréable à
-M. de Caulaincourt, car sa position allait devenir tout à fait fausse
-lorsque l'empereur Alexandre étant à Prague, il se trouverait dans la
-même ville sans le voir. Mais tout ce qui laissait une chance à la
-paix lui paraissait supportable, même désirable, et il consentit
-volontiers à rester. En racontant ce qui avait eu lieu entre lui et le
-ministre autrichien, il adressa de nouvelles instances à Napoléon en
-faveur de la paix, le supplia de continuer cette négociation, si
-difficile qu'elle fût devenue depuis qu'elle se passait non plus avec
-l'Autriche seule, mais avec toutes les puissances belligérantes, le
-pressa de lui donner quelque latitude pour traiter, et de lui envoyer
-surtout des pouvoirs authentiques pour signer, car dans cet instant
-suprême, le moindre défaut de forme pouvait être pris pour un nouveau
-faux-fuyant, et lui valoir un congé définitif. Tout ce qu'un honnête
-homme, un bon citoyen peuvent dire à un souverain afin de lui épargner
-une faute mortelle, M. de Caulaincourt le répéta encore à Napoléon,
-dans un langage aussi ferme que soumis et dévoué.
-
-[En marge: Napoléon peu surpris et peu affligé de ce qui est arrivé,
-autorise M. de Caulaincourt à attendre à Prague, sans lui envoyer
-aucune facilité pour traiter.]
-
-Ces communications envoyées à Dresde, trouvèrent Napoléon tout préparé
-à la guerre, et aussi peu affligé que peu surpris de la rupture du
-congrès. Le jour même où l'Autriche avait déclaré le congrès dissous
-avant d'avoir été réuni, et annoncé son adhésion à la coalition,
-l'armistice avait été dénoncé par les commissaires des puissances
-belligérantes, ce qui fixait au 17 août la reprise des hostilités. La
-possibilité de renouer par des voies secrètes des négociations rompues
-d'une manière si éclatante, était presque nulle, et Napoléon se
-conduisit comme s'il n'y comptait pas du tout. Il prescrivit à M. de
-Narbonne de revenir à l'instant même de Prague, car ce diplomate étant
-à la fois plénipotentiaire au congrès et ambassadeur auprès de la cour
-d'Autriche, ne pouvait pas figurer plus longtemps auprès d'une cour
-qui venait de déclarer la guerre à la France. Il autorisa M. de
-Caulaincourt à demeurer à Prague, non pas dans la ville même, mais
-dans les environs, afin que cet ancien ambassadeur de France en Russie
-ne se trouvât pas dans le même lieu que l'empereur Alexandre, dont il
-ne fallait pas, disait-il, _orner le triomphe_, triomphe, hélas! que
-nous lui avions ménagé nous-mêmes par une obstination aveugle; il
-consentit à ce que ses dernières propositions fussent transmises à la
-Prusse et à la Russie, non pas en son nom, mais au nom de l'Autriche,
-qui les présenterait comme siennes, car, pour lui, il ne jugeait pas,
-ajoutait-il, de sa dignité de rien proposer aux puissances
-belligérantes. Il envoya à M. de Caulaincourt des pouvoirs en forme,
-mais aucune latitude pour traiter, ses conditions étant invariables à
-l'égard des villes anséatiques, du protectorat du Rhin, et même de
-Trieste, qu'il voulait retenir en restituant l'Illyrie à l'Autriche.
-C'étaient là de bien faibles chances d'aboutir à la paix, l'Autriche
-ne pouvant admettre de pareilles conditions, et le voulût-elle, ne
-pouvant plus jeter dans la balance le poids décisif de son épée,
-depuis qu'on lui avait laissé, malgré ses avis répétés, le temps de
-s'engager à la coalition.
-
-[En marge: Napoléon dispose tout pour recommencer vivement la guerre.]
-
-[En marge: Progrès de ses armements.]
-
-[En marge: Ordres pour qu'on soit partout en mesure à la reprise des
-hostilités.]
-
-Mais toutes ces raisons ne touchaient guère Napoléon. Les instances de
-M. de Caulaincourt n'avaient produit sur lui aucune impression. Il
-respectait le caractère, la franchise de ce personnage, le traitait
-avec plus de considération que M. de Bassano, mais l'écoutait peu,
-parce qu'il le savait dans de tout autres idées que les siennes. Il
-venait de faire célébrer le 10 août sa fête ordinairement fixée au 15,
-avait donné des festins à toute l'armée, distribué des prix nombreux
-pour le tir, et écarté autant que possible les sinistres images de
-mort de l'esprit de ses soldats si faciles à distraire et à égayer.
-Ses corps d'armée étaient tout préparés, et dès le 11 ils avaient
-commencé à sortir de leurs cantonnements pour se concentrer sous leurs
-chefs, et se porter sur la ligne où ils étaient appelés à combattre.
-Les anciens corps étaient reposés, recrutés et complétés. Les nouveaux
-venaient d'achever leur organisation. La cavalerie quoique jeune était
-redevenue belle, et même nombreuse. Les travaux de Koenigstein et de
-Lilienstein, de Dresde, de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg, de
-Werben, de Hambourg, étaient terminés ou bien près de l'être. Les
-vastes approvisionnements qui avaient dû remonter par l'Elbe de
-Hambourg sur Magdebourg, de Magdebourg sur Dresde, étaient déjà réunis
-sur les points où l'on en avait besoin. Dresde regorgeait de grains,
-de farines, de spiritueux, de viande fraîche et salée. Tous les
-convois avaient été accélérés, et les ordres étaient donnés pour que
-le 15 il n'y eût ni une voiture de roulage sur les routes d'Allemagne,
-ni un bateau sur l'Elbe, afin que les Cosaques ne trouvassent rien à
-enlever, et ne pussent _piller que le pays_, ainsi que Napoléon
-l'écrivait au maréchal Davout. Lui-même se disposait à partir le 15 ou
-le 16 août pour se rendre en Silésie et sur la frontière de Bohême, où
-il s'attendait à voir commencer les hostilités. Du reste il ne laissa
-de doute à personne sur le renouvellement de la guerre. Il écrivit à
-Dantzig au général Rapp pour l'encourager, le rassurer sur l'issue de
-cette nouvelle lutte, lui conférer des pouvoirs extraordinaires, lui
-recommander de ne jamais rendre la place, et lui promettre de le
-débloquer prochainement. Il en fit autant à l'égard des commandants de
-Glogau, de Custrin et de Stettin. Il écrivit au maréchal Davout à
-Hambourg, au général Lemarois à Magdebourg, qu'ils eussent à se tenir
-sur leurs gardes, que la guerre allait recommencer, qu'elle serait
-terrible, mais qu'il était en mesure de faire face à tous ses ennemis,
-l'Autriche comprise, et qu'il espérait avant trois mois les punir de
-leurs indignes propositions. À personne il ne dit, parce qu'il ne
-l'aurait pas osé, à quoi avait tenu la paix; il n'en informa pas même
-le chef véritable du gouvernement de la régence, l'archichancelier
-Cambacérès, et se contenta de lui mander que bientôt on lui ferait
-connaître les exigences de l'Autriche, que pour le moment on était
-obligé d'en garder le secret, mais qu'elles avaient été excessives
-jusqu'à en devenir offensantes. Respectant un peu moins le duc de
-Rovigo, Napoléon hasarda un véritable mensonge avec lui, et osa lui
-écrire qu'on avait voulu nous ôter Venise, se fondant apparemment sur
-son thème ordinaire, que demander Trieste c'était demander Venise,
-comme si on prétendait que demander Magdebourg, c'est demander
-Mayence, parce que l'une est sur le chemin de l'autre. Ne voulant pas
-qu'on inquiétât l'Impératrice, il prescrivit à l'archichancelier de la
-faire partir pour Cherbourg, afin qu'elle n'apprît la rupture et la
-reprise des hostilités qu'après quelque grande bataille gagnée, et les
-plus gros dangers passés.
-
-[En marge: Arrivée de Murat à Dresde.]
-
-En ce moment parut à Dresde l'un des lieutenants de Napoléon les plus
-utiles un jour de bataille, et doublement désirable dans les
-circonstances présentes, sous le rapport de la guerre et de la
-politique; c'était le roi de Naples. Outre que la cavalerie de
-réserve, pouvant présenter trente mille cavaliers en ligne, avait
-besoin d'être commandée par un chef d'un mérite supérieur, c'était un
-vrai soulagement pour Napoléon, un grand motif de sécurité, que
-d'avoir tiré Murat d'Italie. On a vu que, fatigué du joug de Napoléon,
-blessé de ses traitements offensants, alarmé sur le sort de la
-dynastie impériale, Murat avait songé à se rattacher à l'Autriche et à
-la politique médiatrice de cette puissance, afin de sauver son trône
-d'un désastre général, et que se défiant même de sa femme, il avait
-fini par se cacher d'elle, et par tomber dans des agitations
-maladives. On a vu encore que Napoléon pour compléter l'armée
-d'Italie, et pour mettre la cour de Naples à l'épreuve, lui avait
-demandé une division de ses troupes, et que Murat, en intrigue avec
-l'Autriche, voulant garder d'ailleurs son armée tout entière sous sa
-main, s'était refusé aux désirs de son beau-frère. Mais avec ses
-manières accoutumées, Napoléon avait fait sommer Murat par le ministre
-de France M. Durand de Mareuil, d'obtempérer à ses réquisitions sous
-peine de la guerre. Murat alors ne sachant plus à quel parti
-s'arrêter, tantôt voyant Napoléon battu, détruit, tous les trônes des
-Bonaparte renversés, excepté peut-être les trônes de ceux qui auraient
-opéré leur défection à temps, tantôt le voyant vainqueur à Lutzen, à
-Bautzen et ailleurs, désarmant l'Europe par la victoire et par les
-concessions, sacrifiant à la paix l'Espagne et Naples au besoin, était
-tombé dans un véritable état de folie, lorsque les conseils de sa
-femme, et les lettres du duc d'Otrante, avec lequel il avait été plus
-d'une fois en intrigue secrète, l'avaient déterminé à obéir. Mais ne
-voulant pas que la réconciliation une fois qu'il s'y décidait eût lieu
-à moitié, il était venu se mettre à la tête de la cavalerie de la
-grande armée, et était arrivé à Dresde la veille de l'entrée en
-campagne. Napoléon l'accueillit avec bonne grâce, feignant de ne pas
-s'apercevoir de ce qui s'était passé, paraissant n'attacher aucune
-importance aux variations d'un beau-frère aussi brave qu'inconséquent,
-pardonnant en un mot, mais avec une certaine marque de dédain que
-Murat discernait bien, et sentait sans le dire.
-
-[En marge: Napoléon part le 15 août pour Bautzen.]
-
-[En marge: Vague et faible espérance de paix conservée par M. de
-Caulaincourt à Prague.]
-
-[En marge: Les dernières conditions un peu modifiées auraient
-peut-être décidé l'Autriche à la paix, si elle n'avait pas été engagée
-à dater du 11 août.]
-
-Il l'emmena donc avec lui, et partit dans la nuit du 15 au 16 août
-pour Bautzen, afin d'être aux avant-postes vingt-quatre heures avant
-la reprise des hostilités, et ne conservant évidemment aucune
-espérance de voir la paix résulter des efforts réunis de MM. de
-Caulaincourt et de Metternich. L'espérance était bien faible en effet,
-tant à cause des conditions elles-mêmes que du temps si tristement
-perdu. M. de Caulaincourt immédiatement après avoir reçu les dernières
-communications de Dresde, et avoir donné quelques prétextes à M. de
-Narbonne afin d'expliquer la prolongation de son séjour à Prague,
-s'était rendu auprès de M. de Metternich pour lui montrer ses
-pouvoirs, pour lui fournir ainsi la preuve qu'il était autorisé à
-négocier sérieusement, à la condition toutefois de présenter au nom de
-l'Autriche et non pas au nom de la France les propositions qu'il
-s'agissait de faire adopter. Quant au fond des choses, il ne pouvait
-pas offrir grande satisfaction, puisque Napoléon avait à peu près
-persisté dans toutes ses prétentions. Néanmoins si l'Autriche eût
-encore été libre, elle eût peut-être admis les conditions françaises,
-car recouvrant l'Illyrie, recouvrant en outre la part de la Gallicie
-qu'on lui avait prise pour constituer le grand-duché de Varsovie,
-obtenant une espèce de reconstitution de la Prusse au moyen de la
-dissolution de ce grand-duché, étant débarrassée elle et ses alliés du
-fantôme de Pologne que depuis quelques années Napoléon avait toujours
-tenu sous les yeux des anciens copartageants, elle aurait probablement
-pensé que c'était assez tirer des circonstances, et elle n'eût pas
-bravé les chances de la guerre pour Trieste, et surtout pour Hambourg,
-qui intéressait la Prusse et l'Angleterre beaucoup plus qu'elle-même.
-Malheureusement elle n'était plus libre, et ne voulant pas manquer de
-parole à ses nouveaux alliés, elle ne pouvait que leur adresser des
-conseils, sans avoir pour les décider le moyen de leur refuser son
-alliance, accordée depuis le 10 août à minuit. M. de Metternich, en
-disant plus qu'il n'en avait jamais dit, depuis que ses confidences
-étaient sans inconvénients, avoua au duc de Vicence que ces conditions
-un peu modifiées auraient vraisemblablement amené la paix, huit jours
-auparavant, mais que maintenant dépendant d'autrui, ne pouvant rien
-sans ses alliés, il désespérait de les leur faire accepter. Il parla
-des passions qui les animaient, des espérances qu'ils avaient conçues,
-de l'effet produit sur eux par la bataille de Vittoria, et à l'émotion
-qu'il éprouvait, il était aisé de voir qu'il était sincère dans ses
-regrets. En effet, pour l'Angleterre protégée par la mer, pour la
-Russie protégée par la distance, la lutte après tout ne pouvait pas
-avoir de conséquences mortelles, mais pour la Prusse et l'Autriche que
-rien ne garantissait des coups de Napoléon, et qui avaient passé avec
-lui de l'alliance à la guerre, la lutte pouvait amener des résultats
-désastreux, et M. de Metternich sentait bien que, quelque raison qu'il
-eût d'essayer en cette occasion de refaire la situation de son pays,
-on l'accablerait de sanglants reproches si Napoléon était vainqueur.
-Il est donc très-présumable, que libre encore il eût, sauf quelques
-différences, accepté les conditions proposées, et il était visible
-qu'en perdant le temps avec une déplorable obstination, on s'était
-plus nui peut-être qu'en persistant dans des prétentions excessives.
-
-[En marge: M. de Caulaincourt se retire au château de Koenigsal pour y
-attendre le résultat des ouvertures dont M. de Metternich est chargé.]
-
-Quoi qu'il en soit, on convint que dès l'arrivée de l'empereur
-Alexandre et du roi de Prusse à Prague, M. de Metternich leur ferait
-pour le compte de son maître les ouvertures dont il vient d'être
-question, et qu'il donnerait la réponse avant le 17 août. Pour rendre
-convenable la position de M. le duc de Vicence, auquel on ne manqua
-jamais de témoigner les égards dont il était digne, il fut décidé
-qu'il irait attendre la réponse de M. de Metternich au château de
-Koenigsal, situé près de Prague, et appartenant à l'empereur François.
-Il serait ainsi dispensé de se trouver dans le même lieu que
-l'empereur Alexandre, et dispensé aussi d'assister à toute la joie des
-coalisés, qui accueillaient avec transport la nouvelle des prochaines
-hostilités et de l'adhésion de l'Autriche à la coalition européenne.
-
-Déjà depuis le 11 août une partie des états-majors prussien et russe
-était accourue à Prague pour concerter les opérations militaires avec
-l'état-major autrichien; une armée de plus de cent mille hommes,
-Prussiens et Russes, entrait en Bohême pour se réunir à l'armée
-autrichienne; les officiers des trois armées s'embrassaient, se
-félicitaient de combattre ensemble pour contribuer à ce qu'ils
-appelaient la commune délivrance, et partout éclatait une joie pour
-ainsi dire convulsive, car elle était un mélange d'espérance, de
-crainte et de résolution désespérée.
-
-[En marge: Arrivée le 15 août de l'empereur Alexandre à Prague.]
-
-[En marge: Exaltation d'esprit de ce monarque.]
-
-[En marge: Il ne veut plus de la paix.]
-
-[En marge: Réponse officielle qu'il fait adresser aux dernières
-propositions de Napoléon.]
-
-Le 15 l'empereur Alexandre fit son entrée dans Prague et y fut reçu
-avec les honneurs dus à son rang et au rôle de libérateur de l'Europe
-que tout le monde lui attribuait alors, excepté toutefois le
-gouvernement autrichien, assez offusqué de ces témoignages
-enthousiastes, et peu disposé à échanger la domination de la France
-contre celle de la Russie. Dès que ce monarque fut rendu à Prague, et
-avant que le roi de Prusse y fût arrivé, M. de Metternich et
-l'empereur François lui firent connaître le secret de la négociation
-clandestine, qui avait pris naissance à côté de la négociation
-officielle dans les derniers jours du congrès de Prague, et lui
-demandèrent son avis. Parler paix dans ce moment n'était guère de
-saison. Alexandre était enivré d'espérance depuis la bataille de
-Vittoria, et surtout depuis l'adhésion de l'Autriche. Peut-être même
-sans cette puissance il se serait flatté de pouvoir soutenir la lutte,
-ayant reçu dans les deux derniers mois de nombreux renforts, et la
-Prusse, elle aussi, ayant fort augmenté ses armements. Mais, avec
-l'Autriche de plus, avec les nouvelles que les Anglais mandaient de
-leurs progrès en Espagne, de leur prochaine entrée en France, il ne
-doutait pas d'être bientôt vainqueur de Napoléon, et de le remplacer
-en Europe! La tête de ce jeune monarque était dans un état
-d'incandescence extraordinaire, et pour atteindre au terme de cette
-ambition, il n'était ni dangers qu'il ne fût résolu à braver, ni
-caresses qu'il ne fût disposé à prodiguer à ses associés anciens et
-nouveaux. Il était en effet plein de soins, de déférence apparente
-pour tous, et, loin de se grandir, il affectait au contraire de se
-montrer moins grand, moins puissant qu'il n'était, de peur d'offusquer
-et de déplaire. Avec beaucoup de respect et de condescendance pour
-l'empereur François, et sans afficher l'intention de détrôner
-Napoléon, c'est-à-dire Marie-Louise, il manifesta l'espérance de
-conquérir bientôt par la guerre des conditions meilleures, et une
-indépendance de l'Allemagne infiniment mieux garantie. Il avait
-d'ailleurs une raison toute-puissante à faire valoir auprès de
-l'Autriche, c'est que sans l'abandon des villes anséatiques il serait
-impossible d'obtenir l'adhésion de l'Angleterre à laquelle on était
-étroitement lié, et il avait de plus un appât bien séduisant à faire
-briller à ses yeux, c'était la possibilité si on était victorieux, de
-lui restituer une partie de l'Italie. En conséquence, sans attendre
-l'arrivée du roi de Prusse, Alexandre fit répondre par écrit, et par
-l'intermédiaire de M. de Metternich à M. de Caulaincourt, que Leurs
-Majestés les souverains alliés, après en avoir conféré entre eux,
-pensant _que toute idée de paix véritable était inséparable de la
-pacification générale que Leurs Majestés s'étaient flattées de
-préparer par les négociations de Prague, elles n'avaient pas trouvé
-dans les articles que proposait maintenant Sa Majesté l'Empereur
-Napoléon des conditions qui pussent faire atteindre au grand but
-qu'elles avaient en vue, et que par conséquent Leurs Majestés
-jugeaient les conditions inadmissibles_. C'était dire assez clairement
-qu'on regardait ces conditions comme tout à fait inacceptables par
-l'Angleterre.
-
-[En marge: M. de Caulaincourt quitte Prague définitivement pour aller
-rejoindre Napoléon.]
-
-[En marge: Ses regrets et son chagrin.]
-
-M. de Bender, employé de la légation autrichienne, fut chargé de
-porter lui-même cette réponse à M. de Caulaincourt au château de
-Koenigsal, et de la lui remettre par écrit. Quoique s'y attendant, M.
-de Caulaincourt en fut cependant consterné, car dans son bon sens,
-dans son noble patriotisme, il n'augurait que de grands malheurs de
-la continuation de cette guerre. Il fit ses préparatifs de départ,
-vit une dernière fois M. de Metternich, avec lequel il échangea de
-nouveaux et inutiles regrets, convint avec lui qu'on pourrait ouvrir
-un congrès afin de négocier en se battant, faible espérance qui
-laissait la chance pour les uns ou pour les autres de signer après un
-affreux duel sa propre destruction, puis il alla rejoindre Napoléon en
-Lusace. Le coeur plein d'une sorte de désespoir, il écrivit à M. de
-Bassano pour lui exprimer en un langage haut et amer le déplaisir
-d'avoir été employé à une négociation illusoire, et, arrivé auprès de
-Napoléon, il lui témoigna, avec un respect grave, mais avec une
-conviction ferme, la douleur qu'il éprouvait d'avoir vu négliger cette
-occasion unique de conclure la paix. Napoléon d'une façon assez légère
-essaya de le consoler de cette occasion manquée, promettant de lui en
-fournir bientôt une plus belle, et lui rendit ses fonctions qui
-nominalement étaient celles de grand écuyer, mais qui devenaient,
-depuis la mort du maréchal Duroc, tantôt celles de grand maréchal,
-tantôt même celles de ministre des affaires étrangères et
-d'ambassadeur extraordinaire. Les honneurs pouvaient toucher ce grand
-coeur, sensible assurément aux faveurs de cour, mais ne pouvaient à
-aucun degré lui faire oublier les infortunes de son pays.
-
-[En marge: Caractère général, et suite inévitable de la conduite tenue
-envers l'Autriche.]
-
-Telle fut cette célèbre et malheureuse négociation avec l'Autriche,
-commencée, conduite sous l'empire des plus funestes illusions, et avec
-une maladresse que les passions seules peuvent expliquer chez un
-esprit aussi pénétrant que celui de Napoléon. Comme nous l'avons dit,
-comme l'avaient soutenu MM. de Caulaincourt, de Talleyrand, de
-Cambacérès, lors du conseil tenu aux Tuileries, il fallait ou annuler
-l'Autriche dans cette occasion, l'essayer au moins en la comblant
-d'égards, en affectant de ne pas vouloir l'engager dans une guerre qui
-lui était étrangère, et surtout en ne lui demandant aucune portion de
-ses forces, pour ne pas lui fournir soi-même un prétexte d'armer; ou
-bien, si on la pressait d'entrer plus avant dans les événements, si on
-lui fournissait par là un motif spécieux d'augmenter ses forces, si on
-la conduisait pour ainsi dire par la main au rôle de médiatrice, il
-fallait prévoir ses désirs qui naissaient de sa situation même, et se
-résigner à les satisfaire, ce qui après tout n'aurait pas été
-très-coûteux. Mais la pousser à prendre son épée, et se figurer
-qu'elle l'emploierait pour nous et non pour elle, à notre gré et non
-au sien, était le comble des illusions, de ces illusions que les
-grands esprits se font aussi bien que les plus petits, lorsqu'ils ont
-besoin de se tromper eux-mêmes. Si à cette faute on joint celle
-d'avoir signé l'armistice de Pleiswitz avant d'avoir rejeté les
-coalisés sur la Vistule et loin des Autrichiens, seconde faute qui
-tenait, comme on l'a vu, à ce même désir obstiné d'échapper aux
-conditions de la cour de Vienne, on a les vraies causes qui firent
-aboutir à un si fatal dénoûment les événements d'abord si heureux du
-printemps de 1813.
-
-[En marge: Reprise des hostilités sur toute la ligne de l'Elbe, depuis
-Koenigstein jusqu'à Hambourg.]
-
-Du reste le canon retentissait déjà sur une ligne de cent cinquante
-lieues, depuis Koenigstein jusqu'à Hambourg, et Napoléon, excité par
-le bruit des armes, avait bientôt oublié les allées et venues, les
-dits et redits des diplomates, pour ne songer qu'aux vastes desseins
-militaires desquels il attendait les plus grands résultats. Le moment
-est venu de faire connaître son plan et ses forces pour cette seconde
-partie de la campagne de Saxe. Mais afin de les mieux comprendre, il
-faut d'abord se rendre compte du plan et des forces de nos ennemis.
-
-[En marge: Plan et forces des coalisés.]
-
-[En marge: Les trois grandes armées actives de Bohême, de Silésie et
-du nord.]
-
-On se souvient qu'à Trachenberg il avait été convenu par les coalisés,
-que trois armées principales marcheraient contre Napoléon, qu'elles
-agiraient offensivement toutes les trois, mais avec précaution, afin
-d'éviter les échauffourées; que dans cette vue, celle des trois sur
-laquelle se dirigerait Napoléon ralentirait le pas, tandis que les
-deux autres tâcheraient de se jeter sur ses flancs et ses derrières,
-et d'accabler ainsi les lieutenants qu'il aurait chargés de les
-garder. Ces trois armées devaient être celles de Bohême, de Silésie,
-du nord, qu'on espérait avec les corps d'Italie et de Bavière porter à
-575 mille hommes de troupes actives, traînant 1,500 bouches à feu,
-sans compter 250 mille hommes en réserve, répandus dans la Bohême, la
-Pologne, la Vieille-Prusse. On était en effet à peu près arrivé à ces
-chiffres énormes pendant la durée de l'armistice, qui n'avait pas
-moins profité à la coalition qu'à Napoléon, car les Russes avaient
-reçu leurs renforts et leur matériel, que dans la précipitation de
-leur marche d'hiver ils n'avaient pas eu le temps d'amener; les
-Prussiens avaient également eu le loisir d'armer et d'instruire leurs
-innombrables volontaires, et l'Autriche enfin avait organisé son armée
-qui existait à peine sur le papier au mois de janvier, de sorte
-qu'indépendamment de l'avantage politique de décider l'Autriche,
-l'armistice de Pleiswitz avait eu encore pour les coalisés celui de
-doubler en nombre les troupes qu'ils allaient nous opposer.
-
-[En marge: Armée de Bohême, et sa force.]
-
-[En marge: Cette armée est commandée par le prince de Schwarzenberg.]
-
-Les forces de la coalition avaient été ainsi réparties. Cent vingt
-mille Autrichiens environ, dont moitié d'anciens soldats, se
-trouvaient en Bohême, rangés au pied des montagnes qui séparent cette
-province de la Saxe, et tout prêts à en franchir les défilés.
-Soixante-dix mille Russes sous Barclay de Tolly, 60 mille Prussiens
-sous le général Kleist, avaient attendu la déclaration de l'Autriche
-pour passer de Silésie en Bohême, et venir former avec les Autrichiens
-la grande armée destinée à tourner la position de Dresde, par une
-marche en Saxe. (Voir la carte nº 58.) Le point de mire de cette
-armée, dite de Bohême, était Leipzig, et les coalisés ne comprenaient
-pas que Napoléon, abordé de front sur l'Elbe par deux autres armées,
-pût tenir à une attaque aussi formidable que celle qu'on lui préparait
-sur ses derrières avec 250 mille hommes. Par déférence pour
-l'Autriche, et pour la décider par tous les moyens imaginables, ceux
-de la flatterie compris, on avait décerné le commandement supérieur de
-l'armée de Bohême au prince de Schwarzenberg, qui avait négocié en
-qualité d'ambassadeur le mariage de Marie-Louise, qui avait commandé
-le corps autrichien auxiliaire en 1812, et venait tout récemment
-d'être envoyé à Paris. Ces rôles si contradictoires causaient quelque
-embarras à ce personnage, qui devait à Napoléon le bâton de maréchal
-sans l'avoir mérité, et était appelé à le mériter contre celui même
-qui le lui avait fait obtenir. Il éprouvait aussi une singulière
-crainte de se trouver en présence d'un adversaire tel que Napoléon,
-bien qu'il eût beaucoup parlé dans le conseil aulique de
-l'affaiblissement de l'armée française, et comme d'usage il se
-consolait d'une situation fausse par les vives jouissances de
-l'orgueil satisfait. C'était effectivement un honneur insigne pour lui
-que d'exercer un si vaste commandement sous les yeux des souverains
-coalisés, et il n'en était pas indigne à certains égards, car il était
-sage, avait quelque entente de la grande guerre, et possédait un
-savoir-vivre qui le rendait propre à manier les caractères si divers
-dont se composait la coalition. À cette flatterie envers l'Autriche on
-avait ajouté un genre de soins non moins capable de la toucher. Par un
-article secret du traité de subsides conclu avec le gouvernement
-britannique à Reichenbach, on était convenu qu'il lui serait alloué un
-secours pécuniaire, dans le cas où elle prendrait part à la guerre, et
-lord Cathcart, arrivé à Prague, avait déjà émis des lettres de change
-sur Londres, pour lui procurer le plus tôt possible les ressources
-financières dont elle avait besoin.
-
-[En marge: Armée de Silésie commandée par Blucher.]
-
-Après cette armée principale venait celle de Silésie. Elle se
-composait des corps russes des généraux Langeron et Saint-Priest,
-forts ensemble de plus de 40 mille hommes, du corps prussien du
-général d'York qui en comptait 38 mille à peu près, enfin d'un autre
-corps russe, celui du général Sacken, comprenant de 17 à 18 mille
-hommes. Le tout présentait une masse totale de près de cent mille
-combattants. L'impétueux Blucher était à la tête de cette armée. Elle
-devait franchir la limite qui en Silésie avait séparé les troupes
-belligérantes pendant l'armistice, passer la Katzbach, le Bober, et
-nous ramener même sur Bautzen, si Napoléon n'était pas de ce côté. On
-avait fort recommandé à Blucher la prudence, mais entouré des
-officiers prussiens les plus ardents, ayant pour chef d'état-major, au
-lieu du général Scharnhorst mort de ses blessures, le général
-Gneisenau, officier spirituel, agissant toujours de premier mouvement,
-il n'avait à ses côtés personne qui pût lui rappeler ces sages
-instructions.
-
-[En marge: Armée du nord; sa composition, sa distribution sous le
-prince royal de Suède.]
-
-L'armée du nord réunie autour de Berlin était la troisième des armées
-actives, et celle que devait commander le prince royal de Suède. Forte
-d'environ 150 mille hommes de toutes nations, elle comprenait 25 mille
-Suédois et Allemands, sous le général Steding, 18 mille Russes sous le
-prince Woronzow, 10 mille coureurs Cosaques ou autres sous
-Wintzingerode, 40 mille Prussiens sous le général Bulow, 30 mille
-autres Prussiens sous le général Tauenzien, ceux-ci particulièrement
-destinés au blocus des places, enfin un mélange d'Anglais, de
-Hanovriens, d'Allemands, d'Anséates, d'insurgés de toutes les
-provinces soumises à notre domination, lesquels formaient 25 mille
-hommes sous le général Walmoden. Une partie de cette nombreuse armée
-devait rester devant les places de Dantzig, de Custrin, de Stettin,
-une autre partie observer Hambourg, une troisième, la plus
-considérable, forte de 80 mille hommes, se diriger sur Magdebourg, y
-passer l'Elbe si elle pouvait, et menacer Napoléon par son flanc
-gauche, tandis que la grande armée de Bohême le menacerait par son
-flanc droit. On espérait qu'en marchant concentriquement sur lui,
-s'arrêtant quand il se jetterait sur l'une des trois armées, mais
-s'avançant vers le point qu'il aurait abandonné de sa personne, et
-chaque fois essayant de gagner un peu de terrain, on finirait par le
-serrer toujours de plus près, et par trouver peut-être une occasion de
-l'aborder tous ensemble afin de l'accabler sous une masse de forces
-écrasante.
-
-[En marge: Armées secondaires en Bavière et en Italie.]
-
-À ces trois armées actives comprenant 500 mille hommes, et traînant
-1,500 bouches à feu, on avait ajouté un rassemblement de 25 mille
-hommes, destiné à observer la Bavière, et un de 50 mille chargé de
-tenir tête au prince Eugène du côté de l'Italie. Du reste l'Autriche
-s'attendant à tout, mais n'attachant aucune importance à ce qui se
-passerait dans cette région, avait fait sortir de Vienne ce qu'il y
-avait de précieux en archives, armes, objets d'art. Elle croyait avec
-raison que le sort du monde se déciderait sur l'Elbe, entre Dresde,
-Bautzen, Magdebourg, Leipzig, et se résignait à voir, ce qui était peu
-probable, le prince Eugène à Vienne, plutôt que de détourner ses
-forces du véritable théâtre de la guerre.
-
-[En marge: Armées de réserve.]
-
-[En marge: La coalition n'a pas moins de 800 mille hommes sous les
-armes.]
-
-Ces deux armées de Bavière et d'Italie portaient donc à 575 mille
-hommes les forces actives de la coalition. À cette masse il faut
-ajouter les réserves. L'Autriche avait 60 mille hommes entre
-Presbourg, Vienne et Lintz. La Russie avait en Pologne 50 mille hommes
-sous le général Benningsen, 50 mille sous le prince de Labanoff, prêts
-les uns et les autres à entrer en ligne lorsque leur intervention
-serait nécessaire. La Prusse comptait encore sur environ 90 mille
-recrues qui achevaient de s'instruire, ce qui présentait un dernier
-fonds de 250 mille hommes, destiné à réparer les pertes que la guerre
-ferait éprouver aux troupes engagées les premières. Bien que les
-marches dussent bientôt éclaircir les rangs de ces nombreuses armées,
-il faut dire cependant que ces 800 et quelques mille hommes étaient
-tous présents au drapeau, et que c'était à cette force immense, non
-pas nominale mais réelle, que Napoléon aurait bientôt affaire. Jamais
-encore dans l'histoire on n'avait vu de pareilles quantités de soldats
-mises en mouvement, et jamais du reste le motif, pour la coalition du
-moins, ne l'avait autant mérité.
-
-[En marge: C'est l'armistice de Pleiswitz qui lui avait procuré ces
-forces immenses.]
-
-[En marge: Illusions de Napoléon qui avait cru que l'armistice de
-Pleiswitz ne profiterait qu'à lui.]
-
-[En marge: Vaste et beau plan de campagne de Napoléon.]
-
-C'est maintenant qu'on peut juger à quel point Napoléon s'était trompé
-en acceptant l'armistice de Pleiswitz. Il l'avait signé pour deux
-raisons, avons-nous dit, pour se soustraire aux pressantes instances
-de l'Autriche, relativement à la paix, et parce qu'habitué à ne
-trouver d'actif que lui-même, ne comprenant pas les miracles que la
-passion pouvait produire chez ses adversaires, il croyait que pendant
-ces deux mois il arriverait deux cent mille hommes peut-être dans ses
-rangs, et pas la moitié dans les rangs de ses adversaires. Le
-contraire avait eu lieu, car, ainsi qu'on va le voir, il n'avait guère
-ajouté plus de 150 mille hommes à ses troupes (sans compter il est
-vrai le surcroît de valeur morale qu'elles devaient à deux mois
-d'instruction et de repos), et la coalition en avait ajouté bien près
-de quatre cent mille, en y comprenant les forces de l'Autriche. Le
-calcul n'avait donc pas été juste. Toutefois Napoléon n'en avait pas
-moins employé ces deux mois avec une admirable activité, et ses plans
-étaient d'une habileté à déjouer tous ceux de ses adversaires.
-
-[En marge: Précautions prises sur tout le cours de l'Elbe, de
-Koenigstein à Hambourg.]
-
-[En marge: Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben
-et Hambourg.]
-
-La position de l'Elbe, comme nous l'avons dit, quoique facile à
-tourner en débouchant de la Bohême sur Leipzig, avait néanmoins été
-adoptée par Napoléon comme la meilleure, et même comme la seule
-admissible. (Voir les cartes n{os} 28 et 58.) Dresde, aussi bien
-fortifié qu'il pouvait l'être depuis qu'on en avait fait sauter les
-murailles, devait être son centre d'opération et son principal
-établissement. Il y avait ses arsenaux, ses magasins, ses dépôts et
-trois ponts. À sept ou huit lieues sur sa droite, au point où l'Elbe
-perce les montagnes de la Bohême pour pénétrer en Saxe, il possédait
-les postes fortifiés de Koenigstein et de Lilienstein, avec un pont
-solide et des magasins, afin de pouvoir manoeuvrer à volonté sur les
-deux rives du fleuve. Sur sa gauche, à Torgau, quinze lieues
-au-dessous de Dresde, il avait des ouvrages, des vivres et des ponts,
-de même à Wittenberg et à Magdebourg. Ce dernier point était de plus
-une vaste place, régulièrement fortifiée, dans laquelle il avait
-déposé, outre de grands amas de munitions et de vivres, tous les
-malades et blessés de la campagne du printemps. Le poste improvisé de
-Werben comblait la lacune comprise entre Magdebourg et Hambourg, et
-Hambourg enfin couvrait le bas Elbe. Il était possible sans doute de
-passer l'Elbe entre Magdebourg et Hambourg, à cause de la distance qui
-sépare ces deux villes, distance que le poste de Werben remplissait
-imparfaitement, mais l'ennemi qui voudrait tenter cette entreprise,
-laissant sur ses flancs les deux importantes places de Hambourg et de
-Magdebourg, et ayant en tête d'ailleurs un corps considérable dont on
-va voir tout à l'heure la position et le rôle, ne pouvait pas
-l'essayer, tant que la grande armée placée sous la main de Napoléon
-n'aurait pas perdu son point d'appui de Dresde, ce qui ramenait à
-Dresde même, où Napoléon commandait en personne, tout le noeud de
-l'immense action militaire qui allait s'engager.
-
-[En marge: Distribution des forces de Napoléon sur cette ligne
-défensive.]
-
-[En marge: Position de Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Position de Vandamme.]
-
-[En marge: Position de Poniatowski et de Victor.]
-
-[En marge: Position de Macdonald, Lauriston, Ney et Marmont.]
-
-[En marge: Direction sur Berlin assignée à Oudinot, Bertrand et
-Reynier.]
-
-La ligne de défense étant ainsi établie sur l'Elbe, reste à savoir
-comment Napoléon y avait distribué ses forces. Devinant les projets de
-l'ennemi comme s'il avait été présent aux conférences de Trachenberg,
-il avait parfaitement discerné qu'il aurait trois puissantes armées
-sur les bras, une à droite en Bohême, une de front en Silésie, une à
-gauche du côté de Berlin, menaçant l'Elbe entre Magdebourg et
-Hambourg. Il avait pourvu à ces diverses attaques avec une prévoyance
-qui ne laissait rien à désirer. Le nouveau corps du maréchal
-Saint-Cyr, fort de 30 mille hommes partagés en quatre divisions, et
-récemment amené de Mayence à Dresde, avait été placé à Koenigstein, en
-deçà de l'Elbe, c'est-à-dire sur la rive gauche, de manière à fermer
-les débouchés par lesquels la grande armée ennemie pouvait descendre
-de Bohême en Saxe sur nos derrières. Le corps du général Vandamme fort
-aussi de 30 mille hommes, détaché de l'armée du maréchal Davout, et
-amené de Hambourg à Dresde, avait été placé à la hauteur du corps de
-Saint-Cyr, mais au delà de l'Elbe, pour garder sur la droite du fleuve
-les défilés des montagnes de Bohême aboutissant en Lusace. Un peu
-plus loin en Lusace, toujours au pied des montagnes de Bohême, au
-défilé de Zittau, avaient été postés le corps de Poniatowski, et celui
-du maréchal Victor, dont la formation s'était achevée pendant la
-suspension d'armes. Enfin plus loin encore, c'est-à-dire en Silésie,
-sur la ligne frontière de l'armistice, sur la Katzbach et le Bober, se
-trouvaient les quatre corps, de Macdonald (le 11e), de Lauriston (le
-5e), de Ney (le 3e), de Marmont (le 6e), présentant cent mille hommes
-à eux quatre. En arrière, près de Bautzen, se trouvaient la garde
-impériale, portée pendant l'armistice de 12 mille hommes à 48 mille,
-et les trois corps de cavalerie de réserve des généraux
-Latour-Maubourg, Sébastiani, Kellermann, comprenant 24 mille cavaliers
-parfaitement montés. À gauche trois corps, ceux d'Oudinot (le 12e), de
-Bertrand (le 4e), de Reynier (le 7e), avaient reçu la mission de
-s'opposer à l'armée du Nord, commandée par Bernadotte.
-
-[En marge: Usage que Napoléon se proposait de faire de ces divers
-corps, dans toutes les suppositions imaginables.]
-
-[En marge: Concentration en arrière de Dresde, si l'ennemi débouchait
-de la Bohême par la route de Péterswalde.]
-
-Ses troupes étant ainsi distribuées, Napoléon avait résolu de parer de
-la manière suivante à toutes les éventualités de cette campagne
-formidable. L'armée du prince de Schwarzenberg, de beaucoup la plus
-nombreuse, celle qui menaçait notre flanc droit par les débouchés de
-la Bohême, pouvait descendre par deux issues, une en deçà de l'Elbe,
-c'est-à-dire derrière nous par la grande route de Péterswalde, l'autre
-au delà, c'est-à-dire devant nous, par la grande route de Bohême en
-Lusace passant à Zittau. C'était certainement par l'une de ces deux
-issues qu'elle devait faire son apparition. Napoléon était également
-prêt dans chacune de ces hypothèses. Le maréchal Saint-Cyr avec ses
-quatre divisions occupait en deçà de l'Elbe la chaussée de
-Péterswalde. (Voir la carte nº 58.) L'une de ces divisions était de
-garde au pont jeté entre les rochers de Koenigstein et de Lilienstein,
-deux autres occupaient le camp de Pirna, sous le feu duquel passe la
-grande route de Péterswalde. La quatrième avec la cavalerie légère du
-général Pajol, veillait à tous les chemins secondaires, qui plus en
-arrière encore, pouvaient prendre Dresde à revers. Si donc l'ennemi
-voulait descendre sur les derrières de Dresde, soit pour attaquer
-cette ville, soit pour se diriger sur Leipzig, le maréchal Saint-Cyr
-après avoir profité de l'avantage des lieux afin de ralentir la marche
-des coalisés, devait jeter une garnison dans les forts de Koenigstein
-et de Lilienstein, puis se replier sur Dresde avec ses quatre
-divisions. Adossé à cette ville avec environ 30 mille hommes, y
-trouvant une garnison de 8 à 10 mille, que Napoléon avait composée
-avec des convalescents, des bataillons de marche, et les gardes
-d'honneur, il devait s'y défendre dans un camp retranché
-laborieusement préparé à l'avance, et y tenir plusieurs jours sans
-avoir des prodiges à faire. En tout cas les choses étaient disposées
-de manière à lui procurer des secours prompts et décisifs. Le général
-Vandamme ayant ses trois divisions au delà de l'Elbe, une à Stolpen
-sur le chemin de Zittau, l'autre à Rumbourg près de Zittau même, la
-troisième à Bautzen, pouvait en vingt-quatre heures renvoyer à Dresde
-celle de ses divisions qui serait à Stolpen, et en quarante-huit
-heures amener les deux autres. Ainsi le second jour le maréchal
-Saint-Cyr devait être renforcé de 10 mille hommes, et le troisième de
-20 mille, ce qui porterait sa force totale à près de 70 mille
-combattants, et à 60 mille au moins établis dans un bon camp
-retranché. C'était de quoi le mettre à l'abri de toutes les attaques.
-Après deux autres jours, c'est-à-dire après quatre depuis l'apparition
-de l'ennemi, Napoléon devait accourir de Gorlitz avec 48 mille hommes
-de la garde, 24 mille de la réserve de cavalerie, 24 mille du corps du
-maréchal Victor, en ayant laissé à Zittau le corps de Poniatowski.
-Ainsi le quatrième jour 170 mille hommes devaient être sous Dresde, ce
-qui était bien suffisant, les lieux donnés, pour faire repentir de
-leur audace les coalisés qui auraient voulu tourner notre position, et
-pour les exposer à ne pas revoir la Bohême.
-
-[En marge: Concentration en avant de Dresde, à Gorlitz et à Lowenberg,
-si l'ennemi voulait déboucher de la Bohême en Lusace.]
-
-Dans le cas contraire, celui où l'ennemi songerait à descendre de
-Bohême en Lusace, non pas en deçà de l'Elbe, mais au delà, non pas
-derrière Napoléon mais devant lui, et à déboucher par Zittau sur
-Gorlitz ou Bautzen, la même distribution devait amener une aussi
-prompte concentration de forces. Napoléon avait résolu de placer au
-défilé de Zittau le corps de Poniatowski fort d'une douzaine de mille
-hommes, et tout près pour le soutenir le corps du maréchal Victor, ce
-qui faisait au moins 36 mille hommes, appuyés sur une forte position,
-située au sortir même des montagnes et soigneusement étudiée à
-l'avance. En une journée la garde et la cavalerie qui étaient à
-Gorlitz, la division de Vandamme qui était à Rumbourg, étaient prêtes
-à apporter un secours de 80 mille hommes aux 36 mille postés à
-Zittau. Un jour de plus devait par l'arrivée de Vandamme avec ses
-deux autres divisions, par le reploiement de l'un des quatre corps
-établis sur le Bober, amener un nouveau secours de 50 mille hommes.
-C'étaient encore 170 mille combattants opposés en deux jours à ce
-second débouché, et disposés de manière qu'ils pussent se défendre en
-attendant leur concentration.
-
-Telles étaient les précautions prises dans les deux hypothèses les
-plus vraisemblables. Si toutefois aucune d'elles ne se réalisait, si
-l'armée de Bohême, au lieu de vouloir déboucher si près de Napoléon,
-soit en avant de lui, soit en arrière, allait, en laissant un corps en
-Bohême, réunir sa masse principale à celle de Silésie, et nous aborder
-de front avec 250 mille hommes sur le Bober, pour nous livrer une
-immense bataille, les quatre corps de Ney, de Lauriston, de Marmont,
-de Macdonald, formant un total de cent mille hommes, pouvaient ou se
-défendre sur le Bober, ou se replier sur la Neisse et la Sprée, et s'y
-renforcer de 150 mille hommes par leur réunion avec la garde, avec la
-réserve de cavalerie, avec Victor, avec Poniatowski, avec Vandamme. On
-devait ainsi, sans même toucher à Saint-Cyr, se retrouver en force
-égale à celle de l'ennemi dans la troisième supposition, la seule
-imaginable après les deux autres. Ajoutez l'avantage dans tous les cas
-de la présence de Napoléon, son art de profiter des occurrences, la
-presque certitude sous sa direction de gagner une grande bataille à la
-première rencontre, et on conçoit qu'il se flattât d'avoir toutes les
-chances en sa faveur. Quel capitaine, dans aucun temps, avait calculé
-avec cette précision, avec cette universalité de prévoyance, les
-mouvements de si vastes masses, opposées à d'autres masses plus vastes
-encore!
-
-[En marge: Hypothèse d'une marche de l'ennemi sur Leipzig.]
-
-[En marge: Invraisemblance de cette hypothèse tant que Napoléon
-n'était pas affaibli par plusieurs défaites.]
-
-Restait une seule hypothèse pour laquelle, très-volontairement, nulle
-précaution n'avait été prise, c'était celle où les coalisés voulant
-tourner Napoléon d'une manière encore plus audacieuse, et au lieu de
-descendre immédiatement sur ses derrières par Péterswalde, y
-descendant plus loin, c'est-à-dire par la route de Leipzig,
-essayeraient hardiment de se placer entre la grande armée et le Rhin.
-Ceci inquiétait peu Napoléon, et il souriait à cette supposition.--_Ce
-n'est pas du Rhin, c'est de l'Elbe_, avait-il dit avec une rare
-profondeur, _qu'il m'importe de n'être pas coupé_. L'ennemi qui
-oserait s'avancer entre moi et le Rhin n'en reviendrait plus, tandis
-que celui qui réussirait à s'établir entre moi et l'Elbe, me couperait
-de ma vraie base d'opération!--Qui aurait eu l'audace en effet de
-marcher sur le Rhin, laissant derrière lui Napoléon avec 400 mille
-hommes, Napoléon non vaincu! On pouvait loin du champ de bataille
-former de pareils rêves, et on les forma effectivement, mais à la
-première marche on devait reculer d'épouvante, comme les faits le
-prouvèrent bientôt.
-
-[En marge: Envoi projeté d'un corps français sur Berlin.]
-
-[En marge: Concours du corps mobile de Magdebourg, et du corps du
-maréchal Davout au mouvement sur Berlin.]
-
-[En marge: Seule défectuosité du plan de Napoléon.]
-
-Tous les coups étant prévus et parés sur ses derrières, sur sa droite,
-sur son front, contre les deux armées de Bohême et de Silésie,
-Napoléon avait préparé sur sa gauche une opération importante, en vue
-de tenir tête à l'armée du nord, et d'amener un résultat éclatant
-auquel il attachait un grand prix, celui d'occuper la capitale de la
-Prusse, d'y entrer triomphalement par l'un de ses lieutenants, de
-tirer ainsi une vengeance non pas cruelle, mais humiliante des
-passions germaniques. Il avait chargé le maréchal Oudinot avec son
-corps, avec ceux des généraux Bertrand et Reynier, avec la cavalerie
-de réserve du duc de Padoue, de marcher de Luckau sur Berlin. (Voir
-les cartes n{os} 28 et 58.) Ces trois corps d'infanterie, en y
-joignant une portion de la cavalerie de réserve, auraient dû s'élever
-à 70 mille hommes, mais n'en comprenaient en réalité que de 65 à 66
-mille. Ils comptaient à la vérité sur des renforts considérables. Ils
-étaient liés à notre principale armée agissant en avant de Dresde, par
-le général Corbineau à la tête de 3 mille chevaux et de 2 mille hommes
-d'infanterie légère. C'était là un lien et non un appui; mais plus
-loin, sur la gauche, c'est-à-dire à la hauteur de Magdebourg, devait
-se trouver le général Girard (le même qui à Lutzen avait si noblement
-réparé une faute commise en Espagne) avec un corps de 12 à 15 mille
-hommes, formé de la division Dombrowski, et de la partie disponible de
-la garnison de Magdebourg, dont nous avons déjà fait connaître
-l'ingénieuse composition. Ce général posté en avant de Magdebourg avec
-5 mille hommes de la division Dombrowski, recrutée et reposée en
-Hesse, avec 8 ou 10 mille de la garnison de Magdebourg, devait établir
-la communication entre le maréchal Oudinot et le maréchal Davout, et
-suivre le maréchal Oudinot dans son mouvement offensif, de manière à
-porter l'armée de celui-ci à près de 80 mille hommes. Une masse
-pareille semblait n'avoir rien à craindre, ni des talents, ni des
-forces du prince royal de Suède, qui avait dans ses troupes beaucoup
-de ramassis, qui ne pouvait pas réunir actuellement plus de 70 mille
-hommes sur un même champ de bataille, qui d'ailleurs aurait bientôt à
-faire face à un redoutable ennemi de plus, et cet ennemi c'était le
-maréchal Davout prêt à sortir de Hambourg avec 25 mille Français, avec
-10 mille Danois, et à menacer Berlin par le Mecklembourg, tandis que
-le maréchal Oudinot le menacerait par la Lusace. Il y avait donc les
-plus grandes chances pour que le maréchal Oudinot entrât sous peu de
-jours dans Berlin, y fût rejoint par le maréchal Davout avec 35 mille
-hommes, ce qui placerait sous ce dernier, destiné à commander le tout,
-une masse de 110 à 115 mille hommes, et suffirait pour déjouer les
-projets du prince royal de Suède. Ainsi Napoléon, tandis qu'il tenait
-tête à droite et de front aux forces gigantesques de la coalition,
-devait par sa gauche pénétrer dans Berlin, y frapper le foyer des
-passions germaniques, y punir la Prusse de son abandon, le prince de
-Suède de sa trahison, et tendre la main à ses garnisons de l'Oder et
-de la Vistule! C'était là sans doute un début éclatant, et qui avait
-dû séduire Napoléon: toutefois le mouvement qu'il ordonnait à sa
-gauche était bien allongé, les corps qui devaient y concourir étaient
-bien distants les uns des autres, et leur coopération dépendait de
-beaucoup de circonstances qui pouvaient n'être pas toutes heureuses.
-Ses généraux, sans être moins braves, n'avaient plus cette confiance
-qui soutient dans les situations hasardeuses; ses troupes étaient
-jeunes et mélangées, et le rassemblement de Bernadotte auquel elles
-avaient affaire, quoique un ramassis lui-même composé de gens de toute
-origine, était réuni par le plus puissant des liens, la passion. Enfin
-si l'un de ses lieutenants venait à se faire battre, il faudrait aller
-très-loin pour lui porter secours. Il est donc vrai qu'en cette partie
-seulement l'habile réseau tendu par Napoléon était un peu relâché.
-Mais le désir ardent de rentrer dans Berlin, d'avoir sa main toujours
-dirigée vers Dantzig, de pouvoir en une bataille gagnée se retrouver
-sur la Vistule, avait ici altéré quelque peu la parfaite rectitude de
-son jugement militaire, comme la préoccupation de refaire toute sa
-grandeur d'un seul coup avait complétement égaré son jugement
-politique.
-
-[En marge: Le désir de frapper Berlin et d'empêcher les coalisés de
-secourir cette capitale avait porté Napoléon à trop étendre le rayon
-de ses manoeuvres concentriques.]
-
-Cette défectuosité en avait entraîné une autre dans la partie de son
-plan que nous avons déjà retracée, et qui était la plus fortement
-conçue. Il avait en effet trop éloigné de Dresde les quatre corps qui
-gardaient son front en avant de l'Elbe. Des bords du Bober, où étaient
-postés les corps de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, aux
-bords de l'Elbe, c'est-à-dire de Lowenberg à Dresde, il y avait six
-jours de marche. (Voir la carte nº 36.) C'était beaucoup trop pour que
-Napoléon, avec sa réserve, eût le temps de secourir les corps qui
-étaient à Lowenberg, ou ceux qui étaient à Dresde. Tant qu'il pouvait
-se tenir entre deux, soit à Gorlitz, soit à Bautzen, il n'y avait pas
-de danger, car en moins de trois jours il lui était facile de se
-porter à Lowenberg, ou de rétrograder sur Dresde, et d'être présent
-ainsi partout où il serait nécessaire qu'il fût pour prévenir, ou
-pour réparer un échec. Mais s'il était attiré à l'une des extrémités,
-s'il était appelé à Dresde, par exemple, il se pouvait que sur le
-Bober il arrivât un grand malheur à l'un de ses lieutenants, et qu'il
-vînt trop tard pour y remédier, puisqu'il faudrait six jours au moins
-pour y amener du renfort, ou bien que s'il était à l'extrémité
-opposée, c'est-à-dire à Lowenberg, Dresde à son tour se trouvât en
-péril d'être secouru trop tard. En un mot, pour manoeuvrer
-concentriquement autour de Dresde, comme il l'avait fait jadis autour
-de Vérone, avec une réserve placée au centre et portée alternativement
-sur tous les points de la circonférence, le cercle était trop grand,
-le rayon trop allongé.
-
-[En marge: Causes morales de cette faute, la seule à reprocher à
-Napoléon dans la conception de son plan.]
-
-Était-ce inadvertance chez un esprit parvenu à une si prodigieuse
-expérience, à une si rigoureuse précision dans ses calculs? Assurément
-non; mais c'était le dangereux désir de faciliter le mouvement sur
-Berlin et la Vistule. Il avait en effet discuté longuement avec
-lui-même s'il devait établir sur le Bober ou sur la Neisse,
-c'est-à-dire à Lowenberg ou à Gorlitz, son corps le plus avancé, et,
-bien qu'il eût préféré le mettre à Gorlitz, ce qui lui eût permis de
-placer sa réserve à Bautzen, et eût réduit de moitié le chemin qu'il
-avait à faire pour aider les uns ou les autres, il y avait renoncé par
-ce motif, qui révèle tout le secret de ses résolutions[7], c'est
-qu'en portant à Gorlitz son corps le plus avancé, il n'opposait pas
-assez d'obstacles à un mouvement que les armées coalisées pouvaient
-être tentées d'exécuter par leur droite, pour arrêter le maréchal
-Oudinot dans sa marche. À Lowenberg, au contraire, les cent mille
-hommes de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, empêchaient
-absolument les armées ennemies de Bohême et de Silésie de se
-transporter par la Lusace dans le Brandebourg, et de secourir Berlin.
-Ainsi, toujours ce désir d'un résultat merveilleux, ce désir de tendre
-un bras vers Berlin et sur la Vistule, gâtait ses combinaisons
-militaires, comme déjà il avait perverti ses résolutions politiques,
-et le poussait à affaiblir en l'étendant trop un cercle de défense
-qui, plus resserré, aurait été invincible! Bientôt la guerre, qui
-amène une rémunération immédiate des bons et des mauvais calculs,
-devait récompenser les uns par d'éclatants succès, punir les autres
-par d'éclatants revers! Mais n'anticipons pas sur des événements dont
-le triste récit n'arrivera que trop tôt!
-
- [Note 7: Cette grave délibération de Napoléon avec lui-même
- se trouve constatée par de longues notes qu'il a écrites sur
- son plan de campagne, et dans lesquelles il a donné tous les
- motifs de ses diverses résolutions, bien avant le résultat
- qui justifia les unes et condamna les autres. Il n'y a donc
- pas ici une idée qui lui soit faussement, ou même
- conjecturalement prêtée, puisque les intentions que nous lui
- attribuons sont toutes formellement constatées par écrit.]
-
-[En marge: Comparaison entre les forces de Napoléon et celles des
-coalisés.]
-
-Les forces de Napoléon étaient loin d'égaler celles de la coalition.
-Les corps de Saint-Cyr, Vandamme, Victor, Poniatowski, groupés sur sa
-droite, ceux de Ney, Marmont, Macdonald, Lauriston, rangés sur son
-front, la garde, la réserve de cavalerie placées au centre, pouvaient
-former sous sa main une masse mobile de 272 mille hommes présents sous
-les armes. Les troupes d'Oudinot, de Girard et de Davout, dirigées sur
-Berlin, en formaient une autre de 110 à 115 mille, ce qui portait à
-387 mille hommes, ou 380 mille au moins, le total des forces actives
-qu'il avait à opposer à la coalition. Si on y ajoute 20 mille hommes
-en Bavière, 60 mille en Italie, si on y ajoute encore les garnisons
-des places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, telles que
-Koenigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben, Hambourg,
-Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comprenant 90 mille hommes environ,
-on atteint le chiffre de 550 mille combattants, fort inférieur à celui
-de 800 mille que la coalition était parvenue à réunir. Il est vrai que
-les réserves des coalisés étaient comprises dans ce chiffre de 800
-mille hommes; mais Napoléon ne pouvait pas, en pressant bien ses
-cadres du Rhin, en tirer plus de 50 mille soldats de réserve, et dès
-lors ses ressources, plutôt exagérées que réduites, ne présentaient
-pas un total de six cent mille hommes, contre huit cent mille. Ces
-forces toutefois auraient suffi dans ses mains, et au delà, si les
-causes morales avaient été pour lui au lieu d'être contre lui; mais
-ses adversaires exaspérés étaient résolus à vaincre ou à mourir, et
-ses soldats, héroïques sans doute, mais se battant par honneur,
-étaient conduits par des généraux dont la confiance était ébranlée, et
-qui commençaient à sentir qu'on avait tort contre l'Europe, contre la
-France, contre le bon sens! Infériorité morale funeste, et bien plus
-redoutable que l'infériorité matérielle du nombre!
-
-[En marge: Napoléon se porte le 15 à Gorlitz.]
-
-[En marge: Il pénètre de sa personne en Bohême, par le défilé de
-Zittau, afin de se procurer des renseignements sur la marche des
-coalisés.]
-
-[En marge: Possibilité d'une invasion subite en Bohême.]
-
-[En marge: Danger de cette opération, fort conseillée par le maréchal
-Saint-Cyr.]
-
-Napoléon après avoir lui-même inspecté ses postes de Koenigstein et de
-Lilienstein, et s'être assuré par ses propres yeux si la position
-prise par Saint-Cyr et Vandamme, sur ses derrières et sa droite, était
-conforme à ses vues, s'était porté le 15 à Gorlitz, où il avait
-trouvé la garde et la réserve de cavalerie. De là il avait tenu à voir
-la gorge de Zittau, que Poniatowski et Victor étaient chargés de
-défendre. Après avoir établi Poniatowski sur une montagne dite
-d'Eckartsberg, qui fait face à la sortie du défilé, et permet de
-barrer le passage, Napoléon s'était avancé de sa personne à quelques
-lieues plus loin, escorté par la cavalerie légère de sa garde, afin de
-reconnaître un pays où il était possible qu'il pénétrât plus tard. Il
-voulait recueillir sur la direction suivie par l'ennemi des
-renseignements qui lui manquaient. Aucun symptôme en effet ne révélait
-si les coalisés déboucheraient ou en arrière par Péterswalde sur
-Dresde, ou sur notre droite par Zittau, ou sur notre front par
-Liegnitz et Lowenberg. Bien que Napoléon fût entouré d'une nuée
-d'ennemis en mouvement, il ne savait rien de leur marche, parce que
-l'épaisse muraille des montagnes de Bohême, qui sur sa droite le
-séparait d'eux, était un rideau difficile à percer. Il écoutait donc
-avec une singulière attention, cherchant à saisir les moindres bruits,
-et suivant l'usage ne recueillant que des versions contradictoires.
-Pourtant on était d'accord sur ce point, qu'un corps d'armée prussien
-et russe avait passé de Silésie en Bohême pour venir coopérer avec
-l'armée autrichienne. C'était le corps qui devait, ainsi qu'on l'a vu
-plus haut, composer en se joignant aux troupes autrichiennes la grande
-armée du prince de Schwarzenberg. Cette nouvelle très-répandue inspira
-un moment à Napoléon la pensée d'entrer précipitamment en Bohême à la
-tête de cent mille hommes par la route de Zittau, et de se jeter sur
-les Russes et les Prussiens avant leur réunion aux Autrichiens. Il est
-bien certain qu'il avait cent mille hommes sous la main avec
-Poniatowski, Victor, la garde et la réserve de cavalerie, et que se
-portant rapidement à droite vers Leitmeritz, il aurait pu couper en
-deux la longue ligne que les coalisés devaient former avant de s'être
-réunis autour de Commotau. (Voir la carte nº 58.) Il lui eût donc été
-possible de frapper dès le début de la campagne quelque coup terrible,
-et le maréchal Saint-Cyr, qui s'était épris de cette idée plus
-brillante que juste, l'y poussait vivement par sa correspondance. Mais
-il se pouvait qu'entré en Bohême Napoléon trouvât les coalisés déjà
-concentrés sur sa droite entre Toeplitz et Commotau, dès lors à l'abri
-de ses coups, et en mesure de le prévenir à Dresde en y descendant par
-Péterswalde, de sorte que tandis qu'il aurait pénétré en Bohême pour
-les surprendre, ils en seraient sortis pour le tourner; ou bien il se
-pouvait encore qu'il les trouvât en masse sur son chemin, qu'il eût à
-les combattre en force considérable, dans une position désavantageuse
-pour lui, car vainqueur il lui était impossible de les poursuivre dans
-l'intérieur de la Bohême, et vaincu il lui fallait repasser devant eux
-le défilé de Zittau. À leur livrer bataille, il valait bien mieux les
-attendre à leur sortie des montagnes de la Bohême, et les rencontrer
-sur la rive droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, au moment même où
-ils déboucheraient, car en les battant on les acculait aux montagnes,
-et on pouvait profiter de leur engorgement dans les défilés pour les
-enlever par milliers, hommes et canons. Franchir soi-même les
-montagnes pour aller guerroyer en Bohême, c'était se donner
-volontairement la fausse position qu'il fallait leur laisser prendre
-en les attendant à la sortie de ces montagnes sur l'une ou l'autre
-rive de l'Elbe. Aussi Napoléon n'avait-il que peu de penchant pour
-cette singulière idée que le maréchal Saint-Cyr soutenait avec
-chaleur. Il n'y eût cédé que si des renseignements certains lui
-avaient montré tout à fait à sa portée soixante ou quatre-vingt mille
-Prussiens et Russes encore séparés des cent vingt mille Autrichiens
-qu'ils allaient rejoindre.
-
-[En marge: Napoléon y renonce.]
-
-Livré à une véritable effervescence d'esprit en présence de tant de
-chances diverses, Napoléon monta à cheval le 19 août au matin, et
-suivi de la cavalerie légère de la garde, il pénétra en Bohême, à la
-tête de quelques mille cavaliers, faisant la guerre comme un jeune
-homme, comme il la faisait jadis en Italie ou en Égypte. Il s'enfonça
-dans les gorges jusqu'au delà de Gabel (voir la carte nº 58), se
-montra même à l'entrée du beau bassin de la Bohême aux Bohémiens
-surpris de le voir. Il fit arrêter des curés, des baillis pour les
-questionner, et apprit de la bouche de tous que les troupes russes et
-prussiennes venant de Silésie longeaient le pied des montagnes en
-dedans de la Bohême, pour aller rejoindre les Autrichiens, et
-probablement descendre en Saxe sur les derrières de Dresde. Les
-coalisés devaient dans ce mouvement traverser l'Elbe entre Leitmeritz
-et Aussig, et tout annonçait qu'ils étaient déjà ou sur le bord du
-fleuve, ou au delà, aux environs de Toeplitz. Se jeter sur eux était
-une opération dont le temps, fût-elle bonne, était passé, et il
-fallait se hâter de revenir en Saxe, pour combattre autour de Dresde,
-sur le champ de bataille préparé avec une si haute prévoyance.
-Toutefois Napoléon affecta de se montrer, de se nommer aux habitants,
-afin que le bruit de sa présence en Bohême retentît jusqu'au quartier
-général des coalisés. Voici l'intention qu'il avait en agissant de la
-sorte.
-
-[En marge: Napoléon s'étant fait une idée exacte des plans des
-coalisés, forme le projet de mettre hors de jeu l'armée de Silésie,
-pour revenir ensuite sur la grande armée de Bohême.]
-
-[En marge: Motifs du soin qu'il met à se faire voir en Bohême.]
-
-Il devenait évident que le plan des coalisés, après avoir traversé
-l'Elbe en Bohême, était d'entrer en Saxe, et de descendre sur Dresde
-afin d'enlever cette ville, ou de se porter sur Leipzig afin de se
-placer entre le Rhin et l'armée française. Nous ne pouvions rien
-désirer de mieux, car pour s'engager ainsi sur les derrières de
-Napoléon, les coalisés s'exposaient à l'avoir eux-mêmes sur leurs
-communications, et à se trouver dans un gouffre s'ils perdaient une
-bataille dans cette position. Cela étant, il importait à Napoléon de
-se jeter brusquement sur l'armée de Silésie, qu'il avait devant lui,
-afin de la mettre hors de jeu pour quelque temps, et de revenir
-ensuite se donner tout entier aux affaires qui se préparaient en
-arrière de Dresde. Pour le succès d'un tel projet il lui était utile
-de ralentir un moment la marche des alliés, de les faire hésiter, de
-leur causer ainsi une perte d'un ou deux jours, ce qui était tout gain
-pour lui, qui avait à courir sur le Bober avant de revenir sur l'Elbe.
-Il n'avait pas un meilleur moyen d'y réussir que de se montrer en
-Bohême, car sa présence en ces lieux devait provoquer mille
-conjectures, ou inquiétantes ou pour le moins embarrassantes.
-
-[En marge: Napoléon après être rentré en Lusace, dispose les corps de
-Poniatowski, de Victor et de Vandamme, de manière à fermer les
-débouchés de la Bohême, et attend tout un jour pour voir se développer
-les desseins de l'ennemi.]
-
-Après avoir employé la journée du 19 à courir à cheval, tantôt en
-plaine, tantôt dans les gorges, se présentant partout sous son nom, il
-repassa les défilés du _Riesen-Gebirge_, et revint à Zittau. Il
-consacra la journée du lendemain 20 à disposer lui-même le corps de
-Poniatowski et celui de Victor à l'entrée du défilé de Zittau, de
-façon que ces deux corps pussent résister trois jours au moins aux
-plus fortes attaques. Napoléon assura en outre leurs communications
-avec le général Vandamme, qui avait été placé entre Zittau et Dresde
-vers Stolpen, afin qu'il pût courir en une journée ou à Zittau ou à
-Dresde. Toutes ces mesures arrêtées, il avait l'intention d'attendre
-encore tout un jour la complète manifestation des desseins de
-l'ennemi, sans éprouver du reste la moindre crainte, car partout les
-précautions étaient prises de manière à ne laisser aucune inquiétude.
-En effet, du côté de Berlin 80 mille hommes en marche sous le maréchal
-Oudinot, et appuyés par les 35 mille du maréchal Davout, à Dresde
-Saint-Cyr et Vandamme aux aguets sur les deux rives de l'Elbe, à
-Zittau deux corps gardant les gorges de Bohême, sur le Bober 100 mille
-hommes sous le maréchal Ney attendant l'ennemi qui voudrait franchir
-ce fleuve, enfin à Gorlitz, centre de toutes ces positions, Napoléon
-avec la garde et la réserve de cavalerie, placé à mi-chemin des divers
-points menacés, présentaient une toile admirablement tissue, du milieu
-de laquelle celui qui l'avait si habilement disposée était prêt à
-s'élancer sur l'imprudent qui en agiterait les extrémités.
-
-[En marge: Napoléon revenu à Gorlitz apprend que l'armée de Silésie,
-violant le droit des gens, a rompu l'armistice deux jours avant le 17
-août, et il court à elle avec un renfort de 30 mille hommes.]
-
-Napoléon, revenu le 20 à Gorlitz, y apprit tout à coup que l'armée de
-Silésie avait envahi dès le 15 le pays neutre qu'elle aurait dû
-respecter jusqu'au 17, ce qui constituait une violation du droit des
-gens, que l'ardent patriotisme du général Blucher n'excusait
-nullement. Cette armée se dirigeait vers le Bober. Sur-le-champ
-Napoléon mit en mouvement la cavalerie et trois divisions de sa garde,
-laissant les autres à Gorlitz, et fit ses dispositions pour être sur
-le Bober le lendemain 21. Avec le secours qu'il apportait au maréchal
-Ney, il allait avoir 130 mille hommes, et c'était plus qu'il ne
-fallait pour faire repentir Blucher de sa témérité et de l'infraction
-qu'il s'était permise contre le droit des gens. Après avoir une
-dernière fois renouvelé ses instructions à Poniatowski, à Victor, à
-Vandamme, à Saint-Cyr, il partit plein de confiance et d'espoir.
-
-[En marge: Les quatre corps de Ney sortaient à peine de leurs
-cantonnements lorsqu'ils avaient été surpris par l'ennemi.]
-
-[En marge: Leur retraite en bon ordre sur le Bober.]
-
-Les hostilités ayant commencé en Silésie avant l'époque assignée par
-l'armistice, les quatre corps confiés à Ney sortaient à peine de leurs
-cantonnements lorsque l'ennemi s'était présenté. Deux de ces corps
-étaient sur le Bober, ceux de Macdonald et de Marmont, le premier à
-droite vers Lowenberg, le second à gauche vers Buntzlau. Deux étaient
-plus compromis encore, car ils se trouvaient au delà sur la Katzbach,
-celui de Lauriston aux environs de Goldberg, celui de Ney entre
-Liegnitz et Haynau. Ces deux derniers presque tournés par la subite
-apparition du corps de Langeron sur leur flanc droit, étaient dans un
-fort grand péril. Le corps de Lauriston eut de la peine à se replier
-de la Katzbach sur le Bober, mais il le fit avec sang-froid et
-vigueur, et rejoignit Macdonald à Lowenberg sans accident. Ney, qui
-était le plus avancé vers notre gauche, au lieu de se replier
-simplement sur Buntzlau pour y repasser le Bober, vint se déployer
-hardiment entre la Katzbach et le Bober, et braver Blucher qui
-s'acharnait contre Lowenberg. À sa vue Blucher s'étant porté sur lui,
-et Lowenberg se trouvant ainsi dégagé, Ney descendit sur Buntzlau, y
-passa le Bober, et se réunit à Marmont.
-
-[En marge: Napoléon, arrivé à Lowenberg le 21, reporte les quatre
-corps de Ney en avant.]
-
-Le 20 nos quatre corps étaient derrière le Bober, ceux de Lauriston et
-de Macdonald à Lowenberg, ceux de Marmont et de Ney à Buntzlau, ayant
-beaucoup plus causé de mal à l'ennemi qu'ils n'en avaient essuyé.
-Napoléon arrivé le 21 au matin sur les lieux voulut prendre
-l'offensive immédiatement. Blucher avait montré environ 80 mille
-hommes, le général russe Sacken, avec lequel il en aurait eu 100
-mille, étant resté un peu en arrière sur sa droite. Napoléon qui en
-avait plus de 130 mille, employa la matinée à faire jeter des ponts de
-chevalets sur le Bober, et à donner tous ses ordres pour une marche
-prompte et vigoureuse, car il n'avait pas de temps à perdre,
-s'attendant à être bientôt rappelé sur ses derrières par la grande
-armée de Bohême. En conséquence il résolut de déboucher de Lowenberg
-avec Macdonald et Lauriston, en traversant le Bober sur ce point, et
-d'attirer sur sa gauche Ney et Marmont, après leur avoir fait passer
-le Bober à Buntzlau.
-
-[En marge: On débouche de Lowenberg, et on pousse l'ennemi l'épée dans
-les reins.]
-
-[En marge: Blucher se replie derrière la Katzbach.]
-
-Vers le milieu du jour on franchit le Bober à Lowenberg, et on marcha
-vivement. La division Maison, qui formait notre tête de colonne,
-refoula devant elle les troupes du général d'York, et ne leur laissa
-de répit nulle part. Tout le corps de Lauriston suivait appuyé par
-celui de Macdonald. À notre gauche, les maréchaux Ney et Marmont
-débouchèrent de Buntzlau, et vinrent se serrer sur notre centre.
-Blucher se voyant aussi vigoureusement abordé, se douta bien qu'il
-avait Napoléon devant lui, et se hâta de rentrer dans ses
-instructions, qui lui prescrivaient de ne rien hasarder quand il
-aurait en tête ce redoutable adversaire. Il se couvrit d'un petit
-cours d'eau, le Haynau, qui coule entre le Bober et la Katzbach. Cette
-journée lui avait déjà coûté deux à trois mille hommes.
-
-[En marge: On continue le 22 cette marche offensive.]
-
-[En marge: Ardeur des troupes.]
-
-[En marge: Blucher définitivement repoussé.]
-
-Le 22 Napoléon continua sa marche offensive. Les corps de Lauriston et
-de Macdonald se portèrent directement sur Goldberg pour jeter Blucher
-au delà de la Katzbach, tandis que Ney et Marmont, s'avançant toujours
-sur notre gauche, le pousseraient dans le même sens. La division
-Maison assaillit de nouveau l'ennemi avec la plus grande vigueur. Les
-troupes, animées par la présence de Napoléon, montraient partout une
-ardeur extrême. L'ennemi voulut se défendre, mais Lauriston le
-débordant avec le reste de son corps, pendant que Macdonald le
-menaçait au centre, on le força d'abandonner le petit cours d'eau
-derrière lequel il s'était réfugié, et de repasser la Katzbach pour
-aller prendre position à Goldberg. Ses pertes dans cette journée
-furent assez considérables.
-
-[En marge: Napoléon dans ces entrefaites apprend l'apparition de la
-grande armée de Bohême sur les derrières de Dresde.]
-
-[En marge: Le soir du 22, il arrête le mouvement de ses troupes pour
-se reporter sur l'Elbe.]
-
-[En marge: Il renvoie à Dresde la garde, la réserve de cavalerie et
-Marmont.]
-
-Il était évident, malgré la résistance que Blucher cherchait à nous
-opposer, et malgré ses cent mille hommes, qu'on ne l'avait pas mis en
-mesure de tenir tête à Napoléon, et que ce n'était pas de son côté
-qu'aurait lieu l'action principale. En effet le soir même, Napoléon
-reçut du maréchal Saint-Cyr un courrier qui ayant fait quarante lieues
-pour le joindre, lui apprenait qu'on était attaqué par des masses
-nombreuses, et qu'évidemment la grande armée coalisée débouchait par
-Péterswalde sur les derrières de Dresde, soit qu'elle songeât à
-enlever cette ville, soit qu'elle eût l'idée de se porter sur Leipzig,
-pour exécuter l'audacieuse tentative de se placer entre les Français
-et le Rhin. Ainsi s'accomplissait l'une des deux hypothèses prévues
-par Napoléon, et la plus désirable des deux, celle pour laquelle tout
-avait été préparé avec le plus de soin. Napoléon n'en fut ni surpris
-ni affligé, tout au contraire, mais il y vit une raison pressante
-d'accélérer ses mouvements. Le soir même du 22, il arrêta sa garde qui
-était encore en marche, et qui heureusement n'avait pas dépassé
-Lowenberg, afin qu'elle se mît en route après un peu de repos, et
-qu'elle pût être de retour à Dresde en quatre jours, c'est-à-dire le
-26. Le corps du maréchal Marmont ayant été le moins engagé, était le
-moins fatigué aussi, et sans perdre un instant il rebroussa chemin
-pour voyager avec la garde. Napoléon expédia également une grande
-partie de la réserve de cavalerie, enfin il écrivit au général
-Vandamme et au maréchal Victor de se replier l'un et l'autre sur
-l'Elbe, en laissant le prince Poniatowski aux gorges de Zittau. De la
-sorte 180 mille hommes devaient se trouver réunis sous Dresde en
-quatre jours, et 80 mille au moins dans les deux premières journées.
-Il n'y avait par conséquent aucune inquiétude à concevoir.
-
-[En marge: Blucher est forcé de se replier sur Jauer après une perte
-de 8 mille hommes en quelques jours.]
-
-Après avoir donné ces ordres dans la soirée même du 22, Napoléon
-voulut que le 23 au matin les corps de Lauriston, Macdonald et Ney,
-qui avec la cavalerie du général Sébastiani composaient une masse de
-80 mille hommes au moins, poussassent encore une fois l'ennemi devant
-eux, et le rejetassent fort au delà de la Katzbach. Au point du jour
-le corps de Lauriston à droite, celui de Macdonald au centre, la
-cavalerie de Latour-Maubourg à gauche, se déployèrent le long de la
-Katzbach, pendant que Ney à trois lieues au-dessous, se portait avec
-son corps et la cavalerie de Sébastiani devant Liegnitz. Blucher avait
-rangé les troupes russes de Langeron et les troupes prussiennes
-d'York, derrière la Katzbach et sur les hauteurs du Wolfsberg. La
-division Girard attaqua les bords de la rivière vers Niederau, et eut
-un engagement très-vif avec la division prussienne du prince de
-Mecklembourg. Le général Girard, après avoir démonté l'artillerie de
-l'ennemi et ébranlé son infanterie à coups de canon, l'aborda
-brusquement à la baïonnette. Les Prussiens culbutés et acculés sur la
-Katzbach se couvrirent de leur cavalerie, qui fut bientôt repoussée
-par celle du général Latour-Maubourg, et repassèrent enfin la
-Katzbach, que le général Girard franchit à leur suite. À droite, le
-général Lauriston ayant opéré son passage vers Seyfnau, assaillit les
-hauteurs du Wolfsberg, les enleva trois fois aux Russes, et trois fois
-les reperdit. Mais le 135e, de la division Rochambeau, s'en rendit
-maître par un dernier effort, et l'action se trouva dès lors décidée
-en notre faveur. Blucher se voyant en même temps débordé à deux ou
-trois lieues sur sa droite, par le mouvement du maréchal Ney sur
-Liegnitz, se replia en toute hâte vers Jauer.
-
-[En marge: Napoléon emmène avec lui le maréchal Ney, et confie au
-maréchal Macdonald le commandement des corps laissés sur le Bober.]
-
-[En marge: Rôle assigné au maréchal Macdonald.]
-
-Cette inutile violation du droit des gens avait coûté environ 8 mille
-hommes au général prussien, et à nous la moitié tout au plus.
-Malheureusement elle n'avait pas ébranlé le moral d'un ennemi
-combattant avec l'acharnement du désespoir. Napoléon, qui avait
-éprouvé l'inconvénient de laisser plusieurs maréchaux ensemble quand
-sa présence ne les dominait point, et qui prévoyait de rudes batailles
-pour lesquelles il lui convenait d'avoir le maréchal Ney sous sa main,
-résolut de l'emmener avec lui, et de confier le 3e corps au général
-Souham. De la sorte il n'allait rester sur ce point qu'un maréchal et
-deux lieutenants généraux. Le maréchal était Macdonald, chef du 11e
-corps, et les lieutenants généraux étaient Lauriston et Souham, chefs
-des 5e et 3e corps. Napoléon en remettant le commandement supérieur à
-Macdonald, lui donna pour instruction de tenir ses troupes légères en
-observation entre le Bober et la Katzbach, mais de camper avec le gros
-de ses forces derrière le Bober même, entre Lowenberg et Buntzlau, et
-d'avoir des postes de correspondance à droite dans les montagnes de
-Bohême, à gauche dans les plaines de la Lusace, afin d'être
-constamment averti des moindres mouvements de l'ennemi. Sa mission
-principale était d'abord de défendre le Bober contre Blucher, et
-ensuite d'intercepter les routes qui vont de la Bohême en Prusse, afin
-d'empêcher les détachements que l'ennemi pourrait diriger vers Berlin,
-contre le corps du maréchal Oudinot. Toujours occupé, comme on le
-voit, de la marche de ce maréchal sur la capitale de la Prusse, pour
-laquelle il avait déjà trop étendu le cercle de ses opérations,
-Napoléon continuait à faire à cet objet des sacrifices regrettables,
-car Macdonald laissé à quarante lieues de Dresde, pouvait, quoique
-débarrassé de l'ennemi en ce moment, être assailli de nouveau avec
-plus de vigueur, et courir de grands dangers en attendant qu'on vînt à
-son secours.
-
-[En marge: Napoléon, arrivé à Gorlitz, y trouve une multitude de
-nouvelles venues de Dresde.]
-
-[En marge: Effroi causé à Dresde par l'apparition de la grande armée
-des coalisés.]
-
-Ces dispositions prises, Napoléon ayant vu Blucher en retraite sur
-Jauer, partit pour Gorlitz, vers le milieu du jour, tandis que la
-garde, le corps de Marmont et la cavalerie de Latour-Maubourg y
-marchaient au pas des troupes. Les nouvelles se multipliaient à mesure
-qu'il approchait, et lui peignaient la ville de Dresde comme fort
-émue. Le roi de Saxe, la population, les généraux mêmes préposés à la
-défense de ce poste important, étaient frappés de la masse immense
-d'ennemis qui venant de la Bohême, descendaient des montagnes sur les
-derrières de cette capitale. Les rapports s'accordaient unanimement à
-dire que les hauteurs qui entourent Dresde sur la rive gauche de
-l'Elbe, étaient couvertes de soldats de toutes nations. On y voyait
-poindre au sommet des coteaux la lance des Cosaques tant redoutée des
-habitants paisibles.
-
-[En marge: Route qu'avait suivie cette armée.]
-
-[En marge: Après avoir passé l'Elbe en Bohême, les coalisés étaient
-entrés en Saxe par les divers défilés des montagnes.]
-
-La grande armée de la coalition, celle qui, composée de Prussiens, de
-Russes, d'Autrichiens, au nombre de 250 mille hommes, devait profiter
-de la Bohême pour tourner la position de l'Elbe, avait en effet
-exécuté le plan arrêté à Trachenberg, et après avoir opéré sa
-concentration, entre Tetschen et Commotau (voir la carte nº 58),
-venait de déboucher en Saxe par tous les défilés de l'_Erz-Gebirge_.
-Elle avait marché sur quatre colonnes, formées d'après l'emplacement
-des troupes. Les Russes venant du fond de la Bohême, puisqu'ils
-partaient de la Silésie, n'avaient guère pu dépasser l'Elbe, et
-avaient pris la chaussée de Péterswalde, qui longe le camp de Pirna,
-et descend sur Dresde en ayant toujours l'Elbe en vue. Le corps
-prussien de Kleist marchant en avant des Russes, avait suivi la route
-qui se trouvait un peu plus à gauche (gauche des coalisés débouchant
-en Saxe), laquelle était moins bien frayée, mais encore fort
-praticable, et passait par Toeplitz, Zinnwald, Altenberg,
-Dippoldiswalde. Les Autrichiens, les plus avancés parce qu'ils
-partaient de chez eux, avaient pris la chaussée de Commotau à
-Marienberg et Chemnitz, qui est à la gauche des précédentes, et forme
-la grande route de Prague à Leipzig. Les nouvelles levées
-autrichiennes composant sous le général Klenau une quatrième colonne,
-devaient par Carlsbad et Zwickau s'abattre sur Leipzig.
-
-[En marge: Décidés d'abord à se porter sur Leipzig, les coalisés sont
-incertains sur la marche à suivre.]
-
-[En marge: Arrivée du général Moreau au quartier général de l'empereur
-Alexandre.]
-
-Mais à peine était-on en marche que le plan arrêté par les coalisés à
-Trachenberg avait été modifié, grâce à l'instabilité des conseils
-militaires de la coalition, où personne ne commandait, parce que
-personne n'en était tout à fait capable. Le commandement nominal avait
-bien été déféré au prince de Schwarzenberg pour flatter l'Autriche,
-mais au fond l'empereur Alexandre regrettait de ne pas l'avoir pris
-lui-même, aurait bien voulu le ressaisir, surtout depuis l'arrivée à
-son camp du général Moreau et du général Jomini, avec le secours
-desquels il croyait pouvoir conduire glorieusement les affaires de la
-coalition.
-
-[En marge: Avec quelles idées il y était venu, et comment on l'avait
-peu à peu entraîné à donner des conseils aux ennemis de son pays.]
-
-[En marge: Son attitude et sa situation au camp des coalisés.]
-
-Le général Moreau, comme nous l'avons déjà dit, revenu d'Amérique au
-bruit du désastre de Napoléon en Russie, sans autre but qu'une
-espérance vague de rentrer dans son pays par des voies honnêtes, avait
-formé un projet qui n'était pas dépourvu de chances de succès. Ayant
-appris que l'empereur Alexandre avait plus de cent mille prisonniers
-français, tous exaspérés contre l'auteur de l'expédition de Moscou, il
-avait imaginé qu'on pourrait bien armer quarante ou cinquante mille
-d'entre eux, les transporter au moyen de la marine anglaise en
-Picardie, et il répondait en marchant avec eux sur Paris de renverser
-le trône impérial, pourvu que les souverains alliés le munissent d'un
-traité de paix dans lequel la France, laissée libre de se choisir un
-gouvernement, conserverait ses limites naturelles, les Alpes et le
-Rhin. Moreau, aimant la liberté, ayant en haine le gouvernement
-despotique qui pesait alors sur la France, se croyant supérieur aux
-lieutenants de Napoléon, prétendait qu'il leur passerait sur le corps
-à tous, moyennant qu'il se présentât à la tête de soldats français,
-qu'il annonçât une paix honorable, une liberté sage, et la fin de
-l'épouvantable carnage auquel Napoléon obligeait l'Europe par son
-ambition démesurée. Sans liaisons avec les Bourbons, n'étant
-aucunement porté vers eux, il admettait cependant que l'on cherchât à
-concilier cette antique famille avec la Révolution française, et qu'on
-la rappelât pour établir un gouvernement à la fois stable et libéral,
-qui mît fin aux longs troubles de la France[8]. C'est avec ces idées
-qu'il était venu à Stockholm, et là son ancien camarade Bernadotte,
-feignant d'écouter ses scrupules, mais réchauffant ses haines, lui
-promettant qu'il trouverait auprès de l'empereur Alexandre
-satisfaction pour tous ses désirs, l'avait envoyé au quartier général
-russe. Alexandre avait accueilli ce proscrit avec des honneurs
-infinis, l'avait traité en ami, et avait calmé ses scrupules en lui
-affirmant qu'on n'en voulait ni à la France ni à sa grandeur, qu'on
-était prêt à lui laisser les belles conditions du traité de Lunéville,
-qu'on n'entendait lui imposer aucune forme de gouvernement, et qu'on
-s'empresserait au contraire de reconnaître celui qu'elle aurait
-elle-même choisi, ce gouvernement fût-il celui de la république.
-Repoussant comme impraticable le projet d'armer les prisonniers
-français, il avait par une pente insensible, d'où toutes les
-apparences coupables étaient soigneusement écartées, amené l'infortuné
-Moreau à la déplorable résolution, non pas de servir contre la France,
-mais de rester auprès des souverains qui la combattaient, différence
-qui pouvait lui faire illusion, mais qui n'en était pas une, car il
-était impossible qu'il résidât auprès d'eux pendant cette cruelle
-guerre sans les éclairer au moins de ses conseils. Pour achever cette
-séduction, Alexandre avait employé sa soeur, la grande-duchesse
-Catherine, veuve du duc d'Oldenbourg, princesse remarquable par
-l'esprit, le caractère, les agréments extérieurs, et tous deux,
-traitant Moreau comme un ami, l'avaient ainsi aveuglé, étourdi par les
-plus adroites flatteries, et l'avaient entraîné définitivement sur la
-voie où il allait rencontrer la plus cruelle des morts, celle qui avec
-sa vie devait emporter sinon sa gloire, du moins son innocence. C'est
-depuis qu'il avait Moreau à ses côtés qu'Alexandre regrettait le
-commandement général. Il aurait voulu le prendre pour chef
-d'état-major, et avec lui diriger la guerre. Mais il n'était pas
-possible d'imposer Moreau au prince de Schwarzenberg, ni comme
-supérieur ni comme subordonné, et de lui ménager un rôle même séant,
-soit pour lui, soit pour les généraux de la coalition. Moreau se
-trouvait ainsi dans le camp des coalisés à titre d'ami privé de
-l'empereur Alexandre, vivant tantôt près de lui, tantôt près de la
-grande-duchesse Catherine qui était établie à Toeplitz, n'aimant point
-à figurer dans ces conseils militaires où l'on parlait si longuement,
-où l'on était à la fois bouillant d'un patriotisme qui était pour lui
-un reproche, et plein d'idées théoriques qui n'allaient pas à son
-génie simple et pratique, se bornant à donner directement ses avis à
-Alexandre, réussissant rarement à les faire prévaloir à travers le
-chaos des avis contraires, et déjà cruellement puni de sa faute par la
-position fausse, gênée, presque humiliante, qu'il avait au milieu des
-ennemis de sa patrie.
-
- [Note 8: Ce n'est point sur des conjectures ni sur les
- interprétations des amis du général Moreau, mais d'après les
- lettres de ce général, trouvées depuis sa mort, que j'écris
- ces pages. La faute du général Moreau fut assez grave pour
- qu'on ne l'exagère point, et on doit à ses grands services
- d'autrefois, à son ancien désintéressement, à sa gloire, de
- réduire à ce qu'il fut véritablement, l'acte coupable qui a
- terni une des plus belles vies des temps modernes. Les
- lettres que j'ai dans les mains, écrites avec la plus
- parfaite simplicité, établissent ce que j'avance d'une
- manière incontestable.]
-
-[En marge: Arrivée du général Jomini au quartier général de la
-coalition.]
-
-[En marge: Comment il y avait été amené.]
-
-[En marge: Les généraux Jomini et Moreau improuvent le plan de marcher
-sur Leipzig.]
-
-[En marge: D'après ce conseil on se replie en se rapprochant de
-Dresde.]
-
-Le général Jomini, Suisse de naissance, écrivain militaire supérieur,
-et dans la pratique de la guerre officier d'état-major d'un jugement
-aussi sûr qu'élevé, avait rendu à l'armée française, soit à Ulm, soit
-à la Bérézina, soit à Bautzen, des services dont il avait été mal
-récompensé. À Bautzen notamment, après avoir signalé au maréchal Ney
-le vrai point où il aurait fallu marcher, il avait reçu une punition
-au lieu d'une récompense, ce qu'il devait aux mauvais offices du
-prince major général, dont il avait souvent blessé la susceptibilité.
-Vif, irritable, ayant voulu plusieurs fois donner sa démission et
-entrer au service de la Russie qui s'était empressée de répondre
-favorablement à ses désirs, il n'avait pas su se contenir en éprouvant
-le dernier désagrément qu'on venait de lui infliger, et pendant
-l'armistice il avait passé aux Russes, sans emporter, comme on l'a
-dit, des plans qu'il ignorait, sans manquer à sa patrie puisqu'il
-était originaire de la Suisse, mais ayant le tort de ne pas sacrifier
-des griefs même fondés à une vieille confraternité d'armes, et se
-préparant ainsi des regrets qui devaient attrister sa vie. Il était
-arrivé auprès d'Alexandre, qui, connaissant son mérite, lui avait fait
-le plus brillant accueil. Là il parlait haut, avec la chaleur d'un
-esprit ardent et convaincu, déplaisait aux généraux alliés en vantant
-Napoléon et les Français qu'il était presque fâché d'avoir quittés, et
-censurait sans ménagement tous les projets militaires formés à
-Trachenberg. Il n'avait pas eu de peine à prouver à l'empereur
-Alexandre que marcher sur Leipzig était une insigne folie, que se
-porter sur les communications de l'ennemi lorsqu'on était sûr de ne
-pas compromettre les siennes, et qu'on ne craignait pas une rencontre
-décisive, pouvait être une bonne manière d'opérer, mais que ce n'était
-pas le cas ici, car, une fois à Leipzig, on serait exposé à être coupé
-de la Bohême, on aurait Napoléon derrière soi à la tête de trois cent
-mille hommes toujours victorieux jusqu'alors, et si dans cette
-position on perdait une bataille, on n'en reviendrait pas, les
-montagnes de la Bohême étant occupées par lui, et l'Elbe étant jusqu'à
-Hambourg dans ses terribles mains. Le général Moreau, consulté, avait
-trouvé cet avis parfaitement juste, et on avait renoncé à se diriger
-sur Leipzig. On avait résolu, au lieu d'appuyer à gauche, d'appuyer à
-droite, et de se rapprocher des bords de l'Elbe. Les deux premières
-colonnes, celle qui avait passé par Péterswalde, et celle qui avait
-passé par Zinnwald et Altenberg, avaient cheminé tout près de Dresde;
-mais il avait fallu ramener la troisième par Marienberg et Sayda sur
-Dippoldiswalde, la quatrième par Zwickau et Chemnitz sur Tharandt.
-(Voir la carte nº 58.) On s'était ainsi reporté sur Dresde sans savoir
-précisément ce qu'on y ferait; mais on avait l'avantage, en restant
-adossé aux montagnes de Bohême, de conserver toujours ses
-communications, d'être comme une épée de Damoclès suspendue sur la
-tête de Napoléon, et de pouvoir au besoin, si l'occasion était
-favorable, se jeter sur Dresde pour enlever cette ville, ce qui était
-le plus grand dommage qu'on pût causer aux Français. Tandis qu'on
-exécutait ce mouvement transversal de gauche à droite, en suivant le
-pied de l'_Erz-Gebirge_, on avait appris l'apparition de Napoléon en
-Bohême, circonstance qui avait fait craindre de sa part une marche
-sur Prague, et rendu plus évidente la convenance de rebrousser chemin
-vers l'Elbe. Puis à Dippoldiswalde même on avait connu la marche de
-Napoléon sur le Bober, et la situation périlleuse de Blucher. C'était
-le cas de tenter quelque chose, et de profiter de l'absence de
-Napoléon pour frapper un grand coup, pour enlever Dresde par exemple,
-ce que conseillaient les esprits hardis, ce que craignaient les
-esprits timides, ce que les esprits sages comme Moreau faisaient
-dépendre de l'état dans lequel on trouverait les défenses de cette
-ville.
-
-[En marge: Apparition de la grande armée de Bohême sur les derrières
-de Dresde.]
-
-C'est ainsi que la grande armée des coalisés était arrivée à déployer
-ses masses imposantes autour de la belle capitale de la Saxe. La
-colonne qu'on avait aperçue la première était la colonne russe de
-Wittgenstein, qui descendant le plus près de l'Elbe par la route de
-Péterswalde, avait rencontré le maréchal Saint-Cyr devant le camp de
-Pirna. Ce qu'on appelle le camp de Pirna consiste dans un plateau
-très-élevé, adossé à l'Elbe, taillé à pic presque de tous les côtés,
-appuyé à gauche au fort de Koenigstein, à droite au château de
-Sonnenstein et à la ville de Pirna. La grande route de Bohême par
-Péterswalde, après avoir franchi les montagnes, s'enfonce vers
-Hollendorf dans des terrains creux, puis remonte à Berg-Gieshübel sur
-un autre plateau situé au-dessous de celui de Pirna, passe presque
-sous son feu, mais à une distance qui rend le passage possible, de
-manière que la position de Pirna, quoique invincible en elle-même, ne
-donne cependant pas le moyen de barrer absolument la route de
-Péterswalde. Seulement une armée établie dans cette position, outre
-qu'elle a dans le camp de Pirna un asile assuré, y trouve aussi un
-poste d'où elle peut gêner, arrêter même en opérant bien l'ennemi qui
-veut suivre la route de Péterswalde, soit pour descendre en Saxe, soit
-pour remonter en Bohême.
-
-[En marge: Retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.]
-
-Le maréchal Saint-Cyr, après avoir occupé par sa première division les
-forts de Koenigstein et de Lilienstein, entre lesquels était jeté un
-pont sur l'Elbe, avait placé la seconde sur la route de Péterswalde,
-de manière à ralentir la marche de l'ennemi, et à pouvoir se replier
-sur Dresde comme il en avait l'ordre. Celle-ci avait défendu pied à
-pied le plateau de Berg-Gieshübel, avec un aplomb remarquable chez des
-soldats à peine formés. Pendant ce temps la troisième des divisions du
-maréchal Saint-Cyr observait le second débouché, celui qui de Toeplitz
-vient aboutir sur Zinnwald, Altenberg, Dippoldiswalde, et la quatrième
-enfin placée à la droite de Dippoldiswalde, et veillant sur la grande
-route de Freyberg, servait de soutien au général Pajol, qui faisait le
-coup de sabre avec les avant-gardes de la cavalerie autrichienne
-arrivant par les débouchés les plus éloignés.
-
-[En marge: Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr autour de
-Dresde.]
-
-[En marge: Véritable chiffre de ses forces.]
-
-Le 23 août le maréchal Saint-Cyr ayant confié, comme nous venons de le
-dire, à sa première division (42e de l'armée) la garde des deux forts
-de Koenigstein et de Lilienstein, et tous les postes des bords de
-l'Elbe afin d'empêcher l'ennemi de passer d'une rive à l'autre,
-s'était replié en ordre sur Dresde, où il avait ainsi, outre la
-garnison, trois divisions d'infanterie avec les cavaleries Lhéritier
-et Pajol. Ces forces appuyées sur des ouvrages de campagne, et sur
-les défenses de la ville, étaient capables d'opposer une résistance
-sérieuse à l'ennemi, quoiqu'il comptât dès les premiers jours 150
-mille hommes, et 200 mille les jours suivants. Les trois divisions
-d'infanterie du maréchal Saint-Cyr[9] ne devaient pas comprendre moins
-de 21 ou 22 mille hommes. On pouvait tirer de la garnison 5 à 6 mille
-hommes, quelques-uns Allemands il est vrai, pour les porter sur la
-rive gauche, et les généraux Lhéritier et Pajol avaient bien 4 mille
-chevaux. Le maréchal Saint-Cyr disposait ainsi de 31 à 32 mille hommes
-avec beaucoup d'artillerie attelée pour aider l'artillerie de
-position. Il avait donc les moyens de disputer la place à l'ennemi, et
-de donner à Napoléon le temps de manoeuvrer autour d'elle comme il le
-jugerait utile au plus grand bien des opérations.
-
- [Note 9: Le maréchal Saint-Cyr, avec son esprit
- ordinairement peu indulgent, et le désir de justifier son
- rôle pendant la campagne de 1813, a inexactement représenté
- les événements de cette année dans ses Mémoires d'ailleurs
- si remarquables. Il a voulu prouver partout que Napoléon
- n'avait aucun plan, qu'il n'avait pourvu à rien, et qu'il
- n'existait nulle part des forces suffisantes. Ainsi il
- suppose que sa seconde division était au plus de 5 mille
- hommes, ce qui aurait fait 15 mille hommes pour les trois
- divisions chargées de la défense de Dresde. Ces assertions
- sont inexactes, car les divisions du maréchal étaient de
- douze bataillons, et en supposant que les bataillons qui ne
- s'étaient pas encore battus comptassent 500 hommes
- seulement, les douze bataillons auraient présenté 6 mille
- hommes. Or, la 42e (première du corps de Saint-Cyr), sous le
- général Mouton-Duvernet, se trouva le 29 au matin à Kulm
- avec plus de 8 mille hommes en bataille, ce qui résulte d'un
- appel fait le jour même, et fourni par le général Haxo dans
- son rapport circonstancié sur l'affaire de Kulm. Il n'est
- donc pas admissible que les autres ne comptassent que 5
- mille hommes. Leur en attribuer 7 mille, surtout au début
- des opérations, ce qui suppose à peu près 600 hommes par
- bataillon, n'est certainement pas une exagération. Le
- maréchal Saint-Cyr aurait donc possédé, seulement en
- infanterie de son corps, 21 ou 22 mille hommes à Dresde,
- sans compter la division laissée à Koenigstein.]
-
-[En marge: Napoléon, calculant sur les forces laissées à Saint-Cyr
-pour la défense de Dresde, forme l'une des plus grandes et des plus
-redoutables combinaisons de sa vie militaire.]
-
-C'est sur cet état de choses que Napoléon fonda ses calculs en
-recevant à Gorlitz le détail de ce qui s'était passé du côté de
-Dresde. Il ne pouvait pas savoir tout ce que nous venons de rapporter
-des mouvements de l'ennemi; mais il savait par la présence de masses
-considérables sur les derrières de Dresde, qu'entre les divers plans
-possibles les coalisés avaient adopté celui qui consistait à le
-tourner, en se portant sur la rive gauche de l'Elbe, et en descendant
-en Saxe par Péterswalde. Ayant prévu ce mouvement, comme l'un des plus
-vraisemblables, il avait placé à Dresde, ainsi qu'on vient de le voir,
-de quoi repousser une première attaque, et de quoi retenir la grande
-armée du prince de Schwarzenberg plusieurs jours au moins. Ces données
-bien certaines lui suffisaient, et il imagina sur-le-champ l'une des
-combinaisons les plus belles, les plus redoutables qui soient sorties
-de son génie, et dont l'exécution, si elle s'accomplissait suivant ses
-vues, pouvait terminer la guerre en un jour, par l'un des plus
-terribles coups qu'il eût jamais frappés.
-
-[En marge: Au lieu de déboucher directement de Dresde, il forme le
-projet de remonter jusqu'à Koenigstein, de passer l'Elbe en cet
-endroit, et de prendre par derrière la grande armée de la coalition.]
-
-Napoléon revenait de Silésie, précédé ou suivi des masses les plus
-mobiles de son armée qu'il faisait refluer vers l'Elbe. L'ennemi, pour
-le tourner, avait franchi l'Elbe dans l'intérieur de la Bohême, à
-l'abri des montagnes qui séparent la Bohême de la Saxe. Il fallait le
-punir de ce mouvement téméraire en repassant l'Elbe soi-même, pour
-fondre sur lui avec des masses écrasantes. Maître des ponts de Dresde,
-Napoléon pouvait y traverser l'Elbe tranquillement, et, amenant cent
-mille hommes avec lui, aborder de front les coalisés, et les refouler
-violemment sur les montagnes d'où ils étaient venus. Mais avec ce coup
-d'oeil qui n'appartenait qu'à lui, Napoléon jugea qu'il y avait bien
-mieux à faire. Au lieu de déboucher de front par Dresde, ce qui
-n'aurait donné lieu qu'à un choc direct, il résolut de remonter à
-Koenigstein, qu'il avait occupé d'avance, approvisionné, rattaché au
-rocher de Lilienstein par un pont de bateaux, puis après avoir passé
-l'Elbe en cet endroit, de s'établir à Pirna, d'intercepter la chaussée
-de Péterswalde, de descendre ensuite sur les derrières de l'ennemi
-avec 140 mille hommes, de le pousser sur Dresde, et de le prendre
-ainsi entre l'Elbe et l'armée française. Si ce plan à la fois
-extraordinaire et simple, qu'une admirable prévoyance avait rendu
-praticable, en s'assurant d'avance tous les passages de l'Elbe, si ce
-plan réussissait, et on ne conçoit pas ce qui aurait pu l'empêcher de
-réussir, il était possible que sous trois ou quatre jours il ne restât
-plus de coalition. On pouvait avoir fait prisonniers les souverains et
-leurs armées.
-
-[En marge: Napoléon écrit au maréchal Saint-Cyr pour lui bien
-recommander la défense de Dresde.]
-
-Napoléon, l'esprit enflammé par la méditation de ce plan, se hâta
-d'écrire en chiffres à M. de Bassano, pour lui exposer la formidable
-combinaison qu'il venait d'imaginer, pour lui recommander de la tenir
-profondément secrète, mais de disposer tout le monde à la seconder, en
-faisant prendre patience jusqu'à ce que les secours arrivassent, car
-il allait employer deux jours au moins à se concentrer à Koenigstein,
-à y multiplier les moyens de passage pour faciliter le mouvement des
-140 mille hommes qu'il amenait, et enfin à se poster convenablement
-sur la chaussée de Péterswalde. Il écrivit aussi au maréchal
-Saint-Cyr, afin de lui retracer encore une fois tous les moyens de
-défense que présentait la ville de Dresde, et il vint le 25 s'établir
-à Stolpen sur la droite du fleuve, à égale distance de Koenigstein et
-de Dresde. Il y fit refluer tout ce qui avait quitté Zittau pour
-revenir sur l'Elbe, et tout ce qui arrivait des bords du Bober avec la
-même destination.
-
-[En marge: Napoléon s'établit à Stolpen, et y amène toutes ses troupes
-pour l'exécution de son plan.]
-
-[En marge: Manière d'employer le corps de Vandamme.]
-
-[En marge: Forces et instructions données à ce général.]
-
-[En marge: Napoléon après avoir tout disposé pour obtenir un immense
-résultat, donne un jour de repos à ses troupes.]
-
-Établi à Stolpen, il arrêta toutes ses dispositions conformément à son
-nouveau plan. Le corps de Vandamme, fort de trois divisions, s'était
-déjà replié sur Koenigstein à la première apparition de la grande
-armée des coalisés. La moitié de l'une de ses divisions, celle du
-général Teste, s'était répandue le long de l'Elbe, de Koenigstein à
-Dresde, pour empêcher l'ennemi de repasser le fleuve, et le tenir
-enfermé sur la rive gauche. Napoléon laissa là cette demi-division, et
-la renforça d'une nombreuse cavalerie avec ordre de s'opposer à
-l'établissement de toute espèce de ponts. Il prescrivit à Vandamme de
-passer avec ses deux autres divisions par le pont jeté entre
-Lilienstein et Koenigstein, d'assaillir le camp de Pirna sous lequel
-l'ennemi avait défilé sans l'occuper en forces, de s'en emparer, d'y
-rallier la première division de Saint-Cyr, celle de Mouton-Duvernet,
-laissée à Pirna, et d'aller s'établir à cheval sur la chaussée de
-Péterswalde. Il devait avoir ainsi outre ses deux premières divisions
-une moitié de la 3e (celle de Teste) et la première de Saint-Cyr.
-Napoléon, pour lui procurer quatre divisions entières, emprunta au
-maréchal Victor la brigade du prince de Reuss, y ajouta la cavalerie
-de Corbineau, ce qui composait un corps de plus de 40 mille hommes,
-dont 36 mille d'infanterie et près de 5 mille de cavalerie. Il disposa
-ensuite toute sa garde et le maréchal Victor revenu de Zittau autour
-de Stolpen, de manière à suivre le général Vandamme dès que celui-ci
-serait maître du camp de Pirna, pressa la marche du maréchal Marmont,
-et fit réunir tous les bateaux qu'on put ramasser pour jeter deux
-ponts supplémentaires entre Lilienstein et Koenigstein. Ces ponts
-jetés, il devait avec Vandamme, Victor, la garde impériale et Marmont,
-avoir sous la main cent vingt mille hommes à lancer sur les derrières
-de l'ennemi. Son projet était, tandis qu'il repasserait l'Elbe à
-Koenigstein, d'envoyer la cavalerie Latour-Maubourg le repasser à
-Dresde, afin de tromper le prince de Schwarzenberg, et de lui
-persuader que toute l'armée française allait déboucher par cette
-ville. Il aurait eu ainsi 40 et quelques mille hommes dans Dresde, et
-120 mille au camp de Pirna, pour former l'étau dans lequel il voulait
-prendre l'armée coalisée. Afin d'être plus sûr de la garde de l'Elbe,
-dont il fallait faire un obstacle insurmontable, il ne se contenta pas
-de la moitié de la division Teste et de la cavalerie Latour-Maubourg
-distribuées entre Koenigstein et Dresde, mais il ordonna au maréchal
-Saint-Cyr d'expédier la cavalerie Lhéritier et deux bataillons
-d'infanterie pour aller garder Meissen, à huit lieues de Dresde, afin
-que l'ennemi lorsqu'il serait acculé sur cette ville, ne pût pas
-trouver passage au-dessous. Enfin la pluie ayant détrempé les routes,
-les bateaux étant difficiles à réunir entre Lilienstein et
-Koenigstein, et les troupes étant fatiguées, il crut pouvoir leur
-donner un jour de repos sans rien compromettre, car tout paraissait
-calme autour de Dresde. En conséquence il décida que Vandamme ne
-passerait le pont de l'Elbe entre Lilienstein et Koenigstein pour
-assaillir le camp de Pirna que vers la fin de la journée du 26.
-
-[En marge: Mouvements des coalisés autour de Dresde.]
-
-Malheureusement pendant ce temps les esprits commençaient à se
-troubler à Dresde en voyant se déployer les masses de l'armée
-coalisée. Du 23 au 25 on n'avait aperçu que la première colonne, celle
-qui avait suivi la route de Péterswalde. Les jours suivants les autres
-colonnes s'étaient montrées à leur tour, et les hauteurs de Dresde
-avaient paru en être couvertes. Il ne manquait à cette réunion que la
-dernière colonne autrichienne, celle de Klenau, qui ayant passé par
-Carlsbad et Zwickau, avait le plus de chemin à faire pour revenir sur
-Dresde. Les conseillers d'Alexandre, accourus sur le terrain,
-s'étaient partagés, comme de coutume, et les plus hardis, le général
-Jomini en tête, en voyant les trois divisions de Saint-Cyr dans la
-plaine, avaient conseillé de se ruer sur elles, pour rentrer dans
-Dresde à leur suite, et détruire ainsi d'un seul coup tout notre
-établissement sur l'Elbe. La proposition avait de quoi séduire, et
-Moreau consulté avait répondu, avec son ordinaire sûreté de jugement,
-qu'on aurait raison de faire cette tentative, si Saint-Cyr était
-capable d'attendre à découvert le choc de masses écrasantes, et s'il
-n'y avait rien derrière lui, soit en ouvrages de défense, soit en
-réserve de troupes, mais que ce n'était pas supposable, et qu'il
-serait grave de s'exposer à un échec au début des hostilités. Au
-milieu de ce conflit, le prince de Schwarzenberg avait dit qu'en tout
-cas il fallait différer d'un jour, car sa quatrième colonne n'était
-point arrivée. On avait donc remis au lendemain 26 le parti à prendre.
-
-[En marge: Profonde terreur à Dresde.]
-
-[En marge: Murat envoyé dans cette ville pour voir ce qui s'y
-passait.]
-
-[En marge: Lettre de Napoléon au maréchal Saint-Cyr sur la défense de
-Dresde.]
-
-[En marge: Froides assurances du maréchal Saint-Cyr en réponse aux
-vives instances de Napoléon.]
-
-Cette accumulation successive des troupes coalisées autour de Dresde
-s'apercevait de l'intérieur de la ville, et y causait une sorte de
-terreur. On avait adressé à Napoléon messages sur messages pour le
-presser d'accourir en personne avec toutes ses réserves, afin de
-repousser l'attaque formidable dont on était menacé. En réponse à ces
-instances il avait envoyé Murat qui, après une reconnaissance de
-cavalerie dans laquelle il avait failli être pris, avait constaté la
-présence d'une armée fort nombreuse, manifestant l'intention
-d'attaquer Dresde, et n'avait rien pu voir de plus, car il ne
-connaissait pas les défenses de la ville, et n'était pas capable
-d'ailleurs d'avoir un avis bien éclairé sur leur valeur. Napoléon
-toujours plus sollicité d'accourir, et s'y refusant pour ne pas
-abandonner un plan duquel il attendait des résultats immenses, avait
-écrit au maréchal Saint-Cyr afin de lui détailler de nouveau ses
-moyens défensifs, qui consistaient dans un camp retranché composé de
-cinq redoutes et de vastes abatis, dans la vieille enceinte de la
-ville refaite au moyen d'un fossé plein d'eau et de fortes palissades,
-et enfin dans des barricades établies à la tête de toutes les rues, et
-il lui avait dit que le camp retranché pris il restait l'enceinte,
-après l'enceinte les têtes de rues barricadées, que trente mille
-soldats bien commandés devaient se défendre là six à huit jours, et
-même quinze, s'ils étaient bien résolus.--Un homme moins habile, mais
-plus dévoué que le maréchal Saint-Cyr, aurait promis de faire tuer
-jusqu'au dernier de ses soldats en défendant la place, et aurait tenu
-parole, car le salut de la France et sa grandeur dépendaient en cette
-occasion d'une résistance opiniâtre de quarante-huit heures.
-Malheureusement le maréchal, craignant de prendre des engagements
-téméraires, se contenta d'écrire qu'il ferait de son mieux, mais qu'il
-ne pouvait répondre de rien, en présence des masses ennemies dont il
-était environné[10]. Certes on pouvait compter, lorsqu'il promettait
-de faire de son mieux, qu'il tiendrait sa promesse, et que ce mieux
-serait une résistance aussi ferme qu'intelligente. Mais l'intérêt de
-la conservation de Dresde était si grand que Napoléon, mécontent de
-l'extrême réserve du maréchal, fit partir son officier d'ordonnance
-Gourgaud pour cette ville, avec mission de tout voir, d'entendre tout
-le monde, et de revenir ensuite au galop, afin qu'il pût prendre sa
-résolution en parfaite connaissance de cause.
-
- [Note 10: Ces événements ont été jusqu'ici ou incomplétement
- ou inexactement rapportés, et avec une flatterie ou un
- dénigrement posthumes pour Napoléon, qui ont défiguré la
- vérité. Sa grande conception, celle de déboucher par
- Koenigstein, n'a jamais été bien précisée, faute de
- connaître sa correspondance. C'est sur cette correspondance,
- sur la lecture attentive des ordres et des réponses, qu'est
- établi le récit qu'on va lire, et on peut compter sur sa
- parfaite exactitude.]
-
-[En marge: L'officier d'ordonnance Gourgaud envoyé à Dresde pour
-s'assurer de nouveau du véritable état des choses.]
-
-[En marge: Ému par ce qu'il a vu, l'officier d'ordonnance Gourgaud
-fait à Napoléon un rapport alarmant.]
-
-[En marge: Malgré toutes les raisons qu'il avait de persister dans son
-premier plan, Napoléon en adopte un nouveau, moins fécond en grands
-résultats, mais plus sûr.]
-
-[En marge: Il se décide à déboucher directement de Dresde avec cent
-mille hommes, en confiant au général Vandamme le soin de tourner
-l'ennemi avec 40 mille.]
-
-Le chef d'escadron Gourgaud, officier brave et spirituel, n'avait pas
-un jugement assez froid pour bien remplir une semblable mission. Quand
-il arriva dans la journée du 25 à Dresde, la population, la cour,
-étaient dans les alarmes. Les généraux eux-mêmes commençaient à
-perdre leur sang-froid, et il régnait partout l'anxiété la plus vive.
-On abandonnait en foule la ville principale, dite la ville vieille,
-laquelle étant située sur la rive gauche de l'Elbe se trouvait exposée
-aux attaques de l'ennemi, pour se rendre dans le faubourg de la rive
-droite, appelé ville neuve. On y avait préparé le logement du roi et
-celui de M. de Bassano; les magistrats eux-mêmes s'y étaient
-transportés, et la population entière suivait leur exemple, sans
-savoir où elle logerait. On comprend que devant une attaque exécutée
-par 200 mille hommes et 600 bouches à feu, cette malheureuse
-population fût épouvantée, et que, tout allemande qu'elle était,
-désirant par conséquent le succès des coalisés, elle ne le désirât
-plus cette fois, et demandât à grands cris le secours de Napoléon. Le
-roi surtout, facile à troubler, entouré d'une nombreuse famille aussi
-timide que lui, était saisi de terreur. Le maréchal Saint-Cyr, le
-général Durosnel, chargés de la défense, l'un comme commandant du 14e
-corps, l'autre comme gouverneur de Dresde, pressés de questions par
-l'officier d'ordonnance Gourgaud, ne lui parurent pas convaincus de la
-force de la position, et lui firent un rapport peu rassurant. Ce
-dernier, dont l'esprit s'échauffait aisément, repartit au galop dans
-la soirée du 25, arriva vers onze heures du soir à Stolpen, fit la
-peinture la plus vive des dangers qui menaçaient Dresde, au point
-d'ébranler le jugement ordinairement si ferme de Napoléon, et de lui
-faire oublier les considérations puissantes qu'il avait présentées
-lui-même au maréchal Saint-Cyr. Napoléon n'avait besoin en effet que
-de deux jours pour descendre par Koenigstein sur les derrières de
-l'ennemi, et il n'était pas possible après tout que Dresde ne résistât
-pas deux jours, car on avait à opposer aux assaillants le camp
-retranché, l'enceinte de la ville, et enfin les têtes de rues
-fortement barricadées. En supposant même que la vieille ville
-succombât, une chose était certaine, c'est que la ville neuve située
-sur la rive droite de l'Elbe, moyennant qu'on brûlât le pont dont une
-partie était en bois, ne succomberait point, que dès lors l'ennemi se
-trouverait toujours dans un vrai cul-de-sac, et qu'en débouchant sur
-ses derrières on serait assuré de le pousser dans un abîme. Toutefois
-le sacrifice de la vieille ville était cruel sous le rapport de
-l'humanité, fâcheux sous le rapport de la politique, car c'était
-rendre notre alliance bien funeste à la Saxe, et Napoléon ne regardait
-pas cette ressource extrême de se défendre dans la ville neuve comme
-acceptable. D'ailleurs, bien que son plan lui tînt fort au coeur, et
-qu'aucune combinaison ne pût en égaler la grandeur et les résultats
-probables, il lui restait une autre combinaison féconde aussi en
-conséquences, c'était, au lieu de jeter par Koenigstein toute la masse
-de ses forces sur les derrières de l'ennemi, de ne jeter par cette
-issue que les quarante mille hommes de Vandamme et de déboucher
-directement par Dresde avec cent mille. Certainement Vandamme maître
-du camp de Pirna, à cheval sur la grande chaussée de Péterswalde,
-devait en tombant sur les coalisés vaincus devant Dresde leur faire
-essuyer d'énormes dommages, car il prendrait tous ceux qui
-essayeraient de repasser par Péterswalde, et refoulerait les autres
-sur des routes mal frayées où la retraite serait excessivement
-difficile. Ce nouveau plan présentait moins d'avantages sans doute,
-mais il en promettait de bien grands encore, et il était moins
-hasardeux, puisqu'en réunissant près de cent mille hommes à Dresde,
-Napoléon sauvait la ville, avait le moyen de battre l'ennemi sous ses
-murs, et avait en outre pour compléter la victoire et en tirer les
-dernières conséquences, Vandamme embusqué à Koenigstein. Il se décida
-donc pour ce plan, moins vaste mais plus sûr; et ainsi plus audacieux
-que jamais en politique, il le fut moins que de coutume en fait de
-guerre, à l'inverse de ce qui aurait dû être, car moins il avait
-montré de sagesse dans sa politique, plus il aurait dû montrer
-d'audace dans ses opérations militaires, s'étant mis dans la nécessité
-d'avoir des triomphes inouïs ou de périr. Mais lui-même, contraste
-étrange! devenait défiant à l'égard de la fortune, dans un moment où
-par le refus de la paix il lui avait livré son existence tout entière!
-
-[En marge: Troupes dirigées sur Dresde.]
-
-[En marge: Instructions laissées au général Vandamme.]
-
-[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.]
-
-Son parti pris à minuit, avec une promptitude qui ne l'abandonnait
-jamais, il dicta ses ordres à l'instant même. Il dirigea sur Dresde sa
-vieille garde arrivée déjà dans les environs de Stolpen, la cavalerie
-de Latour-Maubourg arrivée également en ce lieu, la moitié de la
-division Teste restée sur le bord de l'Elbe, et leur recommanda de
-marcher toute la nuit pour être rendues à Dresde à la pointe du jour,
-traverser les ponts, et venir se placer derrière le corps du maréchal
-Saint-Cyr. Il donna les mêmes instructions à la jeune garde et au
-maréchal Marmont qui étaient encore sur la route de Lowenberg, et au
-maréchal Victor qui avait quitté Zittau afin de se transporter à
-Koenigstein. En même temps il traça au général Vandamme ce qu'il
-aurait à faire pendant la journée du lendemain 26. Ce dernier devait
-avec ses 40 mille hommes traverser le pont jeté antérieurement entre
-Lilienstein et Koenigstein, déboucher sur la rive gauche de l'Elbe,
-assaillir le camp de Pirna, l'enlever, et s'établir en travers de la
-chaussée de Péterswalde. À ces instructions il ajouta le secours d'un
-conseiller éclairé, celui du général Haxo, qu'il chargea d'être le
-guide et le mentor du bouillant Vandamme. Ces ordres expédiés,
-Napoléon prit un repos de quelques heures, et à la pointe du jour
-partit au galop pour Dresde. Il y arriva vers 9 heures du matin le 26
-août, la première de deux journées justement célèbres.
-
-[En marge: Enthousiasme excité par sa présence.]
-
-Chemin faisant il avait aperçu une batterie qui de la rive droite de
-l'Elbe devait tirer sur la rive gauche moins élevée que la droite,
-afin d'appuyer l'extrémité de la ligne du maréchal Saint-Cyr. Il la
-fit renforcer et placer le plus avantageusement possible, puis il
-entra dans Dresde, suivi des braves cuirassiers de Latour-Maubourg.
-L'enthousiasme à son aspect fut extrême parmi les troupes et les
-habitants. Il y avait près du grand pont de pierre un hôpital de
-blessés français, dont les convalescents se tenaient ordinairement
-près des abords de ce pont, regardant travailler leurs camarades aux
-ouvrages de défense. À la vue de l'Empereur, ces jeunes gens se
-traînant comme ils pouvaient sur leurs membres mutilés, agitant les
-uns leurs bonnets, les autres leurs béquilles, se mirent à crier
-_Vive l'Empereur!_ avec un véritable fanatisme militaire. Les
-habitants, contraints à saluer en lui leur sauveur, l'accueillirent en
-poussant les mêmes cris, et en lui demandant de garantir des horreurs
-de la guerre leurs femmes et leurs enfants. D'ailleurs le dernier
-séjour qu'avaient fait chez eux les coalisés, les Russes surtout, les
-avait presque réconciliés avec les Français, qui les traitaient
-beaucoup moins durement. Déjà quelques boulets tombant sur le pont et
-sur la grande place les avertissaient du péril, et Napoléon leur
-apparaissait en ce moment comme un vrai libérateur. Il se rendit chez
-le roi de Saxe pour le rassurer, l'engagea vivement à ne pas être
-inquiet pour le sort de cette journée, puis se transporta sur le front
-du camp retranché, afin de rejoindre le maréchal Saint-Cyr qui était à
-la tête de ses troupes, et faisait ses dispositions tactiques avec son
-habileté accoutumée.
-
-[En marge: Description de la position de Dresde.]
-
-[En marge: Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Emplacement des forces russes, prussiennes et autrichiennes
-autour de Dresde.]
-
-Nous avons déjà donné une première idée du site et de la configuration
-de Dresde. La ville principale se trouve sur la gauche de l'Elbe, et
-se montre par conséquent la première quand on vient des bords du Rhin.
-(Voir la carte nº 58, et le plan de Dresde ajouté à cette carte.) Une
-suite de hauteurs, détachées des montagnes de la Bohême, enveloppent
-la ville, et forment autour d'elle une sorte d'amphithéâtre. C'est sur
-cet amphithéâtre que s'étaient rangés les coalisés, descendus de la
-Bohême pour nous prendre à revers. Ils avaient ainsi le dos tourné à
-la France, comme s'ils en étaient venus, et nous à l'Allemagne, comme
-si nous avions été chargés de combattre pour elle. Notre ligne de
-défense, adossée à la vieille ville, présentait un demi-cercle dont
-les deux extrémités s'appuyaient à l'Elbe, l'extrémité gauche au
-faubourg de Pirna, l'extrémité droite au faubourg de Friedrichstadt.
-Cette ligne consistait d'abord, ainsi que nous l'avons dit, dans cinq
-redoutes élevées au saillant des faubourgs, et jointes entre elles par
-des clôtures et des abatis (c'est ce qu'on appelait le camp
-retranché), puis dans la vieille enceinte composée d'un fossé et de
-palissades, et enfin dans les têtes de rues que l'on avait
-barricadées. C'est à la ligne extérieure des redoutes que le maréchal
-Saint-Cyr avait placé ses troupes. Sa première division étant restée
-avec Vandamme, il avait rangé la seconde (43e de l'armée) sur la
-première moitié du pourtour de la ville, en partant de la barrière de
-Pirna jusqu'à la barrière de Dippoldiswalde. Il avait rangé sa
-quatrième division (45e) sur l'autre moitié du pourtour se terminant
-au faubourg de Friedrichstadt. En avant du faubourg de Pirna se
-trouvait un vaste jardin public, dit le _Gross-Garten_, large de
-quatre ou cinq cents toises, long de mille ou douze cents, et qui
-présentait, par rapport aux dispositions de cette journée, une forte
-saillie en avant de notre gauche. Le maréchal Saint-Cyr y avait établi
-sa troisième division (la 44e), mais avec la précaution de ne laisser
-que de simples postes dans la partie avancée du jardin, et de mettre
-le gros de la division en arrière, pour qu'elle ne fût pas coupée de
-l'enceinte de la ville, à laquelle le _Gross-Garten_ n'était pas
-immédiatement lié. Le maréchal Saint-Cyr avait distribué ses postes
-avec un art infini, de manière qu'ils se soutinssent les uns les
-autres, et entre les redoutes, dont quelques-unes ne se flanquaient
-pas assez, il avait disposé de l'artillerie attelée, pour remplir par
-des feux mobiles les lacunes entre les feux fixes. Les Russes de
-Wittgenstein et de Miloradovitch, sous Barclay de Tolly, descendus de
-Péterswalde, et faisant face à notre gauche, devaient attaquer entre
-l'Elbe et le _Gross-Garten_, par les barrières de Pirna et de Pilnitz.
-Les Prussiens, sous le général Kleist, devaient attaquer le
-_Gross-Garten_. Les Autrichiens, venus par les débouchés les plus
-éloignés, et ramenés ensuite sur Dresde par la route de Freyberg,
-formaient la gauche des alliés, faisaient par conséquent face à notre
-droite, et devaient attaquer entre les barrières de Dippoldiswalde et
-de Freyberg. C'était du moins ce qu'on pouvait supposer d'après la
-distribution apparente des forces ennemies sur le demi-cercle des
-hauteurs.
-
-[En marge: Reconnaissance exécutée par Napoléon autour de la ville.]
-
-[En marge: Dispositions qu'il ajoute à celles qu'avait faites le
-maréchal Saint-Cyr.]
-
-Napoléon après avoir parcouru cette ligne sous un feu de tirailleurs
-assez vif, approuva toutes les dispositions du maréchal Saint-Cyr, et
-lui fit connaître ses intentions. Les cuirassiers venaient d'arriver,
-et la vieille garde les suivait; mais la jeune garde, forte de quatre
-belles divisions, ne pouvait être rendue à Dresde que fort tard dans
-la journée. Les maréchaux Marmont et Victor se trouvaient encore plus
-loin. Le projet de Napoléon était de placer une partie de la vieille
-garde aux diverses barrières, pour les garantir contre tout succès
-imprévu de l'ennemi, et de ne faire donner cette troupe de
-prédilection qu'à la dernière extrémité. Avec le reste de la vieille
-garde, tenue en arrière sur la principale place de la ville, il
-devait attendre l'événement. Dès qu'il aurait la jeune garde sous la
-main, Napoléon se réservait de l'employer lui-même selon les besoins.
-Il rangea Murat avec toute la cavalerie de Latour-Maubourg dans la
-plaine de Friedrichstadt, qui s'étend en avant du faubourg de ce nom,
-et qui formait l'extrême droite de notre ligne de défense, pour
-occuper l'espace que la quatrième division du maréchal Saint-Cyr ne
-pouvait pas remplir à elle seule. Entre cette division et la deuxième,
-c'est-à-dire vers le centre, les forces paraissant insuffisantes,
-Napoléon y envoya une partie de la garnison de Dresde composée de
-Westphaliens. Il ordonna au général Teste de rentrer en ville avec sa
-brigade laissée sur l'Elbe, pour venir soutenir la cavalerie de
-Latour-Maubourg dans la plaine de Friedrichstadt.
-
-[En marge: Dans cette journée du 26, le combat n'avait pas commencé à
-la moitié du jour.]
-
-On attendit ainsi résolûment l'attaque des deux cent mille ennemis
-qu'on avait devant soi, et dont on devait supposer que l'effort serait
-violent, car ils ne pouvaient se flatter d'emporter Dresde que par un
-coup d'extrême vigueur. Pourtant on était à la moitié du jour, et on
-n'entendait qu'un feu de tirailleurs sur notre gauche, du côté du
-_Gross-Garten_. Ce feu s'était engagé entre les Prussiens et la 44e
-division, habilement commandée par le général Berthezène.
-
-[En marge: Hésitation des coalisés, et motif de cette hésitation.]
-
-[En marge: Diversité des avis.]
-
-[En marge: Insistance du roi de Prusse pour une attaque immédiate.]
-
-[En marge: Sur l'avis des généraux Moreau et Jomini, le projet
-d'attaque est abandonné.]
-
-[En marge: Cependant le contre-ordre n'ayant pas été donné à temps,
-toutes les colonnes des coalisés en entendant sonner trois heures aux
-cloches de Dresde, s'ébranlent pour attaquer la ville.]
-
-[En marge: Bataille du 26.]
-
-Il est aisé de deviner pourquoi les coalisés étaient si lents ce
-jour-là, c'est qu'il s'était élevé un nouveau conflit d'opinion au
-sein de leur état-major. Ils étaient convenus la veille d'ajourner
-toute résolution jusqu'au lendemain 26, soit pour laisser arriver la
-quatrième colonne, celle de Klenau, soit pour lire plus clairement
-dans les desseins des Français. Le 26 au matin tout leur avait paru
-changé, car Saint-Cyr au lieu d'être déployé dans la plaine, s'était
-sagement replié sur les ouvrages de la ville, et ne semblait pas
-facile à forcer dans sa position. De plus on devait supposer que
-Napoléon n'était pas homme à l'y abandonner sans secours, et que dès
-lors les cinq ou six mille hommes, les dix mille peut-être, qu'on
-serait obligé de sacrifier pour enlever Dresde, seraient probablement
-sacrifiés inutilement, ce qui était un triste début pour la grande
-armée coalisée, sans compter les dangers qu'on pourrait courir du côté
-de Pirna, et dont personne au reste n'avait une idée claire parmi les
-coalisés! Dans ce nouvel état de choses, le général Jomini, qui avait
-l'esprit ardent mais juste, se rangea au sentiment du général Moreau,
-l'empereur Alexandre à celui de tous les deux, et on parut décidé à se
-replier sur les hauteurs de Dippoldiswalde, pour s'y établir, le dos
-contre les montagnes, dans une position tout à la fois sûre et
-menaçante. Mais le roi de Prusse, dominé par les passions de son
-armée, dit avec un ton d'opiniâtreté froide, qu'après avoir fait une
-tentative si ambitieuse sur les derrières de Napoléon, se retirer sans
-même essayer une démonstration contre Dresde, était une conduite qui
-dénoterait autant de légèreté que de faiblesse, et qui d'ailleurs
-froisserait singulièrement le patriotisme de ses soldats. Le général
-Jomini répliqua que la guerre n'était pas une affaire de sentiment,
-mais de calcul, qu'il aurait fallu attaquer la veille, c'est-à-dire le
-25, qu'alors on aurait eu des chances, mais qu'aujourd'hui il n'y en
-avait pas assez pour sacrifier six mille hommes. Moreau appuya cet
-avis; Alexandre, suivant son usage, paraissait flottant, le roi de
-Prusse se montrait mécontent et roide, lorsqu'un habitant de Dresde,
-arrêté aux avant-postes, et sommé de dire ce qu'il savait, déclara que
-Napoléon venait d'entrer dans Dresde, qu'il n'y était pas entré seul,
-et donna des détails tels qu'il était impossible de conserver aucun
-doute à cet égard. De son côté la colonne russe descendue par
-Péterswalde avait aperçu au delà de l'Elbe les masses de l'armée
-française accourant sur Dresde, de façon que tout annonçait une
-résistance des plus sérieuses. Dès lors il ne pouvait plus y avoir
-qu'un avis, celui d'aller prendre tout de suite la position de
-Dippoldiswalde. Le prince de Schwarzenberg, tout en reconnaissant
-qu'on avait raison, répondit qu'il n'était pas aussi facile de se
-retirer qu'on l'imaginait, que sa quatrième colonne, arrivée la
-dernière, et fort avancée vers la gauche, se trouverait en péril si on
-rétrogradait trop vite, car dans le mouvement de conversion en arrière
-qu'on allait opérer pour s'éloigner de Dresde et s'adosser aux
-montagnes, elle aurait l'arc de cercle le plus long à décrire,
-plusieurs vallées à traverser, et qu'il fallait à cause d'elle mettre
-beaucoup de lenteur à se replier. Il promit au surplus de contremander
-tout projet d'attaque. Le généralissime autrichien, qui avait pour
-principal rédacteur de ses dispositions le général Radetzki, avait
-adressé la veille pour le lendemain l'ordre convenu de faire une forte
-démonstration sur Dresde, ce qui, dans tous les cas, était très-mal
-imaginé, car il aurait fallu ou une attaque furieuse, ou rien. Soit la
-difficulté de changer assez vite les ordres destinés à une masse de
-deux cent mille hommes, soit la répugnance à s'en aller sans
-combattre, l'ordre d'attaquer ne fut pas contremandé à temps, et les
-cloches de Dresde ayant à toutes les églises sonné trois heures, les
-nombreuses colonnes des coalisés s'ébranlèrent à la fois, et bientôt
-une violente canonnade se fit entendre, au grand étonnement des
-souverains qui ne songeaient qu'à se retirer. Le mouvement étant ainsi
-donné de la droite à la gauche, il n'était plus possible de l'arrêter,
-et l'attaque se trouva engagée sur tout le pourtour de la ville de
-Dresde.
-
-[En marge: Les Russes, sous Wittgenstein, attaquent la barrière de
-Pirna.]
-
-[En marge: Les Prussiens enlèvent le _Gross-Garten_.]
-
-Le corps de Wittgenstein formant la droite des coalisés, opposé par
-conséquent à notre gauche, s'avança entre l'Elbe et le _Gross-Garten_
-en face du faubourg de Pirna. Il fallait franchir un gros ruisseau
-canalisé, appelé le _Land-Graben_, et menant dans l'Elbe les eaux des
-hauteurs environnantes. Les soldats de la 43e division (seconde de
-Saint-Cyr) disputèrent vivement le terrain. Les Russes, indépendamment
-d'une batterie française placée sur l'autre rive de l'Elbe, avaient à
-leur droite notre première redoute construite en avant de la barrière
-de Ziegel, à leur gauche notre seconde redoute, construite en avant de
-la barrière de Pirna, et en face des batteries attelées, dont les feux
-mobiles les attendaient à chaque partie découverte du terrain. Ils
-eurent donc une grande peine à s'avancer; ils franchirent néanmoins le
-_Land-Graben_, puis cheminèrent entre l'Elbe et le _Gross-Garten_,
-aidés par les progrès des Prussiens dans le _Gross-Garten_. Ceux-ci en
-effet, après de violents efforts, avaient fini par s'emparer de ce
-jardin, grâce à leur nombre. Ils étaient plus de 25 mille contre une
-simple division (la 43e), qui était de 6 à 7 mille hommes, et qui ne
-voulait pas s'obstiner à cette défense jusqu'à courir la chance d'être
-coupée de la ville. Elle rétrograda peu à peu, de manière à couvrir le
-plus longtemps possible les parties de notre ligne qui s'étendaient à
-gauche et à droite, et se replia entre les barrières de Pirna et de
-Dohna, disputant opiniâtrement le jardin du prince Antoine, qui était
-situé en arrière du _Gross-Garten_, et formait le saillant du faubourg
-de Pirna. Elle vint s'y lier à la 45e division (quatrième de
-Saint-Cyr), chargée de défendre le reste de l'enceinte.
-
-[En marge: Les Autrichiens s'emparent de la redoute du jardin
-Moczinski.]
-
-Tel était vers cinq heures du soir l'état des choses dans cette partie
-de notre ligne. L'ennemi sur ce point avait fort approché des
-redoutes, mais n'en avait enlevé aucune. Au centre, l'attaque avait
-fait plus de progrès. Les Autrichiens, apercevant une masse immense de
-cavalerie qui couvrait déjà la plaine de Friedrichstadt sur leur
-gauche, avaient porté tous leurs efforts sur notre centre, et avaient
-abordé deux des redoutes, la troisième et la quatrième, construites
-dans cette partie, l'une située en avant du jardin Moczinski près de
-la porte de Dohna, l'autre en avant de la porte de Freyberg. Attaquant
-avec cinquante pièces de canon chacune de ces redoutes, ils avaient
-fini par en éteindre le feu, et profitant ensuite de quelques plis de
-terrain ils avaient ouvert une fusillade tellement meurtrière,
-notamment sur celle du jardin Moczinski, qu'ils avaient forcé nos
-soldats à l'évacuer. Ils l'avaient alors occupée. C'était la seule de
-nos redoutes qu'ils eussent prise, mais un effort énergique sur la
-quatrième, et sur la cinquième qui venait après, pouvait les en rendre
-maîtres, et à leur droite les Russes se trouvaient déjà au pied de la
-première et de la seconde, tout prêts à donner l'assaut.
-
-[En marge: Quelques compagnies de la vieille garde arrêtent l'ennemi
-aux barrières de Pirna et de Freyberg.]
-
-Quoiqu'il fût tard et qu'il restât peu de jour à l'ennemi pour agir,
-le péril était grave. Malgré l'ordre de ménager la vieille garde,
-Friant qui commandait les grenadiers de ce corps, et qui était placé
-en réserve au faubourg de Pirna, n'avait pas craint d'engager quelques
-compagnies de ces braves gens. Ces vieux soldats ouvrant hardiment les
-barrières de Pilnitz et de Pirna, avaient tiré à bout portant sur les
-têtes de colonnes russes, puis repoussé à la baïonnette les
-détachements qui s'étaient trop approchés. À l'extrémité opposée,
-c'est-à-dire à la porte de Freyberg, les fusiliers avaient agi de
-même, et culbuté les Autrichiens. Ces actes d'énergie n'avaient
-heureusement pas coûté beaucoup de monde à la vieille garde que
-Napoléon tenait à ménager, réservant à la jeune l'honneur et
-l'éducation des grands dangers.
-
-[En marge: Arrivée de la jeune garde vers la fin du jour.]
-
-[En marge: Napoléon dispose lui-même aux barrières de Pilnitz et de
-Pirna les quatre divisions de la jeune garde.]
-
-Mais les colonnes de cette jeune garde arrivaient en ce moment,
-impatientes de se mesurer avec l'ennemi, et remplissant Dresde des
-cris de _Vive l'Empereur!_ Elles présentaient quatre belles divisions
-de huit à neuf mille hommes chacune, deux sous le maréchal Mortier, et
-deux sous le maréchal Ney. En les voyant, Napoléon accourt et les
-dispose lui-même. Il envoie les divisions Decouz et Roguet à la
-barrière de Pilnitz pour refouler les Russes, qui ne cessaient de
-gagner du terrain, les divisions Barrois et Parmentier à la barrière
-de Pirna pour refouler les Prussiens, qui après avoir enlevé le
-_Gross-Garten_, donnaient déjà la main aux Autrichiens près de la
-redoute du jardin Moczinski. En même temps Napoléon fait ordonner à
-Murat, que l'infanterie du général Teste venait de rejoindre, de
-charger avec toute sa cavalerie dans la plaine de Friedrichstadt.
-
-[En marge: Ces quatre divisions débouchent brusquement des barrières
-de Pilnitz et de Pirna, et refoulent l'ennemi sur tous les points.]
-
-[En marge: Beaux résultats de la journée du 26.]
-
-[En marge: L'ennemi a perdu 6 mille hommes, et les Français tout au
-plus 2 mille.]
-
-En un instant la scène change. Les barrières de Ziegel et de Pilnitz
-s'ouvrent, et deux divisions de la jeune garde sortent comme des
-torrents pour se jeter sur les Russes et les Prussiens. Elles se
-déploient d'abord pour faire feu, puis se forment en colonnes, et
-chargent à la baïonnette les masses ennemies. Les Russes surpris sont
-arrêtés, et bientôt culbutés sur le _Land-Graben_, qu'ils sont forcés
-de repasser en désordre. L'une de ces deux divisions se rabat à droite
-sur le jardin du prince Antoine qu'attaquaient les Prussiens, et les
-en chasse à la baïonnette. Elle vient ensuite se joindre aux troupes
-de la 44e division, pour reprendre la redoute située à l'extrémité du
-jardin Moczinski. Les soldats de la jeune garde, ceux des 43e et 44e
-divisions débouchent de ce jardin en plusieurs colonnes, se jettent
-sur la redoute, les uns par la gorge, les autres par les épaulements,
-s'en emparent, et y font prisonniers six cents Autrichiens. Au même
-moment le général Teste, avec la brigade qui lui restait, sort par la
-porte de Freyberg, s'empare du village de Klein-Hambourg, tandis que
-Murat, se déployant avec douze mille cavaliers à notre extrême droite,
-expulse les Autrichiens de la plaine de Friedrichstadt, et les oblige
-à regagner les hauteurs. De toutes parts les alliés vivement repoussés
-reconnaissent dans ces actes vigoureux la main de Napoléon et prennent
-le parti de la retraite en nous abandonnant trois ou quatre mille
-morts ou blessés et deux mille prisonniers. Combattant à couvert, nous
-n'avions pas perdu plus de deux mille hommes.
-
-[En marge: Satisfaction de Napoléon; il espère plus encore pour le
-lendemain.]
-
-[En marge: Du haut de l'un des clochers de Dresde, il avait discerné
-une gorge profonde, celle de Plauen, qui divisait le champ de bataille
-en deux.]
-
-[En marge: Il fonde sur cette circonstance une manoeuvre décisive, et
-destine à Murat la mission de précipiter les Autrichiens dans la
-vallée de Plauen.]
-
-Napoléon était enchanté de cette première journée, car bien qu'il
-n'eût pas éprouvé d'inquiétude pour la conservation de Dresde, il
-était fort content d'être quitte de cette attaque à si peu de frais,
-d'avoir en même temps arraché les habitants de Dresde ainsi que la
-cour de Saxe à leur terreur, et il prévoyait avec joie une brillante
-journée pour le lendemain. En effet, cette tentative du 26 ne pouvait
-pas être le dernier effort de l'ennemi, et comme on attendait encore
-40 mille hommes au moins dans la soirée, outre tout ce qu'on venait de
-recevoir dans l'après-midi, Napoléon se croyait en mesure de livrer le
-lendemain une bataille décisive. Étant monté plusieurs fois dans
-cette journée à un clocher de la ville, d'où l'on apercevait
-très-distinctement le demi-cercle de hauteurs qui entourent Dresde, il
-avait tout à coup imaginé l'une des plus belles manoeuvres qu'il eût
-jamais exécutées. À notre gauche les Russes formant l'extrême droite
-des coalisés, étaient rangés entre l'Elbe et le _Gross-Garten_. Un peu
-moins à gauche, en s'approchant du centre, étaient les Prussiens sous
-le général Kleist, repoussés du _Gross-Garten_ et repliés sur les
-hauteurs de Strehlen. (Voir le plan des environs de Dresde, carte nº
-58.) Tout à fait au centre se trouvait une partie des Autrichiens,
-vis-à-vis des barrières de Dippoldiswalde et de Freyberg, sur les
-hauteurs de Racknitz et de Plauen. Là, entre le centre et notre
-droite, on découvrait une gorge étroite et profonde, servant de lit à
-la petite rivière de la Weisseritz, laquelle vient se jeter dans
-l'Elbe, entre la ville vieille et le faubourg de Friedrichstadt. C'est
-au delà de cette gorge, appelée vallée de Plauen, à l'extrême gauche
-des alliés, et à notre extrême droite, qu'était rangée la plus grande
-partie des Autrichiens, séparés ainsi du reste de l'armée coalisée par
-une sorte de gouffre, à travers lequel il était impossible de les
-secourir. En outre, ce côté du champ de bataille était plus propre que
-les autres aux manoeuvres de la cavalerie. Napoléon saisissant d'un
-coup d'oeil les avantages qu'offrait cette circonstance locale, avait
-résolu de renforcer le roi de Naples de tout le corps du maréchal
-Victor, de le lancer par un détour à droite et d'une manière
-foudroyante sur les Autrichiens, qui ne pouvant être secourus seraient
-inévitablement précipités dans la gorge de Plauen, et après avoir
-ainsi détruit la gauche des coalisés, de pousser Ney avec toute la
-jeune garde sur leur droite, pour les refouler en masse sur les
-hauteurs d'où ils avaient essayé de descendre. Il devait résulter de
-ce double mouvement un double avantage, c'était de leur enlever à
-droite la grande route de Freyberg, la plus large et la meilleure pour
-opérer leur retraite, de les acculer à gauche sur cette route de
-Péterswalde, où Vandamme les attendait à la tête de 40 mille hommes,
-et de les réduire ainsi pour retourner en Bohême à des chemins mal
-frayés, où ils ne repasseraient qu'en essuyant des pertes énormes.
-
-[En marge: Napoléon donne ses ordres sans prendre un moment de repos.]
-
-[En marge: Le maréchal Victor chargé d'opérer avec Murat sur notre
-droite, et contre la gauche des coalisés composée des Autrichiens.]
-
-[En marge: Marmont et la garde rangés en masses au centre.]
-
-[En marge: Saint-Cyr chargé de faire face aux Prussiens à Strehlen.]
-
-[En marge: Ney chargé avec la jeune garde et une partie de la
-cavalerie de défiler devant le _Gross-Garten_, et de venir enlever aux
-Russes la plaine entre Gruna et Prohlis.]
-
-Ces combinaisons formées en un instant avec une merveilleuse
-promptitude d'esprit, avaient rempli Napoléon d'une satisfaction qui
-éclatait sur son visage, et qui n'était que la joie anticipée d'un
-grand triomphe presque assuré pour le lendemain. Avant de prendre ni
-repos ni nourriture, il donna ses ordres sans désemparer[11]. À droite
-il plaça le général Teste sous le maréchal Victor, l'un et l'autre
-sous Murat qui allait avoir ainsi 20 mille hommes d'infanterie et
-environ 12 mille hommes de cavalerie, avec ordre de tourner les
-Autrichiens par leur gauche, et de les pousser à outrance vers la
-vallée de Plauen. Il prescrivit au maréchal Marmont, qui arrivait dans
-le moment, de s'établir au centre, à la barrière de Dippoldiswalde,
-près du jardin Moczinski, ayant derrière lui la vieille garde et la
-réserve d'artillerie. Le maréchal Saint-Cyr devait réunir ses trois
-divisions, les ranger en colonne serrée entre la barrière de
-Dippoldiswalde et la barrière de Dohna, la droite au maréchal Marmont,
-la gauche au _Gross-Garten_. Ces deux corps, placés près de Napoléon
-qui avait le projet de se tenir au centre (ce qu'il fit savoir à tous
-ses lieutenants pour qu'ils vinssent y chercher ses ordres), ne
-devaient recevoir d'instructions que sur le terrain même et de sa
-propre bouche. Enfin à l'extrême gauche, Ney, avec toute la jeune
-garde et une portion de la cavalerie sous Nansouty, avait pour
-instructions de défiler derrière le _Gross-Garten_ avec près de
-quarante mille hommes, de tourner autour de ce jardin, d'expulser les
-Russes de la plaine qui s'étend de Striesen à Döbritz, et de les
-refouler sur les hauteurs quand le désastre de la gauche des coalisés
-les aurait suffisamment ébranlés. Sauf le conseil des événements,
-Napoléon voulait en agissant par ses deux ailes, dont chacune allait
-enlever aux coalisés l'une de leurs routes principales, demeurer
-immobile au centre avec 50 mille hommes, se réservant d'en disposer au
-besoin, sans crainte d'affaiblir le milieu de sa ligne, appuyé qu'il
-était à la ville et à de fortes redoutes. Il avait en effet donné des
-ordres pour que toutes les redoutes, et notamment celles du centre,
-fussent réarmées, renforcées en hommes et en artillerie. Prévoyant de
-plus un violent combat d'artillerie au centre, il y avait amené plus
-de cent bouches à feu de la garde, indépendamment de toutes les
-batteries de Marmont et de Saint-Cyr.
-
- [Note 11: Le maréchal Saint-Cyr, avec sa sévérité
- accoutumée, a, dans ses Mémoires, représenté Napoléon comme
- n'ayant aucun plan pour le lendemain, tandis qu'il existe
- une suite de lettres (ignorées évidemment du maréchal),
- datées du 26 août à 7 heures du soir, au moment où finissait
- la première bataille, et dans lesquelles tous les ordres
- pour le lendemain sont donnés avec la plus rare précision et
- la plus parfaite prévoyance du résultat. Il ne faut donc
- jamais prononcer sur ces grands événements qu'après avoir vu
- les documents eux-mêmes, et non pas quelques-uns, mais tous
- s'il est possible. Sans cela on ne porte que des jugements
- erronés, si bon juge qu'on soit, et si près des événements
- qu'on ait pu être.]
-
-Napoléon avec à peu près 120 mille hommes allait en combattre 200
-mille, car les coalisés, une fois tous les Autrichiens de Klenau
-arrivés, n'en devaient pas avoir moins. De ces 200 mille, il y en
-avait 180 mille devant Dresde, et 20 mille devant Pirna sous le prince
-Eugène de Wurtemberg. Les coalisés auraient même pu en réunir
-davantage, s'ils n'avaient pas laissé environ 30 mille hommes entre
-Prague et Zittau à la garde de ce débouché, où était resté le prince
-Poniatowski. Mais Napoléon avait pour contre-balancer l'inégalité du
-nombre l'avantage de ses combinaisons, et les 40 mille hommes du
-général Vandamme, placés à Pirna bien plus utilement qu'à Dresde.
-
-[En marge: Napoléon soupe chez le roi de Saxe avec tous ses
-maréchaux.]
-
-[En marge: Grandes espérances pour le lendemain.]
-
-Après avoir dicté ces dispositions de la manière la plus précise,
-Napoléon alla souper chez le roi de Saxe avec ses maréchaux, et
-recevoir les félicitations de toute la cour, bien heureuse maintenant
-qu'elle était irrévocablement liée à notre sort, de voir l'ennemi
-éloigné de la capitale et menacé d'une prochaine et grande défaite.
-Napoléon ne révéla ses projets à personne, mais il annonça une
-bataille décisive pour le lendemain, n'hésita point à dire qu'il la
-rendrait funeste pour la coalition, et laissa éclater pendant toute la
-soirée une gaieté singulière. Il ne se retira que fort tard, afin de
-goûter un peu de repos entre deux batailles.
-
-[En marge: Délibérations dans le camp des coalisés.]
-
-[En marge: On regrette fort l'événement de la journée du 26, mais on
-se propose de rester devant Dresde, ne supposant pas que Napoléon ose
-attaquer une armée de 200 mille hommes sur les hauteurs qu'elle
-occupe.]
-
-La journée ne se termina pas aussi gaiement dans le camp des
-souverains alliés. On s'y reprochait l'échec éprouvé devant Dresde, on
-l'attribuait au contre-ordre décidé et point donné, et on n'était pas
-d'avis de renouveler l'imprudente tentative qui venait de coûter
-inutilement cinq à six mille hommes à l'armée combinée. Aller prendre
-à Dippoldiswalde sur le penchant des montagnes de Bohême la position
-menaçante conseillée par Moreau, n'était pas immédiatement praticable,
-car c'eût été proclamer une véritable défaite, et la déclarer même
-plus grave qu'elle n'était. Mais on résolut de rester en place sur
-les coteaux qui entourent Dresde, et où l'on occupait une excellente
-position. Les Français avaient eu l'avantage des lieux en s'adossant à
-Dresde pour résister; on l'aurait à son tour en se tenant sur le
-demi-cercle des hauteurs, et s'ils attaquaient on les rejetterait en
-désordre vers ces faubourgs où l'on n'avait pas pu pénétrer. Personne
-ne s'avisa de penser à ce gouffre de Plauen, au delà duquel se
-trouvait une partie de l'armée autrichienne, et où il serait
-impossible de lui porter secours s'il lui advenait malheur. Seulement
-le prince de Schwarzenberg craignant de n'être pas assez fort au
-centre, retira une partie des troupes qu'il avait au delà du vallon de
-Plauen, affaiblit ainsi son aile gauche qu'il aurait dû renforcer,
-comptant il est vrai sur l'arrivée de la seconde moitié du corps de
-Klenau, pour rendre à cette aile la force dont il la privait. C'est
-dans ces dispositions si différentes que chacun attendit la journée du
-lendemain.
-
-[En marge: Grande journée du 27 août.]
-
-[En marge: Épais brouillard suivi de pluie.]
-
-[En marge: La matinée employée en manoeuvres.]
-
-Ce lendemain, 27 août, il pleuvait abondamment, et dans les
-intervalles de pluie un brouillard épais enveloppait le champ de
-bataille, circonstance pénible pour les soldats des deux armées, mais
-avantageuse pour les combinaisons de Napoléon. Les premières heures de
-la matinée se passèrent en manoeuvres. De notre côté, en commençant
-par la droite, le général Teste, mis sous les ordres du maréchal
-Victor, vint s'établir avec les huit bataillons dont il disposait en
-face du village de Löbda et de l'entrée du vallon de Plauen, pour
-empêcher les grenadiers autrichiens de Bianchi d'en déboucher ainsi
-qu'ils l'avaient fait la veille. (Voir le plan des environs de
-Dresde.) Le maréchal Victor avec ses trois divisions (dont une réduite
-à une seule brigade) se forma en colonnes au pied des hauteurs,
-attendant que Murat eût exécuté son mouvement tournant sur la gauche
-des Autrichiens, et Murat lui-même, à cheval dès le matin, prenant
-avec la grosse cavalerie de Latour-Maubourg le chemin allongé de
-Priesnitz, se hâta de gravir sans être aperçu le plateau sur lequel il
-devait manoeuvrer. Au centre Marmont ayant la vieille garde derrière
-lui, et sur son front une formidable artillerie, vint se ranger au
-pied des hauteurs de Racknitz, pour recevoir les instructions que
-Napoléon, placé à ses côtés, lui donnerait de vive voix. Un peu à
-gauche, mais toujours au centre, Saint-Cyr ayant réuni ses trois
-divisions répandues la veille tout autour de la ville, prit position
-en avant du _Gross-Garten_, prêt à attaquer les hauteurs de Strehlen.
-Enfin à l'extrême gauche, Ney avec la jeune garde et la cavalerie de
-Nansouty, défila en colonnes derrière le _Gross-Garten_, pour le
-tourner et venir ensuite entre Gruna et Döbritz se mesurer avec les
-Russes.
-
-[En marge: Distribution des troupes alliées.]
-
-[En marge: Moreau placé à Racknitz avec l'empereur Alexandre.]
-
-Du côté des alliés la distribution était la même que la veille, sauf
-quelques rectifications de position, et ils attendaient presque
-immobiles l'attaque des Français, dont ils apercevaient les
-préparatifs à travers le brouillard. Le comte de Wittgenstein (en
-commençant par leur droite) était avec le gros des Russes opposé au
-maréchal Ney entre Prohlis et Leubnitz: il avait ses masses sur les
-hauteurs, ses avant-gardes dans la plaine. En arrière à droite, autour
-de Prohlis, se trouvait la cavalerie de la garde sous le grand-duc
-Constantin, en arrière à gauche, entre Torna et Leubnitz, le corps des
-grenadiers sous Miloradovitch. Barclay de Tolly commandait ces
-réserves. Un peu à gauche et vers le centre, se trouvaient les
-Prussiens de Kleist, entre Leubnitz et Racknitz, ayant la garde
-prussienne en arrière et leurs avant-gardes dans la plaine, aux
-environs de Strehlen, en face du maréchal Saint-Cyr. Tout à fait au
-centre, les corps autrichiens de Colloredo et de Chasteler étaient
-déployés de Racknitz à Plauen, faisant face au maréchal Marmont et à
-la vieille garde. Là était établi, à Racknitz même, l'empereur
-Alexandre avec le général Moreau, devenu son fidèle compagnon, et
-pouvant presque apercevoir Napoléon placé à la barrière de Dohna. À
-gauche, contre le vallon de Plauen, étaient rangés en colonnes les
-grenadiers de Bianchi, détachés du corps de Giulay pour renforcer le
-centre, et ayant derrière eux vers Coschitz les réserves
-autrichiennes, sous le prince de Hesse-Hombourg. Enfin plus à gauche,
-au delà de ce vallon de Plauen, si profond, si difficile à traverser,
-se trouvaient à Töltschen les restes du corps de Giulay, un peu plus
-loin à Rosthal et Corbitz la division d'infanterie d'Aloys
-Lichtenstein, et tout à fait à gauche, entre Comptitz et Altfranken,
-la division Meszko, faisant partie du corps de Klenau qui était encore
-en marche en ce moment. Ce sont ces troupes qui allaient avoir sur les
-bras Victor et le roi de Naples.
-
-[En marge: Le général Teste s'empare de Löbda.]
-
-[En marge: Victor s'approche de Rosthal et de Corbitz.]
-
-Dès que les positions furent prises, et qu'on put discerner les objets
-à travers le brouillard, la canonnade commença, et bientôt elle devint
-violente, car entre les deux armées il n'y avait pas moins de douze
-cents pièces de canon en batterie. Napoléon fit surtout entretenir le
-feu d'artillerie au centre, où il n'avait que ce moyen d'action. À la
-droite le général Teste s'empara de Löbda, dont il chassa les
-tirailleurs autrichiens, et pénétra jusqu'à l'entrée du vallon de
-Plauen. Le maréchal Victor qui avait marché une partie de la nuit,
-après un peu de repos donné à ses troupes, se forma en plusieurs
-colonnes, et entreprit de gravir les hauteurs, pour s'approcher des
-villages de Töltschen, Rosthal, Corbitz, qu'il devait enlever, et
-Murat ayant franchi par le petit chemin de Priesnitz l'escarpement du
-coteau, déploya ses soixante escadrons sur la droite de la chaussée de
-Freyberg, menaçant la gauche des Autrichiens. (Voir le plan des
-environs de Dresde.) À dix heures et demie du matin ce mouvement était
-presque terminé.
-
-[En marge: Marmont soutient au centre une vive canonnade.]
-
-[En marge: Saint-Cyr enlève Strehlen aux Prussiens.]
-
-[En marge: Ney défile derrière le _Gross-Garten_.]
-
-Au centre, Saint-Cyr, rangé un peu à gauche de Marmont et de la
-vieille garde, quitta les murs du _Gross-Garten_, auxquels il était
-adossé, enleva Strehlen aux Prussiens, et essaya de les suivre sur les
-hauteurs de Leubnitz. Les Prussiens se jetèrent sur lui, et un combat
-des plus vifs s'engagea entre Strehlen et Leubnitz. Au delà du
-_Gross-Garten_, Ney après avoir défilé derrière ce jardin, et pivotant
-alors sur sa droite, la gauche en avant, vint se déployer entre Gruna
-et Döbritz, puis s'avança vers Reick, refoulant devant lui les
-avant-gardes de Wittgenstein. Marchant à la tête de trente-six mille
-hommes d'une superbe infanterie, et de cinq à six mille chevaux, il se
-présentait avec l'attitude résolue qui lui était naturelle.
-
-[En marge: Les coalisés songent à se jeter en masse sur Ney.]
-
-[En marge: L'ordre en est donné.]
-
-Sauf l'engagement sérieux entre Saint-Cyr et les Prussiens vers
-Strehlen, on se contenta jusqu'à onze heures du matin d'échanger une
-forte canonnade sur la plus grande partie de la ligne, et le temps fut
-surtout employé à manoeuvrer sur les deux ailes. Les coalisés
-cependant, qui ne pouvaient pas apercevoir ce qui se passait à leur
-gauche, au delà du vallon de Plauen, et qui voyaient à leur droite la
-marche soutenue et imposante de Ney, se demandaient ce qu'il fallait
-faire. D'après une idée du général Jomini, il fut proposé à l'empereur
-Alexandre dès que le maréchal Ney serait parvenu jusqu'à Prohlis, de
-jeter dans son flanc la masse des Prussiens, tandis que Barclay de
-Tolly avec les réserves russes l'aborderait de front. On pensait qu'en
-portant ainsi sur ce maréchal cinquante à soixante mille hommes à la
-fois, on parviendrait à l'accabler. Mais le maréchal Saint-Cyr se
-rabattant lui-même avec 20 mille hommes sur les Prussiens, et les
-prenant à dos, aurait pu à son tour faire naître des chances bien
-diverses, et peut-être bien funestes pour les alliés. Alexandre jugea
-bonne l'idée qu'on lui proposait; le prince de Schwarzenberg
-l'accueillit; elle convenait à l'ardeur des Prussiens, et on dépêcha
-des émissaires au froid et méthodique Barclay de Tolly pour lui
-persuader de concourir avec toutes ses forces à une manoeuvre qu'on
-croyait décisive.
-
-[En marge: Vers onze heures, Victor et Murat exécutent la grande
-manoeuvre qui leur est prescrite.]
-
-[En marge: Victor enlève Töltschen, Rosthal et Corbitz.]
-
-[En marge: Murat lance la cavalerie Bordesoulle sur la division Aloys
-Lichtenstein, et enfonce deux carrés.]
-
-[En marge: Victor et Murat précipitent l'infanterie autrichienne dans
-la vallée de Plauen.]
-
-[En marge: La pluie empêche les Autrichiens de faire feu.]
-
-[En marge: À deux heures, Murat a tué ou blessé 5 mille hommes à
-l'ennemi, et lui a enlevé 12 mille prisonniers.]
-
-Mais tandis que ce danger, plus ou moins réel, menaçait le maréchal
-Ney, un danger certain, ne dépendant pas du concours d'une foule de
-volontés, menaçait la gauche des coalisés. Vers onze heures et demie,
-au delà du vallon de Plauen, Victor et Murat arrivés en ligne, et
-ayant bien concerté leur attaque, commencèrent à l'exécuter avec
-autant de promptitude que de vigueur. Le maréchal Victor porta sur sa
-gauche la division Dubreton, dont une brigade devait enlever Töltschen
-aux grenadiers de Weissenwolf, dont l'autre brigade devait enlever
-Rosthal à la division Aloys Lichtenstein. Il porta sur sa droite la
-division Dufour, réduite à une brigade, et la dirigea contre le
-village de Corbitz, où passait la grande route de Freyberg, et où se
-trouvait le reste de la division Aloys Lichtenstein. Il tint en
-réserve la division Vial. Au delà de Corbitz et de l'autre côté de la
-chaussée de Freyberg, Murat continuant à manoeuvrer, tâchait en
-s'avançant jusqu'à Comptitz de déborder la gauche des Autrichiens
-formée par la division Meszko. Quand Murat parut avoir gagné assez de
-terrain sur la gauche des Autrichiens, le maréchal Victor donna enfin
-le signal, et on marcha d'un pas rapide sur les trois villages
-désignés. Les Autrichiens firent d'abord avec cinquante pièces de
-canon un feu meurtrier, et lorsque nos colonnes d'attaque furent plus
-rapprochées, les accueillirent avec la mousqueterie. Nos jeunes
-soldats, conduits par des officiers vigoureux, ne furent ébranlés ni
-par les boulets ni par les balles. Se portant avec vivacité sur les
-trois villages, ils enlevèrent les clôtures des jardins qui les
-précédaient, puis se jetèrent sur les villages eux-mêmes. Les deux
-brigades de la division Dubreton entrèrent, l'une dans Töltschen, où
-elle combattit corps à corps avec les grenadiers de Weissenwolf,
-l'autre dans Rosthal, où elle se trouva aux prises avec une partie de
-la division Aloys Lichtenstein. Après un combat assez court ces deux
-villages tombèrent dans nos mains. À droite la division Dufour
-assaillit Corbitz, l'emporta, et y fit deux mille prisonniers. Les
-Autrichiens se replièrent alors sur le terrain en arrière, lequel
-s'élève en forme de glacis. On les y suivit. Tout à coup la division
-Aloys Lichtenstein, apercevant un vide entre la division Dubreton qui
-s'était portée un peu à gauche vers Töltschen, et la division Dufour
-qui était restée à Corbitz, sur la grande route de Freyberg, tâcha de
-pénétrer dans ce vide. Mais la division Vial, qui était en réserve au
-centre, s'avança pour lui tenir tête, tandis que Murat saisissant
-l'à-propos avec le coup d'oeil d'un général de cavalerie supérieur,
-lança la division Bordesoulle sur l'infanterie d'Aloys Lichtenstein.
-Les cuirassiers de Bordesoulle fondirent au galop sur les Autrichiens
-formés en carré, et privés par la pluie de l'usage de leurs feux. Deux
-carrés furent en un instant enfoncés et sabrés. La division Dufour
-dégagée reprit alors sa marche le long de la chaussée de Freyberg,
-tandis qu'à gauche les deux brigades Dubreton s'appliquaient à pousser
-les Autrichiens vers le gouffre de Plauen. Les grenadiers de
-Weissenwolf voulurent en vain tenir, ils furent précipités dans la
-Weisseritz: on en prit plus de deux mille. En même temps la cavalerie
-de Bordesoulle renouvelant ses charges sur la division Aloys
-Lichtenstein, la mena jusqu'au sommet des hauteurs entre Altfranken et
-Pesterwitz, puis la précipita sur Potschappel, dans le plus profond de
-la vallée de Plauen. On ramassait en quantité les hommes et les
-canons. À droite Murat, qui avait toujours suivi de l'oeil la
-division Meszko pour l'empêcher de se réunir à Aloys Lichtenstein, la
-poussa sur Comptitz pour la jeter par delà les hauteurs. Trois mille
-cavaliers autrichiens placés sur les flancs de cette division se
-ruèrent alors sur lui. Il leur opposa les dragons de la division
-Doumerc, et les culbuta. Puis il aborda l'infanterie de Meszko avec
-ses cuirassiers, et la mena battant pendant plus d'une lieue sur la
-grande route de Freyberg. Tantôt cette malheureuse division s'arrêtait
-pour recevoir les charges de nos cavaliers, et les soutenir à la
-baïonnette, car la pluie continuant à tomber par torrents rendait les
-feux impossibles, tantôt elle se retirait le plus vite qu'elle
-pouvait. Enfin débordée, entourée par nos escadrons, elle fut réduite
-à mettre bas les armes au nombre de six à huit mille hommes. Il était
-deux heures, et déjà Murat avait tué ou blessé quatre à cinq mille
-hommes, fait douze mille prisonniers, et ramassé plus de trente
-bouches à feu. Le désastre de l'aile gauche ennemie était donc
-complet, et on peut dire sans exagération que cette aile n'existait
-plus.
-
-[En marge: Vive canonnade au centre.]
-
-[En marge: Moreau atteint mortellement par une batterie que Napoléon
-avait dirigée sur le groupe des souverains.]
-
-[En marge: Barclay de Tolly refuse d'exécuter le mouvement projeté
-contre Ney.]
-
-Tandis que ces événements s'accomplissaient à la gauche des coalisés,
-un étrange accident se passait au centre. Napoléon ayant engagé là un
-violent feu d'artillerie contre les Autrichiens qui avaient beaucoup
-de canons et une position dominante, et ne trouvant pas ce feu
-suffisant, avait fait amener trente-deux pièces de 12 de la garde
-commandées par le colonel Griois. Lui-même sous les boulets ennemis
-dirigeant ces batteries, les porta le plus près possible du but sur
-lequel elles devaient tirer. En ce moment, l'empereur Alexandre était
-vis-à-vis, à Racknitz même, ayant le général Moreau à ses côtés. Ce
-dernier faisant remarquer le danger de cette position à l'empereur
-Alexandre, lui conseilla de se placer un peu plus loin. À peine
-avait-il donné ce conseil et fait exécuter ce mouvement, qu'un boulet
-parti des batteries dont Napoléon excitait le feu, le frappa aux deux
-jambes et le précipita à terre, lui et son cheval. Étrange coup de la
-fortune! Il venait d'être atteint d'un boulet français, tiré pour
-ainsi dire par Napoléon! Que de punitions, les unes méritées, les
-autres imméritées, tombaient à la fois sur la tête de cet infortuné,
-qui aurait dû mourir d'une meilleure mort! L'empereur Alexandre courut
-à Moreau, le serra dans ses bras, le fit emporter, et resta
-profondément troublé de cet incident, dont l'annonce se propageant de
-bouche en bouche causa chez les coalisés une impression générale. À
-cette nouvelle s'ajoutèrent bientôt celle du désastre survenu à la
-gauche qu'il était impossible de secourir à travers le vallon de
-Plauen, et celle du refus de Barclay qui n'avait pas voulu exécuter la
-manoeuvre qu'on lui proposait contre Ney, disant que sur ce sol
-détrempé par la pluie, coupé de canaux, il ne pouvait faire descendre
-son artillerie sans la perdre. En même temps un officier arrivant de
-Pirna venait d'annoncer que Vandamme débouchant de Koenigstein, avait
-enlevé ce poste au prince Eugène de Wurtemberg.
-
-[En marge: Les coalisés prennent le parti de la retraite.]
-
-Frappés d'un éclatant désastre à gauche, violemment canonnés au
-centre, menacés d'être débordés à leur droite par le mouvement du
-maréchal Ney qui s'avançait sans obstacle de Reick sur Prohlis, et
-craignant de voir bientôt la route de Péterswalde aux mains de
-Vandamme, les généraux coalisés réunis autour de l'empereur Alexandre
-et du roi de Prusse, se mirent à discuter le parti à prendre. Les plus
-ardents voulaient s'obstiner, mais le prince de Schwarzenberg, atterré
-par la perte de plus de vingt mille hommes à sa gauche, privé de
-munitions par le retard de ses convois, ne sachant quel traitement
-Murat, lancé au galop sur ses derrières, pourrait faire essuyer au
-reste du corps de Klenau, se refusa péremptoirement à continuer la
-bataille. La retraite fut donc ordonnée vers les montagnes de la
-Bohême par lesquelles on avait pénétré en Saxe, sans qu'on fût bien
-fixé sur la direction que suivrait chaque colonne. On céda le terrain
-peu à peu, en repassant par-dessus la crête des coteaux qui entourent
-la ville de Dresde.
-
-[En marge: Résultats de la victoire de Dresde, due aux belles
-conceptions de Napoléon et à leur brillante exécution par Murat.]
-
-[En marge: Napoléon se promet de plus grands résultats encore de la
-position assignée à Vandamme.]
-
-À cet aspect la joie la plus vive éclata dans nos rangs. Murat à
-droite, galopant toujours sur la chaussée de Freyberg, ramassait à
-chaque instant des prisonniers et des voitures de bagages et
-d'artillerie. Au centre on canonnait plus vivement l'ennemi, et
-Saint-Cyr et Ney s'ébranlant à gauche gravissaient les hauteurs à la
-suite des Russes. À six heures du soir nous avions enlevé aux coalisés
-15 à 16 mille prisonniers, au moins quarante bouches à feu, et il
-restait sur le terrain 10 à 11 mille ennemis morts ou blessés, la
-plupart par le canon, excepté ceux qui avaient succombé sous les
-baïonnettes de Victor et les sabres de Murat. Les coalisés avaient
-donc perdu 26 ou 27 mille hommes, sans compter les traînards et les
-égarés que nous allions recueillir par milliers. Cette belle journée,
-dernière faveur de la fortune dans cette affreuse campagne, nous avait
-coûté environ 8 à 9 mille hommes, presque tous atteints par les
-boulets. Elle était principalement due à Napoléon, qui d'un coup
-d'oeil avait vu dans la vallée profonde de Plauen un moyen d'isoler et
-de détruire une aile de l'armée ennemie, et après Napoléon à Murat,
-qui avait exécuté cette belle manoeuvre avec un succès merveilleux.
-Sans cet accident de terrain le champ de bataille de Dresde, partout
-dominé, n'eût pas été tenable pour nous; mais Napoléon en saisissant
-avec le regard du génie une particularité toute locale, en avait fait
-soudainement un théâtre de victoire pour lui, un théâtre de confusion
-pour ses adversaires! Heureuse inspiration de laquelle il attendait de
-plus grands résultats encore que ceux qu'il venait d'obtenir. Ayant à
-quatre lieues sur sa gauche quarante mille hommes embusqués, il ne
-pouvait penser sans une involontaire joie à l'effet que produiraient
-ces quarante mille hommes tombant à l'improviste sur les derrières des
-ennemis battus, et tout en s'applaudissant de la victoire du jour, il
-se promettait, il promettait à tout le monde de bien autres trophées
-pour le lendemain. Hélas! il ne se doutait pas qu'une combinaison
-destinée à produire les plus brillants résultats ne serait bientôt
-qu'une source de malheurs! La fortune dans ces derniers temps ne
-devait plus lui accorder que des triomphes empoisonnés, ordinaire
-traitement qu'elle réserve à ceux qui ont abusé d'elle!
-
-[En marge: Napoléon rentre le soir dans Dresde, et reçoit de la
-population un accueil enthousiaste.]
-
-Napoléon rentra dans Dresde à la chute du jour, au milieu des cris
-enthousiastes de la population, enchantée d'être débarrassée des deux
-cent mille coalisés, qui avant de la délivrer des Français, lui
-auraient fait subir les horreurs d'une prise d'assaut. Ayant supporté
-pendant douze heures une pluie continuelle, il avait les bords de son
-chapeau rabattus sur les épaules, était couvert de boue et rayonnant
-de satisfaction. Il alla chez le roi de Saxe, qui lui témoigna la joie
-la plus vive, et au milieu de ce contentement sincère chez les uns,
-affecté chez les autres, démonstratif chez tous, il y avait une
-question qu'il ne cessait d'adresser à chacun. Au moment où le boulet
-qui avait frappé Moreau était tombé dans le groupe de l'empereur
-Alexandre, Napoléon avait clairement discerné à l'éclat des uniformes
-que ce groupe était celui des souverains, et il ne se lassait pas de
-demander: Qui donc avons-nous tué dans ce brillant escadron?...--Il le
-sut peu d'instants après par le plus étrange des incidents. L'illustre
-blessé avait un chien qui était resté dans la chaumière où on lui
-avait donné les premiers soins. Ce chien amené à Napoléon, portait sur
-son collier: _J'appartiens au général Moreau!_ C'est ainsi que
-Napoléon apprit la présence et la mort de Moreau dans les rangs des
-coalisés! En attendant il donna ses ordres pour que ses corps d'armée,
-après s'être réchauffés à de grands feux et reposés une nuit entière,
-se missent en mouvement dès la pointe du jour du 28, afin de
-poursuivre l'ennemi à outrance, et de recueillir toutes les
-conséquences de la belle victoire du 27.
-
-[En marge: Retraite des coalisés.]
-
-[En marge: Routes par eux adoptées pour se retirer.]
-
-Les coalisés ayant rétrogradé jusqu'au sommet des hauteurs qui
-entourent Dresde, se mirent à discuter la direction qu'ils
-donneraient à la retraite. Les uns voulaient s'arrêter aux débouchés
-des montagnes de la Bohême, comme l'avait conseillé le général Moreau
-avant la bataille, les autres voulaient se retirer tout de suite en
-Bohême, au delà même de l'Eger, et de cet avis était surtout le
-généralissime prince de Schwarzenberg, qui désirait réorganiser son
-armée, et la remettre du rude coup qu'elle venait d'essuyer. Demeurer
-sur le versant des montagnes en présence d'un ennemi victorieux, et
-habitué comme Napoléon à tirer un si grand parti de la victoire,
-n'était plus proposable. Repasser les montagnes, sauf à décider
-ensuite jusqu'où l'on pousserait le mouvement rétrograde, était donc
-la première et la plus inévitable des résolutions à prendre. Elle fut
-prise. Restait à savoir quels chemins on suivrait pour repasser les
-montagnes. La grande route de Péterswalde était sinon perdue, au moins
-fort compromise. En effet, le général Vandamme exécutant les ordres de
-l'Empereur avait la veille, c'est-à-dire le 26, franchi l'Elbe à
-Koenigstein, assailli le plateau de Pirna faiblement gardé, et s'était
-établi dans ce camp, d'où il dominait la route de Péterswalde sans
-toutefois l'intercepter entièrement. On avait bien envoyé dans la
-journée le comte Ostermann pour secourir le prince Eugène de
-Wurtemberg, mais on ne connaissait pas au juste la force du corps de
-Vandamme, on ne savait pas s'il avait vingt, trente ou quarante mille
-hommes, et si dans l'intervalle il n'aurait pas réussi à descendre du
-camp de Pirna pour fermer les défilés de la route de Péterswalde.
-Renoncer à y passer avait le double inconvénient d'y laisser sans
-appui le prince de Wurtemberg et le comte Ostermann, et de se reporter
-en masse sur les chemins secondaires, qui étaient mal frayés, et où
-les Russes allaient former avec les Prussiens et les Autrichiens un
-fâcheux encombrement. On décida donc que le gros des Russes sous
-Barclay de Tolly marcherait à la suite du comte Ostermann par la route
-de Péterswalde, et la rouvrirait de vive force si elle était fermée;
-que les Prussiens et une partie des Autrichiens prendraient la route à
-côté, celle d'Altenberg, Zinnwald, Toeplitz, par laquelle était venue
-la seconde colonne des coalisés; qu'enfin le reste de l'armée
-autrichienne irait par la chaussée de Freyberg gagner le grand chemin
-de Leipzig à Prague par Commotau. On allait donc rentrer en Bohême sur
-trois colonnes, au lieu de quatre qu'on formait en arrivant. Il fut
-convenu qu'après s'être reposé toute la nuit on partirait le lendemain
-28 de très-grand matin, afin d'aboutir aux défilés des montagnes avant
-d'être serré de trop près par l'ennemi.
-
-[En marge: Le 28, les coalisés regagnent la Bohême par les routes de
-Péterswalde, d'Altenberg et de Freyberg.]
-
-Ces dispositions furent exécutées au moins dans les premières heures
-comme elles avaient été arrêtées. Le lendemain matin on se mit en
-route sur trois colonnes, dans les directions indiquées, tandis que
-les corps français, s'ébranlant de leur côté, marchaient sur les
-traces de ces mêmes colonnes, mais à une assez grande distance, à
-cause du triste état des chemins. À chaque pas on laissait des
-blessés, des traînards, des voitures, destinés à devenir la proie des
-Français. La tristesse était dans tous les coeurs. Le roi de Prusse
-voyait dans les événements de ces derniers jours la suite de sa
-mauvaise fortune ordinaire; Alexandre se demandait si le commencement
-de bonheur sur lequel il avait compté n'était pas une triste illusion,
-et si on n'avait pas trop espéré en se flattant de vaincre Napoléon.
-On s'avançait ainsi, très-inquiet des rencontres auxquelles on était
-exposé avant d'avoir franchi ce rideau de hautes montagnes qu'on avait
-devant soi, tandis qu'on avait sur ses derrières un ennemi victorieux,
-et personne, ni chez les poursuivis, ni chez les poursuivants, ne se
-doutant de ce qui allait survenir sous quarante-huit heures!
-
-[En marge: Barclay de Tolly craignant de trouver des obstacles sur la
-route de Péterswalde, se rejette sur celle d'Altenberg.]
-
-Chemin faisant, Barclay de Tolly apercevant beaucoup d'encombrement
-sur la route de Péterswalde, et sentant qu'il serait bientôt serré de
-près, commença de craindre, s'il trouvait des difficultés du côté de
-Péterswalde, d'y perdre un temps précieux, et de ne pouvoir plus se
-rabattre assez tôt sur la route d'Altenberg; il imagina donc de
-changer tout à coup de direction avec le gros de l'armée russe, et de
-prendre à droite, pour regagner cette même route d'Altenberg que
-devaient parcourir les Prussiens et une partie de l'armée
-autrichienne, au risque d'y produire un affreux engorgement. Il fit
-dire au comte Ostermann de se replier sur lui, et de laisser le prince
-Eugène retourner seul par la route de Péterswalde en Bohême.
-
-[En marge: Le prince Eugène de Wurtemberg et le comte Ostermann se
-retirent par la route de Péterswalde.]
-
-Ces ordres amenèrent entre le comte Ostermann et le prince Eugène de
-Wurtemberg un conflit des plus vifs. Le prince Eugène, qui était aux
-prises avec le général Vandamme pour la possession de la route de
-Péterswalde, ne voulait pas avec raison y rester seul, exposé à
-trouver Vandamme tantôt sur son flanc, tantôt sur ses derrières,
-peut-être même devant lui, car les Français descendus du plateau de
-Pirna se montraient partout. Il disait de plus que si on laissait au
-corps de Vandamme, qu'on avait lieu de croire très-fort, la libre
-entrée de la Bohême, ce corps irait probablement se placer à Toeplitz,
-au débouché des chemins que suivaient les diverses colonnes en
-retraite, et pourrait leur causer de graves embarras. Le comte
-Ostermann, de son côté, craignait de compromettre les troupes de la
-garde qu'on lui avait confiées, et résistait par ce motif aux
-pressantes instances du prince Eugène de Wurtemberg. Vaincu par les
-bonnes raisons du prince, par son offre de prendre pour lui-même la
-plus forte part du péril, il se décida enfin à suivre la route de
-Péterswalde, et à la forcer, s'il le fallait, pour devancer Vandamme
-au débouché de Toeplitz. En même temps il fit avertir Barclay de Tolly
-de la résolution qu'il adoptait, ne s'en dissimulant pas les
-inconvénients, mais croyant épargner ainsi de grands dangers au reste
-de l'armée coalisée.
-
-[En marge: Ils côtoient les troupes du général Vandamme, et
-parviennent à passer.]
-
-En conséquence, le 28 au matin, le prince Eugène et le comte Ostermann
-essayèrent de cheminer sur le plateau de Gieshübel, situé au-dessous
-de celui de Pirna, et séparé seulement de ce dernier par le ruisseau
-de Gotleube. Il fallait franchir divers passages très-difficiles, où
-l'on pouvait rencontrer les Français, notamment à Zehist, petit bourg
-situé à l'entrée du plateau de Gieshübel, sous une hauteur qu'on
-appelle le Kohlberg, et qui était occupée en ce moment par un
-bataillon français. Le prince Eugène de Wurtemberg fit assaillir et
-enlever le Kohlberg, puis il profita de cet avantage pour défiler
-avec tout son corps. Vandamme fit réoccuper la position, mais à ce
-moment les deux corps russes n'avaient plus intérêt à la reprendre. En
-continuant à parcourir le plateau de Gieshübel, ils côtoyèrent à
-Gross-Cotta et à Klein-Cotta les Français descendus de Pirna en trop
-faibles détachements, et parvinrent à franchir tous les obstacles,
-quoiqu'en perdant du monde. Parvenus enfin à l'extrémité de ce
-plateau, ils s'échappèrent par la rampe de Gieshübel, et purent gagner
-la route de Péterswalde sans de graves accidents, en étant quittes
-d'un grand danger au prix de quelques pertes peu considérables.
-
-[En marge: Causes qui avaient retardé Vandamme, et l'avaient empêché
-d'arrêter à temps les Russes sur la route de Péterswalde.]
-
-[En marge: N'ayant pu les arrêter, il les poursuit à outrance.]
-
-Ce qui leur avait valu ce bonheur, c'est que Vandamme, ayant eu de la
-peine à traîner son artillerie à cause du mauvais temps, n'avait pu
-faire autre chose dans la journée du 26 que de gravir le plateau de
-Pirna, avait employé à l'occuper solidement toute la journée du 27, et
-le 28 au matin avait été surpris par l'apparition des Russes, avant de
-connaître les événements de Dresde. Mais, averti bientôt de la
-victoire du 27, et ayant réuni ses divisions, il s'était mis à
-poursuivre les Russes, leur avait livré un violent combat
-d'arrière-garde à Gieshübel, leur avait tué un millier d'hommes, et
-les avait menés battant jusqu'à Hollendorf, à quelque distance de
-Péterswalde. Arrivé là, il attendit impatiemment les ordres de
-Napoléon pour la direction à donner à ses mouvements ultérieurs.
-
-[En marge: Arrivée de Napoléon sur le terrain le 28 au matin.]
-
-Telles avaient été les opérations de l'ennemi le matin du 28, et
-durant une partie de la même journée. Pendant ce temps Napoléon,
-debout de très-bonne heure, avait expédié ses premiers ordres par
-écrit, et avait enjoint au maréchal Mortier avec la jeune garde, au
-maréchal Saint-Cyr avec le 14e corps, de se porter à Gieshübel, l'un
-des défilés de la route de Péterswalde, pour s'y réunir à Vandamme, au
-maréchal Marmont de suivre les coalisés par la route d'Altenberg, et à
-Murat, qui avait avec lui le corps de Victor, de les poursuivre à
-outrance sur la grande route de Freyberg. Napoléon avait par les mêmes
-dépêches annoncé sa présence, et promis d'ordonner sur les lieux mêmes
-ce que comporteraient les circonstances. En effet, dès la pointe du
-jour il s'était rendu à cheval auprès du maréchal Marmont, pour
-observer de ses propres yeux la retraite de l'ennemi.
-
-[En marge: Napoléon voyant le mouvement de Barclay de Tolly, qui se
-replie de la route de Péterswalde sur celle d'Altenberg, ordonne un
-mouvement semblable au maréchal Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Napoléon se transporte ensuite à Pirna.]
-
-Parvenu sur les hauteurs de Dresde auprès du maréchal Marmont, il
-avait vu les diverses colonnes des coalisés se dirigeant vers les
-montagnes boisées de l'_Erz-Gebirge_. Il avait été frappé du mouvement
-transversal de gauche à droite qu'exécutaient les troupes russes de
-Barclay de Tolly, pour se reporter de la route de Péterswalde sur
-celle d'Altenberg, mouvement à la suite duquel une grande partie des
-colonnes russes, prussiennes et autrichiennes allaient se trouver
-réunies dans la même direction. En face de pareilles masses le corps
-du maréchal Marmont était évidemment insuffisant, et Napoléon avait
-ordonné lui-même au maréchal Saint-Cyr de se rabattre de Dohna sur
-Maxen, pour se rapprocher du maréchal Marmont, et poursuivre l'ennemi
-de concert. Cet ordre donné de vive voix, Napoléon s'était transporté
-à Pirna, pour voir ce qui s'y passait, et prescrire ce qu'on aurait à
-faire sur la route de Péterswalde.
-
-[En marge: Légère indisposition qui ne l'empêche pas de donner des
-ordres.]
-
-[En marge: Nouvelles graves que Napoléon reçoit des maréchaux Oudinot
-et Macdonald.]
-
-[En marge: Ces nouvelles le décident à retourner à Dresde.]
-
-[En marge: S'étant convaincu par ses propres yeux que Vandamme ne
-pouvait plus que talonner les Russes avec plus ou moins de vivacité,
-il lui laisse le soin de les incommoder dans leur retraite.]
-
-[En marge: Instructions données à Vandamme.]
-
-[En marge: Forces qui sont confiées à ce général.]
-
-[En marge: Position assignée à Mortier.]
-
-[En marge: Ordres à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor et à Murat.]
-
-Arrivé à Pirna vers le milieu du jour, Napoléon y prit un léger repas,
-et soudain fut saisi de douleurs d'entrailles auxquelles il était
-sujet dès qu'il avait enduré l'humidité, et la veille en effet il
-avait supporté pendant toute la journée des torrents de pluie.
-Toutefois ces douleurs n'étaient pas de nature à l'empêcher de donner
-des ordres, et de faire ce qui était impérieusement exigé par les
-circonstances[12]. Mais en ce moment il reçut des dépêches qu'il
-attendait avec impatience des environs de Berlin, et des bords du
-Bober. Le maréchal Oudinot, qui aurait dû être entré à Berlin depuis
-plusieurs jours, s'était arrêté devant les inondations, puis n'avait
-pas abordé l'ennemi en masse, et avait eu l'un de ses corps assez
-maltraité. Le maréchal Macdonald, sur le Bober, venait d'être surpris
-par Blucher, et d'éprouver des pertes considérables. Ainsi la fortune
-laissait à peine à Napoléon le temps de jouir de sa belle victoire de
-Dresde, et tout à coup l'horizon s'assombrissait autour de lui, après
-s'être montré parfaitement serein. La marche sur Berlin avait toujours
-eu à ses yeux une grande importance sous le rapport moral, sous le
-rapport politique, sous le rapport militaire. Elle devait éblouir les
-esprits, frapper la Prusse au coeur, punir Bernadotte, et nous mettre
-en communication avec les places de l'Oder, peut-être avec celles de
-la Vistule, qui avaient toutes besoin d'être ravitaillées. L'échec de
-Macdonald s'ajoutant à celui d'Oudinot, pouvait contribuer à rendre
-plus difficile et plus douteuse cette marche sur Berlin, à laquelle
-Napoléon tenait si fort, et il crut devoir rentrer à Dresde
-immédiatement pour prescrire les mesures que comportait la situation.
-Tandis que Berlin le rappelait, le mouvement sur Péterswalde exigeait
-moins sa présence d'après ce qu'on venait de lui annoncer. En effet il
-avait pu croire en sortant de Dresde le matin, que Vandamme, occupant
-Pirna et Gieshübel, y opposerait une barrière de fer à la colonne
-russe, et que Saint-Cyr et Mortier arrivant sur les derrières de cette
-colonne, la prendraient tout entière. Mais il venait d'apprendre que
-la colonne russe avait eu le temps de regagner la route de
-Péterswalde, que dès lors tout ce que Vandamme pourrait faire ce
-serait de la poursuivre vigoureusement, et il crut que ce serait assez
-de ses lieutenants pour tirer de la victoire de Dresde les
-conséquences qu'il était permis d'en espérer encore. Il pensa qu'il
-suffirait de laisser à Vandamme toutes les divisions qu'il lui avait
-déjà confiées, de le faire descendre en Bohême par la route de
-Péterswalde, de le porter à Toeplitz, où il se trouverait sur la ligne
-de retraite des coalisés prêts à déboucher des défilés des montagnes,
-et vivement poursuivis par Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat. Il était
-vraisemblable que Vandamme, embusqué à Kulm ou à Toeplitz, ferait plus
-d'une bonne prise, et que se reportant ensuite entre Tetschen et
-Aussig, il enlèverait une grande partie du matériel des coalisés
-lorsque ceux-ci voudraient repasser l'Elbe. Vandamme devait dans cette
-position rendre un autre service, c'était d'occuper la route directe
-de Prague à laquelle Napoléon attachait le plus haut prix, car depuis
-les dépêches d'Oudinot et de Macdonald il songeait à une marche
-foudroyante sur Berlin ou sur Prague, afin de tomber à l'improviste
-sur l'armée du Nord, ou d'achever la défaite de celle de Bohême; même
-s'il rentrait à Dresde en ce moment, c'était pour employer une journée
-à balancer les avantages et les inconvénients d'une marche sur l'une
-ou l'autre de ces capitales. Considérant donc la situation sous ce
-nouvel aspect, il laissa au général Vandamme non-seulement ses deux
-premières divisions, Philippon et Dumonceau, avec la brigade Quyot
-formant la moitié de la division Teste, mais la première division du
-maréchal Saint-Cyr (la 42e), qui depuis quelques jours lui avait été
-prêtée, et y ajouta la brigade de Reuss du corps de Victor, pour le
-dédommager de ce qu'on lui avait ôté la moitié de la division Teste.
-Il lui adjoignit de plus la cavalerie du général Corbineau. Vandamme
-devait avoir ainsi la valeur de quatre divisions d'infanterie, et de
-trois brigades de cavalerie, le tout formant quarante mille hommes au
-moins. Napoléon lui ordonna de poursuivre vivement les Russes en
-Bohême, de descendre sur Kulm, d'occuper d'un côté Toeplitz, afin de
-gêner les coalisés à leur sortie des montagnes, et de l'autre Aussig
-et Tetschen, afin de garder les passages de l'Elbe et la route de
-Prague[13]. Il lui ordonna même, ce qui démontre bien ses vraies
-intentions, de faire remonter à Testchen le second pont de bateaux
-jeté à Pirna. Il lui annonça, quant au reste, des ordres ultérieurs.
-Toutefois il plaça Mortier à Pirna avec quatre divisions de la jeune
-garde, pour que ce dernier pût au besoin secourir le général
-Vandamme, duquel il ne serait qu'à sept ou huit lieues. En même temps
-il fit recommander à Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat, de toujours
-suivre les coalisés l'épée dans les reins, et de les pousser
-violemment contre les montagnes, pour qu'ils ne pussent les passer
-qu'en désordre. Ces instructions données, il partit pour Dresde en
-voiture, et prescrivit à la vieille garde de l'y joindre.
-
- [Note 12: Les flatteurs de la mémoire de Napoléon, ignorant,
- parce que sa correspondance leur est restée inconnue, les
- vrais motifs de son subit retour à Dresde, et ne voulant pas
- non plus admettre qu'il pût commettre une faute, ont
- attribué ce retour à une indisposition subite. Les ordres
- nombreux donnés dans cette même journée du 28, et dans celle
- du 29, prouvent que cette indisposition n'empêcha pas
- Napoléon de vaquer à ses affaires, et des témoins oculaires,
- le maréchal Marmont notamment, affirment qu'il n'était point
- malade. Nous en rapportant plus volontiers aux documents
- authentiques qu'aux récits presque toujours contradictoires
- des témoins oculaires, nous croyons avoir acquis la preuve
- par les lettres mêmes de Napoléon, que cette prétendue
- indisposition ne l'empêcha nullement de faire ce qu'il
- devait, et nous nous sommes convaincu que le vrai motif de
- son retour à Dresde, lequel devint si fatal deux jours
- après, ne fut autre que les dépêches reçues des environs de
- Berlin et de Lowenberg. Les ordres du 29 et du 30 ne
- laissent à cet égard aucun doute. Plus loin nous
- démontrerons encore par l'exposé simple des faits que sur
- cette importante époque on n'a publié que des erreurs, ce
- qui a rendu jusqu'ici la catastrophe du général Vandamme
- tout à fait inexplicable. Nous espérons qu'après le récit
- qui va suivre elle sera parfaitement claire, et que ce grand
- malheur sera rapporté à sa vraie cause, laquelle fut moins
- accidentelle et plus générale qu'on ne le suppose
- communément.]
-
- [Note 13: Nous citons l'ordre lui-même qui éclaircit
- complétement l'intention de l'Empereur.
-
- «À une lieue de Pirna, le 28 août 1813,
- à quatre heures après midi.
-
- »M. le général Vandamme, l'Empereur ordonne que vous vous
- dirigiez sur Péterswalde avec tout votre corps d'armée, la
- division Corbineau, la 42e division, enfin avec la brigade
- du 2e corps que commande le général prince de Reuss: ce qui
- vous fera 18 bataillons d'augmentation. Pirna sera gardée
- par les troupes du duc de Trévise, qui arrive ce soir à
- Pirna. Le maréchal a aussi l'ordre de relever vos postes du
- camp de Lilienstein. Le général Baltus avec votre batterie
- de 12 et votre parc, arrive ce soir à Pirna, envoyez-le
- chercher. L'Empereur désire que vous réunissiez toutes les
- forces qu'il met à votre disposition, et qu'avec elles vous
- pénétriez en Bohême et culbutiez le prince de Wurtemberg
- s'il voulait s'y opposer. L'ennemi que nous avons battu
- paraît se diriger sur Annaberg. _S. M. pense que vous
- pourriez arriver avant lui sur la communication de Tetschen,
- Aussig et Toeplitz, et par là prendre ses équipages, ses
- ambulances, ses bagages, et enfin tout ce qui marche
- derrière une armée._ L'Empereur ordonne qu'on lève le pont
- de bateaux devant Pirna, afin de pouvoir en jeter un à
- Tetschen.»]
-
-[En marge: Nombreux prisonniers recueillis dans la journée du 28 par
-Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat.]
-
-Pendant cette même journée du 28, Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat,
-talonnèrent l'ennemi sans relâche. Saint-Cyr ramassa des blessés et
-des traînards. À Possendorf Marmont enleva deux mille prisonniers et
-trois ou quatre cents voitures. À Dippoldiswalde il livra un combat
-heureux, et prit ou tua encore quelques centaines d'hommes. Murat et
-Victor recueillirent de leur côté des blessés, des traînards, des
-prisonniers, des canons, des voitures, et au moins cinq à six mille
-hommes en tout. Les pertes que les coalisés avaient essuyées la
-veille, et qu'on pouvait évaluer à plus de 25 mille hommes,
-s'élevaient au moins à 32 ou 33, par les conséquences de la journée du
-28. Les signes du découragement étaient visibles chez l'ennemi, et
-faisaient espérer d'importants résultats s'il était fortement
-poursuivi.
-
-[En marge: Le lendemain 29, Vandamme poursuit vivement les Russes.]
-
-[En marge: Dispositions morales de ce général dans le moment.]
-
-[En marge: Combat brillant de Hollendorf.]
-
-[En marge: Mort du prince de Reuss.]
-
-Le lendemain 29 Vandamme, excité par les ordres qu'il avait reçus dans
-la soirée précédente, résolut de ne laisser aucun repos aux Russes, et
-de leur faire expier le bonheur qu'ils avaient eu de passer impunément
-devant lui, sous le plateau de Pirna. Ce général doué d'infiniment de
-coup d'oeil, de vigueur, d'expérience de la guerre, et même d'esprit,
-malheureusement décrié par ses moeurs un peu trop soldatesques et par
-la violence de son caractère, avait été traité sans aucune faveur, et
-se plaignait de n'être pas encore maréchal, grade qu'il méritait
-beaucoup plus que quelques-uns de ses contemporains à qui Napoléon ne
-l'avait pas fait attendre. La difficulté des circonstances, le besoin
-de remplacer les hommes de guerre, dont on faisait une consommation,
-hélas! trop grande, ayant ramené sur lui l'attention de l'Empereur, il
-se flattait d'obtenir enfin les récompenses qu'il croyait avoir
-méritées depuis longtemps, et il éprouvait un redoublement de zèle
-qui, fort utile en toute autre circonstance, pouvait dans celle-ci
-l'entraîner au delà des bornes de la prudence. Il s'avança donc
-résolûment dès le matin du 29 sur l'arrière-garde des Russes. La
-brigade de Reuss, commandée par un jeune prince allemand, militaire de
-la plus haute distinction, marchait en tête. Vandamme, accompagné du
-général Haxo, la dirigeait. Entre Hollendorf et Péterswalde, Vandamme
-et le prince de Reuss assaillirent une colonne russe qui voulait
-résister, la débordèrent, et, après l'avoir culbutée, lui enlevèrent 2
-mille hommes. Par malheur le jeune prince de Reuss fut tué d'un coup
-de canon. Il emporta les regrets de toute l'armée, car au mérite
-d'être un officier très-brillant il joignait celui d'être très-attaché
-aux Français.
-
-[En marge: Arrivée de Vandamme sur le revers des montagnes de Bohême.]
-
-[En marge: Ce qui s'était passé du côté des coalisés.]
-
-Après cet exploit, Vandamme continua de poursuivre les Russes à
-outrance. Il franchit les montagnes sur leurs traces, descendit en
-plaine, et à midi atteignit Kulm, d'où il dominait le vaste bassin
-dans lequel les colonnes ennemies vivement pourchassées commençaient à
-déboucher. À son aspect les soldats du prince Eugène de Wurtemberg et
-les gardes d'Ostermann, qu'il n'avait cessé de poursuivre, et sur
-lesquels il avait fait plusieurs milliers de prisonniers,
-s'arrêtèrent, et vinrent prendre position devant lui, pour couvrir le
-débouché de Toeplitz, dont ils sentaient toute l'importance. Des
-hauteurs de Kulm, Vandamme apercevait ce débouché de Toeplitz où il
-avait ordre de toucher au besoin, et où l'attirait le désir de barrer
-le chemin aux colonnes ennemies qui avaient pris les routes latérales
-à celle de Péterswalde. Malheureusement il n'avait sous la main que
-son avant-garde; le reste suivait en formant une longue queue dans les
-gorges, et les troupes russes qu'il avait en face, plus nombreuses que
-le matin, renforcées même de corps nouveaux, paraissaient résolues à
-tenir où elles étaient. Il suspendit donc quelques instants sa marche
-pour attendre son corps d'armée. Voici dans l'intervalle ce qui
-s'était passé du côté des coalisés.
-
-[En marge: L'empereur Alexandre ayant franchi les montagnes le 29 au
-matin, reconnaît avec tous les généraux la nécessité de s'arrêter, et
-de résister à Vandamme pour assurer la retraite de l'armée alliée.]
-
-[En marge: Ordres au comte Ostermann et au prince Eugène de Wurtemberg
-de s'arrêter en face de Kulm.]
-
-[En marge: Les troupes autrichiennes reçoivent les mêmes ordres, grâce
-à l'intervention de M. de Metternich.]
-
-L'empereur Alexandre avait séjourné pendant la nuit du 28 au 29 à
-Altenberg, au pied des montagnes de l'_Erz-Gebirge_, de celle
-notamment qu'on appelle le Geyersberg, l'avait franchie le 29 au
-matin, et était parvenu sur le revers de très-bonne heure. De là
-découvrant à gauche la position de Kulm, sur laquelle Vandamme s'était
-arrêté en face des Russes, à droite Toeplitz et le bassin de l'Eger
-qui va se jeter dans l'Elbe, il avait pu apprécier le danger d'une
-retraite précipitée, exécutée sans ordre, menacée en flanc par le
-corps de Vandamme qu'on savait être considérable, et qui d'heure en
-heure pouvait le devenir davantage. Il avait perdu le conseiller dans
-lequel il avait pris tant de confiance, le général Moreau, que les
-soldats portaient mourant sur leurs épaules, et il lui restait le
-général Jomini, que Moreau lui avait recommandé comme capable, quoique
-très-bouillant, de donner un bon avis. Le général Jomini et plusieurs
-autres, fort disposés à décrier les Autrichiens, et en particulier le
-prince de Schwarzenberg, se plaignaient amèrement de ce qu'on songeait
-à se retirer au delà de l'Eger, déclaraient excessif, dangereux même
-un pareil mouvement rétrograde, surtout le corps de Vandamme
-apparaissant au débouché de la chaussée de Péterswalde sur le flanc
-des colonnes en retraite. L'empereur Alexandre qui commençait à
-entendre un peu mieux la guerre, et qui n'avait que le tort de se
-laisser atteindre par les avis contraires au point de tomber dans des
-irrésolutions interminables, avait apprécié l'objection, et était tout
-disposé à en tenir compte. Jadis, quand on était moins exaspéré contre
-les Français, quand on était sous le coup du génie transcendant de
-Napoléon, on se sentait peu enclin à en appeler d'une défaite, on la
-regardait comme un arrêt qu'il fallait subir, et on se rendait
-facilement au premier corps qu'on rencontrait sur son chemin après une
-bataille perdue. On était fort changé aujourd'hui. La passion de la
-résistance devenue extrême, le prestige de Napoléon diminué, on se
-laissait moins décourager, et à la moindre lueur d'espérance on
-reprenait volontiers la résolution de combattre. Aussi tous les
-généraux qui se trouvaient autour d'Alexandre furent-ils d'avis que
-s'il y avait une occasion quelconque de recommencer la lutte, on
-devait la saisir, et qu'un corps français se montrant sur leur gauche,
-il fallait s'arrêter pour lui tenir tête au lieu de se porter au delà
-de l'Eger. Jusqu'ici d'ailleurs c'était un corps isolé, qui serait
-soutenu probablement, mais qui peut-être aussi ne le serait pas, et
-offrirait dans ce cas une proie facile à enlever. Barclay de Tolly, le
-général Diebitch devenu chef d'état-major, ayant partagé cette
-opinion, on donna l'ordre aux colonnes du prince Eugène de Wurtemberg
-et d'Ostermann de tenir bon devant Kulm, quelque fatiguées qu'elles
-pussent être. On leur annonça qu'elles allaient être renforcées, et en
-effet plusieurs colonnes d'infanterie russe et prussienne arrivant par
-la route d'Altenberg avec la cavalerie de la garde, on les leur
-envoya. Ce ne fut pas tout. Les troupes autrichiennes débouchaient
-actuellement en plus grand nombre que les Russes, parce qu'elles
-s'étaient acheminées les premières et sans tergiverser sur la route
-d'Altenberg. Ce fut le corps de Colloredo qui se présenta le premier.
-Mais ce général, auquel on demanda de venir se ranger en face de Kulm,
-derrière les lignes russes, ayant allégué les instructions du prince
-de Schwarzenberg qui lui prescrivaient de se retirer au delà de
-l'Eger, on eut recours à M. de Metternich, qui était à Duchs, château
-du célèbre Wallenstein, où les souverains étaient actuellement réunis,
-et on fit donner l'ordre à toutes les troupes autrichiennes de
-converger à gauche, pour venir se mettre en bataille avec les troupes
-russes descendues de Péterswalde.
-
-[En marge: Vandamme expulse les Russes de Kulm, leur enlève Straden,
-et veut en vain leur enlever la position de Priesten.]
-
-[En marge: Vers la fin de la journée, Vandamme conserve Kulm, tandis
-que les Russes conservent Priesten.]
-
-Toutefois ce n'était pas avant quelques heures que ces ordres
-pouvaient amener en ligne des forces considérables, et Vandamme après
-un instant de réflexion, quoiqu'il vît les troupes fugitives
-s'arrêter, et même s'augmenter sensiblement, résolut de les déloger du
-poste où elles semblaient vouloir s'établir pour protéger contre nous
-les débouchés du Geyersberg. En agissant ainsi il obéissait à la fois
-à des ordres précis, et à l'indication des circonstances, car ses
-ordres lui disaient d'aller jusqu'à Toeplitz, et les circonstances
-devaient l'engager à fermer le débouché des montagnes aux colonnes
-battues, puisqu'il n'avait été envoyé en ces lieux que pour opposer
-des obstacles à leur retraite. Ayant toujours sous la main la brigade
-de Reuss avec laquelle il avait marché depuis le matin et n'ayant
-qu'elle, il chassa néanmoins les Russes de Kulm où ils avaient essayé
-de tenir, et du village de Straden où ils s'étaient ensuite repliés.
-Ce village de Straden emporté, il se trouva devant une seconde
-position située derrière un ravin et d'apparence assez forte. D'un
-côté, c'est-à-dire vers notre droite, elle s'appuyait aux montagnes,
-vers le centre au village de Priesten construit sur la route de
-Toeplitz, à gauche enfin à des prairies coupées de canaux, et au
-village de Karbitz. Vandamme voulut attaquer sur-le-champ le village
-de Priesten, pour ne pas permettre aux Russes de s'y établir; mais
-pour la première fois il rencontra une résistance opiniâtre, et fut
-repoussé par une charge du régiment des gardes d'Ismaïlow. Il n'avait
-ni sa grosse artillerie ni ses masses d'infanterie; il fut donc
-obligé d'attendre la division Mouton-Duvernet (la 42e), et il eût
-mieux fait évidemment de différer jusqu'à l'arrivée de son corps tout
-entier, pour n'engager le combat qu'avec des forces suffisantes.
-Cependant ses autres divisions ne pouvant être rendues sur les lieux
-que fort tard, et sa préoccupation de couper la retraite à l'ennemi
-étant toujours la même, il attaqua l'ennemi avec neuf bataillons du
-général Mouton-Duvernet, seuls réunis en ce moment sur les quatorze
-dont se composait la division. Avec ces neuf bataillons portés à
-droite vers les bois il rétablit le combat, et rejeta les Russes sur
-Priesten. Mais tout à coup il fut assailli par quarante escadrons de
-la garde russe, qui venaient d'entrer en ligne, et qui se déployèrent,
-les uns à notre droite vers le pied des monts, les autres à gauche
-dans la plaine de Karbitz. Les bataillons de Mouton-Duvernet
-continrent la cavalerie russe le long des montagnes, les escadrons de
-Corbineau la chargèrent du côté des prairies, et néanmoins cette fois
-encore, au lieu d'avancer nous pûmes tout au plus conserver le terrain
-que nous avions acquis. À deux heures de l'après-midi parut la
-première brigade de la division Philippon (première de Vandamme).
-Cette brigade commandée par le général Pouchelon, envoya sur la droite
-le 12e de ligne pour soutenir Mouton-Duvernet, et au centre le 7e
-léger pour attaquer Priesten. Ces régiments accueillis par un feu
-épouvantable ne purent emporter la position. La seconde brigade de
-Philippon étant survenue sous le général de Fezensac, fut engagée de
-même, et sans plus de succès quoique avec beaucoup de vigueur. Le 7e
-léger de la première brigade ayant voulu attaquer Priesten fut criblé
-de mitraille, puis chargé par la cavalerie russe, et sauvé par la
-seconde brigade que le général de Fezensac avait ralliée sous le feu
-de l'ennemi. Vandamme reconnaissant trop tard que ces attaques
-décousues ne donneraient aucun résultat, prit le parti d'asseoir sa
-ligne un peu en arrière, sur la hauteur de Kulm, laquelle, placée au
-débouché de la chaussée de Péterswalde, dominait la plaine. Les Russes
-ayant voulu s'avancer furent mitraillés à leur tour par vingt-quatre
-bouches à feu que le général Baltus, arrivé avec la réserve
-d'artillerie, avait mises en batterie. Ils reculèrent sous cette
-mitraille et devant les charges de notre cavalerie, et allèrent
-reprendre la position de Priesten, appuyés comme le matin, la gauche
-aux montagnes, le centre à Priesten sur la route de Toeplitz, la
-droite dans les prairies de Karbitz. Nous étions vis-à-vis, ayant
-comme eux d'un côté les montagnes, de l'autre les prairies, et au
-centre la position dominante de Kulm, où il était facile de se
-défendre.
-
-[En marge: Vandamme remet au jour suivant la suite de ses opérations,
-et comptant être soutenu, se promet de grands résultats pour le
-lendemain.]
-
-[En marge: Il écrit à Napoléon pour lui faire connaître sa situation.]
-
-Ce n'était pas un tort à Vandamme d'avoir cherché à emporter la
-position des Russes, puisqu'il avait ordre de les pousser jusqu'à
-Toeplitz, et que d'ailleurs il devait sentir le besoin de fermer le
-débouché de la route d'Altenberg sur Toeplitz; mais c'en était un
-d'avoir attaqué avant d'avoir toutes ses forces sous la main, et ce
-tort lui-même s'expliquait par l'allongement de sa colonne dans les
-montagnes, et par le désir naturel de déloger l'ennemi avant qu'il se
-fût consolidé dans sa position. Au surplus le général Vandamme
-s'arrêta, et il résolut de bien garder Kulm, où il ne pouvait pas être
-forcé, ayant 52 bataillons à sa disposition, et environ 80 bouches à
-feu en batterie. Son intention était d'y attendre que Mortier, demeuré
-sur ses derrières à Pirna, vînt à son aide, et que Saint-Cyr, Marmont,
-placés sur sa droite, de l'autre côté des montagnes, les franchissent
-à la suite des coalisés. Ces mouvements n'exigeaient pas plus de douze
-ou quinze heures pour s'accomplir, et avec le concours de toutes ces
-forces il se flattait d'avoir le lendemain 30 de beaux résultats à
-offrir à l'Empereur; triste et déplorable illusion, pourtant bien
-fondée, aussi fondée qu'aucune espérance raisonnable le fut jamais! Le
-soir même il écrivit à Napoléon pour faire connaître sa situation,
-demander des secours, et annoncer que jusqu'à leur arrivée il
-resterait immobile à Kulm.
-
-[En marge: Temps qu'il fallait pour écrire à Dresde et avoir une
-réponse.]
-
-[En marge: Napoléon n'ayant reçu que les nouvelles du matin, se borne
-à réitérer à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor, l'ordre de suivre
-vivement l'ennemi, et à Mortier de se tenir prêt à secourir Vandamme
-lorsqu'il en recevra l'avis.]
-
-[En marge: Pendant ce temps, Napoléon s'occupe de réparer les échecs
-essuyés par Macdonald et Oudinot.]
-
-[En marge: Grande combinaison imaginée en cette circonstance.]
-
-Les lettres écrites le 29 au soir de Kulm ne pouvaient parvenir à
-Dresde que le 30 au matin, et les ordres émis en réponse à ces lettres
-ne pouvaient être exécutés d'assez bonne heure pour que Vandamme fut
-secouru à temps dans la journée du 30. Dans la soirée du 29, Napoléon
-avait reçu les nouvelles parties le matin de Péterswalde; il avait su
-que les Russes se retiraient en toute hâte, que Vandamme les suivait
-l'épée dans les reins, et leur avait déjà enlevé quelques mille
-hommes. Supposant d'après ces premières informations les coalisés en
-complète déroute, comptant que la vive poursuite de Saint-Cyr, de
-Marmont, de Murat, les obligerait à traverser les montagnes en
-désordre, et que Vandamme placé au revers, les recueillerait par
-milliers, peut-être même leur fermerait entièrement le principal
-débouché d'Altenberg, il avait réitéré à Saint-Cyr, à Marmont, à
-Murat, l'ordre de pousser vivement l'ennemi dans toutes les
-directions, et à Mortier d'être aux écoutes, prêt à courir à Kulm si
-Vandamme en avait besoin. Ayant la tête pleine des souvenirs du passé,
-se rappelant avec quelle facilité il ramassait jadis les Prussiens ou
-les Autrichiens vaincus, ne voulant pas tenir compte de la passion qui
-les animait aujourd'hui et les rendait si difficiles à décourager, il
-estimait que c'était assez de précaution pour obtenir encore de
-très-grands résultats de la victoire de Dresde. D'ailleurs il était
-absorbé en ce moment par une vaste combinaison[14], au moyen de
-laquelle il espérait, profitant du coup si rude frappé sur l'armée de
-Bohême, s'avancer sur la route de Berlin à cinq marches de Dresde,
-écraser l'armée du Nord, accabler d'un même coup la Prusse et
-Bernadotte, ravitailler les places de l'Oder, envoyer des
-encouragements à celles de la Vistule, et imprimer de la sorte une
-face nouvelle à la guerre, dont le théâtre serait pour un instant
-reporté au nord de l'Allemagne. Ainsi Berlin, les places de l'Oder et
-de la Vistule, qui déjà l'avaient disposé à trop étendre le cercle de
-ses opérations, le préoccupaient de nouveau, et allaient le détourner
-de ce qui aurait dû être pour quelques heures son objet essentiel et
-unique. Sans doute, comme on en jugera bientôt, sa conception était
-singulièrement grande, mais elle était malheureusement intempestive,
-et prématurée au moins de deux jours! Tout entier à ses calculs et
-dans le feu d'une première conception, il expédia les ordres suivants
-pendant la matinée du 30. Il enjoignit au maréchal Mortier à Pirna de
-lui renvoyer à Dresde deux divisions de la jeune garde, et avec les
-deux autres d'aller au secours de Vandamme; à Murat de lui rendre une
-moitié de la grosse cavalerie, et avec le reste de continuer à
-poursuivre l'ennemi sur la chaussée de Freyberg. Il ordonna au
-maréchal Marmont de pousser vivement l'ennemi sur le débouché
-d'Altenberg et Zinnwald, où d'après tous les rapports les colonnes des
-Russes, des Prussiens et des Autrichiens se pressaient pêle-mêle; au
-maréchal Saint-Cyr de seconder Marmont dans cette opération, ou, ce
-qui valait mieux, de chercher par un chemin latéral à gagner la
-chaussée de Péterswalde, afin de se joindre à Vandamme, et il espéra
-ainsi que pressés en queue, menacés en flanc, retenus en tête, les
-coalisés essuieraient quelque désastre. Il prescrivit de faire
-immédiatement passer l'Elbe aux troupes qu'il redemandait, et ne
-cacha point à Murat que c'était dans l'intention de marcher sur
-Berlin.
-
- [Note 14: Quand il voulait se rendre bien compte de ses
- idées, Napoléon les mettait sur le papier, sachant, comme
- tous les hommes qui ont beaucoup pensé, que rédiger ses
- idées c'est les approfondir davantage. Il avait donc dicté
- son projet dans une note admirable, intitulée: _Note sur la
- situation générale de mes affaires le 30 août_, assez
- semblable à celles qu'il écrivit à Moscou en octobre 1812,
- et révélant sa pensée tout entière au moment où Vandamme
- était à Kulm. On voit dans cette note la vraie cause de la
- négligence qui amena le malheur de Vandamme, surtout en la
- rapprochant des ordres donnés le même jour à Murat et à
- Mortier, et on sent combien est ridicule la fable de cette
- indisposition que certains narrateurs ont inventée, et
- qu'ont accueillie avec empressement ceux qui ont le goût de
- croire qu'en histoire les plus grands événements viennent
- des plus petites causes, goût singulier et qui atteste une
- médiocre portée d'esprit. Tant pis, en effet, pour ceux qui
- croient plus volontiers aux petites causes qu'aux grandes!]
-
-[En marge: Calculs des coalisés rangés en avant de Toeplitz.]
-
-[En marge: Ils n'ont d'autre prétention que de contenir Vandamme et de
-se ménager une retraite assurée.]
-
-[En marge: Danger du corps prussien de Kleist, resté en deçà des
-montagnes.]
-
-[En marge: Ordre envoyé à ce corps de se sauver comme il pourrait.]
-
-Tandis qu'il concevait ces projets, et expédiait ces ordres, les
-coalisés à Toeplitz ne formaient pas d'aussi vastes combinaisons, et
-ne songeaient qu'à se tirer du péril auquel ils s'étaient imprudemment
-exposés en descendant sur les derrières de Dresde. La résistance
-heureusement opposée à Vandamme dans la journée du 29 leur avait rendu
-quelque confiance. Tout ce qui leur était arrivé de troupes russes et
-autrichiennes par le chemin d'Altenberg sur Toeplitz, avait été
-rabattu sur leur gauche, et placé derrière Priesten et Karbitz, afin
-de présenter à Vandamme une barrière de fer. Ils se flattaient donc de
-l'empêcher de déboucher de Kulm, et de lui faire peut-être éprouver un
-échec, ce qui les dédommagerait tant soit peu des journées du 26 et du
-27 août, et procurerait à toutes leurs colonnes le temps de repasser
-les montagnes en sûreté. Pourtant il leur restait une grave
-inquiétude, c'était pour le corps prussien de Kleist, qui avait dû
-suivre le corps autrichien de Colloredo dans le premier projet de
-retraite, et passer avec lui par Dippoldiswalde, Altenberg, Zinnwald,
-Toeplitz, mais qui en avait été empêché par le mouvement transversal
-de Barclay de Tolly, lequel, ainsi qu'on l'a vu, s'était reporté
-brusquement de la chaussée de Péterswalde sur le chemin d'Altenberg,
-afin d'éviter Vandamme. Retardé dans sa marche, et obligé d'attendre
-que le chemin fût libre, le corps de Kleist était encore le 29 au soir
-sur le revers du Geyersberg, et on craignait pour lui les plus grands
-malheurs, car le corps de Saint-Cyr était tout à fait sur ses talons.
-Le roi de Prusse, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre,
-envoya le colonel Schoeler, l'un de ses aides de camp, au général
-Kleist, pour le prévenir de la présence du corps de Vandamme à Kulm,
-lui laisser le choix de la route qu'il aurait à prendre pour se
-sauver, et lui promettre de bien tenir le lendemain devant Kulm, afin
-qu'il eût le loisir de traverser la montagne et de déboucher dans le
-bassin de l'Eger[15]. En même temps on regardait ce corps comme
-tellement compromis, qu'on enjoignait à M. de Schoeler de ramener à
-travers les bois le jeune prince d'Orange, qui faisait cette campagne
-avec l'armée prussienne, et avait été placé auprès du général Kleist.
-On ne voulait pas en effet livrer aux mains de Napoléon un tel
-trophée, si le corps de Kleist était fait prisonnier. M. de Schoeler
-partit donc immédiatement pour repasser les montagnes, et aller à tout
-risque remplir la difficile mission dont il était chargé. Telles
-étaient les espérances des uns, les craintes des autres le 29 à
-minuit!
-
- [Note 15: L'historien russe Danilewski a voulu attribuer à
- l'empereur Alexandre l'honneur d'une combinaison profonde,
- consistant à faire descendre Kleist sur les derrières de
- Vandamme; mais M. de Wolzogen, dans ses Mémoires aussi
- instructifs que spirituels, a complétement démenti cette
- assertion, et il était mieux que personne autorisé à le
- faire, puisqu'il était présent lorsque l'ordre que nous
- mentionnons fut donné à M. de Schoeler. Cet ordre se trouve
- donc réduit aux proportions et au sens que nous lui prêtons
- ici.]
-
-[En marge: Situation des deux armées le 30 au matin.]
-
-Le lendemain 30 août au matin, les deux armées se trouvaient dans la
-même position que la veille. Les coalisés étaient en face de
-Vandamme, leur gauche, composée des Russes, tout près des montagnes,
-leur centre, composé aussi des Russes, en avant de Priesten et
-vis-à-vis de Kulm, leur droite formée par les Autrichiens et par la
-cavalerie des alliés dans les prairies de Karbitz. Ils étaient
-disposés à prendre l'offensive, pour favoriser en occupant fortement
-les Français le passage du général Kleist à travers les montagnes,
-mais ils ignoraient par quelle route celui-ci chercherait à sortir du
-gouffre où il était enfermé. Ils supposaient à Vandamme tout au plus
-30 mille hommes, tandis qu'il en avait 40 mille sous la main. Ils ne
-pouvaient donc pas hésiter à commencer l'attaque, et ils résolurent de
-le faire immédiatement.
-
-[En marge: Vandamme s'était établi dans une forte position, attendant
-des secours, et ne voulant rien entreprendre.]
-
-Vandamme au contraire, ayant au lever du jour discerné plus clairement
-encore la disproportion de ses forces avec celles de l'ennemi, et
-attendant à chaque instant l'apparition du maréchal Mortier sur ses
-derrières, celle du maréchal Saint-Cyr sur sa droite, voulait se
-borner à la défensive jusqu'à l'arrivée de ses renforts. C'est ce
-qu'il manda dès six heures du matin à Napoléon. Avec l'ordre de
-pousser jusqu'à Toeplitz et avec son caractère audacieux, s'arrêter à
-Kulm était tout ce qu'on pouvait espérer de mieux de sa part. Quant à
-remonter sur Péterswalde même, il ne devait pas y songer, car la
-position de Kulm était assez forte pour qu'avec quarante mille hommes
-on pût s'y défendre contre quelque ennemi que ce fût; et en arrière,
-entre Kulm et Péterswalde, on n'avait aucun danger à prévoir, Mortier
-s'y trouvant, et devant en déboucher à chaque instant. Ne pas se
-hasarder en plaine pour aller à Toeplitz, et se maintenir à Kulm,
-était donc la seule résolution indiquée.
-
-[En marge: Distribution des troupes de Vandamme.]
-
-[En marge: Premier engagement sur notre gauche.]
-
-Voici comment le général Vandamme avait distribué ses troupes. À sa
-droite, en face des Russes, au pied même du Geyersberg, il avait neuf
-bataillons de la division Mouton-Duvernet, et un peu en arrière, mais
-tirant vers le centre, la division Philippon avec quatorze bataillons.
-Il était donc bien en force de ce côté des montagnes, d'où à tout
-moment descendaient de nombreuses colonnes ennemies. Au centre en
-avant de Kulm, vis-à-vis de Priesten, il avait la brigade Quyot, de la
-division Teste, un peu en arrière la brigade de Reuss. Derrière Kulm,
-il avait la brigade Doucet de la division Dumonceau, et à gauche, vers
-les prairies, la brigade Dunesme, appartenant également à la division
-Dumonceau, pour servir d'appui à la cavalerie. Enfin le général
-Kreutzer, avec ce qui restait de la division Mouton-Duvernet, avait
-été envoyé à Aussig, assez loin en arrière, pour garder le passage de
-l'Elbe, conformément aux ordres de Napoléon. Ainsi, avec vingt-trois
-bataillons à sa droite et le long des montagnes, avec dix-huit au
-centre, avec sept ou huit bataillons à gauche soutenant vingt-cinq
-escadrons rangés dans la plaine, enfin, avec une formidable
-artillerie, il devait se croire en sûreté, surtout étant adossé à la
-chaussée de Péterswalde, d'où il se flattait incessamment de voir
-déboucher Mortier. Il attendit donc l'esprit libre d'inquiétude, et
-pourtant, sans qu'on sût pourquoi, il y avait dans bien des coeurs de
-sinistres pressentiments. À huit heures les tirailleurs ennemis
-commencèrent le feu, les nôtres répondirent, mais rien ne faisait
-encore prévoir un engagement sérieux. Bientôt sur notre gauche on vit
-les cavaliers russes du général Knorring franchir une éminence qui
-dominait les prairies, et puis fondre sur une batterie attelée qui
-était un peu en avant de notre ligne de cavalerie. Trois pièces furent
-enlevées, et un bataillon du 13e léger, qui essaya de les défendre,
-fut fort maltraité. Alors la brigade de cavalerie légère du général
-Heinrodt, conduite par l'intrépide Corbineau, chargea les cuirassiers
-russes et les repoussa. Mais l'infanterie autrichienne de Colloredo
-ayant déployé ses bataillons à l'appui de la cavalerie russe, les
-chasseurs du général Heinrodt furent obligés de se replier. Le général
-Corbineau, blessé à la tête, dut quitter le champ de bataille.
-
-[En marge: Les efforts des coalisés ne révèlent d'abord que
-l'intention de contenir Vandamme.]
-
-Vandamme alors tira du centre la brigade Quyot, et la porta vers sa
-gauche pour servir de soutien à la brigade Dunesme et à notre
-cavalerie. À peine arrivait-elle dans la plaine à gauche qu'elle fut
-assaillie par toute la cavalerie de Knorring. Le général Quyot forma
-cette brave brigade, qui était de six bataillons, en trois carrés, et
-pendant plus d'une heure essuya sans s'ébranler tous les assauts de la
-cavalerie ennemie. Celle-ci ayant voulu tourner nos carrés et
-s'approcher de Kulm, la brigade de chasseurs à cheval du général
-Gobrecht la chargea à son tour, et la rejeta sur l'infanterie
-autrichienne. Les efforts à notre gauche indiquaient le projet de nous
-ramener sur la chaussée de Péterswalde en nous débordant, mais
-jusqu'ici aucun de ces efforts n'avait réussi, et maîtres de la plaine
-à gauche, toujours fermes au centre et à droite, où l'ennemi semblait
-même ne pas oser nous attaquer, nous paraissions n'avoir rien à
-craindre.
-
-[En marge: Coups de fusil entendus subitement sur les derrières de
-Vandamme.]
-
-Tout à coup cependant vers dix heures du matin, un certain tumulte se
-produisit sur nos derrières. On entendit des coups de fusil de
-tirailleurs et le bruit de nombreuses voitures d'artillerie; on
-aperçut enfin des colonnes épaisses, et Vandamme plein de joie crut
-naturellement que c'était Mortier qui arrivait de Pirna! Vaine
-illusion, terrible réveil! Il accourt, et reconnaît l'uniforme des
-Prussiens! C'était le général Kleist qui descendait par la chaussée de
-Péterswalde! Qui donc avait pu le tirer d'un affreux péril pour le
-jeter ainsi sur nos derrières? Un hasard, un heureux mouvement de
-désespoir! Voici en effet ce qui s'était passé.
-
-[En marge: Soudaine apparition du corps prussien de Kleist, qui en
-cherchant à se faire jour se trouve sur les derrières de Vandamme.]
-
-[En marge: Grand péril de Vandamme.]
-
-En recevant la mission du colonel Schoeler, le général Kleist avait
-fait part à ses officiers de la présence des Français à Kulm, et comme
-il était entre la route de Péterswalde à gauche, laquelle était
-occupée par Vandamme, et la route d'Altenberg à droite, qui avait été
-encombrée toute la journée par les Russes et les Autrichiens, et qui
-en ce moment était interceptée par le corps de Marmont, il ne lui
-restait qu'à suivre droit devant lui les sentiers menant sur le revers
-de la montagne, au risque de trouver Vandamme sur son chemin.
-D'ailleurs ayant immédiatement sur ses derrières le corps de
-Saint-Cyr, s'il s'arrêtait un instant il pouvait être assailli et
-accablé. En présence de ce triple danger, les Prussiens, saisis d'un
-transport d'enthousiasme, avaient pris le parti de gravir la montagne
-qui s'élevait devant eux, et si ce chemin les conduisait au milieu du
-corps de Vandamme, de se faire jour ou de mourir. Ils avaient marché
-toute la nuit sans être suivis par Saint-Cyr, et avaient découvert sur
-leur gauche un chemin de traverse qui par Furstenwalde et
-Streckenwalde rejoignant la chaussée de Péterswalde les avait menés
-sains et saufs sur les derrières mêmes de Vandamme. Le voyant assailli
-de front par cent mille hommes, se trouvant trente mille au moins sur
-ses derrières, ils venaient de commencer l'attaque à l'instant même,
-se flattant et ne doutant plus d'un prodigieux résultat.
-
-[En marge: Il conserve sa présence d'esprit, et songe à rebrousser
-chemin, en passant sur le corps des Prussiens.]
-
-À cet aspect Vandamme, conservant une rare présence d'esprit et après
-s'être consulté avec le général Haxo, comprend qu'il n'a qu'une chose
-à faire, c'est de remonter la chaussée de Péterswalde, et de passer
-sur le corps des colonnes prussiennes en abandonnant son artillerie.
-Un pareil sacrifice n'est rien s'il peut à ce prix sauver son armée.
-Sur-le-champ il donne les ordres qui sont la conséquence de cette
-résolution. Il prescrit à la brigade Quyot qu'il avait portée dans la
-plaine à sa gauche, de se replier, ainsi qu'à la brigade de Reuss
-laissée en avant de Kulm; il leur ordonne à toutes deux de se former
-en colonnes serrées pour enfoncer les Prussiens, tandis que la brigade
-Dunesme avec la cavalerie persistera dans la plaine à contenir les
-Autrichiens de Colloredo et les nombreux escadrons de Knorring, et
-qu'à droite Mouton-Duvernet et Philippon, rebroussant chemin le long
-des montagnes, viendront à leur tour assaillir les Prussiens. Au
-centre sur l'éminence de Kulm, Vandamme décidé à sacrifier son
-artillerie, la place en batterie avec ordre d'en faire contre les
-Russes un usage désespéré. La brigade Doucet doit soutenir cette
-artillerie le plus longtemps possible, et puis quand on se sera fait
-jour, on doit se retirer tous ensemble en abandonnant les canons, mais
-en sauvant les chevaux et les hommes.
-
-[En marge: Un moment Vandamme a la chance de se sauver.]
-
-[En marge: Une confusion subite dans les divisions Philippon et
-Mouton-Duvernet amène la catastrophe du corps de Vandamme.]
-
-Ces ordres sont aussitôt exécutés. Les brigades Quyot et de Reuss
-quittent la plaine à gauche pour regagner la chaussée de Péterswalde,
-tandis que Philippon et Mouton-Duvernet se replient lentement. À cette
-vue, les soixante bataillons russes que nous avions devant nous à
-notre droite et à notre centre, poussent des cris de joie, et nous
-suivent. Mouton-Duvernet et Philippon les contiennent, Baltus au
-centre les mitraille des hauteurs de Kulm; mais à gauche dans la
-plaine, où ne reste plus que la brigade Dunesme, une masse formidable
-d'ennemis fond sur cette brave brigade qui se défend vaillamment. En
-arrière, les brigades Quyot et de Reuss essayant de regagner la
-chaussée de Péterswalde en colonne serrée, chargent les Prussiens avec
-violence. Ce mouvement produit un affreux refoulement dans les troupes
-du général Kleist, et il en résulte un conflit impossible à décrire,
-dans lequel les hommes se prennent corps à corps, s'étouffent,
-s'égorgent à coups de sabres et de baïonnettes. Au même moment une
-brigade de cavalerie, celle de Montmarie, suivie de beaucoup de
-soldats du train, se jette sur l'artillerie des Prussiens et l'enlève.
-Le général de Fezensac amené sur ce point par Vandamme avec les débris
-de sa brigade, contribue à l'effort commun. On parvient ainsi à
-rouvrir la route en renversant la première ligne de Kleist, et il y a
-chance encore de se sauver si Mouton-Duvernet et Philippon, se
-repliant à temps et en bon ordre, peuvent aider à forcer la seconde
-ligne des Prussiens. Mais un étrange accident survient et déjoue tous
-les calculs de l'infortuné Vandamme. Notre cavalerie chargée à
-outrance sur la gauche de la route, et rejetée sur la droite, s'y
-précipite suivie d'une multitude de soldats du train qui étaient
-séparés de leurs pièces. Dans leur course désordonnée, cavaliers et
-canonniers se ruent sur Mouton-Duvernet et Philippon, mettent le
-trouble dans leurs rangs, et y décident par leur exemple un mouvement
-général de retraite vers les bois. Alors tout prend cette direction!
-Le général Baltus, après avoir criblé les Russes de mitraille, se
-retire du même côté avec ses attelages et la brigade Doucet. Dans la
-plaine il ne reste que la brigade Dunesme, assaillie de toutes parts,
-se défendant héroïquement, mais finissant par succomber. Une partie
-des soldats de cette brigade sont tués ou pris, les autres tâchent de
-gagner l'asile des montagnes. Vandamme, Haxo, blessés, et demeurés les
-derniers au milieu du péril, sont faits prisonniers. Le général
-Kreutzer, placé à Aussig, et apercevant de loin cette échauffourée,
-prend le parti de se retirer, et se sauve par miracle avec quelques
-bataillons. À l'exception d'un petit nombre de colonnes se repliant
-avec ordre, on ne voit bientôt de tous côtés qu'une nuée d'hommes
-s'échappant comme ils peuvent, et réussissant en effet à se dérober à
-l'ennemi, grâce à ces montagnes boisées où il est impossible de les
-poursuivre.
-
-[En marge: Pertes de cette journée.]
-
-Telle fut cette malheureuse journée de Kulm, qui nous coûta 5 à 6
-mille morts ou blessés, 7 mille prisonniers, 48 bouches à feu, deux
-généraux bien diversement illustres, et qui, bien qu'elle coûtât 6
-mille hommes aux coalisés, les releva de leur défaite, leur rendit
-l'espérance de la victoire, et effaça en un moment de leur souvenir
-les éclatantes journées du 26 et du 27 août.
-
-[En marge: À qui s'en prendre du malheur de Vandamme?]
-
-Quelle raison donner de cette singulière catastrophe? Comment
-expliquer que tant de corps français entourant l'armée coalisée, à ce
-point que l'un de ces corps, celui de Vandamme, se trouvait déjà sur
-sa ligne de retraite, qu'elle-même étant embarrassée dans les gorges
-du Geyersberg, et y ayant un de ses détachements tellement enfermé
-qu'on ne pouvait imaginer de quelle manière il s'échapperait, comment
-expliquer que la face des choses change tout à coup, que le corps
-français destiné à assurer la perte de l'ennemi soit perdu lui-même,
-et que l'auteur du désastre soit précisément le détachement prussien
-supposé sans ressource, que la victoire passe ainsi des uns aux autres
-en un instant, avec toutes ses conséquences militaires, politiques et
-morales? Est-ce la faute de Vandamme, qui se serait trop engagé, de
-Mortier, de Saint-Cyr qui ne l'auraient pas secouru à temps, de
-Napoléon, qui aurait trop abandonné les événements à eux-mêmes? Ou
-bien serait-ce le génie militaire qu'auraient déployé les généraux
-ennemis en cette circonstance?... Les faits, exposés dans toute leur
-vérité, ont presque déjà répondu à ces questions, et expliquent à eux
-seuls ce changement de fortune, l'un des plus prodigieux dont
-l'histoire fasse mention.
-
-[En marge: Vandamme ne pouvait pas faire autre chose que ce qu'il
-fit.]
-
-Vandamme avec beaucoup de vices contre-balancés par de grandes
-qualités, n'eut dans ces journées presque aucun tort. Il était placé
-dès l'origine au camp de Pirna, avec mission essentielle de se porter
-sur les derrières de l'ennemi, et devait avoir sans cesse l'esprit
-tourné vers cette seule pensée. Le 28 août, voyant plusieurs colonnes
-russes défiler devant lui, il reçut l'ordre formel de les suivre
-l'épée dans les reins, de marcher après elles en Bohême, et d'aller
-jusqu'à Toeplitz pour fermer aux coalisés leur principal débouché. Il
-savait qu'il était entouré de corps français sur ses flancs et ses
-derrières, prêts à survenir à tous moments. Il courut donc, il suivit
-les Russes, et ce fut miracle si dans son ardeur il n'alla pas jusqu'à
-Toeplitz, car il en avait l'ordre, et il était certain de n'obtenir
-qu'à Toeplitz les grands résultats que Napoléon se promettait de sa
-présence en Bohême. Pourtant après avoir essayé de pousser l'ennemi au
-delà de Priesten, et avoir eu le tort, fort excusable d'ailleurs, et
-qui n'eut aucune gravité pour la suite des événements, d'attaquer sans
-ensemble, il sut s'arrêter à Kulm, bien qu'il eût Toeplitz devant lui,
-Toeplitz que ses instructions et son légitime désir lui assignaient
-comme but. Après s'être arrêté, il s'établit dans une position
-très-forte, garantie de tous côtés, un seul excepté, celui par lequel
-devait venir Mortier, et il attendit, demandant du secours et des
-ordres. Quel autre parti aurait-il pu prendre? Rétrograder sur
-Péterswalde et Pirna? mais c'eût été abandonner et son poste et sa
-mission, et contrevenir non-seulement au texte, mais à la pensée de
-ses instructions, car il était chargé de barrer le chemin à l'ennemi,
-et il le lui eût ouvert. Tout ce qu'on pouvait donner à la prudence il
-l'avait donné en s'abstenant d'aller à Toeplitz, et en s'arrêtant à
-Kulm. Si dans cette position de Kulm, de laquelle il eut le bon esprit
-de ne pas sortir, ce fut le général Kleist au lieu du maréchal Mortier
-qui parut sur ses derrières, ce fut là un accident extraordinaire,
-dont il y aurait une criante injustice à le rendre responsable. Quant
-à ce qui suivit, Vandamme au moment de la catastrophe conserva toute
-sa présence d'esprit, et prit la seule résolution possible, celle de
-rebrousser chemin en passant sur le corps des Prussiens, résolution
-qui devint inexécutable par l'inévitable confusion d'une situation
-pareille. Il n'y avait donc rien à lui reprocher à lui, et la
-supposition qu'il se perdit en courant trop vite après le bâton de
-maréchal, qu'il avait mieux mérité que d'autres par ses services
-militaires, et pas plus démérité par ses violences, est une calomnie à
-l'égard d'un infortuné plus à plaindre ici qu'à blâmer.
-
-[En marge: Le maréchal Mortier se renferma également dans les ordres
-qu'il avait reçus.]
-
-Si Vandamme ne fut pas coupable, si tout son malheur vint de ce qu'au
-lieu d'un corps français il apparut sur ses derrières un corps
-prussien, faut-il s'en prendre aux divers commandants de troupes
-françaises qui auraient pu survenir, et notamment au maréchal Mortier,
-au maréchal Saint-Cyr, les seuls placés à portée de Kulm? Le maréchal
-Mortier établi à Pirna comme en cas, avec l'alternative d'être ramené
-à Dresde ou envoyé à Toeplitz, aurait dû se tenir entre deux, et avec
-plus de spontanéité et de vigilance il aurait pu accourir de lui-même
-au secours de Vandamme. Mais dans la stricte observation de ses
-devoirs, destiné à être dirigé sur un point ou sur un autre, il était
-naturel qu'il attendît dans une complète immobilité l'expression des
-volontés de Napoléon, et, quant à l'ordre précis de secourir Vandamme
-avec deux divisions, cet ordre ne lui arriva que dans le courant de la
-journée du 30, c'est-à-dire à une heure où la catastrophe était déjà
-accomplie. Il est donc absolument impossible de s'en prendre à ce
-maréchal.
-
-[En marge: Le maréchal Saint-Cyr seul aurait pu secourir Vandamme, et
-ne le fit pas.]
-
-On voudrait pouvoir en dire autant du maréchal Saint-Cyr; mais ce
-maréchal est certainement le plus sujet à reproches, et il y a peu
-d'excuses à faire valoir en sa faveur. Placé directement à la suite du
-corps de Kleist, il aurait dû être toujours sur ses traces, ne pas le
-perdre de vue un instant, et s'il eût rempli ce devoir positif, le
-corps de Kleist suivi à la piste, au moment où il tombait sur
-Vandamme, aurait vu à son tour un corps français tomber sur ses
-derrières, et aurait probablement été pris et détruit, au lieu de
-contribuer à prendre et à détruire Vandamme. Malheureusement le
-maréchal Saint-Cyr, esprit éminent mais frondeur, n'ayant de zèle que
-pour les opérations dont il était directement chargé, ne sachant hors
-du feu que critiquer ses voisins et son maître, ayant en toute
-circonstance plaisir à chercher des difficultés au lieu de chercher à
-les vaincre, employa la journée du 28 à se porter à Maxen, le
-lendemain 29 ne s'avança que jusqu'à Reinhards-Grimme, ne fit ainsi
-qu'une lieue et demie dans cette journée décisive pour la poursuite,
-employa ce temps si précieux à faire demander à l'état-major s'il
-devait suivre Marmont sur la route d'Altenberg, et tandis qu'il avait
-l'ordre positif de suivre l'ennemi à outrance dans toutes les
-directions, laissait Kleist disparaître, et s'acheminer sur les
-derrières de Vandamme. Puis le lendemain 30, lorsque l'ordre de
-chercher à rejoindre Vandamme par une route latérale lui parvenait,
-ordre tellement indiqué que Berthier sur la carte seule le lui
-envoyait de Dresde, il s'ébranlait enfin, et par le chemin qui avait
-mené Kleist sur les derrières de Vandamme, et qui l'aurait mené
-lui-même sur les derrières de Kleist, il arrivait pour entendre le
-canon qui annonçait notre désastre. Ainsi avait été perdue la journée
-du 29, à fronder, à se plaindre de n'avoir pas d'ordre, tandis
-qu'existait l'ordre constant et bien suffisant de poursuivre l'ennemi
-sans relâche[16]!
-
- [Note 16: Quoique je n'aie pas le goût d'adopter les
- jugements malveillants que les contemporains portent les uns
- sur les autres, et que je me défie en particulier de ceux du
- duc de Raguse, ordinairement légers et rigoureux, il est
- impossible, quand on a bien étudié les faits, lu les ordres
- et les correspondances, de ne pas reconnaître que le
- jugement qu'il exprime en cette occasion sur la conduite du
- maréchal Saint-Cyr est à peu près juste. C'est avec grand
- chagrin qu'on trouve en faute un homme aussi distingué que
- le maréchal Saint-Cyr, mais on doit la vérité à tout le
- monde, et il faut savoir se résigner à la dire sur ce
- maréchal, lorsque dans cette histoire il faut la dire sur
- des hommes tels que Moreau, Masséna et Napoléon.
-
- Le maréchal Marmont n'est pas le seul à juger comme il l'a
- fait la conduite du maréchal Saint-Cyr en cette
- circonstance. Dans une relation encore manuscrite, digne de
- celle qu'il a écrite sur 1812, M. le général de Fezensac a
- porté en termes très-modérés, mais très-positifs, le même
- jugement que le maréchal Marmont sur le rôle qu'ont joué les
- divers acteurs de l'événement de Kulm. Effectivement les
- faits sont tellement frappants, qu'il est impossible de les
- interpréter de deux manières. Le général Vandamme ne périt
- pas pour être allé trop loin, car, ainsi que nous l'avons
- dit, il avait ordre d'aller à Toeplitz, et il s'arrêta à
- Kulm. À Kulm, avec 52 bataillons, il était invincible, et il
- le serait resté si trente mille Prussiens n'étaient tombés
- sur ses derrières. Qui était chargé de suivre ces Prussiens?
- Non pas Mortier, qui était à gauche à Pirna, et avait ordre
- d'y rester; non pas Marmont, qui était à droite sur la route
- d'Altenberg, et avait ordre de s'y tenir; mais le maréchal
- Saint-Cyr, qui était entre deux, avec mission de poursuivre
- l'ennemi sans relâche et dans toutes les directions, comme
- le lui prescrivaient les instructions réitérées de Napoléon.
- Or, le 28 il s'arrêta à Maxen, ce qui à la rigueur pouvait
- se concevoir. Mais le 29 il employa la journée à faire une
- lieue et demie, et envoya chercher l'ordre de savoir s'il
- suivrait Marmont qu'il venait de rencontrer sur sa droite.
- En admettant qu'il eût besoin de cet éclaircissement, le
- premier devoir était en attendant de ne pas perdre la piste
- de l'ennemi, et de ne pas lui laisser la liberté dont il usa
- si fatalement pour accabler Vandamme. Le lendemain, quand
- l'ordre, dicté par le plus simple bon sens, de tâcher de se
- lier à Vandamme plutôt que de suivre Marmont, quand cet
- ordre arrivait il n'était plus temps, et Vandamme était
- détruit. Le maréchal Saint-Cyr, sans la mauvaise volonté
- dont on l'a accusé à d'autres époques envers ses voisins,
- fut par la seule suspension de sa marche le 29, l'auteur
- involontaire assurément, mais bien visible, du désastre de
- Vandamme. Même en faisant demander un éclaircissement à
- l'état-major général, il aurait dû ne pas s'arrêter, et il
- devait bien, avec son rare esprit et sa grande expérience,
- se dire que pendant qu'il envoyait chercher un ordre
- l'ennemi se sauverait; et encore si l'ennemi n'avait fait
- que se sauver, ce n'eût été qu'un faible mal, mais en se
- sauvant il détruisit Vandamme et le destin de la campagne.
- C'est avec un grand regret qu'on trouve en faute un aussi
- noble personnage historique que le maréchal Saint-Cyr, mais
- l'histoire ne doit être une flatterie ni pour les vivants ni
- pour les morts. Elle n'est tenue que d'être vraie, de l'être
- sans malveillance comme sans faiblesse.
-
- Nous plaçons ici quelques lettres extraites de la
- correspondance de Napoléon et du major général Berthier.
-
-
- _L'Empereur au major général._
- «Dresde, le 27 août 1813,
- à sept heures et demie du soir.
-
- »..... Envoyez reconnaître positivement la situation du
- maréchal Saint-Cyr. Témoignez-lui mon mécontentement de ce
- que je n'ai pas eu de ses nouvelles pendant toute la
- matinée: il aurait dû m'envoyer un officier toutes les
- heures pour me rendre compte de ce qui se passait.»
-
-
- _Au major général._
- «Devant Dresde, le 28 août 1813.
-
- »Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il
- se mettra sur la hauteur, et suivra la retraite sur les
- hauteurs en passant entre Dohna et la plaine. Le duc de
- Trévise suivra sur la grande route. Aussitôt que la jonction
- sera faite avec le général Vandamme, le maréchal Saint-Cyr
- continuera sa route pour se porter avec son corps et celui
- du général Vandamme sur Gieshübel, le duc de Trévise prendra
- position sur Pirna. Du reste, je m'y rendrai moi-même
- aussitôt que je saurai que le mouvement est commencé.»
-
-
- _Au major général._
- «Dresde, le 29 août 1813,
- à 5 heures et demie du matin.
-
- »Donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein
- et de tomber sur les flancs et les derrières de l'ennemi, et
- de réunir à cet effet sa cavalerie, son infanterie et son
- artillerie.--_Donnez ordre au duc de Raguse de suivre
- l'ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes les directions
- qu'il aurait prises.--Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de
- suivre l'ennemi sur Maxen et dans toutes les directions
- qu'il aurait prises._--Instruisez ces trois généraux de la
- position des deux autres, afin qu'ils sachent qu'ils se
- soutiennent réciproquement.»
-
-
- _Au roi de Naples._
- «Dresde, le 29 août 1813,
- à 5 heures après midi.
-
- »Aujourd'hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme
- a attaqué le prince de Wurtemberg près de Hollendorf; il lui
- a fait 1500 prisonniers, pris quatre pièces de canon, et l'a
- mené battant; c'étaient _tous Russes_. Le général Vandamme
- marchait sur Toeplitz avec tout son corps. Le général prince
- de Reuss, qui commandait une de nos brigades, a été tué.--Je
- vous écris cela pour votre gouverne.--Le général Vandamme me
- mande que l'épouvante est dans toute l'armée russe.»
-
-
- _Le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr._
- «Dresde, le 30 août 1813.
-
- »MONSIEUR LE MARÉCHAL,
-
- »Je reçois votre lettre datée de Reinhards-Grimme, par
- laquelle vous me faites connaître que vous vous trouvez
- derrière le 6e corps. L'intention de Sa Majesté est que,
- dans cet état de choses, vous appuyiez le 6e corps; mais il
- serait préférable que vous pussiez trouver un chemin sur la
- gauche, entre le duc de Raguse et le corps du général
- Vandamme, qui a obtenu de grands succès sur l'ennemi et lui
- a fait 2 mille prisonniers.»]
-
-Quant au maréchal Marmont, il poussa l'ennemi aussi vivement qu'il le
-put, et eut même plusieurs combats heureux, mais il était trop loin de
-Vandamme pour lui venir en aide. Placé tout à fait sur la droite, il
-ne pouvait avoir la prétention de franchir les montagnes avant
-Saint-Cyr, sans s'exposer à tomber seul au milieu des ennemis comme
-dans un gouffre. Il n'y a donc rien à lui reprocher. Quant à Murat, il
-était dans l'impossibilité d'exercer aucune influence sur l'événement
-déplorable qui s'accomplit à Kulm, puisqu'il courait avec ses
-escadrons sur la grande route de Freyberg.
-
-[En marge: Quelle part peut-on assigner à Napoléon dans la catastrophe
-de Vandamme.]
-
-[En marge: Napoléon n'a mérité dans cette occasion que le reproche
-ordinaire de trop entreprendre.]
-
-Reste enfin au nombre des acteurs responsables de cette catastrophe
-Napoléon lui-même, qui présent sur les lieux, suivant sans relâche ses
-lieutenants, aurait pu les faire converger au point commun, et par sa
-présence eût certainement obtenu ce qu'il prévoyait, et ce qu'il était
-fondé à espérer. Mais il fut détourné le 28 de ce grand devoir par les
-nouvelles qui lui parvinrent des environs de Lowenberg et de Berlin,
-et aussi, il faut le dire, par la confiance qu'après les ordres
-donnés, les résultats attendus étaient suffisamment préparés et
-garantis. En effet, quatre-vingt mille hommes sous Saint-Cyr,
-Marmont, Murat, poussant les coalisés contre les montagnes, et
-quarante mille hommes sous Vandamme chargés de les recevoir sur le
-revers, composaient un ensemble de précautions aussi complètes que
-toutes celles qu'il avait jamais prises pour s'assurer les
-conséquences de ses victoires! Si les coalisés eussent été aussi
-faciles à déconcerter que l'étaient jadis nos ennemis, s'ils eussent
-été moins obstinés à combattre, moins prompts à reprendre confiance,
-Vandamme, au lieu de leur inspirer l'idée de s'arrêter, les aurait
-recueillis comme des troupeaux qui fuient devant un animal prêt à les
-dévorer. Napoléon s'en rapportant au passé, crut, et dut croire qu'il
-avait assez fait pour se procurer les plus beaux triomphes.
-Malheureusement les temps étaient changés, et pour achever la ruine de
-la grande armée de Bohême, ce n'eût pas été trop de Napoléon lui-même
-veillant jusqu'au dernier instant à l'accomplissement de ses desseins.
-Et en toute autre circonstance il n'aurait pas manqué d'être auprès de
-Vandamme avec sa garde entière, de conduire par la main Saint-Cyr et
-Marmont, et de poursuivre la victoire jusqu'à ce qu'il en eût tiré
-tout ce qu'elle pouvait donner. Mais il était distrait, reporté
-violemment ailleurs; non pas comme tant d'autres héros par le goût de
-la mollesse ou des plaisirs, mais par la passion ordinaire de sa vie,
-passion d'obtenir tous les résultats à la fois, souvent même les plus
-contradictoires et les plus opposés. Berlin, Dantzig, comme Moscou un
-an auparavant, étaient les prismes trompeurs qui égaraient en ce
-moment son génie. Pour frapper à Berlin la Prusse et l'Allemagne, pour
-être toujours fondé à dire que sa puissance s'étendait du golfe de
-Tarente à la Vistule, il avait eu dès le commencement de cette
-campagne la pensée d'envoyer un de ses corps à Berlin, de conserver
-une garnison à Dantzig, et pour cette pensée il avait, comme on l'a
-vu, laissé s'introduire dans la profonde combinaison de son plan de
-campagne un vice caché, celui d'élargir singulièrement le cercle de
-ses opérations dont le centre était à Dresde, de placer Macdonald à
-Lowenberg au lieu de le placer à Bautzen, de diriger Oudinot sur
-Berlin au lieu de l'établir à Wittenberg, grande faute qui l'empêchait
-d'accourir à temps partout où il aurait fallu qu'il fût pour achever
-ses propres victoires, et réparer les échecs de ses lieutenants! Cette
-même cause continuant à produire les mêmes effets, il voulut, en
-apprenant un malheur arrivé à Macdonald, le secourir le plus tôt
-possible; il voulut aussi conduire lui-même l'armée d'Oudinot à
-Berlin, et pour ce double motif se détournant de Pirna et de Kulm, où
-il aurait dû être de sa personne et avec sa garde, il laissa ses
-victoires les plus importantes inachevées, pour courir à d'autres, et
-s'exposa de la sorte à manquer tous les buts pour les vouloir
-atteindre tous à la fois. Ainsi toujours la même cause dans les
-malheurs de Napoléon, toujours la même source d'erreur!
-
-[En marge: Mérite des coalisés en cette circonstance.]
-
-[En marge: C'est au hasard qu'est dû leur triomphe inespéré.]
-
-Et c'est dans le désastre de Kulm la seule part de reproches qu'on
-puisse lui adresser, car dans les détails il ne commit pas une faute.
-Quant à ses ennemis, leur mérite contribua pour peu de chose au
-résultat. Leur plan de retraite fut fort peu médité; ils se retirèrent
-en hâte avec l'idée d'aller jusqu'au delà de l'Eger, et s'ils
-s'arrêtèrent devant Kulm, ce fut à l'improviste, ce fut à la vue d'un
-corps dont la position à la fois hasardée et inquiétante pour eux
-leur inspira l'idée de ne point passer sans le contenir. Et cependant
-ils n'en seraient pas même venus à bout, si le plus grand des hasards,
-celui d'un corps prussien compromis, faisant acte de désespoir pour se
-sauver, ne leur eût fourni une combinaison involontaire, inattendue,
-et d'immense conséquence, combinaison dont on a voulu attribuer le
-mérite à l'empereur Alexandre, mais qui ne fut due qu'au sentiment
-énergique des Prussiens résolus à se faire jour ou à mourir. Ce n'est
-donc pas au génie des coalisés, qui toutefois étaient loin de manquer
-d'habileté militaire, c'est à la passion patriotique qui les animait,
-et qui les portait à se roidir contre la défaite, qu'il faut attribuer
-leur promptitude à saisir l'occasion de Kulm! Autre leçon profondément
-morale à tirer de ces prodigieux événements, c'est qu'on doit se
-garder de pousser les hommes au désespoir, car en provoquant ce
-sentiment chez eux on leur donne des forces surnaturelles, qui
-déjouent tous les calculs, et surmontent parfois la puissance même de
-l'art le plus consommé!
-
-[En marge: L'événement de Kulm leur rendit toute la confiance qu'ils
-avaient perdue.]
-
-Ces coalisés qui en abandonnant le champ de bataille de Dresde, se
-tenaient pour complétement battus, et se demandaient tristement si en
-cherchant à vaincre Napoléon ils n'avaient pas entrepris de lutter
-contre le destin lui-même, tout à coup à l'aspect de Vandamme vaincu
-et pris, se regardèrent comme revenus à une situation excellente, et
-crurent voir au moins en équilibre la balance de la fortune. Pourtant
-en comptant ce que leur avaient coûté les deux journées de Dresde, la
-poursuite du 28 et du 29, la journée même du 30, ils avaient perdu en
-morts, blessés ou prisonniers, plus de 40 mille hommes, et la défaite
-de Vandamme, après tout, ne nous faisait pas perdre plus de 12 à 13
-mille hommes, en prisonniers, morts ou blessés. Mais la confiance
-était rentrée dans leur âme, ils se livraient à la joie, et loin de
-vouloir abandonner la partie, et de laisser à Napoléon le temps
-d'aller frapper les armées de Silésie et du Nord, ils étaient résolus
-à ne lui accorder aucun repos, et à le combattre sans relâche. Dans
-ces hécatombes immenses, quarante mille hommes ne comptaient pour
-rien; le sentiment des adversaires aux prises était tout, et le
-sentiment des coalisés, loin d'être celui de la défaite, était presque
-déjà celui de la victoire. Pour eux n'être pas vaincus, c'était
-presque vaincre, et pour Napoléon au contraire ne pas anéantir ses
-adversaires, c'était n'avoir rien fait. C'est à ces conditions
-extrêmes et à peu près impossibles qu'il avait attaché son salut!
-
-[En marge: Derniers moments de Moreau.]
-
-[En marge: Sa fermeté devant la douleur, son trouble devant sa
-conscience.]
-
-Ajoutons en terminant ce douloureux récit, que le seul homme qu'on eût
-un moment opposé jadis à Napoléon, Moreau, expirait tout près de lui,
-à Tann. On lui avait coupé les deux jambes, et il avait supporté cette
-opération avec le courage tranquille qui était sa qualité distinctive.
-Pourtant il avait horriblement souffert. Transporté sur les épaules
-des soldats ennemis de sa patrie, il avait fait un trajet d'une
-vingtaine de lieues au milieu de douleurs cruelles. De l'autre côté
-des monts, tous les souverains, le roi de Prusse, l'empereur
-d'Autriche, l'empereur Alexandre, s'étaient rendus auprès de son lit
-de mort, et lui avaient prodigué les marques d'estime et de regret.
-Les plus grands personnages, M. de Metternich, le prince de
-Schwarzenberg, les généraux de la coalition, étaient venus le visiter
-à leur tour; Alexandre l'avait tenu longtemps serré dans ses bras, car
-il avait conçu pour lui une amitié véritable. Plutôt embarrassé que
-fier de ces témoignages, Moreau, dont l'âme un instant égarée avait
-toujours été honnête, Moreau s'interrogeant lui-même sur le mérite de
-sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne suis pas coupable,
-je ne voulais que le bien de ma patrie!.... Je voulais l'arracher à un
-joug humiliant!...--Ainsi, tandis qu'on entourait son agonie de
-respects, lui, tout occupé d'autre chose, s'examinait, se jugeait au
-tribunal de sa propre conscience, et n'avait de repos que lorsqu'il
-s'était trouvé des excuses pour une conduite qui lui valait de si
-hauts témoignages. Un autre cri lui échappa plusieurs fois, ce fut
-celui-ci: Ce Bonaparte est toujours heureux!--Il avait proféré ces
-mots au moment où le boulet l'avait frappé, et il les répéta souvent
-avant d'expirer!... Bonaparte heureux!... Il l'avait été, il pouvait
-le paraître encore aux yeux d'un rival expirant, mais la Providence
-allait bientôt prononcer sur son propre sort, et lui infliger une fin
-plus triste peut-être que celle de Moreau, s'il y a une fin plus
-triste que de mourir dans les rangs des ennemis de sa patrie! Funestes
-illusions de la haine! On s'envie, on se hait, on se poursuit en
-croyant heureux l'adversaire qu'on déteste, tandis que tous, la tête
-courbée sous le fardeau de la vie, on marche au milieu des mêmes
-douleurs à des malheurs presque pareils! les hommes s'envieraient
-moins, s'ils savaient combien avec des apparences différentes leur
-fortune est souvent égale, et au lieu de se diviser sous la main du
-destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir en commun le poids
-accablant!
-
-
-FIN DU LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.
-
-
-
-
-LIVRE CINQUANTIÈME.
-
-LEIPZIG ET HANAU.
-
- Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin
- pendant les opérations des armées belligérantes autour de
- Dresde. -- Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald
- lorsque Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. -- Pressé
- d'exécuter ses instructions et craignant de perdre les avantages
- de l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en
- mouvement le 26 août. -- Le général Blucher s'était jeté sur la
- division Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait
- culbutées du plateau de Janowitz. -- Cet accident avait entraîné
- la retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de
- plusieurs jours avait rendue presque désastreuse. -- Prise et
- destruction de la division Puthod. -- Le maréchal Macdonald
- réduit de 70 mille hommes à 50 mille. -- Son mouvement rétrograde
- sur le Bober. -- Événements du côté de Berlin. -- Marche du
- maréchal Oudinot à la tête des 4e, 12e et 7e corps. --
- Composition et force de ces corps. -- Armée du prince royal de
- Suède. -- Arrivée devant Trebbin. -- Premières positions de
- l'ennemi enlevées dans les journées des 21 et 22 août. --
- Isolement des trois corps français dans la journée du 23, et
- combat malheureux du 7e corps à Gross-Beeren. -- Retraite du
- maréchal Oudinot sur Wittenberg. -- Beaucoup de soldats se
- débandent, surtout parmi les alliés. -- C'est la connaissance de
- ces graves échecs qui le 28 août avait ramené Napoléon de Pirna
- sur Dresde, et avait détourné son attention de Kulm. -- Ne
- sachant pas encore ce qui était arrivé à Vandamme, il avait formé
- le projet de déplacer le théâtre de la guerre et de le
- transporter dans le nord de l'Allemagne. -- Vastes conséquences
- qu'aurait pu avoir ce projet. -- À la nouvelle du désastre de
- Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses vues, réorganise le
- corps de Vandamme, en confie le commandement au comte de Lobau,
- envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal Oudinot dans le
- commandement des trois corps retirés sur Wittenberg, et se
- propose de s'établir avec ses réserves à Hoyerswerda, afin de
- pousser d'un côté le maréchal Ney sur Berlin, et de prendre de
- l'autre une position menaçante sur le flanc du général Blucher.
- -- Départ de la garde pour Hoyerswerda. -- Nouvelles inquiétantes
- de Macdonald, qui détournent encore Napoléon de l'exécution de
- son dernier projet, et l'obligent à se porter tout de suite sur
- Bautzen. -- Arrivée de Napoléon à Bautzen le 4 septembre. --
- Prompte retraite de Blucher dans les journées des 4 et 5
- septembre. -- À peine Napoléon a-t-il rétabli le maréchal
- Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de l'armée de
- Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à Dresde. -- Son
- entrevue aux avant-postes avec le maréchal Saint-Cyr dans la
- journée du 7. -- Projet pour le lendemain 8 septembre. -- Dans
- cet intervalle, Napoléon apprend un nouveau malheur arrivé sur la
- route de Berlin. -- Le maréchal Ney ayant reçu l'ordre de se
- porter sur Baruth, avait fait dans la journée du 5 septembre un
- mouvement de flanc devant l'ennemi, avec les 4e, 12e et 7e corps.
- -- Ce mouvement, qui avait réussi le 5, ne réussit pas le 6, et
- amène la malheureuse bataille de Dennewitz. -- Retraite le 7
- septembre sur Torgau. -- Débandade d'une partie des Saxons. --
- Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais commence à
- concevoir des inquiétudes sur sa situation. -- Avis indirect,
- donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre de la
- guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du Rhin.
- -- Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal Saint-Cyr,
- Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les Prussiens et
- les Russes, afin de les rejeter en Bohême. -- Sur l'avis du
- maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille route de
- Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a l'espérance de
- tourner l'ennemi. -- L'impossibilité de faire passer l'artillerie
- par le Geyersberg empêche d'achever le mouvement projeté. --
- Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens sont séparés des
- Prussiens et des Russes, et pressé de réparer les échecs de ses
- lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à Dresde. -- Évidence
- du plan des coalisés, consistant à courir sur les armées
- françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se retirer dès
- qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour l'envelopper
- ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment affaibli.
- -- Déplorable réalisation de ces vues. -- Les forces de Napoléon
- réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur l'Elbe à 250
- mille. -- En considération de cet état de choses, Napoléon
- resserre le cercle de ses opérations, ramène Macdonald avec les
- 8e, 5e, 11e, 3e corps près de Dresde, établit le comte de Lobau
- et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna, derrière de bons
- ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne puisse plus se faire
- un jeu de ses apparitions sur la route de Péterswalde, envoie un
- fort détachement de cavalerie sur ses derrières pour disperser
- les troupes de partisans, réorganise le corps de Ney sur l'Elbe,
- place le maréchal Marmont et Murat à Grossenhayn pour protéger
- l'arrivée de ses approvisionnements, et se concentre à Dresde
- avec toute la garde, de manière à ne plus être mis en mouvement
- par de vaines démonstrations de l'ennemi. -- Troisième apparition
- des Prussiens et des Russes sur Péterswalde. -- Les ouvrages
- ordonnés entre Pirna, Gieshübel et Dohna, n'étant pas achevés,
- Napoléon est obligé d'accourir encore une fois sur la route de
- Péterswalde pour rejeter l'ennemi en Bohême. -- Prompte retraite
- des coalisés. -- Retour de Napoléon à Pirna, et ses soins pour
- bien asseoir sa position, afin de ne plus s'épuiser en courses
- inutiles. -- Sa résolution de s'établir sur l'Elbe, de Dresde à
- Hambourg, pour la durée de l'hiver. -- Projets de l'ennemi. --
- Napoléon étant partout resserré sur l'Elbe, et la saison
- avançant, les souverains coalisés songent à mener la guerre à fin
- par une tentative décisive sur les derrières de notre position.
- -- Blucher fait prévaloir l'idée d'employer en Bohême la réserve
- du général Benningsen, et, après avoir ainsi renforcé la grande
- armée des alliés, de la faire descendre sur Leipzig, tandis qu'il
- ira lui-même joindre Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux
- environs de Wittenberg, et remonter sur Leipzig avec les armées
- du Nord et de Silésie. -- Premiers mouvements en exécution de ce
- dessein. -- Napoléon découvre sur-le-champ l'intention de ses
- adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche de
- l'Elbe. -- Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald
- avec le 11e corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par
- Leipzig, l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer
- Ney; il envoie Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à
- Leipzig pour soutenir Victor contre l'armée de Bohême. -- Attente
- de quelques jours pour laisser dessiner plus clairement les
- projets de l'ennemi. -- Blucher s'étant dérobé pour se joindre à
- Bernadotte et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde
- le 7 octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur
- Wittenberg dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte
- d'abord, et puis de se reporter sur la grande armée de Bohême. --
- Belle et profonde conception de Napoléon tendant à refouler
- Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre ensuite
- Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour repasser
- ce fleuve à Torgau ou à Dresde. -- Mouvement prononcé de Blucher
- et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de
- Napoléon. -- Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous
- sur Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer
- entre eux, et empêcher leur jonction. -- Retour de la grande
- armée française sur Leipzig. -- Terrible bataille, la plus grande
- du siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours
- sous les murs de Leipzig. -- Retraite de Napoléon sur Lutzen. --
- Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction ou la
- captivité d'une partie de l'armée française. -- Mort de
- Poniatowski. -- Marche sur Erfurt. -- Défection de la Bavière et
- arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de Hanau.
- -- Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de Hanau.
- -- Humiliation de l'armée austro-bavaroise. -- Rentrée des
- Français sur le Rhin. -- Leur état déplorable en arrivant à
- Mayence. -- Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. --
- Triste capitulation de Dresde. -- Situation, forces, conduite
- héroïque, et malheurs des garnisons françaises, inutilement
- laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. -- Caractère de la
- campagne de 1813. -- Effrayants présages qu'on en peut tirer.
-
-
-[Date en marge: Août 1813.]
-
-[En marge: Événements qui s'étaient passés sur le Bober et sur la
-route de Berlin.]
-
-Les événements graves et peu prévus qui attirant tout à coup
-l'attention de Napoléon l'avaient détournée de Kulm, s'étaient passés
-sur la Katzbach en Silésie, et à Gross-Beeren dans le Brandebourg. Le
-maréchal Macdonald, que Napoléon avait laissé à la poursuite de
-Blucher, venait d'éprouver subitement une sorte de désastre, et le
-maréchal Oudinot, que Napoléon considérait comme près d'entrer à
-Berlin, avait été, à la suite d'un combat malheureux, ramené sous le
-canon de Wittenberg. Il faut savoir comment s'étaient produits ces
-événements, pour se faire une idée exacte de la situation, et
-comprendre les combinaisons qui avaient absorbé Napoléon pendant les
-journées des 28, 29, 30 août, et l'avaient empêché d'accourir avec
-toutes ses réserves auprès de l'infortuné Vandamme.
-
-[En marge: Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald par
-Napoléon, lorsque celui-ci s'était reporté sur Dresde.]
-
-[En marge: Le maréchal Macdonald avait 80 mille hommes, compris le
-corps de Poniatowski.]
-
-[En marge: Il avait pour instruction de garder le Bober, mais en
-rejetant l'ennemi sur Jauer au delà de la Katzbach.]
-
-Napoléon après avoir rejeté l'armée de Silésie du Bober sur la
-Katzbach, avait laissé au maréchal Macdonald pour continuer à la
-poursuivre le 3e corps, fort de 25 mille hommes et commandé par le
-général Souham depuis le départ du maréchal Ney, le 5e corps, fort de
-20 mille hommes et toujours placé sous les ordres du général
-Lauriston, enfin le 11e, fort de 18 mille et confié au général Gérard
-depuis que le maréchal Macdonald avait pris le commandement supérieur
-des trois corps réunis. À cette masse d'infanterie il fallait ajouter
-la cavalerie du général Sébastiani, qui pouvait présenter une réserve
-de 5 à 6 mille chevaux, et qui était indépendante des détachements de
-cavalerie légère attachés à chaque corps d'armée. Le total s'élevait
-ainsi à environ 70 mille hommes, sans compter les 10 ou 11 mille
-Polonais du prince Poniatowski, postés sur la frontière de Bohême en
-arrière et à droite du maréchal Macdonald, pour garder le débouché de
-Zittau. Napoléon avait donné pour instruction au maréchal Macdonald de
-rejeter Blucher sur Jauer et au delà, puis de s'établir fortement sur
-le Bober, entre Lowenberg et Buntzlau, de manière à tenir l'armée de
-Silésie éloignée de Dresde, et à empêcher l'armée de Bohême de faire
-des détachements sur Berlin. Napoléon ne doutait pas qu'avec 80 mille
-hommes victorieux, Macdonald ne remplît parfaitement sa mission. Le
-maréchal n'en doutait pas lui-même, et il continua de s'avancer
-hardiment contre le général Blucher.
-
-[En marge: Ordre mal donné, qui ramène l'ennemi deux jours plus tôt
-qu'on ne s'y attendait.]
-
-Un incident, peu important au premier aspect, apporta dès le début un
-fâcheux changement à cette situation en apparence si avantageuse.
-Napoléon en partant avait adressé au maréchal Ney l'ordre de le suivre
-à Dresde; mais cet ordre ne spécifiant pas assez clairement qu'il
-s'agissait de la personne du maréchal Ney et non de ses troupes, on
-avait dirigé le 3e corps lui-même sur la route de Dresde, et l'armée
-française vers son aile gauche avait semblé se mettre en retraite.
-Blucher impatient par caractère et par position de reprendre
-l'offensive, avait conclu du mouvement rétrograde d'une portion de
-notre ligne que Napoléon n'était plus là, et qu'il fallait revenir sur
-l'armée française privée de sa présence, et probablement aussi d'une
-partie des forces qu'elle avait un moment déployées. De son côté
-Macdonald avait voulu rendre à ses troupes l'attitude qu'elles
-venaient de perdre, et s'était hâté, sans tenir assez compte des
-circonstances, de se reporter en avant. Il devait de cette double
-disposition résulter un choc violent et prochain.
-
-[En marge: Position des 3e, 5e et 11e corps, le 25 août au soir.]
-
-Le 3e corps (général Souham) ayant fait d'abord une marche en arrière,
-puis une nouvelle marche en avant, afin de revenir à Liegnitz, avait
-laissé dans cet inutile déplacement un certain nombre d'hommes sur les
-chemins. Le 25 août au soir il était de retour à sa première position.
-Le 11e corps (général Gérard) formant le centre, n'avait pas quitté
-Goldberg, et le 5e (général Lauriston) formant la droite, était
-également demeuré immobile. Le maréchal Macdonald ayant tout son monde
-en ligne, résolut de se porter dès le lendemain 26 sur Jauer, point
-qu'il devait occuper pour obéir à ses instructions. Bien que Napoléon
-ne voulût pas établir son armée de Silésie plus loin que le Bober, il
-désirait cependant qu'elle eût ses avant-postes sur la Katzbach, de
-Jauer à Liegnitz, afin de mieux vivre, et d'intercepter plus sûrement
-tout détachement envoyé de la Bohême sur Berlin.
-
-[En marge: Marche adoptée par Macdonald pour se porter sur Jauer.]
-
-Voici comment le maréchal Macdonald s'y prit pour l'exécution de son
-mouvement. Quoiqu'à Goldberg il fût sur l'un des bras de la Katzbach,
-par conséquent fort au delà du Bober, il y avait sur sa droite un
-point du Bober resté au pouvoir de l'ennemi, c'était celui de
-Hirschberg, dans les montagnes. Il détacha une division du 11e corps,
-celle du général Ledru, et lui ordonna de remonter le Bober de notre
-côté, c'est-à-dire par la rive gauche, tandis que la division Puthod
-du corps de Lauriston, le remonterait par la rive droite, de manière à
-surprendre Hirschberg par les deux rives. Pendant que ce mouvement
-s'opérait sur notre extrême droite, et tout à fait dans les
-montagnes, le maréchal Macdonald prit le parti de marcher lui-même sur
-Jauer, avec les corps de Lauriston et de Gérard, diminués chacun d'une
-division. Il n'y avait pour arriver à Jauer aucun cours d'eau
-important à franchir, mais seulement quelques ravins plus ou moins
-profonds à traverser, sur lesquels on pouvait trouver l'ennemi en
-force. Le maréchal Macdonald se flattait de le débusquer, soit par une
-attaque directe des généraux Gérard et Lauriston sur Jauer même, soit
-par un mouvement latéral des généraux Souham et Sébastiani sur
-Liegnitz.
-
-[En marge: Le 3e corps, partant de Liegnitz, doit prendre Jauer en
-flanc, tandis que les 5e et 11e y marcheront directement.]
-
-Il prescrivit en effet au général Souham de partir de Liegnitz avec le
-3e corps, et de prendre la route de cette ville à Jauer, laquelle
-vient donner dans le flanc même de Jauer en traversant le plateau de
-Janowitz. Il espérait que vingt-cinq mille hommes menaçant l'ennemi en
-flanc, lui ôteraient jusqu'à l'idée de résister à l'attaque de front
-qu'exécuteraient contre lui les généraux Lauriston et Gérard.
-Malheureusement il y avait une assez grande distance entre le chemin
-qu'allait suivre le général Souham sur le plateau de Janowitz, et la
-route qu'avaient à parcourir les généraux Gérard et Lauriston pour
-marcher en droite ligne sur Jauer. Le général Gérard, le moins éloigné
-des deux, devait remonter le ravin profond de la Wutten-Neiss, petite
-rivière torrentueuse qui de Jauer va tomber dans la Katzbach, en
-contournant le plateau de Janowitz. Pour établir quelque liaison entre
-les deux principales masses de ses forces, le maréchal Macdonald
-assigna au général Sébastiani une route intermédiaire, celle de
-Buntzlau à Jauer, qui suivant d'abord le ravin de la Wutten-Neiss,
-puis franchissant cette rivière, aboutit sur le plateau de Janowitz.
-Tous les ordres furent expédiés pour être exécutés le 26 au matin sans
-remise.
-
-[En marge: Pluie torrentielle le 26 août au matin, laquelle n'empêche
-pas Macdonald de persister dans ses projets.]
-
-Le 26, une pluie d'orage qui avait duré la nuit entière, avait fait
-déborder toutes les rivières, et rendu les chemins presque
-impraticables. Le maréchal Macdonald, pressé de reprendre l'offensive,
-ne tint pas compte du mauvais temps, et exigea qu'il fût donné suite à
-ses ordres. Tandis que les divisions Puthod et Ledru remontaient les
-deux rives du Bober jusqu'à Hirschberg, les corps de Lauriston et de
-Gérard marchaient sur Jauer, descendant, gravissant tour à tour les
-bords des ravins qu'il fallait franchir pour arriver à cette petite
-ville. Malgré les difficultés que la pluie leur opposait, nos agiles
-tirailleurs, dépostant ceux de l'ennemi, les obligèrent partout à se
-replier. À gauche, les choses furent moins faciles.
-
-[En marge: Souham et Sébastiani n'ayant pu prendre la route de
-Liegnitz à Jauer, s'engouffrent avec les troupes de Gérard dans le
-ravin de la Wutten-Neiss.]
-
-Le général Sébastiani après s'être mis en route un peu tard n'était
-pas encore à l'entrée du ravin de la Wutten-Neiss, tandis que le
-général Gérard y avait déjà pénétré, et que Lauriston marchant
-parallèlement à celui-ci était fort en avant. Le général Souham, de
-son côté, ayant trouvé à Liegnitz la Katzbach débordée, avait cherché
-un passage au-dessus, et était ainsi venu prendre la même route que le
-général Sébastiani. Il y eut là pendant quelque temps 23 à 24 mille
-hommes d'infanterie, 5 à 6 mille chevaux, et plus de cent bouches à
-feu engouffrés dans un ravin profond, jusqu'à ce que s'élevant sur le
-bord de ce ravin ils pussent déboucher sur le plateau de Janowitz.
-Dans ce moment la cavalerie prussienne en reconnaissance avait
-descendu ce plateau, et n'apercevant pas nos troupes, s'était fort
-avancée dans le ravin de la Wutten-Neiss. Le général Gérard cheminant
-sur la rive opposée de cette rivière, découvrit les escadrons
-prussiens qui avaient déjà dépassé sa gauche, et il fit tirer sur eux
-par derrière. La pluie qui n'avait pas cessé fut cause qu'il partit à
-peine une quarantaine de coups de fusil. Mais ils suffirent pour
-avertir les escadrons prussiens du mauvais pas où ils s'étaient
-engagés, et ils rebroussèrent chemin au galop. Le général Gérard ayant
-fait amener son artillerie, et tirant d'une rive à l'autre, joncha le
-défilé d'un bon nombre de ces imprudents cavaliers.
-
-[En marge: Le maréchal Macdonald imagine de faire monter la division
-Charpentier sur le plateau de Janowitz et de sortir ainsi du ravin de
-la Wutten-Neiss.]
-
-[En marge: Premier succès de la division Charpentier, et son
-déploiement sur le plateau de Janowitz.]
-
-Cet incident suggéra au maréchal Macdonald l'idée de lancer tout de
-suite quelques bataillons de la division Charpentier, l'une des deux
-du général Gérard, sur le plateau de Janowitz, afin de s'en emparer,
-et d'aider ainsi les généraux Sébastiani et Souham à s'y déployer.
-L'ordre donné fut exécuté sur-le-champ. Le général Charpentier, avec
-l'une de ses brigades et une batterie de réserve de 12, passa la
-Wutten-Neiss à Nieder-Krayn, gravit le plateau, et s'y déploya malgré
-les avant-postes prussiens. Il fut immédiatement rejoint par la
-cavalerie du général Sébastiani, qui vint successivement prendre
-position sur sa gauche. Le général Souham s'apprêtait à la suivre,
-mais lentement, ainsi que le comportaient le temps, la nature des
-lieux, et le nombre de troupes accumulées dans cet étroit défilé.
-
-[En marge: Blucher, prévenu à temps, porte quarante mille hommes à la
-fois sur la division Charpentier.]
-
-[En marge: Cette division, après une résistance héroïque, est rejetée
-dans le ravin de la Wutten-Neiss.]
-
-Sur ce même point Blucher arrivait à l'instant avec la plus grande
-partie de ses forces. Comptant sur la position de Jauer, il n'y avait
-laissé que le corps de Langeron, et avait porté à la fois York et
-Sacken sur le plateau de Janowitz pour parer au mouvement de flanc qui
-le menaçait. À la vue de nos troupes gravissant le bord du ravin de la
-Wutten-Neiss pour s'établir sur le plateau, il avait pensé que nous ne
-pourrions pas lui opposer beaucoup de monde à la fois, et qu'en nous
-abordant avec quarante mille hommes, il nous culbuterait facilement
-dans le ravin dont nous tâchions de sortir. Il se fit d'abord précéder
-par une puissante artillerie, dont la brigade du général Charpentier
-supporta le feu avec sang-froid, et auquel elle répondit avec sa
-batterie de douze. Il fit mieux encore, et lança sur elle dix mille
-chevaux. Notre infanterie, formée en carré, voulut en vain leur
-opposer ses feux éteints par la pluie; réduite à ses baïonnettes, elle
-s'en servit bravement, et arrêta tout court l'élan de la cavalerie
-ennemie. Le général Sébastiani, rachetant sa lenteur par sa vigueur,
-chargea cette cavalerie et la ramena, mais il fut ramené à son tour,
-et ne put résister longtemps à des forces triples des siennes. Il fut
-contraint d'opérer un mouvement rétrograde, et découvrit ainsi la
-gauche de la brigade Charpentier. Alors Blucher, qui n'avait pu
-ébranler cette brave brigade avec ses cavaliers, jeta sur elle plus de
-vingt mille hommes d'infanterie. Elle reçut et soutint plusieurs
-charges à la baïonnette; mais bientôt accablée par le nombre, elle
-perdit du terrain, et finit par être poussée jusqu'au bord du ravin
-de la Wutten-Neiss. Malgré une ferme contenance, elle fut obligée d'y
-redescendre, et elle s'y trouva pêle-mêle avec la cavalerie Sébastiani
-qui se repliait aussi, et avec la tête du corps de Souham qui
-arrivait. On conçoit quel encombrement, quel désordre dut s'y
-produire, et que de pertes on dut y faire, surtout en canons, car
-notre artillerie embourbée dans les terres avait été privée de ses
-chevaux presque tous tués par le feu ennemi.
-
-On se retira donc, refoulés vivement dans cet étroit passage jusqu'au
-village de Kroitsch où la Wutten-Neiss se joint à la Katzbach, et où
-Blucher n'osa pas nous poursuivre.
-
-[En marge: Cet accident amène un mouvement rétrograde général.]
-
-[En marge: Retraite de nuit par un temps affreux.]
-
-Cette échauffourée sur un seul point, laquelle nous avait coûté tout
-au plus un millier d'hommes, suffit pour convertir en une espèce de
-déroute générale une opération qui avait réussi sur le reste de notre
-ligne. En effet, les généraux Gérard et Lauriston, attaquant avec une
-extrême énergie les positions que Langeron avait successivement
-occupées et abandonnées, étaient déjà parvenus en vue de Jauer, malgré
-le mauvais temps, et allaient s'en emparer, lorsqu'ils furent arrêtés
-par la nouvelle de ce qui s'était passé à leur gauche. Ils furent donc
-sous peine d'imprudence contraints de rétrograder, et ils revinrent
-jusqu'à Goldberg où ils entrèrent vers minuit, dans un état fort
-triste, ayant rencontré en route les débris des troupes battues sur le
-plateau de Janowitz, et ayant eu à traverser un immense encombrement
-de voitures embourbées, de blessés qu'on emportait avec la plus grande
-peine par un temps devenu affreux. Il fallut bivouaquer comme on put,
-sous une pluie continuelle, les uns dans Goldberg, les autres en
-dehors, la plupart sans vivres, sans abri, en un mot dans un état
-misérable.
-
-[En marge: Nos jeunes soldats rebutés par cette subite épreuve.]
-
-[En marge: Continuation de mauvais temps pendant les journées des 27
-et 28 août.]
-
-[En marge: Difficulté pour nos corps d'armée de regagner le Bober, et
-de franchir le fleuve presque partout débordé.]
-
-C'est pour les traverses de ce genre que sont bons les vieux soldats.
-Au feu, de jeunes soldats menés par des officiers vigoureux sont plus
-impétueux sans doute, parce qu'ils connaissent moins le danger; mais
-au premier revers ils s'étonnent, à la première souffrance ils se
-rebutent, et surtout s'ils sont depuis peu au drapeau, il suffit d'un
-échec pour troubler toutes leurs idées, et convertir leur téméraire
-bravoure en abattement profond. Cependant avec des vivres on aurait pu
-retenir nos conscrits dans les cadres, et, au retour du soleil, avec
-une nouvelle impulsion donnée par des chefs énergiques, on serait
-parvenu à leur rendre la confiance. Mais il fallut, sans vivres, sans
-abri, passer une nuit horrible, avec certitude d'avoir le lendemain
-sur les bras quatre-vingt mille hommes, victorieux ou croyant l'être.
-Le lendemain matin, le ciel, qui était encore chargé d'eau, continua
-de verser sur nos soldats des torrents de pluie. Heureusement la
-Katzbach qu'on avait repassée la veille, leur servit de protection
-contre la poursuite impétueuse de Blucher. Elle était tellement
-débordée, qu'à peine il put faire passer sa cavalerie. On réussit donc
-à se retirer sans avoir l'infanterie des alliés sur les bras; mais on
-fut poursuivi par une nuée de cavaliers que nos fusils n'arrêtaient
-guère faute de pouvoir faire feu. Nos jeunes soldats, plus fermes
-devant l'ennemi que devant le mauvais temps, opposèrent avec leurs
-baïonnettes une barrière de fer aux cavaliers russes et prussiens, et
-parvinrent ainsi à les contenir. Obligés néanmoins de s'éloigner à la
-hâte, ils laissèrent en arrière une grande partie de leur artillerie
-embourbée, et il arriva que beaucoup d'entre eux, rebutés ou mourants
-de faim, s'étant éparpillés dans les villages pour vivre, furent pris,
-ou initiés de bonne heure au dangereux et corrupteur métier de
-maraudeurs. Le corps du général Souham, couvert par la cavalerie du
-général Sébastiani, put se retirer sain et sauf à travers la plaine,
-et gagner Buntzlau. Les corps des généraux Gérard et Lauriston, plus
-vivement poursuivis, et n'ayant pas de grosse cavalerie pour se
-couvrir, trouvèrent un abri dans les bois qui séparent la Katzbach du
-Bober, entre Goldberg et Lowenberg. Ils y passèrent la nuit un peu
-mieux abrités, mais pas mieux nourris que la veille. Ces deux corps,
-rendus dans la journée du 28 en face de Lowenberg, voulurent en vain y
-passer le Bober. Le pont n'était pas détruit, mais il fallait pour
-arriver jusqu'à ses abords traverser une inondation de trois quarts de
-lieue d'étendue, et il n'y eut d'autre ressource que de redescendre la
-rive droite du Bober pour le franchir à Buntzlau, où étaient déjà
-Souham et Sébastiani. Pour la première fois depuis trois jours, on
-trouva des toits et des subsistances, bien disputés du reste, car on
-était cinquante mille au moins accumulés sur un seul point.
-
-[En marge: Inquiétudes du maréchal Macdonald pour la division Puthod,
-envoyée sur Hirschberg par la rive droite du Bober.]
-
-[En marge: Désastre de cette division qui n'avait pas repassé le Bober
-à temps.]
-
-Le maréchal Macdonald, ferme, sage, expérimenté, loyal, mais presque
-toujours malheureux depuis la funeste journée de la Trebbia, n'avait
-pas le tort de s'abuser sur sa mauvaise fortune. Aussi, rentré à
-Buntzlau, ne regardait-il pas comme apaisée la cruelle fatalité qui le
-poursuivait, et il tremblait pour la division Puthod, hasardée seule
-au delà du Bober, jusqu'à la hauteur de Hirschberg. On ne pouvait
-avoir d'inquiétude pour la division Ledru, laquelle avait cheminé par
-la rive gauche qui nous appartenait, mais si la division Puthod
-n'avait pas profité du pont de Hirschberg pour revenir en deçà du
-Bober, son sort était évidemment compromis. C'était en effet ce qui
-devait arriver. Cette division ayant remonté le Bober par une rive
-tandis que la division Ledru le remontait par l'autre, n'avait point
-usé du pont de Hirschberg lorsqu'il en était temps encore, et s'était
-vue séparée par d'immenses masses d'eau de ses compagnons d'armes, qui
-lui tendaient vainement les mains du haut de la rive gauche. Le 29
-elle imagina de descendre par la rive droite, vis-à-vis de Lowenberg,
-près de Zopten. Là, réduite de 6 mille hommes à 3 mille par la
-fatigue, la faim, le froid des nuits, l'abattement, elle fut assaillie
-par les troupes de Blucher, refusa de se rendre, se défendit
-vaillamment, et finit par être prise ou détruite. L'infortuné
-Macdonald, plus infortuné qu'elle encore, entendant de Buntzlau le feu
-de l'artillerie, devinant l'affreux sacrifice qui se consommait,
-voulait avec quelques troupes remonter par la rive droite à la hauteur
-de Zopten, mais on lui fit sentir le danger, l'inutilité peut-être de
-ce secours, et il fut obligé de laisser immoler sous ses yeux de
-malheureux soldats perdus à la suite de sa mauvaise étoile.
-
-[En marge: Retour le 30 sur le Bober, après une perte de 20 mille
-hommes, dont plus de la moitié en soldats débandés.]
-
-Le 30 on se trouva tous réunis sur la gauche du Bober, mais au nombre
-de 50 mille hommes au plus, au lieu de 70 mille qu'on était quelques
-jours auparavant, et après avoir laissé cent pièces de canon dans les
-fanges. Le feu n'avait pas détruit plus de 3 mille hommes sur les 20
-mille qui manquaient; mais l'ennemi en avait ramassé 7 à 8 mille, et
-il y en avait 9 à 10 mille débandés, qui avaient jeté ou perdu leurs
-fusils, et qui n'avaient guère envie d'en prendre d'autres. Une trop
-subite épreuve des souffrances de la guerre, succédant à une confiance
-aveugle, avait tout à coup réveillé en eux le sentiment qu'ils
-éprouvaient en quittant leurs chaumières six mois auparavant, celui de
-la haine contre l'homme qui les sacrifiait, à peine sortis de
-l'adolescence, à une ambition désordonnée. Braves, ils l'étaient
-toujours, et on pouvait tout attendre d'eux si on parvenait à les
-faire rentrer dans les rangs, mais c'était difficile. Irrités et
-dégoûtés, ils aimaient mieux vivre en pillant le pays ennemi que
-reprendre des armes pour un dieu cruel qui dévorait, disaient-ils,
-leur jeunesse sans pitié et sans motif. Macdonald se vit donc sur le
-Bober avec cinquante mille soldats découragés, et neuf ou dix mille
-traînards suivant l'armée, et alléguant le défaut de fusils pour ne
-pas revenir au drapeau. Poniatowski était resté sain et sauf à Zittau
-avec ses dix mille Polonais.
-
-[En marge: Causes du revers essuyé par le maréchal Macdonald.]
-
-Les causes de ce malheur étaient de diverses natures: il y en avait
-d'accidentelles, il y en avait de générales. Les causes accidentelles,
-c'étaient le mauvais temps, l'ordre équivoque au maréchal Ney qui
-avait entraîné un mouvement rétrograde inutilement fatigant pour les
-troupes, ramené l'ennemi prématurément, et poussé le maréchal
-Macdonald à prendre une offensive précipitée; c'étaient peut-être
-aussi quelques fautes du général en chef, qui avait envoyé deux
-divisions sur Hirschberg pour en expulser l'ennemi que notre présence
-à Jauer aurait suffi pour en éloigner; qui pendant la bataille avait
-laissé trop isolées les deux fractions de son armée, et en prenant
-pour les relier le parti d'occuper le plateau de Janowitz, ne l'avait
-fait qu'avec des forces insuffisantes, qui avait trop méprisé enfin
-les difficultés naissant du temps et des routes. Les causes générales,
-et celles-là beaucoup plus redoutables encore, c'étaient le
-patriotisme des coalisés, leur ardeur à revenir sans cesse à la charge
-dès qu'ils voyaient la moindre chance de recommencer la lutte avec
-avantage, c'était surtout la jeunesse de nos troupes, impétueuses au
-feu, mais trop nouvelles aux traverses de la guerre, parties avec le
-sentiment qu'on les sacrifiait à une folle ambition, oubliant ce
-sentiment devant l'ennemi, mais l'éprouvant plus vivement que jamais
-au premier revers, et après s'être conduites vaillamment dans le
-combat, jetant leurs armes dans la retraite, par dépit, découragement,
-épuisement moral et physique.
-
-[En marge: Événements sur la route de Berlin.]
-
-Ces mêmes causes avaient produit sur la route de Berlin un revers
-moins éclatant, quoique tout aussi fâcheux par ses conséquences.
-
-[En marge: Le maréchal Oudinot chargé de marcher sur Berlin avec les
-4e, 7e et 12e corps.]
-
-[En marge: Ces corps comprennent tout au plus 64 mille hommes, au lieu
-de 70 mille qu'on s'était flatté de réunir.]
-
-[En marge: Caractère des généraux Reynier et Bertrand, subordonnés au
-maréchal Oudinot.]
-
-[En marge: Forces de Bernadotte, s'élevant à environ 90 mille hommes
-de bonnes troupes.]
-
-On a vu quelle importance Napoléon attachait à diriger un corps sur
-Berlin, afin de rejeter l'armée du Nord loin du théâtre de la guerre,
-d'infliger une humiliation à Bernadotte, de saisir l'imagination des
-Allemands en entrant dans la principale de leurs capitales, de frapper
-au coeur le Tugend-Bund, de dissoudre le ramassis dont il croyait
-l'armée de Bernadotte composée, et de tendre enfin la main à nos
-garnisons de l'Oder et de la Vistule. Pour atteindre ces buts divers,
-il avait donné au maréchal Oudinot outre le 12e corps que ce maréchal
-commandait directement, le 7e confié au général Reynier, et le 4e
-confié au général Bertrand. Le 12e, comprenant deux bonnes divisions
-françaises et une bavaroise, comptait environ 18 mille hommes; le 7e,
-formé de la division française Durutte et de deux saxonnes, en
-comptait 20 mille; le 4e ayant une seule division française,
-excellente il est vrai, celle du général Morand, et deux étrangères,
-l'italienne Fontanelli et la wurtembergeoise Franquemont, était, comme
-le précédent, fort d'une vingtaine de mille hommes. Le duc de Padoue
-avec 6 mille chevaux formait la réserve de cavalerie. C'étaient donc à
-peu près 64 mille hommes, au lieu de 70 mille qu'on avait d'abord
-espérés, parmi lesquels beaucoup de ramassis, comme disait Napoléon,
-car dans l'effectif total il entrait pour un tiers au moins de soldats
-de toutes nations, quelques-uns très-médiocres, et la plupart très-mal
-disposés. La composition sous le rapport des chefs ne laissait pas
-moins à désirer. Le maréchal Oudinot, aussi brave, aussi résolu sur le
-champ de bataille qu'on pouvait l'être, n'avait jamais exercé un
-commandement de cette importance, avait la noble modestie de se défier
-de lui-même, et osait à peine faire sentir son autorité à ses
-lieutenants, les généraux Reynier et Bertrand. Le général Reynier,
-officier savant et solide, comme nous avons déjà eu l'occasion de le
-dire ailleurs, mais malheureux, était plein de prétentions, se croyait
-supérieur à la plupart des maréchaux, se plaignait amèrement de n'être
-que lieutenant-général, et, comme Vandamme, était trop impatient
-peut-être de gagner une dignité qu'on lui avait tant fait attendre. Le
-général Bertrand, honoré de la faveur de Napoléon et y tenant, la
-justifiant par une grande application à ses devoirs, par la bravoure
-la plus sûre de toutes, celle du dévouement, mais plus propre aux
-travaux du génie qu'à la direction des troupes, ayant de l'esprit,
-mais ne l'ayant pas toujours juste, était un subordonné déférent en
-apparence, et plus obséquieux que soumis. Le maréchal Oudinot fort
-embarrassé d'avoir à dominer ces prétentions diverses, ne l'osait
-faire qu'avec des ménagements infinis, peu compatibles avec la vigueur
-et la promptitude du commandement. Placé plus près des lieux que
-Napoléon, recueillant tous les bruits du pays, il ne s'abusait pas sur
-la force de l'ennemi et sur la difficulté du terrain. Il savait que
-Bernadotte avec une certaine quantité de gens de toutes sortes, levés
-à la hâte, avait cependant un excellent corps suédois, un corps russe
-très-solide, et surtout un corps prussien, celui du général Bulow,
-très-nombreux, très-animé, très-disposé à se battre. Outre ce corps de
-Bulow, il y avait un second corps prussien sous le général Tauenzien,
-destiné d'abord au blocus des places, et duquel on avait tiré ce qu'il
-y avait de meilleur pour l'employer à la guerre offensive. Ces
-troupes réunies composaient un total de 90 mille hommes environ,
-campés en avant de Berlin. Le prince de Suède avait détaché sous le
-général Walmoden une vingtaine de mille hommes, comprenant ce qui
-méritait le nom de ramassis, pour tenir tête, derrière les nombreux
-canaux du Mecklembourg, au corps d'armée qui était sorti de Hambourg
-sous le maréchal Davout. Le reste des 150 mille hommes commandés par
-le prince de Suède avait été consacré au blocus ou au siége des places
-de l'Oder et de la Vistule.
-
-[En marge: Difficulté des lieux que le maréchal Oudinot avait à
-traverser pour se rendre à Berlin.]
-
-Le maréchal Oudinot était parfaitement informé de cet état de choses,
-et en était justement préoccupé. Les lieux ajoutaient à la difficulté
-de sa tâche. En s'avançant sur Berlin, entre l'Elbe et la Sprée, on
-devait cheminer entre une double ligne d'eaux tour à tour stagnantes
-ou courantes, lesquelles peuvent se désigner, l'une par la rivière de
-la Dahne qui se jette dans la Sprée au-dessus de Berlin, l'autre par
-la rivière de la Nuthe qui se jette dans le Havel à Potsdam. Au sein
-de l'angle formé par cette double ligne d'eaux, se trouvait l'armée du
-Nord, établie dans une bonne position, celle de Ruhlsdorf, couverte
-par une puissante artillerie, et gardée au loin par une cavalerie
-innombrable. On ne pouvait s'aventurer à travers ce labyrinthe de
-bois, de sables, d'étangs, de rivières, qu'en courant toujours un
-double danger, celui d'être débordé ou tourné si on marchait sur une
-seule route, et, si on voulait en tenir plusieurs, celui d'être séparé
-en deux ou trois corps, que la privation de communications
-transversales rendait incapables de se secourir l'un l'autre.
-
-[En marge: Répugnance du maréchal Oudinot à se charger du grand
-commandement qui lui était destiné.]
-
-[En marge: Premier mouvement de Baruth à Luckenwalde.]
-
-Au moment de partir pour cette expédition, le maréchal Oudinot se
-défiant à la fois de l'ennemi, des lieux, de ses lieutenants, de
-lui-même, aurait volontiers cédé à d'autres le périlleux honneur qu'on
-lui avait destiné. Napoléon lui avait bien écrit qu'il y aurait dans
-peu de jours plus de cent mille Français à Berlin, car dans ses
-calculs, malheureusement faits de loin, il avait compris les 30 mille
-hommes du maréchal Davout, et les 10 mille hommes qui devaient sortir
-de Magdebourg sous le général Girard. Mais avant que cette réunion pût
-s'effectuer, il fallait que la première difficulté eût été vaincue,
-celle de percer sur Berlin, et celle-là on devait la surmonter avec
-une armée de beaucoup inférieure à l'armée ennemie, et à travers un
-pays presque impénétrable. Le maréchal Oudinot n'avait donc pas pris
-ces promesses fort au sérieux, et il se voyait toujours, au milieu
-d'un pays des plus difficiles, obligé avec 64 mille hommes de marcher
-contre Berlin protégé par 90 mille. Le 18 août il était réuni à
-Baruth, à trois journées de Berlin, avec ses trois corps. Mais ayant à
-rallier la division de grosse cavalerie du général Defrance, qui
-devait faire partie de la réserve du duc de Padoue, et qui venait
-rejoindre l'armée par Wittenberg, il opéra un mouvement transversal de
-droite à gauche, et se porta de Baruth à Luckenwalde. (Voir la carte
-nº 58.) Après avoir rallié sa grosse cavalerie, il reprit sa route au
-nord, s'avançant entre Zossen et Trebbin, au centre de cette double
-ligne d'eaux qui viennent, comme nous l'avons dit, converger sur
-Berlin.
-
-[En marge: Arrivée à Trebbin le 21 août.]
-
-[En marge: Deux routes à suivre, l'une à gauche passant par Trebbin,
-l'autre à droite passant par Blankenfelde.]
-
-Le 21 il était en face de Trebbin, à quelques lieues de l'armée
-ennemie, qui commençait à se concentrer à mesure que le terrain se
-resserrait et que nous approchions. Entre les deux lignes d'eau
-s'élevait une suite de coteaux boisés, et sur le flanc de ces coteaux
-se développaient les deux routes par lesquelles on pouvait s'acheminer
-sur Berlin. L'une des deux routes, celle de gauche, passant à Trebbin,
-avait un ruisseau à franchir, puis à gravir un coteau couvert de bois,
-pour déboucher sur Gross-Beeren. Celle de droite, entièrement séparée
-de la précédente, après avoir gravi aussi des coteaux, allait
-déboucher par Blankenfelde sur la droite et à quelque distance de
-Gross-Beeren. Le maréchal Oudinot résolut de suivre ces deux routes à
-la fois, par précaution d'abord, car il ne voulait pas être tourné en
-négligeant l'une des deux, par condescendance ensuite, car ses
-lieutenants aimaient assez à marcher séparément, et il se flattait que
-ces obstacles surmontés on se réunirait pour aborder l'ennemi en
-masse.
-
-[En marge: Le maréchal Oudinot enlève Trebbin le 21.]
-
-Le 21 il attaqua Trebbin avec le 12e corps, dirigea le 4e, celui du
-général Bertrand, sur Schultzendorf, et achemina le 7e, celui du
-général Reynier, entre deux, vers un village appelé Nunsdorf. La
-petite ville de Trebbin, assez bien retranchée, était occupée par un
-détachement des troupes de Bulow. Le corps de Tauenzien gardait la
-route de droite, celle de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot commença
-par accabler Trebbin de ses projectiles, puis il y envoya une brigade
-de la division Pacthod, pendant que le 7e corps menaçait par Wittstock
-de tourner la position. Ces mouvements combinés produisirent leur
-effet. La brigade de la division Pacthod entra baïonnette baissée dans
-un faubourg de Trebbin, et les Prussiens se voyant déjà débordés par
-le 7e corps, nous abandonnèrent cette petite ville, repassèrent le
-ruisseau qu'ils avaient mission de défendre, et se replièrent sur les
-coteaux en arrière. Vers la route de droite, le général Bertrand avait
-occupé Schultzendorf avec le 4e corps.
-
-[En marge: Le 22, il force le passage du ruisseau de Trebbin.]
-
-[En marge: Danger d'être pris en flanc si on marche sur une seule
-route, et de se diviser si on marche sur deux.]
-
-Le lendemain 22, il fallut franchir le ruisseau disputé la veille,
-gravir ensuite les coteaux sur lesquels s'élevait la route de Berlin,
-et sur la route de droite gravir également les hauteurs le long
-desquelles passait le chemin de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot
-aborda le ruisseau sur deux points, par Wilmersdorf et Wittstock. La
-division Guilleminot du 12e corps, la division Durutte du 7e, ayant
-rétabli le passage avec des chevalets, assaillirent hardiment les
-redoutes de l'ennemi, et les occupèrent sans perdre beaucoup de monde.
-Les troupes du corps de Bulow les évacuèrent en se retirant
-définitivement vers la position centrale choisie par le prince de
-Suède. Sur le côté opposé, le général Bertrand après une vive
-canonnade atteignit la position de Juhnsdorf, conduisant à
-Blankenfelde. On avait donc fait un nouveau pas dans ce fourré, où
-l'on était condamnés soit à marcher divisés en cheminant sur deux
-routes latérales presque sans communication entre elles, soit à
-marcher sans précaution contre un mouvement de flanc, si on prenait
-une seule route. Sans doute il eût été possible de parer à cet
-inconvénient, en s'avançant avec la masse de ses forces par une route
-seulement, et en ne dirigeant sur l'autre que quelques détachements de
-troupes légères, mais il eût fallu disloquer les divers corps, et pour
-cela exercer à l'égard de leurs chefs une autorité que le maréchal
-Oudinot, commandant direct du 12e et plutôt conseiller que chef des 7e
-et 4e, n'osait pas s'attribuer.
-
-Tout annonçait qu'on approchait définitivement de l'ennemi, et qu'on
-allait se trouver face à face avec lui. Le ruisseau sur le bord duquel
-on avait combattu la veille une fois franchi, on allait longer le
-flanc de coteaux boisés, et aboutir à un village nommé Gross-Beeren,
-vis-à-vis de la position centrale de Ruhlsdorf occupée par l'armée du
-Nord. On devait par la route de droite opérer un mouvement semblable
-sur le flanc des coteaux de Juhnsdorf et de Blankenfelde, et si on
-parvenait à y vaincre la résistance de l'ennemi, on était assuré de
-déborder de ce côté la position de Gross-Beeren.
-
-[En marge: Mouvement le 23 août des 12e et 7e corps sur Gross-Beeren,
-et du 4e sur Blankenfelde.]
-
-Le maréchal Oudinot espérant ne rencontrer l'ennemi qu'après avoir
-dépassé Gross-Beeren, et lorsqu'on aurait eu le temps de se réunir,
-laissa par excès de condescendance une tâche distincte à chacun de ses
-lieutenants. Il décida que sur la route de droite le général Bertrand
-enlèverait Blankenfelde, pour se porter ensuite sur Gross-Beeren; que
-sur la route de gauche le général Reynier qui avait forcé la veille le
-ruisseau de Trebbin et gravi les coteaux au delà, cheminerait sur le
-flanc de ces coteaux en suivant la lisière des bois jusqu'à
-Gross-Beeren, et là s'arrêterait pour prendre position. Quant à lui,
-au lieu de marcher avec le 12e corps derrière le général Reynier pour
-lui servir d'appui, il imagina de passer par Arensdorf sur l'autre
-versant des hauteurs que ce général devait parcourir, comme s'il eût
-craint d'importuner ses lieutenants par sa présence. Il devait ensuite
-déboucher sur Gross-Beeren, mais à deux lieues sur la gauche, distance
-à peu près égale à celle qui en devait séparer le général Bertrand sur
-la droite.
-
-[En marge: Combat de Gross-Beeren, livré par le 7e corps contre la
-masse de l'armée prussienne et suédoise.]
-
-Le 23 août au matin chacun se mit en mouvement selon la direction qui
-lui était assignée. Sur la route de droite, le général Bertrand
-s'étant présenté devant la hauteur de Blankenfelde, y trouva le
-général Tauenzien fortement établi, et fut obligé d'engager avec lui
-une violente canonnade. Sur la route de gauche, le général Reynier,
-avec le 7e, longea pendant près de trois lieues le flanc des coteaux
-dont le maréchal Oudinot parcourait le revers, chemina sans grande
-difficulté, et déboucha devant Gross-Beeren. Sur-le-champ il attaqua
-ce village, et en débusqua la division du général de Borstell. Avec
-une impatience de succès très-mauvaise conseillère, il s'avança fort
-au delà de ce village au lieu de s'y établir, et aperçut en position,
-à Ruhlsdorf, l'armée du prince de Suède tout entière. À droite devant
-lui il avait la division de Borstell, repliée sur le gros du corps
-prussien de Bulow, au centre mais tirant un peu sur la gauche l'armée
-suédoise, tout à fait à gauche enfin les Russes, c'est-à-dire, sans
-compter le corps de Tauenzien, un rassemblement d'environ 50 mille
-hommes, couverts par une nombreuse artillerie. Il n'avait pour faire
-face à cette ligne formidable que 18 mille hommes, dont 6 mille
-Français, soldats excellents, et 12 mille Saxons qui ne valaient plus
-ceux qui avaient fait sous ses ordres la campagne de Russie. Il
-n'éprouvait certes pas l'envie de se mesurer avec une pareille masse
-d'ennemis; mais s'étant assez avancé pour donner prise, il ne pouvait
-manquer de les avoir bientôt sur les bras.
-
-[En marge: Hésitation de Bernadotte, et ardeur des Prussiens.]
-
-[En marge: Le gros de l'armée prussienne se jette sur le 7e corps.]
-
-[En marge: La division Durutte se défend vaillamment, mais les Saxons
-se débandent.]
-
-[En marge: Retraite de l'armée française à la suite du malheureux
-combat de Gross-Beeren.]
-
-En effet les Prussiens du général Bulow brûlaient d'impatience de nous
-combattre, et de couvrir de leurs corps la route par laquelle nous
-prétendions arriver à Berlin. Bernadotte hésitait. C'était la première
-fois qu'il allait rencontrer les Français, et il les craignait encore
-plus que sa conscience. Il tremblait de voir disparaître en un jour le
-prestige dont il avait cherché à s'entourer au milieu des étrangers,
-en se donnant pour le principal auteur des succès de Napoléon. Il
-craignait aussi de compromettre l'armée suédoise, qu'il savait ne
-pouvoir pas remplacer si elle était détruite. Il s'agissait donc pour
-lui de jouer sa fortune, sa couronne en un instant, et il était saisi
-d'une hésitation qui faisait douter de son courage de soldat. Le
-général Bulow, comme tous les Prussiens, se défiant encore plus de la
-loyauté de Bernadotte que de sa valeur, n'attendit pas son
-commandement, et avec les 30 mille hommes qu'il avait sous ses ordres,
-marcha sur le général Reynier. Il se fit précéder de beaucoup de
-bouches à feu, et, pour l'ébranler plus sûrement, il porta sur le
-flanc de son adversaire la division de Borstell. Bernadotte ne pouvant
-plus reculer, mais ne voulant pas engager toutes ses forces, se
-contenta de détacher sa cavalerie avec une nombreuse artillerie
-contre la gauche de Reynier, dont la division Borstell menaçait la
-droite. Le général Reynier, qui une fois au danger s'y comportait avec
-la valeur d'un vieil officier de l'armée du Rhin, tint bon, espérant
-être bientôt secouru. Il exécuta un mouvement rétrograde pour prendre
-une meilleure position, et appuyant sa droite aux maisons de
-Gross-Beeren, sa gauche à une hauteur d'où son artillerie plongeait
-sur l'ennemi, il fit très-bonne contenance. Les Prussiens, malgré une
-épaisse mitraille, s'avancèrent résolûment, animés par le double désir
-de sauver Berlin et de saisir une proie qu'ils croyaient assurée. La
-division Durutte résista héroïquement; mais les Saxons, pour la
-plupart conscrits de l'année, joignant à la faiblesse de leur âge un
-très-mauvais esprit, travaillés par des officiers qui leur rappelaient
-que Bernadotte les avait commandés en 1809 et traités comme un père,
-ne résistèrent pas longtemps, et laissèrent sans appui la division
-Durutte. Celle-ci fut obligée de se retirer, mais elle le fit en bon
-ordre, et en ôtant à l'ennemi le goût de la poursuivre. De son côté la
-division Guilleminot, du 12e corps, s'avançant sous la conduite du
-maréchal Oudinot sur le revers de la position, se trouvait à Arensdorf
-au moment de la plus violente canonnade. Elle se hâta de courir au
-feu, et se rabattit par sa droite à travers les bois, afin de secourir
-Reynier par le plus court chemin. Arrivant trop tard pour faire
-changer la face du combat, elle servit toutefois à contenir l'ennemi,
-et se replia ensuite, assaillie plusieurs fois par la cavalerie russe
-sans en être ébranlée. Chacun se reporta sur le point de départ du
-matin, le 12e corps sur Thyrow, le 7e sur Wittstock. Le 12e était en
-bon état, le 7e se trouvait désorganisé par la complète déroute des
-Saxons. Plus de 2 mille de ces alliés avaient été pris, avec quinze
-bouches à feu; quelques mille s'étaient débandés, les uns pour aller
-joindre les Suédois, les autres pour s'enfuir sur les derrières. Quant
-au général Bertrand qui dirigeait le 4e corps, il avait fait d'assez
-grands efforts pour surmonter la résistance de Tauenzien à
-Blankenfelde, et n'y avait point réussi. Il ne l'aurait pu qu'en
-poussant ces efforts à l'extrême, mais il le croyait inutile, pensant
-que le succès du corps principal à Gross-Beeren obligerait Tauenzien à
-décamper. De la sorte, chacun avait combattu sans accord, sans
-concert, comptant mal à propos sur son voisin, les uns sans dommage
-comme Bertrand et Oudinot, les autres au contraire avec un dommage
-notable comme le général Reynier.
-
-[En marge: Pertes considérables par la disposition des troupes alliées
-à se débander.]
-
-[En marge: Motifs du maréchal Oudinot pour se retirer jusqu'à
-Wittenberg.]
-
-[En marge: Mésaventure de la division Girard sortie de Magdebourg.]
-
-[En marge: Position embarrassée du maréchal Davout, engagé seul avec
-30 mille hommes au milieu du Mecklembourg.]
-
-Cependant cet échec, si on n'avait eu que des troupes exclusivement
-françaises, et d'un esprit sûr, n'aurait pas pu être suivi de grandes
-conséquences, car, après tout, on n'avait perdu que 2 mille hommes en
-ligne. Mais avec une moitié de l'effectif total en troupes italiennes
-et allemandes toujours prêtes à nous quitter, et une autre moitié de
-jeunes soldats français, trop confiants d'abord, et maintenant tout
-étonnés d'un revers, il était difficile de continuer à s'avancer sur
-Berlin en présence de 90 mille hommes, sur le corps desquels il aurait
-fallu passer. Déjà plus de 10 mille alliés, les uns Saxons, les autres
-Bavarois, avaient quitté nos rangs et couraient vers l'Elbe en
-poussant le cri de _Sauve qui peut!_ Dans un pareil état de choses le
-maréchal Oudinot pensa qu'il fallait battre en retraite, et se
-rapprocher de l'Elbe. Le lendemain 24 août, il commença son mouvement
-rétrograde, l'exécuta en bon ordre, mais toujours pressé vivement par
-les Prussiens, ivres de joie et d'orgueil, accusant Bernadotte de
-trahison ou de lâcheté parce qu'il n'était pas aussi ardent qu'eux, et
-courant sans le consulter à la poursuite de l'ennemi, plus vaincu à
-leurs yeux qu'il ne l'était véritablement. Le maréchal Oudinot aurait
-pu s'arrêter et réprimer peut-être leur ardeur; toutefois, dès qu'il
-n'était plus en marche sur Berlin, et qu'il devait renoncer à
-l'espérance d'entrer dans cette capitale, risquer une action douteuse
-avec des soldats ébranlés lui parut peu sage, le résultat d'ailleurs
-ne pouvant consister qu'à se maintenir entre Berlin et Wittenberg,
-dans un pays qui ne lui présentait ni appui ni ressources. Il prit
-donc le parti le plus sûr, celui de venir se placer sous le canon de
-Wittenberg, où il était assuré de ne courir aucun danger, où il
-couvrait l'Elbe, où il avait abondamment de quoi subsister, et pouvait
-enfin remettre le moral de ses soldats. Il y arriva les 29 et 30 août,
-toujours disputant fortement le terrain à mesure qu'il rétrogradait.
-Pendant ce temps, la division active de Magdebourg était sortie de
-cette place sous la conduite du général Girard, avait été assaillie
-par le général Hirschfeld et les coureurs russes de Czernicheff, et
-bientôt accablée par le nombre, était rentrée dans Magdebourg après
-avoir perdu un millier d'hommes et quelques pièces de canon. Aux
-environs de Hambourg, le maréchal Davout, sorti de la place avec 30
-mille hommes, dont 10 mille Danois, s'était avancé dans la direction
-de Schwerin, forçant le corps anglo-allemand qu'il avait devant lui à
-se replier, et prêt à lui passer sur le corps s'il apprenait un succès
-du maréchal Oudinot dans les environs de Berlin. Mais, dans le doute,
-il était obligé à beaucoup de circonspection, et se conduisait de
-manière à n'avoir pas d'échec, surtout pas de désastre.
-
-[En marge: Fautes diverses qui avaient empêché le succès du mouvement
-sur Berlin.]
-
-Dès que le corps principal, celui du maréchal Oudinot, n'avait pu
-pénétrer jusqu'à Berlin, la réunion de plus de cent mille hommes dans
-cette capitale, que Napoléon avait espérée, n'était plus qu'un rêve.
-Sans doute il y avait eu quelques fautes commises: le maréchal Oudinot
-n'avait pas tenu ses corps assez réunis; ses lieutenants n'avaient pas
-eu le goût de marcher ensemble, et il avait eu le tort de trop se
-prêter à ce goût. Certainement il y avait ces fautes à relever dans
-l'exécution du mouvement sur Berlin; mais le tort essentiel (il est à
-peine nécessaire de le dire) était à Napoléon, qui avait trop méprisé
-ce qu'il appelait le _ramassis_ de Bernadotte, qui lui avait opposé à
-son tour un vrai _ramassis_, où pour une moitié de Français prêts à
-bien combattre, il y avait une moitié d'Allemands et d'Italiens prêts
-à se débander, qui avait trop compté enfin sur la jonction à Berlin de
-corps partant de points aussi éloignés que Wittenberg, Magdebourg et
-Hambourg. Évidemment le mieux eût été de ne pas hasarder Oudinot sur
-Berlin, ce qui eût permis de ne pas tenir Macdonald sur le Bober, et
-ici comme toujours l'exagération des desseins politiques chez
-Napoléon avait rendu caducs les plans du général, réflexion qui
-devient oiseuse à force d'être répétée, mais que nous répétons malgré
-nous, parce que ce triste sujet la fait naître sans cesse, et que
-seule d'ailleurs elle explique les erreurs d'un aussi grand capitaine.
-
-[En marge: Ce sont ces divers mécomptes qui avaient ramené Napoléon de
-Pirna à Dresde, et occasionné l'isolement de Vandamme.]
-
-[En marge: Vaste et grande combinaison imaginée par Napoléon pour
-réparer les échecs essuyés par Macdonald et Oudinot.]
-
-C'étaient ces graves mécomptes, et non point une maladie inventée par
-les flatteurs, qui avaient surpris Napoléon au lendemain de ses
-victoires du 26 et du 27 août, et qui, arrivant coup sur coup à sa
-connaissance, l'avaient ramené de Pirna à Dresde, et l'y avaient
-retenu les 29 et 30 août, tandis que Vandamme restait sans appui à
-Kulm. Ces mécomptes étaient d'une haute importance, car au lieu de
-Macdonald laissé victorieux en Silésie et poursuivant Blucher, avoir
-sur les bras Blucher victorieux et Macdonald en déroute; au lieu de
-cent mille hommes entrés dans Berlin, avoir Oudinot replié sur
-Wittenberg et privé de plus de dix mille hommes, Girard repoussé dans
-Magdebourg avec perte d'un millier de soldats, Davout enfin condamné à
-tâtonner avec trente mille au milieu des marécages du Mecklembourg,
-était une situation bien différente de celle que Napoléon avait
-espérée, en voulant de l'Elbe étendre son bras jusqu'à la Vistule. Le
-30, ignorant encore le désastre de Vandamme, qu'il ne sut que le
-lendemain matin, il avait conçu après de profondes méditations un plan
-nouveau des plus vastes, des plus fortement combinés, car les revers
-de ses lieutenants étaient bien loin jusqu'ici d'avoir déconcerté son
-génie et ébranlé sa confiance dans la fortune. Plus d'une fois il
-avait songé à courir sur Prague, à frapper l'Autriche dans une de ses
-capitales, et à briser en quelque sorte la coalition sur la tête de
-l'armée principale où résidaient les trois souverains alliés. Si en
-effet après la bataille de Dresde il eût suivi à outrance l'armée de
-Bohême, déjà si profondément atteinte, il est probable qu'il eût
-dissous la coalition, et sans les nouvelles venues de Silésie et de
-Berlin, il est certain qu'il l'eût fait. Le plus spirituel de ses
-lieutenants, dont il n'aimait pas l'esprit frondeur, dont il
-suspectait quelquefois la justesse de vues, mais dont il appréciait
-les rares talents, le maréchal Saint-Cyr, l'y conviait sans relâche.
-Mais il y avait des objections graves à ce plan. D'abord il fallait
-passer les montagnes de Bohême, livrer bataille au delà, avec le
-danger auquel venait d'échapper par miracle la grande armée des
-coalisés, celui de n'avoir, si on était battu, que d'affreux défilés
-pour retraite. Il fallait ensuite aller prendre Prague, dont les
-défenses relevées à la hâte pouvaient opposer une résistance imprévue.
-Enfin, si même on triomphait de cet obstacle, on aurait allongé sa
-ligne, déjà trop longue, de toute la distance qu'il y a de Dresde à
-Prague, distance fort aggravée par les lieux et par les montagnes.
-Napoléon se serait trouvé ainsi plus loin de son armée de Silésie,
-plus loin de celle du bas Elbe, et hors d'état de les secourir si
-elles éprouvaient des revers. Ces objections l'avaient toujours fort
-détourné du projet de se porter en Bohême, et il n'y avait songé qu'un
-instant, lorsque étant à Zittau, il avait espéré tomber à l'improviste
-au milieu des corps qui allaient former l'armée du prince de
-Schwarzenberg. Mais Macdonald étant vaincu, Oudinot étant ramené de
-Berlin sur Wittenberg, s'éloigner d'eux en ce moment était chose
-inadmissible; aussi Napoléon en apprenant leurs revers ne songea-t-il
-qu'à s'en rapprocher, et tout à coup, avec cette inépuisable fécondité
-qui était un des attributs de son riche génie, il imagina de faire non
-plus de Dresde mais de Berlin, le nouveau centre de ses opérations.
-
-[En marge: Napoléon songe à laisser Murat à Dresde avec cent mille
-hommes, et à se porter avec quarante mille au secours d'Oudinot, à le
-conduire dans Berlin, puis à revenir se jeter dans le flanc de
-Blucher, si ce dernier a osé marcher sur Dresde.]
-
-Il fallait battre Blucher, qui n'avait reçu les 22 et 23 août qu'un
-premier choc sans suite; il fallait battre Bernadotte, qui loin
-d'essuyer des échecs avait eu des avantages, dont il serait aussi
-utile que satisfaisant de rabaisser l'orgueil, de punir la trahison,
-de détruire la fausse renommée. C'étaient là de graves motifs de
-tourner nos coups de ce côté. En se dirigeant sur Berlin avec sa
-garde, avec une moitié de la réserve de cavalerie, c'est-à-dire avec
-quarante mille hommes, Napoléon recueillait en route Oudinot,
-accablait Bernadotte, entrait dans Berlin, y appelait la division
-Girard, le corps de Davout, y reformait cette concentration de cent
-mille hommes sur laquelle il avait tant compté, la dirigeait sur
-Stettin, Custrin, où nos garnisons avaient besoin d'être ravitaillées,
-donnait courage à celles de la Vistule, pouvait ensuite retourner de
-sa personne à Luckau entre Berlin et Dresde, prêt à tomber dans le
-flanc de Blucher, si ce dernier avait osé se porter sur l'Elbe.
-
-Six à sept marches séparaient Napoléon de Berlin: il fallait donc
-dix-huit ou vingt jours au plus entre aller et revenir, et il avait
-fait les dispositions suivantes pour couvrir Dresde en son absence. Il
-voulait y laisser Vandamme avec le 1er corps (car le 30 au matin,
-moment de ses projets, Napoléon ignorait le désastre de Kulm), outre
-Vandamme, Saint-Cyr, Victor, Marmont avec une portion de la réserve de
-cavalerie. Il se proposait de mettre ces forces, constituant une armée
-de cent mille hommes, sous Murat, et il comptait que celui-ci, appuyé
-sur Dresde, adossé à Macdonald, qui devait dans ce plan être ramené
-jusqu'à Bautzen, serait en mesure de résister à un retour de l'armée
-de Bohême, retour que le désastre récemment essuyé par celle-ci
-rendait peu probable avant quinze jours. Napoléon espérait avoir ainsi
-le temps de revenir après avoir frappé à Berlin un coup décisif, et à
-son approche tout nouveau projet contre Dresde devait s'évanouir.
-Blucher certainement en apprenant la bataille de Dresde, et sachant
-Napoléon sur son flanc (car il y serait sur la route de Berlin),
-n'oserait pas dépasser Bautzen. En tout cas, Macdonald se rapprochant
-de l'Elbe, et venant se mettre dos à dos avec Murat, aucun d'eux
-n'aurait de danger sérieux à craindre.
-
-[En marge: Dans la supposition du plan qui précède, Napoléon se serait
-établi de sa personne et avec sa réserve à Luckau, entre Berlin et
-Dresde, et aurait ainsi transporté la guerre au nord de l'Allemagne.]
-
-L'expédition de Berlin terminée, le projet de Napoléon était de
-s'établir à Luckau, entre Berlin et Dresde, d'y attirer le corps de
-Marmont et toute la réserve de cavalerie, de laisser à Dresde et dans
-le camp de Pirna 60 mille hommes, d'en laisser 60 mille à Bautzen,
-tandis qu'avec 60 mille autres il serait prêt à courir ou à Berlin, ou
-à Bautzen, ou à Dresde, suivant le besoin, ce qu'il pouvait faire en
-trois jours d'une marche rapide. Dans cette position il était certain
-de suffire à tout, car placé à trois marches de Berlin, il serait de
-plus dans le flanc de Blucher, et assez près de Dresde pour y arriver
-à temps si l'armée de Bohême s'y présentait. Il est même probable
-qu'en suivant ce plan il aurait réussi à transporter la guerre au nord
-de l'Allemagne, car le rassemblement du nord étant dissous et
-Bernadotte puni, les Prussiens voudraient regagner leur pays pour le
-défendre, les Prussiens y attireraient les Russes, on ferait ainsi
-supporter aux plus hostiles des Allemands les horreurs de la guerre,
-et en découvrant un peu le haut Elbe, on couvrirait tout à fait le bas
-Elbe, c'est-à-dire Hambourg, où existait la plus belle des lignes de
-communication, celle de Hambourg à Wesel. Restait, il est vrai, dans
-ce cas, la chance de voir les Autrichiens se porter sur le haut Rhin,
-chance peu vraisemblable, car ils n'oseraient s'avancer si loin,
-Napoléon pouvant fondre sur leurs derrières. De plus Napoléon serait
-autorisé à se prévaloir auprès d'eux des soins qu'il mettrait à
-éloigner la guerre de leur territoire, et il pourrait en tirer une
-nouvelle occasion de négociations, ce qui n'était pas impossible, les
-Autrichiens étant de tous ses ennemis les moins engagés, les moins
-implacables, les seuls disposés à traiter raisonnablement.
-
-[En marge: La nouvelle du désastre de Kulm arrête l'élan des pensées
-de Napoléon.]
-
-Tel était son plan le 30 au matin, plan déjà écrit et accompagné
-d'ordres tout rédigés[17], lorsque la nouvelle de l'événement de Kulm
-vint bouleverser ses vastes conceptions. Il fut cruellement affligé
-en apprenant le désastre de Vandamme; c'étaient avec la Katzbach et
-Gross-Beeren trois échecs graves, qui égalaient en importance les
-succès obtenus autour de Dresde, et les surpassaient même, car le
-prestige de la victoire avait passé du côté des coalisés, et il ne
-restait du côté de Napoléon que le prestige toujours éclatant de son
-ancienne gloire. Pour la première fois il pensa qu'il avait peut-être
-trop présumé de ses forces, en refusant les conditions qu'on lui avait
-offertes à Prague, et il apprécia mieux l'inconvénient de la jeunesse
-chez ses soldats, de la contagion des sentiments germaniques chez ses
-alliés, du découragement chez ses lieutenants; peut-être alla-t-il
-jusqu'à regretter d'avoir ou disgracié, ou décrié lui-même, ou
-prodigué au feu des généraux en chef tels que Masséna, Davout et
-Lannes! Sans doute il avait encore de braves gens, des héros tels que
-Ney, Oudinot, Macdonald, Victor, Murat, mais ils étaient peu habitués
-au commandement en chef; il ne les y essayait que dans un moment peu
-propre à les encourager, dans un moment où les passions de l'Europe,
-la fortune, le vent du succès, tout enfin était tourné contre nous.
-
- [Note 17: La note où ce plan est exposé et discuté, les
- ordres en conséquence de la note, existent à la
- secrétairerie d'État, et c'est d'après ces documents
- irréfragables que nous écrivons ce récit.]
-
-[En marge: Napoléon conçoit un nouveau plan fondé sur le dernier état
-des choses.]
-
-[En marge: Il place sous le commandement du maréchal Ney les trois
-corps confiés d'abord au maréchal Oudinot.]
-
-Il fut pendant plus d'un jour atterré pour ainsi dire sous ces coups
-redoublés; mais son esprit toujours inépuisable n'en fut point frappé
-de stérilité; son énergie, son imagination, ses illusions même, tout
-se ranima le lendemain, et il forma un nouveau projet, qui moins vaste
-que le précédent, était cependant tout aussi fortement conçu. D'abord
-il voulut donner un autre chef aux trois corps destinés à marcher sur
-Berlin, et il choisit le maréchal Ney, qui n'avait pas de supérieur en
-bravoure sur le champ de bataille, mais qui n'avait jamais dirigé de
-grandes armées. Napoléon fit ce choix, parce que l'âme intrépide et
-confiante de Ney n'avait pas reçu encore l'atteinte du découragement,
-déjà si visible chez nos autres généraux. Il l'envoya à Wittenberg en
-lui adressant les paroles les plus encourageantes, et les instructions
-les plus précises. Voici à quel plan général correspondaient ces
-instructions.
-
-[En marge: Il porte Ney à Baruth, à deux journées de Berlin, et songe
-à se placer lui-même avec sa réserve à Hoyerswerda, entre Baruth et
-Dresde, avec l'intention ou de pousser Ney sur Berlin, ou de se jeter
-dans le flanc de Blucher, si celui-ci est devenu trop pressant.]
-
-Napoléon lui prescrivit après avoir réuni et ranimé les 7e, 4e et 12e
-corps (le maréchal Oudinot devait garder le commandement direct de ce
-dernier), de se rendre à Baruth, à deux journées de Berlin, et d'y
-attendre les ordres du quartier général. Quant à lui personnellement,
-il résolut de se rendre à Hoyerswerda, distant de trois journées de
-Baruth, et de deux journées de Dresde, avec la garde, la plus grande
-partie de la réserve de cavalerie, et le corps de Marmont. Posté là en
-Lusace, entre Berlin et Gorlitz, il pouvait à volonté, ou se porter à
-gauche sur Berlin, et aider Ney à pénétrer dans cette ville, ce qui
-revenait à son vaste plan du 30 au matin, ou se jeter à droite dans le
-flanc de Blucher et l'accabler, si ce dernier, continuant à presser
-Macdonald, devenait inquiétant pour Dresde. Il était impossible
-assurément d'imaginer une combinaison plus savante et plus appropriée
-aux circonstances, car Napoléon était certain en joignant l'un de ses
-deux lieutenants, celui qui faisait face à Bernadotte, ou celui qui
-faisait face à Blucher, de rendre l'un ou l'autre victorieux.
-Seulement il ne se plaçait cette fois qu'à deux petites journées de
-Dresde, dans le doute où il était sur les dispositions de l'armée de
-Bohême. Si elle avançait de nouveau, remise de la défaite de Dresde
-par le succès de Kulm, il revenait tout de suite lui porter un second
-coup comme celui du 27 août. Si c'était Blucher qui se montrait
-audacieux, il tombait d'Hoyerswerda dans son flanc, et le renvoyait
-pour longtemps sur l'Oder. Et enfin si aucune des armées de Silésie et
-de Bohême ne se montrait entreprenante, il pouvait d'Hoyerswerda
-pousser Ney sur Berlin, sans même l'y suivre. Il suffisait en effet
-qu'il l'appuyât jusqu'à Baruth, car l'impétueux Ney, se sentant une
-pareille arrière-garde, était bien capable de se ruer sur Bernadotte,
-de lui passer sur le corps, et d'entrer à Berlin. Une fois ce grand
-acte accompli, Napoléon était libre de retourner à Hoyerswerda, d'où
-il menacerait Blucher ou Schwarzenberg, celui des deux en un mot qui
-essayerait quelque chose. Tout était non-seulement profond, mais vrai,
-juste, dans ces combinaisons, et il n'y en avait pas une qui dix ans
-auparavant n'eût réussi d'une manière éclatante, quand nos soldats
-étaient à l'épreuve des dures alternatives de la guerre, quand nos
-généraux étaient pleins de confiance, quand Napoléon ne doutait pas
-plus des autres que de lui, quand ses ennemis, moins résolus à vaincre
-ou à mourir, n'étaient pas décidés à persévérer même au milieu des
-plus grandes défaites! Mais aujourd'hui, dans l'état moral de nos
-ennemis et de nous-mêmes, tout était incertain, même avec des soldats
-et des généraux restés héroïques[18].
-
- [Note 18: On a prêté sur cette époque à Napoléon, faute de
- connaître sa correspondance et celle de ses lieutenants, les
- projets les plus chimériques et les moins raisonnables. Mais
- grâce à la possession et à l'étude approfondie de cette
- correspondance, nous ne lui attribuons aucun projet, aucun
- calcul, qui ne soient certains et constatés par preuves
- authentiques.]
-
-[En marge: Précautions prises pour couvrir Dresde pendant que Napoléon
-en sera éloigné.]
-
-[En marge: Réorganisation du corps de Vandamme.]
-
-Après avoir donné les ordres convenables, Napoléon fit les plus
-habiles dispositions pour qu'en son absence Dresde ne demeurât pas
-découvert. D'abord il réorganisa le corps de Vandamme, dont il était
-déjà rentré de nombreux débris. Outre la 42e division, restituée au
-maréchal Saint-Cyr, laquelle avait assez peu souffert, quinze mille
-hommes environ de toutes armes, et appartenant au 1er corps, étaient
-revenus, ou isolément ou en troupe. Tout ce qui était Français avait
-rejoint le drapeau, sauf les hommes hors de combat ou pris par
-l'ennemi. On avait perdu le matériel d'artillerie et malheureusement
-quelques-uns des officiers les plus distingués. On ne savait pas ce
-qu'étaient devenus Haxo et Vandamme: on allait jusqu'à les croire
-morts l'un et l'autre. Le secrétaire du général Vandamme ayant reparu,
-Napoléon fit saisir les papiers du général pour en extraire sa
-correspondance militaire, et enlever la preuve des ordres envoyés à
-cet infortuné. Napoléon eut même la faiblesse de nier l'ordre donné de
-s'avancer sur Toeplitz, et sans toutefois accabler Vandamme, en le
-plaignant au contraire, il écrivit à tous les chefs de corps que ce
-général avait reçu pour instruction de s'arrêter sur les hauteurs de
-Kulm, mais qu'entraîné par trop d'ardeur, il s'était engagé en plaine,
-et s'était perdu par excès de zèle. Le récit authentique que nous
-avons présenté prouve la fausseté de ces assertions, imaginées pour
-conserver à Napoléon une autorité sur les esprits, dont il avait en ce
-moment besoin plus que jamais.
-
-[En marge: Commandement de ce corps confié au comte de Lobau.]
-
-Son premier soin fut de chercher pour ce corps si maltraité un chef
-aussi brave que Vandamme, mais plus circonspect. Il choisit l'illustre
-comte de Lobau, qui à une rare énergie joignait un remarquable
-discernement militaire et un grand savoir-faire, cachés sous des
-formes rudes et martiales. Le comte de Lobau possédait en effet et
-méritait l'entière confiance de Napoléon, qui l'avait toujours auprès
-de lui, soit pour les coups de vigueur, soit pour les missions qui
-exigeaient du jugement, de l'exactitude, de la franchise. Ce soldat
-intrépide et spirituel si connu des hommes de notre génération,
-joignant à une taille de grenadier, à une figure de dogue, la plus
-profonde finesse, se tirait de toutes les missions que lui confiait
-Napoléon sans le tromper et sans lui déplaire, s'arrangeant pour dire
-la vérité sans compromettre ni lui ni les autres. À son extrême
-adresse, à sa rare bravoure, il réunissait le talent et le goût de
-l'organisation des troupes, dans laquelle il excellait. On ne pouvait
-pas mieux choisir pour rendre au 1er corps l'esprit militaire qu'il
-avait dû perdre dans le désastre de Kulm. Napoléon distribua ce corps
-en trois divisions de dix bataillons chacune, lui restitua la moitié
-de la division Teste qu'on en avait momentanément détournée, lui ôta
-la brigade de Reuss qu'on lui avait aussi momentanément prêtée, et
-soit avec les soldats rentrés, soit avec quelques bataillons de marche
-venus de Mayence, lui procura encore un effectif d'environ 18 mille
-hommes. Il puisa dans les arsenaux de Dresde, où un immense matériel
-avait été amené par ses soins, de quoi remplacer les fusils perdus et
-les soixante-douze bouches à feu abandonnées sur le champ de bataille
-de Kulm. Il fournit des souliers, des vêtements à ceux qui en
-manquaient, et n'oublia rien pour remettre le moral des hommes, soit
-par des encouragements, soit par des revues, soit par ces petites
-satisfactions matérielles qui composent le bonheur du soldat. Le comte
-de Lobau fut chargé d'opérer cette résurrection en quelques jours,
-Napoléon entendant se servir du 1er corps pour la défense de Dresde
-pendant sa prochaine absence.
-
-[Date en marge: Sept. 1813.]
-
-[En marge: Distribution des forces laissées à Dresde, et nouveaux
-travaux de défense ordonnés autour de cette capitale, de manière à en
-rendre la possession tout à fait certaine.]
-
-[En marge: Précautions de détail admirablement conçues.]
-
-[En marge: Toutes ses mesures arrêtées, Napoléon dirige sur
-Koenigsbruck une partie de l'infanterie et de la cavalerie de la
-garde.]
-
-Quant à la conservation de Dresde, il y pourvut de la manière
-suivante. Au lieu d'y laisser le 14e corps seul, comme lorsqu'il avait
-marché sur la Silésie, il laissa le 14e (maréchal Saint-Cyr) au camp
-de Pirna, le 2e (maréchal Victor) à Freyberg, et le 1er enfin (comte
-de Lobau) dans l'intérieur même de Dresde, où celui-ci aurait plus de
-facilité pour se réorganiser. Le 14e corps, qui en recouvrant la 42e
-division en avait dès lors quatre, dut garder Koenigstein et
-Lilienstein, le pont de l'Elbe jeté entre ces deux forts, le camp de
-Pirna, le défilé de Péterswalde, et les débouchés secondaires de la
-Bohême qui venaient tomber sur la droite de la chaussée de
-Péterswalde. Le maréchal Victor à Freyberg veillait à la fois sur la
-grande chaussée de Freyberg, et sur le chemin de Toeplitz par
-Altenberg. La cavalerie de Pajol galopait entre deux pour exercer une
-active surveillance. En cas de nouvelle apparition de l'armée de
-Bohême, ces deux corps avaient ordre d'opposer une résistance modérée,
-suffisante seulement pour retarder sans se compromettre la marche de
-l'ennemi, et de se replier sur Dresde en y donnant l'éveil. Ils
-devaient venir se placer, Saint-Cyr sur la gauche du camp retranché où
-il avait déjà combattu vaillamment le 26 août, Victor sur la droite où
-il avait décidé le gain de la bataille du 27. Attaqués sérieusement,
-ils avaient ordre de rentrer derrière les redoutes, qui avaient été
-portées de cinq à huit, et beaucoup mieux armées. Napoléon pendant
-l'attaque de Dresde ayant remarqué plusieurs défectuosités dans leur
-établissement, avait nommé un commandant spécial pour chacune d'elles,
-augmenté leur artillerie, préparé des artilleurs de rechange pour les
-servir, défendu de laisser dans aucune des caissons de munitions, et
-fait construire avec des sacs à terre des espèces de réduits pour
-tenir lieu de magasins à poudre pendant le combat. Il avait distribué
-leur armement en artillerie de position nécessairement immobile, et en
-artillerie attelée qu'on porterait de la rive droite à la rive gauche
-de l'Elbe, selon qu'on serait attaqué par l'une ou par l'autre. Il
-avait soigneusement recommandé qu'on tînt des troupes en réserve
-derrière chaque redoute, pour reprendre à l'instant celle qui serait
-enlevée, et enfin il avait décidé que le 1er corps, sous le comte de
-Lobau, serait placé tout entier en réserve derrière les corps de
-Saint-Cyr et de Victor, pour déboucher au dernier moment, ainsi
-qu'avait fait la garde le 26 août, sur l'ennemi qui se croirait
-victorieux. C'était, comme on le voit, une répétition fort améliorée
-de la journée du 26, et qui promettait le même succès, car les trois
-corps de Saint-Cyr, Victor et Lobau réunissaient près de 60 mille
-hommes, c'est-à-dire plus que Napoléon n'en avait eu pour résister le
-26 aux 200 mille de l'armée de Bohême. Ajoutant cette circonstance
-qu'au lieu d'être à quatre ou cinq journées, comme il était lors de la
-première apparition de l'ennemi, il ne serait plus qu'à deux en se
-plaçant à Hoyerswerda, Napoléon s'éloignait sans inquiétude pour la
-conservation de Dresde, si l'armée de Bohême renouvelait sa récente
-manoeuvre, en opérant par la rive gauche de l'Elbe. Si au contraire,
-changeant de marche, elle attaquait par la rive droite, Poniatowski,
-Macdonald, Napoléon lui-même se rabattant sur elle, seraient en mesure
-de l'accabler. Ces dispositions si savantes une fois ordonnées, il
-expédia le 2 septembre la cavalerie de la garde sous Nansouty, avec
-deux divisions d'infanterie de la jeune garde sous Curial, et les
-porta sur Koenigsbruck, à gauche de la route de Bautzen, dans la
-direction de Hoyerswerda. (Voir la carte nº 58.) Il comptait le 3
-faire partir la vieille garde de Dresde, et le reste de la jeune garde
-de Pirna, toujours dans la même direction. Le 4 il avait le projet de
-partir lui-même pour se rendre de sa personne à Hoyerswerda. M. de
-Bassano devait rester à Dresde, informé de tout, même des mouvements
-militaires qu'il comprenait suffisamment bien, afin qu'avec cette
-activité dévouée qui rachetait chez lui une soumission trop aveugle,
-il pût transmettre à chacun et toujours à temps l'avis de ce qui
-l'intéressait.
-
-[En marge: Le 3 septembre au matin, Napoléon reçoit la nouvelle que le
-maréchal Macdonald, vivement pressé par Blucher, est à Bautzen dans un
-véritable danger.]
-
-Le 3 septembre au matin, Napoléon était occupé à donner ses ordres,
-lorsqu'il reçut de Bautzen des dépêches pressées du maréchal
-Macdonald. Ce maréchal était, suivant l'expression de Napoléon, tout à
-fait _décontenancé_ par la marche véhémente de Blucher sur lui.
-Blucher, qui n'était pas homme à s'arrêter dans un succès, s'était
-hâté, dès que les eaux avaient un peu baissé, de se porter en avant,
-pour tirer les plus grandes conséquences possibles de l'événement si
-heureux pour lui de la Katzbach. Plaçant son infanterie partie vers
-les montagnes, partie sur la grande route de Breslau à Dresde, lançant
-son immense cavalerie dans les plaines humides qu'arrosent
-successivement le Bober, la Preiss, la Neisse, la Sprée, il avait en
-débordant constamment le flanc gauche du maréchal Macdonald, obligé
-celui-ci à rétrograder de Lowenberg sur Lobau, de Lobau sur Gorlitz.
-Il disposait de 80 mille hommes contre Macdonald, qui n'en avait pas
-conservé 50 mille armés, et qui n'avait pu s'en procurer 60 mille en
-état de combattre, qu'en retirant Poniatowski du débouché de Zittau.
-Le maréchal Macdonald, malgré son intrépidité connue, craignait que le
-découragement chez ses soldats, l'aigreur de la défaite chez ses
-généraux, l'impulsion rétrograde chez tous, n'entraînât de nouveaux
-malheurs. Il demandait des secours à grands cris. Il se pouvait, à
-l'entendre, que sous vingt-quatre heures il fût ramené de Gorlitz sur
-Bautzen, peut-être sur Dresde.
-
-[En marge: Napoléon renonce momentanément à sa dernière combinaison
-pour se porter sur Bautzen.]
-
-Napoléon, qui ne mettait pas beaucoup de temps à prendre son parti,
-jugea que ce n'était pas le moment de se porter sur Hoyerswerda,
-c'est-à-dire à gauche de la grande route de Silésie et dans le flanc
-de Blucher, car Macdonald était trop vivement pressé pour perdre une
-heure à manoeuvrer. Secourir ce dernier directement, par la voie la
-plus courte, était la seule manoeuvre adaptée aux circonstances.
-Napoléon comptait le joindre à Bautzen, le ranimer, le reporter en
-avant, et culbuter Blucher au delà de la Neisse, de la Queiss et des
-rivières qu'il avait dépassées. Napoléon cherchant surtout une
-bataille contre ceux de ses ennemis qui oseraient rester à portée de
-son bras, espérait la trouver dans cette nouvelle rencontre avec
-Blucher, et il se figurait que celui-ci, lancé comme il l'était, ne
-pourrait pas s'arrêter assez vite pour nous échapper encore une fois.
-
-[En marge: Il redresse la marche des divisions de la garde acheminées
-sur Hoyerswerda et les rabat sur Bautzen.]
-
-[En marge: Il s'applique à cacher son départ de Dresde pour ne pas
-donner l'éveil à Blucher.]
-
-Sa résolution étant ainsi prise, il fit redresser le mouvement imprimé
-la veille aux deux divisions de la jeune garde et à la cavalerie qui
-les suivait. Il les avait dirigées sur Koenigsbruck, il les ramena de
-Koenigsbruck sur Bautzen par Camenz. (Voir la carte nº 58.) Il fit
-partir tout de suite la vieille garde de Dresde pour Bischofswerda, et
-pour Stolpen le reste de la jeune garde qui sous Mortier attendait ses
-ordres à Pirna. Le même mouvement direct sur Bautzen fut prescrit à la
-cavalerie de réserve de Latour-Maubourg, et à l'infanterie du maréchal
-Marmont. Mises en route le matin du 3, les troupes devaient être le
-soir à Bischofswerda, le lendemain 4 à Bautzen. Napoléon se disposa
-lui-même à quitter Dresde dans la nuit du 3 au 4, employant selon son
-usage la journée entière à expédier ses ordres, et se réservant pour
-dormir le temps qu'il passerait en voiture. Il fit prévenir Macdonald
-du mouvement considérable qui s'opérait vers Bautzen, lui recommanda
-le secret, afin que Blucher non prévenu donnât en plein dans le gros
-de l'armée française. Il défendit à Dresde qu'on laissât passer par
-les ponts même un seul paysan, espérant empêcher ainsi que la nouvelle
-du départ de la garde ne parvînt à Blucher, et enfin il manda au
-maréchal Ney que se détournant un moment d'Hoyerswerda, il serait de
-retour dans cette direction sous trois ou quatre jours, et qu'il lui
-assignait toujours Baruth comme point de réunion, d'où l'on partirait
-ultérieurement pour Berlin.
-
-[En marge: Départ de Dresde le 3 au soir.]
-
-[En marge: Arrivée à Bautzen le 4 au matin.]
-
-[En marge: Bon accueil au maréchal Macdonald.]
-
-Le 3 septembre au soir Napoléon quitta Dresde, s'arrêta quelques
-heures à Harta, et arriva le lendemain matin à Bautzen. Il s'était
-fait précéder par 70 fourgons, portant des munitions, des fusils, des
-souliers, afin de rendre aux soldats du maréchal Macdonald une partie
-de ce qu'ils avaient perdu. Il traita bien le maréchal Macdonald, sans
-s'appesantir sur les fautes qui avaient pu être commises à la
-Katzbach, tenant grand compte à tout le monde des circonstances
-difficiles où l'on se trouvait, et sachant qu'en pareille situation il
-fallait remonter les coeurs en les encourageant, au lieu de les
-abattre en les chagrinant par des reproches. D'ailleurs le maréchal
-Macdonald inspirait tant d'estime, que le reproche eût expiré sur la
-bouche, si par hasard on eût été tenté de lui en adresser. Loin de se
-montrer Napoléon se cacha, voulant attendre pour se laisser voir que
-la cavalerie de la garde et de Latour-Maubourg fût arrivée, et qu'on
-pût fondre sur Blucher avec des forces suffisantes.
-
-[En marge: Blucher informé par de secrets avis de l'approche de
-Napoléon, s'arrête tout à coup.]
-
-Malheureusement au milieu de ces populations germaniques où nous ne
-comptions plus que des ennemis, même parmi celles que notre présence
-forçait à rester alliées, il n'y avait de secret possible qu'au profit
-de nos adversaires. Plusieurs avis envoyés de Dresde, soit pour
-l'armée de Silésie, soit pour l'armée de Bohême, avaient déjà fait
-savoir, non pas les desseins de Napoléon, que lui seul et ses
-principaux lieutenants connaissaient, mais les mouvements de la garde
-commencés dès le 2 au matin. Cette indication suffisait pour qu'on
-devinât que Blucher allait devenir le but des coups de Napoléon. Aussi
-le général prussien, tout fougueux qu'il était, fidèle au plan de se
-dérober aussitôt que Napoléon apparaîtrait, se préparait à
-rétrograder, et, s'il n'avait pas déjà battu en retraite, s'avançait
-cependant d'une manière moins vive. Parvenu à Gorlitz, il avait poussé
-ses avant-gardes sur Bautzen, mais avait arrêté son corps de bataille
-à Gorlitz même, et de sa personne était venu se placer sur une hauteur
-qu'on appelle le Lands-Krone, et d'où l'on aperçoit toute la contrée
-de Gorlitz à Bautzen.
-
-[En marge: Murat lancé avec toute la cavalerie à la poursuite de
-Blucher.]
-
-Le 4 septembre, vers le milieu du jour, Latour-Maubourg et Nansouty
-étant arrivés, Murat s'était mis à la tête de leurs escadrons, et
-avait fondu au galop sur les avant-gardes de Blucher rencontrées vers
-la chute du jour aux environs de Weissenberg. D'immenses tourbillons
-de poussière avaient annoncé son approche, et sur-le-champ à cette
-vive impulsion Blucher avait reconnu la présence du maître, sous les
-yeux duquel on ne rétrogradait jamais. Ses avant-gardes vigoureusement
-assaillies furent ramenées en arrière, en perdant quelques centaines
-d'hommes. La nuit suspendit la poursuite. Blucher prit immédiatement
-la résolution de repasser la Neisse le lendemain, et de ne laisser à
-Gorlitz qu'une arrière-garde, laquelle occuperait la ville située de
-notre côté, pendant qu'on préparerait tout pour détruire les ponts.
-
-[En marge: Le lendemain 5, on poursuit Blucher, et on le rejette au
-delà de la Neisse.]
-
-[En marge: Entrée des Français dans Gorlitz.]
-
-Le lendemain matin 5 Napoléon à la tête de ses avant-gardes se porta
-en avant de Reichenbach, pour voir s'il pourrait enfin saisir les
-Prussiens de manière à leur ôter le goût de revenir si vite après son
-départ. Mais au premier coup d'oeil il eut le déplaisir de reconnaître
-que Blucher allait encore, comme les 22 et 23 août, se soustraire à
-notre approche. Il fit en effet marcher en avant, et sa seule
-satisfaction en pénétrant à Gorlitz fut de prendre ou tuer un millier
-d'ennemis. Après avoir traversé la ville au pas de course, on trouva
-les ponts de la Neisse coupés, et l'arrière-garde prussienne achevant
-de détruire celui dont elle s'était servie pour se dérober à nos
-coups.
-
-[En marge: Napoléon renonce à poursuivre Blucher, dans l'impossibilité
-où il se trouve de le serrer d'assez près.]
-
-Dès ce moment il fut évident pour Napoléon que tout ce qu'il gagnerait
-à poursuivre plus longtemps les alliés, ce serait de fatiguer
-inutilement ses troupes, et de mettre une plus grande distance entre
-lui et Dresde. Il résolut donc de s'arrêter à Gorlitz, d'y passer deux
-ou trois jours pour y rétablir les ponts, y faire reposer ses soldats,
-et y ranimer par sa présence le corps de Macdonald dont le moral était
-fort ébranlé.
-
-[En marge: Le 5 septembre au soir Napoléon apprend une nouvelle
-apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde.]
-
-[En marge: Suppositions qui naissent de cette nouvelle apparition.]
-
-[En marge: N'ayant rien d'utile à faire à Gorlitz depuis la retraite
-de Blucher, Napoléon revient à Dresde pour parer au nouveau danger qui
-menace cette capitale.]
-
-Mais le soir même du 5, des dépêches arrivées de Dresde dans la
-journée, vinrent encore changer sa détermination, et l'obliger à ne
-pas même passer à Gorlitz les deux ou trois jours qu'il aurait voulu y
-demeurer. On lui annonçait en effet une nouvelle apparition de l'armée
-de Bohême sur la route de Péterswalde, c'est-à-dire sur les derrières
-de Dresde, exactement comme à l'époque récente des batailles des 26 et
-27 août. C'était encore l'officier d'ordonnance Gourgaud qui était
-l'organe des craintes du maréchal Saint-Cyr, et le narrateur trop
-animé de ce qui avait lieu à Dresde. Était-ce une descente véritable
-de l'armée de Bohême, voulant essayer une seconde attaque sur Dresde,
-malgré le rude accueil qu'avait reçu la première? ou bien n'était-ce
-pas plutôt une vaine démonstration de sa part, et n'était-il pas
-vraisemblable qu'instruite à temps du mouvement de Napoléon sur
-Bautzen, elle voulait le rappeler à Dresde, se jouer ainsi de la
-promptitude de ses déterminations, de l'agilité de ses soldats,
-fatiguer lui et eux, les épuiser en mouvements infructueux tantôt
-contre une armée, tantôt contre l'autre, en ne leur accordant jamais
-l'avantage d'approcher assez près d'aucune d'elles pour l'atteindre et
-la battre? Cette dernière supposition était la plus vraisemblable, et
-si Napoléon avait eu la chance de joindre Blucher, il ne se serait pas
-détourné de cet ennemi pour courir au prince de Schwarzenberg, avec
-certitude de ne pas le rejoindre. Malheureusement Napoléon ne faisait
-aucun sacrifice en s'arrêtant, puisque Blucher, aussi prompt à marcher
-en arrière qu'en avant, était déjà hors de portée, et il était naturel
-que, n'ayant rien de bien utile à faire à Gorlitz, il revînt là où un
-symptôme de danger, quelque léger que fût ce symptôme, ou une
-espérance de bataille, quelque douteuse que fût cette espérance, se
-présentait en ce moment. Il ordonna donc à sa garde de ne pas aller
-plus loin et de se reposer, pour être prête à exécuter ses ordres le
-lendemain, et il retourna lui-même de Gorlitz à Bautzen pour se
-rapprocher des nouvelles, et apprécier plus sûrement la valeur des
-renseignements qu'on lui envoyait du camp de Pirna. Ne perdant pas un
-instant, il voyagea toute la soirée et la nuit, et fut rendu à Bautzen
-le 6 à deux heures du matin. Certes, on ne pouvait pas déployer plus
-d'activité et moins regarder à la fatigue, car, sorti de Dresde le 3
-septembre au soir, arrivé le 4 au matin à Bautzen, ayant couru le 4
-même jusqu'à Weissenberg, le 5 jusqu'à Gorlitz, il revenait dans la
-nuit du 5 au 6 à Bautzen. Par malheur ses troupes allant à pied ne
-pouvaient suivre que de très-loin la rapidité de ses mouvements.
-
-[En marge: Malgré la vivacité des démonstrations de l'armée de Bohême,
-Napoléon ne se laissant pas abuser, ne ramène à Dresde qu'une partie
-de sa réserve, afin de pouvoir revenir à son projet sur Hoyerswerda.]
-
-[En marge: Napoléon revenu à Dresde le 7 au matin.]
-
-Napoléon trouva en effet à Bautzen les détails mandés par M. de
-Bassano au nom du maréchal Saint-Cyr, et d'après lesquels il
-paraissait que la grande armée de Bohême avait débouché brusquement de
-Péterswalde, la droite sur Pirna, le centre sur Gieshübel, la gauche
-sur Borna, avec toute l'apparence d'une résolution sérieuse, et une
-telle vigueur d'attaque, que le maréchal Saint-Cyr avait cru devoir,
-en se retirant avec ordre, replier néanmoins ses quatre divisions. En
-présence de tels avis, surtout rien d'utile ne le retenant à Bautzen,
-Napoléon répondit qu'il allait partir immédiatement, de manière à être
-le soir même du 6 à Dresde, et qu'il se ferait suivre par toute sa
-garde. Cependant n'étant pas facile à tromper, et ne prenant pas
-encore comme très-sérieuse cette nouvelle démonstration, il donna ses
-ordres en conséquence de ce qu'il pensait. Ayant toujours en vue son
-mouvement sur Hoyerswerda, d'où il pourrait à la fois soutenir Ney
-vers Berlin, et contenir Blucher vers Gorlitz, il ne ramena décidément
-vers Dresde que la garde seule, jeune et vieille, comptant près de 40
-mille hommes de toutes armes. Il dirigea Marmont, qui était en marche
-pour le rejoindre, vers Camenz et Koenigsbruck, d'où il serait aisé de
-le rappeler à Dresde ou de le pousser sur Hoyerswerda. Il lui
-adjoignit un fort détachement de cavalerie, pour donner la chasse aux
-Cosaques, et le lier avec Ney et Macdonald. Il recommanda au maréchal
-Macdonald, après avoir replacé Poniatowski au débouché de Zittau, de
-se bien établir lui-même à Bautzen, de réarmer ses soldats débandés,
-et de tâcher enfin avec un effectif qu'il pouvait reporter à 70 mille
-hommes s'il parvenait à ressaisir ses maraudeurs, de garder au moins
-la ligne de la Sprée. Il était permis d'espérer que n'étant plus à
-cinq journées de Dresde, mais à deux, Macdonald serait moins prompt à
-rétrograder, et Blucher à s'avancer. Le maréchal Macdonald avec une
-modestie qui l'honorait, supplia fort Napoléon de l'exonérer du
-commandement en chef, offrant de rester comme divisionnaire à la tête
-du 11e corps, et de s'y faire tuer, mais ne voulant plus d'une
-responsabilité trop lourde, et se plaignant peut-être avec l'injustice
-du malheur du peu de concours de ses lieutenants. Napoléon n'avait
-plus le choix, car les généraux disparaissaient comme les soldats,
-par suite de l'affreuse consommation qu'il faisait des uns et des
-autres. Il écouta Macdonald, le consola, le traita comme il aurait
-traité un général victorieux, et après l'avoir encouragé de son mieux,
-partit pour Dresde, où il arriva le 7 au matin. M. de Bassano était
-venu à sa rencontre pour employer le loisir de la route à l'entretenir
-des affaires de l'Empire et des informations venues du quartier
-général du maréchal Saint-Cyr sous Pirna.
-
-[En marge: Mouvement des Russes et des Prussiens sur Dresde, et motifs
-de ce mouvement.]
-
-Après avoir séjourné une heure ou deux à Dresde, il partit pour Pirna,
-et s'arrêta près de Mugeln, où se trouvaient les arrière-gardes du
-maréchal Saint-Cyr. Voici ce qui s'était passé de ce côté. Les
-Prussiens et les Russes, sans les Autrichiens, avaient débouché de
-Bohême par la grande route de Péterswalde, dont nous avons déjà fait
-connaître la configuration, avaient essayé d'enlever d'un côté le
-plateau de Pirna, de l'autre le plateau de Gieshübel, et avaient
-poussé devant eux les quatre divisions de Saint-Cyr qui occupaient ces
-diverses positions. Un autre corps, sous le comte Pahlen, débouchant
-par la route de Furstenwald qu'avait suivie Kleist lors des événements
-de Kulm, était venu vers Borna, là où les montagnes moins abruptes
-commencent à se changer en plaine. Une immense cavalerie lancée dans
-cette direction avait fort inquiété celle de Pajol, et sans la vigueur
-de ce dernier, sans son savoir-faire, lui aurait causé de grands
-dommages.
-
-[En marge: Nouvelle retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.]
-
-Saint-Cyr se voyant ainsi pressé avait replié du camp de Pirna sur
-Pirna même sa 42e division, laissant comme de coutume quelques
-bataillons dans la forteresse de Koenigstein, avait ramené la 43e et
-la 44e de Gieshübel sur Zehist, et la 45e, qui soutenait Pajol, de
-Borna sur Dohna.
-
-[En marge: Napoléon à Pirna. Ses longs entretiens avec le maréchal
-Saint-Cyr sur les probabilités de cette situation.]
-
-[En marge: Opinion de Napoléon.]
-
-[En marge: Sa prodigieuse sagacité.]
-
-C'est dans cette position que Napoléon le trouva, point déconcerté,
-beaucoup moins alarmé surtout qu'il n'avait affecté de l'être, et tout
-prêt à reprendre l'offensive. Que signifiait cette nouvelle apparition
-de l'ennemi? Était-ce une continuation de la tactique au moyen de
-laquelle on semblait vouloir épuiser l'armée française, ou bien une
-attaque véritable? Il valait la peine de s'entretenir de cette
-question obscure avec un officier aussi intelligent que le maréchal
-Saint-Cyr. Napoléon le questionna sur ce sujet avec beaucoup de
-confiance et de cordialité. Quoiqu'il eût peu de goût pour son
-caractère, il appréciait fort ses lumières, et d'ailleurs dans la
-situation présente il avait besoin de ménager tout le monde, surtout
-les gens de guerre déjà bien fatigués. Par toutes ces raisons il
-s'entretint longuement avec le maréchal Saint-Cyr, et ne parut pas
-convaincu que cette dernière attaque fût sérieuse, ni qu'elle fût
-autre chose qu'une des alternatives de ce va-et-vient perpétuel qui
-semblait constituer en ce moment toute la tactique des coalisés. Au
-surplus Napoléon ne demandait pas mieux, d'après ce qu'il dit, que de
-réparer au moyen d'une action décisive tout le tort que lui avaient
-causé les journées de Kulm, de la Katzbach et de Gross-Beeren, mais il
-doutait avec raison que les coalisés, après la leçon reçue à Dresde,
-songeassent à s'en attirer une seconde du même genre. Évidemment ils
-ne voudraient point se présenter encore une fois la tête à Dresde, la
-queue aux défilés de l'Erz-Gebirge, et quant à les aller chercher au
-delà, c'est-à-dire en Bohême, c'était un jeu trop hasardeux, et qui
-consistait à prendre pour soi la mauvaise position dont ils ne
-voulaient plus après l'avoir essayée. Il était plus vraisemblable que
-s'ils recommençaient une entreprise sur nos derrières, ce serait plus
-en arrière encore, c'est-à-dire par la grande route de Commotau sur
-Leipzig, et l'apparition de quelques coureurs dans cette direction,
-signalée depuis deux ou trois jours, portait déjà Napoléon à le
-penser, ce qui prouvait, comme on le verra bientôt, sa profonde
-sagacité. Du reste il répéta qu'il se réjouirait fort d'avoir encore
-une fois l'armée de Bohême sur les bras, entre Dresde et Péterswalde,
-mais qu'il n'osait s'en flatter, qu'il était venu pour cela, que ses
-réserves étaient en marche, qu'elles seraient le lendemain matin à
-Dresde, le lendemain soir à Mugeln, et qu'on agirait suivant les
-circonstances.
-
-[En marge: Avis du maréchal Saint-Cyr.]
-
-Le maréchal Saint-Cyr parut être d'un autre avis. Il croyait, lui, à
-une attaque déterminée du prince de Schwarzenberg, à en juger par la
-vigueur avec laquelle les divisions du 14e corps avaient été poussées
-depuis deux jours, et il était étonné surtout de voir ce prince
-s'avancer si près de Dresde, si c'était pour une simple démonstration.
-Il soutenait, comme il l'avait déjà fait, que c'était vers la Bohême
-que Napoléon devait chercher à gagner une grande bataille, qu'elle
-serait là plus décisive à cause de la présence des souverains, dont il
-importait d'ébranler le courage; à quoi Napoléon répondait avec raison
-qu'il la trouverait bonne partout, meilleure sans doute contre les
-souverains réunis, mais qu'il ne dépendait pas de lui de l'avoir où il
-la désirait, et qu'il la livrerait là où la fortune voudrait bien la
-lui offrir.
-
-[En marge: Séparation des Autrichiens d'avec les Prussiens et les
-Russes.]
-
-[En marge: Accord de Napoléon et du maréchal Saint-Cyr sur la conduite
-à tenir.]
-
-[En marge: Napoléon retourne à Dresde pour donner des ordres pendant
-que ses troupes marchent sur Pirna.]
-
-Le maréchal Saint-Cyr était encore fort préoccupé d'une idée, celle-ci
-très-juste quoique bien peu vraisemblable. C'est qu'en ce moment les
-Autrichiens s'étaient séparés des Prussiens et des Russes, car on ne
-voyait devant soi que de ces derniers, sans un seul détachement
-autrichien. Dans ce cas, au lieu de 140 ou 150 mille hommes, c'étaient
-tout au plus 80 ou 90 mille auxquels on aurait affaire, et l'occasion
-était belle pour se jeter sur les coalisés et les accabler. Il y avait
-là cependant une contradiction singulière, car la séparation des
-coalisés excluait l'idée d'une tentative sérieuse sur Dresde, et
-Napoléon croyait plutôt que si les Autrichiens s'étaient éloignés,
-c'était pour préparer une marche ultérieure sur Leipzig, en se portant
-vers les directions qui pouvaient y conduire. Ces raisonnements entre
-deux militaires si compétents, révélant si bien au milieu de quelles
-obscurités un général en chef est obligé de se diriger, n'importaient
-nullement quant à la conduite à tenir, puisqu'on était d'accord si
-l'armée de Bohême voulait s'y prêter, d'avoir tout de suite une grosse
-affaire avec elle, et qu'on n'était même empêché de l'entreprendre sur
-l'heure que par l'absence des réserves occupées à franchir l'espace
-entre Bautzen et Dresde. Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour
-retourner encore le jour même à Dresde, où il avait des ordres de tout
-genre à donner à ses divers corps d'armée. Il fut convenu qu'au
-premier mouvement de l'ennemi le maréchal lui enverrait un officier
-pour le prévenir[19].
-
- [Note 19: Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr,
- outre beaucoup d'esprit, une grande indépendance de
- caractère, nous regrettons seulement qu'elle ait été gâtée
- par un penchant excessif à la contradiction, qui lui a fait
- commettre plus d'une faute dans sa carrière d'ailleurs si
- glorieuse. Mais nous allons citer une étrange preuve de ce
- penchant, à l'occasion même des journées dont on vient de
- lire le récit. Certes il est difficile de voir des journées
- sinon plus heureusement employées, du moins plus activement,
- car Napoléon partit le 3 au soir de Dresde, dormit trois ou
- quatre heures à Harta, arriva le 4 au matin à Bautzen, y
- passa la journée du 4 pour assister à la poursuite de
- l'ennemi, poussa pendant la journée du 5 jusqu'à Gorlitz
- pour s'assurer de ses propres yeux si les Prussiens
- voulaient tenir, revint le soir même à Bautzen sur le bruit
- d'une nouvelle apparition de l'armée de Bohême, y arriva à
- deux heures du matin le 6, expédia le 6 tous ses ordres,
- vint le même jour coucher à Dresde où il fut rendu dans la
- nuit, et le 7 au matin se transporta auprès du maréchal
- Saint-Cyr pour avoir la conférence que nous venons de
- rapporter. Marchant pendant les nuits, passant les journées
- ou à cheval ou dans son cabinet pour donner des directions à
- une multitude de corps dont il recevait à chaque instant des
- nouvelles, Napoléon déployait dans ces circonstances
- l'activité d'un jeune homme. Voici pourtant les propres
- paroles du maréchal Saint-Cyr dans ses Mémoires, tome IV,
- page 136... «Il lui restait (après la retraite de Blucher)
- la faculté de marcher sur Schwarzenberg, qui s'avançait par
- la rive droite sur Rumburg, et de la marche duquel je
- présume qu'il était instruit, comme il le fut par le 14e
- corps dans les journées du 3, du 4, de celle de l'armée
- russe. Néanmoins, après la retraite de Blucher, il resta le
- 5, le 6 et le 7 dans une indécision complète; le 7, il fit
- écrire par le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr
- une espèce de lettre de reproches...» Sans chercher dans
- cette dernière phrase le secret du jugement porté par le
- maréchal Saint-Cyr, on peut voir par l'exposé que nous avons
- fait à quel point est fondée l'assertion de ce maréchal.
- Napoléon marcha le 5 sur Blucher, revint le 6 rappelé par le
- maréchal Saint-Cyr lui-même, n'employa que quelques heures à
- s'assurer si cet appel était fondé, heures qu'il ne perdit
- pas puisqu'il ne cessa de donner des ordres, et consacra le
- 7 à se transporter auprès du maréchal. Il ne perdit donc pas
- les 5, 6 et 7 en irrésolutions. La supposition que Napoléon
- devait être instruit du prétendu mouvement de l'armée
- autrichienne sur Rumburg, c'est-à-dire sur la rive droite de
- l'Elbe, est tout aussi fausse, car d'une part l'armée
- autrichienne n'exécuta point le mouvement dont il s'agit, et
- ne revint pas en arrière au delà de Tetschen, d'autre part
- Napoléon aurait pu ne pas connaître ce mouvement si en effet
- il avait eu lieu, car le rideau des montagnes et la mauvaise
- volonté des Allemands nous condamnaient à tout ignorer, à ce
- point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr étant
- réunis à Mugeln en arrière de Pirna, ne savaient pas s'ils
- avaient devant eux les Autrichiens, les Russes et les
- Prussiens, ou seulement les Russes et les Prussiens. Tout
- est donc inexact, jugements et assertions, dans le passage
- que nous venons de citer, et nous faisons cette remarque non
- point en flatteur de Napoléon, rôle que nous laissons à
- d'autres, ni en détracteur du maréchal Saint-Cyr, dont au
- contraire nous aimons fort l'esprit et l'indépendance, mais
- en historien préoccupé des difficultés de l'histoire.
- Certes, il semble qu'un témoin de ce mérite, placé si près
- des événements, ayant passé à côté de Napoléon une partie
- des journées pendant lesquelles il prétend que Napoléon ne
- fit rien, aurait dû savoir la vérité, et pourtant on voit
- comment, pour n'avoir pas lu ce que Napoléon écrivit pendant
- ces journées, il a été exposé à prononcer de faux jugements.
- C'est une nouvelle preuve qu'il ne faut pas se hasarder à
- juger les hommes qui ont figuré dans les grands événements
- sans avoir connu leurs ordres, leurs correspondances surtout
- qui contiennent leurs vrais motifs. Et quand on voit un
- personnage comme le maréchal Saint-Cyr, qui avait commandé
- des armées, qui savait par expérience quelles sottes
- déterminations les gens mal informés prêtent souvent à ceux
- qui commandent, quand un tel personnage commet de telles
- erreurs, on se dit qu'il ne faut prononcer que sur pièces
- authentiques, et après avoir vu et compulsé toutes celles
- qui existent, et qu'on peut se procurer. Quant à nous, c'est
- ce que nous avons fait avec une attention scrupuleuse, ne
- nous permettant d'affirmer que sur données certaines,
- contrôlées les unes par les autres, ne cherchant à exalter
- ou dénigrer ni ceux-ci ni ceux-là, n'étant ni le flatteur ni
- le détracteur de Napoléon, devenu pour nous un personnage
- purement idéal, ne cherchant que la vérité, la cherchant
- avec passion, et la disant au profit de Napoléon quand elle
- lui est favorable, à son détriment quand elle le condamne.
- Le vrai, voilà le but, le devoir, le bonheur même d'un
- historien véritable. Quand on sait apprécier la vérité,
- quand on sait combien elle est belle, commode même, car
- seule elle explique tout, quand on le sait, on ne veut, on
- ne cherche, on n'aime, on ne présente qu'elle, ou du moins
- ce qu'on prend pour elle.]
-
-[En marge: Difficultés du commandement en chef, révélées par
-l'obscurité qui enveloppe ici les projets de l'ennemi.]
-
-Pour mieux apprécier la difficulté du commandement, il faut savoir
-qu'en ce moment Napoléon et le maréchal avaient raison l'un et
-l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était passé en effet
-du côté des coalisés. À la première nouvelle venue de Dresde d'une
-marche de Napoléon en Lusace, les Autrichiens avaient exécuté un
-mouvement rétrograde, correspondant en Bohême à celui que Napoléon
-exécutait en Lusace, et avaient repassé l'Elbe derrière le rideau des
-montagnes, entre Tetschen et Leitmeritz. Ce mouvement avait un double
-but, premièrement de pourvoir aux cas imprévus, à celui notamment
-d'une opération de Napoléon sur Prague, secondement de se remettre
-quelque peu de la rude secousse essuyée par l'armée autrichienne dans
-la bataille de Dresde. On avait laissé les Russes et les Prussiens sur
-la grande route de Péterswalde, afin d'y rappeler Napoléon par de
-fortes démonstrations, de dégager ainsi l'armée de Silésie contre
-laquelle il marchait, et de continuer le plan convenu à Trachenberg,
-de se montrer fort entreprenant là où il ne serait pas, très-prudent
-là où il serait, jusqu'au moment où après l'avoir épuisé en courses
-inutiles, on trouverait moyen de l'accabler. Wittgenstein et Kleist,
-qui commandaient les Russes et les Prussiens sous Barclay de Tolly, et
-qui étaient pleins d'ardeur, n'avaient pas exécuté à demi les
-démonstrations dont ils étaient chargés, avaient attaqué à fond les
-quatre divisions du maréchal Saint-Cyr, au point qu'il avait fallu à
-celui-ci toute sa tenue, tout son talent dans la guerre défensive,
-pour s'en tirer sans échec. Pendant que les corps russes et prussiens
-bataillaient ainsi à Péterswalde, Klenau encore tout ébranlé des
-coups reçus à Dresde, était entre Commotau et Chemnitz occupé à se
-refaire, envoyait des partisans soit à Zwickau soit à Chemnitz, et
-préparait de la sorte l'opération décisive que les coalisés, sans
-l'oser tenter encore, méditaient toujours sur nos derrières, mais
-cette fois dans la direction de Leipzig, et non plus dans celle de
-Dresde.
-
-[En marge: Attente des nouveaux mouvements de l'ennemi, pour se jeter
-sur lui dès qu'il donnera prise.]
-
-Napoléon avait donc raison quand il croyait qu'on ne songeait pas à
-une seconde attaque sur Dresde, et qu'une nouvelle marche sur nos
-derrières, si elle avait lieu, s'essayerait plus loin, c'est-à-dire
-par Leipzig; et le maréchal Saint-Cyr se trompant sur ces points,
-avait raison de penser que les Russes et les Prussiens étaient
-actuellement séparés des Autrichiens, et que ce pouvait être une bonne
-occasion de les assaillir. Napoléon n'objectait rien à cette dernière
-opinion, et disait très-sensément que quelle que fût la vérité sur
-tout cela, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était d'attendre la
-journée du 8, pour voir comment se comporterait l'ennemi, et pour
-donner à la garde et à la cavalerie de réserve le temps d'arriver. Il
-est rare, surtout lorsque la situation prête à des suppositions
-contraires, qu'il n'y ait qu'une conduite à tenir. C'était le cas ici,
-et Napoléon était retourné le 7 au soir à Dresde, prêt à revenir de sa
-personne au premier signal, mais dans l'intervalle voulant veiller aux
-mouvements de ses innombrables corps d'armée. En effet, tandis qu'il
-était aux aguets pour saisir en faute l'armée de Bohême, il se passait
-de nouveaux événements sur ses ailes.
-
-[En marge: Mouvement du maréchal Ney pendant que Napoléon s'était
-dirigé de nouveau sur Bautzen.]
-
-On se souvient sans doute qu'en partant de Dresde, d'abord pour se
-diriger sur Hoyerswerda, puis pour se rabattre sur Bautzen, Napoléon
-avait donné au maréchal Ney rendez-vous à Baruth, dans l'intention de
-se réunir à lui, soit pour appuyer son mouvement sur Berlin, soit pour
-y marcher lui-même. Ramené sur Dresde par l'apparition des têtes de
-colonnes de Kleist et de Wittgenstein, il ne croyait guère, comme on
-vient de le voir, à leur intention sérieuse de s'engager encore une
-fois sur les derrières de cette capitale; il songeait donc dès qu'il
-serait entièrement rassuré à cet égard, à reprendre ses projets sur
-Berlin, et il était impatient de savoir ce que le maréchal Ney aurait
-fait de ce côté.
-
-Ce maréchal, envoyé pour prendre le commandement des mains du maréchal
-Oudinot, était arrivé le 3 septembre à Wittenberg, jour même où
-Napoléon s'acheminait sur Bautzen, et voulant se mettre en marche dès
-le 5 au plus tard, il avait passé la revue de ses trois corps d'armée,
-qui depuis l'échec de Gross-Beeren avaient beaucoup perdu en matériel,
-en force numérique, en dispositions morales.
-
-[En marge: Force des 4e, 7e et 12e corps, depuis leur retour sur
-l'Elbe.]
-
-[En marge: Dispositions des chefs.]
-
-[En marge: Le maréchal Ney ayant ordre de se rendre à Baruth, passe
-ses corps en revue le 4 septembre, et annonce leur départ pour le 5.]
-
-Le matériel, on l'avait remplacé au moyen du vaste dépôt de
-Wittenberg; la force numérique, on n'avait pas pu la rétablir, car une
-douzaine de mille hommes étaient les uns morts ou blessés sur le champ
-de bataille de Gross-Beeren, les autres dispersés sur les routes dans
-un état de complète débandade. On avait ramassé ceux d'entre eux qui
-étaient Français, et on leur avait remis un fusil à l'épaule, mais
-c'était le moindre nombre, et c'est tout au plus si les trois corps
-d'armée, la cavalerie du duc de Padoue comprise, présentaient en ligne
-52 mille hommes, au lieu des 64 mille qu'ils comptaient à la reprise
-des hostilités. Quant aux dispositions morales, ils n'avaient plus
-cette aveugle confiance en eux-mêmes que les journées de Lutzen et de
-Bautzen leur avaient inspirée, et que le premier échec essuyé venait
-d'ébranler profondément. Les chefs n'étaient pas satisfaits. Le
-maréchal Oudinot, quoique ayant désiré d'être exonéré du commandement,
-ne pouvait pas voir avec plaisir l'envoi du maréchal Ney, qui semblait
-être une condamnation de sa conduite. Le général Reynier mécontent du
-maréchal Oudinot, tout prêt à l'être du maréchal Ney, joignant à sa
-propre humeur celle des Saxons qu'il commandait, ne pouvait pas être
-un lieutenant animé de bien bonne volonté, quoique toujours disposé à
-faire son devoir sur le champ de bataille. Le général Bertrand enfin,
-invariablement dévoué au service de l'Empereur, était celui duquel le
-maréchal Ney avait le moins à craindre, bien qu'il eût espéré une
-position plus indépendante que celle qui lui était échue. Du reste, le
-maréchal Ney, n'ayant presque jamais exercé le commandement en chef,
-quoique ayant eu sous ses ordres directs de nombreux rassemblements de
-troupes, ne regardant guère à ses instruments et tout pressé de les
-employer, passa ses corps en revue le 4, et leur annonça qu'on
-partirait le lendemain 5. Ayant rendez-vous à Baruth, il devait se
-porter de Wittenberg à Juterbock, et pour cela se glisser en quelque
-sorte de gauche à droite, afin de se dérober à l'armée ennemie qui
-était tout entière devant Wittenberg, pourvue d'une immense cavalerie
-et ayant ainsi des yeux partout.
-
-[En marge: Adroite manoeuvre de Ney, qui défile avec son centre et sa
-gauche derrière sa droite immobile, pour se porter de Wittenberg à
-Zahne.]
-
-[En marge: Nécessité où était Ney pour se porter à Baruth d'exécuter
-un mouvement de flanc continuel avec 50 mille hommes contre 80 mille.]
-
-L'armée française était rangée en demi-cercle devant Wittenberg, le 7e
-corps (celui du général Reynier) à gauche, le 12e (celui du maréchal
-Oudinot) au centre, le 4e (celui du général Bertrand) à droite. On
-était tellement serré par l'armée du Nord que les avant-postes étaient
-sans cesse aux prises. Le maréchal Ney agissant ici avec beaucoup
-d'adresse, laissa sa droite formée par le 4e corps, en présence de
-l'ennemi toute la matinée du 5, et commença le mouvement projeté par
-son centre composé du 12e corps. Il le porta dans la direction de
-Zahne en passant derrière sa droite, et vint enlever Zahne au corps
-prussien de Tauenzien. Il y avait une petite rivière à franchir au
-bourg même de Zahne; on la força malgré quelque résistance, et on
-déboucha au delà. Le 7e qui formait la gauche suivit le 12e, dont il
-appuya les efforts sur Zahne, et quand ils eurent défilé tous deux, le
-4e, ayant suffisamment occupé l'ennemi, leva son camp à son tour, et
-se réunit au reste de l'armée, qui en un jour se trouva ainsi rendue à
-Seyda, à cinq lieues sur la droite de Wittenberg. Ce mouvement,
-lestement et bravement exécuté, nous avait coûté un millier d'hommes,
-mais en avait coûté le double aux Prussiens. Toutefois il s'agissait
-de savoir, si précédés, côtoyés, suivis par une innombrable cavalerie,
-observés dans tous nos mouvements, il nous serait possible de
-continuer cette marche de flanc sans être assaillis par l'ennemi, et
-frappés dans le flanc même que nous lui présentions inévitablement.
-
-[En marge: Ney se décide sans faire d'objections à exécuter
-immédiatement les ordres de Napoléon.]
-
-Si Napoléon avait formé des généraux en chef au lieu de former
-d'admirables lieutenants, seule espèce d'élèves qui pussent sortir de
-son école puisqu'il ne leur permettait jamais d'être autre chose, il
-n'aurait pas été exposé à voir ses ordres interprétés comme ils le
-furent en cette occasion. Bien qu'il eût prescrit au maréchal Ney de
-se porter à Baruth, ce qui impliquait absolument la nécessité d'un
-mouvement de flanc en présence de l'ennemi, le maréchal, moins soumis,
-eût plutôt différé l'exécution de ces ordres que de s'exposer aux
-chances d'une bataille générale, livrée dans une position fausse et
-contre des forces infiniment supérieures. Mais le maréchal Ney,
-habitué à ne pas même examiner la valeur des ordres de Napoléon, ne
-songeant qu'à s'y conformer ponctuellement et habilement, rendu plus
-confiant encore par son heureuse opération du 5, continua son
-mouvement de gauche à droite sans aucune hésitation.
-
-[En marge: Marche sur Juterbock.]
-
-[En marge: Circonstances fâcheuses qui viennent aggraver la situation
-dans la journée du 6.]
-
-Le 6 il fallait percer sur Juterbock, après quoi on n'avait plus
-qu'une marche à exécuter pour être à Baruth. Le maréchal Ney décida
-que le général Bertrand, qui continuait à former avec le 4e corps la
-droite de l'armée, et qui avait été le moins engagé la veille,
-partirait le premier vers huit heures du matin pour se diriger sur
-Juterbock, que le général Reynier suivrait avec le 7e, le maréchal
-Oudinot avec le 12e. L'ennemi étant si averti et si rapproché, il eût
-été à propos de marcher en masse, parfaitement serrés les uns aux
-autres, surtout en opérant un mouvement de flanc et de jour avec
-cinquante mille hommes contre quatre-vingt mille. Mais les trois
-corps étaient à une distance de deux heures les uns des autres, et par
-surcroît de malheur ils cheminaient dans une plaine sablonneuse, et
-par un vent qui soulevait des nuages d'une poussière épaisse, tout à
-fait impénétrable à la vue.
-
-[En marge: Possibilité d'échapper à l'ennemi, en arrivant à Dennewitz
-avant lui.]
-
-De huit heures à midi, on s'avança toujours harcelés en flanc par une
-nombreuse cavalerie que la nôtre avait la plus grande peine à
-contenir. Que Bernadotte fût instruit de notre projet, qu'il se fût
-ébranlé en masse pour nous barrer le chemin de Juterbock, il n'était
-pas possible d'en douter d'après la direction qu'il avait prise et
-d'après le nombre de ses cavaliers. Mais si on parvenait au défilé de
-Dennewitz qu'il fallait absolument franchir avant que l'ennemi y fût
-en masse, on pouvait très-bien forcer le passage et arriver les
-premiers à Juterbock. Alors toute l'armée française était hors de
-péril, et le prince de Suède était réduit à la suivre en queue, sans
-espérance de l'atteindre.
-
-Vers midi on fut tout à coup assailli par la mitraille, partie du
-milieu d'un nuage de poussière. On était sans le savoir en présence du
-corps de Tauenzien, que la veille on avait poussé devant soi, qu'on
-avait devant soi encore, et on touchait au défilé de Dennewitz, seul
-obstacle un peu difficile à surmonter dans le parcours de cette vaste
-plaine. Voici en quoi ce défilé consistait.
-
-[En marge: Description du champ de bataille de Dennewitz.]
-
-Transversalement devant nous coulait un ruisseau peu profond, mais
-très-marécageux, allant de Niedergörsdorf à Juterbock, et qu'on ne
-pouvait franchir qu'à deux endroits, à Dennewitz et à Rohrbeck. Ce
-ruisseau, après avoir coulé de notre gauche à notre droite, parvenu à
-Rohrbeck se détournait pour percer droit devant nous jusqu'à
-Juterbock, petite ville devant laquelle il coulait en décrivant divers
-contours. La grande route dont nous avions indispensablement besoin
-pour nos parcs dans cet océan de sable, traversant Dennewitz, il
-fallait forcer le passage à Dennewitz même. Le général Bertrand attiré
-par la mitraille accourut, et le nuage de poussière s'étant un moment
-dissipé, il reconnut les Prussiens. Il sentit qu'il fallait les
-culbuter, et passer malgré eux ce défilé de Dennewitz. Le maréchal Ney
-accouru à son tour, vit bien qu'il n'y avait pas autre chose à faire,
-et il en donna l'ordre immédiatement.
-
-[En marge: Les trois corps ne marchant pas assez près les uns des
-autres, le 4e arrive le premier.]
-
-[En marge: Position prise par le 4e corps au delà du ruisseau de
-Dennewitz.]
-
-La division italienne Fontanelli marchait en tête. Son général suivi
-de quelques bataillons entra dans Dennewitz en passant sur le corps
-d'un détachement prussien, et franchit ainsi le ruisseau. Mais ce
-n'était pas dans le village même de Dennewitz, c'était au delà, dans
-d'assez belles positions s'étendant en face de notre gauche, que
-l'ennemi avait résolu de résister, en nous opposant ce qu'il avait de
-forces actuellement réunies. Heureusement il n'y avait de présent sur
-les lieux que le corps de Tauenzien; celui de Bulow s'avançait en
-toute hâte, les Suédois et les Russes faisaient aussi grande
-diligence, mais ils étaient plus loin encore. Si de leur côté tous les
-corps français précipitaient leur marche, il se pouvait qu'ils
-arrivassent à temps pour traverser le défilé en écrasant Tauenzien,
-peut-être Bulow lui-même.
-
-[En marge: Long combat soutenu en avant de Dennewitz par les divisions
-Morand et Fontanelli.]
-
-[En marge: Belle conduite du général Morand.]
-
-[En marge: La plus grande partie de l'armée prussienne réunie contre
-le 4e corps, tandis que le 7e et le 12e sont encore en marche.]
-
-[En marge: Le 4e corps se maintient vaillamment dans la position qu'il
-a prise.]
-
-À peine la division italienne avait-elle dépassé le village de
-Dennewitz, que des milliers de cavaliers avec beaucoup d'artillerie
-fondirent sur elle. Mais elle ne se laissa point ébranler. À la sortie
-de Dennewitz nous étions dans une plaine bordée à l'horizon par des
-bois, et terminée à gauche par quelques mamelons surmontés d'un
-moulin. À droite, dans le lointain, on apercevait Juterbock. Ney,
-toujours fort habile sur le terrain, dirigea lui-même toutes les
-dispositions. À gauche il plaça près du moulin de Dennewitz la belle
-division Morand, dont le général Morand doublait la valeur par sa
-présence, au centre la division italienne, à droite dans la direction
-de Juterbock la division wurtembergeoise. Notre artillerie bien postée
-sur les parties saillantes du terrain, contint celle de Tauenzien, et
-réussit même à la faire taire. Alors la cavalerie ennemie
-très-nombreuse se jeta sur la nôtre, qui rendit la charge, mais fut
-culbutée. Quelques-uns même de nos escadrons vivement poursuivis, se
-précipitèrent à travers les intervalles des bataillons italiens, qui
-n'osèrent tirer de peur de tirer sur les nôtres. Deux de ces
-bataillons se privant ainsi de leurs feux furent renversés par la
-cavalerie ennemie, ce qui amena quelque désordre dans notre ligne. À
-ce spectacle, le général Morand prit deux bataillons du 13e, se porta
-en avant à gauche, et couvrant notre ligne ébranlée lui donna le temps
-de se remettre. Toute la cavalerie prussienne et russe fondit sur lui,
-mais il la reçut en carrés, et rendit impuissants tous ses efforts.
-Cependant il aurait fallu que nos corps arrivassent, car ceux de
-l'ennemi approchaient, et déjà du village de Niedergörsdorf, situé
-au-dessus de Dennewitz, on voyait déboucher le corps de Bulow, fort de
-vingt-cinq mille Prussiens très-animés. Le général Bulow, comme à
-Gross-Beeren, devançant les ordres de Bernadotte, avait marché en
-toute hâte, et ses têtes de colonnes apparaissaient vers notre gauche,
-tandis que sur nos derrières on n'apercevait encore ni Reynier ni
-Oudinot. Bientôt les colonnes de Bulow débouchant de Niedergörsdorf,
-rencontrèrent les deux bataillons du 13e, que Morand avait postés sur
-une éminence à gauche pour servir d'appui à notre ligne de bataille.
-Ces deux bataillons tinrent ferme, mais accablés par le nombre, ils
-furent forcés de céder le terrain sur lequel ils étaient établis.
-Notre artillerie de 12 placée un peu en arrière et au-dessus, les
-protégea en accablant les Prussiens de mitraille. Ney, de général en
-chef devenu général de division, prit deux bataillons du 8e,
-appartenant également à la division Morand, les porta en avant, et
-reconquit le terrain qu'avaient cédé malgré eux les deux bataillons du
-13e. En même temps il dépêcha officiers sur officiers à Reynier et à
-Oudinot pour presser leur arrivée. Le corps entier de Bulow se
-déploya, mais la division Morand successivement engagée tint tête à
-toutes les forces de l'ennemi. Pressée par des flots de cavalerie,
-elle les reçut en carrés, et se fit autour d'elle un rempart de
-cavaliers ennemis, tués ou démontés. Le combat se soutint ainsi avec
-quinze mille hommes contre près de quarante.
-
-[En marge: Causes de la lente arrivée des 7e et 12e corps.]
-
-Commencée à midi, il y avait trois heures que cette lutte inégale
-durait avec des chances variées, sans qu'on pût nous faire abandonner
-le débouché conquis au delà du ruisseau de Dennewitz. Cependant on
-apercevait distinctement l'armée russe et suédoise s'avançant à
-marches forcées sur le village de Gölsdorf situé à notre gauche, en
-deçà du ruisseau que nous avions franchi, et faisant avec ce ruisseau
-un angle droit. Bulow y avait déjà un détachement, et si le progrès de
-l'ennemi continuait, la communication pouvait être coupée entre nos
-troupes engagées, et celles qui étaient encore en route. Reynier et
-Oudinot que Ney avait eu le tort de laisser à une trop grande distance
-de Bertrand, entendant le canon, mais l'ayant entendu de même la
-veille, et enveloppés par un nuage de poussière qui leur dérobait la
-vue des objets, ne s'étaient pas crus obligés de doubler le pas.
-Avertis enfin, ils s'étaient hâtés davantage, et le 7e devançant le
-12e, était venu diminuer l'inégalité de forces sous laquelle le 4e
-corps avait failli succomber.
-
-[En marge: Le 7e, arrivé en ligne, se place en potence sur la gauche
-du 4e.]
-
-D'après l'ordre de Ney, qui lui avait enjoint de se former en potence
-sur notre gauche pour contenir Bulow, et faire face aux Suédois et aux
-Russes qui s'approchaient, Reynier retardé un moment par les bagages
-du 4e corps, poussa en avant la division française sur laquelle il
-comptait le plus, celle de Durutte, et l'établit en arrière de
-Dennewitz, en deçà du ruisseau. Cette division placée là sur une
-légère éminence pouvait faire un grand usage de son artillerie, et
-elle n'y manqua point. Reynier dirigea la division saxonne Lecoc sur
-Gölsdorf, et tint en réserve sa seconde division saxonne, celle de
-Lestoc. À peine ces dispositions étaient-elles exécutées, que le
-général Durutte, se portant au sommet de l'angle décrit par notre
-ligne, arrêta court les Prussiens qui débouchaient de Niedergörsdorf.
-De son côté la brigade Mellentin de la division saxonne Lestoc,
-pénétra dans Gölsdorf, en chassa les Prussiens, et empêcha ainsi
-l'ennemi de s'établir sur notre gauche. Le combat se soutint de la
-sorte avec acharnement au milieu de nuages de poussière qui ne
-laissaient voir autre chose que les troupes qu'on avait immédiatement
-devant soi.
-
-[En marge: Arrivée du 12e corps.]
-
-[En marge: Il se place derrière le 7e pour soutenir notre gauche qui
-est menacée par 40 mille Russes et Suédois.]
-
-Enfin Oudinot arriva, passa derrière les corps qui l'avaient précédé,
-et apercevant l'orage qui nous menaçait à gauche, car de ce côté
-quarante mille Suédois et Russes marchaient sur Gölsdorf, plaça deux
-de ses divisions derrière les Saxons de Lestoc, et garda la troisième
-en réserve. Grâce à ce renfort, et sauf accident, il était possible
-encore que les 50 mille soldats de Ney tinssent tête aux 80 mille
-ennemis qu'ils avaient sur les bras, et qu'ils parvinssent à gagner
-Juterbock sans échec.
-
-[En marge: Le 4e corps, affaibli par une longue lutte, est obligé de
-céder du terrain.]
-
-[En marge: Ney, pour le remplacer à Dennewitz, ordonne un mouvement de
-gauche à droite, qui amène une sorte de confusion.]
-
-[En marge: Les Saxons se débandent, et il s'ensuit une déroute
-générale.]
-
-[En marge: Tristes résultats de la bataille de Dennewitz.]
-
-Mais en ce moment un effort combiné de Tauenzien et d'une moitié de
-Bulow sur le corps de Bertrand affaibli par une longue lutte, obligea
-celui-ci à se replier, et vers quatre heures, ayant déjà perdu plus de
-trois mille hommes, il céda du terrain, non en repassant le ruisseau
-de Dennewitz, mais en appuyant un peu à droite vers Rohrbeck, et en
-restant toujours en avant de ce ruisseau. Ney, trop préoccupé de ce
-qu'il avait sous les yeux, et ne songeant pas assez à l'ensemble de la
-bataille, craignit que Dennewitz ne fût découvert par le mouvement de
-Bertrand, et enjoignit à Reynier de placer la division Durutte à
-Dennewitz même. Il ordonna en même temps à Oudinot de se reporter de
-Gölsdorf, où il servait d'appui aux Saxons, à Rohrbeck, pour former
-réserve derrière Bertrand. C'était une double faute, car notre droite
-depuis que Bertrand s'était rapproché de Rohrbeck, était moins en
-danger que notre gauche repliée en potence et menacée par l'irruption
-de quarante mille ennemis. Le général Durutte, sur l'ordre transmis
-par Reynier, quitta avec une de ses deux brigades la bonne position où
-il était en arrière de Dennewitz, passa le ruisseau, et s'empara du
-moulin de Dennewitz abandonné par Bertrand. Sa seconde brigade réduite
-à elle seule ne fut plus suffisante pour garder le sommet de notre
-angle. Au même instant Oudinot quitta le côté gauche de cet angle,
-dont il formait l'appui indispensable, pour se porter vers le côté
-droit. Alors la division prussienne Borstell, appuyée par une nuée de
-cavalerie et toute l'artillerie russe et suédoise, attaqua Gölsdorf et
-l'enleva à la brigade saxonne Mellentin. Oudinot essaya bien avant de
-se retirer d'aider les Saxons à reprendre Gölsdorf, mais obligé de
-continuer son mouvement il les livra bientôt à eux-mêmes. Les Saxons
-qui par honneur s'étaient jusque-là bien comportés, mais dans le coeur
-desquels la haine était toujours prête à faire taire l'honneur, se
-croyant abandonnés des Français pour lesquels ils se battaient, voyant
-devant eux s'avancer la masse des Suédois et des Russes, commencèrent
-à reculer. De perfides alarmistes apercevant les flots de poussière
-que les troupes d'Oudinot soulevaient dans leur mouvement de Gölsdorf
-vers Rohrbeck, dirent que c'était la cavalerie ennemie qui avait
-tourné l'armée française. À ce bruit les Saxons se débandèrent malgré
-les efforts de Reynier, désertèrent Gölsdorf, laissèrent notre gauche
-entièrement à découvert, et se jetèrent confusément sur Oudinot à
-travers les rangs duquel ils passèrent. Par malheur tous les parcs et
-bagages s'étaient accumulés dans l'intérieur de l'angle formé par
-notre ligne de bataille. Une affreuse confusion se produisit alors, et
-une véritable déroute commença de toutes parts. Néanmoins la division
-Durutte, contrainte de quitter Dennewitz, se retira avec ordre;
-Oudinot, sur lequel la gauche s'était repliée confusément, ne
-s'ébranla point, et Bertrand put repasser sain et sauf au village de
-Rohrbeck le ruisseau tant disputé. Pourtant la bataille était perdue,
-car on avait cédé le terrain du combat, la route de Juterbock était
-fermée, et dès lors le but était manqué. Six à sept mille des nôtres
-jonchaient la plaine, et huit ou neuf du côté de l'ennemi la
-couvraient également. Mais dix à douze mille de nos soldats, surtout
-les Saxons et les Bavarois, s'enfuyant à toutes jambes, s'en allaient
-dire sur l'Elbe que l'armée française était en déroute, et même
-détruite. Le désordre, fort accru par la fâcheuse circonstance d'une
-poussière épaisse, était tel, que plusieurs bataillons saxons
-entendant galoper autour d'eux, et croyant que c'était la cavalerie
-française, ne se mirent pas en défense, et ne s'aperçurent de leur
-méprise que lorsqu'il n'était plus temps de se former en carrés.
-Quelques-uns furent sabrés, le plus grand nombre pris. Pour ceux-ci
-c'était la délivrance plutôt que la captivité, et il faut se plaindre
-de leur fidélité plus que de leur courage, car ils se battirent bien,
-jusqu'au moment où ils purent nous quitter pour aller dans les rangs
-où les attiraient leurs affections. Dans la soirée et le lendemain, il
-partit la moitié du corps saxon, et au moins une portion égale de la
-division bavaroise. Les Saxons se cachant dans les villages n'eurent
-pas de peine à regagner leur pays, qui était près de là. Les Bavarois
-coururent vers l'Elbe pour retourner dans leur patrie en maraudeurs.
-Il n'y avait plus moyen de se replier sur Wittenberg qu'on avait
-laissé à sept ou huit lieues sur la gauche dans la marche de l'armée
-vers Juterbock, et il n'y avait de retraite possible que sur Torgau,
-qu'on devait rencontrer derrière soi en revenant sur l'Elbe. Le
-maréchal Ney s'y retira donc en assez bon ordre, mais après avoir
-perdu une vingtaine de bouches à feu dont les chevaux avaient été
-tués, et plus de quinze mille hommes, dont la moitié au moins se
-composait de déserteurs. Il était réduit à 32 mille combattants
-environ. Les Italiens nous étaient restés fidèles suivant leur
-coutume, et s'étaient bien battus. Les Wurtembergeois avaient conservé
-leur excellente tenue militaire. Parmi les débandés on comptait bien
-quelques jeunes soldats français, mais en petit nombre, et ne
-s'éloignant guère de l'armée, qui dans ces pays lointains était pour
-eux une véritable patrie.
-
-[En marge: Amères récriminations entre les chefs de l'armée.]
-
-Le 8 septembre, le maréchal Ney se trouva réuni avec toutes ses
-troupes sous le canon de Torgau. Comme il fallait s'y attendre, une
-aigreur extrême régnait entre les divers états-majors. Ney se
-plaignait de la lenteur de Reynier et d'Oudinot, mais surtout du
-faible concours de Reynier, dont les divisions saxonnes avaient lâché
-pied. Reynier défendant les Saxons, accusait au contraire le maréchal
-Ney d'avoir lui-même tout compromis par une fausse manoeuvre, celle
-qui avait porté les divisions d'Oudinot de gauche à droite. Oudinot,
-le moins aigre des trois, disait qu'il avait marché aussi vite qu'on
-le lui avait prescrit, et rejetait la faute de sa lenteur sur le
-général en chef, qui n'ayant pas su prévoir la bataille, n'avait pas
-dans cette journée tenu ses corps assez rapprochés.
-
-[En marge: Véritables causes de la perte de la bataille de Dennewitz.]
-
-Ce qu'il y avait de vrai dans ces tristes récriminations, tout le
-monde peut l'apercevoir par le seul récit des faits qui précèdent. Le
-rendez-vous de Baruth assigné par Napoléon d'une manière générale,
-pris trop à la lettre par le maréchal Ney qui s'était hâté d'exécuter
-un mouvement de flanc hasardeux et infiniment prolongé; ce mouvement
-bien exécuté le premier jour, moins bien le second, et sans les
-précautions suffisantes; la lente arrivée des corps, imputable au
-général en chef, mais un peu aussi aux lieutenants qui auraient dû de
-leur côté prévoir une bataille, et y croire en entendant la canonnade;
-la circonstance fâcheuse du vent et de la poussière qui plaçait entre
-tous les corps un nuage impénétrable à la vue; l'ardeur de Ney au feu,
-qui l'avait porté à s'absorber dans le commandement d'un seul corps au
-lieu de s'occuper de l'ensemble; l'ordre regrettable donné à Oudinot
-de quitter la gauche pour la droite, et enfin le penchant des alliés
-à la débandade, telles avaient été les causes de la perte de cette
-bataille, causes dont quelques-unes étaient sans doute accidentelles,
-mais dont la plupart se rattachaient aux causes générales que nous
-avons signalées tant de fois, et qui menaçaient nos affaires d'une
-ruine prochaine.
-
-[En marge: Ney, retiré à Torgau, adresse de vives instances à Napoléon
-pour être exonéré du commandement.]
-
-Arrivé à Torgau, Ney y trouva ce qu'il appelait une _sorte d'enfer_.
-Outre le mécontentement des soldats et les récriminations des chefs
-qu'il lui fallait subir, outre la cohue des fuyards qu'il lui fallait
-faire rentrer dans l'ordre, outre la difficulté de pourvoir à tout ce
-qui manquait, surtout à l'approche de l'ennemi déjà presque aux portes
-de Torgau, Ney avait encore la crainte de voir les Saxons s'insurger.
-Peu contenus par Reynier, qui dans sa mauvaise humeur se faisait trop
-leur avocat, ils menaçaient tout haut de défection. On avait ordonné
-de ramener du bétail sur la rive droite de l'Elbe pour former les
-approvisionnements de la place de Torgau, et ceux de l'armée
-elle-même. Les Saxons non-seulement s'y étaient refusés, mais
-s'étaient emparés d'un parc qu'on venait de réunir, et avaient
-distribué les têtes de bétail aux paysans saxons du voisinage. D'une
-pareille désobéissance à une révolte ouverte il n'y avait pas loin. Du
-reste il n'était pas surprenant que dans une armée composée d'éléments
-si divers, deux batailles perdues en douze jours eussent produit cet
-ébranlement moral: il aurait fallu s'étonner au contraire s'il en eût
-été autrement. Ney, comme Macdonald, comme Oudinot, écrivit à
-l'Empereur pour lui demander d'être exonéré du commandement.--J'aime
-mieux, disait-il noblement, être grenadier que général dans de telles
-conditions: je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire que ce
-soit utilement[20].--Appuyé sur Torgau et sur l'Elbe, Ney pouvait bien
-empêcher le passage du fleuve quelques jours, il ne pouvait pas le
-disputer longtemps, du moins sans de nouveaux secours, surtout contre
-la réunion de forces qu'il était facile de prévoir vers cette partie
-de notre ligne de défense.
-
- [Note 20: Voici cette lettre curieuse, qui peint la
- situation mieux que tout ce qu'on pourrait dire:
-
- _Le prince de la Moskowa au major général._
- «Wurtzen, 10 septembre 1813.
-
- »C'est un devoir pour moi de déclarer à V. A. S. qu'il est
- impossible de tirer un bon parti des 4e, 7e et 12e corps
- d'armée dans l'état actuel de leur organisation. Ces corps
- sont réunis par le droit, mais ils ne le sont pas par le
- fait: chacun des généraux en chef fait à peu près ce qu'il
- juge convenable pour sa propre sûreté; les choses en sont au
- point qu'il m'est très-difficile d'obtenir une situation. Le
- moral des généraux et en général des officiers est
- singulièrement ébranlé: commander ainsi n'est commander qu'à
- demi, et j'aimerais mieux être grenadier. Je vous prie,
- monseigneur, d'obtenir de l'Empereur ou que je sois seul
- général en chef, ayant seulement sous mes ordres des
- généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille bien
- me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de
- parler de mon dévouement, je suis prêt à verser tout mon
- sang, mais je désire que ce soit utilement.--Dans l'état
- actuel, la présence de l'Empereur pourrait seule rétablir
- l'ensemble, parce que toutes les volontés cèdent à son
- génie, et que les petites vanités disparaissent devant la
- majesté du trône.
-
- »V. A. S. doit être aussi instruite que les troupes
- étrangères de toutes nations manifestent le plus mauvais
- esprit, et qu'il est douteux si la cavalerie que j'ai avec
- moi n'est pas plus nuisible qu'utile.»]
-
-[En marge: Pendant les fâcheux événements qui se passaient entre
-Wittenberg et Torgau, Napoléon revient le 8 septembre au matin à
-Pirna.]
-
-Pendant que ces événements avaient lieu, Napoléon rentré à Dresde le 7
-au soir, avait été rappelé dès le 8 au matin à Pirna, auprès du
-maréchal Saint-Cyr, pour y tenir tête aux Russes et aux Prussiens qui
-paraissaient insister dans leur attaque, au point de rendre
-vraisemblable une entreprise sérieuse. Napoléon aurait bien voulu
-qu'il en fût ainsi, mais, hélas! il ne l'espérait guère. Son grand
-tact militaire ne lui permettait pas de croire que lorsqu'il y aurait
-une opération sérieuse elle pût être tentée sur Dresde, après ce qui
-s'était passé les 26 et 27 août. Il ne croyait donc qu'à une simple
-démonstration; toutefois il était parti pour Pirna avec sa garde et
-une portion de la cavalerie de réserve revenues de Bautzen le matin
-même, et s'était encore transporté auprès du maréchal Saint-Cyr, pour
-combiner avec lui ce qu'il y aurait à faire en cette nouvelle
-occurrence.
-
-[En marge: Forces réunies par Napoléon en avant de Pirna et de Dohna.]
-
-[En marge: Projet d'une offensive vigoureuse si l'ennemi tient bon.]
-
-[En marge: On le pousse toute la journée du 8, sans savoir s'il
-résistera sérieusement le lendemain.]
-
-Les Russes et les Prussiens n'ayant pas aperçu la garde et la réserve
-de cavalerie qui signalaient toujours la présence de l'Empereur,
-avaient persisté dans leur mouvement offensif, et Saint-Cyr, qui en
-rétrogradant était arrivé jusqu'au bord de la petite rivière de la
-Müglitz près de Mugeln, ne voulait pas la repasser. Cette rivière
-coulant des montagnes de Bohême, vient se perdre près de Mugeln dans
-l'Elbe. En la repassant on abandonnait définitivement les hauteurs, et
-on était tout à fait rejeté dans la plaine. Le maréchal Saint-Cyr dans
-la vue d'un prochain retour offensif, avait voulu se maintenir au delà
-de la Müglitz et en avait défendu le bord en restant à Dohna. Napoléon
-s'étant rendu sur les lieux le 8 au matin, bien avant les renforts qui
-le suivaient, avait pensé comme le maréchal Saint-Cyr, qu'avec la
-certitude d'être prochainement appuyé le 14e corps pouvait, sans
-laisser de réserve, marcher tout entier contre l'ennemi. Sur-le-champ
-en effet trois des divisions du 14e corps s'étaient formées en
-colonnes d'attaque et avaient vigoureusement poussé de bas en haut les
-troupes de Wittgenstein et de Kleist. On avait d'un côté sur la route
-de Péterswalde recouvré le plateau de Gieshübel, et de l'autre, sur la
-route de Furstenwalde, refoulé dans la direction de Liebstadt les
-masses qu'on avait devant soi. Toutefois les coalisés s'étaient
-repliés sans précipitation, et de manière à laisser du doute sur
-l'attitude qu'ils prendraient le lendemain. Se retireraient-ils, ou
-tiendraient-ils ferme? Telle était la question que Napoléon et le
-maréchal Saint-Cyr n'étaient point en mesure de résoudre encore. Bien
-décidés du reste à marcher vigoureusement sur l'ennemi s'il voulait
-tenir le lendemain, ils passèrent la soirée ensemble, et firent avec
-Murat et Berthier un repas, comme on les fait à la guerre et pour
-ainsi dire au bivouac.
-
-[En marge: Sang-froid de Napoléon en apprenant la malheureuse bataille
-de Dennewitz, et son indulgence pour le maréchal Ney.]
-
-[En marge: Curieux entretien avec le maréchal Saint-Cyr sur l'art de
-la guerre.]
-
-Dans ce moment, 8 au soir, un aide de camp apporta la nouvelle de la
-bataille perdue à Dennewitz le 6. C'était le quatrième événement
-malheureux depuis les deux grandes victoires de Dresde, car nous
-comptions déjà la Katzbach, Gross-Beeren, Kulm, Dennewitz, sans un
-seul succès pour compenser ces coups redoublés de la fortune. Ce
-dernier surtout avait une immense gravité, car outre l'effet moral
-croissant avec la série des malheurs, il mettait en péril la partie
-inférieure de l'Elbe, et nous exposait à voir ce fleuve franchi sur
-notre gauche, tandis que l'armée de Bohême descendant de l'Erz-Gebirge
-sur notre droite, menacerait de nous tourner définitivement, et de se
-joindre au corps qui aurait passé l'Elbe à Wittenberg. Napoléon
-sentit sur-le-champ la portée de cet événement. Néanmoins il demeura
-calme, et même, aux yeux malicieusement observateurs du maréchal
-Saint-Cyr, ne décela ni un trouble ni un sentiment d'humeur contre le
-maréchal Ney. Certes un instant d'emportement eût été excusable;
-pourtant dans cet épanchement familier de militaires parlant entre eux
-de leur profession, il sembla n'envisager dans ce qui venait d'arriver
-que le côté de l'art.--C'est un métier bien difficile que le nôtre!
-s'écria-t-il plusieurs fois; et comme pénétré des difficultés de ce
-grand art, le plus grand de tous après celui de gouverner, il releva
-avec une admirable précision de critique, et sans aucune sévérité, les
-fautes commises pendant cette courte campagne de trois jours,
-commencée à Wittenberg, et sitôt finie à Torgau. Il ne voulut jamais
-voir dans ces fautes que la preuve des difficultés inhérentes au
-métier, répéta souvent que la guerre était une chose singulièrement
-difficile, qu'il fallait beaucoup d'indulgence envers ceux qui la
-pratiquaient, et se montra lui-même de la plus rare équité, comme si
-un pressentiment surhumain l'avait averti dans le moment, que lui-même
-aurait bientôt besoin de cette justice indulgente qu'il réclamait pour
-les généraux malheureux. Entraîné par le feu de la conversation, dans
-laquelle il était éblouissant quand il s'y livrait, il dit que les
-généraux n'apportaient pas assez de réflexion dans leurs opérations;
-que, s'il en avait jamais le temps, il composerait un jour un livre,
-dans lequel il leur enseignerait les principes de la guerre, de
-manière à en rendre l'application claire et facile à tous, et parla
-de ce projet d'écrire un jour, comme s'il avait prévu qu'il passerait
-les six dernières années de sa vie dans un cruel exil, réduit à écrire
-sur un rocher de l'Océan! Le maréchal Saint-Cyr, que son penchant pour
-la contradiction rendait souvent paradoxal, nia la science, même
-l'expérience, soutint qu'on naissait général et qu'on ne le devenait
-pas, que les généraux gagnaient peu à vieillir dans l'exercice de leur
-profession, et que lui Napoléon avait fait sa plus belle campagne à
-vingt-six ans. Napoléon lui concéda en effet que lorsque les généraux
-n'étaient pas doués par la nature de certaines facultés, l'expérience
-leur profitait peu; et plongeant dans le passé, Il n'y en a eu qu'un,
-s'écria-t-il, qui méditant sans cesse sur son métier, ait gagné à
-vieillir, c'est Turenne!...--
-
-[En marge: Prodigieuse faculté de se distraire dont Napoléon était
-doué.]
-
-Ainsi après une nouvelle terrible, qui changeait considérablement sa
-position, Napoléon passa la soirée à disserter sur son art, et à
-charmer ses auditeurs, qui n'étaient pourtant pas tous bienveillants!
-Homme singulier et prodigieux, qui sans être né flegmatique, arrivait
-par la puissance de son esprit à s'arracher aux affaires présentes, à
-les oublier, à les dédaigner, à les juger de la hauteur de l'aigle,
-qui d'un vol vigoureux échappe à la terre pour planer dans les
-hauteurs du ciel!
-
-[En marge: Premier sentiment de la gravité de la situation.]
-
-Cependant il ne se faisait pas illusion, et songeant que dans son
-vaste empire tout avait été prévu pour la conquête, rien pour la
-défense, il voulut faire parvenir au ministre de la guerre l'ordre
-indirect de s'occuper des places du Rhin. Écrire lui-même au duc de
-Feltre qu'il commençait à douter de la possibilité de se maintenir en
-Allemagne, était un aveu pénible, et surtout dangereux à faire, car
-l'émotion de celui qui recevrait une telle confidence pourrait bien en
-amener la divulgation. Il imagina donc le soir même de faire adresser
-par M. de Bassano au ministre Clarke, une lettre écrite en chiffres,
-et conçue dans les termes suivants:
-
-[En marge: Ordre secret et indirect au ministre de la guerre, pour la
-mise en état de défense des places du Rhin.]
-
- «8 septembre 1813.
-
-»Les événements se pressent de telle manière qu'en laissant à S. M.
-des chances heureuses et brillantes, il est cependant de la prudence
-d'en prévoir de contraires. Je crois devoir, mon cher duc, m'en
-expliquer confidentiellement avec vous.
-
-»L'armée russe n'est pas notre ennemi le plus dangereux. Elle a
-éprouvé de grandes pertes, elle ne s'est pas renforcée, et, à sa
-cavalerie près, qui est assez nombreuse, elle ne joue qu'un rôle
-subordonné dans la lutte qui est engagée. Mais la Prusse a fait de
-grands efforts. Une exaltation portée à un très-haut degré a favorisé
-le parti qu'a pris le souverain. Ses armées sont considérables, ses
-généraux, ses officiers et ses soldats sont très-animés. Toutefois la
-Russie et la Prusse n'auraient offert que de faibles obstacles à nos
-armées, mais l'accession de l'Autriche a extrêmement compliqué la
-question.
-
-»Notre armée, quelque prix que lui aient coûté les victoires
-remportées, est encore belle et nombreuse. Mais les généraux et les
-officiers fatigués de la guerre n'ont plus ce mouvement qui leur
-avait fait faire de grandes choses. Le théâtre est trop étendu.
-L'Empereur est vainqueur toutes les fois qu'il est présent; mais il ne
-peut être partout, et les chefs qui commandent isolément répondent
-rarement à son attente. Vous savez ce qui est arrivé au général
-Vandamme. Le duc de Tarente a éprouvé des échecs en Silésie, et le
-prince de la Moskowa vient d'être battu en marchant sur Berlin.
-
-»Dans de telles circonstances, mon cher duc, et avec le génie de
-l'Empereur on peut encore tout espérer. Mais il se peut aussi que des
-chances contraires influent d'une manière fâcheuse sur les affaires.
-On ne doit pas trop le craindre, mais on doit le regarder comme
-possible, et ne rien négliger de ce que commande la prudence.
-
-»Je vous présente ce tableau afin que vous sachiez tout et que vous
-agissiez en conséquence.
-
-»Vous feriez sagement de veiller à ce que les places fussent mises en
-bon état, et d'y réunir beaucoup d'artillerie, car nous faisons
-souvent dans ce genre des pertes assez sensibles. Vous devriez vous
-entendre secrètement avec le directeur général des vivres pour faire
-dans les places du Rhin des approvisionnements extraordinaires, enfin
-pour préparer d'avance tout ce qui convient, afin que dans une
-circonstance extraordinaire S. M. n'éprouvât point de nouveaux
-embarras, et que vous ne fussiez pas pris au dépourvu.--Vous sentez
-que si je vous écris ainsi, c'est que j'ai bien réfléchi à ce qui se
-passe sous mes yeux, et que je suis assuré que je ne fais rien en cela
-que S. M. puisse désapprouver. Un grand succès peut tout changer et
-remettre les affaires dans la situation prospère où l'immense avantage
-remporté par S. M. les avait placées.
-
-»Accusez-moi, s'il vous plaît, réception de cette lettre.»
-
-[En marge: Matinée du 9 septembre en face du Geyersberg.]
-
-[En marge: Distribution des forces de Napoléon.]
-
-Le lendemain 9 Napoléon se rendit de très-bonne heure sur le terrain
-pour observer de ses yeux les mouvements de l'ennemi, et prescrire ses
-dispositions en conséquence. Il avait sous la main le 1er corps,
-récemment réorganisé par le comte de Lobau, et posté en avant de
-Zehist sur la route de Péterswalde, le 14e sous le maréchal Saint-Cyr
-rangé en avant de Dohna, sur la route de Furstenwalde. Il avait un peu
-en arrière à Mugeln, mais en position d'agir, trois divisions de la
-jeune garde sous le maréchal Mortier, et la cavalerie légère de la
-garde sous Lefebvre-Desnoëttes. Le reste de la jeune garde, la vieille
-garde, le corps de Marmont, la cavalerie de Latour-Maubourg, étaient à
-Dresde, pour parer aux accidents imprévus. Assez loin vers la droite,
-à quelques lieues sur la route de Freyberg, le maréchal Victor avec
-son corps d'armée surveillait les débouchés de la Bohême aboutissant à
-Leipzig. Le 1er et le 14e corps, les trois divisions de la jeune
-garde, pouvaient monter à environ 55 mille hommes, force suffisante
-pour accabler l'ennemi qu'on apercevait, surtout si on avait su que
-les Autrichiens venaient de commettre la faute de rétrograder en
-Bohême jusqu'à Tetschen et Leitmeritz, et qu'on n'avait devant soi que
-Wittgenstein et Kleist. Mais il était impossible de le savoir d'une
-manière sûre, et on en était réduit en ne voyant pas les Autrichiens,
-à se demander où ils pouvaient être. Au surplus Kleist et
-Wittgenstein faisaient bonne contenance, et ne paraissaient pas encore
-disposés à battre en retraite.
-
-[En marge: Projet de déborder l'ennemi, imaginé par le maréchal
-Saint-Cyr, et adopté par Napoléon.]
-
-On était donc à Zehist et à Dohna sur deux routes à la fois, d'un côté
-celle de Péterswalde qui passait par Zehist, Gieshübel, Péterswalde,
-chaussée neuve, large, partout facile pour l'artillerie, et de l'autre
-celle de Liebstadt, passant par Furstenwalde, chaussée vieille,
-praticable à l'artillerie jusqu'à Furstenwalde seulement, et à partir
-de ce point franchissant la haute montagne du Geyersberg par des
-sentiers inaccessibles aux gros charrois. C'est cette dernière route
-que Kleist dans la fatale journée de Kulm avait suivie jusqu'à
-Furstenwalde, puis avait quittée pour gagner par un détour à gauche la
-chaussée de Péterswalde, et tomber sur Kulm à l'improviste. Le
-maréchal Saint-Cyr qui entendait aussi bien que personne l'art de
-profiter du terrain, proposa de prendre la vieille route de Bohême, en
-se portant rapidement avec le 14e corps et la jeune garde sur
-Liebstadt et Furstenwalde, de se jeter ensuite dans le flanc de la
-colonne ennemie qui avait pris la route de Péterswalde, de couper
-ainsi une portion plus ou moins forte de cette colonne, et même
-parvenu à Furstenwalde, de franchir le Geyersberg, et d'intercepter la
-retraite de l'ennemi vers la Bohême. Avec des efforts, avec beaucoup
-de sapeurs, on finirait bien, selon lui, par frayer un chemin à
-l'artillerie, et par arriver sur le revers du Geyersberg, c'est-à-dire
-sur les derrières de l'ennemi, avec une quantité suffisante de canons.
-
-[En marge: Marche le 9 sur Furstenwalde.]
-
-Napoléon approuva sur-le-champ ce plan ingénieux, bien qu'il ne sût
-pas si on pourrait passer le Geyersberg avec de l'artillerie; mais en
-tous cas, on avait toujours plus de chances de causer du mal à
-l'ennemi en le côtoyant, qu'en l'abordant directement sur la grande
-route de Péterswalde. En conséquence, tandis que le comte de Lobau
-avec le 1er corps s'avançait de Zehist sur Gieshübel, de Gieshübel sur
-Péterswalde, poussant l'ennemi de front, Napoléon se tenant de sa
-personne auprès de la colonne de Saint-Cyr, s'avança latéralement, et
-d'un pas assez rapide, avec le 14e corps et la jeune garde. On marcha
-ainsi toute la journée du 9.
-
-Kleist et Wittgenstein, sans avoir aperçu les renforts amenés par
-Napoléon, avaient reconnu sa présence à la seule allure des troupes,
-et s'étaient aussitôt mis en retraite. Toutefois ils se repliaient
-sans précipitation, et Napoléon cheminant parallèlement à eux, sur la
-vieille route de Bohême, les voyait toujours de flanc, et quoiqu'il
-n'eût pas assez d'avance pour les couper en se jetant d'une route sur
-l'autre, se flattait de les prendre à revers le lendemain, s'il
-pouvait, arrivé au pied des montagnes, les franchir avec son
-artillerie. On bivouaqua le 9 au soir à Furstenwalde.
-
-[En marge: Tentative, le 10 au matin, pour passer le Geyersberg avec
-de l'artillerie, et couper la retraite à l'ennemi.]
-
-Le lendemain matin 10 septembre on se porta par Ebersdorf vers un col
-d'où l'on découvrait le triste théâtre des événements de Kulm. À
-droite on avait les hauteurs du Geyersberg, à gauche celles du
-Nollenberg, le long desquelles se développait la grande route de
-Péterswalde pour descendre en Bohême. Napoléon franchit ce col
-accompagné du maréchal Saint-Cyr et de ses troupes légères, et vit à
-une certaine distance sur sa gauche les troupes ennemies se hâtant de
-repasser les montagnes, et menacées d'en être empêchées si on
-parvenait à traverser le col avec des moyens d'artillerie suffisants.
-Alors en prenant une bonne position sur l'une des hauteurs qui
-dominaient la route, on pouvait réduire l'ennemi à faire par des
-sentiers presque impraticables une retraite désastreuse, et se
-procurer une brillante revanche de Kulm.
-
-[En marge: Inutilité de cette tentative.]
-
-[En marge: Napoléon, par de fortes raisons ignorées du maréchal
-Saint-Cyr, se décide à rentrer dans Dresde, sans autre résultat que
-d'avoir éloigné l'ennemi.]
-
-L'artillerie pleine d'ardeur s'engagea bravement au milieu des
-rochers. Soldats et sapeurs se mirent à l'ouvrage, mais ne purent
-hisser leurs canons jusqu'à la hauteur du col, et l'artillerie se vit
-ainsi arrêtée par des obstacles insurmontables. Il lui aurait fallu
-vingt-quatre heures pour les vaincre, et dans cet intervalle l'ennemi
-devait avoir défilé tout entier. En ne franchissant le Geyersberg que
-le lendemain, ou en allant par un détour à gauche regagner la route de
-Péterswalde, on aurait pu, il est vrai, serrer les Prussiens et les
-Russes d'assez près pour les atteindre, et les assaillir hardiment si
-on avait su qu'ils étaient séparés des Autrichiens. Mais ce parti
-présentait bien des chances auxquelles la prudence ne permettait pas
-de s'exposer. En effet, l'absence des Autrichiens n'était qu'une
-conjecture; on ne les avait pas vus de ce côté-ci des montagnes, mais
-ils pouvaient être de l'autre, et ce n'était pas avec 55 mille hommes
-qu'il eût été sage d'en aborder 130 mille. Même sans les Autrichiens,
-Kleist et Wittgenstein devaient avoir près de 70 mille hommes, en
-comptant les gardes russe et prussienne restées au delà des montagnes,
-et quoique avec 55 mille hommes bien postés, on pût leur causer
-beaucoup de dommage, descendre dans la plaine à leur suite n'était pas
-très-prudent, surtout quand on était rappelé vers Dresde par plusieurs
-raisons graves, telles que la bataille perdue de Dennewitz, une
-nouvelle agression de Blucher contre Macdonald, et enfin l'apparition
-de nombreux partisans sur toutes les routes aboutissant de la Bohême à
-la Saxe. Dès qu'il était impossible de franchir le Geyersberg dans
-deux heures pour couper la grande route, il n'y avait plus rien
-d'utile à tenter, et Napoléon qui, saisissant d'un coup d'oeil tous
-les aspects d'une situation, ne perdait pas de temps à se résoudre,
-prit sur-le-champ le parti de s'arrêter. Toutefois comme il était
-importuné de la nouvelle fréquemment répétée de l'irruption des
-partisans en Saxe, il voulut que ses troupes restassent en position,
-le maréchal Saint-Cyr au Geyersberg, le comte de Lobau au Nollenberg,
-l'un et l'autre au débouché des montagnes. Il avait l'intention, si
-ces partisans n'étaient que les avant-coureurs de corps plus
-considérables commençant sur Leipzig une opération qu'il avait
-toujours crue probable, de les retenir quelques jours en les
-intimidant par sa présence au-dessus de Kulm, ce qui lui donnait le
-temps de faire des dispositions proportionnées à ce nouveau danger.
-
-[En marge: Retour de Napoléon à Dresde.]
-
-En conséquence, sur ce terrain hérissé de rochers, où les sapeurs et
-les soldats s'épuisaient en inutiles efforts pour faire passer
-l'artillerie, Napoléon prit à part le maréchal Saint-Cyr, et lui
-déclara qu'il renonçait à cette tentative, sans lui exprimer tous ses
-motifs, trop nombreux pour être détaillés, et d'ailleurs pas tous
-bons à dire. Il lui ordonna de se tenir deux jours au moins dans une
-position menaçante au-dessus de Toeplitz, puis il quitta le maréchal,
-qui fut fort étonné et fort mécontent de voir abandonner un projet
-dont il était épris, et dont il espérait de grands résultats[21].
-Napoléon alla par Breitenau à Hollendorf, donner les mêmes
-instructions au comte de Lobau, lui prescrire par conséquent de garder
-une attitude menaçante au débouché des montagnes, puis revint coucher
-à Breitenau. Il consacra la journée du 11 à revoir toutes les
-positions de cette contrée, tant sur le plateau de Pirna que sur celui
-de Gieshübel, et rentra le 12 à Dresde.
-
- [Note 21: Ici encore, toujours appliqué que nous sommes à
- rechercher la vérité rigoureuse, nous relèverons un passage
- des Mémoires du maréchal Saint-Cyr, qui, retraçant à sa
- manière les faits que nous venons de rapporter (tome IV de
- ses Mémoires, page 157 et suivantes), raconte avec
- étonnement et humeur le brusque changement de détermination
- de Napoléon, déplore de n'avoir plus retrouvé en lui ce
- jour-là le grand homme que le Saint-Bernard n'avait pu jadis
- ni intimider ni arrêter. S'il était vrai, ce qui n'est pas,
- que dans ces dernières campagnes on eût à regretter le grand
- homme de Rivoli et de Marengo, ce ne serait pas cette fois.
- D'abord il y a des faits que le maréchal Saint-Cyr a
- exagérés, il y en a d'autres qu'il a ignorés. Il prétend que
- le passage du Geyersberg était facile à rendre praticable;
- or, une lettre de Napoléon à M. de Bassano, laquelle, par un
- hasard heureux pour l'histoire, rend compte de cette
- circonstance, dit positivement qu'il avait été impossible de
- frayer la route, et certes Napoléon y avait un tel intérêt,
- et il en avait de plus un tel désir, que si on l'avait pu
- (bien entendu dans le nombre d'heures nécessaire) il
- n'aurait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encore
- beaucoup sur la faute de n'avoir pas profité de l'absence
- des Autrichiens pour accabler Kleist et Wittgenstein: or,
- cette absence par lui soupçonnée, mais tout à fait inconnue
- alors, et peu présumable, n'est devenue une certitude que
- depuis beaucoup de publications historiques, et le jugement
- du maréchal n'est plus dès lors qu'un jugement porté après
- coup, et reposant sur des données qui sont inexactes en se
- référant aux circonstances du moment. Enfin le maréchal
- ignorait tout ce que Napoléon venait d'apprendre, et ne lui
- avait pas dit, de la situation de Macdonald, de celle de
- Ney, et de l'apparition des partisans en Saxe, apparition
- inquiétante et qui pouvait être interprétée de bien des
- manières. Le maréchal a donc porté un jugement erroné, faute
- de connaître tous les faits ou de vouloir les interpréter
- équitablement, et cette divergence d'opinion, entre deux
- hommes présents à la même heure sur les mêmes lieux, tous
- deux fort compétents, est une nouvelle preuve de la
- difficulté de bien juger les événements de cette nature, par
- conséquent d'écrire l'histoire en toute vérité.]
-
-[En marge: Réflexions auxquelles il se livre sur la gravité de sa
-situation.]
-
-[En marge: Évidence du plan des coalisés, consistant à épuiser
-Napoléon, pour l'envelopper ensuite et l'accabler.]
-
-[En marge: Succès de ce plan, dû surtout à l'étendue que Napoléon
-avait donnée au rayon de ses opérations.]
-
-Napoléon revenu à Dresde avait de quoi réfléchir à sa situation, qui
-était grave en effet, et commençait même à devenir inquiétante. Ce
-plan adopté à Trachenberg de marcher tous ensemble sur lui, en se
-dérobant dès qu'il était présent, et en avançant résolûment dès qu'on
-ne trouvait que ses lieutenants, de l'épuiser ainsi en courses
-inutiles, et puis quand on l'aurait suffisamment affaibli, d'essayer
-de l'envelopper pour l'étouffer, ce plan, qui exigeait une condition
-parfaitement remplie ici, l'ensemble et la persévérance des efforts,
-la résignation aux pertes quelles qu'elles fussent, ce plan n'était
-que trop évident, et suivi avec une constance funeste. Napoléon le
-discernait à merveille, et sans être découragé, il voyait clairement
-se former autour de lui le cercle de fer dans lequel on cherchait à
-l'enfermer. Quatre batailles avaient été perdues là où il n'était
-point, par les fautes que nous avons signalées, fautes remontant
-accidentellement à ses lieutenants, fondamentalement à lui. Ces
-batailles de la Katzbach, de Gross-Beeren, de Kulm, de Dennewitz,
-avaient dépassé en importance la victoire de Dresde; Napoléon quand il
-avait voulu y remédier, avait inutilement couru ces jours derniers sur
-Gorlitz, aujourd'hui sur Péterswalde, et il avait vu s'échapper sans
-cesse l'occasion d'une grande bataille par laquelle il espérait tout
-réparer. Cette situation révélait le seul défaut de son plan de guerre
-concentrique autour de Dresde, celui d'en avoir trop étendu le rayon,
-de l'avoir porté à gauche jusqu'à Berlin, en face jusqu'à Lowenberg,
-tandis qu'à droite il était forcé de le pousser jusqu'à Péterswalde,
-ce qui faisait qu'il était trop éloigné de ses lieutenants pour les
-diriger et les soutenir, et que les courses qu'il était
-alternativement obligé d'exécuter lui enlevaient à lui son temps, à
-ses soldats si jeunes la force et le courage. Ce défaut Napoléon le
-sentait maintenant, et contraint par l'évidence, surtout par le
-fâcheux état de ses troupes, il forma le projet de rapprocher de lui
-ses lieutenants. C'est dans ces intentions qu'il s'en revint à Dresde,
-et c'est d'après elles que ses nouveaux ordres furent calculés et
-donnés.
-
-[En marge: Réduction déjà considérable de ses forces, et augmentation
-de celles de ses ennemis.]
-
-[En marge: Disposition à la désertion commençant à se manifester parmi
-ses troupes.]
-
-Napoléon à la reprise des hostilités avait environ 360 mille hommes de
-troupes actives sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, sans compter ni les
-garnisons de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ni le corps d'Augereau
-destiné à la Bavière, ni le corps du prince Eugène consacré à
-l'Italie. Il ne lui en restait guère plus de 250 mille à la suite des
-événements que nous venons de raconter. Au lieu de 80 mille hommes,
-Macdonald avec les 11e, 3e et 5e corps, en avait tout au plus 50, et
-avec Poniatowski 60. Au lieu de 70 mille, le corps d'Oudinot transmis
-à Ney n'en conservait pas plus de 32 mille. La cavalerie avait déjà
-perdu beaucoup de cavaliers et de chevaux dans ses allées et venues
-continuelles. Les corps demeurés autour de Dresde avaient fait aussi
-des pertes, moins considérables, il est vrai, parce que la débandade,
-résultat le plus sérieux des défaites, ne les avait pas atteints;
-pourtant ils en avaient fait d'assez notables, et le total de nos
-troupes, comme on vient de le voir, le corps de Davout compris, ne
-dépassait pas 250 mille hommes, lesquels représentaient nos forces
-disponibles de Dresde à Hambourg. C'était donc une perte de plus de
-100 mille hommes, due au feu, aux fatigues, à la désertion des rangs,
-désertion très-grande chez nos alliés, bien moindre chez les Français,
-et d'une autre nature, mais réelle cependant. Les alliés, ou passaient
-à l'ennemi, ou s'enfuyaient chez eux en habits de paysans, comme les
-Saxons et les Bavarois; les Français n'allaient jamais à l'ennemi bien
-entendu, ne cherchaient qu'en petit nombre à regagner le Rhin,
-quoiqu'on aperçût déjà quelques maraudeurs sur la route de Mayence,
-mais erraient sans armes autour de l'armée, épuisant les ressources
-des villages où ils trouvaient un abri. Cette triste disposition à se
-débander, que la fatigue, le froid et surtout la faim, avaient
-développée d'une manière désastreuse dans l'armée de Russie,
-commençait à reparaître dans notre armée d'Allemagne jusqu'à donner
-des inquiétudes, et toute marche nouvelle, tout événement incertain,
-toute défaite surtout, l'aggravaient beaucoup. L'attention de Napoléon
-était à cet égard singulièrement éveillée, et il était fort préoccupé
-entre autres soins de celui des subsistances qui devenaient rares,
-tant il y avait de milliers d'hommes qui depuis le mois de mai
-vivaient autour de Dresde, dans un rayon de vingt-cinq lieues.
-
-Telles furent les réflexions qui l'assaillirent à son retour à Dresde,
-réflexions dont les maux éprouvés par l'ennemi ne le consolaient
-guère. Si en effet les coalisés avaient essuyé des pertes, c'était par
-le feu, et nullement par la défection ou les privations. Une ardeur
-inouïe chez les Allemands leur amenait à chaque instant de nouveaux
-soldats par les levées de volontaires; de grands efforts
-administratifs de la part des Russes, leur avaient procuré les recrues
-longtemps attendues. On parlait même d'une armée de réserve arrivant
-de Pologne sous le général Benningsen, et les Autrichiens dont les
-rangs s'étaient fort éclaircis à Dresde, en avaient été dédommagés par
-l'achèvement de leurs préparatifs qui à la reprise des hostilités
-n'étaient pas terminés. Les vivres abondaient parmi eux, grâce au
-concours des populations, aux subsides britanniques, et à un
-papier-monnaie soutenu par la bonne volonté universelle. Aussi la
-coalition loin d'avoir moins de soldats qu'elle n'en espérait, en
-avait davantage. Ses effectifs au lieu d'être descendus au-dessous de
-500 mille hommes, approchaient de 600 mille. C'est à cette masse
-formidable que Napoléon devait tenir tête avec 250 mille soldats (220
-mille en retranchant le corps de Davout relégué à Hambourg), jeunes,
-assez fatigués, déjà moins bien nourris qu'au début de la campagne,
-étonnés bien que non découragés par plusieurs échecs consécutifs, et
-du reste quoique comptant un peu moins sur la fortune de leur chef,
-ayant toujours une foi entière en son génie.
-
-[En marge: Napoléon prend le sage parti de resserrer sa position
-autour de Dresde.]
-
-[En marge: Admirables combinaisons imaginées par suite de cette
-résolution.]
-
-Napoléon sans songer encore à évacuer l'Elbe pour le Rhin, sacrifice
-qu'on ne devait pas attendre de lui, sans songer non plus à porter le
-centre de ses opérations à Berlin, vaste projet que deux batailles
-perdues sur la route de cette capitale rendaient désormais
-impraticable, résolut seulement de resserrer sa position autour de
-Dresde, et de s'y concentrer pour avoir moins de chemin à parcourir
-lorsqu'il se porterait sur l'un des points de la circonférence, et
-pour être en mesure, en restreignant le cercle à garder, de réunir
-dans sa main une réserve plus forte.
-
-[En marge: Nouvelle position assignée à Macdonald.]
-
-Le maréchal Macdonald avait été obligé de quitter la Sprée et Bautzen
-par un mouvement que Blucher avait tenté contre Poniatowski, en
-rejetant ce dernier de Zittau sur Rumburg. Il était venu se ranger en
-avant de Dresde le long d'une petite rivière, la Wessnitz, qui coule
-transversalement vers cette capitale en décrivant de nombreux
-circuits, et vient un peu à droite tomber dans l'Elbe à la hauteur de
-Pirna. (Voir la carte nº 58.) Napoléon établit le maréchal Macdonald
-avec ses anciens corps et Poniatowski le long de cette rivière ou un
-peu en arrière, Poniatowski (le 8e) à Stolpen, Lauriston (le 5e) à
-Dröbnitz, Gérard (le 11e) à Schmiedefeld, Souham (le 3e) à Radeberg.
-Il pouvait en une heure avoir de leurs nouvelles, en deux heures être
-à leur tête, et en six avoir envoyé les quarante mille hommes de la
-garde au secours de celui qui serait attaqué.
-
-[En marge: Retranchements élevés sur le plateau de Pirna et de
-Berg-Gieshübel pour consolider la position de Saint-Cyr et de Lobau.]
-
-Napoléon s'appliqua en outre à lier la position de Macdonald placé au
-delà de l'Elbe, avec celle du maréchal Saint-Cyr posté en deçà, et
-rien n'égale l'art, la profondeur de calcul avec lesquels il disposa
-toutes choses conformément au but nouveau qu'il se proposait. D'abord
-il ne voulait pas à chaque alternative de ce jeu de va-et-vient auquel
-l'ennemi continuait de se livrer, être forcé d'accourir, ce qui était
-à la fois fatigant et dérisoire, et il prit des mesures telles que
-l'ennemi, s'il descendait encore par Péterswalde sur Pirna, fût obligé
-d'emporter des positions extrêmement fortes, dès lors contraint de
-s'engager sérieusement, auquel cas il vaudrait la peine de se déplacer
-pour avoir affaire à lui. En conséquence Napoléon fit retrancher tous
-les abords des deux plateaux de Pirna et de Gieshübel, sur lesquels
-l'ennemi devait nécessairement déboucher en venant de Péterswalde. Le
-plateau de Pirna supérieur à celui de Gieshübel était abordable vers
-Langen-Hennersdorf. Napoléon y ordonna la construction de plusieurs
-redoutes, et y plaça la 42e division (Mouton-Duvernet) du corps de
-Saint-Cyr, laquelle gardait en même temps les deux forts de
-Lilienstein et de Koenigstein sur l'Elbe. Le plateau de Gieshübel
-était traversé par la route de Péterswalde à Gieshübel même: Napoléon
-y fit construire également de nombreuses redoutes, et y envoya les
-trois divisions du 1er corps sous le comte de Lobau. Pour mettre de
-l'unité dans la défense, la 42e, séparée du 14e corps auquel elle
-appartenait, fut rangée sous les ordres du comte de Lobau, mais le
-comte de Lobau lui-même sous ceux du maréchal Saint-Cyr, ce qui
-replaçait tout dans la main de ce dernier. Pour le cas où les deux
-plateaux seraient forcés vers leur bord extérieur, Napoléon fit
-retrancher le château de Sonnenstein à l'extrémité du plateau de
-Pirna, et le Kohlberg à l'extrémité de celui de Gieshübel, de façon
-que l'ennemi eût une seconde ligne d'ouvrages défensifs à enlever.
-Enfin à droite de ces deux positions, en face de la vieille route de
-Toeplitz qui donnait par Liebstadt sur Borna, Napoléon posta le
-maréchal Saint-Cyr avec les trois autres divisions du 14e corps, et
-lui prescrivit d'élever des redoutes armées d'une puissante
-artillerie, en sorte qu'une nouvelle tentative contre ces positions
-bien retranchées, et défendues par sept divisions, ne pût être
-désormais une pure feinte.
-
-[En marge: La garde placée en réserve à Dresde.]
-
-[En marge: Lien secret établi à Pirna entre la position de Macdonald
-et celle de Saint-Cyr.]
-
-Napoléon prépara en outre une réserve à ces sept divisions, et la fit
-consister en deux divisions de la jeune garde établies dans la ville
-de Pirna. Le reste de la jeune garde et toute la vieille, demeurèrent
-comme d'usage à Dresde. Napoléon ne s'en tint pas à ces précautions.
-Par un calcul des plus savants, il voulut créer un lien secret et
-ignoré entre les deux positions, de Macdonald au delà de l'Elbe, de
-Saint-Cyr en deçà. Il y avait, comme on l'a vu, deux ponts entre les
-forts de Koenigstein et de Lilienstein; il en fit jeter un troisième à
-Pirna même, de manière que la jeune garde et une portion du corps de
-Saint-Cyr pussent passer l'Elbe à l'improviste, et tomber sur la
-gauche de l'ennemi qui attaquerait Macdonald, et que de son côté
-Poniatowski avec une portion de Macdonald pût venir se ruer sur la
-droite de l'ennemi qui attaquerait Saint-Cyr. Grâce à ces
-combinaisons, Napoléon pouvait espérer de n'avoir plus tant à courir,
-ou du moins de ne plus le faire en pure perte, contre des corps qui
-s'amuseraient à le troubler sans vouloir se battre sérieusement.
-
-[En marge: Position du maréchal Victor à Freyberg.]
-
-Le maréchal Victor dut rester à Freyberg, d'où il observait les autres
-débouchés qui, plus en arrière encore de Dresde, par la route de
-Commotau à Chemnitz, permettaient à l'ennemi de se diriger sur
-Leipzig. À Freyberg il n'interceptait pas précisément cette route,
-mais il lui était facile de s'y porter en une ou deux marches, et en
-même temps il n'était pas assez avancé pour ne pouvoir pas rétrograder
-jusqu'à la position du maréchal Saint-Cyr, si l'ennemi débouchait par
-Toeplitz sur Péterswalde ou sur Altenberg.
-
-[En marge: Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques mille chevaux,
-chargé de poursuivre les partisans qui infestent déjà la Saxe.]
-
-[En marge: Nouvelle organisation du corps de Ney.]
-
-[En marge: Son établissement à Torgau et son rôle.]
-
-[En marge: Position du maréchal Marmont, dans la double intention de
-lier Macdonald avec Ney, et de couvrir les arrivages de l'Elbe.]
-
-Quant aux partisans dont on voyait déjà un bon nombre, non-seulement
-sur la grande route de Commotau à Leipzig, mais même sur celle de
-Carlsbad à Zwickau, Napoléon s'occupa de mettre à leur poursuite une
-certaine quantité de cavalerie, afin de les pourchasser s'ils
-n'étaient que des partisans lancés à l'aventure, et de découvrir leur
-destination s'ils étaient l'avant-garde d'une armée marchant sur
-Leipzig. Il détacha de Dresde Lefebvre-Desnoëttes, et le fit
-rétrograder sur Leipzig avec trois mille hommes de cavalerie légère.
-Ce brave général devait recevoir à titre de prêt momentané la
-cavalerie légère du maréchal Victor qui était à Freyberg, celle du
-maréchal Ney qui s'était fort rapproché depuis la bataille de
-Dennewitz, emprunter 2 mille hommes d'infanterie au général Margaron,
-qui avait à Leipzig beaucoup de bataillons de marche, et fondre avec
-ces forces réunies sur les partisans qui infestaient la Saxe, et
-avaient intercepté quelques-uns de nos convois. Ces partisans
-paraissaient dirigés par le général saxon Thielmann, le même qui
-avait passé à l'ennemi quelques mois auparavant, et qui avec de
-l'infanterie légère autrichienne, avec les Cosaques de Platow, venait
-à la fois couper nos communications, et tâcher d'insurger la Saxe sur
-nos derrières. Lefebvre-Desnoëttes avec 7 ou 8 mille cavaliers et 2
-mille fantassins, avait mission de le poursuivre sans relâche. Voici
-enfin ce que Napoléon ordonna relativement au maréchal Ney
-actuellement replié sur Torgau. D'abord pour donner plus d'unité à son
-armée, il avait prononcé la dissolution du 12e corps spécialement
-commandé par le maréchal Oudinot, et rappelé ce maréchal auprès de
-lui. Il avait ensuite réparti les deux divisions françaises de ce
-corps entre les 4e et 7e, pour procurer à ceux-ci plus de consistance,
-et consacré à l'escorte des grands parcs ce qui restait de la division
-bavaroise, car on ne pouvait plus avec sûreté employer cette division
-devant l'ennemi. Il avait dédommagé le maréchal Ney des trois ou
-quatre mille hommes perdus par cette nouvelle distribution, en lui
-accordant l'excellente division polonaise Dombrowski, laquelle s'était
-conduite et allait encore se conduire héroïquement. Elle avait fait
-partie de la division active de Magdebourg sortie de cette place sous
-le général Girard, et condamnée maintenant à l'inaction pour un temps
-indéfini. Le maréchal Ney renforcé quelque peu en nombre, beaucoup en
-qualité de troupes, n'ayant plus que des lieutenants généraux sous ses
-ordres, fut établi entre Torgau et Wittenberg, afin d'arrêter ou du
-moins de contrarier beaucoup le premier corps ennemi qui essayerait de
-franchir l'Elbe. Comptant environ 36 mille hommes, dans lesquels il
-n'y avait plus en fait d'Allemands que quelques mille Saxons bien
-entourés, il ne pouvait pas sans doute tenir tête à une grande armée
-qui voudrait résolûment passer l'Elbe, mais il pouvait disputer le
-passage jusqu'à ce qu'on vînt à son secours, ce qui était devenu
-facile depuis que Napoléon avait concentré si habilement, quoique si
-tardivement, ses forces autour de Dresde. Napoléon adopta
-provisoirement une mesure pour assurer au maréchal Ney les secours
-dont il aurait besoin, mesure combinée, comme toutes celles qu'il
-prenait, de manière à pourvoir à plus d'un objet à la fois. Il plaça
-le maréchal Marmont avec 18 mille hommes d'infanterie, le général
-Latour-Maubourg avec 6 mille hommes de cavalerie à Grossenhayn, un peu
-au delà de l'Elbe, et à mi-chemin de Dresde à Torgau. Ces 24 mille
-hommes, outre qu'ils étaient prêts à tendre la main au maréchal Ney,
-devaient protéger la navigation de Hambourg à Dresde, laquelle ne
-laissait pas d'offrir des difficultés, depuis que l'ennemi victorieux
-sur notre gauche s'approchait des bords de l'Elbe. Or on doit se
-souvenir que notre principale source d'alimentation était à Hambourg.
-Cette ville s'était rachetée au moyen d'une contribution de 50
-millions de francs, acquittés en grande partie en blés, en riz, en
-viandes salées, en spiritueux, en cuirs, en chevaux. Une portion de
-cet approvisionnement avait remonté jusqu'à Dresde, et avait été
-consommée. Il en restait à Torgau une partie dont on avait déjà
-besoin, car malgré les soins constants de M. Daru, malgré l'habileté
-qu'il déployait pour l'entretien de l'armée, il avait peine à y
-suffire, surtout depuis que les partisans interceptaient les routes de
-Leipzig à Dresde, et empêchaient l'exécution des marchés passés avec
-les habitants. Le corps cantonné à Grossenhayn devait donc assurer les
-arrivages par l'Elbe, ainsi que les évacuations de blessés et de
-malades que Napoléon avait ordonnées sur Torgau, Wittenberg et
-Magdebourg.
-
-[En marge: Ensemble admirable des dispositions de Napoléon, ayant
-toutes pour but de passer l'hiver à Dresde.]
-
-Telles furent les dispositions de Napoléon rentré à Dresde vers le
-milieu de septembre. Avec quatre corps réunis sous Macdonald en avant
-de l'Elbe, avec les corps de Lobau, de Saint-Cyr, de Victor en arrière
-de ce fleuve, appuyés les uns et les autres sur de bons retranchements
-et communiquant par plusieurs ponts, avec Ney gardant aux environs de
-Torgau l'Elbe inférieur, avec Marmont et Latour-Maubourg placés entre
-Torgau et Dresde pour protéger les arrivages du fleuve et flanquer
-Macdonald, ou descendre au secours de Ney, enfin avec toute la garde
-concentrée à Dresde et prête à fournir un secours de 40 mille hommes à
-celui de nos généraux qui serait en danger, sans compter 7 à 8 mille
-chevaux courant sur nos derrières après les partisans, Napoléon
-croyait avoir suffisamment resserré sa position, et se flattait même,
-les vivres arrivant, de pouvoir y passer l'hiver, sans être obligé de
-s'épuiser en courses vaines afin de parer à de trompeuses
-démonstrations. Il espérait n'avoir dorénavant à se déplacer que pour
-des tentatives sérieuses, qui vaudraient alors la peine qu'elles lui
-coûteraient. Il n'y avait dans cette nouvelle manière de s'asseoir
-qu'un grave inconvénient, c'était la perte probable des places de
-l'Oder et de la Vistule, dont les nombreuses garnisons bloquées depuis
-plus de huit mois, ne tiendraient certainement pas au delà de
-l'automne. Ces garnisons laissées au loin dans l'espérance de revenir
-sur la Vistule après une bataille gagnée, étaient un sacrifice fait au
-désir chimérique de rétablir sa grandeur en une journée. Napoléon n'y
-comptait plus guère aujourd'hui, et il voyait avec regret ces
-excellentes troupes sacrifiées; mais le mal était sans remède, et
-actuellement il ne songeait qu'à se maintenir sur l'Elbe, ce qui
-d'ailleurs était pour ces mêmes garnisons, tant qu'il y resterait, un
-sujet de confiance et une raison de persévérer dans leur résistance.
-Rien ne disait, après tout, qu'à la suite d'un événement heureux on ne
-pourrait pas obtenir encore un armistice, dont les conditions
-essentielles seraient de ravitailler les places de l'Oder et de la
-Vistule.
-
-[En marge: Nouvelle apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de
-Péterswalde.]
-
-[En marge: Motifs qui la ramènent.]
-
-[En marge: Napoléon revient avec sa réserve sur la chaussée de
-Péterswalde, et arrive le 15 au soir à Hollendorf.]
-
-Tandis qu'il était à Dresde livré à ces pensées, un nouvel acte de
-l'ennemi le rappela tout à coup vers Pirna. Les Autrichiens ne
-s'étaient éloignés un moment des Russes et des Prussiens que pour se
-réorganiser un peu en arrière du théâtre de la guerre, et pour parer à
-quelque tentative sur Prague, qu'on avait pu craindre en voyant
-Napoléon marcher vers Bautzen et Gorlitz, comme il avait fait les 4 et
-5 septembre. Rassurés à cet égard par son retour à Dresde, remis de
-leur rude secousse des 26 et 27 août, ils étaient revenus à Toeplitz,
-sentant bien que c'était une faute grave que de laisser Kleist et
-Wittgenstein seuls devant la grande armée française. À peine
-Wittgenstein les avait-il sus de retour, que le 13 septembre au matin
-il résolut de repasser les montagnes, et de se montrer de nouveau
-devant les camps de Pirna et de Gieshübel. Il n'y avait pas grand
-effort à faire pour entraîner le Prussien Kleist, et ils revinrent
-tous deux à la charge contre Saint-Cyr et Lobau, surtout contre ce
-dernier. Malheureusement les ouvrages ordonnés par Napoléon le 11 à
-Langen-Hennersdorf, à Gieshübel, à Borna, ne pouvaient être exécutés
-le 13, et le comte de Lobau fut obligé de se replier sur Gieshübel,
-comme on l'avait déjà fait si souvent. Bien qu'il n'y eût aucun goût
-et qu'il ne s'en promît aucun résultat, Napoléon dut opérer un nouveau
-mouvement vers les montagnes de la Bohême, pour rejeter encore une
-fois au delà de ces montagnes les incommodes et fatigants visiteurs
-qui venaient sans cesse le troubler. Ayant d'ailleurs conservé une
-partie de la garde à Pirna même, il n'avait à déplacer que sa personne
-qu'il ne ménageait guère, et il revint avec la vague espérance à
-laquelle il se livra peu, mais qu'il ne put absolument chasser de son
-esprit, de punir une bonne fois l'ennemi si tracassier qu'il avait sur
-sa droite, et déjà un peu sur ses derrières. Aspirant avec passion à
-une grande bataille qui seule pouvait changer sa situation, il se
-laissait aller malgré lui à l'espoir de la rencontrer sur son chemin
-dès que l'ennemi approchait.
-
-[En marge: Le 16, Napoléon après avoir vivement poursuivi l'ennemi, se
-trouve en vue de Kulm et en présence de l'armée de Bohême, forte de
-120 mille hommes.]
-
-Le 15 donc, se mettant à la tête de ses troupes, il fit pousser
-l'ennemi de Gieshübel sur Péterswalde, où il le ramena en grand
-désordre. Mais quelques centaines d'hommes pris ou hors de combat
-furent encore le seul résultat de ce mouvement. Toutefois l'ennemi
-resta fièrement en avant des défilés de Hollendorf, au pied du faîte
-qui sépare la Saxe de la Bohême. On priait le ciel qu'il fût aussi
-fier le lendemain, mais on ne s'en flattait guère. Le lendemain 16
-septembre, Napoléon, malgré un temps horrible, se remit en marche vers
-le défilé de Hollendorf, tandis qu'à sa droite le maréchal Saint-Cyr
-s'était dirigé de Furstenwalde sur le col du Geyersberg, qu'on n'avait
-pas pu franchir le 10. On poursuivit chaudement les Russes et les
-Prussiens, et une fois les gorges franchies, les lanciers rouges de la
-garde fondant sur eux au galop en piquèrent et en prirent un bon
-nombre. Dans l'une de ces charges, le colonel Blucher, fils du général
-de ce nom, tomba dans nos mains atteint de plusieurs coups de lance.
-Il fut traité avec beaucoup d'égards, et à son langage on put voir que
-la nécessité, mais non l'affection et la confiance, tenait les
-coalisés unis. Peu importait au reste le sentiment qui les
-rapprochait, s'il suffisait pour les faire marcher ensemble encore une
-ou deux campagnes! Sur la fin du jour on arriva aux environs de Kulm,
-et on trouva toute l'armée de Bohême établie dans de fortes positions,
-où il était difficile de l'attaquer avec succès. Elle y était au
-nombre d'au moins 120 mille hommes depuis le retour des Autrichiens,
-et Napoléon n'en avait pas plus de 60 mille. Il aurait fallu qu'il
-dégarnît les bords de l'Elbe pour en amener davantage, et l'occasion
-n'était vraiment pas assez belle pour qu'il risquât de découvrir les
-points importants de sa ligne.
-
-[En marge: Le 17, un orage affreux et l'insuffisance de ses forces
-ramènent Napoléon à Pirna.]
-
-[En marge: Nouvelle position qu'il prend avec sa réserve à Pirna.]
-
-[En marge: Chagrin de Napoléon et commencement d'inquiétude en voyant
-la guerre se prolonger.]
-
-[En marge: Son désir d'un événement décisif.]
-
-Le lendemain 17 il employa la matinée à canonner les Russes, et à leur
-tuer ainsi quelque monde; mais un orage affreux, mêlé de pluie, de
-grêle, de neige, exposant le soldat à de graves souffrances, était
-une raison suffisante pour se retirer. Il repassa la chaîne des
-montagnes, dit adieu à ces plaines de Bohême qu'il ne devait plus
-revoir, et vint se poser à Pirna, près du pont qu'il avait fait
-établir en secret, afin que l'ennemi ne se doutât point de la masse de
-forces qui pouvait en quelques heures déboucher sur l'une ou l'autre
-rive. Il y réunit toute la garde, et se tint là aux aguets, prêt à
-saisir l'occasion et à conduire quarante mille hommes au secours de
-Macdonald ou de Saint-Cyr, si une tentative sérieuse était faite sur
-la rive droite ou sur la rive gauche du haut Elbe. En ce moment le
-maréchal Macdonald apercevait des mouvements singuliers chez l'ennemi.
-Il semblait que d'une part des troupes nouvelles remontaient de gauche
-à droite pour entrer en Bohême par le débouché de Zittau, et que de
-l'autre des troupes allant de droite à gauche quittaient Blucher pour
-rejoindre Bernadotte. Toutefois comme les événements les plus graves
-paraissaient devoir s'accomplir sur le front de Macdonald, Napoléon
-jugea convenable de rester à sa position de Pirna. S'il fallait en
-effet fondre sur les assaillants qui viendraient attaquer Macdonald,
-il aimait mieux au lieu d'aller passer l'Elbe à Dresde, le passer à
-Pirna ou à Koenigstein, car outre le chemin épargné à ses troupes, il
-prendrait ainsi en flanc et à revers l'ennemi qui aurait abordé de
-front la position de Dresde. De plus en se tenant à Pirna avec toute
-sa garde, il conservait la facilité de se rabattre en arrière sur le
-flanc de la colonne qui reviendrait encore tracasser le comte de Lobau
-à Gieshübel. Enfin par sa présence il accélérait et dirigeait les
-travaux ordonnés sur ces divers points. On ne pouvait donc mieux se
-placer, ni combiner ses opérations d'une manière plus habile. Mais ces
-manoeuvres si savantes n'empêchaient pas la guerre de traîner
-tristement en longueur, d'épuiser nos jeunes soldats en fatigues
-au-dessus de leur âge, d'éloigner surtout ces événements décisifs
-auxquels Napoléon avait habitué la France et l'Europe, et dont il
-avait besoin pour soutenir le moral de son armée et déconcerter la
-haine toujours croissante de ses ennemis. Aussi était-il chagrin sans
-être découragé, et entendait de nombreuses critiques même parmi ses
-officiers qui, au lieu de condamner hardiment son imprudente ambition,
-blâmaient à tort sa tactique admirable, laquelle ne laissait rien à
-désirer, et quand elle péchait en quelque chose, ne péchait que par la
-faute de sa politique. L'idée la plus répandue dans son état-major,
-c'est qu'il aurait fallu se reporter sur la Saale, ligne, comme nous
-l'avons dit, impossible à défendre plus de huit jours, et vers
-laquelle on ne pouvait rétrograder que pour se replier tout de suite
-sur le Rhin, ce qui était l'abandon instantané de toutes les
-prétentions pour lesquelles on avait continué la guerre. Cet abandon,
-il était à jamais regrettable de ne l'avoir pas fait deux mois
-auparavant, mais aujourd'hui il était devenu presque impraticable.
-Évacuer l'Elbe militairement eût été difficile, eût entraîné la
-retraite immédiate sur le Rhin, avec le sacrifice de tout ce qu'on
-laissait sur la Vistule, sur l'Oder, et peut-être sur l'Elbe,
-c'est-à-dire avec le sacrifice de cent vingt mille hommes, et de
-trente mille malades, avec chance de démoraliser l'armée et de perdre
-quelque grande bataille en se retirant. À l'évacuer, il eût mieux valu
-l'évacuer politiquement, en offrant sur-le-champ de rouvrir les
-négociations sur la base de l'abandon de l'Allemagne, mais les
-coalisés enivrés d'espérance y auraient-ils consenti dans le moment?
-C'était peu probable. La faute donc d'être resté sur l'Elbe, non à
-cause de l'Elbe lui-même, mais de tout ce qu'on avait la prétention
-d'y défendre, condamnait presque à y demeurer jusqu'à périr. Au
-surplus Napoléon était loin de se croire réduit à une pareille
-extrémité. Il entrevoyait toujours ou une petite guerre de
-va-et-vient, dans laquelle il se proposait bien de ne plus user les
-jambes de ses soldats, et qui lui permettrait de gagner l'hiver sain
-et sauf, ou une entreprise considérable sur ses derrières, partant de
-la Bohême ou de l'Elbe inférieur, qui entraînerait une bataille
-décisive. C'est cette dernière chance dont il se flattait le plus, et
-qui effectivement était le plus près de se réaliser, mais dans des
-conditions qui n'étaient pas celles qu'il avait toujours espérées.
-
-[En marge: Résolution chez les coalisés de terminer la campagne par
-une bataille générale, et qui décide du sort de la guerre.]
-
-[En marge: L'armée de Bohême revient à l'idée de descendre en Saxe, et
-de marcher sur Leipzig, mais elle voudrait être jointe par l'armée de
-Silésie.]
-
-En effet, les coalisés étaient résolus à terminer la campagne par une
-rencontre directe avec Napoléon. Leur tactique consistant à l'éviter,
-pour tomber sur ses lieutenants, ne pouvait pas être éternelle, et
-elle avait déjà suffi pour le réduire à une telle infériorité de
-forces, qu'ils étaient dans la proportion de deux, et allaient être
-bientôt dans celle de trois contre un. Mais il fallait en venir enfin
-au moment, désiré et redouté tout à la fois, de se jeter en masse sur
-lui pour l'accabler. Le désirer était simple, surtout la saison
-commençant à s'avancer; l'exécuter ne l'était pas autant. La grande
-armée de Bohême, de beaucoup la plus forte et la mieux composée,
-presque remise depuis Kulm de la secousse essuyée sous les murs de
-Dresde, influencée en outre par la présence de souverains impatients
-d'arriver à un résultat, était disposée à tenter une nouvelle descente
-de Bohême en Saxe sur les derrières de Napoléon, mais pas aussi près,
-et elle revenait à l'idée première de se porter par Commotau et
-Chemnitz sur Leipzig. Les nombreux partisans lancés sous Thielmann et
-sous Platow, entre l'Elster et la Saale, étaient comme les
-avant-coureurs destinés à lui frayer la route. Toutefois, avant
-d'essayer une si vaste entreprise, qui allait amener un duel à mort
-avec Napoléon, elle aurait souhaité que deux des trois armées actives
-marchassent réunies, celles de Silésie et de Bohême par exemple. Pour
-cela elle aurait voulu que l'armée russe de réserve, depuis longtemps
-préparée en Pologne sous le général Benningsen, et actuellement rendue
-à Breslau, vînt prendre la place de Blucher devant Dresde, que
-celui-ci, profitant de l'occasion pour se dérober, allât par Zittau
-opérer sa jonction en Bohême avec l'armée de Schwarzenberg, et que
-tous ensemble ils marchassent sur Leipzig. À cette condition seulement
-le grand état-major des trois souverains osait concevoir l'idée de
-risquer une seconde bataille de Dresde, non pas à Dresde mais à
-Leipzig.
-
-[En marge: L'armée de Silésie désire tout aussi vivement une opération
-décisive, mais elle ne voudrait pas se joindre à l'armée de Bohême.]
-
-[En marge: Officier envoyé par Blucher auprès des généraux prussiens
-opérant avec l'armée de Bohême.]
-
-[En marge: Blucher et ses amis aiment mieux se réunir à l'armée du
-Nord, pour forcer Bernadotte à passer l'Elbe avec eux.]
-
-[En marge: Ils proposent de joindre l'armée russe de Benningsen à
-l'armée de Bohême, qui descendra sur Leipzig, et de réunir l'armée de
-Silésie à l'armée du Nord pour passer l'Elbe en commun, et se rendre
-également à Leipzig.]
-
-Ce n'était pas, on le pense bien, auprès de Blucher et de ses amis que
-devait fermenter avec moins de force la pensée de faire aboutir la
-campagne actuelle à un résultat prochain et décisif. Blucher et ses
-officiers, tout fiers d'avoir ramené les Français du Bober sur l'Elbe,
-brûlaient du désir d'arriver à un dénoûment, et ils étaient prêts à
-tout braver pour y parvenir. Dès les premiers jours de septembre
-Blucher avait envoyé en Bohême un personnage de confiance, pour sonder
-les officiers prussiens qui entouraient le roi, et susciter chez eux
-l'idée d'une grande opération sur les derrières de Napoléon. Cet
-émissaire les avait trouvés fort disposés à en finir, remplis
-toutefois de l'idée que nous avons exposée, et consistant à
-transporter Blucher lui-même en Bohême pour descendre sur Leipzig avec
-les deux armées de Bohême et de Silésie réunies. Mais Blucher et ses
-amis du _Tugend-Bund_ dont il était entouré, avaient trop le goût de
-l'indépendance pour se placer volontiers sous l'autorité directe de
-l'état-major des souverains. Ils avaient toutefois pour résister à ce
-qu'on leur proposait des raisons meilleures que leur goût
-d'indépendance. Il était difficile en effet que l'armée de Silésie
-parvînt à dérober assez complétement sa marche à Napoléon, pour
-qu'elle pût remonter en Bohême, traverser les montagnes, et en longer
-le pied jusqu'à Toeplitz, sans attirer sur elle quelque coup
-redoutable. Cependant comme il fallait tôt ou tard que Blucher, s'il
-ne voulait pas se morfondre inutilement devant Dresde, exécutât une
-manoeuvre hardie ou sur le bas Elbe, ou sur le haut, la raison
-alléguée n'était pas sans réplique. L'état-major de Silésie en donna
-une encore plus forte, et à laquelle il était difficile de répondre.
-Les nouvelles qu'on avait de l'armée du Nord étaient des moins
-satisfaisantes. Les généraux russes et prussiens, mais surtout les
-prussiens, placés sous le prince de Suède, se plaignaient de son
-inaction pendant les batailles de Gross-Beeren et de Dennewitz. Ils
-l'accusaient formellement ou d'une prudence approchant de la
-faiblesse, ou d'une infidélité approchant de la trahison. Ils
-soutenaient que dans ces deux circonstances il avait tout laissé faire
-aux généraux prussiens, que les sachant dans l'embarras il s'était peu
-hâté de les en tirer, qu'ayant pu détruire l'armée française, il ne
-l'avait pas voulu, ou pas osé. Cette dernière supposition était la
-vraie. Il n'avait risqué qu'en tremblant sa fausse renommée, et son
-excessive prudence avait ainsi fait mettre en doute son énergie
-militaire ou sa loyauté. En ce moment encore, n'ayant devant lui que
-Ney réduit à 36 mille hommes, il restait blotti sous le canon de
-Magdebourg, et feignait sur l'Elbe des préparatifs de passage sans
-aucune envie de les exécuter. En conséquence Blucher disait qu'à
-déplacer l'armée de Silésie pour la faire coopérer avec celle de
-Bohême ou celle du Nord, il valait mieux la réunir à cette dernière,
-qui certainement n'agirait que dominée et entraînée par une autre. Il
-proposait donc, au lieu de se rendre en Bohême, d'y envoyer l'armée de
-Benningsen, laquelle pénétrant par Zittau, couverte par lui pendant
-cette marche, n'aurait rien à craindre, et rejoindrait sans aucun
-péril le prince de Schwarzenberg à Toeplitz. Il offrait, ce mouvement
-terminé, d'exécuter une attaque simulée sur le camp retranché de
-Dresde, puis de laisser à sa place quelques troupes de cavalerie pour
-tromper les Français, de descendre avec 60 mille hommes sur l'Elbe
-inférieur, de forcer Bernadotte à passer ce fleuve vers Wittenberg, de
-remonter ensuite avec lui le cours de la Mulde jusqu'à Leipzig à la
-tête de 120 ou 130 mille hommes, tandis que le prince de Schwarzenberg
-accru de Benningsen y descendrait avec plus de 200 mille. On aurait
-ainsi 320 mille hommes au moins sur les derrières de Napoléon, et on
-l'obligerait à une bataille générale, désastreuse pour lui s'il la
-perdait, et peu douteuse pour les souverains en la livrant avec une
-telle supériorité de forces.
-
-[En marge: Adoption du plan proposé par l'armée de Silésie.]
-
-[En marge: Détail de ce plan.]
-
-Ce plan, qui sans une bien grande profondeur de conception, avait dans
-la puissance du nombre, dans la passion des coalisés, de véritables
-chances de succès, parut avec raison très-préférable à celui qu'on
-avait conçu en Bohême, et le désir ardent du triomphe commun faisant
-taire tous les amours-propres, on l'adopta. En conséquence il fut
-convenu que le général Benningsen avec son armée de réserve, qui était
-forte d'environ 50 mille hommes et avait déjà traversé la Silésie,
-s'acheminerait vers le défilé de Zittau que Poniatowski ne gardait
-plus, pénétrerait en Bohême, passerait le haut Elbe à l'abri des
-montagnes, entre Leitmeritz et Tetschen, et joindrait le prince de
-Schwarzenberg à Toeplitz; que ce dernier alors comptant environ 200
-mille hommes se mettrait en marche, et se bornant à masquer le défilé
-de Péterswalde, déboucherait en Saxe par Commotau sur Chemnitz; qu'à
-cette même époque Blucher exécutant de vives démonstrations contre
-Dresde, se déroberait par un rapide mouvement sur sa droite, irait
-passer l'Elbe à Wittenberg, forcerait Bernadotte à le franchir à
-Roslau, que l'un et l'autre remonteraient entre la Mulde et la Saale
-sur Leipzig, tandis que le prince de Schwarzenberg y descendrait en
-suivant le cours de ces deux rivières, qu'on tendrait ainsi les uns et
-les autres à se réunir dans les environs de Leipzig pour y livrer une
-bataille de géants. Le danger évident de cette manoeuvre, parfaitement
-compris de ces élèves et ennemis de Napoléon, c'était d'être assaillis
-par celui-ci avant la jonction générale de toutes les forces de la
-coalition. Mais l'état-major de Blucher soufflant à tous la passion
-dont il était animé, on résolut de braver ce danger quel qu'il fût,
-car il fallait bien finir par s'exposer à un grand péril, si on
-voulait aboutir à un grand résultat. Seulement on se promit une
-extrême prudence dans la marche périlleuse qu'on allait entreprendre,
-et, une fois la bataille engagée, une énergie désespérée.
-
-Tels étaient le savoir militaire et la haine implacable auxquels
-Napoléon avait amené tout le monde, en foulant depuis quatorze années
-l'Europe à ses pieds.
-
-[En marge: Le général Benningsen entre en Bohême avec l'armée russe de
-réserve.]
-
-[En marge: Blucher se prépare à se mettre en mouvement.]
-
-Le plan une fois adopté, on procéda sur-le-champ à son exécution. Le
-général Benningsen pénétra le 17 septembre dans les gorges de Zittau,
-et vers les 22 et 23 septembre fut rendu à Toeplitz. Blucher avait
-secrètement informé les généraux Tauenzien et Bulow de ses projets,
-les avait pressés d'occuper fortement les Français devant Wittenberg,
-Torgau, Grossenhayn, et lui-même s'était continuellement agité autour
-de Dresde, pour cacher le grand mouvement qu'il préparait par sa
-droite vers le bas Elbe.
-
-[En marge: Napoléon soupçonne les projets des coalisés.]
-
-Cette agitation incessante sur notre front, les apparitions des
-coureurs de Thielmann et de Platow sur notre droite et nos derrières,
-des préparatifs de passage vers l'Elbe inférieur (nous désignons ainsi
-l'Elbe au-dessous de Torgau), enfin la saison avancée, étaient des
-signes plus que suffisants pour inspirer à Napoléon l'idée
-d'événements graves et prochains. Il avait toujours pensé que ne
-pouvant l'aborder de front dans sa position de Dresde, on essayerait
-de le tourner, ou par sa droite en débouchant de la Bohême, ou par sa
-gauche en passant l'Elbe inférieur, et peut-être par les deux côtés à
-la fois. Il avait lui-même un tel désir d'un événement décisif, qu'il
-en était arrivé à souhaiter de semblables manoeuvres, n'imaginant pas
-qu'une bataille où il serait de sa personne et avec toutes ses
-réserves pût être autre chose qu'un désastre pour ses ennemis, et ne
-trouvant dangereuse que cette tactique de va-et-vient qui avait déjà
-tant épuisé ses troupes, porté même une certaine atteinte à son
-immense prestige. Seulement il tenait sans cesse l'oeil ouvert, pour
-n'être pas surpris, et pour tomber à temps sur le téméraire qui
-oserait le premier se risquer sur ses derrières.
-
-[En marge: Diverses circonstances de détail lui font supposer que
-Blucher va descendre l'Elbe, et pour s'en assurer il ordonne une forte
-reconnaissance sur le front de Macdonald.]
-
-Le 22 septembre un concours de petits événements éveilla fortement son
-attention. Le maréchal Marmont accru de la cavalerie de réserve du
-général Latour-Maubourg avait été placé, comme on a vu, à Grossenhayn,
-pour protéger les convois de vivres qui remontaient vers Dresde, et
-les convois de blessés qui en descendaient. Cette précaution avait
-réussi; un chargement de farines était parvenu à Dresde, et de
-nombreux blessés étaient arrivés sans accident à Torgau. Mais tout à
-coup la cavalerie légère du général Chastel fut assaillie par la
-grosse cavalerie du général Tauenzien, et vivement ramenée. En même
-temps le général Bulow qui bombardait Wittenberg, fit mine de jeter un
-pont aux environs de cette place, et plus haut le général russe Sacken
-qui formait la droite de Blucher en face du camp de Dresde, opéra
-divers mouvements très-apparents. Napoléon devinant aussitôt le plan
-des coalisés, se figura que toute cette agitation de Dresde à
-Wittenberg cachait une tentative de Blucher pour se porter sur le bas
-Elbe, et il se mit sur-le-champ en garde. Depuis ses dernières marches
-sur Kulm, pendant les journées des 15, 16, 17 septembre, il était
-resté à l'affût, prêt à se jeter par le pont de Pirna sur la rive
-droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, suivant qu'il y aurait un
-téméraire d'un côté ou de l'autre. Il quitta immédiatement son poste,
-vint à Dresde, et enjoignit à Macdonald d'exécuter avec ses trois
-corps une reconnaissance à fond, de pousser à outrance l'ennemi sur
-Harta, même sur Bautzen, pour savoir au juste si Blucher était là, ou
-n'y était plus. Napoléon fit savoir à Macdonald qu'il serait lui-même
-à sa suite avec une portion de la garde, pour agir vigoureusement
-contre l'armée de Silésie, si toutefois elle était encore dans les
-mêmes positions.
-
-[En marge: Napoléon assiste de sa personne à la reconnaissance que
-Macdonald est chargé d'exécuter.]
-
-[En marge: Les trois corps de Blucher trouvés en place trompent
-Napoléon, non sur le plan des coalisés, mais sur l'époque de son
-exécution.]
-
-[En marge: Napoléon resserre encore davantage sa position autour de
-Dresde, et fait repasser l'Elbe à plusieurs de ses corps, pour être
-prêt contre toutes les tentatives de l'ennemi sur ses derrières.]
-
-Il s'y rendit donc de sa personne, et cette reconnaissance de tous les
-corps français composant l'armée de Macdonald, contre les divers corps
-formant l'armée de Blucher, commencée le 22 septembre, continuée le
-23 jusqu'à Bischofswerda, révéla la présence de Blucher avec les mêmes
-forces, dans les mêmes lieux. On ramassa en effet des prisonniers
-appartenant aux trois corps de Langeron, d'York, de Sacken; Napoléon
-en conclut qu'il s'était trop hâté de prêter à ses ennemis des
-desseins audacieux, et en douta presque pour les avoir supposés trop
-tôt. Le général Blucher employa une feinte inutile pour le tromper, ce
-fut d'envoyer aux avant-postes par un parlementaire, et pour son fils
-prisonnier, une lettre signée de lui, et datée de Bischofswerda[22].
-Il espéra ainsi persuader encore mieux à Napoléon que rien n'était
-changé dans les dispositions des coalisés, et que rien ne changerait.
-Ce ne fut pas cette lettre, à laquelle on n'attacha aucune importance,
-mais une circonstance plus sérieuse, la présence à Bischofswerda des
-trois corps composant l'armée de Silésie, qui sans abuser Napoléon,
-sans l'empêcher de croire au plan qu'il avait sitôt deviné, le disposa
-seulement à en regarder l'exécution comme moins prochaine qu'elle ne
-l'était effectivement. Trouvant encore Blucher devant lui les 22 et 23
-septembre, Napoléon n'en conclut pas qu'il y resterait toujours, mais
-qu'il en partirait moins prochainement, et il fit des dispositions
-moins promptes quoique tout aussi justes, qu'il ne les aurait faites
-autrement. Ainsi il résolut de resserrer encore davantage sa position,
-et de ne plus laisser devant Dresde que le seul 11e corps, celui que
-le maréchal Macdonald avait toujours commandé directement, et de
-satisfaire ce maréchal en le déchargeant du commandement des 3e, 5e et
-8e. Il envoya le 3e (celui du général Souham) à Meissen, petite ville
-située sur l'Elbe, au-dessous de Dresde. Il ramena Marmont avec le 6e
-corps, Latour-Maubourg avec la grosse cavalerie, de Grossenhayn à ce
-même point de Meissen, pour qu'ils fussent plus à portée de secourir
-Ney, en cas d'une tentative de passage vers Torgau ou Wittenberg.
-Il amena le 5e (Lauriston) à Dresde même, et achemina le 8e
-(Poniatowski) sur la route de Waldheim et de Leipzig, afin d'aider
-Lefebvre-Desnoëttes contre les coureurs de Thielmann et de Platow, et
-de former la tête de colonne de l'armée s'il fallait se rabattre en
-arrière sur les masses ennemies venant de la Bohême. Napoléon prit
-donc ses précautions dans le vrai sens des desseins des coalisés,
-mais, nous le répétons, sans se hâter, car il ne croyait pas ces
-desseins si près de leur exécution qu'ils l'étaient réellement.
-
- [Note 22: M. de Muffling, dans ses intéressants Mémoires,
- s'applaudit fort de cette feinte, et croit que c'est avec
- l'heureuse idée de cette lettre qu'on endormit la vigilance
- de Napoléon. Il est dans l'erreur, et la correspondance
- militaire prouve que si Napoléon fut trompé, dans la mesure
- d'ailleurs très-restreinte où il le fut, c'est par la
- présence des trois corps de l'armée de Silésie, qui le 22 et
- le 23 n'avaient pas quitté encore leur position. C'est une
- nouvelle preuve de ce qu'il y a de hasards à la guerre,
- puisqu'un acte de haute prévoyance de la part de Napoléon
- amena, comme on le verra bientôt, le résultat qu'aurait pu
- avoir l'imprévoyance elle-même. Ce n'est pas un motif
- d'estimer et de pratiquer moins la vigilance, mais c'en est
- un, tout en redoublant de soins et de zèle, de se dire qu'il
- y a toujours une Providence supérieure qui déjoue parfois
- les calculs les plus profonds, et de chercher même dans des
- raisons plus hautes, dans la justice ou l'injustice de la
- cause qu'on défend, le secret de l'insuccès du génie, à
- l'instant même où il déploie ses plus grandes facultés.]
-
-[En marge: Il envoie le général Rogniat pour occuper les passages de
-la Saale en cas de retraite forcée.]
-
-[En marge: Nouvelles levées d'hommes.]
-
-À ces mesures il en ajouta quelques autres qui prouvent qu'un vague
-pressentiment l'avertissait que bientôt la guerre pourrait se
-reporter sur le Rhin, ou au moins sur la Saale. En effet il prescrivit
-au général Rogniat, qui dirigeait le génie de la grande armée depuis
-la captivité du général Haxo, de relever les défenses de Mersebourg
-sur la Saale, d'y préparer des ponts, afin d'avoir sur cette rivière
-une ligne de retraite assurée. Il ordonna d'évacuer de Dresde sur
-Leipzig, de Leipzig sur Erfurt, d'Erfurt sur Mayence, tous les blessés
-et malades qu'on aurait le moyen de transporter par terre, et voulut
-même qu'on fît aux officiers blessés ayant les moyens de se déplacer à
-leurs frais, certaines insinuations pour les décider à regagner le
-Rhin, en mettant du reste un grand soin à ne pas rendre ces
-insinuations alarmantes. Prévoyant que la guerre serait longue et
-acharnée, il rédigea un décret pour la levée de 120 mille hommes sur
-les classes antérieures de 1812, 1811, 1810, et un autre pour la levée
-de 160 mille sur la conscription de 1815, laquelle serait ainsi
-anticipée de deux ans. Celle de 1814 était déjà tout entière dans les
-dépôts. Il comptait, avec les réfractaires que des colonnes mobiles
-pourchassaient en ce moment, porter cette levée à plus de 300 mille
-hommes, et espérait en l'exécutant dans l'automne l'avoir toute
-disponible en hiver, et prête à combattre au printemps. Il rédigea
-lui-même le discours que l'Impératrice régente adresserait au Sénat en
-cette occasion; il lui enjoignit d'y aller en personne, et de tenir
-ainsi une espèce de lit de justice, inutile assurément pour soumettre
-un corps qui devait être soumis jusqu'au jour de la chute de l'Empire.
-Enfin il donna des ordres directs au ministre de la guerre pour la
-mise en état de défense des places du Rhin, et surtout d'Italie.
-Cependant tout en prescrivant ces mesures de prudence sur ses
-frontières, il contremanda les vastes approvisionnements de vivres que
-le duc de Feltre avait ordonnés sur le Rhin, d'après la lettre de M.
-de Bassano, précédemment citée, et il les contremanda afin d'épargner
-aux populations des alarmes fâcheuses, et, suivant lui, prématurées.
-
-[En marge: Premier mouvement des armées de Bohême et de Silésie.]
-
-Tandis que Napoléon prenait ces mesures, les coalisés exécutaient plus
-tôt qu'il ne l'avait supposé leur double mouvement sur Leipzig, par la
-Bohême et par l'Elbe inférieur. Le prince de Schwarzenberg se faisant
-précéder par une colonne autrichienne, marchait de Toeplitz sur
-Commotau, et Blucher, après être demeuré immobile en présence de
-Napoléon les 22, 23 et 24 septembre, se dérobait tout à coup pour
-descendre l'Elbe de Dresde à Wittenberg. Afin de mieux cacher son
-mouvement, il avait porté en avant sa droite, formée par le général
-Sacken, et lui avait ordonné de diriger une forte attaque contre
-Meissen, dans l'intention de défiler avec son centre et sa gauche
-derrière cette droite rendue si apparente, et de courir sur
-Wittenberg. Il se proposait ensuite de retirer sa droite elle-même, et
-de la réunir devant Wittenberg, où il devait franchir l'Elbe.
-
-[En marge: Blucher se dérobe, et feignant une attaque sur Meissen, se
-porte devant Wittenberg.]
-
-Il entra en opération le 25 septembre, et, tandis que Sacken attaquait
-les avant-postes de Macdonald d'un côté, ceux de Marmont de l'autre,
-il se mit en marche vers l'Elbe inférieur. Il laissa pour le remplacer
-devant Dresde le corps russe de Sherbatow, fort de 8 mille hommes,
-ainsi que la division légère autrichienne de Bubna, forte de 10
-mille, et chargée de la garde de Zittau lorsque le prince Poniatowski
-était sur ce point. Ce corps de 18 mille hommes environ était
-suffisant pour tromper les yeux même les plus exercés, surtout après
-une reconnaissance comme celle des 22 et 23 septembre, qui avait dû
-paraître tout à fait démonstrative à Napoléon. Le général Blucher
-réussit ainsi à se soustraire à nos regards, et dans les journées des
-26, 27, 28 septembre s'achemina sur Wittenberg sans être aperçu.
-L'attaque si vive de Sacken parut d'abord inexplicable, et fut
-interprétée comme une manière de tâter la gauche de Macdonald, et
-peut-être comme l'indice d'une prochaine tentative contre le camp
-retranché que nous avions en avant de Dresde. Napoléon ordonna de
-renforcer cette gauche pour la mettre à l'abri de tous les efforts de
-l'ennemi.
-
-[En marge: Ney voyant les mouvements de Blucher et de Bernadotte vers
-lui, en donne avis à Napoléon.]
-
-Mais la marche du général Blucher, concourant avec d'autres mouvements
-des généraux Tauenzien et Bulow, et du prince de Suède lui-même, ne
-put échapper à la vigilance du maréchal Ney, contre lequel ces
-diverses opérations étaient dirigées. Il avait vu Bulow jeter un pont
-à Wartenbourg et l'y maintenir quelques jours, les autres corps du
-prince de Suède préparer leurs moyens de passage soit à Barby, soit à
-Roslau, et n'osant s'opposer à ces diverses tentatives avec 36 mille
-hommes, de peur de s'en attirer 80 mille sur les bras, il s'était
-contenté de résister plus particulièrement au passage tenté près de
-Wartenbourg, parce que c'était le plus rapproché de Dresde, et le plus
-important dès lors à empêcher. Il écrivit immédiatement à Napoléon
-pour lui signaler l'état des choses, et lui annoncer comme
-s'exécutant à l'instant, ou devant s'exécuter sous peu de jours, un
-passage de l'Elbe entre Wittenberg et Magdebourg par des forces
-considérables.
-
-[En marge: Excursions des troupes de partisans précédant la marche de
-l'armée de Bohême.]
-
-[En marge: Apparition de cette armée aux divers débouchés des
-montagnes aboutissant en Saxe.]
-
-Du côté de la Bohême les événements n'étaient pas moins significatifs.
-Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques milliers de chevaux
-s'était mis à la poursuite de Thielmann, qui entré en Saxe par le
-débouché de Carlsbad à Zwickau, s'était dirigé sur Weissenfels comme
-s'il eût voulu couper nos communications avec la Saale. Le général
-Lefebvre-Desnoëttes lui avait d'abord fait essuyer plusieurs échecs,
-et l'avait rejeté jusque sur Altenbourg. Mais en ce moment Platow
-débouchant avec ses Cosaques et cinq mille Autrichiens, dont trois
-mille de cavalerie, avait assailli de front Lefebvre-Desnoëttes avec
-plus de dix mille hommes, tandis que Thielmann par un mouvement rapide
-le prenait par derrière. Lefebvre-Desnoëttes n'avait pu s'en tirer
-qu'en se repliant sur Leipzig, et en sacrifiant quelques centaines
-d'hommes. Cet échec avait été bientôt réparé par le prince
-Poniatowski, lequel, ayant repassé l'Elbe et rétrogradé jusqu'à
-Frohbourg avec le 8e corps et le 4e de cavalerie, avait fondu à son
-tour sur Thielmann et Platow, leur avait tué quatre cents hommes, et
-leur en avait pris trois cents. Ces diverses rencontres,
-alternativement heureuses ou malheureuses, avaient eu l'avantage de
-nous éclairer parfaitement sur la marche de l'ennemi, et nous avions
-pu voir sur les débouchés de Commotau à Chemnitz, de Carlsbad à
-Zwickau, tout autre chose que des partisans, car nous avions reconnu
-sur ces deux routes les têtes de colonnes de la grande armée de
-Bohême, composées à la fois d'Autrichiens, de Russes et de Prussiens.
-L'annonce d'ailleurs de sa prochaine arrivée était répandue dans toute
-la Saxe. Si Napoléon avait pu concevoir quelques doutes, non pas sur
-le fond des projets de l'ennemi, mais sur l'époque de leur exécution,
-il n'en devait plus conserver aucun après ces nouvelles parties en
-même temps du bas Elbe et des frontières de la Bohême. Il devenait
-évident que sur sa gauche l'armée du Nord, renforcée peut-être de
-Blucher, traversait l'Elbe inférieur pour remonter vers Leipzig le
-long de la Mulde; que sur sa droite l'armée de Bohême franchissant les
-montagnes de Bohême, descendait vers Leipzig en suivant aussi le cours
-de la Mulde, et que toutes deux ou toutes trois après s'être
-transportées sur la gauche de l'Elbe, allaient essayer de le prendre à
-revers. Quant à l'armée de Silésie, que le général russe Sherbatow et
-le général autrichien Bubna représentaient en ce moment devant Dresde,
-on pouvait croire encore qu'elle n'avait pas quitté sa position, et
-qu'elle se maintenait devant Dresde pour nous y retenir.
-
-[En marge: Promptes dispositions de Napoléon pour repasser l'Elbe avec
-toutes ses forces.]
-
-[En marge: Il réunit les corps de Poniatowski, Lauriston et Victor
-entre les montagnes et Leipzig, pour observer l'armée de Bohême.]
-
-[En marge: Marmont envoyé au secours de Ney.]
-
-[En marge: Napoléon se prépare à se porter lui-même avec 75 mille
-hommes dans la direction de Leipzig, pour renforcer Murat ou Ney, et
-battre l'une après l'autre les deux armées coalisées.]
-
-Mais Napoléon ne se laissa point abuser par ces fausses apparences, et
-sur-le-champ il commença un double mouvement pour diriger ses forces
-sur les deux points que l'ennemi menaçait en même temps, de manière à
-se placer avec ses réserves entre les deux armées coalisées, et à
-tomber sur l'une ou sur l'autre, suivant celle qui serait le plus à sa
-portée. Il avait déjà envoyé le prince Poniatowski en arrière de
-Dresde, sur la route de Leipzig par Waldheim et Frohbourg, d'où
-celui-ci avait pu arrêter Thielmann et Platow. Il reporta également en
-arrière le 5e corps (celui de Lauriston), devenu disponible depuis
-qu'il ne restait plus que le 11e corps (celui de Macdonald) en avant
-de Dresde, et le dirigea sur Mittweyda, pour servir d'appui à
-Poniatowski. Le 2e corps (celui du maréchal Victor) était depuis
-longtemps à Freyberg, surveillant les débouchés de la Bohême en Saxe.
-Napoléon l'envoya plus loin encore, et le fit avancer jusqu'aux
-environs de Chemnitz. Ces trois corps, auxquels était annexé le 4e de
-cavalerie, postés à une marche les uns des autres, pouvaient se réunir
-rapidement, et présenter à l'ennemi une première masse d'environ 40
-mille hommes. Napoléon leur adjoignit le 5e de cavalerie qu'il venait
-de confier au général Pajol, afin qu'ils eussent le moyen de
-s'éclairer plus au loin, et les rangea tous sous les ordres de Murat.
-Ils devaient, en rétrogradant vers la Thuringe, longer le pied des
-montagnes de la Bohême, et s'avancer avec précaution, de manière à se
-trouver toujours entre la grande armée du prince de Schwarzenberg et
-Leipzig. Le maréchal Marmont établi à Meissen, au-dessous de Dresde,
-avec le 6e corps et le 1er de cavalerie, reçut ordre de repasser
-l'Elbe, et de se replier sur Leipzig, en laissant à Meissen le 3e
-corps (général Souham), qui avait été envoyé sur ce point depuis qu'on
-s'était concentré autour de Dresde. Le maréchal Marmont posté ainsi à
-Leipzig avec près de 30 mille hommes, infanterie et cavalerie, pouvait
-au besoin s'acheminer vers Murat, ou bien se réunir à Ney sur le bas
-Elbe, si le danger était plus pressant du côté de celui-ci. Il lui
-fallait une marche pour rejoindre Murat, deux pour rejoindre Ney. Si
-avec ses 30 mille hommes il se dirigeait sur Murat, il le porterait à
-70 mille; s'il se dirigeait sur Ney, qui avec Dombrowski avait près de
-40 mille hommes, il le porterait à environ 70 mille, et de la sorte,
-deux rassemblements considérables allaient être préparés contre les
-armées de Bohême et du Nord, Leipzig étant le centre où l'on devait
-s'interposer entre elles. Napoléon dès que les mouvements de l'ennemi,
-encore assez confus, seraient complètement éclaircis, voulait en
-laissant Saint-Cyr et le comte de Lobau à Dresde, rétrograder lui-même
-avec les 40 mille hommes de la garde, avec Macdonald, avec Souham qui
-de Meissen le joindrait en route, et venir ainsi avec un renfort de 75
-mille hommes à l'appui de l'un ou de l'autre de ses deux principaux
-rassemblements. Si le danger le plus menaçant était vers Murat, il
-courrait de son côté, et formerait avec lui une masse de 145 mille
-hommes; si le danger était vers Ney, il irait à ce dernier, et en
-réunirait de même 145 mille. Dans ces deux cas c'était assez, selon
-lui, pour obtenir sur l'une ou l'autre armée, et peut-être sur l'une
-après l'autre, une victoire décisive. Si même évacuant Dresde, sauf à
-y revenir après la victoire, il ralliait à lui les 30 mille hommes de
-Saint-Cyr et de Lobau, il pouvait avoir contre l'armée de Bohême
-presque l'égalité de forces, et contre celles du Nord et de Silésie
-une supériorité accablante. Tels étaient ses calculs, et dans l'état
-présent des choses il était impossible d'en faire de plus habiles et
-de mieux entendus.
-
-[En marge: Le corps d'Augereau amené à Leipzig.]
-
-Les corps de Poniatowski, de Lauriston, de Victor, les 4e et 5e de
-cavalerie, ayant été acheminés sous Murat dans la direction de
-Mittweyda et de Frohbourg, les corps de Marmont et de Latour-Maubourg
-l'ayant été dans la direction de Leipzig, Napoléon se tint prêt au
-premier signal à rejoindre les uns ou les autres avec 75 mille hommes.
-Il fit payer quelques mois de solde aux officiers qui souffraient
-beaucoup, et fournit l'argent nécessaire de son propre trésor, celui
-de l'armée étant vide. Il fit donner des souliers aux soldats,
-préparer ses parcs de munitions, et tout disposer en un mot pour un
-mouvement général. Une colonne de 8 à 9 mille hommes de bataillons et
-escadrons de marche était arrivée à Leipzig. Il ordonna de l'y laisser
-pour garder cette ville conjointement avec les détachements que le
-général Margaron y avait déjà, et enfin il y appela en outre le corps
-d'Augereau, qui avait été d'abord destiné à rassurer et à contenir la
-Bavière menacée par un corps autrichien. Ce corps d'Augereau qui
-devait être de près de 30 mille hommes, avait été successivement
-affaibli pour envoyer des renforts sur l'Elbe. Il n'était plus que de
-12 mille hommes, dont 3 mille à peu près de vieux dragons d'Espagne.
-Tel quel la présence de ce corps à Wurzbourg avait été de quelque
-effet sur la Bavière, que l'Autriche dans ce moment encore essayait
-d'attirer à la coalition, tantôt par des menaces, tantôt par des
-caresses. Mais Napoléon sentant que le sort de la guerre se déciderait
-dans les champs de Leipzig, et que toutes les fidélités y seraient
-définitivement ou consolidées ou ébranlées, n'hésita pas d'y appeler
-Augereau. Ces dispositions avant été arrêtées dans les journées des
-28, 29 et 30 septembre, il attendit, l'oeil et l'oreille bien ouverts
-sur tout ce qui allait se passer autour de lui.
-
-[Date en marge: Octob. 1813.]
-
-[En marge: Marche des armées coalisées.]
-
-[En marge: Arrivée de Blucher devant Wittenberg le 30 septembre.]
-
-[En marge: Passage de l'Elbe.]
-
-Pendant ce temps, les coalisés poursuivaient l'exécution de leurs
-desseins. Blucher ayant, comme on l'a vu, laissé les généraux
-Sherbatow et Bubna pour figurer à sa place devant Dresde, et ayant
-fait défiler son centre et sa gauche derrière sa droite qui feignait
-une attaque sur Meissen, était arrivé le 30 septembre devant
-Wittenberg. Il y avait remplacé le corps de Bulow, parti pour
-rejoindre l'armée du Nord, et s'était ensuite hâté de faire ses
-préparatifs de passage. Il avait mandé en même temps à Bernadotte,
-posté à une ou deux marches au-dessous, qu'il devait s'apprêter à
-franchir l'Elbe, car lui-même espérait se trouver sur la rive gauche
-dans deux jours. Wittenberg n'ayant pas cessé d'appartenir aux
-Français, il ne pouvait y opérer un passage. Il se prépara donc à
-jeter un pont un peu au-dessus, c'est-à-dire à Elster, là même où le
-général Bulow l'avait essayé quelques jours auparavant. Le 1er octobre
-il fit amener des bateaux, et le 2, ayant établi un pont, il déboucha
-sur la rive gauche. Mais il fallait enlever la position de
-Wartenbourg, qui n'était pas facile à forcer, car déjà le général
-Bulow y avait rencontré une résistance telle qu'il avait été contraint
-de replier son pont, ne croyant pas pouvoir s'en servir, et ne voulant
-pas l'abandonner aux Français.
-
-[En marge: Le 4e corps chargé d'arrêter Blucher à Wartenbourg.]
-
-Le maréchal Ney averti par ses reconnaissances de la présence de
-l'ennemi sur la gauche de l'Elbe, s'était empressé d'y envoyer le
-général Bertrand avec le 4e corps, afin d'empêcher, comme on l'avait
-fait peu de temps auparavant, le succès de cette tentative de passage.
-Le 4e corps n'ayant pas encore reçu la division Guilleminot qui lui
-revenait dans le partage du 12e, se trouvait composé uniquement de la
-division française Morand, de la division italienne Fontanelli, et de
-la division wurtembergeoise Franquemont, ces trois ne faisant pas plus
-de 12 mille hommes. C'était bien peu contre les 60 mille hommes de
-Blucher; mais les lieux, l'habileté, le sang-froid, peuvent souvent
-compenser toutes les inégalités de nombre. La circonstance dont il
-s'agit en fournit bientôt un exemple mémorable.
-
-[En marge: Description de la position de Wartenbourg.]
-
-L'Elbe en approchant d'Elster forme un coude très-prononcé, et
-enveloppe ainsi un terrain bas et marécageux, situé sur la rive
-gauche. C'est sur ce terrain que se trouve le vieux château de
-Wartenbourg. Afin de le garantir des inondations on l'avait jadis
-protégé au moyen d'une digue, venant s'appuyer aux deux côtés de
-l'Elbe comme la corde d'un arc. Le château lui-même est à l'une des
-extrémités de cette digue, le village de Bleddin à l'autre. L'ennemi
-ayant franchi l'Elbe à Elster, s'il voulait passer outre, devait
-suivre une route qui venait aboutir perpendiculairement au milieu de
-la digue. Le général Morand placé au château de Wartenbourg, et au
-point de jonction de la route avec la digue, avait été naturellement
-chargé de la tâche la plus difficile. Un peu à droite étaient les
-Italiens; tout à fait à droite, au village de Bleddin, les
-Wurtembergeois.
-
-[En marge: Superbe combat de Wartenbourg soutenu par la division
-Morand.]
-
-Le général Morand, l'un des trois héros du corps de Davout, quand ce
-corps glorieux existait, avait fait ses dispositions avec une sagacité
-admirable. Il avait rangé ses quatre à cinq mille Français derrière la
-digue, où ils étaient couverts jusqu'à la tête comme derrière un
-parapet, et il avait disposé à gauche, sur l'éminence sablonneuse du
-château de Wartenbourg, toute son artillerie. Il attendait ainsi, tel
-qu'un chasseur à l'affût, l'apparition des Prussiens.
-
-Ils débouchèrent en effet le 3 octobre au matin par le pont jeté à
-Elster le 2, et s'avancèrent bravement sur la route, sans prévoir le
-terrible accueil qui leur était réservé. On les laissa venir, et puis
-quand ils furent à très-petite portée de fusil, un feu partant de tous
-les points de la digue, et embrassant leur colonne entière, les
-assaillit à l'improviste, et les décima cruellement. Au même instant
-le feu d'une nombreuse artillerie vint s'ajouter à celui de la
-mousqueterie, et ils furent rejetés en désordre sur le pont.
-
-Ce n'était pas avec les passions qui les animaient, soldats et
-généraux, qu'ils pouvaient s'arrêter devant un tel obstacle. Ils
-revinrent à la charge, et chaque fois accueillis de même, ils furent
-abattus en aussi grand nombre, sans pouvoir seulement arriver jusqu'à
-la digue. Blucher s'obstina, et ne réussit ainsi qu'à faire tuer une
-quantité plus considérable de ses soldats. Incommodé par le feu de
-l'artillerie établie sur notre gauche, il imagina de la faire
-contre-battre par une batterie placée sur l'autre côté de l'Elbe.
-Notre artillerie ne se déconcerta point, tourna une partie de ses
-pièces contre la batterie prussienne, la réduisit au silence, et se
-remit à tirer sur la route devenue bientôt un vrai champ de carnage.
-
-Ce combat avait duré environ quatre heures, et près de cinq mille
-ennemis jonchaient cette plaine marécageuse, lorsque le général
-Blucher eut enfin l'idée de diriger sur notre droite une attaque
-vigoureuse contre le village de Bleddin, défendu par les
-Wurtembergeois. La colonne d'attaque ayant remonté le bord du fleuve à
-la faveur de quelques bois, assaillit Bleddin avec fureur, car c'était
-la seule route qui pût s'ouvrir à l'armée de Silésie, et elle finit
-par l'enlever aux Wurtembergeois qui n'étaient guère plus de deux
-mille. À cette vue le général Bertrand lança la brigade Hullot de la
-division Morand, sur le flanc de la colonne ennemie. Cette brigade
-renversa trois bataillons, les écrasa, mais arriva trop tard pour
-sauver Bleddin, où déjà l'ennemi avait réussi à s'établir. Le général
-Hullot fut obligé de revenir derrière la digue, et de rejoindre la
-division Morand.
-
-[En marge: Pertes considérables de Blucher.]
-
-[En marge: Le 4e corps obligé néanmoins de se replier sur Kemberg.]
-
-[En marge: Bernadotte passe l'Elbe de son côté dans les environs de
-Dessau.]
-
-Sans cette dernière attaque à découvert, nos pertes n'auraient pas
-dépassé une centaine d'hommes; mais cette sortie nous en coûta deux ou
-trois cents. Les Wurtembergeois de leur côté, en défendant vaillamment
-Bleddin, en perdirent un certain nombre. Toutefois nous n'eûmes pas
-plus de 500 hommes hors de combat, tandis que l'ennemi en eut cinq ou
-six mille. Cette superbe affaire, l'une des plus remarquables de nos
-longues guerres, et qui faisait grand honneur aux généraux Bertrand,
-Morand, Hullot, ne pouvait cependant, Bleddin étant pris, empêcher
-l'armée de Silésie de déboucher. Le général Bertrand dut donc
-rétrograder sur Kemberg, pour se rapprocher du général Reynier et de
-la division Dombrowski, établis le long de la Mulde de Düben à Dessau.
-(Voir la carte nº 58.) Les prisonniers recueillis nous apprirent qu'on
-avait eu sur les bras toute l'armée de Silésie, qui avait ainsi passé
-l'Elbe, et se trouvait sur la droite de Ney. D'autres reconnaissances
-nous révélèrent que l'armée du Nord avait commencé à franchir l'Elbe
-au-dessous de Wittenberg, de Roslau à Barby, et que Ney l'avait par
-conséquent sur sa gauche. Voici quelle était la configuration des
-lieux sur lesquels ces deux armées tendaient à se réunir contre le
-corps du maréchal Ney.
-
-[En marge: Position de Ney ayant Blucher à sa droite, Bernadotte à sa
-gauche.]
-
-[En marge: Il rétrograde lentement en remontant entre l'Elbe et la
-Mulde.]
-
-[En marge: Concert établi entre Blucher et Bernadotte pour remonter
-sur Leipzig, pendant que l'armée de Bohême y descend.]
-
-L'Elbe qui de Dresde à Wittenberg coule obliquement du sud-est au
-nord-ouest, coule de Wartenbourg à Roslau, et presque jusqu'à Barby,
-de l'est à l'ouest, c'est-à-dire, par rapport à la position que nous
-venions de prendre, de notre droite à notre gauche. De Wittenberg à
-Barby l'Elbe recueille la Mulde d'abord, qui s'y jette vers Dessau, et
-puis la Saale, qui y tombe près de Barby. Ainsi le maréchal Ney avait
-sur sa droite l'Elbe, coulant latéralement à lui jusqu'à Wittenberg,
-puis sur son front l'Elbe encore se redressant à Wittenberg, passant
-devant lui, et puis à sa gauche la Mulde venant à Dessau se jeter dans
-l'Elbe. Ney se trouvait donc entre Blucher qui avait passé l'Elbe sur
-sa droite à Wartenbourg, et Bernadotte qui ayant passé l'Elbe
-au-dessous du confluent de la Mulde, remontait la Mulde sur sa gauche.
-Il avait, il est vrai, l'avantage de posséder tous les ponts de la
-Mulde, puisqu'il avait conservé Düben, Bitterfeld, Dessau, d'être dès
-lors en mesure de manoeuvrer sur les deux bords de cette rivière, et
-de pouvoir s'en couvrir tantôt contre Blucher, tantôt contre
-Bernadotte. Malheureusement il comptait à peine 40 mille hommes,
-tandis que Blucher en avait 60 mille, et que Bernadotte après avoir
-laissé Tauenzien à la garde de ses ponts, en réunissait encore
-soixante et quelques mille. Il se conduisit avec beaucoup de prudence
-entre ces deux masses, tâchant de manoeuvrer de manière à les tenir
-séparées, mais de manière aussi à pouvoir rétrograder rapidement vers
-Leipzig en remontant la Mulde. Pendant ce temps Blucher et Bernadotte
-cherchèrent à se voir, se virent en effet pour concerter leur plan
-d'opération, et tombèrent d'accord que dès qu'ils pourraient quitter
-sans danger les bords de l'Elbe, pour se porter derrière la Mulde et
-la remonter jusqu'à Leipzig, ils devraient l'entreprendre. Mais tous
-deux après avoir osé franchir l'Elbe devant les Français voulaient se
-ménager une porte de sortie, c'est-à-dire construire l'un à
-Wartenbourg, l'autre à Roslau, des têtes de pont parfaitement solides,
-afin de repasser l'Elbe en sûreté si la fortune était contraire aux
-armes de la coalition. Il ne leur fallait pas moins de trois à quatre
-jours pour vaquer à ces soins de première nécessité.
-
-[En marge: Marmont vient au secours de Ney, et Murat observe l'armée
-de Bohême.]
-
-Pendant que ces événements se passaient entre l'Elbe et la Mulde, le
-maréchal Marmont, que ses instructions autorisaient à se rendre là où
-le péril lui semblerait le plus grand, s'était hâté au premier appel
-du maréchal Ney de quitter Leipzig et de descendre la Mulde avec son
-corps d'armée et la cavalerie du général Latour-Maubourg. Il s'était
-arrêté à Eilenbourg, derrière le maréchal Ney qui s'était replié sur
-Düben.
-
-De son côté Murat chargé d'observer les débouchés de la Bohême,
-s'était avancé avec Poniatowski, Lauriston, Victor et les 4e et 5e de
-cavalerie, de Mittweida jusqu'à Frohbourg, longeant le pied de
-l'Erz-Gebirge et couvrant Leipzig. (Voir la carte nº 58.) Les têtes de
-colonnes de l'armée de Bohême étaient maintenant très-visibles, et
-débouchaient en deux masses principales, de Commotau sur Chemnitz, de
-Carlsbad sur Zwickau. Ney, Marmont et Murat avaient exactement mandé à
-Napoléon tout ce qui s'était passé sous leurs yeux.
-
-[En marge: Des nouvelles venues de tous côtés, révèlent à Napoléon les
-mouvements des armées ennemies.]
-
-Napoléon reçut le 5 octobre au matin le rapport du beau combat de
-Wartenbourg, et le 5, dans la journée, le détail de tous les
-mouvements opérés par ses divers corps d'armée. Comme on lui disait
-que le rassemblement qui s'était présenté à Wartenbourg, et qui avait
-réussi à franchir l'Elbe sur ce point, était l'armée de Silésie, il
-fit sur-le-champ exécuter une nouvelle reconnaissance en avant de
-Dresde, c'est-à-dire au delà de l'Elbe, et il sut que la sécurité
-fondée sur les reconnaissances des 22 et 23 septembre avait été
-trompeuse, car Blucher venait de défiler du 25 au 30 pour se porter
-sur Wittenberg. Dès ce moment il était évident qu'on n'avait plus
-devant soi à Dresde qu'un rideau de troupes, et que les armées de
-Silésie et du Nord réunies sur l'Elbe inférieur, l'avaient traversé
-pour remonter en commun le long de la Mulde jusqu'à la hauteur de
-Leipzig, tandis que la grande armée de Bohême allait y descendre des
-montagnes, ce qui devait prochainement amener la réunion tant prévue
-de toutes les forces de la coalition sur nos derrières.
-
-[En marge: Ses promptes et admirables combinaisons pour combattre
-alternativement les deux armées qui lui sont opposées.]
-
-Napoléon n'en fut ni ému ni troublé. C'était l'annonce de ce qu'il
-désirait ardemment, c'est-à-dire d'une bataille générale, et dans sa
-confiance il ne craignait même qu'une chose, c'est qu'après un
-mouvement si audacieux les coalisés n'eussent pas le courage de
-persister dans leur entreprise, et qu'ils ne cherchassent à se
-dérober. Qu'il fallût rétrograder de Dresde pour marcher sur eux, ce
-n'était pas à mettre en doute. Mais sur laquelle des deux masses se
-jetterait-il d'abord, afin de les battre l'une après l'autre? c'était
-la seule question à poser, et celle-là même ne le fit pas hésiter un
-instant. L'armée de Bohême n'était pas près d'arriver à Leipzig;
-d'ailleurs Murat avec 40 mille hommes, en trouvant une douzaine de
-mille à Leipzig, devant recevoir bientôt les douze mille d'Augereau,
-ce qui lui procurerait plus de 60 mille hommes, pouvait prendre des
-positions successives pour couvrir Leipzig, gagner ainsi quelques
-jours, tandis que Napoléon, à qui il ne fallait que trois marches pour
-se porter à Düben sur la Mulde, aurait le temps de se jeter entre
-Blucher et Bernadotte, de les accabler l'un et l'autre, puis de
-revenir sur l'armée de Bohême et de la battre à son tour. Si cette
-armée qui tant de fois ne s'était montrée que pour se dérober presque
-aussitôt, ne l'attendait pas, et se hâtait de rentrer en Bohême, au
-lieu de courir après elle il se mettrait à la poursuite de Bernadotte
-et de Blucher vaincus, les suivrait l'épée dans les reins jusqu'à
-Berlin, réaliserait ainsi son projet favori de tendre une main
-secourable à ses garnisons de l'Oder et de la Vistule, et probablement
-dans ce cas transporterait le théâtre de la guerre sur le bas Elbe, où
-il avait les deux puissants points d'appui de Magdebourg et de
-Hambourg.
-
-C'étaient là les chances les plus heureuses, et Napoléon, bien que
-très-confiant encore, n'était pas assez aveugle pour ne pas admettre
-aussi les chances malheureuses, surtout en voyant l'acharnement des
-coalisés. C'est dans cette prévision qu'il avait envoyé le général
-Rogniat à Mersebourg, pour s'y ménager des moyens certains de retraite
-sur la Saale. Si les événements étaient sinon fâcheux, du moins
-indécis, il se replierait sur la Saale, et en ferait sa nouvelle ligne
-d'opération pour plus ou moins longtemps, selon les moyens de
-résistance qu'il trouverait sur cette ligne.
-
-[En marge: Départ de Dresde les 6 et 7 octobre au matin.]
-
-[En marge: Préparatifs pour l'évacuation de Dresde, où restent encore
-les corps de Saint-Cyr et de Lobau.]
-
-Dans ces divers cas tout semblait devoir aboutir à l'évacuation de
-Dresde, et de la partie du cours de l'Elbe comprise de Koenigstein à
-Torgau. Si, en effet, après avoir vaincu l'armée de Silésie et du Nord
-Napoléon allait s'établir tout à fait sur le bas Elbe, ou bien si
-ayant eu des revers en Saxe il était obligé de repasser la Saale, il
-devait dans ces deux hypothèses renoncer à Dresde. Il est vrai aussi
-que si après avoir battu les armées de Silésie et du Nord il pouvait
-battre encore l'armée de Bohême, il était maître de la campagne au
-point de n'avoir besoin de rien évacuer. Mais c'était le cas le plus
-favorable, et la prudence ne permettait pas d'y compter assez pour en
-faire la base de ses calculs. Napoléon disposa les choses de manière
-à rendre son mouvement complet, et à évacuer jusqu'à la ville de
-Dresde elle-même. En conséquence il fit partir le 6 au matin toute la
-garde, jeune et vieille, pour le bas Elbe, c'est-à-dire pour Meissen.
-Le 3e corps (celui de Souham) s'était acheminé sur Torgau au premier
-bruit du combat de Wartenbourg. Il ordonna également à Macdonald de
-partir du camp de Dresde pour Meissen, mais en longeant la rive
-droite, ce qui était sans danger, l'armée de Silésie n'étant plus dans
-les environs, et ce qui avait en outre l'avantage de ne pas encombrer
-la rive gauche. La garde, les corps de Souham et de Macdonald,
-comprenaient environ 75 mille hommes, lesquels en deux jours allaient
-être près de Ney, et en trois sur l'ennemi. Restaient à Dresde les
-corps du comte de Lobau (le 1er), du maréchal Saint-Cyr (le 14e),
-comptant sept divisions et environ 30 mille hommes. C'était une force
-considérable, qui dans les diverses hypothèses que nous venons
-d'énumérer n'était pas nécessaire à Dresde, et qui sur l'un des deux
-champs de bataille où l'on s'attendait à combattre, pouvait et devait
-même décider la victoire. Napoléon fit appeler le maréchal Saint-Cyr
-qui commandait les deux corps, et lui causa une grande satisfaction en
-lui exposant ses vues, car ce maréchal, outre qu'il était cette fois
-de l'avis de Napoléon, appréhendait fort d'être laissé à Dresde.
-Napoléon lui traça ensuite tout ce qu'il aurait à faire pour
-l'évacuation de cette ville. D'abord il devait évacuer successivement
-Koenigstein, Lilienstein, Pirna, lever en même temps les ponts établis
-sur ces divers points, réunir les bateaux qui en proviendraient, en
-conserver une partie à Dresde même pour le cas où l'on y retournerait,
-charger les autres de vivres, de munitions, de blessés, et les
-expédier sur Torgau. Tout en faisant ces choses qui ressemblaient si
-fort à une évacuation définitive, le maréchal Saint-Cyr devait dire
-hautement qu'on ne songeait pas à quitter Dresde, que loin de là on
-allait s'y établir, et se servir de ce langage pour ôter aux habitants
-la velléité de s'agiter. Puis ces dispositions terminées, ses trente
-mille hommes tenus sur pied, il devait décamper au premier signal, et
-rejoindre Napoléon par Meissen. Telles furent les instructions données
-à ce maréchal, et plût au ciel qu'elles eussent été maintenues! le
-sort de la France et du monde eût été probablement changé!
-
-[En marge: Pénible situation de la cour de Saxe, les Français devant
-quitter Dresde.]
-
-[En marge: Cette cour veut suivre Napoléon.]
-
-[En marge: Dispositions ordonnées pour lui rendre le voyage
-supportable.]
-
-Restait à s'expliquer avec la cour de Saxe. On ne pouvait sans
-inhumanité, et vraisemblablement aussi sans péril, laisser à Dresde,
-au milieu de tous les hasards, cette cour si timide, si peu habituée
-aux horreurs de la guerre. On l'exposerait ainsi à être témoin d'une
-attaque formidable repoussée par des moyens extrêmes, ou bien si on la
-menait avec soi, on la ferait peut-être assister à quelque horrible
-bataille, comme les hommes n'en avaient jamais vu. L'alternative était
-cruelle. Napoléon lui offrit le choix ou de rester à Dresde, ou
-d'accompagner le quartier général. Le bon roi Frédéric-Auguste, qui ne
-voyait plus d'autre ressource que de s'attacher à la fortune de
-Napoléon, aima mieux être avec lui qu'avec un de ses lieutenants, avec
-200 mille hommes qu'avec 30 mille. Il exprima le désir de suivre
-Napoléon partout où il irait. Il fallait donc se résoudre à traîner
-après soi cette cour nombreuse, remplie de vieillards, de femmes,
-d'enfants, car il y avait des frères, des soeurs, des neveux, dignes
-et respectables gens accoutumés à la vie la plus douce, la plus
-régulière, se levant, mangeant, se couchant, priant Dieu toujours aux
-mêmes heures, et rappelant, au scandale près, la simplicité,
-l'ignorance, la timidité des Bourbons d'Espagne. Napoléon voulut
-autant que possible les faire marcher en pleine sécurité, avec tous
-les honneurs qui leur étaient dus, et ce n'était pas chose aisée au
-milieu des six cent mille hommes, des trois mille bouches à feu, et
-des vingt mille voitures de guerre, qui allaient pendant quinze jours
-circuler à quelques lieues les uns des autres. Il décida que lui
-partant le 7 octobre avec ce qu'il appelait le petit quartier général,
-c'est-à-dire avec Berthier, avec ses aides de camp, avec un ou deux
-secrétaires et quelques domestiques, le grand quartier général,
-composé des administrations de l'armée, de la chancellerie de M. de
-Bassano, des parcs généraux, escorté par quatre mille hommes,
-partirait le lendemain 8. Le roi de Saxe, protégé par une division de
-la vieille garde, devait s'y joindre avec ses nombreuses voitures. M.
-de Bassano, façonné à la vie des camps, et ayant appris de son maître
-à ne rien craindre, avait mission de suivre le roi de Saxe pour lui
-tenir compagnie, pour le mettre au courant des nouvelles, et le
-rassurer en lui peignant tout en beau quoi qu'il pût arriver. Un
-officier de la vieille garde devait toujours être à sa portière pour
-écouter ses moindres désirs, et y satisfaire. C'est ainsi, et à
-travers les embarras des plus vastes armées qu'on eût jamais vues,
-embarras dont il n'était pas le moindre, que l'excellent roi de Saxe
-allait voyager, marchant à petites journées, entendant la messe chaque
-matin, vivant en un mot comme à Dresde, à la suite de son terrible
-allié qui marchait, lui, presque jour et nuit, dormait et mangeait à
-peine, travaillait presque sans interruption, bien qu'il eût acquis
-dès lors l'embonpoint de l'un de ces princes amollis des vieilles
-dynasties. Mais une âme de fer, un génie prodigieux, un orgueil de
-démon, animaient ce corps déjà souffrant et alourdi, et le remuaient
-comme celui d'un jeune homme!
-
-[En marge: Arrivée de Napoléon à Wurtzen.]
-
-[En marge: Sa manière de travailler, et son activité prodigieuse.]
-
-Ayant acheminé une partie de ses troupes le 6 octobre, l'autre partie
-le 7, Napoléon se mit lui-même en route dans la journée du 7, et après
-une station de quelques heures à Meissen, il poussa jusqu'à
-Seerhausen, sur le chemin de Wurtzen. Sa grande expérience de la
-guerre lui avait appris que c'était vers minuit ou une heure du matin
-que les nouvelles les plus importantes arrivaient, parce que les
-généraux placés à dix ou quinze lieues expédiaient à la chute du jour
-le récit de ce qu'ils avaient fait dans la journée, par des officiers
-qui en cinq ou six heures exécutaient le trajet à cheval, ce qui
-procurait la connaissance des événements quelquefois à minuit,
-quelquefois à une heure du matin. En dépêchant la réponse
-sur-le-champ, les ordres nécessaires parvenaient le lendemain matin,
-encore assez tôt pour être exécutés, et des corps placés à une grande
-distance agissaient ainsi sous l'inspiration de Napoléon comme s'ils
-avaient été auprès de lui. De cette manière la nuit, indispensable au
-repos des troupes, avait suffi pour demander des instructions et les
-obtenir. Mais cette prodigieuse machine ne pouvait recevoir
-l'impulsion qu'à condition que le génie, moteur principal, serait
-toujours debout et éveillé, du moins au moment le plus essentiel pour
-l'expédition des ordres. En conséquence, surtout depuis cette dernière
-campagne, Napoléon se couchait ordinairement à six ou sept heures du
-soir, se relevait à minuit, et dictait sa correspondance pendant toute
-la nuit. C'était en effet le cas de veiller sans cesse, ayant à
-mouvoir des masses immenses, au milieu d'autres masses immenses, et à
-les mouvoir avec une précision rigoureuse. Napoléon arrivé à
-Seerhausen lut quelques lettres, expédia quelques réponses, prit
-ensuite un peu de repos, et repartit dans la nuit pour Wurtzen, où il
-arriva le 8 d'assez bonne heure pour expédier ses ordres.
-
-[En marge: Napoléon s'était promis de prendre à Wurtzen une résolution
-définitive, et là de se diriger contre l'une ou l'autre armée
-ennemie.]
-
-À Wurtzen il était sur la Mulde, à peu près à la hauteur de Leipzig
-sur la Pleisse, et pouvant se rendre à Leipzig ou à Düben dans le même
-espace de temps. Son projet en quittant Dresde avait été d'ajourner
-jusqu'à Wurtzen même ses résolutions définitives. Là il devait ou se
-diriger tout de suite sur Leipzig, si Murat poussé vivement ne pouvait
-plus tenir tête à l'armée de Bohême, ou bien si Murat avait le moyen
-de se soutenir quelques jours encore, descendre la Mulde jusqu'à
-Düben, et se débarrasser des armées de Silésie et du Nord, en les
-rejetant au delà de l'Elbe. Il devait aussi donner au maréchal
-Saint-Cyr le signal attendu de l'évacuation de Dresde.
-
-[En marge: Jugeant le danger plus grand du côté de Ney, il marche avec
-75 mille hommes sur Düben.]
-
-[En marge: Singulier conflit entre Ney et Marmont.]
-
-Pendant toute la route il avait reçu des nouvelles, soit des débouchés
-de la Bohême (c'est-à-dire de sa gauche depuis qu'il tournait le dos à
-Dresde et la face à Leipzig), soit de l'Elbe et de la Mulde
-inférieure, c'est-à-dire de sa droite. Toutes s'accordaient à montrer
-le danger comme plus pressant de ce dernier côté, car Blucher et
-Bernadotte réunis étaient prêts à se jeter sur Ney, tandis que Murat,
-bien qu'il vît distinctement déboucher de Commotau sur Chemnitz, de
-Zwickau sur Altenbourg, deux fortes colonnes, n'était cependant pas
-encore serré d'assez près pour que l'on eût à concevoir des craintes
-sur son compte. De plus un fâcheux désaccord survenu entre Ney et
-Marmont était une raison assez urgente d'aller à eux. Voici ce qui
-s'était passé. Ney, après le combat de Wartenbourg, ayant rétrogradé
-jusqu'à Düben, et ayant pressé Marmont de venir à son secours, ce que
-celui-ci venait de faire en se portant à Eilenbourg, avait tout à coup
-quitté sa position, et passé derrière Marmont pour se rapprocher de
-l'Elbe dans la direction de Torgau. De la sorte Marmont, au lieu
-d'être placé en appui, se trouvait en tête, et assez compromis, outre
-que Leipzig par le mouvement qu'on avait exigé de lui, restait exposé
-aux entreprises de Bernadotte et de Blucher. Le motif qui avait
-déterminé le maréchal Ney à ce mouvement inexplicable, n'était autre
-que le désir de rallier à lui le 3e corps (général Souham). Ne se
-croyant pas capable d'exécuter grand'chose avec les corps de Reynier
-et de Bertrand (7e et 4e corps), il avait voulu recueillir lui-même,
-et le plus tôt possible, ce 3e corps qu'il avait longtemps commandé,
-et sur lequel il comptait beaucoup. Marmont ne sachant que penser de
-la conduite de Ney, et craignant pour Leipzig, avait à son tour
-rétrogradé jusqu'à Taucha.
-
-Il y avait donc pour se jeter à droite sur la Mulde, le double motif
-de frapper d'abord Bernadotte et Blucher, puisqu'on en avait le temps,
-et de mettre d'accord des lieutenants désunis. Napoléon prit
-sur-le-champ son parti, et résolut de marcher de Wurtzen sur
-Eilenbourg, c'est-à-dire de descendre la Mulde avec les 75 mille
-hommes qu'il amenait, en reportant en avant Ney et Marmont. Il
-espérait ainsi en cheminant entre la Mulde et l'Elbe aussi loin qu'il
-le faudrait, gagner de vitesse Bernadotte et Blucher, et les
-rencontrer avant qu'ils eussent le temps de repasser l'Elbe. Les ayant
-toujours vus s'éloigner dès qu'il arrivait, son souci n'était pas de
-les éviter, quelque forts qu'ils pussent être, mais de les atteindre,
-car il craignait qu'ils n'eussent bientôt peur de ce qu'ils avaient
-tenté, et qu'ils ne cherchassent encore à s'enfuir à son approche. Ils
-n'en étaient plus là malheureusement, et plusieurs avantages
-successivement obtenus sur ses lieutenants, les avaient enhardis
-jusqu'à le redouter lui-même beaucoup moins qu'auparavant!
-
-Blucher et Bernadotte battus, Napoléon se proposait de revenir sur le
-prince de Schwarzenberg, si celui-ci avait persisté à s'avancer avec
-l'armée de Bohême, ou s'il s'était replié à la nouvelle d'une bataille
-perdue, de continuer à poursuivre Blucher et Bernadotte jusqu'à Berlin
-peut-être.
-
-[En marge: Napoléon se décide à suivre les deux rives de la Mulde.]
-
-En conséquence il prescrivit au maréchal Ney de se reporter en avant
-avec Reynier, Bertrand, Dombrowski, Souham, et la cavalerie de
-Sébastiani (2e de réserve) qu'on avait attachée à son armée pour
-remplacer celle du duc de Padoue. Il lui ordonna de descendre entre la
-Mulde et l'Elbe, la gauche à la Mulde, la droite à l'Elbe, en se
-couvrant de sa cavalerie pour n'être pas surpris, et pour surprendre
-au contraire tous les mouvements de l'ennemi. Il ramena Marmont en
-avant, le fit marcher par la rive gauche de la Mulde presque à la
-hauteur de Ney, qui était sur la rive droite, et chemina lui-même avec
-toute la garde et Macdonald derrière ses deux lieutenants.
-
-[En marge: Instructions à Murat pour lui tracer la conduite à tenir
-pendant que Napoléon sera aux prises avec les armées de Silésie et du
-Nord.]
-
-En même temps il fit part à Murat de ce qu'il avait projeté contre les
-armées réunies du Nord et de Silésie, lui recommanda de ne pas
-s'engager, de côtoyer sans le heurter l'ennemi qui débouchait de la
-Bohême, de se tenir toujours entre lui et Leipzig, où il trouverait de
-vingt à vingt-quatre mille hommes de renfort, ce qui lui procurerait
-soixante et quelques mille combattants. Napoléon en effet avait placé
-le duc de Padoue à Leipzig, avec une partie du 3e corps de cavalerie
-(distrait de l'armée de Ney pour courir après les partisans), lui
-avait donné en outre les bataillons de marche arrivés de Mayence, et
-l'ancienne division Margaron. Cette réunion pouvait former une
-douzaine de mille hommes de troupes actives, et 24 mille en y
-comprenant Augereau qui s'approchait. Napoléon ordonna à ceux-ci de se
-bien tenir sur leurs gardes, surtout du côté de la basse Mulde, de
-crainte que Bernadotte et Blucher ne fissent en se dérobant quelque
-tentative sur Leipzig. Par malheur, à toutes ces instructions si bien
-calculées, Napoléon ajouta une résolution justifiable dans le moment,
-mais infiniment regrettable. Il suspendit l'évacuation de Dresde à
-laquelle le maréchal Saint-Cyr était tout préparé. Il ne la
-contremanda pas précisément, mais il prescrivit de la différer, par le
-motif que l'ennemi s'engageant à fond, soit du côté de la Bohême, soit
-du côté de la Mulde et de l'Elbe, la bataille tant désirée devenait
-certaine, la victoire aussi, et qu'alors il serait bien heureux
-d'avoir conservé Dresde, où le quartier général rentrerait presque
-aussitôt qu'il en serait sorti. C'était évidemment parce que la grande
-bataille approchait qu'il eût fallu concentrer ses forces; mais
-Napoléon raisonnait ici pour Dresde comme il avait raisonné pour
-Dantzig, pour Stettin, Custrin, Glogau, avec l'espoir téméraire de
-refaire d'un seul coup une fortune compromise par des causes
-supérieures et déjà presque insurmontables.
-
-[En marge: Arrivée de Napoléon à Eilenbourg le 10 octobre au matin.]
-
-[En marge: Marche imposante de Napoléon, à cheval sur la Mulde avec
-140 mille hommes.]
-
-[En marge: Distribution des divers corps d'armée sur l'une et l'autre
-rive de la Mulde.]
-
-Ayant passé à Wurtzen la soirée du 8 et la journée du 9, afin de
-laisser à ses troupes le temps d'arriver en ligne, Napoléon en partit
-le 10 dans la nuit, et parvint à quatre heures du matin à Eilenbourg.
-Il se mit lui-même à la tête de la cavalerie légère de sa garde, et
-marcha entouré de tous ses corps sur Düben, point essentiel où l'on
-devait rencontrer l'ennemi, et peut-être la bataille qu'on souhaitait
-avec ardeur. Dans ces moments suprêmes, Napoléon se tenait de sa
-personne au milieu de ses troupes, le plus souvent à l'avant-garde. Il
-s'avançait avec 140 mille hommes environ dans l'ordre suivant. Ney en
-tête avec ce qui lui restait de la cavalerie du duc de Padoue (3e de
-réserve), avec le corps de Sébastiani (2e de réserve), descendait sur
-Düben, ayant à gauche Reynier au delà de la Mulde, au centre
-Dombrowski et Souham sur la Mulde même, à droite Bertrand marchant
-presque à égale distance de la Mulde et de l'Elbe. Napoléon suivait
-exactement dans le même ordre, ayant la cavalerie de la garde et de
-Latour-Maubourg en tête, Marmont formant la gauche sur un côté de la
-Mulde, toute la garde formant le centre sur la Mulde même, Macdonald
-formant la droite, entre la Mulde et l'Elbe. À deux journées en
-arrière venait le grand quartier général avec tous les parcs, et
-notamment avec les bons princes saxons cheminant du pas qui convenait
-à leurs habitudes. Napoléon leur expédiait à chaque instant des
-nouvelles. Jamais marche plus profondément calculée et plus vaste ne
-s'était exécutée dans aucune guerre. On s'avançait avec une précaution
-extrême, s'attendant à toute heure à voir apparaître l'ennemi, et le
-désirant vivement. On l'apercevait en effet dans toutes les
-directions, mais se repliant, et cette fois encore Napoléon put
-craindre de voir les coalisés, recommençant leur tactique d'offensive
-contre ses lieutenants, de retraite devant lui, se soustraire de
-nouveau à ses coups. Voici cependant ce qui s'était passé de leur
-côté.
-
-[En marge: Marche de Blucher et de Bernadotte.]
-
-[En marge: Leur entrevue, et leur antipathie réciproque.]
-
-[En marge: En apprenant l'arrivée de Napoléon, ils prennent le parti
-de se réunir tous les deux derrière la Mulde, pour se mettre à
-couvert.]
-
-Blucher dans une entrevue qu'il avait eue avec le prince de Suède le
-7, en présence des principaux officiers des deux états-majors, était
-convenu avec lui de marcher en commun sur Leipzig, croyant n'avoir
-affaire qu'aux maréchaux Ney et Marmont. Le mouvement des armées du
-Nord et de Silésie devait commencer dès qu'elles auraient assuré par
-de fortes têtes de pont leurs moyens de repasser l'Elbe, dans le cas
-où elles seraient contraintes de battre en retraite. Les deux chefs de
-ces armées étaient loin de se plaire. La fierté, l'impétuosité, la
-défiance offensante de Blucher avaient peu satisfait Bernadotte, et la
-timidité de Bernadotte, cachée sous une morgue singulière, n'avait
-excité ni l'estime ni la confiance de Blucher. De froids égards
-avaient à peine dissimulé leur antipathie réciproque, et du reste ils
-s'étaient quittés en se promettant un concert d'autant plus
-nécessaire, qu'ils étaient engagés dans des opérations plus
-périlleuses. Le 9, des avis secrets venus du pays même avaient averti
-Bernadotte et Blucher de l'approche de Napoléon avec toutes ses
-réserves. C'en était assez pour troubler le futur roi de Suède, et
-pour lui faire prendre la résolution de repasser l'Elbe. Blucher qui
-n'en était pas d'avis, avait envoyé un de ses officiers au camp
-suédois, pour s'entendre sur ce nouvel incident. Bernadotte s'était
-hâté de déclarer qu'il allait se reporter derrière l'Elbe pour
-s'épargner un désastre, à moins que l'armée de Silésie ne vînt le
-rejoindre au delà de la Mulde, afin de réunir en une seule masse les
-armées du Nord et de Silésie[23]. L'avis était sensé, et le moindre
-des généraux l'eût conçu et adopté sans contestation. Aussi le général
-Blucher s'était-il empressé de s'y conformer, bien que ce mouvement
-eût l'inconvénient de lui faire perdre son pont de Wartenbourg. Il fut
-donc arrêté que dans la journée du 10 le général d'York, formant
-actuellement la droite de l'armée de Silésie, passerait la Mulde à
-Jesnitz, que le général Langeron en formant le centre, la passerait à
-Bitterfeld, et enfin que le général Sacken qui était devenu sa gauche,
-la passerait à Düben. Tous les corps de l'armée de Silésie étaient
-ainsi en mouvement, défilant devant nous de notre droite à notre
-gauche, le long du contour que la Mulde décrit de Düben à Bitterfeld.
-(Voir la carte nº 58.) Le corps d'York n'avait qu'un pas à faire pour
-passer à Jesnitz. Celui de Langeron n'avait à franchir que les quatre
-lieues de Düben à Bitterfeld. Mais Sacken, qui était à Mokrehna entre
-la Mulde et l'Elbe, avait au contraire beaucoup plus de chemin à
-parcourir pour venir à Düben, et surtout à manoeuvrer très-près des
-Français, ce qui rendait pour lui le trajet singulièrement périlleux.
-
- [Note 23: Dans un atlas dressé pour l'intelligence de ses
- campagnes, et accompagné de légendes historiques détaillées,
- le prince de Suède a dit que le 7 octobre il avait provoqué
- une entrevue avec le général Blucher, et qu'au premier
- aspect de la distribution des corps sur la carte il avait
- aperçu le danger que courait le général Blucher, et qu'il
- lui avait donné le conseil de passer la Mulde pour se
- joindre à lui, conseil qui avait sauvé la coalition. Depuis
- cette publication, M. de Muffling, dans d'intéressants
- mémoires, empreints d'un caractère véridique quoique
- respirant les passions du temps, a fourni le moyen de
- compléter et de rectifier les assertions du prince de Suède.
- Dans l'entrevue du 7 on ignorait le départ de Napoléon qui
- ne quitta Dresde que le 7, et par conséquent le danger de
- Blucher. Ce jour-là, 7 octobre, il ne fut question que de se
- porter sur Leipzig. C'est seulement le 9 qu'on sut l'arrivée
- de Napoléon avec ses réserves, et le 9 Blucher envoya un
- officier de confiance pour se concerter avec le prince de
- Suède. Cet officier trouva le prince fort ému de l'approche
- de Napoléon, et voulant repasser l'Elbe immédiatement si
- l'armée de Silésie ne venait pas le rejoindre derrière la
- Mulde, pour aller ensuite s'abriter derrière la Saale.
- Blucher y consentit, car il ne pouvait pas y avoir deux avis
- à cet égard, même pour un sous-officier de quelque bon sens,
- et il se mit en marche sur-le-champ afin de franchir la
- Mulde. Il n'y eut donc lieu à aucune contestation, ni à
- aucun avis capable de sauver la coalition. Les jours
- suivants, à la vérité, il y eut des divergences, et il
- ressort du récit de M. de Muffling, que les avis décisifs
- pour le triomphe de la coalition ne furent point suggérés
- par le prince de Suède, et qu'il fallut au contraire pour
- les lui faire adopter de grands efforts de la part du
- général Blucher et du ministre d'Angleterre.]
-
-[En marge: Pendant que Blucher défile de notre droite à notre gauche
-pour passer la Mulde, Ney heurte fortement le corps de Langeron.]
-
-Tandis que dans la journée du 10 l'armée française à cheval sur la
-Mulde descendait cette rivière vers Düben, le maréchal Ney marchant en
-tête, heurta vivement le corps de Langeron, qui était resté en arrière
-pour attendre le corps de Sacken et lui livrer le pont de Düben. Il le
-repoussa brusquement, et lui enleva un parc de 300 voitures. Sacken
-fort pressé par les troupes du général Bertrand, qui avaient cheminé
-entre la Mulde et l'Elbe, se retira comme il put, et trouvant Düben
-occupé par notre avant-garde, opéra un grand circuit pour venir
-traverser la Mulde à Raguhn.
-
-[En marge: Napoléon apprend par des prisonniers le mouvement
-qu'exécute l'armée de Silésie pour se couvrir en passant la Mulde.]
-
-[En marge: Il pousse tous ses corps en avant pour culbuter partout les
-détachements ennemis, et leur enlever leurs ponts de l'Elbe et de la
-Mulde.]
-
-Napoléon entré à Düben vers deux heures de l'après-midi, se hâta
-d'interroger les prisonniers qu'on avait recueillis, sut qu'il avait
-en présence l'armée de Silésie tout entière, laquelle avait défilé, et
-défilait encore devant lui, pour aller gagner la Mulde sur notre
-gauche. Napoléon résolut de la poursuivre sur-le-champ dans toutes les
-directions. Il ordonna au maréchal Ney de se porter avec Souham à
-trois lieues sur la gauche, à Gräfenhaynchen, route de Dessau; aux
-généraux Dombrowski et Reynier de se porter à droite, sur Wittenberg,
-au bord de l'Elbe; au général Bertrand, avec son 4e corps et la
-cavalerie de Sébastiani, de se diriger sur Wartenbourg, également au
-bord de l'Elbe, afin d'y détruire les ponts de l'ennemi, à Macdonald
-enfin d'appuyer Bertrand. Tous devaient culbuter les corps de Blucher,
-qui surpris en marche ne pouvaient guère opposer de résistance, et
-leur enlever partout les moyens de passage de la Mulde et de l'Elbe,
-afin de nous les approprier exclusivement. Napoléon s'arrêta à Düben
-même avec la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg et le corps du
-maréchal Marmont, pour y combiner ses mouvements ultérieurs.
-
-[En marge: Sachant que les armées de Silésie et du Nord sont réunies
-sur sa gauche et derrière la Mulde, Napoléon forme le projet de
-marcher sur elles d'abord, de les poursuivre à outrance dans la
-direction de Berlin, de laisser l'armée de Bohême descendre jusqu'à
-Leipzig, puis de la surprendre en remontant l'Elbe par la rive droite,
-et en se jetant sur elle par Torgau ou Dresde.]
-
-[En marge: Conséquences possibles de cette vaste et belle
-combinaison.]
-
-À voir la manière dont les choses se présentaient, un souci le
-préoccupait fortement. Il savait que l'armée du Nord était sur sa
-gauche, derrière la basse Mulde, occupant les ponts de cette rivière,
-et ceux de l'Elbe au-dessous de sa réunion avec la Mulde, ayant par
-conséquent toute facilité pour repasser l'Elbe, et se soustraire à nos
-poursuites. Il savait que l'armée de Silésie, après avoir franchi
-l'Elbe à Wartenbourg sur notre droite, venait de défiler le long de
-notre front, pour traverser la Mulde à notre gauche, et se joindre à
-l'armée du Nord. Il n'y avait pas grande invraisemblance à supposer
-qu'elles allaient recommencer cette tactique évasive qui nous avait
-tant épuisés, et à notre approche repasser l'Elbe vers Acken ou
-Roslau. Pour Napoléon qui avait besoin d'une bataille décisive, et qui
-à chaque pas jonchait la route de jeunes gens malades ou dépités,
-c'était là un vrai malheur. Il était à craindre également qu'après
-avoir inutilement opéré un long trajet pour atteindre les armées de
-Silésie et du Nord, et voulant se rabattre ensuite sur l'armée de
-Bohême, il ne pût pas davantage atteindre celle-ci. Leur marche sur
-nos derrières annonçait sans doute des projets plus hardis que de
-coutume, mais elle pouvait bien signifier aussi le désir de ne
-combattre que lorsque les trois armées alliées seraient confondues en
-une seule. Or pour leur donner le courage de nous attendre, Napoléon
-ne pouvait cependant pas leur laisser l'avantage de se réunir, ce qui
-les aurait placées à notre égard dans la proportion de deux contre un,
-supériorité numérique trop dangereuse pour s'y exposer; et néanmoins,
-tant qu'il persisterait à s'interposer entre les deux masses ennemies,
-l'une descendant la Mulde, l'autre la remontant, il était présumable
-que chacune des deux individuellement menacée, chercherait à se
-dérober. Dans cette perplexité, ne voulant pas leur permettre de se
-réunir, et obligé de choisir celle qu'il attaquerait la première, il
-prit le parti de se jeter à outrance sur la masse qui était formée des
-armées de Silésie et du Nord, et pour les joindre, sans perdre le
-moyen de revenir plus tard sur l'armée de Bohême, il imagina tout à
-coup l'un des projets les plus audacieux, les plus savants, que jamais
-capitaine eût conçus, et qui recevait de la proportion des forces avec
-lesquelles il allait être tenté une grandeur inouïe[24]. Napoléon
-résolut de poursuivre sans relâche les armées de Silésie et du Nord,
-de passer à leur suite la Mulde et l'Elbe, d'en détruire tous les
-ponts, excepté ceux qui nous appartenaient, de s'efforcer ainsi de
-mettre en complète déroute ces deux armées, puis, comme dans cet
-intervalle de temps le prince de Schwarzenberg continuant à descendre
-la Mulde aurait vivement poussé Murat sur Leipzig, et peut-être plus
-bas, de remonter lui-même l'Elbe, sans quitter la rive droite, de le
-remonter jusqu'à Torgau ou à Dresde, de repasser ce fleuve à l'un de
-ces points, et de fondre sur cette armée de Bohême, séparée des
-montagnes, et prise ainsi dans un vrai cul-de-sac, entre la Mulde et
-l'Elbe dont les ponts seraient à nous. Il fallait sans doute bien du
-bonheur, bien de la précision de mouvement, et de bien bons
-instruments pour que cette combinaison réussît, car elle était aussi
-vaste que compliquée; mais il se pouvait qu'après avoir fourni à
-Napoléon le moyen de battre les armées du Nord et de Silésie, elle lui
-ménageât encore le moyen de prendre dans un coupe-gorge et de détruire
-complétement l'armée de Bohême. C'étaient de prodigieux résultats,
-certains avec les soldats et les généraux de Friedland et
-d'Austerlitz, douteux aujourd'hui, mais possibles encore, même avec
-des soldats jeunes et des généraux déconcertés.
-
- [Note 24: On a beaucoup parlé de ce projet sans le
- connaître, et on l'a rendu presque ridicule par toutes les
- suppositions très-hasardées qu'on a faites, faute de savoir
- la vraie pensée de Napoléon. Nous pouvons, grâce à sa
- correspondance, mise en rapport avec la correspondance des
- généraux sous ses ordres, rétablir sa pensée véritable, jour
- par jour, heure par heure, et on verra qu'à la veille du
- plus grand des malheurs, nous ajouterons du plus motivé par
- ses fautes politiques, son génie militaire se déploya avec
- autant de force et de grandeur que jamais.]
-
-[En marge: Ordres donnés pour l'exécution du nouveau plan.]
-
-[En marge: Secret fortement recommandé.]
-
-[En marge: Instructions à Murat pour qu'il se replie lentement sur
-Leipzig, afin de donner à Napoléon le temps de revenir par la rive
-droite de l'Elbe.]
-
-Sur-le-champ Napoléon donna ses ordres en conséquence, et les donna en
-chiffres, recommandant à tous ceux qui allaient être dépositaires de
-son secret, de le bien garder, car, disait-il, ce serait pendant trois
-jours le _secret de l'armée et le salut de l'Empire_. Il prescrivit à
-Murat de se conduire avec une extrême prudence, de contenir l'ennemi
-et de l'attirer tout à la fois, de se replier sur Leipzig où il
-rencontrerait le duc de Padoue et vraisemblablement Augereau, de s'y
-maintenir autant que possible, car il y avait un intérêt à la fois
-politique, moral et militaire à conserver cette ville, mais plutôt que
-de s'exposer à une lutte inégale, de rétrograder sur Torgau ou
-Wittenberg, où il trouverait asile derrière l'Elbe, en attendant que
-Napoléon repassant ce fleuve par Torgau ou Dresde, vînt comme la
-foudre retomber sur l'armée de Bohême, condamnée à périr dans le piége
-où elle se serait laissé entraîner. Napoléon ordonna au duc de Padoue
-de réunir tout ce qu'il y avait à Leipzig de vivres, de munitions,
-d'habillements, de souliers, de matériel précieux enfin, d'en composer
-un vaste convoi et de l'acheminer sur la route de Torgau, où le
-général Lefebvre-Desnoëttes viendrait le recueillir par un mouvement
-rétrograde, pour l'escorter jusqu'à Torgau même. De la sorte si on
-était obligé d'évacuer Leipzig on n'y perdrait rien. Napoléon
-prescrivit encore au duc de Padoue d'écrire à Erfurt, à Mayence, qu'on
-était en pleine manoeuvre, que les mouvements allaient être
-très-compliqués, qu'il ne fallait donc pas prendre l'alarme si on
-apprenait que Leipzig fut occupé par l'ennemi, qu'un pareil événement
-pouvait bien avoir lieu, mais par le résultat de combinaisons qui se
-termineraient vraisemblablement _par un coup de foudre_.
-
-Napoléon avait le projet, arrivé jusqu'à Dessau à la poursuite de
-Blucher et de Bernadotte, de ne pas lâcher prise avant d'avoir pu les
-joindre; cependant, si après les avoir bien battus il fallait pour les
-suivre encore perdre la chance d'atteindre l'armée de Bohême, il
-était résolu de les laisser traîner leurs débris jusqu'à Berlin, et
-quant à lui de remonter la rive droite de l'Elbe pour l'exécution de
-sa grande pensée, dont le succès serait ainsi devenu très-probable,
-car le fleuve qu'il aurait mis entre lui et l'armée de Bohême
-couvrirait son mouvement, maintiendrait cette armée dans l'ignorance
-de ce qu'on lui préparait, et ne lui permettrait de l'apprendre que
-lorsqu'il ne serait plus temps pour elle de rebrousser chemin vers la
-Bohême.
-
-[En marge: L'inconvénient inévitable de la nouvelle combinaison
-imaginée par Napoléon, c'est d'empêcher l'évacuation de Dresde.]
-
-[En marge: Ordre au maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde.]
-
-Toutefois cette profonde combinaison avait un inconvénient, un seul,
-mais grave, c'était de résoudre définitivement la question de
-l'évacuation ou de la conservation de Dresde. Conserver cette ville
-devenait en effet nécessaire, puisque après avoir passé l'Elbe à la
-suite de Blucher et de Bernadotte, il fallait le repasser afin de
-surprendre l'armée de Bohême, et il était possible que pour y réussir
-il fallût le remonter non-seulement jusqu'à Torgau, mais jusqu'à
-Dresde. Par ce motif Napoléon enjoignit au maréchal Saint-Cyr,
-contrairement à ce qu'il lui avait d'abord annoncé, de rester
-définitivement à Dresde, de s'y bien établir, et de l'y attendre avec
-confiance, car bientôt probablement il le verrait reparaître sous les
-murs de cette ville, non par la rive gauche, mais par la rive droite,
-après de grands desseins accomplis, et à la poursuite de desseins plus
-grands encore. Malheureusement si ces desseins ne se réalisaient pas,
-et si on était amené à combattre où l'on se trouvait, c'est-à-dire
-entre Düben et Leipzig, c'étaient 30 mille hommes capables de décider
-la victoire qui manqueraient à l'effectif de nos forces, et s'il
-fallait après une bataille ou indécise ou perdue repasser la Saale,
-c'étaient encore 30 mille hommes ajoutés à tous ceux qui renfermés
-dans les places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ne pourraient pas
-rentrer en France, et seraient réduits à capituler.
-
-[En marge: Napoléon s'arrête un jour à Düben pour bien s'assurer des
-vrais mouvements de l'ennemi.]
-
-[En marge: Entretien pendant toute une nuit avec le maréchal Marmont.]
-
-Après avoir enfanté ces vastes conceptions, Napoléon résolut de
-s'arrêter un jour à Düben, peut-être deux, pour y recueillir des
-nouvelles soit de Murat, soit des différents corps envoyés à la
-poursuite de Blucher et de Bernadotte, car il s'agissait de savoir
-s'il devait chercher les armées de Silésie et du Nord derrière la
-Mulde, en passant cette rivière entre Düben et Dessau, ou les chercher
-au delà de l'Elbe, en passant ce fleuve à Wittenberg. Il faisait un
-temps horrible, on marchait dans une fange épaisse, délayée par des
-pluies continuelles, ce qui augmentait beaucoup les peines du soldat,
-et Napoléon était contraint d'attendre le résultat des reconnaissances
-dans un petit château entouré d'eau, au milieu de bois déjà ravagés
-par l'automne et la mauvaise saison. Cette inaction forcée coûtait à
-son impatience, et quoique très-confiant encore, il ne laissait pas
-d'avoir de vagues pressentiments qui le jetaient parfois dans une
-sorte de tristesse. Il n'avait d'autre ressource que de s'entretenir
-avec le maréchal Marmont, dont l'esprit facile, ouvert, cultivé, lui
-plaisait, et avec lequel il avait eu jadis les rapports familiers d'un
-général avec son aide de camp. Il passa la nuit entière du 10 au 11 à
-discourir sur la situation si extraordinairement compliquée des armées
-belligérantes entre l'Elbe, la Mulde et les montagnes de Bohême; et
-bien qu'il eût été amené à cette situation non par la confusion de
-son esprit qui était le plus net du monde, mais par celle des choses,
-et qu'il sût parfaitement s'y reconnaître, il n'était pas exempt de
-toute inquiétude en se voyant engagé dans un pareil labyrinthe, et à
-plusieurs reprises il s'écria: Quel fil embrouillé que tout ceci! Moi
-seul je puis le débrouiller, et encore aurai-je bien de la
-peine!--C'est ainsi qu'il passa cette nuit, parlant de toutes choses,
-même de littérature et de sciences, laissant le maréchal Marmont
-épuisé de fatigue, et ne paraissant en éprouver aucune.
-
-[En marge: Mouvement de Bertrand, Reynier, Macdonald et Ney pendant la
-journée du 11.]
-
-[En marge: L'ennemi rencontré partout sans qu'on puisse deviner sa
-véritable direction.]
-
-[En marge: Incertitude de Napoléon.]
-
-[En marge: Danger de voir Blucher et Bernadotte, au lieu de repasser
-l'Elbe pour s'enfuir vers Berlin, remonter la Mulde pour joindre le
-prince de Schwarzenberg à Leipzig.]
-
-[En marge: Précautions de Napoléon contre ce danger.]
-
-[En marge: Il envoie Marmont au delà de la Mulde, à Dölitzsch, pour
-rester toujours interposé entre les deux masses ennemies, celle du bas
-Elbe et celle de Bohême.]
-
-[En marge: Ordre réitéré à Bertrand, Reynier, Ney, de détruire tous
-les ponts qui ne sont pas à nous.]
-
-Le 11 les rapports des lieutenants annoncèrent les résultats qui
-suivent. Le général Bertrand avec le 4e corps s'était porté sur
-Wartenbourg, où il avait trouvé la grande tête de pont commencée par
-Blucher, et avait entrepris de la détruire, car il était convenu qu'on
-ne souffrirait aucun moyen de passage hors des places de Wittenberg ou
-de Torgau qui nous appartenaient. Les généraux Dombrowski et Reynier
-avaient chassé des environs de Wittenberg les troupes qui bloquaient
-cette place, s'y étaient introduits, et, débouchant sur la rive droite
-de l'Elbe, avaient couru sur les détachements prussiens. Le maréchal
-Macdonald était venu se placer à Kemberg, derrière Wittenberg, pour
-appuyer Dombrowski et Reynier. Enfin à gauche Ney s'était approché de
-Dessau, et avait refoulé tous les détachements ennemis sur la droite
-de la Mulde. Les prisonniers faits, les mouvements aperçus, étaient de
-nature à jeter Napoléon dans la plus grande incertitude. En effet, à
-Wartenbourg sur notre droite, à Wittenberg sur notre front, à Dessau
-sur notre gauche, on avait vu non-seulement des détachements, mais
-des corps entiers et d'immenses convois, de manière qu'il était
-impossible de dire si l'ennemi repassait sur la rive droite de l'Elbe
-à notre approche, ou s'il s'arrêtait derrière la Mulde, attendant pour
-livrer bataille que nous osassions franchir cette rivière devant lui.
-Il se pouvait aussi que les deux armées du Nord et de Silésie réunies
-derrière la Mulde, remontassent cette rivière pour opérer leur
-jonction avec l'armée de Bohême aux environs de Leipzig. Ce dernier
-mouvement de leur part nous exposait au péril très-grave d'avoir toute
-la coalition à la fois sur les bras. Il fallait donc en tâchant
-d'accabler Bernadotte et Blucher d'abord, manoeuvrer de façon à
-demeurer toujours interposés entre eux et le prince de Schwarzenberg,
-c'est-à-dire entre la masse qui remontait du bas Elbe et celle qui
-descendait de Bohême. Dans cette vue, Napoléon fit passer le pont de
-Düben au maréchal Marmont, et lui donnant une forte division de
-cavalerie, le porta sur la gauche de la Mulde vers Dölitzsch. Marmont
-allait être derrière un bras détaché de la Mulde qui coule de Leipzig
-à Jesnitz, tantôt formant des flaques d'eau, tantôt s'échappant en un
-maigre filet pour rejoindre le bras principal à Bitterfeld. Dans cette
-position Marmont était suffisamment couvert; il pouvait par sa
-cavalerie légère lancée au loin, éclairer les mouvements de l'ennemi,
-et s'il apprenait que l'armée de Silésie ou celle du Nord remontant
-derrière la Mulde, se dirigeassent sur Leipzig, il lui était facile
-d'y marcher en quelques heures, et d'y être avant elles. Joignant
-Murat avec 25 mille hommes, il le portait à près de 90 mille, et
-c'était assez pour ménager à Napoléon le temps de revenir, et de se
-tenir toujours entre les deux masses qui voulaient se réunir pour
-l'accabler. Cette sage et utile précaution prise, Napoléon fit ce qui
-était nécessaire pour que son grand dessein n'en souffrît pas, si,
-comme il l'espérait, la crainte d'un mouvement de Blucher et de
-Bernadotte sur Leipzig n'était qu'une chimère. Il prescrivit à
-Dombrowski et à Reynier de déboucher de Wittenberg pour courir sur
-tous les corps ennemis qu'ils rencontreraient au delà de l'Elbe, de
-descendre même le long de la rive droite pour y détruire les ponts de
-Bernadotte de Roslau à Barby, ce qui dans tous les cas était pour les
-coalisés un grave dommage, car s'ils avaient repassé sur la rive
-droite de l'Elbe pour se réfugier vers Berlin, on leur ôtait tout
-moyen de revenir au secours de l'armée de Bohême, et s'ils étaient
-restés sur la rive gauche, on les enfermait dans un cul-de-sac où
-Napoléon allait les prendre et les écraser. Il enjoignit à Ney de se
-jeter sur les ponts de la Mulde à Dessau et de les enlever. Il laissa
-Macdonald à Kemberg pour soutenir Reynier et Dombrowski au besoin,
-Bertrand à Wartenbourg pour y achever la destruction de la tête de
-pont de Blucher; enfin il concentra Latour-Maubourg et la garde autour
-de Düben, prêt à suivre Ney à Dessau pour fondre au delà de la Mulde
-sur les armées du Nord et de Silésie, ou à remonter en arrière vers
-Marmont, s'il fallait rebrousser chemin du côté de Leipzig. Voilà dans
-quelles perplexités, dans quels calculs profonds et continuels il
-passa la journée du 11, que beaucoup de critiques, ignorant le secret
-de ses pensées, lui ont reprochée comme une journée perdue.
-
-[En marge: Indices recueillis dans la journée du 12.]
-
-[En marge: L'armée du Nord semble repasser sur la rive droite de
-l'Elbe, et celle de Silésie se tenir derrière la Mulde, avec tendance
-à remonter vers Leipzig.]
-
-[En marge: Heureux combat de Murat contre l'armée de Bohême.]
-
-Le 12, levé selon sa coutume entre minuit et une heure du matin, il se
-pressa de recueillir ce qui lui arrivait de toutes les directions.
-Deux indications, déjà très-prononcées la veille, paraissaient se
-prononcer davantage. Il semblait que l'une des deux armées du bas
-Elbe, celle de Bernadotte, avait repassé sur la rive droite de l'Elbe,
-et que l'autre au contraire, celle de Blucher, était restée sur la
-rive gauche, avec tendance à remonter vers Leipzig par derrière la
-Mulde. Les mouvements ordonnés la veille, particulièrement celui de
-Marmont, répondaient parfaitement à cette indication. Enfin une
-nouvelle importante, celle d'un combat heureux livré le 10 par Murat à
-Wittgenstein, était de nature à confirmer Napoléon dans sa disposition
-à se jeter tout de suite sur les armées du Nord et de Silésie. Voici
-ce qui s'était passé du côté de Murat. S'étant porté avec Poniatowski,
-Lauriston, Victor et les 4e et 5e de cavalerie sur Frohbourg, il avait
-réussi à intercepter la route qui conduit par Commotau et Chemnitz à
-Leipzig, mais il n'avait pas eu le temps d'intercepter celle qui
-conduite cette ville par Carlsbad et Zwickau. Profitant de la voie
-restée ouverte, Wittgenstein avait pu occuper Borna, et Murat s'était
-trouvé dans la journée du 10, avec les Autrichiens sur sa gauche à
-Penig, et les Russes sur sa droite à Borna. Ne voulant pas demeurer
-dans cette position, et surtout ne voulant pas permettre que la tête
-de l'une des deux colonnes ennemies le devançât sur Leipzig, il
-s'était résolûment rabattu sur sa droite, et avait attaqué Borna avec
-la dernière vigueur. Les Russes s'étaient vaillamment défendus, mais
-Poniatowski, Lauriston, les avaient assaillis plus vaillamment encore,
-et avaient repris Borna à la baïonnette. Ce combat, qui avait coûté 3
-à 4 mille hommes à Wittgenstein, nous avait rendus maîtres de la route
-de Leipzig, et avait replacé Murat dans sa situation naturelle, celle
-de couvrir Leipzig contre les deux colonnes de Schwarzenberg
-débouchant de la Bohême. À en juger d'après les premières apparences,
-Wittgenstein repoussé de Borna paraissait en retraite, et notre
-cavalerie disait l'avoir vu s'en retournant vers la Bohême. Murat en
-écrivant à Napoléon lui mandait donc qu'il croyait l'armée de Bohême
-en retraite, et l'engageait à ne rien négliger pour venir à bout des
-armées de Silésie et du Nord. Ces nouvelles étaient datées du 11 à
-onze heures et demie du matin.
-
-[En marge: À dix heures du matin, le 12, les deux armées ennemies de
-Blucher et de Bernadotte semblent plutôt disposées à se dérober qu'à
-tenter une grande opération.]
-
-Napoléon en recevant ces détails dans la matinée du 12, en revint à
-penser que l'armée de Bohême n'était pas très-pressée de s'engager,
-que les coalisés avaient toujours le même penchant à l'éviter, qu'il
-fallait donc commencer par se jeter sur les armées de Silésie et du
-Nord, les poursuivre au delà de l'Elbe, remonter ensuite ce fleuve par
-la rive droite, et surprendre l'armée de Bohême en repassant à
-l'improviste sur la rive gauche. Napoléon jusqu'à dix heures du matin
-confirma ses premiers ordres, et fit ses préparatifs pour passer la
-Mulde, afin de se ruer d'abord sur Blucher qui se montrait à notre
-gauche, et puis sur Bernadotte qui semblait se tenir à notre droite, à
-cheval sur l'Elbe. Il rapprocha même la garde impériale de Düben, pour
-pouvoir se joindre à Marmont et marcher droit à Blucher au delà de la
-Mulde.
-
-[En marge: Tout à coup la face des choses change, l'armée de Bohême
-paraît descendre vers Leipzig, et l'armée de Silésie y remonter, pour
-préparer une jonction générale.]
-
-Mais à dix heures du matin, la face des choses changea subitement. Une
-seconde lettre de Murat écrite de la veille encore, c'est-à-dire du
-11, mais à trois heures de l'après-midi, donnait des nouvelles toutes
-différentes. Au lieu de trouver l'ennemi en retraite, on l'avait
-trouvé en pleine marche sur Leipzig. La colonne autrichienne
-poursuivant son mouvement par la route de Chemnitz, continuait de
-s'avancer sur Frohbourg et Borna, et la colonne de Wittgenstein après
-s'être repliée un moment sur la route de Zwickau jusqu'à Altenbourg,
-avait ensuite repris hardiment sa marche sur Leipzig. Murat annonçait
-qu'il rétrogradait sur Leipzig, d'abord pour ne pas livrer bataille
-avec des forces disproportionnées, secondement pour couvrir toujours
-cette ville. Il allait s'établir à quelques lieues de Leipzig, dans
-une bonne position, espérait s'y maintenir, renforcé qu'il serait par
-les troupes qui l'y attendaient, engageait Napoléon à ne pas lâcher
-prise s'il était assuré d'atteindre les armées de Silésie et du Nord,
-promettant quant à lui de se dévouer en attendant à la tâche la plus
-ingrate, la plus périlleuse, celle de lutter contre un ennemi trois ou
-quatre fois supérieur. Au même instant les reconnaissances de Marmont
-avaient aperçu l'armée de Blucher quittant les bords de la Mulde pour
-ceux de la Saale qui coule parallèlement à la Mulde mais plus loin, et
-la remontant vers Halle, avec une tendance évidente vers Leipzig.
-
-[En marge: Napoléon change soudainement ses déterminations, et
-renonçant à son premier plan, malgré les avantages qu'il s'en
-promettait, reporte toutes ses forces sur Leipzig pour empêcher la
-jonction des armées coalisées.]
-
-À ces nouvelles, Napoléon, avec la promptitude de l'homme de guerre
-supérieur, n'hésita plus, et changea tous ses plans. Il abandonna sa
-grande combinaison consistant à courir d'abord sur Blucher et
-Bernadotte pour revenir ensuite sur l'armée de Schwarzenberg par la
-rive droite de l'Elbe, et il résolut de se porter immédiatement par la
-voie la plus courte sur Leipzig. Tant qu'il avait pu espérer de se
-tenir entre les deux masses qui venaient l'une de Bohême, l'autre de
-l'Elbe inférieur, avec la faculté de se jeter à volonté sur l'une ou
-sur l'autre, son projet d'occuper celle de Bohême au moyen de Murat,
-tandis qu'il commencerait par assaillir celle de l'Elbe, avait été le
-plus habile et le plus sage. Mais à présent que la tendance de l'une
-vers l'autre était évidente, qu'il n'était pas sûr que Murat pût
-contenir plusieurs jours de suite l'armée de Bohême, comme il n'était
-pas sûr non plus qu'il pût lui-même joindre les armées de Silésie et
-du Nord en les tenant séparées de Leipzig, la plus urgente des
-manoeuvres était de s'opposer à la jonction générale des trois armées
-coalisées, et pour cela de venir à Leipzig combattre le plus tôt
-possible celle de Bohême. Il n'y avait que ce moyen de sortir de la
-difficulté, car persister à se jeter par Dessau sur les armées de
-Silésie et du Nord, lorsqu'on n'était pas certain de les trouver
-réunies, puisque l'une semblait remonter vers Leipzig et l'autre
-repasser l'Elbe, s'exposer ainsi à n'atteindre que l'une des deux,
-tandis que l'autre irait rejoindre l'armée de Bohême à Leipzig, et que
-ces deux dernières accableraient Murat, n'était plus une conduite
-admissible de la part d'un capitaine tel que Napoléon, et il faut
-admirer la promptitude incroyable avec laquelle de l'un de ces
-projets il passa tout de suite à l'autre. Mais de ce moment sa
-situation était déjà moins bonne, car ayant naguère l'espérance fondée
-de battre successivement les armées ennemies, peut-être même de leur
-faire essuyer une catastrophe, il était menacé à son tour d'une
-réunion de forces écrasantes, et son triomphe le plus grand allait
-être, non pas d'infliger un désastre à ses ennemis, mais de l'éviter.
-Il est vrai qu'il avait la chance d'accabler Schwarzenberg avant que
-Blucher survînt, et peut-être aussi Blucher lui-même avant que
-Bernadotte pût le rejoindre; mais il fallait pour obtenir ces deux
-résultats une précision et une rapidité de mouvements bien difficiles
-avec des soldats fatigués par des marches continuelles et par un temps
-épouvantable.
-
-[En marge: Marche successive de tous les corps français sur Leipzig.]
-
-[En marge: Marche de Marmont, et appel d'Augereau à Leipzig.]
-
-[En marge: Marche de la garde et de Latour-Maubourg.]
-
-[En marge: Marche de Bertrand, Macdonald, Reynier et Ney.]
-
-[En marge: Espérance de réunir à temps 200 mille hommes à Leipzig,
-dans une position centrale, contre l'ennemi qui en aurait 300 mille,
-mais divisés.]
-
-À l'instant même, c'est-à-dire le 12 entre dix heures et midi, il fit
-ses calculs et donna ses ordres en conséquence. Murat qui le 11 avait
-vu recommencer le mouvement offensif de l'armée de Bohême, pouvait
-bien mettre toute la journée du 12 à se replier sur Leipzig, et s'y
-défendre le 13, le 14, même le 15, avec les secours qui allaient
-successivement lui parvenir. En effet Marmont déjà porté à Dölitzsch
-n'était séparé de Leipzig que par une marche, et en lui expédiant
-immédiatement l'ordre de s'y rendre, devait y être le 12 au soir, ou
-le 13 au matin au plus tard. Ce renfort de près de 25 mille hommes,
-cavalerie comprise, joint à Augereau dont on annonçait l'arrivée,
-procurerait à Murat 90 mille hommes environ pour la journée du 13. La
-garde et Latour-Maubourg avaient été tenus autour de Düben, et
-pouvaient s'y replier dans la journée pour franchir la Mulde et
-s'acheminer sur Leipzig. S'il n'avait pas fallu passer par cet unique
-pont de Düben avec d'immenses convois d'artillerie et de bagages, la
-garde et Latour-Maubourg auraient pu être le soir même de l'autre côté
-de la Mulde, et avoir fait une première marche sur Leipzig, ce qui
-leur aurait permis d'y être le lendemain 13 au soir. En comptant la
-garde à 38 mille hommes de toutes armes après les fatigues qu'on
-venait d'essuyer, Latour-Maubourg à six mille cavaliers (les effectifs
-sur le papier étaient bien supérieurs), c'étaient encore 44 mille
-hommes qui, le 13 au soir ou le 14 au matin, allaient renforcer le
-rassemblement de Murat, le porter à 134 mille hommes, et former entre
-l'armée de Bohême et celle de Silésie un mur impénétrable. Restaient
-Bertrand occupé près de Wartenbourg à ruiner les ouvrages de Blucher,
-Macdonald envoyé dans les environs de Wittenberg pour appuyer Reynier
-et Dombrowski. Macdonald et Bertrand ramenés le 13 à Düben, pouvaient
-être le 14 au soir ou le 15 au plus tard à Leipzig, et porter ainsi à
-160 mille hommes la grande armée qui s'y formait. Enfin Dombrowski
-avec 5 mille hommes, Reynier avec 15 mille, Sébastiani avec 4 mille
-chevaux, avaient été envoyés au delà de l'Elbe pour détruire tous les
-ponts de ce fleuve jusqu'à Barby, et Ney avec 15 mille hommes avait
-été chargé de s'emparer de ceux de la Mulde, pour éloigner
-définitivement l'armée du Nord, qui semblait décidée à se tenir au
-delà de l'Elbe. C'étaient encore 38 ou 39 mille hommes qui ramenés sur
-Leipzig devaient porter la concentration générale de nos forces à un
-total d'environ 200 mille combattants. Dans la position concentrique
-où ces 200 mille combattants allaient se trouver au milieu de toutes
-les armées des coalisés, on avait de quoi livrer une bataille qui
-serait formidable sans doute, mais qui pourrait être heureuse, les
-coalisés fussent-ils 300 mille et même davantage, ce qui n'était pas
-impossible.
-
-Napoléon expédia ses ordres de dix heures à midi aux diverses masses
-destinées à se réunir sur Leipzig, et devant partir, Marmont de
-Dölitzsch, la garde et Latour-Maubourg de Düben, Bertrand et Macdonald
-des environs de Wittenberg. Quant à la dernière portion de 38 mille
-hommes, engagés les uns au delà de l'Elbe par Wittenberg, les autres
-au delà de la Mulde par Dessau, Napoléon calcula que même en les
-ramenant dès le lendemain sur Düben, ils ne pourraient pas y passer le
-pont de la Mulde à cause de l'encombrement des hommes et du matériel;
-il leur laissa donc terminer la tâche qu'il leur avait confiée. Ayant
-des raisons de supposer que l'armée du Nord avait repassé l'Elbe, il
-voulut la mettre tout à fait hors de cause, en achevant de détruire
-ses moyens de passage. En conséquence il prescrivit à Reynier,
-Dombrowski, Sébastiani, de terminer au plus vite l'opération dont ils
-étaient chargés contre les ponts de Roslau, d'Acken, de Barby, à Ney
-d'enlever ceux de Dessau, à tous enfin de ne rien négliger pour ôter à
-Bernadotte, qu'on supposait au delà de l'Elbe, la faculté de le
-repasser.
-
-Ainsi, dans ces ordres si profondément calculés, il était pourvu à
-tout, autant qu'il est permis à la prévoyance humaine de le faire. Le
-lendemain 13 octobre Murat allait avoir près de 90 mille hommes à
-Leipzig, le 14, 134 mille, avec la personne de Napoléon, ce qui
-rendait impossible toute jonction des masses ennemies. Enfin les 15 et
-16, la grande armée successivement portée à 200 mille hommes, devait
-être placée avec toutes ses forces entre les armées coalisées. Il ne
-restait plus qu'à se battre vaillamment et heureusement; vaillamment,
-Napoléon l'espérait avec raison de ses soldats, heureusement, il
-l'espérait encore de son génie et de la fortune!
-
-[En marge: Napoléon attend de sa personne à Düben que ses corps aient
-achevé leur mouvement.]
-
-[En marge: Opérations de Reynier et Dombrowski, chargés de détruire
-les ponts de l'Elbe.]
-
-[En marge: Beau combat de Ney, enlevant Dessau pour en détruire les
-ponts.]
-
-Il résolut d'attendre à Düben même l'exécution des ordres qu'il avait
-donnés. Effectivement il importait peu qu'il fût à Leipzig tant que
-ses troupes n'y seraient pas réunies, et à Düben au contraire, il
-veillait au défilé de ses corps d'armée, et aux mesures prescrites
-pour se débarrasser de Bernadotte, qui paraissait toujours revenu sur
-la rive droite de l'Elbe. Pendant cette journée du 12, Dombrowski et
-Reynier, précédés par la cavalerie de Sébastiani, ayant traversé
-l'Elbe à Wittenberg, chassèrent devant eux les Prussiens, et
-enlevèrent même quelques prisonniers à la division Thumen, laquelle
-avait toujours fait partie du corps de Bernadotte. C'était une
-nouvelle raison de croire au retour de l'armée du Nord sur la rive
-droite de l'Elbe. Dombrowski et Reynier se rabattirent ensuite à
-gauche pour détruire le pont de Roslau, et s'y heurtèrent aux troupes
-du général Hirschfeld appartenant également à l'armée du Nord. Ils ne
-descendirent point au delà, des forces considérables semblant y être
-réunies. Dans le même temps Ney opérant sur la Mulde, emporta les
-ponts de Dessau, situés tout près du confluent de la Mulde dans
-l'Elbe. Un peu avant d'être à Dessau et à droite, c'est-à-dire à
-Worlitz, se trouvait un détachement ennemi. Ney dirigea sur Worlitz la
-cavalerie du général Fournier avec quelques troupes d'infanterie du 3e
-corps, et avec le reste de ce corps se précipita sur Dessau même.
-L'ennemi fut brusquement refoulé sur le pont de Dessau, où cavalerie
-et infanterie se réfugièrent dans une affreuse confusion. On y ramassa
-un millier de prisonniers et plusieurs pièces de canon. Sur ces
-entrefaites le détachement prussien qui occupait Worlitz, abordé aussi
-vivement, fut rejeté sur Dessau, où nous étions déjà, pris entre deux
-feux, et enlevé ou sabré par la cavalerie du général Fournier. Ces
-affaires coûtèrent à l'ennemi près de trois mille hommes et bon nombre
-de bouches à feu. Les troupes qu'on avait rencontrées là étaient
-celles du corps de Tauenzien, lequel, sans appartenir à Bernadotte,
-avait habituellement servi avec lui. Il parut se replier sur l'Elbe.
-Le maréchal Ney ne s'engagea pas davantage, ayant pour instruction de
-se tenir prêt à rebrousser chemin.
-
-[En marge: Toutes les apparences portent à croire que l'armée du Nord
-s'est séparée de celle de Silésie pour rester sur la droite de
-l'Elbe.]
-
-Ces diverses rencontres confirmaient tout à fait la supposition que
-l'armée du Nord était restée sur la droite de l'Elbe, car la division
-Thumen, le corps du général Hirschfeld, celui de Tauenzien, n'avaient
-cessé de marcher avec elle. Ce qui était le plus vraisemblable, c'est
-qu'elle se tenait sur l'Elbe pour couvrir Berlin, tandis que l'armée
-de Silésie, s'étant reportée de la Mulde à la Saale pour accomplir
-son mouvement sous la protection de deux rivières, remontait vers
-Halle et Leipzig afin de se joindre à l'armée de Bohême. Il y avait
-certainement bien des contradictions à expliquer dans une pareille
-hypothèse, car on ne comprenait pas pourquoi les armées de Silésie et
-du Nord avaient, au prix des plus grands périls, opéré leur jonction
-et le passage de l'Elbe pour se séparer ensuite, et pourquoi Blucher
-n'était pas allé tout simplement se réunir au prince de Schwarzenberg
-à travers la Bohême, au lieu de parcourir l'immense circuit de Bautzen
-à Dessau, de Dessau à Leipzig. Mais ce n'était pas la première fois
-qu'on avait vu les généraux coalisés exécuter des manoeuvres étranges,
-et toutes les reconnaissances constatant la séparation des deux armées
-du Nord et de Silésie, il fallait bien se rendre devant des
-témoignages unanimes. Il parut donc établi qu'on aurait affaire à
-Schwarzenberg renforcé de Blucher seul, si toutefois ce dernier
-parvenait à rejoindre le généralissime à travers les masses de l'armée
-française.
-
-[En marge: Confirmation réitérée de ces apparences.]
-
-[En marge: Arrivée de Marmont le 13 au soir à Leipzig.]
-
-[En marge: Arrivée d'Augereau dans cette ville, après un brillant
-combat contre les coureurs de Thielmann et de Platow.]
-
-Le 13 ces apparences furent de nouveau confirmées par les
-reconnaissances opérées dans toutes les directions, et en conséquence
-Napoléon persista dans l'opinion qu'il s'était faite, et qui du reste
-n'importait pas relativement aux mesures à prendre, car dans tous les
-cas il fallait se concentrer le plus tôt et le plus complétement
-possible autour de Leipzig. Marmont avec la cavalerie du général
-Deforge ayant remonté la Mulde, entre le bras principal et le petit
-bras qui passe à Dölitzsch, côtoya sans cesse les troupes de Blucher
-qui effectuaient le même mouvement le long de la Saale, et se
-dirigeaient sur Halle comme nous sur Leipzig. Le 13 au soir le
-maréchal Marmont vint s'établir en arrière de Leipzig, dans la
-position de Breitenfeld, laquelle fait face à la route de Halle. Il
-était ainsi en mesure d'empêcher Blucher d'entrer à Leipzig. Le même
-jour Murat se repliait en ordre sur le côté opposé de Leipzig, et y
-contenait la grande armée du prince de Schwarzenberg. Augereau après
-avoir rencontré au delà de Weissenfels, non loin des plaines de
-Lutzen, les troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, leur
-avait passé sur le corps, et leur avait enlevé 2 mille hommes. Les
-dragons d'Espagne, habitués à manier le sabre droit, avaient fait un
-grand carnage de la cavalerie ennemie. Augereau était à l'entrée même
-de Leipzig vers Lindenau, ce qui apportait un nouvel obstacle à la
-jonction de Blucher avec Schwarzenberg. Ainsi le 13 au soir 90 mille
-hommes étaient déjà réunis à Leipzig, de manière à s'interposer entre
-les masses ennemies.
-
-[En marge: La garde, Latour-Maubourg, Bertrand, Macdonald, Reynier et
-Ney reployés sur Düben et Leipzig.]
-
-Sur la route de Düben le mouvement de concentration fut le même
-pendant cette journée du 13. La garde et Latour-Maubourg ayant franchi
-la veille le pont de la Mulde, malgré un fâcheux encombrement,
-suivirent les traces du maréchal Marmont, et marchèrent dans le même
-ordre, ayant soin de se garder avec leur cavalerie légère du côté du
-général Blucher. Bertrand et Macdonald se rapprochèrent de Düben pour
-y traverser la Mulde le soir ou le lendemain. Ney rebroussa chemin de
-Dessau sur Düben pour passer après eux. Reynier, Dombrowski,
-Sébastiani revinrent sur Wittenberg. La pluie ne cessant pas, les
-chemins étaient dans l'état le plus affreux, et malheureusement
-beaucoup de soldats, trop jeunes pour de telles fatigues, restaient en
-arrière et encombraient les routes. Le grand quartier général, composé
-de la cour de Saxe, des parcs du génie et de l'artillerie, et des
-équipages de pont, ce qui comprenait au moins deux mille voitures,
-avait suivi Napoléon jusqu'à Eilenbourg sur la Mulde. Ce quartier
-général était gardé par quatre mille hommes, et formait un immense
-convoi. Il était à mi-chemin, sur la route de Leipzig à Torgau.
-Napoléon avait ordonné que tout ce qui appartenait à l'artillerie fût
-dirigé sur Leipzig, et que tout le reste fût renfermé dans Torgau. La
-cour de Saxe avait été laissée libre de choisir entre Torgau ou
-Leipzig. À Torgau elle avait un siége et d'affreuses maladies à
-craindre, à Leipzig une bataille. Mais guidée par une confiance
-instinctive en Napoléon, elle avait pensé qu'il y avait plus de sûreté
-auprès de lui, et elle avait opté pour Leipzig, au risque d'assister
-au plus horrible conflit qui se fût jamais vu entre les nations
-civilisées. C'était donc un nouvel embarras ajouté à tous les autres,
-sur ces routes encombrées et défoncées. Au pont d'Eilenbourg les
-soldats du parc d'artillerie et ceux de l'équipage de pont faillirent
-en venir aux mains.
-
-[En marge: Départ de Napoléon pour Leipzig le 14 au matin.]
-
-[En marge: Les apparences changées à l'égard de l'armée du Nord, qui
-semble se porter aussi sur Leipzig.]
-
-[En marge: Arrivée de Napoléon à Leipzig le 14 au soir.]
-
-Le 14 au matin, après avoir veillé toute la nuit à l'exécution de ses
-ordres, Napoléon se prépara lui-même à partir pour Leipzig. Au moment
-de son départ un rapport du maréchal Ney, recueilli très-près de
-l'ennemi, le mit en doute relativement à la position prise par
-l'armée du Nord. Elle ne paraissait plus sur la droite de l'Elbe, mais
-sur la gauche et derrière la basse Saale, toujours extrêmement
-soigneuse d'éviter une rencontre avec nous. Elle était ainsi fort
-au-dessous de Blucher sur la Saale, et beaucoup plus loin que lui de
-Leipzig; mais tandis qu'il remonterait vers Halle, c'est-à-dire vers
-Leipzig, elle pouvait suivre son mouvement, ne fût-ce que de loin, et
-dans ce cas il était possible que nous l'eussions elle aussi sur les
-bras, ce qui ferait trois armées à combattre au lieu de deux. Il est
-vrai que Leipzig occupé par nous, restait toujours entre elles un
-obstacle fort difficile à surmonter. En recevant ce dernier
-renseignement Napoléon expédia de nouveaux ordres à Ney, Reynier,
-Dombrowski, Sébastiani, qui avaient le plus de chemin à faire, et leur
-recommanda de se hâter, car plus on prévoyait d'ennemis sur son
-chemin, plus il fallait être concentrés pour leur tenir tête. Il
-partit ensuite de Düben, afin d'être le soir même du 14 à Leipzig. En
-route il rencontra le roi de Saxe, déjà très-ému de tout ce qu'il
-voyait, le rassura et le charma comme il faisait toujours par son
-énergie et sa bonne grâce, et alla descendre dans le faubourg de
-Reudnitz, à une demi-lieue en dehors de Leipzig du côté de Murat. Il
-prit gîte dans une habitation particulière qu'on avait préparée pour
-lui.
-
-[En marge: Par suite des dernières marches, Napoléon ne pourra pas
-avoir plus de 190 mille hommes, contre l'ennemi qui peut en avoir de
-320 à 350 mille.]
-
-[En marge: Gravité de la situation.]
-
-Il s'y trouvait avec Berthier, Murat, Marmont et divers officiers de
-sa maison, et leur montra une extrême confiance à tous. Pourtant la
-situation n'était pas rassurante. C'est tout au plus si, en comptant
-bien, il pouvait réunir 190 mille soldats autour de Leipzig, tandis
-que huit jours auparavant il en avait environ 210 mille, et 360 mille
-deux mois auparavant. Les marches et diverses rencontres lui avaient
-déjà fait perdre 20 mille hommes en huit jours, et 30 mille étaient
-paralysés à Dresde. Il pouvait avoir, si Bernadotte se joignait à
-Blucher, de 320 à 350 mille hommes à combattre, et c'était une
-terrible lutte à soutenir contre des ennemis remplis d'exaltation. Il
-allait se voir entouré, cerné en quelque sorte au sud et à l'est de
-Leipzig par l'armée du prince de Schwarzenberg, au nord par les armées
-de Blucher et de Bernadotte, peut-être même enveloppé à l'ouest et
-coupé de Mayence, si Blucher au moyen des troupes légères de
-Thielmann, réussissait à donner la main à Schwarzenberg à travers la
-plaine de Lutzen. (Voir les cartes n{os} 58 et 60.) Cette situation
-était donc infiniment grave, bien qu'il eût de grandes ressources dans
-l'indomptable bravoure de ses soldats, dans son génie, et dans la
-position concentrique qui lui permettrait de contenir les uns pendant
-qu'il combattrait les autres, et de les vaincre ainsi successivement.
-Du reste il n'avait pas cessé de l'espérer.
-
-[En marge: Concours de nouvelles politiques fâcheuses.]
-
-[En marge: Chute du trône de Westphalie.]
-
-Les événements politiques qu'il apprenait étaient assez tristes, et de
-nature à mettre son caractère à une nouvelle épreuve. Le royaume de
-Westphalie venait de s'écrouler soudainement, à la seule apparition
-d'une troupe de Cosaques. C'était facile à prévoir, mais le coup n'en
-était pas moins sensible, et d'un sinistre augure. En effet après la
-bataille de Gross-Beeren et de Dennewitz, Bernadotte, parvenu jusqu'à
-l'Elbe, dont il avait occupé plusieurs points entre Wittenberg et
-Magdebourg, se chargeant toujours volontiers des oeuvres les plus
-cruelles pour Napoléon, les moins honorables pour lui, avait pris
-plaisir à lancer sur la Hesse Czernicheff avec quelque infanterie
-légère et beaucoup de Cosaques, dans l'intention de renverser le trône
-de Jérôme. Ces coureurs, tandis que Thielmann et Lichtenstein
-envahissaient la Saxe et la Thuringe, s'étaient hâtés d'envahir la
-Hesse, et de se porter sur Cassel, où le renversement de l'une des
-royautés fondées par Napoléon ne pouvait manquer de produire une
-grande sensation. Partout favorisés par la population, bien
-accueillis, bien informés, bien nourris, ils étaient parvenus sans
-difficulté jusqu'aux portes de Cassel. Le roi Jérôme n'avait pour se
-défendre qu'un bataillon de grenadiers et deux régiments de
-cuirassiers westphaliens, plus quelques hussards français. Ces
-derniers avaient été récemment formés pour lui procurer une garde
-sûre, et devaient être portés à douze cents hommes. Mais ils étaient à
-peine sept à huit cents, arrivaient depuis quelques jours de France,
-et beaucoup d'entre eux étaient encore incapables de se tenir à
-cheval. À l'approche des partisans de Czernicheff tous les esprits
-avaient été vivement émus, et l'espérance de se débarrasser d'une
-royauté étrangère les avait presque soulevés. Les troupes peu
-nombreuses et la plupart westphaliennes, contenues par la discipline
-militaire, s'étaient abstenues de manifester leurs sentiments, mais en
-les laissant facilement deviner. Jérôme s'était donc trouvé dans une
-affreuse position; néanmoins il avait bravé l'orage, s'était adressé
-au duc de Valmy à Mayence pour obtenir le secours de trois à quatre
-mille Français, et en attendant avait essayé de faire une sortie à la
-tête de son bataillon de grenadiers, et de quatre cents hussards
-français pris parmi ceux qui savaient monter à cheval. Cette sortie
-avait été d'abord heureuse, et les hussards français avaient bravement
-chargé l'ennemi, qui s'était un moment replié. Mais bientôt
-l'agitation des esprits croissant à Cassel, la plupart des troupes
-westphaliennes désertant, et le duc de Valmy ne pouvant dans la grave
-situation des choses déplacer trois à quatre mille Français sans un
-ordre formel de Napoléon, Jérôme avait été obligé d'évacuer sa
-capitale, et de se retirer sur Coblentz. Le 30 septembre Czernicheff
-était entré dans Cassel, et le royaume de Westphalie avait été aboli.
-
-[En marge: Adhésion de la Bavière à la coalition.]
-
-Ces nouvelles étaient suivies d'une autre non moins fâcheuse. La
-Bavière était sur le point de nous abandonner, et on allait jusqu'à
-répandre le bruit qu'elle avait déjà signé un traité d'adhésion à la
-coalition européenne. Elle nous avait du reste préparés à cet
-événement. Le roi ne cessant de se plaindre à nous d'être livré à ses
-propres forces, avait dit et répété que son armée placée au bord de
-l'Inn sous le général de Wrède, ne pourrait résister à l'armée
-autrichienne; que si on ne lui envoyait immédiatement un corps de 30
-mille hommes, il serait obligé de céder aux injonctions des puissances
-coalisées, au mauvais esprit de ses troupes, et à l'opinion unanime de
-son peuple. Notre ministre, M. Mercy d'Argenteau, qui se conduisait à
-Munich avec beaucoup de zèle et de prudence, n'avait pu répondre à ces
-plaintes que par des promesses toujours démenties par les faits, et
-avait plusieurs fois averti M. de Bassano du péril qui nous menaçait
-de ce côté. Le départ du maréchal Augereau pour Leipzig avait été le
-signal de la défection, et la Bavière avait cédé, en signant un traité
-d'alliance avec nos ennemis. Nous devions en conséquence nous
-attendre, si nous étions forcés de nous retirer, à trouver sur nos
-derrières une armée de 30 mille Autrichiens et de 30 mille Bavarois
-prêts à nous fermer la retraite. Il fallait donc à tout prix être
-victorieux à Leipzig, sous peine d'un désastre non pas plus tragique,
-mais plus irrémédiable que celui de Moscou[25].
-
- [Note 25: Les tristes flatteurs qui pendant son règne ont
- contribué à perdre Napoléon, et qui depuis sa chute ont plus
- d'une fois compromis sa mémoire, ont attribué à la défection
- de la Bavière tous les désastres qui ont signalé la fin de
- la campagne de 1813. C'est parce que Napoléon est revenu sur
- Leipzig, disent-ils, au lieu de descendre sur Magdebourg et
- Hambourg, pour prendre position sur le bas Elbe, qu'il a
- succombé. Ils prouvent en disant cela qu'ils n'ont ni connu
- la partie la plus importante des documents de cette époque,
- ni même interprété selon leur vrai sens ceux de ces
- documents qu'ils avaient sous les yeux. Ce n'est pas à cause
- de la défection de la Bavière que Napoléon est revenu de
- Düben sur Leipzig, car c'eût été un bien faible motif pour
- un capitaine tel que lui. Il est revenu, comme nous l'avons
- raconté, pour rester toujours interposé entre l'armée de
- Bohême et les armées de Silésie et du Nord, et il ne le
- pouvait qu'en se portant sur Leipzig avant que Blucher eût
- le temps d'y arriver. Il y a, indépendamment de ces raisons
- qui sont de simple bon sens, des raisons de fait invincibles
- dans les lettres mêmes de Napoléon. C'est le 12 au matin
- qu'il changea de détermination et renonça au mouvement sur
- Berlin pour le mouvement sur Leipzig; or, le 13 il ne
- connaissait pas encore la défection de la Bavière, car
- racontant à M. de Bassano, qui était à Eilenbourg,
- l'arrestation du secrétaire de M. Pozzo di Borgo, et sa
- conversation avec ce secrétaire, il dit que les coalisés
- comptaient beaucoup sur la Bavière, sans être certains
- cependant d'avoir terminé avec elle. Le 13 Napoléon ne
- savait donc pas encore ce qui en était de la Bavière, et
- c'est le 12 que ses ordres de marcher sur Leipzig avaient
- été donnés. Enfin il est constaté par la correspondance
- diplomatique de M. Mercy d'Argenteau que ce ministre ne
- connut que le 9 octobre le traité signé à Munich le 8, que
- ses dépêches annonçant cette nouvelle furent interceptées et
- ne parvinrent point à Napoléon. Dans l'état des
- communications, ces dépêches obligées d'aller jusqu'à
- Francfort ou Mayence pour prendre la route de la grande
- armée, ne seraient certainement pas arrivées avant le 12 à
- Düben, quand même elles n'auraient pas été interceptées.
- Voilà des faits positifs et incontestables. Le 14 on n'avait
- à Leipzig que des bruits vagues, venant des coalisés qui
- savaient ce qui s'était passé entre eux et la Bavière, et
- qui l'ébruitaient par la joie qu'ils en éprouvaient.
- Napoléon n'avait donc pu se porter sur Leipzig à cause de la
- défection de la Bavière, puisqu'il l'ignorait. On s'est
- fondé pour répandre cette fausseté sur une assertion du
- _Moniteur_ de cette époque, qui prétend que la défection de
- la Bavière avait contraint Napoléon de revenir sur Leipzig.
- On vient de voir par les preuves matérielles que nous avons
- rapportées, que l'assertion est radicalement fausse. Mais
- voici le motif de Napoléon pour dissimuler la vérité en
- cette circonstance. Cherchant pour le public une explication
- palpable de la manoeuvre qui l'avait ramené sur Leipzig, et
- dont le résultat avait été si désastreux, il imagina cette
- raison de la défection de la Bavière, qui était frappante
- pour les ignorants, et qui lui servait à masquer ce qu'on
- pouvait croire une faute, comme pour 1812 il avait imaginé
- de dire que le froid était cause de nos malheurs, et pour
- Kulm que Vandamme avait manqué à ses instructions. Mais
- Napoléon, en se justifiant ainsi devant les ignorants, se
- calomniait devant les gens instruits. Si en effet il eût été
- certain que la route de Mayence allait se fermer par la
- défection de la Bavière, c'eût été une raison de plus de
- descendre sur Magdebourg et Hambourg, au lieu de remonter
- sur Leipzig, puisqu'il se serait assuré ainsi la route bien
- meilleure et encore libre de Wesel. Mais Napoléon
- désespérant de faire comprendre à la masse du public comment
- il avait été forcé à la suite des plus savantes manoeuvres
- de revenir sur Leipzig, adopta une assertion spécieuse,
- facile à saisir par tout le monde, et la donna dans les
- nouvelles officielles, aux dépens de la vérité et de sa
- propre gloire. Heureusement la vérité triomphe toujours avec
- le temps, car il y a tôt ou tard des gens qui l'aiment et
- savent la trouver, et tantôt elle condamne, tantôt même elle
- justifie ceux qui ont eu la maladresse de la cacher. Souvent
- en effet elle vaut mieux pour eux que les mensonges qu'ils
- ont inventés pour se justifier.]
-
-[En marge: La confiance de Napoléon est loin encore d'être ébranlée.]
-
-[En marge: Résolution de mettre l'infanterie sur deux rangs.]
-
-Cette situation, qui d'heure en heure semblait présenter un aspect
-plus sinistre, n'échappait pas à Napoléon, mais elle était loin de le
-troubler. L'idée d'être vaincu par les généraux et les soldats de la
-coalition ne pouvait entrer dans son esprit. Ses généraux avaient été
-battus quatre fois dans cette campagne, et lui jamais, ni dans
-celle-ci, ni dans aucune autre. Après avoir livré plus de cinquante
-batailles rangées, ce qui n'était arrivé encore à aucun capitaine, ni
-ancien ni moderne, il n'en avait pas perdu une seule. Il trouvait sans
-doute ses soldats jeunes pour les fatigues, mais il ne les avait
-jamais vus plus braves; il sentait sa prodigieuse clairvoyance qui lui
-donnait tant d'avantage sur ses ennemis, comme on sent l'excellence de
-sa vue en l'exerçant continuellement sur les objets; il ne doutait
-donc pas de gagner une, même deux et trois batailles. Son espérance
-était de vaincre d'abord Schwarzenberg le premier jour, puis Blucher
-le second, et de sortir ainsi de l'espèce de réseau dans lequel on
-cherchait à l'enfermer. Toutefois son infériorité numérique par
-rapport à l'ennemi lui semblait bien grande, car il ne pouvait pas se
-flatter de réunir 200 mille combattants, et ses adversaires devaient
-en avoir plus de 300 mille s'ils parvenaient à se joindre. Prévoyant
-cette difficulté, il avait prescrit une disposition à laquelle il
-avait pensé bien des fois, c'était de placer l'infanterie sur deux
-rangs au lieu de trois. Il prétendait que le troisième rang ne servait
-ni pour les feux ni pour les charges à la baïonnette, et il ne voulait
-pas s'avouer à lui-même que le troisième rang, s'il ne pouvait ni
-tirer ni charger à la baïonnette, soutenait cependant les deux autres,
-leur imprimait de la solidité, et les recrutait après une action
-meurtrière. Mais dans la détresse où il se trouvait, la chose était
-bonne à essayer si elle n'était pas bonne à professer.
-
-[En marge: Curieux entretien de Napoléon avec ses lieutenants pendant
-une partie de la nuit du 14 au 15.]
-
-Enfermé pendant cette soirée dans un appartement chauffé suivant la
-coutume allemande, et appuyé à un grand poêle, il eut avec Berthier,
-Murat, Marmont et plusieurs de ses généraux, un entretien long,
-familier et significatif. Il soutint la formation de l'infanterie sur
-deux rangs, et dit que pour le lendemain au moins elle aurait un grand
-effet, celui de donner à l'armée française l'apparence d'être d'un
-tiers plus forte, l'ennemi ignorant la nouvelle disposition qu'il
-venait de prescrire. On disserta sur ce sujet, puis on parla de la
-possibilité de juger à l'oeil de la force d'une armée sur le terrain,
-et Napoléon affirma qu'avec sa vieille expérience il n'était pas sûr
-de ne pas se tromper d'un quart au moins. Tout à coup on annonça
-Augereau, qu'il n'avait pas encore vu, car ce maréchal venait à peine
-de rejoindre le quartier général.--Ah! vous voilà, s'écria-t-il,
-arrivez donc, mon vieil Augereau; vous vous êtes bien fait
-attendre.--Puis, sans aigreur ni blâme, même avec un ton amical mais
-triste: Vous n'êtes plus, lui dit-il, l'Augereau de Castiglione!--Si,
-répondit le maréchal, je serai encore l'Augereau de Castiglione quand
-vous me rendrez les soldats d'Italie.--Cette repartie n'irrita pas
-Napoléon, mais il insista, se plaignant d'une sorte de défaillance
-générale autour de lui. Par un penchant, fort ordinaire aux hommes, de
-s'en prendre de leurs malheurs plus volontiers aux autres qu'à
-eux-mêmes, il accusa tout le monde, d'ailleurs très-doucement. Il
-commença par ses frères, comme s'ils avaient été exclusivement
-coupables de ce qui se passait dans leurs États, et qu'il n'eût été
-pour rien dans leurs mésaventures. Il se plaignit de Louis qui, de la
-Suisse où il s'était retiré, lui redemandait la Hollande, de Jérôme
-qui venait de perdre Cassel, de Joseph qui venait de perdre l'Espagne.
-Puis il ajouta que son malheur avait été de trop faire pour sa
-famille, que son beau-père l'empereur François le lui avait reproché
-plus d'une fois, qu'il le reconnaissait maintenant, mais trop
-tard.--Vous-même, dit alors Napoléon en s'adressant à Murat avec une
-franchise de langage singulière, mais que la complète absence
-d'aigreur rendait supportable, vous-même n'avez-vous pas été prêt à
-m'abandonner?--Murat repoussa bien loin cette imputation, en disant
-qu'il avait toujours eu des ennemis cachés, appliqués à le desservir
-auprès de son beau-frère.--Oui, oui, répondit Napoléon avec un ton
-tellement affirmatif qu'on voyait bien qu'il avait tout su, ou tout
-deviné: vous avez été prêt à faire comme l'Autriche, mais je vous
-pardonne. Vous êtes bon, vous avez un fonds d'amitié pour moi, et vous
-êtes un vaillant homme; seulement j'ai eu tort de vous faire roi. Si
-je m'étais contenté de vous faire vice-roi comme Eugène, vous auriez
-agi comme lui; mais roi, vous songez à votre couronne plus qu'à la
-mienne.--Ces vérités, adoucies par le ton, émurent fort les
-assistants, et formèrent le sujet de la conversation jusque bien avant
-dans la nuit. Ensuite, avec une sorte de résignation supérieure, et
-des témoignages affectueux, Napoléon quitta ses lieutenants, en leur
-disant qu'il fallait se préparer tous à se bien battre, car on aurait
-affaire à forte partie le lendemain, et la bataille prochaine
-déciderait de leur sort, du sien, de celui de la France.
-
-Ce triste retour sur le passé fut le seul signe que Napoléon donna de
-ses sombres pressentiments, car du reste il était calme, tranquille,
-résolu, comme si les circonstances eussent été celles qui avaient
-précédé Austerlitz ou Friedland[26].
-
- [Note 26: Je n'ai pas besoin de répéter, après l'avoir dit
- tant de fois, que je ne rapporte les entretiens de Napoléon
- que lorsque j'ai la preuve authentique de leur parfaite
- exactitude, et je ne reproduis celui-ci que parce qu'il me
- semble avoir une singulière signification à la veille de la
- bataille de Leipzig. Il prouve que déjà une tristesse
- confuse se faisait jour dans l'âme de Napoléon. Cet
- entretien eut un témoin, M. Jouanne, l'un des secrétaires de
- confiance de Napoléon, homme respectable et digne de toute
- créance, qui se trouvant là pour écrire divers ordres sous
- la dictée de Napoléon, entendit l'entretien que nous venons
- de rapporter et en consigna sur-le-champ le souvenir par
- écrit. C'est sur ce document conservé par M. Jouanne que
- j'ai retracé cette conversation, en résumant les choses, et
- en leur donnant seulement la forme du style historique, qui
- n'admet pas toutes les familiarités du langage, et qui n'a
- pas besoin pour être vrai de rapporter jusqu'à des locutions
- soldatesques, que les mémoires particuliers peuvent seuls se
- permettre de reproduire.]
-
-[En marge: Le 15 au matin, Napoléon monte à cheval pour passer la
-revue du champ de bataille.]
-
-Le lendemain matin Napoléon monta de très-bonne heure à cheval, afin
-d'inspecter le champ de bataille, ne voulant pas prendre l'initiative
-de l'action à cause de ses corps restés en arrière, et imaginant bien
-que l'ennemi ne la prendrait pas s'il ne la prenait pas lui-même. Ce
-soin était urgent, car ce champ de bataille, immortalisé par notre
-bravoure et nos malheurs, avait besoin d'être étudié dans son immense
-étendue, pour qu'ayant acquis une entière connaissance des lieux,
-Napoléon pût commander là même où il ne serait pas de sa personne. Il
-se porta d'abord au sud de Leipzig, vers le côté où Murat s'était
-établi en se retirant devant l'armée de Bohême.
-
-[En marge: Description des environs de Leipzig.]
-
-La Pleisse et l'Elster, comme la Saale, comme la Mulde, descendent des
-montagnes de la Bohême (voir les cartes n{os} 58 et 60), traversent
-toute la Saxe en coulant à peu près dans le même sens, jusqu'à ce que
-séparées ou confondues elles aillent tomber dans l'Elbe qui les
-recueille en passant. Un peu au-dessus de Leipzig la Pleisse et
-l'Elster, assez rapprochées l'une de l'autre, et divisées en une
-multitude de bras, finissent par se réunir au-dessous de cette ville,
-puis se détournent un peu à gauche, et vont se confondre dans la
-Saale, avec laquelle elles coulent vers l'Elbe en suivant une
-direction presque parallèle au cours de la Mulde. Voici donc quel
-était le mouvement des diverses armées. Le prince de Schwarzenberg
-ayant débouché des montagnes de la Bohême avec la grande armée des
-trois souverains, était arrivé sur Leipzig en descendant entre la
-Mulde, la Pleisse et l'Elster. Napoléon au contraire venant à sa
-rencontre du bas Elbe, avait remonté ces rivières jusqu'à Leipzig
-même. Le prince de Schwarzenberg avait sa gauche à la Pleisse et à
-l'Elster, et sa droite dans les plaines faiblement accidentées des
-environs de Leipzig. Quant à Napoléon, il avait sa gauche dans ces
-mêmes plaines, et sa droite aux deux rivières. Fortement adossé à
-Leipzig, et occupant bien cette ville, il avait la prétention de tenir
-Blucher et même Bernadotte entièrement séparés de Schwarzenberg. En
-effet Blucher ne pouvant traverser Leipzig, que nous occupions, était
-forcé de se détourner ou à droite ou à gauche pour rejoindre la grande
-armée de Bohême. Pour se détourner à droite (droite de Blucher) il lui
-fallait franchir un obstacle de grande importance, c'étaient la
-Pleisse, l'Elster, la Saale réunies, couvrant de leurs mille bras une
-vallée boisée, large de plus d'une lieue, et derrière laquelle il
-aurait pu trouver les Français, notamment Augereau, qui s'avançait par
-la route de Lutzen après avoir battu Platow et Thielmann. Si au
-contraire il eût cherché à se détourner à gauche, il aurait rencontré
-à travers la vaste plaine de Leipzig l'armée française revenant de
-Düben, et se serait exposé aux plus grands périls. Dès lors il avait
-l'armée française comme une muraille entre lui et Schwarzenberg. Il
-suffisait donc que Napoléon arrêtât Schwarzenberg au sud de Leipzig,
-Blucher au nord, pour les empêcher de se réunir, et s'il parvenait à
-battre l'un, puis à se reporter sur l'autre, il était possible qu'il
-triomphât alternativement de tous deux, surtout Bernadotte étant fort
-éloigné, et rien encore ne prouvant qu'il dût arriver. Napoléon
-sachant Schwarzenberg le plus rapproché, voulait d'abord avoir affaire
-à lui, réservant le combat avec Blucher pour le lendemain.
-
-[En marge: Description du champ de bataille au sud, entre
-Liebert-Wolkwitz et Wachau.]
-
-Il commença donc sa revue par le sud, c'est-à-dire par le champ de
-bataille où il s'attendait à rencontrer le prince de Schwarzenberg.
-(Voir la carte nº 60.) La Pleisse et l'Elster, tantôt confondues,
-tantôt séparées, et embrassant un large terrain, marécageux et boisé,
-coulaient, avons-nous dit, de la Bohême sur Leipzig, c'est-à-dire du
-sud au nord. Napoléon devait naturellement y appuyer sa droite, comme
-Schwarzenberg sa gauche, et l'appui était solide, car le lit des deux
-rivières n'était pas facile à traverser. D'ailleurs ce lit traversé,
-il aurait fallu gravir un terrain assez élevé pour déboucher par
-derrière notre droite dans la plaine de Leipzig. Sur son front
-Napoléon avait pour champ de bataille un terrain peu accidenté, et
-dont quelques villages formaient à peine les moyens de défense. En
-partant de Mark-Kleeberg sur la Pleisse, en passant par Wachau et
-allant finir à Liebert-Wolkwitz, une légère dépression de terrain
-servant d'écoulement aux eaux vers la Pleisse, séparait notre ligne de
-celle de l'ennemi. Tel quel, ce vallon, si on peut l'appeler ainsi,
-était l'obstacle de terrain que nous allions nous disputer avec
-acharnement. À sa gauche enfin, Napoléon avait la vaste plaine de
-Leipzig, semée de gros villages, et à peine sillonnée par une
-très-petite rivière, la Partha, qui, naissant à quelque distance de
-Liebert-Wolkwitz, allait après de nombreux circuits tomber derrière
-nous dans la Pleisse, à travers un faubourg de Leipzig. Napoléon de ce
-côté était presque sans appui, mais la présence de ses colonnes
-arrivant de Düben devait contenir l'ennemi, et l'empêcher de s'y
-risquer. Murat ayant pris position au sud, avait établi à
-Mark-Kleeberg sur la Pleisse Poniatowski, à Wachau Victor, à
-Liebert-Wolkwitz Lauriston, et dans les intervalles le 4e de cavalerie
-(cavalerie polonaise), et le 5e sous Pajol, dans lequel on avait fondu
-les dragons d'Espagne.
-
-De l'autre côté de cette espèce de vallon, on apercevait en face de
-nous Kleist et Wittgenstein, entre Gross-Pössnau, Gülden-Gossa,
-Cröbern, avec les gardes russe et prussienne pour réserve. L'armée
-autrichienne était partie à notre droite, entre la Pleisse et
-l'Elster, s'avançant dans l'angle formé par ces rivières, et menaçant
-le pont de Dölitz, partie à notre gauche, en avant d'un bois dit de
-l'Université, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, et devant tendre plus
-tard la main vers Blucher à travers la plaine de Leipzig, si nous
-perdions du terrain et si les coalisés en gagnaient.
-
-[En marge: Distribution des troupes au sud de Leipzig pour tenir tête
-à l'armée de Bohême entre Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg.]
-
-Napoléon approuva complétement la position prise par Murat. Il résolut
-de disputer énergiquement la ligne de Liebert-Wolkwitz à Wachau et
-Mark-Kleeberg, pour cela de doubler les trois corps de Murat, en
-plaçant Augereau à droite près de Mark-Kleeberg, la garde et la
-cavalerie de Latour-Maubourg au centre à Wachau, Macdonald avec la
-cavalerie de Sébastiani à gauche, au delà de Liebert-Wolkwitz, afin
-d'empêcher que notre aile gauche ne fût débordée, et d'essayer même,
-comme on le verra bientôt, de déborder l'aile droite de l'ennemi. Les
-Autrichiens s'avançant entre la Pleisse et l'Elster sur le pont de
-Dölitz, Napoléon pour n'être pas tourné par sa droite, y plaça la
-brigade Lefol, tirée des troupes qui formaient la garnison de Leipzig.
-Après les combats qu'on avait livrés, les marches qu'on avait
-exécutées dans la boue, les corps de Lauriston, Victor, Poniatowski,
-Pajol, amenés par Murat, pouvaient monter à 38 mille hommes, Augereau
-et Lefol à 12 mille, la garde à 36 mille, Latour-Maubourg à 6 mille,
-Macdonald et Sébastiani à 22 mille, ce qui faisait environ 114 à 115
-mille hommes opposés à 160 mille. Mais en manoeuvrant bien, en se
-battant énergiquement, toutes choses dont il n'y avait pas à douter,
-en se servant par exemple de quelques-uns des corps restés en arrière
-sous Ney, on pouvait renforcer Macdonald de 25 ou 30 mille hommes,
-puis se rabattre en masse par la gauche sur la droite de
-Schwarzenberg, et précipiter celui-ci dans la Pleisse. C'était en
-effet le projet de Napoléon si les corps actuellement en marche
-n'étaient pas indispensables au nord contre Blucher et Bernadotte.
-
-Cette revue du terrain terminée et ces dispositions arrêtées, Napoléon
-revint par la gauche au faubourg de Reudnitz. Il parcourut les bords
-de cette petite rivière de la Partha, qui roule, comme nous venons de
-le dire, ses faibles eaux dans une cavité du terrain à peine sensible,
-et passant par Taucha, Schönfeld, va les verser dans la Pleisse, au
-nord de Leipzig, à travers le faubourg de Halle. Là, si on se joignait
-de plus près, pouvait s'offrir un peu en arrière de notre gauche un
-nouveau champ de bataille; mais il n'y avait pas à s'en occuper,
-l'ennemi n'osant pas encore s'y montrer, et nous n'ayant que de la
-cavalerie à y mettre.
-
-[En marge: Position de Möckern au nord de Leipzig, propre à arrêter
-Blucher.]
-
-Ce n'était pas assez que d'avoir tout disposé pour résister à la
-grande armée de Bohême; il fallait songer aussi à tenir tête à
-Blucher, qu'on devait s'attendre à voir paraître d'un moment à l'autre
-au nord de Leipzig. Heureusement se trouvait de ce côté, en dépassant
-la Partha, une position assez avantageuse, s'étendant du village de
-Möckern à celui d'Euteritzsch, barrant la route de Halle à Leipzig, et
-présentant un terrain large, élevé, appuyé d'un côté à la Pleisse et
-à l'Elster, de l'autre à un gros ravin, et où un corps pouvait se
-déployer à l'aise, en ayant sur l'ennemi qui arrivait de Halle un fort
-commandement. Obligé d'abandonner cette position, on avait la
-ressource de se replier derrière la Partha, et d'aller s'adosser à
-Leipzig, en avant du faubourg de Halle.
-
-[En marge: Marmont avait pris position à Möckern.]
-
-C'est là que Marmont, n'ayant cessé d'observer Blucher pendant la
-marche de nos troupes, était venu se placer pour le combattre au
-besoin. Napoléon approuva la position que Marmont avait prise, et lui
-recommanda de s'y maintenir. Ney, avec Bertrand, Souham, Reynier,
-Dombrowski, tous retardés par la destruction des ponts de la Mulde et
-de l'Elbe, devait se ranger à la droite de Marmont, puis à mesure
-qu'il arriverait se replier autour de Leipzig, du nord au sud, et se
-relier à travers la plaine qu'arrose la Partha, avec la gauche de
-Murat. Ces dernières troupes venues, le cercle autour de Leipzig
-serait entièrement fermé.
-
-[En marge: Précautions prises pour garder la ville de Leipzig et la
-route de Lutzen qui était celle de Mayence.]
-
-Restait à bien garder la ville même de Leipzig, et non-seulement la
-ville, mais la grande route du Rhin, qui après avoir franchi la
-Pleisse et l'Elster sur une longue suite de ponts, débouchait par
-Lindenau dans la plaine de Lutzen, et allait rejoindre Weissenfels,
-Erfurt, Mayence. Il était indispensable de garder spécialement la
-route, parce qu'elle était notre seule ligne de retraite, et parce
-qu'en l'occupant nous empêchions Blucher et Schwarzenberg de
-communiquer entre eux par delà l'Elster et la Pleisse. Napoléon avait
-laissé la division Margaron, composée de troupes de marche, dans
-Leipzig même, avec mission de défendre les ponts de la Pleisse et de
-l'Elster, et le gros bourg de Lindenau, qui en forme le débouché dans
-la plaine de Lutzen. Moyennant qu'on défendît bien ce bourg et la
-ville, il suffisait de troupes légères sur la grande route de Lutzen,
-pour qu'on fût averti de ce qui s'y passerait, et qu'on pût y accourir
-à temps. Napoléon adjoignit aux troupes de Margaron le général
-Bertrand qui avait marché avec Macdonald, et qui venait d'entrer à
-Leipzig. Il devait appuyer au besoin, ou Margaron dans la défense de
-Leipzig et du débouché de Lindenau, ou Marmont dans la défense de la
-position de Möckern. Les autres corps arrivant successivement
-devaient, comme nous l'avons dit, se placer derrière Marmont, et le
-relier avec Murat. Ainsi dans la première journée Napoléon avait pour
-la bataille qui allait se livrer au sud de Leipzig, 115 mille hommes à
-opposer aux 160 mille de Schwarzenberg. Si la lutte s'engageait en
-même temps au nord, il avait à opposer aux 60 mille hommes de Blucher
-Marmont avec 20 mille, Bertrand avec 10 mille, sans compter les 10
-mille de Margaron qui gardaient Leipzig et la grande route du Rhin.
-Ney, avec Souham, Dombrowski, Reynier, nous amenait un renfort de 35
-mille hommes, et pouvait alternativement secourir Marmont ou Napoléon
-lui-même. Avec lui le total de nos forces devait s'élever à 190 mille
-hommes; mais il fallait se hâter de vaincre, car si Ney portait nos
-forces à 190 mille hommes, l'ennemi, dans le même espace de temps,
-pouvait voir les siennes s'élever à 320 ou 330 mille hommes par
-l'arrivée probable de Bernadotte demeuré en arrière de Blucher, de
-Benningsen demeuré en arrière de Schwarzenberg. Napoléon, du reste,
-songeait à s'assurer des résultats décisifs dès le premier jour, car
-il espérait avoir au moins la tête de colonne de Ney, la joindre à
-Macdonald, et, les jetant l'un et l'autre sur la droite de
-Schwarzenberg, pousser brusquement ce dernier dans la Pleisse. Ces
-dispositions étaient tout ce qu'on pouvait attendre de la situation et
-de son génie, et après avoir employé la journée entière du 15 à
-rallier ses troupes, il résolut de ne pas différer davantage, et
-d'attaquer Schwarzenberg le lendemain 16. Il redoubla d'assurance à
-l'égard de ses lieutenants, et même de bienveillance pour eux, voulant
-les mieux disposer à donner jusqu'à la dernière goutte de leur sang.
-Au surplus, même en éprouvant de secrètes inquiétudes et en
-désapprouvant sa politique, ils y étaient déterminés sans réserve.
-Vaincre ou mourir était le sentiment de tous.
-
-[En marge: Ce qui s'était passé du côté des alliés.]
-
-[En marge: Contestations perpétuelles entre Blucher et Bernadotte
-depuis leur réunion derrière la Mulde.]
-
-[En marge: Blucher s'était avancé par Halle sur Leipzig; Bernadotte
-était resté en arrière sur la basse Saale, avec deux divisions
-laissées sur la droite de l'Elbe.]
-
-Les alliés de leur côté n'étaient pas restés oisifs, et avaient fait
-de grands efforts pour opérer leur réunion sous les murs de Leipzig.
-Blucher et Bernadotte, comme on l'a vu, s'étaient, à l'approche de
-Napoléon, réfugiés derrière la Mulde, et n'avaient cessé depuis qu'ils
-se trouvaient ensemble d'être en contestation sur la conduite à
-suivre. Bernadotte aurait voulu d'abord que l'armée de Silésie vînt
-prendre position au-dessus de lui sur la Mulde, c'est-à-dire se placer
-entre lui et Leipzig, afin d'avoir en cas de revers des moyens
-d'évasion plus prompts et plus sûrs vers l'Elbe. Blucher, qui devinait
-les motifs de Bernadotte, aurait désiré au contraire se placer
-au-dessous pour le tenir enfermé entre lui et Leipzig, et le forcer
-ainsi à marcher à l'ennemi. Mais Bernadotte se refusant absolument à
-une semblable disposition des deux armées, et alléguant pour prétexte
-le soin de ses communications avec la Suède, Blucher avait été obligé
-de se rendre pour éviter une rupture. Après cette contestation, il
-s'en était élevé une autre. Bernadotte voulait qu'en remontant vers
-Leipzig on opérât ce mouvement non pas derrière la Mulde, mais
-derrière la Saale, afin de mettre deux rivières entre soi et les
-Français. Blucher, au contraire, voulait qu'on se couvrît seulement de
-la Mulde pour arriver plus tôt à Leipzig. Toutefois il avait cédé
-encore, toujours dans l'intention de prévenir un éclat. Mais avec son
-impatience habituelle, il n'avait porté qu'un de ses corps derrière la
-Saale, et à la tête des deux autres il avait cheminé en avant de cette
-rivière, sur la chaussée de Halle, très-près du maréchal Marmont qu'il
-n'avait cessé de côtoyer. Enfin une troisième contestation avait tout
-à coup surgi entre les deux chefs des armées de Silésie et du Nord, et
-avait mis le comble à leur mésintelligence. À la vue des Français
-occupés au delà de l'Elbe à détruire des ponts, Bernadotte croyant à
-un mouvement de Napoléon sur Berlin, avait voulu repasser l'Elbe, pour
-n'être pas coupé du nord de l'Allemagne où était sa base d'opération.
-Son état-major tout entier, composé en grande partie de Russes et de
-Prussiens, avait contre l'ordinaire incliné à son opinion. Aussi
-avait-il fait valoir l'autorité éventuelle dont il était investi à
-l'égard de l'armée de Silésie, pour enjoindre à Blucher de le suivre
-sur la rive droite de l'Elbe. En recevant cet ordre Blucher avait
-contesté le mouvement de Napoléon sur Berlin, allégué à l'appui de son
-opinion les forces considérables laissées autour de Leipzig, répondu
-en outre par une désobéissance formelle, et adressé aux officiers
-prussiens et russes de l'armée de Bernadotte l'invitation de ne pas
-quitter la rive gauche de l'Elbe. Mais un fait indépendant de leur
-volonté à tous, la destruction complète des ponts par Ney et Reynier,
-avait mis fin au débat, et Bernadotte, privé de ses moyens de passage,
-était resté forcément sur la gauche de l'Elbe, ne suivant d'ailleurs
-Blucher que de très-loin. Toutefois les divisions Thumen et
-Hirschfeld, le corps de Tauenzien étaient demeurés de l'autre côté du
-fleuve, et avaient ainsi causé l'erreur de Napoléon, qui avait cru
-l'armée entière du Nord résolue à se maintenir sur la droite de l'Elbe
-et sur la route de Berlin.
-
-[En marge: Blucher, arrivé à quelque distance de Leipzig, envoie un
-officier pour essayer de pénétrer auprès de Schwarzenberg à travers
-l'armée française.]
-
-C'est de cette manière que Blucher et Bernadotte avaient occupé le
-temps que Napoléon avait employé à revenir sur Leipzig. Blucher était
-le 15 sur la route de Halle, à quatre ou cinq lieues au nord de
-Leipzig, ayant grand désir de s'en approcher, n'osant donner la main
-au prince de Schwarzenberg à travers la plaine de Lutzen, parce qu'il
-lui aurait fallu franchir la Pleisse et l'Elster, étant fort tenté de
-le faire du côté opposé, à travers la vaste plaine de Leipzig, mais ne
-l'osant pas davantage à la vue des corps français qui marchaient dans
-cette direction, et renouvelant ses instances auprès de Bernadotte
-pour qu'il vînt le joindre, car réunis ils devaient former une armée
-de 120 mille hommes, laquelle n'avait rien à craindre de personne. Il
-avait en attendant tâché d'envoyer un officier au prince de
-Schwarzenberg pour lui dire qu'il était là, au nord de Leipzig, à une
-très-petite distance de lui, prêt à marcher au canon dès qu'il
-l'entendrait retentir au sud de cette ville.
-
-[En marge: Mouvement de l'armée de Bohême.]
-
-[En marge: Peu de divergences d'avis dans cette armée, qui n'avait
-d'autre conduite à tenir que de marcher sur Leipzig.]
-
-Dans l'armée de Bohême l'accord avait été plus grand, grâce à l'esprit
-conciliant d'Alexandre, à l'autorité doucement exercée du prince de
-Schwarzenberg, et surtout à l'évidence de ce qu'on avait à faire. On
-avait voulu descendre sur Leipzig avec l'intention de s'y joindre aux
-deux armées de Silésie et du Nord, et dès lors on n'avait qu'une
-conduite à tenir, c'était de pousser Murat vivement, et d'autant plus
-vivement qu'on voyait bien que Murat n'était qu'un rideau destiné à
-couvrir le mouvement des Français sur l'Elbe, et que si on ne se
-hâtait pas de percer ce rideau, on laisserait à Napoléon le temps
-d'accabler les armées de Silésie et du Nord. C'est ainsi qu'on était
-arrivé le 14 devant Liebert-Wolkwitz et Wachau, où l'on avait perdu
-1,200 hommes dans un combat de cavalerie imprudemment engagé contre
-Murat.
-
-[En marge: Arrivée le 14 au sud de Leipzig, elle emploie la journée du
-15 à se reposer et à prendre position.]
-
-[En marge: Nécessité pour elle de livrer bataille.]
-
-[En marge: Discussion sur le plan.]
-
-[En marge: Avis des généraux russes et prussiens.]
-
-La journée du 15 avait été employée à se rallier, à se mettre en
-ligne, et à délibérer sur le plan d'attaque, sujet fort grave et le
-seul sur lequel il y eût à discuter. Qu'il fallût livrer bataille,
-personne ne le mettait en doute, dût-on être vaincu, car si on
-laissait à Napoléon un jour, une heure de plus, il en profiterait pour
-détruire les deux armées du Nord et de Silésie. Se battre
-énergiquement en désespérés et tout de suite, était l'avis que la
-situation inspirait et commandait à tout le monde. Restait le plan de
-la bataille à livrer. À cet égard il y avait grande divergence entre
-les généraux autrichiens d'une part, et les généraux russes et
-prussiens de l'autre. En guerre, comme en toutes choses, l'opinion de
-chacun est généralement dictée par la position qu'il occupe. Les
-Russes et les Prussiens, sous Barclay de Tolly, ayant débouché
-directement sur Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, devant
-Murat, sur la rive droite de la Pleisse et de l'Elster, voulaient
-qu'on portât l'attaque sur ce point, qu'on l'y portât résolûment, et
-avec presque toutes ses forces. À peine admettaient-ils qu'on fît une
-diversion à leur droite par Gross-Pösnau, Seyffertshayn, pour déborder
-notre gauche, et essayer de tendre une main vers Blucher à travers la
-plaine de Leipzig. Ils admettaient aussi qu'à leur gauche, entre la
-Pleisse et l'Elster, on fît quelques démonstrations pour tendre la
-main à Blucher à travers la plaine de Lutzen, s'il cherchait par
-hasard à percer de ce côté. Mais là encore ils ne voulaient qu'une
-simple démonstration.
-
-[En marge: Avis des généraux autrichiens.]
-
-Les Autrichiens ayant été conduits par les routes qu'ils avaient
-suivies à déboucher en grande partie entre la Pleisse et l'Elster,
-accordaient sans doute qu'on dirigeât une attaque vigoureuse contre
-Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, mais ils espéraient peu de
-cette attaque de front, et demandaient qu'on portât le gros des forces
-dans l'angle formé par la Pleisse et l'Elster, que protégés par les
-deux côtés de cet angle dont le sommet s'appuyait à Leipzig, on s'y
-enfonçât, et qu'on essayât d'enlever à coups d'hommes le pont de
-Dölitz, placé sur la droite des Français en arrière de Mark-Kleeberg.
-Sans doute, disaient-ils, on y rencontrerait de grandes difficultés,
-car la Pleisse, coupée en mille bras, présentait des ponts, des corps
-de ferme, des enclos à forcer, et ensuite un terrain assez escarpé à
-gravir. Mais ces obstacles vaincus, on se trouverait sur les derrières
-des Français, la position de ceux-ci ne serait plus tenable, et ce
-serait un miracle s'ils pouvaient se retirer sains et saufs sur
-Leipzig. Aussi les généraux autrichiens voulaient-ils que
-non-seulement on employât à cette opération l'armée autrichienne, mais
-que les réserves de Barclay de Tolly, composées de la garde impériale
-russe, et de la garde royale prussienne, fussent chargées d'agir entre
-la Pleisse et l'Elster. Il y avait certainement quelques raisons à
-faire valoir pour ce plan, mais il y avait deux fortes objections à
-lui opposer: la première, c'est qu'avec peu de monde Napoléon pourrait
-en arrêter beaucoup à la position de Dölitz, et la seconde, c'est
-qu'en voyant combien était peu considérable la masse chargée de le
-combattre de front, il se rabattrait par sa gauche sur elle, et la
-jetterait dans la Pleisse. Or, lorsqu'il aurait anéanti comme à Dresde
-un tiers de l'armée alliée au moins, la question serait évidemment
-décidée en sa faveur.
-
-[En marge: Transaction entre les opinions diverses, et attaque sur
-trois points, à la droite de la Pleisse et de l'Elster, entre la
-Pleisse et l'Elster, et à la gauche de ces rivières.]
-
-Il ne suffit pas cependant qu'une opinion ait contre elle des raisons
-excellentes pour qu'on y renonce. Après l'avoir adoptée par position
-et de bonne foi, on y persiste par amour-propre, et il est rare qu'une
-opinion logiquement détruite soit une opinion abandonnée. On contesta
-vivement, et suivant la coutume, bonne en politique, mais souvent
-dangereuse à la guerre, on transigea. On répartit les forces avec une
-certaine égalité. Le corps autrichien de Giulay, renforcé des troupes
-légères de Lichtenstein et de Thielmann, dut, au delà de la Pleisse et
-de l'Elster, se porter sur Lindenau, pour s'emparer de la
-communication des Français avec Lutzen, c'est-à-dire avec Mayence. Ce
-corps, de 20 à 25 mille hommes, pouvait, s'il était heureux, donner la
-main à Blucher à travers la plaine de Lutzen. Le gros de l'armée
-autrichienne, comptant 40 mille hommes environ, composé du corps de
-Merfeld et de toutes les réserves tant de cavalerie que d'infanterie
-du prince de Hesse-Hombourg, devait s'enfoncer dans l'angle formé par
-la Pleisse et l'Elster, et essayer de déboucher par Dölitz sur les
-derrières des Français. À la droite des deux rivières, sur le front
-des Français, devant les positions de Mark-Kleeberg, Wachau,
-Liebert-Wolkwitz, les armées prussienne et russe, appuyées de toutes
-leurs réserves et présentant une force d'environ 70 mille hommes,
-devaient se ruer sur la ligne occupée par Napoléon, tandis que le
-général autrichien Klenau, comptant à peu près 25 mille hommes avec le
-renfort d'une brigade prussienne et de la cavalerie de Platow,
-déborderait au loin Liebert-Wolkwitz par la plaine de Leipzig,
-tâcherait de tourner notre gauche, et de tendre lui aussi la main aux
-armées de Blucher et de Bernadotte.
-
-Tel fut le plan adopté le 15 au soir pour être exécuté le lendemain 16
-dès neuf heures du matin. On essaya de faire parvenir à Blucher, dont
-on avait appris l'arrivée au nord de Leipzig, l'avis qu'on allait
-attaquer le 16, afin que s'il entendait le canon, il se portât
-lui-même au feu, et ne laissât aux Français que le moindre nombre
-possible de troupes inoccupées.
-
-[En marge: Dernières dispositions de Napoléon.]
-
-Le 16 octobre était donc le jour choisi par les deux armées pour cette
-grande et terrible lutte, de laquelle allait dépendre l'empire du
-monde. Napoléon avait déjà disposé ses troupes dès la veille.
-Macdonald et Sébastiani étant arrivés, il les avait dirigés sur
-Holzhausen, à gauche de Liebert-Wolkwitz, afin de faire face à Klenau.
-Quant à Ney et à Reynier, ils ne devaient être rendus à Leipzig, le
-premier que dans la matinée du 16, et le second que dans celle du 17.
-Blucher ne se montrant pas encore sur la route de Halle, ce qui était
-naturel puisqu'il fallait que le canon l'attirât sur le champ de
-bataille pour qu'il osât s'y aventurer, Napoléon supposa que peut-être
-il ne l'aurait pas sur les bras dans cette journée, et il enjoignit à
-Marmont de quitter sa position au nord de Leipzig, de traverser le
-faubourg de Halle, et de venir se placer sur les derrières de la
-grande armée, afin de coopérer à la manoeuvre décisive contre la
-droite de Schwarzenberg, par laquelle il espérait assurer le gain de
-la bataille. Il prescrivit à Ney de prendre la position laissée
-vacante par Marmont, et d'être prêt, de concert avec Bertrand, à
-contenir l'ennemi qui se montrerait au nord de Leipzig. Ces ordres
-donnés, Napoléon était dès la pointe du jour à cheval au milieu
-de sa garde, sur un tertre élevé, à la bergerie de Meusdorf,
-d'où il dominait le champ de bataille, et voyait à sa gauche
-Liebert-Wolkwitz, au centre et un peu dans le fond Wachau, à droite et
-dans le fond aussi Mark-Kleeberg, plus à droite enfin la Pleisse et
-l'Elster, entre lesquelles s'avançaient les Autrichiens pour forcer le
-pont de Dölitz. Il avait, comme nous l'avons dit, environ 160 mille
-hommes devant lui, et environ 115 mille pour les combattre, Macdonald
-et Sébastiani compris. Le reste de l'armée française était à deux
-lieues en arrière, pour faire face aux éventualités qui pouvaient se
-présenter sur d'autres points.
-
-[En marge: Première bataille de Leipzig, dite journée du 16.]
-
-[En marge: Attaque des coalisés sur Mark-Kleeberg, Wachau et
-Liebert-Wolkwitz.]
-
-À neuf heures du matin, trois coups de canon tirés du côté des alliés
-devinrent le signal d'une épouvantable canonnade. De Mark-Kleeberg à
-Liebert-Wolkwitz, les coalisés s'avancèrent sur notre front en trois
-fortes colonnes précédées par 200 bouches à feu. Ils avaient eu
-l'idée, très-bien entendue, de mêler ensemble les troupes de toutes
-les nations, pour que les dangers fussent également répartis, et que
-le voisinage excitât l'émulation. À notre droite, le général Kleist
-avec la division prussienne du prince Auguste de Prusse, plusieurs
-bataillons russes et les cuirassiers de Levachoff, marcha par Cröbern
-et Crostewitz sur Mark-Kleeberg. Au centre, le prince Eugène de
-Wurtemberg, avec la division russe qu'il commandait et la division
-prussienne de Klüx, marcha sur Wachau. À notre gauche et à la droite
-des coalisés, le prince Gortschakoff avec son corps et la division
-prussienne Pirch marcha sur Liebert-Wolkwitz, que Klenau, avec une
-quatrième colonne, essayait de tourner par Seyffertshayn. Ces diverses
-colonnes s'avançaient résolûment, en gens décidés à surmonter tous
-les obstacles. Notre artillerie, fort nombreuse, mise en batterie sur
-la pente du terrain, les couvrit de projectiles, mais ne les arrêta
-point, et elles arrivèrent sans chanceler jusqu'au pied de nos
-positions.
-
-[En marge: Poniatowski après avoir vaillamment résisté au général
-Kleist, est obligé de se replier un peu en arrière.]
-
-[En marge: Le maréchal Victor dispute victorieusement le village de
-Wachau au prince Eugène de Wurtemberg.]
-
-[En marge: Lauriston se maintient à Liebert-Wolkwitz.]
-
-La colonne de Kleist, dirigée sur Mark-Kleeberg à notre droite, fut
-bientôt engagée avec Poniatowski, et malgré la résistance de celui-ci,
-parvint à emporter ce village situé sur la Pleisse. Elle n'était pas
-de moins de 18 mille hommes, tandis que Poniatowski n'en avait que
-huit ou neuf mille. Ce dernier fut obligé de se retirer sur le terrain
-un peu dominant qui formait l'extrémité droite de notre ligne.
-Augereau porté alors en avant vint appuyer Poniatowski. Une forte
-artillerie fut dirigée contre Kleist qui cherchait à gravir le terrain
-sur lequel nous nous étions repliés. Au centre, le prince Eugène de
-Wurtemberg avec son infanterie russe et la division de Klüx, arriva
-devant Wachau sous une grêle de mitraille, et tenta d'y pénétrer. Mais
-le maréchal Victor, occupant ce village, lui résista opiniâtrement.
-Enfin à notre gauche, Gortschakoff partant de Störmthal, point de
-départ plus éloigné que celui des autres colonnes, était encore à
-quelque distance de Liebert-Wolkwitz, que Klenau avec les Autrichiens
-de Mohr était prêt à déborder. Mais le corps de Lauriston se trouvait
-à Liebert-Wolkwitz, favorisé par l'élévation du terrain, et devant
-être bientôt soutenu par Macdonald qui débouchait de Holzhausen.
-
-[En marge: Canonnade épouvantable.]
-
-[En marge: Les Français se défendent sur toute la ligne, sans perdre
-aucune portion de terrain.]
-
-Cette première marche des coalisés fut ferme et résolue, et s'exécuta
-sous une grêle de boulets lancés par les trois cents bouches à feu que
-nous avions de Mark-Kleeberg à Liebert-Wolkwitz. La canonnade de part
-et d'autre était si violente que personne, parmi nos vieux généraux,
-ne se souvenait d'en avoir entendu une pareille, et que Napoléon,
-quoique placé un peu en arrière à la bergerie de Meusdorf, vit tomber
-autour de lui quantité d'officiers et de chevaux. Avec son ordinaire
-assurance, il demeura impassible, et laissa la bataille s'engager
-davantage avant de prendre aucune résolution décisive. À gauche,
-Liebert-Wolkwitz bâti sur une éminence, et vigoureusement occupé par
-Lauriston, pouvait se défendre longtemps. Au centre, le prince Eugène
-de Wurtemberg ne semblait pas en état de surmonter la résistance des
-trois divisions de Victor. À droite seulement, la nécessité où avait
-été Poniatowski d'abandonner Mark-Kleeberg, et de céder un peu de
-terrain, avait amené notre ligne à se courber légèrement en arrière.
-La division Semelé, du corps d'Augereau, était déjà venue au secours
-de Poniatowski. Napoléon ordonna de se servir de la nombreuse et
-excellente cavalerie qu'on avait de ce côté, celle des Polonais et de
-Pajol (4e et 5e corps) pour arrêter l'infanterie de Kleist sur la
-pente du terrain qu'elle essayait de gravir.
-
-[En marge: Charge des dragons de Kellermann et des cuirassiers de
-Levachoff.]
-
-Le général Kellermann, qui dirigeait ce jour-là les 4e et 5e corps, se
-jeta avec ses dragons sur l'infanterie du prince Auguste, et la
-contint. Mais les cuirassiers de Levachoff, lancés à propos et avec
-habileté, franchirent un ravin qui était au pied de nos positions,
-prirent en flanc les dragons de Kellermann et les ramenèrent.
-Accueillis à leur tour par le feu plongeant de notre artillerie, les
-cuirassiers de Levachoff furent obligés de revenir sur leurs pas. On
-se contint réciproquement, les Prussiens ne gagnant pas plus de
-terrain qu'ils n'en avaient conquis d'abord, nous, ne pouvant
-recouvrer Mark-Kleeberg, mais restant sur les points dominants que
-nous avions occupés. Une masse formidable d'artillerie arrêtait
-l'ennemi, et bien que notre ligne ne fût pas redressée, elle ne
-paraissait pas devoir se courber davantage.
-
-[En marge: Carnage horrible à Wachau et à Liebert-Wolkwitz.]
-
-Au centre, c'est-à-dire à Wachau, à gauche, c'est-à-dire à
-Liebert-Wolkwitz, le combat ne cessait pas d'être opiniâtre et
-sanglant. À plusieurs reprises le prince de Wurtemberg et le général
-Kleist avaient pénétré dans Wachau, qui était dans un fond, mais à
-chaque fois les divisions de Victor fondant sur eux en colonnes
-serrées, les en avaient repoussés. Ce village avait été en deux heures
-pris et repris cinq fois. Il ne présentait plus qu'un monceau de
-ruines et de cadavres. À Liebert-Wolkwitz, Lauriston, abordé de front
-par Gortschakoff, de gauche par Klenau, les avait reçus de manière à
-ne pas leur donner le goût d'y revenir. Klenau s'étant montré le
-premier sur la gauche avec la brigade Spleny, le général Rochambeau
-l'avait chargé et culbuté, tandis qu'on canonnait Gortschakoff éloigné
-encore, et longeant le bois de l'Université. Après avoir criblé de
-boulets les Russes de Gortschakoff, les Prussiens de Pirch, le général
-Maison leur avait laissé gravir le terrain saillant sur lequel
-s'élevait Liebert-Wolkwitz, puis les avait chargés avec vigueur, et
-rejetés partie sur le bois de l'Université à gauche, partie sur
-Gülden-Gossa à droite, et, chaque fois qu'ils avaient voulu
-reparaître, les avait couverts de mitraille.
-
-[En marge: Vers midi, 18 à 20 mille hommes avaient déjà succombé.]
-
-À midi, 18 mille hommes avaient déjà succombé dans l'une et l'autre
-armée, mais les deux tiers de ce nombre du côté de l'ennemi, et notre
-ligne invincible partout semblait ne pouvoir être forcée, sauf à
-droite, où, comme nous l'avons dit, elle s'était légèrement ployée.
-
-[En marge: Le canon se faisant entendre tout à coup à Lindenau et à
-Möckern, nous apprend qu'il se livre trois batailles à la fois.]
-
-Dans ce moment le canon avait tout à coup retenti au nord, puis on
-l'avait bientôt entendu dans les autres directions, ce qui annonçait
-que nous étions assaillis de tous les côtés à la fois. En effet, des
-aides de camp arrivés au galop avaient appris d'une part que sur la
-droite de Leipzig, Margaron était attaqué à Lindenau par Giulay, qui
-voulait nous ôter notre ligne de communication avec Lutzen, et qu'en
-arrière, c'est-à-dire au nord de Leipzig, Marmont était aux prises
-avec Blucher accouru de Halle pour prendre part à la bataille
-générale. Marmont mandait qu'il ne pouvait pas exécuter l'ordre de se
-porter derrière Napoléon, car il lui fallait tenir tête à Blucher, et
-même il réclamait du secours. Heureusement le maréchal Ney paraissait
-en cet instant avec la division Dombrowski et le corps de Souham, et
-Napoléon fit dire à ce maréchal, que tout en aidant Marmont, il
-fallait envoyer derrière Macdonald, à l'appui de la grande armée,
-celle de ses divisions dont il pourrait disposer. Ney commandait à la
-fois le 4e corps (Bertrand), le 3e (Souham), le 7e (Reynier), plus la
-division de Dombrowski. Il avait Bertrand dans Leipzig pour appuyer
-Margaron; il lui arrivait Dombrowski et Souham pour soutenir Marmont
-et se reporter sur Napoléon. Il ne pouvait avoir Reynier que le
-lendemain.
-
-[En marge: À midi, Napoléon se décide à prendre l'offensive.]
-
-[En marge: Deux colonnes partant l'une de Wachau, l'autre de
-Liebert-Wolkwitz, et ayant l'artillerie de la garde entre deux,
-doivent fondre sur l'ennemi, pendant que Macdonald se rabattant de
-gauche à droite, cherchera à le pousser vers la Pleisse.]
-
-À midi la bataille s'étant plus clairement développée, Napoléon songea
-enfin à quitter la défensive pour prendre une offensive vigoureuse. Il
-résolut de déboucher à la fois de Liebert-Wolkwitz et de Wachau afin
-d'écraser le centre de l'ennemi, tandis qu'à l'extrême gauche
-Macdonald débouchant de Holzhausen par delà Liebert-Wolkwitz,
-repousserait Klenau, le rejetterait le plus loin possible, puis se
-rabattant de gauche à droite, se précipiterait sur le centre de
-l'ennemi attaqué déjà de front par Liebert-Wolkwitz et Wachau. Pour
-l'exécution de ce mouvement, Napoléon fit descendre d'un côté deux
-divisions de la jeune garde sous Mortier, afin que réunies à Lauriston
-elles tombassent sur Gortschakoff, et de l'autre côté deux autres
-divisions de cette même jeune garde, sous Oudinot, pour fondre avec
-Victor sur le prince Eugène de Wurtemberg. La réserve d'artillerie de
-la garde formant une batterie de quatre-vingts pièces de canon, devait
-s'avancer entre ces deux colonnes et les seconder de son feu. La
-cavalerie de Latour-Maubourg fut disposée en arrière afin d'appuyer ce
-mouvement, et de saisir les occasions de charger. Kellermann avec les
-4e et 5e corps se tint également prêt sur la droite. La vieille garde
-composée des divisions d'infanterie Curial et Friant et de la
-cavalerie de Nansouty, vint prendre la position laissée vacante par la
-jeune garde et par Latour-Maubourg. Tout s'ébranla donc pour ce
-mouvement offensif, dans le moment même où Alexandre, frappé déjà de
-ce qui se passait devant lui, avait envoyé un de ses officiers
-allemands, M. de Wolzogen, pour supplier le prince de Schwarzenberg
-de renoncer à son attaque entre la Pleisse et l'Elster, et de
-s'occuper davantage de ce que les armées prussienne et russe avaient
-sur les bras entre Liebert-Wolkwitz et Wachau.
-
-[En marge: Succès de Lauriston et Mortier, précédés de la division
-Maison.]
-
-[En marge: Succès d'Oudinot et Victor, en avant de Wachau.]
-
-[En marge: Macdonald refoule Klenau sur le bois de l'Université, mais
-sans pouvoir y pénétrer.]
-
-À peine le signal était-il donné que nos deux colonnes d'attaque
-s'avancèrent, ayant entre elles la batterie formidable de la garde
-dirigée par Drouot, et dont trente-deux pièces de 12 étaient
-commandées par le brave colonel Griois. Le feu était épouvantable, et
-tel qu'il semblait qu'aucune troupe n'y pût résister. D'un côté le
-maréchal Mortier précédé par la division Maison descendit de
-Liebert-Wolkwitz, aborda Gortschakoff, et le rejeta entre le bois de
-l'Université et le village marécageux de Gülden-Gossa. De l'autre côté
-Oudinot et Victor débouchant de Wachau, repoussèrent le prince Eugène
-de Wurtemberg, lui firent repasser l'espèce de vallon qui nous
-séparait, et le refoulèrent sur la bergerie d'Avenhayn, qui se
-trouvait sur la droite du village de Gülden-Gossa. Tandis que l'on
-s'avançait ainsi victorieusement vers le milieu de notre ligne,
-Macdonald faisant irruption à gauche par delà Liebert-Wolkwitz, aborda
-Klenau, et l'obligea de lui céder une grande étendue de terrain.
-Chemin faisant, il arriva devant une vieille redoute, dite des
-Suédois, d'où pleuvaient des flots de mitraille, la masqua au moyen de
-la division Charpentier, et avec les divisions Ledru et Gérard enleva
-Seyffertshayn. L'ennemi se défendit vigoureusement, mais on le rejeta
-d'un côté sur Klein-Pössnau, de l'autre sur Gross-Pössnau et le bois
-de l'Université. Là favorisé par les difficultés locales, il
-s'arrêta, et nous tint tête. Si un corps de réserve appuyant alors
-Macdonald, était venu l'aider à se rabattre de gauche à droite, on
-aurait pu culbuter une partie de Klenau sur Gortschakoff, l'un et
-l'autre sur le prince de Wurtemberg et sur Kleist, et tous ensemble
-dans la Pleisse. Mais Marmont était en ce moment aux prises avec
-Blucher, Margaron avec Giulay; Bertrand entre deux, se réservait pour
-aller au secours du plus menacé. Ney n'osait disposer de Souham, tant
-Marmont lui paraissait attaqué violemment, laissait Dombrowski sur la
-droite de Marmont, pour faire face à des masses qu'on voyait
-confusément dans le lointain, et enfin attendait encore Reynier. Il
-fallait donc que Napoléon remportât la victoire avec ce qu'il avait
-sous la main.
-
-[En marge: Danger des alliés.]
-
-[En marge: M. de Wolzogen envoyé au prince de Schwarzenberg pour le
-ramener de la gauche à la droite de la Pleisse, au secours des armées
-russe et prussienne.]
-
-[En marge: En attendant, Alexandre et Frédéric-Guillaume font donner
-toutes leurs réserves.]
-
-[En marge: Charge de la cavalerie russe repoussée par Lauriston et
-Mortier d'un côté, par Oudinot et Victor de l'autre.]
-
-Les ennemis après avoir perdu toute la largeur du champ de bataille en
-disputaient pied à pied l'extrême limite. Klenau résistait soit à
-Gross-Pössnau, soit à la tête du bois de l'Université. Gortschakoff
-rejeté sur l'autre côté de ce bois s'y défendait, et cherchait en même
-temps à s'appuyer au village de Gülden-Gossa, qui, étant enfoncé en
-terre, et présentant une suite de bois et de mares d'eau assez
-allongée, était très-propre à la défensive. Le prince Eugène de
-Wurtemberg placé tout auprès, à la bergerie d'Avenhayn, tâchait de s'y
-maintenir avec les débris de son corps. À l'aspect du danger qui les
-menaçait, les souverains alliés étaient dans la plus grande
-perplexité. M. de Wolzogen, comme nous venons de le dire, avait été
-envoyé au prince de Schwarzenberg, le général Jomini s'était joint à
-lui, et sur les vives observations de tous deux, le prince
-reconnaissant la difficulté d'emporter Dölitz pour déboucher sur nos
-derrières, et le péril pressant des armées russe et prussienne, avait
-consenti à faire passer sur la rive droite de la Pleisse la réserve du
-prince de Hesse-Hombourg, forte de plus de 20 mille hommes. Mais ce
-n'était pas avant trois heures de l'après-midi que ces renforts
-pouvaient être arrivés. En attendant les souverains se décidèrent à
-engager toutes leurs réserves, certains qu'ils étaient de les
-remplacer bientôt par une partie de l'armée autrichienne. On lança
-d'abord les cuirassiers russes sur notre infanterie, tandis qu'on
-porta en ligne les dix mille grenadiers de Rajeffsky, dont une colonne
-fut dirigée sur Gülden-Gossa, et l'autre sur la bergerie d'Avenhayn.
-
-[En marge: Les dix mille grenadiers de Rajeffsky viennent se mettre en
-ligne, de la bergerie d'Avenhayn à Gülden-Gossa.]
-
-[En marge: Drouot les démolit à coups de canon.]
-
-[En marge: Dubreton enlève la bergerie d'Avenhayn.]
-
-[En marge: Maison attaque Gülden-Gossa avec la dernière violence.]
-
-[En marge: Le 22e léger enlève la redoute des Suédois.]
-
-Tels étaient les événements du côté de l'ennemi. Lauriston et Mortier
-à notre gauche vers Gülden-Gossa, Victor et Oudinot à notre droite
-vers la bergerie d'Avenhayn, reçurent en carrés les cuirassiers
-russes, et par un feu imperturbable les renversèrent sous les cadavres
-de leurs chevaux. Les dix mille grenadiers de Rajeffsky, répartis
-entre la bergerie d'Avenhayn, le village de Gülden-Gossa et le bois de
-l'Université, vinrent se placer comme une longue muraille, soutenue
-d'intervalle en intervalle par du canon. Le brave Drouot qui était
-resté entre nos deux colonnes d'attaque avec sa formidable batterie,
-imagina de diriger toutes ses pièces sur cette magnifique infanterie,
-négligeant l'artillerie ennemie, quelque importance qu'il y eût à
-éteindre ses feux. Quoiqu'il fût bien près de l'ennemi, il s'avança
-plus encore, et se mit à tirer à mitraille sur les grenadiers russes
-qui tombaient comme des pans de murs sous le feu de nos canons.
-Lorsqu'ils parurent suffisamment ébranlés, la division Dubreton se
-détachant du corps de Victor à notre droite, exécuta une charge à la
-baïonnette sur la bergerie d'Avenhayn, et l'emporta. À gauche le
-général Maison formant la tête de Lauriston, se jeta sur Gülden-Gossa
-et parvint à y pénétrer. Mais les grenadiers Rajeffsky favorisés par
-des bâtiments de ferme, des bois, des mares d'eau, s'y défendirent
-avec la dernière opiniâtreté. On conduisit une partie de la garde
-russe à leur secours, et tandis que Maison tenait une extrémité du
-village, les Russes tenaient l'autre, et ne voulaient pas
-l'abandonner. Maison atteint de plusieurs coups de feu, couvert de
-sang, changea trois fois de cheval, et ramena ses soldats dans ce
-village de Gülden-Gossa qu'il ne pouvait enlever aux Russes, et que de
-leur côté les Russes ne pouvaient lui arracher. À gauche Macdonald
-tournant Klenau par Seyffertshayn, avait rejeté sur Gross-Pössnau la
-brigade prussienne Ziethen, les brigades autrichiennes Spleny et
-Schöffer, la division autrichienne Meyer; mais la redoute suédoise
-placée à gauche de Liebert-Wolkwitz était demeurée inabordable.
-Napoléon qui se portait partout, apercevant le 22e léger au pied de la
-redoute, demanda quel était le régiment qui se trouvait devant cette
-position, et sur la réponse que c'était le 22e léger, il dit: Ce n'est
-pas possible, le 22e léger ne resterait pas ainsi sous la mitraille
-sans courir sur l'artillerie qui le foudroie.--Le 22e mené par le
-colonel Charras, gravit la hauteur au pas de charge, tua les
-artilleurs ennemis à coups de baïonnette, et enleva la redoute. Le
-point qui arrêtait Macdonald emporté, ce maréchal continua son
-mouvement à notre gauche jusqu'à la moitié du bois de l'Université.
-
-[En marge: L'ennemi concentre tous ses efforts sur Gülden-Gossa.]
-
-Il était trois heures: partout l'ennemi acculé, même en arrière de sa
-première position, semblait prêt à nous céder la victoire. Seulement à
-notre gauche, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, il se soutenait au bois
-de l'Université. Au centre, repoussé de la bergerie d'Avenhayn, il
-disputait au général Maison Gülden-Gossa, favorisé par la
-configuration de ce village, qui présentait une rangée de bois et de
-marécages. À notre droite, il n'avait pas rétrogradé en arrière de
-Mark-Kleeberg, malgré les efforts héroïques du prince Poniatowski.
-
-[En marge: Napoléon se décide à ordonner une charge générale de
-cavalerie.]
-
-Napoléon sentait le besoin de vaincre à tout prix, car il ne pouvait
-pas ajourner la victoire. Ne pas vaincre aujourd'hui avec la multitude
-d'ennemis qui approchaient, ce n'était pas être vaincu seulement,
-c'était s'exposer à être détruit. Il prit donc le parti de jeter toute
-sa cavalerie sur la ligne ennemie. Murat à gauche descendit entre
-Liebert-Wolkwitz et Wachau avec dix régiments de cuirassiers. À
-droite, Kellermann descendit entre Wachau et Mark-Kleeberg avec la
-cavalerie polonaise, les dragons d'Espagne, et les dragons de la garde
-sous le général Letort. En ce moment Pajol, placé à la tête des
-dragons d'Espagne, fut enlevé à ses soldats par un obus qui éclatant
-dans le ventre de son cheval, lui causa sans le tuer une épouvantable
-commotion.
-
-[En marge: Succès de cette charge; on enlève 26 bouches à feu à
-l'ennemi.]
-
-[En marge: Subite arrivée des cuirassiers de Nostitz, envoyés sur la
-droite de la Pleisse par le prince de Schwarzenberg.]
-
-[En marge: Les cuirassiers de Nostitz arrêtent à gauche le mouvement
-de nos dragons.]
-
-[En marge: Le village de Gülden-Gossa arrête au centre l'élan de nos
-cuirassiers.]
-
-[En marge: Charge des hussards et Cosaques de la garde impériale russe
-sur nos cuirassiers.]
-
-[En marge: Drouot forme son artillerie en carré.]
-
-Douze mille chevaux s'avancèrent ainsi en deux masses, l'une à
-gauche, l'autre à droite, pleins du souvenir de la victoire de Dresde
-qui leur était due. Le général Bordesoulle avec ses cuirassiers, lancé
-par Murat, chargea la cavalerie de Pahlen et la dispersa, fondit
-ensuite sur les grenadiers et les gardes russes qui, après être restés
-maîtres de Gülden-Gossa, s'étaient déployés en avant de ce village,
-les renversa, et leur prit vingt-six bouches à feu. À droite, les
-dragons d'Espagne et ceux de la garde chargèrent les cuirassiers de
-Levachoff, et leur firent expier leur succès du matin. Ce premier choc
-avait partout réussi, et il ne fallait plus qu'un effort pour percer
-définitivement le centre de l'ennemi, et rabattre à droite Kleist et
-le prince Eugène de Wurtemberg dans la Pleisse, à gauche Gortschakoff
-sur le bois de l'Université. Mais il était plus de trois heures. Tout
-à coup on aperçut à notre droite des masses profondes arrivant de
-l'autre côté de la Pleisse. C'était la réserve autrichienne de
-Hesse-Hombourg dont la tête, formée par les cuirassiers de Nostitz,
-devançait les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf. Les cuirassiers
-de Nostitz en effet, débouchant au galop, rencontrèrent les cavaliers
-de Kellermann, dans le désordre de la poursuite, les prirent en flanc
-et les ramenèrent. Le brave Letort avec les dragons de la garde fondit
-à son tour sur les cuirassiers de Nostitz, et les contint. Mais au
-lieu d'être décisif, le mouvement de notre cavalerie sur la droite ne
-fut plus qu'alternatif, et tantôt nous avancions, tantôt nous
-reculions. Au centre Murat, après avoir tout renversé du premier choc,
-avait eu le tort, dans l'espérance d'être appuyé, d'engager tous ses
-escadrons, et d'ailleurs il s'était avancé sur un terrain qu'il
-n'avait pas été en mesure de reconnaître, et dont on ne pouvait de
-loin découvrir la forme. À distance, le village de Gülden-Gossa ne
-laissait voir que quelques touffes d'arbres; mais de près Murat y
-trouva un grand enfoncement de terrain, et dans cet enfoncement des
-bâtiments, des bouquets de bois, des mares d'eau, et derrière chaque
-obstacle de l'infanterie bien postée. Arrivée sur le village, sa
-cavalerie fut obligée de s'arrêter court, et de demeurer en ligne sous
-le feu. L'empereur Alexandre consentit alors à ce qu'on fît charger
-tout ce qui lui restait sous la main, jusqu'aux hussards et Cosaques
-de sa garde. Ceux-ci passant entre les ouvertures praticables de
-Gülden-Gossa, dont les Russes étaient encore maîtres, se jetèrent à
-l'improviste sur le flanc de la cavalerie de Murat, qu'ils surprirent,
-et qu'ils obligèrent à se replier n'emmenant que six des vingt-six
-pièces conquises tout à l'heure. Le brave Latour-Maubourg eut la
-cuisse emportée par un boulet. Ces hussards et ces Cosaques, lancés au
-galop, entourèrent de toutes parts la grande batterie de la garde qui
-était restée inébranlable au milieu du champ de bataille. Drouot,
-rabattant alors les deux extrémités de sa ligne de canons sur ses
-flancs, opposa pour ainsi dire un carré d'artillerie à la cavalerie
-ennemie, et lorsque celle-ci en revenant passa à portée de ses pièces,
-il la couvrit de mitraille.
-
-[En marge: La bataille n'est pas décidée, ainsi que Napoléon l'avait
-espéré par le déploiement de notre cavalerie.]
-
-[En marge: Napoléon se résout à faire avec toute la garde un dernier
-effort.]
-
-[En marge: Une subite attaque des Autrichiens sur Dölitz suspend ce
-mouvement.]
-
-[En marge: Curial envoyé à Dölitz avec quelques bataillons de la
-vieille garde, y prend le général Merfeld avec 2 mille Autrichiens.]
-
-La bataille n'avait donc pas été décidée par cette action générale de
-notre cavalerie, bien qu'une bonne partie du champ de bataille fût en
-notre pouvoir. À droite en effet nous avions presque bloqué Kleist
-dans Mark-Kleeberg; vers le centre Victor n'avait pas cessé d'occuper
-la bergerie d'Avenhayn; au centre, tirant sur la gauche, Lauriston, la
-batterie de la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg étaient devant
-Gülden-Gossa; à gauche Macdonald, maître de la redoute suédoise et de
-Seyffertshayn, bordait de toutes parts le bois de l'Université. Mais
-l'ennemi, quoiqu'il eût rétrogradé, tenait encore. Napoléon voulut
-alors tenter un suprême effort. Il reforma ses colonnes d'attaque:
-Mortier avec Lauriston, Oudinot avec Victor, eurent ordre de se
-remettre en colonnes, et de s'engager de nouveau. Les deux divisions
-de la vieille garde, comprenant environ dix mille hommes, seule
-réserve qui nous restât, durent les soutenir, et s'engager elles-mêmes
-s'il le fallait. Toute la cavalerie fut rangée en masse derrière cette
-infanterie: vaincre ou périr était leur mission. Mais tout à coup on
-entendit de grands cris sur notre droite. Les grenadiers de Bianchi et
-de Weissenwolf, survenus à la suite des cuirassiers de Nostitz,
-avaient franchi la Pleisse, relevé au village de Mark-Kleeberg Kleist
-épuisé de fatigue, et ils tâchaient de faire fléchir Poniatowski,
-lequel n'avait pas cessé d'opposer à toutes les attaques une
-résistance invincible. Enfin sur nos derrières à droite, à ce poste de
-Dölitz que le prince de Schwarzenberg s'était flatté d'enlever, le
-général Merfeld, faisant une forte tentative, avait forcé tous les
-passages de la Pleisse, et était prêt à gravir la hauteur qui forme la
-berge de cette rivière. À ce danger Napoléon arrêta le mouvement de sa
-vieille garde, et dirigea sur Dölitz la division Curial. Oudinot fut
-détourné pour tenir tête aux grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf.
-Mais grâce à l'opiniâtreté de Poniatowski et de la division Semelé (du
-corps d'Augereau) les grenadiers autrichiens furent contenus. Curial,
-exécutant en arrière un mouvement transversal de gauche à droite, se
-précipita sur Dölitz. Il lança d'abord les grenadiers de Turin et de
-Toscane sur les bois qui entourent Dölitz, et ensuite, avec les
-fusiliers de la garde, il se porta sur Dölitz même pour y entrer à la
-baïonnette. Il fallait franchir un bras de la Pleisse, et puis
-s'engager dans une suite de fermes contiguës, dépendantes d'un vieux
-château. Il mit dans cette charge tant de vigueur, qu'il franchit la
-Pleisse, traversa les cours de ferme l'une après l'autre, tua à coups
-de baïonnette quiconque essayait de lui résister, et, devançant
-l'ennemi au château même, fit prisonnier tout ce qui était resté dans
-les cours en arrière. Il prit ainsi le général Merfeld avec plus de
-deux mille hommes.
-
-[En marge: Dernière et violente attaque de Maison sur Gülden-Gossa,
-interrompue par la nuit.]
-
-Il était cinq heures et la nuit s'approchait. Napoléon, après avoir
-pourvu à cet accident de sa droite, ne pouvait se résoudre à ne pas
-tenter un dernier effort sur le centre de l'ennemi. Victor était
-encore à Avenhayn; il ne s'agissait donc que d'enlever Gülden-Gossa.
-Lauriston, imperturbable au milieu d'un feu horrible, avait éprouvé
-des pertes énormes; il lui restait toutefois le général Maison,
-atteint de plusieurs coups de feu, n'ayant plus autour de lui que les
-débris de sa division, mais insatiable de dangers jusqu'à ce qu'il eût
-conquis Gülden-Gossa. Suivi de Mortier, Maison était rentré dans ce
-fatal village. Son succès pouvait tout décider, lorsque Barclay de
-Tolly, appréciant le péril, y lança la division prussienne de Firch,
-appuyée de la garde russe. Celle-ci, par un effort désespéré, reprit
-Gülden-Gossa. Maison essaya encore une fois d'y rentrer; mais une
-obscurité profonde sépara bientôt les combattants. Demeuré en dehors
-comme un lion rugissant, Maison était là, privé des cinq sixièmes de
-sa division, couvert lui-même de blessures, et désolé d'être arrêté
-par la nuit. Le matin il avait dit à ses soldats ces nobles paroles:
-Mes enfants, c'est aujourd'hui la dernière journée de la France; il
-faut que nous soyons tous morts ce soir.--Ces enfants héroïques
-avaient tenu son engagement. Il n'en survivait pas un millier. Cet
-acte fut le dernier de la bataille du 16, bataille terrible, dite de
-Wachau. Environ vingt mille hommes de notre côté, et trente mille du
-côté des coalisés, jonchaient la terre, les uns morts, les autres
-mourants.
-
-[En marge: Combat livré à Lindenau dans cette même journée du 16.]
-
-Mais là ne se bornait pas cette horrible effusion de sang humain. Deux
-autres batailles avaient été livrées dans la journée, l'une au
-couchant, l'autre au nord de Leipzig, l'une sur notre droite à
-Lindenau, l'autre en arrière, à Möckern. À Lindenau, c'était le
-général Margaron qui avait eu affaire à Giulay, et qui s'en était
-vaillamment tiré, sans autre avantage toutefois que de repousser
-l'ennemi, et de demeurer maître du champ de bataille.
-
-[En marge: Margaron se maintient à Lindenau, après avoir fait essuyer
-à l'ennemi des pertes sensibles.]
-
-À ce bourg de Lindenau, le terrain présentait un plateau se terminant
-brusquement vers l'Elster, mais incliné en forme de glacis vers la
-plaine de Lutzen. Il était donc possible de le défendre avec assez
-d'avantage, surtout en étant sûr des ponts de l'Elster et de la
-Pleisse qu'on avait derrière soi. Seulement on courait le danger
-d'être tourné à droite par le village de Leutzsch, à gauche par celui
-de Plagwitz, situés tous deux au bord de l'Elster. Les bras de ce
-cours d'eau sont en effet tellement divisés en cette partie et
-amoindris par leur division, qu'on pouvait les franchir aisément,
-s'engager à travers les bois et les marécages, et tourner ainsi le
-pont de Lindenau, ce qui aurait fait tomber la position. Aussi Giulay,
-en exécutant une attaque directe sur le plateau en avant de Lindenau,
-avec la cavalerie de Thielmann et l'infanterie légère de Lichtenstein,
-avait-il dirigé des attaques latérales par Leutzsch d'un côté, et
-Plagwitz de l'autre. Il avait même pénétré dans ces deux villages, et
-lancé au delà de l'Elster des tirailleurs dans les bois. Mais le
-général Margaron se maintenant avec son artillerie et quatre
-bataillons sur le plateau, avait poussé soit sur Leutzsch, soit sur
-Plagwitz, des colonnes d'infanterie qui chargeant successivement à la
-baïonnette, avaient repris ces villages et dégagé ses deux ailes. Huit
-à neuf mille hommes en avaient contenu vingt-cinq mille, et néanmoins
-ils auraient peut-être fini par succomber, si la vue de la division
-Morand, du corps de Bertrand, rangée entre Lindenau et Leipzig,
-n'avait intimidé l'ennemi, et arrêté ses entreprises. Ce combat nous
-avait coûté un millier d'hommes, et le double au moins aux
-Autrichiens. Demeurés maîtres de Lindenau, nous pouvions toujours nous
-rouvrir la route de Lutzen.
-
-[En marge: Bataille de Möckern, livrée le même jour par Marmont à
-Blucher.]
-
-[En marge: Marche de Blucher.]
-
-[En marge: Ses forces.]
-
-[En marge: Ses dispositions.]
-
-[En marge: Marmont, qui avait reçu l'ordre de se replier vers
-Napoléon, s'arrête pour combattre Blucher.]
-
-À Möckern, le combat avait été plus sérieux, surtout par le nombre
-des combattants, et l'étendue du carnage. Le général Blucher se
-doutant que la bataille décisive allait commencer, et ne voulant pas
-laisser le prince de Schwarzenberg exposé à la livrer seul, n'y avait
-plus tenu dès qu'il avait entendu le canon le 16 au matin, et avait
-marché par la route de Halle, aboutissant au nord de Leipzig. En
-partant il avait envoyé officiers sur officiers à Bernadotte pour lui
-faire connaître la situation, et le presser d'arriver. D'ailleurs ses
-liaisons particulières avec les états-majors prussien et russe de
-l'armée du Nord lui donnaient sur cette armée une grande influence, et
-lui faisaient espérer qu'elle finirait par répondre à son appel. Mais
-ce ne pouvait être dans la journée du 16; aussi ne s'était-il avancé
-qu'avec circonspection, craignant, quoiqu'il reconnût distinctement le
-canon du prince de Schwarzenberg, qui n'était qu'à trois lieues vers
-le sud, d'avoir la majeure partie de l'armée française sur les bras.
-Il comptait environ 60 mille combattants, mais s'il en rencontrait 80
-à 90 mille, le cas pouvait devenir mauvais pour lui. La vue de nos
-colonnes remontant de Düben sur Leipzig lui inspirait des craintes, et
-il avait eu le soin de placer Langeron en observation sur la route de
-Dölitzsch. Il avait rangé au centre le corps russe de Sacken entre la
-route de Dölitzsch et celle de Halle, et sur celle-ci qui menait droit
-au nord de Leipzig il avait porté le corps prussien d'York, le plus
-animé de tous parce qu'il était allemand et prussien. Ces précautions
-furent cause qu'il n'arriva pas avant onze heures du matin en vue de
-Leipzig, ne pouvant rien distinguer de la bataille qui se livrait au
-sud, et entendant seulement une canonnade formidable. Il avait devant
-lui vingt mille hommes environ, se retirant lentement de Breitenfeld
-et de Lindenthal sur Leipzig. C'était le corps du maréchal Marmont,
-exécutant l'ordre qu'il avait reçu le matin de se replier sur Leipzig,
-et de traverser cette ville pour venir former la réserve de la grande
-armée. Cet ordre toutefois était conditionnel, et subordonné à ce qui
-se passerait sur la route de Halle. L'ennemi s'y montrant en force,
-l'ordre tombait, et résister à l'armée de Blucher devenait le devoir
-indiqué, devoir que le maréchal Marmont était disposé à remplir dans
-toute son étendue.
-
-[En marge: Position de Möckern.]
-
-La position pour le maréchal Marmont était difficile à cause de
-l'infériorité du nombre, et de certaines circonstances locales.
-D'abord il n'avait sous la main que 20 mille hommes, et ne comptait
-que médiocrement sur les secours qui pouvaient lui être envoyés,
-voyant combien chacun était occupé de son côté. Tout au plus
-fondait-il quelque espérance sur l'appui de la division Dombrowski,
-que Ney avait dirigée vers Euteritzsch pour le flanquer. Secondement
-la hauteur sur laquelle il était venu s'établir entre Möckern et
-Euteritzsch, appuyée d'une part à l'Elster et à la Pleisse, de l'autre
-au ravin de Rietschke, quoique étant assez forte par elle-même,
-présentait un inconvénient grave, c'était d'avoir à dos ce même ravin
-de Rietschke, lequel, après avoir longé le flanc de la position,
-passait par derrière pour tomber dans la Pleisse à Gohlis. (Voir la
-carte nº 60.) Il était possible, si on était repoussé, qu'on y fût
-jeté en désordre. Aussi le maréchal aurait-il voulu le traverser pour
-venir se ranger derrière la Partha. Il n'en eut pas le temps, et ce
-fut heureux, car s'il avait commis la faute de s'abriter tout de suite
-derrière la Partha, nous aurions été trop resserrés dans Leipzig, et
-surtout privés de communication avec celles de nos troupes qui étaient
-encore en marche. Quoi qu'il en soit, c'est dans cette position assez
-dominante de Möckern que s'était engagée la troisième bataille livrée
-dans cette journée funèbre, et avec une passion digne de celle qu'on
-avait déployée à Wachau.
-
-[En marge: Efforts du général d'York pour enlever Möckern.]
-
-[En marge: Vaillante résistance du 2e de marine.]
-
-Le combat avait commencé entre onze heures et midi, dès que Blucher
-était parvenu en ligne. Préoccupé de la vue des dernières troupes de
-Souham et du parc d'artillerie remontant de Düben sur Leipzig, Blucher
-avait laissé tout le corps de Langeron en observation devant
-Breitenfeld, et n'avait dirigé sur Marmont que le corps d'York et une
-partie de celui de Sacken, ce qui faisait encore trente et quelques
-mille hommes. Il s'était porté d'abord sur Möckern, pour enlever ce
-village sur lequel s'appuyait la gauche de Marmont, et l'avait attaqué
-avec l'acharnement qui signalait cette funeste guerre. Marmont l'avait
-défendu avec un acharnement égal. Il avait dans ce village le 2e de
-marine de la division Lagrange, un peu en arrière la division Lagrange
-elle-même, au centre sur la pente du plateau la division Compans, à
-droite et en arrière la division Friederichs, enfin en réserve la
-cavalerie wurtembergeoise du général Normann, et la cavalerie
-française de Lorge. Quatre-vingt-quatre bouches à feu couvraient son
-front. Environ 20 mille hommes composaient ce jour-là le nombre réel
-de ses combattants.
-
-[En marge: Combat violent entre Compans et les Prussiens sur le
-plateau de Möckern.]
-
-[En marge: Les Prussiens foudroyés par l'artillerie de Marmont.]
-
-Le village de Möckern avait été disputé longtemps, et plusieurs fois
-le 2e de marine, repoussé des ruines fumantes de ce village, y était
-rentré à la baïonnette. Enfin, accablé par le nombre, il avait été
-obligé d'en sortir. Alors le 4e de marine et le 35e léger, formant la
-seconde brigade de la division Lagrange, avaient exécuté à la
-baïonnette une charge furieuse, culbuté l'une des quatre divisions du
-corps d'York, et repris Möckern. Blucher voyant qu'il ne gagnait rien
-à vouloir nous arracher cet appui de notre gauche, avait porté deux
-divisions en avant pour aborder à découvert le plateau incliné sur
-lequel s'étendait la division Compans. Les deux divisions prussiennes
-s'étaient bravement déployées devant Marmont, mais foudroyées par nos
-quatre-vingt-quatre bouches à feu, elles avaient fait des pertes
-cruelles, et vu tomber un tiers de leurs soldats. Une charge de
-cavalerie pouvait tout décider, et Marmont l'avait aussitôt ordonnée.
-Malheureusement la cavalerie wurtembergeoise, mal disposée, apercevant
-devant elle et sur sa droite les six mille chevaux de la réserve de
-Blucher, avait chargé tard et faiblement, et s'était même, en
-revenant, renversée sur un bataillon de marine qu'elle avait mis en
-désordre.
-
-[En marge: Blucher, rassuré sur la marche des troupes qui semblaient
-venir de Düben, emploie le corps de Sacken et tous ses Prussiens
-contre Marmont.]
-
-[En marge: Lutte terrible entre la division Compans et l'armée de
-Blucher.]
-
-[En marge: Le feu mis à des caissons produit un désordre dans notre
-ligne.]
-
-[En marge: Marmont, obligé de céder le terrain, se replie avec ordre
-sur la Partha.]
-
-Le combat s'était ainsi soutenu pendant une moitié de l'après-midi,
-lorsque Blucher rassuré sur les troupes qu'il avait aperçues dans le
-lointain, sachant que le gros de l'armée française n'était pas sur son
-flanc gauche, avait dirigé le corps de Langeron vers Dombrowski, pour
-tenir celui-ci en respect, amené à lui le corps de Sacken tout
-entier, et attaqué la ligne de Marmont avec trois divisions
-prussiennes appuyées de toutes les divisions russes de Sacken. À cette
-vue, Marmont s'était avancé sur l'ennemi avec la division Compans, que
-le brave Compans commandait lui-même. Alors s'était engagée à cent
-cinquante pas une lutte terrible, et l'une des plus meurtrières de
-cette guerre. Marmont avait reçu une blessure à la main, une contusion
-à l'épaule, plusieurs balles dans ses habits, et avait perdu trois de
-ses aides de camp. Les régiments de Compans avaient déployé une
-fermeté héroïque, et leur formidable artillerie décimant de nouveau
-les rangs des Prussiens, avait couvert le sol d'une ligne de cadavres.
-Un triomphe complet aurait couronné cette résistance, si un obus
-tombant au milieu de l'une de nos batteries, et en faisant sauter les
-caissons, n'y avait mis le désordre. L'ennemi profitant de la
-circonstance, s'était élancé sur cette batterie, et l'avait prise,
-tandis qu'au même instant plusieurs milliers de chevaux fondant sur la
-droite de la division Compans déjà écrasée par la mitraille, l'avaient
-forcée à plier. La division Friederichs était accourue à son secours,
-mais Möckern étant emporté dans ce moment, cet appui de notre gauche
-nous manquant, la droite étant menacée par Langeron qui était sur le
-point d'envelopper Dombrowski, Marmont avait jugé prudent de battre en
-retraite. Il s'était replié en bon ordre et sans accident, grâce à la
-précaution qu'il avait prise de faire jeter pendant la bataille
-plusieurs ponts de chevalets sur le ravin de Rietschke. Dombrowski,
-secouru par l'une des divisions de Souham, s'était aussi retiré sain
-et sauf, après avoir eu l'honneur de contenir à Euteritzsch tout le
-corps de Langeron. Vingt-quatre mille hommes en avaient donc tenu en
-échec soixante mille, des plus braves et des plus acharnés. Ce combat,
-d'après l'aveu même de l'ennemi, lui coûtait de neuf à dix mille
-hommes. Il nous en coûtait six, avec vingt pièces de canon perdues par
-suite de l'explosion.
-
-[En marge: Résultats de cette première journée.]
-
-Telle avait été cette affreuse bataille du 16 octobre, composée de
-trois batailles, qui nous avait enlevé à nous 26 ou 27 mille hommes,
-et près de 40 mille à l'ennemi. Triste et cruel sacrifice qui couvrait
-notre armée d'un honneur immortel, mais qui devait couvrir de deuil
-notre malheureuse patrie, dont le sang coulait à torrents pour assurer
-non sa grandeur, mais sa chute!
-
-[En marge: Quoique ayant eu partout l'avantage, c'était pour nous un
-immense péril que de n'avoir pas détruit l'un de nos trois
-adversaires.]
-
-[En marge: Immensité des forces qui arrivaient aux coalisés.]
-
-[En marge: Napoléon pouvait-il agir autrement dans la journée du 16?]
-
-[En marge: Napoléon allait dans la prochaine bataille se trouver avec
-150 mille hommes en présence de 300 mille.]
-
-Sur aucun point nous n'avions été forcés dans notre position; nous
-avions gardé le terrain au sud entre Liebert-Wolkwitz et Wachau, et au
-couchant vers Lindenau; nous l'avions abandonné, mais presque
-volontairement, au nord, et pour en prendre un meilleur. Mais dès que
-nous n'avions pas rejeté loin l'un de l'autre, de manière à ne plus
-leur permettre de se rejoindre, Schwarzenberg et Blucher, la bataille,
-quoique non perdue, pouvait se convertir bientôt en un désastre. Dans
-ce moment Bernadotte s'approchait avec 60 mille hommes; on annonçait
-Benningsen avec 50 mille, et nous, il nous en arrivait 15 mille sous
-Reynier, dont 10 mille prêts à nous trahir! La situation, dès que nous
-n'avions pas remporté une victoire éclatante, était donc bien près de
-devenir affreuse! Aurait-on pu obtenir un résultat décisif dans cette
-première journée du 16? Voilà ce qu'ont agité tous les historiens
-spéciaux, ce que les uns ont nié, les autres affirmé. Peut-être si
-Napoléon, après s'être mis dans une position extrême, avait poussé
-l'audace jusqu'au dernier terme, et ne laissant à Leipzig que Margaron
-pour défendre la ville seulement, se bornant de plus à laisser au nord
-de Leipzig Marmont et Dombrowski sur la Partha pour contenir Blucher,
-avait attiré à lui Bertrand et Ney pour renforcer Macdonald de 30
-mille hommes, ces cinquante mille combattants de Macdonald, Bertrand
-et Ney, jetés de notre gauche sur la droite du prince de
-Schwarzenberg, auraient pu l'accabler, et le précipiter dans la
-Pleisse. Une grande victoire obtenue de ce côté, nos communications
-avec Lutzen et Mayence eussent été bientôt rouvertes, et Blucher
-aurait été rudement puni le lendemain des progrès qu'il aurait pu
-faire. Au lieu de cela, les troupes de Bertrand étaient restées dans
-Leipzig presque oisives, et les divisions de Souham, tantôt dirigées
-vers Napoléon, tantôt ramenées vers Marmont, avaient perdu la journée
-en allées et venues inutiles. C'est ainsi qu'une force décisive avait
-manqué sur le théâtre de l'action principale. Mais ces raisonnements,
-vrais d'ailleurs, ont été faits après l'événement. Il aurait fallu que
-Napoléon eût pu prévoir que Lindenau ne serait pas l'objet d'une
-attaque principale, que Bernadotte n'arriverait pas avec Blucher au
-nord et à l'est de Leipzig; il aurait fallu enfin que le corps de
-Reynier n'eût pas été si loin en arrière. Ce qu'il est juste de
-reprocher à Napoléon, ce n'est pas d'avoir mal livré la bataille, que
-personne certainement n'aurait mieux livrée que lui, mais de s'être
-mis dans une position où, assailli de tous les côtés à la fois, obligé
-de faire face en même temps à toute espèce d'ennemis, il ne pouvait
-exactement deviner celui qui, à chaque instant donné, serait le plus
-pressant, et exigerait l'emploi de ses forces disponibles. C'est sa
-conduite générale et non pas sa conduite particulière dans cette
-journée, qu'il faut, cette fois comme tant d'autres, blâmer
-sévèrement[27]. Quoi qu'il en soit, la position de Napoléon était tout
-à coup devenue des plus périlleuses, dès qu'il n'avait pas rejeté loin
-de lui l'armée de Bohême, afin de se reporter le lendemain sur celles
-de Silésie et du Nord. Sans doute il pouvait se dire que l'ennemi
-avait cruellement souffert, et que ses pertes lui ôteraient peut-être
-le courage de recommencer le combat. C'était possible à la rigueur,
-et même vraisemblable, si de nouveaux renforts n'avaient pas dû
-survenir; mais avec l'ardeur qui animait les coalisés, avec
-l'apparition certaine de Bernadotte sous un jour ou deux, avec
-l'arrivée probable de l'armée de Benningsen, la légère espérance
-qu'ils ne continueraient pas cette terrible bataille, n'était plus que
-la faible branche à laquelle s'attache le malheureux roulant dans un
-abîme. Tandis que les coalisés étaient presque assurés de recevoir
-cent mille hommes, à peine Napoléon en attendait-il quinze mille sous
-Reynier, dont les deux tiers de Saxons fort douteux, ce qui devait
-porter ses forces, réduites de 26 ou 27 mille hommes par la journée du
-16, à 165 mille hommes présents, et environ à 150 mille hommes sûrs;
-et pouvait-il se flatter, si 300 mille ennemis lui tombaient sur les
-bras, ennemis acharnés, se battant avec fureur, de leur faire face
-avec 150 mille soldats, héroïques sans doute, mais ayant en tête des
-adversaires que le patriotisme rendait leurs égaux au feu?
-
- [Note 27: Quelques écrivains qui admettraient que nos
- généraux ont été lâches ou traîtres, et que nos soldats se
- sont mal conduits, plutôt que d'attribuer une faute à
- Napoléon, s'en sont pris à tout le monde, sauf à lui, du
- résultat de cette journée du 16. D'abord, à les entendre,
- Murat à Leipzig trahissait déjà, et c'est par ce motif qu'il
- exécuta mal la grande charge de cavalerie ordonnée par
- Napoléon. Or le pauvre Murat fort agité, il est vrai,
- pendant tout l'hiver, et un moment prêt à suivre les
- impulsions de l'Autriche, était revenu tout entier à
- Napoléon dès qu'il s'était trouvé auprès de lui, et était
- incapable d'ailleurs d'une trahison sur le champ de
- bataille. Au surplus le neveu de lord Cathcart, témoin
- oculaire de la charge de Murat, et appréciant les lieux
- mieux qu'on ne le pouvait faire de notre côté, a expliqué
- dans ses Mémoires, publiés depuis, la cause qui fit échouer
- cette charge. Cette cause n'était autre que la forme du sol
- le long du village de Gülden-Gossa, village qu'il suffit de
- voir pour comprendre comment notre cavalerie dut y être
- arrêtée. Après Murat, ce sont deux autres lieutenants de
- Napoléon, c'est-à-dire Marmont et Ney, qu'on a voulu
- incriminer. Marmont, à ce qu'on prétend, aurait dû repasser
- la Partha, et Ney ne pas laisser Bertrand inutile dans
- Leipzig. Or, Bertrand fut laissé dans Leipzig par ordre de
- Napoléon, et Marmont, quand il voulut se retirer derrière la
- Partha, ne le pouvait plus, ayant déjà l'ennemi sur les
- bras, et n'ayant qu'un seul pont pour défiler. C'est
- Napoléon qui avait mis Marmont entre Breitenfeld et
- Lindenthal, dans la supposition que Blucher était encore
- loin. S'il avait pu le savoir si rapproché, il aurait dès la
- veille placé Marmont sur la Partha même, et de la sorte la
- concentration eût été suffisante et faite à temps. Il est
- vrai que dans ce cas la route de Düben aurait pu être fermée
- au reste du corps de Souham et à celui de Reynier; mais
- alors, si par cette considération il n'y a rien à reprocher
- à Napoléon, il n'y a pas davantage de reproche à faire à
- Marmont pour être demeuré au delà de la Partha, où il
- n'était d'ailleurs que par ordre supérieur. Quant à nous,
- nous ne cherchons que la vérité, et Napoléon, dans cette
- campagne, reste si grand homme de guerre, même après
- d'affreux malheurs, que nous ne comprenons pas comment on
- consent à faire passer nos généraux pour incapables ou pour
- traîtres, plutôt que de lui reconnaître une faute. Nous ne
- voyons pas ce que la France y peut gagner en force dans le
- monde, le monde sachant bien que Napoléon est mort et ne
- renaîtra point. Il y a quelque chose qui ne meurt pas et ne
- doit pas mourir: c'est la France! Sa gloire importe plus que
- celle même de Napoléon. Voilà ce que devraient se dire ceux
- qui cherchent à établir son infaillibilité, quand il n'y
- aurait pas pour eux comme pour nous une raison supérieure
- même à toutes les considérations patriotiques, celle de la
- vérité, qu'avant tout il faut chercher et produire au jour.]
-
-[En marge: Napoléon pour voir les choses de plus près, parcourt le 17
-au matin toute l'étendue du champ de bataille.]
-
-[En marge: Après avoir bien observé la situation, il songe lui-même à
-battre en retraite.]
-
-[En marge: Objections graves qui s'élèvent contre cette résolution.]
-
-Il n'était pas possible que Napoléon se dissimulât cette situation.
-Espérant la veille encore, qu'après avoir battu la principale des
-armées coalisées, il aurait bon marché des deux autres, il dut
-éprouver une sensation bien amère en voyant à la chute du jour une
-bataille indécise, qui, au lieu de le dégager, l'enfermait au
-contraire dans les bras d'une espèce de polype composé d'ennemis de
-toute sorte. Toutefois, pour croire à une situation si nouvelle et si
-désolante, il fallait qu'il considérât encore la chose de plus près.
-Après avoir pris à peine quelques heures de repos, il monta à cheval
-le 17 au matin pour parcourir le champ de bataille. Il le trouva
-horrible, bien qu'en sa vie il en eût contemplé de bien épouvantables.
-Une morne froideur se montrait sur tous les visages. Murat, le major
-général Berthier, le ministre Daru l'accompagnaient. Nos soldats
-étaient morts à leur place, mais ceux de l'ennemi aussi! Et s'il y
-avait certitude de ne pas reculer dans une seconde bataille, il y
-avait certitude presque égale que les coalisés ne reculeraient pas
-davantage. Or, une nouvelle lutte où nous resterions sur place, et où
-nous ne gagnerions rien que de n'être pas arrachés de notre poste, en
-voyant le cercle de fer formé autour de nous se resserrer de plus en
-plus, et les issues demeurées ouvertes jusque-là se fermer l'une
-après l'autre, une nouvelle lutte dans ces conditions ne nous
-laissait d'autre perspective que celle des Fourches Caudines. Tout le
-monde le sentait, personne n'osait le dire. Murat, dont le coeur
-excellent cherchait une consolation à offrir à Napoléon, répéta
-plusieurs fois que le terrain était couvert des morts autrichiens,
-prussiens et russes, que jamais, excepté à la Moskowa, on n'avait fait
-une pareille boucherie des ennemis, ce qui était vrai. Mais il en
-restait assez, et en tout cas il allait en venir assez, pour réparer
-les brèches de cette muraille vivante qui s'élevait peu à peu autour
-de nous. La retraite immédiate par la route de Lutzen, pour ne pas
-laisser fermer bientôt l'issue de Lindenau, était donc la seule
-résolution à prendre. Napoléon se promenant à pied avec ses
-lieutenants, sous un ciel triste et pluvieux, au milieu des
-tirailleurs qui faisaient à peine entendre quelques coups de feu, tant
-la fatigue était grande des deux côtés, prononça lui-même et le
-premier le mot de retraite, que personne n'osait proférer. On le
-laissa dire avec un silence qui cette fois était celui de la plus
-évidente approbation. Cependant la retraite offrait aussi de graves
-inconvénients. La bataille que nous venions de livrer pouvait, sans
-mentir autant que nos ennemis, s'appeler une victoire, car nous avions
-sans cesse ramené, refoulé les coalisés sur leur terrain, et nous leur
-en avions même enlevé une partie. Néanmoins ce qui lui donnerait sa
-vraie signification, ce serait comme à Lutzen, comme à Bautzen,
-l'attitude du lendemain. Si nous nous retirions, la bataille serait
-une défaite. C'était donc avouer tout à coup au monde que nous avions
-été vaincus dans une journée décisive, lorsque nous avions au
-contraire écrasé l'ennemi partout où il s'était présenté! En vérité
-l'aveu était cruel à faire. Mais ce n'était pas tout. Les 170 mille
-Français laissés à Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg,
-Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comme base d'un édifice de grandeur
-qu'on s'était flatté de relever en une bataille, qu'allaient-ils
-devenir? Il y avait dans le nombre bien des malades, bien des
-écloppés, mais il était possible d'en tirer 100 à 120 mille soldats
-excellents, qui, se joignant à ceux qui restaient, rendraient
-invincible la frontière du Rhin. Pourraient-ils se grouper, et former
-successivement une masse qui sût se rouvrir par Hambourg et Wesel le
-chemin de la France? C'était une grande question. Le maréchal qui
-commandait à Dresde, seul en position de commencer ce mouvement, avait
-assez d'esprit pour en concevoir le projet, aurait-il assez d'audace
-pour l'exécuter?
-
-[En marge: Nécessité d'attendre au moins toute la journée du 17 pour
-recueillir Reynier resté en arrière.]
-
-[En marge: Le meilleur parti à prendre serait de rester toute la
-journée du 17 sur le champ de bataille, et de décamper dans la nuit du
-17 au 18.]
-
-Battre en retraite, c'était donc à l'aveu d'une défaite ajouter une
-perte irréparable, perte qui était la suite d'une immense faute, celle
-d'avoir voulu garder jusqu'au bout les éléments d'une grandeur
-impossible à refaire, perte enfin désolante, quelle qu'en fût la
-cause. On ne peut blâmer Napoléon d'avoir consumé en affreuses
-perplexités la journée du 17, sans juger bien légèrement les
-mouvements du coeur humain. Se déclarer soi-même vaincu dans une
-rencontre générale, abandonner tout de suite 170 mille Français
-laissés dans les places du Nord, sans quelques heures de méditation,
-de regrets, d'efforts d'esprit pour tâcher de trouver une autre
-issue, était un sacrifice qu'il serait peu juste de demander à
-quelque caractère que ce soit. De plus, il y avait un autre sacrifice,
-et bien cruel à faire en se retirant tout de suite, c'était celui de
-Reynier, qui marchait en ce moment entouré d'ennemis, et qui ne
-pouvait arriver que dans la journée du 17. Il fallait donc de toute
-nécessité temporiser pendant la plus grande partie de cette journée.
-Alors, après vingt-quatre heures passées devant les armées de la
-coalition, on pourrait dire qu'on les avait attendues longtemps comme
-dans un duel, et que les ayant attendues vainement, on avait décampé
-pour regagner une ligne plus avantageuse. D'ailleurs, il fallait bien
-accorder un peu de repos à des soldats accablés de fatigue; il fallait
-bien rendre quelque ensemble à des corps désorganisés par le combat,
-approvisionner avec le grand parc les parcs de chaque corps épuisés de
-munitions, toutes choses indispensables si en se retirant on avait
-l'ennemi sur les bras. Attendre une journée, et décamper la nuit
-suivante, était évidemment la seule conduite qui dût convenir à
-Napoléon, la seule qu'on pût même lui conseiller, mais à la condition
-de l'adopter résolûment, de tout préparer pour qu'à la chute du jour
-la retraite commençât, et que le 18 au matin les coalisés n'eussent
-devant eux que d'insaisissables arrière-gardes.
-
-Malheureusement les perplexités de Napoléon furent extrêmes. Un
-immense orgueil mis à la plus terrible des épreuves, et s'appuyant au
-surplus dans sa résistance sur des raisons très-fortes, le retint
-toute la journée presque sans rien prescrire. Tantôt seul, tantôt
-accompagné de Murat, du prince Berthier, de M. Daru, il se promenait,
-sombre, soucieux, à chaque instant se répétant douloureusement qu'il
-fallait battre en retraite, mais n'en pouvant prendre la résolution,
-et aimant à croire que l'ennemi demeuré immobile pendant cette
-journée, ne l'attaquerait point le lendemain, et que Schwarzenberg,
-usant d'une vieille maxime fort en renom chez les capitaines sages,
-_ferait un pont d'or à l'adversaire qui voulait se retirer_. Il
-pourrait alors défiler à travers Leipzig d'une manière imposante,
-changeant sans être vaincu sa base d'opérations. Vaine espérance, dont
-son esprit avait besoin, et dont il se nourrit quelques heures!
-
-[En marge: Napoléon mande auprès de lui M. de Merveldt, fait
-prisonnier la veille, afin de jeter en avant quelques idées
-d'armistice.]
-
-Dans cet état, il imagina de mander auprès de lui M. de Merveldt, qui
-avait été fait prisonnier la veille à Dölitz, qu'il connaissait depuis
-longtemps, et qui était un militaire d'infiniment d'esprit. Il voulait
-avec art le questionner sur les dispositions des coalisés, lui faire
-certaines insinuations tendantes à la paix, le charger même d'une
-proposition d'armistice, puis le renvoyer libre au camp des
-souverains, pour les amener peut-être à perdre un jour en hésitations,
-et pour provoquer de leur part quelque ouverture acceptable. Voilà où
-il en était arrivé pour avoir refusé d'écouter M. de Caulaincourt deux
-mois auparavant, lorsqu'on négociait à Prague!
-
-[En marge: Curieux entretien avec M. de Merveldt.]
-
-Vers deux heures de l'après-midi il reçut M. de Merveldt[28], auquel
-on avait rendu son épée. Il l'accueillit avec courtoisie, et le
-complimenta relativement à la tentative faite contre le pont de
-Dölitz, bien qu'elle eût mal réussi; puis il lui dit qu'en mémoire de
-son mérite, de ses anciennes relations avec le quartier général
-français, il allait le renvoyer sur parole, ce dont le général
-autrichien le remercia fort. Amenant ensuite la conversation sur le
-sujet qui l'intéressait, Napoléon lui demanda si en attaquant ils
-avaient su qu'il était présent sur les lieux.--Le général Merveldt
-ayant répondu que oui, Napoléon lui répliqua: Vous vouliez donc cette
-fois me livrer bataille?--Le général Merveldt ayant répondu de
-nouveau, avec respect mais avec fermeté, que oui, parce qu'ils étaient
-résolus à terminer par une action sanglante et décisive cette longue
-lutte, Napoléon lui dit: Mais vous vous trompez sur mes forces;
-combien croyez-vous que j'aie de soldats?--Cent vingt mille au plus,
-repartit M. de Merveldt.--Eh bien, vous êtes dans l'erreur, j'en ai
-plus de deux cent mille.--On a vu, par ce qui précède, de combien se
-trompaient l'un et l'autre interlocuteur, mais l'un par ignorance,
-l'autre par calcul. Et vous, reprit Napoléon, combien en
-avez-vous?--Trois cent cinquante mille, dit M. de Merveldt.--Ce
-chiffre n'était pas très-éloigné de la vérité. Napoléon ayant avoué
-qu'il n'en avait pas supposé autant, ce qui expliquait du reste la
-situation où il s'était mis, ajouta avec sang-froid et un semblant de
-bonne humeur: Et demain, m'attaquerez-vous?--M. de Merveldt répondit
-avec la même assurance que les coalisés combattraient infailliblement
-le lendemain, résolus qu'ils étaient à acheter leur indépendance au
-prix de tout leur sang.--Napoléon dissimulant son impression, rompit
-le cours de l'entretien, et dit à M. de Merveldt: Cette lutte devient
-bien sérieuse, est-ce que nous n'y mettrons pas un terme? Est-ce que
-nous ne songerons pas à faire la paix?--Plût au ciel que Votre Majesté
-la voulût! s'écria le général autrichien, nous ne demandons pas un
-autre prix de nos efforts! nous ne combattons que pour la paix! Si
-Votre Majesté l'eût désirée, elle l'aurait eue à Prague il y a deux
-mois.--Napoléon, alléguant ici de fausses excuses, prétendit qu'à
-Prague on n'avait pas agi franchement avec lui; qu'on avait usé de
-finesse, qu'on avait cherché à l'enfermer dans un cercle fatal, que
-cette manière de traiter n'avait pu lui convenir, que l'Angleterre ne
-voulait point la paix, qu'elle menait la Russie et la Prusse, qu'elle
-mènerait l'Autriche comme les autres, et que c'était à cette dernière
-à travailler à la paix si elle la souhaitait sincèrement.--M. de
-Merveldt, après avoir affirmé qu'il parlait pour son compte, et sans
-mission (ce qui était vrai, mais ce qui n'empêchait pas qu'il ne fût
-instruit de tout), soutint que l'Angleterre désirait la paix, qu'elle
-en avait besoin, et que si Napoléon savait faire les sacrifices
-nécessaires au bonheur du monde et de la France, la paix serait
-conclue tout de suite.--Des sacrifices, s'écria Napoléon, je suis prêt
-à en faire! et afin de donner à croire qu'il n'avait tenu à garder
-certaines possessions en Allemagne qu'à titre de gages, et pour
-s'assurer la restitution de ses colonies, il ajouta: Que l'Angleterre
-me rende mes colonies, et je lui rendrai le Hanovre.--M. de Merveldt
-ayant indiqué que ce n'était pas assez, Napoléon laissa échapper un
-mot qui, prononcé au congrès de Prague, aurait changé son sort et le
-nôtre.--Je restituerai, dit-il, s'il le faut, les villes
-anséatiques...--Malheureusement il était trop tard. Kulm, la Katzbach,
-Gross-Beeren, Dennewitz, Wachau, avaient rendu ce sacrifice
-insuffisant. M. de Merveldt exprima l'opinion que pour obtenir la paix
-de l'Angleterre il faudrait consentir au sacrifice de la Hollande.
-Napoléon se récria fort, dit que la Hollande serait dans les mains de
-l'Angleterre un moyen de despotisme maritime, car l'Angleterre, il le
-savait bien, voulait le contraindre à limiter le nombre de ses
-vaisseaux.--C'était une idée singulière, qui avait pu traverser
-certains esprits, mais que jamais le cabinet britannique n'avait
-sérieusement regardée comme proposable.--Si vous prétendez, Sire,
-reprit M. de Merveldt, joindre aux vastes rivages de la France ceux de
-la Hollande, de l'Espagne, de l'Italie, alors comme aucune puissance
-maritime n'égalerait la vôtre, il se pourrait qu'on songeât à imposer
-une limite à l'étendue de vos flottes; mais Votre Majesté, si
-difficile en fait d'honneur, aimera mieux sans doute abandonner des
-territoires dont elle n'a pas besoin, que subir une condition dont je
-comprends qu'elle repousse jusqu'à l'idée.--
-
- [Note 28: M. Fain, qui cependant était au quartier général,
- a prétendu que ce fut le 16 au soir que Napoléon appela M.
- de Merveldt, et lui rendit sa liberté. Beaucoup d'autres
- écrivains ont reproduit la même erreur, parce qu'elle
- fournit une explication et une excuse toute naturelle pour
- la perte de la journée du 17. Napoléon dans ce cas aurait
- attendu pendant toute la journée du 17 une réponse à ses
- propositions. Or, la publication de la conversation de M. de
- Merveldt, due au comte de Westmoreland, récemment encore
- ambassadeur à Vienne, et alors employé dans la légation
- britannique auprès des coalisés, permet de redresser cette
- erreur. M. de Merveldt, dans la pièce publiée, donne l'heure
- et le jour, et place son entrevue au 17 à deux heures de
- l'après-midi. Comme on ne peut prétendre qu'il eût intérêt à
- altérer une pareille circonstance, la supposition de ceux
- qui placent cette conversation dans la soirée du 16, tombe
- avec toutes les conséquences qu'ils prétendent en tirer.]
-
-De cet entretien Napoléon put conclure que tandis qu'il aurait deux
-mois auparavant obtenu la paix en sacrifiant seulement le duché de
-Varsovie, le protectorat du Rhin, et les villes anséatiques, il lui
-faudrait maintenant abandonner en outre la Hollande, la Westphalie,
-l'Italie, celle-ci toutefois à la condition de la laisser indépendante
-de l'Autriche comme de la France. Certes la France avec le Rhin, les
-Alpes, les Pyrénées, restait bien encore assez belle, aussi belle
-qu'on la pouvait désirer! Sur tous ces objets Napoléon parut admettre
-qu'à la paix générale il faudrait consentir à de grands sacrifices, et
-se montra même plus disposé à les accorder qu'il ne l'était
-véritablement. Mais la paix l'occupait bien moins que l'espérance,
-malheureusement très-vague, d'un armistice. C'était à cette conclusion
-qu'il aurait voulu amener son interlocuteur.--Je n'essaye pas, dit-il
-à M. de Merveldt, de vous parler d'armistice, car vous prétendez vous
-autres que j'ai le goût des armistices, et que c'est une partie de ma
-tactique militaire. Pourtant il a coulé bien du sang, il va en couler
-beaucoup encore, et si nous faisions tous un pas rétrograde, les
-Russes et les Prussiens jusqu'à l'Elbe, les Autrichiens jusqu'aux
-montagnes de la Bohême, les Français jusqu'à la Saale, nous
-laisserions respirer la pauvre Saxe, et de cette distance nous
-pourrions traiter sérieusement de la paix.--M. de Merveldt répondit
-que les alliés n'accepteraient point la Saale pour ligne d'armistice,
-car ils espéraient aller cet automne jusqu'au Rhin.--Me retirer
-jusqu'au Rhin! reprit fièrement Napoléon; il faudrait que j'eusse
-perdu une bataille, or je n'en ai point perdu encore! Cela pourra
-m'arriver sans doute, car le sort des armes est variable, vous le
-savez, monsieur de Merveldt (celui-ci était venu jadis implorer des
-armistices après Léoben et après Austerlitz); mais ce malheur ne m'est
-point arrivé, et sans bataille perdue je ne vous abandonnerai pas
-l'Allemagne jusqu'au Rhin...--Partez, ajouta Napoléon, je vous accorde
-votre liberté sur parole; c'est une faveur que j'accorde à votre
-mérite, à mes anciennes relations avec vous; et si de ce que je vous
-ai dit vous pouvez tirer quelque profit pour amener une négociation,
-ou au moins une suspension d'armes qui laisse respirer l'humanité,
-vous me trouverez disposé à écouter vos propositions.--
-
-[En marge: Napoléon espère que les paroles dont il charge M. de
-Merveldt jetteront quelque hésitation dans l'esprit des coalisés.]
-
-Cet entretien singulier, dans lequel on voit l'art que Napoléon avait
-de se dominer, lorsqu'il s'en donnait la peine, avait eu pour but, on
-le devine, de savoir au juste ce qu'il devait attendre des coalisés le
-lendemain, et de faire naître, s'il était possible, quelque hésitation
-parmi eux, en proférant à l'égard de la paix des paroles qui jamais
-n'étaient sorties de sa bouche. S'ils avaient été aussi maltraités que
-Napoléon le supposait (et maltraités, ils l'étaient fort, mais
-ébranlés, point du tout), ils pouvaient trouver dans ces paroles une
-raison de parlementer, et lui le temps le changer de position.
-
-[En marge: Vers la fin du 17, on voit à l'horizon paraître de
-nouvelles colonnes ennemies.]
-
-La fin du jour ne fit que jeter de nouvelles et tristes lumières sur
-cette situation. On vit de fortes colonnes apparaître sur la route de
-Dresde, et les rangs de l'armée de Schwarzenberg s'épaissir
-considérablement. Du haut des clochers de Leipzig on discerna
-clairement l'armée de Bernadotte qui arrivait vers le nord. L'horizon
-était enflammé de mille feux. Le cercle était presque fermé autour de
-nous, au sud, à l'ouest, au nord. Il n'y avait qu'une issue encore
-ouverte, c'était celle de l'est, à travers la plaine de Leipzig, car
-Blucher jusqu'ici n'avait pu dans cette plaine si vaste étendre son
-bras vers Schwarzenberg. Mais cette issue, la seule qui nous restât,
-menait à l'Elbe et à Dresde, où il n'était plus temps d'aller.
-Napoléon, faisant un dernier effort sur lui-même, prit enfin le parti
-de la retraite, parti qui lui coûtait cruellement, non-seulement sous
-le rapport de l'orgueil, mais sous un rapport plus sérieux, celui du
-changement d'attitude, celui surtout du sacrifice de 170 mille
-Français laissés sans secours, presque sans moyen de salut, sur
-l'Elbe, l'Oder et la Vistule.
-
-[En marge: Napoléon se décide à se retirer sur la Saale, mais il veut
-faire une retraite imposante, en arrêtant les coalisés s'ils essayent
-de poursuivre l'armée française.]
-
-Malheureusement il se décida trop tard et trop incomplétement. Au
-lieud'une retraite franchement résolue, et calculée dès lors dans
-tous ses détails, devant commencer dans la soirée du 17, et être
-achevée le 18 au matin, il voulut une retraite imposante, qui n'en
-fût presque pas une, et qui s'exécutât en plein jour. Il arrêta qu'au
-milieu de la nuit, c'est-à-dire vers deux heures, on rétrograderait
-concentriquement sur Leipzig, et l'espace d'une lieue; que Bertrand
-avec son corps, Mortier avec une partie de la jeune garde, iraient par
-Lindenau s'assurer la route de Lutzen; que le jour venu on défilerait,
-un corps après l'autre, à travers Leipzig, repoussant énergiquement
-l'ennemi qui oserait aborder nos arrière-gardes. Une pareille marche,
-en nous tirant d'une fausse position, aurait ainsi l'aspect d'un
-changement de ligne, plutôt que celui d'une retraite.
-
-Napoléon se croyait encore si imposant, qu'il n'imaginait pas qu'on
-pût troubler une semblable retraite. Il l'était encore beaucoup sans
-doute, mais pour la passion enivrée de subites espérances, il n'y a
-rien d'imposant, et c'était une passion de ce genre qui animait alors
-les coalisés. Telles furent les résolutions de Napoléon pour la nuit
-du 17 au 18.
-
-[En marge: Résolution de la part des coalisés de se battre en
-désespérés, jusqu'à ce qu'ils soient venus à bout de la résistance de
-Napoléon.]
-
-[En marge: L'annonce de l'arrivée de Bernadotte et de Benningsen les
-décide à demeurer immobiles le 17, pour recommencer la lutte le 18.]
-
-Ce qui s'était passé pendant la journée du côté des coalisés ne
-répondait pas aux illusions dont il avait flatté son malheur. Leur
-intention première avait été de combattre sans relâche, de faire tuer
-des hommes sans mesure, jusqu'à ce qu'on fût venu à bout de la
-résistance des Français, et avec de telles dispositions il n'y avait
-pas même de motif pour s'arrêter le 17. Pourtant les nouvelles qu'on
-avait réussi à se procurer du nord de Leipzig, avaient appris que le
-prince de Suède pourrait se trouver en ligne si on lui accordait un
-jour de plus. Une autre nouvelle non moins importante était venue des
-environs de Dresde. On avait laissé devant cette ville la division
-russe Sherbatow et la division autrichienne Bubna sur la droite de
-l'Elbe, et l'armée entière de Benningsen avec le corps de Colloredo
-sur la rive gauche. C'étaient environ 70 mille hommes, bien
-inutilement employés à contenir un corps français qu'il suffisait
-d'observer, et dont on n'avait rien à craindre. Ayant profité des
-leçons de Napoléon, qui avait enseigné à tous les généraux du siècle
-l'art de réunir ses troupes au point où elles étaient le plus utiles,
-on avait prescrit au général Benningsen de laisser le corps de Tolstoy
-devant Dresde, et de marcher avec le sien sur Leipzig. Même ordre
-avait été expédié au corps de Colloredo et à la division Bubna.
-C'étaient cinquante mille hommes dont l'arrivée était annoncée pour la
-fin de la journée. Cinquante mille de ce côté, soixante mille du côté
-de Bernadotte, composaient un renfort de cent dix mille hommes, dont
-il eût été bien imprudent de se priver. Il n'y avait donc pas à être
-avare du temps qui devait tant profiter aux alliés, si peu aux
-Français, et on ne pouvait mieux faire que de remettre d'un jour
-l'attaque décisive. Les soldats qui avaient si vaillamment combattu
-dans la journée du 16 prendraient un peu de repos le 17, et ce repos
-ne servirait guère aux soldats de Napoléon, qui étaient trop
-intelligents pour ne pas apercevoir le danger sans cesse croissant
-autour d'eux, et devaient être plutôt affectés que remis par la
-prolongation d'une situation pareille. Par ces raisons, qui pour notre
-malheur étaient toutes excellentes, on avait décidé de différer
-jusqu'au 18 la dernière bataille[29]. L'arrivée de M. de Merveldt
-dans l'après-midi, ses récits détaillés n'ébranlèrent personne, et
-révélèrent au contraire à tout le monde la détresse qui avait arraché
-à Napoléon des propositions si nouvelles. Ne s'arrêter qu'au bord du
-Rhin fut la résolution générale.
-
- [Note 29: Les écrivains décidés à ne voir dans les revers de
- Napoléon d'autre cause que la trahison de ses alliés ou la
- faiblesse de ses lieutenants, comme si la trahison des
- alliés, la faiblesse des lieutenants ne provenaient pas
- elles-mêmes de fautes graves, ces écrivains ont prétendu que
- les généraux de la coalition ne voulaient pas attaquer le 17
- ni le 18, mais qu'ils s'y décidèrent dans la nuit du 18, en
- apprenant la trahison projetée des Saxons. Dès lors Napoléon
- aurait encore calculé ici avec une justesse infaillible. En
- restant en effet un jour de plus en position il se serait
- retiré sain et sauf avec l'attitude d'un vainqueur, et ce
- n'est que la trahison des Saxons qui aurait empêché ce
- calcul de se vérifier. Cette nouvelle supposition est aussi
- peu fondée que toutes celles du même genre. MM. de Wolzogen,
- Cathcart, présents aux quartiers généraux des coalisés, nous
- ont révélé le détail des délibérations de ces quartiers
- généraux, et on sait aujourd'hui que la résolution était
- d'attaquer le 17 même, et que l'arrivée de nouveaux renforts
- fit seule remettre au 18. De plus, la défection des Saxons,
- si elle était connue d'avance, ne l'était qu'au quartier
- général de Bernadotte, où des Saxons réfugiés auprès de lui
- l'avaient préparée; mais elle était tout à fait ignorée au
- quartier général des trois souverains. Ces inventions, qui
- ont pour but de prouver non pas le génie prodigieux de
- Napoléon, qu'on ne peut mettre en question, mais son
- infaillibilité, sont donc contraires à la vérité, et dénuées
- de tout fondement.]
-
-[En marge: Résolutions prises au camp de Blucher et de Bernadotte.]
-
-[En marge: Blucher oblige Bernadotte à passer la Partha, pour se lier
-avec l'armée de Bohême, et investir complétement les Français.]
-
-Au nord de Leipzig, les déterminations prises avec moins d'accord,
-n'en avaient pas moins tendu au même but. Le prince de Suède, assailli
-par les reproches violents du ministre d'Angleterre qui taxait son
-inaction de perfidie, par les remontrances de ses divers états-majors,
-et notamment par les instances des officiers suédois dont les champs
-de Leipzig réveillaient les souvenirs patriotiques, avait fini par
-marcher le 17, et par prendre position derrière Blucher, auquel il
-avait demandé une entrevue. Celui-ci l'avait déclinée, sachant ce que
-le prince désirait de lui, et décidé à ne pas y consentir. Il
-s'agissait de passer hardiment la Partha, afin de compléter
-l'investissement des Français, et celui qui la traverserait avant
-d'avoir donné la main au prince de Schwarzenberg pourrait bien essuyer
-quelque rude choc. Or le prince de Suède, en cette occasion, comme sur
-la Mulde quelques jours auparavant, voulait que Blucher occupât le
-poste le plus périlleux. Blucher fatigué, non pas de dangers, mais de
-complaisances pour un allié dont il suspectait la fidélité autant que
-l'énergie, avait répondu que ses troupes épuisées par le combat du 16,
-étaient beaucoup moins propres à supporter une position difficile que
-celles de l'armée du Nord, et il avait exigé que Bernadotte vînt
-franchir la Partha sur la gauche de l'armée de Silésie, et se risquer
-dans la plaine de Leipzig en face de Napoléon. Il s'était en même
-temps entendu secrètement avec les généraux prussiens et russes qui
-commandaient les divers corps de l'armée du Nord, et il leur avait
-promis de passer avec eux la Partha le lendemain pour combattre
-Napoléon à outrance, car Blucher était bien résolu à participer
-lui-même à la dernière lutte, mais il voulait contraindre Bernadotte à
-prendre une position de combat dont il lui fût impossible de
-revenir[30]. Tout était donc disposé pour que Napoléon eût sur les
-bras environ 300 mille hommes. Les alliés en avaient effectivement 220
-ou 230 mille le 16; s'ils en avaient perdu environ 40 mille dans
-cette journée, et s'il leur en arrivait 50 avec Benningsen, 60 avec
-Bernadotte, leur nombre total devait bien être d'à peu près 300 mille.
-Quant à Napoléon, qui en avait eu 190 mille, Reynier compris, avant la
-bataille du 16, il ne devait pas, comme nous l'avons dit, en conserver
-plus de 160 à 165 mille le 18, en comptant même les alliés peu sûrs
-qui étaient dans ses rangs.
-
- [Note 30: Nous citons le passage suivant de M. de Wolzogen
- qui peint ce qui se passait aux états-majors de Blucher et
- de Bernadotte. Les récits de M. de Muffling, témoin
- oculaire, sont encore plus frappants et plus amers.
-
- «Le prince Guillaume, frère du roi de Prusse, avait déjà
- auparavant décidé le prince qui hésitait, à prendre une part
- sérieuse à la bataille, et avait amicalement éveillé son
- attention sur ce point, que l'opinion des troupes
- prussiennes et russes qui se trouvaient dans son armée lui
- était très-défavorable, et qu'elles allaient même jusqu'à
- douter de son courage personnel et de sa loyale volonté
- d'agir efficacement dans l'intérêt de la cause commune des
- alliés. Cette confidence, ainsi que les observations du
- général Adlerkreutz, chef de son état-major général, que les
- Suédois, loin de rester en arrière, désiraient au contraire
- soutenir leur ancienne renommée sur le champ de bataille où
- Gustave-Adolphe avait combattu si glorieusement, passent
- pour avoir exercé une influence décisive sur la résolution
- de Charles-Jean.»]
-
-[En marge: Dispositions de Napoléon autour de Leipzig pour y prendre
-une attitude imposante, et se retirer après avoir bravé et contenu
-l'ennemi.]
-
-[En marge: Bertrand envoyé au delà de Lindenau, pour s'ouvrir la route
-de Mayence à travers la plaine de Lutzen.]
-
-Du reste Napoléon connaissant cette situation, avait pris vers la fin
-de la journée du 17 le parti de se retirer. Malheureusement ce n'était
-pas, comme nous l'avons dit, une de ces retraites nocturnes, telles
-que l'art de la guerre autorise à les faire lorsqu'une armée a besoin
-de se soustraire à un ennemi supérieur, mais une retraite en plein
-jour, et à pas lents, qu'il voulait exécuter, de manière à conserver
-une attitude imposante, et à traverser sans embarras le long défilé de
-Leipzig à Lindenau, défilé consistant en une multitude de ponts jetés
-sur les bras divisés de la Pleisse et de l'Elster. À deux heures du
-matin en effet il était debout, expédiant ses ordres qui furent les
-suivants. Tous les corps qui avaient combattu au sud, c'est-à-dire
-Poniatowski, Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les
-1er, 2e, 4e, 5e de cavalerie, devaient rétrograder d'une lieue, et
-venir former autour de Leipzig, sur le plateau de Probstheyda, un
-cercle plus resserré, et dès lors à peu près invincible. Si l'ennemi
-les suivait, ils se précipiteraient sur lui, et le refouleraient au
-loin. Au nord et à l'est, Marmont qui après le combat de Möckern avait
-repassé la Partha, devait se concentrer de Schönfeld à Sellerhausen.
-Ney qui avec Reynier, arrivé dans l'après-midi du 17, formait le
-prolongement de la ligne de Marmont, devait replier sa droite en
-arrière, jusqu'à ce qu'il rencontrât la gauche de Macdonald à travers
-la plaine de Leipzig, et fermât ainsi le cercle que l'armée française
-allait décrire. Alors la liaison qui n'avait été établie entre Ney et
-Macdonald qu'au moyen de la cavalerie, serait établie au moyen d'une
-ligne continue de troupes de toutes armes occupant les villages de
-Paunsdorf, Melckau, Holzhausen, Liebert-Wolkwitz. Dès cet instant, au
-lieu d'un cercle de cinq à six lieues, on n'en formerait plus qu'un de
-deux lieues à peu près, et partout très-solide. À l'est et au nord, on
-devait comme au sud rétrograder lentement, culbuter l'ennemi trop
-pressant, et si on n'était pas suivi, venir à l'exemple des autres
-corps s'écouler à travers Leipzig par la chaussée de Lindenau. Mais
-cette chaussée il fallait se l'ouvrir. Margaron, le 16, avait conservé
-le bourg de Lindenau placé à l'extrémité des ponts de la Pleisse et de
-l'Elster. Napoléon confia au général Bertrand le soin de franchir
-Lindenau, de déboucher dans la plaine de Lutzen, d'enfoncer tout
-ennemi rencontré sur son chemin, et de percer jusqu'à Weissenfels sur
-la Saale. Il lui donna pour le renforcer la division française
-Guilleminot, qui avait marché précédemment sous les ordres de Reynier,
-avec la division Durutte, dans l'intention de placer les Saxons entre
-deux divisions françaises. Le général Rogniat eut ordre de partir avec
-les troupes du génie de la garde, afin d'aller jeter de nouveaux ponts
-sur la Saale, au-dessous de Weissenfels. Margaron et Dombrowski
-furent chargés de la défense de Leipzig. Margaron devait occuper
-l'intérieur, Dombrowski le dehors jusqu'à Schönfeld, où était le
-maréchal Marmont, et où commençait par conséquent la ligne de Ney.
-Comme Margaron pouvait ne pas suffire, Napoléon se priva de la
-division de la jeune garde commandée par Mortier, et l'envoya dans
-Leipzig même. Les parcs, les bagages inutiles eurent ordre de se
-mettre en marche immédiatement, afin d'avoir défilé lorsque les
-colonnes de l'armée arriveraient aux ponts. À trois heures du matin
-tout était en mouvement par un temps sombre et pluvieux, et les
-caissons qu'on brûlait ou qu'on faisait sauter faute de les pouvoir
-atteler, ajoutaient de sinistres lueurs et de plus sinistres
-détonations à cette retraite. Rien ne prouvait mieux qu'on ne voulait
-pas faire une retraite clandestine, et que l'orgueil mal entendu de la
-victoire nous restait jusque dans la défaite, défaite, il est vrai,
-qui n'était pas celle du champ de bataille, mais de la campagne, et
-celle-ci était malheureusement plus grave.
-
-[En marge: Napoléon courant toute la nuit pour assurer l'exécution de
-ses dispositions.]
-
-Napoléon après avoir expédié ses ordres était allé lui-même au
-faubourg de Reudnitz auprès de Ney, pour lui exprimer de vive voix ses
-intentions[31]. Entre autres instructions qu'il lui avait laissées,
-était celle de pourvoir à la sûreté du grand quartier général qui
-était demeuré en arrière sur la route de Düben à Leipzig. Ce grand
-quartier général, qui comprenait toutes les administrations, le trésor
-de l'armée notamment, le parc du génie, une partie du parc général de
-l'artillerie, l'équipage de pont, avait été conduit à Eilenbourg, et
-puis, ayant voulu suivre Reynier, il en avait été empêché par la
-présence de l'ennemi. Napoléon lui fit dire, s'il ne pouvait pas
-rejoindre, de se replier sur Torgau, et d'aller s'y enfermer, triste
-ressource qui ne devait différer sa perte que de quelques jours, à
-moins qu'un armistice ne vînt sauver la garnison des places.
-
- [Note 31: Nous avons l'exposé bref mais formel de ces
- intentions dans une lettre du maréchal Ney au général
- Reynier, datée de 5 heures du matin, et dans laquelle le
- maréchal dit ce que Napoléon est venu faire et ordonner
- auprès de lui, c'est-à-dire à Reudnitz, où il avait son
- quartier général.]
-
-Ces ordres expédiés, Napoléon s'était transporté à Leipzig, où il
-avait communiqué ses vues à ses autres généraux, et il était revenu
-fort matin à son bivouac, au milieu des rangs de l'armée principale
-qu'il n'avait pas quittés depuis plusieurs jours.
-
-[En marge: Le colonel Montfort sollicite en vain de Berthier
-l'autorisation de jeter des ponts supplémentaires, afin de prévenir un
-encombrement sur celui de Lindenau.]
-
-Le colonel du génie Montfort, qui remplaçait le générai Rogniat parti
-pour Weissenfels, avait été extrêmement frappé de la difficulté de
-faire défiler toute l'armée par un seul pont d'une immense longueur,
-celui qui va de Leipzig à Lindenau. Il avait donc proposé au prince
-Berthier de jeter, au-dessus ou au-dessous, d'autres ponts
-secondaires, qui serviraient au passage de l'infanterie, afin de
-réserver la chaussée principale à l'artillerie, à la cavalerie, aux
-bagages. Soit que Berthier, tout plein encore de la peine qu'on avait
-eue à parler de retraite à Napoléon, n'osât pas lui en parler de
-nouveau, soit (ce qui est plus probable) qu'il eût l'habitude
-invétérée d'attendre tout de sa prévoyance, il repoussa le colonel, en
-lui disant qu'il fallait savoir exécuter les ordres de l'Empereur,
-mais n'avoir pas la prétention de les devancer. Peut-être aussi
-Napoléon avait-il considéré ce cas, et n'avait-il rien voulu ordonner
-qui annonçât sa retraite trop longtemps à l'avance. Quoi qu'il en
-soit, on se réduisit volontairement au seul pont de Lindenau, ce qui
-dans certains cas pouvait devenir extrêmement dangereux[32].
-
- [Note 32: Il n'est aucune circonstance de cette campagne qui
- ait donné lieu à plus de controverses que celle de
- l'existence d'un seul pont pour opérer la retraite de
- Leipzig. Les écrivains dont le thème ordinaire est que
- Napoléon en sa vie n'a commis ni une faute ni une omission,
- prétendent que Napoléon prescrivit à Berthier de jeter
- plusieurs ponts soit au-dessus, soit au-dessous de celui de
- Lindenau, et que Berthier n'exécuta pas cet ordre si
- important, lui qui ne négligeait pas les ordres les plus
- accessoires. Cette nouvelle assertion, tout invraisemblable
- qu'elle soit, pourrait être admise, en supposant que
- Berthier fatigué, affecté, malade (ce qu'il était alors),
- aurait oublié les prescriptions de Napoléon. Mais par
- malheur pour cette hypothèse, il y a l'assertion du colonel
- Montfort, qui depuis l'événement a déclaré qu'il avait
- adressé à Berthier les plus vives instances pour être
- autorisé à jeter des ponts secondaires, ce qui aurait dû
- suffire pour rafraîchir la mémoire du major général s'il en
- avait eu besoin. Il est vrai qu'on pourrait accuser le
- colonel Montfort, mis plus tard en jugement pour cette
- affaire, d'avoir imaginé cette assertion afin de s'excuser.
- Mais outre la bonne foi du colonel, qui ne saurait être mise
- en doute quand on l'a connu, j'ai de cette assertion et de
- son exactitude une autre preuve. Le jour même du passage si
- embarrassé du pont de Lindenau, c'est-à-dire le 19, le
- colonel Montfort au milieu de la foule qui se pressait sur
- le pont, s'entretenant avec le colonel du génie Lamare, lui
- dit avec chagrin qu'il avait la veille adressé les plus
- vives instances à Berthier pour être autorisé à jeter
- d'autres ponts, et que Berthier lui avait répondu qu'il
- fallait attendre les ordres de l'Empereur. Ainsi au moment
- même, le colonel Montfort n'ayant pas encore à se justifier
- devant un conseil de guerre, et avant d'avoir pu y penser,
- produisait le fait avec une sincérité et une spontanéité
- évidentes. Le fait ne peut donc pas être contesté. Or,
- comment admettre alors que Berthier ayant des ordres de
- Napoléon ne les eût pas exécutés? Ici l'invraisemblance est
- frappante, car il eût fallu que Berthier fût ou stupide ou
- traître. Or, ce vieux compagnon de Napoléon, quoique
- fatigué, était aussi dévoué qu'habile. Il n'y a donc qu'une
- supposition possible, c'est que Napoléon, ou n'y ayant pas
- pensé, ou, ce qui est plus probable, voulant faire une
- retraite pour ainsi dire _à volonté_, sans presser le pas,
- crut le pont de Lindenau suffisant. Probablement aussi il ne
- voulait pas que des préparatifs indiquant une retraite
- précipitée affectassent le moral des soldats. Quoi qu'il en
- soit, c'est la seule explication qui n'offense pas le bon
- sens. Il est vrai que dans ce cas il faudrait admettre que
- Napoléon a commis une erreur. Mais quant à nous, tout en le
- regardant comme un des plus grands génies de l'humanité,
- nous demandons, non pas à ses admirateurs, car nous sommes
- du nombre, mais à ses adorateurs, ce que nous ne sommes pas,
- la permission de croire qu'en sa vie il lui est arrivé de se
- tromper.]
-
-[En marge: Bataille du 18.]
-
-[En marge: Dès la pointe du jour, Napoléon revenu à Probstheyda, du
-côté du sud, voit trois grandes colonnes marchant sur la ligne plus
-resserrée de l'armée française.]
-
-[En marge: Immense disproportion des forces.]
-
-À peine Napoléon était-il retourné à Probstheyda, où il avait eu son
-bivouac, qu'il aperçut du haut d'un tertre sur lequel il était placé,
-trois grandes colonnes, mais cette fois bien plus fortes que
-l'avant-veille, marchant concentriquement sur sa nouvelle ligne de
-bataille. Vers notre droite ne s'appuyant plus à Mark-Kleeberg mais un
-peu en arrière à Dölitz, c'était le prince de Hesse-Hombourg, qui avec
-les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, avec la réserve de
-cavalerie de Nostitz, avec le corps de Colloredo et la division légère
-d'Aloys Lichtenstein, s'avançait sur Poniatowski et Augereau. Au
-centre c'étaient Kleist et Wittgenstein, aujourd'hui réunis en une
-seule colonne d'attaque, et suivis des gardes russe et prussienne, qui
-marchaient de Wachau et de Liebert-Wolkwitz sur Probstheyda, où se
-trouvaient Victor et la garde. À gauche enfin c'étaient Klenau,
-Benningsen et Bubna, qui du bois de l'Université et de Seyffertshayn
-se dirigeaient sur Zuckelhausen et Holzhausen, contre Macdonald. Cette
-dernière colonne, ployant sa droite autour de notre ligne, venait à
-travers la plaine de Leipzig menacer la position de Ney, mais avec
-beaucoup de circonspection, car elle attendait pour s'engager que
-Bernadotte eût passé la Partha. Ces trois colonnes pouvaient
-comprendre de 55 à 60 mille hommes chacune, excepté celle de
-Benningsen, qui était de 70 mille environ. Pour tenir tête à ces 180
-mille hommes, Napoléon avait comme l'avant-veille Poniatowski,
-Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les 1er, 2e, 4e, 5e
-de cavalerie, présentant en ce moment une masse totale de 80 et
-quelques mille hommes. Dans l'angle formé par l'Elster et la Pleisse
-les coalisés avaient laissé le corps de Merveldt, et au delà de
-l'Elster vers Lindenau, Giulay, ce qui faisait plus de 25 mille hommes
-encore. Enfin Bernadotte et Blucher en avaient bien cent mille à eux
-deux. Ney avait à leur opposer, Marmont réduit à 12 ou 13 mille
-hommes, Reynier à peu près au même nombre, Souham à 13 ou 14 mille.
-Margaron avec le duc de Padoue et Dombrowski n'en avaient pas plus de
-12 mille. C'étaient donc 130 et quelques mille hommes opposés à 300
-mille. Bertrand avec 18 mille était en route pour Weissenfels. Mortier
-l'appuyait avec deux divisions de la jeune garde.
-
-[En marge: Lente retraite des troupes françaises pour prendre une
-position plus resserrée.]
-
-Toutes les colonnes de Napoléon en se retirant avaient laissé
-de fortes arrière-gardes répandues en tirailleurs, lesquels
-disputaient le terrain pied à pied, et ne le cédaient qu'après
-avoir causé de grandes pertes à l'ennemi. En arrière de Wachau et
-de Liebert-Wolkwitz, à la bergerie de Meusdorf située en avant de
-Probstheyda, on ne se retira pas sans couvrir la terre de cadavres
-prussiens et russes. À Zuckelhausen, à Holzhausen, où se trouvait le
-corps de Macdonald, on tint tête à la division prussienne de Ziethen,
-et aux Autrichiens de Klenau, et on leur tua beaucoup de monde avant
-de rétrograder sur Stötteritz. Cette dernière position une fois prise
-par Macdonald, notre nouvelle ligne de bataille était la suivante. Des
-bords de la Pleisse, c'est-à-dire de Dölitz à Probstheyda, elle
-formait une ligne continue, se repliait à angle droit vers
-Probstheyda, remontait au nord jusqu'au bord de la Partha, par
-Stötteritz, Melckau, Schönfeld, où étaient Macdonald, Reynier,
-Marmont.
-
-[En marge: Après avoir lentement rétrogradé, les Français s'arrêtent
-de Dölitz à Probstheyda.]
-
-Probstheyda était donc l'angle saillant que l'ennemi devait emporter,
-et où Napoléon était bien décidé à tenir opiniâtrement. Outre Victor
-qui gardait Probstheyda, il y avait en arrière Lauriston qui se liait
-à Macdonald, la garde et la cavalerie. Jusqu'au moment où ils
-parvinrent à la ligne des positions que Napoléon voulait conserver,
-les coalisés ne rencontrèrent que des arrières-gardes, qui disputaient
-le terrain, mais finissaient par l'abandonner. Arrivés devant Dölitz,
-Probstheyda, Stötteritz, ils trouvèrent des lignes immobiles,
-imposantes, et qu'il y avait peu de chance de faire céder. Toutefois
-ils l'essayèrent avec une sorte d'énergie désespérée.
-
-[En marge: Violente attaque du prince de Hesse-Hombourg sur Dölitz, et
-défense héroïque de Poniatowski.]
-
-[En marge: On cède un peu de terrain jusqu'à Connewitz, pour prendre
-une position inexpugnable.]
-
-La colonne du prince de Hesse-Hombourg se jeta sur Dölitz, l'emporta,
-le perdit, le reprit, le perdit de nouveau. C'était Poniatowski et
-Augereau fort épuisés, ne comptant pas dix mille hommes à eux deux,
-qui défendaient ce point. Le prince de Hesse-Hombourg y fut gravement
-blessé, et remplacé aussitôt par le général Bianchi. Nous fûmes
-obligés d'abandonner toutefois un peu de terrain, et de venir nous
-placer à Connewitz, derrière une ligne d'eau alternativement
-stagnante ou courante, qui allait de Probstheyda à Connewitz se jeter
-dans la Pleisse. Avant de s'y retirer, notre cavalerie exécuta de
-superbes charges, repoussa plusieurs fois celle des Autrichiens, et
-puis se replia avec l'infanterie derrière le ruisseau dont il vient
-d'être parlé. Une fois à Connewitz, Poniatowski et Augereau s'y
-établirent invinciblement. Oudinot avec les deux divisions de la jeune
-garde qui restaient (on a vu que les deux autres étaient sous Mortier
-à Leipzig), se posta derrière le ruisseau, de Connewitz à Probstheyda,
-la cavalerie rangée dans les intervalles de l'infanterie. Une partie
-de l'artillerie de la garde se mit en batterie, et foudroya les masses
-ennemies. Plusieurs fois les Autrichiens voulurent franchir
-l'obstacle, et chaque fois on les fit mourir au pied de la position.
-Le corps de Merveldt commandé par Sederer, et placé de l'autre côté de
-la Pleisse, sur le terrain bas et boisé que la Pleisse et l'Elster
-traversent en tous sens, renouvelait ses attaques de l'avant-veille
-contre notre droite, dans l'intention de la tourner. Il ne put nous
-envoyer que des boulets qu'on lui rendit avec usure.
-
-[En marge: La canonnade s'étend, et embrasse bientôt les quatre faces
-du champ de bataille de Leipzig.]
-
-Il était midi, le canon retentissait au nord, ce qui annonçait que
-Blucher et Bernadotte entraient en action, et ce qui faisait trois
-batailles livrées en même temps. De plus il y en avait presque une
-quatrième, car sur notre droite, au delà de la Pleisse et de l'Elster,
-dans la plaine de Lutzen, on entendait le canon de Bertrand aux prises
-avec Giulay pour s'ouvrir la route de Weissenfels. Cette épouvantable
-étendue de carnage ne troublait pas plus le visage de Napoléon que le
-coeur de nos soldats, exaltés pour ainsi dire par cette solennité
-d'une bataille sans égale dans l'histoire, car depuis trois jours cinq
-cent mille hommes se disputaient dans les plaines de Leipzig l'empire
-du monde. Jamais on n'avait vu pareil nombre d'hommes sur un même
-champ de bataille.
-
-[En marge: En entendant le canon de Blucher et de Bernadotte, le
-prince de Schwarzenberg veut tenter une attaque décisive sur
-Probstheyda, qui forme l'angle saillant de notre position.]
-
-[En marge: Combat effroyable autour de Probstheyda.]
-
-Le canon de Blucher et de Bernadotte fut pour l'armée du prince de
-Schwarzenberg le signal d'une attaque furieuse contre le point décisif
-de Probstheyda. Déjà Kleist et Wittgenstein formant la colonne du
-centre, s'étaient avancés, Kleist avec les trois divisions prussiennes
-Klüx, Pirch et prince Auguste, Wittgenstein avec les divisions russes
-Eugène de Wurtemberg et Gortschakoff, suivies des réserves. Arrivés
-devant la position, les Prussiens qui toujours briguaient la tête des
-attaques, par la raison fort honorable pour eux qu'il s'agissait dans
-cette lutte terrible d'affranchir l'Allemagne, s'élancent les
-premiers, et au pas de charge, sur Probstheyda. Drouot, rangé en avant
-de Probstheyda, les attend avec l'artillerie de la garde, Victor avec
-son infanterie. Il fallait gravir un terrain incliné en forme de
-glacis. Drouot les laisse arriver, puis les couvre de mitraille, et
-les précipite confusément les uns sur les autres. Pourtant, animés
-d'une véritable rage patriotique, ils se remettent en rang, marchent
-une seconde fois sur Probstheyda et parviennent à y entrer. Mais
-Victor, avec ses divisions décimées, les charge à la baïonnette, et
-les arrête. Après les avoir arrêtés il les pousse dehors, et notre
-artillerie les mitraille de nouveau. Les trois divisions prussiennes,
-horriblement traitées, vont se reformer à quelque distance, au bas du
-glacis sur lequel s'élève Probstheyda. Napoléon fait avancer
-Lauriston, et lui-même sous une grêle de boulets range par derrière,
-en colonnes profondes, les deux divisions de la vieille garde, Friant
-et Curial, seule réserve qui lui reste. Ces beaux grenadiers, avec
-leurs énormes bonnets à poil, immobiles sous les boulets, sont placés
-comme deux puissants arcs-boutants derrière Lauriston et Victor. On
-s'attend à une nouvelle attaque, et on se promet de la recevoir comme
-la précédente.
-
-[En marge: Attaques réitérées et toujours repoussées.]
-
-En effet, les trois divisions prussiennes ayant un moment repris
-haleine et resserré leurs rangs, sont rejointes par les divisions
-russes de Wittgenstein, et d'un même mouvement se reportent en avant,
-toujours accablées par la mitraille de Drouot. Elles se précipitent
-toutes ensemble sur Probstheyda, l'enveloppent, y pénètrent, et
-semblent cette fois devoir en rester maîtresses. Mais Victor quoique
-avec des troupes épuisées, Lauriston avec les siennes que la bataille
-du 16 a réduites des deux tiers, fondent à la baïonnette sur les
-Prussiens et les Russes réunis, combattent corps à corps, puis par un
-suprême effort refoulent les assaillants hors du village, et les
-culbutent sur la déclivité du terrain, où notre artillerie, profitant
-de cette nouvelle occasion, les couvre encore de mitraille.
-
-Tandis qu'on résiste ainsi de face, un autre ennemi se présente par la
-gauche, c'est la division prussienne Ziethen, qui ayant avec les
-Autrichiens de Klenau fait une tentative infructueuse sur Stötteritz,
-s'est rabattue sur Probstheyda. Mais une partie de l'artillerie de
-Drouot, établie sur le côté gauche du village, la reçoit en flanc, et
-la repousse par le feu seul de ses canons.
-
-[En marge: Après avoir perdu douze mille hommes en deux heures, le
-prince de Schwarzenberg se décide à convertir le combat en une longue
-canonnade.]
-
-Après ces tentatives, le prince de Schwarzenberg ayant déjà plus de
-douze mille hommes hors de combat, ne pouvait plus se flatter
-d'emporter une position que la valeur de nos soldats rendait
-inexpugnable. Il se décida, comme l'avant-veille, à procéder contre
-l'armée française par voie de resserrement successif. On avait le 16
-resserré Napoléon sur Leipzig, et on l'avait amené le 18 à se retirer
-à une lieue en arrière. On achèverait le 19 de l'acculer dans Leipzig
-même, en donnant la main à Bernadotte et à Blucher. Le prince
-généralissime résolut dès lors d'occuper de son côté la journée par un
-combat d'artillerie, et pour le soutenir avec moins de désavantage, il
-rétrograda quelques centaines de pas sur un terrain légèrement élevé,
-et dont l'élévation faisait face à celle de Probstheyda. Là, placé
-vis-à-vis des Français, il se mit à échanger avec eux l'une des plus
-épouvantables canonnades qu'on ait jamais entendues.
-
-Pendant ce temps Benningsen, opposé à notre gauche qui de Probstheyda
-remontait au nord jusqu'à Leipzig, avait essayé d'aborder Melckau,
-mais moins hardiment que Schwarzenberg, parce qu'il attendait
-Bernadotte et Blucher avant de s'engager sérieusement. Quant à
-ceux-ci, voici ce qui avait eu lieu de leur côté.
-
-[En marge: Combat à l'est et au nord contre Bernadotte et Blucher.]
-
-[En marge: Passage de la Partha par Blucher et Bernadotte.]
-
-Après avoir refusé de voir Bernadotte, Blucher avait fini par accepter
-une entrevue avec lui le matin à huit heures, et ils étaient convenus
-de franchir la Partha, mais Bernadotte n'y avait consenti qu'à
-condition que Blucher lui prêterait 30 mille hommes, ce que celui-ci
-avait promis en se mettant à la tête de ces trente mille hommes qui
-étaient ceux de Langeron. En effet pendant que Sacken et York, restés
-de l'autre côté de la Partha, tout à fait au nord de Leipzig,
-échangeaient des boulets avec Dombrowski et Margaron, Blucher avait
-passé la Partha au plus près, c'est-à-dire vers Neutzsch, puis se
-portant à l'est de Leipzig, était descendu sur Schönfeld, où la
-seconde division de Marmont était établie. Marmont avec ses deux
-autres divisions, Ney avec Souham et Reynier, avaient opéré une
-conversion en arrière, pour venir par Sellerhausen relier leur droite
-avec Macdonald qui était à Stötteritz. Quant à Bernadotte, exécutant
-un long circuit pour traverser la Partha le plus loin possible des
-Français, il était allé la franchir à Taucha, et les Prussiens en
-tête, s'était avancé en face de Reynier, par Heiterblick. Tels avaient
-été les mouvements des uns et des autres dans le courant de la
-matinée, pendant le terrible combat de Probstheyda.
-
-[En marge: Position de Reynier, Souham et Marmont sous le maréchal
-Ney.]
-
-[En marge: Indigne défection des Saxons.]
-
-En avant de Sellerhausen, où était Reynier, se trouvait un village
-formant saillie dans la plaine et assez dominant, celui de Paunsdorf,
-que Ney aurait désiré occuper, parce que de ce point on pouvait
-s'interposer entre l'armée de Bohême et celle du Nord, peut-être même
-empêcher leur jonction. Reynier n'en était point d'avis par un motif
-assez sage. Il se défiait des Saxons qui ne cessaient de murmurer et
-de menacer de désertion. Encadrés jusqu'ici entre les deux divisions
-françaises Durutte et Guilleminot, ils avaient été assez fidèles;
-mais depuis le départ de Guilleminot, ils n'étaient flanqués que d'un
-côté, et Reynier ne voulait pas, en les mettant en avant, les exposer
-à la tentation de nous quitter. Ney, plus hardi, les fit avancer en
-colonne vers Paunsdorf, en ayant soin de placer la division Durutte
-derrière eux, pour les appuyer et les contenir. Mais ils n'eurent pas
-plutôt aperçu les enseignes de Bernadotte, avec l'état-major duquel
-plusieurs d'entre eux étaient en communication secrète, que par un
-hommage qui n'était pas celui de la fidélité à la fidélité, ils
-marchèrent soudainement à lui. La cavalerie déserta la première,
-l'infanterie suivit. Le maréchal Marmont, qui était à leur gauche,
-crut qu'ils se laissaient emporter à trop d'ardeur, et courut après
-eux, mais il fut bientôt détrompé, et, trahison indigne! à peine à
-quelques pas de notre ligne de bataille, ils tournèrent leurs pièces
-contre nous, en tirant sur la division Durutte, avec laquelle ils
-servaient depuis deux années! Sans doute Napoléon avait violenté leurs
-sentiments, enchaîné leurs coeurs et leurs bras à une cause qu'ils
-n'aimaient point; ils avaient le droit de nous quitter, mais pas celui
-de nous abandonner sur le champ de bataille; et du reste si Dieu nous
-punissait en ce moment pour avoir trop pesé sur l'Europe, il leur
-préparait bientôt à eux un terrible et juste châtiment, celui du
-morcellement de leur patrie!
-
-[En marge: Situation presque désespérée, et conduite héroïque de la
-division Durutte trahie par les Saxons.]
-
-[En marge: Delmas vient à son secours, et meurt en faisant son
-devoir.]
-
-[En marge: Combat furieux de Schönfeld entre Marmont et Blucher.]
-
-Ney accourut à ce spectacle pour aider la division Durutte, qui,
-assaillie tout à coup par le corps de Bulow, avait la plus grande
-peine à se maintenir. Cinq mille hommes luttèrent pendant plus d'une
-heure contre vingt mille, et luttèrent héroïquement. Pourtant il
-fallut céder et se replier sur Sellerhausen. Ney leur amena la
-division Delmas pour empêcher qu'ils ne fussent accablés dans leur
-mouvement rétrograde. Delmas, le vieux soldat de la République, mourut
-noblement en venant au secours de Durutte avec sa division. Pendant
-qu'à la droite de Ney, Durutte, Delmas combattaient entre Paunsdorf et
-Sellerhausen, Marmont à gauche soutenait dans le beau village de
-Schönfeld un combat furieux. Schönfeld était le point essentiel où
-notre ligne en remontant au nord venait s'appuyer à la Partha, et
-c'était le point que Blucher voulait enlever avec les soldats de
-Langeron. En quelques heures la division Lagrange perdit ce village et
-le reprit sept fois. Enfin elle allait succomber quand Ney vint la
-renforcer avec une des divisions de Souham, celle de Ricard. Une
-dernière fois on reprit Schönfeld. Entre Schönfeld et Selterhausen
-Marmont avec les divisions Compans et Friederichs formées en carré
-résistait à tous les assauts de la cavalerie prussienne et russe. Mais
-28 mille hommes ne pouvaient pas lutter longtemps contre 90 mille, et
-on céda Schönfeld et Sellerhausen pour se rapprocher de Leipzig, avec
-la crainte de voir Bernadotte et Bubna, maintenant réunis dans la
-plaine de Leipzig, pénétrer par la brèche que la défection des Saxons
-avait opérée dans notre ligne.
-
-[En marge: Napoléon amène au galop la cavalerie de la garde pour
-fermer la brèche formée dans notre ligne par la défection des Saxons.]
-
-Heureusement un renfort considérable de cavalerie et d'artillerie
-arrivait au galop. C'était Nansouty avec la cavalerie et l'artillerie
-de la garde qui accourait, sous la conduite de l'Empereur lui-même. Le
-bruit de la défection des Saxons, retentissant jusqu'au quartier
-général, y avait soulevé tous les coeurs, et Napoléon, laissant Murat
-à Probstheyda pour le remplacer à la bataille du sud, qui s'était
-convertie en canonnade, était venu en toute hâte réparer ce malheur
-imprévu qui mettait le comble à nos calamités.
-
-À cet aspect Bulow d'un côté, Bubna de l'autre, qui étaient prêts à se
-donner la main, formèrent chacun un crochet en arrière, pour présenter
-un flanc à la cavalerie de Nansouty. Nansouty les chargea à outrance,
-tantôt à droite, tantôt à gauche, sans pouvoir renverser leur masse
-épaisse. Mais il arrêta court leur progrès, et là comme sur les trois
-faces de cet immense champ de bataille, de Leipzig à Schönfeld au
-nord, de Schönfeld à Probstheyda à l'est, de Probstheyda à Connewitz
-au sud, une canonnade de deux mille bouches à feu termina cette
-bataille, justement dite _des Géants_, et jusqu'ici la plus grande
-certainement de tous les siècles.
-
-[En marge: Continuation de la canonnade jusqu'à la chute du jour.]
-
-[En marge: Horrible carnage de la journée du 18.]
-
-Tant qu'on put se voir, on tira les uns sur les autres avec une sorte
-de fureur, mais sans espoir de la part des coalisés de faire
-abandonner aux Français la ligne qu'ils avaient prise. Nos soldats
-demeurèrent immobiles, comme fixés à des limites qu'aucune puissance
-humaine ne pouvait franchir. L'admiration était dans le coeur même de
-leurs ennemis acharnés, et justement acharnés puisqu'il s'agissait
-d'affranchir leur patrie. Ce que coûta cette nouvelle bataille,
-l'histoire mentirait si elle voulait l'affirmer d'une manière précise.
-On peut seulement le conjecturer d'après ce qui resta d'hommes valides
-les jours suivants dans les armées belligérantes. Près de vingt mille
-hommes de notre côté, et de trente mille du côté des coalisés, qui
-étaient exposés à des feux dominants et bien dirigés, furent le nombre
-des victimes de cette troisième journée. Ainsi en trois jours plus de
-quarante mille Français, plus de soixante mille Allemands et Russes
-furent atteints par le feu! Ah! disons-le bien haut, en présence de
-cet horrible carnage, la guerre, quand elle n'est pas absolument
-nécessaire, n'est qu'une criminelle folie!
-
-[En marge: La retraite immédiate était devenue inévitable après la
-journée du 18.]
-
-Après cette affreuse journée, quelque glorieuse qu'eût été la
-résistance de notre armée, il était indispensable de battre tout de
-suite en retraite, et mieux eût valu certainement décamper nuitamment
-le 17 au soir, que de risquer la terrible bataille du 18, pour
-conserver quelques heures de plus une attitude victorieuse. Il n'en
-fallait pas moins se retirer aujourd'hui le plus promptement possible,
-au risque d'essuyer des pertes énormes en traversant une ville comme
-Leipzig, avec une armée qui après avoir été immense en personnel et en
-matériel, l'était encore en matériel, et n'avait pour évacuer ce qui
-lui restait qu'un seul pont, celui de Lindenau, long d'une demi-lieue,
-embrassant des bois, des marécages, plusieurs bras de rivières.
-
-[En marge: Napoléon rentre à Leipzig pour ordonner la retraite.]
-
-[En marge: Ses dispositions pour occuper fortement Leipzig pendant que
-ses corps défileront à travers l'unique pont de Lindenau.]
-
-Napoléon, quoique souffrant cruellement au fond de son âme, mais
-cachant sa souffrance sous la hautaine impassibilité de son visage,
-quitta son poste de Probstheyda vers le soir, et se rendit à Leipzig
-afin de tout disposer pour une retraite immédiate. Après avoir refusé
-vingt-quatre heures auparavant la protection des ombres de la nuit, il
-fallait bien l'accepter maintenant, et soustraire à l'ennemi le plus
-possible de nos embarras avant l'attaque, facile à prévoir, du
-lendemain. Napoléon descendit dans une simple hôtellerie située au
-centre de la ville, et de là expédia tous ses ordres. Il prescrivit
-aux états-majors des divers corps de défiler toute la nuit avec le
-matériel, les blessés qu'on pourrait emporter, l'artillerie qu'on
-avait conservée tout entière, à l'exception seulement d'une vingtaine
-de pièces qu'une explosion avait fait perdre au combat de Möckern. Il
-ordonna que les corps d'armée se retirassent ensuite l'un après
-l'autre, ayant en tête la garde, dont deux divisions avaient déjà
-passé à la suite du général Bertrand. Le pont franchi, la garde devait
-se mettre en bataille sur le plateau de Lindenau qui domine l'Elster,
-et présenter à l'ennemi une arrière-garde invincible. Comme il était
-probable que les coalisés en voyant notre départ, voudraient se jeter
-sur nous, afin d'ajouter à notre passage à travers Leipzig toutes les
-difficultés d'un combat sanglant, il fut prescrit au 7e corps (général
-Reynier), qui était composé aujourd'hui de l'unique division Durutte,
-de disputer le faubourg de Halle au nord de la ville. La division
-Dombrowski devait l'aider dans cette tâche périlleuse. Marmont, avec
-les débris de son 6e corps et une division du 3e (Souham), devait
-défendre l'est de la ville, où allaient se presser Blucher et
-Bernadotte. Enfin Macdonald, dont le corps avait moins souffert que
-les autres le 18, se liant par sa gauche avec Marmont, devait, avec
-Lauriston et Poniatowski, protéger le côté sud contre la grande armée
-de Bohême. Ces corps, pendant que la garde, toute la cavalerie, les
-restes de Victor, d'Augereau, de Ney, décamperaient, avaient mission
-de disputer les faubourgs à outrance, d'y barrer les rues comme ils
-pourraient, puis de défiler eux-mêmes par un vaste boulevard bordé
-d'arbres, qui régnait autour de la ville et la séparait des faubourgs.
-Se repliant les uns après les autres sur cette voie, trois ou quatre
-fois plus large qu'une rue, ils devaient venir par le côté du
-couchant, gagner le pont de Lindenau, et traverser successivement les
-deux rivières de la Pleisse et de l'Elster. Le colonel Montfort,
-appelé chez Berthier, non point pour l'établissement de ponts
-supplémentaires auxquels il n'était plus temps de songer, mais pour
-certaines précautions de sûreté, reçut l'ordre de disposer une mine
-sous l'arche la plus rapprochée de la ville, afin de la faire sauter
-au moment où le dernier corps français aurait passé, et où la tête des
-ennemis apparaîtrait: ordre facile à donner, mais soumis quant à son
-exécution, Dieu sait à quels hasards! Le combat qu'on devait soutenir
-dans les faubourgs serait-il assez long pour que choses et hommes
-eussent le temps de s'écouler? Puis les corps chargés de combattre
-dans les faubourgs auraient-ils à leur tour le temps de se retirer, et
-de s'arracher des mains de l'ennemi? Enfin n'était-il pas à craindre
-que les coalisés, perçant sur quelques points, ne parvinssent au pont
-avant les derniers corps français? Et alors comment arrêter la
-poursuite des uns sans empêcher aussi la retraite des autres? Napoléon
-ne s'inquiéta d'aucune de ces questions, et en effet ne le pouvait
-guère, car les choses arrivées au point où il les avait amenées, le
-hasard allait seul décider des conséquences. D'ailleurs, tout en
-paraissant occupé de donner des ordres, il était occupé aussi à
-plonger d'un regard sinistre dans les sombres profondeurs de l'avenir,
-où il pouvait déjà voir non-seulement des batailles perdues, mais des
-empires croulants, et lui-même avec leurs ruines précipité dans un
-abîme!
-
-[En marge: Ordres aux corps laissés dans les places de l'Elbe, depuis
-Dresde jusqu'à Hambourg.]
-
-À ces instructions pour la retraite de Leipzig il en ajouta quelques
-autres destinées aux corps laissés sur l'Elbe, et réduits tous à
-capituler, si un miracle d'énergie et de présence d'esprit, en les
-réunissant sur le bas Elbe au maréchal Davout, ne leur rouvrait les
-portes de France actuellement fermées. Il fit prescrire au grand
-quartier général, duquel on était resté séparé, de s'acheminer avec
-les parcs sur Torgau. Il envoya des émissaires à Dresde, à Torgau, à
-Wittenberg, pour leur indiquer un moyen de salut, c'est que le
-maréchal Saint-Cyr, qui avait trente mille hommes encore, et pouvait
-en ne perdant pas de temps renverser tout ce qui serait sur son
-chemin, sortît de Dresde, se rendît à Torgau, puis à Wittenberg, puis
-à Magdebourg, et, ramassant successivement toutes les garnisons, allât
-se joindre à Davout avec soixante-dix mille hommes. En ayant cent
-mille à eux deux, ils pouvaient sauver encore quelques garnisons de
-l'Oder, et ensuite rentrer en France par Wesel à la tête de cent vingt
-mille soldats. Mais que de miracles pour qu'un tel ordre arrivât, fût
-exécuté et réussît! À peine aurait-on pu attendre ce miracle de
-soldats et d'officiers ayant l'élan et la confiance de la victoire! et
-dans ce cas même, que de milliers de blessés, quarante mille
-peut-être, livrés à la barbarie d'un vainqueur qu'une sorte de
-fanatisme patriotique aveuglait jusqu'à lui faire croire que le
-patriotisme dispense d'humanité.
-
-[En marge: Défilé de tous nos corps par le pont de Lindenau pendant la
-nuit du 18 au 19.]
-
-[En marge: Affreux encombrement au pont de Lindenau.]
-
-Le défilé des divers corps dura toute la nuit du 18 au 19, et fut
-surtout ralenti par le passage de l'artillerie, qui était
-très-nombreuse, et qui avait bravement conservé ses pièces. Les
-malheureux blessés du 18 étaient presque tous sacrifiés d'avance,
-l'impossibilité de les emporter étant absolue. Mais on avait eu le
-temps de ramasser quelques-uns de ceux du 16, et on les traînait après
-soi sur les petites voitures qu'on avait pu se procurer. Cette suite
-de canons, de caissons, de voitures portant des blessés, formait un
-prodigieux encombrement, et retardait beaucoup l'écoulement des
-colonnes. La garde qui avait vaillamment combattu, mais qui avait
-l'esprit de domination des corps d'élite, prétendant passer dès
-qu'elle paraissait, et souvent foulant aux pieds la multitude sans
-armes qui obstruait les ponts, augmentait le tumulte, et provoquait
-contre elle des cris de haine. Le triste orgueil d'emmener cinq ou six
-mille prisonniers les uns faits à Dresde, les autres à Leipzig même,
-occasionna un nouvel embarras, car ils prirent la place de pareil
-nombre de blessés ou de soldats valides. Lorsque le jour fut venu,
-l'affluence devint encore plus grande, parce que chacun songeant à
-fuir après quelques heures de repos, se hâtait de regagner le temps
-employé à dormir. C'étaient des efforts inouïs pour entrer dans ce
-torrent serré qui s'écoulait vers Lindenau, et qui en certains moments
-finissait par s'arrêter, comme s'arrêtent faute d'espace les glaçons
-que charrie un fleuve près de geler. Chaque troupe nouvelle qui
-voulait s'introduire dans cette foule pressée, y provoquait des
-résistances, des cris, des combats véritables. Qu'on ajoute à ce
-lugubre spectacle le bruit de mille bouches à feu ayant recommencé à
-tonner dès le matin, et on aura une idée à peine exacte de notre
-horrible départ de l'Allemagne.
-
-[En marge: Adieux de Napoléon à la famille royale de Saxe.]
-
-Napoléon, dès que le jour commença de luire, alla présenter ses adieux
-à la famille de Saxe. Il lui avait rendu un moment le rêve de ses
-ancêtres en lui donnant la couronne de Pologne, mais à ce prix il
-l'avait perdue, sans le vouloir du reste, comme il s'était perdu
-lui-même! Et par surcroît de misère, de la seule chose impérissable en
-lui, la gloire, il ne laissait rien à cette malheureuse famille,
-tandis qu'aux Polonais qu'il avait perdus aussi, il laissait du moins
-une part d'honneur immortel! La cour honnête et timide de Saxe avait
-en effet passé au pied des autels les dix dernières années, que tant
-d'autres avaient passées sur les champs de bataille. Napoléon avait de
-grands reproches à essuyer du vieux roi, et il pouvait de son côté
-trouver matière à des reproches non moins graves dans la conduite
-tenue la veille par les soldats saxons, mais il avait un trop haut
-orgueil pour employer de la sorte les quelques instants qu'il avait à
-consacrer à son allié. Il lui témoigna ses regrets de le livrer ainsi
-sans défense à tout le courroux de la coalition; il l'engagea à
-traiter avec elle, à se séparer de la France, et lui affirma que quant
-à lui, en aucun temps il ne songerait à s'en plaindre. Relevant
-fièrement son visage grave, mais non abattu, il lui exprima l'espoir
-de redevenir bientôt formidable derrière le Rhin, et lui promit de ne
-pas stipuler de paix dans laquelle la Saxe serait sacrifiée. Après de
-réciproques embrassements, il quitta cette bonne et malheureuse
-famille, épouvantée de le voir rester si tard au milieu des dangers
-qui le menaçaient de tous côtés.
-
-[En marge: Difficultés que Napoléon éprouve lui-même à passer au pont
-de Lindenau.]
-
-Sorti de chez le roi, Napoléon essaya en vain de se faire jour à
-travers les rues de Leipzig. Il fut obligé de gagner les boulevards
-par un détour, et de les suivre jusqu'au pont, où la presse s'ouvrit
-pour lui, car bien qu'il commençât à inspirer des sentiments amers,
-l'admiration, la foi en son génie, l'obéissance étaient complètes
-encore. Il franchit les ponts, et alla vers Lindenau attendre de
-l'autre côté de la Pleisse et de l'Elster, que l'armée eût défilé sous
-ses yeux.
-
-[En marge: Combat dans les faubourgs de Leipzig.]
-
-[En marge: Les Français exaspérés à leur tour, repoussent violemment
-les assaillants.]
-
-[En marge: Les troupes des 7e, 3e et 6e corps font un grand carnage
-des troupes de Sacken et de Langeron dans le faubourg de Halle.]
-
-[En marge: On traite aussi mal les troupes de Bulow, à l'est de la
-ville, et les troupes de Schwarzenberg au sud.]
-
-[En marge: Après avoir défendu longtemps les faubourgs, les troupes
-françaises, pour n'être pas coupées, regagnent les boulevards.]
-
-[En marge: Encombrement toujours croissant sur les boulevards et sur
-le pont.]
-
-Pendant ce temps un nouveau combat s'était engagé autour de Leipzig.
-Les souverains et les généraux coalisés ne pouvaient croire à leur
-bonheur, car c'était la première victoire que depuis le commencement
-du siècle ils eussent remportée sur Napoléon, et ce n'était pas même
-encore une victoire que celle qui venait de leur coûter tant de sang
-et tant d'angoisses, c'était une suite d'actions violentes, dont la
-dernière allait seule décider le vrai caractère. Or ce quatrième jour,
-ils s'attendaient à un conflit épouvantable, dont ils étaient résolus
-à supporter les horreurs en vrais martyrs de leur cause. Mais quelles
-ne furent pas leur surprise et leur joie, lorsque entre huit et neuf
-heures du matin, le brouillard d'automne étant dissipé, ils aperçurent
-l'armée française se resserrant successivement autour de Leipzig, et
-s'écoulant à travers l'interminable pont de Lindenau, dans les plaines
-de Lutzen! Ils remercièrent le ciel d'un résultat qu'ils avaient à
-peine osé espérer, et sur-le-champ ils ordonnèrent à leurs soldats de
-se jeter sur l'enceinte de Leipzig pour essayer de rendre plus
-difficile et plus meurtrière la retraite de l'armée française. Chacun
-marchant dans l'ordre de la veille, la colonne du prince de
-Hesse-Hombourg qui formait la gauche des coalisés, poursuivit
-Poniatowski dans le faubourg correspondant à la porte de Peters-Thor.
-La colonne du centre, celle de Kleist et Wittgenstein, se présenta
-devant le même faubourg, mais à une barrière placée un peu à droite,
-celle de Windmühlen. La colonne de droite, celle de Klenau et
-Benningsen, se présenta à la barrière de l'Hôpital, aboutissant à
-l'ancienne porte de Grimma. Bulow, du corps de Bernadotte, se dirigea
-sur le faubourg qui est situé entre les portes de Grimma et de Halle.
-Blucher, Langeron et Sacken se précipitèrent sur le faubourg de Halle,
-et on chargea le général d'York qui s'était reposé la veille, de se
-porter par le nord sur les rives de l'Elster et de la Pleisse, pour
-contrarier autant que possible le défilé de nos colonnes. Mais partout
-les coalisés rencontrèrent une résistance opiniâtre. Nos soldats
-étaient à leur tour aussi irrités que leurs adversaires, et se
-trouvaient autant humiliés de la prétention de les battre, que les
-Allemands l'avaient été de notre prétention de les dominer. Fiers de
-leur conduite dans ces journées, ils avaient le sentiment du malheur
-non celui de la défaite, et étaient décidés à faire payer cher leur
-retraite ou leur vie. Au nord et à l'est de Leipzig, dans le faubourg
-de Halle, les restes des 7e, 3e et 6e corps repoussèrent
-vigoureusement les troupes de Sacken et de Langeron. Ces braves gens
-postés dans un vaste bâtiment, tuèrent plus de deux à trois mille
-hommes avant de l'évacuer, et même quelques compagnies légères du 6e
-corps fondant par la porte de Halle sur les troupes qui attaquaient le
-bâtiment, en firent un épouvantable carnage. Marmont avec une division
-du 6e corps et une du 3e défendit la face de l'est contre Bulow, et
-quelques têtes de colonnes ayant pénétré dans la ville, il lança sur
-elles le 142e de ligne et le 23e léger, qui les massacrèrent presque
-entièrement. Macdonald, Lauriston, Poniatowski avec leurs troupes
-exaspérées, reçurent de même les colonnes ennemies qui se présentèrent
-devant les faubourgs du sud. Partout l'impatience des vainqueurs fut
-cruellement punie, et avec peu de pertes nous fîmes essuyer aux
-coalisés un immense dommage. Toutefois il fallait renoncer à soutenir
-longtemps ce combat, par l'impuissance non pas de résister, mais de
-concerter nos mouvements. Dans l'impossibilité de communiquer d'une
-rue à l'autre, et de discerner la direction des feux au milieu d'une
-effroyable canonnade qui embrassait les quatre faces de la ville, on
-ne savait pas si partout la résistance était également heureuse, et si
-on ne s'exposait pas, en tenant trop longtemps, à être devancé au pont
-par l'ennemi victorieux. Quelques Saxons et Badois restés dans
-l'intérieur de la ville, et tirant sur nos soldats en retraite,
-ajoutaient à la confusion. Dans les rangs de Marmont, c'est-à-dire
-vers l'est, on crut que du côté de Macdonald et de Lauriston,
-c'est-à-dire vers le sud, la ligne des faubourgs avait été forcée;
-vers ces deux côtés on crut la même chose pour le nord, où
-combattaient Reynier et Dombrowski. Dans cette crainte on se mit
-presque simultanément en retraite, en débouchant sur les boulevards
-qui séparaient les faubourgs de la ville. La presse alors y devint
-aussi grande que sur le pont. De chaque rue des faubourgs il arrivait
-des colonnes qui se repliaient en combattant, et qui venaient ajouter
-à l'encombrement, à tel point que l'ennemi lui-même, avec ses
-baïonnettes, n'aurait pas pu s'y faire jour. Le maréchal Marmont,
-obligé à son tour de se retirer, eut une peine extrême à pénétrer dans
-l'épaisseur de cette foule qui remplissait les boulevards.
-Heureusement pour lui quelques officiers de son corps l'ayant reconnu,
-saisirent la bride de son cheval, et lui faisant place à coups de
-sabre, l'introduisirent dans le torrent serré qui s'écoulait lentement
-vers les ponts.
-
-[Illustration: Poniatowski.]
-
-[En marge: Catastrophe du pont de Leipzig.]
-
-[En marge: Le colonel Montfort, qui avait mission de détruire les
-ponts, veut aller prendre l'ordre de l'Empereur, lorsqu'un caporal
-chargé de mettre le feu à la mine croit voir arriver l'ennemi, et fait
-sauter le pont.]
-
-[En marge: État lamentable de vingt mille soldats, privés de tout
-moyen de retraite.]
-
-[En marge: Mort de Poniatowski.]
-
-[En marge: Macdonald sauvé par miracle.]
-
-[En marge: Reynier et Lauriston faits prisonniers.]
-
-[En marge: Accueil plein de courtoisie de l'empereur Alexandre au
-général Lauriston.]
-
-[En marge: Dureté de l'empereur Alexandre à l'égard du roi de Saxe.]
-
-On en était là de cette épouvantable évacuation de Leipzig, lorsqu'une
-subite catastrophe, trop facile à prévoir, vint jeter le désespoir
-parmi ceux qui pour le salut commun s'étaient dévoués à la défense des
-faubourgs de Leipzig. On avait ordonné au colonel du génie Montfort de
-miner la première arche de ce pont continu, qui est tantôt un pont
-tantôt une levée de terrain, et embrasse, avons-nous dit, les bras
-nombreux de la Pleisse et de l'Elster. Cette arche était située à
-l'extrémité de Leipzig qui correspond à Lindenau, et construite sur le
-principal bras de l'Elster. Le colonel Montfort l'avait minée, et y
-avait placé quelques sapeurs avec un caporal qui attendaient le signal
-la mèche à la main. Mais sa perplexité était grande, car du côté du
-faubourg de Halle on entendait à travers les bois qui couvrent cette
-partie des environs de la ville, la fusillade se rapprocher. À tout
-moment on s'attendait à voir l'ennemi déboucher pêle-mêle avec nos
-soldats, et on ignorait si au delà il ne restait pas d'autres troupes
-françaises encore occupées à combattre. Aussi le colonel Montfort
-demandait-il à tout venant s'il y avait encore plusieurs corps en
-arrière, dans quel ordre ils se succédaient, quel serait le dernier,
-et chacun sachant à peine ce qui s'était passé immédiatement sous ses
-yeux, était incapable de répondre. Dans cet embarras, le colonel
-imagina de se rendre à l'autre bout du pont, c'est-à-dire à Lindenau,
-où était Napoléon, pour obtenir qu'on l'éclairât sur ce qu'il devait
-faire, et, en s'éloignant pour un instant, il prescrivit au caporal
-des sapeurs de ne mettre le feu à la mine que lorsqu'au lieu des
-Français il verrait paraître les ennemis. À peine avait-il fait
-quelques pas à travers la foule épaisse qui encombrait le pont, qu'il
-s'aperçut de l'impossibilité d'aller jusqu'à Napoléon et de revenir.
-Il voulut rebrousser chemin vers son poste, vains efforts! Au pont
-qu'il avait quitté se passait la scène la plus tumultueuse. Quelques
-troupes de Blucher poursuivant les débris du corps de Reynier à
-travers le faubourg de Halle, se montrèrent aux abords du pont
-pêle-mêle avec les soldats du 7e corps. À cet aspect, des voix
-épouvantées se mirent à crier: Mettez le feu, mettez le feu!--Le
-caporal, auquel de toutes parts on répétait qu'il fallait détruire
-le pont, crut le moment venu, et mit le feu à la mine! Une
-épouvantable explosion retentit aussitôt; les débris du pont, volant
-dans les airs et retombant sur les deux rives, y firent des victimes
-des deux côtés. Mais cette déplorable erreur eut en quelques instants
-de bien autres conséquences. Reynier avec un reste du 7e corps,
-Poniatowski avec ce qui avait survécu de ses Polonais, Lauriston,
-Macdonald avec les débris des 5e et 11e corps, étaient encore sur les
-boulevards de Leipzig, pressés entre deux cent mille ennemis et
-plusieurs bras de rivières sur lesquels les moyens de passage étaient
-détruits. Plus de vingt mille de nos soldats avec leurs généraux
-étaient ainsi condamnés ou à périr, ou à devenir les prisonniers d'un
-ennemi que l'exaspération de cette guerre rendait inhumain. Ils se
-crurent trahis, exhalèrent des cris de fureur, et dans les
-alternatives d'une sorte de désespoir, tantôt se ruaient baïonnette
-baissée sur ceux qui les poursuivaient, tantôt revenaient vers la
-Pleisse et l'Elster pour franchir ces rivières à la nage. Après une
-mêlée confuse et sanglante, les uns se rendirent, les autres se
-jetèrent dans les rivières, un certain nombre réussit à les passer à
-la nage, beaucoup furent emportés par la force des eaux. Les généraux
-commandants, parmi lesquels il y avait deux maréchaux, ne voulaient
-pas laisser de si beaux trophées à l'ennemi, et ils cherchèrent à se
-sauver. Poniatowski, fait maréchal la veille par Napoléon, pour prix
-de son héroïsme, n'hésita pas à lancer son cheval dans l'Elster.
-Parvenu à l'autre bord, mais le trouvant escarpé, et chancelant par
-suite de plusieurs blessures, il disparut dans les eaux, enseveli dans
-sa gloire, la chute de sa patrie et la nôtre. Macdonald ayant suivi
-son exemple, atteignit la rive opposée, y trouva des soldats qui
-l'aidèrent à la gravir, et fut sauvé. Reynier et Lauriston, entourés
-avant qu'ils pussent tenter de s'enfuir, furent conduits devant les
-souverains de Russie, de Prusse et d'Autriche, en présence desquels
-ils n'avaient longtemps paru qu'en vainqueurs. Alexandre, en
-reconnaissant le général Lauriston, ce sage ambassadeur qui avait fait
-tant d'efforts pour empêcher la guerre de 1812, lui tendit la main en
-lui reprochant d'avoir cherché à se soustraire à son estime. Il fit
-traiter avec égard les généraux français devenus ses prisonniers,
-dissimula pour eux son orgueil profondément satisfait, mais voulut
-qu'ils assistassent à tout l'éclat de son triomphe. En effet, les
-généraux, les princes victorieux étaient réunis sur la principale
-place de la ville, se félicitant les uns les autres, se complimentant
-réciproquement de ce qu'ils avaient fait, en présence des habitants de
-Leipzig qui, pâles encore de la terreur de ces trois jours, sortaient
-des caves de leurs maisons, et poussaient des acclamations en
-l'honneur des souverains libérateurs. Au milieu de ces personnages
-agités se faisait remarquer Bernadotte, persuadé qu'il avait à lui
-seul décidé la victoire en arrivant le dernier, étant seul à le
-croire, mais bien accueilli par Alexandre, qui, dans sa politique
-raffinée, tenait à garder sous son influence le futur souverain de la
-Suède. Tandis qu'Alexandre accueillait si bien ce Français combattant
-contre la France, il se montrait bien dur à l'égard d'un prince
-allemand, qu'il appelait injustement traître envers l'Allemagne. Ce
-prince était l'infortuné roi de Saxe. Deux fois depuis le matin, des
-officiers étaient venus de sa part demander un moment d'entretien, et
-ils avaient été repoussés. En ce moment il y en avait un troisième
-qui, le chapeau à la main, suppliait Alexandre de permettre au vieux
-roi de lui offrir ses hommages. Ce malheureux monarque était à
-quelques pas de là, tête nue, implorant vainement un regard du
-vainqueur. Napoléon, il faut le reconnaître, plus habitué à la
-victoire, avait mieux traité les rois vaincus. Alexandre, cédant à un
-sentiment peu digne de lui, fit dire au roi de Saxe qu'il ne voulait
-point le voir, qu'il était pris les armes à la main, et dès lors
-prisonnier de guerre; que les souverains alliés décideraient de son
-sort, et lui feraient notifier leur décision. Ainsi, en nous
-abandonnant sur le champ de bataille, les soldats saxons n'avaient pas
-même acheté le pardon de leur roi!
-
-[En marge: Pertes des deux armées aux quatre journées de Leipzig.]
-
-Revenons à l'armée française, se retirant mutilée à travers les bras
-nombreux de la Pleisse et de l'Elster, et laissant encore dans cette
-journée vingt mille de ses soldats, ou prisonniers, ou expirants dans
-les rues de Leipzig, ou noyés dans les eaux ensanglantées de la
-Pleisse et de l'Elster! Cette dernière des quatre journées néfastes de
-Leipzig porta les pertes de l'armée française en morts, blessés,
-prisonniers, noyés ou égarés, à soixante mille hommes environ.
-L'ennemi n'avait pas perdu moins en hommes atteints par le feu; mais
-ses blessés allaient recevoir tous les soins du patriotisme allemand
-reconnaissant: les nôtres, qu'allaient-ils devenir?
-
-Napoléon avait entendu de Lindenau où il était, une violente
-explosion; il en connut bientôt la cause et les conséquences, se
-montra fort courroucé contre tous ceux auxquels on pouvait imputer ce
-funeste accident, et affecta de vouloir trouver des coupables, quand
-il n'y en avait point, et quand, s'il y en avait un, c'était lui,
-l'auteur de cette horrible guerre!
-
-[En marge: Caractère de la campagne de Saxe, et causes véritables de
-nos revers.]
-
-Telle fut cette longue et tragique bataille de Leipzig, l'une des plus
-sanglantes et certainement la plus grande de tous les siècles, et qui
-termina si désastreusement la campagne de Saxe, commencée d'une
-manière si heureuse à Lutzen et à Bautzen. Sans doute on se demandera
-comment après de si profonds calculs, de si savantes manoeuvres, de si
-hautes espérances, Napoléon put être conduit à une pareille
-catastrophe, et on ne le comprendra en effet qu'en se rendant un
-compte exact de tous les mobiles qui le firent agir, et tournèrent en
-affreux revers des conceptions qui étaient au nombre des plus belles
-de sa vie. Qu'on suppose un général moins grand, mais placé dans une
-situation simple, n'ayant ni toute une fortune prodigieuse à refaire
-d'un seul coup, ni cent motifs d'orgueil pour se dissimuler la vérité,
-n'étant pas non plus habitué à chercher dans des combinaisons hardies
-et compliquées des résultats extraordinaires, il eût certainement agi
-autrement, et très-probablement s'il n'avait pas obtenu d'éclatants
-succès, il aurait au moins évité un désastre. À la première menace
-d'un mouvement sur ses derrières, ou par l'Elbe inférieur ou par la
-Bohême, il aurait, sans perdre un instant, décampé de Dresde, en n'y
-laissant que les malades impossibles à transporter. Il aurait pu
-amener ainsi, outre les 200 mille nommes qui lui restaient à cette
-époque, les 30 mille laissés dans Dresde, vraisemblablement aussi les
-30 mille de Meissen, Torgau, Wittenberg, et rejoindre la Saale en une
-masse compacte, que les marches excessives ni les détachements obligés
-sur l'Elbe n'auraient point affaiblie. Si, dans cette situation, l'une
-des deux armées ennemies, celle de Bohême ou celle de l'Elbe, avait
-commis la faute de devancer l'autre d'un jour à Leipzig, il l'eût
-accablée, et se serait ensuite rabattu sur la seconde. Supposez que
-l'occasion d'un tel triomphe ne lui eût pas été offerte, il aurait au
-moins regagné sain et sauf les bords de la Saale, et si cette ligne
-qui est courte, facile à déborder de tous les côtés, n'avait pu être
-défendue, il aurait sagement repris le chemin du Rhin, et par des
-instructions adressées à temps à toutes les garnisons des places de
-l'Elbe inférieur, il leur aurait prescrit de se replier les unes sur
-les autres jusqu'à Hambourg, où certainement elles auraient pu
-parvenir sans accident, l'ennemi étant attiré tout entier à la suite
-de la grande armée. Elles auraient formé ainsi avec le maréchal Davout
-une belle armée de 80 mille hommes, qui aurait rejoint le Rhin par
-Wesel, et dès lors près de 300 mille soldats en bon état se seraient
-retrouvés sur la frontière de l'Empire, et y auraient opposé à
-l'invasion une barrière invincible! Mais Napoléon, par caractère, par
-orgueil, par habitude et besoin de résultats extraordinaires, s'était
-rendu impossible une conduite aussi simple.
-
-À la nouvelle d'une double marche de ses ennemis sur Leipzig, les uns
-descendant de la Bohême, les autres remontant de l'Elbe le long de la
-Mulde, il ne songea pas un instant à sa sûreté. Habitué à les voir se
-dérober sans cesse, il n'eut qu'une crainte, c'est qu'ils pussent lui
-échapper encore, et au lieu d'aller droit à Leipzig, par le chemin
-direct, ce qui lui aurait sauvé douze ou quinze mille soldats laissés
-au milieu des boues de l'automne, il descendit l'Elbe dans la
-direction de Düben, pour saisir à coup sûr Blucher et Bernadotte,
-toujours convaincu dans son orgueil qu'on était beaucoup plus disposé
-à le fuir qu'à le combattre. À peine en marche, et toujours en quête
-de combinaisons qui pussent procurer de vastes résultats, il imagina
-de se jeter sur les traces de Blucher et de Bernadotte, de les suivre
-à outrance au delà de l'Elbe, de les refouler sur la roule de Berlin,
-puis de remonter par la rive droite l'Elbe jusqu'à Torgau ou Dresde,
-de passer ce fleuve de nouveau sur ces points, et de tomber à
-l'improviste sur les derrières de l'armée descendue de Bohême. Certes
-la combinaison était aussi profonde qu'audacieuse, et avec les
-soldats, l'ardeur et la fortune d'Austerlitz, elle devait amener des
-résultats prodigieux. Mais pour cette espérance chimérique, il fallait
-se résigner à laisser 30 mille hommes à Dresde, et Napoléon les y
-laissa. Arrivé à Düben, sur la basse Mulde, il put bientôt
-s'apercevoir que loin de vouloir fuir, Blucher et Bernadotte
-cherchaient à le gagner de vitesse sur Leipzig, pour s'y réunir à
-Schwarzenberg, et l'accabler. Il prit son parti sur-le-champ,
-rebroussa chemin vers cette ville, et avec la sûreté ordinaire de son
-coup d'oeil se plaça de la seule manière propre à empêcher la réunion
-de ses ennemis. Mais il revenait à Leipzig après une marche inutile de
-cinquante lieues, qui avait épuisé ses soldats et fort diminué leur
-nombre; il revenait privé de trente mille combattants laissés à
-Dresde, d'une quantité égale laissée à Wittenberg, Torgau, Meissen, et
-il marchait en une longue colonne, dont un tiers au moins ne pouvait
-pas assister à la première et à la plus décisive bataille. Obligé de
-faire face à tous ses ennemis, non pas présents mais pouvant l'être,
-il lui fut impossible le 16 d'amener Bertrand et Ney à lui, de les
-jeter avec Macdonald sur le flanc droit de Schwarzenberg pour accabler
-ce dernier, et dès lors n'étant pas vainqueur d'une manière
-foudroyante le premier jour, il se vit tout à coup dans une position
-affreuse, où il était condamné à succomber les jours suivants sous une
-écrasante réunion de forces. Prendre sur-le-champ le parti de la
-retraite, l'exécuter sinon le 17, puisqu'il attendait encore Reynier,
-du moins dans la nuit du 17 au 18, regagner au plus tôt par Lindenau,
-Lutzen et Weissenfels, ses communications menacées, établir pour cela
-les ponts nécessaires sur la Pleisse et l'Elster, était la seule
-conduite à tenir, la conduite simple du capitaine sage, plus occupé de
-sauver son armée que de conserver son prestige. Mais faire une
-retraite fière, imposante, en plein jour, en se ruant sur l'ennemi qui
-oserait être pressant, afin non pas de se sauver, mais de garder
-l'attitude du victorieux, fut, et devait être la pensée du conquérant
-longtemps gâté par la fortune, du conquérant qui ne sut pas sortir de
-Moscou à temps, et il s'ensuivit la funeste bataille du 18, et la
-retraite plus funeste encore du 19, exécutée avec un seul pont. La
-confusion inévitable qui s'introduisit au dernier moment dans les
-choses ainsi conduites, amena l'explosion du pont de l'Elster, qui
-marqua du sceau de la fatalité cette effroyable bataille de quatre
-jours.
-
-Ce résumé des faits montre donc la vraie cause de tous les malheurs
-que nous venons de raconter. Ce n'est pas plus ici qu'à Moscou dans
-l'affaiblissement des talents du capitaine qu'il faut chercher la
-cause de si déplorables résultats, car le capitaine ne fut jamais ni
-plus fécond, ni plus audacieux, ni plus tenace, ni plus soldat, mais
-dans les illusions de l'orgueil, dans le besoin de regagner d'un coup
-une immense fortune perdue, dans la difficulté de s'avouer assez vite
-sa défaite, dans tous les vices, en un mot, qu'on aperçoit en petit et
-en laid chez le joueur ordinaire, risquant follement des richesses
-follement acquises, et qu'on retrouve en grand et en horrible chez ce
-joueur gigantesque qui joue avec le sang des hommes, comme d'autres
-avec leur argent. De même que les joueurs perdent leur fortune en deux
-fois, une première pour ne pas savoir la borner, une seconde pour
-vouloir la rétablir d'un seul coup, de même Napoléon compromit la
-sienne à Moscou pour la vouloir faire trop grande, et dans la campagne
-de Dresde pour la vouloir refaire tout entière. C'était toujours
-l'action des mêmes causes, l'altération non du génie, mais du
-caractère gâté par la toute-puissance et le succès.
-
-[En marge: Après les tragiques événements de Leipzig, une prompte
-retraite sur le Rhin était le seul parti à prendre.]
-
-À la suite de tels revers, retourner immédiatement sur le Rhin était
-la seule ressource qui restât à Napoléon. Après avoir eu 360 mille
-hommes de troupes actives à la reprise des hostilités, sans compter
-les garnisons, après en avoir eu 250 mille encore deux semaines
-auparavant, et en avoir laissé 30 mille à Dresde, un nombre peut-être
-égal sur la route de Dresde à Düben, de Düben à Leipzig, après en
-avoir perdu 60 à 70 mille dans les diverses batailles de Leipzig et un
-nombre qu'on ne peut guère préciser par la défection des alliés, il en
-conservait 100 à 110 mille tout au plus, dans l'état le plus
-déplorable. La seule chose qu'il eût encore en quantité considérable
-et en excellente qualité, mais malheureusement difficile à ramener,
-c'était l'artillerie. Il en avait une très-belle, très-bien servie,
-qui avait toujours mis son honneur à sauver ses canons, et n'avait
-perdu que ceux que la destruction du pont de l'Elster avait empêché de
-transporter à temps d'une rive à l'autre. Ce qui restait d'artillerie
-était le double en proportion de ce qui restait de soldats. Si c'était
-un embarras, c'était au moins une ressource et des plus précieuses
-dans un jour de combat.
-
-[En marge: Marche de l'armée sur la Saale.]
-
-Napoléon passa autour de Lutzen la nuit du 19 au 20 octobre avec les
-débris de son armée. Bertrand et Mortier avaient culbuté Giulay, et
-parvenus à Weissenfels s'étaient assuré la possession de la Saale. Le
-20 au matin Napoléon courut à Weissenfels pour diriger lui-même la
-retraite, et devancer tous les corps ennemis aux passages essentiels.
-Si on suivait à gauche (gauche en retournant vers le Rhin) la grande
-route de Weissenfels à Naumbourg et Iéna, on rencontrait le fameux
-défilé de Kosen, où le maréchal Davout s'était couvert de gloire en
-défendant la plaine d'Awerstaedt, et où l'on était exposé à trouver
-Giulay qui, repoussé par Bertrand et Mortier, pouvait bien aller y
-chercher une revanche. Napoléon, dont le malheur n'avait pas troublé
-la prévoyance, imagina de faire un détour à droite, et au lieu de
-passer la Saale à Naumbourg, de la traverser à Weissenfels, dont on
-possédait les ponts, de gagner ensuite Freybourg pour y franchir
-l'Unstrutt, de déboucher de là dans la plaine de Weimar et d'Erfurt,
-tandis que Bertrand porté rapidement par un mouvement à gauche sur le
-défilé de Kosen, tâcherait d'y prévenir l'ennemi, et de s'y défendre
-le plus longtemps possible contre la grande armée de Schwarzenberg. Ce
-plan de marche à peine conçu, Napoléon en ordonna l'exécution.
-Bertrand dont le 4e corps avait été augmenté comme on l'a vu de la
-division Guilleminot, fut acheminé tout de suite sur Freybourg, avec
-Mortier qui commandait deux divisions de la jeune garde, avec la
-cavalerie légère de Lefebvre-Desnoëttes, avec le 2e de cavalerie du
-général Sébastiani. Cette nombreuse cavalerie, battant partout
-l'estrade et sabrant les Cosaques, devait précéder et flanquer
-l'avant-garde, puis, lorsqu'on serait rendu à Freybourg, et qu'on
-aurait occupé la ville et les ponts sur l'Unstrutt, Bertrand devait
-courir à Kosen, et Mortier rester à Freybourg pour protéger le passage
-de l'armée.
-
-Ces ordres furent ponctuellement exécutés. Bertrand arriva le 21 au
-soir à Freybourg avec les divers corps qui escortaient sa marche. Il
-n'y avait dans cette ville que quelques troupes légères ennemies que
-l'on expulsa. On s'empara d'un pont de pierre sur l'Unstrutt, solide
-mais étroit. On en jeta un en charpente dans la nuit, pour faciliter
-le passage de l'armée, et tandis que Mortier se livrait à ces soins,
-Bertrand gravissant les hauteurs à gauche alla prendre position à
-Kosen. Il y parvint avant l'ennemi.
-
-[En marge: Le 21, l'armée passe la Saale à Weissenfels.]
-
-Ces mesures résolues à temps et exécutées avec vigueur, eurent le
-résultat qu'on devait en attendre. L'armée après s'être écoulée à
-travers les plaines de Lutzen, arriva le 21 au soir à Weissenfels, où
-elle franchit la Saale sans être poursuivie par d'autres troupes que
-les coureurs de l'ennemi. Schwarzenberg et Bernadotte étaient restés
-dans Leipzig, l'un à refaire son armée épuisée par trois batailles,
-l'autre à passer des revues. Giulay seul avait marché par la route de
-Naumbourg et de Kosen. De l'infatigable armée de Silésie, il n'y avait
-que le corps du général d'York qui eût pu nous suivre, et les moyens
-de passage sur la Pleisse et l'Elster ayant été détruits à Leipzig,
-Blucher lui-même avait été obligé de faire un détour, et de descendre
-fort au-dessous de Leipzig pour traverser ces rivières. Nous l'avions
-à notre droite, mais en arrière, tandis qu'à notre gauche nous
-n'avions que Giulay, lequel pour nous atteindre était réduit à forcer
-le défilé de Kosen.
-
-[En marge: Le 21 au soir l'armée arrive à Freybourg, et commence à y
-passer l'Unstrutt.]
-
-[En marge: La débandade s'introduit de nouveau parmi nos troupes,
-ainsi qu'il était arrivé dans la retraite de Russie.]
-
-[En marge: Oudinot défend énergiquement l'Unstrutt le 22, et donne à
-toute l'armée le temps de défiler.]
-
-[En marge: Le général Bertrand, de son côté, défend vaillamment les
-défilés de Kosen.]
-
-La Saale franchie le 21, l'armée alla coucher à Freybourg, où, comme
-on vient de le voir, les moyens de passer l'Unstrutt avaient été
-préparés. Les quelques mille prisonniers que Napoléon avait voulu
-mener avec lui, avaient été délivrés par la cavalerie ennemie. C'était
-un désagrément d'amour-propre bien plus qu'une perte véritable, mais
-qui prouvait par quelles masses de troupes à cheval nous étions
-poursuivis, car nous avions subi cet affront entre Bertrand, Mortier,
-Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes. Cette cavalerie avait peu
-d'inconvénients contre les corps organisés, mais la débandade qu'on
-avait vue recommencer dans les corps de Macdonald, d'Oudinot et de
-Ney, à la suite des revers de la Katzbach, de Gross-Beeren, de
-Dennewitz, était devenue très-générale dans l'armée après
-l'épouvantable bataille de Leipzig. Le premier prétexte à la sortie
-des rangs, c'étaient les blessures légères qui obligeaient de marcher
-sans armes à la queue des colonnes; le second c'était la faim qui
-autorisait à courir çà et là pour trouver des vivres. Sorti des rangs,
-on n'y rentrait plus. Les habitudes militaires étaient en effet trop
-récentes chez nos jeunes soldats pour qu'ils pussent s'éloigner du
-drapeau impunément. Une fois le cadre quitté, le dépit, la souffrance,
-le goût de la maraude, le penchant naturel à s'épargner de nouveaux
-dangers, empêchaient d'y revenir. Sur les 100 à 110 mille hommes que
-Napoléon possédait encore, il y en avait plus de 20 mille qui, les uns
-portant le bras en écharpe, les autres boitant, la plupart se disant
-blessés sans l'être, ou alléguant la perte de leurs armes qu'ils
-avaient jetées, marchaient entre les colonnes armées, ou à leur
-suite, se répandaient le soir dans les villages qu'ils pillaient, et
-sans rendre aucun service dévoraient les ressources dont auraient pu
-vivre les corps organisés. Ce qu'il y avait de pis encore, c'était
-l'exemple qui menaçait de devenir contagieux, et contre lequel les
-répressions de la cavalerie étaient impuissantes. La bravoure n'avait
-pas fléchi un moment chez ces jeunes gens, mais les habitudes
-militaires trop peu enracinées, n'avaient pas tenu contre une grande
-défaite, et ils avaient presque oublié qu'ils étaient soldats. La
-cavalerie qui ordinairement poursuit ce genre de vice, et le réprime,
-en était atteinte elle-même, et on voyait dans la masse débandée des
-cavaliers à pied, quelques-uns même à cheval. C'est sur cette portion
-de l'armée que les coureurs de l'ennemi avaient surtout prise. Ils
-dispersaient ces maraudeurs comme de timides bandes d'oiseaux, et les
-ramassaient en grand nombre, ce qui fournissait à la coalition
-l'occasion de dire qu'elle avait fait des milliers de prisonniers. Des
-canons abandonnés faute de chevaux, ou des maraudeurs enlevés dans les
-villages, lui procuraient de prétendus trophées, bien plus
-dommageables pour nous que véritablement glorieux pour elle. Il fallut
-employer toute la nuit du 21 et la journée du 22 pour faire écouler
-cette masse d'hommes, armés et désarmés, par les deux ponts de
-Freybourg. On y réussit pourtant, moyennant la résistance énergique
-que le maréchal Oudinot opposa sur les bords de l'Unstrutt aux
-Prussiens du corps d'York. Ce maréchal depuis Leipzig avait protégé la
-retraite avec deux divisions de la jeune garde, tandis que Mortier
-avec les deux autres et Bertrand avec le 4e corps étaient chargés
-d'ouvrir la route. Oudinot perdit quelques centaines d'hommes dans ce
-combat opiniâtre, mais en tua beaucoup plus au corps prussien d'York.
-Il ne quitta ce poste que lorsque toute l'armée eut défilé. Sur ces
-entrefaites, le général Bertrand arrivé à temps à Kosen pour y
-prévenir Giulay, lui avait livré un combat violent, le dos tourné vers
-Awerstaedt, et le front vers la Saale. Pendant une journée entière il
-fut assailli par les Autrichiens, et autant de fois il fut attaqué par
-eux, autant de fois il les repoussa avec la vaillante division
-Guilleminot, et les précipita des hauteurs de Kosen dans les gorges
-profondes de la Saale. Lorsque Bertrand sut qu'Oudinot avait évacué
-Freybourg, et que toutes nos colonnes avaient défilé sur Erfurt, il
-abandonna son poste, craignant que l'ennemi ne le devançât, et ne le
-coupât du reste de l'armée en allant passer la Saale à Iéna. Le 22 au
-soir on campa dans divers villages entre Apolda, Buttelstedt et
-Weimar. Le 23 toute l'armée fut réunie aux environs d'Erfurt, la
-cavalerie battant le pays autour d'elle pour la protéger contre les
-Cosaques.
-
-[En marge: Napoléon s'arrête à Erfurt et y donne trois jours de repos
-à l'armée.]
-
-[En marge: Réorganisation de quelques-uns des corps de l'armée.]
-
-Napoléon à Erfurt voulut, appuyé sur cette place qui contenait de
-grandes ressources, donner deux ou trois jours de répit à l'armée.
-Elle en avait un extrême besoin, soit pour se reposer, soit pour
-remettre un peu d'ordre dans ses rangs. Il y avait à Erfurt beaucoup
-de détachements venus en bataillons et escadrons de marche; il y avait
-en abondance des vêtements, des souliers, des vivres et des munitions
-de guerre. On répartit entre les différents corps les détachements qui
-se trouvaient à Erfurt, et que la difficulté des communications avait
-empêché de diriger sur l'Elbe. Le corps d'Augereau réduit à la seule
-division Semelé et à 1600 hommes d'infanterie, au lieu de 8 mille
-qu'il comptait la veille de la bataille de Leipzig, fut par ce moyen
-reporté à 4 mille. Il dut marcher avec la division Durutte, seul reste
-du 7e corps. Les autres corps ne gagnèrent pas dans cette proportion,
-bien entendu, car c'était neuf à dix mille hommes tout au plus que
-pouvait fournir le dépôt d'Erfurt. On distribua les vêtements, les
-souliers, les vivres, on réapprovisionna les parcs de l'artillerie, et
-on essaya par l'appât des distributions de faire reprendre des fusils
-aux maraudeurs. Le succès sous ce rapport ne fut pas grand, car le
-vice de la maraude favorisé par la saison, le mauvais temps, l'âge de
-nos soldats, était déjà fort répandu.
-
-Napoléon profita de ces deux jours de loisir pour écrire à Paris, et
-faire part de sa situation aux principaux membres de son gouvernement.
-Tout en palliant ses revers, et cherchant pour les expliquer des
-causes imaginaires, il ne dissimulait pas les besoins, et réclamait,
-outre les 280 mille hommes déjà demandés, de nouvelles levées, mais en
-hommes faits, pris sur les conscriptions arriérées. «Je ne puis pas,
-disait-il, défendre la France avec des enfants... _Rien n'égale la
-bravoure de notre jeunesse, mais au premier événement douteux elle
-montre le caractère de son âge._»--Napoléon sans doute avait raison,
-mais des hommes faits qui auraient compté si peu de temps de présence
-au drapeau, et qu'on eût, pour leur début, soumis à de pareilles
-épreuves, ne les auraient pas beaucoup mieux supportées. Ils auraient
-seulement fourni moins de malades aux hôpitaux.
-
-De même qu'il demandait _des hommes et non des enfants_, Napoléon
-demandait des impôts, c'est-à-dire de l'argent, et ne voulait plus de
-papier bien ou mal hypothéqué sur les domaines de l'État. Il exigeait
-500 millions, au moyen de centimes de guerre ajoutés à tous les impôts
-directs et indirects. Les choses arrivées au point où elles étaient,
-il n'y avait certainement pas mieux à faire que ce qu'il proposait.
-
-[En marge: Départ de Murat; sa séparation affecte Napoléon qui
-n'espère plus le revoir.]
-
-Aux impressions douloureuses du moment vint s'ajouter le départ de
-Murat. Napoléon, tout en blâmant la légèreté de son beau-frère,
-admirait sa bravoure héroïque, son coup d'oeil sur le terrain, et de
-plus il était sensible à l'excellence de son coeur. Il savait ce qui
-s'était passé dans l'âme de Murat mieux que Murat lui-même; il savait
-tous les conflits auxquels le malheureux roi de Naples avait été en
-proie entre le désir de garder sa couronne et le désir d'être fidèle à
-son bienfaiteur. Murat alléguait pour partir la nécessité de défendre
-l'Italie menacée, l'espoir de fournir au prince Eugène trente mille
-Napolitains parfaitement organisés, l'utilité enfin de procurer aux
-armées française et italienne, en se mettant à leur tête, un chef bien
-autrement expérimenté que le prince Eugène. Napoléon admettait ces
-raisons, comme il admettait aussi que si la série des revers
-continuait, il se pourrait que Murat cédât à l'entraînement général,
-et imitât ces princes allemands nos alliés, qui pendant dix années
-gorgés par nous des richesses de l'Église allemande, prétendaient
-aujourd'hui qu'ils avaient été les victimes de la France. Mais
-Napoléon, malgré quelques illusions qu'il se faisait encore, malgré
-les derniers mensonges de ses flatteurs, sentait bien au fond de son
-coeur qu'il avait abusé et des choses et des hommes. Sachant se rendre
-justice, il la rendait aux autres, et entrevoyant la prochaine
-défection de Murat, il la lui pardonnait d'avance pour ainsi dire. En
-le quittant et en recevant ses protestations de fidélité comme
-très-sincères, il l'embrassa plusieurs fois avec une sorte de
-serrement de coeur. Il lui semblait en effet qu'il ne reverrait plus
-cet ancien compagnon d'armes d'Italie et d'Égypte! Hélas! si la
-prospérité aveugle, l'adversité au contraire procure en certains
-moments une étrange clairvoyance, et l'on dirait qu'alors, pour mettre
-le comble à la punition, la Providence rémunératrice lève tous les
-voiles de l'avenir! Napoléon quitta donc Murat comme s'il avait su
-qu'il ne devait plus le revoir. Murat partit regretté de toute
-l'armée, car dans cette campagne d'automne il s'était montré aussi
-habile que brave, et malgré les légèretés de détail qu'il commettait
-souvent, il avait rendu à nos armes d'immortels services.
-
-[En marge: Départ d'Erfurt.]
-
-[En marge: Napoléon apprend en quittant Erfurt la présence de l'armée
-bavaroise sur la route de Mayence.]
-
-[En marge: Événements de Bavière.]
-
-Il fallait décamper cependant, car de tous côtés les troupes des
-coalisés avançaient, et de plus on annonçait la présence d'un nouvel
-ennemi sur nos derrières, prêt à nous fermer le chemin de la France.
-Cet ennemi n'était autre que l'armée bavaroise, si longtemps notre
-compagne, et pressée de se faire pardonner sa longue alliance avec
-nous par une défection qui s'approchât le plus possible de celle de
-Bernadotte et des Saxons. Napoléon venait d'apprendre non-seulement la
-défection de la Bavière qu'il avait connue sommairement en arrivant à
-Leipzig, mais la manière dont cette défection avait été amenée. Voici
-ce qui s'était passé à Munich, pendant cette seconde partie de la
-campagne de Saxe.
-
-[En marge: Comment avait été amenée la défection de cette cour
-alliée.]
-
-[En marge: Conduite du général de Wrède.]
-
-Le roi, faible et assez attaché à Napoléon qui l'avait comblé de
-biens, secondé par un ministre spirituel et ambitieux qui avait
-cherché sa grandeur personnelle et celle de son pays dans l'alliance
-de la France, le roi était contrarié dans cette politique par sa
-femme, princesse vaine, entêtée, soeur de l'impératrice de Russie et
-de la reine déchue de Suède, ayant les passions de la feue reine de
-Prusse et quelque peu de sa beauté. Il était contrarié aussi par son
-fils, prince plus ami des arts que de la guerre, que Napoléon avait eu
-à son service et qu'il avait traité durement. La reine exerçait son
-opposition dans l'intérieur du palais. Le fils du roi, retiré à
-Inspruck, fomentait lui-même l'esprit insurrectionnel des Tyroliens
-contre la Bavière. Tant que la France avait été victorieuse, le roi
-avait souri des saillies aristocratiques de sa femme et de son fils,
-les laissant dire l'un et l'autre, et prenant ce que Napoléon lui
-donnait après chaque guerre, comme bon à prendre d'abord, et comme bon
-aussi à montrer, à titre de réponse, aux détracteurs de sa politique.
-Depuis Moscou, le doute élevé sur la puissance de Napoléon, le cri des
-populations, la nouvelle des pertes essuyées par les Bavarois, les
-suggestions de l'Autriche, la contagion de l'esprit germanique,
-avaient ébranlé le roi, que les victoires de Lutzen et de Bautzen
-avaient un moment raffermi. Mais la reprise des hostilités, le
-caractère tous les jours plus triste des événements, les pertes
-récentes du corps bavarois à la bataille de Dennewitz, mandées et
-exagérées à Munich, les efforts des trois cours d'Autriche, de Prusse
-et de Russie, avaient plus que jamais remis en question la fidélité de
-la Bavière à l'égard de la France. L'arrivée d'un nouveau personnage à
-Munich avait surtout contribué à rendre cette situation infiniment
-critique. Le général de Wrède, caractère bouillant et sans
-consistance, officier brave mais de peu de discernement, plein d'un
-amour-propre excessif, était revenu dans son pays profondément blessé
-des dédains du maréchal Saint-Cyr, sous lequel il avait servi pendant
-la campagne de la Dwina. Ayant apporté à Munich tous ses
-mécontentements et les ayant manifestés imprudemment, il s'était
-toutefois rapproché, comme son souverain, après Lutzen et Bautzen, et
-nous avait dévoilé lui-même le secret de la défection à demi consommée
-de la cour de Bavière, afin de rentrer en faveur auprès de Napoléon.
-M. d'Argenteau sentant le besoin de nous l'attacher, avait demandé
-pour lui le grand cordon de la Légion d'honneur, rendu vacant par la
-mort du respectable général Des Roys, et Napoléon, qui avait déjà
-donné au général de Wrède des titres et des richesses, n'avait pas cru
-devoir y ajouter cette dernière distinction. Le général de Wrède
-redevenu mécontent, était resté en Bavière, et avait acquis tout à
-coup une grande importance en obtenant le commandement de l'armée
-bavaroise placée sur l'Inn, en face de l'armée autrichienne du prince
-de Reuss. Si Augereau avec une vingtaine de mille hommes était venu le
-joindre sur l'Inn, on l'aurait maintenu, et M. d'Argenteau avait fort
-insisté pour qu'on prît cette précaution. Mais Napoléon avait eu
-besoin d'Augereau ailleurs, et les Bavarois n'étant ni soutenus ni
-contenus, avaient bientôt cédé au sentiment de tous les Allemands. Au
-lieu de tenir tête au prince de Reuss, le général de Wrède était entré
-en pourparlers avec lui. Les Autrichiens, au nom de la coalition,
-avaient promis au général de Wrède le commandement des deux armées
-bavaroise et autrichienne réunies sur l'Inn, et au roi la conservation
-de ses États, sauf un équivalent en population et en revenu pour les
-provinces qu'ils entendaient recouvrer, c'est-à-dire le Tyrol et les
-bords de l'Inn. M. de Mongelas lui-même, sentant qu'il ne pouvait se
-maintenir à son poste qu'en changeant bien vite de politique, avait
-accueilli les propositions des puissances coalisées, espérant que la
-Bavière conservant ses agrandissements, il conserverait sa situation.
-Seulement il avait changé, non comme change la force (ainsi qu'avait
-fait M. de Metternich), mais comme change la faiblesse, et il avait
-adhéré à la coalition sans même nous avertir. Il nous avait abandonnés
-en protestant toujours de sa fidélité. Le roi ayant contre lui sa
-femme, son fils, son peuple, son ministre, son général, n'était pas de
-caractère à résister à tant de contradicteurs, et quand on était venu
-lui dire que, sauf équivalent, il conserverait ses États, et surtout
-quand on avait ajouté que s'il refusait il fallait, comme en 1805,
-évacuer sa capitale devant l'armée autrichienne, pour aller se jeter
-dans les bras de Napoléon, non pas vainqueur mais vaincu, il n'avait
-plus hésité, et avait signé le 8 octobre un traité d'alliance
-offensive et défensive avec la coalition. Des transports de joie
-avaient éclaté à cette nouvelle dans toute la Bavière, et avaient
-confirmé sa résolution.
-
-[En marge: L'armée austro-bavaroise, forte de 60 mille hommes, vient
-se placer sur le Main pour couper la route de Mayence.]
-
-Rien n'était plus amené par des causes irrésistibles qu'un pareil
-changement, mais la décence voulait au moins que la Bavière, que nous
-avions si richement dotée, en nous quittant pour sa sûreté, laissât à
-d'autres pour son honneur, le soin de nous détruire. Il n'en fut point
-ainsi, et le gouvernement bavarois, afin de s'assurer sa rentrée en
-grâce auprès des souverains coalisés, le général de Wrède afin de
-s'assurer le bâton de maréchal, mirent grande hâte à porter l'armée
-austro-bavaroise de l'Inn sur le haut Danube, du Danube sur le Main.
-Cette armée composée par moitié d'Autrichiens et de Bavarois, et forte
-de 60 mille hommes, avait marché avec une telle rapidité, qu'on la
-disait déjà rendue à Wurzbourg, et prête à couper aux environs de
-Francfort la route de Mayence.
-
-À cette annonce Napoléon sourit de mépris, et du reste sentit l'erreur
-de sa politique à l'égard de l'Allemagne, politique qui, au lieu de se
-borner à un peu d'appui donné aux États secondaires, s'était étendue
-jusqu'à vouloir en faire des sujets de la France. Il se décida donc à
-quitter Erfurt pour prendre la route de Mayence. L'armée
-austro-bavaroise ne l'effrayait guère, mais ayant 200 mille hommes
-derrière lui, il devait compter les jours et les heures avec une
-extrême précision.
-
-[En marge: Distribution de l'armée française dans sa marche sur
-Mayence.]
-
-Après trois jours passés à Erfurt, il partit pour Eisenach afin de
-franchir avant les coalisés les défilés de la forêt de Thuringe. Le
-général Sébastiani avec le 2e corps de cavalerie, le général
-Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde et le 5e de
-cavalerie, formaient l'avant-garde, et couvraient les flancs de
-l'armée en battant la campagne à droite et à gauche. Les maréchaux
-Victor et Macdonald suivaient avec les débris des 2e et 11e corps;
-puis venait le maréchal Marmont qui réunissait sous ses ordres les
-débris des 6e, 5e et 3e corps, Durutte et Semelé qui conduisaient
-leurs divisions, uniques restes des 7e et 16e corps. Napoléon ayant
-sous la main la vieille garde, le 1er de cavalerie et la grosse
-cavalerie de la garde, formait le noyau principal de l'armée. Oudinot
-et Mortier avec les quatre divisions de la jeune garde, Bertrand avec
-le 4e corps, accru de la division Guilleminot, et le 4e de cavalerie,
-composaient l'arrière-garde. Le total de ces troupes ne montait pas à
-plus de 70 mille hommes ayant un fusil à l'épaule, tant la débandade
-s'était propagée de Leipzig à Erfurt. Venaient ensuite 30 à 40 mille
-hommes sans armes, toujours logés entre les corps organisés, les
-gênant dans le combat, dévorant leurs vivres au bivouac.
-
-[En marge: Mouvements des armées coalisées.]
-
-Les armées coalisées, après deux ou trois jours passés à Leipzig, et
-employés soit à triompher, soit à se remettre d'une lutte si rude,
-avaient été distribuées d'une manière nouvelle, et s'étaient ensuite
-dirigées vers leur destination ultérieure. Le général Klenau avait été
-renvoyé sur Dresde avec son corps, pour tâcher d'amener la reddition
-de cette place et des troupes françaises qui l'occupaient. Le général
-Tauenzien, déjà détaché de l'armée du Nord, avait été chargé de
-poursuivre la reddition de Torgau et de Wittenberg, et le général
-Benningsen, avec l'armée dite de Pologne, avait été expédié sur
-Magdebourg et Hambourg pour opérer le blocus, et, s'il était possible,
-la conquête de ces places. L'armée du Nord avait été acheminée sur
-Cassel afin d'achever, si elle n'était consommée déjà, la destruction
-de la monarchie du roi Jérôme. Elle devait ensuite revenir vers la
-Westphalie, le Hanovre, la Hollande. Enfin Blucher et le prince de
-Schwarzenberg, avec 160 mille hommes environ, s'étaient mis à la
-poursuite de l'armée de Napoléon qu'ils serraient de près dans
-l'espérance de le placer entre deux feux, de Wrède devant l'attaquer
-en tête, tandis qu'ils l'attaqueraient en queue. Blucher, élevé par
-son roi à la dignité de maréchal, et ayant mérité plus qu'aucun autre
-les récompenses de la coalition, avait été dirigé sur Eisenach, pour
-de là se rendre non sur Francfort mais sur Wetzlar, afin d'empêcher
-que Napoléon, coupé de la route de Mayence, ne se rejetât sur celle de
-Coblentz. La grande armée de Bohême, divisée en deux, devait marcher
-partie par Eisenach, Fulde, Francfort, sur Mayence, partie par Gotha,
-Smalkalden, Schweinfurt, sur Wurzbourg. C'étaient les Autrichiens que
-le prince de Schwarzenberg, par un calcul facile à deviner, envoyait
-sur Francfort, tandis qu'il envoyait sur Wurzbourg les Russes et les
-Prussiens. Bien que l'empereur François, ainsi que son habile
-ministre, eussent sagement renoncé à la couronne impériale germanique,
-cependant ils voulaient en Allemagne la suprématie sous une forme
-quelconque, et leur présence à Francfort, ville de l'élection
-impériale, pouvait y faire éclater des manifestations utiles, dont ils
-se serviraient pour recouvrer quelque chose de leur ancienne
-domination, ou pour faire valoir au moins leur désintéressement.
-
-La distribution des forces étant ainsi faite, chacun avait suivi
-l'armée française. En effet Sébastiani et Lefebvre-Desnoëttes avaient
-trouvé aux environs d'Eisenach quantité de Cosaques et de coureurs de
-toute espèce, tant à pied qu'à cheval, et les avaient dispersés, en
-les obligeant à se cacher dans la forêt de Thuringe. Les 26 et 27
-octobre l'armée elle-même avait défilé sans grande difficulté,
-pourtant l'arrière-garde d'Oudinot et de Mortier, composée de la jeune
-garde, s'était vue assaillir par l'impétueux Blucher, à qui elle avait
-résisté énergiquement. On avait perdu de part et d'autre un millier
-d'hommes, mais l'ennemi avait ramassé de nombreux traînards que, dans
-ses bulletins beaucoup plus inexacts que les nôtres, il présentait
-comme des prisonniers recueillis sur le champ de bataille.
-
-[En marge: Pertes de l'armée par suite de la débandade.]
-
-Le 26, Napoléon vint coucher à Vach, au delà des défilés de la
-Thuringe, le 27 à Hünfeld, le 28 à Schlüchtern. Une fois arrivés sur
-le versant de la forêt de Thuringe qui regarde vers le Rhin, nous
-fûmes poursuivis moins vivement, parce que Blucher s'était détourné à
-droite pour s'acheminer par Wetzlar sur le Rhin, et que les Prussiens
-et les Russes avaient pris à gauche pour se diriger sur Wurzbourg. Il
-n'y avait plus dès lors sur nos traces que les Autrichiens,
-vigoureusement contenus par Mortier, Oudinot et Bertrand. On avait
-surtout affaire aux Cosaques et en général à la cavalerie ennemie, qui
-nous causait, en ramassant les traînards, tout le mal qu'elle pouvait
-nous faire. Ce mal n'était, hélas! que trop grand, car la rapidité des
-marches et la difficulté de subsister faisaient sortir des rangs les
-hommes par milliers. La division Semelé, par exemple, qui après sa
-réorganisation à Erfurt comptait environ 4 mille hommes, était réduite
-de l'autre côté des montagnes de la Thuringe, à 1800. Les divisions de
-la jeune garde, atteintes elles-mêmes de cette contagion, étaient
-tombées de 3 mille hommes chacune après Leipzig, à moins de 2 mille.
-Les malades, les blessés, qui composaient à l'origine la population
-flottante et désarmée, avaient expiré sur les routes par la fatigue ou
-par la lance des Cosaques. Ils étaient remplacés par les affamés, les
-dégoûtés du service, les mauvais sujets, dont le nombre augmentait à
-vue d'oeil. Heureusement le froid n'était pas celui de Russie, et on
-approchait de Mayence, car les soldats de 1813, bien inférieurs à ceux
-de 1812, n'auraient certainement pas soutenu les mêmes épreuves.
-
-[En marge: Le général Préval envoyé à la rencontre de l'armée jusqu'à
-Francfort, recueille beaucoup de traînards.]
-
-[En marge: Le 29 octobre, le général de Wrède posté en avant de Hanau,
-s'attache à fermer la route de Mayence.]
-
-Dès le 27 octobre on apprit à Schlüchtern la présence du général de
-Wrède à Wurzbourg, occupé à canonner cette place que le général
-Thareau ne voulait pas rendre. Le général de Wrède n'avait qu'un pas à
-faire pour couper la route de Hanau à Mayence. On fit partir une
-avant-garde avec ce qu'on put réunir des traînards et des équipages,
-afin de se délivrer de ce qu'il y avait de plus embarrassant. Quelques
-troupes légères de l'armée bavaroise étaient déjà parvenues jusqu'à
-Hanau, petite place à demi fortifiée, au confluent de la Kinzig et du
-Main, qui domine de son canon la grande route de Mayence. Ces
-avant-gardes bavaroises n'étaient pas de force à intercepter la route,
-et d'ailleurs le général Préval, envoyé par le maréchal duc de Valmy à
-la rencontre de la grande armée, venait d'arriver à Francfort avec
-quatre à cinq mille hommes. Ce général avait pris position entre
-Francfort et Hanau sur la Nidda, afin que l'ennemi ne pût pas nous
-opposer l'obstacle de cette rivière et empêcher ainsi la grande armée
-de passer. Grâce à cette précaution nos soldats débandés, une fois
-Hanau franchi, rencontraient une force pour les recueillir et les
-protéger jusqu'à Mayence. Divers détachements défilèrent les 27 et 28
-octobre, obligeant à se replier dans Hanau les troupes légères de
-l'ennemi, et sauvant chaque fois quelques milliers d'écloppés, de
-malades ou de vagabonds. Il s'en écoula ainsi 15 à 18 mille; mais le
-29 la route se trouva entièrement fermée, car le général de Wrède,
-désespérant de vaincre la résistance du général Thareau, avait laissé
-un simple détachement pour bloquer Wurzbourg, et s'était porté à Hanau
-avec 60 mille hommes, moitié Bavarois, moitié Autrichiens. Arrivé là,
-il avait détaché une division sur Francfort, et s'était placé avec le
-gros de ses forces en avant de Hanau, dans la forêt de Lamboy, que
-traverse la grande route.
-
-[En marge: Le 30 au matin, Napoléon arrive devant Hanau.]
-
-[En marge: Ses forces à Hanau.]
-
-Le 29, Napoléon étant venu coucher à Langen-Sebold, apprit que la
-tête de l'armée était refoulée sur lui, et que les Austro-Bavarois au
-nombre de 50 à 60 mille hommes, avaient la prétention de lui barrer la
-route du Rhin. Indigné d'une telle impudence, mais n'en étant pas
-fâché, car il se proposait de faire sentir le poids de son indignation
-au téméraire qui venait se mettre sur son chemin, il résolut de hâter
-le pas dans la journée du 30, pour s'ouvrir lui-même le passage avec
-sa vieille garde. Ce n'était pas sur ses forces numériques qu'il
-comptait, mais sur le sentiment de ses soldats, car n'eussent-ils été
-que dix mille, ils auraient passé sur le corps de l'adversaire qui,
-leur allié si longtemps, se montrait si avide de leur sang et de leur
-liberté. Hélas! il ne nous restait pas plus de quarante à cinquante
-mille hommes sous les armes, tant la désorganisation allait croissant
-depuis les dernières marches, et de ces quarante à cinquante mille
-hommes, Napoléon n'en pouvait guère réunir plus d'un tiers sous sa
-main dans la journée du 30. Il n'avait à l'avant-garde que Sébastiani
-avec les 2e et 5e de cavalerie, Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie
-légère de la garde, ce qui faisait environ quatre mille chevaux,
-Macdonald et Victor avec cinq mille hommes d'infanterie, la vieille
-garde, forte de quatre mille grenadiers et chasseurs, la grosse
-cavalerie de la garde conservant deux à trois mille cavaliers montés,
-enfin la réserve d'artillerie de Drouot, en tout 16 à 17 mille hommes.
-Marmont avec les débris des 5e, 3e et 6e corps, Semelé, Durutte avec
-leurs divisions, Mortier, Oudinot avec la jeune garde, Bertrand avec
-le 4e, étaient en arrière, et ceux-ci à deux journées. Néanmoins
-Napoléon n'hésita pas à fondre sur l'armée bavaroise et à la faire
-repentir de sa témérité. Il importait de forcer le passage, pour ne
-pas laisser grossir et se consolider l'obstacle élevé sur nos pas.
-
-Le 30 au matin on partit de Langen-Sebold et on marcha sur Hanau.
-
-À quelque distance on rencontra la division d'avant-garde du général
-de Wrède, la division Lamotte, postée à Rückingen. On l'aborda
-brusquement et on la culbuta. On la suivit vivement, et on rencontra
-en avant de la forêt de Lamboy, à travers laquelle passe la grande
-route de Mayence, l'armée austro-bavaroise elle-même. Voici quelles
-avaient été les dispositions adoptées par le général de Wrède.
-
-[En marge: Description du champ de bataille de Hanau.]
-
-La forêt de Lamboy s'étendait de gauche à droite, de la Kinzig aux
-montagnes du pays de Darmstadt. Au delà de la forêt le terrain était
-découvert, mais on y trouvait l'obstacle de la Kinzig, petite rivière
-allant tomber dans le Main, et enveloppant avant d'y tomber la place
-de Hanau. La route, après avoir traversé la forêt dans sa profondeur,
-débouchait en plaine, atteignait la Kinzig près du point où cette
-rivière se réunit au Main, passait ensuite à droite sous le canon de
-Hanau, enfin continuait jusqu'à Francfort et Mayence, entre le Main et
-les montagnes. Le général de Wrède avait placé en avant et sur la
-lisière de la forêt soixante bouches à feu, bien servies et bien
-appuyées, avait rempli l'intérieur de la forêt d'une multitude de
-tirailleurs, et rangé son armée dans la plaine au delà, le dos à la
-Kinzig, la droite au pont de Lamboy sur la Kinzig, la gauche en avant
-de Hanau. Il s'était couvert par 10 mille hommes de cavalerie. Il
-disposait ainsi, défalcation faite de ce qu'il avait laissé sous
-Wurzbourg, et de ce qu'il avait détaché sur Francfort, de
-cinquante-deux mille hommes environ. Les coureurs de Thielmann et de
-Lichtenstein l'avaient rejoint.
-
-Napoléon accouru de sa personne à la tête de son avant-garde avait
-reconnu et jugé les dispositions de l'ennemi. Il n'avait sous la main
-que la cavalerie de l'avant-garde, et les cinq mille fantassins
-restant à Macdonald et à Victor. La vieille garde suivait.
-
-[En marge: Bataille de Hanau, livrée le 30 octobre.]
-
-[En marge: Malheureuses dispositions du général de Wrède.]
-
-Il fit ranger à droite sous le général Charpentier l'infanterie de
-Macdonald, à gauche sous le général Dubreton celle de Victor, et
-prescrivit à l'un et à l'autre de se répandre en tirailleurs dans les
-bois. Il se tint avec toute sa cavalerie sur la grande route et en
-présence de l'artillerie bavaroise, jusqu'à ce qu'il fût rejoint par
-l'artillerie de la garde. À peine le signal donné, nos adroits
-tirailleurs lancés dans la forêt y pénétrèrent avec la hardiesse et
-l'intelligence qui les distinguaient. Une fusillade multipliée
-éclatant dans la sombre épaisseur des bois, les éclaira bientôt de
-mille feux. Nos tirailleurs gagnèrent successivement du terrain sur le
-flanc des troupes qui soutenaient l'artillerie ennemie, et les
-obligèrent à rétrograder. Peu après une portion de notre artillerie
-ayant été amenée, canonna vivement celle des Bavarois qui était dénuée
-de l'appui de l'infanterie, et la contraignit à se replier. On poussa
-ainsi les Bavarois dans l'intérieur de la forêt, et on en traversa la
-plus grande partie à leur suite, en tiraillant toujours sur leurs
-flancs. Cependant la division Curial de la vieille garde ayant
-rejoint, Napoléon dirigea deux bataillons de cette division sur la
-colonne en retraite, et acheva de la rejeter de la forêt dans la
-plaine. Parvenu à la lisière des bois on aperçut cinquante mille
-hommes en bataille, le dos à la Kinzig, s'appuyant d'un côté au pont
-de Lamboy en face de notre gauche, et de l'autre à la ville de Hanau
-en face de notre droite. En avant se trouvait la belle et nombreuse
-cavalerie de l'ennemi. Napoléon, pour déboucher, attendit que toute
-son artillerie fût venue, ainsi que l'infanterie et la cavalerie de la
-vieille garde. Lorsque les Bavarois, qui avaient honorablement servi
-dans nos rangs, mais qui savaient ce qu'était la garde, la virent
-paraître en ligne, ils en furent profondément émus, surtout leur
-général de Wrède, qui comprit quelle faute il avait commise en se
-plaçant avec une rivière à dos devant de pareilles troupes. Il avait
-cru que la grande armée arriverait tellement talonnée par les
-coalisés, qu'il n'aurait plus que des prisonniers à recueillir.
-
-[En marge: Dispositions de Napoléon.]
-
-Napoléon en apercevant ces dispositions dit avec ironie: Pauvre de
-Wrède, j'ai pu le faire comte, mais je n'ai pu le faire
-général.--Sur-le-champ il rangea quatre-vingts bouches à feu de la
-garde à la lisière de la forêt, étendit à gauche les grands bonnets à
-poil de la division Friant, et à droite la cavalerie de Sébastiani, de
-Lefebvre-Desnoëttes, de Nansouty.
-
-[Illustration: Scène de bataille.]
-
-Après quelques instants d'une violente canonnade, il agit d'abord par
-sa droite et lança toute sa cavalerie sur celle du général de Wrède.
-Nos grenadiers, nos chasseurs à cheval de la garde, étaient
-impatients de fouler aux pieds les alliés infidèles qui venaient
-imprudemment leur barrer le chemin de la France. Les escadrons
-bavarois furent rejetés d'un seul choc sur les escadrons autrichiens.
-Ceux-ci chargèrent à leur tour, mais l'exaspération de notre cavalerie
-était au comble; elle renversa tout ce qui s'offrit à elle, et culbuta
-sur la Kinzig et Hanau la gauche de l'armée austro-bavaroise. Au
-centre les flots de la cavalerie ennemie, dans le va-et-vient de ces
-charges répétées, vinrent un moment se jeter sur les quatre-vingts
-bouches à feu de la garde. Drouot faisant serrer ses pièces, et
-plaçant en avant ses canonniers la carabine à la main, arrêta les
-escadrons ennemis, puis les cribla de mitraille lorsqu'ils se
-replièrent. Quand notre infanterie accourut à son secours, il était
-déjà dégagé.
-
-[Date en marge: Nov. 1813.]
-
-[En marge: L'armée austro-bavaroise écrasée.]
-
-Le général de Wrède acculé sur la Kinzig, ne vit d'autre ressource que
-de ramener son armée sur sa droite, afin de lui faire repasser la
-Kinzig au pont de Lamboy. Pour favoriser ce mouvement, et se procurer
-l'espace dont il avait besoin, il essaya une attaque sur notre gauche.
-Mais là justement se trouvaient les grenadiers de Friant. Ces braves
-gens, dont le courage était trop souvent enchaîné, partageaient
-l'exaspération de toute l'armée. Ils marchèrent appuyés des troupes de
-Marmont dont la tête venait d'arriver, abordèrent les Bavarois à la
-baïonnette, les poussèrent sur les troupes occupées à franchir la
-Kinzig, et en percèrent sept à huit cents de leurs baïonnettes. De
-Wrède repassa la Kinzig en désordre, laissant dans nos mains dix à
-onze mille morts, blessés ou prisonniers. Cette brillante rencontre
-nous avait coûté tout au plus trois mille hommes. La majesté de
-l'armée française était dignement vengée.
-
-Toutefois il ne fallait pas perdre de temps à compter nos trophées,
-car de Wrède replié avec quarante mille hommes derrière la Kinzig,
-pouvait apercevoir notre petit nombre, et déboucher de Hanau pour nous
-barrer le chemin. Le lendemain 31 octobre Napoléon, fier non pour lui
-mais pour ses soldats, de cette nouvelle bataille de la Bérézina, se
-mit en marche avec Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes, Macdonald, Victor
-et la vieille garde, afin d'aller rouvrir la route de Mayence, si elle
-était interceptée quelque part. Il laissa Marmont pour border la
-Kinzig, et empêcher l'ennemi de déboucher de Hanau, dont le canon
-enfilait la chaussée.
-
-[En marge: Nouvelles tentatives du général de Wrède, et nouveaux
-échecs les jours suivants.]
-
-Le 31 au matin le maréchal Marmont fit enlever Hanau que l'ennemi dans
-sa terreur avait presque entièrement évacué, et en partant vers le
-milieu du jour confia au général Bertrand qui le suivait, la garde de
-ce poste. Le général Bertrand y passa la nuit, toujours dans
-l'intention de contenir les Bavarois et de les empêcher de couper la
-route. Le 1er novembre au matin, de Wrède voulant prendre une
-revanche, et se flattant de ne plus trouver devant lui qu'une faible
-arrière-garde sur laquelle il se dédommagerait de son échec, essaya de
-déboucher de la Kinzig en traversant le pont de Lamboy à notre gauche,
-et en tâchant de reprendre Hanau à notre droite. Devant le pont de
-Lamboy Bertrand avait placé la division Guilleminot, au centre la
-division Morand qui pouvait canonner Hanau par-dessus la Kinzig,
-devant Hanau même la division italienne, partie dans cette ville,
-partie le long de la Kinzig, avec mission de protéger la grande route.
-
-De Wrède à la pointe du jour assaillit les Italiens dans Hanau, leur
-prit une des portes, pénétra dans la ville, et les refoula sur le pont
-de la Kinzig, vers lequel il courut pour s'en emparer, et occuper
-ensuite la route. Mais Morand tirant par-dessus la Kinzig atteignit en
-flanc la colonne du général de Wrède, et la couvrit de projectiles.
-Les Italiens reprenant courage revinrent à la charge, et rejetèrent
-les Bavarois dans Hanau. De Wrède reçut au bas-ventre une blessure qui
-le fit supposer mort, tant elle était grave.
-
-Au même instant sur notre gauche les Austro-Bavarois tentèrent de
-franchir la Kinzig sur les chevalets du pont de Lamboy à demi brûlés.
-Guilleminot en laissa passer un certain nombre, puis les culbuta dans
-la Kinzig à la baïonnette. De toutes parts ils furent ainsi refoulés
-au delà de la Kinzig, et condamnés à une nouvelle humiliation. Cette
-tentative leur coûta encore de 1500 à 2,000 hommes. Nos canons libres
-enfin de courir sur ce chemin de Mayence, y trouvèrent tant de
-cadavres qu'ils roulaient, dit un témoin oculaire fort illustre, dans
-une boue de chair humaine[33]. Funèbre et terrible rentrée de la
-grande armée en France!
-
- [Note 33: Expression du maréchal Gérard, de la bouche duquel
- je l'ai autrefois recueillie.]
-
-Au surplus le corps du général Bertrand avait été le dernier à
-prendre la route de Hanau. Le maréchal Mortier avec la jeune garde
-informé des difficultés qu'on rencontrait sur cette voie, avait fait
-un détour à droite, et avait regagné Francfort sain et sauf. Le 4
-novembre, la grande armée acheva d'entrer dans Mayence, tristement
-triomphante! La cavalerie resta seule en dehors pour recueillir les
-plus attardés de nos traînards. Il en avait passé près de quarante
-mille en quelques jours.
-
-[En marge: Arrivée de l'armée française sur les bords du Rhin.]
-
-Ainsi nous revîmes le Rhin, après tant de victoires suivies maintenant
-de tant de revers, le Rhin que nous avions l'espérance fondée de
-repasser paisiblement, après une paix glorieuse et générale. Il aurait
-pu en être ainsi, mais l'orgueil indomptable de Napoléon ne l'avait
-pas permis!
-
-[En marge: État de dénûment de la frontière du Rhin.]
-
-Napoléon était en ce moment dans Mayence, pouvant se convaincre de ses
-yeux de toute l'étendue de ses fautes. Ce Rhin devenu tellement notre
-propriété, que six mois auparavant on aurait regardé comme une grande
-preuve de modération de notre part de nous en contenter, ce Rhin il
-était douteux que nous pussions le défendre! Napoléon avait tant songé
-à la conquête, et si peu à la défense, que le sol de l'Empire se
-trouvait presque entièrement découvert. Excepté en Italie, qui était
-de la conquête aussi, on n'avait rien fait aux places de la frontière.
-Napoléon avait bien commencé à y penser, mais à une époque où il ne
-restait plus assez de temps pour que les ordres donnés reçussent leur
-exécution. Les grands approvisionnements mêmes provoqués par
-l'intermédiaire de M. de Bassano après la bataille de Dennewitz,
-délibérés, résolus entre les principaux ministres à Paris, avaient
-été contremandés par Napoléon à cause de la dépense, et surtout à
-cause des alarmes qu'il craignait de répandre sur le Rhin. Aussi le
-long de cette frontière qui aurait dû être le premier objet de nos
-soins, tout était-il dans un état déplorable. On s'était épuisé en
-munitions, en armes de toutes espèces pour Erfurt, Dresde, Torgau,
-Magdebourg, Hambourg, et les arsenaux français étaient vides. Les
-approvisionnements en bois ordonnés depuis peu de jours n'étaient pas
-commandés. Les approvisionnements de siége se trouvaient dans le même
-cas[34]. Le personnel était encore plus insuffisant que le matériel. À
-Strasbourg, Landau, Metz, Coblentz, Cologne, Wesel, il n'y avait que
-quelques compagnies de gardes nationales levées à la hâte par les
-préfets, et qui savaient à peine tirer un coup de fusil. Mayence
-seule, vaste dépôt de recrues qu'on n'avait pas eu le temps
-d'expédier, de maraudeurs successivement rentrés, de malades, de
-blessés transportés comme on avait pu, centre enfin de ralliement pour
-nos débris de toute espèce, Mayence contenait des moyens de défense.
-Mais c'est une armée qu'il aurait fallu dans cette place, et ce qui
-rentrait, quoique ce fût la grande armée, n'aurait pas fourni 40 mille
-hommes en état de combattre. Les divisions de la jeune garde qui
-s'étaient si bien conduites, comprenant 8 mille hommes à la reprise
-des hostilités, 3 mille encore après Leipzig, étaient réduites les
-unes à 1,000, les autres à 1,100 hommes. Tous les corps étaient
-diminués dans la même proportion.
-
- [Note 34: Nous parlons d'après les rapports des maréchaux
- envoyés sur le Rhin pour y commander.]
-
-[En marge: Le 4e corps, renforcé des divisions Guilleminot, Durutte et
-Semelé, est cantonné à Mayence.]
-
-Napoléon voulant réserver à Mayence ce qu'il avait ramené de meilleur,
-y laissa le 4e corps sous le général Bertrand. Ce corps était destiné
-à former l'avant-garde de la future armée que Napoléon espérait
-composer. Il devait comprendre la division Morand qui en avait
-toujours fait partie, la division Guilleminot qu'on lui avait
-récemment adjointe, les divisions Durutte et Semelé, seuls restes,
-comme nous l'avons dit, des 7e et 16e corps. Ces quatre divisions,
-même après quelques jours de repos, ne comptaient pas quinze mille
-soldats. Napoléon ordonna qu'elles fussent immédiatement réorganisées
-au moyen des hommes débandés qu'on arrêtait au passage du Rhin. La
-cavalerie de la garde fut employée à recueillir ces hommes à plusieurs
-lieues au-dessus et au-dessous de Mayence. Mais les fusils, les
-vêtements, les souliers, les vivres qu'on leur distribuait ne
-pouvaient surmonter l'influence des mauvaises habitudes qu'ils avaient
-contractées, et bien que la plupart d'entre eux se fussent comportés
-très-bravement deux ou trois semaines auparavant, il était douteux
-qu'on parvînt à en faire encore des soldats. À peine cessait-on
-d'avoir l'oeil sur eux qu'ils désertaient à l'intérieur. Les cadres
-restaient excellents, et tout prouvait que, grâce à eux, il serait
-plus facile de créer des soldats avec des conscrits sortant de leurs
-chaumières, qu'avec des hommes qu'on venait d'exposer trop tôt, trop à
-l'improviste, et sans l'encouragement de la victoire, aux plus
-cruelles extrémités de la guerre.
-
-[En marge: Lefebvre-Desnoëttes est aussi cantonné à Mayence avec la
-cavalerie légère de la garde.]
-
-[En marge: La défense du Rhin confiée aux maréchaux Victor, Marmont et
-Macdonald.]
-
-[En marge: La fièvre d'hôpital transportée par l'armée sur les bords
-du Rhin, y exerce d'affreux ravages.]
-
-En quelques jours cependant on reporta au nombre de vingt et quelques
-mille hommes ce 4e corps, dernière représentation de l'armée qui avait
-combattu à Lutzen, Dresde et Leipzig. Lefebvre-Desnoëttes lui fut
-attaché avec la cavalerie légère de la garde et les vieux dragons du
-5e corps, composant en tout 3 à 4 mille chevaux. On lui donna une
-bonne artillerie. La garde du Rhin fut partagée entre les trois
-maréchaux Marmont, Macdonald et Victor. Le maréchal Marmont fut chargé
-de garder depuis Landau jusqu'à Coblentz avec les débris des 6e, 5e et
-3e corps d'infanterie, des 1er et 5e de cavalerie. Il devait avoir
-Mayence et le général Bertrand sous ses ordres, et procéder à la
-recomposition des troupes comprises dans l'étendue de son
-commandement. La jeune garde fut placée un peu en arrière de Mayence,
-pour se réorganiser sous les yeux du maréchal Mortier. Il en fut de
-même pour la cavalerie de la garde. Le maréchal Macdonald fut envoyé à
-Cologne avec le 11e corps, qu'il devait également recomposer. On lui
-donna le 2e de cavalerie pour veiller à la garde du Rhin, et empêcher
-les Cosaques de le franchir. Ce qui restait des Polonais, infanterie
-et cavalerie, fut envoyé à Sedan, où était l'ancien dépôt de ces
-troupes alliées, pour y recevoir une nouvelle organisation. Le
-maréchal Victor fut établi à Strasbourg avec le 2e corps, qui avait
-fait sous ses ordres la campagne de 1813, et s'y était couvert de
-gloire. C'est avec ces débris que les trois maréchaux devaient
-protéger la frontière de l'Empire. Les gendarmes, les douaniers
-revenus de tous les pays que nous avions occupés, arrêtaient sur le
-Rhin les hommes débandés qui arrivaient, et tâchaient de les faire
-rentrer à leurs corps. C'est avec cette ressource, dont nous avons
-dit la valeur, qu'on espérait recruter les troupes cantonnées sur la
-frontière. Malheureusement, outre leurs mauvaises dispositions
-morales, elles venaient d'être atteintes par une affreuse contagion
-physique. La fièvre d'hôpital née dans nos vastes dépôts de l'Elbe,
-due à l'encombrement des hommes, aux fatigues, à la mauvaise
-nourriture, aux pluies continuelles des deux derniers mois, et aux
-passions tristes dont avaient été affectés nos blessés et nos malades,
-s'était répandue partout où nous avions passé, et avait déjà envahi
-les bords du Rhin. De tous les fléaux qui nous avaient poursuivis
-celui-là était le plus redoutable. Il venait de pénétrer à Mayence,
-d'y exercer déjà de notables ravages, et en faisait craindre de
-terribles. De là il avait descendu le Rhin, et l'avait même remonté.
-Ainsi aucune calamité ne semblait devoir nous être épargnée.
-
-[En marge: Départ de Napoléon pour Paris le 7 novembre.]
-
-[En marge: Situation des troupes laissées dans les garnisons de
-l'Elbe, de l'Oder et de la Vistule.]
-
-[En marge: Le nombre des troupes laissées dans les places n'est pas de
-moins de 190 mille hommes.]
-
-Napoléon, après avoir pourvu au plus pressé par un séjour d'une
-semaine à Mayence, partit pour Paris le 7 novembre, afin de se
-transporter au centre d'un gouvernement dont il était le moteur
-indispensable, et de préparer les moyens d'une nouvelle et dernière
-campagne. Tandis qu'il était occupé à faire des efforts inouïs pour
-tirer de la France épuisée les ressources qu'elle contenait encore, et
-arrêter sur la frontière des ennemis qu'une longue oppression avait
-rendus implacables, il y avait du Rhin à la Vistule, en soldats vieux
-ou jeunes, et actuellement assiégés ou bloqués par les légions de
-l'Europe coalisée, de quoi composer l'une des meilleures armées qu'il
-eût jamais rassemblées. Il avait laissé à Modlin 3 mille hommes, à
-Zamosc 3, à Dantzig 28, à Glogau 8, à Custrin 4, à Stettin 12, à
-Dresde 30, à Torgau 26, à Wittenberg 3, à Magdebourg 25, à Hambourg
-40, à Erfurt 6, à Wurzbourg 2, ce qui faisait une force totale de 190
-mille hommes, presque tous valides (car nous n'avons admis dans cette
-évaluation ni les malades ni les blessés), tous aguerris ou instruits,
-commandés par des officiers excellents, et comprenant notamment des
-soldats d'artillerie et du génie incomparables. Jamais plus belle
-armée n'eût porté le drapeau de la France, si, par un miracle, on
-avait pu réunir ses débris épars, et leur rendre l'ensemble que leur
-isolement dans des postes éloignés leur avait fait perdre. Napoléon,
-ainsi qu'on l'a vu, dans l'espérance de se retrouver en une seule
-bataille reporté sur l'Oder et la Vistule, avait voulu en conserver
-les forteresses, de manière à se replacer soudainement dans son
-ancienne position. C'est par ce motif qu'il avait consacré une
-soixantaine de mille hommes aux places fortes de l'Oder et de la
-Vistule. Pendant l'armistice il aurait pu les ramener tous, et en
-renforcer sa ligne de l'Elbe; mais, séduit par la même espérance, il
-avait persisté dans la même faute, et il venait de l'aggraver
-prodigieusement, en quittant l'Elbe sans en retirer les garnisons.
-C'est ainsi que ces 190 mille hommes si précieux, suffisant au
-printemps pour former le fond d'une superbe armée de 400 mille hommes,
-avaient été sacrifiés. Il est vrai que dans ces 190 mille hommes il y
-avait 30 mille étrangers, voulant rentrer au sein de leur patrie
-depuis que leurs gouvernements avaient rompu avec la France; mais
-dans ces 30 mille hommes, s'il y avait 20 mille Allemands ou Illyriens
-sur lesquels il ne fallait plus compter, il y avait 10 mille Polonais
-devenus aussi braves, et restés aussi fidèles que les soldats de notre
-vieille armée. C'était donc toujours la perte certaine de 170 mille
-hommes, due à une confiance aveugle dans la victoire, et à la funeste
-passion de rétablir en une journée une grandeur détruite par plusieurs
-années de fautes irréparables!
-
-[En marge: Comment on aurait pu les sauver.]
-
-[En marge: Il aurait fallu que par une résolution spontanée l'un des
-commandants de garnison sortit de la place qu'il occupait, allât
-recueillir les autres garnisons, et formât ainsi une armée avec
-laquelle il pût regagner les bords du Rhin.]
-
-[En marge: Raisons qui ne permettaient pas aux garnisons de la Vistule
-et de l'Oder de tenter une semblable entreprise.]
-
-Un miracle, avons-nous dit, pouvait les rendre à la France. Sans doute
-si un homme intrépide, audacieux, et surtout heureux, se trouvant à la
-tête de l'une de ces garnisons, était sorti de la place qu'il
-occupait, en forçant le blocus établi autour de ses murs, qu'il se fût
-réuni à la garnison la plus voisine, et qu'allant ainsi de l'une à
-l'autre il eût composé une armée, il est probable, vu le peu de
-troupes laissées par les coalisés sur leurs derrières, qu'il aurait pu
-atteindre l'Elbe et le Rhin, et rentrer en France à la tête d'une
-force redoutable. Mais dans laquelle des places bloquées ce miracle
-pouvait-il s'accomplir? Ce n'est pas assurément dans les places les
-plus éloignées. Les garnisons de Modlin et de Zamosc, par exemple,
-composées de Lithuaniens et de Polonais peu enclins à sortir de chez
-eux, étaient beaucoup trop distantes l'une de l'autre, trop peu
-nombreuses, pour essayer de hardies concentrations de troupes. Celle
-de Dantzig, qui même après les maladies rapportées de Russie, comptait
-encore vingt et quelques mille hommes, aurait pu s'échapper sans
-doute, en culbutant ceux qui auraient essayé de l'arrêter. Mais elle
-aurait été suivie à outrance par des forces supérieures, peut-être
-détruite avant d'arriver à l'Oder, où l'attendaient du reste si elle y
-était arrivée, 9 mille Français ou alliés à Stettin, 4 mille à
-Custrin. Mais, outre la difficulté naissant de la distance, il y en
-avait une dans les instructions de Napoléon. Il avait ordonné au
-général Rapp de ne livrer Dantzig que sur un ordre de sa main, de s'y
-faire tuer plutôt que de se rendre, et le général Rapp, privé de
-nouvelles, ne devant pas ajouter foi à celles de l'ennemi, ne pouvait
-pas assez connaître la situation pour se croire autorisé à changer les
-instructions si précises, si formelles, qu'il avait reçues de
-Napoléon. Les trois garnisons de l'Oder, celles de Stettin, Custrin,
-Glogau, quoique plus rapprochées de l'Elbe, étaient encore trop
-distantes entre elles, trop peu considérables, et trop surveillées,
-pour tenter avec quelques chances de succès des réunions de forces qui
-leur eussent permis de regagner le Rhin.
-
-[En marge: Les commandants de Hambourg et de Dresde pouvaient seuls
-prendre l'initiative d'une subite concentration.]
-
-Ce sont les garnisons de l'Elbe, celles de Hambourg, Magdebourg,
-Wittenberg, Torgau, Dresde, qui formaient des rassemblements de 20 et
-30 mille hommes, qui étaient fort voisines les unes des autres, et
-n'avaient pour rejoindre la France qu'à traverser la Westphalie
-exempte de la présence de l'ennemi, ce sont celles-là qui auraient pu
-prendre l'initiative, et rendre à la France cent mille hommes, avec
-des chefs illustres tels que Saint-Cyr et Davout. Entre ces places
-fortes de l'Elbe c'étaient évidemment les deux places extrêmes de
-Dresde et de Hambourg, ayant des maréchaux en tête, et chacune 30
-mille hommes au moins, qui auraient pu essayer d'opérer une
-concentration subite, et entre ces dernières enfin c'est de la
-garnison de Dresde qu'on était le plus fondé à l'attendre.
-
-[En marge: Raisons qui devaient en détourner celui qui commandait à
-Hambourg.]
-
-Pour qu'un chef commandant une force considérable et chargé d'un poste
-important prît sur lui de l'évacuer spontanément, afin de revenir sur
-le Rhin, il fallait que l'ordre d'idées dans lequel il avait été
-entretenu l'y autorisât. Le maréchal Davout n'était pas dans ce cas.
-Il savait que Hambourg avait été la cause principale de la rupture des
-négociations de Prague, que Napoléon y tenait au point d'avoir bravé
-une guerre mortelle plutôt que d'y renoncer, que Hambourg était
-l'appui des garnisons de l'Oder et de Dantzig, le boulevard de la
-Westphalie et de la Hollande, le lien avec le Danemark, et que
-l'abandonner était une résolution capitale, ne pouvant appartenir
-qu'au chef de l'État lui-même. Voilà tout un ensemble de
-considérations qui n'était pas fait pour lui inspirer la pensée de
-l'évacuation. Mais il y avait de plus pour l'en détourner deux raisons
-décisives. Il possédait à Hambourg tous les moyens de se soutenir
-longtemps, et il le prouva bientôt; dès lors il n'y avait pour lui
-aucune obligation immédiate de changer de position. Secondement, en
-supposant qu'il sentît la nécessité de rentrer en France à la tête des
-garnisons restées au dehors, il ne pouvait prendre sur lui de remonter
-l'Elbe pour se porter à Torgau et à Dresde, car il serait allé dans un
-cul-de-sac sans retraite possible, puisque entre Dresde et Mayence il
-y avait la coalition tout entière. Il devait donc, s'il avait cette
-pensée d'une concentration spontanée, attendre dans le poste où il
-était qu'on vînt à lui avec les garnisons de Dresde, de Torgau, de
-Magdebourg, et alors avec cent mille hommes il serait retourné en
-France par la Westphalie et Wesel. Ainsi, outre que l'ordre d'idées
-dans lequel il avait été entretenu ne devait pas l'engager à quitter
-Hambourg, à moins d'une nécessité pressante, la concentration ne se
-présentait pas comme chose exécutable du bas Elbe vers le haut, mais
-du haut vers le bas.
-
-[En marge: Toutes ces raisons au contraire devaient y décider celui
-qui commandait à Dresde.]
-
-[En marge: On pouvait en descendant de Dresde à Hambourg, y former
-avec les garnisons de l'Elbe successivement ramassées, une armée de
-plus de cent mille hommes, et à sa tête regagner le Rhin
-victorieusement.]
-
-Ces simples réflexions démontrent que c'est à Dresde qu'aurait dû
-naître la résolution de réunir les garnisons voisines, et de former
-une force successivement croissante, pour rentrer en France. Tout
-devait en effet y disposer le maréchal Saint-Cyr, commandant à Dresde,
-et les idées antérieures dont il avait eu l'esprit rempli, et
-l'urgence de sa situation, et enfin les moyens dont il était pourvu.
-D'abord Dresde n'était point une place forte où l'on pût se maintenir;
-c'était un poste militaire à conserver quelques jours seulement, que
-Napoléon n'avait entendu garder que très-passagèrement, et que, sans
-le prescrire formellement, il avait presque d'avance ordonné
-d'évacuer, en disant dans ses instructions que si des accidents
-imprévus empêchaient le maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde, il
-devait se diriger sur Torgau. Ainsi la pensée naturelle qu'il était
-impossible de ne pas concevoir, c'était celle de quitter Dresde, si on
-apprenait que Napoléon se fût retiré sur le Rhin. Ensuite cette place
-hors d'état de tenir huit jours, n'avait plus aucune importance après
-le départ de la grande armée, ne couvrait rien, demeurait purement en
-l'air, et ne contenait pas la moindre ressource en vivres. Il y avait
-donc urgence de prendre un parti à son égard, et ne pouvant revenir en
-France à travers la Saxe, car il aurait fallu passer sur le corps des
-armées coalisées, il était évident que c'est sur Torgau qu'il fallait
-se replier. Pour se rendre à Torgau on n'avait que deux journées de
-marche. On y aurait trouvé 26 mille hommes, dont 18 mille Français
-valides, et on aurait été porté à 48 mille hommes, force supérieure à
-tout ce qu'il y avait d'ennemis sur les bords de l'Elbe. On aurait
-recueilli en passant 3 mille hommes à Wittenberg. En deux jours on
-serait arrivé à Magdebourg, où l'on se serait renforcé de 18 à 20
-mille hommes valides. On aurait donc formé tout de suite une armée de
-70 mille combattants, armée qui avant trois semaines était sûre de ne
-pas rencontrer son égale jusqu'au bord de la mer. À Hambourg, on
-aurait fini par réunir 110 mille soldats excellents, et alors qui
-est-ce qui pouvait empêcher ces braves gens de regagner le Rhin?
-
-[Date en marge: Octob. 1813.]
-
-Si donc l'impulsion première avait dû partir de quelque part pour
-opérer ces concentrations spontanées, c'était évidemment de Dresde et
-du maréchal qui commandait cette place. Il faut ajouter que l'excuse
-bien réelle alors, et souvent alléguée, du défaut d'indépendance et de
-spontanéité chez les lieutenants de Napoléon, toujours habitués à
-obéir, jamais à commander, que cette excuse ne saurait être donnée
-pour le maréchal Saint-Cyr. Indépendant par force d'esprit, et par
-indocilité de caractère, n'admirant personne, pas même Napoléon,
-blâmant toutes les instructions qu'il recevait, il ne pouvait pas,
-comme tant d'autres, expliquer son défaut de détermination par sa
-soumission ponctuelle aux ordres supérieurs, ordres d'ailleurs qui,
-après la retraite de l'armée, étaient plutôt dans le sens de
-l'évacuation que de la conservation de Dresde. Par conséquent, si les
-170 mille Français laissés par une déplorable faute de Napoléon sur la
-Vistule, l'Oder et l'Elbe, avaient chance d'être sauvés, c'était, pour
-100 mille au moins, par une résolution spontanée du maréchal
-Saint-Cyr. Cette résolution il ne la prit point, et on va juger par
-les faits eux-mêmes s'il est suffisamment justifié de ne l'avoir pas
-prise.
-
-[En marge: Ce qui s'était passé à Dresde après le départ de Napoléon
-pour Düben.]
-
-[En marge: Inquiétudes du maréchal Saint-Cyr et du corps d'armée
-laissé à Dresde.]
-
-[En marge: L'idée de sortir de Dresde pour aller se réunir aux
-garnisons de Torgau et de Magdebourg était dans tous les esprits.]
-
-À peine Napoléon avait-il quitté Dresde pour Düben que des mouvements
-incessants de troupes s'étaient exécutés autour de la ville, que
-l'intérêt des coalisés avait paru évidemment se porter ailleurs, et
-qu'ils n'avaient laissé devant Dresde que des forces insignifiantes,
-dont il était très-possible de triompher pour tenter quelque
-entreprise salutaire. Au moment même de la bataille de Leipzig,
-lorsque Bubna, Colloredo, Benningsen, se détournèrent pour rejoindre
-la grande armée du prince de Schwarzenberg, leur disparition devint
-promptement sensible, et un général aussi heureusement audacieux que
-Richepanse le fut à Hohenlinden, aurait pu être tenté de suivre ces
-corps, et s'il eût paru sur leurs derrières le 18, il eût certes
-apporté d'immenses changements à nos destinées. Il est vrai que c'eût
-été une résolution singulièrement téméraire, et difficile à concilier
-avec l'instruction de garder Dresde, que Napoléon avait donnée
-lorsqu'il avait formé son grand projet de marcher sur Berlin à la
-suite de Bernadotte et de Blucher, pour revenir par Dresde sur les
-derrières de l'armée de Bohême. On n'est donc pas fondé à faire au
-maréchal Saint-Cyr un reproche de ne l'avoir pas prise. Ce maréchal
-s'aperçut assez vite de la disparition des principales forces
-stationnées devant Dresde, et il se procura la satisfaction fort
-légitime, fort louable, de faire essuyer un échec au faible corps de
-blocus qu'on avait laissé devant lui, mais il s'en tint là. Quelques
-jours après, n'apprenant rien, ne voyant rien venir, il commença
-d'être inquiet; on le fut bientôt autour de lui, et on se demanda ce
-qu'avait pu devenir la grande armée. Rester enfermé dans cette prison,
-où il y avait peu de vivres, peu de munitions, au milieu d'une
-population tranquille, mais peu bienveillante, à laquelle on était
-fort à charge, rester, disons-nous, dans un tel coupe-gorge, répugnait
-à tout le monde, et à chaque instant surgissait l'idée de s'en aller,
-car on savait bien qu'on n'avait rien à faire à Dresde, si ce n'est
-d'y périr. Cette pensée de se retirer étant dans toutes les têtes, le
-maréchal Saint-Cyr convoqua un conseil de guerre, composé du comte de
-Lobau, du général Durosnel, du général Mathieu-Dumas et de quelques
-autres. Avec sa remarquable sagacité, le comte de Lobau dit qu'il n'y
-avait qu'une chose à tenter, c'était de se retirer sur Torgau, où l'on
-trouverait une garnison nombreuse, des vivres, et en tout cas la route
-ouverte de Magdebourg. Les autres généraux furent effrayés de la
-responsabilité qu'on assumerait sur soi en se retirant, et dirent que
-le moment n'était pas venu de se croire abandonné, et dès lors de
-prendre un parti aussi décisif. À la vérité le doute était encore
-permis le 21 octobre, l'évacuation de Leipzig n'ayant eu lieu que le
-19. Bientôt cependant la joie non dissimulée des Saxons, les
-communications de l'ennemi intéressé à nous désespérer, nous apprirent
-le désastre de Leipzig, et la retraite forcée de Napoléon sur le Rhin.
-Dès lors il était évident qu'il fallait prendre un parti, et le
-prendre sur-le-champ, avant que toutes les routes fussent fermées.
-C'est en ce moment qu'il eût fallu convoquer un conseil de guerre, et
-obliger chacun à délibérer en présence du désastre constaté de la
-grande armée, et de l'impossibilité démontrée d'être secouru.
-
-[En marge: On pouvait sortir de Dresde avec 30 mille hommes valides,
-qui n'auraient pas trouvé une seule force capable de leur fermer la
-route de Torgau.]
-
-En adoptant les évaluations les plus affaiblies, on pouvait mettre
-sous les armes 25 mille hommes parfaitement valides, et tout porte à
-croire qu'à la nouvelle du départ on aurait été 30 mille le fusil à
-l'épaule. On n'avait pas 25 mille hommes devant soi, et fussent-ils le
-double, comme ils devaient être répartis sur les deux rives de l'Elbe,
-il y avait certitude de se faire jour, en perçant sur un point
-quelconque le cercle très-étendu qu'ils étaient obligés de décrire
-autour de la place. Enfin on avait la perspective assurée de mourir de
-faim et de misère sous peu de jours, sans pouvoir s'honorer par une
-défense que les fortifications de la ville ne rendaient pas possible,
-et d'être tous tués ou pris, si on attendait que les forces ennemies
-parties pour Leipzig fussent revenues sur Dresde. Si jamais il y a eu
-urgence à se décider, évidence dans le parti à embrasser, c'était
-certainement dans cette occasion.
-
-[En marge: Hésitations du maréchal Saint-Cyr.]
-
-[En marge: Question secrètement adressée à la garnison de Torgau.]
-
-[En marge: Après quinze jours le maréchal Saint-Cyr ordonne une
-tentative pour percer sur Torgau.]
-
-Le maréchal Saint-Cyr avait infiniment d'esprit, était au feu un
-brave soldat, avait de plus une véritable indépendance de caractère,
-et cependant il donna ici la preuve que ces qualités très-réelles ne
-sont pas celles qui dans certaines circonstances produisent les
-grandes inspirations. Il ne résolut rien, ne fit rien, et laissa
-écouler le temps en hésitations regrettables. Il eut la singulière
-pensée d'envoyer un agent secret au gouverneur de Torgau, pour savoir
-si on aurait des vivres à lui donner dans le cas où il se replierait
-sur cette place. La question était inutile, car, outre que nous avions
-toujours tiré de Torgau nos approvisionnements en grains, et qu'on
-avait avec soi l'excellent général Mathieu-Dumas, au fait par ses
-fonctions de toutes les ressources de l'armée, il ne s'agissait pas de
-descendre sur Torgau pour y rester, mais pour y passer, chose bien
-différente. L'agent pénétra, reçut pour réponse qu'on avait des
-vivres, dont on ferait part volontiers à ses voisins de Dresde s'ils
-avaient la bonne inspiration de venir; mais il ne put pas remonter
-l'Elbe, et fut arrêté. On demeura ainsi sans réponse et sans
-résolution, non-seulement pendant la fin d'octobre, mais jusqu'aux
-premiers jours de novembre. Deux semaines s'étant écoulées, le cordon
-du blocus se resserrant à chaque heure, toute espérance de secours
-étant évanouie, le maréchal Saint-Cyr prit enfin un parti, mais
-malheureusement un demi-parti, et le plus dangereux qu'on pût prendre.
-Comme il n'y avait qu'une chose à essayer, celle de se retirer sur
-Torgau, il n'imagina pas d'en tenter une autre, et résolut d'envoyer
-le comte de Lobau avec 14 mille hommes dans la direction de cette
-place, de lui faire descendre l'Elbe par la rive droite, puis, si le
-comte de Lobau réussissait à percer, de suivre lui-même avec le reste
-de son armée. On ne comprend pas qu'un homme qui avait tant de fois
-déployé une si grande sagacité à la guerre, pût songer à faire une
-tentative pareille. Si on avait une chance, et on n'en avait pas une,
-mais cent, de percer la ligne de blocus, c'était en marchant tous
-ensemble, et en ne laissant rien après soi. Il était impossible en
-effet qu'en donnant tête baissée sur cette ligne, nécessairement mince
-à cause de son étendue, on ne parvînt pas à la rompre. Le général
-Brenier avait eu pour sortir de Ciudad-Rodrigo en 1811 de bien autres
-dangers à courir, et les avait néanmoins surmontés.
-
-[Date en marge: Nov. 1813.]
-
-[En marge: Cette tentative faite avec des forces insuffisantes
-échoue.]
-
-Le maréchal Saint-Cyr confia donc au comte de Lobau le soin de
-descendre par la rive droite sur Torgau avec 14 mille hommes. Ce
-dernier fit la remarque fort juste que l'entreprise, sûre quinze jours
-auparavant, et avec toutes les forces du corps d'armée, devenait bien
-douteuse dans le moment, et avec la moitié de ce corps seulement. Il
-obéit néanmoins, et il sortit de Dresde le 6 novembre. Il avait avec
-lui un lieutenant du plus grand mérite, le brave et intelligent
-général Bonnet. À quelques lieues de Dresde, sur la rive droite, on
-rencontra les premiers postes ennemis, et on leur passa sur le corps.
-Plus loin on trouva une position bien défendue, qu'on ne pouvait
-emporter sans doute qu'avec une large effusion de sang, mais qui ne
-présentait rien d'insurmontable. D'ailleurs on voyait l'ennemi
-s'affaiblir sur son front, et se renforcer sur ses ailes, pour courir
-sur nos derrières et nous interdire le retour vers Dresde. Ce
-mouvement prouvait clairement que, dans le désir naturel de ne pas
-nous laisser rentrer à Dresde, l'ennemi allait nous ouvrir lui-même la
-route de Torgau. Si toute l'armée eût été réunie, on n'aurait pas pu
-souhaiter mieux que de voir l'ennemi exécuter une semblable manoeuvre,
-puisque la difficulté au lieu d'être derrière nous était devant nous.
-Mais une moitié du corps d'armée étant restée à Dresde, ce mouvement
-devenait très-inquiétant, et on se hâta de revenir sur Dresde pour
-n'être pas séparé de tout ce qui s'y trouvait encore.
-
-Le résultat était certes la démonstration la plus évidente de la faute
-commise, faute étrange de la part de l'un des militaires les plus
-distingués de cette grande époque guerrière. Une fois la colonne
-rentrée à Dresde, cette fausse démarche fut tenue pour la condamnation
-formelle de toute entreprise sur Torgau, et comme il n'y en avait pas
-d'autre à proposer, on attendit dans une profonde tristesse que
-l'extrémité de cette situation fût atteinte. Le général Klenau, envoyé
-devant Dresde, avait résolu, quoique très-entreprenant par caractère,
-d'attendre la reddition volontaire des trente mille hommes enfermés
-dans cette place. Huit jours de patience seulement suffisaient pour le
-dispenser de verser des torrents de sang. Il temporisa en effet, et il
-eut bientôt satisfaction.
-
-[En marge: Le maréchal Saint-Cyr ne sachant plus quel parti prendre,
-se décide à capituler.]
-
-Tout le monde dans l'armée était désolé. Les vivres manquaient,
-l'affreuse contagion étendue de l'Elbe au Rhin sévissait. Les
-habitants soumis, mais désespérés par la longueur de notre séjour,
-nous suppliaient de nous retirer, et, quoique Allemands, ils avaient
-été si peu hostiles, qu'on devait quelque chose à leur souffrance. On
-n'avait plus aucune espérance, pas même celle d'une mort glorieuse. On
-entra donc en négociation, et le 11 on capitula. Il n'y avait pas
-autre chose à faire, car on ne pouvait ni rester, ni partir, ni se
-battre. Il n'y a par conséquent pas à blâmer la capitulation, mais la
-conduite qui l'avait amenée.
-
-[En marge: Conditions de la capitulation.]
-
-Les conditions d'ailleurs étaient telles qu'on pouvait les désirer. La
-garnison devait déposer les armes, rentrer en France par journées
-d'étapes, avec faculté de servir après échange. On avait ainsi
-l'espoir de conserver à la France 30 mille soldats, éprouvés par une
-campagne terrible, et avec eux beaucoup de blessés, de malades qui
-auraient été perdus sans une capitulation. Ceux qui l'avaient signée
-pouvaient se flatter de s'être tirés de cette situation désastreuse
-d'une manière qui n'était très-dommageable ni pour eux ni pour la
-France qu'ils seraient bientôt en mesure de défendre encore. Sans
-doute on était affligé de capituler, mais consolé par l'impossibilité
-de faire autrement, et réjoui par la pensée de revoir la France sous
-quelques jours. On fit les préparatifs de départ, et c'est alors qu'on
-vit quelles forces on aurait réunies vers le bas Elbe si on y avait
-marché, car lorsqu'il fut question de s'en aller il parut trente et
-quelques mille hommes dans les rangs.
-
-[En marge: Violation de la capitulation de Dresde.]
-
-On se mit donc en route avec encore plus d'espérance que de tristesse.
-Mais à peine avait-on quitté Dresde, qu'une affreuse nouvelle vint
-consterner tous les coeurs. Le général Klenau, avec beaucoup
-d'excuses, fit savoir que l'empereur Alexandre n'admettait pas la
-capitulation, et exigeait que la garnison se constituât prisonnière de
-guerre, sans permission de retourner en France. Cette décision fut
-pour tous un coup de foudre, et un amer sujet de regrets. On put
-apprécier alors quelle faute on avait commise en se mettant à la merci
-d'un ennemi qui, quoique honnête, devenait par passion un ennemi sans
-foi. Le maréchal Saint-Cyr réclama avec hauteur et énergie. On lui
-répondit par une cruelle ironie, en lui disant que s'il voulait
-rentrer dans Dresde et se replacer dans la position où il était
-auparavant, on était prêt à y consentir, comme si, au milieu
-d'habitants tout joyeux d'être délivrés de nous, peu disposés
-certainement à nous recevoir de nouveau, avec des moyens de défense
-détruits ou divulgués, un tel retour était possible. Il fit sentir
-l'indignité d'un tel procédé; on ne lui répliqua que par la même
-proposition dérisoire, et il fallut se soumettre, et aller expier en
-captivité une carrière de vingt ans de gloire.
-
-[En marge: Indignité de la conduite tenue en cette circonstance par
-les souverains alliés.]
-
-La violation de cette capitulation fut un acte indigne, commis
-cependant par d'honnêtes gens, car l'empereur de Russie, le roi de
-Prusse, l'empereur d'Autriche, étaient d'honnêtes gens, dont
-l'histoire doit flétrir la conduite en cette occasion. Il faut en
-tirer une leçon qui s'adresse surtout aux honnêtes gens eux-mêmes,
-c'est qu'ils doivent se défendre des passions politiques, car elles
-peuvent à leur insu les conduire à des actes abominables. La passion
-qu'on avait conçue contre la France à cette époque, ressemblait aux
-passions politiques qu'éprouvent à l'égard de leurs adversaires les
-partis qui divisent un même pays, et qui se croient tout permis les
-uns contre les autres. Ainsi, après une longue domination, nous avions
-attiré sur nous une guerre étrangère qui avait toute la violence de la
-guerre civile! Triste temps quoique bien grand! Triste temps, aussi
-glorieux que déraisonnable et inhumain!
-
-[En marge: Sort des autres garnisons.]
-
-[En marge: Situation de Torgau, qui renfermait 26 mille hommes.]
-
-[En marge: Ravages du typhus.]
-
-[En marge: Affreuse situation de la garnison.]
-
-[En marge: Mort de M. de Narbonne.]
-
-L'impulsion n'étant point partie de Dresde, seul point où existât une
-force considérable, un chef de grade élevé, de capacité reconnue, et
-mis par ses instructions antérieures sur la pente de la retraite vers
-le bas Elbe, chacune de nos garnisons devait tristement expirer à sa
-place, et finir misérablement par la faim, le typhus, le feu ou la
-captivité. Tout près de Dresde, à Torgau, se trouvaient, sous le
-brillant comte de Narbonne, au moins 26 mille hommes, compris le
-quartier général que le général Durrieu y avait conduit. Dans ces 26
-mille hommes, il y avait environ 3,400 Saxons, Hessois,
-Wurtembergeois, qui moururent ou sortirent. Le reste était composé de
-Français dont quelques-uns appartenaient aux troupes spéciales
-attachées aux grands parcs de l'artillerie et du génie. Il y avait
-donc là une force qui, réunie à celle de Dresde, eût tout à coup
-fourni une armée de 45 à 50 mille hommes, capable de culbuter tout ce
-qui se serait présenté entre Torgau et Magdebourg. La place était
-assez forte, située sur la rive gauche, et protégée par un ouvrage
-d'excellente défense, le fort Zinna. Elle contenait des quantités
-immenses de grains, de spiritueux, de viandes salées. Le hasard d'une
-chute de cheval lui avait procuré la plus utile des accessions, celle
-du général Bernard, aide de camp de l'Empereur, et l'un des premiers
-officiers du génie de cette époque. Bientôt remis, il s'était joint au
-comte de Narbonne avec le zèle patriotique dont il était animé, et
-tous deux promettaient de s'illustrer par une longue résistance.
-Profitant des bras nombreux dont ils disposaient, des ressources
-pécuniaires introduites à la suite du quartier général, ils avaient
-fait exécuter de grands travaux, et la place était en mesure de se
-défendre énergiquement. Mais un ennemi des plus redoutables s'y était
-introduit, c'était le typhus. Il faisait des victimes nombreuses, et
-déjà il avait emporté en septembre 1,200 de nos malheureux soldats, et
-en octobre 4,900. Les assiégeants n'avaient donc qu'à laisser agir le
-fléau, qui suffirait bientôt pour leur ouvrir les portes de Torgau.
-Aussi l'ennemi s'était-il borné jusqu'ici à un bombardement qui
-causait de grands ravages parmi les habitants, mais bien peu parmi nos
-soldats. Seulement les bombes étant tombées dans le cimetière sur les
-voitures qui emportaient les morts, et les agents des inhumations
-s'étant enfuis sans vouloir reprendre leurs fonctions, les hôpitaux
-s'étaient remplis de cadavres qu'on ne pouvait pas ensevelir, et qui
-auraient exhalé une affreuse infection s'ils n'avaient été changés en
-blocs de pierre par la gelée. La plus triste des circonstances était
-venue s'ajouter à toutes celles dont nous sommes condamné à tracer le
-lugubre tableau. Le comte de Narbonne s'étant fait, en tombant de
-cheval, une légère contusion à la tête, avait vu une blessure
-insignifiante se convertir en attaque de typhus, et il était mort
-entouré des regrets de la garnison et de tous ceux qui l'avaient
-connu. Ainsi avait fini cet homme si intéressant, qui joignant à
-l'esprit de l'aristocratie française du dix-huitième siècle les
-connaissances positives d'un administrateur éclairé, la sagacité d'un
-diplomate, les nobles sentiments d'un grand seigneur libéral, s'était,
-malheureusement pour lui, rattaché à l'Empire par admiration pour
-l'Empereur, lorsqu'il n'y avait qu'à assister aux déconvenues de notre
-diplomatie et aux désastres de nos armées. Le général Dutaillis avait
-remplacé le comte de Narbonne dans le commandement de Torgau et s'y
-comportait vaillamment. Du reste il n'avait plus qu'à être témoin de
-la lente agonie d'une garnison qui avait presque égalé une armée.
-
-[En marge: Vigoureuse défense du général Lapoype à Wittenberg.]
-
-À Wittenberg le général Lapoype, qui avec 3 mille hommes seulement,
-avait pendant la campagne du printemps défendu énergiquement la place
-contre la première apparition des coalisés, s'était, depuis la
-campagne d'automne, emparé de sa petite garnison, et l'avait préparée
-à tenir tête vigoureusement aux assiégeants du corps de Tauenzien. Il
-ne pouvait guère exercer d'influence sur les événements par sa
-persévérance, mais il pouvait s'honorer. Il l'avait fait, et il était
-prêt à le faire encore. Les vivres ne lui manquaient pas. N'ayant
-point, comme la place de Torgau, recueilli les restes des armées
-battues, il comptait peu de malades, mais beaucoup d'étrangers. Il les
-contenait par son énergie, et paraissait disposé à soutenir un long
-siége.
-
-[En marge: Situation de Magdebourg.]
-
-[En marge: Force de la place, et moyen qu'elle possède de se soutenir
-longtemps.]
-
-Le général Lemarois, aide de camp de l'Empereur, revêtu de toute sa
-confiance et la méritant, avait reçu le gouvernement de Magdebourg.
-Quant à lui, il n'y avait aucune raison qui pût l'autoriser à évacuer
-spontanément une forteresse aussi importante, si capable de
-résistance, commandant le milieu du cours de l'Elbe et le centre de
-l'Allemagne. Il n'aurait pu être entraîné à en sortir que par
-l'intérêt d'une grande concentration dont il n'avait pas à prendre
-l'initiative, et dont personne ne venait malheureusement lui fournir
-l'occasion. Il était dès lors dispensé de se poser à lui même la grave
-question de l'évacuation, et il s'était tranquillement enfermé dans sa
-forteresse, où avec des vivres considérables, une garnison nombreuse,
-des murailles puissantes, peu de malades, parce qu'il était resté loin
-du carnage pestilentiel de la Saxe, il pouvait tenir tête longtemps
-aux armées de la coalition, et avoir le douloureux honneur de survivre
-à la France elle-même.
-
-[En marge: Situation de Hambourg.]
-
-[En marge: Préparatifs du maréchal Davout pour s'y défendre contre
-toutes les armées de la coalition.]
-
-À Hambourg se trouvait l'intrépide et imperturbable Davout, que
-Napoléon, par des mécontentements qui se rattachaient à la campagne de
-Russie, et aussi par estime pour son inflexible caractère, avait placé
-dans une position éloignée, au grand détriment des opérations de cette
-guerre, car il s'était privé ainsi du seul de ses généraux auquel,
-depuis la mort de Lannes et la disgrâce de Masséna, il pût confier
-cent mille hommes. Le maréchal, parti de Hambourg avec 32 mille
-soldats pour commencer sur Berlin un mouvement que les batailles de
-Gross-Beeren et de Dennewitz avaient rendu impossible, y était rentré
-en apprenant les malheurs de la Saxe, avait résolu, avec ses trente
-mille hommes, avec dix mille autres laissés dans les ouvrages de la
-place, de soutenir un long siége, qui fût plus qu'un siége, mais une
-vraie campagne défensive, de nature à couvrir la basse Allemagne, la
-Hollande et le Rhin inférieur. Lui aussi, séparé de l'Empereur et de
-la France, impassible au milieu de tous les désastres, les prévoyant
-sans en être ému, se proposait d'être le dernier des grands hommes de
-guerre de ce règne qui remettrait son épée à la coalition!
-
-[En marge: Belle défense de Stettin, Custrin et Glogau.]
-
-Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin, Glogau, tenaient encore,
-mais uniquement pour l'honneur des armes. Stettin avait pour
-gouverneur le général Grandeau, remplacé quelque temps par le brave
-général Dufresse, celui qui pendant l'armistice s'était si peu ému des
-coups de fusil tirés sur Bernadotte. Il avait des vivres, 12 mille
-hommes de garnison, dont 3 mille écloppés de Russie, et 9 mille hommes
-valides. Son autorité s'étendait sur Stettin et la place de Damm, qui
-commande de vastes lagunes dépendantes du Grosse-Haff. C'était le
-général Ravier qui défendait Damm, et il le faisait avec la plus
-grande énergie. Outre l'armée prussienne, on avait affaire à toutes
-les flottilles anglaises venues par l'Oder. La vigueur de la défense
-avait été admirable, et on avait réduit les assiégeants à entourer les
-deux places d'une vingtaine de redoutes, dans lesquelles ils
-paraissaient plutôt occupés à se garder contre les assiégés qu'à les
-attaquer. Ils laissaient aux flottilles anglaises le soin de bombarder
-la garnison, qui, ne s'en inquiétant guère, souriait en quelque sorte
-d'un moyen d'attaque funeste seulement aux malheureux habitants
-prussiens. Toutefois, avec cette impassibilité, on pouvait bien
-résister au feu de l'ennemi, mais non pas aux angoisses de la faim. Le
-moment approchant où les vivres allaient manquer (on était bloqué
-depuis près d'un an), le général Grandeau, de l'avis de son conseil,
-était entré en pourparlers avec l'ennemi, afin de n'être pas réduit à
-se rendre à discrétion, s'il traitait quand il n'aurait plus un
-morceau de pain. On lui avait proposé de déclarer sa garnison
-prisonnière de guerre, car la coalition était résolue à ne laisser
-retourner en France aucun des soldats qui pourraient la défendre, et
-ce but, elle le poursuivait, comme on l'a vu, par des blocus
-persévérants contre les garnisons qui résistaient, par des violations
-de foi contre les garnisons qui avaient capitulé. Le général Ravier,
-avec les troupes de Damm et presque toutes celles de Stettin, s'était
-insurgé à la nouvelle des conditions offertes, et refusait d'obéir au
-général Grandeau. Cette vaillante garnison voulait jusqu'au dernier
-moment tenir flottant sur l'Allemagne le drapeau de la France. À la
-fin de novembre rien n'était encore décidé.
-
-À Custrin, le général Fournier d'Albe, ayant à peine un millier de
-Français au milieu de 3 mille Suisses, Wurtembergeois, Croates, qu'il
-maintenait avec une grande énergie, tenait bon contre tous les efforts
-de l'ennemi. Quoique sa garnison souffrît cruellement du scorbut, il
-n'annonçait pas la moindre disposition à se rendre.
-
-[En marge: Mémorable défense de Dantzig.]
-
-À Glogau, le général Laplane, après un premier siége glorieusement
-soutenu au printemps, en soutenait un second avec la même énergie.
-Ayant 8 mille hommes, des vivres, des ouvrages assez bien armés, il
-avait jusqu'ici repoussé toutes les attaques. Mais ces braves gens de
-Stettin, Custrin, Glogau, sans espoir ni de rejoindre l'armée
-française, ni de voir l'armée française venir à eux, se défendaient
-pour soutenir l'honneur du drapeau. Ce qui était vrai d'eux, l'était
-bien plus encore, s'il est possible, de l'immortelle garnison de
-Dantzig, qui, bloquée sans interruption depuis le mois de janvier,
-n'avait reçu qu'une fois des nouvelles de France, et n'avait vécu que
-de son courage et de son industrie. En se retirant dans la place en
-décembre 1812, à la suite de la retraite de Russie, le général Rapp,
-gouverneur et défenseur de Dantzig, s'y était enfermé avec environ 36
-mille hommes et quelques mille malades. Cette garnison, mélange de
-troupes de toute espèce, en plus grande partie de troupes françaises
-et polonaises, avait rapporté avec elle un autre fléau que celui qui
-dévorait Torgau et Mayence, mais non moins funeste, c'était la _fièvre
-de congélation_, née du froid, tandis que la fièvre d'hôpital était
-née de l'humidité et du mauvais air. Cette fièvre qui avait emporté
-les généraux Éblé et Lariboisière, avait réduit la garnison de près de
-4 mille hommes. Néanmoins les troupes qui restaient étaient belles,
-bien commandées, mais insuffisantes pour les immenses ouvrages de
-Dantzig, qui consistaient dans la place elle-même, dans un camp
-retranché, et dans la citadelle de Weichselmunde située à l'embouchure
-de la Vistule. À peine entré dans la place, qui n'était pas encore
-armée, Rapp s'était trouvé d'abord dans un extrême embarras. En effet,
-les eaux de la Vistule qui entourent tous les ouvrages de Dantzig et
-en forment la principale défense, étant gelées, on courait le danger
-de voir les soldats russes du corps de Barclay de Tolly passer les
-fossés et les inondations sur la glace, et prendre Dantzig à
-l'escalade. Il avait donc fallu rompre sur cinq lieues de pourtour une
-glace de deux à trois pieds d'épaisseur, hisser l'artillerie sur les
-remparts, et tenir tête à un ennemi hardi, enivré de ses triomphes
-inespérés, et pressé de s'emparer de Dantzig, parce qu'il craignait de
-revoir Napoléon sur la Vistule, autant que Napoléon lui-même
-l'espérait. La garnison après avoir pourvu à tous les travaux
-préparatoires de la défense, avait repoussé l'ennemi au loin, et
-l'avait culbuté partout où il s'était présenté. Puis elle avait songé
-à se procurer des vivres, par des fourrages dans l'île de Nogat. Des
-grains, des viandes salées, des spiritueux, des munitions de guerre,
-elle en possédait une grande quantité, car elle avait hérité des
-approvisionnements accumulés pour la campagne de Russie, et restés en
-magasin faute de moyens de transport. Mais la viande fraîche et les
-fourrages lui manquaient. Elle les avait trouvés dans les îles de la
-Vistule, grâce à la hardiesse de ses excursions. Elle avait ainsi
-employé le temps de l'hiver à se faire redouter, et à désespérer
-l'ennemi, qui ne se flattait plus d'en venir à bout par une attaque en
-règle.
-
-L'armistice signé, elle n'avait pas reçu plus d'un cinquième des
-vivres qu'on lui aurait dus, mais elle avait recommencé ses
-excursions dans les îles de la Vistule, et mis la dernière main aux
-ouvrages qui n'étaient pas encore achevés. À la reprise des hostilités
-elle était reposée, bien retranchée et résolue. Il restait à cette
-époque environ 25 mille hommes en état de porter les armes, et de
-résister aux fatigues d'un siége.
-
-Les ouvrages extérieurs avaient été vaillamment disputés, et à la fin
-perdus, comme il arrive dans toute place, même la mieux défendue. Mais
-secondé par d'habiles officiers du génie, le général Rapp avait élevé
-quelques redoutes bien situées et bien armées, lesquelles prenant à
-revers les tranchées de l'ennemi, les lui avaient rendues
-inhabitables.
-
-[En marge: Bombardement de Dantzig, héroïquement supporté.]
-
-C'est autour de ces redoutes qu'on avait de part et d'autre déployé le
-plus grand courage, soit pour les défendre, soit pour les attaquer.
-L'ennemi désespérant de s'en rendre maître, avait imaginé là comme
-ailleurs de recourir à l'affreux moyen du bombardement. Les munitions
-et les bouches à feu ne manquant pas, grâce à la mer qui permettait
-aux Anglais de les apporter en abondance, on avait dressé contre
-Dantzig la plus formidable artillerie qui eût jamais été dirigée
-contre une place assiégée. De plus une centaine de chaloupes
-canonnières anglaises étaient venues joindre leur feu à celui des
-batteries de terre. Tout le mois d'octobre avait été employé sans
-relâche et sans pitié au plus abominable bombardement qui se fut
-encore vu dans les sanglantes annales du siècle. Nos soldats habitués
-à des canonnades comme celle de la Moskowa, et méprisant la chance
-presque nulle à leurs yeux d'un éclat de bombe dans une ville
-spacieuse, ne s'inquiétaient pas plus de ce genre d'attaque que d'une
-fusillade hors de portée, et se bornaient à prendre pitié des
-habitants inoffensifs, et beaucoup plus exposés qu'eux à la pluie de
-feu qui tombait sur leur ville. Les assiégeants avaient fait un
-abominable calcul, celui de nous embarrasser beaucoup en mettant le
-feu aux amas de bois que contenait Dantzig. Le 1er novembre en effet
-le feu avait pris aux chantiers de Dantzig, et un incendie effroyable
-s'était allumé. Les habitants éperdus s'étaient enfuis ou cachés dans
-leurs caves, n'osant pas aller éteindre l'incendie sous les éclats des
-bombes. Nos soldats l'avaient essayé pour eux, et n'y avaient réussi
-que lorsque déjà ces vastes dépôts de bois étaient aux trois quarts
-consumés. D'immenses tourbillons de flammes ne cessaient de s'élever
-au-dessus de l'infortunée ville de Dantzig, au milieu du roulement
-d'un tonnerre continuel, sans que nos soldats parussent disposés à se
-rendre. Rapp ne cherchant pas à deviner ce que deviendrait cette
-guerre à la suite du désastre de Leipzig, croyant qu'il y avait des
-prodiges dont il ne fallait jamais désespérer avec Napoléon, s'en
-tenait à ses instructions, qui lui enjoignaient de ne livrer Dantzig
-que sur un ordre écrit et signé de la main impériale. En conséquence,
-ayant encore 18 mille hommes pour se défendre, quelques boeufs de la
-Nogat pour se nourrir, il laissait tirer les Anglais, brûler les bois
-de Dantzig, et attendait pour se rendre que l'ordre de Napoléon
-arrivât, ou que la France fût détruite, ou que l'ennemi fût entré par
-la brèche. Modlin et Zamosc après avoir fait leur devoir avaient
-capitulé. Les garnisons polonaises avaient été conduites en captivité.
-
-Voilà comment sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule, vivaient ou mouraient
-les 190 mille soldats laissés si loin du Rhin qu'ils auraient pu
-rendre invincible! Voilà comment s'était terminée cette campagne de
-1813, qui était destinée à réparer les désastres de la campagne de
-1812, et qui les aurait réparés en effet, si Napoléon avait su borner
-ses désirs.
-
-[En marge: Caractères de la campagne de 1813 en Saxe.]
-
-[En marge: Causes qui firent échouer toutes les combinaisons de
-Napoléon dans cette campagne.]
-
-Cette grande et terrible campagne, sans égale jusqu'ici dans
-l'histoire des siècles, par l'immensité de la lutte, par la variété
-des péripéties et des combinaisons, par l'horrible effusion du sang
-humain, est marquée en ce qui concerne Napoléon d'un trait particulier
-et significatif, que nous avons déjà signalé, c'est d'avoir achevé de
-tout perdre, en voulant regagner d'un seul coup tout ce qu'il avait
-perdu. Avec la seule volonté d'arrêter l'ennemi dans son essor
-victorieux, de rétablir le prestige de nos armes, et ce résultat
-obtenu de transiger sur des bases qui laissaient la France encore plus
-grande qu'il ne fallait, Napoléon aurait infailliblement triomphé.
-Effectivement si après Lutzen et Bautzen, ses armes étant redevenues
-victorieuses par son génie et la bravoure inexpérimentée de ses jeunes
-soldats, il avait poussé les Russes et les Prussiens jusqu'à la
-Vistule, sans accepter l'armistice de Pleiswitz, il les aurait séparés
-des Autrichiens, et très-certainement il eût mis la coalition dans une
-complète déroute. Mais pour le faire impunément, il aurait fallu être
-prêt à donner une réponse satisfaisante à l'Autriche qui le pressait
-de s'expliquer tout de suite sur les conditions de la paix! Quelque
-long qu'ait été ce tragique récit, on se rappelle, hélas! pour quel
-motif Napoléon s'arrêta: ce fut, avons-nous dit, pour préparer une
-armée contre l'Autriche, et être en mesure de ne pas subir ses
-conditions, même les plus modérées. Pour ce triste motif il s'arrêta,
-et il laissa volontairement la Russie et la Prusse à portée de
-l'Autriche, en mesure de lui tendre la main, et de s'unir à elle.
-
-Pendant ce funeste armistice, on a vu encore combien il eût été facile
-à Napoléon, en sacrifiant le duché de Varsovie qui ne pouvait pas
-survivre à la campagne de Russie, en renonçant au protectorat du Rhin
-qui n'était qu'un inutile outrage à l'Allemagne, en restituant enfin
-les villes anséatiques que nous ne pouvions ni défendre ni faire
-servir avantageusement à notre commerce, on a vu combien il lui eût
-été facile de garder le Piémont, la Toscane, Rome en départements
-français, la Westphalie, la Lombardie, Naples, en royaumes vassaux du
-grand empire! Hambourg, possession impossible pour nous, le
-protectorat du Rhin, titre vain s'il en fut, furent les causes d'une
-rupture insensée. Pourtant la résolution de continuer la guerre étant
-prise, c'était le cas de profiter de l'armistice pour retirer de
-Zamosc, de Modlin, de Dantzig, de Stettin, de Custrin, de Glogau, les
-60 mille hommes que nous n'avions plus aucune raison politique ni
-militaire d'y laisser, puisque l'Elbe devenait le siége de nos
-opérations, et leur limite autant que leur appui. Napoléon cette fois
-encore, par le désir et l'espérance d'être reporté par une seule
-victoire sur l'Oder et la Vistule, persista dans ce déplorable
-sacrifice, qui devait en entraîner bien d'autres! Afin de pouvoir
-donner la main à ses garnisons, il étendit le cercle de cette guerre
-concentrique, qui lui avait jadis si bien réussi sur l'Adige en la
-resserrant autour de Vérone, il l'étendit à quarante lieues du côté de
-Goldberg, à cinquante du côté de Berlin, remporta la belle victoire de
-Dresde, mais au moment d'en recueillir le fruit à Kulm, fut rappelé
-par les désastres de ses lieutenants laissés trop loin de lui, voulut
-courir à eux, arriva trop tard, s'épuisa deux mois en courses
-inutiles, vit disparaître le prestige des victoires de Lutzen, de
-Bautzen et de Dresde, n'eut bientôt plus autour de lui que des soldats
-exténués, des généraux déconcertés, des ennemis exaltés par des
-triomphes inattendus, et enfin tandis qu'une simple retraite sur
-Leipzig en y amenant tout ce qui restait sur l'Elbe, l'eût sauvé
-encore une fois, sans éclat mais avec certitude, il essaya, voulant
-toujours rétablir ses affaires par un coup éclatant, il essaya sur
-Düben des manoeuvres savantes, d'une conception admirable, péchant
-malheureusement par les moyens d'exécution qui ne répondaient plus à
-l'audace des entreprises, se trouva comme pris lui-même au piége de
-ses propres combinaisons, et succomba dans les champs de Leipzig,
-après la plus terrible bataille connue, bataille où périrent, chose
-horrible à dire, plus de cent vingt mille hommes, puis rentra sur le
-Rhin avec 40 mille hommes armés, 60 mille désarmés, laissant sur la
-Vistule, l'Oder, l'Elbe, 170 mille Français condamnés à défendre sans
-profit des murailles étrangères, tandis que les murailles de leur
-patrie n'avaient pour les défendre que des bras impuissants de
-jeunesse ou de vieillesse!
-
-[En marge: Le caractère des hommes, est la cause principale de leur
-destinée.]
-
-Certes, nous le répéterons, Napoléon ne fut, dans ces jours funestes,
-ni moins fécond en vastes combinaisons, ni moins énergique, ni moins
-imperturbable dans le danger, mais il fut toujours l'ambitieux dont
-les insatiables désirs troublaient et pervertissaient l'immense génie.
-En 1812, pour avoir entrepris l'impossible, il essuya un revers
-éclatant. En 1813, pour ne pas se borner à réparer ce revers, mais
-pour vouloir l'effacer en entier et tout d'un coup, il s'en prépara un
-aussi éclatant et plus irréparable, parce que ce dernier emportait
-jusqu'à l'espérance. Ainsi un premier revers pour avoir voulu dépasser
-le terme du possible, un second pour vouloir réparer entièrement le
-premier, tels étaient les échelons successifs par lesquels il
-descendait dans l'abîme! Il ne lui en fallait plus qu'un seul pour
-arriver au fond. Napoléon s'arrêterait-il sur cette pente fatale? Les
-coalisés immobiles depuis qu'ils étaient parvenus au bord du Rhin,
-tremblant à l'idée de franchir cette limite redoutable, étaient
-résolus à lui offrir la France, la vraie France, celle qu'enferment et
-protégent si puissamment le Rhin et les Alpes, celle que la révolution
-lui avait léguée, et dont après Marengo et Hohenlinden il s'était
-contenté. S'en contenterait-il en 1814? Telle était la dernière
-question que le sphinx de la destinée allait proposer à son orgueil.
-Suivant la réponse qu'il ferait, il devait finir sur le plus grand des
-trônes, ou dans le plus profond des abîmes. Oublions un moment cette
-histoire de 1814 et de 1815, que nous connaissons tous, de manière à
-ne pouvoir l'oublier; effaçons de notre mémoire le bruit que fit à nos
-oreilles, jeunes alors, la chute de ce trône glorieux, plaçons-nous au
-mois de décembre 1813, tâchons d'ignorer ce qui se passa en 1814, et
-posons-nous la question qui allait être posée à Napoléon. Eh bien,
-lequel de nous, après avoir lu le récit des campagnes de Russie et de
-Saxe, lequel de nous peut douter de la réponse? Hélas! les hommes
-portent dans leur caractère une destinée qu'ils cherchent autour
-d'eux, au-dessus d'eux, partout en un mot, excepté en eux-mêmes, où
-elle réside véritablement, laquelle, suivant qu'ils cèdent à leurs
-passions ou à leur raison, les perd ou les sauve, quoi qu'ils puissent
-faire, quelque génie qu'ils puissent déployer! Et lorsqu'ils se sont
-perdus, ils s'en prennent à leurs soldats, à leurs généraux, à leurs
-alliés, aux hommes, aux dieux, et se disent trahis par tous, quand ils
-l'ont été par eux seuls!
-
-
-FIN DU LIVRE CINQUANTIÈME
-
-ET DU TOME SEIZIÈME.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-CONTENUES
-
-DANS LE TOME SEIZIÈME.
-
-
-LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.
-
-DRESDE ET VITTORIA.
-
- Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa
- rencontre avec M. de Bubna. -- Ses dispositions pour le campement,
- le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de
- l'armistice. -- Son retour à Dresde et son établissement dans le
- palais Marcolini. -- À peine est-il arrivé que M. de Bubna
- présente une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche
- étant acceptée par les puissances belligérantes, la France est
- priée de nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses
- intentions. -- En réponse à cette note, Napoléon élève des
- difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite
- de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir
- à Dresde. -- Conduite du cabinet autrichien en recevant cette
- réponse. -- M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés
- pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation.
- -- Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et
- repart après avoir acquis la connaissance précise des intentions
- des alliés. -- Comme l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en
- apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à se rendre à
- Dresde. -- Arrivée de M. de Metternich dans cette ville le 25
- juin. -- Discussions préalables avec M. de Bassano sur la
- médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier
- avec le traité d'alliance. -- Entrevue avec Napoléon. --
- Entretien orageux et célèbre. -- Napoléon, regrettant les
- emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de
- Bassano de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. --
- Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon, déployant autant de
- souplesse qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la
- médiation, mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation
- d'armistice jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt,
- dans l'intérêt de ses préparatifs militaires. -- Acceptation
- formelle de la médiation autrichienne, et assignation du 5
- juillet pour la réunion des plénipotentiaires à Prague. -- Retour
- de M. de Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. --
- La nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la
- prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires
- à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis
- jusqu'au 12 juillet. -- Napoléon, auquel ces délais convenaient,
- s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de
- nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. -- Son départ le 10
- juillet. -- Il apprend en route les événements d'Espagne. -- Ce
- qui s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été
- expulsés de la Castille, et que les armées du centre,
- d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. -- Projets de
- lord Wellington pour la campagne de 1813. -- Il se propose de
- marcher sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et
- 20 mille Espagnols. -- Projets des Français. -- Possibilité en
- opérant bien de tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en
- Portugal. -- Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle
- de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. -- Il
- résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer
- Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. -- Reprise
- des opérations en mai 1813. -- Quatre divisions de l'armée de
- Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la
- Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre
- lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. -- Retraite
- sur Valladolid et Burgos. -- Le manque de vivres précipite notre
- marche rétrograde. -- Deux opinions dans l'armée, l'une
- consistant à se retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de
- rejoindre le général Clausel, l'autre consistant à se tenir
- toujours sur la grande route de Bayonne afin de couvrir la
- frontière de France. -- Les ordres réitérés de Paris font
- incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. --
- Nombreux avis expédiés au général Clausel pour l'engager à se
- réunir à l'armée entre Burgos et Vittoria. -- Retraite sur
- Miranda del Ebro et sur Vittoria. -- Espérance d'y rallier le
- général Clausel. -- Malheureuse inaction de Joseph et de Jourdan
- dans les journées du 19 et du 20 juin. -- Funeste bataille de
- Vittoria le 21 juin, et ruine complète des affaires des Français
- en Espagne. -- À qui peut-on imputer ces déplorables événements?
- -- Irritation violente de Napoléon contre son frère Joseph, et
- ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. -- Envoi du
- maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre
- l'offensive. -- Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion
- de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à
- Leipzig. -- Suite des négociations de Prague. -- MM. de Humboldt
- et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au
- congrès de Prague. -- Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à
- Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les
- plénipotentiaires français au jour convenu. -- Chagrin et
- doléances de M. de Metternich. -- Napoléon, revenu le 15 à
- Dresde, après avoir différé sous divers prétextes la nomination
- des plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et
- de Caulaincourt. -- Une fausse interprétation donnée à la
- convention qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau
- prétexte pour ajourner le départ de M. de Caulaincourt. -- Son
- espérance en gagnant du temps est de faire remettre au 1er
- septembre la reprise des hostilités. -- Redoublement de plaintes
- de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de
- Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10
- août pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la
- reprise des hostilités. -- La difficulté soulevée au sujet de
- l'armistice étant levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec
- des instructions qui soulèvent des questions de forme presque
- insolubles. -- Pendant ce temps il quitte Dresde le 25 juillet
- pour aller voir l'Impératrice à Mayence. -- Finances et police de
- l'Empire durant la guerre de Saxe; affaires des séminaires de
- Tournay et de Gand, et du jury d'Anvers. -- Retour de Napoléon à
- Dresde le 4 août, après avoir passé la revue des nouveaux corps
- qui se rendent en Saxe. -- Vaines difficultés de forme au moyen
- desquelles on a même empêché la constitution du congrès de
- Prague. -- M. de Metternich déclare une dernière fois que si le
- 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées,
- l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la
- coalition. -- Pensée véritable de Napoléon dans ce moment
- décisif. -- Ne se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse
- de reprendre les hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant
- une négociation sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en
- action de celle-ci. -- Il entame effectivement avec l'Autriche
- une négociation secrète qui doit être conduite par M. de
- Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. -- Ouverture de M. de
- Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours avant
- l'expiration de l'armistice. -- Surprise de M. de Metternich. --
- Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration authentique
- des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur
- François. -- Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon.
- -- Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à
- accepter la paix qu'on lui offre. -- Contre-proposition de
- celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par
- l'Autriche. -- Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases
- proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant
- qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la coalition. --
- Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais
- inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à
- Prague. -- L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en
- Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au
- nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon
- inacceptables. -- Retour et noble affliction de M. de
- Caulaincourt. -- Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. -- Sa
- confiance et ses projets. -- Profondeur de ses conceptions pour
- la seconde partie de la campagne de 1813. -- Il prend le cours de
- l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de manoeuvrer
- concentriquement autour de Dresde, afin de battre successivement
- toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer de front, de
- flanc ou par derrière. -- Projets de la coalition et forces
- immenses mises en présence dans cette guerre gigantesque. --
- L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la première en
- mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur la
- Katzbach. -- Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels
- Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. --
- Napoléon apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée
- des coalisés sur les derrières de Dresde. -- Son retour précipité
- sur Dresde. -- Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de
- déboucher par Koenigstein, afin de prendre l'armée coalisée à
- revers, et de la jeter dans l'Elbe. -- Les terreurs des habitants
- de Dresde et les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette
- circonstance détournent Napoléon de la plus belle et de la plus
- féconde de ses conceptions. -- Son retour à Dresde le 26, et
- inutile attaque de cette ville par les coalisés. -- Célèbre
- bataille de Dresde livrée le 27 août. -- Défaite complète de
- l'armée coalisée et mort de Moreau. -- Position du général
- Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. -- Nouveau
- et vaste projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations
- autour de Dresde. -- Désastre du général Vandamme à Kulm amené
- par le plus singulier concours de circonstances. -- Conséquences
- de ce désastre. -- Retour de confiance chez les coalisés et
- aggravation de la situation de Napoléon, dont les dernières
- victoires se trouvent annulées. -- Sa situation au 30 août 1813.
- 1 à 362
-
-
-LIVRE CINQUANTIÈME.
-
-LEIPZIG ET HANAU.
-
- Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin
- pendant les opérations des armées belligérantes autour de Dresde.
- -- Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald lorsque
- Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. -- Pressé d'exécuter
- ses instructions et craignant de perdre les avantages de
- l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en mouvement
- le 26 août. -- Le général Blucher s'était jeté sur la division
- Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait culbutées du
- plateau de Janowitz. -- Cet accident avait entraîné la retraite
- de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de plusieurs jours
- avait rendue presque désastreuse. -- Prise et destruction de la
- division Puthod. -- Le maréchal Macdonald réduit de 70 mille
- hommes à 50 mille. -- Son mouvement rétrograde sur le Bober. --
- Événements du côté de Berlin. -- Marche du maréchal Oudinot à la
- tête des 4e, 12e et 7e corps. -- Composition et force de ces
- corps. -- Armée du prince royal de Suède. -- Arrivée devant
- Trebbin. -- Premières positions de l'ennemi enlevées dans les
- journées des 21 et 22 août. -- Isolement des trois corps français
- dans la journée du 23, et combat malheureux du 7e corps à
- Gross-Beeren. -- Retraite du maréchal Oudinot sur Wittenberg. --
- Beaucoup de soldats se débandent, surtout parmi les alliés. --
- C'est la connaissance de ces graves échecs qui le 28 août avait
- ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait détourné son
- attention de Kulm. -- Ne sachant pas encore ce qui était arrivé
- à Vandamme, il avait formé le projet de déplacer le théâtre de la
- guerre et de la transporter dans le nord de l'Allemagne. --
- Vastes conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. -- À la
- nouvelle du désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses
- vues, réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement
- au comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le
- maréchal Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur
- Wittenberg, et se propose de s'établir avec ses réserves à
- Hoyerswerda, afin de pousser d'un côté le maréchal Ney sur
- Berlin, et de prendre de l'autre une position menaçante sur le
- flanc du général Blucher. -- Départ de la garde pour Hoyerswerda.
- -- Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui détournent encore
- Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et l'obligent à se
- porter tout de suite sur Bautzen. -- Arrivée de Napoléon à
- Bautzen le 4 septembre. -- Prompte retraite de Blucher dans les
- journées des 4 et 5 septembre. -- À peine Napoléon a-t-il rétabli
- le maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de
- l'armée de Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à
- Dresde. -- Son entrevue aux avant-postes avec le maréchal
- Saint-Cyr dans la journée du 7. -- Projet pour le lendemain 8
- septembre. -- Dans cet intervalle, Napoléon apprend un nouveau
- malheur arrivé sur la route de Berlin. -- Le maréchal Ney ayant
- reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait dans la journée
- du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi, avec les
- 4e, 12e et 7e corps. -- Ce mouvement, qui avait réussi le 5, ne
- réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de Dennewitz.
- -- Retraite le 7 septembre sur Torgau. -- Débandade d'une partie
- des Saxons. -- Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais
- commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. -- Avis
- indirect, donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre
- de la guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du
- Rhin. -- Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal
- Saint-Cyr, Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les
- Prussiens et les Russes, afin de les rejeter en Bohême. -- Sur
- l'avis du maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille
- route de Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a
- l'espérance de tourner l'ennemi. -- L'impossibilité de faire
- passer l'artillerie par le Geyersberg empêche d'achever le
- mouvement projeté. -- Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens
- sont séparés des Prussiens et des Russes, et pressé de réparer
- les échecs de ses lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à
- Dresde. -- Évidence du plan des coalisés, consistant à courir sur
- les armées françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se
- retirer dès qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour
- l'envelopper ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera
- suffisamment affaibli. -- Déplorable réalisation de ces vues. --
- Les forces de Napoléon réduites de 360 mille hommes de troupes
- actives sur l'Elbe à 250 mille. -- En considération de cet état
- de choses, Napoléon resserre le cercle de ses opérations, ramène
- Macdonald avec les 8e, 5e, 11e, 3e corps près de Dresde, établit
- le comte de Lobau et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna,
- derrière de bons ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne
- puisse plus se faire un jeu de ses apparitions sur la route de
- Péterswalde, envoie un fort détachement de cavalerie sur ses
- derrières pour disperser les troupes de partisans, réorganise le
- corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et Murat à
- Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements, et
- se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus
- être mis en mouvement par de vaines démonstrations de l'ennemi.
- -- Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur
- Péterswalde. -- Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et
- Dohna, n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore
- une fois sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en
- Bohême. -- Prompte retraite des coalisés. -- Retour de Napoléon à
- Pirna, et ses soins pour bien asseoir sa position, afin de ne
- plus s'épuiser en courses inutiles. -- Sa résolution de s'établir
- sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, pour la durée de l'hiver. --
- Projets de l'ennemi. -- Napoléon étant partout resserré sur
- l'Elbe, et la saison avançant, les souverains coalisés songent à
- mener la guerre à fin par une tentative décisive sur les
- derrières de notre position. -- Blucher fait prévaloir l'idée
- d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et, après
- avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire
- descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre
- Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et
- remonter sur Leipzig avec les armées du Nord et de Silésie. --
- Premiers mouvements en exécution de ce dessein. -- Napoléon
- découvre sur-le-champ l'intention de ses adversaires, et fait
- repasser toutes ses troupes sur la gauche de l'Elbe. -- Il ne
- laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald avec le 11e
- corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par Leipzig, l'autre
- par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer Ney; il envoie
- Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à Leipzig pour
- soutenir Victor contre l'armée de Bohême. -- Attente de quelques
- jours pour laisser dessiner plus clairement les projets de
- l'ennemi. -- Blucher s'étant dérobé pour se joindre à Bernadotte
- et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde le 7
- octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur Wittenberg
- dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte d'abord, et puis
- de se reporter sur la grande armée de Bohême. -- Belle et
- profonde conception de Napoléon tendant à refouler Blucher et
- Bernadotte sur Berlin, et à surprendre ensuite Schwarzenberg en
- remontant la rive droite de l'Elbe pour repasser ce fleuve à
- Torgau ou à Dresde. -- Mouvement prononcé de Blucher et de
- Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de Napoléon.
- -- Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous sur
- Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer entre
- eux, et empêcher leur jonction. -- Retour de la grande armée
- française sur Leipzig. -- Terrible bataille, la plus grande du
- siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours
- sous les murs de Leipzig. -- Retraite de Napoléon sur Lutzen. --
- Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction ou la
- captivité d'une partie de l'armée française. -- Mort de
- Poniatowski. -- Marche sur Erfurt. -- Défection de la Bavière et
- arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de Hanau.
- -- Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de Hanau.
- -- Humiliation de l'armée austro-bavaroise. -- Rentrée des
- Français sur le Rhin. -- Leur état déplorable en arrivant à
- Mayence. -- Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. --
- Triste capitulation de Dresde. -- Situation, forces, conduite
- héroïque, et malheurs des garnisons françaises, inutilement
- laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. -- Caractère de la
- campagne de 1813. -- Effrayants présages qu'on en peut tirer.
- 363 à 685
-
-
-FIN DE LA TABLE DU SEIZIÈME VOLUME.
-
-
-
-
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-<pre style='margin-bottom:6em;'>The Project Gutenberg EBook of Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20),
-by Adolphe Thiers
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
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-using this ebook.
-
-Title: Histoire du Consulat et de l'Empire (16/20)
- faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
-
-Author: Adolphe Thiers
-
-Release Date: October 29, 2020 [EBook #63576]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Mireille Harmelin, Keith J Adams, Christine P. Travers and
- the Online Distributed Proofreading Team at
- https://www.pgdp.net (This file was produced from images
- generously made available by the Bibliothèque nationale de
- France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE
-L'EMPIRE (16/20) ***
-</pre>
-<p class="p4 center">HISTOIRE<br />
-<span class="smaller">DU</span><br />
- CONSULAT<br />
-<span class="smaller">ET DE</span><br />
- L'EMPIRE</p>
-
-<p class="p2 center">TOME XVI</p>
-
-<p class="p4 slim">L'auteur déclare réserver ses droits à l'égard de la traduction en
-Langues étrangères, notamment pour les Langues Allemande, Anglaise,
-Espagnole et Italienne.</p>
-
-<p class="slim">Ce volume a été déposé au Ministère de l'Intérieur (Direction de la
-Librairie) le 10 août 1857.</p>
-
-<p class="p2 smaller center">PARIS. IMPRIMÉ PAR HENRI PLON, RUE GARANCIÈRE, 8.</p>
-
-
-<p class="p4 center"><b>HISTOIRE<br />
-<span class="smaller">DU</span><br />
- CONSULAT<br />
-<span class="smaller">ET DE</span><br />
- L'EMPIRE</b></p>
-
-<p class="p2 center">FAISANT SUITE<br />
- À L'HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE</p>
-
-<p class="p2 center">PAR M. A. THIERS</p>
-
-<p class="p4 center smaller">TOME SEIZIÈME</p>
-
-<div class="figcenter">
-<a id="img001" name="img001"></a>
-<img src="images/img001.jpg" width="200" height="146" alt="Emblème de l'éditeur." title="" />
-</div>
-
-<p class="p4 center small">Paris<br />
- LHEUREUX ET C<sup>ie</sup>, LIBRAIRES-ÉDITEURS<br />
- 60, RUE RICHELIEU<br />
- 1857</p>
-
-
-<div class="chapter">
-<h1><span class="pagenum"><a id="page1" name="page1"></a>(p. 1)</span> HISTOIRE<br />
-DU CONSULAT<br />
-ET<br />
-DE L'EMPIRE.</h1>
-
-<h2>LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.<br />
-<span class="smaller">DRESDE ET VITTORIA.</span></h2>
-
-<p class="resume">
- Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa
- rencontre avec M. de Bubna. &mdash; Ses dispositions pour le campement,
- le bien-être et la sûreté de ses troupes pendant la durée de
- l'armistice. &mdash; Son retour à Dresde et son établissement dans le
- palais Marcolini. &mdash; À peine est-il arrivé que M. de Bubna présente
- une note pour déclarer que la médiation de l'Autriche étant
- acceptée par les puissances belligérantes, la France est priée de
- nommer ses plénipotentiaires, et de faire connaître ses
- intentions. &mdash; En réponse à cette note, Napoléon élève des
- difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et évite
- de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de venir
- à Dresde. &mdash; Conduite du cabinet autrichien en recevant cette
- réponse. &mdash; M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés
- pour convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la
- médiation. &mdash; Il obtient l'acceptation formelle de cette médiation,
- et repart après avoir acquis la connaissance précise des
- intentions des alliés. &mdash; Comme l'avait prévu M. de Metternich,
- Napoléon en apprenant cette entrevue, veut le voir, et l'invite à
- se rendre à Dresde. &mdash; Arrivée de M. de Metternich dans cette ville
- le 25 juin. &mdash; Discussions préalables avec M. de Bassano sur la
- médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière de la concilier
- avec le traité d'alliance. &mdash; Entrevue avec Napoléon. &mdash; Entretien
- orageux et célèbre. &mdash; Napoléon, regrettant les emportements
- imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de Bassano de
- reprendre l'entretien avec M. de Metternich. &mdash; Nouvelle entrevue
- dans laquelle <span class="pagenum"><a id="page2" name="page2"></a>(p. 2)</span> Napoléon, déployant autant de souplesse
- qu'il avait d'abord montré de violence, consent à la médiation,
- mais en arrachant à M. de Metternich une prolongation d'armistice
- jusqu'au 17 août, seule chose à laquelle il tînt, dans l'intérêt
- de ses préparatifs militaires. &mdash; Acceptation formelle de la
- médiation autrichienne, et assignation du 5 juillet pour la
- réunion des plénipotentiaires à Prague. &mdash; Retour de M. de
- Metternich à Gitschin auprès de l'empereur François. &mdash; La
- nécessité de s'entendre avec la Prusse et la Russie sur la
- prolongation de l'armistice et sur l'envoi des plénipotentiaires
- à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord jusqu'au 8, puis
- jusqu'au 12 juillet. &mdash; Napoléon, auquel ces délais convenaient,
- s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait naître de
- nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. &mdash; Son départ le 10
- juillet. &mdash; Il apprend en route les événements d'Espagne. &mdash; Ce qui
- s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été
- expulsés de la Castille, et que les armées du centre,
- d'Andalousie et de Portugal avaient été réunies. &mdash; Projets de lord
- Wellington pour la campagne de 1813. &mdash; Il se propose de marcher
- sur la Vieille-Castille avec 70 mille Anglo-Portugais et 20 mille
- Espagnols. &mdash; Projets des Français. &mdash; Possibilité en opérant bien de
- tenir tête aux Anglais, et de les rejeter même en
- Portugal. &mdash; Nouveaux conflits entre l'autorité de Paris et celle
- de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la suite. &mdash; Il
- résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à évacuer
- Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. &mdash; Reprise
- des opérations en mai 1813. &mdash; Quatre divisions de l'armée de
- Portugal ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la
- Péninsule, Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre
- lord Wellington, n'en a que 52 mille à lui opposer. &mdash; Retraite sur
- Valladolid et Burgos. &mdash; Le manque de vivres précipite notre marche
- rétrograde. &mdash; Deux opinions dans l'armée, l'une consistant à se
- retirer sur la Navarre afin d'être plus sûr de rejoindre le
- général Clausel, l'autre consistant à se tenir toujours sur la
- grande route de Bayonne afin de couvrir la frontière de
- France. &mdash; Les ordres réitérés de Paris font incliner Joseph et
- Jourdan vers cette dernière opinion. &mdash; Nombreux avis expédiés au
- général Clausel pour l'engager à se réunir à l'armée entre Burgos
- et Vittoria. &mdash; Retraite sur Miranda del Ebro et sur
- Vittoria. &mdash; Espérance d'y rallier le général Clausel. &mdash; Malheureuse
- inaction de Joseph et de Jourdan dans les journées du 19 et du 20
- juin. &mdash; Funeste bataille de Vittoria le 21 juin, et ruine complète
- des affaires des Français en Espagne. &mdash; À qui peut-on imputer ces
- déplorables événements? &mdash; Irritation violente de Napoléon contre
- son frère Joseph, et ordre de le faire arrêter s'il vient à
- Paris. &mdash; Envoi du maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée,
- et reprendre l'offensive. &mdash; Retour de Napoléon à Dresde, après une
- excursion de quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg
- et à Leipzig. &mdash; Suite des négociations de Prague. &mdash; MM. de Humboldt
- et d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au
- congrès de Prague. &mdash; Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à
- Prague, se plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les
- plénipotentiaires <span class="pagenum"><a id="page3" name="page3"></a>(p. 3)</span> français au jour convenu. &mdash; Chagrin et
- doléances de M. de Metternich. &mdash; Napoléon, revenu le 15 à Dresde,
- après avoir différé sous divers prétextes la nomination des
- plénipotentiaires français, désigne enfin MM. de Narbonne et de
- Caulaincourt. &mdash; Une fausse interprétation donnée à la convention
- qui prolonge l'armistice lui fournit un nouveau prétexte pour
- ajourner le départ de M. de Caulaincourt. &mdash; Son espérance en
- gagnant du temps est de faire remettre au 1<sup>er</sup> septembre la
- reprise des hostilités. &mdash; Redoublement de plaintes de la part des
- plénipotentiaires, et déclaration de M. de Metternich qu'on
- n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 août pour la
- dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la reprise des
- hostilités. &mdash; La difficulté soulevée au sujet de l'armistice étant
- levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec des instructions
- qui soulèvent des questions de forme presque insolubles. &mdash; Pendant
- ce temps il quitte Dresde le 25 juillet pour aller voir
- l'Impératrice à Mayence. &mdash; Finances et police de l'Empire durant
- la guerre de Saxe; affaires des séminaires de Tournay et de Gand,
- et du jury d'Anvers. &mdash; Retour de Napoléon à Dresde le 4 août,
- après avoir passé la revue des nouveaux corps qui se rendent en
- Saxe. &mdash; Vaines difficultés de forme au moyen desquelles on a même
- empêché la constitution du congrès de Prague. &mdash; M. de Metternich
- déclare une dernière fois que si le 10 août à minuit les bases de
- paix n'ont pas été posées, l'armistice sera dénoncé, et
- l'Autriche se réunira à la coalition. &mdash; Pensée véritable de
- Napoléon dans ce moment décisif. &mdash; Ne se flattant plus d'empêcher
- la Russie et la Prusse de reprendre les hostilités le 17 août, il
- voudrait, en ouvrant une négociation sérieuse avec l'Autriche,
- différer l'entrée en action de celle-ci. &mdash; Il entame effectivement
- avec l'Autriche une négociation secrète qui doit être conduite
- par M. de Caulaincourt et ignorée de M. de Narbonne. &mdash; Ouverture
- de M. de Caulaincourt à M. de Metternich le 6 août, quatre jours
- avant l'expiration de l'armistice. &mdash; Surprise de M. de
- Metternich. &mdash; Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration
- authentique des intentions de l'Autriche, donnée au nom de
- l'empereur François. &mdash; Avantages tout à fait inespérés offerts à
- Napoléon. &mdash; Nobles efforts de M. de Caulaincourt pour décider
- Napoléon à accepter la paix qu'on lui offre. &mdash; Contre-proposition
- de celui-ci, envoyée seulement le 10, et jugée inacceptable par
- l'Autriche. &mdash; Le 10 août s'étant passé sans l'adoption des bases
- proposées, l'Autriche déclare le congrès de Prague dissous avant
- qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à la
- coalition. &mdash; Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne,
- mais inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à
- Prague. &mdash; L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en
- Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au
- nom des souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon
- inacceptables. &mdash; Retour et noble affliction de M. de
- Caulaincourt. &mdash; Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. &mdash; Sa
- confiance et ses projets. &mdash; Profondeur de ses conceptions pour la
- seconde partie de la campagne de 1813. &mdash; Il prend le cours de
- l'Elbe pour ligne de défense, et se propose de man&oelig;uvrer
- concentriquement autour de Dresde, afin <span class="pagenum"><a id="page4" name="page4"></a>(p. 4)</span> de battre
- successivement toutes les masses ennemies qui voudront l'attaquer
- de front, de flanc ou par derrière. &mdash; Projets de la coalition et
- forces immenses mises en présence dans cette guerre
- gigantesque. &mdash; L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la
- première en mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter sur
- la Katzbach. &mdash; Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels
- Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. &mdash; Napoléon
- apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée des
- coalisés sur les derrières de Dresde. &mdash; Son retour précipité sur
- Dresde. &mdash; Il s'arrête à Stolpen, et forme le projet de déboucher
- par K&oelig;nigstein, afin de prendre l'armée coalisée à revers, et
- de la jeter dans l'Elbe. &mdash; Les terreurs des habitants de Dresde et
- les hésitations du maréchal Saint-Cyr en cette circonstance
- détournent Napoléon de la plus belle et de la plus féconde de ses
- conceptions. &mdash; Son retour à Dresde le 26, et inutile attaque de
- cette ville par les coalisés. &mdash; Célèbre bataille de Dresde livrée
- le 27 août. &mdash; Défaite complète de l'armée coalisée et mort de
- Moreau. &mdash; Position du général Vandamme à Péterswalde sur les
- derrières des alliés. &mdash; Nouveau et vaste projet sur Berlin qui
- détourne Napoléon des opérations autour de Dresde. &mdash; Désastre du
- général Vandamme à Kulm amené par le plus singulier concours de
- circonstances. &mdash; Conséquences de ce désastre. &mdash; Retour de confiance
- chez les coalisés et aggravation de la situation de Napoléon,
- dont les dernières victoires se trouvent annulées. &mdash; Sa situation
- au 30 août 1813.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Juin 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Intention véritable de Napoléon en signant l'armistice de
-Pleiswitz.</span>
-En signant l'armistice de Pleiswitz, Napoléon n'avait d'autre
-intention que de gagner deux mois pour compléter ses armements, et les
-proportionner aux forces des nouveaux ennemis qu'il allait s'attirer,
-mais il n'avait pas eu un moment la pensée de la paix, ne voulant à
-aucun prix la conclure aux conditions que l'Autriche prétendait y
-mettre. Ces conditions révélées tant de fois depuis quatre mois,
-tantôt par de simples insinuations, tantôt par les déclarations
-récentes et formelles de M. de Bubna, étaient, comme on l'a vu, les
-suivantes: Dissolution du grand-duché de Varsovie; reconstitution de
-la Prusse au moyen d'une partie considérable de ce grand-duché, et de
-quelques portions des provinces anséatiques; restitution à
-l'Allemagne des villes libres <span class="pagenum"><a id="page5" name="page5"></a>(p. 5)</span> de Lubeck, de Brême, de Hambourg;
-abolition de la Confédération du Rhin; rétrocession à l'Autriche de
-l'Illyrie et des portions de la Pologne qui lui avaient jadis
-appartenu. Quoique cette paix continentale, prélude assuré de la paix
-maritime, laissât à la France, indépendamment de la Belgique et des
-provinces rhénanes, la Hollande, le Piémont, la Toscane, l'État
-romain, maintenus en départements français, la Westphalie, la
-Lombardie, Naples, constitués en royaumes vassaux, Napoléon la
-repoussait absolument, non à cause des pertes de territoire qui
-étaient presque nulles, mais comme une atteinte à sa gloire, et lui
-préférait sans hésiter la guerre avec l'Europe entière.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sa pensée est de continuer la guerre, et de prendre
-seulement le temps d'achever ses préparatifs.</span>
-C'était sans
-doute une insigne témérité pour lui-même, une cruauté pour tant de
-victimes destinées à périr sur les champs de bataille, une sorte
-d'attentat envers la France, exposée à tant de dangers uniquement pour
-l'orgueil de son chef, mais enfin c'était une résolution à peu près
-prise, et dans laquelle il y avait fort peu de chance de l'ébranler.
-Il eût fallu autour de lui de meilleurs conseillers, et surtout de
-plus autorisés, pour le faire revenir de cette détermination fatale.
-<span class="sidenote" title="En marge">Soin de Napoléon à cacher ses desseins, afin de ne pas
-exciter de trop graves mécontentements dans le public et dans
-l'armée.</span>
-Pourtant, bien que tout à fait résolu (ce qui résulte d'une manière
-incontestable de ses ordres, de ses communications diplomatiques, et
-de quelques aveux inévitables faits à ses coopérateurs les plus
-intimes), il ne pouvait lui convenir de laisser apercevoir sa
-véritable pensée, ni aux puissances avec lesquelles il avait à
-traiter, ni à la plupart des agents de son gouvernement, du zèle
-desquels il avait grand besoin. En effet, connue de l'Autriche,
-<span class="pagenum"><a id="page6" name="page6"></a>(p. 6)</span> la pensée de Napoléon aurait définitivement décidé cette
-puissance contre nous, accéléré ses armements déjà bien assez actifs,
-répandu le désespoir parmi nos alliés déjà bien assez dégoûtés de
-notre alliance, rendu impossible une prolongation d'armistice à
-laquelle Napoléon tenait essentiellement, et qu'il ne désespérait pas
-d'obtenir en traînant les négociations en longueur. Avouée aux hommes
-qui composaient son gouvernement, sa résolution de ne pas accepter la
-paix se serait bientôt répandue dans le public, aurait augmenté
-l'aversion qu'inspirait sa politique, étendu cette aversion à sa
-personne et à sa dynastie, rendu les levées d'hommes plus difficiles,
-et irrité, découragé l'armée, qui ne voyant plus de terme à l'effusion
-de son sang, serait devenue plus hardie et plus sévère dans son
-langage. Il semblait effectivement que l'opposition, comprimée
-partout, se fût réfugiée dans les camps, et que nos militaires de tout
-grade, pour prix des sacrifices qu'on exigeait d'eux, voulussent
-exercer la liberté inaliénable de l'esprit français. Après s'être
-précipités le matin au milieu des dangers, ils déploraient le soir
-dans les bivouacs l'obstination fatale qui faisait couler tant de sang
-pour une politique qu'ils commençaient à ne plus comprendre. Ils
-avaient bien admis qu'après Moscou et la Bérézina il fallût une
-revanche éclatante aux armes françaises; mais après Lutzen, après
-Bautzen, le prestige de nos armes étant rétabli, ils auraient été
-révoltés, et peut-être glacés dans leur zèle, s'ils avaient appris que
-Napoléon pouvant conserver la Belgique, les provinces rhénanes, la
-Hollande, le Piémont, la Toscane, Naples, ne s'en contentait pas,
-<span class="pagenum"><a id="page7" name="page7"></a>(p. 7)</span> et voulait encore immoler des milliers d'hommes pour garder
-Lubeck, Hambourg, Brême, pour conserver le vain titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin! Par toutes ces raisons, Napoléon ne dit à
-personne, excepté peut-être à M. de Bassano, sa pensée tout entière;
-il n'en dit à chacun que ce que chacun avait besoin d'en savoir pour
-accomplir sa tâche particulière, réservant pour lui seul la
-connaissance complète de ses funestes desseins.</p>
-
-<p>On vient de voir que M. de Bubna avait reparu au quartier général avec
-les conditions de l'Autriche, et que ces conditions avaient été
-considérablement modifiées, puisqu'en remettant à la paix maritime le
-sacrifice des villes anséatiques et de la Confédération du Rhin, on
-avait fait tomber la seule objection qu'elles pussent raisonnablement
-provoquer. Napoléon se sentant alors serré de près, et craignant
-d'avoir à se prononcer immédiatement, ce qui lui eût mis l'Autriche
-sur les bras avant qu'il fût en mesure de lui résister, avait signé
-l'armistice si désavantageux de Pleiswitz, non pour avoir le temps de
-traiter, mais pour avoir celui d'armer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dit une partie de son secret au prince Eugène et
-au ministre de la guerre, parce qu'il ne peut pas faire autrement.</span>
-Il écrivit sous le secret au
-prince Eugène et au ministre de la guerre qu'il signait cet armistice,
-dont il prévoyait en partie le danger, pour avoir le temps de se
-préparer contre l'Autriche, à laquelle il entendait faire la loi au
-lieu de la recevoir d'elle. Il recommanda à l'un et à l'autre de ne
-rien négliger pour que l'armée d'Italie destinée à menacer l'Autriche
-par la Carinthie, pour que l'armée de Mayence destinée à la menacer
-par la Bavière, fussent prêtes à la fin de juillet, et d'agir de
-manière que les jours <em>comptassent double</em>, car on <span class="pagenum"><a id="page8" name="page8"></a>(p. 8)</span> avait à
-peine deux mois pour achever les armements que les circonstances
-rendaient indispensables. Toutefois il n'avoua ni à l'un ni à l'autre
-quelle était cette loi de l'Autriche qu'il ne voulait pas subir, il
-leur laissa même croire que les exigences de cette puissance étaient
-exorbitantes, et ne tendaient à rien moins qu'à ruiner la puissance de
-la France et à offenser son honneur.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il trompe entièrement le prince Cambacérès.</span>
-Il écrivit au prince Cambacérès,
-auquel il avait remis en partant le dépôt de son autorité, que
-l'armistice signé pourrait sans doute conduire à la paix, qu'il <cite>ne
-fallait pas toutefois que ce fût une raison de ralentir les
-préparatifs de guerre, mais au contraire une raison de les redoubler,
-car ce n'était qu'autant qu'on verrait que nous étions formidables sur
-tous les points, que la paix pourrait être sûre et honorable</cite>.--Mais
-au prince Cambacérès pas plus qu'aux autres, il n'osa dire ce qu'il
-entendait par une paix sûre et honorable, et il se garda de lui avouer
-qu'il ne considérait pas comme telle une paix qui, indépendamment du
-Rhin et des Alpes, concédait directement ou indirectement à la France
-la Hollande, la Westphalie, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, les
-États romains et Naples.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano seul dépositaire de ses véritables
-résolutions.</span>
-À M. de Bassano seul, qu'il ne pouvait pas tromper, puisque ce
-ministre était l'intermédiaire de toutes les communications de la
-France avec les puissances européennes, et duquel il n'avait pas
-d'ailleurs la moindre objection à craindre, il découvrit sa vraie
-pensée, en lui confiant le soin de recevoir à sa place M. de Bubna. Il
-lui dit qu'il ne voulait pas voir cet envoyé, pour n'avoir pas à se
-prononcer sur les conditions de l'Autriche; il lui enjoignit de
-l'emmener <span class="pagenum"><a id="page9" name="page9"></a>(p. 9)</span> à Dresde, où devait bientôt revenir le quartier
-général français, et de l'y retenir jusqu'à son retour, ce qui ferait
-gagner une dizaine de jours, et conduirait à la mi-juin avant d'avoir
-réuni les plénipotentiaires.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon songe à se faire accorder un mois de plus de
-suspension d'armes, en feignant de négocier.</span>
-En soulevant ensuite des difficultés de
-forme, il était possible d'atteindre le mois de juillet sans s'être
-prononcé sur le fond des choses. Puis en montrant au dernier moment
-quelque disposition à traiter, et en argumentant du peu de temps qui
-resterait alors, il serait encore possible de faire prolonger d'un
-mois la durée de l'armistice, ce qui après juin et juillet assurerait
-tout le mois d'août, et procurerait ainsi trois mois pour armer, trois
-mois dont les puissances coalisées profiteraient sans doute, mais pas
-autant que la France, car elles n'étaient administrées ni avec la même
-activité ni avec le même génie.</p>
-
-<p>Ce plan arrêté, Napoléon fit partir M. de Bassano pour Dresde, en le
-chargeant d'annoncer sa prochaine arrivée dans cette capitale, et de
-lui chercher en dehors des résidences royales une habitation commode
-et convenable, où il fût à la fois à la ville et à la campagne, où il
-pût travailler en liberté, respirer un air pur, et se trouver à portée
-des camps d'instruction établis au bord de l'Elbe. Il ordonna d'y
-amener une partie de sa maison, la Comédie française elle-même, afin
-d'y déployer une sorte de splendeur pacifique, qui respirât la
-satisfaction, la confiance et le penchant au repos, penchant qui
-n'avait jamais moins pénétré dans son âme. <cite>Il est bon</cite>, écrivait-il
-au prince Cambacérès, <cite>qu'on croie que nous nous amusons ici</cite>.--</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page10" name="page10"></a>(p. 10)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Avant de retourner à Dresde, Napoléon met tous ses
-soins à bien cantonner ses troupes.</span>
-Suivant son usage, Napoléon ne quitta point ses troupes sans avoir
-assuré leur entretien, leur bonne santé, et leur instruction pendant
-la durée de la suspension d'armes. Il s'était réservé, d'après les
-conditions de cet armistice, la basse Silésie, pays riche en toutes
-sortes de ressources tant pour la nourriture que pour le vêtement des
-hommes. Il y répartit ses corps d'armée, depuis les montagnes de la
-Bohême jusqu'à l'Oder, de la manière suivante.
-<span class="sidenote" title="En marge">Leur distribution sur la ligne frontière stipulée par
-l'armistice.</span>
-Il plaça Reynier à
-Gorlitz avec le 7<sup>e</sup> corps, Macdonald à Lowenberg avec le 11<sup>e</sup>,
-Lauriston à Goldberg avec le 5<sup>e</sup>, Ney à Liegnitz avec le 3<sup>e</sup>, Marmont
-à Buntzlau avec le 6<sup>e</sup>, Bertrand à Sprottau avec le 4<sup>e</sup>, Mortier aux
-environs de Glogau avec l'infanterie de la jeune garde, Victor à
-Crossen avec le 2<sup>e</sup>, Latour-Maubourg et Sébastiani au bord de l'Oder
-avec la cavalerie de réserve. Le maréchal Oudinot, avec le corps
-destiné à marcher sur Berlin, fut cantonné sur les limites de la Saxe
-et du Brandebourg, lesquelles formaient de l'Oder à l'Elbe la ligne de
-démarcation stipulée par l'armistice. Ces divers corps durent camper
-dans des villages ou des baraques, man&oelig;uvrer, se reposer et bien
-vivre. Ils devaient être entretenus au moyen de réquisitions sur le
-pays, ménagées de manière à pouvoir y subsister trois mois au moins,
-et à y former des approvisionnements pour l'époque du renouvellement
-des hostilités. Napoléon prescrivit en outre des levées de draps et de
-toiles dans la partie de la Silésie qui lui était restée, et qui les
-produisait en abondance, afin de réparer le vêtement déjà usé de ses
-soldats. La Silésie devant, dans tous les cas, revenir à la Prusse,
-puisque <span class="pagenum"><a id="page11" name="page11"></a>(p. 11)</span> l'Autriche n'en voulait pas, il n'avait à la ménager
-que pour en faire durer les ressources aussi longtemps que ses
-besoins.</p>
-
-<p>De toutes ses places sur l'Oder et la Vistule, celle de Glogau ayant
-eu seule l'avantage d'être débloquée, il en renouvela la garnison et
-les approvisionnements, et ordonna d'en perfectionner les moyens de
-défense. Il expédia des officiers à Custrin, Stettin, Dantzig, pour
-apprendre à ces garnisons les derniers triomphes de nos armes, pour
-leur porter des récompenses, et veiller à ce que les vivres consommés
-chaque jour fussent remplacés immédiatement par des quantités égales,
-conformément aux conditions expresses de l'armistice.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé à Hambourg pendant les derniers
-événements.</span>
-Il avait été
-convenu par l'une des stipulations de l'armistice que l'importante
-place de Hambourg dépendrait du sort des armes, et resterait à ceux
-qui l'occuperaient le 8 juin au soir. Elle était rentrée dans nos
-mains le 29 mai, par l'arrivée du général Vandamme à la tête de deux
-divisions, et serait redevenue plus tôt notre propriété sans
-l'intervention singulière et un moment inexplicable du Danemark dans
-cette occasion.
-<span class="sidenote" title="En marge">Attitude équivoque du Danemark.</span>
-Jusque-là le Danemark nous avait été fidèle, et il
-nous le devait, puisque c'était pour lui conserver la Norvége que nous
-avions la guerre avec la Suède. À la suite de notre désastre de
-Moscou, il avait été vivement sollicité par la Russie et l'Angleterre
-d'abandonner la Norvége à la Suède, avec promesse de l'indemniser aux
-dépens de la France s'il cédait, et avec menace, s'il résistait,
-d'abattre la monarchie danoise. À ces sollicitations menaçantes de la
-Russie et de l'Angleterre, s'étaient <span class="pagenum"><a id="page12" name="page12"></a>(p. 12)</span> jointes les instances
-plus douces de l'Autriche, invitant le Danemark à s'unir à elle, et
-lui promettant la conservation de la Norvége, s'il adhérait à sa
-politique médiatrice. Au milieu de ce conflit de suggestions de tout
-genre, le Danemark craignant que la France ne fût plus en mesure de le
-soutenir, avait loyalement demandé à Napoléon l'autorisation de
-traiter pour son compte, afin d'échapper aux périls qui le menaçaient,
-et Napoléon touché de sa franchise y avait généreusement consenti. Il
-lui avait même renvoyé les matelots danois qui servaient sur notre
-flotte, pour que sa situation s'approchât davantage de la neutralité.
-L'espérance du Danemark avait été en se remettant en paix avec
-l'Angleterre par l'intermédiaire de la Russie, et en restant neutre
-ensuite avec tout le monde, de s'assurer la conservation de la
-Norvége.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les exigences de la coalition ramènent le Danemark à la
-France.</span>
-Bientôt on lui avait signifié que non-seulement il fallait
-qu'il nous déclarât la guerre, ce qui coûtait fort à sa loyauté, mais
-qu'il fallait en outre qu'il renonçât à la Norvége, sauf une indemnité
-éventuelle, de manière que la défection envers nous ne l'aurait pas
-même sauvé de la spoliation.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le retour du Danemark rend facile la rentrée de nos troupes
-dans la ville de Hambourg.</span>
-Révolté de ces exigences, le Danemark
-nous était enfin revenu, et l'une de ses divisions, qui s'était tenue
-aux portes de Hambourg dans une attitude équivoque, et presque
-inquiétante, nous avait tendu la main, au lieu de nous menacer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle occupation de Hambourg.</span>
-Vandamme alors que rien ne retenait, avait expulsé le rassemblement de
-Tettenborn, composé de Cosaques, de Prussiens, de Mecklembourgeois, de
-soldats des villes anséatiques, et avait arboré de nouveau les aigles
-françaises sur tout le cours de l'Elbe inférieur. <span class="pagenum"><a id="page13" name="page13"></a>(p. 13)</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Renouvellement des ordres sévères de Napoléon.</span>
-Napoléon
-avait sur-le-champ expédié au maréchal Davout l'ordre de s'établir
-fortement dans Hambourg, Brême et Lubeck, lui avait réitéré
-l'injonction de punir sévèrement la révolte de ces villes, d'en tirer
-les ressources nécessaires pour l'armée, et de créer sur le bas Elbe
-un vaste établissement militaire qui complétât les défenses de ce
-grand fleuve, où nous allions avoir K&oelig;nigstein, Dresde, Torgau,
-Wittenberg, Magdebourg et Hambourg. Cette ligne si importante, objet
-de si vifs débats dans la négociation de l'armistice, nous était donc
-assurée, indépendamment de celle de l'Oder, dont nous avions la partie
-la plus essentielle, celle qui faisait face à Dresde. Quelques troupes
-de partisans, il est vrai, avaient passé la ligne de l'Elbe, et
-parcouraient en ce moment la Westphalie, la Hesse, la Saxe, répandant
-partout la terreur des Cosaques, devenue presque superstitieuse.
-Napoléon forma sur ses derrières un corps d'infanterie et de cavalerie
-pour les poursuivre à outrance, et sabrer sans pitié ceux qu'on
-prendrait en deçà de l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Corps de cavalerie et d'infanterie confié au duc de Padoue
-pour purger la rive gauche de l'Elbe de la présence des Cosaques.</span>
-Le duc de Padoue, destiné, comme on l'a
-dit, à commander un troisième corps de cavalerie, lorsque les deux
-premiers, ceux de Latour-Maubourg et de Sébastiani, seraient
-complétés, se trouvait alors à Leipzig avec le noyau de son corps. Il
-comptait environ trois mille cavaliers et quelques pièces d'artillerie
-attelée. Napoléon lui adjoignit la division polonaise Dombrowski, la
-division Teste (quatrième de Marmont), laissée en arrière pour achever
-son organisation, une seconde division wurtembergeoise récemment
-arrivée, quelques bataillons de garnison de Magdebourg, ce qui
-<span class="pagenum"><a id="page14" name="page14"></a>(p. 14)</span> formait un rassemblement de 8 mille cavaliers et de 12 mille
-fantassins. Il lui prescrivit de s'occuper uniquement de la police du
-pays compris entre l'Elbe et le Rhin, de le pacifier, de le purger de
-coureurs, et s'il en surprenait quelques-uns postérieurement au 8
-juin, terme extrême assigné aux hostilités, de les traiter comme des
-bandits, et tout au moins de les faire prisonniers, afin de s'emparer
-de leurs chevaux qui étaient excellents.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span>
-Ces premiers soins donnés à l'exécution de l'armistice et au bien-être
-des troupes pendant la suspension d'armes, Napoléon s'achemina vers
-Dresde, où il avait le projet de passer tout le temps des prochaines
-négociations, et rétrograda vers l'Elbe avec la cavalerie et
-l'infanterie de la vieille garde, marchant lui-même au pas de ses
-troupes par journées d'étapes. Il ne fut de retour à Dresde que le 10
-juin, ce qui convenait à son calcul de se trouver le plus tard
-possible en présence de M. de Bubna. Le roi de Saxe vint à sa
-rencontre, et les habitants de Dresde eux-mêmes, voyant avec plaisir
-la guerre écartée de leurs foyers, et leur roi honoré, lui firent un
-accueil auquel on n'aurait pas dû s'attendre de la part d'une
-population allemande.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Son établissement au palais Marcolini, et sa manière d'y
-vivre.</span>
-Napoléon descendit au palais Marcolini, dont M. de Bassano avait fait
-choix pour lui. Ce palais, entouré d'un vaste et beau jardin, était
-situé dans le faubourg de Friedrichstadt, tout près de la prairie de
-l'Osterwise, où des troupes nombreuses pouvaient man&oelig;uvrer au bord
-de l'Elbe. Napoléon y trouva sa maison déjà installée et toute prête à
-le recevoir. Là, sans être à charge à la cour de Saxe, sans être
-<span class="pagenum"><a id="page15" name="page15"></a>(p. 15)</span> incommodé par elle, il avait ce qu'il désirait, un
-établissement convenable, de l'air, de la verdure et un champ de
-man&oelig;uvre. Il décida qu'il aurait le matin un lever comme aux
-Tuileries, au milieu du jour des revues et des man&oelig;uvres, le soir
-des dîners, des réceptions, et les chefs-d'&oelig;uvre de Corneille, de
-Racine, de Molière, représentés par les premiers acteurs de la Comédie
-française. Le lendemain même de son retour à Dresde, sa vie telle
-qu'il l'avait ordonnée commençait avec la précision et l'invariabilité
-d'une consigne militaire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Longue attente de M. de Bubna, et note par lui remise à
-l'arrivée de Napoléon.</span>
-Mais en même temps M. de Bubna, qui, arrivé
-de Vienne depuis plus de quinze jours, attendait vainement le moment
-de le voir, lui rappela sa présence par une note formelle, à laquelle
-il fallait de toute nécessité répondre clairement et promptement.</p>
-
-<p>Pour comprendre cette note et son importance, il est indispensable de
-connaître les dernières circonstances survenues en Autriche, où comme
-ailleurs les événements se succédaient avec une prodigieuse rapidité,
-sous la violente impulsion que Napoléon imprimait partout à la marche
-des choses.
-<span class="sidenote" title="En marge">Communications entre les coalisés et la cour d'Autriche
-pendant la négociation de l'armistice.</span>
-En employant M. de Caulaincourt dans la négociation de
-l'armistice, afin de susciter l'occasion d'un arrangement direct avec
-la Russie, Napoléon avait fourni à celle-ci une arme dangereuse, et
-dont elle devait faire un funeste usage. Si l'empereur Alexandre,
-moins blessé par les dédains de Napoléon, moins épris du rôle tout
-nouveau de roi des rois, avait pu partager à quelque degré l'opinion
-du prince Kutusof, qui voulait qu'on se tirât de cette guerre en
-signant avec la France une paix toute russe, c'eût été un <span class="pagenum"><a id="page16" name="page16"></a>(p. 16)</span>
-grand à-propos de lui envoyer M. de Caulaincourt, qui avait été
-longtemps son confident et presque son ami.
-<span class="sidenote" title="En marge">On se sert de la présence de M. de Caulaincourt aux
-avant-postes pour effrayer l'Autriche, et la décider par la crainte de
-l'arrangement direct.</span>
-Mais enivré de l'encens
-que brûlaient devant lui les Allemands, Alexandre était devenu malgré
-sa douceur ordinaire un ennemi implacable, auquel il était dangereux
-de chercher à s'adresser. Au lieu de le toucher par l'envoi de M. de
-Caulaincourt, on lui fournit seulement un moyen de mettre un terme aux
-longues hésitations de l'Autriche. C'était le cas en effet pour
-Alexandre de dire à cette puissance: Décidez-vous, car si, faute de
-nous secourir, vous nous laissez encore battre comme à Lutzen, comme à
-Bautzen, nous serons forcés de traiter avec notre commun ennemi,
-d'accepter les avances qu'il nous fait, de conclure avec lui une paix
-exclusivement avantageuse à la Russie, et de vous livrer
-définitivement à son ressentiment, qui ne doit pas être médiocre, car
-si vous n'avez pas assez fait pour nous secourir, vous avez assez fait
-pour lui inspirer une profonde défiance.--Ce langage à la cour de
-Vienne serait venu d'autant plus à propos le lendemain de Bautzen,
-qu'un nouveau mouvement en arrière allait éloigner les coalisés des
-frontières de l'Autriche, et les priver de tout contact avec elle.
-C'était donc le moment ou jamais de s'unir, car un pas de plus, et les
-mains tendues les unes vers les autres ne pourraient plus se joindre.</p>
-
-<p>Telles sont les raisons qu'on avait résolu d'employer auprès de
-l'empereur François et de M. de Metternich; et tandis que MM. Kleist
-et de Schouvaloff négociaient à Pleiswitz l'armistice du 4 juin, on
-avait appelé M. de Stadion, on lui avait fait remarquer <span class="pagenum"><a id="page17" name="page17"></a>(p. 17)</span> le
-choix de M. de Caulaincourt pour cette négociation, on avait même
-ajouté le mensonge à la vérité, car on avait parlé de prétendues
-insinuations que ce personnage se serait permises (ce qui était faux),
-et desquelles on pouvait conclure que Napoléon songeait à s'entendre
-directement avec la Russie aux dépens de l'Autriche. Tout ce que
-l'envoi de M. de Caulaincourt permettait de supposer en fait de
-tentatives diplomatiques, on l'avait donné pour accompli, et on avait
-pressé M. de Stadion de déclarer à son cabinet, que ce qu'on refusait
-aujourd'hui, on serait obligé de l'accepter dans quelques jours, sous
-la pression des circonstances et des victoires de Napoléon. M. de
-Stadion, qui n'aimait pas la France, et qui avait été fort offusqué de
-la présence de M. de Caulaincourt, s'était hâté de peindre à sa cour,
-en l'exagérant beaucoup, le danger d'un arrangement direct entre la
-France et la Russie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Envoi de M. de Nesselrode à Vienne pour menacer l'Autriche
-d'un arrangement direct avec la France.</span>
-Ne comptant même pas assez sur l'influence des
-paroles écrites, on avait expédié, comme nous l'avons dit, M. de
-Nesselrode, le même qui pendant quarante ans n'a cessé de conseiller à
-ses divers maîtres une politique profonde par sa patience, mais pas
-toujours d'accord avec leur tempérament irritable. Jeune alors,
-simple, modeste, moins dogmatique que M. de Metternich, moins
-entreprenant, mais doué d'autant de finesse, et fait pour gagner la
-confiance d'un prince éclairé comme Alexandre, il avait déjà obtenu
-sur lui un ascendant très-marqué. Le czar, quoiqu'il eût laissé à M.
-de Romanzoff le vain titre de chancelier, en mémoire de la Finlande et
-de la Bessarabie conquises sous son ministère, avait amené M. de
-<span class="pagenum"><a id="page18" name="page18"></a>(p. 18)</span> Nesselrode à son quartier général, et ne dirigeait plus les
-affaires qu'avec lui et par son conseil. Il l'avait expédié dès le
-1<sup>er</sup> juin pour Vienne, avec la mission de prier, de supplier, de
-menacer au besoin la cour d'Autriche, en lui montrant la tête de
-Méduse, c'est-à-dire Napoléon s'abouchant avec Alexandre, et
-renouvelant sur l'Oder l'entrevue du Niémen, et peut-être à Breslau
-l'alliance de Tilsit. M. de Nesselrode s'était mis en route
-sur-le-champ, se dirigeant sur Vienne à travers la Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Effet produit sur l'empereur François et sur M. de
-Metternich par la perspective d'un arrangement direct entre la Russie
-et la France.</span>
-Il n'en fallait pas tant pour donner à deux esprits aussi clairvoyants
-que l'empereur François et M. de Metternich une commotion décisive.
-L'Autriche, en effet, replacée par la fortune dans une grande
-situation, dont elle avait été précipitée depuis vingt ans par l'épée
-de Napoléon, courait cependant un grave danger. Tout le monde la
-caressait en ce moment, tout le monde se présentait à elle les mains
-pleines des dons les plus magnifiques. Alexandre lui offrait
-non-seulement l'Illyrie et une part de la Pologne, mais l'Italie, mais
-le Tyrol, mais la couronne impériale d'Allemagne, que Napoléon avait
-fait tomber de sa tête, et, plus que tout cela, l'indépendance. La
-France lui offrait avec l'Illyrie et une part de la Pologne, non pas
-l'Italie, non pas le Tyrol, non pas la couronne impériale, mais ce qui
-l'eût charmée un siècle auparavant, la Silésie, sans l'indépendance il
-est vrai, à laquelle elle tenait plus qu'à tout le reste.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger pour l'Autriche, si elle ne se décide pas à temps,
-d'être repoussée universellement, après avoir été universellement
-recherchée.</span>
-Elle n'avait
-donc qu'à choisir; mais si, voulant jouir trop longtemps de ce rôle de
-puissance universellement courtisée, elle ne se décidait pas à
-propos, il était possible qu'après avoir <span class="pagenum"><a id="page19" name="page19"></a>(p. 19)</span> été flattée, caressée
-par tous, elle finît par être honnie par tous aussi, et écrasée sous
-leur commun ressentiment, car si Napoléon et Alexandre s'entendaient,
-il devait en résulter une paix exclusivement russe; l'Autriche
-n'aurait rien de la Pologne, rien de l'Illyrie, rien de l'Italie; on
-ne céderait point à son désir de reconstituer l'Allemagne, sauf
-quelques dédommagements qu'on accorderait peut-être à la Prusse, et,
-loin de recouvrer son indépendance, elle retomberait sous la
-domination de Napoléon devenue plus dure que jamais. Il suffisait pour
-cela d'un instant, et, dans les conjonctures présentes, les choses se
-décidant à coups d'épée, et quels coups d'épée! c'était assez de
-quarante-huit heures pour changer la face du monde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ subit de l'empereur François et de son ministre pour
-Prague.</span>
-Plein de ces préoccupations, M. de Metternich avait déjà songé à
-conduire son maître à Prague, afin d'être tout près du théâtre des
-batailles et des négociations, et de pouvoir, du haut de la Bohême
-comme d'un observatoire élevé et voisin, suivre le torrent si rapide
-des choses, et s'y jeter au besoin. La nouvelle du choix de M. de
-Caulaincourt pour négocier l'armistice l'avait affecté au point de
-rendre son émotion visible aux yeux pénétrants de M. de Narbonne. Les
-lettres de M. de Stadion ne lui avaient plus laissé un seul doute, et
-en vingt-quatre heures l'empereur et son ministre avaient formé la
-résolution de quitter Vienne pour Prague, au grand étonnement du
-public, surpris non d'une telle résolution, mais de la promptitude
-avec laquelle elle avait été prise. Dans les rapports où l'on était
-avec la France, on avait en quelque sorte l'obligation de <span class="pagenum"><a id="page20" name="page20"></a>(p. 20)</span> lui
-tout expliquer, et M. de Metternich s'était hâté de dire à M. de
-Narbonne, que les négociations étant à la veille de commencer par
-l'intermédiaire de l'Autriche, il fallait que le médiateur se
-rapprochât des parties soumises à sa médiation, qu'à Prague on
-gagnerait six jours au moins sur chaque communication, ce qui
-importait fort, la paix du monde devant se conclure en six semaines.
-Cette raison justifiait le voyage à Prague, mais non pas le départ en
-vingt-quatre heures.
-<span class="sidenote" title="En marge">Altération visible des sentiments de M. de Metternich à
-l'égard de la France.</span>
-Des renseignements secrets et l'air contraint de
-M. de Metternich avaient achevé de tout révéler à la vigilance de la
-légation française. M. de Narbonne avait su, par des informations
-sûres, que la cour de Vienne accélérait son départ par la crainte d'un
-arrangement direct de la France avec la Russie, et ces informations
-lui expliquaient en outre les nouveaux sentiments qu'il avait cru
-découvrir chez M. de Metternich. M. de Narbonne, en effet, avait
-trouvé le ministre autrichien sensiblement refroidi, ce qui était
-naturel, car si M. de Metternich s'était échappé de notre alliance
-comme un serpent s'échappe à force de mouvements alternatifs des
-étreintes d'une main puissante, toutefois il n'avait pas entièrement
-déserté notre cause, et dans l'intention fort sage de tout terminer
-sans guerre, il avait défendu auprès des coalisés le système d'une
-paix modérée, ce qui n'avait pas été facile, et il était fondé à nous
-en vouloir de chercher à négocier une paix désastreuse pour lui,
-tandis qu'il s'efforçait d'en stipuler une très-acceptable pour nous.</p>
-
-<p>Du reste, M. de Narbonne avait eu à peine le temps d'entretenir M. de
-Metternich, et ce dernier, <span class="pagenum"><a id="page21" name="page21"></a>(p. 21)</span> parti en toute hâte, était avec
-l'empereur François à Gitschin, résidence située à une vingtaine de
-lieues de Prague, dès le 3 juin au soir. En y arrivant il avait
-rencontré M. de Nesselrode, qui apprenant le départ de la cour, avait
-rebroussé chemin pour la joindre. Les paroles que ces deux hommes
-d'État, alors si importants, avaient pu s'adresser, on les devine.
-<span class="sidenote" title="En marge">Rencontre de M. de Nesselrode et de M. de Metternich.</span>
-M. de Nesselrode avait, au nom de l'empereur de Russie et du roi de
-Prusse, supplié M. de Metternich de mettre fin à de trop longues
-hésitations, de ne pas laisser battre de nouveau les alliés, car,
-battus encore une fois, ils seraient obligés de se soumettre à
-Napoléon, de traiter avec lui aux dépens de l'Autriche, et de
-consacrer pour jamais la dépendance de l'Europe. M. de Nesselrode
-s'était appliqué surtout à montrer à M. de Metternich que Napoléon
-trahissait les Autrichiens, car tandis que ceux-ci soutenaient pour
-lui le système d'une paix modérée, il songeait à les sacrifier, et à
-conclure une paix accablante pour eux seuls. Il avait donc pressé
-instamment le ministre autrichien de suivre enfin l'exemple de la
-Prusse, et de s'unir par un traité formel aux souverains alliés. M. de
-Metternich n'avait besoin d'être ni éclairé ni excité, car il l'était
-suffisamment.
-<span class="sidenote" title="En marge">Résolution invariable de M. de Metternich d'épuiser le rôle
-de médiateur avant de passer au rôle de belligérant.</span>
-Mais ce ministre, dont le mérite a toujours été d'avoir,
-avec un esprit sans froideur, une politique sans passion, s'attachait
-de plus en plus au système de conduite qu'il avait adopté, celui
-d'épuiser le rôle intermédiaire d'arbitre, avant de passer au rôle de
-belligérant. Ce système de conduite, outre qu'il dégageait l'honneur
-de l'empereur François, son honneur de souverain et de père, avait
-l'avantage de ménager <span class="pagenum"><a id="page22" name="page22"></a>(p. 22)</span> aussi la considération de l'Autriche, de
-lui procurer le temps dont elle avait besoin pour armer, et,
-par-dessus tout, de rendre possible une conclusion pacifique, car
-c'eût été un bien beau résultat pour elle que de reconstituer la
-Prusse, de rétablir l'indépendance de l'Allemagne, de recouvrer en
-outre l'Illyrie et la part perdue de la Gallicie, sans courir les
-hasards peut-être funestes (personne ne le savait alors) d'une
-nouvelle guerre avec Napoléon.</p>
-
-<p>M. de Metternich avec une prévoyance profonde voulait s'épargner
-non-seulement la chance bien dangereuse de voir tout le monde, fatigué
-de ses temporisations, s'arranger à ses dépens, mais la chance aussi
-de se faire battre par la France, ce qu'il redoutait fort malgré les
-événements de l'année précédente, et, par ce motif, il cherchait d'une
-main à tenir la Prusse et la Russie, pour qu'elles ne pussent lui
-échapper, et de l'autre à contenir Napoléon, pour lui faire accepter
-une paix que l'Europe pût agréer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Promesse à la Russie de s'unir à la coalition, si la France
-reste sourde à toute proposition raisonnable, mais après avoir tout
-fait pour éclairer celle-ci.</span>
-Aussi avait-il dit à M. de
-Nesselrode qu'il s'était engagé à être médiateur, qu'il remplirait
-franchement ce rôle pendant les deux mois qui allaient suivre, qu'il
-lui fallait indispensablement, à l'égard de la France, passer par le
-rôle de médiateur avant d'en arriver à celui d'ennemi, que jusque-là
-il ne pouvait prendre parti, mais que si des conditions de paix
-raisonnables étaient définitivement repoussées, il conseillerait à son
-maître, l'armistice expiré, de s'unir aux puissances alliées, et de
-tenter un suprême et dernier effort pour arracher l'Europe à la
-domination de Napoléon.</p>
-
-<p>Ce qu'on s'était promis actuellement, en conséquence <span class="pagenum"><a id="page23" name="page23"></a>(p. 23)</span> de ces
-vues, c'était, de la part de la Russie, de ne pas se laisser séduire
-par l'appât d'un arrangement direct, de la part de l'Autriche, de
-déclarer la guerre au jour indiqué, si les conditions de la médiation
-n'étaient pas acceptées par la France.
-<span class="sidenote" title="En marge">Double déclaration en ce sens que M. de Bubna est chargé de
-porter à Dresde.</span>
-M. de Metternich, profitant du
-voisinage de Prague, y avait rappelé M. de Bubna pour vingt-quatre
-heures, lui avait bien expliqué la position, lui avait positivement
-affirmé qu'on n'était pas encore engagé avec les belligérants, l'avait
-autorisé à donner à l'appui de ce fait la parole d'honneur de
-l'empereur François, mais l'avait autorisé aussi à signifier de la
-manière la plus expresse qu'on finirait par s'engager, si la durée de
-l'armistice n'était pas employée à négocier sincèrement une paix
-modérée. Il l'avait en même temps chargé d'annoncer au cabinet
-français, que la médiation de l'Autriche était formellement acceptée
-par la Prusse et par la Russie, ce qui obligeait dès lors le médiateur
-à demander à chacun ses conditions, et notamment à la France qui était
-instamment priée de faire connaître les siennes. M. de Bubna devait à
-cette occasion témoigner le désir de M. de Metternich de venir un
-moment à Dresde, pour tout terminer sur les lieux, dans un entretien
-cordial avec Napoléon. Là, en effet, on pouvait finir en quelques
-heures, car si M. de Metternich parvenait à persuader Napoléon, tout
-serait dit, les coalisés étant dans l'impossibilité de refuser les
-conditions que l'Autriche déclarerait acceptables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Note de M. de Bubna, constituant pour le cabinet français
-une vraie mise en demeure.</span>
-Telles sont les choses, fort importantes comme on le voit, que M. de
-Bubna, revenu à Dresde, voulait communiquer à Napoléon, et dont il ne
-disait qu'une <span class="pagenum"><a id="page24" name="page24"></a>(p. 24)</span> partie à M. de Bassano, sachant l'inutilité des
-explications avec ce ministre, qui recevait les opinions de son maître
-et ne les faisait pas. Napoléon étant arrivé le 10 juin, M. de Bubna
-avait remis le 11 une note pour déclarer que la Russie et la Prusse
-avaient officiellement accepté la médiation de l'Autriche, que
-celle-ci était occupée à leur demander leurs conditions de paix, et
-qu'on attendait que la France voulût bien énoncer les siennes. Ce
-n'était là qu'une mise en demeure, ayant pour but non d'amener une
-entière et immédiate énonciation des conditions de la France, mais de
-provoquer les pourparlers préliminaires, les épanchements
-confidentiels, préalable indispensable et plus ou moins long, suivant
-le temps dont on dispose, des déclarations officielles et définitives.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Preuve évidente que Napoléon ne voulait pas la paix,
-résultant de plusieurs pertes de temps volontaires.</span>
-Si Napoléon avait voulu la paix, celle du moins qui était possible et
-dont il connaissait les conditions, il n'aurait pas perdu de temps,
-quarante jours au plus lui restant pour la négocier. On était en effet
-au 10 juin, et l'armistice expirait au 20 juillet. Avec son ardeur
-accoutumée, il aurait appelé M. de Metternich à Dresde, aurait tâché
-de lui arracher quelque modification aux propositions de l'Autriche,
-ce qui était très-possible avec le désir qu'elle avait d'en finir
-pacifiquement, et aurait renvoyé ce ministre, une, deux et trois fois,
-au quartier général des puissances alliées, pour aplanir les
-difficultés de détail toujours nombreuses dans tout traité, mais
-devant l'être bien davantage dans un traité qui allait embrasser les
-intérêts du monde entier. Mais la preuve évidente qu'il ne la voulait
-pas (indépendamment <span class="pagenum"><a id="page25" name="page25"></a>(p. 25)</span> des preuves irréfragables contenues dans
-sa correspondance), c'était le temps qu'il perdait et qu'il allait
-perdre encore. Son projet, comme nous l'avons dit, c'était de différer
-le moment de s'expliquer, de multiplier pour cela les questions de
-forme, puis de paraître s'amender tout à coup lorsque la suspension
-d'armes serait près d'expirer, de se montrer alors disposé à céder,
-d'obtenir à la faveur de ces manifestations pacifiques une
-prolongation d'armistice, de se donner ainsi jusqu'au 1{er} septembre
-pour terminer ses préparatifs militaires, de rompre à cette époque sur
-un motif bien choisi qui pût faire illusion au public, et de tomber
-soudainement avec toutes ses forces sur la coalition, de la dissoudre
-et de rétablir plus puissante que jamais sa domination actuellement
-contestée, calcul pardonnable assurément, et dont l'histoire des
-princes conquérants n'est que trop remplie, s'il avait été fondé sur
-la réalité des choses! Avec de telles vues il n'était pas temps encore
-de recevoir M. de Bubna, et de lui répondre par oui ou par non, sur
-des conditions qui se réduisaient à un petit nombre de points dont
-aucun ne prêtait à l'équivoque.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon prend quelques jours pour répondre à la note
-remise le 11 juin par M. de Bubna.</span>
-Aussi Napoléon prit-il la résolution
-de laisser passer quatre ou cinq jours avant d'admettre auprès de lui
-M. de Bubna et de répondre à sa note, ajournement fort concevable si
-aucun terme n'avait été fixé aux négociations, et si, comme lors du
-traité de Westphalie, on avait eu pour négocier des mois et même des
-années. Mais perdre quatre ou cinq jours sur quarante pour une
-première question de forme, qui en supposait encore mille autres,
-c'était trop dire ce qu'on voulait, ou plutôt ce qu'on ne voulait
-pas.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page26" name="page26"></a>(p. 26)</span> Toutefois Napoléon venait d'arriver à Dresde, fatigué sans
-doute, accablé de soins de tout genre, et à la rigueur on pouvait
-comprendre qu'il ne reçût point M. de Bubna le jour même. Il n'y avait
-pas d'ailleurs de souverain au monde qui fût plus dispensé que lui de
-se plier aux convenances d'autrui, et qui s'y pliât moins. Ces retards
-envers M. de Bubna n'avaient donc encore rien de bien significatif.
-Seulement Napoléon prouvait ainsi qu'il n'était pas pressé, car
-lorsqu'il l'était, les jours, les nuits, la fatigue, le repos, tout
-devenait égal pour lui, et n'être pas pressé de la paix en ce moment,
-c'était ne pas la désirer. M. de Bassano reçut la dépêche de M. de
-Bubna, affecta de la trouver infiniment grave, dit que sous trois ou
-quatre jours on répondrait, et que sous trois ou quatre jours aussi
-Napoléon donnerait audience à M. de Bubna, et s'expliquerait avec lui
-sur le contenu de sa note.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nombreuses chicanes de forme.</span>
-Dans cet intervalle la réponse fut préparée et rédigée. Elle était de
-nature, plus encore que le temps volontairement perdu, à révéler les
-dispositions véritables du gouvernement français.
-<span class="sidenote" title="En marge">On conteste d'abord à M. de Bubna le caractère nécessaire
-pour remettre une note.</span>
-On objecta d'abord à
-M. de Bubna qu'il n'avait aucun caractère pour remettre une note. Cet
-agent, en effet, reçu officieusement par Napoléon, et envoyé auprès de
-lui comme lui étant plus agréable qu'un autre, et comme plus spirituel
-notamment que le prince de Schwarzenberg qui l'était peu, n'avait
-jamais été formellement accrédité, ni à titre de plénipotentiaire ni à
-titre d'ambassadeur; il n'avait donc pas qualité pour remettre une
-note. C'était là une difficulté bien mesquine, car on avait déjà
-échangé avec ce personnage les communications <span class="pagenum"><a id="page27" name="page27"></a>(p. 27)</span> les plus
-importantes. Néanmoins on rédigea une première réponse à M. de Bubna,
-dans laquelle on soutint qu'il fallait que la note qu'il avait
-présentée fût signée de M. de Metternich, pour prendre place dans les
-archives du cabinet français, car il n'avait quant à lui aucun titre
-qui pût donner à cette note un caractère d'authenticité. Après cette
-difficulté de forme, on éleva des difficultés de fond. La première
-était relative à la médiation elle-même. Sans doute, disait-on, la
-France avait paru disposée à admettre la médiation de l'Autriche,
-avait même promis de l'accepter, mais une résolution si importante ne
-pouvait pas se supposer, se déduire d'un simple entretien, et il
-fallait un acte officiel, dans lequel on déterminerait le but, la
-forme, la portée, la durée de cette médiation.
-<span class="sidenote" title="En marge">On élève ensuite des objections sur la prétention du
-cabinet autrichien, de réunir la double qualité de médiateur et
-d'allié.</span>
-Ce n'était pas tout:
-cette médiation comment se concilierait-elle avec le traité
-d'alliance? le cabinet autrichien serait-il médiateur, c'est-à-dire
-arbitre, arbitre prêt à se prononcer contre l'une ou l'autre partie,
-et à se prononcer les armes à la main, comme il était d'usage que le
-fît un médiateur armé? alors que devenait le traité d'alliance de
-l'Autriche avec la France? Il fallait s'expliquer sur ce point. Enfin,
-quelle que fût la portée de la médiation, il y avait une question de
-forme sur laquelle l'honneur ne permettait pas de garder le silence.
-Ainsi le médiateur se saisissant si brusquement, et on peut dire si
-cavalièrement, de son rôle, annonçait déjà une manière de traiter qui
-ne pouvait convenir à la France. Il paraissait en effet vouloir
-s'entremettre entre toutes les parties belligérantes, porter lui seul
-la parole de celles-ci à celles-là, et ne les jamais placer en
-présence <span class="pagenum"><a id="page28" name="page28"></a>(p. 28)</span> les unes des autres (ce qui était effectivement le
-secret désir de l'Autriche, afin d'empêcher l'arrangement direct).
-<span class="sidenote" title="En marge">On s'oppose formellement à une autre prétention de
-l'Autriche, celle d'être l'intermédiaire unique entre les parties
-contractantes.</span>
-Une telle manière de négocier n'était pas admissible. La France ne
-reconnaissait à personne le droit de traiter pour elle ses propres
-affaires. S'y prendre de la sorte, c'était lui imposer une paix
-concertée avec d'autres, et la France si longtemps victorieuse, au
-point de dicter des conditions à l'Europe, n'en était pas réduite,
-surtout quand la victoire lui était revenue, à accepter les conditions
-de qui que ce soit. Elle voulait bien, pour parvenir à la paix dont
-tout le monde avait besoin, renoncer à dicter des conditions; jamais
-elle ne consentirait à s'en laisser dicter, l'Europe fût-elle réunie
-tout entière pour lui faire la loi.--</p>
-
-<p>On remplit plusieurs notes de ces chicanes, et Napoléon en remplit
-lui-même un long entretien avec M. de Bubna. Il lui accorda cet
-entretien le 14 juin, et les notes furent signées et remises le 15. M.
-de Bassano les accompagna d'une lettre personnelle pour M. de
-Metternich, dont le ton était même contraire au but qu'on se proposait
-d'atteindre, car Napoléon voulait qu'on gagnât du temps, et la hauteur
-de langage n'était pas un moyen d'y réussir. Dans cette lettre, il
-imputait le temps perdu à M. de Metternich, se plaignait
-maladroitement de ce que l'armistice ayant été signé le 4 juin, on fût
-si peu avancé le 15, comme si M. de Bubna n'avait pas été dès les
-derniers jours de mai au quartier général français, demandant une
-entrevue sans pouvoir l'obtenir, comme si l'Autriche sur tous les
-points ne se fût pas montrée impatiente de provoquer et de donner des
-explications. <span class="pagenum"><a id="page29" name="page29"></a>(p. 29)</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">On répond d'une manière presque négative au désir de venir
-à Dresde exprimé par M. de Metternich.</span>
-Enfin, quant au désir exprimé par M. de
-Metternich de venir à Dresde, M. de Bassano, sans même éluder,
-répondait d'une manière à peine polie que les questions étaient encore
-trop peu mûries pour qu'une entrevue de M. de Metternich, soit avec le
-ministre des affaires étrangères, soit avec Napoléon lui-même, pût
-avoir l'utilité qu'on en attendait, et qu'on en espérait plus tard.</p>
-
-<p>Telles furent les réponses dont M. de Bubna dut se contenter, et qui
-furent expédiées à M. de Metternich à Prague. Il fallait un jour pour
-se rendre dans cette capitale de la Bohême, un jour pour en revenir,
-et si M. de Metternich et son maître mettaient trois ou quatre jours
-pour se résoudre, on devait atteindre le 20 juin avant d'être obligé
-de parler de nouveau. De son côté il serait bien permis à la
-diplomatie française d'employer quelques jours à se décider sur le
-texte de la convention par laquelle on accepterait la médiation,
-d'employer quelques jours encore pour réunir les plénipotentiaires, et
-on aurait ainsi gagné le 1<sup>er</sup> juillet sans s'être abouché avec la
-diplomatie européenne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se flatte par ces divers ajournements de faire
-proroger l'armistice jusqu'au 1<sup>er</sup> septembre.</span>
-Il suffirait alors de se montrer conciliant un
-moment, du 1<sup>er</sup> au 10 juillet, par exemple, pour être fondé à
-demander que l'expiration de l'armistice fût reportée du 20 juillet au
-20 août, ce qui, avec six jours pour la dénonciation des hostilités,
-conduirait au 26 août, fort près de ce 1<sup>er</sup> septembre, terme désiré
-par Napoléon. Tels étaient ses calculs et les moyens employés pour en
-obtenir le succès.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vastes projets militaires de Napoléon, pour lesquels il
-avait besoin d'un délai de trois mois.</span>
-Pendant qu'il ne visait qu'à perdre le temps dans les négociations, il
-ne visait au contraire qu'à le bien employer dans l'accomplissement
-de ses vastes <span class="pagenum"><a id="page30" name="page30"></a>(p. 30)</span> conceptions militaires. Le premier projet de
-Napoléon, lorsqu'il comptait sur l'alliance ou la neutralité de
-l'Autriche, était de s'avancer jusqu'à l'Oder et à la Vistule, pour
-rejeter les Russes sur le Niémen, et les ramener chez eux vaincus et
-séparés des Prussiens. Tous les préparatifs actuels étant faits dans
-la supposition de la guerre avec l'Autriche, les plans ne pouvaient
-plus être les mêmes, car en s'avançant seulement jusqu'à l'Oder, il
-eût laissé les armées autrichiennes sur ses flancs et ses derrières.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, comptant par ses refus avoir la guerre avec
-l'Autriche, choisit le cours de l'Elbe pour sa ligne d'opération.</span>
-Il n'avait donc à choisir pour future ligne défensive qu'entre l'Elbe
-et le Rhin, ou le Main tout au plus. Il préféra l'Elbe pour des
-raisons profondes, généralement peu connues et mal appréciées. (Voir
-la carte n<sup>o</sup> 28.) Disons d'abord que se porter sur le Rhin ou sur le
-Main revenait à peu près au même, car la petite rivière du Main, en
-décrivant plusieurs contours à travers le pays montueux de la
-Franconie, et venant après un cours de peu d'étendue tomber dans le
-Rhin à Mayence, pouvait bien servir à défendre les approches du Rhin,
-quand on se battait avec des armées de soixante ou quatre-vingt mille
-hommes, mais ne pouvait plus avoir cet avantage depuis qu'on se
-battait avec des masses de cinq à six cent mille, et eût été débordée
-par la droite ou par la gauche avant quinze jours. On devait donc ne
-considérer le Main que comme une annexe de la ligne du Rhin,
-c'est-à-dire comme le Rhin lui-même, et il n'y avait à choisir
-qu'entre le Rhin et l'Elbe. Poser ainsi la question, c'était presque
-la résoudre. Se retirer tout de suite sur le Rhin, c'était faire à
-l'Europe un abandon de territoire plus humiliant cent fois que les
-sacrifices qu'elle demandait <span class="pagenum"><a id="page31" name="page31"></a>(p. 31)</span> pour accorder la paix. C'était
-abandonner non-seulement les alliances de la Saxe, de la Bavière, du
-Wurtemberg, de Bade, etc., mais les villes anséatiques qui nous
-étaient si vivement disputées, mais la Westphalie et la Hollande qui
-ne l'étaient pas, car la Hollande elle-même n'est plus couverte quand
-on est sur le Rhin. Et comment exiger dans un traité le protectorat de
-la Confédération du Rhin, qu'on déclarait en rétrogradant sur le Rhin
-ne pouvoir plus défendre? comment prétendre aux villes anséatiques, à
-la Westphalie, à la Hollande qu'on reconnaissait ne pouvoir plus
-occuper?
-<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité d'adopter cette ligne, puisqu'il continuait la
-guerre pour ne pas abandonner les villes anséatiques et la
-Confédération du Rhin.</span>
-À prendre ce terrain pour champ de bataille, il eût été bien
-plus simple d'accepter tout de suite les conditions de paix de
-l'Autriche, car en renonçant à la Confédération du Rhin et aux villes
-anséatiques, on eût conservé au moins sans contestation la Westphalie
-et la Hollande, et soustrait définitivement à tous les hasards le
-trône de Napoléon, et, ce qui valait mieux, la grandeur territoriale
-de la France. Indépendamment de ces raisons, qui politiquement étaient
-décisives, il y en avait une autre, qui moralement et patriotiquement
-était tout aussi forte, c'est que rétrograder sur le Rhin, c'était
-consentir à transporter en France le théâtre de la guerre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Avantage qu'avait la ligne de l'Elbe d'éloigner les
-hostilités de la frontière de France.</span>
-Sans doute
-tant que le Rhin n'était point franchi par l'ennemi, on pouvait
-considérer la guerre comme se faisant hors de France; mais le
-voisinage était tel, que pour les provinces frontières la souffrance
-était presque la même. De plus en obtenant des victoires sur le haut
-Rhin, entre Strasbourg et Mayence, par exemple, Napoléon n'était pas
-assuré qu'un de <span class="pagenum"><a id="page32" name="page32"></a>(p. 32)</span> ses lieutenants ne laisserait pas forcer sa
-position au-dessous de lui, et alors la guerre se trouverait
-transportée en France, et ce ne serait plus la situation d'un
-conquérant se battant pour la domination du monde, ce serait celle
-d'un envahi réduit à se battre pour la conservation de ses propres
-foyers. Mieux eût valu, nous le répétons, accepter la paix tout de
-suite, car outre qu'elle n'était pas humiliante, qu'elle était même
-infiniment glorieuse, elle n'exigeait pas de Napoléon un sacrifice
-comparable à celui que lui eût infligé la retraite volontaire sur le
-Rhin. Ceux donc qui le blâment d'avoir adopté la ligne de l'Elbe,
-feraient mieux de lui adresser le reproche de n'avoir pas accepté la
-paix, car cette paix entraînait cent fois moins de sacrifices de tout
-genre que la retraite immédiate sur le Rhin. La déplorable idée de
-continuer la guerre pour les villes anséatiques, et pour la
-Confédération du Rhin, étant admise, il n'y avait évidemment qu'une
-conduite à tenir, c'était d'occuper et de défendre la ligne de l'Elbe.</p>
-
-<p>Le grand esprit de Napoléon ne pouvait pas se tromper à cet égard, et
-planant comme l'aigle sur la carte de l'Europe, il s'était abattu sur
-Dresde, comme sur le roc d'où il tiendrait tête à tous ses ennemis. Le
-récit des événements prouvera bientôt que s'il y fut forcé, ce fut,
-non point par le vice de la position elle-même, mais par suite de
-l'extension extraordinaire donnée à ses combinaisons, de l'épuisement
-de son armée, et des passions patriotiques excitées contre lui dans
-toute l'Europe. Six ans plus tôt, avec l'armée de Friedland, il y
-aurait tenu contre le monde entier.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page33" name="page33"></a>(p. 33)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Propriétés militaires de la ligne de l'Elbe.</span>
-La ligne de l'Elbe, quoique présentant dans sa partie supérieure un
-obstacle moins considérable que le Rhin, avait cependant l'avantage
-d'être moins longue, moins accidentée, plus facile à parcourir
-intérieurement pour porter secours d'un point à un autre, et, depuis
-les montagnes de la Bohême jusqu'à la mer, semée de solides appuis,
-tels que K&oelig;nigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg,
-Hambourg. Quelques-uns de ces appuis exigeaient des travaux, et c'est
-pour ce motif que Napoléon dans ses calculs militaires, qui étaient
-plus profonds que ses calculs politiques, voulait sans cesse allonger
-l'armistice, pour réparer la faute de l'avoir signé. Il s'agissait de
-savoir si la ligne de l'Elbe s'appuyant à son extrême droite aux
-montagnes de la Bohême, et si la Bohême donnant à l'Autriche le moyen
-de déboucher sur les derrières de cette position, il était possible de
-se défendre contre un mouvement tournant de l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger d'y être tourné par la Bohême.</span>
-C'était la
-question que s'adressaient beaucoup d'esprits éclairés, et qu'ils
-s'adressaient tout haut. Mais Napoléon qui, à mesure que son malheur
-commençait à délier certaines langues timides, permettait ces
-objections, Napoléon faisait des gestes de dédain quand on lui disait
-que sa position de Dresde pourrait être tournée par une descente des
-Autrichiens sur Freyberg ou sur Chemnitz. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28
-et 58.) Ce n'était pas, en effet, au général de l'armée d'Italie, qui
-retrouvait agrandie la position qu'il avait si longtemps occupée
-autour de Vérone, qui retrouvait dans l'Elbe l'Adige, dans la Bohême
-le Tyrol, dans Dresde Vérone elle-même, et qui fortement établi jadis
-au débouché <span class="pagenum"><a id="page34" name="page34"></a>(p. 34)</span> des Alpes, avait fondu tour à tour sur ceux qui se
-présentaient ou devant lui ou derrière lui, et les avait plus
-maltraitée encore lorsqu'ils s'aventuraient sur ses derrières, ce
-n'était pas au général de l'armée d'Italie qu'on pouvait faire peur
-d'une position semblable. Il répondait avec raison que ce qu'il
-demanderait au ciel de plus heureux, c'était que la principale masse
-ennemie voulût bien, tandis qu'il serait posté sur l'Elbe, déboucher
-en arrière de ce fleuve, qu'il courrait sur elle, et la prendrait tout
-entière entre l'Elbe et la forêt de Thuringe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Moyens de parer à ce danger.</span>
-Le prochain désastre des
-coalisés à Dresde prouva bientôt la justesse de ses prévisions, et si
-plus tard, comme on le verra, il fut forcé sur l'Elbe, ce ne fut point
-par la Bohême, mais par l'Elbe inférieur, que ses lieutenants
-n'avaient pas su défendre, et après plusieurs accidents qui l'avaient
-prodigieusement affaibli. Sa pensée, toujours profonde et d'une portée
-sans égale lorsqu'il s'agissait des hautes combinaisons de la guerre,
-était donc de s'établir fortement sur les divers points de l'Elbe, de
-manière à pouvoir s'en éloigner quelques jours sans crainte, soit
-qu'il fallût prévenir la masse qui s'avancerait de front, soit qu'il
-fallût revenir rapidement sur celle qui aurait par la Bohême débouché
-sur ses derrières, en un mot de recommencer avec 500 mille hommes
-contre 700 mille, ce qu'il avait accompli dans sa jeunesse avec 50
-mille Français contre 80 mille Autrichiens, et les résultats
-prouveront qu'avec des éléments moins usés, la supériorité
-incomparable de ses conceptions eût triomphé cette seconde fois comme
-la première. Mais la gloire de réaliser sur une échelle si vaste les
-prodiges <span class="pagenum"><a id="page35" name="page35"></a>(p. 35)</span> de sa jeunesse ne devait pas lui être accordée, pour
-le punir d'avoir trop abusé des hommes et des choses, des corps et des
-âmes!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nombreux points d'appui qui devaient rendre la ligne de
-l'Elbe formidable.</span>
-Pour que la ligne de l'Elbe pût avoir toute sa valeur, il fallait
-employer le temps de la suspension d'armes à en fortifier les points
-principaux, et se hâter, soit qu'on réussît ou non à prolonger la
-durée de l'armistice. Le premier point était celui de K&oelig;nigstein, à
-l'endroit même où l'Elbe sort des montagnes de la Bohême pour entrer
-en Saxe. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.)
-<span class="sidenote" title="En marge">K&oelig;nigstein et Lilienstein.</span>
-Deux rochers, ceux de K&oelig;nigstein
-et de Lilienstein, placés comme deux sentinelles avancées, l'une à
-gauche, l'autre à droite du fleuve, resserrent l'Elbe à son entrée
-dans les plaines germaniques, et en commandent le cours fort étroit en
-cette partie. Sur le rocher de K&oelig;nigstein, situé de notre côté,
-c'est-à-dire sur la gauche du fleuve, se trouvait la forteresse de ce
-nom, laquelle domine le célèbre camp de Pirna, illustré par les
-guerres du grand Frédéric. Il n'y avait rien à ajouter aux ouvrages de
-cette citadelle; seulement la garnison étant saxonne, Napoléon prit
-soin de la renouveler peu à peu et sans affectation par des troupes
-françaises. Il ordonna d'y rassembler dix mille quintaux de farine et
-d'y construire des fours, afin de pouvoir y nourrir une centaine de
-mille hommes pendant neuf ou dix jours, on va voir dans quelle
-intention. Sur le rocher opposé situé à la rive droite, celui de
-Lilienstein, presque tout était à créer. Napoléon commanda des travaux
-rapides qui permissent d'y loger deux mille hommes en sûreté, et en
-chargea le général Roguet, l'un des généraux distingués de sa garde.
-Puis il fit ramasser <span class="pagenum"><a id="page36" name="page36"></a>(p. 36)</span> le nombre de bateaux nécessaires pour y
-jeter un pont spacieux et solide, capable de donner passage à une
-armée considérable, et qui, protégé par ces deux forts de Lilienstein
-et de K&oelig;nigstein, fût à l'abri de toute attaque. Dans sa profonde
-prévoyance, Napoléon calculait que si une armée ennemie, réalisant les
-pronostics de plus d'un esprit alarmé, débouchait de la Bohême sur ses
-derrières, pour attaquer Dresde pendant qu'il serait sur Bautzen par
-exemple, il pourrait passer l'Elbe à K&oelig;nigstein, et prendre à
-revers cette armée imprudente. On reconnaîtra bientôt quelle vue
-pénétrante de l'avenir supposait une telle précaution.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dresde.</span>
-Après K&oelig;nigstein et Lilienstein, placés au débouché des montagnes,
-venait Dresde, centre des prochaines opérations, Dresde, qui allait
-devenir, comme nous l'avons déjà dit, ce que Vérone avait été dans les
-guerres d'Italie. Pendant sa dernière campagne d'Autriche, ne voulant
-pas exposer Dresde à être le but des opérations de l'ennemi, et
-désirant épargner à son placide allié le roi de Saxe l'épreuve d'un
-siége, Napoléon avait conseillé aux ministres saxons de démolir les
-fortifications de Dresde, et de les remplacer par celles de Torgau.
-<span class="sidenote" title="En marge">État de cette place.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'occupe de suppléer aux fortifications détruites.</span>
-Par une négligence trop ordinaire, on avait démoli Dresde sans édifier
-Torgau, dont les ouvrages étaient à peine commencés. C'était chose
-fort regrettable, mais Napoléon y pourvut par des travaux qui bien
-qu'improvisés devaient suffire à leur objet. De l'enceinte de Dresde
-il restait les bastions, qu'il fit réparer et armer. Il suppléa aux
-courtines par des fossés remplis d'eau et par de fortes palissades.
-<span class="pagenum"><a id="page37" name="page37"></a>(p. 37)</span> En avant de Dresde, comme dans toutes les villes déjà
-anciennes, il existait de grands faubourgs, dont la défense importait
-autant que celle de la ville elle-même. Napoléon les fit envelopper de
-palissades, et, en avant de toutes les parties saillantes de leur
-pourtour, il ordonna de construire des redoutes bien armées, se
-flanquant les unes les autres, et offrant une première ligne
-d'ouvrages difficile à forcer. Sur la rive droite, c'est-à-dire dans
-la Neustadt (ville neuve), il décida la construction d'une suite
-d'ouvrages plus serrés, qui devinrent bientôt une vaste tête de pont
-presque complétement fortifiée. Deux ponts en charpente, établis l'un
-au-dessus, l'autre au-dessous du pont de pierre, servaient avec
-celui-ci aux communications de la ville et de l'armée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vaste établissement militaire à Dresde.</span>
-Les choses
-ainsi disposées, trente mille hommes devaient se soutenir dans Dresde
-environ quinze jours contre deux cent mille hommes, si un chef de
-grand caractère était chargé du commandement. À ces moyens de défense
-Napoléon ajouta d'immenses magasins, dont nous ferons bientôt
-connaître le mode d'approvisionnement, ainsi que de vastes hôpitaux
-suffisants pour l'armée la plus nombreuse. Il y avait déjà seize mille
-malades ou blessés dans Dresde; il en prépara l'évacuation, afin
-d'avoir à sa disposition les seize mille lits qui deviendraient
-vacants, outre tous ceux qu'il allait établir encore. Avec les toiles
-de la Silésie il avait de quoi se procurer le principal matériel de
-ces hôpitaux.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Torgau et Wittenberg: travaux ordonnés sur ces deux points.</span>
-Après Dresde Napoléon s'occupa de Torgau et de Wittenberg. Il avait
-pour principe qu'avec du bois on pouvait tout, et que des ouvrages en
-terre pourvus <span class="pagenum"><a id="page38" name="page38"></a>(p. 38)</span> de fortes palissades étaient capables d'opposer
-la plus longue résistance. C'est ainsi qu'il résolut de suppléer à ce
-qui manquait aux fortifications de Torgau et de Wittenberg, et il
-donna les ordres nécessaires pour que ces travaux fussent achevés en
-six ou sept semaines. Des milliers de paysans saxons bien payés
-travaillaient jour et nuit à K&oelig;nigstein, à Dresde, à Torgau, à
-Wittenberg. Sur ces deux derniers points comme sur les autres,
-l'établissement des magasins et des hôpitaux accompagnait la
-construction des ouvrages défensifs.
-<span class="sidenote" title="En marge">Magdebourg.</span>
-À Magdebourg, l'une des plus
-fortes places de l'Europe, il n'y avait rien ou presque rien à ajouter
-en fait de murailles; il suffisait d'en terminer l'armement et d'en
-composer la garnison. Napoléon résolut d'y consacrer un corps d'armée,
-qui sans être entièrement immobilisé, pût tout à la fois servir de
-garnison et rayonner autour de la place, de manière à lier entre elles
-nos deux principales masses agissantes, celle du haut Elbe et celle du
-bas Elbe. Dans cette vue, il imagina de transférer à Magdebourg la
-presque totalité de ses blessés, et de plus le dépôt de cavalerie du
-général Bourcier. D'abord il importait que nos blessés et le dépôt de
-nos remontes en Allemagne fussent à l'abri de toute attaque, et dans
-un emplacement qui ne gênât pas le mouvement de nos forces actives.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vaste dépôt préparé à Magdebourg.</span>
-Sous ces divers rapports Magdebourg présentait tous les avantages
-nécessaires, car à des remparts presque invincibles cette place
-joignait de nombreux bâtiments pour hôpitaux, et des espaces libres
-pour y construire des écuries en planches. Elle était en outre située
-à une distance presque <span class="pagenum"><a id="page39" name="page39"></a>(p. 39)</span> égale de Hambourg et de Dresde, ce qui
-en faisait un dépôt précieux entre les deux points extrêmes de notre
-ligne de bataille. Napoléon après y avoir nommé pour gouverneur son
-aide de camp le général Lemarois, officier intelligent et vigoureux,
-lui donna pour instructions sommaires <cite>de convertir Magdebourg tout
-entier en écuries et en hôpitaux</cite>. Il calculait qu'en faisant
-descendre par eau à Magdebourg tous les blessés et malades qui le
-gênaient à Dresde, qu'en y transportant le dépôt de cavalerie du
-général Bourcier actuellement en Hanovre, il aurait toujours sur
-quinze ou dix-huit mille blessés ou convalescents, sur dix ou douze
-mille cavaliers démontés, trois à quatre mille convalescents guéris,
-trois à quatre mille cavaliers en état de servir à pied, et pouvant
-fournir à la défense un fond de garnison de sept à huit mille hommes
-constamment assuré.
-<span class="sidenote" title="En marge">Garnison mobile de cette place.</span>
-Dès lors un corps mobile d'une vingtaine de mille
-hommes, établi à Magdebourg pour y lier entre elles nos armées du haut
-et du bas Elbe, pourrait en laissant cinq à six mille hommes au
-dedans, en porter quinze mille au dehors, et rayonner même à une
-grande distance sans que la place fût compromise. On voit avec quel
-art subtil et profond il savait combiner ses ressources, et les faire
-concourir à l'accomplissement de ses vastes desseins.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Manière de remplir la lacune de Magdebourg à Hambourg.</span>
-De Magdebourg à Hambourg le cours de l'Elbe restait sans défense, car
-de l'une à l'autre de ces villes il n'y avait pas un seul point
-fortifié. Ce sujet avait occupé Napoléon dès le jour de la signature
-de l'armistice, et après avoir conçu divers projets, il avait envoyé
-le général Haxo pour vérifier sur <span class="pagenum"><a id="page40" name="page40"></a>(p. 40)</span> les lieux mêmes quel était
-celui qui vaudrait le mieux. À la suite d'un long examen, il s'était
-arrêté à l'idée de construire à Werben, plus près de Magdebourg que de
-Hambourg, au sommet du coude que l'Elbe forme en tournant du nord à
-l'ouest, et à son point le plus rapproché de Berlin, une espèce de
-citadelle faite avec de la terre et des palissades, munie de baraques
-et de magasins, et dans laquelle trois mille hommes pourraient se
-maintenir assez longtemps. Enfin Hambourg fut le dernier et le plus
-important objet de sa sollicitude.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Travaux ordonnés à Hambourg pour assurer la défense de
-cette ville importante.</span>
-Il fallait bien que cette grande place de commerce, qui était l'un des
-principaux motifs pour lesquels il se refusait à une paix nécessaire,
-fût non pas seulement défendue en paroles contre les négociateurs,
-mais en fait contre les armées coalisées. Le temps manquait
-malheureusement, et là comme ailleurs on ne pouvait exécuter que des
-travaux d'urgence. Il eût fallu dix ans et quarante millions pour
-faire de Hambourg une place qui comme Dantzig, Magdebourg ou Metz, pût
-soutenir un long siége. Napoléon, en faisant relever et armer les
-bastions de l'ancienne enceinte, en faisant creuser et inonder ses
-fossés, remplacer ses murailles par des palissades, et lier entre
-elles les différentes îles qui entourent Hambourg, y prépara un vaste
-établissement militaire, moitié place forte, moitié camp retranché, où
-un homme ferme, comme le prouva bientôt l'illustre maréchal Davout,
-pouvait opposer une longue résistance. Restait au-dessous de Hambourg,
-à l'embouchure même de l'Elbe, le fort de Gluckstadt, dont la garde
-fut confiée aux Danois, <span class="pagenum"><a id="page41" name="page41"></a>(p. 41)</span> réduits alors par d'indignes
-traitements à vaincre ou à succomber avec nous.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ensemble de la ligne de l'Elbe.</span>
-Ainsi des montagnes de la Bohême jusqu'à l'Océan du nord, la ligne de
-l'Elbe devait se trouver jalonnée d'une suite de points fortifiés,
-d'une valeur proportionnée au rôle de chacun d'eux, et pourvue de
-ponts qui nous appartiendraient exclusivement, de telle sorte qu'on
-pût à volonté se porter au delà, revenir en deçà, man&oelig;uvrer en un
-mot dans tous les sens, offensivement et défensivement. La maxime de
-Napoléon, qu'on ne devait défendre le cours d'un fleuve
-qu'offensivement, c'est-à-dire en s'assurant de tous ses passages, et
-en se ménageant toujours le moyen de le franchir, cette maxime allait
-recevoir ici sa plus savante application.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir assuré la défense de cette ligne, Napoléon
-s'occupe d'en assurer l'approvisionnement.</span>
-Il fallait toutefois suffire à la dépense de ces travaux, qui pour
-s'exécuter avec rapidité devaient être soldés comptant. Il fallait
-joindre aux établissements militaires qui viennent d'être énumérés
-d'immenses approvisionnements, afin que les masses d'hommes qui
-allaient se mouvoir sur cette ligne y fussent pourvues de tout ce qui
-leur serait nécessaire. Ici l'esprit ingénieux de Napoléon ne lui fit
-pas plus défaut que son impitoyable volonté pour faire subir aux
-peuples les lourdes charges de la guerre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Premiers ordres rigoureux donnés à l'égard de Hambourg.</span>
-On a vu qu'il avait ordonné au maréchal Davout de tirer une cruelle
-vengeance de la révolte des habitants de Hambourg, de Lubeck et de
-Brême, de faire fusiller immédiatement les anciens sénateurs, les
-officiers ou soldats de la légion anséatique, les fonctionnaires de
-l'insurrection qui n'auraient pas eu le <span class="pagenum"><a id="page42" name="page42"></a>(p. 42)</span> temps de s'évader, et
-puis de dresser une liste des cinq cents principaux négociants pour
-prendre leurs biens, et <em>déplacer la propriété</em>, avait-il dit. Il
-avait compté en donnant ces ordres sur l'inexorable rigueur du
-maréchal Davout, mais aussi, pour l'honneur de tous deux, sur le bon
-sens et la probité de ce maréchal. Celui-ci était arrivé quelques
-jours après le général Vandamme, n'avait pas trouvé un seul délinquant
-à fusiller, et s'y était pris du reste de manière à n'en trouver
-aucun. La frontière du Danemark placée aux portes mêmes de la ville,
-l'avait aidé à sauver tout le monde. Quelques exécutions regrettables
-avaient eu lieu antérieurement, mais c'était lors du premier mouvement
-insurrectionnel du mois de février, et en punition des indignes
-traitements exercés contre les fonctionnaires français.</p>
-
-<p>Le maréchal fut donc assez heureux pour n'avoir personne à fusiller.
-Il restait à dresser des listes de proscription, qui n'entraîneraient
-pas la perte de la vie, mais celle des biens, et cette mesure ne lui
-semblait pas plus sage que l'autre. Les Hambourgeois coupables, ou
-supposés tels, étaient en masse dans la petite ville d'Altona,
-véritable faubourg de la ville de Hambourg, demandant à revenir dans
-leurs demeures, à charge au Danemark qui ne voulait pas être compromis
-avec la France, et faisant faute à celle-ci, qui désirait et pouvait
-tirer d'eux de grandes ressources, ce qui était plus profitable que
-d'en tirer des vengeances.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ces ordres convertis en punitions pécuniaires.</span>
-Le maréchal Davout représenta à Napoléon
-qu'il valait mieux pardonner à ceux qui rentreraient dans un temps
-prochain, leur imposer pour unique châtiment une forte contribution,
-<span class="pagenum"><a id="page43" name="page43"></a>(p. 43)</span> qu'ils se diraient d'abord incapables de payer, qu'ils
-payeraient ensuite, se borner ainsi à leur faire peur, et les punir
-par un côté très-sensible pour eux, très-utile pour l'armée, l'argent.
-Pas de sang et de grandes ressources, fut le résumé de la politique
-qu'il conseilla à l'Empereur.</p>
-
-<p>Napoléon qui avait le goût des grandes ressources et pas du tout celui
-du sang, accepta cette transaction.--<cite>Si le lendemain de votre
-entrée</cite>, écrivit-il au maréchal Davout, <cite>vous en eussiez fait fusiller
-quelques-uns, c'eût été bien, maintenant c'est trop tard. Les
-punitions pécuniaires valent mieux</cite>.--C'est ainsi que le despotisme et
-la guerre habituent les hommes à parler, même ceux qui n'ont aucune
-cruauté dans le c&oelig;ur.
-<span class="sidenote" title="En marge">Contribution de cinquante millions frappée sur les
-Hambourgeois, et acquittable en argent ou en matières.</span>
-Il fut donc décidé que tout Hambourgeois
-rentré dans quinze jours serait pardonné, que les autres seraient
-frappés de séquestre, et que la ville de Hambourg acquitterait en
-argent ou en matières une contribution de cinquante millions. Une
-petite partie de cette contribution dut peser sur Lubeck, Brême, et
-les campagnes de la 32<sup>e</sup> division militaire. Dix millions durent être
-soldés comptant, vingt en bons à échéance. Quant au surplus, il fut
-ouvert un compte pour payer les chevaux, les blés, les riz, les vins,
-les viandes salées, le bétail, les bois, qu'on allait exiger de
-Hambourg, de Lubeck et de Brême. Sur le même compte devait être porté
-le prix de toutes les maisons qu'on allait démolir pour élever les
-ouvrages défensifs de Hambourg. Les Hambourgeois se plaignirent
-beaucoup, voulurent présenter leurs doléances à Napoléon, qui refusa
-de les recevoir, et cette fois trouvèrent inflexible le maréchal
-<span class="pagenum"><a id="page44" name="page44"></a>(p. 44)</span> qu'ils avaient eu pour défenseur quelques jours auparavant.
-Ils acquittèrent néanmoins la partie de la contribution qui devait
-être soldée sur-le-champ, soit en argent, soit en matières. C'était ce
-qui importait le plus aux besoins de l'armée. Dix millions environ
-furent envoyés à Dresde; de grandes quantités de grains, de bétail, de
-spiritueux furent embarqués sur l'Elbe pour le remonter.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Immenses approvisionnements remontant de Hambourg sur tous
-les points fortifiés de l'Elbe.</span>
-Dès que Napoléon se vit en possession de ces ressources, il en disposa
-de manière à se procurer sur tous les points du fleuve et
-particulièrement à Dresde, de quoi nourrir les nombreuses troupes
-qu'il allait y concentrer. Il voulait avoir à Dresde, centre principal
-de ses opérations, de quoi entretenir trois cent mille hommes pendant
-deux mois, et notamment une suffisante réserve de biscuit, laquelle
-portée sur le dos des soldats permettrait de man&oelig;uvrer sept ou huit
-jours de suite sans être retenu par la considération des vivres. Il
-fallait pour cela cent mille quintaux de grains ou de farine à Dresde,
-huit ou dix mille à K&oelig;nigstein. Il s'en trouvait environ
-soixante-dix mille à Magdebourg, qu'on avait mis tout l'hiver à réunir
-dans cette place, soit pour l'approvisionnement de siége, soit pour
-suffire à l'entretien des troupes de passage. Napoléon ordonna que ces
-soixante-dix mille quintaux fussent transportés par l'Elbe à Dresde,
-et remplacés immédiatement par une quantité égale tirée de Hambourg.
-Grâce à cette combinaison, ces masses immenses de denrées n'avaient
-que la moitié du chemin à parcourir. On s'était aperçu que la chaleur
-et la fatigue donnaient la dyssenterie à nos jeunes soldats, et
-<span class="pagenum"><a id="page45" name="page45"></a>(p. 45)</span> qu'une ration de riz les guérissait très-vite. On s'empara de
-tout ce qu'il y avait de riz à Hambourg, à Brême, à Lubeck; on prit de
-même les spiritueux, les viandes salées, le bétail, les chevaux, les
-cuirs, les draps, les toiles. Ces matières furent embarquées sur
-l'Elbe, en suivant le procédé que nous venons d'indiquer, de prendre à
-Magdebourg ce qui s'y trouvait déjà, et de le remplacer par des envois
-de Hambourg. Tous les bateliers du fleuve requis et payés avec des
-bons sur Hambourg, furent mis en mouvement dès les premiers jours de
-juin, dans le moment même où sous prétexte de fatigue, Napoléon
-refusait de recevoir M. de Bubna. Ainsi dans les mains de Napoléon
-l'Elbe était tout à la fois une puissante ligne de défense, et une
-source inépuisable d'approvisionnements.</p>
-
-<p>Mais il ne borna pas ses précautions à cette ligne seule. Au delà de
-Dresde à Liegnitz, et en deçà de Dresde à Erfurt, il voulait avoir
-aussi des magasins bien fournis. Profitant de la richesse de la basse
-Silésie, sur laquelle était campée l'armée qui avait combattu à
-Bautzen, et n'ayant guère à ménager cette province, il ordonna qu'on
-employât les deux mois de l'armistice à réunir une réserve de vingt
-jours de vivres pour chaque corps, en confectionnant tous les jours
-beaucoup plus que le nécessaire. En arrière de Dresde, à Erfurt, à
-Weimar, à Leipzig, à Nuremberg, à Wurzbourg, pays saxons ou
-franconiens, il était chez des alliés, et il n'usa de l'abondance du
-pays qu'en payant ce qu'il prenait.
-<span class="sidenote" title="En marge">Autres approvisionnements tirés de la Silésie et de la
-Saxe.</span>
-Il y ordonna la formation à prix
-d'argent de très-grands approvisionnements. Toutefois il s'écarta de
-ces <span class="pagenum"><a id="page46" name="page46"></a>(p. 46)</span> ménagements à l'égard de la ville de Leipzig, qui s'était
-montrée ouvertement hostile. Il prit les tissus de toile et de laine,
-les grains, les spiritueux, dont les magasins de Leipzig étaient
-abondamment pourvus, et de plus fit occuper les établissements publics
-pour y créer des hôpitaux. Il y joignit la menace de faire brûler la
-ville au premier mouvement insurrectionnel. Les villes d'Erfurt, de
-Naumbourg, de Weimar, de Wurzbourg, furent également remplies
-d'hôpitaux. Erfurt dont il s'était toujours réservé la possession
-depuis 1809, Wurzbourg, qui était la capitale du grand-duché de
-Wurzbourg, places qui l'une et l'autre étaient susceptibles d'une
-certaine résistance, furent armées, afin d'avoir une suite de points
-fortifiés sur la route de Mayence, si des événements qu'on ne
-prévoyait pas alors rendaient une retraite nécessaire, car, ainsi que
-nous l'avons déjà fait remarquer, Napoléon, qui, dans ses calculs
-politiques ne voulait jamais admettre la possibilité des revers,
-l'admettait toujours dans ses calculs militaires. Enfin ne pouvant
-trouver qu'en France les armes, les munitions de guerre, et certains
-objets d'équipement, tandis que les vivres il les trouvait partout, il
-conclut avec des compagnies allemandes, des marchés, soldés comptant,
-pour transporter de Mayence à Dresde, par les trois routes de Cassel,
-d'Eisenach et de Hof, les objets d'armement et d'équipement qu'il
-était impossible de se procurer en Saxe.</p>
-
-<p>Telles furent les mesures imaginées par Napoléon pour qu'à la reprise
-des opérations sa ligne de bataille fût tout à la fois fortement
-défendue, et largement <span class="pagenum"><a id="page47" name="page47"></a>(p. 47)</span> approvisionnée. Restait un dernier soin
-à prendre, celui de proportionner le nombre des soldats à l'étendue
-que la guerre allait acquérir, et Napoléon ne l'avait pas négligé, car
-dans son vaste esprit toutes les mesures allaient ensemble, sans
-attendre que l'une fît naître la pensée de l'autre. Toutes étaient
-conçues simultanément, avec un accord parfait, et ordonnées sans perte
-d'une heure.</p>
-
-<p>On a déjà vu qu'en se flattant de l'idée que l'Autriche accéderait
-peut-être à ses plans, il avait pourtant pris ses mesures dans une
-hypothèse contraire, et qu'il avait préparé en Westphalie, sur le
-Rhin, en Italie, trois armées de réserve capables d'entrer
-prochainement en ligne. Les deux mois de l'armistice, qu'il voulait
-étendre à trois mois, étaient destinés à terminer vers le commencement
-d'août cette &oelig;uvre commencée en mars.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouveaux corps d'armée préparés dans la supposition de la
-guerre avec l'Autriche.</span>
-En Westphalie c'étaient, comme nous l'avons dit, les régiments
-réorganisés de la grande armée de Russie qui devaient composer deux
-grands corps sous les maréchaux Victor et Davout, celui-ci de seize
-régiments, celui-là de douze. Les autres régiments de la grande armée
-avaient été renvoyés en Italie d'où ils étaient originaires. Les
-bataillons de chaque régiment ne pouvant être réorganisés tous à la
-fois, on avait d'abord reconstitué les seconds bataillons, puis les
-quatrièmes, enfin les premiers, selon l'époque du retour des cadres,
-et on avait successivement composé les divisions de seconds, de
-quatrièmes et de premiers bataillons, de manière que chaque régiment
-était réparti en trois divisions. Napoléon pressé de faire cesser un
-état de choses vicieux, voulut <span class="pagenum"><a id="page48" name="page48"></a>(p. 48)</span> réunir les trois bataillons
-déjà prêts, et former les divisions par régiments, non plus par
-bataillons. Il ne manquait que les troisièmes bataillons, qui allaient
-être bientôt disponibles à leur tour, et alors tous les régiments
-devaient être portés à quatre bataillons. Le maréchal Davout forma
-avec les siens quatre belles divisions, et le maréchal Victor trois.
-Tandis que ces organisations s'achevaient, Napoléon arrêta
-l'emplacement et l'emploi de ces deux corps d'armée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Victor.</span>
-Celui du maréchal
-Victor resté en arrière jusqu'ici, fut acheminé sur la ligne frontière
-de l'armistice, et cantonné le long de l'Oder, aux environs de
-Crossen, pour achever de s'y instruire, et pour s'y approvisionner
-conformément aux prescriptions adressées à tous les autres corps.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Corps du général Vandamme.</span>
-Napoléon pensant que pour garder les départements anséatiques et le
-bas Elbe, le maréchal Davout, renforcé par les Danois, aurait trop de
-quatre divisions, car d'après toutes les vraisemblances les grands
-coups devaient se porter sur l'Elbe supérieur, imagina de partager le
-corps de ce maréchal, de lui laisser deux divisions, d'en confier deux
-au général Vandamme, et de placer celles-ci à Wittenberg, d'où il
-pourrait les attirer à lui, s'il en avait besoin, ou les renvoyer sur
-le bas Elbe, si elles devenaient nécessaires au maréchal Davout.</p>
-
-<p>Les autres corps destinés à renforcer la masse des troupes actives
-s'organisaient à Mayence. Là, comme on doit s'en souvenir, se
-rendaient les cadres tirés de France ou d'Espagne, qu'on remplissait
-sur les bords du Rhin de conscrits rapidement instruits, et qu'on
-réunissait ensuite dès qu'on avait pu se procurer <span class="pagenum"><a id="page49" name="page49"></a>(p. 49)</span> deux
-bataillons du même régiment, afin d'éviter autant que possible la
-formation vicieuse en régiments provisoires. Il y avait à Mayence
-quatre divisions dont l'organisation était presque achevée, et qui
-dans deux mois seraient en aussi bon état qu'on pouvait l'espérer dans
-la situation des choses.
-<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Saint-Cyr.</span>
-Napoléon les destinait au maréchal Saint-Cyr,
-blessé en 1812 sur la Dwina, mais actuellement remis de ses fatigues
-et de sa blessure. C'étaient par conséquent trois corps d'armée, ceux
-du maréchal Victor, du général Vandamme, du maréchal Saint-Cyr,
-comprenant environ 80 mille hommes d'infanterie, sans les armes
-spéciales, dont Napoléon allait accroître ses forces en Saxe contre
-l'apparition éventuelle de l'Autriche sur le théâtre de la guerre. Ce
-puissant renfort était indépendant de l'augmentation que devaient
-recevoir les corps avec lesquels il avait ouvert la campagne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Corps du maréchal Augereau.</span>
-Outre
-les quatre divisions déjà prêtes à Mayence, Napoléon avait encore
-rassemblé les éléments de deux autres, qui allaient se former sous le
-maréchal Augereau, et être rejointes par deux divisions bavaroises. La
-cour de Bavière un moment attirée, comme la Saxe, à la politique
-médiatrice de l'Autriche, s'était subitement rejetée en arrière, dès
-qu'on lui avait demandé sur les bords de l'Inn des sacrifices sans
-compensation. Elle s'était hâtée de renouveler ses armements, et on
-pouvait compter de sa part sur deux bonnes divisions, à la condition
-toutefois que la victoire viendrait contenir l'esprit de son peuple,
-et encourager la fidélité de son roi. Ces quatre divisions, deux
-françaises et deux bavaroises, <span class="pagenum"><a id="page50" name="page50"></a>(p. 50)</span> devaient menacer l'Autriche
-vers le haut Palatinat.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée d'Italie.</span>
-Enfin Napoléon avait suivi avec son attention accoutumée l'exécution
-des ordres donnés au prince Eugène, pour qu'avec les cadres revenus de
-Russie, avec ceux qui revenaient chaque jour d'Espagne, on refît en
-Italie une armée de soixante mille hommes, à laquelle il voulait
-joindre vingt mille Napolitains. Murat, toujours flottant entre les
-sentiments les plus contraires, blessé par les traitements de
-Napoléon, mais voulant avant tout sauver sa couronne, ne sachant avec
-qui elle serait sauvée plus sûrement, ou avec l'Autriche, ou avec la
-France, faisait encore attendre l'envoi de son contingent. Napoléon à
-peine rentré à Dresde l'avait sommé de se décider, et avait enjoint à
-M. Durand de Mareuil, ministre de France à Naples, de se retirer si
-les ordres de marche n'étaient donnés immédiatement au corps
-napolitain. Il restait dans les dépôts de quoi fournir six à sept
-mille hommes de cavalerie légère à la future armée d'Italie, ce qui
-suffisait dans cette contrée, où la cavalerie, trouvant peu l'occasion
-de charger en ligne, n'était qu'un moyen de s'éclairer. Les arsenaux
-et les dépôts d'Italie contenaient encore les éléments d'une belle
-artillerie. Napoléon se flattait donc d'avoir en Italie au 1<sup>er</sup> août
-une armée de 80 mille hommes, pourvue de 200 bouches à feu, menaçant
-d'envahir l'Autriche par l'Illyrie, et ayant pour but Vienne
-elle-même. Il calculait que l'Autriche, eût-elle armé trois cent mille
-hommes, ce qui était beaucoup dans l'état de ses finances et avec le
-temps dont elle disposait, n'en pourrait pas tirer plus de deux cent
-mille combattants présents <span class="pagenum"><a id="page51" name="page51"></a>(p. 51)</span> au feu, dont il faudrait qu'elle
-détournât cinquante mille pour tenir tête au prince Eugène en Italie,
-trente mille pour faire face au maréchal Augereau en Bavière, ce qui
-ne lui laisserait pas plus de cent vingt mille hommes à ajouter à la
-masse des troupes coalisées sur l'Elbe.</p>
-
-<p>Les trois corps de Victor, de Vandamme, de Saint-Cyr (sans compter
-celui d'Augereau, qui n'était pas destiné à agir sur l'Elbe), lui
-semblaient déjà une ressource presque suffisante contre l'apparition
-de l'Autriche sur le terrain de cette lutte formidable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Corps du prince Poniatowski, amené par la Bohême en
-Silésie.</span>
-Mais le corps
-de Poniatowski, après bien des vicissitudes, amené à travers la
-Gallicie et la Bohême à Zittau, sur la ligne où campaient nos corps de
-Silésie, était une nouvelle ressource d'une véritable importance, bien
-moins par la quantité que par la qualité des soldats. Il n'y en avait
-pas de plus braves, de plus aguerris, de plus dévoués à la France. De
-leur patrie, il ne leur restait que le souvenir, et le désir de la
-venger. Napoléon résolut de leur en donner une, en les faisant
-Français, et en les prenant au service de la France. En attendant leur
-annexion définitive à l'armée française, il les plaça sous
-l'administration directe de M. de Bassano, et prescrivit à ce ministre
-de leur payer leur solde arriérée, de les pourvoir de vêtements,
-d'armes, de tout ce qui leur manquait, de leur faire en un mot passer
-ces deux mois dans une véritable abondance. Ils pouvaient, en
-recueillant quelques débris de troupes polonaises épars çà et là, mais
-sans toucher ni à la division Dombrowski, ni à divers détachements de
-leur nation répandus dans les places, <span class="pagenum"><a id="page52" name="page52"></a>(p. 52)</span> réunir environ douze
-mille hommes d'infanterie et trois mille de cavalerie. C'était une
-nouvelle force ajoutée à celles qui avaient combattu à Lutzen et à
-Bautzen.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'organisation de la garde complétée.</span>
-Enfin, au nombre des ressources créées pour la campagne d'automne, et
-pour l'éventualité de la guerre avec l'Autriche, il fallait compter le
-développement donné à la garde impériale. Elle n'avait eu que deux
-divisions à l'entrée en campagne, une de vieille, l'autre de jeune
-garde. Une troisième division avait rejoint au moment de l'armistice,
-une quatrième venait d'arriver, une cinquième était en marche, ce qui
-avec douze mille hommes de cavalerie et deux cents bouches à feu,
-devait composer un corps de près de cinquante mille hommes, dont
-trente mille de jeune infanterie, que Napoléon entendait ne pas
-ménager comme la vieille garde, mais employer dans toutes les grandes
-batailles, qui malheureusement allaient être nombreuses et sanglantes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La cavalerie de l'armée portée à une force suffisante.</span>
-Restait la cavalerie, qui avait manqué au commencement de la campagne,
-et qui avait été l'un des motifs de Napoléon pour signer l'armistice.
-Une cavalerie insuffisante équivaut à peu près à une cavalerie nulle,
-car elle n'ose pas s'engager de peur d'être accablée, et demeure
-cachée derrière l'infanterie qu'elle ne sert pas même à éclairer.
-C'est ce qu'on avait vu à Lutzen et à Bautzen. Les deux corps de
-Latour-Maubourg et de Sébastiani ne montaient pas au 1<sup>er</sup> juin à
-plus de huit mille cavaliers. On pouvait en tirer quatre mille des
-dépôts du général Bourcier, et environ vingt-huit mille de France, les
-uns amenés par le duc de Plaisance, les autres en marche <span class="pagenum"><a id="page53" name="page53"></a>(p. 53)</span> sous
-le duc de Padoue, ce qui devait porter à quarante mille hommes les
-forces de l'armée d'Allemagne en troupes à cheval, sans compter la
-cavalerie de la garde impériale et des alliés, Saxons, Wurtembergeois
-et Bavarois. Seulement dans les vingt-huit mille cavaliers tirés de
-France, il y en avait quelques mille venant à pied, et auxquels il
-fallait fournir des chevaux. Les troubles survenus sur la gauche de
-l'Elbe par suite de l'insurrection des villes anséatiques, avaient
-singulièrement nui aux remontes. Napoléon ordonna de les reprendre, et
-fit insérer sur cet objet un article dans le traité d'alliance par
-lequel le Danemark s'était définitivement rattaché à la France. Par ce
-traité la France promettait d'entretenir toujours vingt mille hommes
-de troupes actives à Hambourg, afin de concourir à la défense des
-provinces danoises, et le Danemark s'engageait en retour à fournir à
-la France dix mille hommes d'infanterie, deux mille de cavalerie, les
-uns et les autres soldés par le trésor français, et à procurer dix
-mille chevaux à condition qu'ils seraient payés comptant. C'était,
-indépendamment des achats recommencés en Hanovre, une nouvelle
-ressource pour monter les cavaliers qui venaient de France à pied. On
-avait donc la presque certitude de réunir sous deux ou trois mois près
-de quarante mille cavaliers de toutes armes, non compris dix à douze
-mille de la garde, et huit à dix mille des alliés, ce qui devait
-composer une force totale de soixante mille hommes à cheval. Napoléon
-attribua deux mille hommes environ de cavalerie légère ou de ligne à
-chaque corps d'armée pour s'éclairer. Le reste il le forma suivant
-<span class="pagenum"><a id="page54" name="page54"></a>(p. 54)</span> son usage en divers corps de réserve, destinés à combattre en
-ligne. Les généraux Latour-Maubourg et Sébastiani en commandaient déjà
-deux, qui avaient fait la campagne du printemps. Le duc de Padoue
-commandait le troisième, qui venait d'arriver et était occupé à
-châtier les Cosaques. Le comte de Valmy, fils du vieux duc de Valmy,
-fut placé à la tête du quatrième.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouveaux cadres de cavalerie tirés d'Espagne.</span>
-Napoléon en voulut créer un
-cinquième avec des régiments nouvellement tirés d'Espagne. Depuis
-qu'il avait donné l'ordre d'évacuer Madrid, et de concentrer toutes
-les forces françaises dans le nord de la Péninsule, la cavalerie qui
-avait eu pour mission principale de lier entre eux les divers corps
-d'occupation, était beaucoup moins nécessaire. Il y avait encore
-trente-six régiments de cavalerie dans la Péninsule, dont vingt de
-dragons, onze de chasseurs, cinq de hussards. Napoléon crut que
-c'était assez de vingt, surtout en ne prenant que les cadres, et en
-laissant la plus grande partie des hommes en Espagne. Il ordonna donc
-le départ de dix régiments de dragons, quatre de chasseurs, deux de
-hussards. Il en destina deux à l'Italie, quatorze à l'Allemagne, et
-recommanda de transporter tout de suite ces cadres à Mayence, où ils
-allaient se remplir de sujets empruntés aux dernières conscriptions et
-déjà passablement instruits. Les chevaux requis en France, et payés
-comptant, devaient servir à les monter. Napoléon se promettait encore
-quatorze ou quinze mille cavaliers, provenant de cette origine, et
-enfermés tous dans des cadres excellents. C'était un dernier
-supplément qui à l'automne devait porter à soixante-quinze mille
-hommes au <span class="pagenum"><a id="page55" name="page55"></a>(p. 55)</span> moins le total de sa cavalerie. À ces préparatifs
-pour l'infanterie et la cavalerie, Napoléon ajouta ceux qui
-concernaient l'artillerie, et il fit ses dispositions pour qu'elle pût
-mettre en mouvement mille bouches à feu de campagne.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Totalité des forces dont Napoléon se flattait de disposer
-pour soutenir la guerre contre l'Europe entière.</span>
-Ainsi établi sur la ligne de l'Elbe, qu'il avait rendue formidable par
-les appuis qu'il s'y était ménagés, Napoléon se flattait d'avoir sans
-les garnisons 400 mille combattants, plus 20 mille en Bavière et 80
-mille en Italie, ce qui porterait la totalité de ses ressources à 500
-mille hommes de troupes actives, et à 700 mille en y comprenant les
-non présents sous les armes. C'était pour atteindre à ces nombres
-énormes, suffisants dans sa puissante main pour battre la coalition
-même accrue de l'Autriche, qu'il avait consenti à un armistice qui
-donnait aux coalisés le temps d'échapper à ses poursuites, et
-malheureusement aussi celui d'augmenter considérablement leurs forces.
-La question était de savoir si en fait de création de ressources, le
-temps profiterait aux coalisés autant qu'à Napoléon. Les coalisés, il
-est vrai, n'avaient pas son génie, et c'est sur quoi il fondait ses
-espérances, mais ils avaient la passion, seule chose qui puisse
-suppléer au génie, surtout quand elle est ardente et sincère.
-Napoléon, ne tenant guère compte de la passion, avait supposé que le
-temps lui servirait plus qu'à ses ennemis, et c'est dans cet espoir
-qu'il mettait tant d'art à le bien employer en fait de préparatifs
-militaires, et à le perdre en fait de négociations.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Effet produit par la réponse de Napoléon sur l'empereur
-François et sur M. de Metternich.</span>
-La réponse envoyée à M. de Metternich le 15 juin avait été
-interprétée comme elle devait l'être, et <span class="pagenum"><a id="page56" name="page56"></a>(p. 56)</span> l'habile ministre
-autrichien avait parfaitement compris que lorsque sur quarante jours
-restant pour négocier la paix générale, on en perdait d'abord cinq
-pour répondre à la note constitutive de la médiation, indépendamment
-de ceux qu'on allait perdre encore pour résoudre les questions de
-forme, il fallait en conclure qu'on était peu pressé d'arriver à une
-solution pacifique. Il se pouvait, à la vérité, que Napoléon ne voulût
-dire sa véritable pensée que dans les derniers moments; il se pouvait
-aussi que dans les difficultés qu'il avait soulevées, il y en eût
-quelqu'une qui lui tînt sérieusement à c&oelig;ur, et par ces
-considérations M. de Metternich ne désespérait pas complétement de la
-paix, soit aux conditions proposées par l'Autriche, soit à des
-conditions qui s'en approcheraient. Dans l'un et l'autre cas, il avait
-pensé qu'il fallait à son tour attendre Napoléon, en employant
-toutefois un moyen de le stimuler. Les deux souverains de Prusse et de
-Russie insistaient vivement pour voir l'empereur François, dans
-l'espérance de l'attacher définitivement à ce qu'ils appelaient la
-cause européenne. Mais l'empereur François, croyant devoir à sa
-qualité de père et de médiateur, d'observer une extrême réserve à
-l'égard de deux souverains devenus ennemis implacables de la France,
-ne voulait pas, tant qu'il n'aurait pas été contraint à nous déclarer
-la guerre, s'aboucher avec eux.
-<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich se rend à Oppontschna auprès des
-souverains coalisés.</span>
-Les mêmes raisons de réserve
-n'existaient pas pour M. de Metternich, et ce ministre s'était rendu à
-Oppontschna afin de conférer avec les deux monarques coalisés. Son
-intention était de profiter de cette occasion pour les amener à ses
-idées, <span class="pagenum"><a id="page57" name="page57"></a>(p. 57)</span> chose plus facile sans doute que d'y amener Napoléon,
-mais difficile aussi, et exigeant bien des soins et des efforts, car
-ils voulaient la guerre tout de suite, à tout prix, et jusqu'au
-renversement de Napoléon, ce qui n'était pas encore, du moins alors,
-le point de vue de l'Autriche. M. de Metternich était donc parti
-ostensiblement, certain que lorsque Napoléon le saurait en conférence
-avec les deux souverains, il en éprouverait une vive jalousie, et au
-lieu de lui refuser de venir à Dresde, lui en adresserait la pressante
-invitation. Cette vue, bientôt confirmée par l'événement, avait paru
-aussi fine que juste à l'empereur François, qui par ce motif avait
-approuvé le voyage de M. de Metternich à Oppontschna.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Traité de subsides entre l'Angleterre et les puissances
-coalisées.</span>
-Tandis que ce ministre était en route pour s'y rendre, la Prusse et la
-Russie venaient de se lier par un traité de subsides avec
-l'Angleterre. Par ce traité, conclu le 15 juin et revêtu de la
-signature de lord Cathcart, de M. de Nesselrode et de M. de
-Hardenberg, l'Angleterre s'engageait à fournir immédiatement 2
-millions sterling à la Russie et à la Prusse, et à prendre à sa charge
-la moitié d'une émission de papier-monnaie, intitulé <cite>papier
-fédératif</cite>, et destiné à circuler dans tous les États alliés. La somme
-émise devait être de 5 millions sterling.
-<span class="sidenote" title="En marge">Condition imposée par ce traité de ne pas faire la paix
-sans l'Angleterre.</span>
-C'étaient donc 4 millions
-&frac12; sterling (112 millions 500 mille francs) que l'Angleterre
-fournissait aux deux puissances, à condition qu'elles tiendraient sur
-pied, en troupes actives, la Russie 160 mille hommes, la Prusse 80
-mille, qu'elles feraient à l'ennemi commun de l'Europe une guerre à
-outrance, et qu'elles ne traiteraient pas sans l'Angleterre, ou du
-moins sans se <span class="pagenum"><a id="page58" name="page58"></a>(p. 58)</span> concerter avec elle. Les souverains de Russie et
-de Prusse ayant informé lord Cathcart qu'ils étaient sommés d'accepter
-la médiation de l'Autriche, et qu'ils y étaient disposés, sauf les
-conditions de paix qui seraient déterminées d'accord avec le cabinet
-britannique, lord Cathcart n'avait pas vu là une infraction au traité
-de subsides, et il avait reconnu lui-même qu'il fallait se prêter à
-tous les désirs de l'Autriche, car probablement les conditions que
-cette puissance regardait comme indispensables ne seraient pas admises
-par Napoléon, et l'on entraînerait ainsi cette puissance à la guerre
-par la voie toute pacifique de la médiation.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts des souverains et de leurs ministres pour décider
-M. de Metternich en faveur de la coalition.</span>
-M. de Metternich arrivé à Oppontschna avait été accablé de caresses et
-de sollicitations par les souverains et leurs ministres. Les uns et
-les autres, pour le décider, disaient leurs forces immenses,
-irrésistibles même si l'Autriche se joignait à eux, et dans ce cas
-Napoléon perdu, l'Europe sauvée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qu'ils font valoir auprès de M. de Metternich.</span>
-Ils disaient encore la paix
-impossible avec lui, car évidemment il ne la voulait pas, et en outre
-peu sûre, car si on laissait échapper l'occasion de l'accabler pendant
-qu'il était affaibli, il reprendrait les armes dès qu'il aurait
-recouvré ses forces, et la lutte avec lui serait éternelle. Ces points
-de vue n'étaient pas, ne pouvaient pas être ceux de l'Autriche.
-<span class="sidenote" title="En marge">Manière de penser de l'Autriche en ce moment.</span>
-Cette puissance n'était pas comme la Russie enivrée du rôle de libératrice
-de l'Europe, comme la Prusse réduite à vaincre ou à périr, comme
-l'Angleterre à l'abri de toutes les conséquences d'une guerre
-malheureuse; elle avait de plus des liens avec Napoléon, que la
-décence, et chez l'empereur <span class="pagenum"><a id="page59" name="page59"></a>(p. 59)</span> François l'affection pour sa
-fille, ne permettaient pas de rompre sans les plus graves motifs. Elle
-rêvait d'ailleurs la possibilité de rétablir l'indépendance de
-l'Europe sans une guerre qu'elle regardait comme pleine de périls,
-même contre Napoléon affaibli. Elle était donc d'avis que si on
-pouvait conclure une paix avantageuse et qui offrît des sûretés, il
-fallait en saisir l'occasion, et ne pas tout compromettre pour vouloir
-tout regagner d'un seul coup. Si par exemple Napoléon renonçait à sa
-chimère polonaise (c'est ainsi qu'on qualifiait le grand-duché de
-Varsovie), s'il consentait à reconstituer la Prusse, à rendre à
-l'Allemagne son indépendance par l'abolition de la Confédération du
-Rhin, à lui rendre son commerce par la restitution des villes
-anséatiques, il valait mieux accepter cette paix que s'exposer aux
-dangers d'une guerre formidable, qui à côté de bonnes chances en
-présentait d'effrayantes. Si l'Angleterre n'inclinait pas vers cette
-manière de penser, il fallait l'y amener forcément, en lui signifiant
-qu'on la laisserait seule. Pour elle d'ailleurs le point le plus
-important était obtenu, car il était facile de voir que Napoléon
-allait renoncer à l'Espagne, puisqu'il admettait au congrès les
-représentants de l'insurrection de Cadix, ce qu'il n'avait jamais
-accordé. Il fallait donc imposer la paix à l'Angleterre comme à
-Napoléon, car cette paix était un besoin urgent pour le monde entier,
-et on avait le moyen de l'obtenir, en menaçant l'Angleterre de traiter
-sans elle, et Napoléon de l'accabler sous les forces réunies de
-l'Europe. Telles étaient les idées de l'Autriche, que les deux
-souverains de <span class="pagenum"><a id="page60" name="page60"></a>(p. 60)</span> Prusse et de Russie, dominés par les passions du
-moment, étaient loin de partager. Ils auraient voulu une paix beaucoup
-plus rigoureuse pour la France, et par exemple la Westphalie, la
-Hollande ne leur semblaient pas devoir être concédées à Napoléon. Ils
-parlaient de lui ôter une partie au moins de l'Italie, pour la rendre
-à l'Autriche, qui n'avait pas besoin qu'on éveillât en elle ce genre
-d'appétit, mais chez laquelle la prudence faisait taire l'ambition.
-<span class="sidenote" title="En marge">Résolutions formelles exprimées par M. de Metternich.</span>
-M. de Metternich, tout en trouvant ces v&oelig;ux fort légitimes, avait
-déclaré que l'Autriche, dans l'espoir d'une conclusion pacifique, se
-bornerait à demander l'abandon du duché de Varsovie, la reconstitution
-de la Prusse, l'abolition de la Confédération du Rhin, la restitution
-des villes anséatiques, et ne ferait la guerre que si ces conditions
-étaient refusées par la France. On lui avait répondu qu'elles le
-seraient inévitablement, à quoi le ministre autrichien avait
-facilement répliqué que si elles étaient refusées, alors son maître
-pourrait honorablement devenir membre de l'alliance, et le deviendrait
-résolûment.</p>
-
-<p>Il suffisait que l'Autriche posât des conditions d'une manière
-formelle, pour qu'on fût obligé de les admettre, car sans elle la
-guerre à Napoléon ne présentait aucune chance. Dictant la loi à la
-Prusse et à la Russie, elle la dictait par suite à l'Angleterre, qui
-bientôt se verrait contrainte de traiter si le continent finissait
-lui-même par traiter.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les monarques coalisés adhèrent aux vues de l'Autriche,
-convaincus que, par la faute de Napoléon, elle sera bientôt ramenée
-vers eux.</span>
-On devait donc subir les volontés de l'Autriche,
-mais on les subissait sans répugnance, car on était convaincu que les
-conditions par elle imaginées seraient rejetées par Napoléon, et on
-croyait en lui cédant la tenir bien plus <span class="pagenum"><a id="page61" name="page61"></a>(p. 61)</span> qu'être tenu par
-elle. Le résultat de ces conférences avait été qu'on accepterait la
-médiation autrichienne, qu'on s'aboucherait avec Napoléon par
-l'intermédiaire de l'Autriche, que celle-ci lui proposerait les
-conditions précitées, qu'elle ne lui déclarerait la guerre qu'en cas
-de refus, que jusque-là elle demeurerait neutre, que relativement à
-l'Angleterre, en l'informant de cette situation, on ajournerait la
-paix avec elle pour simplifier la question: toutefois l'opinion était
-que la paix continentale devait entraîner prochainement et
-inévitablement la paix maritime.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Gitschin.</span>
-Ces bases adoptées, M. de Metternich était revenu à Gitschin, auprès
-de son maître, et avait trouvé en y arrivant sa prévoyance
-parfaitement justifiée. En effet Napoléon, inquiet de ce qui se
-passait en Bohême, sachant que les allées et venues étaient
-continuelles entre Gitschin, résidence de son beau-père, et
-Reichenbach, quartier général des coalisés, sachant même que M. de
-Metternich avait dû voir les deux souverains de Russie et de Prusse à
-Oppontschna, n'avait pas pensé qu'il fallût pousser l'application à
-perdre son temps, jusqu'à rester étranger à tout ce qui se tramait
-entre les puissances, et peut-être jusqu'à laisser nouer à côté de lui
-une coalition redoutable, dont il pourrait prévenir la formation en
-intervenant à propos. En voyant M. de Metternich, avec lequel il avait
-fort la coutume de s'entretenir, il se flattait au moins de pénétrer
-les desseins de la coalition, ce qui pour lui n'était pas de médiocre
-importance, et surtout de se ménager une nouvelle prolongation
-d'armistice, seul résultat auquel il tînt beaucoup, car pour la paix
-il n'y tenait <span class="pagenum"><a id="page62" name="page62"></a>(p. 62)</span> nullement aux conditions proposées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il y trouve l'invitation de se rendre à Dresde.</span>
-En conséquence il avait fait dire par M. de Bassano à M. de Bubna qu'il
-recevrait volontiers M. de Metternich à Dresde, et qu'il croyait même
-sa présence devenue nécessaire pour l'entier éclaircissement des
-questions qu'il s'agissait de résoudre. M. de Bubna avait sur-le-champ
-écrit à Gitschin, et c'est ainsi que M. de Metternich, en revenant de
-son entrevue avec Alexandre et Frédéric-Guillaume, avait trouvé
-l'invitation de se rendre à Dresde auprès de Napoléon. Comme c'était
-justement ce que lui et l'empereur François désiraient, il n'y avait
-pas à hésiter sur l'acceptation du rendez-vous offert, et M. de
-Metternich s'était décidé à se mettre de nouveau en route. Au moment
-de son départ, l'empereur François lui avait remis une lettre pour son
-gendre, dans laquelle il donnait pouvoir à son ministre des affaires
-étrangères de signer tous articles relatifs à la modification du
-traité d'alliance, et à l'acceptation de la médiation autrichienne.
-Dans cette lettre, il pressait de nouveau Napoléon de se résoudre à la
-paix, qui était, disait-il, la plus belle et l'unique gloire qui lui
-restât à conquérir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de M. de Metternich à Dresde; premier entretien de
-ce ministre avec M. de Bassano.</span>
-M. de Metternich arriva le 25 juin à Dresde, et le lendemain 26 eut
-une première entrevue avec M. de Bassano, car ostensiblement c'était
-avec ce ministre qu'il devait négocier. Ils employèrent environ deux
-jours à de vaines chicanes sur le traité d'alliance, qui existait
-toujours et pourtant devait rester suspendu, sur la manière de
-concilier le rôle de médiateur et celui d'allié, sur la forme de la
-médiation, sur la prétention du médiateur d'être le seul
-intermédiaire <span class="pagenum"><a id="page63" name="page63"></a>(p. 63)</span> des puissances belligérantes. Fidèle à son
-système de gagner du temps, Napoléon avait ainsi gagné deux jours;
-mais M. de Metternich n'était pas venu pour s'aboucher uniquement avec
-un ministre sans influence, et il avait d'ailleurs à remettre une
-lettre de l'empereur François à l'empereur Napoléon; il fallait donc
-qu'il le vît, et sans de plus longs retards. Napoléon, de son côté,
-plein d'un courroux que la présence de M. de Metternich faisait
-bouillonner dans ses veines, était maintenant tout disposé à le
-recevoir. Pénétrer le secret de son interlocuteur, lui arracher une
-prolongation d'armistice, n'était déjà plus son but, mais lui dire son
-fait, épancher sa passion, était en réalité son plus pressant besoin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Célèbre entrevue de M. de Metternich avec Napoléon, le 28
-juin 1813.</span>
-Il reçut M. de Metternich le 28 juin dans la seconde moitié du jour.
-En traversant les antichambres du palais Marcolini, M. de Metternich
-les trouva remplies de ministres étrangers, d'officiers de tous
-grades, et rencontra notamment le prince Berthier, qui souhaitait la
-paix, sans l'oser dire à Napoléon, et ne savait manifester ses désirs
-qu'auprès de ceux auxquels il aurait fallu les cacher. À l'aspect de
-M. de Metternich, une sorte d'anxiété parut sur tous les visages. Le
-prince Berthier, en le conduisant jusqu'à l'appartement de l'Empereur,
-lui dit: Eh bien, nous apportez-vous la paix?... Soyez donc
-raisonnable... terminons cette guerre, car nous avons besoin de la
-faire cesser, et vous autant que nous.--À ce ton, M. de Metternich put
-juger que les rapports de ses espions étaient parfaitement vrais, que
-partout en France on désirait ardemment la paix, même dans l'armée,
-ce qui malheureusement <span class="pagenum"><a id="page64" name="page64"></a>(p. 64)</span> n'était pas une manière de disposer nos
-ennemis à la conclure. Il eût mieux valu en effet montrer plus d'amour
-de la paix à Napoléon, et moins à M. de Metternich; mais ainsi sont
-faites les cours où l'on n'ose pas parler: souvent on dit à tout le
-monde ce qu'il faudrait ne dire qu'au maître.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon.</span>
-M. de Metternich
-introduit dans le cabinet de Napoléon, le trouva debout, l'épée au
-côté, le chapeau sous le bras, se contenant comme quelqu'un qui ne va
-pas se contenir longtemps, poli mais froid.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Thème de convention, tendant à imputer les pertes de temps
-à l'Autriche.</span>
-Vous voilà donc, monsieur
-de Metternich, lui dit-il, vous venez bien tard!... et sur-le-champ,
-suivant le langage convenu du cabinet français, il s'efforça, par un
-premier exposé de la situation, de mettre sur le compte de l'Autriche
-le temps perdu depuis l'armistice, et il n'y avait pas moins de
-vingt-quatre jours écoulés sans aucun résultat, puisqu'on était au 28
-juin, et que l'armistice avait été signé le 4. Puis il fit un détail
-de ses relations avec l'Autriche, se plaignit d'elle amèrement, et
-s'étendit fort au long sur le peu de sûreté des rapports avec cette
-puissance.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Plaintes amères contre l'Autriche.</span>
-J'ai, dit-il, rendu trois fois son trône à l'empereur
-François; j'ai même commis la faute d'épouser sa fille, espérant me le
-rattacher, mais rien n'a pu le ramener à de meilleurs sentiments.
-L'année dernière, comptant sur lui, j'ai conclu un traité d'alliance
-par lequel je lui garantissais ses États, et par lequel il me
-garantissait les miens. S'il m'avait dit que ce traité ne lui
-convenait point, je n'aurais pas insisté, je ne me serais même pas
-engagé dans la guerre de Russie. Mais enfin il l'a signé, et après
-une seule campagne, <span class="pagenum"><a id="page65" name="page65"></a>(p. 65)</span> que les éléments ont rendue malheureuse,
-le voilà qui chancelle, et ne veut plus ce qu'il semblait vouloir
-chaudement, s'interpose entre mes ennemis et moi, pour négocier la
-paix, à ce qu'il dit, mais en réalité pour m'arrêter dans mes
-victoires, et arracher de mes mains des adversaires que j'allais
-détruire...--Si vous ne teniez plus à mon alliance, ajouta Napoléon,
-qui commençait à s'animer en parlant, si elle vous pesait, si elle
-vous entraînait avec le reste de l'Europe à une guerre qui vous
-répugnait, pourquoi ne pas me le dire? Je n'aurais pas insisté pour
-vous contraindre; votre neutralité m'aurait suffi, et à l'heure qu'il
-est la coalition serait déjà dissoute. Mais sous prétexte de ménager
-la paix en interposant votre médiation, vous avez armé, et puis, vos
-armements terminés, ou presque terminés, vous prétendez me dicter des
-conditions qui sont celles de mes ennemis eux-mêmes; en un mot, vous
-vous posez comme gens qui sont prêts à me déclarer la guerre.
-Expliquez-vous; est-ce la guerre que vous voulez avec moi?... Les
-hommes seront donc toujours incorrigibles!... les leçons ne leur
-serviront donc jamais!... Les Russes et les Prussiens, malgré de
-cruelles expériences, ont osé, enhardis par les succès du dernier
-hiver, venir à ma rencontre, et je les ai battus, bien battus,
-quoiqu'ils vous aient dit le contraire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Défi jeté à M. de Metternich.</span>
-Vous voulez donc, vous aussi,
-avoir votre tour?... Eh bien, soit, vous l'aurez... Je vous donne
-rendez-vous à Vienne, en octobre.--</p>
-
-<p>Cette manière si étrange de traiter, cette façon méprisante de
-qualifier un mariage dont au reste il ne paraissait nullement fâché
-comme homme privé, <span class="pagenum"><a id="page66" name="page66"></a>(p. 66)</span> offensa et irrita M. de Metternich, sans
-lui imposer beaucoup, car une fermeté froide lui aurait causé bien
-plus d'impression.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Réponse modérée de M. de Metternich, fondée principalement
-sur le besoin général de la paix.</span>
-Sire, répondit-il, nous ne voulons pas vous
-déclarer la guerre, mais nous voulons mettre fin à un état de choses
-devenu intolérable pour l'Europe, à un état de choses qui nous menace
-tous, à chaque instant, d'un bouleversement universel. Votre Majesté y
-est aussi intéressée que nous, car la fortune pourrait bien un jour
-vous trahir, et dans cette mobilité effrayante des choses, il ne
-serait pas impossible que vous-même rencontrassiez des chances
-fatales.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Exposé fort adouci des conditions de cette paix.</span>
-Mais que voulez-vous donc, reprit Napoléon, que venez-vous
-me demander?--Une paix, ajouta M. de Metternich, une paix nécessaire,
-indispensable, une paix dont vous avez besoin autant que nous, une
-paix qui assure votre situation et la nôtre...--Et alors, avec des
-ménagements infinis, insinuant plutôt qu'énonçant une condition après
-l'autre, M. de Metternich essaya d'énumérer celles que nous avons déjà
-fait connaître.
-<span class="sidenote" title="En marge">Emportement de Napoléon.</span>
-Napoléon, bondissant comme un lion, laissait à peine
-achever le ministre autrichien, et l'interrompait à chaque
-énonciation, comme s'il eût entendu chaque fois un outrage ou un
-blasphème.--Oh! dit-il, je vous devine... Aujourd'hui, vous me
-demandez seulement l'Illyrie pour procurer des ports à l'Autriche,
-quelques portions de la Westphalie et du grand-duché de Varsovie pour
-reconstituer la Prusse, les villes de Lubeck, Hambourg et Brême pour
-rétablir le commerce de l'Allemagne, et pour relever sa prétendue
-indépendance l'abolition du protectorat du Rhin, d'un vain titre,
-<span class="pagenum"><a id="page67" name="page67"></a>(p. 67)</span> à vous entendre!... Mais je sais votre secret, je sais ce
-qu'au fond vous désirez tous... Vous Autrichiens, vous voulez l'Italie
-tout entière; vos amis les Russes veulent la Pologne, les Prussiens la
-Saxe, les Anglais la Hollande et la Belgique, et si je cède
-aujourd'hui, demain vous me demanderez ces objets de vos ardents
-désirs. Mais pour cela préparez-vous à lever des millions d'hommes, à
-verser le sang de plusieurs générations, et à venir traiter au pied
-des hauteurs de Montmartre!...--Napoléon, en prononçant ces mots,
-était pour ainsi dire hors de lui, et on prétend même qu'il se permit
-envers M. de Metternich des paroles outrageantes, ce que ce dernier a
-toujours nié.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Effort de M. de Metternich pour calmer Napoléon.</span>
-M. de Metternich alors essaya de montrer à Napoléon qu'il n'était pas
-question de telles choses, qu'une guerre imprudemment prolongée
-pourrait peut-être faire renaître de semblables prétentions, que sans
-doute il y avait en Europe des fous dont les événements de 1812
-avaient exalté la tête, qu'il y en avait bien quelques-uns de cette
-espèce à Saint-Pétersbourg, à Londres ou à Berlin, mais qu'il n'y en
-avait pas à Vienne; que là on demandait juste ce qu'on voulait, et
-rien au delà; que du reste le vrai moyen de déjouer les prétentions de
-ces fous, c'était d'accepter la paix, et une paix honorable, car celle
-qu'on offrait était non pas seulement honorable, mais glorieuse.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Aveu de son orgueil fait par Napoléon.</span>
-Un peu radouci par ces paroles, Napoléon dit à M. de Metternich que s'il
-ne s'agissait que de l'abandon de quelques territoires, il pourrait
-bien céder; mais qu'on s'était coalisé pour lui dicter la loi, pour
-le contraindre à céder, pour lui <span class="pagenum"><a id="page68" name="page68"></a>(p. 68)</span> ôter son prestige, et, avec
-une naïveté d'orgueil singulière, laissa voir que ce qui le touchait
-sensiblement ici, c'étaient moins les sacrifices exigés de lui, que
-l'humiliation de recevoir la loi après l'avoir toujours faite.--Puis,
-avec une fierté de soldat qui lui allait bien: Vos souverains, dit-il
-à M. de Metternich, vos souverains nés sur le trône ne peuvent
-comprendre les sentiments qui m'animent. Ils rentrent battus dans
-leurs capitales, et pour eux il n'en est ni plus ni moins. Moi je suis
-un soldat, j'ai besoin d'honneur, de gloire; je ne puis pas reparaître
-amoindri au milieu de mon peuple; il faut que je reste grand,
-glorieux, admiré!...--Quand donc finira cet état de choses, répliqua
-M. de Metternich, si les défaites comme les victoires sont un égal
-motif de continuer cette guerre désolante?... Victorieux, vous voulez
-tirer les conséquences de vos victoires; vaincu, vous voulez vous
-relever! Sire, nous serons donc toujours les armes à la main,
-dépendant éternellement, vous comme nous, du hasard des
-batailles!...--Mais, reprit Napoléon, je ne suis pas à moi, je suis à
-cette brave nation qui vient à ma voix de verser son sang le plus
-généreux. À tant de dévouement je ne dois pas répondre par des calculs
-personnels, par de la faiblesse; je dois lui conserver tout entière la
-grandeur qu'elle a achetée par de si héroïques efforts.--Mais, Sire,
-reprit à son tour M. de Metternich, cette brave nation dont tout le
-monde admire le courage, a elle-même besoin de repos.
-<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich répond de nouveau en alléguant le besoin
-de repos, senti partout et particulièrement en France.</span>
-Je viens de
-traverser vos régiments; vos soldats sont des enfants. Vous avez fait
-des levées anticipées, et appelé une génération <span class="pagenum"><a id="page69" name="page69"></a>(p. 69)</span> à peine
-formée; cette génération une fois détruite par la guerre actuelle,
-anticiperez-vous de nouveau? en appellerez-vous une plus jeune
-encore?...--Ces paroles, qui touchaient au reproche le plus souvent
-reproduit par les ennemis de Napoléon, le piquèrent au vif.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle et plus vive explosion de Napoléon.</span>
-Il pâlit
-de colère; son visage se décomposa, et n'étant plus maître de lui, il
-jeta, ou laissa tomber à terre son chapeau, que M. de Metternich ne
-ramassa point, et allant droit à celui-ci, il lui dit: Vous n'êtes pas
-militaire, Monsieur, vous n'avez pas, comme moi, l'âme d'un soldat;
-vous n'avez pas vécu dans les camps; vous n'avez pas appris à mépriser
-la vie d'autrui et la vôtre, quand il le faut... Que me font à moi
-deux cent mille hommes!...--Ces paroles, dont nous ne reproduisons pas
-la familiarité soldatesque, émurent profondément M. de
-Metternich.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Belle réponse de M. de Metternich.</span>
-Ouvrons, s'écria le ministre autrichien, ouvrons, Sire,
-les portes et les fenêtres, que l'Europe entière vous entende, et la
-cause que je viens défendre auprès de vous n'y perdra point!--Redevenu
-un peu plus maître de lui-même, Napoléon dit à M. de Metternich avec
-un sourire ironique: Après tout, les Français dont vous défendez ici
-le sang, n'ont pas tant à se plaindre de moi. J'ai perdu, cela est
-vrai, deux cent mille hommes en Russie; il y avait dans le nombre cent
-mille soldats français des meilleurs; ceux-là, je les regrette... oui,
-je les regrette vivement... Quant aux autres, c'étaient des Italiens,
-des Polonais, et principalement des Allemands...--À ces paroles
-Napoléon ajouta un geste qui signifiait que cette dernière perte le
-touchait peu.--Soit, reprit M. de <span class="pagenum"><a id="page70" name="page70"></a>(p. 70)</span> Metternich, mais vous
-conviendrez, Sire, que ce n'est pas une raison à donner à un
-Allemand.--Vous parliez pour les Français, je vous ai répondu pour
-eux, répliqua Napoléon.--Puis, à cette occasion, il employa plus d'une
-heure à raconter à M. de Metternich qu'en Russie il avait été surpris
-et vaincu par le mauvais temps; qu'il pouvait tout prévoir, tout
-surmonter, excepté la nature; qu'il savait se battre avec les hommes,
-mais non pas avec les éléments.
-<span class="sidenote" title="En marge">Soin de Napoléon à expliquer son désastre de Russie.</span>
-N'ayant pas revu M. de Metternich
-depuis la catastrophe de 1812, il s'étudia à refaire à ses yeux le
-prestige de son invincibilité, beaucoup trop détruit dans l'esprit de
-certains hommes, et mit un grand soin à prouver que sur le champ de
-bataille on ne l'avait jamais vaincu, ce qui était vrai; que s'il
-avait perdu des canons, c'était par le froid qui, en tuant les
-chevaux, avait détruit le moyen de traîner l'artillerie. Pendant qu'il
-parlait, marchant avec une extrême animation, il avait rencontré et
-repoussé du pied dans un coin de l'appartement son chapeau resté à
-terre. Au milieu des allées et venues de ce long entretien, il revint
-à l'idée fondamentale de son discours, c'est que l'Autriche, à
-laquelle il avait fait remise tant de fois des peines qu'elle avait
-encourues, à laquelle il avait demandé une archiduchesse pour
-l'épouser, faute, disait-il, bien grande de sa part, osait encore, au
-mépris de tant de bons procédés, lui déclarer la guerre.--Faute,
-reprit M. de Metternich, pour Napoléon conquérant, mais non pas faute
-pour Napoléon politique et fondateur d'empire.--Faute ou non, reprit
-Napoléon, vous voulez donc me déclarer la guerre! Soit, quels <span class="pagenum"><a id="page71" name="page71"></a>(p. 71)</span>
-sont vos moyens? deux cent mille hommes en Bohême, dites-vous; et vous
-prétendez me faire croire à des fables pareilles! C'est tout au plus
-si vous en avez cent, et je soutiens que ces cent se réduiront
-probablement à quatre-vingt mille en ligne.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Discussion des forces que l'Autriche peut jeter dans la
-balance.</span>
-Là-dessus il conduisit M.
-de Metternich dans son cabinet de travail, lui montra ses notes et ses
-cartes, lui dit que M. de Narbonne avait couvert l'Autriche de ses
-espions, et qu'on tenterait en vain de l'effrayer par des chimères;
-que les Autrichiens n'avaient pas même cent mille hommes en
-Bohême...--La prétention des Autrichiens était d'en avoir trois cent
-cinquante mille sous les armes, dont cent mille sur la route d'Italie,
-cinquante mille en Bavière, deux cent mille en Bohême. C'étaient là
-les propos d'hommes qui n'avaient pas l'habitude de ce genre de
-calculs, et qui ne savaient pas que si l'Autriche avait trois cent
-cinquante mille hommes sur ses contrôles, elle en aurait tout au plus
-deux cent mille au feu, dont cinquante peut-être sur la route
-d'Italie, trente sur celle de Bavière et cent ou cent vingt en Bohême.
-Napoléon, par l'expérience qu'il avait des mécomptes qu'on essuie à la
-guerre sous le rapport des nombres, traita légèrement les assertions
-de M. de Metternich, que celui-ci, étranger à l'administration
-militaire, n'était pas capable de justifier suffisamment. Laissant là
-ce sujet sur lequel il n'était pas facile de s'entendre, Napoléon dit
-à M. de Metternich: Du reste, ne vous mêlez pas de cette querelle,
-dans laquelle vous courez trop de dangers pour trop peu d'avantages,
-tenez-vous à part. Vous voulez l'Illyrie, eh bien, je vous la cède;
-mais <span class="pagenum"><a id="page72" name="page72"></a>(p. 72)</span> soyez neutre, et je me battrai à côté de vous et sans
-vous. La paix que vous voulez procurer à l'Europe, je la lui donnerai
-sûrement, et équitablement pour tous. Mais la paix que vous cherchez à
-conclure au moyen de votre médiation, est une paix imposée, qui me
-fait jouer aux yeux du monde le rôle d'un vaincu auquel on dicte la
-loi... la loi, quand je viens de remporter deux victoires
-éclatantes!...--
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvel effort de M. de Metternich pour expliquer le vrai
-sens de la médiation.</span>
-M. de Metternich revint à l'idée de la médiation, dont
-il ne pouvait se départir, s'efforça de la montrer non comme une
-contrainte qu'il s'agissait de faire subir à Napoléon, mais comme une
-intervention officieuse d'un allié, d'un ami, d'un père, qui, au
-jugement du monde, quand on connaîtrait les conditions proposées,
-serait encore considéré comme bien partial pour son gendre.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Dernier défi de Napoléon.</span>
-Ah! vous
-persistez, s'écria Napoléon avec colère, vous voulez toujours me
-dicter la loi! eh bien, soit, la guerre! mais au revoir, à
-Vienne<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Lien vers la note 1"><span class="smaller">[1]</span></a>...--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Longueur de l'entrevue de Napoléon avec M. de Metternich,
-et anxiété de ceux qui en attendaient le résultat.</span>
-Cette mémorable entrevue, qui ne décida pas la question de la paix et
-de la guerre, ainsi qu'on le verra bientôt, mais qui fit éclater d'une
-manière si peu opportune les dispositions intérieures de Napoléon,
-<span class="pagenum"><a id="page73" name="page73"></a>(p. 73)</span> cette mémorable entrevue avait duré cinq à six heures. Il
-était presque nuit lorsqu'elle se termina, à ce point que les deux
-interlocuteurs pouvaient à peine distinguer les traits l'un de
-l'autre. Napoléon ne voulant pas en quittant M. de Metternich se
-séparer brouillé, lui dit quelques mots plus doux, et lui assigna un
-nouveau rendez-vous pour les jours suivants. La longueur de
-l'entretien avait fort préoccupé les habitués de l'antichambre
-impériale. L'anxiété des visages était plus grande encore que lorsque
-M. de Metternich était entré. Le major général Berthier, accouru pour
-savoir quelque chose de ce qui s'était passé, demanda à M. de
-Metternich s'il était content de l'Empereur.--Oui, répondit le
-ministre autrichien, j'en suis content, car il a éclairé ma
-conscience, et, je vous le jure, votre maître a perdu la raison!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Conséquences que cette entrevue pouvait avoir, plus grandes
-que celles qu'elle eut en effet.</span>
-Ce n'était pas la violence de cet entretien qui en cette occasion
-avait causé le plus de tort aux affaires de l'Empire, c'était la
-triste conviction que Napoléon avait dû laisser dans l'esprit de M. de
-Metternich, que jamais il n'accepterait les conditions si modérées
-dans lesquelles l'Autriche s'était renfermée. <span class="pagenum"><a id="page74" name="page74"></a>(p. 74)</span> Heureusement
-néanmoins, M. de Metternich, attachant sa gloire et sa sûreté à
-obtenir par la paix les conditions qu'il croyait indispensables, était
-homme à sacrifier l'orgueil à la politique, et à ne pas prendre feu
-tant qu'il resterait une chance de réussir. Napoléon pouvait dès lors
-donner carrière à son humeur, pourvu qu'au dernier moment il eût un
-retour de bon sens, et qu'il agréât la paix encore si prodigieusement
-belle qu'on lui offrait. Les explosions de son caractère, on était
-tout prêt à les pardonner à son génie et à sa puissance, et on aurait
-volontiers supporté un désagrément pour un grand résultat. Du reste,
-quand on avait souffert de son humeur impétueuse, on était promptement
-dédommagé, car lorsqu'il s'était livré à ses passions, il en était
-honteux, revenait bien vite, se hâtait de caresser ceux qu'il avait le
-plus blessés, et leur prodiguait les séductions pour leur faire
-oublier ses écarts. La situation que nous retraçons devait bientôt en
-fournir un nouvel exemple.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Regrets de Napoléon, et ses soins pour ressaisir M. de
-Metternich.</span>
-À peine s'était-il séparé du ministre autrichien qu'il était déjà
-plein de regrets de s'être autant abandonné à son emportement naturel,
-car il n'avait obtenu de cette entrevue rien de ce qu'il s'était
-promis. Loin de pénétrer les secrets du ministre autrichien, il lui
-avait révélé les siens en lui laissant voir l'obstination invincible
-de son orgueil, et il avait nui surtout à son principal dessein, celui
-de faire prolonger l'armistice, en montrant trop clairement que cet
-armistice ne conduirait point à la paix. Aussi ordonna-t-il
-sur-le-champ à M. de Bassano de courir après M. de Metternich, et de
-<span class="pagenum"><a id="page75" name="page75"></a>(p. 75)</span> lui parler de l'objet essentiel, dont il n'avait pas été dit
-grand'chose dans l'entrevue, c'est-à-dire de la médiation
-autrichienne, de sa forme, de ses conditions, du délai dans lequel
-elle devrait s'exercer. M. de Metternich avait même pu croire qu'elle
-était refusée, au langage de Napoléon.
-<span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano chargé de rédiger un projet de convention,
-relativement à la médiation autrichienne.</span>
-Pour détruire cette idée, M. de
-Bassano eut l'ordre d'entreprendre de concert avec M. de Metternich la
-rédaction d'une convention relative au mode de la médiation, ce qui
-prouverait au ministre autrichien que malgré les emportements de
-Napoléon, tout n'était pas perdu, et que la résolution de repousser
-tout arbitrage pacifique n'était pas définitivement arrêtée dans la
-pensée du gouvernement français.</p>
-
-<p>La journée suivante fut en effet consacrée par MM. de Metternich et de
-Bassano à débattre la question de la médiation, et il ne fut plus rien
-dit de ce traité d'alliance, dont on avait eu la maladresse de fournir
-à l'Autriche le moyen de se dégager un article après l'autre, et dont
-les tristes restes ne valaient pas la peine qu'on s'irritât pour les
-sauver. On parla uniquement de la médiation, de la manière dont elle
-s'exercerait, et du sentiment que l'Autriche y apporterait à l'égard
-de la France. M. de Metternich renouvela l'assurance d'une médiation
-toute partiale pour nous, mais parut tenir beaucoup à la forme qui
-constituait le médiateur intermédiaire exclusif des parties
-contractantes. On essaya d'une rédaction sans pouvoir tomber d'accord,
-parce que M. de Bassano voulait la surcharger de précautions que M. de
-Metternich trouvait gênantes. Mais les détails furent débattus sans
-aigreur, <span class="pagenum"><a id="page76" name="page76"></a>(p. 76)</span> et du ton de gens décidés à s'entendre. Tout fut
-renvoyé à l'Empereur, et M. de Metternich dut le revoir le 30 juin
-pour résoudre avec lui les dernières difficultés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle entrevue dans laquelle Napoléon paraît
-complétement changé.</span>
-Le 30, en effet, M. de Metternich, accompagné de M. de Bassano, revit
-Napoléon, et le trouva tout changé, comme un ciel épuré par un orage.
-Il était ouvert, gai, plein d'un aimable repentir.--Vous persistez
-donc à faire le méchant avec nous? dit-il à M. de Metternich avec une
-familiarité pleine de grâce.--Puis il prit des mains de M. de Bassano
-le projet de convention, dont il connaissait les points sujets à
-difficulté, et il se mit à en lire les articles l'un après l'autre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette fois, après avoir tout concédé dans les formes à M.
-de Metternich, Napoléon cherche avec beaucoup d'adresse à lui arracher
-une prolongation d'armistice.</span>
-À chaque article, comme s'il eût été du parti de M. de Metternich, il
-disait: Mais cela n'a pas le sens commun, ne s'inquiétant guère de
-l'amour-propre de son ministre, et il paraissait presque toujours
-abonder dans les idées du diplomate autrichien. S'adressant ensuite à
-M. de Bassano, il lui dit: Asseyez-vous et écrivez, et il dicta un
-projet simple, clair, net, comme il était capable de le faire. Cette
-rédaction qui écartait toutes les difficultés, une fois terminée, il
-demanda à M. de Metternich: Ce projet vous convient-il?--Oui, Sire,
-répondit l'illustre diplomate, sauf quelques expressions.--Lesquelles?
-reprit Napoléon.--M. de Metternich les ayant indiquées, Napoléon les
-changea sur-le-champ à l'entière satisfaction de son interlocuteur,
-s'attachant à lui complaire en tout. Enfin ce projet, qui déclarait
-que dans le désir et l'espérance de rétablir la paix, au moins parmi
-les États du continent, l'empereur d'Autriche offrait sa médiation
-<span class="pagenum"><a id="page77" name="page77"></a>(p. 77)</span> à l'empereur Napoléon, que l'empereur Napoléon l'acceptait, et
-que les plénipotentiaires des diverses puissances se réuniraient à
-Prague le 5 juillet au plus tard, ce projet complétement arrêté,
-Napoléon, toujours du ton le plus aisé, dit à M. de Metternich: Mais
-ce n'est pas tout, il me faut une prolongation d'armistice... Comment
-en effet, du 5 au 20 juillet, terminer une négociation qui doit
-embrasser les intérêts du monde entier, et qui, si on voulait bien
-régler toutes les difficultés, exigerait des années?--La question
-effectivement était embarrassante, quoique, sur les points importants,
-on eût pu s'entendre en quelques heures, si on l'avait voulu. Mais au
-premier aspect la question n'admettait pas d'autre réponse qu'un
-assentiment. M. de Metternich, vaincu par toutes les condescendances
-de cette journée, n'était pas disposé à compromettre la médiation à
-laquelle il attachait tant de prix, pour quelques jours de plus ou de
-moins dans la durée des négociations.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon en faisant valoir le peu de temps qui reste pour
-négocier, obtient une prolongation d'armistice de vingt jours, du 26
-juillet au 16 août, compris six jours pour se prévenir de la reprise
-des hostilités.</span>
-Il répondit qu'il espérait faire
-accepter la prolongation demandée aux Prussiens et aux Russes, bien
-qu'ils fussent convaincus que l'armistice, utile seulement à la
-France, leur était nuisible à eux, et il ne disputa que sur l'étendue
-de cette prolongation. Napoléon voulait obtenir jusqu'au 20 août, pour
-gagner le 26 avec les six jours accordés pour la dénonciation de
-l'armistice. M. de Metternich contestait un terme aussi long, non pas
-en son nom, mais au nom de ceux dont il devait obtenir l'assentiment,
-et répétait que si on voulait agir avec une entière bonne foi, tout
-pourrait être terminé en une journée. Napoléon répondait qu'il lui en
-fallait quarante <span class="pagenum"><a id="page78" name="page78"></a>(p. 78)</span> au moins pour juger des vues de ses
-adversaires, et faire connaître les siennes.--Quant à moi, vous pouvez
-être sûr, ajouta-t-il, que je ne vous dirai mes véritables intentions
-que le quarantième jour.--Alors, répliqua M. de Metternich, les
-trente-neuf jours qui précèdent le quarantième sont inutiles.--La
-conversation ayant pris ce tour plaisant, on touchait évidemment à un
-accord, et après discussion, M. de Metternich parut disposé à
-prolonger l'armistice jusqu'au 10 août, avec six jours pour se
-prévenir de la reprise des hostilités, ce qui devait conduire au 16,
-et entraînait une prolongation de vingt jours, du 26 juillet au 16
-août. Napoléon alors, feignant de trouver du 5 juillet au 16 août les
-quarante jours dont il avait besoin pour négocier, et au fond, bien
-qu'il en souhaitât davantage, jugeant bon de gagner au moins ce temps
-pour l'achèvement de ses préparatifs, déclara qu'il acceptait la
-proposition de M. de Metternich. En conséquence on ajouta un dernier
-article, par lequel il était dit que, vu le peu de temps qui restait
-pour négocier d'après les termes de l'armistice signé à Pleiswitz,
-l'empereur Napoléon s'engageait à ne pas dénoncer cet armistice avant
-le 10 août (16 août en ajoutant les six jours pour l'avis préalable),
-et que l'empereur d'Autriche se chargeait d'obtenir le même engagement
-de la part du roi de Prusse et de l'empereur de Russie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renvoie M. de Metternich comblé de caresses.</span>
-Napoléon
-voulut qu'on signât à l'instant même, et renvoya ensuite M. de
-Metternich comblé de toutes sortes de caresses. Ainsi le lion changé
-tout à coup en sirène avait su arracher à l'habile ministre autrichien
-la seule chose qu'il désirât véritablement, c'est-à-dire une
-prolongation <span class="pagenum"><a id="page79" name="page79"></a>(p. 79)</span> d'armistice. Ne voulant pas la paix aux
-conditions proposées, ne voulant que le temps nécessaire pour en
-imposer une qui fût à son gré, vingt jours de plus étaient pour lui
-une conquête d'un prix inestimable. Le sacrifice des questions de
-forme qu'il avait paru faire en simplifiant autant le texte de la
-convention, n'en était pas un de sa part, car sur le point important
-de savoir si les parties contractantes s'aboucheraient toutes ensemble
-dans une conférence commune, ou ne traiteraient que par l'entremise du
-médiateur, il avait éludé, mais non abandonné la difficulté, en se
-taisant dans la rédaction; et il était fort aise de l'avoir réservée,
-car elle lui restait pour occuper les premiers jours du congrès, et
-pour perdre le temps dans lequel on était renfermé, sans avoir à
-s'expliquer sur le fond des choses. C'était à M. de Metternich,
-souhaitant ardemment le succès de la médiation, à regretter que cette
-difficulté n'eût pas été vidée tout de suite, et qu'elle demeurât
-comme un gros obstacle sur le chemin des négociations. Napoléon avait
-donc avec quelques instants de douceur réparé jusqu'à un certain point
-le mal causé par les imprudents éclats de sa colère, et obtenu tout ce
-qu'il désirait. Heureux ce singulier génie, heureuse la France, s'il
-avait pu employer cette merveilleuse souplesse à la tirer du faux pas
-où il l'avait engagée!</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Juillet 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Gitschin le 1<sup>er</sup> juillet.</span>
-Maintenant l'habileté de la part de l'Autriche, si passionnée pour le
-succès de la médiation, eût consisté à ne pas laisser à Napoléon un
-seul prétexte de perdre du temps, et dès lors à lui répondre
-sur-le-champ que la convention constitutive de la médiation <span class="pagenum"><a id="page80" name="page80"></a>(p. 80)</span>
-était acceptée, que la prolongation de l'armistice l'était également,
-et que les négociateurs, comme on l'avait stipulé, se réuniraient
-exactement le 5 juillet. Malheureusement il n'en fut pas ainsi. M. de
-Metternich, parti de Dresde le 30 juin, jour même de la signature, et
-arrivé le 1<sup>er</sup> juillet à Gitschin, causa une grande joie à son
-maître en lui annonçant que la médiation était acceptée, ce qui
-faisait passer la cour d'Autriche de la situation embarrassante
-d'alliée de la France, à la situation indépendante et forte de son
-arbitre, et lui procurait un lustre dont elle avait besoin auprès du
-public autrichien. M. de Metternich n'eut donc pas de peine à obtenir
-de l'empereur François la ratification immédiate de la convention.
-<span class="sidenote" title="En marge">Temps imprudemment perdu par l'Autriche, et remise du 5 au
-8 juillet pour la réunion des plénipotentiaires.</span>
-Mais, soit qu'il n'eût pas entièrement pénétré les intentions
-dilatoires de Napoléon, soit qu'il fût dominé par des difficultés
-toutes matérielles, M. de Metternich fournit lui-même des prétextes
-aux pertes de temps, en demandant de remettre du 5 au 8 juillet la
-réunion des plénipotentiaires. Après avoir demandé cette remise,
-laquelle, d'après ce qu'on a vu des projets de Napoléon, ne devait pas
-rencontrer d'obstacle de notre part, M. de Metternich s'adressa aux
-souverains réunis à Reichenbach, pour leur annoncer l'acceptation de
-la médiation, pour leur faire agréer la prolongation de l'armistice,
-et obtenir le prompt envoi de leurs plénipotentiaires à Prague.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions des monarques coalisés réunis à Reichenbach.</span>
-Les coalisés de Reichenbach n'avaient pas compris toute la portée de
-l'armistice de Pleiswitz en le signant. Ils n'y avaient vu d'abord que
-l'avantage de se soustraire aux conséquences immédiates de la <span class="pagenum"><a id="page81" name="page81"></a>(p. 81)</span>
-bataille de Bautzen, sans songer aux avantages de temps qu'il
-procurait à Napoléon. Maintenant qu'ils étaient sortis de péril,
-qu'ils avaient ainsi recueilli le principal fruit de l'armistice,
-qu'ils voyaient les armements de Napoléon se développer chaque jour,
-bien que les leurs se développassent aussi, ils étaient presque aux
-regrets d'une suspension d'armes qui pourtant les avait sauvés, et ils
-n'étaient nullement enclins à en prolonger la durée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Frappés des avantages de temps que l'armistice procure à
-Napoléon, ils ne voudraient pas le prolonger.</span>
-Une circonstance
-d'ailleurs les disposait plus mal encore à l'égard de la prolongation
-consentie par M. de Metternich, c'est qu'ils avaient pour vivre la
-partie la moins fertile de la Silésie, tandis que Napoléon avait la
-meilleure, et qu'ils craignaient de manquer bientôt de moyens de
-subsistance. De plus, auprès des Allemands, surtout des Prussiens,
-tout ajournement des hostilités semblait un pas fait dans la politique
-pacifique de l'Autriche, et une sorte de trahison. Il y eut donc
-quelque peine à leur arracher leur consentement, et assez pour
-entraîner une nouvelle perte de temps. Toutefois les deux souverains
-alliés n'avaient rien à refuser à l'Autriche, et dès qu'elle voulait
-une chose, ils devaient l'accorder. Or l'Autriche s'étant engagée
-envers Napoléon à prolonger l'armistice, on ne pouvait pas lui faire
-l'outrage de déclarer son engagement imprudent et nul.
-<span class="sidenote" title="En marge">Toutefois ils accordent la prolongation pour complaire à
-l'Autriche, et demandent une nouvelle remise au 12 juillet pour la
-réunion des plénipotentiaires.</span>
-On le ratifia
-donc, mais en demandant, vu les distances et le temps déjà écoulé, une
-nouvelle remise du 8 au 12 juillet, pour la réunion des
-plénipotentiaires à Prague, et en promettant, du reste, qu'ils
-seraient exacts au rendez-vous. M. de Metternich informa M. de Bassano
-de ces dernières déterminations, mais, en les <span class="pagenum"><a id="page82" name="page82"></a>(p. 82)</span> lui faisant
-connaître, il s'exprima au sujet de la prolongation de l'armistice
-comme à l'égard d'une chose qui allait de soi, et ne communiqua point
-son acceptation officielle par les souverains de Prusse et de Russie.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, enchanté du temps perdu, affecte toutefois de
-s'en plaindre.</span>
-Rien ne convenait mieux à Napoléon que des délais dont il n'était pas
-l'auteur. Il fit répondre comme s'il se résignait au lieu de se
-réjouir. Depuis que la cour d'Autriche s'était transportée de Vienne
-aux environs de Prague, il avait rappelé à Dresde M. de Narbonne, l'y
-avait retenu quelques jours, et puis l'avait expédié de nouveau pour
-qu'il continuât à Prague ainsi qu'à Vienne son rôle d'ambassadeur.
-Napoléon le chargea d'exprimer des regrets au sujet du dernier retard,
-et en même temps de se plaindre de la négligence qu'on paraissait
-mettre à communiquer officiellement le consentement donné à la
-prolongation de l'armistice, comme si ce consentement avait pu être
-douteux. Il l'autorisa de plus à déclarer que lorsque les négociateurs
-russe et prussien seraient connus et partis pour leur destination, la
-France désignerait et ferait partir ses négociateurs, et d'insinuer
-que ce seraient probablement MM. de Narbonne et de Caulaincourt.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon profite du temps perdu par les autres cabinets
-pour perdre lui-même quatre ou cinq jours en s'absentant.</span>
-Tandis qu'il adressait ces réponses, Napoléon se proposait de tirer,
-des délais imprudents auxquels l'Autriche s'était prêtée, de nouveaux
-délais qu'il rattacherait adroitement à ceux dont il n'était pas
-cause. Depuis longtemps il avait projeté certaines excursions pour
-visiter, suivant son usage, les lieux qui allaient devenir le théâtre
-de la guerre, et il voulait, s'il en avait le loisir, parcourir les
-bords de <span class="pagenum"><a id="page83" name="page83"></a>(p. 83)</span> l'Elbe depuis K&oelig;nigstein jusqu'à Hambourg, aller
-même passer quelques jours à Mayence avec l'Impératrice, qui était
-impatiente de le revoir, et à laquelle il désirait donner des
-témoignages publics d'affection. En se montrant tendre et soigneux
-pour Marie-Louise, il augmentait pour l'empereur François la
-difficulté d'oublier les liens de paternité qui l'unissaient à la
-France.
-<span class="sidenote" title="En marge">Voyage imprévu à Magdebourg, pour visiter les bords de
-l'Elbe.</span>
-Il résolut de commencer par la plus utile de ces excursions,
-par celle qui devait lui procurer la vue des points importants de
-Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg. On était arrivé au 8 juillet.
-Napoléon, qui n'avait aucun doute sur la réunion des plénipotentiaires
-russe et prussien à Prague le 12 au plus tard, aurait pu nommer les
-siens, rédiger leurs instructions, et les faire partir, ou les tenir
-prêts à partir au premier signal. Eût-il même fallu différer de
-quelques jours ses excursions, il l'aurait dû, car aucun intérêt
-n'égalait en ce moment celui d'une prompte réunion du congrès, et
-d'ailleurs les inspections locales auxquelles il voulait se livrer,
-les revues de troupes qu'il se proposait de passer, n'auraient pas eu
-moins d'utilité pour être retardées d'une semaine. Au contraire en
-prenant patience encore un jour, il aurait reçu de Prague les
-communications qu'il se plaignait de n'avoir pas reçues, il aurait
-connu les plénipotentiaires désignés, l'époque précise de leur
-réunion, et l'acceptation formelle du nouveau terme assigné à
-l'armistice. Mais il lui convenait mieux de se dire contraint à
-s'absenter immédiatement, parce qu'alors il n'était tenu de répondre
-qu'à son retour, et les quatre ou cinq jours qu'il allait gagner
-ainsi pouvaient être considérés <span class="pagenum"><a id="page84" name="page84"></a>(p. 84)</span> comme une conséquence du temps
-qu'on avait perdu du 5 au 12 juillet. Il déclara donc tout à coup
-qu'ayant différé son départ jusqu'au 9, sans avoir rien reçu de
-Prague, il se voyait obligé par les affaires urgentes de son armée, de
-quitter Dresde le 10. En même temps, de peur de donner à ses ennemis
-le moyen de le faire enlever par une troupe de Cosaques, malgré
-l'armistice, il ne dit pas où il allait, certain que lorsqu'on
-apprendrait qu'il était quelque part, il n'y serait déjà plus. Il ne
-dit pas non plus combien il resterait absent, laissant espérer que ce
-serait trois jours au plus, que par conséquent on n'aurait pas
-beaucoup à attendre les réponses que son départ ajournait
-inévitablement. La diplomatie autrichienne ayant ainsi perdu huit
-jours involontairement, il allait en perdre encore très-volontairement
-quatre ou cinq, ce qui devait remettre la réunion des
-plénipotentiaires, fixée d'abord au 5 juillet, puis au 12, à une
-nouvelle époque qui n'était pas déterminée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon le 10 juillet.</span>
-Le 10 juillet au matin il partit donc pour Torgau en toute hâte, ne
-prenant point un vain prétexte quand il disait s'absenter pour des
-affaires importantes, et ne trompant que sur l'urgence de ces
-affaires.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Juin 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend en route les graves événements qui
-s'étaient passés en Espagne.</span>
-Au moment même où il quittait Dresde, on y apprenait les derniers
-événements d'Espagne, qui, bien qu'on dût les prévoir d'après ce qui
-s'était passé, n'en devaient pas moins causer une surprise bien
-agréable pour nos ennemis, bien douloureuse pour nous, et d'une
-influence funeste pour l'ensemble de nos affaires. Il faut faire
-connaître ces événements, qui par leurs conséquences politiques se
-<span class="pagenum"><a id="page85" name="page85"></a>(p. 85)</span> lient nécessairement à ceux dont l'Allemagne était alors le
-théâtre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Notre situation en Espagne depuis la réunion des trois
-armées du centre, de Portugal et d'Andalousie.</span>
-Après la réunion des trois armées du centre, de Portugal et
-d'Andalousie, la situation des Français dans la Péninsule offrait
-encore bien des chances favorables. Le maréchal Suchet, se maintenant
-par son corps le plus avancé à Valence, et par deux autres corps en
-Catalogne et en Aragon, était maître de la partie de l'Espagne la plus
-essentielle pour nous, et en avait toutes les places fortes en sa
-possession. Le roi Joseph était à Madrid avec l'armée du centre, ayant
-devant lui, répandue sur le Tage, de Tarancon à Almaraz, l'armée
-d'Andalousie, et sur sa droite en arrière, entre la Tormès et le
-Douro, l'armée de Portugal. Dans cette position, il n'avait rien à
-craindre, si, persistant à tenir ensemble ces forces récemment
-réunies, il était toujours prêt à tomber en masse sur les Anglais à
-leur première apparition. Ces trois armées en janvier 1813
-présentaient 86 mille hommes de toutes armes, comprenant le reste de
-ce que la France avait envoyé de meilleur en Espagne. Délivré des
-résistances du maréchal Soult que Napoléon avait emmené avec lui en
-Allemagne, débarrassé aussi des entêtements du général Caffarelli, il
-pouvait se promettre une exécution plus fidèle de ses ordres. Par
-suite de ces changements, le général Clausel commandait l'armée du
-nord, le général Reille celle de Portugal, le comte d'Erlon celle du
-centre, le général Gazan celle d'Andalousie. Sans le redoutable effet
-produit par les événements de Russie, la situation de Joseph n'eût
-pas été mauvaise. Mais ces événements avaient singulièrement <span class="pagenum"><a id="page86" name="page86"></a>(p. 86)</span>
-excité les esprits, et réveillé chez les Espagnols l'espérance d'être
-prochainement délivrés de notre domination.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Conduite des cortès de Cadix.</span>
-Les cortès de Cadix gouvernaient toujours assez confusément, mais avec
-un ardent patriotisme, les affaires de l'insurrection espagnole, et
-lord Wellington avec beaucoup de suite et de fermeté celles de
-l'insurrection portugaise. Les cortès avaient, comme nous l'avons
-rapporté ailleurs, terminé leur constitution, et, copiant exactement
-celle que la France s'était donnée en 1791, elles avaient adopté une
-chambre unique et un roi pourvu seulement du véto suspensif. En
-attendant que ce roi pût leur être rendu, les cortès prétendaient
-représenter la souveraineté tout entière, s'étaient attribué le titre
-de Majesté, et accordaient celui d'Altesse à une régence élective,
-composée de cinq membres, et investie du pouvoir exécutif en l'absence
-de Ferdinand VII. Les cortès avaient contre elles, outre les Français
-et les rares partisans de Joseph, tous les amis du vieux régime
-qu'elles avaient aboli, et se trouvaient sans cesse en conflit avec la
-régence, suspecte à leurs yeux parce qu'elle avait été composée de
-grands personnages du clergé et de l'armée. C'est ce qui explique
-pourquoi Séville et toute l'Andalousie étant abandonnées par les
-Français, les cortès avaient mieux aimé demeurer au milieu du peuple
-de Cadix, plus confiantes dans le peuple de cette ville que dans aucun
-autre. Sans les malheurs de Russie, sans la défaite de Salamanque,
-Joseph, moins contrarié, mieux pourvu d'argent, aurait pu avec le
-temps tirer un grand parti des divisions des Espagnols.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page87" name="page87"></a>(p. 87)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Les cortès défèrent à lord Wellington le
-commandement des armées espagnoles.</span>
-En ce moment une question avait fort ajouté à ces divisions, c'était
-celle du commandement des armées. Les succès de lord Wellington, et
-surtout les qualités que l'armée portugaise avait déployées sous ses
-ordres, avaient suggéré à certains membres des cortès l'idée de lui
-offrir le commandement en chef des troupes espagnoles. L'esprit
-indépendant et jaloux de la nation avait d'abord opposé des obstacles
-à ce projet, mais l'espérance de voir l'armée espagnole égaler bientôt
-et surpasser même l'armée portugaise, et en particulier la victoire de
-Salamanque, avaient fait taire toutes les répugnances, et on avait
-nommé lord Wellington généralissime. Cet illustre personnage avait mis
-à son acceptation deux conditions, la première qu'il obtiendrait
-l'assentiment de son gouvernement, et la seconde qu'il exercerait sur
-l'organisation et les mouvements de l'armée espagnole une autorité
-absolue. Le cabinet britannique ayant tout naturellement consenti à ce
-qu'il acceptât l'autorité qu'on lui offrait, il s'était transporté à
-Cadix pendant l'hiver, pour s'entendre avec la régence sur toutes les
-questions que soulevait son futur commandement. Accueilli avec de
-grands honneurs, mais attaqué en même temps par les journaux organes
-des jalousies nationales, il avait plus d'une fois regretté de s'être
-exposé à un semblable traitement et aurait même refusé le généralat,
-s'il n'avait craint par son refus de porter un coup funeste à
-l'insurrection. On lui avait pourtant accordé à peu près l'autorité
-qu'il désirait, mais il craignait fort de ne pas tirer grand parti des
-Espagnols, faute d'argent et faute de bons officiers. On lui
-promettait <span class="pagenum"><a id="page88" name="page88"></a>(p. 88)</span> l'argent sans moyen de le fournir, et quant aux
-officiers, il aurait en vain voulu suppléer à ceux qui lui manquaient
-par des officiers anglais. Jamais l'armée espagnole n'aurait souffert,
-malgré l'exemple de l'armée portugaise, qu'on lui donnât des étrangers
-pour la conduire. Il était parti du reste encore plus applaudi
-qu'attaqué, et résolu à s'occuper presque exclusivement de l'armée
-espagnole de Galice, qui devait servir sous ses ordres immédiats.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Projet de lord Wellington pour la campagne de 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Il veut, à la tête de cent mille hommes, s'avancer en
-Vieille-Castille pour faire tomber d'un seul coup l'établissement des
-Français dans la Péninsule.</span>
-Revenu à Fresnada, sur la frontière nord du Portugal, il avait employé
-tout l'hiver à préparer la campagne prochaine. Son projet était
-d'avoir environ 45 mille Anglais, supérieurement organisés, 25 mille
-Portugais, et environ 30 mille Espagnols instruits et équipés le moins
-mal possible, et de s'avancer ainsi avec une centaine de mille hommes
-sur le nord de la Péninsule, afin de couper au pied de l'arbre la
-puissance des Français en Espagne. Toutefois, depuis que la
-concentration des trois armées de Portugal, du centre et du midi,
-avait réuni à Madrid une force de 80 à 90 mille Français, égaux pour
-le moins aux Anglais, et bien supérieurs aux Portugais et aux
-Espagnols, il regardait son entreprise comme très-hasardeuse, ne
-voulait la tenter qu'avec beaucoup de circonspection, et à condition
-que les insurgés de Catalogne et de Murcie, soutenus par l'armée
-anglo-sicilienne, feraient en sa faveur une forte diversion sur
-Valence, et que les flottes anglaises, secondant les bandes des
-Asturies et des Pyrénées, donneraient de continuelles occupations à
-notre armée du nord. Consulté sur un projet d'invasion dans le midi
-de la France pendant qu'on se <span class="pagenum"><a id="page89" name="page89"></a>(p. 89)</span> battait en Saxe avec Napoléon,
-il avait répondu que le premier soin des Anglais devait être de forcer
-les Français à repasser les Pyrénées, pour n'entrer en France qu'à
-leur suite. Mais ce résultat, il avait été bien loin de le promettre
-en présence des 86 mille hommes actuellement concentrés sous Joseph
-autour de Madrid.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les projets de lord Wellington, faciles à deviner, auraient
-dû amener les Français à évacuer Madrid pour se concentrer en
-Vieille-Castille.</span>
-Ces idées du général en chef britannique, qu'il était facile de
-deviner même sans le secours d'aucune information, indiquent
-suffisamment quel aurait dû être le plan des Français pour rendre
-cette campagne plus heureuse que les précédentes, et ce plan devait
-être avant tout de rester réunis, et puis de bien choisir la position
-sur laquelle ils s'établiraient. Malheureusement le choix de leurs
-positions en avant et en arrière de Madrid n'était pas des mieux
-entendus. Lorsque en effet il faudrait se replier pour tenir tête aux
-Anglo-Portugais dans la Vieille-Castille, entre Salamanque et
-Valladolid, il était à craindre qu'on n'arrivât point à temps, et
-surtout qu'on ne fût obligé de se priver, pour la garde de Madrid, de
-forces très-regrettables un jour de bataille. Le mieux eût donc été
-d'évacuer Madrid, de se transporter à Valladolid, de n'y garder que
-l'indispensable en fait de matériel, d'expédier sur Vittoria, malades,
-blessés, vivres et munitions, et d'être ainsi dans la nouvelle
-capitale qu'on aurait adoptée, concentrés et en même temps allégés de
-tout poids inutile.
-<span class="sidenote" title="En marge">C'était l'avis du maréchal Jourdan, mais Joseph répugnait à
-évacuer Madrid.</span>
-C'était l'avis du maréchal Jourdan; mais quoique
-d'une parfaite sagesse, ses avis étaient donnés sans énergie, et il en
-eût fallu beaucoup pour vaincre la répugnance de Joseph à évacuer
-Madrid. Depuis qu'il avait vu lord Wellington <span class="pagenum"><a id="page90" name="page90"></a>(p. 90)</span> fuir devant lui,
-et qu'il avait pu rentrer triomphant dans sa capitale, il s'était
-encore une fois cru roi d'Espagne, et sans les événements de Russie,
-il n'aurait pas même conservé de doute sur son établissement définitif
-dans ce pays. Lui proposer maintenant de sortir de Madrid, c'était lui
-proposer de redevenir roi vagabond, de rendre aux Espagnols toutes les
-espérances qu'ils avaient perdues, de traîner de nouveau sur les
-routes une foule de malheureux attachés à son sort, et de se priver du
-plus clair de son revenu, qui consistait dans l'octroi de Madrid, et
-dans le produit des deux ou trois provinces environnantes. Pourtant
-Joseph avait l'esprit si juste, qu'il n'avait pas absolument repoussé
-l'idée de quitter Madrid lorsque le maréchal Jourdan lui en avait
-parlé, et que si ce dernier eût insisté davantage, on aurait pu
-évacuer Madrid en janvier, employer les mois de février et de mars à
-réprimer les bandes du nord, puis revenir en avril pour être tous
-réunis au mois de mai contre le duc de Wellington, en prenant un mois
-entier pour faire reposer les troupes et les préparer à la campagne
-décisive de 1813. Ces idées, parfaitement conçues par le maréchal
-Jourdan, restèrent donc en projet jusqu'à ce qu'on reçut de Paris des
-dépêches de Napoléon, contenant pour cette campagne des instructions
-fort arrêtées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Idées de Napoléon sur la conduite à tenir en Espagne
-pendant l'année 1813.</span>
-Nous avons exposé déjà les pensées de Napoléon à l'égard de l'Espagne
-pour l'année 1813. Dégoûté d'une entreprise qui avait déplorablement
-divisé ses forces, il y aurait volontiers renoncé s'il l'avait pu,
-mais ayant attiré les Anglais dans la Péninsule, <span class="pagenum"><a id="page91" name="page91"></a>(p. 91)</span> il ne
-dépendait plus de lui de se débarrasser d'eux à volonté. En ouvrant
-par exemple à Ferdinand VII les portes de Valençay, il aurait eu les
-Anglais à Toulouse ou à Bordeaux au lieu de les avoir à Burgos ou à
-Valladolid. Il fallait donc continuer à combattre au delà des Pyrénées
-pour n'être pas obligé de combattre en deçà. Mais Napoléon, comme on
-l'a vu, avait réduit cette tâche autant que possible pour 1813, car
-loin d'envoyer des renforts en Espagne, il en avait tiré au contraire
-des cadres et beaucoup d'hommes d'élite, en se tenant en mesure
-néanmoins de conserver la Castille vieille, les provinces basques, la
-Catalogne et l'Aragon. Son projet secret était de traiter avec
-l'Angleterre, en restituant l'Espagne moins les provinces de l'Èbre à
-Ferdinand VII, et en dédommageant celui-ci avec le Portugal, que la
-maison de Bragance pouvait bien abandonner depuis qu'elle avait trouvé
-au Brésil un si bel asile. C'est ce qui explique pourquoi Napoléon
-avait consenti pour la première fois à admettre dans un congrès les
-représentants de l'insurrection espagnole.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Désirant ne se réserver de l'Espagne que les provinces de
-l'Èbre, et importuné de la présence des guérillas dans le nord de la
-Péninsule, Napoléon fonde sur cette double considération ses plans
-pour 1813.</span>
-C'est d'après ces idées que Napoléon avait tracé ses instructions,
-mais toujours d'une manière trop générale, absorbé qu'il était par les
-préparatifs de la campagne de Saxe. Dépité de ce qu'un courrier
-employait quelquefois trente ou quarante jours pour aller de Paris à
-Madrid, tenant surtout à soumettre les provinces de l'Èbre qu'il avait
-le projet d'adjoindre à la France, il prescrivit de rétablir à tout
-prix les communications, répétant avec sa fougue ordinaire, quand une
-pensée le préoccupait, qu'il était <span class="pagenum"><a id="page92" name="page92"></a>(p. 92)</span> scandaleux, déshonorant,
-qu'aux portes de France on fût plus en péril qu'au milieu de la Manche
-ou de la Castille, et qu'on ne pût aller de Bayonne à Burgos sans être
-dévalisé et égorgé. Il ordonna donc d'employer l'hiver à réduire Mina,
-Longa, Porlier et tous les chefs de bandes qui infestaient la Navarre,
-le Guipuscoa, la Biscaye, l'Alava.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il prescrit l'évacuation de Madrid, la concentration des
-forces françaises en Castille, mais ordonne de prêter l'armée de
-Portugal au général Clausel pour détruire les bandes du nord avant
-l'ouverture de la campagne.</span>
-Pour y réussir plus certainement,
-il voulut qu'on évacuât Madrid, qui ne l'intéressait plus guère depuis
-qu'il songeait à rendre la couronne à Ferdinand VII, que Joseph
-transférât sa cour à Valladolid, qu'il ramenât dès lors la masse des
-troupes françaises dans la Vieille-Castille, qu'il rapprochât l'armée
-de Portugal de Burgos, et qu'il en prêtât une grande partie au général
-Clausel pour détruire les bandes, qu'il reportât l'armée d'Andalousie
-de Talavera à Salamanque, l'armée du centre de Madrid à Ségovie,
-laissant tout au plus un détachement dans cette capitale, afin qu'elle
-ne parût pas définitivement abandonnée. Il prescrivit enfin une
-dernière disposition, c'était de donner à l'armée d'Andalousie une
-attitude offensive, pour persuader aux Anglais que l'on conservait des
-projets sur le Portugal. Napoléon espérait ainsi, en portant de Madrid
-à Valladolid le siége du gouvernement et en n'ayant plus qu'une seule
-armée au lieu de trois, soumettre par la queue de cette armée les
-bandes espagnoles qui ravageaient le nord, et par sa tête menacer le
-Portugal, de manière à y fixer les Anglais et à les détourner de toute
-entreprise sur le midi de la France. Malheureusement il y avait encore
-dans ce plan bien des illusions. D'abord il était fort peu probable
-que nous <span class="pagenum"><a id="page93" name="page93"></a>(p. 93)</span> songeassions sérieusement à Lisbonne lorsque nous
-étions réduits à évacuer Madrid, et lord Wellington avait montré assez
-de bon sens pour qu'on ne pût pas se flatter de l'induire en de telles
-erreurs. D'ailleurs il n'était pas nécessaire de l'inquiéter sur le
-Portugal pour le retenir dans la Péninsule; il suffisait de le battre
-en Castille, à Salamanque, à Valladolid, à Burgos, n'importe où, pour
-le clouer de nouveau derrière les lignes de Torrès-Védras. Mais ce
-grand objet, on le compromettait évidemment en prêtant l'armée de
-Portugal au général Clausel, dans l'espérance de soumettre les bandes
-du nord de l'Espagne. Ces bandes étaient pour assez longtemps
-indomptables, et Joseph avec raison les représentait comme une Vendée,
-sur laquelle les moyens moraux pourraient plus que les moyens
-physiques. Il était donc bien douteux que vingt mille hommes de plus
-missent le général Clausel en mesure de vaincre les bandes du nord, et
-il était bien certain que vingt mille hommes de moins mettraient
-Joseph dans l'impossibilité de gagner une bataille sur les Anglais.
-Mais tout occupé de refaire la puissance militaire de la France, y
-travaillant jour et nuit, continuant à ne pas lire la correspondance
-d'Espagne, ordonnant de trop loin, et sans une attention assez
-soutenue, Napoléon crut qu'un détachement de vingt mille hommes
-accordé au général Clausel lui permettrait d'en finir avec les
-guérillas pendant l'hiver, et que le printemps venu, on pourrait se
-reporter à temps, et tous ensemble, à la rencontre des Anglais.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les instructions de Napoléon n'arrivent, à cause de la
-difficulté des communications, qu'en février et mars.</span>
-Les instructions de Napoléon, transmises par le ministre de la guerre
-dès le mois de janvier, et réitérées <span class="pagenum"><a id="page94" name="page94"></a>(p. 94)</span> en février, n'arrivèrent
-pour la première fois qu'au milieu de février, pour la seconde qu'au
-commencement de mars, c'est-à-dire trente jours environ après leur
-départ. C'était une première perte de temps extrêmement fâcheuse,
-naissant des circonstances mêmes qui affectaient si vivement Napoléon,
-c'est-à-dire de l'occupation de toutes les routes par les bandes
-insurgées. Il en coûtait beaucoup à Joseph, comme nous venons de le
-dire, d'abandonner Madrid, car son autorité sur les Espagnols, ses
-finances, et les familles des afrancesados, allaient également en
-souffrir. Mais déjà sa raison et le maréchal Jourdan lui avaient dit
-qu'il fallait se résoudre à ce sacrifice. Les ordres de Napoléon ne
-servirent qu'à l'y déterminer définitivement. Mieux eût valu sans
-doute le faire plus tôt, car les troupes qu'on allait prêter au
-général Clausel seraient redevenues libres plus promptement, mais
-Joseph, quoique inclinant par bon sens à cette résolution, n'avait pu
-s'y décider qu'à la dernière extrémité.
-<span class="sidenote" title="En marge">Translation de la cour d'Espagne de Madrid à Valladolid.</span>
-En conséquence il ordonna la
-translation de sa cour et de son gouvernement à Valladolid, mais en
-laissant une division à Madrid. La masse des blessés et des malades à
-évacuer (il y en avait neuf mille), du matériel à mettre en sûreté,
-des familles de fonctionnaires à transporter, était si grande, que
-cette évacuation exigea près d'un mois. Le nouvel établissement ne fut
-pas terminé avant le commencement d'avril. Les troupes furent
-distribuées de la manière suivante. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.)
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle distribution des trois armées de Portugal,
-d'Andalousie et du centre, et envoi dans le nord de l'Espagne d'une
-partie de celle de Portugal.</span>
-L'armée de
-Portugal fut transférée de Salamanque à Burgos. Elle avait été réduite
-par le renvoi des cadres inutiles et le versement de l'effectif
-<span class="pagenum"><a id="page95" name="page95"></a>(p. 95)</span> dans un moindre nombre de régiments, de huit divisions à six,
-et elle y avait gagné en organisation ce qu'elle avait perdu en force
-numérique. Trois de ces divisions furent envoyées au général Clausel
-pour l'aider à soumettre les bandes; une fut retenue à Burgos; deux
-furent échelonnées en avant de Palencia, prêtes à soutenir la
-cavalerie le long de l'Esla, et observant l'armée espagnole de la
-Galice. L'armée d'Andalousie, transportée de la vallée du Tage dans
-celle du Douro, et se liant par sa droite avec celle de Portugal,
-occupa le Douro et la Tormès pour se tenir en garde contre l'armée
-anglo-portugaise campée dans le Béira. Elle occupait Zamora, Toro,
-Salamanque, Avila. Une de ses divisions, celle du général Leval, fut
-laissée à Madrid, pour continuer l'occupation apparente de la
-capitale, et en percevoir les produits. Enfin l'une des deux divisions
-de l'armée du centre fut établie à Valladolid même, l'autre à Ségovie,
-afin d'appuyer la division Leval, qui restait en l'air au milieu de la
-Nouvelle-Castille.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Malgré le départ des chefs les moins obéissants, la
-distribution des troupes françaises en trois armées distinctes laisse
-subsister les anciennes divisions.</span>
-Ces trois armées, qui au mois de janvier présentaient encore 86 mille
-hommes aguerris, dont 12 mille de superbe cavalerie, n'en comptaient
-plus en avril que 76 mille, par suite du départ des cadres et des
-hommes d'élite que Napoléon avait appelés en Saxe. Leur division en
-trois armées offrait bien des inconvénients, car malgré la révocation
-des chefs qui avaient opposé à l'autorité de Joseph de si funestes
-résistances, il restait encore dans les trois états-majors des
-tendances à l'isolement, des habitudes d'exploiter le pays pour le
-compte de chaque armée, extrêmement <span class="pagenum"><a id="page96" name="page96"></a>(p. 96)</span> dangereuses. Fondre ces
-armées en une seule, bien compacte, placer celle-ci sous un chef
-unique, tel que le général Clausel, aussi vigoureux sur le champ de
-bataille que soumis à l'état-major royal, la réunir tout entière entre
-Valladolid et Burgos, lui procurer du repos, réparer son matériel,
-composer ses magasins, eût été probablement un moyen de tout sauver.
-Malheureusement on n'en fit rien.</p>
-
-<p>On laissa les trois armées séparées, car Napoléon n'aurait pas vu avec
-plaisir la réunion dans les mains de Joseph d'une pareille masse de
-forces. Chaque état-major conserva ainsi ses prétentions, et quand,
-par le conseil de Jourdan, Joseph ordonna aux administrations de ces
-trois armées les mesures nécessaires pour la création des magasins,
-chacune d'elles refusa d'obéir à l'état-major général. Il fallut un
-ordre nouveau de Paris, qui mit plus d'un mois à parvenir à Madrid,
-pour obliger chacun des trois intendants à déférer aux injonctions de
-l'intendant en chef. Le temps le plus précieux pour la formation des
-approvisionnements fut ainsi perdu.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Portugal réduite successivement à une division
-par les envois de troupes en Navarre.</span>
-Enfin, après avoir envoyé trois
-divisions de l'armée de Portugal au général Clausel pour l'aider à
-soumettre les bandes, il fallut lui en expédier une quatrième, puis en
-acheminer une cinquième jusqu'à Briviesca, de manière que le général
-Reille n'en conserva qu'une avec lui. Il dut même la partager en deux,
-et placer l'une de ses brigades à Burgos, l'autre à Palencia, derrière
-la cavalerie qui gardait l'Esla. On n'avait donc, si les
-Anglo-Portugais arrivaient brusquement, que deux des trois armées à
-leur opposer, et <span class="pagenum"><a id="page97" name="page97"></a>(p. 97)</span> déjà le bienfait de la concentration, auquel
-on avait dû, après la malheureuse bataille de Salamanque, le
-rétablissement de nos affaires, était presque annulé. Si encore ces
-renforts envoyés au général Clausel l'avaient mis en mesure d'anéantir
-les bandes de guérillas, le mal de la dispersion, quoique irréparable,
-n'aurait pas été sans compensation. Mais cette Vendée espagnole était
-aussi difficile à vaincre que l'avait été la Vendée française, et il
-devenait évident que la force sans les moyens moraux et politiques
-serait insuffisante pour y réussir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts impuissants du général Clausel pour détruire les
-bandes, malgré le secours de presque toute l'armée de Portugal.</span>
-La marine anglaise, côtoyant sans cesse le rivage des Asturies de
-Santander à Saint-Sébastien, y versant des armes, des munitions, des
-objets d'équipement, des vivres, concourant à l'attaque ou à la
-défense des postes maritimes, apportait aux insurgés un secours qui
-doublait leurs moyens et leur audace. Porlier, Campillo, Longa, Mina,
-Mérino, tantôt réunis, tantôt séparés, toujours bien informés,
-évitaient nos colonnes dès qu'elles étaient en nombre, ne les
-abordaient que lorsqu'elles s'étaient divisées pour courir après eux,
-et alors avaient l'art de se rejoindre pour les accabler. Ils
-n'avaient emporté nulle part d'avantages considérables, mais ils
-avaient détruit jusqu'à deux bataillons à la fois, notamment à Lerin,
-et bien que le général Clausel eût cinquante mille hommes à leur
-opposer, qu'il mît la plus grande activité à les poursuivre, il ne
-parvenait que rarement à les atteindre, et presque jamais à garantir
-les communications, parce que pour garder efficacement les routes il
-eût fallu en occuper tous les points, ce qui était absolument
-impossible. Le général Clausel avait <span class="pagenum"><a id="page98" name="page98"></a>(p. 98)</span> repris Castro sur le bord
-de la mer, rendu les Anglais circonspects, traité Mina rudement,
-ravitaillé Pampelune, actes fort méritoires sans doute, mais de peu
-d'importance pour les affaires générales de la Péninsule. Il n'en
-fallait pas moins trois à quatre mille hommes d'escorte pour voyager
-en sûreté de Bayonne à Burgos, si l'objet ou le personnage escorté
-attirait l'attention de l'ennemi; et en attendant, pour un si mince
-résultat, on consumait les forces des troupes qui étaient la dernière
-ressource qu'on pût opposer aux Anglais!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Lord Wellington entre en campagne au mois de mai.</span>
-Tandis qu'on s'épuisait de la sorte en courses inutiles, les mois
-d'avril et de mai s'étaient écoulés, et le moment des grandes
-opérations étant venu, lord Wellington avait quitté ses cantonnements.
-Il entrait en campagne avec 48 mille Anglais, 20 mille Portugais, 24
-mille Espagnols, ces derniers mieux armés, mieux vêtus que de coutume;
-il avait ainsi plus de 90 mille hommes à sa disposition. Son intention
-était de faire passer d'abord l'Esla par sa gauche que commandait sir
-Thomas Graham, et de n'aborder avec son centre et sa droite la ligne
-du Douro plus difficile à forcer, que lorsque sa gauche se trouverait
-par le passage de l'Esla sur les derrières des Français qui
-défendaient le Douro. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.) Cette fois il marchait
-avec un parc d'artillerie de siége, et n'était plus exposé à échouer
-devant un ouvrage comme le fort de Burgos.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Il se porte avec 90 mille hommes sur l'Esla et le Douro.</span>
-Le 11 mai sa gauche exécuta un premier mouvement, et se répandit le
-long de l'Esla. La cavalerie du général Reille, n'étant soutenue que
-par une brigade d'infanterie, n'avait pu se montrer ni hardie <span class="pagenum"><a id="page99" name="page99"></a>(p. 99)</span>
-ni vigilante, et l'Esla était passé avant qu'elle fût en mesure de le
-savoir ou de l'empêcher. Les Anglais ne se hâtèrent pas de nous
-pousser vivement, car une aile ne voulait pas marcher sans l'autre, et
-vers le 20 mai seulement lord Wellington, avec sa droite, se porta sur
-Salamanque et la Tormès. Le 24 il fut signalé au général Gazan comme
-s'avançant à la tête de forces considérables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les troupes françaises surprises dans un véritable état de
-dispersion.</span>
-L'armée française, qui aurait dû être prête et concentrée dès le
-1<sup>er</sup> mai aux environs de Valladolid, se voyait surprise dans la
-situation la plus fâcheuse. Sans doute le maréchal Jourdan plus jeune,
-Joseph plus actif et plus décidé, n'auraient pas souffert que les
-choses restassent dans l'état où l'ennemi allait les trouver. Ainsi,
-malgré l'extrême difficulté des informations en Espagne, ils auraient
-tâché de se tenir plus au courant des mouvements des Anglais; malgré
-les ordres de l'Empereur, qui après tout étaient des instructions
-plutôt que des ordres, ils auraient pu, à l'approche du danger,
-rappeler les divisions de l'armée de Portugal prêtées au général
-Clausel, attirer auprès d'eux ce général lui-même, seul capable de
-commander en chef dans une grande bataille, ils auraient pu au moins
-concentrer davantage les armées d'Andalousie et du centre, et ce qui
-restait de celle de Portugal; enfin, malgré la résistance des
-administrations particulières qu'il fallait briser au besoin, ils
-auraient pu créer à Burgos les magasins sans lesquels il était
-impossible que dans un tel pays on man&oelig;uvrât en liberté. Mais
-Jourdan, dégoûté du régime impérial dont il voyait de si près les
-abus, d'une guerre dont il avait depuis longtemps prédit <span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> les
-funestes conséquences, se ressentant déjà des effets de l'âge, retenu
-seulement par son affection pour Joseph, et n'aspirant qu'à rentrer en
-France, se contentait de signaler avec un rare bon sens les fautes
-qu'on allait commettre, et ne savait pas communiquer à Joseph le
-courage de les prévenir. Joseph, jugeant avec discernement le vice des
-choses, savait s'irriter quelquefois contre son frère et jamais lui
-désobéir, ni prendre, comme général et comme roi, l'autorité qu'après
-tout on ne l'aurait pas puni d'avoir prise. Jourdan se consolait trop
-de tout ce qu'il voyait par le mépris peu dissimulé d'un honnête
-homme, Joseph se désolait, mais les choses n'en suivaient pas moins
-leur cours parfois heureux, plus ordinairement malheureux, et destiné
-à devenir désastreux dans un temps très-prochain.</p>
-
-<p>C'est ainsi que lord Wellington, en marche dès le 11 mai par sa
-gauche, le 20 par sa droite, trouva l'armée d'Andalousie dispersée de
-Madrid à Salamanque, celle du centre de Ségovie à Valladolid; celle de
-Portugal de Burgos à Pampelune.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Lente concentration des trois armées françaises sur
-Valladolid.</span>
-Le premier soin devait être de rappeler de Madrid la division Leval,
-et de lui faire repasser le Guadarrama pour la transporter à
-Valladolid. Le général Gazan aurait pu en donner l'ordre sur-le-champ,
-mais comme il s'agissait d'abandonner définitivement la capitale, il
-crut devoir venir à Valladolid même s'en entendre avec Joseph. On
-perdit ainsi deux jours. L'autorisation d'évacuer fut expédiée le 25
-de Valladolid. En même temps on envoya à toutes les troupes sur les
-lignes de la Tormès, du Douro, de l'Esla, l'ordre de rétrograder
-lentement, afin de ménager à <span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> la division Leval le temps de se
-replier, et comme le général Reille n'avait pour appuyer sa cavalerie
-le long de l'Esla qu'une des deux brigades de la division Maucune, on
-lui prêta une division de l'armée du centre, celle du général
-Darmagnac. On laissa le reste de l'armée du centre échelonné sur
-Ségovie pour recueillir la division Leval. L'armée d'Andalousie, la
-plus entière des trois, dut se retirer de Salamanque sur Tordesillas
-(voir la carte n<sup>o</sup> 43), en cédant le terrain peu à peu, afin que
-toutes nos troupes dispersées eussent le temps de se concentrer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Avis envoyé au général Clausel de l'approche des Anglais,
-et ordre d'accourir lui-même avec les divisions de l'armée de Portugal
-qu'on lui a prêtées.</span>
-À ces
-mesures, dictées par la situation, on en ajouta une dernière, ce fut
-d'avertir le général Clausel de l'approche des Anglais, de lui
-redemander les cinq divisions de l'armée de Portugal, de l'engager à
-venir lui-même avec quelques troupes de l'armée du nord, afin d'avoir
-au moins 80 mille hommes à opposer aux Anglais. Enfin on écrivit au
-ministre de la guerre Clarke, pour lui faire connaître l'état des
-choses, et le presser d'ordonner de son côté la concentration des
-forces. Ce ministre, demeuré seul à Paris depuis que Napoléon était
-parti pour l'Allemagne, ne savait que répéter sans discernement les
-ordres de l'Empereur, qui prescrivaient, comme objet essentiel, de
-rétablir les communications avec la France, de rester maître avant
-tout des provinces du nord, et de prendre une attitude offensive à
-l'égard du Portugal, afin de détourner les Anglais de toute tentative
-contre les côtes de France. Quelques jours même avant l'apparition des
-Anglais, il n'avait pas craint d'ordonner l'envoi en Aragon d'une
-nouvelle division de l'armée de Portugal, pour maintenir les
-communications <span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> avec le maréchal Suchet. Il n'y avait donc pas
-grand secours à attendre du duc de Feltre. Le seul service qu'il pût
-rendre, c'était de transmettre de son côté au général Clausel l'avis
-de la marche des Anglais, ce qui n'était pas indifférent, car, malgré
-tout ce qu'on avait fait pour communiquer sûrement avec l'armée du
-nord, on n'était pas certain d'y réussir avant trois ou quatre
-semaines. Au surplus le général Clausel était si bon compagnon
-d'armes, et comprenait si bien l'importance de battre les Anglais,
-qu'aussitôt averti il ne pouvait manquer de renvoyer les divisions de
-l'armée de Portugal, et de venir lui-même avec les troupes disponibles
-de l'armée du nord.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">On dispute aux Anglais le terrain pied à pied.</span>
-Heureusement pour les premiers jours de la campagne on avait affaire à
-un ennemi solide, mais circonspect, et nos soldats, aussi vaillants
-que bien commandés, n'étaient pas faciles à déconcerter. Le général
-Reille recueillit sa cavalerie, se retira en bon ordre sur Palencia,
-et avec la division d'infanterie Maucune, la seule qui lui restât,
-avec la division Darmagnac qui lui avait été prêtée, mit hors
-d'atteinte la route de Valladolid à Burgos, laquelle était la ligne de
-retraite de l'armée. Le général Villatte, placé sur la Tormès, la
-défendit vaillamment, même trop vaillamment, car s'il était utile de
-retarder l'ennemi, il était dangereux de prétendre l'arrêter, et il
-perdit ainsi quelques centaines d'hommes, mais après en avoir fait
-perdre beaucoup plus aux Anglais. Grâce à cette attitude et à la
-prudente lenteur de lord Wellington, le général Leval put évacuer
-Madrid, et repasser sain et sauf le Guadarrama, <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> ramenant
-avec lui les derniers restes de notre établissement à Madrid. Il
-rejoignit l'armée du centre à Ségovie. Le 2 juin on se trouvait dans
-les positions suivantes: le général Reille entre Rio-Seco et Palencia
-avec sa cavalerie et deux divisions; l'armée d'Andalousie à
-Tordesillas sur le Douro, avec ses quatre divisions; enfin l'armée du
-centre à Valladolid avec une division française et une espagnole.
-C'était un total d'environ 52 mille hommes, au lieu de 76 mille qu'on
-aurait pu réunir, si on n'avait pas sitôt renoncé aux avantages de la
-concentration pour le chimérique projet de la destruction des bandes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Trois partis à prendre après la concentration opérée autour
-de Valladolid.</span>
-Une fois groupés autour de Valladolid, il y avait trois partis à
-prendre (voir la carte n<sup>o</sup> 43): le premier, de s'arrêter et de livrer
-bataille tout de suite avec 52 mille hommes contre 90 mille, ce qui
-était imprudent et prématuré, chaque pas fait en arrière donnant la
-chance de recouvrer une ou plusieurs divisions de l'armée de Portugal;
-le second, de se retirer sur Burgos, puis sur Miranda et Vittoria,
-jusqu'à ce qu'on eût rejoint l'armée du nord elle-même, ce qui était
-simple et peu chanceux; le troisième enfin, de ne pas quitter la ligne
-du Douro, de man&oelig;uvrer sur ce fleuve en le remontant
-transversalement jusqu'à Aranda, même jusqu'à Soria, d'où par une
-route que le maréchal Ney avait suivie en 1808, on serait tombé entre
-Tudéla et Logroño, c'est-à-dire en Navarre, précisément au point où
-l'on était assuré de rencontrer le général Clausel et même le maréchal
-Suchet, si des événements extraordinaires exigeaient la concentration
-générale de toutes nos forces, plan assez hardi en apparence, mais le
-plus sûr en réalité. <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> Les trois projets furent pris en
-considération et discutés.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'avis de se retirer directement sur Burgos et Miranda, et
-d'y attirer le général Clausel, est adopté.</span>
-Personne n'imagina de se battre
-immédiatement avec 52 mille hommes contre 90 mille, quand on devait se
-flatter d'en avoir chaque jour davantage. On ne méconnut pas le mérite
-du troisième plan, consistant à remonter le cours du Douro jusqu'aux
-approches de la Navarre, mais on le jugea téméraire et compliqué, et
-surtout on lui trouva le défaut d'abandonner la route de Bayonne, et
-de négliger le soin des communications si recommandé par les
-instructions de Paris, comme si une armée anglaise aurait jamais osé
-franchir les Pyrénées, en laissant une armée de 80 mille Français sur
-ses derrières, et de 150 mille en comptant le maréchal Suchet. Par ces
-divers motifs on préféra le second plan, celui qui consistait à se
-retirer paisiblement sur Burgos, en écrivant lettres sur lettres pour
-ramener les divisions prêtées au général Clausel, sinon toutes, au
-moins celles qui recevraient en temps utile l'avis qu'on leur
-expédiait.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Évacuation de Valladolid, et retraite sur Burgos.</span>
-Cette retraite commença donc, et il fallut après Madrid abandonner
-Valladolid même, cette seconde capitale qu'on venait de se créer dans
-la Vieille-Castille. On achemina devant soi le matériel, les malades,
-les blessés, les afrancesados, et la marche ne put être que fort
-lente. Les troupes, mal approvisionnées, étaient obligées de s'étendre
-pour vivre, ce qui rendait la retraite peu sûre. Heureusement nous
-avions dix mille hommes d'une excellente cavalerie, l'ennemi n'était
-pas entreprenant, et on put ainsi se retirer sans accident fâcheux.
-Lord Wellington, attendant la fortune sans jamais courir <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span>
-après elle, savait bien qu'il en faudrait venir à une bataille
-générale, et se résignait à cette chance, mais avec la résolution de
-ne combattre, suivant son usage, que sur un terrain favorable, et
-jusqu'à ce moment il semblait se contenter d'un seul résultat, celui
-de nous ramener vers les Pyrénées. Dans cette intention, il portait
-toujours en avant sa gauche partie des frontières de la Galice, de
-manière à menacer notre droite (droite en tournant le dos aux
-Pyrénées), et à décider ainsi plus vite nos mouvements rétrogrades. On
-ne comprend même pas comment ce général si sensé, se hâtait lui-même
-de nous pousser sur nos renforts, et ne cherchait pas une occasion de
-nous joindre, lorsqu'au lieu d'être 70 mille nous n'étions que 50
-mille.</p>
-
-<p>Le 6 juin on atteignit les environs de Palencia, et une reconnaissance
-exécutée par Joseph et Jourdan révéla complétement cette disposition
-des Anglais de porter toujours leur gauche renforcée sur notre droite.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 7 juin aux environs de Burgos.</span>
-Le 7 on continua de marcher sur Burgos, et on vint prendre la position
-de Castro-Xeriz, entre la Puyserga et l'Arlanzon, en avant de Burgos.
-La rareté des subsistances ne permettant pas de conserver cette
-importante position aussi longtemps qu'on l'aurait voulu, on se replia
-sur Burgos le 9. Le général Reille avec la division Maucune et la
-division Darmagnac s'établit sur le Rio Hormaza, le général Gazan avec
-l'armée d'Andalousie derrière le Rio Urbel, à cheval sur l'Arlanzon,
-l'armée du centre dans l'intérieur de Burgos.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Impossibilité de séjourner à Burgos par suite du défaut de
-vivres, et par la nécessité où l'on est de rallier le général
-Clausel.</span>
-On s'était pressé, faute de vivres, d'arriver à Burgos, et on devait,
-faute de vivres encore, se <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> presser d'en partir. Les nombreux
-convois de malades, d'expatriés, de conducteurs d'artillerie,
-accumulés à Burgos, avaient dévoré les magasins peu considérables
-qu'on avait formés dans cette ville, et les troupes pouvaient à peine
-y subsister quelques jours. On achemina de nouveau ces convois sur
-Miranda et Vittoria, et on eut le tort, une fois la résolution adoptée
-de rétrograder jusqu'aux Pyrénées, de ne pas envoyer tous les embarras
-à Bayonne, pour en délivrer complétement l'armée. On fit reposer les
-troupes quelques jours afin de consommer les subsistances qui
-restaient, et de gagner un temps qui était gagné pour la
-concentration, car chaque jour qui s'écoulait ajoutait aux chances de
-rallier le général Clausel. À Burgos d'ailleurs on avait trouvé la
-division Lamartinière, l'une de celles qu'on avait prêtées à l'armée
-du nord, et qui était la plus nombreuse de l'armée de Portugal. Elle
-procurait près de 6 mille hommes de plus au général Reille, ce qui
-permit de rendre à l'armée du centre la division Darmagnac qu'on lui
-avait temporairement empruntée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Avant de quitter Burgos on discute encore une fois le plan
-à suivre, et on examine s'il faut se diriger sur Vittoria, ou faire un
-détour, pour rejoindre en Navarre le général Clausel.</span>
-C'était une nouvelle raison de se rapprocher de l'Èbre, et de pousser
-plus loin le mouvement rétrograde, car si on ne ralliait pas toutes
-les divisions envoyées au général Clausel, on pouvait du moins en
-recouvrer encore une ou deux, et un tel renfort était d'une importance
-décisive. Au surplus les vivres manquaient et il fallait aller se
-nourrir plus loin. Ici s'élevait pour la seconde fois la question de
-savoir, si on continuerait à suivre la grande route de Bayonne, pour
-rester fidèle aux ordres qui avaient tant recommandé le soin des
-communications avec la France, ou <span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> si on opérerait un
-mouvement transversal, pour déboucher sur l'Èbre à Logroño, au lieu
-d'y arriver par Miranda, ce qui rendait la réunion avec le général
-Clausel presque infaillible. C'était, sans aucune des objections qu'il
-avait d'abord provoquées, le plan qui avait été repoussé à Valladolid,
-et qui consistait à se porter en Navarre par Soria, afin de rejoindre
-plus sûrement le général Clausel. Cette fois le détour à faire était
-si peu considérable, et la certitude de la jonction avec le général
-Clausel, qui opérait en Navarre, d'un intérêt si capital, qu'on a
-peine à comprendre la résistance à une telle proposition. Les généraux
-Reille et d'Erlon l'appuyèrent fort; mais le maréchal Jourdan et
-Joseph, moins bien inspirés que de coutume, dominés surtout par les
-instructions de Paris répétées à chaque courrier, craignirent de
-découvrir les communications avec Bayonne, et persistèrent à se
-diriger directement sur Miranda et Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">La marche directe sur Vittoria prévaut. Nouvel avis au
-général Clausel.</span>
-Seulement n'ayant pas de
-nouvelles du général Clausel, on lui envoya, cette fois sous l'escorte
-de quinze cents hommes, l'avis de l'arrivée de l'armée dans la
-direction de Vittoria. On prit donc encore le parti de rétrograder sur
-l'Èbre par Briviesca, Pancorbo, Miranda.</p>
-
-<p>Le 12 juin le général Reille voyant les Anglais essayer de nouveau de
-déborder notre droite (nous répétons qu'il s'agit de notre droite le
-dos tourné aux Pyrénées), voulut les contraindre à déployer leurs
-forces, et tint en arrière du Rio Hormaza. Les Anglais montrèrent
-environ 25 mille hommes, mais le général Reille, qui n'en avait pas la
-moitié, man&oelig;uvra avec tant d'aplomb et de vigueur qu'il leur
-<span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> tua trois ou quatre cents hommes, sans en perdre lui-même
-plus d'une cinquantaine, et repassa le Rio Hormaza et même l'Arlanzon
-dans un ordre parfait. Il était évident que les Anglais, sans être
-impatients de nous livrer bataille, voulaient cependant nous
-contraindre à leur céder le terrain en débordant toujours l'une de nos
-ailes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Départ de Burgos le 13 juin.</span>
-Le 13 on se détermina à partir de Burgos, et comme dans cette
-campagne on savait lord Wellington pourvu d'un équipage de siége
-considérable, que d'ailleurs on ne voulait pas se priver de deux ou
-trois mille hommes en les laissant à Burgos que nous n'avions guère
-l'espérance de revoir, on se décida à faire sauter le fort qui nous
-avait rendu de si grands services l'année précédente. Il fut résolu
-que les munitions dont il était rempli et qu'on ne pouvait pas
-transporter, seraient livrées aux flammes ainsi que le fort lui-même.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Explosion du fort de Burgos.</span>
-Le 13, pendant que nous marchions sur Briviesca, l'armée fut attristée
-par une effroyable explosion, triste signe d'une retraite sans espoir
-de retour, et on sut, par l'arrière-garde, que cette opération,
-exécutée sans les précautions nécessaires, avait causé à nos troupes,
-et surtout à la ville, des dommages assez considérables.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Miranda le 16 juin.</span>
-On arriva le
-14 juin à Briviesca, le 15 à Pancorbo, le 16 à Miranda. Parvenu à ce
-dernier point, on était au bord de l'Èbre, et un pas de plus on allait
-être à Vittoria, au pied même des Pyrénées. (Voir la carte n<sup>o</sup> 43.)
-L'ennemi s'était avancé par sa gauche jusqu'à Villarcajo, continuant
-sa man&oelig;uvre accoutumée de déborder notre droite. En même temps on
-avait appris que le général Clausel, à la première nouvelle de
-l'approche des Anglais, <span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> s'était hâté de diriger sur l'armée
-la division Sarrut qu'on venait de recueillir en route, la division
-Foy qui était encore sur les revers des Pyrénées entre Mondragon et
-Tolosa, et qu'il s'avançait lui-même par Logroño en remontant l'Èbre,
-avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, et deux
-divisions de l'armée du nord. On l'espérait à Logroño pour le 20.</p>
-
-<p>C'était le cas d'exécuter le plus simple des mouvements, c'est-à-dire
-de descendre l'Èbre de Miranda à Logroño, ce qui aurait entraîné un
-détour de quelques lieues à peine, et assuré d'une manière certaine la
-jonction avec le général Clausel. Mais la route directe de Bayonne par
-Vittoria préoccupait plus que jamais Joseph et Jourdan. On craignait
-non-seulement de la découvrir en descendant l'Èbre jusqu'à Logroño,
-mais même en restant sur la route de Miranda à Vittoria, de ne pas la
-protéger assez, car l'ennemi pouvait par Villarcajo franchir les
-montagnes un peu plus haut, se porter par Orduña sur Bilbao, pousser
-de Bilbao à Tolosa, et nous couper la route de Bayonne. Pour parer à
-ce danger, le maréchal Jourdan voulait porter l'armée de Portugal par
-Puente-Larra sur Orduña, afin de fermer le débouché par lequel la
-route de Vittoria à Bayonne aurait pu être interceptée. C'était
-l'obstination du ministre de la guerre à reproduire les premiers
-ordres de Napoléon qui amenait cette funeste pensée, laquelle aurait
-privé Joseph des trois divisions du général Reille jusqu'à ce qu'on
-eût repassé les Pyrénées, et eût replacé l'armée, même après la
-réunion avec le général Clausel, dans le dangereux <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> état
-d'infériorité numérique où elle se trouvait dans le moment.
-<span class="sidenote" title="En marge">Probabilité et presque certitude d'une grande bataille
-avant de repasser les Pyrénées.</span>
-Or, il
-n'était pas probable que les Anglais nous laissassent franchir les
-Pyrénées sans livrer bataille, bien qu'en apparence ils n'eussent
-d'autre but que celui de nous faire évacuer l'Espagne. Le maréchal
-Jourdan était disposé à ne pas leur supposer d'autres intentions, et
-il faut reconnaître que leur conduite habituelle donnait quelque
-crédit à une opinion pareille.</p>
-
-<p>On avait séjourné le 17 juin à Miranda, pour procurer quelque repos à
-l'armée. Il fallait cependant prendre un parti, car on ne pouvait
-demeurer plus longtemps en cet endroit, et permettre à l'ennemi de
-nous devancer aux divers cols des Pyrénées. Il y avait toujours eu
-deux avis bien distincts dans l'état-major, l'un consistant à se
-diriger le plus tôt possible, par un mouvement transversal, sur
-Logroño et la Navarre, afin de rallier le général Clausel, sans tenir
-compte du mouvement des Anglais contre notre droite, car ils ne
-pouvaient pas songer à passer ces montagnes tant qu'ils n'auraient pas
-gagné sur nous une bataille décisive; l'autre au contraire consistant
-à donner une attention extrême au mouvement par lequel les Anglais
-menaçaient nos communications, et à parer à ce mouvement en ne
-quittant pas la grande route de Bayonne, et en y appelant le général
-Clausel, qu'on espérait d'ailleurs y voir arriver d'un instant à
-l'autre. Le premier avis était celui du général Reille et du comte
-d'Erlon; le second était celui du maréchal Jourdan et du roi Joseph
-fatalement dominés par les ordres de Paris.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle discussion à Miranda sur la direction à suivre.</span>
-Le conflit entre les deux opinions fut fort vif à Miranda, <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span>
-car le moment était venu d'opter entre l'une ou l'autre.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'avis du général Reille et du général comte d'Erlon est de
-se porter en Navarre.</span>
-Le général
-Reille soutenait que le général Clausel s'étant fait annoncer sur
-l'Èbre aux environs de Logroño, il fallait se hâter d'y descendre pour
-le rejoindre, et que toute considération devait céder devant le grand
-intérêt de la concentration de nos forces, répétant ce qu'il avait
-toujours dit, que le mouvement par lequel les Anglais cherchaient à
-nous déborder n'était pas une menace sérieuse, tant qu'ils ne nous
-auraient pas sérieusement battus.
-<span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph insistent pour la marche directe sur
-Vittoria.</span>
-Le maréchal Jourdan et Joseph, au
-contraire, craignaient par-dessus tout le mouvement qui transportant
-les Anglais par Orduña sur Bilbao et Tolosa, les placerait entre nous
-et Bayonne, au revers de la grande chaîne des Pyrénées. De plus le
-convoi comprenant toutes nos évacuations, nos malades, nos blessés,
-les expatriés espagnols, se trouvait à Vittoria, et descendre sur
-Logroño c'était le découvrir, et le livrer à l'ennemi. Enfin le
-général Clausel, auquel on avait indiqué Vittoria comme point de
-rendez-vous, pouvait bien s'y être dirigé sans venir à Logroño, et,
-dans ce cas, il serait lui-même aussi compromis que le convoi.</p>
-
-<p>Il faut reconnaître que l'avis du général Reille et du comte d'Erlon,
-bien que le meilleur, comme on le verra bientôt, avait perdu de son
-mérite apparent depuis qu'on avait envoyé le convoi à Vittoria, et
-qu'on avait fait dire au général Clausel de s'y rendre, car, sans même
-partager la crainte d'être tourné par Orduña, le danger de découvrir
-le convoi, peut-être le général Clausel lui-même en descendant
-obliquement sur Logroño, était un motif <span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> très-spécieux de
-continuer à marcher directement sur Vittoria, et on ne saurait blâmer
-Joseph et le maréchal Jourdan d'avoir persisté dans leur première
-opinion, surtout en tenant compte des ordres de Paris, qui leur
-faisaient un devoir impérieux de veiller à leurs communications avec
-la France.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ils envoient le général Reille à Orduña, de crainte d'être
-tournés par les Anglais.</span>
-Joseph et le maréchal Jourdan ne se bornèrent pas à adopter la marche
-directe sur Vittoria, ils voulurent se donner tout repos d'esprit
-relativement au danger d'être tourné par Orduña et Bilbao, et ils
-prescrivirent au général Reille de se porter par Puente-Larra sur
-Osma, par Osma sur Orduña et Bilbao, tandis que le reste de l'armée
-s'avancerait immédiatement sur Vittoria. On espérait rallier à
-Vittoria le général Clausel, gagner par cette réunion plus qu'on
-n'aurait perdu par le départ du général Reille, et, adossés ainsi aux
-Pyrénées avec les généraux Gazan, d'Erlon, Clausel, ayant sur le
-revers de ces montagnes le général Reille pour parer à un mouvement
-tournant, opposer partout à l'ennemi une barrière de fer. Mais en
-prenant de telles dispositions, il aurait fallu avertir le général
-Clausel autrement que par des paysans ou des officiers détachés; il
-aurait fallu, par un régiment de cavalerie (arme dont on avait
-beaucoup plus qu'on ne pouvait en employer), lui adresser à Logroño
-même l'indication du vrai rendez-vous, et expédier des ordres positifs
-pour hâter le départ du convoi de Vittoria, afin de ne pas l'y
-rencontrer sur son chemin, et de n'y pas tomber dans un encombrement
-dangereux<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Lien vers la note 2"><span class="smaller">[2]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> Le sens, le jugement ne faisaient jamais défaut ni à Joseph,
-ni au maréchal Jourdan; mais, ainsi que nous l'avons dit ailleurs,
-l'activité qui multiplie les précautions, qui ne se fie jamais aux
-ordres donnés une seule fois, cette activité qui vient de la jeunesse
-et d'une extrême ardeur d'esprit, leur manquait absolument. Ils
-résolurent donc de diriger le général Reille avec ce qu'il avait de
-l'armée de Portugal sur Osma, les généraux Gazan et d'Erlon avec les
-armées du centre et d'Andalousie sur Vittoria, sans prendre
-malheureusement aucune des précautions que nous venons d'indiquer.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Miranda le 18.</span>
-Le 18 le général Reille se mit en mouvement sur Osma avec les
-divisions Sarrut, Lamartinière et Maucune. Mais à peine cette dernière
-était-elle en marche qu'elle fut assaillie par une nuée d'ennemis,
-auxquels elle n'échappa qu'à force de vigueur et de présence d'esprit.
-Le général Reille arrivé à Osma, trouva des troupes nombreuses vers
-Barbarossa, déjà postées à tous les abords des montagnes, et ne
-permettant pas d'en approcher. C'étaient les Espagnols de l'armée de
-Galice, qui avaient pris les devants pour occuper avant nous les
-passages des Pyrénées. On aurait pu croire que conformément aux
-conjectures du maréchal Jourdan et du roi Joseph, ils allaient
-franchir les Pyrénées à Orduña pour couper la route de Bayonne; mais
-ils n'y songeaient pas. Ils voulaient seulement nous devancer au pied
-des montagnes, pour prendre des positions dominantes <span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> dans
-notre flanc, si nous étions décidés à livrer une bataille défensive le
-dos appuyé aux Pyrénées, ou nous précéder tout au plus au col de
-Salinas, pour nous entamer avant que nous eussions regagné la
-frontière de France.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Reille trouvant l'ennemi sur la route d'Orduña,
-revient vers Vittoria.</span>
-Le général Reille voyant la route d'Orduña interceptée, renonça
-facilement à une opération qu'il blâmait, et se décida à regagner par
-un mouvement latéral la grande route de Miranda à Vittoria. De son
-côté Joseph avait décampé dans la nuit du 18 au 19 juin pour se rendre
-à Vittoria, et le 19 au matin tous nos corps étaient en pleine marche
-sur cette ville.
-<span class="sidenote" title="En marge">Description du bassin de Vittoria.</span>
-Vittoria, située au pied des Pyrénées sur le versant
-espagnol, s'élève au milieu d'une jolie plaine entourée de montagnes
-de tous les côtés. Si on y prend position le dos tourné aux Pyrénées,
-on a sur la droite le mont Arrato, qui vous sépare de la vallée de
-Murguia, devant soi la Sierra de Andia, et sur la gauche enfin des
-coteaux à travers lesquels passe la route de Salvatierra à Pampelune.
-Une petite rivière, celle de la Zadorra, arrose toute cette plaine, en
-coulant d'abord le long des Pyrénées où elle a sa source, puis en
-longeant à droite le mont Arrato, pour s'échapper par un défilé
-très-étroit à travers la Sierra de Andia.</p>
-
-<p>Le gros de notre armée venant de Miranda et des bords de l'Èbre,
-parcourait la grande route de Bayonne, qui pénètre directement dans la
-plaine de Vittoria par le défilé que suit la rivière de la Zadorra
-pour en sortir. Le général Reille y arrivait latéralement, en s'y
-introduisant par les divers cols du mont Arrato. Le corps avec lequel
-lord Wellington avait <span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> toujours essayé de nous déborder, et
-qui était composé d'Espagnols et d'Anglais, aurait pu nous devancer
-aux passages du mont Arrato, et occuper ainsi avant nous la plaine de
-Vittoria, si le général Reille, qui dans son mouvement latéral lui
-était opposé, ne l'eût contenu par la vigueur avec laquelle il disputa
-le terrain toute la journée du 19. Par le fait, le détour qu'on avait
-prescrit au général Reille, inutile quant au but qu'on s'était d'abord
-proposé, eut néanmoins des conséquences heureuses, car s'il ne nous
-préserva pas du danger chimérique de voir la route de Bayonne coupée
-au delà des Pyrénées, il nous sauva du danger de la voir interceptée
-en deçà, par l'occupation même du bassin de Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réunion le 19 au soir de nos trois armées dans le bassin de
-Vittoria.</span>
-Le 19 au soir,
-nos trois armées s'y trouvaient réunies sans aucun accident. Le
-général Reille avait tué beaucoup de monde à l'ennemi, et n'en avait
-presque pas perdu.</p>
-
-<p>Il devenait urgent d'arrêter ses résolutions. Il n'était pas à
-présumer que lord Wellington nous laissât repasser les Pyrénées sans
-nous livrer bataille, car une fois parvenus à la grande chaîne,
-adossés à ses hauteurs, embusqués dans ses vallées, nous n'étions plus
-abordables, et concentrés d'ailleurs avant d'avoir été atteints, nous
-pouvions tomber sur l'armée anglaise avec 80 mille hommes, et
-l'accabler. Lord Wellington avait déjà commis une faute assez grave en
-nous permettant d'aller si loin sans nous joindre, et en nous donnant
-ainsi tant de chances de rallier le général Clausel, mais on ne
-pouvait pas supposer qu'il la commettrait plus longtemps.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité pour les Français de livrer bataille.</span>
-On devait
-donc s'attendre à une bataille prochaine, à moins <span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> qu'on ne
-quittât tout de suite Vittoria pour franchir le col de Salinas, et
-descendre sur la Bidassoa. Mais ce parti était à peu près impossible.
-Repasser les Pyrénées sans combat, c'était fuir honteusement devant
-ceux que quelques mois auparavant on avait mis en fuite près de
-Salamanque; c'était abandonner le général Clausel aux plus grands
-périls, car on le laissait seul sur le revers des Pyrénées; c'était y
-laisser aussi, moins immédiatement compromis, mais compromis
-cependant, le maréchal Suchet avec tout ce qu'il avait de forces
-répandues depuis Saragosse jusqu'à Alicante. Ainsi l'honneur
-militaire, le salut du général Clausel, la sûreté du maréchal Suchet,
-tout défendait de repasser les Pyrénées, et il fallait combattre à
-leur pied, c'est-à-dire dans le bassin de Vittoria, où devait nous
-rejoindre le général Clausel.
-<span class="sidenote" title="En marge">Forces qu'on aurait pu réunir à Vittoria.</span>
-Si ce général arrivait à temps, on
-pouvait être 70 mille combattants au moins, et plus encore, si le
-général Foy, qui était sur le revers entre Salinas et Tolosa, avec une
-division de l'armée de Portugal, arrivait également. On avait donc
-toute chance de battre les Anglais, qui, bien que formant avec les
-Portugais et les Espagnols une masse de 90 mille hommes, n'étaient que
-47 ou 48 mille soldats de leur nation. Pourtant il se pouvait qu'on ne
-fût pas rejoint sur-le-champ par le général Clausel, et qu'un ou deux
-jours se passassent à l'attendre. Il fallait, dans ce cas, se mettre
-en mesure de tenir tête aux Anglais jusqu'à l'arrivée du général
-Clausel, et pour cela reconnaître soigneusement le terrain et prendre
-toutes ses précautions pour le bien défendre. On aurait eu besoin ici
-d'une vigilance qui <span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> malheureusement avait toujours manqué
-dans la direction de cette armée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces qu'on y avait par suite de la dispersion de l'armée
-de Portugal.</span>
-Des six divisions de l'armée de Portugal on en avait trois, la
-division Maucune qui n'avait pas quitté l'armée, et les divisions
-Sarrut et Lamartinière qui avaient rejoint en route. Il s'en trouvait
-une quatrième, celle du général Foy, au revers des Pyrénées. Les deux
-autres, celles des généraux Barbot et Taupin, étaient encore auprès du
-général Clausel, qui les amenait renforcées de deux divisions de
-l'armée du nord. Avec les divisions de l'armée de Portugal qu'on avait
-recouvrées, avec les armées du centre et d'Andalousie, on aurait
-compté environ 60 mille hommes, sans les pertes de la retraite. Mais
-bien qu'on n'eût pas livré de combats sérieux, on avait perdu 3 à 4
-mille hommes par maladie, fatigue, dispersion. Il en restait 56 à 57
-mille, dont il fallait distraire une partie pour escorter le convoi
-qu'on ne pouvait pas garder à Vittoria, et on devait ainsi se trouver
-réduit à 54 mille hommes environ<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Lien vers la note 3"><span class="smaller">[3]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ce qu'il aurait fallu faire pour attendre en sécurité
-l'arrivée du général Clausel.</span>
-C'était laisser bien des chances
-à la mauvaise fortune que de combattre avec une pareille infériorité
-numérique. Mais comme on n'avait pas le choix, et qu'on pouvait être
-assailli par l'ennemi avant l'arrivée du <span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> général Clausel, il
-fallait se servir des localités le mieux possible pour compenser
-l'infériorité du nombre, et prendre ses mesures sinon le 19 au soir,
-au moins le 20 au matin, car il était à présumer que les Anglais,
-parvenus aux Pyrénées en même temps que nous, ne nous laisseraient pas
-beaucoup de temps pour nous y asseoir. Dans la soirée même du 19 on
-aurait dû se débarrasser de l'immense convoi qui comprenait les
-blessés, les expatriés, le matériel, et se composait de plus de mille
-voitures, car c'était une horrible gêne s'il fallait combattre, et un
-désastre presque certain s'il fallait se retirer. En l'expédiant le
-soir même, et en l'escortant seulement jusqu'au revers de la montagne
-de Salinas, où l'on devait rencontrer le général Foy, il était
-possible de ramener à temps les troupes qui l'auraient accompagné.
-Après s'être délivré du convoi, il fallait se bien établir dans la
-plaine de Vittoria. Les Anglais, ayant toujours tenté de déborder
-notre droite, allaient continuer probablement la même man&oelig;uvre. Ils
-devaient, venant de Murguia, essayer de déboucher à travers les
-passages du mont Arrato dans la plaine de Vittoria, ce qui les
-conduirait aux bords de la Zadorra, qui longe, avons-nous dit, le pied
-du mont Arrato. Bien que cette rivière fût peu considérable, on
-pouvait en rendre le passage difficile en rompant tous ses ponts, et
-en couvrant ses gués d'artillerie, ce qui était aisé, puisque nous
-traînions après nous une masse énorme de canons. Or il était
-indispensable de rendre ce passage non-seulement difficile, mais
-presque impossible, car, en traversant la Zadorra, l'ennemi pouvait
-tomber sur les derrières ou <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> au moins sur le flanc de notre
-armée, rangée dans le bassin de Vittoria, et faisant face au défilé
-par lequel on y pénètre en venant de Miranda. Ce défilé à travers
-lequel la Zadorra s'échappe, ainsi que nous l'avons déjà dit, et qui
-s'appelle le défilé de la Puebla, était le second obstacle à opposer à
-l'ennemi, et il fallait bien étudier le terrain pour chercher les
-meilleurs moyens de le défendre. Il y avait pour cela une position
-dont l'événement prouva les avantages, et qui aurait fourni le moyen
-d'interdire aux Anglais tout accès dans la plaine. En se portant en
-effet un peu en arrière, dans l'intérieur même du bassin de Vittoria,
-on rencontrait une éminence, celle de Zuazo, qui permettait de
-mitrailler l'ennemi débouchant du défilé, ou descendant des hauteurs
-de la Sierra de Andia, puis de l'y refouler en le chargeant à la
-baïonnette après l'avoir mitraillé. Cette position, assez rapprochée
-de Vittoria et des passages du mont Arrato, par lesquels les Anglais
-menaçaient de déboucher sur nos derrières, permettait d'avoir toutes
-choses sous l'&oelig;il et sous la main, et de pourvoir rapidement aux
-diverses occurrences. Il était donc possible, en coupant les ponts de
-la Zadorra, en occupant avec soin la hauteur de Zuazo, de défendre le
-bassin de Vittoria avec ce qu'on avait de troupes, et d'y attendre en
-sûreté le général Clausel. Enfin à toutes ces précautions on aurait dû
-joindre celle d'envoyer au général Clausel non pas des paysans mal
-payés, mais un régiment de cavalerie pour lui renouveler l'indication
-précise du rendez-vous. Or, comme nous l'avons déjà dit, on avait plus
-de cavalerie qu'il n'en fallait sur le terrain où l'on était appelé à
-combattre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Inaction forcée de Jourdan et de Joseph.</span>
-De ces diverses précautions, il n'en fut pris aucune. Le 19 au soir on
-ne fit point partir le convoi, et on n'envoya au général Clausel que
-des paysans sur lesquels on ne devait pas compter, et qui d'ailleurs,
-s'ils avaient été fidèles, auraient été exposés à être arrêtés. Le
-jour suivant 20, au lieu de monter à cheval pour reconnaître le
-terrain, Jourdan et Joseph ne sortirent point de Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Jourdan est atteint de la fièvre, et Joseph ne
-peut rien ordonner sans lui.</span>
-Le maréchal
-Jourdan était atteint d'une fièvre violente, résultat de l'âge, des
-fatigues et du chagrin. Joseph, qui n'avait d'autres yeux que ceux du
-maréchal, remit au lendemain 21 la reconnaissance des lieux. Il se
-flattait, et le maréchal Jourdan aussi, que les Anglais, avec leur
-circonspection ordinaire, chercheraient à percer à travers les
-montagnes pour nous déborder, mais ne se hâteraient pas de nous
-attaquer de front. La seule chose que la maladie du maréchal Jourdan
-n'empêchât pas, c'était de se délivrer du convoi, dont on était
-embarrassé au point de ne savoir où se mettre, et on décida qu'il
-partirait dans la journée du 20. Afin de ne garder avec soi que
-l'artillerie de campagne, on ordonna aux armées de Portugal et
-d'Andalousie de fournir tous les attelages qui ne leur seraient pas
-indispensables pour traîner le gros canon au delà des Pyrénées.
-<span class="sidenote" title="En marge">La seule mesure prise est d'acheminer sur Bayonne le convoi
-des évacuations, mais en le faisant partir le 20 au lieu du 19.</span>
-De
-plus, bien qu'on sût que la division Foy était sur le revers de la
-chaîne, entre Salinas et Tolosa, comme les bandes se glissaient à
-travers les moindres espaces, on donna à ce convoi la division Maucune
-pour l'escorter. Par suite de cette disposition, l'armée de Portugal
-se trouvait de nouveau réduite à deux divisions, et l'armée entière à
-53 ou 54 mille hommes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> Ainsi toutes les mesures ordonnées le 20 consistèrent à faire
-partir pour Tolosa le convoi qui aurait dû partir le 19, à ranger le
-général Gazan avec l'armée d'Andalousie en face du défilé de la
-Puebla, le comte d'Erlon avec l'armée du centre derrière le général
-Gazan, et puis à droite en arrière, le long de la Zadorra, le général
-Reille avec les deux divisions restantes de l'armée de Portugal, afin
-de tenir tête au corps tournant des Anglais qui venait par la route de
-Murguia. Aux négligences commises on ajouta celle de ne pas couper un
-seul des ponts de la Zadorra. Entre nos divers corps d'infanterie on
-plaça notre belle cavalerie, qui malheureusement, dans le terrain que
-nous occupions, ne pouvait pas rendre de grands services, car le
-bassin de Vittoria est semé de canaux nombreux qui arrêtent partout
-l'élan des troupes à cheval. Nous comptions environ 9 à 10 mille
-chevaux, ce qui réduisait notre infanterie à 43 ou 44 mille
-combattants, moitié à peu près de celle de l'ennemi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Toute la journée du 20 se trouve fatalement perdue.</span>
-Ainsi fut employée, c'est-à-dire perdue, la journée du 20. À chaque
-instant on se flattait de voir arriver le général Clausel, que tout
-devait faire espérer, mais que rien n'annonçait aux diverses issues
-par lesquelles il pouvait apparaître. L'infortuné Joseph était dans
-une anxiété extrême, sans en devenir plus actif, car chez les hommes
-qui n'ont pas l'esprit tourné à la prévoyance, l'attente produit
-l'agitation, mais non l'activité.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le matin du 21, Jourdan, quoique malade, exécute avec
-Joseph une reconnaissance du bassin de Vittoria.</span>
-Le lendemain 21, le général Clausel n'avait point paru, et l'ennemi ne
-pouvant pas être supposé longtemps oisif, Joseph et Jourdan voulurent
-reconnaître <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> le terrain pour s'y préparer à la lutte qu'ils
-sentaient bien devoir être prochaine. Le maréchal Jourdan, un peu
-débarrassé de sa fièvre, quoique souffrant encore, fit effort pour
-monter à cheval, et vint avec Joseph reconnaître la plaine de
-Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">Description des positions occupées par l'armée française.</span>
-À droite de notre position et en arrière, au pied du mont
-Arrato, le général Reille, avec les divisions françaises Lamartinière
-et Sarrut, avec le reste d'une division espagnole, gardait les ponts
-de la Zadorra. Le pont de Durana placé dans les montagnes du côté des
-Pyrénées, était gardé par la division espagnole. Le pont de
-Gamarra-Mayor, situé à la naissance de la plaine, était occupé par la
-division Lamartinière. Celui d'Arriaga, tout à fait au milieu de la
-plaine et à la hauteur de Vittoria, était défendu par la division
-Sarrut. Derrière ces divisions se trouvaient, outre la cavalerie
-légère, plusieurs divisions de dragons, prêtes à fondre sur toute
-troupe qui aurait franchi la Zadorra. Mieux eût valu détruire les
-ponts de cette petite rivière, et en défendre les gués avec de
-l'artillerie. Quoi qu'il en soit, la présence sur ce point d'un aussi
-bon officier que le général Reille avait de quoi rassurer.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Remarque juste, mais tardive, du maréchal Jourdan, et ordre
-au général Gazan d'occuper la position de Zuazo, au centre du bassin
-de Vittoria.</span>
-En se reportant droit devant eux, vers l'entrée de la plaine, au
-débouché du défilé de la Puebla, Jourdan et Joseph gravirent
-l'éminence dont nous avons parlé, celle de Zuazo, coupant
-transversalement le bassin et dominant la sortie du défilé.
-Sur-le-champ avec son coup d'&oelig;il exercé, le maréchal Jourdan
-reconnut que c'était là qu'il fallait établir le général Gazan à la
-tête de toute l'armée d'Andalousie, qu'il fallait en outre hérisser
-la hauteur de canons, ranger <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> ensuite le comte d'Erlon à
-droite sur la Zadorra, pour se lier au général Reille et garder le
-pont de Trespuentes qui débouchait sur le flanc de la hauteur de
-Zuazo. Cette remarque si juste, faite la veille, eût sauvé l'armée
-française, et probablement notre situation en Espagne. On envoya donc
-des officiers d'état-major pour transmettre ces ordres au général
-Gazan, et les lui faire exécuter en toute hâte.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Au moment même où était donné cet ordre, la bataille
-commençait.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Résolution de lord Wellington de livrer bataille, et
-dispositions d'attaque.</span>
-Mais il était trop tard, et la bataille commençait à l'instant même.
-Lord Wellington, comme il était facile de le prévoir, ne voulut pas,
-après nous avoir accompagnés, pour ainsi dire, jusqu'aux Pyrénées,
-nous laisser repasser les montagnes sans nous livrer bataille, afin de
-les franchir, s'il le pouvait, à la suite d'une armée battue. Il avait
-porté le général Graham avec deux divisions anglaises, avec les
-Portugais et les Espagnols formant sa gauche, sur la route de Murguia,
-à travers les passages du mont Arrato, pour essayer de forcer le
-général Reille sur la Zadorra. Il avait dirigé son centre composé de
-trois divisions, sous le maréchal Béresford, à travers les autres
-passages du mont Arrato, pour déboucher aussi sur la Zadorra, mais
-vers le milieu de la plaine, ce qui devait les faire aboutir au pont
-de Trespuentes, en face du général d'Erlon et sur le flanc de la
-position de Zuazo. Enfin sa droite, composée de deux divisions
-anglaises sous le général Hill, et de la division espagnole Morillo,
-nous ayant suivis sur la route de Miranda, devait percer le défilé de
-la Puebla, et venir déboucher au pied même de Zuazo. Tous ces corps
-étaient déjà en marche lorsque le maréchal Jourdan et Joseph
-envoyèrent au général Gazan l'ordre <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> de rétrograder vers la
-hauteur de Zuazo, d'où l'on pouvait, avons-nous dit, cribler à la fois
-les troupes qui auraient forcé le défilé de la Puebla, et celles qui
-auraient franchi la Zadorra à Trespuentes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Gazan n'ayant pas eu le temps de rétrograder
-vers la position de Zuazo, est obligé de combattre où il se trouve.</span>
-Lorsque l'aide de camp de Joseph porteur de ses ordres arriva auprès
-du général Gazan, celui-ci, déjà aux prises avec l'ennemi, déclara ne
-pouvoir exécuter les mouvements qu'on lui prescrivait. Joseph et
-Jourdan accoururent auprès de lui et bientôt découvrirent ce qui se
-passait. À droite on apercevait les troupes de Béresford, qui, ayant
-franchi les cols les plus rapprochés du mont Arrato, essayaient de
-traverser la Zadorra à Trespuentes. Devant soi on voyait le général
-Hill engagé dans le défilé de la Puebla, mais avec précaution, et
-ayant jeté à sa droite, sur les hauteurs de la Sierra de Andia, la
-division espagnole Morillo, pour seconder les troupes anglaises qui
-voulaient forcer le passage.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph accourus auprès du général Gazan, lui
-ordonnent de déloger les Espagnols des hauteurs de la Sierra de
-Andia.</span>
-Jourdan et Joseph ordonnèrent au général Gazan d'envoyer à gauche la
-brigade d'avant-garde Maransin sur les hauteurs de la Sierra de Andia,
-pour en débusquer le plus tôt possible la division espagnole Morillo,
-de faire appuyer cette brigade par une division entière s'il le
-fallait, puis, la hauteur reprise, de culbuter les Espagnols dans le
-défilé de la Puebla, et de se jeter à leur suite dans le flanc du
-général Hill. Avec les divisions Darricau et Conroux, le général Gazan
-devait barrer le défilé, tenir à gauche la division Villatte en
-réserve, et enfin disposer sur sa droite la division Leval pour
-observer les troupes de Béresford, qui menaçaient la Zadorra à
-Trespuentes. Le comte d'Erlon, rangé en bataille derrière le général
-<span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> Gazan, devait faire observer la Zadorra, et être prêt à
-tomber sur les troupes qui voudraient la passer entre lui et le
-général Reille.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Exécution lente et décousue des ordres donnés au général
-Gazan.</span>
-À peine ces ordres étaient-ils expédiés, que le feu, sur notre gauche,
-notre front et notre droite, s'étendit en un vaste cercle. Tout à fait
-en arrière, vers le général Reille, on n'entendait rien encore. Le
-général Gazan, qui avait reçu l'ordre de débarrasser d'abord les
-hauteurs à notre gauche, lesquelles formaient l'extrémité de la Sierra
-de Andia, ne fit pas attaquer avec assez d'ensemble les Espagnols qui
-les avaient gravies. Il envoya un régiment après l'autre, et n'obtint
-ainsi aucun résultat. Les Espagnols, bien abrités derrière des rochers
-et des bois, et très-habiles à défendre les terrains de cette nature,
-opposèrent une résistance assez vive à nos régiments mal engagés. Le
-général Gazan pressé par le maréchal Jourdan d'agir avec plus de
-vigueur, détacha d'abord de son front une brigade de la division
-Conroux, puis une brigade de la division Darricau, pour soutenir
-l'avant-garde du général Maransin. Ces deux brigades, plus que
-suffisantes si elles avaient été portées en masse et simultanément sur
-la hauteur qui était à notre gauche, restèrent à mi-côte, tiraillant
-avec désavantage contre les Espagnols bien postés, et n'étant d'aucun
-secours pour l'avant-garde Maransin qui perdait beaucoup de monde.
-Deux heures s'écoulèrent ainsi sans avantage marqué, et ce retard
-était d'autant plus regrettable, que si on les eût bien employées, et
-qu'après avoir culbuté les Espagnols de la hauteur de la Sierra de
-Andia dans le défilé de la Puebla, on <span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> eût refoulé dans ce
-défilé les Anglais qui essayaient de le franchir, on aurait pu ensuite
-se reporter au secours du général Reille, qui allait être
-vigoureusement attaqué.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Lorsque, après des ordres réitérés, le général Gazan se
-décide à attaquer vigoureusement les Espagnols, les Anglais profitent
-de son mouvement pour déboucher dans la plaine, et enlever le village
-de Subijana de Alava.</span>
-Le roi et le maréchal réitérant leurs ordres, le général Gazan se
-décida enfin à porter la division Villatte, rangée un peu en arrière à
-gauche, sur les hauteurs si mal et si longuement attaquées. La
-division Villatte gravit rapidement les pentes de la Sierra de Andia
-sous un feu plongeant des plus meurtriers, refoula néanmoins les
-Espagnols de bas en haut, et les ramena dans les bois qui couronnaient
-le sommet des hauteurs. Mais pendant ce temps les divisions anglaises
-du général Hill, voyant notre front affaibli par l'envoi des deux
-premières brigades du général Conroux et du général Darricau, voyant
-de plus un village important, placé à notre gauche, celui de Subijana
-de Alava, tout à fait découvert par le départ de la division Villatte,
-se jetèrent sur ce village en débouchant vivement du défilé, et
-parvinrent à l'emporter. Dès cet instant les Anglais avaient fait
-irruption dans la plaine, et les repousser devenait fort difficile. Le
-maréchal Jourdan imagina de lancer sur eux l'une des divisions du
-comte d'Erlon, qui avait été placé en réserve sur la droite en
-arrière. Mais le comte d'Erlon s'apercevant que les troupes de
-Béresford menaçaient de passer la Zadorra à Trespuentes, y avait
-successivement envoyé ses deux divisions. Il ne restait donc pas de
-réserve, et par surcroît d'embarras le feu, qui du côté du général
-Reille n'avait commencé qu'assez tard, se faisait entendre violemment
-vers le fond de la plaine.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Jourdan et Joseph voyant la plaine
-envahie, ordonnent qu'on se replie sur la hauteur de Zuazo.</span>
-Décidés par cet ensemble de circonstances, le roi et le maréchal
-ordonnèrent un mouvement rétrograde sur l'éminence de Zuazo, d'où l'on
-pouvait, avec un grand feu d'artillerie, arrêter les ennemis qui
-avaient envahi la plaine par toutes les issues, les uns à notre droite
-en passant la Zadorra à Trespuentes, les autres sur notre front en
-débouchant du défilé de la Puebla, les autres enfin à notre gauche en
-descendant des hauteurs de la Sierra de Andia. En même temps le
-maréchal Jourdan prescrivit au général Tirlet, chef de notre
-artillerie, de placer force bouches à feu sur la hauteur de Zuazo.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Tirlet place sur la hauteur de Zuazo 45 bouches
-à feu, et arrête les Anglais en les couvrant de mitraille.</span>
-Ces ordres mieux exécutés que ceux qui avaient été donnés au général
-Gazan amenèrent un résultat qui aurait pu être décisif. On rétrograda
-sur la hauteur de Zuazo, et le général Tirlet en un clin d'&oelig;il y
-réunit quarante-cinq bouches à feu. Attendant les Anglais qui
-sortaient du défilé de la Puebla, et l'une des colonnes de Béresford
-qui avait forcé le passage de la Zadorra à Trespuentes, il les couvrit
-de mitraille, et joncha en peu d'instants la terre de leurs morts.
-D'abord mises en désordre, les troupes anglaises se reformèrent,
-s'avancèrent au pas, et furent de nouveau rejetées en arrière par la
-mitraille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Faute d'une réserve d'infanterie, on ne peut tirer parti de
-ce succès.</span>
-Si dans ce moment on avait eu quatre ou cinq mille hommes
-sous la main, et qu'on les eût lancés sur les masses ébranlées des
-Anglais, on aurait pu en les refoulant dans le défilé leur faire
-essuyer un sanglant échec. Malheureusement le général Gazan, au lieu
-de se replier sur la hauteur transversale de Zuazo, était allé vers la
-gauche se ranger à mi-côte sur le flanc de la Sierra de Andia, près
-de la division <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> Villatte, ce qui laissait un espace ouvert
-entre ses troupes et celles du comte d'Erlon. Celui-ci avec ses deux
-divisions disputait de son mieux les passages de la Zadorra, au-dessus
-et au-dessous de Trespuentes. On n'avait donc sur la hauteur décisive
-de Zuazo que de l'artillerie sans appui. Au fond de la plaine, le
-général Reille attaqué à Durana, à Gamarra-Mayor, à Arriagua, se
-défendait vaillamment, et chaque fois qu'on lui enlevait l'un de ses
-trois ponts, le reprenait avec la plus rare vigueur; mais en même
-temps il annonçait qu'il serait bientôt forcé, si on ne venait
-promptement à son secours.
-<span class="sidenote" title="En marge">Jourdan et Joseph ordonnent la retraite.</span>
-Le maréchal Jourdan appréciant cette
-situation, conseilla à Joseph d'ordonner la retraite, seul parti qu'il
-y eût à prendre en ce moment. L'intention fut de la diriger sur la
-grande route de Bayonne, par Salinas et Tolosa, afin de sauver
-l'artillerie, car si par Salvatierra et Pampelune on avait chance de
-rejoindre le général Clausel, on avait la certitude de perdre tous ses
-canons, à cause de l'état des routes.</p>
-
-<p>À peine l'ordre de la retraite fut-il donné, qu'on l'exécuta, mais
-sans le concert et l'ensemble qui auraient pu prévenir les
-inconvénients d'un mouvement rétrograde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les généraux Gazan et d'Erlon se disjoignent en se
-retirant, et laissent à la cavalerie anglaise le champ libre pour se
-jeter sur Vittoria.</span>
-Le comte d'Erlon ne voyant
-pas le général Gazan à sa gauche, et apercevant la cavalerie anglaise
-prête à fondre dans la plaine, chercha à s'appuyer vers la Zadorra en
-se retirant, et découvrit ainsi Vittoria. La cavalerie ennemie s'y
-précipita, et y fit naître une indicible confusion. Le convoi au salut
-duquel on avait consacré une division n'était pas parti tout entier.
-Il restait un parc d'artillerie de cent cinquante bouches à feu,
-beaucoup <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> de familles fugitives, de bagages, et de soldats de
-corvée envoyés pour chercher des vivres.
-<span class="sidenote" title="En marge">Panique à Vittoria.</span>
-La vue des dragons anglais
-produisit sur ces gens une terreur panique des plus vives, et ils se
-mirent à fuir dans tous les sens en poussant des cris. Leur premier
-mouvement fut de se porter sur la grande route de Bayonne, et le col
-de Salinas; mais le général Reille disputant à outrance la haute
-Zadorra, tantôt perdant, tantôt reprenant sa position, se battait sur
-cette même route qu'il couvrait de feu et de sang.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les fuyards se précipitent sur la route de Salvatierra et
-de Pampelune.</span>
-Les fuyards se
-rejetèrent alors sur celle de Pampelune par Salvatierra. Le général
-Tirlet accouru à Vittoria pour ordonner la retraite, connaissant le
-mauvais état de la route de Salvatierra, prévoyant que l'artillerie,
-surtout avec l'encombrement qui allait s'y former, ne pourrait pas y
-passer, sachant de plus que dans nos arsenaux de la frontière le
-matériel ne manquait pas, et que les attelages importaient seuls,
-prescrivit de couper les traits, et de sauver les hommes et les
-chevaux en abandonnant les canons.</p>
-
-<p>La retraite qui d'abord avait dû se diriger sur Salinas et Bayonne, se
-trouva donc par le mouvement du général Gazan, par une sorte
-d'instinct de conservation qui avait poussé les fuyards vers la route
-de Salvatierra où le canon ne s'entendait point, se trouva,
-disons-nous, dirigée sur Pampelune, c'est-à-dire sur la Navarre. On
-s'y rua avec une sorte de furie, laissant à Vittoria même un matériel
-immense.
-<span class="sidenote" title="En marge">Belle retraite du général Reille avec son corps d'armée.</span>
-Dès cet instant la situation du général Reille devenait des
-plus périlleuses. Ce général avait tenu tant qu'il avait pu sur la
-Zadorra, rejetant les Anglais et les Espagnols au delà de cette
-petite rivière, chaque <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> fois qu'ils avaient forcé un des trois
-ponts dont il avait la garde. Mais ayant vu le mouvement de retraite
-sur Salvatierra, il se décida lui-même à se retirer dans cette
-direction. Pour sortir sain et sauf de sa position périlleuse, il
-fallait qu'il contînt d'une part les troupes ennemies qui commençaient
-à franchir la Zadorra devant lui, de l'autre celles qui déjà
-débouchaient de Vittoria sur ses derrières. Il avait fort à propos
-tenu en réserve, à quelque distance des trois ponts, la brigade
-Fririon composée des 2<sup>e</sup> léger et 36<sup>e</sup> de ligne, et en outre plusieurs
-régiments de cavalerie. Il ordonna sur-le-champ au général Sarrut qui
-défendait le pont d'Arriagua, au général Lamartinière qui défendait
-celui de Gamarra-Mayor, au général Casalpaccia qui gardait avec les
-Espagnols et quelques centaines d'hommes du 3<sup>e</sup> de ligne le pont de
-Durana, de se replier en bon ordre vers Salvatierra, pendant que lui
-tiendrait tête aux Anglais venant de Vittoria. Le général Sarrut, en
-défendant le pont d'Arriagua, fut tué. Le général Menne le remplaça,
-et fut plusieurs fois assailli, mais ne se laissa point entamer. Le
-général Lamartinière opposa un calme, une vigueur rares à l'impulsion
-de l'ennemi victorieux. Pendant ce temps, le général Reille qui
-s'attachait à les couvrir tous du côté de Vittoria, reçut en plein le
-choc de la cavalerie anglaise. Mais avec les dragons de Digeon, de
-Tilly, de Mermet, il la contint, et parvint à protéger la retraite de
-son corps d'armée jusqu'à Betono. En cet endroit se trouvait un bois;
-on s'y enfonça, ce qui permit de parcourir en sûreté une partie du
-chemin qui menait à la route de Pampelune en tournant derrière
-Vittoria. Mais au <span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> sortir du bois on aperçut un gros corps de
-cavalerie qui nous attendait. Le général Reille le fit charger par le
-3<sup>e</sup> de hussards et le 15<sup>e</sup> de dragons, puis marcha en hâte vers le
-village d'Arbulo. La cavalerie ennemie nous y poursuivit à outrance.
-Le général Reille avec les 2<sup>e</sup> léger et 36<sup>e</sup> de ligne de la brigade
-Fririon, se forma en avant de ce village, pour donner au reste de son
-corps d'armée le temps de défiler. Assailli par les nombreux escadrons
-des Anglais, il les reçut en carré et couvrit le terrain de leurs
-morts. Toutes ses troupes ayant défilé, il traversa lui-même le
-village, et gagna ainsi sain et sauf la route de Salvatierra, où se
-précipitaient confusément les divers corps de notre armée et toute la
-queue du vaste convoi que nous avions conduit avec tant de peine de
-Madrid à Vittoria.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de la malheureuse bataille de Vittoria.</span>
-Nous avions eu dans cette fatale journée environ 5 mille morts ou
-blessés, et les Anglais à peu près autant. Mais en soldats de corvée,
-en fuyards, en valets d'armée, on nous avait pris 15 ou 1800 hommes.
-Nous laissions en outre à l'ennemi 200 bouches à feu, non pas perdues
-en ligne, mais abandonnées faute d'une route convenable pour les faire
-passer, plus 400 caissons et un nombre infini de voitures de bagages.
-Joseph n'avait pas même sauvé sa propre voiture, qui contenait tous
-ses papiers.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qu'avaient fait pendant cette bataille le général Foy et
-le général Clausel.</span>
-On se demandera naturellement où était en ce moment le général Clausel
-avec les 15 mille hommes qu'il aurait pu amener, ce que faisait sur le
-revers des monts le général Foy, qui renforcé de plusieurs petites
-garnisons et du général Maucune, avait lui aussi 15 mille hommes dont
-la présence aurait été si <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> utile dans la fatale plaine de
-Vittoria. Ces 30 mille hommes, joints aux 52 ou 54 mille de Joseph,
-formant l'énorme masse de plus de 80 mille combattants, auraient pu
-accabler les Anglais, et les rejeter en Portugal; et alors quelle
-différence, non-seulement pour les affaires de la Péninsule, mais de
-l'Europe entière, car les Anglais, qui exerçaient en Allemagne une si
-grande influence sur les résolutions des coalisés, s'ils avaient conçu
-quelques craintes pour leur armée de la Péninsule, auraient
-certainement facilité les négociations, jusqu'à rencontrer peut-être
-sur la limite des concessions possibles l'orgueil même de Napoléon!
-Mais cette fois comme tant d'autres, ce n'était ni le nombre ni la
-vaillance, ni le dévouement qui avaient manqué aux soldats de l'armée
-d'Espagne, c'était la direction. Le général Foy qui n'était séparé de
-Joseph que par la montagne de Salinas, n'avait reçu aucun des avis
-qu'on lui avait adressés, et n'avait connu la présence de l'armée à
-Vittoria que par l'apparition de la division Maucune à la suite du
-convoi qu'elle escortait. Si ce mouvement de la division Maucune eût
-été ordonné deux jours plus tôt, on aurait pu mettre le convoi en
-sûreté, et ramener un renfort de dix à douze mille hommes à Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">Efforts du général Clausel pour rejoindre Joseph.</span>
-Quant au général Clausel, dès qu'il avait su la marche des Anglais et
-la retraite de notre armée, il avait réuni ses divisions en toute
-hâte, était arrivé le 20 à Logroño, y avait cherché de tous côtés des
-nouvelles de Joseph, n'avait trouvé que des habitants ou fugitifs ou
-silencieux, et personne qui pût ou voulût lui donner un renseignement.
-Seulement il avait rencontré des agents anglais <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> faisant
-préparer des vivres, et d'après plusieurs vestiges recueillis sur la
-route, il avait été conduit à penser que l'armée française s'était
-portée de Miranda sur Vittoria. Le 21 il s'était décidé à s'avancer
-par Penacurada jusque sur le revers de la Sierra de Andia, pour voir
-s'il pourrait à travers cette sierra tendre la main à Joseph. Mais se
-doutant avec raison qu'il avait entre Joseph et lui l'armée anglaise,
-sans savoir ni où, ni en quel nombre, il s'était approché avec
-précaution, n'avait été joint par aucun des paysans qu'on lui avait
-dépêchés, et vers la chute du jour avait fini par apprendre qu'on
-s'était battu toute la journée, hélas! sans résultat heureux!
-<span class="sidenote" title="En marge">Ce général, séparé de l'armée française par le désastre de
-Vittoria, prend l'habile résolution de se transporter à Saragosse.</span>
-Le 22 au
-matin, voulant connaître la vérité entière, et à tout prix tâcher de
-rejoindre l'armée française pour lui porter secours, il avait eu la
-hardiesse de gravir la Sierra de Andia et de jeter un regard sur la
-plaine de Vittoria. Des sommets de cette sierra il avait vu notre
-immense désastre, et séparé de Joseph par les Anglais victorieux, il
-n'avait dû songer qu'à son propre salut. Sans se troubler, il avait
-regagné les bords de l'Èbre, l'avait descendu jusqu'à Logroño, et
-ayant toujours entre Joseph et lui les Anglais qui nous poursuivaient
-en Navarre, il avait pris la résolution, l'une des plus sages et des
-plus hardies qu'on ait jamais prises à la guerre, de s'enfoncer vers
-Saragosse, où il était amené par la raison de sauver son corps
-d'armée, et par la raison non moins puissante de couvrir les derrières
-du maréchal Suchet, et d'assurer la retraite de ce maréchal.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite de Joseph dans les vallées des Pyrénées.</span>
-De leur côté, Jourdan et Joseph, ayant regagné Pampelune avec une
-armée horriblement mécontente <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> de ses chefs, non démoralisée
-toutefois, diminuée seulement de cinq à six mille hommes, privée de
-ses canons mais non de ses attelages, étaient encore en mesure
-d'opposer une forte résistance aux Anglais, indépendamment de la
-résistance naturelle qu'allaient leur présenter les Pyrénées
-elles-mêmes. Joseph sur le conseil de Jourdan, après avoir laissé une
-garnison dans Pampelune, envoya l'armée d'Andalousie dans la vallée de
-Saint-Jean-Pied-de-Port, celle du centre dans la vallée de Bastan,
-celle de Portugal dans la vallée de la Bidassoa, de manière à fermer
-ainsi toutes les issues, et à prendre le temps de reformer
-l'artillerie, et de faire cesser la distribution en trois armées
-différentes, laquelle venait d'occasionner de nouveau de si fâcheux
-embarras. Tandis qu'il ordonnait cette disposition, le général Foy,
-aidé du général Maucune, avait habilement et bravement tenu tête aux
-Anglais qui avaient voulu descendre de Salinas sur Tolosa, et les
-avait rejetés assez loin. On avait perdu l'Espagne, mais pas encore la
-frontière, et l'Empire, si longtemps envahisseur, n'était pas encore
-envahi, quoiqu'il fût bien près de l'être!</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Juillet 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Caractère de la campagne de 1813 en Espagne, et causes de
-sa funeste issue.</span>
-Telle fut la campagne de 1813 en Espagne, si tristement célèbre par le
-désastre de Vittoria, qui signalait nos derniers pas dans cette
-contrée, où nous avions pendant six années inutilement versé notre
-sang et celui des Espagnols. Si on veut prononcer sans passion sur les
-événements de cette campagne, il est facile de découvrir les vraies
-causes du revers définitif qu'on venait d'essuyer. La première cause,
-cette fois comme tant d'autres, il faut la chercher <span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> dans les
-ordres mêmes de Napoléon, qui ne considérant l'Espagne que comme un
-accessoire de ses immenses entreprises, ou ne lui consacrait pas les
-forces nécessaires, ou en subordonnait l'emploi à des calculs
-étrangers à l'Espagne elle-même, et inconciliables avec le succès des
-opérations dans ce pays. Cette année les forces qu'il y laissait,
-quoique réduites par le rappel d'un grand nombre de cadres, étaient
-depuis la concentration des trois armées d'Andalousie, du centre et de
-Portugal, suffisantes pour se maintenir en Castille, puisqu'on aurait
-pu réunir quatre-vingt mille hommes contre les Anglais. Mais dans la
-double pensée de conserver les provinces du nord, qu'il entendait se
-réserver à la paix, et d'alarmer les Anglais pour le Portugal, afin de
-les détourner de toute entreprise contre le midi de la France,
-Napoléon avait amené de nouveau sans le vouloir la dispersion des
-trois armées depuis Salamanque jusqu'à Pampelune, de manière qu'après
-avoir recouvré l'ascendant sur les Anglais par notre concentration,
-nous venions de le perdre encore par une dissémination imprudente de
-nos forces. Cette cause essentielle de la journée de Vittoria ne
-saurait être cherchée ailleurs que dans les ordres de Paris, donnés
-par Napoléon loin des lieux, avant la connaissance des faits, et
-réitérés par le ministre de la guerre avec une obstination sans
-excuse, lorsque les événements et les objections du maréchal Jourdan
-en avaient démontré le danger. Après cette cause, il y en a une autre,
-fort ancienne, et toujours féconde en malheurs dans la Péninsule,
-c'est le défaut d'unité dans le commandement, qui fit qu'aucune
-administration <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> ne voulant obéir, il n'y eut rien de préparé
-sur la route de l'armée, et qu'il fallut, en rétrogradant pour rallier
-le général Clausel, se replier avec une précipitation qui rendait le
-ralliement plus douteux et plus difficile, les pertes sur la route
-plus considérables. Ce défaut d'unité était le tort de Napoléon,
-toujours refusant à son frère l'autorité nécessaire, de Joseph, ne
-sachant pas la prendre, des généraux, ne sachant pas y suppléer par
-leur soumission. Après ces causes, le défaut d'activité chez Joseph et
-le maréchal Jourdan, l'un indolent, l'autre fatigué par l'âge et le
-chagrin, contribua beaucoup au malheur de la campagne. Plus actifs,
-plus prompts à se résoudre, Joseph et Jourdan auraient pu évacuer
-Madrid plus tôt, et se rallier plus tôt ou en avant de Valladolid, ou
-en avant de Burgos. À Vittoria même, il y eut deux jours perdus, deux
-jours précieux pour le départ du convoi et le déblaiement du champ de
-bataille, pour le choix du terrain où l'on pouvait disputer à l'ennemi
-l'entrée de la plaine, pour la réunion au général Clausel. Dans cette
-occasion décisive, comme on l'a vu, le maréchal Jourdan était malade,
-et Joseph n'avait pas songé à le suppléer. Enfin des ordres de détail
-mal exécutés par les généraux avaient complété la série de fautes et
-de malheurs qui amenèrent la catastrophe finale de Vittoria.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, mal informé par le ministre de la guerre Clarke,
-s'en prend à Joseph et à Jourdan du désastre de Vittoria.</span>
-Après
-tout, Napoléon qui aurait dû dans ces funestes résultats s'attribuer
-la part la plus grande, car avec son génie si profond, sa connaissance
-si parfaite des choses, il était plus que personne capable de tout
-prévoir, et avec sa puissance si obéie capable de tout prévenir,
-Napoléon s'en prit à tout le monde <span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> au lieu de s'en prendre à
-lui-même, et à Joseph et à Jourdan plus volontiers qu'à qui que ce
-fût.</p>
-
-<p>N'ayant pu suivre dans aucun de leurs détails les événements
-d'Espagne, absorbé qu'il était par la guerre de Saxe qu'il dirigeait
-en personne, croyant sur cet objet ce que lui écrivait le ministre
-Clarke, qui, tandis qu'il adressait à Joseph les lettres les plus
-affectueuses, faisait parvenir à Dresde les rapports les plus
-défavorables, il avait un double motif d'irritation, dans les
-résultats d'abord qui ne pouvaient manquer d'être déplorables, et dans
-les fautes qui révoltaient par leur évidence son grand sens militaire.
-Les résultats, c'étaient l'Espagne perdue, la frontière du midi
-menacée, le moyen le plus puissant de négociation auprès de
-l'Angleterre annulé, puisque dans l'état des choses ce n'était plus
-rien que de lui céder l'Espagne, c'étaient en outre des sacrifices
-nouveaux à ajouter à ceux que demandait l'Autriche, dès lors la paix
-plus difficile que jamais, enfin une confiance, une exaltation
-nouvelles inspirées à tous ceux qui croyaient le moment venu
-d'accabler la France. Les fautes, c'étaient non-seulement celles que
-nous venons d'énumérer, et qui n'étaient que trop réelles, mais toutes
-celles que le ministre Clarke prêtait gratuitement au malheureux
-Joseph et au plus malheureux Jourdan, son chef d'état-major. Le
-ministre de la guerre n'avait pas dit en effet que les ordres de
-Napoléon qui prescrivaient de détruire les bandes et de menacer le
-Portugal, ordres déplorablement réitérés par les bureaux de Paris,
-avaient été signalés par Jourdan comme une cause inévitable de
-désastre, que la résistance <span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> des administrations de chaque
-armée à l'ordonnateur en chef avait encore été dénoncée comme un autre
-inconvénient grave qui empêcherait que rien ne fût préparé à la
-reprise des opérations. Ce même ministre n'avait pas dit que les
-Anglais étaient près de 100 mille, et les Français tout au plus 50
-mille. Il présentait au contraire des calculs qu'auraient à peine
-accueillis les gazettes les moins informées. Il ne comptait dans
-l'armée de lord Wellington que les Anglais, les évaluait à 40 ou 45
-mille, négligeait les Portugais devenus presque les égaux des Anglais,
-les Espagnols, excellents dans les montagnes, et attribuait à l'armée
-française non pas ce qu'elle avait eu sur le champ de bataille, mais
-ce qu'elle aurait pu avoir si les ordres de Paris ne l'avaient
-dispersée, et lui supposait de 80 à 90 mille hommes contre 45 mille.
-Il avait en effet le courage, après le désastre de Vittoria, d'écrire
-à Joseph qu'il aurait dû avoir 90 mille hommes contre 45 mille, et que
-c'était chose bien étonnante qu'il se fût laissé battre avec une telle
-supériorité de force numérique. Ce fait seul donne une idée de ce qui
-pouvait se passer à côté même de Napoléon, lorsqu'il n'y regardait
-point de ses propres yeux, et qu'il se laissait informer par des
-ministres courtisans, ne lui disant que ce qu'il avait plaisir à
-entendre.</p>
-
-<p>On comprend que Napoléon, en considérant d'une part les résultats, de
-l'autre les fautes vraies et les fautes imaginaires imputées à Joseph
-et au maréchal Jourdan, qui déjà lui déplaisaient fort, et avaient
-auprès de lui un redoutable accusateur dans le maréchal Soult présent
-à Dresde, on comprend que <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> Napoléon dût être fort irrité. Il
-avait appris d'une manière sommaire les événements d'Espagne au moment
-de partir de Dresde pour exécuter les courses militaires dont nous
-avons parlé.
-<span class="sidenote" title="En marge">C'est dans son voyage à Magdebourg, que Napoléon avait
-appris les événements d'Espagne.</span>
-Il apprit successivement à Torgau, à Wittenberg, à
-Magdebourg le détail de ces événements, toujours par les rapports du
-ministre Clarke. Aussi son emportement fut-il extrême. Ce fut pour lui
-une occasion de se déchaîner contre Joseph et contre tous ses frères.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'irritation de Napoléon s'étend sur tous ses frères en
-général.</span>
-L'abdication du roi Louis, la défection imminente de Murat qui
-s'annonçait déjà clairement, l'éclat que Jérôme avait fait l'année
-précédente en quittant l'armée, lui revinrent à l'esprit, et lui
-arrachèrent les paroles les plus amères. Le moment était venu en effet
-d'apercevoir quelle faute il avait commise en voulant renverser toutes
-les dynasties, afin de leur substituer la sienne! Mais, pour être
-juste, il faut reconnaître que son ambition avait, bien plus que celle
-de ses frères, contribué à cette politique désordonnée, et qu'après
-leur avoir donné des trônes ou des armées à commander, il n'avait rien
-omis pour rendre leur tâche encore plus difficile qu'elle ne l'était
-naturellement. Il avait effectivement exigé d'eux une abnégation des
-intérêts de leurs sujets, un talent de tout faire avec rien, ou
-presque rien, qu'il était inhumain d'exiger de leur part, et qui
-devait amener plus d'un scandale de famille, comme l'abdication du roi
-de Hollande. À l'égard de Joseph notamment, après l'avoir tiré de
-Naples où ce prince avait une tâche appropriée à son caractère et à
-ses talents, où il rendait un petit peuple heureux en étant heureux
-lui-même, Napoléon l'avait transporté en <span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> Espagne presque sans
-le consulter, l'avait lancé dans une guerre effroyable, l'y avait aidé
-un moment de toutes ses forces, puis, au milieu des préoccupations de
-la guerre d'Autriche en 1809, de celle de Russie en 1812, l'avait
-laissé sans secours, sans argent, exposé à la haine de ses sujets, à
-la désobéissance, quelquefois même à l'arrogance des généraux, n'avait
-voulu écouter aucun de ses avis, presque tous justifiés par
-l'événement, et pour toute réponse n'avait cessé de se moquer de ses
-prétentions militaires et de ses m&oelig;urs, moqueries qui de la cour de
-France avaient retenti jusqu'au milieu de la cour d'Espagne, et
-avaient encore contribué à la déconsidération de la royauté nouvelle.
-Et pourtant Napoléon aimait sa famille, mais gâté par un pouvoir sans
-bornes, il ne tenait pas plus compte des droits de ses frères que de
-ceux des peuples, et disposait d'eux comme d'instruments inanimés,
-jusqu'au jour où il devait trouver les peuples révoltés, et ses frères
-eux-mêmes presque en état de défection.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rappelle Joseph, le remplace par le maréchal
-Soult, lui prescrit de s'enfermer à Morfontaine, et ordonne de le
-faire arrêter s'il en sort.</span>
-Ses traitements envers Joseph furent extrêmement rigoureux.--J'ai trop
-longtemps compromis mes affaires pour des imbéciles, écrivit-il à
-l'archichancelier Cambacérès, au ministre de la guerre, au ministre de
-la police; et, après ce préambule, il donna les ordres les plus
-sévères et les plus humiliants pour Joseph. Il fit d'abord pour le
-remplacer en Espagne le choix qui pouvait lui être le plus
-désagréable, celui du maréchal Soult, qui était en ce moment à Dresde.
-Napoléon conféra au maréchal Soult le titre de son lieutenant en
-Espagne, avec des pouvoirs extraordinaires, lui ordonna de partir
-immédiatement, <span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> de ne rester à Paris que douze heures, de n'y
-voir que l'archichancelier Cambacérès et le ministre de la guerre, et
-de se rendre ensuite à Bayonne pour y rallier l'armée et tenir tête
-aux Anglais. Jusque-là rien de plus naturel. Mais il enjoignit à
-Joseph de quitter l'Espagne sur-le-champ, lui interdit en même temps
-de venir à Paris, lui prescrivit de se retirer à Morfontaine, de s'y
-enfermer, de n'y recevoir personne, chargea le prince Cambacérès de
-défendre à tous les hauts fonctionnaires de l'aller visiter, comme si
-on avait eu de leur part de généreux mouvements à craindre, et à
-toutes ces injonctions il ajouta celle de le faire arrêter si ces
-ordres étaient enfreints! Devenu méfiant à l'égard des hommes, depuis
-qu'il avait été obligé de le devenir à l'égard de la fortune, il
-voyait partout des trames prêtes à se nouer contre la régence de sa
-femme, contre l'autorité de son fils. C'est pour ces motifs qu'il
-n'avait pas voulu laisser le duc d'Otrante, le maréchal Soult à Paris,
-et que sous divers prétextes il les tenait sans emploi à Dresde.
-Joseph mécontent à Paris, s'y entourant de mécontents, et peut-être un
-jour disputant la régence à Marie-Louise, telles étaient les images
-sinistres qui avaient traversé son esprit irrité, et qui lui dictèrent
-l'ordre inutile de faire arrêter son propre frère. Certes, si Joseph
-eût été capable de ces noirs projets, il aurait commencé par lui
-désobéir en Espagne, et probablement il lui serait ainsi devenu plus
-utile qu'en exécutant servilement des ordres donnés de trop loin, et
-sous l'empire de fatales distractions! Le simple bon sens présent sur
-les lieux et exclusivement <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> appliqué à son objet, vaut souvent
-mieux que le génie absent ou distrait par des entreprises
-exorbitantes.</p>
-
-<p>Si les événements d'Espagne, qui allaient rendre les ennemis de
-Napoléon plus exigeants, l'avaient en même temps rendu plus
-raisonnable et plus conciliant, on peut dire qu'un grand malheur fût
-devenu un grand bien: mais il n'en fut point ainsi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span>
-Après avoir visité
-Torgau, Wittenberg, Magdebourg, après avoir passé en revue les corps
-qu'il voulait inspecter, ordonné les travaux qu'il avait projetés sur
-l'Elbe, Napoléon revint à Dresde, pour y continuer le redoutable jeu
-de perdre du temps, d'arriver au terme de l'armistice sans s'être
-expliqué sur les conditions de la paix, et d'obtenir de la sorte une
-nouvelle suspension d'armes en feignant au dernier moment de négocier
-sérieusement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Suite des négociations de Prague.</span>
-La Prusse et la Russie avaient choisi leurs
-plénipotentiaires, et les avaient envoyés à Prague, où ils étaient
-arrivés le 11 juillet, par conséquent un jour avant le terme assigné
-pour la réunion du congrès.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Prague, le 11 juillet, des plénipotentiaires
-russe et prussien.</span>
-Ni l'une ni l'autre de ces puissances
-n'avait fait les choix éclatants auxquels on s'était d'abord attendu.
-On avait cru que la Prusse désignerait le chancelier de Hardenberg, et
-la Russie M. de Nesselrode. Mais, à cause de l'Angleterre, ces
-puissances avaient évité de donner à ce congrès trop d'éclat; elles
-avaient voulu y paraître amenées et menées par l'Autriche, en n'y
-faisant figurer aucun personnage qui fût l'égal de M. de Metternich.
-<span class="sidenote" title="En marge">Noms et qualités de ces plénipotentiaires, choisis parmi
-les personnages les moins éclatants.</span>
-La Prusse avait choisi M. de Humboldt, nom illustre déjà dans la
-science, mais peu connu encore dans la politique (le plénipotentiaire
-prussien était le frère <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> du savant qui est l'une des gloires
-de ce siècle). La Russie avait choisi le baron d'Anstett, Alsacien
-(par conséquent Français), appartenant à une famille d'émigrés, homme
-de quelque esprit, de peu de considération, et de sentiments fort
-hostiles à la France. Quoique ce dernier choix fût assez déplaisant,
-comme au fond l'intention était de tout laisser faire à M. de
-Metternich, il fallait ne tenir compte que de lui seul, et ne pas
-prendre garde aux collaborateurs qu'on lui adjoignait. Ces deux
-négociateurs à peine rendus à Prague, avaient communiqué leurs
-pouvoirs au médiateur, et ils se plaignaient du peu d'égards qu'on
-leur témoignait en les faisant attendre, sans même annoncer le jour de
-l'arrivée des plénipotentiaires français.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 15 juillet, les plénipotentiaires français ne sont pas
-encore nommés.</span>
-Le 15 juillet on n'avait
-encore rien dit, et M. de Narbonne, étant retourné à Prague comme
-ambassadeur, désigné en outre comme devant être l'un de nos
-plénipotentiaires, mais n'ayant reçu ni pouvoirs ni instructions, ne
-savait quel langage tenir ni quelle attitude prendre.
-<span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano affecte de rejeter ces retards sur M. de
-Metternich.</span>
-À toutes les
-remontrances de M. de Metternich, transmises à Dresde, M. de Bassano
-avait répondu que la faute était au cabinet autrichien, qui avait
-laissé partir l'empereur Napoléon pour Magdebourg sans communiquer
-officiellement la ratification de la nouvelle convention prolongeant
-l'armistice jusqu'au 16 août. À ce reproche M. de Metternich avait
-répliqué qu'ayant fait connaître officieusement cette ratification, on
-aurait bien pu, en attendant la communication officielle, nommer les
-plénipotentiaires, et les faire partir, ce qui eût été au moins
-l'accomplissement des devoirs de politesse auxquels les grands États
-sont astreints <span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> les uns envers les autres aussi bien que les
-individus eux-mêmes. Sans s'arrêter à cette réponse, M. de Bassano
-avait de nouveau tout rejeté sur M. de Metternich.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon ayant reçu la ratification officielle de la
-dernière convention, choisit pour plénipotentiaires MM. de Narbonne et
-de Caulaincourt.</span>
-Napoléon étant revenu à Dresde le 15, après un voyage de cinq jours,
-et ayant enfin reçu la ratification de la nouvelle convention par
-l'Autriche, la Prusse et la Russie, ne pouvait plus différer la
-nomination de ses plénipotentiaires. En conséquence il chargea MM. de
-Narbonne et de Caulaincourt de le représenter au congrès de Prague. Il
-était impossible de choisir des hommes plus sages, plus éclairés,
-animés de plus nobles sentiments. En nommant M. de Caulaincourt,
-Napoléon nourrissait toujours la secrète espérance d'un rapprochement
-direct avec la Russie, et d'un traité de paix qui, sacrifiant
-l'Allemagne au profit des deux grands empires d'Orient et d'Occident,
-satisferait à la fois la Russie et la France, triste paix, qui
-conviendrait peut-être à l'amour-propre de Napoléon, mais nullement
-aux intérêts vrais de son empire! Bien que ce fût peu probable, à en
-juger seulement par le choix de M. d'Anstett, Napoléon n'en
-désespérait pas tout à fait, et c'était même le seul cas où il voulût
-négocier sérieusement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Noble conduite de M. de Caulaincourt.</span>
-M. de Caulaincourt, objet de ces illusions, ne
-les partageait point. Cet excellent citoyen, esprit profondément
-sensé, avait la vertu peu commune, en aimant fort à plaire, de
-s'exposer à déplaire pour dire la vérité, et était ainsi le modèle
-rare du courtisan honnête homme, qui compte pour rien les faveurs de
-cour, même les plus désirées, quand il s'agit d'épargner une faute au
-prince, et un malheur au pays. Il avait <span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> dit à Napoléon qu'une
-espèce de paix astucieuse, obtenue de la défection des uns envers les
-autres, n'était plus à espérer dans l'état de forte cohésion auquel
-les divers cabinets étaient parvenus, que la Russie ne se laisserait
-plus détacher de l'Autriche, que la faveur dont il avait
-personnellement joui auprès de l'empereur Alexandre n'y servirait de
-rien, que les concessions demandées par l'Autriche étaient le seul
-moyen d'arriver à une paix honorable, que cette paix était
-indispensable, qu'il suppliait qu'on ne l'envoyât pas à Prague avec
-les mains liées, pour y éprouver la douleur de voir passer inutilement
-devant lui l'occasion de servir et de sauver sa patrie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Conditions auxquelles il accepte la mission qui lui est
-confiée.</span>
-Il était même
-allé jusqu'à déclarer que sans une latitude suffisante il
-n'accepterait pas la mission qui lui était destinée. Napoléon, qui
-avait besoin du nom de M. de Caulaincourt pour couvrir du respect que
-ce nom inspirait une négociation simulée, lui avait promis des
-pouvoirs étendus, et l'illustre négociateur comptant sur cette
-promesse s'était soumis à la volonté de son maître.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le choix de MM. de Narbonne et de Caulaincourt est approuvé
-à Prague.</span>
-Ces deux choix universellement approuvés produisirent à Prague une
-impression qui corrigeait quelque peu le mauvais effet de nos éternels
-retards.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvel incident dont Napoléon profite pour perdre encore du
-temps.</span>
-Bien qu'on fût au 16 juillet, et qu'il ne restât plus que
-trente jours pour négocier, tout pouvait être sauvé néanmoins même à
-cette heure, lorsqu'un fâcheux incident vint fournir à Napoléon le
-prétexte spécieux qu'il cherchait pour perdre encore du temps.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les commissaires réunis à Neumarckt pour l'exécution
-quotidienne de l'armistice, paraissent supposer qu'il expirera le 10
-août et non pas le 16.</span>
-Il y
-avait à Neumarckt des commissaires des diverses parties belligérantes,
-réunis en commission permanente pour le règlement quotidien de ce qui
-concernait <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> l'exécution de l'armistice. Lorsque le commissaire
-français leur avait communiqué la dernière convention qui prolongeait
-l'armistice au 10 août, avec un délai de six jours entre la
-dénonciation de l'armistice et le renouvellement des hostilités, ce
-qui fixait au 17 la malheureuse reprise de cette guerre, les
-commissaires prussien et russe avaient paru en être informés pour la
-première fois, et être fort étonnés de ce qu'elle statuait. Après en
-avoir référé au quartier général des alliés, ils avaient reçu du
-commandant en chef Barclay de Tolly la confirmation de la convention,
-et en même temps la déclaration que ce ne serait pas le 17 août mais
-le 10 que recommenceraient les hostilités. Cette déclaration était
-aussi étrange qu'imprévue. Selon le sens vrai de la convention, on ne
-pouvait pas dénoncer l'armistice avant le 10 août, et si effectivement
-on le dénonçait le 10, il devait s'écouler encore, d'après la première
-convention et d'après toutes les règles, un délai quelconque entre
-l'avis donné de la reprise des hostilités et leur reprise effective.
-Ce délai, fixé à six jours dans la première convention, devait
-subsister de droit dans la seconde. L'usage, l'intention des parties
-contractantes, le texte, tout était d'accord pour rendre cette
-interprétation incontestable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Motif de cette méprise.</span>
-Mais voici ce qui avait amené la méprise
-qui allait fournir à Napoléon de si funestes prétextes. Les deux
-souverains de Prusse et de Russie étaient entourés d'esprits tellement
-ardents qu'il leur en avait coûté beaucoup d'efforts pour faire agréer
-le premier armistice, quelque besoin qu'ils en éprouvassent. Ils
-n'avaient pu refuser le second aux instances de M. de Metternich;
-toutefois <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> en y consentant ils avaient à peine osé l'avouer,
-et l'empereur Alexandre, partant pour Trachenberg où devait avoir lieu
-une conférence générale des chefs de la coalition, avait dit sans
-détails au général Barclay de Tolly, qu'il avait consenti à une
-prolongation d'armistice jusqu'au 10 août, mais qu'il n'accorderait
-pas un jour de plus. En s'exprimant ainsi et d'une manière générale,
-l'empereur Alexandre n'avait parlé que du délai principal, et n'avait
-pas entendu exclure celui de six jours, placé de droit entre l'annonce
-et le fait même des hostilités. Mais Barclay de Tolly, poussant
-jusqu'à l'excès l'exactitude et l'observation des formes, n'avait cédé
-à aucune représentation, et avait déclaré ne pas vouloir prendre sur
-lui la solution d'une pareille difficulté sans en référer à l'empereur
-Alexandre lui-même.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon mécontent d'abord de cet incident songe bientôt à
-en profiter.</span>
-Napoléon en apprenant cette singulière contestation, en éprouva un
-premier déplaisir, car il s'était demandé si en effet elle ne serait
-pas sérieuse, et si on ne voudrait pas lui faire perdre les sept jours
-auxquels il tenait infiniment, car avec l'activité qu'il déployait en
-ce moment, chaque heure écoulée lui procurait d'importants résultats.
-Mais à la réflexion, en se rappelant ses discussions avec M. de
-Metternich, les calculs de temps qu'ils avaient faits ensemble, il
-n'avait pu conserver aucun doute sur l'interprétation de la seconde
-convention, et loin de s'inquiéter de l'incident, il avait résolu de
-s'en servir, et d'en tirer un prétexte nouveau et tout à fait
-plausible de perdre encore quelques jours.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il fait dire à Prague que M. de Caulaincourt ne partira que
-lorsque le nouvel incident sera vidé.</span>
-Il fit sur-le-champ
-déclarer par M. de Narbonne à Prague, qu'un étrange <span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> incident
-s'étant élevé à Neumarckt, le sens de la convention en vertu de
-laquelle on allait se réunir et négocier étant contesté, il n'était ni
-de sa dignité ni de sa sûreté de traiter avec des gens qui entendaient
-ainsi leurs engagements, et qu'avant de faire partir M. de
-Caulaincourt il voulait une explication catégorique au sujet de ce qui
-venait d'être dit par le général Barclay de Tolly. M. de Narbonne,
-l'un des deux plénipotentiaires français, étant déjà rendu à Prague,
-les devoirs de politesse se trouvaient remplis selon lui, et le second
-plénipotentiaire français pouvait bien ne partir qu'après avoir obtenu
-l'explication demandée, et l'avoir obtenue pleinement satisfaisante.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Grande irritation des plénipotentiaires russe et prussien,
-attendant depuis le 11 à Prague les plénipotentiaires français qui
-n'arrivent pas.</span>
-Lorsque cette nouvelle difficulté fut connue à Prague, et elle le fut
-le 18 juillet par une dépêche partie de Dresde le 17, on en ressentit
-une impression fort vive et fort naturelle. Les deux plénipotentiaires
-prussien et russe affectèrent d'en être irrités, offensés même,
-beaucoup plus qu'ils ne l'étaient véritablement. Mais M. de Metternich
-en fut consterné, et l'empereur François blessé profondément. L'un et
-l'autre désiraient la paix, telle que nous l'avons définie, bien que
-l'empereur y crût moins que le ministre, et chaque chance de la
-conclure évanouie leur causait de sincères regrets.
-<span class="sidenote" title="En marge">Langage que les partisans de la guerre tiennent au sujet du
-nouveau retard.</span>
-De plus, ils
-étaient humiliés du rôle qu'on leur faisait jouer. Les ennemis de leur
-politique de médiation se riaient d'eux, et aimaient à dire que, pour
-prix de leurs efforts pacifiques, Napoléon ne leur enverrait pas même
-un négociateur, et que ces inventeurs du congrès de Prague, loin de
-le conduire à bien, ne pourraient pas <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> même le réunir. Ce
-fâcheux pronostic des partisans de la guerre semblait près de se
-réaliser, car déjà sous le plus futile prétexte, parce que la
-ratification de la seconde convention communiquée officieusement ne
-l'avait pas été officiellement, Napoléon avait perdu cinq ou six
-jours; maintenant, sous un prétexte aussi frivole, parce que les
-commissaires de Neumarckt, simples agents d'exécution, n'ayant aucune
-autorité morale, élevaient une difficulté d'interprétation sur un
-texte qui leur était inconnu, on allait perdre quelques jours encore.
-Et quand on avait vingt jours devant soi, vingt-sept avec le délai
-contesté, en sacrifier cinq ou six à chaque occasion, était un jeu
-visible et offensant. Le plus grave d'ailleurs ce n'était pas la perte
-de temps, car si on voulait bien s'entendre, deux jours, n'en
-restât-il que deux, pouvaient suffire: le plus grave, c'était la
-disposition que cette manière d'agir révélait chez Napoléon. Puisqu'il
-se jouait ainsi de ses adversaires et du médiateur, évidemment il ne
-souhaitait point la paix, et après avoir obtenu le temps qu'il avait
-si ardemment désiré, et qu'il employait si bien, il ne prenait pas
-même la peine de dissimuler à quel point il se moquait de ceux dont il
-avait fait ses dupes!--Tel était le langage, malheureusement
-très-fondé, que les partisans de la guerre tenaient partout, en ayant
-soin de le rendre blessant et amer pour l'empereur François et son
-ministre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Langage plein de noblesse et de fermeté de M. de
-Metternich.</span>
-M. de Metternich vit M. de Narbonne et se montra à lui profondément
-affligé.--La nouvelle difficulté que vous venez de soulever, lui
-dit-il, n'est pas plus sérieuse que la précédente. Nous vous avions
-annoncé <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> amicalement la ratification expresse de la convention
-en vertu de laquelle l'armistice est prolongé jusqu'au 16 août; vous
-ne pouviez donc pas douter de l'exactitude du fait, et ce n'était pas
-une raison de différer la nomination et l'envoi de vos
-plénipotentiaires, lorsque ceux des autres parties belligérantes
-devaient être ici le 12, qu'ils y arrivaient même le 11. Aujourd'hui
-les commissaires de Neumarckt, qui ne sont rien, qui ont toutes les
-passions des états-majors, prétendent interpréter un texte qui leur
-est inconnu, et vous affectez de prendre la chose au sérieux, jusqu'à
-vous montrer alarmés! Ce ne peut être une alarme bien sincère.
-Croyez-vous qu'on voudrait malgré nous, et par conséquent sans nous,
-recommencer les hostilités? le croyez-vous en vérité? Certainement
-non. Dès lors de quoi s'agit-il? D'une difficulté insignifiante, dont
-vous auriez pu faire le sujet de notre entretien à la première réunion
-des plénipotentiaires, et sur laquelle vous auriez eu l'avis favorable
-des deux plénipotentiaires prussien et russe, et en tout cas l'avis
-décisif du médiateur, dont l'opinion vous était connue d'avance. Ce
-n'était donc pas la peine de perdre encore quelques jours, quand il
-nous en reste à peine une vingtaine d'ici au 10 août. Nous ne pouvons
-voir qu'une chose dans cette conduite, c'est le désir de l'empereur
-Napoléon de nous mener ainsi, sans avoir rien fait, jusqu'au terme de
-l'armistice. Mais qu'il ne s'y trompe pas, il ne parviendra pas à
-faire prolonger d'un jour la suspension d'armes. Aux difficultés que
-vous rencontrez à Neumarckt, vous devez juger de celles que nous
-avons eu à vaincre <span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> nous-mêmes pour obtenir une première
-prolongation. Vous n'en obtiendrez pas une seconde, soyez-en sûr. Que
-l'empereur Napoléon ne se fasse pas illusion sur un point plus
-important encore.
-<span class="sidenote" title="En marge">Déclaration formelle que l'armistice ne sera pas prolongé
-d'un jour, et qu'au terme expiré, l'Autriche fera partie de la
-coalition.</span>
-Le terme du 10 août arrivé, il n'y aura plus un mot
-de paix à dire, et la guerre sera déclarée. Nous ne serons pas
-neutres, qu'il ne s'en flatte pas. Après avoir employé tous les moyens
-imaginables pour l'amener à des conditions raisonnables, qu'il connaît
-bien, que dès le premier jour nous lui avons fait connaître, sur
-lesquelles nous n'avons pas pu varier, car elles constituent le seul
-état tolérable pour l'Europe, il ne nous reste plus, s'il les refuse,
-qu'à devenir belligérants nous-mêmes. Si nous demeurions neutres
-(comme au fond il le désire), les alliés seraient battus, nous n'en
-doutons pas; mais après leur tour le nôtre viendrait, et nous
-l'aurions bien mérité. Nous ne commettrons donc pas cette faute.
-Aujourd'hui, quoi qu'on puisse vous dire, nous sommes libres. Je vous
-donne ma parole et celle de mon souverain, que nous n'avons
-d'engagements avec personne. Mais je vous donne ma parole aussi que le
-10 août à minuit nous en aurons avec tout le monde, excepté avec vous,
-et que le 17 au matin vous aurez trois cent mille Autrichiens de plus
-sur les bras. Ce n'est pas légèrement, ce n'est pas sans douleur, car
-il est père et il aime sa fille, que l'empereur mon maître a pris
-cette résolution; mais il doit à son peuple, à lui-même, à l'Europe,
-de rendre à tous un état stable, puisqu'il en a le moyen, et que
-d'ailleurs l'alternative ne serait autre que de tomber quelques jours
-plus tard sous vos coups, dans une <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> dépendance pire que celle
-où vous aviez mis la Prusse. Certes nous savons quelle chance on court
-en voulant combattre, même quand on est fort nombreux, l'empereur
-Napoléon à la tête des armées françaises; mais après y avoir bien
-réfléchi, nous préférons cette chance au déshonneur et à l'esclavage.
-Qu'on ne vienne donc point après l'événement nous dire que nous vous
-avons trompés! Jusqu'au 10 août à minuit tout est possible, même à la
-dernière heure; le 10 août passé, pas un jour, pas un instant de
-répit, la guerre, la guerre avec tout le monde, même avec nous!--M. de
-Narbonne, saisi de ce langage, calme, triste et grand, dit à M. de
-Metternich: Quoi! pas un instant de répit, même si la négociation
-était commencée!--À une condition seulement, répondit M. de
-Metternich, c'est que les bases de la paix seraient admises en entier,
-et qu'il n'y aurait plus à régler que les détails.--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne, comprenant parfaitement cette situation,
-mande à Dresde que si on n'est pas décidé à la guerre générale avec
-l'Europe entière, il faut ouvrir tout de suite la négociation.</span>
-M. de Narbonne, qui avait parfaitement apprécié cette situation, et
-qui voyait bien qu'il n'y avait plus à jouer avec le temps et avec les
-hommes, qu'en agissant ainsi on n'abuserait plus personne, et qu'on ne
-tromperait que soi, écrivit à M. de Bassano qu'il fallait ou se
-décider à la guerre, à la guerre certaine, universelle avec l'Europe,
-ou que si on n'avait pas pris ce parti, si on souhaitait la paix, sauf
-à en modifier les conditions, il fallait négocier sérieusement, et
-même, ne voulût-on qu'une nouvelle prolongation d'armistice, ne pas
-paraître se moquer de ceux avec lesquels on traitait. Il demandait
-donc qu'on fît partir M. de Caulaincourt, car les négociateurs
-prussien et russe menaçaient <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> tous les jours de se retirer (ce
-dont ils avaient le droit, puisqu'on était au 20 juillet, et qu'ils
-attendaient depuis le 11), et s'ils quittaient Prague tout serait
-fini. À peine obtiendrait-on de la bonne foi des coalisés que
-l'armistice fût respecté jusqu'au 17 août, et si même on l'obtenait,
-on ne le devrait qu'à la prudence et à la modération de l'Autriche.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle espérance et nouveau calcul de Napoléon.</span>
-Ces conseils si sages, dictés par la plus parfaite connaissance des
-choses, n'affectèrent pas beaucoup M. de Bassano, et encore moins
-Napoléon. Ce dernier toutefois, bien que décidé à la guerre plutôt
-qu'aux conditions apportées par M. de Bubna, bien que se flattant avec
-ses nouveaux préparatifs de battre tous les coalisés, l'Autriche
-fût-elle du nombre, n'était pas indifférent à l'espérance d'une
-nouvelle prolongation d'armistice, et à force de la désirer se faisait
-l'illusion étrange que peut-être il l'obtiendrait.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il n'espère pas obtenir une prolongation d'armistice, mais
-retarder l'entrée en action de l'Autriche, ce qui suffit à ses plans
-militaires.</span>
-Il doutait à la
-vérité d'amener la Prusse et la Russie à cette prolongation, animées
-comme elles paraissaient l'être; mais il y avait une combinaison
-meilleure pour lui que celle de retarder les hostilités avec toutes
-les puissances, c'était en les laissant commencer avec la Prusse et la
-Russie, de les différer encore quelques jours avec l'Autriche seule,
-ce qui lui aurait donné le temps d'accabler les deux premières, puis
-de se rejeter sur l'Autriche elle-même, <cite>qui aurait son tour</cite>, comme
-avait très-bien dit M. de Metternich. Pour y réussir il y avait un
-moyen, c'était en ouvrant la négociation vers la fin de l'armistice,
-de manière à inspirer quelques espérances à M. de Metternich et à
-l'empereur François, d'obtenir qu'on négociât en se battant, ce qui
-<span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> était possible, ce qui s'était vu en plus d'une occasion, et
-ce qui retarderait probablement l'entrée en action de l'Autriche, car
-tant que ses conditions auraient chance d'être acceptées, il était
-vraisemblable qu'elle ne voudrait pas se mettre en guerre avec la
-France.
-<span class="sidenote" title="En marge">Pour disposer l'Autriche à ce qu'il désire, Napoléon envoie
-à M. de Narbonne le pouvoir de commencer la négociation sans M. de
-Caulaincourt.</span>
-Ainsi arriver non pas à une nouvelle suspension d'armes qui
-arrêterait le bras de tout le monde, mais à une négociation continuée
-durant les hostilités, qui retiendrait quelques jours encore le bras
-de l'Autriche, était sa pensée actuelle. Mais pour cela il fallait
-faire quelque chose, et Napoléon, malgré le doute subsistant à
-Neumarckt, doute qui n'en était pas un pour lui, fit expédier à M. de
-Narbonne ses pouvoirs et ses instructions qui avaient été retenues
-jusque-là, avec la faculté accordée aux deux plénipotentiaires
-français de traiter l'un en l'absence de l'autre. Dès lors on n'était
-plus fondé à dire que la négociation était suspendue, puisque M. de
-Narbonne, à lui tout seul, pouvait la commencer, et la conduire même à
-son terme. Mais bien qu'on appréciât le mérite de M. de Narbonne en
-Autriche et en Europe, le duc de Vicence (M. de Caulaincourt) passait
-pour être seul initié à la pensée de Napoléon, et tant qu'il
-n'arrivait pas à Prague, on était généralement disposé à considérer la
-négociation comme n'étant pas sérieuse. Sur ce point Napoléon fit
-répéter que dès que l'énigme de Neumarckt serait éclaircie, il
-expédierait le duc de Vicence; et pour se donner un motif spécieux
-d'attacher tant d'importance à ce que disaient les commissaires de
-Neumarckt, il fit écrire à M. de Metternich que communiquant par ces
-commissaires avec les places bloquées de Custrin, de <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span>
-Stettin, de Dantzig, tant pour les correspondances que pour les
-vivres, il avait besoin d'une explication claire et positive, et ne
-différait le départ de M. de Vicence que pour être assuré de
-l'obtenir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Langage trop peu sérieux de M. de Bassano.</span>
-M. de Bassano cherchant sans cesse à se modeler sur son maître, et à
-imiter sa coupable mais héroïque indifférence au milieu des dangers,
-écrivait à M. de Narbonne ce qui suit:--Je vous envoie, lui disait-il,
-plus de <em>pouvoirs</em> que de <em>puissance</em>, vous aurez <cite>les mains liées,
-mais les jambes et la bouche libres, pour vous promener et
-dîner</cite>.--C'est de ce ton que parlait le ministre de l'Empire français,
-au moment suprême où se décidait à jamais le sort de son maître et de
-sa patrie!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne est autorisé à l'échange des pouvoirs, opéré
-en commun, et sans passer par les mains du médiateur.</span>
-Après s'être livré à ces jeux de mots, M. de Bassano permettait à M.
-de Narbonne de procéder à l'échange des pouvoirs, mais en tenant au
-mode de négocier sur lequel on avait déjà insisté. En conséquence il
-devait offrir l'échange des pouvoirs dans une conférence commune, puis
-cette formalité remplie, proposer la discussion des matières dans des
-conférences auxquelles assisteraient tous les plénipotentiaires, sous
-les yeux du médiateur, qui serait ainsi témoin et partie des
-négociations mais non pas leur intermédiaire exclusif. Il devait enfin
-proposer la rédaction de protocoles, qui assureraient l'authenticité
-des conférences. Si toutes ces questions de forme étaient vidées, ce
-qui ne pouvait manquer d'être long, M. de Narbonne avait ordre de
-présenter pour première base de négociation l'<i lang="la">uti possidetis</i>,
-c'est-à-dire la conservation de ce que chacun possédait dans l'état
-présent de la guerre, comme si <span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> aucun des événements de 1812
-et de 1813 ne s'était accompli.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouveau chagrin de M. de Metternich en apprenant à quelle
-condition est soumis l'échange des pouvoirs.</span>
-La seule question de forme devait exiger beaucoup de temps, car sur
-cette question les coalisés avaient leur parti pris, et insister à ce
-sujet c'était s'exposer à dépenser inutilement plusieurs mois, quand
-on n'avait plus que dix-huit jours. M. de Metternich, en effet, en
-apprenant que M. de Narbonne avait reçu ses pouvoirs, ne fut que
-médiocrement consolé de l'absence de M. le duc de Vicence, surtout
-lorsqu'il sut que M. de Narbonne voulait présenter et échanger ses
-pouvoirs dans une réunion générale des plénipotentiaires, s'abouchant
-entre eux sous la présidence du médiateur, mais ne s'astreignant pas à
-l'accepter pour unique intermédiaire de leurs communications.
-<span class="sidenote" title="En marge">Depuis qu'on avait laissé percer l'intention d'un
-arrangement direct entre la Russie et la France, les Russes et les
-Prussiens affectaient de vouloir faire de l'Autriche leur unique
-intermédiaire.</span>
-Ce dernier point, comme on l'a vu, avait acquis beaucoup d'importance,
-depuis que Napoléon avait clairement indiqué, en faisant choix de M.
-de Caulaincourt, la pensée de s'entendre directement avec la Russie
-aux dépens de l'Autriche. À dater de ce moment, la Prusse et la
-Russie, pour ne pas être soupçonnées d'entrer dans l'intention de
-Napoléon, surtout pour n'en pas être accusées, affectaient de tenir
-plus que l'Autriche elle-même à une forme de négociation qui faisait
-tout passer par l'entremise du médiateur.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette disposition poussée au delà des désirs de l'Autriche,
-devait rendre insoluble la question de forme.</span>
-Aussi MM. de Humboldt et
-d'Anstett, particulièrement ce dernier, s'étaient-ils hâtés de
-remettre leurs pouvoirs à M. de Metternich, et ne voulaient-ils les
-remettre qu'à lui seul. M. de Metternich, tranquille désormais sur la
-négociation directe entre la Russie et la France, dont il avait voulu
-se garantir <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> en venant à Prague, aurait acquiescé au désir de
-la France sur cette question de forme, uniquement pour faire commencer
-la négociation; mais cela ne dépendait plus de lui, la Russie et la
-Prusse tenant à ce qu'il fût rassuré plus même qu'il n'avait besoin de
-l'être. Aussi ne manqua-t-il pas de dire à M. de Narbonne que quant à
-lui il consentirait bien à cet échange de pouvoirs opéré en commun,
-mais que déjà les plénipotentiaires prussien et russe lui avaient
-remis directement leurs pouvoirs, s'étaient ainsi légitimés, et que
-certainement, ne fût-ce que par amour-propre, ils ne voudraient pas
-revenir sur ce qu'ils avaient fait. Il leur proposa en effet de céder
-sur ce point, mais il fut refusé, et malgré les autorisations envoyées
-à M. de Narbonne, la négociation ne fit pas un pas. M. de Metternich
-en montra de nouveau son chagrin à M. de Narbonne, lui répéta que
-jusqu'au 10 août le mal ne serait pas irréparable, mais que le 10 à
-minuit il serait sans remède.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon ne se faisant plus aucune illusion sur la
-possibilité de prolonger l'armistice, et espérant tout au plus
-retarder l'entrée en action de l'Autriche, avait le parti pris de
-continuer la guerre.</span>
-Pendant ces inutiles allées et venues, Napoléon ne conservant plus
-aucune illusion sur la possibilité d'une négociation séparée avec la
-Russie, songeait tout au plus à retenir l'Autriche inactive quelques
-jours après le 17 août, afin d'avoir le temps d'accabler d'abord les
-Prussiens et les Russes, sauf à battre ensuite, et à leur tour, les
-Autrichiens eux-mêmes, s'ils étaient assez peu clairvoyants pour se
-prêter à ce calcul. Quant à la paix il n'y songeait guère, ne voulant
-à aucun prix abandonner les villes anséatiques réunies
-constitutionnellement à l'Empire, renoncer au titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin porté jusqu'ici avec une sorte <span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span>
-d'ostentation, enfin reconstituer la Prusse au lendemain même de sa
-défection. Chacun de ces sacrifices lui coûtait cruellement; pourtant
-il n'était pas possible, même après les triomphes de Lutzen et de
-Bautzen, que la terrible catastrophe de 1812 n'eût pas quelques
-conséquences, sinon pour la France, au moins pour lui, et il fallait
-savoir se résigner à payer sa faute par un déplaisir quel qu'il fût.
-Il aurait dû se trouver heureux après de si grands malheurs de n'être
-puni que dans son orgueil, et de n'avoir rien à sacrifier que la
-France pût regretter véritablement, car, ainsi que nous l'avons déjà
-dit, et qu'on nous permettra de le redire encore, lorsqu'on lui
-laissait outre les Alpes et le Rhin, la Hollande, le Piémont, la
-Toscane, Rome, à titre de départements français, la Westphalie, la
-Lombardie, Naples, à titre de principautés de famille, on lui
-concédait plus que la France ne devait désirer, et qu'elle ne pouvait
-posséder. Ici se présentent quelques réflexions que nous avons déjà
-indiquées, mais qu'il faut reproduire plus complétement au moment
-décisif, pour apprécier sainement les déterminations de Napoléon.
-<span class="sidenote" title="En marge">Examen des conditions de paix proposées à la France.</span>
-Si on examine l'une après l'autre ses prétentions territoriales, on
-reconnaîtra combien il était peu raisonnable d'y tenir. La Hollande
-elle-même qui était la moins déraisonnable de toutes, ne pouvait être
-qu'avec beaucoup de peine rattachée matériellement et moralement à
-l'Empire. Quand on en avait détaché ce que Napoléon avait pris au roi
-Louis en 1810, pour le punir de ses résistances, c'est-à-dire ce qui
-est situé à la gauche du Wahal, lequel est le Rhin véritable et
-constitue la <span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> plus puissante des barrières, on avait acquis
-tout ce qui était désirable sous le rapport des frontières, restant
-toujours la grave difficulté morale de morceler un pays aussi homogène
-que la Hollande, et dont toutes les parties sont faites pour vivre
-ensemble! Quant à la portion au delà du Wahal, qui s'étend jusqu'au
-Texel, et comprend Gorcum, Nimègue, Utrecht, Rotterdam, la Haye,
-Amsterdam, le Texel, c'est-à-dire la grande Hollande, il était
-impossible de la rattacher à la géographie militaire de la France, et
-Napoléon dans ses plus habiles combinaisons pour la défense du
-territoire, n'avait jamais pu trouver une manière de couvrir le
-Zuiderzée, et d'établir une frontière solide de Wesel à Groningue.
-<span class="sidenote" title="En marge">À quel point ces conditions dépassaient même ce que la
-France aurait dû désirer, et combien il était évident que l'orgueil
-froissé était en ce moment le seul mobile de Napoléon.</span>
-N'ayant pour protéger cette partie de la Hollande que la faible ligne
-de l'Yssel, il n'avait vu d'autre ressource que les inondations, et
-les avait ordonnées; or, un pays qu'on ne peut garder qu'en le noyant,
-il n'est pas seulement inhumain, il est impolitique de songer à le
-posséder. En ayant dans l'Océan la Rochelle, Brest, Cherbourg, Anvers
-et Flessingue, Napoléon avait contre l'Angleterre tout ce qu'il
-pouvait désirer, et ces terrains, moitié îles, moitié continent, qui
-s'étendent de Nimègue à Groningue, de Berg-op-Zoom au Texel, entre
-terre et mer, portant une race indépendante, fière, sage, riche,
-pleine de souvenirs assez glorieux pour ne pas vouloir les confondre
-avec ceux d'une autre nation, méritaient d'être laissés indépendants
-entre toutes les puissances de l'Europe, pour continuer à être la voie
-la plus large et la plus libre du commerce maritime! Quant au Piémont
-lui-même, était-il <span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> bien prudent de chercher à posséder un
-territoire au delà des Alpes, c'est-à-dire au delà de nos frontières
-naturelles, devant nous aliéner à jamais les Italiens, comme la
-possession de la Lombardie n'a cessé de les aliéner à l'Autriche, nous
-valant des haines au lieu d'influence, et destiné au premier règne
-faible à nous échapper inévitablement? Toutefois dans un système de
-grandeur à la façon de Charlemagne, grandeur qui n'est dans les temps
-modernes qu'un pur anachronisme, car lorsque Charlemagne régnait sur
-le continent de l'Elbe à l'Èbre, il embrassait dans ses vastes États
-des pays à moitié sauvages, n'ayant encore aucune existence
-historique, dans un tel système, on peut concevoir l'addition de la
-Hollande, qui est une sorte d'appendice maritime de notre territoire,
-comme le Piémont en est une sorte d'appendice continental, utile à qui
-veut descendre souvent des Alpes; mais même dans ce système déjà faux,
-que faire de la Toscane et de Rome? Que faire de l'Illyrie, de
-Hambourg, de Lubeck? Ce n'était plus qu'un entraînement de conquêtes
-insensées, sans plan et sans limites, pouvant durer la vie d'un
-conquérant tel qu'Attila ou Alexandre, mais devant à sa mort donner
-lieu à un partage de territoires entre ses lieutenants ou ses voisins!
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon compromet en ce moment non-seulement la grandeur
-sérieuse de la France, mais même la grandeur chimérique qu'il avait
-rêvée, et dont on ne lui contestait que quelques portions
-insignifiantes.</span>
-Avec un tel système, qui, ne reposant sur aucun principe politique, ne
-pouvait avoir aucune limite territoriale, dans lequel on pouvait tout
-faire entrer sauf à ne rien garder, il n'était pas possible de dire
-que l'empire de Napoléon fût véritablement moins grand parce que
-Hambourg ou Lubeck n'y seraient pas compris. Napoléon était tout
-autant <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> Charlemagne sans ces villes qu'avec elles, car celui
-qui, outre Bruxelles, Anvers, Flessingue, Cologne, Mayence,
-Strasbourg, avait encore Utrecht, Amsterdam, le Texel, Turin,
-Florence, Rome, sans compter Cassel, Milan, Naples, était aussi grand,
-plus grand même que Charlemagne, de cette grandeur fabuleuse qui avait
-au neuvième siècle sa raison d'être, qui ne l'avait plus au
-dix-neuvième, et qui après son Charlemagne aurait eu inévitablement
-son Louis le Débonnaire. On ne comprend pas que le principal de cette
-grandeur chimérique étant accordé à Napoléon, il la compromît pour
-Hambourg, pour Lubeck, ou pour un vain titre comme celui de protecteur
-de la Confédération du Rhin! Sans doute si l'honneur des armes eût été
-compromis, on conçoit qu'il ne voulût pas céder, car il vaut mieux
-perdre des provinces que l'honneur des armes! Cela vaut mieux pour la
-dignité et la sûreté d'un vaste empire; mais après Lutzen, mais après
-Bautzen, où des enfants avaient vengé le malheur de nos vieux soldats,
-l'honneur des armes était sauf; la vraie grandeur et même la grandeur
-exagérée et inutile l'était aussi; il ne restait en souffrance que
-l'orgueil! Et à ce sentiment si personnel, il est triste de le dire,
-Napoléon était prêt à sacrifier non-seulement la solide grandeur de la
-France, celle qu'elle avait conquise sans lui pendant la révolution,
-mais cette grandeur factice, fabuleuse, qu'il y avait ajoutée par ses
-prodigieux exploits! Il allait sacrifier à ce sentiment sa femme, son
-fils et lui-même!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Agitation intérieure de Napoléon, qui se cachait sous son
-activité incessante, mais qui le rendait très-sensible aux objections
-élevées autour de lui.</span>
-Toutefois ces questions agitaient profondément Napoléon, et si avec
-la faculté de se distraire par <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> mille travaux de tout genre,
-faculté dont il était doué au plus haut degré, il arrivait à se donner
-un visage serein, si même, tout plein de ses vastes et profondes
-conceptions militaires, il parvenait à se donner confiance, il était
-parfois troublé et pensait sans cesse au grave sujet que nous venons
-d'exposer. Toujours en course autour de Dresde, faisant, avec son
-embonpoint qui commençait à être importun, des excursions de trente et
-quarante lieues par jour, dont la moitié à cheval, allant étudier le
-long des frontières de la Bohême les champs de bataille qui devaient
-bientôt se couvrir de sang, y amenant ses généraux avec lui,
-quelquefois les y envoyant sans lui pour les obliger à étudier le
-terrain, il emportait dans sa tête les mêmes pensées, et, soit en
-route, soit de retour à Dresde, il en conférait avec les personnages
-de toute profession qui le suivaient dans ses campagnes. Absolu par
-son pouvoir, il était par sa clairvoyance dépendant des esprits qui
-l'entouraient, car il lui était impossible de voir la désapprobation
-sur les visages sans éprouver le besoin de la combattre, de la
-dissiper, de la vaincre, et il avait souvent fort à faire. Si on était
-en effet bien soumis, bien appliqué à lui plaire, le sentiment du
-danger déliait les langues chez les plus courageux, attristait au
-moins les visages chez les plus timides!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Discussions fréquentes de Napoléon, soit avec ses généraux
-sur le futur plan de campagne, soit avec les personnages civils de son
-entourage sur les négociations de Prague.</span>
-Chacun suivant son état, militaire ou civil, apercevant de la
-situation ce qui le concernait, révélait les dangers qui le frappaient
-plus particulièrement. Les militaires qui avaient jugé excellente la
-position de l'Elbe, quand on n'avait affaire qu'aux Prussiens et aux
-Russes, étaient effrayés depuis qu'il s'agissait <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> des
-Autrichiens eux-mêmes, de se trouver sur l'Elbe avec la possibilité
-d'être tournés par ces derniers du côté de la Bohême, et d'avoir ainsi
-l'ennemi sur nos derrières, entre nous et la Thuringe. Les politiques
-voyaient clairement l'Autriche entraînée par l'esprit public de
-l'Allemagne, et sollicitée par son propre intérêt, prête à imiter la
-Prusse, et à compléter dès lors l'union de tous les États contre nous;
-et ils nous voyaient réduits à lutter contre l'Europe exaltée par la
-haine avec la France abattue par la fatigue! aussi les uns et les
-autres étaient-ils d'avis d'admettre la médiation et ses conditions,
-quelles qu'elles fussent, en les supposant même beaucoup moins
-avantageuses qu'elles ne l'étaient réellement. Sans doute ils
-n'eussent voulu à aucun prix qu'on acceptât la France privée de ses
-frontières naturelles, mais si on leur avait dit qu'elle aurait
-directement ou indirectement, Mayence, Cologne, Anvers, Flessingue,
-Amsterdam, le Texel, Cassel, Turin, Milan, Florence, Rome, Naples, ils
-auraient à genoux supplié Napoléon d'accepter. Mais on leur laissait
-ignorer le véritable état des choses; on parlait vaguement devant eux
-de sacrifices contraires à l'honneur, et sans savoir précisément ce
-qui en était, ils supposaient néanmoins que la France était encore
-assez redoutée pour qu'on n'osât pas lui offrir moins que ses
-frontières naturelles, et dans cette supposition, bien inférieure
-pourtant à la réalité, ils préféraient des sacrifices d'amour-propre
-au danger d'une lutte effroyable contre une coalition formée de toute
-l'Europe.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Objections des militaires contre la ligne de l'Elbe, depuis
-qu'on s'attendait à la guerre avec l'Autriche.</span>
-Politiques et militaires parlaient entre eux de ce <span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> sujet ou
-dans leurs bivouacs, ou dans les antichambres de Napoléon, se
-taisaient quand il survenait, et quelquefois même ne s'interrompaient
-qu'à demi, pour lui fournir l'occasion de reprendre l'entretien s'il
-daignait le continuer avec eux, ce que rarement il négligeait de
-faire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réponses de Napoléon.</span>
-Avec les militaires les réponses ne lui manquaient pas, car
-s'ils avaient raison en signalant la hardiesse de notre situation sur
-l'Elbe, où l'on pouvait être tourné par la Bohême en cas de guerre
-avec l'Autriche, ils avaient tort, ainsi que le faisaient plusieurs
-d'entre eux, de lui proposer la ligne de la Saale, ligne très-courte,
-n'embrassant que l'espace compris de Hof à Magdebourg, facile à forcer
-sur tous les points, et exposée à être tournée par la Bavière comme
-celle de l'Elbe par la Bohême. On eût été, en adoptant cette ligne,
-rejeté en huit jours sur le Rhin, et il eût été étrangement
-inconséquent d'abandonner dans les combats ce qu'on s'obstinait à
-défendre témérairement dans les négociations.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon avait raison dans l'hypothèse de la continuation
-de la guerre, car en refusant d'abandonner l'Allemagne la ligne de
-l'Elbe était la seule admissible.</span>
-Il n'y avait pas de
-milieu, ou il fallait renoncer tout de suite à l'Allemagne, et
-accepter les conditions de M. de Metternich, ou si on la disputait
-diplomatiquement, il fallait aussi la disputer militairement, et on ne
-le pouvait que sur l'Elbe. Or placé à Dresde, ayant à sa droite
-K&oelig;nigstein, à sa gauche Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg,
-pouvant, comme il le fit bientôt à Dresde, accabler ceux qui
-essayeraient de le tourner, Napoléon avait encore d'immenses chances
-pour lui.
-<span class="sidenote" title="En marge">La question était mal posée, et ce n'était pas entre telle
-ou telle ligne d'opération, mais entre la paix et la guerre, qu'il
-fallait la placer.</span>
-Restait, il est vrai, le danger de se battre si loin du Rhin
-contre l'Europe entière, et, si un de ses lieutenants était faible ou
-maladroit sur la vaste ligne de K&oelig;nigstein à Hambourg, <span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> de
-se trouver en l'air au milieu de l'Allemagne soulevée; mais alors il
-fallait avoir le bon sens de reconnaître, et le courage de dire que la
-faute de Napoléon était politique, et lui conseiller d'abandonner
-l'Allemagne, ce qui était la certitude d'une paix immédiate et
-glorieuse. Faute de poser ainsi la question, on se donnait tort contre
-Napoléon, car à vouloir garder l'Allemagne, il est bien vrai qu'on ne
-pouvait la défendre que sur l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Si Napoléon avait raison contre les militaires, il avait
-tort contre les diplomates, et s'en tirait avec eux en dissimulant la
-vérité, et en ne disant pas à quoi tenaient la paix ou la guerre.</span>
-Aussi, dans leurs nombreux
-entretiens, le prince Berthier, les maréchaux Soult, Ney, Mortier,
-n'osant pas soutenir résolûment qu'il fallait rentrer sur le Rhin,
-s'exposaient à être réfutés victorieusement en proposant des lignes
-intermédiaires entre l'Elbe et le Rhin, étaient battus par la logique
-pressante de Napoléon, et se taisaient, en conservant cependant le
-sentiment d'un grand péril, car c'était un grand péril en effet que de
-se battre avec l'Europe, non sur le Rhin pour la défense légitime de
-notre sol, mais sur l'Elbe pour la pensée usurpatrice de la domination
-universelle. Les choses se passaient autrement lorsqu'il s'agissait de
-la question, toute politique, de la paix et de la guerre. Là Napoléon
-sentait bien qu'il avait tort, car il n'avait pas une bonne raison à
-faire valoir. Il ne disait pas la vérité, parlait vaguement de
-sacrifices, qui, d'abord modérés en apparence, deviendraient bientôt,
-s'il cédait, immodérés et inadmissibles, et laissait entendre, sans
-l'exprimer cependant, que l'Autriche osait lui redemander jusqu'à
-l'Italie. Alors il s'échauffait, parlait de l'honneur de l'Empire, et
-s'écriait qu'il valait mieux périr que de supporter de semblables
-<span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> conditions, surtout de la part de l'Autriche, qui, après lui
-avoir donné une archiduchesse en mariage, après avoir accepté son
-alliance en 1812, profitait du premier revers pour se tourner contre
-lui, comme si une pareille conduite, en supposant qu'elle fût telle
-que la dépeignait Napoléon, eût été bien criminelle de la part d'une
-puissance qui longtemps battue, et dépouillée d'une grande partie de
-ses États, saisissait l'occasion d'en recouvrer ce qu'elle pouvait,
-surtout contre un conquérant sans modération et sans mesure!--Ses
-contradicteurs ignorant le secret des négociations, supposant toujours
-qu'il s'agissait de sacrifices bien plus considérables que ceux qu'on
-nous demandait véritablement, accordant qu'il était désagréable de
-céder, surtout à gens qui nous dressaient en quelque sorte un
-guet-apens, se rejetaient sur le besoin urgent de la paix, et avaient
-là des avantages incontestables.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vives instances de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon
-à la paix.</span>
-Napoléon avait rencontré pour apôtre
-constant de la paix M. de Caulaincourt, qui le suppliait sans relâche
-de ne pas s'obstiner contre l'orage, et de passer par-dessus un
-déplaisir momentané pour sauver la France, l'armée, lui et son fils.
-Dans cette courageuse et civique tâche, M. de Caulaincourt était
-infatigable, et recommençait sans cesse avec une admirable
-persévérance. M. de Caulaincourt avait trouvé un singulier auxiliaire
-dans le duc d'Otrante, M. Fouché, qui, bien que cherchant à
-reconquérir la faveur impériale perdue, n'hésitait pas, inspiré par
-son bon sens et peut-être aussi par le danger que la chute de l'Empire
-devait faire courir à tous les hommes de la révolution, n'hésitait
-pas à soutenir hardiment <span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> qu'il fallait conclure la paix. Il
-ne s'agissait point, selon M. Fouché, de savoir laquelle; c'était le
-secret des plénipotentiaires que Napoléon avait chargés de cette
-tâche; mais après Lutzen et Bautzen, en s'en rapportant à une sorte de
-notoriété publique, en songeant à la crainte que la France n'avait pas
-cessé d'inspirer, on ne pouvait pas douter, disait-il, que les
-conditions ne fussent encore très-belles; et si, comme tout le faisait
-présumer, on concédait à la France au delà du Rhin et des Alpes, on
-lui concédait plus qu'il ne lui fallait, plus qu'elle ne désirait. On
-devait donc, sauf les détails, signer la paix qui nous était offerte;
-car l'Europe était exaspérée, et la France épuisée commençait à
-partager l'exaspération de l'Europe contre un système qui ne laissait
-pas plus de bien-être au vainqueur qu'au vaincu.--
-<span class="sidenote" title="En marge">Violente sortie du duc d'Otrante en faveur de la paix.</span>
-Dans l'une de ces
-conversations, à laquelle avaient été présents M. Daru, M. de
-Caulaincourt, M. de Bassano, même le roi de Saxe, M. Fouché se permit
-de dire à Napoléon que s'il ne donnait pas tout de suite la paix, il
-deviendrait bientôt odieux à la France, et qu'il y aurait danger
-non-seulement pour lui, mais pour son fils, pour sa dynastie; que s'il
-ne saisissait pas cette dernière occasion de déposer les armes, il
-serait perdu; que la France venait par honneur de faire un dernier
-effort, parce qu'elle ne voulait pas se retirer battue de son grand
-duel avec l'Europe, mais qu'après les victoires de Lutzen et de
-Bautzen elle considérait son honneur comme dégagé, et qu'à la seule
-condition de conserver le Rhin et les Alpes que personne ne lui
-contestait plus, pas même l'Angleterre, elle se tiendrait pour
-satisfaite; mais <span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> que si, malgré la possibilité évidente de
-signer une telle paix, on persistait à continuer la guerre, elle se
-regarderait comme sacrifiée à un système personnel à Napoléon, système
-insensé, qu'elle détestait autant que l'Europe elle-même, car elle en
-souffrait tout autant.--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mécontentement et réponses sophistiques de Napoléon.</span>
-Ces hardies propositions causèrent à Napoléon une irritation extrême,
-et il ne sut répondre qu'en disant qu'on ignorait le secret des
-négociations, que les puissances belligérantes lui demandaient des
-choses inadmissibles, que s'il les concédait, l'Europe le regarderait
-comme tellement affaibli que bientôt elle exigerait tout ce qu'il ne
-pouvait pas accorder, et ce que personne, parmi ses contradicteurs, ne
-voudrait accorder; qu'il fallait, pour garder le nécessaire, défendre
-même le superflu, se montrer indomptable, se résigner à livrer une ou
-deux batailles de plus, pour conserver une grandeur acquise par vingt
-années de sang versé, et savoir braver la guerre quelques jours encore
-pour avoir une vraie, une solide paix. En un mot dans cette
-conversation, comme dans toutes celles qu'il eut sur ce sujet, son art
-consistait, en cachant toujours les faits véritables, en laissant
-toujours ignorer qu'il ne s'agissait en réalité que de Hambourg et du
-protectorat de la Confédération du Rhin, son art consistait à soutenir
-que c'était tout ou rien, qu'il fallait tout défendre ou tout céder,
-et comme personne ne voulait tout céder, la conclusion était selon lui
-qu'il fallait tout défendre. Sa force d'esprit et de langage parvenait
-bien à embarrasser ses interlocuteurs, qui d'ailleurs ignorant l'état
-des négociations, ne pouvaient pas <span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> lui répondre, mais elle ne
-parvenait pas à les convaincre, et les laissait terrifiés de la fatale
-résolution qui perçait dans son attitude et ses discours. Ils
-admiraient quelquefois son indomptable caractère en détestant son
-orgueil funeste, et s'en allaient silencieux, mécontents, la plupart
-du temps désolés. Un seul d'entre eux ne paraissant pas se douter du
-péril, affirmait que le génie de l'Empereur était inépuisable en
-ressources, qu'il triompherait de tous ses ennemis, et retrouverait
-plus grande, ou aussi grande que jamais, sa puissance de 1810 et de
-1811. Cet interlocuteur, on le devine, était M. de Bassano, et il
-était le moins excusable, car seul il savait le secret des choses,
-seul il savait que c'était pour Hambourg et le titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin qu'on s'exposait à tout perdre. Il faut dire
-néanmoins pour réduire à ce qu'elle doit être sa responsabilité, qui
-autrement serait si lourde, qu'il influait peu sur les résolutions de
-Napoléon, lequel ne semblait même pas touché de ses magnifiques
-pronostics, et qu'il parvenait uniquement à exciter chez M. de
-Caulaincourt des signes d'impatience peu flatteurs et peu dissimulés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Hardie correspondance du duc de Rovigo en faveur de la
-paix.</span>
-Ce n'est pas seulement à Dresde que Napoléon avait rencontré ces
-contradictions, atténuées du reste par la soumission du temps, c'était
-à Paris même. Le ministre de la police, duc de Rovigo, entendant plus
-que tout autre le retentissement de l'opinion publique, et ne
-craignant pas les accès d'humeur de Napoléon, auxquels il s'était
-habitué en n'y prenant pas garde, avait plusieurs fois osé lui écrire
-ce qu'aucun de ses ministres n'osait lui <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> dire, c'est que la
-paix était urgente, indispensable, qu'il ne fallait pas attendre de la
-France fatiguée un nouvel effort, semblable à celui qu'elle venait de
-faire; c'est que tous les ennemis du gouvernement jusque-là
-découragés, dispersés, reprenaient le courage avec l'espérance; c'est
-que les révolutionnaires, longtemps accablés sous les souvenirs de
-quatre-vingt-treize, les Bourbons, longtemps et complétement oubliés,
-essayaient de se produire de nouveau, que ces derniers même
-répandaient des manifestes qu'on lisait sans colère et avec une
-certaine curiosité. Toutes ces assertions étaient vraies, et il était
-constant que l'idée d'un autre gouvernement que celui de Napoléon,
-idée qui depuis quatorze ans ne s'était présentée à l'esprit de
-personne, pas même au retour de Moscou, commençait, la situation se
-prolongeant, à pénétrer dans l'esprit de beaucoup de gens, et allait
-devenir générale si la guerre continuait; que de même qu'on avait en
-1799 cherché auprès du général Bonaparte un refuge contre l'anarchie,
-on irait bientôt chercher auprès des Bourbons un refuge contre la
-guerre perpétuelle. C'est tout cela que plus ou moins clairement, plus
-ou moins adroitement, le ministre de la police, duc de Rovigo, avait
-essayé de faire entendre à Napoléon avec une hardiesse honorable, mais
-qui eût été plus méritoire et plus utile, si Napoléon avait attaché
-plus d'importance à ce qui venait de lui. Le prince Cambacérès ne se
-serait pas hasardé à en dire autant, bien qu'il en pensât davantage,
-parce que de sa part Napoléon eût pris la chose plus sérieusement,
-dès lors moins patiemment.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordre de se taire expédié au duc de Rovigo.</span>
-Fatigué pourtant des lettres <span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> du
-duc de Rovigo, Napoléon chargea le prince Cambacérès de lui dire
-qu'elles l'importunaient, qu'en montrant tant d'amour pour la paix, on
-lui nuisait plus qu'on ne le servait; que l'on contribuait à rendre
-les ennemis plus exigeants, en accréditant l'idée que la France ne
-pouvait plus faire la guerre; que lui, Napoléon, savait seul comment
-il fallait s'y prendre pour donner la paix à la France avec sûreté et
-avec honneur; que le duc de Rovigo, en se mêlant de cette affaire, se
-mêlait de ce qu'il ignorait, bref qu'il eût à se taire, car de
-pareilles indiscrétions ne seraient pas souffertes plus longtemps.</p>
-
-<p>Cette dure réprimande n'était pas de nature à effrayer ni à décourager
-le duc de Rovigo, car il ne prenait pas plus au sérieux les colères de
-Napoléon que Napoléon ne prenait au sérieux sa politique, et il devait
-bientôt se permettre une autre tentative, pas plus heureuse il est
-vrai, mais qui prouve à quel point le besoin de la paix était
-universellement senti, puisqu'il perçait à travers ce despotisme qui
-enveloppait alors la France entière, et pesait si lourdement sur elle.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le duc d'Otrante envoyé en Illyrie.</span>
-Napoléon, après avoir fermé la bouche au duc de Rovigo, donna un
-emploi au duc d'Otrante. Il en avait déjà trouvé un en Espagne pour le
-maréchal Soult, et il en trouva un pour le duc d'Otrante par suite
-d'un accident aussi triste que singulier. L'infortuné Junot, depuis la
-blessure qu'il avait en Portugal reçue à la tête, n'avait jamais
-recouvré ses facultés physiques et morales. Dans la campagne de Russie
-on ne lui avait pas vu son ardeur accoutumée, bien qu'il eût été
-moins blâmable qu'on ne l'avait prétendu, <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> et il avait essuyé
-de Napoléon des reproches qui avaient achevé d'altérer sa raison.
-Envoyé à Laybach comme gouverneur de l'Illyrie, il y avait donné tout
-à coup des signes de folie, au point qu'il avait fallu le saisir de
-force et le transporter en Bourgogne, son pays natal, où il était
-mort. Napoléon nomma M. Fouché gouverneur de l'Illyrie, poste peu
-assorti à la grande situation de cet ancien ministre, mais que
-celui-ci accepta, parce qu'il regardait comme bonne toute manière de
-rentrer en fonctions. Il devait voir en passant à Prague M. de
-Metternich, et profiter d'anciennes relations pour soutenir auprès de
-ce diplomate les prétentions de la France. Le moyen était petit par
-rapport à l'objet, et ne pouvait compenser le mauvais effet qu'allait
-produire en Autriche une nomination qui prouvait de notre part peu de
-disposition à renoncer à l'Illyrie.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon persistant à perdre le temps consacré aux
-négociations, se décide à faire un voyage à Mayence pour y voir
-l'Impératrice.</span>
-Napoléon, inébranlable quoique parfois agité, persista dans sa manière
-de négocier, laquelle, comme on l'a vu, consistait à gagner du temps,
-soit pour obtenir s'il était possible une nouvelle prolongation
-d'armistice, soit au moins pour différer de quelques semaines l'entrée
-en action de l'Autriche, soit aussi pour rompre le congrès sur une
-question de forme, et n'avoir pas à dire à l'Europe, surtout à la
-France, que c'était pour Hambourg et le protectorat du Rhin qu'on
-refusait la paix. Afin de réussir dans cette tactique, il fit
-concourir avec l'ouverture des négociations un second voyage, qu'il
-avait résolu d'exécuter à la fin de juillet pour aller voir
-l'Impératrice à Mayence, et qui ne pouvait qu'apporter de nouvelles
-entraves à la <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> marche des négociations. Il avait en effet
-assigné à Marie-Louise un rendez-vous à Mayence vers le 26 juillet,
-afin d'y demeurer quelques jours avec elle, et surtout afin d'y passer
-en revue les divisions destinées à former les corps des maréchaux
-Saint-Cyr et Augereau. Il laissa en partant des pouvoirs pour M. de
-Caulaincourt, qui devait se rendre à Prague dès qu'on aurait reçu des
-commissaires réunis à Neumarckt une réponse satisfaisante relativement
-au terme précis de l'armistice; à ces pouvoirs il ajouta des
-instructions, concertées avec M. de Bassano, pour que M. de
-Caulaincourt, une fois à Prague, pût y employer d'une manière
-spécieuse les six à huit jours qui allaient s'écouler pendant le
-voyage projeté sur le Rhin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Instructions et latitudes laissées à M. de Caulaincourt,
-pour qu'il puisse employer à Prague le temps que Napoléon doit passer
-à Mayence.</span>
-On était au 24 juillet, et on ne supposait pas que la réponse de
-Neumarckt pût arriver avant le 25 ou le 26. M. de Caulaincourt devait
-se mettre en route le lendemain, perdre un jour ou deux à lier
-connaissance avec les plénipotentiaires, puis consacrer cinq ou six
-jours à discuter sur la remise des pouvoirs, et sur la forme des
-conférences. Si, dans son zèle pacifique, M. de Caulaincourt devenait
-pressant, et demandait à M. de Bassano l'autorisation de passer outre,
-M. de Bassano devait lui permettre de faire quelques concessions
-relativement à l'échange des pouvoirs et à la forme des négociations,
-mais en lui défendant expressément d'aborder le fond des choses. Il
-serait aisé de gagner ainsi jusqu'au 3 ou 4 août, jour probable du
-retour de Napoléon à Dresde, et alors il tracerait lui-même la
-conduite qu'on devrait tenir ultérieurement.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Ordres militaires de Napoléon en quittant Dresde.</span>
-Après avoir arrêté d'après ces données les instructions de M. de
-Caulaincourt, Napoléon fit ses dispositions pour partir le 24 juillet
-au soir. Il expédia en même temps quelques ordres relatifs à l'armée.
-Les deux mois perdus pour les négociations ne l'avaient pas été, comme
-on le pense bien, pour les préparatifs militaires. L'infanterie bien
-campée, bien nourrie, bien exercée, avait singulièrement gagné sous
-tous les rapports, et particulièrement sous celui de la force
-numérique. La cavalerie avait complétement changé d'aspect; elle était
-nombreuse et assez bien montée. Les jeunes chevaux, presque tous
-blessés à l'entrée en campagne, étaient en meilleur état. Nos
-cavaliers, si prompts à se former, savaient déjà se servir de leurs
-montures et les soigner.
-<span class="sidenote" title="En marge">Progrès merveilleux de ses armements.</span>
-Napoléon avait, outre la cavalerie légère
-attachée à chaque armée, quatre beaux corps de cavalerie de réserve
-sous les généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, de Padoue, de Valmy. La
-garde formée à cinq divisions d'infanterie, comprenait en outre douze
-mille cavaliers avec deux cents bouches à feu bien servies. Quinze
-cents gardes d'honneur sous le général Dejean étaient arrivés à
-Dresde. Cette brave jeunesse qui n'était pas d'abord partie dans de
-très-bonnes dispositions, parvenue maintenant en ligne, n'aspirait
-qu'à s'illustrer sous les yeux de la grande armée. Le corps du général
-Vandamme, que Napoléon avait vu à Magdebourg, composé d'hommes jeunes,
-mais de vieux cadres revenus de Moscou, était fort beau. Les quatre
-divisions organisées à Mayence, et destinées à venir par Wurzbourg,
-Hof, Freyberg, Dresde, s'établir à K&oelig;nigstein, s'acheminaient vers
-ce point, <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> et présentaient un aspect satisfaisant, quoique
-remplies de jeunes soldats comme tout le reste de l'armée. Les
-approvisionnements, commandés de toutes parts, arrivaient par l'Elbe à
-Dresde, où plus de cinquante mille quintaux de grains et farines
-étaient actuellement réunis. Grâce à l'activité du maréchal Davout,
-les défenses de Hambourg étaient pour ainsi dire sorties de dessous
-terre. Elles portaient déjà deux cents bouches à feu en batterie, et
-allaient bientôt en recevoir trois cents. Tout s'achevait donc suivant
-les vues de Napoléon, et le progrès de ses desseins ne le disposait
-guère à la paix, ce qui autorisait M. de Bassano à répéter partout que
-les forces de l'Empereur étaient immenses et son génie toujours plus
-grand, que l'Europe en devait trembler, et que ce n'était pas au plus
-fort à faire des sacrifices au plus faible.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Manière d'occuper et d'égayer nos jeunes troupes dans leurs
-camps.</span>
-Napoléon cherchant à répandre un peu d'animation dans ses camps, où
-ses jeunes troupes, sauf les heures consacrées aux man&oelig;uvres,
-avaient été oisives pendant deux mois, imagina pour les occuper un
-genre d'exercice à la fois attrayant et utile. Il avait ordonné de les
-faire tirer à la cible, et pour les intéresser davantage à cet
-exercice si important, il voulut qu'on leur distribuât des prix
-proportionnés à leur adresse. Les meilleurs tireurs de chaque
-compagnie, au nombre de six, devaient recevoir un prix de quatre
-francs, puis se réunir à tous ceux du même bataillon, se mesurer
-ensemble, et concourir pour un nouveau prix triple du précédent. Ceux
-des bataillons devaient se réunir par régiments, ceux des régiments
-par divisions, ceux des divisions par corps <span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> d'armée, et
-concourir de nouveau pour des prix successivement plus élevés, de
-telle façon que les meilleurs tireurs d'un corps d'armée pouvaient
-remporter des prix qui allaient jusqu'à cent francs. Tous ces prix
-représentaient une dépense d'une centaine de mille francs, ce qui
-était peu de chose, et avait, outre l'avantage inappréciable
-d'améliorer le tir, celui d'occuper, d'amuser les hommes, de leur
-fournir l'occasion et le moyen de régaler leurs camarades. Napoléon
-fit aussi payer la solde aux officiers, pour qu'ils pussent jouir des
-quelques jours de repos qui leur restaient, et qui, pour le plus grand
-nombre, étaient, hélas! les derniers de leur vie!
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon fixe au 10 août la célébration de sa fête, qui
-aurait dû avoir lieu le 15, afin de mettre quelque intervalle entre
-les réjouissances et les nouvelles scènes de carnage qui se
-préparent.</span>
-La fête de Napoléon
-approchait, puisqu'elle se célébrait le 15 août. Il voulut que la
-célébration en fût fixée au 10, afin que les hostilités étant reprises
-le 17, les réjouissances ne fussent pas trop voisines des nouvelles
-scènes de carnage qu'il prévoyait. Ce jour du 10 il devait y avoir
-dans tous les camps des repas à ses frais, et en son honneur. Les
-officiers devaient dîner chez les maréchaux, les soldats entre eux sur
-des tables servies en plein air. Le vin devait être prodigué, et bu
-soit à la santé de Napoléon, soit au triomphe des armes de la France.
-Ainsi Napoléon cherchait en quelque sorte à égayer la guerre, et à
-mêler les jeux à la mort! Le 24 juillet il partit pour Mayence,
-laissant derrière lui toutes choses invariablement prévues et
-arrêtées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Réponse de Neumarckt, qui place définitivement au 16 août
-l'expiration de l'armistice, et au 17 la reprise des hostilités.</span>
-Le 26, les commissaires de Neumarckt répondirent enfin d'une manière
-satisfaisante, relativement au jour précis des futures hostilités, et
-il fut reconnu, après en avoir conféré avec l'empereur Alexandre,
-<span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> surtout après de vives observations de M. de Metternich, que
-le général en chef Barclay de Tolly avait mal compris les paroles de
-son maître, et que si l'armistice pouvait être dénoncé le 10 août, il
-n'expirerait cependant que le 16, ce qui remettait au 17 la reprise
-des hostilités. Ce malentendu, comme on l'a vu, venait du peu de
-clarté que l'empereur Alexandre avait mis à faire connaître une
-concession dont il était embarrassé devant les partisans impatients de
-la guerre, et du peu de penchant de ces derniers à interpréter les
-stipulations douteuses dans le sens de la paix.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réunion en ce moment des souverains coalisés à Trachenberg,
-pour arrêter le plan de campagne.</span>
-L'empereur Alexandre
-se trouvait alors à Trachenberg, petite ville de Silésie, où il
-s'était rendu de Reichenbach avec le roi de Prusse et la plupart des
-généraux de la coalition, pour conférer avec le prince de Suède sur le
-plan des opérations futures.
-<span class="sidenote" title="En marge">La présence de Bernadotte à cette réunion déplaît à tous
-les généraux de la coalition.</span>
-Cette réunion, fort désirée des deux
-souverains qui voulaient enchaîner définitivement l'ancien maréchal
-Bernadotte à leur cause, et terminer ses longues hésitations, était
-loin de plaire aux officiers russes et allemands, notamment à ces
-derniers. On parlait de conférer au prince royal un commandement
-important; on lui préparait sur sa route des honneurs extraordinaires,
-afin de le toucher par l'endroit si sensible chez lui de la vanité.
-Ces empressements pour un homme qui n'avait aux yeux des Allemands et
-des Russes d'autre mérite que d'être général français, et qui était
-loin de compter parmi les premiers, excitaient au plus haut degré la
-jalousie nationale des états-majors alliés. Leurs monarques,
-disaient-ils, voulaient donc déclarer qu'un général français, même
-médiocre, <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> valait mieux que tous les généraux de la coalition,
-et que c'était un titre d'honneur de porter les armes contre son pays.
-La perspective d'être placés sous ses ordres leur était souverainement
-désagréable.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Bruit universellement répandu que le général Moreau viendra
-prêter ses conseils à l'empereur Alexandre.</span>
-Malheureusement on s'entretenait aussi d'un autre général français,
-celui-là grand homme de guerre, doué de véritables vertus civiques et
-guerrières, et non pas, comme Bernadotte, gratifié d'une couronne
-royale pour prix de médiocres services, mais de l'exil pour prix de
-services immenses, et qui vaincu par l'ennui, le dés&oelig;uvrement,
-l'irritation que lui inspirait un rival heureux, l'horreur que lui
-avait fait éprouver la campagne de Moscou, s'était laissé persuader de
-quitter l'Amérique pour l'Europe. Ce général était l'illustre Moreau.
-Il était venu à Stockholm, attiré dans cette capitale par Bernadotte
-qui semblait pressé de se procurer des imitateurs. Entouré là des plus
-funestes conseils, agité, combattu, malheureux, se demandant s'il
-faisait bien ou mal, il marchait sans s'en apercevoir à un abîme,
-dominé par des sentiments confus qu'il croyait honnêtes, parce que
-sous l'indignation sincère qu'il éprouvait, il ne voyait pas la part
-que la haine et l'oisiveté avaient à sa conduite. On se préoccupait
-beaucoup de cette arrivée, et on disait le général Moreau destiné à
-devenir le conseiller de l'empereur Alexandre. C'était une nouvelle
-cause de déplaisir pour les militaires russes et allemands, qui avec
-un redoublement de jalousie demandaient si leurs souverains croyaient
-donc que pour vaincre les généraux français il n'y avait de suffisants
-que les généraux français eux-mêmes?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Faste de Bernadotte, et manifestation qu'il
-s'attire de la part de la garnison française de Stettin.</span>
-Quoi qu'il en soit, l'ancien maréchal Bernadotte était venu à
-Trachenberg, voyageant, non pas comme les souverains de Russie et de
-Prusse, avec une extrême simplicité, mais avec un faste éblouissant,
-comme un monarque parcourant ses États dans une occasion solennelle.
-Ayant passé en revue quelques-unes de ses troupes qui déjà profitaient
-de l'armistice pour se rendre en Prusse, il avait paru près de
-Stettin, où se trouvait une garnison française. Sa tête inflammable
-commençait à se persuader que Napoléon, odieux à l'Europe, à charge à
-la France, ne pourrait bientôt plus régner, que les Bourbons,
-longtemps oubliés, ne pourraient pas être remis sous les yeux de la
-génération présente, que dès lors ce serait à lui à remplacer Napoléon
-sur le trône de France. L'insensé, dans son orgueil, ne voyait pas
-qu'après la gloire la tradition antique aurait seule de l'empire sur
-les esprits, et que la médiocrité souillée du sang français n'était
-pas appelée à succéder au génie malheureux. Tandis qu'il se montrait à
-cheval sous les murs de Stettin, à la vue de la garnison française,
-des coups de feu partirent sans qu'on pût savoir qui les avait tirés.
-Des officiers de Bernadotte vinrent se plaindre au brave général
-Dufresse, commandant de la place, de cette violation de
-l'armistice.--Ce n'est rien, répondit ironiquement le général; la
-grand'garde a aperçu un déserteur et a tiré dessus!--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Accueil brillant fait à Bernadotte par les souverains
-coalisés.</span>
-Conduit à Trachenberg de relais en relais, au milieu d'escortes
-nombreuses et d'un cortége magnifique, le prince de Suède y reçut de
-l'empereur Alexandre et du roi de Prusse un accueil extraordinaire,
-<span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> comme s'il leur eût apporté le génie de Napoléon ou du grand
-Frédéric. C'était moins à ses talents du reste qu'aux craintes qu'on
-avait conçues sur sa fidélité, et au désir de montrer un lieutenant de
-Napoléon, fatigué de sa domination jusqu'à tourner ses armes contre
-lui, qu'il devait ces empressements affectés. Si à la qualité de
-Français et de lieutenant de Napoléon il avait joint celle de son
-propre frère, les hommages eussent été plus excessifs encore, car on
-aurait trouvé sa défection plus significative. Jusqu'au jour où l'on
-avait rompu avec le Danemark, et où l'on avait définitivement adjugé
-la Norvége à la Suède, le nouveau Suédois avait tour à tour promis,
-hésité, menacé même; mais enfin il venait de prendre son parti et de
-mettre en mouvement vingt-cinq mille Suédois.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sa prétention d'être le généralissime de la coalition.</span>
-Pour prix de ce
-contingent, d'ailleurs excellent, car il n'y avait pas de plus braves
-soldats, animés de meilleurs sentiments que les Suédois, il affichait
-d'étranges prétentions.
-<span class="sidenote" title="En marge">Son commandement réduit à celui de l'armée dite du Nord.</span>
-Il aurait voulu être généralissime, ou du
-moins commander toutes les armées que ne commandaient point en
-personne les deux souverains eux-mêmes. On lui avait résisté
-doucement, et peu à peu on l'avait ramené à de moindres exigences, par
-la raison toute simple des emplacements qui ne permettaient pas aux
-diverses armées d'opérer très-près les unes des autres, et d'être
-réunies dès lors sous l'autorité d'un seul chef. Après des débats qui
-avaient duré du 9 au 13 juillet, on avait arrêté le plan de campagne
-suivant, fondé sur la coopération des Autrichiens, car bien qu'on eût
-chargé ceux-ci de négocier pour tout le monde, la conviction
-généralement <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> répandue que Napoléon n'accepterait pas leur
-système de pacification, faisait considérer leurs troupes rassemblées
-en Bohême, en Bavière, en Styrie, comme inévitablement destinées à
-coopérer avec les armées russe et prussienne.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Plan de campagne fondé sur l'idée d'éviter Napoléon, pour
-se jeter toujours sur ses lieutenants, jusqu'à ce qu'après l'avoir
-épuisé, on trouve l'occasion de l'accabler sous la réunion de toutes
-les forces de la coalition.</span>
-Appréciant le danger de se mesurer avec Napoléon, on s'était proposé
-de l'accabler par la masse des forces, et on ne désespérait pas en
-effet de réunir huit cent mille soldats, dont cinq cent mille en
-première ligne, agissant concentriquement sur Dresde. Trois grandes
-armées actives étaient chargées d'expulser Napoléon de cette position
-de Dresde, où l'on avait discerné qu'il voulait établir le centre de
-ses opérations. Une première armée de 250 mille hommes, formée en
-Bohême avec 130 mille Autrichiens et avec 120 mille Prussiens et
-Russes, placée pour flatter l'Autriche sous le commandement d'un
-général autrichien, devait opérer par la Bohême sur le flanc de
-Napoléon. Une seconde de 120 mille hommes, placée sous le général
-Blucher en Silésie, et composée en nombre égal de Prussiens et de
-Russes, devait par Liegnitz et Bautzen marcher droit sur Dresde,
-tandis qu'une troisième de 130 mille, confiée au prince de Suède,
-composée de Suédois, de Prussiens, de Russes, d'Allemands, d'Anglais,
-se dirigerait de Berlin sur Magdebourg. Il était convenu que ces trois
-armées marcheraient prudemment, éviteraient les rencontres directes
-avec Napoléon, rétrograderaient quand il avancerait, pour tomber sur
-celui de ses lieutenants qu'il aurait laissé sur ses flancs ou ses
-derrières, reculeraient de nouveau quand il viendrait au secours du
-lieutenant menacé, <span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> se jetteraient aussitôt sur un autre,
-s'attacheraient ainsi à l'épuiser, et quand elles le jugeraient assez
-affaibli, profiteraient d'un moment favorable pour l'aborder lui-même,
-et l'étouffer dans les cent bras de la coalition. Si malgré la
-recommandation adressée à tous les chefs de ne commettre aucune
-témérité, d'être prudent avec Napoléon et hardi avec ses lieutenants,
-on se faisait battre, on devait ne pas se décourager, car il restait
-en réserve trois cent mille hommes prêts à recruter l'armée active, et
-à la rendre indestructible en la renouvelant sans cesse. On était
-résolu en un mot à vaincre ou à mourir jusqu'au dernier. La Prusse
-avait des réserves dans la Silésie, le Brandebourg, la Poméranie; la
-Russie en avait en Pologne, l'Autriche en Bohême. L'Autriche devait
-réunir de plus une armée d'observation en Bavière, une armée active en
-Italie, et dans l'hypothèse, malheureusement trop vraisemblable, d'une
-rupture avec nous, elle avait permis qu'on raisonnât sur ses forces
-comme déjà jointes à la coalition, ce qui donnait lieu de dire
-faussement qu'elle était définitivement engagée avec nos ennemis, et
-que la négociation de Prague n'était qu'un leurre tant de sa part que
-de la nôtre.</p>
-
-<p>Ce plan basé sur les man&oelig;uvres probables de Napoléon, et prouvant
-que celui-ci avait donné à ses adversaires des leçons dont ils avaient
-profité, était sorti de la tête, non du prince suédois, mais des
-généraux russes et prussiens, habitués à notre manière de faire la
-guerre. Bernadotte, quoique appelé à commander à 130 mille hommes,
-dont 100 mille pouvaient se trouver ensemble sur un même champ
-<span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> de bataille, ce qui dépassait fort ses talents, car il n'en
-avait jamais conduit plus de 20 mille, et toujours sous un supérieur,
-n'était pas content de la part qu'on lui avait faite. Il aurait voulu
-commander, outre cette armée, celle de Silésie, et avoir sous ses
-ordres Blucher lui-même, ce qu'il croyait dû à son rang royal et à ses
-talents militaires. Mais une telle prétention devait rencontrer des
-obstacles insurmontables. C'était autour de Blucher que se
-réunissaient les officiers allemands les plus distingués, les plus
-patriotes, les plus engagés dans les sociétés secrètes allemandes,
-gens à qui Bernadotte déplaisait à tous les titres, comme Français,
-comme défectionnaire à son pays, comme spéculateur ayant depuis une
-année mis à une sorte d'enchère ses services fort douteux, comme
-général enfin rempli de présomption, quoique d'un mérite
-très-contestable. L'idée d'obéir à un tel chef les révoltait tous, et
-ils tenaient à Trachenberg le langage le plus injurieux pour le prince
-de Suède. On s'était donc appliqué à lui faire entendre qu'il fallait
-renoncer à cette singulière prétention, car les trois armées devaient
-agir trop loin les unes des autres pour qu'on pût les soumettre au
-même général, et seulement, pour le satisfaire, on avait accordé que
-dans le cas où l'armée de Silésie serait appelée à coopérer avec celle
-du Nord (c'est ainsi qu'on appelait la sienne), il pourrait donner des
-ordres à toutes les deux. On avait amené Blucher et ses officiers à
-admettre cette éventualité, quelque désagréable qu'elle fût pour eux,
-en leur disant que les deux armées destinées à se rencontrer et à
-opérer ensemble étaient celles de Silésie et de Bohême, <span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span>
-parce qu'elles avaient Dresde pour but commun, que celle du Nord au
-contraire, menaçant à la fois Hambourg et Magdebourg, aurait bien peu
-de chances de se trouver à côté de celle de Silésie, qui visait aussi
-sur l'Elbe mais bien plus haut.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour des souverains à Reichenbach.</span>
-Après ces arrangements, on avait renvoyé Bernadotte enivré d'un encens
-brûlé par de royales mains, et Alexandre et Frédéric-Guillaume étaient
-revenus à Reichenbach, pour attendre l'issue des négociations, au
-résultat desquelles ils ne croyaient guère, dont Alexandre toujours
-irrité contre Napoléon et prodigieusement flatté de mener l'Europe,
-désirait peu le succès, dont Frédéric-Guillaume, dans sa constante et
-sage défiance de la fortune, aurait accepté volontiers l'heureuse
-conclusion s'il avait pu y ajouter quelque foi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ils désirent peu la paix, et surtout ne l'espèrent plus.</span>
-C'était à leur retour
-qu'avait été faite par les commissaires de Neumarckt la réponse que
-nous venons de rapporter, et qui ôtait tout prétexte pour retenir plus
-longtemps M. de Caulaincourt à Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt reçoit enfin avec ses instructions,
-l'autorisation de se rendre à Prague; il est consterné en voyant le
-peu de moyens qu'on lui laisse de travailler à la paix.</span>
-Le 26 ce digne et courageux personnage reçut de M. de Bassano les
-instructions que Napoléon avant de se rendre à Mayence avait laissées
-pour lui. Bien que le fond des choses n'y fût point traité, les
-difficultés de forme y étaient si complaisamment détaillées, et
-données si ouvertement comme un moyen de perdre le temps, que M. de
-Caulaincourt en fut consterné. C'était uniquement dans l'intention de
-ménager une paix suivant lui indispensable, qu'il avait accepté le
-rôle de plénipotentiaire à Prague, rôle plus pénible pour lui que pour
-tout autre, car après avoir joui de la faveur particulière de
-l'empereur Alexandre, <span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> n'obtenir s'il le rencontrait qu'une
-froideur blessante, et, s'il ne le rencontrait pas, essuyer cette même
-froideur de la part de ses agents les plus vulgaires, devait lui être
-bien pénible. Aller s'exposer à de pareils traitements pour ne rendre
-aucun service, et pour jouer une fade comédie, coûtait à sa dignité
-autant qu'à son patriotisme. Il se mit toutefois en route sur la
-simple espérance de conjurer, en partie du moins, les effets de la
-mauvaise volonté de son maître, et en quittant Dresde il adressa à
-Napoléon la lettre suivante, que l'histoire doit conserver.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Noble lettre de M. de Caulaincourt à Napoléon pour lui
-demander quelque latitude, et le supplier de songer sérieusement à la
-paix.</span></p>
-
-<p class="date">«Dresde, 26 juillet 1813.</p>
-
-<p>»Sire,</p>
-
-<p>»J'ai besoin de soulager mon c&oelig;ur avant de quitter Dresde, afin de
-ne porter à Prague que le sentiment des devoirs que Votre Majesté m'a
-imposés. Il est deux heures. M. le duc de Bassano me remet seulement
-les instructions que les réponses de Neumarckt et les ordres de Votre
-Majesté ne lui ont pas permis de me donner plus tôt; elles sont si
-différentes des arrangements auxquels elle avait paru consentir en me
-déterminant à accepter cette mission, que je n'hésiterais pas à
-refuser encore l'honneur d'être son plénipotentiaire, si, après tant
-de temps perdu, les heures n'étaient comptées à Prague, pendant que
-Votre Majesté est à Mayence et moi encore à Dresde. Quelle que soit
-donc ma répugnance pour des négociations si illusoires, je me pénètre
-avant tout de mes devoirs, et j'obéis. Demain je serai en route et
-après demain à Prague, comme on me le prescrit; mais permettez, Sire,
-<span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> que les réflexions de votre fidèle serviteur trouvent encore
-ici leur place. L'horizon politique est toujours si rembruni, tout a
-un aspect si grave, que je ne puis résister au désir de supplier
-encore Votre Majesté de prendre, comme son ministre me le fait
-espérer, une salutaire résolution avant le terme fatal. Puisse-t-elle
-se convaincre que le temps presse, que l'irritation des Allemands est
-extrême, et que cette exaspération des esprits imprime, encore plus
-que la peur des cabinets, un mouvement accéléré et irrésistible aux
-événements. L'Autriche est déjà trop compromise pour reculer, si la
-paix du continent ne la rassure pas. Votre Majesté sait bien que ce
-n'est pas la cause de cette puissance que j'ai plaidée près d'elle;
-certes! ce n'est pas son abandon dans nos revers que je la prie de
-récompenser, ce ne sont même pas ses 150 mille baïonnettes que je veux
-écarter du champ de bataille, quoique cette considération mérite bien
-quelque attention, mais c'est le soulèvement de l'Allemagne, que le
-vieil ascendant de cette puissance peut amener, que je supplie Votre
-Majesté d'éviter à tout prix. Tous les sacrifices faits dans ce but et
-par conséquent dans ce moment à une prompte paix, vous rendront, Sire,
-plus puissant que ne l'ont fait vos victoires, et vous serez l'idole
-des peuples, etc...»</p>
-
-<p>Ce langage d'un honnête homme, qui en voyant déjà une grande partie du
-mal ne le voyait pourtant pas tout entier, car ce n'étaient pas 150
-mille Autrichiens mais 300 mille qu'il s'agissait de se mettre encore
-sur les bras, car ce n'était pas le soulèvement <span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> de
-l'Allemagne mais celui de toute l'Europe, qu'il s'agissait de braver,
-ce langage ne devait malheureusement pas avoir beaucoup d'utilité.
-<span class="sidenote" title="En marge">Départ de M. de Caulaincourt, et son arrivée à Prague.</span>
-Toutefois ne renonçant pas à essayer le bien, quelque faible que fût
-l'espérance de l'accomplir, M. le duc de Vicence était parti pour
-Prague, où on l'attendait impatiemment.
-<span class="sidenote" title="En marge">Digne accueil fait à cet illustre personnage.</span>
-L'accueil qu'il y reçut fut
-digne de lui et de la considération qu'il s'était acquise en Europe.
-En apprenant son départ, on avait suspendu tous les pourparlers
-jusqu'à son arrivée. Après être entré en communication avec les
-plénipotentiaires russe, prussien et autrichien, il reprit avec M. de
-Metternich le vieux thème que M. de Narbonne avait déjà usé en
-quelques jours, c'est qu'il n'était possible de remettre les pouvoirs
-et de traiter les matières à discuter qu'en assemblée commune, sous
-les yeux et la présidence du médiateur, mais en conférence de tous
-avec tous.
-<span class="sidenote" title="En marge">La question de forme immédiatement soulevée à l'occasion de
-l'échange des pouvoirs.</span>
-Cette difficulté sérieuse sans doute, si on avait eu encore
-l'espoir d'un rapprochement direct avec la Russie, n'en devait plus
-être une qui méritât tant d'insistance de notre part, lorsqu'on ne
-pouvait désormais faire la paix que par l'Autriche, et à son gré. Il
-nous était même plus commode d'avoir le médiateur pour organe
-principal, que de nous aboucher avec deux plénipotentiaires mal
-disposés, et cherchant peu à faciliter une paix que l'Autriche
-souhaitait seule. La preuve qu'il en était ainsi, c'était le désir
-évident de M. de Metternich d'amener M. de Humboldt et M. d'Anstett à
-une concession sur cette question de forme, afin de rendre au moins
-l'ouverture du congrès possible.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles réflexions de M. de Metternich à l'égard de ces
-difficultés de forme, et nouvelle déclaration que si avant le 10 août
-on n'a pas traité sérieusement, l'Autriche, le 10 août à minuit,
-signera son adhésion à la coalition.</span>
-Puisque lui-même voulait un
-abouchement direct des plénipotentiaires <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> français avec les
-plénipotentiaires prussien et russe, c'est qu'il n'avait plus à le
-craindre. Du reste parlant franchement avec M. de Caulaincourt comme
-avec M. de Narbonne, il lui montra l'inutilité de disputer longuement
-sur les formes suivies à Munster, à Tetschen, à Sistow, car les deux
-plénipotentiaires étaient engagés d'amour-propre et d'intérêt dans la
-voie où ils étaient entrés; d'amour-propre, parce qu'ils avaient déjà
-remis leurs pouvoirs au médiateur, d'intérêt, parce qu'ils ne
-voulaient pas qu'on les accusât de pactiser secrètement avec la
-diplomatie française, et que traiter par notes remises au médiateur
-était le seul moyen qui ne prêtât à aucune fausse interprétation. Il
-dit que par ces motifs ils ne consentiraient pas à céder, que
-d'ailleurs ils ne désiraient pas beaucoup la paix, et que ce désir ne
-pouvait faire taire chez eux ni l'amour-propre ni l'intérêt; que par
-conséquent toutes les discussions qu'on aurait avec eux seraient
-inutiles; qu'au surplus, il le voyait bien, Napoléon n'avait pas la
-moindre envie d'arriver à un résultat; que tant qu'il s'attacherait à
-batailler sur un tel terrain, il fallait en conclure qu'il ne voulait
-pas faire un pas vers la paix, qu'il était dès lors inutile de
-s'agiter pour obtenir sur des questions de forme des concessions qui
-ne mèneraient à rien pour le fond des choses, qu'il fallait attendre,
-et attendre jusqu'au dernier moment, car avec un caractère aussi
-extraordinaire que celui de Napoléon tout était possible; qu'au
-dernier jour, à la dernière heure, il se pourrait qu'il envoyât à
-l'improviste des ordres de traiter sur des bases acceptables, et que
-la paix <span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> sortît tout à coup d'une situation actuellement
-désespérée; que dans cette supposition peu vraisemblable sans doute,
-mais admissible, il attendrait jusqu'au 10 août à minuit, que
-jusque-là, il en renouvelait l'assurance formelle, il ne serait engagé
-avec personne, mais que le 10 août à minuit il le serait
-irrévocablement avec nos ennemis, qu'il signerait au nom de son
-souverain un traité d'alliance avec les puissances coalisées, et
-serait au nombre de nos adversaires les plus résolus à vaincre ou à
-périr.--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vives instances de M. de Caulaincourt pour qu'on l'autorise
-à traiter sérieusement.</span>
-M. de Metternich répéta ces choses qu'il avait déjà dites à M. de
-Narbonne d'un ton si calme, mais si ferme, avec des témoignages si
-affectueux pour M. de Caulaincourt, et une sincérité si manifeste (car
-il ne faut pas comme le vulgaire s'imaginer qu'un diplomate mente
-nécessairement), que M. de Caulaincourt ne pouvait pas résister à tant
-d'évidence. Aussi avec sa véracité ordinaire écrivit-il sur-le-champ à
-M. de Bassano qu'il craignait peu, à Napoléon qu'il craignait
-beaucoup, pour leur faire savoir encore une fois quelle était la
-situation véritable, combien était grand, certain même le danger d'une
-prochaine adhésion de l'Autriche à la coalition, ce qui rendrait
-complète et définitive l'union de l'Europe contre nous; situation
-périlleuse mais soutenable en 1792, lorsque nous débutions dans la
-carrière des révolutions, lorsque nous étions pleins encore de passion
-et d'espérance, injustement attaqués, et non pas durement oppresseurs,
-situation au contraire désastreuse lorsque nous étions épuisés,
-lorsque nous avions tort contre tout le monde, et <span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> que tout
-le monde éprouvait contre nous l'indignation qui avait fait notre
-force en 1792. La conviction de M. de Caulaincourt à cet égard était
-si vive et si sincère, que connaissant l'ambition de M. de Bassano,
-voulant appeler cette ambition au secours de l'honnêteté très-réelle
-de ce ministre, et supposant qu'il serait peut-être sensible à
-l'honneur de signer lui-même la paix du monde, il l'engageait
-instamment à venir à Prague, lui revêtu de toute la confiance de
-l'Empereur, ayant tous ses pouvoirs, n'ayant pas besoin pour en
-référer à sa volonté de perdre les dernières heures qui restaient, et
-à se rendre l'objet d'un transport universel de reconnaissance en
-venant conclure une paix qui allait sauver tant de victimes, et
-probablement au nombre de ces victimes la France elle-même.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano accorde à M. de Caulaincourt quelques
-facilités illusoires sur la question de forme.</span>
-M. de Bassano, qui était aussi bon citoyen que le lui permettait sa
-parfaite soumission à son maître, aurait cédé sans doute à tant de
-raison et de patriotisme, s'il avait eu une volonté propre; mais n'en
-admettant qu'une au monde, celle de Napoléon, avec laquelle il ne
-contestait pas plus qu'avec celle de Dieu même, il se contenta de
-satisfaire aux vives instances de M. de Caulaincourt en lui accordant
-quelques facilités pour traiter la question de forme, sans sortir
-toutefois des latitudes qui lui avaient été laissées à lui-même. Ainsi
-par exemple il permit aux deux négociateurs français de donner une
-copie certifiée de leurs pouvoirs au médiateur, qui la transmettrait
-aux plénipotentiaires prussien et russe, de façon que cette première
-communication aurait lieu suivant le mode désiré par nos adversaires,
-<span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> mais en retour il continua d'exiger que l'échange définitif
-des pouvoirs eût lieu dans une conférence commune. Quant à la forme
-même de la négociation, il consentit à ce que les plénipotentiaires
-russe et prussien procédassent par notes officielles, comme ils le
-voulaient pour mettre leur responsabilité à couvert, mais à condition
-que les plénipotentiaires français pourraient discuter ces notes dans
-des conférences où les parties adverses se trouveraient réunies.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Bassano informe Napoléon de ce qu'il a fait.</span>
-Ces subtilités étaient misérables et bien indignes d'une situation
-aussi grave. M. de Bassano écrivit à l'Empereur à Mayence qu'il
-accordait ces latitudes à nos plénipotentiaires, afin que toutes les
-questions de forme fussent vidées à son retour à Dresde, et que, s'il
-lui convenait alors de donner dans les six derniers jours une tournure
-sérieuse à la négociation<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Lien vers la note 4"><span class="smaller">[4]</span></a>, il trouvât les discussions préliminaires
-terminées.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon à Mayence.</span>
-Napoléon était en ce moment à Mayence où il s'était rendu, comme nous
-l'avons dit, afin d'y passer quelques jours avec l'Impératrice, et de
-voir chemin faisant les troupes en marche, les travaux en cours
-d'exécution, tout ce qui avait besoin en un mot de sa présence pour se
-perfectionner ou s'achever. Parti dans la nuit du 24 au 25 juillet, il
-était arrivé le 26 au soir à Mayence, où l'attendaient une cour
-brillante venue de Paris à la suite de l'Impératrice, et un grand
-nombre de ses agents accourus pour recevoir ses ordres directs.
-<span class="sidenote" title="En marge">Son entrevue avec l'Impératrice.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Douleur de cette princesse.</span>
-Il avait trouvé l'Impératrice désolée, cachant ses larmes au public, mais
-n'hésitant pas à les répandre devant lui, car elle était sincèrement
-attachée à son glorieux époux, elle tremblait pour sa vie et sa
-fortune, elle craignait pour elle-même que la nouvelle déclaration de
-guerre de l'Autriche ne réveillât en France toutes les haines
-populaires sous lesquelles avait succombé la malheureuse reine
-Marie-Antoinette; elle aurait voulu retenir <span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> dans l'alliance
-française son père qu'elle aimait, dont elle était aimée, mais elle ne
-pouvait pas plus vaincre la tranquille inflexibilité de l'empereur
-François, que la fougueuse humeur de Napoléon, et elle faisait ce que
-font les femmes dans leur impuissance, elle pleurait. Le secret de
-l'entrevue de Napoléon avec Marie-Louise est resté inconnu<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Lien vers la note 5"><span class="smaller">[5]</span></a>, et
-probablement il est resté inconnu parce qu'il était nul, car Napoléon
-ne voulait charger l'Impératrice de rien, les affaires se traitant à
-Prague de telle sorte, qu'elle n'y pouvait rendre aucun service.
-<span class="sidenote" title="En marge">Tendres égards de Napoléon pour elle.</span>
-Il désirait la voir, la consoler, lui donner des témoignages publics de
-tendresse, ce qui, pour l'Autriche, pour l'Europe, devait être d'un
-bon effet; il désirait aussi, avec sa défiance ordinaire, chercher à
-pénétrer si elle n'aurait pas reçu de Vienne quelque communication
-clandestine qui pût l'éclairer sur les desseins de l'Autriche. Mais en
-tout cas de tels efforts étaient parfaitement inutiles, car l'Autriche
-avait dit tout son secret par la bouche de M. de Metternich, et ce
-secret n'était autre que celui-ci, c'est qu'à certaines conditions
-cent fois énoncées elle arrêterait l'Europe, l'obligerait à poser les
-armes, ménagerait la paix, non-seulement continentale mais maritime,
-et qu'en dehors de ces conditions se déclarant sur-le-champ notre
-ennemie, elle prendrait part à la coalition universelle qui se
-préparait contre nous. Napoléon n'avait donc rien à apprendre de
-Marie-Louise, mais il procura à cette princesse le plaisir de passer
-quelques jours avec lui, et en attendant il expédia <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> sur les
-lieux une quantité d'affaires civiles et militaires.
-<span class="sidenote" title="En marge">Occupations de Napoléon à Mayence.</span>
-De cette main
-puissante de laquelle pouvait s'échapper tant de bien et de mal, il
-laissa effectivement échapper du bien et du mal avec l'ordinaire
-prodigalité de son génie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le duc de Rovigo empêché d'y venir.</span>
-Le duc de Rovigo avait voulu venir à Mayence
-pour y faire une nouvelle tentative en faveur de la paix, en éclairant
-Napoléon sur l'état de l'opinion publique, et sur le danger qu'il
-courait de s'aliéner définitivement l'affection de la France.
-L'opinion publique était en effet dans une anxiété extrême depuis
-qu'elle commençait à craindre que le congrès réuni si tard ne restât
-sans résultat. Les ennemis de Napoléon étaient pleins d'espérance, la
-majorité du pays pleine de chagrins et de sinistres appréhensions.
-Déjà l'affection était évanouie, la haine naissait, et faisait taire
-l'admiration. Dans la basse Allemagne et la Hollande on criait <cite>Vive
-Orange!</cite> dans toute l'Allemagne <cite>Vive Alexandre!</cite> En France on n'osait
-pas crier <cite>Vivent les Bourbons!</cite> mais leur souvenir se réveillait peu
-à peu, et on se transmettait de main en main un manifeste de Louis
-XVIII publié à Hartwell, qui aurait certainement produit un effet
-général, s'il n'avait porté encore les traces nombreuses des préjugés
-de l'émigration. Ce sont tous ces détails que le duc de Rovigo se
-proposait de communiquer au maître qu'il servait fidèlement, mais
-Napoléon ne voulant pas être importuné de ce qu'il appelait les
-criailleries de l'intérieur, avait refusé de le recevoir, et lui avait
-ordonné de rester à Paris, sous prétexte que sa présence y était
-nécessaire.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles rigueurs envers le clergé.</span>
-Usant du procédé trop ordinaire à un gouvernement qui s'entête dans
-ses erreurs, et qui voit <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> dans les manifestations de l'opinion
-publique des actes à réprimer au lieu de leçons à méditer, il déploya
-contre le clergé certaines rigueurs tout à fait étranges par l'audace
-apportée dans l'arbitraire. Le clergé naturellement ne négligeait
-aucune occasion de multiplier ses manifestations hostiles, surtout en
-Belgique, et par ses fautes il provoquait ainsi celles du pouvoir. Le
-concordat de Fontainebleau contesté avec une remarquable mauvaise foi
-par la correspondance secrète des cardinaux, était considéré dans tout
-le clergé comme un acte non avenu. On s'obstinait à ne pas reconnaître
-les nouveaux prélats que Napoléon avait nommés et que Pie VII, après
-l'avoir promis, refusait toujours d'instituer. Les plus prudents se
-tenaient éloignés de leurs nouveaux siéges pour éviter des scandales.
-M. de Pradt, devenu ennemi de l'Empire depuis sa fâcheuse ambassade à
-Varsovie, et peu jaloux de s'attirer des désagréments pour plaire au
-gouvernement, s'était abstenu de se présenter à Malines, dont il avait
-été nommé archevêque. Mais les nouveaux évêques de Tournay et de Gand,
-ayant voulu se rendre dans leurs diocèses et officier publiquement
-dans leurs métropoles, avaient provoqué une sorte de soulèvement de la
-part du clergé et des fidèles. En les voyant paraître à l'autel,
-prêtres et assistants avaient fui, et laissé les prélats presque seuls
-devant le tabernacle. Les séminaristes de Tournay et de Gand avaient,
-sous la direction de leurs professeurs, participé à ce désordre. On
-signalait aussi parmi les coupables une association de dames qui, sous
-le nom de <em>Béguines</em>, vivaient à Gand dans une espèce de <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span>
-communauté sans être astreintes à la rigueur du cloître, et on les
-accusait d'avoir exercé en cette occasion une grande influence sur la
-conduite du clergé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les séminaristes de Tournay et de Gand envoyés dans un
-régiment.</span>
-Napoléon ordonna de disperser les <em>Béguines</em>, d'enfermer dans les
-prisons d'État quelques membres des chapitres de Tournay et de Gand,
-de déporter les autres dans des séminaires éloignés, d'en agir de même
-à l'égard des professeurs, et quant aux jeunes séminaristes, de
-prendre tous ceux qui avaient plus de dix-huit ans, de les envoyer à
-Magdebourg dans un régiment, sur le motif qu'ils étaient passibles de
-la loi de la conscription, qu'ils en avaient été dispensés
-exceptionnellement pour devenir des ministres des autels, non des
-fauteurs de troubles, et qu'une semblable faveur pouvait cesser au gré
-du souverain lorsqu'il jugeait qu'on n'en était plus digne. Ceux qui
-avaient moins de dix-huit ans durent être renvoyés dans leurs
-familles. Des personnes pieuses s'étant réunies pour fournir des
-remplaçants aux autres, Napoléon pour ce cas-là défendit le
-remplacement. Recommandation expresse fut faite d'exécuter
-sur-le-champ ces diverses prescriptions, et on n'y manqua point.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Procès d'Anvers.</span>
-N'admettant plus de limite à sa volonté, ni au dedans ni au dehors,
-Napoléon osa quelque chose de plus extraordinaire encore. L'octroi
-d'Anvers avait été livré depuis plusieurs années à des dilapidations
-dans lesquelles étaient compromis divers fonctionnaires municipaux.
-Les dilapidations étaient incontestables, et elles avaient fait perdre
-à la ville d'Anvers deux à trois millions. Les accusés mis en
-jugement étaient, à tort ou à raison, considérés <span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> par
-l'administration comme les véritables auteurs de ces concussions; mais
-l'opinion du pays était si hostile au gouvernement, qu'elle n'hésitait
-pas à se prononcer favorablement pour des individus qu'en tout autre
-temps elle eût hautement condamnés, et à les couvrir d'une sorte
-d'indulgence, comme s'il n'avait pu y avoir que d'intéressantes
-victimes parmi des hommes poursuivis par l'autorité impériale.
-Entraînés par ce sentiment, ou atteints par la corruption, ainsi que
-le prétendit le grand juge, les jurés acquittèrent hardiment les
-fonctionnaires accusés, aux applaudissements de la province, et la
-ville d'Anvers, frustrée déjà de trois millions, fut encore exposée à
-payer les frais considérables du procès. On comprend l'indignation
-d'un gouvernement régulier très-attaché à maintenir l'ordre le plus
-rigoureux dans toutes les parties de l'administration. Mais quelque
-légitime que fût l'indignation ressentie par Napoléon en voyant des
-hommes qu'il croyait coupables jouir de l'impunité, et la ville
-d'Anvers victime de graves dilapidations subir seule une condamnation,
-il aurait dû admettre toutefois que le délit poursuivi étant réel, les
-individus accusés pouvaient bien n'en pas être les auteurs, et, en
-supposant qu'ils le fussent, que la déclaration du jury devait rester
-sacrée, comme chose jugée, jugée bien ou mal mais irrévocablement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cassation du jugement rendu par le jury d'Anvers.</span>
-Napoléon en apprenant cette décision éprouva une colère extrême, et
-comme pour contrarier son gouvernement on avait mis de côté toute
-justice, il n'hésita pas, lui, afin de rendre guerre pour guerre, à
-mettre de côté toute légalité, et à casser la décision du jury. Cet
-acte extraordinaire <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> et sans exemple était de nature à
-soulever l'opinion universelle, mais Napoléon ne s'en inquiéta point,
-et persista, s'imaginant que la sincérité de son indignation
-justifierait l'étrange audace de son acte, tant les idées se
-pervertissent vite lorsqu'on prend l'habitude de mettre sa volonté
-au-dessus de celle des lois.</p>
-
-<p>Malgré l'avis du département de la justice, et notamment de
-l'archichancelier Cambacérès qui pensait que la seule chose possible
-c'était de changer la loi si elle était mauvaise, et de soustraire au
-jury la connaissance de ce genre de délits si on le croyait incapable
-d'en bien connaître, Napoléon s'appuyant sur un article des
-constitutions de l'Empire qui permettait au Sénat d'annuler les
-jugements attentatoires à la sûreté de l'État, voulut qu'un
-sénatus-consulte fût rendu, pour casser la décision du jury d'Anvers,
-et renvoyer devant une autre cour non-seulement les prévenus
-acquittés, mais certains jurés eux-mêmes accusés de s'être laissé
-corrompre. On ne pouvait pas accumuler plus d'irrégularités à la fois,
-car en admettant que l'article 55 de la Constitution du 16 thermidor
-an <span class="smcap">x</span> (4 août 1802) fût encore en vigueur, il était évident que le
-jugement dont il s'agissait n'était pas un de ceux qu'on avait eus en
-vue en les qualifiant d'attentatoires à la sûreté de l'État, et
-surtout qu'en s'arrogeant le droit de casser la décision d'un
-tribunal, on avait voulu abroger cette décision, mais nullement
-poursuivre ceux qui l'avaient rendue. Ces objections furent soumises à
-Napoléon, mais il n'en tint aucun compte, et exigea que le
-sénatus-consulte <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> fût rédigé tel qu'il l'avait conçu, et porté
-immédiatement au Sénat.
-<span class="sidenote" title="En marge">Hardiesse de Napoléon à prendre sur lui toute la
-responsabilité de l'acte extraordinaire qu'il s'était permis à l'égard
-du jury d'Anvers.</span>
-Il alla plus loin: convaincu, dans
-l'aveuglement de son despotisme, qu'un pouvoir poursuivant un but
-honnête ne devait se laisser gêner par aucune règle, il signa, et fit
-publier une lettre close, dans laquelle, saisissant lui-même le
-conseil privé de la question, et lui indiquant la décision, il prenait
-la responsabilité entière sur sa tête. Le rapport du conseiller
-d'État, chargé de présenter le sénatus-consulte, contenait cette
-phrase qui exprime toute l'opinion de Napoléon en matière de
-souveraineté, et qui certainement n'eût jamais été admise, même avant
-1789, dans des termes aussi absolus: «Notre législation ordinaire
-n'offre aucun moyen d'anéantir une pareille décision. Il faut donc que
-la main du souverain intervienne. Le souverain est la loi suprême et
-toujours vivante; c'est le propre de la souveraineté de renfermer en
-soi tous les pouvoirs nécessaires pour assurer le bien, pour prévenir
-ou réparer le mal.»</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Actes de bienfaisance mêlés à ces actes arbitraires.</span>
-S'arrogeant ainsi le droit illimité de pourvoir à tout, de distribuer
-la justice, de la changer au besoin quand elle ne lui convenait pas,
-il prodiguait de cette même main souveraine le bien qu'il trouvait à
-faire sur son chemin. Le premier président de la cour de cassation, M.
-Muraire, magistrat distingué, ayant mal administré sa fortune, était
-tombé dans une situation fâcheuse pour un fonctionnaire de son rang.
-Son gendre, destiné à devenir bientôt un sage et courageux ministre du
-roi Louis XVIII, M. Decazes, s'étant rendu à Mayence pour faire appel
-à la bienfaisance impériale, Napoléon qui avait en ce moment de
-fortes <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> raisons d'être avare de son argent, lui dit: Comment
-donc M. Muraire s'est-il exposé à de tels embarras?... Mais peu
-importe, combien vous faut-il?--Puis cela dit, il examina ce qu'il
-fallait pour tirer M. Muraire de sa position, et il accorda quelques
-centaines de mille francs sur son trésor particulier, qui était, comme
-on l'a vu, la dernière ressource de l'armée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'occupe à Mayence de ses finances.</span>
-Napoléon profita de son séjour à Mayence pour donner quelque attention
-à ses finances. La mesure de l'aliénation des biens communaux, adoptée
-et convertie en loi, n'avait pas encore produit de grands résultats,
-parce qu'il fallait ménager un emploi aux nouveaux bons de la caisse
-d'amortissement avant d'en émettre des sommes considérables. Sans
-cette précaution en effet ils se seraient accumulés sur la place et
-eussent été bientôt dépréciés. Il était donc indispensable d'accélérer
-l'aliénation des biens communaux, qui pouvait seule fournir l'emploi
-désiré. Avant que les biens communaux fussent vendus, il fallait les
-choisir, les faire admettre dans la catégorie des biens aliénables,
-les estimer, en fournir la valeur aux communes en rentes sur l'État,
-en prendre possession, et enfin les mettre publiquement en
-adjudication.
-<span class="sidenote" title="En marge">Suite donnée à la mesure de l'aliénation des biens
-communaux.</span>
-Quelque accélérée que fût cette suite d'opérations
-administratives, elle exigeait du temps, et jusqu'à son achèvement
-pour chaque partie de biens, on ne pouvait opérer la mise en vente.
-Les bons émis avant qu'ils fussent recherchés pour ce genre d'emploi,
-auraient bientôt flotté sur la place, perdu 20 ou 30 pour cent,
-entraîné la chute des actions de la Banque et des rentes sur l'État,
-seules valeurs ayant cours à cette époque, et ruiné l'espèce de
-crédit fort <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> restreint dont on jouissait, et dont on avait
-besoin, tout restreint qu'il était.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le trésor particulier de Napoléon, la Banque, la caisse de
-service, avaient pris pour 145 millions des nouveaux bons
-représentatifs des biens communaux, et les gardaient en portefeuille.</span>
-Napoléon avait pris pour le compte
-de son trésor environ 72 millions de ces nouveaux bons, la Banque 10,
-la Caisse de service 63, ce qui composait une ressource de 145
-millions réalisée d'avance, et qui n'entraînait aucune émission de ces
-bons, parce que les trois caisses qui s'en étaient chargées les
-avaient gardés en portefeuille. Mais ce n'était pas assez avec les
-immenses dépenses qu'on avait eu à solder, car les payements du Trésor
-dans les six premiers mois écoulés avaient déjà excédé les recettes
-ordinaires de plus de 200 millions. M. Mollien n'osait pas dans ses
-payements employer les nouveaux bons de la Caisse d'amortissement,
-parce qu'il craignait de les avilir.
-<span class="sidenote" title="En marge">On n'osait pas en émettre dans le public de peur de les
-déprécier.</span>
-On en avait d'abord émis
-quelques-uns sur la place afin de les populariser, et ils n'avaient
-pas perdu plus de 5 à 6 pour cent, ce qui était un agio fort modéré,
-mais les répandre davantage était difficile et dangereux. On ne
-pouvait les donner ni aux rentiers ni aux fonctionnaires, parce que
-les sommes à payer aux uns comme aux autres étaient peu considérables
-et que les coupures de ces bons ne s'y prêtaient pas, parce qu'on
-aurait fait d'ailleurs crier aux assignats. Encore moins pouvait-on
-les consacrer à payer la solde de l'armée, qui s'acquittait à
-l'étranger et en sommes très-divisées. Toutefois, pour ce genre de
-payement, Napoléon avait fait employer dans une certaine proportion
-les billets de la Caisse de service, acquittables à Paris ou dans les
-départements, lesquels fournissaient aux officiers ayant des familles
-la faculté de faire passer sûrement <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> et sans frais de l'argent
-en France, et procuraient en outre au Trésor la facilité de remplir
-ses engagements avec un papier à échéance assez longue. C'est même par
-des combinaisons de ce genre que la Caisse de service avait pu se
-charger à elle seule de 63 millions des nouveaux bons, qu'elle devait
-garder en portefeuille. L'unique payement qui pût s'effectuer avec
-cette nouvelle valeur, c'était celui des grandes fournitures exécutées
-par les riches entrepreneurs travaillant pour la guerre et pour la
-marine. Ceux-là tenant à continuer les affaires importantes qu'ils
-faisaient avec l'État, ne devaient pas regarder de si près au mode de
-payement, et d'ailleurs ils avaient tellement besoin d'argent, qu'ils
-aimaient encore mieux recevoir une valeur exposée à perdre 10 ou 15
-pour cent, que ne rien recevoir du tout. Il y avait de plus une espèce
-de fournisseurs obligés, devenus fournisseurs malgré eux, c'étaient
-les propriétaires, fermiers ou négociants, auxquels on avait pris par
-voie de réquisition ou des denrées ou des étoffes, ou des chevaux, à
-condition de les solder comptant. Aux uns comme aux autres on pouvait
-donner les nouveaux bons de la Caisse, que les uns feraient escompter
-à de gros capitalistes, que les autres garderaient pour en acheter des
-biens communaux. Mais M. Mollien, toujours attaché aux moyens
-réguliers, préférait faire attendre les fournisseurs et les individus
-frappés de réquisition, ce qui pouvait se couvrir du prétexte des
-liquidations inachevées, que d'émettre un papier exposé à être
-qualifié d'assignat dès que l'introduction dans le public en
-paraîtrait plus ou moins forcée. Aussi <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> les fournisseurs,
-habitués à crier à la porte des administrations, commençaient-ils à
-murmurer, à se plaindre du défaut de payement, et à l'alléguer comme
-excuse du ralentissement de tous les services. C'est là ce qui motiva
-l'intervention personnelle de Napoléon, dont l'oreille ne devenait
-sensible en ce moment que lorsqu'il s'agissait des besoins de l'armée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon exige que M. Mollien donne des nouveaux bons à
-certains fournisseurs, et à certains créanciers de l'État.</span>
-S'adressant à M. Mollien, il soutint que la perte de 9 à 10 pour cent
-sur une pareille valeur, surtout lorsqu'un gros intérêt, exactement
-payé, devait en maintenir le cours, n'était rien en soi, et n'égalait
-pas l'inconvénient de faire attendre des gens qu'il y avait urgence à
-satisfaire. Ceux à qui l'argent comptant n'était pas indispensable
-auraient dans la main un placement avantageux, ceux qui ne pouvaient
-pas s'en passer, réaliseraient le capital par l'escompte, et ce serait
-toujours le même résultat, ramené à un seul inconvénient, de faire
-baisser de 9 à 10 pour cent l'une des trois valeurs circulantes. Les
-rentes sur l'État, par exemple, qu'on avait vues à 12 francs la veille
-du 18 brumaire, à 30 le lendemain, puis à 90 après 1806, qu'on
-revoyait actuellement à 70, n'entraînaient pas après tout, par ces
-variations, la ruine de l'État et des particuliers. La fixité et
-l'exact payement de l'intérêt consolaient les porteurs de rente, qui
-finissaient par ne plus prendre garde à ces fluctuations, et il n'y
-avait d'atteints par elles que ceux qui étaient forcés de vendre.
-C'était un inconvénient très-partiel, auquel devaient se résigner ceux
-qui avaient besoin d'argent.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, pour fournir un emploi à ces bons, prend des
-mesures afin d'accélérer la mise en vente des biens communaux.</span>
-Telle était l'argumentation fort spécieuse de Napoléon contre le
-ministre des finances, argumentation <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> qui eût été à peu près
-vraie, si la baisse de ces bons avait pu être limitée à 10, à 12, même
-à 15 pour cent. Mais qui pouvait dire où elle s'arrêterait, si on se
-laissait entraîner à une émission considérable? C'est ce que craignait
-M. Mollien, et ce dont Napoléon ne tint aucun compte, car il ordonna
-qu'on répandît à Paris environ une trentaine de millions des bons de
-la caisse d'amortissement par le payement des fournitures, et dans les
-départements environ dix-huit ou vingt par le payement des
-réquisitions. C'étaient cinquante millions introduits un peu forcément
-dans la circulation. Afin de leur ouvrir plus tôt le débouché des
-acquisitions de biens communaux, Napoléon prescrivit à
-l'archichancelier Cambacérès de faire acte d'autorité sur le Conseil
-d'État, d'enlever au Comité du contentieux, dont les formes sont
-celles de la justice elle-même, les contestations relatives aux biens
-communaux, de les transporter au Comité chargé de l'administration
-communale, de diriger lui-même ce comité, et d'expédier rapidement ce
-genre d'affaires au moyen d'un examen sommaire et non interrompu.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon imagine des conscriptions locales, qui se
-justifient par le danger de certaines frontières.</span>
-Après ce secours un peu violent apporté à ses finances, Napoléon,
-toujours en travail d'esprit pour la levée des hommes, inventa des
-conscriptions d'un nouveau genre, qu'il espérait rendre supportables
-en leur donnant un caractère d'urgence et d'utilité locales.
-<span class="sidenote" title="En marge">Levée de 30 mille hommes dans les départements voisins des
-Pyrénées.</span>
-Par exemple la frontière des Pyrénées se trouvant menacée par suite des
-derniers événements d'Espagne, Napoléon imagina de lever 30 mille
-hommes sur les quatre dernières classes, dans tous les départements
-situés depuis Bordeaux jusqu'à <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> Montpellier, afin de garantir
-de l'invasion cette partie du territoire. Comme le sol que les
-nouveaux appelés allaient défendre était le leur, Napoléon pensa que
-c'était demander en quelque sorte à des paysans de défendre leurs
-chaumières, à des citadins de défendre leurs propres villes, et que
-l'urgence du besoin ferait taire la plainte, car on ne pouvait pas
-dire, comme de toutes les autres levées de cette époque, que Napoléon
-prenait les hommes pour les faire mourir sur l'Elbe et l'Oder au
-service de son ambition. L'idée lui ayant paru ingénieuse, il voulut
-l'appliquer aux départements du nord et de l'est, toujours en
-s'adressant aux départements de l'ancienne France, lesquels, depuis
-plus de vingt années, supportaient tout le poids de la guerre, et de
-leur demander une soixantaine de mille hommes, sous le même prétexte
-de danger local et pressant. Mais comme ces conscriptions devaient
-bientôt finir par ressembler à une conscription générale, et en
-produire l'effet, Napoléon résolut d'ajourner la seconde de deux ou
-trois mois. Seulement il appela sans aucun retard les trente mille
-hommes demandés aux départements voisins des Pyrénées.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Août 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Ces diverses mesures résolues en principe à Mayence.</span>
-Ces mesures, les unes civiles, les autres militaires, pour la plupart
-conçues avant le voyage de Mayence, furent à Mayence même, soit
-résolues immédiatement, soit spécialement examinées avec des agents
-venus de Paris, pour être définitivement décrétées à Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Au milieu de ses nombreuses occupations, Napoléon comble
-Marie-Louise des témoignages les plus affectueux.</span>
-Napoléon
-ajoutant à ce travail des revues incessantes de troupes, de
-continuelles inspections de matériel, n'eut pas grand temps à
-<span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> donner à l'Impératrice, mais il la combla des témoignages les
-plus affectueux, témoignages à la fois sincères et calculés, afin que
-la nouvelle guerre avec l'Autriche ne portât dans l'opinion publique
-aucun tort à un mariage qu'il regardait toujours comme utile à sa
-politique, et afin de laisser l'empereur François sous le poids des
-mêmes obligations envers sa fille, car il le dispensait moins d'être
-bon père, en restant lui-même bon époux. Il cédait, il faut le dire
-aussi, au penchant de son propre c&oelig;ur, car il était touché de
-l'attachement qu'il semblait inspirer à cette noble fille des Césars,
-et le lui rendait autant que le permettaient les vastes et fortes
-distractions de son âme.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il lui laisse ignorer à quel point il est résolu à la
-guerre.</span>
-Voulant même la ménager, il ne lui dit pas à
-quel point la guerre était certaine et serait sérieuse; il la laissa
-partir avec des doutes à ce sujet, tandis qu'écrivant au prince Eugène
-à Milan, au général Rapp à Dantzig, au maréchal Davout à Hambourg, il
-leur avoua ce qu'il en était, et leur enjoignit de se tenir prêts pour
-le 17 août.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il lui prépare plusieurs voyages pour la distraire, pendant
-qu'il se battra à outrance.</span>
-Désirant en outre préparer à l'Impératrice une distraction
-agréable, et lui procurer autant que possible l'oubli des cruelles
-inquiétudes du moment, il lui prescrivit un voyage sur le Rhin, de
-Mayence à Cologne, qu'elle devait faire au milieu des hommages des
-populations des deux rives, et puis il décida qu'après avoir passé
-quelques jours à Paris, elle entreprendrait un voyage en Normandie,
-afin d'aller à Cherbourg présider une imposante cérémonie,
-l'introduction des eaux de l'Océan dans le célèbre bassin commencé
-sous le règne de Louis XVI, et terminé sous le sien. Il poussa
-l'attention jusqu'à recommander <span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> au prince Cambacérès de la
-faire partir avant la rupture de l'armistice, afin qu'elle n'apprît
-les nouvelles hostilités que bien des jours après leur reprise, et
-peut-être après quelque grand événement capable de la rassurer. Il
-voulait ainsi distraire, consoler et faire aimer de la France cette
-jeune femme, mère et tutrice de son fils, régente de l'Empire,
-destinée à le remplacer s'il venait à succomber sous un boulet ennemi.
-Pourquoi, hélas! les sinistres pressentiments dont ces soins délicats
-étaient la preuve, ne contribuaient-ils pas à vaincre l'obstination
-fatale à laquelle il allait sacrifier son fils, son épouse, son trône
-et sa personne!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon quitte Mayence le 1<sup>er</sup> août.</span>
-Après avoir passé du 26 juillet au 1<sup>er</sup> août avec Marie-Louise, il
-l'embrassa en présence de toute sa cour, et la laissant en larmes,
-partit pour la Franconie. Déjà il avait inspecté à Mayence les
-divisions du maréchal Augereau, qui achevaient de se former sur les
-bords du Rhin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il passe en route la revue des troupes du maréchal
-Saint-Cyr.</span>
-À Wurzbourg se trouvaient deux des divisions du
-maréchal Saint-Cyr, actuellement en marche vers l'Elbe, où elles
-devaient venir prendre la position de K&oelig;nigstein. Elles lui
-parurent belles, assez bien instruites, et animées des sentiments
-qu'il pouvait leur désirer. Il visita la place de Wurzbourg, la
-citadelle, les magasins, en un mot l'établissement militaire tout
-entier, dont il voulait faire un des points importants de sa ligne de
-communication; ensuite il se dirigea sur Bamberg et Bayreuth, où il
-vit successivement les autres divisions du maréchal Saint-Cyr, et les
-divisions bavaroises destinées à faire partie du corps d'Augereau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il arrive à Dresde le 4 au soir.</span>
-Après avoir porté sur toutes choses son &oelig;il investigateur,
-<span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> donné les ordres et les encouragements nécessaires, il
-repartit pour Erfurt, et arriva le 4 au soir à Dresde. Le 5 de grand
-matin il était debout et à l'&oelig;uvre, pressé qu'il était d'employer
-utilement les derniers jours de l'armistice.</p>
-
-<p>La vue des troupes qu'il avait inspectées sur sa route, ses
-méditations incessantes sur le plan de la prochaine campagne, avaient
-redoublé sa confiance dans son armée et dans son génie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Confiance immense qu'il a conçue en méditant sur l'étendue
-de ses ressources.</span>
-En voyant
-venir le moment de cette terrible lutte, en méditant sur ses chances,
-en se souvenant combien ses soldats bravaient facilement la mort,
-combien lui-même une fois au milieu du danger trouvait de combinaisons
-heureuses, là où ses adversaires ne trouvaient que des fautes à
-commettre, ne sachant pas se rendre compte des passions généreuses
-qu'il avait soulevées contre lui, et dont l'ardeur pouvait compenser
-chez ses ennemis une direction malhabile, il sentait en lui-même comme
-une sorte de chaleur d'âme qui animait toute sa personne, qui éclatait
-dans ses yeux, et lui donnait l'aspect du contentement, de l'espérance
-et de l'audace. Ceux qui l'entouraient en étaient frappés, et les plus
-sages en étaient plutôt inquiets que réjouis<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Lien vers la note 6"><span class="smaller">[6]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Reproches adressés à MM. de Caulaincourt et de
-Narbonne, pour avoir permis à M. de Metternich de les menacer de la
-guerre.</span>
-Le jour même où il arrivait à Dresde, les instances de M. de
-Caulaincourt et de M. de Narbonne pour obtenir le pouvoir de traiter
-sérieusement, étaient devenues plus vives que jamais. Il en parut
-importuné, et adressa des reproches à ces deux négociateurs, pour
-s'être laissé, disait-il, serrer de trop près par M. de Metternich. Il
-trouvait qu'ils avaient manqué de fierté, en permettant au ministre
-autrichien de leur dire que dans tel ou tel cas, l'Autriche s'unirait
-aux ennemis de la France pour lui déclarer la guerre, comme si c'eût
-été une offense que d'annoncer franchement ce qu'on ferait, si
-certaines conditions n'étaient point accordées. L'enivrement de la
-puissance était tel chez Napoléon, qu'il ne voulait pas qu'on osât
-parler de lui déclarer la guerre, comme d'une chose naturelle,
-inévitable même dans certains cas. Il voulait qu'on n'y pensât qu'en
-tremblant (ce qu'on faisait du reste), qu'on n'en parlât qu'avec une
-sorte de crainte respectueuse, comme d'un malheur dont on admettait à
-peine la possibilité. Mais après ces réprimandes peu méritées, et peu
-séantes actuellement, il s'occupa de quelque chose de plus sérieux. Il
-ne croyait plus, après la difficulté qu'on avait eue pour faire
-<span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> prolonger l'armistice une première fois, obtenir une nouvelle
-prolongation; d'ailleurs il se sentait prêt. Le temps désormais devait
-profiter à ses adversaires plus qu'à lui, et il tenait à les frapper
-avant l'hiver.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, soit pour retarder l'entrée en action de
-l'Autriche, soit pour aboutir à la paix sans subir les conditions qui
-lui déplaisent, essaye au dernier moment d'une négociation secrète
-avec l'Autriche.</span>
-Un seul désir lui restait en fait d'ajournement,
-c'était de différer l'entrée en action de l'Autriche, ce qui lui eût
-fort convenu, car il aurait eu ainsi la possibilité d'écraser
-séparément les Russes et les Prussiens, et de revenir ensuite sur les
-Autrichiens, pour les intimider, les empêcher de prendre parti, ou les
-accabler à leur tour. Mais il n'y avait qu'une manière de disposer
-l'Autriche à une conduite pareille, c'était l'apparence d'une
-négociation sincère, et même de fortes espérances d'une conclusion
-pacifique. Napoléon prit donc la résolution de réaliser le pronostic
-de M. de Metternich, qui avait dit qu'avec un caractère extraordinaire
-comme le sien, il ne fallait jamais désespérer de rien, et que
-peut-être le dernier jour, à la dernière heure, une heureuse
-conclusion sortirait de cette négociation, illusoire dans le moment
-jusqu'à en être offensante. Il se décida, tandis que les
-plénipotentiaires continueraient à perdre leur temps en discussions
-puériles sur la forme des négociations, à charger secrètement et
-exclusivement M. de Caulaincourt d'une communication sérieuse à
-l'Autriche, la seule des puissances avec laquelle une négociation
-directe fût alors possible. Si la paix résultait d'une semblable
-démarche, Napoléon n'en était pas fâché, pourvu toutefois que les
-conditions dont il ne voulait pas fussent écartées, et il se flattait
-qu'il obtiendrait peut-être de l'Autriche qu'elles le fussent, mais à
-l'instant suprême, <span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> quand cette puissance se verrait
-définitivement placée entre la paix et la guerre. En conséquence, il
-arrêta de la manière suivante les conditions à présenter
-confidentiellement à M. de Metternich.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il concède le sacrifice du grand-duché de Varsovie, et la
-restitution de l'Illyrie, mais refuse l'abandon des villes anséatiques
-et du protectorat de la Confédération du Rhin.</span>
-Le sacrifice du grand-duché de
-Varsovie, comme celui de l'Espagne, comme celui de l'Illyrie, étaient
-faits dans son esprit et dans l'opinion générale, et n'avaient plus
-aucune nouveauté poignante pour son orgueil; d'ailleurs il n'en devait
-rien coûter au territoire de l'Empire, car l'Illyrie elle-même n'était
-demeurée qu'à titre d'en cas dans nos mains, et elle n'avait jamais
-été jointe au territoire constitutionnel de la France. Ce qui coûtait
-à Napoléon, c'était, ainsi que nous l'avons dit, de refaire la Prusse
-plus grande après sa défection, de sacrifier le titre de protecteur de
-la Confédération du Rhin porté avec ostentation depuis plusieurs
-années, et enfin d'abandonner Lubeck, Hambourg, Brême, qui avaient été
-ajoutées par sénatus-consultes au territoire français. Selon lui
-chacun de ces sacrifices le montrait vaincu aux yeux du monde, car il
-fallait qu'il le fût pour récompenser une défection, pour permettre
-qu'on reconstituât une Allemagne en dehors de son influence, pour se
-laisser arracher une partie de ce qu'il appelait le territoire
-constitutionnel de l'Empire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette négociation secrète tentée in extremis doit rester
-ignorée de M. de Narbonne.</span>
-D'après certaines paroles de M. de Bubna,
-qui dans son désir d'amener la paix amoindrissait toujours la
-difficulté, Napoléon avait pensé que peut-être au dernier moment il
-déciderait l'Autriche à lui concéder ces points importants, ou qu'au
-moins en lui faisant entrevoir une négociation sincère, on pourrait
-négocier en se battant, ce qui entraînerait <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> une reprise
-d'hostilités avec les Prussiens et les Russes, et une nouvelle remise
-avec les Autrichiens.</p>
-
-<p>C'est d'après ces données qu'il enjoignit à M. de Caulaincourt (le
-secret devant être gardé envers M. de Narbonne, pour que la
-négociation eût un caractère encore plus intime) de se rendre auprès
-de M. de Metternich, de l'aborder brusquement, à brûle-pourpoint, de
-lui dire qu'on voulait profiter des cinq jours qui restaient pour
-s'assurer du fond des choses, particulièrement en ce qui concernait
-l'Autriche, qu'on demandait franchement à celle-ci les conditions
-auxquelles elle entrerait avec la France en négociation ou en guerre,
-qu'on la pressait instamment de déclarer ces conditions sans surfaire
-inutilement, que le temps qu'on avait encore était trop court pour le
-perdre en vulgaires finesses, qu'il fallait donc énoncer avec la
-dernière précision ce qu'on voulait, pour qu'on pût répondre avec une
-précision égale et sur-le-champ, c'est-à-dire par oui ou par non. Le
-duc de Vicence devait faire remarquer à M. de Metternich à quel point
-cette communication était secrète, puisqu'on la laissait ignorer à M.
-de Narbonne; il devait insister pour qu'elle demeurât inconnue des
-négociateurs prussien et russe, dans le cas même où l'on tomberait
-d'accord. Il suffirait en effet de reproduire dans la négociation
-officielle les propositions secrètement convenues avec l'Autriche dans
-la négociation occulte, pour les faire adopter, et comme après tout il
-restait pour négocier non-seulement jusqu'au 10 août, mais jusqu'au
-17, il était possible, si on répondait tout de suite à la proposition
-actuelle partant de Dresde le 5, arrivant le 6 <span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> à Prague, et
-pouvant recevoir réponse le 7, de faire parvenir le 9 à M. de
-Metternich l'adhésion définitive de la France aux idées de l'Autriche,
-et de donner ainsi brusquement au congrès, la veille même de sa
-dissolution, un caractère inattendu de sérieux et d'efficacité.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">À ces ouvertures confidentielles et pacifiques, Napoléon
-ajoute une note officielle des plus offensantes.</span>
-Par malheur, en adressant enfin à l'Autriche cette ouverture, tardive
-mais non pas sans espoir de succès, Napoléon y ajouta pour la
-négociation officielle une note tout à fait offensante, car on y
-disait très-clairement que les difficultés de forme soulevées par les
-représentants des puissances belligérantes révélaient leur intention
-véritable, et que cette intention n'était autre que d'entraîner
-l'Autriche dans la guerre, en se servant pour y réussir ou de sa
-mauvaise foi, ou de sa duperie, toutes suppositions aussi peu
-flatteuses pour les uns que pour les autres. MM. de Narbonne et de
-Caulaincourt devaient remettre en commun cette étrange note à M. de
-Metternich, puis après l'avoir remise, M. de Caulaincourt prenant à
-part M. de Metternich, et s'abouchant secrètement avec lui, devait
-faire la proposition que nous venons de rapporter.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Étonnement de M. de Metternich en recevant les
-communications secrètes de M. de Caulaincourt, et ses appréhensions
-quant à l'effet probable de la note officielle.</span>
-Les dépêches contenant ces ordres si contradictoires, parties le 5
-août de Dresde, arrivèrent le 6 à Prague, surprirent fort M. de
-Caulaincourt, et le remplirent d'une joie mêlée malheureusement de
-beaucoup de tristesse, car avec le peu de jours qui restaient il
-désespérait de mener à bien cette négociation in extremis, et la note
-officielle d'ailleurs lui faisait craindre un esclandre qui nuirait
-beaucoup au succès de ses efforts. Cette note destinée à être
-publique <span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> offensa M. de Metternich, qui témoigna combien il en
-redoutait l'effet, tant sur son maître que sur les cours de Prusse et
-de Russie; mais son étonnement fut extrême lorsque, les deux
-négociateurs français l'ayant quitté, il revit peu d'instants après M.
-de Caulaincourt chez lui, apportant en grand secret une communication
-aussi importante que celle dont il s'agissait. Elle était si tardive,
-et il s'était tant habitué à désespérer des dispositions de Napoléon à
-l'égard de la paix, qu'il eut de la peine à croire qu'elle fût
-sincère, et ce motif seul l'empêcha de se livrer à une joie
-qu'autrement il n'aurait pas manqué de ressentir et de manifester. Il
-exprima ses regrets de ce qu'on n'avait pas tenté cette démarche
-quelques jours plus tôt, car il eût été possible alors sans violer le
-secret qui était recommandé, de sonder la Prusse et la Russie sur
-certains points délicats, et d'arriver à une conciliation des
-difficultés qui vraisemblablement diviseraient les cours
-belligérantes. Toutefois, puisqu'on demandait à l'Autriche ses
-conditions à elle-même, celles qu'elle appuierait de toute son
-influence, et dont elle était résolue à exiger l'adoption de la part
-de la Prusse et de la Russie, il allait consulter son maître, et
-répondre, il l'espérait, sous vingt-quatre heures.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich se transporte à Brandeiss pour conférer
-avec l'empereur d'Autriche sur les propositions de Napoléon.</span>
-M. de Metternich se rendit en effet à Brandeiss, résidence actuelle de
-l'empereur François, le trouva fort courroucé comme tout le monde
-l'avait été à Prague de la note officielle du 6 août, et lui causa un
-étonnement égal à son courroux, en lui faisant part de la démarche
-inattendue du principal négociateur français. Tout ce qui était
-extraordinaire <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> concordait bien avec le caractère brusque et
-imprévu de Napoléon, mais une démarche qui avait des apparences aussi
-pacifiques, tentée ainsi à la dernière extrémité, avait de quoi
-exciter la méfiance.
-<span class="sidenote" title="En marge">Doutes de l'empereur et de M. de Metternich sur le
-caractère de la démarche de Napoléon.</span>
-L'empereur François et son ministre se
-demandèrent si c'était de la part de Napoléon un acte de force ou de
-ruse, si, dans des vues élevées, il savait enfin imposer silence à son
-orgueil pour arriver à un accord entre les puissances européennes, ou
-bien s'il voulait provoquer quelque exigence excessive de la part des
-coalisés, afin de s'en faire auprès du public français un argument qui
-le justifierait d'avoir préféré la guerre à une paix humiliante.
-<span class="sidenote" title="En marge">Résolution d'y répondre franchement dans tous les cas.</span>
-Ils reconnurent que dans les deux cas il fallait répondre sans hésiter,
-car s'il souhaitait la paix, on lui devait de s'expliquer franchement
-avec lui; s'il cherchait à provoquer une proposition inadmissible, il
-importait de le confondre en lui adressant les conditions auxquelles
-depuis longtemps on s'était arrêté, et que certainement la France ne
-trouverait pas déshonorantes. Ces conditions étaient au fond tellement
-indiquées lorsqu'on voulait reconstituer l'Allemagne, et pour
-reconstituer l'Allemagne rendre quelque force à la Prusse, que toute
-variante était impossible.
-<span class="sidenote" title="En marge">Conditions invariables de l'Autriche.</span>
-C'étaient, comme nous l'avons déjà répété
-tant de fois, le partage du duché de Varsovie, sur le sort duquel la
-fortune avait prononcé à Moscou, et dont la plus grande partie devait
-revenir à la Prusse; l'abolition de la Confédération du Rhin, que
-toute l'Allemagne réclamait pour n'être plus placée sous une autorité
-étrangère, et le rétablissement des villes anséatiques, qu'elle
-réclamait <span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> également pour recouvrer son commerce; enfin la
-restitution de l'Illyrie, consentie depuis longtemps par Napoléon, et
-vivement désirée par l'Autriche afin de se procurer quelques
-aboutissants vers la mer. Tout cela était si nécessaire pour que
-l'Allemagne retrouvât quelque indépendance, en restant d'ailleurs fort
-exposée encore à l'influence de Napoléon, qui conservait Mayence,
-Cologne, Wesel, Gorcum, le Texel et la Westphalie, qu'il n'y avait pas
-autre chose à imaginer et à proposer. On avait assez communiqué avec
-la Prusse et la Russie pour s'être assuré de leur adhésion à ces
-bases, et quant à l'Angleterre, les villes anséatiques étant
-rétablies, Napoléon paraissant décidé au sacrifice de l'Espagne, on
-était certain de l'amener à la paix, car elle ne voudrait pas rester
-seule en guerre avec la France. On résolut donc de faire connaître à
-Napoléon les conditions dont il s'agit, et qui au surplus n'étaient
-pas nouvelles pour lui, en exigeant le secret qu'il avait exigé
-lui-même, et en demandant une réponse sous quarante-huit heures, car
-après le 10 août au soir il ne serait plus temps.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour de M. de Metternich à Prague, et son entrevue avec
-M. de Caulaincourt.</span>
-M. de Metternich revenu le 7 à Prague, fut tout à coup rappelé à
-Brandeiss par son maître, qui, avant de se prêter à ces communications
-particulières, avait été saisi d'une subite hésitation. Mais tout
-examiné, l'empereur et son ministre persistèrent, et après une journée
-malheureusement perdue, la réponse fut apportée à M. de Caulaincourt,
-toujours à l'insu de M. de Narbonne. M. de Metternich lui dit que son
-maître s'était demandé si cette communication si imprévue et si
-tardive de Napoléon était une <cite>démarche de force ou de ruse</cite>; que si
-elle était <span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> une démarche de force comme il aimait à le penser
-de la part de son gendre, on lui devait une franche réponse; que si
-elle était une démarche de ruse, il croyait devoir y répondre encore,
-car les conditions qu'il apportait pouvaient s'avouer au monde entier,
-et surtout à la France. Il lui fit donc verbalement la déclaration
-suivante, qu'il l'autorisa à transcrire sur-le-champ, sous sa dictée,
-et qui a une telle importance que nous allons la reproduire
-textuellement.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Déclaration importante dans laquelle l'Autriche énonce ses
-conditions, avec engagement de les faire accepter par les puissances
-coalisées.</span>
-INSTRUCTIONS POUR LE COMTE DE METTERNICH SIGNÉES PAR L'EMPEREUR
-D'AUTRICHE.</p>
-
-<p>«M. de Metternich demandera au duc de Vicence, sous sa parole
-d'honneur, l'engagement que son gouvernement gardera le secret le plus
-absolu sur l'objet dont il est question.</p>
-
-<p>»Connaissant par des explications confidentielles préalables les
-conditions que les cours de Russie et de Prusse paraissent mettre à
-des arrangements pacifiques, et me réunissant à leurs points de vue,
-parce que je regarde ces conditions comme nécessaires au bien-être de
-mes États et des autres puissances, et comme les seules qui puissent
-réellement mener à la paix générale, je ne balance point à énoncer les
-articles qui renferment mon <i lang="la">ultimatum</i>.</p>
-
-<p>»J'attends un <em>oui</em> ou <em>non</em> dans la journée du 10.</p>
-
-<p>»Je suis décidé à déclarer dans la journée du 11, ainsi que cela se
-fera de la part de la Russie et de la Prusse, que le congrès est
-dissous, et que je joins mes forces à celles des alliés pour conquérir
-une paix compatible avec les intérêts de toutes les <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span>
-puissances, et que je ferai dès lors abstraction des conditions
-actuelles, dont le sort des armes décidera pour l'avenir.</p>
-
-<p>»Toutes propositions faites après le 11 ne pourront plus se lier avec
-la présente négociation.»</p>
-
-<p><i>Conditions auxquelles l'Autriche regarde la paix comme faisable.</i></p>
-
-<p>«Dissolution du duché de Varsovie et sa répartition entre l'Autriche,
-la Russie et la Prusse; par conséquent Dantzig à la Prusse.</p>
-
-<p>»Rétablissement de Hambourg et de Lubeck comme villes libres
-anséatiques, et arrangement éventuel et lié à la paix générale sur les
-autres parties de la 32<sup>e</sup> division militaire, et sur la renonciation
-au protectorat de la Confédération du Rhin, afin que l'indépendance de
-tous les souverains actuels de l'Allemagne se trouve placée sous la
-garantie de toutes les grandes puissances.</p>
-
-<p>»Reconstruction de la Prusse avec une frontière tenable sur l'Elbe.</p>
-
-<p>»Cession des provinces illyriennes à l'Autriche.</p>
-
-<p>»Garantie réciproque que l'état de possession des puissances grandes
-et petites, tel qu'il se trouvera fixé par la paix, ne pourra être
-changé ni lésé par aucune d'elles.»</p>
-
-<div class="p4 figcenter">
-<a id="caulaincourt" name="caulaincourt"></a>
-<img src="images/caulaincourt.jpg" width="400" height="570" alt="Caulaincourt, (Duc de Vicence)." title="" />
-<p class="small">E. Charpentier del. T. Goutière sculp.</p>
-<p class="caption">CAULAINCOURT<br />
-<span class="smaller">(DUC DE VICENCE)</span></p>
-</div>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Explications ajoutées par M. de Metternich au texte de son
-ultimatum, et nouvelle déclaration qu'après le 10 août l'Autriche fera
-partie de la coalition.</span>
-Après cette communication si importante, et qui confond tous les
-mensonges que certains narrateurs ont avancés sur ce sujet, M. de
-Metternich ajouta quelques explications d'une extrême gravité. Il dit
-que jusqu'au 10 août au soir l'Autriche serait sans engagement avec
-les puissances belligérantes, que <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> jusque-là elle pourrait,
-comme elle le faisait actuellement, traiter confidentiellement avec
-Napoléon, et adopter certaines de ses propositions, les imposer même
-aux puissances coalisées, auxquelles nul traité ne la liait, mais qu'à
-partir du 11 elle serait liée avec elles, ne pourrait rien écouter
-sans leur en donner communication, et serait obligée de n'admettre
-aucune condition de paix que d'accord avec elles.</p>
-
-<p>Ces observations méritaient la plus sérieuse attention, car la
-différence qu'il y avait à traiter le 10 et non pas le 11 ou le 12,
-consistait à dépendre de l'Autriche seule, qui souhaitait la paix
-parce qu'elle craignait la guerre, au lieu de dépendre des puissances
-coalisées qui ne voulaient pas la paix parce qu'elles attendaient
-davantage de la guerre, et qu'elles étaient en proie à toutes les
-passions du moment. Le duc de Vicence en rapportant exactement les
-communications qu'il avait reçues, les accompagna de nouvelles
-instances exprimées dans le langage le plus beau et le plus touchant.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nobles paroles de M. de Caulaincourt à Napoléon.</span>
-«--Sire, disait-il à Napoléon, cette paix <cite>coûtera peut-être quelque
-chose à votre amour-propre, mais rien à votre gloire</cite>, car elle ne
-coûtera rien à la vraie grandeur de la France. Accordez, je vous en
-conjure, cette paix à la France, à ses souffrances, à son noble
-dévouement pour vous, aux circonstances impérieuses où vous vous
-trouvez. Laissez passer cette fièvre d'irritation contre nous qui
-s'est emparée de l'Europe entière, et que les victoires même les plus
-décisives exciteraient encore au lieu de la calmer. Je vous la
-demande, ajoutait-il, non pour le vain honneur de la signer, mais
-parce <span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> que je suis certain que vous ne pouvez rien faire de
-plus utile à notre patrie, de plus digne de vous et de votre grand
-caractère.»--Quel devait être l'effet de ces nobles prières d'un noble
-c&oelig;ur, on va le voir!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La réponse de M. de Metternich arrive le 9 août à Dresde.</span>
-La réponse apportée le 8 août par M. de Metternich, transcrite pendant
-la journée, ne pouvait être que le 9 sous les yeux de Napoléon, et n'y
-fut en effet que le 9 à trois heures de l'après-midi. Il aurait fallu
-que souscrivant aux sacrifices qu'on lui demandait, et qui n'étaient
-que des sacrifices d'amour-propre, comme l'avait si bien dit M. de
-Caulaincourt, il s'y décidât sur l'heure, et expédiât la réponse dans
-la soirée même du 9, afin que cette réponse arrivant le 10 au matin à
-Prague, avec accompagnement de pouvoirs pour M. de Caulaincourt, on
-pût signer les bases de la paix le 10 avant minuit.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'obstine à n'attacher aucune importance à la date
-du 10.</span>
-Napoléon n'en fit
-malheureusement rien. D'abord il ne voulut pas croire à cette
-situation de l'Autriche, libre jusqu'au 10 août à minuit, mais engagée
-après le 10, et au lieu de dépendre d'elle seule dépendant de la
-volonté de ses nouveaux alliés. Il imagina que ce n'était là qu'un
-vain langage diplomatique, qu'on lui tenait pour l'intimider, ou pour
-hâter ses déterminations. N'attachant pas d'ailleurs beaucoup
-d'importance à éviter la guerre au prix de sacrifices qui lui étaient
-souverainement désagréables, aveuglé par une déplorable confiance en
-ses forces, il ne se pressa pas de prendre et de faire connaître ses
-résolutions.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il croit avoir jusqu'au 17.</span>
-Il employa la journée à se décider, pensant que ce serait
-assez tôt de se résoudre le 10, que les hostilités ne recommençant
-que le 17 on aurait le <span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> temps de s'entendre, que l'Autriche
-ferait de ses alliés ce qu'elle voudrait, aussi bien le 11 ou le 12
-que le 10, pourvu que ce fût avant le 17, et que par conséquent il
-pouvait sans inconvénient s'accorder à lui-même vingt-quatre heures de
-réflexion. <span class="sidenote" title="En marge">Il prend toute une journée pour répondre.</span>
-Il employa donc vingt-quatre heures, non pas à se combattre
-mais à se flatter, à laisser ainsi s'évanouir le moment décisif de
-cette négociation, et lui, qui tant de fois avait saisi l'instant
-propice sur les champs de bataille, qui avait dû à cette promptitude
-de détermination ses plus grands triomphes, allait laisser échapper
-sans en profiter le moment politique le plus important de son règne!
-Et M. de Bassano, que faisait-il lui-même pendant ces heures fatales?
-Que ne passait-il cette nuit aux pieds de son maître, à lui répéter de
-vive voix les ardentes, les patriotiques prières de M. de
-Caulaincourt! et fallût-il pour le vaincre caresser follement son
-orgueil indomptable, fallût-il lui persuader que même après cette
-paix, il restait plus puissant que jamais, plus puissant qu'avant
-Moscou, M. de Bassano en proférant ces flatteries aurait été un utile,
-un patriotique flatteur, et il eût été plus près du vrai qu'en
-laissant croire à Napoléon que la gloire consistait à ne jamais céder!</p>
-
-<p>Mais Napoléon n'entendit rien de pareil, et pendant ces quelques
-heures, heures qui emportèrent sa grandeur, et malheureusement la
-nôtre, il n'entendit que l'écho de sa propre pensée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nuit fatale passée par Napoléon à compulser ses états de
-troupes, et à se remplir d'une aveugle confiance.</span>
-Après avoir manié
-et remanié durant toute la nuit ses états de troupes avec M. de
-Bassano, et s'être persuadé qu'il pouvait faire face à tout, il crut
-qu'il devait persister dans ses vues, et ne pas accorder à la paix
-<span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> un sacrifice de plus. Voici donc les conditions auxquelles il
-s'arrêta. Il consentait bien à sacrifier le grand-duché de Varsovie,
-comme un essai de Pologne condamné par l'événement, mais il ne voulait
-pas, en rendant quelque grandeur à la Prusse, la récompenser de ce
-qu'il appelait une trahison.
-<span class="sidenote" title="En marge">Modifications que Napoléon apporte aux conditions de M. de
-Metternich.</span>
-Il admettait qu'on lui accordât la plus
-grande partie du duché de Varsovie, la totalité même, si la Russie et
-l'Autriche consentaient à faire ce sacrifice pour elle; mais il
-voulait la rejeter au delà de l'Oder, lui ôter, pour les attribuer à
-la Saxe, le Brandebourg, Berlin, Potsdam, c'est-à-dire son sol natal
-et sa gloire, la transporter entre l'Oder et la Vistule, la faire
-ainsi une puissance polonaise plutôt qu'allemande, lui laisser le
-choix comme capitale entre Varsovie et K&oelig;nigsberg, sans lui donner
-Dantzig, qui redeviendrait ville libre. Il voulait à sa place, entre
-l'Oder et l'Elbe, mettre la Saxe, et attribuer à celle-ci tout
-l'espace qui s'étend de Dresde à Berlin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il ne veut céder ni les villes anséatiques, ni le
-protectorat de la Confédération du Rhin, ni Trieste.</span>
-Quant à Lubeck, Hambourg,
-Brême, c'étaient des parties du territoire constitutionnel de
-l'Empire, et il ne souffrait pas même qu'on en parlât. Quant au titre
-de protecteur de la Confédération du Rhin, c'était à l'entendre
-vouloir lui infliger une humiliation que de le lui enlever, puisqu'on
-reconnaissait que ce n'était qu'un titre absolument vain. Quant à
-l'Illyrie, il était prêt à la rendre à l'Autriche, mais en gardant
-l'Istrie, c'est-à-dire Trieste, seule chose que l'Autriche désirât
-ardemment. Il prétendait en outre conserver plusieurs positions au
-delà des Alpes Juliennes, telles que Villach, Goritz, en un mot tous
-les débouchés qui permettaient de descendre <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> en Illyrie,
-disant qu'il n'était pas sûr de Venise s'il n'avait pas ces positions,
-c'est-à-dire qu'il n'était pas en sûreté dans sa maison s'il n'avait
-pas les clefs de la maison d'autrui. À ces conditions il admettait la
-paix sans se tenir pour froissé, et consentait à rentrer sur le Rhin
-avec ses armées. À d'autres conditions il aimait mieux lutter pendant
-des années contre l'Europe entière. Telles furent les propositions qui
-sortirent des méditations de cette nuit funeste.</p>
-
-<p>Toutefois, comme il n'y avait aucune chance que l'Autriche pût obtenir
-de ses futurs alliés l'abandon de Berlin par la Prusse, afin de
-composer avec la Saxe une fausse Prusse, sans passé, sans consistance,
-sans réalité, il autorisa M. de Caulaincourt à renoncer à ce premier
-projet s'il n'était pas accueilli, et il consentit à laisser à la
-Prusse, outre ce qu'on lui accorderait du duché de Varsovie, tout ce
-qu'elle possédait entre l'Oder et l'Elbe, mais en maintenant Dantzig
-comme ville libre, mais en ne souffrant pas davantage qu'on parlât de
-Lubeck, de Hambourg, de Brême, de la Confédération du Rhin, et enfin
-en ne restituant l'Illyrie qu'à condition de retenir l'Istrie, Trieste
-surtout, parce que, répétait-il toujours, vouloir Trieste c'était
-vouloir Venise.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 10 au matin, Napoléon appelle M. de Bubna pour lui
-expliquer ses conditions et le charger de les envoyer à Prague.</span></p>
-
-<p>Le matin du 10 Napoléon manda auprès de lui M. de Bubna, qui formait
-des v&oelig;ux sincères pour la paix, et qui malheureusement se prêtait
-un peu trop aux vues de son puissant interlocuteur dans l'espérance de
-l'adoucir. Il lui fit connaître la négociation secrète entamée avec M.
-de Metternich, lui communiqua ses états de troupes, lui manifesta
-ouvertement <span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> son penchant à faire cette campagne de Saxe, du
-résultat de laquelle il se promettait autant de puissance que de
-gloire, se montra ce qu'il était, confiant, gai même, inclinant autant
-à la guerre qu'à la paix, disposé par conséquent à donner peu de chose
-pour que ce fût l'une ou l'autre qui sortît des négociations de
-Prague; puis après avoir, sans vain étalage, sans forfanterie, révélé
-cette funeste énergie de son âme, il exposa ses conditions, demandant
-presque à chacune un assentiment, que M. de Bubna ne pouvait pas
-accorder sans doute, mais qu'il ne refusait pas assez péremptoirement
-pour dissiper toute espèce d'illusion. Sur deux points notamment, les
-villes anséatiques et la Confédération du Rhin, M. de Bubna n'ayant
-jamais trouvé sa cour aussi absolue que sur le reste, il parut
-faiblir, et Napoléon se figura que, sans subir ces deux conditions qui
-lui étaient particulièrement insupportables, il pourrait avoir la
-paix, sauf peut-être à abandonner Trieste. Il ne désespéra donc pas
-d'une paix conclue sur ces bases, mais en tout cas il en avait pris
-son parti, et n'avait nul chagrin de se battre encore; il se disait
-même qu'il retrouverait dans une continuation de la guerre, non pas
-toute sa gloire, qui était restée entière, mais toute sa puissance,
-toute celle qu'il avait ensevelie sous les ruines de Moscou.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le courrier parti le 10 de Dresde ne pouvait arriver que le
-11 à Prague.</span>
-Après cet entretien il renvoya M. de Bubna, le chargeant d'écrire à
-son cabinet dans ce sens, et manda ses dernières résolutions à M. de
-Caulaincourt. Le courrier qui les portait ne pouvait arriver que le
-11. Napoléon ne se préoccupa guère de ce retard, et attendit la
-réponse quelle qu'elle fût, en <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> prenant toutes ses
-dispositions pour le renouvellement des hostilités le 17.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Anxiété à Prague pendant la journée du 10.</span>
-La journée du 10 s'écoula donc à Prague sans rien apporter de Dresde,
-à la grande satisfaction des négociateurs de la Prusse et de la
-Russie, à la grande douleur de M. de Caulaincourt, au grand regret de
-M. de Metternich, qui, bien qu'il eût pris son parti, ne voyait pas
-sans effroi pour l'Autriche la terrible épreuve d'une nouvelle guerre
-avec la France. Plusieurs fois dans cette journée il se rendit chez M.
-de Caulaincourt, afin de savoir si aucune réponse n'était venue de
-Dresde, et chaque fois trouvant M. de Caulaincourt triste et
-silencieux parce qu'il n'avait rien à dire, il répéta que passé minuit
-il serait non plus arbitre, mais belligérant, réduit par conséquent à
-solliciter pour la paix auprès de ses nouveaux alliés, au lieu de
-pouvoir la leur imposer modérée et acceptable pour tout le monde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Rien n'étant arrivé dans le délai fixé, M. de Metternich
-annonce le 11 que l'Autriche déclare la guerre à la France.</span>
-Après avoir vainement attendu pendant toute la journée du 10, M. de
-Metternich signa enfin l'adhésion de l'Autriche à la coalition, et
-annonça le lendemain 11 au matin à M. de Caulaincourt et à M. de
-Narbonne (celui-ci ignorant toujours la négociation secrète), annonça,
-disons-nous, avec un chagrin qui frappa tous les yeux, que le congrès
-de Prague était dissous, que dès lors l'Autriche, forcée par ses
-devoirs envers l'Allemagne et envers elle-même, se voyait contrainte à
-déclarer la guerre à la France. Les négociateurs prussien et russe
-annoncèrent de leur côté qu'ils se retiraient, en rejetant sur la
-France la responsabilité de l'insuccès des négociations, et
-quittèrent Prague avec une joie non <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> dissimulée. Du reste
-cette joie fut universelle, et excepté M. de Metternich, qui, tout en
-les bravant, apercevait les conséquences possibles d'une rupture avec
-Napoléon, excepté l'empereur qui avait le c&oelig;ur serré en songeant à
-sa fille, les Autrichiens de toutes les classes manifestèrent des
-transports d'enthousiasme. Les passions germaniques qu'ils
-partageaient, et qu'on les avait forcés de contenir, éclatèrent sans
-mesure, comme elles avaient éclaté à Breslau et à Berlin quelques mois
-auparavant.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le courrier attendu le 10 étant arrivé le 11, M. de
-Caulaincourt se rend chez M. de Metternich pour lui transmettre les
-dernières conditions de Napoléon.</span>
-Dans le courant de cette journée du 11 M. de Caulaincourt reçut enfin
-le courrier tant souhaité la veille, et en voyant ce qu'il apportait
-regretta moins sa tardive arrivée. Bien qu'il ne désespérât pas
-d'obtenir quelque concession de la part de M. de Metternich, toutefois
-il ne se flattait pas d'en obtenir la translation de la Prusse au delà
-de l'Oder, et même cette condition chimérique mise de côté, il ne
-croyait pas pouvoir conserver à Napoléon Hambourg, le protectorat de
-la Confédération du Rhin, et surtout Trieste. Pourtant en laissant
-Trieste à l'Autriche, en convenant pour les villes anséatiques d'un
-arrangement suspensif qui ferait dépendre leur restitution de la paix
-avec l'Angleterre, il ne regardait pas comme impossible d'amener M. de
-Metternich aux propositions de la France.
-<span class="sidenote" title="En marge">M. de Metternich, même en admettant que ces conditions
-puissent être convenablement modifiées, déclare qu'au lieu de les
-imposer, il ne peut plus désormais que les proposer aux souverains
-alliés.</span>
-Il courut donc chez lui, le
-trouva triste, ému, désolé de ce qu'on venait si tard, étonné et
-mécontent de ce qu'on eût livré à M. de Bubna le secret d'une
-négociation qu'on s'était promis de tenir absolument cachée, ne
-jugeant pas acceptables les conditions de Napoléon, mais sur
-l'indication assez claire qu'elles n'étaient pas irrévocables,
-donnant à entendre <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> qu'en étant absolu sur la restitution de
-Trieste à l'Autriche, sur le rétablissement de la Prusse jusqu'à
-l'Elbe, sur l'abolition du protectorat du Rhin, il serait possible
-d'ajourner la question des villes anséatiques à la paix avec
-l'Angleterre, ce qui réduisait beaucoup le désagrément de ce sacrifice
-pour Napoléon, en le couvrant de l'immense éclat de la paix maritime.
-Mais, ajoutait M. de Metternich, ces conditions ainsi modifiées que
-nous aurions pu imposer aux parties belligérantes il y a vingt-quatre
-heures, ne dépendent plus de nous, et nous sommes réduits à les
-proposer sans savoir si nous réussirons à les faire accueillir.
-<span class="sidenote" title="En marge">Chagrin visible de M. de Metternich.</span>
-M. de
-Metternich au surplus était chagrin et agité, car si avec sa rare
-portée d'esprit il voyait dans l'occasion présente de fortes chances
-de relever sa patrie, il voyait aussi de nombreuses chances de la
-perdre en la jetant dans une guerre effroyable. Napoléon, quoique bien
-imprudent aux yeux des hommes de sens, restait si grand dans
-l'imagination du monde, qu'on le craignait encore profondément, tout
-en le jugeant égaré par la passion, et exposé à toutes les fautes que
-la passion fait commettre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Narbonne quitte Prague, mais M. de Caulaincourt y
-reste pour attendre la réponse des souverains coalisés.</span>
-Cependant la négociation officielle ne pouvait pas durer, puisque le
-congrès était rompu, et que la guerre était officiellement déclarée
-par l'Autriche à la France. Les plénipotentiaires russe et prussien
-venaient de s'éloigner, et il n'était pas séant que les
-plénipotentiaires français demeurassent à Prague. Il fut convenu, si
-Napoléon y consentait, qu'on ferait partir M. de Narbonne seul, en
-expliquant le mieux possible à celui-ci son départ isolé, que M. de
-Caulaincourt <span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> au contraire resterait pour attendre le résultat
-des ouvertures dont M. de Metternich était chargé auprès des
-souverains de Prusse et de Russie, lesquels devaient être rendus à
-Prague sous deux ou trois jours. Cette prolongation de séjour était
-fort désagréable à M. de Caulaincourt, car sa position allait devenir
-tout à fait fausse lorsque l'empereur Alexandre étant à Prague, il se
-trouverait dans la même ville sans le voir. Mais tout ce qui laissait
-une chance à la paix lui paraissait supportable, même désirable, et il
-consentit volontiers à rester.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles instances de M. de Caulaincourt auprès de
-Napoléon.</span>
-En racontant ce qui avait eu lieu entre
-lui et le ministre autrichien, il adressa de nouvelles instances à
-Napoléon en faveur de la paix, le supplia de continuer cette
-négociation, si difficile qu'elle fût devenue depuis qu'elle se
-passait non plus avec l'Autriche seule, mais avec toutes les
-puissances belligérantes, le pressa de lui donner quelque latitude
-pour traiter, et de lui envoyer surtout des pouvoirs authentiques pour
-signer, car dans cet instant suprême, le moindre défaut de forme
-pouvait être pris pour un nouveau faux-fuyant, et lui valoir un congé
-définitif. Tout ce qu'un honnête homme, un bon citoyen peuvent dire à
-un souverain afin de lui épargner une faute mortelle, M. de
-Caulaincourt le répéta encore à Napoléon, dans un langage aussi ferme
-que soumis et dévoué.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon peu surpris et peu affligé de ce qui est arrivé,
-autorise M. de Caulaincourt à attendre à Prague, sans lui envoyer
-aucune facilité pour traiter.</span>
-Ces communications envoyées à Dresde, trouvèrent Napoléon tout préparé
-à la guerre, et aussi peu affligé que peu surpris de la rupture du
-congrès. Le jour même où l'Autriche avait déclaré le congrès dissous
-avant d'avoir été réuni, et annoncé son adhésion <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> à la
-coalition, l'armistice avait été dénoncé par les commissaires des
-puissances belligérantes, ce qui fixait au 17 août la reprise des
-hostilités. La possibilité de renouer par des voies secrètes des
-négociations rompues d'une manière si éclatante, était presque nulle,
-et Napoléon se conduisit comme s'il n'y comptait pas du tout. Il
-prescrivit à M. de Narbonne de revenir à l'instant même de Prague, car
-ce diplomate étant à la fois plénipotentiaire au congrès et
-ambassadeur auprès de la cour d'Autriche, ne pouvait pas figurer plus
-longtemps auprès d'une cour qui venait de déclarer la guerre à la
-France. Il autorisa M. de Caulaincourt à demeurer à Prague, non pas
-dans la ville même, mais dans les environs, afin que cet ancien
-ambassadeur de France en Russie ne se trouvât pas dans le même lieu
-que l'empereur Alexandre, dont il ne fallait pas, disait-il, <cite>orner le
-triomphe</cite>, triomphe, hélas! que nous lui avions ménagé nous-mêmes par
-une obstination aveugle; il consentit à ce que ses dernières
-propositions fussent transmises à la Prusse et à la Russie, non pas en
-son nom, mais au nom de l'Autriche, qui les présenterait comme
-siennes, car, pour lui, il ne jugeait pas, ajoutait-il, de sa dignité
-de rien proposer aux puissances belligérantes. Il envoya à M. de
-Caulaincourt des pouvoirs en forme, mais aucune latitude pour traiter,
-ses conditions étant invariables à l'égard des villes anséatiques, du
-protectorat du Rhin, et même de Trieste, qu'il voulait retenir en
-restituant l'Illyrie à l'Autriche. C'étaient là de bien faibles
-chances d'aboutir à la paix, l'Autriche ne pouvant admettre de
-pareilles conditions, <span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> et le voulût-elle, ne pouvant plus
-jeter dans la balance le poids décisif de son épée, depuis qu'on lui
-avait laissé, malgré ses avis répétés, le temps de s'engager à la
-coalition.</p>
-
-<p>Mais toutes ces raisons ne touchaient guère Napoléon. Les instances de
-M. de Caulaincourt n'avaient produit sur lui aucune impression. Il
-respectait le caractère, la franchise de ce personnage, le traitait
-avec plus de considération que M. de Bassano, mais l'écoutait peu,
-parce qu'il le savait dans de tout autres idées que les siennes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dispose tout pour recommencer vivement la guerre.</span>
-Il venait de faire célébrer le 10 août sa fête ordinairement fixée au 15,
-avait donné des festins à toute l'armée, distribué des prix nombreux
-pour le tir, et écarté autant que possible les sinistres images de
-mort de l'esprit de ses soldats si faciles à distraire et à égayer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Progrès de ses armements.</span>
-Ses corps d'armée étaient tout préparés, et dès le 11 ils avaient
-commencé à sortir de leurs cantonnements pour se concentrer sous leurs
-chefs, et se porter sur la ligne où ils étaient appelés à combattre.
-Les anciens corps étaient reposés, recrutés et complétés. Les nouveaux
-venaient d'achever leur organisation. La cavalerie quoique jeune était
-redevenue belle, et même nombreuse. Les travaux de K&oelig;nigstein et de
-Lilienstein, de Dresde, de Torgau, de Wittenberg, de Magdebourg, de
-Werben, de Hambourg, étaient terminés ou bien près de l'être. Les
-vastes approvisionnements qui avaient dû remonter par l'Elbe de
-Hambourg sur Magdebourg, de Magdebourg sur Dresde, étaient déjà réunis
-sur les points où l'on en avait besoin. Dresde regorgeait de grains,
-de farines, de spiritueux, de viande fraîche et salée. Tous les
-convois <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> avaient été accélérés, et les ordres étaient donnés
-pour que le 15 il n'y eût ni une voiture de roulage sur les routes
-d'Allemagne, ni un bateau sur l'Elbe, afin que les Cosaques ne
-trouvassent rien à enlever, et ne pussent <em>piller que le pays</em>, ainsi
-que Napoléon l'écrivait au maréchal Davout. Lui-même se disposait à
-partir le 15 ou le 16 août pour se rendre en Silésie et sur la
-frontière de Bohême, où il s'attendait à voir commencer les
-hostilités.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordres pour qu'on soit partout en mesure à la reprise des
-hostilités.</span>
-Du reste il ne laissa de doute à personne sur le
-renouvellement de la guerre. Il écrivit à Dantzig au général Rapp pour
-l'encourager, le rassurer sur l'issue de cette nouvelle lutte, lui
-conférer des pouvoirs extraordinaires, lui recommander de ne jamais
-rendre la place, et lui promettre de le débloquer prochainement. Il en
-fit autant à l'égard des commandants de Glogau, de Custrin et de
-Stettin. Il écrivit au maréchal Davout à Hambourg, au général Lemarois
-à Magdebourg, qu'ils eussent à se tenir sur leurs gardes, que la
-guerre allait recommencer, qu'elle serait terrible, mais qu'il était
-en mesure de faire face à tous ses ennemis, l'Autriche comprise, et
-qu'il espérait avant trois mois les punir de leurs indignes
-propositions. À personne il ne dit, parce qu'il ne l'aurait pas osé, à
-quoi avait tenu la paix; il n'en informa pas même le chef véritable du
-gouvernement de la régence, l'archichancelier Cambacérès, et se
-contenta de lui mander que bientôt on lui ferait connaître les
-exigences de l'Autriche, que pour le moment on était obligé d'en
-garder le secret, mais qu'elles avaient été excessives jusqu'à en
-devenir offensantes. Respectant un peu moins le duc de <span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span>
-Rovigo, Napoléon hasarda un véritable mensonge avec lui, et osa lui
-écrire qu'on avait voulu nous ôter Venise, se fondant apparemment sur
-son thème ordinaire, que demander Trieste c'était demander Venise,
-comme si on prétendait que demander Magdebourg, c'est demander
-Mayence, parce que l'une est sur le chemin de l'autre. Ne voulant pas
-qu'on inquiétât l'Impératrice, il prescrivit à l'archichancelier de la
-faire partir pour Cherbourg, afin qu'elle n'apprît la rupture et la
-reprise des hostilités qu'après quelque grande bataille gagnée, et les
-plus gros dangers passés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Murat à Dresde.</span>
-En ce moment parut à Dresde l'un des lieutenants de Napoléon les plus
-utiles un jour de bataille, et doublement désirable dans les
-circonstances présentes, sous le rapport de la guerre et de la
-politique; c'était le roi de Naples. Outre que la cavalerie de
-réserve, pouvant présenter trente mille cavaliers en ligne, avait
-besoin d'être commandée par un chef d'un mérite supérieur, c'était un
-vrai soulagement pour Napoléon, un grand motif de sécurité, que
-d'avoir tiré Murat d'Italie. On a vu que, fatigué du joug de Napoléon,
-blessé de ses traitements offensants, alarmé sur le sort de la
-dynastie impériale, Murat avait songé à se rattacher à l'Autriche et à
-la politique médiatrice de cette puissance, afin de sauver son trône
-d'un désastre général, et que se défiant même de sa femme, il avait
-fini par se cacher d'elle, et par tomber dans des agitations
-maladives. On a vu encore que Napoléon pour compléter l'armée
-d'Italie, et pour mettre la cour de Naples à l'épreuve, lui avait
-demandé une division de ses troupes, et <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> que Murat, en
-intrigue avec l'Autriche, voulant garder d'ailleurs son armée tout
-entière sous sa main, s'était refusé aux désirs de son beau-frère.
-Mais avec ses manières accoutumées, Napoléon avait fait sommer Murat
-par le ministre de France M. Durand de Mareuil, d'obtempérer à ses
-réquisitions sous peine de la guerre. Murat alors ne sachant plus à
-quel parti s'arrêter, tantôt voyant Napoléon battu, détruit, tous les
-trônes des Bonaparte renversés, excepté peut-être les trônes de ceux
-qui auraient opéré leur défection à temps, tantôt le voyant vainqueur
-à Lutzen, à Bautzen et ailleurs, désarmant l'Europe par la victoire et
-par les concessions, sacrifiant à la paix l'Espagne et Naples au
-besoin, était tombé dans un véritable état de folie, lorsque les
-conseils de sa femme, et les lettres du duc d'Otrante, avec lequel il
-avait été plus d'une fois en intrigue secrète, l'avaient déterminé à
-obéir. Mais ne voulant pas que la réconciliation une fois qu'il s'y
-décidait eût lieu à moitié, il était venu se mettre à la tête de la
-cavalerie de la grande armée, et était arrivé à Dresde la veille de
-l'entrée en campagne. Napoléon l'accueillit avec bonne grâce, feignant
-de ne pas s'apercevoir de ce qui s'était passé, paraissant n'attacher
-aucune importance aux variations d'un beau-frère aussi brave
-qu'inconséquent, pardonnant en un mot, mais avec une certaine marque
-de dédain que Murat discernait bien, et sentait sans le dire.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon part le 15 août pour Bautzen.</span>
-Il l'emmena donc avec lui, et partit dans la nuit du 15 au 16 août
-pour Bautzen, afin d'être aux avant-postes vingt-quatre heures avant
-la reprise des hostilités, et ne conservant évidemment aucune
-espérance <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> de voir la paix résulter des efforts réunis de MM.
-de Caulaincourt et de Metternich.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vague et faible espérance de paix conservée par M. de
-Caulaincourt à Prague.</span>
-L'espérance était bien faible en
-effet, tant à cause des conditions elles-mêmes que du temps si
-tristement perdu. M. de Caulaincourt immédiatement après avoir reçu
-les dernières communications de Dresde, et avoir donné quelques
-prétextes à M. de Narbonne afin d'expliquer la prolongation de son
-séjour à Prague, s'était rendu auprès de M. de Metternich pour lui
-montrer ses pouvoirs, pour lui fournir ainsi la preuve qu'il était
-autorisé à négocier sérieusement, à la condition toutefois de
-présenter au nom de l'Autriche et non pas au nom de la France les
-propositions qu'il s'agissait de faire adopter. Quant au fond des
-choses, il ne pouvait pas offrir grande satisfaction, puisque Napoléon
-avait à peu près persisté dans toutes ses prétentions.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les dernières conditions un peu modifiées auraient
-peut-être décidé l'Autriche à la paix, si elle n'avait pas été engagée
-à dater du 11 août.</span>
-Néanmoins si l'Autriche eût encore été libre, elle eût peut-être admis les
-conditions françaises, car recouvrant l'Illyrie, recouvrant en outre
-la part de la Gallicie qu'on lui avait prise pour constituer le
-grand-duché de Varsovie, obtenant une espèce de reconstitution de la
-Prusse au moyen de la dissolution de ce grand-duché, étant débarrassée
-elle et ses alliés du fantôme de Pologne que depuis quelques années
-Napoléon avait toujours tenu sous les yeux des anciens copartageants,
-elle aurait probablement pensé que c'était assez tirer des
-circonstances, et elle n'eût pas bravé les chances de la guerre pour
-Trieste, et surtout pour Hambourg, qui intéressait la Prusse et
-l'Angleterre beaucoup plus qu'elle-même. Malheureusement elle n'était
-plus libre, et ne voulant pas manquer <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> de parole à ses
-nouveaux alliés, elle ne pouvait que leur adresser des conseils, sans
-avoir pour les décider le moyen de leur refuser son alliance, accordée
-depuis le 10 août à minuit. M. de Metternich, en disant plus qu'il
-n'en avait jamais dit, depuis que ses confidences étaient sans
-inconvénients, avoua au duc de Vicence que ces conditions un peu
-modifiées auraient vraisemblablement amené la paix, huit jours
-auparavant, mais que maintenant dépendant d'autrui, ne pouvant rien
-sans ses alliés, il désespérait de les leur faire accepter. Il parla
-des passions qui les animaient, des espérances qu'ils avaient conçues,
-de l'effet produit sur eux par la bataille de Vittoria, et à l'émotion
-qu'il éprouvait, il était aisé de voir qu'il était sincère dans ses
-regrets. En effet, pour l'Angleterre protégée par la mer, pour la
-Russie protégée par la distance, la lutte après tout ne pouvait pas
-avoir de conséquences mortelles, mais pour la Prusse et l'Autriche que
-rien ne garantissait des coups de Napoléon, et qui avaient passé avec
-lui de l'alliance à la guerre, la lutte pouvait amener des résultats
-désastreux, et M. de Metternich sentait bien que, quelque raison qu'il
-eût d'essayer en cette occasion de refaire la situation de son pays,
-on l'accablerait de sanglants reproches si Napoléon était vainqueur.
-Il est donc très-présumable, que libre encore il eût, sauf quelques
-différences, accepté les conditions proposées, et il était visible
-qu'en perdant le temps avec une déplorable obstination, on s'était
-plus nui peut-être qu'en persistant dans des prétentions excessives.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt se retire au château de K&oelig;nigsal pour
-y attendre le résultat des ouvertures dont M. de Metternich est
-chargé.</span>
-Quoi qu'il en soit, on convint que dès l'arrivée de <span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span>
-l'empereur Alexandre et du roi de Prusse à Prague, M. de Metternich
-leur ferait pour le compte de son maître les ouvertures dont il vient
-d'être question, et qu'il donnerait la réponse avant le 17 août. Pour
-rendre convenable la position de M. le duc de Vicence, auquel on ne
-manqua jamais de témoigner les égards dont il était digne, il fut
-décidé qu'il irait attendre la réponse de M. de Metternich au château
-de K&oelig;nigsal, situé près de Prague, et appartenant à l'empereur
-François. Il serait ainsi dispensé de se trouver dans le même lieu que
-l'empereur Alexandre, et dispensé aussi d'assister à toute la joie des
-coalisés, qui accueillaient avec transport la nouvelle des prochaines
-hostilités et de l'adhésion de l'Autriche à la coalition européenne.</p>
-
-<p>Déjà depuis le 11 août une partie des états-majors prussien et russe
-était accourue à Prague pour concerter les opérations militaires avec
-l'état-major autrichien; une armée de plus de cent mille hommes,
-Prussiens et Russes, entrait en Bohême pour se réunir à l'armée
-autrichienne; les officiers des trois armées s'embrassaient, se
-félicitaient de combattre ensemble pour contribuer à ce qu'ils
-appelaient la commune délivrance, et partout éclatait une joie pour
-ainsi dire convulsive, car elle était un mélange d'espérance, de
-crainte et de résolution désespérée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 15 août de l'empereur Alexandre à Prague.</span>
-Le 15 l'empereur Alexandre fit son entrée dans Prague et y fut reçu
-avec les honneurs dus à son rang et au rôle de libérateur de l'Europe
-que tout le monde lui attribuait alors, excepté toutefois le
-gouvernement autrichien, assez offusqué de ces témoignages
-enthousiastes, et peu disposé à échanger la <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> domination de la
-France contre celle de la Russie. Dès que ce monarque fut rendu à
-Prague, et avant que le roi de Prusse y fût arrivé, M. de Metternich
-et l'empereur François lui firent connaître le secret de la
-négociation clandestine, qui avait pris naissance à côté de la
-négociation officielle dans les derniers jours du congrès de Prague,
-et lui demandèrent son avis. Parler paix dans ce moment n'était guère
-de saison. Alexandre était enivré d'espérance depuis la bataille de
-Vittoria, et surtout depuis l'adhésion de l'Autriche. Peut-être même
-sans cette puissance il se serait flatté de pouvoir soutenir la lutte,
-ayant reçu dans les deux derniers mois de nombreux renforts, et la
-Prusse, elle aussi, ayant fort augmenté ses armements. Mais, avec
-l'Autriche de plus, avec les nouvelles que les Anglais mandaient de
-leurs progrès en Espagne, de leur prochaine entrée en France, il ne
-doutait pas d'être bientôt vainqueur de Napoléon, et de le remplacer
-en Europe! <span class="sidenote" title="En marge">Exaltation d'esprit de ce monarque.</span>
-La tête de ce jeune monarque était dans un état
-d'incandescence extraordinaire, et pour atteindre au terme de cette
-ambition, il n'était ni dangers qu'il ne fût résolu à braver, ni
-caresses qu'il ne fût disposé à prodiguer à ses associés anciens et
-nouveaux. Il était en effet plein de soins, de déférence apparente
-pour tous, et, loin de se grandir, il affectait au contraire de se
-montrer moins grand, moins puissant qu'il n'était, de peur d'offusquer
-et de déplaire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il ne veut plus de la paix.</span>
-Avec beaucoup de respect et de condescendance pour
-l'empereur François, et sans afficher l'intention de détrôner
-Napoléon, c'est-à-dire Marie-Louise, il manifesta l'espérance de
-conquérir <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> bientôt par la guerre des conditions meilleures, et
-une indépendance de l'Allemagne infiniment mieux garantie. Il avait
-d'ailleurs une raison toute-puissante à faire valoir auprès de
-l'Autriche, c'est que sans l'abandon des villes anséatiques il serait
-impossible d'obtenir l'adhésion de l'Angleterre à laquelle on était
-étroitement lié, et il avait de plus un appât bien séduisant à faire
-briller à ses yeux, c'était la possibilité si on était victorieux, de
-lui restituer une partie de l'Italie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réponse officielle qu'il fait adresser aux dernières
-propositions de Napoléon.</span>
-En conséquence, sans attendre
-l'arrivée du roi de Prusse, Alexandre fit répondre par écrit, et par
-l'intermédiaire de M. de Metternich à M. de Caulaincourt, que Leurs
-Majestés les souverains alliés, après en avoir conféré entre eux,
-pensant <cite>que toute idée de paix véritable était inséparable de la
-pacification générale que Leurs Majestés s'étaient flattées de
-préparer par les négociations de Prague, elles n'avaient pas trouvé
-dans les articles que proposait maintenant Sa Majesté l'Empereur
-Napoléon des conditions qui pussent faire atteindre au grand but
-qu'elles avaient en vue, et que par conséquent Leurs Majestés
-jugeaient les conditions inadmissibles</cite>. C'était dire assez clairement
-qu'on regardait ces conditions comme tout à fait inacceptables par
-l'Angleterre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">M. de Caulaincourt quitte Prague définitivement pour aller
-rejoindre Napoléon.</span>
-M. de Bender, employé de la légation autrichienne, fut chargé de
-porter lui-même cette réponse à M. de Caulaincourt au château de
-K&oelig;nigsal, et de la lui remettre par écrit. Quoique s'y attendant,
-M. de Caulaincourt en fut cependant consterné, car dans son bon sens,
-dans son noble patriotisme, il n'augurait que de grands malheurs de
-la continuation de cette guerre. Il fit ses préparatifs <span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> de
-départ, vit une dernière fois M. de Metternich, avec lequel il
-échangea de nouveaux et inutiles regrets, convint avec lui qu'on
-pourrait ouvrir un congrès afin de négocier en se battant, faible
-espérance qui laissait la chance pour les uns ou pour les autres de
-signer après un affreux duel sa propre destruction, puis il alla
-rejoindre Napoléon en Lusace. <span class="sidenote" title="En marge">Ses regrets et son chagrin.</span>
-Le c&oelig;ur plein d'une sorte de
-désespoir, il écrivit à M. de Bassano pour lui exprimer en un langage
-haut et amer le déplaisir d'avoir été employé à une négociation
-illusoire, et, arrivé auprès de Napoléon, il lui témoigna, avec un
-respect grave, mais avec une conviction ferme, la douleur qu'il
-éprouvait d'avoir vu négliger cette occasion unique de conclure la
-paix. Napoléon d'une façon assez légère essaya de le consoler de cette
-occasion manquée, promettant de lui en fournir bientôt une plus belle,
-et lui rendit ses fonctions qui nominalement étaient celles de grand
-écuyer, mais qui devenaient, depuis la mort du maréchal Duroc, tantôt
-celles de grand maréchal, tantôt même celles de ministre des affaires
-étrangères et d'ambassadeur extraordinaire. Les honneurs pouvaient
-toucher ce grand c&oelig;ur, sensible assurément aux faveurs de cour,
-mais ne pouvaient à aucun degré lui faire oublier les infortunes de
-son pays.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractère général, et suite inévitable de la conduite tenue
-envers l'Autriche.</span>
-Telle fut cette célèbre et malheureuse négociation avec l'Autriche,
-commencée, conduite sous l'empire des plus funestes illusions, et avec
-une maladresse que les passions seules peuvent expliquer chez un
-esprit aussi pénétrant que celui de Napoléon. Comme nous l'avons dit,
-comme l'avaient soutenu MM. de <span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> Caulaincourt, de Talleyrand,
-de Cambacérès, lors du conseil tenu aux Tuileries, il fallait ou
-annuler l'Autriche dans cette occasion, l'essayer au moins en la
-comblant d'égards, en affectant de ne pas vouloir l'engager dans une
-guerre qui lui était étrangère, et surtout en ne lui demandant aucune
-portion de ses forces, pour ne pas lui fournir soi-même un prétexte
-d'armer; ou bien, si on la pressait d'entrer plus avant dans les
-événements, si on lui fournissait par là un motif spécieux d'augmenter
-ses forces, si on la conduisait pour ainsi dire par la main au rôle de
-médiatrice, il fallait prévoir ses désirs qui naissaient de sa
-situation même, et se résigner à les satisfaire, ce qui après tout
-n'aurait pas été très-coûteux. Mais la pousser à prendre son épée, et
-se figurer qu'elle l'emploierait pour nous et non pour elle, à notre
-gré et non au sien, était le comble des illusions, de ces illusions
-que les grands esprits se font aussi bien que les plus petits,
-lorsqu'ils ont besoin de se tromper eux-mêmes. Si à cette faute on
-joint celle d'avoir signé l'armistice de Pleiswitz avant d'avoir
-rejeté les coalisés sur la Vistule et loin des Autrichiens, seconde
-faute qui tenait, comme on l'a vu, à ce même désir obstiné d'échapper
-aux conditions de la cour de Vienne, on a les vraies causes qui firent
-aboutir à un si fatal dénoûment les événements d'abord si heureux du
-printemps de 1813.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Reprise des hostilités sur toute la ligne de l'Elbe, depuis
-K&oelig;nigstein jusqu'à Hambourg.</span>
-Du reste le canon retentissait déjà sur une ligne de cent cinquante
-lieues, depuis K&oelig;nigstein jusqu'à Hambourg, et Napoléon, excité par
-le bruit des armes, avait bientôt oublié les allées et venues, les
-dits et redits des diplomates, pour ne songer qu'aux <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> vastes
-desseins militaires desquels il attendait les plus grands résultats.
-Le moment est venu de faire connaître son plan et ses forces pour
-cette seconde partie de la campagne de Saxe. Mais afin de les mieux
-comprendre, il faut d'abord se rendre compte du plan et des forces de
-nos ennemis.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Plan et forces des coalisés.</span>
-On se souvient qu'à Trachenberg il avait été convenu par les coalisés,
-que trois armées principales marcheraient contre Napoléon, qu'elles
-agiraient offensivement toutes les trois, mais avec précaution, afin
-d'éviter les échauffourées; que dans cette vue, celle des trois sur
-laquelle se dirigerait Napoléon ralentirait le pas, tandis que les
-deux autres tâcheraient de se jeter sur ses flancs et ses derrières,
-et d'accabler ainsi les lieutenants qu'il aurait chargés de les
-garder.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les trois grandes armées actives de Bohême, de Silésie et
-du nord.</span>
-Ces trois armées devaient être celles de Bohême, de Silésie,
-du nord, qu'on espérait avec les corps d'Italie et de Bavière porter à
-575 mille hommes de troupes actives, traînant 1,500 bouches à feu,
-sans compter 250 mille hommes en réserve, répandus dans la Bohême, la
-Pologne, la Vieille-Prusse. On était en effet à peu près arrivé à ces
-chiffres énormes pendant la durée de l'armistice, qui n'avait pas
-moins profité à la coalition qu'à Napoléon, car les Russes avaient
-reçu leurs renforts et leur matériel, que dans la précipitation de
-leur marche d'hiver ils n'avaient pas eu le temps d'amener; les
-Prussiens avaient également eu le loisir d'armer et d'instruire leurs
-innombrables volontaires, et l'Autriche enfin avait organisé son armée
-qui existait à peine sur le papier au mois de janvier, de sorte
-qu'indépendamment de l'avantage politique de <span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> décider
-l'Autriche, l'armistice de Pleiswitz avait eu encore pour les coalisés
-celui de doubler en nombre les troupes qu'ils allaient nous opposer.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée de Bohême, et sa force.</span>
-Les forces de la coalition avaient été ainsi réparties. Cent vingt
-mille Autrichiens environ, dont moitié d'anciens soldats, se
-trouvaient en Bohême, rangés au pied des montagnes qui séparent cette
-province de la Saxe, et tout prêts à en franchir les défilés.
-Soixante-dix mille Russes sous Barclay de Tolly, 60 mille Prussiens
-sous le général Kleist, avaient attendu la déclaration de l'Autriche
-pour passer de Silésie en Bohême, et venir former avec les Autrichiens
-la grande armée destinée à tourner la position de Dresde, par une
-marche en Saxe. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Le point de mire de cette
-armée, dite de Bohême, était Leipzig, et les coalisés ne comprenaient
-pas que Napoléon, abordé de front sur l'Elbe par deux autres armées,
-pût tenir à une attaque aussi formidable que celle qu'on lui préparait
-sur ses derrières avec 250 mille hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette armée est commandée par le prince de Schwarzenberg.</span>
-Par déférence pour
-l'Autriche, et pour la décider par tous les moyens imaginables, ceux
-de la flatterie compris, on avait décerné le commandement supérieur de
-l'armée de Bohême au prince de Schwarzenberg, qui avait négocié en
-qualité d'ambassadeur le mariage de Marie-Louise, qui avait commandé
-le corps autrichien auxiliaire en 1812, et venait tout récemment
-d'être envoyé à Paris. Ces rôles si contradictoires causaient quelque
-embarras à ce personnage, qui devait à Napoléon le bâton de maréchal
-sans l'avoir mérité, et était appelé à le mériter contre celui même
-qui le lui avait fait obtenir. <span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> Il éprouvait aussi une
-singulière crainte de se trouver en présence d'un adversaire tel que
-Napoléon, bien qu'il eût beaucoup parlé dans le conseil aulique de
-l'affaiblissement de l'armée française, et comme d'usage il se
-consolait d'une situation fausse par les vives jouissances de
-l'orgueil satisfait. C'était effectivement un honneur insigne pour lui
-que d'exercer un si vaste commandement sous les yeux des souverains
-coalisés, et il n'en était pas indigne à certains égards, car il était
-sage, avait quelque entente de la grande guerre, et possédait un
-savoir-vivre qui le rendait propre à manier les caractères si divers
-dont se composait la coalition. À cette flatterie envers l'Autriche on
-avait ajouté un genre de soins non moins capable de la toucher. Par un
-article secret du traité de subsides conclu avec le gouvernement
-britannique à Reichenbach, on était convenu qu'il lui serait alloué un
-secours pécuniaire, dans le cas où elle prendrait part à la guerre, et
-lord Cathcart, arrivé à Prague, avait déjà émis des lettres de change
-sur Londres, pour lui procurer le plus tôt possible les ressources
-financières dont elle avait besoin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée de Silésie commandée par Blucher.</span>
-Après cette armée principale venait celle de Silésie. Elle se
-composait des corps russes des généraux Langeron et Saint-Priest,
-forts ensemble de plus de 40 mille hommes, du corps prussien du
-général d'York qui en comptait 38 mille à peu près, enfin d'un autre
-corps russe, celui du général Sacken, comprenant de 17 à 18 mille
-hommes. Le tout présentait une masse totale de près de cent mille
-combattants. L'impétueux Blucher était à la tête de cette armée. Elle
-devait franchir la limite qui en Silésie avait séparé <span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> les
-troupes belligérantes pendant l'armistice, passer la Katzbach, le
-Bober, et nous ramener même sur Bautzen, si Napoléon n'était pas de ce
-côté. On avait fort recommandé à Blucher la prudence, mais entouré des
-officiers prussiens les plus ardents, ayant pour chef d'état-major, au
-lieu du général Scharnhorst mort de ses blessures, le général
-Gneisenau, officier spirituel, agissant toujours de premier mouvement,
-il n'avait à ses côtés personne qui pût lui rappeler ces sages
-instructions.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armée du nord; sa composition, sa distribution sous le
-prince royal de Suède.</span>
-L'armée du nord réunie autour de Berlin était la troisième des armées
-actives, et celle que devait commander le prince royal de Suède. Forte
-d'environ 150 mille hommes de toutes nations, elle comprenait 25 mille
-Suédois et Allemands, sous le général Steding, 18 mille Russes sous le
-prince Woronzow, 10 mille coureurs Cosaques ou autres sous
-Wintzingerode, 40 mille Prussiens sous le général Bulow, 30 mille
-autres Prussiens sous le général Tauenzien, ceux-ci particulièrement
-destinés au blocus des places, enfin un mélange d'Anglais, de
-Hanovriens, d'Allemands, d'Anséates, d'insurgés de toutes les
-provinces soumises à notre domination, lesquels formaient 25 mille
-hommes sous le général Walmoden. Une partie de cette nombreuse armée
-devait rester devant les places de Dantzig, de Custrin, de Stettin,
-une autre partie observer Hambourg, une troisième, la plus
-considérable, forte de 80 mille hommes, se diriger sur Magdebourg, y
-passer l'Elbe si elle pouvait, et menacer Napoléon par son flanc
-gauche, tandis que la grande armée de Bohême le menacerait par son
-flanc droit. On <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> espérait qu'en marchant concentriquement sur
-lui, s'arrêtant quand il se jetterait sur l'une des trois armées, mais
-s'avançant vers le point qu'il aurait abandonné de sa personne, et
-chaque fois essayant de gagner un peu de terrain, on finirait par le
-serrer toujours de plus près, et par trouver peut-être une occasion de
-l'aborder tous ensemble afin de l'accabler sous une masse de forces
-écrasante.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armées secondaires en Bavière et en Italie.</span>
-À ces trois armées actives comprenant 500 mille hommes, et traînant
-1,500 bouches à feu, on avait ajouté un rassemblement de 25 mille
-hommes, destiné à observer la Bavière, et un de 50 mille chargé de
-tenir tête au prince Eugène du côté de l'Italie. Du reste l'Autriche
-s'attendant à tout, mais n'attachant aucune importance à ce qui se
-passerait dans cette région, avait fait sortir de Vienne ce qu'il y
-avait de précieux en archives, armes, objets d'art. Elle croyait avec
-raison que le sort du monde se déciderait sur l'Elbe, entre Dresde,
-Bautzen, Magdebourg, Leipzig, et se résignait à voir, ce qui était peu
-probable, le prince Eugène à Vienne, plutôt que de détourner ses
-forces du véritable théâtre de la guerre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Armées de réserve.</span>
-Ces deux armées de Bavière et d'Italie portaient donc à 575 mille
-hommes les forces actives de la coalition. À cette masse il faut
-ajouter les réserves. L'Autriche avait 60 mille hommes entre
-Presbourg, Vienne et Lintz. La Russie avait en Pologne 50 mille hommes
-sous le général Benningsen, 50 mille sous le prince de Labanoff, prêts
-les uns et les autres à entrer en ligne lorsque leur intervention
-serait nécessaire. La Prusse comptait encore sur environ 90 mille
-recrues <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> qui achevaient de s'instruire, ce qui présentait un
-dernier fonds de 250 mille hommes, destiné à réparer les pertes que la
-guerre ferait éprouver aux troupes engagées les premières.
-<span class="sidenote" title="En marge">La coalition n'a pas moins de 800 mille hommes sous les
-armes.</span>
-Bien que
-les marches dussent bientôt éclaircir les rangs de ces nombreuses
-armées, il faut dire cependant que ces 800 et quelques mille hommes
-étaient tous présents au drapeau, et que c'était à cette force
-immense, non pas nominale mais réelle, que Napoléon aurait bientôt
-affaire. Jamais encore dans l'histoire on n'avait vu de pareilles
-quantités de soldats mises en mouvement, et jamais du reste le motif,
-pour la coalition du moins, ne l'avait autant mérité.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">C'est l'armistice de Pleiswitz qui lui avait procuré ces
-forces immenses.</span>
-C'est maintenant qu'on peut juger à quel point Napoléon s'était trompé
-en acceptant l'armistice de Pleiswitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Illusions de Napoléon qui avait cru que l'armistice de
-Pleiswitz ne profiterait qu'à lui.</span>
-Il l'avait signé pour deux
-raisons, avons-nous dit, pour se soustraire aux pressantes instances
-de l'Autriche, relativement à la paix, et parce qu'habitué à ne
-trouver d'actif que lui-même, ne comprenant pas les miracles que la
-passion pouvait produire chez ses adversaires, il croyait que pendant
-ces deux mois il arriverait deux cent mille hommes peut-être dans ses
-rangs, et pas la moitié dans les rangs de ses adversaires. Le
-contraire avait eu lieu, car, ainsi qu'on va le voir, il n'avait guère
-ajouté plus de 150 mille hommes à ses troupes (sans compter il est
-vrai le surcroît de valeur morale qu'elles devaient à deux mois
-d'instruction et de repos), et la coalition en avait ajouté bien près
-de quatre cent mille, en y comprenant les forces de l'Autriche. Le
-calcul n'avait donc pas été juste.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vaste et beau plan de campagne de Napoléon.</span>
-Toutefois Napoléon n'en avait pas
-moins employé ces deux mois avec une admirable <span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> activité, et
-ses plans étaient d'une habileté à déjouer tous ceux de ses
-adversaires.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises sur tout le cours de l'Elbe, de
-K&oelig;nigstein à Hambourg.</span>
-La position de l'Elbe, comme nous l'avons dit, quoique facile à
-tourner en débouchant de la Bohême sur Leipzig, avait néanmoins été
-adoptée par Napoléon comme la meilleure, et même comme la seule
-admissible. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28 et 58.) Dresde, aussi bien
-fortifié qu'il pouvait l'être depuis qu'on en avait fait sauter les
-murailles, devait être son centre d'opération et son principal
-établissement. Il y avait ses arsenaux, ses magasins, ses dépôts et
-trois ponts.
-<span class="sidenote" title="En marge">K&oelig;nigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg,
-Werben et Hambourg.</span>
-À sept ou huit lieues sur sa droite, au point où l'Elbe
-perce les montagnes de la Bohême pour pénétrer en Saxe, il possédait
-les postes fortifiés de K&oelig;nigstein et de Lilienstein, avec un pont
-solide et des magasins, afin de pouvoir man&oelig;uvrer à volonté sur les
-deux rives du fleuve. Sur sa gauche, à Torgau, quinze lieues
-au-dessous de Dresde, il avait des ouvrages, des vivres et des ponts,
-de même à Wittenberg et à Magdebourg. Ce dernier point était de plus
-une vaste place, régulièrement fortifiée, dans laquelle il avait
-déposé, outre de grands amas de munitions et de vivres, tous les
-malades et blessés de la campagne du printemps. Le poste improvisé de
-Werben comblait la lacune comprise entre Magdebourg et Hambourg, et
-Hambourg enfin couvrait le bas Elbe. Il était possible sans doute de
-passer l'Elbe entre Magdebourg et Hambourg, à cause de la distance qui
-sépare ces deux villes, distance que le poste de Werben remplissait
-imparfaitement, mais l'ennemi qui voudrait tenter cette entreprise,
-laissant sur ses flancs les <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> deux importantes places de
-Hambourg et de Magdebourg, et ayant en tête d'ailleurs un corps
-considérable dont on va voir tout à l'heure la position et le rôle, ne
-pouvait pas l'essayer, tant que la grande armée placée sous la main de
-Napoléon n'aurait pas perdu son point d'appui de Dresde, ce qui
-ramenait à Dresde même, où Napoléon commandait en personne, tout le
-n&oelig;ud de l'immense action militaire qui allait s'engager.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces de Napoléon sur cette ligne
-défensive.</span>
-La ligne de défense étant ainsi établie sur l'Elbe, reste à savoir
-comment Napoléon y avait distribué ses forces. Devinant les projets de
-l'ennemi comme s'il avait été présent aux conférences de Trachenberg,
-il avait parfaitement discerné qu'il aurait trois puissantes armées
-sur les bras, une à droite en Bohême, une de front en Silésie, une à
-gauche du côté de Berlin, menaçant l'Elbe entre Magdebourg et
-Hambourg. Il avait pourvu à ces diverses attaques avec une prévoyance
-qui ne laissait rien à désirer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position de Saint-Cyr.</span>
-Le nouveau corps du maréchal
-Saint-Cyr, fort de 30 mille hommes partagés en quatre divisions, et
-récemment amené de Mayence à Dresde, avait été placé à K&oelig;nigstein,
-en deçà de l'Elbe, c'est-à-dire sur la rive gauche, de manière à
-fermer les débouchés par lesquels la grande armée ennemie pouvait
-descendre de Bohême en Saxe sur nos derrières.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position de Vandamme.</span>
-Le corps du général
-Vandamme fort aussi de 30 mille hommes, détaché de l'armée du maréchal
-Davout, et amené de Hambourg à Dresde, avait été placé à la hauteur du
-corps de Saint-Cyr, mais au delà de l'Elbe, pour garder sur la droite
-du fleuve les défilés des montagnes de Bohême aboutissant en Lusace.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position de Poniatowski et de Victor.</span>
-Un <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> peu plus loin en Lusace, toujours au pied des montagnes de
-Bohême, au défilé de Zittau, avaient été postés le corps de
-Poniatowski, et celui du maréchal Victor, dont la formation s'était
-achevée pendant la suspension d'armes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position de Macdonald, Lauriston, Ney et Marmont.</span>
-Enfin plus loin encore,
-c'est-à-dire en Silésie, sur la ligne frontière de l'armistice, sur la
-Katzbach et le Bober, se trouvaient les quatre corps, de Macdonald (le
-11<sup>e</sup>), de Lauriston (le 5<sup>e</sup>), de Ney (le 3<sup>e</sup>), de Marmont (le 6<sup>e</sup>),
-présentant cent mille hommes à eux quatre. En arrière, près de
-Bautzen, se trouvaient la garde impériale, portée pendant l'armistice
-de 12 mille hommes à 48 mille, et les trois corps de cavalerie de
-réserve des généraux Latour-Maubourg, Sébastiani, Kellermann,
-comprenant 24 mille cavaliers parfaitement montés.
-<span class="sidenote" title="En marge">Direction sur Berlin assignée à Oudinot, Bertrand et
-Reynier.</span>
-À gauche trois
-corps, ceux d'Oudinot (le 12<sup>e</sup>), de Bertrand (le 4<sup>e</sup>), de Reynier (le
-7<sup>e</sup>), avaient reçu la mission de s'opposer à l'armée du Nord,
-commandée par Bernadotte.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Usage que Napoléon se proposait de faire de ces divers
-corps, dans toutes les suppositions imaginables.</span>
-Ses troupes étant ainsi distribuées, Napoléon avait résolu de parer de
-la manière suivante à toutes les éventualités de cette campagne
-formidable. L'armée du prince de Schwarzenberg, de beaucoup la plus
-nombreuse, celle qui menaçait notre flanc droit par les débouchés de
-la Bohême, pouvait descendre par deux issues, une en deçà de l'Elbe,
-c'est-à-dire derrière nous par la grande route de Péterswalde, l'autre
-au delà, c'est-à-dire devant nous, par la grande route de Bohême en
-Lusace passant à Zittau. C'était certainement par l'une de ces deux
-issues qu'elle devait faire son apparition. Napoléon était également
-prêt dans chacune de ces hypothèses. <span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> Le maréchal Saint-Cyr
-avec ses quatre divisions occupait en deçà de l'Elbe la chaussée de
-Péterswalde. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) <span class="sidenote" title="En marge">Concentration en arrière de Dresde, si l'ennemi débouchait
-de la Bohême par la route de Péterswalde.</span>
-L'une de ces divisions était de
-garde au pont jeté entre les rochers de K&oelig;nigstein et de
-Lilienstein, deux autres occupaient le camp de Pirna, sous le feu
-duquel passe la grande route de Péterswalde. La quatrième avec la
-cavalerie légère du général Pajol, veillait à tous les chemins
-secondaires, qui plus en arrière encore, pouvaient prendre Dresde à
-revers. Si donc l'ennemi voulait descendre sur les derrières de
-Dresde, soit pour attaquer cette ville, soit pour se diriger sur
-Leipzig, le maréchal Saint-Cyr après avoir profité de l'avantage des
-lieux afin de ralentir la marche des coalisés, devait jeter une
-garnison dans les forts de K&oelig;nigstein et de Lilienstein, puis se
-replier sur Dresde avec ses quatre divisions. Adossé à cette ville
-avec environ 30 mille hommes, y trouvant une garnison de 8 à 10 mille,
-que Napoléon avait composée avec des convalescents, des bataillons de
-marche, et les gardes d'honneur, il devait s'y défendre dans un camp
-retranché laborieusement préparé à l'avance, et y tenir plusieurs
-jours sans avoir des prodiges à faire. En tout cas les choses étaient
-disposées de manière à lui procurer des secours prompts et décisifs.
-Le général Vandamme ayant ses trois divisions au delà de l'Elbe, une à
-Stolpen sur le chemin de Zittau, l'autre à Rumbourg près de Zittau
-même, la troisième à Bautzen, pouvait en vingt-quatre heures renvoyer
-à Dresde celle de ses divisions qui serait à Stolpen, et en
-quarante-huit heures amener les deux autres. Ainsi le second jour le
-maréchal Saint-Cyr <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> devait être renforcé de 10 mille hommes,
-et le troisième de 20 mille, ce qui porterait sa force totale à près
-de 70 mille combattants, et à 60 mille au moins établis dans un bon
-camp retranché. C'était de quoi le mettre à l'abri de toutes les
-attaques. Après deux autres jours, c'est-à-dire après quatre depuis
-l'apparition de l'ennemi, Napoléon devait accourir de Gorlitz avec 48
-mille hommes de la garde, 24 mille de la réserve de cavalerie, 24
-mille du corps du maréchal Victor, en ayant laissé à Zittau le corps
-de Poniatowski. Ainsi le quatrième jour 170 mille hommes devaient être
-sous Dresde, ce qui était bien suffisant, les lieux donnés, pour faire
-repentir de leur audace les coalisés qui auraient voulu tourner notre
-position, et pour les exposer à ne pas revoir la Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Concentration en avant de Dresde, à Gorlitz et à Lowenberg,
-si l'ennemi voulait déboucher de la Bohême en Lusace.</span>
-Dans le cas contraire, celui où l'ennemi songerait à descendre de
-Bohême en Lusace, non pas en deçà de l'Elbe, mais au delà, non pas
-derrière Napoléon mais devant lui, et à déboucher par Zittau sur
-Gorlitz ou Bautzen, la même distribution devait amener une aussi
-prompte concentration de forces. Napoléon avait résolu de placer au
-défilé de Zittau le corps de Poniatowski fort d'une douzaine de mille
-hommes, et tout près pour le soutenir le corps du maréchal Victor, ce
-qui faisait au moins 36 mille hommes, appuyés sur une forte position,
-située au sortir même des montagnes et soigneusement étudiée à
-l'avance. En une journée la garde et la cavalerie qui étaient à
-Gorlitz, la division de Vandamme qui était à Rumbourg, étaient prêtes
-à apporter un secours de 80 mille hommes aux 36 mille postés à
-Zittau. Un jour de plus devait par l'arrivée de Vandamme <span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span>
-avec ses deux autres divisions, par le reploiement de l'un des quatre
-corps établis sur le Bober, amener un nouveau secours de 50 mille
-hommes. C'étaient encore 170 mille combattants opposés en deux jours à
-ce second débouché, et disposés de manière qu'ils pussent se défendre
-en attendant leur concentration.</p>
-
-<p>Telles étaient les précautions prises dans les deux hypothèses les
-plus vraisemblables. Si toutefois aucune d'elles ne se réalisait, si
-l'armée de Bohême, au lieu de vouloir déboucher si près de Napoléon,
-soit en avant de lui, soit en arrière, allait, en laissant un corps en
-Bohême, réunir sa masse principale à celle de Silésie, et nous aborder
-de front avec 250 mille hommes sur le Bober, pour nous livrer une
-immense bataille, les quatre corps de Ney, de Lauriston, de Marmont,
-de Macdonald, formant un total de cent mille hommes, pouvaient ou se
-défendre sur le Bober, ou se replier sur la Neisse et la Sprée, et s'y
-renforcer de 150 mille hommes par leur réunion avec la garde, avec la
-réserve de cavalerie, avec Victor, avec Poniatowski, avec Vandamme. On
-devait ainsi, sans même toucher à Saint-Cyr, se retrouver en force
-égale à celle de l'ennemi dans la troisième supposition, la seule
-imaginable après les deux autres. Ajoutez l'avantage dans tous les cas
-de la présence de Napoléon, son art de profiter des occurrences, la
-presque certitude sous sa direction de gagner une grande bataille à la
-première rencontre, et on conçoit qu'il se flattât d'avoir toutes les
-chances en sa faveur. Quel capitaine, dans aucun temps, avait calculé
-avec cette précision, avec cette <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> universalité de prévoyance,
-les mouvements de si vastes masses, opposées à d'autres masses plus
-vastes encore!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Hypothèse d'une marche de l'ennemi sur Leipzig.</span>
-Restait une seule hypothèse pour laquelle, très-volontairement, nulle
-précaution n'avait été prise, c'était celle où les coalisés voulant
-tourner Napoléon d'une manière encore plus audacieuse, et au lieu de
-descendre immédiatement sur ses derrières par Péterswalde, y
-descendant plus loin, c'est-à-dire par la route de Leipzig,
-essayeraient hardiment de se placer entre la grande armée et le Rhin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Invraisemblance de cette hypothèse tant que Napoléon
-n'était pas affaibli par plusieurs défaites.</span>
-Ceci inquiétait peu Napoléon, et il souriait à cette supposition.--<cite>Ce
-n'est pas du Rhin, c'est de l'Elbe</cite>, avait-il dit avec une rare
-profondeur, <cite>qu'il m'importe de n'être pas coupé</cite>. L'ennemi qui
-oserait s'avancer entre moi et le Rhin n'en reviendrait plus, tandis
-que celui qui réussirait à s'établir entre moi et l'Elbe, me couperait
-de ma vraie base d'opération!--Qui aurait eu l'audace en effet de
-marcher sur le Rhin, laissant derrière lui Napoléon avec 400 mille
-hommes, Napoléon non vaincu! On pouvait loin du champ de bataille
-former de pareils rêves, et on les forma effectivement, mais à la
-première marche on devait reculer d'épouvante, comme les faits le
-prouvèrent bientôt.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Envoi projeté d'un corps français sur Berlin.</span>
-Tous les coups étant prévus et parés sur ses derrières, sur sa droite,
-sur son front, contre les deux armées de Bohême et de Silésie,
-Napoléon avait préparé sur sa gauche une opération importante, en vue
-de tenir tête à l'armée du nord, et d'amener un résultat éclatant
-auquel il attachait un grand prix, celui d'occuper la capitale de la
-Prusse, d'y entrer <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> triomphalement par l'un de ses
-lieutenants, de tirer ainsi une vengeance non pas cruelle, mais
-humiliante des passions germaniques. Il avait chargé le maréchal
-Oudinot avec son corps, avec ceux des généraux Bertrand et Reynier,
-avec la cavalerie de réserve du duc de Padoue, de marcher de Luckau
-sur Berlin. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 28 et 58.) Ces trois corps
-d'infanterie, en y joignant une portion de la cavalerie de réserve,
-auraient dû s'élever à 70 mille hommes, mais n'en comprenaient en
-réalité que de 65 à 66 mille. Ils comptaient à la vérité sur des
-renforts considérables. Ils étaient liés à notre principale armée
-agissant en avant de Dresde, par le général Corbineau à la tête de 3
-mille chevaux et de 2 mille hommes d'infanterie légère. C'était là un
-lien et non un appui; mais plus loin, sur la gauche, c'est-à-dire à la
-hauteur de Magdebourg, devait se trouver le général Girard (le même
-qui à Lutzen avait si noblement réparé une faute commise en Espagne)
-avec un corps de 12 à 15 mille hommes, formé de la division
-Dombrowski, et de la partie disponible de la garnison de Magdebourg,
-dont nous avons déjà fait connaître l'ingénieuse composition.
-<span class="sidenote" title="En marge">Concours du corps mobile de Magdebourg, et du corps du
-maréchal Davout au mouvement sur Berlin.</span>
-Ce général posté en avant de Magdebourg avec 5 mille hommes de la
-division Dombrowski, recrutée et reposée en Hesse, avec 8 ou 10 mille
-de la garnison de Magdebourg, devait établir la communication entre le
-maréchal Oudinot et le maréchal Davout, et suivre le maréchal Oudinot
-dans son mouvement offensif, de manière à porter l'armée de celui-ci à
-près de 80 mille hommes. Une masse pareille semblait n'avoir rien à
-craindre, ni des talents, ni des <span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> forces du prince royal de
-Suède, qui avait dans ses troupes beaucoup de ramassis, qui ne pouvait
-pas réunir actuellement plus de 70 mille hommes sur un même champ de
-bataille, qui d'ailleurs aurait bientôt à faire face à un redoutable
-ennemi de plus, et cet ennemi c'était le maréchal Davout prêt à sortir
-de Hambourg avec 25 mille Français, avec 10 mille Danois, et à menacer
-Berlin par le Mecklembourg, tandis que le maréchal Oudinot le
-menacerait par la Lusace. Il y avait donc les plus grandes chances
-pour que le maréchal Oudinot entrât sous peu de jours dans Berlin, y
-fût rejoint par le maréchal Davout avec 35 mille hommes, ce qui
-placerait sous ce dernier, destiné à commander le tout, une masse de
-110 à 115 mille hommes, et suffirait pour déjouer les projets du
-prince royal de Suède. Ainsi Napoléon, tandis qu'il tenait tête à
-droite et de front aux forces gigantesques de la coalition, devait par
-sa gauche pénétrer dans Berlin, y frapper le foyer des passions
-germaniques, y punir la Prusse de son abandon, le prince de Suède de
-sa trahison, et tendre la main à ses garnisons de l'Oder et de la
-Vistule! <span class="sidenote" title="En marge">Seule défectuosité du plan de Napoléon.</span>
-C'était là sans doute un début éclatant, et qui avait dû
-séduire Napoléon: toutefois le mouvement qu'il ordonnait à sa gauche
-était bien allongé, les corps qui devaient y concourir étaient bien
-distants les uns des autres, et leur coopération dépendait de beaucoup
-de circonstances qui pouvaient n'être pas toutes heureuses. Ses
-généraux, sans être moins braves, n'avaient plus cette confiance qui
-soutient dans les situations hasardeuses; ses troupes étaient jeunes
-et mélangées, et le rassemblement de Bernadotte auquel <span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> elles
-avaient affaire, quoique un ramassis lui-même composé de gens de toute
-origine, était réuni par le plus puissant des liens, la passion. Enfin
-si l'un de ses lieutenants venait à se faire battre, il faudrait aller
-très-loin pour lui porter secours. Il est donc vrai qu'en cette partie
-seulement l'habile réseau tendu par Napoléon était un peu relâché.
-Mais le désir ardent de rentrer dans Berlin, d'avoir sa main toujours
-dirigée vers Dantzig, de pouvoir en une bataille gagnée se retrouver
-sur la Vistule, avait ici altéré quelque peu la parfaite rectitude de
-son jugement militaire, comme la préoccupation de refaire toute sa
-grandeur d'un seul coup avait complétement égaré son jugement
-politique.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le désir de frapper Berlin et d'empêcher les coalisés de
-secourir cette capitale avait porté Napoléon à trop étendre le rayon
-de ses man&oelig;uvres concentriques.</span>
-Cette défectuosité en avait entraîné une autre dans la partie de son
-plan que nous avons déjà retracée, et qui était la plus fortement
-conçue. Il avait en effet trop éloigné de Dresde les quatre corps qui
-gardaient son front en avant de l'Elbe. Des bords du Bober, où étaient
-postés les corps de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston, aux
-bords de l'Elbe, c'est-à-dire de Lowenberg à Dresde, il y avait six
-jours de marche. (Voir la carte n<sup>o</sup> 36.) C'était beaucoup trop pour
-que Napoléon, avec sa réserve, eût le temps de secourir les corps qui
-étaient à Lowenberg, ou ceux qui étaient à Dresde. Tant qu'il pouvait
-se tenir entre deux, soit à Gorlitz, soit à Bautzen, il n'y avait pas
-de danger, car en moins de trois jours il lui était facile de se
-porter à Lowenberg, ou de rétrograder sur Dresde, et d'être présent
-ainsi partout où il serait nécessaire qu'il fût pour prévenir, ou
-pour réparer un échec. Mais s'il était attiré à l'une <span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> des
-extrémités, s'il était appelé à Dresde, par exemple, il se pouvait que
-sur le Bober il arrivât un grand malheur à l'un de ses lieutenants, et
-qu'il vînt trop tard pour y remédier, puisqu'il faudrait six jours au
-moins pour y amener du renfort, ou bien que s'il était à l'extrémité
-opposée, c'est-à-dire à Lowenberg, Dresde à son tour se trouvât en
-péril d'être secouru trop tard. En un mot, pour man&oelig;uvrer
-concentriquement autour de Dresde, comme il l'avait fait jadis autour
-de Vérone, avec une réserve placée au centre et portée alternativement
-sur tous les points de la circonférence, le cercle était trop grand,
-le rayon trop allongé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes morales de cette faute, la seule à reprocher à
-Napoléon dans la conception de son plan.</span>
-Était-ce inadvertance chez un esprit parvenu à une si prodigieuse
-expérience, à une si rigoureuse précision dans ses calculs? Assurément
-non; mais c'était le dangereux désir de faciliter le mouvement sur
-Berlin et la Vistule. Il avait en effet discuté longuement avec
-lui-même s'il devait établir sur le Bober ou sur la Neisse,
-c'est-à-dire à Lowenberg ou à Gorlitz, son corps le plus avancé, et,
-bien qu'il eût préféré le mettre à Gorlitz, ce qui lui eût permis de
-placer sa réserve à Bautzen, et eût réduit de moitié le chemin qu'il
-avait à faire pour aider les uns ou les autres, il y avait renoncé par
-ce motif, qui révèle tout le secret de ses résolutions<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Lien vers la note 7"><span class="smaller">[7]</span></a>, c'est
-qu'en <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> portant à Gorlitz son corps le plus avancé, il
-n'opposait pas assez d'obstacles à un mouvement que les armées
-coalisées pouvaient être tentées d'exécuter par leur droite, pour
-arrêter le maréchal Oudinot dans sa marche. À Lowenberg, au contraire,
-les cent mille hommes de Ney, de Marmont, de Macdonald, de Lauriston,
-empêchaient absolument les armées ennemies de Bohême et de Silésie de
-se transporter par la Lusace dans le Brandebourg, et de secourir
-Berlin. Ainsi, toujours ce désir d'un résultat merveilleux, ce désir
-de tendre un bras vers Berlin et sur la Vistule, gâtait ses
-combinaisons militaires, comme déjà il avait perverti ses résolutions
-politiques, et le poussait à affaiblir en l'étendant trop un cercle de
-défense qui, plus resserré, aurait été invincible! Bientôt la guerre,
-qui amène une rémunération immédiate des bons et des mauvais calculs,
-devait récompenser les uns par d'éclatants succès, punir les autres
-par d'éclatants revers! Mais n'anticipons pas sur des événements dont
-le triste récit n'arrivera que trop tôt!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Comparaison entre les forces de Napoléon et celles des
-coalisés.</span>
-Les forces de Napoléon étaient loin d'égaler celles de la coalition.
-Les corps de Saint-Cyr, Vandamme, Victor, Poniatowski, groupés sur sa
-droite, ceux de Ney, Marmont, Macdonald, Lauriston, rangés sur son
-front, la garde, la réserve de cavalerie placées au centre, pouvaient
-former sous sa main une masse mobile de 272 mille hommes présents sous
-les armes. Les troupes d'Oudinot, de Girard et de Davout, dirigées sur
-Berlin, en formaient une autre de 110 à 115 mille, ce qui portait à
-387 mille hommes, ou 380 mille au moins, le total des forces <span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span>
-actives qu'il avait à opposer à la coalition. Si on y ajoute 20 mille
-hommes en Bavière, 60 mille en Italie, si on y ajoute encore les
-garnisons des places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, telles que
-K&oelig;nigstein, Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Werben,
-Hambourg, Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comprenant 90 mille
-hommes environ, on atteint le chiffre de 550 mille combattants, fort
-inférieur à celui de 800 mille que la coalition était parvenue à
-réunir. Il est vrai que les réserves des coalisés étaient comprises
-dans ce chiffre de 800 mille hommes; mais Napoléon ne pouvait pas, en
-pressant bien ses cadres du Rhin, en tirer plus de 50 mille soldats de
-réserve, et dès lors ses ressources, plutôt exagérées que réduites, ne
-présentaient pas un total de six cent mille hommes, contre huit cent
-mille. Ces forces toutefois auraient suffi dans ses mains, et au delà,
-si les causes morales avaient été pour lui au lieu d'être contre lui;
-mais ses adversaires exaspérés étaient résolus à vaincre ou à mourir,
-et ses soldats, héroïques sans doute, mais se battant par honneur,
-étaient conduits par des généraux dont la confiance était ébranlée, et
-qui commençaient à sentir qu'on avait tort contre l'Europe, contre la
-France, contre le bon sens! Infériorité morale funeste, et bien plus
-redoutable que l'infériorité matérielle du nombre!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se porte le 15 à Gorlitz.</span>
-Napoléon après avoir lui-même inspecté ses postes de K&oelig;nigstein et
-de Lilienstein, et s'être assuré par ses propres yeux si la position
-prise par Saint-Cyr et Vandamme, sur ses derrières et sa droite, était
-conforme à ses vues, s'était porté le 15 à Gorlitz, où il avait
-trouvé la garde et la réserve de cavalerie. <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> De là il avait
-tenu à voir la gorge de Zittau, que Poniatowski et Victor étaient
-chargés de défendre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il pénètre de sa personne en Bohême, par le défilé de
-Zittau, afin de se procurer des renseignements sur la marche des
-coalisés.</span>
-Après avoir établi Poniatowski sur une montagne
-dite d'Eckartsberg, qui fait face à la sortie du défilé, et permet de
-barrer le passage, Napoléon s'était avancé de sa personne à quelques
-lieues plus loin, escorté par la cavalerie légère de sa garde, afin de
-reconnaître un pays où il était possible qu'il pénétrât plus tard. Il
-voulait recueillir sur la direction suivie par l'ennemi des
-renseignements qui lui manquaient. Aucun symptôme en effet ne révélait
-si les coalisés déboucheraient ou en arrière par Péterswalde sur
-Dresde, ou sur notre droite par Zittau, ou sur notre front par
-Liegnitz et Lowenberg. Bien que Napoléon fût entouré d'une nuée
-d'ennemis en mouvement, il ne savait rien de leur marche, parce que
-l'épaisse muraille des montagnes de Bohême, qui sur sa droite le
-séparait d'eux, était un rideau difficile à percer. Il écoutait donc
-avec une singulière attention, cherchant à saisir les moindres bruits,
-et suivant l'usage ne recueillant que des versions contradictoires.
-Pourtant on était d'accord sur ce point, qu'un corps d'armée prussien
-et russe avait passé de Silésie en Bohême pour venir coopérer avec
-l'armée autrichienne. C'était le corps qui devait, ainsi qu'on l'a vu
-plus haut, composer en se joignant aux troupes autrichiennes la grande
-armée du prince de Schwarzenberg. Cette nouvelle très-répandue inspira
-un moment à Napoléon la pensée d'entrer précipitamment en Bohême à la
-tête de cent mille hommes par la route de Zittau, et de se jeter sur
-les Russes et les Prussiens avant leur <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> réunion aux
-Autrichiens. Il est bien certain qu'il avait cent mille hommes sous la
-main avec Poniatowski, Victor, la garde et la réserve de cavalerie, et
-que se portant rapidement à droite vers Leitmeritz, il aurait pu
-couper en deux la longue ligne que les coalisés devaient former avant
-de s'être réunis autour de Commotau. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.)
-<span class="sidenote" title="En marge">Possibilité d'une invasion subite en Bohême.</span>
-Il lui
-eût donc été possible de frapper dès le début de la campagne quelque
-coup terrible, et le maréchal Saint-Cyr, qui s'était épris de cette
-idée plus brillante que juste, l'y poussait vivement par sa
-correspondance.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger de cette opération, fort conseillée par le maréchal
-Saint-Cyr.</span>
-Mais il se pouvait qu'entré en Bohême Napoléon trouvât
-les coalisés déjà concentrés sur sa droite entre T&oelig;plitz et
-Commotau, dès lors à l'abri de ses coups, et en mesure de le prévenir
-à Dresde en y descendant par Péterswalde, de sorte que tandis qu'il
-aurait pénétré en Bohême pour les surprendre, ils en seraient sortis
-pour le tourner; ou bien il se pouvait encore qu'il les trouvât en
-masse sur son chemin, qu'il eût à les combattre en force considérable,
-dans une position désavantageuse pour lui, car vainqueur il lui était
-impossible de les poursuivre dans l'intérieur de la Bohême, et vaincu
-il lui fallait repasser devant eux le défilé de Zittau. À leur livrer
-bataille, il valait bien mieux les attendre à leur sortie des
-montagnes de la Bohême, et les rencontrer sur la rive droite ou sur la
-rive gauche de l'Elbe, au moment même où ils déboucheraient, car en
-les battant on les acculait aux montagnes, et on pouvait profiter de
-leur engorgement dans les défilés pour les enlever par milliers,
-hommes et canons. Franchir soi-même les montagnes pour aller
-guerroyer en Bohême, c'était se donner <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> volontairement la
-fausse position qu'il fallait leur laisser prendre en les attendant à
-la sortie de ces montagnes sur l'une ou l'autre rive de l'Elbe. Aussi
-Napoléon n'avait-il que peu de penchant pour cette singulière idée que
-le maréchal Saint-Cyr soutenait avec chaleur. Il n'y eût cédé que si
-des renseignements certains lui avaient montré tout à fait à sa portée
-soixante ou quatre-vingt mille Prussiens et Russes encore séparés des
-cent vingt mille Autrichiens qu'ils allaient rejoindre.</p>
-
-<p>Livré à une véritable effervescence d'esprit en présence de tant de
-chances diverses, Napoléon monta à cheval le 19 août au matin, et
-suivi de la cavalerie légère de la garde, il pénétra en Bohême, à la
-tête de quelques mille cavaliers, faisant la guerre comme un jeune
-homme, comme il la faisait jadis en Italie ou en Égypte. Il s'enfonça
-dans les gorges jusqu'au delà de Gabel (voir la carte n<sup>o</sup> 58), se
-montra même à l'entrée du beau bassin de la Bohême aux Bohémiens
-surpris de le voir. Il fit arrêter des curés, des baillis pour les
-questionner, et apprit de la bouche de tous que les troupes russes et
-prussiennes venant de Silésie longeaient le pied des montagnes en
-dedans de la Bohême, pour aller rejoindre les Autrichiens, et
-probablement descendre en Saxe sur les derrières de Dresde. Les
-coalisés devaient dans ce mouvement traverser l'Elbe entre Leitmeritz
-et Aussig, et tout annonçait qu'ils étaient déjà ou sur le bord du
-fleuve, ou au delà, aux environs de T&oelig;plitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon y renonce.</span>
-Se jeter sur eux était
-une opération dont le temps, fût-elle bonne, était passé, et il
-fallait se hâter de revenir en Saxe, pour combattre autour de
-<span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> Dresde, sur le champ de bataille préparé avec une si haute
-prévoyance. Toutefois Napoléon affecta de se montrer, de se nommer aux
-habitants, afin que le bruit de sa présence en Bohême retentît
-jusqu'au quartier général des coalisés. Voici l'intention qu'il avait
-en agissant de la sorte.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'étant fait une idée exacte des plans des
-coalisés, forme le projet de mettre hors de jeu l'armée de Silésie,
-pour revenir ensuite sur la grande armée de Bohême.</span>
-Il devenait évident que le plan des coalisés, après avoir traversé
-l'Elbe en Bohême, était d'entrer en Saxe, et de descendre sur Dresde
-afin d'enlever cette ville, ou de se porter sur Leipzig afin de se
-placer entre le Rhin et l'armée française. Nous ne pouvions rien
-désirer de mieux, car pour s'engager ainsi sur les derrières de
-Napoléon, les coalisés s'exposaient à l'avoir eux-mêmes sur leurs
-communications, et à se trouver dans un gouffre s'ils perdaient une
-bataille dans cette position. Cela étant, il importait à Napoléon de
-se jeter brusquement sur l'armée de Silésie, qu'il avait devant lui,
-afin de la mettre hors de jeu pour quelque temps, et de revenir
-ensuite se donner tout entier aux affaires qui se préparaient en
-arrière de Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Motifs du soin qu'il met à se faire voir en Bohême.</span>
-Pour le succès d'un tel projet il lui était utile
-de ralentir un moment la marche des alliés, de les faire hésiter, de
-leur causer ainsi une perte d'un ou deux jours, ce qui était tout gain
-pour lui, qui avait à courir sur le Bober avant de revenir sur l'Elbe.
-Il n'avait pas un meilleur moyen d'y réussir que de se montrer en
-Bohême, car sa présence en ces lieux devait provoquer mille
-conjectures, ou inquiétantes ou pour le moins embarrassantes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon après être rentré en Lusace, dispose les corps de
-Poniatowski, de Victor et de Vandamme, de manière à fermer les
-débouchés de la Bohême, et attend tout un jour pour voir se développer
-les desseins de l'ennemi.</span>
-Après avoir employé la journée du 19 à courir à cheval, tantôt en
-plaine, tantôt dans les gorges, se <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> présentant partout sous
-son nom, il repassa les défilés du <em>Riesen-Gebirge</em>, et revint à
-Zittau. Il consacra la journée du lendemain 20 à disposer lui-même le
-corps de Poniatowski et celui de Victor à l'entrée du défilé de
-Zittau, de façon que ces deux corps pussent résister trois jours au
-moins aux plus fortes attaques. Napoléon assura en outre leurs
-communications avec le général Vandamme, qui avait été placé entre
-Zittau et Dresde vers Stolpen, afin qu'il pût courir en une journée ou
-à Zittau ou à Dresde. Toutes ces mesures arrêtées, il avait
-l'intention d'attendre encore tout un jour la complète manifestation
-des desseins de l'ennemi, sans éprouver du reste la moindre crainte,
-car partout les précautions étaient prises de manière à ne laisser
-aucune inquiétude. En effet, du côté de Berlin 80 mille hommes en
-marche sous le maréchal Oudinot, et appuyés par les 35 mille du
-maréchal Davout, à Dresde Saint-Cyr et Vandamme aux aguets sur les
-deux rives de l'Elbe, à Zittau deux corps gardant les gorges de
-Bohême, sur le Bober 100 mille hommes sous le maréchal Ney attendant
-l'ennemi qui voudrait franchir ce fleuve, enfin à Gorlitz, centre de
-toutes ces positions, Napoléon avec la garde et la réserve de
-cavalerie, placé à mi-chemin des divers points menacés, présentaient
-une toile admirablement tissue, du milieu de laquelle celui qui
-l'avait si habilement disposée était prêt à s'élancer sur l'imprudent
-qui en agiterait les extrémités.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revenu à Gorlitz apprend que l'armée de Silésie,
-violant le droit des gens, a rompu l'armistice deux jours avant le 17
-août, et il court à elle avec un renfort de 30 mille hommes.</span>
-Napoléon, revenu le 20 à Gorlitz, y apprit tout à coup que l'armée de
-Silésie avait envahi dès le 15 le pays neutre qu'elle aurait dû
-respecter jusqu'au 17, <span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> ce qui constituait une violation du
-droit des gens, que l'ardent patriotisme du général Blucher n'excusait
-nullement. Cette armée se dirigeait vers le Bober. Sur-le-champ
-Napoléon mit en mouvement la cavalerie et trois divisions de sa garde,
-laissant les autres à Gorlitz, et fit ses dispositions pour être sur
-le Bober le lendemain 21. Avec le secours qu'il apportait au maréchal
-Ney, il allait avoir 130 mille hommes, et c'était plus qu'il ne
-fallait pour faire repentir Blucher de sa témérité et de l'infraction
-qu'il s'était permise contre le droit des gens. Après avoir une
-dernière fois renouvelé ses instructions à Poniatowski, à Victor, à
-Vandamme, à Saint-Cyr, il partit plein de confiance et d'espoir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les quatre corps de Ney sortaient à peine de leurs
-cantonnements lorsqu'ils avaient été surpris par l'ennemi.</span>
-Les hostilités ayant commencé en Silésie avant l'époque assignée par
-l'armistice, les quatre corps confiés à Ney sortaient à peine de leurs
-cantonnements lorsque l'ennemi s'était présenté. Deux de ces corps
-étaient sur le Bober, ceux de Macdonald et de Marmont, le premier à
-droite vers Lowenberg, le second à gauche vers Buntzlau. Deux étaient
-plus compromis encore, car ils se trouvaient au delà sur la Katzbach,
-celui de Lauriston aux environs de Goldberg, celui de Ney entre
-Liegnitz et Haynau. Ces deux derniers presque tournés par la subite
-apparition du corps de Langeron sur leur flanc droit, étaient dans un
-fort grand péril. Le corps de Lauriston eut de la peine à se replier
-de la Katzbach sur le Bober, mais il le fit avec sang-froid et
-vigueur, et rejoignit Macdonald à Lowenberg sans accident.
-<span class="sidenote" title="En marge">Leur retraite en bon ordre sur le Bober.</span>
-Ney, qui
-était le plus avancé vers notre gauche, au lieu de se replier
-simplement sur Buntzlau pour y <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> repasser le Bober, vint se
-déployer hardiment entre la Katzbach et le Bober, et braver Blucher
-qui s'acharnait contre Lowenberg. À sa vue Blucher s'étant porté sur
-lui, et Lowenberg se trouvant ainsi dégagé, Ney descendit sur
-Buntzlau, y passa le Bober, et se réunit à Marmont.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, arrivé à Lowenberg le 21, reporte les quatre
-corps de Ney en avant.</span>
-Le 20 nos quatre corps étaient derrière le Bober, ceux de Lauriston et
-de Macdonald à Lowenberg, ceux de Marmont et de Ney à Buntzlau, ayant
-beaucoup plus causé de mal à l'ennemi qu'ils n'en avaient essuyé.
-Napoléon arrivé le 21 au matin sur les lieux voulut prendre
-l'offensive immédiatement. Blucher avait montré environ 80 mille
-hommes, le général russe Sacken, avec lequel il en aurait eu 100
-mille, étant resté un peu en arrière sur sa droite. Napoléon qui en
-avait plus de 130 mille, employa la matinée à faire jeter des ponts de
-chevalets sur le Bober, et à donner tous ses ordres pour une marche
-prompte et vigoureuse, car il n'avait pas de temps à perdre,
-s'attendant à être bientôt rappelé sur ses derrières par la grande
-armée de Bohême. En conséquence il résolut de déboucher de Lowenberg
-avec Macdonald et Lauriston, en traversant le Bober sur ce point, et
-d'attirer sur sa gauche Ney et Marmont, après leur avoir fait passer
-le Bober à Buntzlau.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">On débouche de Lowenberg, et on pousse l'ennemi l'épée dans
-les reins.</span>
-Vers le milieu du jour on franchit le Bober à Lowenberg, et on marcha
-vivement. La division Maison, qui formait notre tête de colonne,
-refoula devant elle les troupes du général d'York, et ne leur laissa
-de répit nulle part. Tout le corps de Lauriston suivait appuyé par
-celui de Macdonald. À notre gauche, <span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> les maréchaux Ney et
-Marmont débouchèrent de Buntzlau, et vinrent se serrer sur notre
-centre. Blucher se voyant aussi vigoureusement abordé, se douta bien
-qu'il avait Napoléon devant lui, et se hâta de rentrer dans ses
-instructions, qui lui prescrivaient de ne rien hasarder quand il
-aurait en tête ce redoutable adversaire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher se replie derrière la Katzbach.</span>
-Il se couvrit d'un petit
-cours d'eau, le Haynau, qui coule entre le Bober et la Katzbach. Cette
-journée lui avait déjà coûté deux à trois mille hommes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">On continue le 22 cette marche offensive.</span>
-Le 22 Napoléon continua sa marche offensive. Les corps de Lauriston et
-de Macdonald se portèrent directement sur Goldberg pour jeter Blucher
-au delà de la Katzbach, tandis que Ney et Marmont, s'avançant toujours
-sur notre gauche, le pousseraient dans le même sens.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ardeur des troupes.</span>
-La division
-Maison assaillit de nouveau l'ennemi avec la plus grande vigueur. Les
-troupes, animées par la présence de Napoléon, montraient partout une
-ardeur extrême.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher définitivement repoussé.</span>
-L'ennemi voulut se défendre, mais Lauriston le
-débordant avec le reste de son corps, pendant que Macdonald le
-menaçait au centre, on le força d'abandonner le petit cours d'eau
-derrière lequel il s'était réfugié, et de repasser la Katzbach pour
-aller prendre position à Goldberg. Ses pertes dans cette journée
-furent assez considérables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dans ces entrefaites apprend l'apparition de la
-grande armée de Bohême sur les derrières de Dresde.</span>
-Il était évident, malgré la résistance que Blucher cherchait à nous
-opposer, et malgré ses cent mille hommes, qu'on ne l'avait pas mis en
-mesure de tenir tête à Napoléon, et que ce n'était pas de son côté
-qu'aurait lieu l'action principale. En effet le soir même, Napoléon
-reçut du maréchal Saint-Cyr un <span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> courrier qui ayant fait
-quarante lieues pour le joindre, lui apprenait qu'on était attaqué par
-des masses nombreuses, et qu'évidemment la grande armée coalisée
-débouchait par Péterswalde sur les derrières de Dresde, soit qu'elle
-songeât à enlever cette ville, soit qu'elle eût l'idée de se porter
-sur Leipzig, pour exécuter l'audacieuse tentative de se placer entre
-les Français et le Rhin. Ainsi s'accomplissait l'une des deux
-hypothèses prévues par Napoléon, et la plus désirable des deux, celle
-pour laquelle tout avait été préparé avec le plus de soin. Napoléon
-n'en fut ni surpris ni affligé, tout au contraire, mais il y vit une
-raison pressante d'accélérer ses mouvements.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le soir du 22, il arrête le mouvement de ses troupes pour
-se reporter sur l'Elbe.</span>
-Le soir même du 22, il
-arrêta sa garde qui était encore en marche, et qui heureusement
-n'avait pas dépassé Lowenberg, afin qu'elle se mît en route après un
-peu de repos, et qu'elle pût être de retour à Dresde en quatre jours,
-c'est-à-dire le 26. <span class="sidenote" title="En marge">Il renvoie à Dresde la garde, la réserve de cavalerie et
-Marmont.</span>
-Le corps du maréchal Marmont ayant été le moins
-engagé, était le moins fatigué aussi, et sans perdre un instant il
-rebroussa chemin pour voyager avec la garde. Napoléon expédia
-également une grande partie de la réserve de cavalerie, enfin il
-écrivit au général Vandamme et au maréchal Victor de se replier l'un
-et l'autre sur l'Elbe, en laissant le prince Poniatowski aux gorges de
-Zittau. De la sorte 180 mille hommes devaient se trouver réunis sous
-Dresde en quatre jours, et 80 mille au moins dans les deux premières
-journées. Il n'y avait par conséquent aucune inquiétude à concevoir.</p>
-
-<p>Après avoir donné ces ordres dans la soirée même du 22, Napoléon
-voulut que le 23 au matin les corps <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> de Lauriston, Macdonald
-et Ney, qui avec la cavalerie du général Sébastiani composaient une
-masse de 80 mille hommes au moins, poussassent encore une fois
-l'ennemi devant eux, et le rejetassent fort au delà de la Katzbach. Au
-point du jour le corps de Lauriston à droite, celui de Macdonald au
-centre, la cavalerie de Latour-Maubourg à gauche, se déployèrent le
-long de la Katzbach, pendant que Ney à trois lieues au-dessous, se
-portait avec son corps et la cavalerie de Sébastiani devant Liegnitz.
-Blucher avait rangé les troupes russes de Langeron et les troupes
-prussiennes d'York, derrière la Katzbach et sur les hauteurs du
-Wolfsberg. La division Girard attaqua les bords de la rivière vers
-Niederau, et eut un engagement très-vif avec la division prussienne du
-prince de Mecklembourg. Le général Girard, après avoir démonté
-l'artillerie de l'ennemi et ébranlé son infanterie à coups de canon,
-l'aborda brusquement à la baïonnette. <span class="sidenote" title="En marge">Blucher est forcé de se replier sur Jauer après une perte
-de 8 mille hommes en quelques jours.</span>
-Les Prussiens culbutés et
-acculés sur la Katzbach se couvrirent de leur cavalerie, qui fut
-bientôt repoussée par celle du général Latour-Maubourg, et repassèrent
-enfin la Katzbach, que le général Girard franchit à leur suite. À
-droite, le général Lauriston ayant opéré son passage vers Seyfnau,
-assaillit les hauteurs du Wolfsberg, les enleva trois fois aux Russes,
-et trois fois les reperdit. Mais le 135<sup>e</sup>, de la division Rochambeau,
-s'en rendit maître par un dernier effort, et l'action se trouva dès
-lors décidée en notre faveur. Blucher se voyant en même temps débordé
-à deux ou trois lieues sur sa droite, par le mouvement du maréchal Ney
-sur Liegnitz, se replia en toute hâte vers Jauer.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon emmène avec lui le maréchal Ney, et
-confie au maréchal Macdonald le commandement des corps laissés sur le
-Bober.</span>
-Cette inutile violation du droit des gens avait coûté environ 8 mille
-hommes au général prussien, et à nous la moitié tout au plus.
-Malheureusement elle n'avait pas ébranlé le moral d'un ennemi
-combattant avec l'acharnement du désespoir. Napoléon, qui avait
-éprouvé l'inconvénient de laisser plusieurs maréchaux ensemble quand
-sa présence ne les dominait point, et qui prévoyait de rudes batailles
-pour lesquelles il lui convenait d'avoir le maréchal Ney sous sa main,
-résolut de l'emmener avec lui, et de confier le 3<sup>e</sup> corps au général
-Souham. De la sorte il n'allait rester sur ce point qu'un maréchal et
-deux lieutenants généraux. Le maréchal était Macdonald, chef du 11<sup>e</sup>
-corps, et les lieutenants généraux étaient Lauriston et Souham, chefs
-des 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps. Napoléon en remettant le commandement supérieur
-à Macdonald, lui donna pour instruction de tenir ses troupes légères
-en observation entre le Bober et la Katzbach, mais de camper avec le
-gros de ses forces derrière le Bober même, entre Lowenberg et
-Buntzlau, et d'avoir des postes de correspondance à droite dans les
-montagnes de Bohême, à gauche dans les plaines de la Lusace, afin
-d'être constamment averti des moindres mouvements de l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Rôle assigné au maréchal Macdonald.</span>
-Sa mission principale était d'abord de défendre le Bober contre Blucher,
-et ensuite d'intercepter les routes qui vont de la Bohême en Prusse,
-afin d'empêcher les détachements que l'ennemi pourrait diriger vers
-Berlin, contre le corps du maréchal Oudinot. Toujours occupé, comme on
-le voit, de la marche de ce maréchal sur la capitale de la Prusse,
-pour laquelle il avait déjà trop étendu le cercle de <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> ses
-opérations, Napoléon continuait à faire à cet objet des sacrifices
-regrettables, car Macdonald laissé à quarante lieues de Dresde,
-pouvait, quoique débarrassé de l'ennemi en ce moment, être assailli de
-nouveau avec plus de vigueur, et courir de grands dangers en attendant
-qu'on vînt à son secours.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, arrivé à Gorlitz, y trouve une multitude de
-nouvelles venues de Dresde.</span>
-Ces dispositions prises, Napoléon ayant vu Blucher en retraite sur
-Jauer, partit pour Gorlitz, vers le milieu du jour, tandis que la
-garde, le corps de Marmont et la cavalerie de Latour-Maubourg y
-marchaient au pas des troupes. Les nouvelles se multipliaient à mesure
-qu'il approchait, et lui peignaient la ville de Dresde comme fort
-émue.
-<span class="sidenote" title="En marge">Effroi causé à Dresde par l'apparition de la grande armée
-des coalisés.</span>
-Le roi de Saxe, la population, les généraux mêmes préposés à la
-défense de ce poste important, étaient frappés de la masse immense
-d'ennemis qui venant de la Bohême, descendaient des montagnes sur les
-derrières de cette capitale. Les rapports s'accordaient unanimement à
-dire que les hauteurs qui entourent Dresde sur la rive gauche de
-l'Elbe, étaient couvertes de soldats de toutes nations. On y voyait
-poindre au sommet des coteaux la lance des Cosaques tant redoutée des
-habitants paisibles.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Route qu'avait suivie cette armée.</span>
-La grande armée de la coalition, celle qui, composée de Prussiens, de
-Russes, d'Autrichiens, au nombre de 250 mille hommes, devait profiter
-de la Bohême pour tourner la position de l'Elbe, avait en effet
-exécuté le plan arrêté à Trachenberg, et après avoir opéré sa
-concentration, entre Tetschen et Commotau (voir la carte n<sup>o</sup> 58),
-venait de déboucher en Saxe par tous les défilés de l'<i>Erz-Gebirge</i>.
-Elle avait marché sur quatre colonnes, formées <span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> d'après
-l'emplacement des troupes. <span class="sidenote" title="En marge">Après avoir passé l'Elbe en Bohême, les coalisés étaient
-entrés en Saxe par les divers défilés des montagnes.</span>
-Les Russes venant du fond de la Bohême,
-puisqu'ils partaient de la Silésie, n'avaient guère pu dépasser
-l'Elbe, et avaient pris la chaussée de Péterswalde, qui longe le camp
-de Pirna, et descend sur Dresde en ayant toujours l'Elbe en vue. Le
-corps prussien de Kleist marchant en avant des Russes, avait suivi la
-route qui se trouvait un peu plus à gauche (gauche des coalisés
-débouchant en Saxe), laquelle était moins bien frayée, mais encore
-fort praticable, et passait par T&oelig;plitz, Zinnwald, Altenberg,
-Dippoldiswalde. Les Autrichiens, les plus avancés parce qu'ils
-partaient de chez eux, avaient pris la chaussée de Commotau à
-Marienberg et Chemnitz, qui est à la gauche des précédentes, et forme
-la grande route de Prague à Leipzig. Les nouvelles levées
-autrichiennes composant sous le général Klenau une quatrième colonne,
-devaient par Carlsbad et Zwickau s'abattre sur Leipzig.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Décidés d'abord à se porter sur Leipzig, les coalisés sont
-incertains sur la marche à suivre.</span>
-Mais à peine était-on en marche que le plan arrêté par les coalisés à
-Trachenberg avait été modifié, grâce à l'instabilité des conseils
-militaires de la coalition, où personne ne commandait, parce que
-personne n'en était tout à fait capable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du général Moreau au quartier général de l'empereur
-Alexandre.</span>
-Le commandement nominal avait
-bien été déféré au prince de Schwarzenberg pour flatter l'Autriche,
-mais au fond l'empereur Alexandre regrettait de ne pas l'avoir pris
-lui-même, aurait bien voulu le ressaisir, surtout depuis l'arrivée à
-son camp du général Moreau et du général Jomini, avec le secours
-desquels il croyait pouvoir conduire glorieusement les affaires de la
-coalition.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Avec quelles idées il y était venu, et comment on
-l'avait peu à peu entraîné à donner des conseils aux ennemis de son
-pays.</span>
-Le général Moreau, comme nous l'avons déjà dit, revenu d'Amérique au
-bruit du désastre de Napoléon en Russie, sans autre but qu'une
-espérance vague de rentrer dans son pays par des voies honnêtes, avait
-formé un projet qui n'était pas dépourvu de chances de succès. Ayant
-appris que l'empereur Alexandre avait plus de cent mille prisonniers
-français, tous exaspérés contre l'auteur de l'expédition de Moscou, il
-avait imaginé qu'on pourrait bien armer quarante ou cinquante mille
-d'entre eux, les transporter au moyen de la marine anglaise en
-Picardie, et il répondait en marchant avec eux sur Paris de renverser
-le trône impérial, pourvu que les souverains alliés le munissent d'un
-traité de paix dans lequel la France, laissée libre de se choisir un
-gouvernement, conserverait ses limites naturelles, les Alpes et le
-Rhin. Moreau, aimant la liberté, ayant en haine le gouvernement
-despotique qui pesait alors sur la France, se croyant supérieur aux
-lieutenants de Napoléon, prétendait qu'il leur passerait sur le corps
-à tous, moyennant qu'il se présentât à la tête de soldats français,
-qu'il annonçât une paix honorable, une liberté sage, et la fin de
-l'épouvantable carnage auquel Napoléon obligeait l'Europe par son
-ambition démesurée. Sans liaisons avec les Bourbons, n'étant
-aucunement porté vers eux, il admettait cependant que l'on cherchât à
-concilier cette antique famille avec la Révolution française, et qu'on
-la rappelât pour établir un gouvernement à la fois stable et libéral,
-qui mît fin aux longs troubles de la France<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Lien vers la note 8"><span class="smaller">[8]</span></a>. C'est avec ces idées
-qu'il <span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> était venu à Stockholm, et là son ancien camarade
-Bernadotte, feignant d'écouter ses scrupules, mais réchauffant ses
-haines, lui promettant qu'il trouverait auprès de l'empereur Alexandre
-satisfaction pour tous ses désirs, l'avait envoyé au quartier général
-russe. Alexandre avait accueilli ce proscrit avec des honneurs
-infinis, l'avait traité en ami, et avait calmé ses scrupules en lui
-affirmant qu'on n'en voulait ni à la France ni à sa grandeur, qu'on
-était prêt à lui laisser les belles conditions du traité de Lunéville,
-qu'on n'entendait lui imposer aucune forme de gouvernement, et qu'on
-s'empresserait au contraire de reconnaître celui qu'elle aurait
-elle-même choisi, ce gouvernement fût-il celui de la république.
-Repoussant comme impraticable le projet d'armer les prisonniers
-français, il avait par une pente insensible, d'où toutes les
-apparences coupables étaient soigneusement écartées, amené l'infortuné
-Moreau à la déplorable résolution, non pas de servir contre la France,
-mais de rester auprès des souverains qui la combattaient, différence
-qui pouvait lui faire illusion, mais qui n'en était pas une, car il
-était impossible qu'il résidât auprès d'eux pendant cette cruelle
-guerre sans les éclairer au moins de ses conseils. Pour achever cette
-séduction, Alexandre avait employé sa s&oelig;ur, la grande-duchesse
-Catherine, <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> veuve du duc d'Oldenbourg, princesse remarquable
-par l'esprit, le caractère, les agréments extérieurs, et tous deux,
-traitant Moreau comme un ami, l'avaient ainsi aveuglé, étourdi par les
-plus adroites flatteries, et l'avaient entraîné définitivement sur la
-voie où il allait rencontrer la plus cruelle des morts, celle qui avec
-sa vie devait emporter sinon sa gloire, du moins son innocence. C'est
-depuis qu'il avait Moreau à ses côtés qu'Alexandre regrettait le
-commandement général. Il aurait voulu le prendre pour chef
-d'état-major, et avec lui diriger la guerre. Mais il n'était pas
-possible d'imposer Moreau au prince de Schwarzenberg, ni comme
-supérieur ni comme subordonné, et de lui ménager un rôle même séant,
-soit pour lui, soit pour les généraux de la coalition.
-<span class="sidenote" title="En marge">Son attitude et sa situation au camp des coalisés.</span>
-Moreau se
-trouvait ainsi dans le camp des coalisés à titre d'ami privé de
-l'empereur Alexandre, vivant tantôt près de lui, tantôt près de la
-grande-duchesse Catherine qui était établie à T&oelig;plitz, n'aimant
-point à figurer dans ces conseils militaires où l'on parlait si
-longuement, où l'on était à la fois bouillant d'un patriotisme qui
-était pour lui un reproche, et plein d'idées théoriques qui n'allaient
-pas à son génie simple et pratique, se bornant à donner directement
-ses avis à Alexandre, réussissant rarement à les faire prévaloir à
-travers le chaos des avis contraires, et déjà cruellement puni de sa
-faute par la position fausse, gênée, presque humiliante, qu'il avait
-au milieu des ennemis de sa patrie.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du général Jomini au quartier général de la
-coalition.</span>
-Le général Jomini, Suisse de naissance, écrivain militaire supérieur,
-et dans la pratique de la guerre <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> officier d'état-major d'un
-jugement aussi sûr qu'élevé, avait rendu à l'armée française, soit à
-Ulm, soit à la Bérézina, soit à Bautzen, des services dont il avait
-été mal récompensé. <span class="sidenote" title="En marge">Comment il y avait été amené.</span>
-À Bautzen notamment, après avoir signalé au
-maréchal Ney le vrai point où il aurait fallu marcher, il avait reçu
-une punition au lieu d'une récompense, ce qu'il devait aux mauvais
-offices du prince major général, dont il avait souvent blessé la
-susceptibilité. Vif, irritable, ayant voulu plusieurs fois donner sa
-démission et entrer au service de la Russie qui s'était empressée de
-répondre favorablement à ses désirs, il n'avait pas su se contenir en
-éprouvant le dernier désagrément qu'on venait de lui infliger, et
-pendant l'armistice il avait passé aux Russes, sans emporter, comme on
-l'a dit, des plans qu'il ignorait, sans manquer à sa patrie puisqu'il
-était originaire de la Suisse, mais ayant le tort de ne pas sacrifier
-des griefs même fondés à une vieille confraternité d'armes, et se
-préparant ainsi des regrets qui devaient attrister sa vie. Il était
-arrivé auprès d'Alexandre, qui, connaissant son mérite, lui avait fait
-le plus brillant accueil. Là il parlait haut, avec la chaleur d'un
-esprit ardent et convaincu, déplaisait aux généraux alliés en vantant
-Napoléon et les Français qu'il était presque fâché d'avoir quittés, et
-censurait sans ménagement tous les projets militaires formés à
-Trachenberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les généraux Jomini et Moreau improuvent le plan de marcher
-sur Leipzig.</span>
-Il n'avait pas eu de peine à prouver à l'empereur
-Alexandre que marcher sur Leipzig était une insigne folie, que se
-porter sur les communications de l'ennemi lorsqu'on était sûr de ne
-pas compromettre les siennes, et qu'on ne craignait pas une <span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span>
-rencontre décisive, pouvait être une bonne manière d'opérer, mais que
-ce n'était pas le cas ici, car, une fois à Leipzig, on serait exposé à
-être coupé de la Bohême, on aurait Napoléon derrière soi à la tête de
-trois cent mille hommes toujours victorieux jusqu'alors, et si dans
-cette position on perdait une bataille, on n'en reviendrait pas, les
-montagnes de la Bohême étant occupées par lui, et l'Elbe étant jusqu'à
-Hambourg dans ses terribles mains. Le général Moreau, consulté, avait
-trouvé cet avis parfaitement juste, et on avait renoncé à se diriger
-sur Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">D'après ce conseil on se replie en se rapprochant de
-Dresde.</span>
-On avait résolu, au lieu d'appuyer à gauche, d'appuyer à
-droite, et de se rapprocher des bords de l'Elbe. Les deux premières
-colonnes, celle qui avait passé par Péterswalde, et celle qui avait
-passé par Zinnwald et Altenberg, avaient cheminé tout près de Dresde;
-mais il avait fallu ramener la troisième par Marienberg et Sayda sur
-Dippoldiswalde, la quatrième par Zwickau et Chemnitz sur Tharandt.
-(Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) On s'était ainsi reporté sur Dresde sans
-savoir précisément ce qu'on y ferait; mais on avait l'avantage, en
-restant adossé aux montagnes de Bohême, de conserver toujours ses
-communications, d'être comme une épée de Damoclès suspendue sur la
-tête de Napoléon, et de pouvoir au besoin, si l'occasion était
-favorable, se jeter sur Dresde pour enlever cette ville, ce qui était
-le plus grand dommage qu'on pût causer aux Français. Tandis qu'on
-exécutait ce mouvement transversal de gauche à droite, en suivant le
-pied de l'<i>Erz-Gebirge</i>, on avait appris l'apparition de Napoléon en
-Bohême, circonstance qui avait fait craindre de sa part une marche
-<span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> sur Prague, et rendu plus évidente la convenance de
-rebrousser chemin vers l'Elbe. Puis à Dippoldiswalde même on avait
-connu la marche de Napoléon sur le Bober, et la situation périlleuse
-de Blucher. C'était le cas de tenter quelque chose, et de profiter de
-l'absence de Napoléon pour frapper un grand coup, pour enlever Dresde
-par exemple, ce que conseillaient les esprits hardis, ce que
-craignaient les esprits timides, ce que les esprits sages comme Moreau
-faisaient dépendre de l'état dans lequel on trouverait les défenses de
-cette ville.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Apparition de la grande armée de Bohême sur les derrières
-de Dresde.</span>
-C'est ainsi que la grande armée des coalisés était arrivée à déployer
-ses masses imposantes autour de la belle capitale de la Saxe. La
-colonne qu'on avait aperçue la première était la colonne russe de
-Wittgenstein, qui descendant le plus près de l'Elbe par la route de
-Péterswalde, avait rencontré le maréchal Saint-Cyr devant le camp de
-Pirna. Ce qu'on appelle le camp de Pirna consiste dans un plateau
-très-élevé, adossé à l'Elbe, taillé à pic presque de tous les côtés,
-appuyé à gauche au fort de K&oelig;nigstein, à droite au château de
-Sonnenstein et à la ville de Pirna. La grande route de Bohême par
-Péterswalde, après avoir franchi les montagnes, s'enfonce vers
-Hollendorf dans des terrains creux, puis remonte à Berg-Gieshübel sur
-un autre plateau situé au-dessous de celui de Pirna, passe presque
-sous son feu, mais à une distance qui rend le passage possible, de
-manière que la position de Pirna, quoique invincible en elle-même, ne
-donne cependant pas le moyen de barrer absolument la route de
-Péterswalde. Seulement une armée établie dans cette position,
-<span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> outre qu'elle a dans le camp de Pirna un asile assuré, y
-trouve aussi un poste d'où elle peut gêner, arrêter même en opérant
-bien l'ennemi qui veut suivre la route de Péterswalde, soit pour
-descendre en Saxe, soit pour remonter en Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr, après avoir occupé par sa première division les
-forts de K&oelig;nigstein et de Lilienstein, entre lesquels était jeté un
-pont sur l'Elbe, avait placé la seconde sur la route de Péterswalde,
-de manière à ralentir la marche de l'ennemi, et à pouvoir se replier
-sur Dresde comme il en avait l'ordre. Celle-ci avait défendu pied à
-pied le plateau de Berg-Gieshübel, avec un aplomb remarquable chez des
-soldats à peine formés. Pendant ce temps la troisième des divisions du
-maréchal Saint-Cyr observait le second débouché, celui qui de
-T&oelig;plitz vient aboutir sur Zinnwald, Altenberg, Dippoldiswalde, et
-la quatrième enfin placée à la droite de Dippoldiswalde, et veillant
-sur la grande route de Freyberg, servait de soutien au général Pajol,
-qui faisait le coup de sabre avec les avant-gardes de la cavalerie
-autrichienne arrivant par les débouchés les plus éloignés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr autour de
-Dresde.</span>
-Le 23 août le maréchal Saint-Cyr ayant confié, comme nous venons de le
-dire, à sa première division (42<sup>e</sup> de l'armée) la garde des deux forts
-de K&oelig;nigstein et de Lilienstein, et tous les postes des bords de
-l'Elbe afin d'empêcher l'ennemi de passer d'une rive à l'autre,
-s'était replié en ordre sur Dresde, où il avait ainsi, outre la
-garnison, trois divisions d'infanterie avec les cavaleries Lhéritier
-et Pajol. Ces forces appuyées sur des ouvrages de campagne, <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span>
-et sur les défenses de la ville, étaient capables d'opposer une
-résistance sérieuse à l'ennemi, quoiqu'il comptât dès les premiers
-jours 150 mille hommes, et 200 mille les jours suivants. Les trois
-divisions d'infanterie du maréchal Saint-Cyr<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Lien vers la note 9"><span class="smaller">[9]</span></a> ne devaient pas
-comprendre moins de 21 ou 22 mille hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Véritable chiffre de ses forces.</span>
-On pouvait tirer de la
-garnison 5 à 6 mille hommes, quelques-uns Allemands il est vrai, pour
-les porter sur la rive gauche, et les généraux Lhéritier et Pajol
-avaient bien 4 mille chevaux. Le maréchal Saint-Cyr disposait ainsi de
-31 à 32 mille hommes avec beaucoup d'artillerie attelée pour aider
-l'artillerie de position. Il avait donc les moyens de disputer la
-place à l'ennemi, et de donner à Napoléon le temps de man&oelig;uvrer
-autour d'elle comme il le jugerait utile au plus grand bien des
-opérations.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, calculant sur les forces laissées à
-Saint-Cyr pour la défense de Dresde, forme l'une des plus grandes et
-des plus redoutables combinaisons de sa vie militaire.</span>
-C'est sur cet état de choses que Napoléon fonda ses calculs en
-recevant à Gorlitz le détail de ce qui s'était passé du côté de
-Dresde. Il ne pouvait pas savoir tout ce que nous venons de rapporter
-des mouvements de l'ennemi; mais il savait par la présence de masses
-considérables sur les derrières de Dresde, qu'entre les divers plans
-possibles les coalisés avaient adopté celui qui consistait à le
-tourner, en se portant sur la rive gauche de l'Elbe, et en descendant
-en Saxe par Péterswalde. Ayant prévu ce mouvement, comme l'un des plus
-vraisemblables, il avait placé à Dresde, ainsi qu'on vient de le voir,
-de quoi repousser une première attaque, et de quoi retenir la grande
-armée du prince de Schwarzenberg plusieurs jours au moins. Ces données
-bien certaines lui suffisaient, et il imagina sur-le-champ l'une des
-combinaisons les plus belles, les plus redoutables qui soient sorties
-de son génie, et dont l'exécution, si elle s'accomplissait suivant ses
-vues, pouvait terminer la guerre en un jour, par l'un des plus
-terribles coups qu'il eût jamais frappés.</p>
-
-<p>Napoléon revenait de Silésie, précédé ou suivi des masses les plus
-mobiles de son armée qu'il faisait refluer vers l'Elbe. L'ennemi, pour
-le tourner, avait franchi l'Elbe dans l'intérieur de la Bohême, à
-l'abri des montagnes qui séparent la Bohême de la Saxe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Au lieu de déboucher directement de Dresde, il forme le
-projet de remonter jusqu'à K&oelig;nigstein, de passer l'Elbe en cet
-endroit, et de prendre par derrière la grande armée de la coalition.</span>
-Il fallait le
-punir de ce mouvement téméraire en repassant l'Elbe soi-même, pour
-fondre sur lui avec des masses écrasantes. Maître des ponts de Dresde,
-Napoléon pouvait y traverser l'Elbe tranquillement, et, amenant cent
-mille hommes avec lui, aborder de front les coalisés, et les refouler
-violemment sur les <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> montagnes d'où ils étaient venus. Mais
-avec ce coup d'&oelig;il qui n'appartenait qu'à lui, Napoléon jugea qu'il
-y avait bien mieux à faire. Au lieu de déboucher de front par Dresde,
-ce qui n'aurait donné lieu qu'à un choc direct, il résolut de remonter
-à K&oelig;nigstein, qu'il avait occupé d'avance, approvisionné, rattaché
-au rocher de Lilienstein par un pont de bateaux, puis après avoir
-passé l'Elbe en cet endroit, de s'établir à Pirna, d'intercepter la
-chaussée de Péterswalde, de descendre ensuite sur les derrières de
-l'ennemi avec 140 mille hommes, de le pousser sur Dresde, et de le
-prendre ainsi entre l'Elbe et l'armée française. Si ce plan à la fois
-extraordinaire et simple, qu'une admirable prévoyance avait rendu
-praticable, en s'assurant d'avance tous les passages de l'Elbe, si ce
-plan réussissait, et on ne conçoit pas ce qui aurait pu l'empêcher de
-réussir, il était possible que sous trois ou quatre jours il ne restât
-plus de coalition. On pouvait avoir fait prisonniers les souverains et
-leurs armées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon écrit au maréchal Saint-Cyr pour lui bien
-recommander la défense de Dresde.</span>
-Napoléon, l'esprit enflammé par la méditation de ce plan, se hâta
-d'écrire en chiffres à M. de Bassano, pour lui exposer la formidable
-combinaison qu'il venait d'imaginer, pour lui recommander de la tenir
-profondément secrète, mais de disposer tout le monde à la seconder, en
-faisant prendre patience jusqu'à ce que les secours arrivassent, car
-il allait employer deux jours au moins à se concentrer à
-K&oelig;nigstein, à y multiplier les moyens de passage pour faciliter le
-mouvement des 140 mille hommes qu'il amenait, et enfin à se poster
-convenablement sur la chaussée de Péterswalde. Il écrivit aussi au
-<span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> maréchal Saint-Cyr, afin de lui retracer encore une fois tous
-les moyens de défense que présentait la ville de Dresde, et il vint le
-25 s'établir à Stolpen sur la droite du fleuve, à égale distance de
-K&oelig;nigstein et de Dresde. Il y fit refluer tout ce qui avait quitté
-Zittau pour revenir sur l'Elbe, et tout ce qui arrivait des bords du
-Bober avec la même destination.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'établit à Stolpen, et y amène toutes ses troupes
-pour l'exécution de son plan.</span>
-Établi à Stolpen, il arrêta toutes ses dispositions conformément à son
-nouveau plan. Le corps de Vandamme, fort de trois divisions, s'était
-déjà replié sur K&oelig;nigstein à la première apparition de la grande
-armée des coalisés. La moitié de l'une de ses divisions, celle du
-général Teste, s'était répandue le long de l'Elbe, de K&oelig;nigstein à
-Dresde, pour empêcher l'ennemi de repasser le fleuve, et le tenir
-enfermé sur la rive gauche. Napoléon laissa là cette demi-division, et
-la renforça d'une nombreuse cavalerie avec ordre de s'opposer à
-l'établissement de toute espèce de ponts.
-<span class="sidenote" title="En marge">Manière d'employer le corps de Vandamme.</span>
-Il prescrivit à Vandamme de
-passer avec ses deux autres divisions par le pont jeté entre
-Lilienstein et K&oelig;nigstein, d'assaillir le camp de Pirna sous lequel
-l'ennemi avait défilé sans l'occuper en forces, de s'en emparer, d'y
-rallier la première division de Saint-Cyr, celle de Mouton-Duvernet,
-laissée à Pirna, et d'aller s'établir à cheval sur la chaussée de
-Péterswalde. Il devait avoir ainsi outre ses deux premières divisions
-une moitié de la 3<sup>e</sup> (celle de Teste) et la première de Saint-Cyr.
-<span class="sidenote" title="En marge">Forces et instructions données à ce général.</span>
-Napoléon, pour lui procurer quatre divisions entières, emprunta au
-maréchal Victor la brigade du prince de Reuss, y ajouta la cavalerie
-de Corbineau, ce qui composait un corps de plus de 40 mille hommes,
-<span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> dont 36 mille d'infanterie et près de 5 mille de cavalerie.
-Il disposa ensuite toute sa garde et le maréchal Victor revenu de
-Zittau autour de Stolpen, de manière à suivre le général Vandamme dès
-que celui-ci serait maître du camp de Pirna, pressa la marche du
-maréchal Marmont, et fit réunir tous les bateaux qu'on put ramasser
-pour jeter deux ponts supplémentaires entre Lilienstein et
-K&oelig;nigstein. Ces ponts jetés, il devait avec Vandamme, Victor, la
-garde impériale et Marmont, avoir sous la main cent vingt mille hommes
-à lancer sur les derrières de l'ennemi. Son projet était, tandis qu'il
-repasserait l'Elbe à K&oelig;nigstein, d'envoyer la cavalerie
-Latour-Maubourg le repasser à Dresde, afin de tromper le prince de
-Schwarzenberg, et de lui persuader que toute l'armée française allait
-déboucher par cette ville. Il aurait eu ainsi 40 et quelques mille
-hommes dans Dresde, et 120 mille au camp de Pirna, pour former l'étau
-dans lequel il voulait prendre l'armée coalisée. Afin d'être plus sûr
-de la garde de l'Elbe, dont il fallait faire un obstacle
-insurmontable, il ne se contenta pas de la moitié de la division Teste
-et de la cavalerie Latour-Maubourg distribuées entre K&oelig;nigstein et
-Dresde, mais il ordonna au maréchal Saint-Cyr d'expédier la cavalerie
-Lhéritier et deux bataillons d'infanterie pour aller garder Meissen, à
-huit lieues de Dresde, afin que l'ennemi lorsqu'il serait acculé sur
-cette ville, ne pût pas trouver passage au-dessous.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon après avoir tout disposé pour obtenir un immense
-résultat, donne un jour de repos à ses troupes.</span>
-Enfin la pluie
-ayant détrempé les routes, les bateaux étant difficiles à réunir entre
-Lilienstein et K&oelig;nigstein, et les troupes étant fatiguées, il crut
-pouvoir leur donner un jour de repos <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> sans rien compromettre,
-car tout paraissait calme autour de Dresde. En conséquence il décida
-que Vandamme ne passerait le pont de l'Elbe entre Lilienstein et
-K&oelig;nigstein pour assaillir le camp de Pirna que vers la fin de la
-journée du 26.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvements des coalisés autour de Dresde.</span>
-Malheureusement pendant ce temps les esprits commençaient à se
-troubler à Dresde en voyant se déployer les masses de l'armée
-coalisée. Du 23 au 25 on n'avait aperçu que la première colonne, celle
-qui avait suivi la route de Péterswalde. Les jours suivants les autres
-colonnes s'étaient montrées à leur tour, et les hauteurs de Dresde
-avaient paru en être couvertes. Il ne manquait à cette réunion que la
-dernière colonne autrichienne, celle de Klenau, qui ayant passé par
-Carlsbad et Zwickau, avait le plus de chemin à faire pour revenir sur
-Dresde. Les conseillers d'Alexandre, accourus sur le terrain,
-s'étaient partagés, comme de coutume, et les plus hardis, le général
-Jomini en tête, en voyant les trois divisions de Saint-Cyr dans la
-plaine, avaient conseillé de se ruer sur elles, pour rentrer dans
-Dresde à leur suite, et détruire ainsi d'un seul coup tout notre
-établissement sur l'Elbe. La proposition avait de quoi séduire, et
-Moreau consulté avait répondu, avec son ordinaire sûreté de jugement,
-qu'on aurait raison de faire cette tentative, si Saint-Cyr était
-capable d'attendre à découvert le choc de masses écrasantes, et s'il
-n'y avait rien derrière lui, soit en ouvrages de défense, soit en
-réserve de troupes, mais que ce n'était pas supposable, et qu'il
-serait grave de s'exposer à un échec au début des hostilités. Au
-milieu de ce conflit, le prince de Schwarzenberg <span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> avait dit
-qu'en tout cas il fallait différer d'un jour, car sa quatrième colonne
-n'était point arrivée. On avait donc remis au lendemain 26 le parti à
-prendre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Profonde terreur à Dresde.</span>
-Cette accumulation successive des troupes coalisées autour de Dresde
-s'apercevait de l'intérieur de la ville, et y causait une sorte de
-terreur. On avait adressé à Napoléon messages sur messages pour le
-presser d'accourir en personne avec toutes ses réserves, afin de
-repousser l'attaque formidable dont on était menacé.
-<span class="sidenote" title="En marge">Murat envoyé dans cette ville pour voir ce qui s'y
-passait.</span>
-En réponse à ces
-instances il avait envoyé Murat qui, après une reconnaissance de
-cavalerie dans laquelle il avait failli être pris, avait constaté la
-présence d'une armée fort nombreuse, manifestant l'intention
-d'attaquer Dresde, et n'avait rien pu voir de plus, car il ne
-connaissait pas les défenses de la ville, et n'était pas capable
-d'ailleurs d'avoir un avis bien éclairé sur leur valeur.
-<span class="sidenote" title="En marge">Lettre de Napoléon au maréchal Saint-Cyr sur la défense de
-Dresde.</span>
-Napoléon
-toujours plus sollicité d'accourir, et s'y refusant pour ne pas
-abandonner un plan duquel il attendait des résultats immenses, avait
-écrit au maréchal Saint-Cyr afin de lui détailler de nouveau ses
-moyens défensifs, qui consistaient dans un camp retranché composé de
-cinq redoutes et de vastes abatis, dans la vieille enceinte de la
-ville refaite au moyen d'un fossé plein d'eau et de fortes palissades,
-et enfin dans des barricades établies à la tête de toutes les rues, et
-il lui avait dit que le camp retranché pris il restait l'enceinte,
-après l'enceinte les têtes de rues barricadées, que trente mille
-soldats bien commandés devaient se défendre là six à huit jours, et
-même quinze, s'ils étaient bien résolus.--Un homme moins habile, mais
-plus dévoué que le <span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> maréchal Saint-Cyr, aurait promis de faire
-tuer jusqu'au dernier de ses soldats en défendant la place, et aurait
-tenu parole, car le salut de la France et sa grandeur dépendaient en
-cette occasion d'une résistance opiniâtre de quarante-huit heures.
-Malheureusement le maréchal, craignant de prendre des engagements
-téméraires, se contenta d'écrire qu'il ferait de son mieux, mais qu'il
-ne pouvait répondre de rien, en présence des masses ennemies dont il
-était environné<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Lien vers la note 10"><span class="smaller">[10]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Froides assurances du maréchal Saint-Cyr en réponse aux
-vives instances de Napoléon.</span>
-Certes on pouvait compter, lorsqu'il promettait
-de faire de son mieux, qu'il tiendrait sa promesse, et que ce mieux
-serait une résistance aussi ferme qu'intelligente. Mais l'intérêt de
-la conservation de Dresde était si grand que Napoléon, mécontent de
-l'extrême réserve du maréchal, fit partir son officier d'ordonnance
-Gourgaud pour cette ville, avec mission de tout voir, d'entendre tout
-le monde, et de revenir ensuite au galop, afin qu'il pût prendre sa
-résolution en parfaite connaissance de cause.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'officier d'ordonnance Gourgaud envoyé à Dresde pour
-s'assurer de nouveau du véritable état des choses.</span>
-Le chef d'escadron Gourgaud, officier brave et spirituel, n'avait pas
-un jugement assez froid pour bien remplir une semblable mission. Quand
-il arriva dans la journée du 25 à Dresde, la population, la cour,
-étaient dans les alarmes. Les généraux eux-mêmes commençaient à
-perdre leur sang-froid, et il <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> régnait partout l'anxiété la
-plus vive. On abandonnait en foule la ville principale, dite la ville
-vieille, laquelle étant située sur la rive gauche de l'Elbe se
-trouvait exposée aux attaques de l'ennemi, pour se rendre dans le
-faubourg de la rive droite, appelé ville neuve. On y avait préparé le
-logement du roi et celui de M. de Bassano; les magistrats eux-mêmes
-s'y étaient transportés, et la population entière suivait leur
-exemple, sans savoir où elle logerait. On comprend que devant une
-attaque exécutée par 200 mille hommes et 600 bouches à feu, cette
-malheureuse population fût épouvantée, et que, tout allemande qu'elle
-était, désirant par conséquent le succès des coalisés, elle ne le
-désirât plus cette fois, et demandât à grands cris le secours de
-Napoléon. Le roi surtout, facile à troubler, entouré d'une nombreuse
-famille aussi timide que lui, était saisi de terreur. Le maréchal
-Saint-Cyr, le général Durosnel, chargés de la défense, l'un comme
-commandant du 14<sup>e</sup> corps, l'autre comme gouverneur de Dresde, pressés
-de questions par l'officier d'ordonnance Gourgaud, ne lui parurent pas
-convaincus de la force de la position, et lui firent un rapport peu
-rassurant.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ému par ce qu'il a vu, l'officier d'ordonnance Gourgaud
-fait à Napoléon un rapport alarmant.</span>
-Ce dernier, dont l'esprit s'échauffait aisément, repartit
-au galop dans la soirée du 25, arriva vers onze heures du soir à
-Stolpen, fit la peinture la plus vive des dangers qui menaçaient
-Dresde, au point d'ébranler le jugement ordinairement si ferme de
-Napoléon, et de lui faire oublier les considérations puissantes qu'il
-avait présentées lui-même au maréchal Saint-Cyr. Napoléon n'avait
-besoin en effet que de deux jours pour descendre par <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span>
-K&oelig;nigstein sur les derrières de l'ennemi, et il n'était pas
-possible après tout que Dresde ne résistât pas deux jours, car on
-avait à opposer aux assaillants le camp retranché, l'enceinte de la
-ville, et enfin les têtes de rues fortement barricadées. En supposant
-même que la vieille ville succombât, une chose était certaine, c'est
-que la ville neuve située sur la rive droite de l'Elbe, moyennant
-qu'on brûlât le pont dont une partie était en bois, ne succomberait
-point, que dès lors l'ennemi se trouverait toujours dans un vrai
-cul-de-sac, et qu'en débouchant sur ses derrières on serait assuré de
-le pousser dans un abîme. Toutefois le sacrifice de la vieille ville
-était cruel sous le rapport de l'humanité, fâcheux sous le rapport de
-la politique, car c'était rendre notre alliance bien funeste à la
-Saxe, et Napoléon ne regardait pas cette ressource extrême de se
-défendre dans la ville neuve comme acceptable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Malgré toutes les raisons qu'il avait de persister dans son
-premier plan, Napoléon en adopte un nouveau, moins fécond en grands
-résultats, mais plus sûr.</span>
-D'ailleurs, bien que
-son plan lui tînt fort au c&oelig;ur, et qu'aucune combinaison ne pût en
-égaler la grandeur et les résultats probables, il lui restait une
-autre combinaison féconde aussi en conséquences, c'était, au lieu de
-jeter par K&oelig;nigstein toute la masse de ses forces sur les derrières
-de l'ennemi, de ne jeter par cette issue que les quarante mille hommes
-de Vandamme et de déboucher directement par Dresde avec cent mille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il se décide à déboucher directement de Dresde avec cent
-mille hommes, en confiant au général Vandamme le soin de tourner
-l'ennemi avec 40 mille.</span>
-Certainement Vandamme maître du camp de Pirna, à cheval sur la grande
-chaussée de Péterswalde, devait en tombant sur les coalisés vaincus
-devant Dresde leur faire essuyer d'énormes dommages, car il prendrait
-tous ceux qui essayeraient de repasser par Péterswalde, et
-refoulerait les autres sur des routes mal <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> frayées où la
-retraite serait excessivement difficile. Ce nouveau plan présentait
-moins d'avantages sans doute, mais il en promettait de bien grands
-encore, et il était moins hasardeux, puisqu'en réunissant près de cent
-mille hommes à Dresde, Napoléon sauvait la ville, avait le moyen de
-battre l'ennemi sous ses murs, et avait en outre pour compléter la
-victoire et en tirer les dernières conséquences, Vandamme embusqué à
-K&oelig;nigstein. Il se décida donc pour ce plan, moins vaste mais plus
-sûr; et ainsi plus audacieux que jamais en politique, il le fut moins
-que de coutume en fait de guerre, à l'inverse de ce qui aurait dû
-être, car moins il avait montré de sagesse dans sa politique, plus il
-aurait dû montrer d'audace dans ses opérations militaires, s'étant mis
-dans la nécessité d'avoir des triomphes inouïs ou de périr. Mais
-lui-même, contraste étrange! devenait défiant à l'égard de la fortune,
-dans un moment où par le refus de la paix il lui avait livré son
-existence tout entière!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Troupes dirigées sur Dresde.</span>
-Son parti pris à minuit, avec une promptitude qui ne l'abandonnait
-jamais, il dicta ses ordres à l'instant même. Il dirigea sur Dresde sa
-vieille garde arrivée déjà dans les environs de Stolpen, la cavalerie
-de Latour-Maubourg arrivée également en ce lieu, la moitié de la
-division Teste restée sur le bord de l'Elbe, et leur recommanda de
-marcher toute la nuit pour être rendues à Dresde à la pointe du jour,
-traverser les ponts, et venir se placer derrière le corps du maréchal
-Saint-Cyr. Il donna les mêmes instructions à la jeune garde et au
-maréchal Marmont qui étaient encore sur la route de Lowenberg,
-<span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> et au maréchal Victor qui avait quitté Zittau afin de se
-transporter à K&oelig;nigstein.
-<span class="sidenote" title="En marge">Instructions laissées au général Vandamme.</span>
-En même temps il traça au général
-Vandamme ce qu'il aurait à faire pendant la journée du lendemain 26.
-Ce dernier devait avec ses 40 mille hommes traverser le pont jeté
-antérieurement entre Lilienstein et K&oelig;nigstein, déboucher sur la
-rive gauche de l'Elbe, assaillir le camp de Pirna, l'enlever, et
-s'établir en travers de la chaussée de Péterswalde. À ces instructions
-il ajouta le secours d'un conseiller éclairé, celui du général Haxo,
-qu'il chargea d'être le guide et le mentor du bouillant Vandamme. Ces
-ordres expédiés, Napoléon prit un repos de quelques heures, et à la
-pointe du jour partit au galop pour Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span>
-Il y arriva vers 9 heures
-du matin le 26 août, la première de deux journées justement célèbres.</p>
-
-<p>Chemin faisant il avait aperçu une batterie qui de la rive droite de
-l'Elbe devait tirer sur la rive gauche moins élevée que la droite,
-afin d'appuyer l'extrémité de la ligne du maréchal Saint-Cyr. Il la
-fit renforcer et placer le plus avantageusement possible, puis il
-entra dans Dresde, suivi des braves cuirassiers de Latour-Maubourg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Enthousiasme excité par sa présence.</span>
-L'enthousiasme à son aspect fut extrême parmi les troupes et les
-habitants. Il y avait près du grand pont de pierre un hôpital de
-blessés français, dont les convalescents se tenaient ordinairement
-près des abords de ce pont, regardant travailler leurs camarades aux
-ouvrages de défense. À la vue de l'Empereur, ces jeunes gens se
-traînant comme ils pouvaient sur leurs membres mutilés, agitant les
-uns leurs bonnets, les autres leurs béquilles, se mirent à crier
-<cite>Vive l'Empereur!</cite> avec <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> un véritable fanatisme militaire. Les
-habitants, contraints à saluer en lui leur sauveur, l'accueillirent en
-poussant les mêmes cris, et en lui demandant de garantir des horreurs
-de la guerre leurs femmes et leurs enfants. D'ailleurs le dernier
-séjour qu'avaient fait chez eux les coalisés, les Russes surtout, les
-avait presque réconciliés avec les Français, qui les traitaient
-beaucoup moins durement. Déjà quelques boulets tombant sur le pont et
-sur la grande place les avertissaient du péril, et Napoléon leur
-apparaissait en ce moment comme un vrai libérateur. Il se rendit chez
-le roi de Saxe pour le rassurer, l'engagea vivement à ne pas être
-inquiet pour le sort de cette journée, puis se transporta sur le front
-du camp retranché, afin de rejoindre le maréchal Saint-Cyr qui était à
-la tête de ses troupes, et faisait ses dispositions tactiques avec son
-habileté accoutumée.</p>
-
-<p>Nous avons déjà donné une première idée du site et de la configuration
-de Dresde. La ville principale se trouve sur la gauche de l'Elbe, et
-se montre par conséquent la première quand on vient des bords du Rhin.
-(Voir la carte n<sup>o</sup> 58, et le plan de Dresde ajouté à cette carte.) Une
-suite de hauteurs, détachées des montagnes de la Bohême, enveloppent
-la ville, et forment autour d'elle une sorte d'amphithéâtre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Description de la position de Dresde.</span>
-C'est sur
-cet amphithéâtre que s'étaient rangés les coalisés, descendus de la
-Bohême pour nous prendre à revers. Ils avaient ainsi le dos tourné à
-la France, comme s'ils en étaient venus, et nous à l'Allemagne, comme
-si nous avions été chargés de combattre pour elle. Notre ligne de
-défense, adossée à la vieille ville, présentait un demi-cercle
-<span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> dont les deux extrémités s'appuyaient à l'Elbe, l'extrémité
-gauche au faubourg de Pirna, l'extrémité droite au faubourg de
-Friedrichstadt. Cette ligne consistait d'abord, ainsi que nous l'avons
-dit, dans cinq redoutes élevées au saillant des faubourgs, et jointes
-entre elles par des clôtures et des abatis (c'est ce qu'on appelait le
-camp retranché), puis dans la vieille enceinte composée d'un fossé et
-de palissades, et enfin dans les têtes de rues que l'on avait
-barricadées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divisions du maréchal Saint-Cyr.</span>
-C'est à la ligne extérieure des redoutes que le maréchal
-Saint-Cyr avait placé ses troupes. Sa première division étant restée
-avec Vandamme, il avait rangé la seconde (43<sup>e</sup> de l'armée) sur la
-première moitié du pourtour de la ville, en partant de la barrière de
-Pirna jusqu'à la barrière de Dippoldiswalde. Il avait rangé sa
-quatrième division (45<sup>e</sup>) sur l'autre moitié du pourtour se terminant
-au faubourg de Friedrichstadt. En avant du faubourg de Pirna se
-trouvait un vaste jardin public, dit le <i>Gross-Garten</i>, large de
-quatre ou cinq cents toises, long de mille ou douze cents, et qui
-présentait, par rapport aux dispositions de cette journée, une forte
-saillie en avant de notre gauche. Le maréchal Saint-Cyr y avait établi
-sa troisième division (la 44<sup>e</sup>), mais avec la précaution de ne laisser
-que de simples postes dans la partie avancée du jardin, et de mettre
-le gros de la division en arrière, pour qu'elle ne fût pas coupée de
-l'enceinte de la ville, à laquelle le <i>Gross-Garten</i> n'était pas
-immédiatement lié. Le maréchal Saint-Cyr avait distribué ses postes
-avec un art infini, de manière qu'ils se soutinssent les uns les
-autres, et entre les redoutes, dont quelques-unes ne se flanquaient
-<span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> pas assez, il avait disposé de l'artillerie attelée, pour
-remplir par des feux mobiles les lacunes entre les feux fixes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Emplacement des forces russes, prussiennes et autrichiennes
-autour de Dresde.</span>
-Les Russes de Wittgenstein et de Miloradovitch, sous Barclay de Tolly,
-descendus de Péterswalde, et faisant face à notre gauche, devaient
-attaquer entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>, par les barrières de Pirna
-et de Pilnitz. Les Prussiens, sous le général Kleist, devaient
-attaquer le <i>Gross-Garten</i>. Les Autrichiens, venus par les débouchés
-les plus éloignés, et ramenés ensuite sur Dresde par la route de
-Freyberg, formaient la gauche des alliés, faisaient par conséquent
-face à notre droite, et devaient attaquer entre les barrières de
-Dippoldiswalde et de Freyberg. C'était du moins ce qu'on pouvait
-supposer d'après la distribution apparente des forces ennemies sur le
-demi-cercle des hauteurs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Reconnaissance exécutée par Napoléon autour de la ville.</span>
-Napoléon après avoir parcouru cette ligne sous un feu de tirailleurs
-assez vif, approuva toutes les dispositions du maréchal Saint-Cyr, et
-lui fit connaître ses intentions. Les cuirassiers venaient d'arriver,
-et la vieille garde les suivait; mais la jeune garde, forte de quatre
-belles divisions, ne pouvait être rendue à Dresde que fort tard dans
-la journée. Les maréchaux Marmont et Victor se trouvaient encore plus
-loin. Le projet de Napoléon était de placer une partie de la vieille
-garde aux diverses barrières, pour les garantir contre tout succès
-imprévu de l'ennemi, et de ne faire donner cette troupe de
-prédilection qu'à la dernière extrémité. Avec le reste de la vieille
-garde, tenue en arrière sur la principale place de la ville, il
-devait attendre l'événement. <span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> Dès qu'il aurait la jeune garde
-sous la main, Napoléon se réservait de l'employer lui-même selon les
-besoins.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions qu'il ajoute à celles qu'avait faites le
-maréchal Saint-Cyr.</span>
-Il rangea Murat avec toute la cavalerie de Latour-Maubourg
-dans la plaine de Friedrichstadt, qui s'étend en avant du faubourg de
-ce nom, et qui formait l'extrême droite de notre ligne de défense,
-pour occuper l'espace que la quatrième division du maréchal Saint-Cyr
-ne pouvait pas remplir à elle seule. Entre cette division et la
-deuxième, c'est-à-dire vers le centre, les forces paraissant
-insuffisantes, Napoléon y envoya une partie de la garnison de Dresde
-composée de Westphaliens. Il ordonna au général Teste de rentrer en
-ville avec sa brigade laissée sur l'Elbe, pour venir soutenir la
-cavalerie de Latour-Maubourg dans la plaine de Friedrichstadt.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dans cette journée du 26, le combat n'avait pas commencé à
-la moitié du jour.</span>
-On attendit ainsi résolûment l'attaque des deux cent mille ennemis
-qu'on avait devant soi, et dont on devait supposer que l'effort serait
-violent, car ils ne pouvaient se flatter d'emporter Dresde que par un
-coup d'extrême vigueur. Pourtant on était à la moitié du jour, et on
-n'entendait qu'un feu de tirailleurs sur notre gauche, du côté du
-<i>Gross-Garten</i>. Ce feu s'était engagé entre les Prussiens et la 44<sup>e</sup>
-division, habilement commandée par le général Berthezène.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitation des coalisés, et motif de cette hésitation.</span>
-Il est aisé de deviner pourquoi les coalisés étaient si lents ce
-jour-là, c'est qu'il s'était élevé un nouveau conflit d'opinion au
-sein de leur état-major. Ils étaient convenus la veille d'ajourner
-toute résolution jusqu'au lendemain 26, soit pour laisser arriver la
-quatrième colonne, celle de Klenau, soit pour lire plus clairement
-dans les desseins des Français. Le 26 au matin tout leur avait paru
-changé, car Saint-Cyr <span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> au lieu d'être déployé dans la plaine,
-s'était sagement replié sur les ouvrages de la ville, et ne semblait
-pas facile à forcer dans sa position. De plus on devait supposer que
-Napoléon n'était pas homme à l'y abandonner sans secours, et que dès
-lors les cinq ou six mille hommes, les dix mille peut-être, qu'on
-serait obligé de sacrifier pour enlever Dresde, seraient probablement
-sacrifiés inutilement, ce qui était un triste début pour la grande
-armée coalisée, sans compter les dangers qu'on pourrait courir du côté
-de Pirna, et dont personne au reste n'avait une idée claire parmi les
-coalisés!
-<span class="sidenote" title="En marge">Diversité des avis.</span>
-Dans ce nouvel état de choses, le général Jomini, qui avait
-l'esprit ardent mais juste, se rangea au sentiment du général Moreau,
-l'empereur Alexandre à celui de tous les deux, et on parut décidé à se
-replier sur les hauteurs de Dippoldiswalde, pour s'y établir, le dos
-contre les montagnes, dans une position tout à la fois sûre et
-menaçante.
-<span class="sidenote" title="En marge">Insistance du roi de Prusse pour une attaque immédiate.</span>
-Mais le roi de Prusse, dominé par les passions de son
-armée, dit avec un ton d'opiniâtreté froide, qu'après avoir fait une
-tentative si ambitieuse sur les derrières de Napoléon, se retirer sans
-même essayer une démonstration contre Dresde, était une conduite qui
-dénoterait autant de légèreté que de faiblesse, et qui d'ailleurs
-froisserait singulièrement le patriotisme de ses soldats. Le général
-Jomini répliqua que la guerre n'était pas une affaire de sentiment,
-mais de calcul, qu'il aurait fallu attaquer la veille, c'est-à-dire le
-25, qu'alors on aurait eu des chances, mais qu'aujourd'hui il n'y en
-avait pas assez pour sacrifier six mille hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sur l'avis des généraux Moreau et Jomini, le projet
-d'attaque est abandonné.</span>
-Moreau appuya cet
-avis; Alexandre, suivant <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> son usage, paraissait flottant, le
-roi de Prusse se montrait mécontent et roide, lorsqu'un habitant de
-Dresde, arrêté aux avant-postes, et sommé de dire ce qu'il savait,
-déclara que Napoléon venait d'entrer dans Dresde, qu'il n'y était pas
-entré seul, et donna des détails tels qu'il était impossible de
-conserver aucun doute à cet égard. De son côté la colonne russe
-descendue par Péterswalde avait aperçu au delà de l'Elbe les masses de
-l'armée française accourant sur Dresde, de façon que tout annonçait
-une résistance des plus sérieuses. Dès lors il ne pouvait plus y avoir
-qu'un avis, celui d'aller prendre tout de suite la position de
-Dippoldiswalde. Le prince de Schwarzenberg, tout en reconnaissant
-qu'on avait raison, répondit qu'il n'était pas aussi facile de se
-retirer qu'on l'imaginait, que sa quatrième colonne, arrivée la
-dernière, et fort avancée vers la gauche, se trouverait en péril si on
-rétrogradait trop vite, car dans le mouvement de conversion en arrière
-qu'on allait opérer pour s'éloigner de Dresde et s'adosser aux
-montagnes, elle aurait l'arc de cercle le plus long à décrire,
-plusieurs vallées à traverser, et qu'il fallait à cause d'elle mettre
-beaucoup de lenteur à se replier.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cependant le contre-ordre n'ayant pas été donné à temps,
-toutes les colonnes des coalisés en entendant sonner trois heures aux
-cloches de Dresde, s'ébranlent pour attaquer la ville.</span>
-Il promit au surplus de contremander
-tout projet d'attaque. Le généralissime autrichien, qui avait pour
-principal rédacteur de ses dispositions le général Radetzki, avait
-adressé la veille pour le lendemain l'ordre convenu de faire une forte
-démonstration sur Dresde, ce qui, dans tous les cas, était très-mal
-imaginé, car il aurait fallu ou une attaque furieuse, ou rien. Soit la
-difficulté de changer assez vite les ordres destinés à une masse de
-<span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> deux cent mille hommes, soit la répugnance à s'en aller sans
-combattre, l'ordre d'attaquer ne fut pas contremandé à temps, et les
-cloches de Dresde ayant à toutes les églises sonné trois heures, les
-nombreuses colonnes des coalisés s'ébranlèrent à la fois, et bientôt
-une violente canonnade se fit entendre, au grand étonnement des
-souverains qui ne songeaient qu'à se retirer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Bataille du 26.</span>
-Le mouvement étant ainsi
-donné de la droite à la gauche, il n'était plus possible de l'arrêter,
-et l'attaque se trouva engagée sur tout le pourtour de la ville de
-Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les Russes, sous Wittgenstein, attaquent la barrière de
-Pirna.</span>
-Le corps de Wittgenstein formant la droite des coalisés, opposé par
-conséquent à notre gauche, s'avança entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>
-en face du faubourg de Pirna. Il fallait franchir un gros ruisseau
-canalisé, appelé le <em>Land-Graben</em>, et menant dans l'Elbe les eaux des
-hauteurs environnantes. Les soldats de la 43<sup>e</sup> division (seconde de
-Saint-Cyr) disputèrent vivement le terrain. Les Russes, indépendamment
-d'une batterie française placée sur l'autre rive de l'Elbe, avaient à
-leur droite notre première redoute construite en avant de la barrière
-de Ziegel, à leur gauche notre seconde redoute, construite en avant de
-la barrière de Pirna, et en face des batteries attelées, dont les feux
-mobiles les attendaient à chaque partie découverte du terrain. Ils
-eurent donc une grande peine à s'avancer; ils franchirent néanmoins le
-<em>Land-Graben</em>, puis cheminèrent entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>,
-aidés par les progrès des Prussiens dans le <i>Gross-Garten</i>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les Prussiens enlèvent le <i>Gross-Garten</i>.</span>
-Ceux-ci en
-effet, après de violents efforts, avaient fini par s'emparer de ce
-jardin, grâce à leur nombre. Ils <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> étaient plus de 25 mille
-contre une simple division (la 43<sup>e</sup>), qui était de 6 à 7 mille hommes,
-et qui ne voulait pas s'obstiner à cette défense jusqu'à courir la
-chance d'être coupée de la ville. Elle rétrograda peu à peu, de
-manière à couvrir le plus longtemps possible les parties de notre
-ligne qui s'étendaient à gauche et à droite, et se replia entre les
-barrières de Pirna et de Dohna, disputant opiniâtrement le jardin du
-prince Antoine, qui était situé en arrière du <i>Gross-Garten</i>, et
-formait le saillant du faubourg de Pirna. Elle vint s'y lier à la 45<sup>e</sup>
-division (quatrième de Saint-Cyr), chargée de défendre le reste de
-l'enceinte.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les Autrichiens s'emparent de la redoute du jardin
-Moczinski.</span>
-Tel était vers cinq heures du soir l'état des choses dans cette partie
-de notre ligne. L'ennemi sur ce point avait fort approché des
-redoutes, mais n'en avait enlevé aucune. Au centre, l'attaque avait
-fait plus de progrès. Les Autrichiens, apercevant une masse immense de
-cavalerie qui couvrait déjà la plaine de Friedrichstadt sur leur
-gauche, avaient porté tous leurs efforts sur notre centre, et avaient
-abordé deux des redoutes, la troisième et la quatrième, construites
-dans cette partie, l'une située en avant du jardin Moczinski près de
-la porte de Dohna, l'autre en avant de la porte de Freyberg. Attaquant
-avec cinquante pièces de canon chacune de ces redoutes, ils avaient
-fini par en éteindre le feu, et profitant ensuite de quelques plis de
-terrain ils avaient ouvert une fusillade tellement meurtrière,
-notamment sur celle du jardin Moczinski, qu'ils avaient forcé nos
-soldats à l'évacuer. Ils l'avaient alors occupée. C'était la seule de
-nos redoutes qu'ils <span class="pagenum"><a id="page300" name="page300"></a>(p. 300)</span> eussent prise, mais un effort énergique
-sur la quatrième, et sur la cinquième qui venait après, pouvait les en
-rendre maîtres, et à leur droite les Russes se trouvaient déjà au pied
-de la première et de la seconde, tout prêts à donner l'assaut.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Quelques compagnies de la vieille garde arrêtent l'ennemi
-aux barrières de Pirna et de Freyberg.</span>
-Quoiqu'il fût tard et qu'il restât peu de jour à l'ennemi pour agir,
-le péril était grave. Malgré l'ordre de ménager la vieille garde,
-Friant qui commandait les grenadiers de ce corps, et qui était placé
-en réserve au faubourg de Pirna, n'avait pas craint d'engager quelques
-compagnies de ces braves gens. Ces vieux soldats ouvrant hardiment les
-barrières de Pilnitz et de Pirna, avaient tiré à bout portant sur les
-têtes de colonnes russes, puis repoussé à la baïonnette les
-détachements qui s'étaient trop approchés. À l'extrémité opposée,
-c'est-à-dire à la porte de Freyberg, les fusiliers avaient agi de
-même, et culbuté les Autrichiens. Ces actes d'énergie n'avaient
-heureusement pas coûté beaucoup de monde à la vieille garde que
-Napoléon tenait à ménager, réservant à la jeune l'honneur et
-l'éducation des grands dangers.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de la jeune garde vers la fin du jour.</span>
-Mais les colonnes de cette jeune garde arrivaient en ce moment,
-impatientes de se mesurer avec l'ennemi, et remplissant Dresde des
-cris de <cite>Vive l'Empereur!</cite> Elles présentaient quatre belles divisions
-de huit à neuf mille hommes chacune, deux sous le maréchal Mortier, et
-deux sous le maréchal Ney.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon dispose lui-même aux barrières de Pilnitz et de
-Pirna les quatre divisions de la jeune garde.</span>
-En les voyant, Napoléon accourt et les
-dispose lui-même. Il envoie les divisions Decouz et Roguet à la
-barrière de Pilnitz pour refouler les Russes, qui ne cessaient de
-gagner du terrain, les divisions Barrois <span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> et Parmentier à la
-barrière de Pirna pour refouler les Prussiens, qui après avoir enlevé
-le <i>Gross-Garten</i>, donnaient déjà la main aux Autrichiens près de la
-redoute du jardin Moczinski. En même temps Napoléon fait ordonner à
-Murat, que l'infanterie du général Teste venait de rejoindre, de
-charger avec toute sa cavalerie dans la plaine de Friedrichstadt.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ces quatre divisions débouchent brusquement des barrières
-de Pilnitz et de Pirna, et refoulent l'ennemi sur tous les points.</span>
-En un instant la scène change. Les barrières de Ziegel et de Pilnitz
-s'ouvrent, et deux divisions de la jeune garde sortent comme des
-torrents pour se jeter sur les Russes et les Prussiens. Elles se
-déploient d'abord pour faire feu, puis se forment en colonnes, et
-chargent à la baïonnette les masses ennemies. Les Russes surpris sont
-arrêtés, et bientôt culbutés sur le <em>Land-Graben</em>, qu'ils sont forcés
-de repasser en désordre. L'une de ces deux divisions se rabat à droite
-sur le jardin du prince Antoine qu'attaquaient les Prussiens, et les
-en chasse à la baïonnette. Elle vient ensuite se joindre aux troupes
-de la 44<sup>e</sup> division, pour reprendre la redoute située à l'extrémité du
-jardin Moczinski.
-<span class="sidenote" title="En marge">Beaux résultats de la journée du 26.</span>
-Les soldats de la jeune garde, ceux des 43<sup>e</sup> et 44<sup>e</sup>
-divisions débouchent de ce jardin en plusieurs colonnes, se jettent
-sur la redoute, les uns par la gorge, les autres par les épaulements,
-s'en emparent, et y font prisonniers six cents Autrichiens. Au même
-moment le général Teste, avec la brigade qui lui restait, sort par la
-porte de Freyberg, s'empare du village de Klein-Hambourg, tandis que
-Murat, se déployant avec douze mille cavaliers à notre extrême droite,
-expulse les Autrichiens de la plaine de Friedrichstadt, et les oblige
-à regagner les hauteurs.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi a perdu 6 mille hommes, et les Français tout au
-plus 2 mille.</span>
-De toutes <span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> parts les alliés vivement
-repoussés reconnaissent dans ces actes vigoureux la main de Napoléon
-et prennent le parti de la retraite en nous abandonnant trois ou
-quatre mille morts ou blessés et deux mille prisonniers. Combattant à
-couvert, nous n'avions pas perdu plus de deux mille hommes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Satisfaction de Napoléon; il espère plus encore pour le
-lendemain.</span>
-Napoléon était enchanté de cette première journée, car bien qu'il
-n'eût pas éprouvé d'inquiétude pour la conservation de Dresde, il
-était fort content d'être quitte de cette attaque à si peu de frais,
-d'avoir en même temps arraché les habitants de Dresde ainsi que la
-cour de Saxe à leur terreur, et il prévoyait avec joie une brillante
-journée pour le lendemain. En effet, cette tentative du 26 ne pouvait
-pas être le dernier effort de l'ennemi, et comme on attendait encore
-40 mille hommes au moins dans la soirée, outre tout ce qu'on venait de
-recevoir dans l'après-midi, Napoléon se croyait en mesure de livrer le
-lendemain une bataille décisive.
-<span class="sidenote" title="En marge">Du haut de l'un des clochers de Dresde, il avait discerné
-une gorge profonde, celle de Plauen, qui divisait le champ de bataille
-en deux.</span>
-Étant monté plusieurs fois dans cette
-journée à un clocher de la ville, d'où l'on apercevait
-très-distinctement le demi-cercle de hauteurs qui entourent Dresde, il
-avait tout à coup imaginé l'une des plus belles man&oelig;uvres qu'il eût
-jamais exécutées. À notre gauche les Russes formant l'extrême droite
-des coalisés, étaient rangés entre l'Elbe et le <i>Gross-Garten</i>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il fonde sur cette circonstance une man&oelig;uvre décisive,
-et destine à Murat la mission de précipiter les Autrichiens dans la
-vallée de Plauen.</span>
-Un peu
-moins à gauche, en s'approchant du centre, étaient les Prussiens sous
-le général Kleist, repoussés du <i>Gross-Garten</i> et repliés sur les
-hauteurs de Strehlen. (Voir le plan des environs de Dresde, carte n<sup>o</sup>
-58.) Tout à fait au centre se trouvait une partie des Autrichiens,
-vis-à-vis des barrières de Dippoldiswalde <span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> et de Freyberg, sur
-les hauteurs de Racknitz et de Plauen. Là, entre le centre et notre
-droite, on découvrait une gorge étroite et profonde, servant de lit à
-la petite rivière de la Weisseritz, laquelle vient se jeter dans
-l'Elbe, entre la ville vieille et le faubourg de Friedrichstadt. C'est
-au delà de cette gorge, appelée vallée de Plauen, à l'extrême gauche
-des alliés, et à notre extrême droite, qu'était rangée la plus grande
-partie des Autrichiens, séparés ainsi du reste de l'armée coalisée par
-une sorte de gouffre, à travers lequel il était impossible de les
-secourir. En outre, ce côté du champ de bataille était plus propre que
-les autres aux man&oelig;uvres de la cavalerie. Napoléon saisissant d'un
-coup d'&oelig;il les avantages qu'offrait cette circonstance locale,
-avait résolu de renforcer le roi de Naples de tout le corps du
-maréchal Victor, de le lancer par un détour à droite et d'une manière
-foudroyante sur les Autrichiens, qui ne pouvant être secourus seraient
-inévitablement précipités dans la gorge de Plauen, et après avoir
-ainsi détruit la gauche des coalisés, de pousser Ney avec toute la
-jeune garde sur leur droite, pour les refouler en masse sur les
-hauteurs d'où ils avaient essayé de descendre. Il devait résulter de
-ce double mouvement un double avantage, c'était de leur enlever à
-droite la grande route de Freyberg, la plus large et la meilleure pour
-opérer leur retraite, de les acculer à gauche sur cette route de
-Péterswalde, où Vandamme les attendait à la tête de 40 mille hommes,
-et de les réduire ainsi pour retourner en Bohême à des chemins mal
-frayés, où ils ne repasseraient qu'en essuyant des pertes énormes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page304" name="page304"></a>(p. 304)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Napoléon donne ses ordres sans prendre un moment
-de repos.</span>
-Ces combinaisons formées en un instant avec une merveilleuse
-promptitude d'esprit, avaient rempli Napoléon d'une satisfaction qui
-éclatait sur son visage, et qui n'était que la joie anticipée d'un
-grand triomphe presque assuré pour le lendemain. Avant de prendre ni
-repos ni nourriture, il donna ses ordres sans désemparer<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Lien vers la note 11"><span class="smaller">[11]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Victor chargé d'opérer avec Murat sur notre
-droite, et contre la gauche des coalisés composée des Autrichiens.</span>
-À droite
-il plaça le général Teste sous le maréchal Victor, l'un et l'autre
-sous Murat qui allait avoir ainsi 20 mille hommes d'infanterie et
-environ 12 mille hommes de cavalerie, avec ordre de tourner les
-Autrichiens par leur gauche, et de les pousser à outrance vers la
-vallée de Plauen.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marmont et la garde rangés en masses au centre.</span>
-Il prescrivit au maréchal Marmont, qui arrivait dans
-le moment, de s'établir au centre, à la barrière de Dippoldiswalde,
-près du jardin Moczinski, ayant derrière lui la vieille garde et la
-réserve d'artillerie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Saint-Cyr chargé de faire face aux Prussiens à Strehlen.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr devait réunir ses trois
-divisions, les ranger en colonne serrée entre la barrière de
-Dippoldiswalde et la barrière de Dohna, la droite au maréchal Marmont,
-la gauche au <i>Gross-Garten</i>. Ces deux corps, placés près de Napoléon
-qui avait le projet de se tenir au centre (ce qu'il fit savoir à tous
-ses lieutenants pour qu'ils vinssent y chercher <span class="pagenum"><a id="page305" name="page305"></a>(p. 305)</span> ses ordres),
-ne devaient recevoir d'instructions que sur le terrain même et de sa
-propre bouche.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ney chargé avec la jeune garde et une partie de la
-cavalerie de défiler devant le <i>Gross-Garten</i>, et de venir enlever aux
-Russes la plaine entre Gruna et Prohlis.</span>
-Enfin à l'extrême gauche, Ney, avec toute la jeune
-garde et une portion de la cavalerie sous Nansouty, avait pour
-instructions de défiler derrière le <i>Gross-Garten</i> avec près de
-quarante mille hommes, de tourner autour de ce jardin, d'expulser les
-Russes de la plaine qui s'étend de Striesen à Döbritz, et de les
-refouler sur les hauteurs quand le désastre de la gauche des coalisés
-les aurait suffisamment ébranlés. Sauf le conseil des événements,
-Napoléon voulait en agissant par ses deux ailes, dont chacune allait
-enlever aux coalisés l'une de leurs routes principales, demeurer
-immobile au centre avec 50 mille hommes, se réservant d'en disposer au
-besoin, sans crainte d'affaiblir le milieu de sa ligne, appuyé qu'il
-était à la ville et à de fortes redoutes. Il avait en effet donné des
-ordres pour que toutes les redoutes, et notamment celles du centre,
-fussent réarmées, renforcées en hommes et en artillerie. Prévoyant de
-plus un violent combat d'artillerie au centre, il y avait amené plus
-de cent bouches à feu de la garde, indépendamment de toutes les
-batteries de Marmont et de Saint-Cyr.</p>
-
-<p>Napoléon avec à peu près 120 mille hommes allait en combattre 200
-mille, car les coalisés, une fois tous les Autrichiens de Klenau
-arrivés, n'en devaient pas avoir moins. De ces 200 mille, il y en
-avait 180 mille devant Dresde, et 20 mille devant Pirna sous le prince
-Eugène de Wurtemberg. Les coalisés auraient même pu en réunir
-davantage, s'ils n'avaient pas laissé environ 30 mille hommes
-<span class="pagenum"><a id="page306" name="page306"></a>(p. 306)</span> entre Prague et Zittau à la garde de ce débouché, où était
-resté le prince Poniatowski. Mais Napoléon avait pour contre-balancer
-l'inégalité du nombre l'avantage de ses combinaisons, et les 40 mille
-hommes du général Vandamme, placés à Pirna bien plus utilement qu'à
-Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon soupe chez le roi de Saxe avec tous ses
-maréchaux.</span>
-Après avoir dicté ces dispositions de la manière la plus précise,
-Napoléon alla souper chez le roi de Saxe avec ses maréchaux, et
-recevoir les félicitations de toute la cour, bien heureuse maintenant
-qu'elle était irrévocablement liée à notre sort, de voir l'ennemi
-éloigné de la capitale et menacé d'une prochaine et grande défaite.
-<span class="sidenote" title="En marge">Grandes espérances pour le lendemain.</span>
-Napoléon ne révéla ses projets à personne, mais il annonça une
-bataille décisive pour le lendemain, n'hésita point à dire qu'il la
-rendrait funeste pour la coalition, et laissa éclater pendant toute la
-soirée une gaieté singulière. Il ne se retira que fort tard, afin de
-goûter un peu de repos entre deux batailles.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Délibérations dans le camp des coalisés.</span>
-La journée ne se termina pas aussi gaiement dans le camp des
-souverains alliés.
-<span class="sidenote" title="En marge">On regrette fort l'événement de la journée du 26, mais on
-se propose de rester devant Dresde, ne supposant pas que Napoléon ose
-attaquer une armée de 200 mille hommes sur les hauteurs qu'elle
-occupe.</span>
-On s'y reprochait l'échec éprouvé devant Dresde, on
-l'attribuait au contre-ordre décidé et point donné, et on n'était pas
-d'avis de renouveler l'imprudente tentative qui venait de coûter
-inutilement cinq à six mille hommes à l'armée combinée. Aller prendre
-à Dippoldiswalde sur le penchant des montagnes de Bohême la position
-menaçante conseillée par Moreau, n'était pas immédiatement praticable,
-car c'eût été proclamer une véritable défaite, et la déclarer même
-plus grave qu'elle n'était. Mais on résolut de rester en place sur
-les coteaux qui entourent Dresde, et où l'on occupait <span class="pagenum"><a id="page307" name="page307"></a>(p. 307)</span> une
-excellente position. Les Français avaient eu l'avantage des lieux en
-s'adossant à Dresde pour résister; on l'aurait à son tour en se tenant
-sur le demi-cercle des hauteurs, et s'ils attaquaient on les
-rejetterait en désordre vers ces faubourgs où l'on n'avait pas pu
-pénétrer. Personne ne s'avisa de penser à ce gouffre de Plauen, au
-delà duquel se trouvait une partie de l'armée autrichienne, et où il
-serait impossible de lui porter secours s'il lui advenait malheur.
-Seulement le prince de Schwarzenberg craignant de n'être pas assez
-fort au centre, retira une partie des troupes qu'il avait au delà du
-vallon de Plauen, affaiblit ainsi son aile gauche qu'il aurait dû
-renforcer, comptant il est vrai sur l'arrivée de la seconde moitié du
-corps de Klenau, pour rendre à cette aile la force dont il la privait.
-C'est dans ces dispositions si différentes que chacun attendit la
-journée du lendemain.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Grande journée du 27 août.</span>
-Ce lendemain, 27 août, il pleuvait abondamment, et dans les
-intervalles de pluie un brouillard épais enveloppait le champ de
-bataille, circonstance pénible pour les soldats des deux armées, mais
-avantageuse pour les combinaisons de Napoléon.
-<span class="sidenote" title="En marge">Épais brouillard suivi de pluie.</span>
-Les premières heures de
-la matinée se passèrent en man&oelig;uvres.
-<span class="sidenote" title="En marge">La matinée employée en man&oelig;uvres.</span>
-De notre côté, en commençant
-par la droite, le général Teste, mis sous les ordres du maréchal
-Victor, vint s'établir avec les huit bataillons dont il disposait en
-face du village de Löbda et de l'entrée du vallon de Plauen, pour
-empêcher les grenadiers autrichiens de Bianchi d'en déboucher ainsi
-qu'ils l'avaient fait la veille. (Voir le plan des environs de
-Dresde.) Le maréchal Victor avec ses <span class="pagenum"><a id="page308" name="page308"></a>(p. 308)</span> trois divisions (dont
-une réduite à une seule brigade) se forma en colonnes au pied des
-hauteurs, attendant que Murat eût exécuté son mouvement tournant sur
-la gauche des Autrichiens, et Murat lui-même, à cheval dès le matin,
-prenant avec la grosse cavalerie de Latour-Maubourg le chemin allongé
-de Priesnitz, se hâta de gravir sans être aperçu le plateau sur lequel
-il devait man&oelig;uvrer. Au centre Marmont ayant la vieille garde
-derrière lui, et sur son front une formidable artillerie, vint se
-ranger au pied des hauteurs de Racknitz, pour recevoir les
-instructions que Napoléon, placé à ses côtés, lui donnerait de vive
-voix. Un peu à gauche, mais toujours au centre, Saint-Cyr ayant réuni
-ses trois divisions répandues la veille tout autour de la ville, prit
-position en avant du <i>Gross-Garten</i>, prêt à attaquer les hauteurs de
-Strehlen. Enfin à l'extrême gauche, Ney avec la jeune garde et la
-cavalerie de Nansouty, défila en colonnes derrière le <i>Gross-Garten</i>,
-pour le tourner et venir ensuite entre Gruna et Döbritz se mesurer
-avec les Russes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes alliées.</span>
-Du côté des alliés la distribution était la même que la veille, sauf
-quelques rectifications de position, et ils attendaient presque
-immobiles l'attaque des Français, dont ils apercevaient les
-préparatifs à travers le brouillard. Le comte de Wittgenstein (en
-commençant par leur droite) était avec le gros des Russes opposé au
-maréchal Ney entre Prohlis et Leubnitz: il avait ses masses sur les
-hauteurs, ses avant-gardes dans la plaine. En arrière à droite, autour
-de Prohlis, se trouvait la cavalerie de la garde sous le grand-duc
-Constantin, en arrière à <span class="pagenum"><a id="page309" name="page309"></a>(p. 309)</span> gauche, entre Torna et Leubnitz, le
-corps des grenadiers sous Miloradovitch. Barclay de Tolly commandait
-ces réserves. Un peu à gauche et vers le centre, se trouvaient les
-Prussiens de Kleist, entre Leubnitz et Racknitz, ayant la garde
-prussienne en arrière et leurs avant-gardes dans la plaine, aux
-environs de Strehlen, en face du maréchal Saint-Cyr. Tout à fait au
-centre, les corps autrichiens de Colloredo et de Chasteler étaient
-déployés de Racknitz à Plauen, faisant face au maréchal Marmont et à
-la vieille garde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Moreau placé à Racknitz avec l'empereur Alexandre.</span>
-Là était établi, à Racknitz même, l'empereur
-Alexandre avec le général Moreau, devenu son fidèle compagnon, et
-pouvant presque apercevoir Napoléon placé à la barrière de Dohna. À
-gauche, contre le vallon de Plauen, étaient rangés en colonnes les
-grenadiers de Bianchi, détachés du corps de Giulay pour renforcer le
-centre, et ayant derrière eux vers Coschitz les réserves
-autrichiennes, sous le prince de Hesse-Hombourg. Enfin plus à gauche,
-au delà de ce vallon de Plauen, si profond, si difficile à traverser,
-se trouvaient à Töltschen les restes du corps de Giulay, un peu plus
-loin à Rosthal et Corbitz la division d'infanterie d'Aloys
-Lichtenstein, et tout à fait à gauche, entre Comptitz et Altfranken,
-la division Meszko, faisant partie du corps de Klenau qui était encore
-en marche en ce moment. Ce sont ces troupes qui allaient avoir sur les
-bras Victor et le roi de Naples.</p>
-
-<p>Dès que les positions furent prises, et qu'on put discerner les objets
-à travers le brouillard, la canonnade commença, et bientôt elle devint
-violente, car entre les deux armées il n'y avait pas moins de
-<span class="pagenum"><a id="page310" name="page310"></a>(p. 310)</span> douze cents pièces de canon en batterie. Napoléon fit surtout
-entretenir le feu d'artillerie au centre, où il n'avait que ce moyen
-d'action.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le général Teste s'empare de Löbda.</span>
-À la droite le général Teste s'empara de Löbda, dont il
-chassa les tirailleurs autrichiens, et pénétra jusqu'à l'entrée du
-vallon de Plauen.
-<span class="sidenote" title="En marge">Victor s'approche de Rosthal et de Corbitz.</span>
-Le maréchal Victor qui avait marché une partie de la
-nuit, après un peu de repos donné à ses troupes, se forma en plusieurs
-colonnes, et entreprit de gravir les hauteurs, pour s'approcher des
-villages de Töltschen, Rosthal, Corbitz, qu'il devait enlever, et
-Murat ayant franchi par le petit chemin de Priesnitz l'escarpement du
-coteau, déploya ses soixante escadrons sur la droite de la chaussée de
-Freyberg, menaçant la gauche des Autrichiens. (Voir le plan des
-environs de Dresde.) À dix heures et demie du matin ce mouvement était
-presque terminé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont soutient au centre une vive canonnade.</span>
-Au centre, Saint-Cyr, rangé un peu à gauche de Marmont et de la
-vieille garde, quitta les murs du <i>Gross-Garten</i>, auxquels il était
-adossé, enleva Strehlen aux Prussiens, et essaya de les suivre sur les
-hauteurs de Leubnitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Saint-Cyr enlève Strehlen aux Prussiens.</span>
-Les Prussiens se jetèrent sur lui, et un combat
-des plus vifs s'engagea entre Strehlen et Leubnitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ney défile derrière le <i>Gross-Garten</i>.</span>
-Au delà du <i>Gross-Garten</i>, Ney après avoir défilé derrière ce jardin, et pivotant
-alors sur sa droite, la gauche en avant, vint se déployer entre Gruna
-et Döbritz, puis s'avança vers Reick, refoulant devant lui les
-avant-gardes de Wittgenstein. Marchant à la tête de trente-six mille
-hommes d'une superbe infanterie, et de cinq à six mille chevaux, il se
-présentait avec l'attitude résolue qui lui était naturelle.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page311" name="page311"></a>(p. 311)</span> Sauf l'engagement sérieux entre Saint-Cyr et les Prussiens vers
-Strehlen, on se contenta jusqu'à onze heures du matin d'échanger une
-forte canonnade sur la plus grande partie de la ligne, et le temps fut
-surtout employé à man&oelig;uvrer sur les deux ailes. Les coalisés
-cependant, qui ne pouvaient pas apercevoir ce qui se passait à leur
-gauche, au delà du vallon de Plauen, et qui voyaient à leur droite la
-marche soutenue et imposante de Ney, se demandaient ce qu'il fallait
-faire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les coalisés songent à se jeter en masse sur Ney.</span>D'après une idée du général Jomini, il fut proposé à l'empereur
-Alexandre dès que le maréchal Ney serait parvenu jusqu'à Prohlis, de
-jeter dans son flanc la masse des Prussiens, tandis que Barclay de
-Tolly avec les réserves russes l'aborderait de front. On pensait qu'en
-portant ainsi sur ce maréchal cinquante à soixante mille hommes à la
-fois, on parviendrait à l'accabler. Mais le maréchal Saint-Cyr se
-rabattant lui-même avec 20 mille hommes sur les Prussiens, et les
-prenant à dos, aurait pu à son tour faire naître des chances bien
-diverses, et peut-être bien funestes pour les alliés.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'ordre en est donné.</span>
-Alexandre jugea
-bonne l'idée qu'on lui proposait; le prince de Schwarzenberg
-l'accueillit; elle convenait à l'ardeur des Prussiens, et on dépêcha
-des émissaires au froid et méthodique Barclay de Tolly pour lui
-persuader de concourir avec toutes ses forces à une man&oelig;uvre qu'on
-croyait décisive.</p>
-
-<p>Mais tandis que ce danger, plus ou moins réel, menaçait le maréchal
-Ney, un danger certain, ne dépendant pas du concours d'une foule de
-volontés, menaçait la gauche des coalisés.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vers onze heures, Victor et Murat exécutent la grande
-man&oelig;uvre qui leur est prescrite.</span>
-Vers onze heures et demie,
-au delà du vallon de Plauen, Victor et <span class="pagenum"><a id="page312" name="page312"></a>(p. 312)</span> Murat arrivés en
-ligne, et ayant bien concerté leur attaque, commencèrent à l'exécuter
-avec autant de promptitude que de vigueur. Le maréchal Victor porta
-sur sa gauche la division Dubreton, dont une brigade devait enlever
-Töltschen aux grenadiers de Weissenwolf, dont l'autre brigade devait
-enlever Rosthal à la division Aloys Lichtenstein. Il porta sur sa
-droite la division Dufour, réduite à une brigade, et la dirigea contre
-le village de Corbitz, où passait la grande route de Freyberg, et où
-se trouvait le reste de la division Aloys Lichtenstein. Il tint en
-réserve la division Vial. Au delà de Corbitz et de l'autre côté de la
-chaussée de Freyberg, Murat continuant à man&oelig;uvrer, tâchait en
-s'avançant jusqu'à Comptitz de déborder la gauche des Autrichiens
-formée par la division Meszko.
-<span class="sidenote" title="En marge">Victor enlève Töltschen, Rosthal et Corbitz.</span>
-Quand Murat parut avoir gagné assez de
-terrain sur la gauche des Autrichiens, le maréchal Victor donna enfin
-le signal, et on marcha d'un pas rapide sur les trois villages
-désignés. Les Autrichiens firent d'abord avec cinquante pièces de
-canon un feu meurtrier, et lorsque nos colonnes d'attaque furent plus
-rapprochées, les accueillirent avec la mousqueterie. Nos jeunes
-soldats, conduits par des officiers vigoureux, ne furent ébranlés ni
-par les boulets ni par les balles. Se portant avec vivacité sur les
-trois villages, ils enlevèrent les clôtures des jardins qui les
-précédaient, puis se jetèrent sur les villages eux-mêmes. Les deux
-brigades de la division Dubreton entrèrent, l'une dans Töltschen, où
-elle combattit corps à corps avec les grenadiers de Weissenwolf,
-l'autre dans Rosthal, où elle se trouva aux prises avec une partie de
-la division Aloys Lichtenstein. <span class="pagenum"><a id="page313" name="page313"></a>(p. 313)</span> Après un combat assez court
-ces deux villages tombèrent dans nos mains. À droite la division
-Dufour assaillit Corbitz, l'emporta, et y fit deux mille prisonniers.
-Les Autrichiens se replièrent alors sur le terrain en arrière, lequel
-s'élève en forme de glacis. On les y suivit. Tout à coup la division
-Aloys Lichtenstein, apercevant un vide entre la division Dubreton qui
-s'était portée un peu à gauche vers Töltschen, et la division Dufour
-qui était restée à Corbitz, sur la grande route de Freyberg, tâcha de
-pénétrer dans ce vide.
-<span class="sidenote" title="En marge">Murat lance la cavalerie Bordesoulle sur la division Aloys
-Lichtenstein, et enfonce deux carrés.</span>
-Mais la division Vial, qui était en réserve au
-centre, s'avança pour lui tenir tête, tandis que Murat saisissant
-l'à-propos avec le coup d'&oelig;il d'un général de cavalerie supérieur,
-lança la division Bordesoulle sur l'infanterie d'Aloys Lichtenstein.
-Les cuirassiers de Bordesoulle fondirent au galop sur les Autrichiens
-formés en carré, et privés par la pluie de l'usage de leurs feux. Deux
-carrés furent en un instant enfoncés et sabrés. La division Dufour
-dégagée reprit alors sa marche le long de la chaussée de Freyberg,
-tandis qu'à gauche les deux brigades Dubreton s'appliquaient à pousser
-les Autrichiens vers le gouffre de Plauen.
-<span class="sidenote" title="En marge">Victor et Murat précipitent l'infanterie autrichienne dans
-la vallée de Plauen.</span>
-Les grenadiers de
-Weissenwolf voulurent en vain tenir, ils furent précipités dans la
-Weisseritz: on en prit plus de deux mille. En même temps la cavalerie
-de Bordesoulle renouvelant ses charges sur la division Aloys
-Lichtenstein, la mena jusqu'au sommet des hauteurs entre Altfranken et
-Pesterwitz, puis la précipita sur Potschappel, dans le plus profond de
-la vallée de Plauen. On ramassait en quantité les hommes et les
-canons. À droite Murat, qui avait toujours suivi de l'&oelig;il la
-division <span class="pagenum"><a id="page314" name="page314"></a>(p. 314)</span> Meszko pour l'empêcher de se réunir à Aloys
-Lichtenstein, la poussa sur Comptitz pour la jeter par delà les
-hauteurs. Trois mille cavaliers autrichiens placés sur les flancs de
-cette division se ruèrent alors sur lui. Il leur opposa les dragons de
-la division Doumerc, et les culbuta. Puis il aborda l'infanterie de
-Meszko avec ses cuirassiers, et la mena battant pendant plus d'une
-lieue sur la grande route de Freyberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">La pluie empêche les Autrichiens de faire feu.</span>
-Tantôt cette malheureuse
-division s'arrêtait pour recevoir les charges de nos cavaliers, et les
-soutenir à la baïonnette, car la pluie continuant à tomber par
-torrents rendait les feux impossibles, tantôt elle se retirait le plus
-vite qu'elle pouvait. Enfin débordée, entourée par nos escadrons, elle
-fut réduite à mettre bas les armes au nombre de six à huit mille
-hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">À deux heures, Murat a tué ou blessé 5 mille hommes à
-l'ennemi, et lui a enlevé 12 mille prisonniers.</span>
-Il était deux heures, et déjà Murat avait tué ou blessé quatre
-à cinq mille hommes, fait douze mille prisonniers, et ramassé plus de
-trente bouches à feu. Le désastre de l'aile gauche ennemie était donc
-complet, et on peut dire sans exagération que cette aile n'existait
-plus.</p>
-
-<p>Tandis que ces événements s'accomplissaient à la gauche des coalisés,
-un étrange accident se passait au centre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vive canonnade au centre.</span>
-Napoléon ayant engagé là un
-violent feu d'artillerie contre les Autrichiens qui avaient beaucoup
-de canons et une position dominante, et ne trouvant pas ce feu
-suffisant, avait fait amener trente-deux pièces de 12 de la garde
-commandées par le colonel Griois. Lui-même sous les boulets ennemis
-dirigeant ces batteries, les porta le plus près possible du but sur
-lequel elles devaient tirer. En ce moment, l'empereur Alexandre était
-vis-à-vis, à <span class="pagenum"><a id="page315" name="page315"></a>(p. 315)</span> Racknitz même, ayant le général Moreau à ses
-côtés. Ce dernier faisant remarquer le danger de cette position à
-l'empereur Alexandre, lui conseilla de se placer un peu plus loin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Moreau atteint mortellement par une batterie que Napoléon
-avait dirigée sur le groupe des souverains.</span>
-À peine avait-il donné ce conseil et fait exécuter ce mouvement, qu'un
-boulet parti des batteries dont Napoléon excitait le feu, le frappa
-aux deux jambes et le précipita à terre, lui et son cheval. Étrange
-coup de la fortune! Il venait d'être atteint d'un boulet français,
-tiré pour ainsi dire par Napoléon! Que de punitions, les unes
-méritées, les autres imméritées, tombaient à la fois sur la tête de
-cet infortuné, qui aurait dû mourir d'une meilleure mort! L'empereur
-Alexandre courut à Moreau, le serra dans ses bras, le fit emporter, et
-resta profondément troublé de cet incident, dont l'annonce se
-propageant de bouche en bouche causa chez les coalisés une impression
-générale.
-<span class="sidenote" title="En marge">Barclay de Tolly refuse d'exécuter le mouvement projeté
-contre Ney.</span>
-À cette nouvelle s'ajoutèrent bientôt celle du désastre
-survenu à la gauche qu'il était impossible de secourir à travers le
-vallon de Plauen, et celle du refus de Barclay qui n'avait pas voulu
-exécuter la man&oelig;uvre qu'on lui proposait contre Ney, disant que sur
-ce sol détrempé par la pluie, coupé de canaux, il ne pouvait faire
-descendre son artillerie sans la perdre. En même temps un officier
-arrivant de Pirna venait d'annoncer que Vandamme débouchant de
-K&oelig;nigstein, avait enlevé ce poste au prince Eugène de Wurtemberg.</p>
-
-<p>Frappés d'un éclatant désastre à gauche, violemment canonnés au
-centre, menacés d'être débordés à leur droite par le mouvement du
-maréchal Ney qui s'avançait sans obstacle de Reick sur Prohlis, et
-craignant de voir bientôt la route de Péterswalde <span class="pagenum"><a id="page316" name="page316"></a>(p. 316)</span> aux mains
-de Vandamme, les généraux coalisés réunis autour de l'empereur
-Alexandre et du roi de Prusse, se mirent à discuter le parti à
-prendre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les coalisés prennent le parti de la retraite.</span>
-Les plus ardents voulaient s'obstiner, mais le prince de
-Schwarzenberg, atterré par la perte de plus de vingt mille hommes à sa
-gauche, privé de munitions par le retard de ses convois, ne sachant
-quel traitement Murat, lancé au galop sur ses derrières, pourrait
-faire essuyer au reste du corps de Klenau, se refusa péremptoirement à
-continuer la bataille. La retraite fut donc ordonnée vers les
-montagnes de la Bohême par lesquelles on avait pénétré en Saxe, sans
-qu'on fût bien fixé sur la direction que suivrait chaque colonne. On
-céda le terrain peu à peu, en repassant par-dessus la crête des
-coteaux qui entourent la ville de Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de la victoire de Dresde, due aux belles
-conceptions de Napoléon et à leur brillante exécution par Murat.</span>
-À cet aspect la joie la plus vive éclata dans nos rangs. Murat à
-droite, galopant toujours sur la chaussée de Freyberg, ramassait à
-chaque instant des prisonniers et des voitures de bagages et
-d'artillerie. Au centre on canonnait plus vivement l'ennemi, et
-Saint-Cyr et Ney s'ébranlant à gauche gravissaient les hauteurs à la
-suite des Russes. À six heures du soir nous avions enlevé aux coalisés
-15 à 16 mille prisonniers, au moins quarante bouches à feu, et il
-restait sur le terrain 10 à 11 mille ennemis morts ou blessés, la
-plupart par le canon, excepté ceux qui avaient succombé sous les
-baïonnettes de Victor et les sabres de Murat. Les coalisés avaient
-donc perdu 26 ou 27 mille hommes, sans compter les traînards et les
-égarés que nous allions recueillir par milliers. Cette belle journée,
-dernière faveur de la <span class="pagenum"><a id="page317" name="page317"></a>(p. 317)</span> fortune dans cette affreuse campagne,
-nous avait coûté environ 8 à 9 mille hommes, presque tous atteints par
-les boulets. Elle était principalement due à Napoléon, qui d'un coup
-d'&oelig;il avait vu dans la vallée profonde de Plauen un moyen d'isoler
-et de détruire une aile de l'armée ennemie, et après Napoléon à Murat,
-qui avait exécuté cette belle man&oelig;uvre avec un succès merveilleux.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se promet de plus grands résultats encore de la
-position assignée à Vandamme.</span>
-Sans cet accident de terrain le champ de bataille de Dresde, partout
-dominé, n'eût pas été tenable pour nous; mais Napoléon en saisissant
-avec le regard du génie une particularité toute locale, en avait fait
-soudainement un théâtre de victoire pour lui, un théâtre de confusion
-pour ses adversaires! Heureuse inspiration de laquelle il attendait de
-plus grands résultats encore que ceux qu'il venait d'obtenir. Ayant à
-quatre lieues sur sa gauche quarante mille hommes embusqués, il ne
-pouvait penser sans une involontaire joie à l'effet que produiraient
-ces quarante mille hommes tombant à l'improviste sur les derrières des
-ennemis battus, et tout en s'applaudissant de la victoire du jour, il
-se promettait, il promettait à tout le monde de bien autres trophées
-pour le lendemain. Hélas! il ne se doutait pas qu'une combinaison
-destinée à produire les plus brillants résultats ne serait bientôt
-qu'une source de malheurs! La fortune dans ces derniers temps ne
-devait plus lui accorder que des triomphes empoisonnés, ordinaire
-traitement qu'elle réserve à ceux qui ont abusé d'elle!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rentre le soir dans Dresde, et reçoit de la
-population un accueil enthousiaste.</span>
-Napoléon rentra dans Dresde à la chute du jour, au milieu des cris
-enthousiastes de la population, enchantée d'être débarrassée des deux
-cent mille <span class="pagenum"><a id="page318" name="page318"></a>(p. 318)</span> coalisés, qui avant de la délivrer des Français,
-lui auraient fait subir les horreurs d'une prise d'assaut. Ayant
-supporté pendant douze heures une pluie continuelle, il avait les
-bords de son chapeau rabattus sur les épaules, était couvert de boue
-et rayonnant de satisfaction. Il alla chez le roi de Saxe, qui lui
-témoigna la joie la plus vive, et au milieu de ce contentement sincère
-chez les uns, affecté chez les autres, démonstratif chez tous, il y
-avait une question qu'il ne cessait d'adresser à chacun. Au moment où
-le boulet qui avait frappé Moreau était tombé dans le groupe de
-l'empereur Alexandre, Napoléon avait clairement discerné à l'éclat des
-uniformes que ce groupe était celui des souverains, et il ne se
-lassait pas de demander: Qui donc avons-nous tué dans ce brillant
-escadron?...--Il le sut peu d'instants après par le plus étrange des
-incidents. L'illustre blessé avait un chien qui était resté dans la
-chaumière où on lui avait donné les premiers soins. Ce chien amené à
-Napoléon, portait sur son collier: <cite>J'appartiens au général Moreau!</cite>
-C'est ainsi que Napoléon apprit la présence et la mort de Moreau dans
-les rangs des coalisés! En attendant il donna ses ordres pour que ses
-corps d'armée, après s'être réchauffés à de grands feux et reposés une
-nuit entière, se missent en mouvement dès la pointe du jour du 28,
-afin de poursuivre l'ennemi à outrance, et de recueillir toutes les
-conséquences de la belle victoire du 27.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retraite des coalisés.</span>
-Les coalisés ayant rétrogradé jusqu'au sommet des hauteurs qui
-entourent Dresde, se mirent à discuter la direction qu'ils
-donneraient à la retraite. <span class="pagenum"><a id="page319" name="page319"></a>(p. 319)</span> Les uns voulaient s'arrêter aux
-débouchés des montagnes de la Bohême, comme l'avait conseillé le
-général Moreau avant la bataille, les autres voulaient se retirer tout
-de suite en Bohême, au delà même de l'Eger, et de cet avis était
-surtout le généralissime prince de Schwarzenberg, qui désirait
-réorganiser son armée, et la remettre du rude coup qu'elle venait
-d'essuyer. Demeurer sur le versant des montagnes en présence d'un
-ennemi victorieux, et habitué comme Napoléon à tirer un si grand parti
-de la victoire, n'était plus proposable. Repasser les montagnes, sauf
-à décider ensuite jusqu'où l'on pousserait le mouvement rétrograde,
-était donc la première et la plus inévitable des résolutions à
-prendre. Elle fut prise. Restait à savoir quels chemins on suivrait
-pour repasser les montagnes. La grande route de Péterswalde était
-sinon perdue, au moins fort compromise. En effet, le général Vandamme
-exécutant les ordres de l'Empereur avait la veille, c'est-à-dire le
-26, franchi l'Elbe à K&oelig;nigstein, assailli le plateau de Pirna
-faiblement gardé, et s'était établi dans ce camp, d'où il dominait la
-route de Péterswalde sans toutefois l'intercepter entièrement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Routes par eux adoptées pour se retirer.</span>
-On avait bien envoyé dans la journée le comte Ostermann pour secourir le
-prince Eugène de Wurtemberg, mais on ne connaissait pas au juste la
-force du corps de Vandamme, on ne savait pas s'il avait vingt, trente
-ou quarante mille hommes, et si dans l'intervalle il n'aurait pas
-réussi à descendre du camp de Pirna pour fermer les défilés de la
-route de Péterswalde. Renoncer à y passer avait le double inconvénient
-d'y laisser sans appui le prince de Wurtemberg et le <span class="pagenum"><a id="page320" name="page320"></a>(p. 320)</span> comte
-Ostermann, et de se reporter en masse sur les chemins secondaires, qui
-étaient mal frayés, et où les Russes allaient former avec les
-Prussiens et les Autrichiens un fâcheux encombrement. On décida donc
-que le gros des Russes sous Barclay de Tolly marcherait à la suite du
-comte Ostermann par la route de Péterswalde, et la rouvrirait de vive
-force si elle était fermée; que les Prussiens et une partie des
-Autrichiens prendraient la route à côté, celle d'Altenberg, Zinnwald,
-T&oelig;plitz, par laquelle était venue la seconde colonne des coalisés;
-qu'enfin le reste de l'armée autrichienne irait par la chaussée de
-Freyberg gagner le grand chemin de Leipzig à Prague par Commotau. On
-allait donc rentrer en Bohême sur trois colonnes, au lieu de quatre
-qu'on formait en arrivant. Il fut convenu qu'après s'être reposé toute
-la nuit on partirait le lendemain 28 de très-grand matin, afin
-d'aboutir aux défilés des montagnes avant d'être serré de trop près
-par l'ennemi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 28, les coalisés regagnent la Bohême par les routes de
-Péterswalde, d'Altenberg et de Freyberg.</span>
-Ces dispositions furent exécutées au moins dans les premières heures
-comme elles avaient été arrêtées. Le lendemain matin on se mit en
-route sur trois colonnes, dans les directions indiquées, tandis que
-les corps français, s'ébranlant de leur côté, marchaient sur les
-traces de ces mêmes colonnes, mais à une assez grande distance, à
-cause du triste état des chemins. À chaque pas on laissait des
-blessés, des traînards, des voitures, destinés à devenir la proie des
-Français. La tristesse était dans tous les c&oelig;urs. Le roi de Prusse
-voyait dans les événements de ces derniers jours la suite de sa
-mauvaise fortune ordinaire; Alexandre se demandait si le commencement
-<span class="pagenum"><a id="page321" name="page321"></a>(p. 321)</span> de bonheur sur lequel il avait compté n'était pas une triste
-illusion, et si on n'avait pas trop espéré en se flattant de vaincre
-Napoléon. On s'avançait ainsi, très-inquiet des rencontres auxquelles
-on était exposé avant d'avoir franchi ce rideau de hautes montagnes
-qu'on avait devant soi, tandis qu'on avait sur ses derrières un ennemi
-victorieux, et personne, ni chez les poursuivis, ni chez les
-poursuivants, ne se doutant de ce qui allait survenir sous
-quarante-huit heures!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Barclay de Tolly craignant de trouver des obstacles sur la
-route de Péterswalde, se rejette sur celle d'Altenberg.</span>
-Chemin faisant, Barclay de Tolly apercevant beaucoup d'encombrement
-sur la route de Péterswalde, et sentant qu'il serait bientôt serré de
-près, commença de craindre, s'il trouvait des difficultés du côté de
-Péterswalde, d'y perdre un temps précieux, et de ne pouvoir plus se
-rabattre assez tôt sur la route d'Altenberg; il imagina donc de
-changer tout à coup de direction avec le gros de l'armée russe, et de
-prendre à droite, pour regagner cette même route d'Altenberg que
-devaient parcourir les Prussiens et une partie de l'armée
-autrichienne, au risque d'y produire un affreux engorgement. Il fit
-dire au comte Ostermann de se replier sur lui, et de laisser le prince
-Eugène retourner seul par la route de Péterswalde en Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le prince Eugène de Wurtemberg et le comte Ostermann se
-retirent par la route de Péterswalde.</span>
-Ces ordres amenèrent entre le comte Ostermann et le prince Eugène de
-Wurtemberg un conflit des plus vifs. Le prince Eugène, qui était aux
-prises avec le général Vandamme pour la possession de la route de
-Péterswalde, ne voulait pas avec raison y rester seul, exposé à
-trouver Vandamme tantôt sur son flanc, tantôt sur ses derrières,
-peut-être même <span class="pagenum"><a id="page322" name="page322"></a>(p. 322)</span> devant lui, car les Français descendus du
-plateau de Pirna se montraient partout. Il disait de plus que si on
-laissait au corps de Vandamme, qu'on avait lieu de croire très-fort,
-la libre entrée de la Bohême, ce corps irait probablement se placer à
-T&oelig;plitz, au débouché des chemins que suivaient les diverses
-colonnes en retraite, et pourrait leur causer de graves embarras. Le
-comte Ostermann, de son côté, craignait de compromettre les troupes de
-la garde qu'on lui avait confiées, et résistait par ce motif aux
-pressantes instances du prince Eugène de Wurtemberg. Vaincu par les
-bonnes raisons du prince, par son offre de prendre pour lui-même la
-plus forte part du péril, il se décida enfin à suivre la route de
-Péterswalde, et à la forcer, s'il le fallait, pour devancer Vandamme
-au débouché de T&oelig;plitz. En même temps il fit avertir Barclay de
-Tolly de la résolution qu'il adoptait, ne s'en dissimulant pas les
-inconvénients, mais croyant épargner ainsi de grands dangers au reste
-de l'armée coalisée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ils côtoient les troupes du général Vandamme, et
-parviennent à passer.</span>
-En conséquence, le 28 au matin, le prince Eugène et le comte Ostermann
-essayèrent de cheminer sur le plateau de Gieshübel, situé au-dessous
-de celui de Pirna, et séparé seulement de ce dernier par le ruisseau
-de Gotleube. Il fallait franchir divers passages très-difficiles, où
-l'on pouvait rencontrer les Français, notamment à Zehist, petit bourg
-situé à l'entrée du plateau de Gieshübel, sous une hauteur qu'on
-appelle le Kohlberg, et qui était occupée en ce moment par un
-bataillon français. Le prince Eugène de Wurtemberg fit assaillir et
-enlever le Kohlberg, puis il profita de cet avantage pour défiler
-<span class="pagenum"><a id="page323" name="page323"></a>(p. 323)</span> avec tout son corps. Vandamme fit réoccuper la position, mais
-à ce moment les deux corps russes n'avaient plus intérêt à la
-reprendre. En continuant à parcourir le plateau de Gieshübel, ils
-côtoyèrent à Gross-Cotta et à Klein-Cotta les Français descendus de
-Pirna en trop faibles détachements, et parvinrent à franchir tous les
-obstacles, quoiqu'en perdant du monde. Parvenus enfin à l'extrémité de
-ce plateau, ils s'échappèrent par la rampe de Gieshübel, et purent
-gagner la route de Péterswalde sans de graves accidents, en étant
-quittes d'un grand danger au prix de quelques pertes peu
-considérables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes qui avaient retardé Vandamme, et l'avaient empêché
-d'arrêter à temps les Russes sur la route de Péterswalde.</span>
-Ce qui leur avait valu ce bonheur, c'est que Vandamme, ayant eu de la
-peine à traîner son artillerie à cause du mauvais temps, n'avait pu
-faire autre chose dans la journée du 26 que de gravir le plateau de
-Pirna, avait employé à l'occuper solidement toute la journée du 27, et
-le 28 au matin avait été surpris par l'apparition des Russes, avant de
-connaître les événements de Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">N'ayant pu les arrêter, il les poursuit à outrance.</span>
-Mais, averti bientôt de la
-victoire du 27, et ayant réuni ses divisions, il s'était mis à
-poursuivre les Russes, leur avait livré un violent combat
-d'arrière-garde à Gieshübel, leur avait tué un millier d'hommes, et
-les avait menés battant jusqu'à Hollendorf, à quelque distance de
-Péterswalde. Arrivé là, il attendit impatiemment les ordres de
-Napoléon pour la direction à donner à ses mouvements ultérieurs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon sur le terrain le 28 au matin.</span>
-Telles avaient été les opérations de l'ennemi le matin du 28, et
-durant une partie de la même journée. Pendant ce temps Napoléon,
-debout de très-bonne heure, avait expédié ses premiers ordres par
-<span class="pagenum"><a id="page324" name="page324"></a>(p. 324)</span> écrit, et avait enjoint au maréchal Mortier avec la jeune
-garde, au maréchal Saint-Cyr avec le 14<sup>e</sup> corps, de se porter à
-Gieshübel, l'un des défilés de la route de Péterswalde, pour s'y
-réunir à Vandamme, au maréchal Marmont de suivre les coalisés par la
-route d'Altenberg, et à Murat, qui avait avec lui le corps de Victor,
-de les poursuivre à outrance sur la grande route de Freyberg. Napoléon
-avait par les mêmes dépêches annoncé sa présence, et promis d'ordonner
-sur les lieux mêmes ce que comporteraient les circonstances. En effet,
-dès la pointe du jour il s'était rendu à cheval auprès du maréchal
-Marmont, pour observer de ses propres yeux la retraite de l'ennemi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon voyant le mouvement de Barclay de Tolly, qui se
-replie de la route de Péterswalde sur celle d'Altenberg, ordonne un
-mouvement semblable au maréchal Saint-Cyr.</span>
-Parvenu sur les hauteurs de Dresde auprès du maréchal Marmont, il
-avait vu les diverses colonnes des coalisés se dirigeant vers les
-montagnes boisées de l'<i>Erz-Gebirge</i>. Il avait été frappé du mouvement
-transversal de gauche à droite qu'exécutaient les troupes russes de
-Barclay de Tolly, pour se reporter de la route de Péterswalde sur
-celle d'Altenberg, mouvement à la suite duquel une grande partie des
-colonnes russes, prussiennes et autrichiennes allaient se trouver
-réunies dans la même direction. En face de pareilles masses le corps
-du maréchal Marmont était évidemment insuffisant, et Napoléon avait
-ordonné lui-même au maréchal Saint-Cyr de se rabattre de Dohna sur
-Maxen, pour se rapprocher du maréchal Marmont, et poursuivre l'ennemi
-de concert.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se transporte ensuite à Pirna.</span>
-Cet ordre donné de vive voix, Napoléon s'était transporté
-à Pirna, pour voir ce qui s'y passait, et prescrire ce qu'on aurait à
-faire sur la route de Péterswalde.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page325" name="page325"></a>(p. 325)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Légère indisposition qui ne l'empêche pas de
-donner des ordres.</span>
-Arrivé à Pirna vers le milieu du jour, Napoléon y prit un léger repas,
-et soudain fut saisi de douleurs d'entrailles auxquelles il était
-sujet dès qu'il avait enduré l'humidité, et la veille en effet il
-avait supporté pendant toute la journée des torrents de pluie.
-Toutefois ces douleurs n'étaient pas de nature à l'empêcher de donner
-des ordres, et de faire ce qui était impérieusement exigé par les
-circonstances<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Lien vers la note 12"><span class="smaller">[12]</span></a>. Mais en ce moment il reçut des dépêches qu'il
-attendait avec impatience des environs de Berlin, et des bords du
-Bober.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles graves que Napoléon reçoit des maréchaux Oudinot
-et Macdonald.</span>
-Le maréchal Oudinot, qui aurait dû être entré à Berlin depuis
-plusieurs jours, s'était arrêté devant les inondations, puis n'avait
-pas abordé l'ennemi en masse, et avait eu l'un de ses corps assez
-maltraité. Le maréchal Macdonald, <span class="pagenum"><a id="page326" name="page326"></a>(p. 326)</span> sur le Bober, venait d'être
-surpris par Blucher, et d'éprouver des pertes considérables. Ainsi la
-fortune laissait à peine à Napoléon le temps de jouir de sa belle
-victoire de Dresde, et tout à coup l'horizon s'assombrissait autour de
-lui, après s'être montré parfaitement serein. La marche sur Berlin
-avait toujours eu à ses yeux une grande importance sous le rapport
-moral, sous le rapport politique, sous le rapport militaire. Elle
-devait éblouir les esprits, frapper la Prusse au c&oelig;ur, punir
-Bernadotte, et nous mettre en communication avec les places de l'Oder,
-peut-être avec celles de la Vistule, qui avaient toutes besoin d'être
-ravitaillées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ces nouvelles le décident à retourner à Dresde.</span>
-L'échec de Macdonald s'ajoutant à celui d'Oudinot,
-pouvait contribuer à rendre plus difficile et plus douteuse cette
-marche sur Berlin, à laquelle Napoléon tenait si fort, et il crut
-devoir rentrer à Dresde immédiatement pour prescrire les mesures que
-comportait la situation. Tandis que Berlin le rappelait, le mouvement
-sur Péterswalde exigeait moins sa présence d'après ce qu'on venait de
-lui annoncer. En effet il avait pu croire en sortant de Dresde le
-matin, que Vandamme, occupant Pirna et Gieshübel, y opposerait une
-barrière de fer à la colonne russe, et que Saint-Cyr et Mortier
-arrivant sur les derrières de cette colonne, la prendraient tout
-entière.
-<span class="sidenote" title="En marge">S'étant convaincu par ses propres yeux que Vandamme ne
-pouvait plus que talonner les Russes avec plus ou moins de vivacité,
-il lui laisse le soin de les incommoder dans leur retraite.</span>
-Mais il venait d'apprendre que la colonne russe avait eu le
-temps de regagner la route de Péterswalde, que dès lors tout ce que
-Vandamme pourrait faire ce serait de la poursuivre vigoureusement, et
-il crut que ce serait assez de ses lieutenants pour tirer de la
-victoire de Dresde les conséquences qu'il était permis d'en <span class="pagenum"><a id="page327" name="page327"></a>(p. 327)</span>
-espérer encore. Il pensa qu'il suffirait de laisser à Vandamme toutes
-les divisions qu'il lui avait déjà confiées, de le faire descendre en
-Bohême par la route de Péterswalde, de le porter à T&oelig;plitz, où il
-se trouverait sur la ligne de retraite des coalisés prêts à déboucher
-des défilés des montagnes, et vivement poursuivis par Saint-Cyr,
-Marmont, Victor, Murat.
-<span class="sidenote" title="En marge">Instructions données à Vandamme.</span>
-Il était vraisemblable que Vandamme, embusqué
-à Kulm ou à T&oelig;plitz, ferait plus d'une bonne prise, et que se
-reportant ensuite entre Tetschen et Aussig, il enlèverait une grande
-partie du matériel des coalisés lorsque ceux-ci voudraient repasser
-l'Elbe. Vandamme devait dans cette position rendre un autre service,
-c'était d'occuper la route directe de Prague à laquelle Napoléon
-attachait le plus haut prix, car depuis les dépêches d'Oudinot et de
-Macdonald il songeait à une marche foudroyante sur Berlin ou sur
-Prague, afin de tomber à l'improviste sur l'armée du Nord, ou
-d'achever la défaite de celle de Bohême; même s'il rentrait à Dresde
-en ce moment, c'était pour employer une journée à balancer les
-avantages et les inconvénients d'une marche sur l'une ou l'autre de
-ces capitales.
-<span class="sidenote" title="En marge">Forces qui sont confiées à ce général.</span>
-Considérant donc la situation sous ce nouvel aspect, il
-laissa au général Vandamme non-seulement ses deux premières divisions,
-Philippon et Dumonceau, avec la brigade Quyot formant la moitié de la
-division Teste, mais la première division du maréchal Saint-Cyr (la
-42<sup>e</sup>), qui depuis quelques jours lui avait été prêtée, et y ajouta la
-brigade de Reuss du corps de Victor, pour le dédommager de ce qu'on
-lui avait ôté la moitié de la division Teste. Il lui adjoignit de
-plus <span class="pagenum"><a id="page328" name="page328"></a>(p. 328)</span> la cavalerie du général Corbineau. Vandamme devait avoir
-ainsi la valeur de quatre divisions d'infanterie, et de trois brigades
-de cavalerie, le tout formant quarante mille hommes au moins. Napoléon
-lui ordonna de poursuivre vivement les Russes en Bohême, de descendre
-sur Kulm, d'occuper d'un côté T&oelig;plitz, afin de gêner les coalisés à
-leur sortie des montagnes, et de l'autre Aussig et Tetschen, afin de
-garder les passages de l'Elbe et la route de Prague<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Lien vers la note 13"><span class="smaller">[13]</span></a>. Il lui
-ordonna même, ce qui démontre bien ses vraies intentions, de faire
-remonter à Testchen le second pont de bateaux jeté à Pirna. Il lui
-annonça, quant au reste, des ordres ultérieurs.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position assignée à Mortier.</span>
-Toutefois il plaça
-Mortier à Pirna avec quatre divisions de la jeune garde, pour que ce
-dernier pût au besoin secourir le général Vandamme, duquel il ne
-<span class="pagenum"><a id="page329" name="page329"></a>(p. 329)</span> serait qu'à sept ou huit lieues.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordres à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor et à Murat.</span>
-En même temps il fit
-recommander à Saint-Cyr, Marmont, Victor, Murat, de toujours suivre
-les coalisés l'épée dans les reins, et de les pousser violemment
-contre les montagnes, pour qu'ils ne pussent les passer qu'en
-désordre. Ces instructions données, il partit pour Dresde en voiture,
-et prescrivit à la vieille garde de l'y joindre.</p>
-
-<p>Pendant cette même journée du 28, Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat,
-talonnèrent l'ennemi sans relâche. Saint-Cyr ramassa des blessés et
-des traînards. À Possendorf Marmont enleva deux mille prisonniers et
-trois ou quatre cents voitures. À Dippoldiswalde il livra un combat
-heureux, et prit ou tua encore quelques centaines d'hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nombreux prisonniers recueillis dans la journée du 28 par
-Saint-Cyr, Marmont, Victor et Murat.</span>
-Murat et
-Victor recueillirent de leur côté des blessés, des traînards, des
-prisonniers, des canons, des voitures, et au moins cinq à six mille
-hommes en tout. Les pertes que les coalisés avaient essuyées la
-veille, et qu'on pouvait évaluer à plus de 25 mille hommes,
-s'élevaient au moins à 32 ou 33, par les conséquences de la journée du
-28. Les signes du découragement étaient visibles chez l'ennemi, et
-faisaient espérer d'importants résultats s'il était fortement
-poursuivi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le lendemain 29, Vandamme poursuit vivement les Russes.</span>
-Le lendemain 29 Vandamme, excité par les ordres qu'il avait reçus dans
-la soirée précédente, résolut de ne laisser aucun repos aux Russes, et
-de leur faire expier le bonheur qu'ils avaient eu de passer impunément
-devant lui, sous le plateau de Pirna.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions morales de ce général dans le moment.</span>
-Ce général doué d'infiniment de
-coup d'&oelig;il, de vigueur, d'expérience de la guerre, et même
-<span class="pagenum"><a id="page330" name="page330"></a>(p. 330)</span> d'esprit, malheureusement décrié par ses m&oelig;urs un peu trop
-soldatesques et par la violence de son caractère, avait été traité
-sans aucune faveur, et se plaignait de n'être pas encore maréchal,
-grade qu'il méritait beaucoup plus que quelques-uns de ses
-contemporains à qui Napoléon ne l'avait pas fait attendre. La
-difficulté des circonstances, le besoin de remplacer les hommes de
-guerre, dont on faisait une consommation, hélas! trop grande, ayant
-ramené sur lui l'attention de l'Empereur, il se flattait d'obtenir
-enfin les récompenses qu'il croyait avoir méritées depuis longtemps,
-et il éprouvait un redoublement de zèle qui, fort utile en toute autre
-circonstance, pouvait dans celle-ci l'entraîner au delà des bornes de
-la prudence. Il s'avança donc résolûment dès le matin du 29 sur
-l'arrière-garde des Russes. La brigade de Reuss, commandée par un
-jeune prince allemand, militaire de la plus haute distinction,
-marchait en tête. Vandamme, accompagné du général Haxo, la dirigeait.
-<span class="sidenote" title="En marge">Combat brillant de Hollendorf.</span>
-Entre Hollendorf et Péterswalde, Vandamme et le prince de Reuss
-assaillirent une colonne russe qui voulait résister, la débordèrent,
-et, après l'avoir culbutée, lui enlevèrent 2 mille hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Mort du prince de Reuss.</span>
-Par malheur
-le jeune prince de Reuss fut tué d'un coup de canon. Il emporta les
-regrets de toute l'armée, car au mérite d'être un officier
-très-brillant il joignait celui d'être très-attaché aux Français.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Vandamme sur le revers des montagnes de Bohême.</span>
-Après cet exploit, Vandamme continua de poursuivre les Russes à
-outrance. Il franchit les montagnes sur leurs traces, descendit en
-plaine, et à midi atteignit Kulm, d'où il dominait le vaste bassin
-dans <span class="pagenum"><a id="page331" name="page331"></a>(p. 331)</span> lequel les colonnes ennemies vivement pourchassées
-commençaient à déboucher. À son aspect les soldats du prince Eugène de
-Wurtemberg et les gardes d'Ostermann, qu'il n'avait cessé de
-poursuivre, et sur lesquels il avait fait plusieurs milliers de
-prisonniers, s'arrêtèrent, et vinrent prendre position devant lui,
-pour couvrir le débouché de T&oelig;plitz, dont ils sentaient toute
-l'importance. Des hauteurs de Kulm, Vandamme apercevait ce débouché de
-T&oelig;plitz où il avait ordre de toucher au besoin, et où l'attirait le
-désir de barrer le chemin aux colonnes ennemies qui avaient pris les
-routes latérales à celle de Péterswalde. Malheureusement il n'avait
-sous la main que son avant-garde; le reste suivait en formant une
-longue queue dans les gorges, et les troupes russes qu'il avait en
-face, plus nombreuses que le matin, renforcées même de corps nouveaux,
-paraissaient résolues à tenir où elles étaient.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé du côté des coalisés.</span>
-Il suspendit donc
-quelques instants sa marche pour attendre son corps d'armée. Voici
-dans l'intervalle ce qui s'était passé du côté des coalisés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'empereur Alexandre ayant franchi les montagnes le 29 au
-matin, reconnaît avec tous les généraux la nécessité de s'arrêter, et
-de résister à Vandamme pour assurer la retraite de l'armée alliée.</span>
-L'empereur Alexandre avait séjourné pendant la nuit du 28 au 29 à
-Altenberg, au pied des montagnes de l'<i>Erz-Gebirge</i>, de celle
-notamment qu'on appelle le Geyersberg, l'avait franchie le 29 au
-matin, et était parvenu sur le revers de très-bonne heure. De là
-découvrant à gauche la position de Kulm, sur laquelle Vandamme s'était
-arrêté en face des Russes, à droite T&oelig;plitz et le bassin de l'Eger
-qui va se jeter dans l'Elbe, il avait pu apprécier le danger d'une
-retraite précipitée, exécutée sans ordre, menacée en flanc par le
-corps de Vandamme <span class="pagenum"><a id="page332" name="page332"></a>(p. 332)</span> qu'on savait être considérable, et qui
-d'heure en heure pouvait le devenir davantage. Il avait perdu le
-conseiller dans lequel il avait pris tant de confiance, le général
-Moreau, que les soldats portaient mourant sur leurs épaules, et il lui
-restait le général Jomini, que Moreau lui avait recommandé comme
-capable, quoique très-bouillant, de donner un bon avis. Le général
-Jomini et plusieurs autres, fort disposés à décrier les Autrichiens,
-et en particulier le prince de Schwarzenberg, se plaignaient amèrement
-de ce qu'on songeait à se retirer au delà de l'Eger, déclaraient
-excessif, dangereux même un pareil mouvement rétrograde, surtout le
-corps de Vandamme apparaissant au débouché de la chaussée de
-Péterswalde sur le flanc des colonnes en retraite. L'empereur
-Alexandre qui commençait à entendre un peu mieux la guerre, et qui
-n'avait que le tort de se laisser atteindre par les avis contraires au
-point de tomber dans des irrésolutions interminables, avait apprécié
-l'objection, et était tout disposé à en tenir compte. Jadis, quand on
-était moins exaspéré contre les Français, quand on était sous le coup
-du génie transcendant de Napoléon, on se sentait peu enclin à en
-appeler d'une défaite, on la regardait comme un arrêt qu'il fallait
-subir, et on se rendait facilement au premier corps qu'on rencontrait
-sur son chemin après une bataille perdue. On était fort changé
-aujourd'hui. La passion de la résistance devenue extrême, le prestige
-de Napoléon diminué, on se laissait moins décourager, et à la moindre
-lueur d'espérance on reprenait volontiers la résolution de combattre.
-Aussi tous les généraux <span class="pagenum"><a id="page333" name="page333"></a>(p. 333)</span> qui se trouvaient autour d'Alexandre
-furent-ils d'avis que s'il y avait une occasion quelconque de
-recommencer la lutte, on devait la saisir, et qu'un corps français se
-montrant sur leur gauche, il fallait s'arrêter pour lui tenir tête au
-lieu de se porter au delà de l'Eger. Jusqu'ici d'ailleurs c'était un
-corps isolé, qui serait soutenu probablement, mais qui peut-être aussi
-ne le serait pas, et offrirait dans ce cas une proie facile à enlever.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordres au comte Ostermann et au prince Eugène de Wurtemberg
-de s'arrêter en face de Kulm.</span>
-Barclay de Tolly, le général Diebitch devenu chef d'état-major, ayant
-partagé cette opinion, on donna l'ordre aux colonnes du prince Eugène
-de Wurtemberg et d'Ostermann de tenir bon devant Kulm, quelque
-fatiguées qu'elles pussent être. On leur annonça qu'elles allaient
-être renforcées, et en effet plusieurs colonnes d'infanterie russe et
-prussienne arrivant par la route d'Altenberg avec la cavalerie de la
-garde, on les leur envoya. Ce ne fut pas tout. Les troupes
-autrichiennes débouchaient actuellement en plus grand nombre que les
-Russes, parce qu'elles s'étaient acheminées les premières et sans
-tergiverser sur la route d'Altenberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les troupes autrichiennes reçoivent les mêmes ordres, grâce
-à l'intervention de M. de Metternich.</span>
-Ce fut le corps de Colloredo qui
-se présenta le premier. Mais ce général, auquel on demanda de venir se
-ranger en face de Kulm, derrière les lignes russes, ayant allégué les
-instructions du prince de Schwarzenberg qui lui prescrivaient de se
-retirer au delà de l'Eger, on eut recours à M. de Metternich, qui
-était à Duchs, château du célèbre Wallenstein, où les souverains
-étaient actuellement réunis, et on fit donner l'ordre à toutes les
-troupes autrichiennes de converger à gauche, pour venir se mettre en
-bataille avec les troupes russes descendues de Péterswalde.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page334" name="page334"></a>(p. 334)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vandamme expulse les Russes de Kulm, leur enlève
-Straden, et veut en vain leur enlever la position de Priesten.</span>
-Toutefois ce n'était pas avant quelques heures que ces ordres
-pouvaient amener en ligne des forces considérables, et Vandamme après
-un instant de réflexion, quoiqu'il vît les troupes fugitives
-s'arrêter, et même s'augmenter sensiblement, résolut de les déloger du
-poste où elles semblaient vouloir s'établir pour protéger contre nous
-les débouchés du Geyersberg. En agissant ainsi il obéissait à la fois
-à des ordres précis, et à l'indication des circonstances, car ses
-ordres lui disaient d'aller jusqu'à T&oelig;plitz, et les circonstances
-devaient l'engager à fermer le débouché des montagnes aux colonnes
-battues, puisqu'il n'avait été envoyé en ces lieux que pour opposer
-des obstacles à leur retraite. Ayant toujours sous la main la brigade
-de Reuss avec laquelle il avait marché depuis le matin et n'ayant
-qu'elle, il chassa néanmoins les Russes de Kulm où ils avaient essayé
-de tenir, et du village de Straden où ils s'étaient ensuite repliés.
-Ce village de Straden emporté, il se trouva devant une seconde
-position située derrière un ravin et d'apparence assez forte. D'un
-côté, c'est-à-dire vers notre droite, elle s'appuyait aux montagnes,
-vers le centre au village de Priesten construit sur la route de
-T&oelig;plitz, à gauche enfin à des prairies coupées de canaux, et au
-village de Karbitz. Vandamme voulut attaquer sur-le-champ le village
-de Priesten, pour ne pas permettre aux Russes de s'y établir; mais
-pour la première fois il rencontra une résistance opiniâtre, et fut
-repoussé par une charge du régiment des gardes d'Ismaïlow. Il n'avait
-ni sa grosse artillerie ni ses masses d'infanterie; il fut donc
-obligé <span class="pagenum"><a id="page335" name="page335"></a>(p. 335)</span> d'attendre la division Mouton-Duvernet (la 42<sup>e</sup>), et
-il eût mieux fait évidemment de différer jusqu'à l'arrivée de son
-corps tout entier, pour n'engager le combat qu'avec des forces
-suffisantes. Cependant ses autres divisions ne pouvant être rendues
-sur les lieux que fort tard, et sa préoccupation de couper la retraite
-à l'ennemi étant toujours la même, il attaqua l'ennemi avec neuf
-bataillons du général Mouton-Duvernet, seuls réunis en ce moment sur
-les quatorze dont se composait la division. Avec ces neuf bataillons
-portés à droite vers les bois il rétablit le combat, et rejeta les
-Russes sur Priesten. Mais tout à coup il fut assailli par quarante
-escadrons de la garde russe, qui venaient d'entrer en ligne, et qui se
-déployèrent, les uns à notre droite vers le pied des monts, les autres
-à gauche dans la plaine de Karbitz. Les bataillons de Mouton-Duvernet
-continrent la cavalerie russe le long des montagnes, les escadrons de
-Corbineau la chargèrent du côté des prairies, et néanmoins cette fois
-encore, au lieu d'avancer nous pûmes tout au plus conserver le terrain
-que nous avions acquis. À deux heures de l'après-midi parut la
-première brigade de la division Philippon (première de Vandamme).
-Cette brigade commandée par le général Pouchelon, envoya sur la droite
-le 12<sup>e</sup> de ligne pour soutenir Mouton-Duvernet, et au centre le 7<sup>e</sup>
-léger pour attaquer Priesten. Ces régiments accueillis par un feu
-épouvantable ne purent emporter la position. La seconde brigade de
-Philippon étant survenue sous le général de Fezensac, fut engagée de
-même, et sans plus de succès quoique avec beaucoup de vigueur.
-<span class="pagenum"><a id="page336" name="page336"></a>(p. 336)</span> Le 7<sup>e</sup> léger de la première brigade ayant voulu attaquer
-Priesten fut criblé de mitraille, puis chargé par la cavalerie russe,
-et sauvé par la seconde brigade que le général de Fezensac avait
-ralliée sous le feu de l'ennemi. Vandamme reconnaissant trop tard que
-ces attaques décousues ne donneraient aucun résultat, prit le parti
-d'asseoir sa ligne un peu en arrière, sur la hauteur de Kulm,
-laquelle, placée au débouché de la chaussée de Péterswalde, dominait
-la plaine. Les Russes ayant voulu s'avancer furent mitraillés à leur
-tour par vingt-quatre bouches à feu que le général Baltus, arrivé avec
-la réserve d'artillerie, avait mises en batterie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vers la fin de la journée, Vandamme conserve Kulm, tandis
-que les Russes conservent Priesten.</span>
-Ils reculèrent sous
-cette mitraille et devant les charges de notre cavalerie, et allèrent
-reprendre la position de Priesten, appuyés comme le matin, la gauche
-aux montagnes, le centre à Priesten sur la route de T&oelig;plitz, la
-droite dans les prairies de Karbitz. Nous étions vis-à-vis, ayant
-comme eux d'un côté les montagnes, de l'autre les prairies, et au
-centre la position dominante de Kulm, où il était facile de se
-défendre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vandamme remet au jour suivant la suite de ses opérations,
-et comptant être soutenu, se promet de grands résultats pour le
-lendemain.</span>
-Ce n'était pas un tort à Vandamme d'avoir cherché à emporter la
-position des Russes, puisqu'il avait ordre de les pousser jusqu'à
-T&oelig;plitz, et que d'ailleurs il devait sentir le besoin de fermer le
-débouché de la route d'Altenberg sur T&oelig;plitz; mais c'en était un
-d'avoir attaqué avant d'avoir toutes ses forces sous la main, et ce
-tort lui-même s'expliquait par l'allongement de sa colonne dans les
-montagnes, et par le désir naturel de déloger l'ennemi avant qu'il se
-fût consolidé dans sa position. Au surplus le général <span class="pagenum"><a id="page337" name="page337"></a>(p. 337)</span>
-Vandamme s'arrêta, et il résolut de bien garder Kulm, où il ne pouvait
-pas être forcé, ayant 52 bataillons à sa disposition, et environ 80
-bouches à feu en batterie. Son intention était d'y attendre que
-Mortier, demeuré sur ses derrières à Pirna, vînt à son aide, et que
-Saint-Cyr, Marmont, placés sur sa droite, de l'autre côté des
-montagnes, les franchissent à la suite des coalisés. Ces mouvements
-n'exigeaient pas plus de douze ou quinze heures pour s'accomplir, et
-avec le concours de toutes ces forces il se flattait d'avoir le
-lendemain 30 de beaux résultats à offrir à l'Empereur; triste et
-déplorable illusion, pourtant bien fondée, aussi fondée qu'aucune
-espérance raisonnable le fut jamais!
-<span class="sidenote" title="En marge">Il écrit à Napoléon pour lui faire connaître sa situation.</span>
-Le soir même il écrivit à
-Napoléon pour faire connaître sa situation, demander des secours, et
-annoncer que jusqu'à leur arrivée il resterait immobile à Kulm.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Temps qu'il fallait pour écrire à Dresde et avoir une
-réponse.</span>
-Les lettres écrites le 29 au soir de Kulm ne pouvaient parvenir à
-Dresde que le 30 au matin, et les ordres émis en réponse à ces lettres
-ne pouvaient être exécutés d'assez bonne heure pour que Vandamme fut
-secouru à temps dans la journée du 30.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon n'ayant reçu que les nouvelles du matin, se borne
-à réitérer à Saint-Cyr, à Marmont, à Victor, l'ordre de suivre
-vivement l'ennemi, et à Mortier de se tenir prêt à secourir Vandamme
-lorsqu'il en recevra l'avis.</span>
-Dans la soirée du 29, Napoléon
-avait reçu les nouvelles parties le matin de Péterswalde; il avait su
-que les Russes se retiraient en toute hâte, que Vandamme les suivait
-l'épée dans les reins, et leur avait déjà enlevé quelques mille
-hommes. Supposant d'après ces premières informations les coalisés en
-complète déroute, comptant que la vive poursuite de Saint-Cyr, de
-Marmont, de Murat, les obligerait à traverser les montagnes en
-désordre, et que Vandamme placé au revers, les recueillerait par
-milliers, <span class="pagenum"><a id="page338" name="page338"></a>(p. 338)</span> peut-être même leur fermerait entièrement le
-principal débouché d'Altenberg, il avait réitéré à Saint-Cyr, à
-Marmont, à Murat, l'ordre de pousser vivement l'ennemi dans toutes les
-directions, et à Mortier d'être aux écoutes, prêt à courir à Kulm si
-Vandamme en avait besoin. Ayant la tête pleine des souvenirs du passé,
-se rappelant avec quelle facilité il ramassait jadis les Prussiens ou
-les Autrichiens vaincus, ne voulant pas tenir compte de la passion qui
-les animait aujourd'hui et les rendait si difficiles à décourager, il
-estimait que c'était assez de précaution pour obtenir encore de
-très-grands résultats de la victoire de Dresde. D'ailleurs il était
-absorbé en ce moment par une vaste combinaison<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Lien vers la note 14"><span class="smaller">[14]</span></a>, au moyen de
-laquelle il espérait, profitant du coup si rude frappé sur l'armée de
-Bohême, s'avancer sur la route de Berlin à cinq marches de Dresde,
-écraser l'armée du Nord, accabler d'un même coup la Prusse et
-Bernadotte, ravitailler les places de l'Oder, envoyer des
-encouragements à celles de la Vistule, <span class="pagenum"><a id="page339" name="page339"></a>(p. 339)</span> et imprimer de la
-sorte une face nouvelle à la guerre, dont le théâtre serait pour un
-instant reporté au nord de l'Allemagne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Pendant ce temps, Napoléon s'occupe de réparer les échecs
-essuyés par Macdonald et Oudinot.</span>
-Ainsi Berlin, les places de
-l'Oder et de la Vistule, qui déjà l'avaient disposé à trop étendre le
-cercle de ses opérations, le préoccupaient de nouveau, et allaient le
-détourner de ce qui aurait dû être pour quelques heures son objet
-essentiel et unique. Sans doute, comme on en jugera bientôt, sa
-conception était singulièrement grande, mais elle était
-malheureusement intempestive, et prématurée au moins de deux jours!
-Tout entier à ses calculs et dans le feu d'une première conception, il
-expédia les ordres suivants pendant la matinée du 30. Il enjoignit au
-maréchal Mortier à Pirna de lui renvoyer à Dresde deux divisions de la
-jeune garde, et avec les deux autres d'aller au secours de Vandamme; à
-Murat de lui rendre une moitié de la grosse cavalerie, et avec le
-reste de continuer à poursuivre l'ennemi sur la chaussée de Freyberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Grande combinaison imaginée en cette circonstance.</span>
-Il ordonna au maréchal Marmont de pousser vivement l'ennemi sur le
-débouché d'Altenberg et Zinnwald, où d'après tous les rapports les
-colonnes des Russes, des Prussiens et des Autrichiens se pressaient
-pêle-mêle; au maréchal Saint-Cyr de seconder Marmont dans cette
-opération, ou, ce qui valait mieux, de chercher par un chemin latéral
-à gagner la chaussée de Péterswalde, afin de se joindre à Vandamme, et
-il espéra ainsi que pressés en queue, menacés en flanc, retenus en
-tête, les coalisés essuieraient quelque désastre. Il prescrivit de
-faire immédiatement passer l'Elbe aux troupes qu'il redemandait, et
-ne cacha point à <span class="pagenum"><a id="page340" name="page340"></a>(p. 340)</span> Murat que c'était dans l'intention de
-marcher sur Berlin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Calculs des coalisés rangés en avant de T&oelig;plitz.</span>
-Tandis qu'il concevait ces projets, et expédiait ces ordres, les
-coalisés à T&oelig;plitz ne formaient pas d'aussi vastes combinaisons, et
-ne songeaient qu'à se tirer du péril auquel ils s'étaient imprudemment
-exposés en descendant sur les derrières de Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ils n'ont d'autre prétention que de contenir Vandamme et de
-se ménager une retraite assurée.</span>
-La résistance
-heureusement opposée à Vandamme dans la journée du 29 leur avait rendu
-quelque confiance. Tout ce qui leur était arrivé de troupes russes et
-autrichiennes par le chemin d'Altenberg sur T&oelig;plitz, avait été
-rabattu sur leur gauche, et placé derrière Priesten et Karbitz, afin
-de présenter à Vandamme une barrière de fer. Ils se flattaient donc de
-l'empêcher de déboucher de Kulm, et de lui faire peut-être éprouver un
-échec, ce qui les dédommagerait tant soit peu des journées du 26 et du
-27 août, et procurerait à toutes leurs colonnes le temps de repasser
-les montagnes en sûreté. Pourtant il leur restait une grave
-inquiétude, c'était pour le corps prussien de Kleist, qui avait dû
-suivre le corps autrichien de Colloredo dans le premier projet de
-retraite, et passer avec lui par Dippoldiswalde, Altenberg, Zinnwald,
-T&oelig;plitz, mais qui en avait été empêché par le mouvement transversal
-de Barclay de Tolly, lequel, ainsi qu'on l'a vu, s'était reporté
-brusquement de la chaussée de Péterswalde sur le chemin d'Altenberg,
-afin d'éviter Vandamme.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger du corps prussien de Kleist, resté en deçà des
-montagnes.</span>
-Retardé dans sa marche, et obligé d'attendre
-que le chemin fût libre, le corps de Kleist était encore le 29 au soir
-sur le revers du Geyersberg, et on craignait pour lui les plus grands
-malheurs, car le corps <span class="pagenum"><a id="page341" name="page341"></a>(p. 341)</span> de Saint-Cyr était tout à fait sur ses
-talons. Le roi de Prusse, après en avoir conféré avec l'empereur
-Alexandre, envoya le colonel Sch&oelig;ler, l'un de ses aides de camp, au
-général Kleist, pour le prévenir de la présence du corps de Vandamme à
-Kulm, lui laisser le choix de la route qu'il aurait à prendre pour se
-sauver, et lui promettre de bien tenir le lendemain devant Kulm, afin
-qu'il eût le loisir de traverser la montagne et de déboucher dans le
-bassin de l'Eger<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Lien vers la note 15"><span class="smaller">[15]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordre envoyé à ce corps de se sauver comme il pourrait.</span>
-En même temps on regardait ce corps comme
-tellement compromis, qu'on enjoignait à M. de Sch&oelig;ler de ramener à
-travers les bois le jeune prince d'Orange, qui faisait cette campagne
-avec l'armée prussienne, et avait été placé auprès du général Kleist.
-On ne voulait pas en effet livrer aux mains de Napoléon un tel
-trophée, si le corps de Kleist était fait prisonnier. M. de Sch&oelig;ler
-partit donc immédiatement pour repasser les montagnes, et aller à tout
-risque remplir la difficile mission dont il était chargé. Telles
-étaient les espérances des uns, les craintes des autres le 29 à
-minuit!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation des deux armées le 30 au matin.</span>
-Le lendemain 30 août au matin, les deux armées se trouvaient dans la
-même position que la veille. Les coalisés étaient en face de
-Vandamme, leur gauche, <span class="pagenum"><a id="page342" name="page342"></a>(p. 342)</span> composée des Russes, tout près des
-montagnes, leur centre, composé aussi des Russes, en avant de Priesten
-et vis-à-vis de Kulm, leur droite formée par les Autrichiens et par la
-cavalerie des alliés dans les prairies de Karbitz. Ils étaient
-disposés à prendre l'offensive, pour favoriser en occupant fortement
-les Français le passage du général Kleist à travers les montagnes,
-mais ils ignoraient par quelle route celui-ci chercherait à sortir du
-gouffre où il était enfermé. Ils supposaient à Vandamme tout au plus
-30 mille hommes, tandis qu'il en avait 40 mille sous la main. Ils ne
-pouvaient donc pas hésiter à commencer l'attaque, et ils résolurent de
-le faire immédiatement.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vandamme s'était établi dans une forte position, attendant
-des secours, et ne voulant rien entreprendre.</span>
-Vandamme au contraire, ayant au lever du jour discerné plus clairement
-encore la disproportion de ses forces avec celles de l'ennemi, et
-attendant à chaque instant l'apparition du maréchal Mortier sur ses
-derrières, celle du maréchal Saint-Cyr sur sa droite, voulait se
-borner à la défensive jusqu'à l'arrivée de ses renforts. C'est ce
-qu'il manda dès six heures du matin à Napoléon. Avec l'ordre de
-pousser jusqu'à T&oelig;plitz et avec son caractère audacieux, s'arrêter
-à Kulm était tout ce qu'on pouvait espérer de mieux de sa part. Quant
-à remonter sur Péterswalde même, il ne devait pas y songer, car la
-position de Kulm était assez forte pour qu'avec quarante mille hommes
-on pût s'y défendre contre quelque ennemi que ce fût; et en arrière,
-entre Kulm et Péterswalde, on n'avait aucun danger à prévoir, Mortier
-s'y trouvant, et devant en déboucher à chaque instant. Ne pas se
-hasarder en plaine pour aller à <span class="pagenum"><a id="page343" name="page343"></a>(p. 343)</span> T&oelig;plitz, et se maintenir à
-Kulm, était donc la seule résolution indiquée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes de Vandamme.</span>
-Voici comment le général Vandamme avait distribué ses troupes. À sa
-droite, en face des Russes, au pied même du Geyersberg, il avait neuf
-bataillons de la division Mouton-Duvernet, et un peu en arrière, mais
-tirant vers le centre, la division Philippon avec quatorze bataillons.
-Il était donc bien en force de ce côté des montagnes, d'où à tout
-moment descendaient de nombreuses colonnes ennemies. Au centre en
-avant de Kulm, vis-à-vis de Priesten, il avait la brigade Quyot, de la
-division Teste, un peu en arrière la brigade de Reuss. Derrière Kulm,
-il avait la brigade Doucet de la division Dumonceau, et à gauche, vers
-les prairies, la brigade Dunesme, appartenant également à la division
-Dumonceau, pour servir d'appui à la cavalerie. Enfin le général
-Kreutzer, avec ce qui restait de la division Mouton-Duvernet, avait
-été envoyé à Aussig, assez loin en arrière, pour garder le passage de
-l'Elbe, conformément aux ordres de Napoléon. Ainsi, avec vingt-trois
-bataillons à sa droite et le long des montagnes, avec dix-huit au
-centre, avec sept ou huit bataillons à gauche soutenant vingt-cinq
-escadrons rangés dans la plaine, enfin, avec une formidable
-artillerie, il devait se croire en sûreté, surtout étant adossé à la
-chaussée de Péterswalde, d'où il se flattait incessamment de voir
-déboucher Mortier. Il attendit donc l'esprit libre d'inquiétude, et
-pourtant, sans qu'on sût pourquoi, il y avait dans bien des c&oelig;urs
-de sinistres pressentiments. À huit heures les tirailleurs ennemis
-commencèrent le feu, les nôtres répondirent, <span class="pagenum"><a id="page344" name="page344"></a>(p. 344)</span> mais rien ne
-faisait encore prévoir un engagement sérieux.
-<span class="sidenote" title="En marge">Premier engagement sur notre gauche.</span>
-Bientôt sur notre gauche
-on vit les cavaliers russes du général Knorring franchir une éminence
-qui dominait les prairies, et puis fondre sur une batterie attelée qui
-était un peu en avant de notre ligne de cavalerie. Trois pièces furent
-enlevées, et un bataillon du 13<sup>e</sup> léger, qui essaya de les défendre,
-fut fort maltraité. Alors la brigade de cavalerie légère du général
-Heinrodt, conduite par l'intrépide Corbineau, chargea les cuirassiers
-russes et les repoussa. Mais l'infanterie autrichienne de Colloredo
-ayant déployé ses bataillons à l'appui de la cavalerie russe, les
-chasseurs du général Heinrodt furent obligés de se replier. Le général
-Corbineau, blessé à la tête, dut quitter le champ de bataille.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les efforts des coalisés ne révèlent d'abord que
-l'intention de contenir Vandamme.</span>
-Vandamme alors tira du centre la brigade Quyot, et la porta vers sa
-gauche pour servir de soutien à la brigade Dunesme et à notre
-cavalerie. À peine arrivait-elle dans la plaine à gauche qu'elle fut
-assaillie par toute la cavalerie de Knorring. Le général Quyot forma
-cette brave brigade, qui était de six bataillons, en trois carrés, et
-pendant plus d'une heure essuya sans s'ébranler tous les assauts de la
-cavalerie ennemie. Celle-ci ayant voulu tourner nos carrés et
-s'approcher de Kulm, la brigade de chasseurs à cheval du général
-Gobrecht la chargea à son tour, et la rejeta sur l'infanterie
-autrichienne. Les efforts à notre gauche indiquaient le projet de nous
-ramener sur la chaussée de Péterswalde en nous débordant, mais
-jusqu'ici aucun de ces efforts n'avait réussi, et maîtres de la plaine
-à gauche, toujours fermes au centre et à droite, où l'ennemi semblait
-<span class="pagenum"><a id="page345" name="page345"></a>(p. 345)</span> même ne pas oser nous attaquer, nous paraissions n'avoir rien
-à craindre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Coups de fusil entendus subitement sur les derrières de
-Vandamme.</span>
-Tout à coup cependant vers dix heures du matin, un certain tumulte se
-produisit sur nos derrières. On entendit des coups de fusil de
-tirailleurs et le bruit de nombreuses voitures d'artillerie; on
-aperçut enfin des colonnes épaisses, et Vandamme plein de joie crut
-naturellement que c'était Mortier qui arrivait de Pirna! Vaine
-illusion, terrible réveil! Il accourt, et reconnaît l'uniforme des
-Prussiens! C'était le général Kleist qui descendait par la chaussée de
-Péterswalde! Qui donc avait pu le tirer d'un affreux péril pour le
-jeter ainsi sur nos derrières? Un hasard, un heureux mouvement de
-désespoir! Voici en effet ce qui s'était passé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Soudaine apparition du corps prussien de Kleist, qui en
-cherchant à se faire jour se trouve sur les derrières de Vandamme.</span>
-En recevant la mission du colonel Sch&oelig;ler, le général Kleist avait
-fait part à ses officiers de la présence des Français à Kulm, et comme
-il était entre la route de Péterswalde à gauche, laquelle était
-occupée par Vandamme, et la route d'Altenberg à droite, qui avait été
-encombrée toute la journée par les Russes et les Autrichiens, et qui
-en ce moment était interceptée par le corps de Marmont, il ne lui
-restait qu'à suivre droit devant lui les sentiers menant sur le revers
-de la montagne, au risque de trouver Vandamme sur son chemin.
-D'ailleurs ayant immédiatement sur ses derrières le corps de
-Saint-Cyr, s'il s'arrêtait un instant il pouvait être assailli et
-accablé. En présence de ce triple danger, les Prussiens, saisis d'un
-transport d'enthousiasme, avaient pris le parti de gravir la montagne
-qui s'élevait devant eux, et si ce chemin les conduisait au <span class="pagenum"><a id="page346" name="page346"></a>(p. 346)</span>
-milieu du corps de Vandamme, de se faire jour ou de mourir. Ils
-avaient marché toute la nuit sans être suivis par Saint-Cyr, et
-avaient découvert sur leur gauche un chemin de traverse qui par
-Furstenwalde et Streckenwalde rejoignant la chaussée de Péterswalde
-les avait menés sains et saufs sur les derrières mêmes de Vandamme.
-<span class="sidenote" title="En marge">Grand péril de Vandamme.</span>
-Le
-voyant assailli de front par cent mille hommes, se trouvant trente
-mille au moins sur ses derrières, ils venaient de commencer l'attaque
-à l'instant même, se flattant et ne doutant plus d'un prodigieux
-résultat.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Il conserve sa présence d'esprit, et songe à rebrousser
-chemin, en passant sur le corps des Prussiens.</span>
-À cet aspect Vandamme, conservant une rare présence d'esprit et après
-s'être consulté avec le général Haxo, comprend qu'il n'a qu'une chose
-à faire, c'est de remonter la chaussée de Péterswalde, et de passer
-sur le corps des colonnes prussiennes en abandonnant son artillerie.
-Un pareil sacrifice n'est rien s'il peut à ce prix sauver son armée.
-Sur-le-champ il donne les ordres qui sont la conséquence de cette
-résolution. Il prescrit à la brigade Quyot qu'il avait portée dans la
-plaine à sa gauche, de se replier, ainsi qu'à la brigade de Reuss
-laissée en avant de Kulm; il leur ordonne à toutes deux de se former
-en colonnes serrées pour enfoncer les Prussiens, tandis que la brigade
-Dunesme avec la cavalerie persistera dans la plaine à contenir les
-Autrichiens de Colloredo et les nombreux escadrons de Knorring, et
-qu'à droite Mouton-Duvernet et Philippon, rebroussant chemin le long
-des montagnes, viendront à leur tour assaillir les Prussiens. Au
-centre sur l'éminence de Kulm, Vandamme décidé à sacrifier son
-artillerie, la place en batterie avec ordre d'en <span class="pagenum"><a id="page347" name="page347"></a>(p. 347)</span> faire contre
-les Russes un usage désespéré. La brigade Doucet doit soutenir cette
-artillerie le plus longtemps possible, et puis quand on se sera fait
-jour, on doit se retirer tous ensemble en abandonnant les canons, mais
-en sauvant les chevaux et les hommes.</p>
-
-<p>Ces ordres sont aussitôt exécutés. Les brigades Quyot et de Reuss
-quittent la plaine à gauche pour regagner la chaussée de Péterswalde,
-tandis que Philippon et Mouton-Duvernet se replient lentement. À cette
-vue, les soixante bataillons russes que nous avions devant nous à
-notre droite et à notre centre, poussent des cris de joie, et nous
-suivent. Mouton-Duvernet et Philippon les contiennent, Baltus au
-centre les mitraille des hauteurs de Kulm; mais à gauche dans la
-plaine, où ne reste plus que la brigade Dunesme, une masse formidable
-d'ennemis fond sur cette brave brigade qui se défend vaillamment. En
-arrière, les brigades Quyot et de Reuss essayant de regagner la
-chaussée de Péterswalde en colonne serrée, chargent les Prussiens avec
-violence. Ce mouvement produit un affreux refoulement dans les troupes
-du général Kleist, et il en résulte un conflit impossible à décrire,
-dans lequel les hommes se prennent corps à corps, s'étouffent,
-s'égorgent à coups de sabres et de baïonnettes. Au même moment une
-brigade de cavalerie, celle de Montmarie, suivie de beaucoup de
-soldats du train, se jette sur l'artillerie des Prussiens et l'enlève.
-Le général de Fezensac amené sur ce point par Vandamme avec les débris
-de sa brigade, contribue à l'effort commun.
-<span class="sidenote" title="En marge">Un moment Vandamme a la chance de se sauver.</span>
-On parvient ainsi à
-rouvrir la route en renversant la première ligne de Kleist, et il y a
-chance <span class="pagenum"><a id="page348" name="page348"></a>(p. 348)</span> encore de se sauver si Mouton-Duvernet et Philippon,
-se repliant à temps et en bon ordre, peuvent aider à forcer la seconde
-ligne des Prussiens. Mais un étrange accident survient et déjoue tous
-les calculs de l'infortuné Vandamme. Notre cavalerie chargée à
-outrance sur la gauche de la route, et rejetée sur la droite, s'y
-précipite suivie d'une multitude de soldats du train qui étaient
-séparés de leurs pièces.
-<span class="sidenote" title="En marge">Une confusion subite dans les divisions Philippon et
-Mouton-Duvernet amène la catastrophe du corps de Vandamme.</span>
-Dans leur course désordonnée, cavaliers et
-canonniers se ruent sur Mouton-Duvernet et Philippon, mettent le
-trouble dans leurs rangs, et y décident par leur exemple un mouvement
-général de retraite vers les bois. Alors tout prend cette direction!
-Le général Baltus, après avoir criblé les Russes de mitraille, se
-retire du même côté avec ses attelages et la brigade Doucet. Dans la
-plaine il ne reste que la brigade Dunesme, assaillie de toutes parts,
-se défendant héroïquement, mais finissant par succomber. Une partie
-des soldats de cette brigade sont tués ou pris, les autres tâchent de
-gagner l'asile des montagnes. Vandamme, Haxo, blessés, et demeurés les
-derniers au milieu du péril, sont faits prisonniers. Le général
-Kreutzer, placé à Aussig, et apercevant de loin cette échauffourée,
-prend le parti de se retirer, et se sauve par miracle avec quelques
-bataillons. À l'exception d'un petit nombre de colonnes se repliant
-avec ordre, on ne voit bientôt de tous côtés qu'une nuée d'hommes
-s'échappant comme ils peuvent, et réussissant en effet à se dérober à
-l'ennemi, grâce à ces montagnes boisées où il est impossible de les
-poursuivre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pertes de cette journée.</span>
-Telle fut cette malheureuse journée de Kulm, qui <span class="pagenum"><a id="page349" name="page349"></a>(p. 349)</span> nous coûta
-5 à 6 mille morts ou blessés, 7 mille prisonniers, 48 bouches à feu,
-deux généraux bien diversement illustres, et qui, bien qu'elle coûtât
-6 mille hommes aux coalisés, les releva de leur défaite, leur rendit
-l'espérance de la victoire, et effaça en un moment de leur souvenir
-les éclatantes journées du 26 et du 27 août.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">À qui s'en prendre du malheur de Vandamme?</span>
-Quelle raison donner de cette singulière catastrophe? Comment
-expliquer que tant de corps français entourant l'armée coalisée, à ce
-point que l'un de ces corps, celui de Vandamme, se trouvait déjà sur
-sa ligne de retraite, qu'elle-même étant embarrassée dans les gorges
-du Geyersberg, et y ayant un de ses détachements tellement enfermé
-qu'on ne pouvait imaginer de quelle manière il s'échapperait, comment
-expliquer que la face des choses change tout à coup, que le corps
-français destiné à assurer la perte de l'ennemi soit perdu lui-même,
-et que l'auteur du désastre soit précisément le détachement prussien
-supposé sans ressource, que la victoire passe ainsi des uns aux autres
-en un instant, avec toutes ses conséquences militaires, politiques et
-morales? Est-ce la faute de Vandamme, qui se serait trop engagé, de
-Mortier, de Saint-Cyr qui ne l'auraient pas secouru à temps, de
-Napoléon, qui aurait trop abandonné les événements à eux-mêmes? Ou
-bien serait-ce le génie militaire qu'auraient déployé les généraux
-ennemis en cette circonstance?... Les faits, exposés dans toute leur
-vérité, ont presque déjà répondu à ces questions, et expliquent à eux
-seuls ce changement de fortune, l'un des plus prodigieux dont
-l'histoire fasse mention.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page350" name="page350"></a>(p. 350)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vandamme ne pouvait pas faire autre chose que ce
-qu'il fit.</span>
-Vandamme avec beaucoup de vices contre-balancés par de grandes
-qualités, n'eut dans ces journées presque aucun tort. Il était placé
-dès l'origine au camp de Pirna, avec mission essentielle de se porter
-sur les derrières de l'ennemi, et devait avoir sans cesse l'esprit
-tourné vers cette seule pensée. Le 28 août, voyant plusieurs colonnes
-russes défiler devant lui, il reçut l'ordre formel de les suivre
-l'épée dans les reins, de marcher après elles en Bohême, et d'aller
-jusqu'à T&oelig;plitz pour fermer aux coalisés leur principal débouché.
-Il savait qu'il était entouré de corps français sur ses flancs et ses
-derrières, prêts à survenir à tous moments. Il courut donc, il suivit
-les Russes, et ce fut miracle si dans son ardeur il n'alla pas jusqu'à
-T&oelig;plitz, car il en avait l'ordre, et il était certain de n'obtenir
-qu'à T&oelig;plitz les grands résultats que Napoléon se promettait de sa
-présence en Bohême. Pourtant après avoir essayé de pousser l'ennemi au
-delà de Priesten, et avoir eu le tort, fort excusable d'ailleurs, et
-qui n'eut aucune gravité pour la suite des événements, d'attaquer sans
-ensemble, il sut s'arrêter à Kulm, bien qu'il eût T&oelig;plitz devant
-lui, T&oelig;plitz que ses instructions et son légitime désir lui
-assignaient comme but. Après s'être arrêté, il s'établit dans une
-position très-forte, garantie de tous côtés, un seul excepté, celui
-par lequel devait venir Mortier, et il attendit, demandant du secours
-et des ordres. Quel autre parti aurait-il pu prendre? Rétrograder sur
-Péterswalde et Pirna? mais c'eût été abandonner et son poste et sa
-mission, et contrevenir non-seulement au texte, mais à la pensée de
-ses <span class="pagenum"><a id="page351" name="page351"></a>(p. 351)</span> instructions, car il était chargé de barrer le chemin à
-l'ennemi, et il le lui eût ouvert. Tout ce qu'on pouvait donner à la
-prudence il l'avait donné en s'abstenant d'aller à T&oelig;plitz, et en
-s'arrêtant à Kulm. Si dans cette position de Kulm, de laquelle il eut
-le bon esprit de ne pas sortir, ce fut le général Kleist au lieu du
-maréchal Mortier qui parut sur ses derrières, ce fut là un accident
-extraordinaire, dont il y aurait une criante injustice à le rendre
-responsable. Quant à ce qui suivit, Vandamme au moment de la
-catastrophe conserva toute sa présence d'esprit, et prit la seule
-résolution possible, celle de rebrousser chemin en passant sur le
-corps des Prussiens, résolution qui devint inexécutable par
-l'inévitable confusion d'une situation pareille. Il n'y avait donc
-rien à lui reprocher à lui, et la supposition qu'il se perdit en
-courant trop vite après le bâton de maréchal, qu'il avait mieux mérité
-que d'autres par ses services militaires, et pas plus démérité par ses
-violences, est une calomnie à l'égard d'un infortuné plus à plaindre
-ici qu'à blâmer.</p>
-
-<p>Si Vandamme ne fut pas coupable, si tout son malheur vint de ce qu'au
-lieu d'un corps français il apparut sur ses derrières un corps
-prussien, faut-il s'en prendre aux divers commandants de troupes
-françaises qui auraient pu survenir, et notamment au maréchal Mortier,
-au maréchal Saint-Cyr, les seuls placés à portée de Kulm?
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Mortier se renferma également dans les ordres
-qu'il avait reçus.</span>
-Le maréchal
-Mortier établi à Pirna comme en cas, avec l'alternative d'être ramené
-à Dresde ou envoyé à T&oelig;plitz, aurait dû se tenir entre deux, et
-avec plus de spontanéité et de vigilance il aurait pu accourir de
-lui-même au secours <span class="pagenum"><a id="page352" name="page352"></a>(p. 352)</span> de Vandamme. Mais dans la stricte
-observation de ses devoirs, destiné à être dirigé sur un point ou sur
-un autre, il était naturel qu'il attendît dans une complète immobilité
-l'expression des volontés de Napoléon, et, quant à l'ordre précis de
-secourir Vandamme avec deux divisions, cet ordre ne lui arriva que
-dans le courant de la journée du 30, c'est-à-dire à une heure où la
-catastrophe était déjà accomplie. Il est donc absolument impossible de
-s'en prendre à ce maréchal.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Saint-Cyr seul aurait pu secourir Vandamme, et
-ne le fit pas.</span>
-On voudrait pouvoir en dire autant du maréchal Saint-Cyr; mais ce
-maréchal est certainement le plus sujet à reproches, et il y a peu
-d'excuses à faire valoir en sa faveur. Placé directement à la suite du
-corps de Kleist, il aurait dû être toujours sur ses traces, ne pas le
-perdre de vue un instant, et s'il eût rempli ce devoir positif, le
-corps de Kleist suivi à la piste, au moment où il tombait sur
-Vandamme, aurait vu à son tour un corps français tomber sur ses
-derrières, et aurait probablement été pris et détruit, au lieu de
-contribuer à prendre et à détruire Vandamme. Malheureusement le
-maréchal Saint-Cyr, esprit éminent mais frondeur, n'ayant de zèle que
-pour les opérations dont il était directement chargé, ne sachant hors
-du feu que critiquer ses voisins et son maître, ayant en toute
-circonstance plaisir à chercher des difficultés au lieu de chercher à
-les vaincre, employa la journée du 28 à se porter à Maxen, le
-lendemain 29 ne s'avança que jusqu'à Reinhards-Grimme, ne fit ainsi
-qu'une lieue et demie dans cette journée décisive pour la poursuite,
-employa ce temps si précieux à faire demander à l'état-major s'il
-devait <span class="pagenum"><a id="page353" name="page353"></a>(p. 353)</span> suivre Marmont sur la route d'Altenberg, et tandis
-qu'il avait l'ordre positif de suivre l'ennemi à outrance dans toutes
-les directions, laissait Kleist disparaître, et s'acheminer sur les
-derrières de Vandamme. Puis le lendemain 30, lorsque l'ordre de
-chercher à rejoindre Vandamme par une route latérale lui parvenait,
-ordre tellement indiqué que Berthier sur la carte seule le lui
-envoyait de Dresde, il s'ébranlait enfin, et par le chemin qui avait
-mené Kleist sur les derrières de Vandamme, et qui l'aurait mené
-lui-même sur les derrières de Kleist, il arrivait pour entendre le
-canon qui annonçait notre désastre. Ainsi avait été perdue la journée
-du 29, à fronder, à se plaindre de n'avoir pas d'ordre, tandis
-qu'existait l'ordre constant et bien suffisant de poursuivre l'ennemi
-sans relâche<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Lien vers la note 16"><span class="smaller">[16]</span></a>!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page354" name="page354"></a>(p. 354)</span> Quant au maréchal Marmont, il poussa l'ennemi aussi vivement
-qu'il le put, et eut même plusieurs combats heureux, mais il était
-trop loin de Vandamme pour lui venir en aide. Placé tout à fait sur la
-droite, il ne pouvait avoir la prétention de franchir les montagnes
-avant Saint-Cyr, sans s'exposer à tomber seul au milieu des ennemis
-comme dans un gouffre. Il n'y a donc rien à lui reprocher. Quant à
-Murat, il était dans l'impossibilité d'exercer aucune influence sur
-l'événement déplorable qui s'accomplit à Kulm, puisqu'il courait avec
-ses escadrons sur la grande route de Freyberg.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page355" name="page355"></a>(p. 355)</span> Reste enfin au nombre des acteurs responsables de cette catastrophe
-Napoléon lui-même, qui présent sur les lieux, suivant sans relâche ses
-lieutenants, aurait pu les faire converger au point commun, et par sa
-présence eût certainement obtenu ce qu'il prévoyait, et ce qu'il était
-fondé à espérer. Mais il fut détourné le 28 de ce grand devoir par les
-nouvelles qui lui parvinrent des environs de Lowenberg et de Berlin,
-et aussi, il faut le dire, par la confiance qu'après les ordres
-donnés, les résultats attendus étaient suffisamment préparés et
-garantis. En effet, quatre-vingt mille hommes sous Saint-Cyr,
-<span class="pagenum"><a id="page356" name="page356"></a>(p. 356)</span> Marmont, Murat, poussant les coalisés contre les montagnes,
-et quarante mille hommes sous Vandamme chargés de les recevoir sur le
-revers, composaient un ensemble de précautions aussi complètes que
-toutes celles qu'il avait jamais prises pour s'assurer les
-conséquences de ses victoires! Si les coalisés eussent été aussi
-faciles à déconcerter que l'étaient jadis nos ennemis, s'ils eussent
-été moins obstinés à combattre, moins prompts à reprendre confiance,
-Vandamme, au lieu de leur inspirer l'idée de s'arrêter, les aurait
-recueillis comme des troupeaux qui fuient devant un animal prêt à les
-dévorer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Quelle part peut-on assigner à Napoléon dans la
-catastrophe de Vandamme.</span>Napoléon s'en rapportant au passé, crut, et dut croire qu'il
-avait assez fait pour se procurer les plus beaux triomphes.
-Malheureusement les temps étaient changés, et pour achever la ruine de
-la grande armée de Bohême, ce n'eût pas été trop de Napoléon lui-même
-veillant jusqu'au dernier <span class="pagenum"><a id="page357" name="page357"></a>(p. 357)</span> instant à l'accomplissement de ses
-desseins. Et en toute autre circonstance il n'aurait pas manqué d'être
-auprès de Vandamme avec sa garde entière, de conduire par la main
-Saint-Cyr et Marmont, et de poursuivre la victoire jusqu'à ce qu'il en
-eût tiré tout ce qu'elle pouvait donner. Mais il était distrait,
-reporté violemment ailleurs; non pas comme tant d'autres héros par le
-goût de la mollesse ou des plaisirs, mais par la passion ordinaire de
-sa vie, passion d'obtenir tous les résultats à la fois, souvent même
-les plus contradictoires et les plus opposés. Berlin, Dantzig, comme
-Moscou un an auparavant, étaient les prismes trompeurs qui égaraient
-en ce moment son génie. Pour frapper à Berlin la Prusse et
-l'Allemagne, pour être toujours fondé à dire que sa puissance
-s'étendait du golfe de Tarente à la Vistule, il avait eu dès le
-commencement de cette campagne la pensée d'envoyer un de ses corps
-<span class="pagenum"><a id="page358" name="page358"></a>(p. 358)</span> à Berlin, de conserver une garnison à Dantzig, et pour cette
-pensée il avait, comme on l'a vu, laissé s'introduire dans la profonde
-combinaison de son plan de campagne un vice caché, celui d'élargir
-singulièrement le cercle de ses opérations dont le centre était à
-Dresde, de placer Macdonald à Lowenberg au lieu de le placer à
-Bautzen, de diriger Oudinot sur Berlin au lieu de l'établir à
-Wittenberg, grande faute qui l'empêchait d'accourir à temps partout où
-il aurait fallu qu'il fût pour achever ses propres victoires, et
-réparer les échecs de ses lieutenants!
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon n'a mérité dans cette occasion que le reproche
-ordinaire de trop entreprendre.</span>
-Cette même cause continuant à
-produire les mêmes effets, il voulut, en apprenant un malheur arrivé à
-Macdonald, le secourir le plus tôt possible; il voulut aussi conduire
-lui-même l'armée d'Oudinot à Berlin, et pour ce double motif se
-détournant de Pirna et de Kulm, où il aurait dû être de sa personne et
-avec sa garde, il laissa ses victoires les plus importantes
-inachevées, pour courir à d'autres, et s'exposa de la sorte à manquer
-tous les buts pour les vouloir atteindre tous à la fois. Ainsi
-toujours la même cause dans les malheurs de Napoléon, toujours la même
-source d'erreur!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mérite des coalisés en cette circonstance.</span>
-Et c'est dans le désastre de Kulm la seule part de reproches qu'on
-puisse lui adresser, car dans les détails il ne commit pas une faute.
-Quant à ses ennemis, leur mérite contribua pour peu de chose au
-résultat. Leur plan de retraite fut fort peu médité; ils se retirèrent
-en hâte avec l'idée d'aller jusqu'au delà de l'Eger, et s'ils
-s'arrêtèrent devant Kulm, ce fut à l'improviste, ce fut à la vue d'un
-corps dont la position à la fois hasardée et inquiétante <span class="pagenum"><a id="page359" name="page359"></a>(p. 359)</span>
-pour eux leur inspira l'idée de ne point passer sans le contenir.
-<span class="sidenote" title="En marge">C'est au hasard qu'est dû leur triomphe inespéré.</span>
-Et cependant ils n'en seraient pas même venus à bout, si le plus grand
-des hasards, celui d'un corps prussien compromis, faisant acte de
-désespoir pour se sauver, ne leur eût fourni une combinaison
-involontaire, inattendue, et d'immense conséquence, combinaison dont
-on a voulu attribuer le mérite à l'empereur Alexandre, mais qui ne fut
-due qu'au sentiment énergique des Prussiens résolus à se faire jour ou
-à mourir. Ce n'est donc pas au génie des coalisés, qui toutefois
-étaient loin de manquer d'habileté militaire, c'est à la passion
-patriotique qui les animait, et qui les portait à se roidir contre la
-défaite, qu'il faut attribuer leur promptitude à saisir l'occasion de
-Kulm! Autre leçon profondément morale à tirer de ces prodigieux
-événements, c'est qu'on doit se garder de pousser les hommes au
-désespoir, car en provoquant ce sentiment chez eux on leur donne des
-forces surnaturelles, qui déjouent tous les calculs, et surmontent
-parfois la puissance même de l'art le plus consommé!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'événement de Kulm leur rendit toute la confiance qu'ils
-avaient perdue.</span>
-Ces coalisés qui en abandonnant le champ de bataille de Dresde, se
-tenaient pour complétement battus, et se demandaient tristement si en
-cherchant à vaincre Napoléon ils n'avaient pas entrepris de lutter
-contre le destin lui-même, tout à coup à l'aspect de Vandamme vaincu
-et pris, se regardèrent comme revenus à une situation excellente, et
-crurent voir au moins en équilibre la balance de la fortune. Pourtant
-en comptant ce que leur avaient coûté les deux journées de Dresde, la
-poursuite du 28 et du 29, la journée même du 30, ils avaient perdu en
-morts, blessés <span class="pagenum"><a id="page360" name="page360"></a>(p. 360)</span> ou prisonniers, plus de 40 mille hommes, et la
-défaite de Vandamme, après tout, ne nous faisait pas perdre plus de 12
-à 13 mille hommes, en prisonniers, morts ou blessés. Mais la confiance
-était rentrée dans leur âme, ils se livraient à la joie, et loin de
-vouloir abandonner la partie, et de laisser à Napoléon le temps
-d'aller frapper les armées de Silésie et du Nord, ils étaient résolus
-à ne lui accorder aucun repos, et à le combattre sans relâche. Dans
-ces hécatombes immenses, quarante mille hommes ne comptaient pour
-rien; le sentiment des adversaires aux prises était tout, et le
-sentiment des coalisés, loin d'être celui de la défaite, était presque
-déjà celui de la victoire. Pour eux n'être pas vaincus, c'était
-presque vaincre, et pour Napoléon au contraire ne pas anéantir ses
-adversaires, c'était n'avoir rien fait. C'est à ces conditions
-extrêmes et à peu près impossibles qu'il avait attaché son salut!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Derniers moments de Moreau.</span>
-Ajoutons en terminant ce douloureux récit, que le seul homme qu'on eût
-un moment opposé jadis à Napoléon, Moreau, expirait tout près de lui,
-à Tann. On lui avait coupé les deux jambes, et il avait supporté cette
-opération avec le courage tranquille qui était sa qualité distinctive.
-Pourtant il avait horriblement souffert. Transporté sur les épaules
-des soldats ennemis de sa patrie, il avait fait un trajet d'une
-vingtaine de lieues au milieu de douleurs cruelles. De l'autre côté
-des monts, tous les souverains, le roi de Prusse, l'empereur
-d'Autriche, l'empereur Alexandre, s'étaient rendus auprès de son lit
-de mort, et lui avaient prodigué les marques <span class="pagenum"><a id="page361" name="page361"></a>(p. 361)</span> d'estime et de
-regret. Les plus grands personnages, M. de Metternich, le prince de
-Schwarzenberg, les généraux de la coalition, étaient venus le visiter
-à leur tour; Alexandre l'avait tenu longtemps serré dans ses bras, car
-il avait conçu pour lui une amitié véritable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sa fermeté devant la douleur, son trouble devant sa
-conscience.</span>
-Plutôt embarrassé que
-fier de ces témoignages, Moreau, dont l'âme un instant égarée avait
-toujours été honnête, Moreau s'interrogeant lui-même sur le mérite de
-sa conduite, disait sans cesse: Et pourtant je ne suis pas coupable,
-je ne voulais que le bien de ma patrie!.... Je voulais l'arracher à un
-joug humiliant!...--Ainsi, tandis qu'on entourait son agonie de
-respects, lui, tout occupé d'autre chose, s'examinait, se jugeait au
-tribunal de sa propre conscience, et n'avait de repos que lorsqu'il
-s'était trouvé des excuses pour une conduite qui lui valait de si
-hauts témoignages. Un autre cri lui échappa plusieurs fois, ce fut
-celui-ci: Ce Bonaparte est toujours heureux!--Il avait proféré ces
-mots au moment où le boulet l'avait frappé, et il les répéta souvent
-avant d'expirer!... Bonaparte heureux!... Il l'avait été, il pouvait
-le paraître encore aux yeux d'un rival expirant, mais la Providence
-allait bientôt prononcer sur son propre sort, et lui infliger une fin
-plus triste peut-être que celle de Moreau, s'il y a une fin plus
-triste que de mourir dans les rangs des ennemis de sa patrie! Funestes
-illusions de la haine! On s'envie, on se hait, on se poursuit en
-croyant heureux l'adversaire qu'on déteste, tandis que tous, la tête
-courbée sous le fardeau de la vie, on marche au milieu des mêmes
-douleurs à des malheurs presque pareils! les hommes s'envieraient
-<span class="pagenum"><a id="page362" name="page362"></a>(p. 362)</span> moins, s'ils savaient combien avec des apparences différentes
-leur fortune est souvent égale, et au lieu de se diviser sous la main
-du destin, s'uniraient au contraire pour en soutenir en commun le
-poids accablant!</p>
-
-<p class="p2 center">FIN DU LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.</p>
-</div>
-
-
-<div class="chapter">
-<h2><span class="pagenum"><a id="page363" name="page363"></a>(p. 363)</span> LIVRE CINQUANTIÈME.<br />
-<span class="smaller">LEIPZIG ET HANAU.</span></h2>
-
-<p class="resume">
- Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin
- pendant les opérations des armées belligérantes autour de
- Dresde. &mdash; Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald
- lorsque Napoléon était revenu du Bober sur l'Elbe. &mdash; Pressé
- d'exécuter ses instructions et craignant de perdre les avantages
- de l'offensive, ce maréchal avait mis ses trois corps en
- mouvement le 26 août. &mdash; Le général Blucher s'était jeté sur la
- division Charpentier et la cavalerie Sébastiani, et les avait
- culbutées du plateau de Janowitz. &mdash; Cet accident avait entraîné la
- retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de plusieurs
- jours avait rendue presque désastreuse. &mdash; Prise et destruction de
- la division Puthod. &mdash; Le maréchal Macdonald réduit de 70 mille
- hommes à 50 mille. &mdash; Son mouvement rétrograde sur le
- Bober. &mdash; Événements du côté de Berlin. &mdash; Marche du maréchal Oudinot
- à la tête des 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. &mdash; Composition et force de
- ces corps. &mdash; Armée du prince royal de Suède. &mdash; Arrivée devant
- Trebbin. &mdash; Premières positions de l'ennemi enlevées dans les
- journées des 21 et 22 août. &mdash; Isolement des trois corps français
- dans la journée du 23, et combat malheureux du 7<sup>e</sup> corps à
- Gross-Beeren. &mdash; Retraite du maréchal Oudinot sur
- Wittenberg. &mdash; Beaucoup de soldats se débandent, surtout parmi les
- alliés. &mdash; C'est la connaissance de ces graves échecs qui le 28
- août avait ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait détourné
- son attention de Kulm. &mdash; Ne sachant pas encore ce qui était arrivé
- à Vandamme, il avait formé le projet de déplacer le théâtre de la
- guerre et de le transporter dans le nord de l'Allemagne. &mdash; Vastes
- conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. &mdash; À la nouvelle du
- désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses vues,
- réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement au
- comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal
- Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur
- Wittenberg, et se propose de s'établir avec ses réserves à
- Hoyerswerda, afin de pousser d'un côté le maréchal Ney sur
- Berlin, et de prendre de l'autre une position menaçante sur le
- flanc du général Blucher. &mdash; Départ de la garde pour
- Hoyerswerda. &mdash; Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui détournent
- encore Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et
- l'obligent à se porter tout de suite sur Bautzen. &mdash; Arrivée de
- Napoléon à Bautzen <span class="pagenum"><a id="page364" name="page364"></a>(p. 364)</span> le 4 septembre. &mdash; Prompte retraite de
- Blucher dans les journées des 4 et 5 septembre. &mdash; À peine Napoléon
- a-t-il rétabli le maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une
- seconde apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de
- Péterswalde le ramène à Dresde. &mdash; Son entrevue aux avant-postes
- avec le maréchal Saint-Cyr dans la journée du 7. &mdash; Projet pour le
- lendemain 8 septembre. &mdash; Dans cet intervalle, Napoléon apprend un
- nouveau malheur arrivé sur la route de Berlin. &mdash; Le maréchal Ney
- ayant reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait dans la
- journée du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi,
- avec les 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. &mdash; Ce mouvement, qui avait réussi
- le 5, ne réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de
- Dennewitz. &mdash; Retraite le 7 septembre sur Torgau. &mdash; Débandade d'une
- partie des Saxons. &mdash; Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme,
- mais commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. &mdash; Avis
- indirect, donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre
- de la guerre pour l'armement et l'approvisionnement des places du
- Rhin. &mdash; Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal
- Saint-Cyr, Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les
- Prussiens et les Russes, afin de les rejeter en Bohême. &mdash; Sur
- l'avis du maréchal Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille
- route de Bohême, celle de Furstenwalde, par laquelle on a
- l'espérance de tourner l'ennemi. &mdash; L'impossibilité de faire passer
- l'artillerie par le Geyersberg empêche d'achever le mouvement
- projeté. &mdash; Ignorant qu'en ce moment les Autrichiens sont séparés
- des Prussiens et des Russes, et pressé de réparer les échecs de
- ses lieutenants, Napoléon s'arrête et revient à Dresde. &mdash; Évidence
- du plan des coalisés, consistant à courir sur les armées
- françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se retirer dès
- qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour l'envelopper
- ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment
- affaibli. &mdash; Déplorable réalisation de ces vues. &mdash; Les forces de
- Napoléon réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur
- l'Elbe à 250 mille. &mdash; En considération de cet état de choses,
- Napoléon resserre le cercle de ses opérations, ramène Macdonald
- avec les 8<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup>, 11<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> corps près de Dresde, établit le
- comte de Lobau et le maréchal Saint-Cyr au camp de Pirna,
- derrière de bons ouvrages de campagne, afin que l'ennemi ne
- puisse plus se faire un jeu de ses apparitions sur la route de
- Péterswalde, envoie un fort détachement de cavalerie sur ses
- derrières pour disperser les troupes de partisans, réorganise le
- corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et Murat à
- Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements, et
- se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus
- être mis en mouvement par de vaines démonstrations de
- l'ennemi. &mdash; Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur
- Péterswalde. &mdash; Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et
- Dohna, n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore
- une fois sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en
- Bohême. &mdash; Prompte retraite des coalisés. &mdash; Retour de Napoléon à
- Pirna, et ses soins pour bien asseoir sa position, afin de ne
- plus s'épuiser en courses inutiles. &mdash; Sa résolution de s'établir
- sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, <span class="pagenum"><a id="page365" name="page365"></a>(p. 365)</span> pour la durée de
- l'hiver. &mdash; Projets de l'ennemi. &mdash; Napoléon étant partout resserré
- sur l'Elbe, et la saison avançant, les souverains coalisés
- songent à mener la guerre à fin par une tentative décisive sur
- les derrières de notre position. &mdash; Blucher fait prévaloir l'idée
- d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et, après
- avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire
- descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre
- Bernadotte, passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et
- remonter sur Leipzig avec les armées du Nord et de
- Silésie. &mdash; Premiers mouvements en exécution de ce
- dessein. &mdash; Napoléon découvre sur-le-champ l'intention de ses
- adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche de
- l'Elbe. &mdash; Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald
- avec le 11<sup>e</sup> corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par
- Leipzig, l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer
- Ney; il envoie Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à
- Leipzig pour soutenir Victor contre l'armée de Bohême. &mdash; Attente
- de quelques jours pour laisser dessiner plus clairement les
- projets de l'ennemi. &mdash; Blucher s'étant dérobé pour se joindre à
- Bernadotte et passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde
- le 7 octobre avec la garde et Macdonald, et descend sur
- Wittenberg dans le dessein de battre Blucher et Bernadotte
- d'abord, et puis de se reporter sur la grande armée de
- Bohême. &mdash; Belle et profonde conception de Napoléon tendant à
- refouler Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre
- ensuite Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour
- repasser ce fleuve à Torgau ou à Dresde. &mdash; Mouvement prononcé de
- Blucher et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets
- de Napoléon. &mdash; Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous
- sur Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer
- entre eux, et empêcher leur jonction. &mdash; Retour de la grande armée
- française sur Leipzig. &mdash; Terrible bataille, la plus grande du
- siècle et probablement des siècles, livrée pendant trois jours
- sous les murs de Leipzig. &mdash; Retraite de Napoléon sur
- Lutzen. &mdash; Explosion du pont de Leipzig, qui amène la destruction
- ou la captivité d'une partie de l'armée française. &mdash; Mort de
- Poniatowski. &mdash; Marche sur Erfurt. &mdash; Défection de la Bavière et
- arrivée de l'armée austro-bavaroise dans les environs de
- Hanau. &mdash; Mouvement accéléré de l'armée française et bataille de
- Hanau. &mdash; Humiliation de l'armée austro-bavaroise. &mdash; Rentrée des
- Français sur le Rhin. &mdash; Leur état déplorable en arrivant à
- Mayence. &mdash; Opérations du maréchal Saint-Cyr sur l'Elbe. &mdash; Triste
- capitulation de Dresde. &mdash; Situation, forces, conduite héroïque, et
- malheurs des garnisons françaises, inutilement laissées sur la
- Vistule, l'Oder et l'Elbe. &mdash; Caractère de la campagne de
- 1813. &mdash; Effrayants présages qu'on en peut tirer.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Août 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Événements qui s'étaient passés sur le Bober et sur la
-route de Berlin.</span>
-Les événements graves et peu prévus qui attirant tout à coup
-l'attention de Napoléon l'avaient détournée de Kulm, s'étaient passés
-sur la Katzbach <span class="pagenum"><a id="page366" name="page366"></a>(p. 366)</span> en Silésie, et à Gross-Beeren dans le
-Brandebourg. Le maréchal Macdonald, que Napoléon avait laissé à la
-poursuite de Blucher, venait d'éprouver subitement une sorte de
-désastre, et le maréchal Oudinot, que Napoléon considérait comme près
-d'entrer à Berlin, avait été, à la suite d'un combat malheureux,
-ramené sous le canon de Wittenberg. Il faut savoir comment s'étaient
-produits ces événements, pour se faire une idée exacte de la
-situation, et comprendre les combinaisons qui avaient absorbé Napoléon
-pendant les journées des 28, 29, 30 août, et l'avaient empêché
-d'accourir avec toutes ses réserves auprès de l'infortuné Vandamme.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces et instructions laissées au maréchal Macdonald par
-Napoléon, lorsque celui-ci s'était reporté sur Dresde.</span>
-Napoléon après avoir rejeté l'armée de Silésie du Bober sur la
-Katzbach, avait laissé au maréchal Macdonald pour continuer à la
-poursuivre le 3<sup>e</sup> corps, fort de 25 mille hommes et commandé par le
-général Souham depuis le départ du maréchal Ney, le 5<sup>e</sup> corps, fort de
-20 mille hommes et toujours placé sous les ordres du général
-Lauriston, enfin le 11<sup>e</sup>, fort de 18 mille et confié au général Gérard
-depuis que le maréchal Macdonald avait pris le commandement supérieur
-des trois corps réunis. À cette masse d'infanterie il fallait ajouter
-la cavalerie du général Sébastiani, qui pouvait présenter une réserve
-de 5 à 6 mille chevaux, et qui était indépendante des détachements de
-cavalerie légère attachés à chaque corps d'armée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Macdonald avait 80 mille hommes, compris le
-corps de Poniatowski.</span>
-Le total s'élevait
-ainsi à environ 70 mille hommes, sans compter les 10 ou 11 mille
-Polonais du prince Poniatowski, postés sur la frontière de Bohême en
-arrière et à droite du maréchal Macdonald, pour garder le débouché de
-Zittau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il avait pour instruction de garder le Bober, mais en
-rejetant l'ennemi sur Jauer au delà de la Katzbach.</span>
-Napoléon <span class="pagenum"><a id="page367" name="page367"></a>(p. 367)</span> avait donné pour instruction au maréchal
-Macdonald de rejeter Blucher sur Jauer et au delà, puis de s'établir
-fortement sur le Bober, entre Lowenberg et Buntzlau, de manière à
-tenir l'armée de Silésie éloignée de Dresde, et à empêcher l'armée de
-Bohême de faire des détachements sur Berlin. Napoléon ne doutait pas
-qu'avec 80 mille hommes victorieux, Macdonald ne remplît parfaitement
-sa mission. Le maréchal n'en doutait pas lui-même, et il continua de
-s'avancer hardiment contre le général Blucher.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordre mal donné, qui ramène l'ennemi deux jours plus tôt
-qu'on ne s'y attendait.</span>
-Un incident, peu important au premier aspect, apporta dès le début un
-fâcheux changement à cette situation en apparence si avantageuse.
-Napoléon en partant avait adressé au maréchal Ney l'ordre de le suivre
-à Dresde; mais cet ordre ne spécifiant pas assez clairement qu'il
-s'agissait de la personne du maréchal Ney et non de ses troupes, on
-avait dirigé le 3<sup>e</sup> corps lui-même sur la route de Dresde, et l'armée
-française vers son aile gauche avait semblé se mettre en retraite.
-Blucher impatient par caractère et par position de reprendre
-l'offensive, avait conclu du mouvement rétrograde d'une portion de
-notre ligne que Napoléon n'était plus là, et qu'il fallait revenir sur
-l'armée française privée de sa présence, et probablement aussi d'une
-partie des forces qu'elle avait un moment déployées. De son côté
-Macdonald avait voulu rendre à ses troupes l'attitude qu'elles
-venaient de perdre, et s'était hâté, sans tenir assez compte des
-circonstances, de se reporter en avant. Il devait de cette double
-disposition résulter un choc violent et prochain.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page368" name="page368"></a>(p. 368)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Position des 3<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps, le 25 août au
-soir.</span>
-Le 3<sup>e</sup> corps (général Souham) ayant fait d'abord une marche en
-arrière, puis une nouvelle marche en avant, afin de revenir à
-Liegnitz, avait laissé dans cet inutile déplacement un certain nombre
-d'hommes sur les chemins. Le 25 août au soir il était de retour à sa
-première position. Le 11<sup>e</sup> corps (général Gérard) formant le centre,
-n'avait pas quitté Goldberg, et le 5<sup>e</sup> (général Lauriston) formant la
-droite, était également demeuré immobile. Le maréchal Macdonald ayant
-tout son monde en ligne, résolut de se porter dès le lendemain 26 sur
-Jauer, point qu'il devait occuper pour obéir à ses instructions. Bien
-que Napoléon ne voulût pas établir son armée de Silésie plus loin que
-le Bober, il désirait cependant qu'elle eût ses avant-postes sur la
-Katzbach, de Jauer à Liegnitz, afin de mieux vivre, et d'intercepter
-plus sûrement tout détachement envoyé de la Bohême sur Berlin.</p>
-
-<p>Voici comment le maréchal Macdonald s'y prit pour l'exécution de son
-mouvement. Quoiqu'à Goldberg il fût sur l'un des bras de la Katzbach,
-par conséquent fort au delà du Bober, il y avait sur sa droite un
-point du Bober resté au pouvoir de l'ennemi, c'était celui de
-Hirschberg, dans les montagnes. Il détacha une division du 11<sup>e</sup> corps,
-celle du général Ledru, et lui ordonna de remonter le Bober de notre
-côté, c'est-à-dire par la rive gauche, tandis que la division Puthod
-du corps de Lauriston, le remonterait par la rive droite, de manière à
-surprendre Hirschberg par les deux rives.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche adoptée par Macdonald pour se porter sur Jauer.</span>
-Pendant que ce mouvement
-s'opérait sur notre extrême droite, et tout à fait dans les
-montagnes, le maréchal Macdonald <span class="pagenum"><a id="page369" name="page369"></a>(p. 369)</span> prit le parti de marcher
-lui-même sur Jauer, avec les corps de Lauriston et de Gérard, diminués
-chacun d'une division. Il n'y avait pour arriver à Jauer aucun cours
-d'eau important à franchir, mais seulement quelques ravins plus ou
-moins profonds à traverser, sur lesquels on pouvait trouver l'ennemi
-en force. Le maréchal Macdonald se flattait de le débusquer, soit par
-une attaque directe des généraux Gérard et Lauriston sur Jauer même,
-soit par un mouvement latéral des généraux Souham et Sébastiani sur
-Liegnitz.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 3<sup>e</sup> corps, partant de Liegnitz, doit prendre Jauer en
-flanc, tandis que les 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> y marcheront directement.</span>
-Il prescrivit en effet au général Souham de partir de Liegnitz avec le
-3<sup>e</sup> corps, et de prendre la route de cette ville à Jauer, laquelle
-vient donner dans le flanc même de Jauer en traversant le plateau de
-Janowitz. Il espérait que vingt-cinq mille hommes menaçant l'ennemi en
-flanc, lui ôteraient jusqu'à l'idée de résister à l'attaque de front
-qu'exécuteraient contre lui les généraux Lauriston et Gérard.
-Malheureusement il y avait une assez grande distance entre le chemin
-qu'allait suivre le général Souham sur le plateau de Janowitz, et la
-route qu'avaient à parcourir les généraux Gérard et Lauriston pour
-marcher en droite ligne sur Jauer. Le général Gérard, le moins éloigné
-des deux, devait remonter le ravin profond de la Wutten-Neiss, petite
-rivière torrentueuse qui de Jauer va tomber dans la Katzbach, en
-contournant le plateau de Janowitz. Pour établir quelque liaison entre
-les deux principales masses de ses forces, le maréchal Macdonald
-assigna au général Sébastiani une route intermédiaire, celle de
-Buntzlau à Jauer, qui suivant d'abord <span class="pagenum"><a id="page370" name="page370"></a>(p. 370)</span> le ravin de la
-Wutten-Neiss, puis franchissant cette rivière, aboutit sur le plateau
-de Janowitz. Tous les ordres furent expédiés pour être exécutés le 26
-au matin sans remise.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pluie torrentielle le 26 août au matin, laquelle n'empêche
-pas Macdonald de persister dans ses projets.</span>
-Le 26, une pluie d'orage qui avait duré la nuit entière, avait fait
-déborder toutes les rivières, et rendu les chemins presque
-impraticables. Le maréchal Macdonald, pressé de reprendre l'offensive,
-ne tint pas compte du mauvais temps, et exigea qu'il fût donné suite à
-ses ordres. Tandis que les divisions Puthod et Ledru remontaient les
-deux rives du Bober jusqu'à Hirschberg, les corps de Lauriston et de
-Gérard marchaient sur Jauer, descendant, gravissant tour à tour les
-bords des ravins qu'il fallait franchir pour arriver à cette petite
-ville. Malgré les difficultés que la pluie leur opposait, nos agiles
-tirailleurs, dépostant ceux de l'ennemi, les obligèrent partout à se
-replier. À gauche, les choses furent moins faciles.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Souham et Sébastiani n'ayant pu prendre la route de
-Liegnitz à Jauer, s'engouffrent avec les troupes de Gérard dans le
-ravin de la Wutten-Neiss.</span>
-Le général Sébastiani après s'être mis en route un peu tard n'était
-pas encore à l'entrée du ravin de la Wutten-Neiss, tandis que le
-général Gérard y avait déjà pénétré, et que Lauriston marchant
-parallèlement à celui-ci était fort en avant. Le général Souham, de
-son côté, ayant trouvé à Liegnitz la Katzbach débordée, avait cherché
-un passage au-dessus, et était ainsi venu prendre la même route que le
-général Sébastiani. Il y eut là pendant quelque temps 23 à 24 mille
-hommes d'infanterie, 5 à 6 mille chevaux, et plus de cent bouches à
-feu engouffrés dans un ravin profond, jusqu'à ce que s'élevant sur le
-bord de ce ravin ils pussent déboucher sur <span class="pagenum"><a id="page371" name="page371"></a>(p. 371)</span> le plateau de
-Janowitz. Dans ce moment la cavalerie prussienne en reconnaissance
-avait descendu ce plateau, et n'apercevant pas nos troupes, s'était
-fort avancée dans le ravin de la Wutten-Neiss. Le général Gérard
-cheminant sur la rive opposée de cette rivière, découvrit les
-escadrons prussiens qui avaient déjà dépassé sa gauche, et il fit
-tirer sur eux par derrière. La pluie qui n'avait pas cessé fut cause
-qu'il partit à peine une quarantaine de coups de fusil. Mais ils
-suffirent pour avertir les escadrons prussiens du mauvais pas où ils
-s'étaient engagés, et ils rebroussèrent chemin au galop. Le général
-Gérard ayant fait amener son artillerie, et tirant d'une rive à
-l'autre, joncha le défilé d'un bon nombre de ces imprudents cavaliers.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Macdonald imagine de faire monter la division
-Charpentier sur le plateau de Janowitz et de sortir ainsi du ravin de
-la Wutten-Neiss.</span>
-Cet incident suggéra au maréchal Macdonald l'idée de lancer tout de
-suite quelques bataillons de la division Charpentier, l'une des deux
-du général Gérard, sur le plateau de Janowitz, afin de s'en emparer,
-et d'aider ainsi les généraux Sébastiani et Souham à s'y déployer.
-L'ordre donné fut exécuté sur-le-champ. Le général Charpentier, avec
-l'une de ses brigades et une batterie de réserve de 12, passa la
-Wutten-Neiss à Nieder-Krayn, gravit le plateau, et s'y déploya malgré
-les avant-postes prussiens.
-<span class="sidenote" title="En marge">Premier succès de la division Charpentier, et son
-déploiement sur le plateau de Janowitz.</span>
-Il fut immédiatement rejoint par la
-cavalerie du général Sébastiani, qui vint successivement prendre
-position sur sa gauche. Le général Souham s'apprêtait à la suivre,
-mais lentement, ainsi que le comportaient le temps, la nature des
-lieux, et le nombre de troupes accumulées dans cet étroit défilé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, prévenu à temps, porte quarante mille hommes à la
-fois sur la division Charpentier.</span>
-Sur ce même point Blucher arrivait à l'instant <span class="pagenum"><a id="page372" name="page372"></a>(p. 372)</span> avec la plus
-grande partie de ses forces. Comptant sur la position de Jauer, il n'y
-avait laissé que le corps de Langeron, et avait porté à la fois York
-et Sacken sur le plateau de Janowitz pour parer au mouvement de flanc
-qui le menaçait. À la vue de nos troupes gravissant le bord du ravin
-de la Wutten-Neiss pour s'établir sur le plateau, il avait pensé que
-nous ne pourrions pas lui opposer beaucoup de monde à la fois, et
-qu'en nous abordant avec quarante mille hommes, il nous culbuterait
-facilement dans le ravin dont nous tâchions de sortir. Il se fit
-d'abord précéder par une puissante artillerie, dont la brigade du
-général Charpentier supporta le feu avec sang-froid, et auquel elle
-répondit avec sa batterie de douze. Il fit mieux encore, et lança sur
-elle dix mille chevaux. Notre infanterie, formée en carré, voulut en
-vain leur opposer ses feux éteints par la pluie; réduite à ses
-baïonnettes, elle s'en servit bravement, et arrêta tout court l'élan
-de la cavalerie ennemie. Le général Sébastiani, rachetant sa lenteur
-par sa vigueur, chargea cette cavalerie et la ramena, mais il fut
-ramené à son tour, et ne put résister longtemps à des forces triples
-des siennes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette division, après une résistance héroïque, est rejetée
-dans le ravin de la Wutten-Neiss.</span>
-Il fut contraint d'opérer un mouvement rétrograde, et
-découvrit ainsi la gauche de la brigade Charpentier. Alors Blucher,
-qui n'avait pu ébranler cette brave brigade avec ses cavaliers, jeta
-sur elle plus de vingt mille hommes d'infanterie. Elle reçut et
-soutint plusieurs charges à la baïonnette; mais bientôt accablée par
-le nombre, elle perdit du terrain, et finit par être poussée jusqu'au
-bord du ravin de la Wutten-Neiss. Malgré <span class="pagenum"><a id="page373" name="page373"></a>(p. 373)</span> une ferme
-contenance, elle fut obligée d'y redescendre, et elle s'y trouva
-pêle-mêle avec la cavalerie Sébastiani qui se repliait aussi, et avec
-la tête du corps de Souham qui arrivait. On conçoit quel encombrement,
-quel désordre dut s'y produire, et que de pertes on dut y faire,
-surtout en canons, car notre artillerie embourbée dans les terres
-avait été privée de ses chevaux presque tous tués par le feu ennemi.</p>
-
-<p>On se retira donc, refoulés vivement dans cet étroit passage jusqu'au
-village de Kroitsch où la Wutten-Neiss se joint à la Katzbach, et où
-Blucher n'osa pas nous poursuivre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Cet accident amène un mouvement rétrograde général.</span>
-Cette échauffourée sur un seul point, laquelle nous avait coûté tout
-au plus un millier d'hommes, suffit pour convertir en une espèce de
-déroute générale une opération qui avait réussi sur le reste de notre
-ligne. En effet, les généraux Gérard et Lauriston, attaquant avec une
-extrême énergie les positions que Langeron avait successivement
-occupées et abandonnées, étaient déjà parvenus en vue de Jauer, malgré
-le mauvais temps, et allaient s'en emparer, lorsqu'ils furent arrêtés
-par la nouvelle de ce qui s'était passé à leur gauche.
-<span class="sidenote" title="En marge">Retraite de nuit par un temps affreux.</span>
-Ils furent donc
-sous peine d'imprudence contraints de rétrograder, et ils revinrent
-jusqu'à Goldberg où ils entrèrent vers minuit, dans un état fort
-triste, ayant rencontré en route les débris des troupes battues sur le
-plateau de Janowitz, et ayant eu à traverser un immense encombrement
-de voitures embourbées, de blessés qu'on emportait avec la plus grande
-peine par un temps devenu affreux. Il fallut bivouaquer <span class="pagenum"><a id="page374" name="page374"></a>(p. 374)</span>
-comme on put, sous une pluie continuelle, les uns dans Goldberg, les
-autres en dehors, la plupart sans vivres, sans abri, en un mot dans un
-état misérable.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nos jeunes soldats rebutés par cette subite épreuve.</span>
-C'est pour les traverses de ce genre que sont bons les vieux soldats.
-Au feu, de jeunes soldats menés par des officiers vigoureux sont plus
-impétueux sans doute, parce qu'ils connaissent moins le danger; mais
-au premier revers ils s'étonnent, à la première souffrance ils se
-rebutent, et surtout s'ils sont depuis peu au drapeau, il suffit d'un
-échec pour troubler toutes leurs idées, et convertir leur téméraire
-bravoure en abattement profond. Cependant avec des vivres on aurait pu
-retenir nos conscrits dans les cadres, et, au retour du soleil, avec
-une nouvelle impulsion donnée par des chefs énergiques, on serait
-parvenu à leur rendre la confiance. Mais il fallut, sans vivres, sans
-abri, passer une nuit horrible, avec certitude d'avoir le lendemain
-sur les bras quatre-vingt mille hommes, victorieux ou croyant l'être.
-<span class="sidenote" title="En marge">Continuation de mauvais temps pendant les journées des 27
-et 28 août.</span>
-Le lendemain matin, le ciel, qui était encore chargé d'eau, continua
-de verser sur nos soldats des torrents de pluie. Heureusement la
-Katzbach qu'on avait repassée la veille, leur servit de protection
-contre la poursuite impétueuse de Blucher. Elle était tellement
-débordée, qu'à peine il put faire passer sa cavalerie. On réussit donc
-à se retirer sans avoir l'infanterie des alliés sur les bras; mais on
-fut poursuivi par une nuée de cavaliers que nos fusils n'arrêtaient
-guère faute de pouvoir faire feu. Nos jeunes soldats, plus fermes
-devant l'ennemi que devant le mauvais temps, opposèrent avec leurs
-baïonnettes <span class="pagenum"><a id="page375" name="page375"></a>(p. 375)</span> une barrière de fer aux cavaliers russes et
-prussiens, et parvinrent ainsi à les contenir. Obligés néanmoins de
-s'éloigner à la hâte, ils laissèrent en arrière une grande partie de
-leur artillerie embourbée, et il arriva que beaucoup d'entre eux,
-rebutés ou mourants de faim, s'étant éparpillés dans les villages pour
-vivre, furent pris, ou initiés de bonne heure au dangereux et
-corrupteur métier de maraudeurs. Le corps du général Souham, couvert
-par la cavalerie du général Sébastiani, put se retirer sain et sauf à
-travers la plaine, et gagner Buntzlau. Les corps des généraux Gérard
-et Lauriston, plus vivement poursuivis, et n'ayant pas de grosse
-cavalerie pour se couvrir, trouvèrent un abri dans les bois qui
-séparent la Katzbach du Bober, entre Goldberg et Lowenberg. Ils y
-passèrent la nuit un peu mieux abrités, mais pas mieux nourris que la
-veille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Difficulté pour nos corps d'armée de regagner le Bober, et
-de franchir le fleuve presque partout débordé.</span>
-Ces deux corps, rendus dans la journée du 28 en face de
-Lowenberg, voulurent en vain y passer le Bober. Le pont n'était pas
-détruit, mais il fallait pour arriver jusqu'à ses abords traverser une
-inondation de trois quarts de lieue d'étendue, et il n'y eut d'autre
-ressource que de redescendre la rive droite du Bober pour le franchir
-à Buntzlau, où étaient déjà Souham et Sébastiani. Pour la première
-fois depuis trois jours, on trouva des toits et des subsistances, bien
-disputés du reste, car on était cinquante mille au moins accumulés sur
-un seul point.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Inquiétudes du maréchal Macdonald pour la division Puthod,
-envoyée sur Hirschberg par la rive droite du Bober.</span>
-Le maréchal Macdonald, ferme, sage, expérimenté, loyal, mais presque
-toujours malheureux depuis la funeste journée de la Trebbia, n'avait
-pas le tort de s'abuser sur sa mauvaise fortune. Aussi, <span class="pagenum"><a id="page376" name="page376"></a>(p. 376)</span>
-rentré à Buntzlau, ne regardait-il pas comme apaisée la cruelle
-fatalité qui le poursuivait, et il tremblait pour la division Puthod,
-hasardée seule au delà du Bober, jusqu'à la hauteur de Hirschberg. On
-ne pouvait avoir d'inquiétude pour la division Ledru, laquelle avait
-cheminé par la rive gauche qui nous appartenait, mais si la division
-Puthod n'avait pas profité du pont de Hirschberg pour revenir en deçà
-du Bober, son sort était évidemment compromis.
-<span class="sidenote" title="En marge">Désastre de cette division qui n'avait pas repassé le Bober
-à temps.</span>
-C'était en effet ce qui
-devait arriver. Cette division ayant remonté le Bober par une rive
-tandis que la division Ledru le remontait par l'autre, n'avait point
-usé du pont de Hirschberg lorsqu'il en était temps encore, et s'était
-vue séparée par d'immenses masses d'eau de ses compagnons d'armes, qui
-lui tendaient vainement les mains du haut de la rive gauche. Le 29
-elle imagina de descendre par la rive droite, vis-à-vis de Lowenberg,
-près de Zopten. Là, réduite de 6 mille hommes à 3 mille par la
-fatigue, la faim, le froid des nuits, l'abattement, elle fut assaillie
-par les troupes de Blucher, refusa de se rendre, se défendit
-vaillamment, et finit par être prise ou détruite. L'infortuné
-Macdonald, plus infortuné qu'elle encore, entendant de Buntzlau le feu
-de l'artillerie, devinant l'affreux sacrifice qui se consommait,
-voulait avec quelques troupes remonter par la rive droite à la hauteur
-de Zopten, mais on lui fit sentir le danger, l'inutilité peut-être de
-ce secours, et il fut obligé de laisser immoler sous ses yeux de
-malheureux soldats perdus à la suite de sa mauvaise étoile.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retour le 30 sur le Bober, après une perte de 20 mille
-hommes, dont plus de la moitié en soldats débandés.</span>
-Le 30 on se trouva tous réunis sur la gauche du <span class="pagenum"><a id="page377" name="page377"></a>(p. 377)</span> Bober, mais
-au nombre de 50 mille hommes au plus, au lieu de 70 mille qu'on était
-quelques jours auparavant, et après avoir laissé cent pièces de canon
-dans les fanges. Le feu n'avait pas détruit plus de 3 mille hommes sur
-les 20 mille qui manquaient; mais l'ennemi en avait ramassé 7 à 8
-mille, et il y en avait 9 à 10 mille débandés, qui avaient jeté ou
-perdu leurs fusils, et qui n'avaient guère envie d'en prendre
-d'autres. Une trop subite épreuve des souffrances de la guerre,
-succédant à une confiance aveugle, avait tout à coup réveillé en eux
-le sentiment qu'ils éprouvaient en quittant leurs chaumières six mois
-auparavant, celui de la haine contre l'homme qui les sacrifiait, à
-peine sortis de l'adolescence, à une ambition désordonnée. Braves, ils
-l'étaient toujours, et on pouvait tout attendre d'eux si on parvenait
-à les faire rentrer dans les rangs, mais c'était difficile. Irrités et
-dégoûtés, ils aimaient mieux vivre en pillant le pays ennemi que
-reprendre des armes pour un dieu cruel qui dévorait, disaient-ils,
-leur jeunesse sans pitié et sans motif. Macdonald se vit donc sur le
-Bober avec cinquante mille soldats découragés, et neuf ou dix mille
-traînards suivant l'armée, et alléguant le défaut de fusils pour ne
-pas revenir au drapeau. Poniatowski était resté sain et sauf à Zittau
-avec ses dix mille Polonais.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes du revers essuyé par le maréchal Macdonald.</span>
-Les causes de ce malheur étaient de diverses natures: il y en avait
-d'accidentelles, il y en avait de générales. Les causes accidentelles,
-c'étaient le mauvais temps, l'ordre équivoque au maréchal Ney qui
-avait entraîné un mouvement rétrograde inutilement <span class="pagenum"><a id="page378" name="page378"></a>(p. 378)</span> fatigant
-pour les troupes, ramené l'ennemi prématurément, et poussé le maréchal
-Macdonald à prendre une offensive précipitée; c'étaient peut-être
-aussi quelques fautes du général en chef, qui avait envoyé deux
-divisions sur Hirschberg pour en expulser l'ennemi que notre présence
-à Jauer aurait suffi pour en éloigner; qui pendant la bataille avait
-laissé trop isolées les deux fractions de son armée, et en prenant
-pour les relier le parti d'occuper le plateau de Janowitz, ne l'avait
-fait qu'avec des forces insuffisantes, qui avait trop méprisé enfin
-les difficultés naissant du temps et des routes. Les causes générales,
-et celles-là beaucoup plus redoutables encore, c'étaient le
-patriotisme des coalisés, leur ardeur à revenir sans cesse à la charge
-dès qu'ils voyaient la moindre chance de recommencer la lutte avec
-avantage, c'était surtout la jeunesse de nos troupes, impétueuses au
-feu, mais trop nouvelles aux traverses de la guerre, parties avec le
-sentiment qu'on les sacrifiait à une folle ambition, oubliant ce
-sentiment devant l'ennemi, mais l'éprouvant plus vivement que jamais
-au premier revers, et après s'être conduites vaillamment dans le
-combat, jetant leurs armes dans la retraite, par dépit, découragement,
-épuisement moral et physique.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Événements sur la route de Berlin.</span>
-Ces mêmes causes avaient produit sur la route de Berlin un revers
-moins éclatant, quoique tout aussi fâcheux par ses conséquences.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Oudinot chargé de marcher sur Berlin avec les
-4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps.</span>
-On a vu quelle importance Napoléon attachait à diriger un corps sur
-Berlin, afin de rejeter l'armée du Nord loin du théâtre de la guerre,
-d'infliger une humiliation à Bernadotte, de saisir l'imagination des
-<span class="pagenum"><a id="page379" name="page379"></a>(p. 379)</span> Allemands en entrant dans la principale de leurs capitales,
-de frapper au c&oelig;ur le Tugend-Bund, de dissoudre le ramassis dont il
-croyait l'armée de Bernadotte composée, et de tendre enfin la main à
-nos garnisons de l'Oder et de la Vistule. Pour atteindre ces buts
-divers, il avait donné au maréchal Oudinot outre le 12<sup>e</sup> corps que ce
-maréchal commandait directement, le 7<sup>e</sup> confié au général Reynier, et
-le 4<sup>e</sup> confié au général Bertrand. Le 12<sup>e</sup>, comprenant deux bonnes
-divisions françaises et une bavaroise, comptait environ 18 mille
-hommes; le 7<sup>e</sup>, formé de la division française Durutte et de deux
-saxonnes, en comptait 20 mille; le 4<sup>e</sup> ayant une seule division
-française, excellente il est vrai, celle du général Morand, et deux
-étrangères, l'italienne Fontanelli et la wurtembergeoise Franquemont,
-était, comme le précédent, fort d'une vingtaine de mille hommes. Le
-duc de Padoue avec 6 mille chevaux formait la réserve de cavalerie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ces corps comprennent tout au plus 64 mille hommes, au lieu
-de 70 mille qu'on s'était flatté de réunir.</span>
-C'étaient donc à peu près 64 mille hommes, au lieu de 70 mille qu'on
-avait d'abord espérés, parmi lesquels beaucoup de ramassis, comme
-disait Napoléon, car dans l'effectif total il entrait pour un tiers au
-moins de soldats de toutes nations, quelques-uns très-médiocres, et la
-plupart très-mal disposés. La composition sous le rapport des chefs ne
-laissait pas moins à désirer. Le maréchal Oudinot, aussi brave, aussi
-résolu sur le champ de bataille qu'on pouvait l'être, n'avait jamais
-exercé un commandement de cette importance, avait la noble modestie de
-se défier de lui-même, et osait à peine faire sentir son autorité à
-ses lieutenants, les généraux Reynier et Bertrand. <span class="pagenum"><a id="page380" name="page380"></a>(p. 380)</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Caractère des généraux Reynier et Bertrand, subordonnés au
-maréchal Oudinot.</span>
-Le général Reynier, officier savant et solide, comme nous avons déjà eu
-l'occasion de le dire ailleurs, mais malheureux, était plein de
-prétentions, se croyait supérieur à la plupart des maréchaux, se
-plaignait amèrement de n'être que lieutenant-général, et, comme
-Vandamme, était trop impatient peut-être de gagner une dignité qu'on
-lui avait tant fait attendre. Le général Bertrand, honoré de la faveur
-de Napoléon et y tenant, la justifiant par une grande application à
-ses devoirs, par la bravoure la plus sûre de toutes, celle du
-dévouement, mais plus propre aux travaux du génie qu'à la direction
-des troupes, ayant de l'esprit, mais ne l'ayant pas toujours juste,
-était un subordonné déférent en apparence, et plus obséquieux que
-soumis. Le maréchal Oudinot fort embarrassé d'avoir à dominer ces
-prétentions diverses, ne l'osait faire qu'avec des ménagements
-infinis, peu compatibles avec la vigueur et la promptitude du
-commandement. Placé plus près des lieux que Napoléon, recueillant tous
-les bruits du pays, il ne s'abusait pas sur la force de l'ennemi et
-sur la difficulté du terrain.
-<span class="sidenote" title="En marge">Forces de Bernadotte, s'élevant à environ 90 mille hommes
-de bonnes troupes.</span>
-Il savait que Bernadotte avec une
-certaine quantité de gens de toutes sortes, levés à la hâte, avait
-cependant un excellent corps suédois, un corps russe très-solide, et
-surtout un corps prussien, celui du général Bulow, très-nombreux,
-très-animé, très-disposé à se battre. Outre ce corps de Bulow, il y
-avait un second corps prussien sous le général Tauenzien, destiné
-d'abord au blocus des places, et duquel on avait tiré ce qu'il y avait
-de meilleur pour l'employer à la guerre offensive. Ces troupes
-réunies composaient <span class="pagenum"><a id="page381" name="page381"></a>(p. 381)</span> un total de 90 mille hommes environ,
-campés en avant de Berlin. Le prince de Suède avait détaché sous le
-général Walmoden une vingtaine de mille hommes, comprenant ce qui
-méritait le nom de ramassis, pour tenir tête, derrière les nombreux
-canaux du Mecklembourg, au corps d'armée qui était sorti de Hambourg
-sous le maréchal Davout. Le reste des 150 mille hommes commandés par
-le prince de Suède avait été consacré au blocus ou au siége des places
-de l'Oder et de la Vistule.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficulté des lieux que le maréchal Oudinot avait à
-traverser pour se rendre à Berlin.</span>
-Le maréchal Oudinot était parfaitement informé de cet état de choses,
-et en était justement préoccupé. Les lieux ajoutaient à la difficulté
-de sa tâche. En s'avançant sur Berlin, entre l'Elbe et la Sprée, on
-devait cheminer entre une double ligne d'eaux tour à tour stagnantes
-ou courantes, lesquelles peuvent se désigner, l'une par la rivière de
-la Dahne qui se jette dans la Sprée au-dessus de Berlin, l'autre par
-la rivière de la Nuthe qui se jette dans le Havel à Potsdam. Au sein
-de l'angle formé par cette double ligne d'eaux, se trouvait l'armée du
-Nord, établie dans une bonne position, celle de Ruhlsdorf, couverte
-par une puissante artillerie, et gardée au loin par une cavalerie
-innombrable. On ne pouvait s'aventurer à travers ce labyrinthe de
-bois, de sables, d'étangs, de rivières, qu'en courant toujours un
-double danger, celui d'être débordé ou tourné si on marchait sur une
-seule route, et, si on voulait en tenir plusieurs, celui d'être séparé
-en deux ou trois corps, que la privation de communications
-transversales rendait incapables de se secourir l'un l'autre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page382" name="page382"></a>(p. 382)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Répugnance du maréchal Oudinot à se charger du
-grand commandement qui lui était destiné.</span>
-Au moment de partir pour cette expédition, le maréchal Oudinot se
-défiant à la fois de l'ennemi, des lieux, de ses lieutenants, de
-lui-même, aurait volontiers cédé à d'autres le périlleux honneur qu'on
-lui avait destiné. Napoléon lui avait bien écrit qu'il y aurait dans
-peu de jours plus de cent mille Français à Berlin, car dans ses
-calculs, malheureusement faits de loin, il avait compris les 30 mille
-hommes du maréchal Davout, et les 10 mille hommes qui devaient sortir
-de Magdebourg sous le général Girard. Mais avant que cette réunion pût
-s'effectuer, il fallait que la première difficulté eût été vaincue,
-celle de percer sur Berlin, et celle-là on devait la surmonter avec
-une armée de beaucoup inférieure à l'armée ennemie, et à travers un
-pays presque impénétrable. Le maréchal Oudinot n'avait donc pas pris
-ces promesses fort au sérieux, et il se voyait toujours, au milieu
-d'un pays des plus difficiles, obligé avec 64 mille hommes de marcher
-contre Berlin protégé par 90 mille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Premier mouvement de Baruth à Luckenwalde.</span>
-Le 18 août il était réuni à
-Baruth, à trois journées de Berlin, avec ses trois corps. Mais ayant à
-rallier la division de grosse cavalerie du général Defrance, qui
-devait faire partie de la réserve du duc de Padoue, et qui venait
-rejoindre l'armée par Wittenberg, il opéra un mouvement transversal de
-droite à gauche, et se porta de Baruth à Luckenwalde. (Voir la carte
-n<sup>o</sup> 58.) Après avoir rallié sa grosse cavalerie, il reprit sa route au
-nord, s'avançant entre Zossen et Trebbin, au centre de cette double
-ligne d'eaux qui viennent, comme nous l'avons dit, converger sur
-Berlin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Trebbin le 21 août.</span>
-Le 21 il était en face de Trebbin, à quelques <span class="pagenum"><a id="page383" name="page383"></a>(p. 383)</span> lieues de
-l'armée ennemie, qui commençait à se concentrer à mesure que le
-terrain se resserrait et que nous approchions. Entre les deux lignes
-d'eau s'élevait une suite de coteaux boisés, et sur le flanc de ces
-coteaux se développaient les deux routes par lesquelles on pouvait
-s'acheminer sur Berlin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Deux routes à suivre, l'une à gauche passant par Trebbin,
-l'autre à droite passant par Blankenfelde.</span>
-L'une des deux routes, celle de gauche,
-passant à Trebbin, avait un ruisseau à franchir, puis à gravir un
-coteau couvert de bois, pour déboucher sur Gross-Beeren. Celle de
-droite, entièrement séparée de la précédente, après avoir gravi aussi
-des coteaux, allait déboucher par Blankenfelde sur la droite et à
-quelque distance de Gross-Beeren. Le maréchal Oudinot résolut de
-suivre ces deux routes à la fois, par précaution d'abord, car il ne
-voulait pas être tourné en négligeant l'une des deux, par
-condescendance ensuite, car ses lieutenants aimaient assez à marcher
-séparément, et il se flattait que ces obstacles surmontés on se
-réunirait pour aborder l'ennemi en masse.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Oudinot enlève Trebbin le 21.</span>
-Le 21 il attaqua Trebbin avec le 12<sup>e</sup> corps, dirigea le 4<sup>e</sup>, celui du
-général Bertrand, sur Schultzendorf, et achemina le 7<sup>e</sup>, celui du
-général Reynier, entre deux, vers un village appelé Nunsdorf. La
-petite ville de Trebbin, assez bien retranchée, était occupée par un
-détachement des troupes de Bulow. Le corps de Tauenzien gardait la
-route de droite, celle de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot commença
-par accabler Trebbin de ses projectiles, puis il y envoya une brigade
-de la division Pacthod, pendant que le 7<sup>e</sup> corps menaçait par
-Wittstock de tourner la position. Ces mouvements combinés
-produisirent <span class="pagenum"><a id="page384" name="page384"></a>(p. 384)</span> leur effet. La brigade de la division Pacthod
-entra baïonnette baissée dans un faubourg de Trebbin, et les Prussiens
-se voyant déjà débordés par le 7<sup>e</sup> corps, nous abandonnèrent cette
-petite ville, repassèrent le ruisseau qu'ils avaient mission de
-défendre, et se replièrent sur les coteaux en arrière. Vers la route
-de droite, le général Bertrand avait occupé Schultzendorf avec le 4<sup>e</sup>
-corps.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 22, il force le passage du ruisseau de Trebbin.</span>
-Le lendemain 22, il fallut franchir le ruisseau disputé la veille,
-gravir ensuite les coteaux sur lesquels s'élevait la route de Berlin,
-et sur la route de droite gravir également les hauteurs le long
-desquelles passait le chemin de Blankenfelde. Le maréchal Oudinot
-aborda le ruisseau sur deux points, par Wilmersdorf et Wittstock. La
-division Guilleminot du 12<sup>e</sup> corps, la division Durutte du 7<sup>e</sup>, ayant
-rétabli le passage avec des chevalets, assaillirent hardiment les
-redoutes de l'ennemi, et les occupèrent sans perdre beaucoup de monde.
-Les troupes du corps de Bulow les évacuèrent en se retirant
-définitivement vers la position centrale choisie par le prince de
-Suède. Sur le côté opposé, le général Bertrand après une vive
-canonnade atteignit la position de Juhnsdorf, conduisant à
-Blankenfelde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger d'être pris en flanc si on marche sur une seule
-route, et de se diviser si on marche sur deux.</span>
-On avait donc fait un nouveau pas dans ce fourré, où
-l'on était condamnés soit à marcher divisés en cheminant sur deux
-routes latérales presque sans communication entre elles, soit à
-marcher sans précaution contre un mouvement de flanc, si on prenait
-une seule route. Sans doute il eût été possible de parer à cet
-inconvénient, en s'avançant avec la masse de ses forces par une route
-seulement, et en ne dirigeant <span class="pagenum"><a id="page385" name="page385"></a>(p. 385)</span> sur l'autre que quelques
-détachements de troupes légères, mais il eût fallu disloquer les
-divers corps, et pour cela exercer à l'égard de leurs chefs une
-autorité que le maréchal Oudinot, commandant direct du 12<sup>e</sup> et plutôt
-conseiller que chef des 7<sup>e</sup> et 4<sup>e</sup>, n'osait pas s'attribuer.</p>
-
-<p>Tout annonçait qu'on approchait définitivement de l'ennemi, et qu'on
-allait se trouver face à face avec lui. Le ruisseau sur le bord duquel
-on avait combattu la veille une fois franchi, on allait longer le
-flanc de coteaux boisés, et aboutir à un village nommé Gross-Beeren,
-vis-à-vis de la position centrale de Ruhlsdorf occupée par l'armée du
-Nord. On devait par la route de droite opérer un mouvement semblable
-sur le flanc des coteaux de Juhnsdorf et de Blankenfelde, et si on
-parvenait à y vaincre la résistance de l'ennemi, on était assuré de
-déborder de ce côté la position de Gross-Beeren.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement le 23 août des 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps sur
-Gross-Beeren, et du 4<sup>e</sup> sur Blankenfelde.</span>
-Le maréchal Oudinot espérant ne rencontrer l'ennemi qu'après avoir
-dépassé Gross-Beeren, et lorsqu'on aurait eu le temps de se réunir,
-laissa par excès de condescendance une tâche distincte à chacun de ses
-lieutenants. Il décida que sur la route de droite le général Bertrand
-enlèverait Blankenfelde, pour se porter ensuite sur Gross-Beeren; que
-sur la route de gauche le général Reynier qui avait forcé la veille le
-ruisseau de Trebbin et gravi les coteaux au delà, cheminerait sur le
-flanc de ces coteaux en suivant la lisière des bois jusqu'à
-Gross-Beeren, et là s'arrêterait pour prendre position. Quant à lui,
-au lieu de marcher avec le 12<sup>e</sup> corps derrière le général Reynier
-pour lui servir d'appui, il imagina <span class="pagenum"><a id="page386" name="page386"></a>(p. 386)</span> de passer par Arensdorf
-sur l'autre versant des hauteurs que ce général devait parcourir,
-comme s'il eût craint d'importuner ses lieutenants par sa présence. Il
-devait ensuite déboucher sur Gross-Beeren, mais à deux lieues sur la
-gauche, distance à peu près égale à celle qui en devait séparer le
-général Bertrand sur la droite.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat de Gross-Beeren, livré par le 7<sup>e</sup> corps contre la
-masse de l'armée prussienne et suédoise.</span>
-Le 23 août au matin chacun se mit en mouvement selon la direction qui
-lui était assignée. Sur la route de droite, le général Bertrand
-s'étant présenté devant la hauteur de Blankenfelde, y trouva le
-général Tauenzien fortement établi, et fut obligé d'engager avec lui
-une violente canonnade. Sur la route de gauche, le général Reynier,
-avec le 7<sup>e</sup>, longea pendant près de trois lieues le flanc des coteaux
-dont le maréchal Oudinot parcourait le revers, chemina sans grande
-difficulté, et déboucha devant Gross-Beeren. Sur-le-champ il attaqua
-ce village, et en débusqua la division du général de Borstell. Avec
-une impatience de succès très-mauvaise conseillère, il s'avança fort
-au delà de ce village au lieu de s'y établir, et aperçut en position,
-à Ruhlsdorf, l'armée du prince de Suède tout entière. À droite devant
-lui il avait la division de Borstell, repliée sur le gros du corps
-prussien de Bulow, au centre mais tirant un peu sur la gauche l'armée
-suédoise, tout à fait à gauche enfin les Russes, c'est-à-dire, sans
-compter le corps de Tauenzien, un rassemblement d'environ 50 mille
-hommes, couverts par une nombreuse artillerie. Il n'avait pour faire
-face à cette ligne formidable que 18 mille hommes, dont 6 mille
-Français, soldats excellents, et 12 mille <span class="pagenum"><a id="page387" name="page387"></a>(p. 387)</span> Saxons qui ne
-valaient plus ceux qui avaient fait sous ses ordres la campagne de
-Russie. Il n'éprouvait certes pas l'envie de se mesurer avec une
-pareille masse d'ennemis; mais s'étant assez avancé pour donner prise,
-il ne pouvait manquer de les avoir bientôt sur les bras.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitation de Bernadotte, et ardeur des Prussiens.</span>
-En effet les Prussiens du général Bulow brûlaient d'impatience de nous
-combattre, et de couvrir de leurs corps la route par laquelle nous
-prétendions arriver à Berlin. Bernadotte hésitait. C'était la première
-fois qu'il allait rencontrer les Français, et il les craignait encore
-plus que sa conscience. Il tremblait de voir disparaître en un jour le
-prestige dont il avait cherché à s'entourer au milieu des étrangers,
-en se donnant pour le principal auteur des succès de Napoléon. Il
-craignait aussi de compromettre l'armée suédoise, qu'il savait ne
-pouvoir pas remplacer si elle était détruite. Il s'agissait donc pour
-lui de jouer sa fortune, sa couronne en un instant, et il était saisi
-d'une hésitation qui faisait douter de son courage de soldat.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le gros de l'armée prussienne se jette sur le 7<sup>e</sup> corps.</span>
-Le général Bulow, comme tous les Prussiens, se défiant encore plus de la
-loyauté de Bernadotte que de sa valeur, n'attendit pas son
-commandement, et avec les 30 mille hommes qu'il avait sous ses ordres,
-marcha sur le général Reynier. Il se fit précéder de beaucoup de
-bouches à feu, et, pour l'ébranler plus sûrement, il porta sur le
-flanc de son adversaire la division de Borstell. Bernadotte ne pouvant
-plus reculer, mais ne voulant pas engager toutes ses forces, se
-contenta de détacher sa cavalerie avec une nombreuse artillerie
-contre la gauche de Reynier, dont la division <span class="pagenum"><a id="page388" name="page388"></a>(p. 388)</span> Borstell
-menaçait la droite. Le général Reynier, qui une fois au danger s'y
-comportait avec la valeur d'un vieil officier de l'armée du Rhin, tint
-bon, espérant être bientôt secouru. Il exécuta un mouvement rétrograde
-pour prendre une meilleure position, et appuyant sa droite aux maisons
-de Gross-Beeren, sa gauche à une hauteur d'où son artillerie plongeait
-sur l'ennemi, il fit très-bonne contenance. Les Prussiens, malgré une
-épaisse mitraille, s'avancèrent résolûment, animés par le double désir
-de sauver Berlin et de saisir une proie qu'ils croyaient assurée.
-<span class="sidenote" title="En marge">La division Durutte se défend vaillamment, mais les Saxons
-se débandent.</span>
-La division Durutte résista héroïquement; mais les Saxons, pour la
-plupart conscrits de l'année, joignant à la faiblesse de leur âge un
-très-mauvais esprit, travaillés par des officiers qui leur rappelaient
-que Bernadotte les avait commandés en 1809 et traités comme un père,
-ne résistèrent pas longtemps, et laissèrent sans appui la division
-Durutte. Celle-ci fut obligée de se retirer, mais elle le fit en bon
-ordre, et en ôtant à l'ennemi le goût de la poursuivre. De son côté la
-division Guilleminot, du 12<sup>e</sup> corps, s'avançant sous la conduite du
-maréchal Oudinot sur le revers de la position, se trouvait à Arensdorf
-au moment de la plus violente canonnade. Elle se hâta de courir au
-feu, et se rabattit par sa droite à travers les bois, afin de secourir
-Reynier par le plus court chemin. Arrivant trop tard pour faire
-changer la face du combat, elle servit toutefois à contenir l'ennemi,
-et se replia ensuite, assaillie plusieurs fois par la cavalerie russe
-sans en être ébranlée. Chacun se reporta sur le point de départ du
-matin, <span class="pagenum"><a id="page389" name="page389"></a>(p. 389)</span> le 12<sup>e</sup> corps sur Thyrow, le 7<sup>e</sup> sur Wittstock. Le
-12<sup>e</sup> était en bon état, le 7<sup>e</sup> se trouvait désorganisé par la complète
-déroute des Saxons. Plus de 2 mille de ces alliés avaient été pris,
-avec quinze bouches à feu; quelques mille s'étaient débandés, les uns
-pour aller joindre les Suédois, les autres pour s'enfuir sur les
-derrières.
-<span class="sidenote" title="En marge">Retraite de l'armée française à la suite du malheureux
-combat de Gross-Beeren.</span>
-Quant au général Bertrand qui dirigeait le 4<sup>e</sup> corps, il
-avait fait d'assez grands efforts pour surmonter la résistance de
-Tauenzien à Blankenfelde, et n'y avait point réussi. Il ne l'aurait pu
-qu'en poussant ces efforts à l'extrême, mais il le croyait inutile,
-pensant que le succès du corps principal à Gross-Beeren obligerait
-Tauenzien à décamper. De la sorte, chacun avait combattu sans accord,
-sans concert, comptant mal à propos sur son voisin, les uns sans
-dommage comme Bertrand et Oudinot, les autres au contraire avec un
-dommage notable comme le général Reynier.</p>
-
-<p>Cependant cet échec, si on n'avait eu que des troupes exclusivement
-françaises, et d'un esprit sûr, n'aurait pas pu être suivi de grandes
-conséquences, car, après tout, on n'avait perdu que 2 mille hommes en
-ligne. Mais avec une moitié de l'effectif total en troupes italiennes
-et allemandes toujours prêtes à nous quitter, et une autre moitié de
-jeunes soldats français, trop confiants d'abord, et maintenant tout
-étonnés d'un revers, il était difficile de continuer à s'avancer sur
-Berlin en présence de 90 mille hommes, sur le corps desquels il aurait
-fallu passer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Pertes considérables par la disposition des troupes alliées
-à se débander.</span>
-Déjà plus de 10 mille alliés, les uns Saxons, les autres
-Bavarois, avaient quitté nos rangs et couraient vers l'Elbe en
-poussant le cri de <cite>Sauve qui peut!</cite> Dans <span class="pagenum"><a id="page390" name="page390"></a>(p. 390)</span> un pareil état de
-choses le maréchal Oudinot pensa qu'il fallait battre en retraite, et
-se rapprocher de l'Elbe. Le lendemain 24 août, il commença son
-mouvement rétrograde, l'exécuta en bon ordre, mais toujours pressé
-vivement par les Prussiens, ivres de joie et d'orgueil, accusant
-Bernadotte de trahison ou de lâcheté parce qu'il n'était pas aussi
-ardent qu'eux, et courant sans le consulter à la poursuite de
-l'ennemi, plus vaincu à leurs yeux qu'il ne l'était véritablement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Motifs du maréchal Oudinot pour se retirer jusqu'à
-Wittenberg.</span>
-Le maréchal Oudinot aurait pu s'arrêter et réprimer peut-être leur
-ardeur; toutefois, dès qu'il n'était plus en marche sur Berlin, et
-qu'il devait renoncer à l'espérance d'entrer dans cette capitale,
-risquer une action douteuse avec des soldats ébranlés lui parut peu
-sage, le résultat d'ailleurs ne pouvant consister qu'à se maintenir
-entre Berlin et Wittenberg, dans un pays qui ne lui présentait ni
-appui ni ressources. Il prit donc le parti le plus sûr, celui de venir
-se placer sous le canon de Wittenberg, où il était assuré de ne courir
-aucun danger, où il couvrait l'Elbe, où il avait abondamment de quoi
-subsister, et pouvait enfin remettre le moral de ses soldats. Il y
-arriva les 29 et 30 août, toujours disputant fortement le terrain à
-mesure qu'il rétrogradait.
-<span class="sidenote" title="En marge">Mésaventure de la division Girard sortie de Magdebourg.</span>
-Pendant ce temps, la division active de
-Magdebourg était sortie de cette place sous la conduite du général
-Girard, avait été assaillie par le général Hirschfeld et les coureurs
-russes de Czernicheff, et bientôt accablée par le nombre, était
-rentrée dans Magdebourg après avoir perdu un millier d'hommes et
-quelques pièces de canon.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position embarrassée du maréchal Davout, engagé seul avec
-30 mille hommes au milieu du Mecklembourg.</span>
-Aux environs de Hambourg, le maréchal
-<span class="pagenum"><a id="page391" name="page391"></a>(p. 391)</span> Davout, sorti de la place avec 30 mille hommes, dont 10 mille
-Danois, s'était avancé dans la direction de Schwerin, forçant le corps
-anglo-allemand qu'il avait devant lui à se replier, et prêt à lui
-passer sur le corps s'il apprenait un succès du maréchal Oudinot dans
-les environs de Berlin. Mais, dans le doute, il était obligé à
-beaucoup de circonspection, et se conduisait de manière à n'avoir pas
-d'échec, surtout pas de désastre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Fautes diverses qui avaient empêché le succès du mouvement
-sur Berlin.</span>
-Dès que le corps principal, celui du maréchal Oudinot, n'avait pu
-pénétrer jusqu'à Berlin, la réunion de plus de cent mille hommes dans
-cette capitale, que Napoléon avait espérée, n'était plus qu'un rêve.
-Sans doute il y avait eu quelques fautes commises: le maréchal Oudinot
-n'avait pas tenu ses corps assez réunis; ses lieutenants n'avaient pas
-eu le goût de marcher ensemble, et il avait eu le tort de trop se
-prêter à ce goût. Certainement il y avait ces fautes à relever dans
-l'exécution du mouvement sur Berlin; mais le tort essentiel (il est à
-peine nécessaire de le dire) était à Napoléon, qui avait trop méprisé
-ce qu'il appelait le <em>ramassis</em> de Bernadotte, qui lui avait opposé à
-son tour un vrai <em>ramassis</em>, où pour une moitié de Français prêts à
-bien combattre, il y avait une moitié d'Allemands et d'Italiens prêts
-à se débander, qui avait trop compté enfin sur la jonction à Berlin de
-corps partant de points aussi éloignés que Wittenberg, Magdebourg et
-Hambourg. Évidemment le mieux eût été de ne pas hasarder Oudinot sur
-Berlin, ce qui eût permis de ne pas tenir Macdonald sur le Bober, et
-ici comme toujours l'exagération des desseins politiques chez
-<span class="pagenum"><a id="page392" name="page392"></a>(p. 392)</span> Napoléon avait rendu caducs les plans du général, réflexion
-qui devient oiseuse à force d'être répétée, mais que nous répétons
-malgré nous, parce que ce triste sujet la fait naître sans cesse, et
-que seule d'ailleurs elle explique les erreurs d'un aussi grand
-capitaine.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce sont ces divers mécomptes qui avaient ramené Napoléon de
-Pirna à Dresde, et occasionné l'isolement de Vandamme.</span>
-C'étaient ces graves mécomptes, et non point une maladie inventée par
-les flatteurs, qui avaient surpris Napoléon au lendemain de ses
-victoires du 26 et du 27 août, et qui, arrivant coup sur coup à sa
-connaissance, l'avaient ramené de Pirna à Dresde, et l'y avaient
-retenu les 29 et 30 août, tandis que Vandamme restait sans appui à
-Kulm. Ces mécomptes étaient d'une haute importance, car au lieu de
-Macdonald laissé victorieux en Silésie et poursuivant Blucher, avoir
-sur les bras Blucher victorieux et Macdonald en déroute; au lieu de
-cent mille hommes entrés dans Berlin, avoir Oudinot replié sur
-Wittenberg et privé de plus de dix mille hommes, Girard repoussé dans
-Magdebourg avec perte d'un millier de soldats, Davout enfin condamné à
-tâtonner avec trente mille au milieu des marécages du Mecklembourg,
-était une situation bien différente de celle que Napoléon avait
-espérée, en voulant de l'Elbe étendre son bras jusqu'à la Vistule.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vaste et grande combinaison imaginée par Napoléon pour
-réparer les échecs essuyés par Macdonald et Oudinot.</span>
-Le 30, ignorant encore le désastre de Vandamme, qu'il ne sut que le
-lendemain matin, il avait conçu après de profondes méditations un plan
-nouveau des plus vastes, des plus fortement combinés, car les revers
-de ses lieutenants étaient bien loin jusqu'ici d'avoir déconcerté son
-génie et ébranlé sa confiance dans la fortune. Plus d'une fois il
-avait songé à courir sur <span class="pagenum"><a id="page393" name="page393"></a>(p. 393)</span> Prague, à frapper l'Autriche dans
-une de ses capitales, et à briser en quelque sorte la coalition sur la
-tête de l'armée principale où résidaient les trois souverains alliés.
-Si en effet après la bataille de Dresde il eût suivi à outrance
-l'armée de Bohême, déjà si profondément atteinte, il est probable
-qu'il eût dissous la coalition, et sans les nouvelles venues de
-Silésie et de Berlin, il est certain qu'il l'eût fait. Le plus
-spirituel de ses lieutenants, dont il n'aimait pas l'esprit frondeur,
-dont il suspectait quelquefois la justesse de vues, mais dont il
-appréciait les rares talents, le maréchal Saint-Cyr, l'y conviait sans
-relâche. Mais il y avait des objections graves à ce plan. D'abord il
-fallait passer les montagnes de Bohême, livrer bataille au delà, avec
-le danger auquel venait d'échapper par miracle la grande armée des
-coalisés, celui de n'avoir, si on était battu, que d'affreux défilés
-pour retraite. Il fallait ensuite aller prendre Prague, dont les
-défenses relevées à la hâte pouvaient opposer une résistance imprévue.
-Enfin, si même on triomphait de cet obstacle, on aurait allongé sa
-ligne, déjà trop longue, de toute la distance qu'il y a de Dresde à
-Prague, distance fort aggravée par les lieux et par les montagnes.
-Napoléon se serait trouvé ainsi plus loin de son armée de Silésie,
-plus loin de celle du bas Elbe, et hors d'état de les secourir si
-elles éprouvaient des revers. Ces objections l'avaient toujours fort
-détourné du projet de se porter en Bohême, et il n'y avait songé qu'un
-instant, lorsque étant à Zittau, il avait espéré tomber à l'improviste
-au milieu des corps qui allaient former l'armée <span class="pagenum"><a id="page394" name="page394"></a>(p. 394)</span> du prince de
-Schwarzenberg. Mais Macdonald étant vaincu, Oudinot étant ramené de
-Berlin sur Wittenberg, s'éloigner d'eux en ce moment était chose
-inadmissible; aussi Napoléon en apprenant leurs revers ne songea-t-il
-qu'à s'en rapprocher, et tout à coup, avec cette inépuisable fécondité
-qui était un des attributs de son riche génie, il imagina de faire non
-plus de Dresde mais de Berlin, le nouveau centre de ses opérations.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon songe à laisser Murat à Dresde avec cent mille
-hommes, et à se porter avec quarante mille au secours d'Oudinot, à le
-conduire dans Berlin, puis à revenir se jeter dans le flanc de
-Blucher, si ce dernier a osé marcher sur Dresde.</span>
-Il fallait battre Blucher, qui n'avait reçu les 22 et 23 août qu'un
-premier choc sans suite; il fallait battre Bernadotte, qui loin
-d'essuyer des échecs avait eu des avantages, dont il serait aussi
-utile que satisfaisant de rabaisser l'orgueil, de punir la trahison,
-de détruire la fausse renommée. C'étaient là de graves motifs de
-tourner nos coups de ce côté. En se dirigeant sur Berlin avec sa
-garde, avec une moitié de la réserve de cavalerie, c'est-à-dire avec
-quarante mille hommes, Napoléon recueillait en route Oudinot,
-accablait Bernadotte, entrait dans Berlin, y appelait la division
-Girard, le corps de Davout, y reformait cette concentration de cent
-mille hommes sur laquelle il avait tant compté, la dirigeait sur
-Stettin, Custrin, où nos garnisons avaient besoin d'être ravitaillées,
-donnait courage à celles de la Vistule, pouvait ensuite retourner de
-sa personne à Luckau entre Berlin et Dresde, prêt à tomber dans le
-flanc de Blucher, si ce dernier avait osé se porter sur l'Elbe.</p>
-
-<p>Six à sept marches séparaient Napoléon de Berlin: il fallait donc
-dix-huit ou vingt jours au plus entre aller et revenir, et il avait
-fait les dispositions <span class="pagenum"><a id="page395" name="page395"></a>(p. 395)</span> suivantes pour couvrir Dresde en son
-absence. Il voulait y laisser Vandamme avec le 1<sup>er</sup> corps (car le 30
-au matin, moment de ses projets, Napoléon ignorait le désastre de
-Kulm), outre Vandamme, Saint-Cyr, Victor, Marmont avec une portion de
-la réserve de cavalerie. Il se proposait de mettre ces forces,
-constituant une armée de cent mille hommes, sous Murat, et il comptait
-que celui-ci, appuyé sur Dresde, adossé à Macdonald, qui devait dans
-ce plan être ramené jusqu'à Bautzen, serait en mesure de résister à un
-retour de l'armée de Bohême, retour que le désastre récemment essuyé
-par celle-ci rendait peu probable avant quinze jours. Napoléon
-espérait avoir ainsi le temps de revenir après avoir frappé à Berlin
-un coup décisif, et à son approche tout nouveau projet contre Dresde
-devait s'évanouir. Blucher certainement en apprenant la bataille de
-Dresde, et sachant Napoléon sur son flanc (car il y serait sur la
-route de Berlin), n'oserait pas dépasser Bautzen. En tout cas,
-Macdonald se rapprochant de l'Elbe, et venant se mettre dos à dos avec
-Murat, aucun d'eux n'aurait de danger sérieux à craindre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dans la supposition du plan qui précède, Napoléon se serait
-établi de sa personne et avec sa réserve à Luckau, entre Berlin et
-Dresde, et aurait ainsi transporté la guerre au nord de l'Allemagne.</span>
-L'expédition de Berlin terminée, le projet de Napoléon était de
-s'établir à Luckau, entre Berlin et Dresde, d'y attirer le corps de
-Marmont et toute la réserve de cavalerie, de laisser à Dresde et dans
-le camp de Pirna 60 mille hommes, d'en laisser 60 mille à Bautzen,
-tandis qu'avec 60 mille autres il serait prêt à courir ou à Berlin, ou
-à Bautzen, ou à Dresde, suivant le besoin, ce qu'il pouvait faire en
-trois jours d'une marche rapide. Dans cette position il était certain
-de suffire à tout, car placé à trois <span class="pagenum"><a id="page396" name="page396"></a>(p. 396)</span> marches de Berlin, il
-serait de plus dans le flanc de Blucher, et assez près de Dresde pour
-y arriver à temps si l'armée de Bohême s'y présentait. Il est même
-probable qu'en suivant ce plan il aurait réussi à transporter la
-guerre au nord de l'Allemagne, car le rassemblement du nord étant
-dissous et Bernadotte puni, les Prussiens voudraient regagner leur
-pays pour le défendre, les Prussiens y attireraient les Russes, on
-ferait ainsi supporter aux plus hostiles des Allemands les horreurs de
-la guerre, et en découvrant un peu le haut Elbe, on couvrirait tout à
-fait le bas Elbe, c'est-à-dire Hambourg, où existait la plus belle des
-lignes de communication, celle de Hambourg à Wesel. Restait, il est
-vrai, dans ce cas, la chance de voir les Autrichiens se porter sur le
-haut Rhin, chance peu vraisemblable, car ils n'oseraient s'avancer si
-loin, Napoléon pouvant fondre sur leurs derrières. De plus Napoléon
-serait autorisé à se prévaloir auprès d'eux des soins qu'il mettrait à
-éloigner la guerre de leur territoire, et il pourrait en tirer une
-nouvelle occasion de négociations, ce qui n'était pas impossible, les
-Autrichiens étant de tous ses ennemis les moins engagés, les moins
-implacables, les seuls disposés à traiter raisonnablement.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La nouvelle du désastre de Kulm arrête l'élan des pensées
-de Napoléon.</span>
-Tel était son plan le 30 au matin, plan déjà écrit et accompagné
-d'ordres tout rédigés<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Lien vers la note 17"><span class="smaller">[17]</span></a>, lorsque la nouvelle de l'événement de Kulm
-vint bouleverser ses vastes conceptions. Il fut cruellement affligé
-en <span class="pagenum"><a id="page397" name="page397"></a>(p. 397)</span> apprenant le désastre de Vandamme; c'étaient avec la
-Katzbach et Gross-Beeren trois échecs graves, qui égalaient en
-importance les succès obtenus autour de Dresde, et les surpassaient
-même, car le prestige de la victoire avait passé du côté des coalisés,
-et il ne restait du côté de Napoléon que le prestige toujours éclatant
-de son ancienne gloire. Pour la première fois il pensa qu'il avait
-peut-être trop présumé de ses forces, en refusant les conditions qu'on
-lui avait offertes à Prague, et il apprécia mieux l'inconvénient de la
-jeunesse chez ses soldats, de la contagion des sentiments germaniques
-chez ses alliés, du découragement chez ses lieutenants; peut-être
-alla-t-il jusqu'à regretter d'avoir ou disgracié, ou décrié lui-même,
-ou prodigué au feu des généraux en chef tels que Masséna, Davout et
-Lannes! Sans doute il avait encore de braves gens, des héros tels que
-Ney, Oudinot, Macdonald, Victor, Murat, mais ils étaient peu habitués
-au commandement en chef; il ne les y essayait que dans un moment peu
-propre à les encourager, dans un moment où les passions de l'Europe,
-la fortune, le vent du succès, tout enfin était tourné contre nous.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon conçoit un nouveau plan fondé sur le dernier état
-des choses.</span>
-Il fut pendant plus d'un jour atterré pour ainsi dire sous ces coups
-redoublés; mais son esprit toujours inépuisable n'en fut point frappé
-de stérilité; son énergie, son imagination, ses illusions même, tout
-se ranima le lendemain, et il forma un nouveau projet, qui moins vaste
-que le précédent, était cependant tout aussi fortement conçu. D'abord
-il voulut donner un autre chef aux trois corps destinés à marcher sur
-Berlin, et il choisit le maréchal Ney, qui <span class="pagenum"><a id="page398" name="page398"></a>(p. 398)</span> n'avait pas de
-supérieur en bravoure sur le champ de bataille, mais qui n'avait
-jamais dirigé de grandes armées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il place sous le commandement du maréchal Ney les trois
-corps confiés d'abord au maréchal Oudinot.</span>
-Napoléon fit ce choix, parce que
-l'âme intrépide et confiante de Ney n'avait pas reçu encore l'atteinte
-du découragement, déjà si visible chez nos autres généraux. Il
-l'envoya à Wittenberg en lui adressant les paroles les plus
-encourageantes, et les instructions les plus précises. Voici à quel
-plan général correspondaient ces instructions.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Il porte Ney à Baruth, à deux journées de Berlin, et songe
-à se placer lui-même avec sa réserve à Hoyerswerda, entre Baruth et
-Dresde, avec l'intention ou de pousser Ney sur Berlin, ou de se jeter
-dans le flanc de Blucher, si celui-ci est devenu trop pressant.</span>
-Napoléon lui prescrivit après avoir réuni et ranimé les 7<sup>e</sup>, 4<sup>e</sup> et
-12<sup>e</sup> corps (le maréchal Oudinot devait garder le commandement direct
-de ce dernier), de se rendre à Baruth, à deux journées de Berlin, et
-d'y attendre les ordres du quartier général. Quant à lui
-personnellement, il résolut de se rendre à Hoyerswerda, distant de
-trois journées de Baruth, et de deux journées de Dresde, avec la
-garde, la plus grande partie de la réserve de cavalerie, et le corps
-de Marmont. Posté là en Lusace, entre Berlin et Gorlitz, il pouvait à
-volonté, ou se porter à gauche sur Berlin, et aider Ney à pénétrer
-dans cette ville, ce qui revenait à son vaste plan du 30 au matin, ou
-se jeter à droite dans le flanc de Blucher et l'accabler, si ce
-dernier, continuant à presser Macdonald, devenait inquiétant pour
-Dresde. Il était impossible assurément d'imaginer une combinaison plus
-savante et plus appropriée aux circonstances, car Napoléon était
-certain en joignant l'un de ses deux lieutenants, celui qui faisait
-face à Bernadotte, ou celui qui faisait face à Blucher, de rendre l'un
-ou l'autre victorieux. Seulement il ne se plaçait cette fois qu'à
-deux petites <span class="pagenum"><a id="page399" name="page399"></a>(p. 399)</span> journées de Dresde, dans le doute où il était
-sur les dispositions de l'armée de Bohême. Si elle avançait de
-nouveau, remise de la défaite de Dresde par le succès de Kulm, il
-revenait tout de suite lui porter un second coup comme celui du 27
-août. Si c'était Blucher qui se montrait audacieux, il tombait
-d'Hoyerswerda dans son flanc, et le renvoyait pour longtemps sur
-l'Oder. Et enfin si aucune des armées de Silésie et de Bohême ne se
-montrait entreprenante, il pouvait d'Hoyerswerda pousser Ney sur
-Berlin, sans même l'y suivre. Il suffisait en effet qu'il l'appuyât
-jusqu'à Baruth, car l'impétueux Ney, se sentant une pareille
-arrière-garde, était bien capable de se ruer sur Bernadotte, de lui
-passer sur le corps, et d'entrer à Berlin. Une fois ce grand acte
-accompli, Napoléon était libre de retourner à Hoyerswerda, d'où il
-menacerait Blucher ou Schwarzenberg, celui des deux en un mot qui
-essayerait quelque chose. Tout était non-seulement profond, mais vrai,
-juste, dans ces combinaisons, et il n'y en avait pas une qui dix ans
-auparavant n'eût réussi d'une manière éclatante, quand nos soldats
-étaient à l'épreuve des dures alternatives de la guerre, quand nos
-généraux étaient pleins de confiance, quand Napoléon ne doutait pas
-plus des autres que de lui, quand ses ennemis, moins résolus à vaincre
-ou à mourir, n'étaient pas décidés à persévérer même au milieu des
-plus grandes défaites! Mais aujourd'hui, dans l'état moral de nos
-ennemis et de nous-mêmes, tout était incertain, même avec des soldats
-et des généraux restés héroïques<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Lien vers la note 18"><span class="smaller">[18]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page400" name="page400"></a>(p. 400)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises pour couvrir Dresde pendant que
-Napoléon en sera éloigné.</span>
-Après avoir donné les ordres convenables, Napoléon fit les plus
-habiles dispositions pour qu'en son absence Dresde ne demeurât pas
-découvert. D'abord il réorganisa le corps de Vandamme, dont il était
-déjà rentré de nombreux débris. Outre la 42<sup>e</sup> division, restituée au
-maréchal Saint-Cyr, laquelle avait assez peu souffert, quinze mille
-hommes environ de toutes armes, et appartenant au 1<sup>er</sup> corps,
-étaient revenus, ou isolément ou en troupe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réorganisation du corps de Vandamme.</span>
-Tout ce qui était Français
-avait rejoint le drapeau, sauf les hommes hors de combat ou pris par
-l'ennemi. On avait perdu le matériel d'artillerie et malheureusement
-quelques-uns des officiers les plus distingués. On ne savait pas ce
-qu'étaient devenus Haxo et Vandamme: on allait jusqu'à les croire
-morts l'un et l'autre. Le secrétaire du général Vandamme ayant reparu,
-Napoléon fit saisir les papiers du général pour en extraire sa
-correspondance militaire, et enlever la preuve des ordres envoyés à
-cet infortuné. Napoléon eut même la faiblesse de nier l'ordre donné de
-s'avancer sur T&oelig;plitz, et sans toutefois accabler Vandamme, en le
-plaignant au contraire, il écrivit à tous les chefs de corps que ce
-général avait reçu pour instruction de s'arrêter sur les hauteurs de
-Kulm, mais qu'entraîné par trop d'ardeur, il s'était engagé en plaine,
-et s'était perdu par excès de zèle. Le récit authentique que nous
-avons présenté prouve la fausseté de ces assertions, imaginées
-<span class="pagenum"><a id="page401" name="page401"></a>(p. 401)</span> pour conserver à Napoléon une autorité sur les esprits, dont
-il avait en ce moment besoin plus que jamais.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Commandement de ce corps confié au comte de Lobau.</span>
-Son premier soin fut de chercher pour ce corps si maltraité un chef
-aussi brave que Vandamme, mais plus circonspect. Il choisit l'illustre
-comte de Lobau, qui à une rare énergie joignait un remarquable
-discernement militaire et un grand savoir-faire, cachés sous des
-formes rudes et martiales. Le comte de Lobau possédait en effet et
-méritait l'entière confiance de Napoléon, qui l'avait toujours auprès
-de lui, soit pour les coups de vigueur, soit pour les missions qui
-exigeaient du jugement, de l'exactitude, de la franchise. Ce soldat
-intrépide et spirituel si connu des hommes de notre génération,
-joignant à une taille de grenadier, à une figure de dogue, la plus
-profonde finesse, se tirait de toutes les missions que lui confiait
-Napoléon sans le tromper et sans lui déplaire, s'arrangeant pour dire
-la vérité sans compromettre ni lui ni les autres. À son extrême
-adresse, à sa rare bravoure, il réunissait le talent et le goût de
-l'organisation des troupes, dans laquelle il excellait. On ne pouvait
-pas mieux choisir pour rendre au 1<sup>er</sup> corps l'esprit militaire qu'il
-avait dû perdre dans le désastre de Kulm. Napoléon distribua ce corps
-en trois divisions de dix bataillons chacune, lui restitua la moitié
-de la division Teste qu'on en avait momentanément détournée, lui ôta
-la brigade de Reuss qu'on lui avait aussi momentanément prêtée, et
-soit avec les soldats rentrés, soit avec quelques bataillons de marche
-venus de Mayence, lui procura encore un effectif d'environ <span class="pagenum"><a id="page402" name="page402"></a>(p. 402)</span>
-18 mille hommes. Il puisa dans les arsenaux de Dresde, où un immense
-matériel avait été amené par ses soins, de quoi remplacer les fusils
-perdus et les soixante-douze bouches à feu abandonnées sur le champ de
-bataille de Kulm. Il fournit des souliers, des vêtements à ceux qui en
-manquaient, et n'oublia rien pour remettre le moral des hommes, soit
-par des encouragements, soit par des revues, soit par ces petites
-satisfactions matérielles qui composent le bonheur du soldat. Le comte
-de Lobau fut chargé d'opérer cette résurrection en quelques jours,
-Napoléon entendant se servir du 1<sup>er</sup> corps pour la défense de Dresde
-pendant sa prochaine absence.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Sept. 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces laissées à Dresde, et nouveaux
-travaux de défense ordonnés autour de cette capitale, de manière à en
-rendre la possession tout à fait certaine.</span>
-Quant à la conservation de Dresde, il y pourvut de la manière
-suivante. Au lieu d'y laisser le 14<sup>e</sup> corps seul, comme lorsqu'il
-avait marché sur la Silésie, il laissa le 14<sup>e</sup> (maréchal Saint-Cyr) au
-camp de Pirna, le 2<sup>e</sup> (maréchal Victor) à Freyberg, et le 1<sup>er</sup> enfin
-(comte de Lobau) dans l'intérieur même de Dresde, où celui-ci aurait
-plus de facilité pour se réorganiser. Le 14<sup>e</sup> corps, qui en recouvrant
-la 42<sup>e</sup> division en avait dès lors quatre, dut garder K&oelig;nigstein et
-Lilienstein, le pont de l'Elbe jeté entre ces deux forts, le camp de
-Pirna, le défilé de Péterswalde, et les débouchés secondaires de la
-Bohême qui venaient tomber sur la droite de la chaussée de
-Péterswalde. Le maréchal Victor à Freyberg veillait à la fois sur la
-grande chaussée de Freyberg, et sur le chemin de T&oelig;plitz par
-Altenberg. La cavalerie de Pajol galopait entre deux pour exercer une
-active surveillance. En cas de nouvelle apparition de l'armée de
-Bohême, ces deux corps avaient ordre d'opposer <span class="pagenum"><a id="page403" name="page403"></a>(p. 403)</span> une résistance
-modérée, suffisante seulement pour retarder sans se compromettre la
-marche de l'ennemi, et de se replier sur Dresde en y donnant l'éveil.
-Ils devaient venir se placer, Saint-Cyr sur la gauche du camp
-retranché où il avait déjà combattu vaillamment le 26 août, Victor sur
-la droite où il avait décidé le gain de la bataille du 27. Attaqués
-sérieusement, ils avaient ordre de rentrer derrière les redoutes, qui
-avaient été portées de cinq à huit, et beaucoup mieux armées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Précautions de détail admirablement conçues.</span>
-Napoléon
-pendant l'attaque de Dresde ayant remarqué plusieurs défectuosités
-dans leur établissement, avait nommé un commandant spécial pour
-chacune d'elles, augmenté leur artillerie, préparé des artilleurs de
-rechange pour les servir, défendu de laisser dans aucune des caissons
-de munitions, et fait construire avec des sacs à terre des espèces de
-réduits pour tenir lieu de magasins à poudre pendant le combat. Il
-avait distribué leur armement en artillerie de position nécessairement
-immobile, et en artillerie attelée qu'on porterait de la rive droite à
-la rive gauche de l'Elbe, selon qu'on serait attaqué par l'une ou par
-l'autre. Il avait soigneusement recommandé qu'on tînt des troupes en
-réserve derrière chaque redoute, pour reprendre à l'instant celle qui
-serait enlevée, et enfin il avait décidé que le 1<sup>er</sup> corps, sous le
-comte de Lobau, serait placé tout entier en réserve derrière les corps
-de Saint-Cyr et de Victor, pour déboucher au dernier moment, ainsi
-qu'avait fait la garde le 26 août, sur l'ennemi qui se croirait
-victorieux. C'était, comme on le voit, une répétition fort améliorée
-de la journée du 26, et qui promettait le même <span class="pagenum"><a id="page404" name="page404"></a>(p. 404)</span> succès, car
-les trois corps de Saint-Cyr, Victor et Lobau réunissaient près de 60
-mille hommes, c'est-à-dire plus que Napoléon n'en avait eu pour
-résister le 26 aux 200 mille de l'armée de Bohême. Ajoutant cette
-circonstance qu'au lieu d'être à quatre ou cinq journées, comme il
-était lors de la première apparition de l'ennemi, il ne serait plus
-qu'à deux en se plaçant à Hoyerswerda, Napoléon s'éloignait sans
-inquiétude pour la conservation de Dresde, si l'armée de Bohême
-renouvelait sa récente man&oelig;uvre, en opérant par la rive gauche de
-l'Elbe. Si au contraire, changeant de marche, elle attaquait par la
-rive droite, Poniatowski, Macdonald, Napoléon lui-même se rabattant
-sur elle, seraient en mesure de l'accabler.
-<span class="sidenote" title="En marge">Toutes ses mesures arrêtées, Napoléon dirige sur
-K&oelig;nigsbruck une partie de l'infanterie et de la cavalerie de la
-garde.</span>
-Ces dispositions si
-savantes une fois ordonnées, il expédia le 2 septembre la cavalerie de
-la garde sous Nansouty, avec deux divisions d'infanterie de la jeune
-garde sous Curial, et les porta sur K&oelig;nigsbruck, à gauche de la
-route de Bautzen, dans la direction de Hoyerswerda. (Voir la carte n<sup>o</sup>
-58.) Il comptait le 3 faire partir la vieille garde de Dresde, et le
-reste de la jeune garde de Pirna, toujours dans la même direction. Le
-4 il avait le projet de partir lui-même pour se rendre de sa personne
-à Hoyerswerda. M. de Bassano devait rester à Dresde, informé de tout,
-même des mouvements militaires qu'il comprenait suffisamment bien,
-afin qu'avec cette activité dévouée qui rachetait chez lui une
-soumission trop aveugle, il pût transmettre à chacun et toujours à
-temps l'avis de ce qui l'intéressait.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 3 septembre au matin, Napoléon reçoit la nouvelle que le
-maréchal Macdonald, vivement pressé par Blucher, est à Bautzen dans un
-véritable danger.</span>
-Le 3 septembre au matin, Napoléon était occupé <span class="pagenum"><a id="page405" name="page405"></a>(p. 405)</span> à donner ses
-ordres, lorsqu'il reçut de Bautzen des dépêches pressées du maréchal
-Macdonald. Ce maréchal était, suivant l'expression de Napoléon, tout à
-fait <em>décontenancé</em> par la marche véhémente de Blucher sur lui.
-Blucher, qui n'était pas homme à s'arrêter dans un succès, s'était
-hâté, dès que les eaux avaient un peu baissé, de se porter en avant,
-pour tirer les plus grandes conséquences possibles de l'événement si
-heureux pour lui de la Katzbach. Plaçant son infanterie partie vers
-les montagnes, partie sur la grande route de Breslau à Dresde, lançant
-son immense cavalerie dans les plaines humides qu'arrosent
-successivement le Bober, la Preiss, la Neisse, la Sprée, il avait en
-débordant constamment le flanc gauche du maréchal Macdonald, obligé
-celui-ci à rétrograder de Lowenberg sur Lobau, de Lobau sur Gorlitz.
-Il disposait de 80 mille hommes contre Macdonald, qui n'en avait pas
-conservé 50 mille armés, et qui n'avait pu s'en procurer 60 mille en
-état de combattre, qu'en retirant Poniatowski du débouché de Zittau.
-Le maréchal Macdonald, malgré son intrépidité connue, craignait que le
-découragement chez ses soldats, l'aigreur de la défaite chez ses
-généraux, l'impulsion rétrograde chez tous, n'entraînât de nouveaux
-malheurs. Il demandait des secours à grands cris. Il se pouvait, à
-l'entendre, que sous vingt-quatre heures il fût ramené de Gorlitz sur
-Bautzen, peut-être sur Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renonce momentanément à sa dernière combinaison
-pour se porter sur Bautzen.</span>
-Napoléon, qui ne mettait pas beaucoup de temps à prendre son parti,
-jugea que ce n'était pas le moment de se porter sur Hoyerswerda,
-c'est-à-dire à gauche de la grande route de Silésie et dans le flanc
-<span class="pagenum"><a id="page406" name="page406"></a>(p. 406)</span> de Blucher, car Macdonald était trop vivement pressé pour
-perdre une heure à man&oelig;uvrer. Secourir ce dernier directement, par
-la voie la plus courte, était la seule man&oelig;uvre adaptée aux
-circonstances. Napoléon comptait le joindre à Bautzen, le ranimer, le
-reporter en avant, et culbuter Blucher au delà de la Neisse, de la
-Queiss et des rivières qu'il avait dépassées. Napoléon cherchant
-surtout une bataille contre ceux de ses ennemis qui oseraient rester à
-portée de son bras, espérait la trouver dans cette nouvelle rencontre
-avec Blucher, et il se figurait que celui-ci, lancé comme il l'était,
-ne pourrait pas s'arrêter assez vite pour nous échapper encore une
-fois.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Il redresse la marche des divisions de la garde acheminées
-sur Hoyerswerda et les rabat sur Bautzen.</span>
-Sa résolution étant ainsi prise, il fit redresser le mouvement imprimé
-la veille aux deux divisions de la jeune garde et à la cavalerie qui
-les suivait. Il les avait dirigées sur K&oelig;nigsbruck, il les ramena
-de K&oelig;nigsbruck sur Bautzen par Camenz. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Il
-fit partir tout de suite la vieille garde de Dresde pour
-Bischofswerda, et pour Stolpen le reste de la jeune garde qui sous
-Mortier attendait ses ordres à Pirna. Le même mouvement direct sur
-Bautzen fut prescrit à la cavalerie de réserve de Latour-Maubourg, et
-à l'infanterie du maréchal Marmont. Mises en route le matin du 3, les
-troupes devaient être le soir à Bischofswerda, le lendemain 4 à
-Bautzen.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il s'applique à cacher son départ de Dresde pour ne pas
-donner l'éveil à Blucher.</span>
-Napoléon se disposa lui-même à quitter Dresde dans la nuit du
-3 au 4, employant selon son usage la journée entière à expédier ses
-ordres, et se réservant pour dormir le temps qu'il passerait en
-voiture. Il fit prévenir Macdonald du mouvement considérable qui
-s'opérait vers Bautzen, <span class="pagenum"><a id="page407" name="page407"></a>(p. 407)</span> lui recommanda le secret, afin que
-Blucher non prévenu donnât en plein dans le gros de l'armée française.
-Il défendit à Dresde qu'on laissât passer par les ponts même un seul
-paysan, espérant empêcher ainsi que la nouvelle du départ de la garde
-ne parvînt à Blucher, et enfin il manda au maréchal Ney que se
-détournant un moment d'Hoyerswerda, il serait de retour dans cette
-direction sous trois ou quatre jours, et qu'il lui assignait toujours
-Baruth comme point de réunion, d'où l'on partirait ultérieurement pour
-Berlin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Dresde le 3 au soir.</span>
-Le 3 septembre au soir Napoléon quitta Dresde, s'arrêta quelques
-heures à Harta, et arriva le lendemain matin à Bautzen.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée à Bautzen le 4 au matin.</span>
-Il s'était
-fait précéder par 70 fourgons, portant des munitions, des fusils, des
-souliers, afin de rendre aux soldats du maréchal Macdonald une partie
-de ce qu'ils avaient perdu.
-<span class="sidenote" title="En marge">Bon accueil au maréchal Macdonald.</span>
-Il traita bien le maréchal Macdonald, sans
-s'appesantir sur les fautes qui avaient pu être commises à la
-Katzbach, tenant grand compte à tout le monde des circonstances
-difficiles où l'on se trouvait, et sachant qu'en pareille situation il
-fallait remonter les c&oelig;urs en les encourageant, au lieu de les
-abattre en les chagrinant par des reproches. D'ailleurs le maréchal
-Macdonald inspirait tant d'estime, que le reproche eût expiré sur la
-bouche, si par hasard on eût été tenté de lui en adresser. Loin de se
-montrer Napoléon se cacha, voulant attendre pour se laisser voir que
-la cavalerie de la garde et de Latour-Maubourg fût arrivée, et qu'on
-pût fondre sur Blucher avec des forces suffisantes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher informé par de secrets avis de l'approche de
-Napoléon, s'arrête tout à coup.</span>
-Malheureusement au milieu de ces populations <span class="pagenum"><a id="page408" name="page408"></a>(p. 408)</span> germaniques où
-nous ne comptions plus que des ennemis, même parmi celles que notre
-présence forçait à rester alliées, il n'y avait de secret possible
-qu'au profit de nos adversaires. Plusieurs avis envoyés de Dresde,
-soit pour l'armée de Silésie, soit pour l'armée de Bohême, avaient
-déjà fait savoir, non pas les desseins de Napoléon, que lui seul et
-ses principaux lieutenants connaissaient, mais les mouvements de la
-garde commencés dès le 2 au matin. Cette indication suffisait pour
-qu'on devinât que Blucher allait devenir le but des coups de Napoléon.
-Aussi le général prussien, tout fougueux qu'il était, fidèle au plan
-de se dérober aussitôt que Napoléon apparaîtrait, se préparait à
-rétrograder, et, s'il n'avait pas déjà battu en retraite, s'avançait
-cependant d'une manière moins vive. Parvenu à Gorlitz, il avait poussé
-ses avant-gardes sur Bautzen, mais avait arrêté son corps de bataille
-à Gorlitz même, et de sa personne était venu se placer sur une hauteur
-qu'on appelle le Lands-Krone, et d'où l'on aperçoit toute la contrée
-de Gorlitz à Bautzen.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Murat lancé avec toute la cavalerie à la poursuite de
-Blucher.</span>
-Le 4 septembre, vers le milieu du jour, Latour-Maubourg et Nansouty
-étant arrivés, Murat s'était mis à la tête de leurs escadrons, et
-avait fondu au galop sur les avant-gardes de Blucher rencontrées vers
-la chute du jour aux environs de Weissenberg. D'immenses tourbillons
-de poussière avaient annoncé son approche, et sur-le-champ à cette
-vive impulsion Blucher avait reconnu la présence du maître, sous les
-yeux duquel on ne rétrogradait jamais. Ses avant-gardes vigoureusement
-assaillies furent ramenées en arrière, en perdant quelques centaines
-<span class="pagenum"><a id="page409" name="page409"></a>(p. 409)</span> d'hommes. La nuit suspendit la poursuite. Blucher prit
-immédiatement la résolution de repasser la Neisse le lendemain, et de
-ne laisser à Gorlitz qu'une arrière-garde, laquelle occuperait la
-ville située de notre côté, pendant qu'on préparerait tout pour
-détruire les ponts.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le lendemain 5, on poursuit Blucher, et on le rejette au
-delà de la Neisse.</span>
-Le lendemain matin 5 Napoléon à la tête de ses avant-gardes se porta
-en avant de Reichenbach, pour voir s'il pourrait enfin saisir les
-Prussiens de manière à leur ôter le goût de revenir si vite après son
-départ. Mais au premier coup d'&oelig;il il eut le déplaisir de
-reconnaître que Blucher allait encore, comme les 22 et 23 août, se
-soustraire à notre approche.
-<span class="sidenote" title="En marge">Entrée des Français dans Gorlitz.</span>
-Il fit en effet marcher en avant, et sa
-seule satisfaction en pénétrant à Gorlitz fut de prendre ou tuer un
-millier d'ennemis. Après avoir traversé la ville au pas de course, on
-trouva les ponts de la Neisse coupés, et l'arrière-garde prussienne
-achevant de détruire celui dont elle s'était servie pour se dérober à
-nos coups.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon renonce à poursuivre Blucher, dans l'impossibilité
-où il se trouve de le serrer d'assez près.</span>
-Dès ce moment il fut évident pour Napoléon que tout ce qu'il gagnerait
-à poursuivre plus longtemps les alliés, ce serait de fatiguer
-inutilement ses troupes, et de mettre une plus grande distance entre
-lui et Dresde. Il résolut donc de s'arrêter à Gorlitz, d'y passer deux
-ou trois jours pour y rétablir les ponts, y faire reposer ses soldats,
-et y ranimer par sa présence le corps de Macdonald dont le moral était
-fort ébranlé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 5 septembre au soir Napoléon apprend une nouvelle
-apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde.</span>
-Mais le soir même du 5, des dépêches arrivées de Dresde dans la
-journée, vinrent encore changer sa détermination, et l'obliger à ne
-pas même passer <span class="pagenum"><a id="page410" name="page410"></a>(p. 410)</span> à Gorlitz les deux ou trois jours qu'il
-aurait voulu y demeurer. On lui annonçait en effet une nouvelle
-apparition de l'armée de Bohême sur la route de Péterswalde,
-c'est-à-dire sur les derrières de Dresde, exactement comme à l'époque
-récente des batailles des 26 et 27 août. C'était encore l'officier
-d'ordonnance Gourgaud qui était l'organe des craintes du maréchal
-Saint-Cyr, et le narrateur trop animé de ce qui avait lieu à Dresde.
-Était-ce une descente véritable de l'armée de Bohême, voulant essayer
-une seconde attaque sur Dresde, malgré le rude accueil qu'avait reçu
-la première? ou bien n'était-ce pas plutôt une vaine démonstration de
-sa part, et n'était-il pas vraisemblable qu'instruite à temps du
-mouvement de Napoléon sur Bautzen, elle voulait le rappeler à Dresde,
-se jouer ainsi de la promptitude de ses déterminations, de l'agilité
-de ses soldats, fatiguer lui et eux, les épuiser en mouvements
-infructueux tantôt contre une armée, tantôt contre l'autre, en ne leur
-accordant jamais l'avantage d'approcher assez près d'aucune d'elles
-pour l'atteindre et la battre?
-<span class="sidenote" title="En marge">Suppositions qui naissent de cette nouvelle apparition.</span>
-Cette dernière supposition était la
-plus vraisemblable, et si Napoléon avait eu la chance de joindre
-Blucher, il ne se serait pas détourné de cet ennemi pour courir au
-prince de Schwarzenberg, avec certitude de ne pas le rejoindre.
-Malheureusement Napoléon ne faisait aucun sacrifice en s'arrêtant,
-puisque Blucher, aussi prompt à marcher en arrière qu'en avant, était
-déjà hors de portée, et il était naturel que, n'ayant rien de bien
-utile à faire à Gorlitz, il revînt là où un symptôme de danger,
-quelque léger que fût ce symptôme, ou une espérance de <span class="pagenum"><a id="page411" name="page411"></a>(p. 411)</span>
-bataille, quelque douteuse que fût cette espérance, se présentait en
-ce moment.
-<span class="sidenote" title="En marge">N'ayant rien d'utile à faire à Gorlitz depuis la retraite
-de Blucher, Napoléon revient à Dresde pour parer au nouveau danger qui
-menace cette capitale.</span>
-Il ordonna donc à sa garde de ne pas aller plus loin et de
-se reposer, pour être prête à exécuter ses ordres le lendemain, et il
-retourna lui-même de Gorlitz à Bautzen pour se rapprocher des
-nouvelles, et apprécier plus sûrement la valeur des renseignements
-qu'on lui envoyait du camp de Pirna. Ne perdant pas un instant, il
-voyagea toute la soirée et la nuit, et fut rendu à Bautzen le 6 à deux
-heures du matin. Certes, on ne pouvait pas déployer plus d'activité et
-moins regarder à la fatigue, car, sorti de Dresde le 3 septembre au
-soir, arrivé le 4 au matin à Bautzen, ayant couru le 4 même jusqu'à
-Weissenberg, le 5 jusqu'à Gorlitz, il revenait dans la nuit du 5 au 6
-à Bautzen. Par malheur ses troupes allant à pied ne pouvaient suivre
-que de très-loin la rapidité de ses mouvements.</p>
-
-<p>Napoléon trouva en effet à Bautzen les détails mandés par M. de
-Bassano au nom du maréchal Saint-Cyr, et d'après lesquels il
-paraissait que la grande armée de Bohême avait débouché brusquement de
-Péterswalde, la droite sur Pirna, le centre sur Gieshübel, la gauche
-sur Borna, avec toute l'apparence d'une résolution sérieuse, et une
-telle vigueur d'attaque, que le maréchal Saint-Cyr avait cru devoir,
-en se retirant avec ordre, replier néanmoins ses quatre divisions.
-<span class="sidenote" title="En marge">Malgré la vivacité des démonstrations de l'armée de Bohême,
-Napoléon ne se laissant pas abuser, ne ramène à Dresde qu'une partie
-de sa réserve, afin de pouvoir revenir à son projet sur Hoyerswerda.</span>
-En présence de tels avis, surtout rien d'utile ne le retenant à Bautzen,
-Napoléon répondit qu'il allait partir immédiatement, de manière à être
-le soir même du 6 à Dresde, et qu'il se ferait suivre par toute sa
-garde. Cependant <span class="pagenum"><a id="page412" name="page412"></a>(p. 412)</span> n'étant pas facile à tromper, et ne prenant
-pas encore comme très-sérieuse cette nouvelle démonstration, il donna
-ses ordres en conséquence de ce qu'il pensait. Ayant toujours en vue
-son mouvement sur Hoyerswerda, d'où il pourrait à la fois soutenir Ney
-vers Berlin, et contenir Blucher vers Gorlitz, il ne ramena décidément
-vers Dresde que la garde seule, jeune et vieille, comptant près de 40
-mille hommes de toutes armes. Il dirigea Marmont, qui était en marche
-pour le rejoindre, vers Camenz et K&oelig;nigsbruck, d'où il serait aisé
-de le rappeler à Dresde ou de le pousser sur Hoyerswerda. Il lui
-adjoignit un fort détachement de cavalerie, pour donner la chasse aux
-Cosaques, et le lier avec Ney et Macdonald. Il recommanda au maréchal
-Macdonald, après avoir replacé Poniatowski au débouché de Zittau, de
-se bien établir lui-même à Bautzen, de réarmer ses soldats débandés,
-et de tâcher enfin avec un effectif qu'il pouvait reporter à 70 mille
-hommes s'il parvenait à ressaisir ses maraudeurs, de garder au moins
-la ligne de la Sprée. Il était permis d'espérer que n'étant plus à
-cinq journées de Dresde, mais à deux, Macdonald serait moins prompt à
-rétrograder, et Blucher à s'avancer. Le maréchal Macdonald avec une
-modestie qui l'honorait, supplia fort Napoléon de l'exonérer du
-commandement en chef, offrant de rester comme divisionnaire à la tête
-du 11<sup>e</sup> corps, et de s'y faire tuer, mais ne voulant plus d'une
-responsabilité trop lourde, et se plaignant peut-être avec l'injustice
-du malheur du peu de concours de ses lieutenants. Napoléon n'avait
-plus le choix, car les généraux disparaissaient comme les soldats,
-par <span class="pagenum"><a id="page413" name="page413"></a>(p. 413)</span> suite de l'affreuse consommation qu'il faisait des uns et
-des autres. Il écouta Macdonald, le consola, le traita comme il aurait
-traité un général victorieux, et après l'avoir encouragé de son mieux,
-partit pour Dresde, où il arriva le 7 au matin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revenu à Dresde le 7 au matin.</span>
-M. de Bassano était
-venu à sa rencontre pour employer le loisir de la route à l'entretenir
-des affaires de l'Empire et des informations venues du quartier
-général du maréchal Saint-Cyr sous Pirna.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement des Russes et des Prussiens sur Dresde, et motifs
-de ce mouvement.</span>
-Après avoir séjourné une heure ou deux à Dresde, il partit pour Pirna,
-et s'arrêta près de Mugeln, où se trouvaient les arrière-gardes du
-maréchal Saint-Cyr. Voici ce qui s'était passé de ce côté. Les
-Prussiens et les Russes, sans les Autrichiens, avaient débouché de
-Bohême par la grande route de Péterswalde, dont nous avons déjà fait
-connaître la configuration, avaient essayé d'enlever d'un côté le
-plateau de Pirna, de l'autre le plateau de Gieshübel, et avaient
-poussé devant eux les quatre divisions de Saint-Cyr qui occupaient ces
-diverses positions. Un autre corps, sous le comte Pahlen, débouchant
-par la route de Furstenwald qu'avait suivie Kleist lors des événements
-de Kulm, était venu vers Borna, là où les montagnes moins abruptes
-commencent à se changer en plaine. Une immense cavalerie lancée dans
-cette direction avait fort inquiété celle de Pajol, et sans la vigueur
-de ce dernier, sans son savoir-faire, lui aurait causé de grands
-dommages.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle retraite du maréchal Saint-Cyr sur Dresde.</span>
-Saint-Cyr se voyant ainsi pressé avait replié du camp de Pirna sur
-Pirna même sa 42<sup>e</sup> division, laissant comme de coutume quelques
-bataillons dans la forteresse de K&oelig;nigstein, avait ramené la 43<sup>e</sup>
-et la <span class="pagenum"><a id="page414" name="page414"></a>(p. 414)</span> 44<sup>e</sup> de Gieshübel sur Zehist, et la 45<sup>e</sup>, qui soutenait
-Pajol, de Borna sur Dohna.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon à Pirna. Ses longs entretiens avec le maréchal
-Saint-Cyr sur les probabilités de cette situation.</span>
-C'est dans cette position que Napoléon le trouva, point déconcerté,
-beaucoup moins alarmé surtout qu'il n'avait affecté de l'être, et tout
-prêt à reprendre l'offensive. Que signifiait cette nouvelle apparition
-de l'ennemi? Était-ce une continuation de la tactique au moyen de
-laquelle on semblait vouloir épuiser l'armée française, ou bien une
-attaque véritable? Il valait la peine de s'entretenir de cette
-question obscure avec un officier aussi intelligent que le maréchal
-Saint-Cyr. Napoléon le questionna sur ce sujet avec beaucoup de
-confiance et de cordialité. Quoiqu'il eût peu de goût pour son
-caractère, il appréciait fort ses lumières, et d'ailleurs dans la
-situation présente il avait besoin de ménager tout le monde, surtout
-les gens de guerre déjà bien fatigués.
-<span class="sidenote" title="En marge">Opinion de Napoléon.</span>
-Par toutes ces raisons il
-s'entretint longuement avec le maréchal Saint-Cyr, et ne parut pas
-convaincu que cette dernière attaque fût sérieuse, ni qu'elle fût
-autre chose qu'une des alternatives de ce va-et-vient perpétuel qui
-semblait constituer en ce moment toute la tactique des coalisés. Au
-surplus Napoléon ne demandait pas mieux, d'après ce qu'il dit, que de
-réparer au moyen d'une action décisive tout le tort que lui avaient
-causé les journées de Kulm, de la Katzbach et de Gross-Beeren, mais il
-doutait avec raison que les coalisés, après la leçon reçue à Dresde,
-songeassent à s'en attirer une seconde du même genre. Évidemment ils
-ne voudraient point se présenter encore une fois la tête à Dresde, la
-queue aux défilés de l'Erz-Gebirge, <span class="pagenum"><a id="page415" name="page415"></a>(p. 415)</span> et quant à les aller
-chercher au delà, c'est-à-dire en Bohême, c'était un jeu trop
-hasardeux, et qui consistait à prendre pour soi la mauvaise position
-dont ils ne voulaient plus après l'avoir essayée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sa prodigieuse sagacité.</span>
-Il était plus
-vraisemblable que s'ils recommençaient une entreprise sur nos
-derrières, ce serait plus en arrière encore, c'est-à-dire par la
-grande route de Commotau sur Leipzig, et l'apparition de quelques
-coureurs dans cette direction, signalée depuis deux ou trois jours,
-portait déjà Napoléon à le penser, ce qui prouvait, comme on le verra
-bientôt, sa profonde sagacité. Du reste il répéta qu'il se réjouirait
-fort d'avoir encore une fois l'armée de Bohême sur les bras, entre
-Dresde et Péterswalde, mais qu'il n'osait s'en flatter, qu'il était
-venu pour cela, que ses réserves étaient en marche, qu'elles seraient
-le lendemain matin à Dresde, le lendemain soir à Mugeln, et qu'on
-agirait suivant les circonstances.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Avis du maréchal Saint-Cyr.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr parut être d'un autre avis. Il croyait, lui, à
-une attaque déterminée du prince de Schwarzenberg, à en juger par la
-vigueur avec laquelle les divisions du 14<sup>e</sup> corps avaient été
-poussées depuis deux jours, et il était étonné surtout de voir ce
-prince s'avancer si près de Dresde, si c'était pour une simple
-démonstration. Il soutenait, comme il l'avait déjà fait, que c'était
-vers la Bohême que Napoléon devait chercher à gagner une grande
-bataille, qu'elle serait là plus décisive à cause de la présence des
-souverains, dont il importait d'ébranler le courage; à quoi Napoléon
-répondait avec raison qu'il la trouverait bonne partout, meilleure
-sans doute contre les souverains réunis, mais qu'il ne <span class="pagenum"><a id="page416" name="page416"></a>(p. 416)</span>
-dépendait pas de lui de l'avoir où il la désirait, et qu'il la
-livrerait là où la fortune voudrait bien la lui offrir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Séparation des Autrichiens d'avec les Prussiens et les
-Russes.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr était encore fort préoccupé d'une idée, celle-ci
-très-juste quoique bien peu vraisemblable. C'est qu'en ce moment les
-Autrichiens s'étaient séparés des Prussiens et des Russes, car on ne
-voyait devant soi que de ces derniers, sans un seul détachement
-autrichien. Dans ce cas, au lieu de 140 ou 150 mille hommes, c'étaient
-tout au plus 80 ou 90 mille auxquels on aurait affaire, et l'occasion
-était belle pour se jeter sur les coalisés et les accabler. Il y avait
-là cependant une contradiction singulière, car la séparation des
-coalisés excluait l'idée d'une tentative sérieuse sur Dresde, et
-Napoléon croyait plutôt que si les Autrichiens s'étaient éloignés,
-c'était pour préparer une marche ultérieure sur Leipzig, en se portant
-vers les directions qui pouvaient y conduire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Accord de Napoléon et du maréchal Saint-Cyr sur la conduite
-à tenir.</span>
-Ces raisonnements entre
-deux militaires si compétents, révélant si bien au milieu de quelles
-obscurités un général en chef est obligé de se diriger, n'importaient
-nullement quant à la conduite à tenir, puisqu'on était d'accord si
-l'armée de Bohême voulait s'y prêter, d'avoir tout de suite une grosse
-affaire avec elle, et qu'on n'était même empêché de l'entreprendre sur
-l'heure que par l'absence des réserves occupées à franchir l'espace
-entre Bautzen et Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon retourne à Dresde pour donner des ordres pendant
-que ses troupes marchent sur Pirna.</span>
-Napoléon quitta le maréchal Saint-Cyr pour
-retourner encore le jour même à Dresde, où il avait des ordres de tout
-genre à donner à ses divers corps d'armée. Il fut convenu qu'au
-premier mouvement <span class="pagenum"><a id="page417" name="page417"></a>(p. 417)</span> de l'ennemi le maréchal lui enverrait un
-officier pour le prévenir<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Lien vers la note 19"><span class="smaller">[19]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficultés du commandement en chef, révélées par
-l'obscurité qui enveloppe ici les projets de l'ennemi.</span>
-Pour mieux apprécier la difficulté du commandement, il faut savoir
-qu'en ce moment Napoléon et le maréchal avaient raison l'un et
-l'autre, et l'un contre l'autre. Voici ce qui s'était passé en effet
-du côté des coalisés. À la première nouvelle venue de Dresde d'une
-marche de Napoléon en Lusace, les Autrichiens avaient exécuté un
-mouvement rétrograde, correspondant en Bohême à celui que Napoléon
-exécutait en Lusace, et avaient repassé l'Elbe derrière le rideau des
-montagnes, entre Tetschen et <span class="pagenum"><a id="page418" name="page418"></a>(p. 418)</span> Leitmeritz. Ce mouvement avait
-un double but, premièrement de pourvoir aux cas imprévus, à celui
-notamment d'une opération de Napoléon sur Prague, secondement de se
-remettre quelque peu de la rude secousse essuyée par l'armée
-autrichienne dans la bataille de Dresde. On avait laissé les Russes et
-les Prussiens sur la grande route de Péterswalde, afin d'y rappeler
-Napoléon par de fortes démonstrations, de dégager ainsi l'armée de
-Silésie contre laquelle il marchait, et de continuer le plan convenu à
-Trachenberg, de se montrer fort entreprenant là où il ne serait pas,
-très-prudent là où il <span class="pagenum"><a id="page419" name="page419"></a>(p. 419)</span> serait, jusqu'au moment où après
-l'avoir épuisé en courses inutiles, on trouverait moyen de l'accabler.
-Wittgenstein et Kleist, qui commandaient les Russes et les Prussiens
-sous Barclay de Tolly, et qui étaient pleins d'ardeur, n'avaient pas
-exécuté à demi les démonstrations dont ils étaient chargés, avaient
-attaqué à fond les quatre divisions du maréchal Saint-Cyr, au point
-qu'il avait fallu à celui-ci toute sa tenue, tout son talent dans la
-guerre défensive, pour s'en tirer sans échec. Pendant que les corps
-russes et prussiens bataillaient ainsi à Péterswalde, Klenau encore
-tout ébranlé des coups reçus <span class="pagenum"><a id="page420" name="page420"></a>(p. 420)</span> à Dresde, était entre Commotau
-et Chemnitz occupé à se refaire, envoyait des partisans soit à Zwickau
-soit à Chemnitz, et préparait de la sorte l'opération décisive que les
-coalisés, sans l'oser tenter encore, méditaient toujours sur nos
-derrières, mais cette fois dans la direction de Leipzig, et non plus
-dans celle de Dresde.</p>
-
-<p>Napoléon avait donc raison quand il croyait qu'on ne songeait pas à
-une seconde attaque sur Dresde, et qu'une nouvelle marche sur nos
-derrières, si elle avait lieu, s'essayerait plus loin, c'est-à-dire
-par Leipzig; et le maréchal Saint-Cyr se trompant sur ces points,
-avait raison de penser que les Russes et les Prussiens étaient
-actuellement séparés des Autrichiens, et que ce pouvait être une bonne
-occasion de les assaillir.
-<span class="sidenote" title="En marge">Attente des nouveaux mouvements de l'ennemi, pour se jeter
-sur lui dès qu'il donnera prise.</span>
-Napoléon n'objectait rien à cette dernière
-opinion, et disait très-sensément que quelle que fût la vérité sur
-tout cela, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était d'attendre la
-journée du 8, pour voir comment se comporterait l'ennemi, et pour
-donner à la garde et à la cavalerie de réserve le temps d'arriver. Il
-est rare, surtout lorsque la situation prête à des suppositions
-contraires, qu'il n'y ait qu'une conduite à tenir. C'était le cas ici,
-et Napoléon était retourné le 7 au soir à Dresde, prêt à revenir de sa
-personne au premier signal, mais dans l'intervalle voulant veiller aux
-mouvements de ses innombrables corps d'armée. En effet, tandis qu'il
-était aux aguets pour saisir en faute l'armée de Bohême, il se passait
-de nouveaux événements sur ses ailes.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement du maréchal Ney pendant que Napoléon s'était
-dirigé de nouveau sur Bautzen.</span>
-On se souvient sans doute qu'en partant de Dresde, <span class="pagenum"><a id="page421" name="page421"></a>(p. 421)</span> d'abord
-pour se diriger sur Hoyerswerda, puis pour se rabattre sur Bautzen,
-Napoléon avait donné au maréchal Ney rendez-vous à Baruth, dans
-l'intention de se réunir à lui, soit pour appuyer son mouvement sur
-Berlin, soit pour y marcher lui-même. Ramené sur Dresde par
-l'apparition des têtes de colonnes de Kleist et de Wittgenstein, il ne
-croyait guère, comme on vient de le voir, à leur intention sérieuse de
-s'engager encore une fois sur les derrières de cette capitale; il
-songeait donc dès qu'il serait entièrement rassuré à cet égard, à
-reprendre ses projets sur Berlin, et il était impatient de savoir ce
-que le maréchal Ney aurait fait de ce côté.</p>
-
-<p>Ce maréchal, envoyé pour prendre le commandement des mains du maréchal
-Oudinot, était arrivé le 3 septembre à Wittenberg, jour même où
-Napoléon s'acheminait sur Bautzen, et voulant se mettre en marche dès
-le 5 au plus tard, il avait passé la revue de ses trois corps d'armée,
-qui depuis l'échec de Gross-Beeren avaient beaucoup perdu en matériel,
-en force numérique, en dispositions morales.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Force des 4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps, depuis leur retour sur
-l'Elbe.</span>
-Le matériel, on l'avait remplacé au moyen du vaste dépôt de
-Wittenberg; la force numérique, on n'avait pas pu la rétablir, car une
-douzaine de mille hommes étaient les uns morts ou blessés sur le champ
-de bataille de Gross-Beeren, les autres dispersés sur les routes dans
-un état de complète débandade. On avait ramassé ceux d'entre eux qui
-étaient Français, et on leur avait remis un fusil à l'épaule, mais
-c'était le moindre nombre, et c'est tout au plus si les trois corps
-d'armée, la cavalerie <span class="pagenum"><a id="page422" name="page422"></a>(p. 422)</span> du duc de Padoue comprise, présentaient
-en ligne 52 mille hommes, au lieu des 64 mille qu'ils comptaient à la
-reprise des hostilités. Quant aux dispositions morales, ils n'avaient
-plus cette aveugle confiance en eux-mêmes que les journées de Lutzen
-et de Bautzen leur avaient inspirée, et que le premier échec essuyé
-venait d'ébranler profondément.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions des chefs.</span>
-Les chefs n'étaient pas satisfaits. Le
-maréchal Oudinot, quoique ayant désiré d'être exonéré du commandement,
-ne pouvait pas voir avec plaisir l'envoi du maréchal Ney, qui semblait
-être une condamnation de sa conduite. Le général Reynier mécontent du
-maréchal Oudinot, tout prêt à l'être du maréchal Ney, joignant à sa
-propre humeur celle des Saxons qu'il commandait, ne pouvait pas être
-un lieutenant animé de bien bonne volonté, quoique toujours disposé à
-faire son devoir sur le champ de bataille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Ney ayant ordre de se rendre à Baruth, passe
-ses corps en revue le 4 septembre, et annonce leur départ pour le 5.</span>
-Le général Bertrand enfin,
-invariablement dévoué au service de l'Empereur, était celui duquel le
-maréchal Ney avait le moins à craindre, bien qu'il eût espéré une
-position plus indépendante que celle qui lui était échue. Du reste, le
-maréchal Ney, n'ayant presque jamais exercé le commandement en chef,
-quoique ayant eu sous ses ordres directs de nombreux rassemblements de
-troupes, ne regardant guère à ses instruments et tout pressé de les
-employer, passa ses corps en revue le 4, et leur annonça qu'on
-partirait le lendemain 5. Ayant rendez-vous à Baruth, il devait se
-porter de Wittenberg à Juterbock, et pour cela se glisser en quelque
-sorte de gauche à droite, afin de se dérober à l'armée ennemie qui
-était tout entière devant Wittenberg, <span class="pagenum"><a id="page423" name="page423"></a>(p. 423)</span> pourvue d'une immense
-cavalerie et ayant ainsi des yeux partout.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Adroite man&oelig;uvre de Ney, qui défile avec son centre et
-sa gauche derrière sa droite immobile, pour se porter de Wittenberg à
-Zahne.</span>
-L'armée française était rangée en demi-cercle devant Wittenberg, le
-7<sup>e</sup> corps (celui du général Reynier) à gauche, le 12<sup>e</sup> (celui du
-maréchal Oudinot) au centre, le 4<sup>e</sup> (celui du général Bertrand) à
-droite. On était tellement serré par l'armée du Nord que les
-avant-postes étaient sans cesse aux prises. Le maréchal Ney agissant
-ici avec beaucoup d'adresse, laissa sa droite formée par le 4<sup>e</sup> corps,
-en présence de l'ennemi toute la matinée du 5, et commença le
-mouvement projeté par son centre composé du 12<sup>e</sup> corps. Il le porta
-dans la direction de Zahne en passant derrière sa droite, et vint
-enlever Zahne au corps prussien de Tauenzien. Il y avait une petite
-rivière à franchir au bourg même de Zahne; on la força malgré quelque
-résistance, et on déboucha au delà. Le 7<sup>e</sup> qui formait la gauche
-suivit le 12<sup>e</sup>, dont il appuya les efforts sur Zahne, et quand ils
-eurent défilé tous deux, le 4<sup>e</sup>, ayant suffisamment occupé l'ennemi,
-leva son camp à son tour, et se réunit au reste de l'armée, qui en un
-jour se trouva ainsi rendue à Seyda, à cinq lieues sur la droite de
-Wittenberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité où était Ney pour se porter à Baruth d'exécuter
-un mouvement de flanc continuel avec 50 mille hommes contre 80 mille.</span>
-Ce mouvement, lestement et bravement exécuté, nous avait
-coûté un millier d'hommes, mais en avait coûté le double aux
-Prussiens. Toutefois il s'agissait de savoir, si précédés, côtoyés,
-suivis par une innombrable cavalerie, observés dans tous nos
-mouvements, il nous serait possible de continuer cette marche de flanc
-sans être assaillis par l'ennemi, et frappés dans le flanc même que
-nous lui présentions inévitablement.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page424" name="page424"></a>(p. 424)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Ney se décide sans faire d'objections à exécuter
-immédiatement les ordres de Napoléon.</span>
-Si Napoléon avait formé des généraux en chef au lieu de former
-d'admirables lieutenants, seule espèce d'élèves qui pussent sortir de
-son école puisqu'il ne leur permettait jamais d'être autre chose, il
-n'aurait pas été exposé à voir ses ordres interprétés comme ils le
-furent en cette occasion. Bien qu'il eût prescrit au maréchal Ney de
-se porter à Baruth, ce qui impliquait absolument la nécessité d'un
-mouvement de flanc en présence de l'ennemi, le maréchal, moins soumis,
-eût plutôt différé l'exécution de ces ordres que de s'exposer aux
-chances d'une bataille générale, livrée dans une position fausse et
-contre des forces infiniment supérieures. Mais le maréchal Ney,
-habitué à ne pas même examiner la valeur des ordres de Napoléon, ne
-songeant qu'à s'y conformer ponctuellement et habilement, rendu plus
-confiant encore par son heureuse opération du 5, continua son
-mouvement de gauche à droite sans aucune hésitation.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche sur Juterbock.</span>
-Le 6 il fallait percer sur Juterbock, après quoi on n'avait plus
-qu'une marche à exécuter pour être à Baruth.
-<span class="sidenote" title="En marge">Circonstances fâcheuses qui viennent aggraver la situation
-dans la journée du 6.</span>
-Le maréchal Ney décida
-que le général Bertrand, qui continuait à former avec le 4<sup>e</sup> corps la
-droite de l'armée, et qui avait été le moins engagé la veille,
-partirait le premier vers huit heures du matin pour se diriger sur
-Juterbock, que le général Reynier suivrait avec le 7<sup>e</sup>, le maréchal
-Oudinot avec le 12<sup>e</sup>. L'ennemi étant si averti et si rapproché, il eût
-été à propos de marcher en masse, parfaitement serrés les uns aux
-autres, surtout en opérant un mouvement de flanc et de jour avec
-cinquante mille hommes contre quatre-vingt mille. Mais les trois
-<span class="pagenum"><a id="page425" name="page425"></a>(p. 425)</span> corps étaient à une distance de deux heures les uns des
-autres, et par surcroît de malheur ils cheminaient dans une plaine
-sablonneuse, et par un vent qui soulevait des nuages d'une poussière
-épaisse, tout à fait impénétrable à la vue.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Possibilité d'échapper à l'ennemi, en arrivant à Dennewitz
-avant lui.</span>
-De huit heures à midi, on s'avança toujours harcelés en flanc par une
-nombreuse cavalerie que la nôtre avait la plus grande peine à
-contenir. Que Bernadotte fût instruit de notre projet, qu'il se fût
-ébranlé en masse pour nous barrer le chemin de Juterbock, il n'était
-pas possible d'en douter d'après la direction qu'il avait prise et
-d'après le nombre de ses cavaliers. Mais si on parvenait au défilé de
-Dennewitz qu'il fallait absolument franchir avant que l'ennemi y fût
-en masse, on pouvait très-bien forcer le passage et arriver les
-premiers à Juterbock. Alors toute l'armée française était hors de
-péril, et le prince de Suède était réduit à la suivre en queue, sans
-espérance de l'atteindre.</p>
-
-<p>Vers midi on fut tout à coup assailli par la mitraille, partie du
-milieu d'un nuage de poussière. On était sans le savoir en présence du
-corps de Tauenzien, que la veille on avait poussé devant soi, qu'on
-avait devant soi encore, et on touchait au défilé de Dennewitz, seul
-obstacle un peu difficile à surmonter dans le parcours de cette vaste
-plaine. Voici en quoi ce défilé consistait.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille de Dennewitz.</span>
-Transversalement devant nous coulait un ruisseau peu profond, mais
-très-marécageux, allant de Niedergörsdorf à Juterbock, et qu'on ne
-pouvait franchir qu'à deux endroits, à Dennewitz et à Rohrbeck. Ce
-ruisseau, après avoir coulé de notre gauche à notre <span class="pagenum"><a id="page426" name="page426"></a>(p. 426)</span> droite,
-parvenu à Rohrbeck se détournait pour percer droit devant nous jusqu'à
-Juterbock, petite ville devant laquelle il coulait en décrivant divers
-contours. La grande route dont nous avions indispensablement besoin
-pour nos parcs dans cet océan de sable, traversant Dennewitz, il
-fallait forcer le passage à Dennewitz même. Le général Bertrand attiré
-par la mitraille accourut, et le nuage de poussière s'étant un moment
-dissipé, il reconnut les Prussiens. Il sentit qu'il fallait les
-culbuter, et passer malgré eux ce défilé de Dennewitz. Le maréchal Ney
-accouru à son tour, vit bien qu'il n'y avait pas autre chose à faire,
-et il en donna l'ordre immédiatement.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Les trois corps ne marchant pas assez près les uns des
-autres, le 4<sup>e</sup> arrive le premier.</span>
-La division italienne Fontanelli marchait en tête. Son général suivi
-de quelques bataillons entra dans Dennewitz en passant sur le corps
-d'un détachement prussien, et franchit ainsi le ruisseau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position prise par le 4<sup>e</sup> corps au delà du ruisseau de
-Dennewitz.</span>
-Mais ce
-n'était pas dans le village même de Dennewitz, c'était au delà, dans
-d'assez belles positions s'étendant en face de notre gauche, que
-l'ennemi avait résolu de résister, en nous opposant ce qu'il avait de
-forces actuellement réunies. Heureusement il n'y avait de présent sur
-les lieux que le corps de Tauenzien; celui de Bulow s'avançait en
-toute hâte, les Suédois et les Russes faisaient aussi grande
-diligence, mais ils étaient plus loin encore. Si de leur côté tous les
-corps français précipitaient leur marche, il se pouvait qu'ils
-arrivassent à temps pour traverser le défilé en écrasant Tauenzien,
-peut-être Bulow lui-même.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Long combat soutenu en avant de Dennewitz par les divisions
-Morand et Fontanelli.</span>
-À peine la division italienne avait-elle dépassé <span class="pagenum"><a id="page427" name="page427"></a>(p. 427)</span> le village
-de Dennewitz, que des milliers de cavaliers avec beaucoup d'artillerie
-fondirent sur elle. Mais elle ne se laissa point ébranler. À la sortie
-de Dennewitz nous étions dans une plaine bordée à l'horizon par des
-bois, et terminée à gauche par quelques mamelons surmontés d'un
-moulin. À droite, dans le lointain, on apercevait Juterbock. Ney,
-toujours fort habile sur le terrain, dirigea lui-même toutes les
-dispositions. À gauche il plaça près du moulin de Dennewitz la belle
-division Morand, dont le général Morand doublait la valeur par sa
-présence, au centre la division italienne, à droite dans la direction
-de Juterbock la division wurtembergeoise. Notre artillerie bien postée
-sur les parties saillantes du terrain, contint celle de Tauenzien, et
-réussit même à la faire taire. Alors la cavalerie ennemie
-très-nombreuse se jeta sur la nôtre, qui rendit la charge, mais fut
-culbutée. Quelques-uns même de nos escadrons vivement poursuivis, se
-précipitèrent à travers les intervalles des bataillons italiens, qui
-n'osèrent tirer de peur de tirer sur les nôtres. Deux de ces
-bataillons se privant ainsi de leurs feux furent renversés par la
-cavalerie ennemie, ce qui amena quelque désordre dans notre ligne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Belle conduite du général Morand.</span>
-À ce spectacle, le général Morand prit deux bataillons du 13<sup>e</sup>, se porta
-en avant à gauche, et couvrant notre ligne ébranlée lui donna le temps
-de se remettre. Toute la cavalerie prussienne et russe fondit sur lui,
-mais il la reçut en carrés, et rendit impuissants tous ses efforts.
-Cependant il aurait fallu que nos corps arrivassent, car ceux de
-l'ennemi approchaient, et déjà du village de Niedergörsdorf, <span class="pagenum"><a id="page428" name="page428"></a>(p. 428)</span>
-situé au-dessus de Dennewitz, on voyait déboucher le corps de Bulow,
-fort de vingt-cinq mille Prussiens très-animés.
-<span class="sidenote" title="En marge">La plus grande partie de l'armée prussienne réunie contre
-le 4<sup>e</sup> corps, tandis que le 7<sup>e</sup> et le 12<sup>e</sup> sont encore en marche.</span>
-Le général Bulow,
-comme à Gross-Beeren, devançant les ordres de Bernadotte, avait marché
-en toute hâte, et ses têtes de colonnes apparaissaient vers notre
-gauche, tandis que sur nos derrières on n'apercevait encore ni Reynier
-ni Oudinot. Bientôt les colonnes de Bulow débouchant de
-Niedergörsdorf, rencontrèrent les deux bataillons du 13<sup>e</sup>, que Morand
-avait postés sur une éminence à gauche pour servir d'appui à notre
-ligne de bataille. Ces deux bataillons tinrent ferme, mais accablés
-par le nombre, ils furent forcés de céder le terrain sur lequel ils
-étaient établis. Notre artillerie de 12 placée un peu en arrière et
-au-dessus, les protégea en accablant les Prussiens de mitraille. Ney,
-de général en chef devenu général de division, prit deux bataillons du
-8<sup>e</sup>, appartenant également à la division Morand, les porta en avant,
-et reconquit le terrain qu'avaient cédé malgré eux les deux bataillons
-du 13<sup>e</sup>. En même temps il dépêcha officiers sur officiers à Reynier et
-à Oudinot pour presser leur arrivée. Le corps entier de Bulow se
-déploya, mais la division Morand successivement engagée tint tête à
-toutes les forces de l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps se maintient vaillamment dans la position
-qu'il a prise.</span>
-Pressée par des flots de cavalerie,
-elle les reçut en carrés, et se fit autour d'elle un rempart de
-cavaliers ennemis, tués ou démontés. Le combat se soutint ainsi avec
-quinze mille hommes contre près de quarante.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Causes de la lente arrivée des 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps.</span>
-Commencée à midi, il y avait trois heures que cette lutte inégale
-durait avec des chances variées, <span class="pagenum"><a id="page429" name="page429"></a>(p. 429)</span> sans qu'on pût nous faire
-abandonner le débouché conquis au delà du ruisseau de Dennewitz.
-Cependant on apercevait distinctement l'armée russe et suédoise
-s'avançant à marches forcées sur le village de Gölsdorf situé à notre
-gauche, en deçà du ruisseau que nous avions franchi, et faisant avec
-ce ruisseau un angle droit. Bulow y avait déjà un détachement, et si
-le progrès de l'ennemi continuait, la communication pouvait être
-coupée entre nos troupes engagées, et celles qui étaient encore en
-route. Reynier et Oudinot que Ney avait eu le tort de laisser à une
-trop grande distance de Bertrand, entendant le canon, mais l'ayant
-entendu de même la veille, et enveloppés par un nuage de poussière qui
-leur dérobait la vue des objets, ne s'étaient pas crus obligés de
-doubler le pas. Avertis enfin, ils s'étaient hâtés davantage, et le
-7<sup>e</sup> devançant le 12<sup>e</sup>, était venu diminuer l'inégalité de forces sous
-laquelle le 4<sup>e</sup> corps avait failli succomber.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 7<sup>e</sup>, arrivé en ligne, se place en potence sur la gauche
-du 4<sup>e</sup>.</span>
-D'après l'ordre de Ney, qui lui avait enjoint de se former en potence
-sur notre gauche pour contenir Bulow, et faire face aux Suédois et aux
-Russes qui s'approchaient, Reynier retardé un moment par les bagages
-du 4<sup>e</sup> corps, poussa en avant la division française sur laquelle il
-comptait le plus, celle de Durutte, et l'établit en arrière de
-Dennewitz, en deçà du ruisseau. Cette division placée là sur une
-légère éminence pouvait faire un grand usage de son artillerie, et
-elle n'y manqua point. Reynier dirigea la division saxonne Lecoc sur
-Gölsdorf, et tint en réserve sa seconde division saxonne, celle de
-Lestoc. À peine ces dispositions étaient-elles exécutées, <span class="pagenum"><a id="page430" name="page430"></a>(p. 430)</span>
-que le général Durutte, se portant au sommet de l'angle décrit par
-notre ligne, arrêta court les Prussiens qui débouchaient de
-Niedergörsdorf. De son côté la brigade Mellentin de la division
-saxonne Lestoc, pénétra dans Gölsdorf, en chassa les Prussiens, et
-empêcha ainsi l'ennemi de s'établir sur notre gauche. Le combat se
-soutint de la sorte avec acharnement au milieu de nuages de poussière
-qui ne laissaient voir autre chose que les troupes qu'on avait
-immédiatement devant soi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée du 12<sup>e</sup> corps.</span>
-Enfin Oudinot arriva, passa derrière les corps qui l'avaient précédé,
-et apercevant l'orage qui nous menaçait à gauche, car de ce côté
-quarante mille Suédois et Russes marchaient sur Gölsdorf, plaça deux
-de ses divisions derrière les Saxons de Lestoc, et garda la troisième
-en réserve.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il se place derrière le 7<sup>e</sup> pour soutenir notre gauche qui
-est menacée par 40 mille Russes et Suédois.</span>
-Grâce à ce renfort, et sauf accident, il était possible
-encore que les 50 mille soldats de Ney tinssent tête aux 80 mille
-ennemis qu'ils avaient sur les bras, et qu'ils parvinssent à gagner
-Juterbock sans échec.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps, affaibli par une longue lutte, est obligé de
-céder du terrain.</span>
-Mais en ce moment un effort combiné de Tauenzien et d'une moitié de
-Bulow sur le corps de Bertrand affaibli par une longue lutte, obligea
-celui-ci à se replier, et vers quatre heures, ayant déjà perdu plus de
-trois mille hommes, il céda du terrain, non en repassant le ruisseau
-de Dennewitz, mais en appuyant un peu à droite vers Rohrbeck, et en
-restant toujours en avant de ce ruisseau. Ney, trop préoccupé de ce
-qu'il avait sous les yeux, et ne songeant pas assez à l'ensemble de la
-bataille, craignit que Dennewitz ne fût découvert par le mouvement de
-Bertrand, et enjoignit à Reynier de placer la division <span class="pagenum"><a id="page431" name="page431"></a>(p. 431)</span>
-Durutte à Dennewitz même.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ney, pour le remplacer à Dennewitz, ordonne un mouvement de
-gauche à droite, qui amène une sorte de confusion.</span>
-Il ordonna en même temps à Oudinot de se
-reporter de Gölsdorf, où il servait d'appui aux Saxons, à Rohrbeck,
-pour former réserve derrière Bertrand. C'était une double faute, car
-notre droite depuis que Bertrand s'était rapproché de Rohrbeck, était
-moins en danger que notre gauche repliée en potence et menacée par
-l'irruption de quarante mille ennemis. Le général Durutte, sur l'ordre
-transmis par Reynier, quitta avec une de ses deux brigades la bonne
-position où il était en arrière de Dennewitz, passa le ruisseau, et
-s'empara du moulin de Dennewitz abandonné par Bertrand. Sa seconde
-brigade réduite à elle seule ne fut plus suffisante pour garder le
-sommet de notre angle. Au même instant Oudinot quitta le côté gauche
-de cet angle, dont il formait l'appui indispensable, pour se porter
-vers le côté droit. Alors la division prussienne Borstell, appuyée par
-une nuée de cavalerie et toute l'artillerie russe et suédoise, attaqua
-Gölsdorf et l'enleva à la brigade saxonne Mellentin. Oudinot essaya
-bien avant de se retirer d'aider les Saxons à reprendre Gölsdorf, mais
-obligé de continuer son mouvement il les livra bientôt à eux-mêmes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les Saxons se débandent, et il s'ensuit une déroute
-générale.</span>
-Les Saxons qui par honneur s'étaient jusque-là bien comportés, mais
-dans le c&oelig;ur desquels la haine était toujours prête à faire taire
-l'honneur, se croyant abandonnés des Français pour lesquels ils se
-battaient, voyant devant eux s'avancer la masse des Suédois et des
-Russes, commencèrent à reculer. De perfides alarmistes apercevant les
-flots de poussière que les troupes d'Oudinot soulevaient dans leur
-mouvement de Gölsdorf vers Rohrbeck, dirent <span class="pagenum"><a id="page432" name="page432"></a>(p. 432)</span> que c'était la
-cavalerie ennemie qui avait tourné l'armée française. À ce bruit les
-Saxons se débandèrent malgré les efforts de Reynier, désertèrent
-Gölsdorf, laissèrent notre gauche entièrement à découvert, et se
-jetèrent confusément sur Oudinot à travers les rangs duquel ils
-passèrent. Par malheur tous les parcs et bagages s'étaient accumulés
-dans l'intérieur de l'angle formé par notre ligne de bataille. Une
-affreuse confusion se produisit alors, et une véritable déroute
-commença de toutes parts. Néanmoins la division Durutte, contrainte de
-quitter Dennewitz, se retira avec ordre; Oudinot, sur lequel la gauche
-s'était repliée confusément, ne s'ébranla point, et Bertrand put
-repasser sain et sauf au village de Rohrbeck le ruisseau tant disputé.
-Pourtant la bataille était perdue, car on avait cédé le terrain du
-combat, la route de Juterbock était fermée, et dès lors le but était
-manqué. Six à sept mille des nôtres jonchaient la plaine, et huit ou
-neuf du côté de l'ennemi la couvraient également. Mais dix à douze
-mille de nos soldats, surtout les Saxons et les Bavarois, s'enfuyant à
-toutes jambes, s'en allaient dire sur l'Elbe que l'armée française
-était en déroute, et même détruite. Le désordre, fort accru par la
-fâcheuse circonstance d'une poussière épaisse, était tel, que
-plusieurs bataillons saxons entendant galoper autour d'eux, et croyant
-que c'était la cavalerie française, ne se mirent pas en défense, et ne
-s'aperçurent de leur méprise que lorsqu'il n'était plus temps de se
-former en carrés.
-<span class="sidenote" title="En marge">Tristes résultats de la bataille de Dennewitz.</span>
-Quelques-uns furent sabrés, le plus grand nombre
-pris. Pour ceux-ci c'était la délivrance <span class="pagenum"><a id="page433" name="page433"></a>(p. 433)</span> plutôt que la
-captivité, et il faut se plaindre de leur fidélité plus que de leur
-courage, car ils se battirent bien, jusqu'au moment où ils purent nous
-quitter pour aller dans les rangs où les attiraient leurs affections.
-Dans la soirée et le lendemain, il partit la moitié du corps saxon, et
-au moins une portion égale de la division bavaroise. Les Saxons se
-cachant dans les villages n'eurent pas de peine à regagner leur pays,
-qui était près de là. Les Bavarois coururent vers l'Elbe pour
-retourner dans leur patrie en maraudeurs. Il n'y avait plus moyen de
-se replier sur Wittenberg qu'on avait laissé à sept ou huit lieues sur
-la gauche dans la marche de l'armée vers Juterbock, et il n'y avait de
-retraite possible que sur Torgau, qu'on devait rencontrer derrière soi
-en revenant sur l'Elbe. Le maréchal Ney s'y retira donc en assez bon
-ordre, mais après avoir perdu une vingtaine de bouches à feu dont les
-chevaux avaient été tués, et plus de quinze mille hommes, dont la
-moitié au moins se composait de déserteurs. Il était réduit à 32 mille
-combattants environ. Les Italiens nous étaient restés fidèles suivant
-leur coutume, et s'étaient bien battus. Les Wurtembergeois avaient
-conservé leur excellente tenue militaire. Parmi les débandés on
-comptait bien quelques jeunes soldats français, mais en petit nombre,
-et ne s'éloignant guère de l'armée, qui dans ces pays lointains était
-pour eux une véritable patrie.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Amères récriminations entre les chefs de l'armée.</span>
-Le 8 septembre, le maréchal Ney se trouva réuni avec toutes ses
-troupes sous le canon de Torgau. Comme il fallait s'y attendre, une
-aigreur extrême régnait entre les divers états-majors. Ney se
-plaignait <span class="pagenum"><a id="page434" name="page434"></a>(p. 434)</span> de la lenteur de Reynier et d'Oudinot, mais surtout
-du faible concours de Reynier, dont les divisions saxonnes avaient
-lâché pied. Reynier défendant les Saxons, accusait au contraire le
-maréchal Ney d'avoir lui-même tout compromis par une fausse
-man&oelig;uvre, celle qui avait porté les divisions d'Oudinot de gauche à
-droite. Oudinot, le moins aigre des trois, disait qu'il avait marché
-aussi vite qu'on le lui avait prescrit, et rejetait la faute de sa
-lenteur sur le général en chef, qui n'ayant pas su prévoir la
-bataille, n'avait pas dans cette journée tenu ses corps assez
-rapprochés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Véritables causes de la perte de la bataille de Dennewitz.</span>
-Ce qu'il y avait de vrai dans ces tristes récriminations, tout le
-monde peut l'apercevoir par le seul récit des faits qui précèdent. Le
-rendez-vous de Baruth assigné par Napoléon d'une manière générale,
-pris trop à la lettre par le maréchal Ney qui s'était hâté d'exécuter
-un mouvement de flanc hasardeux et infiniment prolongé; ce mouvement
-bien exécuté le premier jour, moins bien le second, et sans les
-précautions suffisantes; la lente arrivée des corps, imputable au
-général en chef, mais un peu aussi aux lieutenants qui auraient dû de
-leur côté prévoir une bataille, et y croire en entendant la canonnade;
-la circonstance fâcheuse du vent et de la poussière qui plaçait entre
-tous les corps un nuage impénétrable à la vue; l'ardeur de Ney au feu,
-qui l'avait porté à s'absorber dans le commandement d'un seul corps au
-lieu de s'occuper de l'ensemble; l'ordre regrettable donné à Oudinot
-de quitter la gauche pour la droite, et enfin le penchant des alliés
-à la débandade, telles avaient été les causes de la <span class="pagenum"><a id="page435" name="page435"></a>(p. 435)</span> perte de
-cette bataille, causes dont quelques-unes étaient sans doute
-accidentelles, mais dont la plupart se rattachaient aux causes
-générales que nous avons signalées tant de fois, et qui menaçaient nos
-affaires d'une ruine prochaine.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ney, retiré à Torgau, adresse de vives instances à Napoléon
-pour être exonéré du commandement.</span>
-Arrivé à Torgau, Ney y trouva ce qu'il appelait une <em>sorte d'enfer</em>.
-Outre le mécontentement des soldats et les récriminations des chefs
-qu'il lui fallait subir, outre la cohue des fuyards qu'il lui fallait
-faire rentrer dans l'ordre, outre la difficulté de pourvoir à tout ce
-qui manquait, surtout à l'approche de l'ennemi déjà presque aux portes
-de Torgau, Ney avait encore la crainte de voir les Saxons s'insurger.
-Peu contenus par Reynier, qui dans sa mauvaise humeur se faisait trop
-leur avocat, ils menaçaient tout haut de défection. On avait ordonné
-de ramener du bétail sur la rive droite de l'Elbe pour former les
-approvisionnements de la place de Torgau, et ceux de l'armée
-elle-même. Les Saxons non-seulement s'y étaient refusés, mais
-s'étaient emparés d'un parc qu'on venait de réunir, et avaient
-distribué les têtes de bétail aux paysans saxons du voisinage. D'une
-pareille désobéissance à une révolte ouverte il n'y avait pas loin. Du
-reste il n'était pas surprenant que dans une armée composée d'éléments
-si divers, deux batailles perdues en douze jours eussent produit cet
-ébranlement moral: il aurait fallu s'étonner au contraire s'il en eût
-été autrement. Ney, comme Macdonald, comme Oudinot, écrivit à
-l'Empereur pour lui demander d'être exonéré du commandement.--J'aime
-mieux, disait-il noblement, être grenadier que général dans de telles
-conditions: je suis prêt à <span class="pagenum"><a id="page436" name="page436"></a>(p. 436)</span> verser tout mon sang, mais je
-désire que ce soit utilement<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Lien vers la note 20"><span class="smaller">[20]</span></a>.--Appuyé sur Torgau et sur l'Elbe,
-Ney pouvait bien empêcher le passage du fleuve quelques jours, il ne
-pouvait pas le disputer longtemps, du moins sans de nouveaux secours,
-surtout contre la réunion de forces qu'il était facile de prévoir vers
-cette partie de notre ligne de défense.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pendant les fâcheux événements qui se passaient entre
-Wittenberg et Torgau, Napoléon revient le 8 septembre au matin à
-Pirna.</span>
-Pendant que ces événements avaient lieu, Napoléon rentré à Dresde le 7
-au soir, avait été rappelé dès le 8 au matin à Pirna, auprès du
-maréchal Saint-Cyr, pour y tenir tête aux Russes et aux Prussiens qui
-paraissaient insister dans leur attaque, au point de rendre
-vraisemblable une entreprise sérieuse. <span class="pagenum"><a id="page437" name="page437"></a>(p. 437)</span> Napoléon aurait bien
-voulu qu'il en fût ainsi, mais, hélas! il ne l'espérait guère. Son
-grand tact militaire ne lui permettait pas de croire que lorsqu'il y
-aurait une opération sérieuse elle pût être tentée sur Dresde, après
-ce qui s'était passé les 26 et 27 août. Il ne croyait donc qu'à une
-simple démonstration; toutefois il était parti pour Pirna avec sa
-garde et une portion de la cavalerie de réserve revenues de Bautzen le
-matin même, et s'était encore transporté auprès du maréchal Saint-Cyr,
-pour combiner avec lui ce qu'il y aurait à faire en cette nouvelle
-occurrence.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Forces réunies par Napoléon en avant de Pirna et de Dohna.</span>
-Les Russes et les Prussiens n'ayant pas aperçu la garde et la réserve
-de cavalerie qui signalaient toujours la présence de l'Empereur,
-avaient persisté dans leur mouvement offensif, et Saint-Cyr, qui en
-rétrogradant était arrivé jusqu'au bord de la petite rivière de la
-Müglitz près de Mugeln, ne voulait pas la repasser. Cette rivière
-coulant des montagnes de Bohême, vient se perdre près de Mugeln dans
-l'Elbe. En la repassant on abandonnait définitivement les hauteurs, et
-on était tout à fait rejeté dans la plaine.
-<span class="sidenote" title="En marge">Projet d'une offensive vigoureuse si l'ennemi tient bon.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr dans
-la vue d'un prochain retour offensif, avait voulu se maintenir au delà
-de la Müglitz et en avait défendu le bord en restant à Dohna. Napoléon
-s'étant rendu sur les lieux le 8 au matin, bien avant les renforts qui
-le suivaient, avait pensé comme le maréchal Saint-Cyr, qu'avec la
-certitude d'être prochainement appuyé le 14<sup>e</sup> corps pouvait, sans
-laisser de réserve, marcher tout entier contre l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">On le pousse toute la journée du 8, sans savoir s'il
-résistera sérieusement le lendemain.</span>
-Sur-le-champ
-en effet trois des divisions du 14<sup>e</sup> corps s'étaient formées en
-<span class="pagenum"><a id="page438" name="page438"></a>(p. 438)</span> colonnes d'attaque et avaient vigoureusement poussé de bas en
-haut les troupes de Wittgenstein et de Kleist. On avait d'un côté sur
-la route de Péterswalde recouvré le plateau de Gieshübel, et de
-l'autre, sur la route de Furstenwalde, refoulé dans la direction de
-Liebstadt les masses qu'on avait devant soi. Toutefois les coalisés
-s'étaient repliés sans précipitation, et de manière à laisser du doute
-sur l'attitude qu'ils prendraient le lendemain. Se retireraient-ils,
-ou tiendraient-ils ferme? Telle était la question que Napoléon et le
-maréchal Saint-Cyr n'étaient point en mesure de résoudre encore. Bien
-décidés du reste à marcher vigoureusement sur l'ennemi s'il voulait
-tenir le lendemain, ils passèrent la soirée ensemble, et firent avec
-Murat et Berthier un repas, comme on les fait à la guerre et pour
-ainsi dire au bivouac.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Sang-froid de Napoléon en apprenant la malheureuse bataille
-de Dennewitz, et son indulgence pour le maréchal Ney.</span>
-Dans ce moment, 8 au soir, un aide de camp apporta la nouvelle de la
-bataille perdue à Dennewitz le 6. C'était le quatrième événement
-malheureux depuis les deux grandes victoires de Dresde, car nous
-comptions déjà la Katzbach, Gross-Beeren, Kulm, Dennewitz, sans un
-seul succès pour compenser ces coups redoublés de la fortune. Ce
-dernier surtout avait une immense gravité, car outre l'effet moral
-croissant avec la série des malheurs, il mettait en péril la partie
-inférieure de l'Elbe, et nous exposait à voir ce fleuve franchi sur
-notre gauche, tandis que l'armée de Bohême descendant de l'Erz-Gebirge
-sur notre droite, menacerait de nous tourner définitivement, et de se
-joindre au corps qui aurait passé l'Elbe à Wittenberg. Napoléon
-sentit sur-le-champ <span class="pagenum"><a id="page439" name="page439"></a>(p. 439)</span> la portée de cet événement. Néanmoins il
-demeura calme, et même, aux yeux malicieusement observateurs du
-maréchal Saint-Cyr, ne décela ni un trouble ni un sentiment d'humeur
-contre le maréchal Ney.
-<span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien avec le maréchal Saint-Cyr sur l'art de
-la guerre.</span>
-Certes un instant d'emportement eût été
-excusable; pourtant dans cet épanchement familier de militaires
-parlant entre eux de leur profession, il sembla n'envisager dans ce
-qui venait d'arriver que le côté de l'art.--C'est un métier bien
-difficile que le nôtre! s'écria-t-il plusieurs fois; et comme pénétré
-des difficultés de ce grand art, le plus grand de tous après celui de
-gouverner, il releva avec une admirable précision de critique, et sans
-aucune sévérité, les fautes commises pendant cette courte campagne de
-trois jours, commencée à Wittenberg, et sitôt finie à Torgau. Il ne
-voulut jamais voir dans ces fautes que la preuve des difficultés
-inhérentes au métier, répéta souvent que la guerre était une chose
-singulièrement difficile, qu'il fallait beaucoup d'indulgence envers
-ceux qui la pratiquaient, et se montra lui-même de la plus rare
-équité, comme si un pressentiment surhumain l'avait averti dans le
-moment, que lui-même aurait bientôt besoin de cette justice indulgente
-qu'il réclamait pour les généraux malheureux. Entraîné par le feu de
-la conversation, dans laquelle il était éblouissant quand il s'y
-livrait, il dit que les généraux n'apportaient pas assez de réflexion
-dans leurs opérations; que, s'il en avait jamais le temps, il
-composerait un jour un livre, dans lequel il leur enseignerait les
-principes de la guerre, de manière à en rendre l'application claire
-et facile à tous, et parla de ce projet d'écrire un <span class="pagenum"><a id="page440" name="page440"></a>(p. 440)</span> jour,
-comme s'il avait prévu qu'il passerait les six dernières années de sa
-vie dans un cruel exil, réduit à écrire sur un rocher de l'Océan! Le
-maréchal Saint-Cyr, que son penchant pour la contradiction rendait
-souvent paradoxal, nia la science, même l'expérience, soutint qu'on
-naissait général et qu'on ne le devenait pas, que les généraux
-gagnaient peu à vieillir dans l'exercice de leur profession, et que
-lui Napoléon avait fait sa plus belle campagne à vingt-six ans.
-Napoléon lui concéda en effet que lorsque les généraux n'étaient pas
-doués par la nature de certaines facultés, l'expérience leur profitait
-peu; et plongeant dans le passé, Il n'y en a eu qu'un, s'écria-t-il,
-qui méditant sans cesse sur son métier, ait gagné à vieillir, c'est
-Turenne!...--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Prodigieuse faculté de se distraire dont Napoléon était
-doué.</span>
-Ainsi après une nouvelle terrible, qui changeait considérablement sa
-position, Napoléon passa la soirée à disserter sur son art, et à
-charmer ses auditeurs, qui n'étaient pourtant pas tous bienveillants!
-Homme singulier et prodigieux, qui sans être né flegmatique, arrivait
-par la puissance de son esprit à s'arracher aux affaires présentes, à
-les oublier, à les dédaigner, à les juger de la hauteur de l'aigle,
-qui d'un vol vigoureux échappe à la terre pour planer dans les
-hauteurs du ciel!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Premier sentiment de la gravité de la situation.</span>
-Cependant il ne se faisait pas illusion, et songeant que dans son
-vaste empire tout avait été prévu pour la conquête, rien pour la
-défense, il voulut faire parvenir au ministre de la guerre l'ordre
-indirect de s'occuper des places du Rhin. Écrire lui-même au duc de
-Feltre qu'il commençait à douter de la possibilité de se maintenir en
-Allemagne, était un aveu <span class="pagenum"><a id="page441" name="page441"></a>(p. 441)</span> pénible, et surtout dangereux à
-faire, car l'émotion de celui qui recevrait une telle confidence
-pourrait bien en amener la divulgation. Il imagina donc le soir même
-de faire adresser par M. de Bassano au ministre Clarke, une lettre
-écrite en chiffres, et conçue dans les termes suivants:</p>
-
-<p class="date"><span class="sidenote" title="En marge">Ordre secret et indirect au ministre de la guerre, pour la
-mise en état de défense des places du Rhin.</span>
-«8 septembre 1813.</p>
-
-<p>»Les événements se pressent de telle manière qu'en laissant à S. M.
-des chances heureuses et brillantes, il est cependant de la prudence
-d'en prévoir de contraires. Je crois devoir, mon cher duc, m'en
-expliquer confidentiellement avec vous.</p>
-
-<p>»L'armée russe n'est pas notre ennemi le plus dangereux. Elle a
-éprouvé de grandes pertes, elle ne s'est pas renforcée, et, à sa
-cavalerie près, qui est assez nombreuse, elle ne joue qu'un rôle
-subordonné dans la lutte qui est engagée. Mais la Prusse a fait de
-grands efforts. Une exaltation portée à un très-haut degré a favorisé
-le parti qu'a pris le souverain. Ses armées sont considérables, ses
-généraux, ses officiers et ses soldats sont très-animés. Toutefois la
-Russie et la Prusse n'auraient offert que de faibles obstacles à nos
-armées, mais l'accession de l'Autriche a extrêmement compliqué la
-question.</p>
-
-<p>»Notre armée, quelque prix que lui aient coûté les victoires
-remportées, est encore belle et nombreuse. Mais les généraux et les
-officiers fatigués de la guerre n'ont plus ce mouvement qui leur
-avait fait faire de grandes choses. Le théâtre est <span class="pagenum"><a id="page442" name="page442"></a>(p. 442)</span> trop
-étendu. L'Empereur est vainqueur toutes les fois qu'il est présent;
-mais il ne peut être partout, et les chefs qui commandent isolément
-répondent rarement à son attente. Vous savez ce qui est arrivé au
-général Vandamme. Le duc de Tarente a éprouvé des échecs en Silésie,
-et le prince de la Moskowa vient d'être battu en marchant sur Berlin.</p>
-
-<p>»Dans de telles circonstances, mon cher duc, et avec le génie de
-l'Empereur on peut encore tout espérer. Mais il se peut aussi que des
-chances contraires influent d'une manière fâcheuse sur les affaires.
-On ne doit pas trop le craindre, mais on doit le regarder comme
-possible, et ne rien négliger de ce que commande la prudence.</p>
-
-<p>»Je vous présente ce tableau afin que vous sachiez tout et que vous
-agissiez en conséquence.</p>
-
-<p>»Vous feriez sagement de veiller à ce que les places fussent mises en
-bon état, et d'y réunir beaucoup d'artillerie, car nous faisons
-souvent dans ce genre des pertes assez sensibles. Vous devriez vous
-entendre secrètement avec le directeur général des vivres pour faire
-dans les places du Rhin des approvisionnements extraordinaires, enfin
-pour préparer d'avance tout ce qui convient, afin que dans une
-circonstance extraordinaire S. M. n'éprouvât point de nouveaux
-embarras, et que vous ne fussiez pas pris au dépourvu.--Vous sentez
-que si je vous écris ainsi, c'est que j'ai bien réfléchi à ce qui se
-passe sous mes yeux, et que je suis assuré que je ne fais rien en cela
-que S. M. puisse désapprouver. Un grand succès peut tout changer et
-remettre les affaires dans la situation <span class="pagenum"><a id="page443" name="page443"></a>(p. 443)</span> prospère où l'immense
-avantage remporté par S. M. les avait placées.</p>
-
-<p>»Accusez-moi, s'il vous plaît, réception de cette lettre.»</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Matinée du 9 septembre en face du Geyersberg.</span>
-Le lendemain 9 Napoléon se rendit de très-bonne heure sur le terrain
-pour observer de ses yeux les mouvements de l'ennemi, et prescrire ses
-dispositions en conséquence.
-<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des forces de Napoléon.</span>
-Il avait sous la main le 1<sup>er</sup> corps,
-récemment réorganisé par le comte de Lobau, et posté en avant de
-Zehist sur la route de Péterswalde, le 14<sup>e</sup> sous le maréchal Saint-Cyr
-rangé en avant de Dohna, sur la route de Furstenwalde. Il avait un peu
-en arrière à Mugeln, mais en position d'agir, trois divisions de la
-jeune garde sous le maréchal Mortier, et la cavalerie légère de la
-garde sous Lefebvre-Desnoëttes. Le reste de la jeune garde, la vieille
-garde, le corps de Marmont, la cavalerie de Latour-Maubourg, étaient à
-Dresde, pour parer aux accidents imprévus. Assez loin vers la droite,
-à quelques lieues sur la route de Freyberg, le maréchal Victor avec
-son corps d'armée surveillait les débouchés de la Bohême aboutissant à
-Leipzig. Le 1<sup>er</sup> et le 14<sup>e</sup> corps, les trois divisions de la jeune
-garde, pouvaient monter à environ 55 mille hommes, force suffisante
-pour accabler l'ennemi qu'on apercevait, surtout si on avait su que
-les Autrichiens venaient de commettre la faute de rétrograder en
-Bohême jusqu'à Tetschen et Leitmeritz, et qu'on n'avait devant soi que
-Wittgenstein et Kleist. Mais il était impossible de le savoir d'une
-manière sûre, et on en était réduit en ne voyant pas les Autrichiens,
-à se demander où ils pouvaient être. Au surplus Kleist <span class="pagenum"><a id="page444" name="page444"></a>(p. 444)</span> et
-Wittgenstein faisaient bonne contenance, et ne paraissaient pas encore
-disposés à battre en retraite.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Projet de déborder l'ennemi, imaginé par le maréchal
-Saint-Cyr, et adopté par Napoléon.</span>
-On était donc à Zehist et à Dohna sur deux routes à la fois, d'un côté
-celle de Péterswalde qui passait par Zehist, Gieshübel, Péterswalde,
-chaussée neuve, large, partout facile pour l'artillerie, et de l'autre
-celle de Liebstadt, passant par Furstenwalde, chaussée vieille,
-praticable à l'artillerie jusqu'à Furstenwalde seulement, et à partir
-de ce point franchissant la haute montagne du Geyersberg par des
-sentiers inaccessibles aux gros charrois. C'est cette dernière route
-que Kleist dans la fatale journée de Kulm avait suivie jusqu'à
-Furstenwalde, puis avait quittée pour gagner par un détour à gauche la
-chaussée de Péterswalde, et tomber sur Kulm à l'improviste. Le
-maréchal Saint-Cyr qui entendait aussi bien que personne l'art de
-profiter du terrain, proposa de prendre la vieille route de Bohême, en
-se portant rapidement avec le 14<sup>e</sup> corps et la jeune garde sur
-Liebstadt et Furstenwalde, de se jeter ensuite dans le flanc de la
-colonne ennemie qui avait pris la route de Péterswalde, de couper
-ainsi une portion plus ou moins forte de cette colonne, et même
-parvenu à Furstenwalde, de franchir le Geyersberg, et d'intercepter la
-retraite de l'ennemi vers la Bohême. Avec des efforts, avec beaucoup
-de sapeurs, on finirait bien, selon lui, par frayer un chemin à
-l'artillerie, et par arriver sur le revers du Geyersberg, c'est-à-dire
-sur les derrières de l'ennemi, avec une quantité suffisante de canons.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche le 9 sur Furstenwalde.</span>
-Napoléon approuva sur-le-champ ce plan ingénieux, bien qu'il ne sût
-pas si on pourrait passer le <span class="pagenum"><a id="page445" name="page445"></a>(p. 445)</span> Geyersberg avec de l'artillerie;
-mais en tous cas, on avait toujours plus de chances de causer du mal à
-l'ennemi en le côtoyant, qu'en l'abordant directement sur la grande
-route de Péterswalde. En conséquence, tandis que le comte de Lobau
-avec le 1<sup>er</sup> corps s'avançait de Zehist sur Gieshübel, de Gieshübel
-sur Péterswalde, poussant l'ennemi de front, Napoléon se tenant de sa
-personne auprès de la colonne de Saint-Cyr, s'avança latéralement, et
-d'un pas assez rapide, avec le 14<sup>e</sup> corps et la jeune garde. On marcha
-ainsi toute la journée du 9.</p>
-
-<p>Kleist et Wittgenstein, sans avoir aperçu les renforts amenés par
-Napoléon, avaient reconnu sa présence à la seule allure des troupes,
-et s'étaient aussitôt mis en retraite. Toutefois ils se repliaient
-sans précipitation, et Napoléon cheminant parallèlement à eux, sur la
-vieille route de Bohême, les voyait toujours de flanc, et quoiqu'il
-n'eût pas assez d'avance pour les couper en se jetant d'une route sur
-l'autre, se flattait de les prendre à revers le lendemain, s'il
-pouvait, arrivé au pied des montagnes, les franchir avec son
-artillerie. On bivouaqua le 9 au soir à Furstenwalde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Tentative, le 10 au matin, pour passer le Geyersberg avec
-de l'artillerie, et couper la retraite à l'ennemi.</span>
-Le lendemain matin 10 septembre on se porta par Ebersdorf vers un col
-d'où l'on découvrait le triste théâtre des événements de Kulm. À
-droite on avait les hauteurs du Geyersberg, à gauche celles du
-Nollenberg, le long desquelles se développait la grande route de
-Péterswalde pour descendre en Bohême. Napoléon franchit ce col
-accompagné du maréchal Saint-Cyr et de ses troupes légères, et vit à
-une certaine distance sur sa gauche les troupes ennemies <span class="pagenum"><a id="page446" name="page446"></a>(p. 446)</span> se
-hâtant de repasser les montagnes, et menacées d'en être empêchées si
-on parvenait à traverser le col avec des moyens d'artillerie
-suffisants. Alors en prenant une bonne position sur l'une des hauteurs
-qui dominaient la route, on pouvait réduire l'ennemi à faire par des
-sentiers presque impraticables une retraite désastreuse, et se
-procurer une brillante revanche de Kulm.</p>
-
-<p>L'artillerie pleine d'ardeur s'engagea bravement au milieu des
-rochers. Soldats et sapeurs se mirent à l'ouvrage, mais ne purent
-hisser leurs canons jusqu'à la hauteur du col, et l'artillerie se vit
-ainsi arrêtée par des obstacles insurmontables.
-<span class="sidenote" title="En marge">Inutilité de cette tentative.</span>
-Il lui aurait fallu
-vingt-quatre heures pour les vaincre, et dans cet intervalle l'ennemi
-devait avoir défilé tout entier. En ne franchissant le Geyersberg que
-le lendemain, ou en allant par un détour à gauche regagner la route de
-Péterswalde, on aurait pu, il est vrai, serrer les Prussiens et les
-Russes d'assez près pour les atteindre, et les assaillir hardiment si
-on avait su qu'ils étaient séparés des Autrichiens. Mais ce parti
-présentait bien des chances auxquelles la prudence ne permettait pas
-de s'exposer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon, par de fortes raisons ignorées du maréchal
-Saint-Cyr, se décide à rentrer dans Dresde, sans autre résultat que
-d'avoir éloigné l'ennemi.</span>
-En effet, l'absence des Autrichiens n'était qu'une
-conjecture; on ne les avait pas vus de ce côté-ci des montagnes, mais
-ils pouvaient être de l'autre, et ce n'était pas avec 55 mille hommes
-qu'il eût été sage d'en aborder 130 mille. Même sans les Autrichiens,
-Kleist et Wittgenstein devaient avoir près de 70 mille hommes, en
-comptant les gardes russe et prussienne restées au delà des montagnes,
-et quoique avec 55 mille hommes bien postés, on pût leur causer
-beaucoup <span class="pagenum"><a id="page447" name="page447"></a>(p. 447)</span> de dommage, descendre dans la plaine à leur suite
-n'était pas très-prudent, surtout quand on était rappelé vers Dresde
-par plusieurs raisons graves, telles que la bataille perdue de
-Dennewitz, une nouvelle agression de Blucher contre Macdonald, et
-enfin l'apparition de nombreux partisans sur toutes les routes
-aboutissant de la Bohême à la Saxe. Dès qu'il était impossible de
-franchir le Geyersberg dans deux heures pour couper la grande route,
-il n'y avait plus rien d'utile à tenter, et Napoléon qui, saisissant
-d'un coup d'&oelig;il tous les aspects d'une situation, ne perdait pas de
-temps à se résoudre, prit sur-le-champ le parti de s'arrêter.
-Toutefois comme il était importuné de la nouvelle fréquemment répétée
-de l'irruption des partisans en Saxe, il voulut que ses troupes
-restassent en position, le maréchal Saint-Cyr au Geyersberg, le comte
-de Lobau au Nollenberg, l'un et l'autre au débouché des montagnes. Il
-avait l'intention, si ces partisans n'étaient que les avant-coureurs
-de corps plus considérables commençant sur Leipzig une opération qu'il
-avait toujours crue probable, de les retenir quelques jours en les
-intimidant par sa présence au-dessus de Kulm, ce qui lui donnait le
-temps de faire des dispositions proportionnées à ce nouveau danger.</p>
-
-<p>En conséquence, sur ce terrain hérissé de rochers, où les sapeurs et
-les soldats s'épuisaient en inutiles efforts pour faire passer
-l'artillerie, Napoléon prit à part le maréchal Saint-Cyr, et lui
-déclara qu'il renonçait à cette tentative, sans lui exprimer tous ses
-motifs, trop nombreux pour être détaillés, et d'ailleurs pas tous
-bons à dire. Il lui ordonna de se tenir <span class="pagenum"><a id="page448" name="page448"></a>(p. 448)</span> deux jours au moins
-dans une position menaçante au-dessus de T&oelig;plitz, puis il quitta le
-maréchal, qui fut fort étonné et fort mécontent de voir abandonner un
-projet dont il était épris, et dont il espérait de grands
-résultats<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Lien vers la note 21"><span class="smaller">[21]</span></a>. Napoléon alla par Breitenau à Hollendorf, donner les
-mêmes instructions au comte de Lobau, lui prescrire par conséquent de
-garder une attitude menaçante au débouché des montagnes, puis revint
-coucher à Breitenau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Retour de Napoléon à Dresde.</span>
-Il consacra la journée du 11 à revoir toutes les
-positions de cette contrée, tant sur le plateau de Pirna que sur celui
-de Gieshübel, et rentra le 12 à Dresde.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Réflexions auxquelles il se livre sur la gravité de sa
-situation.</span>
-Napoléon revenu à Dresde avait de quoi réfléchir à sa situation, qui
-était grave en effet, et commençait même à devenir inquiétante.
-<span class="sidenote" title="En marge">Évidence du plan des coalisés, consistant à épuiser
-Napoléon, pour l'envelopper ensuite et l'accabler.</span>
-Ce plan adopté à Trachenberg de marcher tous ensemble sur lui, en se
-dérobant dès qu'il était présent, et en avançant résolûment dès qu'on
-ne trouvait que ses lieutenants, de l'épuiser ainsi en courses
-inutiles, et <span class="pagenum"><a id="page449" name="page449"></a>(p. 449)</span> puis quand on l'aurait suffisamment affaibli,
-d'essayer de l'envelopper pour l'étouffer, ce plan, qui exigeait une
-condition parfaitement remplie ici, l'ensemble et la persévérance des
-efforts, la résignation aux pertes quelles qu'elles fussent, ce plan
-n'était que trop évident, et suivi avec une constance funeste.
-Napoléon le discernait à merveille, et sans être découragé, il voyait
-clairement se former autour de lui le cercle de fer dans lequel on
-cherchait à l'enfermer. Quatre batailles avaient été perdues là où il
-n'était point, par les fautes que nous avons signalées, fautes
-remontant accidentellement à ses lieutenants, fondamentalement à lui.
-Ces batailles de la Katzbach, de Gross-Beeren, de Kulm, de Dennewitz,
-avaient dépassé en importance la victoire de Dresde; Napoléon quand il
-avait voulu y remédier, avait inutilement couru ces jours derniers sur
-Gorlitz, aujourd'hui sur Péterswalde, et il avait vu s'échapper sans
-cesse l'occasion d'une <span class="pagenum"><a id="page450" name="page450"></a>(p. 450)</span> grande bataille par laquelle il
-espérait tout réparer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Succès de ce plan, dû surtout à l'étendue que Napoléon
-avait donnée au rayon de ses opérations.</span>
-Cette situation révélait le seul défaut de son
-plan de guerre concentrique autour de Dresde, celui d'en avoir trop
-étendu le rayon, de l'avoir porté à gauche jusqu'à Berlin, en face
-jusqu'à Lowenberg, tandis qu'à droite il était forcé de le pousser
-jusqu'à Péterswalde, ce qui faisait qu'il était trop éloigné de ses
-lieutenants pour les diriger et les soutenir, et que les courses qu'il
-était alternativement obligé d'exécuter lui enlevaient à lui son
-temps, à ses soldats si jeunes la force et le courage. Ce défaut
-Napoléon le sentait maintenant, et contraint par l'évidence, surtout
-par le fâcheux état de ses troupes, il forma le projet de rapprocher
-de lui ses lieutenants. C'est dans ces intentions qu'il s'en revint à
-Dresde, et c'est d'après elles que ses nouveaux ordres furent calculés
-et donnés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Réduction déjà considérable de ses forces, et augmentation
-de celles de ses ennemis.</span>
-Napoléon à la reprise des hostilités avait environ 360 mille hommes de
-troupes actives sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, sans compter ni les
-garnisons de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ni le corps d'Augereau
-destiné à la Bavière, ni le corps du prince Eugène consacré à
-l'Italie. Il ne lui en restait guère plus de 250 mille à la suite des
-événements que nous venons de raconter. Au lieu de 80 mille hommes,
-Macdonald avec les 11<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps, en avait tout au plus 50,
-et avec Poniatowski 60. Au lieu de 70 mille, le corps d'Oudinot
-transmis à Ney n'en conservait pas plus de 32 mille. La cavalerie
-avait déjà perdu beaucoup de cavaliers et de chevaux dans ses allées
-et venues continuelles. Les corps demeurés autour de Dresde avaient
-fait aussi des pertes, <span class="pagenum"><a id="page451" name="page451"></a>(p. 451)</span> moins considérables, il est vrai,
-parce que la débandade, résultat le plus sérieux des défaites, ne les
-avait pas atteints; pourtant ils en avaient fait d'assez notables, et
-le total de nos troupes, comme on vient de le voir, le corps de Davout
-compris, ne dépassait pas 250 mille hommes, lesquels représentaient
-nos forces disponibles de Dresde à Hambourg. C'était donc une perte de
-plus de 100 mille hommes, due au feu, aux fatigues, à la désertion des
-rangs, désertion très-grande chez nos alliés, bien moindre chez les
-Français, et d'une autre nature, mais réelle cependant.
-<span class="sidenote" title="En marge">Disposition à la désertion commençant à se manifester parmi
-ses troupes.</span>
-Les alliés, ou
-passaient à l'ennemi, ou s'enfuyaient chez eux en habits de paysans,
-comme les Saxons et les Bavarois; les Français n'allaient jamais à
-l'ennemi bien entendu, ne cherchaient qu'en petit nombre à regagner le
-Rhin, quoiqu'on aperçût déjà quelques maraudeurs sur la route de
-Mayence, mais erraient sans armes autour de l'armée, épuisant les
-ressources des villages où ils trouvaient un abri. Cette triste
-disposition à se débander, que la fatigue, le froid et surtout la
-faim, avaient développée d'une manière désastreuse dans l'armée de
-Russie, commençait à reparaître dans notre armée d'Allemagne jusqu'à
-donner des inquiétudes, et toute marche nouvelle, tout événement
-incertain, toute défaite surtout, l'aggravaient beaucoup. L'attention
-de Napoléon était à cet égard singulièrement éveillée, et il était
-fort préoccupé entre autres soins de celui des subsistances qui
-devenaient rares, tant il y avait de milliers d'hommes qui depuis le
-mois de mai vivaient autour de Dresde, dans un rayon de vingt-cinq
-lieues.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page452" name="page452"></a>(p. 452)</span> Telles furent les réflexions qui l'assaillirent à son retour
-à Dresde, réflexions dont les maux éprouvés par l'ennemi ne le
-consolaient guère. Si en effet les coalisés avaient essuyé des pertes,
-c'était par le feu, et nullement par la défection ou les privations.
-Une ardeur inouïe chez les Allemands leur amenait à chaque instant de
-nouveaux soldats par les levées de volontaires; de grands efforts
-administratifs de la part des Russes, leur avaient procuré les recrues
-longtemps attendues. On parlait même d'une armée de réserve arrivant
-de Pologne sous le général Benningsen, et les Autrichiens dont les
-rangs s'étaient fort éclaircis à Dresde, en avaient été dédommagés par
-l'achèvement de leurs préparatifs qui à la reprise des hostilités
-n'étaient pas terminés. Les vivres abondaient parmi eux, grâce au
-concours des populations, aux subsides britanniques, et à un
-papier-monnaie soutenu par la bonne volonté universelle. Aussi la
-coalition loin d'avoir moins de soldats qu'elle n'en espérait, en
-avait davantage. Ses effectifs au lieu d'être descendus au-dessous de
-500 mille hommes, approchaient de 600 mille. C'est à cette masse
-formidable que Napoléon devait tenir tête avec 250 mille soldats (220
-mille en retranchant le corps de Davout relégué à Hambourg), jeunes,
-assez fatigués, déjà moins bien nourris qu'au début de la campagne,
-étonnés bien que non découragés par plusieurs échecs consécutifs, et
-du reste quoique comptant un peu moins sur la fortune de leur chef,
-ayant toujours une foi entière en son génie.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon prend le sage parti de resserrer sa position
-autour de Dresde.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Admirables combinaisons imaginées par suite de cette
-résolution.</span>
-Napoléon sans songer encore à évacuer l'Elbe <span class="pagenum"><a id="page453" name="page453"></a>(p. 453)</span> pour le Rhin,
-sacrifice qu'on ne devait pas attendre de lui, sans songer non plus à
-porter le centre de ses opérations à Berlin, vaste projet que deux
-batailles perdues sur la route de cette capitale rendaient désormais
-impraticable, résolut seulement de resserrer sa position autour de
-Dresde, et de s'y concentrer pour avoir moins de chemin à parcourir
-lorsqu'il se porterait sur l'un des points de la circonférence, et
-pour être en mesure, en restreignant le cercle à garder, de réunir
-dans sa main une réserve plus forte.</p>
-
-<p>Le maréchal Macdonald avait été obligé de quitter la Sprée et Bautzen
-par un mouvement que Blucher avait tenté contre Poniatowski, en
-rejetant ce dernier de Zittau sur Rumburg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle position assignée à Macdonald.</span>
-Il était venu se ranger en
-avant de Dresde le long d'une petite rivière, la Wessnitz, qui coule
-transversalement vers cette capitale en décrivant de nombreux
-circuits, et vient un peu à droite tomber dans l'Elbe à la hauteur de
-Pirna. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Napoléon établit le maréchal Macdonald
-avec ses anciens corps et Poniatowski le long de cette rivière ou un
-peu en arrière, Poniatowski (le 8<sup>e</sup>) à Stolpen, Lauriston (le 5<sup>e</sup>) à
-Dröbnitz, Gérard (le 11<sup>e</sup>) à Schmiedefeld, Souham (le 3<sup>e</sup>) à Radeberg.
-Il pouvait en une heure avoir de leurs nouvelles, en deux heures être
-à leur tête, et en six avoir envoyé les quarante mille hommes de la
-garde au secours de celui qui serait attaqué.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Retranchements élevés sur le plateau de Pirna et de
-Berg-Gieshübel pour consolider la position de Saint-Cyr et de Lobau.</span>
-Napoléon s'appliqua en outre à lier la position de Macdonald placé au
-delà de l'Elbe, avec celle du maréchal Saint-Cyr posté en deçà, et
-rien n'égale l'art, la profondeur de calcul avec lesquels il disposa
-<span class="pagenum"><a id="page454" name="page454"></a>(p. 454)</span> toutes choses conformément au but nouveau qu'il se proposait.
-D'abord il ne voulait pas à chaque alternative de ce jeu de
-va-et-vient auquel l'ennemi continuait de se livrer, être forcé
-d'accourir, ce qui était à la fois fatigant et dérisoire, et il prit
-des mesures telles que l'ennemi, s'il descendait encore par
-Péterswalde sur Pirna, fût obligé d'emporter des positions extrêmement
-fortes, dès lors contraint de s'engager sérieusement, auquel cas il
-vaudrait la peine de se déplacer pour avoir affaire à lui. En
-conséquence Napoléon fit retrancher tous les abords des deux plateaux
-de Pirna et de Gieshübel, sur lesquels l'ennemi devait nécessairement
-déboucher en venant de Péterswalde. Le plateau de Pirna supérieur à
-celui de Gieshübel était abordable vers Langen-Hennersdorf. Napoléon y
-ordonna la construction de plusieurs redoutes, et y plaça la 42<sup>e</sup>
-division (Mouton-Duvernet) du corps de Saint-Cyr, laquelle gardait en
-même temps les deux forts de Lilienstein et de K&oelig;nigstein sur
-l'Elbe. Le plateau de Gieshübel était traversé par la route de
-Péterswalde à Gieshübel même: Napoléon y fit construire également de
-nombreuses redoutes, et y envoya les trois divisions du 1<sup>er</sup> corps
-sous le comte de Lobau. Pour mettre de l'unité dans la défense, la
-42<sup>e</sup>, séparée du 14<sup>e</sup> corps auquel elle appartenait, fut rangée sous
-les ordres du comte de Lobau, mais le comte de Lobau lui-même sous
-ceux du maréchal Saint-Cyr, ce qui replaçait tout dans la main de ce
-dernier. Pour le cas où les deux plateaux seraient forcés vers leur
-bord extérieur, Napoléon fit retrancher le château de Sonnenstein à
-l'extrémité du plateau de Pirna, <span class="pagenum"><a id="page455" name="page455"></a>(p. 455)</span> et le Kohlberg à l'extrémité
-de celui de Gieshübel, de façon que l'ennemi eût une seconde ligne
-d'ouvrages défensifs à enlever. Enfin à droite de ces deux positions,
-en face de la vieille route de T&oelig;plitz qui donnait par Liebstadt
-sur Borna, Napoléon posta le maréchal Saint-Cyr avec les trois autres
-divisions du 14<sup>e</sup> corps, et lui prescrivit d'élever des redoutes
-armées d'une puissante artillerie, en sorte qu'une nouvelle tentative
-contre ces positions bien retranchées, et défendues par sept
-divisions, ne pût être désormais une pure feinte.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La garde placée en réserve à Dresde.</span>
-Napoléon prépara en outre une réserve à ces sept divisions, et la fit
-consister en deux divisions de la jeune garde établies dans la ville
-de Pirna. Le reste de la jeune garde et toute la vieille, demeurèrent
-comme d'usage à Dresde. Napoléon ne s'en tint pas à ces précautions.
-<span class="sidenote" title="En marge">Lien secret établi à Pirna entre la position de Macdonald
-et celle de Saint-Cyr.</span>
-Par un calcul des plus savants, il voulut créer un lien secret et
-ignoré entre les deux positions, de Macdonald au delà de l'Elbe, de
-Saint-Cyr en deçà. Il y avait, comme on l'a vu, deux ponts entre les
-forts de K&oelig;nigstein et de Lilienstein; il en fit jeter un troisième
-à Pirna même, de manière que la jeune garde et une portion du corps de
-Saint-Cyr pussent passer l'Elbe à l'improviste, et tomber sur la
-gauche de l'ennemi qui attaquerait Macdonald, et que de son côté
-Poniatowski avec une portion de Macdonald pût venir se ruer sur la
-droite de l'ennemi qui attaquerait Saint-Cyr. Grâce à ces
-combinaisons, Napoléon pouvait espérer de n'avoir plus tant à courir,
-ou du moins de ne plus le faire en pure perte, contre des corps qui
-s'amuseraient à le troubler sans vouloir se battre sérieusement.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page456" name="page456"></a>(p. 456)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Position du maréchal Victor à Freyberg.</span>
-Le maréchal Victor dut rester à Freyberg, d'où il observait les autres
-débouchés qui, plus en arrière encore de Dresde, par la route de
-Commotau à Chemnitz, permettaient à l'ennemi de se diriger sur
-Leipzig. À Freyberg il n'interceptait pas précisément cette route,
-mais il lui était facile de s'y porter en une ou deux marches, et en
-même temps il n'était pas assez avancé pour ne pouvoir pas rétrograder
-jusqu'à la position du maréchal Saint-Cyr, si l'ennemi débouchait par
-T&oelig;plitz sur Péterswalde ou sur Altenberg.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques mille chevaux,
-chargé de poursuivre les partisans qui infestent déjà la Saxe.</span>
-Quant aux partisans dont on voyait déjà un bon nombre, non-seulement
-sur la grande route de Commotau à Leipzig, mais même sur celle de
-Carlsbad à Zwickau, Napoléon s'occupa de mettre à leur poursuite une
-certaine quantité de cavalerie, afin de les pourchasser s'ils
-n'étaient que des partisans lancés à l'aventure, et de découvrir leur
-destination s'ils étaient l'avant-garde d'une armée marchant sur
-Leipzig. Il détacha de Dresde Lefebvre-Desnoëttes, et le fit
-rétrograder sur Leipzig avec trois mille hommes de cavalerie légère.
-Ce brave général devait recevoir à titre de prêt momentané la
-cavalerie légère du maréchal Victor qui était à Freyberg, celle du
-maréchal Ney qui s'était fort rapproché depuis la bataille de
-Dennewitz, emprunter 2 mille hommes d'infanterie au général Margaron,
-qui avait à Leipzig beaucoup de bataillons de marche, et fondre avec
-ces forces réunies sur les partisans qui infestaient la Saxe, et
-avaient intercepté quelques-uns de nos convois. Ces partisans
-paraissaient dirigés par le général saxon Thielmann, le même qui
-avait passé à l'ennemi <span class="pagenum"><a id="page457" name="page457"></a>(p. 457)</span> quelques mois auparavant, et qui avec
-de l'infanterie légère autrichienne, avec les Cosaques de Platow,
-venait à la fois couper nos communications, et tâcher d'insurger la
-Saxe sur nos derrières. Lefebvre-Desnoëttes avec 7 ou 8 mille
-cavaliers et 2 mille fantassins, avait mission de le poursuivre sans
-relâche. Voici enfin ce que Napoléon ordonna relativement au maréchal
-Ney actuellement replié sur Torgau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle organisation du corps de Ney.</span>
-D'abord pour donner plus d'unité à
-son armée, il avait prononcé la dissolution du 12<sup>e</sup> corps spécialement
-commandé par le maréchal Oudinot, et rappelé ce maréchal auprès de
-lui. Il avait ensuite réparti les deux divisions françaises de ce
-corps entre les 4<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup>, pour procurer à ceux-ci plus de
-consistance, et consacré à l'escorte des grands parcs ce qui restait
-de la division bavaroise, car on ne pouvait plus avec sûreté employer
-cette division devant l'ennemi. Il avait dédommagé le maréchal Ney des
-trois ou quatre mille hommes perdus par cette nouvelle distribution,
-en lui accordant l'excellente division polonaise Dombrowski, laquelle
-s'était conduite et allait encore se conduire héroïquement. Elle avait
-fait partie de la division active de Magdebourg sortie de cette place
-sous le général Girard, et condamnée maintenant à l'inaction pour un
-temps indéfini.
-<span class="sidenote" title="En marge">Son établissement à Torgau et son rôle.</span>
-Le maréchal Ney renforcé quelque peu en nombre,
-beaucoup en qualité de troupes, n'ayant plus que des lieutenants
-généraux sous ses ordres, fut établi entre Torgau et Wittenberg, afin
-d'arrêter ou du moins de contrarier beaucoup le premier corps ennemi
-qui essayerait de franchir l'Elbe. Comptant environ 36 mille hommes,
-dans lesquels <span class="pagenum"><a id="page458" name="page458"></a>(p. 458)</span> il n'y avait plus en fait d'Allemands que
-quelques mille Saxons bien entourés, il ne pouvait pas sans doute
-tenir tête à une grande armée qui voudrait résolûment passer l'Elbe,
-mais il pouvait disputer le passage jusqu'à ce qu'on vînt à son
-secours, ce qui était devenu facile depuis que Napoléon avait
-concentré si habilement, quoique si tardivement, ses forces autour de
-Dresde. Napoléon adopta provisoirement une mesure pour assurer au
-maréchal Ney les secours dont il aurait besoin, mesure combinée, comme
-toutes celles qu'il prenait, de manière à pourvoir à plus d'un objet à
-la fois.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position du maréchal Marmont, dans la double intention de
-lier Macdonald avec Ney, et de couvrir les arrivages de l'Elbe.</span>
-Il plaça le maréchal Marmont avec 18 mille hommes
-d'infanterie, le général Latour-Maubourg avec 6 mille hommes de
-cavalerie à Grossenhayn, un peu au delà de l'Elbe, et à mi-chemin de
-Dresde à Torgau. Ces 24 mille hommes, outre qu'ils étaient prêts à
-tendre la main au maréchal Ney, devaient protéger la navigation de
-Hambourg à Dresde, laquelle ne laissait pas d'offrir des difficultés,
-depuis que l'ennemi victorieux sur notre gauche s'approchait des bords
-de l'Elbe. Or on doit se souvenir que notre principale source
-d'alimentation était à Hambourg. Cette ville s'était rachetée au moyen
-d'une contribution de 50 millions de francs, acquittés en grande
-partie en blés, en riz, en viandes salées, en spiritueux, en cuirs, en
-chevaux. Une portion de cet approvisionnement avait remonté jusqu'à
-Dresde, et avait été consommée. Il en restait à Torgau une partie dont
-on avait déjà besoin, car malgré les soins constants de M. Daru,
-malgré l'habileté qu'il déployait pour l'entretien de l'armée, il
-avait peine à y suffire, surtout depuis <span class="pagenum"><a id="page459" name="page459"></a>(p. 459)</span> que les partisans
-interceptaient les routes de Leipzig à Dresde, et empêchaient
-l'exécution des marchés passés avec les habitants. Le corps cantonné à
-Grossenhayn devait donc assurer les arrivages par l'Elbe, ainsi que
-les évacuations de blessés et de malades que Napoléon avait ordonnées
-sur Torgau, Wittenberg et Magdebourg.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ensemble admirable des dispositions de Napoléon, ayant
-toutes pour but de passer l'hiver à Dresde.</span>
-Telles furent les dispositions de Napoléon rentré à Dresde vers le
-milieu de septembre. Avec quatre corps réunis sous Macdonald en avant
-de l'Elbe, avec les corps de Lobau, de Saint-Cyr, de Victor en arrière
-de ce fleuve, appuyés les uns et les autres sur de bons retranchements
-et communiquant par plusieurs ponts, avec Ney gardant aux environs de
-Torgau l'Elbe inférieur, avec Marmont et Latour-Maubourg placés entre
-Torgau et Dresde pour protéger les arrivages du fleuve et flanquer
-Macdonald, ou descendre au secours de Ney, enfin avec toute la garde
-concentrée à Dresde et prête à fournir un secours de 40 mille hommes à
-celui de nos généraux qui serait en danger, sans compter 7 à 8 mille
-chevaux courant sur nos derrières après les partisans, Napoléon
-croyait avoir suffisamment resserré sa position, et se flattait même,
-les vivres arrivant, de pouvoir y passer l'hiver, sans être obligé de
-s'épuiser en courses vaines afin de parer à de trompeuses
-démonstrations. Il espérait n'avoir dorénavant à se déplacer que pour
-des tentatives sérieuses, qui vaudraient alors la peine qu'elles lui
-coûteraient. Il n'y avait dans cette nouvelle manière de s'asseoir
-qu'un grave inconvénient, c'était la perte probable des places de
-l'Oder et de la Vistule, dont les nombreuses <span class="pagenum"><a id="page460" name="page460"></a>(p. 460)</span> garnisons
-bloquées depuis plus de huit mois, ne tiendraient certainement pas au
-delà de l'automne. Ces garnisons laissées au loin dans l'espérance de
-revenir sur la Vistule après une bataille gagnée, étaient un sacrifice
-fait au désir chimérique de rétablir sa grandeur en une journée.
-Napoléon n'y comptait plus guère aujourd'hui, et il voyait avec regret
-ces excellentes troupes sacrifiées; mais le mal était sans remède, et
-actuellement il ne songeait qu'à se maintenir sur l'Elbe, ce qui
-d'ailleurs était pour ces mêmes garnisons, tant qu'il y resterait, un
-sujet de confiance et une raison de persévérer dans leur résistance.
-Rien ne disait, après tout, qu'à la suite d'un événement heureux on ne
-pourrait pas obtenir encore un armistice, dont les conditions
-essentielles seraient de ravitailler les places de l'Oder et de la
-Vistule.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle apparition de l'armée de Bohême sur la chaussée de
-Péterswalde.</span>
-Tandis qu'il était à Dresde livré à ces pensées, un nouvel acte de
-l'ennemi le rappela tout à coup vers Pirna. Les Autrichiens ne
-s'étaient éloignés un moment des Russes et des Prussiens que pour se
-réorganiser un peu en arrière du théâtre de la guerre, et pour parer à
-quelque tentative sur Prague, qu'on avait pu craindre en voyant
-Napoléon marcher vers Bautzen et Gorlitz, comme il avait fait les 4 et
-5 septembre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Motifs qui la ramènent.</span>
-Rassurés à cet égard par son retour à Dresde, remis de
-leur rude secousse des 26 et 27 août, ils étaient revenus à
-T&oelig;plitz, sentant bien que c'était une faute grave que de laisser
-Kleist et Wittgenstein seuls devant la grande armée française. À peine
-Wittgenstein les avait-il sus de retour, que le 13 septembre au matin
-il résolut de repasser les montagnes, et de <span class="pagenum"><a id="page461" name="page461"></a>(p. 461)</span> se montrer de
-nouveau devant les camps de Pirna et de Gieshübel. Il n'y avait pas
-grand effort à faire pour entraîner le Prussien Kleist, et ils
-revinrent tous deux à la charge contre Saint-Cyr et Lobau, surtout
-contre ce dernier. Malheureusement les ouvrages ordonnés par Napoléon
-le 11 à Langen-Hennersdorf, à Gieshübel, à Borna, ne pouvaient être
-exécutés le 13, et le comte de Lobau fut obligé de se replier sur
-Gieshübel, comme on l'avait déjà fait si souvent.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon revient avec sa réserve sur la chaussée de
-Péterswalde, et arrive le 15 au soir à Hollendorf.</span>
-Bien qu'il n'y eût
-aucun goût et qu'il ne s'en promît aucun résultat, Napoléon dut opérer
-un nouveau mouvement vers les montagnes de la Bohême, pour rejeter
-encore une fois au delà de ces montagnes les incommodes et fatigants
-visiteurs qui venaient sans cesse le troubler. Ayant d'ailleurs
-conservé une partie de la garde à Pirna même, il n'avait à déplacer
-que sa personne qu'il ne ménageait guère, et il revint avec la vague
-espérance à laquelle il se livra peu, mais qu'il ne put absolument
-chasser de son esprit, de punir une bonne fois l'ennemi si tracassier
-qu'il avait sur sa droite, et déjà un peu sur ses derrières. Aspirant
-avec passion à une grande bataille qui seule pouvait changer sa
-situation, il se laissait aller malgré lui à l'espoir de la rencontrer
-sur son chemin dès que l'ennemi approchait.</p>
-
-<p>Le 15 donc, se mettant à la tête de ses troupes, il fit pousser
-l'ennemi de Gieshübel sur Péterswalde, où il le ramena en grand
-désordre. Mais quelques centaines d'hommes pris ou hors de combat
-furent encore le seul résultat de ce mouvement. Toutefois l'ennemi
-resta fièrement en avant des défilés de Hollendorf, au pied du faîte
-qui sépare la Saxe de la <span class="pagenum"><a id="page462" name="page462"></a>(p. 462)</span> Bohême.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 16, Napoléon après avoir vivement poursuivi l'ennemi, se
-trouve en vue de Kulm et en présence de l'armée de Bohême, forte de
-120 mille hommes.</span>
-On priait le ciel qu'il fût
-aussi fier le lendemain, mais on ne s'en flattait guère. Le lendemain
-16 septembre, Napoléon, malgré un temps horrible, se remit en marche
-vers le défilé de Hollendorf, tandis qu'à sa droite le maréchal
-Saint-Cyr s'était dirigé de Furstenwalde sur le col du Geyersberg,
-qu'on n'avait pas pu franchir le 10. On poursuivit chaudement les
-Russes et les Prussiens, et une fois les gorges franchies, les
-lanciers rouges de la garde fondant sur eux au galop en piquèrent et
-en prirent un bon nombre. Dans l'une de ces charges, le colonel
-Blucher, fils du général de ce nom, tomba dans nos mains atteint de
-plusieurs coups de lance. Il fut traité avec beaucoup d'égards, et à
-son langage on put voir que la nécessité, mais non l'affection et la
-confiance, tenait les coalisés unis. Peu importait au reste le
-sentiment qui les rapprochait, s'il suffisait pour les faire marcher
-ensemble encore une ou deux campagnes! Sur la fin du jour on arriva
-aux environs de Kulm, et on trouva toute l'armée de Bohême établie
-dans de fortes positions, où il était difficile de l'attaquer avec
-succès. Elle y était au nombre d'au moins 120 mille hommes depuis le
-retour des Autrichiens, et Napoléon n'en avait pas plus de 60 mille.
-Il aurait fallu qu'il dégarnît les bords de l'Elbe pour en amener
-davantage, et l'occasion n'était vraiment pas assez belle pour qu'il
-risquât de découvrir les points importants de sa ligne.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 17, un orage affreux et l'insuffisance de ses forces
-ramènent Napoléon à Pirna.</span>
-Le lendemain 17 il employa la matinée à canonner les Russes, et à leur
-tuer ainsi quelque monde; mais un orage affreux, mêlé de pluie, de
-grêle, de neige, exposant le soldat à de graves souffrances, était
-une <span class="pagenum"><a id="page463" name="page463"></a>(p. 463)</span> raison suffisante pour se retirer. Il repassa la chaîne
-des montagnes, dit adieu à ces plaines de Bohême qu'il ne devait plus
-revoir, et vint se poser à Pirna, près du pont qu'il avait fait
-établir en secret, afin que l'ennemi ne se doutât point de la masse de
-forces qui pouvait en quelques heures déboucher sur l'une ou l'autre
-rive. Il y réunit toute la garde, et se tint là aux aguets, prêt à
-saisir l'occasion et à conduire quarante mille hommes au secours de
-Macdonald ou de Saint-Cyr, si une tentative sérieuse était faite sur
-la rive droite ou sur la rive gauche du haut Elbe. En ce moment le
-maréchal Macdonald apercevait des mouvements singuliers chez l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelle position qu'il prend avec sa réserve à Pirna.</span>
-Il semblait que d'une part des troupes nouvelles remontaient de gauche
-à droite pour entrer en Bohême par le débouché de Zittau, et que de
-l'autre des troupes allant de droite à gauche quittaient Blucher pour
-rejoindre Bernadotte. Toutefois comme les événements les plus graves
-paraissaient devoir s'accomplir sur le front de Macdonald, Napoléon
-jugea convenable de rester à sa position de Pirna. S'il fallait en
-effet fondre sur les assaillants qui viendraient attaquer Macdonald,
-il aimait mieux au lieu d'aller passer l'Elbe à Dresde, le passer à
-Pirna ou à K&oelig;nigstein, car outre le chemin épargné à ses troupes,
-il prendrait ainsi en flanc et à revers l'ennemi qui aurait abordé de
-front la position de Dresde. De plus en se tenant à Pirna avec toute
-sa garde, il conservait la facilité de se rabattre en arrière sur le
-flanc de la colonne qui reviendrait encore tracasser le comte de Lobau
-à Gieshübel. Enfin par sa présence il accélérait et dirigeait les
-<span class="pagenum"><a id="page464" name="page464"></a>(p. 464)</span> travaux ordonnés sur ces divers points. On ne pouvait donc
-mieux se placer, ni combiner ses opérations d'une manière plus habile.
-Mais ces man&oelig;uvres si savantes n'empêchaient pas la guerre de
-traîner tristement en longueur, d'épuiser nos jeunes soldats en
-fatigues au-dessus de leur âge, d'éloigner surtout ces événements
-décisifs auxquels Napoléon avait habitué la France et l'Europe, et
-dont il avait besoin pour soutenir le moral de son armée et
-déconcerter la haine toujours croissante de ses ennemis.
-<span class="sidenote" title="En marge">Chagrin de Napoléon et commencement d'inquiétude en voyant
-la guerre se prolonger.</span>
-Aussi était-il chagrin sans être découragé, et entendait de nombreuses
-critiques même parmi ses officiers qui, au lieu de condamner hardiment
-son imprudente ambition, blâmaient à tort sa tactique admirable,
-laquelle ne laissait rien à désirer, et quand elle péchait en quelque
-chose, ne péchait que par la faute de sa politique. L'idée la plus
-répandue dans son état-major, c'est qu'il aurait fallu se reporter sur
-la Saale, ligne, comme nous l'avons dit, impossible à défendre plus de
-huit jours, et vers laquelle on ne pouvait rétrograder que pour se
-replier tout de suite sur le Rhin, ce qui était l'abandon instantané
-de toutes les prétentions pour lesquelles on avait continué la guerre.
-Cet abandon, il était à jamais regrettable de ne l'avoir pas fait deux
-mois auparavant, mais aujourd'hui il était devenu presque
-impraticable. Évacuer l'Elbe militairement eût été difficile, eût
-entraîné la retraite immédiate sur le Rhin, avec le sacrifice de tout
-ce qu'on laissait sur la Vistule, sur l'Oder, et peut-être sur l'Elbe,
-c'est-à-dire avec le sacrifice de cent vingt mille hommes, et de
-trente mille malades, avec chance de démoraliser l'armée <span class="pagenum"><a id="page465" name="page465"></a>(p. 465)</span> et
-de perdre quelque grande bataille en se retirant. À l'évacuer, il eût
-mieux valu l'évacuer politiquement, en offrant sur-le-champ de rouvrir
-les négociations sur la base de l'abandon de l'Allemagne, mais les
-coalisés enivrés d'espérance y auraient-ils consenti dans le moment?
-C'était peu probable. La faute donc d'être resté sur l'Elbe, non à
-cause de l'Elbe lui-même, mais de tout ce qu'on avait la prétention
-d'y défendre, condamnait presque à y demeurer jusqu'à périr.
-<span class="sidenote" title="En marge">Son désir d'un événement décisif.</span>
-Au surplus Napoléon était loin de se croire réduit à une pareille
-extrémité. Il entrevoyait toujours ou une petite guerre de
-va-et-vient, dans laquelle il se proposait bien de ne plus user les
-jambes de ses soldats, et qui lui permettrait de gagner l'hiver sain
-et sauf, ou une entreprise considérable sur ses derrières, partant de
-la Bohême ou de l'Elbe inférieur, qui entraînerait une bataille
-décisive. C'est cette dernière chance dont il se flattait le plus, et
-qui effectivement était le plus près de se réaliser, mais dans des
-conditions qui n'étaient pas celles qu'il avait toujours espérées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolution chez les coalisés de terminer la campagne par
-une bataille générale, et qui décide du sort de la guerre.</span>
-En effet, les coalisés étaient résolus à terminer la campagne par une
-rencontre directe avec Napoléon. Leur tactique consistant à l'éviter,
-pour tomber sur ses lieutenants, ne pouvait pas être éternelle, et
-elle avait déjà suffi pour le réduire à une telle infériorité de
-forces, qu'ils étaient dans la proportion de deux, et allaient être
-bientôt dans celle de trois contre un. Mais il fallait en venir enfin
-au moment, désiré et redouté tout à la fois, de se jeter en masse sur
-lui pour l'accabler. Le désirer était simple, surtout la saison
-commençant à s'avancer; <span class="pagenum"><a id="page466" name="page466"></a>(p. 466)</span> l'exécuter ne l'était pas autant.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Bohême revient à l'idée de descendre en Saxe, et
-de marcher sur Leipzig, mais elle voudrait être jointe par l'armée de
-Silésie.</span>
-La grande armée de Bohême, de beaucoup la plus forte et la mieux
-composée, presque remise depuis Kulm de la secousse essuyée sous les
-murs de Dresde, influencée en outre par la présence de souverains
-impatients d'arriver à un résultat, était disposée à tenter une
-nouvelle descente de Bohême en Saxe sur les derrières de Napoléon,
-mais pas aussi près, et elle revenait à l'idée première de se porter
-par Commotau et Chemnitz sur Leipzig. Les nombreux partisans lancés
-sous Thielmann et sous Platow, entre l'Elster et la Saale, étaient
-comme les avant-coureurs destinés à lui frayer la route. Toutefois,
-avant d'essayer une si vaste entreprise, qui allait amener un duel à
-mort avec Napoléon, elle aurait souhaité que deux des trois armées
-actives marchassent réunies, celles de Silésie et de Bohême par
-exemple. Pour cela elle aurait voulu que l'armée russe de réserve,
-depuis longtemps préparée en Pologne sous le général Benningsen, et
-actuellement rendue à Breslau, vînt prendre la place de Blucher devant
-Dresde, que celui-ci, profitant de l'occasion pour se dérober, allât
-par Zittau opérer sa jonction en Bohême avec l'armée de Schwarzenberg,
-et que tous ensemble ils marchassent sur Leipzig. À cette condition
-seulement le grand état-major des trois souverains osait concevoir
-l'idée de risquer une seconde bataille de Dresde, non pas à Dresde
-mais à Leipzig.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'armée de Silésie désire tout aussi vivement une opération
-décisive, mais elle ne voudrait pas se joindre à l'armée de Bohême.</span>
-Ce n'était pas, on le pense bien, auprès de Blucher et de ses amis que
-devait fermenter avec moins de force la pensée de faire aboutir la
-campagne actuelle à un résultat prochain et décisif. Blucher et
-<span class="pagenum"><a id="page467" name="page467"></a>(p. 467)</span> ses officiers, tout fiers d'avoir ramené les Français du
-Bober sur l'Elbe, brûlaient du désir d'arriver à un dénoûment, et ils
-étaient prêts à tout braver pour y parvenir. Dès les premiers jours de
-septembre Blucher avait envoyé en Bohême un personnage de confiance,
-pour sonder les officiers prussiens qui entouraient le roi, et
-susciter chez eux l'idée d'une grande opération sur les derrières de
-Napoléon.
-<span class="sidenote" title="En marge">Officier envoyé par Blucher auprès des généraux prussiens
-opérant avec l'armée de Bohême.</span>
-Cet émissaire les avait trouvés fort disposés à en finir,
-remplis toutefois de l'idée que nous avons exposée, et consistant à
-transporter Blucher lui-même en Bohême pour descendre sur Leipzig avec
-les deux armées de Bohême et de Silésie réunies. Mais Blucher et ses
-amis du <i>Tugend-Bund</i> dont il était entouré, avaient trop le goût de
-l'indépendance pour se placer volontiers sous l'autorité directe de
-l'état-major des souverains. Ils avaient toutefois pour résister à ce
-qu'on leur proposait des raisons meilleures que leur goût
-d'indépendance. Il était difficile en effet que l'armée de Silésie
-parvînt à dérober assez complétement sa marche à Napoléon, pour
-qu'elle pût remonter en Bohême, traverser les montagnes, et en longer
-le pied jusqu'à T&oelig;plitz, sans attirer sur elle quelque coup
-redoutable. Cependant comme il fallait tôt ou tard que Blucher, s'il
-ne voulait pas se morfondre inutilement devant Dresde, exécutât une
-man&oelig;uvre hardie ou sur le bas Elbe, ou sur le haut, la raison
-alléguée n'était pas sans réplique.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher et ses amis aiment mieux se réunir à l'armée du
-Nord, pour forcer Bernadotte à passer l'Elbe avec eux.</span>
-L'état-major de Silésie en donna
-une encore plus forte, et à laquelle il était difficile de répondre.
-Les nouvelles qu'on avait de l'armée du Nord étaient des moins
-satisfaisantes. Les généraux <span class="pagenum"><a id="page468" name="page468"></a>(p. 468)</span> russes et prussiens, mais
-surtout les prussiens, placés sous le prince de Suède, se plaignaient
-de son inaction pendant les batailles de Gross-Beeren et de Dennewitz.
-Ils l'accusaient formellement ou d'une prudence approchant de la
-faiblesse, ou d'une infidélité approchant de la trahison. Ils
-soutenaient que dans ces deux circonstances il avait tout laissé faire
-aux généraux prussiens, que les sachant dans l'embarras il s'était peu
-hâté de les en tirer, qu'ayant pu détruire l'armée française, il ne
-l'avait pas voulu, ou pas osé. Cette dernière supposition était la
-vraie. Il n'avait risqué qu'en tremblant sa fausse renommée, et son
-excessive prudence avait ainsi fait mettre en doute son énergie
-militaire ou sa loyauté. En ce moment encore, n'ayant devant lui que
-Ney réduit à 36 mille hommes, il restait blotti sous le canon de
-Magdebourg, et feignait sur l'Elbe des préparatifs de passage sans
-aucune envie de les exécuter.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ils proposent de joindre l'armée russe de Benningsen à
-l'armée de Bohême, qui descendra sur Leipzig, et de réunir l'armée de
-Silésie à l'armée du Nord pour passer l'Elbe en commun, et se rendre
-également à Leipzig.</span>
-En conséquence Blucher disait qu'à
-déplacer l'armée de Silésie pour la faire coopérer avec celle de
-Bohême ou celle du Nord, il valait mieux la réunir à cette dernière,
-qui certainement n'agirait que dominée et entraînée par une autre. Il
-proposait donc, au lieu de se rendre en Bohême, d'y envoyer l'armée de
-Benningsen, laquelle pénétrant par Zittau, couverte par lui pendant
-cette marche, n'aurait rien à craindre, et rejoindrait sans aucun
-péril le prince de Schwarzenberg à T&oelig;plitz. Il offrait, ce
-mouvement terminé, d'exécuter une attaque simulée sur le camp
-retranché de Dresde, puis de laisser à sa place quelques troupes de
-cavalerie pour tromper les Français, de descendre avec 60 <span class="pagenum"><a id="page469" name="page469"></a>(p. 469)</span>
-mille hommes sur l'Elbe inférieur, de forcer Bernadotte à passer ce
-fleuve vers Wittenberg, de remonter ensuite avec lui le cours de la
-Mulde jusqu'à Leipzig à la tête de 120 ou 130 mille hommes, tandis que
-le prince de Schwarzenberg accru de Benningsen y descendrait avec plus
-de 200 mille. On aurait ainsi 320 mille hommes au moins sur les
-derrières de Napoléon, et on l'obligerait à une bataille générale,
-désastreuse pour lui s'il la perdait, et peu douteuse pour les
-souverains en la livrant avec une telle supériorité de forces.</p>
-
-<p>Ce plan, qui sans une bien grande profondeur de conception, avait dans
-la puissance du nombre, dans la passion des coalisés, de véritables
-chances de succès, parut avec raison très-préférable à celui qu'on
-avait conçu en Bohême, et le désir ardent du triomphe commun faisant
-taire tous les amours-propres, on l'adopta.
-<span class="sidenote" title="En marge">Adoption du plan proposé par l'armée de Silésie.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Détail de ce plan.</span>
-En conséquence il fut
-convenu que le général Benningsen avec son armée de réserve, qui était
-forte d'environ 50 mille hommes et avait déjà traversé la Silésie,
-s'acheminerait vers le défilé de Zittau que Poniatowski ne gardait
-plus, pénétrerait en Bohême, passerait le haut Elbe à l'abri des
-montagnes, entre Leitmeritz et Tetschen, et joindrait le prince de
-Schwarzenberg à T&oelig;plitz; que ce dernier alors comptant environ 200
-mille hommes se mettrait en marche, et se bornant à masquer le défilé
-de Péterswalde, déboucherait en Saxe par Commotau sur Chemnitz; qu'à
-cette même époque Blucher exécutant de vives démonstrations contre
-Dresde, se déroberait par un rapide mouvement sur sa droite, irait
-passer l'Elbe à Wittenberg, forcerait Bernadotte <span class="pagenum"><a id="page470" name="page470"></a>(p. 470)</span> à le
-franchir à Roslau, que l'un et l'autre remonteraient entre la Mulde et
-la Saale sur Leipzig, tandis que le prince de Schwarzenberg y
-descendrait en suivant le cours de ces deux rivières, qu'on tendrait
-ainsi les uns et les autres à se réunir dans les environs de Leipzig
-pour y livrer une bataille de géants. Le danger évident de cette
-man&oelig;uvre, parfaitement compris de ces élèves et ennemis de
-Napoléon, c'était d'être assaillis par celui-ci avant la jonction
-générale de toutes les forces de la coalition. Mais l'état-major de
-Blucher soufflant à tous la passion dont il était animé, on résolut de
-braver ce danger quel qu'il fût, car il fallait bien finir par
-s'exposer à un grand péril, si on voulait aboutir à un grand résultat.
-Seulement on se promit une extrême prudence dans la marche périlleuse
-qu'on allait entreprendre, et, une fois la bataille engagée, une
-énergie désespérée.</p>
-
-<p>Tels étaient le savoir militaire et la haine implacable auxquels
-Napoléon avait amené tout le monde, en foulant depuis quatorze années
-l'Europe à ses pieds.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le général Benningsen entre en Bohême avec l'armée russe de
-réserve.</span>
-Le plan une fois adopté, on procéda sur-le-champ à son exécution. Le
-général Benningsen pénétra le 17 septembre dans les gorges de Zittau,
-et vers les 22 et 23 septembre fut rendu à T&oelig;plitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher se prépare à se mettre en mouvement.</span>
-Blucher avait
-secrètement informé les généraux Tauenzien et Bulow de ses projets,
-les avait pressés d'occuper fortement les Français devant Wittenberg,
-Torgau, Grossenhayn, et lui-même s'était continuellement agité autour
-de Dresde, pour cacher le grand mouvement qu'il préparait par sa
-droite vers le bas Elbe.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page471" name="page471"></a>(p. 471)</span> Cette agitation incessante sur notre front, les apparitions des
-coureurs de Thielmann et de Platow sur notre droite et nos derrières,
-des préparatifs de passage vers l'Elbe inférieur (nous désignons ainsi
-l'Elbe au-dessous de Torgau), enfin la saison avancée, étaient des
-signes plus que suffisants pour inspirer à Napoléon l'idée
-d'événements graves et prochains.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon soupçonne les projets des coalisés.</span>
-Il avait toujours pensé que ne
-pouvant l'aborder de front dans sa position de Dresde, on essayerait
-de le tourner, ou par sa droite en débouchant de la Bohême, ou par sa
-gauche en passant l'Elbe inférieur, et peut-être par les deux côtés à
-la fois. Il avait lui-même un tel désir d'un événement décisif, qu'il
-en était arrivé à souhaiter de semblables man&oelig;uvres, n'imaginant
-pas qu'une bataille où il serait de sa personne et avec toutes ses
-réserves pût être autre chose qu'un désastre pour ses ennemis, et ne
-trouvant dangereuse que cette tactique de va-et-vient qui avait déjà
-tant épuisé ses troupes, porté même une certaine atteinte à son
-immense prestige. Seulement il tenait sans cesse l'&oelig;il ouvert, pour
-n'être pas surpris, et pour tomber à temps sur le téméraire qui
-oserait le premier se risquer sur ses derrières.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Diverses circonstances de détail lui font supposer que
-Blucher va descendre l'Elbe, et pour s'en assurer il ordonne une forte
-reconnaissance sur le front de Macdonald.</span>
-Le 22 septembre un concours de petits événements éveilla fortement son
-attention. Le maréchal Marmont accru de la cavalerie de réserve du
-général Latour-Maubourg avait été placé, comme on a vu, à Grossenhayn,
-pour protéger les convois de vivres qui remontaient vers Dresde, et
-les convois de blessés qui en descendaient. Cette précaution avait
-réussi; un chargement de farines était parvenu à <span class="pagenum"><a id="page472" name="page472"></a>(p. 472)</span> Dresde, et
-de nombreux blessés étaient arrivés sans accident à Torgau. Mais tout
-à coup la cavalerie légère du général Chastel fut assaillie par la
-grosse cavalerie du général Tauenzien, et vivement ramenée. En même
-temps le général Bulow qui bombardait Wittenberg, fit mine de jeter un
-pont aux environs de cette place, et plus haut le général russe Sacken
-qui formait la droite de Blucher en face du camp de Dresde, opéra
-divers mouvements très-apparents. Napoléon devinant aussitôt le plan
-des coalisés, se figura que toute cette agitation de Dresde à
-Wittenberg cachait une tentative de Blucher pour se porter sur le bas
-Elbe, et il se mit sur-le-champ en garde. Depuis ses dernières marches
-sur Kulm, pendant les journées des 15, 16, 17 septembre, il était
-resté à l'affût, prêt à se jeter par le pont de Pirna sur la rive
-droite ou sur la rive gauche de l'Elbe, suivant qu'il y aurait un
-téméraire d'un côté ou de l'autre. Il quitta immédiatement son poste,
-vint à Dresde, et enjoignit à Macdonald d'exécuter avec ses trois
-corps une reconnaissance à fond, de pousser à outrance l'ennemi sur
-Harta, même sur Bautzen, pour savoir au juste si Blucher était là, ou
-n'y était plus. Napoléon fit savoir à Macdonald qu'il serait lui-même
-à sa suite avec une portion de la garde, pour agir vigoureusement
-contre l'armée de Silésie, si toutefois elle était encore dans les
-mêmes positions.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon assiste de sa personne à la reconnaissance que
-Macdonald est chargé d'exécuter.</span>
-Il s'y rendit donc de sa personne, et cette reconnaissance de tous les
-corps français composant l'armée de Macdonald, contre les divers corps
-formant l'armée de Blucher, commencée le 22 septembre, <span class="pagenum"><a id="page473" name="page473"></a>(p. 473)</span>
-continuée le 23 jusqu'à Bischofswerda, révéla la présence de Blucher
-avec les mêmes forces, dans les mêmes lieux. On ramassa en effet des
-prisonniers appartenant aux trois corps de Langeron, d'York, de
-Sacken; Napoléon en conclut qu'il s'était trop hâté de prêter à ses
-ennemis des desseins audacieux, et en douta presque pour les avoir
-supposés trop tôt.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les trois corps de Blucher trouvés en place trompent
-Napoléon, non sur le plan des coalisés, mais sur l'époque de son
-exécution.</span>
-Le général Blucher employa une feinte inutile pour
-le tromper, ce fut d'envoyer aux avant-postes par un parlementaire, et
-pour son fils prisonnier, une lettre signée de lui, et datée de
-Bischofswerda<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Lien vers la note 22"><span class="smaller">[22]</span></a>. Il espéra ainsi persuader encore mieux à Napoléon
-que rien n'était changé dans les dispositions des coalisés, et que
-rien ne changerait. Ce ne fut pas cette lettre, à laquelle on
-n'attacha aucune importance, mais une circonstance plus sérieuse, la
-présence à Bischofswerda des trois corps composant l'armée de Silésie,
-qui sans abuser Napoléon, sans l'empêcher de croire au plan qu'il
-avait sitôt deviné, le disposa seulement à en regarder l'exécution
-comme moins <span class="pagenum"><a id="page474" name="page474"></a>(p. 474)</span> prochaine qu'elle ne l'était effectivement.
-Trouvant encore Blucher devant lui les 22 et 23 septembre, Napoléon
-n'en conclut pas qu'il y resterait toujours, mais qu'il en partirait
-moins prochainement, et il fit des dispositions moins promptes quoique
-tout aussi justes, qu'il ne les aurait faites autrement. Ainsi il
-résolut de resserrer encore davantage sa position, et de ne plus
-laisser devant Dresde que le seul 11<sup>e</sup> corps, celui que le maréchal
-Macdonald avait toujours commandé directement, et de satisfaire ce
-maréchal en le déchargeant du commandement des 3<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 8<sup>e</sup>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon resserre encore davantage sa position autour de
-Dresde, et fait repasser l'Elbe à plusieurs de ses corps, pour être
-prêt contre toutes les tentatives de l'ennemi sur ses derrières.</span>
-Il envoya le 3<sup>e</sup> (celui du général Souham) à Meissen, petite ville située
-sur l'Elbe, au-dessous de Dresde. Il ramena Marmont avec le 6<sup>e</sup> corps,
-Latour-Maubourg avec la grosse cavalerie, de Grossenhayn à ce même
-point de Meissen, pour qu'ils fussent plus à portée de secourir Ney,
-en cas d'une tentative de passage vers Torgau ou Wittenberg. Il amena
-le 5<sup>e</sup> (Lauriston) à Dresde même, et achemina le 8<sup>e</sup> (Poniatowski) sur
-la route de Waldheim et de Leipzig, afin d'aider Lefebvre-Desnoëttes
-contre les coureurs de Thielmann et de Platow, et de former la tête de
-colonne de l'armée s'il fallait se rabattre en arrière sur les masses
-ennemies venant de la Bohême. Napoléon prit donc ses précautions dans
-le vrai sens des desseins des coalisés, mais, nous le répétons, sans
-se hâter, car il ne croyait pas ces desseins si près de leur exécution
-qu'ils l'étaient réellement.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Il envoie le général Rogniat pour occuper les passages de
-la Saale en cas de retraite forcée.</span>
-À ces mesures il en ajouta quelques autres qui prouvent qu'un vague
-pressentiment l'avertissait que bientôt la guerre pourrait se
-reporter sur le <span class="pagenum"><a id="page475" name="page475"></a>(p. 475)</span> Rhin, ou au moins sur la Saale. En effet il
-prescrivit au général Rogniat, qui dirigeait le génie de la grande
-armée depuis la captivité du général Haxo, de relever les défenses de
-Mersebourg sur la Saale, d'y préparer des ponts, afin d'avoir sur
-cette rivière une ligne de retraite assurée. Il ordonna d'évacuer de
-Dresde sur Leipzig, de Leipzig sur Erfurt, d'Erfurt sur Mayence, tous
-les blessés et malades qu'on aurait le moyen de transporter par terre,
-et voulut même qu'on fît aux officiers blessés ayant les moyens de se
-déplacer à leurs frais, certaines insinuations pour les décider à
-regagner le Rhin, en mettant du reste un grand soin à ne pas rendre
-ces insinuations alarmantes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles levées d'hommes.</span>
-Prévoyant que la guerre serait longue et
-acharnée, il rédigea un décret pour la levée de 120 mille hommes sur
-les classes antérieures de 1812, 1811, 1810, et un autre pour la levée
-de 160 mille sur la conscription de 1815, laquelle serait ainsi
-anticipée de deux ans. Celle de 1814 était déjà tout entière dans les
-dépôts. Il comptait, avec les réfractaires que des colonnes mobiles
-pourchassaient en ce moment, porter cette levée à plus de 300 mille
-hommes, et espérait en l'exécutant dans l'automne l'avoir toute
-disponible en hiver, et prête à combattre au printemps. Il rédigea
-lui-même le discours que l'Impératrice régente adresserait au Sénat en
-cette occasion; il lui enjoignit d'y aller en personne, et de tenir
-ainsi une espèce de lit de justice, inutile assurément pour soumettre
-un corps qui devait être soumis jusqu'au jour de la chute de l'Empire.
-Enfin il donna des ordres directs au ministre de la guerre pour la
-mise en état de défense <span class="pagenum"><a id="page476" name="page476"></a>(p. 476)</span> des places du Rhin, et surtout
-d'Italie. Cependant tout en prescrivant ces mesures de prudence sur
-ses frontières, il contremanda les vastes approvisionnements de vivres
-que le duc de Feltre avait ordonnés sur le Rhin, d'après la lettre de
-M. de Bassano, précédemment citée, et il les contremanda afin
-d'épargner aux populations des alarmes fâcheuses, et, suivant lui,
-prématurées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Premier mouvement des armées de Bohême et de Silésie.</span>
-Tandis que Napoléon prenait ces mesures, les coalisés exécutaient plus
-tôt qu'il ne l'avait supposé leur double mouvement sur Leipzig, par la
-Bohême et par l'Elbe inférieur. Le prince de Schwarzenberg se faisant
-précéder par une colonne autrichienne, marchait de T&oelig;plitz sur
-Commotau, et Blucher, après être demeuré immobile en présence de
-Napoléon les 22, 23 et 24 septembre, se dérobait tout à coup pour
-descendre l'Elbe de Dresde à Wittenberg. Afin de mieux cacher son
-mouvement, il avait porté en avant sa droite, formée par le général
-Sacken, et lui avait ordonné de diriger une forte attaque contre
-Meissen, dans l'intention de défiler avec son centre et sa gauche
-derrière cette droite rendue si apparente, et de courir sur
-Wittenberg. Il se proposait ensuite de retirer sa droite elle-même, et
-de la réunir devant Wittenberg, où il devait franchir l'Elbe.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher se dérobe, et feignant une attaque sur Meissen, se
-porte devant Wittenberg.</span>
-Il entra en opération le 25 septembre, et, tandis que Sacken attaquait
-les avant-postes de Macdonald d'un côté, ceux de Marmont de l'autre,
-il se mit en marche vers l'Elbe inférieur. Il laissa pour le remplacer
-devant Dresde le corps russe de Sherbatow, fort de 8 mille hommes,
-ainsi que la division légère autrichienne de Bubna, forte de 10
-mille, et chargée <span class="pagenum"><a id="page477" name="page477"></a>(p. 477)</span> de la garde de Zittau lorsque le prince
-Poniatowski était sur ce point. Ce corps de 18 mille hommes environ
-était suffisant pour tromper les yeux même les plus exercés, surtout
-après une reconnaissance comme celle des 22 et 23 septembre, qui avait
-dû paraître tout à fait démonstrative à Napoléon. Le général Blucher
-réussit ainsi à se soustraire à nos regards, et dans les journées des
-26, 27, 28 septembre s'achemina sur Wittenberg sans être aperçu.
-L'attaque si vive de Sacken parut d'abord inexplicable, et fut
-interprétée comme une manière de tâter la gauche de Macdonald, et
-peut-être comme l'indice d'une prochaine tentative contre le camp
-retranché que nous avions en avant de Dresde. Napoléon ordonna de
-renforcer cette gauche pour la mettre à l'abri de tous les efforts de
-l'ennemi.</p>
-
-<p>Mais la marche du général Blucher, concourant avec d'autres mouvements
-des généraux Tauenzien et Bulow, et du prince de Suède lui-même, ne
-put échapper à la vigilance du maréchal Ney, contre lequel ces
-diverses opérations étaient dirigées. Il avait vu Bulow jeter un pont
-à Wartenbourg et l'y maintenir quelques jours, les autres corps du
-prince de Suède préparer leurs moyens de passage soit à Barby, soit à
-Roslau, et n'osant s'opposer à ces diverses tentatives avec 36 mille
-hommes, de peur de s'en attirer 80 mille sur les bras, il s'était
-contenté de résister plus particulièrement au passage tenté près de
-Wartenbourg, parce que c'était le plus rapproché de Dresde, et le plus
-important dès lors à empêcher.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ney voyant les mouvements de Blucher et de Bernadotte vers
-lui, en donne avis à Napoléon.</span>
-Il écrivit immédiatement à Napoléon
-pour lui signaler l'état des choses, et lui annoncer comme <span class="pagenum"><a id="page478" name="page478"></a>(p. 478)</span>
-s'exécutant à l'instant, ou devant s'exécuter sous peu de jours, un
-passage de l'Elbe entre Wittenberg et Magdebourg par des forces
-considérables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Excursions des troupes de partisans précédant la marche de
-l'armée de Bohême.</span>
-Du côté de la Bohême les événements n'étaient pas moins significatifs.
-Le général Lefebvre-Desnoëttes avec quelques milliers de chevaux
-s'était mis à la poursuite de Thielmann, qui entré en Saxe par le
-débouché de Carlsbad à Zwickau, s'était dirigé sur Weissenfels comme
-s'il eût voulu couper nos communications avec la Saale. Le général
-Lefebvre-Desnoëttes lui avait d'abord fait essuyer plusieurs échecs,
-et l'avait rejeté jusque sur Altenbourg. Mais en ce moment Platow
-débouchant avec ses Cosaques et cinq mille Autrichiens, dont trois
-mille de cavalerie, avait assailli de front Lefebvre-Desnoëttes avec
-plus de dix mille hommes, tandis que Thielmann par un mouvement rapide
-le prenait par derrière. Lefebvre-Desnoëttes n'avait pu s'en tirer
-qu'en se repliant sur Leipzig, et en sacrifiant quelques centaines
-d'hommes. Cet échec avait été bientôt réparé par le prince
-Poniatowski, lequel, ayant repassé l'Elbe et rétrogradé jusqu'à
-Frohbourg avec le 8<sup>e</sup> corps et le 4<sup>e</sup> de cavalerie, avait fondu à son
-tour sur Thielmann et Platow, leur avait tué quatre cents hommes, et
-leur en avait pris trois cents.
-<span class="sidenote" title="En marge">Apparition de cette armée aux divers débouchés des
-montagnes aboutissant en Saxe.</span>
-Ces diverses rencontres,
-alternativement heureuses ou malheureuses, avaient eu l'avantage de
-nous éclairer parfaitement sur la marche de l'ennemi, et nous avions
-pu voir sur les débouchés de Commotau à Chemnitz, de Carlsbad à
-Zwickau, tout autre chose que des partisans, car nous avions reconnu
-sur ces deux routes les têtes de colonnes de la grande armée <span class="pagenum"><a id="page479" name="page479"></a>(p. 479)</span>
-de Bohême, composées à la fois d'Autrichiens, de Russes et de
-Prussiens. L'annonce d'ailleurs de sa prochaine arrivée était répandue
-dans toute la Saxe. Si Napoléon avait pu concevoir quelques doutes,
-non pas sur le fond des projets de l'ennemi, mais sur l'époque de leur
-exécution, il n'en devait plus conserver aucun après ces nouvelles
-parties en même temps du bas Elbe et des frontières de la Bohême. Il
-devenait évident que sur sa gauche l'armée du Nord, renforcée
-peut-être de Blucher, traversait l'Elbe inférieur pour remonter vers
-Leipzig le long de la Mulde; que sur sa droite l'armée de Bohême
-franchissant les montagnes de Bohême, descendait vers Leipzig en
-suivant aussi le cours de la Mulde, et que toutes deux ou toutes trois
-après s'être transportées sur la gauche de l'Elbe, allaient essayer de
-le prendre à revers. Quant à l'armée de Silésie, que le général russe
-Sherbatow et le général autrichien Bubna représentaient en ce moment
-devant Dresde, on pouvait croire encore qu'elle n'avait pas quitté sa
-position, et qu'elle se maintenait devant Dresde pour nous y retenir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Promptes dispositions de Napoléon pour repasser l'Elbe avec
-toutes ses forces.</span>
-Mais Napoléon ne se laissa point abuser par ces fausses apparences, et
-sur-le-champ il commença un double mouvement pour diriger ses forces
-sur les deux points que l'ennemi menaçait en même temps, de manière à
-se placer avec ses réserves entre les deux armées coalisées, et à
-tomber sur l'une ou sur l'autre, suivant celle qui serait le plus à sa
-portée.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il réunit les corps de Poniatowski, Lauriston et Victor
-entre les montagnes et Leipzig, pour observer l'armée de Bohême.</span>
-Il avait déjà envoyé le prince Poniatowski en arrière de
-Dresde, sur la route de Leipzig par Waldheim et Frohbourg, d'où
-celui-ci avait pu arrêter Thielmann <span class="pagenum"><a id="page480" name="page480"></a>(p. 480)</span> et Platow. Il reporta
-également en arrière le 5<sup>e</sup> corps (celui de Lauriston), devenu
-disponible depuis qu'il ne restait plus que le 11<sup>e</sup> corps (celui de
-Macdonald) en avant de Dresde, et le dirigea sur Mittweyda, pour
-servir d'appui à Poniatowski. Le 2<sup>e</sup> corps (celui du maréchal Victor)
-était depuis longtemps à Freyberg, surveillant les débouchés de la
-Bohême en Saxe. Napoléon l'envoya plus loin encore, et le fit avancer
-jusqu'aux environs de Chemnitz. Ces trois corps, auxquels était annexé
-le 4<sup>e</sup> de cavalerie, postés à une marche les uns des autres, pouvaient
-se réunir rapidement, et présenter à l'ennemi une première masse
-d'environ 40 mille hommes. Napoléon leur adjoignit le 5<sup>e</sup> de cavalerie
-qu'il venait de confier au général Pajol, afin qu'ils eussent le moyen
-de s'éclairer plus au loin, et les rangea tous sous les ordres de
-Murat. Ils devaient, en rétrogradant vers la Thuringe, longer le pied
-des montagnes de la Bohême, et s'avancer avec précaution, de manière à
-se trouver toujours entre la grande armée du prince de Schwarzenberg
-et Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marmont envoyé au secours de Ney.</span>
-Le maréchal Marmont établi à Meissen, au-dessous de
-Dresde, avec le 6<sup>e</sup> corps et le 1<sup>er</sup> de cavalerie, reçut ordre de
-repasser l'Elbe, et de se replier sur Leipzig, en laissant à Meissen
-le 3<sup>e</sup> corps (général Souham), qui avait été envoyé sur ce point
-depuis qu'on s'était concentré autour de Dresde. Le maréchal Marmont
-posté ainsi à Leipzig avec près de 30 mille hommes, infanterie et
-cavalerie, pouvait au besoin s'acheminer vers Murat, ou bien se réunir
-à Ney sur le bas Elbe, si le danger était plus pressant du côté de
-celui-ci. Il lui fallait une marche pour <span class="pagenum"><a id="page481" name="page481"></a>(p. 481)</span> rejoindre Murat,
-deux pour rejoindre Ney. Si avec ses 30 mille hommes il se dirigeait
-sur Murat, il le porterait à 70 mille; s'il se dirigeait sur Ney, qui
-avec Dombrowski avait près de 40 mille hommes, il le porterait à
-environ 70 mille, et de la sorte, deux rassemblements considérables
-allaient être préparés contre les armées de Bohême et du Nord, Leipzig
-étant le centre où l'on devait s'interposer entre elles.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se prépare à se porter lui-même avec 75 mille
-hommes dans la direction de Leipzig, pour renforcer Murat ou Ney, et
-battre l'une après l'autre les deux armées coalisées.</span>
-Napoléon dès
-que les mouvements de l'ennemi, encore assez confus, seraient
-complètement éclaircis, voulait en laissant Saint-Cyr et le comte de
-Lobau à Dresde, rétrograder lui-même avec les 40 mille hommes de la
-garde, avec Macdonald, avec Souham qui de Meissen le joindrait en
-route, et venir ainsi avec un renfort de 75 mille hommes à l'appui de
-l'un ou de l'autre de ses deux principaux rassemblements. Si le danger
-le plus menaçant était vers Murat, il courrait de son côté, et
-formerait avec lui une masse de 145 mille hommes; si le danger était
-vers Ney, il irait à ce dernier, et en réunirait de même 145 mille.
-Dans ces deux cas c'était assez, selon lui, pour obtenir sur l'une ou
-l'autre armée, et peut-être sur l'une après l'autre, une victoire
-décisive. Si même évacuant Dresde, sauf à y revenir après la victoire,
-il ralliait à lui les 30 mille hommes de Saint-Cyr et de Lobau, il
-pouvait avoir contre l'armée de Bohême presque l'égalité de forces, et
-contre celles du Nord et de Silésie une supériorité accablante. Tels
-étaient ses calculs, et dans l'état présent des choses il était
-impossible d'en faire de plus habiles et de mieux entendus.</p>
-
-<p>Les corps de Poniatowski, de Lauriston, de Victor, <span class="pagenum"><a id="page482" name="page482"></a>(p. 482)</span> les 4<sup>e</sup>
-et 5<sup>e</sup> de cavalerie, ayant été acheminés sous Murat dans la direction
-de Mittweyda et de Frohbourg, les corps de Marmont et de
-Latour-Maubourg l'ayant été dans la direction de Leipzig, Napoléon se
-tint prêt au premier signal à rejoindre les uns ou les autres avec 75
-mille hommes. Il fit payer quelques mois de solde aux officiers qui
-souffraient beaucoup, et fournit l'argent nécessaire de son propre
-trésor, celui de l'armée étant vide. Il fit donner des souliers aux
-soldats, préparer ses parcs de munitions, et tout disposer en un mot
-pour un mouvement général. Une colonne de 8 à 9 mille hommes de
-bataillons et escadrons de marche était arrivée à Leipzig. Il ordonna
-de l'y laisser pour garder cette ville conjointement avec les
-détachements que le général Margaron y avait déjà, et enfin il y
-appela en outre le corps d'Augereau, qui avait été d'abord destiné à
-rassurer et à contenir la Bavière menacée par un corps autrichien.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le corps d'Augereau amené à Leipzig.</span>
-Ce corps d'Augereau qui devait être de près de 30 mille hommes, avait été
-successivement affaibli pour envoyer des renforts sur l'Elbe. Il
-n'était plus que de 12 mille hommes, dont 3 mille à peu près de vieux
-dragons d'Espagne. Tel quel la présence de ce corps à Wurzbourg avait
-été de quelque effet sur la Bavière, que l'Autriche dans ce moment
-encore essayait d'attirer à la coalition, tantôt par des menaces,
-tantôt par des caresses. Mais Napoléon sentant que le sort de la
-guerre se déciderait dans les champs de Leipzig, et que toutes les
-fidélités y seraient définitivement ou consolidées ou ébranlées,
-n'hésita pas d'y appeler Augereau. Ces dispositions avant été
-arrêtées dans les journées des <span class="pagenum"><a id="page483" name="page483"></a>(p. 483)</span> 28, 29 et 30 septembre, il
-attendit, l'&oelig;il et l'oreille bien ouverts sur tout ce qui allait se
-passer autour de lui.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Octob. 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche des armées coalisées.</span>
-Pendant ce temps, les coalisés poursuivaient l'exécution de leurs
-desseins. Blucher ayant, comme on l'a vu, laissé les généraux
-Sherbatow et Bubna pour figurer à sa place devant Dresde, et ayant
-fait défiler son centre et sa gauche derrière sa droite qui feignait
-une attaque sur Meissen, était arrivé le 30 septembre devant
-Wittenberg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Blucher devant Wittenberg le 30 septembre.</span>
-Il y avait remplacé le corps de Bulow, parti pour
-rejoindre l'armée du Nord, et s'était ensuite hâté de faire ses
-préparatifs de passage. Il avait mandé en même temps à Bernadotte,
-posté à une ou deux marches au-dessous, qu'il devait s'apprêter à
-franchir l'Elbe, car lui-même espérait se trouver sur la rive gauche
-dans deux jours. Wittenberg n'ayant pas cessé d'appartenir aux
-Français, il ne pouvait y opérer un passage. Il se prépara donc à
-jeter un pont un peu au-dessus, c'est-à-dire à Elster, là même où le
-général Bulow l'avait essayé quelques jours auparavant.
-<span class="sidenote" title="En marge">Passage de l'Elbe.</span>
-Le 1<sup>er</sup>
-octobre il fit amener des bateaux, et le 2, ayant établi un pont, il
-déboucha sur la rive gauche. Mais il fallait enlever la position de
-Wartenbourg, qui n'était pas facile à forcer, car déjà le général
-Bulow y avait rencontré une résistance telle qu'il avait été contraint
-de replier son pont, ne croyant pas pouvoir s'en servir, et ne voulant
-pas l'abandonner aux Français.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps chargé d'arrêter Blucher à Wartenbourg.</span>
-Le maréchal Ney averti par ses reconnaissances de la présence de
-l'ennemi sur la gauche de l'Elbe, s'était empressé d'y envoyer le
-général Bertrand <span class="pagenum"><a id="page484" name="page484"></a>(p. 484)</span> avec le 4<sup>e</sup> corps, afin d'empêcher, comme on
-l'avait fait peu de temps auparavant, le succès de cette tentative de
-passage. Le 4<sup>e</sup> corps n'ayant pas encore reçu la division Guilleminot
-qui lui revenait dans le partage du 12<sup>e</sup>, se trouvait composé
-uniquement de la division française Morand, de la division italienne
-Fontanelli, et de la division wurtembergeoise Franquemont, ces trois
-ne faisant pas plus de 12 mille hommes. C'était bien peu contre les 60
-mille hommes de Blucher; mais les lieux, l'habileté, le sang-froid,
-peuvent souvent compenser toutes les inégalités de nombre. La
-circonstance dont il s'agit en fournit bientôt un exemple mémorable.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Description de la position de Wartenbourg.</span>
-L'Elbe en approchant d'Elster forme un coude très-prononcé, et
-enveloppe ainsi un terrain bas et marécageux, situé sur la rive
-gauche. C'est sur ce terrain que se trouve le vieux château de
-Wartenbourg. Afin de le garantir des inondations on l'avait jadis
-protégé au moyen d'une digue, venant s'appuyer aux deux côtés de
-l'Elbe comme la corde d'un arc. Le château lui-même est à l'une des
-extrémités de cette digue, le village de Bleddin à l'autre. L'ennemi
-ayant franchi l'Elbe à Elster, s'il voulait passer outre, devait
-suivre une route qui venait aboutir perpendiculairement au milieu de
-la digue. Le général Morand placé au château de Wartenbourg, et au
-point de jonction de la route avec la digue, avait été naturellement
-chargé de la tâche la plus difficile. Un peu à droite étaient les
-Italiens; tout à fait à droite, au village de Bleddin, les
-Wurtembergeois.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Superbe combat de Wartenbourg soutenu par la division
-Morand.</span>
-Le général Morand, l'un des trois héros du corps de Davout, quand ce
-corps glorieux existait, avait <span class="pagenum"><a id="page485" name="page485"></a>(p. 485)</span> fait ses dispositions avec une
-sagacité admirable. Il avait rangé ses quatre à cinq mille Français
-derrière la digue, où ils étaient couverts jusqu'à la tête comme
-derrière un parapet, et il avait disposé à gauche, sur l'éminence
-sablonneuse du château de Wartenbourg, toute son artillerie. Il
-attendait ainsi, tel qu'un chasseur à l'affût, l'apparition des
-Prussiens.</p>
-
-<p>Ils débouchèrent en effet le 3 octobre au matin par le pont jeté à
-Elster le 2, et s'avancèrent bravement sur la route, sans prévoir le
-terrible accueil qui leur était réservé. On les laissa venir, et puis
-quand ils furent à très-petite portée de fusil, un feu partant de tous
-les points de la digue, et embrassant leur colonne entière, les
-assaillit à l'improviste, et les décima cruellement. Au même instant
-le feu d'une nombreuse artillerie vint s'ajouter à celui de la
-mousqueterie, et ils furent rejetés en désordre sur le pont.</p>
-
-<p>Ce n'était pas avec les passions qui les animaient, soldats et
-généraux, qu'ils pouvaient s'arrêter devant un tel obstacle. Ils
-revinrent à la charge, et chaque fois accueillis de même, ils furent
-abattus en aussi grand nombre, sans pouvoir seulement arriver jusqu'à
-la digue. Blucher s'obstina, et ne réussit ainsi qu'à faire tuer une
-quantité plus considérable de ses soldats. Incommodé par le feu de
-l'artillerie établie sur notre gauche, il imagina de la faire
-contre-battre par une batterie placée sur l'autre côté de l'Elbe.
-Notre artillerie ne se déconcerta point, tourna une partie de ses
-pièces contre la batterie prussienne, la réduisit au silence, et se
-remit à tirer sur <span class="pagenum"><a id="page486" name="page486"></a>(p. 486)</span> la route devenue bientôt un vrai champ de
-carnage.</p>
-
-<p>Ce combat avait duré environ quatre heures, et près de cinq mille
-ennemis jonchaient cette plaine marécageuse, lorsque le général
-Blucher eut enfin l'idée de diriger sur notre droite une attaque
-vigoureuse contre le village de Bleddin, défendu par les
-Wurtembergeois. La colonne d'attaque ayant remonté le bord du fleuve à
-la faveur de quelques bois, assaillit Bleddin avec fureur, car c'était
-la seule route qui pût s'ouvrir à l'armée de Silésie, et elle finit
-par l'enlever aux Wurtembergeois qui n'étaient guère plus de deux
-mille. À cette vue le général Bertrand lança la brigade Hullot de la
-division Morand, sur le flanc de la colonne ennemie. Cette brigade
-renversa trois bataillons, les écrasa, mais arriva trop tard pour
-sauver Bleddin, où déjà l'ennemi avait réussi à s'établir. Le général
-Hullot fut obligé de revenir derrière la digue, et de rejoindre la
-division Morand.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pertes considérables de Blucher.</span>
-Sans cette dernière attaque à découvert, nos pertes n'auraient pas
-dépassé une centaine d'hommes; mais cette sortie nous en coûta deux ou
-trois cents. Les Wurtembergeois de leur côté, en défendant vaillamment
-Bleddin, en perdirent un certain nombre. Toutefois nous n'eûmes pas
-plus de 500 hommes hors de combat, tandis que l'ennemi en eut cinq ou
-six mille. Cette superbe affaire, l'une des plus remarquables de nos
-longues guerres, et qui faisait grand honneur aux généraux Bertrand,
-Morand, Hullot, ne pouvait cependant, Bleddin étant pris, empêcher
-l'armée de Silésie de déboucher.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps obligé néanmoins de se replier sur Kemberg.</span>
-Le général Bertrand dut donc
-rétrograder sur Kemberg, <span class="pagenum"><a id="page487" name="page487"></a>(p. 487)</span> pour se rapprocher du général
-Reynier et de la division Dombrowski, établis le long de la Mulde de
-Düben à Dessau. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Les prisonniers recueillis
-nous apprirent qu'on avait eu sur les bras toute l'armée de Silésie,
-qui avait ainsi passé l'Elbe, et se trouvait sur la droite de Ney.
-<span class="sidenote" title="En marge">Bernadotte passe l'Elbe de son côté dans les environs de
-Dessau.</span>
-D'autres reconnaissances nous révélèrent que l'armée du Nord avait
-commencé à franchir l'Elbe au-dessous de Wittenberg, de Roslau à
-Barby, et que Ney l'avait par conséquent sur sa gauche. Voici quelle
-était la configuration des lieux sur lesquels ces deux armées
-tendaient à se réunir contre le corps du maréchal Ney.</p>
-
-<p>L'Elbe qui de Dresde à Wittenberg coule obliquement du sud-est au
-nord-ouest, coule de Wartenbourg à Roslau, et presque jusqu'à Barby,
-de l'est à l'ouest, c'est-à-dire, par rapport à la position que nous
-venions de prendre, de notre droite à notre gauche. De Wittenberg à
-Barby l'Elbe recueille la Mulde d'abord, qui s'y jette vers Dessau, et
-puis la Saale, qui y tombe près de Barby. Ainsi le maréchal Ney avait
-sur sa droite l'Elbe, coulant latéralement à lui jusqu'à Wittenberg,
-puis sur son front l'Elbe encore se redressant à Wittenberg, passant
-devant lui, et puis à sa gauche la Mulde venant à Dessau se jeter dans
-l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Position de Ney ayant Blucher à sa droite, Bernadotte à sa
-gauche.</span>
-Ney se trouvait donc entre Blucher qui avait passé l'Elbe sur
-sa droite à Wartenbourg, et Bernadotte qui ayant passé l'Elbe
-au-dessous du confluent de la Mulde, remontait la Mulde sur sa gauche.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il rétrograde lentement en remontant entre l'Elbe et la
-Mulde.</span>
-Il avait, il est vrai, l'avantage de posséder tous les ponts de la
-Mulde, puisqu'il avait conservé Düben, Bitterfeld, Dessau, d'être dès
-lors <span class="pagenum"><a id="page488" name="page488"></a>(p. 488)</span> en mesure de man&oelig;uvrer sur les deux bords de cette
-rivière, et de pouvoir s'en couvrir tantôt contre Blucher, tantôt
-contre Bernadotte. Malheureusement il comptait à peine 40 mille
-hommes, tandis que Blucher en avait 60 mille, et que Bernadotte après
-avoir laissé Tauenzien à la garde de ses ponts, en réunissait encore
-soixante et quelques mille. Il se conduisit avec beaucoup de prudence
-entre ces deux masses, tâchant de man&oelig;uvrer de manière à les tenir
-séparées, mais de manière aussi à pouvoir rétrograder rapidement vers
-Leipzig en remontant la Mulde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Concert établi entre Blucher et Bernadotte pour remonter
-sur Leipzig, pendant que l'armée de Bohême y descend.</span>
-Pendant ce temps Blucher et Bernadotte
-cherchèrent à se voir, se virent en effet pour concerter leur plan
-d'opération, et tombèrent d'accord que dès qu'ils pourraient quitter
-sans danger les bords de l'Elbe, pour se porter derrière la Mulde et
-la remonter jusqu'à Leipzig, ils devraient l'entreprendre. Mais tous
-deux après avoir osé franchir l'Elbe devant les Français voulaient se
-ménager une porte de sortie, c'est-à-dire construire l'un à
-Wartenbourg, l'autre à Roslau, des têtes de pont parfaitement solides,
-afin de repasser l'Elbe en sûreté si la fortune était contraire aux
-armes de la coalition. Il ne leur fallait pas moins de trois à quatre
-jours pour vaquer à ces soins de première nécessité.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont vient au secours de Ney, et Murat observe l'armée
-de Bohême.</span>
-Pendant que ces événements se passaient entre l'Elbe et la Mulde, le
-maréchal Marmont, que ses instructions autorisaient à se rendre là où
-le péril lui semblerait le plus grand, s'était hâté au premier appel
-du maréchal Ney de quitter Leipzig et de descendre la Mulde avec son
-corps d'armée et la cavalerie du général Latour-Maubourg. Il s'était
-arrêté <span class="pagenum"><a id="page489" name="page489"></a>(p. 489)</span> à Eilenbourg, derrière le maréchal Ney qui s'était
-replié sur Düben.</p>
-
-<p>De son côté Murat chargé d'observer les débouchés de la Bohême,
-s'était avancé avec Poniatowski, Lauriston, Victor et les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup>
-de cavalerie, de Mittweida jusqu'à Frohbourg, longeant le pied de
-l'Erz-Gebirge et couvrant Leipzig. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Les têtes
-de colonnes de l'armée de Bohême étaient maintenant très-visibles, et
-débouchaient en deux masses principales, de Commotau sur Chemnitz, de
-Carlsbad sur Zwickau. Ney, Marmont et Murat avaient exactement mandé à
-Napoléon tout ce qui s'était passé sous leurs yeux.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Des nouvelles venues de tous côtés, révèlent à Napoléon les
-mouvements des armées ennemies.</span>
-Napoléon reçut le 5 octobre au matin le rapport du beau combat de
-Wartenbourg, et le 5, dans la journée, le détail de tous les
-mouvements opérés par ses divers corps d'armée. Comme on lui disait
-que le rassemblement qui s'était présenté à Wartenbourg, et qui avait
-réussi à franchir l'Elbe sur ce point, était l'armée de Silésie, il
-fit sur-le-champ exécuter une nouvelle reconnaissance en avant de
-Dresde, c'est-à-dire au delà de l'Elbe, et il sut que la sécurité
-fondée sur les reconnaissances des 22 et 23 septembre avait été
-trompeuse, car Blucher venait de défiler du 25 au 30 pour se porter
-sur Wittenberg. Dès ce moment il était évident qu'on n'avait plus
-devant soi à Dresde qu'un rideau de troupes, et que les armées de
-Silésie et du Nord réunies sur l'Elbe inférieur, l'avaient traversé
-pour remonter en commun le long de la Mulde jusqu'à la hauteur de
-Leipzig, tandis que la grande armée de Bohême allait y descendre des
-montagnes, ce qui devait prochainement <span class="pagenum"><a id="page490" name="page490"></a>(p. 490)</span> amener la réunion tant
-prévue de toutes les forces de la coalition sur nos derrières.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ses promptes et admirables combinaisons pour combattre
-alternativement les deux armées qui lui sont opposées.</span>
-Napoléon n'en fut ni ému ni troublé. C'était l'annonce de ce qu'il
-désirait ardemment, c'est-à-dire d'une bataille générale, et dans sa
-confiance il ne craignait même qu'une chose, c'est qu'après un
-mouvement si audacieux les coalisés n'eussent pas le courage de
-persister dans leur entreprise, et qu'ils ne cherchassent à se
-dérober. Qu'il fallût rétrograder de Dresde pour marcher sur eux, ce
-n'était pas à mettre en doute. Mais sur laquelle des deux masses se
-jetterait-il d'abord, afin de les battre l'une après l'autre? c'était
-la seule question à poser, et celle-là même ne le fit pas hésiter un
-instant. L'armée de Bohême n'était pas près d'arriver à Leipzig;
-d'ailleurs Murat avec 40 mille hommes, en trouvant une douzaine de
-mille à Leipzig, devant recevoir bientôt les douze mille d'Augereau,
-ce qui lui procurerait plus de 60 mille hommes, pouvait prendre des
-positions successives pour couvrir Leipzig, gagner ainsi quelques
-jours, tandis que Napoléon, à qui il ne fallait que trois marches pour
-se porter à Düben sur la Mulde, aurait le temps de se jeter entre
-Blucher et Bernadotte, de les accabler l'un et l'autre, puis de
-revenir sur l'armée de Bohême et de la battre à son tour. Si cette
-armée qui tant de fois ne s'était montrée que pour se dérober presque
-aussitôt, ne l'attendait pas, et se hâtait de rentrer en Bohême, au
-lieu de courir après elle il se mettrait à la poursuite de Bernadotte
-et de Blucher vaincus, les suivrait l'épée dans les reins jusqu'à
-Berlin, réaliserait ainsi son projet favori de tendre une main
-secourable <span class="pagenum"><a id="page491" name="page491"></a>(p. 491)</span> à ses garnisons de l'Oder et de la Vistule, et
-probablement dans ce cas transporterait le théâtre de la guerre sur le
-bas Elbe, où il avait les deux puissants points d'appui de Magdebourg
-et de Hambourg.</p>
-
-<p>C'étaient là les chances les plus heureuses, et Napoléon, bien que
-très-confiant encore, n'était pas assez aveugle pour ne pas admettre
-aussi les chances malheureuses, surtout en voyant l'acharnement des
-coalisés. C'est dans cette prévision qu'il avait envoyé le général
-Rogniat à Mersebourg, pour s'y ménager des moyens certains de retraite
-sur la Saale. Si les événements étaient sinon fâcheux, du moins
-indécis, il se replierait sur la Saale, et en ferait sa nouvelle ligne
-d'opération pour plus ou moins longtemps, selon les moyens de
-résistance qu'il trouverait sur cette ligne.</p>
-
-<p>Dans ces divers cas tout semblait devoir aboutir à l'évacuation de
-Dresde, et de la partie du cours de l'Elbe comprise de K&oelig;nigstein à
-Torgau. Si, en effet, après avoir vaincu l'armée de Silésie et du Nord
-Napoléon allait s'établir tout à fait sur le bas Elbe, ou bien si
-ayant eu des revers en Saxe il était obligé de repasser la Saale, il
-devait dans ces deux hypothèses renoncer à Dresde. Il est vrai aussi
-que si après avoir battu les armées de Silésie et du Nord il pouvait
-battre encore l'armée de Bohême, il était maître de la campagne au
-point de n'avoir besoin de rien évacuer. Mais c'était le cas le plus
-favorable, et la prudence ne permettait pas d'y compter assez pour en
-faire la base de ses calculs. Napoléon disposa les choses de manière
-à rendre <span class="pagenum"><a id="page492" name="page492"></a>(p. 492)</span> son mouvement complet, et à évacuer jusqu'à la ville
-de Dresde elle-même.
-<span class="sidenote" title="En marge">Départ de Dresde les 6 et 7 octobre au matin.</span>
-En conséquence il fit partir le 6 au matin toute
-la garde, jeune et vieille, pour le bas Elbe, c'est-à-dire pour
-Meissen. Le 3<sup>e</sup> corps (celui de Souham) s'était acheminé sur Torgau au
-premier bruit du combat de Wartenbourg.
-<span class="sidenote" title="En marge">Préparatifs pour l'évacuation de Dresde, où restent encore
-les corps de Saint-Cyr et de Lobau.</span>
-Il ordonna également à
-Macdonald de partir du camp de Dresde pour Meissen, mais en longeant
-la rive droite, ce qui était sans danger, l'armée de Silésie n'étant
-plus dans les environs, et ce qui avait en outre l'avantage de ne pas
-encombrer la rive gauche. La garde, les corps de Souham et de
-Macdonald, comprenaient environ 75 mille hommes, lesquels en deux
-jours allaient être près de Ney, et en trois sur l'ennemi. Restaient à
-Dresde les corps du comte de Lobau (le 1<sup>er</sup>), du maréchal Saint-Cyr
-(le 14<sup>e</sup>), comptant sept divisions et environ 30 mille hommes. C'était
-une force considérable, qui dans les diverses hypothèses que nous
-venons d'énumérer n'était pas nécessaire à Dresde, et qui sur l'un des
-deux champs de bataille où l'on s'attendait à combattre, pouvait et
-devait même décider la victoire. Napoléon fit appeler le maréchal
-Saint-Cyr qui commandait les deux corps, et lui causa une grande
-satisfaction en lui exposant ses vues, car ce maréchal, outre qu'il
-était cette fois de l'avis de Napoléon, appréhendait fort d'être
-laissé à Dresde. Napoléon lui traça ensuite tout ce qu'il aurait à
-faire pour l'évacuation de cette ville. D'abord il devait évacuer
-successivement K&oelig;nigstein, Lilienstein, Pirna, lever en même temps
-les ponts établis sur ces divers points, réunir les bateaux qui en
-proviendraient, en conserver une <span class="pagenum"><a id="page493" name="page493"></a>(p. 493)</span> partie à Dresde même pour le
-cas où l'on y retournerait, charger les autres de vivres, de
-munitions, de blessés, et les expédier sur Torgau. Tout en faisant ces
-choses qui ressemblaient si fort à une évacuation définitive, le
-maréchal Saint-Cyr devait dire hautement qu'on ne songeait pas à
-quitter Dresde, que loin de là on allait s'y établir, et se servir de
-ce langage pour ôter aux habitants la velléité de s'agiter. Puis ces
-dispositions terminées, ses trente mille hommes tenus sur pied, il
-devait décamper au premier signal, et rejoindre Napoléon par Meissen.
-Telles furent les instructions données à ce maréchal, et plût au ciel
-qu'elles eussent été maintenues! le sort de la France et du monde eût
-été probablement changé!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pénible situation de la cour de Saxe, les Français devant
-quitter Dresde.</span>
-Restait à s'expliquer avec la cour de Saxe. On ne pouvait sans
-inhumanité, et vraisemblablement aussi sans péril, laisser à Dresde,
-au milieu de tous les hasards, cette cour si timide, si peu habituée
-aux horreurs de la guerre. On l'exposerait ainsi à être témoin d'une
-attaque formidable repoussée par des moyens extrêmes, ou bien si on la
-menait avec soi, on la ferait peut-être assister à quelque horrible
-bataille, comme les hommes n'en avaient jamais vu. L'alternative était
-cruelle. Napoléon lui offrit le choix ou de rester à Dresde, ou
-d'accompagner le quartier général. Le bon roi Frédéric-Auguste, qui ne
-voyait plus d'autre ressource que de s'attacher à la fortune de
-Napoléon, aima mieux être avec lui qu'avec un de ses lieutenants, avec
-200 mille hommes qu'avec 30 mille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette cour veut suivre Napoléon.</span>
-Il exprima le désir de suivre
-Napoléon partout où il irait. Il fallait donc se <span class="pagenum"><a id="page494" name="page494"></a>(p. 494)</span> résoudre à
-traîner après soi cette cour nombreuse, remplie de vieillards, de
-femmes, d'enfants, car il y avait des frères, des s&oelig;urs, des
-neveux, dignes et respectables gens accoutumés à la vie la plus douce,
-la plus régulière, se levant, mangeant, se couchant, priant Dieu
-toujours aux mêmes heures, et rappelant, au scandale près, la
-simplicité, l'ignorance, la timidité des Bourbons d'Espagne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dispositions ordonnées pour lui rendre le voyage
-supportable.</span>
-Napoléon
-voulut autant que possible les faire marcher en pleine sécurité, avec
-tous les honneurs qui leur étaient dus, et ce n'était pas chose aisée
-au milieu des six cent mille hommes, des trois mille bouches à feu, et
-des vingt mille voitures de guerre, qui allaient pendant quinze jours
-circuler à quelques lieues les uns des autres. Il décida que lui
-partant le 7 octobre avec ce qu'il appelait le petit quartier général,
-c'est-à-dire avec Berthier, avec ses aides de camp, avec un ou deux
-secrétaires et quelques domestiques, le grand quartier général,
-composé des administrations de l'armée, de la chancellerie de M. de
-Bassano, des parcs généraux, escorté par quatre mille hommes,
-partirait le lendemain 8. Le roi de Saxe, protégé par une division de
-la vieille garde, devait s'y joindre avec ses nombreuses voitures. M.
-de Bassano, façonné à la vie des camps, et ayant appris de son maître
-à ne rien craindre, avait mission de suivre le roi de Saxe pour lui
-tenir compagnie, pour le mettre au courant des nouvelles, et le
-rassurer en lui peignant tout en beau quoi qu'il pût arriver. Un
-officier de la vieille garde devait toujours être à sa portière pour
-écouter ses moindres désirs, et y satisfaire. C'est ainsi, et à
-travers les embarras <span class="pagenum"><a id="page495" name="page495"></a>(p. 495)</span> des plus vastes armées qu'on eût jamais
-vues, embarras dont il n'était pas le moindre, que l'excellent roi de
-Saxe allait voyager, marchant à petites journées, entendant la messe
-chaque matin, vivant en un mot comme à Dresde, à la suite de son
-terrible allié qui marchait, lui, presque jour et nuit, dormait et
-mangeait à peine, travaillait presque sans interruption, bien qu'il
-eût acquis dès lors l'embonpoint de l'un de ces princes amollis des
-vieilles dynasties. Mais une âme de fer, un génie prodigieux, un
-orgueil de démon, animaient ce corps déjà souffrant et alourdi, et le
-remuaient comme celui d'un jeune homme!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Wurtzen.</span>
-Ayant acheminé une partie de ses troupes le 6 octobre, l'autre partie
-le 7, Napoléon se mit lui-même en route dans la journée du 7, et après
-une station de quelques heures à Meissen, il poussa jusqu'à
-Seerhausen, sur le chemin de Wurtzen. Sa grande expérience de la
-guerre lui avait appris que c'était vers minuit ou une heure du matin
-que les nouvelles les plus importantes arrivaient, parce que les
-généraux placés à dix ou quinze lieues expédiaient à la chute du jour
-le récit de ce qu'ils avaient fait dans la journée, par des officiers
-qui en cinq ou six heures exécutaient le trajet à cheval, ce qui
-procurait la connaissance des événements quelquefois à minuit,
-quelquefois à une heure du matin.
-<span class="sidenote" title="En marge">Sa manière de travailler, et son activité prodigieuse.</span>
-En dépêchant la réponse
-sur-le-champ, les ordres nécessaires parvenaient le lendemain matin,
-encore assez tôt pour être exécutés, et des corps placés à une grande
-distance agissaient ainsi sous l'inspiration de Napoléon comme s'ils
-avaient été auprès de <span class="pagenum"><a id="page496" name="page496"></a>(p. 496)</span> lui. De cette manière la nuit,
-indispensable au repos des troupes, avait suffi pour demander des
-instructions et les obtenir. Mais cette prodigieuse machine ne pouvait
-recevoir l'impulsion qu'à condition que le génie, moteur principal,
-serait toujours debout et éveillé, du moins au moment le plus
-essentiel pour l'expédition des ordres. En conséquence, surtout depuis
-cette dernière campagne, Napoléon se couchait ordinairement à six ou
-sept heures du soir, se relevait à minuit, et dictait sa
-correspondance pendant toute la nuit. C'était en effet le cas de
-veiller sans cesse, ayant à mouvoir des masses immenses, au milieu
-d'autres masses immenses, et à les mouvoir avec une précision
-rigoureuse. Napoléon arrivé à Seerhausen lut quelques lettres, expédia
-quelques réponses, prit ensuite un peu de repos, et repartit dans la
-nuit pour Wurtzen, où il arriva le 8 d'assez bonne heure pour expédier
-ses ordres.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'était promis de prendre à Wurtzen une résolution
-définitive, et là de se diriger contre l'une ou l'autre armée
-ennemie.</span>
-À Wurtzen il était sur la Mulde, à peu près à la hauteur de Leipzig
-sur la Pleisse, et pouvant se rendre à Leipzig ou à Düben dans le même
-espace de temps. Son projet en quittant Dresde avait été d'ajourner
-jusqu'à Wurtzen même ses résolutions définitives. Là il devait ou se
-diriger tout de suite sur Leipzig, si Murat poussé vivement ne pouvait
-plus tenir tête à l'armée de Bohême, ou bien si Murat avait le moyen
-de se soutenir quelques jours encore, descendre la Mulde jusqu'à
-Düben, et se débarrasser des armées de Silésie et du Nord, en les
-rejetant au delà de l'Elbe. Il devait aussi donner au maréchal
-Saint-Cyr le signal attendu de l'évacuation de Dresde.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page497" name="page497"></a>(p. 497)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Jugeant le danger plus grand du côté de Ney, il
-marche avec 75 mille hommes sur Düben.</span>
-Pendant toute la route il avait reçu des nouvelles, soit des débouchés
-de la Bohême (c'est-à-dire de sa gauche depuis qu'il tournait le dos à
-Dresde et la face à Leipzig), soit de l'Elbe et de la Mulde
-inférieure, c'est-à-dire de sa droite. Toutes s'accordaient à montrer
-le danger comme plus pressant de ce dernier côté, car Blucher et
-Bernadotte réunis étaient prêts à se jeter sur Ney, tandis que Murat,
-bien qu'il vît distinctement déboucher de Commotau sur Chemnitz, de
-Zwickau sur Altenbourg, deux fortes colonnes, n'était cependant pas
-encore serré d'assez près pour que l'on eût à concevoir des craintes
-sur son compte. De plus un fâcheux désaccord survenu entre Ney et
-Marmont était une raison assez urgente d'aller à eux. Voici ce qui
-s'était passé. Ney, après le combat de Wartenbourg, ayant rétrogradé
-jusqu'à Düben, et ayant pressé Marmont de venir à son secours, ce que
-celui-ci venait de faire en se portant à Eilenbourg, avait tout à coup
-quitté sa position, et passé derrière Marmont pour se rapprocher de
-l'Elbe dans la direction de Torgau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Singulier conflit entre Ney et Marmont.</span>
-De la sorte Marmont, au lieu
-d'être placé en appui, se trouvait en tête, et assez compromis, outre
-que Leipzig par le mouvement qu'on avait exigé de lui, restait exposé
-aux entreprises de Bernadotte et de Blucher. Le motif qui avait
-déterminé le maréchal Ney à ce mouvement inexplicable, n'était autre
-que le désir de rallier à lui le 3<sup>e</sup> corps (général Souham). Ne se
-croyant pas capable d'exécuter grand'chose avec les corps de Reynier
-et de Bertrand (7<sup>e</sup> et 4<sup>e</sup> corps), il avait voulu recueillir lui-même,
-et le plus tôt possible, ce 3<sup>e</sup> corps qu'il avait longtemps <span class="pagenum"><a id="page498" name="page498"></a>(p. 498)</span>
-commandé, et sur lequel il comptait beaucoup. Marmont ne sachant que
-penser de la conduite de Ney, et craignant pour Leipzig, avait à son
-tour rétrogradé jusqu'à Taucha.</p>
-
-<p>Il y avait donc pour se jeter à droite sur la Mulde, le double motif
-de frapper d'abord Bernadotte et Blucher, puisqu'on en avait le temps,
-et de mettre d'accord des lieutenants désunis. Napoléon prit
-sur-le-champ son parti, et résolut de marcher de Wurtzen sur
-Eilenbourg, c'est-à-dire de descendre la Mulde avec les 75 mille
-hommes qu'il amenait, en reportant en avant Ney et Marmont. Il
-espérait ainsi en cheminant entre la Mulde et l'Elbe aussi loin qu'il
-le faudrait, gagner de vitesse Bernadotte et Blucher, et les
-rencontrer avant qu'ils eussent le temps de repasser l'Elbe. Les ayant
-toujours vus s'éloigner dès qu'il arrivait, son souci n'était pas de
-les éviter, quelque forts qu'ils pussent être, mais de les atteindre,
-car il craignait qu'ils n'eussent bientôt peur de ce qu'ils avaient
-tenté, et qu'ils ne cherchassent encore à s'enfuir à son approche. Ils
-n'en étaient plus là malheureusement, et plusieurs avantages
-successivement obtenus sur ses lieutenants, les avaient enhardis
-jusqu'à le redouter lui-même beaucoup moins qu'auparavant!</p>
-
-<p>Blucher et Bernadotte battus, Napoléon se proposait de revenir sur le
-prince de Schwarzenberg, si celui-ci avait persisté à s'avancer avec
-l'armée de Bohême, ou s'il s'était replié à la nouvelle d'une bataille
-perdue, de continuer à poursuivre Blucher et Bernadotte jusqu'à Berlin
-peut-être.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à suivre les deux rives de la Mulde.</span>
-En conséquence il prescrivit au maréchal Ney de <span class="pagenum"><a id="page499" name="page499"></a>(p. 499)</span> se reporter
-en avant avec Reynier, Bertrand, Dombrowski, Souham, et la cavalerie
-de Sébastiani (2<sup>e</sup> de réserve) qu'on avait attachée à son armée pour
-remplacer celle du duc de Padoue. Il lui ordonna de descendre entre la
-Mulde et l'Elbe, la gauche à la Mulde, la droite à l'Elbe, en se
-couvrant de sa cavalerie pour n'être pas surpris, et pour surprendre
-au contraire tous les mouvements de l'ennemi. Il ramena Marmont en
-avant, le fit marcher par la rive gauche de la Mulde presque à la
-hauteur de Ney, qui était sur la rive droite, et chemina lui-même avec
-toute la garde et Macdonald derrière ses deux lieutenants.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Instructions à Murat pour lui tracer la conduite à tenir
-pendant que Napoléon sera aux prises avec les armées de Silésie et du
-Nord.</span>
-En même temps il fit part à Murat de ce qu'il avait projeté contre les
-armées réunies du Nord et de Silésie, lui recommanda de ne pas
-s'engager, de côtoyer sans le heurter l'ennemi qui débouchait de la
-Bohême, de se tenir toujours entre lui et Leipzig, où il trouverait de
-vingt à vingt-quatre mille hommes de renfort, ce qui lui procurerait
-soixante et quelques mille combattants. Napoléon en effet avait placé
-le duc de Padoue à Leipzig, avec une partie du 3<sup>e</sup> corps de cavalerie
-(distrait de l'armée de Ney pour courir après les partisans), lui
-avait donné en outre les bataillons de marche arrivés de Mayence, et
-l'ancienne division Margaron. Cette réunion pouvait former une
-douzaine de mille hommes de troupes actives, et 24 mille en y
-comprenant Augereau qui s'approchait. Napoléon ordonna à ceux-ci de se
-bien tenir sur leurs gardes, surtout du côté de la basse Mulde, de
-crainte que Bernadotte et Blucher ne fissent en se dérobant quelque
-<span class="pagenum"><a id="page500" name="page500"></a>(p. 500)</span> tentative sur Leipzig. Par malheur, à toutes ces instructions
-si bien calculées, Napoléon ajouta une résolution justifiable dans le
-moment, mais infiniment regrettable. Il suspendit l'évacuation de
-Dresde à laquelle le maréchal Saint-Cyr était tout préparé. Il ne la
-contremanda pas précisément, mais il prescrivit de la différer, par le
-motif que l'ennemi s'engageant à fond, soit du côté de la Bohême, soit
-du côté de la Mulde et de l'Elbe, la bataille tant désirée devenait
-certaine, la victoire aussi, et qu'alors il serait bien heureux
-d'avoir conservé Dresde, où le quartier général rentrerait presque
-aussitôt qu'il en serait sorti. C'était évidemment parce que la grande
-bataille approchait qu'il eût fallu concentrer ses forces; mais
-Napoléon raisonnait ici pour Dresde comme il avait raisonné pour
-Dantzig, pour Stettin, Custrin, Glogau, avec l'espoir téméraire de
-refaire d'un seul coup une fortune compromise par des causes
-supérieures et déjà presque insurmontables.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Eilenbourg le 10 octobre au matin.</span>
-Ayant passé à Wurtzen la soirée du 8 et la journée du 9, afin de
-laisser à ses troupes le temps d'arriver en ligne, Napoléon en partit
-le 10 dans la nuit, et parvint à quatre heures du matin à Eilenbourg.
-Il se mit lui-même à la tête de la cavalerie légère de sa garde, et
-marcha entouré de tous ses corps sur Düben, point essentiel où l'on
-devait rencontrer l'ennemi, et peut-être la bataille qu'on souhaitait
-avec ardeur.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche imposante de Napoléon, à cheval sur la Mulde avec
-140 mille hommes.</span>
-Dans ces moments suprêmes, Napoléon se tenait de sa
-personne au milieu de ses troupes, le plus souvent à l'avant-garde. Il
-s'avançait avec 140 mille hommes environ dans l'ordre suivant. Ney en
-tête avec ce qui lui restait de la cavalerie <span class="pagenum"><a id="page501" name="page501"></a>(p. 501)</span> du duc de Padoue
-(3<sup>e</sup> de réserve), avec le corps de Sébastiani (2<sup>e</sup> de réserve),
-descendait sur Düben, ayant à gauche Reynier au delà de la Mulde, au
-centre Dombrowski et Souham sur la Mulde même, à droite Bertrand
-marchant presque à égale distance de la Mulde et de l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Distribution des divers corps d'armée sur l'une et l'autre
-rive de la Mulde.</span>
-Napoléon
-suivait exactement dans le même ordre, ayant la cavalerie de la garde
-et de Latour-Maubourg en tête, Marmont formant la gauche sur un côté
-de la Mulde, toute la garde formant le centre sur la Mulde même,
-Macdonald formant la droite, entre la Mulde et l'Elbe. À deux journées
-en arrière venait le grand quartier général avec tous les parcs, et
-notamment avec les bons princes saxons cheminant du pas qui convenait
-à leurs habitudes. Napoléon leur expédiait à chaque instant des
-nouvelles. Jamais marche plus profondément calculée et plus vaste ne
-s'était exécutée dans aucune guerre. On s'avançait avec une précaution
-extrême, s'attendant à toute heure à voir apparaître l'ennemi, et le
-désirant vivement. On l'apercevait en effet dans toutes les
-directions, mais se repliant, et cette fois encore Napoléon put
-craindre de voir les coalisés, recommençant leur tactique d'offensive
-contre ses lieutenants, de retraite devant lui, se soustraire de
-nouveau à ses coups. Voici cependant ce qui s'était passé de leur
-côté.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche de Blucher et de Bernadotte.</span>
-Blucher dans une entrevue qu'il avait eue avec le prince de Suède le
-7, en présence des principaux officiers des deux états-majors, était
-convenu avec lui de marcher en commun sur Leipzig, croyant n'avoir
-affaire qu'aux maréchaux Ney et Marmont. Le mouvement des armées du
-Nord et de Silésie devait commencer <span class="pagenum"><a id="page502" name="page502"></a>(p. 502)</span> dès qu'elles auraient
-assuré par de fortes têtes de pont leurs moyens de repasser l'Elbe,
-dans le cas où elles seraient contraintes de battre en retraite.
-<span class="sidenote" title="En marge">Leur entrevue, et leur antipathie réciproque.</span>
-Les
-deux chefs de ces armées étaient loin de se plaire. La fierté,
-l'impétuosité, la défiance offensante de Blucher avaient peu satisfait
-Bernadotte, et la timidité de Bernadotte, cachée sous une morgue
-singulière, n'avait excité ni l'estime ni la confiance de Blucher. De
-froids égards avaient à peine dissimulé leur antipathie réciproque, et
-du reste ils s'étaient quittés en se promettant un concert d'autant
-plus nécessaire, qu'ils étaient engagés dans des opérations plus
-périlleuses.
-<span class="sidenote" title="En marge">En apprenant l'arrivée de Napoléon, ils prennent le parti
-de se réunir tous les deux derrière la Mulde, pour se mettre à
-couvert.</span>
-Le 9, des avis secrets venus du pays même avaient averti
-Bernadotte et Blucher de l'approche de Napoléon avec toutes ses
-réserves. C'en était assez pour troubler le futur roi de Suède, et
-pour lui faire prendre la résolution de repasser l'Elbe. Blucher qui
-n'en était pas d'avis, avait envoyé un de ses officiers au camp
-suédois, pour s'entendre sur ce nouvel incident. Bernadotte s'était
-hâté de déclarer qu'il allait se reporter derrière l'Elbe pour
-s'épargner un désastre, à moins que l'armée de Silésie ne vînt le
-rejoindre au delà de la Mulde, afin de réunir en une seule masse les
-armées du Nord et de Silésie<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Lien vers la note 23"><span class="smaller">[23]</span></a>. L'avis était sensé, et le moindre
-des généraux <span class="pagenum"><a id="page503" name="page503"></a>(p. 503)</span> l'eût conçu et adopté sans contestation. Aussi
-le général Blucher s'était-il empressé de s'y conformer, bien que ce
-mouvement eût l'inconvénient de lui faire perdre son pont de
-Wartenbourg. Il fut donc arrêté que dans la journée du 10 le général
-d'York, formant actuellement la droite de l'armée de Silésie,
-passerait la Mulde à Jesnitz, que le général Langeron en formant le
-centre, la passerait à Bitterfeld, et enfin que le général Sacken qui
-était devenu sa gauche, la passerait à Düben. Tous les corps de
-l'armée de Silésie étaient ainsi en mouvement, défilant devant nous de
-notre droite à notre gauche, le long du contour que la Mulde décrit de
-Düben à Bitterfeld. (Voir la carte n<sup>o</sup> 58.) Le corps d'York n'avait
-qu'un pas à faire pour passer à Jesnitz. Celui de Langeron n'avait à
-franchir que les quatre lieues de Düben à Bitterfeld. <span class="pagenum"><a id="page504" name="page504"></a>(p. 504)</span> Mais
-Sacken, qui était à Mokrehna entre la Mulde et l'Elbe, avait au
-contraire beaucoup plus de chemin à parcourir pour venir à Düben, et
-surtout à man&oelig;uvrer très-près des Français, ce qui rendait pour lui
-le trajet singulièrement périlleux.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Pendant que Blucher défile de notre droite à notre gauche
-pour passer la Mulde, Ney heurte fortement le corps de Langeron.</span>
-Tandis que dans la journée du 10 l'armée française à cheval sur la
-Mulde descendait cette rivière vers Düben, le maréchal Ney marchant en
-tête, heurta vivement le corps de Langeron, qui était resté en arrière
-pour attendre le corps de Sacken et lui livrer le pont de Düben. Il le
-repoussa brusquement, et lui enleva un parc de 300 voitures. Sacken
-fort pressé par les troupes du général Bertrand, qui avaient cheminé
-entre la Mulde et l'Elbe, se retira comme il put, et trouvant Düben
-occupé par notre avant-garde, opéra un grand circuit pour venir
-traverser la Mulde à Raguhn.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend par des prisonniers le mouvement
-qu'exécute l'armée de Silésie pour se couvrir en passant la Mulde.</span>
-Napoléon entré à Düben vers deux heures de l'après-midi, se hâta
-d'interroger les prisonniers qu'on avait recueillis, sut qu'il avait
-en présence l'armée de Silésie tout entière, laquelle avait défilé, et
-défilait encore devant lui, pour aller gagner la Mulde sur notre
-gauche. Napoléon résolut de la poursuivre sur-le-champ dans toutes les
-directions. Il ordonna au maréchal Ney de se porter avec Souham à
-trois lieues sur la gauche, à Gräfenhaynchen, route de Dessau; aux
-généraux Dombrowski et Reynier de se porter à droite, sur Wittenberg,
-au bord de l'Elbe; au général Bertrand, avec son 4<sup>e</sup> corps et la
-cavalerie de Sébastiani, de se diriger sur Wartenbourg, également au
-bord de l'Elbe, afin d'y détruire les ponts de l'ennemi, à Macdonald
-enfin <span class="pagenum"><a id="page505" name="page505"></a>(p. 505)</span> d'appuyer Bertrand.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il pousse tous ses corps en avant pour culbuter partout les
-détachements ennemis, et leur enlever leurs ponts de l'Elbe et de la
-Mulde.</span>
-Tous devaient culbuter les corps de
-Blucher, qui surpris en marche ne pouvaient guère opposer de
-résistance, et leur enlever partout les moyens de passage de la Mulde
-et de l'Elbe, afin de nous les approprier exclusivement. Napoléon
-s'arrêta à Düben même avec la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg
-et le corps du maréchal Marmont, pour y combiner ses mouvements
-ultérieurs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Sachant que les armées de Silésie et du Nord sont réunies
-sur sa gauche et derrière la Mulde, Napoléon forme le projet de
-marcher sur elles d'abord, de les poursuivre à outrance dans la
-direction de Berlin, de laisser l'armée de Bohême descendre jusqu'à
-Leipzig, puis de la surprendre en remontant l'Elbe par la rive droite,
-et en se jetant sur elle par Torgau ou Dresde.</span>
-À voir la manière dont les choses se présentaient, un souci le
-préoccupait fortement. Il savait que l'armée du Nord était sur sa
-gauche, derrière la basse Mulde, occupant les ponts de cette rivière,
-et ceux de l'Elbe au-dessous de sa réunion avec la Mulde, ayant par
-conséquent toute facilité pour repasser l'Elbe, et se soustraire à nos
-poursuites. Il savait que l'armée de Silésie, après avoir franchi
-l'Elbe à Wartenbourg sur notre droite, venait de défiler le long de
-notre front, pour traverser la Mulde à notre gauche, et se joindre à
-l'armée du Nord. Il n'y avait pas grande invraisemblance à supposer
-qu'elles allaient recommencer cette tactique évasive qui nous avait
-tant épuisés, et à notre approche repasser l'Elbe vers Acken ou
-Roslau. Pour Napoléon qui avait besoin d'une bataille décisive, et qui
-à chaque pas jonchait la route de jeunes gens malades ou dépités,
-c'était là un vrai malheur. Il était à craindre également qu'après
-avoir inutilement opéré un long trajet pour atteindre les armées de
-Silésie et du Nord, et voulant se rabattre ensuite sur l'armée de
-Bohême, il ne pût pas davantage atteindre celle-ci. Leur marche sur
-nos derrières annonçait sans doute des <span class="pagenum"><a id="page506" name="page506"></a>(p. 506)</span> projets plus hardis
-que de coutume, mais elle pouvait bien signifier aussi le désir de ne
-combattre que lorsque les trois armées alliées seraient confondues en
-une seule. Or pour leur donner le courage de nous attendre, Napoléon
-ne pouvait cependant pas leur laisser l'avantage de se réunir, ce qui
-les aurait placées à notre égard dans la proportion de deux contre un,
-supériorité numérique trop dangereuse pour s'y exposer; et néanmoins,
-tant qu'il persisterait à s'interposer entre les deux masses ennemies,
-l'une descendant la Mulde, l'autre la remontant, il était présumable
-que chacune des deux individuellement menacée, chercherait à se
-dérober. Dans cette perplexité, ne voulant pas leur permettre de se
-réunir, et obligé de choisir celle qu'il attaquerait la première, il
-prit le parti de se jeter à outrance sur la masse qui était formée des
-armées de Silésie et du Nord, et pour les joindre, sans perdre le
-moyen de revenir plus tard sur l'armée de Bohême, il imagina tout à
-coup l'un des projets les plus audacieux, les plus savants, que jamais
-capitaine eût conçus, et qui recevait de la proportion des forces avec
-lesquelles il allait être tenté une grandeur inouïe<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Lien vers la note 24"><span class="smaller">[24]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Conséquences possibles de cette vaste et belle
-combinaison.</span>
-Napoléon
-résolut de poursuivre sans relâche les armées de Silésie et du Nord,
-de passer à leur suite la Mulde <span class="pagenum"><a id="page507" name="page507"></a>(p. 507)</span> et l'Elbe, d'en détruire tous
-les ponts, excepté ceux qui nous appartenaient, de s'efforcer ainsi de
-mettre en complète déroute ces deux armées, puis, comme dans cet
-intervalle de temps le prince de Schwarzenberg continuant à descendre
-la Mulde aurait vivement poussé Murat sur Leipzig, et peut-être plus
-bas, de remonter lui-même l'Elbe, sans quitter la rive droite, de le
-remonter jusqu'à Torgau ou à Dresde, de repasser ce fleuve à l'un de
-ces points, et de fondre sur cette armée de Bohême, séparée des
-montagnes, et prise ainsi dans un vrai cul-de-sac, entre la Mulde et
-l'Elbe dont les ponts seraient à nous. Il fallait sans doute bien du
-bonheur, bien de la précision de mouvement, et de bien bons
-instruments pour que cette combinaison réussît, car elle était aussi
-vaste que compliquée; mais il se pouvait qu'après avoir fourni à
-Napoléon le moyen de battre les armées du Nord et de Silésie, elle lui
-ménageât encore le moyen de prendre dans un coupe-gorge et de détruire
-complétement l'armée de Bohême. C'étaient de prodigieux résultats,
-certains avec les soldats et les généraux de Friedland et
-d'Austerlitz, douteux aujourd'hui, mais possibles encore, même avec
-des soldats jeunes et des généraux déconcertés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordres donnés pour l'exécution du nouveau plan.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Secret fortement recommandé.</span>
-Sur-le-champ Napoléon donna ses ordres en conséquence, et les donna en
-chiffres, recommandant à tous ceux qui allaient être dépositaires de
-son secret, de le bien garder, car, disait-il, ce serait pendant trois
-jours le <cite>secret de l'armée et le salut de l'Empire</cite>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Instructions à Murat pour qu'il se replie lentement sur
-Leipzig, afin de donner à Napoléon le temps de revenir par la rive
-droite de l'Elbe.</span>
-Il prescrivit à
-Murat de se conduire avec une extrême prudence, de contenir l'ennemi
-et de l'attirer tout à la fois, de se replier sur Leipzig où il
-<span class="pagenum"><a id="page508" name="page508"></a>(p. 508)</span> rencontrerait le duc de Padoue et vraisemblablement Augereau,
-de s'y maintenir autant que possible, car il y avait un intérêt à la
-fois politique, moral et militaire à conserver cette ville, mais
-plutôt que de s'exposer à une lutte inégale, de rétrograder sur Torgau
-ou Wittenberg, où il trouverait asile derrière l'Elbe, en attendant
-que Napoléon repassant ce fleuve par Torgau ou Dresde, vînt comme la
-foudre retomber sur l'armée de Bohême, condamnée à périr dans le piége
-où elle se serait laissé entraîner. Napoléon ordonna au duc de Padoue
-de réunir tout ce qu'il y avait à Leipzig de vivres, de munitions,
-d'habillements, de souliers, de matériel précieux enfin, d'en composer
-un vaste convoi et de l'acheminer sur la route de Torgau, où le
-général Lefebvre-Desnoëttes viendrait le recueillir par un mouvement
-rétrograde, pour l'escorter jusqu'à Torgau même. De la sorte si on
-était obligé d'évacuer Leipzig on n'y perdrait rien. Napoléon
-prescrivit encore au duc de Padoue d'écrire à Erfurt, à Mayence, qu'on
-était en pleine man&oelig;uvre, que les mouvements allaient être
-très-compliqués, qu'il ne fallait donc pas prendre l'alarme si on
-apprenait que Leipzig fut occupé par l'ennemi, qu'un pareil événement
-pouvait bien avoir lieu, mais par le résultat de combinaisons qui se
-termineraient vraisemblablement <em>par un coup de foudre</em>.</p>
-
-<p>Napoléon avait le projet, arrivé jusqu'à Dessau à la poursuite de
-Blucher et de Bernadotte, de ne pas lâcher prise avant d'avoir pu les
-joindre; cependant, si après les avoir bien battus il fallait pour les
-suivre encore perdre la chance d'atteindre l'armée de Bohême, il
-était résolu de les laisser traîner leurs débris <span class="pagenum"><a id="page509" name="page509"></a>(p. 509)</span> jusqu'à
-Berlin, et quant à lui de remonter la rive droite de l'Elbe pour
-l'exécution de sa grande pensée, dont le succès serait ainsi devenu
-très-probable, car le fleuve qu'il aurait mis entre lui et l'armée de
-Bohême couvrirait son mouvement, maintiendrait cette armée dans
-l'ignorance de ce qu'on lui préparait, et ne lui permettrait de
-l'apprendre que lorsqu'il ne serait plus temps pour elle de rebrousser
-chemin vers la Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'inconvénient inévitable de la nouvelle combinaison
-imaginée par Napoléon, c'est d'empêcher l'évacuation de Dresde.</span>
-Toutefois cette profonde combinaison avait un inconvénient, un seul,
-mais grave, c'était de résoudre définitivement la question de
-l'évacuation ou de la conservation de Dresde. Conserver cette ville
-devenait en effet nécessaire, puisque après avoir passé l'Elbe à la
-suite de Blucher et de Bernadotte, il fallait le repasser afin de
-surprendre l'armée de Bohême, et il était possible que pour y réussir
-il fallût le remonter non-seulement jusqu'à Torgau, mais jusqu'à
-Dresde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordre au maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde.</span>
-Par ce motif Napoléon enjoignit au maréchal Saint-Cyr,
-contrairement à ce qu'il lui avait d'abord annoncé, de rester
-définitivement à Dresde, de s'y bien établir, et de l'y attendre avec
-confiance, car bientôt probablement il le verrait reparaître sous les
-murs de cette ville, non par la rive gauche, mais par la rive droite,
-après de grands desseins accomplis, et à la poursuite de desseins plus
-grands encore. Malheureusement si ces desseins ne se réalisaient pas,
-et si on était amené à combattre où l'on se trouvait, c'est-à-dire
-entre Düben et Leipzig, c'étaient 30 mille hommes capables de décider
-la victoire qui manqueraient à l'effectif de nos forces, et s'il
-fallait après une bataille ou indécise ou perdue <span class="pagenum"><a id="page510" name="page510"></a>(p. 510)</span> repasser la
-Saale, c'étaient encore 30 mille hommes ajoutés à tous ceux qui
-renfermés dans les places de l'Elbe, de l'Oder, de la Vistule, ne
-pourraient pas rentrer en France, et seraient réduits à capituler.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'arrête un jour à Düben pour bien s'assurer des
-vrais mouvements de l'ennemi.</span>
-Après avoir enfanté ces vastes conceptions, Napoléon résolut de
-s'arrêter un jour à Düben, peut-être deux, pour y recueillir des
-nouvelles soit de Murat, soit des différents corps envoyés à la
-poursuite de Blucher et de Bernadotte, car il s'agissait de savoir
-s'il devait chercher les armées de Silésie et du Nord derrière la
-Mulde, en passant cette rivière entre Düben et Dessau, ou les chercher
-au delà de l'Elbe, en passant ce fleuve à Wittenberg. Il faisait un
-temps horrible, on marchait dans une fange épaisse, délayée par des
-pluies continuelles, ce qui augmentait beaucoup les peines du soldat,
-et Napoléon était contraint d'attendre le résultat des reconnaissances
-dans un petit château entouré d'eau, au milieu de bois déjà ravagés
-par l'automne et la mauvaise saison. Cette inaction forcée coûtait à
-son impatience, et quoique très-confiant encore, il ne laissait pas
-d'avoir de vagues pressentiments qui le jetaient parfois dans une
-sorte de tristesse.
-<span class="sidenote" title="En marge">Entretien pendant toute une nuit avec le maréchal Marmont.</span>
-Il n'avait d'autre ressource que de s'entretenir
-avec le maréchal Marmont, dont l'esprit facile, ouvert, cultivé, lui
-plaisait, et avec lequel il avait eu jadis les rapports familiers d'un
-général avec son aide de camp. Il passa la nuit entière du 10 au 11 à
-discourir sur la situation si extraordinairement compliquée des armées
-belligérantes entre l'Elbe, la Mulde et les montagnes de Bohême; et
-bien qu'il eût été amené à cette situation non par la confusion de
-son esprit qui était le plus net du <span class="pagenum"><a id="page511" name="page511"></a>(p. 511)</span> monde, mais par celle des
-choses, et qu'il sût parfaitement s'y reconnaître, il n'était pas
-exempt de toute inquiétude en se voyant engagé dans un pareil
-labyrinthe, et à plusieurs reprises il s'écria: Quel fil embrouillé
-que tout ceci! Moi seul je puis le débrouiller, et encore aurai-je
-bien de la peine!--C'est ainsi qu'il passa cette nuit, parlant de
-toutes choses, même de littérature et de sciences, laissant le
-maréchal Marmont épuisé de fatigue, et ne paraissant en éprouver
-aucune.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement de Bertrand, Reynier, Macdonald et Ney pendant la
-journée du 11.</span>
-Le 11 les rapports des lieutenants annoncèrent les résultats qui
-suivent. Le général Bertrand avec le 4<sup>e</sup> corps s'était porté sur
-Wartenbourg, où il avait trouvé la grande tête de pont commencée par
-Blucher, et avait entrepris de la détruire, car il était convenu qu'on
-ne souffrirait aucun moyen de passage hors des places de Wittenberg ou
-de Torgau qui nous appartenaient.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi rencontré partout sans qu'on puisse deviner sa
-véritable direction.</span>
-Les généraux Dombrowski et Reynier
-avaient chassé des environs de Wittenberg les troupes qui bloquaient
-cette place, s'y étaient introduits, et, débouchant sur la rive droite
-de l'Elbe, avaient couru sur les détachements prussiens. Le maréchal
-Macdonald était venu se placer à Kemberg, derrière Wittenberg, pour
-appuyer Dombrowski et Reynier. Enfin à gauche Ney s'était approché de
-Dessau, et avait refoulé tous les détachements ennemis sur la droite
-de la Mulde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Incertitude de Napoléon.</span>
-Les prisonniers faits, les mouvements aperçus, étaient de
-nature à jeter Napoléon dans la plus grande incertitude. En effet, à
-Wartenbourg sur notre droite, à Wittenberg sur notre front, à Dessau
-sur notre gauche, on avait vu non-seulement des détachements,
-<span class="pagenum"><a id="page512" name="page512"></a>(p. 512)</span> mais des corps entiers et d'immenses convois, de manière
-qu'il était impossible de dire si l'ennemi repassait sur la rive
-droite de l'Elbe à notre approche, ou s'il s'arrêtait derrière la
-Mulde, attendant pour livrer bataille que nous osassions franchir
-cette rivière devant lui.
-<span class="sidenote" title="En marge">Danger de voir Blucher et Bernadotte, au lieu de repasser
-l'Elbe pour s'enfuir vers Berlin, remonter la Mulde pour joindre le
-prince de Schwarzenberg à Leipzig.</span>
-Il se pouvait aussi que les deux armées du
-Nord et de Silésie réunies derrière la Mulde, remontassent cette
-rivière pour opérer leur jonction avec l'armée de Bohême aux environs
-de Leipzig. Ce dernier mouvement de leur part nous exposait au péril
-très-grave d'avoir toute la coalition à la fois sur les bras. Il
-fallait donc en tâchant d'accabler Bernadotte et Blucher d'abord,
-man&oelig;uvrer de façon à demeurer toujours interposés entre eux et le
-prince de Schwarzenberg, c'est-à-dire entre la masse qui remontait du
-bas Elbe et celle qui descendait de Bohême.
-<span class="sidenote" title="En marge">Précautions de Napoléon contre ce danger.</span>
-Dans cette vue, Napoléon
-fit passer le pont de Düben au maréchal Marmont, et lui donnant une
-forte division de cavalerie, le porta sur la gauche de la Mulde vers
-Dölitzsch.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il envoie Marmont au delà de la Mulde, à Dölitzsch, pour
-rester toujours interposé entre les deux masses ennemies, celle du bas
-Elbe et celle de Bohême.</span>
-Marmont allait être derrière un bras détaché de la Mulde
-qui coule de Leipzig à Jesnitz, tantôt formant des flaques d'eau,
-tantôt s'échappant en un maigre filet pour rejoindre le bras principal
-à Bitterfeld. Dans cette position Marmont était suffisamment couvert;
-il pouvait par sa cavalerie légère lancée au loin, éclairer les
-mouvements de l'ennemi, et s'il apprenait que l'armée de Silésie ou
-celle du Nord remontant derrière la Mulde, se dirigeassent sur
-Leipzig, il lui était facile d'y marcher en quelques heures, et d'y
-être avant elles. Joignant Murat avec 25 mille hommes, il le portait
-à près de 90 mille, <span class="pagenum"><a id="page513" name="page513"></a>(p. 513)</span> et c'était assez pour ménager à Napoléon
-le temps de revenir, et de se tenir toujours entre les deux masses qui
-voulaient se réunir pour l'accabler. Cette sage et utile précaution
-prise, Napoléon fit ce qui était nécessaire pour que son grand dessein
-n'en souffrît pas, si, comme il l'espérait, la crainte d'un mouvement
-de Blucher et de Bernadotte sur Leipzig n'était qu'une chimère.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ordre réitéré à Bertrand, Reynier, Ney, de détruire tous
-les ponts qui ne sont pas à nous.</span>
-Il prescrivit à Dombrowski et à Reynier de déboucher de Wittenberg pour
-courir sur tous les corps ennemis qu'ils rencontreraient au delà de
-l'Elbe, de descendre même le long de la rive droite pour y détruire
-les ponts de Bernadotte de Roslau à Barby, ce qui dans tous les cas
-était pour les coalisés un grave dommage, car s'ils avaient repassé
-sur la rive droite de l'Elbe pour se réfugier vers Berlin, on leur
-ôtait tout moyen de revenir au secours de l'armée de Bohême, et s'ils
-étaient restés sur la rive gauche, on les enfermait dans un cul-de-sac
-où Napoléon allait les prendre et les écraser. Il enjoignit à Ney de
-se jeter sur les ponts de la Mulde à Dessau et de les enlever. Il
-laissa Macdonald à Kemberg pour soutenir Reynier et Dombrowski au
-besoin, Bertrand à Wartenbourg pour y achever la destruction de la
-tête de pont de Blucher; enfin il concentra Latour-Maubourg et la
-garde autour de Düben, prêt à suivre Ney à Dessau pour fondre au delà
-de la Mulde sur les armées du Nord et de Silésie, ou à remonter en
-arrière vers Marmont, s'il fallait rebrousser chemin du côté de
-Leipzig. Voilà dans quelles perplexités, dans quels calculs profonds
-et continuels il passa la journée du 11, que beaucoup de critiques,
-ignorant le secret de ses pensées, <span class="pagenum"><a id="page514" name="page514"></a>(p. 514)</span> lui ont reprochée comme
-une journée perdue.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Indices recueillis dans la journée du 12.</span>
-Le 12, levé selon sa coutume entre minuit et une heure du matin, il se
-pressa de recueillir ce qui lui arrivait de toutes les directions.
-Deux indications, déjà très-prononcées la veille, paraissaient se
-prononcer davantage.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'armée du Nord semble repasser sur la rive droite de
-l'Elbe, et celle de Silésie se tenir derrière la Mulde, avec tendance
-à remonter vers Leipzig.</span>
-Il semblait que l'une des deux armées du bas
-Elbe, celle de Bernadotte, avait repassé sur la rive droite de l'Elbe,
-et que l'autre au contraire, celle de Blucher, était restée sur la
-rive gauche, avec tendance à remonter vers Leipzig par derrière la
-Mulde. Les mouvements ordonnés la veille, particulièrement celui de
-Marmont, répondaient parfaitement à cette indication.
-<span class="sidenote" title="En marge">Heureux combat de Murat contre l'armée de Bohême.</span>
-Enfin une
-nouvelle importante, celle d'un combat heureux livré le 10 par Murat à
-Wittgenstein, était de nature à confirmer Napoléon dans sa disposition
-à se jeter tout de suite sur les armées du Nord et de Silésie. Voici
-ce qui s'était passé du côté de Murat. S'étant porté avec Poniatowski,
-Lauriston, Victor et les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie sur Frohbourg, il
-avait réussi à intercepter la route qui conduit par Commotau et
-Chemnitz à Leipzig, mais il n'avait pas eu le temps d'intercepter
-celle qui conduite cette ville par Carlsbad et Zwickau. Profitant de
-la voie restée ouverte, Wittgenstein avait pu occuper Borna, et Murat
-s'était trouvé dans la journée du 10, avec les Autrichiens sur sa
-gauche à Penig, et les Russes sur sa droite à Borna. Ne voulant pas
-demeurer dans cette position, et surtout ne voulant pas permettre que
-la tête de l'une des deux colonnes ennemies le devançât sur Leipzig,
-il s'était résolûment rabattu sur sa droite, et avait attaqué Borna
-avec la dernière vigueur. Les <span class="pagenum"><a id="page515" name="page515"></a>(p. 515)</span> Russes s'étaient vaillamment
-défendus, mais Poniatowski, Lauriston, les avaient assaillis plus
-vaillamment encore, et avaient repris Borna à la baïonnette. Ce
-combat, qui avait coûté 3 à 4 mille hommes à Wittgenstein, nous avait
-rendus maîtres de la route de Leipzig, et avait replacé Murat dans sa
-situation naturelle, celle de couvrir Leipzig contre les deux colonnes
-de Schwarzenberg débouchant de la Bohême. À en juger d'après les
-premières apparences, Wittgenstein repoussé de Borna paraissait en
-retraite, et notre cavalerie disait l'avoir vu s'en retournant vers la
-Bohême. Murat en écrivant à Napoléon lui mandait donc qu'il croyait
-l'armée de Bohême en retraite, et l'engageait à ne rien négliger pour
-venir à bout des armées de Silésie et du Nord. Ces nouvelles étaient
-datées du 11 à onze heures et demie du matin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">À dix heures du matin, le 12, les deux armées ennemies de
-Blucher et de Bernadotte semblent plutôt disposées à se dérober qu'à
-tenter une grande opération.</span>
-Napoléon en recevant ces détails dans la matinée du 12, en revint à
-penser que l'armée de Bohême n'était pas très-pressée de s'engager,
-que les coalisés avaient toujours le même penchant à l'éviter, qu'il
-fallait donc commencer par se jeter sur les armées de Silésie et du
-Nord, les poursuivre au delà de l'Elbe, remonter ensuite ce fleuve par
-la rive droite, et surprendre l'armée de Bohême en repassant à
-l'improviste sur la rive gauche. Napoléon jusqu'à dix heures du matin
-confirma ses premiers ordres, et fit ses préparatifs pour passer la
-Mulde, afin de se ruer d'abord sur Blucher qui se montrait à notre
-gauche, et puis sur Bernadotte qui semblait se tenir à notre droite, à
-cheval sur l'Elbe. Il rapprocha même la garde impériale de Düben, pour
-pouvoir se joindre à Marmont et marcher droit à Blucher au delà de la
-Mulde.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page516" name="page516"></a>(p. 516)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Tout à coup la face des choses change, l'armée de
-Bohême paraît descendre vers Leipzig, et l'armée de Silésie y
-remonter, pour préparer une jonction générale.</span>
-Mais à dix heures du matin, la face des choses changea subitement. Une
-seconde lettre de Murat écrite de la veille encore, c'est-à-dire du
-11, mais à trois heures de l'après-midi, donnait des nouvelles toutes
-différentes. Au lieu de trouver l'ennemi en retraite, on l'avait
-trouvé en pleine marche sur Leipzig. La colonne autrichienne
-poursuivant son mouvement par la route de Chemnitz, continuait de
-s'avancer sur Frohbourg et Borna, et la colonne de Wittgenstein après
-s'être repliée un moment sur la route de Zwickau jusqu'à Altenbourg,
-avait ensuite repris hardiment sa marche sur Leipzig. Murat annonçait
-qu'il rétrogradait sur Leipzig, d'abord pour ne pas livrer bataille
-avec des forces disproportionnées, secondement pour couvrir toujours
-cette ville. Il allait s'établir à quelques lieues de Leipzig, dans
-une bonne position, espérait s'y maintenir, renforcé qu'il serait par
-les troupes qui l'y attendaient, engageait Napoléon à ne pas lâcher
-prise s'il était assuré d'atteindre les armées de Silésie et du Nord,
-promettant quant à lui de se dévouer en attendant à la tâche la plus
-ingrate, la plus périlleuse, celle de lutter contre un ennemi trois ou
-quatre fois supérieur. Au même instant les reconnaissances de Marmont
-avaient aperçu l'armée de Blucher quittant les bords de la Mulde pour
-ceux de la Saale qui coule parallèlement à la Mulde mais plus loin, et
-la remontant vers Halle, avec une tendance évidente vers Leipzig.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon change soudainement ses déterminations, et
-renonçant à son premier plan, malgré les avantages qu'il s'en
-promettait, reporte toutes ses forces sur Leipzig pour empêcher la
-jonction des armées coalisées.</span>
-À ces nouvelles, Napoléon, avec la promptitude de l'homme de guerre
-supérieur, n'hésita plus, et changea tous ses plans. Il abandonna sa
-grande <span class="pagenum"><a id="page517" name="page517"></a>(p. 517)</span> combinaison consistant à courir d'abord sur Blucher et
-Bernadotte pour revenir ensuite sur l'armée de Schwarzenberg par la
-rive droite de l'Elbe, et il résolut de se porter immédiatement par la
-voie la plus courte sur Leipzig. Tant qu'il avait pu espérer de se
-tenir entre les deux masses qui venaient l'une de Bohême, l'autre de
-l'Elbe inférieur, avec la faculté de se jeter à volonté sur l'une ou
-sur l'autre, son projet d'occuper celle de Bohême au moyen de Murat,
-tandis qu'il commencerait par assaillir celle de l'Elbe, avait été le
-plus habile et le plus sage. Mais à présent que la tendance de l'une
-vers l'autre était évidente, qu'il n'était pas sûr que Murat pût
-contenir plusieurs jours de suite l'armée de Bohême, comme il n'était
-pas sûr non plus qu'il pût lui-même joindre les armées de Silésie et
-du Nord en les tenant séparées de Leipzig, la plus urgente des
-man&oelig;uvres était de s'opposer à la jonction générale des trois
-armées coalisées, et pour cela de venir à Leipzig combattre le plus
-tôt possible celle de Bohême. Il n'y avait que ce moyen de sortir de
-la difficulté, car persister à se jeter par Dessau sur les armées de
-Silésie et du Nord, lorsqu'on n'était pas certain de les trouver
-réunies, puisque l'une semblait remonter vers Leipzig et l'autre
-repasser l'Elbe, s'exposer ainsi à n'atteindre que l'une des deux,
-tandis que l'autre irait rejoindre l'armée de Bohême à Leipzig, et que
-ces deux dernières accableraient Murat, n'était plus une conduite
-admissible de la part d'un capitaine tel que Napoléon, et il faut
-admirer la promptitude incroyable avec laquelle de l'un de ces
-projets il passa tout de suite <span class="pagenum"><a id="page518" name="page518"></a>(p. 518)</span> à l'autre. Mais de ce moment
-sa situation était déjà moins bonne, car ayant naguère l'espérance
-fondée de battre successivement les armées ennemies, peut-être même de
-leur faire essuyer une catastrophe, il était menacé à son tour d'une
-réunion de forces écrasantes, et son triomphe le plus grand allait
-être, non pas d'infliger un désastre à ses ennemis, mais de l'éviter.
-Il est vrai qu'il avait la chance d'accabler Schwarzenberg avant que
-Blucher survînt, et peut-être aussi Blucher lui-même avant que
-Bernadotte pût le rejoindre; mais il fallait pour obtenir ces deux
-résultats une précision et une rapidité de mouvements bien difficiles
-avec des soldats fatigués par des marches continuelles et par un temps
-épouvantable.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche successive de tous les corps français sur Leipzig.</span>
-À l'instant même, c'est-à-dire le 12 entre dix heures et midi, il fit
-ses calculs et donna ses ordres en conséquence. Murat qui le 11 avait
-vu recommencer le mouvement offensif de l'armée de Bohême, pouvait
-bien mettre toute la journée du 12 à se replier sur Leipzig, et s'y
-défendre le 13, le 14, même le 15, avec les secours qui allaient
-successivement lui parvenir.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Marmont, et appel d'Augereau à Leipzig.</span>
-En effet Marmont déjà porté à Dölitzsch
-n'était séparé de Leipzig que par une marche, et en lui expédiant
-immédiatement l'ordre de s'y rendre, devait y être le 12 au soir, ou
-le 13 au matin au plus tard. Ce renfort de près de 25 mille hommes,
-cavalerie comprise, joint à Augereau dont on annonçait l'arrivée,
-procurerait à Murat 90 mille hommes environ pour la journée du 13.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche de la garde et de Latour-Maubourg.</span>
-La
-garde et Latour-Maubourg avaient été tenus autour de Düben, et
-pouvaient s'y replier dans <span class="pagenum"><a id="page519" name="page519"></a>(p. 519)</span> la journée pour franchir la Mulde
-et s'acheminer sur Leipzig. S'il n'avait pas fallu passer par cet
-unique pont de Düben avec d'immenses convois d'artillerie et de
-bagages, la garde et Latour-Maubourg auraient pu être le soir même de
-l'autre côté de la Mulde, et avoir fait une première marche sur
-Leipzig, ce qui leur aurait permis d'y être le lendemain 13 au soir.
-En comptant la garde à 38 mille hommes de toutes armes après les
-fatigues qu'on venait d'essuyer, Latour-Maubourg à six mille cavaliers
-(les effectifs sur le papier étaient bien supérieurs), c'étaient
-encore 44 mille hommes qui, le 13 au soir ou le 14 au matin, allaient
-renforcer le rassemblement de Murat, le porter à 134 mille hommes, et
-former entre l'armée de Bohême et celle de Silésie un mur
-impénétrable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Bertrand, Macdonald, Reynier et Ney.</span>
-Restaient Bertrand occupé près de Wartenbourg à ruiner
-les ouvrages de Blucher, Macdonald envoyé dans les environs de
-Wittenberg pour appuyer Reynier et Dombrowski. Macdonald et Bertrand
-ramenés le 13 à Düben, pouvaient être le 14 au soir ou le 15 au plus
-tard à Leipzig, et porter ainsi à 160 mille hommes la grande armée qui
-s'y formait. Enfin Dombrowski avec 5 mille hommes, Reynier avec 15
-mille, Sébastiani avec 4 mille chevaux, avaient été envoyés au delà de
-l'Elbe pour détruire tous les ponts de ce fleuve jusqu'à Barby, et Ney
-avec 15 mille hommes avait été chargé de s'emparer de ceux de la
-Mulde, pour éloigner définitivement l'armée du Nord, qui semblait
-décidée à se tenir au delà de l'Elbe. C'étaient encore 38 ou 39 mille
-hommes qui ramenés sur Leipzig devaient porter la concentration
-générale de nos forces à un <span class="pagenum"><a id="page520" name="page520"></a>(p. 520)</span> total d'environ 200 mille
-combattants.
-<span class="sidenote" title="En marge">Espérance de réunir à temps 200 mille hommes à Leipzig,
-dans une position centrale, contre l'ennemi qui en aurait 300 mille,
-mais divisés.</span>
-Dans la position concentrique où ces 200 mille
-combattants allaient se trouver au milieu de toutes les armées des
-coalisés, on avait de quoi livrer une bataille qui serait formidable
-sans doute, mais qui pourrait être heureuse, les coalisés fussent-ils
-300 mille et même davantage, ce qui n'était pas impossible.</p>
-
-<p>Napoléon expédia ses ordres de dix heures à midi aux diverses masses
-destinées à se réunir sur Leipzig, et devant partir, Marmont de
-Dölitzsch, la garde et Latour-Maubourg de Düben, Bertrand et Macdonald
-des environs de Wittenberg. Quant à la dernière portion de 38 mille
-hommes, engagés les uns au delà de l'Elbe par Wittenberg, les autres
-au delà de la Mulde par Dessau, Napoléon calcula que même en les
-ramenant dès le lendemain sur Düben, ils ne pourraient pas y passer le
-pont de la Mulde à cause de l'encombrement des hommes et du matériel;
-il leur laissa donc terminer la tâche qu'il leur avait confiée. Ayant
-des raisons de supposer que l'armée du Nord avait repassé l'Elbe, il
-voulut la mettre tout à fait hors de cause, en achevant de détruire
-ses moyens de passage. En conséquence il prescrivit à Reynier,
-Dombrowski, Sébastiani, de terminer au plus vite l'opération dont ils
-étaient chargés contre les ponts de Roslau, d'Acken, de Barby, à Ney
-d'enlever ceux de Dessau, à tous enfin de ne rien négliger pour ôter à
-Bernadotte, qu'on supposait au delà de l'Elbe, la faculté de le
-repasser.</p>
-
-<p>Ainsi, dans ces ordres si profondément calculés, il était pourvu à
-tout, autant qu'il est permis à la <span class="pagenum"><a id="page521" name="page521"></a>(p. 521)</span> prévoyance humaine de le
-faire. Le lendemain 13 octobre Murat allait avoir près de 90 mille
-hommes à Leipzig, le 14, 134 mille, avec la personne de Napoléon, ce
-qui rendait impossible toute jonction des masses ennemies. Enfin les
-15 et 16, la grande armée successivement portée à 200 mille hommes,
-devait être placée avec toutes ses forces entre les armées coalisées.
-Il ne restait plus qu'à se battre vaillamment et heureusement;
-vaillamment, Napoléon l'espérait avec raison de ses soldats,
-heureusement, il l'espérait encore de son génie et de la fortune!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon attend de sa personne à Düben que ses corps aient
-achevé leur mouvement.</span>
-Il résolut d'attendre à Düben même l'exécution des ordres qu'il avait
-donnés. Effectivement il importait peu qu'il fût à Leipzig tant que
-ses troupes n'y seraient pas réunies, et à Düben au contraire, il
-veillait au défilé de ses corps d'armée, et aux mesures prescrites
-pour se débarrasser de Bernadotte, qui paraissait toujours revenu sur
-la rive droite de l'Elbe. Pendant cette journée du 12, Dombrowski et
-Reynier, précédés par la cavalerie de Sébastiani, ayant traversé
-l'Elbe à Wittenberg, chassèrent devant eux les Prussiens, et
-enlevèrent même quelques prisonniers à la division Thumen, laquelle
-avait toujours fait partie du corps de Bernadotte. C'était une
-nouvelle raison de croire au retour de l'armée du Nord sur la rive
-droite de l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Opérations de Reynier et Dombrowski, chargés de détruire
-les ponts de l'Elbe.</span>
-Dombrowski et Reynier se rabattirent ensuite à
-gauche pour détruire le pont de Roslau, et s'y heurtèrent aux troupes
-du général Hirschfeld appartenant également à l'armée du Nord. Ils ne
-descendirent point au delà, des forces considérables <span class="pagenum"><a id="page522" name="page522"></a>(p. 522)</span>
-semblant y être réunies. Dans le même temps Ney opérant sur la Mulde,
-emporta les ponts de Dessau, situés tout près du confluent de la Mulde
-dans l'Elbe. Un peu avant d'être à Dessau et à droite, c'est-à-dire à
-Worlitz, se trouvait un détachement ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Beau combat de Ney, enlevant Dessau pour en détruire les
-ponts.</span>
-Ney dirigea sur Worlitz la
-cavalerie du général Fournier avec quelques troupes d'infanterie du
-3<sup>e</sup> corps, et avec le reste de ce corps se précipita sur Dessau même.
-L'ennemi fut brusquement refoulé sur le pont de Dessau, où cavalerie
-et infanterie se réfugièrent dans une affreuse confusion. On y ramassa
-un millier de prisonniers et plusieurs pièces de canon. Sur ces
-entrefaites le détachement prussien qui occupait Worlitz, abordé aussi
-vivement, fut rejeté sur Dessau, où nous étions déjà, pris entre deux
-feux, et enlevé ou sabré par la cavalerie du général Fournier. Ces
-affaires coûtèrent à l'ennemi près de trois mille hommes et bon nombre
-de bouches à feu. Les troupes qu'on avait rencontrées là étaient
-celles du corps de Tauenzien, lequel, sans appartenir à Bernadotte,
-avait habituellement servi avec lui. Il parut se replier sur l'Elbe.
-Le maréchal Ney ne s'engagea pas davantage, ayant pour instruction de
-se tenir prêt à rebrousser chemin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Toutes les apparences portent à croire que l'armée du Nord
-s'est séparée de celle de Silésie pour rester sur la droite de
-l'Elbe.</span>
-Ces diverses rencontres confirmaient tout à fait la supposition que
-l'armée du Nord était restée sur la droite de l'Elbe, car la division
-Thumen, le corps du général Hirschfeld, celui de Tauenzien, n'avaient
-cessé de marcher avec elle. Ce qui était le plus vraisemblable, c'est
-qu'elle se tenait sur l'Elbe pour couvrir Berlin, tandis que l'armée
-de Silésie, s'étant reportée de la Mulde à la Saale pour accomplir
-son <span class="pagenum"><a id="page523" name="page523"></a>(p. 523)</span> mouvement sous la protection de deux rivières, remontait
-vers Halle et Leipzig afin de se joindre à l'armée de Bohême. Il y
-avait certainement bien des contradictions à expliquer dans une
-pareille hypothèse, car on ne comprenait pas pourquoi les armées de
-Silésie et du Nord avaient, au prix des plus grands périls, opéré leur
-jonction et le passage de l'Elbe pour se séparer ensuite, et pourquoi
-Blucher n'était pas allé tout simplement se réunir au prince de
-Schwarzenberg à travers la Bohême, au lieu de parcourir l'immense
-circuit de Bautzen à Dessau, de Dessau à Leipzig. Mais ce n'était pas
-la première fois qu'on avait vu les généraux coalisés exécuter des
-man&oelig;uvres étranges, et toutes les reconnaissances constatant la
-séparation des deux armées du Nord et de Silésie, il fallait bien se
-rendre devant des témoignages unanimes. Il parut donc établi qu'on
-aurait affaire à Schwarzenberg renforcé de Blucher seul, si toutefois
-ce dernier parvenait à rejoindre le généralissime à travers les masses
-de l'armée française.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Confirmation réitérée de ces apparences.</span>
-Le 13 ces apparences furent de nouveau confirmées par les
-reconnaissances opérées dans toutes les directions, et en conséquence
-Napoléon persista dans l'opinion qu'il s'était faite, et qui du reste
-n'importait pas relativement aux mesures à prendre, car dans tous les
-cas il fallait se concentrer le plus tôt et le plus complétement
-possible autour de Leipzig. Marmont avec la cavalerie du général
-Deforge ayant remonté la Mulde, entre le bras principal et le petit
-bras qui passe à Dölitzsch, côtoya sans cesse les troupes de Blucher
-qui effectuaient le même <span class="pagenum"><a id="page524" name="page524"></a>(p. 524)</span> mouvement le long de la Saale, et se
-dirigeaient sur Halle comme nous sur Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Marmont le 13 au soir à Leipzig.</span>
-Le 13 au soir le
-maréchal Marmont vint s'établir en arrière de Leipzig, dans la
-position de Breitenfeld, laquelle fait face à la route de Halle. Il
-était ainsi en mesure d'empêcher Blucher d'entrer à Leipzig. Le même
-jour Murat se repliait en ordre sur le côté opposé de Leipzig, et y
-contenait la grande armée du prince de Schwarzenberg. Augereau après
-avoir rencontré au delà de Weissenfels, non loin des plaines de
-Lutzen, les troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, leur
-avait passé sur le corps, et leur avait enlevé 2 mille hommes. Les
-dragons d'Espagne, habitués à manier le sabre droit, avaient fait un
-grand carnage de la cavalerie ennemie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée d'Augereau dans cette ville, après un brillant
-combat contre les coureurs de Thielmann et de Platow.</span>
-Augereau était à l'entrée même
-de Leipzig vers Lindenau, ce qui apportait un nouvel obstacle à la
-jonction de Blucher avec Schwarzenberg. Ainsi le 13 au soir 90 mille
-hommes étaient déjà réunis à Leipzig, de manière à s'interposer entre
-les masses ennemies.</p>
-
-<p>Sur la route de Düben le mouvement de concentration fut le même
-pendant cette journée du 13. La garde et Latour-Maubourg ayant franchi
-la veille le pont de la Mulde, malgré un fâcheux encombrement,
-suivirent les traces du maréchal Marmont, et marchèrent dans le même
-ordre, ayant soin de se garder avec leur cavalerie légère du côté du
-général Blucher.
-<span class="sidenote" title="En marge">La garde, Latour-Maubourg, Bertrand, Macdonald, Reynier et
-Ney reployés sur Düben et Leipzig.</span>
-Bertrand et Macdonald se rapprochèrent de Düben pour
-y traverser la Mulde le soir ou le lendemain. Ney rebroussa chemin de
-Dessau sur Düben pour passer après eux. Reynier, Dombrowski,
-Sébastiani revinrent sur Wittenberg. La pluie ne cessant <span class="pagenum"><a id="page525" name="page525"></a>(p. 525)</span>
-pas, les chemins étaient dans l'état le plus affreux, et
-malheureusement beaucoup de soldats, trop jeunes pour de telles
-fatigues, restaient en arrière et encombraient les routes. Le grand
-quartier général, composé de la cour de Saxe, des parcs du génie et de
-l'artillerie, et des équipages de pont, ce qui comprenait au moins
-deux mille voitures, avait suivi Napoléon jusqu'à Eilenbourg sur la
-Mulde. Ce quartier général était gardé par quatre mille hommes, et
-formait un immense convoi. Il était à mi-chemin, sur la route de
-Leipzig à Torgau. Napoléon avait ordonné que tout ce qui appartenait à
-l'artillerie fût dirigé sur Leipzig, et que tout le reste fût renfermé
-dans Torgau. La cour de Saxe avait été laissée libre de choisir entre
-Torgau ou Leipzig. À Torgau elle avait un siége et d'affreuses
-maladies à craindre, à Leipzig une bataille. Mais guidée par une
-confiance instinctive en Napoléon, elle avait pensé qu'il y avait plus
-de sûreté auprès de lui, et elle avait opté pour Leipzig, au risque
-d'assister au plus horrible conflit qui se fût jamais vu entre les
-nations civilisées. C'était donc un nouvel embarras ajouté à tous les
-autres, sur ces routes encombrées et défoncées. Au pont d'Eilenbourg
-les soldats du parc d'artillerie et ceux de l'équipage de pont
-faillirent en venir aux mains.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon pour Leipzig le 14 au matin.</span>
-Le 14 au matin, après avoir veillé toute la nuit à l'exécution de ses
-ordres, Napoléon se prépara lui-même à partir pour Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les apparences changées à l'égard de l'armée du Nord, qui
-semble se porter aussi sur Leipzig.</span>
-Au moment
-de son départ un rapport du maréchal Ney, recueilli très-près de
-l'ennemi, le mit en doute relativement à la position prise par
-l'armée du Nord. Elle ne paraissait <span class="pagenum"><a id="page526" name="page526"></a>(p. 526)</span> plus sur la droite de
-l'Elbe, mais sur la gauche et derrière la basse Saale, toujours
-extrêmement soigneuse d'éviter une rencontre avec nous. Elle était
-ainsi fort au-dessous de Blucher sur la Saale, et beaucoup plus loin
-que lui de Leipzig; mais tandis qu'il remonterait vers Halle,
-c'est-à-dire vers Leipzig, elle pouvait suivre son mouvement, ne
-fût-ce que de loin, et dans ce cas il était possible que nous
-l'eussions elle aussi sur les bras, ce qui ferait trois armées à
-combattre au lieu de deux. Il est vrai que Leipzig occupé par nous,
-restait toujours entre elles un obstacle fort difficile à surmonter.
-En recevant ce dernier renseignement Napoléon expédia de nouveaux
-ordres à Ney, Reynier, Dombrowski, Sébastiani, qui avaient le plus de
-chemin à faire, et leur recommanda de se hâter, car plus on prévoyait
-d'ennemis sur son chemin, plus il fallait être concentrés pour leur
-tenir tête.
-<span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de Napoléon à Leipzig le 14 au soir.</span>
-Il partit ensuite de Düben, afin d'être le soir même du 14
-à Leipzig. En route il rencontra le roi de Saxe, déjà très-ému de tout
-ce qu'il voyait, le rassura et le charma comme il faisait toujours par
-son énergie et sa bonne grâce, et alla descendre dans le faubourg de
-Reudnitz, à une demi-lieue en dehors de Leipzig du côté de Murat. Il
-prit gîte dans une habitation particulière qu'on avait préparée pour
-lui.</p>
-
-<p>Il s'y trouvait avec Berthier, Murat, Marmont et divers officiers de
-sa maison, et leur montra une extrême confiance à tous. Pourtant la
-situation n'était pas rassurante.
-<span class="sidenote" title="En marge">Par suite des dernières marches, Napoléon ne pourra pas
-avoir plus de 190 mille hommes, contre l'ennemi qui peut en avoir de
-320 à 350 mille.</span>
-C'est tout au plus si, en comptant
-bien, il pouvait réunir 190 mille soldats autour de Leipzig, tandis
-que huit jours auparavant il en avait <span class="pagenum"><a id="page527" name="page527"></a>(p. 527)</span> environ 210 mille, et
-360 mille deux mois auparavant. Les marches et diverses rencontres lui
-avaient déjà fait perdre 20 mille hommes en huit jours, et 30 mille
-étaient paralysés à Dresde. Il pouvait avoir, si Bernadotte se
-joignait à Blucher, de 320 à 350 mille hommes à combattre, et c'était
-une terrible lutte à soutenir contre des ennemis remplis d'exaltation.
-Il allait se voir entouré, cerné en quelque sorte au sud et à l'est de
-Leipzig par l'armée du prince de Schwarzenberg, au nord par les armées
-de Blucher et de Bernadotte, peut-être même enveloppé à l'ouest et
-coupé de Mayence, si Blucher au moyen des troupes légères de
-Thielmann, réussissait à donner la main à Schwarzenberg à travers la
-plaine de Lutzen. (Voir les cartes n<sup>os</sup> 58 et 60.)
-<span class="sidenote" title="En marge">Gravité de la situation.</span>
-Cette situation
-était donc infiniment grave, bien qu'il eût de grandes ressources dans
-l'indomptable bravoure de ses soldats, dans son génie, et dans la
-position concentrique qui lui permettrait de contenir les uns pendant
-qu'il combattrait les autres, et de les vaincre ainsi successivement.
-Du reste il n'avait pas cessé de l'espérer.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Concours de nouvelles politiques fâcheuses.</span>
-Les événements politiques qu'il apprenait étaient assez tristes, et de
-nature à mettre son caractère à une nouvelle épreuve.
-<span class="sidenote" title="En marge">Chute du trône de Westphalie.</span>
-Le royaume de
-Westphalie venait de s'écrouler soudainement, à la seule apparition
-d'une troupe de Cosaques. C'était facile à prévoir, mais le coup n'en
-était pas moins sensible, et d'un sinistre augure. En effet après la
-bataille de Gross-Beeren et de Dennewitz, Bernadotte, parvenu jusqu'à
-l'Elbe, dont il avait occupé plusieurs points entre Wittenberg et
-Magdebourg, se chargeant <span class="pagenum"><a id="page528" name="page528"></a>(p. 528)</span> toujours volontiers des &oelig;uvres
-les plus cruelles pour Napoléon, les moins honorables pour lui, avait
-pris plaisir à lancer sur la Hesse Czernicheff avec quelque infanterie
-légère et beaucoup de Cosaques, dans l'intention de renverser le trône
-de Jérôme. Ces coureurs, tandis que Thielmann et Lichtenstein
-envahissaient la Saxe et la Thuringe, s'étaient hâtés d'envahir la
-Hesse, et de se porter sur Cassel, où le renversement de l'une des
-royautés fondées par Napoléon ne pouvait manquer de produire une
-grande sensation. Partout favorisés par la population, bien
-accueillis, bien informés, bien nourris, ils étaient parvenus sans
-difficulté jusqu'aux portes de Cassel. Le roi Jérôme n'avait pour se
-défendre qu'un bataillon de grenadiers et deux régiments de
-cuirassiers westphaliens, plus quelques hussards français. Ces
-derniers avaient été récemment formés pour lui procurer une garde
-sûre, et devaient être portés à douze cents hommes. Mais ils étaient à
-peine sept à huit cents, arrivaient depuis quelques jours de France,
-et beaucoup d'entre eux étaient encore incapables de se tenir à
-cheval. À l'approche des partisans de Czernicheff tous les esprits
-avaient été vivement émus, et l'espérance de se débarrasser d'une
-royauté étrangère les avait presque soulevés. Les troupes peu
-nombreuses et la plupart westphaliennes, contenues par la discipline
-militaire, s'étaient abstenues de manifester leurs sentiments, mais en
-les laissant facilement deviner. Jérôme s'était donc trouvé dans une
-affreuse position; néanmoins il avait bravé l'orage, s'était adressé
-au duc de Valmy à Mayence pour obtenir le secours <span class="pagenum"><a id="page529" name="page529"></a>(p. 529)</span> de trois à
-quatre mille Français, et en attendant avait essayé de faire une
-sortie à la tête de son bataillon de grenadiers, et de quatre cents
-hussards français pris parmi ceux qui savaient monter à cheval. Cette
-sortie avait été d'abord heureuse, et les hussards français avaient
-bravement chargé l'ennemi, qui s'était un moment replié. Mais bientôt
-l'agitation des esprits croissant à Cassel, la plupart des troupes
-westphaliennes désertant, et le duc de Valmy ne pouvant dans la grave
-situation des choses déplacer trois à quatre mille Français sans un
-ordre formel de Napoléon, Jérôme avait été obligé d'évacuer sa
-capitale, et de se retirer sur Coblentz. Le 30 septembre Czernicheff
-était entré dans Cassel, et le royaume de Westphalie avait été aboli.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Adhésion de la Bavière à la coalition.</span>
-Ces nouvelles étaient suivies d'une autre non moins fâcheuse. La
-Bavière était sur le point de nous abandonner, et on allait jusqu'à
-répandre le bruit qu'elle avait déjà signé un traité d'adhésion à la
-coalition européenne. Elle nous avait du reste préparés à cet
-événement. Le roi ne cessant de se plaindre à nous d'être livré à ses
-propres forces, avait dit et répété que son armée placée au bord de
-l'Inn sous le général de Wrède, ne pourrait résister à l'armée
-autrichienne; que si on ne lui envoyait immédiatement un corps de 30
-mille hommes, il serait obligé de céder aux injonctions des puissances
-coalisées, au mauvais esprit de ses troupes, et à l'opinion unanime de
-son peuple. Notre ministre, M. Mercy d'Argenteau, qui se conduisait à
-Munich avec beaucoup de zèle et de prudence, n'avait pu répondre à ces
-plaintes que par des promesses toujours démenties <span class="pagenum"><a id="page530" name="page530"></a>(p. 530)</span> par les
-faits, et avait plusieurs fois averti M. de Bassano du péril qui nous
-menaçait de ce côté. Le départ du maréchal Augereau pour Leipzig avait
-été le signal de la défection, et la Bavière avait cédé, en signant un
-traité d'alliance avec nos ennemis. Nous devions en conséquence nous
-attendre, si nous étions forcés de nous retirer, à trouver sur nos
-derrières une armée de 30 mille Autrichiens et de 30 mille Bavarois
-prêts à nous fermer la retraite. Il fallait donc à tout prix être
-victorieux à Leipzig, sous peine d'un désastre non pas plus tragique,
-mais plus irrémédiable que celui de Moscou<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Lien vers la note 25"><span class="smaller">[25]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page531" name="page531"></a>(p. 531)</span> <span class="sidenote" title="En marge">La confiance de Napoléon est loin encore d'être
-ébranlée.</span>
-Cette situation, qui d'heure en heure semblait présenter un aspect
-plus sinistre, n'échappait pas à Napoléon, mais elle était loin de le
-troubler. L'idée d'être vaincu par les généraux et les soldats de la
-coalition ne pouvait entrer dans son esprit. Ses généraux avaient été
-battus quatre fois dans cette campagne, et lui jamais, ni dans
-celle-ci, ni dans aucune autre. Après avoir livré plus de cinquante
-batailles rangées, ce qui n'était arrivé encore à aucun capitaine, ni
-ancien ni moderne, il n'en avait pas perdu une seule. Il trouvait sans
-doute ses soldats jeunes pour les fatigues, mais il ne les avait
-<span class="pagenum"><a id="page532" name="page532"></a>(p. 532)</span> jamais vus plus braves; il sentait sa prodigieuse
-clairvoyance qui lui donnait tant d'avantage sur ses ennemis, comme on
-sent l'excellence de sa vue en l'exerçant continuellement sur les
-objets; il ne doutait donc pas de gagner une, même deux et trois
-batailles. Son espérance était de vaincre d'abord Schwarzenberg le
-premier jour, puis Blucher le second, et de sortir ainsi de l'espèce
-de réseau dans lequel on cherchait à l'enfermer. Toutefois son
-infériorité numérique par rapport à l'ennemi lui semblait bien grande,
-car il ne pouvait pas se flatter de réunir 200 mille combattants, et
-ses adversaires devaient en avoir plus de 300 mille s'ils parvenaient
-à se joindre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Résolution de mettre l'infanterie sur deux rangs.</span>
-Prévoyant cette difficulté, il avait prescrit une
-disposition à laquelle il avait pensé bien des fois, c'était de placer
-l'infanterie sur deux rangs au lieu de trois. Il prétendait que le
-troisième rang ne servait ni pour les feux ni pour les charges à la
-baïonnette, et il ne voulait pas s'avouer à lui-même que le troisième
-rang, s'il ne pouvait ni tirer ni charger à la baïonnette, soutenait
-cependant les deux autres, leur imprimait de la solidité, et les
-recrutait après une action meurtrière. Mais dans la <span class="pagenum"><a id="page533" name="page533"></a>(p. 533)</span> détresse
-où il se trouvait, la chose était bonne à essayer si elle n'était pas
-bonne à professer.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien de Napoléon avec ses lieutenants pendant
-une partie de la nuit du 14 au 15.</span>
-Enfermé pendant cette soirée dans un appartement chauffé suivant la
-coutume allemande, et appuyé à un grand poêle, il eut avec Berthier,
-Murat, Marmont et plusieurs de ses généraux, un entretien long,
-familier et significatif. Il soutint la formation de l'infanterie sur
-deux rangs, et dit que pour le lendemain au moins elle aurait un grand
-effet, celui de donner à l'armée française l'apparence d'être d'un
-tiers plus forte, l'ennemi ignorant la nouvelle disposition qu'il
-venait de prescrire. On disserta sur ce sujet, puis on parla de la
-possibilité de juger à l'&oelig;il de la force d'une armée sur le
-terrain, et Napoléon affirma qu'avec sa vieille expérience il n'était
-pas sûr de ne pas se tromper d'un quart au moins. Tout à coup on
-annonça Augereau, qu'il n'avait pas encore vu, car ce maréchal venait
-à peine de rejoindre le quartier général.--Ah! vous voilà,
-s'écria-t-il, arrivez donc, mon vieil Augereau; vous vous êtes bien
-fait attendre.--Puis, sans aigreur ni blâme, même avec un ton amical
-mais triste: Vous n'êtes plus, lui dit-il, l'Augereau de
-Castiglione!--Si, répondit le maréchal, je serai encore l'Augereau de
-Castiglione quand vous me rendrez les soldats d'Italie.--Cette
-repartie n'irrita pas Napoléon, mais il insista, se plaignant d'une
-sorte de défaillance générale autour de lui. Par un penchant, fort
-ordinaire aux hommes, de s'en prendre de leurs malheurs plus
-volontiers aux autres qu'à eux-mêmes, il accusa tout le monde,
-d'ailleurs très-doucement. Il commença par ses frères, <span class="pagenum"><a id="page534" name="page534"></a>(p. 534)</span> comme
-s'ils avaient été exclusivement coupables de ce qui se passait dans
-leurs États, et qu'il n'eût été pour rien dans leurs mésaventures. Il
-se plaignit de Louis qui, de la Suisse où il s'était retiré, lui
-redemandait la Hollande, de Jérôme qui venait de perdre Cassel, de
-Joseph qui venait de perdre l'Espagne. Puis il ajouta que son malheur
-avait été de trop faire pour sa famille, que son beau-père l'empereur
-François le lui avait reproché plus d'une fois, qu'il le reconnaissait
-maintenant, mais trop tard.--Vous-même, dit alors Napoléon en
-s'adressant à Murat avec une franchise de langage singulière, mais que
-la complète absence d'aigreur rendait supportable, vous-même
-n'avez-vous pas été prêt à m'abandonner?--Murat repoussa bien loin
-cette imputation, en disant qu'il avait toujours eu des ennemis
-cachés, appliqués à le desservir auprès de son beau-frère.--Oui, oui,
-répondit Napoléon avec un ton tellement affirmatif qu'on voyait bien
-qu'il avait tout su, ou tout deviné: vous avez été prêt à faire comme
-l'Autriche, mais je vous pardonne. Vous êtes bon, vous avez un fonds
-d'amitié pour moi, et vous êtes un vaillant homme; seulement j'ai eu
-tort de vous faire roi. Si je m'étais contenté de vous faire vice-roi
-comme Eugène, vous auriez agi comme lui; mais roi, vous songez à votre
-couronne plus qu'à la mienne.--Ces vérités, adoucies par le ton,
-émurent fort les assistants, et formèrent le sujet de la conversation
-jusque bien avant dans la nuit. Ensuite, avec une sorte de résignation
-supérieure, et des témoignages affectueux, Napoléon quitta ses
-lieutenants, en leur disant qu'il fallait se <span class="pagenum"><a id="page535" name="page535"></a>(p. 535)</span> préparer tous à
-se bien battre, car on aurait affaire à forte partie le lendemain, et
-la bataille prochaine déciderait de leur sort, du sien, de celui de la
-France.</p>
-
-<p>Ce triste retour sur le passé fut le seul signe que Napoléon donna de
-ses sombres pressentiments, car du reste il était calme, tranquille,
-résolu, comme si les circonstances eussent été celles qui avaient
-précédé Austerlitz ou Friedland<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Lien vers la note 26"><span class="smaller">[26]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 15 au matin, Napoléon monte à cheval pour passer la
-revue du champ de bataille.</span>
-Le lendemain matin Napoléon monta de très-bonne heure à cheval, afin
-d'inspecter le champ de bataille, ne voulant pas prendre l'initiative
-de l'action à cause de ses corps restés en arrière, et imaginant bien
-que l'ennemi ne la prendrait pas s'il ne la prenait pas lui-même. Ce
-soin était urgent, car ce champ de bataille, immortalisé par notre
-bravoure et nos malheurs, avait besoin d'être étudié dans son immense
-étendue, pour qu'ayant acquis une entière connaissance des lieux,
-Napoléon pût commander <span class="pagenum"><a id="page536" name="page536"></a>(p. 536)</span> là même où il ne serait pas de sa
-personne. Il se porta d'abord au sud de Leipzig, vers le côté où Murat
-s'était établi en se retirant devant l'armée de Bohême.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Description des environs de Leipzig.</span>
-La Pleisse et l'Elster, comme la Saale, comme la Mulde, descendent des
-montagnes de la Bohême (voir les cartes n<sup>os</sup> 58 et 60), traversent
-toute la Saxe en coulant à peu près dans le même sens, jusqu'à ce que
-séparées ou confondues elles aillent tomber dans l'Elbe qui les
-recueille en passant. Un peu au-dessus de Leipzig la Pleisse et
-l'Elster, assez rapprochées l'une de l'autre, et divisées en une
-multitude de bras, finissent par se réunir au-dessous de cette ville,
-puis se détournent un peu à gauche, et vont se confondre dans la
-Saale, avec laquelle elles coulent vers l'Elbe en suivant une
-direction presque parallèle au cours de la Mulde. Voici donc quel
-était le mouvement des diverses armées. Le prince de Schwarzenberg
-ayant débouché des montagnes de la Bohême avec la grande armée des
-trois souverains, était arrivé sur Leipzig en descendant entre la
-Mulde, la Pleisse et l'Elster. Napoléon au contraire venant à sa
-rencontre du bas Elbe, avait remonté ces rivières jusqu'à Leipzig
-même. Le prince de Schwarzenberg avait sa gauche à la Pleisse et à
-l'Elster, et sa droite dans les plaines faiblement accidentées des
-environs de Leipzig. Quant à Napoléon, il avait sa gauche dans ces
-mêmes plaines, et sa droite aux deux rivières. Fortement adossé à
-Leipzig, et occupant bien cette ville, il avait la prétention de tenir
-Blucher et même Bernadotte entièrement séparés de Schwarzenberg. En
-effet Blucher ne pouvant traverser <span class="pagenum"><a id="page537" name="page537"></a>(p. 537)</span> Leipzig, que nous
-occupions, était forcé de se détourner ou à droite ou à gauche pour
-rejoindre la grande armée de Bohême. Pour se détourner à droite
-(droite de Blucher) il lui fallait franchir un obstacle de grande
-importance, c'étaient la Pleisse, l'Elster, la Saale réunies, couvrant
-de leurs mille bras une vallée boisée, large de plus d'une lieue, et
-derrière laquelle il aurait pu trouver les Français, notamment
-Augereau, qui s'avançait par la route de Lutzen après avoir battu
-Platow et Thielmann. Si au contraire il eût cherché à se détourner à
-gauche, il aurait rencontré à travers la vaste plaine de Leipzig
-l'armée française revenant de Düben, et se serait exposé aux plus
-grands périls. Dès lors il avait l'armée française comme une muraille
-entre lui et Schwarzenberg. Il suffisait donc que Napoléon arrêtât
-Schwarzenberg au sud de Leipzig, Blucher au nord, pour les empêcher de
-se réunir, et s'il parvenait à battre l'un, puis à se reporter sur
-l'autre, il était possible qu'il triomphât alternativement de tous
-deux, surtout Bernadotte étant fort éloigné, et rien encore ne
-prouvant qu'il dût arriver. Napoléon sachant Schwarzenberg le plus
-rapproché, voulait d'abord avoir affaire à lui, réservant le combat
-avec Blucher pour le lendemain.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille au sud, entre
-Liebert-Wolkwitz et Wachau.</span>
-Il commença donc sa revue par le sud, c'est-à-dire par le champ de
-bataille où il s'attendait à rencontrer le prince de Schwarzenberg.
-(Voir la carte n<sup>o</sup> 60.) La Pleisse et l'Elster, tantôt confondues,
-tantôt séparées, et embrassant un large terrain, marécageux et boisé,
-coulaient, avons-nous dit, de la Bohême sur Leipzig, c'est-à-dire du
-sud <span class="pagenum"><a id="page538" name="page538"></a>(p. 538)</span> au nord. Napoléon devait naturellement y appuyer sa
-droite, comme Schwarzenberg sa gauche, et l'appui était solide, car le
-lit des deux rivières n'était pas facile à traverser. D'ailleurs ce
-lit traversé, il aurait fallu gravir un terrain assez élevé pour
-déboucher par derrière notre droite dans la plaine de Leipzig. Sur son
-front Napoléon avait pour champ de bataille un terrain peu accidenté,
-et dont quelques villages formaient à peine les moyens de défense. En
-partant de Mark-Kleeberg sur la Pleisse, en passant par Wachau et
-allant finir à Liebert-Wolkwitz, une légère dépression de terrain
-servant d'écoulement aux eaux vers la Pleisse, séparait notre ligne de
-celle de l'ennemi. Tel quel, ce vallon, si on peut l'appeler ainsi,
-était l'obstacle de terrain que nous allions nous disputer avec
-acharnement. À sa gauche enfin, Napoléon avait la vaste plaine de
-Leipzig, semée de gros villages, et à peine sillonnée par une
-très-petite rivière, la Partha, qui, naissant à quelque distance de
-Liebert-Wolkwitz, allait après de nombreux circuits tomber derrière
-nous dans la Pleisse, à travers un faubourg de Leipzig. Napoléon de ce
-côté était presque sans appui, mais la présence de ses colonnes
-arrivant de Düben devait contenir l'ennemi, et l'empêcher de s'y
-risquer. Murat ayant pris position au sud, avait établi à
-Mark-Kleeberg sur la Pleisse Poniatowski, à Wachau Victor, à
-Liebert-Wolkwitz Lauriston, et dans les intervalles le 4<sup>e</sup> de
-cavalerie (cavalerie polonaise), et le 5<sup>e</sup> sous Pajol, dans lequel on
-avait fondu les dragons d'Espagne.</p>
-
-<p>De l'autre côté de cette espèce de vallon, on apercevait en face de
-nous Kleist et Wittgenstein, entre <span class="pagenum"><a id="page539" name="page539"></a>(p. 539)</span> Gross-Pössnau,
-Gülden-Gossa, Cröbern, avec les gardes russe et prussienne pour
-réserve. L'armée autrichienne était partie à notre droite, entre la
-Pleisse et l'Elster, s'avançant dans l'angle formé par ces rivières,
-et menaçant le pont de Dölitz, partie à notre gauche, en avant d'un
-bois dit de l'Université, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, et devant
-tendre plus tard la main vers Blucher à travers la plaine de Leipzig,
-si nous perdions du terrain et si les coalisés en gagnaient.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution des troupes au sud de Leipzig pour tenir tête
-à l'armée de Bohême entre Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg.</span>
-Napoléon approuva complétement la position prise par Murat. Il résolut
-de disputer énergiquement la ligne de Liebert-Wolkwitz à Wachau et
-Mark-Kleeberg, pour cela de doubler les trois corps de Murat, en
-plaçant Augereau à droite près de Mark-Kleeberg, la garde et la
-cavalerie de Latour-Maubourg au centre à Wachau, Macdonald avec la
-cavalerie de Sébastiani à gauche, au delà de Liebert-Wolkwitz, afin
-d'empêcher que notre aile gauche ne fût débordée, et d'essayer même,
-comme on le verra bientôt, de déborder l'aile droite de l'ennemi. Les
-Autrichiens s'avançant entre la Pleisse et l'Elster sur le pont de
-Dölitz, Napoléon pour n'être pas tourné par sa droite, y plaça la
-brigade Lefol, tirée des troupes qui formaient la garnison de Leipzig.
-Après les combats qu'on avait livrés, les marches qu'on avait
-exécutées dans la boue, les corps de Lauriston, Victor, Poniatowski,
-Pajol, amenés par Murat, pouvaient monter à 38 mille hommes, Augereau
-et Lefol à 12 mille, la garde à 36 mille, Latour-Maubourg à 6 mille,
-Macdonald et Sébastiani à 22 mille, ce qui faisait environ 114 à 115
-mille hommes opposés à <span class="pagenum"><a id="page540" name="page540"></a>(p. 540)</span> 160 mille. Mais en man&oelig;uvrant bien,
-en se battant énergiquement, toutes choses dont il n'y avait pas à
-douter, en se servant par exemple de quelques-uns des corps restés en
-arrière sous Ney, on pouvait renforcer Macdonald de 25 ou 30 mille
-hommes, puis se rabattre en masse par la gauche sur la droite de
-Schwarzenberg, et précipiter celui-ci dans la Pleisse. C'était en
-effet le projet de Napoléon si les corps actuellement en marche
-n'étaient pas indispensables au nord contre Blucher et Bernadotte.</p>
-
-<p>Cette revue du terrain terminée et ces dispositions arrêtées, Napoléon
-revint par la gauche au faubourg de Reudnitz. Il parcourut les bords
-de cette petite rivière de la Partha, qui roule, comme nous venons de
-le dire, ses faibles eaux dans une cavité du terrain à peine sensible,
-et passant par Taucha, Schönfeld, va les verser dans la Pleisse, au
-nord de Leipzig, à travers le faubourg de Halle. Là, si on se joignait
-de plus près, pouvait s'offrir un peu en arrière de notre gauche un
-nouveau champ de bataille; mais il n'y avait pas à s'en occuper,
-l'ennemi n'osant pas encore s'y montrer, et nous n'ayant que de la
-cavalerie à y mettre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Möckern au nord de Leipzig, propre à arrêter
-Blucher.</span>
-Ce n'était pas assez que d'avoir tout disposé pour résister à la
-grande armée de Bohême; il fallait songer aussi à tenir tête à
-Blucher, qu'on devait s'attendre à voir paraître d'un moment à l'autre
-au nord de Leipzig. Heureusement se trouvait de ce côté, en dépassant
-la Partha, une position assez avantageuse, s'étendant du village de
-Möckern à celui d'Euteritzsch, barrant la route de Halle à Leipzig, et
-présentant un terrain large, élevé, appuyé d'un côté à <span class="pagenum"><a id="page541" name="page541"></a>(p. 541)</span> la
-Pleisse et à l'Elster, de l'autre à un gros ravin, et où un corps
-pouvait se déployer à l'aise, en ayant sur l'ennemi qui arrivait de
-Halle un fort commandement. Obligé d'abandonner cette position, on
-avait la ressource de se replier derrière la Partha, et d'aller
-s'adosser à Leipzig, en avant du faubourg de Halle.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marmont avait pris position à Möckern.</span>
-C'est là que Marmont, n'ayant cessé d'observer Blucher pendant la
-marche de nos troupes, était venu se placer pour le combattre au
-besoin. Napoléon approuva la position que Marmont avait prise, et lui
-recommanda de s'y maintenir. Ney, avec Bertrand, Souham, Reynier,
-Dombrowski, tous retardés par la destruction des ponts de la Mulde et
-de l'Elbe, devait se ranger à la droite de Marmont, puis à mesure
-qu'il arriverait se replier autour de Leipzig, du nord au sud, et se
-relier à travers la plaine qu'arrose la Partha, avec la gauche de
-Murat. Ces dernières troupes venues, le cercle autour de Leipzig
-serait entièrement fermé.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Précautions prises pour garder la ville de Leipzig et la
-route de Lutzen qui était celle de Mayence.</span>
-Restait à bien garder la ville même de Leipzig, et non-seulement la
-ville, mais la grande route du Rhin, qui après avoir franchi la
-Pleisse et l'Elster sur une longue suite de ponts, débouchait par
-Lindenau dans la plaine de Lutzen, et allait rejoindre Weissenfels,
-Erfurt, Mayence. Il était indispensable de garder spécialement la
-route, parce qu'elle était notre seule ligne de retraite, et parce
-qu'en l'occupant nous empêchions Blucher et Schwarzenberg de
-communiquer entre eux par delà l'Elster et la Pleisse. Napoléon avait
-laissé la division Margaron, composée de troupes de marche, dans
-Leipzig <span class="pagenum"><a id="page542" name="page542"></a>(p. 542)</span> même, avec mission de défendre les ponts de la
-Pleisse et de l'Elster, et le gros bourg de Lindenau, qui en forme le
-débouché dans la plaine de Lutzen. Moyennant qu'on défendît bien ce
-bourg et la ville, il suffisait de troupes légères sur la grande route
-de Lutzen, pour qu'on fût averti de ce qui s'y passerait, et qu'on pût
-y accourir à temps. Napoléon adjoignit aux troupes de Margaron le
-général Bertrand qui avait marché avec Macdonald, et qui venait
-d'entrer à Leipzig. Il devait appuyer au besoin, ou Margaron dans la
-défense de Leipzig et du débouché de Lindenau, ou Marmont dans la
-défense de la position de Möckern. Les autres corps arrivant
-successivement devaient, comme nous l'avons dit, se placer derrière
-Marmont, et le relier avec Murat. Ainsi dans la première journée
-Napoléon avait pour la bataille qui allait se livrer au sud de
-Leipzig, 115 mille hommes à opposer aux 160 mille de Schwarzenberg. Si
-la lutte s'engageait en même temps au nord, il avait à opposer aux 60
-mille hommes de Blucher Marmont avec 20 mille, Bertrand avec 10 mille,
-sans compter les 10 mille de Margaron qui gardaient Leipzig et la
-grande route du Rhin. Ney, avec Souham, Dombrowski, Reynier, nous
-amenait un renfort de 35 mille hommes, et pouvait alternativement
-secourir Marmont ou Napoléon lui-même. Avec lui le total de nos forces
-devait s'élever à 190 mille hommes; mais il fallait se hâter de
-vaincre, car si Ney portait nos forces à 190 mille hommes, l'ennemi,
-dans le même espace de temps, pouvait voir les siennes s'élever à 320
-ou 330 mille hommes par l'arrivée probable de Bernadotte demeuré
-<span class="pagenum"><a id="page543" name="page543"></a>(p. 543)</span> en arrière de Blucher, de Benningsen demeuré en arrière de
-Schwarzenberg. Napoléon, du reste, songeait à s'assurer des résultats
-décisifs dès le premier jour, car il espérait avoir au moins la tête
-de colonne de Ney, la joindre à Macdonald, et, les jetant l'un et
-l'autre sur la droite de Schwarzenberg, pousser brusquement ce dernier
-dans la Pleisse. Ces dispositions étaient tout ce qu'on pouvait
-attendre de la situation et de son génie, et après avoir employé la
-journée entière du 15 à rallier ses troupes, il résolut de ne pas
-différer davantage, et d'attaquer Schwarzenberg le lendemain 16. Il
-redoubla d'assurance à l'égard de ses lieutenants, et même de
-bienveillance pour eux, voulant les mieux disposer à donner jusqu'à la
-dernière goutte de leur sang. Au surplus, même en éprouvant de
-secrètes inquiétudes et en désapprouvant sa politique, ils y étaient
-déterminés sans réserve. Vaincre ou mourir était le sentiment de tous.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé du côté des alliés.</span>
-Les alliés de leur côté n'étaient pas restés oisifs, et avaient fait
-de grands efforts pour opérer leur réunion sous les murs de Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Contestations perpétuelles entre Blucher et Bernadotte
-depuis leur réunion derrière la Mulde.</span>
-Blucher et Bernadotte, comme on l'a vu, s'étaient, à l'approche de
-Napoléon, réfugiés derrière la Mulde, et n'avaient cessé depuis qu'ils
-se trouvaient ensemble d'être en contestation sur la conduite à
-suivre. Bernadotte aurait voulu d'abord que l'armée de Silésie vînt
-prendre position au-dessus de lui sur la Mulde, c'est-à-dire se placer
-entre lui et Leipzig, afin d'avoir en cas de revers des moyens
-d'évasion plus prompts et plus sûrs vers l'Elbe. Blucher, qui devinait
-les motifs de Bernadotte, aurait désiré au contraire se <span class="pagenum"><a id="page544" name="page544"></a>(p. 544)</span>
-placer au-dessous pour le tenir enfermé entre lui et Leipzig, et le
-forcer ainsi à marcher à l'ennemi. Mais Bernadotte se refusant
-absolument à une semblable disposition des deux armées, et alléguant
-pour prétexte le soin de ses communications avec la Suède, Blucher
-avait été obligé de se rendre pour éviter une rupture. Après cette
-contestation, il s'en était élevé une autre. Bernadotte voulait qu'en
-remontant vers Leipzig on opérât ce mouvement non pas derrière la
-Mulde, mais derrière la Saale, afin de mettre deux rivières entre soi
-et les Français. Blucher, au contraire, voulait qu'on se couvrît
-seulement de la Mulde pour arriver plus tôt à Leipzig. Toutefois il
-avait cédé encore, toujours dans l'intention de prévenir un éclat.
-Mais avec son impatience habituelle, il n'avait porté qu'un de ses
-corps derrière la Saale, et à la tête des deux autres il avait cheminé
-en avant de cette rivière, sur la chaussée de Halle, très-près du
-maréchal Marmont qu'il n'avait cessé de côtoyer. Enfin une troisième
-contestation avait tout à coup surgi entre les deux chefs des armées
-de Silésie et du Nord, et avait mis le comble à leur mésintelligence.
-À la vue des Français occupés au delà de l'Elbe à détruire des ponts,
-Bernadotte croyant à un mouvement de Napoléon sur Berlin, avait voulu
-repasser l'Elbe, pour n'être pas coupé du nord de l'Allemagne où était
-sa base d'opération. Son état-major tout entier, composé en grande
-partie de Russes et de Prussiens, avait contre l'ordinaire incliné à
-son opinion. Aussi avait-il fait valoir l'autorité éventuelle dont il
-était investi à l'égard de l'armée de Silésie, pour enjoindre à
-Blucher de le suivre sur la rive <span class="pagenum"><a id="page545" name="page545"></a>(p. 545)</span> droite de l'Elbe. En
-recevant cet ordre Blucher avait contesté le mouvement de Napoléon sur
-Berlin, allégué à l'appui de son opinion les forces considérables
-laissées autour de Leipzig, répondu en outre par une désobéissance
-formelle, et adressé aux officiers prussiens et russes de l'armée de
-Bernadotte l'invitation de ne pas quitter la rive gauche de l'Elbe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher s'était avancé par Halle sur Leipzig; Bernadotte
-était resté en arrière sur la basse Saale, avec deux divisions
-laissées sur la droite de l'Elbe.</span>
-Mais un fait indépendant de leur volonté à tous, la destruction
-complète des ponts par Ney et Reynier, avait mis fin au débat, et
-Bernadotte, privé de ses moyens de passage, était resté forcément sur
-la gauche de l'Elbe, ne suivant d'ailleurs Blucher que de très-loin.
-Toutefois les divisions Thumen et Hirschfeld, le corps de Tauenzien
-étaient demeurés de l'autre côté du fleuve, et avaient ainsi causé
-l'erreur de Napoléon, qui avait cru l'armée entière du Nord résolue à
-se maintenir sur la droite de l'Elbe et sur la route de Berlin.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, arrivé à quelque distance de Leipzig, envoie un
-officier pour essayer de pénétrer auprès de Schwarzenberg à travers
-l'armée française.</span>
-C'est de cette manière que Blucher et Bernadotte avaient occupé le
-temps que Napoléon avait employé à revenir sur Leipzig. Blucher était
-le 15 sur la route de Halle, à quatre ou cinq lieues au nord de
-Leipzig, ayant grand désir de s'en approcher, n'osant donner la main
-au prince de Schwarzenberg à travers la plaine de Lutzen, parce qu'il
-lui aurait fallu franchir la Pleisse et l'Elster, étant fort tenté de
-le faire du côté opposé, à travers la vaste plaine de Leipzig, mais ne
-l'osant pas davantage à la vue des corps français qui marchaient dans
-cette direction, et renouvelant ses instances auprès de Bernadotte
-pour qu'il vînt le joindre, car réunis ils devaient former une armée
-de 120 mille hommes, <span class="pagenum"><a id="page546" name="page546"></a>(p. 546)</span> laquelle n'avait rien à craindre de
-personne. Il avait en attendant tâché d'envoyer un officier au prince
-de Schwarzenberg pour lui dire qu'il était là, au nord de Leipzig, à
-une très-petite distance de lui, prêt à marcher au canon dès qu'il
-l'entendrait retentir au sud de cette ville.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvement de l'armée de Bohême.</span>
-Dans l'armée de Bohême l'accord avait été plus grand, grâce à l'esprit
-conciliant d'Alexandre, à l'autorité doucement exercée du prince de
-Schwarzenberg, et surtout à l'évidence de ce qu'on avait à faire.
-<span class="sidenote" title="En marge">Peu de divergences d'avis dans cette armée, qui n'avait
-d'autre conduite à tenir que de marcher sur Leipzig.</span>
-On avait voulu descendre sur Leipzig avec l'intention de s'y joindre aux
-deux armées de Silésie et du Nord, et dès lors on n'avait qu'une
-conduite à tenir, c'était de pousser Murat vivement, et d'autant plus
-vivement qu'on voyait bien que Murat n'était qu'un rideau destiné à
-couvrir le mouvement des Français sur l'Elbe, et que si on ne se
-hâtait pas de percer ce rideau, on laisserait à Napoléon le temps
-d'accabler les armées de Silésie et du Nord. C'est ainsi qu'on était
-arrivé le 14 devant Liebert-Wolkwitz et Wachau, où l'on avait perdu
-1,200 hommes dans un combat de cavalerie imprudemment engagé contre
-Murat.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée le 14 au sud de Leipzig, elle emploie la journée du
-15 à se reposer et à prendre position.</span>
-La journée du 15 avait été employée à se rallier, à se mettre en
-ligne, et à délibérer sur le plan d'attaque, sujet fort grave et le
-seul sur lequel il y eût à discuter. Qu'il fallût livrer bataille,
-personne ne le mettait en doute, dût-on être vaincu, car si on
-laissait à Napoléon un jour, une heure de plus, il en profiterait pour
-détruire les deux armées du Nord et de Silésie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité pour elle de livrer bataille.</span>
-Se battre
-énergiquement en désespérés et tout de suite, était l'avis que la
-situation inspirait <span class="pagenum"><a id="page547" name="page547"></a>(p. 547)</span> et commandait à tout le monde. Restait le
-plan de la bataille à livrer.
-<span class="sidenote" title="En marge">Discussion sur le plan.</span>
-À cet égard il y avait grande divergence
-entre les généraux autrichiens d'une part, et les généraux russes et
-prussiens de l'autre. En guerre, comme en toutes choses, l'opinion de
-chacun est généralement dictée par la position qu'il occupe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Avis des généraux russes et prussiens.</span>
-Les Russes et les Prussiens, sous Barclay de Tolly, ayant débouché
-directement sur Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, devant
-Murat, sur la rive droite de la Pleisse et de l'Elster, voulaient
-qu'on portât l'attaque sur ce point, qu'on l'y portât résolûment, et
-avec presque toutes ses forces. À peine admettaient-ils qu'on fît une
-diversion à leur droite par Gross-Pösnau, Seyffertshayn, pour déborder
-notre gauche, et essayer de tendre une main vers Blucher à travers la
-plaine de Leipzig. Ils admettaient aussi qu'à leur gauche, entre la
-Pleisse et l'Elster, on fît quelques démonstrations pour tendre la
-main à Blucher à travers la plaine de Lutzen, s'il cherchait par
-hasard à percer de ce côté. Mais là encore ils ne voulaient qu'une
-simple démonstration.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Avis des généraux autrichiens.</span>
-Les Autrichiens ayant été conduits par les routes qu'ils avaient
-suivies à déboucher en grande partie entre la Pleisse et l'Elster,
-accordaient sans doute qu'on dirigeât une attaque vigoureuse contre
-Liebert-Wolkwitz, Wachau et Mark-Kleeberg, mais ils espéraient peu de
-cette attaque de front, et demandaient qu'on portât le gros des forces
-dans l'angle formé par la Pleisse et l'Elster, que protégés par les
-deux côtés de cet angle dont le sommet s'appuyait à Leipzig, on s'y
-enfonçât, et qu'on essayât d'enlever à coups d'hommes le pont de
-Dölitz, placé sur la <span class="pagenum"><a id="page548" name="page548"></a>(p. 548)</span> droite des Français en arrière de
-Mark-Kleeberg. Sans doute, disaient-ils, on y rencontrerait de grandes
-difficultés, car la Pleisse, coupée en mille bras, présentait des
-ponts, des corps de ferme, des enclos à forcer, et ensuite un terrain
-assez escarpé à gravir. Mais ces obstacles vaincus, on se trouverait
-sur les derrières des Français, la position de ceux-ci ne serait plus
-tenable, et ce serait un miracle s'ils pouvaient se retirer sains et
-saufs sur Leipzig. Aussi les généraux autrichiens voulaient-ils que
-non-seulement on employât à cette opération l'armée autrichienne, mais
-que les réserves de Barclay de Tolly, composées de la garde impériale
-russe, et de la garde royale prussienne, fussent chargées d'agir entre
-la Pleisse et l'Elster. Il y avait certainement quelques raisons à
-faire valoir pour ce plan, mais il y avait deux fortes objections à
-lui opposer: la première, c'est qu'avec peu de monde Napoléon pourrait
-en arrêter beaucoup à la position de Dölitz, et la seconde, c'est
-qu'en voyant combien était peu considérable la masse chargée de le
-combattre de front, il se rabattrait par sa gauche sur elle, et la
-jetterait dans la Pleisse. Or, lorsqu'il aurait anéanti comme à Dresde
-un tiers de l'armée alliée au moins, la question serait évidemment
-décidée en sa faveur.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Transaction entre les opinions diverses, et attaque sur
-trois points, à la droite de la Pleisse et de l'Elster, entre la
-Pleisse et l'Elster, et à la gauche de ces rivières.</span>
-Il ne suffit pas cependant qu'une opinion ait contre elle des raisons
-excellentes pour qu'on y renonce. Après l'avoir adoptée par position
-et de bonne foi, on y persiste par amour-propre, et il est rare qu'une
-opinion logiquement détruite soit une opinion abandonnée. On contesta
-vivement, et suivant la coutume, bonne en politique, mais souvent
-<span class="pagenum"><a id="page549" name="page549"></a>(p. 549)</span> dangereuse à la guerre, on transigea. On répartit les forces
-avec une certaine égalité. Le corps autrichien de Giulay, renforcé des
-troupes légères de Lichtenstein et de Thielmann, dut, au delà de la
-Pleisse et de l'Elster, se porter sur Lindenau, pour s'emparer de la
-communication des Français avec Lutzen, c'est-à-dire avec Mayence. Ce
-corps, de 20 à 25 mille hommes, pouvait, s'il était heureux, donner la
-main à Blucher à travers la plaine de Lutzen. Le gros de l'armée
-autrichienne, comptant 40 mille hommes environ, composé du corps de
-Merfeld et de toutes les réserves tant de cavalerie que d'infanterie
-du prince de Hesse-Hombourg, devait s'enfoncer dans l'angle formé par
-la Pleisse et l'Elster, et essayer de déboucher par Dölitz sur les
-derrières des Français. À la droite des deux rivières, sur le front
-des Français, devant les positions de Mark-Kleeberg, Wachau,
-Liebert-Wolkwitz, les armées prussienne et russe, appuyées de toutes
-leurs réserves et présentant une force d'environ 70 mille hommes,
-devaient se ruer sur la ligne occupée par Napoléon, tandis que le
-général autrichien Klenau, comptant à peu près 25 mille hommes avec le
-renfort d'une brigade prussienne et de la cavalerie de Platow,
-déborderait au loin Liebert-Wolkwitz par la plaine de Leipzig,
-tâcherait de tourner notre gauche, et de tendre lui aussi la main aux
-armées de Blucher et de Bernadotte.</p>
-
-<p>Tel fut le plan adopté le 15 au soir pour être exécuté le lendemain 16
-dès neuf heures du matin. On essaya de faire parvenir à Blucher, dont
-on avait appris l'arrivée au nord de Leipzig, l'avis qu'on allait
-<span class="pagenum"><a id="page550" name="page550"></a>(p. 550)</span> attaquer le 16, afin que s'il entendait le canon, il se
-portât lui-même au feu, et ne laissât aux Français que le moindre
-nombre possible de troupes inoccupées.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dernières dispositions de Napoléon.</span>
-Le 16 octobre était donc le jour choisi par les deux armées pour cette
-grande et terrible lutte, de laquelle allait dépendre l'empire du
-monde. Napoléon avait déjà disposé ses troupes dès la veille.
-Macdonald et Sébastiani étant arrivés, il les avait dirigés sur
-Holzhausen, à gauche de Liebert-Wolkwitz, afin de faire face à Klenau.
-Quant à Ney et à Reynier, ils ne devaient être rendus à Leipzig, le
-premier que dans la matinée du 16, et le second que dans celle du 17.
-Blucher ne se montrant pas encore sur la route de Halle, ce qui était
-naturel puisqu'il fallait que le canon l'attirât sur le champ de
-bataille pour qu'il osât s'y aventurer, Napoléon supposa que peut-être
-il ne l'aurait pas sur les bras dans cette journée, et il enjoignit à
-Marmont de quitter sa position au nord de Leipzig, de traverser le
-faubourg de Halle, et de venir se placer sur les derrières de la
-grande armée, afin de coopérer à la man&oelig;uvre décisive contre la
-droite de Schwarzenberg, par laquelle il espérait assurer le gain de
-la bataille. Il prescrivit à Ney de prendre la position laissée
-vacante par Marmont, et d'être prêt, de concert avec Bertrand, à
-contenir l'ennemi qui se montrerait au nord de Leipzig. Ces ordres
-donnés, Napoléon était dès la pointe du jour à cheval au milieu de sa
-garde, sur un tertre élevé, à la bergerie de Meusdorf, d'où il
-dominait le champ de bataille, et voyait à sa gauche
-Liebert-Wolkwitz, au centre <span class="pagenum"><a id="page551" name="page551"></a>(p. 551)</span> et un peu dans le fond Wachau, à
-droite et dans le fond aussi Mark-Kleeberg, plus à droite enfin la
-Pleisse et l'Elster, entre lesquelles s'avançaient les Autrichiens
-pour forcer le pont de Dölitz. Il avait, comme nous l'avons dit,
-environ 160 mille hommes devant lui, et environ 115 mille pour les
-combattre, Macdonald et Sébastiani compris. Le reste de l'armée
-française était à deux lieues en arrière, pour faire face aux
-éventualités qui pouvaient se présenter sur d'autres points.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Première bataille de Leipzig, dite journée du 16.</span>
-À neuf heures du matin, trois coups de canon tirés du côté des alliés
-devinrent le signal d'une épouvantable canonnade. De Mark-Kleeberg à
-Liebert-Wolkwitz, les coalisés s'avancèrent sur notre front en trois
-fortes colonnes précédées par 200 bouches à feu.
-<span class="sidenote" title="En marge">Attaque des coalisés sur Mark-Kleeberg, Wachau et
-Liebert-Wolkwitz.</span>
-Ils avaient eu
-l'idée, très-bien entendue, de mêler ensemble les troupes de toutes
-les nations, pour que les dangers fussent également répartis, et que
-le voisinage excitât l'émulation. À notre droite, le général Kleist
-avec la division prussienne du prince Auguste de Prusse, plusieurs
-bataillons russes et les cuirassiers de Levachoff, marcha par Cröbern
-et Crostewitz sur Mark-Kleeberg. Au centre, le prince Eugène de
-Wurtemberg, avec la division russe qu'il commandait et la division
-prussienne de Klüx, marcha sur Wachau. À notre gauche et à la droite
-des coalisés, le prince Gortschakoff avec son corps et la division
-prussienne Pirch marcha sur Liebert-Wolkwitz, que Klenau, avec une
-quatrième colonne, essayait de tourner par Seyffertshayn. Ces diverses
-colonnes s'avançaient résolûment, en gens décidés à surmonter tous
-les obstacles. Notre artillerie, <span class="pagenum"><a id="page552" name="page552"></a>(p. 552)</span> fort nombreuse, mise en
-batterie sur la pente du terrain, les couvrit de projectiles, mais ne
-les arrêta point, et elles arrivèrent sans chanceler jusqu'au pied de
-nos positions.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Poniatowski après avoir vaillamment résisté au général
-Kleist, est obligé de se replier un peu en arrière.</span>
-La colonne de Kleist, dirigée sur Mark-Kleeberg à notre droite, fut
-bientôt engagée avec Poniatowski, et malgré la résistance de celui-ci,
-parvint à emporter ce village situé sur la Pleisse. Elle n'était pas
-de moins de 18 mille hommes, tandis que Poniatowski n'en avait que
-huit ou neuf mille. Ce dernier fut obligé de se retirer sur le terrain
-un peu dominant qui formait l'extrémité droite de notre ligne.
-Augereau porté alors en avant vint appuyer Poniatowski. Une forte
-artillerie fut dirigée contre Kleist qui cherchait à gravir le terrain
-sur lequel nous nous étions repliés.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Victor dispute victorieusement le village de
-Wachau au prince Eugène de Wurtemberg.</span>
-Au centre, le prince Eugène de
-Wurtemberg avec son infanterie russe et la division de Klüx, arriva
-devant Wachau sous une grêle de mitraille, et tenta d'y pénétrer. Mais
-le maréchal Victor, occupant ce village, lui résista opiniâtrement.
-Enfin à notre gauche, Gortschakoff partant de Störmthal, point de
-départ plus éloigné que celui des autres colonnes, était encore à
-quelque distance de Liebert-Wolkwitz, que Klenau avec les Autrichiens
-de Mohr était prêt à déborder.
-<span class="sidenote" title="En marge">Lauriston se maintient à Liebert-Wolkwitz.</span>
-Mais le corps de Lauriston se trouvait
-à Liebert-Wolkwitz, favorisé par l'élévation du terrain, et devant
-être bientôt soutenu par Macdonald qui débouchait de Holzhausen.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Canonnade épouvantable.</span>
-Cette première marche des coalisés fut ferme et résolue, et s'exécuta
-sous une grêle de boulets lancés par les trois cents bouches à feu que
-nous avions de Mark-Kleeberg à Liebert-Wolkwitz.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les Français se défendent sur toute la ligne, sans perdre
-aucune portion de terrain.</span>
-La canonnade
-<span class="pagenum"><a id="page553" name="page553"></a>(p. 553)</span> de part et d'autre était si violente que personne, parmi nos
-vieux généraux, ne se souvenait d'en avoir entendu une pareille, et
-que Napoléon, quoique placé un peu en arrière à la bergerie de
-Meusdorf, vit tomber autour de lui quantité d'officiers et de chevaux.
-Avec son ordinaire assurance, il demeura impassible, et laissa la
-bataille s'engager davantage avant de prendre aucune résolution
-décisive. À gauche, Liebert-Wolkwitz bâti sur une éminence, et
-vigoureusement occupé par Lauriston, pouvait se défendre longtemps. Au
-centre, le prince Eugène de Wurtemberg ne semblait pas en état de
-surmonter la résistance des trois divisions de Victor. À droite
-seulement, la nécessité où avait été Poniatowski d'abandonner
-Mark-Kleeberg, et de céder un peu de terrain, avait amené notre ligne
-à se courber légèrement en arrière. La division Semelé, du corps
-d'Augereau, était déjà venue au secours de Poniatowski. Napoléon
-ordonna de se servir de la nombreuse et excellente cavalerie qu'on
-avait de ce côté, celle des Polonais et de Pajol (4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps)
-pour arrêter l'infanterie de Kleist sur la pente du terrain qu'elle
-essayait de gravir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Charge des dragons de Kellermann et des cuirassiers de
-Levachoff.</span>
-Le général Kellermann, qui dirigeait ce jour-là les 4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps,
-se jeta avec ses dragons sur l'infanterie du prince Auguste, et la
-contint. Mais les cuirassiers de Levachoff, lancés à propos et avec
-habileté, franchirent un ravin qui était au pied de nos positions,
-prirent en flanc les dragons de Kellermann et les ramenèrent.
-Accueillis à leur tour par le feu plongeant de notre artillerie, les
-cuirassiers de Levachoff furent obligés de revenir sur leurs pas. On
-se contint <span class="pagenum"><a id="page554" name="page554"></a>(p. 554)</span> réciproquement, les Prussiens ne gagnant pas plus
-de terrain qu'ils n'en avaient conquis d'abord, nous, ne pouvant
-recouvrer Mark-Kleeberg, mais restant sur les points dominants que
-nous avions occupés. Une masse formidable d'artillerie arrêtait
-l'ennemi, et bien que notre ligne ne fût pas redressée, elle ne
-paraissait pas devoir se courber davantage.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Carnage horrible à Wachau et à Liebert-Wolkwitz.</span>
-Au centre, c'est-à-dire à Wachau, à gauche, c'est-à-dire à
-Liebert-Wolkwitz, le combat ne cessait pas d'être opiniâtre et
-sanglant. À plusieurs reprises le prince de Wurtemberg et le général
-Kleist avaient pénétré dans Wachau, qui était dans un fond, mais à
-chaque fois les divisions de Victor fondant sur eux en colonnes
-serrées, les en avaient repoussés. Ce village avait été en deux heures
-pris et repris cinq fois. Il ne présentait plus qu'un monceau de
-ruines et de cadavres. À Liebert-Wolkwitz, Lauriston, abordé de front
-par Gortschakoff, de gauche par Klenau, les avait reçus de manière à
-ne pas leur donner le goût d'y revenir. Klenau s'étant montré le
-premier sur la gauche avec la brigade Spleny, le général Rochambeau
-l'avait chargé et culbuté, tandis qu'on canonnait Gortschakoff éloigné
-encore, et longeant le bois de l'Université. Après avoir criblé de
-boulets les Russes de Gortschakoff, les Prussiens de Pirch, le général
-Maison leur avait laissé gravir le terrain saillant sur lequel
-s'élevait Liebert-Wolkwitz, puis les avait chargés avec vigueur, et
-rejetés partie sur le bois de l'Université à gauche, partie sur
-Gülden-Gossa à droite, et, chaque fois qu'ils avaient voulu
-reparaître, les avait couverts de mitraille.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page555" name="page555"></a>(p. 555)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Vers midi, 18 à 20 mille hommes avaient déjà
-succombé.</span>
-À midi, 18 mille hommes avaient déjà succombé dans l'une et l'autre
-armée, mais les deux tiers de ce nombre du côté de l'ennemi, et notre
-ligne invincible partout semblait ne pouvoir être forcée, sauf à
-droite, où, comme nous l'avons dit, elle s'était légèrement ployée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le canon se faisant entendre tout à coup à Lindenau et à
-Möckern, nous apprend qu'il se livre trois batailles à la fois.</span>
-Dans ce moment le canon avait tout à coup retenti au nord, puis on
-l'avait bientôt entendu dans les autres directions, ce qui annonçait
-que nous étions assaillis de tous les côtés à la fois. En effet, des
-aides de camp arrivés au galop avaient appris d'une part que sur la
-droite de Leipzig, Margaron était attaqué à Lindenau par Giulay, qui
-voulait nous ôter notre ligne de communication avec Lutzen, et qu'en
-arrière, c'est-à-dire au nord de Leipzig, Marmont était aux prises
-avec Blucher accouru de Halle pour prendre part à la bataille
-générale. Marmont mandait qu'il ne pouvait pas exécuter l'ordre de se
-porter derrière Napoléon, car il lui fallait tenir tête à Blucher, et
-même il réclamait du secours. Heureusement le maréchal Ney paraissait
-en cet instant avec la division Dombrowski et le corps de Souham, et
-Napoléon fit dire à ce maréchal, que tout en aidant Marmont, il
-fallait envoyer derrière Macdonald, à l'appui de la grande armée,
-celle de ses divisions dont il pourrait disposer. Ney commandait à la
-fois le 4<sup>e</sup> corps (Bertrand), le 3<sup>e</sup> (Souham), le 7<sup>e</sup> (Reynier), plus
-la division de Dombrowski. Il avait Bertrand dans Leipzig pour appuyer
-Margaron; il lui arrivait Dombrowski et Souham pour soutenir Marmont
-et se reporter sur Napoléon. Il ne pouvait avoir Reynier que le
-lendemain.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page556" name="page556"></a>(p. 556)</span> <span class="sidenote" title="En marge">À midi, Napoléon se décide à prendre l'offensive.</span>
-À midi la bataille s'étant plus clairement développée, Napoléon songea
-enfin à quitter la défensive pour prendre une offensive vigoureuse. Il
-résolut de déboucher à la fois de Liebert-Wolkwitz et de Wachau afin
-d'écraser le centre de l'ennemi, tandis qu'à l'extrême gauche
-Macdonald débouchant de Holzhausen par delà Liebert-Wolkwitz,
-repousserait Klenau, le rejetterait le plus loin possible, puis se
-rabattant de gauche à droite, se précipiterait sur le centre de
-l'ennemi attaqué déjà de front par Liebert-Wolkwitz et Wachau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Deux colonnes partant l'une de Wachau, l'autre de
-Liebert-Wolkwitz, et ayant l'artillerie de la garde entre deux,
-doivent fondre sur l'ennemi, pendant que Macdonald se rabattant de
-gauche à droite, cherchera à le pousser vers la Pleisse.</span>
-Pour l'exécution de ce mouvement, Napoléon fit descendre d'un côté deux
-divisions de la jeune garde sous Mortier, afin que réunies à Lauriston
-elles tombassent sur Gortschakoff, et de l'autre côté deux autres
-divisions de cette même jeune garde, sous Oudinot, pour fondre avec
-Victor sur le prince Eugène de Wurtemberg. La réserve d'artillerie de
-la garde formant une batterie de quatre-vingts pièces de canon, devait
-s'avancer entre ces deux colonnes et les seconder de son feu. La
-cavalerie de Latour-Maubourg fut disposée en arrière afin d'appuyer ce
-mouvement, et de saisir les occasions de charger. Kellermann avec les
-4<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> corps se tint également prêt sur la droite. La vieille
-garde composée des divisions d'infanterie Curial et Friant et de la
-cavalerie de Nansouty, vint prendre la position laissée vacante par la
-jeune garde et par Latour-Maubourg. Tout s'ébranla donc pour ce
-mouvement offensif, dans le moment même où Alexandre, frappé déjà de
-ce qui se passait devant lui, avait envoyé un de ses officiers
-allemands, M. de Wolzogen, pour supplier le prince de Schwarzenberg
-<span class="pagenum"><a id="page557" name="page557"></a>(p. 557)</span> de renoncer à son attaque entre la Pleisse et l'Elster, et de
-s'occuper davantage de ce que les armées prussienne et russe avaient
-sur les bras entre Liebert-Wolkwitz et Wachau.</p>
-
-<p>À peine le signal était-il donné que nos deux colonnes d'attaque
-s'avancèrent, ayant entre elles la batterie formidable de la garde
-dirigée par Drouot, et dont trente-deux pièces de 12 étaient
-commandées par le brave colonel Griois. Le feu était épouvantable, et
-tel qu'il semblait qu'aucune troupe n'y pût résister.
-<span class="sidenote" title="En marge">Succès de Lauriston et Mortier, précédés de la division
-Maison.</span>
-D'un côté le
-maréchal Mortier précédé par la division Maison descendit de
-Liebert-Wolkwitz, aborda Gortschakoff, et le rejeta entre le bois de
-l'Université et le village marécageux de Gülden-Gossa.
-<span class="sidenote" title="En marge">Succès d'Oudinot et Victor, en avant de Wachau.</span>
-De l'autre côté
-Oudinot et Victor débouchant de Wachau, repoussèrent le prince Eugène
-de Wurtemberg, lui firent repasser l'espèce de vallon qui nous
-séparait, et le refoulèrent sur la bergerie d'Avenhayn, qui se
-trouvait sur la droite du village de Gülden-Gossa.
-<span class="sidenote" title="En marge">Macdonald refoule Klenau sur le bois de l'Université, mais
-sans pouvoir y pénétrer.</span>
-Tandis que l'on
-s'avançait ainsi victorieusement vers le milieu de notre ligne,
-Macdonald faisant irruption à gauche par delà Liebert-Wolkwitz, aborda
-Klenau, et l'obligea de lui céder une grande étendue de terrain.
-Chemin faisant, il arriva devant une vieille redoute, dite des
-Suédois, d'où pleuvaient des flots de mitraille, la masqua au moyen de
-la division Charpentier, et avec les divisions Ledru et Gérard enleva
-Seyffertshayn. L'ennemi se défendit vigoureusement, mais on le rejeta
-d'un côté sur Klein-Pössnau, de l'autre sur Gross-Pössnau et le bois
-de l'Université. Là favorisé par les difficultés locales, il
-s'arrêta, et nous tint tête. Si un corps de <span class="pagenum"><a id="page558" name="page558"></a>(p. 558)</span> réserve appuyant
-alors Macdonald, était venu l'aider à se rabattre de gauche à droite,
-on aurait pu culbuter une partie de Klenau sur Gortschakoff, l'un et
-l'autre sur le prince de Wurtemberg et sur Kleist, et tous ensemble
-dans la Pleisse. Mais Marmont était en ce moment aux prises avec
-Blucher, Margaron avec Giulay; Bertrand entre deux, se réservait pour
-aller au secours du plus menacé. Ney n'osait disposer de Souham, tant
-Marmont lui paraissait attaqué violemment, laissait Dombrowski sur la
-droite de Marmont, pour faire face à des masses qu'on voyait
-confusément dans le lointain, et enfin attendait encore Reynier. Il
-fallait donc que Napoléon remportât la victoire avec ce qu'il avait
-sous la main.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Danger des alliés.</span>
-Les ennemis après avoir perdu toute la largeur du champ de bataille en
-disputaient pied à pied l'extrême limite. Klenau résistait soit à
-Gross-Pössnau, soit à la tête du bois de l'Université. Gortschakoff
-rejeté sur l'autre côté de ce bois s'y défendait, et cherchait en même
-temps à s'appuyer au village de Gülden-Gossa, qui, étant enfoncé en
-terre, et présentant une suite de bois et de mares d'eau assez
-allongée, était très-propre à la défensive. Le prince Eugène de
-Wurtemberg placé tout auprès, à la bergerie d'Avenhayn, tâchait de s'y
-maintenir avec les débris de son corps. À l'aspect du danger qui les
-menaçait, les souverains alliés étaient dans la plus grande
-perplexité. <span class="sidenote" title="En marge">M. de Wolzogen envoyé au prince de Schwarzenberg pour le
-ramener de la gauche à la droite de la Pleisse, au secours des armées
-russe et prussienne.</span>
-M. de Wolzogen, comme nous venons de le dire, avait été
-envoyé au prince de Schwarzenberg, le général Jomini s'était joint à
-lui, et sur les vives observations de tous deux, le prince
-reconnaissant la difficulté d'emporter Dölitz pour <span class="pagenum"><a id="page559" name="page559"></a>(p. 559)</span> déboucher
-sur nos derrières, et le péril pressant des armées russe et
-prussienne, avait consenti à faire passer sur la rive droite de la
-Pleisse la réserve du prince de Hesse-Hombourg, forte de plus de 20
-mille hommes. Mais ce n'était pas avant trois heures de l'après-midi
-que ces renforts pouvaient être arrivés.
-<span class="sidenote" title="En marge">En attendant, Alexandre et Frédéric-Guillaume font donner
-toutes leurs réserves.</span>
-En attendant les souverains
-se décidèrent à engager toutes leurs réserves, certains qu'ils étaient
-de les remplacer bientôt par une partie de l'armée autrichienne.
-<span class="sidenote" title="En marge">Charge de la cavalerie russe repoussée par Lauriston et
-Mortier d'un côté, par Oudinot et Victor de l'autre.</span>
-On lança d'abord les cuirassiers russes sur notre infanterie, tandis
-qu'on porta en ligne les dix mille grenadiers de Rajeffsky, dont une
-colonne fut dirigée sur Gülden-Gossa, et l'autre sur la bergerie
-d'Avenhayn.</p>
-
-<p>Tels étaient les événements du côté de l'ennemi. Lauriston et Mortier
-à notre gauche vers Gülden-Gossa, Victor et Oudinot à notre droite
-vers la bergerie d'Avenhayn, reçurent en carrés les cuirassiers
-russes, et par un feu imperturbable les renversèrent sous les cadavres
-de leurs chevaux.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les dix mille grenadiers de Rajeffsky viennent se mettre en
-ligne, de la bergerie d'Avenhayn à Gülden-Gossa.</span>
-Les dix mille grenadiers de Rajeffsky, répartis
-entre la bergerie d'Avenhayn, le village de Gülden-Gossa et le bois de
-l'Université, vinrent se placer comme une longue muraille, soutenue
-d'intervalle en intervalle par du canon.
-<span class="sidenote" title="En marge">Drouot les démolit à coups de canon.</span>
-Le brave Drouot qui était
-resté entre nos deux colonnes d'attaque avec sa formidable batterie,
-imagina de diriger toutes ses pièces sur cette magnifique infanterie,
-négligeant l'artillerie ennemie, quelque importance qu'il y eût à
-éteindre ses feux. Quoiqu'il fût bien près de l'ennemi, il s'avança
-plus encore, et se mit à tirer à mitraille sur les grenadiers russes
-qui tombaient comme des pans de <span class="pagenum"><a id="page560" name="page560"></a>(p. 560)</span> murs sous le feu de nos
-canons.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dubreton enlève la bergerie d'Avenhayn.</span>
-Lorsqu'ils parurent suffisamment ébranlés, la division
-Dubreton se détachant du corps de Victor à notre droite, exécuta une
-charge à la baïonnette sur la bergerie d'Avenhayn, et l'emporta.
-<span class="sidenote" title="En marge">Maison attaque Gülden-Gossa avec la dernière violence.</span>
-À gauche le général Maison formant la tête de Lauriston, se jeta sur
-Gülden-Gossa et parvint à y pénétrer. Mais les grenadiers Rajeffsky
-favorisés par des bâtiments de ferme, des bois, des mares d'eau, s'y
-défendirent avec la dernière opiniâtreté. On conduisit une partie de
-la garde russe à leur secours, et tandis que Maison tenait une
-extrémité du village, les Russes tenaient l'autre, et ne voulaient pas
-l'abandonner. Maison atteint de plusieurs coups de feu, couvert de
-sang, changea trois fois de cheval, et ramena ses soldats dans ce
-village de Gülden-Gossa qu'il ne pouvait enlever aux Russes, et que de
-leur côté les Russes ne pouvaient lui arracher. À gauche Macdonald
-tournant Klenau par Seyffertshayn, avait rejeté sur Gross-Pössnau la
-brigade prussienne Ziethen, les brigades autrichiennes Spleny et
-Schöffer, la division autrichienne Meyer; mais la redoute suédoise
-placée à gauche de Liebert-Wolkwitz était demeurée inabordable.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 22<sup>e</sup> léger enlève la redoute des Suédois.</span>
-Napoléon qui se portait partout, apercevant le 22<sup>e</sup> léger au pied de
-la redoute, demanda quel était le régiment qui se trouvait devant
-cette position, et sur la réponse que c'était le 22<sup>e</sup> léger, il dit:
-Ce n'est pas possible, le 22<sup>e</sup> léger ne resterait pas ainsi sous la
-mitraille sans courir sur l'artillerie qui le foudroie.--Le 22<sup>e</sup> mené
-par le colonel Charras, gravit la hauteur au pas de charge, tua les
-artilleurs ennemis à coups de baïonnette, et <span class="pagenum"><a id="page561" name="page561"></a>(p. 561)</span> enleva la
-redoute. Le point qui arrêtait Macdonald emporté, ce maréchal continua
-son mouvement à notre gauche jusqu'à la moitié du bois de
-l'Université.</p>
-
-<p>Il était trois heures: partout l'ennemi acculé, même en arrière de sa
-première position, semblait prêt à nous céder la victoire. Seulement à
-notre gauche, vis-à-vis de Liebert-Wolkwitz, il se soutenait au bois
-de l'Université.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'ennemi concentre tous ses efforts sur Gülden-Gossa.</span>
-Au centre, repoussé de la bergerie d'Avenhayn, il
-disputait au général Maison Gülden-Gossa, favorisé par la
-configuration de ce village, qui présentait une rangée de bois et de
-marécages. À notre droite, il n'avait pas rétrogradé en arrière de
-Mark-Kleeberg, malgré les efforts héroïques du prince Poniatowski.</p>
-
-<p>Napoléon sentait le besoin de vaincre à tout prix, car il ne pouvait
-pas ajourner la victoire. Ne pas vaincre aujourd'hui avec la multitude
-d'ennemis qui approchaient, ce n'était pas être vaincu seulement,
-c'était s'exposer à être détruit.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à ordonner une charge générale de
-cavalerie.</span>
-Il prit donc le parti de jeter toute
-sa cavalerie sur la ligne ennemie. Murat à gauche descendit entre
-Liebert-Wolkwitz et Wachau avec dix régiments de cuirassiers. À
-droite, Kellermann descendit entre Wachau et Mark-Kleeberg avec la
-cavalerie polonaise, les dragons d'Espagne, et les dragons de la garde
-sous le général Letort. En ce moment Pajol, placé à la tête des
-dragons d'Espagne, fut enlevé à ses soldats par un obus qui éclatant
-dans le ventre de son cheval, lui causa sans le tuer une épouvantable
-commotion.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Succès de cette charge; on enlève 26 bouches à feu à
-l'ennemi.</span>
-Douze mille chevaux s'avancèrent ainsi en deux masses, l'une à
-gauche, l'autre à droite, pleins du <span class="pagenum"><a id="page562" name="page562"></a>(p. 562)</span> souvenir de la victoire
-de Dresde qui leur était due. Le général Bordesoulle avec ses
-cuirassiers, lancé par Murat, chargea la cavalerie de Pahlen et la
-dispersa, fondit ensuite sur les grenadiers et les gardes russes qui,
-après être restés maîtres de Gülden-Gossa, s'étaient déployés en avant
-de ce village, les renversa, et leur prit vingt-six bouches à feu. À
-droite, les dragons d'Espagne et ceux de la garde chargèrent les
-cuirassiers de Levachoff, et leur firent expier leur succès du matin.
-Ce premier choc avait partout réussi, et il ne fallait plus qu'un
-effort pour percer définitivement le centre de l'ennemi, et rabattre à
-droite Kleist et le prince Eugène de Wurtemberg dans la Pleisse, à
-gauche Gortschakoff sur le bois de l'Université. Mais il était plus de
-trois heures. Tout à coup on aperçut à notre droite des masses
-profondes arrivant de l'autre côté de la Pleisse. C'était la réserve
-autrichienne de Hesse-Hombourg dont la tête, formée par les
-cuirassiers de Nostitz, devançait les grenadiers de Bianchi et de
-Weissenwolf.
-<span class="sidenote" title="En marge">Subite arrivée des cuirassiers de Nostitz, envoyés sur la
-droite de la Pleisse par le prince de Schwarzenberg.</span>
-Les cuirassiers de Nostitz en effet, débouchant au galop,
-rencontrèrent les cavaliers de Kellermann, dans le désordre de la
-poursuite, les prirent en flanc et les ramenèrent. Le brave Letort
-avec les dragons de la garde fondit à son tour sur les cuirassiers de
-Nostitz, et les contint.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les cuirassiers de Nostitz arrêtent à gauche le mouvement
-de nos dragons.</span>
-Mais au lieu d'être décisif, le mouvement de
-notre cavalerie sur la droite ne fut plus qu'alternatif, et tantôt
-nous avancions, tantôt nous reculions. Au centre Murat, après avoir
-tout renversé du premier choc, avait eu le tort, dans l'espérance
-d'être appuyé, d'engager tous ses escadrons, et d'ailleurs il s'était
-avancé <span class="pagenum"><a id="page563" name="page563"></a>(p. 563)</span> sur un terrain qu'il n'avait pas été en mesure de
-reconnaître, et dont on ne pouvait de loin découvrir la forme.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le village de Gülden-Gossa arrête au centre l'élan de nos
-cuirassiers.</span>
-À distance, le village de Gülden-Gossa ne laissait voir que quelques
-touffes d'arbres; mais de près Murat y trouva un grand enfoncement de
-terrain, et dans cet enfoncement des bâtiments, des bouquets de bois,
-des mares d'eau, et derrière chaque obstacle de l'infanterie bien
-postée. Arrivée sur le village, sa cavalerie fut obligée de s'arrêter
-court, et de demeurer en ligne sous le feu.
-<span class="sidenote" title="En marge">Charge des hussards et Cosaques de la garde impériale russe
-sur nos cuirassiers.</span>
-L'empereur Alexandre
-consentit alors à ce qu'on fît charger tout ce qui lui restait sous la
-main, jusqu'aux hussards et Cosaques de sa garde. Ceux-ci passant
-entre les ouvertures praticables de Gülden-Gossa, dont les Russes
-étaient encore maîtres, se jetèrent à l'improviste sur le flanc de la
-cavalerie de Murat, qu'ils surprirent, et qu'ils obligèrent à se
-replier n'emmenant que six des vingt-six pièces conquises tout à
-l'heure. Le brave Latour-Maubourg eut la cuisse emportée par un
-boulet. Ces hussards et ces Cosaques, lancés au galop, entourèrent de
-toutes parts la grande batterie de la garde qui était restée
-inébranlable au milieu du champ de bataille.
-<span class="sidenote" title="En marge">Drouot forme son artillerie en carré.</span>
-Drouot, rabattant alors
-les deux extrémités de sa ligne de canons sur ses flancs, opposa pour
-ainsi dire un carré d'artillerie à la cavalerie ennemie, et lorsque
-celle-ci en revenant passa à portée de ses pièces, il la couvrit de
-mitraille.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La bataille n'est pas décidée, ainsi que Napoléon l'avait
-espéré par le déploiement de notre cavalerie.</span>
-La bataille n'avait donc pas été décidée par cette action générale de
-notre cavalerie, bien qu'une bonne partie du champ de bataille fût en
-notre pouvoir. À droite en effet nous avions presque bloqué <span class="pagenum"><a id="page564" name="page564"></a>(p. 564)</span>
-Kleist dans Mark-Kleeberg; vers le centre Victor n'avait pas cessé
-d'occuper la bergerie d'Avenhayn; au centre, tirant sur la gauche,
-Lauriston, la batterie de la garde, la cavalerie de Latour-Maubourg
-étaient devant Gülden-Gossa; à gauche Macdonald, maître de la redoute
-suédoise et de Seyffertshayn, bordait de toutes parts le bois de
-l'Université. Mais l'ennemi, quoiqu'il eût rétrogradé, tenait encore.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se résout à faire avec toute la garde un dernier
-effort.</span>
-Napoléon voulut alors tenter un suprême effort. Il reforma ses
-colonnes d'attaque: Mortier avec Lauriston, Oudinot avec Victor,
-eurent ordre de se remettre en colonnes, et de s'engager de nouveau.
-Les deux divisions de la vieille garde, comprenant environ dix mille
-hommes, seule réserve qui nous restât, durent les soutenir, et
-s'engager elles-mêmes s'il le fallait. Toute la cavalerie fut rangée
-en masse derrière cette infanterie: vaincre ou périr était leur
-mission.
-<span class="sidenote" title="En marge">Une subite attaque des Autrichiens sur Dölitz suspend ce
-mouvement.</span>
-Mais tout à coup on entendit de grands cris sur notre droite.
-Les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, survenus à la suite des
-cuirassiers de Nostitz, avaient franchi la Pleisse, relevé au village
-de Mark-Kleeberg Kleist épuisé de fatigue, et ils tâchaient de faire
-fléchir Poniatowski, lequel n'avait pas cessé d'opposer à toutes les
-attaques une résistance invincible. Enfin sur nos derrières à droite,
-à ce poste de Dölitz que le prince de Schwarzenberg s'était flatté
-d'enlever, le général Merfeld, faisant une forte tentative, avait
-forcé tous les passages de la Pleisse, et était prêt à gravir la
-hauteur qui forme la berge de cette rivière.
-<span class="sidenote" title="En marge">Curial envoyé à Dölitz avec quelques bataillons de la
-vieille garde, y prend le général Merfeld avec 2 mille Autrichiens.</span>
-À ce danger Napoléon
-arrêta le mouvement de sa vieille garde, et dirigea sur Dölitz la
-division Curial. Oudinot fut détourné pour tenir tête aux grenadiers
-<span class="pagenum"><a id="page565" name="page565"></a>(p. 565)</span> de Bianchi et de Weissenwolf. Mais grâce à l'opiniâtreté de
-Poniatowski et de la division Semelé (du corps d'Augereau) les
-grenadiers autrichiens furent contenus. Curial, exécutant en arrière
-un mouvement transversal de gauche à droite, se précipita sur Dölitz.
-Il lança d'abord les grenadiers de Turin et de Toscane sur les bois
-qui entourent Dölitz, et ensuite, avec les fusiliers de la garde, il
-se porta sur Dölitz même pour y entrer à la baïonnette. Il fallait
-franchir un bras de la Pleisse, et puis s'engager dans une suite de
-fermes contiguës, dépendantes d'un vieux château. Il mit dans cette
-charge tant de vigueur, qu'il franchit la Pleisse, traversa les cours
-de ferme l'une après l'autre, tua à coups de baïonnette quiconque
-essayait de lui résister, et, devançant l'ennemi au château même, fit
-prisonnier tout ce qui était resté dans les cours en arrière. Il prit
-ainsi le général Merfeld avec plus de deux mille hommes.</p>
-
-<p>Il était cinq heures et la nuit s'approchait. Napoléon, après avoir
-pourvu à cet accident de sa droite, ne pouvait se résoudre à ne pas
-tenter un dernier effort sur le centre de l'ennemi.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dernière et violente attaque de Maison sur Gülden-Gossa,
-interrompue par la nuit.</span>
-Victor était
-encore à Avenhayn; il ne s'agissait donc que d'enlever Gülden-Gossa.
-Lauriston, imperturbable au milieu d'un feu horrible, avait éprouvé
-des pertes énormes; il lui restait toutefois le général Maison,
-atteint de plusieurs coups de feu, n'ayant plus autour de lui que les
-débris de sa division, mais insatiable de dangers jusqu'à ce qu'il eût
-conquis Gülden-Gossa. Suivi de Mortier, Maison était rentré dans ce
-fatal village. Son succès pouvait tout décider, lorsque Barclay de
-<span class="pagenum"><a id="page566" name="page566"></a>(p. 566)</span> Tolly, appréciant le péril, y lança la division prussienne de
-Firch, appuyée de la garde russe. Celle-ci, par un effort désespéré,
-reprit Gülden-Gossa. Maison essaya encore une fois d'y rentrer; mais
-une obscurité profonde sépara bientôt les combattants. Demeuré en
-dehors comme un lion rugissant, Maison était là, privé des cinq
-sixièmes de sa division, couvert lui-même de blessures, et désolé
-d'être arrêté par la nuit. Le matin il avait dit à ses soldats ces
-nobles paroles: Mes enfants, c'est aujourd'hui la dernière journée de
-la France; il faut que nous soyons tous morts ce soir.--Ces enfants
-héroïques avaient tenu son engagement. Il n'en survivait pas un
-millier. Cet acte fut le dernier de la bataille du 16, bataille
-terrible, dite de Wachau. Environ vingt mille hommes de notre côté, et
-trente mille du côté des coalisés, jonchaient la terre, les uns morts,
-les autres mourants.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat livré à Lindenau dans cette même journée du 16.</span>
-Mais là ne se bornait pas cette horrible effusion de sang humain. Deux
-autres batailles avaient été livrées dans la journée, l'une au
-couchant, l'autre au nord de Leipzig, l'une sur notre droite à
-Lindenau, l'autre en arrière, à Möckern. À Lindenau, c'était le
-général Margaron qui avait eu affaire à Giulay, et qui s'en était
-vaillamment tiré, sans autre avantage toutefois que de repousser
-l'ennemi, et de demeurer maître du champ de bataille.</p>
-
-<p>À ce bourg de Lindenau, le terrain présentait un plateau se terminant
-brusquement vers l'Elster, mais incliné en forme de glacis vers la
-plaine de Lutzen. Il était donc possible de le défendre avec assez
-d'avantage, surtout en étant sûr des ponts de <span class="pagenum"><a id="page567" name="page567"></a>(p. 567)</span> l'Elster et de
-la Pleisse qu'on avait derrière soi. Seulement on courait le danger
-d'être tourné à droite par le village de Leutzsch, à gauche par celui
-de Plagwitz, situés tous deux au bord de l'Elster. Les bras de ce
-cours d'eau sont en effet tellement divisés en cette partie et
-amoindris par leur division, qu'on pouvait les franchir aisément,
-s'engager à travers les bois et les marécages, et tourner ainsi le
-pont de Lindenau, ce qui aurait fait tomber la position. Aussi Giulay,
-en exécutant une attaque directe sur le plateau en avant de Lindenau,
-avec la cavalerie de Thielmann et l'infanterie légère de Lichtenstein,
-avait-il dirigé des attaques latérales par Leutzsch d'un côté, et
-Plagwitz de l'autre. Il avait même pénétré dans ces deux villages, et
-lancé au delà de l'Elster des tirailleurs dans les bois.
-<span class="sidenote" title="En marge">Margaron se maintient à Lindenau, après avoir fait essuyer
-à l'ennemi des pertes sensibles.</span>
-Mais le
-général Margaron se maintenant avec son artillerie et quatre
-bataillons sur le plateau, avait poussé soit sur Leutzsch, soit sur
-Plagwitz, des colonnes d'infanterie qui chargeant successivement à la
-baïonnette, avaient repris ces villages et dégagé ses deux ailes. Huit
-à neuf mille hommes en avaient contenu vingt-cinq mille, et néanmoins
-ils auraient peut-être fini par succomber, si la vue de la division
-Morand, du corps de Bertrand, rangée entre Lindenau et Leipzig,
-n'avait intimidé l'ennemi, et arrêté ses entreprises. Ce combat nous
-avait coûté un millier d'hommes, et le double au moins aux
-Autrichiens. Demeurés maîtres de Lindenau, nous pouvions toujours nous
-rouvrir la route de Lutzen.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille de Möckern, livrée le même jour par Marmont à
-Blucher.</span>
-À Möckern, le combat avait été plus sérieux, surtout par le nombre
-des combattants, et l'étendue du <span class="pagenum"><a id="page568" name="page568"></a>(p. 568)</span> carnage. Le général Blucher
-se doutant que la bataille décisive allait commencer, et ne voulant
-pas laisser le prince de Schwarzenberg exposé à la livrer seul, n'y
-avait plus tenu dès qu'il avait entendu le canon le 16 au matin, et
-avait marché par la route de Halle, aboutissant au nord de Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marche de Blucher.</span>
-En partant il avait envoyé officiers sur officiers à Bernadotte pour lui
-faire connaître la situation, et le presser d'arriver. D'ailleurs ses
-liaisons particulières avec les états-majors prussien et russe de
-l'armée du Nord lui donnaient sur cette armée une grande influence, et
-lui faisaient espérer qu'elle finirait par répondre à son appel. Mais
-ce ne pouvait être dans la journée du 16; aussi ne s'était-il avancé
-qu'avec circonspection, craignant, quoiqu'il reconnût distinctement le
-canon du prince de Schwarzenberg, qui n'était qu'à trois lieues vers
-le sud, d'avoir la majeure partie de l'armée française sur les bras.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ses forces.</span>
-Il comptait environ 60 mille combattants, mais s'il en rencontrait 80
-à 90 mille, le cas pouvait devenir mauvais pour lui. La vue de nos
-colonnes remontant de Düben sur Leipzig lui inspirait des craintes, et
-il avait eu le soin de placer Langeron en observation sur la route de
-Dölitzsch.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ses dispositions.</span>
-Il avait rangé au centre le corps russe de Sacken entre la
-route de Dölitzsch et celle de Halle, et sur celle-ci qui menait droit
-au nord de Leipzig il avait porté le corps prussien d'York, le plus
-animé de tous parce qu'il était allemand et prussien. Ces précautions
-furent cause qu'il n'arriva pas avant onze heures du matin en vue de
-Leipzig, ne pouvant rien distinguer de la bataille qui se livrait au
-sud, et entendant seulement une <span class="pagenum"><a id="page569" name="page569"></a>(p. 569)</span> canonnade formidable. Il
-avait devant lui vingt mille hommes environ, se retirant lentement de
-Breitenfeld et de Lindenthal sur Leipzig.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marmont, qui avait reçu l'ordre de se replier vers
-Napoléon, s'arrête pour combattre Blucher.</span>
-C'était le corps du maréchal
-Marmont, exécutant l'ordre qu'il avait reçu le matin de se replier sur
-Leipzig, et de traverser cette ville pour venir former la réserve de
-la grande armée. Cet ordre toutefois était conditionnel, et subordonné
-à ce qui se passerait sur la route de Halle. L'ennemi s'y montrant en
-force, l'ordre tombait, et résister à l'armée de Blucher devenait le
-devoir indiqué, devoir que le maréchal Marmont était disposé à remplir
-dans toute son étendue.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Möckern.</span>
-La position pour le maréchal Marmont était difficile à cause de
-l'infériorité du nombre, et de certaines circonstances locales.
-D'abord il n'avait sous la main que 20 mille hommes, et ne comptait
-que médiocrement sur les secours qui pouvaient lui être envoyés,
-voyant combien chacun était occupé de son côté. Tout au plus
-fondait-il quelque espérance sur l'appui de la division Dombrowski,
-que Ney avait dirigée vers Euteritzsch pour le flanquer. Secondement
-la hauteur sur laquelle il était venu s'établir entre Möckern et
-Euteritzsch, appuyée d'une part à l'Elster et à la Pleisse, de l'autre
-au ravin de Rietschke, quoique étant assez forte par elle-même,
-présentait un inconvénient grave, c'était d'avoir à dos ce même ravin
-de Rietschke, lequel, après avoir longé le flanc de la position,
-passait par derrière pour tomber dans la Pleisse à Gohlis. (Voir la
-carte n<sup>o</sup> 60.) Il était possible, si on était repoussé, qu'on y fût
-jeté en désordre. Aussi le maréchal aurait-il voulu le traverser pour
-venir se ranger derrière la Partha. Il <span class="pagenum"><a id="page570" name="page570"></a>(p. 570)</span> n'en eut pas le temps,
-et ce fut heureux, car s'il avait commis la faute de s'abriter tout de
-suite derrière la Partha, nous aurions été trop resserrés dans
-Leipzig, et surtout privés de communication avec celles de nos troupes
-qui étaient encore en marche. Quoi qu'il en soit, c'est dans cette
-position assez dominante de Möckern que s'était engagée la troisième
-bataille livrée dans cette journée funèbre, et avec une passion digne
-de celle qu'on avait déployée à Wachau.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Efforts du général d'York pour enlever Möckern.</span>
-Le combat avait commencé entre onze heures et midi, dès que Blucher
-était parvenu en ligne. Préoccupé de la vue des dernières troupes de
-Souham et du parc d'artillerie remontant de Düben sur Leipzig, Blucher
-avait laissé tout le corps de Langeron en observation devant
-Breitenfeld, et n'avait dirigé sur Marmont que le corps d'York et une
-partie de celui de Sacken, ce qui faisait encore trente et quelques
-mille hommes. Il s'était porté d'abord sur Möckern, pour enlever ce
-village sur lequel s'appuyait la gauche de Marmont, et l'avait attaqué
-avec l'acharnement qui signalait cette funeste guerre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Vaillante résistance du 2<sup>e</sup> de marine.</span>
-Marmont l'avait
-défendu avec un acharnement égal. Il avait dans ce village le 2<sup>e</sup> de
-marine de la division Lagrange, un peu en arrière la division Lagrange
-elle-même, au centre sur la pente du plateau la division Compans, à
-droite et en arrière la division Friederichs, enfin en réserve la
-cavalerie wurtembergeoise du général Normann, et la cavalerie
-française de Lorge. Quatre-vingt-quatre bouches à feu couvraient son
-front. Environ 20 mille hommes composaient ce jour-là le nombre réel
-de ses combattants.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page571" name="page571"></a>(p. 571)</span> Le village de Möckern avait été disputé longtemps, et plusieurs fois
-le 2<sup>e</sup> de marine, repoussé des ruines fumantes de ce village, y était
-rentré à la baïonnette. Enfin, accablé par le nombre, il avait été
-obligé d'en sortir. Alors le 4<sup>e</sup> de marine et le 35<sup>e</sup> léger, formant
-la seconde brigade de la division Lagrange, avaient exécuté à la
-baïonnette une charge furieuse, culbuté l'une des quatre divisions du
-corps d'York, et repris Möckern.
-<span class="sidenote" title="En marge">Combat violent entre Compans et les Prussiens sur
-le plateau de Möckern.</span>
-Blucher voyant qu'il ne gagnait rien
-à vouloir nous arracher cet appui de notre gauche, avait porté deux
-divisions en avant pour aborder à découvert le plateau incliné sur
-lequel s'étendait la division Compans.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les Prussiens foudroyés par l'artillerie de Marmont.</span>
-Les deux divisions prussiennes
-s'étaient bravement déployées devant Marmont, mais foudroyées par nos
-quatre-vingt-quatre bouches à feu, elles avaient fait des pertes
-cruelles, et vu tomber un tiers de leurs soldats. Une charge de
-cavalerie pouvait tout décider, et Marmont l'avait aussitôt ordonnée.
-Malheureusement la cavalerie wurtembergeoise, mal disposée, apercevant
-devant elle et sur sa droite les six mille chevaux de la réserve de
-Blucher, avait chargé tard et faiblement, et s'était même, en
-revenant, renversée sur un bataillon de marine qu'elle avait mis en
-désordre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Blucher, rassuré sur la marche des troupes qui semblaient
-venir de Düben, emploie le corps de Sacken et tous ses Prussiens
-contre Marmont.</span>
-Le combat s'était ainsi soutenu pendant une moitié de l'après-midi,
-lorsque Blucher rassuré sur les troupes qu'il avait aperçues dans le
-lointain, sachant que le gros de l'armée française n'était pas sur son
-flanc gauche, avait dirigé le corps de Langeron vers Dombrowski, pour
-tenir celui-ci en respect, amené à lui le corps de Sacken tout
-entier, <span class="pagenum"><a id="page572" name="page572"></a>(p. 572)</span> et attaqué la ligne de Marmont avec trois divisions
-prussiennes appuyées de toutes les divisions russes de Sacken. À cette
-vue, Marmont s'était avancé sur l'ennemi avec la division Compans, que
-le brave Compans commandait lui-même. Alors s'était engagée à cent
-cinquante pas une lutte terrible, et l'une des plus meurtrières de
-cette guerre. Marmont avait reçu une blessure à la main, une contusion
-à l'épaule, plusieurs balles dans ses habits, et avait perdu trois de
-ses aides de camp.
-<span class="sidenote" title="En marge">Lutte terrible entre la division Compans et l'armée de
-Blucher.</span>
-Les régiments de Compans avaient déployé une
-fermeté héroïque, et leur formidable artillerie décimant de nouveau
-les rangs des Prussiens, avait couvert le sol d'une ligne de cadavres.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le feu mis à des caissons produit un désordre dans notre
-ligne.</span>
-Un triomphe complet aurait couronné cette résistance, si un obus
-tombant au milieu de l'une de nos batteries, et en faisant sauter les
-caissons, n'y avait mis le désordre. L'ennemi profitant de la
-circonstance, s'était élancé sur cette batterie, et l'avait prise,
-tandis qu'au même instant plusieurs milliers de chevaux fondant sur la
-droite de la division Compans déjà écrasée par la mitraille, l'avaient
-forcée à plier. La division Friederichs était accourue à son secours,
-mais Möckern étant emporté dans ce moment, cet appui de notre gauche
-nous manquant, la droite étant menacée par Langeron qui était sur le
-point d'envelopper Dombrowski, Marmont avait jugé prudent de battre en
-retraite. Il s'était replié en bon ordre et sans accident, grâce à la
-précaution qu'il avait prise de faire jeter pendant la bataille
-plusieurs ponts de chevalets sur le ravin de Rietschke. Dombrowski,
-secouru par l'une des divisions de Souham, s'était aussi retiré sain
-et sauf, après avoir eu l'honneur de <span class="pagenum"><a id="page573" name="page573"></a>(p. 573)</span> contenir à Euteritzsch
-tout le corps de Langeron.
-<span class="sidenote" title="En marge">Marmont, obligé de céder le terrain, se replie avec ordre
-sur la Partha.</span>
-Vingt-quatre mille hommes en avaient donc
-tenu en échec soixante mille, des plus braves et des plus acharnés. Ce
-combat, d'après l'aveu même de l'ennemi, lui coûtait de neuf à dix
-mille hommes. Il nous en coûtait six, avec vingt pièces de canon
-perdues par suite de l'explosion.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résultats de cette première journée.</span>
-Telle avait été cette affreuse bataille du 16 octobre, composée de
-trois batailles, qui nous avait enlevé à nous 26 ou 27 mille hommes,
-et près de 40 mille à l'ennemi. Triste et cruel sacrifice qui couvrait
-notre armée d'un honneur immortel, mais qui devait couvrir de deuil
-notre malheureuse patrie, dont le sang coulait à torrents pour assurer
-non sa grandeur, mais sa chute!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Quoique ayant eu partout l'avantage, c'était pour nous un
-immense péril que de n'avoir pas détruit l'un de nos trois
-adversaires.</span>
-Sur aucun point nous n'avions été forcés dans notre position; nous
-avions gardé le terrain au sud entre Liebert-Wolkwitz et Wachau, et au
-couchant vers Lindenau; nous l'avions abandonné, mais presque
-volontairement, au nord, et pour en prendre un meilleur. Mais dès que
-nous n'avions pas rejeté loin l'un de l'autre, de manière à ne plus
-leur permettre de se rejoindre, Schwarzenberg et Blucher, la bataille,
-quoique non perdue, pouvait se convertir bientôt en un désastre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Immensité des forces qui arrivaient aux coalisés.</span>
-Dans ce moment Bernadotte s'approchait avec 60 mille hommes; on annonçait
-Benningsen avec 50 mille, et nous, il nous en arrivait 15 mille sous
-Reynier, dont 10 mille prêts à nous trahir! La situation, dès que nous
-n'avions pas remporté une victoire éclatante, était donc bien près de
-devenir affreuse!
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon pouvait-il agir autrement dans la journée du 16?</span>
-Aurait-on pu obtenir un résultat décisif dans cette
-première journée du 16? Voilà <span class="pagenum"><a id="page574" name="page574"></a>(p. 574)</span> ce qu'ont agité tous les
-historiens spéciaux, ce que les uns ont nié, les autres affirmé.
-Peut-être si Napoléon, après s'être mis dans une position extrême,
-avait poussé l'audace jusqu'au dernier terme, et ne laissant à Leipzig
-que Margaron pour défendre la ville seulement, se bornant de plus à
-laisser au nord de Leipzig Marmont et Dombrowski sur la Partha pour
-contenir Blucher, avait attiré à lui Bertrand et Ney pour renforcer
-Macdonald de 30 mille hommes, ces cinquante mille combattants de
-Macdonald, Bertrand et Ney, jetés de notre gauche sur la droite du
-prince de Schwarzenberg, auraient pu l'accabler, et le précipiter dans
-la Pleisse. Une grande victoire obtenue de ce côté, nos communications
-avec Lutzen et Mayence eussent été bientôt rouvertes, et Blucher
-aurait été rudement puni le lendemain des progrès qu'il aurait pu
-faire. Au lieu de cela, les troupes de Bertrand étaient restées dans
-Leipzig presque oisives, et les divisions de Souham, tantôt dirigées
-vers Napoléon, tantôt ramenées vers Marmont, avaient perdu la journée
-en allées et venues inutiles. C'est ainsi qu'une force décisive avait
-manqué sur le théâtre de l'action principale. Mais ces raisonnements,
-vrais d'ailleurs, ont été faits après l'événement. Il aurait fallu que
-Napoléon eût pu prévoir que Lindenau ne serait pas l'objet d'une
-attaque principale, que Bernadotte n'arriverait pas avec Blucher au
-nord et à l'est de Leipzig; il aurait fallu enfin que le corps de
-Reynier n'eût pas été si loin en arrière. Ce qu'il est juste de
-reprocher à Napoléon, ce n'est pas d'avoir mal livré la bataille, que
-personne certainement n'aurait mieux livrée que <span class="pagenum"><a id="page575" name="page575"></a>(p. 575)</span> lui, mais de
-s'être mis dans une position où, assailli de tous les côtés à la fois,
-obligé de faire face en même temps à toute espèce d'ennemis, il ne
-pouvait exactement deviner celui qui, à chaque instant donné, serait
-le plus pressant, et exigerait l'emploi de ses forces disponibles.
-C'est sa conduite générale et non pas sa conduite particulière dans
-cette journée, qu'il faut, cette fois comme tant d'autres, blâmer
-sévèrement<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Lien vers la note 27"><span class="smaller">[27]</span></a>.
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon allait dans la prochaine bataille se trouver avec
-150 mille hommes en présence de 300 mille.</span>
-Quoi qu'il en soit, la position de Napoléon était tout
-à coup devenue des plus périlleuses, dès qu'il n'avait pas rejeté loin
-de lui l'armée de Bohême, afin de se reporter le lendemain sur celles
-de Silésie et du Nord. Sans doute il pouvait se dire que l'ennemi
-avait cruellement souffert, et que ses pertes lui ôteraient peut-être
-le courage de recommencer le combat. C'était possible à la rigueur,
-<span class="pagenum"><a id="page576" name="page576"></a>(p. 576)</span> et même vraisemblable, si de nouveaux renforts n'avaient pas
-dû survenir; mais avec l'ardeur qui animait les coalisés, avec
-l'apparition certaine de Bernadotte sous un jour ou deux, avec
-l'arrivée probable de l'armée de Benningsen, la légère espérance
-qu'ils ne continueraient pas cette terrible bataille, n'était plus que
-la faible branche à laquelle s'attache le malheureux roulant dans un
-abîme. Tandis que les coalisés étaient presque assurés de recevoir
-cent mille hommes, à peine Napoléon en attendait-il quinze mille sous
-Reynier, dont les deux tiers de Saxons fort douteux, ce qui devait
-porter ses forces, réduites de 26 ou 27 mille hommes par la journée du
-16, à 165 mille hommes présents, et environ à 150 mille hommes sûrs;
-et <span class="pagenum"><a id="page577" name="page577"></a>(p. 577)</span> pouvait-il se flatter, si 300 mille ennemis lui tombaient
-sur les bras, ennemis acharnés, se battant avec fureur, de leur faire
-face avec 150 mille soldats, héroïques sans doute, mais ayant en tête
-des adversaires que le patriotisme rendait leurs égaux au feu?</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon pour voir les choses de plus près, parcourt le 17
-au matin toute l'étendue du champ de bataille.</span>
-Il n'était pas possible que Napoléon se dissimulât cette situation.
-Espérant la veille encore, qu'après avoir battu la principale des
-armées coalisées, il aurait bon marché des deux autres, il dut
-éprouver une sensation bien amère en voyant à la chute du jour une
-bataille indécise, qui, au lieu de le dégager, l'enfermait au
-contraire dans les bras d'une espèce de polype composé d'ennemis de
-toute sorte. Toutefois, pour croire à une situation si nouvelle et si
-désolante, il fallait qu'il considérât encore la chose de plus près.
-Après avoir pris à peine quelques heures de repos, il monta à cheval
-le 17 au matin pour parcourir le champ de bataille. Il le trouva
-horrible, bien qu'en sa vie il en eût contemplé de bien épouvantables.
-Une morne froideur se montrait sur tous les visages. Murat, le major
-général Berthier, le ministre Daru l'accompagnaient. Nos soldats
-étaient morts à leur place, mais ceux de l'ennemi aussi! Et s'il y
-avait certitude de ne pas reculer dans une seconde bataille, il y
-avait certitude presque égale que les coalisés ne reculeraient pas
-davantage. Or, une nouvelle lutte où nous resterions sur place, et où
-nous ne gagnerions rien que de n'être pas arrachés de notre poste, en
-voyant le cercle de fer formé autour de nous se resserrer de plus en
-plus, et les issues demeurées ouvertes jusque-là se fermer l'une
-après l'autre, une nouvelle lutte dans ces conditions <span class="pagenum"><a id="page578" name="page578"></a>(p. 578)</span> ne
-nous laissait d'autre perspective que celle des Fourches Caudines.
-Tout le monde le sentait, personne n'osait le dire. Murat, dont le
-c&oelig;ur excellent cherchait une consolation à offrir à Napoléon,
-répéta plusieurs fois que le terrain était couvert des morts
-autrichiens, prussiens et russes, que jamais, excepté à la Moskowa, on
-n'avait fait une pareille boucherie des ennemis, ce qui était vrai.
-Mais il en restait assez, et en tout cas il allait en venir assez,
-pour réparer les brèches de cette muraille vivante qui s'élevait peu à
-peu autour de nous.
-<span class="sidenote" title="En marge">Après avoir bien observé la situation, il songe lui-même à
-battre en retraite.</span>
-La retraite immédiate par la route de Lutzen, pour
-ne pas laisser fermer bientôt l'issue de Lindenau, était donc la seule
-résolution à prendre. Napoléon se promenant à pied avec ses
-lieutenants, sous un ciel triste et pluvieux, au milieu des
-tirailleurs qui faisaient à peine entendre quelques coups de feu, tant
-la fatigue était grande des deux côtés, prononça lui-même et le
-premier le mot de retraite, que personne n'osait proférer. On le
-laissa dire avec un silence qui cette fois était celui de la plus
-évidente approbation.
-<span class="sidenote" title="En marge">Objections graves qui s'élèvent contre cette résolution.</span>
-Cependant la retraite offrait aussi de graves
-inconvénients. La bataille que nous venions de livrer pouvait, sans
-mentir autant que nos ennemis, s'appeler une victoire, car nous avions
-sans cesse ramené, refoulé les coalisés sur leur terrain, et nous leur
-en avions même enlevé une partie. Néanmoins ce qui lui donnerait sa
-vraie signification, ce serait comme à Lutzen, comme à Bautzen,
-l'attitude du lendemain. Si nous nous retirions, la bataille serait
-une défaite. C'était donc avouer tout à coup au monde que nous avions
-été vaincus dans une journée décisive, lorsque <span class="pagenum"><a id="page579" name="page579"></a>(p. 579)</span> nous avions au
-contraire écrasé l'ennemi partout où il s'était présenté! En vérité
-l'aveu était cruel à faire. Mais ce n'était pas tout. Les 170 mille
-Français laissés à Dresde, Torgau, Wittenberg, Magdebourg, Hambourg,
-Glogau, Custrin, Stettin, Dantzig, comme base d'un édifice de grandeur
-qu'on s'était flatté de relever en une bataille, qu'allaient-ils
-devenir? Il y avait dans le nombre bien des malades, bien des
-écloppés, mais il était possible d'en tirer 100 à 120 mille soldats
-excellents, qui, se joignant à ceux qui restaient, rendraient
-invincible la frontière du Rhin. Pourraient-ils se grouper, et former
-successivement une masse qui sût se rouvrir par Hambourg et Wesel le
-chemin de la France? C'était une grande question. Le maréchal qui
-commandait à Dresde, seul en position de commencer ce mouvement, avait
-assez d'esprit pour en concevoir le projet, aurait-il assez d'audace
-pour l'exécuter?</p>
-
-<p>Battre en retraite, c'était donc à l'aveu d'une défaite ajouter une
-perte irréparable, perte qui était la suite d'une immense faute, celle
-d'avoir voulu garder jusqu'au bout les éléments d'une grandeur
-impossible à refaire, perte enfin désolante, quelle qu'en fût la
-cause. On ne peut blâmer Napoléon d'avoir consumé en affreuses
-perplexités la journée du 17, sans juger bien légèrement les
-mouvements du c&oelig;ur humain. Se déclarer soi-même vaincu dans une
-rencontre générale, abandonner tout de suite 170 mille Français
-laissés dans les places du Nord, sans quelques heures de méditation,
-de regrets, d'efforts d'esprit pour tâcher de trouver une autre
-issue, était un sacrifice qu'il serait peu juste de demander <span class="pagenum"><a id="page580" name="page580"></a>(p. 580)</span>
-à quelque caractère que ce soit.
-<span class="sidenote" title="En marge">Nécessité d'attendre au moins toute la journée du 17 pour
-recueillir Reynier resté en arrière.</span>
-De plus, il y avait un autre
-sacrifice, et bien cruel à faire en se retirant tout de suite, c'était
-celui de Reynier, qui marchait en ce moment entouré d'ennemis, et qui
-ne pouvait arriver que dans la journée du 17. Il fallait donc de toute
-nécessité temporiser pendant la plus grande partie de cette journée.
-Alors, après vingt-quatre heures passées devant les armées de la
-coalition, on pourrait dire qu'on les avait attendues longtemps comme
-dans un duel, et que les ayant attendues vainement, on avait décampé
-pour regagner une ligne plus avantageuse. D'ailleurs, il fallait bien
-accorder un peu de repos à des soldats accablés de fatigue; il fallait
-bien rendre quelque ensemble à des corps désorganisés par le combat,
-approvisionner avec le grand parc les parcs de chaque corps épuisés de
-munitions, toutes choses indispensables si en se retirant on avait
-l'ennemi sur les bras.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le meilleur parti à prendre serait de rester toute la
-journée du 17 sur le champ de bataille, et de décamper dans la nuit du
-17 au 18.</span>
-Attendre une journée, et décamper la nuit
-suivante, était évidemment la seule conduite qui dût convenir à
-Napoléon, la seule qu'on pût même lui conseiller, mais à la condition
-de l'adopter résolûment, de tout préparer pour qu'à la chute du jour
-la retraite commençât, et que le 18 au matin les coalisés n'eussent
-devant eux que d'insaisissables arrière-gardes.</p>
-
-<p>Malheureusement les perplexités de Napoléon furent extrêmes. Un
-immense orgueil mis à la plus terrible des épreuves, et s'appuyant au
-surplus dans sa résistance sur des raisons très-fortes, le retint
-toute la journée presque sans rien prescrire. Tantôt seul, tantôt
-accompagné de Murat, du prince Berthier, de M. Daru, il se promenait,
-sombre, soucieux, <span class="pagenum"><a id="page581" name="page581"></a>(p. 581)</span> à chaque instant se répétant
-douloureusement qu'il fallait battre en retraite, mais n'en pouvant
-prendre la résolution, et aimant à croire que l'ennemi demeuré
-immobile pendant cette journée, ne l'attaquerait point le lendemain,
-et que Schwarzenberg, usant d'une vieille maxime fort en renom chez
-les capitaines sages, <cite>ferait un pont d'or à l'adversaire qui voulait
-se retirer</cite>. Il pourrait alors défiler à travers Leipzig d'une manière
-imposante, changeant sans être vaincu sa base d'opérations. Vaine
-espérance, dont son esprit avait besoin, et dont il se nourrit
-quelques heures!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon mande auprès de lui M. de Merveldt, fait
-prisonnier la veille, afin de jeter en avant quelques idées
-d'armistice.</span>
-Dans cet état, il imagina de mander auprès de lui M. de Merveldt, qui
-avait été fait prisonnier la veille à Dölitz, qu'il connaissait depuis
-longtemps, et qui était un militaire d'infiniment d'esprit. Il voulait
-avec art le questionner sur les dispositions des coalisés, lui faire
-certaines insinuations tendantes à la paix, le charger même d'une
-proposition d'armistice, puis le renvoyer libre au camp des
-souverains, pour les amener peut-être à perdre un jour en hésitations,
-et pour provoquer de leur part quelque ouverture acceptable. Voilà où
-il en était arrivé pour avoir refusé d'écouter M. de Caulaincourt deux
-mois auparavant, lorsqu'on négociait à Prague!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Curieux entretien avec M. de Merveldt.</span>
-Vers deux heures de l'après-midi il reçut M. de Merveldt<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Lien vers la note 28"><span class="smaller">[28]</span></a>, auquel
-on avait rendu son épée. Il l'accueillit <span class="pagenum"><a id="page582" name="page582"></a>(p. 582)</span> avec courtoisie, et
-le complimenta relativement à la tentative faite contre le pont de
-Dölitz, bien qu'elle eût mal réussi; puis il lui dit qu'en mémoire de
-son mérite, de ses anciennes relations avec le quartier général
-français, il allait le renvoyer sur parole, ce dont le général
-autrichien le remercia fort. Amenant ensuite la conversation sur le
-sujet qui l'intéressait, Napoléon lui demanda si en attaquant ils
-avaient su qu'il était présent sur les lieux.--Le général Merveldt
-ayant répondu que oui, Napoléon lui répliqua: Vous vouliez donc cette
-fois me livrer bataille?--Le général Merveldt ayant répondu de
-nouveau, avec respect mais avec fermeté, que oui, parce qu'ils étaient
-résolus à terminer par une action sanglante et décisive cette longue
-lutte, Napoléon lui dit: Mais vous vous trompez sur mes forces;
-combien croyez-vous que j'aie de soldats?--Cent vingt mille au plus,
-repartit M. de Merveldt.--Eh bien, vous êtes dans l'erreur, j'en ai
-plus de deux cent mille.--On a vu, par ce qui précède, de combien se
-trompaient l'un et l'autre interlocuteur, mais l'un par ignorance,
-l'autre par calcul. Et vous, reprit Napoléon, combien en
-avez-vous?--Trois cent cinquante mille, dit M. de Merveldt.--Ce
-chiffre n'était pas très-éloigné de la vérité. Napoléon ayant avoué
-qu'il n'en <span class="pagenum"><a id="page583" name="page583"></a>(p. 583)</span> avait pas supposé autant, ce qui expliquait du
-reste la situation où il s'était mis, ajouta avec sang-froid et un
-semblant de bonne humeur: Et demain, m'attaquerez-vous?--M. de
-Merveldt répondit avec la même assurance que les coalisés
-combattraient infailliblement le lendemain, résolus qu'ils étaient à
-acheter leur indépendance au prix de tout leur sang.--Napoléon
-dissimulant son impression, rompit le cours de l'entretien, et dit à
-M. de Merveldt: Cette lutte devient bien sérieuse, est-ce que nous n'y
-mettrons pas un terme? Est-ce que nous ne songerons pas à faire la
-paix?--Plût au ciel que Votre Majesté la voulût! s'écria le général
-autrichien, nous ne demandons pas un autre prix de nos efforts! nous
-ne combattons que pour la paix! Si Votre Majesté l'eût désirée, elle
-l'aurait eue à Prague il y a deux mois.--Napoléon, alléguant ici de
-fausses excuses, prétendit qu'à Prague on n'avait pas agi franchement
-avec lui; qu'on avait usé de finesse, qu'on avait cherché à l'enfermer
-dans un cercle fatal, que cette manière de traiter n'avait pu lui
-convenir, que l'Angleterre ne voulait point la paix, qu'elle menait la
-Russie et la Prusse, qu'elle mènerait l'Autriche comme les autres, et
-que c'était à cette dernière à travailler à la paix si elle la
-souhaitait sincèrement.--M. de Merveldt, après avoir affirmé qu'il
-parlait pour son compte, et sans mission (ce qui était vrai, mais ce
-qui n'empêchait pas qu'il ne fût instruit de tout), soutint que
-l'Angleterre désirait la paix, qu'elle en avait besoin, et que si
-Napoléon savait faire les sacrifices nécessaires au bonheur du monde
-et de la France, la paix serait conclue tout de suite.--Des <span class="pagenum"><a id="page584" name="page584"></a>(p. 584)</span>
-sacrifices, s'écria Napoléon, je suis prêt à en faire! et afin de
-donner à croire qu'il n'avait tenu à garder certaines possessions en
-Allemagne qu'à titre de gages, et pour s'assurer la restitution de ses
-colonies, il ajouta: Que l'Angleterre me rende mes colonies, et je lui
-rendrai le Hanovre.--M. de Merveldt ayant indiqué que ce n'était pas
-assez, Napoléon laissa échapper un mot qui, prononcé au congrès de
-Prague, aurait changé son sort et le nôtre.--Je restituerai, dit-il,
-s'il le faut, les villes anséatiques...--Malheureusement il était trop
-tard. Kulm, la Katzbach, Gross-Beeren, Dennewitz, Wachau, avaient
-rendu ce sacrifice insuffisant. M. de Merveldt exprima l'opinion que
-pour obtenir la paix de l'Angleterre il faudrait consentir au
-sacrifice de la Hollande. Napoléon se récria fort, dit que la Hollande
-serait dans les mains de l'Angleterre un moyen de despotisme maritime,
-car l'Angleterre, il le savait bien, voulait le contraindre à limiter
-le nombre de ses vaisseaux.--C'était une idée singulière, qui avait pu
-traverser certains esprits, mais que jamais le cabinet britannique
-n'avait sérieusement regardée comme proposable.--Si vous prétendez,
-Sire, reprit M. de Merveldt, joindre aux vastes rivages de la France
-ceux de la Hollande, de l'Espagne, de l'Italie, alors comme aucune
-puissance maritime n'égalerait la vôtre, il se pourrait qu'on songeât
-à imposer une limite à l'étendue de vos flottes; mais Votre Majesté,
-si difficile en fait d'honneur, aimera mieux sans doute abandonner des
-territoires dont elle n'a pas besoin, que subir une condition dont je
-comprends qu'elle repousse jusqu'à l'idée.--</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page585" name="page585"></a>(p. 585)</span> De cet entretien Napoléon put conclure que tandis qu'il
-aurait deux mois auparavant obtenu la paix en sacrifiant seulement le
-duché de Varsovie, le protectorat du Rhin, et les villes anséatiques,
-il lui faudrait maintenant abandonner en outre la Hollande, la
-Westphalie, l'Italie, celle-ci toutefois à la condition de la laisser
-indépendante de l'Autriche comme de la France. Certes la France avec
-le Rhin, les Alpes, les Pyrénées, restait bien encore assez belle,
-aussi belle qu'on la pouvait désirer! Sur tous ces objets Napoléon
-parut admettre qu'à la paix générale il faudrait consentir à de grands
-sacrifices, et se montra même plus disposé à les accorder qu'il ne
-l'était véritablement. Mais la paix l'occupait bien moins que
-l'espérance, malheureusement très-vague, d'un armistice. C'était à
-cette conclusion qu'il aurait voulu amener son interlocuteur.--Je
-n'essaye pas, dit-il à M. de Merveldt, de vous parler d'armistice, car
-vous prétendez vous autres que j'ai le goût des armistices, et que
-c'est une partie de ma tactique militaire. Pourtant il a coulé bien du
-sang, il va en couler beaucoup encore, et si nous faisions tous un pas
-rétrograde, les Russes et les Prussiens jusqu'à l'Elbe, les
-Autrichiens jusqu'aux montagnes de la Bohême, les Français jusqu'à la
-Saale, nous laisserions respirer la pauvre Saxe, et de cette distance
-nous pourrions traiter sérieusement de la paix.--M. de Merveldt
-répondit que les alliés n'accepteraient point la Saale pour ligne
-d'armistice, car ils espéraient aller cet automne jusqu'au Rhin.--Me
-retirer jusqu'au Rhin! reprit fièrement Napoléon; il faudrait que
-j'eusse perdu <span class="pagenum"><a id="page586" name="page586"></a>(p. 586)</span> une bataille, or je n'en ai point perdu encore!
-Cela pourra m'arriver sans doute, car le sort des armes est variable,
-vous le savez, monsieur de Merveldt (celui-ci était venu jadis
-implorer des armistices après Léoben et après Austerlitz); mais ce
-malheur ne m'est point arrivé, et sans bataille perdue je ne vous
-abandonnerai pas l'Allemagne jusqu'au Rhin...--Partez, ajouta
-Napoléon, je vous accorde votre liberté sur parole; c'est une faveur
-que j'accorde à votre mérite, à mes anciennes relations avec vous; et
-si de ce que je vous ai dit vous pouvez tirer quelque profit pour
-amener une négociation, ou au moins une suspension d'armes qui laisse
-respirer l'humanité, vous me trouverez disposé à écouter vos
-propositions.--</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon espère que les paroles dont il charge M. de
-Merveldt jetteront quelque hésitation dans l'esprit des coalisés.</span>
-Cet entretien singulier, dans lequel on voit l'art que Napoléon avait
-de se dominer, lorsqu'il s'en donnait la peine, avait eu pour but, on
-le devine, de savoir au juste ce qu'il devait attendre des coalisés le
-lendemain, et de faire naître, s'il était possible, quelque hésitation
-parmi eux, en proférant à l'égard de la paix des paroles qui jamais
-n'étaient sorties de sa bouche. S'ils avaient été aussi maltraités que
-Napoléon le supposait (et maltraités, ils l'étaient fort, mais
-ébranlés, point du tout), ils pouvaient trouver dans ces paroles une
-raison de parlementer, et lui le temps le changer de position.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vers la fin du 17, on voit à l'horizon paraître de
-nouvelles colonnes ennemies.</span>
-La fin du jour ne fit que jeter de nouvelles et tristes lumières sur
-cette situation. On vit de fortes colonnes apparaître sur la route de
-Dresde, et les rangs de l'armée de Schwarzenberg s'épaissir
-considérablement. Du haut des clochers de Leipzig on <span class="pagenum"><a id="page587" name="page587"></a>(p. 587)</span>
-discerna clairement l'armée de Bernadotte qui arrivait vers le nord.
-L'horizon était enflammé de mille feux. Le cercle était presque fermé
-autour de nous, au sud, à l'ouest, au nord. Il n'y avait qu'une issue
-encore ouverte, c'était celle de l'est, à travers la plaine de
-Leipzig, car Blucher jusqu'ici n'avait pu dans cette plaine si vaste
-étendre son bras vers Schwarzenberg. Mais cette issue, la seule qui
-nous restât, menait à l'Elbe et à Dresde, où il n'était plus temps
-d'aller. Napoléon, faisant un dernier effort sur lui-même, prit enfin
-le parti de la retraite, parti qui lui coûtait cruellement,
-non-seulement sous le rapport de l'orgueil, mais sous un rapport plus
-sérieux, celui du changement d'attitude, celui surtout du sacrifice de
-170 mille Français laissés sans secours, presque sans moyen de salut,
-sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon se décide à se retirer sur la Saale, mais il veut
-faire une retraite imposante, en arrêtant les coalisés s'ils essayent
-de poursuivre l'armée française.</span>
-Malheureusement il se décida trop tard et trop incomplétement. Au lieu
-d'une retraite franchement résolue, et calculée dès lors dans tous ses
-détails, devant commencer dans la soirée du 17, et être achevée le 18
-au matin, il voulut une retraite imposante, qui n'en fût presque pas
-une, et qui s'exécutât en plein jour. Il arrêta qu'au milieu de la
-nuit, c'est-à-dire vers deux heures, on rétrograderait
-concentriquement sur Leipzig, et l'espace d'une lieue; que Bertrand
-avec son corps, Mortier avec une partie de la jeune garde, iraient par
-Lindenau s'assurer la route de Lutzen; que le jour venu on défilerait,
-un corps après l'autre, à travers Leipzig, repoussant énergiquement
-l'ennemi qui oserait aborder nos arrière-gardes. Une pareille marche,
-en <span class="pagenum"><a id="page588" name="page588"></a>(p. 588)</span> nous tirant d'une fausse position, aurait ainsi l'aspect
-d'un changement de ligne, plutôt que celui d'une retraite.</p>
-
-<p>Napoléon se croyait encore si imposant, qu'il n'imaginait pas qu'on
-pût troubler une semblable retraite. Il l'était encore beaucoup sans
-doute, mais pour la passion enivrée de subites espérances, il n'y a
-rien d'imposant, et c'était une passion de ce genre qui animait alors
-les coalisés. Telles furent les résolutions de Napoléon pour la nuit
-du 17 au 18.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolution de la part des coalisés de se battre en
-désespérés, jusqu'à ce qu'ils soient venus à bout de la résistance de
-Napoléon.</span>
-Ce qui s'était passé pendant la journée du côté des coalisés ne
-répondait pas aux illusions dont il avait flatté son malheur. Leur
-intention première avait été de combattre sans relâche, de faire tuer
-des hommes sans mesure, jusqu'à ce qu'on fût venu à bout de la
-résistance des Français, et avec de telles dispositions il n'y avait
-pas même de motif pour s'arrêter le 17. Pourtant les nouvelles qu'on
-avait réussi à se procurer du nord de Leipzig, avaient appris que le
-prince de Suède pourrait se trouver en ligne si on lui accordait un
-jour de plus.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'annonce de l'arrivée de Bernadotte et de Benningsen les
-décide à demeurer immobiles le 17, pour recommencer la lutte le 18.</span>
-Une autre nouvelle non moins importante était venue des
-environs de Dresde. On avait laissé devant cette ville la division
-russe Sherbatow et la division autrichienne Bubna sur la droite de
-l'Elbe, et l'armée entière de Benningsen avec le corps de Colloredo
-sur la rive gauche. C'étaient environ 70 mille hommes, bien
-inutilement employés à contenir un corps français qu'il suffisait
-d'observer, et dont on n'avait rien à craindre. Ayant profité des
-leçons de Napoléon, qui avait enseigné à tous les généraux du siècle
-l'art de réunir ses troupes au point où elles étaient le plus utiles,
-<span class="pagenum"><a id="page589" name="page589"></a>(p. 589)</span> on avait prescrit au général Benningsen de laisser le corps
-de Tolstoy devant Dresde, et de marcher avec le sien sur Leipzig. Même
-ordre avait été expédié au corps de Colloredo et à la division Bubna.
-C'étaient cinquante mille hommes dont l'arrivée était annoncée pour la
-fin de la journée. Cinquante mille de ce côté, soixante mille du côté
-de Bernadotte, composaient un renfort de cent dix mille hommes, dont
-il eût été bien imprudent de se priver. Il n'y avait donc pas à être
-avare du temps qui devait tant profiter aux alliés, si peu aux
-Français, et on ne pouvait mieux faire que de remettre d'un jour
-l'attaque décisive. Les soldats qui avaient si vaillamment combattu
-dans la journée du 16 prendraient un peu de repos le 17, et ce repos
-ne servirait guère aux soldats de Napoléon, qui étaient trop
-intelligents pour ne pas apercevoir le danger sans cesse croissant
-autour d'eux, et devaient être plutôt affectés que remis par la
-prolongation d'une situation pareille. Par ces raisons, qui pour notre
-malheur étaient toutes excellentes, on avait décidé de différer
-jusqu'au 18 la dernière bataille<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Lien vers la note 29"><span class="smaller">[29]</span></a>. L'arrivée de M. de <span class="pagenum"><a id="page590" name="page590"></a>(p. 590)</span>
-Merveldt dans l'après-midi, ses récits détaillés n'ébranlèrent
-personne, et révélèrent au contraire à tout le monde la détresse qui
-avait arraché à Napoléon des propositions si nouvelles. Ne s'arrêter
-qu'au bord du Rhin fut la résolution générale.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Résolutions prises au camp de Blucher et de Bernadotte.</span>
-Au nord de Leipzig, les déterminations prises avec moins d'accord,
-n'en avaient pas moins tendu au même but. Le prince de Suède, assailli
-par les reproches violents du ministre d'Angleterre qui taxait son
-inaction de perfidie, par les remontrances de ses divers états-majors,
-et notamment par les instances des officiers suédois dont les champs
-de Leipzig réveillaient les souvenirs patriotiques, avait fini par
-marcher le 17, et par prendre position derrière Blucher, auquel il
-avait demandé une entrevue. Celui-ci l'avait déclinée, sachant ce que
-le prince désirait de lui, et décidé à ne pas y consentir. Il
-s'agissait de passer hardiment la Partha, afin de compléter
-l'investissement des Français, et celui qui la traverserait avant
-d'avoir donné la main au prince de Schwarzenberg pourrait bien essuyer
-quelque rude choc. Or le prince de Suède, en cette occasion, comme sur
-la Mulde quelques jours auparavant, voulait que Blucher occupât le
-poste le plus périlleux.
-<span class="sidenote" title="En marge">Blucher oblige Bernadotte à passer la Partha, pour se lier
-avec l'armée de Bohême, et investir complétement les Français.</span>
-Blucher fatigué, non pas de dangers, mais de
-<span class="pagenum"><a id="page591" name="page591"></a>(p. 591)</span> complaisances pour un allié dont il suspectait la fidélité
-autant que l'énergie, avait répondu que ses troupes épuisées par le
-combat du 16, étaient beaucoup moins propres à supporter une position
-difficile que celles de l'armée du Nord, et il avait exigé que
-Bernadotte vînt franchir la Partha sur la gauche de l'armée de
-Silésie, et se risquer dans la plaine de Leipzig en face de Napoléon.
-Il s'était en même temps entendu secrètement avec les généraux
-prussiens et russes qui commandaient les divers corps de l'armée du
-Nord, et il leur avait promis de passer avec eux la Partha le
-lendemain pour combattre Napoléon à outrance, car Blucher était bien
-résolu à participer lui-même à la dernière lutte, mais il voulait
-contraindre Bernadotte à prendre une position de combat dont il lui
-fût impossible de revenir<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Lien vers la note 30"><span class="smaller">[30]</span></a>. Tout était donc disposé pour que
-Napoléon eût sur les bras environ 300 mille hommes. Les alliés en
-avaient effectivement 220 ou 230 mille le 16; s'ils en avaient perdu
-environ 40 mille dans cette journée, <span class="pagenum"><a id="page592" name="page592"></a>(p. 592)</span> et s'il leur en arrivait
-50 avec Benningsen, 60 avec Bernadotte, leur nombre total devait bien
-être d'à peu près 300 mille. Quant à Napoléon, qui en avait eu 190
-mille, Reynier compris, avant la bataille du 16, il ne devait pas,
-comme nous l'avons dit, en conserver plus de 160 à 165 mille le 18, en
-comptant même les alliés peu sûrs qui étaient dans ses rangs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon autour de Leipzig pour y prendre
-une attitude imposante, et se retirer après avoir bravé et contenu
-l'ennemi.</span>
-Du reste Napoléon connaissant cette situation, avait pris vers la fin
-de la journée du 17 le parti de se retirer. Malheureusement ce n'était
-pas, comme nous l'avons dit, une de ces retraites nocturnes, telles
-que l'art de la guerre autorise à les faire lorsqu'une armée a besoin
-de se soustraire à un ennemi supérieur, mais une retraite en plein
-jour, et à pas lents, qu'il voulait exécuter, de manière à conserver
-une attitude imposante, et à traverser sans embarras le long défilé de
-Leipzig à Lindenau, défilé consistant en une multitude de ponts jetés
-sur les bras divisés de la Pleisse et de l'Elster. À deux heures du
-matin en effet il était debout, expédiant ses ordres qui furent les
-suivants. Tous les corps qui avaient combattu au sud, c'est-à-dire
-Poniatowski, Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les
-1<sup>er</sup>, 2<sup>e</sup>, 4<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> de cavalerie, devaient rétrograder d'une lieue,
-et venir former autour de Leipzig, sur le plateau de Probstheyda, un
-cercle plus resserré, et dès lors à peu près invincible. Si l'ennemi
-les suivait, ils se précipiteraient sur lui, et le refouleraient au
-loin. Au nord et à l'est, Marmont qui après le combat de Möckern avait
-repassé la Partha, devait se concentrer de Schönfeld à Sellerhausen.
-Ney qui <span class="pagenum"><a id="page593" name="page593"></a>(p. 593)</span> avec Reynier, arrivé dans l'après-midi du 17, formait
-le prolongement de la ligne de Marmont, devait replier sa droite en
-arrière, jusqu'à ce qu'il rencontrât la gauche de Macdonald à travers
-la plaine de Leipzig, et fermât ainsi le cercle que l'armée française
-allait décrire. Alors la liaison qui n'avait été établie entre Ney et
-Macdonald qu'au moyen de la cavalerie, serait établie au moyen d'une
-ligne continue de troupes de toutes armes occupant les villages de
-Paunsdorf, Melckau, Holzhausen, Liebert-Wolkwitz. Dès cet instant, au
-lieu d'un cercle de cinq à six lieues, on n'en formerait plus qu'un de
-deux lieues à peu près, et partout très-solide. À l'est et au nord, on
-devait comme au sud rétrograder lentement, culbuter l'ennemi trop
-pressant, et si on n'était pas suivi, venir à l'exemple des autres
-corps s'écouler à travers Leipzig par la chaussée de Lindenau. Mais
-cette chaussée il fallait se l'ouvrir. Margaron, le 16, avait conservé
-le bourg de Lindenau placé à l'extrémité des ponts de la Pleisse et de
-l'Elster.
-<span class="sidenote" title="En marge">Bertrand envoyé au delà de Lindenau, pour s'ouvrir la route
-de Mayence à travers la plaine de Lutzen.</span>
-Napoléon confia au général Bertrand le soin de franchir
-Lindenau, de déboucher dans la plaine de Lutzen, d'enfoncer tout
-ennemi rencontré sur son chemin, et de percer jusqu'à Weissenfels sur
-la Saale. Il lui donna pour le renforcer la division française
-Guilleminot, qui avait marché précédemment sous les ordres de Reynier,
-avec la division Durutte, dans l'intention de placer les Saxons entre
-deux divisions françaises. Le général Rogniat eut ordre de partir avec
-les troupes du génie de la garde, afin d'aller jeter de nouveaux ponts
-sur la Saale, au-dessous de Weissenfels. Margaron et Dombrowski
-<span class="pagenum"><a id="page594" name="page594"></a>(p. 594)</span> furent chargés de la défense de Leipzig. Margaron devait
-occuper l'intérieur, Dombrowski le dehors jusqu'à Schönfeld, où était
-le maréchal Marmont, et où commençait par conséquent la ligne de Ney.
-Comme Margaron pouvait ne pas suffire, Napoléon se priva de la
-division de la jeune garde commandée par Mortier, et l'envoya dans
-Leipzig même. Les parcs, les bagages inutiles eurent ordre de se
-mettre en marche immédiatement, afin d'avoir défilé lorsque les
-colonnes de l'armée arriveraient aux ponts. À trois heures du matin
-tout était en mouvement par un temps sombre et pluvieux, et les
-caissons qu'on brûlait ou qu'on faisait sauter faute de les pouvoir
-atteler, ajoutaient de sinistres lueurs et de plus sinistres
-détonations à cette retraite. Rien ne prouvait mieux qu'on ne voulait
-pas faire une retraite clandestine, et que l'orgueil mal entendu de la
-victoire nous restait jusque dans la défaite, défaite, il est vrai,
-qui n'était pas celle du champ de bataille, mais de la campagne, et
-celle-ci était malheureusement plus grave.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon courant toute la nuit pour assurer l'exécution de
-ses dispositions.</span>
-Napoléon après avoir expédié ses ordres était allé lui-même au
-faubourg de Reudnitz auprès de Ney, pour lui exprimer de vive voix ses
-intentions<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Lien vers la note 31"><span class="smaller">[31]</span></a>. Entre autres instructions qu'il lui avait laissées,
-était celle de pourvoir à la sûreté du grand quartier général qui
-était demeuré en arrière sur la route de Düben à Leipzig. Ce grand
-quartier général, <span class="pagenum"><a id="page595" name="page595"></a>(p. 595)</span> qui comprenait toutes les administrations,
-le trésor de l'armée notamment, le parc du génie, une partie du parc
-général de l'artillerie, l'équipage de pont, avait été conduit à
-Eilenbourg, et puis, ayant voulu suivre Reynier, il en avait été
-empêché par la présence de l'ennemi. Napoléon lui fit dire, s'il ne
-pouvait pas rejoindre, de se replier sur Torgau, et d'aller s'y
-enfermer, triste ressource qui ne devait différer sa perte que de
-quelques jours, à moins qu'un armistice ne vînt sauver la garnison des
-places.</p>
-
-<p>Ces ordres expédiés, Napoléon s'était transporté à Leipzig, où il
-avait communiqué ses vues à ses autres généraux, et il était revenu
-fort matin à son bivouac, au milieu des rangs de l'armée principale
-qu'il n'avait pas quittés depuis plusieurs jours.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le colonel Montfort sollicite en vain de Berthier
-l'autorisation de jeter des ponts supplémentaires, afin de prévenir un
-encombrement sur celui de Lindenau.</span>
-Le colonel du génie Montfort, qui remplaçait le générai Rogniat parti
-pour Weissenfels, avait été extrêmement frappé de la difficulté de
-faire défiler toute l'armée par un seul pont d'une immense longueur,
-celui qui va de Leipzig à Lindenau. Il avait donc proposé au prince
-Berthier de jeter, au-dessus ou au-dessous, d'autres ponts
-secondaires, qui serviraient au passage de l'infanterie, afin de
-réserver la chaussée principale à l'artillerie, à la cavalerie, aux
-bagages. Soit que Berthier, tout plein encore de la peine qu'on avait
-eue à parler de retraite à Napoléon, n'osât pas lui en parler de
-nouveau, soit (ce qui est plus probable) qu'il eût l'habitude
-invétérée d'attendre tout de sa prévoyance, il repoussa le colonel, en
-lui disant qu'il fallait savoir exécuter les ordres de l'Empereur,
-mais n'avoir pas la prétention <span class="pagenum"><a id="page596" name="page596"></a>(p. 596)</span> de les devancer. Peut-être
-aussi Napoléon avait-il considéré ce cas, et n'avait-il rien voulu
-ordonner qui annonçât sa retraite trop longtemps à l'avance. Quoi
-qu'il en soit, on se réduisit volontairement au seul pont de Lindenau,
-ce qui dans certains cas pouvait devenir extrêmement dangereux<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Lien vers la note 32"><span class="smaller">[32]</span></a>.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille du 18.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Dès la pointe du jour, Napoléon revenu à Probstheyda, du
-côté du sud, voit trois grandes colonnes marchant sur la ligne plus
-resserrée de l'armée française.</span>
-À peine Napoléon était-il retourné à Probstheyda, où il avait eu son
-bivouac, qu'il aperçut du haut d'un tertre sur lequel il était placé,
-trois grandes colonnes, mais cette fois bien plus fortes que
-l'avant-veille, marchant concentriquement sur sa nouvelle ligne de
-bataille. Vers notre droite ne s'appuyant plus à Mark-Kleeberg mais un
-peu en arrière à Dölitz, c'était le prince de Hesse-Hombourg, qui avec
-les grenadiers de Bianchi et de Weissenwolf, avec la <span class="pagenum"><a id="page597" name="page597"></a>(p. 597)</span> réserve
-de cavalerie de Nostitz, avec le corps de Colloredo et la division
-légère d'Aloys Lichtenstein, s'avançait sur Poniatowski et Augereau.
-Au centre c'étaient Kleist et Wittgenstein, aujourd'hui réunis en une
-seule colonne d'attaque, et suivis des gardes russe et prussienne, qui
-marchaient de Wachau et de Liebert-Wolkwitz sur Probstheyda, où se
-trouvaient Victor et la garde. À gauche enfin c'étaient Klenau,
-Benningsen et Bubna, qui du bois de l'Université et de Seyffertshayn
-se dirigeaient sur Zuckelhausen et Holzhausen, contre Macdonald. Cette
-dernière colonne, ployant sa droite autour de notre ligne, venait à
-travers la plaine de Leipzig menacer la position de Ney, mais avec
-beaucoup de circonspection, car elle attendait pour s'engager que
-Bernadotte <span class="pagenum"><a id="page598" name="page598"></a>(p. 598)</span> eût passé la Partha. Ces trois colonnes pouvaient
-comprendre de 55 à 60 mille hommes chacune, excepté celle de
-Benningsen, qui était de 70 mille environ.
-<span class="sidenote" title="En marge">Immense disproportion des forces.</span>
-Pour tenir tête à ces 180
-mille hommes, Napoléon avait comme l'avant-veille Poniatowski,
-Augereau, Victor, Lauriston, Macdonald, la garde, les 1<sup>er</sup>, 2<sup>e</sup>,
-4<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> de cavalerie, présentant en ce moment une masse totale de 80
-et quelques mille hommes. Dans l'angle formé par l'Elster et la
-Pleisse les coalisés avaient laissé le corps de Merveldt, et au delà
-de l'Elster vers Lindenau, Giulay, ce qui faisait plus de 25 mille
-hommes encore. Enfin Bernadotte et Blucher en avaient bien cent mille
-à eux deux. Ney avait à leur opposer, Marmont réduit à 12 ou 13 mille
-hommes, Reynier à peu près au même nombre, Souham à 13 ou 14 mille.
-Margaron avec le duc de Padoue et Dombrowski n'en avaient pas plus de
-12 mille. C'étaient donc 130 et quelques mille hommes opposés à 300
-mille. Bertrand avec 18 mille était en route pour Weissenfels. Mortier
-l'appuyait avec deux divisions de la jeune garde.</p>
-
-<p>Toutes les colonnes de Napoléon en se retirant avaient laissé de
-fortes arrière-gardes répandues en tirailleurs, lesquels disputaient
-le terrain pied à pied, et ne le cédaient qu'après avoir causé de
-grandes pertes à l'ennemi. En arrière de Wachau et de
-Liebert-Wolkwitz, à la bergerie de Meusdorf située en avant de
-Probstheyda, on ne se retira pas sans couvrir la terre de cadavres
-prussiens et russes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Lente retraite des troupes françaises pour prendre une
-position plus resserrée.</span>
-À Zuckelhausen, à Holzhausen, où se trouvait le
-corps de Macdonald, on tint tête à la division prussienne de Ziethen,
-et aux Autrichiens de Klenau, <span class="pagenum"><a id="page599" name="page599"></a>(p. 599)</span> et on leur tua beaucoup de
-monde avant de rétrograder sur Stötteritz. Cette dernière position une
-fois prise par Macdonald, notre nouvelle ligne de bataille était la
-suivante. Des bords de la Pleisse, c'est-à-dire de Dölitz à
-Probstheyda, elle formait une ligne continue, se repliait à angle
-droit vers Probstheyda, remontait au nord jusqu'au bord de la Partha,
-par Stötteritz, Melckau, Schönfeld, où étaient Macdonald, Reynier,
-Marmont.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir lentement rétrogradé, les Français s'arrêtent
-de Dölitz à Probstheyda.</span>
-Probstheyda était donc l'angle saillant que l'ennemi devait emporter,
-et où Napoléon était bien décidé à tenir opiniâtrement. Outre Victor
-qui gardait Probstheyda, il y avait en arrière Lauriston qui se liait
-à Macdonald, la garde et la cavalerie. Jusqu'au moment où ils
-parvinrent à la ligne des positions que Napoléon voulait conserver,
-les coalisés ne rencontrèrent que des arrières-gardes, qui disputaient
-le terrain, mais finissaient par l'abandonner. Arrivés devant Dölitz,
-Probstheyda, Stötteritz, ils trouvèrent des lignes immobiles,
-imposantes, et qu'il y avait peu de chance de faire céder. Toutefois
-ils l'essayèrent avec une sorte d'énergie désespérée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Violente attaque du prince de Hesse-Hombourg sur Dölitz, et
-défense héroïque de Poniatowski.</span>
-La colonne du prince de Hesse-Hombourg se jeta sur Dölitz, l'emporta,
-le perdit, le reprit, le perdit de nouveau. C'était Poniatowski et
-Augereau fort épuisés, ne comptant pas dix mille hommes à eux deux,
-qui défendaient ce point. Le prince de Hesse-Hombourg y fut gravement
-blessé, et remplacé aussitôt par le général Bianchi.
-<span class="sidenote" title="En marge">On cède un peu de terrain jusqu'à Connewitz, pour prendre
-une position inexpugnable.</span>
-Nous fûmes
-obligés d'abandonner toutefois un peu de terrain, et de venir nous
-placer à Connewitz, derrière une ligne d'eau alternativement
-stagnante ou courante, qui <span class="pagenum"><a id="page600" name="page600"></a>(p. 600)</span> allait de Probstheyda à Connewitz
-se jeter dans la Pleisse. Avant de s'y retirer, notre cavalerie
-exécuta de superbes charges, repoussa plusieurs fois celle des
-Autrichiens, et puis se replia avec l'infanterie derrière le ruisseau
-dont il vient d'être parlé. Une fois à Connewitz, Poniatowski et
-Augereau s'y établirent invinciblement. Oudinot avec les deux
-divisions de la jeune garde qui restaient (on a vu que les deux autres
-étaient sous Mortier à Leipzig), se posta derrière le ruisseau, de
-Connewitz à Probstheyda, la cavalerie rangée dans les intervalles de
-l'infanterie. Une partie de l'artillerie de la garde se mit en
-batterie, et foudroya les masses ennemies. Plusieurs fois les
-Autrichiens voulurent franchir l'obstacle, et chaque fois on les fit
-mourir au pied de la position. Le corps de Merveldt commandé par
-Sederer, et placé de l'autre côté de la Pleisse, sur le terrain bas et
-boisé que la Pleisse et l'Elster traversent en tous sens, renouvelait
-ses attaques de l'avant-veille contre notre droite, dans l'intention
-de la tourner. Il ne put nous envoyer que des boulets qu'on lui rendit
-avec usure.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La canonnade s'étend, et embrasse bientôt les quatre faces
-du champ de bataille de Leipzig.</span>
-Il était midi, le canon retentissait au nord, ce qui annonçait que
-Blucher et Bernadotte entraient en action, et ce qui faisait trois
-batailles livrées en même temps. De plus il y en avait presque une
-quatrième, car sur notre droite, au delà de la Pleisse et de l'Elster,
-dans la plaine de Lutzen, on entendait le canon de Bertrand aux prises
-avec Giulay pour s'ouvrir la route de Weissenfels. Cette épouvantable
-étendue de carnage ne troublait pas plus le visage de Napoléon que le
-c&oelig;ur de nos soldats, <span class="pagenum"><a id="page601" name="page601"></a>(p. 601)</span> exaltés pour ainsi dire par cette
-solennité d'une bataille sans égale dans l'histoire, car depuis trois
-jours cinq cent mille hommes se disputaient dans les plaines de
-Leipzig l'empire du monde. Jamais on n'avait vu pareil nombre d'hommes
-sur un même champ de bataille.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">En entendant le canon de Blucher et de Bernadotte, le
-prince de Schwarzenberg veut tenter une attaque décisive sur
-Probstheyda, qui forme l'angle saillant de notre position.</span>
-Le canon de Blucher et de Bernadotte fut pour l'armée du prince de
-Schwarzenberg le signal d'une attaque furieuse contre le point décisif
-de Probstheyda. Déjà Kleist et Wittgenstein formant la colonne du
-centre, s'étaient avancés, Kleist avec les trois divisions prussiennes
-Klüx, Pirch et prince Auguste, Wittgenstein avec les divisions russes
-Eugène de Wurtemberg et Gortschakoff, suivies des réserves. Arrivés
-devant la position, les Prussiens qui toujours briguaient la tête des
-attaques, par la raison fort honorable pour eux qu'il s'agissait dans
-cette lutte terrible d'affranchir l'Allemagne, s'élancent les
-premiers, et au pas de charge, sur Probstheyda. Drouot, rangé en avant
-de Probstheyda, les attend avec l'artillerie de la garde, Victor avec
-son infanterie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Combat effroyable autour de Probstheyda.</span>
-Il fallait gravir un terrain incliné en forme de
-glacis. Drouot les laisse arriver, puis les couvre de mitraille, et
-les précipite confusément les uns sur les autres. Pourtant, animés
-d'une véritable rage patriotique, ils se remettent en rang, marchent
-une seconde fois sur Probstheyda et parviennent à y entrer. Mais
-Victor, avec ses divisions décimées, les charge à la baïonnette, et
-les arrête. Après les avoir arrêtés il les pousse dehors, et notre
-artillerie les mitraille de nouveau. Les trois divisions prussiennes,
-horriblement traitées, vont se reformer à quelque distance, <span class="pagenum"><a id="page602" name="page602"></a>(p. 602)</span>
-au bas du glacis sur lequel s'élève Probstheyda. Napoléon fait avancer
-Lauriston, et lui-même sous une grêle de boulets range par derrière,
-en colonnes profondes, les deux divisions de la vieille garde, Friant
-et Curial, seule réserve qui lui reste. Ces beaux grenadiers, avec
-leurs énormes bonnets à poil, immobiles sous les boulets, sont placés
-comme deux puissants arcs-boutants derrière Lauriston et Victor. On
-s'attend à une nouvelle attaque, et on se promet de la recevoir comme
-la précédente.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Attaques réitérées et toujours repoussées.</span>
-En effet, les trois divisions prussiennes ayant un moment repris
-haleine et resserré leurs rangs, sont rejointes par les divisions
-russes de Wittgenstein, et d'un même mouvement se reportent en avant,
-toujours accablées par la mitraille de Drouot. Elles se précipitent
-toutes ensemble sur Probstheyda, l'enveloppent, y pénètrent, et
-semblent cette fois devoir en rester maîtresses. Mais Victor quoique
-avec des troupes épuisées, Lauriston avec les siennes que la bataille
-du 16 a réduites des deux tiers, fondent à la baïonnette sur les
-Prussiens et les Russes réunis, combattent corps à corps, puis par un
-suprême effort refoulent les assaillants hors du village, et les
-culbutent sur la déclivité du terrain, où notre artillerie, profitant
-de cette nouvelle occasion, les couvre encore de mitraille.</p>
-
-<p>Tandis qu'on résiste ainsi de face, un autre ennemi se présente par la
-gauche, c'est la division prussienne Ziethen, qui ayant avec les
-Autrichiens de Klenau fait une tentative infructueuse sur Stötteritz,
-s'est rabattue sur Probstheyda. Mais une partie de l'artillerie de
-Drouot, établie sur le côté gauche <span class="pagenum"><a id="page603" name="page603"></a>(p. 603)</span> du village, la reçoit en
-flanc, et la repousse par le feu seul de ses canons.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Après avoir perdu douze mille hommes en deux heures, le
-prince de Schwarzenberg se décide à convertir le combat en une longue
-canonnade.</span>
-Après ces tentatives, le prince de Schwarzenberg ayant déjà plus de
-douze mille hommes hors de combat, ne pouvait plus se flatter
-d'emporter une position que la valeur de nos soldats rendait
-inexpugnable. Il se décida, comme l'avant-veille, à procéder contre
-l'armée française par voie de resserrement successif. On avait le 16
-resserré Napoléon sur Leipzig, et on l'avait amené le 18 à se retirer
-à une lieue en arrière. On achèverait le 19 de l'acculer dans Leipzig
-même, en donnant la main à Bernadotte et à Blucher. Le prince
-généralissime résolut dès lors d'occuper de son côté la journée par un
-combat d'artillerie, et pour le soutenir avec moins de désavantage, il
-rétrograda quelques centaines de pas sur un terrain légèrement élevé,
-et dont l'élévation faisait face à celle de Probstheyda. Là, placé
-vis-à-vis des Français, il se mit à échanger avec eux l'une des plus
-épouvantables canonnades qu'on ait jamais entendues.</p>
-
-<p>Pendant ce temps Benningsen, opposé à notre gauche qui de Probstheyda
-remontait au nord jusqu'à Leipzig, avait essayé d'aborder Melckau,
-mais moins hardiment que Schwarzenberg, parce qu'il attendait
-Bernadotte et Blucher avant de s'engager sérieusement. Quant à
-ceux-ci, voici ce qui avait eu lieu de leur côté.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat à l'est et au nord contre Bernadotte et Blucher.</span>
-Après avoir refusé de voir Bernadotte, Blucher avait fini par accepter
-une entrevue avec lui le matin à huit heures, et ils étaient convenus
-de franchir la Partha, mais Bernadotte n'y avait consenti qu'à
-<span class="pagenum"><a id="page604" name="page604"></a>(p. 604)</span> condition que Blucher lui prêterait 30 mille hommes, ce que
-celui-ci avait promis en se mettant à la tête de ces trente mille
-hommes qui étaient ceux de Langeron.
-<span class="sidenote" title="En marge">Passage de la Partha par Blucher et Bernadotte.</span>
-En effet pendant que Sacken et
-York, restés de l'autre côté de la Partha, tout à fait au nord de
-Leipzig, échangeaient des boulets avec Dombrowski et Margaron, Blucher
-avait passé la Partha au plus près, c'est-à-dire vers Neutzsch, puis
-se portant à l'est de Leipzig, était descendu sur Schönfeld, où la
-seconde division de Marmont était établie. Marmont avec ses deux
-autres divisions, Ney avec Souham et Reynier, avaient opéré une
-conversion en arrière, pour venir par Sellerhausen relier leur droite
-avec Macdonald qui était à Stötteritz. Quant à Bernadotte, exécutant
-un long circuit pour traverser la Partha le plus loin possible des
-Français, il était allé la franchir à Taucha, et les Prussiens en
-tête, s'était avancé en face de Reynier, par Heiterblick. Tels avaient
-été les mouvements des uns et des autres dans le courant de la
-matinée, pendant le terrible combat de Probstheyda.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Position de Reynier, Souham et Marmont sous le maréchal
-Ney.</span>
-En avant de Sellerhausen, où était Reynier, se trouvait un village
-formant saillie dans la plaine et assez dominant, celui de Paunsdorf,
-que Ney aurait désiré occuper, parce que de ce point on pouvait
-s'interposer entre l'armée de Bohême et celle du Nord, peut-être même
-empêcher leur jonction. Reynier n'en était point d'avis par un motif
-assez sage.
-<span class="sidenote" title="En marge">Indigne défection des Saxons.</span>
-Il se défiait des Saxons qui ne cessaient de murmurer et
-de menacer de désertion. Encadrés jusqu'ici entre les deux divisions
-françaises Durutte et Guilleminot, ils avaient été assez fidèles;
-mais <span class="pagenum"><a id="page605" name="page605"></a>(p. 605)</span> depuis le départ de Guilleminot, ils n'étaient flanqués
-que d'un côté, et Reynier ne voulait pas, en les mettant en avant, les
-exposer à la tentation de nous quitter. Ney, plus hardi, les fit
-avancer en colonne vers Paunsdorf, en ayant soin de placer la division
-Durutte derrière eux, pour les appuyer et les contenir. Mais ils
-n'eurent pas plutôt aperçu les enseignes de Bernadotte, avec
-l'état-major duquel plusieurs d'entre eux étaient en communication
-secrète, que par un hommage qui n'était pas celui de la fidélité à la
-fidélité, ils marchèrent soudainement à lui. La cavalerie déserta la
-première, l'infanterie suivit. Le maréchal Marmont, qui était à leur
-gauche, crut qu'ils se laissaient emporter à trop d'ardeur, et courut
-après eux, mais il fut bientôt détrompé, et, trahison indigne! à peine
-à quelques pas de notre ligne de bataille, ils tournèrent leurs pièces
-contre nous, en tirant sur la division Durutte, avec laquelle ils
-servaient depuis deux années! Sans doute Napoléon avait violenté leurs
-sentiments, enchaîné leurs c&oelig;urs et leurs bras à une cause qu'ils
-n'aimaient point; ils avaient le droit de nous quitter, mais pas celui
-de nous abandonner sur le champ de bataille; et du reste si Dieu nous
-punissait en ce moment pour avoir trop pesé sur l'Europe, il leur
-préparait bientôt à eux un terrible et juste châtiment, celui du
-morcellement de leur patrie!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation presque désespérée, et conduite héroïque de la
-division Durutte trahie par les Saxons.</span>
-Ney accourut à ce spectacle pour aider la division Durutte, qui,
-assaillie tout à coup par le corps de Bulow, avait la plus grande
-peine à se maintenir. Cinq mille hommes luttèrent pendant plus d'une
-heure contre vingt mille, et luttèrent héroïquement. <span class="pagenum"><a id="page606" name="page606"></a>(p. 606)</span>
-Pourtant il fallut céder et se replier sur Sellerhausen. Ney leur
-amena la division Delmas pour empêcher qu'ils ne fussent accablés dans
-leur mouvement rétrograde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Delmas vient à son secours, et meurt en faisant son
-devoir.</span>
-Delmas, le vieux soldat de la République,
-mourut noblement en venant au secours de Durutte avec sa division.
-Pendant qu'à la droite de Ney, Durutte, Delmas combattaient entre
-Paunsdorf et Sellerhausen, Marmont à gauche soutenait dans le beau
-village de Schönfeld un combat furieux.
-<span class="sidenote" title="En marge">Combat furieux de Schönfeld entre Marmont et Blucher.</span>
-Schönfeld était le point
-essentiel où notre ligne en remontant au nord venait s'appuyer à la
-Partha, et c'était le point que Blucher voulait enlever avec les
-soldats de Langeron. En quelques heures la division Lagrange perdit ce
-village et le reprit sept fois. Enfin elle allait succomber quand Ney
-vint la renforcer avec une des divisions de Souham, celle de Ricard.
-Une dernière fois on reprit Schönfeld. Entre Schönfeld et Selterhausen
-Marmont avec les divisions Compans et Friederichs formées en carré
-résistait à tous les assauts de la cavalerie prussienne et russe. Mais
-28 mille hommes ne pouvaient pas lutter longtemps contre 90 mille, et
-on céda Schönfeld et Sellerhausen pour se rapprocher de Leipzig, avec
-la crainte de voir Bernadotte et Bubna, maintenant réunis dans la
-plaine de Leipzig, pénétrer par la brèche que la défection des Saxons
-avait opérée dans notre ligne.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon amène au galop la cavalerie de la garde pour
-fermer la brèche formée dans notre ligne par la défection des Saxons.</span>
-Heureusement un renfort considérable de cavalerie et d'artillerie
-arrivait au galop. C'était Nansouty avec la cavalerie et l'artillerie
-de la garde qui accourait, sous la conduite de l'Empereur lui-même. Le
-bruit de la défection des Saxons, retentissant jusqu'au <span class="pagenum"><a id="page607" name="page607"></a>(p. 607)</span>
-quartier général, y avait soulevé tous les c&oelig;urs, et Napoléon,
-laissant Murat à Probstheyda pour le remplacer à la bataille du sud,
-qui s'était convertie en canonnade, était venu en toute hâte réparer
-ce malheur imprévu qui mettait le comble à nos calamités.</p>
-
-<p>À cet aspect Bulow d'un côté, Bubna de l'autre, qui étaient prêts à se
-donner la main, formèrent chacun un crochet en arrière, pour présenter
-un flanc à la cavalerie de Nansouty. Nansouty les chargea à outrance,
-tantôt à droite, tantôt à gauche, sans pouvoir renverser leur masse
-épaisse. Mais il arrêta court leur progrès, et là comme sur les trois
-faces de cet immense champ de bataille, de Leipzig à Schönfeld au
-nord, de Schönfeld à Probstheyda à l'est, de Probstheyda à Connewitz
-au sud, une canonnade de deux mille bouches à feu termina cette
-bataille, justement dite <em>des Géants</em>, et jusqu'ici la plus grande
-certainement de tous les siècles.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Continuation de la canonnade jusqu'à la chute du jour.</span>
-Tant qu'on put se voir, on tira les uns sur les autres avec une sorte
-de fureur, mais sans espoir de la part des coalisés de faire
-abandonner aux Français la ligne qu'ils avaient prise. Nos soldats
-demeurèrent immobiles, comme fixés à des limites qu'aucune puissance
-humaine ne pouvait franchir. L'admiration était dans le c&oelig;ur même
-de leurs ennemis acharnés, et justement acharnés puisqu'il s'agissait
-d'affranchir leur patrie. Ce que coûta cette nouvelle bataille,
-l'histoire mentirait si elle voulait l'affirmer d'une manière précise.
-<span class="sidenote" title="En marge">Horrible carnage de la journée du 18.</span>
-On peut seulement le conjecturer d'après ce qui resta d'hommes valides
-les jours suivants dans les armées belligérantes. Près <span class="pagenum"><a id="page608" name="page608"></a>(p. 608)</span> de
-vingt mille hommes de notre côté, et de trente mille du côté des
-coalisés, qui étaient exposés à des feux dominants et bien dirigés,
-furent le nombre des victimes de cette troisième journée. Ainsi en
-trois jours plus de quarante mille Français, plus de soixante mille
-Allemands et Russes furent atteints par le feu! Ah! disons-le bien
-haut, en présence de cet horrible carnage, la guerre, quand elle n'est
-pas absolument nécessaire, n'est qu'une criminelle folie!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">La retraite immédiate était devenue inévitable après la
-journée du 18.</span>
-Après cette affreuse journée, quelque glorieuse qu'eût été la
-résistance de notre armée, il était indispensable de battre tout de
-suite en retraite, et mieux eût valu certainement décamper nuitamment
-le 17 au soir, que de risquer la terrible bataille du 18, pour
-conserver quelques heures de plus une attitude victorieuse. Il n'en
-fallait pas moins se retirer aujourd'hui le plus promptement possible,
-au risque d'essuyer des pertes énormes en traversant une ville comme
-Leipzig, avec une armée qui après avoir été immense en personnel et en
-matériel, l'était encore en matériel, et n'avait pour évacuer ce qui
-lui restait qu'un seul pont, celui de Lindenau, long d'une demi-lieue,
-embrassant des bois, des marécages, plusieurs bras de rivières.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon rentre à Leipzig pour ordonner la retraite.</span>
-Napoléon, quoique souffrant cruellement au fond de son âme, mais
-cachant sa souffrance sous la hautaine impassibilité de son visage,
-quitta son poste de Probstheyda vers le soir, et se rendit à Leipzig
-afin de tout disposer pour une retraite immédiate. Après avoir refusé
-vingt-quatre heures auparavant la protection des ombres de la nuit, il
-fallait bien l'accepter maintenant, et soustraire à l'ennemi le
-<span class="pagenum"><a id="page609" name="page609"></a>(p. 609)</span> plus possible de nos embarras avant l'attaque, facile à
-prévoir, du lendemain. Napoléon descendit dans une simple hôtellerie
-située au centre de la ville, et de là expédia tous ses ordres. Il
-prescrivit aux états-majors des divers corps de défiler toute la nuit
-avec le matériel, les blessés qu'on pourrait emporter, l'artillerie
-qu'on avait conservée tout entière, à l'exception seulement d'une
-vingtaine de pièces qu'une explosion avait fait perdre au combat de
-Möckern.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ses dispositions pour occuper fortement Leipzig pendant que
-ses corps défileront à travers l'unique pont de Lindenau.</span>
-Il ordonna que les corps d'armée se retirassent ensuite l'un
-après l'autre, ayant en tête la garde, dont deux divisions avaient
-déjà passé à la suite du général Bertrand. Le pont franchi, la garde
-devait se mettre en bataille sur le plateau de Lindenau qui domine
-l'Elster, et présenter à l'ennemi une arrière-garde invincible. Comme
-il était probable que les coalisés en voyant notre départ, voudraient
-se jeter sur nous, afin d'ajouter à notre passage à travers Leipzig
-toutes les difficultés d'un combat sanglant, il fut prescrit au 7<sup>e</sup>
-corps (général Reynier), qui était composé aujourd'hui de l'unique
-division Durutte, de disputer le faubourg de Halle au nord de la
-ville. La division Dombrowski devait l'aider dans cette tâche
-périlleuse. Marmont, avec les débris de son 6<sup>e</sup> corps et une division
-du 3<sup>e</sup> (Souham), devait défendre l'est de la ville, où allaient se
-presser Blucher et Bernadotte. Enfin Macdonald, dont le corps avait
-moins souffert que les autres le 18, se liant par sa gauche avec
-Marmont, devait, avec Lauriston et Poniatowski, protéger le côté sud
-contre la grande armée de Bohême. Ces corps, pendant que la garde,
-toute la cavalerie, les <span class="pagenum"><a id="page610" name="page610"></a>(p. 610)</span> restes de Victor, d'Augereau, de Ney,
-décamperaient, avaient mission de disputer les faubourgs à outrance,
-d'y barrer les rues comme ils pourraient, puis de défiler eux-mêmes
-par un vaste boulevard bordé d'arbres, qui régnait autour de la ville
-et la séparait des faubourgs. Se repliant les uns après les autres sur
-cette voie, trois ou quatre fois plus large qu'une rue, ils devaient
-venir par le côté du couchant, gagner le pont de Lindenau, et
-traverser successivement les deux rivières de la Pleisse et de
-l'Elster. Le colonel Montfort, appelé chez Berthier, non point pour
-l'établissement de ponts supplémentaires auxquels il n'était plus
-temps de songer, mais pour certaines précautions de sûreté, reçut
-l'ordre de disposer une mine sous l'arche la plus rapprochée de la
-ville, afin de la faire sauter au moment où le dernier corps français
-aurait passé, et où la tête des ennemis apparaîtrait: ordre facile à
-donner, mais soumis quant à son exécution, Dieu sait à quels hasards!
-Le combat qu'on devait soutenir dans les faubourgs serait-il assez
-long pour que choses et hommes eussent le temps de s'écouler? Puis les
-corps chargés de combattre dans les faubourgs auraient-ils à leur tour
-le temps de se retirer, et de s'arracher des mains de l'ennemi? Enfin
-n'était-il pas à craindre que les coalisés, perçant sur quelques
-points, ne parvinssent au pont avant les derniers corps français? Et
-alors comment arrêter la poursuite des uns sans empêcher aussi la
-retraite des autres? Napoléon ne s'inquiéta d'aucune de ces questions,
-et en effet ne le pouvait guère, car les choses arrivées au point où
-il les avait amenées, le hasard allait seul <span class="pagenum"><a id="page611" name="page611"></a>(p. 611)</span> décider des
-conséquences. D'ailleurs, tout en paraissant occupé de donner des
-ordres, il était occupé aussi à plonger d'un regard sinistre dans les
-sombres profondeurs de l'avenir, où il pouvait déjà voir non-seulement
-des batailles perdues, mais des empires croulants, et lui-même avec
-leurs ruines précipité dans un abîme!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ordres aux corps laissés dans les places de l'Elbe, depuis
-Dresde jusqu'à Hambourg.</span>
-À ces instructions pour la retraite de Leipzig il en ajouta quelques
-autres destinées aux corps laissés sur l'Elbe, et réduits tous à
-capituler, si un miracle d'énergie et de présence d'esprit, en les
-réunissant sur le bas Elbe au maréchal Davout, ne leur rouvrait les
-portes de France actuellement fermées. Il fit prescrire au grand
-quartier général, duquel on était resté séparé, de s'acheminer avec
-les parcs sur Torgau. Il envoya des émissaires à Dresde, à Torgau, à
-Wittenberg, pour leur indiquer un moyen de salut, c'est que le
-maréchal Saint-Cyr, qui avait trente mille hommes encore, et pouvait
-en ne perdant pas de temps renverser tout ce qui serait sur son
-chemin, sortît de Dresde, se rendît à Torgau, puis à Wittenberg, puis
-à Magdebourg, et, ramassant successivement toutes les garnisons, allât
-se joindre à Davout avec soixante-dix mille hommes. En ayant cent
-mille à eux deux, ils pouvaient sauver encore quelques garnisons de
-l'Oder, et ensuite rentrer en France par Wesel à la tête de cent vingt
-mille soldats. Mais que de miracles pour qu'un tel ordre arrivât, fût
-exécuté et réussît! À peine aurait-on pu attendre ce miracle de
-soldats et d'officiers ayant l'élan et la confiance de la victoire! et
-dans ce cas même, que de milliers de blessés, quarante mille
-peut-être, livrés <span class="pagenum"><a id="page612" name="page612"></a>(p. 612)</span> à la barbarie d'un vainqueur qu'une sorte
-de fanatisme patriotique aveuglait jusqu'à lui faire croire que le
-patriotisme dispense d'humanité.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Défilé de tous nos corps par le pont de Lindenau pendant la
-nuit du 18 au 19.</span>
-Le défilé des divers corps dura toute la nuit du 18 au 19, et fut
-surtout ralenti par le passage de l'artillerie, qui était
-très-nombreuse, et qui avait bravement conservé ses pièces. Les
-malheureux blessés du 18 étaient presque tous sacrifiés d'avance,
-l'impossibilité de les emporter étant absolue. Mais on avait eu le
-temps de ramasser quelques-uns de ceux du 16, et on les traînait après
-soi sur les petites voitures qu'on avait pu se procurer. Cette suite
-de canons, de caissons, de voitures portant des blessés, formait un
-prodigieux encombrement, et retardait beaucoup l'écoulement des
-colonnes. La garde qui avait vaillamment combattu, mais qui avait
-l'esprit de domination des corps d'élite, prétendant passer dès
-qu'elle paraissait, et souvent foulant aux pieds la multitude sans
-armes qui obstruait les ponts, augmentait le tumulte, et provoquait
-contre elle des cris de haine. Le triste orgueil d'emmener cinq ou six
-mille prisonniers les uns faits à Dresde, les autres à Leipzig même,
-occasionna un nouvel embarras, car ils prirent la place de pareil
-nombre de blessés ou de soldats valides. Lorsque le jour fut venu,
-l'affluence devint encore plus grande, parce que chacun songeant à
-fuir après quelques heures de repos, se hâtait de regagner le temps
-employé à dormir.
-<span class="sidenote" title="En marge">Affreux encombrement au pont de Lindenau.</span>
-C'étaient des efforts inouïs pour entrer dans ce
-torrent serré qui s'écoulait vers Lindenau, et qui en certains moments
-finissait par s'arrêter, comme s'arrêtent faute d'espace les glaçons
-<span class="pagenum"><a id="page613" name="page613"></a>(p. 613)</span> que charrie un fleuve près de geler. Chaque troupe nouvelle
-qui voulait s'introduire dans cette foule pressée, y provoquait des
-résistances, des cris, des combats véritables. Qu'on ajoute à ce
-lugubre spectacle le bruit de mille bouches à feu ayant recommencé à
-tonner dès le matin, et on aura une idée à peine exacte de notre
-horrible départ de l'Allemagne.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Adieux de Napoléon à la famille royale de Saxe.</span>
-Napoléon, dès que le jour commença de luire, alla présenter ses adieux
-à la famille de Saxe. Il lui avait rendu un moment le rêve de ses
-ancêtres en lui donnant la couronne de Pologne, mais à ce prix il
-l'avait perdue, sans le vouloir du reste, comme il s'était perdu
-lui-même! Et par surcroît de misère, de la seule chose impérissable en
-lui, la gloire, il ne laissait rien à cette malheureuse famille,
-tandis qu'aux Polonais qu'il avait perdus aussi, il laissait du moins
-une part d'honneur immortel! La cour honnête et timide de Saxe avait
-en effet passé au pied des autels les dix dernières années, que tant
-d'autres avaient passées sur les champs de bataille. Napoléon avait de
-grands reproches à essuyer du vieux roi, et il pouvait de son côté
-trouver matière à des reproches non moins graves dans la conduite
-tenue la veille par les soldats saxons, mais il avait un trop haut
-orgueil pour employer de la sorte les quelques instants qu'il avait à
-consacrer à son allié. Il lui témoigna ses regrets de le livrer ainsi
-sans défense à tout le courroux de la coalition; il l'engagea à
-traiter avec elle, à se séparer de la France, et lui affirma que quant
-à lui, en aucun temps il ne songerait à s'en plaindre. Relevant
-fièrement son visage grave, mais non abattu, il lui exprima l'espoir
-de <span class="pagenum"><a id="page614" name="page614"></a>(p. 614)</span> redevenir bientôt formidable derrière le Rhin, et lui
-promit de ne pas stipuler de paix dans laquelle la Saxe serait
-sacrifiée. Après de réciproques embrassements, il quitta cette bonne
-et malheureuse famille, épouvantée de le voir rester si tard au milieu
-des dangers qui le menaçaient de tous côtés.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Difficultés que Napoléon éprouve lui-même à passer au pont
-de Lindenau.</span>
-Sorti de chez le roi, Napoléon essaya en vain de se faire jour à
-travers les rues de Leipzig. Il fut obligé de gagner les boulevards
-par un détour, et de les suivre jusqu'au pont, où la presse s'ouvrit
-pour lui, car bien qu'il commençât à inspirer des sentiments amers,
-l'admiration, la foi en son génie, l'obéissance étaient complètes
-encore. Il franchit les ponts, et alla vers Lindenau attendre de
-l'autre côté de la Pleisse et de l'Elster, que l'armée eût défilé sous
-ses yeux.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Combat dans les faubourgs de Leipzig.</span>
-Pendant ce temps un nouveau combat s'était engagé autour de Leipzig.
-Les souverains et les généraux coalisés ne pouvaient croire à leur
-bonheur, car c'était la première victoire que depuis le commencement
-du siècle ils eussent remportée sur Napoléon, et ce n'était pas même
-encore une victoire que celle qui venait de leur coûter tant de sang
-et tant d'angoisses, c'était une suite d'actions violentes, dont la
-dernière allait seule décider le vrai caractère. Or ce quatrième jour,
-ils s'attendaient à un conflit épouvantable, dont ils étaient résolus
-à supporter les horreurs en vrais martyrs de leur cause. Mais quelles
-ne furent pas leur surprise et leur joie, lorsque entre huit et neuf
-heures du matin, le brouillard d'automne étant dissipé, ils aperçurent
-l'armée française se resserrant successivement <span class="pagenum"><a id="page615" name="page615"></a>(p. 615)</span> autour de
-Leipzig, et s'écoulant à travers l'interminable pont de Lindenau, dans
-les plaines de Lutzen! Ils remercièrent le ciel d'un résultat qu'ils
-avaient à peine osé espérer, et sur-le-champ ils ordonnèrent à leurs
-soldats de se jeter sur l'enceinte de Leipzig pour essayer de rendre
-plus difficile et plus meurtrière la retraite de l'armée française.
-Chacun marchant dans l'ordre de la veille, la colonne du prince de
-Hesse-Hombourg qui formait la gauche des coalisés, poursuivit
-Poniatowski dans le faubourg correspondant à la porte de Peters-Thor.
-La colonne du centre, celle de Kleist et Wittgenstein, se présenta
-devant le même faubourg, mais à une barrière placée un peu à droite,
-celle de Windmühlen. La colonne de droite, celle de Klenau et
-Benningsen, se présenta à la barrière de l'Hôpital, aboutissant à
-l'ancienne porte de Grimma. Bulow, du corps de Bernadotte, se dirigea
-sur le faubourg qui est situé entre les portes de Grimma et de Halle.
-Blucher, Langeron et Sacken se précipitèrent sur le faubourg de Halle,
-et on chargea le général d'York qui s'était reposé la veille, de se
-porter par le nord sur les rives de l'Elster et de la Pleisse, pour
-contrarier autant que possible le défilé de nos colonnes. Mais partout
-les coalisés rencontrèrent une résistance opiniâtre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les Français exaspérés à leur tour, repoussent violemment
-les assaillants.</span>
-Nos soldats
-étaient à leur tour aussi irrités que leurs adversaires, et se
-trouvaient autant humiliés de la prétention de les battre, que les
-Allemands l'avaient été de notre prétention de les dominer. Fiers de
-leur conduite dans ces journées, ils avaient le sentiment du malheur
-non celui de la défaite, et étaient décidés à faire payer cher leur
-retraite ou <span class="pagenum"><a id="page616" name="page616"></a>(p. 616)</span> leur vie.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les troupes des 7<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps font un grand carnage
-des troupes de Sacken et de Langeron dans le faubourg de Halle.</span>
-Au nord et à l'est de Leipzig, dans le
-faubourg de Halle, les restes des 7<sup>e</sup>, 3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps repoussèrent
-vigoureusement les troupes de Sacken et de Langeron. Ces braves gens
-postés dans un vaste bâtiment, tuèrent plus de deux à trois mille
-hommes avant de l'évacuer, et même quelques compagnies légères du 6<sup>e</sup>
-corps fondant par la porte de Halle sur les troupes qui attaquaient le
-bâtiment, en firent un épouvantable carnage.
-<span class="sidenote" title="En marge">On traite aussi mal les troupes de Bulow, à l'est de la
-ville, et les troupes de Schwarzenberg au sud.</span>
-Marmont avec une division
-du 6<sup>e</sup> corps et une du 3<sup>e</sup> défendit la face de l'est contre Bulow, et
-quelques têtes de colonnes ayant pénétré dans la ville, il lança sur
-elles le 142<sup>e</sup> de ligne et le 23<sup>e</sup> léger, qui les massacrèrent presque
-entièrement. Macdonald, Lauriston, Poniatowski avec leurs troupes
-exaspérées, reçurent de même les colonnes ennemies qui se présentèrent
-devant les faubourgs du sud. Partout l'impatience des vainqueurs fut
-cruellement punie, et avec peu de pertes nous fîmes essuyer aux
-coalisés un immense dommage. Toutefois il fallait renoncer à soutenir
-longtemps ce combat, par l'impuissance non pas de résister, mais de
-concerter nos mouvements. Dans l'impossibilité de communiquer d'une
-rue à l'autre, et de discerner la direction des feux au milieu d'une
-effroyable canonnade qui embrassait les quatre faces de la ville, on
-ne savait pas si partout la résistance était également heureuse, et si
-on ne s'exposait pas, en tenant trop longtemps, à être devancé au pont
-par l'ennemi victorieux. Quelques Saxons et Badois restés dans
-l'intérieur de la ville, et tirant sur nos soldats en retraite,
-ajoutaient à la confusion. Dans les rangs de Marmont, c'est-à-dire
-<span class="pagenum"><a id="page617" name="page617"></a>(p. 617)</span> vers l'est, on crut que du côté de Macdonald et de Lauriston,
-c'est-à-dire vers le sud, la ligne des faubourgs avait été forcée;
-vers ces deux côtés on crut la même chose pour le nord, où
-combattaient Reynier et Dombrowski.
-<span class="sidenote" title="En marge">Après avoir défendu longtemps les faubourgs, les troupes
-françaises, pour n'être pas coupées, regagnent les boulevards.</span>
-Dans cette crainte on se mit
-presque simultanément en retraite, en débouchant sur les boulevards
-qui séparaient les faubourgs de la ville. La presse alors y devint
-aussi grande que sur le pont. De chaque rue des faubourgs il arrivait
-des colonnes qui se repliaient en combattant, et qui venaient ajouter
-à l'encombrement, à tel point que l'ennemi lui-même, avec ses
-baïonnettes, n'aurait pas pu s'y faire jour.
-<span class="sidenote" title="En marge">Encombrement toujours croissant sur les boulevards et sur
-le pont.</span>
-Le maréchal Marmont,
-obligé à son tour de se retirer, eut une peine extrême à pénétrer dans
-l'épaisseur de cette foule qui remplissait les boulevards.
-Heureusement pour lui quelques officiers de son corps l'ayant reconnu,
-saisirent la bride de son cheval, et lui faisant place à coups de
-sabre, l'introduisirent dans le torrent serré qui s'écoulait lentement
-vers les ponts.</p>
-
-<div class="p4 figcenter">
-<a id="poniatowski" name="poniatowski"></a>
-<img src="images/poniatowski.jpg" width="500" height="357" alt="Poniatowski." title="" />
-<p class="caption">PONIATOWSKI.</p>
-</div>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Catastrophe du pont de Leipzig.</span>
-On en était là de cette épouvantable évacuation de Leipzig, lorsqu'une
-subite catastrophe, trop facile à prévoir, vint jeter le désespoir
-parmi ceux qui pour le salut commun s'étaient dévoués à la défense des
-faubourgs de Leipzig. On avait ordonné au colonel du génie Montfort de
-miner la première arche de ce pont continu, qui est tantôt un pont
-tantôt une levée de terrain, et embrasse, avons-nous dit, les bras
-nombreux de la Pleisse et de l'Elster. Cette arche était située à
-l'extrémité de Leipzig qui correspond à Lindenau, et construite sur le
-principal bras de l'Elster. Le colonel Montfort l'avait minée,
-<span class="pagenum"><a id="page618" name="page618"></a>(p. 618)</span> et y avait placé quelques sapeurs avec un caporal qui
-attendaient le signal la mèche à la main. Mais sa perplexité était
-grande, car du côté du faubourg de Halle on entendait à travers les
-bois qui couvrent cette partie des environs de la ville, la fusillade
-se rapprocher. À tout moment on s'attendait à voir l'ennemi déboucher
-pêle-mêle avec nos soldats, et on ignorait si au delà il ne restait
-pas d'autres troupes françaises encore occupées à combattre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le colonel Montfort, qui avait mission de détruire les
-ponts, veut aller prendre l'ordre de l'Empereur, lorsqu'un caporal
-chargé de mettre le feu à la mine croit voir arriver l'ennemi, et fait
-sauter le pont.</span>
-Aussi le
-colonel Montfort demandait-il à tout venant s'il y avait encore
-plusieurs corps en arrière, dans quel ordre ils se succédaient, quel
-serait le dernier, et chacun sachant à peine ce qui s'était passé
-immédiatement sous ses yeux, était incapable de répondre. Dans cet
-embarras, le colonel imagina de se rendre à l'autre bout du pont,
-c'est-à-dire à Lindenau, où était Napoléon, pour obtenir qu'on
-l'éclairât sur ce qu'il devait faire, et, en s'éloignant pour un
-instant, il prescrivit au caporal des sapeurs de ne mettre le feu à la
-mine que lorsqu'au lieu des Français il verrait paraître les ennemis.
-À peine avait-il fait quelques pas à travers la foule épaisse qui
-encombrait le pont, qu'il s'aperçut de l'impossibilité d'aller jusqu'à
-Napoléon et de revenir. Il voulut rebrousser chemin vers son poste,
-vains efforts! Au pont qu'il avait quitté se passait la scène la plus
-tumultueuse. Quelques troupes de Blucher poursuivant les débris du
-corps de Reynier à travers le faubourg de Halle, se montrèrent aux
-abords du pont pêle-mêle avec les soldats du 7<sup>e</sup> corps. À cet aspect,
-des voix épouvantées se mirent à crier: Mettez le feu, mettez le
-feu!--Le caporal, auquel <span class="pagenum"><a id="page619" name="page619"></a>(p. 619)</span> de toutes parts on répétait qu'il
-fallait détruire le pont, crut le moment venu, et mit le feu à la
-mine! Une épouvantable explosion retentit aussitôt; les débris du
-pont, volant dans les airs et retombant sur les deux rives, y firent
-des victimes des deux côtés.
-<span class="sidenote" title="En marge">État lamentable de vingt mille soldats, privés de tout
-moyen de retraite.</span>
-Mais cette déplorable erreur eut en
-quelques instants de bien autres conséquences. Reynier avec un reste
-du 7<sup>e</sup> corps, Poniatowski avec ce qui avait survécu de ses Polonais,
-Lauriston, Macdonald avec les débris des 5<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps, étaient
-encore sur les boulevards de Leipzig, pressés entre deux cent mille
-ennemis et plusieurs bras de rivières sur lesquels les moyens de
-passage étaient détruits. Plus de vingt mille de nos soldats avec
-leurs généraux étaient ainsi condamnés ou à périr, ou à devenir les
-prisonniers d'un ennemi que l'exaspération de cette guerre rendait
-inhumain. Ils se crurent trahis, exhalèrent des cris de fureur, et
-dans les alternatives d'une sorte de désespoir, tantôt se ruaient
-baïonnette baissée sur ceux qui les poursuivaient, tantôt revenaient
-vers la Pleisse et l'Elster pour franchir ces rivières à la nage.
-Après une mêlée confuse et sanglante, les uns se rendirent, les autres
-se jetèrent dans les rivières, un certain nombre réussit à les passer
-à la nage, beaucoup furent emportés par la force des eaux. Les
-généraux commandants, parmi lesquels il y avait deux maréchaux, ne
-voulaient pas laisser de si beaux trophées à l'ennemi, et ils
-cherchèrent à se sauver.
-<span class="sidenote" title="En marge">Mort de Poniatowski.</span>
-Poniatowski, fait maréchal la veille par
-Napoléon, pour prix de son héroïsme, n'hésita pas à lancer son cheval
-dans l'Elster. Parvenu à l'autre bord, mais le trouvant escarpé, et
-<span class="pagenum"><a id="page620" name="page620"></a>(p. 620)</span> chancelant par suite de plusieurs blessures, il disparut dans
-les eaux, enseveli dans sa gloire, la chute de sa patrie et la nôtre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Macdonald sauvé par miracle.</span>
-Macdonald ayant suivi son exemple, atteignit la rive opposée, y trouva
-des soldats qui l'aidèrent à la gravir, et fut sauvé.
-<span class="sidenote" title="En marge">Reynier et Lauriston faits prisonniers.</span>
-Reynier et
-Lauriston, entourés avant qu'ils pussent tenter de s'enfuir, furent
-conduits devant les souverains de Russie, de Prusse et d'Autriche, en
-présence desquels ils n'avaient longtemps paru qu'en vainqueurs.
-<span class="sidenote" title="En marge">Accueil plein de courtoisie de l'empereur Alexandre au
-général Lauriston.</span>
-Alexandre, en reconnaissant le général Lauriston, ce sage ambassadeur
-qui avait fait tant d'efforts pour empêcher la guerre de 1812, lui
-tendit la main en lui reprochant d'avoir cherché à se soustraire à son
-estime. Il fit traiter avec égard les généraux français devenus ses
-prisonniers, dissimula pour eux son orgueil profondément satisfait,
-mais voulut qu'ils assistassent à tout l'éclat de son triomphe. En
-effet, les généraux, les princes victorieux étaient réunis sur la
-principale place de la ville, se félicitant les uns les autres, se
-complimentant réciproquement de ce qu'ils avaient fait, en présence
-des habitants de Leipzig qui, pâles encore de la terreur de ces trois
-jours, sortaient des caves de leurs maisons, et poussaient des
-acclamations en l'honneur des souverains libérateurs. Au milieu de ces
-personnages agités se faisait remarquer Bernadotte, persuadé qu'il
-avait à lui seul décidé la victoire en arrivant le dernier, étant seul
-à le croire, mais bien accueilli par Alexandre, qui, dans sa politique
-raffinée, tenait à garder sous son influence le futur souverain de la
-Suède. Tandis qu'Alexandre accueillait si bien ce Français combattant
-contre la France, il se montrait <span class="pagenum"><a id="page621" name="page621"></a>(p. 621)</span> bien dur à l'égard d'un
-prince allemand, qu'il appelait injustement traître envers
-l'Allemagne. Ce prince était l'infortuné roi de Saxe.
-<span class="sidenote" title="En marge">Dureté de l'empereur Alexandre à l'égard du roi de Saxe.</span>
-Deux fois depuis
-le matin, des officiers étaient venus de sa part demander un moment
-d'entretien, et ils avaient été repoussés. En ce moment il y en avait
-un troisième qui, le chapeau à la main, suppliait Alexandre de
-permettre au vieux roi de lui offrir ses hommages. Ce malheureux
-monarque était à quelques pas de là, tête nue, implorant vainement un
-regard du vainqueur. Napoléon, il faut le reconnaître, plus habitué à
-la victoire, avait mieux traité les rois vaincus. Alexandre, cédant à
-un sentiment peu digne de lui, fit dire au roi de Saxe qu'il ne
-voulait point le voir, qu'il était pris les armes à la main, et dès
-lors prisonnier de guerre; que les souverains alliés décideraient de
-son sort, et lui feraient notifier leur décision. Ainsi, en nous
-abandonnant sur le champ de bataille, les soldats saxons n'avaient pas
-même acheté le pardon de leur roi!</p>
-
-<p>Revenons à l'armée française, se retirant mutilée à travers les bras
-nombreux de la Pleisse et de l'Elster, et laissant encore dans cette
-journée vingt mille de ses soldats, ou prisonniers, ou expirants dans
-les rues de Leipzig, ou noyés dans les eaux ensanglantées de la
-Pleisse et de l'Elster!
-<span class="sidenote" title="En marge">Pertes des deux armées aux quatre journées de Leipzig.</span>
-Cette dernière des quatre journées néfastes de
-Leipzig porta les pertes de l'armée française en morts, blessés,
-prisonniers, noyés ou égarés, à soixante mille hommes environ.
-L'ennemi n'avait pas perdu moins en hommes atteints par le feu; mais
-ses blessés allaient recevoir tous les soins du patriotisme allemand
-<span class="pagenum"><a id="page622" name="page622"></a>(p. 622)</span> reconnaissant: les nôtres, qu'allaient-ils devenir?</p>
-
-<p>Napoléon avait entendu de Lindenau où il était, une violente
-explosion; il en connut bientôt la cause et les conséquences, se
-montra fort courroucé contre tous ceux auxquels on pouvait imputer ce
-funeste accident, et affecta de vouloir trouver des coupables, quand
-il n'y en avait point, et quand, s'il y en avait un, c'était lui,
-l'auteur de cette horrible guerre!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractère de la campagne de Saxe, et causes véritables de
-nos revers.</span>
-Telle fut cette longue et tragique bataille de Leipzig, l'une des plus
-sanglantes et certainement la plus grande de tous les siècles, et qui
-termina si désastreusement la campagne de Saxe, commencée d'une
-manière si heureuse à Lutzen et à Bautzen. Sans doute on se demandera
-comment après de si profonds calculs, de si savantes man&oelig;uvres, de
-si hautes espérances, Napoléon put être conduit à une pareille
-catastrophe, et on ne le comprendra en effet qu'en se rendant un
-compte exact de tous les mobiles qui le firent agir, et tournèrent en
-affreux revers des conceptions qui étaient au nombre des plus belles
-de sa vie. Qu'on suppose un général moins grand, mais placé dans une
-situation simple, n'ayant ni toute une fortune prodigieuse à refaire
-d'un seul coup, ni cent motifs d'orgueil pour se dissimuler la vérité,
-n'étant pas non plus habitué à chercher dans des combinaisons hardies
-et compliquées des résultats extraordinaires, il eût certainement agi
-autrement, et très-probablement s'il n'avait pas obtenu d'éclatants
-succès, il aurait au moins évité un désastre. À la première menace
-d'un mouvement sur <span class="pagenum"><a id="page623" name="page623"></a>(p. 623)</span> ses derrières, ou par l'Elbe inférieur ou
-par la Bohême, il aurait, sans perdre un instant, décampé de Dresde,
-en n'y laissant que les malades impossibles à transporter. Il aurait
-pu amener ainsi, outre les 200 mille nommes qui lui restaient à cette
-époque, les 30 mille laissés dans Dresde, vraisemblablement aussi les
-30 mille de Meissen, Torgau, Wittenberg, et rejoindre la Saale en une
-masse compacte, que les marches excessives ni les détachements obligés
-sur l'Elbe n'auraient point affaiblie. Si, dans cette situation, l'une
-des deux armées ennemies, celle de Bohême ou celle de l'Elbe, avait
-commis la faute de devancer l'autre d'un jour à Leipzig, il l'eût
-accablée, et se serait ensuite rabattu sur la seconde. Supposez que
-l'occasion d'un tel triomphe ne lui eût pas été offerte, il aurait au
-moins regagné sain et sauf les bords de la Saale, et si cette ligne
-qui est courte, facile à déborder de tous les côtés, n'avait pu être
-défendue, il aurait sagement repris le chemin du Rhin, et par des
-instructions adressées à temps à toutes les garnisons des places de
-l'Elbe inférieur, il leur aurait prescrit de se replier les unes sur
-les autres jusqu'à Hambourg, où certainement elles auraient pu
-parvenir sans accident, l'ennemi étant attiré tout entier à la suite
-de la grande armée. Elles auraient formé ainsi avec le maréchal Davout
-une belle armée de 80 mille hommes, qui aurait rejoint le Rhin par
-Wesel, et dès lors près de 300 mille soldats en bon état se seraient
-retrouvés sur la frontière de l'Empire, et y auraient opposé à
-l'invasion une barrière invincible! Mais Napoléon, par caractère, par
-orgueil, par habitude et besoin <span class="pagenum"><a id="page624" name="page624"></a>(p. 624)</span> de résultats extraordinaires,
-s'était rendu impossible une conduite aussi simple.</p>
-
-<p>À la nouvelle d'une double marche de ses ennemis sur Leipzig, les uns
-descendant de la Bohême, les autres remontant de l'Elbe le long de la
-Mulde, il ne songea pas un instant à sa sûreté. Habitué à les voir se
-dérober sans cesse, il n'eut qu'une crainte, c'est qu'ils pussent lui
-échapper encore, et au lieu d'aller droit à Leipzig, par le chemin
-direct, ce qui lui aurait sauvé douze ou quinze mille soldats laissés
-au milieu des boues de l'automne, il descendit l'Elbe dans la
-direction de Düben, pour saisir à coup sûr Blucher et Bernadotte,
-toujours convaincu dans son orgueil qu'on était beaucoup plus disposé
-à le fuir qu'à le combattre. À peine en marche, et toujours en quête
-de combinaisons qui pussent procurer de vastes résultats, il imagina
-de se jeter sur les traces de Blucher et de Bernadotte, de les suivre
-à outrance au delà de l'Elbe, de les refouler sur la roule de Berlin,
-puis de remonter par la rive droite l'Elbe jusqu'à Torgau ou Dresde,
-de passer ce fleuve de nouveau sur ces points, et de tomber à
-l'improviste sur les derrières de l'armée descendue de Bohême. Certes
-la combinaison était aussi profonde qu'audacieuse, et avec les
-soldats, l'ardeur et la fortune d'Austerlitz, elle devait amener des
-résultats prodigieux. Mais pour cette espérance chimérique, il fallait
-se résigner à laisser 30 mille hommes à Dresde, et Napoléon les y
-laissa. Arrivé à Düben, sur la basse Mulde, il put bientôt
-s'apercevoir que loin de vouloir fuir, Blucher et Bernadotte
-cherchaient à le gagner de vitesse sur Leipzig, pour <span class="pagenum"><a id="page625" name="page625"></a>(p. 625)</span> s'y
-réunir à Schwarzenberg, et l'accabler. Il prit son parti sur-le-champ,
-rebroussa chemin vers cette ville, et avec la sûreté ordinaire de son
-coup d'&oelig;il se plaça de la seule manière propre à empêcher la
-réunion de ses ennemis. Mais il revenait à Leipzig après une marche
-inutile de cinquante lieues, qui avait épuisé ses soldats et fort
-diminué leur nombre; il revenait privé de trente mille combattants
-laissés à Dresde, d'une quantité égale laissée à Wittenberg, Torgau,
-Meissen, et il marchait en une longue colonne, dont un tiers au moins
-ne pouvait pas assister à la première et à la plus décisive bataille.
-Obligé de faire face à tous ses ennemis, non pas présents mais pouvant
-l'être, il lui fut impossible le 16 d'amener Bertrand et Ney à lui, de
-les jeter avec Macdonald sur le flanc droit de Schwarzenberg pour
-accabler ce dernier, et dès lors n'étant pas vainqueur d'une manière
-foudroyante le premier jour, il se vit tout à coup dans une position
-affreuse, où il était condamné à succomber les jours suivants sous une
-écrasante réunion de forces. Prendre sur-le-champ le parti de la
-retraite, l'exécuter sinon le 17, puisqu'il attendait encore Reynier,
-du moins dans la nuit du 17 au 18, regagner au plus tôt par Lindenau,
-Lutzen et Weissenfels, ses communications menacées, établir pour cela
-les ponts nécessaires sur la Pleisse et l'Elster, était la seule
-conduite à tenir, la conduite simple du capitaine sage, plus occupé de
-sauver son armée que de conserver son prestige. Mais faire une
-retraite fière, imposante, en plein jour, en se ruant sur l'ennemi qui
-oserait être pressant, afin non pas de se sauver, mais de <span class="pagenum"><a id="page626" name="page626"></a>(p. 626)</span>
-garder l'attitude du victorieux, fut, et devait être la pensée du
-conquérant longtemps gâté par la fortune, du conquérant qui ne sut pas
-sortir de Moscou à temps, et il s'ensuivit la funeste bataille du 18,
-et la retraite plus funeste encore du 19, exécutée avec un seul pont.
-La confusion inévitable qui s'introduisit au dernier moment dans les
-choses ainsi conduites, amena l'explosion du pont de l'Elster, qui
-marqua du sceau de la fatalité cette effroyable bataille de quatre
-jours.</p>
-
-<p>Ce résumé des faits montre donc la vraie cause de tous les malheurs
-que nous venons de raconter. Ce n'est pas plus ici qu'à Moscou dans
-l'affaiblissement des talents du capitaine qu'il faut chercher la
-cause de si déplorables résultats, car le capitaine ne fut jamais ni
-plus fécond, ni plus audacieux, ni plus tenace, ni plus soldat, mais
-dans les illusions de l'orgueil, dans le besoin de regagner d'un coup
-une immense fortune perdue, dans la difficulté de s'avouer assez vite
-sa défaite, dans tous les vices, en un mot, qu'on aperçoit en petit et
-en laid chez le joueur ordinaire, risquant follement des richesses
-follement acquises, et qu'on retrouve en grand et en horrible chez ce
-joueur gigantesque qui joue avec le sang des hommes, comme d'autres
-avec leur argent. De même que les joueurs perdent leur fortune en deux
-fois, une première pour ne pas savoir la borner, une seconde pour
-vouloir la rétablir d'un seul coup, de même Napoléon compromit la
-sienne à Moscou pour la vouloir faire trop grande, et dans la campagne
-de Dresde pour la vouloir refaire tout entière. C'était toujours
-l'action des mêmes causes, l'altération non <span class="pagenum"><a id="page627" name="page627"></a>(p. 627)</span> du génie, mais du
-caractère gâté par la toute-puissance et le succès.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Après les tragiques événements de Leipzig, une prompte
-retraite sur le Rhin était le seul parti à prendre.</span>
-À la suite de tels revers, retourner immédiatement sur le Rhin était
-la seule ressource qui restât à Napoléon. Après avoir eu 360 mille
-hommes de troupes actives à la reprise des hostilités, sans compter
-les garnisons, après en avoir eu 250 mille encore deux semaines
-auparavant, et en avoir laissé 30 mille à Dresde, un nombre peut-être
-égal sur la route de Dresde à Düben, de Düben à Leipzig, après en
-avoir perdu 60 à 70 mille dans les diverses batailles de Leipzig et un
-nombre qu'on ne peut guère préciser par la défection des alliés, il en
-conservait 100 à 110 mille tout au plus, dans l'état le plus
-déplorable. La seule chose qu'il eût encore en quantité considérable
-et en excellente qualité, mais malheureusement difficile à ramener,
-c'était l'artillerie. Il en avait une très-belle, très-bien servie,
-qui avait toujours mis son honneur à sauver ses canons, et n'avait
-perdu que ceux que la destruction du pont de l'Elster avait empêché de
-transporter à temps d'une rive à l'autre. Ce qui restait d'artillerie
-était le double en proportion de ce qui restait de soldats. Si c'était
-un embarras, c'était au moins une ressource et des plus précieuses
-dans un jour de combat.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Marche de l'armée sur la Saale.</span>
-Napoléon passa autour de Lutzen la nuit du 19 au 20 octobre avec les
-débris de son armée. Bertrand et Mortier avaient culbuté Giulay, et
-parvenus à Weissenfels s'étaient assuré la possession de la Saale. Le
-20 au matin Napoléon courut à Weissenfels pour diriger lui-même la
-retraite, et devancer tous les corps ennemis aux passages essentiels.
-<span class="pagenum"><a id="page628" name="page628"></a>(p. 628)</span> Si on suivait à gauche (gauche en retournant vers le Rhin) la
-grande route de Weissenfels à Naumbourg et Iéna, on rencontrait le
-fameux défilé de Kosen, où le maréchal Davout s'était couvert de
-gloire en défendant la plaine d'Awerstaedt, et où l'on était exposé à
-trouver Giulay qui, repoussé par Bertrand et Mortier, pouvait bien
-aller y chercher une revanche. Napoléon, dont le malheur n'avait pas
-troublé la prévoyance, imagina de faire un détour à droite, et au lieu
-de passer la Saale à Naumbourg, de la traverser à Weissenfels, dont on
-possédait les ponts, de gagner ensuite Freybourg pour y franchir
-l'Unstrutt, de déboucher de là dans la plaine de Weimar et d'Erfurt,
-tandis que Bertrand porté rapidement par un mouvement à gauche sur le
-défilé de Kosen, tâcherait d'y prévenir l'ennemi, et de s'y défendre
-le plus longtemps possible contre la grande armée de Schwarzenberg. Ce
-plan de marche à peine conçu, Napoléon en ordonna l'exécution.
-Bertrand dont le 4<sup>e</sup> corps avait été augmenté comme on l'a vu de la
-division Guilleminot, fut acheminé tout de suite sur Freybourg, avec
-Mortier qui commandait deux divisions de la jeune garde, avec la
-cavalerie légère de Lefebvre-Desnoëttes, avec le 2<sup>e</sup> de cavalerie du
-général Sébastiani. Cette nombreuse cavalerie, battant partout
-l'estrade et sabrant les Cosaques, devait précéder et flanquer
-l'avant-garde, puis, lorsqu'on serait rendu à Freybourg, et qu'on
-aurait occupé la ville et les ponts sur l'Unstrutt, Bertrand devait
-courir à Kosen, et Mortier rester à Freybourg pour protéger le passage
-de l'armée.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page629" name="page629"></a>(p. 629)</span> Ces ordres furent ponctuellement exécutés. Bertrand arriva le
-21 au soir à Freybourg avec les divers corps qui escortaient sa
-marche. Il n'y avait dans cette ville que quelques troupes légères
-ennemies que l'on expulsa. On s'empara d'un pont de pierre sur
-l'Unstrutt, solide mais étroit. On en jeta un en charpente dans la
-nuit, pour faciliter le passage de l'armée, et tandis que Mortier se
-livrait à ces soins, Bertrand gravissant les hauteurs à gauche alla
-prendre position à Kosen. Il y parvint avant l'ennemi.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 21, l'armée passe la Saale à Weissenfels.</span>
-Ces mesures résolues à temps et exécutées avec vigueur, eurent le
-résultat qu'on devait en attendre. L'armée après s'être écoulée à
-travers les plaines de Lutzen, arriva le 21 au soir à Weissenfels, où
-elle franchit la Saale sans être poursuivie par d'autres troupes que
-les coureurs de l'ennemi. Schwarzenberg et Bernadotte étaient restés
-dans Leipzig, l'un à refaire son armée épuisée par trois batailles,
-l'autre à passer des revues. Giulay seul avait marché par la route de
-Naumbourg et de Kosen. De l'infatigable armée de Silésie, il n'y avait
-que le corps du général d'York qui eût pu nous suivre, et les moyens
-de passage sur la Pleisse et l'Elster ayant été détruits à Leipzig,
-Blucher lui-même avait été obligé de faire un détour, et de descendre
-fort au-dessous de Leipzig pour traverser ces rivières. Nous l'avions
-à notre droite, mais en arrière, tandis qu'à notre gauche nous
-n'avions que Giulay, lequel pour nous atteindre était réduit à forcer
-le défilé de Kosen.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 21 au soir l'armée arrive à Freybourg, et commence à y
-passer l'Unstrutt.</span>
-La Saale franchie le 21, l'armée alla coucher à <span class="pagenum"><a id="page630" name="page630"></a>(p. 630)</span> Freybourg,
-où, comme on vient de le voir, les moyens de passer l'Unstrutt avaient
-été préparés. Les quelques mille prisonniers que Napoléon avait voulu
-mener avec lui, avaient été délivrés par la cavalerie ennemie. C'était
-un désagrément d'amour-propre bien plus qu'une perte véritable, mais
-qui prouvait par quelles masses de troupes à cheval nous étions
-poursuivis, car nous avions subi cet affront entre Bertrand, Mortier,
-Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes. Cette cavalerie avait peu
-d'inconvénients contre les corps organisés, mais la débandade qu'on
-avait vue recommencer dans les corps de Macdonald, d'Oudinot et de
-Ney, à la suite des revers de la Katzbach, de Gross-Beeren, de
-Dennewitz, était devenue très-générale dans l'armée après
-l'épouvantable bataille de Leipzig. Le premier prétexte à la sortie
-des rangs, c'étaient les blessures légères qui obligeaient de marcher
-sans armes à la queue des colonnes; le second c'était la faim qui
-autorisait à courir çà et là pour trouver des vivres.
-<span class="sidenote" title="En marge">La débandade s'introduit de nouveau parmi nos troupes,
-ainsi qu'il était arrivé dans la retraite de Russie.</span>
-Sorti des rangs,
-on n'y rentrait plus. Les habitudes militaires étaient en effet trop
-récentes chez nos jeunes soldats pour qu'ils pussent s'éloigner du
-drapeau impunément. Une fois le cadre quitté, le dépit, la souffrance,
-le goût de la maraude, le penchant naturel à s'épargner de nouveaux
-dangers, empêchaient d'y revenir. Sur les 100 à 110 mille hommes que
-Napoléon possédait encore, il y en avait plus de 20 mille qui, les uns
-portant le bras en écharpe, les autres boitant, la plupart se disant
-blessés sans l'être, ou alléguant la perte de leurs armes qu'ils
-avaient jetées, marchaient entre les colonnes armées, ou à leur
-<span class="pagenum"><a id="page631" name="page631"></a>(p. 631)</span> suite, se répandaient le soir dans les villages qu'ils
-pillaient, et sans rendre aucun service dévoraient les ressources dont
-auraient pu vivre les corps organisés. Ce qu'il y avait de pis encore,
-c'était l'exemple qui menaçait de devenir contagieux, et contre lequel
-les répressions de la cavalerie étaient impuissantes. La bravoure
-n'avait pas fléchi un moment chez ces jeunes gens, mais les habitudes
-militaires trop peu enracinées, n'avaient pas tenu contre une grande
-défaite, et ils avaient presque oublié qu'ils étaient soldats. La
-cavalerie qui ordinairement poursuit ce genre de vice, et le réprime,
-en était atteinte elle-même, et on voyait dans la masse débandée des
-cavaliers à pied, quelques-uns même à cheval. C'est sur cette portion
-de l'armée que les coureurs de l'ennemi avaient surtout prise. Ils
-dispersaient ces maraudeurs comme de timides bandes d'oiseaux, et les
-ramassaient en grand nombre, ce qui fournissait à la coalition
-l'occasion de dire qu'elle avait fait des milliers de prisonniers. Des
-canons abandonnés faute de chevaux, ou des maraudeurs enlevés dans les
-villages, lui procuraient de prétendus trophées, bien plus
-dommageables pour nous que véritablement glorieux pour elle. Il fallut
-employer toute la nuit du 21 et la journée du 22 pour faire écouler
-cette masse d'hommes, armés et désarmés, par les deux ponts de
-Freybourg. On y réussit pourtant, moyennant la résistance énergique
-que le maréchal Oudinot opposa sur les bords de l'Unstrutt aux
-Prussiens du corps d'York.
-<span class="sidenote" title="En marge">Oudinot défend énergiquement l'Unstrutt le 22, et donne à
-toute l'armée le temps de défiler.</span>
-Ce maréchal depuis Leipzig avait protégé la
-retraite avec deux divisions de la jeune garde, tandis que Mortier
-avec les deux <span class="pagenum"><a id="page632" name="page632"></a>(p. 632)</span> autres et Bertrand avec le 4<sup>e</sup> corps étaient
-chargés d'ouvrir la route. Oudinot perdit quelques centaines d'hommes
-dans ce combat opiniâtre, mais en tua beaucoup plus au corps prussien
-d'York. Il ne quitta ce poste que lorsque toute l'armée eut défilé.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le général Bertrand, de son côté, défend vaillamment les
-défilés de Kosen.</span>
-Sur ces entrefaites, le général Bertrand arrivé à temps à Kosen pour y
-prévenir Giulay, lui avait livré un combat violent, le dos tourné vers
-Awerstaedt, et le front vers la Saale. Pendant une journée entière il
-fut assailli par les Autrichiens, et autant de fois il fut attaqué par
-eux, autant de fois il les repoussa avec la vaillante division
-Guilleminot, et les précipita des hauteurs de Kosen dans les gorges
-profondes de la Saale. Lorsque Bertrand sut qu'Oudinot avait évacué
-Freybourg, et que toutes nos colonnes avaient défilé sur Erfurt, il
-abandonna son poste, craignant que l'ennemi ne le devançât, et ne le
-coupât du reste de l'armée en allant passer la Saale à Iéna. Le 22 au
-soir on campa dans divers villages entre Apolda, Buttelstedt et
-Weimar. Le 23 toute l'armée fut réunie aux environs d'Erfurt, la
-cavalerie battant le pays autour d'elle pour la protéger contre les
-Cosaques.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Napoléon s'arrête à Erfurt et y donne trois jours de repos
-à l'armée.</span>
-Napoléon à Erfurt voulut, appuyé sur cette place qui contenait de
-grandes ressources, donner deux ou trois jours de répit à l'armée.
-Elle en avait un extrême besoin, soit pour se reposer, soit pour
-remettre un peu d'ordre dans ses rangs. Il y avait à Erfurt beaucoup
-de détachements venus en bataillons et escadrons de marche; il y avait
-en abondance des vêtements, des souliers, des vivres et des munitions
-de guerre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Réorganisation de quelques-uns des corps de l'armée.</span>
-On répartit entre les différents <span class="pagenum"><a id="page633" name="page633"></a>(p. 633)</span> corps les
-détachements qui se trouvaient à Erfurt, et que la difficulté des
-communications avait empêché de diriger sur l'Elbe. Le corps
-d'Augereau réduit à la seule division Semelé et à 1600 hommes
-d'infanterie, au lieu de 8 mille qu'il comptait la veille de la
-bataille de Leipzig, fut par ce moyen reporté à 4 mille. Il dut
-marcher avec la division Durutte, seul reste du 7<sup>e</sup> corps. Les autres
-corps ne gagnèrent pas dans cette proportion, bien entendu, car
-c'était neuf à dix mille hommes tout au plus que pouvait fournir le
-dépôt d'Erfurt. On distribua les vêtements, les souliers, les vivres,
-on réapprovisionna les parcs de l'artillerie, et on essaya par l'appât
-des distributions de faire reprendre des fusils aux maraudeurs. Le
-succès sous ce rapport ne fut pas grand, car le vice de la maraude
-favorisé par la saison, le mauvais temps, l'âge de nos soldats, était
-déjà fort répandu.</p>
-
-<p>Napoléon profita de ces deux jours de loisir pour écrire à Paris, et
-faire part de sa situation aux principaux membres de son gouvernement.
-Tout en palliant ses revers, et cherchant pour les expliquer des
-causes imaginaires, il ne dissimulait pas les besoins, et réclamait,
-outre les 280 mille hommes déjà demandés, de nouvelles levées, mais en
-hommes faits, pris sur les conscriptions arriérées. «Je ne puis pas,
-disait-il, défendre la France avec des enfants... <cite>Rien n'égale la
-bravoure de notre jeunesse, mais au premier événement douteux elle
-montre le caractère de son âge.</cite>»--Napoléon sans doute avait raison,
-mais des hommes faits qui auraient compté si peu de temps de présence
-au drapeau, <span class="pagenum"><a id="page634" name="page634"></a>(p. 634)</span> et qu'on eût, pour leur début, soumis à de
-pareilles épreuves, ne les auraient pas beaucoup mieux supportées. Ils
-auraient seulement fourni moins de malades aux hôpitaux.</p>
-
-<p>De même qu'il demandait <em>des hommes et non des enfants</em>, Napoléon
-demandait des impôts, c'est-à-dire de l'argent, et ne voulait plus de
-papier bien ou mal hypothéqué sur les domaines de l'État. Il exigeait
-500 millions, au moyen de centimes de guerre ajoutés à tous les impôts
-directs et indirects. Les choses arrivées au point où elles étaient,
-il n'y avait certainement pas mieux à faire que ce qu'il proposait.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Murat; sa séparation affecte Napoléon qui
-n'espère plus le revoir.</span>
-Aux impressions douloureuses du moment vint s'ajouter le départ de
-Murat. Napoléon, tout en blâmant la légèreté de son beau-frère,
-admirait sa bravoure héroïque, son coup d'&oelig;il sur le terrain, et de
-plus il était sensible à l'excellence de son c&oelig;ur. Il savait ce qui
-s'était passé dans l'âme de Murat mieux que Murat lui-même; il savait
-tous les conflits auxquels le malheureux roi de Naples avait été en
-proie entre le désir de garder sa couronne et le désir d'être fidèle à
-son bienfaiteur. Murat alléguait pour partir la nécessité de défendre
-l'Italie menacée, l'espoir de fournir au prince Eugène trente mille
-Napolitains parfaitement organisés, l'utilité enfin de procurer aux
-armées française et italienne, en se mettant à leur tête, un chef bien
-autrement expérimenté que le prince Eugène. Napoléon admettait ces
-raisons, comme il admettait aussi que si la série des revers
-continuait, il se pourrait que Murat cédât à l'entraînement général,
-et imitât ces princes allemands <span class="pagenum"><a id="page635" name="page635"></a>(p. 635)</span> nos alliés, qui pendant dix
-années gorgés par nous des richesses de l'Église allemande,
-prétendaient aujourd'hui qu'ils avaient été les victimes de la France.
-Mais Napoléon, malgré quelques illusions qu'il se faisait encore,
-malgré les derniers mensonges de ses flatteurs, sentait bien au fond
-de son c&oelig;ur qu'il avait abusé et des choses et des hommes. Sachant
-se rendre justice, il la rendait aux autres, et entrevoyant la
-prochaine défection de Murat, il la lui pardonnait d'avance pour ainsi
-dire. En le quittant et en recevant ses protestations de fidélité
-comme très-sincères, il l'embrassa plusieurs fois avec une sorte de
-serrement de c&oelig;ur. Il lui semblait en effet qu'il ne reverrait plus
-cet ancien compagnon d'armes d'Italie et d'Égypte! Hélas! si la
-prospérité aveugle, l'adversité au contraire procure en certains
-moments une étrange clairvoyance, et l'on dirait qu'alors, pour mettre
-le comble à la punition, la Providence rémunératrice lève tous les
-voiles de l'avenir! Napoléon quitta donc Murat comme s'il avait su
-qu'il ne devait plus le revoir. Murat partit regretté de toute
-l'armée, car dans cette campagne d'automne il s'était montré aussi
-habile que brave, et malgré les légèretés de détail qu'il commettait
-souvent, il avait rendu à nos armes d'immortels services.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ d'Erfurt.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Napoléon apprend en quittant Erfurt la présence de l'armée
-bavaroise sur la route de Mayence.</span>
-Il fallait décamper cependant, car de tous côtés les troupes des
-coalisés avançaient, et de plus on annonçait la présence d'un nouvel
-ennemi sur nos derrières, prêt à nous fermer le chemin de la France.
-Cet ennemi n'était autre que l'armée bavaroise, si longtemps notre
-compagne, et pressée de se faire pardonner sa longue alliance avec
-nous par une défection <span class="pagenum"><a id="page636" name="page636"></a>(p. 636)</span> qui s'approchât le plus possible de
-celle de Bernadotte et des Saxons.
-<span class="sidenote" title="En marge">Événements de Bavière.</span>
-Napoléon venait d'apprendre
-non-seulement la défection de la Bavière qu'il avait connue
-sommairement en arrivant à Leipzig, mais la manière dont cette
-défection avait été amenée. Voici ce qui s'était passé à Munich,
-pendant cette seconde partie de la campagne de Saxe.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Comment avait été amenée la défection de cette cour
-alliée.</span>
-Le roi, faible et assez attaché à Napoléon qui l'avait comblé de
-biens, secondé par un ministre spirituel et ambitieux qui avait
-cherché sa grandeur personnelle et celle de son pays dans l'alliance
-de la France, le roi était contrarié dans cette politique par sa
-femme, princesse vaine, entêtée, s&oelig;ur de l'impératrice de Russie et
-de la reine déchue de Suède, ayant les passions de la feue reine de
-Prusse et quelque peu de sa beauté. Il était contrarié aussi par son
-fils, prince plus ami des arts que de la guerre, que Napoléon avait eu
-à son service et qu'il avait traité durement. La reine exerçait son
-opposition dans l'intérieur du palais. Le fils du roi, retiré à
-Inspruck, fomentait lui-même l'esprit insurrectionnel des Tyroliens
-contre la Bavière. Tant que la France avait été victorieuse, le roi
-avait souri des saillies aristocratiques de sa femme et de son fils,
-les laissant dire l'un et l'autre, et prenant ce que Napoléon lui
-donnait après chaque guerre, comme bon à prendre d'abord, et comme bon
-aussi à montrer, à titre de réponse, aux détracteurs de sa politique.
-Depuis Moscou, le doute élevé sur la puissance de Napoléon, le cri des
-populations, la nouvelle des pertes essuyées par les Bavarois, les
-suggestions de l'Autriche, la contagion de l'esprit <span class="pagenum"><a id="page637" name="page637"></a>(p. 637)</span>
-germanique, avaient ébranlé le roi, que les victoires de Lutzen et de
-Bautzen avaient un moment raffermi. Mais la reprise des hostilités, le
-caractère tous les jours plus triste des événements, les pertes
-récentes du corps bavarois à la bataille de Dennewitz, mandées et
-exagérées à Munich, les efforts des trois cours d'Autriche, de Prusse
-et de Russie, avaient plus que jamais remis en question la fidélité de
-la Bavière à l'égard de la France. L'arrivée d'un nouveau personnage à
-Munich avait surtout contribué à rendre cette situation infiniment
-critique. Le général de Wrède, caractère bouillant et sans
-consistance, officier brave mais de peu de discernement, plein d'un
-amour-propre excessif, était revenu dans son pays profondément blessé
-des dédains du maréchal Saint-Cyr, sous lequel il avait servi pendant
-la campagne de la Dwina. Ayant apporté à Munich tous ses
-mécontentements et les ayant manifestés imprudemment, il s'était
-toutefois rapproché, comme son souverain, après Lutzen et Bautzen, et
-nous avait dévoilé lui-même le secret de la défection à demi consommée
-de la cour de Bavière, afin de rentrer en faveur auprès de Napoléon.
-M. d'Argenteau sentant le besoin de nous l'attacher, avait demandé
-pour lui le grand cordon de la Légion d'honneur, rendu vacant par la
-mort du respectable général Des Roys, et Napoléon, qui avait déjà
-donné au général de Wrède des titres et des richesses, n'avait pas cru
-devoir y ajouter cette dernière distinction.
-<span class="sidenote" title="En marge">Conduite du général de Wrède.</span>
-Le général de Wrède
-redevenu mécontent, était resté en Bavière, et avait acquis tout à
-coup une grande importance en obtenant le <span class="pagenum"><a id="page638" name="page638"></a>(p. 638)</span> commandement de
-l'armée bavaroise placée sur l'Inn, en face de l'armée autrichienne du
-prince de Reuss. Si Augereau avec une vingtaine de mille hommes était
-venu le joindre sur l'Inn, on l'aurait maintenu, et M. d'Argenteau
-avait fort insisté pour qu'on prît cette précaution. Mais Napoléon
-avait eu besoin d'Augereau ailleurs, et les Bavarois n'étant ni
-soutenus ni contenus, avaient bientôt cédé au sentiment de tous les
-Allemands. Au lieu de tenir tête au prince de Reuss, le général de
-Wrède était entré en pourparlers avec lui. Les Autrichiens, au nom de
-la coalition, avaient promis au général de Wrède le commandement des
-deux armées bavaroise et autrichienne réunies sur l'Inn, et au roi la
-conservation de ses États, sauf un équivalent en population et en
-revenu pour les provinces qu'ils entendaient recouvrer, c'est-à-dire
-le Tyrol et les bords de l'Inn. M. de Mongelas lui-même, sentant qu'il
-ne pouvait se maintenir à son poste qu'en changeant bien vite de
-politique, avait accueilli les propositions des puissances coalisées,
-espérant que la Bavière conservant ses agrandissements, il
-conserverait sa situation. Seulement il avait changé, non comme change
-la force (ainsi qu'avait fait M. de Metternich), mais comme change la
-faiblesse, et il avait adhéré à la coalition sans même nous avertir.
-Il nous avait abandonnés en protestant toujours de sa fidélité. Le roi
-ayant contre lui sa femme, son fils, son peuple, son ministre, son
-général, n'était pas de caractère à résister à tant de contradicteurs,
-et quand on était venu lui dire que, sauf équivalent, il conserverait
-ses États, <span class="pagenum"><a id="page639" name="page639"></a>(p. 639)</span> et surtout quand on avait ajouté que s'il refusait
-il fallait, comme en 1805, évacuer sa capitale devant l'armée
-autrichienne, pour aller se jeter dans les bras de Napoléon, non pas
-vainqueur mais vaincu, il n'avait plus hésité, et avait signé le 8
-octobre un traité d'alliance offensive et défensive avec la coalition.
-Des transports de joie avaient éclaté à cette nouvelle dans toute la
-Bavière, et avaient confirmé sa résolution.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">L'armée austro-bavaroise, forte de 60 mille hommes, vient
-se placer sur le Main pour couper la route de Mayence.</span>
-Rien n'était plus amené par des causes irrésistibles qu'un pareil
-changement, mais la décence voulait au moins que la Bavière, que nous
-avions si richement dotée, en nous quittant pour sa sûreté, laissât à
-d'autres pour son honneur, le soin de nous détruire. Il n'en fut point
-ainsi, et le gouvernement bavarois, afin de s'assurer sa rentrée en
-grâce auprès des souverains coalisés, le général de Wrède afin de
-s'assurer le bâton de maréchal, mirent grande hâte à porter l'armée
-austro-bavaroise de l'Inn sur le haut Danube, du Danube sur le Main.
-Cette armée composée par moitié d'Autrichiens et de Bavarois, et forte
-de 60 mille hommes, avait marché avec une telle rapidité, qu'on la
-disait déjà rendue à Wurzbourg, et prête à couper aux environs de
-Francfort la route de Mayence.</p>
-
-<p>À cette annonce Napoléon sourit de mépris, et du reste sentit l'erreur
-de sa politique à l'égard de l'Allemagne, politique qui, au lieu de se
-borner à un peu d'appui donné aux États secondaires, s'était étendue
-jusqu'à vouloir en faire des sujets de la France. Il se décida donc à
-quitter Erfurt pour prendre la route de Mayence. L'armée
-austro-bavaroise <span class="pagenum"><a id="page640" name="page640"></a>(p. 640)</span> ne l'effrayait guère, mais ayant 200 mille
-hommes derrière lui, il devait compter les jours et les heures avec
-une extrême précision.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Distribution de l'armée française dans sa marche sur
-Mayence.</span>
-Après trois jours passés à Erfurt, il partit pour Eisenach afin de
-franchir avant les coalisés les défilés de la forêt de Thuringe. Le
-général Sébastiani avec le 2<sup>e</sup> corps de cavalerie, le général
-Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde et le 5<sup>e</sup> de
-cavalerie, formaient l'avant-garde, et couvraient les flancs de
-l'armée en battant la campagne à droite et à gauche. Les maréchaux
-Victor et Macdonald suivaient avec les débris des 2<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> corps;
-puis venait le maréchal Marmont qui réunissait sous ses ordres les
-débris des 6<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps, Durutte et Semelé qui conduisaient
-leurs divisions, uniques restes des 7<sup>e</sup> et 16<sup>e</sup> corps. Napoléon ayant
-sous la main la vieille garde, le 1<sup>er</sup> de cavalerie et la grosse
-cavalerie de la garde, formait le noyau principal de l'armée. Oudinot
-et Mortier avec les quatre divisions de la jeune garde, Bertrand avec
-le 4<sup>e</sup> corps, accru de la division Guilleminot, et le 4<sup>e</sup> de
-cavalerie, composaient l'arrière-garde. Le total de ces troupes ne
-montait pas à plus de 70 mille hommes ayant un fusil à l'épaule, tant
-la débandade s'était propagée de Leipzig à Erfurt. Venaient ensuite 30
-à 40 mille hommes sans armes, toujours logés entre les corps
-organisés, les gênant dans le combat, dévorant leurs vivres au
-bivouac.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Mouvements des armées coalisées.</span>
-Les armées coalisées, après deux ou trois jours passés à Leipzig, et
-employés soit à triompher, soit à se remettre d'une lutte si rude,
-avaient été distribuées d'une manière nouvelle, et s'étaient ensuite
-<span class="pagenum"><a id="page641" name="page641"></a>(p. 641)</span> dirigées vers leur destination ultérieure. Le général Klenau
-avait été renvoyé sur Dresde avec son corps, pour tâcher d'amener la
-reddition de cette place et des troupes françaises qui l'occupaient.
-Le général Tauenzien, déjà détaché de l'armée du Nord, avait été
-chargé de poursuivre la reddition de Torgau et de Wittenberg, et le
-général Benningsen, avec l'armée dite de Pologne, avait été expédié
-sur Magdebourg et Hambourg pour opérer le blocus, et, s'il était
-possible, la conquête de ces places. L'armée du Nord avait été
-acheminée sur Cassel afin d'achever, si elle n'était consommée déjà,
-la destruction de la monarchie du roi Jérôme. Elle devait ensuite
-revenir vers la Westphalie, le Hanovre, la Hollande. Enfin Blucher et
-le prince de Schwarzenberg, avec 160 mille hommes environ, s'étaient
-mis à la poursuite de l'armée de Napoléon qu'ils serraient de près
-dans l'espérance de le placer entre deux feux, de Wrède devant
-l'attaquer en tête, tandis qu'ils l'attaqueraient en queue. Blucher,
-élevé par son roi à la dignité de maréchal, et ayant mérité plus
-qu'aucun autre les récompenses de la coalition, avait été dirigé sur
-Eisenach, pour de là se rendre non sur Francfort mais sur Wetzlar,
-afin d'empêcher que Napoléon, coupé de la route de Mayence, ne se
-rejetât sur celle de Coblentz. La grande armée de Bohême, divisée en
-deux, devait marcher partie par Eisenach, Fulde, Francfort, sur
-Mayence, partie par Gotha, Smalkalden, Schweinfurt, sur Wurzbourg.
-C'étaient les Autrichiens que le prince de Schwarzenberg, par un
-calcul facile à deviner, envoyait sur Francfort, tandis qu'il
-envoyait sur Wurzbourg les Russes et les <span class="pagenum"><a id="page642" name="page642"></a>(p. 642)</span> Prussiens. Bien que
-l'empereur François, ainsi que son habile ministre, eussent sagement
-renoncé à la couronne impériale germanique, cependant ils voulaient en
-Allemagne la suprématie sous une forme quelconque, et leur présence à
-Francfort, ville de l'élection impériale, pouvait y faire éclater des
-manifestations utiles, dont ils se serviraient pour recouvrer quelque
-chose de leur ancienne domination, ou pour faire valoir au moins leur
-désintéressement.</p>
-
-<p>La distribution des forces étant ainsi faite, chacun avait suivi
-l'armée française. En effet Sébastiani et Lefebvre-Desnoëttes avaient
-trouvé aux environs d'Eisenach quantité de Cosaques et de coureurs de
-toute espèce, tant à pied qu'à cheval, et les avaient dispersés, en
-les obligeant à se cacher dans la forêt de Thuringe. Les 26 et 27
-octobre l'armée elle-même avait défilé sans grande difficulté,
-pourtant l'arrière-garde d'Oudinot et de Mortier, composée de la jeune
-garde, s'était vue assaillir par l'impétueux Blucher, à qui elle avait
-résisté énergiquement. On avait perdu de part et d'autre un millier
-d'hommes, mais l'ennemi avait ramassé de nombreux traînards que, dans
-ses bulletins beaucoup plus inexacts que les nôtres, il présentait
-comme des prisonniers recueillis sur le champ de bataille.</p>
-
-<p>Le 26, Napoléon vint coucher à Vach, au delà des défilés de la
-Thuringe, le 27 à Hünfeld, le 28 à Schlüchtern. Une fois arrivés sur
-le versant de la forêt de Thuringe qui regarde vers le Rhin, nous
-fûmes poursuivis moins vivement, parce que Blucher s'était détourné à
-droite pour s'acheminer par Wetzlar sur le Rhin, et que les Prussiens
-et les <span class="pagenum"><a id="page643" name="page643"></a>(p. 643)</span> Russes avaient pris à gauche pour se diriger sur
-Wurzbourg. Il n'y avait plus dès lors sur nos traces que les
-Autrichiens, vigoureusement contenus par Mortier, Oudinot et Bertrand.
-<span class="sidenote" title="En marge">Pertes de l'armée par suite de la débandade.</span>
-On avait surtout affaire aux Cosaques et en général à la cavalerie
-ennemie, qui nous causait, en ramassant les traînards, tout le mal
-qu'elle pouvait nous faire. Ce mal n'était, hélas! que trop grand, car
-la rapidité des marches et la difficulté de subsister faisaient sortir
-des rangs les hommes par milliers. La division Semelé, par exemple,
-qui après sa réorganisation à Erfurt comptait environ 4 mille hommes,
-était réduite de l'autre côté des montagnes de la Thuringe, à 1800.
-Les divisions de la jeune garde, atteintes elles-mêmes de cette
-contagion, étaient tombées de 3 mille hommes chacune après Leipzig, à
-moins de 2 mille. Les malades, les blessés, qui composaient à
-l'origine la population flottante et désarmée, avaient expiré sur les
-routes par la fatigue ou par la lance des Cosaques. Ils étaient
-remplacés par les affamés, les dégoûtés du service, les mauvais
-sujets, dont le nombre augmentait à vue d'&oelig;il. Heureusement le
-froid n'était pas celui de Russie, et on approchait de Mayence, car
-les soldats de 1813, bien inférieurs à ceux de 1812, n'auraient
-certainement pas soutenu les mêmes épreuves.</p>
-
-<p>Dès le 27 octobre on apprit à Schlüchtern la présence du général de
-Wrède à Wurzbourg, occupé à canonner cette place que le général
-Thareau ne voulait pas rendre. Le général de Wrède n'avait qu'un pas à
-faire pour couper la route de Hanau à Mayence. On fit partir une
-avant-garde avec ce qu'on put <span class="pagenum"><a id="page644" name="page644"></a>(p. 644)</span> réunir des traînards et des
-équipages, afin de se délivrer de ce qu'il y avait de plus
-embarrassant. Quelques troupes légères de l'armée bavaroise étaient
-déjà parvenues jusqu'à Hanau, petite place à demi fortifiée, au
-confluent de la Kinzig et du Main, qui domine de son canon la grande
-route de Mayence.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le général Préval envoyé à la rencontre de l'armée jusqu'à
-Francfort, recueille beaucoup de traînards.</span>
-Ces avant-gardes bavaroises n'étaient pas de force à
-intercepter la route, et d'ailleurs le général Préval, envoyé par le
-maréchal duc de Valmy à la rencontre de la grande armée, venait
-d'arriver à Francfort avec quatre à cinq mille hommes. Ce général
-avait pris position entre Francfort et Hanau sur la Nidda, afin que
-l'ennemi ne pût pas nous opposer l'obstacle de cette rivière et
-empêcher ainsi la grande armée de passer. Grâce à cette précaution nos
-soldats débandés, une fois Hanau franchi, rencontraient une force pour
-les recueillir et les protéger jusqu'à Mayence. Divers détachements
-défilèrent les 27 et 28 octobre, obligeant à se replier dans Hanau les
-troupes légères de l'ennemi, et sauvant chaque fois quelques milliers
-d'écloppés, de malades ou de vagabonds.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le 29 octobre, le général de Wrède posté en avant de Hanau,
-s'attache à fermer la route de Mayence.</span>
-Il s'en écoula ainsi 15 à 18
-mille; mais le 29 la route se trouva entièrement fermée, car le
-général de Wrède, désespérant de vaincre la résistance du général
-Thareau, avait laissé un simple détachement pour bloquer Wurzbourg, et
-s'était porté à Hanau avec 60 mille hommes, moitié Bavarois, moitié
-Autrichiens. Arrivé là, il avait détaché une division sur Francfort,
-et s'était placé avec le gros de ses forces en avant de Hanau, dans la
-forêt de Lamboy, que traverse la grande route.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le 30 au matin, Napoléon arrive devant Hanau.</span>
-Le 29, Napoléon étant venu coucher à Langen-Sebold, <span class="pagenum"><a id="page645" name="page645"></a>(p. 645)</span> apprit
-que la tête de l'armée était refoulée sur lui, et que les
-Austro-Bavarois au nombre de 50 à 60 mille hommes, avaient la
-prétention de lui barrer la route du Rhin. Indigné d'une telle
-impudence, mais n'en étant pas fâché, car il se proposait de faire
-sentir le poids de son indignation au téméraire qui venait se mettre
-sur son chemin, il résolut de hâter le pas dans la journée du 30, pour
-s'ouvrir lui-même le passage avec sa vieille garde.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ses forces à Hanau.</span>
-Ce n'était pas sur
-ses forces numériques qu'il comptait, mais sur le sentiment de ses
-soldats, car n'eussent-ils été que dix mille, ils auraient passé sur
-le corps de l'adversaire qui, leur allié si longtemps, se montrait si
-avide de leur sang et de leur liberté. Hélas! il ne nous restait pas
-plus de quarante à cinquante mille hommes sous les armes, tant la
-désorganisation allait croissant depuis les dernières marches, et de
-ces quarante à cinquante mille hommes, Napoléon n'en pouvait guère
-réunir plus d'un tiers sous sa main dans la journée du 30. Il n'avait
-à l'avant-garde que Sébastiani avec les 2<sup>e</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie,
-Lefebvre-Desnoëttes avec la cavalerie légère de la garde, ce qui
-faisait environ quatre mille chevaux, Macdonald et Victor avec cinq
-mille hommes d'infanterie, la vieille garde, forte de quatre mille
-grenadiers et chasseurs, la grosse cavalerie de la garde conservant
-deux à trois mille cavaliers montés, enfin la réserve d'artillerie de
-Drouot, en tout 16 à 17 mille hommes. Marmont avec les débris des 5<sup>e</sup>,
-3<sup>e</sup> et 6<sup>e</sup> corps, Semelé, Durutte avec leurs divisions, Mortier,
-Oudinot avec la jeune garde, Bertrand avec le 4<sup>e</sup>, étaient en
-arrière, et ceux-ci à deux journées. Néanmoins Napoléon <span class="pagenum"><a id="page646" name="page646"></a>(p. 646)</span>
-n'hésita pas à fondre sur l'armée bavaroise et à la faire repentir de
-sa témérité. Il importait de forcer le passage, pour ne pas laisser
-grossir et se consolider l'obstacle élevé sur nos pas.</p>
-
-<p>Le 30 au matin on partit de Langen-Sebold et on marcha sur Hanau.</p>
-
-<p>À quelque distance on rencontra la division d'avant-garde du général
-de Wrède, la division Lamotte, postée à Rückingen. On l'aborda
-brusquement et on la culbuta. On la suivit vivement, et on rencontra
-en avant de la forêt de Lamboy, à travers laquelle passe la grande
-route de Mayence, l'armée austro-bavaroise elle-même. Voici quelles
-avaient été les dispositions adoptées par le général de Wrède.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Description du champ de bataille de Hanau.</span>
-La forêt de Lamboy s'étendait de gauche à droite, de la Kinzig aux
-montagnes du pays de Darmstadt. Au delà de la forêt le terrain était
-découvert, mais on y trouvait l'obstacle de la Kinzig, petite rivière
-allant tomber dans le Main, et enveloppant avant d'y tomber la place
-de Hanau. La route, après avoir traversé la forêt dans sa profondeur,
-débouchait en plaine, atteignait la Kinzig près du point où cette
-rivière se réunit au Main, passait ensuite à droite sous le canon de
-Hanau, enfin continuait jusqu'à Francfort et Mayence, entre le Main et
-les montagnes. Le général de Wrède avait placé en avant et sur la
-lisière de la forêt soixante bouches à feu, bien servies et bien
-appuyées, avait rempli l'intérieur de la forêt d'une multitude de
-tirailleurs, et rangé son armée dans la plaine au delà, le dos à la
-Kinzig, la droite au pont de Lamboy sur la Kinzig, la gauche en avant
-de Hanau. Il s'était couvert par <span class="pagenum"><a id="page647" name="page647"></a>(p. 647)</span> 10 mille hommes de
-cavalerie. Il disposait ainsi, défalcation faite de ce qu'il avait
-laissé sous Wurzbourg, et de ce qu'il avait détaché sur Francfort, de
-cinquante-deux mille hommes environ. Les coureurs de Thielmann et de
-Lichtenstein l'avaient rejoint.</p>
-
-<p>Napoléon accouru de sa personne à la tête de son avant-garde avait
-reconnu et jugé les dispositions de l'ennemi. Il n'avait sous la main
-que la cavalerie de l'avant-garde, et les cinq mille fantassins
-restant à Macdonald et à Victor. La vieille garde suivait.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Bataille de Hanau, livrée le 30 octobre.</span>
-Il fit ranger à droite sous le général Charpentier l'infanterie de
-Macdonald, à gauche sous le général Dubreton celle de Victor, et
-prescrivit à l'un et à l'autre de se répandre en tirailleurs dans les
-bois. Il se tint avec toute sa cavalerie sur la grande route et en
-présence de l'artillerie bavaroise, jusqu'à ce qu'il fût rejoint par
-l'artillerie de la garde. À peine le signal donné, nos adroits
-tirailleurs lancés dans la forêt y pénétrèrent avec la hardiesse et
-l'intelligence qui les distinguaient. Une fusillade multipliée
-éclatant dans la sombre épaisseur des bois, les éclaira bientôt de
-mille feux. Nos tirailleurs gagnèrent successivement du terrain sur le
-flanc des troupes qui soutenaient l'artillerie ennemie, et les
-obligèrent à rétrograder. Peu après une portion de notre artillerie
-ayant été amenée, canonna vivement celle des Bavarois qui était dénuée
-de l'appui de l'infanterie, et la contraignit à se replier. On poussa
-ainsi les Bavarois dans l'intérieur de la forêt, et on en traversa la
-plus grande partie à leur suite, en tiraillant toujours sur leurs
-flancs. Cependant la division <span class="pagenum"><a id="page648" name="page648"></a>(p. 648)</span> Curial de la vieille garde
-ayant rejoint, Napoléon dirigea deux bataillons de cette division sur
-la colonne en retraite, et acheva de la rejeter de la forêt dans la
-plaine.
-<span class="sidenote" title="En marge">Malheureuses dispositions du général de Wrède.</span>
-Parvenu à la lisière des bois on aperçut cinquante mille
-hommes en bataille, le dos à la Kinzig, s'appuyant d'un côté au pont
-de Lamboy en face de notre gauche, et de l'autre à la ville de Hanau
-en face de notre droite. En avant se trouvait la belle et nombreuse
-cavalerie de l'ennemi. Napoléon, pour déboucher, attendit que toute
-son artillerie fût venue, ainsi que l'infanterie et la cavalerie de la
-vieille garde. Lorsque les Bavarois, qui avaient honorablement servi
-dans nos rangs, mais qui savaient ce qu'était la garde, la virent
-paraître en ligne, ils en furent profondément émus, surtout leur
-général de Wrède, qui comprit quelle faute il avait commise en se
-plaçant avec une rivière à dos devant de pareilles troupes. Il avait
-cru que la grande armée arriverait tellement talonnée par les
-coalisés, qu'il n'aurait plus que des prisonniers à recueillir.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Dispositions de Napoléon.</span>
-Napoléon en apercevant ces dispositions dit avec ironie: Pauvre de
-Wrède, j'ai pu le faire comte, mais je n'ai pu le faire
-général.--Sur-le-champ il rangea quatre-vingts bouches à feu de la
-garde à la lisière de la forêt, étendit à gauche les grands bonnets à
-poil de la division Friant, et à droite la cavalerie de Sébastiani, de
-Lefebvre-Desnoëttes, de Nansouty.</p>
-
-<div class="p4 figcenter">
-<a id="bataille" name="bataille"></a>
-<img src="images/648.jpg" width="500" height="347" alt="bataille." title="" />
-</div>
-
-<p>Après quelques instants d'une violente canonnade, il agit d'abord par
-sa droite et lança toute sa cavalerie sur celle du général de Wrède.
-Nos grenadiers, <span class="pagenum"><a id="page649" name="page649"></a>(p. 649)</span> nos chasseurs à cheval de la garde, étaient
-impatients de fouler aux pieds les alliés infidèles qui venaient
-imprudemment leur barrer le chemin de la France. Les escadrons
-bavarois furent rejetés d'un seul choc sur les escadrons autrichiens.
-Ceux-ci chargèrent à leur tour, mais l'exaspération de notre cavalerie
-était au comble; elle renversa tout ce qui s'offrit à elle, et culbuta
-sur la Kinzig et Hanau la gauche de l'armée austro-bavaroise. Au
-centre les flots de la cavalerie ennemie, dans le va-et-vient de ces
-charges répétées, vinrent un moment se jeter sur les quatre-vingts
-bouches à feu de la garde. Drouot faisant serrer ses pièces, et
-plaçant en avant ses canonniers la carabine à la main, arrêta les
-escadrons ennemis, puis les cribla de mitraille lorsqu'ils se
-replièrent. Quand notre infanterie accourut à son secours, il était
-déjà dégagé.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Nov. 1813.</span>
-Le général de Wrède acculé sur la Kinzig, ne vit d'autre ressource que
-de ramener son armée sur sa droite, afin de lui faire repasser la
-Kinzig au pont de Lamboy. Pour favoriser ce mouvement, et se procurer
-l'espace dont il avait besoin, il essaya une attaque sur notre gauche.
-Mais là justement se trouvaient les grenadiers de Friant. Ces braves
-gens, dont le courage était trop souvent enchaîné, partageaient
-l'exaspération de toute l'armée.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'armée austro-bavaroise écrasée.</span>
-Ils marchèrent appuyés des troupes de
-Marmont dont la tête venait d'arriver, abordèrent les Bavarois à la
-baïonnette, les poussèrent sur les troupes occupées à franchir la
-Kinzig, et en percèrent sept à huit cents de leurs baïonnettes. De
-Wrède repassa la Kinzig en désordre, laissant dans nos mains dix à
-onze mille <span class="pagenum"><a id="page650" name="page650"></a>(p. 650)</span> morts, blessés ou prisonniers. Cette brillante
-rencontre nous avait coûté tout au plus trois mille hommes. La majesté
-de l'armée française était dignement vengée.</p>
-
-<p>Toutefois il ne fallait pas perdre de temps à compter nos trophées,
-car de Wrède replié avec quarante mille hommes derrière la Kinzig,
-pouvait apercevoir notre petit nombre, et déboucher de Hanau pour nous
-barrer le chemin. Le lendemain 31 octobre Napoléon, fier non pour lui
-mais pour ses soldats, de cette nouvelle bataille de la Bérézina, se
-mit en marche avec Sébastiani, Lefebvre-Desnoëttes, Macdonald, Victor
-et la vieille garde, afin d'aller rouvrir la route de Mayence, si elle
-était interceptée quelque part. Il laissa Marmont pour border la
-Kinzig, et empêcher l'ennemi de déboucher de Hanau, dont le canon
-enfilait la chaussée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Nouvelles tentatives du général de Wrède, et nouveaux
-échecs les jours suivants.</span>
-Le 31 au matin le maréchal Marmont fit enlever Hanau que l'ennemi dans
-sa terreur avait presque entièrement évacué, et en partant vers le
-milieu du jour confia au général Bertrand qui le suivait, la garde de
-ce poste. Le général Bertrand y passa la nuit, toujours dans
-l'intention de contenir les Bavarois et de les empêcher de couper la
-route. Le 1<sup>er</sup> novembre au matin, de Wrède voulant prendre une
-revanche, et se flattant de ne plus trouver devant lui qu'une faible
-arrière-garde sur laquelle il se dédommagerait de son échec, essaya de
-déboucher de la Kinzig en traversant le pont de Lamboy à notre gauche,
-et en tâchant de reprendre Hanau à notre droite. Devant le pont de
-Lamboy Bertrand avait placé la division Guilleminot, au centre la
-division <span class="pagenum"><a id="page651" name="page651"></a>(p. 651)</span> Morand qui pouvait canonner Hanau par-dessus la
-Kinzig, devant Hanau même la division italienne, partie dans cette
-ville, partie le long de la Kinzig, avec mission de protéger la grande
-route.</p>
-
-<p>De Wrède à la pointe du jour assaillit les Italiens dans Hanau, leur
-prit une des portes, pénétra dans la ville, et les refoula sur le pont
-de la Kinzig, vers lequel il courut pour s'en emparer, et occuper
-ensuite la route. Mais Morand tirant par-dessus la Kinzig atteignit en
-flanc la colonne du général de Wrède, et la couvrit de projectiles.
-Les Italiens reprenant courage revinrent à la charge, et rejetèrent
-les Bavarois dans Hanau. De Wrède reçut au bas-ventre une blessure qui
-le fit supposer mort, tant elle était grave.</p>
-
-<p>Au même instant sur notre gauche les Austro-Bavarois tentèrent de
-franchir la Kinzig sur les chevalets du pont de Lamboy à demi brûlés.
-Guilleminot en laissa passer un certain nombre, puis les culbuta dans
-la Kinzig à la baïonnette. De toutes parts ils furent ainsi refoulés
-au delà de la Kinzig, et condamnés à une nouvelle humiliation. Cette
-tentative leur coûta encore de 1500 à 2,000 hommes. Nos canons libres
-enfin de courir sur ce chemin de Mayence, y trouvèrent tant de
-cadavres qu'ils roulaient, dit un témoin oculaire fort illustre, dans
-une boue de chair humaine<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Lien vers la note 33"><span class="smaller">[33]</span></a>. Funèbre et terrible rentrée de la
-grande armée en France!</p>
-
-<p>Au surplus le corps du général Bertrand avait été le dernier à
-prendre la route de Hanau. Le maréchal <span class="pagenum"><a id="page652" name="page652"></a>(p. 652)</span> Mortier avec la jeune
-garde informé des difficultés qu'on rencontrait sur cette voie, avait
-fait un détour à droite, et avait regagné Francfort sain et sauf. Le 4
-novembre, la grande armée acheva d'entrer dans Mayence, tristement
-triomphante! La cavalerie resta seule en dehors pour recueillir les
-plus attardés de nos traînards. Il en avait passé près de quarante
-mille en quelques jours.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Arrivée de l'armée française sur les bords du Rhin.</span>
-Ainsi nous revîmes le Rhin, après tant de victoires suivies maintenant
-de tant de revers, le Rhin que nous avions l'espérance fondée de
-repasser paisiblement, après une paix glorieuse et générale. Il aurait
-pu en être ainsi, mais l'orgueil indomptable de Napoléon ne l'avait
-pas permis!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">État de dénûment de la frontière du Rhin.</span>
-Napoléon était en ce moment dans Mayence, pouvant se convaincre de ses
-yeux de toute l'étendue de ses fautes. Ce Rhin devenu tellement notre
-propriété, que six mois auparavant on aurait regardé comme une grande
-preuve de modération de notre part de nous en contenter, ce Rhin il
-était douteux que nous pussions le défendre! Napoléon avait tant songé
-à la conquête, et si peu à la défense, que le sol de l'Empire se
-trouvait presque entièrement découvert. Excepté en Italie, qui était
-de la conquête aussi, on n'avait rien fait aux places de la frontière.
-Napoléon avait bien commencé à y penser, mais à une époque où il ne
-restait plus assez de temps pour que les ordres donnés reçussent leur
-exécution. Les grands approvisionnements mêmes provoqués par
-l'intermédiaire de M. de Bassano après la bataille de Dennewitz,
-délibérés, résolus entre les principaux ministres à Paris, avaient
-été contremandés <span class="pagenum"><a id="page653" name="page653"></a>(p. 653)</span> par Napoléon à cause de la dépense, et
-surtout à cause des alarmes qu'il craignait de répandre sur le Rhin.
-Aussi le long de cette frontière qui aurait dû être le premier objet
-de nos soins, tout était-il dans un état déplorable. On s'était épuisé
-en munitions, en armes de toutes espèces pour Erfurt, Dresde, Torgau,
-Magdebourg, Hambourg, et les arsenaux français étaient vides. Les
-approvisionnements en bois ordonnés depuis peu de jours n'étaient pas
-commandés. Les approvisionnements de siége se trouvaient dans le même
-cas<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Lien vers la note 34"><span class="smaller">[34]</span></a>. Le personnel était encore plus insuffisant que le matériel. À
-Strasbourg, Landau, Metz, Coblentz, Cologne, Wesel, il n'y avait que
-quelques compagnies de gardes nationales levées à la hâte par les
-préfets, et qui savaient à peine tirer un coup de fusil. Mayence
-seule, vaste dépôt de recrues qu'on n'avait pas eu le temps
-d'expédier, de maraudeurs successivement rentrés, de malades, de
-blessés transportés comme on avait pu, centre enfin de ralliement pour
-nos débris de toute espèce, Mayence contenait des moyens de défense.
-Mais c'est une armée qu'il aurait fallu dans cette place, et ce qui
-rentrait, quoique ce fût la grande armée, n'aurait pas fourni 40 mille
-hommes en état de combattre. Les divisions de la jeune garde qui
-s'étaient si bien conduites, comprenant 8 mille hommes à la reprise
-des hostilités, 3 mille encore après Leipzig, étaient réduites les
-unes à 1,000, les autres à 1,100 hommes. Tous les corps étaient
-diminués dans la même proportion.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page654" name="page654"></a>(p. 654)</span> <span class="sidenote" title="En marge">Le 4<sup>e</sup> corps, renforcé des divisions Guilleminot,
-Durutte et Semelé, est cantonné à Mayence.</span>
-Napoléon voulant réserver à Mayence ce qu'il avait ramené de meilleur,
-y laissa le 4<sup>e</sup> corps sous le général Bertrand. Ce corps était destiné
-à former l'avant-garde de la future armée que Napoléon espérait
-composer. Il devait comprendre la division Morand qui en avait
-toujours fait partie, la division Guilleminot qu'on lui avait
-récemment adjointe, les divisions Durutte et Semelé, seuls restes,
-comme nous l'avons dit, des 7<sup>e</sup> et 16<sup>e</sup> corps. Ces quatre divisions,
-même après quelques jours de repos, ne comptaient pas quinze mille
-soldats. Napoléon ordonna qu'elles fussent immédiatement réorganisées
-au moyen des hommes débandés qu'on arrêtait au passage du Rhin. La
-cavalerie de la garde fut employée à recueillir ces hommes à plusieurs
-lieues au-dessus et au-dessous de Mayence. Mais les fusils, les
-vêtements, les souliers, les vivres qu'on leur distribuait ne
-pouvaient surmonter l'influence des mauvaises habitudes qu'ils avaient
-contractées, et bien que la plupart d'entre eux se fussent comportés
-très-bravement deux ou trois semaines auparavant, il était douteux
-qu'on parvînt à en faire encore des soldats. À peine cessait-on
-d'avoir l'&oelig;il sur eux qu'ils désertaient à l'intérieur. Les cadres
-restaient excellents, et tout prouvait que, grâce à eux, il serait
-plus facile de créer des soldats avec des conscrits sortant de leurs
-chaumières, qu'avec des hommes qu'on venait d'exposer trop tôt, trop à
-l'improviste, et sans l'encouragement de la victoire, aux plus
-cruelles extrémités de la guerre.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Lefebvre-Desnoëttes est aussi cantonné à Mayence avec la
-cavalerie légère de la garde.</span>
-En quelques jours cependant on reporta au nombre de vingt et quelques
-mille hommes ce 4<sup>e</sup> corps, <span class="pagenum"><a id="page655" name="page655"></a>(p. 655)</span> dernière représentation de l'armée
-qui avait combattu à Lutzen, Dresde et Leipzig. Lefebvre-Desnoëttes
-lui fut attaché avec la cavalerie légère de la garde et les vieux
-dragons du 5<sup>e</sup> corps, composant en tout 3 à 4 mille chevaux. On lui
-donna une bonne artillerie.
-<span class="sidenote" title="En marge">La défense du Rhin confiée aux maréchaux Victor, Marmont et
-Macdonald.</span>
-La garde du Rhin fut partagée entre les
-trois maréchaux Marmont, Macdonald et Victor. Le maréchal Marmont fut
-chargé de garder depuis Landau jusqu'à Coblentz avec les débris des
-6<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup> et 3<sup>e</sup> corps d'infanterie, des 1<sup>er</sup> et 5<sup>e</sup> de cavalerie. Il
-devait avoir Mayence et le général Bertrand sous ses ordres, et
-procéder à la recomposition des troupes comprises dans l'étendue de
-son commandement. La jeune garde fut placée un peu en arrière de
-Mayence, pour se réorganiser sous les yeux du maréchal Mortier. Il en
-fut de même pour la cavalerie de la garde. Le maréchal Macdonald fut
-envoyé à Cologne avec le 11<sup>e</sup> corps, qu'il devait également
-recomposer. On lui donna le 2<sup>e</sup> de cavalerie pour veiller à la garde
-du Rhin, et empêcher les Cosaques de le franchir. Ce qui restait des
-Polonais, infanterie et cavalerie, fut envoyé à Sedan, où était
-l'ancien dépôt de ces troupes alliées, pour y recevoir une nouvelle
-organisation. Le maréchal Victor fut établi à Strasbourg avec le 2<sup>e</sup>
-corps, qui avait fait sous ses ordres la campagne de 1813, et s'y
-était couvert de gloire. C'est avec ces débris que les trois maréchaux
-devaient protéger la frontière de l'Empire. Les gendarmes, les
-douaniers revenus de tous les pays que nous avions occupés, arrêtaient
-sur le Rhin les hommes débandés qui arrivaient, et tâchaient de les
-faire rentrer à leurs corps. C'est avec cette ressource, dont nous
-<span class="pagenum"><a id="page656" name="page656"></a>(p. 656)</span> avons dit la valeur, qu'on espérait recruter les troupes
-cantonnées sur la frontière. Malheureusement, outre leurs mauvaises
-dispositions morales, elles venaient d'être atteintes par une affreuse
-contagion physique.
-<span class="sidenote" title="En marge">La fièvre d'hôpital transportée par l'armée sur les bords
-du Rhin, y exerce d'affreux ravages.</span>
-La fièvre d'hôpital née dans nos vastes dépôts de
-l'Elbe, due à l'encombrement des hommes, aux fatigues, à la mauvaise
-nourriture, aux pluies continuelles des deux derniers mois, et aux
-passions tristes dont avaient été affectés nos blessés et nos malades,
-s'était répandue partout où nous avions passé, et avait déjà envahi
-les bords du Rhin. De tous les fléaux qui nous avaient poursuivis
-celui-là était le plus redoutable. Il venait de pénétrer à Mayence,
-d'y exercer déjà de notables ravages, et en faisait craindre de
-terribles. De là il avait descendu le Rhin, et l'avait même remonté.
-Ainsi aucune calamité ne semblait devoir nous être épargnée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Départ de Napoléon pour Paris le 7 novembre.</span>
-Napoléon, après avoir pourvu au plus pressé par un séjour d'une
-semaine à Mayence, partit pour Paris le 7 novembre, afin de se
-transporter au centre d'un gouvernement dont il était le moteur
-indispensable, et de préparer les moyens d'une nouvelle et dernière
-campagne. Tandis qu'il était occupé à faire des efforts inouïs pour
-tirer de la France épuisée les ressources qu'elle contenait encore, et
-arrêter sur la frontière des ennemis qu'une longue oppression avait
-rendus implacables, il y avait du Rhin à la Vistule, en soldats vieux
-ou jeunes, et actuellement assiégés ou bloqués par les légions de
-l'Europe coalisée, de quoi composer l'une des meilleures armées qu'il
-eût jamais rassemblées.
-<span class="sidenote" title="En marge">Situation des troupes laissées dans les garnisons de
-l'Elbe, de l'Oder et de la Vistule.</span>
-Il avait laissé à Modlin 3 mille hommes, à
-Zamosc 3, <span class="pagenum"><a id="page657" name="page657"></a>(p. 657)</span> à Dantzig 28, à Glogau 8, à Custrin 4, à Stettin
-12, à Dresde 30, à Torgau 26, à Wittenberg 3, à Magdebourg 25, à
-Hambourg 40, à Erfurt 6, à Wurzbourg 2, ce qui faisait une force
-totale de 190 mille hommes, presque tous valides (car nous n'avons
-admis dans cette évaluation ni les malades ni les blessés), tous
-aguerris ou instruits, commandés par des officiers excellents, et
-comprenant notamment des soldats d'artillerie et du génie
-incomparables. Jamais plus belle armée n'eût porté le drapeau de la
-France, si, par un miracle, on avait pu réunir ses débris épars, et
-leur rendre l'ensemble que leur isolement dans des postes éloignés
-leur avait fait perdre. Napoléon, ainsi qu'on l'a vu, dans l'espérance
-de se retrouver en une seule bataille reporté sur l'Oder et la
-Vistule, avait voulu en conserver les forteresses, de manière à se
-replacer soudainement dans son ancienne position. C'est par ce motif
-qu'il avait consacré une soixantaine de mille hommes aux places fortes
-de l'Oder et de la Vistule. Pendant l'armistice il aurait pu les
-ramener tous, et en renforcer sa ligne de l'Elbe; mais, séduit par la
-même espérance, il avait persisté dans la même faute, et il venait de
-l'aggraver prodigieusement, en quittant l'Elbe sans en retirer les
-garnisons.
-<span class="sidenote" title="En marge">Le nombre des troupes laissées dans les places n'est pas de
-moins de 190 mille hommes.</span>
-C'est ainsi que ces 190 mille hommes si précieux, suffisant
-au printemps pour former le fond d'une superbe armée de 400 mille
-hommes, avaient été sacrifiés. Il est vrai que dans ces 190 mille
-hommes il y avait 30 mille étrangers, voulant rentrer au sein de leur
-patrie depuis que leurs gouvernements avaient rompu avec la France;
-mais dans ces 30 mille hommes, s'il <span class="pagenum"><a id="page658" name="page658"></a>(p. 658)</span> y avait 20 mille
-Allemands ou Illyriens sur lesquels il ne fallait plus compter, il y
-avait 10 mille Polonais devenus aussi braves, et restés aussi fidèles
-que les soldats de notre vieille armée. C'était donc toujours la perte
-certaine de 170 mille hommes, due à une confiance aveugle dans la
-victoire, et à la funeste passion de rétablir en une journée une
-grandeur détruite par plusieurs années de fautes irréparables!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Comment on aurait pu les sauver.</span>
-Un miracle, avons-nous dit, pouvait les rendre à la France.
-<span class="sidenote" title="En marge">Il aurait fallu que par une résolution spontanée l'un des
-commandants de garnison sortit de la place qu'il occupait, allât
-recueillir les autres garnisons, et formât ainsi une armée avec
-laquelle il pût regagner les bords du Rhin.</span>
-Sans doute
-si un homme intrépide, audacieux, et surtout heureux, se trouvant à la
-tête de l'une de ces garnisons, était sorti de la place qu'il
-occupait, en forçant le blocus établi autour de ses murs, qu'il se fût
-réuni à la garnison la plus voisine, et qu'allant ainsi de l'une à
-l'autre il eût composé une armée, il est probable, vu le peu de
-troupes laissées par les coalisés sur leurs derrières, qu'il aurait pu
-atteindre l'Elbe et le Rhin, et rentrer en France à la tête d'une
-force redoutable. Mais dans laquelle des places bloquées ce miracle
-pouvait-il s'accomplir? Ce n'est pas assurément dans les places les
-plus éloignées. Les garnisons de Modlin et de Zamosc, par exemple,
-composées de Lithuaniens et de Polonais peu enclins à sortir de chez
-eux, étaient beaucoup trop distantes l'une de l'autre, trop peu
-nombreuses, pour essayer de hardies concentrations de troupes. Celle
-de Dantzig, qui même après les maladies rapportées de Russie, comptait
-encore vingt et quelques mille hommes, aurait pu s'échapper sans
-doute, en culbutant ceux qui auraient essayé de l'arrêter.
-<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qui ne permettaient pas aux garnisons de la Vistule
-et de l'Oder de tenter une semblable entreprise.</span>
-Mais elle
-aurait été suivie à outrance par <span class="pagenum"><a id="page659" name="page659"></a>(p. 659)</span> des forces supérieures,
-peut-être détruite avant d'arriver à l'Oder, où l'attendaient du reste
-si elle y était arrivée, 9 mille Français ou alliés à Stettin, 4 mille
-à Custrin. Mais, outre la difficulté naissant de la distance, il y en
-avait une dans les instructions de Napoléon. Il avait ordonné au
-général Rapp de ne livrer Dantzig que sur un ordre de sa main, de s'y
-faire tuer plutôt que de se rendre, et le général Rapp, privé de
-nouvelles, ne devant pas ajouter foi à celles de l'ennemi, ne pouvait
-pas assez connaître la situation pour se croire autorisé à changer les
-instructions si précises, si formelles, qu'il avait reçues de
-Napoléon. Les trois garnisons de l'Oder, celles de Stettin, Custrin,
-Glogau, quoique plus rapprochées de l'Elbe, étaient encore trop
-distantes entre elles, trop peu considérables, et trop surveillées,
-pour tenter avec quelques chances de succès des réunions de forces qui
-leur eussent permis de regagner le Rhin.</p>
-
-<p>Ce sont les garnisons de l'Elbe, celles de Hambourg, Magdebourg,
-Wittenberg, Torgau, Dresde, qui formaient des rassemblements de 20 et
-30 mille hommes, qui étaient fort voisines les unes des autres, et
-n'avaient pour rejoindre la France qu'à traverser la Westphalie
-exempte de la présence de l'ennemi, ce sont celles-là qui auraient pu
-prendre l'initiative, et rendre à la France cent mille hommes, avec
-des chefs illustres tels que Saint-Cyr et Davout.
-<span class="sidenote" title="En marge">Les commandants de Hambourg et de Dresde pouvaient seuls
-prendre l'initiative d'une subite concentration.</span>
-Entre ces places
-fortes de l'Elbe c'étaient évidemment les deux places extrêmes de
-Dresde et de Hambourg, ayant des maréchaux en tête, et chacune 30
-mille hommes au moins, qui auraient pu essayer d'opérer une
-concentration subite, et entre ces dernières <span class="pagenum"><a id="page660" name="page660"></a>(p. 660)</span> enfin c'est de
-la garnison de Dresde qu'on était le plus fondé à l'attendre.</p>
-
-<p>Pour qu'un chef commandant une force considérable et chargé d'un poste
-important prît sur lui de l'évacuer spontanément, afin de revenir sur
-le Rhin, il fallait que l'ordre d'idées dans lequel il avait été
-entretenu l'y autorisât. Le maréchal Davout n'était pas dans ce cas.
-Il savait que Hambourg avait été la cause principale de la rupture des
-négociations de Prague, que Napoléon y tenait au point d'avoir bravé
-une guerre mortelle plutôt que d'y renoncer, que Hambourg était
-l'appui des garnisons de l'Oder et de Dantzig, le boulevard de la
-Westphalie et de la Hollande, le lien avec le Danemark, et que
-l'abandonner était une résolution capitale, ne pouvant appartenir
-qu'au chef de l'État lui-même. Voilà tout un ensemble de
-considérations qui n'était pas fait pour lui inspirer la pensée de
-l'évacuation. Mais il y avait de plus pour l'en détourner deux raisons
-décisives.
-<span class="sidenote" title="En marge">Raisons qui devaient en détourner celui qui commandait à
-Hambourg.</span>
-Il possédait à Hambourg tous les moyens de se soutenir
-longtemps, et il le prouva bientôt; dès lors il n'y avait pour lui
-aucune obligation immédiate de changer de position. Secondement, en
-supposant qu'il sentît la nécessité de rentrer en France à la tête des
-garnisons restées au dehors, il ne pouvait prendre sur lui de remonter
-l'Elbe pour se porter à Torgau et à Dresde, car il serait allé dans un
-cul-de-sac sans retraite possible, puisque entre Dresde et Mayence il
-y avait la coalition tout entière. Il devait donc, s'il avait cette
-pensée d'une concentration spontanée, attendre dans le poste où il
-était qu'on vînt à lui avec les garnisons de Dresde, de <span class="pagenum"><a id="page661" name="page661"></a>(p. 661)</span>
-Torgau, de Magdebourg, et alors avec cent mille hommes il serait
-retourné en France par la Westphalie et Wesel. Ainsi, outre que
-l'ordre d'idées dans lequel il avait été entretenu ne devait pas
-l'engager à quitter Hambourg, à moins d'une nécessité pressante, la
-concentration ne se présentait pas comme chose exécutable du bas Elbe
-vers le haut, mais du haut vers le bas.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Toutes ces raisons au contraire devaient y décider celui
-qui commandait à Dresde.</span>
-Ces simples réflexions démontrent que c'est à Dresde qu'aurait dû
-naître la résolution de réunir les garnisons voisines, et de former
-une force successivement croissante, pour rentrer en France. Tout
-devait en effet y disposer le maréchal Saint-Cyr, commandant à Dresde,
-et les idées antérieures dont il avait eu l'esprit rempli, et
-l'urgence de sa situation, et enfin les moyens dont il était pourvu.
-D'abord Dresde n'était point une place forte où l'on pût se maintenir;
-c'était un poste militaire à conserver quelques jours seulement, que
-Napoléon n'avait entendu garder que très-passagèrement, et que, sans
-le prescrire formellement, il avait presque d'avance ordonné
-d'évacuer, en disant dans ses instructions que si des accidents
-imprévus empêchaient le maréchal Saint-Cyr de rester à Dresde, il
-devait se diriger sur Torgau. Ainsi la pensée naturelle qu'il était
-impossible de ne pas concevoir, c'était celle de quitter Dresde, si on
-apprenait que Napoléon se fût retiré sur le Rhin. Ensuite cette place
-hors d'état de tenir huit jours, n'avait plus aucune importance après
-le départ de la grande armée, ne couvrait rien, demeurait purement en
-l'air, et ne contenait pas la moindre ressource en vivres. Il y avait
-donc <span class="pagenum"><a id="page662" name="page662"></a>(p. 662)</span> urgence de prendre un parti à son égard, et ne pouvant
-revenir en France à travers la Saxe, car il aurait fallu passer sur le
-corps des armées coalisées, il était évident que c'est sur Torgau
-qu'il fallait se replier.
-<span class="sidenote" title="En marge">On pouvait en descendant de Dresde à Hambourg, y former
-avec les garnisons de l'Elbe successivement ramassées, une armée de
-plus de cent mille hommes, et à sa tête regagner le Rhin
-victorieusement.</span>
-Pour se rendre à Torgau on n'avait que deux
-journées de marche. On y aurait trouvé 26 mille hommes, dont 18 mille
-Français valides, et on aurait été porté à 48 mille hommes, force
-supérieure à tout ce qu'il y avait d'ennemis sur les bords de l'Elbe.
-On aurait recueilli en passant 3 mille hommes à Wittenberg. En deux
-jours on serait arrivé à Magdebourg, où l'on se serait renforcé de 18
-à 20 mille hommes valides. On aurait donc formé tout de suite une
-armée de 70 mille combattants, armée qui avant trois semaines était
-sûre de ne pas rencontrer son égale jusqu'au bord de la mer. À
-Hambourg, on aurait fini par réunir 110 mille soldats excellents, et
-alors qui est-ce qui pouvait empêcher ces braves gens de regagner le
-Rhin?</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Octob. 1813.</span>
-Si donc l'impulsion première avait dû partir de quelque part pour
-opérer ces concentrations spontanées, c'était évidemment de Dresde et
-du maréchal qui commandait cette place. Il faut ajouter que l'excuse
-bien réelle alors, et souvent alléguée, du défaut d'indépendance et de
-spontanéité chez les lieutenants de Napoléon, toujours habitués à
-obéir, jamais à commander, que cette excuse ne saurait être donnée
-pour le maréchal Saint-Cyr. Indépendant par force d'esprit, et par
-indocilité de caractère, n'admirant personne, pas même Napoléon,
-blâmant toutes les instructions qu'il recevait, il ne pouvait pas,
-comme tant d'autres, expliquer son défaut de <span class="pagenum"><a id="page663" name="page663"></a>(p. 663)</span> détermination
-par sa soumission ponctuelle aux ordres supérieurs, ordres d'ailleurs
-qui, après la retraite de l'armée, étaient plutôt dans le sens de
-l'évacuation que de la conservation de Dresde. Par conséquent, si les
-170 mille Français laissés par une déplorable faute de Napoléon sur la
-Vistule, l'Oder et l'Elbe, avaient chance d'être sauvés, c'était, pour
-100 mille au moins, par une résolution spontanée du maréchal
-Saint-Cyr. Cette résolution il ne la prit point, et on va juger par
-les faits eux-mêmes s'il est suffisamment justifié de ne l'avoir pas
-prise.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Ce qui s'était passé à Dresde après le départ de Napoléon
-pour Düben.</span>
-À peine Napoléon avait-il quitté Dresde pour Düben que des mouvements
-incessants de troupes s'étaient exécutés autour de la ville, que
-l'intérêt des coalisés avait paru évidemment se porter ailleurs, et
-qu'ils n'avaient laissé devant Dresde que des forces insignifiantes,
-dont il était très-possible de triompher pour tenter quelque
-entreprise salutaire. Au moment même de la bataille de Leipzig,
-lorsque Bubna, Colloredo, Benningsen, se détournèrent pour rejoindre
-la grande armée du prince de Schwarzenberg, leur disparition devint
-promptement sensible, et un général aussi heureusement audacieux que
-Richepanse le fut à Hohenlinden, aurait pu être tenté de suivre ces
-corps, et s'il eût paru sur leurs derrières le 18, il eût certes
-apporté d'immenses changements à nos destinées. Il est vrai que c'eût
-été une résolution singulièrement téméraire, et difficile à concilier
-avec l'instruction de garder Dresde, que Napoléon avait donnée
-lorsqu'il avait formé son grand projet de marcher sur Berlin à la
-suite de Bernadotte et de Blucher, pour revenir par Dresde <span class="pagenum"><a id="page664" name="page664"></a>(p. 664)</span>
-sur les derrières de l'armée de Bohême. On n'est donc pas fondé à
-faire au maréchal Saint-Cyr un reproche de ne l'avoir pas prise.
-<span class="sidenote" title="En marge">Inquiétudes du maréchal Saint-Cyr et du corps d'armée
-laissé à Dresde.</span>
-Ce maréchal s'aperçut assez vite de la disparition des principales forces
-stationnées devant Dresde, et il se procura la satisfaction fort
-légitime, fort louable, de faire essuyer un échec au faible corps de
-blocus qu'on avait laissé devant lui, mais il s'en tint là. Quelques
-jours après, n'apprenant rien, ne voyant rien venir, il commença
-d'être inquiet; on le fut bientôt autour de lui, et on se demanda ce
-qu'avait pu devenir la grande armée. Rester enfermé dans cette prison,
-où il y avait peu de vivres, peu de munitions, au milieu d'une
-population tranquille, mais peu bienveillante, à laquelle on était
-fort à charge, rester, disons-nous, dans un tel coupe-gorge, répugnait
-à tout le monde, et à chaque instant surgissait l'idée de s'en aller,
-car on savait bien qu'on n'avait rien à faire à Dresde, si ce n'est
-d'y périr.
-<span class="sidenote" title="En marge">L'idée de sortir de Dresde pour aller se réunir aux
-garnisons de Torgau et de Magdebourg était dans tous les esprits.</span>
-Cette pensée de se retirer étant dans toutes les têtes, le
-maréchal Saint-Cyr convoqua un conseil de guerre, composé du comte de
-Lobau, du général Durosnel, du général Mathieu-Dumas et de quelques
-autres. Avec sa remarquable sagacité, le comte de Lobau dit qu'il n'y
-avait qu'une chose à tenter, c'était de se retirer sur Torgau, où l'on
-trouverait une garnison nombreuse, des vivres, et en tout cas la route
-ouverte de Magdebourg. Les autres généraux furent effrayés de la
-responsabilité qu'on assumerait sur soi en se retirant, et dirent que
-le moment n'était pas venu de se croire abandonné, et dès lors de
-prendre un parti aussi décisif. À la vérité le doute était encore
-permis le 21 octobre, <span class="pagenum"><a id="page665" name="page665"></a>(p. 665)</span> l'évacuation de Leipzig n'ayant eu lieu
-que le 19. Bientôt cependant la joie non dissimulée des Saxons, les
-communications de l'ennemi intéressé à nous désespérer, nous apprirent
-le désastre de Leipzig, et la retraite forcée de Napoléon sur le Rhin.
-Dès lors il était évident qu'il fallait prendre un parti, et le
-prendre sur-le-champ, avant que toutes les routes fussent fermées.
-C'est en ce moment qu'il eût fallu convoquer un conseil de guerre, et
-obliger chacun à délibérer en présence du désastre constaté de la
-grande armée, et de l'impossibilité démontrée d'être secouru.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">On pouvait sortir de Dresde avec 30 mille hommes valides,
-qui n'auraient pas trouvé une seule force capable de leur fermer la
-route de Torgau.</span>
-En adoptant les évaluations les plus affaiblies, on pouvait mettre
-sous les armes 25 mille hommes parfaitement valides, et tout porte à
-croire qu'à la nouvelle du départ on aurait été 30 mille le fusil à
-l'épaule. On n'avait pas 25 mille hommes devant soi, et fussent-ils le
-double, comme ils devaient être répartis sur les deux rives de l'Elbe,
-il y avait certitude de se faire jour, en perçant sur un point
-quelconque le cercle très-étendu qu'ils étaient obligés de décrire
-autour de la place. Enfin on avait la perspective assurée de mourir de
-faim et de misère sous peu de jours, sans pouvoir s'honorer par une
-défense que les fortifications de la ville ne rendaient pas possible,
-et d'être tous tués ou pris, si on attendait que les forces ennemies
-parties pour Leipzig fussent revenues sur Dresde. Si jamais il y a eu
-urgence à se décider, évidence dans le parti à embrasser, c'était
-certainement dans cette occasion.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Hésitations du maréchal Saint-Cyr.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr avait infiniment d'esprit, était au feu un
-brave soldat, avait de plus une <span class="pagenum"><a id="page666" name="page666"></a>(p. 666)</span> véritable indépendance de
-caractère, et cependant il donna ici la preuve que ces qualités
-très-réelles ne sont pas celles qui dans certaines circonstances
-produisent les grandes inspirations. Il ne résolut rien, ne fit rien,
-et laissa écouler le temps en hésitations regrettables.
-<span class="sidenote" title="En marge">Question secrètement adressée à la garnison de Torgau.</span>
-Il eut la
-singulière pensée d'envoyer un agent secret au gouverneur de Torgau,
-pour savoir si on aurait des vivres à lui donner dans le cas où il se
-replierait sur cette place. La question était inutile, car, outre que
-nous avions toujours tiré de Torgau nos approvisionnements en grains,
-et qu'on avait avec soi l'excellent général Mathieu-Dumas, au fait par
-ses fonctions de toutes les ressources de l'armée, il ne s'agissait
-pas de descendre sur Torgau pour y rester, mais pour y passer, chose
-bien différente. L'agent pénétra, reçut pour réponse qu'on avait des
-vivres, dont on ferait part volontiers à ses voisins de Dresde s'ils
-avaient la bonne inspiration de venir; mais il ne put pas remonter
-l'Elbe, et fut arrêté. On demeura ainsi sans réponse et sans
-résolution, non-seulement pendant la fin d'octobre, mais jusqu'aux
-premiers jours de novembre.
-<span class="sidenote" title="En marge">Après quinze jours le maréchal Saint-Cyr ordonne une
-tentative pour percer sur Torgau.</span>
-Deux semaines s'étant écoulées, le cordon
-du blocus se resserrant à chaque heure, toute espérance de secours
-étant évanouie, le maréchal Saint-Cyr prit enfin un parti, mais
-malheureusement un demi-parti, et le plus dangereux qu'on pût prendre.
-Comme il n'y avait qu'une chose à essayer, celle de se retirer sur
-Torgau, il n'imagina pas d'en tenter une autre, et résolut d'envoyer
-le comte de Lobau avec 14 mille hommes dans la direction de cette
-place, de lui faire descendre l'Elbe par la rive droite, puis, si le
-comte <span class="pagenum"><a id="page667" name="page667"></a>(p. 667)</span> de Lobau réussissait à percer, de suivre lui-même avec
-le reste de son armée. On ne comprend pas qu'un homme qui avait tant
-de fois déployé une si grande sagacité à la guerre, pût songer à faire
-une tentative pareille. Si on avait une chance, et on n'en avait pas
-une, mais cent, de percer la ligne de blocus, c'était en marchant tous
-ensemble, et en ne laissant rien après soi. Il était impossible en
-effet qu'en donnant tête baissée sur cette ligne, nécessairement mince
-à cause de son étendue, on ne parvînt pas à la rompre. Le général
-Brenier avait eu pour sortir de Ciudad-Rodrigo en 1811 de bien autres
-dangers à courir, et les avait néanmoins surmontés.</p>
-
-<p><span class="sidedate" title="En marge">Nov. 1813.</span>
-<span class="sidenote" title="En marge">Cette tentative faite avec des forces insuffisantes
-échoue.</span>
-Le maréchal Saint-Cyr confia donc au comte de Lobau le soin de
-descendre par la rive droite sur Torgau avec 14 mille hommes. Ce
-dernier fit la remarque fort juste que l'entreprise, sûre quinze jours
-auparavant, et avec toutes les forces du corps d'armée, devenait bien
-douteuse dans le moment, et avec la moitié de ce corps seulement. Il
-obéit néanmoins, et il sortit de Dresde le 6 novembre. Il avait avec
-lui un lieutenant du plus grand mérite, le brave et intelligent
-général Bonnet. À quelques lieues de Dresde, sur la rive droite, on
-rencontra les premiers postes ennemis, et on leur passa sur le corps.
-Plus loin on trouva une position bien défendue, qu'on ne pouvait
-emporter sans doute qu'avec une large effusion de sang, mais qui ne
-présentait rien d'insurmontable. D'ailleurs on voyait l'ennemi
-s'affaiblir sur son front, et se renforcer sur ses ailes, pour courir
-sur nos derrières et nous interdire le retour vers Dresde. Ce
-mouvement prouvait clairement que, dans le désir <span class="pagenum"><a id="page668" name="page668"></a>(p. 668)</span> naturel de
-ne pas nous laisser rentrer à Dresde, l'ennemi allait nous ouvrir
-lui-même la route de Torgau. Si toute l'armée eût été réunie, on
-n'aurait pas pu souhaiter mieux que de voir l'ennemi exécuter une
-semblable man&oelig;uvre, puisque la difficulté au lieu d'être derrière
-nous était devant nous. Mais une moitié du corps d'armée étant restée
-à Dresde, ce mouvement devenait très-inquiétant, et on se hâta de
-revenir sur Dresde pour n'être pas séparé de tout ce qui s'y trouvait
-encore.</p>
-
-<p>Le résultat était certes la démonstration la plus évidente de la faute
-commise, faute étrange de la part de l'un des militaires les plus
-distingués de cette grande époque guerrière. Une fois la colonne
-rentrée à Dresde, cette fausse démarche fut tenue pour la condamnation
-formelle de toute entreprise sur Torgau, et comme il n'y en avait pas
-d'autre à proposer, on attendit dans une profonde tristesse que
-l'extrémité de cette situation fût atteinte. Le général Klenau, envoyé
-devant Dresde, avait résolu, quoique très-entreprenant par caractère,
-d'attendre la reddition volontaire des trente mille hommes enfermés
-dans cette place. Huit jours de patience seulement suffisaient pour le
-dispenser de verser des torrents de sang. Il temporisa en effet, et il
-eut bientôt satisfaction.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Le maréchal Saint-Cyr ne sachant plus quel parti prendre,
-se décide à capituler.</span>
-Tout le monde dans l'armée était désolé. Les vivres manquaient,
-l'affreuse contagion étendue de l'Elbe au Rhin sévissait. Les
-habitants soumis, mais désespérés par la longueur de notre séjour,
-nous suppliaient de nous retirer, et, quoique Allemands, ils avaient
-été si peu hostiles, qu'on devait quelque <span class="pagenum"><a id="page669" name="page669"></a>(p. 669)</span> chose à leur
-souffrance. On n'avait plus aucune espérance, pas même celle d'une
-mort glorieuse. On entra donc en négociation, et le 11 on capitula. Il
-n'y avait pas autre chose à faire, car on ne pouvait ni rester, ni
-partir, ni se battre. Il n'y a par conséquent pas à blâmer la
-capitulation, mais la conduite qui l'avait amenée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Conditions de la capitulation.</span>
-Les conditions d'ailleurs étaient telles qu'on pouvait les désirer. La
-garnison devait déposer les armes, rentrer en France par journées
-d'étapes, avec faculté de servir après échange. On avait ainsi
-l'espoir de conserver à la France 30 mille soldats, éprouvés par une
-campagne terrible, et avec eux beaucoup de blessés, de malades qui
-auraient été perdus sans une capitulation. Ceux qui l'avaient signée
-pouvaient se flatter de s'être tirés de cette situation désastreuse
-d'une manière qui n'était très-dommageable ni pour eux ni pour la
-France qu'ils seraient bientôt en mesure de défendre encore. Sans
-doute on était affligé de capituler, mais consolé par l'impossibilité
-de faire autrement, et réjoui par la pensée de revoir la France sous
-quelques jours. On fit les préparatifs de départ, et c'est alors qu'on
-vit quelles forces on aurait réunies vers le bas Elbe si on y avait
-marché, car lorsqu'il fut question de s'en aller il parut trente et
-quelques mille hommes dans les rangs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Violation de la capitulation de Dresde.</span>
-On se mit donc en route avec encore plus d'espérance que de tristesse.
-Mais à peine avait-on quitté Dresde, qu'une affreuse nouvelle vint
-consterner tous les c&oelig;urs. Le général Klenau, avec beaucoup
-d'excuses, fit savoir que l'empereur Alexandre n'admettait <span class="pagenum"><a id="page670" name="page670"></a>(p. 670)</span>
-pas la capitulation, et exigeait que la garnison se constituât
-prisonnière de guerre, sans permission de retourner en France. Cette
-décision fut pour tous un coup de foudre, et un amer sujet de regrets.
-On put apprécier alors quelle faute on avait commise en se mettant à
-la merci d'un ennemi qui, quoique honnête, devenait par passion un
-ennemi sans foi. Le maréchal Saint-Cyr réclama avec hauteur et
-énergie. On lui répondit par une cruelle ironie, en lui disant que
-s'il voulait rentrer dans Dresde et se replacer dans la position où il
-était auparavant, on était prêt à y consentir, comme si, au milieu
-d'habitants tout joyeux d'être délivrés de nous, peu disposés
-certainement à nous recevoir de nouveau, avec des moyens de défense
-détruits ou divulgués, un tel retour était possible. Il fit sentir
-l'indignité d'un tel procédé; on ne lui répliqua que par la même
-proposition dérisoire, et il fallut se soumettre, et aller expier en
-captivité une carrière de vingt ans de gloire.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Indignité de la conduite tenue en cette circonstance par
-les souverains alliés.</span>
-La violation de cette capitulation fut un acte indigne, commis
-cependant par d'honnêtes gens, car l'empereur de Russie, le roi de
-Prusse, l'empereur d'Autriche, étaient d'honnêtes gens, dont
-l'histoire doit flétrir la conduite en cette occasion. Il faut en
-tirer une leçon qui s'adresse surtout aux honnêtes gens eux-mêmes,
-c'est qu'ils doivent se défendre des passions politiques, car elles
-peuvent à leur insu les conduire à des actes abominables. La passion
-qu'on avait conçue contre la France à cette époque, ressemblait aux
-passions politiques qu'éprouvent à l'égard de leurs adversaires les
-partis <span class="pagenum"><a id="page671" name="page671"></a>(p. 671)</span> qui divisent un même pays, et qui se croient tout
-permis les uns contre les autres. Ainsi, après une longue domination,
-nous avions attiré sur nous une guerre étrangère qui avait toute la
-violence de la guerre civile! Triste temps quoique bien grand! Triste
-temps, aussi glorieux que déraisonnable et inhumain!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Sort des autres garnisons.</span>
-L'impulsion n'étant point partie de Dresde, seul point où existât une
-force considérable, un chef de grade élevé, de capacité reconnue, et
-mis par ses instructions antérieures sur la pente de la retraite vers
-le bas Elbe, chacune de nos garnisons devait tristement expirer à sa
-place, et finir misérablement par la faim, le typhus, le feu ou la
-captivité.
-<span class="sidenote" title="En marge">Situation de Torgau, qui renfermait 26 mille hommes.</span>
-Tout près de Dresde, à Torgau, se trouvaient, sous le
-brillant comte de Narbonne, au moins 26 mille hommes, compris le
-quartier général que le général Durrieu y avait conduit. Dans ces 26
-mille hommes, il y avait environ 3,400 Saxons, Hessois,
-Wurtembergeois, qui moururent ou sortirent. Le reste était composé de
-Français dont quelques-uns appartenaient aux troupes spéciales
-attachées aux grands parcs de l'artillerie et du génie. Il y avait
-donc là une force qui, réunie à celle de Dresde, eût tout à coup
-fourni une armée de 45 à 50 mille hommes, capable de culbuter tout ce
-qui se serait présenté entre Torgau et Magdebourg. La place était
-assez forte, située sur la rive gauche, et protégée par un ouvrage
-d'excellente défense, le fort Zinna. Elle contenait des quantités
-immenses de grains, de spiritueux, de viandes salées. Le hasard d'une
-chute de cheval lui avait procuré la <span class="pagenum"><a id="page672" name="page672"></a>(p. 672)</span> plus utile des
-accessions, celle du général Bernard, aide de camp de l'Empereur, et
-l'un des premiers officiers du génie de cette époque. Bientôt remis,
-il s'était joint au comte de Narbonne avec le zèle patriotique dont il
-était animé, et tous deux promettaient de s'illustrer par une longue
-résistance. Profitant des bras nombreux dont ils disposaient, des
-ressources pécuniaires introduites à la suite du quartier général, ils
-avaient fait exécuter de grands travaux, et la place était en mesure
-de se défendre énergiquement.
-<span class="sidenote" title="En marge">Ravages du typhus.</span>
-Mais un ennemi des plus redoutables s'y
-était introduit, c'était le typhus. Il faisait des victimes
-nombreuses, et déjà il avait emporté en septembre 1,200 de nos
-malheureux soldats, et en octobre 4,900. Les assiégeants n'avaient
-donc qu'à laisser agir le fléau, qui suffirait bientôt pour leur
-ouvrir les portes de Torgau. Aussi l'ennemi s'était-il borné jusqu'ici
-à un bombardement qui causait de grands ravages parmi les habitants,
-mais bien peu parmi nos soldats.
-<span class="sidenote" title="En marge">Affreuse situation de la garnison.</span>
-Seulement les bombes étant tombées
-dans le cimetière sur les voitures qui emportaient les morts, et les
-agents des inhumations s'étant enfuis sans vouloir reprendre leurs
-fonctions, les hôpitaux s'étaient remplis de cadavres qu'on ne pouvait
-pas ensevelir, et qui auraient exhalé une affreuse infection s'ils
-n'avaient été changés en blocs de pierre par la gelée. La plus triste
-des circonstances était venue s'ajouter à toutes celles dont nous
-sommes condamné à tracer le lugubre tableau. Le comte de Narbonne
-s'étant fait, en tombant de cheval, une légère contusion à la tête,
-avait vu une blessure insignifiante se convertir en attaque de
-typhus, et <span class="pagenum"><a id="page673" name="page673"></a>(p. 673)</span> il était mort entouré des regrets de la garnison
-et de tous ceux qui l'avaient connu.
-<span class="sidenote" title="En marge">Mort de M. de Narbonne.</span>
-Ainsi avait fini cet homme si
-intéressant, qui joignant à l'esprit de l'aristocratie française du
-dix-huitième siècle les connaissances positives d'un administrateur
-éclairé, la sagacité d'un diplomate, les nobles sentiments d'un grand
-seigneur libéral, s'était, malheureusement pour lui, rattaché à
-l'Empire par admiration pour l'Empereur, lorsqu'il n'y avait qu'à
-assister aux déconvenues de notre diplomatie et aux désastres de nos
-armées. Le général Dutaillis avait remplacé le comte de Narbonne dans
-le commandement de Torgau et s'y comportait vaillamment. Du reste il
-n'avait plus qu'à être témoin de la lente agonie d'une garnison qui
-avait presque égalé une armée.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Vigoureuse défense du général Lapoype à Wittenberg.</span>
-À Wittenberg le général Lapoype, qui avec 3 mille hommes seulement,
-avait pendant la campagne du printemps défendu énergiquement la place
-contre la première apparition des coalisés, s'était, depuis la
-campagne d'automne, emparé de sa petite garnison, et l'avait préparée
-à tenir tête vigoureusement aux assiégeants du corps de Tauenzien. Il
-ne pouvait guère exercer d'influence sur les événements par sa
-persévérance, mais il pouvait s'honorer. Il l'avait fait, et il était
-prêt à le faire encore. Les vivres ne lui manquaient pas. N'ayant
-point, comme la place de Torgau, recueilli les restes des armées
-battues, il comptait peu de malades, mais beaucoup d'étrangers. Il les
-contenait par son énergie, et paraissait disposé à soutenir un long
-siége.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation de Magdebourg.</span>
-Le général Lemarois, aide de camp de l'Empereur, <span class="pagenum"><a id="page674" name="page674"></a>(p. 674)</span> revêtu de
-toute sa confiance et la méritant, avait reçu le gouvernement de
-Magdebourg. Quant à lui, il n'y avait aucune raison qui pût
-l'autoriser à évacuer spontanément une forteresse aussi importante, si
-capable de résistance, commandant le milieu du cours de l'Elbe et le
-centre de l'Allemagne. Il n'aurait pu être entraîné à en sortir que
-par l'intérêt d'une grande concentration dont il n'avait pas à prendre
-l'initiative, et dont personne ne venait malheureusement lui fournir
-l'occasion.
-<span class="sidenote" title="En marge">Force de la place, et moyen qu'elle possède de se soutenir
-longtemps.</span>
-Il était dès lors dispensé de se poser à lui même la grave
-question de l'évacuation, et il s'était tranquillement enfermé dans sa
-forteresse, où avec des vivres considérables, une garnison nombreuse,
-des murailles puissantes, peu de malades, parce qu'il était resté loin
-du carnage pestilentiel de la Saxe, il pouvait tenir tête longtemps
-aux armées de la coalition, et avoir le douloureux honneur de survivre
-à la France elle-même.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Situation de Hambourg.</span>
-À Hambourg se trouvait l'intrépide et imperturbable Davout, que
-Napoléon, par des mécontentements qui se rattachaient à la campagne de
-Russie, et aussi par estime pour son inflexible caractère, avait placé
-dans une position éloignée, au grand détriment des opérations de cette
-guerre, car il s'était privé ainsi du seul de ses généraux auquel,
-depuis la mort de Lannes et la disgrâce de Masséna, il pût confier
-cent mille hommes.
-<span class="sidenote" title="En marge">Préparatifs du maréchal Davout pour s'y défendre contre
-toutes les armées de la coalition.</span>
-Le maréchal, parti de Hambourg avec 32 mille
-soldats pour commencer sur Berlin un mouvement que les batailles de
-Gross-Beeren et de Dennewitz avaient rendu impossible, y était rentré
-en apprenant les malheurs de la Saxe, <span class="pagenum"><a id="page675" name="page675"></a>(p. 675)</span> avait résolu, avec ses
-trente mille hommes, avec dix mille autres laissés dans les ouvrages
-de la place, de soutenir un long siége, qui fût plus qu'un siége, mais
-une vraie campagne défensive, de nature à couvrir la basse Allemagne,
-la Hollande et le Rhin inférieur. Lui aussi, séparé de l'Empereur et
-de la France, impassible au milieu de tous les désastres, les
-prévoyant sans en être ému, se proposait d'être le dernier des grands
-hommes de guerre de ce règne qui remettrait son épée à la coalition!</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Belle défense de Stettin, Custrin et Glogau.</span>
-Sur l'Oder, les places de Stettin, Custrin, Glogau, tenaient encore,
-mais uniquement pour l'honneur des armes. Stettin avait pour
-gouverneur le général Grandeau, remplacé quelque temps par le brave
-général Dufresse, celui qui pendant l'armistice s'était si peu ému des
-coups de fusil tirés sur Bernadotte. Il avait des vivres, 12 mille
-hommes de garnison, dont 3 mille écloppés de Russie, et 9 mille hommes
-valides. Son autorité s'étendait sur Stettin et la place de Damm, qui
-commande de vastes lagunes dépendantes du Grosse-Haff. C'était le
-général Ravier qui défendait Damm, et il le faisait avec la plus
-grande énergie. Outre l'armée prussienne, on avait affaire à toutes
-les flottilles anglaises venues par l'Oder. La vigueur de la défense
-avait été admirable, et on avait réduit les assiégeants à entourer les
-deux places d'une vingtaine de redoutes, dans lesquelles ils
-paraissaient plutôt occupés à se garder contre les assiégés qu'à les
-attaquer. Ils laissaient aux flottilles anglaises le soin de bombarder
-la garnison, qui, ne s'en inquiétant guère, souriait en quelque sorte
-d'un moyen d'attaque funeste seulement <span class="pagenum"><a id="page676" name="page676"></a>(p. 676)</span> aux malheureux
-habitants prussiens. Toutefois, avec cette impassibilité, on pouvait
-bien résister au feu de l'ennemi, mais non pas aux angoisses de la
-faim. Le moment approchant où les vivres allaient manquer (on était
-bloqué depuis près d'un an), le général Grandeau, de l'avis de son
-conseil, était entré en pourparlers avec l'ennemi, afin de n'être pas
-réduit à se rendre à discrétion, s'il traitait quand il n'aurait plus
-un morceau de pain. On lui avait proposé de déclarer sa garnison
-prisonnière de guerre, car la coalition était résolue à ne laisser
-retourner en France aucun des soldats qui pourraient la défendre, et
-ce but, elle le poursuivait, comme on l'a vu, par des blocus
-persévérants contre les garnisons qui résistaient, par des violations
-de foi contre les garnisons qui avaient capitulé. Le général Ravier,
-avec les troupes de Damm et presque toutes celles de Stettin, s'était
-insurgé à la nouvelle des conditions offertes, et refusait d'obéir au
-général Grandeau. Cette vaillante garnison voulait jusqu'au dernier
-moment tenir flottant sur l'Allemagne le drapeau de la France. À la
-fin de novembre rien n'était encore décidé.</p>
-
-<p>À Custrin, le général Fournier d'Albe, ayant à peine un millier de
-Français au milieu de 3 mille Suisses, Wurtembergeois, Croates, qu'il
-maintenait avec une grande énergie, tenait bon contre tous les efforts
-de l'ennemi. Quoique sa garnison souffrît cruellement du scorbut, il
-n'annonçait pas la moindre disposition à se rendre.</p>
-
-<p>À Glogau, le général Laplane, après un premier siége glorieusement
-soutenu au printemps, en soutenait <span class="pagenum"><a id="page677" name="page677"></a>(p. 677)</span> un second avec la même
-énergie. Ayant 8 mille hommes, des vivres, des ouvrages assez bien
-armés, il avait jusqu'ici repoussé toutes les attaques. Mais ces
-braves gens de Stettin, Custrin, Glogau, sans espoir ni de rejoindre
-l'armée française, ni de voir l'armée française venir à eux, se
-défendaient pour soutenir l'honneur du drapeau.
-<span class="sidenote" title="En marge">Mémorable défense de Dantzig.</span>
-Ce qui était vrai
-d'eux, l'était bien plus encore, s'il est possible, de l'immortelle
-garnison de Dantzig, qui, bloquée sans interruption depuis le mois de
-janvier, n'avait reçu qu'une fois des nouvelles de France, et n'avait
-vécu que de son courage et de son industrie. En se retirant dans la
-place en décembre 1812, à la suite de la retraite de Russie, le
-général Rapp, gouverneur et défenseur de Dantzig, s'y était enfermé
-avec environ 36 mille hommes et quelques mille malades. Cette
-garnison, mélange de troupes de toute espèce, en plus grande partie de
-troupes françaises et polonaises, avait rapporté avec elle un autre
-fléau que celui qui dévorait Torgau et Mayence, mais non moins
-funeste, c'était la <em>fièvre de congélation</em>, née du froid, tandis que
-la fièvre d'hôpital était née de l'humidité et du mauvais air. Cette
-fièvre qui avait emporté les généraux Éblé et Lariboisière, avait
-réduit la garnison de près de 4 mille hommes. Néanmoins les troupes
-qui restaient étaient belles, bien commandées, mais insuffisantes pour
-les immenses ouvrages de Dantzig, qui consistaient dans la place
-elle-même, dans un camp retranché, et dans la citadelle de
-Weichselmunde située à l'embouchure de la Vistule. À peine entré dans
-la place, qui n'était pas encore armée, Rapp s'était trouvé d'abord
-dans un <span class="pagenum"><a id="page678" name="page678"></a>(p. 678)</span> extrême embarras. En effet, les eaux de la Vistule
-qui entourent tous les ouvrages de Dantzig et en forment la principale
-défense, étant gelées, on courait le danger de voir les soldats russes
-du corps de Barclay de Tolly passer les fossés et les inondations sur
-la glace, et prendre Dantzig à l'escalade. Il avait donc fallu rompre
-sur cinq lieues de pourtour une glace de deux à trois pieds
-d'épaisseur, hisser l'artillerie sur les remparts, et tenir tête à un
-ennemi hardi, enivré de ses triomphes inespérés, et pressé de
-s'emparer de Dantzig, parce qu'il craignait de revoir Napoléon sur la
-Vistule, autant que Napoléon lui-même l'espérait. La garnison après
-avoir pourvu à tous les travaux préparatoires de la défense, avait
-repoussé l'ennemi au loin, et l'avait culbuté partout où il s'était
-présenté. Puis elle avait songé à se procurer des vivres, par des
-fourrages dans l'île de Nogat. Des grains, des viandes salées, des
-spiritueux, des munitions de guerre, elle en possédait une grande
-quantité, car elle avait hérité des approvisionnements accumulés pour
-la campagne de Russie, et restés en magasin faute de moyens de
-transport. Mais la viande fraîche et les fourrages lui manquaient.
-Elle les avait trouvés dans les îles de la Vistule, grâce à la
-hardiesse de ses excursions. Elle avait ainsi employé le temps de
-l'hiver à se faire redouter, et à désespérer l'ennemi, qui ne se
-flattait plus d'en venir à bout par une attaque en règle.</p>
-
-<p>L'armistice signé, elle n'avait pas reçu plus d'un cinquième des
-vivres qu'on lui aurait dus, mais elle avait recommencé ses
-excursions dans les îles de la <span class="pagenum"><a id="page679" name="page679"></a>(p. 679)</span> Vistule, et mis la dernière
-main aux ouvrages qui n'étaient pas encore achevés. À la reprise des
-hostilités elle était reposée, bien retranchée et résolue. Il restait
-à cette époque environ 25 mille hommes en état de porter les armes, et
-de résister aux fatigues d'un siége.</p>
-
-<p>Les ouvrages extérieurs avaient été vaillamment disputés, et à la fin
-perdus, comme il arrive dans toute place, même la mieux défendue. Mais
-secondé par d'habiles officiers du génie, le général Rapp avait élevé
-quelques redoutes bien situées et bien armées, lesquelles prenant à
-revers les tranchées de l'ennemi, les lui avaient rendues
-inhabitables.</p>
-
-<p>C'est autour de ces redoutes qu'on avait de part et d'autre déployé le
-plus grand courage, soit pour les défendre, soit pour les attaquer.
-L'ennemi désespérant de s'en rendre maître, avait imaginé là comme
-ailleurs de recourir à l'affreux moyen du bombardement. Les munitions
-et les bouches à feu ne manquant pas, grâce à la mer qui permettait
-aux Anglais de les apporter en abondance, on avait dressé contre
-Dantzig la plus formidable artillerie qui eût jamais été dirigée
-contre une place assiégée. De plus une centaine de chaloupes
-canonnières anglaises étaient venues joindre leur feu à celui des
-batteries de terre. Tout le mois d'octobre avait été employé sans
-relâche et sans pitié au plus abominable bombardement qui se fut
-encore vu dans les sanglantes annales du siècle.
-<span class="sidenote" title="En marge">Bombardement de Dantzig, héroïquement supporté.</span>
-Nos soldats habitués
-à des canonnades comme celle de la Moskowa, et méprisant la chance
-presque nulle à leurs yeux d'un éclat de bombe dans une ville
-spacieuse, ne <span class="pagenum"><a id="page680" name="page680"></a>(p. 680)</span> s'inquiétaient pas plus de ce genre d'attaque
-que d'une fusillade hors de portée, et se bornaient à prendre pitié
-des habitants inoffensifs, et beaucoup plus exposés qu'eux à la pluie
-de feu qui tombait sur leur ville. Les assiégeants avaient fait un
-abominable calcul, celui de nous embarrasser beaucoup en mettant le
-feu aux amas de bois que contenait Dantzig. Le 1<sup>er</sup> novembre en
-effet le feu avait pris aux chantiers de Dantzig, et un incendie
-effroyable s'était allumé. Les habitants éperdus s'étaient enfuis ou
-cachés dans leurs caves, n'osant pas aller éteindre l'incendie sous
-les éclats des bombes. Nos soldats l'avaient essayé pour eux, et n'y
-avaient réussi que lorsque déjà ces vastes dépôts de bois étaient aux
-trois quarts consumés. D'immenses tourbillons de flammes ne cessaient
-de s'élever au-dessus de l'infortunée ville de Dantzig, au milieu du
-roulement d'un tonnerre continuel, sans que nos soldats parussent
-disposés à se rendre. Rapp ne cherchant pas à deviner ce que
-deviendrait cette guerre à la suite du désastre de Leipzig, croyant
-qu'il y avait des prodiges dont il ne fallait jamais désespérer avec
-Napoléon, s'en tenait à ses instructions, qui lui enjoignaient de ne
-livrer Dantzig que sur un ordre écrit et signé de la main impériale.
-En conséquence, ayant encore 18 mille hommes pour se défendre,
-quelques b&oelig;ufs de la Nogat pour se nourrir, il laissait tirer les
-Anglais, brûler les bois de Dantzig, et attendait pour se rendre que
-l'ordre de Napoléon arrivât, ou que la France fût détruite, ou que
-l'ennemi fût entré par la brèche. Modlin et Zamosc après avoir fait
-leur devoir <span class="pagenum"><a id="page681" name="page681"></a>(p. 681)</span> avaient capitulé. Les garnisons polonaises
-avaient été conduites en captivité.</p>
-
-<p>Voilà comment sur l'Elbe, l'Oder et la Vistule, vivaient ou mouraient
-les 190 mille soldats laissés si loin du Rhin qu'ils auraient pu
-rendre invincible! Voilà comment s'était terminée cette campagne de
-1813, qui était destinée à réparer les désastres de la campagne de
-1812, et qui les aurait réparés en effet, si Napoléon avait su borner
-ses désirs.</p>
-
-<p><span class="sidenote" title="En marge">Caractères de la campagne de 1813 en Saxe.</span>
-Cette grande et terrible campagne, sans égale jusqu'ici dans
-l'histoire des siècles, par l'immensité de la lutte, par la variété
-des péripéties et des combinaisons, par l'horrible effusion du sang
-humain, est marquée en ce qui concerne Napoléon d'un trait particulier
-et significatif, que nous avons déjà signalé, c'est d'avoir achevé de
-tout perdre, en voulant regagner d'un seul coup tout ce qu'il avait
-perdu. Avec la seule volonté d'arrêter l'ennemi dans son essor
-victorieux, de rétablir le prestige de nos armes, et ce résultat
-obtenu de transiger sur des bases qui laissaient la France encore plus
-grande qu'il ne fallait, Napoléon aurait infailliblement triomphé.
-<span class="sidenote" title="En marge">Causes qui firent échouer toutes les combinaisons de
-Napoléon dans cette campagne.</span>
-Effectivement si après Lutzen et Bautzen, ses armes étant redevenues
-victorieuses par son génie et la bravoure inexpérimentée de ses jeunes
-soldats, il avait poussé les Russes et les Prussiens jusqu'à la
-Vistule, sans accepter l'armistice de Pleiswitz, il les aurait séparés
-des Autrichiens, et très-certainement il eût mis la coalition dans une
-complète déroute. Mais pour le faire impunément, il aurait fallu être
-prêt à donner une réponse satisfaisante à l'Autriche qui le pressait
-de s'expliquer tout de suite <span class="pagenum"><a id="page682" name="page682"></a>(p. 682)</span> sur les conditions de la paix!
-Quelque long qu'ait été ce tragique récit, on se rappelle, hélas! pour
-quel motif Napoléon s'arrêta: ce fut, avons-nous dit, pour préparer
-une armée contre l'Autriche, et être en mesure de ne pas subir ses
-conditions, même les plus modérées. Pour ce triste motif il s'arrêta,
-et il laissa volontairement la Russie et la Prusse à portée de
-l'Autriche, en mesure de lui tendre la main, et de s'unir à elle.</p>
-
-<p>Pendant ce funeste armistice, on a vu encore combien il eût été facile
-à Napoléon, en sacrifiant le duché de Varsovie qui ne pouvait pas
-survivre à la campagne de Russie, en renonçant au protectorat du Rhin
-qui n'était qu'un inutile outrage à l'Allemagne, en restituant enfin
-les villes anséatiques que nous ne pouvions ni défendre ni faire
-servir avantageusement à notre commerce, on a vu combien il lui eût
-été facile de garder le Piémont, la Toscane, Rome en départements
-français, la Westphalie, la Lombardie, Naples, en royaumes vassaux du
-grand empire! Hambourg, possession impossible pour nous, le
-protectorat du Rhin, titre vain s'il en fut, furent les causes d'une
-rupture insensée. Pourtant la résolution de continuer la guerre étant
-prise, c'était le cas de profiter de l'armistice pour retirer de
-Zamosc, de Modlin, de Dantzig, de Stettin, de Custrin, de Glogau, les
-60 mille hommes que nous n'avions plus aucune raison politique ni
-militaire d'y laisser, puisque l'Elbe devenait le siége de nos
-opérations, et leur limite autant que leur appui. Napoléon cette fois
-encore, par le désir et l'espérance d'être reporté par une seule
-victoire sur <span class="pagenum"><a id="page683" name="page683"></a>(p. 683)</span> l'Oder et la Vistule, persista dans ce
-déplorable sacrifice, qui devait en entraîner bien d'autres! Afin de
-pouvoir donner la main à ses garnisons, il étendit le cercle de cette
-guerre concentrique, qui lui avait jadis si bien réussi sur l'Adige en
-la resserrant autour de Vérone, il l'étendit à quarante lieues du côté
-de Goldberg, à cinquante du côté de Berlin, remporta la belle victoire
-de Dresde, mais au moment d'en recueillir le fruit à Kulm, fut rappelé
-par les désastres de ses lieutenants laissés trop loin de lui, voulut
-courir à eux, arriva trop tard, s'épuisa deux mois en courses
-inutiles, vit disparaître le prestige des victoires de Lutzen, de
-Bautzen et de Dresde, n'eut bientôt plus autour de lui que des soldats
-exténués, des généraux déconcertés, des ennemis exaltés par des
-triomphes inattendus, et enfin tandis qu'une simple retraite sur
-Leipzig en y amenant tout ce qui restait sur l'Elbe, l'eût sauvé
-encore une fois, sans éclat mais avec certitude, il essaya, voulant
-toujours rétablir ses affaires par un coup éclatant, il essaya sur
-Düben des man&oelig;uvres savantes, d'une conception admirable, péchant
-malheureusement par les moyens d'exécution qui ne répondaient plus à
-l'audace des entreprises, se trouva comme pris lui-même au piége de
-ses propres combinaisons, et succomba dans les champs de Leipzig,
-après la plus terrible bataille connue, bataille où périrent, chose
-horrible à dire, plus de cent vingt mille hommes, puis rentra sur le
-Rhin avec 40 mille hommes armés, 60 mille désarmés, laissant sur la
-Vistule, l'Oder, l'Elbe, 170 mille Français condamnés à défendre sans
-profit des murailles étrangères, tandis <span class="pagenum"><a id="page684" name="page684"></a>(p. 684)</span> que les murailles de
-leur patrie n'avaient pour les défendre que des bras impuissants de
-jeunesse ou de vieillesse!</p>
-
-<p>Certes, nous le répéterons, Napoléon ne fut, dans ces jours funestes,
-ni moins fécond en vastes combinaisons, ni moins énergique, ni moins
-imperturbable dans le danger, mais il fut toujours l'ambitieux dont
-les insatiables désirs troublaient et pervertissaient l'immense génie.
-En 1812, pour avoir entrepris l'impossible, il essuya un revers
-éclatant. En 1813, pour ne pas se borner à réparer ce revers, mais
-pour vouloir l'effacer en entier et tout d'un coup, il s'en prépara un
-aussi éclatant et plus irréparable, parce que ce dernier emportait
-jusqu'à l'espérance. Ainsi un premier revers pour avoir voulu dépasser
-le terme du possible, un second pour vouloir réparer entièrement le
-premier, tels étaient les échelons successifs par lesquels il
-descendait dans l'abîme! Il ne lui en fallait plus qu'un seul pour
-arriver au fond. Napoléon s'arrêterait-il sur cette pente fatale? Les
-coalisés immobiles depuis qu'ils étaient parvenus au bord du Rhin,
-tremblant à l'idée de franchir cette limite redoutable, étaient
-résolus à lui offrir la France, la vraie France, celle qu'enferment et
-protégent si puissamment le Rhin et les Alpes, celle que la révolution
-lui avait léguée, et dont après Marengo et Hohenlinden il s'était
-contenté. S'en contenterait-il en 1814? Telle était la dernière
-question que le sphinx de la destinée allait proposer à son orgueil.
-Suivant la réponse qu'il ferait, il devait finir sur le plus grand des
-trônes, ou dans le plus profond des abîmes. Oublions un moment cette
-histoire <span class="pagenum"><a id="page685" name="page685"></a>(p. 685)</span> de 1814 et de 1815, que nous connaissons tous, de
-manière à ne pouvoir l'oublier; effaçons de notre mémoire le bruit que
-fit à nos oreilles, jeunes alors, la chute de ce trône glorieux,
-plaçons-nous au mois de décembre 1813, tâchons d'ignorer ce qui se
-passa en 1814, et posons-nous la question qui allait être posée à
-Napoléon. Eh bien, lequel de nous, après avoir lu le récit des
-campagnes de Russie et de Saxe, lequel de nous peut douter de la
-réponse?
-<span class="sidenote" title="En marge">Le caractère des hommes, est la cause principale de leur
-destinée.</span>
-Hélas! les hommes portent dans leur caractère une destinée
-qu'ils cherchent autour d'eux, au-dessus d'eux, partout en un mot,
-excepté en eux-mêmes, où elle réside véritablement, laquelle, suivant
-qu'ils cèdent à leurs passions ou à leur raison, les perd ou les
-sauve, quoi qu'ils puissent faire, quelque génie qu'ils puissent
-déployer! Et lorsqu'ils se sont perdus, ils s'en prennent à leurs
-soldats, à leurs généraux, à leurs alliés, aux hommes, aux dieux, et
-se disent trahis par tous, quand ils l'ont été par eux seuls!</p>
-
-<p class="p2 center">FIN DU LIVRE CINQUANTIÈME<br />
- ET DU TOME SEIZIÈME.</p>
-</div>
-
-
-<div class="chapter">
-<h2><span class="pagenum"><a id="page687" name="page687"></a>(p. 687)</span> TABLE DES MATIÈRES<br />
-CONTENUES<br />
-DANS LE TOME SEIZIÈME.</h2>
-
-<div class="toc">
-<p class="center">LIVRE QUARANTE-NEUVIÈME.</p>
-
-<p class="center">DRESDE ET VITTORIA.</p>
-
-<p>Napoléon se hâte peu d'arriver à Dresde, afin de différer sa rencontre
-avec M. de Bubna. &mdash; Ses dispositions pour le campement, le bien-être et
-la sûreté de ses troupes pendant la durée de l'armistice. &mdash; Son retour
-à Dresde et son établissement dans le palais Marcolini. &mdash; À peine
-est-il arrivé que M. de Bubna présente une note pour déclarer que la
-médiation de l'Autriche étant acceptée par les puissances
-belligérantes, la France est priée de nommer ses plénipotentiaires, et
-de faire connaître ses intentions. &mdash; En réponse à cette note, Napoléon
-élève des difficultés de forme sur l'acceptation de la médiation, et
-évite de s'expliquer sur le désir exprimé par M. de Metternich de
-venir à Dresde. &mdash; Conduite du cabinet autrichien en recevant cette
-réponse. &mdash; M. de Metternich se rend auprès des souverains alliés pour
-convenir avec eux de tout ce qui est relatif à la médiation. &mdash; Il
-obtient l'acceptation formelle de cette médiation, et repart après
-avoir acquis la connaissance précise des intentions des alliés. &mdash; Comme
-l'avait prévu M. de Metternich, Napoléon en apprenant cette entrevue,
-veut le voir, et l'invite à se rendre à Dresde. &mdash; Arrivée de M. de
-Metternich dans cette ville le 25 juin. &mdash; Discussions préalables avec
-M. de Bassano sur la médiation, sur sa forme, sa durée, et la manière
-de la concilier avec le traité d'alliance. &mdash; Entrevue avec
-Napoléon. &mdash; Entretien orageux et célèbre. &mdash; Napoléon, regrettant les
-emportements imprudents auxquels il s'est livré, charge M. de Bassano
-de reprendre l'entretien avec M. de Metternich. &mdash; Nouvelle entrevue
-dans laquelle Napoléon, déployant autant de souplesse qu'il avait
-d'abord montré de violence, consent à la médiation, mais en arrachant
-à M. de Metternich une prolongation d'armistice jusqu'au 17 août,
-seule chose à laquelle il tînt, dans l'intérêt de ses préparatifs
-militaires. &mdash; Acceptation <span class="pagenum"><a id="page688" name="page688"></a>(p. 688)</span> formelle de la médiation
-autrichienne, et assignation du 5 juillet pour la réunion des
-plénipotentiaires à Prague. &mdash; Retour de M. de Metternich à Gitschin
-auprès de l'empereur François. &mdash; La nécessité de s'entendre avec la
-Prusse et la Russie sur la prolongation de l'armistice et sur l'envoi
-des plénipotentiaires à Prague entraîne un nouveau délai, d'abord
-jusqu'au 8, puis jusqu'au 12 juillet. &mdash; Napoléon, auquel ces délais
-convenaient, s'en réjouit en affectant de s'en plaindre, et en fait
-naître de nouveaux en partant lui-même pour Magdebourg. &mdash; Son départ le
-10 juillet. &mdash; Il apprend en route les événements d'Espagne. &mdash; Ce qui
-s'était passé dans ce pays depuis que les Anglais avaient été expulsés
-de la Castille, et que les armées du centre, d'Andalousie et de
-Portugal avaient été réunies. &mdash; Projets de lord Wellington pour la
-campagne de 1813. &mdash; Il se propose de marcher sur la Vieille-Castille
-avec 70 mille Anglo-Portugais et 20 mille Espagnols. &mdash; Projets des
-Français. &mdash; Possibilité en opérant bien de tenir tête aux Anglais, et
-de les rejeter même en Portugal. &mdash; Nouveaux conflits entre l'autorité
-de Paris et celle de Madrid, et fâcheuses instructions qui en sont la
-suite. &mdash; Il résulte de ces instructions et de la lenteur de Joseph à
-évacuer Madrid une nouvelle dispersion des forces françaises. &mdash; Reprise
-des opérations en mai 1813. &mdash; Quatre divisions de l'armée de Portugal
-ayant été envoyées au général Clausel dans le nord de la Péninsule,
-Joseph, qui aurait pu réunir 76 mille hommes contre lord Wellington,
-n'en a que 52 mille à lui opposer. &mdash; Retraite sur Valladolid et
-Burgos. &mdash; Le manque de vivres précipite notre marche rétrograde. &mdash; Deux
-opinions dans l'armée, l'une consistant à se retirer sur la Navarre
-afin d'être plus sûr de rejoindre le général Clausel, l'autre
-consistant à se tenir toujours sur la grande route de Bayonne afin de
-couvrir la frontière de France. &mdash; Les ordres réitérés de Paris font
-incliner Joseph et Jourdan vers cette dernière opinion. &mdash; Nombreux avis
-expédiés au général Clausel pour l'engager à se réunir à l'armée entre
-Burgos et Vittoria. &mdash; Retraite sur Miranda del Ebro et sur
-Vittoria. &mdash; Espérance d'y rallier le général Clausel. &mdash; Malheureuse
-inaction de Joseph et de Jourdan dans les journées du 19 et du 20
-juin. &mdash; Funeste bataille de Vittoria le 21 juin, et ruine complète des
-affaires des Français en Espagne. &mdash; À qui peut-on imputer ces
-déplorables événements? &mdash; Irritation violente de Napoléon contre son
-frère Joseph, et ordre de le faire arrêter s'il vient à Paris. &mdash; Envoi
-du maréchal Soult à Bayonne pour rallier l'armée, et reprendre
-l'offensive. &mdash; Retour de Napoléon à Dresde, après une excursion de
-quelques jours à Torgau, à Wittenberg, à Magdebourg et à
-Leipzig. &mdash; Suite des négociations de Prague. &mdash; MM. de Humboldt et
-d'Anstett nommés représentants de la Prusse et de la Russie au congrès
-de Prague. &mdash; Ces négociateurs, rendus le 11 juillet à Prague, se
-plaignent amèrement de n'y pas voir arriver les plénipotentiaires
-français au jour convenu. &mdash; Chagrin et doléances de M. de
-Metternich. &mdash; Napoléon, revenu le 15 à Dresde, après avoir différé sous
-divers prétextes la nomination des plénipotentiaires français, désigne
-enfin MM. de Narbonne et de Caulaincourt. &mdash; Une fausse interprétation
-<span class="pagenum"><a id="page689" name="page689"></a>(p. 689)</span> donnée à la convention qui prolonge l'armistice lui fournit
-un nouveau prétexte pour ajourner le départ de M. de
-Caulaincourt. &mdash; Son espérance en gagnant du temps est de faire remettre
-au 1<sup>er</sup> septembre la reprise des hostilités. &mdash; Redoublement de
-plaintes de la part des plénipotentiaires, et déclaration de M. de
-Metternich qu'on n'accordera pas un jour de plus au delà du 10 août
-pour la dénonciation de l'armistice, et du 17 pour la reprise des
-hostilités. &mdash; La difficulté soulevée au sujet de l'armistice étant
-levée, Napoléon expédie M. de Caulaincourt avec des instructions qui
-soulèvent des questions de forme presque insolubles. &mdash; Pendant ce temps
-il quitte Dresde le 25 juillet pour aller voir l'Impératrice à
-Mayence. &mdash; Finances et police de l'Empire durant la guerre de Saxe;
-affaires des séminaires de Tournay et de Gand, et du jury
-d'Anvers. &mdash; Retour de Napoléon à Dresde le 4 août, après avoir passé la
-revue des nouveaux corps qui se rendent en Saxe. &mdash; Vaines difficultés
-de forme au moyen desquelles on a même empêché la constitution du
-congrès de Prague. &mdash; M. de Metternich déclare une dernière fois que si
-le 10 août à minuit les bases de paix n'ont pas été posées,
-l'armistice sera dénoncé, et l'Autriche se réunira à la
-coalition. &mdash; Pensée véritable de Napoléon dans ce moment décisif. &mdash; Ne
-se flattant plus d'empêcher la Russie et la Prusse de reprendre les
-hostilités le 17 août, il voudrait, en ouvrant une négociation
-sérieuse avec l'Autriche, différer l'entrée en action de celle-ci. &mdash; Il
-entame effectivement avec l'Autriche une négociation secrète qui doit
-être conduite par M. de Caulaincourt et ignorée de M. de
-Narbonne. &mdash; Ouverture de M. de Caulaincourt à M. de Metternich le 6
-août, quatre jours avant l'expiration de l'armistice. &mdash; Surprise de M.
-de Metternich. &mdash; Sa réponse sous quarante-huit heures, et déclaration
-authentique des intentions de l'Autriche, donnée au nom de l'empereur
-François. &mdash; Avantages tout à fait inespérés offerts à Napoléon. &mdash; Nobles
-efforts de M. de Caulaincourt pour décider Napoléon à accepter la paix
-qu'on lui offre. &mdash; Contre-proposition de celui-ci, envoyée seulement le
-10, et jugée inacceptable par l'Autriche. &mdash; Le 10 août s'étant passé
-sans l'adoption des bases proposées, l'Autriche déclare le congrès de
-Prague dissous avant qu'il ait été ouvert, et proclame son adhésion à
-la coalition. &mdash; Napoléon, éprouvant un moment de regret, ordonne, mais
-inutilement, à M. de Caulaincourt de prolonger son séjour à
-Prague. &mdash; L'empereur de Russie ayant précédé le roi de Prusse en
-Bohême, et ayant conféré avec l'empereur François, déclare, au nom des
-souverains alliés, les dernières propositions de Napoléon
-inacceptables. &mdash; Retour et noble affliction de M. de
-Caulaincourt. &mdash; Départ de Napoléon de Dresde le 16 août. &mdash; Sa confiance
-et ses projets. &mdash; Profondeur de ses conceptions pour la seconde partie
-de la campagne de 1813. &mdash; Il prend le cours de l'Elbe pour ligne de
-défense, et se propose de man&oelig;uvrer concentriquement autour de
-Dresde, afin de battre successivement toutes les masses ennemies qui
-voudront l'attaquer de front, de flanc ou par derrière. &mdash; Projets de la
-coalition et forces immenses mises en présence dans cette guerre
-gigantesque. &mdash; L'armée de Silésie, commandée par Blucher, étant la
-première <span class="pagenum"><a id="page690" name="page690"></a>(p. 690)</span> en mouvement, Napoléon marche à elle pour la rejeter
-sur la Katzbach. &mdash; Combats des 20, 21 et 22 août, à la suite desquels
-Blucher est obligé de se replier derrière la Katzbach. &mdash; Napoléon
-apprend le 22 au soir l'apparition de la grande armée des coalisés sur
-les derrières de Dresde. &mdash; Son retour précipité sur Dresde. &mdash; Il
-s'arrête à Stolpen, et forme le projet de déboucher par K&oelig;nigstein,
-afin de prendre l'armée coalisée à revers, et de la jeter dans
-l'Elbe. &mdash; Les terreurs des habitants de Dresde et les hésitations du
-maréchal Saint-Cyr en cette circonstance détournent Napoléon de la
-plus belle et de la plus féconde de ses conceptions. &mdash; Son retour à
-Dresde le 26, et inutile attaque de cette ville par les
-coalisés. &mdash; Célèbre bataille de Dresde livrée le 27 août. &mdash; Défaite
-complète de l'armée coalisée et mort de Moreau. &mdash; Position du général
-Vandamme à Péterswalde sur les derrières des alliés. &mdash; Nouveau et vaste
-projet sur Berlin qui détourne Napoléon des opérations autour de
-Dresde. &mdash; Désastre du général Vandamme à Kulm amené par le plus
-singulier concours de circonstances. &mdash; Conséquences de ce
-désastre. &mdash; Retour de confiance chez les coalisés et aggravation de la
-situation de Napoléon, dont les dernières victoires se trouvent
-annulées. &mdash; Sa situation au 30 août 1813.
-<span class="ralign"><a href="#page1">1 à 362</a></span></p>
-
-
-<p class="p2 center">LIVRE CINQUANTIÈME.</p>
-
-<p class="center">LEIPZIG ET HANAU.</p>
-
-<p>Événements accomplis en Silésie et dans les environs de Berlin pendant
-les opérations des armées belligérantes autour de Dresde. &mdash; Forces et
-instructions laissées au maréchal Macdonald lorsque Napoléon était
-revenu du Bober sur l'Elbe. &mdash; Pressé d'exécuter ses instructions et
-craignant de perdre les avantages de l'offensive, ce maréchal avait
-mis ses trois corps en mouvement le 26 août. &mdash; Le général Blucher
-s'était jeté sur la division Charpentier et la cavalerie Sébastiani,
-et les avait culbutées du plateau de Janowitz. &mdash; Cet accident avait
-entraîné la retraite de toute l'armée, qu'une pluie torrentielle de
-plusieurs jours avait rendue presque désastreuse. &mdash; Prise et
-destruction de la division Puthod. &mdash; Le maréchal Macdonald réduit de 70
-mille hommes à 50 mille. &mdash; Son mouvement rétrograde sur le
-Bober. &mdash; Événements du côté de Berlin. &mdash; Marche du maréchal Oudinot à la
-tête des 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. &mdash; Composition et force de ces
-corps. &mdash; Armée du prince royal de Suède. &mdash; Arrivée devant
-Trebbin. &mdash; Premières positions de l'ennemi enlevées dans les journées
-des 21 et 22 août. &mdash; Isolement des trois corps français dans la journée
-du 23, et combat malheureux du 7<sup>e</sup> corps à Gross-Beeren. &mdash; Retraite du
-maréchal Oudinot sur Wittenberg. &mdash; Beaucoup de soldats se débandent,
-surtout parmi les alliés. &mdash; C'est la connaissance de ces graves échecs
-qui le 28 août avait ramené Napoléon de Pirna sur Dresde, et avait
-détourné son attention de Kulm. &mdash; Ne sachant pas encore ce qui était
-arrivé à Vandamme, il avait <span class="pagenum"><a id="page691" name="page691"></a>(p. 691)</span> formé le projet de déplacer le
-théâtre de la guerre et de la transporter dans le nord de
-l'Allemagne. &mdash; Vastes conséquences qu'aurait pu avoir ce projet. &mdash; À la
-nouvelle du désastre de Kulm, Napoléon, obligé de restreindre ses
-vues, réorganise le corps de Vandamme, en confie le commandement au
-comte de Lobau, envoie le maréchal Ney pour remplacer le maréchal
-Oudinot dans le commandement des trois corps retirés sur Wittenberg,
-et se propose de s'établir avec ses réserves à Hoyerswerda, afin de
-pousser d'un côté le maréchal Ney sur Berlin, et de prendre de l'autre
-une position menaçante sur le flanc du général Blucher. &mdash; Départ de la
-garde pour Hoyerswerda. &mdash; Nouvelles inquiétantes de Macdonald, qui
-détournent encore Napoléon de l'exécution de son dernier projet, et
-l'obligent à se porter tout de suite sur Bautzen. &mdash; Arrivée de Napoléon
-à Bautzen le 4 septembre. &mdash; Prompte retraite de Blucher dans les
-journées des 4 et 5 septembre. &mdash; À peine Napoléon a-t-il rétabli le
-maréchal Macdonald sur la Neisse, qu'une seconde apparition de l'armée
-de Bohême sur la chaussée de Péterswalde le ramène à Dresde. &mdash; Son
-entrevue aux avant-postes avec le maréchal Saint-Cyr dans la journée
-du 7. &mdash; Projet pour le lendemain 8 septembre. &mdash; Dans cet intervalle,
-Napoléon apprend un nouveau malheur arrivé sur la route de Berlin. &mdash; Le
-maréchal Ney ayant reçu l'ordre de se porter sur Baruth, avait fait
-dans la journée du 5 septembre un mouvement de flanc devant l'ennemi,
-avec les 4<sup>e</sup>, 12<sup>e</sup> et 7<sup>e</sup> corps. &mdash; Ce mouvement, qui avait réussi le 5,
-ne réussit pas le 6, et amène la malheureuse bataille de
-Dennewitz. &mdash; Retraite le 7 septembre sur Torgau. &mdash; Débandade d'une
-partie des Saxons. &mdash; Napoléon reçoit cette nouvelle avec calme, mais
-commence à concevoir des inquiétudes sur sa situation. &mdash; Avis indirect,
-donné par l'intermédiaire de M. de Bassano, au ministre de la guerre
-pour l'armement et l'approvisionnement des places du
-Rhin. &mdash; Conformément au plan convenu le 7 avec le maréchal Saint-Cyr,
-Napoléon, dans la journée du 8, pousse vivement les Prussiens et les
-Russes, afin de les rejeter en Bohême. &mdash; Sur l'avis du maréchal
-Saint-Cyr, on suit le 9 et le 10 la vieille route de Bohême, celle de
-Furstenwalde, par laquelle on a l'espérance de tourner
-l'ennemi. &mdash; L'impossibilité de faire passer l'artillerie par le
-Geyersberg empêche d'achever le mouvement projeté. &mdash; Ignorant qu'en ce
-moment les Autrichiens sont séparés des Prussiens et des Russes, et
-pressé de réparer les échecs de ses lieutenants, Napoléon s'arrête et
-revient à Dresde. &mdash; Évidence du plan des coalisés, consistant à courir
-sur les armées françaises dès que Napoléon s'en éloigne, et à se
-retirer dès qu'il arrive, à fatiguer ainsi ses troupes, pour
-l'envelopper ensuite, et l'accabler lorsqu'on le jugera suffisamment
-affaibli. &mdash; Déplorable réalisation de ces vues. &mdash; Les forces de Napoléon
-réduites de 360 mille hommes de troupes actives sur l'Elbe à 250
-mille. &mdash; En considération de cet état de choses, Napoléon resserre le
-cercle de ses opérations, ramène Macdonald avec les 8<sup>e</sup>, 5<sup>e</sup>, 11<sup>e</sup>,
-3<sup>e</sup> corps près de Dresde, établit le comte de Lobau et le maréchal
-Saint-Cyr au camp de Pirna, derrière de bons ouvrages de campagne,
-afin que l'ennemi ne puisse plus se faire un jeu de ses apparitions
-sur la route de <span class="pagenum"><a id="page692" name="page692"></a>(p. 692)</span> Péterswalde, envoie un fort détachement de
-cavalerie sur ses derrières pour disperser les troupes de partisans,
-réorganise le corps de Ney sur l'Elbe, place le maréchal Marmont et
-Murat à Grossenhayn pour protéger l'arrivée de ses approvisionnements,
-et se concentre à Dresde avec toute la garde, de manière à ne plus
-être mis en mouvement par de vaines démonstrations de
-l'ennemi. &mdash; Troisième apparition des Prussiens et des Russes sur
-Péterswalde. &mdash; Les ouvrages ordonnés entre Pirna, Gieshübel et Dohna,
-n'étant pas achevés, Napoléon est obligé d'accourir encore une fois
-sur la route de Péterswalde pour rejeter l'ennemi en Bohême. &mdash; Prompte
-retraite des coalisés. &mdash; Retour de Napoléon à Pirna, et ses soins pour
-bien asseoir sa position, afin de ne plus s'épuiser en courses
-inutiles. &mdash; Sa résolution de s'établir sur l'Elbe, de Dresde à
-Hambourg, pour la durée de l'hiver. &mdash; Projets de l'ennemi. &mdash; Napoléon
-étant partout resserré sur l'Elbe, et la saison avançant, les
-souverains coalisés songent à mener la guerre à fin par une tentative
-décisive sur les derrières de notre position. &mdash; Blucher fait prévaloir
-l'idée d'employer en Bohême la réserve du général Benningsen, et,
-après avoir ainsi renforcé la grande armée des alliés, de la faire
-descendre sur Leipzig, tandis qu'il ira lui-même joindre Bernadotte,
-passer l'Elbe avec lui aux environs de Wittenberg, et remonter sur
-Leipzig avec les armées du Nord et de Silésie. &mdash; Premiers mouvements en
-exécution de ce dessein. &mdash; Napoléon découvre sur-le-champ l'intention
-de ses adversaires, et fait repasser toutes ses troupes sur la gauche
-de l'Elbe. &mdash; Il ne laisse sur la droite de ce fleuve que Macdonald avec
-le 11<sup>e</sup> corps; il achemine Marmont et Souham, l'un par Leipzig,
-l'autre par Meissen, sur le bas Elbe, afin d'appuyer Ney; il envoie
-Lauriston et Poniatowski sur la route de Prague à Leipzig pour
-soutenir Victor contre l'armée de Bohême. &mdash; Attente de quelques jours
-pour laisser dessiner plus clairement les projets de
-l'ennemi. &mdash; Blucher s'étant dérobé pour se joindre à Bernadotte et
-passer l'Elbe à Wartenbourg, Napoléon quitte Dresde le 7 octobre avec
-la garde et Macdonald, et descend sur Wittenberg dans le dessein de
-battre Blucher et Bernadotte d'abord, et puis de se reporter sur la
-grande armée de Bohême. &mdash; Belle et profonde conception de Napoléon
-tendant à refouler Blucher et Bernadotte sur Berlin, et à surprendre
-ensuite Schwarzenberg en remontant la rive droite de l'Elbe pour
-repasser ce fleuve à Torgau ou à Dresde. &mdash; Mouvement prononcé de
-Blucher et de Bernadotte sur Leipzig, qui change tous les projets de
-Napoléon. &mdash; Celui-ci voyant les coalisés près de se réunir tous sur
-Leipzig, se hâte d'y arriver le premier pour s'interposer entre eux,
-et empêcher leur jonction. &mdash; Retour de la grande armée française sur
-Leipzig. &mdash; Terrible bataille, la plus grande du siècle et probablement
-des siècles, livrée pendant trois jours sous les murs de
-Leipzig. &mdash; Retraite de Napoléon sur Lutzen. &mdash; Explosion du pont de
-Leipzig, qui amène la destruction ou la captivité d'une partie de
-l'armée française. &mdash; Mort de Poniatowski. &mdash; Marche sur
-Erfurt. &mdash; Défection de la Bavière et arrivée de l'armée
-austro-bavaroise dans les environs de Hanau. &mdash; Mouvement accéléré de
-l'armée française <span class="pagenum"><a id="page693" name="page693"></a>(p. 693)</span> et bataille de Hanau. &mdash; Humiliation de
-l'armée austro-bavaroise. &mdash; Rentrée des Français sur le Rhin. &mdash; Leur
-état déplorable en arrivant à Mayence. &mdash; Opérations du maréchal
-Saint-Cyr sur l'Elbe. &mdash; Triste capitulation de Dresde. &mdash; Situation,
-forces, conduite héroïque, et malheurs des garnisons françaises,
-inutilement laissées sur la Vistule, l'Oder et l'Elbe. &mdash; Caractère de
-la campagne de 1813. &mdash; Effrayants présages qu'on en peut tirer.
-<span class="ralign"><a href="#page363">363 à 685</a></span></p>
-
-<p class="p2 center">FIN DE LA TABLE DU SEIZIÈME VOLUME.</p>
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-<div class="chapter">
-<h2>Notes</h2>
-
-<p><a id="footnote1" name="footnote1"></a>
-<b><a href="#footnotetag1">1</a></b>: Cette célèbre entrevue est de toutes celles où Napoléon a
-figuré personnellement, la plus difficile à reproduire, faute de
-documents suffisants. Pour les autres entretiens de Napoléon rapportés
-précédemment dans cette histoire, il existait des documents nombreux,
-soit dans nos archives diplomatiques, soit dans les archives
-diplomatiques étrangères; pour celui dont il s'agit ici au contraire,
-Napoléon n'ayant rien adressé à ses agents extérieurs, on manque de
-l'un des moyens d'information les plus certains. Il se contenta d'en
-parler à M. de Bassano, qui plus tard fut l'auteur des diverses
-versions publiées par des écrivains avec lesquels il était lié. Cet
-entretien mémorable serait donc à peu près perdu, si M. de Metternich
-n'en avait écrit lui-même, avec le plus grand détail, et en temps
-utile, toutes les particularités. Ayant obtenu de son obligeance la
-communication de ce récit, qui m'a paru trop sévère pour Napoléon,
-mais généralement exact, j'ai conservé dans ce qu'on vient de lire
-tout ce qui m'a semblé incontestable, d'après la connaissance que
-j'avais des négociations du moment, et d'après les autres récits
-publiés par les écrivains auxquels M. de Bassano avait communiqué ses
-souvenirs. Je n'ai, comme dans toutes les occasions semblables,
-conservé que ce que j'ai considéré comme à l'abri de toute
-contestation. Ce qui est incontestable me paraissait d'ailleurs
-suffisant pour donner de cette scène historique une idée qui fût à la
-fois exacte et complète.</p>
-
-<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a>
-<b><a href="#footnotetag2">2</a></b>: Nous nous permettons d'indiquer ces mesures comme celles
-qu'on aurait dû prendre, parce qu'on a généralement reproché depuis à
-Joseph et au maréchal Jourdan de ne les avoir pas prises, et que le
-simple bon sens suffit d'ailleurs pour en apprécier la convenance et
-la nécessité.</p>
-
-<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a>
-<b><a href="#footnotetag3">3</a></b>: Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprimés récemment
-avec ceux du roi Joseph, on trouve des chiffres un peu différents,
-mais le maréchal, quoique toujours extrêmement véridique, a trop
-réduit les forces des Français pour atténuer la défaite de la bataille
-de Vittoria. Après des calculs qu'il serait trop long de reproduire,
-nous sommes arrivé à croire plus exacts, du moins plus rapprochés de
-la vérité, les chiffres que nous présentons ici. Du reste la
-différence n'est que de 4 à 5 mille hommes. Nous devons ajouter que le
-maréchal Jourdan a tout à fait raison contre les chiffres allégués par
-le ministre de la guerre, lesquels sont entièrement faux.</p>
-
-<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a>
-<b><a href="#footnotetag4">4</a></b>: Pour quiconque aurait de la peine à croire qu'on ait
-cherché à rendre aussi illusoires que nous le disons les négociations
-de Prague, nous donnerons l'extrait suivant d'une lettre de M. de
-Bassano à l'Empereur, datée de Dresde, 1<sup>er</sup> août 1813, à quatre
-heures du matin.</p>
-
-<p>«Je transmets à Votre Majesté les dépêches de ses plénipotentiaires.</p>
-
-<p>»J'ai cru devoir leur répondre sans attendre les ordres de Votre
-Majesté. Nous sommes au 1<sup>er</sup> août; ma lettre ne partira que ce
-matin, les plénipotentiaires ne la recevront que demain, et il se sera
-écoulé assez de temps pour que, conformément aux instructions que
-Votre Majesté m'a laissées, on arrive au 10 août sans s'être trop
-engagé. Il m'a d'autant moins paru dans l'intention de Votre Majesté
-de porter trop loin les discussions de forme <cite>qui mettraient à
-découvert le projet de gagner du temps</cite>, que nous parviendrons tout
-naturellement au moment du retour de Votre Majesté à Dresde sans que
-la négociation ait fait des progrès réels, et qu'aucune question ait
-été compromise. À peine celle de l'approvisionnement des places
-aura-t-elle été entamée.</p>
-
-<p>»Des trois difficultés qui se sont élevées, celles relatives à
-l'échange des pouvoirs et au lieu des conférences se résoudront
-d'elles-mêmes.</p>
-
-<p>»Quant au mode à adopter (à partir de ce mot la minute est écrite de
-la main du duc de Bassano) pour négocier, j'ai cru que nous ne
-pouvions différer pendant plusieurs jours de répondre, sans prendre
-sur nous ces retards, tandis que de fait, et si M. de Metternich
-insiste sur une proposition qui attente à tous les droits et à tous
-les usages, les entraves apportées à la négociation ne pourront être
-imputées qu'à lui.</p>
-
-<p>»Quoique les déclarations qu'il a faites à MM. de Vicence et de
-Narbonne et à M. d'André n'aient peut-être pour objet que de rendre
-plus imposante son attitude de médiateur, il pourrait entrer dans les
-vues de Votre Majesté de donner dès le moment de son arrivée ici une
-tournure assez grave aux négociations pour qu'on n'osât pas les
-rompre. Dans cette supposition, j'ai pensé qu'il conviendrait à Votre
-Majesté de trouver les discussions préliminaires à peu près
-terminées.»</p>
-
-<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a>
-<b><a href="#footnotetag5">5</a></b>: L'archichancelier Cambacérès, confident et directeur de
-l'Impératrice régente, déclare dans ses Mémoires aussi simples que
-véridiques, qu'il ne put parvenir à en rien savoir.</p>
-
-<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a>
-<b><a href="#footnotetag6">6</a></b>: Voici de singulières paroles écrites par M. de Bassano à
-M. de Vicence, et qui prouvent ce que nous avançons ici. «L'Empereur
-part demain et ira coucher à Bautzen... Nous sommes ici dans l'attente
-et dans la meilleure espérance des événements. Toute l'armée est en
-mouvement. La confiance est partout. Le roi de Saxe et la famille
-royale ne quittent pas Dresde..... Sa Majesté ne veut pas de
-prolongation d'armistice, elle est prête à la guerre. Elle l'est plus
-que l'Autriche. Elle n'a pas de motifs d'attendre pour ses
-subsistances, et elle ne veut pas perdre un temps précieux et se
-laisser engager dans l'hiver... (Dans ce moment en effet Napoléon
-avait renoncé à une prolongation d'armistice, et ne voulait que
-différer l'entrée en action de l'Autriche.).... M. de Bubna, qui sera
-arrivé longtemps avant le courrier porteur de cette dépêche, connaît
-notre position. <cite>La secrète joie qu'éprouve Sa Majesté de se trouver
-dans une circonstance difficile, mais digne de son génie, n'a point
-échappé à M. de Bubna...</cite> Sa Majesté, qui se fie à la Providence,
-entrevoit les grands desseins qu'elle a fondés sur elle. Ses plans
-sont arrêtés, et elle ne voit partout que des motifs de confiance.»
-(Dépêche de M. de Bassano à M. le duc de Vicence en lui envoyant ses
-pleins pouvoirs, à la date du 13 août 1813.)</p>
-
-<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a>
-<b><a href="#footnotetag7">7</a></b>: Cette grave délibération de Napoléon avec lui-même se
-trouve constatée par de longues notes qu'il a écrites sur son plan de
-campagne, et dans lesquelles il a donné tous les motifs de ses
-diverses résolutions, bien avant le résultat qui justifia les unes et
-condamna les autres. Il n'y a donc pas ici une idée qui lui soit
-faussement, ou même conjecturalement prêtée, puisque les intentions
-que nous lui attribuons sont toutes formellement constatées par
-écrit.</p>
-
-<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a>
-<b><a href="#footnotetag8">8</a></b>: Ce n'est point sur des conjectures ni sur les
-interprétations des amis du général Moreau, mais d'après les lettres
-de ce général, trouvées depuis sa mort, que j'écris ces pages. La
-faute du général Moreau fut assez grave pour qu'on ne l'exagère point,
-et on doit à ses grands services d'autrefois, à son ancien
-désintéressement, à sa gloire, de réduire à ce qu'il fut
-véritablement, l'acte coupable qui a terni une des plus belles vies
-des temps modernes. Les lettres que j'ai dans les mains, écrites avec
-la plus parfaite simplicité, établissent ce que j'avance d'une manière
-incontestable.</p>
-
-<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a>
-<b><a href="#footnotetag9">9</a></b>: Le maréchal Saint-Cyr, avec son esprit ordinairement peu
-indulgent, et le désir de justifier son rôle pendant la campagne de
-1813, a inexactement représenté les événements de cette année dans ses
-Mémoires d'ailleurs si remarquables. Il a voulu prouver partout que
-Napoléon n'avait aucun plan, qu'il n'avait pourvu à rien, et qu'il
-n'existait nulle part des forces suffisantes. Ainsi il suppose que sa
-seconde division était au plus de 5 mille hommes, ce qui aurait fait
-15 mille hommes pour les trois divisions chargées de la défense de
-Dresde. Ces assertions sont inexactes, car les divisions du maréchal
-étaient de douze bataillons, et en supposant que les bataillons qui ne
-s'étaient pas encore battus comptassent 500 hommes seulement, les
-douze bataillons auraient présenté 6 mille hommes. Or, la 42<sup>e</sup>
-(première du corps de Saint-Cyr), sous le général Mouton-Duvernet, se
-trouva le 29 au matin à Kulm avec plus de 8 mille hommes en bataille,
-ce qui résulte d'un appel fait le jour même, et fourni par le général
-Haxo dans son rapport circonstancié sur l'affaire de Kulm. Il n'est
-donc pas admissible que les autres ne comptassent que 5 mille hommes.
-Leur en attribuer 7 mille, surtout au début des opérations, ce qui
-suppose à peu près 600 hommes par bataillon, n'est certainement pas
-une exagération. Le maréchal Saint-Cyr aurait donc possédé, seulement
-en infanterie de son corps, 21 ou 22 mille hommes à Dresde, sans
-compter la division laissée à K&oelig;nigstein.</p>
-
-<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a>
-<b><a href="#footnotetag10">10</a></b>: Ces événements ont été jusqu'ici ou incomplétement ou
-inexactement rapportés, et avec une flatterie ou un dénigrement
-posthumes pour Napoléon, qui ont défiguré la vérité. Sa grande
-conception, celle de déboucher par K&oelig;nigstein, n'a jamais été bien
-précisée, faute de connaître sa correspondance. C'est sur cette
-correspondance, sur la lecture attentive des ordres et des réponses,
-qu'est établi le récit qu'on va lire, et on peut compter sur sa
-parfaite exactitude.</p>
-
-<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a>
-<b><a href="#footnotetag11">11</a></b>: Le maréchal Saint-Cyr, avec sa sévérité accoutumée, a,
-dans ses Mémoires, représenté Napoléon comme n'ayant aucun plan pour
-le lendemain, tandis qu'il existe une suite de lettres (ignorées
-évidemment du maréchal), datées du 26 août à 7 heures du soir, au
-moment où finissait la première bataille, et dans lesquelles tous les
-ordres pour le lendemain sont donnés avec la plus rare précision et la
-plus parfaite prévoyance du résultat. Il ne faut donc jamais prononcer
-sur ces grands événements qu'après avoir vu les documents eux-mêmes,
-et non pas quelques-uns, mais tous s'il est possible. Sans cela on ne
-porte que des jugements erronés, si bon juge qu'on soit, et si près
-des événements qu'on ait pu être.</p>
-
-<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a>
-<b><a href="#footnotetag12">12</a></b>: Les flatteurs de la mémoire de Napoléon, ignorant, parce
-que sa correspondance leur est restée inconnue, les vrais motifs de
-son subit retour à Dresde, et ne voulant pas non plus admettre qu'il
-pût commettre une faute, ont attribué ce retour à une indisposition
-subite. Les ordres nombreux donnés dans cette même journée du 28, et
-dans celle du 29, prouvent que cette indisposition n'empêcha pas
-Napoléon de vaquer à ses affaires, et des témoins oculaires, le
-maréchal Marmont notamment, affirment qu'il n'était point malade. Nous
-en rapportant plus volontiers aux documents authentiques qu'aux récits
-presque toujours contradictoires des témoins oculaires, nous croyons
-avoir acquis la preuve par les lettres mêmes de Napoléon, que cette
-prétendue indisposition ne l'empêcha nullement de faire ce qu'il
-devait, et nous nous sommes convaincu que le vrai motif de son retour
-à Dresde, lequel devint si fatal deux jours après, ne fut autre que
-les dépêches reçues des environs de Berlin et de Lowenberg. Les ordres
-du 29 et du 30 ne laissent à cet égard aucun doute. Plus loin nous
-démontrerons encore par l'exposé simple des faits que sur cette
-importante époque on n'a publié que des erreurs, ce qui a rendu
-jusqu'ici la catastrophe du général Vandamme tout à fait inexplicable.
-Nous espérons qu'après le récit qui va suivre elle sera parfaitement
-claire, et que ce grand malheur sera rapporté à sa vraie cause,
-laquelle fut moins accidentelle et plus générale qu'on ne le suppose
-communément.</p>
-
-<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a>
-<b><a href="#footnotetag13">13</a></b>: Nous citons l'ordre lui-même qui éclaircit complétement
-l'intention de l'Empereur.</p>
-
-<p class="date">«À une lieue de Pirna, le 28 août 1813, à quatre heures après midi.</p>
-
-<p>»M. le général Vandamme, l'Empereur ordonne que vous vous dirigiez sur
-Péterswalde avec tout votre corps d'armée, la division Corbineau, la
-42<sup>e</sup> division, enfin avec la brigade du 2<sup>e</sup> corps que commande le
-général prince de Reuss: ce qui vous fera 18 bataillons
-d'augmentation. Pirna sera gardée par les troupes du duc de Trévise,
-qui arrive ce soir à Pirna. Le maréchal a aussi l'ordre de relever vos
-postes du camp de Lilienstein. Le général Baltus avec votre batterie
-de 12 et votre parc, arrive ce soir à Pirna, envoyez-le chercher.
-L'Empereur désire que vous réunissiez toutes les forces qu'il met à
-votre disposition, et qu'avec elles vous pénétriez en Bohême et
-culbutiez le prince de Wurtemberg s'il voulait s'y opposer. L'ennemi
-que nous avons battu paraît se diriger sur Annaberg. <cite>S. M. pense que
-vous pourriez arriver avant lui sur la communication de Tetschen,
-Aussig et T&oelig;plitz, et par là prendre ses équipages, ses ambulances,
-ses bagages, et enfin tout ce qui marche derrière une armée.</cite>
-L'Empereur ordonne qu'on lève le pont de bateaux devant Pirna, afin de
-pouvoir en jeter un à Tetschen.»</p>
-
-<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a>
-<b><a href="#footnotetag14">14</a></b>: Quand il voulait se rendre bien compte de ses idées,
-Napoléon les mettait sur le papier, sachant, comme tous les hommes qui
-ont beaucoup pensé, que rédiger ses idées c'est les approfondir
-davantage. Il avait donc dicté son projet dans une note admirable,
-intitulée: <cite>Note sur la situation générale de mes affaires le 30
-août</cite>, assez semblable à celles qu'il écrivit à Moscou en octobre
-1812, et révélant sa pensée tout entière au moment où Vandamme était à
-Kulm. On voit dans cette note la vraie cause de la négligence qui
-amena le malheur de Vandamme, surtout en la rapprochant des ordres
-donnés le même jour à Murat et à Mortier, et on sent combien est
-ridicule la fable de cette indisposition que certains narrateurs ont
-inventée, et qu'ont accueillie avec empressement ceux qui ont le goût
-de croire qu'en histoire les plus grands événements viennent des plus
-petites causes, goût singulier et qui atteste une médiocre portée
-d'esprit. Tant pis, en effet, pour ceux qui croient plus volontiers
-aux petites causes qu'aux grandes!</p>
-
-<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a>
-<b><a href="#footnotetag15">15</a></b>: L'historien russe Danilewski a voulu attribuer à
-l'empereur Alexandre l'honneur d'une combinaison profonde, consistant
-à faire descendre Kleist sur les derrières de Vandamme; mais M. de
-Wolzogen, dans ses Mémoires aussi instructifs que spirituels, a
-complétement démenti cette assertion, et il était mieux que personne
-autorisé à le faire, puisqu'il était présent lorsque l'ordre que nous
-mentionnons fut donné à M. de Sch&oelig;ler. Cet ordre se trouve donc
-réduit aux proportions et au sens que nous lui prêtons ici.</p>
-
-<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a>
-<b><a href="#footnotetag16">16</a></b>: Quoique je n'aie pas le goût d'adopter les jugements
-malveillants que les contemporains portent les uns sur les autres, et
-que je me défie en particulier de ceux du duc de Raguse, ordinairement
-légers et rigoureux, il est impossible, quand on a bien étudié les
-faits, lu les ordres et les correspondances, de ne pas reconnaître que
-le jugement qu'il exprime en cette occasion sur la conduite du
-maréchal Saint-Cyr est à peu près juste. C'est avec grand chagrin
-qu'on trouve en faute un homme aussi distingué que le maréchal
-Saint-Cyr, mais on doit la vérité à tout le monde, et il faut savoir
-se résigner à la dire sur ce maréchal, lorsque dans cette histoire il
-faut la dire sur des hommes tels que Moreau, Masséna et Napoléon.</p>
-
-<p>Le maréchal Marmont n'est pas le seul à juger comme il l'a fait la
-conduite du maréchal Saint-Cyr en cette circonstance. Dans une
-relation encore manuscrite, digne de celle qu'il a écrite sur 1812, M.
-le général de Fezensac a porté en termes très-modérés, mais
-très-positifs, le même jugement que le maréchal Marmont sur le rôle
-qu'ont joué les divers acteurs de l'événement de Kulm. Effectivement
-les faits sont tellement frappants, qu'il est impossible de les
-interpréter de deux manières. Le général Vandamme ne périt pas pour
-être allé trop loin, car, ainsi que nous l'avons dit, il avait ordre
-d'aller à T&oelig;plitz, et il s'arrêta à Kulm. À Kulm, avec 52
-bataillons, il était invincible, et il le serait resté si trente mille
-Prussiens n'étaient tombés sur ses derrières. Qui était chargé de
-suivre ces Prussiens? Non pas Mortier, qui était à gauche à Pirna, et
-avait ordre d'y rester; non pas Marmont, qui était à droite sur la
-route d'Altenberg, et avait ordre de s'y tenir; mais le maréchal
-Saint-Cyr, qui était entre deux, avec mission de poursuivre l'ennemi
-sans relâche et dans toutes les directions, comme le lui prescrivaient
-les instructions réitérées de Napoléon. Or, le 28 il s'arrêta à Maxen,
-ce qui à la rigueur pouvait se concevoir. Mais le 29 il employa la
-journée à faire une lieue et demie, et envoya chercher l'ordre de
-savoir s'il suivrait Marmont qu'il venait de rencontrer sur sa droite.
-En admettant qu'il eût besoin de cet éclaircissement, le premier
-devoir était en attendant de ne pas perdre la piste de l'ennemi, et de
-ne pas lui laisser la liberté dont il usa si fatalement pour accabler
-Vandamme. Le lendemain, quand l'ordre, dicté par le plus simple bon
-sens, de tâcher de se lier à Vandamme plutôt que de suivre Marmont,
-quand cet ordre arrivait il n'était plus temps, et Vandamme était
-détruit. Le maréchal Saint-Cyr, sans la mauvaise volonté dont on l'a
-accusé à d'autres époques envers ses voisins, fut par la seule
-suspension de sa marche le 29, l'auteur involontaire assurément, mais
-bien visible, du désastre de Vandamme. Même en faisant demander un
-éclaircissement à l'état-major général, il aurait dû ne pas s'arrêter,
-et il devait bien, avec son rare esprit et sa grande expérience, se
-dire que pendant qu'il envoyait chercher un ordre l'ennemi se
-sauverait; et encore si l'ennemi n'avait fait que se sauver, ce n'eût
-été qu'un faible mal, mais en se sauvant il détruisit Vandamme et le
-destin de la campagne. C'est avec un grand regret qu'on trouve en
-faute un aussi noble personnage historique que le maréchal Saint-Cyr,
-mais l'histoire ne doit être une flatterie ni pour les vivants ni pour
-les morts. Elle n'est tenue que d'être vraie, de l'être sans
-malveillance comme sans faiblesse.</p>
-
-<p>Nous plaçons ici quelques lettres extraites de la correspondance de
-Napoléon et du major général Berthier.</p>
-
-<p class="center"><i>L'Empereur au major général.</i></p>
-
-<p class="date">«Dresde, le 27 août 1813, à sept heures et demie du soir.</p>
-
-<p>»..... Envoyez reconnaître positivement la situation du maréchal
-Saint-Cyr. Témoignez-lui mon mécontentement de ce que je n'ai pas eu
-de ses nouvelles pendant toute la matinée: il aurait dû m'envoyer un
-officier toutes les heures pour me rendre compte de ce qui se
-passait.»</p>
-
-<p class="p2 center"><i>Au major général.</i></p>
-
-<p class="date">«Devant Dresde, le 28 août 1813.</p>
-
-<p>»Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il se mettra
-sur la hauteur, et suivra la retraite sur les hauteurs en passant
-entre Dohna et la plaine. Le duc de Trévise suivra sur la grande
-route. Aussitôt que la jonction sera faite avec le général Vandamme,
-le maréchal Saint-Cyr continuera sa route pour se porter avec son
-corps et celui du général Vandamme sur Gieshübel, le duc de Trévise
-prendra position sur Pirna. Du reste, je m'y rendrai moi-même aussitôt
-que je saurai que le mouvement est commencé.»</p>
-
-<p class="p2 center"><i>Au major général.</i></p>
-
-<p class="date">«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures et demie du matin.</p>
-
-<p>»Donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein et de
-tomber sur les flancs et les derrières de l'ennemi, et de réunir à cet
-effet sa cavalerie, son infanterie et son artillerie.--<cite>Donnez ordre
-au duc de Raguse de suivre l'ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes
-les directions qu'il aurait prises.--Donnez ordre au maréchal
-Saint-Cyr de suivre l'ennemi sur Maxen et dans toutes les directions
-qu'il aurait prises.</cite>--Instruisez ces trois généraux de la position
-des deux autres, afin qu'ils sachent qu'ils se soutiennent
-réciproquement.»</p>
-
-<p class="p2 center"><i>Au roi de Naples.</i></p>
-
-<p class="date">«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures après midi.</p>
-
-<p>»Aujourd'hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme a attaqué
-le prince de Wurtemberg près de Hollendorf; il lui a fait 1500
-prisonniers, pris quatre pièces de canon, et l'a mené battant;
-c'étaient <em>tous Russes</em>. Le général Vandamme marchait sur T&oelig;plitz
-avec tout son corps. Le général prince de Reuss, qui commandait une de
-nos brigades, a été tué.--Je vous écris cela pour votre gouverne.--Le
-général Vandamme me mande que l'épouvante est dans toute l'armée
-russe.»</p>
-
-<p class="p2 center"><i>Le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr.</i></p>
-
-<p class="date">«Dresde, le 30 août 1813.</p>
-
-<p>»<span class="smcap">Monsieur le maréchal</span>,</p>
-
-<p>»Je reçois votre lettre datée de Reinhards-Grimme, par laquelle vous
-me faites connaître que vous vous trouvez derrière le 6<sup>e</sup> corps.
-L'intention de Sa Majesté est que, dans cet état de choses, vous
-appuyiez le 6<sup>e</sup> corps; mais il serait préférable que vous pussiez
-trouver un chemin sur la gauche, entre le duc de Raguse et le corps du
-général Vandamme, qui a obtenu de grands succès sur l'ennemi et lui a
-fait 2 mille prisonniers.»</p>
-
-<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a>
-<b><a href="#footnotetag17">17</a></b>: La note où ce plan est exposé et discuté, les ordres en
-conséquence de la note, existent à la secrétairerie d'État, et c'est
-d'après ces documents irréfragables que nous écrivons ce récit.</p>
-
-<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a>
-<b><a href="#footnotetag18">18</a></b>: On a prêté sur cette époque à Napoléon, faute de
-connaître sa correspondance et celle de ses lieutenants, les projets
-les plus chimériques et les moins raisonnables. Mais grâce à la
-possession et à l'étude approfondie de cette correspondance, nous ne
-lui attribuons aucun projet, aucun calcul, qui ne soient certains et
-constatés par preuves authentiques.</p>
-
-<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a>
-<b><a href="#footnotetag19">19</a></b>: Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr, outre
-beaucoup d'esprit, une grande indépendance de caractère, nous
-regrettons seulement qu'elle ait été gâtée par un penchant excessif à
-la contradiction, qui lui a fait commettre plus d'une faute dans sa
-carrière d'ailleurs si glorieuse. Mais nous allons citer une étrange
-preuve de ce penchant, à l'occasion même des journées dont on vient de
-lire le récit. Certes il est difficile de voir des journées sinon plus
-heureusement employées, du moins plus activement, car Napoléon partit
-le 3 au soir de Dresde, dormit trois ou quatre heures à Harta, arriva
-le 4 au matin à Bautzen, y passa la journée du 4 pour assister à la
-poursuite de l'ennemi, poussa pendant la journée du 5 jusqu'à Gorlitz
-pour s'assurer de ses propres yeux si les Prussiens voulaient tenir,
-revint le soir même à Bautzen sur le bruit d'une nouvelle apparition
-de l'armée de Bohême, y arriva à deux heures du matin le 6, expédia le
-6 tous ses ordres, vint le même jour coucher à Dresde où il fut rendu
-dans la nuit, et le 7 au matin se transporta auprès du maréchal
-Saint-Cyr pour avoir la conférence que nous venons de rapporter.
-Marchant pendant les nuits, passant les journées ou à cheval ou dans
-son cabinet pour donner des directions à une multitude de corps dont
-il recevait à chaque instant des nouvelles, Napoléon déployait dans
-ces circonstances l'activité d'un jeune homme. Voici pourtant les
-propres paroles du maréchal Saint-Cyr dans ses Mémoires, tome IV, page
-136... «Il lui restait (après la retraite de Blucher) la faculté de
-marcher sur Schwarzenberg, qui s'avançait par la rive droite sur
-Rumburg, et de la marche duquel je présume qu'il était instruit, comme
-il le fut par le 14<sup>e</sup> corps dans les journées du 3, du 4, de celle de
-l'armée russe. Néanmoins, après la retraite de Blucher, il resta le 5,
-le 6 et le 7 dans une indécision complète; le 7, il fit écrire par le
-major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr une espèce de lettre de
-reproches...» Sans chercher dans cette dernière phrase le secret du
-jugement porté par le maréchal Saint-Cyr, on peut voir par l'exposé
-que nous avons fait à quel point est fondée l'assertion de ce
-maréchal. Napoléon marcha le 5 sur Blucher, revint le 6 rappelé par le
-maréchal Saint-Cyr lui-même, n'employa que quelques heures à s'assurer
-si cet appel était fondé, heures qu'il ne perdit pas puisqu'il ne
-cessa de donner des ordres, et consacra le 7 à se transporter auprès
-du maréchal. Il ne perdit donc pas les 5, 6 et 7 en irrésolutions. La
-supposition que Napoléon devait être instruit du prétendu mouvement de
-l'armée autrichienne sur Rumburg, c'est-à-dire sur la rive droite de
-l'Elbe, est tout aussi fausse, car d'une part l'armée autrichienne
-n'exécuta point le mouvement dont il s'agit, et ne revint pas en
-arrière au delà de Tetschen, d'autre part Napoléon aurait pu ne pas
-connaître ce mouvement si en effet il avait eu lieu, car le rideau des
-montagnes et la mauvaise volonté des Allemands nous condamnaient à
-tout ignorer, à ce point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr
-étant réunis à Mugeln en arrière de Pirna, ne savaient pas s'ils
-avaient devant eux les Autrichiens, les Russes et les Prussiens, ou
-seulement les Russes et les Prussiens. Tout est donc inexact,
-jugements et assertions, dans le passage que nous venons de citer, et
-nous faisons cette remarque non point en flatteur de Napoléon, rôle
-que nous laissons à d'autres, ni en détracteur du maréchal Saint-Cyr,
-dont au contraire nous aimons fort l'esprit et l'indépendance, mais en
-historien préoccupé des difficultés de l'histoire. Certes, il semble
-qu'un témoin de ce mérite, placé si près des événements, ayant passé à
-côté de Napoléon une partie des journées pendant lesquelles il prétend
-que Napoléon ne fit rien, aurait dû savoir la vérité, et pourtant on
-voit comment, pour n'avoir pas lu ce que Napoléon écrivit pendant ces
-journées, il a été exposé à prononcer de faux jugements. C'est une
-nouvelle preuve qu'il ne faut pas se hasarder à juger les hommes qui
-ont figuré dans les grands événements sans avoir connu leurs ordres,
-leurs correspondances surtout qui contiennent leurs vrais motifs. Et
-quand on voit un personnage comme le maréchal Saint-Cyr, qui avait
-commandé des armées, qui savait par expérience quelles sottes
-déterminations les gens mal informés prêtent souvent à ceux qui
-commandent, quand un tel personnage commet de telles erreurs, on se
-dit qu'il ne faut prononcer que sur pièces authentiques, et après
-avoir vu et compulsé toutes celles qui existent, et qu'on peut se
-procurer. Quant à nous, c'est ce que nous avons fait avec une
-attention scrupuleuse, ne nous permettant d'affirmer que sur données
-certaines, contrôlées les unes par les autres, ne cherchant à exalter
-ou dénigrer ni ceux-ci ni ceux-là, n'étant ni le flatteur ni le
-détracteur de Napoléon, devenu pour nous un personnage purement idéal,
-ne cherchant que la vérité, la cherchant avec passion, et la disant au
-profit de Napoléon quand elle lui est favorable, à son détriment quand
-elle le condamne. Le vrai, voilà le but, le devoir, le bonheur même
-d'un historien véritable. Quand on sait apprécier la vérité, quand on
-sait combien elle est belle, commode même, car seule elle explique
-tout, quand on le sait, on ne veut, on ne cherche, on n'aime, on ne
-présente qu'elle, ou du moins ce qu'on prend pour elle.</p>
-
-<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a>
-<b><a href="#footnotetag20">20</a></b>: Voici cette lettre curieuse, qui peint la situation
-mieux que tout ce qu'on pourrait dire:</p>
-
-<p class="center"><i>Le prince de la Moskowa au major général.</i></p>
-
-<p class="date">«Wurtzen, 10 septembre 1813.</p>
-
-<p>»C'est un devoir pour moi de déclarer à V. A. S. qu'il est impossible
-de tirer un bon parti des 4<sup>e</sup>, 7<sup>e</sup> et 12<sup>e</sup> corps d'armée dans l'état
-actuel de leur organisation. Ces corps sont réunis par le droit, mais
-ils ne le sont pas par le fait: chacun des généraux en chef fait à peu
-près ce qu'il juge convenable pour sa propre sûreté; les choses en
-sont au point qu'il m'est très-difficile d'obtenir une situation. Le
-moral des généraux et en général des officiers est singulièrement
-ébranlé: commander ainsi n'est commander qu'à demi, et j'aimerais
-mieux être grenadier. Je vous prie, monseigneur, d'obtenir de
-l'Empereur ou que je sois seul général en chef, ayant seulement sous
-mes ordres des généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille
-bien me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de parler
-de mon dévouement, je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire
-que ce soit utilement.--Dans l'état actuel, la présence de l'Empereur
-pourrait seule rétablir l'ensemble, parce que toutes les volontés
-cèdent à son génie, et que les petites vanités disparaissent devant la
-majesté du trône.</p>
-
-<p>»V. A. S. doit être aussi instruite que les troupes étrangères de
-toutes nations manifestent le plus mauvais esprit, et qu'il est
-douteux si la cavalerie que j'ai avec moi n'est pas plus nuisible
-qu'utile.»</p>
-
-<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a>
-<b><a href="#footnotetag21">21</a></b>: Ici encore, toujours appliqué que nous sommes à
-rechercher la vérité rigoureuse, nous relèverons un passage des
-Mémoires du maréchal Saint-Cyr, qui, retraçant à sa manière les faits
-que nous venons de rapporter (tome IV de ses Mémoires, page 157 et
-suivantes), raconte avec étonnement et humeur le brusque changement de
-détermination de Napoléon, déplore de n'avoir plus retrouvé en lui ce
-jour-là le grand homme que le Saint-Bernard n'avait pu jadis ni
-intimider ni arrêter. S'il était vrai, ce qui n'est pas, que dans ces
-dernières campagnes on eût à regretter le grand homme de Rivoli et de
-Marengo, ce ne serait pas cette fois. D'abord il y a des faits que le
-maréchal Saint-Cyr a exagérés, il y en a d'autres qu'il a ignorés. Il
-prétend que le passage du Geyersberg était facile à rendre praticable;
-or, une lettre de Napoléon à M. de Bassano, laquelle, par un hasard
-heureux pour l'histoire, rend compte de cette circonstance, dit
-positivement qu'il avait été impossible de frayer la route, et certes
-Napoléon y avait un tel intérêt, et il en avait de plus un tel désir,
-que si on l'avait pu (bien entendu dans le nombre d'heures nécessaire)
-il n'aurait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encore
-beaucoup sur la faute de n'avoir pas profité de l'absence des
-Autrichiens pour accabler Kleist et Wittgenstein: or, cette absence
-par lui soupçonnée, mais tout à fait inconnue alors, et peu
-présumable, n'est devenue une certitude que depuis beaucoup de
-publications historiques, et le jugement du maréchal n'est plus dès
-lors qu'un jugement porté après coup, et reposant sur des données qui
-sont inexactes en se référant aux circonstances du moment. Enfin le
-maréchal ignorait tout ce que Napoléon venait d'apprendre, et ne lui
-avait pas dit, de la situation de Macdonald, de celle de Ney, et de
-l'apparition des partisans en Saxe, apparition inquiétante et qui
-pouvait être interprétée de bien des manières. Le maréchal a donc
-porté un jugement erroné, faute de connaître tous les faits ou de
-vouloir les interpréter équitablement, et cette divergence d'opinion,
-entre deux hommes présents à la même heure sur les mêmes lieux, tous
-deux fort compétents, est une nouvelle preuve de la difficulté de bien
-juger les événements de cette nature, par conséquent d'écrire
-l'histoire en toute vérité.</p>
-
-<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a>
-<b><a href="#footnotetag22">22</a></b>: M. de Muffling, dans ses intéressants Mémoires,
-s'applaudit fort de cette feinte, et croit que c'est avec l'heureuse
-idée de cette lettre qu'on endormit la vigilance de Napoléon. Il est
-dans l'erreur, et la correspondance militaire prouve que si Napoléon
-fut trompé, dans la mesure d'ailleurs très-restreinte où il le fut,
-c'est par la présence des trois corps de l'armée de Silésie, qui le 22
-et le 23 n'avaient pas quitté encore leur position. C'est une nouvelle
-preuve de ce qu'il y a de hasards à la guerre, puisqu'un acte de haute
-prévoyance de la part de Napoléon amena, comme on le verra bientôt, le
-résultat qu'aurait pu avoir l'imprévoyance elle-même. Ce n'est pas un
-motif d'estimer et de pratiquer moins la vigilance, mais c'en est un,
-tout en redoublant de soins et de zèle, de se dire qu'il y a toujours
-une Providence supérieure qui déjoue parfois les calculs les plus
-profonds, et de chercher même dans des raisons plus hautes, dans la
-justice ou l'injustice de la cause qu'on défend, le secret de
-l'insuccès du génie, à l'instant même où il déploie ses plus grandes
-facultés.</p>
-
-<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a>
-<b><a href="#footnotetag23">23</a></b>: Dans un atlas dressé pour l'intelligence de ses
-campagnes, et accompagné de légendes historiques détaillées, le prince
-de Suède a dit que le 7 octobre il avait provoqué une entrevue avec le
-général Blucher, et qu'au premier aspect de la distribution des corps
-sur la carte il avait aperçu le danger que courait le général Blucher,
-et qu'il lui avait donné le conseil de passer la Mulde pour se joindre
-à lui, conseil qui avait sauvé la coalition. Depuis cette publication,
-M. de Muffling, dans d'intéressants mémoires, empreints d'un caractère
-véridique quoique respirant les passions du temps, a fourni le moyen
-de compléter et de rectifier les assertions du prince de Suède. Dans
-l'entrevue du 7 on ignorait le départ de Napoléon qui ne quitta Dresde
-que le 7, et par conséquent le danger de Blucher. Ce jour-là, 7
-octobre, il ne fut question que de se porter sur Leipzig. C'est
-seulement le 9 qu'on sut l'arrivée de Napoléon avec ses réserves, et
-le 9 Blucher envoya un officier de confiance pour se concerter avec le
-prince de Suède. Cet officier trouva le prince fort ému de l'approche
-de Napoléon, et voulant repasser l'Elbe immédiatement si l'armée de
-Silésie ne venait pas le rejoindre derrière la Mulde, pour aller
-ensuite s'abriter derrière la Saale. Blucher y consentit, car il ne
-pouvait pas y avoir deux avis à cet égard, même pour un sous-officier
-de quelque bon sens, et il se mit en marche sur-le-champ afin de
-franchir la Mulde. Il n'y eut donc lieu à aucune contestation, ni à
-aucun avis capable de sauver la coalition. Les jours suivants, à la
-vérité, il y eut des divergences, et il ressort du récit de M. de
-Muffling, que les avis décisifs pour le triomphe de la coalition ne
-furent point suggérés par le prince de Suède, et qu'il fallut au
-contraire pour les lui faire adopter de grands efforts de la part du
-général Blucher et du ministre d'Angleterre.</p>
-
-<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a>
-<b><a href="#footnotetag24">24</a></b>: On a beaucoup parlé de ce projet sans le connaître, et
-on l'a rendu presque ridicule par toutes les suppositions
-très-hasardées qu'on a faites, faute de savoir la vraie pensée de
-Napoléon. Nous pouvons, grâce à sa correspondance, mise en rapport
-avec la correspondance des généraux sous ses ordres, rétablir sa
-pensée véritable, jour par jour, heure par heure, et on verra qu'à la
-veille du plus grand des malheurs, nous ajouterons du plus motivé par
-ses fautes politiques, son génie militaire se déploya avec autant de
-force et de grandeur que jamais.</p>
-
-<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a>
-<b><a href="#footnotetag25">25</a></b>: Les tristes flatteurs qui pendant son règne ont
-contribué à perdre Napoléon, et qui depuis sa chute ont plus d'une
-fois compromis sa mémoire, ont attribué à la défection de la Bavière
-tous les désastres qui ont signalé la fin de la campagne de 1813.
-C'est parce que Napoléon est revenu sur Leipzig, disent-ils, au lieu
-de descendre sur Magdebourg et Hambourg, pour prendre position sur le
-bas Elbe, qu'il a succombé. Ils prouvent en disant cela qu'ils n'ont
-ni connu la partie la plus importante des documents de cette époque,
-ni même interprété selon leur vrai sens ceux de ces documents qu'ils
-avaient sous les yeux. Ce n'est pas à cause de la défection de la
-Bavière que Napoléon est revenu de Düben sur Leipzig, car c'eût été un
-bien faible motif pour un capitaine tel que lui. Il est revenu, comme
-nous l'avons raconté, pour rester toujours interposé entre l'armée de
-Bohême et les armées de Silésie et du Nord, et il ne le pouvait qu'en
-se portant sur Leipzig avant que Blucher eût le temps d'y arriver. Il
-y a, indépendamment de ces raisons qui sont de simple bon sens, des
-raisons de fait invincibles dans les lettres mêmes de Napoléon. C'est
-le 12 au matin qu'il changea de détermination et renonça au mouvement
-sur Berlin pour le mouvement sur Leipzig; or, le 13 il ne connaissait
-pas encore la défection de la Bavière, car racontant à M. de Bassano,
-qui était à Eilenbourg, l'arrestation du secrétaire de M. Pozzo di
-Borgo, et sa conversation avec ce secrétaire, il dit que les coalisés
-comptaient beaucoup sur la Bavière, sans être certains cependant
-d'avoir terminé avec elle. Le 13 Napoléon ne savait donc pas encore ce
-qui en était de la Bavière, et c'est le 12 que ses ordres de marcher
-sur Leipzig avaient été donnés. Enfin il est constaté par la
-correspondance diplomatique de M. Mercy d'Argenteau que ce ministre ne
-connut que le 9 octobre le traité signé à Munich le 8, que ses
-dépêches annonçant cette nouvelle furent interceptées et ne parvinrent
-point à Napoléon. Dans l'état des communications, ces dépêches
-obligées d'aller jusqu'à Francfort ou Mayence pour prendre la route de
-la grande armée, ne seraient certainement pas arrivées avant le 12 à
-Düben, quand même elles n'auraient pas été interceptées. Voilà des
-faits positifs et incontestables. Le 14 on n'avait à Leipzig que des
-bruits vagues, venant des coalisés qui savaient ce qui s'était passé
-entre eux et la Bavière, et qui l'ébruitaient par la joie qu'ils en
-éprouvaient. Napoléon n'avait donc pu se porter sur Leipzig à cause de
-la défection de la Bavière, puisqu'il l'ignorait. On s'est fondé pour
-répandre cette fausseté sur une assertion du <cite>Moniteur</cite> de cette
-époque, qui prétend que la défection de la Bavière avait contraint
-Napoléon de revenir sur Leipzig. On vient de voir par les preuves
-matérielles que nous avons rapportées, que l'assertion est
-radicalement fausse. Mais voici le motif de Napoléon pour dissimuler
-la vérité en cette circonstance. Cherchant pour le public une
-explication palpable de la man&oelig;uvre qui l'avait ramené sur Leipzig,
-et dont le résultat avait été si désastreux, il imagina cette raison
-de la défection de la Bavière, qui était frappante pour les ignorants,
-et qui lui servait à masquer ce qu'on pouvait croire une faute, comme
-pour 1812 il avait imaginé de dire que le froid était cause de nos
-malheurs, et pour Kulm que Vandamme avait manqué à ses instructions.
-Mais Napoléon, en se justifiant ainsi devant les ignorants, se
-calomniait devant les gens instruits. Si en effet il eût été certain
-que la route de Mayence allait se fermer par la défection de la
-Bavière, c'eût été une raison de plus de descendre sur Magdebourg et
-Hambourg, au lieu de remonter sur Leipzig, puisqu'il se serait assuré
-ainsi la route bien meilleure et encore libre de Wesel. Mais Napoléon
-désespérant de faire comprendre à la masse du public comment il avait
-été forcé à la suite des plus savantes man&oelig;uvres de revenir sur
-Leipzig, adopta une assertion spécieuse, facile à saisir par tout le
-monde, et la donna dans les nouvelles officielles, aux dépens de la
-vérité et de sa propre gloire. Heureusement la vérité triomphe
-toujours avec le temps, car il y a tôt ou tard des gens qui l'aiment
-et savent la trouver, et tantôt elle condamne, tantôt même elle
-justifie ceux qui ont eu la maladresse de la cacher. Souvent en effet
-elle vaut mieux pour eux que les mensonges qu'ils ont inventés pour
-se justifier.</p>
-
-<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a>
-<b><a href="#footnotetag26">26</a></b>: Je n'ai pas besoin de répéter, après l'avoir dit tant de
-fois, que je ne rapporte les entretiens de Napoléon que lorsque j'ai
-la preuve authentique de leur parfaite exactitude, et je ne reproduis
-celui-ci que parce qu'il me semble avoir une singulière signification
-à la veille de la bataille de Leipzig. Il prouve que déjà une
-tristesse confuse se faisait jour dans l'âme de Napoléon. Cet
-entretien eut un témoin, M. Jouanne, l'un des secrétaires de confiance
-de Napoléon, homme respectable et digne de toute créance, qui se
-trouvant là pour écrire divers ordres sous la dictée de Napoléon,
-entendit l'entretien que nous venons de rapporter et en consigna
-sur-le-champ le souvenir par écrit. C'est sur ce document conservé par
-M. Jouanne que j'ai retracé cette conversation, en résumant les
-choses, et en leur donnant seulement la forme du style historique, qui
-n'admet pas toutes les familiarités du langage, et qui n'a pas besoin
-pour être vrai de rapporter jusqu'à des locutions soldatesques, que
-les mémoires particuliers peuvent seuls se permettre de reproduire.</p>
-
-<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a>
-<b><a href="#footnotetag27">27</a></b>: Quelques écrivains qui admettraient que nos généraux ont
-été lâches ou traîtres, et que nos soldats se sont mal conduits,
-plutôt que d'attribuer une faute à Napoléon, s'en sont pris à tout le
-monde, sauf à lui, du résultat de cette journée du 16. D'abord, à les
-entendre, Murat à Leipzig trahissait déjà, et c'est par ce motif qu'il
-exécuta mal la grande charge de cavalerie ordonnée par Napoléon. Or le
-pauvre Murat fort agité, il est vrai, pendant tout l'hiver, et un
-moment prêt à suivre les impulsions de l'Autriche, était revenu tout
-entier à Napoléon dès qu'il s'était trouvé auprès de lui, et était
-incapable d'ailleurs d'une trahison sur le champ de bataille. Au
-surplus le neveu de lord Cathcart, témoin oculaire de la charge de
-Murat, et appréciant les lieux mieux qu'on ne le pouvait faire de
-notre côté, a expliqué dans ses Mémoires, publiés depuis, la cause qui
-fit échouer cette charge. Cette cause n'était autre que la forme du
-sol le long du village de Gülden-Gossa, village qu'il suffit de voir
-pour comprendre comment notre cavalerie dut y être arrêtée. Après
-Murat, ce sont deux autres lieutenants de Napoléon, c'est-à-dire
-Marmont et Ney, qu'on a voulu incriminer. Marmont, à ce qu'on prétend,
-aurait dû repasser la Partha, et Ney ne pas laisser Bertrand inutile
-dans Leipzig. Or, Bertrand fut laissé dans Leipzig par ordre de
-Napoléon, et Marmont, quand il voulut se retirer derrière la Partha,
-ne le pouvait plus, ayant déjà l'ennemi sur les bras, et n'ayant qu'un
-seul pont pour défiler. C'est Napoléon qui avait mis Marmont entre
-Breitenfeld et Lindenthal, dans la supposition que Blucher était
-encore loin. S'il avait pu le savoir si rapproché, il aurait dès la
-veille placé Marmont sur la Partha même, et de la sorte la
-concentration eût été suffisante et faite à temps. Il est vrai que
-dans ce cas la route de Düben aurait pu être fermée au reste du corps
-de Souham et à celui de Reynier; mais alors, si par cette
-considération il n'y a rien à reprocher à Napoléon, il n'y a pas
-davantage de reproche à faire à Marmont pour être demeuré au delà de
-la Partha, où il n'était d'ailleurs que par ordre supérieur. Quant à
-nous, nous ne cherchons que la vérité, et Napoléon, dans cette
-campagne, reste si grand homme de guerre, même après d'affreux
-malheurs, que nous ne comprenons pas comment on consent à faire passer
-nos généraux pour incapables ou pour traîtres, plutôt que de lui
-reconnaître une faute. Nous ne voyons pas ce que la France y peut
-gagner en force dans le monde, le monde sachant bien que Napoléon est
-mort et ne renaîtra point. Il y a quelque chose qui ne meurt pas et ne
-doit pas mourir: c'est la France! Sa gloire importe plus que celle
-même de Napoléon. Voilà ce que devraient se dire ceux qui cherchent à
-établir son infaillibilité, quand il n'y aurait pas pour eux comme
-pour nous une raison supérieure même à toutes les considérations
-patriotiques, celle de la vérité, qu'avant tout il faut chercher et
-produire au jour.</p>
-
-<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a>
-<b><a href="#footnotetag28">28</a></b>: M. Fain, qui cependant était au quartier général, a
-prétendu que ce fut le 16 au soir que Napoléon appela M. de Merveldt,
-et lui rendit sa liberté. Beaucoup d'autres écrivains ont reproduit la
-même erreur, parce qu'elle fournit une explication et une excuse toute
-naturelle pour la perte de la journée du 17. Napoléon dans ce cas
-aurait attendu pendant toute la journée du 17 une réponse à ses
-propositions. Or, la publication de la conversation de M. de Merveldt,
-due au comte de Westmoreland, récemment encore ambassadeur à Vienne,
-et alors employé dans la légation britannique auprès des coalisés,
-permet de redresser cette erreur. M. de Merveldt, dans la pièce
-publiée, donne l'heure et le jour, et place son entrevue au 17 à deux
-heures de l'après-midi. Comme on ne peut prétendre qu'il eût intérêt à
-altérer une pareille circonstance, la supposition de ceux qui placent
-cette conversation dans la soirée du 16, tombe avec toutes les
-conséquences qu'ils prétendent en tirer.</p>
-
-<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a>
-<b><a href="#footnotetag29">29</a></b>: Les écrivains décidés à ne voir dans les revers de
-Napoléon d'autre cause que la trahison de ses alliés ou la faiblesse
-de ses lieutenants, comme si la trahison des alliés, la faiblesse des
-lieutenants ne provenaient pas elles-mêmes de fautes graves, ces
-écrivains ont prétendu que les généraux de la coalition ne voulaient
-pas attaquer le 17 ni le 18, mais qu'ils s'y décidèrent dans la nuit
-du 18, en apprenant la trahison projetée des Saxons. Dès lors Napoléon
-aurait encore calculé ici avec une justesse infaillible. En restant en
-effet un jour de plus en position il se serait retiré sain et sauf
-avec l'attitude d'un vainqueur, et ce n'est que la trahison des Saxons
-qui aurait empêché ce calcul de se vérifier. Cette nouvelle
-supposition est aussi peu fondée que toutes celles du même genre. MM.
-de Wolzogen, Cathcart, présents aux quartiers généraux des coalisés,
-nous ont révélé le détail des délibérations de ces quartiers généraux,
-et on sait aujourd'hui que la résolution était d'attaquer le 17 même,
-et que l'arrivée de nouveaux renforts fit seule remettre au 18. De
-plus, la défection des Saxons, si elle était connue d'avance, ne
-l'était qu'au quartier général de Bernadotte, où des Saxons réfugiés
-auprès de lui l'avaient préparée; mais elle était tout à fait ignorée
-au quartier général des trois souverains. Ces inventions, qui ont pour
-but de prouver non pas le génie prodigieux de Napoléon, qu'on ne peut
-mettre en question, mais son infaillibilité, sont donc contraires à la
-vérité, et dénuées de tout fondement.</p>
-
-<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a>
-<b><a href="#footnotetag30">30</a></b>: Nous citons le passage suivant de M. de Wolzogen qui
-peint ce qui se passait aux états-majors de Blucher et de Bernadotte.
-Les récits de M. de Muffling, témoin oculaire, sont encore plus
-frappants et plus amers.</p>
-
-<p>«Le prince Guillaume, frère du roi de Prusse, avait déjà auparavant
-décidé le prince qui hésitait, à prendre une part sérieuse à la
-bataille, et avait amicalement éveillé son attention sur ce point, que
-l'opinion des troupes prussiennes et russes qui se trouvaient dans son
-armée lui était très-défavorable, et qu'elles allaient même jusqu'à
-douter de son courage personnel et de sa loyale volonté d'agir
-efficacement dans l'intérêt de la cause commune des alliés. Cette
-confidence, ainsi que les observations du général Adlerkreutz, chef de
-son état-major général, que les Suédois, loin de rester en arrière,
-désiraient au contraire soutenir leur ancienne renommée sur le champ
-de bataille où Gustave-Adolphe avait combattu si glorieusement,
-passent pour avoir exercé une influence décisive sur la résolution de
-Charles-Jean.»</p>
-
-<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a>
-<b><a href="#footnotetag31">31</a></b>: Nous avons l'exposé bref mais formel de ces intentions
-dans une lettre du maréchal Ney au général Reynier, datée de 5 heures
-du matin, et dans laquelle le maréchal dit ce que Napoléon est venu
-faire et ordonner auprès de lui, c'est-à-dire à Reudnitz, où il avait
-son quartier général.</p>
-
-<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a>
-<b><a href="#footnotetag32">32</a></b>: Il n'est aucune circonstance de cette campagne qui ait
-donné lieu à plus de controverses que celle de l'existence d'un seul
-pont pour opérer la retraite de Leipzig. Les écrivains dont le thème
-ordinaire est que Napoléon en sa vie n'a commis ni une faute ni une
-omission, prétendent que Napoléon prescrivit à Berthier de jeter
-plusieurs ponts soit au-dessus, soit au-dessous de celui de Lindenau,
-et que Berthier n'exécuta pas cet ordre si important, lui qui ne
-négligeait pas les ordres les plus accessoires. Cette nouvelle
-assertion, tout invraisemblable qu'elle soit, pourrait être admise, en
-supposant que Berthier fatigué, affecté, malade (ce qu'il était
-alors), aurait oublié les prescriptions de Napoléon. Mais par malheur
-pour cette hypothèse, il y a l'assertion du colonel Montfort, qui
-depuis l'événement a déclaré qu'il avait adressé à Berthier les plus
-vives instances pour être autorisé à jeter des ponts secondaires, ce
-qui aurait dû suffire pour rafraîchir la mémoire du major général s'il
-en avait eu besoin. Il est vrai qu'on pourrait accuser le colonel
-Montfort, mis plus tard en jugement pour cette affaire, d'avoir
-imaginé cette assertion afin de s'excuser. Mais outre la bonne foi du
-colonel, qui ne saurait être mise en doute quand on l'a connu, j'ai de
-cette assertion et de son exactitude une autre preuve. Le jour même du
-passage si embarrassé du pont de Lindenau, c'est-à-dire le 19, le
-colonel Montfort au milieu de la foule qui se pressait sur le pont,
-s'entretenant avec le colonel du génie Lamare, lui dit avec chagrin
-qu'il avait la veille adressé les plus vives instances à Berthier pour
-être autorisé à jeter d'autres ponts, et que Berthier lui avait
-répondu qu'il fallait attendre les ordres de l'Empereur. Ainsi au
-moment même, le colonel Montfort n'ayant pas encore à se justifier
-devant un conseil de guerre, et avant d'avoir pu y penser, produisait
-le fait avec une sincérité et une spontanéité évidentes. Le fait ne
-peut donc pas être contesté. Or, comment admettre alors que Berthier
-ayant des ordres de Napoléon ne les eût pas exécutés? Ici
-l'invraisemblance est frappante, car il eût fallu que Berthier fût ou
-stupide ou traître. Or, ce vieux compagnon de Napoléon, quoique
-fatigué, était aussi dévoué qu'habile. Il n'y a donc qu'une
-supposition possible, c'est que Napoléon, ou n'y ayant pas pensé, ou,
-ce qui est plus probable, voulant faire une retraite pour ainsi dire
-<em>à volonté</em>, sans presser le pas, crut le pont de Lindenau suffisant.
-Probablement aussi il ne voulait pas que des préparatifs indiquant une
-retraite précipitée affectassent le moral des soldats. Quoi qu'il en
-soit, c'est la seule explication qui n'offense pas le bon sens. Il est
-vrai que dans ce cas il faudrait admettre que Napoléon a commis une
-erreur. Mais quant à nous, tout en le regardant comme un des plus
-grands génies de l'humanité, nous demandons, non pas à ses
-admirateurs, car nous sommes du nombre, mais à ses adorateurs, ce que
-nous ne sommes pas, la permission de croire qu'en sa vie il lui est
-arrivé de se tromper.</p>
-
-<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a>
-<b><a href="#footnotetag33">33</a></b>: Expression du maréchal Gérard, de la bouche duquel je
-l'ai autrefois recueillie.</p>
-
-<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a>
-<b><a href="#footnotetag34">34</a></b>: Nous parlons d'après les rapports des maréchaux envoyés
-sur le Rhin pour y commander.</p>
-</div>
-
-<div class="tn">
-<p class="center">Note au lecteur de ce fichier numérique:</p>
-
-<p>Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été
-corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée.</p>
-</div>
-<pre style='margin-top:6em'>
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE
-(16/20) ***
-
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